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Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG)

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Vers une nouvelle réforme forestière plus humaine

30 septembre, par Réseau québécois des groupes écologistes — , ,
L'abandon du PL97 est une victoire à célébrer, mais pas une raison d'abandoner la mobilisation pour une réforme forestière respectueuse du vivant, des emplois en foresterie, (…)

L'abandon du PL97 est une victoire à célébrer, mais pas une raison d'abandoner la mobilisation pour une réforme forestière respectueuse du vivant, des emplois en foresterie, des activités des pourvoieries et de la souveraineté des Premières Nations.

C'est pourquoi le RQGE sera présent le 30 septembre devant l'Assemblée nationale de Québec, en support aux groupes écologistes autochtones Première Nation MAMO • MAMU First Nation et FREDA - Front de résistance écologique et de défense autochtone pour les remercier de prendre soin des territoires et de la vie qu'ils abritent.

Page Facebook de l'événement

N'oublions pas que le premier ministre Legault a décidé d'ouvrir la session de l'Assemblée Nationale le Jour de la Vérité et de la Réconciliation, un jour de commémoration national pour les milliers d'enfants autochtones enlevés de leur famille pour les placer dans d'odieux pensionnats durant plusieurs générations.

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Port de Contrecoeur : Alors que les travaux débutent, la résistance s’organise

30 septembre, par Les soulèvements du fleuve — , ,
Contrecoeur, 29 septembre 2025- Dans la dernière année, un groupe anonyme a entamé la défense du territoire contre l'expansion du port de Montréal à Contrecoeur. Afin de (…)

Contrecoeur, 29 septembre 2025- Dans la dernière année, un groupe anonyme a entamé la défense du territoire contre l'expansion du port de Montréal à Contrecoeur.

Afin de contrecarrer un des plus gros projets de privatisation et de bétonisation des berges de la province, le groupe a « armé la forêt » en plantant des barres d'acier à travers les arbres du site. Cette pratique, qui vise à empêcher la coupe sans compromettre l'intégrité des arbres, est une tactique utilisée par les écologistes depuis plus de 40 ans pour protéger les forêts.

Une opposition forte

Le groupe affirme avoir mené cette action en réponse à l'appel des Soulèvements du fleuve à se soulever contre la conteneurisation, l'accaparement du fleuve Saint Laurent, de ses berges et de ses bassins versants par les multinationales qui détruisent le territoire et méprisent les populations locales.

« Malgré une forte opposition citoyenne et ses conséquences écologiques désastreuses, Carney soutient le projet d'expansion du port de Montréal à Contrecoeur en l'inscrivant dans la liste des "grands projets d'intérêt national". Quel intérêt national à ruiner le fleuve ? Ce projet ne sert que l'industrie, nous refusons un
deuxième Northvolt. », explique un militant du groupe. « Nous avons jugé nécessaire d'enfoncer le clou quant à l'inadmissibilité du projet et de défendre le territoire face à cette expansion destructrice. »

Contrecoeur, un milieu unique

Dans le cas de Contrecoeur, la mise sur pied du monstre industrialo-portuaire prévoit, en plus de l'abattage d'une forêt mature de 20 000 arbres, le ravage de plus d'un demi-kilomètre de rives naturelles et la perte de nombreux milieux humides déjà rares dans la région. Ce projet sera construit dans l'habitat de plusieurs espèces menacées d'extinction dont le chevalier cuivré, une espèce endémique dont l'existence est confinée à une petite section du fleuve Saint-Laurent et de la rivière Richelieu. Le passage des navires accélérera également l'érosion des berges qui alarme les citoyen.ne.s depuis plusieurs décennies.

« Cela fait plusieurs années que les multinationales cherchent à transformer le fleuve en une "autoroute" à marchandises, le même fleuve par lequel transitent aujourd'hui des armes envoyées vers Israël pour massacrer le peuple palestinien. Nous nous opposons à ce que les pouvoirs économiques et politiques s'accaparent notre fleuve pour faciliter l'accélération du commerce international. Il faut briser la chaîne logistique de la mondialisation. Les habitant.e.s du territoire ont le droit de résister par tous les moyens », affirme une personne qui milite au sein du groupe.

Nous nous soulevons contre la destruction de la forêt et de la plage de Contrecoeur et pour le fleuve et celles et ceux qui l'habitent. Les Soulèvements du fleuve s'organisent contre l'exploitation extractiviste et les projets d'expansion logistique. Le ravage de tous nos milieux de vie ne se déroulera pas sous notre regard passif : la
lutte ne fait que commencer, à Contrecoeur et partout ailleurs.

Mouvement Soulèvements du Fleuve :
soulevements_du_fleuve@riseup.net

À propos des Soulèvements du fleuve :
Les Soulèvements du fleuve sont nés de la rencontre de plusieurs luttes locales disséminées sur les territoires avec comme volonté de résister au développement extractiviste. Une tentative qui rassemble de multiples groupes, initiatives et usages.

Une réponse à l'appel international des Soulèvements de la terre à rassembler les forces brutes et à s'en prendre directement à ceux qui exploitent et détruisent le vivant, à interrompre la continuité catastrophique du progrès, le rythme incessant de ses flux et la permanence des infrastructures qui le maintiennent.

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Les États généraux du syndicalisme : retour dans l’histoire

30 septembre, par Marc Comby — , ,
Des États généraux du syndicalisme sous le thème de L'union fait l'avenir ont été lancés le 31 mars 2025 par les centrales syndicales et une majorité de syndicats (APTS, CSD, (…)

Des États généraux du syndicalisme sous le thème de L'union fait l'avenir ont été lancés le 31 mars 2025 par les centrales syndicales et une majorité de syndicats (APTS, CSD, CSN, CSQ, FTQ, FAE, FIQ, SFPQ, SPGQ). Un document de réflexion circule actuellement auprès des syndicalistes. Des forums de consultations sont en cours.

Marc Comby
Archiviste et historien des mouvements sociaux

À travers ces États, le syndicalisme réfléchit sur son avenir. Il s'agit d'arrimer cette réflexion aux courants sociaux qui influent sur le développement du mouvement syndical. Les défis sont incontestables. À travers l'histoire, des questionnements ont été organisés périodiquement pour relever les nouvelles réalités et les défis du moment du monde syndical. Car, gouvernements néo-libéraux et patronat s'attaquent sans cesse aux acquis de la population laborieuse.

Faisons un retour dans le passé pour comprendre cette volonté unitaire de riposter aux gouvernements néo-libéraux et au patronat en organisant des États généraux. En 1969-1970, les colloques régionaux intersyndicaux ouvrirent une ère nouvelle dans l'intervention commune syndicale.

En ces années de la fin des années 1960, les problèmes sociaux sont multiples. Parmi eux, le chômage, des fermetures d'usines, trop de logements vétustes, un endettement élevé des familles, fragmentation des quartiers, etc. Parmi les nombreux problèmes, la lutte la plus symbolique concerne le logement quand les augmentations démesurées atteignent de 20% à 50%.

La FTQ, à son congrès d'octobre 1967, adopte une résolution en faveur d'une conférence exploratoire pouvant mener éventuellement au « regroupement des forces politiques de gauche au sein d'un parti provincial populaire ». Dans le même temps, en novembre, le Mouvement Souveraineté Association (MSA) de René Lévesque, devenu le Parti québécois (PQ) en 1968, est fondé.

Après nombre de pourparlers, les centrales syndicales adhèrent à l'idée d'une conférence regroupant les forces progressistes de changement. L'ensemble des représentants des mouvements syndical, coopératif et agricole sont convoqués pour le 18 avril 1969. L'invitation est faite de participer à une réunion « en vue d'établir un programme de travail pour organiser un colloque des forces de gauche » en s'assurant du caractère inclusif de l'événement.

Pour favoriser la participation du plus grand nombre, un colloque aura lieu dans chacune des régions. Les objectifs et le contenu des colloques sont définis en comité de travail les 5, 15 et 27 août 1969. Deux grands thèmes sont ciblés 1) La condition du salarié et du consommateur ; 2) Le salarié dans sa municipalité. Il est décidé qu'un grand colloque national devra clore les colloques régionaux.

Les travaux donnent lieu à un document majeur autour de onze thèmes : les aspects de la condition de salarié, la place du consommateur, les assurances et les caisses de retraite, les loisirs, le logement, la sécurité sociale, les partis face au développement économique, les impôts, l'endettement, l'éducation et le rôle du salarié dans les municipalités. Ces contributions ont données lieu à un volumineux rapport doté de chiffres et de données probantes en mars 1970. Les rencontres dans chacune des régions eurent lieu en avril et mai 1970. Le rapport des colloques mentionne que 2 340 personnes, dont 492 de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), 850 de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), 356 de la Corporation des enseignants du Québec (CEQ) et 411 des groupes populaires, ont pris part aux débats et délibérations.

Pour assurer une efficacité, dans chaque région, des comités régionaux de coordination seront mis sur pied. À un niveau supérieur, les centrales verraient à créer un secrétariat central et conjoint des CAP. Une tâche primordiale des CAP est de présenter des candidats salariés dans les municipalités et les commissions scolaires et de surveiller de façon étroite leurs représentants.

Au sortir de ces colloques, le principe d'un colloque provincial intersyndical est adopté par chacune des centrales dont la tenue est prévue pour le mois de septembre 1970. L'objectif est d'élaborer les politiques définies par les colloques et d'établir les moyens d'action pour les réaliser. Les attentes des délégations participantes aux colloques régionaux avaient été grandes à l'endroit de ce colloque qui n'aura finalement pas lieu. Le 29 avril 1970, le PQ obtient 23,1% des suffrages et sept élus à l'Assemblée nationale du Québec. Les forces syndicales étaient divisées quant à la nature de la participation des salarié.e.s au niveau municipale et scolaire. La montée du PQ en tant que force nationale progressiste va freiner les forces syndicales de s'unir derrière l'organisation d'un colloque provincial.

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Programme des travailleurs étrangers temporaires : Pour la fin des permis temporaires fermés

30 septembre, par Confédération des syndicats nationaux (CSN) — , ,
Partout au Canada, des organismes de la société civile exigent que le Programme des travailleurs étrangers temporaires respecte les droits et la dignité des personnes (…)

Partout au Canada, des organismes de la société civile exigent que le Programme des travailleurs étrangers temporaires respecte les droits et la dignité des personnes migrantes.

Tiré de l'infolettre En mouvement

23 septembre 2025

Alors que les voix s'élèvent pour faire annuler ou restreindre le Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) du Canada, les travailleuses et travailleurs migrants et leurs allié-es s'unissent pour adresser un message aux membres du parlement : toute modification apportée au PTET et aux autres programmes relatifs à la main-d'œuvre migrante doit être fermement ancrée sur les droits de la personne.

Les travailleuses et travailleurs migrants, les organisations de la société civile, les syndicats et les organismes communautaires ont lancé des Journées d'action pancanadiennes pour exiger du gouvernement qu'il respecte la dignité et les droits des travailleuses et des travailleurs migrants en leur accordant des permis de travail ouverts, qui leur permettent de changer librement d'employeur. Actuellement, dans le cadre du PTET et d'autres programmes, les permis de travail fermés lient ces travailleuses et travailleurs à un seul employeur. Ce système favorise l'exploitation et les abus de ces travailleuses et travailleurs.

Depuis des années, les travailleuses et travailleurs migrants, les organisations communautaires, syndicales et internationales, les comités parlementaires et sénatoriaux et même un Rapporteur spécial des Nations unies tirent la sonnette d'alarme sur les méfaits des permis de travail fermés. Les politiciennes et politiciens semblent reconnaître enfin les préjudices auxquels sont exposés les travailleuses et travailleurs, mais leurs propositions ne s'attaquent pas à la cause profonde du problème : les permis de travail fermés, liés à l'employeur. Ce qu'il faut, c'est un cadre fondé sur les droits qui garantit la mobilité, la dignité et une protection égale pour tous les travailleurs et travailleuses au Canada.

Les Journées d'action pancanadiennes pour les droits des travailleuses et travailleurs migrants 2025 arrivent à un moment critique. Des chefs de partis de toute allégeance, y compris le premier ministre de la Colombie-Britannique, David Eby, et le chef de l'opposition fédérale, Pierre Poilievre, ont appelé à l'abolition du PTET, tout en continuant à proposer le recours à des travailleuses et travailleurs migrants dans l'agriculture. Cependant, le secteur principal du PTET est celui de l'agriculture et l'agroalimentaire, ce qui démontre que leurs revendications ne visent pas un changement significatif.

Les Journées d'action ont été lancées le 22 septembre sur la Colline du Parlement par une action symbolique : des travailleuses et travailleurs migrants et leurs alliés se sont entourés d'une chaîne symbolisant le confinement imposé par le permis de travail fermé, brandissant des pancartes aux citations percutantes de personnes ayant subi des abus dans le cadre du PTET. En brisant cette chaîne symbolique, les personnes participantes ont envoyé le message que le gouvernement doit protéger la dignité et la sécurité de tous les travailleurs et défendre le droit de chacun à changer librement d'emploi.

Tout au long de cette campagne de deux semaines, des sympathisantes et des sympathisants de tout le pays appelleront le gouvernement à agir, en signant des pétitions et des cartes postales, en interpellant leurs député-es, en participant à des actions de solidarité communautaires et en sensibilisant le public à travers les arts, avec des pièces de théâtre, une projection de film et des kiosques lors d'événements. La coalition à l'origine des Journées d'action pancanadienne appelle tous les responsables politiques à faire preuve de courage et de vision pour remplacer les systèmes d'exploitation par des structures qui respectent le droit de chaque personne à la sécurité, à la dignité et à un travail décent.

Contexte :
La société civile, les organismes de base et les syndicats dénoncent depuis de nombreuses années le caractère abusif du PTET et se sont mobilisés pour pousser le gouvernement à le modifier. En 2024, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les formes contemporaines d'esclavage a publié un rapport appelant à la fin des permis de travail fermés et à l'accès à la résidence permanente pour les travailleuses et travailleurs migrant·e·s participant au programme. En janvier 2025, Amnistie internationale a publié un rapport accablant sur les violations des droits humains subies par les travailleuses et travailleurs migrant·e·s au Canada, réclamant l'abolition des permis de travail fermés et leur remplacement par des permis ouverts, entre autres recommandations qui font écho aux positions des organisations de la société civile.

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Fermetures sauvages

30 septembre, par Confédération des syndicats nationaux (CSN) — , ,
Devant la juge Irène Zaïkoff, le procès s'ouvrira par le témoignage du président d'Amazon Canada Fulfillment Services, Jasmin Begagic. Après plusieurs objections préliminaires (…)

Devant la juge Irène Zaïkoff, le procès s'ouvrira par le témoignage du président d'Amazon Canada Fulfillment Services, Jasmin Begagic. Après plusieurs objections préliminaires et autres mesures dilatoires, c'est ce vendredi, devant le Tribunal administratif du travail, que s'ouvrira enfin le procès d'Amazon. La multinationale américaine est en effet l'objet d'un recours intenté par la CSN à la suite de la fermeture, en janvier dernier, de ses sept entrepôts situés au Québec.

Tiré de l'infolettre En mouvement

Cette décision constitue un « vaste subterfuge » visant à se soustraire de ses obligations prévues à la loi et à éradiquer toute présence syndicale au sein de l'entreprise, soutient la centrale syndicale dans sa plainte déposée le 20 février dernier. « La multinationale ne cesse pas ses activités de vente en ligne sur le territoire. Elle choisit de réorganiser ses activités dans le but d'éluder ses obligations d'employeur en vertu du Code du travail », précise la requête déposée en vertu des articles 12, 13, 14 et 53 du Code du travail.

Devant la juge Irène Zaïkoff, le procès s'ouvrira par le témoignage du président d'Amazon Canada Fulfillment Services, Jasmin Begagic, qui devra expliquer en quoi la fermeture des sept centres de distribution constitue une simple décision d'affaires qui n'a aucun lien avec la syndicalisation des employé-es de l'entrepôt DXT4, de Laval, et la campagne de syndicalisation qui était en cours dans les autres entrepôts québécois de la multinationale.

« Il est clair pour nous que la fermeture des entrepôts d'Amazon visait principalement à freiner la campagne de syndicalisation en cours et la conclusion d'une première convention collective en Amérique du Nord », affirme la présidente de la CSN, Caroline Senneville. « Après les nombreuses objections préliminaires et autres mesures dilatoires utilisées par Amazon, le procès peut maintenant aller de l'avant. Il est temps que les travailleuses et les travailleurs obtiennent justice à la suite de ces fermetures illégales à plusieurs égards. »

Une décision qui défie toute logique

« Illégale à plusieurs égards », la décision d'Amazon doit être infirmée par le Tribunal, demande la CSN au nom de nombreux plaignants.

Puisque « les agissements d'Amazon s'attaquent à l'ordre juridique québécois [et] parce que cet employeur n'hésite pas à licencier des milliers de personnes afin de donner l'exemple », la CSN demande au Tribunal d'ordonner la reprise des activités aux sept entrepôts visés par la plainte et de verser à chaque employé plus d'un an de salaire en guise d'indemnité, en plus de dommages moraux et exemplaires.

La plainte fait valoir que la décision de fermer ses entrepôts québécois est en contradiction directe avec le plan d'affaires mis de l'avant par la multinationale au cours des dernières années. Les quatre derniers centres de livraison au Québec, dont l'entrepôt syndiqué DXT4 à Laval, n'ont été établis que depuis trois ans, rappelle la CSN, à l'image des investissements massifs de la compagnie dans la stratégie du « dernier mile ».

Ces entrepôts de proximité, nécessaires à la livraison en un jour, « ne constituent pas seulement la façon la plus rapide de livrer les produits aux consommateurs, mais aussi la façon la plus économique de le faire », déclarait en octobre dernier le PDG d'Amazon, Andrew Jassy, après avoir annoncé un an plus tôt son intention de doubler le nombre de stations capables de livrer les colis le jour même.

« Rien ne laissait présager qu'Amazon choisirait, à peine trois mois plus tard, de faire un retour à un modèle de livraison par des tiers », affirme la CSN dans sa requête. Pour la centrale syndicale, « Amazon n'hésite pas à avoir recours aux mesures les plus extrêmes et à sacrifier sa rentabilité afin d'éviter l'imposition d'une première convention collective », véritable objectif d'une décision aussi draconienne.

À propos

Le 19 avril dernier, la CSN déposait une requête auprès du TAT pour représenter les
230 salarié-es de l'entrepôt DXT4 d'Amazon, rue Ernest-Cormier à Laval. Au cours des semaines précédentes, un grand nombre de salarié-es avaient rallié leur syndicat. Le 10 mai, le TAT accréditait officiellement le syndicat, reconnaissant qu'une majorité d'employé-es y avaient adhéré.

La négociation en vue d'établir une première convention collective a débuté en juillet. Le 22 janvier dernier, Amazon annonçait son intention de fermer ses sept entrepôts au Québec et de céder l'ensemble de ses opérations à la sous-traitance.

Rappelons qu'Amazon a été condamnée par le TAT pour ingérence et entraves antisyndicales à l'entrepôt YUL2 à Lachine et qu'elle subit présentement un procès du même type pour des actions similaires menées à l'entrepôt DXT4 de Laval.

Fondée en 1921, la Confédération des syndicats nationaux (CSN) regroupe 330 000 travailleuses et travailleurs des secteurs public et privé, et ce, dans l'ensemble des régions du Québec et ailleurs au Canada.

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Nouvelle offensive publicitaire des sections locales 957 et 1500 chez Hydro-Québec

30 septembre, par Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP-Québec) — , ,
Ce lundi, deux grands syndicats d'Hydro-Québec représentant ensemble près de 9000 membres lancent une deuxième phase de campagne publicitaire et de mobilisation. Il s'agit du (…)

Ce lundi, deux grands syndicats d'Hydro-Québec représentant ensemble près de 9000 membres lancent une deuxième phase de campagne publicitaire et de mobilisation. Il s'agit du Syndicat des employé-e-s de métiers d'Hydro-Québec (SCFP 1500) et du Syndicat des technologues d'Hydro-Québec (SCFP 957). Les deux groupes sont en négociation pour renouveler leurs conventions collectives, arrivées à échéance le 31 décembre 2023.

Cette vaste phase de cinq semaines sera diffusée sur une multitude de plateformes télévisuelles et médias numériques. La pièce maîtresse est une vidéo d'animation 3D de 30 secondes qui évoque le chemin parcouru par l'électricité du barrage jusqu'au consommateur résidentiel. Ce parcours s'enlise dans un labyrinthe évoquant les problèmes qui affligent la société d'État, qui sont aussi des enjeux majeurs de la négociation en cours, notamment : privatisation, sous-traitance et mauvaise gestion.

« La privatisation est un poison à effet retardé », affirme Robert Claveau, président du SCFP 957. « Le danger est insidieux, puisque la population ne ressent pas encore les effets de cette dépendance grandissante au privé, mais dans quelques années, il sera trop tard pour revenir en arrière. Le contrôle énergétique aura échappé à l'État québécois, et donc à la population québécoise. Si l'on se souvient bien de l'entrée en politique du premier ministre Legault, la privatisation d'une grande partie d'Hydro-Québec faisait bel et bien partie de son approche politique et aujourd'hui, malheureusement, il en fait la démonstration à la population du Québec. »

Le symptôme le plus apparent de la privatisation est la sous-traitance. « Chaque chantier sous-traité représente une perte d'expertise interne accumulée au fil des décennies par les employés de métiers et les technologues, qui sont le maillon essentiel pour assurer la continuité du service », souligne Frédéric Savard, président du SCFP 1500. « La sous-traitance est censée être une solution d'efficacité, mais elle engendre des coûts plus élevés et une perte de qualité, ajoute Frédéric Savard. Il n'est pas rare que les employés syndiqués doivent reprendre le travail fait par les firmes privées. »

L'un des symptômes de la mauvaise gestion déplorée par les deux syndicats est la diminution volontaire et consciente des mesures de santé et de sécurité au travail par Hydro-Québec. Autrefois un leader mondial en la matière, Hydro-Québec a récemment assoupli les règles avec la révision de son Code de sécurité des travaux, ce qui inquiète grandement les travailleurs et travailleuses.

« Personne ne devrait risquer sa vie pour assurer la continuité du service. Chaque recul en santé et sécurité entraîne une hausse des accidents et des décès, notre histoire en fait foi. Sommes-nous vraiment prêts à revivre les années 70, quand trop d'employés perdaient leur vie au travail », de demander Frédéric Savard.

L'interférence politique chez Hydro-Québec et l'instabilité de la haute direction nuisent aussi à la gestion. « Trois PDG en quelques années, ça fragilise la cohérence et la performance de l'entreprise », souligne Robert Claveau.

Pour le SCFP, le chemin pour bâtir l'avenir énergétique du Québec est clair : « Il faut miser sur l'expertise interne, renforcer la santé et la sécurité, stabiliser la gouvernance et gérer avec rigueur, cohérence et efficience. »

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Adèle Blais dévoile FORTES, une fresque célébrant les femmes

30 septembre, par Sylvain Bérubé — , ,
Récemment, la Ville de Sherbrooke a inauguré FORTES, la nouvelle murale de l'artiste locale Adèle Blais, installée dans la ruelle Whiting, face à l'hôtel de ville et au carré (…)

Récemment, la Ville de Sherbrooke a inauguré FORTES, la nouvelle murale de l'artiste locale Adèle Blais, installée dans la ruelle Whiting, face à l'hôtel de ville et au carré Strathcona.

Tiré du Journal Entrée Libre

22 septembre 2025
| Sylvain Bérubé
Crédit image : Jessica Garneau

Cette fresque à ciel ouvert rend hommage à 11 femmes ayant marqué l'Histoire, dont les parcours sont souvent méconnus.

L'œuvre est enrichie d'une expérience immersive en réalité augmentée grâce à l'application gratuite «  Adèle Blais – Peindre l'Histoire  », qui permet aux visiteurs de découvrir les portraits, leurs biographies et des compositions musicales originales.

À propos de cette murale, Adèle Blais a déclaré : « Je suis profondément honorée et heureuse d'immortaliser 11 femmes historiques, plus grandes que nature, à leur juste valeur sur cette murale en plein cœur du centre-ville de Sherbrooke. Cette murale sera un espace où l'art, l'Histoire et la technologie s'unissent pour redonner une voix à l'autre moitié de notre récit collectif. Un projet inclusif et accessible, à la croisée des mémoires et des possibles, tourné vers un avenir plus juste. »

Réalisé avec le soutien de la Ville et de l'expert en art mural Serge Malenfant, le projet s'inscrit dans la stratégie municipale de dynamisation du centre-ville et de valorisation du patrimoine artistique de Sherbrooke. Vous pouvez admirer cette création.

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40 ans de polygamie radiophonique !

30 septembre, par Mohamed Lotfi — , ,
Un jour de septembre 1985, j'ai rencontré une radio : Radio Centre-Ville ! Devant le micro, je me suis engagé à la chérir, la protéger et l'honorer pour le meilleur et pour le (…)

Un jour de septembre 1985, j'ai rencontré une radio : Radio Centre-Ville ! Devant le micro, je me suis engagé à la chérir, la protéger et l'honorer pour le meilleur et pour le pire. À Radio Centre-Ville, la radio multiethnique et multilingue de Montréal, j'étais désormais chez moi.

Cinq ans plus tard, j'ai trahi ma promesse ! Sans quitter ma première radio, j'ai commencé à en fréquenter d'autres. Une aventure avec CKUT, une liaison avec CIBL, des escapades avec CKIA, CKRL, CHAA…

Dans les années 90 et 2000, il ne passait pas une journée sans qu'une de mes productions ne soit diffusée sur les ondes d'une des 20 radios communautaires, quelque part au Québec, puis ailleurs en Ontario, au Nouveau-Brunswick et en France.

Mon amour de la radio était trop vaste. Oui, j'ai été polygame.

Pour elle, la radio, j'ai abandonné le cinéma, à qui je venais de consacrer trois années d'études à l'Université Laval et à l'Université de Montréal. J'ai laissé tomber tous mes projets cinématographiques pour un micro, une onde.

Il y a quarante ans, j'ai rencontré la radio comme on rencontre la femme de sa vie. Enfin… plusieurs.

Plusieurs radios, mais un seul amour : celui d'une radio qui vous ressemble et vous rassemble, une radio indépendante, une radio libre, une radio communautaire.

En 1998, je n'ai pas résisté à l'appel de Radio-Canada. Deux cents reportages pour l'émission Macadam tribus, trois documentaires, des chroniques, des entrevues… À la radio publique, ma radio demeure communautaire !

C'est par elle que je suis devenu citoyen du Québec.

« Approchez, approchez, Messieurs Dames, faites de la radio ». J'habitais, en 1985, à deux pas de cette annonce. Accueilli par Richard Barrette, directeur de programmation de l'équipe francophone de Radio Centre-ville, j'ai demandé à jeter un coup d'œil sur les studios. Ça manquait d'air et de bruits. J'ai quitté le poste avec un micro et, aussitôt sur les trottoirs, je l'ai tendu aux passants avec une question : « C'est quoi un Arabe pour toi ? ». C'est ainsi qu'À toi Arabe est née. Une émission dans laquelle je me présentais aux Québécois.

De 1985 à 1990, j'y étais presque chaque jour. Il m'arrivait parfois de coucher dans ses studios. En plus de mon émission régulière, une fois par mois, j'animais une spéciale qui durait toute la nuit du samedi. La première, co-animée avec Lahssen Abbassi, nous l'avons consacrée à la situation de la femme dans le monde arabe. Annoncée depuis plusieurs jours, l'émission a commencé à minuit et demi et s'est poursuivie jusqu'à 8 h du matin. Pour nous accompagner dans cette première nuit, j'ai convoqué le personnage d'une femme féministe avant l'heure : Shéhérazade. Qui mieux que le personnage central des Mille et une nuits pour aborder un sujet aussi important : la liberté des femmes. La ligne ouverte ne dérougissait pas et moi, je jubilais.

Dans les émissions spéciales suivantes, j'ai attaqué d'autres sujets allant de la question de la langue au Québec et du rapport des immigrants avec la loi 101, jusqu'au 50e anniversaire de l'Office national du film du Canada, en passant par la poésie des poètes québécois, que j'invitais à passer la nuit avec moi devant un micro.

J'ai accueilli les Gaston Miron, Gilbert Langevin, Denise Boucher, Raoul Duguay, Gilles Carle, Michèle Lalonde, Armand Vaillancourt, Pauline Julien, des ministres, des syndicalistes, des résistants palestiniens et des sans-abris de Montréal dans le même espace radiophonique. Ma radio rassemblait le monde.

Arrivé aux Palestiniens de la première Intifada, ma radio a quitté ses studios pour émettre à partir d'un café de l'avenue du Parc, face à un public indigné et solidaire. Neuf heures d'une émission spéciale qui a donné voix aux indignations. Certaines nous parvenaient en direct de Jérusalem. Ma radio s'indignait de l'état du monde.

Un an plus tard, devant une trentaine d'étudiants du cégep Rosemont pour enseigner la radio, je n'avais pas grand-chose à leur apprendre sinon un rappel, devenu un sermon, un matraquage : « Pour garder votre radio vivante, intéressante et fondamentalement communautaire, même si vous la pratiquiez en privé ou à Radio-Canada, tendez votre micro là où ça se passe, là où ça vit ! Faites votre radio en dehors de la radio. » Ma radio donnait la parole au lieu de la prendre !

Et pour leur donner l'exemple, j'ai retrouvé la rue, micro à la main. Cette fois, je me suis arrêté dans un lieu où les itinérants de Montréal venaient faire de longues pauses. Toute la nuit d'un vendredi de Pâques 1989, j'ai animé en direct de Dernier Recours, sur les ondes de quatre radios communautaires, CINQ, CIBL, CKUT et CKRL, une fête de la parole : « Je suis un sans-abri, si ça n'apparaît pas, regardez-moi, ça va apparaître, je suis André Gauthier ». Dans ma radio, les sans-abris ont un nom et un titre : « Et je suis le roi des sans-abris à Montréal ».

Cette nuit, le roi nous faisait l'honneur de sa présence. De sa voix brûlée par l'alcool et les nuits folles, il chantait "Je louerai l'Éternel", dont le refrain est un halleluia que cet ancien alcoolique hurlait de toute son âme. Dans ma radio, les sans-voix réenchantent le monde.

Après la rue, où pouvais-je aller plus loin pour tendre mon micro ?

J'ai suivi le fil !

C'est ainsi que Souverains anonymes est née, le 11 décembre 1989. « Sur les ondes, nos voix grondent », disait un jour Nicodème. « Si je t'ai bien compris, tu es en train de me dire que nous sommes peut-être quelque chose comme une bonne nouvelle », avais-je répliqué. Dans ma radio, la nouvelle est bonne !

Ce jour-là, j'ai quitté la prison de Bordeaux avec une nouvelle et j'avais hâte de la partager avec ma femme. Après une réunion de presque une heure, on m'avait annoncé une décision : à l'unanimité, le conseil d'administration du Fonds de soutien à la réinsertion sociale des personnes incarcérées de l'Établissement de détention de Montréal avait décidé, en ma présence, que oui, je pouvais faire de la radio en prison.

Je venais de réaliser un rêve. Quelques années plus tôt, je quittais le sous-sol d'un commissariat dans ma ville marocaine, après avoir passé 18 heures à amuser mes codétenus. Théâtre et danse étaient au menu. De ce passage est née une idée, un rêve devenu quelques années plus tard un projet : s'évader par l'art et la culture. À 5000 km du sous-sol d'un commissariat marocain, le rêve devenait réalité, ma radio, une bonne nouvelle !

Arthur Fauteux était à l'époque l'administrateur de l'Établissement de détention de Montréal et le président du conseil d'administration du Fonds des détenus. Non seulement il a dit oui à la radio en prison, mais il a lui-même participé à plusieurs émissions et, chaque fois, cela a eu un impact positif sur certaines conditions de vie à Bordeaux.

Parmi les Souverains présents à cette première rencontre radiophonique, entre des détenus et un directeur de prison, il y avait Isabelle la Catholique, un Souverain de Bordeaux qui aimait s'identifier à une Souveraine espagnole. La Catholique tenait absolument à aborder la question de la bouffe :

Je l'exige, Mohamed, me disait-elle.
Mais bien sûr qu'on va en parler, mais dis-moi d'abord, tu connais Arthur Fauteux ?
Oui, je l'ai vu deux ou trois fois.
Et comment tu le trouves ?
Je le trouve beau.
Alors tu lui diras !

Arthur Fauteux s'attendait à toutes les questions sauf à celle-là : « Monsieur Fauteux, qu'est-ce que tu manges pour être aussi beau ? ». Après avoir lâché un grabd rire, le directeur de la prison a reconnu que parfois, lui-même, ne finissait pas son assiette à la cafétéria.
Cette visite a apporté aux détenus de Bordeaux un autre changement important. Tel que demandé par les Souverains, deux semaines après la visite du directeur, le médecin de l'établissement a été remplacé par un autre, plus compétent.

Un directeur de prison et des prisonniers se parlent autour d'un micro de radio. Cela s'est passé pour la première fois dans l'histoire de la radio à la prison de Bordeaux, à Montréal, le 26 mars 1992. La plupart des gars présents ce jour-là connaissaient le nom d'Arthur Fauteux comme étant l'administrateur de l'établissement. Certains le connaissaient bien en personne et l'appelaient par son prénom. Les questions étaient intelligentes, nuancées, parfois d'un humour étonnant : « Monsieur le directeur, la liberté est une maison à plusieurs portes. Laquelle tu nous ouvres ? Celle du respect ? Celle de la tolérance ? Celle de la création ? Celle de la communication ? Celle de l'amour ? Ou celle de Bordeaux ? »

Réponse d'Arthur :

«

Je vais vous ouvrir toutes les portes sauf celle de Bordeaux ! La question est bonne ! Si vous ouvrez toutes ces portes-là, celle du respect, celle de la communication, celle de la tolérance, la seule qui va retarder, c'est celle de Bordeaux, mais elle va finir qu'à s'ouvrir et elle va se refermer à jamais. Mais si vous ne misez que la porte de Bordeaux. Si vous mettez toutes vos énergies que sur la porte de Bordeaux et vous ne découvrez pas celle du respect, de la tolérance, de la communication... c'est vrai qu'elle va s'ouvrir. Mais elle va se ré ouvrir aussi !

»

Ainsi, ma polygamie radiophonique m'a emmené aux confins de la condition humaine : des prisons aux trottoirs, des cafés solidaires aux studios improvisés, des cris d'indignation aux chants d'espérance. Elle m'a porté dans les marches pour la paix, dans le refus des guerres, dans les élans de solidarité avec toutes les Intifada du monde, et plus particulièrement avec celle du peuple de Palestine.

Ma radio m'a fait faire le tour du monde dans une prison. Elle n'était pas seulement un médium, mais un passage secret vers les profondeurs de l'âme humaine, là où la parole devient survie et la radio, un acte de dignité et de résistance.

Mohamed Lotfi
25 septembre 2025

Ce texte est une mise à jour d'un chapitre, intitulé Ma Radio, de mon livre Vols de temps, Leméac, 2019.

Aujourd'hui, une seule radio continue à diffuser Souverains anonymes, CIBL 101,5 FM, tous les jeudis à 20 h. Des émissions qu'on peut aussi écouter sur ce site qui regroupe 35 ans d'archives audio et vidéo : www.souverains.qc.ca <https://www.souverains.qc.ca/>

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La Palestinienne Malak Mattar « heurte la sensibilité » du monde de l’art

L'admission de la première peintre palestinienne à la prestigieuse école Central Saint Martins of Art and Design de Londres a mis en lumière les paradoxes d'un monde artistique (…)

L'admission de la première peintre palestinienne à la prestigieuse école Central Saint Martins of Art and Design de Londres a mis en lumière les paradoxes d'un monde artistique contemporain qui se targue de provocation – mais dans des limites très établies.

Tiré d'Orient XXI.

Ma famille est affamée par Israël. » En ce début de mois de juillet 2025, alors que les élèves présentent leurs travaux de fin d'études, le panneau est immense et trône au milieu de la grande salle d'exposition de Central Saint Martins and Design, la très réputée école d'art, de mode et de design de Londres. Placée sous le panneau, l'installation de l'artiste gazaouie Malak Mattar montre un soldat israélien, une arme à la main ; un enfant gît au sol ; un chien regarde la scène, les crocs acérés, prêt à l'attaque.

Le message artistique passe immédiatement : l'urgence de la situation à Gaza est transmise comme un électrochoc. L'artiste parait avoir laissé de l'espace entre les personnages de l'installation pour que nous puissions déambuler entre eux, nous mettre — pourquoi pas — entre le bourreau et l'enfant, tenter de le protéger de l'arme à feu, du chien prêt à le dépecer.

L'installation s'inspire de l'histoire de Mohammed Bahr, jeune homme trisomique et autiste de Gaza, que l'armée israélienne a laissé se faire dépecer par un chien d'attaque avant de l'abandonner, mort, dans sa maison. Sa famille ne l'a retrouvé qu'une semaine plus tard, lorsqu'elle a pu y retourner. Sa mort d'une violence inouïe est attestée par une enquête de la BBC et racontée par la journaliste palestinienne Bisan Owda, qui rapporte les derniers mots du garçonnet : « Khalas Habibi Sibni » (« Allez mon chéri, laisse-moi »), alors que le chien le dévorait.

Un niveau dément de déshumanisation

Le projet artistique de la première peintre de Gaza à avoir étudié dans la prestigieuse institution anglaise — fière de compter parmi ses anciens élèves Alexander McQueen, Stella McCartney pour la mode, mais aussi des artistes radicaux comme Joe Strummer, l'ex-leader du groupe punk The Clash, le sculpteur Richard Deacon ou le peintre Robert Medley — semblait pourtant risquer de « heurter certaines sensibilités ».

Alors que le génocide à Gaza entrait dans sa phase la plus violente en juillet 2025, avec le recours à la faim comme stratégie militaire, Malak Mattar a vu disparaître toutes les personnes et les lieux qu'elle avait connus. Mais ce sont ses peintures qui nécessitaient d'être « pacifiées », selon l'institution anglaise.

La peintre explique :

  1. Tout le monde était anxieux. Tout le staff de l'école se comportait de manière passive-agressive : j'étais là, celle dont la famille meurt de faim, mais personne ne me demandait quoi que ce soit sur mes proches. Il y a quelque chose de fou dans tout cela, lorsqu'on pense que mes oppresseurs peuvent se sentir blessés parce que je montre que mon peuple est en train d'être exterminé. Les sentiments des oppresseurs sont plus importants que l'extermination des opprimés. Le degré de déshumanisation, d'invisibilité que nous avons atteint est dément.

L'institution artistique, qui se targue de repousser toutes les limites, d'inviter à la provocation et de se connecter avec le monde, a eu beaucoup de mal à dénoncer le génocide, explique encore l'artiste — alors que l'école avait publié divers communiqués après l'agression russe en Ukraine en février 2022.

Gaza est un phénix

Malak Mattar est arrivée à Londres de Gaza avec un visa spécial, le Global Talent visa, pour son excellence artistique… le 6 octobre 2023. Ne recevoir aucun soutien de l'institution alors qu'elle vivait un cauchemar éveillé a été une expérience très violente. Mattar n'a que 25 ans mais, dans sa voix et dans son sourire, on sent le poids des épreuves : elle a déjà vécu trois guerres. Elle a commencé à peindre à 14 ans, lors de ce qu'elle croyait être la plus longue agression israélienne contre Gaza — 50 jours en 2014.

Aujourd'hui réfugiée à Londres, elle s'inspire de beaucoup d'images, de sons et de vidéos qu'elle a vues et revues. Il y a l'image de la vieille paysanne Mahfoza Oude accrochée à son olivier alors que des tracteurs israéliens le déracinent (1). Ou encore la voix de la petite Hind Rajab enfermée dans la voiture de ses parents et assassinée le 29 janvier 2024 par des soldats israéliens après avoir passé, seule, plusieurs heures au téléphone avec les secours.

Des hommes, femmes et enfants de Gaza qui sont autant d'inspirations pour une autre toile proposée dans l'exposition « Gaza is a Phoenix. » Le tableau a été réalisé lors du court cessez-le-feu de l'hiver 2025 (du 19 janvier au 18 mars), d'où l'éphémère moment de répit et le mince espoir partagé par d'autres Gazaouis reflété dans son titre. Le phénix est aussi le symbole de la municipalité de Gaza.

Comme dans d'autres de ses œuvres, notamment sa fresque No Words (« Pas de mots »), l'artiste lutte contre l'aspect éphémère de ces images relayées sur les réseaux sociaux, qui créent l'émotion et l'empathie pendant quelques heures avant de disparaître :

  1. Je ne veux pas que ces gens soient oubliés. Je peins des personnes que j'ai vues en vrai, en vidéo, et dont les visions m'ont changée, bouleversée au plus profond. Je suis de Gaza, et chaque fois que je vois ces images, je ne suis plus la même. J'espère pouvoir les garder dans l'Histoire à travers mes toiles.

La fresque est aussi remplie d'animaux, comme cet immense gorille qui tient un soldat dans sa main — en souvenir du fameux singe de Gaza qui s'était échappé du zoo après un bombardement israélien en juin 2024. La jeune femme a souvent recours aux animaux dans ces œuvres. Comme pour rappeler que, eux non plus, n'ont rien fait pour mériter cela.

Hypocrisie occidentale

Ces œuvres de Mattar étaient présentées dans le cadre de l'exposition annuelle des diplômés du Master en beaux-arts de l'école (MFA Graduate Show). Les autres œuvres exposées étaient tellement plus attendues et faussement provocatrices qu'elles en devenaient terriblement agaçantes.

Devant le bâtiment de Central Saint Martins, les enfants de la Londres multiculturelle et branchée de King's Cross jouent en maillot dans les fontaines de la place, le ventre bien rempli. Dans la salle d'exposition, les jeunes artistes du Master paradent. Ils sont habillés « en artistes » : capuches ou tenues vintages, avec colliers de perles sur robes écossaises et chaussures compensées. L'ensemble ressemble à un défilé de mode — ou à l'image que l'on peut se faire de la fameuse « classe créative », moteur d'une hypothétique croissance économique du XXIe siècle selon Richard Florida, docteur de l'Université Columbia en aménagement urbain.

Ici comme ailleurs, l'horreur de Gaza devient un révélateur de notre incapacité et de notre frustration à intervenir, à arrêter le massacre et, dans ce contexte précis, à dénoncer un monde de l'art contemporain tourné sur lui-même, qui a fait de la provocation un modèle de marketing.

L'avertissement installé à l'entrée de l'exposition indiquant que certaines oeuvres « pourraient heurter la sensibilité de quelqu'un », indigne Mattar :

  1. J'étais hors de moi lorsque j'ai vu le panneau à l'entrée. Ils avaient écrit que des références explicites à des conflits armés pouvaient rendre certaines personnes mal à l'aise. Et que les enfants de moins de 18 ans devaient être accompagnés !

« Poverty porn » et bobos

En visitant le reste de l'exposition avec Malak Mattar, d'autres paradoxes apparaissent. Elle entre dans une installation représentant un council flat (appartement à loyer réduit). L'appartement est sale, jonché de bières et de mégots. Elle, qui rêve d'un logement social pour la partie de sa famille qui, pour l'instant, a réchappé au génocide et a trouvé refuge au Royaume-Uni, n'accepte pas cette stigmatisation de la pauvreté : « Un council flat ne signifie pas forcément saleté et dégradation », juge-t-elle.

Comment ne pas penser alors à la chanson mordante du groupe de rock britannique Pulp, Common People (1995) qui raconte l'histoire d'une fille à papa grecque venue étudier à la Central Saint Martins et qui voulait vivre comme « les gens du peuple » :

  1. Ris avec les gens du peuple
  1. Ris avec eux, même s'ils se moquent de toi
  1. Et des choses stupides que tu fais
  1. Parce que tu penses que la pauvreté, c'est cool.

À voir cette exposition, l'on pense au concept de Poverty porn qui décrit ce phénomène qui réduit, à des fins sensationnalistes, les personnes à leur pauvreté, en les privant de complexité, de dignité et d'autonomie. En contexte britannique, il semble faire bon ménage avec une provocation convenue : « la proportion d'acteurs, de musiciens et d'écrivains issus de la classe ouvrière a diminué de moitié depuis les années 1970 », selon un article de la British Sociological Association (2).

Le nouvel esprit du capitalisme

Le gouvernement britannique a réduit drastiquement le financement des disciplines artistiques depuis plus de deux décennies. Aujourd'hui, l'éducation au Royaume-Uni est considérée comme un modèle de business, attirant une élite globale en quête de légitimation par un diplôme anglais.

Un article du magazine britannique branché Hunger Magazine sonnait déjà l'alarme quant à la logique du marché appliquée par la Central Saint Martins and Design (3). Ces « environnements transactionnels », axés sur la réussite, finissent par tuer ce pour quoi elles étaient recherchées dans un premier temps : leur capacité de rupture et de créativité. Cette exposition censée présenter les œuvres d'une nouvelle génération d'artistes est une parfaite illustration d'une homogénéisation des œuvres, d'une esthétique globalisée, bourgeoise et faussement subversive, dans la lignée du « nouvel esprit du capitalisme » analysé par Luc Boltanski et Ève Chiapello (4.)

Si Malak Mattar est terriblement reconnaissante d'avoir pu sortir de Gaza et de pouvoir exposer librement, il lui est difficile d'oublier ses premiers mois à Londres. Ils devaient être ses premiers moments d'émancipation artistique et individuelle, ils se sont transformés en moments d'angoisse. Les membres de sa famille étaient sous les bombes, tous séparés. Elle ne pouvait rien créer. Elle devait simplement tenter de sauver des vies. Après six mois d'errance, elle qui peignait presque exclusivement des portraits de femmes aux couleurs vives a repris ses pinceaux pour construire une immense fresque, No Words, « (Il n'y a pas de mots ») en noir et blanc. La toile représente l'errance des hommes, des femmes, des enfants et de nombreux animaux, toujours sous les bombes, toujours en fuite.

De fait, Mattar possède une force de création et de résistance hors du commun. Au sortir de ces deux années d'études, elle a tout de même pu organiser mi-mai 2025 une exposition intitulée Falasteen (Palestine) aux Window Galleries, qui dépendent de la CSM à Granary Square. Celle-ci a été reprise et recensée par The Art Newspaper. Elle cherche, dans des œuvres toujours plus puissantes, à éveiller les consciences. Elle a ainsi été désignée directrice artistique de l'immense concert du 17 septembre à Wembley « Together for Palestine » (« Ensemble pour la Palestine ») organisé par le musicien Brian Eno. Cet événement caritatif a rassemblé un nombre impressionnant de groupes dont Gorillaz, Saint Levant et Neneh Cherry. Il a aussi permis à des figures de premier plan des arts et du sport de s'exprimer en soutien aux Palestiniens, dont le footballeur Éric Cantona et l'acteur Benedict Cumberbatch. Enfin, ce n'est pas un hasard si la couverture du dernier livre de la rapporteuse spéciale de l'ONU sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese, Quand le monde dort5 montre une peinture de l'artiste palestinienne intitulée Last Night in Gaza. (« Dernière nuit à Gaza »).

Notes

1- NDLR. La photo a été prise en 2005, dans un village près de Naplouse. Mahfoza Oude, une Palestinienne de 60 ans a perdu des dizaines d'oliviers, source de revenus pour sa famille et symbole du soumoud, après l'envahissement de ses terres par des colons israéliens.

2- « Prospects for working-class creatives no better or worse today than in 1960s, says research », British Sociological Association, 12 décembre 2022.

3- Megan Wallace, « The DIY Issue : That's So CSM », Hunger Magazine, 19 novembre 2020.

4- Luc Boltanski et Ève Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999.

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Qui fait la guerre à l’Europe ?

30 septembre, par Vincent Presumey — ,
Après l'incursion de 19 drones russes sur la Pologne, dont 4 détruits par l'OTAN, puis une opération similaire dans le ciel roumain, ce sont des avions de guerre qui ont (…)

Après l'incursion de 19 drones russes sur la Pologne, dont 4 détruits par l'OTAN, puis une opération similaire dans le ciel roumain, ce sont des avions de guerre qui ont survolé, le 19 septembre, l'Estonie et les eaux estoniennes du golfe de Finlande ; et depuis, on ne compte plus les signalements de drones sur une aire européenne de plus en plus vaste, touchant maintenant à l'Allemagne, à la France et au Royaume-Uni, avec une concentration particulière sur le Danemark qui produit la fermeture récurrente des aéroports civils et militaires. A l'heure où sont écrites des lignes, un accident aérien a failli se produire au-dessus d'Amsterdam en raison de ces drones.

Dans les trois pays baltes, Lituanie, Lettonie et Estonie, la fabrique des drones est devenue une activité sociale massive, avec le conseil des Ukrainiens.

On peut, certes, s'amuser à se raconter, et, plus grave, à répéter dans le mouvement ouvrier, que la menace russe est, au choix, une invention de Macron, un thème de propagande ukrainienne, un épouvantail pour justifier le réarmement européen, voire, comme le développe le PTB en Belgique, un argument belliciste européen car Trump aurait missionné l'Europe pour prolonger la guerre en Ukraine et pouvoir s'occuper de la Chine, etc.

Il n'empêche que ces faits sont réels et interrogent – la Russie réagissant cyniquement à sa désignation comme auteur évident de ces provocations en les traitant de mensonges dont elle fait un motif supplémentaire d'agressivité …

En fait, depuis l'investiture de Trump, la « paix en Ukraine » puis le « cessez-le-feu » visant à livrer toute l'Ukraine si possible, et au moins tout le Donbass, à Poutine, préludaient clairement, à qui voulait bien comprendre les menées impérialistes réelles, à une offensive russe visant probablement la Baltique, la menace trumpienne et étasunienne s'accentuant dans le même temps sur le Canada et le Groenland.

Trump a échoué et, derrière lui, le projet étatsunien d'entente avec la Russie contre la Chine avec livraison de l'Ukraine à la Russie, a échoué, depuis plusieurs mois déjà.

D'une part, la domination économique chinoise sur la Russie a formé une sorte de « glue » dont la Russie ne sortira pas même si Trump lui livre la moitié de l'Europe.

D'autre part, l'Ukraine est invaincue, la « percée » russe opérée pour le communiqué à la veille du sommet d'Anchorage a été liquidée et écrasée, et surtout les opérations ukrainiennes contre les sites énergétiques russes et en mer Noire affaiblissent très réellement la Russie, lui barrant notamment la route en mer Noire et rouvrant même les rumeurs sur un projet de reconquête de la Crimée, ce qui semble utopique à court terme, mais pas si invraisemblable dans la durée.

Les mouvements de la jeunesse ukrainienne en défense de la séparation des pouvoirs à l'encontre de la présidence, qui ont obtenu des victoires rapides sans règlement sur le fond, s'inscrivent d'ailleurs comme un aspect de la combativité démocratique du peuple ukrainien, sur le front comme dans la rue.

Dans ce contexte, il ne faut pas accorder grande crédibilité au dernier en date des « revirements » de Trump sur l'Ukraine, prenant apparemment le parti de l'aider sérieusement : d'abord, ce n'est pas fait, et d'autre part, ceci participe de la crise interne aux Etats-Unis, sujet central sur lequel il nous faudra vite revenir, et probablement des inquiétudes de secteurs impérialistes à la suite du double échec de Trump – échec à décoller la Russie de la Chine, échec à livrer l'Ukraine à Poutine.

Accordons, cependant, toute sa signification au fait, étonnant à premier vue pour qui n'aurait pas saisi les évolutions rapides de l'année en cour, que le pays le plus harcelé par les opérations de drones russes et de « guerre hybride » se trouve être le Danemark. C'est, en effet, précisément le Danemark que, de l'autre côté (au plan géographique), Trump a pris pour cible en voulant annexer le Groenland. Nous avons là, en réalité, une des premières matérialisations directes de la possibilité de la guerre sur deux fronts, imposée à l'Europe par l'Axe néofasciste Trump/Poutine.

La double menace sur l'Europe est une réalité, et elle est au cœur, à Aplutsoc, de nos analyses sur la multipolarité impérialiste instable actuelle. Elle s'affirme de plus en plus fort ces derniers jours.

Cela ne veut pas dire que la guerre généralisée est imminente, mais bien qu'elle est possible. Et comprenons bien que la principale raison pour laquelle cela ne veut pas dire que la guerre généralisée est un risque à très court terme (mais à moyen terme, certainement), vient du fait que l'Ukraine est invaincue, et aussi que les mouvements sociaux sont là, comme en France, mais aussi en Serbie, où se déroule le plus long et le plus important des mouvements de la jeunesse dans ce continent depuis des décennies : la résistance ukrainienne et les mouvements des peuples sont, en Europe orientale et centrale, subjectivement reliés, et ils le sont au moins objectivement en Europe occidentale.

La Russie peut donc difficilement mettre en œuvre ce que Poutine s'est mis à préparer activement dès la victoire de Trump, à savoir l'attaque sur la Baltique, car celle-ci aurait « dû » faire suite au « cessez-le-feu » soumettant l'Ukraine, et il n'en est rien. La pression baltique et européenne qu'elle exerce actuellement doit donc plutôt s'interpréter comme un substitut à cette guerre qui n'a pas encore eu lieu, et aussi comme une tentative d'équilibrer la défaite stratégique que la Russie est en train de subir en mer Noire. Des dérapages étant évidemment possible : le jeu avec la guerre peut toujours échapper à ceux qui se prennent pour les meneurs de jeu.

Crier « guerre à la guerre » sans dire d'où vient la guerre, ou, pire, en accusant l'Europe, devenue aux yeux des campistes bien plus atlantiste que les Etats-Unis, d'être la fauteuse de guerre, c'est en réalité pratiquer l'union sacrée avec Trump et Poutine et, en filigrane, avec l'extrême droite européenne.

Qui fait la guerre à l'Europe ? Trump et Poutine, ce dernier directement tout de suite. Dire ce qui est n'implique nul soutien aux impérialismes européens, déboussolés par cette situation et structurellement incapables de la surmonter. Le gouvernement danois, qui poursuit désespérément ses achats d'avions aux Etats-Unis, est d'ailleurs une illustration exemplaire de cette incapacité.

L'internationalisme passe par la nécessité d'assumer la question de la défense et de la préparation à la guerre, qui n'implique nul soutien, bien au contraire, aux lois de programmation militaire du type Macron/Lecornu en France ou Merz en Allemagne, car ce n'est pas en gavant les trusts industrialo-financiers de l'armement, ni en produisant en masse des armes et des vecteurs nucléaires, que les peuples seront protégés.

Leur protection passe, tout de suite, par l'armement massif de l'Ukraine en drones, artillerie anti-aérienne, avions non programmés aux Etats-Unis, renseignement, et par l'emploi de la force navale pour liquider immédiatement et totalement le blocus génocidaire de Gaza.

Et cela, ce n'est évidemment pas la politique de Macron : ce devrait être celle d'un gouvernement démocratique représentant la majorité et défendant ses besoins en matière de défense comme dans les questions sociales et écologiques.

Toute campagne contre le « militarisme européen » qui récuse par avance cette alternative n'est en réalité qu'une campagne conduisant à l'union sacrée avec Trump, Poutine et l'extrême droite.

VP, 27/09/25

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Chine : Fragilités de la classe moyenne dans une économie en difficultés

30 septembre, par Andrea Ferrario — , , ,
« Alors que les dirigeants continuent de parler de 'prospérité commune' et que certains secteurs technologiques remportent des succès importants, les personnes qui font (…)

« Alors que les dirigeants continuent de parler de 'prospérité commune' et que certains secteurs technologiques remportent des succès importants, les personnes qui font officiellement partie de la classe moyenne vivent souvent dans une situation précaire. »

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

Le projet ambitieux de Xi Jinping visant à construire une classe moyenne solide en Chine se heurte aujourd'hui à une réalité économique de plus en plus difficile. C'est ce que constate le quotidien allemand Handelsblatt, dans une analyse qui part de l'histoire personnelle de Wang Chaowei, ancien cadre dans le secteur de l'éducation, qui a fait trois mille kilomètres pour déménager de Dalian à Chengdu avec sa famille, abandonnant sa carrière professionnelle pour devenir vendeur de brochettes de viande sur un marché de nuit. Son histoire illustre un phénomène de plus en plus manifeste en Chine : le rêve d'ascension sociale perd de sa crédibilité auprès de millions de citoyens chinois.

Le gouvernement de Pékin s'était fixé pour objectif de faire entrer 800 millions de personnes dans la classe moyenne, définissant ce groupe social comme étant composé de personnes dont le revenu annuel est compris entre 60 000 yuans (environ 7 000 euros) et 500 000 yuans (environ 60 000 euros). Il s'agit d'une fourchette très large, clairement destinée à faire entrer dans ce panier des personnes pauvres, pour ensuite vanter le énième prétendu « succès chinois ».

Derrière ces tentatives d'alchimie manipulatrice se cache cependant une réalité beaucoup moins brillante. Les données économiques récentes envoient des signaux alarmants. Le chômage des jeunes a atteint 18,9 % en août, tandis que les ventes de détail et la production industrielle progressent à un rythme de plus en plus lent. Le marché immobilier, traditionnellement considéré comme un pilier de l'épargne et donc de la « prévoyance privée », continue d'afficher des prix en baisse depuis des années, alimentant l'incertitude parmi les familles qui aspirent à améliorer leur condition.

Les personnes qui font officiellement partie de la classe moyenne vivent souvent dans une situation précaire. Dans les métropoles comme Shanghai, une famille dont les revenus mensuels se situent entre 1 500 et 3 000 euros par mois parvient à subvenir à ses besoins en matière de logement, de voiture et d'éducation des enfants, mais ne dispose d'aucune marge pour dégager des économies significatives. Le fossé entre les régions urbaines et rurales aggrave encore la situation : les citadins gagnent en moyenne deux fois plus que les ruraux, ce qui crée des inégalités qui freinent la consommation et les investissements au niveau national.

Long Youshen, ancien expert en informatique chez Samsung, a choisi de se réinventer en cultivant des fraises biologiques destinées précisément à la classe moyenne urbaine. Son expérience révèle les contradictions du moment actuel : au départ, l'entreprise prospérait, mais elle enregistre aujourd'hui une baisse de la demande, car les consommateurs sont de moins en moins prêts à se permettre de petits luxes quotidiens. Les mesures gouvernementales visant à stimuler les prêts et à soutenir la consommation par le biais de programmes de remplacement des appareils électroménagers n'ont pas été efficaces, car ce qui manque, c'est la sécurité économique susceptible d'inciter les gens à dépenser.

L'économiste Wolfgang Keller souligne que les problèmes sont structurels plutôt que cycliques : la croissance chinoise reste excessivement dépendante des investissements et des exportations, tandis que le pouvoir d'achat des ménages reste insuffisant. Selon l'analyste Nouriel Roubini, le risque est que la Chine tombe dans le « piège du revenu moyen », restant bloquée dans la transition vers une économie développée à hauts salaires. Alors que les dirigeants continuent de parler de « prospérité commune » et que certains secteurs technologiques remportent des succès importants, des familles comme celles de Wang et Long vivent une Chine différente, caractérisée par une incertitude croissante et des attentes en baisse.

Andrea Ferrario

• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepLpro.

Source : Facebook

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Répondre au million de manifestant·es : l’intersyndicale lance un ultimatum

30 septembre, par L'intersyndicale de la CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CTFC, UNSA, FSU et Solidaires — , ,
Communiqué intersyndical de la CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CTFC, UNSA, FSU et Solidaires L'ensemble des organisations syndicales se félicite du succès de la journée de (…)

Communiqué intersyndical de la CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CTFC, UNSA, FSU et Solidaires

L'ensemble des organisations syndicales se félicite du succès de la journée de mobilisation interprofessionnelle et unitaire du 18 septembre avec un million de manifestant·es et de grévistes dans toute la France. Cela confirme la colère et la détermination des salarié·es, privé·es d'emplois, jeunes et retraité·es : les sacrifices pour le monde du travail, ça suffit !

22 septembre 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/09/22/repondre-au-million-de-manifestant%c2%b7es-lintersyndicale-lance-un-ultimatum/#more-98133

La mobilisation contre le budget d'austérité a commencé à payer, elle a obligé le pouvoir à abandonner la suppression de deux jours fériés.

La mobilisation massive du 18 septembre démontre que le compte n'y est toujours pas ! Les organisations syndicales, avec les travailleuses et les travailleurs, exigent :

– L'abandon de l'ensemble du projet de budget et notamment le doublement des franchises médicales, l'année blanche (désindexation des pensions, des prestations sociales, des salaires des agent·es de la fonction publique et du budget des services publics), la suppression de 3000 postes de fonctionnaires et la réforme de l'assurance chômage, ainsi que des projets attaquant le code du travail, et le 1er mai ;

– La justice fiscale, avec la mise en place de dispositifs qui taxent les gros patrimoines et les très hauts revenus, et contraignent le versement des dividendes ;

– La conditionnalité sociale et environnementale des 211 milliards d'euros d'aides publiques aux entreprises privées ;

– Des moyens budgétaires à la hauteur pour les services publics partout sur le territoire ;

– Une protection sociale de haut niveau et l'abandon du recul de l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans ;

– Des investissements dans une transition écologique juste et la réindustrialisation de la France, et des mesures contre les licenciements.

La balle est maintenant dans le camp du Premier ministre. Si d'ici au 24 septembre il n'a pas répondu à leurs revendications, les organisations syndicales se retrouveront pour décider très rapidement d'une nouvelle journée de grève et de manifestations.

Les organisations syndicales pointent également la responsabilité du patronat et exigent l'ouverture de négociations salariales dans toutes les branches et les entreprises. D'ici là, les travailleuses, les travailleurs et leurs syndicats maintiendront la pression par différentes initiatives, organisations de réunions d'information, assemblées générales du personnel, actions dans les entreprises, les services et administrations…

La réussite du 18 septembre place les travailleuses et les travailleurs en position de force. Les organisations syndicales conviennent d'ores et déjà de se revoir très régulièrement pour prendre toutes les initiatives nécessaires afin de mettre le débat budgétaire sous la pression du monde du travail et gagner enfin la justice sociale.

Le 19 septembre 2025

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Rapport de tournée de la campagne L’information, un bien public

30 septembre, par Fédération nationale des communications et de la culture (FNCC–CSN) — , ,
Montréal, le 27 septembre 2025 — Dans la dernière année, la Fédération nationale des communications et de la culture (FNCC–CSN), qui représente un nombre important de (…)

Montréal, le 27 septembre 2025 — Dans la dernière année, la Fédération nationale des communications et de la culture (FNCC–CSN), qui représente un nombre important de travailleuses et de travailleurs de l'information au Québec, a effectué une tournée de consultations dans le cadre de sa campagne « L'information, un bien public ». Des tables de discussion se sont tenues à Chicoutimi, Gatineau, Laval, Longueuil, Montréal, Québec, Rimouski, Rouyn-Noranda, Sainte-Adèle, Sherbrooke et Trois-Rivières, auxquelles ont participé des actrices et acteurs du milieu des médias, des propriétaires d'entreprises de presse, des élu-es, des responsables de différentes organisations sociales et communautaires et différents leaders de la société civile.

« Toutes les organisations et tous les gens rencontrés s'entendent sur la chose suivante : le système par l'entremise duquel l'accès à l'information était assuré est rompu », expose Annick Charette, présidente de la FNCC–CSN.

Les revenus publicitaires des médias d'information se sont volatilisés, aspirés et accaparés par une poignée de multinationales du numérique. « Étant dans l'obligation de fonctionner avec des revenus constamment revus à la baisse, nombre de médias se voient dans l'obligation de mettre la clé dans la porte ou bien de réduire la masse salariale. D'autres ont pris la décision de miser sur la convergence de leurs ressources, fermant des antennes locales ou rapatriant les travailleuses et les travailleurs dans un grand centre. Les petites villes subissent généralement les conséquences de telles décisions. Elles deviennent tributaires des décisions arbitraires du média national en ce qui a trait aux choix des contenus traités. Ainsi, au Saguenay–Lac-Saint-Jean, des événements qui se déroulent à Roberval ne sont parfois pas traités par les médias régionaux, car le déplacement trop long — à partir de Chicoutimi ou de Jonquière, par exemple — empêcherait la couverture d'autres nouvelles importantes. Le scénario est similaire sur la Côte-Nord ou dans le Bas-Saint-Laurent. Ce phénomène marquant en région dite “éloignée” est aussi familier dans les grands centres, alors que les quartiers de Montréal ou de Laval se voient souvent oubliés dans la couverture nationale », continue la présidente.

Simultanément, les médias souffrent d'une certaine perte de confiance d'une partie de la population. « La qualité de l'information produite est aussi un sujet de préoccupation partagée par les personnes consultées, dans une ère où le journalisme et l'opinion et la chronique se côtoient et où parfois la ligne entre les deux est floue. En effet, afin de pallier le manque de financement, des médias misent de plus en plus sur la formule à la mode qui consiste à commenter les nouvelles grâce à des intervenantes et intervenants qui offrent leur opinion sur divers sujets. Aussi pertinente soit-elle, une opinion et une chronique ne constituent pas du travail journalistique, lequel se veut objectif et basé sur la vérification des faits et non une interprétation », enchaîne Mme Charette. C'est pourquoi la nécessité de développer l'éducation aux médias a été soulevée à plusieurs reprises.

Un peu partout, les participantes et participants ont soulevé l'importance de dynamiser et de diversifier les sources de financement pour les médias. Le fait qu'il soit important de sensibiliser les divers paliers de gouvernement et les agences publicitaires quant à l'importance du placement dans les médias locaux est aussi partagé par tous. « Le gouvernement du Québec pourrait faire comme celui de l'Ontario et exiger que ses ministères et agences investissent un minimum de 25 % de leurs dépenses publicitaires dans les médias locaux. Notre gouvernement provincial pourrait implanter cette même cible pour ses achats publicitaires. Le fédéral aussi, d'ailleurs ! » souligne Mme Charette.
Les défis sont majeurs. « Seuls nos gouvernements ont la capacité structurante d'y remédier. Et ce n'est pas en abandonnant la taxe sur les services numériques sur une seule respiration de Donald Trump que le gouvernement canadien démontre qu'il a l'intention de faire partie de la solution. L'information journalistique crédible a un coût : il en va de la responsabilité de toutes et de tous d'en prendre acte afin de la protéger », conclut la présidente.

Pour consulter le rapport et les autres pistes de solutions, rendez-vous au https://fncc.csn.qc.ca/wp-content/uploads/2025/08/2025.05_CSN-FNCC_Tournee-Rapport_VF-Num.pdf.

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Oxfam dénonce la mainmise des ultrariches sur la transition énergétique

30 septembre, par Oxfam-Québec — , ,
La transition vers les énergies renouvelables est accaparée par les ultrariches — individus, entreprises et États — qui reproduisent les logiques coloniales, aggravent les (…)

La transition vers les énergies renouvelables est accaparée par les ultrariches — individus, entreprises et États — qui reproduisent les logiques coloniales, aggravent les inégalités et alimentent les violations des droits humains, montre un nouveau rapport d'Oxfam.

Alors que les pays du Sud détiennent environ 70 % des réserves de minerais stratégiques pour la transition énergétique, ce sont les pays du Nord (46 %) et la Chine (29 %) qui concentrent la majorité des investissements dans les énergies renouvelables. Les bénéfices finissent, en grande partie, entre les mains des 1 % les plus riches.

Le rapport d'Oxfam cite en exemple l'entreprise Tesla du milliardaire Elon Musk, qui a généré 5,63 milliards de dollars de bénéfices grâce à la vente de véhicules électriques en 2024. Pour chaque voiture, Tesla réalise 3 145 $ de profit — soit 321 fois plus que ce que la République démocratique du Congo (RDC) perçoit pour fournir les 3 kg de cobalt nécessaires à la fabrication de ces véhicules.

La RDC ne capte que 14 % de la chaîne de valeur du cobalt. Si elle captait l'intégralité, cela représenterait plus de 4 milliards $ par an — de quoi fournir une énergie propre à la moitié de sa population de près de 110 millions d'habitants.

Le rapport d'Oxfam dénonce un pillage massif des ressources : lithium, cobalt, nickel, terres rares, accaparement de terres pour la bioénergie, projets de captation carbone, barrages, parcs solaires et éoliens.

Ces projets sont souvent mis en œuvre sans le consentement des communautés vivant dans les pays concernés, avec des pratiques violentes, du travail forcé et des dommages environnementaux.

« Les pays riches et les ultrariches sont responsables de l'urgence climatique actuelle, en consommant sans limites le budget carbone par l'entremise de systèmes profondément inégalitaires et extractivistes. Et maintenant, ils cherchent à s'approprier la transition énergétique, aux dépens des pays les plus pauvres et les plus vulnérables. Une transition juste commence par la fin de l'injustice, du pillage et de l'excès », souligne Amitabh Behar, directeur général d'Oxfam International.

Un double déséquilibre

Les pays riches et les élites concentrent aussi le pouvoir dans l'architecture financière mondiale. Ils investissent massivement dans leur propre transition, tout en enfermant les pays du Sud dans une spirale d'endettement qui freine leur propre développement. Les pays dits « en développement » cumulent 11 700 milliards de dollars en dettes extérieures — plus de 30 fois le coût estimé pour assurer un accès universel à l'énergie propre d'ici 2030.

« Beaucoup de pays du Sud, malgré un potentiel immense (70 % du potentiel solaire et éolien mondial s'y trouve), sont exclus de la transition, faute de financements abordables. Nos recherches montrent que l'énergie coûte presque deux fois plus cher en Afrique que dans les pays riches. Les rares investissements étrangers qui existent visent l'extraction et les profits à court terme, au détriment de l'intérêt public », explique M. Behar.

Assurer une transition énergétique juste implique aussi de s'attaquer aux inégalités dans l'accès à l'énergie. Aujourd'hui, les 10 % les plus riches consomment la moitié de l'énergie mondiale, tandis que la moitié la plus pauvre de l'humanité n'en consomme que 8 %.

Une meilleure redistribution de l'énergie consommée par le 1 % le plus riche pourrait satisfaire sept fois les besoins énergétiques fondamentaux des personnes privées d'électricité.

Oxfam appelle les États à adopter une transition énergétique décoloniale, décentralisée et juste, fondée sur :

* Une approche de financement public prioritaire pour les objectifs climatiques et de développement, en rejetant le modèle du « consensus de Wall Street », qui impose des politiques de développement en fonction prioritairement des besoins et impératifs de la finance privée globale et non des réalités des pays du Sud global.

* Une reconnaissance de la responsabilité des pays, entreprises et individus riches dans la crise climatique ; ceux-ci doivent payer pour les pertes et dommages causés par la crise climatique qu'ils ont créée.

* Une réforme en profondeur des règles fiscales, commerciales et financières internationales, incluant la valorisation locale, le transfert de technologies et la souveraineté industrielle des pays du Sud.

* La fin des pratiques extractives et l'application stricte des droits du travail et des droits humains, y compris la reconnaissance des droits fonciers des peuples autochtones.


Notes

* Un résumé du rapport en français peut être consulté en suivant ce lien.<>

* Le rapport complet (en anglais) peut être consulté ici.<> Une version française sera disponible prochainement.

* La note méthodologique (en anglais) est accessible ici.<>

* Toutes les sommes sont exprimées en dollars américains.

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La transition énergétique enrichit les milliardaires et dévaste les pays du Sud, selon Oxfam

30 septembre, par Emmanuel Clévenot — ,
La transition énergétique enrichit les milliardaires et dévaste les pays du Sud, selon Oxfam. Les minéraux de la transition énergétique, extraits dans les pays du Sud, sont (…)

La transition énergétique enrichit les milliardaires et dévaste les pays du Sud, selon Oxfam. Les minéraux de la transition énergétique, extraits dans les pays du Sud, sont accaparés par les ultrariches occidentaux, dénonce Oxfam dans un rapport. Une pratique qui renforce des schémas coloniaux destructeurs.

24 septembre 2025 | tiré de reporterre.net.

Chasser de nos quotidiens les hydrocarbures, et tourner nos regards vers les renouvelables. Tel est le dessein de la transition énergétique, défendue et encouragée depuis maintes années en réponse à la crise climatique. Seulement, pour opérer cette métamorphose du système, des minéraux — lithium, cobalt, nickel et cuivre — sont nécessaires. Et si 70 % d'entre eux se trouvent dans les sous-sols des pays du Sud, une grande partie des bénéfices terminent dans les poches des 1 % les plus riches.

Le 24 septembre, Oxfam a dévoilé un rapport mettant en lumière les rouages de ce puissant business. D'après l'ONG, les ultrariches — individus, entreprises et États — s'approprient la transition au détriment des communautés à faibles revenus. Pas question pour eux d'abandonner leurs logiques capitalistes, ni d'interroger leur surconsommation énergétique. Pas question non plus d'imaginer un partage adéquat des profits tirés avec les habitants payant le plus lourd tribut des répercussions néfastes de l'exploitation minière.

« Ces projets impliquent souvent des violences, du travail forcé et des dommages environnementaux »

Dans cette course effrénée aux minerais, les pays du Sud voient leurs ressources être dérobées et leurs terres être accaparées par des multinationales. « Ces projets impliquent souvent des violences, du travail forcé et des dommages environnementaux, et sont mis en œuvre sans le consentement des communautés vivant dans les pays concernés », écrivent les auteurs. Et d'ajouter : « En d'autres termes, les dynamiques qui ont engendré le colonialisme historique refont surface sous de nouvelles formes avec la transition écologique. »

À en croire l'étude menée par Oxfam, 60 % des territoires reconnus comme terres autochtones seraient sous la menace de projets liés à la transition énergétique. Soit l'équivalent des superficies combinées du Brésil, des États-Unis et de l'Inde… ou encore de deux fois l'Empire colonial français à son apogée. « En l'absence de réforme urgente pour protéger les droits et les territoires, la transition ne fera que renforcer les schémas de plus de 500 ans de colonialisme énergétique, de l'esclavage et de l'exploitation de biomasse à l'ère du charbon et du pétrole », déplore Oxfam.

Tesla, l'incarnation du colonialisme vert

Levier essentiel de la décarbonation du secteur des transports, la conversion à l'électrique des parcs automobiles occidentaux est une illustration limpide de ce déséquilibre. D'un côté, des communautés subissent les coûts de cette transition. De l'autre, un milliardaire voit son portefeuille dopé par la crise climatique.

En 2024, Tesla, qui appartient à l'homme le plus riche au monde, Elon Musk, a enregistré 5,63 milliards de dollars de bénéfices grâce à la vente de ces véhicules électriques. En parallèle, la République démocratique du Congo n'a perçu que 17,5 millions de dollars de redevances pour les énormes quantités de minerais fournies pour la construction de chacune de ces voitures — 3 kilos de cobalt par véhicule.

L'écart est encore plus abyssal entre la fortune de l'oligarque et le salaire d'une personne travaillant dans les mines, évalué à 7 dollars par jour : « [Cela] signifie qu'il lui faudrait près de deux ans pour gagner ce que Tesla tire d'une seule voiture », notent les auteurs.

La France, aussi impliquée

Elon Musk, auteur d'un salut nazi en début d'année, n'est pas le seul à se faire de l'argent sur le dos des pays du Sud. La multinationale française, TotalEnergies, a elle aussi recourt à cette stratégie. En 2024, sa filiale majoritaire TE H2 a lancé un projet baptisé Chbika au Maroc. Objectif ? Développer un gigawatt de capacités solaires et éoliennes terrestres pour alimenter la production — par électrolyse d'eau de mer dessalée — d'hydrogène vert ensuite transformé en ammoniac vert… destiné au marché européen.

Si le concept semble obscur, l'intention finale est simple : alimenter l'Union européenne en ressources renouvelables. Ce, dans le but de répondre aux objectifs fixés par son plan REPowerUE, visant à réduire sa dépendance aux énergies fossiles russes à horizon 2027. En d'autres termes, le Maroc — comme les autres pays du Sud pourtant dotés de 70 % du potentiel éolien et solaire mondial — est, lui, exclu de la transition faute de financements abordables.

Des rouages financiers coloniaux

« L'architecture financière internationale est [d'ailleurs] tout aussi déséquilibrée puisque, façonnée par des siècles de pouvoir colonial, elle continue d'enfermer les pays à faibles revenus dans une dépendance structurelle », précise le rapport. Lorsqu'un pays riche investit dans un projet d'énergie propre, il bénéficie de taux d'intérêt de 3 à 6 %. À l'inverse, dès lors que le client est un pays du Sud, les banques gonflent ces taux jusqu'à 13,5 %. Autrement dit, alimenter 100 000 personnes en énergie propre coûte 95 millions de dollars pour le Royaume-Uni… mais 188 millions de dollars pour le Nigeria. Une différence de traitement justifiée par une perception déformée du risque, dit le rapport, façonnée par des décennies de stéréotypes négatifs.

Les dés sont aussi pipés par la spirale d'endettement dans laquelle les puissantes élites ont plongé les plus précaires. « Les pays dits “en développement” ont une dette extérieure de 11 700 milliards de dollars, soit plus de 30 fois le coût estimé pour assurer un accès universel à l'énergie propre d'ici 2030 », s'alarme Oxfam. Cette épée de Damoclès est un frein immense à leur transition énergétique.

Une seule donnée suffit à démontrer l'absurdité de la situation : 14 % de l'énergie consommée par les 1 % les plus riches de la planète pourrait répondre aux besoins énergétiques fondamentaux de toutes les personnes privées d'électricité. Une immense majorité d'entre elles vivent en Afrique subsaharienne. Pourtant, en 2024, le continent n'a capté que 2 % des investissements mondiaux dans les énergies propres. Une triste ironie du sort à laquelle Oxfam réclame de mettre fin.

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IA : L’angle mort

30 septembre, par Mario Charland — , ,
Le documentaire animé par la journaliste Noémie Mercier (« IA : L'angle mort »), diffusé à TQ (lundi 22 septembre), traite d'un enjeu crucial pour notre monde (…)

Le documentaire animé par la journaliste Noémie Mercier (« IA : L'angle mort »), diffusé à TQ (lundi 22 septembre), traite d'un enjeu crucial pour notre monde hyper-technologique qui se prétend encore « démocratique ».

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Comme son titre l'indique, la réalisatrice prend pour point de départ de son exposé l'idée que les dérives occasionnées par l'IA (ainsi que par tous les outils électroniques, informatiques, numériques qui envahissent toujours un plus notre quotidien) seraient « à la marge » de son utilisation, un peu comme cet « espace » qui échappe à la vision du conducteur automobile, d'autant plus dangereux que les rétroviseurs installés à l'intérieur du véhicule ne sont pas en mesure de donner à voir ce qu'il contient. Est-ce une raison pour ne plus jamais utiliser ce moyen de transport, étant donné les risques que ce phénomène représente pour la sécurité de tous les automobilistes et celle de leurs passagers ? D'emblée, spontanément, on répondrait « non » à cette question tellement l'inconvénient apparaît dérisoire eu regard aux avantages que procure l'auto-solo.

On a ainsi tendance à opérer le même type de raisonnement lorsqu'on prend en compte les « désavantages » inhérents aux nouvelles technologies en se disant (peut-être pour se rassurer) que, tout compte fait, en pesant le pour et le contre, malgré les possibles intrusions dans notre vie « privée » (et même « intime »), la désinformation que souvent elles génèrent, la manipulation de l'opinion à des fins commerciales, politiques, idéologiques, l'immense pouvoir qu'elles donnent à nos dirigeants de moins en moins scrupuleux sur la question du contrôle de la population, l'IA est une bonne chose « en soi », elle rend de nombreux services, suffit qu'elle soit bien « gérée », contrôlée, réglementée, légiférée, et nous aurons le meilleur des deux mondes ! Est-ce si sûr ?

Ce sur quoi le documentaire de TQ ne se penche pas suffisamment, c'est sur les motivations « mercantiles » à l'origine du développement accéléré des nouvelles technologies, d'autant plus importantes, soutenues et intenses en ce qui concerne l'IA que celle-ci décuple les possibilités « productivistes » des propriétaires des moyens de production, donc des entreprises privées dont l'influence politique, l'importance économique, le pouvoir décisionnel est en train de surpasser ceux de tous les États du monde entier réunis. D'aucuns douteraient alors que les immenses ressources humaines et matérielles mobilisées, les investissements massifs consentis, la recherche de pointe effectuée en IA par les GAFAM ou autres géants asiatiques de la « tech » soient destinés à améliorer la qualité de vie des citoyens, à redresser les valeurs, les principes, les institutions démocratiques en déliquescence depuis des décennies et ce, en concomitance avec une volonté délibérée de servir le Bien Commun !

À l'ère du capitalisme décomplexé, où ses principaux inspirateurs ne cachent pas leurs intentions de réveiller à l'échelle planétaire nos instincts les plus violents, nos propensions soi-disant « naturelles » à la prédation, à l'intimidation, à l'égoïsme narcissique, voire au sadisme et au cynisme (devenus des vertus), il faut habiter Disneyland en compagnie de ses personnages fantasmagoriques pour croire qu'à l'origine des derniers progrès technologiques, de nobles intentions « humanistes » guident les concepteurs de ChatGPT, OpenAI, Copilot, Gemini, soutenus dans leur travail à coups de milliards de dollars par des libertariens convaincus de leur supériorité intellectuelle, adeptes de théories et de pratiques transhumanistes. Le monde est en train de se « diviser » (pour ne pas dire : s'« écarteler ») entre, d'un côté, un néo-fascisme trumpien, ayant ses antennes dans la Silicone Valley, allié à une Europe d'extrême-droite lui obéissant au doigt et à l'œil, et de l'autre, un totalitarisme à la chinoise, surplombant une Coalition de pays du Sud Global, désirant, plus que toute autre chose, se soustraire à l'hégémonie américaine en matière de finance, de politiques monétaires, d'échanges économiques.

Au-delà de ce constat qui pourrait nous plonger dans l'univers orwellien d'un roman d'anticipation, c'est tout de même à partir de ce contexte qu'il faut appréhender le développement de l'IA (ou de toute autre technologie, autant sinon plus performante et efficace pour remplacer l'humain), sa commercialisation, son utilisation, sa promotion et l'aura « progressiste » (dans toutes les acceptions du terme) qui l'entoure, fruit d'une campagne de marketing bien orchestrée auprès des médias, des gouvernements et de la population en général.

À tel enseigne que tout un chacun est tombé dans le panneau, en quelque sorte. N'y a-t-il pas quelque chose de « naïf », ou de l'ordre de la « mauvaise foi », de ne pas avoir soupçonné le moins du monde que le fait de poster allégrement sa (ou ses) photo(s) sur Internet à tous vents, utiliser à qui mieux mieux ses cartes de crédit pour faire des achats en ligne, ouvrir un compte sur Facebook (contenant des détails personnels), pouvoir être géolocalisé à tout moment de la journée sans que toute cette liberté accordée « gratuitement » ne finisse pas par avoir des conséquences fâcheuses pour sa vie privée, ne soit pas soumise à la règle du pendule ou celle de la gravitation universelle transposée aux domaines social, psychique, psychologique, individuel, à savoir que tout ce qui monte redescend, que rien n'a d'existence autonome, que tout existe en interrelation et que, selon une autre loi, celle de la « dialectique » que tout-e intellectuel-le devrait connaître, toute réalité a toujours deux aspects : le positif et le négatif, l'envers et l'endroit, le vide et le plein, le masculin et le féminin, etc.

Une des intervenantes du documentaire a eu le mot juste : « Nous sommes comme des adolescents ». Je dirais même plus : Nous sommes comme des enfants devant les nouvelles technologies, attirés par leur aspect “ludique” (que les commerçants mettent d'emblée de l'avant dans leur publicité), les promesses de vie facile qu'elles font miroiter, le plaisir qu'elles nous permettent de ressentir lorsque le temps et l'espace, d'ordinaire contraignants pour atteindre nos buts et nos objectifs, semblent disparaître de notre horizon, nous donnant l'impression (fausse) d'être en apesanteur, comme suspendus au-dessus de la vie de tous les jours.
Sans parler du grave problème de l'addiction devenu chronique chez les jeunes, à tel point qu'un gouvernement, pas particulièrement réputé pour avoir des humeurs psychosociales relatives aux conséquences morbides de ses politiques « managériales », a pris l'initiative d'interdire le cellulaire à l'école primaire et secondaire, pour, sinon endiguer le problème, du moins contribuer à ne pas l'envenimer.

Ceci dit, ce n'est pas du côté de l'IA qu'il faut chercher une solution aux effets secondaires d'une surutilisation des écrans, bien au contraire. Tout comme il serait absurde de demander aux cigarettiers des conseils pour vaincre le cancer du poumon, aux multinationales de la malbouffe de faire la promotion d'ouvrages sur le végétarisme (encore moins sur le « véganisme ») dans leurs succursales à travers le monde ou aux monarchies pétrolières d'accueillir en leurs « Royaumes » des COP sur la fin des hydrocarbures (ce qui pourtant se fait !)

Un des mots d'ordre du documentaire (qui semble être aussi celui de l'animatrice) est : « Évitons la diabolisation, les pronostics à l'emporte-pièce, ne tombons pas dans les scénarios catastrophes à la Stephen King, n'exagérons pas les côtés troublants et inquiétants de l'IA, restons “objectifs”, “impartiales”, “neutres”, faisons la part des choses, séparons le bon grain de l'ivraie, etc., etc., etc. » Fort bien. Précisons tout de même : Ne sous-estimons pas les ravages que peut provoquer une technologie au service de multimilliardaires qui se soucient comme d'une guigne de la santé publique, des valeurs démocratiques, des inégalités socio-économiques, de la disparition des écosystèmes, prêts à pactiser avec le premier démagogue venu tant et aussi longtemps qu'il ne leur mettra pas les bâtons dans les roues pour qu'ils puissent continuer à accumuler capital, pouvoir, mérites, adulations, culte de la personnalité et qu'il ne bronchera pas devant une manifestation ostentatoire d'une appartenance idéologique qui s'est concrétisée, dans le passé, par l'assassinat de millions de personnes du fait de leur “race” supposée.

Rajoutons aussi : Ne soyons pas naïfs. Tant que nous laisserons la loi du profit s'élever au dessus du Bien Commun, les principaux problèmes inhérents à une société technologique comme la nôtre ne se régleront pas. Mises à part quelques petites réformes par ci par là pour donner l'impression que la Caste des décideurs partage d'autres « valeurs » que l'argent et a d'autres projets que de s'approprier pour elle seule le plus possible de ressources, de richesses, de technologies, de talents, de biens, de patrimoines, de territoires, la concentration du pouvoir (politique, économique, financier) va aller en s'accentuant, laissant les miettes de leur appétit gargantuesque pour la masse qui va s'entre-déchirer pour se les procurer.

Il existe des moyens pour redonner à la population les rennes du pouvoir qui lui échappent de plus en plus. Lorsqu'une activité quelconque, la découverte d'un nouveau processus, la marchandisation d'un bien inconnu jusqu'alors soulèvent trop d'interrogations dans l'espace public, l'État, par principe de précaution et sens des responsabilités, peut décréter un moratoire jusqu'à ce que les enjeux soient suffisamment clarifiés pour apaiser les inquiétudes et rendre possible un rapport moins ambiguë avec la réalité en question. Il peut aussi recourir à la nationalisation d'un secteur entier de l'économie s'il juge qu'il en va de l'intérêt de la Nation que la richesse produite dans ledit secteur soit considérée comme un bien « essentiel » et que, conséquemment, elle ne doit pas être livrée aux lois du marché, faisant l'objet de vives concurrences entre entreprises privées pour son appropriation exclusive, mais bien plutôt devenir propriété collective.

On a coutume d'associer « Nationalisation » aux ressources naturelles (eau, hydroélectricité, mines, énergie) ou aux services essentiels (santé, éducation, environnement). Étant donné le contexte actuel de guerre commerciale pour l'appropriation de terres, minéraux, composantes diverses pour alimenter le marché des technologies de pointe (voitures électriques ou autonomes, robots industriels, ordinateurs portables, téléphones cellulaires, systèmes d'IA), l'État a un rôle important à jouer pour assurer la répartition équitable des fruits de cette nouvelle forme de croissance économique, l'encadrement juridico-politique nécessaire afin de limiter les possibilités de contrainte et l'influence démesurées de puissants monopoles sur les gouvernements au détriment de l'ensemble des citoyens, le respect des règles fondamentales du droit pour protéger la vie privée, préserver l'intimité et la dignité des personnes qui ne peuvent être réduites au statut d'une marchandise interchangeable comme n'importe quelle autre marchandise.

À moins de croire au miracle, la sécurité « numérique » ne s'obtiendra pas en dehors des prérogatives que les premiers penseurs de la démocratie libérale ont accordé aux institutions parlementaires pour en faire les représentants légitimes, légaux et autorisés d'un « État de droit » en bonne et due forme. Et si ces mots, ces concepts, ces expressions ne sont pas uniquement des formules creuses qui ne renvoient à rien de « substantiel » en matière d'imputabilité, cela signifie que le « Droit » en question s'applique aussi aux petits « génies » de la Silicone Valley, des GAFAM, des Géants du web, d'Alibaba et autres promoteurs extrême-orientaux de la reconnaissance faciale qui vont, tous autant qu'ils sont, hurler comme des chacals à qui on a dérobé leurs viandes faisandées...

Mario Charland
Shawinigan

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Réussite du lancement de la conférence internationale antifasciste qui se tiendra à Porto Alegre du 26 au 29 mars 2026

30 septembre, par CADTM — , ,
Il s'agissait de la conférence de lancement de la conférence internationale antifasciste qui se tiendra à Porto Alegre du 26 au 29 mars 2026. Gabi Toloti, l'une des principales (…)

Il s'agissait de la conférence de lancement de la conférence internationale antifasciste qui se tiendra à Porto Alegre du 26 au 29 mars 2026. Gabi Toloti, l'une des principales organisatrices de la conférence antifasciste et présidente du PSOL de l'État de Rio Grande do Sul, n'était pas présente car elle participe à la flottille de plus de 40 bateaux qui se dirigent vers Gaza par la mer et se trouvent actuellement au large de l'île de Malte.

25 septembre | tiré du site du CADTM
https://www.cadtm.org/Reussite-du-lancement-de-la-conference-internationale-antifasciste-qui-se

La conférence qui s'est tenue dans l'après-midi du 23 septembre 2025 à Porto Alegre, capitale de l'État de Rio Grande Do Sul, a réuni 80 personnes. À la tribune se trouvaient Raúl Pont, ancien maire de Porto Alegre (1993-1997) et leader du PT, Roberto Robaina, conseiller municipal et président du PSOL de Porto Alegre, Edison Puchalski, président local du PCdoB, et Lara Rodrigues, dirigeante locale du MST (Mouvement des sans-terre) et membre de sa direction nationale, et Eric Toussaint, porte-parole international du CADTM.

Dans la salle se trouvaient des représentants de différents syndicats, organisations étudiantes, organisations féministes et organisations d'éducation populaire. Rodrigo Dilelio, actuel président du PT de Porto Alegre, Leonel Radde, député du PT dans l'État de Rio Grande Do Sul, Luciana Genro, députée du PSOL dans l'État de Rio Grande Do Sul, Raul Carrión, dirigeant du PCdoB, et Israel Dutra, membre de la direction nationale du PSOL, étaient également présents dans la salle.

Le comité d'organisation local, actuellement composé du MST, de plusieurs syndicats, du PSOL, du PT et du PCdoB, sera probablement élargi dans les prochains jours.
Le site web de la conférence sera également mis à jour : https://antifas2026.org/fr/appel/

Source : https://antifas2026.org/fr/porto-alegre-reprend-la-preparation-de-la-1re-conference-internationale-antifasciste-avec-une-reunion-ouverte-a-tous-le-23-septembre/

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VPN intégré aux forfaits mobile Free : Face à l’obligation de contrôle d’âge imposée aux sites pornographiques, l’empire Niel contre-attaque

D'un côté, il y a toutes celles et ceux qui se battent pour protéger les mineur·es des violences pornographiques. Celles et ceux qui ont fait en sorte que la nature criminelle (…)

D'un côté, il y a toutes celles et ceux qui se battent pour protéger les mineur·es des violences pornographiques. Celles et ceux qui ont fait en sorte que la nature criminelle des vidéos pornographiques et leurs conséquences préjudiciables sur les enfants, les adolescent·es et les adultes soient reconnues.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Celles et ceux qui ont enfin obtenu, cette année, que certaines plateformes pornographiques soient contraintes de mettre en place un contrôle d'âge effectif, sous peine d'être bloquées par décision de justice et donc inaccessibles sur le territoire français.

De l'autre côté, il y a les consommateurs de porno, qui se sont empressés d'utiliser des VPN afin de pouvoir contourner tout blocage et tout contrôle d'âge, et les entreprises qui ont immédiatement fait de la publicité pour leurs VPN. Et il y a Free, qui a rapidement flairé le filon. Le 16 septembre, l'entreprise a annoncé le lancement de « Free mVPM », « le premier VPN intégré au réseau mobile », qui sera désormais inclus dans ses forfaits téléphoniques. Autrement dit, Free donne la possibilité à ses clients d'accéder sans surcoût et sans contrôle aux sites pornographiques, y compris si ces sites sont bloqués par la justice française.

Cette nouveauté pourra aussi être exploitée par les clients de Free pour accéder à des contenus illégaux bloqués en France par Pharos, comme des sites pédopornographiques, des forums de type Coco (plateforme illicite qui abritait Dominique Pelicot et ses complices de viol) où les hommes planifient viols ou guets-apens LGBTphobes, se partagent des vidéos volées à caractère sexuel ou des vidéos pédocriminelles, ou bien pourra être exploitée pour harceler en ligne, diffuser des discours de haine sexiste, raciste, islamophobe ou antisémite sans crainte d'être retrouvés par la justice en cas de plainte.

Bien sûr, Free s'empressera de répondre qu'elle n'est pas responsable de l'usage, licite ou illicite, que ses clients feront de leur VPN. Pourtant, les posts de son grand patron Xavier Niel sur X ne laissent guère de doute sur la stratégie déployée : miser sur le VPN pour attirer la clientèle des consommateurs de pornographie voulant contourner les limites qui leur sont imposées par le droit.

Depuis le lancement de ses “messageries érotiques” sur le Minitel, en passant par ses investissements dans des établissements dont certains abritaient des “peep-shows”, jusqu'à cette dernière innovation facilitant l'accès illégal à la pornographie, Xavier Niel n'en finit plus de s'enrichir sur des activités que nous dénonçons depuis des années comme étant non pas des marchés ordinaires, mais des formes d'exploitation et de violences sexuelles.

Alors que la France, épaulée par les associations féministes, bataille depuis 4 ans pour rendre effective la loi interdisant l'exposition des mineurs à la pornographie, que la société toute entière s'alarme de la prévalence des discours de haine et des violences en ligne, n'ayons aucun doute : les promoteurs de la « liberté » de consommer du porno sans entrave sont dans le camp des opposants à ces efforts. Avec cette offre de VPN intégré, Free facilite la commission de cyberviolences sexistes et sexuelles, de pédocriminalité en ligne et d'exploitation sexuelle, et met sciemment en danger les mineurs exposés à des images violemment sexistes et racistes.

Nous, féministes, dénonçons la mise à disposition par Free d'instruments facilitant la commission d'activités criminelles, et nous envisageons toute voie de droit pour faire reconnaître la responsabilité de Free. Nous alertons les parents d'enfants mineurs disposant d'un abonnement Free sur le fait que leur enfant peut désormais accéder beaucoup plus facilement à des contenus en ligne violents et haineux, et les appelons à se désabonner au plus vite.

Télécharger le communiqué ici

https://osezlefeminisme.fr/vpn-integre-aux-forfaits-mobile-free-face-a-lobligation-de-controle-dage-imposee-aux-sites-pornographiques-lempire-niel-contre-attaque/

https://amicaledunid.org/actualites/cp-contre-la-prevention-de-lacces-a-la-pornographie-des-enfantsdes-vpn-integres-sur-un-forfait-mobile/

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Le 28 septembre 2025, nous défendons toujours le droit à l’avortement partout dans le monde

En cette journée internationale pour le droit à l'avortement du 28 septembre 2025, nous exprimerons notre solidarité avec les femmes du monde entier qui n'ont pas accès à ce (…)

En cette journée internationale pour le droit à l'avortement du 28 septembre 2025, nous exprimerons notre solidarité avec les femmes du monde entier qui n'ont pas accès à ce droit. Avec celles qui sont poursuivies par les anti choix, traditionalistes religieux ou masculinistes, quand elles luttent pour une société égalitaire en défendant leurs droits.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/09/23/le-28-septembre-2025-nous-defendons-toujours-le-droit-a-lavortement-partout-dans-le-monde/

Nous voyons ces politiques à l'œuvre aux USA, en Pologne, en Hongrie, en Italie, et cela aboutit à la mort de jeunes femmes par refus de soins. Aujourd'hui, en Pologne, aux USA, des médecins ont peur d'être poursuivi.e.s pour complicité d'avortement illégal.

Trump veut depuis cet été détruire en France un important stock de contraceptifs basé en Belgique et destiné aux pays du Sud via l'UsAid démantelée. Le gouvernement français maintient un black out total sur cette affaire et prétend ne pas pouvoir s'y opposer .

Dans ce contexte européen et international de poussées suprémacistes d'extrême droite, nous exigeons l'inscription du droit à l'avortement dans la Charte européenne des droits fondamentaux de l'Union européenne.

En France, la politique du pouvoir est toujours de réduire le nombre d'hôpitaux et de maternités de proximité. Des centres de santé sexuelle de proximité, sous prétexte d'« effort budgétaire », voient leurs portes se fermer par des collectivités territoriales ( Drôme par exemple). Dans le Loiret, le Planning familial subit une baisse de subvention du conseil départemental de 10 %. En même temps c'est toujours un seul et même labo, Nordic Pharma, qui possède le monopole de fabrication des médicaments nécessaires à la réalisation des IVG médicamenteuses. Ceci le rend très vulnérable à la pression des anti avortements. Les femmes ne peuvent toujours pas choisir la méthode pour avorter. La double clause de conscience est toujours un frein. La fermeture de la Maternité des Lilas, lieu emblématique autour des droits des femmes, est la preuve qu'en matière de santé publique seule la ligne budgétaire compte.

Nous savons qu'en France, si l'extrême droite arrivait au pouvoir, que les premières mesures prises seraient de restreindre les droits des femmes en général et plus particulièrement, le droit à l'avortement malgré l'inscription de la « liberté garantie » dans la Constitution.

Ce seraient des moyens réduits d'exercice professionnel (lieu, matériels, pénurie de médicaments) pour les soignants, un accès restreint à ce droit pour les femmes ayant choisi d'interrompre une grossesse. Ce serait également une vague de désinformation pour culpabiliser et déstabiliser les femmes dans leur choix, et menacer les professionnel·les.

Nous devons réagir, dénoncer la moindre atteinte, le moindre obstacle. Nous ne voulons pas subir.

Partout en France, en cette journée, nous manifesterons dans la rue, nous participerons à des événements, nous ne permettrons pas que nos droits soient bafoués, oubliés, enterrés par les discours réactionnaires.

Nous ne resterons pas invisibles

Nous manifesterons le 28 septembre 2025 pour la défense et l'application effective du droit fondamental à l'avortement partout dans le monde.

Signataires :

Africa 93, Association Nationale des Sages Femmes Orthogénistes, Association Nationale des Centres d'Interruption Volontaire de Grossesse et de Contraception, Attac France, Coordination des Associations pour le Droit à l'Avortement et la Contraception, CGT, Collectif Civg 20 Tenon, Collectif National pour les Droits des Femmes, FEMEN, Femmes Égalité, Femmes Solidaires, FSU, Genre et altermondialisme, LDH, Ligue des Femmes Iraniennes pour la Démocratie, Maison des Femmes de Paris, Maison des Femmes Thérèse Clerc, Marche mondiale des Femmes, Notre Santé en Danger, Organisation de Solidarité Trans, Planning Familial, Planning Familial 94, Réseau Féministe Ruptures, Stop Violences Obstétricales et Gynécologiques, Union Syndicale de la Psychiatrie, Union Syndicale Solidaires.

En soutien :
L'Après (Association pour une République écologique et sociale), La France Insoumise, NPA l'Anticapitaliste, Parti Communiste Français, Parti de Gauche, Parti Socialiste

Collectif « Avortement en Europe, les femmes décident »

https://solidaires.org/sinformer-et-agir/actualites-et-mobilisations/nationales/le-28-septembre-2025-nous-defendons-toujours-le-droit-a-lavortement-partout-dans-le-monde/

https://www.ldh-france.org/le-28-septembre-2025-nous-defendons-toujours-le-droit-a-lavortement-partout-dans-le-monde/

https://www.cgt.fr/actualites/france/droits-des-femmes/le-28-septembre-defendons-le-droit-lavortement-partout-dans-le-monde]

[https://www.cfdt.fr/sinformer/toutes-les-actualites-par-dossiers-thematiques/28-septembre-defendons-le-droit-a-lavortement-partout-dans-le-monde-

https://osezlefeminisme.fr/le-28-septembre-defendons-le-droit-a-lavortement-partout-dans-le-monde/

Hommage à Jina Mahsa Amini, tuée à Téhéran à cause d’un voile « inapproprié »

30 septembre, par kurdistan-au-feminin.fr — , ,
IRAN / ROJHILAT – Le 16 septembre 2022, Jina Mahsa Amini, une jeune Kurde de 22 ans arrêtée et frappée à Téhéran par la police des mœurs pour un voile jugé « inapproprié », (…)

IRAN / ROJHILAT – Le 16 septembre 2022, Jina Mahsa Amini, une jeune Kurde de 22 ans arrêtée et frappée à Téhéran par la police des mœurs pour un voile jugé « inapproprié », mourrait après trois jours passés dans le coma. Sa mort atroce a provoqué les protestations « Jin, jiyan, azadî » (femme, vie, liberté) qui ont été écrasées dans le sang. Dans les villes kurdes de Saqqez et Divandarreh la population a organisé une grève générale, à l'occasion du troisième anniversaire du meurtre de Jina Amini.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Les gens ont vu chez Jina Mahsa Amini ce qu'ils enduraient depuis des décennies

Arrêtée violemment à Téhéran le 13 septembre 2022 pour le « port inapproprié du foulard », la jeune Kurde, Jina Amini est décédée dans le coma trois jours plus tard. Après l'inhumation de Jina Amini dans sa ville natale de Saqqez le 17 septembre, les manifestations qui ont débuté au Kurdistan iranien sous le slogan « jin, jîyan, azadî » (Femme, Vie, Liberté) se sont propagées dans tout le pays en une résistance appelant au renversement du régime. Menée par des femmes, cette résistance, qui a rassemblé des millions de personnes de confessions, d'identités et d'affiliations politiques diverses, s'est poursuivie pendant des mois.

L'agence Mezopotamya s'est entretenue avec le directeur de l'IHRNGO

Le directeur de l'ONG iranienne IHRNGO, Mahmood Amiry-Moghaddam, a déclaré que les injustices de longue date subies par chaque Iranien.ne étaient symbolisées par ce qu'ils ont vu chez Jina Amini, et a ajouté que le mouvement « femmes, vie, liberté » fut un tournant en Iran.

À l'approche de l'anniversaire des manifestations « Jin, jiyan, azadî », qui se sont propagées d'Iran au monde entier, la répression, les arrestations, la torture et les condamnations à mort contre les militant.e.s de la liberté, en particulier les femmes, s'intensifient chaque jour. Condamnées à mort, Pakshan Azizi, Warisha Muradi et Sharifa Mohammadi risquent d'être exécutées à tout moment. Les rapports publiés par l'Organisation iranienne des droits de l'homme (IHRNGO) depuis le début de la résistance révèlent clairement l'ampleur des violations des droits humains dans le pays.

L'IHRNGO a signalé que 218 défenseurs des droits humains ont été arrêtés et harcelés au cours des trois premiers mois de la résistance « Jin, jiyan, azadî », tandis que 834 personnes ont été exécutées en 2022. Dans son rapport du 15 septembre 2023, l'IHRNGO a annoncé que 551 militants, dont 68 enfants et 49 femmes, ont été tués. Selon le rapport 2024 de l'organisation, au moins 975 personnes ont été exécutées, soit une augmentation de 17% par rapport à 2023. Depuis début 2025, au moins 920 personnes ont été exécutées, dont 25 femmes. Si la majorité des exécutions, qui se poursuivent depuis des années, ont été effectuées pour des infractions liées à la drogue, au meurtre et à la sécurité, les minorités ont été touchées de manière disproportionnée par cette pratique.

Les femmes sont particulièrement ciblées

Les rapports de l'IHRNGO révèlent également la grave oppression et la violence dont sont victimes les femmes. En 2023, 49 militantes ont été tuées, dont un nombre important dans des circonstances suspectes. Les défenseurs des droits des femmes sont victimes de pratiques inhumaines telles que les exécutions, l'emprisonnement et la torture physique. Les rapports de 2023 indiquent que plus de 150 défenseurs des droits humains ont été arrêtés et condamnés à un total de 541 ans de prison. Cela démontre que le régime iranien poursuit une stratégie systématique d'intimidation contre le mouvement de libération des femmes.

Mahmood Amiry-Moghaddam, directeur de l'IHRNGO, s'est entretenu avec l'Agence de Mésopotamie (MA) à l'occasion du troisième anniversaire de la mort de Jina Aminî et des manifestations « Jin, jiyan, azadî » qui ont suivi. Amiry-Moghaddam a déclaré que l'Iran traversait ce que l'on pourrait appeler une « crise des exécutions », ajoutant : « Cinq à six personnes sont exécutées chaque jour. »

Ce qui diffère des 40 dernières années

Il a déclaré qu'après la résistance « Jin, jiyan, azadî », le régime a continué d'imposer le « foulard obligatoire » aux femmes, mais que celles-ci, notamment dans les grandes villes, ont fait preuve de désobéissance civile en refusant de porter le foulard. Amiry-Moghaddam a déclaré : « Les autorités iraniennes n'ont mis en œuvre aucune réforme pour améliorer la situation des femmes. Tout ce que les femmes ont obtenu, elles l'ont obtenu grâce à leur résistance. Je pense que le mouvement « Femmes, vie, liberté » a marqué un tournant et s'est distingué de toutes les autres manifestations que nous avons connues ces 40 dernières années. Car pour la première fois, tous les Iraniens, quels que soient leur origine ethnique, leur religion ou leur sexe, se sont unis contre l'oppression incarnée par la République islamique. »

Amiry-Moghaddam a souligné que la résistance « Jin, jiyan, azadî », comparée aux résistances passées, est inclusive. Il a déclaré : « Il existe une solidarité entre tous les genres et toutes les minorités. Tous les dictateurs, surtout les totalitaires, ne profitent généralement qu'à une petite partie de la population qui les soutient. Les minorités et les femmes sont opprimées dans la plupart des cas. Je peux donc affirmer que dans ce mouvement, nous trouvons tous la cause commune de nos souffrances, et cette cause commune est le système. Je pense que c'est la raison de cette solidarité. Jîna Mahsa Emînî, en tant que femme kurde, incarnait nombre de ces caractéristiques. Je pense que c'est pourquoi ce qui lui est arrivé est devenu insupportable pour la société. Parce qu'ils ont tous vu ce qu'ils avaient vécu pendant tant d'années chez une seule personne, et c'est pourquoi elle est devenue un symbole. »

Le système judiciaire iranien

Amiry-Moghaddam a souligné que le système judiciaire iranien manque d'indépendance et que l'objectif de tous les juges n'est pas « d'établir la justice, mais de protéger le système ». Il a ajouté que des procès fictifs sont organisés pour donner l'illusion d'un système judiciaire. « Par exemple, si de nombreuses personnes condamnées à mort par les tribunaux révolutionnaires ont accès à des avocats, dans bien des cas, les documents des accusés sont inaccessibles. En résumé, les tribunaux révolutionnaires prononcent des peines ordonnées par d'autres. C'est pourquoi chaque exécution en Iran est extrajudiciaire, car il n'y a ni procédure régulière ni procès équitable. Dans presque tous les cas que nous avons examinés, notamment ceux impliquant la peine de mort, les accusés ont été contraints de passer aux aveux. Les accusations portées devant les tribunaux reposent donc sur des aveux obtenus sous la contrainte », a-t-il déclaré.

Le système et la société sont contre les femmes

Amiry-Moghaddam a déclaré que la situation des femmes est confrontée non seulement à la loi et au système, mais aussi à la société. Il a souligné que les femmes emprisonnées ne reçoivent aucun soutien familial, sont contraintes au mariage précoce et se voient refuser le droit au divorce par le système. Il a poursuivi : « Ici, le système, la loi et certains segments de la société collaborent pour opprimer les femmes. Nous nous efforçons notamment de sensibiliser la population aux violations de leurs droits. Par exemple, comme vous le savez, le régime a une loi qui stipule qu'une femme qui ne se couvre pas les cheveux peut être fouettée 74 fois. Mais certains hommes infligent également cela à leurs sœurs ou à leurs filles à la maison. Nous essayons de sensibiliser la population à la nécessité de lutter contre les inégalités et la discrimination, dans la rue comme à la maison. »

https://kurdistan-au-feminin.fr/2025/09/16/hommage-a-jina-mahsa-amini-tuee-a-teheran-pour-un-voile-inapproprie/

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Effacement ou autonomisation ? Au Sahel, les femmes sont confrontées à un choix difficile

30 septembre, par news.un.org — ,
Dans la région du Sahel, en Afrique, l'aggravation de la violence et de la pauvreté – provoquée par les déplacements, la faim et le terrorisme – prive les femmes et les filles (…)

Dans la région du Sahel, en Afrique, l'aggravation de la violence et de la pauvreté – provoquée par les déplacements, la faim et le terrorisme – prive les femmes et les filles de leur droit à la sécurité, à l'éducation et à un avenir viable.

Les risques qui pèsent sur les femmes et les filles dans cette vaste région sont graves et systémiques, l'instabilité politique, la dégradation de l'environnement et le déclin de la présence internationale ayant des conséquences néfastes.

Des enlèvements et mariages d'enfants à l'exclusion des écoles et de la vie publique, leurs vies et leurs opportunités sont progressivement réduites à néant, a déclaré jeudi Sima Bahous, Directrice exécutive d'ONU Femmes, aux membres du Conseil de sécurité.

« Au Sahel, où convergent les préoccupations mondiales les plus graves, les femmes et les filles sont les plus touchées », a-t-elle dit.

Elle a ajouté que les crises dues à la montée du terrorisme, à la pauvreté, à la faim, à l'effondrement du système d'aide et au rétrécissement de l'espace civique « convergent – de manière violente et disproportionnée – sur leurs corps et leur avenir ».

En voie d'effacement

Dans des pays comme le Burkina Faso, le Mali, le Niger et le Tchad, la vie des femmes sous le contrôle de groupes terroristes « est une exclusion de l'espace public », a déclaré Mme Bahous.

Leurs déplacements, leur visibilité et même leurs vêtements sont fortement restreints. Des écoles ont été incendiées ou fermées, privant plus d'un million de filles d'accès à l'éducation.

« L'enlèvement n'est pas une conséquence du terrorisme au Sahel ; c'est une tactique », a-t-elle ajouté, soulignant que rien qu'au Burkina Faso, le nombre de femmes et de filles enlevées a plus que doublé au cours des 18 derniers mois.

Au Mali, 90% des femmes sont victimes de mutilations génitales féminines. Les taux de mariage d'enfants dans certaines régions sont parmi les plus élevés au monde. La mortalité maternelle, due aux grossesses précoces et à la pauvreté, est parmi les plus élevées au monde.

Diminution de la résilience

« Les distances parcourues par les femmes et les filles pour aller chercher de l'eau ou du bois de chauffage s'allongent, tandis que leur sécurité se réduit », a déclaré Mme Bahous.

Deux tiers des femmes interrogées déclarent se sentir en insécurité lors de ces voyages. Le changement climatique ne fait qu'aggraver les difficultés, la chaleur extrême et la sécheresse augmentant la mortalité et l'insécurité alimentaire dans la région.

Pourtant, malgré des besoins croissants, l'aide internationale s'affaiblit.

Seuls 8 % de l'appel humanitaire de cette année pour la région avaient été satisfaits en mai.

L'aide au développement a chuté de près de 20 % au cours des deux dernières années. En conséquence, les programmes de protection et d'autonomisation des femmes ont été suspendus, tandis que les ministères chargés de l'égalité des sexes sont privés de financement, fusionnés ou fermés.

Resserrement de l'espace politique

Parallèlement, l'espace démocratique et civique se rétrécit.

Au Niger, seulement 14% des participants aux récentes réformes institutionnelles étaient des femmes. Au Mali, seulement deux des 36 membres ayant rédigé la nouvelle charte nationale étaient des femmes.

Leonardo Santos Simão, chef du Bureau des Nations Unies pour l'Afrique de l'Ouest et le Sahel (UNOWAS), a également averti que la détérioration de l'environnement sécuritaire, marquée par des vagues d'attaques djihadistes et des turbulences politiques, compromettait les progrès et alimentait les déplacements.

Il a ajouté que le rétrécissement de l'espace accordé aux médias, à la société civile et aux organisations de femmes menaçait les acquis durement acquis et qu'une crise plus large compromettait la gouvernance et les efforts de consolidation de la paix.

« L'économie de la région reste très vulnérable aux chocs externes. Bien que les indicateurs macroéconomiques s'améliorent, la hausse des niveaux d'endettement continue de limiter la capacité des gouvernements à fournir des services essentiels », a-t-il déclaré.

Acquis fragiles

Pourtant, des progrès sont possibles, et parfois visibles.

Au Tchad, les femmes occupent désormais 34% des sièges parlementaires. Dans les zones frontalières exposées aux conflits au Mali et au Niger, la participation des femmes à la consolidation de la paix locale est passée de 5% à 25%, contribuant ainsi à la résolution de plus de 100 conflits liés à la rareté des ressources naturelles.

Dans toute la région, les programmes conjoints des Nations Unies ont permis d'accroître de 23% le taux de retour à l'école des adolescentes, tout en doublant la participation des femmes à la gouvernance locale dans 34 communautés touchées par les conflits.

De plus, une initiative conjointe des Nations Unies et de la Banque mondiale a permis à plus de trois millions d'adolescentes de bénéficier de soins de santé, d'espaces sûrs et d'une formation aux compétences de vie.

Soutenir les femmes au Sahel

Pourtant, ces acquis restent fragiles.

« Nous ne pouvons pas abandonner le Sahel, quelles que soient les politiques, les financements et les difficultés géopolitiques », a conclu Mme Bahous.

« Soyons solidaires des femmes du Sahel, non par charité, mais en reconnaissance de leur pouvoir de façonner un avenir meilleur ».

https://news.un.org/fr/story/2025/08/1157257

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Discours de Gustavo Petro Urrego à l’ONU

23 septembre 2025 Assemblée des Nations Unies Gustavo Petro Urrego, Président de la République de Colombie, à l'occasion du débat général de la 80e session de l'Assemblée (…)

23 septembre 2025 Assemblée des Nations Unies

Gustavo Petro Urrego, Président de la République de Colombie, à l'occasion du débat général de la 80e session de l'Assemblée générale (New York, 23-27 et 29 septembre 2025).

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Des centaines de milliers de personnes manifestent contre l’amnistie accordée à Bolsonaro

Le printemps dans l'hémisphère sud a commencé en avance au Brésil. Dimanche 21 septembre, une centaine de villes à travers le pays, dont les capitales São Paulo, Rio de (…)

Le printemps dans l'hémisphère sud a commencé en avance au Brésil. Dimanche 21 septembre, une centaine de villes à travers le pays, dont les capitales São Paulo, Rio de Janeiro, Belo Horizonte, Salvador, Porto Alegre, Recife et Brasília, ont été le théâtre d'un événement sans précédent depuis trois ans : les militant·es, la gauche et les mouvements sociaux sont descendus dans les rues et sur les places, aux côtés de secteurs populaires plus larges, tout aussi indignés par deux mesures votées par la Chambre des député·es. Les manifestations à São Paulo et Rio ont été les plus importantes depuis les mobilisations pour Fora Bolsonaro (Bolsonaro dehors), entre 2021 et 2022, et la célébration de la victoire de Lula sur l'avenue Paulista en octobre 2022.

24 septembre 2025 | tiré d'inprocor.fr | Photo : Manifestation de São Paulo. © Inprecor
https://inprecor.fr/des-centaines-de-milliers-de-personnes-manifestent-contre-lamnistie-accordee-bolsonaro

L'étincelle qui a déclenché la colère populaire a été l'approbation par la Chambre des député·es, l'organe parlementaire le plus réactionnaire de l'histoire du pays, d'un régime d'urgence visant à envisager l'amnistie pour les personnes impliquées dans la tentative de coup d'État de 2022-2023. À cela s'est ajoutée l'approbation précipitée d'un projet d'amendement constitutionnel (PEC) visant à empêcher toute enquête et toute sanction à l'encontre des parlementaires pendant leur mandat, une mesure rapidement surnommée « PEC da Bandidagem » (PEC des bandits). Le vote sur ces deux mesures a donné un résultat d'environ 350 voix (la somme de l'extrême droite et de la droite oligarchique traditionnelle réunies au sein du « Centrão ») contre un peu plus de 150 voix.

L'offensive réactionnaire de la droite au Congrès était une réponse à la condamnation par la Cour suprême fédérale, le 11 septembre, de Bolsonaro et de sept complices issus du noyau dur du complot visant à organiser le coup d'État de 2022-2023. Bolsonaro et ses complices – dans la tentative de coup d'État autoritaire qui comprenait un plan visant à assassiner Lula, son adjoint, Alckmin, et le magistrat Alexandre de Moraes – ont été condamnés à plus de dix ans de prison. Le procès et le verdict ont été salués par les gouvernements démocratiques, les mouvements sociaux et les médias non fascistes du monde entier. Mais sur le plan intérieur, les néofascistes ne sont pas restés les bras croisés.

Avantage sur les manifestations d'extrême droite

Des estimations extrêmement prudentes font état de la participation de plus de 600 000 personnes aux manifestations, un chiffre qui pourrait augmenter avec le comptage des manifestants dans les villes de l'intérieur des États densément peuplés tels que São Paulo et Minas Gerais. Par rapport aux manifestations d'extrême droite (Bolsonaro) organisées le 7 septembre – en faveur de l'amnistie –, les manifestations démocratiques de dimanche dernier ont clairement pris le dessus, tant en termes quantitatifs que qualitatif.

Organisées en moins d'une semaine par une « coalition » d'artistes progressistes et de mouvements sociaux – fédérations syndicales, syndicats indépendants, mouvements de sans-abri, mouvements noirs – après une explosion d'indignation sur les réseaux sociaux, les manifestations se sont répandues à l'échelle nationale. Les organisations qui ont appelé à manifester ont ensuite été rejointes par des partis de gauche (PSOL, PCdoB, PT, UP), des partis moins à gauche (PDT, PSB) et de nombreuses personnes des classes populaires.

La vague de manifestations a marqué un tournant dans le conflit politique central du pays, entre la gauche au sens large et le néofascisme. Disposant toujours d'une base populaire importante et menaçante, l'extrême droite brésilienne profitait depuis août d'une alliance explicite, sans aucun scrupule, avec le gouvernement américain, pour obtenir de force l'amnistie avec laquelle elle entend libérer Bolsonaro et ses amis militaires et civils de prison.

Lors du rassemblement du 7 septembre à São Paulo, l'extrême droite a même déployé un drapeau américain de 20 mètres de long sur l'avenue. Alors qu'aux États-Unis, le député Eduardo Bolsonaro, troisième fils de l'ancien président, négociait ouvertement avec la Maison Blanche pour renforcer les sanctions contre le pays et les juges dans l'affaire contre les putschistes, à la Chambre des députés la semaine dernière, les néofascistes ont concentré leurs efforts sur la négociation avec le leader de la droite à la Chambre, Hugo Motta, pour faire adopter rapidement l'amnistie. Au cours de ces négociations, les partisans de Bolsonaro ont profité d'un intérêt commun avec le « Centrão » (se protéger des procédures de la Cour suprême dans les affaires d'utilisation abusive des fonds budgétaires alloués aux députés*) pour donner naissance à la malheureuse PEC des bandites.

Ils ont mal calculé leur coup. Alors que le gouvernement et sa base, les autres partis de gauche et leur électorat étaient fortement impliqués dans le débat « condamnation des putschistes contre l'amnistie », la menace d'une impunité totale pour les « politiciens » a indigné et attisé la colère d'une grande partie de la population. Dans une analyse concise réalisée le dimanche précédant le printemps, Andrea Sadi, l'un des principaux commentateurs du puissant réseau de communication Globo, a déclaré : « Les manifestations de dimanche contre la PEC qui protège les parlementaires contre les poursuites judiciaires et l'amnistie ont mis la Chambre des députés à nu. Ces manifestations étaient une réponse à l'approbation de la PEC de protection et à l'urgence du projet de loi d'amnistie. »

Premiers résultats

En plus de montrer qu'il est possible de « briser la bulle » du camp démocratique et d'attirer les gens dans la rue, les manifestations ont également eu, selon d'autres commentateurs de la presse capitaliste, deux réalisations symboliques importantes dans l'histoire récente de ce pays polarisé. Avec « l'aide » de l'attaque impérialiste de Trump contre l'économie et la souveraineté politique du pays, la gauche a retrouvé (du moins pour l'instant) le drapeau brésilien, qui avait été détourné pendant plus de dix ans par les partisans de Bolsonaro. Dans le même temps, c'était la première fois depuis 2013 que l'indignation contre la corruption dans l'appareil d'État était menée par le mouvement progressiste de masse.

Le résultat concret du parcours de dimanche, au-delà du regain d'activisme, est déjà visible dans les excuses publiques de quatre députés de droite qui ont voté en faveur des projets de loi, dont le regret apparent d'au moins deux des 12 députés du PT qui ont voté avec la droite, et dans les promesses du président du Sénat – qui doit évaluer les propositions conformément aux lois du pays – d'entraver la procédure et, par conséquent, l'approbation des deux résolutions.

Rien de tout cela – à l'exception du regain d'énergie pour continuer à se battre – ne garantit que Bolsonaro purgera sa peine de plus de 27 ans de prison, ni que l'offensive des corrompus et des potentiellement corrompus sera effectivement vaincue. Si l'on considère la période qui s'est écoulée depuis l'élection de Lula contre Bolsonaro, le mouvement social et la gauche ont gagné une bataille importante dans la rue et sont en mesure de renverser la tendance. Mais la lutte sera difficile : l'extrême droite peut compter non seulement sur le gouvernement du pays le plus puissant du monde, qui prend de nombreuses mesures contre le Brésil, le gouvernement brésilien et le pouvoir judiciaire, mais aussi sur un atout électoral non négligeable : un « Bolsonaro apprivoisé », un néofasciste au tempérament maîtrisé, sous les traits d'un bon administrateur, qu'est le gouverneur de São Paulo, Tarcísio de Freitas.

La situation exige que la mobilisation de rue se poursuive. Et cela fait du conflit politico-idéologique et de la lutte concrète des travailleur·ses de São Paulo contre Tarcísio l'un des défis centraux des mois à venir.

Le 23 septembre 2025

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Soulèvement ou dictature en Équateur

Dans l'après-midi du jeudi 18 septembre, la nouvelle direction apparemment de droite de la CONAIE, le puissant mouvement autochtone d'Équateur, a cédé à la pression et appelé à (…)

Dans l'après-midi du jeudi 18 septembre, la nouvelle direction apparemment de droite de la CONAIE, le puissant mouvement autochtone d'Équateur, a cédé à la pression et appelé à une grève nationale illimitée – en protestation contre la suppression des subventions au diesel, une mesure qui risque de presque doubler du jour au lendemain le prix de la plupart des produits de première nécessité.

20 septembre 2025 | tiré d'International Viewpoinit
https://internationalviewpoint.org/spip.php?article9181

Le vendredi matin, le président Daniel Noboa a annoncé son intention de convoquer une Assemblée constituante pour réécrire la Constitution – il poussait depuis un certain temps une série de réformes visant à supprimer ou affaiblir les droits environnementaux et du travail inscrits dans la Constitution progressiste de 2008, et à lui permettre d'inviter des troupes américaines à opérer sur le sol équatorien, soi-disant dans le cadre de sa « guerre contre la drogue ».

Tard dans la nuit de vendredi, le président Noboa a envoyé la police encercler et évacuer la Cour constitutionnelle alors qu'elle délibérait sur la constitutionnalité de ses initiatives – elle avait récemment déclaré irrecevables plusieurs de ses tentatives en ce sens.

Les mouvements sociaux équatoriens ont immédiatement appelé à une mobilisation le samedi matin pour défendre la Cour constitutionnelle.

Ce dernier bras de fer intervient au terme d'une semaine de confrontation croissante entre un gouvernement de plus en plus d'extrême droite et les mouvements sociaux d'Équateur, avec les communautés autochtones en première ligne.

Des journées de protestation contre un grand projet minier dans le sud du pays – qui menace l'équilibre écologique de toute la région, en particulier ses sources d'eau – ont culminé mardi avec une immense manifestation. Près de 100 000 personnes ont défilé dans Cuenca, la troisième ville du pays. Le gouvernement a été contraint de reculer, suspendant au moins temporairement le projet, tout en promettant d'aller de l'avant avec d'autres grands projets miniers dans des communautés comme Palo Quemado et Las Naves, où la résistance comme la répression ont été particulièrement intenses.

En parallèle, le gouvernement a annoncé une forte hausse du prix du diesel, dans le cadre de son accord avec le Fonds monétaire international. La réaction a rappelé celle d'octobre 2019, lorsqu'une augmentation du prix des carburants avait déclenché un soulèvement mené par les Autochtones. La grève des syndicats du transport a été rapidement rejointe par les communautés autochtones, qui ont bloqué les routes et affronté la police. Les étudiants ont défilé dans la capitale, Quito.

La répression s'est également intensifiée. Alors que le gouvernement continue d'utiliser sa prétendue guerre contre la drogue pour justifier ses attaques contre les mouvements sociaux, des rapports atroces font état de soldats torturant des militant·e·s détenus. Mais le mouvement autochtone a aussi exercé sa puissance sociale considérable. Le mois dernier, lorsque des agents des services secrets ont apparemment tenté d'écraser Leonidas Iza – ancien président de la CONAIE et figure de proue de la résistance radicale – ils ont été immédiatement arrêtés par la communauté locale et soumis à la justice autochtone, un autre droit protégé par la Constitution actuelle. Ils n'ont subi aucun dommage, mais ont été soumis à plusieurs jours d'interrogatoire serré, au cours desquels ils ont révélé des détails remarquables sur la surveillance des mouvements sociaux par les services de sécurité, y compris l'utilisation d'infiltrés et de faux journalistes. En conséquence de cette détention, Leonidas lui-même est désormais poursuivi pour enlèvement.

Cette même puissance sociale autochtone s'est manifestée jeudi, lorsque le nouveau président de la CONAIE, Marlon Vargas, a annoncé l'arrêt national illimité. Alors que des arrêts régionaux et des barrages routiers se multipliaient dans les jours précédents, le président Noboa avait déclaré l'état d'urgence dans plusieurs provinces. Désormais, parallèlement à la grève, Marlon Vargas a proclamé une « urgence communautaire », ce qui signifie que l'armée et la police ne seraient pas autorisées à entrer dans une quelconque communauté ou territoire autochtone.

Cela marque un tournant important dans l'équilibre des forces au sein du mouvement autochtone. Il y a seulement deux mois, Vargas avait été élu à la tête d'une coalition de forces centristes et ouvertement de droite, promettant de collaborer avec le gouvernement Noboa et de promouvoir l'unité nationale. Cela semblait constituer une défaite sérieuse pour les forces radicales du mouvement autochtone, menées par Leonidas Iza. Mais ces dernières semaines, la réalité est venue miner cette « unité ». La section amazonienne de la CONAIE, la Confeniae, que Vargas dirigeait autrefois, ainsi que plusieurs fédérations provinciales, ont annoncé qu'elles rompaient leurs relations avec le gouvernement. Des communautés locales avaient déjà commencé à mener des actions directes.

Les événements se déroulent rapidement, et il est encore trop tôt pour dire si l'arrêt national évoluera vers une rébellion à part entière – la troisième en six ans. Beaucoup dépendra de ce qui se passera au sein de la direction du mouvement autochtone. Il n'est pas encore clair non plus jusqu'où ira le président Noboa – qui conserve un soutien significatif dans certaines couches de la population, même si sa popularité a chuté – dans son entreprise de piétinement des institutions démocratiques déjà fragiles de l'Équateur. Ce n'est pas encore une dictature, comme certains à gauche l'affirment. Mais cela pourrait bien y conduire.

Quoi qu'il en soit, le peuple équatorien a besoin de solidarité internationale – maintenant !

20 septembre 2025

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Martinique : Principes clairs pour situation complexe

30 septembre, par Groupe Révolution Socialiste — , ,
Lors des « Assises Populaires contre la vie chère », organisées par le RPPRAC et les députés Marcellin Nadeau et Jean-Philippe Nilor, le député guyanais Jean-Victor Castor a (…)

Lors des « Assises Populaires contre la vie chère », organisées par le RPPRAC et les députés Marcellin Nadeau et Jean-Philippe Nilor, le député guyanais Jean-Victor Castor a lancé : « Lorsque le peuple lutte pour une cause juste, il faut être dans le peuple ».

22 septembre 2025 | tiré du site inprecor.fr
https://inprecor.fr/martinique-principes-clairs-pour-situation-complexe

Nous partageons ce principe. Nous soulignons, dans cette phrase, trois mots clés : La lutte. Une cause juste. Le peuple.

L'application de ce principe n'est pas forcément aisée.

D'abord, parce que dans la configuration politique actuelle en Martinique par exemple,aucune force progressiste n'est en mesure de participer de façon crédible à toutes les luttes justes.

Encore faut-il éviter de se chercher des alibis douteux pour ne pas participer à une lutte. Un des « arguments » de certains abstentionnistes, consiste à parler d'« entrisme » pourqualifier l'attitude prônée par Jean-Victor Castor. Mais, comme ceux ou celles qui enfourchent ce cheval boiteux n'ont en général pas eu la curiosité de s'informer, même sommairement, sur ce qu'a été « l'entrisme » dans une période précise de l'histoire du mouvement ouvrier, nous passons vite.

Mais, revenons sur les difficultés à appliquer ce principe simple dans des situations complexes. Les luttes n'obéissant jamais, malgré les apparences, à la génération spontanée, car il y a dans la réalité des inspirateurs, des inspiratrices, des initiateurs, des initiatrices, des dirigeants, des dirigeantes, dont le nombre et la diversité varient à certains moments historiques. L'un des apports du grand mouvement de février 2009, est d'avoir ouvert la voie,même des années plus tard, au surgissent de collectifs, de comités, de mouvements qui s'émancipent, à leurs risques et périls, de toute direction préexistante. Et il est heureux quedes forces nouvelles s'engagent et fassent leurs propres expériences.

Mais, si participer à une lutte juste du peuple est comme un réflexe salutaire, il est essentiel de ne pas perdre tout esprit critique à l'égard, ni des directions traditionnelles, ni des nouvelles qui surgissent dans la lutte.

Les organisations anticapitalistes français se sont interrogés sur les ambiguïtés du mouvement des « Gilets jaunes », hier, ou du mouvement

« Bloquons tout » aujourd'hui, mais s'y sont finalement engagés, en se démarquant, parfois, de certains propos, de certaines pratiques. Avec raison !

Le surgissement du RPPRAC a provoqué chez nous les mêmes réflexions. Mais, resteren dehors de la relance du combat contre la vie chère au motif que le trio initial du RPPRAC a sorti des énormités sur février 2009, ou sur le syndicalisme en général, a été une erreur dans laquelle il serait diabolique de persister.

On peut en dire autant de celles et ceux qui prennent prétexte du suivisme néo- assimilationniste de certaines directions syndicales, pour rester en dehors de la lutte contre la politique scélérate de la bande à Macron. Comme si elle ne nous affectait pas, comme si nous ne pouvions rien faire d'autre que d'en attendre les conséquences. L'instabilité de la situation française est, qu'on le veuille ou non, un élément de la vie politique martiniquaise. Le rôle desanticolonialistes martiniquais ne saurait se limiter à s'adapter, à s'interroger comme de simplespolitologues sur ce que sera finalement l'ordre chronologique des élections à venir en Martinique entre municipales, législatives voire présidentielle, pour rythmer leur calendrier militant !

Notre rôle, à nous qui sommes à la fois anticolonialistes et anticapitalistes, est de peser de tout notre poids sur la situation. Avec les travailleurs et travailleuses de France, il nous revient à nous aussi, de mener la lutte contre la Macronie avec nos alliés naturels, en veillant au respect de notre réalité, de nos intérêts, de notre indépendance d'organisation, même dans la lutte commune.

Avec les anticolonialistes de Martinique et d'ailleurs, nous avons à travailler sur les revendications propres de nos peuples colonisés. Il est clair que celles-ci ne sauraient se résumer à l'inscription de la Martinique dans la liste des pays à décoloniser de l'ONU, ou à la seule défense de nos acquis sociaux.

De tout ce qui précède, découlent deux tâches essentielles : mener concrètement avec les travailleur/euse/s et les masses populaires toutes les luttes nécessaires pour la survie et le bien vivre. Mettre en chantier le programme de transition dont nous avons besoin pour passer du colonialisme à l'émancipation. Ce pont entre revendications immédiates et renversement du système colonial et capitaliste suppose une élaboration collective de celles et ceux quipartagent l'objectif de l'émancipation nationale et sociale. Nous avons soumis à la discussion des éléments concrets (voir les RS précédents).

Il y a une troisième tâche qui ne découle pas automatiquement de la citation qui ouvrecet article. Lorsque le peuple « oublie » une lutte, que l'actualité commande comme un impératif catégorique, il faut la lui montrer avec insistance. Celle-ci, c'est la lutte contre legénocide en Palestine, contre le triomphe de la barbarie fasciste internationale qui hypothéquerait gravement l'ensemble de nos combats, prolétariens, décoloniaux,écologistes, féministes, démocratiques, antiracistes et laïcs.

Alors que la menace de l'éradication d'un peuple par l'abomination sioniste est plus forte que jamais, il faut marteler que l'humanité tout entière paierait cher, tout manque de lucidité sur les enjeux de cette cause.

Publié dans Révolution socialiste n°413, 22 septembre 2025

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Somaliland. Une reconnaissance états-unienne au mépris du génocide à Gaza ?

L'ambiguïté du gouvernement somalilandais au sujet d'un « projet » américano-israélien de déportation de la population gazaouie vers son territoire a nourri des rumeurs d'un (…)

L'ambiguïté du gouvernement somalilandais au sujet d'un « projet » américano-israélien de déportation de la population gazaouie vers son territoire a nourri des rumeurs d'un rapprochement prochain entre Israël et le Somaliland, malgré le génocide en cours. Cette attitude vise avant tout à préserver et à accélérer des années d'efforts diplomatiques menés auprès des États-Unis, dont le Somaliland espère obtenir la reconnaissance.

Tiré d'Afrique XXI.

Le 8 août, pendant la conférence de presse organisée après la signature d'un accord entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, Donald Trump est interrogé sur l'éventuelle reconnaissance du Somaliland en échange d'un accueil de « réfugié·es » gazaoui·es. « Bonne question… nous y réfléchissons en ce moment », déclare-t-il alors. La classe politique de ce pays formellement indépendant depuis 1991 – mais qu'aucun État n'a encore reconnu – a salué l'intention du président états-unien de (peut-être) reconnaître le Somaliland, sans toutefois s'exprimer sur la contrepartie évoquée : la relocalisation de Gazaoui·es déporté·es.

Depuis l'annonce, le 4 février dernier, par Trump d'un plan aux contours flous qui vise à épurer Gaza de ses habitants, le Somaliland est régulièrement cité comme territoire d'accueil potentiel. Dès le 5 février le Jerusalem Post (1), citant la chaîne de télévision israélienne N12, rapportait que l'administration Trump envisageait le Somaliland, en plus du Maroc et du Puntland (une région somalienne autonome). Quelques semaines plus tard, le Somaliland est de nouveau évoqué, cette fois-ci aux côtés de la Somalie et du Soudan (2), dont les autorités ont toutefois opposé une fin de non-recevoir. À Hargeisa (la capitale du Somaliland), le ministre des Affaires étrangères, Abdirahman Dahir Adam, a simplement dit ne pas avoir été approché sur cette question (3).

Le sujet a de nouveau été alimenté par de récentes révélations du Financial Times (4) sur un plan de « relocalisation temporaire » d'une partie de la population gazaouie – vers le Somaliland et d'autres territoires – présenté à des responsables états-uniens par des hommes d'affaires israéliens, épaulés de collaborateurs du Boston Consulting Group (BCG), un cabinet de conseil déjà impliqué dans le déploiement de la très meurtrière Gaza Humanitarian Foundation.

« Donald Trump est un bon dirigeant »

La prudence et le silence de Hargeisa sur ce sujet ont nourri l'hypothèse d'un rapprochement prochain avec Washington et Tel-Aviv. D'une part, le gouvernement somalilandais s'abstient d'endosser un pseudo-plan de déportation étatsuno-israélien alors qu'aucune offre formelle de reconnaissance n'a été formulée et qu'il ne souhaite pas s'aliéner une partie de la population et de ses partenaires politiques soucieux de la cause palestinienne. D'autre part, il se garde de le rejeter pour ne pas compromettre ses relations avec les États-Unis et la possibilité d'une reconnaissance de leur part – un précédent qui pourrait inciter d'autres pays à suivre l'exemple.

Le président somalilandais Abdirahman Mohamed Abdullahi – dit « Irro » – a lui-même initié cette stratégie. Interrogé sur le sujet dans un entretien accordé à la chaîne saoudienne Sky News Arabia le 13 février, il s'est contenté de flatter son homologue états-unien : « Donald Trump est un bon dirigeant (5). Dès que nous serons approchés officiellement, nous pourrons exprimer clairement notre position. »

Cette prudence vise à ménager l'administration états-unienne, dans l'espoir que ce projet de déportation forcée s'évanouisse de lui-même. Outre son impopularité dans un contexte de guerre génocidaire, il rendrait le Somaliland complice de crime contre l'humanité. Le gouvernement somalilandais espère donc qu'une éventuelle offre de reconnaissance formelle se limite à des éléments liés aux seuls intérêts stratégiques des États-Unis. Ayant bien compris l'approche éminemment transactionnelle de Donald Trump, il cherche actuellement à lui arracher un accord en échange de liens sécuritaires renforcés (sécurité maritime, contre-terrorisme) et de l'installation d'une base militaire dans la ville côtière de Berbera – un sujet évoqué depuis des années déjà. L'octroi de concessions minières est également considéré. Le gouvernement somalilandais pourrait concéder certains de ces éléments sans toutefois que Trump ne se résolve à lui offrir la reconnaissance, dans la mesure où la relation bilatérale s'en verrait tout de même renforcée et visibilisée.

Alignement sur les États-Unis

Miser sur les États-Unis : tel est l'un des principaux moteurs de la diplomatie somalilandaise depuis des années. L'ancien chef de l'État, Muse Bihi Abdi (au pouvoir de 2017 à 2024), en a largement été le promoteur, dans l'espoir de voir son pays enfin reconnu. Les contacts établis au sein de l'appareil politico-sécuritaire états-unien ont été nombreux au cours de son mandat. L'indépendance du Somaliland trouve un écho particulier chez les républicains, qui y voient un maillon stratégique d'un axe pro-occidental au Moyen-Orient. Dès 2022, le très conservateur cercle de réflexion Heritage Foundation, proche de l'entourage de Trump, appelait dans son « Projet 2025 » à reconnaître le Somaliland afin de contrer l'influence chinoise en Afrique. La proximité avec Pékin du gouvernement somalien (dont Washington est lassé de l'incapacité à contenir le groupe djihadiste Al-Chabab) et la présence d'une base militaire chinoise à Djibouti depuis 2017 à proximité du camp Lemonnier et de ses 3 000 soldats états-uniens accroissent l'intérêt des États-Unis pour le Somaliland. La décision de Hargeisa en 2020 d'établir des relations diplomatiques avec Taïwan a d'ailleurs conforté son image d'acteur aligné sur le « bloc » occidental.

Depuis son accession à la présidence, en décembre 2024, Irro s'inscrit dans cette logique. Pourtant, durant la campagne électorale, alors qu'il était candidat du parti d'opposition, il avait laissé entendre qu'il chercherait à élargir les horizons diplomatiques de son pays, après des années d'une stratégie occidentalo-centrée. Le tropisme pro-Somaliland qui se dessine à Washington a néanmoins conduit Irro à s'inscrire dans les pas de son prédécesseur, dont il s'est entouré de certains proches. Il a par exemple reconduit Bashir Goth au poste de représentant du Somaliland à Washington – en fonction depuis 2018 – et pris Mohamed Hagi (ex-représentant du Somaliland à Taïwan sous Bihi) pour le conseiller en matière de politiques étrangères.

Les signes d'un intérêt pour Israël

L'évocation du Somaliland comme terre d'accueil pour une partie de la population gazaouie que le gouvernement israélien souhaite déporter a alimenté des rumeurs déjà anciennes. Dès les années 1990, le profond isolement diplomatique de Hargeisa a nourri l'idée, au Somaliland, d'un rapprochement opportun avec Israël (6). Parmi les arguments souvent avancés figure la reconnaissance, le 26 juin 1960, du Somaliland – jusque-là protectorat britannique – par Israël (7) et trente-quatre autres États. Après quatre jours d'existence toutefois, le Somaliland s'est uni à la Somalie tout juste indépendante de l'Italie. En 1995, le président Mohamed Ibrahim Egal (à la tête du pays entre 1993 et 2002) aurait adressé au Premier ministre israélien, Yitzhak Rabin, une lettre appelant leurs deux pays à nouer des liens. Egal a cependant nié l'avoir écrit, sans pour autant dissiper les doutes d'une partie de la population (8).

Tout au long de ses deux premières décennies d'existence, le Somaliland a connu une longue période de solitude. Les présidents Ahmed Mohamed Mahamoud « Silanyo » (2010-2017) et Bihi (2017-2022) ont donc cherché à en sortir, quitte à prendre des initiatives parfois originales, comme la signature en 2018 d'un protocole d'accord de coopération avec la fantoche « République libre du Liberland » (un territoire situé entre la Serbie et la Croatie). D'autres initiatives bien plus importantes sont à noter, en particulier celles qui ont permis au Somaliland de se rapprocher des Émirats arabes unis (EAU) à partir de 2016, date à laquelle l'opérateur portuaire dubaïote DP World a obtenu la gestion et la rénovation du port de Berbera, le poumon économique du pays.

La proximité du Somaliland avec les EAU et la signature des accords d'Abraham, en 2020, ont ravivé les rumeurs d'un rapprochement entre Hargeisa et Tel-Aviv. Tandis que le Jerusalem Post a appelé Israël à s'intéresser au Somaliland (9), plusieurs parlementaires somalilandais se sont prononcés en faveur d'une telle relation. (10). En 2022, Edna Adan Ismaïl, ancienne ministre des Affaires étrangères et envoyée spéciale pour les pourparlers Somaliland-Somalie sous Bihi, a plaidé pour une reconnaissance mutuelle sur les chaînes israéliennes i24 News English et i24 News Français.

Un point d'ancrage stratégique sur le golfe d'Aden

Si ce n'est pour servir ses objectifs d'épuration ethnique à Gaza, Israël trouverait au Somaliland un point d'ancrage stratégique dans le golfe d'Aden, en plus de lui permettre de s'inscrire de nouveau dans la voie de la « normalisation », et donc de l'invisibilisation de la Palestine et des crimes qui y sont commis.

Spéculer sur l'opportunité d'un rapprochement permet déjà à des responsables et à des commentateurs états-uniens, israéliens et somalilandais de déployer une rhétorique qui ne s'attache qu'à la description d'intérêts matériels et à la promotion de supposés points de convergence entre les deux pays : leur caractère « démocratique », l'« hostilité » de leurs voisins, la « stabilité » de leurs territoires. Par exemple, en 2024, des rumeurs (infondées) au sujet d'un projet de base militaire israélienne à Berbera soutenu par les EAU ont permis de diffuser ces éléments de langage, notamment en Israël (11).

Une reconnaissance mutuelle et les relations de coopération qui en découleraient provoqueraient des réactions hostiles des pays arabes et africains aux prises avec des groupes indépendantistes, attachés à la cause palestinienne et à l'intangibilité des frontières somaliennes. Israël ne manquerait toutefois pas de se présenter comme une force de stabilité et de protection, selon une logique déjà observée dans le passé, comme lors de son appui à l'indépendance du Kurdistan irakien, en 2017.

Risque de marginalisation

Une offre états-unienne de reconnaissance qui exigerait un soutien ouvert à un plan de déportation des Gazaoui·es et/ou à un rapprochement effectif avec Israël serait l'une des pires pour le gouvernement somalilandais au regard des forces géopolitiques et domestiques opposées à de telles conditions.

Le Somaliland s'exposerait à l'hostilité de ses voisins et d'un certain nombre de pays. Sur le continent, des puissances pro-palestiniennes comme l'Algérie et l'Afrique du Sud pourraient marginaliser le Somaliland au niveau de l'Union africaine, organisation auprès de laquelle Hargeisa tente de faire valoir son cas depuis longtemps. Par ailleurs, s'écarter d'un soutien officiel à la cause palestinienne, symbole de la solidarité panarabe, l'éloignerait d'une partie du monde arabe, espace dans lequel le Somaliland souhaite pourtant s'inscrire.

Malgré un attachement encore prégnant à la Palestine, le fléchissement d'une partie de l'opinion publique somalilandaise sur le sujet est à noter, bien que difficilement mesurable. Certaines franges de la société, frustrées par trente-cinq années d'impasse diplomatique, pourraient se résoudre à une offre de reconnaissance de Washington liée aux intérêts Israël. Dans un article paru en début d'année, le journal anglophone The Horn Tribune – sous supervision directe du ministère somalilandais de l'Information et de la Culture – estimait que le soutien d'un État comme Israël pourrait avoir un « effet domino » sur le processus de reconnaissance.

Enfin, la virulence du gouvernement somalien à la suite de la signature, le 1er janvier 2024, d'un protocole d'accord entre l'Éthiopie et le Somaliland (au point mort mais qui promettait sa reconnaissance) aurait contribué à convaincre une partie de la population de l'opportunité de se rapprocher d'Israël. Un politiste somalilandais qui a souhaité rester anonyme estime que l'intransigeance du gouvernement somalien sur la question de l'indépendance du Somaliland « en conduit certains à considérer la Palestine non plus sous le prisme traditionnel de la solidarité panislamique, mais plutôt d'un point de vue stratégique et politique ». Il précise que ce sujet « autrefois tabou est désormais ouvertement discuté, bien qu'il soit encore risqué de le faire ». Malgré tout, il évoque le poids de forces politiques et religieuses proches du gouvernement opposées au plan de déportation et à tout rapprochement : « L'idée d'accepter des réfugié·es de Gaza est considérée comme politiquement dangereuse, car cela pourrait déclencher une crise interne majeure. »

Notes

1- « Trump considers Morocco, Puntland, Somaliland for relocated Gazans », The Jerusalem Post, 5 février 2025, à lire ici.

2- Le 12 août, Associated Press a affirmé que le Soudan du Sud avait été approché, une information démentie dès le lendemain par le gouvernement de Juba.

3- Voir ce message de Abdirahman Dahir Adam, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale du Somaliland.

4- Stephen Foley, « BCG consultants modelled relocating Gazans to Somalia », Financial Times, 7 août 2025, à lire ici.

5- Fin août, Irro a même publiquement soutenu Donald Trump pour le prix Nobel de la paix.

6- « Somaliland : débat sur la reconnaissance d'Israël », Africa Intelligence, 2 octobre 2004, disponible ici.

7- « Somaliland : Only Israel Opposed the Kill all But Crows “Isaaq Genocide”, Offers Recognition », The Horn Tribune, 28 mars 2022, à lire ici.

8- « Somaliland : presidential pen to paper », Africa Intelligence, 23 mars 1996, à retrouver ici.

9- « Why Israel should care about Somaliland », The Jerusalem Post, 17 août 2020, à lire ici.

10- « Somaliland : Recognize Israel and Establish Ties with Tel Aviv, Legislators Urge Government », Somaliland Sun, 7 novembre 2020, à lire ici.

11- Suhaib Mahmoud, « Why is everyone talking about Israel-Somaliland ties ? », Geeska, 3 décembre 2024, disponible ici.

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Guerres et extractivisme : regards croisés depuis le Congo et le Soudan

Deux militants de Sudfa (média fondé par des exilé·es soudanais·es en France), et de Génération Lumière (association d'écologie décoloniale fondée par des jeunes Congolais·es à (…)

Deux militants de Sudfa (média fondé par des exilé·es soudanais·es en France), et de Génération Lumière (association d'écologie décoloniale fondée par des jeunes Congolais·es à Lyon), échangent sur les guerres en cours au Congo et au Soudan, mettant en lumière les logiques globalisées du capitalisme colonial, ainsi que les voies de solidarités entre les peuples.

Tiré du blogue de l'auteur.

Le 23 mai 2025, Sudfa Media était invité par la Coordination Régionale Anti-Armements et Militarisme (région AURA) à venir discuter de la situation au Soudan et en République Démocratique du Congo avec l'association Génération Lumière, qui est une association d'écologie décoloniale et de solidarité internationale fondée par des jeunes Congolais·es à Lyon.

Nous avons particulièrement apprécié cette occasion de faire une présentation publique croisée avec Génération Lumière, qui fait un travail essentiel de mobilisation, d'éducation et de plaidoyer. C'était aussi important pour nous d'évoquer de manière conjointe les guerres au Congo et au Soudan, sont souvent délaissées des médias et des mobilisations en France. La discussion a permis de faire émerger autant les spécificités que les similitudes des deux conflits, et d'identifier ainsi la logique impérialiste transnationale commune à l'œuvre dans ces guerres. Voici par écrit des extraits des présentations. Bonne lecture !

Hamad (Sudfa) : Bonsoir tout le monde. Peut-être avez-vous entendu parler d'une guerre qui a commencé au Soudan il y a deux ans à peu près, qui témoigne de la fragilité de notre monde aujourd'hui. On est en train d'assister à une des catastrophes les plus graves au monde, dans un silence total. On parle de 80% des hôpitaux qui sont hors de service. On parle de 20 millions de Soudanais, soit la moitié de la population soudanaise, qui sont partis de leur foyer, soit à l'étranger, soit déplacées à l'intérieur du pays. On parle de 90% des Soudanais qui souffrent de la faim aujourd'hui dans les zones de guerre. On parle de 15 millions d'enfants qui n'ont pas pu être scolarisés depuis 2023. Donc voilà, on assiste à l'une des catastrophes les plus graves au monde : mais ce qui n'est pas normal dans tout ça, c'est le silence du monde entier.

Jordi (Génération Lumière) : Contrairement au Soudan, ce qui est assez particulier avec le cas du Congo, c'est que c'est un conflit très documenté. Ça fait plus de 30 ans qu'un groupe d'experts des Nations Unies, qui a 1 milliard de dollars de financement annuel, documente, chaque année, l'évolution du conflit... C'est dire un peu le caractère ubuesque de cette situation. Ça fait plus de 30 ans qu'ils le font, alors qu'au fond, la question congolaise est assez simple à comprendre. C'est purement une question de ressources, en fait. Ce qui se passe au Congo, c'est lié à ce qu'on appelle l'extractivisme. Les penseurs, les militants d'Amérique latine ont proposé ce concept pour expliquer que la fin des empires coloniaux n'a jamais mis fin à la logique impériale qui existait. Qu'est-ce que ça a été, fondamentalement, la logique impériale ? C'est d'avoir des pays-ressources, des pays greniers, qu'on va puiser jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien, pour bénéficier à un marché qui est totalement extérieur. En fait, l'extractivisme, c'est aller récupérer une ressource sur un territoire colonisé et en tirer de la valeur pour viser un marché extérieur. On va avoir des pays que l'on va enchaîner d'une certaine manière dans un marché international et à qui on va assigner des rôles, tout simplement.

Hamad (Sudfa) : Les guerres au Soudan comme au Congo témoignent de la manière dont les richesses naturelles d'un pays alimentent l'instabilité, au lieu que la population locale profite de cette richesse. Quand on parle de richesses au Soudan, on parle de l'or, on parle du pétrole, on parle des terres agricoles… C'est un pays stratégique, qui était frontalier avec 9 pays jusqu'en 2011, et qui a une ouverture vers la mer Rouge, qui est une zone très stratégique en termes militaires. Donc voilà, le conflit actuel n'est pas lié qu'aux raisons qu'on présente le plus souvent, quand on dit que c'est une guerre autour du pouvoir entre deux généraux. Cette guerre trouve ses racines dans l'époque coloniale, qui a largement participé à la division de la population soudanaise, à la stigmatisation de certaines parties de la population, et à la division raciale, ethnique et tribale du pays.

Les Anglais, qui ont colonisé le Soudan, ont adopté un système de ségrégation : ils ont divisé la population soudanaise, qui est multiculturelle, en deux catégories. La première, c'est ceux qui ont bien profité du système colonial et qui ont été considérés comme des alliés, qui ont profité de toutes les richesses du pays et des systèmes qui ont été mis en œuvre, et de l'autre côté il y a ceux qui ont été marginalisés. En accédant à l'indépendance du pays, on a constaté qu'il y avait deux sociétés qui étaient séparées l'une de l'autre. C'est pour ça que dès l'indépendance du Soudan en 1956, la guerre a éclaté dans le Sud, parce que des groupes ont pris les armes pour revendiquer la place des Soudanais du Sud au sein de l'Etat, pour dénoncer leur marginalisation et l'injustice. Et cette guerre-là, au fur et à mesure, a éclaté dans les quatre coins du pays, notamment le Darfour, la région du Nil-Bleu, des Montagnes Nouba et du Kordofan. Et ce type de guerre est toujours alimenté par d'autres raisons locales, et notamment écologiques. Dans le sens où il y a un groupe armé qui se forme quelque part au pays et qui essaie prendre le contrôle d'une terre et de ses ressources, mais toujours en lien avec un autre groupe ou un autre pays qui vient en aide de l'extérieur, cherchant à profiter de cette richesse-là.

Jordi (Génération Lumière) : Au Congo, la guerre s'est vraiment beaucoup centrée à l'est de la RDC, au moment où il y a eu ce qu'on appelle le « boom du coltan ». Le coltan, c'est l'un des minerais « clés » pour la production des matériels numériques. Sans coltan, on ne peut pas faire de cartes et de processeurs, on ne peut pas faire d'ordinateur, de téléphone, etc. Vers la fin des années 1990, c'est le boom d'Internet, le boom de toute une nouvelle génération de produits qui a besoin de cette ressource. Et le Congo possède près de 60 à 80% des réserves mondiales du coltan. Or, ce boom est arrivé au moment d'une transition politique en RDC. Pendant près de 32 ans, on avait Mobutu, celui qu'on appelait « l'ami des occidentaux », au pouvoir. A sa mort, on s'est posé la question de quel dirigeant politique allait récupérer ce marché énorme que représente le coltan et arbitrer les intérêts stratégiques du pays. Et c'est à ce moment-là que vont intervenir de nouveaux acteurs, essentiellement le Rwanda et l'Ouganda, qui sont les pays frontaliers à l'est du Congo. Dans cette région, les frontières sont poreuses, les populations ont l'habitude de circuler, et c'est assez simple de financer la possibilité pour des groupes d'entrer au Congo, et de récupérer les minerais qui y sont situés. Or le conflit permet de maintenir les prix de la ressource au plus bas, pour financer un marché qui est en train d'exploser.

C'est à ce moment-là que va éclater ce qu'on a appelé la seconde guerre du Congo. La première, c'est la « guerre de libération », comme on l'appelle, c'est-à-dire la guerre qui va chasser Mobutu au pouvoir et qui va mettre Kabila à sa place. Puis la seconde guerre, ce qu'on appelle aussi la « première guerre mondiale africaine », c'est-à-dire une guerre entre des États frontaliers sur le territoire congolais pour des ressources congolaises, avec un bloc proche du gouvernement congolais, et un bloc proche des pays frontaliers. Ce qui va plus ou moins marcher, parce que Kabila va quand même résister. Puis à son assassinat, va se poser la question du maintien de cette partie-là de la RDC dans le giron de ces États frontaliers. Il faut donc trouver des explications qui vont paraître les plus légitimes, qui vont brouiller le conflit, c'est-à-dire mettre en avant la question ethnique pour expliquer qu'il existe des ethnies au Congo, au Rwanda et en Ouganda qui sont systématiquement discriminées, systématiquement écartées de l'appareil de l'État, qui sont même tuées, voire cannibalisées... on va pousser ce discours jusqu'à très loin, pour justifier le fait que ces États-là s'intéressent à ce qui se passe chez les voisins et peuvent ainsi intervenir pour protéger les intérêts de ces ethnies. Il faut se rappeler le contexte des années 1990, c'est une décennie qui a vu un très grand génocide, le génocide des Tutsis au Rwanda, et donc forcément sur la scène internationale, l'État rwandais qui proclame défendre l'intérêt de ceux qui ont été victimes, forcément, est légitime dans son intervention dans un pays voisin.

Et entre temps, ce qui s'est passé, c'est qu'on a eu une extrême militarisation du conflit, avec des bandes armées qui massacrent partout. Jusqu'à maintenant, on a eu plus ou moins 6 millions de morts en 30 ans sur cette région. A l'époque des années 1990, il y avait 5 ou 6 bandes armées ; aujourd'hui, on en a plus de 200. Pourquoi ? Dans cette région frontalière, il y a énormément de mines d'or, de coltan, d'étain, etc. Et une partie de ces milices, de ces chefs seigneurs de guerre, vont au Congo parce que c'est plus facile de récupérer les minerais. Ça ne demande pas d'efforts industriels, il ne faut pas forer, il ne faut pas passer par des grandes entreprises, pour pouvoir s'enrichir. Le coltan est récolté de manière artisanale, à la pelle. Donc l'essentiel de l'activité du coltan n'est pas du tout dans les mains de l'État, c'est fait de manière clandestine.

En 2020, on a découvert que le Congo n'était plus le premier producteur du coltan mondial, il venait d'être dépassé de quelques milliers de tonnes de plus. Le Rwanda est devenu, du jour au lendemain, le premier producteur de coltan mondial, en produisant près de 4 000 à 5 000 tonnes par an. Et donc la question est apparue : est-ce que ce n'est pas la contrebande des minerais congolais qui explique cette exploitation-là ? On s'est alors rendu compte que parmi les États internationaux, c'était un secret de polichinelle. Tout le monde savait, en réalité, que le Rwanda était devenu une plaque tournante de minerais récupérés au Congo. Ça va même plus loin. C'est-à-dire qu'en fait, jusqu'à aujourd'hui, il n'y a aucune entreprise du numérique qui peut certifier, vraiment preuve à l'appui, que ces minerais de coltan qu'il y a dans les produits ne proviennent pas de ces zones de guerre. C'est dramatique.

Hamad (Sudfa) : Au Soudan, les divisions créées à l'époque coloniale, ça a créé un État qui est très faible depuis l'indépendance et qui a ouvert grand la porte pour que les puissances impérialistes puissent intervenir dans les affaires soudanaises. Souvent, ça se fait à travers des alliances qui ont pour objectif de soutenir le gouvernement en place afin qu'il puisse faire profiter à d'autres des richesses naturelles du pays. Ou alors, les pays extérieurs poussent des groupes locaux à prendre les armes et créer un conflit armé en leur promettant de contrôler cette région-là un jour, pour pourvoir profiter richesses de cette région-là.

Quand on parle des puissances impérialistes qui interviennent au Soudan et qui créent l'instabilité, on parle des puissances classiques, l'Allemagne, la France et tous les pays occidentaux, qui fabriquent des composants militaires retrouvés dans les armes utilisées par les miliciens des Forces de Soutien Rapides (FSR). Mais dans le cas du Soudan, il y a d'autres puissances impérialistes qui sont beaucoup plus discrètes et silencieuses, mais qui interviennent de manière très brutale. Et notamment les pays du Golfe, qui ont tout un tas d'intérêts au Soudan, que ce soit pour des raisons géopolitiques, économiques ou sécuritaires. Les Emirats Arabes Unis, qui sont le premier soutien financier et fournisseur d'armes des FSR, cherchent à s'accaparer les terres agricoles et le bétail du Soudan car ils manquent de terres arables et veulent garantir leur autonomie alimentaire dans le contexte du réchauffement climatique. Ils profitent également, avec l'Egypte et la Russie, de la contrebande de l'or en provenance des mines d'or contrôlés par les FSR au Darfour. Il y a tous ceux qui vendent des armes à l'armée soudanaise ou aux milices (du matériel russe, chinois, turc, ukrainien), ou encore des mercenaires colombiens qui ont été recrutés par les Emirats Arabes Unis pour combattre parmi les FSR. Toutes ces puissances-là cherchent depuis toujours à imposer leur agenda, contrôler le pays, profiter de ces richesses naturelles et en même temps intervenir dans les affaires soudanaises.

La guerre qui a éclaté en avril 2023 n'est pas une guerre des Soudanais entre eux. C'est une guerre par procuration entre ces différentes puissances. Par exemple, entre l'Egypte et l'Ethiopie, qui sont en conflit autour du barrage de la Renaissance sur le Nil : au lieu de s'affronter directement, chacun soutient l'une des deux armées qui s'affrontent au Soudan.

Jordi (Génération Lumière) : Un autre ressort de la logique impériale de l'extractivisme, c'est, au niveau politique, de bloquer l'appareil de l'État. L'objectif de l'économie extractiviste, c'est que l'essentiel de la richesse dépende d'un seul secteur d'activité. On va donc avoir une forme de militarisation de l'économie. Au Congo, par exemple, les zones où les ressources sont exploitées sont des zones auxquelles même les populations locales ne peuvent pas avoir accès. C'est barricadé, c'est militarisé, ou alors en proie aux conflits armés. Et malheureusement, le danger de l'extractivisme et la logique impériale, c'est qu'elle est très rarement démocratique. Elle finit par se limiter à des logiques d'alliance et de pouvoir. Donc, ce qui se passe avec le Soudan, c'est exactement ce qui se passe au Congo. Plus on a besoin d'un État pour ses ressources uniquement, moins il y aura de démocratie. On le voit notamment avec les pays pétroliers. Et même ici en France, on le voit : plus il y a des projets qui sont liés avec une industrie d'extractivisme, moins il y a de consultations publiques. Plus il y a des manigances, moins il y a de démocratie. Et ces logiques-là sont simplement plus opaques ailleurs, parce qu'il y a une question de racialisation. On explique qu'au fond, ces populations-là, si elles meurent, si elles souffrent, ce n'est pas si grave que ça. C'est cette racialisation qui va permettre de faire beaucoup plus de choses de manière beaucoup plus libérée, et presque sauvage. C'est-à-dire du travail forcé, faire travailler des mineurs, des viols de masse, financer des groupes armés, etc.

plus forte que l'armée soudanaise, si bien qu'en 2023 ils se sont retournés contre l'armée pour prendre le pouvoir à sa place. Donc voilà, ça c'est ça c'est une des raisons actuelles de la guerre, qui est une guerre autour du pouvoir, entre deux généraux, qui se battent pour leurs intérêts personnels, mais aussi les intérêts des différents pays qui les soutiennent.

Jordi (Génération Lumière) : Les Etats européens sont aussi impliqués dans le conflit à l'Est du Congo, par le soutien militaire dispensés à l'armée rwandaise. L'État français a des accords de coopération avec l'Etat rwandais, ce qui fait qu'une partie des militaires font leur formation en France.

Aujourd'hui, par rapport à ce qui se passe au Congo, la difficulté de ce conflit, c'est que même la « transition verte » a été repensée pour nous expliquer que cette transition écologique ne doit se penser qu'à travers un progrès numérique. On nous dit que l'extrême numérisation est la seule condition pour connaître une vraie sortie des énergies fossiles. C'est une justification directe d'un élargissement du conflit à l'Est du Congo. Pourquoi je dis ça ? Parce qu'au final, vu que cette demande en minerais est importante, l'argent qui est en jeu est énorme. Donc il faut faire une forme de solution finale, c'est-à-dire trouver une manière de s'installer définitivement sur le territoire qui en possède près de 60 à 80% des réserves. Ça semble logique. Et depuis février 2024, on a des groupes armés, deux essentiellement, qui sont directement financés par l'État rwandais, qui se sont mis à prendre des territoires avec pour objectif de s'installer définitivement et de chasser l'État congolais de toute la région du Kivu.

C'est un conflit qui doit nous interpeller, car en réalité, ce n'est pas possible d'imaginer, au niveau international, un monde qui prônerait la fin des énergies fossiles et une transition écologique, sans que ce qui se passe au Congo soit résolu. C'est pour ça que la situation congolaise est particulière, parce qu'elle démontre vraiment les dégâts de l'extractivisme comme modèle économique et comme modèle géostratégique, mais aussi parce qu'elle nous engage tous. C'est au profit d'un certain marché, d'un certain confort qu'on va essayer de maintenir cette situation. Mais c'est aussi en raison du maintien de cette situation qu'ici aussi, en Europe, on aura du mal à sortir d'un monde, d'un modèle que l'on dénonce de plus en plus. (…)


Ces extraits que nous avons choisi de publier de la discussion discussion croisée sur les conflits actuels au Congo et au Soudan mettent en lumière l'interdépendance de l'économie mondiale avec celle de l'extractivisme, une activité qui repose sur l'exploitation des ressources et des populations. C'est l'héritage d'un ordre colonial et racial qui justifie l'intervention étrangères dans ces zones, ainsi que l'opacité et la violence des actions perpétrées pour maintenir cette économie. Pour nous à Sudfa, il est important de penser les enjeux locaux tout en gardant un regard international qui permet de mettre en lumière les logiques globalisées du capitalisme colonial, ainsi que les voies de solidarités entre les peuples.

Par : Equipe de Sudfa

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Sud Soudan : Virer les dirigeants pour stopper la guerre

30 septembre, par Paul Martial — , ,
Par leur corruption et leur politique ethniciste, les élites du pays plongent le Sud Soudan dans un nouvel abîme de violence. Depuis sa séparation avec le Soudan en juillet (…)

Par leur corruption et leur politique ethniciste, les élites du pays plongent le Sud Soudan dans un nouvel abîme de violence.

Depuis sa séparation avec le Soudan en juillet 2011, le pays n'a connu que des guerres civiles d'intensité plus ou moins forte. Depuis huit mois Riek Machar vice-président comparait devant un tribunal sous plusieurs chefs d'inculpation tels que crimes contre l'humanité, rébellion et trahison.

Une guerre permanente

Il est accusé notamment d'avoir incité l'armée blanche, une milice réputée proche de son organisation le Sudan People's Liberation Movement-in-Opposition (SPLM-IO) à attaquer la caserne de Nasir une ville de l'Etat du Nil Supérieur, causant ainsi la mort de plus de 250 militaires. Les opérations de représailles lancées par le président du Sud-Soudan Salva Kiir ont pris pour cible les civils et provoqué la fuite de dizaines milliers de personnes.
Les accords de paix de 2018 censés mettre fin à la guerre civile n'ont jamais été réellement appliqués. Les affrontements n'ont eu de cesse de se poursuivre des deux côtés.

Le procès contre Riek Machar ainsi que plusieurs dirigeants du SPLM-IO est considéré comme une rupture de cet accord de paix d'autant qu'il s'accompagne de violents bombardements aériens contre les centres de cantonnement des troupes de cette organisation qui devaient être intégrés. Ces combattant se sont dispersés à travers le pays et désormais n'ont d'autres choix que de reprendre la guérilla. Cette situation est préoccupante, car une alliance s'est créée entre le SPLM-IO et une autre milice la National Salvation Front (NSF) de Thomas Cirilo qui risque de faire basculer le pays à nouveau dans une guerre civile généralisée.

Ethnicisme et corruption

Pour Salva Kiir, le but est de se débarrasser de l'opposition. Il a réussi à débaucher quelques dirigeants du SPLM-IO pour maintenir la façade d'un gouvernement d'union nationale. Sa préoccupation est d'assurer sa succession et transmettre le pouvoir à Benjamin Bol Mel, homme d'affaires et intime du clan familial de Salva Kiir déjà nommé vice-président. Une telle politique ne fait qu'enferrer le pays dans une situation conflictuelle.
Depuis sa création les élites à la tête du jeune Etat n'ont eu de cesse d'instrumentaliser les divisions ethniques en utilisant leur communauté d'appartenance : Riek Machar pour les Nuer, Thomas Cirilo pour les Bari et Salva Kiir pour les Dinka. Dans le même temps la situation économique est désastreuse. Les exportations de pétrole du Sud Soudan sont bloquées à cause de la guerre au Soudan et surtout les fonds du pays sont détournés à grand échelle.

C'est ce qu'indique un rapport de la commission des droits de l'homme de l'ONU qui se départit de son langage diplomatique pour dénoncer une « prédation éhontée ». Le rapport cite Bol Mel le dauphin de Salva Kiir coupable d'un détournement de deux milliards de dollars destinés aux infrastructures routières. Autre exemple le ministère de la santé n'a touché que 19 % de son budget soit 29 millions de dollars tandis que celui des affaires présidentielles dépasse sa dotation de 584% soit 557 millions.

La seule solution pour la paix est que les populations, toutes communautés confondues, se débarrassent de ces fauteurs de guerre.

Paul Martial

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Le fascisme gagne-t-il la France ? Entretien avec Ugo Palheta

30 septembre, par Ugo Palheta, Rob Grams — , ,
Ugo Palheta est sociologue et codirecteur de publication dans la revue Contretemps. Il a notamment coordonné l'ouvrage collectif Extrême droite : la résistible ascension (2024) (…)

Ugo Palheta est sociologue et codirecteur de publication dans la revue Contretemps. Il a notamment coordonné l'ouvrage collectif Extrême droite : la résistible ascension (2024) aux Editions Amsterdam et anime un podcast sur le fascisme intitulé Minuit dans le siècle sur la plateforme Spectre. Il a publié en mai dernier Comment le fascisme gagne la France (2025, Editions La Découverte), une édition augmentée du livre La possibilité du fascisme, paru en 2018. À cette occasion, nous revenons avec lui sur sa définition du fascisme, sur le processus de fascisation dans lequel la France est engagée, sur la sociologie du vote pour le Rassemblement national et sur comment lutter contre ces phénomènes qui n'ont rien d'inéluctables. Un entretien réalisé par Rob Grams. Photographie par Farton Bink

24 septembre 2025 | tiré de Frustratins
https://frustrationmagazine.fr/fascisme-ugo-palheta

Qu'est-ce que le fascisme ?
Comment définis-tu le fascisme ?

C'est une question difficile qui a fait couler beaucoup d'encre entre historiens, notamment autour d'un débat assez spécifique sur lequel il est toujours intéressant de revenir : y-a t-il eu ou non un fascisme français ? Le régime de Vichy était-il fasciste ? Une thèse étrange a longtemps prévalu chez les historiens français, parfois qualifiée de thèse “immunitaire”, selon laquelle il y aurait eu une “allergie française” au fascisme, que la France aurait été protégée en quelque sorte par ses institutions et valeurs républicaines. Aujourd'hui cela est évidemment très peu convaincant en raison de beaucoup de travaux d'historiens étrangers sur Vichy, sur les ligues d'extrême droite dans les années 1930, sur les origines du fascisme avec Zeev Sternhell qui a travaillé sur le pré-fascisme et la synthèse intellectuelle fasciste dont il montre qu'elle serait née en France à la fin du XIXe siècle.

Les historiens se sont affrontés sur la question de savoir s'il y avait eu un « fascisme français ». – Imagerie de propagande du régime de Vichy (domaine public)

Une première difficulté qu'on a sur cette question c'est que le fascisme peut qualifier beaucoup de choses : des régimes, des mouvements ou des partis, des idées, des méthodes, des affects, des stratégies… Donc selon ce sur quoi on réfléchit (des partis qui ne sont pas au pouvoir, des régimes, des idées…), on va insister sur des choses différentes : la violence paramilitaire, l'alliance avec le capital, l'ancrage de ses cadres dans la petite bourgeoisie, la spécificité et le rôle de son idéologie, etc.

Une autre difficulté c'est qu'on a une image conventionnelle du fascisme qui hante à peu près tous les cerveaux : des milliers de jeunes hommes qui défilent en uniforme, le bras tendu, qui agressent des gens, détruisent des vitrines de magasins juifs ou d'autres minorités… Et si on ne retrouve pas ça le réflexe c'est de s'imaginer qu'on n'a pas affaire à quelque chose qui a à voir avec le fascisme. Il y a une focalisation sur cette dimension spectaculaire du fascisme de l'entre deux guerres et sur la forme organisationnelle spécifique qu'a prise le fascisme dans l'entre-deux-guerres, à savoir le parti militarisé de masse. Or précisément c'est, à mon sens, ce qui ne revient pas et a peu de chances de revenir dans le contexte politique, idéologique et culturel qui est le nôtre.

Aube Dorée, parti fasciste grec est un des rares partis à avoir repris l'esthétique du fascisme historique, mais n'est pas parvenu à mobiliser les masses comme ce dernier.
Crédit : Marche d'Aube Dorée à Athènes en mars 2015, By DTRocks – Own work, CC BY-SA 4.0

Ce qui ne veut pas dire que le néofascisme, le fascisme de notre temps, ne serait pas violent ou même moins violent, mais les formes de la violence néofasciste ne sont pas et ne seront pas identiques, pas plus que les stratégies ou les modes d'organisation des néofascistes. Ça ne veut pas non plus dire qu'il est exclu qu'émergent et se développent des partis qui ressembleraient aux partis nazis ou fascistes italiens : on l'a vu avec Aube Dorée en Grèce au début des années 2010. Dans certains contextes particuliers, cette forme spécifique peut renaître mais en réalité Aube Dorée est toujours restée très loin de ce qu'a pu être, en termes de masses mobilisées, le parti fasciste italien ou le parti nazi, et son succès a été non seulement moindre mais éphémère.

Donc la manière la plus productive d'appréhender le fascisme, à mon sens, parce qu'elle permet de penser les fascismes historiques et les néofascismes du XXIe siècle, c'est de partir de ce qu'est le projet de société et politique du fascisme, qui découle de sa vision du monde (plus que d'une doctrine à proprement parler), car ce coeur idéologique c'est bien ce qui reste, ce qui est permanent malgré des stratégies différentes qui constituent des formes d'adaptation à des conjonctures politiques et des contextes culturels changeants et singuliers.

Cette vision du monde on peut la résumer à travers un certain nombre d'éléments qui sont articulés les uns avec les autres :

  • l'obsession du déclin, de la décadence, de la décomposition d'une communauté considérée comme organique et fixe (communauté pensée comme nationale, civilisationnelle et/ou raciale)
  • une paranoïa civilisationnelle et/ou raciale qui permet de rapporter ce déclin à la présence sur “notre” sol d'immigrés, de minorités et de groupes considérés comme fondamentalement allogènes, intrinsèquement étrangers et radicalement hostiles, qui détruiraient par leur seule présence “notre” communauté (nation, civilisation et/ou race), l'empêcheraient de rester fidèle à son “identité” profonde, de retourner à ses “racines” (évidemment immémoriales), et de retrouver sa “grandeur” (“make America great again”). Tous les maux de la nation ou de la civilisation sont ainsi expliqués par cette présence sur le sol national et continental.
  • la haine de l'égalité et de l'ensemble des mouvements qui portent cette exigence, soit le mouvement syndical (en tant qu'il lutte contre les inégalités de classe), le mouvement féministe, le mouvement antiraciste, le mouvement LGBTQIA+ etc., l'ensemble de la gauche sociale et politique sont haïs par l'extrême droite partout dans le monde (et évidemment en premier lieu ses franges radicales, d'où l'anti-communisme fondamental de cette famille politique)
  • l'idée qu'une renaissance nationale ou civilisationnelle est possible sous la stricte condition d'épurer le corps de la nation ou de la civilisation, d'un point de vue ethno-racial et politique, de ses ennemis fondamentaux – les minorités, les immigrés post-coloniaux et plus largement du Sud Global – mais aussi des “traîtres”, c'est-à-dire les mouvements de gauche et d'émancipation qui non seulement pactiseraient avec ces “ennemis”, qui fractureraient l'unité de la nation en pratiquant la lutte des classes, féministe ou antiraciste, et qui affaibliraient celle-ci en cherchant à dissoudre des hiérarchies considérées comme “naturelles”.
  • un mélange propre au fascisme d'ultra-conservatisme (l'attachement justement à ces hiérarchies de genre, raciales, de classe etc) et de subversion, de révolte, à travers un discours, une symbolique et un imaginaire de la rupture, ce qui donne au fascisme et au néofascisme ce caractère de révolte réactionnaire tout à fait singulier et explosif, qui donne une partie de son impulsion politique et éthique au fascisme, sa capacité à s'implanter dans les masses en se connectant à des idées et affects contradictoires.

Ce qui demeure entre le fascisme de l'entre-deux-guerres et le néofascisme contemporain c'est cette matrice-là qui a des dimensions politiques, idéologiques et stratégiques, notamment toute cette idée de “troisième voie” (ni gauche ni droite, ni socialiste ni capitaliste). Peut-être qu'il est utile de dire pourquoi les stratégies autour de l'exercice de la violence par des appareils paramilitaires ne perdurent pas, du moins à une échelle de masse. Il y a à mon avis deux raisons essentielles :

  • Il n'y a pas le même “matériau humain” que dans le contexte post-1918, c'est-à-dire des millions de jeunes hommes qui avaient fait la guerre, enrôlés dans les armées de la Première guerre mondiale, avaient fait cette expérience de brutalisation de masse dans les tranchées, et qui, pour une partie d'entre eux (car il y eut aussi beaucoup d'anti-militaristes parmi les anciens combattants), ont nourri les rangs fascistes.
  • Stratégiquement le fascisme classique avait besoin de ces milices pour déraciner physiquement le mouvement ouvrier qui était beaucoup plus implanté, ancré et puissant dans les communautés ouvrières, y compris dans les campagnes italiennes de certaines régions où il était très fort et avait conquis toute une série de droits juste après la Première Guerre Mondiale. Il y avait donc une “nécessité” de la violence de masse et des appareils paramilitaires dans le contexte particulier de l'après-Première guerre mondiale.

Notre contexte est différent mais stratégiquement il y a cette idée de la Troisième voie : “nous sommes à la fois une alternative aux partis bourgeois et à la gauche”, les deux vendant la nation, comme le dit Marine Le Pen, “au mondialisme d'en haut, du totalitarisme financier”, et au “mondialisme d'en bas” “islamiste” “nourri par l'immigration de masse”. Marine Le Pen, et tous les dirigeants de l'extrême droite au niveau mondial, s'inscrivent clairement dans cette stratégie politique de la Troisième Voie qui est de s'ériger en alternative vis-à-vis des partis bourgeois et des partis ouvriers ou de gauche.

Si je comprends bien, pour toi, extrême droite et fascisme sont synonymes ?

Pas tout à fait. On pourrait faire un exercice de typologie assez savant en distinguant des extrêmes droites traditionaliste/royaliste, bonapartiste, fasciste, etc. Aujourd'hui, il me semble que l'exercice typologique devrait davantage conduire à distinguer les extrêmes droites à partir de leur stratégies idéologiques : une branche libertarienne-autoritaire (Trump ou Milei), une branche libérale-réactionnaire (Meloni ou Orban) et une branche social-nativiste (Marine Le Pen). Mais je précise qu'on a souvent trop tendance, à partir de ces typologies, à imaginer que les frontières entre ces courants seraient infranchissables, alors que, le plus souvent, ils ont été capables de collaborer, d'agir voire de gouverner ensemble.

Javier Milei, président d'extrême droite de l'Argentine, pourrait appartenir à la branche libertarienne-autoritaire. Crédit : Por Vox España – https://www.flickr.com/photos/voxespana/52419877166/, CC0,

Au XXe siècle les deux grandes branches de l'extrême droite qui ont eu un impact historique c'est l'extrême droite fasciste et néofasciste, et l'extrême droite militaire. L'extrême droite militaire cela renvoie par exemple à Franco, à Pinochet, aux colonels grecs qui prennent le pouvoir par un coup d'Etat en 1967. Leur force, la source de leur pouvoir, c'est évidemment leur ancrage dans l'appareil militaire et ils se basent sur une stratégie qui est celle du coup de force en s'appuyant sur les forces régulières de l'armée, sans chercher véritablement à construire une assise dans la population.

Aujourd'hui, dans la France de 2025, je ne crois pas que le danger soit celui d'un coup d'Etat de la part d'une extrême droite militaire, même si on a vu les textes il y a quelques années montrant qu'il y a un ancrage d'extrême droite dans des secteurs importants de l'armée y compris au plus haut niveau de la hiérarchie militaire. Ce qui me semble le plus dangereux c'est plutôt la branche politique, donc l'extrême droite néofasciste, celle qui a travaillé depuis des décennies à remodeler l'héritage politique, stratégique et programmatique du fascisme, généralement sans s'en réclamer explicitement, tout en maintenant le socle idéologique anti-immigrés et raciste (notamment islamophobe), et en faisant des clins d'oeils en direction de ceux et celles qui sont attachés à cette tradition politique.

Le dictateur espagnol Franco appartiendrait davantage à « l'extrême droite militaire » – Défilé devant Franco à Madrid le 19 mai 1939. Source : Par Anonyme — [1], Domaine public

Par exemple, quand Marine Le Pen invite dans un tweet à relire Jean Raspail au moment de sa mort, un écrivain raciste qui avait écrit un roman d'anticipation décrivant une guerre civile raciale, elle sait très bien ce qu'elle fait : elle s'inscrit dans une histoire, dans une famille politique. Elle est militante depuis plus de quarante ans de ce courant politique, elle connaît très bien ses référents idéologiques, programmatiques et littéraires, elle s'inscrit dans cette histoire fasciste contrairement à ce qu'ont pu dire récemment des idéologues médiatiques comme Michel Onfray, Marcel Gauchet, David Pujadas ou Alain Finkielkraut, selon lesquels Marine Le Pen et le RN auraient rompu avec l'héritage de l'extrême droite.

Tu reprends l'idée de l'historien Robert Paxton que le retour du fascisme doit pas être envisagé comme un retour à l'identique du fascisme historique, mais plutôt comme l'émergence d'un “équivalent fonctionnel”. Mais alors c'est quoi la fonction du fascisme ?

Cette question est intéressante car souvent, du côté de la gauche radicale, il y a une thèse rapide et facile, sinon fausse, qui est que la fonction du fascisme c'est d'être le “dernier rempart” de la bourgeoisie face à une révolution imminente, à une offensive des classes populaires, à une insurrection de la classe ouvrière. Or ce n'est pas comme ça que se présentent les choses. Le fascisme se développe en 1921-1922 avec des fonds qui viennent effectivement des grands propriétaires terriens pour briser le mouvement ouvrier dans les campagnes. Mais clairement, quand Mussolini arrive au pouvoir, il n'y a pas de “menace” révolutionnaire imminente : bien sûr il y a la grande peur qu'ont suscité chez les possédants la Révolution russe de 1917 puis le “bienno rosso” en Italie (les deux années rouges, 1919-1920). Mais c'est plutôt parce que cette révolution a été défaite, parce que le parti socialiste italien s'est montré incapable de tirer parti de la combativité ouvrière pour prendre le pouvoir et engager une transformation radicale de la société italienne, que les fascistes ont pu arriver au pouvoir dans ce climat de démoralisation et de désorientation au sein de la classe travailleuse.

“Quand Mussolini arrive au pouvoir il n'y a pas de “menace” révolutionnaire imminente” ; Crédit : la marche sur Rome ; domaine public

De la même manière, en Allemagne, les nazis arrivent au pouvoir plutôt à froid. La période 1929-1933 n'est pas une période de montée des luttes ouvrières et populaires : il y a des mobilisations, parfois importantes et même radicales, mais elles restent défensives. Cette séquence diffère de ce point de vue de la séquence 1918-1923, marquée par une instabilité politique beaucoup plus forte et un mouvement ouvrier nettement plus à l'offensive, avec des tentatives insurrectionnelles. 1923, c'est aussi l'année où les nazis tentent pathétiquement de prendre le pouvoir avec le putsch de la Brasserie mais sont laminés militairement. Hitler se retrouve en prison, moins d'un an d'ailleurs (ce qui n'est pas beaucoup pour une tentative d'insurrection et ce qui montre la complicité de l'appareil judiciaire avec les nazis tout au long de la période), et il opte alors définitivement pour une stratégie légale d'accès au pouvoir.

Le dernier rempart de la bourgeoisie, à vrai dire, ce sont plutôt les appareils de répression de l'Etat, en particulier l'armée qui est généralement un bastion réactionnaire. Mais si le fascisme n'est pas le dernier rempart, à quoi sert-il ? Il a bien une fonction historique du point de vue de la bourgeoisie. Si une fraction importante des élites politiques, économiques et médiatiques donnent le pouvoir sur un plateau aux fascistes, c'est afin de restabiliser l'ordre politique dans un contexte où aucune majorité parlementaire ne parvient à se dégager et où la situation politique est bloquée, au bord de la crise de régime.

Le putsch de la Brasserie, tentative de coup d'Etat par les nazis en 1923, fût un échec. Crédit : Par Bundesarchiv, Bild 119-1486 / CC-BY-SA 3.0, CC BY-SA 3.0 de

Dans ce genre de situations, la bourgeoisie n'est pas véritablement menacée dans ses intérêts fondamentaux (la crise n'est pas révolutionnaire ou pré-révolutionnaire), mais du fait de l'instabilité gouvernementale chronique, elle ne parvient pas – ou pas complètement – à imposer ses politiques.Les partis bourgeois traditionnels, qui assurent sa domination dans le champ politique, sont trop discrédités, leur légitimité dans la population est trop effritée. La bourgeoisie a donc besoin de trouver un relais à vocation hégémonique dans le champ politique, colmater les brèches et reprendre l'initiative face à des mouvements populaires incapables de prendre le pouvoir mais suffisamment forts pour bloquer une partie de ses politiques.

C'est intéressant de voir ça parce que le fascisme est souvent vu comme un plus gros bâton pour taper sur la tête des classes populaires. Moi je pense que c'est un peu différent en réalité : le plus gros bâton dont dispose la bourgeoisie c'est l'armée. Et d'ailleurs elle cherche toujours à l'utiliser quand il y a une menace révolutionnaire, ou même simplement lorsqu'une politique de gauche réellement ambitieuse menace ses intérêts, même sous une forme parfaitement réformiste (Espagne 1936, Chili d'Allende 1973…). Pour prendre le cas chilien, on voit alors l'ensemble des classes dominantes s'entendre avec des généraux, comploter avec les dirigeants étatsuniens et la CIA, et alors des avions viennent mitrailler le palais d'Allende qui est acculé au suicide, les militants de gauche sont entassés et massacrés dans des stades, etc.

Allende fut renversé par les classes dominantes et les généraux, en alliance avec les Etats-Unis.
Bombardement du Palais de la Moneda. Crédit : Por Biblioteca del Congreso Nacional, CC BY 3.0 cl

Ce que la bourgeoisie attend du fascisme, en l'intégrant à une grande coalition des droites, c'est d'entraîner sa base sociale et de la mettre au service d'une politique bourgeoise, supposant de détruire les mouvements ouvriers et populaires et de restabiliser le système politique, tout cela sans avoir à passer par un coup d'Etat militaire. Je rappelle en passant que, dans tous les cas historiques que l'on connaît, les fascistes sont arrivés au pouvoir dans le cadre d'une coalition des droites, et, dans les cas italiens et allemands, dans une position minoritaire en termes de nombre de portefeuilles ministériels par rapport aux ministres qui venaient de la droite traditionnelle (conservatrice ou libérale).

Les fascistes se sont toutefois toujours assurés d'avoir la position de chef de gouvernement – Hitler l'avait dit, il ne voulait pas être autre chose que chancelier – et le ministère de l'Intérieur pour disposer des forces de police. À partir de là, les fascistes font ce à quoi ils aspirent, à savoir rebâtir l'appareil d'Etat à leur profit : pour les opportunistes s'assurer des postes de pouvoir et des sources de revenus, et pour les plus idéologues et fanatiques mettre en oeuvre leur projet de société.

Le cabinet Hitler en janvier 1933. « Les fascistes se sont toutefois toujours assurés d'avoir la position de chef de gouvernement – Hitler l'avait dit, il ne voulait pas être autre chose que chancelier ». Source : Par Bundesarchiv, Bild 183-H28422 / CC-BY-SA 3.0, CC BY-SA 3.0 de

La fonction historique du fascisme, du point de vue des classes dominantes, est donc davantage hégémonique que militaire (faire face à une montée révolutionnaire des classes populaires, un soulèvement en cours ou imminent, etc.). Cela étant dit, il s'agit bien de mater l'ensemble des contestations. Dans le contexte présent : non pas seulement les contestations syndicales et ouvrières, mais bien évidemment les mouvements antifascistes, antiracistes, anti-guerre, écolo-radicaux, féministes et LGBTQIA+. Faire taire toutes ces contestations pour restabiliser l'ordre politique, mais plus profondément pour rebâtir l'ordre politique autour de l'idée de “hiérarchie naturelle” et d'un projet de “renaissance nationale”.

Tu t'opposes donc à une approche marxiste un peu obtuse et très orthodoxe qui ne considère le fascisme que comme un outil de la classe capitaliste. Qu'est-ce qui pose problème avec cette approche ? Est-ce que le fascisme a une autonomie vis-à-vis de cette classe capitaliste ?

Je pense que sur la question du fascisme, comme sur celle du racisme d'ailleurs, il ne faut pas opposer mais articuler une approche par en haut et une approche par en bas.

Johann Chapoutot donne l'exemple d'Alfred Hungenberg, un magnat de l'industrie qui a acheté un empire de presse avant de devenir ministre de l'extrême droite allemande non-nazie. Crédit : Alfred Hugenberg (à gauche) et Theodor Duesterberg, en 1932 ; Bundesarchiv, Bild 102-13191 / CC-BY-SA 3.0, CC BY-SA 3.0 de

L'approche par en haut c'est effectivement montrer à quel point le fascisme trouve des complicités structurelles au sein de la classe capitaliste. Dans le cas de Trump, le cas est encore plus fragrant puisque c'est un milliardaire qui entre dans le champ politique et devient lui-même un dirigeant néofasciste. Ce n'est pas l'unique cas qu'on connaît dans l'histoire où des riches et des magnats cherchent à construire une carrière politique. Johann Chapoutot donne un exemple de ce type à travers Alfred Hungenberg, un magnat de l'industrie qui achète un empire de presse et qui devient ministre de l'extrême droite allemande non-nazie.

C'est très important d'avoir en tête cette histoire par en haut du fascisme, des liens qu'il noue de manière souvent très volontariste avec les classes possédantes (les capitalistes, les grands propriétaires terriens, les généraux de l'armée…). Dans le cas du mouvement nazi, des personnes comme Goering et Ribbentrop organisaient des dîners et des meetings avec des membres éminents de la bourgeoisie, du patronat, pour les rassurer et faciliter leur accès au pouvoir. Aujourd'hui on peut se référer aux travaux de Marlène Benquet sur les grands financeurs de l'extrême droite libertarienne.

Crédit : Donald Trump en campagne en mars 2016. Par Gage Skidmore from Peoria, AZ, United States of America — Donald Trump, CC BY-SA 2.0

C'est une dimension très importante à avoir en tête, notamment pour battre en brèche tout le discours des fascistes eux-mêmes qui se présentent comme une prétendue alternative au “système”, comme des gens qui voudraient la “rupture”. “Système” est d'ailleurs un terme typiquement fasciste : les nazis l'employaient de manière systématique. Quand ils parlaient de la République de Weimar avant leur arrivée au pouvoir ils parlaient par exemple de “l'époque du système” (“Systemzeit”). Ce terme a toujours été confortable car chacun peut y mettre ce qu'il veut : le système c'est quoi ?

L'approche par en bas du fascisme suppose de considérer que la force de l'extrême droite fasciste, par exemple par rapport à l'extrême droite militaire (des généraux qui font un coup d'Etat et imposent une dictature d'extrême droite), c'est de parvenir à construire une base sociale et de trouver l'oreille de millions de personnes. Donc elle bâtit tout un discours et une rhétorique, mobilise des émotions et des affects, développe un certain style et des formes d'humour, soigne ses apparitions publiques, la scénographie de ses meetings, etc. Dans l'entre-deux-guerres, Hitler arrivait généralement en avion pour ses meetings, donnant un sentiment de puissance et lui permettant de prendre la parole plusieurs fois dans une même journée en différents points de l'Allemagne. Aujourd'hui Milei arrive avec sa tronçonneuse et se met en scène avec Elon Musk.

Tout cela participe d'une stratégie visant à séduire les “masses”, voire à les organiser et les mobiliser si nécessaire. Et, de fait, les mouvements d'extrême droite, dans certains contextes historiques, parviennent à bâtir une forme d'adhésion de masse à leur vision du monde, à leurs projets : une adhésion plus ou moins intellectuellement motivée et rationalisée, plus ou moins émotionnelle. Sur la base de cette adhésion, ils vont chercher ensuite à mobiliser activement leurs sympathisants dans la rue et à les encadrer idéologiquement, particulièrement dans l'entre-deux-guerres qui a constitué un contexte exceptionnel de politisation de masse, beaucoup plus intense qu'aujourd'hui.

Aujourd'hui, nous vivons après quarante ans de néolibéralisme. Or le néolibéralisme ne devrait pas être réduit à une politique de marchandisation, privatisation, etc. Il est aussi une politique de dépolitisation : “il n'y a pas d'alternative” comme disait Thatcher, autrement dit il faut laisser “le marché” (c'est-à-dire les capital et les impératifs d'accumulation) gouverner et discipliner les politiques publiques. Dans ce contexte historique, aussi bien la gauche et le mouvement ouvrier que l'extrême droite ont plus de mal à mobiliser leurs partisans dans la rue que dans l'entre-deux-guerres, même s'il faut souligner qu'en France la capacité de la gauche sociale et politique (partis, syndicats, collectifs, etc.) à mobiliser dans la rue demeure beaucoup plus importante que celle de l'extrême droite. Néanmoins, la France pourrait ne pas rester longtemps étrangère à ces mobilisations d'extrême droite de rue – sous la forme de tentatives de coups d'Etat ou de pogroms anti-immigrés ou anti-musulmans – qui renaissent à une échelle inconnue depuis l'après-guerre aux Etats-Unis, au Brésil, en Angleterre, en Allemagne ou en Espagne, sans même parler du cas indien où le néofascisme suprémaciste hindou bénéficie depuis longtemps d'une base de masse et de milices armées.

C'est important d'interroger les raisons pour lesquelles des segments entiers de la classe travailleuse mais aussi de la petite bourgeoisie et de la paysannerie, ont pû adhérer à cette vision du monde fasciste, sans forcément adhérer au parti lui-même mais en se retrouvant même minimalement dans ce projet-là. Toute une partie de la paysannerie allemande a par exemple voté pour les nazis. Il faut donc se méfier de l'idée qu'il suffirait que la bourgeoisie appuie sur un bouton, finance les nazis pour que ces derniers obtiennent plus de 30% aux élections. C'est plus compliqué : s'ils ont obtenu jusqu'à 37% aux élections c'est qu'ils sont parvenus à politiser une série d'attentes, d'intérêts, d'aspirations, de désirs, d'affects, qui n'ont pas été créés de toutes pièces par les financeurs bourgeois, qui étaient présents dans au moins une partie des classes populaires comme dans toutes les couches sociales, et qui pouvaient renvoyer à une histoire longue (celle de l'antisémitisme par exemple).

Je dis volontairement “classes populaires” car la classe ouvrière – en Italie comme en Allemagne – est le groupe social qui a été le moins pénétré par le mouvement fasciste. Cela ne veut pas dire que les fascistes n'y ont aucune influence, mais dans les deux cas l'adhésion au fascisme a été beaucoup plus forte dans les couches moyennes salariées et la petite bourgeoisie que dans la classe ouvrière. Aujourd'hui c'est variable d'une société à une autre.

Dans le cas du Front National en France et de Marine Le Pen, ce serait se mettre la tête dans le sable que de dire qu'ils n'ont pas de base sociale dans une partie des classes populaires, même s'ils sont aussi très forts dans une partie de ce qu'on appelle les classes moyennes (notamment les petits indépendants). Et ce n'est pas juste un sous-produit du soutien des médias Bolloré, d'une stratégie d'endoctrinement qui passerait par CNews etc. : cela s'est construit bien avant que Bolloré ne bâtisse un empire médiatique et cela s'inscrit dans des dynamiques économiques, sociales, politiques et idéologiques de long terme, dans lesquelles la gauche – en particulier le PS – a une énorme responsabilité. Toutes choses que j'essaie de montrer dans le livre.

Tu parles de rhétorique anti-système. C'était effectivement mobilisé par le RN auparavant mais est-ce que tu ne trouves pas qu'aujourd'hui il essaye plutôt d'apparaître comme une droite “légitime” et “sérieuse” ?

Oui mais tout dépend du moment dans lequel on se trouve, de l'étape dans le processus de montée du fascisme vers le pouvoir. La révolte réactionnaire, ce mélange bizarre d'ultra-conservatisme et d'appel subversif à détruire “le système”, varie selon les conjonctures et les besoins stratégiques et tactiques des fascistes.

Le FN a cherché à se développer dans les territoires anciennement marqués par la gauche et le Parti Communiste. Crédit photo : L'aciérie La Providence de Réhon, la dernière à fermer dans le bassin de Longwy, en 1984 ; Bruno Barbaresi, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons

Dans les années 1980, ils ont beaucoup plus une rhétorique conservatrice car leur objectif à ce moment-là est de conquérir une partie de la base sociale de la droite traditionnelle. Et c'est ce qu'ils font : l'essentiel de la première base sociale du Front National ce sont des gens qui votaient à droite auparavant. Ils vont avoir une stratégie différente à partir des années 1990 car ils voient bien que le mouvement ouvrier et le Parti Communiste sont en déclin très prononcés et qu'il y a la possibilité de se développer dans les territoires de vieille implantation de la gauche (PCF mais aussi PS) : le bassin minier dans le Pas-de-Calais, la Lorraine antérieurement sidérurgique… C'est dans le cadre de cette stratégie qu'il vont commencer à développer une rhétorique dite “sociale” et antisystème plus prononcée, notamment contre l'Europe alors qu'auparavant, jusqu'au début des années 1990, ils étaient pro-Europe car, dans leur vision et leur imaginaire, elle permettait de se défendre face à l'Union Soviétique.

Toute cette stratégie a été accentuée dans les années 2010 par Marine Le Pen, notamment dans le contexte de remontée des luttes sociales qui a marqué le cycle 1995-2010. Je pense que Marine Le Pen a bien senti que quelque chose se passait dans la société française en termes de conflictualité sociale et de refus du néolibéralisme, et qu'il y avait nécessité pour le FN de parler davantage de la “question sociale”. Il y a aussi eu l'arrivée au pouvoir de François Hollande qui a mené une politique de fait très à droite sur le plan économique et social. Les dirigeants du FN se sont certainement dit qu'il y avait là une opportunité de se développer dans des régions où la gauche était historiquement forte mais où elle était en train de se discréditer, et où il y avait donc intérêt à mobiliser un discours “social”.

« François Hollande a mené une politique de fait très à droite sur le plan économique et social » Crédit : Par Nikeush — Travail personnel, CC BY-SA 4.0

Aujourd'hui elle estime qu'elle a conquis durablement des pans entiers de l'électorat populaire. Son but est donc différent : il est à nouveau d'aller à la pêche à l'électorat de la droite traditionnelle, donc il faut donner des gages de sérieux économique, c'est-à-dire d'orthodoxie néolibérale, à la bourgeoisie mais aussi à toutes les couches sociales qui sont idéologiquement sous la coupe de la bourgeoisie. Donc la rhétorique “anti-systéme” est mise en sourdine, sans jamais disparaître complètement car elle sait que, dans le contexte français, il y a une conflictualité importante qui peut remonter à différents moments : Gilets jaunes, mouvements pour les retraites… Et on voit que certains députés ou dirigeants – Philippot il y a 10 ans ou Tanguy aujourd'hui – ont pour fonction de réactiver régulièrement le discours “social” pour montrer que le FN/RN n'oublie pas les ouvriers, les “petits”, etc.

Il faut bien voir que les courants fascistes et néofascistes sont fondamentalement opportunistes en matière économique et sociale, particulièrement lorsqu'ils ne sont pas au pouvoir. Marine Le Pen et le noyau dirigeant du FN/RN sait qu'ils peuvent appuyer sur la touche “anti-système” du piano si nécessaire, mais en ce moment ils préfèrent appuyer sur d'autres touches, celles qui séduisent le Medef, les clientèles traditionnelles de la droite qui se situent davantage dans les classes moyennes et favorisées, d'où l'exposition importante de Bardella, qui joue cette carte depuis 2 ou 3 ans.

La fascisation

Pour Frustration, j'ai développé l'idée d'un déjà-là fasciste. C'est un détournement du concept de Friot et de son déjà-là communiste, où il dit qu'on n'est pas dans une société communiste mais qu'on a dores et déjà des éléments de communisme. Donc c'est un peu la même idée inversée : on n'est pas encore dans le fascisme, même pas sur qu'on y aille stricto-sensu, mais on a dès aujourd'hui des éléments de fascisme. Tu penses quoi de cette idée ?

J'en pense du bien et ça rejoint ce que j'ai essayé de théoriser à l'aide du concept de “fascisation”. Ce concept a été employé dans l'entre-deux-guerres et les années 1970 de diverses manières, parfois de façons qui ne me plaisent pas. J'ai commencé à l'employer en 2020 dans un article pour dire à peu près cela. Dans le livre que nous avions publié avec Ludivine Bantigny en 2021 on écrit à peu de choses près : “le fascisme est à la fois là et pas là”. Il est là dans le sens où un processus de fascisation est engagé, au sens où le fonctionnement et la matérialité de l'Etat ont déjà commencé à changer en se concentrant sur des groupes considérés comme des cibles faciles, des bouc-émissaires si on veut : les exilés, les réfugiés, les immigrés du Sud-Global, les minorités, notamment la minorité musulmane, et les Rroms, qui font l'objet non pas seulement de discriminations mais de procédures illégales, d'un racisme d'Etat pour être tout à fait clair. Par exemple, bien des mesures prises par les mairies contre les Rroms – notamment sur la scolarisation des enfants – sont illégales. On a vu, depuis vingt ans, toute une série de lois, de circulaires et de législations islamophobes sous couvert de laïcité, et qui constituent les éléments d'un régime d'exception à l'encontre de la population musulmane en France.

C'est cela que je désigne par “fascisation” : il n'y a pas un régime fasciste achevé, dans la société française, c'est évident, mais il y a des éléments du processus de fascisation qui ont été enclenché, non pas par les fascistes au pouvoir, mais par des agents de fascisation, les “fascisateurs” dit Frédéric Lordon – c'est la même idée, que sont aussi bien Emmanuel Macron, François Hollande, Manuel Valls que le fascisateur premier qu'a été Nicolas Sarkozy. Dans Comment le fascisme gagne la France, de manière plus précise que dans la première édition, j'essaye de retracer, dans le chapitre sur l'autoritarisme, la manière dont les gouvernements qui se sont succédés au pouvoir depuis une vingtaine d'années et l'arrivée de Nicolas Sarkozy au ministère de l'Intérieur en 2002, ont engagé la France dans ce processus de fascisation qui nous a emmené là où nous sommes : dans un Etat policier et non loin d'une arrivée au pouvoir de l'extrême droite.

Tu dis qu'il “serait erroné et dangereux de prétendre” que l'accès au pouvoir du RN ne ferait “que prolonger les politiques d'ores et déjà mené”. Pourquoi ? Je me pose la question notamment en comparaison avec d'autres pays en particulier la Hongrie, l'Italie et la Suède. Est-ce que les politiques racistes et répressives y sont radicalement plus fortes qu'en France ? Sur certains sujets précis, par exemple la répression du mouvement pour la Palestine, je sais qu'elle a été tendanciellement moins forte en Italie et en Suède qu'en France : moins de conférences interdites, moins d'interdictions de manifester et de violences policières… Un des éléments de polémiques sur mes articles sur la fascisation provenait d'un malentendu : des lectrices et lecteurs ont pensé que je disais que le RN s'était recentré alors même que je disais que le centre s'est extrême-droitisé, ce qui n'est pas la même chose. Pour le dire autrement : qu'est-ce qui différencie aujourd'hui tant que ça notre gouvernement actuel et les gouvernements d'extrême droite ? Qu'est-ce qui fait que ce serait forcément d'intensité beaucoup plus forte en cas d'arrivée du RN au pouvoir ?

D'abord j'ai essayé de montrer dans La Nouvelle Internationale fasciste que, dans le processus de fascisation, il y a deux tendances concomitantes et qui se renforcent : une normalisation du fascisme et une fascisation du normal ; une mainstreamisation de l'extrême droite et une extrémisation de la droite. Ensuite, quand je dis que l'extrême droite au pouvoir ne ferait pas que “prolonger les politiques d'ores et déjà menées”, cela signifie qu'elle ne se contenterait pas des législations en vigueur, notamment en matière d'immigration, de droit des étrangers, de liberté de la presse, de libertés publiques et de droits démocratiques.

Pour moi la comparaison n'est pas simple à manier entre pays. La meilleure comparaison c'est plutôt avant-après : est-ce que, quand l'extrême droite arrive dans un pays, quelque chose change – ou peut changer, si les luttes populaires ne l'empêchent pas – de manière substantielle. Est-ce qu'il y a des formes de continuité entre Obama et Trump ou Biden et Trump, par exemple en matière de politiques migratoires ? Oui, c'est évident, mais ce n'est qu'une partie de l'histoire, et s'en tenir là c'est à mon avis aussi naïf que ceux qui s'imaginent que les centristes n'ont rien à voir avec la fascisation. C'est rater le fait que l'arrivée au pouvoir de l'extrême droite ouvre toujours la possibilité d'un saut qualitatif, qui est un saut dans le vide du point de vue des groupes opprimés, du mouvement ouvrier et des droits démocratiques.

Dans le cas du trumpisme par exemple, il ne s'agit donc pas de dédouaner Barack Obama de ce qu'il a fait entre 2008 et 2016 et de dire qu'avant Trump c'était très bien et après c'est devenu l'horreur. Il y a toujours des éléments de continuité mais aussi de rupture. Cela est aussi vrai du fascisme de l'entre-deux-guerres : Hitler prolonge ce que Brüning, Von Schleicher et Von Papen ont fait quand ils étaient au pouvoir entre 1930 et 1933. Mais il ne s'en tient pas là, il veut et va aller beaucoup plus loin. Ensuite, le degré auquel les fascistes vont aller plus loin en matière de politiques migratoires, sur la presse, les libertés publiques et la démocratie, cela dépend essentiellement des rapports de force sociaux et politiques, du type de coalitions que construisent les fascistes et des appuis dont ils bénéficient dans l'Etat, du type de résistances qui leur sont opposées, des besoins qu'ils ont pour se maintenir au pouvoir de mater telle ou telle résistance ou pas, etc.

« La politisation d'une agence fédérale comme ICE (la police anti-immigration), permet à Trump d'intervenir partout dans le pays et semble ainsi en train de devenir une sorte de garde prétorienne du président Trump » – Des agents de l'ICE rencontrent le secrétaire à la Défense Pete Hegseth à la base aérienne MacDill, en Floride, le 6 mai 2025. Crédit : Par U.S. Secretary of Defense — https://www.flickr.com/photos/68842444@N03/54501379232/, Domaine public

Si on essaie de prendre tout ça en compte, il est à mon avis assez évident que la criminalisation du mouvement de solidarité avec la Palestine a commencé avant Trump mais que celui-ci ne se contente pas de la prolonger mais l'amplifie et l'accélère, notamment à travers la politisation d'une agence fédérale comme ICE (la police anti-immigration), qui lui permet d'intervenir partout dans le pays et semble ainsi en train de devenir une sorte de garde prétorienne du président Trump (plus en réalité que les milices extra-parlementaire du type Proud Boys, etc.).

On pourrait dire la même chose pour Milei sous plein d'aspects : les politiques austéritaires et néolibérales, mais aussi de répression, menées par le centre-gauche et la droite en Argentine sont amplifiées de manière très radicale, y compris les attaques et la répression contre le mouvement ouvrier. Cela ne veut pas dire qu'il parvient à imposer toutes ses politiques ipso facto parce qu'il est au pouvoir : on le voit bien avec l'expérience de Bolsonaro au Brésil. Ce n'est pas parce que les néofascistes arrivent au pouvoir qu'ils peuvent faire tout ce qu'ils veulent. D'autant plus que, contrairement à l'entre-deux-guerres, ils n'ont généralement pas avec eux un mouvement de masse aussi structuré et implanté que les dirigeants fascistes de l'entre-deux-guerres, qui pouvaient mettre ça dans la balance, face aux résistances du mouvement ouvrier mais aussi aux résistances de certaines fractions des classes dominantes ou des élites étatiques.

Orban a marqué un changement qualitatif en matière de politiques migratoires, libertés académiques, liberté d'expression et de droits démocratiques – Viktor Orban en mars 2022. Crédit : Par Elekes Andor — Travail personnel, CC BY-SA 4.0

Mais si je reviens à ta question : prenons l'exemple d'Orban, au pouvoir depuis une quinzaine d'années en Hongrie. Il est évident que sur le plan des politiques migratoires, de la liberté de la presse, des libertés académiques, de la liberté d'expression, donc de droits démocratiques élémentaires, il y a eu un changement qualitatif avec ce qu'il y avait avant, c'est-à-dire les sociaux-démocrates qui avaient trahi les espoirs de vague redistribution des richesses qui avaient été portés sur eux et qui avaient permis, ce faisant, le retour au pouvoir d'Orban. Comme dans bien d'autres cas, l'extrême droite est arrivée au pouvoir sur la base de la déception qu'a engendré le centre-gauche au pouvoir.

Les cas italiens et suédois sont différents. En Suède, le parti d'extrême droite n'est à ce stade qu'une force d'appoint au Parlement, il n'est même pas au gouvernement. Le cas italien est intéressant mais j'indiquerais quand même que nous ne sommes pas à la fin du processus : il faudra juger Meloni une fois que cette expérience de pouvoir sera plus avancée, il pourrait y avoir des sauts qualitatifs dans les mois et années à venir. Par ailleurs l'Italie est un cas où les coalitions droite-extrême droite existent depuis près de 30 ans. Ce n'est pas la première fois que l'extrême droite néofasciste arrive au pouvoir mais c'est la première fois qu'elle est en position dominante. Par rapport à la France surtout, l'Italie se caractérise par un niveau relativement faible de conflictualité sociale. Il y a des résistances en Italie, c'est indéniable, notamment le mouvement pour la Palestine qui est en vérité plus fort qu'en France, des centres sociaux qui peuvent nourrir une combativité dans pas mal de villes italiennes, des syndicats de base qui peuvent être remuants, mais il y a beaucoup moins de capacités à se projeter à l'échelle nationale, à travers des mouvements de masse qui déstabilisent le pouvoir politique, ainsi qu'à se transcrire sur le champ politique. La gauche de rupture est groupusculaire en Italie sur la scène électorale : il n'y a pas de “menaces” de ce point de vue là, pour Meloni et la coalition au pouvoir.

« L'Italie est un cas où les coalitions droite-extrême droite existent depuis près de 30 ans ». Giorgia Meloni en 2018 avec Matteo Salvini et Silvio Berlusconi. Crédit : Quirinale.it, Attribution, via Wikimedia Commons

La différence avec la France c'est que si le RN arrive au pouvoir c'est avec un arsenal juridique, réglementaire et étatique qui est déjà très avancé du fait de la fascisation impulsée depuis Sarkozy. Il a tout un répertoire d'actions immédiatement disponibles qu'il pourra utiliser contre des mouvements sociaux plus massifs et radicaux dans les dix dernières années qu'en Italie, et contre une gauche qui constitue malgré tout un concurrent pour le RN, contrairement au cas Italien où ce qu'il y a en face ce sont le Mouvement 5 étoiles et le Parti Démocrate, donc rien qui ressemble de près ou de loin à une gauche de rupture, et ces partis ne sont pas actuellement en capacité de battre la coalition des droites.

Les fascistes ne s'amusent pas à utiliser la force de manière extrêmement brutale juste par plaisir s'ils pensent que cela ne va pas leur rapporter quelque chose, s'ils escomptent qu'ils pourraient perdre du crédit. En Italie, la situation pourrait changer radicalement si le niveau de conflictualité s'élevait de manière nette et si la gauche de rupture devenait réellement une “menace” pour les partis actuellement au pouvoir. On en est loin il est vrai. Pour prendre un exemple, la CGIL, la principale confédération syndicale italienne, a invité Meloni a faire un discours à son congrès en mars 2023, quelque chose de tout à fait inimaginable pour la CGT en France. Meloni, dans ce contexte-là, n'a aucun intérêt à s'engager dans un déchaînement répressif, mais par contre elle a clairement renforcé son pouvoir (avec la réforme constitutionnelle de l'an passé, qui donne plus de pouvoir à l'exécutif) et avec le décret-loi sécurité imposé au printemps dernier, elle a accru la criminalisation de toutes les formes de contestation militante, en prévision d'une remontée de la combativité populaire.

Tu parles de rupture et de continuité, ce que je constate aussi Tu dis que l'on assiste à des sauts répressifs et racistes quand l'extrême droite arrive au pouvoir. En cela je suis d'accord. Mais ce qui me pose question c'est que je vois moi déjà un saut répressif et une rupture avec Macron. Il y avait déjà les éléments présents avec le PS et le gouvernement Hollande et la répression de la loi Travail. Les anti-racistes rappellent qu'il y avait déjà la répression et les violences policières dans les quartiers populaires, ce qui est vrai. Mais même sur ce thème, avec Nahel le niveau de violence a été extrêmement fort : un adolescent tué d'une balle dans la tête à bout portant, des morts dans la protestation qui a suivi… J'ai l'impression que le barrage s'est fait sur la promesse d'éviter ce saut répressif, mais que tous les éléments qu'on incluait dans ce saut répressif se sont finalement produits lors des deux quinquennats Macron. Je suis donc d'accord qu'avec un gouvernement labellisé d'extrême droite cela irait encore plus loin, que ce serait amplifié, mais j'ai aussi l'impression que ce serait aussi amplifié avec un président qui ne viendrait pas de l'extrême droite comme Gérald Darmanin ou Bruno Retailleau.

Comme je le disais plus haut, la fascisation peut passer par la mainstreamisation des néofascistes traditionnels ou par la fascisation des droites traditionnelles (en réalité elle passe bien souvent par les deux tendances). Trump c'est plutôt un personnage de la droite qui se fascise. Aujourd'hui beaucoup d'historiens du fascisme n'ont aucun problème à dire que Trump s'inscrit en continuité avec le fascisme. Et pourtant il n'a pas un mouvement fasciste de masse derrière lui, et lui ne vient pas des groupuscules suprémacistes ou néonazis, il vient de la droite traditionnelle.

“La trajectoire de fascisation n'est pas un processus linéaire, elle passe par une série de ruptures. L'arrivée au pouvoir de Macron s'inscrit dans une trajectoire qui a commencé antérieurement avec Sarkozy et Hollande mais constitue aussi une rupture claire même en termes quantitatifs.” Crédit : Emmanuel Macron en meeting en mars 2017 ; Nikeush, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons

Je n'ai donc aucun problème de principe à tenir compte de ce que tu dis. Pour préciser : ma vision c'est que le processus de fascisation n'est pas un processus linéaire, il passe toujours par une série de ruptures, liées à des défaites sociales, à des échecs politiques des gauches, ou à des refus de combattre (c'est flagrant dans le cas de l'islamophobie). L'arrivée au pouvoir de Macron s'inscrit dans une trajectoire qui a commencé antérieurement avec Sarkozy et Hollande, avec des points de rupture que j'ai essayé de documenter dans Comment le fascisme gagne la France, mais l'expérience Macron au pouvoir constitue aussi une rupture claire, qu'on peut mesurer même en termes simplement quantitatifs. Il suffit de prendre les chiffres que donne Paul Rocher sur l'usage des armes dites non-létales mais qui mutilent et qui tuent (qu'on pense à Rémi Fraisse, à Zineb Redouane ou à Mohamed Bendriss), ou encore la multiplication des interdictions de manifestations de la part de la préfecture de police de Paris. En termes statistiques il y a bien une rupture nette.

Qu'est-ce que ça peut être “plus que ça” ? Ça peut être plus de dissolutions, y compris d'organisations ayant un ancrage de masse. Une fois qu'on a dissout le CCIF (Collectif contre l'Islamophobie en France), le collectif Palestine Vaincra, la Coordination contre le racisme et l'islamophobie, la Jeune Garde, Urgence Palestine, que reste t-il ? Il reste la gauche révolutionnaire (NPA, LO, RP…), mais aussi les syndicats étudiants (l'UNEF comme cela a été mentionné par la droite il y a quelques années), et même la CGT ou la FI. Je ne sais pas si on prend suffisamment au sérieux le fait que le principal dirigeant de la droite française il y a quelques années, Eric Ciotti, maintenant passé sous la coupe du RN, a réclamé la dissolution de la France Insoumise, le principal groupe parlementaire de gauche. En termes d'éléments de langage fascisants balancés comme ça dans l'espace public, on ne fait pas mieux.

Le collectif Palestine Vaincra a été dissout par la Macronie. Militants du Collectif Palestine vaincra lors d'une manifestation pour la journée internationale des travailleurs à Berlin, le 1er mai 2022. Par Montecruz Foto — https://www.montecruzfoto.org/01-05-2022-Mayday-Revolutionary-March-Berlin, CC BY-SA 4.0

On peut toujours se dire que le pire a été atteint, mais ce n'est simplement pas vrai : on peut encore aller bien plus loin. Je ne dis certainement pas ça pour faire passer en sous-main l'idée “contentons nous du macronisme sinon ce sera pire”. Plutôt pour dire que le macronisme a mis le curseur très haut en termes de répression des manifestations et de recul des libertés publiques ; si l'extrême droite parvient au pouvoir, “plus loin” signifiera alors l'armée dans les quartiers populaires, la police tirant à balles réelles sur des manifestants, la dissolution d'organisations syndicales et politiques, etc. Il y a aussi un élément de contexte supplémentaire : le niveau de conflictualité sociale et politique tout à fait singulier qu'on retrouve en France par rapport à l'ensemble de l'Europe de l'Ouest qui contraindrait sans doute l'extrême droite en France à recourir à des moyens de répression beaucoup plus importants qu'en Italie, en Allemagne ou en Grande-Bretagne.

Je pense que c'est pour cela que le livre n'a pas bénéficié d'une grande médiatisation en 2018, du moins dans les médias mainstream du genre Libération ou Le Monde. C'est à la fois un livre qui alertait sur le fascisme mais qui n'était aucunement complaisant avec le macronisme, qui cherchait à tenir les deux bouts : dénoncer le macronisme pour ce qu'il fait en termes de régression sociale mais aussi en ce qu'il favorise la montée du fascisme, tout en rappelant que le fascisme est un danger mortel pour les droits démocratiques les plus élémentaires, pour les minorités, les classes populaires dans leur ensemble, le mouvement ouvrier, etc.

Ugo Palheta, Comment le fascisme gagne la France, de Macron à Le Pen (2025), Éditions La Découverte, Coll. Cahiers libres, 392 pages

À un moment où on dénonçait la répression des Gilets Jaunes, on me demandait pourquoi je m'embêtais à analyser l'extrême droite et pointer le danger qu'elle représente, alors qu'il fallait se concentrer sur la dénonciation du macronisme. Le problème c'est que la bourgeoisie ne met jamais tous ses œufs dans le même panier, elle développe toujours des liens avec plusieurs partis capables de défendre ses intérêts dans le champ politique. La Macronie est le parti du capital, cela pourrait aussi être LR ou le RN. Le RN défendrait assurément les intérêts du capital mais en s'appuyant sur une autre coalition, une coalition sociale plus large intégrant une partie des classes populaires.

C'est ce qui m'inquiète beaucoup : contrairement à la Macronie, le RN a conquis une réelle base sociale à l'intersection des classes populaires et des couches moyennes. C'est quelque chose qu'il peut mettre dans la balance auprès du patronat en disant “nous allons pouvoir mettre en place les politiques que vous voulez, et cela va mieux passer car des gens nous suivent et sont d'accord avec nous. On leur fera miroiter la dégradation des droits d'autres groupes, une manière en quelque sorte d'augmenter le “salaire psychologique de la blanchité” (pour parler comme le sociologue africain-américain Du Bois) : en dégradant la valeur sociale et symbolique des autres, des groupes altérisés et minorisés, des musulmans et des immigrés, on rehausse automatiquement celle des natifs (même si matériellement on ne leur offre rien ou presque).

Sociologie du RN

Tu dis que contrairement à ce que disent Thomas Piketty et Julia Cagé, le vote en faveur du RN n'est pas “un vote par défaut ou par dépit”. Pourquoi ?

Ce n'est pas la chose la plus contestable qu'ils disent, mais cela reste très contestable. D'abord, s'il s'agissait uniquement d'un vote par défaut ou par dépit, on comprendrait mal pourquoi les électeurs et électrices du RN sont aussi stables dans leur vote aujourd'hui. Contrairement aux années 1990 où il y avait un vote assez volatile entre la droite, l'extrême droite et l'abstention, aujourd'hui les électeurs ou électrices du RN se reportent d'une élection à une autre vers le candidat RN, y compris quand le candidat est inconnu localement, là où ce n'était pas autant le cas dans les années 1990 et où on votait pour la marque Jean-Marie Le Pen parce que c'était un tribun charismatique et on était convaincus ou séduits par ses apparitions dans les débats télévisés, mais aux élections locales on votait pour d'autres partis, notamment les partis de droite.

Crédit : par Jérémy-Günther-Heinz Jähnick / Lille – Meeting de Marine Le Pen pour l'élection présidentielle, le 26 mars 2017 à Lille Grand Palais (114) / Wikimedia Commons, GFDL 1.2

Aujourd'hui une partie de la population considère le RN comme son parti. Je pense qu'il faut vraiment le mesurer. C'est plus fort dans certains segments sociaux, dans certains territoires. Il y a pas un portrait robot de l'électeur RN mais il y a des centres de gravité, des zones de force. Par exemple, dans le segment des franges stabilisées des classes populaires, blanches et généralement propriétaires de leurs logements dans des zones péri-urbaines, semi-rurales, ou rurales, c'est plus fort. Dans la petite bourgeoise traditionnelle : les petits indépendants, petits artisans, petits commerçants, petits agriculteurs, il y a également un très fort vote pour le RN, aussi fort que dans le premier segment si on prend les élections 2024. Ce sont là deux grosses zones de force s

France : le pays et la gauche à un carrefour

30 septembre, par Léon Crémieux — , ,
Depuis début septembre, se conjuguent en France une crise sociale, une crise politique et le début d'une nouvelle mobilisation populaire, marquée par les journées des 10 et 18 (…)

Depuis début septembre, se conjuguent en France une crise sociale, une crise politique et le début d'une nouvelle mobilisation populaire, marquée par les journées des 10 et 18 septembre et la préparation d'une nouvelle journée le 2 octobre, alors que le pays est sans gouvernement suite au renversement de celui de François Bayrou par l'Assemblée nationale, le 8 septembre.

Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
27 septembre 2025

Par Léon Crémieux

La crise politique chaotique a rebondi à plusieurs reprises depuis la réélection de Macron en 2022. Il n'avait alors réussi à obtenir, pour son bloc parlementaire à l'Assemblée nationale, que 250 sièges (la majorité absolue est de 289), n'ayant, à l'époque, ni vraiment voulu ni obtenu d'accord avec les Républicains (62 sièges).

Après le mouvement des Gilets jaunes en 2018/2019 et la puissante mobilisation syndicale des retraites de 2023, le mécontentement social n'a fait que croître en France, se heurtant aux gouvernements de Macron sans arriver à obtenir satisfaction. La crise politique actuelle est donc essentiellement le résultat de la crise sociale, manifeste depuis la crise financière de 2008. Le poids électoral des deux principaux partis ayant dirigé les gouvernements depuis plus de 40 ans, républicains à droite (LR) et socialiste à gauche (PS), s'est effondré entre les élections présidentielles de 2012 et de 2022. Les voix cumulées du PS et des Républicains sont passés, entre ces deux échéances, de 56,81% à 6,53% des voix lors des premiers tours. Macron pensait utiliser la fenêtre de cette déliquescence pour occuper l'espace laissé libre, créer une nouvelle force politique et accentuer les réformes libérales. Aujourd'hui, c'est le président le plus désavoué de la Ve République, et tout le monde est conscient que le macronisme ne survivra pas à la fin du quinquennat de Macron en 2027…ou éventuellement avant s'il est poussé à la démission.

L'espoir construit en 2022 avec la construction à gauche d'un front électoral antilibéral (NUPES) charpenté autour de la France insoumise ne s'est pas prolongé les deux années suivantes. La paralysie de la NUPES en 2023/2024 avait conduit à son éclatement en 4 listes lors des élections européennes du 9 juin 2024 amenant Macron à caresser l'espoir de gagner à son bloc parlementaire l'aile droite du PS pour sortir de sa paralysie. Alors que le RN était arrivé largement en tête de ces élections avec 31% des voix, Macron avait tenté un coup de poker en décidant de dissoudre l'Assemblée nationale. Il espérait, face à la menace du RN, rassembler une majorité élargie sur sa droite et sa gauche lors des élections législatives qui ont suivi...ou peut-être apparaitre comme un « rempart démocratique » à la présidence face à un Premier ministre RN et une majorité RN à l'Assemblée. Mais, loin de déboucher sur un rassemblement autour des candidats de Macron, les quinze jours de campagne précédant l'élection avaient vu surgir une mobilisation sociale et politique à gauche, avec la reconstruction d'un rassemblement sur un programme antilibéral, le Nouveau front populaire (NFP), qui s'imposa politiquement et en nombre de sièges face au RN et à Macron, empêchant l'extrême droite d'obtenir une majorité à l'Assemblée...et réduisant encore la place du bloc macroniste qui perdit 53 sièges supplémentaires.

Déniant le scrutin populaire en refusant de nommer un-e Premier ministre du NFP, Macron s'est depuis arque-bouté autour de sa minorité parlementaire en nommant des Premiers ministres de son « bloc central », ne disposant au mieux que d'une minorité de 240 sièges avec l'appui des LR. Depuis un an, trois Premiers ministres, fidèles à Macron, se sont succédés, bénéficiant des sursis consentis par le RN ou le PS pour tenir quelques mois et éviter d'être renversés trop rapidement par une motion de censure. La constante de ces gouvernements a été la persistance d'une politique réactionnaire et antisociale, tout en reprenant les thèmes sécuritaires et xénophobes du RN. Le mécontentement social avait imposé au PS, le 13 décembre 2024, de voter avec le reste de la gauche la censure de Michel Barnier, nommé trois mois avant, quand ce dernier a voulu imposer un budget comprenant 60 milliards de coupes de dépenses publiques et de hausses d'impôts, frappant évidemment les classes populaires.

François Bayrou, un fidèle de Macron, n'a pu ensuite remplacer Barnier en décembre 2024 que par la complaisance du PS et du RN qui, malgré leur vote de censure du précédent gouvernement, voulaient afficher une attitude responsable, en ne « bloquant pas l'adoption d'un budget pour la France ». Les six mois qui ont suivi ont vu le maintien d'un éclatement des forces syndicales et de la gauche politique. Le PS et la CFDT ont accepté un simulacre de dialogue social dans un « conclave » avec le patronat supposé remettre à plat la réforme des retraites, alors que Bayrou avait imposé un cadrage indiquant clairement qu'il n'était pas question de changer de politique et de revenir sur l'âge de départ à 64 ans.

Cette division des forces sociales et politiques et le refus affiché du RN de précipiter une nouvelle censure ont pu donner l'impression à Bayrou qu'il avait les marges de manœuvre lui permettant de poursuivre les objectifs d'austérité et de coupe des budgets sociaux. Mais, début juillet 2025, les annonces concernant le budget 2026 ont eu dans le pays un effet incandescent, en affichant la volonté de réduire le déficit budgétaire de 5,4% à 4,6%, pour arriver à 3% en 2029. Prenant prétexte d'un niveau « catastrophique » de la dette publique, le but était d'imposer un budget baissant de 44 milliards les dépenses publiques avec de nombreuses attaques sociales : la perte de 2 jours fériés pour imposer deux jours de travail gratuits, le gel du montant des prestations sociales et des retraites, des attaques sur les congés maladies, la volonté de réduire l'indemnisation du chômage, de nouvelles suppressions d'emplois de fonctionnaires.

Le marqueur essentiel de ce projet de budget était surtout qu'il ne comprenait aucune mesure de justice fiscale ciblant les hauts revenus, au nom de la « préservation des outils de production » qui constitueraient le patrimoine des plus riches et du maintien de la politique de l'offre.

Pendant six mois, le gouvernement et les grands médias ont essayé d'imposer les questions de l'ordre public, de la sécurité et du combat contre l'immigration comme étant les préoccupations essentielles de la population, avec un duo ministériel à la justice et à l'Intérieur (le macroniste Gerald Darmanin et le LR Bruno Retailleau) acharnés à cultiver les thèmes de l'extrême droite pour préparer leurs éventuelles candidatures présidentielles en 2027. François Bayrou, lui-même reprenait l'obsession de la submersion du pays par les migrants. Mais ces derniers mois, les questions sociales se sont à nouveau imposées dans le débat public comme étant les préoccupations essentielles de la population.

Durant l'été, une question fiscale et une question budgétaire sont devenues des exigences politiques : une autre répartition de la fiscalité frappant les plus riches, avec notamment la mise en place de la « taxe Zucman » (visant à créer un impôt plancher de 2% sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d'euros, 1800 foyers fiscaux) et la remise en cause du premier poste budgétaire « de fait » de l'Etat, les 270 milliards d'aides diverses versées aux entreprises et essentiellement aux plus grandes qui ont largement augmenté bénéfices et versement des dividendes depuis quinze ans. Ces deux exigences sont le strict reflet de la colère sociale, de la crise de pouvoir d'achat et d'accès aux services publics vécue par les classes populaires.

En France, de 2003 à 2022, les 0.1% les plus riches ont vu leur revenu moyen augmenter de 119%, largement deux fois plus que le reste de la population. Parallèlement, le taux de pauvreté est passé entre 2004 et 2023 de 12,4% à 15,4% (INSEE, au seuil de 60% du niveau de vie médian). Même si la France est au-dessous de la moyenne de l'UE (16,2% en 2024), la tendance de son taux va elle à l'inverse de l'évolution européenne.

La crise sociale vient de loin. Les attaques libérales, comme dans beaucoup de pays ont remis en cause les salaires, les budgets sociaux, les services publics, la protection sociale, le système de santé. En France, la « politique de l'offre » a été officiellement mise en œuvre depuis 2014, sous le quinquennat socialiste de François Hollande. Son objectif majeur a été la baisse de la fiscalité sur les entreprises (impôts de production) et sur les grandes fortunes, l'allégement des cotisations sociales, tout un système d'aides et d'exonérations. Les différents rapports établis depuis le début des années 2020 permettent de chiffrer le montant dans le budget des « aides » aux entreprises à 270 milliards d'euros en 2025, le premier poste, de fait, du budget de l'Etat, jamais comptabilisé comme tel (mais établi par le rapport du CLERSE de Lille en 2019, mandaté par la CGT et celui de France Stratégie). En cela, la France va largement au-delà des systèmes en place dans les autres pays d'Europe. Dans les années 90, ce « budget » ne se montait qu'à 30 milliards. Il comprend aujourd'hui 91 milliards d'exonération des cotisations sociales sur les salaires, plus de 100 milliards de niches fiscales (crédits d'impôts recherche, taux réduits de TVA, règles d'imposition dérogatoires, etc ), 50 milliards d'aides directes (cf., la synthèse de Aron et Michel-Aguirre dans « le Grand Détournement », Allary Editions, 2025)

Toutes ces politiques ont aggravé l'injustice sociale, la détérioration des services publics, les inégalités au profit des plus riches qui se sont progressivement accentuées, créant un très profond mécontentement populaire. Celui-ci s'est fortement exprimé ces dernières années, lors du mouvement des Gilets jaunes en 2018, et, très fortement, en 2023 lors de l'immense mobilisation de 6 mois contre la réforme des retraites visant à repousser de deux ans l'âge de départ, de 62 à 64 ans. Le Rassemblement national a essayé de polariser à son profit ce mécontentement en ciblant les dépenses en faveur des immigrés ou le poids des règles européennes comme responsables des difficultés des classes populaires, mais la perception des privilèges fiscaux et de l'accaparement des richesses par les plus riches ont largement pris le dessus depuis quelques mois.

L'obsession des grands groupes capitalistes et, évidemment, des politiciens de droite et d'extrême droite est de juguler ce mécontentement populaire et d'éviter que la gauche puisse le polariser davantage. Cela amène d'ailleurs de plus en plus de grands patrons à penser qu'une issue de stabilité à la crise actuelle ne pourra venir que d'une alliance de la droite et de l'extrême droite, à l'image du gouvernement Meloni.

La situation du mouvement social et de la gauche politique est complexe en France.

L'annonce du budget 2026 a entraîné rapidement une réaction des milieux militants dans un contexte où s'affirmait quelques semaines auparavant un éclatement du front syndical et l'incapacité des principaux partis de gauche de continuer à présenter un front commun.
A partir du 15 juillet, par les réseaux sociaux, Facebook, TikTok, X, l'hashtag #bloquonstout s'est imposé pour un arrêt total et illimité du pays le 10 septembre, une boucle Telegram rassemblant rapidement 10000 personnes. Une popularité spontanée, marquant à la fois l'exaspération sociale et, à gauche, la frustration de nombreux milieux militants de voir l'incapacité de s'organiser à gauche face au déferlement réactionnaire du gouvernement et à la menace grandissante du RN. Ce mouvement pouvait rappeler les Gilets jaunes mais il a vite été marqué par une présence structurante de militants syndicaux et de la gauche radicale, contrant la tentative d'OPA faite par des réseaux d'extrême droite comme « Les Essentiels ». A la différence de 2018, le mouvement a été accueilli avec sympathie à gauche, et par la CGT et Solidaires. Ce qui a été spectaculaire a été la prolifération d'assemblées locales de préparations, plus d'une centaine, rassemblant en plein été des milliers de militantEs, une multitude d'initiatives décentralisées prévues pour le 10 septembre avec des initiatives de blocage. L'initiative a vite vu converger des organisations du mouvement social, comme ATTAC et les Soulèvements de la Terre. Malgré la date, la jeunesse s'est fortement mobilisée dans des AGs préparatoires dans une vingtaine de villes universitaires. Au total, la journée aura rassemblé plus de 200000 personnes, avec une grande participation de la jeunesse, au moins 430 blocages (rocades, lieux stratégiques), d'importantes manifestations dans de nombreuses villes. Mobilisant 80000 forces de police, le ministre de l'Intérieur avait donné comme consigne une attaque immédiate des blocages de rues ou de sites et des blocus de lycées ou de facs.

Si le mouvement ne s'est pas prolongé les jours suivants, il a servi de ferment pour la préparation du 18 septembre. Sans appeler tous au 10 septembre, l'ensemble des syndicats se sont réunis fin août appelant à une journée de grève et de mobilisation contre le budget Bayrou et pour la justice fiscale, et la suspension de la réforme des retraites. C'était la première fois qu'une telle unité se réalisait depuis 2023.

Si l'importance de la mobilisation le 18 (1 million annoncé par les syndicats) n'a pas atteint les chiffres des manifestations de 2023, la grève a été massive à la RATP et à la SNCF, dans l'Education nationale, l'Energie. Dans la foulée du 10 septembre, ont eu lieu 276 actions de blocage sur la voie publique, et 135 tentatives de blocage de sites, très vite matraquées, de très nombreuses actions dans les lycées et les facs.

Un des aspects marquant des manifestations aura été une forte présence de la jeunesse, une place marquée de la solidarité avec la Palestine, des associations féministes, des collectifs Pink Bloc, des exigences climatiques. C'est l'indice d'une convergence militante qui est une caractéristique de la situation actuelle.

Au soir du 18 septembre, l'Intersyndicale avait donné au nouveau 1er ministre, Sébastien Lecornu, macroniste venant des LR, un ultimatum de 5 jours pour répondre à ses exigences. La réunion eut lieu mardi 23 septembre avec, évidemment, aucun engagement. En conséquence, l'Intersyndicale a appelé à une nouvelle journée de grève le 2 octobre prochain, recevant le soutien de l'ensemble des partis du NFP. Cette unité intersyndicale est l'expression de la pression pesant sur les directions syndicales et il en est de même de l'appel immédiat des partis, y compris le PS qui cherche néanmoins tous les indices d'ouverture venant du nouveau premier ministre.

Mobilisation sociale et crise politique vont encore se conjuguer dans les semaines qui viennent. Mais il est clair que l'unité politique à gauche est loin de se maintenir, chacun des partis étant à la fois mobilisé sur la préparation des élections municipales et l'éventualité d'une nouvelle dissolution. La France insoumise mise ouvertement sur une démission de Macron, pensant le terrain de l'élection présidentielle le plus favorable à LFI, et le Parti socialiste essaye de se restructurer comme une force indépendante du NFP, poussée par son aile libérale. Mais le cours réactionnaire affiché des gouvernements de Macron, y compris les annonces budgétaires faites ce samedi 27 septembre par Sebastien Lecornu donne peu de marge pour une orientation de dialogue avec les macronistes.

Ces dernières semaines ont donc vu se reconstruire un rapport de force favorable à la gauche syndicale, sociale et politique, mais cela est précaire car déterminé par les provocations gouvernementales en l'absence d'une politique unitaire et d'initiatives communes des partis du NFP. L'Intersyndicale agit unitairement sous la pression et les partis du NFP ne sont pas une force d'initiative pour organiser et stimuler une orientation alternative à la politique d'austérité de Macron. Pourtant, le terreau existe pour une telle perspective et le programme du NFP avançait des pistes dans ce sens.

Clairement, ce sera la force du mouvement social qui pourra seule, pour l'instant, permettre de créer le rapport de force nécessaire et de cristalliser le mécontentement actuel sur des bases de combat contre l'austérité, muselant les orientations racistes et sécuritaires du RN. Nul ne sait le déroulement institutionnel des semaines à venir, censure, dissolution, ... Mais le mouvement de mobilisation doit se donner ses propres échéances pour créer le rapport de force imposant l'unité et permettant de bloquer les politiques d'austérité.

Plusieurs questions politiques seront au cœur des semaines à venir :

Pousser au maximum les capacités d'auto-organisation, d'initiatives unitaires par en bas s'appuyant sur les réseaux constitués autour du 10 septembre,

La mise en avant des exigences de répartition des richesses, popularisées par la taxe Zucman, mais au-delà la question des biens communs, de la nécessité de la propriété publique des secteurs essentiels de la production.

La question de la dette et de la dépendance des marchés financiers comme justification des politiques d'austérité. La dette contractée pour distribuer des cadeaux fiscaux et des subventions aux groupes capitalistes est évidemment une dette illégitime, servant de spéculations sur les marchés.

La question d'un gouvernement de rupture avec l'austérité qui satisfasse les exigences exprimées par les classes populaires. Mais cela pose aussi la question démocratique évidente : les institutions de la Ve République, le pouvoir présidentiel, le mode de scrutin sont autant d'outils visant à juguler l'expression démocratique. Cela pose une nouvelle fois, comme lors des Gilets jaunes, l'exigence de mettre à bas les institutions de la Ve République et l'élection d'une Assemblée constituante à la proportionnelle intégrale.

La menace d'une arrivée du Rassemblement national au gouvernement est plus présente que jamais face à la cacophonie actuelle de la gauche politique. Mais elle peut, comme en juin 2024 imposer avec plus de force la construction d'un front politique et social qui exprime les exigences populaires et avance une politique de rupture avec l'austérité capitaliste.

Léon Crémieux

P.-S.

• Article écrit pour la revue Viento Sur :
https://vientosur.info/francia-el-pais-y-la-izquierda-en-una-encrucijada/

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