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S’il est minuit dans le siècle

ÉDITORIAL[1] — Malgré les nombreuses protestations à travers le monde et dans leur propre pays, émanant de divers groupes, y compris d'organisations rassemblant des Juifs[3], plusieurs gouvernements occidentaux continuent de soutenir le gouvernement israélien. Pourtant, ils ont, et les États-Unis en particulier, les moyens de faire pression afin de faire cesser immédiatement le génocide en cours du peuple palestinien. Ce génocide accompagne les volontés de recolonisation de la bande de Gaza par l'extrême droite israélienne[4] qui a pris le prétexte des représailles des crimes inhumains commis par le Hamas le 7 octobre dernier pour la mettre en œuvre à grande échelle.
30 mars 2024 | tiré des Nouveaux Cahiers du Socialisme
https://www.cahiersdusocialisme.org/sil-est-minuit-dans-le-siecle/
Ce constat sur l'attitude de puissances occidentales en dit long sur l'époque que nous vivons, alors que les classes dirigeantes gagnées par le néolibéralisme ont perdu le sens de l'intérêt collectif et qu'elles préfèrent continuer leurs calculs stratégiques en défense de leurs intérêts à court terme. Car qui peut ignorer que la haine et la violence alimentent le désespoir et la haine et la violence ? D'une certaine façon, Israël en est l'illustration, avec sa population prise en tenaille par un gouvernement sioniste d'extrême droite, qui instrumentalise la Shoah et prétend parler au nom des Juifs de la planète.
Les élites néolibérales, y compris lorsqu'elles flirtent avec l'extrême droite et mettent en œuvre des politiques autoritaristes, n'ignorent pas qu'une part de consentement de certaines couches de la société est nécessaire pour gouverner. Comme disait Talleyrand à Napoléon : « On peut tout faire avec des baïonnettes, sauf s'asseoir dessus[5] ». Les refus de certains pays, dont le Canada et le Québec, de voter une résolution appelant au cessez-le-feu à l'Assemblée des Nations unies est un non-sens criminel. Mais le soutien inconditionnel à Israël est sans doute une façon d'alléger la culpabilité de l'Europe et des États-Unis. Car, dès 1942, Roosevelt, Churchill et d'autres savaient ce qui se passait dans les camps d'extermination, mais n'ont rien fait pour arrêter la Shoah. Depuis, on laisse le sionisme développer son récit de l'histoire sur le thème : « Seul Israël peut assurer la sécurité des Juifs ». Ce qui ressemble à une gigantesque tartufferie quand on regarde la montée de l'antisémitisme un peu partout dans le monde depuis le début des représailles génocidaires[6].
Mais les classes dirigeantes n'ont-elles jamais eu une vision du bien commun quand les populations du Sud global sont en jeu ? Plus de cinq cents ans d'histoire faite de génocides des Autochtones, de traite des Noirs africains et de l'esclavage, de colonialisme, de racisme et d'antisémitisme nous ont démontré le contraire.
Aujourd'hui, lorsque l'on compare les réponses occidentales à l'invasion de l'Ukraine par la Russie et celles suivant la destruction en cours de Gaza et de ses habitants par Israël, on constate qu'il n'y a aucun support gouvernemental digne de ce nom des Palestiniens et Palestiniennes. Pire, plusieurs pays occidentaux, dont le Canada, les États-Unis, l'Italie et la Grande-Bretagne ont immédiatement coupé le financement de l'UNRWA[7], un organisme des Nations unies, sur les seules allégations d'Israël au sujet d'une participation d'employés de cet organisme aux attaques du Hamas le 7 octobre. Pourtant, dans d'autres situations où des employés d'organismes de l'ONU ou des Casques bleus étaient accusés de viols et d'autres atrocités lors d'interventions, les sanctions n'ont pas été dirigées contre les organismes[8], car on arguait, avec raison, qu'il ne fallait pas confondre leur raison d'être avec le personnel employé ou mobilisé. En outre, ces allégations sont intervenues juste après qu'ait été confirmé, le 26 janvier dernier, le risque de génocide des Palestiniens par la Cour internationale de justice, qui avait été saisie par des avocats de l'Afrique du Sud, ce pays où la population noire a mis fin à l'apartheid. Or, l'arrêt du financement de l'UNRWA va transformer le risque de génocide des Palestiniens en réalité.
L'UNRWA joue en effet un rôle essentiel dans la survie du peuple gazaoui qui, en plus des bombardements, subit la soif, la famine et les épidémies en raison du blocus en eau, nourriture, électricité et essence imposé par Israël. Car Israël contrôle tout dans la bande de Gaza. C'est son gouvernement et son administration, ses services secrets, son armée qui décident de tout ce qui se passe à Gaza, et même de qui peut travailler pour l'UNRWA ou bénéficier d'une autorisation pour rejoindre sa famille en France ou au Canada !
Pour les gouvernements occidentaux qui ont choisi de refuser de réclamer un cessez-le-feu immédiat, toutes les vies n'ont pas la même valeur. C'est ce qu'on retiendra au-delà des calculs stratégiques de Biden et de ses conseillers qui ne veulent pas donner l'impression qu'ils ne soutiennent plus Israël – ce qui risque par ailleurs de saper les chances que le Parti démocrate l'emporte sur Trump. Les États-Unis ont, il est vrai, durci leur discours, puis annoncé des sanctions contre les colons israéliens qui, profitant du chaos régnant, sévissent brutalement et souvent mortellement en Cisjordanie. Mais selon cette stratégie des petits pas diplomatiques, qui demande du temps, les Palestiniens font figure de « dommages collatéraux ». Cela est inadmissible, même si Biden et son administration prennent soin de ne pas confondre la population israélienne avec son gouvernement, et préfèrent attendre que Netanyahou soit obligé de partir pour mettre en œuvre un cessez-le-feu et la solution à deux États prévue par l'ONU depuis 1947 et prémisse des accords d'Oslo en 1993. Si tant est que cette solution soit encore viable, alors que c'est Netanyahou lui-même et sa clique d'extrême droite qui ont aidé le développement du Hamas – dont on ne peut ignorer les méthodes de gestion par la terreur sur la bande de Gaza[9] – parce qu'ils misaient sur le fait que le Hamas, qui était comme eux opposé à ces accords, les fasse échouer. Ces accords représentaient pourtant d'importants reculs par rapport aux aspirations des Palestiniens à reconquérir leur territoire de 1967[10]. Ils résultaient notamment du soutien inconditionnel des États-Unis et d'autres puissances occidentales pour Israël, mais aussi du manque de vision politique de Yasser Arafat, dirigeant de l'Organisation de libération de la Palestine, majoritaire à l'époque parmi les Palestiniens, et de l'absence d'un réel appui des gouvernements des pays arabes. Malgré de grandes déclarations, ces derniers ont plus souvent laissé les Palestiniens à leur sort, quand ils ne les ont pas réprimés, préférant normaliser leurs relations avec Israël et l'Occident.
Combien de temps encore avant que les Israéliennes et les Israéliens ne mettent Netanyahou à la porte ? Car la majorité enrage contre leur premier ministre depuis leur mobilisation massive contre un projet de réforme judiciaire antidémocratique, bien avant le 7 octobre. Mais critiquer les politiques n'était plus dans les priorités depuis le 7 octobre, hormis pour celles et ceux qui risquent leur propre vie pour documenter et défendre les Palestiniennes et les Palestiniens de Cisjordanie contre les crimes qui se multiplient de la part des colons israéliens. En partie sous l'emprise d'un Netanyahou qui gouverne « par la peur[11] », la population est surtout focalisée sur les otages encore détenus par le Hamas et ses satellites, et sur les crimes commis le 7 octobre dernier, que certains vont jusqu'à qualifier de nouvelle Shoah, pratiquant aussi du coup une « autre forme de révisionnisme », comme le remarque Laurel Leff dans Haaretz[12], le seul journal israélien qui maintient une volonté critique d'information. Mais dans leur majorité, les Israéliens semblent indifférents au sort des Palestiniens. Quelques centaines ont toutefois manifesté le 18 janvier dernier à Tel-Aviv, pour réclamer un cessez-le-feu, expliquant notamment que « la guerre est mauvaise pour les Israéliens et pour les Palestiniens », mais « bonne pour le Hamas et pour Bibi[13] ». On est loin cependant des dizaines de milliers de manifestantes et manifestants qui défilaient au cours d'époques précédentes pour la paix avec les Palestiniens[14]. Selon un manifestant, le 18 janvier, la plupart des Israéliens « soit ne veulent pas comprendre ce qui se passe à Gaza, soit préfèrent détourner les yeux[15] ». Cela changera-t-il avec la reprise, début février, de manifestations contre le gouvernement Netanyahou, dont les prises de position reposent sur les mêmes soubassements racistes, xénophobes et colonialistes que les discours ou des lois anti-immigrants portés par une partie de l'extrême droite européenne ?
Dans un message (post) qui circulait sur Facebook en ce début d'année, il était écrit : « Ce qui est mort à Gaza, c'est l'idée que l'Occident incarnait l'humanité et la démocratie[16] ». Historiquement parlant, cette idée est morte avant, en 1942, et encore avant, pendant les siècles de domination coloniale qui ont précédé. La différence aujourd'hui, c'est que le génocide se déroule en direct, documenté par des journalistes palestiniens qui perdent la vie[17], les uns après les autres, dans ce combat destiné à informer et à restituer un nom, une voix et une histoire à ces dizaines de milliers d'êtres humains, femmes et enfants en premier lieu, qui sont morts ou mutilés.
La différence tient aussi dans le fait que les populations, qu'elles soient au Sud ou au Nord, sont plus sensibles aux enjeux. Les aspirations à l'égalité et à la démocratie se sont élargies pour intégrer une vision intersectionnelle des dominations et une conscience des rapports de pouvoir Nord-Sud – en témoigne l'ampleur des manifestations pour le cessez-le-feu, notamment dans ces pays occidentaux conduits par un néolibéralisme ravageur pour les pauvres, les minorités ou groupes minorés et les femmes. Dès lors, on peut croire en la capacité des êtres humains à se saisir de cette relativisation de l'héritage occidental pour poursuivre et mettre en pratique d'autres visions du monde.
En attendant, nous sommes dans ce moment dont parlait Gramsci lorsque l'Italie était dirigée par Mussolini et que le fascisme faisait des émules : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaitre et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ». Cela, avec des conséquences désastreuses en termes de vies humaines.
Par Carole Yerochewski, pour le comité de rédaction[2]
NOTES
1. Ce titre est celui d'un livre écrit en 1939 par Victor Serge, anarchiste gagné au trotskysme pendant la Révolution russe, qui a été emprisonné par Staline et qui dénonce cette machine à broyer les êtres humains, en redonnant un visage et un nom à ces opposantes et opposants qui mourraient dans l'anonymat, comme meurent aujourd'hui tant de Palestiniennes et de Palestiniens broyés par les bombes de l'armée israélienne. ↑
2. Carole Yerochewski et le comité de rédaction remercient Rabih Jamil pour sa participation à la réflexion qui a conduit à l'écriture de cet éditorial. ↑
3. Comme Voix juives indépendantes Canada, et d'organisations ou représentants et représentantes de Juifs sionistes, selon les pays, notamment aux États-Unis. ↑
4. Rania Massoud, « En Israël, l'extrême droite rêve tout haut à la recolonisation de Gaza », Radio-Canada, 22 décembre 2023. ↑
5. « Sauf s'asseoir dessus » exprimait le fait qu'on ne peut se reposer sur la force, c'est-à-dire gouverner sans craindre ou risquer des protestations et des contre-réactions à cette violence. ↑
6. L'antisémitisme et le racisme anti-arabe ont décuplé ces derniers mois un peu partout. Voir à ce sujet :Tamara Alteresco, « Montée de l'antisémitisme en France », reportage de Radio-Canada, 6 novembre 2023 ; Oona Barrett, « Comprendre la montée de l'antisémitisme », Pivot, 17 novembre 7. 2023 ; « Deux expertes de l'ONU dénoncent la montée de l'antisémitisme et de l'islamophobie dans le monde », ONU info, 22 décembre 2023. ↑
7. UNRWA : United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East ; en français, l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient. ↑
8. Human Rights Watch, « République centrafricaine : Des viols commis par des Casques bleus », 4 février 2016, <https://www.hrw.org/fr/news/2016/02...>
. ↑
9. Voir un état des lieux par Amnistie internationale ; Voir aussi : AFP et Le Figaro, « Gaza : un émissaire de l'ONU condamne la répression par le Hamas de manifestations », 17 mars 2019. ↑
10. Voir l'analyse d'Edward Saïd, « Au lendemain d'Oslo », 1993, dans lequel il rappelle les conditions pour mettre en œuvre une autodétermination palestinienne, un objectif oublié dans les discours actuels : <https://blogs.mediapart.fr/t-allal/...>
. ↑
11. Netanyahou a été désigné comme « le plus grand marchand de peur de l'histoire d'Israël » par le journal Haaretz, qui sous-titre « Comment les tactiques de peur de Netanyahou manipulent les Israéliens », 27 janvier 2024. ↑
12. Laurel Leff, « Comment la Nakba a éclipsé l'Holocauste dans les médias américains depuis le 7 octobre », Haaretz, 10 décembre 2023. ↑
13. Surnom du premier ministre Benjamin Netanyahou. ↑
14. Voir La Paix maintenant, un mouvement extra-parlementaire israélien : <https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Pa...>
. ↑
15. Voir Aya Batrawy, « Israeli protesters demand Gaza cease-fire in rare anti-war march through Tel-Aviv », Wamu 88.5, 19 janvier 2024, < https://wamu.org/story/24/01/19/israeli-protesters-demand-gaza-cease-fire-in-rare-anti-war-march-through-tel-aviv/>. ↑
16. Notre traduction. ↑
17. Plus de 80 journalistes sont morts depuis le début des représailles. Voir Yunnes Abzouz et Rachida El Azzouzi, « Journalistes tués en Palestine : comment et pourquoi Mediapart a enquêté », 11 février 2024, <https://www.mediapart.fr/journal/in...>
. Une veillée en leur honneur a été organisée le 11 janvier dernier à Montréal par Palestinian Youth Movement avec la participation de plusieurs organisations dont Voix juives indépendantes. ↑
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Ire Conférence Internationale Antifasciste

Du 17 au 19 mai 2024 | Porto Alegre/RS, Brésil |
Pour une démocratie véritable et contre l'extrême droite Une intense polémique est en cours autour des projets de société. Le peuple brésilien a vécu la tragédie du gouvernement Bolsonaro, tirant des conclusions sur la nature génocidaire et autoritaire de son projet.Après beaucoup de lutte sociale et politique, nous sommes parvenus à le battre électoralement, bien que ce que nous qualifions de “bolsonarisme” garde, au jour le jour, une force considérable dans la société, au niveau des institutions et de l'État.
2 avril 2024 | tiré du site du CADTM | Site internet : Antifas.org
https://www.cadtm.org/Iere-Conference-Internationale-Antifasciste
De cette expérience traumatisante mais aussi révélatrice, nous avons appris la dimension de la résilience et de la coordination des forces de l'extrême droite dans leur rôle de sauvetage du capitalisme. Une dimension qui entre en résonance avec la coordination internationale des courants néo-fascistes et de l'extrême droite en général, qui s'organisent dans le cadre d'un projet global. Trump sera candidat à la présidence des États-Unis avec des chances réelles d'être élu ; Netanyahou conduit un génocide, dénoncé par la communauté internationale, contre le peuple palestinien. Dans l'Argentine voisine, Milei monte un véritable “laboratoire” pour conduire un plan de guerre contre la classe ouvrière, les secteurs populaires et la jeunesse, et s'emploie à détruire les droits acquis et les conquêtes historiques, tant sociales que démocratiques. A Porto Alegre, une capitale aux fortes traditions et aspirations démocratiques, nous avons voulu créer une expérience d'unité, entre des forces ayant une présence militante et une influence sur la société, sur le terrain électoral et dans le domaine politique et idéologique au sens large, en élisant comme priorité la lutte contre l'extrême droite sur plusieurs fronts, sur la base d'accords importants, dans le respect, bien sûr, des différences,
A l'initiative du PSOL et du PT du Rio Grande do Sul, nous appelons les forces antifascistes internationales à ouvrir un dialogue qui puisse faire face à la destruction promue par les hérauts du conservatisme ultra-libéral, en privilégiant l'unité dans la rue contre toute l'extrême-droite. Porto Alegre a été le cœur de la résistance populaire qui a fait échouer le coup d'État de 1961 et, au début de ce siècle, elle a accueilli le Forum Social Mondial, qui a rassemblé différents espaces de la gauche et des organisations sociales. Des dizaines de milliers de personnes ont participé à ce processus de construction unitaire d'un autre monde.
Au-delà des différents regards portés sur cette expérience, nous voulons faire un pas en avant, un pas nécessaire. Les mobilisations et les grandes luttes sociales contre l'extrême droite et ses projets sont l'autre face de la médaille de la situation internationale. Des centaines de milliers de personnes descendent dans la rue en Allemagne contre le parti néo-nazi, sur les cinq continents contre le génocide du peuple palestinien et, en Argentine, avec la résistance massive des travailleurs et des secteurs populaires contre Milei. La première grève générale de l'année, en janvier, a donné lieu à une mobilisation nationale massive bien au-delà des centrales syndicales qui l'organisaient, rassemblant différents secteurs de travailleurs, issus des quartiers, des assemblées, de la culture, des médias, de la jeunesse et des travailleurs. Tous, et la gauche dans son large spectre, s'unissant dans la mobilisation, dans un véritable front uni pour vaincre Milei. Cette mobilisation a changé la situation et au bout du compte toutes les lois réactionnaires que Milei voulait imposer sont tombées au Congrès.
C'est sur la base de ces luttes que nous voulons nous coordonner et nous réunir en mai à Porto Alegre, pour organiser et débattre de la manière de mener, dans les rues et dans différents espaces, une lutte capable de vaincre les expressions de l'extrême droite et du fascisme, d'ouvrir la voie à la solidarité entre les peuples en lutte, la défense des droits sociaux et économiques, des libertés démocratiques, de l'environnement, de la science et des arts et contre toutes les formes d'exploitation, de xénophobie et de racisme ou de toute autre forme d'oppression.
Nous appelons toutes les organisations, personnalités, mouvements et acteurs politiques qui le souhaitent à rejoindre, à faire partie de cet espace et de cette initiative !
Laura Sito
Présidente du PT de Porto Alegre
Roberto Robaina
Président du PSOL de Porto Alegre

Économie mondiale, guerres et perspectives des socialistes

Guerres en Ukraine et en Palestine, hausse des taux d'intérêt, déplacement de la crise économique vers les pays du Sud, stratégie de la Chine et combat entre Trump et Biden, cet article lie des éléments très variés et interroge l'état du capitalisme et des politiques des classes dominantes.
Tiré de Inprecor 719 - avril 2024
3 avril 2024
Entretien de Tempest avec David McNally
Vladimir Poutine et Xi Jinping en 2019. © Kremlin.ru, CC BY 4.0
Nous aimerions connaître votre point de vue sur la situation économique mondiale actuelle, en particulier sur le cycle économique, la réponse à la crise de 2007-2009, la période post-Covid et le passage à l'ère de « l'argent facile ». Quel est votre point de vue sur la situation actuelle ? À quel point sommes-nous proches d'une récession mondiale ?
Ceux et celles d'entre nous qui pensaient que la crise mondiale de 2007-2009 était un tournant dans l'évolution de l'économie mondiale ont eu raison. Mais je pense que la plupart d'entre nous (et certainement moi-même) avons sous-estimé à quel point les classes dirigeantes allaient opérer un virage incroyablement radical vers des mesures de relance de type keynésien et à quel point tous leurs préceptes néolibéraux contre les dépenses déficitaires allaient s'envoler face au risque d'effondrement du système financier mondial.
Rappelons que les sept principales banques de Wall Street ont été menacées d'effondrement en 2008-09 et que la question de savoir si elles pourraient être sauvées a suscité un véritable traumatisme dans les rangs de la classe dirigeante. Une fois que cela s'est produit, je pense que les meilleurs commentateurs ont compris qu'en réalité le néolibéralisme était fondamentalement lié à une réorganisation du pouvoir de la classe dominante et beaucoup moins à un engagement idéologique ferme de ne jamais générer de déficits et de ne jamais s'endetter.
En d'autres termes, pour préserver la configuration existante du pouvoir de classe qui caractérise le néolibéralisme (basé sur des syndicats affaiblis, des mouvements sociaux décimés et une rentabilité restaurée), ils peuvent injecter des quantités sans précédent de liquidités dans le système, creusant ainsi d'énormes déficits.
Tout en stabilisant le système, les politiques de relance annulent essentiellement les mécanismes de régénération inhérents au capitalisme. Classiquement, le système a utilisé les récessions profondes pour éliminer les capitaux les moins efficaces de l'économie et ouvrir ainsi la voie à une nouvelle vague de restructurations, d'innovations technologiques, de réorganisations managériales et de concentrations de capitaux beaucoup plus importantes qui permettent une nouvelle phase d'expansion.
Nous n'avons pas assisté à un nouveau boom. Ce que nous avons vu, en revanche, c'est un effort concerté de la part des banques centrales du monde entier pour bloquer le passage à une dépression généralisée. Il faut le reconnaître, elles l'ont évitée. Mais l'une des questions qui se posent alors est la contradiction entre l'arrêt d'une récession (et d'une récession très profonde) et le blocage du mécanisme de restructuration du capitalisme. Parce que de cette manière, ils n'ont pas éliminé du système les capitaux les moins productifs.
La plupart des commentateurs s'accordent à dire qu'un nombre important d'entreprises du Nord sont devenues « zombies », c'est-à-dire ne sont pas rentables. Mais lorsque l'argent était effectivement disponible auprès des banques centrales, elles pouvaient emprunter pour rester en vie. Elles pouvaient contracter des crédits à 1,5 % et les revendre à 3,5 %, donc afficher des bénéfices financiers même si leurs activités principales ne rapportaient pas d'argent.
Nous n'avons donc pas connu la restructuration profonde et prolongée que les États-Unis ont connue au début des années 1980, lorsque des aciéries, des usines automobiles, des usines de matériel électrique, de caoutchouc et de pièces détachées ont fait faillite à grande échelle. Cette période a été marquée par une restructuration technologique très importante qui a permis l'expansion néolibérale pendant les 20 ou 25 années suivantes.
Nous n'avons pas vu ce type de restructuration au lendemain de la crise de 2008-09. Au lieu de cela, nous avons maintenant un capitalisme qui a évité une énorme catastrophe, mais qui l'a fait au détriment de son propre dynamisme. Mais maintenant, les banques centrales ont augmenté les taux d'intérêt afin de réduire l'inflation, et c'est ce que nous avons vu au cours des 18 à 24 derniers mois.
Nous devons nous demander quels ont été les résultats de ces mesures. Ce n'est pas la peur de l'inflation en général qui a justifié l'augmentation des taux d'intérêt. Ce que les capitalistes craignaient, c'était plutôt une hausse des salaires. Ils craignaient une vague de grèves et d'efforts de syndicalisation pour rattraper ce que les travailleurs avaient perdu à cause de la hausse des prix.
Si l'inflation atteint 6 %, 8 % ou 10 % par an (en particulier pour les denrées alimentaires, le prix de l'essence et les loyers), et si les travailleurs sentent que leur pouvoir de négociation s'est renforcé, ils font pression pour combler cet écart. C'est ce qui s'est passé à la fin des années 1960 et dans la première moitié des années 1970, lorsque les grèves se sont multipliées, en particulier dans les pays occidentaux de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et dans les pays du Nord, mais aussi dans des régions importantes du Sud.
Les classes dirigeantes étaient donc très préoccupées par les soi-disant faibles chiffres du chômage et par le problème du « taux de démission » – quand les travailleurs se sentent suffisamment confiants pour quitter un emploi faiblement rémunéré à la recherche d'un autre travail. Elles craignaient que cela donne à la classe ouvrière, même aux États-Unis, le sentiment qu'elle pouvait négocier individuellement avec les employeurs, en quittant un emploi faiblement rémunéré pour un autre légèrement meilleur. Mais ce qui les préoccupait le plus, c'était que les travailleurs pouvaient négocier et agir collectivement.
Ils savaient qu'il y avait une nouvelle vague de syndicalisation chez Apple, Amazon, Starbucks et ailleurs, en particulier chez les jeunes travailleurs. Ils savaient également qu'ils risquaient d'être confrontés à une grève du syndicat des travailleurs unis de l'automobile (UAW) aux États-Unis, comme ce fut le cas.
La Réserve fédérale américaine (FED) s'était préparée à cette éventualité. Les rapports de la FED sont incroyablement honnêtes sur le fait que ce qui les préoccupait le plus était le taux d'emploi « figé ». Ils voulaient faire baisser le taux d'emploi – en d'autres termes, faire monter le taux de chômage pour créer un plus grand sentiment d'insécurité et contenir la vague de campagnes syndicales et de grèves en cours.
La soi-disant guerre contre l'inflation était une attaque préventive contre une explosion des salaires qui aurait été provoquée par la syndicalisation et une vague de grèves bien plus importante que celle que nous avons connue, même si elle n'est pas négligeable, en Grande-Bretagne, en France, en Inde, en Argentine, aux États-Unis, etc.
Mais en augmentant les taux d'intérêt, ils ont créé une situation difficile : de plus en plus d'entreprises zombies sont aujourd'hui dans une situation très précaire. Le taux de faillite des entreprises a commencé à croitre, mais on n'a pas encore assisté à une purge massive du système, car on a évité une récession profonde. Si la demande chute, les entreprises les plus vulnérables seront en grande difficulté. Le système financier sera confronté à des défis croissants en raison des créances douteuses.
De plus, la hausse des taux d'intérêt a déplacé la crise vers le Sud. Nous nous trouvons à nouveau dans une situation où une cinquantaine de pays du Sud risquent de se retrouver en défaut de paiement, du fait de leur simple incapacité à payer : pour rembourser les emprunts contractés à 2 %, ils ont dû emprunter à 5 % ou 6 %. En dehors de la répudiation de la dette, leur seule option est de s'engager plus avant dans la voie de coupes sombres dans les budgets des soins de santé, de l'éducation, des subventions aux carburants, etc.
Au cours de l'année prochaine, nous pourrions assister à diverses révoltes dans certaines régions du Sud – du Nigeria au Pakistan – où le fardeau de la dette devient tellement insoutenable. Soit la lutte contre l'austérité y entraînera des bouleversements sociaux, soit ces pays devront se mettre en défaut de paiement et probablement négocier des accords draconiens avec le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et d'autres bailleurs de fonds mondiaux.
Il s'agit d'une guerre des classes menée par les banques centrales et déguisée en lutte anti-inflationniste. Elle a placé les secteurs les plus vulnérables de l'économie mondiale sous la menace d'une crise de la dette. Ce scénario se déroulera de manière très spectaculaire au cours des douze prochains mois.
Bien entendu, tout cela signifie également que les puissances impériales dominantes intensifieront leur lutte pour la suprématie. On oublie souvent que l'impérialisme consiste en partie à détourner les effets de la crise mondiale d'un bloc à l'autre. Une bonne partie de la stratégie américaine consiste précisément à détourner la crise vers la Chine, la Russie et ceux qui se trouvent dans leur orbite.
Aujourd'hui, les conflits entre impérialistes s'intensifient. La longue et pénible guerre en Ukraine en est l'expression. Bien qu'elle soit fondée sur une résistance légitime du peuple ukrainien à l'occupation étrangère, la guerre est également imprégnée d'un conflit entre impérialismes.
Les marxistes comprennent classiquement qu'il peut y avoir une guerre à plusieurs niveaux, dans laquelle coexistent différents antagonismes. Ce à quoi nous assistons en Ukraine, c'est une rivalité inter-impérialiste qui se superpose à une guerre de type colonial menée par la Russie contre le peuple ukrainien.
Cette situation est révélatrice des fractures croissantes du système mondial. On pourrait facilement oublier que le plan de jeu néolibéral était l'intégration de la Chine dans l'ordre capitaliste mondial. Les classes dirigeantes occidentales ont poursuivi cet objectif avec vigueur pendant un quart de siècle. Ce processus s'est maintenant considérablement ralenti en raison des effets de la crise de 2007-2009.
Nous sommes passés de l'intégration à la désintégration. Nous sommes passés de la coopération à la rivalité.
Pensez-vous que la classe dirigeante américaine, représentée par la Banque centrale, a réussi, étant donné qu'elle a été guidée par la question de l'inflation des salaires et du marché du travail ? Le marché du travail se développe toujours très rapidement. Il n'est pas certain qu'ils aient réussi à faire baisser les salaires. Les germes du militantisme ouvrier persistent. Et en ce qui concerne la question de la rivalité entre impérialismes en général, la crise en Chine a entraîné un recul de l'initiative de la « route de la soie », un recul de ses efforts pour proposer d'autres offres de crédit. Comme nous l'avons vu au Sri Lanka, cela peut aggraver la dynamique de la dette.
Il est intéressant de noter que les États-Unis ont fait baisser les chiffres de l'inflation de base. Mais je ne pense pas qu'ils aient entamé de manière significative l'esprit de combativité des classes populaires, en particulier des jeunes travailleurs/ses dans les grandes villes multiraciales.
L'une des ironies de ce moment est que la prolifération des conflits politiques, en particulier en Palestine, se répercute sur les lieux de travail, en particulier chez les jeunes travailleurs/ses. Je parlais récemment avec Kim Moody de la façon dont les jeunes militant·es et organisateurs de la fin des années 1960 et des années 1970 ont ramené le Vietnam sur le lieu de travail. L'humeur de défi envers la classe dirigeante à propos de la guerre du Vietnam a fait partie de la radicalisation d'une couche de jeunes travailleurs/ses sur le lieu de travail.
Je pense que le mouvement mondial pour la justice en Palestine va se dérouler de la même manière. Des millions de jeunes travailleurs/ses sont complètement déconnectés de la classe dirigeante au sujet de la Palestine. Cela les met dans un esprit d'opposition et crée un schéma similaire à celui décrit par Rosa Luxemburg à propos de l'interaction des dynamiques politiques et économiques. Dans ce scénario, même si un niveau de lutte commence à s'atténuer légèrement, l'autre dimension (dans ce cas, la politique) aura un effet de rétroaction et alimentera de nouveaux types de conflits économiques, de confrontations, de campagnes d'organisation, etc. Nous ne sommes pas dans une vague de grèves de masse, bien sûr, mais il y a une combativité revigorée.
Les capitalistes ont singulièrement échoué à stopper le sentiment général d'opposition parmi les jeunes travailleurs/ses, en particulier sur les lieux de travail. Bien que je mette l'accent sur les jeunes, parce qu'il y a là un foyer de défiance, l'agitation ouvrière peut très rapidement prendre de l'ampleur parmi une couche plus âgée de travailleurs/ses, comme nous l'avons vu lors de la grève de l'UAW, malgré toutes ses fluctuations.
Je vis et travaille actuellement au Texas. Des usines General Motors et des usines de pièces détachées y ont fait grève, avec des piquets de grève très solides. Cela nous dit quelque chose. La défiance des travailleurs se poursuit même en dehors des centres d'organisation des jeunes travailleurs dont je parlais. Je ne pense donc pas que la classe dirigeante ait réussi à atténuer les attitudes d'opposition parmi les travailleurs.
En ce qui concerne la Chine, on assiste à ce que l'on pourrait appeler une reconsolidation de la stratégie du bloc impérial. Outre les mesures qui visent à renforcer la protection des États nord-américain et chinois, on assiste également à un recul de certains efforts visant à intégrer d'autres États. Lorsque les taux de croissance étaient élevés, lorsque la Chine était au premier rang mondial en termes de taux d'investissement et de croissance de la production, ses dirigeants pouvaient se permettre d'expérimenter un certain nombre d'initiatives pour voir ce qui fonctionnait et ce qui ne fonctionnait pas.
Maintenant que son taux de croissance baisse, il n'est pas certain que la Chine puisse éviter une crise majeure dans le secteur de l'immobilier. Il y a une énorme suraccumulation dans le secteur du logement en Chine, qui ne s'est pas encore résorbée, et il n'est pas certain qu'elle puisse la contenir. Cela ne signifie pas que la classe dirigeante chinoise va se replier sur une sorte d'isolationnisme autarcique. Mais elle consolide, retranche et redéfinit les priorités de ses politiques d'investissement en dehors de la Chine. Il ne s'agit pas d'une démarche purement économique. Elle décide également quels sont les investissements géopolitiques et militaires qui valent la peine d'être réalisés et quels sont ceux qui peuvent être suspendus.
L'initiative de la « route de la soie », par exemple, est en train d'être ralentie. Une façon de comprendre la classe dirigeante chinoise est de réfléchir au conflit qui oppose les Démocrates de Biden, d'une part, et les Républicains, d'autre part, en ce qui concerne le niveau approprié de dépenses militaires, diplomatiques et de politique étrangère à l'échelle mondiale. Biden continue de faire pression pour que les États-Unis dépensent beaucoup d'argent afin d'assurer leur hégémonie mondiale, mais une grande partie des Républicains, influencée par le semi-isolationnisme de Trump, souhaite un repli sur soi.
Aux États-Unis, cette situation s'est jouée en grande partie entre les deux partis au Congrès. Mais en Chine, elle s'est jouée à l'intérieur du seul parti au pouvoir. En d'autres termes, il existe différents courants et factions qui tentent actuellement de résoudre leurs différends. Je pense qu'ils sont en train de se retrancher, mais ils ne vont pas reculer sur l'augmentation des dépenses militaires. Je ne pense pas qu'ils reviendront sur leur soutien tacite à Poutine en Ukraine. Ils ne reculeront pas non plus sur Taïwan.
Ils discutent au sein de leurs cercles dirigeants des positions qu'ils considèrent comme des initiatives extravagantes chez leurs concurrents étrangers. Cela correspond également à la tendance générale aux États-Unis. Lorsqu'il y a un seul parti au pouvoir, comme en Chine, les changements se produisent sans qu'il y ait de débat ouvert du type de celui que nous observons au sein de la classe dirigeante étatsunienne.
Je pense que l'axe de la rivalité entre les États-Unis et la Chine va non seulement se poursuivre tout au long de cette période, mais qu'il va rester très marqué. Nous avons vu les prémices du passage de l'intégration à la rivalité après la crise de 2007-2009, mais il s'est fortement accentué depuis 2016.
Jusqu'à quel point pensez-vous que les blocs impériaux sont consolidés ? Pensez-vous que la Russie est plus engagée, peut-être par nécessité, dans un modèle autarcique parce qu'elle est soumise à une telle pression ? Dans quelle mesure la Russie est-elle un acteur indépendant, compte tenu de sa tentative d'affirmer son pouvoir régional dans le cas de l'Ukraine, de ses menaces à l'égard de la Finlande, etc. Dans quelle mesure considérez-vous que la Russie devrait rendre des comptes aux Chinois ?
Je pense que nous avons besoin d'une analyse beaucoup plus approfondie du dynamisme interne des blocs impériaux. Nous avons tendance à penser qu'un seul État dicte sa loi, mais je pense que c'est beaucoup plus complexe que cela. Les partenaires juniors au sein d'un bloc impérial peuvent parfois exercer un degré d'autonomie plus important que nous ne l'imaginons souvent. Ils n'écrivent pas le scénario, ce n'est pas ainsi que fonctionne le pouvoir mondial. Mais la puissance dominante au sein du bloc doit s'accommoder des autres puissances.
Un bloc impérial comprend des puissances régionales qui ont leurs propres aspirations. La puissance dominante a besoin de son influence régionale et doit souvent accepter des actions qui ne sont pas entièrement dans son intérêt. Par exemple, la Chine n'envoie pas de troupes en Europe de l'Est, pas plus que l'armée étatsunienne ne va envoyer 100 000 soldats à Gaza et en Palestine occupée. Mais ils permettent à des puissances sous-impérialistes de le faire.
Les puissances régionales qui ont besoin du parapluie de la plus grande puissance impérialiste agissent elles-mêmes avec une grande autonomie, et particulièrement en ce moment. À l'heure actuelle, Poutine ne peut pas se permettre de faire marche arrière sur l'Ukraine. C'est une simple réalité. Une défaite en Ukraine est une sortie de route pour Poutine et sa section de la classe dirigeante. Ils se souviennent de ce qui s'est passé lorsque la Russie a perdu une guerre contre le Japon en 1905 et de la façon dont cela a fait éclater le tsarisme et ouvert les vannes de la révolution de 1905. Ils se souviennent des leçons de la Première Guerre mondiale : tous les belligérants perdants ont été secoués par des soulèvements de la classe ouvrière impliquant des soldats et des marins à très grande échelle.
Poutine a besoin de persévérer en Ukraine. La Chine a besoin de l'alliance avec la Russie de Poutine parce que Poutine correspond à une stratégie pour contenir l'OTAN. Sans Poutine, les dirigeants chinois craignent que l'OTAN déferle sur l'Europe de l'Est. L'État chinois laisse donc beaucoup de latitude à Poutine pour poursuivre une guerre contre l'Ukraine qui n'offre pas grand-chose à la Chine elle-même.
Je dirais que des éléments de cette dynamique sont en jeu au Moyen-Orient. Il ne fait aucun doute qu'Israël est totalement dépendant de l'aide étrangère et en particulier de l'aide militaire des États-Unis. Il a besoin de l'autorité mondiale des États-Unis auprès de l'Égypte, de l'Arabie saoudite et d'autres États du Golfe pour ses projets à long terme. Il dépend donc du gouvernement étatsunien. Mais les États-Unis veulent exercer une influence territoriale et empêcher les soulèvements anti-impérialistes dans la région. En même temps, ils préfèrent limiter leurs propres interventions directes. Il vaut mieux laisser les mandataires régionaux faire le sale boulot. Ainsi, l'Arabie saoudite et Israël – surtout Israël – ont toute latitude pour faire ce qu'ils jugent nécessaire. Les États-Unis peuvent essayer de contraindre les États alliés de la région, de les influencer et de faire pression sur eux. Mais comme ils ont besoin de ces puissances en tant que forces de police régionales pour l'empire, ils leur laissent une grande marge de manœuvre. C'est la doctrine Kissinger, en vigueur depuis longtemps, après la défaite des États-Unis au Vietnam.
Nous devons reconnaître que les blocs impérialistes sont dynamiques et que les pays secondaires au sein d'un bloc peuvent exercer une autonomie régionale très importante tout en menant des stratégies qui, souvent, ne sont pas identiques à celles du grand patron qui domine le bloc.
Je pense qu'il y a eu une période où la Chine espérait un règlement négocié en Ukraine. Elle pensait qu'il était dans son intérêt d'être perçue comme une puissance capable de parvenir à un règlement. N'y parvenant pas, elle a décidé de s'accommoder d'une guerre permanente.
Je pense que les États-Unis souhaitent sincèrement une pulvérisation moins destructrice de la population de Gaza à l'heure actuelle. Je ne pense pas qu'ils l'obtiendront. Ils le savent probablement et vont s'en accommoder. Ces tensions vont perdurer.
Ce qui est intéressant, c'est qu'il n'y a pas de puissances hégémoniques qui ont le même type d'influence au sein de leur bloc que celle que la Russie et les États-Unis avaient en 1948. Ils ne dominent pas de la même manière. Nous allons donc assister à des tensions parfois beaucoup plus manifestes à l'intérieur des blocs, même si cela ne signifie pas que les blocs vont voler en éclats.
Les tensions dont vous parlez, au Moyen-Orient, se manifestent certainement entre l'Iran et l'Arabie saoudite. Les États du Golfe affirment leur pouvoir de manière indépendante. Les administrations étatsuniennes successives, et peut-être encore maintenant, ont œuvré à renforcer la stabilité régionale et à normaliser les relations avec Israël, et surtout avec l'Arabie saoudite. Il semble que cela ait été en partie à l'origine de l'attaque du 7 octobre et que cela ait eu un impact, au moins momentané, sur ce processus. Quelle est votre évaluation de ce que le 7 octobre a signifié pour cette dynamique – ou est-il trop tôt pour le dire ?
Il est trop tôt pour le dire. Nous sommes en plein dedans. De très nombreux facteurs peuvent encore entrer en jeu. Nous ne devons pas sous-estimer ce que cela signifierait d'avoir un mouvement mondial de solidarité avec la Palestine capable d'une mobilisation du même type et du même niveau que le mouvement contre la guerre du Vietnam pendant des années.
Nous n'en sommes pas encore là. Mais si nous y parvenons, ce mouvement deviendra un facteur indépendant dans l'établissement d'une sorte de bilan. Un tel mouvement de masse pourrait devenir un facteur très important.
Je ne pense pas que tout ce qui s'est passé autour du 7 octobre ait été dicté par la dynamique régionale et mondiale. Il s'agit d'un facteur, sans aucun doute important, mais nous devons comprendre comment le Hamas a fait face à un dilemme auquel l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) avait été confrontée auparavant.
De nombreuses personnes ont récemment lu, à juste titre, le livre de Tareq Baconi sur le Hamas, son titre est significatif : l'enfermement du Hamas (1) . Baconi a esquissé un scénario dans lequel le Hamas risquait de devenir un pouvoir administratif croupion à Gaza, enfermé, restreint, par l'occupation et administrant essentiellement l'austérité locale. Il n'était pas encore dans la situation dans laquelle Yasser Arafat, de l'OLP, s'était retrouvé, littéralement enfermé et encerclé par les Forces de défense israéliennes (FDI). Mais le Hamas a compris ce risque.
Si vous ne pouvez pas vous présenter comme une force de résistance à l'occupation des terres palestiniennes, vous devenez avec le temps un administrateur de l'occupation. Je pense que c'est en grande partie la motivation du 7 octobre, une tentative de restaurer l'idée de résistance.
Je tiens pour acquis que le Hamas ne représente pas la politique de libération palestinienne à laquelle nous aspirons. La politique, les stratégies politiques et la formation idéologique du Hamas sont étrangères à celles de la gauche socialiste révolutionnaire. Il ne représente pas une résistance authentique, mais c'est une force réelle et elle devait faire quelque chose.
En ce qui concerne le contexte régional, l'Arabie saoudite en particulier s'est réconciliée avec le statu quo. L'Arabie saoudite s'oriente vers un accommodement avec Israël, sous l'impulsion des États-Unis, à cause de l'Iran. Elle craint que l'Iran ne soit une force déstabilisatrice hostile à la puissance des États du Golfe dans la région.
Mais en fin de compte, nous devons comprendre que l'État israélien a démontré qu'il n'avait aucun intérêt à négocier avec les représentants du peuple palestinien. Récemment, Netanyahou a déclaré ouvertement et sans ambages qu'il était totalement opposé à toute forme d'État palestinien parcellaire et fractionné. Suggérer que les objectifs du processus de paix d'Oslo représentent un risque énorme pour le projet sioniste est à la limite de la folie. Les accords d'Oslo ont été une victoire pour les États-Unis et Israël. Néanmoins, l'idéologie dominante de la droite israélienne y voit des concessions excessives aux Palestiniens.
Même si la dynamique régionale a joué un rôle important dans les événements du 7 octobre, nous ne devons pas perdre de vue que tant qu'il n'y aura pas de mouvement en faveur d'une souveraineté palestinienne, même semi-raisonnable, il y aura de la résistance. Malheureusement, cette résistance ne prendra pas toujours la forme que la gauche socialiste souhaiterait. Mais elle se produira d'une manière ou d'une autre.
Quel est votre point de vue sur l'état de la résistance et du mouvement au niveau international ? C'était extraordinaire de voir le mouvement palestinien aux États-Unis réapparaître en ce moment. Lorsque l'on voyage à travers le monde, on a l'impression que les gens regardent le mouvement aux États-Unis et voient son importance, notamment en raison du rôle du gouvernement étatsunien vis-à-vis d'Israël. Depuis le lancement du mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS) en 2005, le mouvement palestinien a toujours été confronté à une hostilité flagrante. Aujourd'hui, il est confronté à la répression et à une forme plus extrême de maccarthysme que ce que nous avons vu dans ce pays depuis des décennies. Quelle est votre évaluation de l'évolution du mouvement palestinien, de ses contours politiques et des défis auxquels il est confronté ?
La vague d'attaques maccarthystes que nous avons observée sur les campus, à Hollywood et ailleurs est de mauvais augure, mais elle ne durera pas. Cela ne veut pas dire que ces attaques ne sont pas dangereuses. Mais je crois que la répression surcompense la faiblesse idéologique. Israël et les États-Unis sont confrontés à une crise de légitimité à propos de la Palestine. Il y a là les ingrédients d'un mouvement comme pour le Vietnam, une série d'éléments qui pourraient créer une énorme rupture sociale aux États-Unis et au-delà.
D'un point de vue symptomatique, ils se manifestent de manière très simple. Commençons par l'ampleur de la mobilisation. Je participe à des manifestations depuis plus de 50 ans. En novembre dernier, j'ai participé à la plus grande de ma vie. J'ai marché avec au moins 600 000 personnes à Londres lors de la marche de solidarité avec la Palestine. Certains organisateurs disent qu'ils étaient 800 000. Rien que cela nous dit quelque chose.
Des dizaines de collaborateurs du président Biden ont tenu un piquet de grève à la Maison Blanche, portant des masques et protestant contre le soutien des États-Unis à la guerre contre Gaza. Des employés du Programme alimentaire mondial ont écrit à leur patron, un important politicien américain, pour protester contre la guerre à Gaza. Des journalistes de la BBC ont écrit une lettre ouverte dénonçant la partialité de la BBC envers les Palestinien·nes.
La guerre n'a commencé que depuis quatre mois. Des syndicats importants, comme ceux des travailleurs de l'automobile et des postiers aux États-Unis, se sont prononcés en faveur d'un cessez-le-feu. Il avait fallu cinq ou six ans pour qu'un grand syndicat se prononce contre la guerre au Vietnam. Tout cela témoigne d'une énorme fracture dans l'hégémonie du sionisme.
C'est l'une des raisons pour lesquelles les forces pro-israéliennes sont si furieuses en ce moment. Elles savent notamment qu'elles perdent le soutien de la jeunesse juive. Et le rôle d'organisations comme Jewish Voice for Peace (JVP) a été énorme à cet égard. Nous assistons à une rupture générationnelle du type de celle que nous avons connue avec le Vietnam.
Il y a littéralement des millions de jeunes qui sont complètement opposés à la position de leur propre gouvernement. Comme indiqué précédemment, cette rupture se reflète même à des niveaux institutionnels assez élevés : la Maison Blanche avec les collaborateurs de Biden, le Département d'État et le Programme alimentaire mondial. Il s'agit de ruptures importantes qui se produisent beaucoup plus tôt en comparaison avec la guerre du Vietnam. Cela s'explique en partie par les campagnes que les militant·es de la solidarité avec la Palestine mènent depuis des années pour mettre en place la campagne BDS, les organisations étudiantes pour la justice en Palestine sur les campus et d'autres encore.
Nous avons assisté à une sorte de changement progressif qui s'accélère maintenant dans le contexte d'un génocide. C'est un énorme problème pour la classe dirigeante. Biden utilise aujourd'hui un mot que le New York Times a tenté d'interdire il y a 30 ans, lorsque Thomas Friedman (entre autres) a inséré le terme « sans discernement » dans un article du New York Times sur le bombardement du Liban. Les rédacteurs en chef ont alors biffé ce terme. Ils n'ont pas voulu le laisser paraître dans le journal. Aujourd'hui, Biden utilise ce terme.
C'est parce qu'ils lisent les sondages et qu'ils savent qu'ils perdent les jeunes et les Arabes-Américains en particulier. Je pense que si quelque chose doit compromettre la réélection de Biden, ce sera la Palestine. La perte des jeunes et des Arabes-Américains va vraiment les frapper de plein fouet.
Rappelons que les manifestations de Chicago en 1968 ont eu lieu lors de la convention nationale du Parti démocrate. Les mouvements sociaux se mobilisaient contre un président du Parti démocrate qui menait une guerre impériale au Vietnam. Au moins dans un premier temps et sans le savoir, les Démocrates de Biden ont réactivé cette dynamique en soutenant le génocide à Gaza. Aujourd'hui, ils commencent à avoir une idée de ce qu'ils ont déclenché. Le problème auquel ils sont confrontés est que lorsque les deux principaux partis politiques sont en complet décalage avec la position de millions de jeunes sur la guerre, cela crée un énorme espace social et politique. Les mouvements sociaux ont essentiellement comblé ce vide dans les années 1960 et au début des années 1970.
Mais les mouvements sociaux dont nous disposons actuellement ne sont pas encore à la hauteur de la tâche. Nous aurons besoin de beaucoup plus d'organisations de masse. Et si ce mouvement se poursuit – nous ne savons pas s'il le fera – je pense qu'il est possible que nous soyons en présence d'une mobilisation sociale pluriannuelle autour de la Palestine. Des documents internes indiquent que le cabinet de guerre israélien veut encore un an de conflit à Gaza. Ils ne l'obtiendront peut-être pas, mais ils discutent ouvertement de l'expulsion de plus de deux millions de personnes vers la péninsule du Sinaï ou même vers le Sud-Liban. Quoi qu'il arrive, une vague d'épidémies frappera Gaza dans les mois à venir. Lorsque vous détruisez le système d'approvisionnement en eau et les infrastructures de santé, c'est ce qui se produit.
Il se pourrait donc que nous soyons confrontés à une période beaucoup plus longue de mobilisation mondiale de solidarité avec la Palestine. Si cela est vrai, nous devons alors réfléchir à ce à quoi ressemble l'organisation d'un mouvement social sur une période de plusieurs années, comme c'est le cas pour le mouvement des droits civiques, par exemple. S'il est vrai que Martin Luther King occupait encore une position très importante sur la scène nationale au sein de la Southern Christian Leadership Conference (SCLC), King et la SCLC ne menaient pas la danse sur le terrain au milieu des années 1960. C'est le Comité de coordination des étudiants non violents (Student Nonviolent Coordinating Committee) qui a commencé à stimuler l'activisme des jeunes : le Freedom Summer (l'été de la liberté), les campagnes d'inscription sur les listes électorales, etc. Le SDS (Étudiants pour une société démocratique) a connu une croissance fulgurante. Tous deux ont été les pivots de l'organisation de la lutte pour les droits civiques et contre la guerre du Vietnam. L'initiative s'est ensuite déplacée pendant un certain temps vers le Congrès pour l'égalité raciale, qui est devenu un élément central de l'organisation.
En d'autres termes, le mouvement doit réinventer les formes d'organisation au fur et à mesure qu'il avance. Nous ne devrions pas supposer que les structures d'organisation actuelles sont gravées dans le marbre. À un moment donné, si le mouvement prend de l'ampleur, il sera possible – et nécessaire – de mettre en place un cadre général réunissant les syndicats, les organisations religieuses, les groupes d'étudiants, les universitaires dissidents et les organisateurs de mouvements sociaux dans le cadre de nouvelles modalités d'organisation.
Je l'ai déjà remarqué à Toronto. Au début, une grande partie de l'organisation du travail de solidarité avec la Palestine était essentiellement menée par une organisation de jeunes. Mais rapidement, une coalition de syndicats, d'organisations de défense de la justice pour les migrants, d'organisations universitaires, d'organisations religieuses et de groupes d'artistes a vu le jour. En conséquence, les manifestations à Toronto sont passées de 5 000 à 50 000 personnes parce que ce nouveau cadre d'organisation s'est mis en place. Il y a toutefois des problèmes, notamment parce que les dirigeants syndicaux aiment souvent contrôler les choses dans les coulisses.
Tel sera le défi à relever. Pouvons-nous, au cours des prochains mois, commencer à envisager, à élaborer des stratégies et à contribuer à la mise en place de structures et de cadres d'organisation nouveaux et plus larges pour les campagnes ? Si nous y parvenons, il y a potentiellement un mouvement de millions de personnes à construire dans un pays comme les États-Unis.
Les ingrédients clés sont déjà présents dans un pays comme la Grande-Bretagne. Comme je l'ai dit, j'ai défilé avec 600 000 personnes ou plus à Londres. D'énormes marches ont eu lieu à Manchester, à Glasgow et ailleurs dans le pays le même jour. Nous sommes potentiellement revenus à ce niveau d'organisation anti-guerre.
Même si je pense qu'il y a d'énormes défis à relever en raison de l'épuisement de nos infrastructures de dissidence après des décennies de néolibéralisme, nous devons également nous rappeler que les mouvements qui ont reconstruit une gauche dans les années 1960 aux États-Unis sortaient du maccarthysme. Ils sortaient de l'écrasement de la gauche précédente. Il est donc possible de reconstruire et de réinventer, mais c'est là tout le défi.
Je ne veux pas donner l'impression de minimiser les difficultés. Elles sont réelles. Mais je ne veux pas non plus que l'on sous-estime les possibilités d'une organisation de masse à l'instar de ce qui s'est passé avec Black Lives Matter (BLM) lors du soulèvement pour George Floyd. Bien sûr, cela a été trop bref pour que de nouvelles organisations de masse se développent à grande échelle.
La lutte en Palestine ne sera peut-être pas déviée comme l'a été le soulèvement de BLM, en partie parce que le Parti démocrate a mis fin au soulèvement de BLM. Barack Obama a parlé à LeBron James et a encouragé les basketteurs à mettre fin aux grèves des athlètes. Ils ne voulaient plus d'arrêts de travail, de peur que cela ne nuise à la campagne présidentielle de Joe Biden. Ils ont obtenu la fin des grèves en échange de la promesse que les stades de basket seraient utilisés comme sites d'inscription sur les listes électorales.
Les Démocrates ne peuvent pas faire cela maintenant sur la question de la Palestine. Ils ne peuvent pas envoyer Obama ou Biden ou n'importe quel Démocrate pour tuer le mouvement maintenant. Les enjeux d'un génocide sont trop importants. L'une des discussions stratégiques dont nous aurons besoin au cours des prochains mois au sein de la gauche américaine portera sur la manière dont nous pouvons commencer à créer des cadres plus larges pour la solidarité et la mobilisation en faveur de la Palestine. Les opportunités sont là.
Le Parti démocrate est discrédité au moment même où l'extrême droite connaît une résurgence au niveau international et national. Le discrédit et l'affaiblissement du soutien à Biden sont en fait antérieurs au 7 octobre et au soutien manifeste des Démocrates au génocide. Mais l'extrême droite a pu, à bien des égards, se présenter comme un contre-pouvoir hégémonique pour répondre au problème du « marécage » de l'establishment. Il ne s'agit pas seulement de Trump, mais aussi de Javier Milei en Argentine. Partout, l'extrême droite se présente de cette manière, ce qui n'est pas le cas de la gauche à bien des égards.
Vous avez tout à fait raison de le souligner. L'initiative politique, en particulier dans l'arène électorale, a été le fait de la droite et, dans certains cas, de l'extrême droite, ce qui est effrayant. Il serait désastreux pour chacun d'entre nous, au sein de la gauche socialiste, de sous-estimer cet état de fait. Car ce qu'ils essaient de faire, et dans certains cas ils y parviennent avec un certain succès, c'est de déplacer la colère de la classe ouvrière, de la classe des patrons vers les couches socialement opprimées de la classe ouvrière.
Cette dynamique nous est familière. Nous pouvons remonter aux grands écrits des années 1970, comme Policing the Crisis de Stuart Hall avec un certain nombre de coauteurs, qui nous dit en substance : « Écoutez, ils présentent la crise économique du capitalisme comme une crise de la sécurité personnelle et du maintien de l'ordre. Ils ciblent les personnes de couleur comme cause de la crise sociale. Et si nous n'avons pas de parade à cela, nous sommes en mauvaise posture » (2) .
Une partie du problème réside dans l'érosion des anciennes formes de solidarité de classe. Dans certains cas, elles ont été détruites par les institutions. Et nous devons toujours nous rappeler que le néolibéralisme dépend d'une série de défaites infligées aux organisations de la classe ouvrière.
En Grande-Bretagne, Margaret Thatcher savait que le National Union of Mine Workers devait être vaincu dans l'intérêt du néolibéralisme. Pour briser la politique de solidarité de la classe ouvrière, il fallait écraser les mineurs. En Bolivie, les néolibéraux savaient qu'il s'agissait des mineurs d'étain, peut-être le syndicat le plus militant d'Amérique du Sud. En 1985, des milliers d'entre eux qui participaient à une marche ont été confrontés à l'armée et vaincus.
À un niveau moins dramatique, mais tout aussi significatif sur le plan social, la grève des contrôleurs aériens a été brisée par Ronald Reagan aux États-Unis. Une fois que les organisations et les syndicats qui constituent le fondement institutionnel de la solidarité de la classe ouvrière sont détruits ou gravement affaiblis, les gens ont tendance à se rabattre sur des stratégies de survie individuelles, à moins qu'une autre forme d'organisation de gauche ne vienne combler le vide. Et cela induit la concurrence et la rivalité, plutôt que la coopération et la solidarité.
L'extrême droite continue de tirer parti de ce fait. Son message est le suivant : si vous voulez une stratégie de survie individuelle, nous allons vous élever au-dessus de ces « inférieurs », qui ont bénéficié de l'aide des élites libérales sous la forme de discrimination positive, de diversité, d'équité et d'inclusion, de programmes d'aide sociale, de laxisme en matière de criminalité, etc. Ce problème persistera jusqu'à ce que la reconstruction des organisations de la classe ouvrière à une échelle significative ramène un grand nombre de personnes de la classe ouvrière dans des projets collectifs et des formes d'organisation collective.
La lutte de solidarité avec la Palestine peut se répercuter sur les lieux de travail, comme je l'ai dit. Les grands mouvements sociaux peuvent jouer un rôle extrêmement important. Même s'ils n'ont pas le même ancrage que les syndicats sur le lieu de travail, ils créent de nouvelles solidarités collectives. Ils deviennent le terreau de nouvelles identités politiques. L'idée qu'une action de masse peut donner des résultats se répercute sur d'autres formes d'organisation, telles que l'organisation communautaire et l'organisation sur le lieu de travail.
En tant que militants de la cause socialiste, nous devons essayer de travailler avec toutes ces petites pousses vertes qui ont émergé en termes d'organisation syndicale et sur le lieu de travail. Il est extrêmement important de les cultiver, mais nous devons également être conscients des possibilités de mobilisations sociales à plus grande échelle, car elles attireront les jeunes travailleurs et les travailleurs de couleur en particulier.
Si nous parvenons à mettre sur pied une véritable campagne populaire de solidarité avec la Palestine contre la guerre à Gaza dès à présent, elle se propagera. Cela ne signifie pas que la droite disparaîtra électoralement, mais l'une des choses essentielles que nous devons comprendre stratégiquement pour la gauche est que l'arène électorale est moins propice pour nous qu'elle ne l'est pour la droite. L'arène électorale convient mieux à la droite parce qu'elle n'essaie pas de briser les institutions du pouvoir capitaliste. Elle nous convient moins parce que la gauche est, dans sa grande majorité, obligée de s'adapter lorsqu'elle pénètre dans les rouages de l'État, même dans ses structures élues.
Bien sûr, on peut créer d'énormes contrepoids si l'on dispose de mouvements sociaux de masse, et je ne dis donc pas qu'il ne faut jamais contester le pouvoir dans l'arène électorale. Mais l'une des choses que nous avons constatées, c'est qu'à moins que les représentant·es élu·es de la gauche ne soient ancré·es dans les mouvements sociaux de masse, qui exercent une attraction sur l'électoralisme, ils s'accommodent de l'électoralisme – et c'est très grave.
À l'heure actuelle, les avancées électorales de la droite doivent être contrées par tous les moyens possibles. Mais si nous voulons mettre fin à l'attaque contre les droits reproductifs aux États-Unis, par exemple, nous ne devons pas nous concentrer sur l'élection de Démocrates. Nous devons au contraire reconstruire un mouvement de masse en faveur du choix en matière de procréation. C'est ce que nous avons vu ailleurs, et ce sera le cas aux États-Unis, tout comme dans les années 1970, en termes de victoire sur les droits fondamentaux.
Les mouvements sociaux de masse créent un autre type de politique. Ils enseignent aux gens que la politique n'a pas à se soumettre aux dirigeants du monde entier. Nous ne gagnerons jamais la confiance des classes populaires si c'est ce que nous leur proposons comme alternative c'est une élite technocratique, comme Biden et compagnie, qui ont été toute leur vie des valets politiques dans les rouages du Parti démocrate.
De cette façon, nous n'avançons pas et nous sommes en fin de compte perdants sur le plan politique. La vraie question pour nous est de créer un contrepoids de masse et une vie politique qui préfigure un autre type de politique, un autre type d'organisation et un autre type de lutte.
Cela produira inévitablement des retombées électorales. Pensez par exemple au Parti démocratique de la liberté du Mississippi ou au Parti de la paix et de la liberté associé au Black Panther Party en Californie. Il y aura des retombées électorales, mais à l'heure actuelle, la priorité absolue est de créer une force de gauche en politique pour contrer la droite. Pour ce faire, nous avons besoin de mouvements de masse de gauche. Nous devons revenir à la mobilisation dans la rue, au sein des communautés et sur les lieux de travail. Il y a une ouverture en ce moment autour de la justice pour la Palestine. J'espère que nous ne la gaspillerons pas.
Le 4 mars 2024
Le Tempest Collective est une organisation marxiste révolutionnaire aux États-Unis. Elle édite la revue en ligne Tempest Mag. Cet entretien a été d'abord publié en deux parties par Tempest le 11 février et le 4 mars 2024. Traduit de l'anglais par JM.
1. une mise en perspective historique », publié par le site web Contretemps.
2. Mugging, the State, and Law and Order, Macmillan, London 1978.
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Antisocial et islamophobe : combattons ce gouvernement !

Les annonces de Gabriel Attal sont brutales en matière sociale, et s'accompagnent d'un racisme dirigé spécialement contre les personnes musulmanes ou consideré.es comme telles. Ces attaques violentes contre notre camp social disent bien de quel côté se situe le gouvernement : celui des patrons qui tendent la main à l'extrême droite.
photo et article tirés de NPA 29
Crédit Photo Photothèque Rouge / Martin Noda / Hans Lucas
Attaque contre l'assurance chômage
La précédente réforme à peine en place, une nouvelle est déjà annoncée pour encore diminuer les droits des personnes sans-emploi. En stigmatisant les chômeurs.euses, le gouvernement cherche à monter celles et ceux qui travaillent contre de soi-disant profiteurs.euses. Et cela pour réduire la durée d'indemnisation de plusieurs mois, augmenter la durée de travail nécessaire pour bénéficier des allocations et baisser le montant perçu. Le gouvernement a également avancé que l'assurance chômage devrait être gérée par l'Etat et non plus par la Sécurité sociale.
Rappelons que l'assurance chômage, comme l'assurance maladie ou les retraites, ce sont nos cotisations qui permettent d'assurer une sécurité de revenus aux travailleurs.euses. Baisser les droits au chômage comme le prévoit Attal, c'est plonger de nouveaux foyers dans la misère en plus des millions de personnes qui vivent déjà sous le seuil de pauvreté. Nous devons construire une riposte à la hauteur.
Cadeaux au patronat et austérité pour l'Etat
En parallèle, Attal envisage des allègements de cotisations patronales au prétexte d'inciter à augmenter les bas salaires. Aucune des mesures de ce type n'a eu d'efficacité sur les embauches ou l'augmentation des salaires.
Et pourtant, c'est déjà plus de 200 milliards d'aides publiques que les entreprises perçoivent, tandis que plus de 80 milliards s'échappent dans l'évasion fiscale. De l'argent il y en a – et beaucoup – dans les caisses du patronat. Mais ce n'est pas là que le gouvernement a prévu de le prendre : quand Attal annonce vouloir réduire le déficit public de 5,5% du PIB à moins de 3% d'ici 2027, il veut prendre dans les budgets des ministères et s'approprier nos cotisations sociales.
Par ailleurs, le gouvernement nous prend vraiment pour des imbéciles lorsqu'il prétend vouloir « mieux prévenir les accidents au travail » : aujourd'hui c'est au moins deux personnes qui meurent par jour à cause du travail, et ce ne sont pas des spots publicitaires gouvernementaux qui vont changer quelque chose. Il faut comptabiliser vraiment les accidents et les maladies professionnelles et sanctionner lourdement les entreprises pour les obliger à prendre des mesures.
Et pour finir dans les mesures absurdes, ce n'est pas en faisant le même travail en 4 jours au lieu de 5, comme le propose Attal, qu'on va réduire le chômage et améliorer les conditions de travail. C'est juste l'intensification encore et toujours du travail pour le plus grand bénéfice des actionnaires et des patrons.
Attaques islamophobe et tapis-rouge pour l'extreme droite
Cette violence de classe, qui s'articule avec une violence islamophobe exacerbée, donne toujours plus de gages à l'extrême droite.
Les interventions d'Attal suite à l'agression d'une élève portant le voile par un proviseur sont écoeurantes. Alors que la jeune femme est victime d'un comportement violent et raciste, l'Etat a porté plainte contre l'élève ! C'est une incitation à la violence contre toute les personnes racisées, et de telles déclarations ne font que préparer le terrain à l'extrême droite dont les scores annoncés aux européennes atteignent déjà les 40%.
L'ensemble de notre camp social doit réaffirmer sa solidarité et combattre ces idées nauséabondes, notamment en manifestant le dimanche 21 avril lors de la marche contre les racismes et l'islamophobie.
Mardi 2 avril 2024
https://nouveaupartianticapitaliste.org/
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Les 3 et 4 avril 2024, les journées intersyndicales : le féminisme sur tous les fronts

Depuis 1998, les journées Intersyndicales Femmes réunissent au mois de mars-avril entre 300 et 400 militant·es de la CGT, de la FSU et de l'Union Syndicale Solidaires. Ces deux journées de formation intersyndicale donnent la parole à des chercheuses, des associations, et des femmes concernées sur quatre thèmes relatifs aux droits des femmes.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Elles permettent à l'ensemble des participantes de réfléchir, échanger et s'armer pour porter ces questions dans nos organisations syndicales respectives et au-delà. Elles mettent aussi en lumière la manière dont la domination patriarcale s'exerce sur nos vies entières et démontrent que les luttes pour l'égalité professionnelle comme celles contre les violences sexistes et sexuelles sont des enjeux profondément sociaux et syndicaux. Les journées Intersyndicales Femmes nous rappellent chaque année que rien n'est totalement acquis et que de nouveaux droits sont à conquérir.
Cette année l'intersyndicale poursuit ses réflexions les mercredi 3 et jeudi 4 avril 2024 à la salle Olympe de Gouges, 15 rue Merlin dans le 11e arrondissement de Paris.
La matinée du mercredi sera consacrée à la question du refus des normes esthétiques et des injonctions du paraitre, pour nous rappeler que l'intime est politique.
Après une journée de mobilisation du 8 mars qui a rassemblé des milliers de personnes et la nécessité de militer encore et toujours pour l'égalité et nos droits, nous poursuivrons la journée sur le thème de la construction de nos luttes féministes.
La journée se conclura avec un concert de la chanteuse Mathilde.
La matinée du jeudi sera consacrée aux métiers du soin et du lien, essentiels, et pourtant sous-évalués, sous-payés, et en nombre insuffisant. Ces métiers à prédominances féminines sont un enjeu pour l'égalité.
Enfin, nous conclurons les journées intersyndicales par une table ronde sur le thème « nouvelles technologies et l'intelligence artificielle : nouvelles, mais toujours sexistes ! ».
L'énergie et l'intelligence collective qui se dégagent de nos rencontres sont des leviers incontestables pour nos organisations syndicales et renforcent notre détermination pour mener les luttes féministes sur nos lieux de travail comme dans l'ensemble de la société.
Ci-dessous et en PJ, les actes des Journées Intersyndicales Femmes de 2023
Actes des Intersyndicales Femmes 2023
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Réformes de l’assurance chômage : une dégradation de la condition des femmes

Les femmes luttent depuis plusieurs décennies pour obtenir leur indépendance financière grâce à l'accès à des emplois de qualité, une autonomie dans leur action politique face au patriarcat. Dans la période actuelle, d'ubérisation et de précarisation massive de l'emploi, la lutte contre les régressions au niveau de l'assurance chômage, de la protection sociale et des services publics est devenue pour elles décisive.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Les récentes réformes de l'assurance chômage (comme je l'ai montré dans mon ouvrage, Femmes, chômage et autonomie) ont ciblé particulièrement les femmes, notamment celles qui travaillent dans l'emploi précaire, discontinu, et le multi-emploi. Car les femmes représentent 60% des travailleurs précaires, et cela se conjugue souvent avec du temps partiel et des bas salaires. Dans toutes les situations de successions de contrats courts, de périodes de chômage, de formation, de congés de maternité ou de maladie, une partie des femmes se retrouve avec des ressources très faibles, voire inexistantes. Il existe des vides juridiques, des interruptions de droits lors du passage d'une situation sociale ou professionnelle à une autre…
A présent, avec la loi Plein emploi, la suppression de l'ASS, l'obligation de faire 15 heures de travail pour les bénéficiaires du RSA sous peine de sanctions, vont avoir de graves conséquences pour de nombreuses femmes – à commencer par celles qui élèvent seules des enfants. Le RSA étant attribué au foyer, celles qui vivent en couple pourraient être contraintes de faire ces 15 heures hebdomadaires, sans pour autant disposer de droits à un revenu personnel, ni de moyens de garde d'enfant(s).
Beaucoup comprennent qu'il ne leur sert à rien de courir en tout sens après des miettes d'emplois, qu'il vaut mieux se rassembler pour revendiquer de vrais emplois et des droits sociaux garantis collectivement. Pour cela, alors que les organisations syndicales et politiques de la Gauche semblent avoir démissionné face à la montée des inégalités, un système de sécurité sociale couvrant le risque du chômage et réellement solidaire apparaît indispensable, et devrait être un élément essentiel d'un programme pour construire une société d'avenir.
Dans de nombreux domaines, comme la santé, l'éducation, les services à la personne, il existe des besoins sociaux énormes, liés notamment à la montée d'activité des femmes et au vieillissement de la population. La reconnaissance de la valeur du travail domestique et sa socialisation partielle passent par la création d'un large secteur non marchand de l'économie, pour prendre en charge ces activités de reproduction sociale. Sans de véritables statuts d'emploi pour les personnes qui y travaillent, la revalorisation des métiers féminisés, « l'éthique du care » et le souci des autres resteront de vains mots.
En même temps, il ne devrait plus exister de situations qui obligent une femme à choisir entre sa vie privée et sa vie professionnelle. Il est nécessaire de pouvoir passer librement d'une situation sociale à une autre, de mieux pouvoir articuler les différents temps de vie, ce qui exige notamment des congés familiaux, parentaux, et de formation correctement rémunérés.
Ce qui est en jeu, au travers de cette question de la Sécurité sociale chômage, ce sont les rapports de force dans les entreprises comme au sein de la famille. Les salarié.es qui travaillent dans les entreprises ne doivent plus être soumis.es à des pressions incessantes, à la souffrance au travail, au stress et au chantage à l'emploi… Les femmes devraient pouvoir rechercher une configuration familiale qui leur permette un partage des tâches plus équilibré, et des rapports plus égalitaires avec le conjoint.
La question du chômage est en réalité étroitement liée aux problèmes d'organisation du travail, à la façon bureaucratique et autoritaire dont ces questions sont traitées dans les entreprises. Dé-marchandiser les activités reproductives et limiter les activités productives ou « hétéronomes » en réduisant massivement le temps de travail, tout cela est d'autant plus urgent aujourd'hui que les dernières tendent à envahir toute la vie, du fait de la dématérialisation et de l'économie numérique.
Le partage du travail et la déségrégation des emplois entre les femmes et les hommes seront certes difficiles à obtenir ; car cela nécessite une réflexion approfondie sur ce qu'est la valeur économique et sur les raisons de la division du travail sexuée. On ne peut pas se contenter de dire aux femmes « Vous n'avez qu'à faire les mêmes formations techniques, les mêmes métiers que les hommes (ingénierie…) » Car ces activités du secteur marchand reposent sur une hyper-compétitivité et une spécialisation, sur l'adhésion inconditionnelle aux valeurs du profit et de la rentabilité ; or, ce système est destructeur et énergivore, il mène toute la société dans une impasse.
Odile Merckling, Paris, le 27 mars 2024
Auteure de : Femmes, chômage et autonomie. Des droits sociaux pour abolir la précarité et le patriarcat, Ed Syllepse, 2023.
https://blogs.mediapart.fr/omerckling/blog/270324/reformes-de-lassurance-chomage-une-degradation-de-la-condition-des-femmes
Introduction au livre d'Odile Merckling : Femmes, chômage et autonomie
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/03/28/introduction-au-livre-dodile-merckling-femmes-chomage-et-autonomie/
Droits propres et continuité des droits dans la discontinuité de l'emploi
Note de lecture du livre d'Odile Merckling : Femmes, chômage et autonomie. Des droits sociaux pour abolir la précarité et le patriarcat
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/07/24/droits-propres-et-continuite-des-droits-dans-la-discontinuite-de-lemploi/
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En Gambie, l’interdiction des mutilations génitales menacée

Tribune · En Gambie, les parlementaires envisagent, au nom de la culture et de la tradition, de revenir sur l'interdiction de pratiquer des mutilations génitales féminines. Alors que cette loi régressive n'a pas encore été votée, deux juristes gambiennes appellent à se mobiliser afin de protéger les filles et les femmes de ce pays.
Tiré de Afrique XX1
Photo :L'outil servant à exciser les jeunes filles.
Traduit de l'anglais par Marame Gueye (East Carolina University)
En 2015, la Gambie a introduit une législation interdisant les mutilations génitales féminines (MGF) par le biais d'un amendement à la loi sur les femmes de 2010, après des décennies d'efforts de plaidoyer et de sensibilisation menés par des organisations de la société civile (OSC) et des groupes communautaires. L'article 32A de la loi sur les femmes de 2015 érige en infraction le fait pour toute personne de pratiquer l'excision. Quiconque y contrevient est passible, sur déclaration de culpabilité, d'une peine d'emprisonnement de trois ans ou d'une amende, ou des deux.
La loi prévoit également une peine d'emprisonnement à perpétuité lorsque la circoncision entraîne la mort. La section 32B (1) s'adresse aux commanditaires de la procédure et stipule que « toute personne qui demande, incite ou promeut l'excision en fournissant des outils ou par tout autre moyen commet une infraction et est passible d'une peine d'emprisonnement de trois ans ou d'une amende de cinquante mille dalasis [environ 682 euros], ou des deux ». En outre, une amende de 10 000 dalasis, conformément à la section 32B (2) de la loi, est imposée à toute personne qui a connaissance de la pratique et qui ne la signale pas sans raison valable.
La législation interdisant les MGF en Gambie a été adoptée à la suite d'une directive de l'ancien président Yahya Jammeh. Elle a été adoptée alors que les survivantes étaient de plus en plus visibles et que l'on s'efforçait de mettre fin à cette pratique dans le pays. Malgré ce prétendu engagement, le gouvernement a harcelé les militants et les militantes anti-MGF et a restreint l'espace des OSC et des médias souhaitant engager les communautés pratiquantes et la population dans son ensemble, faciliter l'accès à l'information sur les dangers des MGF et influencer la fin de la pratique dans l'intérêt des filles et des femmes.
DEUX CAS SIGNALÉS DEPUIS 2015
La reconnaissance des MGF comme une violation flagrante des droits des filles et des femmes est établie dans de nombreux instruments juridiques internationaux et déclarations politiques. Depuis la promulgation de la loi sur les femmes en décembre 2015, seuls deux cas de mutilations ont été signalés, dont celui sur un bébé de 5 mois décédé des suites d'une mutilation dans le village de Sankandi. Les accusés ont nié les faits et ont demandé à être libérés sous caution, ce à quoi l'État s'est opposé. L'affaire a ensuite été ajournée pour statuer sur la mise en liberté sous caution, mais avant que la Cour ne se prononce l'État a abandonné les poursuites. La position officielle de l'État était que le rapport médical n'établissait pas de lien entre la cause du décès et la mutilation.
En 2023, trois femmes de Niani Bakadaji, dans la région du fleuve central, ont été reconnues coupables d'avoir pratiqué et encouragé des mutilations génitales féminines. Huit enfants âgés de 4 mois à 1 an ont été mutilés, en violation directe de la loi sur les femmes de 2015. Elles n'ont été condamnées qu'à une amende de 15 000 dalasis gambiens ou, par défaut, à un an d'emprisonnement, une peine qui n'est pas conforme à celle prévue par la loi.
Le week-end suivant leur condamnation, l'imam Abdoulie Fatty, un érudit religieux connu pour ses opinions fondamentalistes et associé à l'ancien dictateur Yahya Jammeh, s'est rendu avec d'autres érudits dans le village des femmes condamnées pour payer l'amende, une action qu'il considère comme un devoir sacré de tout musulman et comme un soutien à l'excision en tant que partie intégrante de la culture de la population. Il a ajouté que si tout le monde soutenait ouvertement l'excision, le gouvernement ne serait pas en mesure d'emprisonner une ville entière, sans parler d'un pays tout entier.
DES DÉBATS RÉGRESSIFS
L'assaut de l'imam Fatty contre la loi anti-MGF a finalement conduit à des débats intenses et régressifs à l'Assemblée nationale, débouchant finalement sur un soutien massif en faveur de l'abrogation de l'interdiction des MGF. Le 4 mars 2024, Almameh Gibba a présenté un projet de loi à l'Assemblée nationale, le Women's (Amendment) Bill 2024, qui vise à supprimer les articles 32A et 32B du Women's (Amendment) Act 2015. […] L'objet et le but de la loi stipulent que :
Ce projet de loi vise à lever l'interdiction de l'excision en Gambie, une pratique profondément ancrée dans les croyances ethniques, traditionnelles, culturelles et religieuses de la majorité du peuple gambien. Il vise à préserver la pureté religieuse et à sauvegarder les normes et valeurs culturelles. L'interdiction actuelle de l'excision constitue une violation directe du droit des citoyens à pratiquer leur culture et leur religion, tel qu'il est garanti par la Constitution. Compte tenu de la population majoritairement musulmane de la Gambie, toute loi incompatible avec les aspirations de la majorité de la population devrait être réexaminée. L'excision est une pratique culturelle importante soutenue par l'Islam, qui prouve clairement les enseignements de notre Prophète (S.A.W). Il convient de noter que l'utilisation de lois pour restreindre les pratiques religieuses ou culturelles, que ce soit intentionnel ou non, peut entraîner des conflits et des frictions. Il est intéressant de noter que le maintien de l'interdiction de l'excision et la pénalisation des personnes qui la pratiquent sont en contradiction directe avec les principes généraux des Nations unies, qui encouragent, par l'intermédiaire de leurs agences, la préservation et la pratique des patrimoines culturels et historiques...
Si le projet de loi affirme que l'excision est profondément ancrée dans les croyances culturelles et religieuses de la majorité du peuple gambien, en particulier dans le contexte de l'islam, cette position ne peut justifier des pratiques qui violent les droits humains. De nombreux pays dont la population est majoritairement musulmane ont promulgué des lois interdisant les mutilations génitales féminines. Les MGF ont également été condamnées par de nombreux érudits et organisations islamiques dans le monde entier, soulignant l'importance de protéger les individus contre les pratiques néfastes.
Le projet de loi affirme également que l'interdiction de l'excision est en contradiction avec les principes généraux des Nations unies, qui encouragent la préservation et la pratique des héritages culturels et historiques. Si les Nations unies encouragent la préservation culturelle, elles mettent également l'accent sur la protection des droits humains, y compris le droit d'être à l'abri de toutes les formes de discrimination et de violence, telles que les mutilations génitales féminines. Les organes de surveillance des traités des Nations unies condamnent les pratiques sociales et culturelles néfastes qui portent atteinte à la santé, à la sécurité, à l'intégrité corporelle et au bien-être général des individus, quelles que soient les justifications culturelles ou religieuses.
Bien que le droit international reconnaisse le droit des personnes à pratiquer leur culture et leur religion, ces droits peuvent être restreints par un gouvernement qui a l'obligation de protéger les droits humains fondamentaux. Ainsi, la justification fournie dans le Women's (Amendment) Bill 2024 n'est pas conforme à l'esprit et à l'intention de l'interprétation de la préservation du patrimoine culturel des Nations unies. C'est un fait établi que les gens ne peuvent pas invoquer la culture ou la religion pour justifier les violations des droits des femmes et des enfants.
PROFONDE INQUIÉTUDE
La Gambie est signataire du protocole de Maputo, qui impose aux États l'obligation d'interdire les MGF par des sanctions pénales (article 5(b)). Le protocole garantit également le droit de vivre dans « un contexte culturel positif ». S'il est adopté, le projet de loi constituera une violation directe de ces dispositions. Le pays est également partie à la Cour africaine qui a statué dans l'affaire APDF & IHRDA c. Mali que les États africains ne peuvent pas utiliser la culture et la religion comme base pour justifier la violation des droits humains. Bien que l'article 17 de la Charte africaine et l'article 17 du Protocole de Maputo reconnaissent le droit à la culture, et que l'article 18 de la Charte fait référence aux valeurs « traditionnelles », cela n'exonère pas les États de leur responsabilité d'éliminer les pratiques traditionnelles néfastes qui violent les droits humains.
Après la deuxième lecture du projet de loi le 18 mars 2024, et le débat qui a suivi, les législateurs ont voté par 42 voix contre 4 pour renvoyer le projet de loi à la commission des affaires de l'Assemblée afin qu'il soit soumis aux commissions appropriées de l'Assemblée pour un examen plus approfondi et une consultation publique.
Les articles 68 à 76 du Règlement de l'Assemblée nationale (tel qu'amendé en 2020) s'appliquent aux prochaines étapes du processus. En commission, les membres examinent la proposition de loi, engagent des consultations avec les parties prenantes, entendent des avis d'experts et font rapport à l'Assemblée. Cette commission dispose de seize semaines pour examiner le projet de loi, consulter les parties intéressées et entendre les avis d'experts. Elle peut demander plus de temps si nécessaire. Cette procédure garantit un examen approfondi du projet de loi avant qu'il ne passe en troisième lecture. Cette phase en commission permet à l'Assemblée elle-même d'apporter des modifications au projet de loi, mais ces modifications doivent respecter des règles spécifiques. Les amendements doivent être directement liés au sujet du projet de loi et éviter de contredire des parties déjà approuvées. En outre, il existe des lignes directrices pour proposer des amendements de manière claire et organisée, afin de garantir un processus sans heurts. Un rapport sera ensuite présenté à l'Assemblée par la commission.
Après la présentation d'un rapport à l'Assemblée, le projet de loi est transmis à la commission des affaires de l'Assemblée pour l'organisation de la phase d'examen. Le projet de loi passe ensuite à la troisième étape, au cours de laquelle il est lu une troisième fois et adopté. Dès que possible, le projet de loi est soumis à l'approbation du président.
La Commission africaine et le Comité africain d'experts sur les droits et le bien-être de l'enfant (ACERWC) ont récemment publié une déclaration commune exprimant leur profonde inquiétude. Ils demandent instamment à la Gambie de protéger les filles et les femmes en maintenant l'interdiction. Il ne s'agit là que d'un exemple parmi d'autres de la levée de boucliers internationale contre l'abrogation potentielle. Il est essentiel que les OSC nationales et transnationales participent rigoureusement au processus de consultation en faisant pression sur le président pour qu'il rejette le projet de loi s'il est adopté.
Rejoignez le combat ! Soutenez les organisations qui œuvrent à la protection des filles en Gambie et exhortez le gouvernement gambien à donner la priorité aux droits et au bien-être des femmes et des filles.
SATANG NABANEH
Satang Nabaneh est une juriste et une praticienne des droits de l'homme spécialisée dans le genre et les droits sexuels et reproductifs… (suite)
MUSU BAKOTO SAWO
Musu Bakoto Sawo est une avocate féministe et défenseure des droits de l'homme qui a plus de 18 ans d'expérience dans la défense des…(suite)
Une suggestion de lecture de André Cloutier, Montréal, 5 avril 2024*/*
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Harcèlement : le silence profite à l’agresseur

Interview de Catherine Le Magueresse par Francine Sporenda
Catherine Le Magueresse est docteure en droit, chercheuse associée à l'Institut des sciences juridiques et philosophiques de la Sorbonne et a été présidente de l'AVFT (Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail) de 1998 à 2008. Elle élabore au fil de ses publications une critique féministe du droit pénal et a notamment publié « Les pièges du consentement, pour une redéfinition pénale du consentement sexuel » (éditions iXe, 2021) et « Harcèlement, ça commence quand ? » (Alt).
tiré de Entre les lignes et les mots
FS : Etre réputée « fille facile » qui « ne se respecte pas » a des conséquences pour celles à qui on colle cette étiquette au lycée. Pouvez-vous en parler ?
CL : Déjà cette étiquette – et ça me parait important – elle est collée par les garçons et par les filles, c'est un collectif qui va considérer qu'une jeune femme ne se comporte pas bien, selon des normes qui sont propres à ce collectif-là. En gros, ce ne sont pas des normes juridiques, cette fille exerce juste sa liberté sexuelle, voire elle ne l'exerce pas mais elle a seulement un comportement ou un habillement qui ne correspondent pas à la norme collective et va se voir affubler de cette étiquette. Ca veut dire que c'est très variable, ça dépend même de l'établissement scolaire, et les conséquences sont que ça peut se transformer en une sorte de harcèlement scolaire dans le cadre du collège ou du lycée, qui peut même s'étendre à toutes les sphères de la vie, y compris dans la vie privée, car ça ne s'arrête pas à l'établissement scolaire, ça continue sous forme de cyberharcèlement sur tous les réseaux sociaux que les jeunes utilisent. Si bien que, pour la jeune fille, ça devient tout simplement invivable : on est attaquée parce qu'on n'est pas dans la norme, on est jugée pour tout ce qu'on peut dire ou faire, alors que quand on est jeune, on est encore en construction, et c'est très difficile d'être exclu du collectif sur des fondements qu'on ne maîtrise pas. Et c'est très injuste évidemment.
FS : Le harcèlement sexuel au travail, bien qu'il soit théoriquement puni par une loi, n'est toujours pas considéré comme un délit par de nombreuses personnes et minimisé comme « blagues de potaches », « gauloiseries » etc. et ceux qui s'y livrent simplement qualifiés de « mecs lourds ». Vos commentaires sur cette minimisation sociale du harcèlement sexuel et cette tolérance pour ceux qui s'y livrent ?
CL : Il n'est pas théoriquement puni, il est puni. C'est ça qui est intéressant…
FS : Par théoriquement, je voulais dire que c'est puni sur le papier, dans la loi, mais que les conséquences concrètes de ces dispositions légales ne sont pas énormes…
CL : C'est important de rappeler que, depuis 1992, depuis environ 30 ans, le harcèlement sexuel est répréhensible et réprimé. Et pour la condamnation sociale, il y quand même du changement : oui, il y a toujours des personnes qui considèrent que ce n'est pas si grave par méconnaissance de la loi. Comment on fait pour que cette loi soit prise au sérieux ? Il faut que les entreprises affichent beaucoup plus clairement et fréquemment leur détermination à lutter contre le harcèlement sexuel, et pour ça, il faut que les instances de pouvoir, par exemple les syndicats, disent : « on n'a pas mené de campagne de prévention, on va le faire, on va lancer des alertes ». Il y a un manque d'actions proactives je dirais, pour bien faire passer le message auprès de tous les salariés et des femmes que ce comportement-là ne sera pas accepté au sein de notre entreprise ou de notre administration. Et ensuite, quand il y a des dévoilements de violence au sein d'un collectif de travail, il faut que ça soit suivi d'enquête et de sanctions. A partir du moment où le coût d'exercer un harcèlement est identifié comme assez élevé, qu'on sait qu'il va y avoir des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu'au licenciement, je pense que ce type de considération « c'est pas grave, c'est juste des blagues… » cesseront. C'est une lutte à mener bien sûr, dans ce sens qu'on connait les réactions que cela suscite : « on va vers une société à l'américaine, on peut plus rien faire, on peut plus rien dire, etc. ».
Faudra bien – parce que c'est la loi. Effectivement, vous ne pouvez pas faire ce que vous appelez des blagues, parce qu'en droit, ça ne s'appelle plus des blagues, c'est du harcèlement. Il y a une affiche suisse qui dit « pour vous, ce sont juste des paroles, pour la loi, c'est juste un délit ». Je trouve ça assez fort. Parce ce qu'à chaque fois, il faut remettre le repère, et le repère, c'est la loi.
Que dit la loi ? En droit, c'est un délit et ça peut être éventuellement un outrage sexiste, donc une contravention ou un délit. Il faut revenir au droit tout le temps, et je le vois dans les animations que je fais dans les amphis, dans les débats qui ont lieu, quand on me dit « mais ça madame, c'est pas grave », je dis « prenons le repère de la loi, que dit la loi ? » Et je remets le texte et je dis, « voyez, vous, vous pensez que c'est une blague mais en droit, c'est interdit ». En gros, ce que vous pensez, peu importe, là on est dans l'ordre de l'opinion, et l'opinion ne fait pas le droit, l'opinion, c'est du registre des affaires privées. Dans le collectif, on est en droit, c'est ce que la société a décidé à travers le législateur et vous pouvez être poursuivi. Alors évidemment, ça ne leur plait pas, mais on a tout de même ce repère et ce rempart contre ceux qui pensent que ce n'est pas grave.
FS : Les pratiques sociales sont vraiment très longues à s'aligner sur le droit…
CL : Ce qui est intéressant, c'est que, quand on outille sur le droit, on outille les victimes, puisqu'elles-mêmes ne sont pas nécessairement au courant sur le droit. C'est pour ça qu'on a un travail très important d'éducation au droit pour que les victimes sachent qu'elles peuvent s'appuyer sur cet outil-là. Je ne dis pas que c'est simple : quand elles s'outillent, quand elles s'appuient sur cet outil-là, elles font face à des répercussions de diffamation, de dénonciation calomnieuse etc. – on le voit très bien avec les procédures en cours. Et par ailleurs, on voit aussi qu'un certain nombre de magistrats ou magistrates ont du mal à appliquer ce droit-là correctement, et ça rejoint ce qu'on avait déjà évoqué dans un autre entretien : il faut aussi que, derrière, les cours de justice, quel que soit le niveau – première instance, cours d'appel ou cour de cassation – sanctionnent très précisément ces violations. Il y a aussi le défenseur des Droits qui rend des décisions très intéressantes où il va justement rappeler que ça, c'est du sexisme. On peut aussi s'appuyer sur la Cour européenne des Droits de l'homme…
FS : Oui, j'ai vu ça, il y a eu un arrêt récemment…
CL : Absolument, c'est très intéressant, et la France est condamnée. On a 8 affaires en cours devant la Cour européenne des Droits de l'homme, et il y en a plusieurs qui vont être jugées en 2024 [1]. On peut espérer que ça va être ce qu'on appelle un arrêt-pilote, c'est-à-dire qu'il y a 8 affaires qui portent plus ou moins sur le viol ou sur des affaires qui relèvent de la culture du viol que les magistrats français n'ont pas retenues et on espère que la Cour européenne des Droits de l'homme va rassembler ces affaires, prendre tous leurs points communs et dire à la France : « vous n'appliquez pas le droit lié à la Convention des Droits de l'homme et à la Convention d'Istanbul (puisque le DH s'appuie sur la Convention d'Istanbul). Et va produire une belle condamnation de la France. Pour le moment, on est dans les allers-retours entre le gouvernement français et les plaignantes mais ces recours convergents à la Cour européenne des Droits de l'homme sont très intéressants.
FS : On aurait un peu un effet jurisprudence, avec un tel arrêt ?
CL : Absolument. Si l'on arrive à avoir cet arrêt-pilote, il y aura forcément des condamnations. Dans ces affaires, il y a l'affaire du Quai d'Orsay, il y a l'affaire de Julie, et il y en a d'autres qui n'ont pas été médiatisées, il y a deux affaires qui sont suivies par l'AVFT, qui sont graves, qui sont importantes. Je ne peux pas imaginer que la France ne soit pas condamnée sur au moins la moitié de ces affaires. Et si la France et condamnée, le ministère pourra faire quelque chose derrière.
Pour revenir plus précisément à votre question sur ces représentations sociales qui ne bougent pas, on a eu récemment le rapport du HCE sur le sexisme en France qui note une régression, et c'est normal qu'il y ait une régression quand on ne se donne pas les moyens – et quand je dis on, c'est l'Etat – de lutter contre ça. Et si on ne se donne pas les moyens de lutter, alors qu'on sait que le mouvement masculiniste s'est organisé, que les jeunes ont de plus en plus accès à la pornographie, de plus en plus jeune, ce qui a un effet absolument dramatique sur les représentations sociales, sur les relations filles-garçons – on le voit avec l'affaire French bukake, avec l'affaire Jackie et Michel et avec les deux rapports qu'il y a eu sur la pornographie. On sait que ça a un impact dramatique, délétère sur les représentations sociales, et on continue de faire comme s'il n'y avait pas une urgence, comme si le bateau n'était pas en train de couler. Et là, il y a une responsabilité de l'Etat français qui ne fait rien et qui je l'espère va être pointée aussi au niveau national, par le GREVIO ou le comité CEDEF par exemple.
FS : Les situations de harcèlement sexuel prolongées, outre le stress chronique qu'elles produisent, et les maladies psychosomatiques qu'elles entraînent, sont aussi préjudiciables à l'emploi et à la carrière des femmes harcelées : soit elles démissionnent, soit elles sont mutées ou placardisées si elles dénoncent. Vos commentaires ?
CL : D'abord il faut souligner que les conséquences sur la santé existent indépendamment des réactions de l'entreprise. Ces conséquences sont les mêmes que celles des autres violences masculines sur les femmes, des violences sexuelles en particulier. Il y a aussi les conséquences sociales qui sont aussi similaires à celles des violences sexuelles, et il y a les conséquences plus spécifiques dans le domaine du travail. Pour l'instant – c'est quand même un peu en train de changer, ça s'améliore – parce que là, les entreprises ont été sanctionnées. Et elles savent que si elles mettent au placard, licencient ou contraignent à la démission avec des procédures de rupture conventionnelle, elles vont être condamnées par le Conseil des prud'hommes, par la Cour d'appel, et puis ensuite par la chambre sociale de la Cour de cassation. La chambre sociale de la Cour de cassation rend des décisions meilleures que la chambre criminelle de la Cour de cassation, c'est le volet droit du travail versus le volet droit pénal.
Le droit du travail, c'est celui qui condamne l'entreprise qui n'a pas fait ce qui fallait. Il y a encore des entreprises qui continuent à faire porter le coût du dévoilement des violences par la victime, et non pas sur l'auteur des violences, c'est-à-dire que ce n'est pas l'auteur qui va être licencié parce que, comme c'est souvent l'agresseur qui est en position de supériorité hiérarchique, ça coûte plus cher de licencier l'agresseur, le harceleur, que la salariée qui est dans une position hiérarchiquement inférieure. C'est une question de coût économique : on va regarder ce qui coûte le plus cher, et évidemment c'est celui qui a le plus d'ancienneté et un poste plus élevé parce que les indemnités coûtent plus cher. Donc l'entreprise va faire un calcul très cynique de coût du licenciement mais derrière, l'entreprise peut être condamnée en raison du choix qu'elle a fait. Le problème c'est que Monsieur Macron a limité le montant des indemnités, normalement pas pour le harcèlement ou la discrimination liée au harcèlement mais on est quand même dans une culture de « c'est une affaire d'honneur, la salariée ne peut pas demander de l'argent pour ça ». On a ces limites sur la reconnaissance des conséquences qu'elle a subies. Or ces conséquences sont très élevées, et quand on met bout à bout tout ce que le harcèlement sexuel lui coûte – pour ne rester qu'au niveau du harcèlement, parce que souvent il y a agression sexuelle – si l'on considère tout ce que ça coûte–parce que souvent, après une agression, il y a le coût d'un suivi psychologique, et c'est très cher si l'on a recours à des professionnels qui sont formés sur ces questions-là : c'est au minimum 50 Euros la séance à raison d'une séance par semaine. Et pour des professionnels vraiment compétents formés spécifiquement – et à juste titre, ce n'est pas une critique –, le coût des séances est beaucoup plus élevé, et ce n'est pas pris en charge par la Sécurité sociale sauf si c'est un psychiatre.
Ce qui serait normal – c'est une revendication à envisager – c'est que les séances psys soient prises en charge par la Sécu et soient remboursées par l'entreprise quand elle est déclarée responsable. Normalement, c'est la réparation intégrale du préjudice subi. Si c'est la Sécu qui prend en charge, derrière on sait que l'entreprise peut prendre en charge le coût Sécu. On le fait déjà pour les accidents du travail, donc ça devrait être pris en compte aussi en la matière. Le problème, c'est qu'on ne s'est pas encore donné les moyens de le faire parce que ça serait un coût énorme pour les entreprises, et que les intérêts des entreprises sont encore assez protégés par le gouvernement. Donc ces coûts, c'est comme pour la prévention ; si ils étaient véritablement portés par les personnes, par les institutions qui sont censées les porter – les entreprises et les administrations – celles-ci se diraient : « ça coûte si cher que ça de n'avoir rien fait, ou d'avoir soutenu l'agresseur, ou de ne pas avoir permis à la victime d'être prise en charge tout de suite », et elles mèneraient des politiques différentes, les salarié.es victimes seraient mieux pris.es en charge, et le coût serait moindre. A chaque fois, il faut se demander : « comment est-ce qu'on pourrait faire différemment, pour que le coût ne soit pas porté par la victime mais par l'agresseur et les institutions ? » Quand on pose la question comme ça, quand on change de regard, on se rend compte qu'on ne s'est pas du tout donné les moyens pour que le coût ne soit pas porté par les femmes.
FS : Le contrôle coercitif des femmes dans le couple (espionner les mouvements de la femme, son téléphone, la suivre, sélectionner et restreindre ses contacts, etc.) est encore souvent interprété comme une preuve d'amour. Vos commentaires ?
CL : Le contrôle coercitif est une notion nouvelle qui n'était pas utilisée jusqu'à ces trois dernières années, qui vient des Etats-Unis et d'Angleterre, et qui est très intéressante pour montrer la diversité des formes du contrôle des hommes violents sur leur compagne, mariées ou pas mariées, quelle que soit la forme de conjugalité. Dans le violentomètre, qui est un outil très intéressant pour intervenir auprès des jeunes (je crois que c'est un outil qui a été créé par le Planning familial, en rapport avec la brochure « Les relations amoureuses, parlons-en », vieille brochure que je continue d'utiliser dans mes interventions avec les jeunes), il y a une question : « il regarde dans ton téléphone pour voir qui t'appelle ». Et on invite les jeunes à discuter : « est-ce que c'est normal, etc. » Et c'est vrai qu'il y a beaucoup de jeunes qui disent : « mais c'est parce qu'il m/t'aime ! » C'est aussi une question d'éducation – normalement, il y a trois séances par an, du primaire à la terminale, d'éducation à la vie affective et sexuelle et à la prévention des violences, selon la loi de 2001, et il y avait eu un rapport du HCE qui montrait bien qu'il n'y avait qu'une minorité d'établissements scolaires qui respectaient la loi. Quand je demande à un amphi de 200 élèves post-bac : « parmi vous, qui a reçu trois heures par an de cette éducation ? », j'ai une main qui se lève… On ne le fait pas, or ce sont ces séances-là qui vont permettre de déconstruire, de distinguer ce qui relève d'une relation amoureuse équilibrée, égalitaire respectueuse de l'autre, de ce qui relève des violences. Tout notre environnement social est dans la confusion et dans le mélange de ce qui relève d'une relation amoureuse ou sexuelle équilibrée, égalitaire de ce qui relève d'une situation de contrôle inacceptable. On est dans la confusion permanente, on regarde la télé-réalité, c'est l'horreur, on y fait passer pour de l'amour des relations qui relèvent en fait de la violence, les jeunes femmes y arrivent parce qu'elles sont vénales, parce que c'est une situation de compétition où il n'y a que de la trahison, aucune sororité, aucune solidarité. Sur les réseaux sociaux, c'est du même acabit, les rapports y sont effrayants.
Je reviens à la pornographie, « c'est normal que les femmes subissent ça, c'est une vraie femme », tous ces stéréotypes sur la féminité. Il y a très peu d'endroits où les jeunes, les jeunes filles, dès le plus jeune âge sont alerté.es sur le fait que ça, ce n'est pas de l'amour, c'est du contrôle. Et donc forcément, ils les véhiculent, parce que ce n'est pas à la maison qu'on en parle, parce que à la maison, iels peuvent témoins de situations de contrôle qui sont banalisées, et là encore ça rejoint ce que je disais plus haut : si on ne se donne pas les moyens, si l'on ne donne pas les moyens aux professionnels de déconstruire tout ça, on a une société où c'est normal pour les filles et c'est normal pour les garçons. Les garçons se conduisent comme des coqs, des petits rois, et ils n'entendent jamais « non ». Et c'est non seulement interdit par la loi mais ça ne permet pas une société d'égalité pour les filles et les garçons.
Et ça a un coût aussi pour les garçons qui voudraient ne pas se comporter comme ça : ils vont faire aussi l'objet de harcèlement scolaire parce qu'ils ne collent pas aux stéréotypes de la virilité dominante. Ils vont être des canards, ils vont être qualifiés dans les cours de récré, ils vont être accusés d'être des homosexuels, pas des vrais mecs, etc. Et certains le disent : j'ai fait une intervention devant des référents harcèlement entre la 6ème et la terminale, j'avais tous les âges, entre 11 ans et 17 ans, et je leur demandais : « pourquoi vous avez choisi d'être référent ? » Et c'était très touchant, il y avait à peu près la même proportion de filles et de garçons, et la moitié avait été victime de harcèlement. Les plus petits garçons n'arrivaient pas à dire exactement pourquoi ils avaient été victimes mais les grands le disaient très clairement : « moi j'étais de ces jeunes hommes qui refusaient de se battre, refusaient d'être violents avec les filles, et du coup j'étais identifié comme n'étant pas un mec normal » : la normalité est identifiée à la masculinité violente. Il y a une urgence à déconstruire tout ça, c'est au-delà d'une urgence en fait, c'est irresponsable, c'est criminel, délinquant de la part de l'Etat de ne pas le faire. On se prépare une génération qui va être extrêmement dangereuse pour les femmes, car biberonnés à la pornographie, c'est-à-dire à l'apprentissage de la normalité d'une sexualité violente. Et donc les jeunes femmes sont en danger.
Par ailleurs, les jeunes femmes aussi regardent la pornographie. Le plus souvent contraintes, et elles ne vont rencontrer que des jeunes hommes qui vont leur faire des demandes pornographiques, auxquelles elles ne savent pas qu'elles peuvent dire non puisque « tout le monde le fait ». Une majorité de jeunes considèrent que c'est normal et ils le disent aux jeunes filles. Je le vois dans les demandes que me font les jeunes filles : « madame, est-ce que c'est normal qu'on me demande ça ? » dans les interventions que je fais en milieu scolaire. Et je leur dis : « quand quelque chose te gêne, tu n'es jamais obligée de dire oui ». Et elles me disent « oui mais il va partir ». Et je leur dis « mais peut-être qu'il ne te mérite pas, peut-être que c'est toi qui peux le quitter parce que ce qu'il te demande là est tellement peu respectueux de qui tu es, donc ça n'est pas mal que tu le quittes ». Là, on est déjà dans une situation extrêmement inquiétante, et évidemment que ce n'est pas une preuve d'amour.
C'est à l'Etat de donner les moyens et d'outiller tous les professeurs pour traiter ce sujet-là, quotidiennement et à travers toutes les matières et de reprendre tous les propos sexistes entendus dans les cours de récré, en classe, en permanence. Qu'il y ait une circulaire qui soit envoyée à tous les professionnels de l'Education nationale, disant d'observer tous les comportements et d'alerter, avec des formations obligatoires pour tous les professionnels de l'Education nationale, avec des modules en ligne. Je suis en général peu favorable aux modules en ligne, je pense que ça devrait être une formation obligatoire en début d'année mais c'est bien d'être aussi être outillée avec des modules en ligne pour que, si jamais je suis confrontée à ces situations-là, je puisse me former en ligne. Sur le harcèlement, l'Education nationale a fait plutôt pas mal, avec le programme FAR, ils ont mis les moyens. Mais la loi date de 2022, c'est quand même dingue qu'on ait attendu jusque-là. Ca date d'un an et demi, alors que le harcèlement scolaire, on le connait depuis quinze ans au moins. Il faut que toute l'Education nationale se mette en ordre de bataille pour lutter contre ces réalités-là.
FS : Le caractère destructeur des violences conjugales physiques commence à être reconnu, mais l'impact destructeur des violences psychologiques est souvent ignoré ou minimisé. Quelles sont les différentes formes de ces violences psychologiques, et quel est leur impact sur les victimes ? Vous venez de parler du contrôle coercitif, mais est-ce qu'il y en a d'autres ?
CL : Le contrôle coercitif, ça regroupe toutes les formes de violence, pour moi c'est une infraction-chapeau des violences psychologiques dans toute leur diversité. Et pas seulement psychologiques…
FS : Les violences financières par exemple, est-ce que ça fait partie du contrôle coercitif ?
CL : Oui absolument. Pour moi l'éventail des violences psychologiques, il est infini parce que ça dépend de l'agresseur. Il y a celles qui sont bien identifiées dans la stratégie des agresseurs : il isole sa victime, il la nie, il la dénigre, etc., ça c'est connu depuis longtemps. On sait qu'il peut y avoir malheureusement une forme de raffinement, par exemple l'usage de la pornographie dans les relations, c'est aussi une forme de violence psychologique, c'est dénier l'intégrité de la personne. Je dis que l'éventail est infini parce qu'il peut y avoir des demandes ou des comportements qui dérivent de l'infini de l'imagination de l'agresseur. Et pour ce qui est de l'impact sur la victime, il s'agit d'une opération de destruction massive, qu'il s'agisse de violences psychologiques ou physiques. Les violences physiques, ça détruit mais ça laisse des traces, donc sur le plan de la preuve, c'est davantage reconnu quand les gendarmeries traitent ces violences, c'est clair pour elles : « oui, là il y a vraiment quelque chose ».
Alors que les violences psychologiques, ça demande une méthodologie un peu différente pour les caractériser, même si on sait les caractériser sur la base du faisceau de preuves. Mais c'est une méthodologie différente, et ça prend du temps parce qu'il faut laisser la femme parler parce que parfois les femmes elles-mêmes ne les ont pas forcément identifiées comme relevant de violences psychologiques. Parce que ça fait tellement longtemps qu'elles le vivent, ça prend du temps car il faut aller dans le détail de la vie intime : c'est « concrètement, décrivez-moi votre quotidien ». Et il faut accompagner les femmes dans le repérage et l'identification de ces violences, être capable de leur signaler que tel comportement n'est pas normal, que ça relève aussi d'une forme de violence.
Et derrière, il faut un accompagnement psychologique parce que, au fur et à mesure, les femmes vont découvrir que ça se passe partout, tout le temps… Certaines en sont parfaitement conscientes, mais parfois c'est une prise de conscience. Et parfois ça prend du temps d'accompagner cette prise de conscience. Et c'est pour ça que c'est important que la femme ne soit pas seule, qu'il y ait un suivi, un cercle de soutien et de solidarité autour d'elle. Où chacun a un rôle à jouer—la police et la gendarmerie ont un rôle à jouer. Les associations – c'est super-important qu'elles soient accompagnées par des associations solidaires, par des bons psys, par un bon médecin traitant, par un entourage familial et amical soutenant, et c'est quand la victime a tout ça qu'elle va pouvoir se reconstruire plus rapidement. Parce là, c'est la société qui dit : « tu as bien fait de dénoncer » et qui va rompre la solitude organisée par l'agresseur. Et ce cercle de soutien, malheureusement, on a encore du mal à le mettre en place. Parce que la victime a été tellement bien isolée qu'elle n'a plus de cercle de soutien, en général la famille lui a tourné le dos – là je parle plus particulièrement des violences conjugales.
En général, elle n'a plus de boulot parce que son mari lui as dit « ma chérie, occupe-toi des enfants, je serais ravi de m'occuper de toi blablabla ». Et donc elle a perdu un cercle de soutien précieux, celui des collègues de travail. Tout ça est à reconstruire, et c'est tellement difficile de demander de l'aide quand on pense qu'on ne vaut rien – c'est ce que lui a mis en tête son mari. Et c'est humiliant aussi. Le discours de l'agresseur étant très bien intégré, l'impact de ces paroles est destructeur pour les victimes. Cet impact est omniprésent, il touche tous les aspects de la vie de la femme, et il est difficile à déconstruire. Ca peut se faire mais ça demande une bonne méthodologie et une bonne organisation sociale. Ca demande aussi — et j'y reviens dans toutes mes formations — que nous réalisions que, en tant que citoyens et citoyennes, on a le pouvoir d'être à l'écoute et de soutenir les personnes qui sont victimes. A la fin de ces formations, je demande souvent : « de quel côté vous êtes ? Est-ce que vous êtes du côté des agresseurs et du côté des institutions qui n'entendent pas ? Ou est-ce que vous allez être du côté de la solidarité avec la victime ? » Maintenant, vous avez les outils, maintenant vous avez les lunettes qui permettent de repérer les personnes qui sont victimes, pour pouvoir être en soutien, en solidarité avec ces personnes-là.
FS : L'impact du cyberharcèlement est aussi souvent minimisé. Quelle est la définition légale du harcèlement, quelles sont ses principales formes, comment réagissent les victimes et quel est son impact sur elles ? Et aussi qui sont les personnes qui cyberharcèlent – qui sont majoritairement des hommes–et quelles sont leurs motivations ?
CL : Le harcèlement, c'est partout, c'est sur les réseaux sociaux…
FS : Mais spécifiquement, le cyberharcèlement…
CL : Sur les réseaux sociaux, c'est une forme essentielle de cyberharcèlement. Ce qui est intéressant, c'est que le droit s'est adapté pour le prendre en compte, par exemple pour le harcèlement de meute qui a fait l'objet d'un changement de la législation (je crois en 2018). Comme la définition légale du harcèlement implique la répétition, dans le cas du harcèlement en ligne, il y avait des harceleurs qui disaient : « ah mais pour qu'il y ait harcèlement, il faut qu'il y ait répétition, mais moi je ne l'ai fait qu'une seule fois, j'ai mis un seul message sur un site donc je ne peux pas être poursuivi ». Le législateur a pris en compte cette forme de délinquance, donc maintenant peu importe, il y a deux éléments qui ont été rajoutés, et si cette personne a déjà été fait l'objet de harcèlement, ça suffira a constituer le délit de harcèlement. Donc à partir du moment où il y a concertation, et même si on ne l'a fait qu'une seule fois mais que plusieurs l'ont fait, ça sera aussi du cyberharcèlement. Ca veut dire que, en fait, le harcèlement est constitué assez rapidement en droit. Simplement, il faut qu'il y ait une plainte et puis derrière une enquête—et ça on l'a vu avec des affaires en cours où il y a eu une condamnation, mais pour une condamnation, il y a des milliers d'autres affaires qui n'aboutissent pas parce que la police ne fait pas les recherches, ne remonte pas sur les sites.
Le cyberharcèlement, c'est tellement massif qu'il faudrait multiplier par 100 le nombre des policiers qui s'en occupent. Quant à l'impact sur les victimes… Dans mon livre, à la fin, je mets un lien vers des streameuses qui ont poursuivi [2]. On voit l'impact que ça a sur elles, et on voit à quel point c'est difficile de dénoncer. Ca peut prendre des formes extrêmement graves, ce sont des menaces de mort, des menaces de viol. Pour certaines victimes, même en s'étant coupées de tous les réseaux sociaux, en arrêtant complètement d'y intervenir, ça continue quand même ; pour l'une d'elle, c'est l'adresse de l'école de son fils qui a été outée en ligne. Là aussi, ce sont des méthodes terroristes, on livre des informations privées à la vindicte sur les réseaux sociaux, et on peut tomber sur des gens qui, avec ces informations, peuvent passer à l'acte, sur des déséquilibrés, c'est une irresponsabilité incroyable de laisser faire ça. Qu'est-ce qu'on attend ? Qu'un déséquilibré passe à l'acte ? On a vu des incels qui sont passés à l'acte, notamment au Canada et ça a conduit à des morts. Si l'on prend la mesure de la gravité de ces agissements, est-ce que l'Etat s'est donné les moyens pour agir face à ça ? L'impact sur les victimes est énorme. On sait qu'on n'est pas à l'abri d'un homme extrêmement dangereux. Et ce n'est pas forcément un déséquilibré, ça peut être un masculiniste très convaincu qui considère qu'il faut remettre les femmes à leur place…
FS : C'est dangereux en particulier dans la mesure où il y a outing, c'est à dire que toutes sortes de détails personnels sont divulgués en ligne : votre adresse, votre lieu de travail etc.
CL : Absolument. Quand cela se produit, j'estime que l'Etat devrait se donner les moyens de façon à ce qu'il y ait poursuite immédiate. Quand on pense à Marc Lépine, l'auteur du massacre de l'Ecole polytechnique à Montréal, on considère qu'il était fou. Non, il n'était pas fou du tout. Il était juste politiquement très dangereux, et malheureusement, ça s'est vérifié. On devrait prendre au sérieux ces menaces-là. C'est comme pour les féminicides et les violences conjugales, souvent les auteurs ont dit qu'ils allaient la tuer…
FS : Généralement, oui…
CL : Et ça se vérifie. Le nombre de féminicides où il y a eu des menaces de mort qui ont été proférées et où ça n'a pas été pris au sérieux, ou insuffisamment. Si ça avait été pris en compte, ces femmes seraient encore vivantes.
FS : Bien sûr.
CL : Donc là, ce sont des actions pour responsabiliser l'Etat qu'il faut mener, et évidemment, on ne va pas le demander aux femmes concernées, elles ont déjà leur sécurité à assurer mais ça pourrait être mené par des collectifs féministes, par des associations. Quand on voit des procédures qui durent 5 ans, 6 ans, 7 ans, alors qu'on a toutes les preuves, ce n'est pas acceptable. Pendant tout ce temps-là, c'est la femme qui doit vivre avec cette procédure en permanence, dans un coin de sa tête, donc qui ne vit pas en fait, qui ne vit pas bien.
FS : La loi sur le harcèlement stipule qu'il faut qu'il y ait « répétition » pour que le fait de harcèlement soit établi. Qu'est-ce que ça implique concrètement pour la victime ?
CL : Sur la répétition, la circulaire d'application de la loi de 2012 dit bien qu'il suffit de deux fois, même espacées d'une seconde, donc le magistrat a été instruit par l'Etat avec cette circulaire, sur le fait qu'il faut la reconnaître très rapidement. Par exemple, un propos sexiste qui est répété deux fois dans la journée, ça suffit. En fait, cette exigence de répétition est constituée très rapidement, contrairement à ce que pourraient penser un certain nombre de harceleurs.
FS : Ok, c'est intéressant à savoir, je pensais que c'était plus difficile à constituer.
CL : Oui, c'est important. Par exemple, le gars qui va faire un premier commentaire, il va prendre un « non » de la part de la victime, et il va insister : « hein, tu veux bien, hein tu veux bien ». Ca y est, la répétition est constituée. Il a refait son commentaire une deuxième fois. Là où il y a un vrai problème, c'est que c'est toujours le discours des agresseurs et de leurs avocats qui prédomine. Et ils disent évidemment « mais non, là, ce n'est pas répété ». En fait, quand on regarde du côté des victimes et de leurs avocats, c'est évident que c'est répété mais ce n'est pas ça qui est entendu. Il y a toute une culture à avoir, il faut qu'on se passe des trucs entre nous. Parce qu'on a obtenu quand même des bonnes décisions mais ce n'est pas ça qui est connu, c'est le discours de l'agresseur qui continue d'être véhiculé. Il faudrait peut-être faire des vignettes pour que les victimes sachent et pour outiller les avocat.es des victimes.
FS : Que répondez-vous à celleux qui disent aux personnes harcelées : « moi à ta place, j'aurais fait… » et quel comportement les victimes de harcèlement devraient-elles adopter pour s'en sortir le mieux possible ?
CL : Le « moi à ta place… », c'est souvent véhiculé par des femmes. Les hommes ne se mettent pas à la place, et ils se doutent bien que c'est plus compliqué que ça. Souvent, ils sont dans l'expectative, ils restent cois. Pourquoi est-ce que les femmes disent ça ? Je pense que c'est un mécanisme de protection, elles se rassurent en disant que si ça leur arrivait, en fait ça ne leur arriverait pas parce qu'elles sauraient réagir. Comment on éduque les femmes à la solidarité plutôt qu'à la désolidarisation des femmes victimes ? On sait – il y a eu des études scientifiques sur ce sujet – que dans l'immense majorité des cas, les personnes victimes de violences sexuelles sont plongées dans un état de sidération qui les rend incapables de réagir. Donc comment on rend ces études accessibles au grand public ? C'est intéressant de voir l'évolution des campagnes publiques. Il y a eu une campagne publique sur les violences conjugales qui disait : « réagissez, parlez, brisez le silence ! » C'est facile à faire, les injonctions mais elles sont très difficilement audibles pour les victimes.
Et si on faisait une campagne : « vous avez été victime, vous n'avez pas pu réagir, c'est normal ». Tout d'un coup, on casserait ce stéréotype de « c'est à la victime de réagir ». Sauf que, si on cassait ce stéréotype, on casserait aussi toutes les questions des policiers, des gendarmes et des magistrats : « mais pourquoi vous n'avez pas crié ? » On a encore ces questions-là dans les procédures. La question de la réaction, il faudrait la poser très différemment : « comment est-ce que vous avez pu réagir à ce moment-là ? » « Je n'ai pas pu madame, je n'ai pas pu crier, j'étais tétanisée ». Et à ce moment-là, on peut dire : « mais madame, c'est normal ». Et on peut déconstruire ce stéréotype des victimes qui n'ont pas réagi. Par ailleurs, quand on entend ça et qu'on pose la question : « comment est-ce que vous avez pu réagir ? », il y en a beaucoup qui n'ont pas pu réagir mais il y a aussi toutes les stratégies d'évitement qui vont être valorisées : « j'ai changé mes horaires de travail, etc. » En fait, elles font plein de choses. Dans mon livre, je commence par dire que les femmes disent non et qu'en fait, elles réagissent. Simplement, l'agresseur, il n'en a strictement rien à faire. Face au « moi à ta place… », je dirais qu'on n'est jamais à la place des victimes, on ne sait jamais comment on va réagir. Quel comportement la victime devrait adopter pour s'en sortir le mieux possible ? Ce qu'elles font, c'est déjà énorme et elles le font très bien.
FS : Ne pas rester seules, chercher de l'aide autant que possible ? C'est aussi une injonction, j'en suis consciente…
CL : Etre convaincue que le silence profite à l'agresseur, et ensuite s'adresser aux associations, tout de suite, ne pas attendre. Et faire confiance à leur intuition. C'est particulièrement vrai dans le milieu du travail, où il y a une dégradation, où ça devient de plus en plus violent. Et les femmes ne font pas confiance à leur intuition. Parce que d'emblée, elles ne sont pas à l'aise, parce qu'il y a toute une injonction sociale qui va leur dire « mais ce n'est pas si grave, c'est une blague, allez, c'est juste quelqu'un de fruste etc. » Et c'est quand ça s'aggrave qu'elles vont se dire, « là, ça ne va pas ». Alors que si on fait confiance à ses intuitions et si d'emblée on dit que ce n'est pas normal et que d'emblée on ne reste pas seule face à ça : tout de suite il faut en parler en interne à des collègues de travail, en parler aux syndicats et aux représentants du personnel, en parler au médecin du travail, en parler en externe à l'Inspection du travail, en parler aux associations. Déjà, on va dé-serrer l'étau que l'agresseur commence à installer. On va prendre de la force pour aller voir l'agresseur et lui dire : « tu m'as dit ça, je ne suis pas d'accord avec ça, et je te préviens, je te demande de ne pas en reparler, et je te dis tout de suite que j'en ai parlé à l'extérieur donc sache je suis maintenant sous le radar ». Et là l'agresseur, je mets ma main au feu qu'il va s'arrêter de harceler. Ca peut prendre une autre forme – harcèlement moral, mise au placard etc. – s'il a le pouvoir mais à ce moment-là, on pourra faire le lien, il y aura un lien de causalité, on pourra voir que jusqu'à présent tout allait très bien, et comme par hasard, quelques jours après le jour où on a dénoncé les faits, ça va se transformer en harcèlement, ou la femme n'aura pas sa formation, ou elle aura un changement de ses horaires de travail etc. Et ça ne pourra pas passer.
Le conseil, c'est de ne pas rester seule, faire confiance à ses intuitions. Et d'emblée, tout de suite, dire au harceleur ou à l'agresseur : « attention, je t'ai à l'œil » et puis après en parler à son entourage le plus possible. Et tenir un cahier, un récit écrit de ce qui se passe. Tout de suite. Et éventuellement déposer plainte tout de suite.
FS : Parce qu'il y a évidemment la question de la prescription qui est un gros problème.
CL : Oui, c'est un gros problème. Je milite pour l'imprescribilité des infractions contre les personnes, contre les biens je m'en fiche un peu mais pour les personnes majeures ou mineures, pour moi, la prescription, c'est un non-sens. Il faut continuer la lutte pour abolir cette prescription. Le fait qu'elle ait été rallongée à 6 ans pour les délits, ça permet quand même de couvrir davantage de plaintes, on a quand même doublé la prescription mais avant, 3 ans, c'était lamentable : on le voyait dans les affaires sur le lieu de travail : tant qu'elle était au travail, elle ne pouvait pas dénoncer de peur de perdre son travail – il y a peu de personnes qui peuvent se permettre de perdre leur travail. Après, elles dénonçaient quand elles avaient quitté leur travail et en avaient retrouvé un autre, mais le temps qu'elles se reconstruisent dans un autre travail, c'était 2 ans ou 3 ans, ça passait très rapidement, et il y avait prescription. Au bout de 6 ans, c'est tout de même un peu mieux, mais quand bien même ça va un peu mieux, c'est une question de principe, et c'est inacceptable.
[1] https://www.mediapart.fr/journal/international/030324/traitement-judiciaire-du-viol-huit-femmes-veulent-voir-la-france-condamnee-par-la-cedh#:~:text=En%202022%20et%202023%2C%20la,est%20d'une%20ampleur%20in%C3%A9dite.
[2] https://www.radiofrance.fr/franceinter/cyber-harcelement-des-streameuses-comment-les-joueuses-contre-attaquent-2391568
https://revolutionfeministe.wordpress.com/2024/03/31/harcelement-le-silence-profite-a-lagresseur/
De l'autrice
VIOL ET JUSTICE : des victimes présumées consentantes. Interview de Catherine Le Magueresse par Francine Sporenda
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/02/05/viol-et-justice-des-victimes-presumees-consentantes/
Note de lecture : Les pièges du consentement : Briser l'infamant carcan de la présomption de consentement qui pèse sur les victimes
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2021/11/24/briser-linfamant-carcan-de-la-presomption-de-consentement-qui-pese-sur-les-victimes/
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Soudan : Par-delà la guerre, l’épuration ethnique

Le conflit entre les Forces Armées Soudanaises (FAS) dirigées par Abdelfattah Al Burhane et les Forces de Soutien Rapide (FSR) de Mohammad Dagolo, dit Hemedti, entre dans sa deuxième année, sans que la situation ne soit tranchée en faveur de l'un ou de l'autre des belligérants.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière.
L'avancée des FSR était toutefois inattendue, compte tenu de leur absence d'aviation. Mais entretemps, les soutiens internationaux se sont multipliés pour les deux camps [1]. Et les FSR se sont notoirement enrichis matériellement en même temps que leurs soutiens ou contacts internationaux se diversifiaient [2]. Le conflit a sabordé la plus prodigieuse expérience révolutionnaire de la région et a entraîné une catastrophe humanitaire.
Plus de neuf millions de personnes ont été déplacées à l'intérieur et à l'extérieur du Soudan depuis le 15 avril 2023, dont quatre millions d'enfants. Il s'agit de l'une des plus grandes crises de déplacement interne au monde. Quelque dix-huit millions de personnes sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë, le pays étant en passe de devenir le théâtre de la plus grande crise alimentaire au monde.
En parallèle du conflit, se mène la guerre des FSR contre les Massalit, au Darfour Ouest. La chronologie des attaques menées par les RSF, leur finalité, leurs moyens, révèle que ces dernières n'ont rien à voir avec le conflit inter généraux, mais relèvent de considérants ethniques et économiques. Il semblerait qu'en cas de partition du pays, pendant ou à la suite du conflit, les forces de Hemedti se prépareraient à prendre le pouvoir sur une zone à hégémonie arabe. Les RSF ne sont plus exactement les miliciens janjaweed, – même si au niveau des populations, l'appellation de janjaweed s'est maintenue –, chameliers, mais viennent à bord de pickup et sont armés mitraillettes et de drones, à défaut d'aviation. Ils disposent des richesses aurifères via la société El Gunaid et de sociétés, ainsi que de leurs alliés : Wagner, Émirats Arabes Unis, entre autres.
Les populations non arabes de cette zone avaient déjà été massacrées par les milices janjaweed (ancêtre des FSR) entre 2003 et 2020, à savoir les Fours, les Massalit et les Zaghawa. Cela avait conduit la Cour Pénale Internationale (CPI) à inculper plusieurs personnes, dont l'ex-président Omar El Béchir pour crimes contre l'humanité, transferts forcés et tortures. Ces crimes s'étaient soldés par la mort de 300 000 personnes. En 2010, la CPI a émis un acte d'accusation contre Omar El Béchir et six autres suspects pour génocide. Aucun d'eux n'a été arrêté à ce jour, Khartoum n'ayant jamais remis à la CPI les personnes recherchées. Pire, certains d'entre eux, emprisonnés au Soudan, se sont évadés, un autre est décédé. Or la CPI ne juge pas les personnes en leur absence. Un seul, Ali Muhammad Ali Abd-Al-Rahman, dit Ali Kushayb, s'est rendu à la Cour en République Centre Africaine en 2020 et est détenu à La Haye. Son procès s'est ouvert en 2022.
Environ 360 000 réfugiés du Darfour se trouvaient dans des camps au Tchad quand le conflit de 2023 a éclaté. Les forces des FSR ont continué leurs attaques contre les Massalit. Car au Darfour occidental, le conflit ne se mène pas entre les FAS et les FSR, mais il s'agit d'une attaque des FSR contre les Massalit, entre autres peuples non arabes.
Le 30 décembre 2019 et le 16 janvier 2021, soit avant la guerre des généraux, des miliciens arabes et des éléments des FSR attaquent le camp de Kirinding, majoritairement peuplé de déplacés Massalit, faisant respectivement 45 et 150 morts, alors que la mission de l'ONU était encore présente. En 2021, le camp est rasé. Les rescapés s'enfuient vers de nouveaux camps à El Geneïna, capitale du Darfour occidental.
Le 24 avril 2022, un an avant la guerre opposant les FAS et les FSR, Kreineik, ou vivent nombre de Massalit, est attaqué par les FSR, lors d'un raid qui a tué plus de 200 personnes, dont des enfants et des personnes âgées. Presque toutes les maisons de la ville (à 80 km à l'ouest de El Geneïna) ont été brûlées, le bétail est décimé. Plus de 20 000 personnes s'enfuient. [3]
Ainsi, l'épuration ethnique des Massalits avait commencé avant la guerre et elle va se poursuivre à l'ombre de cette dernière, l'objectif restant pour les FSR et les milices arabes qui leur sont alliées, essentiellement nomades de prendre possession des terres des Massalits, majoritairement agriculteurs. Les meurtres et viols se doublent d'une pratique de la terre brûlée, destinée à empêcher tout retour.
Fin avril 2023, les FSR et des milices arabes alliées fondent sur El Geneïna où entre 10 000 et 15 000 Massalit auraient été tués, y compris des notables et des responsables. [4]
28 mai 2023, les FSR exécutent 28 massalit dans la ville de Misterei, pillent et brûlent la majeure partie de la ville et six autres villages au Darfour dont Molle, Murnei et Gokor ont été incendiés. 17 000 réfugiés de Misterei sont au Tchad.
Vers le 1er novembre 2023, les FSR attaquent la base de l'armée à Ardamata (banlieue de Geneina) et les massacres s'intensifient après la prise de cette dernière. Femmes et hommes et enfants massalit sont pris pour cibles ainsi que d'autres membres de tribus non arabes. Des civils sont exécutés sommairement chez eux ou dans les rues lorsqu'ils tentaient de fuir. Se concentrant sur les camps de déplacés d'Ardamata et de Dorti, et sur le quartier d'Al-Kabri habité par les Massalit, les FSR et ses milices alliées auraient pillé des maisons, torturé des personnes et exécuté nombre d'entre elles puis abandonné leurs corps dans la rue. Plus de 800 personnes auraient été tuées à Ardamata [5], 1300 si l'on compte ceux qui ont été tués alors qu'ils s'enfuyaient et 8000 ont fui au Tchad.
Ces données chiffrées sont fournies à titre indicatif, et sont évolutives. Elles ne prennent pas en compte toutes les personnes entassées dans les fosses communes, qui n'ont pas encore toutes été découvertes, et, surtout, ne prennent pas en compte les nombres de femmes violées en masse, évidemment impossibles à décompter.
La CPI enquête sur les crimes commis au Darfour à partir des années 2002 sans qu'aucune date de fin n'ait été arrêtée et le procureur de la Cour, Karim Khan, l'a réaffirmé le juillet 2023, après avoir été saisi de nouvelles allégations de crimes contre l'humanité dans cette région.
Notes
[1] Soudan, le nœud coulant | L'Anticapitaliste.
[2] Un chef janjawid visite le mémorial du génocide rwandais (sudanwarmonitor.com)
[3] Kreinik town today is a burned-out spectre after the attack that happened last year | MEDECINS SANS FRONTIERES - MIDDLE EAST (msf-me.org)
[4] Ethnic killings in one Sudan city left up to 15,000 dead, UN report says | Reuters
[5] UNHCR warns of increasing violence and human rights violations against civilians in Darfur | UNHCR
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Comment les défenseurs des droits soudanais risquent leur vie pour documenter la guerre

Les groupes de la société civile soudanaise jouent un rôle central dans la documentation des violations des droits humains commises pendant 10 mois de conflit, alors même que les volontaires risquent d'être arrêtés par les parties belligérantes et sont aux prises avec une coupure d'Internet qui dure un mois.
Tiré d'Afrique en lutte.
Des groupes de jeunes, des associations juridiques et des civils agissant à titre personnel ont tous été impliqués dans l'inventaire des impacts sur les droits humains du conflit qui a débuté en avril 2023 et oppose l'armée aux forces paramilitaires de soutien rapide (RSF).
« La documentation est une voie vers la justice », a déclaré à The New Humanitarian Noon Kashkoush, d'Emergency Lawyers, un groupe juridique qui surveille les abus. Elle a déclaré qu'elle espérait que les preuves rassemblées par son groupe seraient un jour utilisées par le système judiciaire soudanais.
Le conflit au Soudan a été déclenché par un désaccord sur le projet de fusion des RSF dans l'armée. Cependant, la guerre fait écho à une lutte plus longue entre les élites militaires et politiques issues de groupes basés au centre et les challengers des périphéries marginalisées.
La lutte pour le pouvoir a provoqué la plus grande crise de déplacement au monde, déracinant plus de huit millions de personnes, et menace également de déclencher la plus grande crise alimentaire . Les appels lancés la semaine dernière par le Conseil de sécurité de l'ONU en faveur d'une trêve pendant le Ramadan ont été rejetés par l'armée.
Les difficultés d'accès pour les agences d'aide internationale signifient que les groupes locaux d'entraide ont assumé la majeure partie des efforts de secours dans les endroits les plus touchés par le conflit. De même, les initiatives de la société civile ont porté la charge de la documentation sur les droits de l'homme.
Malgré la situation sécuritaire volatile, des groupes locaux ont mené des efforts pour documenter les violences sexuelles et les meurtres, surveiller les violations du cessez-le-feu, retrouver les personnes disparues et rendre compte des sites de détention de fortune gérés à la fois par l'armée et les RSF.
Les conclusions de ces groupes de la société civile ont alimenté de nombreux rapports sur les droits de l'homme, notamment un rapport détaillé publié le mois dernier par l'ONU, qui accuse les deux parties au conflit d'avoir commis des abus généralisés, dont certains pourraient constituer des crimes de guerre.
Le rapport accuse les combattants de RSF d'occuper des immeubles résidentiels pour se protéger des attaques de l'armée, d'avoir massacré des milliers de personnes dans la région du Darfour et de commettre de nombreux abus sexuels, notamment des cas de viols et de viols collectifs.
De son côté, l'armée est accusée d'avoir tué plus de 100 civils dans des frappes aériennes qui visaient ostensiblement les positions de RSF mais menées dans des zones urbaines densément peuplées ou contre des bâtiments publics, notamment des églises et des hôpitaux.
Le rapport documente également les attaques contre les défenseurs des droits humains. Il indique que des militants ont été kidnappés et ont fait l'objet de menaces de mort et de campagnes de diffamation organisées par des partisans de l'armée, tandis que plusieurs observateurs des droits de l'homme au Darfour ont été tués par les RSF.
Avocats bénévoles et groupes de jeunes
De nombreux groupes documentant les violations des droits ont été actifs lors de la révolution soudanaise de 2018-2019 qui a renversé le dictateur Omar al-Bashir, et lors des manifestations qui ont suivi le coup d'État de 2021 entre l'armée et les RSF qui a mis fin à la transition démocratique post-Bashir.
Avant la guerre, le groupe Emergency Lawyers fournissait une assistance juridique aux familles de manifestants et militants pro-démocratie qui avaient été arbitrairement arrêtés, torturés ou tués par les forces de sécurité.
Kashkoush a déclaré que le groupe se concentre désormais sur les abus liés à la guerre, notamment le bombardement de zones civiles et de centres de détention mis en place par l'armée et RSF dans la capitale, Khartoum, et dans les villes voisines d'Omdurman et de Bahri.
Kashkoush a déclaré que la publication des rapports et des annonces du groupe avait contribué à obtenir la libération de centaines de détenus – dont certains appartenant au réseau des avocats d'urgence lui-même – même si elle a décrit de nombreuses difficultés.
- « Toutes ces violations documentées se heurtent au problème selon lequel les déplacements sur le terrain sont très difficiles », a-t-elle déclaré. « Nous dépendons beaucoup des [informations] open source, telles que les séquences vidéo, et nous nous efforçons de les vérifier à l'aide de déclarations de témoins. »
Un autre groupe impliqué dans la documentation des abus est le Youth Citizens Observers Network (YCON). Elle a été créée fin 2021 par des bénévoles souhaitant faire la lumière sur les violations commises contre des manifestants pro-démocratie et des militants de la société civile.
Après le déclenchement du conflit actuel, le réseau a relancé sa plateforme dans une position anti-guerre, selon l'un des bénévoles du groupe, qui a demandé à rester anonyme pour assurer sa sécurité.
Le volontaire a déclaré que YCON dispose d'observateurs à travers le Soudan et publie des rapports mensuels sur l'impact de la guerre et la situation des droits de l'homme. Il a également surveillé plusieurs trêves entre l'armée et les RSF qui ont été violées l'année dernière.
- « Dans n'importe quelle région, des observateurs civils formés aux méthodes de documentation et de vérification sont présents sur le terrain et disposent d'un réseau de connexions très étendu », a expliqué le volontaire. "Tout événement se produisant dans une zone spécifique, ils en seraient informés."
L'émission d'un homme d'affaires
Dans les cas où l'accès aux lieux touchés par les combats s'avère trop difficile pour les groupes de la société civile, les civils déjà sur le terrain ont pris l'initiative de documenter ce dont ils sont témoins et de publier des preuves sur les réseaux sociaux.
Lorsque les premiers affrontements entre les RSF et l'armée ont éclaté à Khartoum, Hassan Abd al-Rauf, un commerçant local qui dirigeait une agence de voyages et un magasin de vêtements pour hommes, s'est retrouvé pris dans l'épicentre.
Au lieu de s'enfuir ou de se conformer à un ordre des RSF ordonnant aux civils de quitter son quartier, al-Rauf a décidé de rester, de garder ses propriétés et d'offrir son aide à ceux qui avaient du mal à fuir.
En parcourant les rues désertes, al-Rauf a commencé à enregistrer des émissions en direct sur sa page Facebook. Ses images révélaient l'étendue des destructions et montraient des civils non armés qui avaient été tués dans des tirs croisés ou pris pour cible par des tireurs embusqués.
- « Lorsque j'ai commencé à diffuser des émissions, l'objectif était de connecter les gens avec ce qui se passait sur le terrain et d'envoyer des photos [des dégâts] aux propriétaires de la région », a déclaré al-Rauf dans une interview après avoir fui le Soudan pour y fuir le Soudan.
Deux semaines après le début des diffusions – qui ont enregistré des centaines de milliers de vues – les mises en ligne d'al-Rauf se sont soudainement arrêtées. Il a déclaré avoir été capturé par des combattants de RSF dans la capitale et détenu dans un centre de détention pendant 25 jours.
« [Les RSF] en étaient certainement au courant et c'est la raison de mon arrestation », a déclaré al-Rauf. « [Une de mes vidéos montrait] un certain nombre de véhicules des RSF après avoir dévalisé la banque de Khartoum et été touchés par des avions militaires. »
Menaces de sécurité et panne de communication
Le bénévole de YCON a déclaré que les membres de leur groupe ont été victimes de harcèlement et de menaces d'arrestation de la part des forces de sécurité alors qu'ils tentaient de se déplacer d'un endroit à l'autre pour documenter les violations.
Des menaces similaires ont également été décrites par Thouiba Hashim Galad, membre de Missing Initiative, un groupe local doté d'une plateforme permettant aux gens de publier des informations sur les personnes disparues. Le groupe possède une page Facebook avec des centaines de milliers de followers.
"Sur le plan personnel, je reçois des messages privés contenant des menaces et des propos très grossiers", a déclaré Galad. « Avant la guerre, [les autorités militaires] essayaient à plusieurs reprises de pirater notre page », a-t-elle ajouté.
En plus des risques sécuritaires, les volontaires ont déclaré à The New Humanitarian qu'ils étaient également aux prises avec une panne de communication à l'échelle nationale qui a commencé début février et qui a été imputée à RSF.
Kashkoush, du groupe Emergency Lawyers, a déclaré que son organisation n'est pas en mesure de recevoir des mises à jour quotidiennes sur les violations des droits humains, et qu'elle reçoit à la place une multitude de rapports pendant les brefs instants où elle dispose d'une connexion Internet.
Kashkoush a appelé à une enquête internationale sur cette panne, qu'elle a qualifiée de « violation constitutionnelle » et de « tentative délibérée de l'une ou des deux parties » de restreindre l'accès à l'information et de contrecarrer les efforts de documentation.
- « Une coupure prolongée d'Internet est synonyme de catastrophe humanitaire sur le terrain, car la majorité des civils présents dans les zones de combat dépendent entièrement des transferts bancaires mobiles pour survivre », a ajouté Kashkoush.
Le fardeau psychologique
Documenter les violations des droits a également eu un impact psychologique sur les volontaires, selon Galad de Missing Initiative, fondée en 2019 peu après que RSF a tué plus de 120 manifestants pro-démocratie lors d'un sit-in à Khartoum.
Galad, qui est actuellement bénévole pour l'initiative depuis l'extérieur du Soudan, a déclaré que l'aspect le plus difficile de son travail consiste à annoncer de mauvaises nouvelles aux familles lorsqu'elle apprend qu'une personne disparue a été retrouvée morte.
Au cours des premières semaines du conflit, la page Facebook de Missing Initiative a été inondée de demandes d'informations sur les personnes qui étaient sorties faire des courses ou du carburant et n'étaient pas revenues.
Entre avril et août 2023, Galad a déclaré que le groupe avait reçu plus de 600 signalements de personnes disparues. Elle a ajouté qu'ils ont arrêté de publier des statistiques lorsqu'ils ont réalisé que le nombre réel de cas était probablement bien supérieur à ceux qui leur étaient signalés.
Malgré les défis auxquels le groupe est confronté, Galad a déclaré au New Humanitarian qu'elle était déterminée à maintenir l'initiative en vie, d'autant plus que le conflit échappe à l'attention internationale.
"La principale raison pour laquelle je fais cela est parce que je suis un défenseur des droits de l'homme", a déclaré Galad. « Il s'agit d'une continuation du travail que nous avons commencé après le massacre [du sit-in de Khartoum en 2019], sur la base qu'à l'avenir, les deux parties seront tenues pour responsables. »
Le volontaire de YCON partage un point de vue similaire : « La motivation fondamentale qui nous permet de continuer à surveiller la situation… est que cela fournira des informations précises et enregistrées pour les institutions qui travailleront plus tard sur [la justice] ».
Ela Yokes, Photographe et journaliste basé entre Istanbul et Khartoum
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Le monde ignore la famine au Soudan ; 230 000 enfants et leurs mères pourraient mourir dans les mois qui viennent

Le Soudan est en passe de devenir la pire crise alimentaire au monde, selon les Nations Unies. Depuis plus d'un an, les combats entre l'armée soudanaise et les Forces de soutien rapide (VLU) ont perturbé le pays, déplaçant plus de 8 millions de personnes souffrant de la faim extrême dans les zones où les combats sont les plus intenses. L'augmentation de la demande intervient alors que l'appel de fonds de l'ONU de 2,7 milliards de dollars pour le Soudan est financé à moins de 5 %. Les financements se tarissent également au Tchad, où quelque 1,2 million de Soudanais ont trouvé refuge. « Il s'agit de la plus grande crise de mortalité de masse à laquelle nous sommes confrontés dans le monde et la plus importante à laquelle nous ayons probablement été confrontés depuis de nombreuses décennies », a déclaré Alex de Waal, auteur de Mass Starvation : The History and Future of Famine, qui déplore les coupes « choquantes » dans le Programme alimentaire mondial qui est essentiel au système mondial d'intervention d'urgence. « Si cela ne fonctionne pas, nous allons nous retrouver confrontés à des crises de mortalité de masse que nous n'avons tout simplement pas vues depuis un demi-siècle ou plus. »
25 mars 2024 | democracy now ! | Invité : Alex de Waal, directeur exécutif de la World Peace Foundation à l'Université Tufts.
https://www.democracynow.org/2024/3/25/sudan
AMY GOODMAN : Tournons-nous maintenant vers le Soudan, où environ la moitié de la population est devenue dépendante de l'aide alimentaire, alors que les Nations Unies avertissent que le pays déchiré par la guerre est en passe de devenir la pire crise alimentaire au monde.
EDEM WOSORNU : La malnutrition atteint des niveaux alarmants et fait déjà des victimes parmi les enfants. Un récent rapport de MSF a révélé qu'un enfant meurt toutes les deux heures dans le camp de Zamzam à El Fasher, au Darfour-Nord. Nos partenaires humanitaires estiment que dans les semaines et les mois à venir, environ 222 000 enfants pourraient mourir de malnutrition. L'OMS estime que plus de 70 % des établissements de santé ne sont pas fonctionnels.
AMY GOODMAN : Le conflit entre l'armée soudanaise et les Forces de soutien rapide (RSF) rivales a éclaté il y a près d'un an, le 15 avril 2023. Elle a déplacé plus de 8 millions de personnes. Environ 90 % de la population confrontée à des niveaux d'insécurité alimentaire d'urgence au Soudan se trouve à Khartoum, au Darfour et au Kordofan, des régions qui ont connu certains des combats les plus intenses. Mais l'appel de fonds de l'ONU de 2,7 milliards de dollars pour le Soudan est financé à moins de 5%. L'aide se tarit également au Tchad, où quelque 1,2 million de Soudanais ont trouvé refuge. La guerre a également donné lieu à de nombreux rapports selon lesquels les forces armées auraient utilisé le viol et la violence sexuelle comme armes. Et quelque 19 millions d'enfants ont été privés d'école.
Alex de Waal, la famine est votre domaine d'expertise. Vous êtes directeur exécutif de la World Peace Foundation à l'Université Tufts et auteur du livre Mass Starvation : The History and Future of Famine. Qu'est-ce qui vous préoccupe le plus dans ce qui se passe au Soudan en ce moment ?
ALEX DE WAAL : Le Soudan connaît une crise alimentaire et une famine d'un autre genre que Gaza. Il s'agit d'une situationt d'une ampleur énorme. Il est difficile d'aider le grand nombre de personnes qui sont touchées. Le Soudan est un pays de près de 50 millions d'habitants. La moitié d'entre eux sont aujourd'hui en situation d'urgence. Vous avez dit tout à l'heure que cette population dépend de l'aide alimentaire. Franchement, malheureusement, l'aide alimentaire n'est pas là. Au moment même où nous parlons, le Programme alimentaire mondial, qui est le plus grand pourvoyeur d'aide alimentaire, réduit son budget, réduit son personnel de 30 %, parce qu'il ne reçoit pas l'argent dont il a besoin. Ce n'est pas un système parfait, loin de là, mais c'est le seul système que nous ayons.
Et ce qui m'inquiète particulièrement au Soudan, ce sont en réalité trois choses. Premièrement, contrairement aux crises alimentaires précédentes au Soudan, le cœur de l'économie est en train d'être détruit. Le grenier à blé du Soudan ne fonctionne pas ; on ne cultive pas de nourriture. Deuxièmement, il ne s'agit pas seulement d'une crise au Soudan. La plupart des voisins sont touchés. Vous avez mentionné le Tchad. Le Soudan du Sud, qui faisait autrefois partie du Soudan, est également confronté à une crise alimentaire majeure, tout comme l'Éthiopie voisine. Et nous n'avons jamais vu autant de pays voisins de cette région sombrer dans l'urgence alimentaire en même temps. Et tout cela se produit alors que le système d'urgence international est mis à rude épreuve. Il fait face à d'importantes compressions. Nous ne répondons tout simplement pas comme il le faut. C'est tout à fait calamiteux.
AMY GOODMAN : Une vidéo de l'UNICEF avertit que des centaines de milliers d'enfants soudanais souffrent de malnutrition sévère, ont peut écouter Jill Lawler, chef des opérations sur le terrain et des urgences pour l'UNICEF au Soudan.
JILL LAWLER : Le nombre d'enfants souffrant de malnutrition aiguë augmente et la période la plus difficile n'a même pas commencé. Selon les prévisions, près de 3,7 millions d'enfants souffriront de malnutrition aiguë cette année au Soudan, dont 730 000 auront besoin d'un traitement vital. Rien qu'à Khartoum, les besoins en enfants sont énormes. Mais c'est aussi vrai au Darfour, où j'étais le mois dernier en mission transfrontalière à travers le Tchad. L'ampleur des besoins des enfants partout au pays est tout simplement stupéfiante. Le Soudan est aujourd'hui la plus grande crise de déplacement au monde. Et certains des enfants les plus vulnérables se trouvent dans les endroits les plus difficiles d'accès.
AMY GOODMAN : Alors, comment y remédier, Alex de Waal ? Encore une fois, près de 230 000 enfants, femmes enceintes et nouvelles mères pourraient mourir de faim dans les prochains mois ?
ALEX DE WAAL : En effet, il s'agit de la plus grande crise de mortalité de masse à laquelle nous sommes confrontés dans le monde, et la plus grande à laquelle nous ayons probablement été confrontés depuis de nombreuses décennies, certainement la plus importante depuis que j'ai commencé à travailler sur ce sujet il y a 40 ans, à l'époque des famines éthiopienne et soudanaise, beaucoup se souviendront des concerts du Live Aid.
Comment peut-on l'arrêter ? Je veux dire, les deux choses les plus immédiates sont un cessez-le-feu et la fin de la destruction de ce qui est nécessaire pour maintenir la vie et produire de la nourriture au Soudan. Et il ne semble pas y avoir beaucoup de signes pointant dans cette directon. Il n'y a pas vraiment de pression sur les parties belligérantes pour parvenir à un accord, même de base. Ils semblent vouloir continuer à se battre. Et plusieurs pays déversent des armes dans le pays pour intensifier le conflit. Mais l'autre est aussi de financer cette opération humanitaire, qui est, comme vous l'avez mentionné, totalement sous-financée à l'heure actuelle. Il n'y a presque pas de ressources disponibles pour fournir les produits de première nécessité aux gens.
AMY GOODMAN : Et, en fait, le Programme alimentaire mondial — vous savez, nous parlions de Gaza. Nous parlions des coupes massives dans l'UNRWA. Le Programme alimentaire mondial des Nations Unies a également procédé à des coupes massives.
ALEX DE WAAL : En effet, c'est choquant. Il y a quelques jours, j'essayais de parler à d'anciens collègues qui travaillent sur ces questions, et j'ai constaté qu'ils ont été réaffectés ou qu'ils ont perdu leur emploi. À l'heure actuelle, nous n'avons qu'un seul système mondial d'intervention d'urgence, qui est centré sur le Programme alimentaire mondial. Et donc nous devons faire en sorte que cela fonctionne, parce que si cela ne fonctionne pas, nous allons nous retrouver confrontés à des crises de mortalité de masse que nous n'avons tout simplement pas vues depuis un demi-siècle ou plus.
AMY GOODMAN : Eh bien, Alex de Waal, nous vous remercions beaucoup d'être avec nous, directeur exécutif de la Fondation pour la paix mondiale à l'Université Tufts, auteur du livre Mass Starvation : The History and Future of Famine. Nous mettrons un lien vers vos articles sur le Soudan et Gaza et plus encore. https://www.theguardian.com/profile/alex-de-waal
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Le Sénégal, la démocratie et les grandes puissances

Certaines grandes puissances aiment souvent donner des leçons de démocratie à des pays en développement, notamment africains. Or, cette formidable alternance démocratique, qui vient d'avoir lieu au Sénégal pour la troisième fois dans l'histoire de ce pays, tombe à point nommé pour bien montrer que ces puissances sont mal placées pour faire la leçon aux pays africains.
Tiré d'El Watan.
Il y a quatre ans, aux Etats-Unis, Donald Trump a contesté sa défaite usant de moyens loin d'être démocratiques. Au Sénégal, qui vient de connaître une nouvelle séquence républicaine, le candidat qui vient de perdre l'élection présidentielle a félicité le vainqueur. Le président sénégalais sortant Macky Sall et le candidat de la coalition au pouvoir à la présidentielle, Amadou Ba, ont félicité la victoire de Bassirou Diomaye Faye.
La démocratie est ainsi profondément enracinée au Sénégal qui vient de vivre sa troisième alternance démocratique de son histoire. Bassirou Diomaye Faye a remporté, dès le premier tour, le scrutin présidentiel sénégalais avec près de 55% des suffrages exprimés, en battant le candidat du pouvoir Amadou Ba. Bassirou Diomay Faye, 44 ans, est un jeune président du pays ouest-africain de 18 millions d'habitants. Ses adversaires ont reconnu sa victoire. L'événement est aussi un exemple sur un continent dont l'image est parfois ternie par des putschs. Ce pays confirme ainsi son profond attachement au processus démocratique.
Pourtant, rien n'a été facile. Ce scrutin a été précédé de trois ans de turbulences. L'opposant qui était en prison, une dizaine de jours avant le scrutin, Bassirou Diomay Faye et son mentor Ousmane Sonko ont été codétenus pendant des mois, avant leur libération en pleine campagne électorale à la mi-mars.
Des violences ont émaillé la vie politique depuis deux ans avec leur lot de morts, le tout ponctué par un report du scrutin qui a fait craindre le spectre du chaos. La victoire sans appel de Bassirou Diomaye Faye et la reconnaissance par l'ex-Premier ministre Amadou Ba de sa défaite confirment que le Sénégal est l'un des pays résolument démocratiques d'Afrique. L'élection s'est déroulée dans un climat empreint de sérénité.
L'Union africaine a salué ce qu'elle reconnaît être comme « une maturité démocratique du peuple sénégalais ». En 2000, le Sénégal a vécu sa première alternance démocratique qui a mis fin au règne sans partage du Parti socialiste depuis l'indépendance du pays, en 1960. Battu, le président sortant Abdou Diouf a félicité le vainqueur Abdoulaye Wade.
Ce dernier sera, à son tour, battu 12 ans plus tard par Macky Sall dont l'accession à la magistrature suprême a mis fin à douze années de pouvoir de Wade. Ce dernier a reconnu sa défaite et a appelé le vainqueur pour le féliciter. Ainsi, c'est la troisième passation de pouvoir qui se déroule dans la convivialité entre un président sortant vaincu et un nouvel élu à la magistrature suprême de ce pays.
Le nouveau président Bassirou Diomay Faye se présente comme un « panafricaniste de gauche » qui veut rétablir une « souveraineté » nationale parasitée, selon lui, à l'étranger. Le Sénégal « demeurera un Etat ami et l'allié sûr et fiable de tout partenaire qui aspire à une coopération vertueuse, respectueuse et mutuellement bénéfique », a-t-il assuré.
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Les peuples autochtones, ces fins connaisseurs du changement climatique

Les climatologues recourent de plus en plus aux observations des populations autochtones pour analyser le dérèglement climatique. Et ils ont tout à fait raison de le faire, explique ce magazine scientifique en ligne.
Tiré de Courrier international. Illustration de Ramsès, Cuba.
Autrefois, pendant l'été, Frank Ettawageshik passait l'essentiel de son temps dehors, dormant souvent à même le sol. Il évite aujourd'hui de le faire, à moins de prendre des précautions. “J'avais à peu près 35 ans quand j'ai vu une tique pour la première fois”, précise le directeur exécutif d'United Tribes of Michigan, un groupe de défense des droits des Amérindiens. Dans le nord du Michigan, de nos jours, “les tiques sont partout”.
Frank Ettawageshik appartient à la culture anichinabée, dont les membres viennent de la région des Grands Lacs. Il fait partie des Outaouais de Little Traverse Bay, installés depuis des siècles sur les rives nord-ouest de la péninsule inférieure du Michigan. Outre l'invasion des tiques, phénomène exacerbé par la hausse des températures, ils ont observé le déclin du grand corégone, un poisson du lac Michigan, et des changements dans les récoltes de l'érable à sucre, appelé niinatig, “notre arbre” en langue des Outaouais. D'après des travaux de recherche, la hausse des températures pourrait évincer cette essence du Michigan, ce qui vient s'ajouter aux inquiétudes de Frank Ettawageshik. “Notre arbre va s'éloigner de nous”, dit-il.
Les Outaouais de Little Traverse Bay ont observé de nombreuses évolutions sur leurs terres ancestrales au fil des siècles, mais selon Frank Ettawageshik, le changement climatique anthropique s'en distingue. “Il se produit à un rythme inhabituel.”
Recensement de petits changements
Pour beaucoup, les sciences du climat évoquent des observations satellite, des relevés de températures ou encore l'analyse de carottes de glace, mais il existe beaucoup d'autres données. Les populations autochtones, qui vivent proches de la nature depuis longtemps – et dont la survie dépendait d'une connaissance profonde de leur environnement –, ont souvent leurs propres archives et souvenirs. Ce sont parfois des détails remarquables concernant l'évolution de phénomènes météorologiques, des changements de la végétation ou des comportements inhabituels chez les animaux qui sont apparus devant leurs yeux.
Aujourd'hui, les anthropologues et les chercheurs en climatologie au sein d'institutions occidentales interrogent de plus en plus ces populations sur ce qu'elles ont observé du monde qui les entoure. Ils découvrent qu'elles cataloguent à leur manière des données sur les changements à un niveau ultralocal – qui pourrait échapper aux sciences climatiques occidentalisées – ainsi que les répercussions de ces changements sur les habitants.
“Je crois en la science amérindienne, je suis convaincu qu'il s'agit de science à proprement parler”, affirme Richard Stoffle, anthropologue à l'université de l'Arizona et auteur principal d'un article paru [dans Frontiers in Climate] en 2023 qui liste les observations de trois tribus d'Anichinabés du nord de la région des Grands Lacs.
Les entretiens réalisés en 1998 et en 2014 rendent compte d'un vaste éventail de changements environnementaux observés par les Anichinabés au fil des décennies : des étés plus chauds, des printemps plus secs, des champignons émergeant à de curieuses périodes de l'année ou des plantes qui ne donnent plus autant de fruits ou de sève qu'autrefois. Ces souvenirs, poursuit Richard Stoffle, attestent que les Anichinabés surveillaient les changements anthropiques du climat bien avant que le sujet soit au cœur du débat public.
Savoir où porter notre attention
Interroger les populations autochtones sur ce dont elles sont les témoins nous aide à comprendre ce qui est important à leurs yeux, à voir quels sujets méritent notre attention, souligne Victoria Reyes-García, anthropologue à l'université autonome de Barcelone et à l'Institut catalan de la recherche et des hautes études, et coautrice d'un article paru en 2021 dans la revue Annual Review of Environment and Resources sur la mobilisation des savoirs et des valeurs autochtones pour remédier aux problèmes environnementaux.
Sergio Jarillo, anthropologue à l'université de Melbourne [en Australie], ajoute :
- “Consulter les populations locales nous donne une vision plus complète et holistique que ne le permettent des mesures.”
Au nord du littoral australien se trouvent les îles Tiwi, où le chercheur interroge les populations aborigènes sur les changements qu'elles observent dans leur environnement. Dans un article publié en mars 2023 [dans la revue Earth's Future], lui et ses collègues présentent les observations de participants ainsi que des images du littoral prises par drone révélant l'érosion côtière qui inquiète ces communautés. L'érosion est un phénomène naturel, mais elle est probablement exacerbée par la montée des eaux due au changement climatique anthropique, précise Sergio Jarillo.
Des données fines
Pour les géomorphologues [spécialistes des paysages et des reliefs], il n'y a là rien de surprenant. Alors pourquoi prendre la peine d'en parler avec les populations autochtones ? Parce que cela permet d'obtenir des données fines qu'aucune image satellite ne pourrait fournir. Les habitants des Tiwi sont présents depuis assez longtemps pour remarquer toutes sortes de changements et ils passent beaucoup de temps en contact direct avec leur habitat, ajoute le chercheur.
- “Ils savent où se produit l'érosion, ils savent si un cours d'eau s'assèche.”
C'est aussi une question de justice, car ces changements environnementaux peuvent avoir des répercussions considérables sur la santé et le bien-être des habitants de ces îles. De nombreux participants à l'étude ont dit leur crainte de voir les terres englouties par l'érosion à proximité d'un centre de dialyse à Wurrumiyanga : ce centre de soins est essentiel pour une population où l'insuffisance rénale est la première cause de mortalité.
Mettre en lumière les connaissances locales sur de tels dangers peut déclencher des mesures. Et le fait même de recenser ces informations pourrait avoir son importance car, comme l'indiquent les auteurs, “dans le cas des îles Tiwi, il n'y a pas d'initiatives, que ce soit à l'échelle locale, du Territoire du Nord [dont elles relèvent] ou du Commonwealth, pour favoriser l'adaptation au changement climatique”.
Nelson Chanza, spécialiste de l'adaptation climatique à l'université de Johannesburg [en Afrique du Sud], a aussi obtenu des détails plus précis après s'être entretenu au Zimbabwe avec des témoins directs de changements environnementaux. Dans une étude parue en 2022 [dans Journal of Environmental Studies and Sciences], il a regroupé, avec un collègue, les observations formulées par 37 anciens dans le district de Mbire, dans le nord du Zimbabwe. Nelson Chanza souligne que c'est une région du monde où la collecte de données météorologiques est relativement pauvre : la zone étudiée se trouve à environ 80 kilomètres de la station météo la plus proche.
Les anciens, dont l'âge moyen était de 63 ans, ont comblé des lacunes en racontant les changements qu'avait connus l'environnement au fil des années. Beaucoup ont remarqué que la saison des pluies commençait plus tard et finissait plus tôt qu'autrefois. Mais certaines variations portent à croire que les régions ne s'assèchent pas toutes au même rythme. “On tend à passer à côté de ces détails si on se fie uniquement aux données météorologiques”, précise Nelson Chanza. De plus, les anciens racontaient que plusieurs fruits, notamment les prunes sauvages Uapaca kirkiana (mazhanje, en langue shona), devenaient moins abondants, plus petits et de moindre qualité.
Protocole d'étude universel
Les témoignages de ce type sont riches en informations et risquent pourtant d'“être considérés comme des anecdotes”, explique Victoria Reyes-García. Avec l'objectif d'encourager les chercheurs qui ne sont pas anthropologues à prendre au sérieux ces informations et à normaliser la collecte de données auprès de populations autochtones, la scientifique catalane et ses collègues ont mis au point un protocole d'étude qui peut être transposé n'importe où dans le monde.
Il s'agit notamment de collecter des données météorologiques et de mener de nombreux entretiens avec des personnes autochtones qui ont vécu longtemps dans un lieu en particulier. Les observations faisant consensus seraient ensuite classées dans une base de données. Cette méthode normalisée pourrait rendre ces informations intéressantes aux yeux des climatologues et des organes internationaux tels que le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), estime Victoria Reyes-García.
Une écoute attentive peut aussi révéler l'ampleur des défis qui attendent les populations autochtones, c'est pourquoi enregistrer leurs observations est aussi une occasion d'œuvrer à la justice climatique. Lors d'une étude parue en 2022, pour décrire la gravité des changements, un participant autochtone résumait :
- “Je vois que ma culture commence à disparaître.”
C'est la Première Nation des Magnetawan, qui, en premier, a eu l'idée de collecter des informations. “Ils nous ont simplement parlé de leur inquiétude et nous ont demandé si on pouvait organiser quelque chose”, se souvient l'autrice principale, Allyson Menzies, écologiste de la faune à l'université de Guelph [au Canada]. Comme l'ont publié la chercheuse et ses coauteurs, les 37 participants ont abordé un ensemble d'effets qu'ils avaient remarqués, comme l'apparition plus tardive des fraises, en juillet plutôt qu'en juin.
Des liens étroits avec le monde vivant
Il devenait difficile de transmettre des techniques traditionnelles de récolte et de chasse, car elles dépendent de phénomènes climatiques qui sont en train de changer, ont-ils aussi expliqué. La notion d'une culture qui se dissipe est familière aux peuples autochtones. Les Inuits de l'île de Baffin, au Canada, signalent fréquemment qu'avec les pics de température ils ont plus de mal à prévoir le temps, à circuler sur la glace et à enseigner la chasse aux plus jeunes.
En ce sens, nous risquons de passer à côté de quelque chose d'essentiel si la participation des populations autochtones à la recherche est réduite au simple remplissage de cases dans un tableur géant, souligne Ben Orlove, anthropologue à l'université Columbia [aux États-Unis] et coauteur d'un article sur l'anthropologie climatique dans l'édition 2020 de l'Annual Review of Anthropology. “Je pense que le propos des peuples autochtones est de souligner que le problème du changement climatique n'est pas le manque de données mais les limites de notre système.”
Frank Ettawageshik est du même avis : le savoir traditionnel n'est pas une liste encyclopédique de faits. Ce qui compte, c'est la relation qu'entretiennent les Outaouais avec les êtres – végétaux, animaux et espaces naturels. “Nous ne sommes qu'un maillon sur cette trame du vivant. Nous savions que nous ne pouvions survivre sans les autres êtres et que ces autres êtres acceptaient de veiller sur nous. Et nous acceptions de veiller sur eux.”
Chris Baraniuk
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« Les propositions du ministre de l’Économie sont totalement irrationnelles d’un point de vue… économique »

Mettre un terme à « la gratuité de tout, pour tous », remplacer l'État providence par l'État protecteur… Mais de quoi parle Bruno Le Maire ? On a causé avec Lucie Castets du collectif Nos Services Publics.
21 mars 2024 | tiré de Regards.fr | Photo : le ministre de l'Économie Bruno Lemaire
https://regards.fr/les-propositions-du-ministre-de-leconomie-sont-totalement-irrationnelles-dun-point-de-vue-economique/
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Lucie Castets est co-porte-parole du collectif Nos Services Publics.
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Regards. Dans un entretien au JDD, à l'occasion de la sortie d'un énième livre, Bruno Le Maire explique vouloir lutter contre le « mirage de la gratuité universelle », mettre un terme à « la gratuité de tout, pour tous » – sans préciser les domaines auxquels il réfère – ainsi que son désir de remplacer l'État providence par l'État protecteur. Disant cela, le ministre de l'Économie se déclare tout de même opposé au « libre-échange sans règle et sans limite ». Qu'est-ce que ça vous inspire ?
Lucie Castets. Avant toute chose, il faut constater que les déclarations de Bruno Le Maire restent très floues. On ne voit pas bien de quoi il parle exactement quand il évoque le sujet de la gratuité. Si on parle de la gratuité du système de soins français, on constate qu'elle est déjà largement remise en cause. On peut notamment évoquer le fait que les remboursements par l'assurance maladie sont de moins en moins importants, ce qui oblige les ménages à recourir de plus en plus aux mutuelles et aux assurances privées, qui ont un coût croissant. Globalement, il y a une érosion du principe de protection sociale universelle. On l'observe aussi dans le secteur de l'éducation, où la situation du service public se dégrade, avec le développement de stratégies d'évitement (recours à l'école privée) et/ou de compensation (cours particuliers) qui restent financées par la puissance publique mais pas accessibles à tous. Mais est-ce de cela dont parle Bruno Le Maire ? Il semblerait plutôt qu'il s'agit d'habiller par un discours théorique et politique ce que le gouvernement a entrepris depuis longtemps : réduire le niveau des services publics et les rendre de moins en moins « gratuits et universels ». La nouveauté, c'est donc que le ministre auréole ceci d'une forme de rationalisation ex post.
« On peut se demander pourquoi, proportionnellement, les classes moyennes financent davantage les services publics que les ménages les plus riches de France ? »
N'est-il pas étonnant, de la part d'un ministre de l'Économie, de qualifier les services publics de « gratuits » ?
C'est extrêmement intéressant que Bruno Le Maire attaque les services publics par le biais de la « gratuité », faisant comme si l'argent public tombait du ciel et qu'il n'était en quelque sorte « l'argent de personne ». Il faudrait ici s'intéresser à la façon dont les services publics sont financés. On constate notamment que les 0,1% des ménages les plus riches bénéficient d'un impôt dégressif. Cela fait bien longtemps qu'en France on a adopté le principe de l'impôt progressif – votre taux d'imposition augmente à mesure que votre revenu augmente. Or, on constate que cela est remis en cause. On peut dès lors se demander pourquoi, proportionnellement, les classes moyennes financent davantage les services publics que les ménages les plus riches de France ?
Pensez-vous le gouvernement capable de s'attaquer aux bases de notre pacte républicain que sont l'école gratuite ou l'accès à la santé ?
S'agissant de la santé, on est en plein dedans. Le nombre d'établissements publics diminue plus vite que celui des établissements privés – et la part des établissements privés à but lucratif augmente. Concernant l'école, je ne crois pas qu'il soit possible, en France, d'entendre un ministre dire un jour qu'il va rendre payant l'accès à l'école publique. En revanche, sa dégradation, de façon tout à fait consciente, est clairement à l'œuvre. Cela conduit à une forme de privatisation de l'accès à l'éducation. Car pendant que ceux-ci se dégradent, se développent des services accessibles en fonction des revenus des personnes : chaque brèche dans le service public fait place à des prestations privées et donc payantes. Je faisais référence aux cours du soir : ceux qui peuvent en bénéficier, ce ne sont pas les enfants qui vivent dans un HLM, mais ceux dont les parents peuvent le payer – avec des crédits d'impôts à la clé. La puissance publique finance donc un dispositif pour une population privilégiée. Comme elle le fait avec l'école privée, qui coûte chaque année environ 8 milliards d'euros d'argent public, où l'on constate une homogénéisation sociale. Une remise en question de la gratuité équivaut à une remise en question de l'universalité des services publics. Les bénéficiaires de l'AME vont majoritairement à l'hôpital public et non dans les cliniques privées.
Au moment-même où Gabriel Attal entame une croisade à l'université contre une « idéologie nord-américaine », le modèle états-unien n'est-il pas en train de devenir notre référence en matière de politiques publiques ?
Il est en tout cas assez ironique de constater, dans le débat public, un rejet de l'idéologie nord-américaine à géométrie variable. Ce qui est inquiétant lorsqu'on s'approprie les raisonnements nord-américains sur cet État-providence qui coûterait un « pognon de dingue », on adopte une posture qui est en réalité souvent irrationnelle sur le plan économique (en plus de conduire à des situations inacceptables sur le plan de la justice sociale). Par exemple, quand on regarde précisément le système de santé des États-Unis, force est de constater qu'il est totalement défaillant et qu'il coûte excessivement cher. Quand on enlève une dépense publique, cela n'enlève pas le besoin social et la nécessité de le financer. Privatiser, c'est substituer à la dépense publique socialisée, rationalisée, financée de manière solidaire, une multitude de dépenses privées. Un Américain moyen dépense beaucoup plus pour sa santé qu'un Français moyen quand bien même on prend en compte les impôts – et la performance du système de soins américain est largement inférieur à celle du système de soins français. Il en va de même avec l'éducation : de nombreuses études, notamment de l'OCDE, montrent que des investissements massifs dans l'éducation publique sont déterminants pour renforcer le potentiel de croissance d'une économie. Les propositions du ministre de l'Économie sont donc irrationnelles d'un point de vue… économique.
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Appel à soutenir le journalisme engagé du collectif Dèyè Mòn Enfo

Haïti Magazine est une publication électronique éditée sur une base régulière par le collectif de Dèyè Mòn Enfo depuis Cité Soleil à Port-au-Prince en Haïti. Le magazine présente l'actualité politique, sociale et culturelle d'Haïti qu'on ne retrouve pas dans les grands médias. Il survit grâce aux abonnements qui constituent tout autant à un geste de soidarité.
4 avril 2024 |tiré du Journal des alternatives
https://alter.quebec/appel-a-soutenir-le-journalisme-engage-du-collectif-deye-mon-enfo/
Le collectif a des correspondant.es dans tout le territoire haïtien et présente un contenu inédit, en plus de faire écho aux médias haïtiens par sa revue de la presse locale. Il s'agit d'un outil alternatif et engagé d'information en ligne, qui fait écho à l'actualité en présentant un point de vue terrain. Pour le collectif, il est tout aussi important de diffuser les manifestations récréatives et culturelles et de témoigner de la créativité et des initiatives artistiques du peuple haïtien dans toute sa beauté.
La publication s'adresse à la population d'Haïti, mais aussi à celle du Québec, de France et d'ailleurs en francophonie. Haïti Magazine fonctionne grâce aux abonnements. On peut s'abonner pour une somme de 60 $ CAN ou 40 euros pour année, payable en un seul versement ou en mensualité.
Un tel geste de solidarité avec le travail de Dèyè Mòn Enfo permet de financer la production et de rétribuer les collaborateur. trices du collectif dans les communes de Cité-Soleil de Port-au-Prince et de Cayes-Jacmel. De plus, des dons sont régulièrement distribués pour frais médicaux, frais scolaires et autres urgences auprès de ces communautés.
Pour prendre contact et soutenir le journalisme indépendant en Haïti : https://deyemon.substack.com/about
Crédit illustration Dèyè Mòn EnfoPhoto-journalistes : Francillon Laguerre, Sonson Thelusma, Andoo Lafond, Milot Andris, Patrick Payin
Comité éditorial : Etienne Côté-Paluck, Jean Elie Fortiné, Jean-Paul Saint-Fleur
Stagiaires : Wilky Andris, Donley Jean Simon
Collaboration spéciale : Stéphanie Tourillon-Gingras, Mateo Fortin Lubin, Siffroy Clarens, Jéthro-Claudel Pierre Jeanty, Sadrax Ulysse
Partenaires médiatiques : Centre à la Une, J-COM, Nord-Est Info
Partenaire institutionnel : Kay Fanm, Mouka.ht
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États-Unis : Les contradictions du parti démocrate en pleine lumière

Les tensions et les contradictions au sein du Parti démocrate ont été pleinement mises en évidence le 28 mars à New York à l'occasion d'un évènement organisé pour financer la campagne présidentielle.
Hebdo L'Anticapitaliste - 702 (04/04/2024)
Par Dan La Botz
Crédit Photo
DSA
Joe Biden a récolté 25 millions de dollars, soit plus que lors de n'importe quel autre événement de collecte de fonds dans l'histoire politique des États-Unis. D'autre part, il a été interrompu à plusieurs reprises par des manifestants scandant « du sang sur vos mains ! », en référence au soutien des États-Unis à la guerre menée par Israël contre les PalestinienNEs. Biden est apparu aux côtés des anciens présidents Bill Clinton et Barack Obama, démontrant ainsi l'unité du parti au sommet. Mais cela n'a pas empêché des manifestants de la base du parti de s'élever contre ce qu'ils appellent le soutien de Biden au « génocide » à Gaza.
128,7 millions de dollars collectés par Biden, 96,1 millions par Trump
Quelque 5 000 personnes ont assisté en personne à cette réunion, où les billets les moins chers se vendaient 250 dollars et où l'accès aux réceptions privées coûtait entre 250 000 et 500 000 dollars. Une photo avec les trois présidents coûtait 100 000 dollars. Jusqu'à présent, la campagne de Joe Biden et le Comité national démocrate ont recueilli 128,7 millions de dollars, tandis que Trump et le Parti républicain ont récolté 96,1 millions de dollars.
Donald Trump doit collecter des fonds non seulement pour sa campagne électorale, mais aussi pour couvrir les frais de justice liés aux différents procès pénaux auxquels il est confronté et les pénalités liées aux procès civils qu'il a perdus, qui s'élèvent à des centaines de millions de dollars. La semaine dernière, Truth Social, la société de médias sociaux de Trump (Truth signifie la vérité…), a été cotée pour la première fois à la bourse Nasdaq à une valeur de 50 dollars par action et évaluée globalement à 6,8 milliards de dollars. Soudain, la fortune nette de Trump est estimée à 7,5 milliards de dollars. Cependant, nombreux sont ceux qui pensent que la valeur de l'action va s'effondrer, car Truth Social est un petit média social qui perd des abonnés et de l'argent. Ainsi, aussi riche qu'il soit actuellement, Donald Trump n'est pas financièrement à l'abri. Néanmoins, il a remporté l'investiture républicaine, domine absolument le parti et dispose d'une base fanatiquement loyale.
Le soutien des États-Unis à Israël en question
La position financière solide de Joe Biden ne résout pas le problème de l'érosion du soutien qu'il reçoit de certains démocrates parce qu'il n'a pas appelé à un cessez-le-feu immédiat et à la fin du soutien des États-Unis à la guerre génocidaire d'Israël contre les PalestinienNEs à Gaza, où 32 000 personnes ont été tuées, dont 13 000 enfants, des milliers d'autres étant sans doute mortes sous les décombres, plus de 75 000 blessés, 1,7 million de personnes déplacées et des centaines de milliers de personnes souffrant de la faim. En Cisjordanie, Israël a tué des centaines de PalestinienNEs, a procédé à des arrestations massives et a établi de nouvelles routes et avant-postes illégaux pour les colons, tandis que des colons israéliens armés et en uniforme se livrent à des attaques violentes contre les PalestinienNEs.
Le secrétaire d'État américain Antony Blinken a demandé à plusieurs reprises à Israël de protéger les civilEs palestiniens et de mettre à disposition l'aide humanitaire. Les États-Unis se sont abstenus lors du récent vote du Conseil de sécurité en faveur d'un cessez-le-feu immédiat mais temporaire pour le reste de la fête du Ramadan et la libération par le Hamas des derniers otages de l'attaque du 7 octobre. Bien que l'administration de Joe Biden s'oppose au plan israélien d'attaque de Rafah et ait apparemment rompu avec Netanyahou, Joe Biden continue de soutenir le gouvernement israélien, en autorisant la fourniture de davantage d'avions à réaction et de bombes.
Forte baisse chez les 18-34 ans des opinions positives envers Israël
Les manifestations pro-palestiniennes se poursuivent à travers les États-Unis, exigeant un cessez-le-feu et la fin du soutien à Israël. Les citoyens américains sont désormais largement opposés aux actions d'Israël : c'est surtout le cas des démocrates tandis que les républicains affirment encore, quoiqu'avec une majorité réduite, soutenir Israël. L'extrême gauche apparaît divisée. Certaines manifestations sont menées par Jewish Voice for Peace (Voix juive pour la paix) et Democratic Socialist of America (DSA), tandis que d'autres sont organisées par des groupes staliniens ou campistes tels que le Party for Socialism and Liberation (Parti pour le socialisme et la libération), avec des groupes palestiniens dans tous les cas. Quoi qu'il en soit, selon un sondage Gallup, ce sont les jeunes adultes de 18 à 34 ans qui affichent la plus forte baisse d'opinions positives à l'égard d'Israël, passant de 64 % d'opinions favorables en 2023 à 38 % aujourd'hui. C'est le problème de Biden, quelle que soit la quantité d'argent qu'il recueille.
Dan La Botz, traduction Henri Wilno
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Etats-Unis. Elections de novembre : suivre l’argent et comprendre les choix bipartisans des grandes firmes

Lorsque Donald Trump se met à vendre des bibles pour Pâques [1], on sait qu'il a besoin d'argent.
Tiré de A l'Encontre
3 avril 2024
Par Lance Selfa
Et ce, malgré la manne de plus de 4 milliards de dollars qu'il a engrangée (et qui continue de grimper : 7,85 milliards le 26 mars) lorsque son réseau social Truth a fait son entrée sur le marché boursier NASDAQ [bourse de valeurs qui met l'accent sur les firmes spécialisées dans le domaine de la technologie], dans ce qui finira probablement par être une action « mème » ratée, surtout si Trump perd l'élection de 2024.
Mais les deux projets de Trump pour gagner de l'argent sont arrivés à un moment crucial pour lui. Confronté à une échéance de mars pour déposer une caution de près d'un demi-milliard de dollars pendant qu'il fait appel du jugement rendu à son encontre dans le cadre de l'affaire civile de New York pour ses pratiques commerciales frauduleuses, il cherche désespérément à éviter la prison et à rester dans les rangs des personnes les plus riches des Etats-Unis. Alors qu'il semblait que Donald Trump devrait subir les conséquences de son incapacité à obtenir une caution de la part d'une firme financière réputée, une cour d'appel new-yorkaise lui a accordé un bref sursis. Elle a repoussé la date limite de dépôt de la caution, tout en réduisant son montant à 175 millions de dollars. Une fois de plus, le système judiciaire a renfloué les caisses de Trump.
Dans la mesure où les démêlés juridiques de Trump constituent la toile de fond inévitable de sa campagne, l'impact réel qu'ils ont sur ses perspectives d'avenir n'est pas toujours clair. Mais derrière les gros titres, ils font des ravages.
Prenons les éléments suivants :
. L'année dernière, le Comité national républicain (RNC-Republican National Committee) a connu sa pire année de collecte de fonds, corrigée de l'inflation, depuis 1993.
. La campagne de Joe Biden devance actuellement celle de Donald Trump de près de 50% (155 millions de dollars contre 109 millions de dollars) en termes d'argent collecté et d'argent en caisse, et dispose de plus de deux fois plus d'argent en banque que les Républicains.
. Trump continue de perdre des millions en frais juridiques.
. La récente fusion entre la campagne Trump et le RNC – dans laquelle la belle-fille de Trump [Lara Trump, qui a épousé Eric Trump] est devenue, le 8 mars 2024, coprésidente du RNC – est assortie de conditions. Le comité d'action politique de Trump, Save America PAC, qui paie ses factures d'avocat, sera en mesure d'empocher des fonds avant que la RNC ou les partis républicains au niveau des Etats ne reçoivent de l'argent.
Les partis républicains d'Etats clés (swing states) sont en proie à des luttes de factions entre les partisans de Trump et les politiciens qui ne le sont pas (par exemple, dans l'Etat du Michigan). Ils font face à des inculpations criminelles pour leur implication dans le système de faux électeurs de Trump pour 2020 (par exemple, dans le Nevada, le Michigan et la Géorgie) ou à des scandales qui ont contraint les dirigeants de ces GOP (Parti républicain) à démissionner (par exemple, en Arizona et en Floride).
Les principaux membres républicains de la Chambre des représentants des Etats-Unis ont démissionné en nombre sans précédent, ce qui laisse supposer que le Parti républicain pourrait perdre sa faible majorité à la Chambre avant les élections de 2024.
***
Ce sont là autant de signes d'un parti sous pression, voire en plein désarroi. Pourtant, deux grands groupes ont intérêt à minimiser ces faits : le premier, évidemment, est le Parti républicain en tant que tel. Il ne veut pas que ses partisans pensent qu'il s'agit d'une vraie poubelle alors qu'il essaie de les organiser pour gagner une élection présidentielle. Le second est le « front populaire » autour de Biden et des démocrates, qui considère qu'une victoire de Trump serait synonyme de fin de la démocratie et de l'ordre constitutionnel. Il est en effet difficile d'affirmer que votre opposition est un mastodonte fasciste lorsqu'elle n'est même pas capable d'assurer ses missions les plus élémentaires.
L'escroc qu'est Trump mise sur les pigeons – ceux qui pensent qu'il a lu la Bible ou suit les spéculateurs du marché à court terme qui vont faire monter ses actions sans valeur – pour payer ses factures d'avocat et financer sa course à la présidence. Trump et le GOP se sont-ils tournés vers ces moyens « non conventionnels » parce que les moyens conventionnels – la collecte d'argent auprès des entreprises et des riches – leur sont fermés ? Les grandes firmes sont-elles vraiment en train d'abandonner leur précieuse équipe de choc à Washington ? N'y comptez pas.
Rappelez-vous tout le battage médiatique autour des grandes firmes états-uniennes qui ont juré de ne plus accorder des fonds aux politiciens du GOP qui ont soutenu l'émeute du 6 janvier 2021 et le « gros mensonge » de l'élection présidentielle de 2020 « truquée » et « volée » qui l'accompagnait. Même si les grandes firmes ont publié des déclarations condamnant le 6 janvier et ont travaillé avec les grands médias et les organisations non gouvernementales pour assurer une « transition pacifique » entre Trump et Biden, c'était toujours une farce de croire qu'elles étaient les championnes de la démocratie. Comme toujours dans la politique états-unienne, suivre l'argent est le meilleur moyen de comprendre ce qui s'est passé.
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En effet, quelques mois après le 6 janvier, la plupart des grandes firmes ont recommencé à faire des dons aux politiciens du GOP. Les journalistes d'investigation libéraux Rebecca Crosby et Judd Legum ont montré qu'au moins 50 grandes entreprises, dont Microsoft, Walmart, AT&T et General Motors, ont versé au GOP, depuis 2021, un total de 23 millions de dollars à ceux qui niaient le résultat des élections (Popular Information, 28 mars 2024).
La configuration précédente, telle qu'établie en 2016 et 2020, lorsque la plupart des fonds des firmes sont allés aux candidats démocrates à la présidence, se répétera probablement en 2024. Pour les grandes firmes, le style chaotique de Trump, son opposition au libre-échange et à l'immigration, et son incapacité à endiguer la pandémie étaient des raisons plus que suffisantes pour préférer Hillary Clinton en 2016 et Joe Biden en 2020. Néanmoins, une fois que Trump a pris ses fonctions et qu'il s'est comporté – rhétorique et tweets mis à part – comme un conservateur traditionnel en matière de fiscalité, de déréglementation et de juges favorables aux entreprises, les milieux d'affaires ont été plus qu'heureux de suivre le mouvement. Personne ne devrait donc penser que le monde des affaires envisage sérieusement de simplement abandonner le GOP.
Dans le monde plus restreint des milliardaires républicains conservateurs, le rapprochement avec Trump est déjà en cours. Le fonds spéculatif de Wall Street, Paulson&Co. (John Alfred Paulson qui a fait sa fortune avec les subprimes), prévoit une collecte de fonds en avril 2024, avec un grand nombre de ces ploutocrates. Son objectif est de récolter 33 millions de dollars en une seule fois, soit suffisamment pour battre le record de 26 millions de dollars atteint par les démocrates le 28 mars lors de leur collecte de fonds à New York, à laquelle ont participé trois des quatre présidents du Parti démocrate encore en vie.
Il est important de noter que la plupart de ces ploutocrates idéologiques ont fait fortune dans la finance, la technologie, le commerce de détail et les casinos. Ils utilisent leur fortune personnelle pour se positionner en tant qu'acteurs dans l'éventualité d'une victoire de Trump en novembre. Pour eux, « l'Etat de droit », « la Constitution » et d'autres éléments dont les conservateurs de principe sont censés se préoccuper ne les motivent pas vraiment quand ils pourraient risquer de devoir payer des impôts plus élevés sur leur fortune. La promesse de Joe Biden d'augmenter l'impôt sur les sociétés à 25% (un taux inférieur à celui qu'il avait promis en 2020) et d'ajouter une surtaxe sur les milliardaires a incité ces derniers à se préparer à soutenir à nouveau Trump.
« L'augmentation de l'impôt de Biden est vraiment perçue avec hostilité par les gens de Wall Street à qui je parle, même par certains des républicains les plus modérés de Wall Street qui n'ont généralement pas une orientation conservatrice », a déclaré Stephen Moore, un conseiller économique extérieur à l'équipe de Trump, au Washington Post (29 mars) « Le taux plus élevé sur les plus-values, le taux plus élevé sur les sociétés – tout cela est un anathème pour ces gens. »
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Cette coterie de milliardaires est suffisamment riche pour aider Trump à combler son déficit vis-à-vis de Biden. Mais Trump pourrait néanmoins se retrouver avec un déficit substantiel vis-à-vis de Biden. Rappelons qu'en 2020, la campagne de Biden a recueilli et dépensé plus de 1,6 milliard de dollars, contre 1 milliard de dollars pour Trump. Ces sommes faramineuses continuent de faire de la course à la présidence un concours entre différents groupements de riches et de grands du monde des affaires. Mais ces sommes représentent – ensemble – à peu près ce que Trump a gagné en une journée avec son opération de « pump and dump » (P&D) d'actions [2]. Toutefois elles ne représentent que la moitié de la subvention de 8,5 milliards de dollars accordée à une usine de fabrication de puces d'Intel Corp. que Joe Biden a annoncée lors d'un récent voyage de campagne en Arizona (New York Times, 20 mars 2024).
En d'autres termes, les élections états-uniennes sont trop chères pour que les citoyens ordinaires aient leur mot à dire, mais elles sont une aubaine pour les firmes et les riches qui cherchent à obtenir des faveurs du gouvernement. L'Amérique des affaires peut prospérer avec l'un ou l'autre parti à la Maison Blanche. Ces considérations ne sont peut-être pas aussi émouvantes qu'une « lutte pour l'âme de la nation » ou la « défense de la démocratie », mais elles sont beaucoup plus proches de ce que les dirigeants de l'establishment bipartisan pensent être l'enjeu du mois de novembre. (Article publié par International Socialism le 2 avril 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
Lance Selfa est l'auteur de The Democrats : A Critical History (Haymarket, 2012) et editeur de U.S. Politics in an Age of Uncertainty : Essays on a New Reality (Haymarket, 2017).
[1] Selon Evangeliques.info du 2 avril : « La seule Bible approuvée par le président Trump ! » L'ex-président américain et candidat à la présidentielle en novembre prochain avait déjà sa marque de chaussures et de parfums et aujourd'hui, il vend des bibles. Le 26 mars, il a en effet publié une vidéo sur son média social Truth Social invitant ses partisans à acheter la « God Bless the USA Bible » (Bible « Dieu bénisse l'Amérique »), avec un message qui renvoie vers un nouveau site du même nom. » Outre le texte biblique elle contient des textes des fondateurs de l'histoire des Etats-Unis. Selon la même source, outre la Déclaration d'indépendance et du serment d'allégeance au drapeau des Etats-Unis, on y trouve « le refrain manuscrit d'une célèbre chanson du chanteur country Lee Greenwood, « God Bless the USA », souvent entonnée depuis 1984 lors des rassemblements politiques républicains.
APnews souligne que cette mise sur le marché a lieu alors que les frais de justice de Donald Trump s'accumulent. (Réd.)
[2] Le « pump and dump » (P&D) est une forme de fraude sur les valeurs mobilières qui consiste à gonfler artificiellement le prix d'une action détenue par le biais de déclarations positives fausses et trompeuses (pump), afin de vendre l'action achetée à bas prix à un prix plus élevé (dump). (Réd.)
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Les États-Unis approuvent le transfert à Israël de bombes et d’avions à réaction d’une valeur de plusieurs milliards de dollars.

Selon des sources, une livraison d'armes a été autorisée alors même que Washington s'inquiète publiquement de l'offensive prévue à Rafah.
4 avril 2024 | tiré du journal The Guardian | Photo : U.S. Air Force, 14-5072, Lockheed Martin F-35 Lightning II © Anna Zvereva
https://www.france-palestine.org/Les-Etats-Unis-approuvent-le-transfert-a-Israel-de-bombes-et-d-avions-a
Ces derniers jours les EU ont autorisé le transfert à Israël de bombes et avions de combats d'une valeur de plusieurs milliards de dollars, ont déclaré vendredi des sources proches des décideurs, alors même que Washington exprime publiquement ses inquiétudes quant à une offensive prévue à Rafah.La nouvelle livraison d'armes comprend plus de 1800 bombes MK-84 de 2 000 livres (907 kg) et 500 bombes MK-82 de 500 livres (227 kg) selon les sources, qui ont confirmé un rapport du Washington Post.
Washington accorte à Israël, son allié de longue date, une assistance militaire annuelle de 3,8 milliards de dollars.Cette livraison survient alors qu'Israël fait face à d'intenses critiques internationales en raison de sa campagne continue de bombardements et de son offensive terrestre à Gaza, et tandis que de nombreux membres du parti de Joe Biden lui demandent de mettre un terme à l'aide militaire états-unienne.
Les États-Unis ont précipité les envois à Israël de défenses aériennes et de munitions, mais certains démocrates et groupes arabo-américains ont critiqué le soutien inébranlable de l'administration Biden à Israël, qui lui donne, selon eux, un sentiment d'impunité.
Biden a reconnu « la douleur ressentie » par de nombreux Arabo-Américains, causée par la guerre à Gaza et le soutien EU à Israël et à son offensive militaire. Pourtant, il a promis un soutien continu à Israël malgré son désaccord public croissant avec Benjamin Netanyahu, le premier ministre israélien.
La Maison Blanche a refusé de commenter ce transfert d'armes. L'ambassade israélienne n'a pas immédiatement réagi à une demande de commentaires.
Cette décision d'envoyer des armes a été prise après la visite cette semaine à Washington du ministre de la défense israélien Yoav Gallant pour discuter des besoins en armes d'Israël avec ses homologues états-uniens.
S'adressant à des journalistes mardi, Gallant, cherchant visiblement à apaiser les tensions israélo-américaines, a souligné l'importance des liens états-uniens pour la sécurité et le maintien de l'avantage militaire qualitatif d'Israël dans la région, y compris ses capacités aériennes.
La guerre a éclaté le 7 octobre après que des militants du Hamas ont attaqué Israël, tué 1200 personnes et saisi 253 captifs, selon les décomptes israéliens. Israël a répliqué en lançant un assaut aérien et terrestre dans la Bande de Gaza, qui a fait à ce jour, plus de 32 000 Palestiniens tués.
Traduction : Chronique de Palestine
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La violence sexuelle ne peut pas être une lutte anticoloniale

L'agression sexuelle brutale du Hamas le 7 octobre était-elle l'expression d'une lutte anticoloniale ? Ou la description est-elle différente si l'on part de la voix des femmes, plutôt que de réduire le conflit aux deux pôles homogènes de l'antisémitisme et de l'islamophobie, s'interroge Catrin Lundström, professeur adjoint d'ethnicité et de migration à l'université de Linköping.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/04/02/la-violence-sexuelle-ne-peut-pas-etre-une-lutte-anticoloniale/
Après plus de cent jours de bombardements à Gaza, des dizaines de milliers de civil·es tué·es et des millions qui fuient pour sauver leur vie, des maisons et des mosquées rasées, des pénuries désespérées de fournitures, j'ai, comme beaucoup d'autres, été incitée à prendre position par des ami·es et, en particulier des collègues palestinien·nes, internationaux, qui ont soit mis fin à leur amitié, soit été renvoyé·es pour avoir elles et eux-mêmes pris position. Pourtant, je n'arrive pas à oublier l'image du corps à moitié nu de l'Israélienne, allongée sur la plate-forme du camion sous les jambes des combattants du Hamas qui l'acclament, armes à la main. Pour moi, elle soulève la question suivante : où en sommes-nous si nous ne reconnaissons pas les agressions sexuelles – ou plus précisément le fait de poignarder, de couper les seins et de tirer dans le cou lors d'un viol – comme des expressions de la résistance ?
Un récent rapport de 23 pages de Pramila Patten, représentante spéciale des Nations unies sur la violence sexuelle dans les conflits, publié le 4 mars, montre qu'il existe des preuves solides de viols collectifs, de tortures et d'abus sexuels sur des femmes ligotées et mortes avec les organes génitaux coupés dans au moins trois kibboutz le long de la frontière de Gaza lors de l'attaque du Hamas du 7 octobre 2023.
Dès le 17 octobre, la sociologue marocaine Eva Illouz a appelé la gauche, dans le journal Dagens ETC, à ne pas passer sous silence « le meurtre de masse de civil·es innocent·es dans leurs maisons, la violence aveugle contre les femmes, les personnes âgées et les enfants, et les enlèvements massifs de citoyen·nes israélien·nes » dans les déclarations qu'elle savait à venir.
Depuis lors, un certain nombre d'universitaires, de commentateurs/commentatrices et de journalistes ont apporté à cette sordide histoire des contributions politiques bien plus éclairées que je ne suis en mesure de le faire.
C'est pourquoi je m'en tiens à la femme juive décédée. Elle incarne sans aucun doute une série de privilèges dans ce contexte particulier, contrairement aux nombreuses femmes palestiniennes pauvres et anonymes de Gaza, qui regardent actuellement leurs enfants mourir de faim.
Mattias Gardell, professeur de religion comparée, a expliqué dans le magazine Parabol (3/23), peu après l'attentat, que « nous » avons tendance à nous identifier à la « guerre de la civilisation contre la barbarie » qui, « depuis le début du colonialisme, se caractérise par la supériorité militaro-technologique ». Nous nous sentons surtout concerné·es par les vies dans lesquelles nous nous reconnaissons, sur la base de « notions normatives de vies dignes d'être vécues, de vies civilisées, décentes et bien ordonnées dans un environnement reconnaissable », a soutenu Gardell, en s'appuyant sur le raisonnement de la philosophe Judith Butler concernant les « vies vivables ».
Par conséquent, nous devrions pouvoir pleurer la femme dans le camion – si seulement elle n'était pas israélienne. C'est ce qu'ont pensé les nombreuses femmes juives du monde entier qui, en novembre 2023, se sont rassemblées sous la bannière #MeTooUNlessURAJew – en réponse à ce qu'elles considéraient comme le retard de l'ONU Femmes à condamner les viols brutaux commis le 7 octobre (ce qu'elle a fait deux mois plus tard). À leur tour, un certain nombre de féministes de gauche pro-palestiniennes du monde entier ont lancé des accusations de « pinkwashing » et de « féminisme colonial ». Et ce, bien que les Nations unies aient déclaré que la violence systématique fondée sur le genre était un crime au regard du droit international.
Contrairement aux hommes, les femmes ne représentent pas la nation. Elles la symbolisent, affirme Joanne Sharp, professeur de géographie britannique. En tant que porteuses des idéologies de la nation, les femmes sont chargées de marquer les frontières entre les races, les classes et les groupes ethniques, principalement en tant que mères, mais aussi en tant qu'épouses et filles. C'est pourquoi la femme israélienne est une proie particulièrement importante. Elle est non seulement un symbole de la judéité, mais aussi de la nation et de l'État d'Israël. Le pouvoir sur son corps devient donc une humiliation de l'homme israélien, du soldat et de la puissance militaire.
Une autre femme morte qui a démontré la fonction symbolique des femmes est la Jina irano-kurde Mahsa Amini, dont le destin tragique a été le point de départ de la révolte féministe iranienne de septembre 2022. Il était facile de s'identifier à Amini, car elle était du bon côté pour tout le monde – sauf, fondamentalement, pour le régime iranien.
L'écologiste Andreas Malm, également dans Parabol (3/23), s'est insurgé contre les réactions consternées qui ont suivi le pogrom du Hamas, comme si leurs actions étaient l'expression d'une « terreur non provoquée, du mal à l'état pur et de la barbarie dans sa forme la plus pure ». Malm nous dit que c'est cela la « lutte anticoloniale » armée. Et dans cette approche, il n'y a en réalité que deux camps : celui du colonisateur et celui de l'opprimé. Et pour Malm lui-même, un seul camp.
Quelle place reste-t-il pour les femmes dans cet arrangement ? Peut-être la femme israélienne dans le camion était-elle l'une des sympathisantes des colons de Benjamin Netanyahou ? Probablement pas. Peut-être que les femmes palestiniennes dont les maisons et les familles sont actuellement détruites – craignent également l'organisation théocratique et répressive qu'est le Hamas ? Ce n'est pas improbable.
La sociologue Eva Illouz observe dans le journal israélien Haaretz (3 février 24) que le système de pensée autrefois complexe du monde occidental autour de valeurs normatives fixes, telles que l'égalité, la démocratie, la liberté d'expression, la diversité et la tolérance, a été réduit au cours de ce conflit à deux pôles mutuellement homogènes : l'islamophobie et l'antisémitisme – et souvent chez des personnes qui n'ont pas une connaissance approfondie de ces deux notions.
Nombreux sont ceux qui ont souligné les problèmes posés par cette dichotomie. Mais plus nombreux encore sont ceux qui ont appelé à prendre position sur ce génocide potentiel. C'est compréhensible, et l'importance des mouvements de protestation populaire ne doit pas être sous-estimée. Mais malgré les voix qui prétendent défendre « les femmes et les enfants » (souvent ensemble), je vois peu de perspectives qui prennent comme point de départ les violences sexuelles incessantes du Hamas contre les Israélien·nes au festival, ou les contre-voix des femmes palestiniennes au pouvoir patriarcal et antidémocratique du Hamas.
Les théoriciens postcoloniaux ont souligné la difficulté de parler au nom des subalternes et de les représenter. Ce que nous pouvons faire, c'est créer des espaces discursifs pour ces voix. Et depuis notre distance sûre et « endommagée par la paix », nous devrions pouvoir faire de la place à la femme israélienne mutilée et morte, et ouvrir la possibilité de pleurer sa vie également, bien qu'elle se trouve du « mauvais » côté des lignes de conflit – qui, dans ce cas, sont plus que deux.
Catrin Lundström
https://fempers.se/2024/11/sexuellt-vald-kan-inte-vara-antikolonial-kamp/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
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Elections locales en Turquie : un camouflet inédit pour le régime

En Turquie, les oppositions viennent d'obtenir une victoire inattendue face à la coalition au pouvoir, menée par le président récemment réélu Recep Tayyip Erdogan. Une bonne nouvelle pour le camp démocratique mais aussi pour le mouvement kurde, qu'analyse dans cet article Emre Öngün, même si le régime n'a nullement dit son dernier mot et a déjà commencé à remettre en cause le verdict des urnes.
Tiré du site de la revue Contretemps.
Les élections pour renouveler l'ensemble des collectivités locales en Turquie ont eu lieu le 31 mars 2024. Il s'agissait d'un scrutin multiple. Chaque électeur/trice était appelé-e à voter plusieurs fois : pour son muhtar (élu à l'échelle du quartier ou du village en zone rurale), le/la maire, le conseil municipal et, dans le cas des « municipalités métropolitaines », pour le/la maire métropolitain-e, et pour les départements sans « municipalité métropolitaine » des conseils départementaux (qui ont assez peu d'importance en Turquie).
Deux précisions doivent donc être faites concernant ces formes de représentation :
1) Les « municipalités métropolitaines » correspondent à peu près au statut de Paris en France. Elles regroupent, d'une part, municipalité et département en une seule institution et, d'autre part, elles se subdivisent en arrondissements (39 à Istanbul dont la population varie entre 16.000 et 1 million d'habitants). Les membres du conseil de la métropole sont élus dans les arrondissements (comme pour Paris, Lyon et Marseille). Il existe 30 municipalités métropolitaines en Turquie dont la population varie entre 750 milles habitants (Erzurum)[1] à 16 millions (Istanbul)… Ces 30 métropoles représentent plus des trois-quarts de la population totale.
2) L'élection du maire se fait au suffrage direct uninominal à un tour et celui du conseil municipal à la proportionnelle. Ainsi, il arrive régulièrement que le maire élu doive cohabiter avec un conseil municipal qui lui est hostile en majorité.
Enfin, il ne faut jamais perdre de vu le caractère colonial et répressif de la politique étatique à l'égard des Kurdes. Lors des deux dernières élections locales, la quasi-totalité des maires issus du mouvement kurde (DBP/HDP) ont été emprisonnés et les localités mises sous tutelle. En outre, les élections dans ces localités font l'objet de mesures de répression ou de manipulation spécifiques, ce qui a été encore le cas en 2024.
Radiographie de la défaite du bloc erdoganiste
Au regard du dispositif institutionnel, il est possible d'analyser les résultats des élections à partir de plusieurs indicateurs : maires élus, scores aux conseils municipaux et départementaux, nombre total de voix… Or, quel que soit l'indicateur retenu, le résultat est sans appel : il s'agit d'une véritable claque pour l'AKP (Parti de la Justice et du Développement, conservateur, nationaliste, capitaliste) du président Erdogan[2] et, dans une certaine mesure, pour son partenaire ultranationaliste du MHP (Parti de l'Action Nationaliste, ultranationaliste).
Si on examine les scrutins pour les conseils départementaux et métropolitains en nombre de voix, l'évolution entre les élections locales de 2019 et 2024 (voir carte en illustration) ainsi que l'élection parlementaire de 2023 se présente ainsi :
Ainsi, en 10 mois, l'AKP et le MHP ont perdu 6 millions d'électeurs. Pourtant, Recep Tayyip Erdogan avait annoncé le soir même de sa réélection comme président son prochain objectif : la reconquête des municipalités perdues en 2019, en particulier Istanbul dont il a été maire. Il pouvait être raisonnablement optimiste puisqu'il avait déjà déjoué les analyses qui le donnaient perdant lors des élections générales et qu'avec le souffle de la défaite, la principale coalition d'opposition avait explosé.
Cette coalition composée principalement du CHP (Parti de la République et du Peuple, centre gauche « laïc » nationaliste) et du Iyi (Bon Parti, droite issue de l'ultranationalisme) n'avait pas résisté à la politique de la « terre brulée » du Iyi rompant tout accord avec le CHP et oscillant dans son degré d'opposition à l'AKP. De son côté, de manière légitime et face à la faible ouverture du CHP, le mouvement kurde présentait ses propres candidats dans les grandes villes de l'Ouest (contrairement à 2019).
Pourtant, le résultat du 31 mars a été le plus gros revers de l'histoire du parti présidentiel qui a perdu, symboliquement, la première place en termes de voix à l'échelle du pays au profit du CHP, qui enregistre, de son côté, un succès historique. A l'échelle des localités, les résultats sont très durs pour les deux principaux partis de la coalition au pouvoir (alliés dans un grand nombre de municipalités mais concurrents dans ce qui est considéré comme des bastions du régime ou des localités ingagnables). Les 5 plus grandes métropoles du pays (Istanbul, Ankara, Izmir, Bursa, Antalya), qui représentent à elles seules plus du tiers de la population totale, sont désormais dirigées par le CHP. Sur les 10 plus grandes, l'AKP n'en conserve que 3.
A Istanbul, le maire CHP sortant, Ekrem Imamoglu, a facilement gagné avec 51% et 12 points d'avance sur son terne adversaire bureaucrate de l'AKP. Il est non seulement réélu maire mais, de plus, le CHP remporte 26 arrondissements sur 39, ce qui lui assure une confortable majorité au Conseil de la métropole et lui permet de mettre un terme à sa cohabitation avec une majorité AKP hostile. Le CHP remporte les arrondissements d'Üsküdar (détenu depuis 30 ans par le parti de l''islam politique Fazilet, puis par l'AKP) et de Beyoglu où Erdogan avait pris ses premiers galons.
Ekrem Imamoglu, homme fort du CHP depuis que son allié Özgür Özel a été élu président du parti au dernier congrès en délogeant le président sortant Kemal Kiliçdaroglu (une première en 100 ans dans l'histoire de ce parti), est plus que jamais « l'alternative » pour concurrencer Erdogan. Son discours de victoire a, comme d'habitude, cherché à ressembler sur un terrain démocratique l'ensemble des composantes de la société en nommant chaque minorité. S'il a un profil éclectique et, au fond, libéral en matière économique, il est à noter qu'il s'est toujours garder de critiquer le DEM (parti du mouvement national kurde, continuité du HDP) et a régulièrement dénoncé la répression dont celui-ci a fait l'objet. Son allié Özel a également abordé ce sujet dans son discours .
A Ankara, le résultat est carrément une humiliation pour l'AKP avec 60% pour le maire sortant CHP (l'ex-ultranationaliste Mansur Yavas) contre 31% pour son challenger erdoganiste, un affairiste caricatural. Là aussi, le CHP remporte la majorité des arrondissements et le conseil métropolitain, contrairement à 2019.
A Bursa, seule métropole du top 5 qui échappait au CHP, l'AKP-MHP (qui se présentaient ensemble) connaissent une chute entre 10-14 points selon l'indicateur retenu, qui profite à la fois au CHP et à des partis d'opposition sur sa droite.
Un succès inattendu pour les oppositions
La soirée électorale fut en grande partie une accumulation de succès, pour nombre d'eux inattendus, pour le CHP. Il serait trop long de tous les citer. Toutefois, il est possible, d'en retenir quelques-uns qui donnent l'ampleur du bouleversement.
A Manisa (1,5 millions d'habitants, ouest anatolien) où le CHP n'avait jamais gagné la mairie depuis 1950, mairie aux mains du MHP depuis 2009, le CHP balaye le MHP-AKP avec 57% contre 30% au maire sortant et progresse de 19 points au scrutin pour le conseil. Dans l'arrondissement minier de Soma, où un terrible coup de grisou avait entrainé la mort de 301 mineurs il y a 10 ans, le CHP écrase l'AKP au pouvoir avec 58% en doublant son score…
Dans la région de la Mer Noire occidentale, les évolutions sont tout aussi spectaculaires et… surprenantes. Par exemple, pour le petit chef-lieu de Bartin, considéré comme une forteresse du régime, le CHP remporte facilement le scrutin en doublant son score et en obtenant plus de 50% des voix alors même que le MHP et l'AKP avaient obtenu les deux tiers des votes en 2019.
Autre cas, encore plus spectaculaire, la ville d'Adiyaman (Anatolie du sud) où le CHP avait laissé son partenaire de droite Iyi se présenter lors des précédentes élections locales (avec un score de 12%). Au scrutin parlementaire de 2023, le CHP a obtenu 22% … et remporte largement celui du 31 mars 2024, en doublant son score (précisons que le candidat CHP n'est pas transfuge d'un autre parti).
Si l'AKP et le MHP sont les grands perdants de la soirée, ce qu'a admis Erdogan dans un discours assez terne, il en existe d'autres. Le premier est le Iyi qui est globalement balayé lors de ce scrutin avec 3,8% et un seul chef-lieu (et encore il s'agit d'un maire sortant AKP qui a changé d'affiliation lorsque son parti a rejeté sa candidature). Sa tactique de se présenter quasi systématiquement « seul » et de prendre le risque d'offrir des postes de maires à l'AKP à la faveur de la division a été très mal vécue par une grande partie de son électorat.
La crise qui couvait en son sein a éclaté dès hier soir. S'étant constituée en tant que parti de centre-droit d'opposition à l'AKP, il n'a jamais trouvé sa place. Les autres perdants sont tous les petits partis de droite (Saadet, DEVA, GP) auquel le CHP de Kiliçdaroglu avait donné une place disproportionnée lors des élections générales avec l'objectif d'attirer un électorat conservateur. Ces partis sont généralement en dessous de 1%. C'est l'idée même du type d'alliance réalisée par Kiliçdaroglu en 2023 qui prend du plomb dans l'aile : une alliance essentiellement oppositionnelle paralysée par des négociations internes interminables et qui s'avère incapable d'avancer des propositions au-delà de la lutte contre la corruption.
Si le CHP est le grand gagnant de la soirée, il n'est pas le seul. Le DEM a montré une nouvelle fois l'impressionnante résilience du mouvement national kurde. Alors même que ces dix dernières années signifiait pour un élu local de ce mouvement aller en prison, il a réussi à présenter des équipes qui ont engrangé davantage de victoires qu'en 2019 malgré la répression et la tutelle imposée par l'Etat central à leurs localités. Le DEM a gagné par rapport à 2019 les chefs lieu de Mus et Agri face à l'AKP et Tunceli/Dersim face au CHP (dans une tout autre configuration).
Ces résultats auraient été encore meilleurs si le régime n'avait pas déplacé des fonctionnaires et des soldats dans certains chefs-lieux moins peuplés (Bitlis, Sirnak, Kars) au Kurdistan pour avantager l'AKP. Le DEM estime à 20.000 ces électeurs occasionnels. Au demeurant, quand on regarde à l'échelle des départements dans leur globalité (score au conseil départemental), le DEM gagne dans l'ensemble du Kurdistan y compris là où elle n'a pas emporté le chef-lieu.
L'autre grand gagnant de la soirée est le YRP (Yeni Refah Partisi, Parti de la Nouvelle Prospérité) dirigé par Fatih Erbakan, le fils de feu Necmettin Erbakan, fondateur du mouvement Milli Görüs(Vision Nationale) dont sont issus les premiers partis de l'islam politique de Turquie (MSP, Refah, Fazilet) – les noms successifs sont la conséquences des interdictions dont ils ont fait l'objet. Le père Erbakan a été le mentor du jeune dirigeant Erdogan avant que celui-ci ne prenne son indépendance avec les « rénovateurs » du parti et conquiert le pouvoir avec l'AKP.
Après avoir gagné 4 députés à la faveur d'un accord parlementaire avec l'AKP, le YRP s'est présenté de manière indépendante quasiment partout et a réussi une percée en atteignant 6% ou 7% des voix selon l'indicateur retenu. Le YRP a même remporté l'une des 10 plus grandes métropoles du pays SanliUrfa (2,1 millions d'habitants, frontière sud du Kurdistan) et, contre l'AKP, le bastion conservateur de Yozgat (Anatolie centrale) grâce à des transfuges venus de ce parti même si ces maires n'ont pas obtenu de majorité à leurs conseils municipaux.
Si ce genre de victoire est due à des politiciens bien implantés, la progression du YRP est globale et ce parti atteint des scores significatifs par sa seule force. Avec sa plateforme très conservatrice (rappelons que son programme prévoit la suppression pure et simple du délit de violence conjugale), le YRP apparaît comme un concurrent de l'AKP sur « sa droite », capable de capter l'intérêt d'un électorat conservateur mécontent de la crise économique, de la corruption de l'AKP et, pour les plus politisés, de son hypocrisie en ce qui concerne la Palestine (des discours et des prières pour Gaza mais aucune interdiction d'exportation vers Israël, y compris de matériel militaire).
Dans une moindre mesure, les ultranationalistes du ZP (Parti de la Victoire) spécialisés dans le discours de haine anti syrien, en plus de la haine antikurde, se maintiennent autour de 2% sans toutefois réussir de percée.
Enfin, les différents partis de gauche marxiste se présentaient également hors Kurdistan de manière dispersée dans un scrutin qui ne leur est généralement pas favorable et n'ont pas obtenus des résultats élevés. Ces partis ont été impactés par la vague CHP et handicapés par leur division là où une victoire aurait pu être possible face au CHP (ces partis sont surtout forts là où les oppositions sont hégémoniques). Notons tout de même la victoire du TIP (Parti des Travailleurs de Turquie, marxiste) dans l'arrondissement arabophone de Samandag (Suwadiyah en arabe, 100 milles habitants) du département de Hatay à la frontière syrienne.
Les ressorts de la défaite du bloc erdoganiste
La question qui s'impose est pourquoi un tel revers pour l'AKP moins d'un an après son succès lors des élections générales ? Il est évidemment trop tôt pour une analyse fine de ces résultats, néanmoins certaines observations peuvent être formulées.
L'électorat de l'AKP et MHP semble avoir connu une érosion dans deux directions en moins d'un an :
– La première est vers l'abstention. En effet, celle-ci a augmenté d'une façon globale : la participation n'a été « que » de 77% contre 84% en 2019 (et 86% aux élections générales de 2023). Ces taux de participation peuvent laisser songeur en France mais pour un pays hyper-politisé comme la Turquie, où les élections constituent un moment social très important et où toutes les collectivités locales sont renouvelées en même temps, 77% est un taux assez faible. Cette évolution semble tenir principalement aux électorats de l'AKP et du MHP.
– La deuxième est vers l'YRP, devenu la valeur refuge de la contestation conservatrice sans prendre le risque d'un quelconque « progressisme » social du CHP.
Entre temps le vote d'opposition s'est concentré en grande partie sur le CHP, qui absorbe la majorité de l'énorme recul du Iyi et récupère le vote des Kurdes de l'Ouest (hors Kurdistan) comme le prouve le très faible score obtenu par le DEM à Istanbul (2%) bien en dessous de son potentiel (8,2% en 2023).
Plusieurs pistes peuvent être abordées pour expliquer la désaffection des électeurs de l'AKP et le renforcement des oppositions. La première est, bien entendu, une crise économique qui n'en finit pas et entraîne un appauvrissement de la population. Toutefois, les effets de cette crise ne s'accumulent pas de manière linéaire depuis 2023. Jusqu'aux élections de 2023, Erdogan avait tout indexé sur la victoire politique et mis en œuvre les « erdoganomics » qui n'étaient qu'une accumulation de mesures sociales contracycliques ponctuelles, en somme des expédients, combinée à une politique de taux d'intérêt artificiellement bas.
Cette politique, dénoncée par tous les économistes libéraux, permettait de soulager la vie quotidienne mais ruinait les réserves en devises de la Banque centrale et n'était pas viable à long terme. La désignation de Mehmet Simsek, l'homme de confiance de la finance internationale, au ministère des finances et de Hafize Gaye Erkan (une ancienne de Goldman Sachs et de First Republic) à la Banque Centrale (jusqu'à sa démission en février 2024) signifiait un retour à un libéralisme orthodoxe.
Une concrétisation de cette nouvelle situation économique est l'évolution des pensions de retraites dans un contexte de très forte inflation (65% sur un an selon les chiffres officiels, 122% selon le collectif de chercheurs indépendants ENA). A trois semaines des élections locales, Erdogan a été ainsi obligé de déclarer que même si tous les investissements publics étaient stoppés, il serait impossible de financer une réévaluation des retraites au niveau de l'inflation et qu'il valait mieux attendre la baisse de l'inflation (espéré au second semestre) pour mener une politique de revalorisation… cela alors même que les retraités constituent une part très importante de son électorat et connaissent un appauvrissement significatif.
L'absence d'amélioration dans la vie quotidienne de la grande majorité de la population rend d'autant plus insupportable la corruption et le népotisme de l'Etat AKP-MHP dont les exemples sont innombrables, des ministres jusqu'au plus petit responsable local : contrats publics obtenus dans un système de corruption permanent, obtention d'emploi public uniquement par proximité partisane, enfants de responsables esquivant les résultats de concours publics, hypocrisie de de l'affichage de vertus morales tout en étalant une richesse de parvenus etc… Cela rend également insupportable le refus même d'appliquer la loi, quand cela arrange le régime, et un arbitraire toujours présent.
Enfin, le régime ne parvient définitivement plus à porter un quelconque horizon souhaitable et répète en boucle, tel un disque rayé, le discours sur « les dangers des terroristes », les « valeurs familiales en danger » et « l'unité de la nation ». Erdogan avait réussi à jouer des peurs sur ces thèmes tout en sauvant les meubles sur le plan social à coup d'expédients. Dans un scrutin local, qui se prête plus difficilement à une telle dramatisation, et dans un contexte de dégradation de la situation sociale, cette recette n'a pas marché.
Quelle perspective post-Erdogan ?
Pour autant, les jours du régime erdoganiste sont-ils définitivement comptés ? L'échec des oppositions en 2023 invite évidemment à la prudence mais, plus que jamais, la principale force qui peut empêcher la chute d'Erdogan n'est pas Erdogan lui-même mais le potentiel élevé d'ineptie politique du CHP.
Le soir du scrutin, la plupart des commentateurs ont évoqué le précédent des élections locales de 1989 lors desquelles le SHP (Parti Social-Démocrate Populaire, ancêtre de l'actuel CHP) avait connu un succès historique. Il était également rappelé que cette vague avait été suivie par un important reflux, avec des expériences municipales plus ou moins désastreuses marquées par des affaires de corruption (notamment à Istanbul) qui ont entraîné un échec lors des élections générales suivantes.
Ce risque existe toujours bien entendu. Il suffit de songer au fait que le CHP a présenté malgré toutes les critiques une figure aussi contestée pour corruption que le maire sortant Lütfü Savas à Hatay, finalement battu par l'AKP malgré la vague CHP dans le reste du pays. Mais il en existe un autre plus important et structurel : celui du racisme antikurde (et antisyrien) inhérent à de larges pans du CHP.
Ainsi, la candidate du CHP à Afyon Karahisar (Anatolie occidentale) a déclaré avant son élection que si elle gagnait sa mairie serait à ouvert à tou-te-s sauf aux représentants du DEM créant une mini crise au sein du CHP… Or, à la surprise générale, cette candidate a remporté la victoire et est désormais une maire… hostile au DEM. Certes, le président du CHP, Özgür Özel a dénoncé les injustices subies par le DEM lors de ce scrutin. Certes, Ekrem Imamoglu a fait de même, et évoqué souvent la nécessité de considérer de manière fraternelle les Kurdes de Turquie. Il a également déclaré publiquement qu'il serait insensé de considérer le DEM et ses millions d'électeurs comme des « terroristes »…
Mais tout cela reste des propos fragiles au regard d'un appareil lourd qui a une longue tradition de nier, si ce n'est de repousser, les aspirations des Kurdes de Turquie.
Le test réussi de Wan/Van
A peine 48 heures après le scrutin, les forces d'opposition passaient leur premier examen. Le conseil électoral de Van refusait de valider la victoire du candidat du DEM, Abdullah Zeydan, qui avait pourtant remporté le scrutin avec 57% avec 30 points d'avance sur le candidat de l'AKP.
Le prétexte donné tient dans une argutie juridique déposée à 5 minutes de la fermeture de l'instance décisionnaire le vendredi soir alors qu'A. Zeydan était candidat depuis 2 mois. Non seulement, le comité électoral a annulé la victoire d'A. Zeydan mais plutôt qu'annuler le scrutin pour un vice de procédure (qui n'existait pas), a offert la victoire au candidat de l'AKP qui avait fini 2ème … Cela intervient après 10 ans d'annulation systématique de scrutins remportés par le mouvement national kurde.
La réaction du DEM ne s'est évidemment pas faite attendre, condamnant cette décision arbitraire. La population de Van et de villes kurdes a entamé des manifestations, brutalement réprimées par la police. 15 jours d'interdiction de manifestations et de rassemblement ont été décrétés à Van et ne sont d'ores et déjà pas respectés.
La gauche radicale turque a également protesté, le président du TIP, Erkan Bas, s'est rendu à Van pour participer aux mobilisations. Le changement avec la période précédente tient dans le fait que la nouvelle direction du CHP, par la voix de son président, Ö. Özel mais aussi du maire d'Istanbul, E. Imamoglu, ont condamné immédiatement et fermement l'annulation de l'élection à Van (mais ne s'y sont pas rendus dans les 24 heures).
Si la direction de l'AKP a expliqué que tout cela relevait d'un fonctionnement légal « normal », de nombreux soutiens médiatiques du régime même parmi les plus virulents et veules, ne sont pas parvenus à défendre une opération aussi grossière au lendemain d'une défaite historique. 24 heures de mobilisation plus tard, le Haut Conseil Electoral admettait l'élection d'A. Zeydan et cassait la première décision.
Il s'agit d'un premier test réussi pour le combat démocratique après le bouleversement qu'ont été ces élections locales. Les succès sont assez rares pour ne pas les apprécier. Il ne s'agit, toutefois, que d'un premier test, face à une opération mal ficelée, et la route de la démocratisation de la Turquie reste encore longue.
Au final, le contraste est saisissant avec le voisin russe et ses élections sans suspense, alors même que les profils politiques de Poutine et d'Erdogan font l'objet de rapprochements (souvent justifiés). La société de Turquie a prouvé une nouvelle fois que, tout en étant structurée par les contradictions du colonialisme et du racisme envers les Kurdes, elle est profondément marquée par une culture démocratique minimale mais solide.
Minimale parce que centrée presque uniquement autour des élections, et pouvant supporter qu'une partie du pays soit privée de représentation locale propre (les tutelles imposées au Kurdistan). Mais solide parce que le vote, et plus largement la politique, sont, malgré tout, considérés comme un enjeu important déterminant le cours de la société. Il s'agit d'un terrain sur lequel il est possible de dégager une perspective pour la démocratisation et les droits sociaux dans une perspective de classe.
Notes
[1] Certains arrondissements d'Istanbul (2 pour être précis) comptent donc davantage d'habitants que les plus petites « métropoles ».
[2] La seule victoire de l'AKP sur un CHP est à la métropole de Hatay où le maire sortant CHP Lütfü Savas, très contesté au sein même de son camp, était fortement remis en cause pour de nombreuses affaires de corruption qui ont eu pour conséquence dramatique l'effondrement de nombreux immeubles lors du grand tremblement de terre de février 2023.
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Afghanistan : mille jours de gouvernement taliban

Non, le « cimetière des empires », désormais Émirat islamique d'Afghanistan – n'a pas purement et simplement disparu du radar de la tumultueuse actualité agitant de toutes parts l'Asie-Pacifique, loin s'en faut. A minima, disons qu'il s'est fait un tant soit peu plus discret dernièrement, moins omniprésent, laissant à d'autres théâtres asiatiques eux aussi terriblement fébriles le devant de la scène géopolitique régionale, comme le détroit de Taïwan, la mer de Chine du Sud, la péninsule coréenne ou la frontière sino-indienne.
Tiré de Asialyst
29 mars 2024
Par Olivier Guillard Olivier
Au marché du district de Baharak dans la province afghane du Badakhshan, le 25 février 2024. (Source : Al Jazeera)
*Relevons à ce propos que le Département d'État américain dénonçait le 21 mars en des termes sévères l'administration Trump pour sa gestion désordonnée du retrait complet des forces américaines d'Afghanistan.
Certes, près de trois ans après la désintégration à l'été 2021 de l'administration Ghani à Kaboul, la défaite – par KO et chaos – du camp pro-démocratie sous les coups de boutoir des mollahs talibans et de leurs troupes zélées, pour ne pas parler du retrait précipité*, sinon désordonné, voire déshonorant, d'une coalition internationale éreintée par deux décennies de présence, d'espérance et d'impuissance conjuguées, cette nation passerelle entre les Asies centrale et méridionale ne s'est pas départie de sa jurisprudence crisogène, ni de sa fébrilité maladive, moins encore de sa sinistralité coutumière. L'actualité de ces derniers jours, des semaines passées, en témoigne plus qu'il ne faudrait.
Entre querelles régionales et terreur transfrontalière
*La veille donc de l'attaque perpétrée près de Moscou par l'EI, au bilan humain considérable. **Mentionnons ici l'inquiétude de Washington quant au regain récent d'activités d'Al-Qaïda en Afghanistan, appelant fin 2023 dans divers communiqués ses sympathisants à attaquer les ambassades occidentales et israéliennes en réponse au conflit Israël-Hamas.
Le 21 mars*, à Kandahar, seconde ville du pays et terreau méridional originel des talibans, un attentat-suicide perpétré devant une banque et imputé au groupe terroriste État islamique (EI) faisait une vingtaine de victimes civiles se pressant alors devant l'établissement, en plein ramadan. Un énième acte inqualifiable condamné par les Afghans et la communauté internationale : « une attaque terroriste insensée », selon les mots de la chargée d'Affaires américaine en Afghanistan**.
Trois jours plus tôt, le 18 mars, les forces pakistanaises menaient des frappes aériennes sur l'Est afghan, sur les provinces de Paktika et Khost, laissant dans leur sillage une dizaine de morts parmi la population. Une attaque amenant les troupes frontalières afghanes à riposter à l'arme lourde. Islamabad justifie ces frappes en réponse à l'attaque meurtrière (7 morts dans les rangs des forces pakistanaises) engagée 48 heures plus tôt au Nord-Waziristan (Pakistan) par des Talibans pakistanais (TTP), dont la base-arrière se trouverait sur le sol afghan, ce que nie véhément le gouvernement taliban afghan. Des événements graves fragilisant plus encore la très erratique relation entre ces deux nations partageant 2 670 km de frontière commune… et bien des désaccords.
*Selon l'ONU, 1,5 million d'Afghans vivraient au Pakistan sans document officiel. Sur ce total, 600 000 personnes auraient gagné le « pays des purs » dans la foulée du retour à Kaboul des talibans en août 2021.
Du reste, comment pourrait-il en aller différemment au premier trimestre 2024 entre Kaboul et Islamabad alors que cette dernière a décrété en novembre dernier le rapatriement express vers l'Afghanistan – le HCR* parle de retour forcé – des réfugiés afghans présents au Pakistan et ne pouvant justifier de papiers d'identité (carte de citoyenneté) en bonne et due forme. Depuis octobre 2023, un demi-million d'Afghans ont dû quitter ce havre très relatif, par-delà la Ligne Durand (frontière).
Mi-janvier, pendant une dizaine de jours, on déplorait par ailleurs à la frontière afghano-pakistanaise, au poste de Torkham, un interminable embouteillage de camions, de transports de marchandises sur des kilomètres, Islamabad renforçant les exigences en matière de documents d'identité (passeport et visas valides pour les conducteurs afghans à compter du 13 janvier). En retour, les autorités talibanes afghanes interdisaient aux véhicules de transport pakistanais d'entrer en Afghanistan.
Sur le front de la lutte contre la pauvreté : entre piètre gouvernance et incompétence
La gouvernance talibane, déjà sujette à caution sur de multiples plans, tarde de toute évidence à délivrer ses bienfaits à la population. Même surtout pour ses besoins primaires : selon le dernier rapport du Special Inspector General for Afghanistan Reconstruction (SIGAR), au printemps 2024, l'insécurité alimentaire sévère touche 16 millions d'Afghans. De leur côté, les Nations unies (UNOCHA) révèlent que du fait des ingérences et obstructions multiples des talibans sur le terrain – plus de 130 répertoriées officiellement pour le seul mois de novembre 2023 – dans le déroulement des opérations humanitaires, une trentaine de projets d'assistance diverses à la population afghane ont dû être interrompus, affectant les franges les plus exposées, les régions les plus sinistrées. Ce, alors même que selon l'OMS, environ 18 millions d'Afghans ont cruellement besoin d'une assistance en matière de soins de santé.
Sans surprendre, ce n'est pas dans le domaine économique et de la gestion des finances publiques que la supposée expertise talibane a jusqu'alors fait des miracles : selon la Banque mondiale, lors de leurs deux premières années aux affaires, l'économie afghane s'est respectivement contractée de –20,7 % et –6,2 %. Le Bureau international du travail (BIT) évolue à près d'un million les destructions d'emplois en Afghanistan depuis l'été 2021.
Les droits de l'homme, angle mort de la feuille de route talibane
*Evoquant une « campagne de persécution » envers les femmes, Amnesty international parle de « crime contre l'humanité ». **Madame Roza Otubayeva, le 20 décembre 2023.
Contrairement aux promesses des responsables talibans faites à l'été 2021, les droits de l'homme figurent en bonne place des secteurs sinistrés sous leur joug obscurantiste. Peu avant Noël, lors d'une allocution à la tribune du Conseil de Sécurité, la Représentante Spéciale du Secrétaire général de l'ONU détaillait, désemparée, à son auditoire, l'effroyable panorama de souffrance et d'affront fait aux Afghanes et aux Afghans : « Discrimination systématique à l'égard des femmes* et des filles, répression de la dissidence politique et de la liberté d'expression, absence de représentation significative des minorités, cas constants d'exécutions extrajudiciaires, d'arrestations et de détentions arbitraires, tortures et mauvais traitements. »**
*Human Rights Watch, World Report 2024 : Afghanistan, p.4. **Les 18-19 février 2024, une réunion des envoyés et représentants spéciaux des Nations unies pour l'Afghanistan était organisée à Doha, afin de définir une ligne de conduite pour l'engagement international en Afghanistan et faciliter le dialogue entre les Talibans et la communauté internationale. Cette dernière s'est conclue sur un constat d'échec. ***Première femme afghane nommée diplomate, présidente et fondatrice de l'association Afghanistan Libre.
Sans parler comme il se doit des assauts incessants en direction de la résiliente, méritante société civile afghane et de ses magnifiques hérauts*. « Comment a-t-on pu accepter que les talibans s'assoient à la table des négociations à Doha ? »**, s'emporte à bon droit Chékéba Hachemi***, dont le propos à fleur de peau est relayé dans un très éclairant article du magazine Le Point publié le 8 mars au titre éloquent, sinon glaçant : « En Afghanistan, 28 millions de femmes et de filles emmurées vivantes »**.
Plutôt que de se montrer enclin à quelque assouplissement ou réforme en la matière, le gouvernement taliban préfère arrêter sur la voie publique les femmes pour non-conformité au code vestimentaire, ou encore annoncer le recrutement de 100 000 professeurs qui dispenseront leur enseignement dans des madrassas. Pour rappel, dès 2022, l'administration talibane faisait la promotion de l'étrange concept pédagogique de « public jihadi madrassas », où la priorité serait – dans chacune des 34 provinces du pays – donnée à l'enseignement religieux, loin devant toute autre matière.
La course à la reconnaissance internationale
*Après un premier quinquennat entre 1996 et 2001. **Tolonews (Afghanistan), 24 mai 2023, ***L'ambassade de la République populaire de Chine à Kaboul est – à l'instar de quelques rares autres (Inde, Iran, Pakistan, Japon, Russie ou Arabie saoudite) – ouverte et fonctionnelle au printemps 2024. ****En 2023, plusieurs grands groupes d'État chinois ont négocié divers accords d'investissements avec le gouvernement taliban, dans le secteur de l'exploitation des hydrocarbures notamment (contrat de 25 ans). *****On pense ici notamment au souhait de Pékin et d'Islamabad d'inclure l'Afghanistan dans l'ambitieuse autant que controversée Belt & Road Initiative chinoise (BRI).
Près de trois ans donc après le retour* à Kaboul d'un gouvernement taliban, la communauté internationale dans son entièreté s'est jusqu'alors abstenue de lui accorder la reconnaissance officielle à laquelle cette administration peu éclairée aspire tant. Une lenteur qui n'est pas sans exaspérer cette ancienne insurrection radicale peu versée en son temps dans la diplomatie… Pour autant, quand le Département d'État américain explique que « les talibans doivent gagner en légitimité pour être reconnus à l'échelle internationale »**, les maîtres actuels de Kaboul et de ce territoire enclavé entre Asie centrale et sous-continent indien défendent un tempo et un mode opératoire fort différents. Notamment lorsque Pékin accueillait le 1er décembre 2023 le nouvel « ambassadeur » taliban dans la capitale chinoise***. Ou encore quand les capitales régionales d'Asie méridionale et d'Asie centrale, en plus de Pékin****, Moscou et Ankara, se désolidarisent peu à peu de cet embargo occidental sur la reconnaissance internationale de ce régime disputé***** pour favoriser pragmatiquement leurs intérêts sécuritaires et économiques respectifs. Avec pour dénominateur commun le principe d'interagir avec les talibans plutôt que de les isoler – si certaines conditions sont préalablement réunies******.
Le cimetière des espérances
*Office des Nations unies contre la drogue et le crime – UNODC.
En 2022, les talibans ont certes interdit la production et le commerce de l'opium, faisant brutalement chuter l'année suivante les revenus générés par ce trafic éminemment lucratif (réduite de 90 %, la récolte 2023 d'opium aurait généré « seulement » 200 à 260 millions dollars, contre plus d'1,5 milliard de dollars deux ans plus tôt*). Mais au regard du passif global considérable associé à leur management austère et anachronique de ces trois dernières années, leur accorder la précieuse reconnaissance internationale de leur « gouvernement » sonnerait comme un effroyable mépris pour les souffrances endurées par la population accablée de ce si tourmenté cimetières des empires – sinon des espérances et de la gouvernance.
Propos recueillis par Olivier Guillard
*****
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Les sondages pratiques quotidiens montrent que les Israéliens continuent à choisir cette guerre, même s’ils ne veulent pas de Netanyahou

La plupart des Israéliens savent que Benyamin Netanyahou leur ment. La plupart soupçonnent que ses choix politiques sont motivés par des intérêts personnels et familiaux. Autrement, le Likoud sous sa direction, selon les sondages, n'obtiendrait pas seulement 18 sièges à la Knesset. Et pourtant, la plupart des Israéliens le soutiennent. Certes, contrairement à ce que nous disent les sondages et les experts.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière. Article paru à l'origine dans Haaretz le 2 avril 2024. Traduction À l'encontre.
En effet, le sondage le plus fiable est bien celui de la participation persistante de milliers d'Israéliens à l'offensive militaire impliquant des massacres et une destruction massive à Gaza, ainsi qu'aux opérations d'oppression et d'expulsion qui se déroulent en Cisjordanie.
La volonté inébranlable des parents d'envoyer leurs enfants tuer et être tués, blesser et être blessés – et ensuite souffrir toute leur vie de post-traumatisme – est une réponse constante et invariable dans un sondage de facto réalisé quotidiennement. Le langage édulcoré et le consensus dans les médias, ainsi que l'attachement à la croyance que la guerre est la solution, est une sorte de réponse à une question posée en filigrane : qui soutiennent-ils ?
Les photos TikTok postées par des soldats – indiquant le manque de volonté ou l'incapacité des Forces de défense israéliennes (FDI) à stopper le flux de selfies en provenance de Gaza – montrent une bestialité arrogante dépourvue de toute inhibition de la part des soldats. Elles constituent une sorte de sondage. Les parents qui n'expriment pas de choc ou d'inquiétude sur le fait que leurs enfants, avec leurs propres smartphones, fournissent à la Cour pénale internationale des preuves à charge contre eux-mêmes sont également des sondés qui approuvent Netanyahou et sa politique militaire, même s'ils ne sont pas sondés à ce sujet et même s'ils ne votent pas pour lui.
Les réservistes qui se déplacent entre les manifestations de la rue Kaplan [centre de Tel-Aviv] et les ruines de Gaza ou son ciel parsemé de bombardiers ou de drones prédateurs sont également des personnes interrogées dans le cadre d'un sondage, dont la réponse est sans ambiguïté. Se plaindre continuellement que le monde est antisémite est la réponse souhaitée à un sondage qui fait saliver Netanyahou tous les matins.
Il en va de même du refus de comprendre que, contrairement à nos écrans de télévision, qui restent focalisés sur les horreurs du 7 octobre et les rapports déchirants sur ses victimes, les téléspectateurs des chaînes de télévision étrangères ont vu les horreurs des bombardements et de la famine délibérée dans la bande de Gaza au cours des six derniers mois. Ils connaissent des centaines, voire des milliers, de reportages bouleversants sur les victimes palestiniennes [1].
***
De nombreux Israéliens savent que le gouvernement dirigé par Netanyahou laisse sciemment des otages épuisés mourir de faim, de manque de médicaments, d'épuisement, de mauvais traitements ou des suites de frappes aériennes israéliennes. Apparemment, les Israéliens sont plus nombreux que jamais à soutenir cette « directive Hannibal » non déclarée (qui autorise l'armée à mettre en danger la vie d'un soldat pour éviter qu'il ne soit kidnappé) [2]. Tout cela au nom de la victoire absolue.
Beaucoup d'Israéliens savent que les otages, leurs familles et leurs terribles souffrances n'intéressent pas ce gouvernement. Ils ont été choqués par les déclarations publiques de mépris des hommes politiques et par leur manque d'empathie. Beaucoup d'Israéliens savent que les membres du cabinet sont des clowns ineptes dans le meilleur des cas, ou des politiciens rusés qui s'occupent de leur propre portefeuille dans le pire des cas.
Beaucoup d'Israéliens savent que le ministre (Bezalel Smotrich) des Finances et des colonies [dans le cadre du ministère de la Défense] détruit notre économie. Ils savent que la guerre le fait également. Que le ministre de la Sécurité nationale (Itamar Ben-Gvir) donne des instructions pour faire taire les manifestants, tout en démantelant la police. Ils savent que le ministre de l'Education (Yoav Kisch) détruit l'éducation et que le ministre des Communications (Shlomo Karhi) s'oppose à la liberté de la presse. Ils savent que le ministre de la Défense (Yoav Gallant) n'apporte pas la sécurité. Ils savent que l'Etat est sur la corde raide.
Et ils savent que la conception erronée formulée par le premier ministre, en collaboration avec les agences de renseignement et de sécurité, selon laquelle le Hamas à Gaza était contenu, qu'il se comportait comme nous voulions qu'il se comporte, est la raison de la grande catastrophe qui a frappé les plus de 1400 personnes mortes et enlevées, leurs familles et leurs communautés.
Et pourtant, les Israéliens continuent de soutenir ce gouvernement par le simple fait qu'il affirme « faire le travail » (l'euphémisme accepté pour l'invasion et le massacre) à Gaza, et accomplir loyalement la mission de dépossession menée par les forces de défense des colonies en Cisjordanie. Cela se traduit aussi par le fait même que l'Association médicale israélienne n'exprime pas son choc face aux rapports sur la famine à Gaza ; et que les juristes et les organisations de protection de l'enfance ne soulèvent même pas de questions sur le nombre élevé d'enfants palestiniens tués. Le soutien à ce gouvernement s'exprime aussi par le fait que les manifestants [clamant leurs récriminations face à Netanyahou] de la rue Kaplan n'ont pas rejoint en masse les dizaines de courageux activistes qui accompagnent les agriculteurs et les bergers palestiniens afin de les protéger de la violence des colons. Ni avant, ni pendant cette guerre.
***
Cette perception fallacieuse découle d'un objectif qui n'a pas changé : habituer les Palestiniens à l'idée que même leur aspiration minimale d'un petit Etat souverain à côté d'Israël ne sera pas réalisée, sans parler de leur attente qu'Israël reconnaisse en général sa responsabilité pour les expulsions de 1948 et accepte un certain processus de retour des réfugiés, sans parler de leur exigence d'égalité entre « le fleuve et la mer ».
L'objectif est resté le même, y compris lorsqu'un gouvernement israélien a accepté de reconnaître l'OLP lors des accords d'Oslo, mais pas, Dieu nous en préserve, le peuple palestinien. Peu à peu, puisque les Palestiniens refusent de se faire à cette idée et que les organisations de colons sont devenues les dirigeants de facto d'Israël, la réalisation de cet objectif est devenue de plus en plus violente et brutale.
C'est ainsi qu'on en est arrivé au « plan décisif » imaginé par Bezalel Smotrich pour les Palestiniens [voir article publié sur ce site le 13 novembre 2023] : soit accepter un statut inférieur, émigrer et être déraciné soi-disant de son plein gré, soit affronter la défaite et la mort dans une guerre. Tel est le plan actuellement mis en œuvre à Gaza et en Cisjordanie, la plupart des Israéliens étant des complices actifs et enthousiastes, ou acquiesçant passivement à sa réalisation, indépendamment de leur dégoût pour ce gouvernement et ses membres. La grande majorité continue de croire que la guerre est la solution.
Amira Hass
Notes
[1] Selon Le Monde du 1er avril 2024, « le Parlement israélien a adopté lundi 1er avril un projet de loi permettant d'interdire la diffusion de médias étrangers portant atteinte à la sécurité de l'Etat. La chaîne [Al Jazeera] a dénoncé une “campagne frénétique” à son encontre basée sur un “mensonge dangereux et ridicule” ». (Réd.)
[2] Selon l'une de ces règles d'engagement, officieusement nommée ‘procédure Hannibal', en cas d'incursion ennemie et de capture de civils, les unités israéliennes de combat doivent à tout prix empêcher les ravisseurs de rejoindre leurs bases arrière, quel que soit le prix à payer par les soldats et les captifs. (Réd.)
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Génocide assisté par ordinateur

L'intelligence artificielle générative au service d'exterminator. Les puissances occidentales délivrent un permis de tuer à la folie meurtrière sioniste, l'alimentent en armements sophistiqués. Les cibles humaines sont fournies en masse par les logiciels. Tous les palestiniens sont fichés comme suspects. C'est le premier génocide assisté par ordinateur de l'histoire avec suivi en temps réel. Cinq cents cibles frappées par jour. Des bâtiments publics, des écoles, des universités, des hôpitaux, des mosquées, des églises, des maisons privées. Les familles décimées se comptabilisent dans les dommages collatéraux.
Une intelligence artificielle dénommée The Gospel marque les bâtiments. Un autre système, Lavender, voue des dizaines de milliers de palestiniens, leurs proches, leurs amis, à l'élimination. Une stratégie d'extermination mûrement pensée, théorisée, planifiée. Le livre The Human-Machine Team : How to Create Synergy Between Human and Artificial Intelligence That Will Revolutionize Our World, Le tandem Homme-Machine. Comment créer une synergie entre intelligence humaine et intelligence artificielle qui révolutionne le monde, est en vente sur les plateformes internétiques.
Une seule doctrine militaire : « Bombarder tout ce qu'on peut quel qu'en soit le prix ». L'ouvrage ne fait aucun mystère des intentions criminelles : « Aujourd'hui, l'ère numérique s'accélère. L'intelligence artificielle change radicalement le monde. L'ordinateur, grâce au Big Data, génère mieux les informations que les humains ». Toutes les informations sociales, privées, intimes, comportementales, audiovisuelles, iconographiques, cellulaires, internétiques, automatiquement compilées, servent à définir les cibles. L'armée exécute aveuglément.
Les préconisations de l'intelligence artificielle sont traitées comme des ordres. L'aviation écrase toutes les maisons signalées, sans entrer dans les détails. Aucun examen préalable, aucune analyse approfondie des données brutes de renseignement. Une logique impitoyable, épouvantable, apocalyptique, paranoïaque, psychotique, assassine. Des enfants, des femmes, des vieillards sont massacrés sont merci. Derrière la prétendue maîtrise technologique, se dissimule une imprécision totale. Le monstre immonde renaît de ses cendres avec des moyens décuplés. L'automatisation traduit la volonté de saccager, de tuer toujours plus. « On t'a parlé du Sphinx, dont l'énigme funeste / Ouvrit plus de tombeaux que n'en ouvre la peste » (Pierre Corneille).
Dans Ethnic Cleansing of Palestine, Oneworld Publications, 2007, Le Nettoyage ethnique de la Palestine, éditions La Fabrique, 2024, l'historien juif Ilan Pappé parle de génocide progressif depuis 1948. Une entreprise systématique, méthodique d'expulsions, de destructions, de néantisations. Sous régime pro-sioniste français, où les propalestiniens sont interdits de manifestation, soumis aux brimades administratives et professionnelles, pistés, fichés, interpelés, la première traduction de 2008 est retirée des ventes par les éditions Fayard. « La géographie humaine de l'ensemble de la Palestine est transformée de force. Le caractère arabe des villes est effacé par la destruction de zones étendues. Ce qui motive cette transformation, c'est le désir d'effacer l'histoire et la culture d'une nation et de la remplacer par une version préfabriquée de l'histoire d'une autre. Toute trace de la population indigène est éradiquée » (Ilan Pappé).
Le génocide se double d'une destruction culturelle généralisée. Des sites archéologiques, des monuments antiques, des édifices religieux chrétiens et musulmans, des trésors artistiques, des patrimoines entremêlés sont systématiquement pilonnés, réduits en ruines. La Grande Mosquée Omari, remontant à deux milles cinq cents ans, antique temple païen. La mosquée Sayyed Hashim, abritant le tombeau d'Hashim ibn Abd Manaf, grand-père du prophète Mohammed. La mosquée Khalid Ibn al-Walid. Le Pacha Palace du treizième siècle. L'église byzantine du quatrième siècle dans le district de Jabalia. L'église orthodoxe grecque Saint-Porphyre du cinquième siècle. Le sanctuaire d'Al-Khader. Le Hammam al-Sammara, bain public vieux de mille ans, réputé pour ses vertus curatives, dans le quartier Zeitoun. Le musée Khoudary. Le musée de Rafah. Le musée d'Al-Qarara, près de Khan Younis, possédant une collection inestimable de trois mille objets remontant à l'âge de bronze, aux Cananéens. L'ancien port grec d'Anthédon. La liste est interminable.
Impossible de documenter l'étendue des dégâts. Les sites archéologiques attestent de la présence palestinienne depuis l'âge de pierre. C'est cette preuve matérielle, antédiluvienne, qu'on veut abroger. Les archéologues eux-mêmes sont visés, plusieurs d'entre eux assassinés. Dans le monde entier, le sionisme s'assimile désormais au génocide. La population planétaire encolérée, défilant massivement dans les grandes capitales, couvrant les murs, les escaliers, les trains des couleurs palestiniennes, portant le keffieh, bloquant les grandes surfaces, les usines d'armement complices, s'appelle génération Gaza. Il faut rappeler avec force que le sionisme, idéologie prédatrice, fasciste, est l'antithèse, la réfutation, la négation du judaïsme.
Mustapha Saha
Sociologue
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Des médias évoquent des « difficultés » : Les troupes israéliennes se retirent de Khan Younès

Selon Al Jazeera, citant des médias israéliens, l'offensive contre Khan Younès a duré 4 mois en raison « des difficultés majeures rencontrées par les troupes au sol ». L'armée d'occupation a annoncé hier le retrait de ses troupes du sud de la bande de Ghaza, six mois, jour pour jour, après l'offensive israélienne contre l'enclave palestinienne.
Tiré d'El Watan.
Ce retrait, inattendu, intervient le jour même où de nouveaux pourparlers sont prévus au Caire entre le mouvement de résistance Hamas et Israël, via des médiateurs internationaux (Etats-Unis, Egypte et Qatar), en vue d'une trêve dans la bande de Ghaza. Etaient attendus hier au Caire le chef de la CIA, Bill Burns, le chef des services secrets, David Barnea, le Premier ministre qatari, Mohammed Ben Abdelrahmane Al Thani, et une délégation du Hamas, selon le média égyptien progouvernemental Al Qahera News.
Une délégation israélienne dirigée par les chefs du Mossad et du Shin Bet « partira demain (aujourd'hui, ndlr) » pour Le Caire afin de participer aux négociations, a, pour sa part, rapporté Israel Today. Ces négociations coïncident ainsi avec le retrait des troupes israéliennes, notamment de la ville de Khan Younès, réduite en poussière par les raids israéliens.
Selon des médias israéliens, l'ensemble des troupes ont quitté le sud de Ghaza. « Aujourd'hui (hier, ndlr), dimanche 7 avril, la 98e division de commandos de l'armée israélienne a terminé sa mission à Khan Younès. La division a quitté la bande de Ghaza afin (...) de se préparer à des futures opérations », a indiqué l'armée israélienne dans un communiqué.
Elle a précisé qu'une « force significative » continuerait à opérer dans le petit territoire palestinien au gré de ses besoins stratégiques. « Une force menée par la 162e division et la brigade Nahal continue d'opérer dans la bande de Ghaza pour garantir la liberté d'action de l'armée et sa capacité à conduire des opérations précises basées sur du renseignement », a précisé le même communiqué.
Le quotidien israélien Haaretz a avancé que le retrait de l'infanterie du sud de Ghaza est motivé par le fait que l'armée « y a atteint ses objectifs ». Un responsable militaire, cité par Haaretz, a affirmé que les troupes israéliennes n'avaient « plus besoin de rester dans le secteur sans nécessité » stratégique.
Champ de ruines
Il a également affirmé que la 98e division « a démantelé les brigades du Hamas à Khan Younès ». Des affirmations démenties peu de temps après le retrait par des tirs de missiles depuis Khan Younès, épicentre de la résistance depuis plusieurs semaines.
La radio de l'armée israélienne a d'ailleurs confirmé hier que cinq roquettes ont été tirées depuis Khan Younès – d'où les forces israéliennes se sont retirées – en direction des colonies israéliennes, ajoutant que le Dôme de fer a intercepté un certain nombre d'entre elles.
D'après l'armée israélienne, les Palestiniens déplacés de Khan Younès – une partie seulement des déplacés – peuvent désormais retourner chez eux après avoir trouvé refuge à Rafah, plus au sud près de la frontière avec l'Egypte.
Un photographe de l'AFP a vu hier des dizaines de personnes quitter Rafah en direction de Khan Younès, à pied, en voiture ou sur des charrettes tirées par des ânes. L'attention se porte désormais sur Rafah où, malgré l'inquiétude de nombreuses capitales étrangères, Israël s'est dit déterminé à engager une offensive terrestre alors que plus de 1,5 million de Ghazaouis y ont trouvé refuge.
L'armée israélienne se retire de cette portion de la bande de Ghaza après avoir semé une désolation totale. Elle laisse derrière elle un décor apocalyptique, des villes réduites à néant et une détresse humaine indicible. Elle a, surtout, provoqué une catastrophe humanitaire avec la majorité des 2,4 millions d'habitants menacés de famine, selon l'ONU.
Située à 3 km au sud de Rafah et transformée en champ de ruines par les bombardements israéliens, la ville de Khan Younès, la plus grande du sud du territoire, est depuis plus d'un mois le fief de la résistance palestinienne face à l'agression israélienne.
Al Qassam sceptique
Le Hamas, qui a déclaré samedi qu'il « ne renoncerait pas à ses exigences » pour un accord sur un cessez-le-feu complet, s'est dit hier sceptique après le retrait des troupes israéliennes du sud de Ghaza. « Nous sommes sceptiques quant aux intentions de l'occupation concernant le retrait de Khan Younès », a déclaré à Al Jazeera Ismail Thawabta, directeur du bureau d'information du gouvernement dans la bande de Ghaza.
Il a ajouté que « ce qui se passe sur le terrain est différent de ce que l'occupant dit aux médias », expliquant que les Israéliens « ferment tous les points de passage de Ghaza et n'autorisent pas l'entrée de l'aide humanitaire ».
Des proches de prisonniers israéliens ont manifesté samedi soir à Tel-Aviv pour réclamer la libération des leurs et pour marquer les six mois de leur captivité. Ils ont aussi réclamé la démission du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, de plus en plus contesté sur tous les fronts pour son obsession à poursuivre l'opération génocidaire dans les Territoires palestiniens.
« S'il vous plaît, faites tout, payez le prix, quel qu'il soit, le prix le plus élevé, je m'en fiche. Je veux qu'Ofer et tous les autres » reviennent « à la maison », a martelé Yifat Kalderon, cousine d'Ofer Kalderon, un père de famille détenu à Ghaza.
Selon Al Jazeera, citant des médias israéliens, l'offensive contre Khan Younès a duré 4 mois en raison « des difficultés majeures rencontrées par les troupes au sol ».
La chaîne qatarie a aussi révélé hier que les estimations de l'armée israélienne indiquaient que la bataille de Khan Younès « se terminerait dans les deux mois, mais qu'elle a duré quatre mois ».
La raison pour laquelle l'armée de l'occupant a mal calculé son intervention à Khan Younès « est due à la grande complexité et aux difficultés auxquelles elle a été confrontée ».
De leur côté, les Brigades Al Qassam, bras armé du Hamas, ont fait savoir qu'Israël « a été forcé de mettre fin à ses opérations avant d'avoir atteint ses objectifs ». « L'occupant est entré dans la plupart des zones de la bande de Ghaza, les détruisant complètement et se vantant d'avoir réussi à démanteler les Brigades du Hamas.
Chaque fois qu'il est retourné dans des zones où il pensait ne pas trouver de résistance, il a été surpris par une riposte violente et qualitative », a souligné Al Qassam. Après six mois d'intenses bombardements sur la bande de Ghaza, le bilan des victimes s'est élevé hier 33 175 morts et 75 886 blessés, selon le ministère palestinien de la Santé.
Au cours des dernières 24h, l'armée israélienne a commis quatre massacres dans la bande de Ghaza tuant 38 personnes et en blessant 71 autres.
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La catastrophe humanitaire de Gaza

Un fallacieux débat sur la qualification de la situation nutritionnelle à Gaza retarde encore l'adoption des décisions politiques qui pourraient aboutir à un arrêt effectif des hostilités, constatent nos confrères du site « The Conversation ».. Fallacieux, car il suscite des discussions sur la définition même de la famine, alors que la définition donnée par l'Integrated Food Security Phase Classification (IPC), outil développé en 2004 par le Programme alimentaire mondial (PAM), l'UNICEF, la FAO et diverses ONG (dont ACF, CARE et Oxfam) vaut référence internationale.
Tiré de MondAfrique.
En tout état de cause, la question n'est pas de savoir si existe une famine – et selon quelle définition –, mais si sont en place les mécanismes qui « fabriquent » une dramatique pénurie alimentaire. Or cela ne fait aucun doute quand on lit les rapports des organisations internationales ou quand on observe les scènes désespérées de personnes se précipitant, dans le chaos et la violence, au-devant des points de distribution de vivres encore opérants.
Rappelons que les quatre piliers de la sécurité alimentaire sont :
– la disponibilité des denrées alimentaires (le fait que les aliments soient présents sur le territoire) ;
– l'accès de la population à ces denrées (le fait que les gens puissent effectivement recevoir et consommer ces aliments) ;
– la bonne utilisation de ces aliments (liée aux bonnes pratiques de préparation et de diversité du régime alimentaire) ;
– la stabilité de ces trois piliers dans le temps. Aujourd'hui, à Gaza, aucun de ces principes n'est respecté.
La disponibilité des denrées alimentaires est réduite
La production locale de nourriture, les importations commerciales, les stocks et les aides extérieures sont tous réduits ou anéantis. Le système alimentaire et les chaînes de valeur de l'agriculture se sont effondrés ou survivent de façon marginale grâce au marché informel. Une grande partie des terres et infrastructures agricoles, y compris les vergers, les serres et les champs cultivés, ont subi d'importantes destructions. Les hostilités ont également provoqué le déplacement de populations loin des terres agricoles. Environ 70 % du bétail et des autres animaux auraient été perdus depuis le 7 octobre 2024.
D'autres restrictions imposées aux Gazaouis affectent les moyens de subsistance et l'accès à la nourriture, comme l'interdiction de facto de se déplacer à moins d'un kilomètre de la clôture frontalière, ce qui exclut l'accès à une grande partie des terres agricoles. L'activité de pêche est largement interrompue en raison des dommages subis par les bateaux, du manque de carburant et des conditions de sécurité. Plus de 300 granges, 100 entrepôts agricoles, 119 abris pour animaux, 200 fermes ont été détruits.
La coupure totale d'électricité qui a commencé le 11 octobre 2023 se poursuit. Un peu d'électricité est encore produite à l'intérieur de Gaza par des générateurs et des panneaux solaires. Les hostilités continuent d'empêcher la livraison de carburant à la centrale électrique de Gaza, qui ne fonctionne toujours pas, et bloquent la distribution transfrontalière d'électricité.
Cette situation a de graves répercussions sur tous les aspects de la vie quotidienne, notamment la transformation et le stockage des denrées alimentaires, le pompage et la distribution de l'eau potable, le traitement des eaux usées et le fonctionnement des télécommunications et des systèmes financiers.
D'après les données de l'UNRWA, le nombre maximum de camions entrant quotidiennement par les points de passage de Kerem Shalom et de Rafah était de 500 par jour avant l'escalade de la violence ; environ 70 % de ces camions transportaient alors de la nourriture ou un mélange de produits alimentaires et non alimentaires. Entre janvier et septembre 2023, une moyenne quotidienne de 150 camions de nourriture est entrée dans Gaza. Entre le 8 octobre 2023 et le 9 mars 2024, ce nombre est tombé à une moyenne de 65 camions par jour et la disponibilité des denrées alimentaires a considérablement diminué.
L'entrée des camions humanitaires et commerciaux dans Gaza est presque intégralement limitée aux gouvernorats du sud, principalement à Rafah. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU (OCHA) estime que moins de 5 % de tous les camions alimentaires ont atteint le nord de Gaza au cours des quatre dernières semaines, tandis que 45 % sont restés à Rafah et qu'environ 50 % ont atteint les gouvernorats centraux de Deir al-Balah et Khan Younis.
Le 20 février 2024, le PAM a décidé de suspendre ses livraisons d'aide alimentaire au nord de Gaza en raison du chaos et de la violence. Le 5 mars, un convoi alimentaire de 14 camions, le premier du PAM envoyé vers le nord depuis la suspension des livraisons le 20 février, s'est vu refuser l'accès après trois heures d'attente au poste de contrôle de Wadi Gaza, puis a été pillé sur le chemin du retour.
L'accès à la nourriture est dégradé
Même quand de la nourriture a pu parvenir quelque part à Gaza, cela ne signifie pas que la population a la possibilité de se la procurer.
L'inflation est très élevée. De septembre à décembre 2023, elle a été estimée, tous produits confondus, à 48 %, atteignant des records pour certains produits : + 100 % pour l'huile ; + 300 % pour les œufs ; + 750 % pour la farine de blé.
Les marchés informels dominent désormais les transactions de produits alimentaires et non alimentaires dans Gaza, car les marchés formels se sont effondrés à la suite de l'épuisement des stocks et des dommages subis par les principaux lieux d'activité. Les ventes et les achats se font principalement dans la rue, avec des activités de troc potentielles.
La population, et plus particulièrement les groupes vulnérables, est de plus en plus confrontée à des risques pour accéder aux marchés en raison des opérations militaires et des bombardements, mais aussi de l'absence d'ordre social. Transporter et distribuer de la nourriture dans la rue est risqué, en particulier dans le nord de la bande de Gaza et dans le gouvernorat de Gaza, où les gens sortent en groupe pour acheter de la nourriture et/ou portent des couteaux pour se protéger.
Comme évoqué plus haut, les deux autres grands piliers de la sécurité alimentaire sont la bonne utilisabilité des aliments et la stabilité des approvisionnements. Or l'utilisation de la nourriture obtenue par la population est entravée. Quand on parle d'utilisation, on parle de toutes les conditions requises pour concrètement pouvoir tirer bénéfice de la nourriture obtenue : disposer de combustible pour la cuisson, d'une eau saine pour les préparations culinaires et la boisson, d'ustensiles pour le stockage et la cuisson, et d'un état de santé permettant la préparation et la bonne assimilation des nutriments. Tous ces facteurs sont aujourd'hui altérés.
Quant à la stabilité des approvisionnements, elle est inexistante. La livraison et la distribution des denrées sont désordonnées et chaotiques, comme le traduisent les violences et scènes de pillage sur les lieux de distribution, ou les noyades en mer lors de tentatives désespérées pour récupérer des denrées parachutées par avion.
Un contexte propice à la diffusion de pathologies
Les pathologies liées à la promiscuité, à la mauvaise qualité de l'eau, au manque d'hygiène corporelle et à la dégradation de l'environnement sont en forte augmentation.
Pour y faire face, la population déplacée ne peut compter que sur un système de santé local détruit et sur des acteurs humanitaires internationaux dont la présence est aujourd'hui dérisoire, du fait de la dangerosité du terrain et/ou des multiples entraves établies par les autorités israéliennes. Une pénurie d'acteurs internationaux que la mort toute récente de 7 membres de l'ONG « World Central Kitchen » va amplifier.
Avant l'escalade des hostilités, la majorité de l'approvisionnement en eau dans la bande de Gaza provenait de sources souterraines et le reste (environ 20 %) d'usines de dessalement et d'oléoducs transfrontaliers. Le pompage excessif des eaux souterraines en Palestine a entraîné une grave pollution et salinisation de l'eau, en particulier dans la bande de Gaza. Plus de 97 % de l'eau pompée dans l'aquifère côtier ne répond pas aux normes de qualité de l'eau fixées par l'OMS.
La plupart des systèmes de traitement des eaux usées ont été suspendus et ne fonctionnent plus depuis novembre 2023, en raison des dommages subis, du manque d'approvisionnement en carburant/électricité et du manque d'entretien. Selon une étude menée en février 2024, l'accès à l'eau pour la boisson, le bain et le nettoyage est estimé à 1,5 litre par personne et par jour, alors que la quantité minimale d'eau nécessaire à la survie est de 15 litres selon les normes internationales.
En ce qui concerne la gestion des déchets solides, qui était déjà une question cruciale avant l'escalade, la dernière mise à jour de l'UNRWA du 16 janvier indique que cette gestion se poursuit dans les gouvernorats de Rafah et de Khan Younis et partiellement dans le gouvernorat de Deir al-Balah, où environ 45 chargements de camions d'ordures ont été transférés vers des sites temporaires. En février 2024, dans le gouvernorat de Rafah, 80 % des sites d'accueil de déplacés qui ont été évalués lors d'une enquête du cluster Wash avaient des latrines non fonctionnelles. Seuls 15 % des sites disposaient d'installations pour le lavage des mains à proximité des latrines. 24 % des sites évalués offraient un accès sûr et privé aux latrines et 51 % disposaient d'installations séparées pour les hommes et les femmes. Là où les regroupements de populations sont les plus denses, on note la présence de matières fécales humaines autour des lieux de stationnement dans près de 80 % des cas.

Les indicateurs de santé disponibles traduisent les effets de cette promiscuité et de ce manque d'hygiène. Dans les gouvernorats de Khan Younis et de Deir al-Balah, au cours des deux premières semaines de mars plus de 97 % des enfants de moins de cinq ans ont eu une ou plusieurs maladies, 56 % ont souffert d'infections respiratoires aiguës, 70,5 % ont eu la diarrhée et 82,3 % ont eu de la fièvre. À Rafah, les chiffres sont très proches. Ces données construisent une équation particulièrement dangereuse : « moins d'apports de nourriture, plus de pertes ». Les enfants sont exposés à un risque majeur de déshydratation aiguë pouvant entraîner leur mort.
Selon l'OCHA, 1,9 million de personnes déplacées sont exposées à un risque élevé de maladies transmissibles en raison de la surpopulation des sites de déplacés et du manque d'accès à des installations d'eau, d'assainissement et d'hygiène adéquates. À Gaza, des cas d'hépatite A ont été confirmés en janvier 2024 et l'OMS a averti que les conditions de vie inhumaines permettront à l'hépatite A de continuer à se propager.
Un système de santé en lambeaux
Le système de santé, ultime ligne de défense des populations civiles en dénutrition grave ou malades, est aujourd'hui inopérant, du fait de la destruction des structures de soins, de la fuite ou de la mort des professionnels, et de l'interruption des chaînes d'approvisionnement en médicaments et consommables utiles aux équipes soignantes encore en mesure d'agir sur place. Ce qui reste de ce système de santé doit en outre se consacrer à soigner les blessés, qui se comptent en dizaines de milliers. Rappelons que, au 14 mars 2024, les hostilités auraient fait près de 105 000 victimes dans la bande de Gaza, soit près de 5 % de la population totale. Cela comprend plus de 73 000 blessés, dont un quart sont des enfants, et plus de 31 000 morts dont un tiers sont des enfants.
Selon le dernier rapport de situation de l'UNICEF, les hôpitaux continuent de subir de graves perturbations dans la fourniture de soins de santé. 155 établissements de santé ont été endommagés et 32 hôpitaux et 53 centres de santé ne fonctionnent pas en raison des hostilités ou de la pénurie de médicaments essentiels.
Les structures de santé sont également confrontées à des pénuries de personnel médical, notamment de chirurgiens spécialisés, de neurochirurgiens et de personnel de soins intensifs, ainsi qu'à un manque de fournitures médicales, et ont un besoin urgent de carburant, de nourriture et d'eau potable. À Deir al-Balah et Khan Younis, selon l'OCHA, depuis janvier 2024, trois hôpitaux – Al Aqsa, Nasser et Gaza European – risquent d'être fermés en raison de l'émission d'ordres d'évacuation dans les zones adjacentes et de la poursuite des hostilités à proximité.
À Rafah, cinq hôpitaux fonctionnent encore. Mais l'afflux de personnes déplacées migrant vers Rafah a dépassé le nombre de lits disponibles dans les hôpitaux, entraînant une incapacité à répondre aux besoins de la population ainsi regroupée. Les services de santé primaire sont également très demandés dans les abris informels qui accueillent les personnes déplacées. La poursuite du siège autour de certains hôpitaux affecte considérablement leur capacité de gestion des cas. L'orientation des patients en dehors de Gaza reste un défi, car la liste d'attente continue de s'allonger.
Tous les indicateurs d'analyse internationaux des situations de pénurie alimentaire sont au rouge. Au regard du droit international humanitaire, la faim ne doit pas être utilisée comme arme de guerre. C'est pourtant aujourd'hui le cas dans la bande de Gaza. Face à la situation décrite, le débat sur la notion de famine apparaît dérisoire.
Il faut que cela cesse. C'est ce constat qui a amené la Cour internationale de justice (CIJ) à ordonner à Israël d'empêcher la famine qui « s'installe » à Gaza. Et de l'ordonner encore plus vivement récemment. La CIJ enjoint à l'État hébreu de garantir la fourniture d'eau et de nourriture à la population de l'enclave palestinienne. C'est également l'objet d'une toute récente déclaration officielle de la Commission nationale consultative sur les Droits de l'Homme (CNCDH), dont l'auteur du présent article est membre et contributeur des recommandations finales.
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Bilan de six mois d’une guerre dévastatrice : Ghaza, 33 000 morts plus tard…

Documentant au jour le jour les pertes humaines et matérielles enregistrées depuis le début de la guerre totale menée par les forces d'occupation sionistes à Ghaza, le Bureau central palestinien des statistiques (BCPS) fournit un bilan effroyable des boucheries et des destructions israéliennes commises dans l'enclave dévastée.
Tiré d'El Watan.
Ce 7 avril, six mois auront passé depuis l'opération « Tofane Al Aqsa » (Déluge d'Al Aqsa) déclenchée par le mouvement Hamas et d'autres groupes de résistance palestiniens pour obliger Israël et l'ensemble de la communauté internationale à reconnaître l'existence et la souveraineté du peuple palestinien et affranchir les territoires occupés du joug colonial sioniste qui dure depuis 75 ans.
La riposte de l'Etat hébreu a été d'une brutalité inouïe : 33 175 morts et 75 886 recensés jusqu'à ce dimanche, selon le ministère de la Santé du gouvernement Hamas à Ghaza, et un niveau de destruction d'une ampleur épouvantable. En plus de 180 jours de bombardements et de pilonnages tous azimuts, la monstrueuse machine de mort israélienne a fini quasiment par effacer Ghaza de la carte.
Documentant au jour le jour les pertes humaines et matérielles enregistrées depuis le début de la guerre totale menée par les forces d'occupation sionistes, le Bureau central palestinien des statistiques (BCPS) fournit un bilan effroyable des boucheries et des destructions israéliennes commises dans la bande de Ghaza.
Les chiffres reproduits ici ont été arrêtés au 6 avril. D'abord les pertes humaines. Le BCPS donne un chiffre plus élevé parce qu'il inclut également les morts dénombrés en Cisjordanie. Ainsi, le nombre total de victimes recensées par le Bureau palestinien des statistiques jusqu'au 6 avril est de 33 596 morts, dont 459 Palestiniens tués en Cisjordanie.
Le nombre total de blessés, lui, est de 80 565, dont 4750 en Cisjordanie. La même source précise que 14 000 enfants et adolescents ont été sauvagement ravis à l'affection des leurs à Ghaza et 116 en Cisjordanie depuis le 7 octobre, ajoutant que 9220 femmes ont péri suite aux frappes israéliennes dans l'enclave martyrisée.
Le bilan général des pertes humaines fait état également de 364 membres du personnel médical, 246 enseignants et cadres administratifs pédagogiques, 135 journalistes et travailleurs des médias, et 48 éléments de la Protection civile. Tous fauchés par la furie létale de l'occupant sioniste. 152 employés de l'Unrwa ont également trouvé la mort suite aux attaques israéliennes indiscriminées.
62% du parc immobilier détruits
Le Bureau central palestinien des statistiques fait état par ailleurs de 7000 disparus au moins enregistrés dans la bande de Ghaza. Concernant les Palestiniens détenus dans les geôles israéliennes, ils dépassent les 12 000 : 8030 en Cisjordanie et plus de 4000 à Ghaza.
En six mois d'une campagne génocidaire acharnée, plus de 1,9 million de personnes, soit 85% des habitants de Ghaza ont été déplacés. La majorité d'entre eux sont massés à Rafah, au sud de l'enclave, qui est toujours menacée par une opération massive. Selon l'Unrwa, l'agression israélienne a détruit 62% du parc immobilier de Ghaza.
Cela se traduit, selon le Bureau central palestinien des statiques, par 360 000 maisons détruites ou endommagées. Le BCPS détaille : 290 000 logements ont été partiellement endommagés par les raids sionistes ; 79 000 unités d'habitation ont été totalement détruites et plus de 25 000 bâtiments réduits en ruine.
Les dégâts ont touché également les écoles et les universités. 405 établissements de formation ont été affectés par les bombardements. Une centaine d'écoles et d'universités ont été totalement anéanties. Les lieux de culte n'ont pas non plus été épargnés : 290 mosquées ont été pulvérisées ainsi que 3 églises.
A ce paysage de désolation s'ajoutent 168 bâtiments gouvernementaux démolis par les forces d'occupation. La catastrophe humanitaire qui prévaut dans la bande de Ghaza impose de lui accorder une attention particulière en dressant ce bilan.
Et sous ce chapitre, il convient de se pencher sur l'état des établissements de santé, surtout à la lumière des dernières opérations israéliennes qui ont conduit à la destruction du plus grand hôpital de Ghaza : le complexe médical Al Shifa.
Dans un communiqué diffusé hier à l'occasion de la Journée mondiale de la Santé, célébrée le 7 avril de chaque année, le Bureau central palestinien des statistiques a fourni une série d'indicateurs alarmants qui illustrent l'effondrement du système de santé dans la bande de Ghaza au terme de six mois d'atrocités.
« 489 membres du personnel médical, dont des médecins spécialistes, sont tombés en martyrs, et 600 autres ont été blessés » dans la bande de Ghaza, indique le BCPS, « en plus de l'arrestation de plus de 310 cadres médicaux et de la destruction et de la mise hors service de plus de 126 ambulances ».
Depuis le 7 octobre, « l'OMS a enregistré plus de 600 agressions contre les infrastructures sanitaires en Cisjordanie et dans la bande de Ghaza », poursuit le communiqué. Et de préciser que « sur les 36 hôpitaux de la bande de Ghaza, 10 seulement sont fonctionnels et de façon partielle » et « 76% des centres de premiers soins sont à l'arrêt ».
1,1 million de personnes confrontées à une famine de niveau 5
« En Cisjordanie, 286 attaques ont été menées contre les structures de santé » souligne le même organisme. Cela a « empêché d'assurer les soins, y compris la fourniture de médicaments ». Les violences subies par les structures de santé palestiniennes incluent « la fermeture des hôpitaux » et « le refus d'accès aux ambulances ».
Le Bureau central palestinien des statistiques affirme en outre que « 350 000 patients atteints de maladies chroniques dans la bande de Ghaza ont été privés des soins nécessaires, dont environ 71 000 personnes atteintes de diabète, 225 000 personnes souffrant d'hypertension artérielle et 45 000 personnes souffrant de maladies cardiovasculaires ».
A ceux-là s'ajoutent « les personnes atteintes de cancer, de maladies des reins et d'autres pathologies ». Le BCPS déplore la « fermeture du seul hôpital oncologique spécialisé dans le traitement des cancéreux » ainsi que de « l'hôpital psychiatrique de Ghaza ». A cet inventaire affreux s'ajoute la famine.
C'est l'autre fléau qui ravage la bande de Ghaza après celui des bombes. Selon le Programme alimentaire mondial, la famine touche 1,1 million de personnes dans l'enclave assiégée. Et 70% de la population du nord de l'enclave est confrontée à une famine encore plus sévère.
Il faut savoir que le nombre de personnes livrées à un niveau de famine catastrophique (niveau dit « IPC5 ») a doublé en moins de trois mois, passant de 570 000 en décembre à 1,1 million aujourd'hui. « Au moins 31 décès dus à la malnutrition et à la déshydratation, dont 28 enfants » ont été enregistrés dans la bande de Ghaza, d'après le bureau palestinien des statistiques.
« Selon une étude menée par l'Unicef avec un groupe de partenaires en février dernier, il a été constaté qu'environ 31% des enfants de moins de deux ans dans le nord de Ghaza souffrent de malnutrition aiguë, et ce pourcentage a doublé en seulement un mois, car il était d'environ 16% en janvier », relève la même source.
Cette étude de l'Unicef « montre également qu'environ 5% des enfants de moins de deux ans souffrent d'émaciation aiguë dans la région ». « Avant l'agression israélienne, le taux d'émaciation chez les enfants de moins de deux ans était de 0,6%, selon l'enquête palestinienne à indicateurs multiples 2019-2020 », précise le BCPS.
Par ailleurs, « plus de 90% des enfants de moins de cinq ans souffrent d'au moins une maladie infectieuse ». « Des rapports de l'Organisation mondiale de la santé indiquent que plus de 640 000 cas d'infections respiratoires aiguës ont été enregistrés, et environ 346 000 cas de diarrhée, dont 105 635 chez les enfants de moins de cinq ans.
En outre, d'autres signes d'épidémies telles que la jaunisse, la varicelle et les maladies de peau, ont été détectés. Les rapports publiés en mars montrent que plus de 31 348 cas d'infection par l'hépatite A ont été recensé », peut-on lire dans le même document.
« Des centaines de fausses couches »
Le Bureau palestinien des statistiques a mis d'un autre côté l'accent dans son état des lieux sur le calvaire des femmes enceintes. La situation humanitaire insoutenable que subissent les parturientes à Ghaza a eu une « incidence élevée » sur les grossesses, provoquant « des fausses couches et des naissances prématurées ».
« Plus de 540 000 femmes en âge de procréer résident dans la bande de Ghaza et on estime que plus de 5000 naissances ont lieu chaque mois », souligne l'organisme palestinien. « La vie des femmes enceintes est en danger et les risques d'exposition à des complications pendant la grossesse ou l'accouchement augmentent, ce qui peut entraîner une aggravation de la mortalité maternelle.
Des rapports indiquent également que des centaines de fausses couches et de naissances prématurées ont été enregistrées à la suite de la panique et de la fuite forcée », révèle le BCPS.
« D'un autre côté, l'insécurité alimentaire et la malnutrition croissantes au sein de la population de la bande de Ghaza empêchent les mères de pouvoir bénéficier d'une alimentation appropriée et d'allaiter leurs nouveau-nés.
L'accès limité à l'eau potable, aux installations sanitaires et aux produits d'hygiène contribue à exposer les femmes et les enfants à diverses maladies et menace leur vie », prévient le bureau palestinien des statistiques.
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Depuis le 7 octobre, Israël a confisqué illégalement 27 000 décares de terres en Cisjordanie

Israël a confisqué illégalement environ 27 000 décares de terres en Cisjordanie occupée et a forcé 25 communautés palestiniennes à partir depuis le début de la guerre contre Gaza le 7 octobre dernier, poursuivant ainsi son accaparement des terres qui dure depuis des décennies, a déclaré samedi un organe du gouvernement palestinien, rapporte l'agence Anadolu.
Tiré de France Palestine Solidarité.
"L'État d'occupation utilise son hostilité féroce envers notre peuple dans la bande de Gaza en menant des opérations massives de confiscation de terres palestiniennes, affectant 27 000 décares de territoires palestiniens", a déclaré Moayya Sha'ban, chef de la Commission de résistance à la colonisation et au mur (CWRC), dans un communiqué marquant la Journée de la terre de Palestine."
La superficie des terres palestiniennes effectivement soumises aux mesures israéliennes s'élève à 2 380 kilomètres carrés, soit 42 % de la superficie totale de la Cisjordanie et 69 % de l'ensemble des zones classées (C), qui sont des zones soumises au régime militaire d'occupation", a-t-il ajouté.
Sha'ban a déclaré qu'Israël avait déjà commencé à établir des zones tampons autour des colonies de Cisjordanie par le biais d'une série d'ordonnances militaires, mettant en garde contre le fait d'"isoler davantage de terres et d'empêcher les citoyens d'y accéder sous des prétextes militaires et de sécurité".
Après le 7 octobre, date du début de l'offensive israélienne, Sha'ban a déclaré que les autorités israéliennes chargées de la planification ont soumis à l'étude "un total de 52 plans structurels visant à construire un total de 8 829 unités coloniales sur une superficie de 6 852 décares, dont 1 895 unités ont été approuvées".
En ce qui concerne les attaques des colons, il a déclaré que depuis le 7 octobre, les colons israéliens ont mené un total de 1 156 attaques qui ont entraîné la mort de 12 Palestiniens.
"Les mesures d'occupation et le terrorisme des milices coloniales ont conduit, depuis le 7 octobre, au déplacement de 25 communautés bédouines palestiniennes, composées de 220 familles, dont 1 277 individus", a-t-il déclaré.
"Les mesures des autorités d'occupation et les attaques des milices coloniales ont empêché les citoyens d'accéder à plus d'un demi-million de décares de terres agricoles", a-t-il ajouté.
Sha'ban a déclaré que toutes ces mesures "visent à contrôler la terre palestinienne ... et à éliminer toute possibilité d'établir un État palestinien en vidant les zones classées C, en isolant la ville sainte (Jérusalem) de sa composante palestinienne, et en renforçant le contrôle sur elle par la colonisation et l'expulsion".
En vertu des accords d'Oslo de 1995 entre Israël et l'Autorité palestinienne, la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, a été divisée en trois parties - les zones A, B et C - la zone C étant placée sous le contrôle administratif et sécuritaire d'Israël jusqu'à ce qu'un accord sur le statut final soit conclu avec les Palestiniens.
En vertu du droit international, les colonies juives en Cisjordanie et à Jérusalem-Est sont illégales.
La Journée de la terre de Palestine, le 30 mars, est une journée annuelle de commémoration, pour les Palestiniens, des événements survenus à cette date en 1976, lorsque les autorités israéliennes ont confisqué de vastes étendues de terres palestiniennes.
Israël est accusé de génocide devant la Cour internationale de justice (CIJ). Une décision provisoire rendue en janvier a ordonné à Tel-Aviv de mettre fin aux actes de génocide et de prendre des mesures pour garantir l'acheminement de l'aide humanitaire aux civils de Gaza.
Photo : Opération de démolition à Massafer Yatta, 28 novembre 2023 © Mohammad Hureini
Traduction : AFPS
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Médias mondiaux en crise : la diffusion de l’information à risque
La réforme en santé et en sécurité : Quelle voix au travail pour les personnes non syndiquées ?
8 avril 2024 | CRIMT
Le régime de santé et de sécurité du travail a, depuis avril 2022, rendu obligatoire la mise en place de mécanismes de prévention et de participation représentative des travailleurs et des travailleuses. Ces mécanismes visent notamment à ce que les travailleurs et les travailleuses participent à l'identification et à l'analyse des risques auxquels ils et elles sont susceptibles de faire face dans leur milieu de travail et puissent faire entendre leur voix.
Afin d'assurer l'effectivité des mécanismes de prévention et de participation ainsi instaurés, il importe de s'intéresser à la façon dont ceux-ci se déploieront en milieu non-syndiqué. Au Québec, près de 60% des travailleurs et des travailleuses ne bénéficient pas de couverture syndicale. Comment les personnes au statut d'emploi ou au statut migratoire précaires pourront-elles faire entendre leur voix ? Qu'en sera-t-il pour celles œuvrant pour une agence de placement de personnel ? Quelles sont les stratégies qu'il convient de déployer pour que ces mécanismes produisent leurs fruits également en milieu non syndiqué ? Quel est le rôle de l'inspectorat du travail à cet égard ? Quelles sont les meilleures pratiques sur le plan international ?
Ce webinaire, sous forme de table-ronde, a permis de discuter de ces enjeux. Les intervenant.es étaient Geneviève Baril-Gingras (Université Laval), Aude Cefaliello (ETUI), Jeffrey Hilgert (Université de Montréal), Annie Landry (FTQ) et Félix Lapan (UTTAM). Il a été animé par Dalia Gesualdi-Fecteau (Université de Montréal).
Conflit d’intérêt pour le tribunal administratif du logement ?
gauche.media
Gauche.media est un fil en continu des publications paraissant sur les sites des médias membres du Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG). Le Regroupement rassemble des publications écrites, imprimées ou numériques, qui partagent une même sensibilité politique progressiste. Il vise à encourager les contacts entre les médias de gauche en offrant un lieu de discussion, de partage et de mise en commun de nos pratiques.