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En France, les gauches antimilitaristes changent leur fusil d’épaule

1er avril, par Mathieu Dejean — , ,
Si des partis de gauche radicale cherchent un chemin pour « stopper la marche à la guerre », les traditions antimilitaristes et pacifistes sont largement éclipsées par (…)

Si des partis de gauche radicale cherchent un chemin pour « stopper la marche à la guerre », les traditions antimilitaristes et pacifistes sont largement éclipsées par l'actualité internationale. En partie sidérées, parfois inaudibles, ces formations se recomposent à bas bruit.

23 mars 2025 | tiré d'Europe solidaire sans frontières | Photo : Un rassemblement de solidarité avec la résistance du peuple ukrainien à Lyon, en France, le 23 février 2025. © Photo Elsa Biyick / Hans Lucas via AFP
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74174

Une ambiance de mutinerie studieuse règne au 87 rue du Faubourg-Saint-Denis, dans le Xe arrondissement de Paris, mercredi 19 mars. Le local du Parti ouvrier indépendant (POI), d'obédience trotskiste lambertiste, accueille une conférence publique du Cercle d'études Pierre-Lambert sur le thème : « Marche à la guerre : comment la stopper ? »

À la tribune, face à une centaine de militant·es, Jérôme Legavre, membre du POI et député siégeant dans le groupe de La France insoumise (LFI), dénonce la « propagande guerrière » et le « climat de bourrage de crâne » en faveur de l'effort de réarmement.

Depuis le clash entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky, une majorité du spectre politique est acquise à cet effort en France. Même si elles se différencient sur l'échelon de la défense à construire et préviennent contre la stratégie du choc néolibéral, les gauches se sont ralliées à un principe de réalité face aux menaces impérialistes et guerrières que Trump et Poutine font peser. À quelques exceptions près.

« On n'accumule pas de telles montagnes de munitions, de missiles, d'armement sans courir le risque que ça ne débouche sur une catastrophe », prévient Jérôme Legavre, qui fait reposer sur « les déserteurs ukrainiens et russes » une bonne part de l'issue du conflit. Cette posture antiguerre stricte n'est pas commune dans le paysage politique.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, le député s'oppose aux livraisons d'armes – toutes les armes, à la différence de LFI. Jérôme Legavre avait aussi été le seul à voter contre une résolution de l'Assemblée nationale en soutien à l'Ukraine en décembre 2022. On l'a accusé de fermer les yeux devant l'impérialisme russe par « campisme ». Lui se dit internationaliste et anti-impérialiste. « Cette guerre oppose l'oligarchie mafieuse autour du régime pourri et tyrannique de Poutine et des États occidentaux qui servent les multinationales de l'armement », affirme-t-il aujourd'hui.
Des mémoires réactivées

Il rappelle que sa formation politique, jadis baptisée l'Organisation communiste internationaliste (OCI), n'est pas « pacifiste » pour autant : elle avait par exemple soutenu le Mouvement national algérien de Messali Hadj pendant la guerre d'Algérie. Sa position, singulière, évoque le « défaitisme révolutionnaire » professé par Lénine lors de la Première Guerre mondiale et l'antimilitarisme des socialistes réunis lors de la conférence de Zimmerwald, en 1915. Une vision que d'autres composantes de la gauche antiguerre rejettent pour son anachronisme.

« Cette théorie date d'avant le fascisme, elle ne correspond plus à la réalité d'une société civile devant résister à un tel pouvoir et aux crimes de guerre poutiniens », pointe Christian Varquat, membre de la commission internationale du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA). Entre-temps, la Seconde Guerre mondiale et la trajectoire de certains pacifistes intégraux comme Louis Lecoin ou René Dumont – restés pacifistes sous l'Occupation – ont rendu cette grille de lecture difficilement audible. En juin 1944, le journal La Vérité écrivait que « la libération de Roosevelt valait tout autant que le socialisme de Hitler ».

« Après 1945, c'est plutôt la Résistance, qui est un mouvement d'indépendance nationale armé, qui a pris le dessus dans l'imaginaire de la gauche dans de nombreux pays », analyse l'historien Gilles Candar – même si le pacifisme incarné en 1914 par Jean Jaurès a repris de la vigueur au moment des guerres coloniales, notamment celle du Vietnam.

Du point de vue antimilitariste, il y a une forme de sidération et d'attentisme.
Éric Fournier, historien

De manière générale, le retour des conflits et la rupture nette provoquée par Donald Trump sur l'Ukraine amènent des recompositions inédites, dans un champ où les positions avait été figées par l'éloignement des guerres hors du continent européen.

« L'invasion russe de l'Ukraine a reconfiguré les lignes, constate l'historien Éric Fournier, qui a codirigé le livre À bas l'armée ! L'antimilitarisme en France du XIXe siècle à nos jours (Éditions de la Sorbonne, 2023). Du point de vue antimilitariste, il y a une forme de sidération et d'attentisme, même si la mémoire de l'anarchiste Makhno a été réactivée par des libertaires européens. Ce qui était acquis – le refus de la guerre qui ne profite qu'aux grands groupes de l'armement, le mépris des officiers – change avec l'Ukraine. Il était plus facile de s'intéresser à des milices kurdes en Syrie qu'à un groupe de combattants étatique. »

Engagé dans le Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine et contre la guerre, le NPA soutient Sotsialnyi rukh (le « Mouvement social », une organisation de la gauche ukrainienne qui a des militants dans l'armée) et assume son engagement auprès de la résistance ukrainienne à l'invasion russe, « en toute indépendance du gouvernement néolibéral ukrainien et des grandes puissances occidentales », précise Christian Varquat.

« L'aide armée n'est pas demandée seulement par le gouvernement Zelensky, mais par toutes les composantes de la société qui résistent à l'agression russe », rappelait l'économiste Catherine Samary, membre d'Attac et du NPA, dans un entretien à Mediapart. « Insister sur la nécessité de disposer des moyens de se défendre n'est pas du bellicisme. Sans cela, la diplomatie se résume à un appel à la pitié », affirme ainsi Oleksandr Kyselov, membre du conseil de Sotsialnyi rukh dans le journal L'Anticapitaliste. C'est sur cette ligne de crête, sans angélisme ni bellicisme, que les gauches antiguerre se recomposent.

Les nuances entre antimilitarisme et pacifisme

Historiquement, l'antimilitarisme n'est d'ailleurs pas contradictoire avec le soutien armé aux peuples qui résistent. « L'antimilitariste se distingue du pacifisme par son hostilité systématique à l'institution militaire et notamment à la chaîne de commandement, les officiers de carrière étant facilement assimilés à des aristocrates réactionnaires. Mais cette hostilité qui vise la caserne et l'uniforme, assimilé à une tenue d'esclave, ne s'accompagne pas du tout d'un refus de la prise d'armes civique ou populaire », rappelle l'historien Éric Fournier.

Avant le renversement d'alliance et le deal Trump-Poutine fait dans le dos de l'Ukraine, les Soulèvements de la Terre avaient ravivé cette mémoire de l'antimilitarisme en rejoignant la coalition « Guerre à la guerre », appelant à « désarmer le militarisme ». Cette coalition visait à s'ériger contre l'« interventionnisme militaire [de la France] au Sahel, en Kanaky, en Martinique, à Mayotte », et contre la « guerre intérieure, menée par une police aux moyens militarisés, qui cible en premier lieu les non-Blancs et les minorités ».

La cause du refus absolu du fait militaire et de la logique guerrière est condamnée à rester une protestation morale.
Gilles Candar, historien

Mais les bouleversements géopolitiques autour de l'Ukraine ont changé la donne. Désormais, la coalition cherche une ligne qui convienne à toutes ses composantes. La gauche antiguerre, en partie marquée par une vision purement anti-atlantiste des relations internationales jusqu'à récemment, est prise par surprise et doit rapidement se réarmer intellectuellement. « Le rapprochement Trump-Poutine plonge dans un hébètement idéologique tous ceux qui s'opposaient à l'alliance atlantique. Des années de discours doivent être reconsidérées », observe Éric Fournier.

Les Écologistes, qui avaient déjà fortement nuancé leur héritage pacifiste au fil des années, ont confirmé cette évolution depuis le début de l'invasion russe en Ukraine. Même si des nuances existent en leur sein, l'époque où la candidate écologiste à la présidentielle Éva Joly proposait la suppression du défilé militaire du 14-Juillet semble bien loin. « Refuser le campisme, c'est analyser le conflit tel qu'il est et non pas tel qu'il est fantasmé. Il ne faut pas se contenter de saluer l'héroïsme des Ukrainiens, il faut les soutenir »,explique Jérôme Gleizes, vice-président du groupe écologiste à la mairie de Paris, auteur d'un billet de blog à ce sujet.

Alors que les grandes puissances adversaires des démocraties libérales et aux velléités expansionnistes grandissent, de Poutine à Trump, en passant par Xi Jinping et Narendra Modi, l'espace du pacifisme se réduit d'autant. « La cause du refus absolu du fait militaire et de la logique guerrière est condamnée à rester une protestation morale de forces très minoritaires qui ont valeur de témoignage », analyse Gilles Candar. L'antimilitarisme, qui articule critique du militarisme et soutien aux peuples qui se battent pour leur autodétermination, a plus de chances de se faire entendre face à l'escalade militaire qui se dessine.

Mathieu Dejean
P.-S.

• Mediapart. 23 mars 2025 à 14h54 :
https://www.mediapart.fr/journal/politique/230325/en-france-les-gauches-antimilitaristes-changent-leur-fusil-d-epaule

Les articles de Mathieu Dejean sur Mediapart :
https://www.mediapart.fr/biographie/mathieu-dejean-0

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La situation en France, le NFP et les tâches des révolutionnaires

1er avril, par Antoine Larrache — , ,
La situation en France est marquée par la crise générale du capitalisme et par celle de sa place dans les rapports de forces internationaux. Elle est aujourd'hui en équilibre (…)

La situation en France est marquée par la crise générale du capitalisme et par celle de sa place dans les rapports de forces internationaux. Elle est aujourd'hui en équilibre très instable et pourrait basculer, comme bien d'autres pays, sous la domination de l'extrême droite.

Tiré de Inprecor 730 - mars 2025
24 mars 2025

Par Antoine Larrache

Manifestation contre la réforme des retraites, 7 février 2023. Photothèque Rouge, Martin Nada, Hans Lucas

Le capitalisme français est percuté par la crise économique mondiale. Le pays est en quasi-récession, son déficit budgétaire est croissant (6 % du PIB en 2024), à tel point que la note de la dette de la France a été dégradée à plusieurs reprises par les agences de notation (elle est passée de AAA à Aa2 entre 2012-2015 puis à Aa3 en 2024). L'un de ses secteurs historiques, l'automobile, est en crise, incapable notamment de prendre le tournant de l'électrique. Le secteur du commerce supprime des postes par milliers (notamment chez Auchan et Casino). Globalement, sur la période de juillet à novembre 2024, la CGT a recensé 120 plans de licenciements, représentant, depuis septembre 2023, entre 130 000 et 200 000 emplois. Il est possible que les chiffres réels soient très supérieurs, en comptant les emplois induits. Ces suppressions de postes comprennent des licenciements secs et des départs en retraite non remplacés qui conduisent à une augmentation de la charge de travail. Par ailleurs, la pauvreté est en hausse, avec 8,1 % de pauvres (moins de 1 000 euros par mois, ou 1 500 pour un couple sans enfant).

Les gouvernements Barnier et Bayrou ont mis en place des coupes budgétaires drastiques dans les dépenses publiques, de 60 milliards d'euros, et diverses fonctions publiques sont en grande difficulté. C'est le cas dans l'Éducation, même si les suppressions de postes prévues au budget 2025 ont été reportées, dans la santé (plusieurs morts ont été comptées dans les hôpitaux en raison de la lenteur des prises en charge ou du manque de personnels), dans la fonction publique territoriale où les suppressions de postes rendent la gestion des collectivités locales de plus en plus difficile, dans universités, etc. Sans parler de la privatisation rampante de la SNCF et de la RATP, qui se met en place petit à petit, avec l'ouverture à la concurrence puis la vente de lignes.

La réaction impérialiste aux difficultés

La tendance est donc à un déclin très prononcé sur le plan économique. Dans le même temps, l'impérialisme français est mis en déroute dans la plupart des pays d'Afrique qu'il dominait dans sa forme moderne d'impérialisme, la Françafrique. Au Mali (février 2022), au Burkina Faso (février 2023), au Niger (fin 2023), en Côte d'Ivoire (février 2025), au Tchad (décembre 2024) et au Sénégal (septembre 2025), la France a dû retirer ses troupes, et ses intérêts économiques et politiques sont remis en cause. Ces retraits ont eu lieu à l'initiative des régimes, soit en raison du mécontentement des populations, soit de l'émergence d'influences concurrentes, en particulier de la Russie et de la Chine.

En réponse, la France poursuit voire renforce sa domination sur ses colonies restantes. Ainsi Macron tente d'arrêter le processus de décolonisation de la Kanaky en ayant tenu en 2021, le troisième référendum malgré le Covid, essayé de dégeler le corps électoral et en déportant des militants en métropole. Il a répondu par la répression aux revendications sociales en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane, tandis que Mayotte sert désormais de test grandeur nature pour les politiques racistes, avec la suppression du droit du sol qui permettait à toute personne née en France d'obtenir la nationalité française.

Plus globalement, la 7e puissance militaire mondiale cherche à construire une « défense européenne » autour d'elle. Ainsi, la prochaine loi de programmation militaire du pays devrait atteindre 413 milliards d'euros sur 5 ans, soit un doublement en 10 ans, tandis que Macron déclare souhaiter « un financement européen commun massif pour acheter et produire plus ».

L'usure des partis gestionnaires

La crise est donc généralisée et les gouvernements bourgeois classiques sont en grande difficulté pour la résoudre. Depuis une vingtaine d'années, les partis de droite issus du gaullisme et la social-démocratie ont connu une alternance au pouvoir, mais avec des difficultés croissantes à se reproduire. Le Parti socialiste a opéré un tournant particulièrement droitier sous la présidence de François Hollande (2012-2017), ajoutant au libéralisme économique déjà amorcé par Lionel Jospin, à la fin des années 1990, un développement de la répression et des politiques racistes, une poursuite de la destruction de la Sécurité sociale, notamment par les réformes des retraites et contre les chômeurs, des attaques contre le droit du travail et la représentation syndicale. Mais les scores électoraux du parti de droite, Les Républicains, et du PS se sont petit à petit réduits, avec la chute en 3e position de François Fillon en 2017 et le très faible score (4,78 %) de Valérie Pécresse en 2022 pour ce qui concerne les premiers, et les scores encore plus réduits des candidats du PS Benoît Hamon (6 %) et Anne Hidalgo (1,75 %). Pendant que Marine Le Pen atteignait 21 % en 2017 et 23 % en 2022 ; et Jean-Luc Mélenchon 20 % en 2017 et 22 % en 2022.

Le personnel bourgeois classique a donc été profondément bouleversé : Macron, ancien ministre sous Hollande, a réussi à rassembler les électeur·trices modéré·es de la droite classique et ceux les plus à droite du Parti socialiste, et à sortir gagnant des deux dernières présidentielles. Mais son assise est cependant très limitée, avec 18 et 20 % des voix des inscrit·es sur les listes électorales au premier tour en 2017 et 2022. Et elle tend à se réduire toujours plus : lors des dernières élections législatives, l'alliance construite autour de Macron n'a obtenu que 26 % des voix, 43 % des député·es en 2022, puis 22 % des voix et 29 % des député·es en 2024. De fait, son assise sociale est essentiellement constituée des couches très supérieures du salariat (cadres), et de la classe dominante. Les secteurs réactionnaires se tournent de plus en plus vers la droite, vers Éric Zemmour, Éric Ciotti et bien sûr le RN, tandis que l'union de la gauche lors des dernières élections législatives lui a fait perdre les couches intermédiaires qui votaient traditionnellement PS, retournées au bercail.

En 2017 comme en 2022, Macron a été élu au second tour de la présidentielle contre Marine Le Pen et a donc fait jouer pleinement le « front républicain », qui consiste à ce que les partis appellent à voter contre l'extrême droite. Macron est donc à chaque fois apparu aux couches intermédiaires comme le meilleur outil, dès le premier tour, pour empêcher l'arrivée au pouvoir de Le Pen. Il a d'ailleurs mené une grande partie de ses campagnes sur cette thématique, promettant de faire reculer l'extrême droite. Mais cette promesse a été de courte durée, les classes populaires abandonnant de plus en plus le vote Macron pour se concentrer, pour ce qui concerne les couches conscientes et/ou racisées, sur le vote Mélenchon, et pour les couches craignant un déclassement, vers Le Pen.

Un danger fasciste toujours plus concret

Ainsi, le « centre » se réduit, au bénéfice d'une gauche en mutation et de l'extrême droite. C'est cette dernière qui connaît une progression particulièrement spectaculaire, car le « front républicain » ne suffit plus à arrêter son développement : dans 39 circonscriptions (sur 577), aux législatives de 2024, les candidat·es du RN ont même été élu·es dès le premier tour.

De plus, on voit une augmentation effrayante du soutien au RN dans la police et dans l'armée. Le soutien dans la police est passé de 51 % en 2015 à 67 % dans les échelons inférieurs de la hiérarchie en 2022, et dans l'armée, il aurait dépassé les 50 %. Elles constituent, de fait, des bandes armées favorables à l'extrême droite. Un élément qui doit être mis en relation avec la tribune de 20 généraux publiée un 21 avril 2021 – en référence à la tentative de putsch des généraux de 1961 – dans la revue d'extrême droite Valeurs actuelles indiquant que « Oui, si une guerre civile éclate, l'armée maintiendra l'ordre sur son propre sol » (1). Et avec le fait que des franges importantes de la bourgeoisie française ont basculé vers l'extrême droite. Ainsi « Le patron de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), François Asselin, s'appuie sur un sondage commandé par son organisation pour affirmer que “le Rassemblement national fait moins peur aux entrepreneurs que le Nouveau Front populaire”. Tandis que Michel Picon, président de l'Union des entreprises de proximité (U2P), considère de son côté que les petits patrons “expriment un fort besoin d'ordre, de fermeté, de remise en place de hiérarchie des valeurs” » (2). Les Bolloré et Progli se multiplient, tandis que le Financial Times a noté que « les patrons des grandes entreprises françaises se précipitent pour nouer des contacts avec l'extrême droite de Marine Le Pen  ».

Les agressions par des groupes fascistes se développent, petit à petit, contre les personnes racisé·es, les LGBTI, des piquets de grève, des réunions militantes. En février, un militant de gauche a été poignardé, heureusement sans dommage grave. Et l'extrême droite a pris une place importante dans certaines mobilisations sociales comme celle des Gilets jaunes et les mobilisations paysannes, par l'intermédiaire notamment de la Coordination rurale, qui connaît une progression importante (passant de 3 à 14 présidences de chambre d'agriculture entre 2019 et 2025, avec des scores supérieurs à 30 % dans de nombreux départements).

Une grande partie des caractéristiques du fascisme sont donc déjà en place dans le pays. Il manque un point essentiel : l'existence d'un parti fasciste de masse. Mais cet élément peut hélas être réalisé, quand on voit les files d'attente impressionnantes lors de signatures du livre de Jordan Bardella (3) ou la présence dans les meetings du RN.

Une gauche en pleine reconfiguration

En face, la gauche évolue fortement. Comme nous l'avons vu, le Parti socialiste, hégémonique à gauche pendant trente ans, est très affaibli et travaillé par de fortes contradictions. Il revendique 50 000 adhérent·es mais moins de 20 000 personnes votent lors de ses congrès. Et il est traversé par des désaccords très importants entre une frange complètement intégrée aux institutions et qui cherche à se rapprocher de Macron (autour de Carole Delga, Anne Hidalgo et Michael Delafosse…) et une autre qui reste sensible à l'histoire du mouvement ouvrier, notamment par l'intermédiaire des élu·es des quartiers populaires ou des syndicalistes de la CFDT ou l'UNSA ou de FO.

L'unité de la gauche, lors des élections législatives de 2022 et 2024, s'est imposée à ses organisations car, divisées, elles auraient eu très peu d'élu·es. Mais on ne peut pas ignorer la corrélation entre, d'une part, l'unité réalisée avec la NUPES en 2022 et le NFP en 2024, et, d'autre part, l'unité syndicale face à la casse des retraites en 2023, qui a rassemblé toutes les forces, de Solidaires à la CFDT en passant par la FSU et la principale, la CGT. On peut considérer que, sous le coup des attaques antisociales dans un cas, de la menace de la droite et de l'extrême droite dans le second, les organisations du prolétariat se sont rassemblées, dans le même temps que celui-ci tentait de s'organiser et d'agir, exerçant une pression pour ce rassemblement.

Sous cette pression, le PS, comme ça avait déjà été le cas lors de la désignation de Benoît Hamon en 2017, a adopté une orientation relativement combative, et accepté le programme du Nouveau Front populaire, qui est sur la plupart des points une reprise de celui de La France insoumise, lui-même inspiré par les revendications des grands mouvements sociaux, formulées par des militants des principales organisations dans tous les domaines (syndicats, associations pédagogiques, groupes d'économistes, etc.). De même, Les Écologistes et le Parti communiste ont participé à l'alliance. Ces deux organisations, n'ayant pas été à la direction des gouvernementaux sociaux-libéraux, ont une plus grande faculté d'adaptation programmatique que le PS, et les négociations ont été rapides.

Le cœur de l'accord politique entre les quatre grandes formations de gauche a été le mot d'ordre du retrait de la réforme des retraites de 2023 et qu'en cas de victoire, le NFP choisirait quel·le Premier·e ministre il proposerait à Macron, et voterait des motions de censure contre tout Premier ministre de droite. Cet accord fragile, que le PS a remis en cause ces derniers mois, a été imposé à la droite du parti en échange d'une part importante des circonscriptions pour les élections législatives… l'une d'elles étant même accordé à l'ancien président François Hollande.

Un front unique original

De l'autre côté de la gauche, le NPA-L'Anticapitaliste (NPA-A) a participé au Nouveau Front populaire, obtenant « sur le quota de LFI », une circonscription ingagnable pour Philippe Poutou4. L'entrée du NPA-A dans le NFP a eu pour seule condition l'engagement à voter pour le programme du NFP à l'Assemblée si Philippe était élu ; il a été clairement spécifié par le NPA-A qu'il ne participerait pas au gouvernement du NFP. En effet, la nature du NFP, cette alliance « de Philippe Poutou à François Hollande », ne permet pas une participation des révolutionnaires, laquelle ne peut relever que de circonstances exceptionnelles.

Le NFP se réclame d'un programme de rupture qui intègre des propositions assez radicales : bloquer «  les prix des biens de première nécessité dans l'alimentation, l'énergie et les carburants  », taxer «  les super profits », augmenter les salaires, « un moratoire sur les grands projets d'infrastructures autoroutières », « passer à une 6e République par la convocation d'une assemblée constituante citoyenne élue  », des mesures plus favorables à l'immigration, le refus du «  pacte de stabilité budgétaire » européen, de très nombreuses mesures qui, sans être révolutionnaires, constituent une rupture réelle avec les politiques bourgeoises menées depuis des décennies et supposent un affrontement avec la bourgeoisie.

Un tel programme est précisément totalement inacceptable et la classe dominante, par ses médias, ses représentant·es politiques ou de grands dirigeants d'entreprises, a exprimé sa totale opposition à ce programme et à La France insoumise. Une partie a même repris à son compte des formules proches de l'historique «  mieux vaut Hitler que le Front populaire ». Cependant, les objectifs d'un gouvernement issu du NFP s'inscriraient dans le cadre du système et associeraient des courants ayant participé loyalement à la gestion du capitalisme français, notamment les membres du PS, du PCF et des Écologistes. Le programme, s'il ne comprend pas vraiment de mesure erronée, n'aborde ni les licenciements ni la dette publique, et n'introduit aucune incursion dans la propriété privée des moyens de production. Il y a fort à parier qu'un gouvernement issu de ce programme serait mis sous pression et discipliné encore plus rapidement que l'a été le gouvernement Syriza en Grèce et, même si LFI répète à l'envi vouloir s'appuyer sur les mobilisations – à défaut de s'employer à les construire –, la faible auto-activité actuelle des classes populaires rendrait le débordement du gouvernement par sa gauche assez improbable.

Contenir le recul, préparer la contre-offensive

Tout cela reste assez hypothétique car, justement, le rapport de forces entre les classes ne permet pas, à ce stade, d'espérer une victoire électorale de la gauche. En effet, le mouvement ouvrier connaît une phase de recul de ses capacités à peser sur la situation. La mobilisation sur les retraites de 2023 s'est soldée par une défaite, tandis que les droits des chômeurs et des étrangers ont été dégradés sans que les grandes organisations s'y opposent réellement. La casse ou la privatisation des services publics se poursuit avec des réactions pour l'instant très limitées et locales. Les déserts syndicaux s'agrandissent, et les perspectives d'une unification – à moyen terme – entre la CGT et la FSU (voire Solidaires) serviraient plutôt à contenir le recul qu'à espérer une reconstruction.

Cependant, des points d'appui existent. Le mouvement sur les retraites a montré, avec des records de participation aux manifestations (au plus fort, un million de manifestant·es selon la police, 3,5 millions selon la CGT), qui ont eu lieu dans plusieurs centaines de villes, montrant ainsi la profondeur du mouvement. À l'instar des mouvements précédents, ou de la mobilisation des Gilets jaunes en 2018-2019, on a pu observer que le potentiel de mobilisation de la classe ouvrière reste très important même si, en termes de rapport de forces relatif à celui imposé par la classe dominante, il est insuffisant.

D'autres mobilisations ont eu lieu, montrant des capacités variées : par exemple le mouvement contre les violences policières et racistes, suite à l'assassinat d'un jeune par la police, Nahel, en juin 2023, qui a mobilisé pendant plusieurs jours les quartiers populaires, malgré les interdictions de manifester et la répression policière (3 651 personnes arrêtées et 380 peines de prison fermes, et deux morts). Ce mouvement a d'ailleurs, contrairement aux révoltes de 2005, globalement été soutenu par la gauche. La mobilisation pour la Palestine, bien que confrontée à la répression et à une offensive idéologique de grande ampleur, a réussi à tenir sur la longue durée et à mobiliser pendant un moment plusieurs dizaines de milliers de personnes, notamment des quartiers populaires et racisées. Il a représenté le plus important mouvement internationaliste de la jeunesse – notamment des quartiers populaires – depuis plusieurs décennies. Des actions ont été menées contre les licenciements et les suppressions de postes, notamment dans l'automobile et le commerce, en novembre 2024 et, si elles n'ont pas obtenu de victoire, elles ont contribué à déstabiliser le gouvernement Barnier et à ce que la tentative d'adoption du budget par l'article 49-3 de la Constitution conduise à la censure et à la démission du gouvernement. Les mobilisations féministes, régulières notamment depuis Metoo, avec notamment le développement de la grève féministe, et les mobilisations écologiques (notamment contre les Grands projet inutiles comme les autoroutes, les méga-bassines, etc.), contribuent aussi à la contestation sociale globale. Aujourd'hui, on observe des actions syndicales contre la pénurie budgétaire dans les administrations territoriales, dans les universités (avec plusieurs centaines de personnes dans quelques assemblées générales, à ce jour), les hôpitaux, les écoles…

Une unité militante

Il y a donc une crise et des mobilisations quasi permanentes en réaction aux attaques du gouvernement et, de façon similaire, une partie de la gauche – en réaction à la montée de l'extrême droite et face à Macron – s'est mobilisée pour construire la campagne du NFP, dans des comités locaux regroupant chacun plusieurs dizaines de personnes – voire des centaines à certaines occasions. Dans de nombreuses circonscriptions, tout·es les militant·es de gauche se sont retrouvé·es pour organiser des diffusions de tracts, des collages d'affiches, des tournées d'immeubles et des réunions publiques. Pas seulement les militant·es politiques, aussi les syndicalistes et membres d'associations de gauche.

Cette dynamique possède des qualités indiscutables. En effet, la seule présence dans des actions communes pendant plusieurs semaines sécrète quasi mécaniquement une capacité d'action décuplée – qui a permis non seulement que le RN ne gagne pas les élections, mais aussi que le NFP soit la force disposant du plus grand nombre de député·es à l'Assemblée nationale ! – et exerce une pression pour continuer cette unité dans les luttes. En effet, il est évident pour tout·e militant·e de base qu'il y a un lien entre les éléments de programme et les luttes à la base, entre les préoccupations des classes populaires et les actions à mener, même si une grande partie des militant·es les conçoivent dans leurs aspects les moins combatifs (rendez-vous avec les élu·es, pétitions, etc.), et il était absolument essentiel, pour des militant·es révolutionnaires, d'accompagner cette dynamique globale, malgré la combativité limitée de ces cadres.

Ce dernier point est lié à la faiblesse majeure du NFP, sa nature essentiellement institutionnelle, dans le sens où elle est liée aux institutions du capitalisme, de la base au sommet. Son combat est en effet essentiellement une lutte à l'intérieur du système, pour en modifier les équilibres et « mener une politique de gauche ». Le NFP a ainsi mené campagne pour obtenir le poste de Premier ministre et gouverner, bien qu'il n'ait obtenu qu'un gros tiers des député·es. La France insoumise, pourtant la force la plus radicale des quatre organisations principales du NFP, a engagé une procédure de destitution de Macron qui n'avait aucune chance d'aboutir et ne participait aucunement à un mouvement de masse, alors que le président est pourtant détesté par une grande partie de la population. Le PS, dans la dernière séquence de vote du budget (5), n'a pas voté la censure, contrairement aux engagements initiaux du NFP. Ce choix, répondant aux préoccupations d'une partie la population qui craignait une nouvelle déstabilisation du pays en cas de non-adoption du budget, a permis au Rassemblement national, qui ne souhaitait pas non plus censurer le gouvernement, de se positionner de façon favorable. En effet, le RN joue un jeu complexe : il tente d'un côté de se présenter comme le principal opposant à Macron et de l'autre d'apparaître comme une force crédible pour gérer le système à sa place. Cette orientation est pleine de contradictions, et la gauche pourrait, en votant systématiquement la censure et en se positionnant comme la principale force militante anti-Macron, faire la démonstration que le RN n'est pas au service des classes populaires.

Mais, pour cela, il faudrait que la gauche entreprenne des campagnes militantes combatives, à la base, ce qu'elle n'est pas disposée à faire, car elle se laisse absorber par le travail parlementaire, les divisions et en particulier celles liées à la préparation des élections municipales qui auront lieu en 2026. Pour les partis de gauche les plus intégrés au système, c'est une échéance fondamentale pour garder ses positions, qui lui permettent – comme ses positions dans les conseils régionaux et départementaux – de construire leurs appareils et de maintenir un rapport de forces vis-à-vis de LFI, qui reste bien plus faible sur ce terrain. De plus, chaque organisation de gauche garde en tête la préparation de la prochaine échéance présidentielle, en 2027, en espérant y jouer un rôle central. LFI par le biais de Jean-Luc Mélenchon, qui se présentera vraisemblablement, les autres forces voulant à tout prix éviter que l'ancien sénateur soit le candidat unique de la gauche, car cela contribuerait à diminuer leur rapport de forces vis-à-vis de LFI. Chaque force étant sous une pression énorme : la nécessité, pour gagner, et peut-être même pour empêcher Le Pen d'être élue, de présenter une candidature unique, commune. À ce puzzle il faut ajouter la possibilité, si le gouvernement Bayrou ne tient pas dans le temps, notamment s'il est censuré par la gauche et le RN, de nouvelles élections législatives dès juin 2025. Autant dire que la gauche est tétanisée par ces enjeux, qui la divisent tout en nécessitant son unité.

Articuler unité et radicalités

Il est difficile de peser dans une telle situation, car tant sur le terrain politique que social, les choses semblent bloquées. Les mobilisations sociales sont pour l'instant peu puissantes malgré l'ampleur des attaques, et les organisations politiques sont engluées dans des négociations et confrontations locales délétères. Cependant, les périodes où existe un fort décalage entre les nécessités et les actions concrètes peuvent constituer des moments où un espace politique existe pour exprimer une orientation alternative, où les nécessités doivent être, par le travail politique, transformées en possibilités.

Pour cela, il nous faut tenter d'analyser les enjeux précis et de mettre en mouvement les forces disponibles pour peser dessus. Cette tentative conduit à distinguer les nécessités politiques selon trois niveaux.

Le premier est le besoin de l'unité de toute la gauche pour répondre à la menace fasciste, pour construire le rapport de forces et pour tracer des perspectives alternatives à la domination bourgeoise. C'est pour cette raison que, malgré les limites du NFP, il était correct d'y participer et de faire le lien entre cette alliance et les luttes concrètes. Il semble aussi correct de continuer à construire ce cadre à la base, notamment en encourageant les dizaines de collectifs qui se maintiennent localement. Des alliés (Nouvelle donne, Égalités, l'Après, Copernic, Peps…) existent pour une telle orientation, qui travaillent à construire une réunion nationale des collectifs, là où les quatre organisations principales (LFI, PS, PCF, écologistes) privilégient leurs intérêts. Le moment venu, cette politique pourrait jouer un rôle important car il s'agit d'un embryon de cadres démocratiques unitaires de base, dont tout mouvement de masse a besoin pour agir, se construire et poser la question du pouvoir par en bas.

Ces collectifs de base peuvent mettre en place les campagnes unitaires nécessaires dans la période : contre les politiques racistes, contre les licenciements, pour l'augmentation des salaires, pour la défense des services publics, pour la Palestine, la Kanaky… De premières discussions ont eu lieu, à l'initiative du NPA-A, sur les licenciements pendant la vague de suppressions de postes de novembre-décembre 2023 et des initiatives pour les services publics sont discutées. Ils pourraient aussi intervenir dans les débats politiques plus généraux, par exemple celui sur le budget et la censure, et contester le gouvernement.

De plus, une nouvelle discussion va s'engager sur les retraites et il sera indispensable de construire un front intersyndical et une campagne unitaire du NFP et du mouvement social pour les défendre.

La défense de l'unité de la base au sommet pourrait aussi passer, ce n'est pas à exclure, par la défense d'une candidature unique de la gauche à la présidentielle. En effet, dans le cadre de la Ve République, qui est particulièrement antidémocratique et donne des pouvoirs immenses au président, éviter une victoire de Le Pen pourrait nécessiter une candidature unique à gauche. Mais les jeux sont loin d'être faits. La séquence des élections municipales de 2026 constitue une étape difficile à anticiper pour l'instant : on ne sait pas si la division de la gauche provoquera un nouveau progrès de l'extrême droite, ou si une unité de la gauche sera réalisée et dans quelles conditions et quels rapports de forces.

La place particulière de LFI

Le second niveau découle de l'analyse des différentes organisations de gauche. Il est apparu, ces dernières années, que LFI joue un rôle particulier parmi celles-ci : sa relativement faible intégration dans le cadre des institutions (elle n'a pas de conseiller·e régional·e, et a 6 conseiller·es départementaux, à comparer aux 40 du PCF, qui en a perdu 81 aux dernières élections, et aux 332 du PS, qui en a perdu 622…) induit une position partiellement critique par rapport à l'ordre établi. Sa stratégie électorale est également de s'appuyer sur les quartiers populaires, notamment racisé·es, et elle combat plus frontalement le racisme, l'islamophobie et le RN que les autres forces de gauche. Sur la Palestine, elle a tenu, notamment à l'Assemblée, un discours de solidarité avec le peuple palestinien qui tranchait avec les positions du reste de la gauche (deux député·es ont brandi un drapeau palestinien, d'autres ont dessiné ce drapeau en se positionnant selon la couleur de leurs vêtements). Elle est aussi la force la plus jeune et la plus dynamique du NFP.

Les critiques à formuler vis-à-vis de LFI ne manquent pas, sur son manque de démocratie interne, son sectarisme vis-à-vis des autres forces politiques comme syndicales, ses traditions chauvines, son prisme très étatique et la faiblesse de ses propositions en termes d'incursion dans la propriété privée. De plus, sa volonté de devenir hégémonique à gauche s'accompagne de tendances très sectaires vis-à-vis des autres organisations. Mais il est évident que cette force constitue un immense point d'appui à gauche, sur le plan programmatique et militant.

Construire une gauche unitaire et révolutionnaire

Le troisième niveau est la nécessité de regrouper les forces révolutionnaires unitaires. Dans la séquence qui a duré de la présidentielle 2022 à la chute du gouvernement Barnier, en passant par la grève sur les retraites, les discussions se sont multipliées à gauche. De ces discussions s'est dégagé un pôle composé de différents groupes défendant des orientations générales similaires sur de nombreux points : la nécessité de l'unité de la gauche, de la construction des collectifs NFP à la base, mais aussi d'une orientation indépendante, notamment sur les luttes sociales et l'Ukraine. Des discussions multiples ont eu lieu entre le NPA-A, Ensemble !, la Gauche écosocialiste, le collectif de quartiers « On s'en mêle », le collectif militant Égalités… Ces échanges n'ont pas conduit à la construction d'une nouvelle organisation, notamment en raison des divergences sur comment articuler unité et indépendance, même si les relations restent régulières.

Cependant, l'émergence d'une gauche révolutionnaire unitaire est une nécessité dans la prochaine période. Il est en effet très probable que de nouvelles confrontations sociales de masse aient lieu, dans les luttes sociales et dans les élections. Dans ces chocs, une orientation réellement unitaire, qui ne soit donc pas prisonnière d'intérêts d'appareils, devra être mise en avant, comme devra l'être une orientation dont le centre de gravité se situe dans les luttes sociales extra-parlementaires pour renverser le pouvoir de la bourgeoisie.

Pour y parvenir, il faudra impérativement intervenir dans les luttes, mais aussi dans les débats à gauche, même les plus difficiles. En effet, c'est sur sa capacité de répondre aux questions que l'on se pose dans les classes populaires face aux grands problèmes politiques nationaux qu'une organisation est jugée par les masses, et c'est par la possibilité d'y répondre ensemble que se testent les perspectives de rassemblement militants.

Le 25 février 2025

1. «  La tribune des généraux, l'armée et la Cinquième République », Claude Serfati, Contretemps, mai 2021.
2. « Le patronat passe-t-il à l'extrême droite ? », Maxime Combes, Basta, 5 juillet 2024.
3. À raison de deux dates par semaine, il sillonne la France. L'eurodéputé s'est déjà arrêté à Tonneins, Perpignan, Beaucaire, Marseille, Sète, Strasbourg. «  À chaque fois, il reste près de six heures et salue près de 1 000 personnes  », rapporte-t-on du côté de la maison d'édition.
4. En France, les militant·es de la IVe Internationale militent au NPA-A, au NPA-Révolutionnaires (qui s'est opposé au NFP et a présenté ses propres candidat·es), à la Gauche écosocialiste (courant de La France insoumise, dont un grand nombre de militant·es se font exclure ou l'ont quittée depuis les dernières législatives), à l'Après (organisation créée par les député·es Hendrik Davi, Clémentine Autain, Alexis Corbière après leur exclusion de La France insoumise avec François Ruffin et Raquel Garrido) et à Ensemble !.
5. Cette discussion s'est étendue entre novembre 2024 – moment où Barnier a été contraint de démissionner suite à l'utilisation de l'article 49-3 de la Constitution, qui a conduit à une censure par les députés de la gauche et du RN – et février 2025, où le nouveau Premier ministre François Bayrou a réussi à faire passer un budget par le 49-3, résistant à la censure grâce aux abstentions du PS et du RN.

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Marine Le Pen a été condamnée à l’inéligibilité et ne sera pas candidate à la présidentielle. C’est un coup de tonnerre

1er avril, par Catherine Tricot — , ,
Marine Le Pen a donc été condamnée à 4 ans de prison, dont deux ans ferme, aménageables avec un bracelet électronique, 100 000 euros d'amende et une peine d'inéligibilité de 5 (…)

Marine Le Pen a donc été condamnée à 4 ans de prison, dont deux ans ferme, aménageables avec un bracelet électronique, 100 000 euros d'amende et une peine d'inéligibilité de 5 ans assortie d'une exécution immédiate. En clair, Marine Le Pen se voit dans l'incapacité de se présenter à la prochaine élection présidentielle.

0N CHERCHE ENCORE

31 mars 2025 | tiré de la Lettre de Regards.fr

C'est donc un jugement sans « laxisme » : les prévenus du procès en détournement de fonds européens ont tous été déclarés coupables, la plupart avec des peines de prison ferme. Les juges ont appliqué la loi votée par les députés en 2016, lesquels ont rendu obligatoire – et non automatique – la peine d'inéligibilité et l'exécution immédiate en cas de détournement de fonds.

Sitôt le verdict tombé, le leader Hongrois Viktor Orban tweete « Je suis Marine », le Kremlin déplore « une violation des normes démocratiques ». Dans le monde entier, l'ultra-droite marque son soutien au RN. Le jugement a un écho national et international.

Avant même le prononcé des peines, Marine Le Pen avait rejoint le siège du parti et son président Jordan Bardella. Les dirigeants du RN vont contester ce jugement, le déclarant partisan. Ils alimenteront la campagne planétaire contre la justice, son autonomie et sa fonction de garant du droit et des institutions.

Ce jugement est un tremblement de terre pour le RN, mais il l'est pour tout l'espace politique. Il est un peu l'équivalent de l'affaire Strauss-Kahn qui redistribua les cartes pour 2012.

Le RN va bien sûr mettre en selle un candidat. Il y a fort à parier que ce sera Jordan Bardella. Mais son très jeune âge (29 ans) et son positionnement à la croisée du RN, de Reconquête et des LR modifient la donne. Bardella a peu convaincu lors des législatives, pas plus qu'il ne s'impose parmi les cadres du RN. Il n'occupe pas exactement le même espace politique que Marine Le Pen. Mis en place pour rallier la bourgeoisie réactionnaire et les électeurs âgés, il devait bloquer Marion Maréchal. Le voilà en première ligne : les équilibres sont modifiés. La force de Marine Le Pen était du côté des catégories populaires, les plus nombreuses. Avec un tout autre profil, Bardella ne part pas avec les mêmes chances de victoire. Malgré une cote de popularité équivalente à celle de Marine Le Pen, son élection est loin d'être aussi crédible.

Bien des prétendants à l'Élysée vont se sentir rassérénés. Chassant sur les mêmes terres, Retailleau et Zemmour vont disputer la place au jeune homme au nom de l'expérience. Sur cette base, l'alliance du « bloc central » va en prendre un coup. La lutte entre Philippe et Retailleau prend corps.

À gauche, ceux qui ne veulent pas d'une candidature de rassemblement vont y trouver arguments. La droite divisée, la crédibilité de Bardella incertaine, le niveau à atteindre pour accéder au second tour s'abaisse et la perspective de victoire paraît moins bouchée. Jean-Luc Mélenchon en tirera argument. Raphaël Glucksmann aussi. Les forces d'entropie à gauche vont pouvoir se libérer. Audacieux et dangereux calculs : Marine Le Pen sort du jeu alors que l'extrême droite est en ascension, en Amérique comme partout en Europe. En France, ils sont nombreux à pouvoir et vouloir reprendre ces idées, au-delà du RN.

Catherine Tricot

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J. D. Vance, l’arrogant vice-président qui gêne de Washington au Groenland

1er avril, par The Observer — , , , ,
Éconduit au Groenland et pris en faute sur Signal, le vice-président de Donald Trump enchaîne les moments embarrassants, souligne “The Observer”. S'il avait plus de décence, il (…)

Éconduit au Groenland et pris en faute sur Signal, le vice-président de Donald Trump enchaîne les moments embarrassants, souligne “The Observer”. S'il avait plus de décence, il envisagerait de démissionner, juge ce titre britannique de gauche.

Tiré de Courrier international. Éditorial du médias britannique The Observer sur le site de The Guardian.

Le vice-président américain, J. D. Vance, dont on commence à connaître la brusquerie, vient de se ridiculiser publiquement, et ce n'est pas une première. Il a fallu qu'il se rende au Groenland [le 28 mars], au mépris des dirigeants du territoire arctique et du gouvernement danois, qui martelaient qu'il n'était pas invité et qu'il n'était pas le bienvenu. Vance a ainsi été cantonné à la visite d'une base militaire perdue dans l'immensité glacée, où il n'a pu s'exprimer que devant des Américains. Il entendait se rendre sur d'autres sites du territoire danois et parler aux Groenlandais, mais ses projets ont été annulés – les Groenlandais, eux, ne voulaient pas lui parler.

Une hostilité parfaitement compréhensible étant donné les déclarations provocatrices, irrespectueuses et répétées du patron de Vance, Donald Trump, sur la volonté des États-Unis d'annexer le Groenland, si nécessaire par la force et en toute illégalité. Le Groenland est un territoire semi-autonome qui fait partie du royaume du Danemark. Les élections qui s'y sont tenues mi-mars ont montré que les Groenlandais dans leur grande majorité sont favorables à un approfondissement de l'autonomie ou à l'indépendance – ils n'ont aucune envie d'être américains.

Digne de Poutine

De ce projet digne de Poutine, puisqu'il s'agit de s'emparer d'un territoire souverain, Vance a tenté une piètre justification et clamé que le Danemark avait manqué à ses obligations en ne protégeant pas le Groenland des menaces chinoise et russe – ce dont il n'a pas avancé la moindre preuve. Le vice-président américain n'a pas non plus expliqué pourquoi, si de tels dangers existent bien, les États-Unis, membres de l'Otan aux côtés du Danemark, n'honorent pas l'obligation qui leur revient d'accroître “leur capacité […] collective de résistance à une attaque armée” [article 3 du traité de l'Atlantique Nord] en vertu de l'accord américano-danois de 1951 sur la défense du Groenland.

On a beaucoup entendu Trump, aussi, pérorer sur l'importance du Groenland pour la “paix dans le monde”. Il est vrai que l'Arctique est la cible d'une compétition internationale accrue, notamment en raison du changement climatique qui rend la région plus accessible. Mais dans un autre écho à ce que vit l'Ukraine, Trump cherche surtout, manifestement, à mettre la main sur les richesses minières inexploitées du Groenland. Comme à Gaza ou au Panama, sa préoccupation principale n'est ni la sécurité ni la justice, mais des intérêts géopolitiques, financiers et commerciaux. Avec ses intentions insultantes de faire du Canada le 51e État des États-Unis, Trump affiche aussi une autre volonté : relancer son pays dans un expansionnisme territorial agressif d'un autre temps.

Au Groenland, Vance avait certes préféré le bonnet de laine au casque colonial, mais il portait ses menées impérialistes en étendard. Malgré l'accueil glacial qui lui a été réservé, sans doute était-il content de pouvoir s'échapper de Washington, où lui et son compagnon de voyage arctique, le conseiller à la sécurité nationale Mike Waltz, étaient sous le feu des critiques après une autre énormité : l'affaire des fuites du groupe de discussion Signal. Un journaliste de premier plan s'était retrouvé inclus par erreur dans une boucle où Vance, Waltz et d'autres hauts responsables échangeaient en temps réel sur les bombardements menés contre les rebelles houthistes au Yémen.

“Immense hypocrisie”

Cette faille de sécurité est, en soi, gravissime. Mais le contenu de ces discussions, publiées in extenso, a aussi révélé des remarques insultantes, de la part de Vance et du ministre de la Défense, Pete Hegseth, à l'égard des alliés européens. Ces propos stupides et humiliants sont une illustration spectaculaire et particulièrement néfaste de la rapide détérioration des liens transatlantiques depuis le retour de Trump à la Maison-Blanche.

Comme le séjour indésirable de Vance au Groenland, les réactions officielles au scandale de la fuite Signal en disent long sur la nature profonde du gouvernement Trump. Le premier et vil élan du président a consisté à nier toute responsabilité, à minimiser la gravité des faits, à dénigrer le journaliste et même à clamer que toute l'affaire n'était qu'un canular. De leur côté, Waltz, Vance et Hegseth font preuve d'une immense hypocrisie en se refusant à ne serait-ce qu'envisager la démission, après une bourde qui aurait valu à tout responsable de moins haut rang d'être viré sans ménagement.

Les deux épisodes sont révélateurs d'un orgueil, d'une arrogance, d'une incompétence et d'une irresponsabilité proprement sidérants – et sont pour le monde autant d'avertissements qui font froid dans le dos.

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En Roumanie, malgré l’exclusion de Calin Georgescu, l’esprit de revanche n’a pas disparu

1er avril, par Vasile Ernu — , ,
Le candidat d'extrême droite a été écarté avec la double décision de la Cour constitutionnelle et de la Commission électorale. Mais dans le quotidien “Libertatea”, l'écrivain (…)

Le candidat d'extrême droite a été écarté avec la double décision de la Cour constitutionnelle et de la Commission électorale. Mais dans le quotidien “Libertatea”, l'écrivain Vasile Ernu craint que le pays ne soit proche de l'implosion : la population est déjà radicalisée et polarisée.

Tiré de Courrier international. Dessin d'Ajubel paru dans El Mundo, Madrid.

Mais pourquoi les Roumains sont-ils toujours mécontents ? Espérons que nous ne perdrons pas la tête d'ici à la présidentielle de mai 2025. La confiance dans les institutions de l'État est à un minimum historique, tout ce qui émane des autorités est remis en question. La plupart des décisions et le cirque des mandats d'arrêt paraissent également douteux et parfois ridicules. Or les décisions importantes à ce niveau devraient être expliquées de telle manière que même les commères du marché puissent les comprendre. Sous peine d'obtenir la réaction inverse à celle souhaitée.

La presse et les ONG suscitent tout autant la méfiance. Même les institutions européennes n'ont plus le soutien sans faille de la population. Pourquoi ? Les dernières décisions politiques ont détruit le peu de confiance qui restait. Ce n'est pas Calin Georgescu, le problème, mais les causes qui ont engendré le “phénomène Georgescu”. Est-ce que ce ne sont pas les décisions des grands partis et des institutions de l'État qui ont fait grimper ses chiffres de 10 % à 40 % lors de l'élection annulée de 2024 ?*

Pourquoi les gens votent comme ils votent ? L'électorat n'a pas le cerveau si “lavé” qu'on le croit, il a le droit de voter comme bon lui semble.

En fait, de quoi est composé l'électorat du “phénomène Georgescu” ? Et surtout, quelles sont les causes qui lui ont donné naissance ? Parce qu'il est beaucoup plus diversifié qu'il n'y paraît à première vue : il rassemble des gens abandonnés, des gens non représentés et des gens en colère à cause de toutes sortes de raisons. Certaines causes ont des racines très profondes. Et ces griefs ne peuvent pas être apaisés par des sermons intellectuels et journalistiques moralistes et abstraits.

Vaste électorat endormi mal représenté

Aux yeux de la grande majorité de la population, l'élite de la presse, les ONG, les intellectuels font partie du pouvoir, même s'ils veulent son bien. Il y a certes beaucoup de propagande nocive, mais ce n'est pas elle qui est à la base de la réaction populaire. Par conséquent, la mise à l'écart de Georgescu ne résout pas le problème : elle ne fait que le reporter tout en l'exacerbant. Nous sommes entrés dans une ère de politique revancharde – et cela n'est pas de bon augure. Or nous parlons là de près de la moitié de l'électorat de ce pays – je crains même que ce ne soit encore plus. Quelles sont les raisons fondamentales de sa colère ?

Si je devais énumérer les principales causes, elles seraient les suivantes : une trop grande partie de la population s'estime perdante. Cette impression d'abandon politique, social et économique remonte aux années 1990. Et, au fil du temps, ce sentiment s'est amplifié. D'où un désir de vengeance contre ceux que cette portion de l'électorat considère comme les responsables et les coupables : l'élite politique officielle. Il existe aussi un vaste électorat endormi qui se sent lui aussi mal représenté. Après être resté passif pendant des années, en partant du principe que personne ne se souciait de ses aspirations, il votera pour le premier candidat excentrique qui fera mine de s'intéresser à lui.

Un prix trop élevé

Plus généralement, un public assez large, affecté sur le plan social et économique, attribue la grande injustice des inégalités sociales à l'establishment politique. Les causes économiques jouent un rôle essentiel dans cette affaire. À cela s'ajoute un public instruit, qui dispose de moyens financiers relatifs, mais qui est indigné : il a le sentiment d'avoir trop longtemps payé un prix trop élevé pour ce qu'il a obtenu en retour. Et lui aussi tient à avoir sa revanche. Enfin, il y a un jeune public très insatisfait. La plupart de ces facteurs sont liés à des causes économiques : la misère, la mauvaise répartition des richesses, les inégalités, trop de gens qui ont trop peu.

Pour être dignes, les gens ont besoin d'une position sociale, économique et politique minimale : ils veulent être respectés. Un tant soit peu. Et attention, à tout cela viennent encore s'ajouter la crise pandémique et la guerre en Ukraine. Les gens n'ont pas oublié la période du Covid, au cours de laquelle le pouvoir, la presse, les ONG et les élites ont montré un visage plutôt sans merci – que les gens ont vu comme une force autoritaire, injuste et abusive.

Quant à la guerre, elle est perçue avec une grande crainte, et la tendance est d'adhérer au “parti de la paix” et non à celui de l'armement. Cela peut se vérifier par les chiffres des sondages. On retrouve la même tendance dans toute l'Europe. Et, ultime facteur, les États-Unis, avec leur nouvelle politique, laquelle est très proche de ce tournant conservateur. Tout cela ne peut que laisser des traces. Mais alors, que faire ? Je dirais qu'il faut commencer par nous attaquer aux causes.

L'extrême droite toujours favorite (Courrier international)

Le Bureau électoral central (BEC) de Bucarest a rejeté le 9 mars la candidature à la présidentielle de mai prochain du candidat souverainiste Calin Georgescu. Arrivé en tête du premier tour de l'élection de novembre, finalement annulée, Georgescu, maintenu en résidence surveillée, fait l'objet d'une enquête du parquet pour avoir créé une organisation aux “caractéristiques fascistes, racistes ou xénophobes”. Il serait également soupçonné d'une tentative d'“incitation à des actions contre l'ordre constitutionnel”. Plusieurs dizaines de personnes et associations proches de Georgescu sont aussi sous le coup d'une enquête.

Malgré l'exclusion du candidat, accusé de sympathies prorusses, l'extrême droite a toujours le vent en poupe. Selon un sondage effectué le 22 mars, cité par Romania libera, parmi les onze candidats validés, George Simion, le dirigeant de l'Alliance pour l'unité des Roumains (AUR), un autre parti d'extrême droite, est donné comme favori, devant Crin Antonescu, le candidat de la coalition centriste au pouvoir. Simion, qui soutenait la candidature de Georgescu fin 2024, a d'ailleurs qualifié la décision du BEC de “nouvel épisode du coup d'État de décembre 2024”, en référence à l'annulation de la présidentielle, relaie Romania libera.

* Selon le site d'enquête Snoop en janvier, l'Agence nationale de l'administration fiscale a découvert que les libéraux au pouvoir avaient financé une campagne de promotion massive de Georgescu sur TikTok, dans le but de contrer l'Alliance pour l'unité des Roumains (AUR), un autre parti d'extrême droite.

L'auteur Vasile Ernu

Écrivain, analyste politique et éditeur roumain, Vasile Ernu est né en 1971 dans ce qui était alors la République socialiste soviétique d'Ukraine. Il a vécu à Odessa puis à Chisinau, aujourd'hui la capitale de la Moldavie, avant de s'installer à Bucarest en 1990. Son premier livre, Nascut in URSS (“Né en URSS”), une œuvre autobiographique dans laquelle il raconte ses expériences en Union soviétique, a été traduit en plusieurs langues, mais reste inédit en français.

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Les nouvelles attaques LGBTIphobes d’Orbán

1er avril, par Hor et Manue Mallet — , ,
Le 16 mars dernier, le parlement hongrois, dominé par le parti de Viktor Orbán, a voté un amendement interdisant la tenue de la Marche des Fiertés de Budapest. Hebdo (…)

Le 16 mars dernier, le parlement hongrois, dominé par le parti de Viktor Orbán, a voté un amendement interdisant la tenue de la Marche des Fiertés de Budapest.

Hebdo L'Anticapitaliste - 747 (27/03/2025)

Par Hor et Manue Mallet

Déjà, en 2021, sous prétexte de « protection de l'enfance », toute propagande de l'homosexualité (qui peut être le fait de se tenir la main pour un couple, ou d'avoir une « allure » identifiée comme queer) a été interdite et punie de 500 euros d'amende.

LGBTI cibléEs, Orbán vacille

La Hongrie était le pays le plus libéral de la région et avait dépénalisé l'homo­sexualité en 1961. Aujourd'hui, renforcés par l'élection de Trump, les fascistes du gouvernement attaquent frontalement la communauté LGBTI pour s'en servir de « bouc émissaire » afin de voiler un système oligarchique et népotique ultra-corrompu.

Le parti Momentum, seul parti démocratique d'opposition qui défend le droit des LGBTI, a été chassé du Parlement et puni de 10 millions de florins d'amendes.

Orbán est menacé par un score secondaire aux élections de 2026, son gouvernement n'ayant ni enrayé la crise ni relancé le pouvoir d'achat, et tente par tous les moyens d'éliminer ses adversaires.

Selon des militantes, interviewées à Paris le dimanche 23 mars lors d'un rassemblement de solidarité en défense de la Pride et de la liberté de réunion en Hongrie, le seul moyen de faire tomber Orbán lors des élections est de manifester (1).

La communauté LGBTI ne désarme pas et s'organise pour résister et tenir la Belgrade Pride le 28 juin. Les diasporas LGBTI hongroises d'Europe appellent les eurodéputéEs à s'y rendre, ainsi que les organisations communautaires ou des droits humains comme Amnesty International. Le Conseil de Paris a promis un vœu pour que la ville soutienne les militantEs LGBTI hongroisEs.

Antifascistes extradéEs, Macron complice

Nous avons pu noter l'hypocrisie de Macron, qui devant le Parlement européen a dit apporter son soutien aux LGBTI menacéEs et en France fait arrêter, par sa police anti­terroriste, un militant antifasciste condamné par contumace en Hongrie (2), menacé d'extradition et qui risque plus de 15 ans de prison.

C'est également ce qui est arrivé à Maja, militante antifasciste non binaire, extradéE par les autorités allemandes (3). Lors de son audience devant le tribunal de Budapest le 21 février, iel a rejeté l'accord qui lui était proposé et a dénoncé les violations du droit européen par la Hongrie ainsi que les conditions inhumaines qu'iel vit depuis plus de huit mois en prison. Iel est réveilléE la nuit, sa chambre est infectée de cafards et de punaises de lit, sans parler du manque d'intimité dans la prison. L'État hongrois lui reproche la même chose qu'à Gino : être antifasciste. Contre le fascisme, il y a urgence à une riposte internationale.

Hor et Manue Mallet

1. Cecilia F. et Dora, étudiantes et militantes pour la Pride de Budapest.
2. https://blogs.mediapart…
3. https://blogs.mediapart…-

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Le soutien internationaliste à l’Ukraine qui résiste : une urgence antifasciste

1er avril, par Elias Vola, Gin Vola — , ,
La fin des renseignements militaires fournis par les USA à l'armée ukrainienne et le blocage temporaire des livraisons d'armes ont eu pour conséquences immédiates une poussée (…)

La fin des renseignements militaires fournis par les USA à l'armée ukrainienne et le blocage temporaire des livraisons d'armes ont eu pour conséquences immédiates une poussée décisive russe dans la région de Koursk, une multiplication de bombardements mortels sur les infrastructures civiles partout en Ukraine et un regain d'assurance côté russe, les incitant à pousser leur avantage toujours plus loin.

25 mars 2025 | tiré d'Europe solidaires sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74182

En reprenant les éléments de langage du Kremlin, Trump a par ailleurs opéré un renversement de sens majeur : c'est l'agresseur russe qui serait une victime, c'est aussi lui qui serait le plus fervent soutien de la paix. Ce cadeau offert sur un plateau à son camarade « incompris » Vladimir, doit néanmoins s'inscrire en retour dans l'agenda médiatique de Trump : une proposition de cessez-­le-feu de 30 jours, acceptée par les UkrainienNEs, comme une preuve supplémentaire du génie de Trump pour obtenir rapidement de bons deals.

La paix selon Poutine : écraser l'Ukraine libre et indépendante

La réponse tardive de Poutine a été particulièrement évasive, laissant entendre qu'il y avait besoin de plus de discussions avec son partenaire américain. Ainsi le cessez-le-feu n'est-il plus un préalable à une négociation, mais l'occasion pour Moscou de poser des prérequis maximalistes conditionnant tout cessez-le-feu. Voici, d'après le Washington Post, les conditions imposées par Poutine : la reconnaisse formelle par l'Ukraine de la souveraineté russe non seulement sur la Crimée mais aussi sur les quatre régions partiellement occupées par l'armée russe (de 20 % de territoires actuellement occupés par l'armée russe, on passerait à 30 % du territoire ukrainien…) ; l'éviction de Zelensky par de nouvelles élections, accompagnée de l'obligation pour Kiev de renoncer à son adhésion à l'Otan et l'arrêt immédiat de l'aide militaire occidentale à l'Ukraine ; l'interdiction de déployer des forces européennes de maintien de la paix en Ukraine et la réduction drastique des effectifs de l'armée ukrainienne, d'environ un million de soldats à quelques dizaines de milliers.

C'est bel et bien une façon de préparer la voie pour d'autres invasions à venir. La paix pour Poutine consiste à en finir de façon pure et simple avec une Ukraine libre et indépendante.

Soutien concret à l'Ukraine

Il y a plus que jamais urgence à soutenir politiquement — et, c'est indissociable, militairement — la résistance ukrainienne. Plutôt que les plans de réarmement nationaux promus par les gouvernements européens, passant la transition écologique et les droits sociaux à la trappe, c'est d'un soutien concret qu'a besoin l'Ukraine pour continuer de résister : investissements immédiats dans les industries ukrainiennes qui manquent cruellement de ressources, fourniture de la production militaire en lieu et place des exportations massives aux dictatures des pays du Golfe, annulation de la dette ukrainienne et saisie des 200 milliards d'avoirs russes qui reviennent légitimement aux UkrainienNEs.

Les réponses nationalistes de la gauche

S'il y a peu d'espoirs de voir cette politique internationaliste appliquée par des gouvernements libéraux et conservateurs, on devrait s'attendre à autre chose de la propagande de la gauche radicale européenne. On la trouve en pratique dans la gauche finlandaise, polonaise ou encore danoise. Mais au cœur de l'impérialisme occidental, comme en France, ce sont les réponses nationalistes, marquées par le mépris pour les UkrainienNEs et les peuples d'Europe de l'Est, qui prédominent dans la gauche dite ­radicale. La défense de « l'agriculture française », des « intérêts des Français » ou des « relations historiques avec la Russie » est un crachat aux principes cardinaux de ­l'internationalisme ouvrier.

C'est aussi une façon de préparer les défaites de demain. La dynamique du néofascisme international est inextricablement liée à celles du néofascisme français. On ne peut combattre l'un sans combattre l'autre. Les UkrainienNEs sont en première ligne face à la violence néo­fasciste ; mettre en contradiction les intérêts des UkrainienNEs et les intérêts des travailleurEs français est une erreur historique aux potentielles conséquences dramatiques.

Elias Vola et Gin Vola
P.-S.

• Hebdo L'Anticapitaliste - 746 (20/03/2025). Publié le Jeudi 20 mars 2025 à 18h00 :
https://lanticapitaliste.org/actualite/politique/le-soutien-internationaliste-lukraine-qui-resiste-une-urgence-antifasciste

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Lettre posthume du journaliste Palestinien Hossam Shabat

Nous republions la lettre d'Hossam Shabat, un journaliste palestinien qui a été assassiné le 24 mars dernier, ainsi que son collègue Mohammed Mansour. Hossam a été ciblé dans (…)

Nous republions la lettre d'Hossam Shabat, un journaliste palestinien qui a été assassiné le 24 mars dernier, ainsi que son collègue Mohammed Mansour. Hossam a été ciblé dans sa voiture. Selon le syndicat des journalistes palestiniens, 206 journalistes palestiniens ont été assassinés à Gaza depuis octobre 2023.

Tiré d'Agence médias Palestine.

Si vous lisez ceci, cela signifie que j'ai été tué – très probablement ciblé – par les forces d'occupation israéliennes.

Quand tout cela a commencé, j'avais seulement 21 ans, j'étais un étudiant avec des rêves comme tout le monde.

Au cours des dix-huit derniers mois, j'ai consacré chaque instant de ma vie à mon peuple, documentant les horreurs dans le nord de Gaza minute par minute, déterminé à montrer au monde la vérité qu'ils ont essayé d'enterrer.

J'ai dormi sur les trottoirs, dans les écoles, dans des tentes – partout où je pouvais. Chaque jour était un combat pour la survie. J'ai enduré la faim pendant des mois, mais je n'ai jamais quitté mon peuple.

Par Dieu, j'ai fait mon devoir de journaliste. J'ai tout risqué pour dire la vérité, et maintenant je me repose enfin – quelque chose que je n'ai pas connu au cours des dix-huit derniers mois.

J'ai fait tout cela par conviction en la cause palestinienne. Je crois que cette terre est à nous et ce fut le plus grand honneur de ma vie de mourir pour la défendre, elle et son service familial.

Je vous le demande maintenant : n'arrêtez pas de parler de Gaza, ne laissez pas le monde détourner le regard d'elle, et continuez la lutte et continuez à raconter nos histoires jusqu'à ce que la Palestine soit libre.

Pour la dernière fois,
Hossam Shabat, du nord de Gaza.

Source : Twitter d' Hossam Shabat

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Turquie : la contagion néofasciste

1er avril, par Gilbert Achcar — , ,
La bataille en cours en Turquie est devenue de plus en plus importante pour le monde entier. Si le mouvement populaire turc gagne, sa victoire aura un impact important sur la (…)

La bataille en cours en Turquie est devenue de plus en plus importante pour le monde entier. Si le mouvement populaire turc gagne, sa victoire aura un impact important sur la galvanisation de la résistance à la montée du néofascisme dans le monde.

Gilbert Achcar
Professeur émérite, SOAS, Université de Londres
Abonné·e de Mediapart
Ce blog est personnel, la rédaction n'est pas à l'origine de ses contenus.
https://blogs.mediapart.fr/gilbert-achcar/blog/260325/turquie-la-contagion-neofasciste

Les événements qui se déroulent en Turquie depuis mercredi dernier sont extrêmement graves : ils constituent une nouvelle étape très dangereuse dans le glissement du pays vers l'étranglement de la démocratie. L'arrestation d'Ekrem Imamoglu – le populaire maire d'Istanbul et candidat de son parti, le Parti républicain du peuple (CHP), à la prochaine élection présidentielle prévue en 2028 – et l'arrestation de près de 100 de ses collaborateurs dans la municipalité de la plus grande ville de Turquie, en vertu d'accusations qui combinent corruption (la justice turque aurait mieux fait d'enquêter sur la corruption dans l'entourage d'Erdogan, à commencer par son gendre) et liens avec le « terrorisme », c'est-à-dire contacts avec le Parti des travailleurs du Kurdistan-PKK (au moment où le gouvernement négocie avec ce parti en vue d'un règlement pacifique), est un comportement tout droit sorti du manuel bien connu des dictatures.

Si quelqu'un doutait que les accusations aient été fabriquées de toutes pièces et que l'intention était d'éliminer la figure la plus forte de l'opposition au régime de Recep Tayyip Erdogan, qui semble déterminé à diriger son pays à vie comme d'autres dirigeants autocratiques, la décision de l'Université d'Istanbul d'invalider le diplôme d'Imamoglu à la veille de son arrestation ne laisse aucune place au doute. Un diplôme universitaire est l'une des conditions requises pour se présenter à la présidence de la Turquie, et la décision de l'université se fonde sur un prétexte complètement fallacieux, d'autant plus qu'Imamoglu a obtenu son diplôme il y a trente ans !

Il y a près d'un an, au lendemain des dernières élections municipales en Turquie, j'ai rappelé le rôle d'Erdogan dans l'établissement de la démocratie dans son pays au cours de la première décennie de son règne. En dépit de sa dérive autocratique ultérieure, y compris par le limogeage de dirigeants de son propre parti perçus comme des rivaux, j'ai loué sa reconnaissance de la défaite de son parti aux municipales, qui le distinguait de nombre de néofascistes qui refusent d'accepter la défaite, y compris Donald Trump qui avait tenté de renverser le processus électoral de l'automne 2020, et refuse toujours de reconnaître sa défaite, affirmant que la présidence lui a été volée » (« Deux leçons précieuses des élections turques », 2 avril 2024 – en arabe uniquement).

La morale de cette histoire est que le même homme qui a commencé sa carrière politique par une lutte courageuse contre un régime dictatorial, et a subi pendant son mandat de maire d'Istanbul ce qui ressemble beaucoup à ce qu'il inflige maintenant à son adversaire, le maire actuel – cet homme, qui a joué un rôle louable dans l'établissement de la démocratie dans son pays, a été conduit par l'ivresse du pouvoir et la jouissance d'une grande popularité, à vouloir perpétuer cette condition, même en l'imposant par la force aux dépens de la démocratie.

Et pourtant, jusqu'à l'année dernière, Erdogan n'avait pas franchi la ligne rouge qualitative qui sépare la préservation d'une marge de liberté permettant à la démocratie de survivre, bien qu'avec de plus en plus de difficulté, et l'empiétement sur cette marge de manière dictatoriale.

C'était en dépit du fait qu'Erdogan présente certaines caractéristiques néofascistes, en s'appuyant sur une « mobilisation agressive et militante de [sa] base populaire » sur un terrain idéologique qui intègre certains des éléments clés de l'idéologie d'extrême droite, y compris le fanatisme nationaliste et ethnique contre les Kurdes (en particulier), le sexisme et l'hostilité, au nom de la religion ou autrement, à diverses valeurs libérales (voir « L'ère du néofascisme et ses particularités », 5 février 2025).

Sa dérive actuelle suggère qu'il rejoint désormais les rangs des régimes néofascistes quant à leur attitude à l'égard de la démocratie. Dans l'article susmentionné, j'ai décrit cette attitude comme suit : « Le néofascisme prétend respecter les règles fondamentales de la démocratie au lieu d'établir une dictature pure et simple comme l'a fait son prédécesseur, même lorsqu'il vide la démocratie de son contenu en érodant les libertés politiques réelles à des degrés divers, selon le niveau de popularité réel de chaque dirigeant néofasciste (et donc de son besoin ou non de truquer les élections) et du rapport des forces entre lui et ses adversaires. »

Il y a deux facteurs principaux derrière la dérive d'Erdogan vers le néofascisme. Le premier est que la tentation néofasciste augmente chaque fois qu'un dirigeant autoritaire fait face à une opposition croissante et craint de perdre le pouvoir par le biais de la démocratie.

Vladimir Poutine en fournit un exemple dans la mesure où sa dérive s'est intensifiée lorsqu'il a fait face à une opposition populaire croissante lors de son retour à la présidence en 2012 (après une mascarade consistant à passer au poste de Premier ministre, conformément à la constitution, qui à l'époque interdisait plus de deux mandats présidentiels consécutifs). En même temps, Poutine a eu recours à l'incitation du sentiment nationaliste à l'égard de l'Ukraine (en particulier), tout comme Erdogan l'a fait plus tard à l'égard des Kurdes.

Le deuxième facteur, crucial, est l'arrivée du néofascisme au pouvoir aux États-Unis, représenté par Donald Trump. Cela a donné une puissante impulsion au renforcement de diverses formes de néofascisme réel ou latent, comme nous le voyons clairement en Israël, Hongrie et Serbie, par exemple, et comme nous le verrons de plus en plus à l'échelle mondiale.

La force de la contagion néofasciste est proportionnelle à la force du principal pôle néofasciste : la contagion fasciste s'est considérablement renforcée, en particulier sur le continent européen, lorsque la puissance de l'Allemagne nazie s'est accrue dans les années 1930. La contagion néofasciste est devenue encore plus forte aujourd'hui, les États-Unis passant d'un rôle de dissuasion contre l'érosion de la démocratie, bien que dans des limites évidentes, à l'encouragement de cette érosion, directement ou indirectement. L'érosion est déjà en cours et s'accélère aux États-Unis mêmes.

Ce n'est donc pas une coïncidence si l'offensive d'Erdogan contre l'opposition a commencé à la suite d'un appel téléphonique entre lui et Trump, que Steve Witkoff, ami proche du président américain et son envoyé à diverses négociations, a qualifié vendredi dernier d'« excellent » et de « vraiment transformateur ». Witkoff a ajouté que « le président [Trump] a une relation avec Erdogan et cela va être important. Et il y a du bon à venir – juste beaucoup de bonnes nouvelles positives en provenance de Turquie en ce moment à la suite de cet appel. Je pense donc que vous le verrez dans les reportages dans les prochains jours. » (La déclaration de Witkoff a été faite deux jours après l'arrestation d'Imamoglu, même s'il ne faisait pas nécessairement référence à cette arrestation.)

En outre, Erdogan croyait avoir réussi à neutraliser le mouvement kurde grâce à de récents compromis, bénis par ses alliés de l'extrême droite nationaliste turque eux-mêmes (il s'est trompé : le mouvement kurde soutient l'opposition et la protestation populaire). Il croit également que les Européens ont besoin de lui, et de son potentiel militaire en particulier, en ce moment critique pour eux, de sorte qu'ils n'exerceront aucune pression réelle sur lui.

Ce qui reste une source d'espoir dans le cas turc, c'est qu'Erdogan est confronté à une réaction populaire bien au-delà de ce qu'il avait apparemment anticipé. Cette réaction de masse est bien plus importante que ce à quoi Poutine a été confronté en Russie, où le mouvement populaire avait été atrophié après des décennies de régime totalitaire. Elle est bien plus grande que ce à quoi la plupart des pionniers du néofascisme ont été confrontés, y compris Trump, qui n'a rencontré qu'une très faible opposition de la part du Parti démocrate depuis sa victoire électorale.

Erdogan tente d'écraser le mouvement populaire en intensifiant la répression (le nombre de détenus approche les 1500 dans un pays qui compte 400 000 prisonniers, dont un pourcentage élevé de prisonniers politiques et de nombreux journalistes) au détriment de la sécurité, de la stabilité et de l'économie turques (la Banque centrale a été contrainte de dépenser 14 milliards de dollars pour éviter un effondrement complet de la livre turque et le marché boursier a connu une forte baisse).

La bataille en cours en Turquie est devenue de plus en plus importante pour le monde entier. Soit Erdogan réussit à éliminer l'opposition, ce qui pourrait nécessiter une répression sanglante similaire à la répression du soulèvement populaire syrien par Bachar el-Assad en 2011, risquant ainsi de faire glisser le pays dans la guerre civile, soit le mouvement populaire l'emporte, le faisant reculer ou tomber d'une manière ou d'une autre. Si le mouvement populaire turc gagne, sa victoire aura un impact important sur la galvanisation de la résistance à la montée du néofascisme dans le monde.

Traduit de ma chronique hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est d'abord paru en ligne le 25 mars. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.

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Turquie : crise politique et mouvement démocratique

1er avril, par Emre Öngün — , ,
Le mouvement démocratique de masse que connaît la Turquie suite à l'arrestation d'Ekrem Imamoğlu, maire d'Istanbul et candidat de CHP (Parti de la République et du Peuple, (…)

Le mouvement démocratique de masse que connaît la Turquie suite à l'arrestation d'Ekrem Imamoğlu, maire d'Istanbul et candidat de CHP (Parti de la République et du Peuple, centre gauche) constitue un événement social et politique majeur aux portes de l'Union Européenne. Des rassemblements et des manifestations ont lieu dans tout le pays une participation très importante notamment sur la place Saraçhane à Istanbul devant la mairie.

Tiré la revue Contretemps
27 mars 2025

Par Emre Öngün

Le durcissement du régime erdoganiste, qui franchit une ligne rouge inédite avec cette arrestation, télescope les informations de ces derniers mois sur un processus de paix entamé avec le mouvement national kurde de Turquie, en particulier l'organisation politique-militaire central au sein de ce mouvement : le PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan). Il s'agit de comprendre ce contexte avec deux dynamiques en apparence contradictoire afin d'appréhender les potentialités et les écueils qu'encourt ce mouvement en cours, dont il serait bien hasardeux de prédire les suites et les conséquences au moment où cet article est écrit.

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D'une élection à l'autre

Il faut rappeler une donnée fondamentale : les élections en Turquie sont jusqu'à présent concurrentielles et font l'objet d'un investissement civique très forte de la part d'une société fortement politisée. J'ai déjà évoqué une « culture démocratique minimale mais solide » parmi la population turque de Turquie. Il est vrai que cela n'a pas empêché la majorité de la population de rester globalement passive au sujet des conditions profondément inégalitaires d'un scrutin, non seulement en termes socio-économiques, comme dans toute démocratie libérale mais, surtout, de répression directe et indirecte à l'encontre des forces d'opposition, a fortiori si elle touche une minorité kurde connaissant une oppression coloniale.

Cette population a ainsi accepté (sans forcément l'approuver mais en laissant faire) que les résultats des deux derniers scrutins locaux dans les localités kurdes aient été, pour l'essentiel annulés et que, dans une logique purement coloniale, les maires élu·es régulièrement soient mis.e.s en prison et remplacé·es par des administrateurs nommés par le gouvernement. Mais cette culture conduit aussi à accorder une importance cruciale aux scrutins concurrentiels comme « juge de paix » pour déterminer la direction de l'Etat et à investir fortement ces enjeux. Une preuve en est que le taux de participation à un scrutin n'est jamais descendue en dessous de 76% (un chiffre qui ne fait pas l'objet de fraude, la mobilisation des électeurs étant systématiquement observable) et se situe régulièrement à plus de 85% depuis 45 ans.

Après l'échec cuisant des élections générales de 2023, qui ont vu la réélection de R. T. Erdoğan et une majorité affaiblie mais reconduite, le CHP décide d'un congrès… avec à sa tête, Kemal Kiliçdaroğlu qui, fidèle à la tradition des dirigeants de son parti de n'assumer aucun échec, se prépare à être réélu président du parti. Toutefois, le choc de l'échec, la gestion calamiteuse de la période entre les élections générales et le congrès [1] lui font perdre une grande partie de sa crédibilité politique. Il en résulte un électrochoc inédit au sein du CHP avec la constitution d'une opposition de « rénovateurs » regroupés autour du maire d'Istanbul élu en 2019, Ekrem Imamoğlu, et de son allié, le président du groupe parlementaire, Özgür Özel.

En novembre 2023, pour la première fois en un siècle d'existence, un président sortant du parti fut battu lors d'un congrès et le CHP est pris par le binôme Özel, en tant que président, etImamoglu, principale figure publique. Quels sont les changements que cette nouvelle direction de « rénovateurs », venant tout de même de l'appareil, a mis en oeuvre ? Pour l'essentiel, deux choses. D'une part, un plus grand professionnalisme dans la direction du parti, et la mise en tension d'un appareil lourd comptant 1,5 millions d'adhérents. De l'autre, une ouverture plus explicite envers les Kurdes de Turquie. La nouvelle direction refuse d'ostraciser le DEM (Parti de l'égalité et de la démocratie des peuples, issu du mouvement national kurde et de démocrates), et Imamoglu considére, par exemple, au cours d'un débat publique que ce serait « une folie » de considérer un parti recevant 5 millions de voix comme « terroriste » [2].

C'est avec cette équipe renouvelée que le CHP a abordé les élections locales de 2024, que R. T. Erdoğan avait s'était engagé à remporter le soir même de sa réélection, visant en particulier la reconquête d'Istanbul. Du côté des analystes de l'opposition, ce scrutin n'était pas abordé avec beaucoup d'espoir, l'essentiel étant par les de préserver les gains de 2019. La surprise fut l'inverse de celle de 2023 : un immense camouflet pour le régime et un succès éclatant pour le CHP se hissant symboliquement en tête du scrutin.

De son côté, Ekrem Imamoğlu devançait facilement son adversaire de l'AKP et obtenait une large majorité au conseil municipal (dont il ne disposait pas jusque-là). La dynamique de l'appareil du CHP s'est combinée avec la fin des mesures contracycliques du régime au profit d'une politique d'austérité classique et, dans une certaine mesure, avec la révélation de l'hypocrisie du régime sur la question palestinienne, des milieux affairistes proches du pouvoir commerçant avec Israël (et même son armée).

La situation semble ainsi s'être clarifiée depuis un an : le CHP est la principale force politique du pays et dispose avec Imamoğlu d'un candidat populaire, capable de vaincre Erdogan. Ce qui est un danger immense pour un régime dont les dirigeants tirent de considérables bénéfices personnels de leur mainmise sur le pouvoir politique.

Un processus de paix ?

C'est dans ce contexte qu'intervient le « processus de paix ». Celui-ci a pris une forme inattendue : c'est Devlet Bahçeli, le vieux chef des ultranationalistes du MHP allié à Erdogan, qui a porté la proposition d'un processus aboutissant à un désarmement et une dissolution du PKK en échange d'une amnistie incluant le chef historique, fondateur et figure emblématique, Abdullah Öcalan, détenu dans l'île prison d'Imrali depuis 26 ans.

Un processus d'échanges et de négociations a ainsi débuté, passant notamment par des rencontres entre les responsables gouvernementaux et une délégation de députés du DEM faisant fonction d'intermédiaires avec Imrali et le mont Qandil dans le Kurdistan d'Irak où se trouve la direction du PKK. Cela aboutit à la déclaration « historique » d'Abdullah Öcalan du 27 février 2025 appelant à déposer les armes et à autodissolution du PKK.

Trois semaines plus tard, le régime d'Erdogan a décidé de franchir une ligne qui n'avait jamais été franchie jusqu'alors : empêcher un adversaire de se présenter à l'élection présidentielle. Cela s'est d'abord traduit par l'annulation du diplôme d'Imamoğlu, des décennies après son obtention, alors que, selon la constitution turque, un diplôme du supérieur est une condition indispensable pour se présenter au scrutin présidentiel.

Cette décision a été aussitôt suivie de son arrestation ainsi que de celle d'une grande partie de son état-major pour corruption et soutien au terrorisme (des accusations classiques du régime contre ses adversaires). La date de cette opération n'est pas due au hasard : échaudé par la séquence catastrophique de choix de candidat à la présidentielle lors de l'élection de 2023, le CHP tenait le dimanche 23 mars sa primaire pour désigner son candidat pour le prochain scrutin avec pour seul postulant, Ekrem Imamoğlu.

Comment comprendre la concomitance entre ce « processus de paix » et cette offensive autoritaire visant un parti de centre-gauche turc ? Il est possible de faire une hypothèse et une observation sur la réalité de ce « processus de paix ».

L'hypothèse serait que, confronté au risque plus élevé que jamais de perdre le pouvoir au profit du CHP, le régime ait décidé de criminaliser celui-ci, en comptant sur des divisions qui surviendraient en son sein à cette occasion. Or, l'opération étant d'une grande ampleur (il s'agit du parti dirigeant les plus grandes villes du pays), il pourrait s'agir de régler séparément l'autre grand dossier – la « question kurde » – en escomptant que le mouvement national kurde resterait neutre face à la criminalisation du CHP et prioriserait le « processus de paix ». Toutefois, à supposer qu'il s'agisse bien de la manœuvre de grande ampleur initiée par le régime, elle ne pouvait que se heurter à plusieurs obstacles majeurs,le premier étant la situation même du « processus de paix ».

En effet, la déclaration spectaculaire d'Öcalan a été largement commentée dans la presse internationale mais en omettant un détail qui n'en est pas un : après avoir lu le texte d'Öcalan lors d'une conférence de presse, la délégation des députés du DEM a rajouté oralement ceci : « Abdullah Öcalan nous a ensuite dit ”Sans aucun doute, le désarmement et l'autodissolution du PKK nécessitera en pratique la reconnaissance de la politique civile et d'une dimension légale” ». Cette « note de bas de page », considérée comme faisant partie de la déclaration d'Öcalan par l'ensemble du mouvement national kurde, change évidemment la donne puisqu'il ne s'agit plus d'une auto-dissolution unilatérale mais d'une option conditionnée par des contreparties, à savoir des garanties démocratiques tangibles.

Or, c'est là où le bât blesse : il n'y a eu strictement aucun geste politique positif envers les Kurdes depuis le début de ce « processus ». Pas une seule localité kurde mise sous tutelle n'a retrouvé son maire légitime, aucun maire emprisonné lors des deux derniers mandats et aucun responsable politique du DEM (et de son prédécesseur le HDP) n'ont été libérés… Lorsqu'Ekrem Imamoğlu est arrêté, il y a certes un « processus de paix » en cours, mais sans la moindre avancée concrète du côté du gouvernement turc.

Cela rend d'autant plus stupéfiante la déclaration de Devlet Bahçeli du 21 mars dans laquelle le leader ultranationaliste propose que se tienne un congrès d'autodissolution du PKK, le 5 mai, sur le territoire de l'Etat turc, à Malazgirt avec l'assistance logistique du maire DEM de la localité ! On a du mal à imaginer l'Etat-major du PKK venir depuis le mont Qandil dans un peu plus d'un mois sans la moindre garantie d'aucune sorte (ni politique, ni autre) et déposer les armes pour repartir les mains dans les poches… D'autant plus que l'autre volet de cette déclaration de Bahçeli est une charge très violente contre le CHP (dont le MHP était l'allié il y a 10 ans… avant de s'allier à l'AKP) criminalisant ce parti turc de centre-gauche avec des formulations ne laissant guère transparaître la possibilité d'une évolution démocratique.

Or, les responsables kurdes (que cela soit des politiques civils avec le DEM, de l'appareil politio-militaire du PKK ou du tissu associatif de cette galaxie) n'ignorent pas que cette absence de démocratisation rend plus que précaire tout processus de paix. Ils ne peuvent pas ne pas se souvenir qu'en 2015 le précédent processus de paix avait été jeté à la poubelle d'un coup par Erdogan qui a même nié son existence après coup. Au fond, la méfiance légitime des dirigeants du DEM a été résumée par sa co-présidente Tülay Hatimogullari : « Qui dit que demain nous ne serons pas poursuivis en raison de nos rencontres avec Öcalan dans le cadre de la délégation pour le processus de paix ? »

L'échec d'Erdogan

En conséquence, depuis le début de cette crise, le DEM a tenu une position principielle de défense du processus de paix et de défense des droits démocratiques comme formant un tout, loin des accusations stéréotypées et dépourvues de fondement émises par les milieux d'opposition nationalistes selon lesquelles il est question de laisser les mains libre à Erdogan en échange de la paix. La direction de DEM a soutenu Imamoğlu lors de l'annulation de son diplôme puis de son arrestation, elle est également allée à la rencontre de celle du CHP à la mairie d'Istanbul devenue point de ralliement de l'opposition. La section locale d'Istanbul du parti a appelé à se rendre à la place Saraçhane où se trouve la mairie d'Istanbul et où se déroulent d'immenses rassemblements depuis l'arrestation d'Imamoglu.

Plus symbolique encore ont été les festivités de Newroz, fête traditionnellement célébrée par les Kurdes et rendez-vous annuel du mouvement national kurde pour des meetings de masse. La célébration de Newroz à Amed/Diyarbakir est considérée comme un moment politique très important. Or, contrairement à ce qui était attendu, il n'y eut pas de nouveau message d'Abdullah Öcalan lu à la tribune, la délégation du DEM ayant été empêchée de le rencontrer, ce qui est un accroc certain au processus de paix.

Le discours de Tuncer Bakırhan, co-président de DEM, était très attendu et il a ciblé le régime en déclarant : « ce qui est fait à l'opposition est contraire à l'esprit de la déclaration du 27 février (d'Abdullah Öcalan, Ndla) et est inacceptable » après avoir explicitement dénoncé l'incarcération d'Imamoğlu. Tout cela est dans la continuité de la position du DEM depuis le début mais il est probable que le régime espérait une déclaration plus « neutre ».

Ainsi, la manœuvre du régime de division semble avoir d'ores et déjà échoué en grande partie du fait de la lucidité des dirigeants du DEM. Il convient toutefois de noter que les dirigeants du CHP ont également cherché à se mettre à la hauteur de la situation en ne laissant pas dans le vide la main tendue par les responsables du DEM. Özgür Özel a également envoyé une déclaration pour le Newroz (une première pour un président du CHP) :

« (…) Ces terres sont des terres anciennes où différentes cultures, langues et croyances vivent ensemble dans la fraternité, où la solidarité et l'espoir fleurissent. Aucun tyran, aucun Dehak [tyran diabolique dans la mythologie kurde] ne pourra briser notre fraternité ! » en concluant son texte par la formule traditionnelle en kurde « Newroz piroz be ! ».

Il a par la suite salué un grand nombre de prisonniers politiques, notamment les ex-dirigeants du HDP (Parti Démocratique des Peuples, prédécesseur du DEM). De même, dans une déclaration rédigée en détention et publiée sur les réseaux sociaux, Ekrem Imamoğlu a déclaré : « tant que les Kurdes disent qu'il y a un problème, alors il y'a un problème kurde ».

Jeunesse mobilisée et CHP

De même, depuis le début du mouvement, le CHP a cherché à établir un lien avec la société mobilisée, contrairement à ce qui s'était passé lors du dernier mouvement de masse démocratique que la Turquie a connu en 2013 (« le mouvement dit de Gezi »). Outre, un discours ouvert envers les Kurdes, sa direction a formellement reconnu l'importance des étudiant·es dans cette mobilisation en leur offrant une tribune sur la place Saraçhane.

En effet, la jeunesse étudiante constitue l'avant-garde du mouvement et cela est reconnu par tous les acteurs, que cela soit le CHP ou les personnalités,artistes, sportifs, célébrités médiatiques qui font tou.te.s référence à l'importance de la jeunesse du pays dans leurs déclarations de soutien indirect ou explicite au mouvement. Mais cela est également « reconnu » par le régime puisque la répression s'abat prioritairement sur eux. Par exemple, au moment où ces lignes sont écrites, Selinay Uzuntel, leader étudiante qui pris la parole sur la place Saraçhane au nom des étudiant·es en lutte (et par ailleurs membre de l'EMEP, Parti du Travail, marxiste-léniniste de tendance hoxhaiste) vient d'être arrêtée ainsi que d'autres animateurs étudiant·es.

Il y a 7 millions d'étudiant·es en Turquie soit 8,2% de la population totale (4,4% en France). Ces jeunes n'ont connu que l'AKP au pouvoir, dans sa version corrompue et népotiste. Ils et elles étudient mais ne pouvent espérer trouver un débouché dans la plupart des cas. Confrontée à l'arbitraire du pouvoir, la grande majorité souhaiterait vivre à l'étranger si elle le pouvait. Elle constate quotidiennement l'immense écart entre les vertus prônés par le régime et le cynisme ostentatoire et arrogant de ceux qui en bénéficient.

Certain·es ont la mémoire des grands frères et des grandes sœurs qui ont « fait Gezi », confronté·es à des autorités arbitraires et intrusives… Il y a 12 ans une camarade jeune me disait lors du mouvement de Gezi : « Être jeune en Turquie consiste à se faire engueuler soir et matin par Erdogan à la télévision ». La formule, saisissante, est certainement encore plus vraie aujourd'hui alors même que le régime perd chaque jour de sa légitimité.

Ce rôle d'avant-garde de la mobilisation étudiante va de pair avec une aspiration à l'autonomie. Ainsi, pour la première fois à Istanbul, lundi 24 mars, il y a eu un rassemblement distinct appelé par des étudiant.e.s en lutte à Besiktas, et non à Saraçhane. Plus tôt dans la journée des « boycotts académiques » (l'équivalent de « grèves étudiantes ») ont été lancés dans de nombreuses universités.

Pour en revenir au CHP, celui-ci, a mené à bien sa primaire mais en l'ouvrant à l'ensemble des citoyen·nes qui ont pu participer à des votes « de solidarité ». Le dimanche soir, la direction du CHP a annoncé le chiffre colossal de 15 millions de personnes qui se sont rendues dans aux urnes (le vote n'était pas électronique) pour une primaire devenue un plébiscite. Il est impossible d'avoir une confirmation de ce chiffre puisqu'il s'agissait d'un exercice et qu'aucun média disposant de moyens suffisants n'était autorisé par le régime à couvrir cet événement.

Néanmoins, la couverture de la presse locale indique que la participation a été forte. Alors que la faiblesse du mouvement ouvrier, les difficultés de niveau de vie, les obstacles à l'organisation font qu'un mouvement de grève massif semble hors d'atteinte, le CHP a appelé au boycott de certains groupes économiques et de certains médias. Depuis le début du mouvement, le régime a dépensé 11% de ses réserves en devises (20 milliards de dollars) pour prévenir un effondrement de la livre turque, tandis que la bourse d'Istanbul a repris après un effondrement initial.

Les meetings de Saraçhane sont colossaux mais pourront-ils se maintenir à ce rythme, s'il n'y a pas d'avancées ? Dès à présent, des assemblées de quartiers se sont mises en place à Istanbul, ne serait-ce que parce que Saraçhane est loin pour des millions d'habitants d'une métropole immense. Il est aujourd'hui impossible de prévoir les suites du mouvement en cours mais il est possible d'aborder certaines contradictions en son sein.

Kemalisme contre Kemalisme ?

De cette polyphonie proclamant son aspiration à l'unité du peuple au-delà de ses divisions traditionnelles et de ses rapports d'oppression, s'élève toutefois une dissonance qui ne recouvre pas les autres sons mais ne saurait non plus être ignorée : celui du suprématisme turc. S'il existe d'autres solistes ultranationalistes oppositionnels à Erdogan (les dirigeants du Iyi, le « Bon Parti », ou des néofascistes du ZP, Parti de la Victoire), le son le plus strident est produit par le maire CHP d'Ankara, Mansur Yavaş.

Ex-dirigeant ultranationaliste passé au CHP, il a gagné la mairie d'Ankara en 2019, en même temps qu'Imamoğlu l'emportait à Istanbul, puis a confirmé sa victoire en écrasant son adversaire de l'AKP en 2024. Lors de sa prise de parole à Saraçhane, il a dénoncé un « deux poids, deux mesures » contre les manifestants à Istanbul alors qu'un « parti dans l'Est du pays » organise des rassemblements (le Newroz) dans lesquels est agité un « torchon »(drapeaux kurdes et du PKK) et où on offre des barbes à papa aux jeunes (en référence à une vidéo largement diffusée d'un policier distribuant cette sucrerie à des enfants dans une localité kurde à l'occasion du Newroz) alors qu' « ici » (à Istanbul ou Ankara mais en sous-texte les « Turcs ») « on matraque les jeunes ».

Ce discours grossier met en équivalence un micro-événement avec des décennies d'oppression coloniale et inverse les rôles historiques. Insensible à toute perspective de paix, il souhaite le maintien du statu quo suprématiste, c'est-à-dire une démocratie uniquement pour les Turcs, donc in fine pas de démocratie pour qui que ce soit. Ce discours n'est pas celui à la direction du mouvement, d'autant plus que Yavaş, en tant que transfuge d'un autre parti, n'a jamais eu de relais puissants dans le CHP (qui a pu tenir ce genre de discours dans ses pires périodes droitières), mais il existe.

Derrière Yavas se tient le milieu oppositionnel nationaliste des petits partis cités auparavant mais aussi certains autres maires, tels que Tanju Özcan à Bolu, ou Burcu Köksal à Afyonkarahisar et des cadres du CHP. Ils ne représentent pas seulement un risque de déviation pour le mouvement, ils l'affaiblissent. C'est en raison du discours de Yavaş que la déclaration d'Özgür Özel a été huée lors de sa lecture au Newroz d'Istanbul. En politique rusé, Erdogan n'a pas manqué de dénoncer les propos de Yavaş pour présenter le mouvement en cours comme celui des ennemis de la paix et des tenants du statu quo [3].

Tout observateur du mouvement en cours relèvera les portraits de Mustafa Kemal accompagnés de drapeaux turcs qui foisonnent lors des rassemblements et manifestations. Il en était de même en 2013 pour le mouvement de Gezi. Même au sein de la jeunesse ; la mobilisation est justifiée par certain·es étudiant·es et par un grand nombre de celles et ceux qui les soutiennent en mobilisant la figure de Mustafa Kemal Atatürk avec moult extraits de son « Discours à la jeunesse », ou de sa formule de son « Grand Discours » confiant la République à la jeunesse ou encore par la formule plus générique « la souveraineté appartient sans condition ni restriction à la nation » (par opposition à un seul individu, Erdogan).

L'usage de la figure tutélaire du fondateur de la République de Turquie légitime un discours oppositionnel, le situe dans une continuité patriotique tout en le mobilisant pour autre chose. Ce qui est retenu du propos est ce qui peut être rattaché à une souveraineté collective, d'une part, et, de l'autre, à la mission historique de la jeunesse turque, validant ainsi le discours porté aujourd'hui concrètement par cette jeunesse. Ainsi, tout comme lors du mouvement de Gezi, mais encore plus explicitement puisqu'il s'agit de s'opposer à une opération remettant explicitement en cause un processus électoral (dont on a précédemment rappelé l'importance en Turquie), Mustafa Kemal Atatürk est mobilisé pour une aspiration démocratique [4].

Il s'agit, au fond, d'une forme de discours performatif par rapport au passé : si Mustafa Kemal confie la République à la jeunesse, c'est parce que cette République et la geste de la guerre de libération porte en elles notre aspiration démocratique. Özgür Özel ne procède pas autrement quand il proclame « Ces terres sont des terres anciennes où différentes cultures, langues et croyances vivent ensemble dans la fraternité » alors que ces terres ont connu le génocide arménien, la loi sur l'impôt sur la fortune [5], avant même l'oppression colonial des Kurdes. Mais, puisque l'objectif désormais affiché est une république inclusive, il convient de réinventer un passé qui y correspond et une fidélité au kémalisme qui valide les aspirations politiques du jour.

Face à cela, Mansur Yavaş ment sur les relations sociales d'aujourd'hui en présentant les Kurdes comme des privilégiés face aux Turcs opprimés dans leur propre pays. Mais il est fidèle au contenu pratique du kémalisme réel produit d'une guerre de libération nationale, qui fut héroïque tout en refusant de reconnaître la pluralité nationale de la Turquie, en oubliant les promesses faites en ce sens, en réprimant les révoltes kurdes et mettant rapidement fin à toute forme de pluralisme politique contrôlé…

Il ne fait cependant guère de doute que, pour les organisations de gauche radicale impliquées dans la mobilisation – et certaines y jouent un rôle catalyseur dans la jeunesse comme le TIP (Parti des Travailleurs de Turquie, qui compte 4 députés dont 1 en prison) –, la priorité n'est pas de faire un cours d'histoire mais de pousser en avant concrètement le mouvement puisque « tout pas en avant du mouvement réel vaut plus qu'une douzaine de programmes » (comme a pu le dire Marx), ou une douzaine de cours d'histoire…

La fonction du mensonge de masse démocratique du mouvement est d'ouvrir la voie pour se confronter à la vérité historique afin d'approfondir la démocratie et, dans une stratégie de lutte de classe, enlever des armes de division des mains de la bourgeoisie. Mais nous en sommes encore loin. Aujourd'hui, chaque pas d'un étudiant·e manifestant pour le respect de la démocratie dans le bastion conservateur de Konya est plus précieux que ces considérations. Notre soutien ne doit pas leur faire défaut.

*

Photo : Wikimedia Commons.
Notes

[1] Il déclara par exemple avoir conclu un accord secret avec l'ultranationaliste Ümit Özdag du ZP (Parti de la Victoire) dont le candidat avait fini 3ème au 1er tour avec 5%, qui, allant au-delà de leur accord officiel, faisait des concessions immenses à ce parti. Un accord conclu à l'insu de son propre état-major, alors même que le ZP est profondément hostile aux Kurdes qui avaient très majoritairement voté pour Kemal Kiliçdaroğlu. Celui-ci a réussit ainsi l'exploit d'avoir récolté à la fois le déshonneur et la défaite.

[2] Il y avait eu de timides avancées en ce sens par Kemal Kiliçdaroglu avant que celui-ci ne décide de trahir les Kurdes dans l'entre deux tours. Il faut rappeler que le CHP revient de loin dans ce domaine puisque, sous la sinistre direction de Deniz Baykal, entre 1995 et 2010, son discours n'avait guère plus de différence avec celui des ultranationalistes du MHP.

[3] Il a aussi accusé les manifestants d'avoir saccagé une mosquée et d'y avoir bu de l'alcool, reprenant un grand classique de la calomnie propagée par le régime depuis 2013.

[4] D'une certaine manière, il y a là une similitude avec les étudiants des années 1960 qui ont commencé leur parcours politique par le kemalisme en insistant sur l'approfondissement de l'indépendance, puis ont creusé le sillon de l'anti-impérialisme et ont vogué vers les rives du marxisme (ou plutôt de divers obédiences marxistes).

[5] Disposition discriminatoire de 1942 à l'encontre les non_musulmans établissant de facto un impôt sur la fortune à des taux exorbitants pour ces catégories afin de les ruiner et de constituer à leur place une bourgeoisie turque et musulmane.

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Le PKK et Erdoğan : à peine né, le processus de paix est gelé

1er avril, par Chris den Hond — , ,
Le 19 mars 2025, Ekrem Imamoğlu, le maire d'Istanbul du parti CHP (Parti républicain du peuple), principal candidat de l'opposition pour les prochaines élections (…)

Le 19 mars 2025, Ekrem Imamoğlu, le maire d'Istanbul du parti CHP (Parti républicain du peuple), principal candidat de l'opposition pour les prochaines élections présidentielles prévues en 2028, a été arrêté sur ordre de Recep Tayyip Erdoğan. Le but : le rendre inéligible. Les importantes mobilisations de protestation ont presque fait oublier que l'État turc est aussi à la manœuvre pour neutraliser le PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan.

En octobre 2024, lors de l'ouverture de l'année parlementaire en Turquie, le dirigeant ultranationaliste Devlet Bahçeli serre la main des élu·e·s du parti de gauche pro-kurde DEM (Parti de l'égalité et de la démocratie des peuples, anciennement HDP). Son message est adressé à Abdullah Öcalan, le chef du PKK, qui est emprisonné à vie sur l'île d'Imrali depuis 1999 : « Si le chef terroriste sort de son isolement, qu'il vienne parler au parlement. Qu'il dise que le terrorisme est terminé et que son organisation est démantelée. » Le PKK mène une guerre de guérilla depuis 1984. Après le coup d'État de 1980, et le régime autoritaire instauré par les militaires, l'espace politique est réduit à néant. Le PKK ne voit d'autre issue que la lutte armée pour la libération du peuple kurde. Depuis lors, ce parti a fait plusieurs propositions de solution politique, incluant un cessez-le-feu. Elles sont toutes restées sans réponse positive de la part de l'État turc. En sera-t-il autrement cette fois-ci ?

Après un isolement total de presque dix ans, Abdullah Öcalan a reçu à plusieurs reprises la visite d'une délégation du parti DEM. Cette délégation s'est par la suite concertée avec les principaux partis politiques en Turquie, mais aussi avec les partis kurdes en Irak (PDK et PUK), l'Administration autonome (AANES) et les Forces Démocratiques Syriennes (FDS) dans le nord et l'est de la Syrie. Il s'agissait de discuter de l'impact du message d'Öcalan en Turquie, en Irak et en Syrie. Le message sera finalement rendu public le 27 février 2025. Retransmis sur des écrans géants, le message d'Öcalan, lu par des membres de la délégation DEM, a été entendu au Kurdistan de Turquie, en Syrie et en Irak. « Tous les groupes doivent déposer les armes et le PKK doit être dissout ». Beaucoup fondent en larmes. « Le PKK, c'est mon parti, c'est ma vie », me dit une ancienne élue à l'assemblée turque[1]. Öcalan explique dans son message que la création du PKK en 1978 et l'insurrection armée depuis 1984 étaient justifiées par « le déni explicite de la réalité kurde et la restriction des droits et des libertés fondamentaux ». Le monde a changé, dit-il, et « la lutte armée a fait son temps. Il faut y mettre un terme. »

Suit alors une phrase pour le moins ambigüe : « La création d'un État-nation séparé, une fédération, une autonomie administrative ou des solutions culturalistes ne répondent pas à la sociologie historique de la société. » Pas un mot donc sur la revendication d'un enseignement en langue kurde, une demande des quelques 26 millions de Kurdes de Turquie pour qui l'enseignement en langue kurde est vital pour la survie de celle-ci, vieille de quelques milliers d'années. Mehmet Ekinci, enseignant à Batman, à 60 kilomètres à l'est de Diyarbakir ne décolère pas : « Ça fait 40 ans qu'on se bat, qu'on perd des gens, que des proches sont emprisonnés, on ne va pas abandonner la lutte sans contrepartie. Que la lutte soit politique, c'est une bonne chose, mais la balle est maintenant clairement dans le camp de l'État turc qui doit faire des gestes très concrets. »

La phrase qui change tout

Dans son message Öcalan n'évoque pas de contrepartie pour la dissolution du PKK. Des mauvaises langues suggèrent qu'il y aurait un « deal » avec l'État turc pour qu'Öcalan obtienne une assignation à résidence, ou que le parti DEM aide Erdoğan à changer la constitution pour qu'il puisse se présenter à un troisième mandat présidentiel. Ce serait sous-estimer le sérieux du mouvement kurde. Quand, dans la prison d'Imrali, Öcalan avait remis le message à la délégation DEM à la fin de la visite, il avait rappelé la délégation et lui avait dit : « Évidemment, il faut qu'il y ait les conditions juridiques et politiques pour appliquer ce message. » Lors de la dernière visite, tenant le message à la main, il a dit aux représentants de l'État turc en face de lui, avec la délégation du DEM à ses côtés : « Si vous (l'État turc) ne faites rien avec cette déclaration, on la jette à la poubelle ».

La contrepartie : une feuille de route

Il ne peut donc y avoir de désarmement et de dissolution du PKK sans contrepartie. Mais laquelle ? Ce n'est pas explicité dans le message d'Öcalan, ce qui peut inquiéter, mais ce n'est pas la première fois qu'Öcalan utilise un langage très modéré pour ouvrir des portes à une solution négociée de la question kurde. Il avait fait pareil en 1999-2000 quand il a été emprisonné. Loin de « capituler », il a de nouveau envoyé la balle dans le camp de l'État turc.

Selahettin Demirtas, le très populaire dirigeant du HDP, lui aussi emprisonné, a publié une lettre soutenant le message d'Öcalan, mais demandant qu'il soit accompagné d'une « feuille de route ». Tuncer Bakirhan, l'actuel co-président du parti DEM (qui échappe pour l'instant à la prison…) soutient également le processus tout en condamnant la politique d'Ankara : « Le gouvernement continue de réprimer le parti DEM. Depuis les élections municipales de mars 2024, dix maires démocratiquement élu·e·s de DEM ont été remplacé.e.s par des administrateurs de l'AKP. Rien qu'en février, plus d'une douzaine de journalistes pro-kurdes ont été arrêtés. Il faut libérer tous les prisonniers politiques. »

Pendant la fête du Newroz à Cizre et à Nusaybin, au Kurdistan de Turquie, pas loin de la frontière irakienne et syrienne, trois hommes nous livrent leurs impression du processus de paix. Mehmet, 60 ans, originaire de Cizre :

  • « Nous avons une confiance absolue en Abdullah Öcalan, et nous savons qu'il ne nous trahira jamais. Mais nous avons besoin de garanties, et nous n'en avons aucune. Comment imaginer que notre région, rongée par des décennies de guerre, pourrait trouver la paix grâce à Erdoğan qui a mis tant de nos enfants en prison ? Comment vivre en paix si Apo est toujours derrière les barreaux ? Il n'y a pas une seule famille dans notre région qui n'a pas été endeuillée par la sale guerre des Turcs, malgré toutes nos tentatives afin d'en finir avec ce conflit. Alors notre méfiance est logique, je crois. »

Abdulrahman, 78 ans :

  • « J'ai été très heureux quand j'ai entendu l'annonce d'Öcalan. Je vis à Cizre depuis que mon village a été brûlé par l'armée turque dans les années 1990. Aujourd'hui, ma famille est écartelée entre le Rojava, le Kurdistan irakien et l'Allemagne. J'espère que nous serons un jour tous réunis, mais je crois que le chemin sera long. Nous n'avons, de toute façon, pas d'autre choix. »

Ferhat, Nusaybin, 25 ans

  • : « Je ne crois absolument pas qu'une paix est possible si nous n'obtenons rien en échange. Nous ignorons tout de ce qu'il se joue en coulisses, et c'est très déstabilisant. J'espère que nous obtiendrons des droits, que la Turquie arrêtera de se déchaîner contre nous, nous avons assez souffert, mais pour être honnête je n'y crois pas vraiment ».

Les FDS en Syrie ne sont pas concernés

Ankara interprète le message d'Öcalan comme un désarmement et une dissolution du PKK sans contrepartie et qui devrait aussi inclure les YPG, les forces armées kurdes en Syrie, ainsi les FDS (Forces Démocratiques Syriennes). Celles-ci devraient, selon Erdoğan, être dissoutes et intégrées dans l'armée syrienne sur la base de l'adhésion individuelle. Mais les choses ne se passeront pas de cette façon. Dans le nord et l'est de la Syrie, l'alliance kurde, arabe, syriaque a obtenu une autonomie de facto, après avoir sacrifié 12 000 jeunes dans sa lutte contre Daesh. Le commandant des FDS, Mazloum Abdi a tout-de-suite déclaré que celles-ci ne sont pas concernés par l'appel d'Öcalan : « Cet appel ne concerne que le PKK » a-t-il précisé. Saleh Muslim, un des principaux dirigeants politiques du PYD en Syrie m'avait confié dans un interview début février : « Si la Turquie discute avec Öcalan et prend cela au sérieux, qu'elle arrête alors de nous attaquer, de lancer des bombes tous les jours sur le barrage Tishrin [dans le nord de la Syrie]. Le PKK a souvent essayé d'entamer un processus de paix avec le gouvernement turc : en 1993, en 1998, en 2007 et encore en 2013. À chaque fois le côté turc a fait défaut. Ils ont continué avec leurs destructions. Nous espérons que, cette fois-ci, c'est sérieux et qu'une solution sera trouvée, parce que nous ici, en Syrie, nous ressentirons certainement les effets positifs d'une éventuelle solution politique dans le Kurdistan du Nord. »

A Qandil, dans la haute montagne irakienne, la direction du PKK a également adhéré à l'appel, en demandant qu'Öcalan soit en mesure de diriger lui-même le congrès et de déclarer le cessez-le-feu. Mais le régime turc poursuit la répression : l'actrice Melisa Sozen est poursuivie au motif « propagande terroriste » pour son rôle dans la série « Bureau des légendes », où elle joue le rôle d'une combattante kurde syrienne du YPJ. Le 18 février 2025, plus de 300 Kurdes, écrivains, avocats, journalistes, ont été arrêtés pour « terrorisme » au Kurdistan de Turquie. La plupart d'entre eux sont des sympathisants du parti pro-kurde DEM. Le 24 février, un dixième maire kurde élu a été suspendu et remplacé par un administrateur envoyé par Ankara. Le 20 février, c'est Orhan Turan, le président du patronat turc, qui a été placé sous contrôle judiciaire. Turan avait critiqué les « atteintes à l'État de droit en Turquie ». Erdoğan s'en prend même à son propre patronat. Il est donc loin d'être certain qu'il acceptera de s'assoir à une table pour négocier avec les Kurdes.

*

Illustration : rassemblement à l'occasion du Newroz (jour nouveau en kurde) à Diyarbakir.

Note

[1] L'auteur de cet article étant banni pour 10 ans du territoire turc, la plupart des citations ont été récoltées par téléphone.

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Yémen. Oublié du monde, au cœur de la région

1er avril, par Alexandre Lauret — , ,
Victime de la rivalité entre l'Iran et l'Arabie saoudite ou menace sécuritaire ? Au terme de dix ans de guerre, le Yémen demeure ignoré et sa société toujours méconnue. La (…)

Victime de la rivalité entre l'Iran et l'Arabie saoudite ou menace sécuritaire ? Au terme de dix ans de guerre, le Yémen demeure ignoré et sa société toujours méconnue. La situation y est souvent réduite à une terrible catastrophe humanitaire. Depuis dix-huit mois, les actions armées des houthistes en mer Rouge et jusqu'en Israël ont encore infléchi le regard sur ce pays.

Tiré d'Orient XXI.

Diffusé en 2024, le documentaire La Fureur des houthis présente une scène saisissante, illustrant le rapport complexe qu'entretiennent bien des Yéménites avec la mondialisation. Le réalisateur, Charles Emptaz, y suit deux influenceurs yéménites, proches des autorités houthistes, des rues de la capitale, Sanaa, à la visite de l'épave du Galaxy Leader, le roulier abordé par les houthistes le 19 novembre 2023 en solidarité avec les Palestiniens et dérouté vers le port de Hodeïda qu'ils contrôlent (1).

Le navire commercial est rapidement devenu une attraction touristique. Les deux influenceurs se filment à bord. Sur le pont, l'un des hommes commente sa découverte : « Ce bateau est vraiment géant. Cela doit représenter une perte immense pour Israël. » Ces propos interpellent quant au décalage entre la perception de cet influenceur et la réalité économique du commerce mondial où le Galaxy Leader ne représente qu'un navire, parmi tant d'autres, d'une flotte commerciale affiliée à des hommes d'affaires proches des intérêts israéliens. Bien plus qu'une attraction touristique censée célébrer la victoire du régime houthiste sur le gouvernement central yéménite et le commerce mondial, cette scène donne à voir l'isolement tragique du Yémen sur la scène internationale, mais aussi l'efficacité de la propagande houthiste entourant ses opérations en solidarité avec les Gazaouis.

Dominants sur le terrain national, ignorés au-delà

Le 26 mars 2015, le déclenchement de l'opération « Tempête décisive » par les Saoudiens, qui prenaient la tête d'une coalition de pays arabes en soutien au régime yéménite en place, transformait le Yémen aux yeux des rares médias intéressés en une sorte de victime de ses voisins du Golfe, plus riches et alliés aux pouvoirs occidentaux. L'enlisement de la guerre et la capacité des houthistes à rééquilibrer la confrontation militaire ont progressivement conduit à reconsidérer une lecture simplificatrice centrée sur la dimension régionale du conflit. Une décennie d'affrontements laisse le Yémen, et les parties en conflit, dans une position ambivalente dans les relations internationales.

En effet, l'intervention des Saoudiens et de leurs alliés pour défaire les rebelles houthistes qui avaient pris Sanaa en septembre 2014 a d'abord permis de repousser les avancées de ces derniers, libérant Aden ainsi que des territoires voisins du détroit de Bab El-Mandeb, desserrant quelque peu le verrou sur la route de la mer Rouge par où transite près de 20 % du commerce maritime mondial. Mais le succès n'a été que limité.

Après 25 000 raids aériens, un blocus maritime et près de 400 000 morts (directs et indirects à la suite des famines et du déclenchement d'épidémies telles que le choléra), selon l'estimation publiée par les Nations unies, la coalition arabe demeure enlisée et, aujourd'hui, en retrait. Le gouvernement loyaliste yéménite est pris dans la tourmente de la fragmentation avec les indépendantistes du sud du pays. Les houthistes maintiennent leur contrôle sur un tiers du territoire, dont Sanaa, et la majorité de la population. Ils ont su s'imposer comme la principale force politique et militaire sur la scène nationale tout en développant un potentiel de nuisance indéniable en mer Rouge et dans la région depuis l'automne 2023.

Là est la contradiction, pour ne pas dire le paradoxe de la guerre du Yémen. Malgré sa façade maritime de plus de 2 000 kilomètres bordant la mer Rouge et le golfe d'Aden, en dépit d'une situation humanitaire catastrophique et d'un effet sensible du conflit sur le commerce international et la sécurité régionale, le Yémen reste comme ignoré. La volonté de retrait militaire des Saoudiens depuis 2022 tout comme la diminution de l'aide internationale favorisent un pourrissement du conflit, tout en laissant les houthistes en position de force. Ceux-ci engagent le pays dans le repli et développent une idéologie conservatrice qui s'aligne toujours plus avec l'Iran, à rebours des aspirations de bien des Yéménites et de l'intégration d'un pays, si bien situé, dans les échanges, flux de biens et personnes. Au cours de l'été 2024, les arrestations d'acteurs humanitaires et d'employés des agences de l'ONU ont de plus acté la volonté des houthistes de se retirer du monde – faisant mine de croire que leur pays peut vivre en autarcie, comme c'était le cas au début du XXe siècle.

La mer Rouge, un levier politique

En février 2025, la décision du président américain Donald Trump de classer les houthistes en tant qu'organisation terroriste étrangère se fait contre l'avis des acteurs humanitaires, mais aussi des observateurs et acteurs politiques yéménites qui affirment que le mouvement rebelle se nourrit de sa position de paria sur la scène internationale. Les bombardements successifs depuis dix-huit mois par Israël, les États-Unis et le Royaume-Uni, après la longue phase d'interventionnisme saoudo-émirati, n'ont que peu de chance de transformer l'équilibre militaire. Au sol, les anti-houthistes, fragmentés, demeurent sur la défensive. De plus, ces bombardements ont principalement un coût pour les civils, affectant l'économie et l'arrivée de l'aide, empêchant par exemple l'aéroport de Sanaa de fonctionner normalement.

Les discours des rebelles sur l'autarcie cachent un autre paradoxe : l'assise territoriale des houthistes – dont les dirigeants sont issus des hautes montagnes de l'intérieur, et prônent un repli identitaire – n'est en réalité possible que parce qu'elle s'articule avec la mondialisation. La façade maritime de la mer Rouge est devenue pour eux un espace stratégique de souveraineté et de légitimité à conquérir et à défendre. En 2010, six ans après le début de la guerre à Saada, les rebelles houthistes, soutenus par l'Iran, ont réussi à s'emparer de territoires dans trois gouvernorats différents : Saada, Hajjah (donnant accès à la mer Rouge) et Al-Jawf (doté de ressources pétrolières), tandis qu'Ali Abdallah Saleh, l'ancien président du Yémen, clamait à qui voulait l'entendre que les rebelles perdaient du terrain. Au cours de ces affrontements répétés, la prise du port de Midi, situé à une dizaine de kilomètres au sud de la frontière saoudienne, est devenue un objectif stratégique majeur. En effet, ce port offrait la possibilité de recevoir des armes et un soutien logistique en provenance d'Iran (2).

Après la révolution et le départ de Saleh en 2012, les houthistes participent à la phase de transition (2012-2014), mais axent leurs demandes sur le maintien de leur contrôle sur les territoires conquis, notamment l'accès à la mer. En 2014, quand un nouveau découpage porté par la Conférence du dialogue national (3) les prive de la façade maritime, ils s'emparent de la capitale.

Dès le début de la guerre, la façade maritime devient l'enjeu stratégique central pour les rebelles. Ils prennent le contrôle du port de Hodeïda ainsi que de la plaine littorale de la Tihama, bordant la mer Rouge. Toutefois, ils ne parviennent pas à maintenir leur présence à Aden. S'ils perdent quelques villes portuaires, notamment Mokha au sud de la Tihama où débarquent des forces émiraties en 2018, la perspective d'une amplification de la crise humanitaire qu'occasionnerait la perte de Hodeïda (brisant la ligne d'approvisionnement de l'aide internationale vers les territoires houthistes) encourage des pourparlers de paix. L'accord de Stockholm acte de fait le contrôle de Hodeïda par les houthistes, favorisant, malgré un blocus annoncé, l'approvisionnement en matériel iranien et leur instrumentalisation de l'aide humanitaire.

La Palestine, une « cause nationale »

En position de force, alors que le front militaire demeurait gelé, les houthistes ont entamé en 2022 d'autres négociations à Riyad. L'Arabie saoudite ayant accédé à la plupart de leurs exigences, ils semblaient sur le point de signer un accord lorsqu'ils ont développé une nouvelle stratégie en mer Rouge, capturant le Galaxy Leader en réponse aux massacres survenus dans la bande de Gaza à l'automne 2023. À partir de ce moment, la défense de la Palestine a été proclamée cause nationale par les autorités houthistes. Depuis lors, plus d'une centaine de navires liés à Israël ou à l'Occident ont été attaqués en mer Rouge. Le 12 mars, face aux blocages par Israël de l'entrée de l'aide humanitaire à Gaza, le leader Abdelmalek Al-Houthi annonçait la reprise des attaques après une pause.

Bien que le soutien des houthistes à la cause palestinienne ne doive pas être minimisé, leurs attaques en mer et vers Israël semblent avant tout servir leurs ambitions politiques, tant au niveau national qu'international. Après une décennie de guerre civile, le bilan de gouvernance des autorités houthistes se résume à l'instauration d'un régime d'exception, brutal et autoritaire, justifié par l'effort de guerre totale. La paupérisation seulement contenue grâce à l'aide humanitaire internationale s'aggrave, et la crise de financement des programmes de l'Agence des États-Unis pour le développement international (U.S. Agency for International Development, USAID) risque d'être lourde de conséquences sur les civils.

Dans ce contexte, la défense de la Palestine offre à l'administration houthiste un répit stratégique, lui permettant de renforcer sa légitimité auprès de la population yéménite sous son contrôle. Alors que les manifestations sont interdites depuis 2014, le régime organise régulièrement d'importantes marches populaires à Sanaa et dans toutes les villes sous son autorité. Ces démonstrations de soutien au peuple palestinien sont ensuite récupérées par la propagande houthiste pour affirmer l'unité nationale du Yémen derrière ceux qui se positionnent comme le bras armé d'une Palestine négligée par les pays musulmans. Dans le contexte de la trêve adoptée entre le Hamas et Israël en janvier 2025, les dirigeants houthistes ont interrompu leurs attaques, avant de reprendre les armes moins de deux mois après, quand Donald Trump a ordonné, mi-mars, des bombardements massifs au Yémen, ouvrant une nouvelle phase dans l'implication militaire américaine, promettant aux houthistes, et derrière eux à l'Iran, un « enfer jamais vu ». La séquence rappelle combien le Yémen, oublié du monde, demeure un enjeu des relations internationales.

Notes

1- Ce cargo battant pavillon bahaméen, affrété par une société japonaise pour transporter des automobiles, était la propriété d'une société britannique détenue par un homme d'affaires israélien. Son équipage a été libéré le 6 février 2024.

2- Ce soutien a pu partir de ports sur la côte somalienne (comme Berbera), voire du port de Djibouti, où des cargaisons de nitrate d'ammonium ont été détournées tout au long de la décennie écoulée.

3- L'institution chargée de la constitutionnalisation du régime issu des élections de 2012 et de la mise en place d'une justice transitionnelle.

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Perspectives d’une Syrie renaissante

1er avril, par Marie-Ève Godin — , ,
La Syrie connaît un regain d'espoir depuis la chute du régime de Bachar al-Assad en décembre dernier. La reconstruction du pays ne sera toutefois pas sans difficulté. Le pays (…)

La Syrie connaît un regain d'espoir depuis la chute du régime de Bachar al-Assad en décembre dernier. La reconstruction du pays ne sera toutefois pas sans difficulté. Le pays est en guerre civile et la population subit une répression gouvernementale violente de plus de dix ans. C'est ce qu'ont affirmé les panélistes du webinaire du 13 mars dernier, intitulé SYRIE : Quel avenir ? Quels défis ? Quelle solidarité ?

Tiré d'Alter Québec.

Le politologue Ziad Majed a d'abord rappelé les circonstances de la chute du régime assadien. À la veille de sa chute, la Syrie de Bachar al-Assad était fragmentée par de nombreuses occupations du territoire de la part d'Israël, de la Turquie, de l'Iran, de la Russie et des États-Unis. Il explique qu'en 2024, le régime s'effondrait déjà et qu'il n'aurait pu résister à quelconque pression surprenante telle que celle du renversement mené par le groupe Hayat Tahrir al-Cham (HTC) en décembre. Le nouveau président, Ahmed al-Charaa, était à la tête de ce groupe rebelle islamiste né de la guerre civile syrienne.

Se dissocier de l'ancien régime

Le nouveau dirigeant devra « faire avec une Syrie qui a énormément de crises et énormément de défis et de difficultés », explique Majed. La fracture politique et territoriale du pays, le déplacement de la population et la crise économique ne sont qu'une poignée des embûches de la reconstruction avec lesquelles l'administration actuelle devra composer.

Ahmed al-Charaa devra livrer un combat de légitimation à la fois interne et externe. Il doit non seulement réconcilier la relation du gouvernement avec les Kurdes et les Druzes, mais également rétablir les relations du pays avec la communauté internationale. Al-Charaa souhaite se dissocier de Bachar al-Assad en adoptant une posture d'ouverture et d'inclusion envers les groupes minoritaires du pays : les Druzes, les Kurdes et le peuple alaouite, dont Al-Assad est issu.

Cependant, les tensions confessionnelles à l'intérieur du pays restent une réalité, comme l'ont démontré les évènements du 6 mars dernier. Le déchaînement de l'armée du nouveau régime en réponse aux attaques de milices fidèles à l'ancien régime aurait fait plus de 1300 morts. La majorité de ces victimes étaient des civiles alaouites qui ont été ciblé.es et exécuté.es sommairement. Certains désignent les coupables comme étant des « factions indisciplinées » du nouveau régime ayant abusé de leur pouvoir.

De nombreuses fractures sociales

Pour l'historien Farouk Mardam-bey, les deux questions sociales les plus préoccupantes sont d'ordre d'intégration nationale : la question kurde et la tension entre les communautés socioconfessionnelles.

L'administration autonome kurde au nord du pays, le Rojava, était dirigée par les Forces démocratiques syriennes (FDS), une coalition militaire. Cette dernière avait des relations ambigües avec l'ancien régime, notamment en raison de son lien fort avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), un groupe rebelle kurde de Turquie.

Toutefois, la région contient près de 90 % des ressources pétrolières du pays, ajoutant à l'urgence ressentie par le nouveau régime de parvenir à une solution équitable avec les FDS. Le président al-Charaa et les FDS ont ainsi conclu en mars une entente visant à intégrer la coalition et toutes leurs activités à l'institution centrale syrienne.

Selon Mardam-Bey, l'importance territoriale et démographique du Rojava a également influencé cet accord, qui promet de garantir la satisfaction des revendications politiques et culturelles kurdes.

Mardam-Bey considère que cette décision a été accueillie avec enthousiasme autant par la population arabe de Syrie que par les Kurdes. Toutefois, la confession sunnite du nouveau chef inquiète certains membres de groupes minoritaires. Le groupe sunnite, largement majoritaire au pays, peut être perçu comme étant le « nouveau maître du pays » par les alaouites, les ismaélien.nes, les Kurdes ou les Druzes.

« Le plus préoccupant dans ce contexte […] est l'absence de toute force politique libérale ou de gauche qui soit capable de jouer le rôle d'une opposition structurée et responsable ou de prendre la relève si, par malheur, la Syrie sombrait dans l'anarchie », prévient-il.

Une économie à refaire

L'économiste Jihad Yazigi, en direct de Damas, a expliqué que l'économie syrienne souffre principalement de la destruction physique massive causée par la guerre et les coûts de reconstruction. Les dépenses de guerre, l'exode de la main d'œuvre, la fracture du territoire et, surtout, les sanctions occidentales placées sur la Syrie ont contribué à la précarité de la situation économique.

Les sanctions américaines sur le secteur bancaire syrien sont celles qui le pèsent le plus lourd dans la balance. Elles devront être levées pour faire une réelle différence sur l'économie du pays, alors qu'on observe la levée des sanctions européennes sans impact positif marqué. La faillite du secteur bancaire libanais en 2019 a également eu un rôle important à jouer, bloquant l'accès de la population syrienne à des sommes importantes en dépôt au Liban.

Malgré les évènements du 6 mars et les difficultés liées à la reconstruction, il y a « beaucoup de chances que la situation économique du pays, dans les années qui viennent, s'améliore », selon Yazigi.

Pour le moment, la priorité est le redémarrage de la production et de l'activité économique dans tous les secteurs. Les services essentiels à la population, comme l'électricité, le blé et le pétrole doivent augmenter leur production pour permettre à l'économie de se relever tranquillement.

En quête de justice après la chute de l'ancien régime

Selon le juriste Abdulhay Sayed, la justice transitionnelle est essentielle afin de se défaire des vestiges du régime de Bachar al-Assad. « Trop longtemps, la Syrie a été une terre d'impunité », souligne-t-il.

Selon le juriste, la justice transitionnelle sert à faire émerger la vérité à travers le dialogue ainsi qu'à favoriser l'art de la réconciliation. Ce processus de justice doit évaluer les crimes commis par l'institution étatique elle-même. Abdulhay Sayed soutient que « l'appareil d'État a été transformé en un instrument de répression et de violence » par le régime assadien.

Ce dernier rappelle toutefois que le crime d'institution contient une autre dimension, celle-ci concernant sa façon de bâtir du ressentiment qui mène justifier les crimes de masse. Le processus de justice servirait alors aussi à identifier et à analyser les discours qui ont permis cette socialisation de la haine.

Sayed soutient que la condition politique d'une telle justice repose sur un système constitutionnel fondé sur une légitimité électorale. Elle ne peut pas être fondée sur une rhétorique dite révolutionnaire ou sur la construction d'un pouvoir centré autour d'un chef charismatique, comme cela semble être le cas actuellement avec la nouvelle déclaration constitutionnelle.

« C'est uniquement, à mon sens, dans ce cadre qu'une justice véritablement équitable pourra émerger pour tous les Syriens et pas une justice à sens unique », a-t-il conclu.

Malgré les défis que présente la reconstruction au terme de la guerre et de décennies de règne autoritaire, les panélistes se sont montrés assez optimistes quant au futur du pays. Pour les Syrien.nes, dont les réfugiés ont déjà recommencé à regagner leur terre natale, « c'est un acquis considérable qu'il n'y aura plus de président éternel », affirme Ziad Majed. « Leur esprit de révolte et leur esprit de contestation, qu'on voit chaque jour dans les moyens actuels d'information, est plus vivant que jamais ; ils sont prêts à recommencer », maintient-il.

Pour revoir la discussion et le webinaire.

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Le Sri Lanka à la croisée des chemins : Résister à la domination géopolitique et protéger la souveraineté

1er avril, par Front Line Socialist Party — , ,
Le Sri Lanka se trouve à un carrefour critique dans l'évolution de la lutte géopolitique entre les puissances mondiales et régionales. Les récents accords avec la Chine et (…)

Le Sri Lanka se trouve à un carrefour critique dans l'évolution de la lutte géopolitique entre les puissances mondiales et régionales. Les récents accords avec la Chine et l'Inde soulignent l'influence externe croissante sur l'économie du pays, le secteur de l'énergie et la sécurité nationale. Le Front Line Socialist Party (FLSP) avertit que le Sri Lanka risque de perdre à la fois sa souveraineté économique et son autonomie politique en s'emmêlant dans la dynamique de pouvoir indo-pacifique entre la Chine, l'Inde et les États-Unis. Le parti appelle à la sensibilisation du public et à une intervention organisée, arguant que ni le gouvernement ni l'opposition parlementaire ne peuvent sauvegarder les intérêts du Sri Lanka. Cet article examine les implications des récents accords et exhorte le peuple sri-lankais à résister à la domination externe et à œuvrer pour un avenir souverain et indépendant. [AN]

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

Le président Anura Kumara Dissanayake a effectué une visite d'État en République populaire de Chine du 14 au 17 janvier 2025 et une déclaration conjointe a été publiée le 16 janvier. Cette déclaration conjointe indique que « les deux parties ont convenu de suivre les huit grandes étapes annoncées par le président Xi Jinping pour soutenir la coopération Une Ceinture Une Route », et « les deux parties ont signé le plan de stratégie d'entreprise Une Ceinture Une Route ». Elle indique en outre que le gouvernement sri-lankais a accepté « d'avancer avec tous les grands projets, y compris la Port City de Colombo et le port de Hambantota, d'utiliser pleinement les programmes tels que l'atelier de la Route de la Soie, et de mettre en œuvre davantage de programmes de subsistance au Sri Lanka conformément aux principes de planification, de construction et de récolte des bénéfices ensemble. La coopération Une Ceinture - Une Route n'est pas seulement un programme de développement économique, mais aussi la stratégie géopolitique de la Chine dans la mer de Chine méridionale et l'océan Indien. Ce n'est un secret pour personne que les États-Unis sont engagés dans un programme appelé »Stratégie Indo-Pacifique" contre la Chine et cette lutte de pouvoir a créé une forte tension dans la région asiatique, y compris la région de l'océan Indien. La possibilité que cela évolue d'une guerre économique et commerciale, d'une contradiction politique et diplomatique vers un état de conflit militaire ouvert ne peut être exclue. Dans ce cas, l'Inde soutient les États-Unis, en tant que partenaire de la coopération militaire QUAD ainsi que de nombreux autres accords de coopération militaire. Le programme est asservi aux propres ambitions de l'Inde en tant que puissance régionale. La déclaration conjointe publiée avec l'Inde le 16 décembre 2024 est une démonstration de la loyauté du gouvernement actuel envers la stratégie de l'Inde dans l'océan Indien et envers le programme américain qui obtient son soutien. Ces deux déclarations montrent que le Sri Lanka est inclus dans la principale lutte géopolitique de la région de l'océan Indien.

D'autres accords importants qui ne figurent pas dans la déclaration conjointe publiée avec la Chine ont été conclus lors de la visite. La signature d'un accord approuvant la société chinoise SINOPEC pour construire une raffinerie de pétrole dans la région de Hambantota en est le principal. C'était un projet proposé par le régime de Mahinda Rajapaksa et l'administration successive de Ranil Wickramasinghe l'a également approuvé. Jusqu'à présent, le programme n'a pas pu être lancé en raison de l'opposition du peuple, et le JVP, principal parti du gouvernement actuel, était également un critique important du projet à cette époque. L'opposition à ce projet était fondée, d'une part, sur le fait que le Sri Lanka était pris dans un projet géopolitique basé sur le port de Hambantota. D'autre part, le problème causé à la souveraineté énergétique du Sri Lanka par des entreprises étrangères possédant l'importation, le raffinage et la distribution de pétrole qui est devenu un monopole complet du gouvernement du Sri Lanka selon la loi existante sur le pétrole. De plus, le manque de clarté sur la façon dont l'argent sera reçu par le Sri Lanka, même si l'on parle d'un investissement, était une autre raison. Aucune de ces raisons n'a changé cette fois-ci non plus.

Puisque le port de Hambantota est déjà propriété de la Chine depuis environ un siècle, le Sri Lanka perdra les revenus pétroliers du port de Hambantota en raison de l'ouverture d'une raffinerie de pétrole à proximité. Dans les conditions où le gouvernement actuel a accepté avec l'Inde de poursuivre les négociations relatives au projet de construction d'un oléoduc indien vers le Sri Lanka, il y a un risque que le Sri Lanka perde les revenus de l'approvisionnement en pétrole brut non seulement au port de Trincomalee mais aussi au port de Colombo. Il ne s'agit pas seulement d'un problème de perte de revenus, mais aussi d'un risque de perte de la souveraineté énergétique du Sri Lanka, et la fourniture d'installations militaires en lien avec ces ports crée un risque pour la sécurité nationale. Tous ces accords montrent que le Nord et l'Est sont sous domination indienne, tandis que la province du Sud, y compris Hambantota, est sous autorité chinoise. Le fait que ces deux puissances régionales se préparent à une forte intervention à Colombo rend le danger encore plus grave.

Nous attendons l'attention et la participation active de tout le peuple, y compris la classe ouvrière du Sri Lanka, concernant ces dynamiques politiques qui se développent de telle manière que non seulement la souveraineté économique du Sri Lanka mais aussi l'autonomie politique et la sécurité du peuple sont en danger. Nous croyons que les positions prises par le gouvernement sont extrêmement graves dans les contradictions géopolitiques qui ont été annoncées en lien avec les visites du président en Inde et en Chine. Il est clair qu'une solution à ce problème ne peut être attendue de l'opposition parlementaire, qui a maintenu les mêmes positions pendant longtemps. Par conséquent, nous appelons à une intervention organisée du peuple sri-lankais, y compris les travailleurs, qui ont le potentiel de créer des alternatives aux défis économiques, politiques, géopolitiques et militaires auxquels le Sri Lanka est confronté et de les concrétiser.

Comité central

Front Line Socialist Party

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Depuis l’élection de Trump : Augmentation sans précédent du nombre d’approbations de plans de colonies

1er avril, par Association France Palestine Solidarité — , , ,
Dans un revers remarquable, le Conseil supérieur de planification a approuvé plus de plans de construction au cours des trois derniers mois que pendant toute l'année 2024. (…)

Dans un revers remarquable, le Conseil supérieur de planification a approuvé plus de plans de construction au cours des trois derniers mois que pendant toute l'année 2024. Entre le 1er janvier et le 19 mars 2025, un total de 10 503 unités de logement ont été approuvées, dépassant les 9 971 unités approuvées pendant toute l'année 2024. Ce mercredi, 1 344 unités supplémentaires devraient être approuvées.

Tiré de Association France Palestine Solidarité
25 mars 2025, Traduction AFPS

Cette accélération spectaculaire fait suite à un changement important de politique. En juin 2023, le gouvernement Netanyahu-Smotrich a supprimé le contrôle direct de l'échelon politique sur la planification des colonies. Auparavant, chaque étape du processus d'approbation nécessitait l'accord du ministre de la défense. En novembre 2024, après l'élection du président Trump, le taux d'approbation des plans a nettement augmenté : le Conseil de planification est passé de réunions trimestrielles à des sessions hebdomadaires, approuvant des centaines d'unités de logement à la fois. Ce changement semble faire partie de la stratégie du gouvernement visant à normaliser la planification de la colonisation, à réduire la surveillance nationale et internationale et à tirer parti de l'attention mondiale portée à Gaza pour faire progresser rapidement l'expansion de la colonisation. Il semble que le gouvernement cherche à « remplir les réserves de planification » avec autant de plans approuvés que possible, garantissant ainsi le potentiel d'un développement futur important.

Peace Now : « Au lieu de s'occuper des otages et d'assurer la sécurité d'Israël, le gouvernement Netanyahu-Smotrich aggrave le conflit et sabote toute chance de résolution pacifique. Le gouvernement fait avancer des projets d'une ampleur sans précédent en Cisjordanie, qui finiront par coûter cher à tous les Israéliens sous la forme d'une violence prolongée et d'un fardeau financier énorme. »

Changements au sein du Conseil supérieur de planification et de l'administration civile

Le processus de planification a connu un développement important en octobre 2024, lorsque Yehuda Alkalai, l'ancien ingénieur du conseil régional de la colonie de Shomron, a été nommé à la tête du bureau de planification de l'administration civile. Des rapports indiquent que le ministre Bezalel Smotrich a plaidé pour la nomination d'Alkalai afin d'accélérer le processus d'expansion des colonies. La nomination d'Alkalai a été suivie d'un rythme extraordinaire d'approbation des plans, parfois quelques jours après leur présentation au Conseil de planification. Cette accélération est en partie attribuée à une approche plus souple en ce qui concerne le respect des conditions préalables avant qu'un plan ne soit soumis à discussion.

Le processus d'approbation rapide d'Alkalai s'aligne sur la stratégie plus large d'annexion poursuivie par le gouvernement actuel. Smotrich a mis en place l'Administration de la colonisation et l'a renforcée avec des conseillers juridiques qui remplacent le personnel juridique de l'Administration civile - qui, selon Smotrich, a « un ADN complètement différent » - une mesure qui semble faciliter des actions qui n'étaient pas réalisables auparavant. En outre, l'inclusion d'un représentant du ministère de la colonisation au sein du Conseil supérieur de planification politise davantage le processus de planification, permettant des décisions plus rapides en faveur de l'expansion des colonies.

Un exemple notable de ces changements est le plan n° 512/2, qui vise à légaliser des dizaines de maisons construites illégalement il y a plusieurs décennies dans la colonie d'Otniel, située au sud d'Hébron. Ce plan, qui ajouterait 156 unités d'habitation à la colonie, a été bloqué pendant des années parce que les routes qui y mènent passent sur des terres palestiniennes privées. En janvier 2025, cependant, le plan a été présenté au Conseil supérieur de planification et l'architecte qui l'a présenté a déclaré : « le plan n'a pas été avancé jusqu'à présent en raison de problèmes fonciers. Maintenant que les problèmes ont été résolus, il est avancé ».

La « solution » approuvée par le conseil juridique est que le plan stipule que des ponts seront construits sur les terrains privés, permettant ainsi de relier le quartier à la colonie. Il convient de noter que, outre le fait que la construction d'un pont viole également la propriété des propriétaires fonciers, les colons qui vivent dans des maisons déjà construites illégalement dans le quartier circulent quotidiennement depuis des années sur des routes qui ont été pavées sur des terres privées, sans aucune interférence. Il est difficile de croire que quelqu'un investirait des efforts et de l'argent dans la construction de ponts alors qu'il pourrait simplement continuer à s'emparer des terres.

Les plans approuvés - approfondir l'occupation jusqu'à l'annexion

La grande majorité des plans approuvés ces derniers mois prévoit l'implantation de colonies à l'intérieur de la Cisjordanie, ce qui a des conséquences considérables pour la continuité territoriale palestinienne et la viabilité d'un futur État palestinien. La construction de 10 000 nouveaux logements devrait permettre d'accueillir 40 000 à 50 000 colons supplémentaires.

Les principales approbations concernent de nouveaux quartiers dans des colonies telles que Itamar (284 unités), Yakir (464 unités), Kochav Yaakov (1 016 unités), Asfar (509 unités) et Ma'ale Amos (561 unités).

Le plan 516/3/1, dont le dépôt a été approuvé, prévoit la création d'un nouveau et grand quartier de 292 logements à l'est de la colonie d'Adora, ce qui doublera effectivement la taille de la colonie isolée située au nord-ouest d'Hébron. Dans la zone du plan, les colons ont récemment établi un nouvel avant-poste (Adora East Outpost), et le plan cherche à le légaliser rétrospectivement. L'avant-poste a été construit sur les ruines de la communauté palestinienne de Khirbet a-Taybah, qui a été violemment expulsée par des soldats et des colons en octobre 2023, comme le décrit le témoignage des habitants à B'Tselem :

Khirbet a-Taybah, Tarqumya : « La communauté abritait 10 familles, soit 47 personnes au total, dont six mineurs. Quatre autres familles, composées de huit adultes au total, y vivaient en fonction de la saison. Le 7 octobre 2023, des colons et des soldats sont arrivés et ont informé les habitants qu'ils devaient partir parce que le site avait été déclaré zone de tir. Les dix familles qui vivaient dans la communauté de façon permanente sont parties ce jour-là, mais les familles qui y vivaient de façon saisonnière ont continué à venir pendant la journée pour faire paître leurs troupeaux et passer la nuit à Tarqumya. Le 11 octobre 2023, plusieurs résidents ont tenté de rentrer chez eux pour vérifier leurs biens, mais les colons leur ont barré la route. Le matin du 17 octobre, les habitants ont réussi à atteindre leurs terres et ont trouvé 11 cabanes résidentielles et agricoles démolies et du matériel agricole volé. Les soldats qui les ont remarqués les ont chassés. Le 12 novembre 2023, à 12 heures, des soldats sont arrivés dans la communauté et ont informé les familles présentes sur une base saisonnière qu'elles devaient elles aussi partir, faute de quoi leurs maisons seraient démolies et elles seraient expulsées par la force, mais les familles ne sont pas parties. Le 21 novembre, des soldats sont de nouveau venus dans la communauté et ont menacé les membres de ces familles sous la menace d'une arme. En conséquence, les quatre familles sont également parties. Le 4 janvier 2024, à 16 heures, des habitants de la ville de Tarqumya ont vu de la fumée s'élever de leur communauté. Ils sont montés sur une colline surplombant la zone et ont vu que les colons avaient détruit et brûlé quatre structures agricoles et les meubles qu'ils avaient laissés derrière eux, et ont repéré un véhicule de sécurité de la colonie sur les lieux. »

L'exemple le plus frappant est peut-être celui de la colonie de Talmon, à l'ouest de Ramallah, où des plans pour 1 628 unités de logement ont été approuvés au cours des trois derniers mois, ce qui a permis d'étendre considérablement la zone et la population de colons. Avec d'autres projets récemment approuvés, Talmon pourrait bientôt devenir une colonie de dizaines de milliers d'habitants.

Traduction : AFPS

Photo : Peace Now

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Point sur la situation à Gaza le 28 mars 2025

Nos sources : ces informations sont collectées et compilées par une militante anticolonialiste israélienne, et reprises en Israël par des sites contre l'occupation et par des (…)

Nos sources : ces informations sont collectées et compilées par une militante anticolonialiste israélienne, et reprises en Israël par des sites contre l'occupation et par des médias palestiniens. En raison des circonstances actuelles, les sources pour ce rapport sont un petit peu plus limitées qu'auparavant, mais les voici : l'Autorité palestinienne de la santé pour la Cisjordanie ; le Croissant Rouge ; l'Office des Nations Unies pour les affaires humanitaires (OCHA) ; WAFA.

Tiré de Agence médias Palestine.

Toujours en raison des circonstances actuelles, nous peinons à recevoir en temps réel les actualités à Gaza, nous actualiserons donc cet article au fil des informations que nous recevrons de nos correspondant-e-s sur place.

Général

– Au cours des dernières 24 heures, 43 personnes ont été tuées et 115 blessées ;

– Depuis le 18 mars 2025 – 896 personnes tuées et 1 984 blessées ;

– Depuis le 7 octobre 2023 – 50 251 personnes tuées et 114 025 blessées.

‣ Cela fait 6 jours et le sort des ambulanciers et des pompiers qui sont allés dans le camp de réfugiés assiégé de https://maps.app.goo.gl/vsD5xjtiv8hvdVsx7
est toujours inconnu. Le corps du commandant de la délégation a été retrouvé la nuit dernière, ainsi que 5 ambulances détruites et enfouies dans le sable. L'armée ne permet pas la poursuite des recherches et empêche les informations de ses chercheurs.

‣ 16 800 camions d'aide humanitaire et 1 400 camions-citernes de carburant n'ont pas pu entrer dans la bande de Gaza depuis le début du mois de mars.

Bande nord

1. Beit Lahia :

‣ Bombardements nocturnes ;

‣ Destruction de maisons dans la zone d'Al Nassar, au nord ;

‣ Bombardements aériens depuis l'est ;

‣ Bombardements aériens, une personne tuée.

2. Camp de réfugiés de Jabalia – Bombardement d'une tente de personnes déplacées dans le camp, 3 personnes tuées, dont un enfant.

Ville de Gaza

1. Al Zeitoun – Bombardement nocturne d'une maison familiale. 14 personnes tuées, 10 blessées, dont de nombreux enfants.

Bande centrale

1. Camp de réfugiés de Nuseirat – Tirs d'artillerie dans la partie nord-est du camp.

2. Camp de réfugiés d'Al Bureij : tirs de mitrailleuses dans la partie nord-est du camp.

District de Khan Yunis

1. Bani Suheila : bombardement aérien nocturne, 2 personnes blessées dont un enfant.

2. Abasan Al Kabira : tirs d'artillerie de nuit et de jour.

3. Al Mawasi : bombardement aérien, personnes blessées.

4. Centre-ville : un véhicule est touché par des bombes larguées par un drone, 2 personnes tuées.

Quartier de Rafah

1. Al Janina :

– Bombardement aérien de nuit, 2 personnes tuées ;

– Tirs de mitrailleuses.

2. Camp de réfugiés de Tel Al-Sultan – maisons démolies.

3. Al Mawasi :

– Tirs d'artillerie et de mitrailleuses ;

– Bombardement aérien.

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Point sur la situation en Cisjordanie occupée le 28 mars 2025

Nos sources : ces informations sont collectées et compilées par une militante anticolonialiste israélienne, et reprises en Israël par des sites contre l'occupation et par des (…)

Nos sources : ces informations sont collectées et compilées par une militante anticolonialiste israélienne, et reprises en Israël par des sites contre l'occupation et par des médias palestiniens. En raison des circonstances actuelles, les sources pour ce rapport sont un petit peu plus limitées qu'auparavant, mais les voici : l'Autorité palestinienne de la santé pour la Cisjordanie ; le Croissant Rouge ; l'Office des Nations Unies pour les affaires humanitaires (OCHA) ; WAFA.

Tiré d'Agence médias Palestine.

Toujours en raison des circonstances actuelles, nous peinons à recevoir en temps réel les actualités village par village en Cisjordanie, nous actualiserons donc cet article au fil des informations que nous recevrons de nos correspondant-e-s sur place.

Raids et arrestations

Au cours de la nuit, les forces israéliennes ont effectué des raids dans le camp de réfugiés et la ville de Jénine (67e jour consécutif), le camp de réfugiés et la ville de Tulkarem (61e jour consécutif), lle camp de réfugiés de Nur Shams (48e jour consécutif), Hébron, Ni'lin, Al-Mughayyir, Anza, Meithalun, Zawiya, Naplouse, Yatta, Qalqilya, Beit Ula, Al-Yamun, Deir Sammit. Au cours de la journée, ils ont attaqué Beita, Jinba, Aqabah, Rummanah, Rujeib, Beit Ummar, le camp de réfugiés d'Al-Arroub, le camp de réfugiés d'al-Am'ari, le camp de réfugiés d'Al Fawwar, Salem. Au moins 12 Palestiniens ont été arrêtés, dont 3 mineurs.

Jinba

– 22 personnes ont été arrêtées à Jinba, dont 17 ont été relâchées par la suite.

Attaques de l'armée contre les Palestiniens

1. Meithalun, au sud-est de Jénine – une force spéciale a fait une descente dans une maison pendant la nuit. Ils ont tiré et blessé l'un de ses habitants. L'accès à l'ambulance a été refusé et la personne blessée a été arrêtée.

2. Beita, au sud de Naplouse – des gaz lacrymogènes sont tirés pendant la manifestation hebdomadaire. Des affrontements ont lieu par la suite. Une personne est blessée par balle.

3. Rummanah, au sud de Jénine – raid et affrontements.

4. Beit Ummar, au nord de Hébron – affrontements. Deux personnes sont blessées par balle.

5. Camp de réfugiés d'Al-Arroub, au nord de Hébron – raid et affrontements.

Démolitions

1. Tulkarem – destruction de serres dans la partie ouest de la ville, près du mur de séparation.

Attaques de colons contre des Palestiniens

1. Qusra, au sud-est de Naplouse – des colons soutenus par l'armée attaquent la région de la source.

2. Jinba, Masafer Yatta – un événement en cours s'est poursuivi le 29 mars, mais tous les événements sont rapportés ici :

Des colons attaquent un berger et son fils et les blessent, et tentent également de voler des moutons.

L'un des colons affirme avoir été attaqué, puis 13 colons attaquent 6 villageois à coups de gourdin. Ils blessent 5 des villageois, dont un mineur grièvement blessé.

À midi, des soldats arrivent, font sortir tous les hommes de la communauté et en arrêtent 22 sur la base de la plainte du colon. 17 sont libérés plus tard. Le 29 mars à l'aube, plus de 100 soldats et colons armés de marteaux font une descente dans le village et vandalisent les biens, y compris la nourriture. Après 5 heures de dévastation et de destruction, les forces et les colons battent en retraite.

3. Farsiyeh, vallée du Jourdain, nord de la Palestine – des colons attaquent des moutons et en tuent plusieurs ainsi qu'un chien de berger.

4. Khirbet Tana, à l'est de Naplouse – des colons attaquent des personnes en train de prier dans une salle de prière, l'armée tire des gaz lacrymogènes.

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Nétanyahou bénit le soutien à Israël des fascistes européens

Stade ultime de l'instrumentalisation de la lutte contre l'antisémitisme, la conférence de Jérusalem, réunie le 27 mars 2025, a scellé le pacte entre Israël et l'extrême droite (…)

Stade ultime de l'instrumentalisation de la lutte contre l'antisémitisme, la conférence de Jérusalem, réunie le 27 mars 2025, a scellé le pacte entre Israël et l'extrême droite européenne et américaine. Elle a également offert au président du Rassemblement national, Jordan Bardella, l'occasion de s'affirmer sur la scène internationale. Reportage.

Tiré d'Orient XXI.

Une angoisse particulière, une boule au ventre qui ne vous quitte pas d'être présente à Jérusalem, dans la gueule du loup, pour cette conférence de « lutte contre l'antisémitisme », en compagnie de l'extrême droite occidentale. Tout autour, des hommes et des femmes se revendiquant de la « civilisation judéo-chrétienne », bien propres sur eux avec leurs costumes griffés, leurs tailleurs de marque et leurs talons aiguilles, venu·e·s boire du petit lait en écoutant quatre heures de discours racistes. Ils et elles applaudissent à tout rompre des suprémacistes qui vous désignent comme leur ennemi juré. Que le regard de l'un·e d'eux s'attarde sur vous et des scénarios peu joyeux ne manquent pas de vous traverser l'esprit. Le tout dans une ville où la présence d'Israéliens armés, civils comme militaires, est permanente.

Bouquet final : le discours de clôture de Benyamin Nétanyahou. Impossible de se trouver à quelques dizaines de mètres de cet homme, poursuivi pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité par la CPI, sans penser aux milliers d'enfants tués à Gaza, aux morts qui sont encore sous les décombres, sans sépulture, à la destruction quotidienne que l'homme fort de Tel-Aviv continue à opérer en toute impunité, en se réjouissant de « changer la face du Proche-Orient ».

Le silence de la presse

Mais pour un déplacement que Jordan Bardella qualifie d'« historique », l'événement organisé sous l'égide du ministère de la diaspora les 26 et 27 mars 2025 à Jérusalem n'émeut pas grand monde en Israël. Il passe même presque inaperçu, si l'on excepte les articles publiés depuis quelques semaines par Haaretz, comme des cris poussés en plein désert. Le quotidien de gauche a d'ailleurs été qualifié durant la conférence de « journal antisémite », sous les applaudissements de la salle.

Les Israéliens ont fort à faire déjà, inquiets de la reprise de la guerre à Gaza — exclusivement à cause du risque qu'elle fait peser sur le retour des prisonniers israéliens vivants. Ils se préoccupent des dérives de leur système politique — démocratique exclusivement pour les Juifs — qui risque de se transformer en une autocratie, entre le limogeage par Benyamin Nétanyahou de Ronen Bar, le chef du Shin Bet, contre l'avis de la Cour suprême, ou le bras de fer avec la procureure générale Gali Baharav-Miara. Quant au sort subi par les Palestiniens, qu'il s'agisse de la poursuite du génocide à Gaza ou du nettoyage ethnique en Cisjordanie, il n'intéresse pas les braves manifestants de Jérusalem ou de Tel-Aviv, qui continuent à hurler en rentrant de leurs rassemblements : « De-mo-kra-tia ! »

Après une première journée consacrée pour les hôtes d'honneur à la visite de « l'enveloppe de Gaza » (les kibboutz autour de l'enclave qui ont été attaqués le 7 octobre 2023) et à celle de Yad Vashem, le mémorial pour les victimes de la Shoah, la partie publique de l'événement se tient durant l'après-midi du jeudi 27 mars. Elle est modestement sous-titrée « Ambassadors of Truth » (Ambassadeurs de la Vérité). Sans doute au sens orwellien du terme.

Sur les hauteurs de Jérusalem-Ouest, au Centre des conventions internationales, la bonne humeur qu'affiche une majeure partie de l'assistance jure avec le dispositif sécuritaire suspicieux. On demande aux étrangers comment ils ont entendu parler de la conférence, on vérifie si les journalistes ne sont pas des militants sous couverture. Un certain nombre de confrères français sont présents, envoyés par leurs rédactions… sauf CNews, qui aurait eu le privilège d'être « invitée » par les organisateurs. Le soir même, Jordan Bardella y intervient en direct depuis Jérusalem. Le journal L'Humanité a, lui, vu son journaliste se faire retirer son accréditation. La liberté de la presse est une valeur sûre dans la « seule démocratie du Proche-Orient ».

Parmi les quelques centaines de personnes présentes, l'on note également la présence en force de représentants de DiploAct, une ONG israélienne présente en France depuis 2022 et composée d'étudiants israéliens francophones réservistes de l'armée. Ses membres sont déjà intervenus sur Radio J et I24 news. Du côté de l'Amérique du Nord, deux poids lourds : la Conservative Political Action Conference (CPAC), dont la réunion annuelle accueille régulièrement des représentants de l'extrême droite européenne, et l'homme d'affaires israélo-canadien Sylvan Adams, qui vient de faire un don de 100 millions de dollars (92,4 millions d'euros) à l'Université David Ben Gourion du Néguev, à Beersheba. L'éloge de la répression des voix critiques d'Israël sur les campus étatsuniens est d'ailleurs un leitmotiv de la soirée, repris par tous les intervenants nord-américains. Mais avant d'en arriver là, des discussions surréalistes nous plongent dans l'ambiance. Par exemple, cet Israélien qui demande à une Étatsunienne : « Vous êtes juive ? » Et elle de répondre : « Oui, ça ne se voit pas ? »

La consécration d'une stratégie

Cet événement ne marque pas tant un tournant dans la politique israélienne que la consécration d'une tendance à l'œuvre depuis quelques années. S'il est vrai que c'est la première fois que les mouvements d'extrême droite sont officiellement invités par Tel-Aviv, les liens entre le gouvernement de Nétanyahou et ces partis se sont renforcés au cours des dernières années. Le soutien à Israël fait partie du cahier des charges de la nouvelle internationale fasciste, ceux que l'on appelle « les antisémites sionistes ». L'occasion de consacrer une normalisation déjà à l'œuvre pour ces partis dans le paysage politique local. Tel-Aviv se montre prévoyant en renforçant les liens avec la classe politique montante, qu'il s'agisse du Rassemblement national qui atteint un score historique en France avec les législatives de 2024, ou des Démocrates de Suède, deuxième parti du pays depuis 2022. L'organisation de cette conférence par Israël est un coup de pouce certain pour ces formations politiques dans leur conquête du pouvoir, alors que la question de leur antisémitisme pouvait rebuter un électorat « modéré ».

Rien que sur l'année écoulée, le leader du parti d'extrême droite espagnol Vox, Santiago Abascal, a rencontré Benyamin Nétanyahou à Jérusalem en mai 2024. Le Premier ministre hongrois Victor Orbán, soutien notoire de Tel-Aviv, a invité son homologue israélien en novembre 2024 à Budapest — il s'y rendra ce mercredi 2 avril, en réaction au mandat d'arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI). Une « clarté morale » saluée par ce dernier. Amichai Chikli, le ministre de la diaspora aux commandes de l'événement de Jérusalem, s'était déjà affiché aux côtés de Jordan Bardella en février 2025, lors de la CPAC. Dès sa nomination en janvier 2023, Chikli avait d'ailleurs ajouté « la lutte contre l'antisémitisme » à l'intitulé de son ministère. Le député européen du Rassemblement national (RN) animé par la foi des convertis, ne croyait pas encore, il y a quelques mois, à l'antisémitisme de Jean-Marie Le Pen (1). De manière plus générale, la European Coalition for Israel, un groupe de lobbying pro-israélien fondé en 2004, rappelle que pour la précédente législature du Parlement européen (2019 – 2024), les 20 partis dont les votes ont été les plus favorables à Israël appartiennent tous à l'extrême droite et aux eurosceptiques (2).

Les voici donc, ces leaders de l'extrême droite, se précipitant à Jérusalem pour faire mentir ce qui historiquement n'a pas toujours relevé de l'oxymore. Des antisémites ont soutenu la création du foyer national juif en Palestine, y voyant l'occasion de se débarrasser des juifs européens. Theodor Herzl lui-même, théoricien de l'idée d'un État national pour les juifs, voyait en eux des alliés objectifs du sionisme.

Bardella en guest star

Côté français, les premiers contacts connus de l'extrême droite institutionnelle avec Israël remontent à 2011, lorsque l'actuel maire de Perpignan, Louis Alliot, avait visité deux colonies en Cisjordanie. À l'époque, les autorités israéliennes avaient refusé de le recevoir. L'ex-compagnon de Marine Le Pen sera ensuite l'artisan du rapprochement entre le RN et Serge Klarsfeld, dont le fils, Arno Klarsfeld, intervient également dans cette conférence, aux côtés du « député du Likoud » — comme on le surnommait à l'Assemblée nationale — Meyer Habib. D'autres figures du RN sont présentes dans le public, à l'instar de Victor Chabert, conseiller presse de Bardella et de Marine Le Pen, ainsi que Thibaut François, secrétaire général de la délégation du parti au Parlement européen. Quant à Marion Maréchal, elle a été reléguée dans une salle annexe, intervenant devant une trentaine de personnes sur les Frères musulmans. Serait-ce parce que, contrairement au président du RN, elle n'a jamais désavoué — même timidement — son grand-père ?

Pour cette demi-journée d'interventions, Jordan Bardella fait clairement figure d'invité d'honneur, ayant le privilège de prononcer un discours — en français, traduit en anglais —, là où Klarsfeld et Habib participent à des tables rondes. Arno Klarsfeld ouvre le bal des hommages, consacrant une grande partie de son temps de parole à l'éloge du RN, dont il qualifie l'invitation à cette conférence d'« initiative très sage ». « Aujourd'hui, le Rassemblement national, qui n'est plus l'extrême droite, est un parti qui favorise les juifs ». De là à parler d'un lobby juif, il n'y a qu'un pas à franchir. Il poursuit : « Aujourd'hui, c'est l'extrême gauche qui est devenue l'extrême droite. » La guerre c'est la paix, la liberté c'est l'esclavage, l'ignorance c'est la force (3).

Klarsfeld mobilise son histoire familiale — ses parents chasseurs de nazis, son cousin enrôlé dans l'armée israélienne et tué le 9 octobre 2023 dans le kibboutz de Kfar Aza, lors de combats avec le Hamas — pour donner un vernis de légitimité à sa rengaine : le danger de l'extrême gauche et de l'islam radical. Même son de cloche chez Meyer Habib qui, tout en soulignant ne pas être du même bord politique que Bardella, déclare depuis la tribune : « Ce qu'il a dit était très fort. Merci. » L'ancien député apparenté Les Républicains exprime également son effarement d'entendre des manifestants en France répéter le slogan « From the River to the Sea » (« De la mer au Jourdain »), appelant à la décolonisation de toute la Palestine historique, toujours interprété par les soutiens d'Israël comme un appel à « jeter les Juifs à la mer », et qui est par contre inscrit dans la charte du Likoud. Enfin, Sylvan Adams interpelle directement le leader du RN en français dans le texte : « M. Jordan Bardella, bienvenue et merci d'être venu à Jérusalem. » Le milliardaire assume un raisonnement simpliste : « Si, avec Marine Le Pen, vous défendez nos droits et notre liberté, alors je suis avec vous. »

Le principal intéressé a, pour sa part, repris les éléments de langage répétés à l'envi en France, sur « l'antisémitisme d'atmosphère » (4), « l'islamisme qui est le totalitarisme du XXIe siècle », ou encore l'enseignement impossible de l'histoire de la Shoah dans « certains territoires » de France. Il a rappelé son attachement à la définition que donne l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste (IHRA) de l'antisémitisme — c'est-à-dire, celle consistant à faire l'amalgame avec l'antisionisme, et n'a pas manqué de marquer ses distances avec « les groupuscules d'extrême droite » antisémites, élément clé de l'opération dite de « dédiabolisation » du RN ces dernières années. À la fin de son discours, une partie de la salle, séduite, se lève pour applaudir.

Car le public de la conférence est attentif et enthousiaste, généreux en standing ovation. Il est également un réservoir de groupies pour le gouvernement israélien, comme celles qui hurlent « We love you Bibi ! » à l'adresse de Benyamin Nétanyaou, venu spécialement pour cet événement inauguré par deux de ses ministres : celui de la diaspora et celui des affaires étrangères, Gideon Sa'ar.

Un « certificat casher »

Si l'extrême droite mondiale vient montrer patte blanche sur l'antisémitisme, c'est parce que sa haine — officielle — se porte aujourd'hui sur trois nouvelles cibles : les critiques d'Israël — dont la gauche radicale —, les musulman·e·s — et il n'est pas rare d'entendre parmi l'assistance des voix assumer l'équivalence entre islam et islamisme — et les immigré·e·s, y compris ceux « de deuxième et troisième génération en Europe », qui seraient « encore plus radicaux » que les primo-arrivants. Autant d'ennemis partagés avec Tel-Aviv. La seule question qui se pose pour ces autoproclamés ennemis de l'antisémitisme est le positionnement par rapport à Israël et à son gouvernement. Pour le reste, un « certificat casher » (5) sera toujours émis pour absoudre les errements réellement antisémites et autres racines nazies des nouveaux alliés face au « nouvel antisémitisme ». Preuve en est que la présence d'antisémites avérés sur les listes du RN aux législatives de 2024 ne disqualifie pas pour autant Jordan Bardella.

Si des Israéliens ont été choqués par l'organisation de cet événement, ils représentent une infime minorité. L'écrasante majorité de la population est déjà favorable à l'interdiction de l'entrée de l'aide humanitaire à Gaza — à l'image de la Cour suprême qui vient de rejeter à l'unanimité la requête d'un renouvellement de cette aide —, ou approuve le plan de nettoyage ethnique proposé par le président étatsunien Donald Trump. Cette majorité s'accommode également très bien de vivre au quotidien dans un territoire de plus en plus militarisé. Gageons qu'elle souscrit volontiers, sinon à l'identité des acteurs invités à cette conférence, du moins à celle des ennemis communs que ces derniers partagent avec Israël : les antisionistes, les musulman·e·s et les immigré·e·s. À Jérusalem, comme dans une partie du monde occidental, la haine est officiellement devenue un programme politique.

Notes

1- « Pour Bardella, Jean-Marie Le Pen “n'était pas antisémite” », Le Figaro, 5 novembre 2023.

2- Gilles Paris, « Les nouveaux habits pro-israéliens de l'extrême droite européenne », Le Monde, 31 mai 2024.

3- George Orwell, 1984.

4- Le nom de Florence Bergeaud-Blackler, à qui l'on doit l'expression « frérisme d'atmosphère », a été mentionné comme référence scientifique durant cette conférence.

5- L'expression revient souvent dans la bouche d'Ariel Muzicant, président du Congrès juif européen, ou du député des Démocrates Gilad Kariv, tous deux opposés à l'invitation de l'extrême droite en Israël.

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États-Unis : Quelle est la distance qui nous sépare du fascisme ?

1er avril, par Dan La Botz — , ,
La question largement débattue aujourd'hui en Amérique parmi la moitié du pays qui a voté pour les démocrates ou qui se considère comme progressiste, et parmi celles et ceux (…)

La question largement débattue aujourd'hui en Amérique parmi la moitié du pays qui a voté pour les démocrates ou qui se considère comme progressiste, et parmi celles et ceux qui se situent à l'extrême gauche, est la suivante : « Donald Trump a-t-il créé un régime autoritaire en l'espace de quelques mois ? Et à quel point sommes-nous proches du fascisme ? »

Hebdo L'Anticapitaliste - 747 (27/03/2025)

Par Dan La Botz

Tous les journaux télévisés et radiophoniques, toute la presse écrite traditionnelle et les médias sociaux débattent de cette question. Les preuves s'accumulent pour répondre à la question : Trump a instauré un régime autoritaire et nous nous dirigeons vers le fascisme. Qu'est-ce qui vient étayer l'idée que la démocratie traditionnelle et la séparation des trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) sont en péril grave ?

Vers une dictature techno-politique ?

Trump et les Républicains contrôlent la présidence et les deux chambres du Congrès et le président a nommé une grande partie de la Cour suprême de droite qui a donné au président l'immunité contre les poursuites pour les actes officiels commis pendant qu'il était en fonction. Le Congrès a de fait cédé son pouvoir. Aucun des Républicains du Congrès susceptibles d'être en désaccord avec Trump n'a voulu lui tenir tête, de peur qu'il ne détruise leur carrière politique. Le Parti démocrate national, dont la direction est divisée, n'a élaboré aucun plan de résistance au Congrès ou devant les tribunaux.

Trump a créé le Department of Government Efficiency (DOGE), qui n'est pas un véritable service gouvernemental, et a nommé le milliardaire Elon Musk à sa tête. Musk a fermé des agences créées par le Congrès, mis fin à des programmes gouvernementaux de protection sociale et licencié des dizaines de milliers d'employéEs fédéraux. Trump et Musk affirment qu'ils éliminent la fraude, le gaspillage et les abus, bien qu'ils n'aient jusqu'à présent présenté aucune preuve à l'appui de cette affirmation. Certes, le peuple américain a élu Trump et donné aux Républicains une majorité au Congrès, mais le travail de Musk est clairement un coup d'État, une prise de contrôle inconstitutionnelle et illégale du gouvernement.

Trump s'arroge également le droit d'annuler des dépenses votées par le Congrès, ce qui constitue une violation de la Constitution, qui stipule qu'il doit exécuter fidèlement la loi.

Trump défie la justice

À ce jour, 132 actions en justice ont été intentées contre l'administration Trump pour ses actions illégales, et dans plusieurs d'entre elles, les tribunaux ont émis des injonctions arrêtant temporairement Trump et Musk et les obligeant même à rouvrir des agences ou à réembaucher des travailleurs licenciés. Trump a demandé — et c'est inédit — la destitution de ceux qu'il appelle les « juges fédéraux voyous », c'est-à-dire les juges qui prennent des mesures qui le bloquent. Le président de la Cour suprême, John Roberts, a réprimandé Trump en déclarant que la destitution n'était pas une réponse appropriée à un différend concernant une décision judiciaire. Dans certains de ces cas, Trump et son équipe semblent être sur le point de résister aux ordres des tribunaux, ce qui engendrerait une crise constitutionnelle et marquerait clairement la fin des normes gouvernementales démocratiques.

Il musèle les libertés

Dans le même temps, Trump, Musk et les législateurs républicains, ainsi que les influenceurs des médias de droite, appellent à la destitution des juges fédéraux et publient en ligne des informations personnelles les concernant, telles que leur adresse personnelle. Des juges et leurs familles ont reçu des menaces de mort et beaucoup vivent désormais dans la peur.

Trump s'en prend également aux universités, menaçant d'expulsion les étudiantEs activistEs néEs à l'étranger, comme Mahmoud Khalil, étudiant à Columbia, supprimant ainsi la liberté académique et la liberté d'expression.

Il veut aussi faire taire les médias. Dans un discours prononcé au ministère de la Justice, il a déclaré : « Je pense que CNN et MSNBC, qui écrivent littéralement 97,6 % de mauvaises choses à mon sujet, sont des bras politiques du parti démocrate et, à mon avis, ils sont vraiment corrompus et illégaux. Ce qu'ils font est illégal ». Trump a fermé le média international du gouvernement, Voice of America, et a également interdit à l'Associated Press (AP) d'assister aux conférences de presse, parce qu'elle a refusé de changer le nom du Golfe du Mexique en Golfe de l'Amérique. Nous vivons désormais dans un régime autoritaire, et le fascisme semble se profiler à l'horizon.

Dan La Botz, traduction Henri Wilno

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Les investissements de l’université de Yale dans des entreprises vendant des armes à Israël violent la loi de l’État du Connecticut (É.-U), selon une plainte officielle.

1er avril, par Akela Lacy — , ,
Une plainte déposée auprès du procureur général du Connecticut indique que la fondation de Yale viole également ses propres politiques d'éthique en matière d'investissement. (…)

Une plainte déposée auprès du procureur général du Connecticut indique que la fondation de Yale viole également ses propres politiques d'éthique en matière d'investissement.

Par Akela Lacy, The Intercept, New York, 26 mars 2025, 10h38
https://theintercept.com/2025/03/26/yale-endowment-israel-weapons-divest/
➜ ➜ Traduction partielle avec Google+a.c.
Photo : Joe Buglewicz/Bloomberg via Getty Images
Une affiche appelant au désinvestissement sur un panneau près de l'Université Yale de New Haven, dans le Connecticut, le 23 avril 2024.

Les investissements de l'université Yale dans des fabricants d'armes weapons manufacturers violent la loi de l'État du Connecticut, affirment les organisateurs de l'université dans une plainte déposée mercredi auprès du procureur général du Connecticut, William Tong.

La plainte demande au procureur général d'enquêter sur le refus refusal de Yale de répondre aux appels des manifestants du campus campus protesters' calls à se désinvestir des fabricants et fournisseurs d'armes militaires, dans le contexte de la guerre israélienne contre Gaza.

« Des investissements financièrement prudents peuvent être inéligibles s'ils sont profondément incompatibles avec la mission et les objectifs de l'université », indique la plainte, citant la loi de l'État et les politiques d'investissement de l'université.

Des universités à travers le pays font l'objet de poursuites judiciaires lawsuits et de plaintes fédérales concernant leur gestion des manifestations contre la guerre. Il s'agit de la première plainte demandant une enquête d'État sur une université pour son refus de se désinvestir de l'industrie militaire liée à la guerre, selon les organisateurs.

Les organisateurs allèguent que les administrateurs de Yale ont manqué à leurs obligations fiduciaires en maintenant des investissements qui exposent le fonds de dotation de l'université à des profits provenant de fabricants et fournisseurs d'armes militaires contribuant aux crimes de guerre commis par Israël.

Bien que Yale Corporation, qui gère le fonds de dotation de l'université, ne divulgue pas la grande majorité de son fonds de dotation de 40,7 milliards de dollars, les organisateurs affirment qu'au moins 4 milliards de dollars sont liés à des fabricants et fournisseurs d'armes militaires. Les rares documents publics déposés auprès de la Securities and Exchange Commission (SEC) – 99,7 % du fonds de dotation de Yale n'étant pas rendus publics – montrent que l'université a investi plus de 110 000 dollars $110,000 dans des fabricants et fournisseurs d'armes militaires de l'armée israélienne, a rapporté le Yale Daily News l'année dernière. (...)

Les investissements comprennent de l'argent dans des fonds qui détiennent des actions de sociétés d'armement comme Raytheon,Boeing et Lockheed Martin.

La plainte allègue que ces investissements violent à la fois les obligations fiduciaires des investisseurs institutionnels décrites dans la loi de l'État et les propres politiques d'investissement de l'université, qui appellent au désinvestissement des entreprises qui « violent ou entravent l'application » du droit national et international. (Yale n'a pas immédiatement répondu à une demande de commentaire.)

Presque tous les États ont une loiexigeant que les institutions qui gèrent de l'argent pour des organisations à but non lucratif exonérées d'impôt doivent tenir compte de l'objectif de ces organisations caritatives dans leur décision d'investissement, ce qui signifie que l'esprit de ces choix doit être conforme à la compréhension générale de l'Internal Revenue Service selon laquelle la charitéfournit une aide aux personnes dans le besoin ou soutient le public. travail éducatif ou religieux.

La loi n'interdit pas explicitement les investissements dans une industrie spécifique comme la défense ou la fabrication d'armes, a déclaré l'avocat Ellis Carter.

« Les seules exceptions seraient si une restriction imposée par le donateur limite expressément certains investissements à l'égard d'un don particulier ou si l'université a adopté une politique interne intégrant des considérations éthiques, environnementales ou sociales dans sa stratégie d'investissement », a déclaré Carter.

Les directives d'investissement de Yale sont décrites dans « The Ethical Investor », un livre de 1972 écrit par un ancien professeur de la faculté de droit de Yale que le comité consultatif de dotation de l'université utilise pour guider son travail. L'Université de Yale a déjà interprété ses propres directivesd'investissement comme exigeant le désinvestissement des entreprises aidant au génocide ; violation du droit national, international et humanitaire ; ou de priver les élèves et les enseignants d'un environnement éducatif sûr, ont fait valoir les organisateurs. En 2021, Yale Corporation s'est désinvestie de deux grandes sociétés carcérales privées, CoreCivic et GEO Group.

« Les entreprises d'armement militaire développent, fabriquent et vendent des produits utilisés pour commettre des crimes de guerre et des violations du droit international, y compris la destruction d'écoles, d'universités, de professeurs, d'étudiants, de sites de préservation culturelle et de communautés entières palestiniennes », indique la plainte adressée au procureur général. « Étant donné que ces entreprises sont diamétralement opposées à la mission de l'Université, la prise en compte des objectifs caritatifs de Yale par un fiduciaire prudent et raisonnable interdirait à ces entreprises d'investir. »

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« Nous vivons dans une dictature fasciste »

1er avril, par Amy Goodman, Elie Mystal, Juan Gonzalez — , ,
"Ma réponse aux violations des multiples jugements par D. Trump, c'est que le peuple doit prendre les devants parce que les tribunaux ne le feront pas. Ils ne le peuvent pas. (…)

"Ma réponse aux violations des multiples jugements par D. Trump, c'est que le peuple doit prendre les devants parce que les tribunaux ne le feront pas. Ils ne le peuvent pas. Vous voulez que M. Khalil soit libéré ? Il faut aller à Jena et le libérer. C'est en quelque sorte ce qu'il faut (faire)."

Democracy Now, 19 mars 2025
Traduction et organisation du texte, Alexandra Cyr

Amy Goodman : (…) Le juge en chef de la Cour suprême a publié une rare déclaration qui critique le Président Trump et ses alliés.es pour leurs appels à la procédure de destitution contre des juges fédéraux qui ont émis des jugements contre le Président. Le juge en chef Roberts écrit : « Depuis plus de deux siècles il a été établi que la destitution n'est pas la réponse appropriée quand on est pas satisfait d'une réponse judiciaire. La procédure d'appel existe dans ces cas ».

La déclaration du juge en chef Robert est émise après que le Président Trump ait attaqué à plusieurs reprises un juge de district fédéral, le juge James Boasberg qui a ordonné à l'administration de cesser d'employer la loi sur les ennemis étrangers de 1798 pour expulser des immigrants.es. Cette loi n'a été employée que deux fois de toute l'histoire américaine et c'était en temps de guerre. Samedi, l'administration a ignoré le jugement du juge Boasberg de faire revenir aux États-Unis trois vols emportant des immigrants.es expulsés.es vers une prison à sécurité maximale du secteur privé au Salvador.

Dans une publication sur un réseau social, le Président Trump en a appelé de la destitution du juge Boasberg en le décrivant comme « un juge lunatique de la gauche radicale, un fauteur de troubles et un agitateur ». Mais pour vous donner une idée de ce juge, c'est lui qui avait ordonné la publication des courriels de Mme Hilary Clinton (durant la campagne présidentielle de 2016. N.d.t.).

Plusieurs des membres de l'administration Trump ont publiquement menacé de défier les jugements des tribunaux. Voici la déclaration de celui qu'on nomme le tsar des frontières, M. Tom Homan sur Fox News :

Tom Homan : Je suis fier de faire partie de cette administration. Nous n'arrêtons pas. Je n'ai rien à faire de ce que pensent les juges. Je me fiche de ce que pense la gauche. Nous sommes en route.

A.G. : Lundi sur les ondes de CNN, le conseiller à la Maison blanche, M. Stephen Miller, a déclaré que le juge Boasberg n'avait pas l'autorité de juger de (l'application) de la loi sur les ennemis étrangers de 1798. (…) Lundi au cours d'une audience le juge Boasberg a accusé l'administration d'adopter une approche telle que : « Nous n'en avons rien à faire, nous faisons ce que nous voulons ».

Tout cela survient alors que l'administration est face à de plus en plus de poursuites devant les tribunaux. Lundi, un autre juge a bloqué le bannissement des personnes transgenres dans les armées, décrété par le Président Trump. Un autre juge fédéral a statué que le démantèlement de l'USAID exécuté par Elon Musk violait la Constitution de plusieurs façons. Le Président a répondu sur les ondes de Fox News :

Président D. Trump : Nous allons faire appel. Nous sommes face à des juges voyous qui détruisent notre pays.

A.G : Comme les craintes d'une crise constitutionnelle augmentent, nous discuterons de la situation avec Elie Mystal correspondant du secteur justice sur The Nation. Son dernier article est intitulé : Trump is Trying to Create His Own Personal Legal Strike Force ». Il est aussi l'auteur d'un ouvrage qui sera publiédans quelque temps : Bad Law : Ten Popular Laws That Are Ruining America ».

Elie merci d'être de nouveau sur les ondes de Democracy Now ! Que se passe-t-il en ce moment avec ces attaques présidentielles contre les juges ?

Elie Mystal : Nous vivons dans une dictature fasciste. En ce moment c'est notre réalité. C'est ce que nous ressentons. Nous en sommes là. Ce n'est pas une crise constitutionnelle à venir, nous sommes en pleine crise constitutionnelle. (…) Comment pouvons-nous penser que nous sommes en démocratie, comment pouvons-nous nous dire dans une nation de droit si un seul homme, Donald Trump, peut défier les deux autres branches du gouvernement ? C'est ce dans quoi nous sommes. Et c'est ce que le Président a promis de faire et de fait, c'est ce qu'il fait.

Amy, vous avez diffusé le clip où le Président s'exprime, vous avez mentionné la déclaration du juge John Roberts et vous avez correctement pointé du doigt qu'il s'exprime rarement. Arrêtons-nous sur ce qu'il dit. C'est la déclaration la plus faible qu'il pouvait faire. Il tourne autour du pot en laçant ses jolis mots comme : « n'entreprenez pas de procédure de destitution contre les juges fédéraux. C'est mal » Il ne dit rien à propos des violations flagrantes des jugements des tribunaux par le Président Trump. Il ne dit absolument rien à ce sujet.

Encore une fois, (le juge) Roberts n'est pas votre ami. Il ne vient pas nous aider. Je pense qu'il est aussi effrayé par D. Trump que le reste du gouvernement. (…) Je ne connais pas de définition de la dictature fasciste que celle dans laquelle nous nous retrouvons en ce moment.

Juan Gonzalez (D.N.) : Elie, il y a une différence qualitative entre la situation actuelle et les confrontations antérieures entre l'exécutif et les tribunaux. Il faut remonter à 1800, quand il y a eu une fameuse bataille entre le Président Andrew Jackson et la Cour suprême à propos de la relative souveraineté des peuples amérindiens. Et F.D. Roosevelt a aussi eu ses conflits avec la Cour. Mais, comme vous le dites se sont une multitude de juges partout dans le pays qui émettent des jugements contre l'administration Trump. Qu'elle est, selon vous, la différence entre ce qui se passe maintenant et ces batailles historiques ?

E.M. : Donc, en ce moment, l'administration Trump s'exprime directement ; vous venez tout juste de diffuser (la déclaration) de ce dépravé de Stephen Miller qui déclare directement que les juges fédéraux n'ont pas autorité sur cette administration. C'était premièrement. C'est la coupure la plus profonde avec le passé. Ils ne prétendent même pas reconnaitre le pouvoir du système judiciaire fédéral à restreindre ou contrôler cette administration. (…)

Deuxièmement, si vous étudiez ces exemples historiques, pour la plupart il est question de financement militaire. (…) Andrew Jackson dit que les juges ont ainsi jugé pour l'empêcher d'aller de l'avant avec sa politique contre les amérindiens. C'était un génocide. Et Teddy Roosevelt avait expédié la Marine à mi-chemin dans le Pacifique. Il déclare quelque chose qui ressemble à : « Congrès, je suis sûr que vous allez les financer pour qu'ils reviennent n'est-ce pas » ? Il est question d'une branche exécutive exerçant sont large contrôle. Le commandant en chef exerce un large contrôle sur les militaires américains.nes. (…) Ici, il ne s'agit pas d'une situation militaire.

Les fonds de USAID lui ont été attribués par le Congrès. (On lui coupe son financement pour que les fonds reviennent au gouvernement et le juge ordonne que cela cesse). Que dit D. Trump ? « Non je ne le ferai pas, absolument pas ».

Un autre juge ordonne : « Ramenez ces avions et leurs passagers ». Trump déclare : « Non je ne ferai pas ça non plus ». C'est clairement de l'autoritarisme. Clairement, un homme, les caprices d'un seul homme contrôlent le pays. Et comme vous l'avez diffusé, sont tsar des frontières déclare littéralement qu'il ne respectera pas les jugements de cours. Stephen Miller dit cela aussi. D. Trump le dit. C'est ce qui diffère du passé.

Si qui que ce soit pense que c'est équivalent, je veux rappeler que je suis assez vieux pour me souvenir quand la Cour suprême a, inconstitutionnellement à mon avis, rendu l'avortement illégal. Je suis assez vieux pour me rappeler que le Président Biden n'est pas allé au Texas et dire quelque chose comme : « L'avortement pour toutes » ! D'accord ? Non il a respecté le jugement ridicule de la Cour suprême quant au droit des femmes de choisir. Alors, je voudrais seulement faire la comparaison entre la retenue de J. Biden quant aux jugements et ce que nous voyons de la part de l'administration Trump.

J.G. : Je voulais aussi vous demander (votre opinion) à propos de du détournement du Département de la justice en armement même s'il (D. TRump) prétend que c'est ce qu'on a fait antérieurement contre lui. Lors de son discours dans le Great Hall de ce département, il a déclaré : « À titre de chef de l'application de la loi dans notre pays, je vais insister et exiger complète et totale responsabilité pour tout ce qui s'est passé de mal et d'abusif antérieurement ». Il était avec le directeur du FBI, Kash Patel et la ministre de la justice, Mme Pam Bondi, tous deux en service.

E.M. : Oui et encore une fois, c'est D. Trump faisant ce qu'il avait promis de faire. C'est un dictateur agissant comme un dictateur n'est-ce pas ? C'est un homme qui prend personnellement le contrôle de l'appareil d'application de la loi aux États-Unis pour que ses membres attaquent ses ennemis.es politiques. C'est ce qu'il a promis de faire. Je suis surpris que les gens en soient surpris. Que pensiez-vous que cet homme allait faire ? Suivre la loi ? Il a même promis de faire cela. Alors, pourquoi les gens sont-ils surpris qu'il ne le fasse pas maintenant ?

Il est allé au Département de la justice (…), historiquement il est censé y avoir un mur de séparation entre ce Département et le Président des États-Unis. Revenons encore à J. Biden, il n'aurait pas contacté Merrick Garland (ministre de la justice d'alors n.d.t.) pour lui demander s'il faisait quelque chose à propos des personnes qui ont attaqué le Capitole le 6 janvier.

Mais, mettons cela de côté. Le Président Trump est allé au Département de la justice pour déclarer, annoncer, confirmer qu'il a l'intention d'utiliser ce Département pour attaquer ses ennemis.es politiques, spécialement les avocats.es. Il a énuméré plusieurs d'entre eux et elles durant son discours, Jack Smith, Andrew Weissmannn, Norm Eisen spécifiant que cette tâche reviendrait aux avocats.es du Département (…). Ils et elles travaillent pour lui, pas pour le peuple américain. Il a rendu cela très clair. Les avocats.es de ce département vont, à sa demande, poursuivre les avocats.es qu'il croit s'opposer à lui. C'était le clou de son discours au Département de la justice.

Et qu'à fait Mme Bondi ? Qu'à fait M. Patel ? Ils se sont assis là et ont applaudi. Ils ont applaudi comme le flagorneur et la flagorneuse qu'ils sont. Et nous pouvons prendre pour acquis que les demandes illégales faites par le Président de poursuivre des avocats.es qu'il croit s'opposer à lui, seront exécutées.

Durant ce discours, à un moment donné il dit : « Sur CNN et MSDNC, on dit 97,6% de mauvaises choses contre moi ». C'est de l'exact D. Trump normal. Mais politiquement et légalement, il dit que vous pourriez poursuivre le média parce qu'il écrit de mauvaises choses contre vous. Encore une fois, si ça n'est pas de l'autoritarisme, de la dictature, du fascisme je ne comprends pas ce que ces mots veulent dire.

A.G. : Elie, je voulais connaitre votre opinion à propos des jugements de cours que l'administration défie clairement. Il y a le cas des prisonniers transférés dans une prison super maximum au Salvador alors que le juge a directement interdit cette opération en ordonnant : « Ramenez ces avions ». Il y en avait encore un sur le tarmac. Aussi le cas de la docteure Rasha Alawieh, professeure à Brown University spécialiste du rein. Un juge a statué qu'elle ne devait pas être expulsée, elle l'a été quand même. Pouvez-vous nous faire part de votre opinion à propos de ces cas et celui de Mahmoud Khalil qui se qualifie de prisonnier politique comme vous le savez. Il est détenu dans une prison de la police des frontières (ICE), à Jena en Louisiane. Il a protesté contre le soutien américain à Israël dans sa guerre à Gaza. Pouvez-vous nous parler de tout cela ?

E.M. : Amy, après son élection (D.Trump), le 5 novembre dernier, on m'a dit que les tribunaux allaient nous sauver, allaient le modérer, qu'ils seraient notre dernier gardien qui préviendrait une dictature militaire. Et j'ai répondu que ce ne serait pas le cas, parce que les tribunaux ne peuvent (concrètement) faire respecter leurs décisions. C'est l'exécutif qui voit à le faire. Et quand vous avez un exécutif comme celui de D. Trump, prêt à ignorer ces jugements il n'y a rien que les tribunaux puissent faire.

Donc, une partie de ma réponse sera de me retourner vers mes interlocuteurs qui m'ont répété pendant des mois que les tribunaux allaient nous sauver. Qu'est-il advenu jusqu'à maintenant ? Quel est votre plan maintenant ? Quand les tribunaux ont émis des jugements que D. Trump ignore, quel est le plan B ? Parce que le plan A qui disait que les tribunaux allaient nous sauver ne fonctionnera jamais.

Ma réponse aux violations des multiples jugements par D. Trump, c'est que le peuple doit prendre les devants parce que les tribunaux ne le feront pas. Ils ne le peuvent pas. Vous voulez que M. Khalil soit libéré ? Il faut aller à Jena et le libérer. C'est en quelque sorte ce qu'il faut (faire). Ce n'est pas parce qu'un.e juge va l'écrire sur une feuille de papier que ça va arriver. D. Trump va tout simplement l'ignorer. Nous l'avons vu quand ces Vénézuliens ont été expulsés illégalement après qu'un juge eut ordonné que les avions devaient revenir (aux États-Unis). Et aussi avec la docteure, qu'il a aussi expulsée en disant que ça c'était « fait trop vite » pour que les tribunaux aient eu le temps de juger.

Et encore une fois, je vais revenir au juge en chef Roberts, qui n'a rien dit à ce sujet. D'accord ? Et tout cet écran de fumée que représente « Oh ! Je ne destitue pas mes juges » ! Il n'a rien dit à propos du Président Trump qui refuse de faire revenir les avions tel qu'ordonné par un jugement de cour. C'est le genre de fascisme sous lequel nous vivons. C'est comme ça que je me sens mes amis.es.

A.G. : Merci beaucoup E. Mystal d'avoir été avec nous.

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États-Unis – Effondrement constitutionnel

1er avril, par Aziz Rana — , ,
Pour les constitutionnalistes, le retour au pouvoir de Trump a créé un véritable vertige. La violation systématique des procédures légales et des normes constitutionnelles (…)

Pour les constitutionnalistes, le retour au pouvoir de Trump a créé un véritable vertige. La violation systématique des procédures légales et des normes constitutionnelles établies s'est déroulée à un rythme effréné, donnant lieu à plus d'une centaine de procédures judiciaires, un chiffre qui ne cesse d'augmenter.

25 mars 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/03/25/etats-unis-effondrement-constitutionnel/#more-92147

Trump a émis une avalanche de décrets qui violent explicitement les lois du Congrès ainsi que le contenu de la Constitution, sur tous les sujets, du refus de la citoyenneté par le droit du sol à la lutte contre les mesures d'inclusion fondées sur la race, le sexe et l'orientation sexuelle, en passant par la dissolution d'agences gouvernementales établies par la loi. Parallèlement, Elon Musk s'est vanté de vouloir prendre le contrôle du gouvernement fédéral, dans le but de privatiser « tout ce qui peut raisonnablement l'être » en procédant à des licenciements massifs, à la vente d'actifs publics (dont « 443 propriétés fédérales », auxquelles pourraient s'ajouter d'innombrables œuvres d'art appartenant au domaine public) et au démantèlement de services essentiels : le tout en violation des dispositions du Congrès et de la Constitution interdisant aux citoyens non confirmés par le Sénat d'effectuer des tâches dévolues aux hauts fonctionnaires.

Ces éléments ont conduit certains commentateurs à établir des analogies entre ce qui se passe aux États-Unis et la situation de la Russie post-soviétique dans les années 1990. Cette période a connu la privatisation quasi complète de l'État russe et une redistribution massive des richesses entre les mains d'un petit nombre de kleptocrates, à l'abri de toute sanction, à l'exception de celles que leurs rivalités pouvaient les amener à s'imposer mutuellement. Mais il existe peut-être un lien plus profond avec l'histoire de la Russie : le système constitutionnel américain du XXe siècle s'est forgé et a trouvé son sens dans son antagonisme avec l'Union soviétique. Les principes fondamentaux américains, qui allient le concept de l'égalité raciale à un État-providence limité, se sont consolidés au cours de trois décennies décisives, du New Deal des années 1930 à la Seconde Guerre mondiale, en passant par la guerre froide et la révolution des droits civiques des années 1960.

De nos jours, l'Union soviétique a disparu depuis longtemps. Et maintenant, Trump (un milliardaire élu), Musk (un milliardaire non élu et bien plus riche) et une petite coterie de fidèles cherchent à provoquer l'effondrement de ce modèle constitutionnel américain en concurrence avec le leur. Leur action ne permet pas de savoir ce qui est à venir. Mais elle modifie fondamentalement le terrain sur lequel la gauche américaine intervient et nécessitera un mode d'opposition politique que le pays n'a pas connu depuis les années qui ont porté Roosevelt au pouvoir.

*

Pour comprendre ce qui se passe, il est nécessaire de saisir le fondement de l'ordre constitutionnelaméricain. Celui-ci comprend une série de composantes idéologiques et institutionnelles qui correspondent à ce que le sociologue suédois Gunnar Myrdal a qualifié en 1944 de « credo américain », à savoir l'idée que les États-Unis incarnaient la promesse d'une liberté égale pour toutes et tous. À une époque de rivalité planétaire avec l'Union soviétique dans un monde en voie de décolonisation, les élites nationales se sont explicitement ralliées à ce credo constitutionnel. Ses éléments constitutifs consistaient notamment en une compréhension de la Constitution comme étant fondée sur l'élimination progressive des inégalités raciales, sur la base des principes de la lutte contre la discrimination ; une conception antitotalitaire des libertés civiles et des droits à la liberté d'expression ; une défense du capitalisme de marché, partiellement contrebalancée par un État de droit et de protection sociale constitutionnellement établi ; l'acceptation de contrôles et de contrepoids institutionnels, avec les tribunaux fédéraux, en particulier la Cour suprême, en tant qu'arbitre ultime de la loi ; et un attachement à la suprématie mondiale des États-Unis organisée par un pouvoir présidentiel fort.

Tout cela montre clairement que ce n'est pas seulement le progressisme racial qui est attaqué. Les collaborateurs de Trump déchaînent le pouvoir présidentiel de manière à exploiter les tensions internes du système pour faire s'effondrer les dispositions constitutionnelles qui en constituent le fondement. Nous pouvons le constater avec les décisions de Trump de suspendre l'octroi de fonds, de retirer les habilitations de sécurité, d'interdire les discours « pro-diversité » ou d'expulser et peut-être même de traduire en justice des individus pour cause de participation à des manifestations. Bien sûr, l'ordre établi du milieu du XXe siècle a toujours connu des pratiques maccarthystes et n'a pas tenu ses promesses d'intégration, que ce soit par l'internement des Japonais ou les violations des droits pendant la « guerre contre le terrorisme ». Pourtant, après le déclin de la « peur du rouge » des années 1950, le maccarthysme, en tant que projet visant à attiser la peur généralisée, a été considéré par les élites politiques comme fondamentalement « anti-américain » et inconstitutionnel.

Ces pratiques répressives n'ont jamais disparu, mais elles étaient généralement réservées à des groupes défavorisés relativement circonscrits, tels que les radicaux noirs ou les critiques arabes et musulmans de la politique étrangère américaine (en particulier d'origine palestinienne). Ainsi, le soutien de Biden à la répression des manifestations contre la guerre à Gaza s'inscrit dans cette histoire houleuse de la période qui a suivi les années de la « peur du rouge ». En revanche, l'administration Trump, s'appuyant sur les dispositions sécuritaires de l'ère McCarthy et même des années 1790, a commencé à instrumentaliser l'action militante en faveur de la Palestine pour réprimer de manière radicale la liberté d'expression des citoyens non américains. Elle utilise également cette action militante, ainsi que les programmes universitaires et les mesures mises en place par les institutions autour de la diversité, de l'équité et de l'inclusion (DEI), comme prétextes pour porter un coup sans précédent à l'autonomie interne et à la liberté académique des universités. Cette attaque s'inscrit dans le cadre d'une offensive plus large contre la liberté d'organisation du centre et de la gauche américains, qui vise actuellement les cabinets d'avocats proches du Parti démocrate et pourrait bientôt s'étendre aux groupes de la société civile et aux plateformes de collecte de fonds.

Le détournement du pouvoir présidentiel effectué par les représentant.e.s de Trump en vue de démanteler l'appareil administratif de l'État, et peut-être aussi les grandes avancées sociales du milieu du XXe siècle, s'opère de manière similaire. Il pousse à l'instabilité l'équilibre constitutionnel établi entre capitalisme et régulation, pouvoir présidentiel et pouvoir judiciaire, de telle sorte que l'ordre ancien est de plus en plus difficile à maintenir. La pratique constitutionnelle américaine a toujours fait preuve d'un dualisme classique. Le pacte du milieu du siècle était régi à la fois par une Cour suprême à l'autorité impériale et par une présidence à l'autorité tout aussi impériale. Concrètement, l'attachement commun de l'élite à la domination mondiale des États-Unis signifiait que les tribunaux s'en remettaient au président pour les questions de sécurité nationale, ce qui permettait aux présidents de jouir d'un pouvoir de coercition extraordinaire à l'étranger ou aux frontières et d'agir dans le domaine des affaires étrangères comme un législateur quasiment incontrôlé.

Cette forme de déférence était le résultat d'une série de décisions de justice datant de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre froide, dans lesquelles les juges s'abstenaient largement d'exiger des comptes sur les pratiques sécuritaires, telles que les extraditions de communistes ou le déclenchement de la guerre du Vietnam. Cela ne signifiait pas que les tribunaux ne contrôlaient jamais l'action de l'exécutif en matière d'affaires étrangères, mais que ces rares moments de contrôle s'inscrivaient dans un contexte de permissivité générale. Cette attitude de déférence « là-bas » s'est combinée à l'exercice par les tribunaux de contrôles étendus sur des questions considérées comme nationales, au point que le pouvoir judiciaire fédéral a effectivement fait office d'organe décisionnel dont les décisions finales vis-à-vis des autres instances du pouvoir étaient acceptées sans discussion. Cet équilibre a persisté parce que tant les tribunaux que les présidents ont largement accepté cette répartition des compétences entre affaires étrangères et affaires intérieures.

Mais à mesure que le pouvoir judiciaire fédéral américain devenait de plus en plus conservateur, la relation entre la présidence et le pouvoir judiciaire a pris une nouvelle dimension. Dans le domaine domestique, les tribunaux ont commencé à utiliser ce vaste pouvoir décisionnel pour s'attaquer à la réglementation économique, et ce, en élargissant le pouvoir présidentiel à l'intérieur même du pays. Pendant des décennies, des avocats conservateurs ont élaboré des arguments juridiques pour expliquer pourquoi les agences créées par voie législative constituaient une menace pour un « exécutif unitaire », c'est-à-dire le pouvoir intérieur du président de déterminer du fonctionnement de l'exécutif, indépendamment des directives législatives. Les décisions récentes des tribunaux n'ont peut-être pas démantelé les agences existantes. Mais elles ont eu deux effets : elles ont donné aux juges plus de pouvoir sur les procédures et les décisions des agences, sapant ainsi des acquis réglementaires établis de longue date. Et elles ont remis en question la possibilité qu'une législation inspirée du New Deal puisse limiter le pouvoir présidentiel de décision unilatérale en matière de fonction publique. En effet, la jurisprudence conservatrice sapait silencieusement les fondements de l'État administratif du milieu du siècle, donnant aux juges de droite un plus grand pouvoir pour affaiblir les agences et aux futurs présidents de droite un plus grand pouvoir pour faire de même.

Et donc, tout comme dans d'autres domaines, les décrets de Trump – démantelant unilatéralement les institutions fédérales au mépris des lois du Congrès ou des injonctions des tribunaux – exploitent les faiblesses du système constitutionnel. Comme ceux qui entourent Trump ne le savent que trop bien, une fois les agences fermées, le personnel licencié et les bâtiments vendus, il sera extrêmement difficile de reconstituer le cadre administratif antérieur. Ces dernières années avaient peut-être été ponctuées par des agressions judiciaires conservatrices de faible envergure contre les agences fédérales, soutenues par l'application au coup par coup de certaines théories en matière de pouvoir exécutif. Aujourd'hui, Trump et son équipe s'emparent de ces théories et appliquent la force brute d'un président impérial sans limites – que l'on a déjà pu voir à l'œuvre lors d'interventions à l'étranger – au fonctionnement quotidien de la gestion des affaires publiques nationales. C'est l'autoritarisme planétaire qui s'installe chez nous.

*

Comment les États-Unis en sont-ils arrivés là ? Tout d'abord, il est essentiel de comprendre que les institutions juridiques et politiques américaines sont notoirement antidémocratiques. Elles sont organisées autour d'un système étatique qui accorde la représentation sur une base géographique plutôt qu'à des individus, et qui comprend de nombreux mécanismes de veto qui réduisent le caractère décisif du vote. Cette fragmentation est obtenue par le biais du Collège électoral, du Sénat, de la structure et du processus de nomination de la magistrature fédérale, ainsi que de la marge de manœuvre des États pour redécouper les circonscriptions, limiter le droit de vote ou faire obstacle aux programmes nationaux d'intérêt général. Comme nous l'avons vu, ce n'est que dans les circonstances extraordinaires du milieu du XXe siècle que l'État-providence limité et le « libéralisme racial » issus du New Deal ont été intégrés à la Constitution. Cela a nécessité un degré remarquablement élevé d'organisation et de mobilisation des travailleurs dans le contexte de la Grande Dépression. Et plus tard, cela s'est nourri du spectre de l'Union soviétique, de sorte que les élites politiques étaient prêtes à rechercher un compromis entre les partis afin de mettre en œuvre des réformes dans le domaine de la discrimination raciale, considérées par le centre-gauche comme par le centre-droit comme un impératif de sécurité nationale.

Mais à mesure que la guerre froide s'est atténuée et, surtout après l'effondrement de l'Union soviétique, la droite, de plus en plus enhardie, a été moins contrainte de respecter le pacte constitutionnel du milieu du siècle. Celui-ci a toujours suscité l'opposition virulente de l'ethno-nationalisme américain, une force puissante et persistante dans la vie collective, qui n'a pas disparu après les avancées des droits civiques des années 1960. Alors que nous avons tendance à nous concentrer sur la manière dont la guerre froide a entraîné aux États-Unis la répression violente des socialistes et autres militants de gauche, la perception du besoin de faire front commun contre l'Union soviétique a également incité les responsables politiques de droite à endiguer l'extrême droite, notamment en se livrant à une subtile chorégraphie avec le nationalisme blanc américain, à l'aide de « signaux codés » pour signifier leur sympathie tout en s'abstenant de cautionner explicitement certaines prises de position idéologiques.

Cependant, une fois l'URSS disparue, nous avons assisté à l'émergence progressive d'une droite réactionnaire prête à rompre tous les accords économiques et raciaux existants. Stratégiquement, la droite s'est concentrée sur le recours aux outils qui permettent d'exercer un pouvoir minoritaire dans l'ordre constitutionnel existant, avec ou sans majorité électorale. Au fil du temps, les avantages institutionnels de la représentation étatique lui ont permis de s'emparer de la Cour suprême, du Sénat et même de la présidence à deux reprises, malgré la perte de la majorité électorale. Plus fondamentalement, elle a instauré au sein de l'appareil du Parti républicain et de sa base électorale une culture qui considérait la démocratie multiraciale comme une menace quasi existentielle.

Dans le même temps, l'ordre constitutionnel souffrait du poids de ses propres limites idéologiques et institutionnelles. Les deux dernières décennies ont été marquées par une série de crises sociales – dont la plus importante a été l'effondrement financier et ses répercussions en cascade – qui ont mis en évidence la nécessité d'un renouvellement constitutionnel. Pourtant, les politiciens des années 2000 et 2010, qu'il s'agisse de Bush et McCain ou d'Obama, des Clinton et de Biden, étaient tributaires de l'ancien pacte, axé sur le caractère exemplaire des institutions américaines, la foi dans le libéralisme de marché, la valeur morale de l'interventionnisme mondial et la nécessité de réformes raciales mineures. Le problème, bien sûr, était que ces engagements avaient contribué à générer nombre des problèmes endémiques du pays et qu'ils ne pouvaient certainement pas les résoudre maintenant.

Pendant ce temps, la nature sclérosée du système constitutionnel impliquait que même lorsque les Démocrates contrôlaient les leviers du gouvernement, il devenait presque impossible de s'attaquer à ces questions. Sans le soutien populaire de l'époque du New Deal ou l'engagement bipartite en faveur du progressisme racial, pratiquement toute initiative démocratique significative était vouée à l'échec. Même si elle était adoptée par la Chambre des représentants, il fallait, avec le recours à l'obstruction systématique, obtenir soixante voix sur cent au Sénat. Mais le Sénat, en raison de la surreprésentation des zones rurales et des petites agglomérations, penchait déjà massivement en faveur de la minorité républicaine. Pour les démocrates, obtenir soixante voix signifiait donc remporter une supermajorité par-dessus une supermajorité. Les outils qui avaient forgé le pacte constitutionnel de la Déclaration d'indépendance n'étaient plus opérationnels, et l'impasse qui en résultait intensifiait la désaffection politique généralisée.

Il en a résulté un ensemble de circonstances presque idéales pour l'ascension et maintenant le retour de Trump. La préservation d'un ordre constitutionnel rigide issu du XXe siècle, bien après le moment historique qui l'a engendré, a non seulement empêché les réformes nécessaires et attisé la frustration à l'égard des présidents en exercice, mais elle a également permis à Trump d'accéder à la présidence en 2016 sans l'emporter au suffrage universel, puis de restructurer la Cour suprême selon des orientations complètement en décalage avec l'opinion publique. Lorsque Trump a tenté de contester le résultat des élections de 2020, les institutions en place ont rendu extrêmement difficile l'imposition de sanctions à son encontre, que ce soit par une procédure de destitution, des poursuites judiciaires ou son exclusion des futurs scrutins. En réalité, les institutions elles-mêmes n'avaient jamais effectué le travail essentiel de facilitation des réformes ou de prévention des crises de succession ; elles avaient toujours reposé sur un degré élevé de cohésion culturelle de l'élite, que ce soit au début de la République ou à l'époque des droits civiques pendant la guerre froide. Et maintenant, cette cohésion n'existait plus du tout.

Les défaillances de la Cour suprême, que les élites du milieu du siècle avaient conçue pour inculquer des valeurs communes et contenir les conflits, l'illustrent parfaitement. La Cour, presque ouvertement partisane, a joué un rôle crucial dans cette crise, depuis les mesures visant à supprimer la voix des électeurs de droite jusqu'à l'immunité quasi totale accordée à Trump après ses tentatives de faire annuler les élections de 2020. Et avant cela, ce sont ses décisions qui ont ouvert les vannes de l'argent des grands groupes pour le financement des campagnes électorales. Résultat : aujourd'hui, quelqu'un comme Musk peut utiliser sa fortune illimitée pour à lui seul bouleverser les motivations électorales des responsables politiques, en particulier au sein du Parti républicain, puisque les dépenses engagées lors de sa campagne pour les primaires lui permettent de neutraliser à volonté les ennemis qu'il a ciblés.

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Trump est donc bien placé pour tenter de démanteler l'ordre constitutionnel des États-Unis. Contrairement à peut-être toute autre personnalité politique de l'histoire américaine moderne, y compris Roosevelt dans les années 1930, il jouit d'une capacité remarquable à imposer la discipline de parti aux responsables républicains, un pouvoir que le compte en banque de Musk ne fait qu'amplifier. Trump n'est peut-être pas en mesure de garantir l'élection d'un candidat qu'il soutient, mais ses liens avec sa base électorale signifient que les candidats qui n'ont pas sa faveur seront presque certainement écartés. En outre, il semble motivé par des griefs mesquins et un désir personnel de vengeance ; d'où l'importance qu'il accorde à l'amnistie de ses partisans et à la chasse à quiconque aurait précédemment tenté de s'n prendre à lui. Ce faisant, il a fait de la loyauté personnelle une valeur sacrée et a permis à ses partisans les plus zélés d'exercer une influence politique significative. Il en résulte un second mandat dominé par des idéologues d'extrême droite comme Russell Vought du Project 2025, ou Ed Martin, aujourd'hui au ministère de la Justice, qui sont bien moins motivés par des calculs électoraux que le responsable républicain typique.

De même, Musk semble avoir pour priorité l'accroissement de son pouvoir et son enrichissement personnel, et sa démarche est motivée par l'objectif connexe d'éliminer les contraintes que l'État fédéral impose aux entreprises privées. Ses initiatives visant à licencier en masse les fonctionnaires fédéraux sont révélatrices à cet égard. Bien que le New Deal n'ait jamais systématiquement cherché à limiter l'arbitraire de l'employeur dans le secteur privé, il a instauré des protections au niveau fédéral qui ont restreint le pouvoir des employeurs par rapport à ce qui se faisait ailleurs. L'objectif de Musk est de mettre fin à cette contrainte et de subordonner tous les emplois, publics ou privés, aux diktats des employeurs. Bien qu'il s'agisse clairement d'objectifs anciens de la droite, Musk agit également de manière indirectement motivée par des calculs électoraux. Pour Musk, le parti semble surtout être un outil utile pour libérer les entreprises du contrôle démocratique.

Cette conjonction de facteurs a suscité une volonté d'aller bien au-delà des limites qui ont traditionnellement freiné les républicains par le passé. Pourtant, l'administration est confrontée à des vents contraires non négligeables. Pour commencer, malgré l'idée d'un mandat évoquée par Trump, il reste historiquement impopulaire, n'ayant pas réussi à obtenir 50% des voix lors des élections de novembre. Sa victoire a été fondamentalement obtenue par défaut, en raison du rejet du président sortant lors d'un scrutin où la participation a été plus faible qu'en 2020. Et malgré les discours des Républicains selon lesquels Trump tient ses promesses électorales, la vérité est qu'il a nié vouloir mettre en œuvre des éléments clés de cette rupture constitutionnelle lors de sa campagne électorale, déclarant lors du premier débat : « Je n'ai rien à voir avec le Projet 2025 ». Pour de nombreux électeurs, Trump était considéré en 2024 comme un « modéré » et peu attaché à une idéologie particulière, une perception qui a favorisé sa campagne.

S'il dispose sans doute d'une base de soutien puissante, celle-ci reste minoritaire. Ce projet d'extrême droite ne bénéficie d'aucun soutien majoritaire, même de loin. En effet, la vision dérégulatrice de l'ère néolibérale a perdu de plus en plus de terrain au cours de la dernière décennie. Sa mise en œuvre dans une version extrême n'est viable qu'à court terme en raison de la discipline que Trump et Musk peuvent imposer au parti.

Mais l'horloge tourne, à la fois en raison de l'âge de Trump et de la limite de deux mandats (le narcissisme du président fait qu'il ne semble pas s'intéresser à la question de sa succession). De fait, l'une des conséquences probables à moyen terme de l'offensive trumpiste pourrait être le succès des Démocrates aux élections de mi-mandat de 2026 et un retour des Démocrates à la Maison Blanche en 2028, compte tenu de la prédominance du sentiment d'opposition au président sortant. Tant que les élections aux États-Unis restent plus ou moins équitables, il n'y a pas de chemin clairement tracé pour permettre à Trump, Vought, Musk, Martin et d'autres de consolider un nouvel ordre constitutionnel qui remplacerait l'ancien. C'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles les trumpistes s'efforcent de mobiliser la machinerie étatique pour attaquer l'infrastructure institutionnelle du Parti démocrate : ses avocats, sa capacité à mobiliser les électeurs et ses réseaux d'ONG. Outre la punition des opposants à Trump, l'un des objectifs pourrait être de restreindre la force électorale démocrate sur le modèle des mesures de suppression des électeurs prises dans les années 2010 mais dont l'efficacité a finalement été limitée. S'il est trop tôt pour prédire l'issue de cette opération, il est clair que la base trumpiste n'est de loin pas assez importante pour rendre possible la répétition de telles opérations lors d'élections libres.

Cela ne veut toutefois pas dire que les effets potentiels de l'offensive en cours contre l'ordre constitutionnel existant sont à négliger. Si Vought et Musk parviennent à démanteler une grande partie de l'appareil étatique de réglementation et de protection sociale, il sera probablement impossible de le reconstituer sous sa forme antérieure. Compte tenu du contrôle de la Cour suprême par les trumpistes, on peut donc imaginer un résultat contrasté où certaines des mesures de l'administration seront finalement jugées inconstitutionnelles tandis que d'autres seront maintenues. Bien que ce résultat puisse suffire à satisfaire les centristes qui estimeraient alors que l'ordre ancien reste en place, la situation réelle sera néanmoins celle d'une compétence réglementaire considérablement réduite ainsi que d'un démantèlement plus poussé des réformes raciales et des droits fondamentaux des ressortissants étrangers. Élément crucial, alors que les principes fondamentaux de l'égalité raciale et des libertés civiles étaient autrefois inscrits dans un pacte partagé par les plus hautes sphères dirigeantes, ils pourraient désormais bien être remis en question à chaque échéance électorale.

Un tel résultat montre à quel point l'offensive constitutionnelle de Trump est fondamentalement une offensive culturelle dirigée contre les convictions fondamentales forgées au cours du XXe siècle. La politique d'extrême droite aux États-Unis épouse une conception ethnonationaliste ouverte d'essence chrétienne, doublée d'un individualisme forcené et cupide. Faire passer de telles idées pour normales s'inscrit dans une stratégie politique d'ensemble. Ceci est visible dans les vidéos réalisées ou promues par la Maison Blanche, qui se délectent de cruauté envers les immigrants ou transforment le nettoyage ethnique des Palestiniens en une plaisanterie sur les tours Trump à Gaza.

Effectivement, les coups portés à l'État administratif et aux universités s'inscrivent dans cette volonté de refonder la vie en société selon les valeurs de l'extrême droite. Même après une privatisation à grande échelle, l'État trumpiste aurait encore un rôle à jouer, mais en tant que lieu de pouvoir coercitif contre ceux qui sont perçus comme des ennemis et les éléments extérieurs, et en tant que source de subventions frauduleuses pour les kleptocrates de l'intérieur. L'université trumpiste aurait également sa fonction, mais en tant que moteur néolibéral encore plus extrême pour le retour sur investissement, en relation avec la promotion d'une culture de la « civilisation occidentale ».

*

Quelles implications pour la gauche ? Une réponse courante aux agissements de Trump a été de se rassembler autour de la Constitution et même de croire que les tribunaux sauveront le pays. On le voit dans l'idée que, en refusant de se conformer aux décisions de justice, Trump a déclenché une « crise constitutionnelle » ou une « mise à l'épreuve de sa résistance » – ce qui implique que tout pourrait encore revenir à la normale tant que les responsables écoutent les juges. Contre ce raisonnement, nous devons rappeler que c'est le système constitutionnel qui a ouvert la voie à l'ascension, au retour et à l'offensive actuelle de Trump. Compte tenu de la mainmise de la droite sur la magistrature fédérale, tout regain de confiance dans les juges n'est que le reflet du désir des Démocrates de convaincre suffisamment de bons Républicains de revenir à la raison et de désavouer Trump : un plan qui a échoué à plusieurs reprises.

Ce n'est pas en raison d'une confiance de principe dans les juges ou les normes constitutionnelles qu'il faut s'opposer à la violation des décisions de justice par Trump. La paralysie du système constitutionnel, aggravée par un mécanisme d'amendement impossible à mettre en œuvre, a fait que nombre des acquis démocratiques du pays, de la Reconstruction au New Deal, ont eux-mêmes nécessité un certain degré de transgression des règles. Les grands mouvements sociaux du passé, de l'abolition des esclavages aux droits civiques, en passant par le droit du travail et le droit de vote des femmes, ont appelé à défier les décisions de justice injustes qui ont maintenu l'esclavage, la ségrégation et la privation des droits civiques, ou criminalisé la syndicalisation. Compte tenu du contrôle actuel de la droite sur les tribunaux, la gauche pourrait se retrouver dans une situation similaire dans les années à venir, et appeler à la désobéissance civile à l'autorité judiciaire.

La gauche devrait néanmoins soutenir fermement les actions en justice et dénoncer le mépris de Trump pour les tribunaux, mais pour des raisons différentes. Ces actions sont un moyen, bien que limité, de protéger les plus déshérités contre une violence débridée. Et plus généralement, le mépris de Trump témoigne de l'acceptation générale de l'impunité par l'administration, qu'il s'agisse de tentatives de remise en cause du résultat des élections, de corruption massive, de licenciements arbitraires ou de représailles contre des opposant.e.s politiques. Aucun système démocratique, libéral ou socialiste, ne peut fonctionner si une clique puissante peut systématiquement s'exonérer de la loi tout en utilisant les rouages de l'État pour répandre la peur et l'intimidation.

L'exemple du New Deal rappelle également à la gauche américaine la nécessité de construire une base populaire capable d'imposer des changements significatifs dans l'ordre constitutionnel. Même avant l'agression actuelle de Trump, cet ordre avait échoué en tant que mécanisme permettant de résoudre les crises interconnectées de notre époque : économique, écologique, raciale. Toute perspective réelle de changement positif exigera une majorité solide, même si elle est inférieure aux très fortes majorités que nous avons connues dans la première moitié du XXe siècle. C'est une condition préalable essentielle pour que la gauche puisse rompre avec les règles, mais au nom de la démocratie.

*

Il est certainement envisageable que la faiblesse des Démocrates conduise à une nouvelle victoire républicaine lors des prochaines élections. Cependant, si les Démocrates se retrouvent au pouvoir, leur victoire pourrait s'avérer aussi creuse que celle de Trump : une victoire par défaut, remportée par un.e candidat.e parce que non sortant.e. S'ils parviendront peut-être à stopper les pires éléments de l'extrême droite américaine à court terme, en l'absence de véritables transformations au sein du parti lui-même, ils ne feront que reproduire le cycle de la désaffection à l'égard des sortant.e.s.

Malheureusement, rien dans le Parti démocrate actuel ne suggère qu'il comprenne la tâche que cela implique, ou qu'il soit capable de se comporter comme une opposition organisée et coordonnée. La récente défection de Chuck Schumer, le chef de la minorité au Sénat, qui n'a pas soutenu la direction élue du parti dans ses démarches visant à empêcher Trump d'obtenir l'adoption d'un budget, témoigne d'un manque de cohérence et de courage internes. L'appareil et les dirigeant.e s démocrates semblent prendre des décisions en fonction de leurs objectifs électoraux immédiats, sans tenir compte du contexte politique plus large. Alors que Trump et ses partisans agissent comme une avant-garde, la hiérarchie démocrate a été tellement façonnée par les règles de l'ancien pacte constitutionnel qu'elle semble manifestement incapable de s'en écarter.

Il en résulte une possible ouverture pour la gauche américaine. Alors que les démocrates centristes tentent en vain de maintenir l'ancien ordre constitutionnel et que l'extrême droite ne parvient pas à le remplacer par autre chose que la prédation et la xénophobie, le rôle des forces socialistes démocratiques pourrait être de proposer un autre choix crédible. Un telle initiative devra prendre de multiples formes. Elle nécessitera de défendre les personnes particulièrement vulnérables aux attaques de Trump, parmi lesquelles les non-citoyens, les personnes transgenres et les militants des droits des Palestiniens. Les politiciens et les commentateurs centristes ont fait preuve d'une volonté manifeste de mettre de côté tous ces groupes, en partie par pure suspicion idéologique, en partie par pur opportunisme électoral. Mais il est une leçon qu'a apprise depuis longtemps l'opposition politique confrontée à des régimes autoritaires, que ce soit dans le Sud des États-Unis à l'époque de la ségrégation ou ailleurs, et c'est que la volonté de défendre ses principes est un moyen essentiel d'instaurer la confiance et la solidarité entre les mouvements, y compris en période électorale. Cela implique de prendre des risques, même lorsque cela n'est pas dans l'intérêt immédiat du parti. Et l'incapacité de nombreux Démocrates à agir ainsi, c'est ce qui ouvre la voie aux formations de gauche.

Deuxièmement, la gauche doit mettre en place des structures qui puissent jeter les bases de changements transformateurs, tant au niveau de la Constitution que de la société dans son ensemble. Cela implique de protéger et de développer les institutions porteuses de sens – syndicats de travailleurs et de locataires, formations politiques de toutes sortes, lieux de liberté académique et d'autonomisation des travailleurs dans les universités, pour n'en citer que quelques-unes – qui intègrent les valeurs de démocratie et de solidarité dans la vie quotidienne. Prenons l'exemple des partis politiques. Aux États-Unis comme dans d'autres régions du monde, les partis ont longtemps joué le rôle de communautés sociales, proposant toute une gamme de services et de dispositifs et intégrant les individus dans leur environnement social au sens large. Mais aux États-Unis, le parti n'est pas une véritable organisation qui repose sur l'adhésion de ses membres, et encore moins une communauté sociale. Il s'agit exclusivement d'un moyen pour les élites liées à l'appareil officiel de se présenter aux élections et d'exercer des fonctions officielles. Les Américain.e.s interagissent rarement avec le parti, sauf pendant la période électorale, lorsque des sommes considérables sont dépensées au profit des futur.e.s élu.e.s.

Kamala Harris a réussi à récolter plus d'un milliard de dollars malgré sa défaite. Imaginez qu'un parti ait plutôt utilisé ses vastes ressources pour créer des structures au niveau local. Bien sûr, il existe des règles électorales fédérales aux États-Unis visant à limiter l'achat direct de votes, même si ces règles ont grandement facilité la tâche des entreprises et des milliardaires qui ont pu faire exactement la même chose. Mais cela n'empêche pas de réfléchir de manière créative à l'infrastructure communautaire plus large dans laquelle un parti s'inscrit. Les Black Panthers ont sans aucun doute commis de nombreuses erreurs stratégiques, voire éthiques, mais ils se considéraient comme une formation d'opposition ancrée dans la société civile. Parmi leurs réalisations concrètes les plus durables, on peut citer la fourniture de services à certaines des personnes les plus marginalisées du pays (petits-déjeuners pour les enfants, dispensaires, ambulances, vêtements, services de bus, soutien aux prisonniers et centres éducatifs). Il s'agissait de réponses à un besoin social réel, qui s'inscrivait dans une démarche d'intégration des populations locales au cadre organisationnel du parti. Ils cherchaient à créer, selon les termes de l'historien du populisme Lawrence Goodwyn, une « culture du mouvement » en opposition à celle qui prévalait.

C'est une leçon que la gauche pourrait retenir, compte tenu des initiatives parallèles de l'extrême droite en vue d'établir l'hégémonie de sa propre culture d'opposition. Si le succès électoral de Trump est dû en partie à la capacité de l'extrême droite à créer un univers façonné autour de sa personnalité, la gauche doit élaborer un projet qui fasse contrepoids. Son objectif devrait être de transformer le monde tel que les gens le vivent au quotidien à travers la médiation assurée par ses propres institutions : au travail, à l'école, dans leurs quartiers. Elle devrait contester la réalité à ce niveau élémentaire.

Le problème, bien évidemment, est que le terrain politique actuel – façonné par le long processus d'étouffement du travail et par la richesse et le pouvoir de la classe milliardaire – est très hostile. Les militants de gauche, à l'intérieur comme à l'extérieur du Parti démocrate, sont aussi constamment attaqués par leurs adversaires centristes, plus puissants et mieux coordonnés, qu'il s'agisse des manœuvres visant à faire échouer les campagnes présidentielles de Sanders ou de la répression des manifestations sur les campus en faveur de Gaza. La bataille se mène sur un terrain difficile. Mais le fait est que ni le centre ni l'extrême droite ne peuvent offrir une issue à la décadence institutionnelle de l'Amérique. Il fut une époque où, aux États-Unis et ailleurs, un univers culturel de gauche existait, et il n'y a pas d'autre solution que de le reconstruire.

Aziz Rana

Source – Sidecar. NLR. 21 mars 2025 :
https://newleftreview.org/sidecar/posts/constitutional-collapse
Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepLpro.
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74155

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Trump, la science et la création d’ignorance

1er avril, par Joelle Palmieri — , ,
Trump donne du fil à retordre aux scientifiques. C'est dans l'ordre des choses d'un fanatique, dont les alliés, les évangélistes et les propriétaires du numérique, se frottent (…)

Trump donne du fil à retordre aux scientifiques. C'est dans l'ordre des choses d'un fanatique, dont les alliés, les évangélistes et les propriétaires du numérique, se frottent les mains. Leur but : éradiquer tout ce qui leur nuit, consolider une base disciplinée, et pour se faire créer de l'ignorance. La science est bousculée mais ses disciples empruntent-iels les bonnes stratégies ?

26 mars 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/03/26/trump-la-science-et-la-creation-dignorance/

Le nouveau gouvernement Trump s'en prend aux scientifiques. À peine deux mois après son investiture, le président états-unien a licencié des dizaines de milliers de chercheureuses, réduit les subventions allouées à la recherche, arrêté la collecte de données scientifiques et plus précisément celles portant sur l'environnement ou le climat mais aussi sur les discriminations sociales (race, classe, sexe), limité le droit à manifester sur les campus. Robert Proctor évoque une « guerre contre la science » [1]. Cette offensive ultraconservatrice participe, selon le professeur d'histoire des sciences, à « un âge d'or de l'ignorance ». Elle est facilitée par les soutiens les plus actifs du président, le très important mouvement chrétien évangélique qui essaime un imaginaire pauvre, complotiste, climato-septique, antiféministe, masculiniste, raciste. Se rallient sans sourciller à cette mouvance, les propriétaires du numérique, dont Bezos (Amazon), Zuckerberg (Meta), Musk (X, Tesla, Space X), toujours animés par la course aux technologies, la conquête de l'espace et la quête de profit financier rapide.

Asseoir un pouvoir souverain

La guerre contre les sciences et les scientifiques n'est pas nouvelle. Celle-ci connaît deux piliers concomitants et imbriqués. La première raison pour créer de l'ignorance est idéologique. Trump et ses alliés du capitalisme entendent éliminer tout ce qui leur nuit. Ce parti pris rappelle des périodes et des choix politiques délétères qui ont fini par échouer. Proctor mentionne le nazisme et sa « peur de moindre influence extérieure sur son monde ». On peut aussi mobiliser une brochette de dictateurs, Pinochet et Franco en tête, qui ont, dès leur coup d'État, mené une chasse aux intellectuel·les. Trump fait penser à d'autres homologues élus, et en particulier à Mahmoud Ahmadinejad, président de la République islamique d'Iran de 2005 à 2013, qui s'est fait élire en promettant de mettre l'argent du pétrole sur la table des démunis. Il a en fait suivi l'exemple de ses aînés pour mieux asseoir ses populisme et clientélisme religieux, dans son cas l'islam. Cela est passé par le nettoyage des universités des intellectuel·les dit « libéraux », la fermeture de journaux prisés par les étudiant·es et les milieux intellectuels et l'amplification de la censure (interdiction de publication de livres et de production de films) [2]. Dans tous les cas, l'objectif finalement banal de ces dirigeants est de barrer la route aux opposant·es en lutte contre le capitalisme, les discriminations et les violences, et de consolider un pouvoir souverain sur une population passive, voulu suiviste et docile. Assise sur un masculinisme politique et sur un alignement plus ou moins affirmé aux thèses de l'extrême-droite, la virtuosité de leurs agressions verbales et réelles se mesure à la production de violences épistémiques (expressions, imaginaires, représentations et descriptions de savoirs et connaissances) et par ricochet à la production d'ignorance.

Accélérer la société de l'ignorance

La deuxième raison pour créer de l'ignorance est techno-politique. Trump suit sans sourciller son club de milliardaires issus du numérique, des hommes blancs hétérosexuels riches diplômés, aux ambitions financières et technologiques internationales. Tous sont issus de la contre-culture nord-américaine, dont ils ont adopté la branche antipolitique : se méfier à tout crin de l'État et rejeter le politique. Pourtant tous ont convolé en noces avec les États qui depuis la naissance du secteur sous-traitent les politiques d'éducation, de santé, de transports, etc. Cette collaboration permanente s'illustre aux États-Unis mais aussi en dehors [3]. Pour seul exemple, Macron rencontrait Musk le 3 décembre 2022 à la Nouvelle-Orléans qui un mois plus tard apportait son soutien à la très contestée réforme des retraites [4]. Par l'intermédiaire des réseaux sociaux, des moteurs de recherche, des plateformes de diffusion audiovisuelles ou de communication en ligne, des applications de suivi d'activités sportives ou culturelles, de l'intelligence artificielle, etc. de nouvelles épistémès s'insinuent dans les esprits des utilisateurices que nous sommes au point de nous abêtir. Par exemple, dans notre très grande majorité, nous nous adaptons sans mot dire et continuellement aux changements que le propriétaire du numérique impose comme une mise à jour de sécurité ou logicielle. Nous nous soumettons à ces incises permanentes par souci de confort tandis que lui augmente sa capacité de concurrence commerciale [5]. Nous adoptons son langage, le like, le tweet, les story, les trolls, les threads. Nous modifions nos comportements. Parfois de mauvaise grâce, nous nous plions aux normes imposées par les logiciels que nous utilisons, alors que nous n'avons absolument pas été consulté·es dans leur création. En fait, tous les jours, nous empruntons un sens unique à très grande vitesse, celui mis en place par une poignée d'hommes qui nous interdisent d'aller dans un autre sens. Nous en arrivons à ne plus nous croiser ni à faire demi-tour tant rester entre nous nous rassure. Nous nous suivons, nous engouffrons dans un tunnel, cet entre soi qui nous conforte dans nos idées ou alimente nos seuls points de vue. Notre esprit critique se développe moins car nos pensées s'échangent de plus en plus sans contradiction avec d'autres. Petit à petit, nos pensées sont bouleversées : elles s'occidentalisent, se libéralisent, se sexualisent, se racisent.

Dirigeants politiques et propriétaires du numérique construisent ainsi depuis les années 1990 une société de l'ignorance dont nous acceptons les règles. Michel Foucault avait évoqué la société disciplinaire [6], organisée autour d'institutions d'enfermement (usines, hôpitaux, écoles, prisons). Gilles Deleuze avait parlé des autoroutes de la société de contrôle [7] : celleux qui les empruntent sont confronté·es à des normalisations qu'ielles acceptent volontiers pour avancer plus vite alors qu'elles sont des formes de pouvoir. Désormais, les « autoroutes de l'information » [8] nous contraignent à une constante surveillance, susceptible d'être suspendue par décision discrétionnaire, sans que nous ayons aucune prise sur les raisons qui la motivent. Finalement, sur ces autoroutes, où les relations de pouvoir sont invisibilisées [9] et où les réalités complexes et les connaissances associées sont dépréciées [10], nous diminuons nos connaissances.

Rompre avec l'agnotologie des sciences

Proctor a bien raison de souligner cet « âge d'or de l'ignorance ». Malheureusement, nous vivons un paradoxe car une grande partie de la science dite dure, celle, en plus des sciences humaines, qui est fortement attaquée par Trump, produit de la connaissance tout en créant de l'ignorance délibérée, ce que le professeur d'histoire des sciences appelle l'agnotologie. Cette situation rend le développement d'une nouvelle épistémologie du soin, de l'éducation, de la recherche, du climat… très difficile. Prenons un exemple. La médecine produit de l'agnotologie de genre et de race [11], notamment parce que le système de santé français est fortement empreint de paternalisme, d'essentialisme mais aussi d'histoire de l'esclavage, de la colonisation et de l'après-colonisation.

Commençons par l'agnotologie de genre. En pratiquant majoritairement ses essais cliniques sur les hommes, en sous-orientant les diagnostics des pathologies chez les femmes [12], et plus globalement en n'intégrant pas le genre dans la santé, la médecine maltraite les femmes. La recherche médicale continue de se concentrer sur le contrôle de leurs corps en tant que personnes dédiées à la reproduction sexuelle [13] et à la gestion de la vie quotidienne (éducation, santé, alimentation des ménages) si bien qu'elle continue à les réduire à leur essence féminine, qui connaîtrait des troubles liés à leurs chromosomes, leurs hormones, leur cycle, leurs humeurs.

De fait, les médecin·es expérimentent des traitements sur des personnes qu'ils considèrent d'emblée soumises, en adoptant une posture de père (de mineur·es civiques) ou de maître (d'esclaves) [14]. Rappelons que pendant la colonisation, les médecins, très majoritairement des hommes, ont par leurs rapports médicaux, leurs essais sur les situations sanitaires des colonies ou encore dans leurs mémoires, dépassé le cadre de la pratique médicale pour jouer un rôle majeur dans l'entreprise coloniale de création de dépendance [15]. Aujourd'hui, Ils perpétuent en particulier l'idée que le corps noir est plus immunisé, plus fort, plus endurant que celui des Blanc·hes [16] tout en renvoyant « le nègre » à l'état d'animal dont le corps doit être bridé et l'esprit domestiqué [17]. De la même façon, avec le syndrome méditerranéen, un stéréotype bien ancré dans la profession, des médecin·es considèrent que les personnes, et plus particulièrement les femmes, nord-africaines ou noires vivant autour de la Méditerranée, exagèrent leurs symptômes et leurs douleurs [18]. De nombreux faits d'actualité en témoignent. L'ensemble construit une agnotologie de race.

La médecine peut alors représenter l'exégèse de cette science qui met volontairement ses piliers – patriarcat, esclavage, colonisation – sous le tapis. Alors, comment soutenir les scientifiques et les espaces de transmission des savoirs dominants ? Comment les aider à transformer la pédagogie à mettre en place dans les enseignements scientifiques ? Comment les soutenir efficacement dans la lutte contre les assauts religieux, technicistes, idéologiques ultraréactionnaires ? En les incitant à balayer devant leur porte.

Joelle Palmieri, 23 mars 2025

Notes

[1] Hervé Morin et Nathaniel Herzberg, « Robert Proctor, historien des sciences : « Nous vivons un âge d'or de l'ignorance », Le Monde, 9 mars 2025,
https://www.lemonde.fr/sciences/article/2025/03/09/robert-proctor-historien-des-sciences-nous-vivons-un-age-d-or-de-l-ignorance_6577603_1650684.html
[2] Mohammad-Reza Djalili, « L'Iran d'Ahmadinejad : évolutions internes et politique étrangère », Politique étrangère, Printemps (1), 2007, 27-38.
[3] Alexandra Saemmer et Sophie Jehel (dir.), Éducation critique aux médias et à l'information en contexte numérique, Presses de l'ENSSIB, 2020.
[4] Sophie Cazaux, « Elon Musk apporte un soutien inattendu a la réforme des retraites du gouvernement », BFM patrimoine, 21 janvier 2023,
https://www.bfmtv.com/economie/patrimoine/retraite/elon-musk-apporte-un-soutien-inattendu-a-la-reforme-des-retraites-du-gouvernement_AN-202301210053.html.
[5] Jules Naudet, « Le numérique restructure le social – Entretien avec Roberta R. Katz », La vie des idées, Dossier : Faut-il avoir peur de la révolution numérique ?, 8 juin 2022,
https://laviedesidees.fr/Le-numerique-restructure-le-social.html.
[6] Michel Foucault, Construction politiques : savoirs, pouvoirs et biopolitique, Liège, Centre Franco Basaglia, 2012.
[7] Gilles Deleuze, « Post-scriptum sur les sociétés de contrôle », L ‘autre journal, n°1, mai 1990.
[8] Cette terminologie, utilisée pour la première fois en 1993 par le sénateur Al Gore, alors vice-président des États-Unis, va entrer dans les discours et rapports pour qualifier les réseaux de communication et leur importance pour la croissance économique de tous les pays.
[9] Fred Turner, L'usage de l'art – de Burning Man à Facebook, art, technologie et management dans la Silicon Valley, Paris, C&F Éditions, 2020.
[10] Edgar Morin, La méthode 4. Les idées, Paris, Le Seuil, coll. Essais, 1991.
[11] Joelle Palmieri, « Agnotologie de genre de la médecine : l'exemple de la douleur », in « La santé : un immense enjeu », Paris : Éditions du Croquant, collection Les débats de l'ITS, n° 15, mai 2024.
[12] Danielle Bousquet, Geneviève Couraud, Gilles Lazimi et Margaux Collet, « La santé et l'accès aux soins : une urgence pour les femmes en situation de précarité », Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, Rapport n° 2017-05-29-SAN-O27 publié le 29 mai 2017.
[13] Paola Tabet, La Construction sociale de l'inégalité des sexes. Des outils et des corps, Paris-Montréal : L'Harmattan (« Bibliothèque du féminisme »), 1998, 206 p.
[14] Grégoire Chamayou, « L'expérimentation coloniale », Les corps vils, sous la direction de Grégoire Chamayou, Paris, La Découverte, 2014, p. 341-384.
[15] Malek Bouyahia, « Genre, sexualité et médecine coloniale. Impensés de l'identité ‘indigène' », Cahiers du Genre, vol. 50, no. 1, 2011, p. 91-110.
[16] Delphine Peiretti-Courtis, Corps noirs et médecins blancs : La fabrique du préjugé racial, XIXe-XXe siècles, Paris, La Découverte, La Découverte, 2021.
[17] Achille Mbembé, Critique de la raison nègre, Paris, La Découverte, 2013.
[18] Isabelle Lévy, « La douleur : signification, expression, syndrome méditerranéen », Revue internationale de soins palliatifs, vol. 28, n° 4, 2013, p. 215-219.

https://joellepalmieri.org/2025/03/23/trump-la-science-et-la-creation-dignorance/

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Budget 2025 du Québec—Aides pour les patrons, coupes pour les autres

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À la fin du mois de mars, le ministre des Finances du Québec, Éric Girard a déposé son budget pour l'année financière 2025-2026. Prétextant un « déficit record », la CAQ fait (…)

À la fin du mois de mars, le ministre des Finances du Québec, Éric Girard a déposé son budget pour l'année financière 2025-2026. Prétextant un « déficit record », la CAQ fait d'importantes coupures dans la santé, l'éducation et le transport en commun. Pourtant, les subventions aux entreprises (…)

Crise ou transformation ? Revisiter l’exceptionnalisme migratoire québécois

1er avril, par Catherine Xhardez, Chedly Belkhodja
La question migratoire occupe une place de plus en plus centrale dans le débat public québécois. Le Québec se distingue par son autonomie dans la sélection et l’installation (…)

La question migratoire occupe une place de plus en plus centrale dans le débat public québécois. Le Québec se distingue par son autonomie dans la sélection et l’installation des personnes immigrantes, l’importance accordée à la langue française et sa propre approche de l’accueil. Pourtant, les profondes transformations récentes des politiques et des discours sur la migration interrogent cette singularité. Cette introduction situe le Québec dans son rapport à l’immigration permanente et à la migration temporaire sous deux angles : d’abord dans le contexte de l’exceptionnalisme migratoire canadien; ensuite, dans un contexte propre à la province en mettant en lumière ses particularités tout en les confrontant à d’autres sociétés. Nous soutenons que ce qui distingue le Québec du reste du Canada ne réside pas tant dans ses dynamiques migratoires que dans les cadres d’interprétation qui les accompagnent. Plus largement, nous mettons en avant l’importance de renforcer le lien entre recherche et débat public informé en proposant, au sein de ce numéro, des contributions qui analysent les transformations en cours, les rapports de force qui les façonnent et la redéfinition du modèle québécois d’(im)migration.

Le Québec face au dilemme de l’immigration

1er avril, par Catherine Xhardez
Cet article explore le dilemme de l’immigration au Québec, en mettant en lumière son évolution historique et son impact sur la politique contemporaine. Je retrace d’abord la (…)

Cet article explore le dilemme de l’immigration au Québec, en mettant en lumière son évolution historique et son impact sur la politique contemporaine. Je retrace d’abord la manière dont le Québec a acquis ses pouvoirs en immigration, les circonstances et parties prenantes qui ont permis cette transformation, ainsi que les effets de ces avancées sur son rapport à la migration. J’explore ensuite comment la reconfiguration du système partisan québécois a redéfini ce dilemme. L’arrivée de la CAQ au pouvoir en 2018 a marqué une rupture avec le consensus sur l’immigration des élites québécoises. Plus généralement, je mets en avant un tournant identitaire dans le discours des élites où la protection de la langue, de l’identité et des valeurs québécoises prend une place centrale. Cette transformation soulève une question plus large : le contrôle accru de l’immigration constitue-t-il un rempart pour un nationalisme progressif et inclusif ou marque-t-il désormais un glissement vers une conception plus restrictive de l’identité québécoise?

La nouvelle politique de l’immigration au Québec

1er avril, par Mireille Paquet
Les questions migratoires occupent désormais une place centrale dans les débats politiques au Québec, marquant une rupture avec leur statut historiquement marginal. Cette (…)

Les questions migratoires occupent désormais une place centrale dans les débats politiques au Québec, marquant une rupture avec leur statut historiquement marginal. Cette politisation s’inscrit dans une tendance globale et se manifeste par une saillance accrue des thèmes liés à l’immigration ainsi qu’une polarisation idéologique marquée. Depuis l’érosion du consensus interpartisan établi en 1991 avec l’Accord Canada-Québec, les partis politiques québécois adoptent des positions divergentes sur l’immigration, rompant avec le consensus pro-immigration des décennies précédentes. Cette nouvelle ère se caractérise par des seuils d’immigration réduits, un recours croissant à l’immigration temporaire et des réformes restrictives dans plusieurs domaines. En parallèle, les discours simplifiés et souvent polémiques amplifient les stéréotypes et creusent le fossé entre les politiques, les réalités de terrain, et les expériences des citoyen·nes. Cette politisation met en péril le sentiment d’appartenance des personnes immigrantes et menace la capacité du Québec à se projeter comme une terre d’accueil durable et inclusive, pouvant renforcer des divisions à long terme dans la société québécoise.

Long, complexe et précarisant : obtenir la résidence permanente à partir du Québec

1er avril, par Capucine Coustere
Les récents changements en matière d’immigration permanente et temporaire, au Québec et au fédéral, sont susceptibles d’avoir des effets amplifiés sur les parcours des (…)

Les récents changements en matière d’immigration permanente et temporaire, au Québec et au fédéral, sont susceptibles d’avoir des effets amplifiés sur les parcours des personnes déjà sur place et qui souhaitent obtenir la résidence permanente. Même si le premier ministre Justin Trudeau expliquait récemment que l’immigration permanente (qui vise l’installation) et l'immigration temporaire (qui répond à des demandes à court terme) sont deux catégories distinctes, celles-ci ne sont pas étanches et de plus en plus de personnes obtenant la résidence permanente ont une expérience temporaire préalable. Dans cet article, je propose de déplier les différentes couches de complexité des régimes migratoires canadien et québécois que doivent naviguer les résident·es temporaires espérant obtenir la résidence permanente au Québec. Je montre comment ce processus long et complexe de transition vers un statut de résidence octroyant les pleins droits – la résidence permanente – affecte leur parcours de manière souvent précarisante.

Stéréotypes et représentations des communautés italiennes et haïtiennes au Québec : une analyse historique croisée (1900-2024)

1er avril, par Virgine Belony, Luca Sollai
Cet article analyse l’évolution des stéréotypes associés aux communautés italiennes et haïtiennes au Québec depuis 1900, en mettant en lumière comment ces représentations ont (…)

Cet article analyse l’évolution des stéréotypes associés aux communautés italiennes et haïtiennes au Québec depuis 1900, en mettant en lumière comment ces représentations ont évolué en fonction des transformations des lois canadiennes et québécoises sur l’immigration, ainsi que des changements sociaux, économiques et politiques dans la province. En examinant les processus historiques et les contextes spécifiques, il démontre que ces stéréotypes ne sont pas seulement des reflets des dynamiques migratoires, mais aussi des constructions sociales qui ont été façonnées par les rapports de pouvoir et les luttes d’intégration. À travers l’étude de ces deux groupes, l’article explore comment les défis d’intégration se répercutent sur la perception de ces communautés dans la société québécoise, soulignant les enjeux de racisme, de classe et de culture. L’argument central repose sur l’idée que les stéréotypes, tout en évoluant, persistent sous différentes formes, et que leur déconstruction nécessite une compréhension historique des processus migratoires et des politiques d’accueil.

La régionalisation de l’immigration au Québec. Au-delà des « postes vacants »

1er avril, par Chedly Belkhodja
Depuis quelques années, la régionalisation de l’immigration connaît un nouvel élan au Québec. Il suffit de se promener aujourd’hui dans nombreuse villes du Québec pour (…)

Depuis quelques années, la régionalisation de l’immigration connaît un nouvel élan au Québec. Il suffit de se promener aujourd’hui dans nombreuse villes du Québec pour s’apercevoir que la présence immigrante fait maintenant partie de la réalité quotidienne. Dans cet article, je propose de dépasser la logique économique du phénomène migratoire, celle des « postes vacants », pour s’intéresser à une dimension plus sociologique de la régionalisation de l’immigration, celle qui s’inscrit dans une lecture du territoire québécois. Je mets en avant une réflexion autour de l’importance qu’une nouvelle géographie de l’immigration peut signifier pour le développement et l’épanouissement de villes et régions situées en dehors des grands centres.

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