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Kaveh Boveiri
Si la compréhension de complication des énoncés des politiciens n'est pas la première leçon en sciences politiques, elle en est certes une des premières.
Cette compréhension se manifeste en une double étape avec deux composantes entrelacées. Il faut, d'une part, contextualiser chaque énoncé dans la totalité d'énoncés dudit politicien. Mais, d'autre part, il faut décortiquer la manière dont cet énoncé est lié avec les actes de ce politicien.
Ici, nous essayons de réaliser une telle pratique.
« Bibi (le surnom du dirigeant israélien), je t'aime beaucoup, mais je ne suis d'accord avec rien de ce que tu dis. »
Cette phrase, confirmée par Joe Biden, peut être lue, entre autres, dans La Presse du 11 décembre. Dans un autre passage de même article, nous pouvons lire :
« C'est le gouvernement le plus conservateur de l'histoire d'Israël » et la frange la plus à droite de l'exécutif « ne veut rien qui ressemble de près ou de loin à une solution à deux États », a insisté le président américain, pour qui c'est au contraire.
Ces énoncés ont créé une joie délectable dans la situation carrément sans espoir de la situation actuelle à Gaza. « Il s'est finalement réveillé. Partiellement grâce à nous, sans doute, les membres de ce monde conscient » nous le disent, plusieurs parmi nous. Une conséquence logique de cela est la possibilité d'être moins actifs concernant le démocideactuel à Gaza. En tant que les artistes, plus de 4000 de nous, ont déjà signé une pétition exprimant notre solidarité avec les Palestiniens. C'est aussi le cas pour milliers des écrivains contre la guerre à Gaza. Les millions de nous descendent aussi dans les rues chaque semaine.
Laissons-nous contextualiser ces énoncés, pour voir si cet espoir est légitime.
S'il veut être cohérent, la personne qui articule cette phrase, ou son gouvernement, devrait logiquement accepter le cessez-le-feu humanitaire. En revanche, nous témoignons que le mardi 12 décembre,devant l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations unies (ONU), 153 votent pour une mesure, avec 23 pays abstentions — Les États-Unis restent avec 8 autres pays dans le monde en votant contre ! Ainsi, le gouvernement de Biden avec son amour de ce dernier pour Bibi préfère à rester dans son isolement aggravant contre une telle mesure. Cela c'est pour contextualisation verbale, la mise en contexte de quelques énoncés dans la totalité des énoncés.
D'autre part, il faut voir la manière dont ces énoncés se trouvent en consistance ou inconsistance avec les actes. Juste quelques jours avant, notamment, le samedi 9 décembre, le congrès est informé par le gouvernement de l'approbation « d'urgence » de fournir l'Israël par 14 000 obus de chars,sans que cette mesure soit passée d'abord par le congrès !
Nous voyons ainsi que lesoutien sans faille des États-Unisauprès de l'Israël, depuis le 7 octobre, reste ininterrompu dans les actes et dans les paroles.
« Bibi, je t'aime beaucoup. Tout ce qui vient après “mais” dans la phrase ci-dessous n'est que pour fermer les gueules des gens qui sont jaloux à notre amour mutuel ». On peut imaginer cette phrase de la part de Joe Biden en s'adressant à son amour en privé.
En ce qui concerne notre rôle, nous sommes loin d'avoir achevé nos objectifs.
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Face à la convergence des crises, le défi de faire avancer les travailleur·es et les peuples

Le siège et le massacre en cours contre les Palestinien·nes de Gaza, menés par l'État israélien avec le soutien ouvert des États-Unis et le silence complice des autres puissances impérialistes occidentales, s'ajoutent à la guerre de Poutine contre l'Ukraine pour prouver l'instabilité et la violence brutale qui caractérisent le nouveau scénario géopolitique mondial. La multiplication des guerres et l'aggravation des tensions entre et au sein des États ne sont qu'un des signes de la nouvelle période historique de convergence des crises, qui a débuté avec la crise de 2008.
Tiré de Quatrième internationale
13 décembre 2023
Par Ana Cristina Carvalhaes
Le texte suivant n'est pas un travail personnel mais le résultat de discussions que nous avons eues ces derniers mois entre les membres du Comité international de la IVe Internationale. Nous constatons une situation d'internationalisation sans précédent des grandes questions qui se posent à l'humanité. La crise du capitalisme a pris une nouvelle ampleur depuis le krach de 2008 et la récession qui a suivi, mais surtout avec la pandémie de Covid. La crise capitaliste est clairement devenue multidimensionnelle. Il y a une convergence, une articulation entre la crise environnementale – qui produit depuis quelques années des phénomènes climatiques de plus en plus extrêmes, dont les récentes vagues de chaleur excessive – et la phase de stagnation économique durable, avec l'intensification de la lutte pour l'hégémonie dans le système interétatique entre les États-Unis et la Chine, avec les avancées de l'autoritarisme et du néofascisme, avec la résistance des peuples et des travailleurs et la multiplication des guerres dans le monde (Palestine, Ukraine, Soudan, République démocratique du Congo et Myanmar).
Cette articulation montre que nous sommes entré·es dans un nouveau moment de l'histoire du capitalisme. Une période qualitativement différente de celle que nous avons vécue depuis la mise en place de la mondialisation néolibérale à la fin des années 1980 et beaucoup plus conflictuelle du point de vue de la lutte des classes que celle qui s'était ouverte avec l'effondrement de l'Union soviétique et des régimes bureaucratiques d'Europe de l'Est. Comme nous le disions en mars 2021, « la pandémie aggrave la crise multidimensionnelle du système capitaliste et ouvre un moment d'imbrication de phénomènes anciens qui s'étaient développés de manière relativement autonome et qui, avec la pandémie, convergent de manière explosive : […] Il s'agit de processus qui se manifestent et interagissent entre eux, modifiant l'ordre mondial hérité des années 1990 avec la fin du bloc de l'Europe de l'Est, l'implosion de l'URSS et la restauration capitaliste tant dans cette partie du monde qu'en Chine ».
La toile de fond et le point de rencontre de toutes les facettes de cette crise multidimensionnelle, c'est la crise écologique, causée par deux siècles d'accumulation capitaliste prédatrice. L'escalade de la crise climatique et environnementale frappe durement l'humanité et la vie sur la planète : le climat s'emballe, la biodiversité disparaît, on est face à la pollution, à des contaminations et à des pandémies. L'économie mondialisée, basée sur la combustion d'énergies fossiles et la consommation croissante de viande et d'aliments ultra-transformés, produit rapidement un climat qui réduira les limites dans lesquelles l'humanité peut vivre sur la planète. La fonte des pôles et des glaciers accélère la montée des eaux et la crise de l'eau. L'agro-industrie, l'exploitation minière et l'extraction d'hydrocarbures progressent (non sans résistance) sur les forêts tropicales, pourtant essentielles au maintien des systèmes climatiques et de la biodiversité de la planète. Les effets de la crise climatique continueront à se manifester violemment, détruisant les infrastructures, les systèmes agricoles, les moyens de subsistance et provoquant des déplacements massifs de populations. Rien de tout cela ne se produira sans une exacerbation des conflits sociaux.
Cette situation a-t-elle des précédents ? C'est un débat collatéral mais très animé parmi les historiens. Bien sûr, ce qui se rapproche le plus de ce que nous vivons aujourd'hui, c'est la convergence des crises qui a eu lieu au début du 20e siècle – celle qui a abouti à « l'âge des catastrophes », comme l'a nommé Hobsbawm (1914-1946), et à deux guerres mondiales sanglantes. Il y a au moins deux très grandes différences avec cette situation : premièrement, nous sommes aujourd'hui face à la crise écologique. Le système a créé les conditions d'une complète transformation, régressive, de la vie de l'humanité et de toutes les formes de vie. La seconde, non moins cruciale, est que les changements, de plus en plus rapides, se combinent avec le maintien d'un élément de la période précédente : l'absence d'une alternative au capitalisme qui soit crédible aux yeux des masses, l'absence d'une force ou d'un ensemble de forces anticapitalistes dirigeant des révolutions économiques et sociales.
Ce n'est pas qu'il n'y ait pas de luttes et de résistances. Au contraire. Ce siècle a connu au moins deux grandes vagues de luttes démocratiques et anti-néolibérales, dont ont fait partie le mouvement des femmes, un mouvement renouvelé, et le mouvement antiraciste qui a débuté aux États-Unis. Cependant, ces grandes luttes ont été confrontées, d'un point de vue objectif, non seulement au capitalisme néolibéral et à ses gouvernements, mais aussi aux dilemmes de la réorganisation structurelle du monde du travail – la classe ouvrière industrielle a perdu de son poids social dans une grande partie de l'Occident ; les opprimé·es, les jeunes et les nouveaux secteurs de travailleur.es précaires ne sont pas encore organisés de manière permanente et ont en général des difficultés à s'unir avec le mouvement syndical. Cette situation s'accompagne d'une régression de la conscience des opprimé·es et des exploité·es, affectée par les reconfigurations géographiques, technologiques et structurelles et par l'hyper-individualisme néolibéral. À cela s'ajoute l'extrême fragmentation de la gauche socialiste, pour constituer une situation où les luttes sont plus difficiles et où les résultats en termes de conscientisation et d'organisation politique sont plus rares.
La combinaison des crises les amplifie
Caractériser la crise capitaliste comme multidimensionnelle signifie qu'il ne s'agit pas d'une simple somme de crises, mais d'une combinaison dialectiquement articulée, dans laquelle chaque sphère a un impact sur l'autre et est impactée par les autres. En ce qui concerne la relation entre l'économique-social et l'écologique, les pays impérialistes centraux de l'Ouest et de l'Est (du moins du point de vue d'une partie non suicidaire des bourgeoisies centrales) ont le défi très difficile de mettre en œuvre une transition énergétique qui minimiserait les effets du changement climatique à un moment où la tendance à l'accélération de la baisse du taux de profit s'accentue. Le lien entre la guerre en Ukraine (avant l'explosion du conflit en Palestine) et la stagnation économique a aggravé la situation alimentaire critique des plus pauvres dans le monde, avec plus de 250 millions de personnes supplémentaires souffrant de la faim en dix ans (2014-2023). Le flux de personnes déplacées par les guerres, le changement climatique, la crise alimentaire et la propagation des régimes répressifs augmente, en particulier dans les pays du Sud, bien que les médias accordent plus d'importance aux déplacements forcés Sud-Nord.
Les perspectives désastreuses dans les domaines environnemental et économique, depuis au moins 2016, ont sans aucun doute joué un rôle important en poussant une partie des fractions bourgeoises dans différents pays à se détacher du projet des démocraties formelles comme meilleur moyen de mettre en œuvre les préceptes néolibéraux. Des secteurs de plus en plus importants de la bourgeoisie adoptent des alternatives autoritaires au sein des démocraties libérales, ce qui a conduit au renforcement des mouvements fondamentalistes de droite et des gouvernements d'extrême droite (Trump, Modi, Bolsonaro), ainsi qu'à l'établissement de liens entre les partisans de ces forces à l'échelle internationale.
L'expansion d'une sociabilité néolibérale hyper-individualiste qui, combinée à l'utilisation par la droite des réseaux sociaux et peut-être maintenant de l'IA, favorise encore plus la dépolitisation, la fragmentation des classes et le conservatisme. Les technologies numériques contribuent également à approfondir la subordination-clientélisation de la petite et moyenne paysannerie, voire leur réduction massive, alors qu'elles sont les principales productrices d'aliments dans le monde. D'autre part, le néolibéralisme, en continuant à attaquer violemment ce qui reste des États-providence, en imposant la surexploitation des travailleuses et travailleurs de l'industrie et des services, et surtout des soignant·es, jette les femmes, en particulier les travailleuses, dans le dilemme de survivre (mal) ou de se battre.
Avec les plans d'austérité le système s'attaque brutalement aux services sociaux qu'il avait créés dans le passé : il les supprime complètement ou, lorsque des bénéfices peuvent être réalisés, les donne au secteur privé. De cette manière, le néolibéralisme maintient les femmes dans la main-d'œuvre formelle (dans le Nord) ou moins formelle, plus informelle (dans le Sud), réduisant encore les salaires et les revenus de celles qui « travaillent à l'extérieur » ou fournissent des services, tout en accablant les femmes actives dans leur ensemble avec les tâches de soins aux enfants, aux personnes âgées, aux malades, aux personnes différentes – le travail que l'État-providence couvrait autrefois, lorsqu'il existait. Les réseaux de reproduction sociale étant en crise, davantage dans les pays néocoloniaux que dans les métropoles, la société néolibérale « domestifie » (rend domestique à nouveau) et racialise (confie aux femmes non blanches, noires, indigènes, immigrées) les tâches de soins, mais n'assume pas la responsabilité de la reproduction sociale dans son ensemble.
D'un point de vue géoéconomique, dispositifs numériques et algorithmes permettent au capitalisme néolibéral d'aujourd'hui et à son système interétatique d'exploiter de nouvelles forces productives (plateformes numériques), de nouveaux types de relations sociales de production (ubérisation) et la marchandisation de diverses relations sociales . Dans le même temps, le centre de gravité de l'accumulation mondiale de capital s'est déplacé au 21e siècle de l'Atlantique Nord (Europe-États-Unis) vers le Pacifique (États-Unis, en particulier la Silicon Valley, l'Asie de l'Est et du Sud-Est). Ce n'est pas seulement la Chine qui est décisive, mais toute la région, du Japon et de la Corée à l'Australie et à l'Inde.
Sur le plan politique, le grand ennemi
Les nouvelles extrêmes droites, sous différentes versions, progressent en Europe – en France elles pourraient arriver au gouvernement –, en Amérique latine, où elles viennent de conquérir la Casa Rosada (Argentine), après le coup d'État de Dima Boluarte au Pérou, en 2022, et aux États-Unis, où Trump pourrait revenir à la Maison Blanche. Elles sont de véritables menaces en Asie, avec le fils du dictateur Marcos aux Philippines et le xénophobe anti-musulman Narendra Modi en Inde. Dans cette crise politique de longue durée, le mécontentement touche de plein fouet non seulement la droite « traditionnelle » ou plus « cosmopolite » (au sens de néolibérale « progressiste », comme le dit Nancy Fraser), comme aux États-Unis, en Italie, en Inde (Parti du Congrès) et aux Philippines, mais aussi les social-démocraties et les « progressismes » qui ont cogéré les États néolibéraux des dernières décennies – cf. les victoires de Duterte en 2016 contre une coalition de droite et de Bolsonaro contre le PT en 2018, ainsi que la récente défaite du péronisme et la montée de Vox en Espagne.
Depuis 2008, et de manière plus marquée depuis le Brexit et la victoire de Trump en 2016, les mouvements et partis d'extrême droite se sont renforcés et multipliés avec des victoires électorales à l'intérieur des systèmes politiques. Ils se présentent comme contre-systémiques, bien qu'extrêmement néolibéraux, conservateurs, nationalistes, xénophobes, racistes, misogynes, antiféministes, anti-droits LGBTQIA+, transphobes, et inspirés ou massivement soutenus par le fondamentalisme religieux, de type chrétien néo-pentecôtiste en Amérique latine et aux États-Unis, et hindouiste en Inde. Contrairement aux fascismes d'il y a cent ans, ils répandent le négationnisme scientifique, la négation de la science dans la compréhension du changement climatique – parce qu'ils ont besoin de nier la réalité tragique pour présenter un quelconque espoir – et dans l'orientation de la prise en charge collective des populations face aux pandémies et aux épidémies.
La montée de cette constellation de néo ou post-fascismes est principalement le résultat d'au moins deux décennies de crise des démocraties néolibérales et de leurs institutions. Ces régimes néolibéraux ont été responsables – et sont perçus comme tels par les populations – de l'accroissement des inégalités, de la paupérisation, de la corruption, de la violence et de l'absence de perspectives pour les jeunes. Ils se sont révélés incapables de répondre de manière satisfaisante aux aspirations des peuples et des travailleurs. La racine profonde de la nouvelle extrême droite est donc le désespoir des secteurs sociaux appauvris face à l'aggravation de la crise, la désintégration du tissu social imposée par le néolibéralisme – dans lequel le fondamentalisme religieux se développe – combinée aux échecs des « alternatives » représentées par le social-libéralisme et le « progressisme ». En conséquence, des fractions de la bourgeoisie sont apparues et se sont développées dans le monde entier, qui soutiennent le néofascisme en tant que solution politico-idéologique capable de mettre fin à des régimes, de contrôler les mouvements de masse d'une main de fer, d'imposer des ajustements brutaux et des dépossessions afin de récupérer les taux de profit. L'exemple le plus notable de cette division est la polarisation aux États-Unis entre le trumpisme (qui a pris d'assaut le Parti républicain) et le Parti démocrate.
Parallèlement et conjointement, on assiste au renforcement d'une tendance : théocraties meurtrières et véritables califats au Moyen-Orient, dictatures en Asie centrale, néofascisme oligarchique-impérial de Poutine en Russie, tandis que le Parti communiste chinois sous Xi Jing Ping étend la répression. Cette combinaison constitue une menace historique pour les libertés civiles et les acquis démocratiques partout dans le monde, parmi lesquels les révolutionnaires, sans abaisser notre critique des limites des démocraties bourgeoises formelles, valorisent tout particulièrement le droit des exploités et des opprimés à lutter et à s'organiser pour lutter. Dans ce contexte défavorable à celleux d'en bas, la soi-disant gauche nostalgique du stalinisme qui défend Poutine et le modèle chinois ou Maduro et Ortega comme alternatives au système impérial, collabore à l'affaiblissement et à l'usurpation de ces libertés, créant un obstacle de plus à la lutte pour une démocratie réelle et socialiste.
La crise économique et sociale
Nous vivons toujours sous l'impact de la grande crise financière de 2008, qui a ouvert une nouvelle grande dépression (au sens de Michael Roberts), comme celle des années 1873-90 et surtout comme celle de 1929-1933. Pour la plupart des analystes de gauche, nous vivons une crise de la mondialisation néolibérale. D'abord parce que ce mode de fonctionnement capitaliste n'est plus capable, comme par le passé, de garantir la croissance et les taux de profit qu'il a connus à la fin des années 1980 et 1990. Ensuite parce que la polarisation géopolitique, aggravée par l'invasion de l'Ukraine, par la progression des nationalismes et maintenant par le massacre de Gaza par Israël, ébranle les chaînes de valeur super-internationalisées (citons la chaîne énergétique Europe-Russie et la production mondiale de puces, cible de la fureur américaine pour empêcher le leadership chinois dans les télécommunications et l'intelligence artificielle). Avec la pandémie de Covid, puis l'invasion russe de l'Ukraine et ses conséquences, ainsi que la rivalité accrue entre les États-Unis et la Chine, les chaînes de production mondiales, déjà ébranlées, sont en train d'être remodelées. Cependant, aucune de ces difficultés n'empêche les gouvernements impérialistes néolibéraux et leurs subordonnés de poursuivre leurs ajustements et leurs attaques vicieuses contre les salaires et les budgets sociaux, ainsi que la marchandisation de l'agriculture.
Malgré la croissance dérisoire enregistrée après 2008, l'économie néolibérale lutte contre sa propre crise en fuyant vers l'avant, à travers la concentration continue du capital, la financiarisation, l'endettement public et privé, la numérisation – qui confère de plus en plus de pouvoir aux grandes sociétés transnationales en général et aux grandes entreprises technologiques en particulier. La combinaison de la stagnation en Occident, de l'inflation croissante (aggravée par la guerre en Ukraine) et de la mise en œuvre des mêmes politiques néolibérales ne fait qu'exacerber les inégalités sociales, régionales, raciales et de genre entre les pays et à l'intérieur de ceux-ci.
La reprise des échanges économiques internationaux et l'importante offre de crédit pour soutenir la reprise des activités après la pandémie de Covid ont créé une augmentation soudaine de la demande, une spéculation sur l'énergie et les matières premières et un niveau d'inflation inconnu depuis des décennies, une situation aggravée à tous égards par l'impact économique des guerres sur les chaînes de production et de distribution mondialisées.
La forte hausse de l'inflation est exacerbée par une spirale d'augmentation des marges bénéficiaires et des prix, et non par une spirale d'augmentation des salaires et des prix, contrairement à ce que prétendent la BCE et la Fed en particulier. La Fed, la BCE et d'autres banques centrales ont augmenté les taux d'intérêt, avec le risque d'une récession mondiale en 2023, et en affectant les systèmes financiers moins réglementés tels que ceux des États-Unis et de la Suisse. La recherche effrénée de la protection contre la crise (ou du maintien des profits) encourage la spéculation financière et menace en permanence le système avec la vague de faillites de 2008 qui a touché non seulement les banques mais aussi de grandes entreprises industrielles comme General Motors, Ford, General Electrics, ou de grandes sociétés immobilières. Outre son caractère récessif – qui ébranle le niveau de vie des masses laborieuses – la hausse des taux d'intérêt accroît les dettes souveraines et privées, créant les conditions de nouvelles crises de défaut régionales, voire mondiales.
L'ordre géopolitique en reconfiguration
Le « chaos géopolitique » dont nous parlions il y a quelques années s'est aggravé, d'une part, et, d'autre part, il donne lieu à ce que l'économiste marxiste Claudio Katz appelle une crise du système impérial, c'est-à-dire un affaiblissement de la puissance hégémonique accompagné de l'affirmation de nouveaux impérialismes, tels que le chinois et le russe. Il s'agit d'une reconfiguration en cours dans un contexte mondial d'immense instabilité, sans que rien ne soit consolidé, de sorte que toute affirmation catégorique est aujourd'hui un pari sur l'hypothèse la plus probable. En tout état de cause, l'unipolarité du bloc sous leadership américain n'existe plus.
Les faits montrent qu'avec le renforcement du géant asiatique dans les domaines économique, technologique et militaire, nous vivons, à tout le moins, un conflit inter-impérialiste basé sur la rivalité entre l'ancien système impérial – le bloc américain avec les impérialismes européens, la province canadienne, le Japon, la Corée du Sud, l'Australie – et le bloc qui est en train de se construire autour de la Chine. Le bloc chinois en expansion et offensif inclut la Russie (malgré ses intérêts particuliers et ses contradictions avec Pékin), la Corée du Nord, de nombreuses républiques d'Asie centrale, se fait de nouveaux amis parmi les califats du Moyen-Orient (Arabie saoudite, Qatar, Bahreïn, Iran) et tente de transformer les BRICS en une alliance contre les impérialismes occidentaux.
La nature du « grand bond » chinois des 30 dernières années est capitaliste. Héritier d'une grande révolution sociale et d'un tournant restaurateur à partir des années 1980, indispensable à la refonte néolibérale du monde (menée en partenariat avec les États-Unis et leurs alliés), l'impérialisme chinois présente des caractéristiques particulières, comme tous les impérialismes. Il repose sur un capitalisme étatique planifié, centralisé dans le PCC et les forces armées chinoises, avec des politiques développementalistes classiques, où de nombreuses grandes entreprises sont des joint-ventures entre des entreprises appartenant à l'État ou contrôlées par l'État et des entreprises privées. Son impérialisme est encore, bien sûr, en construction, mais il est très avancé dans cette construction. Au cours des dix dernières années, la Chine a fait un bond en avant dans l'exportation de capitaux et est devenue le pays qui dépose et enregistre le plus de brevets au monde. Au cours des deux dernières années seulement, la Chine est devenue davantage un exportateur qu'un importateur de capitaux, en mettant l'accent sur ses participations dans des sociétés énergétiques, minières et d'infrastructure dans les pays néocoloniaux (Asie du Sud-Est et Asie centrale, Afrique et Amérique latine). Elle investit de plus en plus dans l'armement et franchit avec véhémence la ligne – Taïwan et la mer du Sud – que ses rivaux et les États plus faibles ne doivent pas franchir. Elle n'a pas encore envahi ou colonisé « un autre pays » sur le modèle européen ou américain, bien que sa politique à l'égard du Tibet et du Xijiang (et des petits territoires historiquement en litige avec l'Inde et le Bhoutan) soit essentiellement impérialiste et colonialiste.
La Russie d'aujourd'hui, en revanche, est l'État résultant de la grande destruction des fondations de ce qu'était l'Union soviétique et de la restauration chaotique et non centralisée qui y a eu lieu, basée sur la prise de contrôle d'anciennes et de nouvelles entreprises par des bureaucrates devenus oligarques. Poutine et son groupe, issu des secteurs des anciens services d'espionnage et de répression, ont conçu au début du siècle le projet de recentraliser le capitalisme russe, en utilisant les relations bonapartistes entre oligarques et une version 21e siècle de la vieille idéologie nationale-impérialiste de la Grande Russie, transformée en principal instrument pour réaffirmer le capitalisme russe dans la concurrence impérialiste et pour accroître qualitativement la répression des peuples de la Fédération – y compris le peuple russe.
C'est dans ce nouveau contexte que nous devons comprendre l'invasion russe de l'Ukraine, la guerre qui dure depuis presque deux ans maintenant, et l'offensive israélo-américaine contre Gaza. La guerre en Ukraine pourrait durer encore longtemps, sans qu'aucune force armée ne l'emporte sur l'autre, d'autant que les Etats-Unis ont eu bien plus intérêt, en octobre 2023, à garantir par une aide militaire et financière le massacre palestinien que la guerre défensive du gouvernement et du peuple ukrainiens pour leur autodétermination. Les États-Unis sont à l'offensive avec Israël en Palestine, leur bloc reste actif sur le théâtre des opérations en Europe de l'Est, tout en se préparant à l'éventualité de conflits en Asie (Taïwan, mer de Chine) et en Océanie. Avec une Chine en difficulté économique, un Poutine renforcé pour l'instant et un régime américain en grave crise – avec la possibilité d'un retour de Trump à la Maison Blanche – le scénario du système capitaliste interétatique est celui de conflits croissants, de tensions et d'incertitudes tout aussi grandes pour les travailleurs et les peuples.
Ce nouveau (dés)ordre impérialiste n'a pas seulement entraîné des guerres en Ukraine et en Palestine. Nous assistons à la multiplication des situations de guerre dans le monde entier, comme en Syrie, au Yémen, au Soudan et dans la partie orientale de la République démocratique du Congo, sans parler des guerres civiles évidentes ou déguisées, comme la guerre civile au Myanmar, premier exemple de celles à venir, et la guerre permanente des États latino-américains contre les organisations criminelles, et de ces dernières contre les masses, comme au Mexique et au Brésil. Cette situation conflictuelle progresse dans la géoéconomie et la géopolitique de l'Afrique, où la Russie rivalise économiquement et militairement avec la France et les États-Unis, notamment dans les anciennes colonies francophones d'Afrique de l'Ouest. De son côté, la Chine continue d'essayer d'accroître son influence économique dans toutes les parties du continent africain. Ce nouveau désordre menace de multiplier les conflits inter-impérialistes et de relancer la course au nucléaire, rendant le monde plus instable, plus violent et plus dangereux.
L'émergence de rivaux n'enlève rien à la nature des États-Unis en tant que pays le plus riche et le plus puissant militairement, dont la bourgeoisie est la plus convaincue de sa « mission historique » de dominer la planète à tout prix, et donc de faire la guerre pour poursuivre son hégémonie. Le fait est que si les États-Unis sont imbattables en matière de coercition, ils ont un sérieux problème : une hégémonie impérialiste (comme toutes les hégémonies) ne peut être maintenue que si elle convainc également ses alliés et son opinion publique intérieure. L'Oncle Sam est en effet celui qui a le dernier mot dans la « collectivité » impérialiste encore hégémonique, mais il a de très graves problèmes qui n'existaient pas dans la période précédente : son élite économique et politique est divisée comme jamais auparavant sur le projet de domination intérieure (une société et un régime démocratique bourgeois en crise ouverte depuis que le Tea Party et Trump ont pris le contrôle du Parti républicain de l'intérieur) et est obligée de faire face au gâchis de défaire les chaînes de valeur qui ont profondément lié l'économie des États-Unis à celle de la Chine au cours des 40 dernières années.
Cette conception est devenue plus évidente depuis l'ascension de Trump aux États-Unis et a été consolidée par la posture de la Chine dans la guerre en Ukraine. (Certains experts font remonter les origines de la rivalité actuelle à 1991-2000, avec l'hégémonisme unipolaire des États-Unis. Cela vaut la peine d'être lu et débattu). ) S'il est essentiel de caractériser ce qui change dans le bloc des puissances et des anciennes puissances, cette refonte a de profondes implications pour la périphérie et la semi-périphérie.
La place de la guerre en Ukraine
L'invasion de l'Ukraine par l'armée de Poutine a accéléré le remodelage du monde géopolitique. Avec l'escalade des tensions en Asie de l'Est à propos de Taïwan et de la mer de Chine méridionale, le risque de guerres directes entre les principales puissances impériales s'est accru. Il existe un risque d'escalade nucléaire, même si ce n'est pas le scénario le plus probable. Le « nouvel ordre » en construction, qui comporte déjà la menace de conflits inter-impérialistes plus nombreux et d'une reprise de la course nucléaire, rend le monde plus conflictuel et plus dangereux.
L'invasion russe, atroce et injustifiée, de l'Ukraine décidée par Poutine le 24 février 2022 et la guerre qu'elle a provoquée ont déjà fait plus de 250 000 morts (50 000 dans l'armée russe) et près de 100 000 civils ukrainiens. La Russie continue de bombarder les zones civiles et d'attaquer les chemins de fer, les routes, les usines et les entrepôts, ce qui a détruit les infrastructures ukrainiennes. Des millions d'Ukrainiens ont été contraints de fuir le pays, laissant des familles et des communautés brisées. Elles et ils sont devenus des réfugiés, ce qui, selon les pays d'accueil, peut signifier sans statut permanent, sans logement, sans travail ou sans revenu, et faisant peser une lourde charge sur les pays voisins dont les populations se sont mobilisées pour apporter un soutien matériel.
Nous défendons le droit du peuple ukrainien à déterminer son propre avenir dans son propre intérêt et dans le respect des droits de toutes les minorités ; son droit à déterminer cet avenir indépendamment des intérêts de l'oligarchie ou du régime capitaliste néolibéral actuel, des conditions du FMI ou de l'UE, avec l'annulation totale de sa dette ; et le droit de tous les réfugié·es et personnes déplacées de retourner chez eux en toute sécurité et dans le respect de leurs droits.
La seule solution durable à cette guerre passe par la fin des bombardements des populations civiles et des infrastructures de l'énergie, ainsi que le retrait complet des troupes russes. Toute négociation doit être publique devant le peuple ukrainien. Nous luttons pour le démantèlement de tous les blocs militaires – OTAN, OTSC, AUKUS – et nous continuons également à lutter pour le désarmement mondial, en particulier en ce qui concerne les armes nucléaires et chimiques.
En Russie et en Biélorussie, celleux qui s'opposent à la guerre impérialiste de Poutine sont criminalisés. En Russie, les déserteurs de l'armée et celleux qui osent protester ouvertement sont sévèrement réprimés. Des centaines de milliers de personnes ont également été contraintes de fuir la Russie, souvent sans statut de réfugié et en subissant les effets des mesures destinées à punir les partisans du régime russe. Elles aussi méritent toute notre solidarité, et nous appelons à la fin de toute répression des opposants russes à la guerre et, si nécessaire, leur accueil dans le pays de leur choix.
Coups d'État récents en Afrique
Les récents coups d'État militaires dans les anciennes colonies françaises d'Afrique (Mali, Burkina Faso et Niger) sont un indicateur de la profonde crise sociale et politique que traverse cette région, fragilisée par la montée en puissance des actions militaires des groupes terroristes islamistes, renforcés par la défaite de Kadhafi en Libye et l'intervention des puissances occidentales. Dans ces trois pays, les militaires qui ont pris le pouvoir, sans rencontrer de résistance dans un contexte de crise de régime, ont profité du discrédit total des institutions politiques et du rejet généralisé de la présence impérialiste française au sein de la population, notamment parmi les jeunes du Sahel. Ce rejet de la France impérialiste par la population s'est également exprimé très clairement au Sénégal lors des mouvements sociaux de 2021. Dans le cas du coup d'État militaire au Gabon, qui fait partie de l'Afrique centrale et qui est également une ancienne colonie française, ce qui est décisif, c'est la crise du régime, car dans ce pays il n'y a pas de rejet de la France comme dans ses voisins.
En tout état de cause, les militaires qui sont arrivés au pouvoir n'offrent pas de véritable alternative aux politiques impérialistes et au modèle néolibéral, tout comme les islamistes qui sont arrivés au pouvoir par le biais des élections en Tunisie et en Égypte après le printemps arabe. Aucun d'entre eux ne se prononce même sur la question de l'anti-impérialisme – si puissant sur le continent dans les années 1960 et 1970 – et sur la nécessité d'une unité africaine radicalement différente de la prétendue unité représentée par l'UA et son orientation d'intégration dans la mondialisation néolibérale.
En tant que Quatrième Internationale, nous rejetons le discours impérialiste occidental qui, sous prétexte de rétablir l'ordre constitutionnel dans ces pays, veut soutenir une intervention militaire pour préserver ses intérêts. Nous soutenons la demande de retrait des troupes militaires françaises de toute la région, à commencer par le Niger. Nous exigeons la fermeture de la base militaire américaine d'Agadez au Niger et le départ des troupes du groupe Wagner. Nous soutenons tous les efforts pour récupérer la souveraineté politique et économique des peuples, dans le sens d'un mouvement nouveau et anti-systémique pour l'unité des pays et des peuples d'Afrique.
Ceux qui sont au bas de l'échelle réagissent par des mobilisations
Après la crise de 2008, les mobilisations de masse ont repris partout dans le monde. Printemps arabe, Occupy Wall Street, Plaza del Sol à Madrid, Taksim à Istanbul, juin 2013 au Brésil, Nuit Debout et Gilets jaunes en France, mobilisations à Buenos Aires, Hong Kong, Santiago et Bangkok. Cette première vague a été suivie d'une deuxième vague de soulèvements et d'explosions entre 2018 et 2019, interrompue par la pandémie : la rébellion antiraciste aux États-Unis et au Royaume-Uni, avec la mort de George Floyd, les mobilisations de femmes dans de nombreuses parties du monde, y compris la lutte héroïque des femmes en Iran, les révoltes contre les régimes autocratiques comme en Biélorussie (2020), une mobilisation de masse des paysans indiens qui a triomphé en 2021. L'année 2019 a vu des manifestations, des grèves ou des tentatives de renversement de gouvernements dans plus d'une centaine de pays – dans plus d'un pays sur trois, les soulèvements ont conduit au départ du chef d'État ou de gouvernement (Soudan, Algérie, Bolivie, Liban), à un remaniement ministériel (Irak, Guinée, Chili) ou encore à l'abandon des réformes qui firent éclore les mobilisations (France, Hong Kong, Indonésie, Équateur, Albanie, Honduras) (étude du site d'information français Mediapart, 24/11/2019, https://www.me…).
Il faut souligner, au lendemain de la pandémie, les trois mois de résistance en France contre la réforme des retraites de Macron et le soulèvement des travailleurs, des étudiants et de la population en Chine qui a contribué à mettre en échec la politique du PCC « Zéro Covid ». Aux États-Unis, le processus de syndicalisation et de lutte se poursuit dans les nouvelles branches de production (Starbuck's, Amazon, UPS), avec l'émergence de nouveaux processus anti-bureaucratiques de base, avec des grèves de travailleurs dans l'éducation, les soins de santé et, en 2022/2023, les grandes grèves des scénaristes et des acteurs d'Hollywood, ainsi que la grève historique et jusqu'à présent victorieuse des travailleurs des trois grandes entreprises automobiles du pays.
La classe ouvrière au sens large, qui se prépare aujourd'hui aux impacts de l'intelligence artificielle (et qui résiste, comme le montre la grève des scénaristes et des acteurs américains), est toujours vivante et nombreuse, bien que restructurée, réprimée, moins consciente et organisée qu'au siècle dernier. Les grands complexes industriels survivent en Chine et s'étendent en Asie du Sud-Est. Les paysans d'Afrique, d'Asie du Sud (Inde et Pakistan) et d'Amérique latine résistent courageusement à l'invasion de l'agro-industrie impérialiste. Les peuples autochtones, qui représentent 10 % de la population mondiale, résistent à l'avancée du capital sur leurs territoires et défendent les biens communs indispensables à toute l'humanité. La défaite du Printemps arabe et la tragédie syrienne retardent la résilience des peuples du Proche et du Moyen-Orient ; malgré cela, nous avons assisté au soulèvement héroïque des femmes et des filles d'Iran.
En Amérique latine, les explosions sociales et les luttes – qui ont combiné les revendications démocratiques et économiques – sont canalisées dans les élections des gouvernements dits « progressistes » de la deuxième vague, avec toutes les différences qui existent entre les gouvernements de Lula, Amlo, Petro et Boric. Notre politique générale ne doit pas être une opposition frontale et sectaire à ces gouvernements, mais une politique de revendication et de mobilisation (y compris vers de meilleurs moyens de combattre l'extrême droite), tout en maintenant l'indépendance des mouvements et des partis dans lesquels nous agissons avec toutes leurs contradictions.
Les travailleur.es résistent toujours au capital et luttent pour leurs conditions de vie, bien que sous de nouvelles formes d'organisation du travail et de nouvelles manières de s'organiser pour lutter, et donc avec plus de difficultés que pendant les années « glorieuses » de l'État-providence du 20e siècle. L'enjeu est de travailler plus que jamais, dans chaque pays, dans chaque périphérie urbaine, sur chaque lieu de travail, dans chaque occupation et chaque grève, dans chaque nouveau syndicat de base, dans chaque nouvelle catégorie et chaque nouveau mouvement populaire de résistance à l'ordre, en s'unissant les un·es aux autres pour des revendications communes, en créant et en renforçant l'auto-organisation et la politisation anticapitaliste des revendications, en vue de la reconstruction d'une conscience des exploités et des opprimés contre le capitalisme et de leur indépendance de classe.
En Afrique subsaharienne il y a, d'une part, les mouvements dits citoyens (Le Balai citoyen, Y en a marre !, Lucha, etc.) qui semblent chercher un nouvel élan et, d'autre part, les manifestations populaires, y compris celles de l'opposition politique, auxquelles les régimes répondent aussi par une répression féroce (Sénégal, Swatini/ex-Swaziland, Zimbabwe, etc.). En général, l'ancrage à gauche ou « progressiste » (anti-néolibéral) n'est pas évident, sans parler d'une perspective anticapitaliste (évoquée par les camarades algériens lors du Hirak).
Des exigences centrales pour une nouvelle ère
Dans ce contexte général, la situation des classes laborieuses, des exploité·es et des opprimé·es met en avant différentes revendications qui combinent les domaines économiques, féministes et antiracistes avec les questions socio-environnementales et démocratiques en général – contre les régimes autoritaires, le néofascisme et tous les impérialismes. Les politiques unitaires de gauche (fronts uniques) et même l'unité transitoire avec les secteurs moyens ou bourgeois contre le fascisme (fronts larges) constituent une partie importante de notre répertoire en ces temps, mais jamais en négociant ou en acceptant la perte de notre indépendance politique ou celle des mouvements sociaux.
Les besoins fondamentaux, les droits fondamentaux doivent être satisfaits pour tous les humains, avec des soins de santé gratuits, un logement et un travail dignes et des salaires et pensions décentes, ainsi que l'accès à l'eau. Une grande partie de l'humanité dispose de moins en moins de ces avantages en raison de la privatisation de la terre et des moyens de production pour les profits capitalistes, des politiques d'austérité et du changement climatique aux conséquences catastrophiques.
Nous devons lutter contre les gouvernements autoritaires et pour les droits démocratiques, pour le droit général de la société aux soins, contre la discrimination dont les femmes sont victimes, empêchées de disposer de leur propre corps et de leur propre vie, pour le droit à l'avortement, pour l'égalité des salaires et des revenus, contre le racisme structurel qui discrimine les Noirs, les peuples indigènes et les autres ethnies racialisées, et contre l'homophobie et la transphobie qui s'attaquent à la communauté LGBTQI dans le monde.
Toutes ces luttes doivent s'unir pour vaincre les nouveaux fascismes, pour renverser les régimes d'exploitation et d'oppression, pour mener la lutte contre le capitalisme. Toutes ces tâches, au milieu des guerres, des catastrophes climatiques et des menaces d'ajustement, induisent la nécessité d'un nouvel internationalisme, un internationalisme militant des peuples d'en bas. Alors que de nombreux mouvements sociaux et mobilisations explosent aujourd'hui, il faut reconstruire des liens et des initiatives internationalistes – comme celles des travailleur·es portuaires de toute l'Europe boycottant Israël –, des campagnes qui rassemblent la gauche et les mouvements sociaux, avec des échanges qui permettent de défendre des revendications communes, de faciliter des victoires et des avancées capables de retourner la situation en faveur des majorités sociales.
21 novembre 2023
Ana Cristina Carvalhaes est journaliste, militante du PSOL (Brésil) et membre du Bureau exécutif de la Quatrième Internationale.
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Appel à ne pas financer le projet de TotalEnergies en Papouasie Nouvelle-Guinée

Nos 50 organisations de la société civile de Papouasie Nouvelle-Guinée, du Pacifique, de France et d'ailleurs vous demandent de vous engager à ne pas financer ou fournir de soutien financier au projet Papua LNG, développé par TotalEnergies avec ExxonMobil, Santos et JX Nippon (1). En effet, nous savons que TotalEnergies cherche actuellement à obtenir des soutiens financiers pour ce projet, avec l'appui du Crédit Agricole, conseiller financier du projet.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Votre banque a financé le projet PNG LNG en Papouasie Nouvelle Guinée (2) et/ou un autre projet de Gaz Naturel Liquéfié (GNL) impliquant TotalEnergies dans la région Asie-Pacifique au cours des 6 dernières années (3). Nous vous demandons de cesser de soutenir l'expansion des énergies fossiles, qui est incompatible avec l'objectif mondial de limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) a confirmé que les émissions des infrastructures fossiles existantes dépasseront largement le budget carbone restant pour limiter le réchauffement planétaire à moins de 1,5°C (4). Le scénario Net zero by 2050 de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) indique par ailleurs qu'aucun nouveau projet de production de pétrole ou de gaz, ni aucun nouveau terminal de liquéfaction n'est nécessaire pour répondre aux besoins énergétiques mondiaux (5). Le projet Papua LNG, qui comprend 9 puits offshore, une usine de traitement du gaz, 4 trains de liquéfaction électrique et un gazoduc de 320 km, n'est donc pas compatible avec le scénario Net zero de l'AIE (6).
En tant que tel, ce projet n'est pas compatible avec les politiques des banques australiennes et françaises BNP Paribas, Commonwealth Bank of Australia, Crédit Mutuel, Société Générale et Westpac, qui ont accordé des prêts à l'infrastructure PNG LNG entre 2010 et 2014 (7), et qui ont depuis adopté des politiques climatiques excluant ce type de projet (8). Afin de maintenir le réchauffement climatique en dessous de 1,5°C, tous les acteurs financiers devraient suivre la même logique et cesser de financer l'expansion pétrolière et gazière.
En l'occurrence, les émissions totales du projet Papua LNG sont estimées à 220 millions de tonnes d'équivalent CO2 (MTCO2e). Au cours de sa durée de vie, ce seul projet émettra autant que la population entière du Bangladesh – 169 millions de personnes – en une année entière (9).
De plus, alors que TotalEnergies affirme que ses projets de GNL contribueront à remplacer le charbon par le gaz pour produire de l'électricité, l'impact climatique du GNL peut être aussi important que celui du charbon si l'on prend en compte les émissions de gaz à effet de serre tout au long de la chaîne de valeur. En effet, le gaz fossile est principalement composé de méthane fossile, dont le potentiel de réchauffement est 82,5 fois plus élevé que celui du CO2 sur une période de 20 ans (10). Il suffit de quelques pour cent de fuites de gaz pour que le gaz devienne un facteur de changement climatique aussi important que le charbon à court terme (11).
Le projet risque également d'avoir de graves répercussions environnementales, sociales et potentiellement économiques en Papouasie Nouvelle Guinée. Le projet serait développé dans la province du Golfe, une province dont les zones côtières sont déjà durement touchées par le dérèglement climatique. L'élévation du niveau de la mer et les tempêtes océaniques ont contraint certaines communautés de la baie d'Orokolo à déplacer leurs habitations à plusieurs reprises (12).
Un projet antérieur développé par ExxonMobil – PNG LNG – fait l'objet d'un grave bilan en matière de violations de droits humains, de violences intra-communautaires, de conflits fonciers et à de promesses non tenues (13). Les consultations avec les communautés affectées dans le cadre du projet Papua LNG laissent craindre que leurs droits ne seront pas davantage protégés : les consultations ne sont pas menées avec la transparence nécessaire pour garantir leur consentement libre, informé et préalable (14).
Il n'est donc pas surprenant qu'un conseil de chefs, représentant 600 clans dans la région où le projet Papua LNG est développé, ait vivement dénoncé le processus de consultation en septembre dans le Post Courier, l'un des journaux les plus importants de la Papouasie Nouvelle Guinée. Selon cet article, ces chefs de clan ont indiqué que la rivière Purari, utilisée par TotalEnergies pour transporter des matériaux vers le site du projet, avait été « fermée par les propriétaires terriens pendant deux semaines » et que les opérations seraient interrompues si le dialogue n'était pas établi (15).
Le projet comporte également des risques financiers considérables. S'il est mis en oeuvre, le projet Papua LNG commencera à fonctionner à la fin de 2027 ou en 2028, alors que la demande mondiale de gaz devrait atteindre son maximum avant la fin de la décennie, selon les trois scénarios de l'AIE (16). La date des premiers chargements de GNL du projet coïncide avec une probable offre excédentaire des livraisons mondiales de gaz. En effet, les capacités de liquéfaction devraient augmenter en 2026 et 2027. Les perspectives de baisse des prix sont donc importantes à partir de cette période, avec des risques élevés pour les rendements des investisseurs du projet (17).
En outre, rien ne garantit que le GNL produit par le projet Papua LNG sera vendu, car aucun accord de vente et d'achat à long terme n'a été rendu public à ce jour (18). Comme en Europe (19), la surcapacité en GNL peut donc conduire à des actifs échoués et les infrastructures de GNL du projet Papua LNG pourraient demeurer inutilisées.
Enfin, la Papouasie Nouvelle Guinée n'a pas besoin de ce projet – dont 95% de la production doit être exportée – même pour ses propres besoins énergétiques et sa transition énergétique durable. Un rapport récent montre que le gouvernement du pays a déjà identifié de nombreux projets qui, s'ils se concrétisaient, augmenteraient considérablement l'accès à l'énergie grâce aux nouvelles énergies renouvelables (20). Le financement nécessaire pour ces projets est estimé à moins de 100 fois le budget du projet Papua LNG (21).
Pour contribuer à maintenir le réchauffement climatique en dessous de 1,5°C, nous vous demandons de mettre fin immédiatement à tous les services financiers directs aux nouveaux projets pétroliers et gaziers en amont et en aval et de conditionner les services financiers généraux aux développeurs pétroliers et gaziers, y compris TotalEnergies, ExxonMobil, JX Nippon et Santos, à leur engagement de ne pas développer de tels projets. En conséquence, nous vous demandons de vous engager à ne pas soutenir le projet Papua LNG.
Nous vous remercions de l'attention que vous porterez à ce sujet important et serions heureux de vous rencontrer, vous et votre équipe, pour en discuter plus avant. Une réponse à cette lettre avant le vendredi 22 décembre serait très appréciée.
Organisations signataires : Center for Environmental Law and Communities Rights (CELCOR, Papua New Guinea) ; Reclaim Finance (International) ; Alofa Tuvalu (France, Tuvalu) ; Les Amis de la Terre / Friends of the Earth France ; Bank Climate Advocates (United States) ; Bank on our Future (United Kingdom) ; BankTrack (International) ; Bio Vision Africa (BiVA, Uganda) ; Bloom (France) ; Both ENDS (The Netherlands) ; Carrizo/Comecrudo Tribal Nation of Texas (United States) ; Earth Action, Inc. (United States) ; Earthlife Africa (South Africa) ; Environment Governance Institute Uganda ; Extinction Rebellion Carnage Total (France) ; Extinction Rebellion France ; FairFin (Belgium ; Friends of the Earth Japan ; Fridays for future Uganda ; Friends of the Earth United States ; Fund Our Future (South Africa) ; Global Witness (International) ; Greenpeace France ; Green Faith Indonesia ; The Green Youth Movement Denmark (Den Grønne Ungdomsbevægelse) ; JA ! Justica Ambiental (Mozambique) ; Japan Center for a Sustainable Environment and Society (JACSES) ; Jordens Vänner / Friends of the Earth Sweden ; Jubilee Australia Research Centre ; Justice Institute Guyana ; Kiko Network (Japan) ; Laudato Si Movement (International) ; LDH (0L0igue des droits de l'Homme) (France) ; Liveable Arlington (United States) ; Market Forces (International) ; Mekong Watch (Japan) ; Missão Tabita (Mozambique) ; NOAH – Friends of the Earth Denmark ; Oil Change International (International) ; Parents for Climate (Australia) ; Positive Money UK ; Public Citizen (United States)
Rainforest ActionNetwork (United States) ; ReCommon (Italie) ; Society of Native Nations (International) ; Stand.earth (International) ; StopTotal (France) ; Switch It Green (United Kingdom) ; Texas Campaign for the Environment (United States) ; Urgewald (Germany).
Paris, le 13 décembre 2023
Lire le communiqué « Appel à ne pas financer le projet de totalenergies en Papouasie Nouvelle Guinée” en format pdf
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L’Argentine n’est pas à vendre : les syndicats réagissent à la privatisation

Le 19 novembre 2023, Javier Milei a largement battu le ministre de l'Economie Sergio Massa, remportant les 24 provinces argentines sauf trois. Il promet de tout privatiser y compris l'énergie.
28 novembre 2023 | tiré de canadian.dimension | Photo : Photo avec l'aimable autorisation de Vox España/Flickr.
https://canadiandimension.com/articles/view/argentina-is-not-for-sale-unions-respond-to-privatization
Les Argentins, lassés de l'inflation annuelle qui dépasse les 140 % et d'un taux de pauvreté qui atteint 40 %, ont élu l'économiste libertaire de droite Javier Milei. Le dimanche 19 novembre 2023, Milei a largement battu le ministre de l'Economie Sergio Massa par 55,7 % contre 44,3 %, remportant toutes les provinces du pays sauf trois. Il avait fait campagne en promettant de privatiser les entreprises d'État, de réduire les dépenses publiques, de dollariser l'économie, d'éliminer la banque centrale et de fermer des ministères clés, dont ceux de la Santé et de l'Éducation.
Milei fait de la privatisation de la compagnie pétrolière publique argentine, YPF, une priorité absolue. « La première chose à faire est de larestructurer pour que YPF puisse être « vendu de manière très favorable aux Argentins ». Il a ajouté : « Tout ce qui peut être entre les mains du secteur privé sera entre ses mains. » Milei a déclaré qu'il privatiserait également la télévision publique, la radio nationale et l'Agence nationale de presse (Telám). Les actions cotées à New York de l'argentine YPF ont grimpé de plus de 40 % après cette annonce.
Les commentateurs ont souligné qu'un programme de privatisation aussi radical nécessitera des réformes constitutionnelles et, dans certains cas, de nouvelles lois de la part d'un Congrès où Milei n'a pas encore la majorité.
Appel à l'action des syndicats argentins
Hugo « Cachorro » Godoy, secrétaire général du CTA-Autónoma, a présenté une première analyse des facteurs à l'origine de ces résultats :
Nous avons voté contre ce gouvernement [d'Alberto Fernández], qui n'a rempli aucun des objectifs et des engagements pris, et qui était initialement aux antipodes de la politique de Macri et des impositions du FMI. À la fin de quatre années de gouvernement, la situation était pire qu'à ses débuts, particulièrement dans les domaines économique et social. Milei arrive au pouvoir porté par la fragmentation du camp populaire [la base de la classe ouvrière] et de la fragmentation des relations de travail, où la précarité a produit des dommages économiques et sociaux, y compris 43 pour cent de pauvreté [et] 10 pour cent de personnes souffrant de la faim. En ce qui concerne [Milei], il dénie le rôle de l'État comme instrument d'équité et d'équilibre dans une société, il est indispensable de construire un programme alternatif pour reconstituer les secteurs populaires et la base ouvrière.
La Confédération générale du travail de la République argentine (CGT), la plus grande confédération syndicale du pays, a réuni ses syndicats et a averti qu'elle n'accepterait aucun recul de ses droits ni aucun retard dans les négociations. Il a également rejeté les menaces de Milei concernant la paralysie des travaux publics et la privatisation des chemins de fer et des Aerolíneas Argentinas.
« Beaucoup de gens ont voté pour Milei en sachant ce qu'il allait faire, mais ils pensaient qu'il ne les toucherait pas. Si c'est le cas, la CGT sera là [...] Nous n'allons pas permettre la privation des droits et encore moins qu'il attaque les salaires », a déclaré Héctor Daer, représentant du secteur de la santé à la CGT.
Le Syndicat des travailleurs de la métallurgie (UOM) a annoncé que les mesures drastiques annoncées par Milei « ne sont pas bonnes pour les travailleurs, comme la paralysie des travaux publics en cours de développement dans tout le pays ».
Pedro Wasiejko, secrétaire général de la Fédération des syndicats des travailleurs de l'énergie, de l'industrie, des services et des secteurs connexes (Fetia), a fait référence à un récent sommet de la fédération qui s'est conclu à l'unanimité sur le fait que « sans développement productif autonome, il n'y a pas de possibilité de justice sociale ou de souveraineté nationale... Le [sommet] a mis en évidence l'énorme potentiel de nos entreprises d'État ainsi que les connaissances approfondies et les capacités de leurs travailleurs qui ont clairement émergé, en contraste clair avec les propositions de ceux qui prétendent que la seule issue est de les privatiser et de les fermer.
Julio Acosta, secrétaire général de la Fédération des travailleurs de l'énergie d'Argentine (FeTERA), a partagé ses réflexions sur la nécessité de construire un sentier public en Argentine. Le texte suivant a été écrit juste avant les élections, lorsque FeTERA a rejoint le TUED :
La dénationalisation des entreprises publiques a fait perdre à l'Argentine sa souveraineté, dans cette offensive du capital contre le travail, elle a mis notre pays à genoux au point qu'actuellement la politique économique est dictée par le FMI, et tous les trois mois, une délégation du Fonds arrive dans notre pays pour vérifier si les objectifs qu'ils proposent sont atteints, ce qui signifie plus d'ajustements pour les travailleurs, plus de dépendance, plus d'arriération.
La seule issue pour l'Argentine est de recouvrer sa souveraineté. Défaire les transformations structurelles du néolibéralisme, retrouver la souveraineté énergétique, la souveraineté alimentaire (nous sommes un pays qui produit de la nourriture pour plus de 450 millions d'habitants, et il y a des millions de personnes qui souffrent de la faim), ainsi que la souveraineté financière et économique.
Recouvrer la souveraineté signifie démarchandiser le secteur de l'énergie, le nationaliser, renationaliser les services essentiels, changer le modèle de privatisation pour un modèle de propriété étatique avec la participation et le contrôle des utilisateurs et des travailleurs, et ainsi récupérer les droits des travailleurs, des utilisateurs et de la société dans son ensemble.
En réponse aux annonces de privatisation de Milei, les mouvements sociaux regroupés au sein de l'Union des travailleurs de l'économie populaire (UTEP) et de l'Association des travailleurs de l'État (ATE) ont appelé à « éviter la destruction de l'État proposée par Milei » et ont affirmé qu'ils ne permettraient pas « la nouvelle tentative de privatisation des entreprises publiques ».
« Nous ne nous écarterons pas d'un millimètre du mandat qui nous a été confié par nos membres. Avant de partir, le gouvernement actuel doit garantir les augmentations promises pour novembre et décembre. Et à la prochaine, nous voulons dire que nous défendrons de toutes nos forces les emplois et les politiques publiques que nous avons gagnés », a déclaré Rodolfo Aguiar, secrétaire général de l'Association des travailleurs de l'État (ATE).
« Nous devons être forts et unis parce que la sortie est toujours collective. Nous avons besoin d'un État fort et souverain, et il est clair que la moitié de notre pays n'est pas en mesure d'en apprécier l'importance. C'est très affligeant parce que ceux d'entre nous qui sont au courant de l'histoire de notre pays savent ce qui s'est passé avec les privatisations et les démantèlements », a ajouté Mercedes Cabezas, secrétaire adjointe de l'ATE.
Le Syndicat de la presse de Buenos Aires (SiPreBA) a appelé à des rassemblements cette semaine à Radio Nacional, TV Pública et Télam, respectivement, sous le slogan « Sans médias publics, il n'y a pas de démocratie ».
Brésil : Reconstruire après la présidence Bolsonaro
Sans minimiser les différences importantes entre l'Argentine et le Brésil, ce dernier a été confronté à des défis similaires sous les administrations Temer et Bolsonaro avec la privatisation d'importantes entreprises publiques telles qu'Eletrobras et Petrobras. La lutte contre ces privatisations et la lutte actuelle, sous Lula, pour récupérer et restaurer les entreprises peuvent offrir des informations précieuses sur la stratégie.
CUT du Brésil s'est adressé au mouvement ouvrier argentin dans une déclaration post-électorale. « Notre histoire de solidarité entre la CUT Brésil et les syndicats argentins est marquée par des luttes acharnées et des résistances aux gouvernements autoritaires et néolibéraux qui, pendant des décennies, ont œuvré pour remettre les biens publics, les secteurs stratégiques de nos économies aux entreprises multinationales et, sous prétexte de réduire les dépenses, détruire nos systèmes publics de protection sociale et du travail. Le résultat, nous le savons déjà, est que des millions de travailleurs seront abandonnés par l'État minimal, poussés vers la famine, la violence et le chômage [...] Nous serons ensemble dans cette période de résistance, mais aussi d'organisation de la lutte pour défendre un projet souverain d'intégration régionale...
La reconquête de la politique industrielle de l'État et la restauration de la démocratie, du mouvement ouvrier et des services publics figuraient parmi les thèmes centraux du 14e Congrès national de la CUT Brésil (CONCUT14) qui s'est tenu en octobre 2023. Plus de deux mille délégués brésiliens et 150 délégués internationaux, dont le TUED, ont participé à ce congrès historique qui a marqué le premier depuis la défaite de Bolsonaro.
Dans les jours qui ont précédé la CONCUT, la TUED a participé à la troisième édition du Forum syndical international pour une transition sociale et écologique, organisé par la CUT du Brésil, la Rosa Luxemburg Stiftung (RSL), la Confédération générale du travail de France (CGT), la Confédération coréenne des syndicats (KCTU) et la TUED. À la suite du Congrès, le TUED a également participé à la convocation par Industriall Global Union Brésil des syndicats du secteur industriel du pays, notamment la Fédération brésilienne des travailleurs du pétrole (FUP), la Confédération nationale des métallurgistes de la CUT (CNM/CUT), la Fédération nationale et la Confédération des travailleurs urbains - FNU/CNU et le Syndicat des travailleurs de l'énergie (Sinergia CUT), entre autres.
Les Syndicats pour la démocratie de l'énergie (TUED) sont une initiative mondiale et multisectorielle visant à faire progresser la direction et le contrôle démocratiques de l'énergie d'une manière qui promeut des solutions à la crise climatique, à la pauvreté énergétique, à la dégradation des terres et des personnes, et répond aux attaques contre les droits et la protection des travailleurs.
Cet article a été publié à l'origine sur le site Web du TUED.
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« Violences sexuelles faites aux enfants : on vous croit »

Il y a 3 ans, la Commission Indépendante sur l'Inceste et les Violences Sexuelles Faites aux Enfants (CIIVISE) était installée, avec pour lettre de mission de recueillir les témoignages des personnes ayant été victimes de violences sexuelles pendant leur enfance en créant un espace inédit d'expression et faire des préconisations de politiques publiques pour améliorer la réponse des différentes institutions.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Par son rapport « Violences sexuelles faites aux enfants : on vous croit », publié ce vendredi 17 novembre, la CIIVISE restitue ces trois années d'engagement, livre son analyse des violences sexuelles faites aux enfants et présente des préconisations de politique publique. Quatre parties le structurent : les piliers, la réalité, le déni, la protection.
Les violences sexuelles faites aux enfants, l'inceste, sont un problème social historique et politique. Si longtemps confinées à la sphère privée et à l'intime secret, elles mettent aussi en question nos représentations collectives de la famille, de la sexualité, de la liberté, de la relation et du pouvoir. Face à cela, la culture de la protection ne peut être édifiée sans piliers inébranlables, afin de regarder la réalité en face, et sortir du déni.
La réalité peut être décrite en quelques chiffres : 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année, 5,4 millions de femmes et d'hommes adultes en ont été victimes dans leur enfance, l'impunité des agresseurs et l'absence de soutien social donné aux victimes coûtent 9,7 milliards d'euros chaque année en dépenses publiques. Les deux tiers de ce coût faramineux résultent des conséquences à long terme sur la santé des victimes. La réalité c'est d'abord le présent perpétuel de la souffrance.
Ce que la CIIVISE a à dire après trois ans d'engagement, d'écoute, de discernement et d'action, c'est ceci : nous, la société, nous nous sommes trompés. Nous avons cru qu'il était préférable de faire comme si ça n'existait pas, comme si c'était impossible. Nous avons préféré ne pas voir. La CIIVISE ne sera pas la première à mettre en évidence le déni dont les violences sexuelles faites aux enfants font l'objet.
Il est possible de sortir du déni, de remettre la loi à sa place, d'être à la hauteur des enfants victimes et des adultes qu'ils sont devenus. C'est le sens des 82 préconisations formulées de ce rapport. Elles sont réalistes et réalisables. Leur mise en œuvre sera moins coûteuse que le coût du déni.
La commission espère qu'il ne s'agit pas de son rapport final mais d'un rapport d'étape.
Elle espère que ce rapport sera lu et qu'il suscitera l'intérêt des mouvements et professionnels de la protection de l'enfance et celui des mouvements et professionnels de la lutte contre les violences sexuelles.
Elle espère qu'il sera lu par tous les citoyens, quel que soit leur métier ou leur engagement, parce que ce dont parle la CIIVISE les concerne nécessairement.
Elle espère que les personnes qui lui ont confié leur témoignage, et toutes les victimes de violences sexuelles dans leur enfance, se reconnaitront dans chaque mot, qu'aucun mot ne les troublera, que cette multitude de femmes et d'hommes se dira que la CIIVISE a été à la hauteur de leur attente, de leur parole, de leur exigence.
Elle espère enfin que ce rapport sera connu des enfants, d'une manière ou d'une autre ; que les enfants en entendront parler et se diront que cette CIIVISE a fait un travail sérieux, comme les enfants font un travail sérieux parce que les enfants sont des gens sérieux, qui vivent leur vie sérieusement ; que les enfants victimes se diront qu'ils vont être protégés, que les adultes qui les croient et veulent les protéger vont réussir parce qu'ils ne sont pas tout seuls.
Télécharger la synthèse
La littérature et notamment la littérature contemporaine permet, comme le dit Christine Angot, que « les mots soient visibles ». La littérature « fait voir » la réalité même quand cette réalité fait l'objet d'un déni ancien et puissant. C'est le cas des violences sexuelles faites aux enfants et notamment de l'inceste. Avec l'association Idéokilogramme, Henriette Zoughebi a réalisé pour la CIIVISE un recueil des œuvres littéraires qui s'inscrivent dans la lutte contre le déni.
La CIIVISE reçoit les témoignages dans le respect des articles 434-3 et 434-1 du Code pénal qui lui font obligation d'informer les autorités judiciaires de toutes les agressions ou atteintes sexuelles infligées à un mineur dont elle a connaissance, ainsi que de tout viol commis sur un majeur dont l'auteur serait susceptible de commettre de nouveaux viols qui pourraient être empêchés.
https://www.ciivise.fr/le-rapport-public-de-la-ciivise/
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La guerre, les femmes et les viols : on vous croit

La lutte contre le sexisme, les violences faites aux femmes, l'antisémitisme et les racismes ne souffre aucune exception, aucune exemption, y compris au sein de la gauche antiraciste et féministe. N'oublions pas ce que les corps des femmes exhibés, malmenés, torturés, violés ou anéantis sous les bombes et ceux des enfants, nous disent de cette guerre entre Israël et le Hamas.
Tiré de Entre les lignes et les mots
A l'heure où cette tribune est publiée, de nombreux textes ont abordé la question des viols le 7 octobre sous des angles d'ailleurs différents. Il m'aura fallu trois semaines pour parvenir à une version suffisamment rassembleuse tant le sujet est lourd de conséquences et psychologiquement chargé. Il est important de comprendre qu'à l'heure où la Cour Pénale Internationale a été saisie pour crimes de guerres, crimes contre l'humanité et crimes de génocide à l'encontre de l'État d'Israël, les crimes de viols commis en Israël le 7 octobre – et possiblement à l'encontre des otages – sont constitutifs de crimes de génocide. Ceci fait suite à plusieurs jugements prononcés à partir de 1998 par le Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie ainsi que le jugement prononcé en 1998 par le Tribunal International pour le Rwanda à l'encontre de Jean-Paul Akayesu.
Malgré les appels nombreux à un cessez-le-feu et à la libération des otages, l'offensive israélienne à Gaza se poursuit et des familles entières, dont de nombreuses femmes et enfants sont anéanties.
La justice internationale est saisie. Ce texte n'a pas prétention à rendre à sa place un jugement mais à dénoncer le caractère patriarcal de cette guerre.
Fabienne Messica.
Tribune
Femmes victimes de viols dans des actes de guerre : qui que vous soyez, israéliennes, palestiniennes ou de tout autre pays : on vous croit !
La lutte contre le sexisme, les violences faites aux femmes, l'antisémitisme et les racismes ne souffre aucune exception, aucune exemption, y compris au sein de la gauche antiraciste et féministe.
Rien ne justifie les horreurs contre les populations civiles. Confondre la solidarité qui est aussi la nôtre avec les Palestinien-es pour leurs droits avec le déni des souffrances endurées le 7 octobre 2023 par les civils israéliens et en particulier les femmes, c'est se tromper de combat.
Nous tenons à l'affirmer bien que nous ne partagions pas l'accusation trop globale et sans nuance à l'égard des mouvements féministes à qui l'on reproche le retard ou parfois le déni dans la dénonciation des violences subies le 7 octobre par des femmes israéliennes. Nous savons aussi que les extrêmes-droites se saisissent de ces tensions dans le but d'invalider les luttes des femmes pour leurs droits, pour l'égalité et contre les violences sexistes et sexuelles. Mais si cette tentative de délégitimer le féminisme est inacceptable, la critique est permise.
La question des viols du 7 octobre est cruciale pour la propagande autour du Hamas qui, dès les premières heures, s'est attachée à nier l'extrême cruauté des actes commis (malgré les scènes filmées par les assaillants eux-mêmes et envoyées aux familles des victimes) pour que ces actes soient nimbés du qualificatif de résistance. Cette violence spécifique peut aussi faire l'objet d'une instrumentalisation par le gouvernement israélien pour justifier une riposte toujours plus meurtrière que nous condamnons fermement.
Mais ce n'est pas un motif pour invisibiliser ces crimes car la condition des femmes et les violences spécifiques qui s'exercent à leur égard ne sont jamais secondaires aux intérêts des uns et des autres !
La parole féministe ne peut être confisquée, embrigadée, paralysée au prétexte d'instrumentalisations possibles. Or le silence sur les viols et violences sexistes et sexuelles du 7 Octobre dans de nombreux pays et même à l'ONU Femmes [1], en est un exemple. Si nous le disons, ce n'est pas pour attaquer le féminisme, mais pour réaffirmer ses valeurs qui devraient primer.
En tant que féministes, condamner, quels qu'en soient leurs auteurs, les viols et violences sexistes et sexuelles qui sont des crimes contre l'humanité, relève de nos fondamentaux. Notre critique du patriarcat, de la glorification de la guerre, de la violence, de la puissance, de l'esprit militaire et du nationalisme et du colonialisme qui font système, reste entière. Nous savons que la guerre joue un rôle essentiel pour perpétuer les innombrables dominations tandis que les femmes occupent une place spécifique dans les stratégies guerrières : faire des enfants, les garçons seront des soldats et les filles feront des enfants… De plus, l'atteinte aux corps des femmes est considérée par des belligérants comme l'atteinte à la virilité de « l'ennemi » dans une conception et une pratique, fondamentalement virilistes.
C'est avec les féministes pacifistes qui dans ce conflit ont œuvré dans la solitude, supportant les insultes et les menaces des hommes nationalistes, masculinistes, fanatiques religieux qui les considèrent comme des traitres et « des putains de l'ennemi » que nous pouvons défaire ces logiques ; c'est avec nos sœurs israéliennes et palestiniennes qui tentent depuis des décennies de tracer une autre voix et sont renvoyées à leur appartenance nationale, israéliennes ou palestiniennes, à leur qualité de juives, de musulmanes ou de chrétiennes dans une perspective qui les assigne à la solidarité avec les bellicistes de leur pays ou de leur religion, alors même que la ligne de fracture ne se situe pas seulement entre deux peuples mais à l'intérieur de chacun de ces peuples.
Tel est le message du mouvement les Guerrières de la paix, un mouvement féministe mixte, créé il y a un an en France qui milite avec les sociétés civiles israéliennes et palestiniennes dans la continuité des Femmes en noir, mouvement israélo palestinien créée en 1988 pour mettre fin à la colonisation. Ni l'ethnicité, ni la religion ne sont la cause de la guerre mais bien plus des idéologies nationalistes et xénophobes. Le lien entre le patriarcat et le nationalisme est largement démontré. Défaire le patriarcat, c'est défaire le nationalisme belliqueux et xénophobe. Défaire le patriarcat, c'est défaire la guerre ; et les autocrates le savent bien qui verrouillent la liberté et les droits des femmes.
Nous ne pouvons dédouaner ni la société israélienne, ni la société palestinienne et les pouvoirs politiques qui les dirigent de tout patriarcat. L'expérience des femmes qui ont participé à des mouvements de libération nationaux devrait à cet égard nous enseigner que les moyens utilisés dans des guerres de libération, parmi lesquels l'éviction de tout groupe concurrent et souvent l'oppression du peuple qu'on prétend libérer, ne sont pas neutres. Ce n‘est donc pas n'importe quel acte dit de résistance ni n'importe quel pouvoir politique qu'il convient de soutenir.
Dans son livre, « Ne suis-je pas une femme [2] », bell hooks, célèbre afro-féministe, décrit avec finesse la double exclusion des femmes noires. Elle montre que des oppressions peuvent se combiner, dans la domination des femmes noires, à savoir le racisme d'une part et d'autre part, le sexisme dans son propre camp de lutte contre le racisme.
Alors quand nous lisons, dans une tribune, publiée le 21 novembre dans « le media », par un collectif de féministes militantes, chercheuses et artistes, que ce dernier, non seulement nie l'augmentation des actes antisémites dans le monde mais encore, réduit les évènements du 7 octobre à de la simple de propagande, c'est pour nous un détournement du féminisme. Écrire que parler de ces viols et des violences sexistes et sexuelles et condamner les actions des combattants du Hamas, c'est « réitérer la vision d'un monde musulman barbare contre une population israélienne féminisée et ainsi lavée et blanchie de tout soupçon. La condamnation sans appel des combattants du Hamas s'arrime en effet à la construction d'un Orient monstrueux, nécessairement coupable des pires atrocités contre les femmes, permettant ainsi une fois de plus d'annuler toute perspective historique quant à la violence intrinsèque à la colonisation » est une forme alambiquée de deshumanisation des victimes et d'héroïsation d'actes que nous avons tout de même coutume de condamner sans réserve.
Certes, le discours qui fait de cette guerre un conflit de civilisation est islamophobe et nous le rejetons fermement. Mais un discours qui nie les atrocités commises le 7 octobre au nom de la lutte contre l'islamophobie n'est pas entendable non plus.
A nous féministes de nous montrer dans ce domaine à la hauteur des enjeux. A nous, engagées dans la lutte contre le sexisme et tous les racismes et pour une paix juste et durable entre Israël et la Palestine de dénoncer sans réserve et sans exception, les virilismes, la militarisation des conflits et le patriarcat.
Premiers signataires
Fabienne Messica, Ligue des Droits de l'Homme, Golem
Pierre Tartakowsky, président d'honneur de la Ligue des Droits de l'Homme,
Nora Tenenbaum, militante féministe,
Jonas Pardo, militant et formateur contre l'antisémitisme, golem
Laura Fedida, militante antiraciste
Didier Epsztajn, animateur du blog « entre les lignes entre les mots »
Yann Levy, photographe et journaliste
Mélanie Jaoul, féministe intersectionnelle, Présidente de AATDS
Illana Weizman, essayiste
Sandro Munari architecte-urbaniste
Deborah de Robertis, artiste
Sarite Rosen Artiste plasticienne
Fiona Schmit, autrice et militante féministe
Eva Vocz, miltante féministe, chargée de plaidoyer à Act Up
[1] Qui réagit tardivement par un tweet lunaire le 25 octobre.
[2] C'est Sojourner Truth, militante noire américaine qui prononça cette phrase en 1851 dans un discours à une Convention des femmes à Akron en Ohio
https://blogs.mediapart.fr/messicafabienne/blog/091223/la-guerre-les-femmes-et-les-viols-vous-croit
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Deuxième rapport : Le sexisme dans la publicité française

Résistance à l'Agression Publicitaire (R.A.P.) publie le deuxième rapport de son Observatoire de la Publicité Sexiste intitulé Le sexisme dans la publicité française, 2022-2023. Ce rapport fait suite à une première version publiée en 2021 et montre que les mauvaises pratiques constatées à l'époque restent de mise, voire se renforcent. L'autorégulation publicitaire est un échec : la publicité française contribue à perpétuer les stéréotypes et les injonctions de genre les plus ridicules et les plus violentes.
Consultez le rapport en cliquant sur ce lien
De mars 2022 à mars 2023, R.A.P. a mis en ligne un formulaire permettant aux citoyen·nes de dénoncer et documenter des publicités sexistes subies dans leur quotidien. En un an, sur 285 contributions provenant de toute la France, 87% ciblent le genre féminin. L'analyse précise de ces contributions montre que les techniques et les mises en scène observées entre 2019 et 2020 restent utilisées par le secteur publicitaire. Les secteurs d'activité les plus représentés sont ceux de l'habillement et de la parfumerie (55%) ainsi que l'hygiène et la beauté (18,5%) qui constituent à eux seuls presque trois-quart des publicités jugées sexistes dans l'échantillon. Cette prédominance annonce déjà le rôle de l'esthétisme et de l'apparence dans le « publisexisme ».
L'ensemble des stéréotypes et injonctions sexistes véhiculés par la publicité est majoritairement propagé par les images, quoique des slogans sexistes continuent d'être diffusés. Des femmes sexualisées, y sont représentées dans des postures de séduction et/ou de soumission. Elles y apparaissent en général comme mises à nues, fragmentées, infantilisées, érotisées, et réduites à être traités comme des objets plutôt que comme des sujets, Les corps représentés répondent aux mêmes normes discriminantes (minceur, blanchité, jeunesse, épilation) et/ou irréalistes (par l'emploi de mannequins et le recours systématique à la retouche photographique) que précédemment. Quand, parfois, des corps moins normés sont représentés, c'est pour être soumis à de semblables traitements sexualisants. Les hommes restent dans le rôle du sachant, fort et protecteur. Autres éléments, le modèle du couple est systématiquement hétéronormé et le partage des tâches toujours aussi genré.
Face à ces abus persistants, le rapport conclut que les mesures censées réguler l'industrie publicitaire sont insuffisantes : mentions légales, chartes de bonne conduite et instances d'« autorégulation » échouent à filtrer ou contrebalancer ces campagnes. C'est pourquoi R.A.P. préconise la création d'une autorité indépendante, dotée de réels pouvoir de régulation ; l'inscription de l'interdiction du sexisme publicitaire dans la loi ; l'interdiction de la représentation des corps (entiers ou morcelés, humains ou humanoïdes, réalistes ou caricaturés) en publicité. « Face à un publisexisme qui se perpétue et s'accommode de toutes les chartes ou comités d'éthique, il nous faut des lois. Si la publicité prétend nous transmettre des informations sur des produits, ce sont les produits qu'elle doit montrer », déclare Jeanne Guien, porte parole de R.A.P.
Introduction
Chaque jour, nous recevons des centaines de messages publicitaires. Cette pression permanente, non sollicitée, contribue à façonner nos jugements et nos représentations.
En effet, les messages publicitaires sont stéréotypés : ils recourent de façon répétitive à des repré- sentations et injonctions similaires. Lorsque ces messages stéréotypés ciblent certains groupes sociaux, ils contribuent au développement de normes, souvent caricaturales voire discriminantes. C'est notamment le cas en ce qui concerne la représentation des femmes et minorités de genre dans la publicité.
En 2019, l'association Résistance à l'Agression Publicitaire (RAP) a créé l'Observatoire de la Publicité Sexiste (OPS), dans le but d'enquêter sur les stéréotypes et injonctions sexistes véhiculés par la publicité (ou « publisexisme »). Réunissant et analysant des publicités observées dans toute la France pendant un an, nous avons publié un premier rapport en 2021, qui constatait que le publisexisme était un problème actuel, touchant principalement les femmes et s'appuyant sur des mises en scène stéréotypées : des corps sexualisés, épilés, blancs, minces, jeunes, en position de soumission, de séduction, d'infantilisation, de travail domestique, etc.
Entre mars 2022 et mars 2023, nous avons relancé ce dispositif, afin d'étudier la persistance de ces mises en scènes et leurs éventuelles évolutions. 285 contributions ont été envoyées sur notre formulaire en ligne (contre 165 pour le premier rapport), issues de toute la France et tirées de différents supports (affichage extérieur, réseaux sociaux, télévision, prospectus, etc.). Sur la base de ces contributions, ce nouveau rapport montre que l'industrie publicitaire ne parvient pas à réformer ses pratiques sexistes. En effet, les mises en scène observées entre 2019 et 2020 restent utilisées. De plus, certains efforts consentis par cette industrie (notamment, le fait d'inclure des mannequins non blanc·he·s ou non maigres) tendent à renforcer le publisexisme, en appliquant ces mises en scène à de nouveaux groupes sociaux, devenus de nouvelles cibles marketing.
Parce qu'à l'heure actuelle, rien ne nous protège de ces pratiques, nous concluons ce rapport en présentant nos revendications, pour en finir avec ces agressions sexistes quotidiennes et banalisées.
Consultez le rapport en cliquant sur ce lien
https://antipub.org/wp-content/uploads/2023/11/RAP-SEXISME-PUB-FINAL.pdf
https://antipub.org/rapport-sexisme-dans-la-publicite-francaise-2/
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Alternatives féministes aux dilemmes de l’humanité : affronter le capitalisme dans le présent

Lisez le discours sur les stratégies internationalistes de l'organisation anticapitaliste, tenu lors de la conférence Dilemmes de l'humanité
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/12/15/alternatives-feministes-aux-dilemmes-de-lhumanite-affronter-le-capitalisme-dans-le-present/
La Marche Mondiale des Femmes est ancrée dans une tradition internationaliste. C'est aussi le fruit du combat de toute une vie de la compagne Nalu Faria. Nous suivons les tâches que Nalu nous a laissées – qui sont nombreuses, pour nous toutes et tous, combattants et combattantes du monde qui l'avons rencontrée, qui ont croisé son dévouement, son engagement et ses accumulations.
Je commencerai donc par deux réflexions que Nalu nous a toujours apportées. La première est l'importance de construire l'internationalisme, de comprendre que les luttes socialistes et féministes sont antisystémiques et doivent être internationales, entre camarades du monde entier. La deuxième réflexion porte sur l'importance du processus ; non seulement l'importance de cet espace que nous construisons aujourd'hui, mais le processus qui nous a amenées ici et aussi ce qui est déclenché à partir de cet espace.
L'organisation contre la mondialisation
Dans quel état sommes-nous, travailleurs et travailleuses, aujourd'hui ? Notre organisation est une réponse et une construction alternative pour transformer les conditions dans lesquelles nous vivons. Dans quels scénarios naissent les mouvements sociaux ? Comment s'organise la lutte ? Au Brésil, par exemple, entre 1964 et 1985, nous avons vécu une dictature militaire, dans un processus qui, paradoxalement, a fait émerger plusieurs mouvements sociaux actuels, tels que le Mouvement des travailleurs sans terre (MST – Movimento dos Trabalhadores Sem Terra), la Centrale Unique des Travailleurs (CUT – Central Única dos Trabalhadores), l'Association Nationale des étudiants diplômés (ANPG – Associação Nacional de Pós-Graduandos), et plusieurs autres.
Puis, dans les années 1990, nous avons vécu un moment où l'impérialisme nous a imposé un projet de mondialisation, internationalisant davantage l'économie néolibérale de précarité de nos vies. En Amérique latine, en particulier, on a essayé de nous imposer la ZLEA, un accord de libre-échange. À ce moment-là, dans la transition des années 1990 aux années 2000, l'organisation des mouvements créait deux voies : certains pensaient que contester cet agenda d'institutionnalité pouvait apporter des opportunités nous, d'autre part, pensions que ce n'était pas le cas. Nous avons compris que c'était très similaire aux conditions dans lesquelles nous vivions déjà, et que ce projet essayait de nous approfondir et de nous piéger dans une condition de subordination.
Les Nations Unies (ONU) ne nous représentaient pas, et nous avons compris que la lutte et les réponses nécessaires ne pouvaient venir que des travailleurs et travailleuses. Dans ce contexte de néolibéralisation, la Marche Mondiale des Femmes, la Via Campesina et d'autres mouvements ont émergé, avec la compréhension que si l'oppression est internationale, notre réponse – notre socialisme, notre féminisme – doit également être internationale.
La classe ouvrière et ses dilemmes actuels
Aujourd'hui, nous vivons une nouvelle inflexion du système capitaliste. Nous voyons que le système capitaliste n'attaque pas seulement le travail, mais nos vies. Le capitalisme est incompatible avec la vie. Nous le voyons aujourd'hui dans la confrontation de nos camarades en Palestine. Nous l'avons également vu ces dernières années lors de la pandémie, car pendant que les gens mouraient dans les pays du Sud, un vaccin était déjà prêt et inaccessible. À l'époque, nous étions nombreux à comprendre que les luttes pour briser les brevets et contre les entreprises pharmaceutiques transnationales s'inscrivaient dans le cadre d'une lutte de solidarité internationale de la classe ouvrière.
La période de pandémie a entraîné un remaniement du travail, ce qui a été encore plus difficile pour les femmes. D'une part, nous avons assisté à un approfondissement de l'ubérisation, non seulement dans le travail des plateformes à proprement parler, mais aussi dans la flexibilisation de tous les droits. D'autre part, même dans ces conditions précaires, les femmes ont été expulsées de ce marché du travail. Au Brésil, en 2020, 96% des personnes qui ont perdu leur emploi formel étaient des femmes, selon l'enquête sur le Rapport annuel d'information sociale (Rais). Cette tendance a eu lieu non seulement au Brésil, mais dans le monde entier. Aujourd'hui, nous avons beaucoup plus d'hommes que de femmes sur le marché du travail économiquement actif.
Les crises du capital sont nécessaires pour recomposer les profits, mais aussi pour recomposer leurs chaînes d'exploitation, dont fait partie la division sexuelle du travail. Les crises vont de pair avec des politiques d'austérité, de réduction de l'État et de ses systèmes de santé, d'éducation publique et de soins. Lorsque le marché nous expulse du marché du travail et que l'État se retire de ces tâches, le message qu'ils nous transmettent est qu'il s'agit d'une responsabilité des femmes. Qu'ils veulent nous renvoyer à la maison pour que nous nous occupions des malades, des enfants, des personnes âgées et aussi des hommes, qui sont sur ce marché du travail économiquement actif de plus en plus écœurant.
Pour le système capitaliste, toutes ces tâches de soins incombent aux femmes.
Ana Priscila Alves
Cette condition soulève deux éléments : le premier est que le travail salarié n'est pas une règle ni pour les pays du Sud ni pour les femmes. Il existe un certain nombre d'emplois non formels et non rémunérés. La seconde est la construction capitaliste de fausses dichotomies, telles que la production et la reproduction, publique et privée, raison et émotion. Toutes sont faites pour rendre invisible le travail gratuit effectué par les femmes. Le travail de reproduction de la vie soutient l'économie. Supposer que les femmes seront responsables des soins nous impose une précarité structurelle, marquée par le système capitaliste, patriarcal et raciste et la division internationale du travail.
Alternatives féministes pour changer le monde
Le féminisme, qui est en fait le capitalisme peint en lilas, ne nous sert pas. Le féminisme a besoin d'être populaire, de démanteler les fondements de ce système capitaliste qui nous opprime partout dans le monde. Nous apportons comme alternative une économie féministe, capable de mettre la vie au centre. L'économie est l'ensemble des tâches qui assurent la vie et permettent à la société de continuer à fonctionner.
Comprenant que le conflit du capital contre la vie structure notre société, nous construisons ces alternatives sur nos territoires. Dans la pandémie, nous avons compris la nécessité de nommer ceux qui nous oppriment et de faire face à l'offensive des sociétés transnationales – pharmaceutiques, minières, privatisation de l'eau, entre autres. Les femmes donnent des réponses parce qu'elles sont à l'avant-garde de cette résistance sur leurs territoires, avec la mémoire, le mysticisme, l'agriculture familiale et l'économie solidaire.
Quand on regarde les alternatives proposées dans nos pays et territoires, on se rend compte que c'est le défi de notre époque historique. Dans les années 1980, un certain nombre de mouvements sociaux ont pu émerger pour lutter pour la démocratie. Dans les années 1990, nous nous sommes battues contre la mondialisation capitaliste. Il est maintenant temps de comprendre la réorganisation du capital et de lutter pour construire le socialisme aujourd'hui, à notre époque historique.
Ce système qui nous tue ne peut pas continuer. –
Ana Priscila Alves
Nalu Faria a répété à plusieurs reprises que la réponse aux problèmes et dilemmes de l'humanité se trouve dans la classe ouvrière elle-même, dans le quotidien, dans les mouvements, dans les alternatives que nous avons déjà construites chaque jour, dans nos lieux d'action et de vie. La réponse au démantèlement des fondements matériels du capitalisme réside dans les mouvements de résistance que nous faisons à travers le monde. C'est notre tâche : changer le monde pour changer la vie des femmes et changer la vie des femmes pour changer le monde. E c'est pourquoi nous continuerons jusqu'à ce que nous soyons toutes libres.
Ana Priscila Alves
Ana Priscila Alves est membre de la Marche Mondiale des Femmes à Rio de Janeiro, au Brésil. Ce texte est une édition de son discours au panel « Organisation de la classe ouvrière », qui s'est tenu le 15 octobre, lors de la 3ème Conférence internationale Dilemmes de l'humanité, à Johannesburg, en Afrique du Sud.
Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves
Transcription par Vivian Fernandes (AIP)
Édition par Helena Zelic
https://capiremov.org/fr/analyse/alternatives-feministes-aux-dilemmes-de-lhumanite-affronter-le-capitalisme-dans-le-present/
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Accorder le statut de salarié-e-s à toutes les travailleuses et à tous les travailleurs handicapé-e-es en établissement et services d’aide par le travail

La conférence nationale du handicap du 26 avril 2023 a affirmé une ambition majeure : « cesser d'enfermer les personnes dans des dispositifs et des parcours spécifiques et rendre l'environnement professionnel de droit commun totalement accessible, quel que soit le handicap ».
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/12/15/accorder-le-statut-de-salarie-e-s-a-toutes-les-travailleuses-et-a-tous-les-travailleurs-handicape-e-es-en-etablissement-et-services-daide-par-le-travail/#
Madame la première Ministre,
Mais la loi Plein Emploi adoptée par le parlement ne change pas le statut des travailleur·euse.s en ESAT toujours « usager-ère-s » et dépendant du Code de l'Action Sociale et des Familles et non du Code du travail, ce qui reste pour les personnes concernées une grave discrimination et une non-reconnaissance de leur travail.
En droit du travail, trois notions principales déterminent la qualité de salarié.e : le contrat de travail, la rémunération et le lien de subordination. Ces critères doivent s'appliquer à toutes les personnes qui travaillent en ESAT.
Maintenir ces personnes dans la seule mouvance de l'action médico-sociale est contradictoire avec l‘objectif recherché : « Chacun est présumé pouvoir travailler en milieu ordinaire ».
Le Code du travail prévoit déjà des cadres juridiques particuliers dans lesquels les salarié.e.s bénéficient à la fois des mêmes droits que les autres salarié.e.s et de dispositions protectrices particulières comme dans les entreprises d'insertion, les entreprises adaptées, les salariés de l'intérim.
Nous ne comprenons pas pourquoi votre Gouvernement a refusé, systématiquement et sans débat, tous les amendements allant dans ce sens.
En ESAT, les travailleur·euse.s sont soumis à l'autorité de l'association qui les emploie. Ils ont une production à assurer et doivent travailler 35 heures avec une rémunération mensuelle moyenne de 350€ !
– Quel accès aux formations qualifiantes de droit commun ?
– Quel accès à un emploi librement choisi en milieu ordinaire ?
– Quels moyens humains, techniques et financiers seront mis en œuvre en ce sens ?
Les avancées votées comme le droit de se syndiquer ou de faire grève, la mutuelle collective ou la prise en charge partielle des frais de transports ne changent pas fondamentalement le statut des travailleur·euse.s handicapé.e.s des ESAT.
Il est temps d'en finir avec le statut d'usager-ère-s et d'accorder les mêmes droits que tous les salarié.e.s de ce pays. Ce qui est la réalité dans bon nombre de pays européens.
Nous vous rappelons que la loi du 11 février 2005 s'intitule : « Pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ». Il est temps de la mettre pleinement en œuvre.
En vous remerciant de votre attention, nous vous prions d'agréer Madame la Première ministre, l'expression de notre plus haute considération.
Signataires : François Couturier, A.M.I Association nationale de défense des Malades Invalides et handicapés ; Chantal Rialin, F.D.F.A Femmes pour le Dire Femmes pour Agir ; Marie Rabatel, Association Francophone des Femmes Autistes ; Manuel Bernardo, F.M.H Fédération des Malades et Handicapés ; Patrick Baudouin, LDH (Ligue des droits de l'Homme) ; Céline Perdreau, Association Les Dévalideuses ; Sophie Binet, C.G.T Confédération Générale du Travail ; Benoît Teste, F.S.U Fédération Syndicale Unitaire ; Julie Ferrua, Union Syndicale Solidaires. ; Christophe Logez ; A.C.O ESAT des Vosges avec le soutien de l'Action Catholique Ouvrière nationale.
Paris, le 12 décembre 2023.
https://www.ldh-france.org/accorder-le-statut-de-salarie-es-a-toutes-les-travailleuses-et-a-tous-les-travailleurs-handicape-ees-en-etablissement-et-services-daide-par-le-travail/
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Les 10 % les plus riches profitent financièrement du réchauffement climatique

Si l'on prend en compte les placements financiers des 10 % les plus riches, leur empreinte carbone est deux fois plus élevée que les chiffres jusque-là avancés, selon une étude économique.
Tiré de Reporterre.
Prenons un steak. Qui est responsable des émissions induites par sa production ? Celui qui le mange ? Celui qui le produit ? Les deux ? Si l'on prend en compte les investissements des riches, c'est-à-dire leurs actions dans les entreprises, pour calculer leur empreinte carbone, celle des 10 % les plus riches serait 2 à 2,8 fois plus élevée qu'on ne le pensait. Voilà la principale conclusion de l'étude publiée le 7 décembre par les économistes Lucas Chancel et Yannic Rehm.
Intitulé The carbon footprint of capital (« L'empreinte carbone du capital », en français), ce texte de soixante-deux pages, disponible sur le site du World Inequality Database, se base sur des données récoltées en France, en Allemagne et aux États-Unis. Son but : « Présente[r] de nouvelles estimations sur l'inégalité des empreintes carbone individuelles entre les groupes de richesse » dans ces trois pays. Et ainsi « mett[re] en évidence le domaine dans lequel le potentiel de réduction des émissions est le plus important pour les individus ».
« Cette étude est révolutionnaire »
« Cette étude est révolutionnaire dans le sens où elle montre que la responsabilité des émissions ne repose pas que sur les consommateurs mais aussi sur les actionnaires, qui détiennent les moyens de production », explique à Reporterre Alexandre Poidatz, responsable climat et inégalités chez Oxfam France.
Les deux chercheurs ont mis en place un « nouveau cadre de mesure ». Habituellement, l'empreinte carbone est calculée en fonction de la consommation et du mode de vie — logement collectif ou villa avec piscine, voyage en train ou en avion... Cette fois, les économistes ont aussi pris en compte les émissions relatives à la possession d'actifs (actions au sein d'entreprises, immobilier, fonds de pension…).
Ils proposent ainsi trois façons différentes de calculer l'empreinte carbone d'un individu [1] :
– la première attribue l'ensemble des émissions aux consommateurs ;
– la deuxième, nommée « le scénario investisseurs », attribue la totalité de l'empreinte carbone liée à l'activité productive d'une entreprise à ceux qui la détiennent ;
– la dernière est dite « mixte ». Elle attribue aux consommateurs les émissions liées aux secteurs de production (l'acheminement du steak jusqu'à la grande surface par exemple), sauf celles liées aux investissements et donc au capital. Ces dernières sont attribuées aux actionnaires des entreprises.
Près de trois fois l'empreinte carbone d'un Français moyen
Si l'on considère que ceux qui détiennent les usines sont responsables de ce qu'elles produisent (le deuxième scénario), alors cela fait plus que doubler l'empreinte carbone des 10 % les plus riches, l'augmentant de 2 à 2,8 fois en fonction du pays par rapport à la première approche. Selon ce scénario, un individu faisant partie des 10 % les plus riches en France émet ainsi en moyenne 38 tonnes équivalent CO2 tous les ans. Si l'on ne considère que ce que les riches consomment (premier scénario), alors le chiffre n'est « que » de 16 tonnes éqCO2. En France, la moyenne est de 10 tonnes éqCO2 par an et par personne. L'Accord de Paris, lui, fixe à environ 2 tonnes l'empreinte que nous devrions avoir.
Enfin, si l'on prend le troisième scénario, une personne faisant partie des 10 % des plus riches en France émet en moyenne 25 tonnes éq CO2 par an.
« C'est par la réorientation de leurs actifs financiers vers des entreprises bas carbone que les plus riches peuvent non seulement réduire leur empreinte individuelle, mais aussi engendrer une réduction de l'empreinte collective », analyse Alexandre Poidatz, d'Oxfam France, ONG ayant déjà publié de nombreux travaux sur le sujet.
Il souligne un autre enseignement majeur de cette étude : le fait que les 10 % les plus riches profitent financièrement du réchauffement climatique. « Plus on est riche, plus on détient, logiquement, d'actifs financiers. Mais leur travail permet de démontrer un autre point très important : le fait que plus on est riche, plus on détient des actifs financiers polluants. En d'autres termes, les plus riches s'enrichissent grâce à leurs investissements dans des entreprises polluantes. »
Selon les économistes, « il s'avère que les plus riches possèdent des actifs à plus forte intensité de carbone que les segments moyens et pauvres de la société [...]. Les actifs financiers, en particulier les actions, ont une forte intensité d'émissions. Pour chaque million détenu en actions, les émissions annuelles de carbone sont estimées à 120-150 tonnes éq CO2 en France », ajoutent-ils. Dans le « scénario investisseurs », 75 à 80 % de l'empreinte carbone des 10 % les plus riches est d'ailleurs liée à leur possession d'actifs, et non à leur mode de vie. « En se concentrant uniquement sur les émissions liées à la consommation directe ou indirecte, on risque de passer à côté d'une grande partie des émissions, en particulier chez les personnes fortunées », alertent-ils.
La taxe carbone doit peser sur les plus riches
Afin d'« élargir la boîte à outils politique », les deux économistes formulent ainsi plusieurs propositions et pistes de réflexion pour réduire efficacement les émissions de gaz à effet de serre. Parmi elles : le « ciblage du contenu en carbone des actifs », qui pourrait passer par « l'interdiction de certains types d'investissements », la mise en place d'« incitations fiscales pour les produits d'investissements verts » ou encore par la « taxation des investissements ou actifs polluants ».
C'est qu'au-delà de la question climatique, un calcul adéquat de l'empreinte carbone comporte aussi un enjeu de justice sociale, comme l'écrivent Chancel et Rehm : « Les taxes sur le carbone prélevées sur la consommation frappent généralement de manière disproportionnée les groupes à faible revenu et à faible taux d'émission. Au contraire, une taxe sur le carbone appliquée au contenu en carbone des actifs ou des investissements pèserait principalement sur les riches émetteurs. »
Notes
1- Ils prennent tous en compte les émissions directes des ménages (émissions principalement liées à la combustion de carburant pour se déplacer et de gaz ou fioul pour se chauffer) mais pas forcément les émissions indirectes, due à la production des biens consommés.
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Changement climatique. Le rôle ignoré des ex-empires coloniaux

La responsabilité historique du changement climatique est radicalement modifiée lorsque l'on tient compte des émissions de CO2 générées par les anciennes puissances coloniales dans les territoires qu'elles contrôlaient. L'Europe a ainsi un impact beaucoup plus important que ne le laissent penser les modes de calcul actuels.
Tiré d'Afrique XXI.
Selon le sixième rapport d'évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), il existe des preuves « sans équivoque » que l'homme a réchauffé la planète, provoquant des changements « rapides et généralisés » dans les océans, les glaces et les terres émergées. Le résumé destiné aux décideurs politiques indique que le réchauffement actuel a été causé par « plus d'un siècle d'émissions nettes de GES [gaz à effet de serre] provenant de l'utilisation de l'énergie, de l'utilisation des terres et des changements d'affectation des terres, du mode de vie et des habitudes de consommation, ainsi que de la production ».
Il est pratiquement certain que le réchauffement de la planète atteindra un nouveau record en 2023. Les émissions de CO2 d'origine humaine sont le principal facteur du réchauffement, et il existe une relation directe et linéaire entre la quantité de CO2 libérée et le réchauffement de la surface de la Terre. Pourtant, les émissions mondiales de gaz à effet de serre continuent d'augmenter et ont également atteint des niveaux records en 2023. Le changement climatique a déjà des répercussions importantes qui touchent de manière disproportionnée les pays à faible revenu, qu'il s'agisse de vagues de chaleur et de sécheresse meurtrières ou d'une perte de glace « catastrophique », souligne encore le Giec.

En outre, le moment où 1 tonne de CO2 est émise n'a qu'un impact limité sur l'ampleur du réchauffement qu'elle provoquera en fin de compte. Mais, une fois émise, l'augmentation des niveaux de CO2 dans l'atmosphère qui en résulte est permanente à l'échelle humaine. Et ce même si les molécules de CO2 ont une durée de vie limitée dans l'atmosphère (1) puisqu'elles circulent à travers le « cycle du carbone » (2). Par conséquent, les émissions de CO2 des siècles précédents continuent de contribuer au réchauffement de la planète, et le réchauffement actuel est déterminé par le total cumulé des émissions de CO2 au fil du temps.
Le budget carbone dépassé dans cinq ans
La quantité totale de CO2 qui peut être émise pour rester en deçà d'une limite donnée des températures mondiales est appelée « budget carbone ». L'analyse suivante utilise les dernières estimations du budget carbone restant pour avoir une chance sur deux de limiter le réchauffement à moins de 1,5 °C par rapport aux températures préindustrielles.
L'addition de toutes les émissions de CO2 d'origine humaine recensées dans cette analyse, au cours de la période 1850-2023, s'élève à 2 558 Gigatonnes de CO2 (GtCO2). Cela signifie que le budget carbone restant pour l'objectif des 1,5 °C ne sera que de 208 GtCO2 à la fin de 2023. Il reste moins de 8 % du budget – et celui-ci sera épuisé en moins de cinq ans si les émissions mondiales de CO2 se poursuivent aux niveaux actuels.
Au cours de la première décennie couverte par l'analyse de Carbon Brief, les émissions liées à la terre, y compris la déforestation, représentent plus de 90 % du CO2 émis chaque année. Ce schéma est inversé aujourd'hui, les combustibles fossiles et la production de ciment représentant environ 91 % des émissions mondiales de CO2 en 2023, comme le montre la figure ci-dessous.
Les émissions annuelles mondiales de CO2 provenant des combustibles fossiles et du ciment ont dépassé les émissions liées à la terre pour la première fois en 1947 – par coïncidence, l'année où l'Inde et le Pakistan ont obtenu leur indépendance. Dans l'ensemble, les combustibles fossiles et le ciment représentent plus des deux tiers des émissions cumulées de CO2, soit 71 % des émissions totales produites entre 1850 et 2023. L'utilisation des terres et la sylviculture représentent les 29 % restants.

Les estimations de Carbon Brief concernant les émissions cumulées depuis 1850 – et le budget carbone restant à ce jour – sont entièrement alignées sur les dernières mises à jour du Giec en 2021. L'épuisement accéléré du budget carbone qui permet de ne pas dépasser 1,5 °C est illustré par des marqueurs dans la figure ci-dessus, montrant les années où 25 %, 50 % et 75 % du budget ont été utilisés. Cela illustre qu'il a fallu 107 ans pour épuiser le premier quart du budget carbone, puis seulement 33 ans pour utiliser le quart suivant et seulement 22 ans pour le troisième quart. Au rythme actuel, le dernier quart du budget 1,5 °C sera épuisé en 16 ans.
La responsabilité du réchauffement modifiée
La responsabilité historique est éthiquement complexe, mais il est clair que les puissances coloniales ont eu une influence significative sur les paysages, l'utilisation des ressources naturelles et les modèles de développement qui ont eu lieu sous leur domination. Il serait difficile de justifier le fait de l'ignorer complètement. En effet, il est bien connu que les puissances coloniales ont extrait des ressources naturelles des terres colonisées pour soutenir leurs puissances économique, militaire et politique.
Pourtant, le lien avec les émissions historiques n'avait jamais été quantifié. Cette analyse attribue l'entière responsabilité des émissions passées à ceux qui détenaient le pouvoir de décision ultime à l'époque, à savoir les dirigeants coloniaux. Cela va à l'encontre de l'hypothèse implicite des analyses précédentes, dans lesquelles aucune responsabilité n'était attribuée aux puissances coloniales. Il est permis de penser que la véritable part de responsabilité dans le réchauffement actuel se situe quelque part entre ces deux extrêmes, où les émissions sont entièrement attribuées soit aux puissances coloniales, soit à leurs anciennes colonies. Conformément à cette approche, l'analyse attribue la responsabilité des émissions dans les anciennes républiques soviétiques à la Russie, car le pouvoir de décision était fortement centralisé à Moscou.
La figure ci-dessous montre les vingt premiers pays du monde en termes d'émissions historiques cumulées de CO2. Les colonnes bleues indiquent les émissions qui ont lieu à l'intérieur des frontières actuelles de chaque pays, tandis que les parties rouges indiquent les émissions qui ont eu lieu sous sa domination, dans les territoires qu'il contrôlait. Les parties bleu clair indiquent les émissions des anciennes colonies réaffectées à l'ancienne puissance coloniale.
Les principales puissances européennes postcoloniales, dont le Royaume-Uni (+70 %), la France (+51 %) et les Pays-Bas (+181 %), voient toutes leur part d'émissions historiques augmenter de manière significative. Bien qu'ils ne figurent pas dans le top 20, la Belgique (+33 %), le Portugal (+234 %) et l'Espagne (+12 %) enregistrent des effets similaires. Collectivement, l'Union européenne (UE) et le Royaume-Uni assument une responsabilité beaucoup plus grande (+28 %). En revanche, l'Inde (-15 %) et l'Indonésie (-24 %) se distinguent particulièrement par la réduction de leur part d'émissions cumulées, dans le cadre de cette nouvelle approche de la responsabilité historique du réchauffement.

La Russie voit également une augmentation significative de sa responsabilité historique dans le réchauffement actuel, qui augmente de deux cinquièmes pour atteindre 9,3 % du total mondial, selon l'approche adoptée dans cette analyse. Néanmoins, certains affirment que la nature de la dynamique du pouvoir au sein de l'ex-Union soviétique était différente de celle qui existait entre les colonialistes européens et les peuples qu'ils avaient colonisés à l'étranger.
Bien qu'ils ne figurent pas dans le top 20, l'Autriche (+72 %) et la Hongrie (+70 %) enregistrent également des changements importants, en raison de l'ancien empire austro-hongrois. Cet empire était lui aussi d'une nature différente des colonisations d'outre-mer des autres puissances européennes.
Un classement bouleversé
La prise en compte de la domination coloniale modifie le classement d'un certain nombre de pays. Le Royaume-Uni en est l'exemple le plus frappant, passant du huitième au quatrième rang des pays contribuant au changement climatique. Cela signifie qu'il dépasse son ancienne colonie, l'Inde, en termes de responsabilité passée. De même, si les Pays-Bas ne dépassent pas tout à fait l'Indonésie, leur classement relatif est sensiblement différent après prise en compte de la responsabilité coloniale dans les émissions passées.
Ces changements sont illustrés dans la figure ci-dessous, qui montre les vingt premiers pays du monde classés en fonction de leur part d'émissions cumulées. À gauche, seules les émissions à l'intérieur des frontières actuelles sont prises en compte, tandis qu'à droite, les émissions sous la domination coloniale sont ajoutées (l'UE et le Royaume-Uni sont représentés comme un bloc).

Les autres changements évidents dans le classement ci-dessus concernent l'Ukraine et le Kazakhstan, deux anciennes républiques soviétiques qui ont été soumises au pouvoir centralisé de Moscou pendant la majeure partie du XXe siècle. Ces républiques et d'autres anciennes républiques soviétiques voient de grandes quantités d'émissions de CO2 basées sur les combustibles fossiles supprimées de leurs comptes.
Le graphique présenté plus haut, qui montre au fil du temps les émissions d'origine fossile par rapport à celles d'origine terrestre, explique pourquoi ces deux pays, en particulier, voient leurs émissions baisser de manière importante. Les émissions annuelles de CO2 ont été dominées par les contributions de l'Utilisation des terres, le changement d'affectation des terres et la foresterie (UTCF) jusqu'au milieu du XXe siècle, lorsque l'utilisation des combustibles fossiles a commencé à exploser. De nombreuses anciennes colonies européennes d'Asie, d'Afrique, d'Océanie et des Amériques ont accédé à l'indépendance bien avant le moment où l'utilisation des combustibles fossiles s'est accélérée. En revanche, les anciennes républiques soviétiques ont fait partie de l'Union soviétique administrée par Moscou bien plus tard, jusqu'à son effondrement, en 1991.
Une soif de ressources naturelles
L'histoire de l'impérialisme européen est « inséparable de l'histoire du changement environnemental mondial », affirment les professeurs William Beinert et Lotte Hughes dans leur ouvrage Environment and Empire (Oxford University Press, 2007). Pour le Royaume-Uni, l'un des moteurs a été ce qu'ils décrivent comme la « déforestation intérieure progressive » du pays, qui a « accéléré la dépendance au charbon pour l'énergie » et stimulé la demande d'importations de bois.
À son tour, le passage à l'énergie mécanique basée sur les combustibles fossiles « a énormément élargi les possibilités de production et de consommation métropolitaines [et] a facilité une nouvelle poussée de l'expansion impériale, portée par les navires à vapeur, les chemins de fer et les véhicules à moteur », indiquent Beinert et Hugues. Mais encore : « Les pays métropolitains ont recherché des matières premières de toutes sortes, du bois aux fourrures en passant par le caoutchouc et le pétrole. Ils ont créé des plantations qui ont transformé l'écologie des îles. Les colons ont introduit de nouvelles méthodes d'agriculture ; certains ont déplacé les peuples indigènes et leurs méthodes de gestion de la terre. »
Cette soif de ressources naturelles a entraîné la déforestation et la modification de l'environnement dans les pays colonisés, des Amériques à l'Asie, des Caraïbes à l'Océanie, en passant par l'Afrique. À la Barbade, par exemple, l'établissement de plantations « a nécessité la destruction des forêts [...] par une combinaison de cerclage et de brûlage », selon Beinert et Hughes. De même, à Madère, « l'un des mythes fondateurs évoqués par les colons était un feu qui brûlait pendant sept ans – une puissante métaphore de la déforestation ».
Également, alors que les forêts coloniales étaient vidées de leur capacité à produire du bois de qualité, la colonisation a conduit aux débuts des « pratiques et idées conservationnistes », écrivent Beinart et Hughes : « Alors que les ressources naturelles ont été intensément exploitées, un processus connexe, la montée des pratiques et des idées conservationnistes, était également profondément enraciné dans l'histoire impériale. De grandes étendues de terre ont été réservées aux forêts, aux parcs nationaux ou à la faune. »
Le déboisement, un moyen de contrôler les colonies
L'Empire britannique était particulièrement étendu, contrôlant environ un quart de la surface terrestre à son apogée, à la fin du XIXe siècle – et plus d'un quart de sa population. Dans la nouvelle analyse de Carbon Brief, les émissions des quarante-six anciennes colonies sous domination britannique sont réaffectées au Royaume-Uni, ce qui double presque sa part au niveau mondial. Ce résultat est représenté dans la figure ci-dessous, avec des contributions notables de l'Inde et du Myanmar, ainsi que de pays tels que l'Australie, le Canada, la Tanzanie, la Zambie et les Émirats arabes unis, hôtes de la COP 28.

La contribution la plus importante aux émissions coloniales du Royaume-Uni provient de l'Inde et la deuxième du Myanmar, comme le montre la figure ci-dessus. Dans leur livre, Beinart et Hughes décrivent les liens étroits entre la colonisation de ces pays et l'exploitation de leurs ressources naturelles, les deux interagissant et se renforçant mutuellement, les ressources étant utilisées pour consolider le contrôle britannique. Ils écrivent : « Les bois durs indigènes constituaient la première richesse, essentiels à l'armée, à la marine et aux chemins de fer britanniques, ils sont devenus les rouages de la conquête de l'Inde. Les nouvelles exigences ont inévitablement conduit à la déforestation. Les chemins de fer [qui étaient au cœur de la demande intérieure de bois en Inde] étaient essentiels pour déplacer les troupes et ainsi contrôler le territoire. La Compagnie des Indes orientales considérait également le déboisement pour faire place à la culture comme un moyen d'étendre son contrôle. »
Beinart et Hughes évoquent également l'utilisation particulière du teck de Myanmar pour la construction de navires de guerre : « Le teck de Birmanie, ou teck de l'Amirauté, était réputé pour être le plus solide. Utilisé pour les frégates de la marine, on dit qu'il a sauvé la Grande-Bretagne pendant les guerres napoléoniennes [au début du XIXe siècle, NDLR] et qu'il a contribué à son expansion maritime. » Plus tard, l'épuisement des forêts de feuillus indigènes a conduit à des efforts de conservation coloniaux, bien que les motivations – et les moyens utilisés – ne soient pas que la préservation.
Les deux chercheurs citent Hugh Cleghorn, conservateur des forêts pour la présidence de Madras, qui écrit, en 1861, sur la « rapacité insouciante de la population autochtone, qui coupe et défriche [les forêts], sans être en aucune façon sous le contrôle ou la réglementation de l'autorité ». Il poursuit :
- Lorsqu'un département forestier [indien] a été créé en 1864, la Grande-Bretagne ne disposait que de peu d'experts. [Le forestier allemand Dietrich] Brandis avait été amené deux ans plus tôt de Birmanie, où on lui attribuait le sauvetage des forêts de teck birmanes des marchands de bois, au profit des constructeurs de navires britanniques... Les conservateurs étaient sous pression pour gérer efficacement les forêts, répondre aux besoins de l'amirauté et d'autres acteurs en grandes quantités de bois, tout en réalisant des bénéfices et en limitant les revendications des populations locales sur les forêts. Les Britanniques revendiquaient des territoires qu'ils considéraient comme inoccupés et non réclamés, et considéraient les propriétés princières comme leur appartenant en vertu du droit de conquête.
Des dynamiques similaires étaient à l'œuvre en Indonésie, longtemps sous domination néerlandaise. Le professeur Peter Boomgaard, historien de l'Indonésie, a écrit en 1999 que la déforestation sur l'île indonésienne de Java « a commencé à être perçue comme un problème vers 1850 » (3). Boomgaard ajoute que cela a conduit à la mise en place d'un service forestier colonial et à la création de forêts protégées. Ce schéma, qui comprend la confiscation des terres et l'exclusion des populations autochtones au nom de la conservation, s'est répété dans de nombreuses autres anciennes colonies.
Les vestiges de la colonisation subsistent
La figure ci-dessous montre que les émissions cumulées à l'intérieur des frontières des Pays-Bas (à gauche), soit quelque 12,6 GtCO2 entre 1850 et 2023, sont presque triplées si l'on tient compte des émissions qui ont eu lieu sous la domination coloniale néerlandaise, en particulier en Indonésie (à droite).

Sur son blog, le professeur Budiman Minasny, pédologue indonésien, décrit l'impact de la colonisation néerlandaise sur l'île de Sumatra :
- Lorsque nous parlons de déforestation, l'Indonésie apparaît toujours comme le principal coupable. On parle moins de l'origine néerlandaise de la déforestation en Indonésie. Les Néerlandais ont découvert l'industrie du tabac à Deli dans les années 1860 et ont créé un système de plantation à l'échelle industrielle. Les sultans locaux ont collaboré et ont accordé des concessions de 1 000 à 2 000 hectares de terres à chaque entreprise dans le cadre d'un bail de 75 ans. Les planteurs coloniaux néerlandais sont partis du principe que le tabac ne pouvait bien pousser que dans le sol qui venait d'être défriché de la jungle vierge. C'est ainsi que l'industrie a conduit au défrichage à grande échelle des forêts vierges pour produire des feuilles de tabac exportées vers l'Europe et l'Amérique.
L'héritage actuel de la domination coloniale fait l'objet d'un débat, mais de nombreux vestiges subsistent, que ce soit dans la structure des fonctions administratives de l'État ou dans la présence d'intérêts commerciaux détenus par des multinationales basées dans les anciennes puissances coloniales. Comme l'explique une étude publiée en 2015, ces héritages coloniaux perdurent : « Bien que le colonialisme ait été démantelé dans la première moitié du XXe siècle, ses politiques de nationalisation des forêts sont restées inchangées dans de nombreux États indépendants des tropiques, y compris le Nigeria », estiment Oliver O. O. Enuoh et Francis E. Bisong (4).
Beinart et Hughes estiment par ailleurs que « le contrôle impérial britannique de l'Inde a eu un impact majeur sur la gamme extraordinairement variée d'arbres et de produits forestiers. Il a également limité l'accès des plus pauvres aux forêts. L'exclusion ultérieure des humains des parcs naturels était également en partie ancrée dans les lois forestières coloniales, qui traitaient les populations locales comme des gaspilleurs et des destructeurs. Mais les pressions sur la forêt n'ont pas cessé avec l'indépendance. Le taux actuel de déforestation serait largement supérieur à 1 million d'hectares par an. »
Rapporter les émission à la population
Les émissions globales cumulées sont ce qui importe pour l'atmosphère, étant donné qu'elles sont directement liées au niveau de réchauffement que nous connaissons aujourd'hui. Toutefois, du point de vue de l'équité et de la justice climatique – les frontières nationales étant des constructions politiques arbitraires –, il convient également de considérer la responsabilité au niveau individuel. Cela implique de pondérer les totaux des émissions cumulées par les nations en fonction des populations respectives de ces nations, afin de calculer les émissions cumulées par habitant.
La première approche prend les émissions cumulées d'un pays à ce jour et les divise par la population en 2023. Les résultats sont présentés dans la figure ci-dessous, qui montre les dix principaux émetteurs et cinq autres pays sélectionnés. Les émissions par habitant à l'intérieur des frontières de chaque pays sont indiquées en bleu, tandis que les émissions par habitant produites dans les anciens territoires sous domination coloniale sont indiquées en rouge. Les émissions par habitant réaffectées à une puissance coloniale sont indiquées en bleu clair.
Les anciennes puissances coloniales que sont les Pays-Bas (2 014 tonnes de CO2 par personne) et le Royaume-Uni (1 922 tCO2) sont les principaux émetteurs mondiaux sur cette base cumulée par habitant. Ils sont suivis par la Russie (1 655 tCO2), les États-Unis (1 560 tCO2) et le Canada (1 524 tCO2). La figure montre que la responsabilité coloniale dans les émissions fait reculer les États-Unis et le Canada, qui passent respectivement de la première à la quatrième place, et de la deuxième à la troisième place.

D'autres anciennes puissances impériales, dont la Belgique (1 487 tCO2) et l'Autriche (987 tCO2), figurent également dans le top 10, de même que les anciennes colonies que sont l'Australie (1 088 tCO2, soit une baisse de 10 % due à la réaffectation des émissions coloniales) et Trinité-et-Tobago (948 tCO2, soit une baisse de 16 %). La figure montre également cinq autres pays sélectionnés : le Portugal (945 tCO2) et la France (857 tCO2), dont l'empreinte coloniale est importante, ainsi que les grands émetteurs que sont la Chine (217 tCO2) et l'Inde (52 tCO2), qui sont loin derrière les autres nations sur une base par habitant. Le graphique ne montre pas la moyenne du continent africain (92 tCO2), qui, comme celle de l'Inde, est bien inférieure à la moyenne mondiale de 318 tCO2.
La deuxième méthode de pondération des émissions historiques rapportées à la population prend en compte les émissions par habitant d'un pays pour chaque année et les additionne au fil du temps. Les émissions par habitant des populations d'hier et d'aujourd'hui ont ainsi le même poids. Les résultats sont présentés dans la figure ci-dessous, qui énumère à nouveau les dix premiers émetteurs et cinq autres pays sélectionnés.
Il est à noter que les Pays-Bas est le premier émetteur, quelque soit la méthode. De même, le Royaume-Uni, les États-Unis et le Canada restent dans les cinq premiers sur ce deuxième calcul.

Une fois que l'on tient compte des importantes émissions initiales par habitant, dues à la déforestation sous le régime colonial, la Nouvelle-Zélande et l'Australie reculent dans le classement sur ce deuxième calcul par habitant. Le graphique inclut cinq autres pays sélectionnés, dont la Malaisie et l'Indonésie, qui présentent des dynamiques similaires à celles de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie. Enfin, le graphique inclut à nouveau la Chine et l'Inde, montrant que leurs émissions cumulées par habitant sont loin derrière celles de la plupart des autres pays.
Les importations, l'autre source d'émissions
La recherche de ressources naturelles outre-mer, pour alimenter l'essor de l'industrialisation et de la mondialisation, a été l'un des moteurs de la conquête coloniale. Dans l'ère postcoloniale, le commerce international continue de stimuler les importations et les exportations de CO2, intégrées dans les biens et services à forte intensité de carbone. Alors que la comptabilité standard des émissions est basée sur l'endroit où le CO2 est émis, la comptabilité des émissions basée sur la consommation donne l'entière responsabilité à ceux qui utilisent les produits et les services rendus. Cela tend à réduire le total pour les principaux exportateurs, tels que la Chine.
Cependant, le calcul des émissions sur cette base présente des difficultés, car il nécessite des tableaux commerciaux détaillés. Les données sur les émissions liées à la consommation utilisées pour cette analyse ne commencent qu'en 1990 et n'incluent que le CO2 provenant des combustibles fossiles et du ciment, ce qui signifie qu'elles excluent le commerce antérieur à 1990 et l'UTCF. En gardant ces limites à l'esprit, la figure ci-dessous montre comment la responsabilité nationale pour les émissions historiques est encore déplacée lorsque l'on tient compte du CO2 échangé dans les biens et services.
Les émissions cumulées au cours de la période 1850-2023, y compris celles qui ont eu lieu à l'étranger sous le régime colonial, sont indiquées en bleu foncé. Les parties rouges montrent le CO2 supplémentaire associé aux biens et services importés depuis 1990, tandis que le bleu clair montre le CO2 incorporé dans les exportations.
Les anciennes puissances coloniales, comme le Royaume-Uni et la France, ont également été des importateurs nets de CO2 depuis 1990, comme le montre le graphique – bien que l'impact sur leurs totaux globaux soit faible. Si l'on tient compte de ces importations et exportations de CO2, la part du Royaume-Uni dans les émissions historiques passe de 5,1 % à 5,3 %, tandis que celle de la France passe de 2,2 % à 2,3 %. À l'inverse, la part de la Chine dans les émissions historiques et sa responsabilité dans le réchauffement actuel tombent de 12,1 % à 11,1 %, si l'on tient compte des échanges de CO2 depuis 1990. La part de l'Inde dans le total mondial diminue également légèrement, passant de 2,9 % à 2,8 %.

Les biens exportés représentaient jusqu'à un quart des émissions annuelles de la Chine au milieu des années 2000. Plus récemment, cependant, leur part est tombée à environ 10 % de la production annuelle de CO2 de la Chine. L'inclusion des échanges à forte intensité de carbone antérieurs à 1990 modifierait le tableau présenté dans la figure ci-dessus. Le Royaume-Uni, en tant qu'« atelier du monde » au XIXe siècle, a exporté d'importants volumes de biens à forte intensité énergétique et de carbone, souvent fabriqués à partir de ressources provenant de son empire. D'autres nations en voie d'industrialisation, telles que les États-Unis et l'Allemagne, étaient également de grands exportateurs de produits manufacturés, jouant, comme l'indique un article publié en 2017 dans la revue Ecological Economics (5), un rôle similaire à celui de la Chine dans la lutte contre le changement climatique.
Notes
1- La durée de « demi-vie » d'une molécule (temps qu'il lui faut pour se dégrader de moitié) est de 100 ans.
2- Le dioxyde de carbone est en permanence échangé entre l'atmosphère, l'océan, les roches, les animaux et les végétaux. Les activités humaines (combustion des carburants fossiles, déforestation...) relâchent du dioxyde de carbone en excès dans l'atmosphère. Elles déséquilibrent le cycle, augmentant ainsi l'effet de serre.
3- Peter Boomgaard, « Oriental Nature, its Friends and its Enemies : Conservation of Nature in Late-Colonial Indonesia, 1889–1949 », Environment and History, 1999.
4- Oliver O. O. Enuoh, Francis E. Bisong, « Colonial Forest Policies and Tropical Deforestation : The Case of Cross River State, Nigeria », Tropical Ecological Consult Ltd., Department of Geography and Environmental Science, University of Calabar, 2015.
5- Astrid Kander, Paul Warde, Sofia Teives Henriques, Hana Nielsen, Viktoras Kulionis, Sven Hagen, « International Trade and Energy Intensity During European Industrialization, 1870–1935 », Ecological Economics, 2017.
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Soudan, le nœud coulant

La guerre entre les Forces armées soudanaises (FAS) dirigées par Abdel Fattah al-Burhan, à la tête du Conseil de souveraineté de transition, mis en place suite au coup d'État du 25 octobre 2021, et les Forces de soutien rapide (FSR), de Mohamed Daglo dit « Hemedti », ex numéro 2 du même Conseil, commencée en avril dernier, n'a connu aucun répit. Le bilan humanitaire de ce conflit à l'écart duquel se sont tenues les populations, est catastrophique.
Tiré d'Afrique en lutte.
Début octobre, on évaluait les morts à 9 000 [1] et les blessés à 16 000. Il faut prendre les chiffres, en constante évolution par ailleurs, avec précaution. Les chiffres donnés par l'ONU sont en général ceux du ministère de la Santé soudanais qui recense les morts comptabilisés par les hôpitaux et sont donc inférieurs aux chiffres susmentionnés. On estime que sur les 45 millions d'habitantEs que compte le Soudan, plus de 7 millions sont déplacéEs, dont 4,3 millions dans la foulée du conflit. Le pays accueillait par ailleurs au moment du déclenchement de la guerre 1 million de déplacéEs venant du Soudan du Sud, de l'Érythrée, de la République Centrafricaine (RCA) ou de la Syrie.
À la date du 9 octobre, 1 105 791 personnes avaient fui le pays, dont une majorité au Tchad [2], mais également au Soudan du Sud, en Égypte, en Éthiopie, en RCA ou en Libye, dont 67 % de Soudanais selon l'Organisation Internationale des Migrations.
Les victimes jamais comptabilisées de ce conflit sont les femmes violées en masse, kidnappées ou disparues.
Les prisons et les centres de détention secrets comptent les détenus par milliers. Beaucoup d'écoles ne fonctionnent plus, des dizaines d'entre elles servant d'abris pour les déplacés. 19 millions d'enfants sont déscolarisés [3].
Des dizaines d'hôpitaux ont été bombardés et bien des structures de santé ne fonctionnent plus que par le volontariat de civils, mais il manque de l'eau potable, des médicaments et du personnel qualifié. Or, des épidémies mortelles [4] de choléra, de dengue et de malaria se propagent, ainsi que la rougeole infantile.
Ajoutons que dans ce pays, où les régions de l'est sont épargnées par le conflit, l'économie et l'agriculture ont été sinistrées : ces six mois ont vu des épisodes de sécheresse, puis d'inondations, qui ont conduit les agences humanitaires à parler de risque de famine pour la moitié des habitants du pays.[5] Il faut y ajouter les SoudanaisEs mortEs de faim, en raison du siège militaire de localités.
Les récentes inondations dans l'État du Nil font courir un risque sanitaire aux populations, puisque les eaux charrient le mercure utilisé pour l'extraction de l'or [6].
Vers une partition de fait ?
À la mi-septembre, l'émissaire spécial de l'ONU pour le Soudan, Volker Perthes, a démissionné, en alertant sur un risque de « guerre civile ». Si cette démission n'est pas une grande perte, l'émissaire ayant concentré ses efforts dans la tenue de négociations incluant les forces contre-révolutionnaires et négligeant les Comités de résistance [7] qui refusaient la négociation avec les forces issues du coup d'État de 2021, ses mises en garde reflètent un aveuglement total. La « guerre civile » n'est pas un « risque » mais une réalité. Dans l'ouest du pays, au Darfour où se concentrent les FSR, les massacres des populations non arabes, notamment les Masalit, ont commencé dès juin dernier [8]. Et l'appel à la mobilisation des FSR a rencontré un écho positif chez des tribus arabes. Quand on sait que les FSR sont les héritières des milices janjawid qui ont à leur actif un nettoyage ethnique qui a fait 300 000 morts (là aussi on ne compte pas les viols) et deux millions de déplacéEs au Darfour depuis 2003, il ne s'agit pas d'une hypothèse. En 2010, la Cour pénale internationale avait lancé un mandat d'arrêt contre Omar el-Béchir, alors président du Soudan, incluant des accusations de génocide [9].
L'évolution du conflit redessine la carte des forces en présence qui pourrait laisser présager une partition du pays : Khartoum, la capitale, est l'objet de combats quotidiens âpres : les FSR qui ne disposent pas d'aviation, ont réussi à conquérir plusieurs zones et la capitale subit les bombardements des FAS. À l'ouest du Soudan, les FSR sont hégémoniques sur des bases ethniques. L'est du pays est contrôlé par les FAS. Au sud, les forces de Mouvement populaire pour la libération du Soudan (MPLS) ont profité du conflit pour lancer des offensives depuis l'été dans le Kordofan du Sud et le Nil Bleu. Si ces deux dernières régions connaissent à leur tour de graves problèmes sociaux (absence de scolarité, de santé et hausse des prix) depuis l'entrée en guerre du MPLS contre les FAS, ce troisième acteur n'a qu'un rôle marginal par rapport aux deux autres.
En effet, la guerre al-Burhan/Hemedti n'est pas seulement locale : elle se serait déjà terminée faute de munitions ou d'armes. Le premier est soutenu par l'Égypte, le Qatar, la Turquie et le second, par les forces du maréchal Haftar (est libyen) et les Émirats arabes unis. La guerre s'est internationalisée, les milices Wagner ayant toujours soutenu Hemedti, tandis qu'en riposte, Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, a rencontré le 23 septembre dernier Abdel Fattah al-Burhan en Irlande, confirmant implicitement les rumeurs d'attaques, filmées sur les réseaux sociaux, par des drones ukrainiens FPV (pilotage en immersion par caméra embraquée) contre les FSR. Sergueï Lavrov avait rencontré al-Burhan et Hemedti le 9 février dernier. Le Soudan est, après l'Algérie, le second importateur d'armes russes en Afrique et il est question de concrétiser enfin l'établissement d'une base navale russe sur la mer Rouge à Port Soudan. La Russie n'a pas intérêt non plus à trop soutenir l'un plutôt que l'autre, mais plutôt à garder de bonnes relations avec les deux, pour préserver, quel que soit le vainqueur, son accès aux zones d'exploitation aurifère dans le pays.
Ainsi le conflit va s'éterniser, ou conduire à une partition est-ouest, achevant l'épuration ethnique à l'ouest.
Des populations oubliées
Dans tous les cas, si aucune solution politique n'est envisageable, les interventions humanitaires sont à leur tour bloquées par les combats, ou inexistantes. Ainsi, aucun moment, il n'y a eu de pont aérien ou d'évacuation envisagée, ni même discutée pour exfiltrer des populations comme cela a pu être le cas pour des Irakiens en 2015 [10]… ou des Afghans en 2021 [11], même si ces dernières initiatives furent sélectives et limitées.
Fuir dans les pays limitrophes ne constitue pas une solution : dans les camps du Tchad vivent près d'un demi-million de personnes avec des difficultés d'accès à l'eau, à la nourriture et aux soins médicaux. Ils manifestent pour leurs droits, comme à Iridimi, le 30 septembre, pour obtenir de la nourriture non périmée [12]. L'Égypte a posé des limites : seules les femmes et les filles, et les hommes de moins de 16 ans et de plus de 50 ans peuvent entrer, mais munis de passeports en cours de validité. Les autres hommes doivent demander des visas et se heurtent à beaucoup de refus. L'Éthiopie exige des visas d'entrée pour les ressortissants de l'Union Africaine. Seul le Soudan du Sud n'exige ni visa ni ressources, mais il n'y a guère d'assistance au point de passage et la région est elle-même l'objet de combats. Reste la fuite avec des passeurs. Lors des inondations à Derna en Libye, on a recensé 155 Soudanais morts [13], sans parler des disparus.
Sans oublier l'hospitalité « à la française » : la France a fermé dès le mois d'avril sa représentation diplomatique au Soudan, ce qui oblige celleux qui le peuvent à se rendre dans les pays limitrophes, comme l'Éthiopie qui exige un visa d'entrée. L'ambassade de France à Khartoum, avant de fermer, a détruit tous les passeports de SoudanaisEs en quête de visa, par une décision qu'elle juge « inévitable », enfermant celles et ceux qui avaient voulu fuir un pays en guerre. Les États-Unis auraient fait de même14, et bien des ambassades européennes ou autres n'ont pas répondu aux détenteurs/rices de passeports. Une réfugiée soudanaise en France avait demandé la réunification familiale à laquelle elle pouvait prétendre pour ses deux filles mineures. Ces dernières étaient bloquées au Soudan suite à la destruction de leurs passeports par la France et leur mère n'est pas parvenue à ce que les autorités françaises leur délivrent un laissez-passer15, bien qu'elles soient soutenue par plusieurs associations, au terme d'un marathon juridique qui s'est achevé en juillet dernier.
Luiza Toscane
Notes
1.Sudan Situation Update : October 2023 | Ethnic Strife Amid Escalating Power Struggles (acleddata.com).
2.Selon le décompte actualisé du Haut Commissariat aux Réfugiés de l'ONU : situation Soudan (unhcr.org).
3.Dabanga Radio TV Online (dabangasudan.org).
4.WHO scales up Sudan aid after cholera outbreak - Dabanga Radio TV Online (dabangasudan.org).
5.Les difficultés de financement du Programme alimentaire mondial pourraient pousser « 24 millions de personnes » au bord de la famine (lemonde.fr).
6.Dabanga Radio TV Online (dabangasudan.org).
7.« Pendant la guerre actuelle, il y a beaucoup moins d'espace possible pour les comités de résistance par rapport à avant », L'Anticapitaliste.
8.Conflit au Soudan : « La catastrophe est peut être d'une plus grande ampleur » dans la région d'el-Geneina (rfi.fr).
9.Al Bashir | International Criminal Court (icc-cpi.int).
10.06_Fiche_IRAK_-_dihad-FR_cle851713.pdf (diplomatie.gouv.fr).
11.Afghanistan - Accueil en France des personnes évacuées d'Afghanistan (vols d'évacuation des 21, 22 et 23.08.2021) - Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères (diplomatie.gouv.fr).
12.alrakoba.net.
13.skynewsarabia.com
14.U.S. Diplomats in Sudan Shredded Passports, Stranding Sudanese - The New York Times.
15.Référés-liberté contre le refus de délivrer des laissez-passer à des mineures soudanaises empêchées de rejoindre leur mère réfugiée en France, GISTI.
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Soudan : la guerre dont on ne parle pas

Le Soudan connaît une guerre civile à l'impact humanitaire sans précédent. Pendant que deux généraux se disputent le pouvoir depuis avril, la population dépend de l'aide extérieure. Il est essentiel de ne pas l'oublier, soulignent les médias indépendants.
Photo et article tiré de NPA 29
« Il se déroule une crise humanitaire au Soudan au moment où l'on parle, mais le monde détourne les yeux quand il s'agit de l'Afrique. Les gens n'en parlent même pas. Beaucoup de personnes dans le monde ne savent même pas qu'il se passe quelque chose au Soudan. » Les mots sévères de Mahdi Garba, journaliste humanitaire pour HumAngle, sont à la hauteur de son désarroi face à la guerre civile que traverse actuellement le Soudan.
Depuis avril 2023, plus de 10 000 personnes ont été tuées. Les déplacés internes et à l'extérieur se comptent en millions. Une partie de la population est forcée de s'exiler dans des pays voisins, eux aussi instables, comme le Soudan du Sud ou le Tchad, explique Mahdi Garba. Désormais, « 25 millions de personnes dépendent de l'aide humanitaire pour survivre (sur une population totale de 45,6 millions d'habitants) », note Equal Times.
La population prise dans une guerre pour le pouvoir
Le Soudan connaît, depuis plusieurs années, une période d'instabilité politique dont les premières victimes sont les civils. Fin 2018, une révolution populaire met un terme à 30 ans de pouvoir d'Omar el-Béchir.
Fin 2019, à la suite d'un coup d'État visant à instaurer une démocratie, les représentants du soulèvement concluent un fragile accord de partage du pouvoir avec l'armée. S'en suivent deux années où le pays est « dirigé par une alliance très instable dans laquelle le gouvernement civil était supervisé par le général Abdel al-Burhan, chef des forces armées soudanaises », retrace dans The Conversation le chercheur espagnol Alfredo A. Rodríguez Gómez.
En 2021, un nouveau coup d'État est mené par l'armée : « C'est la révolution dite de “la trompe d'éléphant”, au cours de laquelle Abdel al-Burhan a dissous le Conseil souverain soudanais, l'organe suprême de gouvernement, et s'est autoproclamé chef de l'État soudanais pour une période indéterminée. »
Or « la paix et la stabilité n'ont pas été au rendez-vous », note-t-il. Le 15 avril 2023, une lutte pour le pouvoir éclate entre Abdel al-Burhan, qui dispose de l'appui des Forces armées soudanaises, et le général Mohamed Haman Dogolo, dit « Hemetti », chef du groupe paramilitaire appelé Forces de soutien rapide. Au début limités à la capitale, Khartoum, les combats s'étendent désormais à tout le pays, particulièrement dans la zone du Darfour, à l'ouest du pays.
L'organisation Human Rights Watch alertait, fin novembre, sur les « massacres ethniques et pillages » dans la région contre les civils de l'ethnie Masalit, commis par les forces de Hemetti et des milices alliées.
« Une guerre à laquelle le monde a tourné le dos »
« Huit mois après le début de la guerre, nous comptons les morts par milliers », soupire Mahdi Garba, dans le podcast « The Crisis room » de HumAngle. L'indifférence de la communauté internationale a des conséquences directes sur les populations, puisque l'aide humanitaire est trop faible face à l'ampleur des souffrances en cours.
Plus de 25 millions de personnes « ont désespérément besoin de l'essentiel – nourriture, abri, protection », souligneHumAngle, citant un communiqué du directeur soudanais de Save the Children. Selon leurs chiffres, près de 350 000 enfants ont dû quitter leur foyer entre début octobre et mi-novembre.
« Nous avons besoin de ressources urgentes et accrues pour protéger les enfants et les familles maintenant – pendant qu'ils sont déplacés -, mais nous avons également besoin de structures en place pour les protéger pendant leur déplacement et lorsqu'ils arrivent dans les zones de rassemblement », alerte-t-il.
Le média indépendant Equal Times parle d'une « guerre à laquelle le monde a tourné le dos ». Face à de tels drames humains, le silence paraît assourdissant. Le travail des journalistes est de donner une voix à ceux qui n'en ont pas, de participer à la connaissance de situations oubliées, méconnues. Cette newsletter veut mettre en avant ces voix, ces récits, pour rendre impossible l'indifférence. Pour continuer ce travail l'année prochaine (et celles d'après), nous avons besoin de votre soutien.
Emma Bougerol 18 décembre 2023
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Conversion des forêts, l’agriculture industrielle l’emporte sur l’agriculture de subsistance

La conversion des forêts en terres cultivées est aujourd'hui le premier moteur de déforestation. Selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'Agriculture (FAO), elle est à l'origine d'au moins 50 % de la déforestation mondiale, principalement pour la production de d'huiles de palme et de soja.
Plantation de monoculture de palmiers à huile à Edéa (Littoral - Cameroun)
En Afrique, et plus particulièrement au Cameroun et au Bénin, la culture industrielle du palmier à huile, du soja ainsi que du coton sont en têtes des facteurs de défrichages des forêts. Les superficies occupées par ces cultures sont de loin supérieures à celles occupées par l'agriculture de subsistance. Toute chose qui ne manque pas de provoquer des conflits fonciers entre les communautés villageoises et les agro-industries.
Les populations du village Apouh à Ngog situé dans l'arrondissement d'Edéa 1er, département de la Sanaga-Maritime, région du Littoral du Cameroun, sont toujours sur un pied de guerre avec la Société camerounaise de palmeraies (Socapalm). L'entreprise a défriché près de 90% de la superficie de ce village, pour la culture du palmier à huile. Une agriculture industrielle qui prive la population locale de terres nécessaires à l'agriculture de subsistance. « La Socapalm s'est emparée de toutes nos terres. Nos maisons sont entourées par les palmiers à huile. Il n'y a plus d'endroit où nous pouvons cultiver ce que nous allons manger. Sur les quelques rares espaces qui nous restent, les plantains et les tubercules de maniocs sont asséchés par les épandages aériennes de pesticides. Nous sommes au village, mais c'est en ville que nous partons acheter de la nourriture. », s'indigne Félicité Ngon Bissou, présidente de l'Association des femmes riveraines de la Socapalm d'Edéa (AFRISE).
Félicité Ngon Bissou, president de l'association des femmes riveraines de la Socapalm d'Edéa (AFRISE)
C'est depuis une dizaine d'années que le torchon brule entre agriculture industrielle et agriculture villageoise à Apouh à Ngog. En avril 2023, Sa Majesté Mercure Ditope Lindoume, le chef traditionnel de cette communauté d'environ 300 âmes a été placé en garde à vue administrative, sur instruction de Cyrille Yvan Abondo, le préfet du département de la Sanaga Maritime. Le chef et ses sujets s'étaient farouchement opposés au replanting des palmiers derrières les habitations. « Nous n'avons pas pour objectif de bloquer les activités de la Socapalm. Nous pensons qu'après plus de 60 années d'expropriation de nos terres, cette entreprise doit libérer ne serait-ce que les alentours de nos maisons, soit une superficie d'environ 250 hectares, afin que nous puissions y produire de quoi manger. », soutient le chef de 2e degré.
Etendue sur 58 063 ha pour ce qui est de son site d'Edéa, la Socapalm est possédée à 67,46% du capital par Socfinaf, filiale camerounaise du groupe Socfin (Société financière des Caoutchoucs), à 22,36% par l'État du Cameroun et le capital restant est coté depuis 2009 à la Bourse des valeurs mobilières de l'Afrique centrale (Bvmac). Dans une réaction mise à notre disposition, l'entreprise se dédouane de tout accaparement de terres, et dit fonctionner de manière durable, et dans l'intérêt des populations riveraines de ses plantations. « Nous tenons à rappeler que le légitime propriétaire des terres étant l'État du Cameroun, il est le seul à pouvoir statuer sur la mise à jour des limites des concessions et la Socapalm ne saurait s'accaparer les terres des populations environnantes. De plus, contrairement aux allégations, il n'y a aucun rejet possible des effluents de l'huilerie dans les rivières, et encore moins de dangers environnementaux liés aux épandages aériens. L'entreprise fait l'objet de plusieurs audits annuels de la part de l'organisme de certification, de notre consultant en la matière qui nous accompagne depuis plusieurs années, et bien entendu de la part des autorités : missions du Ministère de l'Environnement, de l'Industrie ou encore de l'Agriculture. », se défend la Socapalm.
Pour l'heure, les habitants d'Apouh à Ngog ne décolèrent pas. Ils doivent se rendre à 7 kilomètres de leurs maisons à travers d'énormes plantations de palmiers, pour pratiquer une agriculture de subsistance sur 150 ha de terres. Ce qui pour eux représente une insulte, face aux 58 063 ha terres occupées par l'agro-industrie.
Dans la région du Sud, une palmeraie grignote 60 000 hectares de forêt
À un vol d'oiseau d'Edéa, nous sommes dans la région du Sud, et plus précisément dans le département de l'Océan. Ici, le rapport de déforestation entre l'agriculture industrielle et l'agriculture de subsistance, est bien plus que d'actualité. Et c'est une fois de plus le palmier à huile qui est au centre des querelles. Des investisseurs nationaux comptent y produire 180 000 tonnes d'huile de palme par an grâce au projet « Camvert », une plantation de monoculture de palmiers à huile, prévu sur 60 000 hectares (grande comme trois fois la ville de Douala), dans les arrondissements de Campo et de Niete.
À la Direction général de Camvert à Yaoundé la capitale du Cameroun, Mamoudou Bobbo, le Project Manager Officer de l'entreprise nous fait savoir que le projet lancé en 2020 a déjà rasé près de 2000 hectares sur le site Campo, pour le planting de 250 000 plants de palmier à huile.
pépinière de Camvert au Sud du Cameroun
Une implantation mal vécu par les communautés riveraines du projet, bien que vivant essentiellement de la pêche, de la chasse et de la cueillette. « Dans cette partie détruite par Camvert, on campait pour faire la chasse. On y allait aussi pour récolter du miel. Aujourd'hui, il n'y a plus rien », nous confie Henry Nlema, membre de la communauté des pygmées de Campo. Pour les quelques rares exploitations d'agriculture familiale qui existent à Campo, le quotidien n'est plus serein. L'implantation de la palmeraie provoque la divagation des animaux sauvages, notamment les éléphants. « Ils attendent la tombée de la nuit pour venir manger les bananiers, maniocs et autres, que nous cultivons derrières nous maisons. Nous sommes vraiment découragés », se désole une quinquagénaire, assise sur un tabouret dans sa cuisine qui lui sert également de salle de séjour.
La reconversion des forêts par la culture industrielle du palmier à huile est d'une ampleur considérable dans le département de l'Océan, région Sud du Cameroun. Dans l'arrondissement de Bipindi des pygmées Bagyeli s'opposent depuis 2018 à un décret présidentiel octroyant 18 000 hectares de leur forêt à Biopalm, une autre société agro-industrielle de palmiers à huile.
Dans la région du centre, une mono culture de 18 700 ha de cannes à sucre
Sa majesté Benoît Bessala Bessala, chef de 2e degré de Nkoteng (municipalité située dans la région du Centre au Cameroun), a le ton amer, quand il parle de l'agro-industrie qui opère dans sa localité depuis 1964. « Rien ne va. Ça, je ne saurai mâcher mes mots. Le climat n'est pas serien entre nous, populations autochtones et la société sucrière du Cameroun (Sosucam). Les problèmes sont tellement multiples que je ne saurais les énumérer ici. Vous qui venez de Yaoundé, lorsque vous passez par Nanga-Eboko, vous êtes obligé de vous boucher les narines, bien que vous soyez dans la voiture. Notre rivière est totalement polluée. Nous ne pouvons plus avoir du poisson. Aucune ne mesures répertoire. Vous savez, Sosucam, c'est des costauds. Cela veut dire que partout où nous irons nous plaindre, rien de ne sera fait. » s'indigne l'autorité traditionnelle, avant de jeter le regard vers l'horizon, dans un air de désespoir.
Située à 136 Km au Nord – Est de la ville de Yaoundé, la commune de Nkoteng a pour principale activité commerciale l'agriculture, qui occupe plus de 90% de la population active. L'agriculture mécanisée est pratiquée par la Sosucam, entreprise agro industrielle sucrière spécialisée dans la culture et la transformation de la canne à sucre. Avec des plantations de la canne à sucre s'étendent sur une superficie de près de 18 700 ha (sur deux sites sucriers, celui de MBandjock et celui de NKoteng) pour une production annuelle de près de 105 000 tonnes de sucre, l'entreprise possédée à 74% par le groupe français Somdiaa et à 26% par l'État du Cameroun, emploie 6 000 ouvriers, constitués essentiellement de locaux.

siège de la Sosucam à Bandjock
Malgré un impact environnemental dénoncé par les riverains, la société qui est pourtant dotée d'un certificat de conformité environnementale délivré par l'administration, n'est pas la seule à avoir rasé le couvert forestier local pour s'implanter. À travers une agriculture traditionnelle, pratiquée avec des moyens technologiques rudimentaires, la population villageoise développe des cultures pérennes. C'est le cas de Papa Lucas, un sexagénaire qui possède 15 ha de cacao. « Avec cette cacaoyère, je dépasse ces fonctionnaires de Yaoundé qui ne foutent rien dans les bureaux » s'en vente-t-il, marchant vers son pick-up, tout en balançant son trousseau de clés. Comme lui, beaucoup d'autres locaux défrichent la forêt, pour cultiver non seulement du cacao, mais aussi du café, et du palmier à huile en pleine introduction dans l'arrondissement, avec déjà plus de 40 hectares mis en place. Selon les chiffres de la délégation du ministère de l'agriculture dans le département de la Haute Sanaga, la production actuelle du cacao oscille entre 25 et 30 tonnes, alors que celle du café avoisine les 7 tonnes.
Quid du Bénin
Au Bénin, les communautés villageoises sont en première ligne de la reconversion des forêts en exploitation agricole. Ici, 54,8% de la population pratique l'agriculture, notamment la culture du coton, pratiqué sur 90% des exploitations agricoles, avec près de 40% des entrées de devises. Le Bénin est le premier producteur de coton en Afrique de l'ouest, avec plus de 730 000 tonnes chaque année.
Cultivateurs de coton au Benin
À la question de savoir, qui de l'agriculture de subsistance ou de celle des cultures de rente, détruit plus la forêt, les acteurs sont unanimes. Ce sont les cultures de rente qui sont responsables de la déforestation au Bénin. Selon les chiffres du ministère béninois en charge de l'environnement, près de 100 000 ha de forêts sont détruits chaque année pour l'extension des plantations de coton, et dans une moindre mesure, de soja, de riz, de maïs, et de palmier à huile. Les communes de Banikora et de Kandi, situées respectivement au Nord-Ouest et Nord du Bénin, sont les principaux bassins de production de Coton.
Banikaora, la première commune cotonnière du Bénin
Banikaora est la première commune du Bénin en matière de production du coton. Pour la dernière campagne 2021-2022, cette commune a produit environ 167 296 tonnes de coton soit ¼ de la production nationale, sur une superficie d'environ 140 000 ha. C'est beaucoup d'espace en thème de superficie et pour le 1er Adjoint au Maire de Banikaora, Sabi Goré Bio Ali, cet espace ne suffit toujours pas. « Nous sommes limités en terme d'espace, parce qu'il y a le parc et la forêt classée de l'Aliborie supérieur, qui nous contraignent à ne pas étendre nos plantations. », explique l'élu local.
Mairie de Banikoara
Banikora est limitrophe du Parc w et de la forêt classée de l'Alibori supérieur. Mais le statut protégé de ces aires naturelles, ainsi que les dispositions fermes de l'État, les cotonculteurs étendent leurs plantations au-delà des frontières avec les aires protégées. « Au paravent un agriculture cultivait au trop deux ha. Mais maintenant, compte tenu de l'utilisation des herbicides, chacun va jusqu'à 10 ha, voir même 20 ha. Ce qui nous pousse à détruire la forêt. », reconnait Tamou Chabi, cotonculteur à Banikaora.
Kandi
Kandi couvre une superficie de 3421 Km2 avec une population estimée à 177 683 habitants. La commune occupe chaque année, la deuxième position en matière de production de coton après Banikoara. À l'issue de la campagne 2021-2022, cette commune a produit 68 000 tonnes de coton sur une superficie de 71 000 hectares. Tout comme Banikoara, elle fait partie du département de l'Alibori, la zone agro-écologique du bassin cotonnier.
Seidou Abdou Wahah, 1er Adjoint au maire de Kandi
Ils sont 20 000 à produire le coton à Banikoara, répartis dans 194 Coopératives villageoises des producteurs de coton (CVPC). Comme Banikoara, Kandi fait aussi le soja, le riz, le maïs. Pour le 1er Adjoint au Maire de Kandi, il faut faire une pause dans la production du coton et imaginer autres alternatives pour le développement du Bénin. « Par le passé, l'on était capable de vous dire que les pluies auront lieu à telle date. Mais aujourd'hui, puisque le couvert végétal n'est pas là, les prévisions météorologiques sont démenties par la réalité sur le terrain. Je penses qu'au niveau où nous sommes, on est obligé de marquer un arrêt, et de penser à une autre pièce de rechange. », confie Seidou Abdou Wahah, 1er Adjoint au maire de Kandi.
La société civile dénonce l'agriculture industrielle

Djibril Azonsi, Directeur general de LE RURAL
LE RURAL est un groupe de presse agricole basé au Bénin. Il informe depuis quelques années sur les thématiques relatives à l'agriculture, l'agrobusiness, le genre et développement, la recherche et innovation, la santé et nutrition et l'environnement. Pour son directeur général, il n'y a pas de doutes, c'est l'agriculture de rente qui détruit le plus de forêt au Bénin. « Les cultures de rente sont essentiellement à but commercial. Elles se font sur des grandes superficies, contrairement à l'agriculture de subsistance, qui est destinée à l'alimentation de la famille, et dont les excédents peuvent être vendus pour gérer les autres charges du quotidien. C'est vrai que jusqu'ici, il n'existe pas de chiffres actualisés sur les occupations spatiales de chaque cultures, mais je pense qu'en tête des cultures qui détruisent le plus la forêt, nous avons le coton. Parce que c'est l'une des cultures qui demande qu'on défriche sérieusement le terrain. », explique Djibril Azonsi, directeur général de LE RURAL.

Aristide Chacgom, coordonateur de Green Development Advocates (GDA)
Au Cameroun, Aristide fait partie des acteurs de la société civile engagés dans la lutte contre la déforestation. « Je dirais sans ambages que c'est l'agriculture industrielle qui détruit plus la forêt. Si vous prenez par exemple la cacaoculture que pratiquent encore certains de nos parents de manière rudimentaire, vous verrez qu'elle ne détruit pas totalement la forêt, car le cacao est cultivé sous ombrage. Et même quand les communautés forestières pratiquent l'agriculture, vous verrez qu'elles réservent toujours des espaces forestiers pour la collecte des produits forestiers non ligneux ou pour la pharmacopée traditionnelle. Hors l'agriculture industrielle procède par un rasage total de la forêt, pour la remplacer par une végétation non naturelle, qui pour le cas du Cameroun, peut être le palmier à huile ou l'hévéa, qui sont les principalement cultivés par les agro-industries. On peut également évoquer la canne à sucre. », explique Aristide Chacgom, coordonnateur Chez Green Development Advocates (GDA).
Les pouvoirs publics préconisent l'agroforesterie
Gaston Dossouhoui, Ministre béninois de l'Agriculture
Au Bénin où nous avons pu rencontrer le ministre de l'agriculture, il en ressort une prise de conscience des dégâts forestiers causés tant par les cultures de rente, que par les cultures de subsistance. « Il est très courant de constater que la reconversion des forêts en terres agricoles nous pousse petit à petit vers la désertification, ce qui finira par nous affamer. Mais voilà, il faut produire. Je suis d'accord avec vous que l'agriculture familiale, pratiquée sur des petites superficies, cause moins de dégâts aux forêts, semble-t-il, mais ça cause quand même. Car la manière de cultiver, la manière de défricher, les brulis que nous faisons, les arbres que nous incinérons afin que nos ignames reçoivent bien le soleil pour une bonne tubérisation, constitue déjà une déforestation. Le problème n'est pas seulement l'échelle qu'on utilise pour certaines cultures industrielles, mais la méthode. Nous avons démontré à suffisance, depuis près de 30 ans, que pour un champ de cotonnier, lorsque vous avez là-dessus, 40 pieds bien repartis de karité, vous n'affectez pas le rendement. Alors, que faire pour cette logique entre dans les têtes de nos producteurs ? Tout le débat est là. » déclare Gaston Dossouhoui, le ministre béninois de l'agriculture.
Pour le membre du gouvernement l'urgence est de réduire l'impact de l'agriculture sur les forêts, sans toutefois chercher à savoir quel type d'agriculture détruit le plus la nature. Pour concilier la production des aliments et la préservation des forêts, outre l'agroforesterie, le ministère béninois de l'agriculture conseille aux agriculteurs, l'usage des techniques de semis qui ne nécessite pas le remuage des sols. L'alternance de certaines cultures sur un même sol permet aussi de préserver sa fertilité. C'est le cas entre l'igname, et des cultures locales comme le Moukono et le kajanus.
Fanta Mabo, Didier Madafime et Bernadette Nambou, avec le soutien du Rainforest Jurnalism Fund et le Pulitzer Center
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Sanaa Seif : « Il faut se battre pour tout, pour le moindre droit »

Depuis 1952, lorsque l'occupation britannique a quitté l'Égypte, le pays est dirigé par l'armée. La dictature de 30 ans d'Hosni Mubarak a été renversée après le soulèvement de 2011 qui a débuté le 25 janvier, une date connue sous le nom de « jour de rage ». De nouvelles élections ont eu lieu en 2012, qui ont conduit à la victoire de Mohamed Morsi du parti islamiste Fraternité musulmane. Son mandat a duré un an, jusqu'à ce qu'il soit interrompu par le coup d'État militaire dirigé par le général Abdel Fattah Al-Sisi en 2013. Depuis lors, la population égyptienne vit sous un régime autoritaire et antidémocratique.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Sanaa Seif est une cinéaste et militante égyptienne et britannique. Elle était présente lors du soulèvement de 2011 et a fait campagne pour la libération de son frère, Alaa Abd Al-Fattah, et d'autres prisonniers politiques du régime d'Al-Sisi. Ses actions en défense de ces militants ont abouti à son arrestation à trois reprises. Dans cette interview, réalisée en juin 2023, Sanaa parle de la conjoncture politique actuelle en Égypte et de sa campagne en cours pour la libération des défenseurs des droits humains dans le pays.
Pendant les manifestations de 2011, vous avez accompagné vos parents et vos frères dans la lutte et êtes devenue active dans le mouvement à partir de là. Quelle est votre lecture des manifestations de cette période ? Qu'est-ce que cela a signifié pour l'organisation et la réorganisation des mouvements dans le pays ?
Les principaux slogans prononcés dans les rues étaient « Pain, liberté et justice sociale ». L'objectif principal était d'établir la démocratie, et nous n'avons pas cela. Et puis les mouvements de 2011 ont été vaincus. L'inflation est galopante, les prix sont beaucoup plus élevés, la valeur de l'argent a beaucoup baissé. La violence policière est très présente.
Mais c'était quand même un moment très significatif et important dans l'histoire de notre pays, parce que c'était très fort, mais très pacifique. C'était un moment de possibilité et de potentiel dans notre pays, mais nous avons commis beaucoup d'erreurs collectivement – en particulier les groupes politiques organisés. Nous n'avons pas défendu la valeur de la démocratie et, face à la complexité de notre pays et de notre société, nous voulions seulement que l'armée résolve nos problèmes sociaux à notre place. Par conséquent, naturellement, l'armée en a profité. Le régime militaire d'aujourd'hui n'est plus déguisé comme avant, et Abdul Fatah Khalil Al-Sisi est déjà notre président depuis dix ans.
En Égypte, il y a un dilemme politique constant entre avoir des groupes islamistes ou l'armée au pouvoir. Ce sont les groupes organisés. Tout autre – progressiste, de gauche, conservateur, tout groupe civil ou radical comme nous – est très petit et peu organisé, car l'État ne le permet pas. Il était donc en quelque sorte connu qu'une fois les sociétés ouvertes, les islamistes constitueraient l'opposition la plus populaire. Ils ont remporté les élections, obtenu la majorité au parlement et à la présidence et ont mal gouverné pendant un an. Ils sont arrivés après la révolution, mais n'ont fait aucune réforme de la police et ont continué les lois dictatoriales contre la population chrétienne… Toutes les mauvaises choses qui avaient conduit à la révolution ont continué, mais au lieu d'être au nom de l'armée, elles sont désormais au nom de l'Islam.
L'armée a profité de cette occasion pour organiser un coup d'État et, fondamentalement, rejeter la démocratie. Naturellement, lorsque l'armée est revenue au pouvoir, elle a opprimé tout le monde sous prétexte qu'elle combattait le terrorisme et l'extrémisme. L'armée se présentait comme laïque, mais d'un point de vue religieux, elle était aussi conservatrice que la Fraternité musulmane et tout aussi sectaire.
Avec un gouvernement antidémocratique, il y a beaucoup en jeu au-delà du manque de démocratie lui-même. Pouvez-vous nous donner un bref aperçu de la situation politique actuelle dans votre pays ?
En ce qui concerne la liberté personnelle, l'État a une certaine propagande contre le harcèlement sexuel, qui est criminalisé par la loi. Mais la violence réelle à l'égard des femmes a augmenté. Aujourd'hui, il y a de nombreux cas de filles arrêtées parce qu'elles ont fait des vidéos sur TikTok. Il y a un aspect de classe à cela. Si c'est une fille de la classe moyenne supérieure qui parle anglais et réalise ces vidéos et qui est une influenceuse dans l'une des régions chics d'Égypte, c'est acceptable. Mais si c'est une fille de la classe moyenne inférieure qui fait ces vidéos, elle se fait arrêter pour prostitution. Notre procureur général a fait des déclarations publiques sur les valeurs familiales. Ainsi, les filles, la communauté LGBT et toute autre minorité sont beaucoup plus persécutées.
D'un point de vue financier, nos militaires sont impliqués dans toutes sortes d'entreprises, même des entreprises privées qui font partie des services de renseignements généraux. Il y a un cas assez célèbre d'un homme qui a refusé de remettre son entreprise à l'armée et s'est retrouvé en prison, avec son fils, pendant deux ans. De nombreuses communautés ont été expulsées parce que l'armée a décidé de construire un mégaprojet sur le territoire. La compagnie pétrolière italienne Eni a commencé à extraire du gaz naturel liquéfié (GNL) en Égypte, tout comme British Petroleum. Nous n'avons pas la liberté de la presse, donc nous n'avons pas beaucoup d'informations, mais les communautés autour des usines de GNL dénoncent la pollution de l'eau. Les pêcheurs affirment qu'il n'y a plus de poissons dans les eaux.
Pendant les mobilisations de 2011, vous et d'autres militants avez travaillé à l'édition et à la publication du journal indépendant Al-Gornal. Pouvez-vous nous parler de cette expérience et des outils de communication dans le pays ?
Aujourd'hui, nous avons environ trois grands médias indépendants qui sont encore en mesure d'opérer dans le pays. C'est un grand défi de le faire et de nombreux journalistes sont arrêtés, mais nous avons encore des restes de la société civile qui sont dans l'opposition. Avant, nous avions beaucoup plus de véhicules de presse, de journaux et autres. Tous nos médias grand public sont passés sous le contrôle du service des renseignements généraux, qui réglemente également les reportages.
« En 2011, j'avais 16 ans. La plupart des membres du groupe travaillant à Al-Gornal avaient mon âge. Nous n'étions pas journalistes, mais nous nous sommes rendu compte que c'était un moment de liberté quelque peu exceptionnel, et nous voulions simplement le souligner. » – Sanaa Seif
Les gens parlaient librement sur Internet, mais nous voulions une publication imprimée. Pour le contenu, nous avons créé une page Facebook et lancé un appel à articles. C'était un processus très inspirant. Il y avait une publication mensuelle et nous avions six numéros. Nous avons distribué 25 000 exemplaires gratuitement avec un réseau de distribution impressionnant. C'était un contenu très sérieux, et le mérite n'était pas le nôtre, mais des personnes qui se sont engagées avec nous.
Pendant toutes ces années de participation active au militantisme, vous avez été arrêtée trois fois. Votre frère, militant des droits humains en Égypte, est toujours en prison aujourd'hui. Comment se sont déroulées les campagnes pour la libération des militants emprisonnés, dont votre frère ?
Mon frère est en prison depuis neuf ans. Au début, nous faisions campagne à l'intérieur du pays, et c'est ainsi que cela se passe dans le cas de la plupart des personnes arrêtées. Il y a beaucoup de gens qui militent et plaident non seulement pour la libération des personnes incarcérées, mais aussi pour de meilleures conditions. Il faut se battre pour tout, pour chaque petit droit : obtenir de la nourriture pour ces personnes, des lettres, leur rendre visite. Rien ne peut être tenu pour acquis. Toutes mes arrestations ont eu lieu parce que je défendais la liberté de mon frère et du reste des personnes emprisonnées en général. Son avocat a été arrêté pour l'avoir défendu – il est également journaliste.
Aujourd'hui, ma façon de faire campagne est avec les gouvernements occidentaux pour aborder la situation des droits humains en Égypte. À Genève, nous nous sommes battu.e.s pour changer les conseils de voyage en Égypte, afin qu'ils disent qu'il est possible d'être arrêté dans le pays, et que le passeport ne vous protégera pas. Cela a eu un certain succès et, bien sûr, c'est grâce à la solidarité de militant.e.s comme nous. Je suis au Caire depuis un an, mais j'ai beaucoup voyagé et, en gros, j'ai fait campagne à l'extérieur. Je veux rester dans mon pays. C'est un grand risque d'utiliser les espaces occidentaux pour faire campagne pour nous, peuple égyptien. J'ai donc décidé de le faire et de rester au pays, pour qu'il n'y ait aucune répercussion contre mon frère. Lors de la conférence des Nations Unies sur le climat, la révélation de l'affaire que j'ai faite m'a apporté une certaine protection. Je peux vivre au Caire, mais c'est toujours dangereux et ils peuvent m'arrêter, mais ce ne sera pas une décision facile. C'est un risque calculé, où il y aura un certain prix politique.
Langue originale : anglais
Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves
Édition par Hélène Zelic
https://capiremov.org/fr/entrevue/sanaa-seif-il-faut-se-battre-pour-tout-pour-le-moindre-droit/
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La fabrique des migrations : La grande illusion des « retours volontaires » (4/4)

Qu'est-ce qui pousse des milliers d'Africain·es à s'exiler alors que les dangers de la route sont connus, tout comme les terribles conditions de vie dans certains pays « d'accueil » ? Dans cette série du magazine ZAM déclinée en quatre épisodes, cinq journalistes décryptent les mécanismes de la migration. Ce quatrième et dernier volet s'intéresse aux « projets de retour » financés notamment par l'Union européenne.
Tiré d'Afrique XXI.
Coincé dans le désert algérien « sans rien », Uka Ifeanyi a accepté, le 14 février 2023, l'offre de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) de se réinstaller au Nigeria – une offre financée par l'Union européenne (UE) dans le cadre d'un programme visant à mener à bien des « projets de retour » pour les migrants refoulés. Après qu'il a été ramené par avion à Lagos, le personnel de l'OIM lui a demandé « de patienter trois mois pour obtenir un logement et [se] réinstaller, explique-t-il au téléphone. Mais, depuis, personne ne [l']a appelé. »
Ce n'est pas ce à quoi Ifeanyi s'attendait, car les fonctionnaires de l'OIM l'avaient spécifiquement interrogé sur ses compétences, et lui avaient promis une aide pour lancer une petite entreprise dans sa région d'origine. « Ils m'ont demandé ce que je voulais faire et je leur ai dit que je voulais me lancer dans la plomberie, poursuit-il. Ils ont noté tout cela, nous ont donné à chacun 50 000 nairas [environ 58 euros] sur une carte bancaire et nous ont demandé de rentrer chez nous. Mais ils n'ont jamais rappelé. »
Grace Onuru, qui était bloquée en Libye après avoir plusieurs fois échoué à rejoindre l'Europe, a bénéficié de l'aide de l'OIM pour rentrer au Nigeria en mars 2023. À son arrivée à Lagos, raconte-t-elle, « les fonctionnaires de l'OIM ont demandé à chacun d'entre nous quel métier il souhaitait exercer. Je leur ai dit que j'avais une formation d'infirmière et que je voulais ouvrir un magasin de produits pharmaceutiques. » Comme Ifeanyi, elle a reçu une carte bancaire créditée de 50 000 nairas. « Cette somme devait nous permettre de rentrer chez nous au Nigeria. Ils ont promis de nous contacter dans les trois mois. Mais, six mois plus tard, personne ne m'a appelée. »
Onuru dit qu'elle a désespérément besoin d'aide : « En ce moment, je suis bloquée. Aucun membre de ma famille ne peut m'aider. » À l'exception d'une école primaire dans laquelle elle squatte la nuit, à Lugbe, un quartier d'Abuja, elle n'a aucun endroit où aller. « Je n'ai rien à manger. Je n'ai pas de travail et je n'ai personne vers qui me tourner. »
60 % des nigériens secourus veulent repartir
On retrouve ce genre de récits dans plusieurs rapports, dont un rédigé par des chercheurs mandatés par l'Union européenne elle-même (1). L'étude note qu'une majorité de migrants revenus au pays vivent encore sous des tentes, ont disparu ou sont dans une situation pire qu'avant. Tous les rapports s'accordent à dire que plus de 60 % des Nigérians qui ont été « secourus » (souvent des prisons et des centres de détention en Afrique du Nord) sont tentés de repartir. Trois anciens migrants, rentrés depuis 2017 et interrogés par ZAM, ne disent pas autre chose. Eux ont réussi à se réinstaller, avec l'aide de projets financés par l'UE. L'un a créé une ferme piscicole, un autre un salon de coiffure, et le dernier un atelier de soudure et d'électricité. Ils affirment que la plupart des personnes avec lesquelles ils étaient revenus au Nigeria – l'un d'eux a mentionné de nombreuses « mères célibataires qui étaient censées ouvrir des salons de coiffure » – sont reparties après avoir vendu leur « pécule de départ », parfois « avec l'aide du personnel de l'OIM ».
Quelles sont les raisons de cet échec ? L'OIM n'a pas répondu aux sollicitations de ZAM. Pour Osita Osemene, de Patriotic Citizen Initiatives, l'une des ONG impliquées dans le programme de réinstallation, l'OIM et le gouvernement nigérian n'ont pas fait grand-chose pour permettre aux nouveaux arrivés de se réinstaller. Il ajoute que, selon lui, le gouvernement nigérian est le principal responsable de cette situation : « Ce sont des Nigérians, notre gouvernement doit prendre ses responsabilités. L'OIM est censée continuer à les soutenir et leur donner un peu de capital pour qu'ils se lancent dans les affaires. Cela n'a pas toujours été le cas. Mais que fait le gouvernement nigérian à ce sujet ? »
Le porte-parole de l'Agence nationale de gestion des urgences (National Emergency Management Agency, Nema), Manzo Ezekiel, qui est chargé de transporter les rapatriés au Nigeria, précise que le mandat de la Nema est d'accueillir les personnes qui ont été évacuées d'Afrique du Nord par l'OIM vers le Nigeria. « Nous leur apportons le soutien financier nécessaire pour qu'ils retournent dans leur lieu de résidence, explique-t-il. La Commission nationale pour les réfugiés, les migrants et les personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays est chargée de leur fournir une formation à l'entrepreneuriat ou de leur donner des capitaux pour créer des entreprises. » La porte-parole de la Commission pour les réfugiés, Khadija Imam, n'a pas répondu à nos questions.
Bloqués en Afrique du nord
Selon une enquête du journal néerlandais The Correspondent, l'Union européenne a financé, entre 2011 et 2019, 47 projets régionaux de « facilitation des transports » destinés à aider les migrants retrouvés le long des routes migratoires dans les pays d'Afrique du Nord « à retourner volontairement » dans leurs pays d'origine, pour un coût de 775 millions d'euros. Pour le seul Nigeria, le coût s'est élevé à 68 millions d'euros. Mais même dans les cas où les projets ont été couronnés de succès, leur impact réel est douteux. Si l'OIM au Nigeria indique dans son rapport de 2021 qu'elle a aidé 3 042 migrants à « retourner volontairement » au Nigeria, ce chiffre est dérisoire par rapport au nombre de migrants nigérians qui empruntent chaque année des itinéraires illégaux dans la direction opposée : ils seraient, selon les estimations, entre 44 000 à 85 000 (2).
Selon des recherches menées en 2007, entre 66 % et 80 % d'entre eux sont susceptibles de rester bloqués en Afrique du Nord. Mais ce pourcentage pourrait avoir augmenté particulièrement au cours des huit dernières années, depuis que les initiatives européennes ont transformé les zones frontalières nord-africaines en murs lourdement surveillés. Depuis 2015, la pression de l'UE a conduit à la criminalisation du transport des migrants le long des itinéraires. Le Fonds fiduciaire européen d'urgence pour l'Afrique, doté de 6 milliards de dollars, également créé en 2015, a par ailleurs financé des infrastructures qui acheminent les migrants illégaux vers les prisons et les centres de détention en Libye. Les Subsahariens vivant actuellement dans des conditions d'exploitation ou détenus dans des pays comme la Libye seraient, selon les estimations, entre 1 et 2 millions.
Arrêtés, battus et violés
Au Cameroun, selon l'OIM, 5 450 migrants ont été « autorisés à retourner [dans leur pays] et à se réintégrer » entre 2017 et 2021, dans le cadre de l'Initiative conjointe UE-OIM pour la protection et la réintégration des migrants. Dans un rapport qui se concentre sur la période allant de janvier à juin 2021, l'OIM écrit qu'au cours de ces six mois, 233 Camerounais ont bénéficié de son « Programme d'aide au retour volontaire et à la réintégration ». L'organisation note que cela a été « loin d'être un parcours sans heurts » et qu'« il y a des retards pour certains projets de réintégration en raison du manque de constance et/ou de dévouement de certains rapatriés qui demandent une réintégration socio-économique. » Citant un rapatrié prénommé Arnaud, 31 ans, rentré d'Algérie en janvier 2023, qui « a d'abord connu une période difficile » mais qui maintenant « élève et vend des poulets », le rapport indique cependant que, dans son cas également, « des défis subsistent ».
L'ONG Human Rights Watch a rapporté qu'entre 2020 et 2022, 80 à 90 demandeurs d'asile déboutés aux États-Unis, qui ont été expulsés vers le Cameroun, ont subi des persécutions et d'autres violations graves des droits de l'homme dès leur retour dans leur pays, certains affirmant avoir été arrêtés, battus et violés par des gendarmes.
Comme au Nigeria, le nombre de rapatriés au Cameroun reste faible par rapport à celui des personnes qui quittent le pays. Alors que l'OIM fait état d'un peu plus de 1 000 rapatriés par an rien qu'en 2022, 8 115 Camerounais, soit huit fois plus, sont partis demander l'asile ailleurs – en dehors de l'Afrique pour la plupart. On ignore combien d'entre eux ont péri ou se sont retrouvés sans moyens de poursuivre leur voyage. On ne sait pas non plus ce qu'il est advenu, selon les données mentionnées ci-dessus, des 5 437 personnes dont la demande a été rejetée.
Dans les camps en Arabie saoudite
Selon des ONG kényanes, il existe treize « centres de secours » pour les travailleurs kényans victimes d'abus en Arabie saoudite. Gérés par l'État saoudien et ne recevant qu'occasionnellement la visite de dignitaires kényans, ces centres n'ont pas bonne presse. Des femmes y seraient détenues pendant des années, le temps que leurs « papiers soient traités », et celles qui tombent malades n'y sont pas soignées. « De nombreuses femmes sont bloquées dans ces camps », déclare Fred Ojiro, porte-parole de l'ONG de défense des droits de l'homme Haki. « Au cours de la deuxième semaine de juin [2023], une femme y est décédée. D'autres décès relevés dans des rapports n'ont pas pu être confirmés », dit-il.
Si les estimations selon lesquelles une grande majorité des travailleurs migrants, en particulier les employées de maison (parmi les quelque 300 000 Kényans travaillant dans les États du Golfe), sont exploités, battus et violés sur leur lieu de travail sont exactes, le nombre de femmes accueillies dans ces camps est remarquablement faible : selon les chiffres officiels, elles ne seraient que 288 au total. Il n'a pas été possible de déterminer si cela signifie que les femmes « préfèrent » leur travail « d'esclave » aux camps, qu'elles ne veulent pas être forcées à rentrer chez elles ou qu'elles ne sont tout simplement pas au courant de l'existence de ces camps (ni d'ailleurs de la ligne téléphonique d'urgence et de l'adresse électronique que le gouvernement kényan a mis en place).
En ce qui concerne la réinstallation dans leur pays d'origine, rien n'indique que des employées de maison victimes d'abus ont reçu de l'aide pour commencer un nouvel emploi au Kenya (hormis le fait que la secrétaire permanente aux Affaires étrangères et à la diaspora, Roseline Njogu, a déclaré que les billets de retour à Nairobi depuis les camps de secours « ont été financés » par son ministère). « Nous faisons ce que nous pouvons », soupire Faith Murunga, une Kényane qui a été ébouillantée par son employeur en Arabie Saoudite et qui alerte désormais sur les risques de l'émigration dans le Golfe. Selon elle, les ONG n'ont pas les moyens de faire plus que des campagnes de sensibilisation.
Le mirage de la biométrie
L'UE ne semble pas se préoccuper outre mesure de la plupart des migrants kényans et ougandais se rendant dans le Golfe, contrairement aux Ouest-Africains qui souhaitent se rendre en Europe. Les dépenses les plus importantes du Fonds fiduciaire d'urgence pour l'Afrique sont consacrées au contrôle des frontières : 250 millions d'euros, sur les 770 millions dépensés entre 2011 et 2019, ont servi à mettre au point une carte d'identité numérique biométrique pour les Nigérians, afin d'empêcher le franchissement illégal des frontières.
Mais ce projet a lui aussi peu de chances d'atteindre son objectif. Dans une enquête précédente, ZAM révélait que les frontières du Nigeria sont toujours aussi poreuses, tandis que le nouveau projet de carte d'identité biométrique n'a été qu'une vache à lait pour divers syndicats corrompus opérant au sein et autour du service d'immigration du Nigeria, le NIS.
Un sondage réalisé par le Bureau nigérian des statistiques auprès des personnes de retour d'Europe montre que, selon elles, la migration vers l'Europe diminuerait si le Nigeria offrait des emplois, une éducation, la sécurité, des infrastructures sociales, et s'il réformait un système actuellement basé sur le favoritisme. Le Dr Ejike Oji, qui a étudié la migration des médecins vers l'Europe, estime que l'UE devrait modifier l'orientation de ses interventions pour ne plus se contenter de « contrôler les frontières », mais plutôt engager les responsables gouvernementaux « sur la question de l'injustice sociale au Nigeria ».
La même chose pourrait être dite dans le cas d'autres pays africains. Mais, à en juger par de récents documents de l'UE et du Royaume-Uni consacrés à la stratégie de l'Europe pour l'Afrique (3), les politiques menées dans cette région vont se concentrer sur la « coopération renforcée en matière de migration et de mobilité », dans le cadre de « partenariats égaux » avec les gouvernements de pays où de nombreux citoyens disent vouloir partir.
L'extrême droite en embuscade
Cette stratégie reste en place malgré une avalanche de recherches récentes, dont certaines ont été reproduites sur le site web de la Commission européenne, qui montrent que les immigrés clandestins africains ne représentent qu'une proportion minuscule des tendances migratoires totales en Europe et au-delà. Au cours de cette enquête, deux diplomates européens ont confirmé, lors de conversations « off the record », qu'ils étaient au courant, mais, a déclaré l'un d'eux, les mesures ont été maintenues « en raison de la pression des populistes ». L'extrême droite des pays européens et du Royaume-Uni ont à plusieurs reprises exprimé leur inquiétude de voir leurs pays « inondés » d'immigrants africains, ce qui a conduit l'influenceur Onye Nkuzi, qui compte plus de 300 000 abonnés sur X (ex-Twitter) et analyse les tendances migratoires et les attitudes européennes, à tweeter en août 2023 : « L'Europe craint davantage de devenir noire que de subir une guerre nucléaire. »
Les autres préoccupations mentionnées dans ces documents politiques sont le président russe Vladimir Poutine et la Chine. Ces documents expriment la crainte que ces « autres acteurs géopolitiques [...] étendent leur influence » sur les gouvernements africains. Il est donc important, peut-on y lire, que les gouvernements africains s'engagent plus que jamais dans des « partenariats égaux ».
Le soutien à la « société civile » et aux « médias libres » est mentionné avec beaucoup moins de ferveur et beaucoup moins souvent dans les journaux, ce qui a amené un interlocuteur camerounais, qui fait partie de l'opposition démocratique, à demander : « Mais pourquoi ne peuvent-ils pas simplement nous soutenir ? »
Notes
1- Voir Chloe Sydney, « Nigeria : returning migrants at risk of new displacement or secondary migration », Migration Governance and Asylum Crises, juillet 2021. À télécharger ici.
2- Ce chiffre a été calculé par ZAM à partir d'estimations de 2007 (voir « Irregular Migration from West Africa to the Maghreb and the European Union : An Overview of Recent Trends », OIM, 2008) appliquées aux dernières données de demandes d'asiles produites par l'Union européenne.
3- À lire par exemple ici, là ou encore là.
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COP28 : le capitalisme vert contre l’Afrique

La COP28 ouvre une course effrénée à l'accaparement des forêts africaines par des multinationales présentes sur le marché des crédits carbone.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière.
Le marché de compensation de carbone permet à des entreprises d'acheter des permis d'émission de gaz à effet de serre. Une mesure présentée comme un moyen de ralentir le réchauffement climatique.
Affaires juteuses
Afin d'éviter les mesures contraignantes de sortie des énergies fossiles, la COP28 mise sur les technologies et le marché de compensation de carbone. Ce dernier reçoit l'assentiment d'un large éventail d'acteurs. Ainsi les entreprises pollueuses peuvent continuer leur activité tout en proclamant leur neutralité carbone sur leurs produits ou services. Les pays d'Afrique espèrent engendrer des revenus grâce à leurs massifs forestiers, tout comme les grandes ONG versant dans le business, comme WWF en charge de la gestion de certains massifs ou Verra qui s'est proclamé garant de l'intégrité du marché de compensation de carbone.
Sauf qu'une enquête récente menée conjointement par les journaux The Guardian et Die Zeit avec l'aide d'une ONG (une vraie cette fois-ci) d'investigation, SourceMaterial, montre que les compensations carbone sont surévaluées de près de 400 %. Confirmée par une étude de Cambridge estimant que 10 % de ces projets ont un réel effet sur le ralentissement du réchauffement climatique.
Spoliation des forêts
Dans ce nouvel eldorado du capitalisme vert les perdants sont évidemment la planète et les populations. Après avoir dilapidé la manne pétrolière en achat d'armes, en travaux de prestige et en détournement de fonds, les potentats africains voient là une nouvelle occasion de s'enrichir indûment. Le moyen utilisé est le même que pour celui de l'accaparement des terres arables. Désormais des grandes entreprises mettent la main sur les forêts. C'est le cas par exemple de l'entreprise suisse South Pole dans la région de Kariba au Zimbabwe, projet décrié pour son manque de probité.
La COP28 n'est pas seulement l'occasion pour son président le Sultan Ahmed Al-Jaber, PDG du groupe Abu Dhabi National Oil Company, de conclure des contrats pétroliers comme nous l'indique la BBC. Elle offre désormais la possibilité au Sheikh Ahmed Dalmook Al Maktoum de la famille royale de faire de bonnes affaires avec sa société Blue Carbon LLC. Ainsi il vient de signer un contrat avec le Liberia en vue de mettre la main sur un million d'hectares. Des accords similaires ont été passés avec l'Angola, le Kenya, la Tanzanie, l'Ouganda, la Zambie et le Zimbabwe. Près de 25 millions d'hectares de forêt, l'équivalent de la surface du Royaume-Uni passent sous le contrôle des Émirats arabes unis. Si les contrats sont opaques, on sait que l'essentiel des revenus du marché de compensation reviendront à Blue Carbon.
La COP28 permettra donc aux dictatures du Golfe de continuer à vendre du pétrole et gagner de l'argent en permettant aux multinationales de se parer de vertu écologique tout en polluant. Mais que pouvions-nous attendre d'une COP dont 2 500 participantEs sont des lobbyistes de groupes pétroliers ?
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À Toni Negri, camarade et militant infatigable

Alors que Toni Negri s'en est allé, ce 16 décembre 2023, un collectif de camarades italiens rend un hommage ému à ce « militant infatigable des mouvements sociaux et politiques des années 60 et 70, ardent promoteur du mouvement pour l'Autonomie ouvrière, et principal bouc émissaire de la répression étatique ». Ce fondateur de l'opéraïsme « a donné une cohérence théorique aux luttes ouvrières et prolétariennes dans l'Occident capitaliste et aux transformations du Capital qui en ont résulté. »
Tiré du blogue de l'auteur.
Toni Negri nous a quittés. Pour certains d'entre nous, c'était un ami cher mais pour nous tous, il était le camarade qui s'était engagé dans le grand cycle des luttes politiques des années soixante et dans les mouvements révolutionnaires des années soixante-dix en Italie. Il fut l'un des fondateurs de l'opéraïsme et le penseur qui a donné une cohérence théorique aux luttes ouvrières et prolétariennes dans l'Occident capitaliste et aux transformations du Capital qui en ont résulté. C'est Toni qui a décrit la multitude comme une forme de subjectivité politique qui reflète la complexité et la diversité des nouvelles formes de travail et de résistance apparues dans la société post-industrielle. Sans la contribution théorique de Toni et de quelques autres théoriciens marxistes, aucune pratique n'aurait été adéquate pour le conflit de classes.
Un Maître, ni bon ni mauvais : c'était notre tâche et notre privilège d'interpréter ou de réfuter ses analyses. C'était avant tout notre tâche, et nous l'avons assumée, de mettre en pratique la lutte dans notre sphère sociale, notre action dans le contexte politique de ces années-là. Nous n'étions ni ses disciples ni ses partisans et Toni n'aurait jamais voulu que nous le soyons. Nous étions des sujets politiques libres, qui décidaient de leur engagement politique, qui choisissaient leur voie militante et qui utilisaient également les outils critiques et théoriques fournis par Toni dans leur parcours.
Nous nous souvenons de Toni comme d'un militant infatigable des mouvements sociaux et politiques des années 60 et 70, comme un ardent promoteur du mouvement pour l'Autonomie ouvrière, comme le principal bouc émissaire de la répression étatique, qui a culminé avec les grandes arrestations du 7 avril 1979 et le procès politique qui a suivi. Onze ans et demi de détention, prisons de haute sécurité, menaces et passages à tabac ont été le prix que l'État lui a fait payer. Nous nous souvenons également de lui dans les douleurs et les contradictions de son départ d'Italie et de son exil en France, au cours duquel il n'a pas abandonné un seul instant son engagement à trouver une solution politique au problème des milliers de militants politiques enfermés dans des prisons spéciales en Italie. La preuve en fut l'interruption volontaire de son exil et son retour en Italie en 1997 dans l'espoir de contribuer à la fin de la législation spéciale, mais qui lui a valu de rester en prison jusqu'en 2003. Nous nous souvenons de lui lorsqu'il a déclaré que « le communisme est une passion collective joyeuse, éthique et politique qui lutte contre la trinité propriété, frontières et capital ». Nous nous souvenons de lui comme d'un homme toujours à l'écoute, en particulier des jeunes, un homme ouvert au dialogue et à la discussion, mais un opposant ferme à toute idéologie et pratique du capital et aux forces politiques qui lui donnent les formes institutionnelles.
Pour le monde culturel, philosophique et politique, Toni était un profond exégète de la pensée de Spinoza et l'un des plus grands théoriciens marxistes au tournant des XXe et XXIe siècles.
Pour nous, il était aussi et surtout le camarade Toni.
Avec amour nous te disons au revoir, avec amour nous embrassons Judith, Anna, Nina et Checco.
Signataires :
Gianfranco Pancino
Loredana Zamuner
Giustiniano Zuccato
Isabella Annesi Maesano
Anna Soldati
Emanuela Bertoli
Sergio Bianchi
Donato Tagliapietra
Lia Lanzi
Leandro Barozzi
Giuliano Righi Riva
Sandra Doveri
Patrizio Galmarini
Maurizio Lazzarato
Gianni Mainardi
Agostino Mainardi
Jason Francis Mc Gimsey
Elicio Pantaleo
Ornello Turco
Barbara Bucco
Maurizio Gibertini
Teresa Passamonti
Italo Migliori
Angelo Gagliardi
Luciano Mioni
Mirco Dalle Carbonare
Gianni Sbrogiò
Patrizia Corrà
Roberto Segalla
Puccio Landi
Chicco Funaro
Lauso Zagato
Carlo Levi Minzi
Sandro Scarso
Marzio Sturaro
Paolo Benvegnù
Stefano Micheletti
Gigi Roggero
Paolo de Marchi
Paola Vellucci
Gaetano Grasso
Pino Cosenza
Emilio Mentasti
Giorgio, Ivan, Diego, Mara, Yuri Boscarolo
Piero Mancini
Paolo Carpignano
Icio Molinari
Fabrizio Sormonta
Piero Despali
Susanna Scotti
Gianfranco Ferri
Ulisse Marcato
Valerio Guizzardi
Ignazio Brivio
Flavio Restelli
Giorgio Moroni
Marco Scarfò
Giuli Peyronel
Giorgio Bonazzi
Saro Romeo
Tiziana Saccani
Giorgio Griziotti
Nadia Colella
Manuela Facinelli
Emilio Comencini
Angiola Zampieri
Annaflavia Bianchi
Fiorenzo Sperotto
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Touche pas à mes sources ! La France doit garantir et renforcer la protection des sources des journalistes, pas la torpiller

Tiré de https://snjcgt.fr/2023/12/14/touche-pas-a-mes-sources-la-france-doit-garantir-et-renforcer-la-protection-des-sources-des-journalistes-pas-la-torpiller/
mis à jour le 14 décembre 2023
Appel co-signé par la CGT
Nous, syndicats de journalistes, sociétés des journalistes, associations, médias, considérons que la liberté de la presse ne peut pas s'accommoder d'une exception de sécurité nationale autorisant l'espionnage des journalistes. Ceci est pourtant l'objet d'un actuel vif lobbying de l'Etat français dans le cadre de l'imminente adoption du règlement européen sur la liberté de la presse et des médias (European media freedom act, EMFA).
Les gouvernements des États membres, les eurodéputé·es et la Commission européenne ont jusqu'à ce vendredi 15 décembre pour trouver un compromis sur ce texte. Or, si ce texte comporte une très grande majorité de dispositions renforçant la liberté de la presse, et donc est un progrès, il comporte hélas aussi quelques dispositions liberticides.
Tel que proposé par les Etats membres européens, l'article 4 permet l'utilisation de logiciels espions de type Pegasus en cas d'« impératif prépondérant d'intérêt public, en accord avec la Charte européenne des droits fondamentaux » et pour enquêter sur une longue liste de 32 délits punis de trois à cinq ans de prison, incluant le terrorisme mais aussi les crimes informatiques, la contrefaçon ou encore le sabotage. La France milite actuellement activement pour que la protection des sources soit levée dans de tels cas. Concrètement, les appels, les e-mails et les échanges sécurisés entre les journalistes et leurs sources liées à ces enquêtes pourraient être interceptés — en toute légalité — par les services de renseignement.
Insistons : la protection des sources des journalistes est une condition fondamentale de la liberté de la presse, et par conséquent de la démocratie. Elle est d'ailleurs reconnue comme telle par la Cour européenne des droits humains (CEDH).
De nombreuses démarches ont déjà été menées auprès des autorités européennes pour que le règlement sur la liberté de la presse et des médias (European media freedom act) ne soit pas affaibli par une telle exception, qu'il serait impossible d'encadrer efficacement.
En septembre 2023, 500 journalistes ont signé une lettre appelant le Parlement européen à instaurer une interdiction absolue de surveiller les journalistes en utilisant des logiciels espions.
Le 30 novembre dernier, dix-sept des plus importantes organisations d'éditeurs et de journalistes en Europe ont fait part aux dirigeants européennes de leur inquiétude : « Au vu des récents développements dans les Etats membres de l'UE, tels que la prolifération d'outils de surveillance intrusifs, il est d'autant plus important que l'EMFA protège efficacement les fournisseurs de services de médias, les journalistes et leurs sources. Nous sommes profondément préoccupés par l'effet dissuasif qui pourrait s'ensuivre si le texte final fixe des conditions pour la divulgation des sources qui sont en deçà des normes internationales en matière de droits de l'homme, et maintient le paragraphe selon lequel “Le présent article [Article 4] est sans préjudice de la responsabilité des États membres en matière de sauvegarde de la sécurité nationale” ».
« Pourquoi ajouter une clause sur la sécurité nationale dans une loi visant à protéger la liberté des médias, alors que nous savons tous que la sécurité nationale est traitée au niveau national ? Ceci reflète une approche illibérale. »
Maja Sever, présidente de la FEJ
La présidente de la Fédération européenne des journalistes, Maja Sever, a déclaré : « Pour les journalistes, l'article 4 est l'article le plus important, car l'idée initiale est de protéger les sources des journalistes et d'apporter une sécurité juridique aux journalistes et aux médias. Pourquoi ajouter une clause sur la sécurité nationale dans une loi visant à protéger la liberté des médias, alors que nous savons tous que la sécurité nationale est traitée au niveau national ? Ceci reflète une approche illibérale. »
Pour Dominique Pradalié, présidente de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), « cet espionnage, rendu possible, serait non seulement une atteinte grave à la liberté de la presse en Europe mais un signal catastrophique pour les autres continents ! »
Des articles de Investigate Europe, Disclose et Follow The Money révèlent qu'encore sept pays, dont la France — notamment par la voix de sa ministre de la Culture, Rima Abdul Malak — continuent d'insister sur la légalisation de l'espionnage des journalistes, ”en cas de sécurité nationale”.
Seule une formulation du règlement européen sur la liberté de la presse et des médias incluant les conditions de la CEDH et la jurisprudence, en vertu desquelles les interférences avec les libertés des journalistes peuvent être justifiées, serait pour nous acceptable. C'est le cas de la proposition du Parlement,adoptée le 3 octobre dernier, stipulant que la surveillance des journalistes ne pourrait être autorisée que par une autorité judiciaire indépendante et pour « enquêter ou empêcher un crime sérieux, sans lien avec l'activité professionnelle du média ou de ses employés » et sans que cela ne permette « d'accéder aux sources journalistiques ».
Nous appelons solennellement le président Emmanuel Macron et le gouvernement français, à retirer cette dérogation au titre de la “sécurité nationale” incompatible avec les standards européens pour l'exercice du journalisme. Sans protection des sources, pas de journalisme, pas de démocratie.
Premiers signataires
Syndicats
Syndicat national des journalistes (SNJ)
Syndicat national des journalistes – CGT (SNJ-CGT)
CFDT Journalistes
Syndicat général des journalistes – FO (SGJ-FO)
Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne (Spiil)
Fédération européenne des journalistes (FEJ)
Fédération internationale des journalistes (FIJ)
Sociétés de journalistes
SDJ de l'AFP
SDJ de TF1
SDJ de L'Express
SDJ de La Tribune
SDJ de Challenges
SDJ de franceinfo.fr
SDJ de l'Informé
SDJ de RFI
SDJ de Mediapart
SDJ d'Arrêt sur images
SDJ d'Epsiloon
SDJ de L'Humanité
SDR du Monde
SDJ de France 24
SDJ de France 3 rédaction nationale
SDJ de France télévisions rédaction nationale
SDJ de Le Figaro
SDJ des Echos
SDJ de Libération
SDJ de M6
SDJ de Marianne
SDJ de Paris Match
SDJ de Télérama
SDJ de Radio France
SDJ de NRJ Group
SDJ de LCI
SDJ de l'Obs
Associations ou collectifs
Acrimed – Action Critique Médias
Article 34
Fonds pour une presse libre
Collectif “Secret défense, un enjeu démocratique”
Sherpa
Collectif We Report
Journalisme & Citoyenneté
Ofalp (Observatoire français des atteintes à la liberté de la presse)
Un Bout des Médias (UBDM)
Les Autres Voix de la Presse
Informer n'est pas un délit (INPD)
Splann !
Médias
Au Poste
Rapports de force
Reflets.info
Rue89 Bordeaux
Rue89 Lyon
Rue89 Strasbourg
Grand-Format
Disclose
Les Jours
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Le Crestois
Le Média
Reporterre
L'Arrière-Cour
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Mind
Politis
15-38 Méditerranée
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Les dix recettes de l’Europe pour lutter contre les migrants

La rédaction de Mondafrique recense les dix procédés utilisés pour transformer l'Europe en forteresse. Quelques pistes de réflexion pour les élus français réunis en commission paritaire ces jours ci pour durcir les textes anti immigrés.
Tiré de MondAfrique.
A l'échelle internationale, on estime à 59 millions de déplacés dans le monde dont 4 millions de réfugiés syriens, bien qu' il y a moins de demandes d'asile en Europe pour cette année 2015 qu'en 2000. La majorité des migrants se réfugient dans les pays du Sud. L'Europe n'accueillant que 8% des déplacés de la planète.
Pour la Méditerranée, c'est la guerre et la misère qui poussent les migrants à aller voir ailleurs, parallèlement à la destruction de la Libye qui assurait jusque-là un rôle de sous-traitant des frontières Nord et par où la majorité des Africains embarquent aujourd'hui. Comment gérer cet afflux ? Voici dix réponses, parmi les plus inventives de l'Europe.
1- Le bombardement des chaloupes
En attendant le feu vert de l'ONU qui hésite encore sur cette décision sans précédant dans l'histoire, la stratégie européenne se dirige vers l'arraisonnement de bateaux de migrants en pleine mer. C'est ce que demandent quelques pays de l'Union, malgré l'illégalité de la procédure qui consisterait à intervenir dans les eaux internationales. Invoquant le modèle australien qui a réussi à réduire presque à zéro le flux de migrants en provenance d'Asie du Sud Est par des interventions armées en pleine mer, musclées, opaques et classées « secret défense », les Européens sont de plus en plus nombreux à demander l'aide de l'armée.
En Angleterre, c'est l'armée qui est appelée par les politiques et les opinions publiques à gérer ce problème que les politiques et les civils n'ont pas su gérer. En Autriche, l'armée épaule déjà la police dans le traitement des réfugiés. La Macédoine, plus petit état des Balkans, a fermé ses frontières avec la Grèce et la Serbie et déclaré l'état d'urgence dans son pays, l'un des plus importants points de passage avec la Croatie. En attendant le bombardement in vitro, l'Union Européenne a déjà lancé des missions navales militaires contre les passeurs le long des côtes libyennes mais qui se limiteraient à une première étape de surveillance. Pour l'instant. Après le no fly zone imposé par l'OTAN pendant la guerre contre la Libye, vers une no boat zone ?
2- Les écoutes téléphoniques
Europol, le super policier d'Europe, a mis en place un réseau de surveillance des communications téléphoniques, qui inclut aussi les réseaux sociaux où l'on peut trouver maintenant les dates de départ, les prix et les classes, éco, luxe, comme dans tout voyage organisé. Car si avant, les migrants payaient par étapes leur voyage de relais en relais, aujourd'hui les 30.000 passeurs s'activant autour de la Méditerranée sont si bien organisés en réseaux qu'un seul paiement suffit pour passer de Damas à Bruxelles, d'Erythrée à l'Allemagne ou de Dakar à Créteil.
L'idée de base est simple, tout le monde a un smartphone connecté, même les réfugiés, ce qui a d'ailleurs étonné nombre d'Européens qui pensaient qu'ils étaient démunis. A l'image de Lech Walesa, prix Nobel de la paix polonais, qui s'est demandé comment se fait-il que ces réfugiés « sont bien nourris et mieux habillés que nous ? » Le plombier polonais n'aurait pas de téléphone ?
3- La patate chaude
L'idée est vieille comme l'Europe, faire passer le problème aux voisins en fermant les yeux. C'est ainsi que les Français refilent les réfugiés vers l'Angleterre, ce qui énerve sérieusement cette dernière, l'Espagne vers la France et l'Italie vers le Nord de l'Europe.
De l'autre côté, ces pratiques ont failli dégénérer en incidents diplomatiques, comme entre la Grèce et la Macédoine, où Athènes voulait carrément acheminer 3000 migrants recueillis sur un bateau en Méditerranée par car vers la Macédoine. Si la Grèce accusée de ne pas surveiller ses frontières et de refiler les migrants à d'autres par un laxisme plus ou moins prémédité, dans les Balkans, toutes les autorités fustigent la décision de leurs voisins hongrois d'ériger une clôture de barbelés pour stopper les migrants, ce qui reviendra à les pousser vers la Bulgarie et la Croatie.
A force de les repousser des uns vers les autres, les migrants vont-ils finir par revenir chez eux à la fin de la boucle ? Pas évident…
4- L'esclavage…économique
L'Italie avait décidé, voici quelques années, que les communes hébergeant des demandeurs d'asile pouvaient les faire travailler gratuitement, c'est-à-dire de leur fournir des papiers temporaires mais à la condition qu'ils ne soient pas rémunérés pour leur labeur. Un peu comme les condamnés à des travaux d'utilité publique.
Ce retour à une forme d'esclavage économique pourrait s'étendre au reste de l'Europe car il possède deux avantages certains : en ces temps de crise, ne pas payer les travailleurs, et en ces temps de migration décourager les réfugiés en éliminant à la base le rêve européen qui va leur faire gagner des millions d'euros comme Sarkozy ou BHL. Tous des enfants de migrants.
5- La colonisation, le retour
Dans la logique européenne du 15ème siècle, il s'agit de pourchasser les assaillants sur leur propre territoire, comme l'a fait l'Espagne catholique en refoulant les Maures d'Andalousie pour les attaquer jusqu'en Afrique du Nord et coloniser ainsi leurs terres. C'est l'idée de la presse tabloïd anglaise et d'une partie des conservateurs.Il n'y a pas si longtemps que Roger Helmer, alors député européen britannique et membre du parti d'extrême droite Ukip, qui veut faire occuper par l'Angleterre la ville de Calais où une partie des migrants passe de l'Europe continentale pour rallier la Grande-Bretagne. Argument historique imparable de l'élu européen : « Calais était anglaise jusqu'en 1558, il est peut-être temps de la reprendre. »
L'Allemagne songerait d'ailleurs à récupérer le reste de la France et Rome et toute l'Europe.
6- Des camps dans les pays de départ
François Fillon, candidat à la primaire UMP pour 2017, avait proposé de mettre en place des camps de réfugiés en Libye sous le contrôle des Nations unies. Comme en Australie, qui sous-traite moyennant finances des camps sur l'île de Nauru, à Manus en Papouasie et même au Cambodge. Sauf que Fillon est plus malin, c'est l'ONU qui va payer. Reste la question à régler, qui va payer l'ONU ? Pourquoi pas les migrants eux-mêmes ?
7- Le règlement du billet retour
Prendre un peu d'argent et faire le chemin inverse, c'est l'une des idées européennes, calquée sur le modèle australien, lui aussi dépassé par le nombre de réfugiés. L'Australie avait décidé de payer 5000 dollars chaque réfugié pour qu'il retourne chez lui, comme cela a été confirmé sur un cas de bateau indonésien, qui a refait la traversée en sens inverse.
La méthode va-t-elle s'étendre ? Il y a une limite, celle de l'argent, les 500.000 migrants arrivés cette année en Europe auraient coûté 1 demi-milliard d'euros. C'est 10 fois moins cher que les bombardements en Syrie ou en Libye mais c'est de l'argent, surtout en temps de crise.
8- L'appel aux dieux de l'Olympe
La vieille méthode bureaucratique à la Bruxelloise, se réunir régulièrement pour des réunions de crise. A quoi servent-elles ? L'année dernière, les Européens s'étaient réunis pour donner un nom, l'opération « Triton » avait été lancée voici dix ans pour surveiller les entrants humains, opération pilotée par Frontex, l'agence européenne de surveillance des frontières. « Triton » était censée succéder à l'opération « Mare Nostrum », abandonnée depuis, dans la foulée de », « Hermès », « Poséidon et « Aenesas » (Enée), trois autres opérations de "containment".
Des noms grecs, alors que la Grèce est paradoxalement montrée du doigt par les Européens pour ses dépenses mais aussi pour son laxisme aux frontières. Hermès est d'ailleurs à lui seul tout un symbole. Il est le messager des dieux, donneur de la chance, l'inventeur des poids et des mesures, le gardien des routes et des carrefours, des voyageurs et du commerce.
9- Le recours au bon vieux barbelé
L'efficacité du barbelé n'est plus à prouver. Si en Hongrie principal point de passage vers l'Europe par la Croatie, la mise en place de 200 kms de grillage par l'armée a fait réagir Bruxelles, au Sud de l'Espagne ou à Calais dans le Nord de la France, ces grillages existent depuis bien longtemps et n'émeuvent personne. Mais plus offensif, le Parlement hongrois a autorisé l'usage d'armes, « non létales » pour bloquer les migrants qui ne seraient pas découragés par les barbelés et même la gare de Budapest a été fermée cet été pour les empêcher de circuler, suspendant le mois dernier toute la ligne Budapest-Vienne-Munich avec l'accord de l'Autriche et de l'Allemagne.
C'est d'ailleurs toute l'ironie de l'histoire, l'Union Européenne importe la plupart de ses ressources minérales, dépendante à 48% pour le minerai de cuivre à 64% pour la bauxite et jusqu'à 100% pour le cobalt, le platine ou le titane, achetant sur les marchés africains et sud-américains 160 millions de tonnes de fer par an pour faire des barbelés entre autres, deuxième importateur mondial. Et à titre d'exemple devant l'épuisement de ses ressources, la sidérurgie française s'approvisionne exclusivement en minerai importé depuis 1993 et la fermeture des usines de Lorraine. Une idée, faire des migrants des mineurs, quelque soit leur âge. Même les mineurs.
10- Le profiling
La Slovaquie a été claire, après étude du dossier, elle n'accepte que les migrants chrétiens. « En Slovaquie, il n'y a pas de mosquées, c'est pourquoi nous voulons choisir seulement des Chrétiens » a expliqué un porte-parole du ministère de l'intérieur en guise d'argument tautologique. En Tchéquie voisine, même principe, jusqu'à Tomio Okamura, leader d'extrême-droite qui a encouragé ses compatriotes « à élever des cochons et des chiens » pour repousser l'assaut. En Pologne, « c'est un véritable problème », a renchéri Lech Walesa, encore lui. « Si l'Europe ne ferme pas ses frontières, des millions de migrants vont venir ici et ils n'hésiteront pas à imposer leurs coutumes, y compris les décapitations », a-t-il prédit à la Houellebecq.
Bref, les idées et les arguments ne manquent pas. Comme les réfugiés.
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Royaume-Uni : le Parlement valide l’expulsion massive des migrants vers le Rwanda

Après un an et demi de rebondissements, le parlement britannique a voté ce mardi un projet de loi visant à expulser les demandeurs d'asile vers le Rwanda. Une politique qui s'inscrit dans une surenchère xénophobe dans toute l'Europe.
13 décembre 2023 |tiré de Révolution permanente
https://www.revolutionpermanente.fr/Royaume-Uni-le-Parlement-valide-l-expulsion-massive-des-migrants-vers-le-Rwanda
Ce mardi 12 décembre, le parlement britannique a voté une loi permettant l'expulsion massive des immigrés vers le Rwanda, ainsi que la nullification de plusieurs dispositions de la loi britannique sur les droits humains pour éviter les revers juridiques. Adopté à 313 voix pour et 269 contre, le texte revendiqué par le premier ministre conservateur Rishi Sunak comme étant « la loi la plus dure jamais adoptée contre l'immigration illégale » a parcouru un long chemin avant d'être adoptée, et représente un sursaut dans le durcissement de la politique migratoire à l'échelle européenne, alors que de nombreux pays s'appuient sur le modèle de l'Angleterre pour lancer l'externalisation des frontières et renforcer l'Europe forteresse.
Une loi inhumaine qui s'appuie sur des accords néo-coloniaux
Pour rappel, cette loi se base sur un accord signé le 14 avril 2022 entre le gouvernement britannique et le gouvernement rwandais, qui a déjà reçu 240 millions de livres sterling de la part des anglais. Une manoeuvre permettant au gouvernement du petit pays d'Afrique de l'est de se rapprocher diplomatiquement du Royaume-Uni, alors que des ONG dénoncent son soutien aux offensives militaires contre la République Démocratique du Congo, qui visent à lui permettre de s'emparer de ses mines de Coltan. C'est donc sur la base d'un conflit meurtrier entre semi-colonies que le Royaume-Uni de Boris Johnson a obtenu l'accord servant de base à sa loi.
La loi en elle-même s'inspire quant à elle d'une loi australienne adoptée au début des années 2000 et qui a permis au pays océanien d'expulser en masse ses demandeurs d'asile vers Nauru et l'île papouasienne de Manus, où les migrants subissent des violations récurrentes de leurs droits humains. Des violations des droits qui auront très certainement aussi lieu au Rwanda, ce que le gouvernement britannique sait d'ailleurs très bien, puisqu'il a inclut à sa loi un volet permettant de ne pas appliquer certaines dispositions de la loi britannique sur les droits humains, afin de limiter les recours en justice possible pour les migrants qu'ils voudront expulser.
La loi permet également aux ministres de ne pas appliquer les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, qui avait bloqué une première tentative de déportation en juin 2022. Le texte avait été à nouveau repoussée en décembre 2022 alors que les cas de 8 demandeurs d'asiles censés être expulsés étaient réexaminés. Puis elle avait été retoqué le 29 juin 2023 par la Cour Suprême britannique, avec comme explication que le Rwanda n'était pas « un pays tiers sûr », une décision confirmée en appel le mois dernier. C'est à l'issue de cette succession de rebondissements que la loi, réécrite pour correspondre aux exigences de la Cour, a été présentée au parlement et votée ce mardi.
Les conséquences sont donc prévisibles : des milliers d'immigrés, jugés « illégaux », seront déportés vers le Rwanda, à des milliers de kilomètres du Royaume-Uni et de leurs pays d'origine. Ils vont y subir des conditions d'accueil extrêmement dures : 40% de la population rwandaise vit sous le seuil de pauvreté, tandis que les exécutions extrajudiciaires et le recours à la torture y sont récurrents. Par ailleurs, d'après le Monde, de nombreuses associations accusent le gouvernement de « parquer les indésirables, notamment les mendiants, les enfants des rues et les prostituées, dans des centres de détention ». En mai, le Guardian, détaillait l'objectif du gouvernement d'expulser plus de 3000 personnes par mois grace au projet de loi, dès janvier 2024. Une politique inhumaine répondant aux surenchères racistes avec l'extrême droite et permettant au gouvernement d'agiter la xénophobie d'État comme sortie des crises économiques et politiques que subit le Royaume-Uni et le gouvernement conservateur de Rishi Sunak.
Une offensive qui s'inscrit dans un projet xénophobe plus large du gouvernement britannique
Face à sa position politique précaire, le gouvernement conservateur a cherché à faire de l'arrêt des « small boats » (les embarcations de migrants traversant la Manche) une politique centrale. Cela a déjà mené à toute une série de mesures extrêmes visant à dissuader l'immigration, qui ont systématiquement mené à des drames atroces et à des traitements inhumains des personnes immigrées par le Royaume-Uni. Parmi ces plans, on peut recenser l'utilisation de « machines à vagues » dans la Manche, l'exclusion des « migrants illégaux » des protections contre l'esclavage moderne, la tentative d'envoyer les migrants dans des « centres offshores » en Papouasie-Nouvelle-Guinée, sur les îles de l'Ascension et de Sainte-Hélène ou encore dans des centres « flottants » à bord de ferries hors d'usage en mer ou à bord de véritables prisons flottantes comme le « Bibby Stockholm » cet été.
Cette loi s'inscrit aussi dans le contexte des élections législatives qui approchent, alors que le ministre de l'Intérieur James Cleverly a annoncé le 4 décembre que « 300 000 personnes de moins pourront venir au Royaume-Uni dans les années à venir par rapport à l'année dernière », un projet particulièrement radical, que le gouvernement conservateur espère atteindre non seulement grâce à la loi d'expulsion vers le Rwanda, mais aussi, comme le rapporte InfoMigrants, par plusieurs mesures dures annoncées ce lundi : le relèvement de 47% du salaire minimum requis pour obtenir un visa de travail, l'interdiction du regroupement familial pour les travailleurs de la santé et les étudiants et la hausse drastique (de 66%) du coût de la santé pour les étrangers.
Le renforcement d'une « Europe forteresse »
Les ambitions xénophobes assumées du Premier ministre britannique rappellent celles du ministre de l'Intérieur français, Gérald Darmanin, qui déclarait à propos de sa propre loi qu'il s'agissait du « texte le plus ferme avec les mesures les plus dures depuis ces trente dernières années ». Derrière la similarité entre ces deux projets se cache une ambition commune : construire une Europe forteresse toujours plus inaccessible pour les migrants, tout en draguant politiquement une extrême-droite xénophobe de plus en plus décomplexée. En France, la loi immigration rejetée à l'Assemblée cette semaine (en partie par une droite réclamant un texte plus dur) est la déclinaison locale d'une surenchère à l'échelle du continent européen.
Cela passe notamment par un renforcement de ladite « externalisation des frontières ». Cette politique, qui combine durcissement xénophobe des frontières et sous-traitance néo-coloniale de leur gestion, concerne donc toute l'Europe. Le pacte immigration européen, qui devrait être voté d'ici l'année prochaine, prévoit entre autres de permettre le renvoi des immigrés vers des « pays tiers », une politique résultant d'une surenchère menée notamment par la dirigeante italienne d'extrême droite Giorgia Meloni. Ces derniers mois, plusieurs pays à l'instar de l'Italie et de l'Allemagne ont mis en place une externalisation de la gestion des demandes d'asiles dans des pays hors de l'UE, une pratique de « push-back » et d'expulsion systématique calquée sur le modèle anglais.
Cette politique anti-migrante, qui s'adosse à un néocolonialisme cru, est en fait à l'œuvre dans toute l'Europe et concerne tout aussi bien des gouvernements de gauche que d'extrême-droite, qui cherchent non seulement à durcir toujours plus l'accueil des migrants, mais qui s'attachent désormais à sous-traiter cette politique criminelle dans des pays semi-coloniaux. Pour mettre en échec cette politique meurtrière et l'extrême droite qui surfe sur la surenchère raciste des gouvernements, aux Royaume Uni comme en France, il est essentiel de défendre un programme profondément internationaliste et anti-impérialiste, en vue d'une lutte pour la régularisation de tous et toutes, ainsi que l'ouverture de toutes les frontières.
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Unie face à la loi immigration, la gauche rêve de recoller les morceaux

Le combat contre le texte porté par Gérald Darmanin a réveillé des envies d'union. Socialistes, communistes, écologistes et insoumis se mettent à relativiser la crise que vit la gauche. Et veulent croire que l'unité a encore des raisons d'exister face au gouvernement et à l'extrême droite.
14 décembre 2023 | tiré de politis.fr | Photo : La députée Clémentine Autain (LFI), le premier secrétaire du Parti socialiste français Olivier Faure et le sénateur Yannick Jadot (Les Écologistes) lors de la réunion organisée par le Parti socialiste contre le projet de loi immigration, le 7 décembre 2023 à Saint-Ouen.
© Geoffroy Van der Hasselt / AF
https://www.politis.fr/articles/2023/12/nupes-unie-face-a-la-loi-immigration-darmanin-la-gauche-reve-de-recoller-les-morceaux/
Et si l'union de la gauche s'était soudainement réveillée ce lundi 11 décembre à 17 h 40. Quelques secondes après que Yaël Braun-Pivet, la présidente de l'Assemblée nationale, ait annoncél'adoption de la motion de rejet au projet de loi immigration portée par les écologistes, la gauche de l'hémicycle explose : « Darmanin démission ! » Au premier rang, le ministre de l'Intérieur se crispe. Après cette défaite, il présente sa démission dans la soirée à Emmanuel Macron qui la refuse d'emblée. Si la Nouvelle union populaire, écologique et sociale (Nupes) peut se vanter d'avoir flanqué une gifle au gouvernement qui fait la publicité de cette réforme depuis un an, elle n'a pas réussi à faire tomber le patron de la place Beauvau. Qu'importe, elle parle désormais à l'unisson.
Face au projet de loi immigration, la Nupes est sur la même ligne depuis le début : les élus des quatre groupes ont parlé d'une seule voix en commission des lois, tous demandent aujourd'hui en chœur le retrait de ce texte après avoir soutenu en bloc la motion de rejet. Sur ce dernier point, seule la députée écologiste Delphine Batho a voté contre, estimant ne pas pouvoir « voter avec l'extrême droite sur l'immigration ». « Quand il faut résister aux attaques de la macronie, on est au rendez-vous, assure la députée insoumise Danielle Simonnet. Ce qui met en péril l'union, ce sont les directions des appareils et certaines personnalités. Mais au Parlement, nous comprenons tous que nous avons besoin d'unité parce que nous ne pouvons pas gagner autrement. »
Au Parlement, nous comprenons tous que nous avons besoin d'unité parce que nous ne pouvons pas gagner autrement.
D. Simonnet
« On s'est serré les coudes contre ce projet, avance le porte-parole des députés socialistes, Arthur Delaporte, qui liste certaines initiatives unitaires, comme ce meeting organisé par Génération.s à Paris le 4 décembre et celui de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) le 7 décembre manœuvré par le Parti socialiste. L'union de la gauche se construit autour de combats communs. Et l'immigration, c'est un sujet au cœur de notre histoire humaniste. On ne pouvait que se retrouver. »
« Combattre le racisme d'atmosphère »
Dans les rangs de la Nupes, on semble presque oublier la crise profonde que traverse la gauche, fracturée sur le conflit israélo-palestinien depuis octobre et mise en tension à chaque tweet de Jean-Luc Mélenchon. « Quand on met les tentations boutiquières de côté, on est capables d'être à la hauteur. On a compris que le sujet était de combattre un racisme d'atmosphère qui imprègne la société et de lutter face à un gouvernement, une droite radicalisée et une extrême droite à l'offensive. », développe Benjamin Lucas, député Génération.s (au sein du groupe écolo) qui demande une commission d'enquête sur les pratiques du ministère de l'Intérieur pour « marchander » les voix des députés sur le projet de loi immigration.
« L'unité de la gauche existait avant la Nupes et continuera d'exister, surtout sur des sujets aussi essentiels où nous sommes alignés sur le fond », soutient Aminata Niakaté, porte-parole des Écologistes (ex-EELV). Même refrain pour la députée insoumise Aurélie Trouvé : « Les insoumis ont toujours pensé que tout le monde était capable de se réunir sur le fond du programme de la Nupes. Depuis le début, on dit qu'on a bien plus de points communs que de différences. »
Il faut réactiver les structures de la Nupes, il faut se remettre autour de la table et travailler.
S. Rousseau
Les plus « unionistes » tentent même de prendre du recul sur les dissensions de la gauche. « On ne s'est pas divisés sur des questions de fond, y compris sur la question internationale où nous pouvons nous entendre. Il y a eu des dérapages d'expression de la part d'un noyau insoumis », relativise le député socialiste Philippe Brun. Letant attendu « acte II » de la Nupes serait-il en train de se construire ? Certains en rêvent, comme l'écolo Sandrine Rousseau : « A l'Assemblée, il n'y a pas un texte qu'on n'a pas voté en commun. Le problème vient des directions de chaque parti, pas du Parlement. Il faut réactiver les structures de la Nupes, il faut se remettre autour de la table et travailler. Les partis veulent-ils de la Nupes pour gagner en 2027 ou continuent-ils d'utiliser n'importe quel argument pour la tuer ? Maintenant, c'est l'heure de vérité. »
Genou à terre et front commun
En convoquant une commission mixte paritaire (CMP) qui se réunira lundi 18 décembre au Palais Bourbon, le gouvernement et la majorité présidentielle ont décidé de dealer un accord avec la droite, en position de force au sein de ce conclave avec quatre parlementaires, alors que la majorité compte cinq sièges, et la gauche, trois. De ce fait, ce huis clos pourrait accoucher d'un texte qui comprendrait les obsessions de la droite comme l'Aide médicale d'État (AME) ou le rétablissement du délit de séjour irrégulier. Une copie sérieusement durcie. Mais pas question pour la gauche de s'avouer vaincue. Certaines têtes pensantes imaginent la riposte à deux scénarios crédibles.
Dans le cas de figure où personne ne trouve d'accord en CMP, le texte serait retiré « puisque Emmanuel Macron a balayé l'utilisation du 49.3 », selon les croyances de Benjamin Lucas. En référence aux propos tenus par le Président qui, lors d'un dîner mardi soir à l'Élysée, aurait annoncé se priver de cet article. Dans le cas de figure où les parlementaires s'entendent en CMP, « ce texte sera battu dans l'hémicycle puisque l'aile gauche de la majorité ne pourrait pas soutenir un texte trop durci par la droite », d'après le même élu. En clair, l'équation impossible. « Ils ont mis un genou à terre. À nous de continuer à faire front commun », prévient-il. La gauche espère donc encore batailler. Ensemble.
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Brésil : « Pour un PSOL indépendant »

Le 20 octobre 2022, Lula da Silva a été élu président de la République du Brésil pour la troisième fois, battant d'une courte tête le candidat d'extrême droite Jair Bolsonaro. Cette victoire du large front démocratique autour de Lula, ainsi que la campagne qui l'a précédée, suscite de grands débats au sein du Parti Socialisme et Liberté (PSOL). Ana Cristina Carvalhaes nous parle de la situation au Brésil, du gouvernement Lula 3.0, et de sa vision des débats et du congrès du PSOL, qui s'est déroulé du 29 septembre au 1er octobre 2023.
Tiré de Quatrième internationale
12 décembre 2023
Entretien avec Ana Cristina Carvalhaes
Antoine Larrache : Comment vois-tu la situation politique et le gouvernement actuel ?
Ana Cristina Carvalhaes : Lula est arrivé au pouvoir dans un contexte politique complètement différent des trois premiers gouvernements du PT. Il est arrivé au pouvoir dans un pays où l'extrême droite est très présente, après quatre ans de passage de Bolsonaro au Palace du Planalto. Les partisans de Bolsonaro gouvernent certains des États les plus importants du pays (São Paulo, Rio de Janeiro, Minas Gerais) et disposent du plus grand groupe parlementaire à la Chambre des députés. : aujourd'hui, l'extrême droite a conquis un poids de masse. Elle a été au pouvoir avec Bolsonaro, elle gouverne certains des États les plus importants du pays, possède la majorité au parlement, c'est dire à quel point elle constitue une menace. Dès avant la campagne électorale, Lula n'a jamais voulu chercher la victoire avec une coalition de gauche – ce qui est compréhensible d'un point de vue électoral, compte tenu de la menace fascite – ni à parier sur la mobilisation populaire. Lula et le PT ont choisi de rechercher la victoire sur la base d'une alliance la plus large possible, à la fois à gauche, avec le PCdoB et le PSOL (1) et surtout à droite. Cela a conduit à l'élection de Geraldo Alckmin (ancien dirigeant du PSDB) au poste de vice-président, et à l'inclusion dans le « front large » de partis bourgeois dits de centre-gauche, ainsi que de partis plus explicitement de droite. Lula n'a jamais été prêt à chercher la victoire avec une coalition de gauche, ni à parier sur la mobilisation populaire. Au second tour, la coalition s'est élargie à des partis encore plus à droite. Une partie de la bourgeoisie avait déjà explicitement soutenu Lula au premier tour, et une partie beaucoup plus importante l'a soutenu au second tour. Le secteur bourgeois qui a soutenu Bolsonaro avec le plus d'ardeur au second tour était celui des propriétaires terriens, mais aussi une grande partie de la petite bourgeoisie propriétaire dans les villes. Cette tactique a permis à Lula de remporter une courte victoire au second tour. Ce fut une victoire démocratique difficile et importante, qui a empêché l'avancée du néo ou du post-fascisme au Brésil, et le PSOL a participé à juste titre à ce processus en votant pour Lula-Alckmin.
Antoine Larrache : Il s'agit donc d'un gouvernement de conciliation des classes, n'est-ce pas ? Comment gérez-vous cette contradiction entre la gauche et la droite en son sein ?
Ana Cristina Carvalhaes : Le gouvernement a adopté des mesures démocratiques pour faire face aux destructions causées par les quatre années de pouvoir de Bolsonaro. Il a ordonné une énorme mobilisation de ressources pour sauver les Yanomami (2) de la famine et de la maladie lorsqu'ils ont été attaqués, dans leur réserve, par l'exploitation minière illégale, à laquelle le dirigeant fasciste avait donné carte blanche, de sorte qu'un génocide était en cours. Il enquête également sur les responsables de la tentative de coup d'État du 8 janvier 2023. Il a recréé des ministères, créé le ministère des peuples indigènes.
D'un autre côté, il a des engagements solides envers les grandes entreprises et la stabilité du régime : il a une politique économique nettement néolibérale, une politique environnementale de « capitalisme vert », il ne cherche pas à mobiliser contre la droite, s'appuyant sur la Cour suprême et la police pour l'affronter. Ce n'est pas un « gouvernement contestataire ». Ses neuf premiers mois ne sont pas un « succès » en faveur des travailleurs et du peuple car, sur le plan économique, la nouvelle règle fiscale négociée avec le Congrès est un plan d'ajustement néolibéral classique qui réduit les ressources des programmes dans l'éducation, de la santé, la recherche scientifique et les droits humains, ainsi que les investissements nécessaires pour faire fonctionner l'économie – le tout pour et d'investissement afin d'atteindre un improbable déficit zéro d'ici 2024. Sur le plan environnemental, Lula a prononcé un discours à l'ONU pour défendre l'Amazonie, tout en « laissant » ses ministres de droite et l'industrie fossile faire campagne pour l'exploration pétrolière à l'embouchure de l'Amazone.
Le gouvernement présente toutes les contradictions et incohérences insolubles imposées par son caractère de conciliation de classe. Ce n'est pas une situation dans laquelle une politique d'opposition de gauche au gouvernement, comme le PSOL l'a fait correctement au cours de ses 12 premières années d'existence, est pertinente. Mais plus que jamais, il est nécessaire que le parti soit indépendant, qu'il soutienne ce qui est positif, qu'il combatte les mesures du gouvernement contre les intérêts populaires et qu'il soit prêt à faire face à de nouvelles attaques (comme il y en aura certainement sur l'environnement et l'économie populaire), qu'il maintienne son profil autonome et qu'il présente ses différences programmatiques avec l'action du gouvernement.
Antoine Larrache : Quelle est la situation de l'extrême droite ?
Ana Cristina Carvalhaes : La menace persiste, l‘extrême droite gouverne des États importants et pourrait revenir au pouvoir en cas de déception à l'égard du gouvernement de Lula. Il faut distinguer plusieurs niveaux : il y a Bolsonaro lui-même, sa famille et son groupe politique le plus proche, et un secteur beaucoup plus large de personnes qui votent pour l'extrême droite, quelque chose comme 20 à 25 % des électeurs. Le bolsonarisme a été considérablement affaibli par la tentative, ou simulacre de coup d'État du 8 janvier, parce que les secteurs bourgeois ont dû s'y opposer. Cette tentative fait l'objet d'une enquête judiciaire et le chef de l'armée de l'air de l'époque est impliqué. Il a donc été fortement fragilisé par ces affaires judiciaires et les enquêtes pour corruption – en particulier le fait qu'il se soit approprié des bijoux offerts par des cheikhs du Golfe. Les officiers militaires qui ont gouverné avec lui ont également été associés à des scandales de détournement de fonds, de mauvaise gestion des ressources pendant la pandémie et maintenant même de détournement d'armes au profit d'organisations criminelles. Cela ne signifie nullement qu'ils ont été vaincus, mais la confiance des masses dans les forces armées s'est effondrée. La Cour suprême, qui s'est prononcée en faveur de l'annulation des procès donne raison à Lula, et Lula lui-même sont en train de démanteler « par le haut » l'appareil créé par Bolsanoro.
Aujourd'hui, la bourgeoisie compte sur Lula pour remettre de l'ordre dans la société. Le grand problème est que cet accord signifie que le PT ne mobilisera pas les travailleur·es. Et c'est un point très important, car c'est précisément le PT qui les dirige, puisqu'il a retrouvé son influence de masse au cours des huit dernières années où il était dans l'opposition. Je pense que les choses vont empirer en 2024. Les mesures d'austérité du plan d'« ajustement fiscal » deviendront plus évidentes : le gouvernement propose un budget national équilibré pour 2024, ce qui aura d'énormes conséquences, car il devra réduire les budgets de l'éducation, de la santé et d'autres domaines. Je pense que la colère va monter contre ces choix.
Antoine Larrache : Avec Bolsonaro écarté du pouvoir pour un temps, n'y a-t-il pas un risque de voir se développer un véritable mouvement fasciste ?
Ana Cristina Carvalhaes : Dans le sens d'une nouvelle tentative de coup d'État ? Je ne pense pas, à court terme. Le bolsonarisme est toujours très vivant, il a une grande influence au parlement, il a l'intention de gagner 1 500 mairies, sur un peu plus de 5 000 dans le pays, l'année prochaine. En d'autres termes, tout se joue au sein des institutions. Tout peut arriver au Brésil, mais leur problème est que Bolsonaro est inéligible, parce que la Cour suprême l'a rendu inéligible, et son mouvement discute ouvertement de qui sera le candidat à la prochaine élection présidentielle.
Quoi qu'il en soit, je n'exclus pas la possibilité qu'à un autre moment, en cas de crise nationale et institutionnelle profonde, il y ait une nouvelle tentative de coup d'État. Il ne faut pas oublier un autre élément constitutif de la droite au Brésil : l'évangélisme chrétien néo-pentecôtiste. Au sein des classes populaires, ce courant a fait d'énormes progrès. Aujourd'hui, il représente la majorité de la population brésilienne et, en termes d'influence religieuse, il dépasse le catholicisme et le protestantisme historiques. Dans les favelas, ces fondamentalistes sont les plus influents d'un point de vue idéologique. Ils ont une contradiction : ils ont moins de contrôle sur le vote des femmes, beaucoup de femmes évangélistes ont voté pour Lula.
La crise mondiale rendra également les choses plus difficiles pour Lula. C'est le grand problème des gouvernements dits progressistes de cette deuxième vague. La première vague a bénéficié d'un contexte merveilleux, avec le boom des matières premières, mais cette deuxième vague est confrontée à une situation économique mondiale très difficile. La Chine continue de croître et, dans de nombreux pays d'Amérique latine, elle est devenue le premier ou le deuxième partenaire commercial, tandis que le Brésil approfondit ses liens avec les BRICS. Je ne pense pas que la Chine va sauver le Brésil ou d'autres pays d'Amérique latine. Je pense que les prochaines années apporteront de nombreux défis au gouvernement et qu'il y aura des luttes. Il est inévitable qu'il y ait des luttes parce que le pays est très inégalitaire.
Antoine Larrache : Quelles sont les relations actuelles entre le gouvernement et les mouvements sociaux ?
Ana Cristina Carvalhaes : Les mouvements de masse au Brésil sont dirigés par le PT, directement ou par l'intermédiaire de gens qui en sont très proches. Il y a quelques contre-exemples, comme le syndicat des professeurs d'université qui est dirigé par des gens de gauche, ou les liens que Boulos entretient avec des mouvements sociaux. Mais ce sont des phénomènes isolés. La grande différence avec ce qui s'est passé sous les précédents gouvernements du PT est que les dirigeants des mouvements de masse craignent l'extrême droite et donc se freinent d'eux-mêmes. Les enseignants du secteur public fédéral sont très en colère contre les plans du gouvernement. Mais ils disent : « qu'est-ce qu'on peut faire ? On ne va pas faire grève et affaiblir Lula ! ». Il y a des grèves mais au niveau des États. Et la semaine dernière par exemple, il y a eu deux jours de grève dans le métro de Sao Paulo.
Il y aura peut-être un phénomène de distanciation vis-à-vis du pouvoir mais ce serait alors un second cycle de ce type. Parce que le premier a eu lieu lors des premiers gouvernements du PT, qui ont duré treize ans. Il n'y a pas vraiment eu de lune de miel : après quelques crises dans différents secteurs, il y a eu un choc de rupture avec ce qui faisait la base de l'existence du PT. Ce choc a été provoqué par la réforme des retraites de 2003, lors duquel une grande partie des fonctionnaires des États et de l'État fédéral, ainsi que les fonctionnaires pauvres, ont rompu avec lui. Puis les relations ont continué à se dégrader, principalement avec Dilma. Au début de la crise de 2008, ils ont réussi à en contenir les effets mais à partir de 2012-13 ils n'y sont plus parvenus et le processus de discrédit du gouvernement s'est accentué. Ce processus a fait croître le PSOL, de façon limitée mais réelle.
Antoine Larrache : Peux-tu décrire les enjeux principaux du congrès du PSOL ?
Ana Cristina Carvalhaes : Le PSOL a tenu une grande assemblée de la direction élargie juste après l'élection de Lula. À cette assemblée, il y a eu un premier choc entre le courant majoritaire du parti, qui souhaite une relation encore plus étroite avec le gouvernement, et la minorité qui veut garantir l'indépendance du PSOL par rapport à celui-ci. La minorité a présenté une motion qui affirme le refus du PSOL de participer au gouvernement Lula. Les deux courants principaux qui forment la majorité, celui de Guilherme Boulos (Revolucão Solidária) et celui du précédent président du Parti (Primavera) ne voulaient pas d'une telle déclaration qui les aurait mis en grande difficulté alors que le gouvernement n'était même pas encore mis en place. Ils ont donc travaillé à une motion plus unitaire en faisant des concessions, notamment vis-à-vis de l'aile gauche du bloc majoritaire, dont font partie des camarades de la IVe Internationale. Ce courant, appelé Semente, reste allié à la majorité avec trois arguments fondamentaux : premièrement il faut l'unité, y compris avec le PT, face au danger fasciste – ce qui est juste ; deuxièmement le secteur minoritaire du parti veut une politique d'opposition au gouvernement – ce qui est faux ; et troisièmement la tactique nécessaire dans la période pour surmonter le petismo (pétisme, le soutien au projet politique historique du PT) est de miser sur la figure de Guilherme Boulos. Pour tenter d'influencer la majorité, Semente a réussi à obtenir une résolution majoritaire refusant de participer au gouvernement. C'est alors que le MES (3) et d'autres secteurs du bloc minoritaire du parti ont accepté de voter en faveur de la résolution majoritaire.
Cependant, cette déclaration d'intention est ambigüe : elle indique que le PSOL ne va pas participer au gouvernement, ne va pas y envoyer des membres en tant que représentant·es du PSOL, mais elle laisse des portes ouvertes à la participation de certains de ses membres en leur nom propre. Une exception était déjà acceptée par toutes les composantes du PSOL, celle de la participation au gouvernement de la dirigeante de l'Association des Peuples indigènes du Brésil, Sonia Guajajara, car c'était une demande explicite des peuples indigènes. Mais quand le gouvernement s'est formé, un autre membre du PSOL y est entré, un représentant du Mouvement des travailleurs sans toit (MSTT). Ce dernier est lié à Boulos. De plus, par la volonté de Boulos, il a été décidé que le groupe des député·es du PSOL ferait partie du groupe parlementaire du gouvernement. Le président du groupe est membre du PT et le vice-président membre du PSOL. L'ambiguïté de la résolution de décembre avait pour fonction de permettre ces choix.
Antoine Larrache : Et comment ce conflit sur la participation au gouvernement s'est-il reflété dans le Congrès du PSOL ?
Ana Cristina Carvalhaes : Dans la tradition du PSOL depuis sa création (2005), un congrès est organisé tous les deux ans. Il y a eu une interruption avec la pandémie – une longue interruption – même si on a tenu un congrès virtuel. Celui-ci était donc le premier congrès avec présence physique depuis 2017. L'objectif principal de ce congrès, pour la direction, était d'obtenir l'accord pour la participation au gouvernement. Un autre objectif, qui n'était pas avoué, était de se débarrasser de tou·tes ceux et celles qui y sont opposés. Pour bien comprendre les dynamiques, il faut comprendre, sans trop personnaliser, que Boulos est issu du mouvement social, du MSTT plus précisément, qui est un mouvement d'une grande valeur. Boulos s'appuie sur celui-ci et cela lui confère un poids important. Mais il a toujours voulu rejoindre un parti sans courant, sans opposition (4) . Ce n'est pas ce que voulaient ceux qui l'ont fait entrer dans le parti, mais il a toujours été comme ça, et ce n'est ni nouveau ni diffamatoire. C'est un leader important qui se situe à la gauche du PT, mais qui est plus proche du PT que de la tradition du PSOL. Il souhaite sans équivoque faire partie d'un gouvernement dirigé par le PT. Quant à l'autre grand groupe majoritaire, Primavera, il dirige la mairie de Belém dans la région amazonienne et s'inscrit dans la tradition politique des Fronts populaires des années 1930.
Les congrès du PSOL se déroulent selon un processus qui dure trois mois, avec des assemblées de quartiers, dans les grandes villes, des assemblées de districts qui élisent des délégué·es au niveau de l'État, de la province, et ces délégué·es élisent les délégué·es pour le congrès fédéral. Dans tout ce processus, on discute des positions politiques. Lors du congrès, un sujet important était un changement dans le fonctionnement de la direction. Au sein du bloc d'opposition, dont je fais partie, nous savions que notre poids allait diminuer dans ce congrès, en raison de l'intégration du groupe de Boulos depuis le congrès de 2017. Mais on espérait avoir au moins assez de votes pour peser sur ce qui en sortirait.
Depuis la fondation du PSOL, qui regroupe un grand nombre de groupes, il existe une tradition de construire sa stabilité autour de pactes, des accords larges de fonctionnement. Chez nous, le pacte historique avait été établi entre Primavera et le MES. Le premier tenait la direction et les postes principaux, l'autre tenait la trésorerie, même s'il ne tient pas les cordons de la bourse seul, car deux signatures étaient requises pour toutes les dépenses. C'était selon moi un bon pacte parce qu'il était fondé sur les résultats des congrès et permettait au parti de fonctionner. La direction autour de Boulos a voulu remettre en cause le pacte constitutif du PSOL dans un contexte où les partis sont très riches : la Fondation est un organe de propagande et d'éducation populaire qui, de par la loi, dispose de 20 % du budget du parti. Comme le président de la Fondation contrôle 20 % du budget du Parti, ce poste est de fait stratégique et s'impose comme le troisième dans la hiérarchie du Parti.
À la veille du congrès, la majorité a informé tout le monde que la Fondation ne ferait plus partie des postes de direction distribués sur une base proportionnelle, mais que sa direction serait nommée directement par la liste victorieuse. Il s'agissait d'un coup d'État visant à garantir que l'opposition non seulement perdrait le Congrès, mais serait également complètement exclue de la direction centrale. Pour l'essentiel, le seul secteur de la majorité qui s'est opposé à cette manœuvre a été Insurgencia, de Semente. Cela a provoqué un grand malaise au sein du bloc majoritaire, qui a été contraint de retirer la proposition. En fin de compte, la présidence de la Fondation reste parmi les postes de direction élus lors du congrès et restera donc, dans la pratique, à un·e membre du MES.
Antoine Larrache : Peux-tu expliquer les raisons plus profondes de ces conflits ?
Ana Cristina Carvalhaes : Je pense qu'il y a deux questions fondamentales combinées. Premièrement, la relation du parti avec le gouvernement, qui s'exprime par une tentative d'écraser ceux qui s'opposent à la participation. Face à cette situation politique, la direction du PSOL affirme que nous sommes dans une « période de front unique », que ce gouvernement est le nôtre, qu'il faut être avec lui et que ceux qui ne sont pas avec lui vont finir à la poubelle de l'histoire. Concrètement, les député·es du PSOL se sont divisés sur le vote du plan d'ajustement : 7 ont voté en sa faveur et 3 ont voté contre (les deux député·es du MES et un député indépendant). L'argument de Boulos, qui est le chef du groupe parlementaire, est qu'il faut toujours soutenir le gouvernement parce que l'extrême droite pourrait profiter de ses difficultés. Et, au congrès, le discours de Boulos a été le même : dans une assemblée, à propos des cuisines populaires que son mouvement avait créées pendant la pandémie et qui aujourd'hui sont financées par l'État, il a déclaré que ces cuisines étaient « bien plus socialistes que tous les discours de l'extrême gauche qui vont finir à la poubelle de l'histoire ».
Le deuxième problème est que le PSOL s'est enrichi, de sorte que prendre le contrôle total de la machine et de l'appareil du parti devient une question de vie ou de mort pour la majorité. Dans le contexte de la droitisation de la société et de tous les scandales de corruption de la période de 2014-15, une nouvelle loi a accordé des fonds très importants aux partis politiques. Cela change beaucoup de choses. Par exemple, le PSOL a reçu un fonds électoral de 99 millions de reals (20 millions de dollars) en 2022, contre seulement l'équivalent de 590 000 dollars lors de la campagne présidentielle de Plinio en 2010 – à quoi il faut ajouter le fonds permanent du parti de 774 000 dollars par mois (9,3 millions de dollars par an). C'est une montagne de fric. Cela change les rapports internes. (5)
Antoine Larrache : Au final, comment selon toi le PSOL se définira-t-il par rapport au gouvernement ?
Ana Cristina Carvalhaes : En fait, la victoire du bloc majoritaire actuel au Congrès est déjà une définition claire : la politique de ce bloc prévaudra, c'est-à-dire un soutien ouvert au gouvernement et une participation, si possible. Le problème est qu'à l'heure actuelle, il n'y a pas la moindre possibilité que Lula ouvre un espace plus important au PSOL, parce que, sous la pression de la droite au Congrès, il ne fait que limoger des ministres progressistes afin de donner plus de positions à la droite au sein du ministère. La situation actuelle convient aux dirigeants du PSOL, car ils peuvent à la fois soutenir le gouvernement et prétendre à l'autonomie.
Donc le congrès a été très conflictuel. Il y a une difficulté importante pour nous car les camarades de la IV sont séparé·es en deux, avec des points de vue très différents sur la direction du PSOL. La situation interne entre la majorité du PSOL et la minorité est très tendue, très conflictuelle, et je crois que les choses vont se renforcer.
Mais il faut bien maintenir la perspective d'un PSOL indépendant, car cette indépendance sera capitale à moyen terme.
Texte publié dans Inprecor n°174 (novembre 2023) et revu le 28 novembre 2023.
Notes
1. PCdoB est le Parti communiste du Brésil. À l'origine une scission pro-Cuba du Parti communiste, il a pris son autonomie et s'est rapproché du PT. Le PSOL a été fondé en 2004, après l'expulsion de parlementaires, notamment à la suite de leur vote contre la réforme des retraites et leur entrée en dissidence dans le PT au pouvoir. Le PSDB, Parti social-démocrate du Brésil, a été fondé en 1988 comme partisan de la « troisième voie » libérale représentée par Tony Blair, Bill Clinton et Gerhard Schröder. Il a été pendant de nombreuses années le principal parti de la droite brésilienne.
2. Les Yanomami constituent le plus grand peuple vivant de façon relativement isolée en Amérique du Sud. Ils vivent dans la forêt tropicale et les montagnes situées au nord du Brésil et au sud du Venezuela.
3. Le Movimento Esquerda Socialist (mouvement de la gauche socialiste) est organisation sympathisante de la IVe Internationale.
4. Guilherme Boulos est entré au PSOL en 2018 en tant que pré-candidat à la présidence de la République.
5. On peut ajouter aussi le fait que le PSOL est passé de 41 000 à 226 000 membres entre 2010 et 2022.
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Vœux pour la nouvelle année 2024, après la COP28

« Que le Grand Esprit de Justice puisse accueillir les appauvris et damnés de la Terre au paradis et condamner les dominants prédateurs à l'enfer »
Tiré de Pressenza
(Crédit image : bing / Pressenza)
17.12.23 - Bruxelles - Riccardo Petrella
Il faut arrêter d'accepter l'hypocrisie et le cynisme, une fois de plus des invités de marque à la table de la COP28. Certes, les grands prédateurs de la vie de la Terre peuvent fêter les conclusions qu'ils ont imposées au monde et qui vont tout droit dans la direction de leurs intérêts et priorités. Mais que penser des centaines de millions d'asiatiques du Sud, d'africains subsahariens, de moyen-orientaux, en particulier, victimes des grandes inondations et des grandes sécheresses dont la responsabilité primaire revient aux plus grands et riches producteurs d'énergies fossiles ? La COP28 a annoncé la création d'un fonds pour pertes et compensations (sic !) Les inondations record dont le Pakistan a été victime ont déplacé environ 33 millions de personnes et compromis les moyens de subsistance de la population avec la perte d'environ un million de têtes de bétail. En outre, elles ont emporté au moins un million de maisons et endommagé un tiers de terres agricoles (avec famine à l'horizon proche). Or les dernières estimations font état de dégâts pour plus de 30 milliards de dollars !
Quid, aussi, de la destinée de la majorité des habitants/paysans des 52 pays principales victimes de la dette spoliatrice qui les empêche de disposer de ressources financières pour mitiger et s'adapter aux conséquences néfastes du changement climatique. Revenons au Pakistan, ses créditeurs lui demandent de verser avant la fin de 2023 plus de 38 milliards de dollars au seul titre du service de la dette. Au Nigeria, le service de la dette s'élève à 60% du budget alors que la part de l'éducation ne représente que 5,6% et celle de la santé 4,6 !! La COP28 a fait le silence sur le drame mondial de la piraterie de la dette exercée par les pays riches sur les pays appauvris. Elle s'est limitée à renvoyer, hypocritement, aux solutions qui depuis trente ans ont démontré leur perversité et leurs insuffisances, parmi lesquelles la plus mystificatrice est sans doute la solution dite des « échanges dette-nature », un énième piège inventé par le génie financier du monde dominant.
Il n'y a rien non plus à fêter, c'est clair, par les milliards d'affamés, d'assoiffés, des sans couverture sanitaire (à ce jour, plus de 4 milliards d'êtres humains, dont 736 millions d'enfants sont en risque élevé de pénurie d'eau, c'est-à-dire, sans eau potable et manque d'hygiène) du fait que la COP 28 continue à apprécier que les pays riches manifestent encore l'intention d'allouer 100 milliards par an à un fonds pour l'aide aux pays « en développement » (sic), décision prise à Paris et qui devait être exécuté à partir de 2020 ! Or, la COP28, malgré les 4 ans de non-respect de l'engagement, s'est limitée à souhaiter que la concrétisation de l'engagement puisse commencer en 2024 ! Entre-temps la compagnie pétrolière ADNOC, propriété du président de la COP28 Al-Jaber, a décidé d'augmenter la production de pétrole de 600.000 barils par jour d'ici 2030 en investissant à cette fin plus de 150 milliards de dollars. Dans le même sens, les plans des principaux pays producteurs de combustibles fossiles prévoient d'augmenter leur production d'ici 2030 de 110% de plus que celle compatible avec la limite/objectif de 1.5°C.
Enfin, petite cerise du grand théâtre de l'irresponsabilité qui vient d'être joué à Dubaï, on nous dit qu'il faut exulter pour le fait que, pour la première fois depuis le lancement en 1993 par l'ONU des COP annuelles sur le changement climatique, les groupes dominants du monde (en particulier les groupes industriels et financiers privés) ont mentionné, 30 ans après, leur accord non pas pour la fin de l'utilisation des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz) mais pour une « transition hors les énergies fossiles », sans contraintes, volontaire, sans échéances datées, sans mention des montants des investissements nécessaires…
Congratulations aux groupes dominants. Ils ont réussi, grâce aussi aux médias de toute nature, à faire croire que nous tous, citoyens e citoyennes de divers continents de la planète, nous devons être de plus en plus contents du moins en moins d'engagements pris par eux en faveur des droits à la vie de tous les habitants de la terre et du droit de la vie de la communauté de vie de la Terre. C'est cela que les seigneurs de la finance prédatrice mondiale appellent « efficience ». Dormons tranquilles.
On peut, cependant, se poser une question. S'il a fallu 30 ans aux groupes dominants du monde pour mentionner leur accord en faveur d'un jeu de mots tel que « la transition hors énergies fossiles » au lieu de « sortie des énergies fossiles « (accompagné d'une panoplie considérable de lacunes, imprécisions et contradictions), combien d'années leur faudra-t-il pour parvenir à « zéro énergies fossiles » effectif ? Je préfère, en tout cas, ne pas attendre et obtenir que le Grand Esprit de Justice exauce mon vœux pour 2024 et qu'il « accueille (le moment venu) les appauvris et damnés de la Terre au paradis et condamne (le plus tôt possible) les dominants prédateurs à l'enfer ».
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« Historique » ! Les décisions de la COP28 sur le climat le sont-elles vraiment ?

« Accord historique ». C'est ainsi qu'est présenté le texte de décision de la COP28 validé ce mercredi 13 décembre, reprenant le qualificatif de la Présidence émiratie de la COP sans recul et distance critique. Si l'appel à une « transition hors des énergies fossiles » est évidemment un résultat positif, il comporte de nombreuses faiblesses qui en limite la portée. Explications.
La COP28 sur le réchauffement climatique de Dubai vient d'aboutir à plusieurs textes de décisions ce mercredi 13 décembre. Le plus commenté, le Global Stocktake, dont l'ambition était d'établir un bilan de la mise en œuvre l'accord de Paris de 2015, mentionne, pour la première fois dans une décision de COP, l'ensemble des énergies fossiles et « appelle » les Etats à une « transition hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques ».
Le président de la COP28, Sultan Al-Jaber, par ailleurs PDG d'une entreprise pétrolière, a immédiatement parler d'une décision « historique pour accélérer l'action climatique ». Ce terme, « historique », est désormais repris, souvent sans recul et sans distance critique, par de nombreux commentateurs et articles de presse. Ce post de blog rapide vise à en mesurer la portée et apporter quelques nuances (cf. la fin du texte pour préciser pourquoi je me pense légitime à écrire ces lignes)
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Il y a toujours plusieurs façons d'analyser le résultat d'une conférence internationale telle que la COP28 sur le climat :
en regardant le chemin parcouru : alors que les énergies fossiles, responsables de plus de 80% des émissions mondiales de CO2, n'avaient jamais été mentionnées dans les décisions de COP jusqu'à la COP26, pas plus que dans les accords internationaux qui en sont issus (Protocole de Kyoto, Accord de Paris etc), elles sont désormais mises à l'index comme une source d'énergie à laquelle il faut progressivement renoncer dans nos systèmes énergétiques : c'est un net progrès ;
- en regardant là où les Etats devraient déjà être parvenus : les études scientifiques, les rapports du GIEC, le rapport de 2021 de l'AIE montrent qu'il faudrait déjà avoir enclenché une décrue rapide dans la production et consommation des énergies fossiles (3% par an pour le gaz et le pétrole, 7% pour le charbon) et ne plus investir un euro dans l'exploration ou l'exploitation des énergies fossiles, et regarder la réalité : la production-consommation d'énergies fossiles continue pourtant à augmenter et les nouveaux investissements se poursuivent ;
- en regardant les faiblesses intrinsèques du texte de décisions lui-même : tant la nature de la décision prise – ce n'est pas un nouveau traité international organisant la sortie des énergies fossiles – que son contenu exact – nombreuses limites intrinsèques à l'effectivité des engagements pris – conduisent à éviter les superlatifs trop hâtifs et préférer la lucidité de l'analyse et l'exigence de mise en cohérence des politiques nationales ;
- en regardant les contradictions des Etats réclamant la sortie des énergies fossiles tout en continuant à mettre en œuvre des politiques publiques qui conduisent à en augmenter la production et la consommation d'énergies fossiles (nouvelles infrastructures pétro-gazières, nouvelles infrastructures de transports, nouveaux accords de libre-échange, etc), notamment dans les pays riches, et y compris en France (cf. cet article)
La décision de la COP28 est la reconnaissance des limites de l'Accord de Paris
Notons d'abord que le paragraphe sur les énergies fossiles que tout le monde commente n'est que l'un des 196 paragraphes de l'un des nombreux textes adoptés lors de la COP28. Notons également qu'il est inséré dans la partie « Mitigation » (réduction des émissions de gaz à effet de serre) du texte de bilan de la mise en œuvre l'accord de Paris de 2015, visant notamment à définir les « progrès collectifs à réaliser en vue des objectifs de long terme de l'Accord de Paris ». C'est la double reconnaissance :
- (explicite) qu'il ne saurait y avoir de lutte contre le réchauffement climatique à la hauteur des enjeux des objectifs de l'accord de Paris sans « transition hors des énergies fossiles » ;
- (implicite) que le silence de l'Accord de Paris à ce sujet est insoutenable et problématique.
Que dit le texte de décision de la COP28 à propos des énergies fossiles ?
Pour mesurer la portée d'un texte de décision de COP, il ne suffit pas de vérifier avec un Ctrl+F si les mots clefs sont présents. Il faut regarder le vocabulaire utilisé, notamment les verbes et locutions adverbiales, et regarder comment les paragraphes et les phrases s'enchainent. Cela peut-être technique. Essayons de l'expliciter ici simplement :
le terme « sortie des énergies fossiles » (« phasing out fossil fuels) que réclamaient plus de 100 Etats en cours de COP28 a été remplacé par un terme plus faible, et plus vague, de « transition hors des énergies fossiles » (transitioning away) ;
l'objectif de « transition hors des énergies fossiles » porte sur les seules « énergies fossiles » utilisées dans nos « systèmes énergétiques » : cette précision est importante car, selon le vocabulaire utilisé par les rapports du GIEC, « systèmes énergétiques » comprend l'énergie utilisée pour produire de l'électricité, du chauffage ou des carburants mais exclut par exemple l'énergie utilisée pour la production de plastique ; l'industrie du plastique est pourtant aujourd'hui un gros consommateur d'énergies fossiles ;
cet objectif de « transition hors des énergies fossiles » n'est positionné qu'au 4ème rang des 8 « efforts globaux » auxquels les Etats sont « appelés » à « contribuer », au même titre que des « efforts » de second rang et/ou discutables ;
peut-être la limite la plus importante : les Etats sont « appelés à contribuer » (« calls on Parties to contribute) à la « transition hors des énergies fossiles » : voilà des termes parmi les plus faibles du vocabulaire onusien pour exiger des Etats qu'ils prennent des décisions, contrairement à des termes tels que « urges », « requests » ou « decides » ;
tout aussi significatif : outre le verbe utilisé, il faut immédiatement regarder comment il est complété par des locutions adverbiales pour comprendre l'intention de la COP : ici, il est mentionné que cet « appel à contribuer » peut être réinterprété à l'aune des « circonstances nationales », ce qui en limite la portée : il n'y a ici ni plan d'action global, ni agenda, ni objectifs précis assignés aux Etats.

Illustration 2
Décision de la COP28 sur les énergies fossiles © @MaximCombes
Sur un autre paragraphe clef du texte (paragraphe 39 et 40), ce problème de vocabulaire adéquat est tout aussi manifeste : alors que toutes les études montrent que les politiques climatiques actuelles conduisent a minima vers 2,5°C, 3°C ou plus de réchauffement, le texte se limite à « encourager » (et pas « exiger » ou autre) les Etats donner plus d'ambitions à leurs politiques afin de respecter l'objectif des 1,5°C.
Efforts globaux sur les énergies fossiles minorés par de nombreux échappatoires
Plus largement, il faut remarquer que ce paragraphe portant sur les « efforts globaux » que les Etats sont « appelés » à engager sur les énergies fossiles :
- limite les efforts à fournir sur le charbon au seul charbon qui n'est pas associé à du captage et stockage de CO2 (« unabated » dans le langage des COP)
- limite aux seules subventions « inefficaces », sans que le terme ne soit jamais défini (ni à la COP28, ni au G20), les efforts de « sortie des subventions aux énergies fossiles », laissant la porte ouverte à ce qu'elles soient toutes poursuivies si les Etats les jugent efficaces ;
- ne fixe pas d'objectifs et d'agenda précis sur les émissions de méthane liées à l'exploitation et la consommation des énergies fossiles, alors que c'est décisif à court-terme ;
- donne beaucoup de place aux solutions technologiques : capture et stockage du CO2, hydrogène bas-carbone, véhicules à faibles émissions, etc ;
- ne fixe aucun agenda clair et engageant sur tous ces sujets
- ne prévoit pas de programme de travail afin de s'accorder sur des restrictions, des contraintes ou des interdictions à l'exploration et l'exploitation de nouveaux gisements.
L'industrie gazière et les Etats gaziers épargnés à la dernière minute ?
Il faut également noter, car c'est important et cela peut sans doute expliquer pour partie pourquoi les pays pétro-gaziers se sont résolus à accepter ce texte de décision de la COP28 : il a été ajouté dans la dernière nuit un paragraphe ad hoc, ie de même niveau que la totalité du paragraphe sur les énergies fossiles, qui « reconnaît le rôle que jouent les carburants de transition pour faciliter la transition énergétique ». Par « carburants de transition », l'industrie-pétro-gazière et les Etats producteurs entendent notamment le gaz fossile : ce paragraphe incite donc à poursuivre les investissements dans l'exploration, l'exploitation et la production de gaz fossile alors que les études et rapports montrent que la production de gaz fossile devrait décroître de 3% par an à compter de 2022.
Où sont les financements ? Où est le programme de travail permanent sur les énergies fossiles en vue d'un Traité international ?
Pour qu'une décision de COP soit opérationnelle, il ne faut pas seulement en rester à l'édiction de recommandations générales. Encore faut-il préciser comment elle doit s'appliquer, par qui, à quel moment et avec quels moyens. Qui dit vouloir une « transition hors des énergies fossiles » implique par exemple de savoir quels sont les Etats qui doivent l'appliquer immédiatement, lesquels plus tard. Et surtout avec quels moyens, et sur la base de quels principes les efforts vont être répartis entre les différents Etats (équité).
Les Etats du Nord, les plus riches, dont la richesse accumulée depuis deux siècles est pour partie fondée sur l'exploitation et la consommation d'énergies fossiles à bas coûts ne sauraient exiger un engagement sur la sortie des énergies fossiles des pays du Sud au même rythme et dans les mêmes conditions. A minima, cela nécessite des financements ad hoc. C'est par exemple ce que réclame la Colombie pour avancer dans le sens de la décision prise. Manifestement, ces financements ne sont pas là.
Ils sont pourtant essentiels. Au sujet des financements, souvenons-nous de la promesse que les pays riches avaient fait aux pays pauvres lors de la COP15 à Copenhague, à savoir 100 milliards de dollars d'argent public, additionnels et pérennes sur la table d'ici à 2020. Quatorze ans plus tard, ils ne sont toujours pas là. La décision de la COP28 le « note avec de profonds regrets ». Sans financements supplémentaires, il n'y aura pas de sortie des énergies fossiles : « No finance, no phase out ».
Pour avancer en ce sens, la communauté internationale ne saurait se dispenser d'un programme de travail permanent, de préférence au sein des COP, afin qu'il y ait désormais une négociation continue entre les Etats-membres pour définir l'ordre de priorité des gisements que l'on déciderait de ne plus exploiter, en vue d'un Traité international ad hoc. A titre de comparaison, cela a pris près de 30 ans pour la reconnaissance des pertes et dommages et la création d'un fonds pour les pays pauvres. Ce n'est pas ce que prévoit la COP28 dans son texte de décision.
Que va changer cette décision de COP28 ? Est-on véritablement sur la voie d'une « transition hors des énergies fossiles » ?
A ce stade, il faut immédiatement préciser que les décisions de COP ne sont pas de la même nature qu'un traité international tels que le Protocole de Kyoto ou l'Accord de Paris qui, une fois ratifiés par les Etats-membres, deviennent du droit international et entrent en application. La Convention cadre des Nations-Unies sur le réchauffement climatique (CCNUCC ou UNFCCC), qui est le cadre international dans lequel se déroulent les négociations climatiques internationales, n'est pas une organisation internationale qui décide de règles internationales s'appliquant aux Etats. La décision d'une COP n'est pas un Traité international. Du fait de l'Accord de Paris, les COP ont pouvoir d'émettre des recommandations sur les énergies fossiles, notamment parce que les objectifs de l'Accord de Paris de rester en deçà de 1,5 ou 2°C sont en danger, mais il ne s'ensuit pas qu'une décision de COP impose une obligation aux Etats.
La décision de la COP28 d'une « transition hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques » n'oblige aucun Etat à réduire, limiter ou interdire l'exploration ou l'exploitation des énergies fossiles sur son territoire national. Tous les nouveaux projets d'exploration ou d'exploitation annoncés ces dernier mois, au mépris des recommandations du GIEC ou de l'AIE, pourront légalement perdurer tant que cet appel à une « transition hors des énergies fossiles » n'est pas transformé dans du droit international via une modification de l'Accord de Paris et/ou la négociation d'un nouveau Traité international pour sortir des énergies fossiles. TotalEnergies & co n'ont pas obligation de mettre fin à leurs projets climaticides.
Conclusion (provisoire)
Ceci étant dit, cela ne signifie pas que cette décision de COP est sans effet. La COP28 de Dubai marque définitivement reconnaissance par la communauté internationale qu'il ne saurait y avoir de lutte contre le réchauffement climatique sans réduction de la consommation et de la production d'énergies fossiles. Cela constitue une avancée diplomatique majeure. Ne serait-ce que parce qu'elle disqualifie moralement et politiquement tous les projets d'exploration ou d'exploitation d'énergies fossiles récemment approuvés ou encore dans les cartons.
Puisque cette décision ne va pas devenir du droit international contraignant, du moins dans l'immédiat, il est de la responsabilité des chercheurs, de la société civile organisée, de l'opinion publique en général, et des pouvoirs publics bien intentionnés de se servir de cette décision de COP pour bloquer et enterrer des projets d'énergies fossiles en cours de déploiement. On peut commencer par la France (lire cet article)
BONUS : le jour où décision internationale sera prise de laisser 80% des énergies fossiles dans le sol, la cotation boursière de TotalEnergies, Shell, BP et consorts s'effondrera immédiatement. Ce n'est pas le cas :-)

La cotation de TotalEnergies suite à l'annonce de la décision de la COP28 © @MaximCombes
(je vous renvoie au livre Sortons de l'âge des fossiles pour savoir comment gérer cette légère difficulté).
D'où je parle : Engagé dans le suivi des négociations climatiques depuis le milieu des années 2000 – même si j'ai raté quelques COP depuis 2018, dont Dubai, j'ai toujours essayé de garder une distance critique envers les discours énonçant l'inutilité des COP d'un côté et envers ceux qui de l'autre nous promettent monts et merveilles des « COP de la dernière chance ». Par exemple, en 2009, avant la COP15 à Copenhague, j'étais un des rares en France à affirmer qu'elle ne serait probablement pas le succès qu'on nous annonçait malgré l'élection récente d'Obama, et en 2015, j'ai alerté bien avant la COP21 (dès Lima en 2014 -iciou ici ou ici), sur le fait que l'Accord de Paris en gestation comportait des failles telles qu'il ne saurait contenir le réchauffement climatique à 1,5°C ou 2°C, ce que nous constatons désormais avec clarté.
Précision : Ce papier, comme beaucoup d'autres, reposent sur de nombreux échanges avec des spécialistes de ces questions, notamment lorsqu'il s'agit de questions juridiques. Merci donc toutes celles et ceux qui m'aident à construire des analyses telles que celles-ci.
Maxime Combes, économiste et auteur de Sortons de l'âge des fossiles ! Manifeste pour la transition(Seuil, 2015) et co-auteur de « Un pognon de dingue mais pour qui ? L'argent magique de la pandémie » (Seuil, 2022).
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COP28 : l’Asie, l’OPEP et les énergies fossiles

La COP28 s'est conclue par un accord pour une « transition hors des énergies fossiles ». Après une longue bataille entre les partisans et les opposants d'une « suppression progressive » de ces énergies, l'imagination des négociateurs a permis de trouver une formulation moins contraignante qui permette d'aboutir à un consensus. Dans cette bataille, l'Asie s'est essentiellement cachée derrière l'OPEP, qui a mené la bataille des « pro-fossiles ». Une discrétion qui contraste avec celle de la COP27 où l'Inde et la Chine avaient dû sortir du bois pour éviter une formulation contraignante sur la suppression progressive du charbon. Quelles que soient les formulations, la fin du recours aux énergies fossiles reste un enjeu colossal pour tous.
Tiré de Asialyst
14 décembre 2023
Par Hubert Testard
Le président de la COP28 Sultan al-Jaber entouré du négociateur chinois Xie Zhenhua (à gauche) et de l'émissaire américain pour le climat John Kerry, le 9 décembre 2023 à Dubaï. (Source : Bloomberg)
Il aura fallu 28 COP pour que l'ensemble des énergies fossiles soient sur la sellette. Ce qui donne la mesure de la vitesse à laquelle la communauté internationale se mobilise face au changement climatique. L'accord final, dont chaque mot a été âprement négocié, prévoit d'effectuer une « transition hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques, d'une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l'action dans cette décennie cruciale, afin d'atteindre la neutralité carbone en 2050 conformément aux préconisations scientifiques. » L'idée d'accélération d'ici 2030 répond à la demande des Américains et des Européens, et aux recommandations de l'Agence internationale de l'énergie (AIE).
Le besoin d'accélérer est évident alors que les émissions de CO2 ont continué à progresser de 1,1 % en 2023, contre +0,9 % en 2022. Il faudrait, selon l'AIE, les réduire de 42 % d'ici 2030 pour rester sur une trajectoire compatible avec un réchauffement de la température mondiale limité à 1,5 degrés. Les progrès dans la composition du mix énergétique ont été très lents, et l'Asie-Pacifique n'est pas en tête de cette course de tortues, malgré le développement rapide des énergies nouvelles en Chine, en Inde et ailleurs.
Les énergies fossiles toujours incontournables
Depuis 1990, la part des énergies fossiles dans le mix énergétique mondial n'a diminué que de cinq points, passant de 86,9 % en 1990 à 81,8 % en 2022.
Source : "Our world in data".
Le Moyen-Orient ne progresse pas du tout et reste quasi exclusivement fossile (98,5 %). L'Asie-Pacifique avait en 1990 un mix énergétique plus tourné vers les énergies fossiles que la moyenne mondiale. Elle a progressé un peu plus vite vers la décarbonation, avec une diminution de 6,4 points de la part des énergies fossiles, comparable à celle de l'Amérique du Nord. Mais elle reste au-dessus de la moyenne mondiale. Le seul continent qui progresse de façon plus sensible est l'Europe (une diminution de 12,7 points), avec des énergies fossiles qui restent toutefois dominantes (seule la France est à 50 % grâce au nucléaire), malgré les multiples engagements pris depuis la conférence de Kyoto en 1997. Les débats de la COP28 visaient en pratique à progresser vingt fois plus vite vers la décarbonation d'ici 2050 que durant les trente années passées, ce qui soulève un sérieux problème de faisabilité.
L'OPEP était cette fois-ci au premier rang de la résistance au changement. Car si la COP27 s'était concentrée sur une seule énergie fossile qui était le charbon, la COP28 étend le champ de la transition énergétique au pétrole et au gaz. Or la quasi-totalité du mix énergétique du Moyen-Orient repose sur le gaz (52 %) et le pétrole (46 %). L'Asie-Pacifique vient en seconde ligne car son mix énergétique inclut d'abord le charbon (47 %), loin devant le pétrole (25 %) et le gaz (12 %). Les pays asiatiques ont pu s'abriter derrière la résistance des pays du Moyen-Orient pour éviter des formulations trop contraignantes dans le texte final de la Conférence.
La Chine avance à pas comptés
La Chine s'est voulue « constructive » dans la phase de préparation de la COP28 comme dans son déroulement. La déclaration conjointe avec les États-Unis du 15 novembre dernier – appelée « Sunnylands statement » – convient qu'il faut poursuivre les efforts en vue de tripler les capacités de production d'énergies renouvelables d'ici 2030. Pour autant, la Chine n'a pas rejoint l'engagement global sur les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique signé par 120 pays en marge de la COP28, dont l'UE et les États-Unis. Cet engagement porte précisément sur un triplement des capacités installées d'énergie renouvelable et sur un doublement de l'efficacité énergétique d'ici 2030. La Chine ne l'a sans doute pas signé car il va au-delà des objectifs du 14ème plan chinois en matière d'efficacité énergétique (qui ne seront probablement pas atteints). Surtout, il fait mention d'une « suppression progressive » du charbon, avec l'engagement d'un arrêt des nouvelles centrales à charbon.
La Chine est en 2023 le principal responsable de la hausse des émissions de CO2 dans le monde, avec une progression de 4 % de ses propres émissions. Elle planifie toujours une augmentation des capacités installées de ses centrales à charbon de 250 Gigawatts d'ici 2030, ce qui dépasse le niveau total des capacités installées de l'Inde, deuxième utilisateur mondial du charbon. La seule bonne nouvelle est que l'expansion des capacités d'énergie renouvelable se poursuit à un rythme très rapide. Selon Lauri Millyvirta, un expert de l'ONG Carbon Brief, la Chine devrait commencer à réduire de façon structurelle le niveau de ses émissions de CO2 à partir de 2024 grâce à l'impact de ses investissements dans le renouvelable.
Pékin vient d'annoncer avec un an de retard un plan de réduction de ses émissions de méthane, qui faisait partie des engagements pris avec les États-Unis à la veille de la COP27. Ce plan comporte certains objectifs sectoriels – par exemple, réutiliser 85 % des émissions de méthane liées à l'élevage d'ici 2030 – mais n'inclut aucun engagement global de réduction. Pour une raison simple : plus de 40 % des émissions de méthane chinoise sont liées à l'activité des mines de charbon.
Dans les négociations, le chef de la délégation chinoise, Xie Zheng Hua, s'est opposé à tout langage trop contraignant sur la « suppression progressive » des énergies fossiles, tout en se montrant prêt à accepter différentes formules de compromis.
La Chine s'est par ailleurs gardée de participer au fond de réparation des dommages climatiques destiné aux pays les plus fragiles, qui a été rendu opérationnel le premier jour de la conférence. Une position qui soulève de plus en plus de critiques. La distinction trop simpliste entre pays développés et pays en développement qui fonde l'équilibre des engagements en matière de climat ne reflète manifestement pas la répartition par pays des émissions mondiales. La Chine, proche du seuil des pays à hauts revenus, et qui représente plus de 30 % des émissions mondiales, ne va pas pouvoir longtemps éluder ses responsabilités à l'égard de pays les plus pauvres et les plus exposés aux risques climatiques.
L'Inde s'oppose à toute contrainte sur sa politique énergétique
La délégation indienne avait imposé un affaiblissement de la déclaration de Glasgow (COP27) l'an dernier concernant le charbon. Dans le texte final de la conférence, « l'élimination progressive » du charbon avait été remplacée par « la réduction progressive » du charbon. Cette position a été réaffirmé lors de la visite de Narendra Modi à Dubaï début décembre. Son ministre des Affaires étrangères a rappelé que « le charbon est et restera une partie importante du mix énergétique indien ». En clair, l'Inde n'a pas l'intention de compromettre sa stratégie de développement économique par des engagements internationaux contraignants. Alors que Narendra Modi s'est publiquement engagé à un triplement des capacités d'énergie renouvelable du pays d'ici 2030, son pays n'a, pas plus que la Chine et pour les mêmes raisons, accepté de se joindre aux 120 pays signataires de l'engagement global sur les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique.
Les émissions de CO2 de l'Inde ont connu une progression record en 2023 : + 8,2 % et + 10 % pour les émissions liées aux centrales à charbon. Le ministre de l'Électricité indiquait le 23 novembre dernier, lors d'une réunion avec les compagnies d'électricité du pays, qu'il faudrait ajouter 80 GW de centrales à charbon d'ici 2030 au-delà des 27GW déjà en construction, soit une progression de près de 40 % du parc installé. On est encore loin de la « réduction progressive » convenue lors de la COP27 ou de la « transition accélérée » de la COP28.
Le Japon déploie une vision « technologique » de la décarbonation
La politique du gouvernement japonais porte le nom de « Code GX » (pour « Green transformation »). Ce plan insiste sur les technologies dites de « charbon propre », qui passent notamment par la capture et le stockage du carbone (carbon capture and storage ou CCS en anglais) émis par les centrales thermiques, ou la cogénération à base d'ammoniaque et de charbon. Le Japon, avec 54GW de capacités installées, dispose du quatrième parc mondial de centrales au charbon derrière la Chine, l'Inde et les États-Unis. Il prévoit encore une augmentation limitée de ses capacités jusqu'en 2030.
Le gouvernement japonais a invité en mars dernier une dizaine de pays d'Asie-Pacifique à créer une communauté asiatique de la neutralité carbone (« Asia net zero community »). Le communiqué conjoint publié à l'issue de cette réunion fait la part belle aux solutions technologiques promues par l'industrie japonaise : hydrogène, ammoniaque, CCS…
Le débat sur la captation et le stockage du carbone a été vif lors de la COP28. Les partisans du CCS ne se limitent pas aux Japonais. Ils incluent les majors de l'industrie pétrolière américaine comme Exxon Mobil, dont le PDG Darren Woods est venu pour la première fois participer à une COP. L'Agence internationale de l'énergie considère pour sa part comme « illusoire » l'idée qu'une montée en puissance du CCS puisse constituer une solution, en raison de nombreux problèmes techniques et de coûts beaucoup plus élevés que ceux des énergies renouvelables. Le représentant américain pour le climat John Kerry est sur une ligne assez proche, même s'il essaie de prendre en compte les intérêts de l'industrie pétrolière américaine. Il a qualifié le recours exclusif au CCS comme une solution « dangereuse et inquiétante ». Emmanuel Macron lors d'une conférence de presse à Dubaï a qualifié de « marginal » l'apport de la captation et du stockage de carbone à la transition énergétique. Pour lui, cette solution ne doit pas entraver l'effort international de sortie des énergies fossiles, et il serait beaucoup plus utile d'agir sur la déforestation. La campagne pour une décarbonation « technologique » lancée par le Japon est par ailleurs vue par de nombreuses ONG comme une offensive des groupes industriels japonais en vue de limiter l'effort de sortie des énergies fossiles.
L'Asie reste prudente dans ses engagements internationaux sur le nucléaire civil
À l'initiative de la France et des États-Unis, une déclaration sur le triplement des capacités nucléaires civiles à l'horizon 2050 a été adoptée en marge de la COP28. Cette déclaration a été signée par 23 pays dont neuf pays membres de l'Union européenne et trois pays d'Asie-Pacifique : le Japon, la Corée du Sud et la Mongolie. Là encore, la Chine et l'Inde n'ont pas signé cette déclaration pour le moment. La part du nucléaire est passée de 6 % du mix énergétique mondial en 1990 à 4 % seulement en 2022. La relance du secteur ne fait pas consensus (on pense notamment à l'Allemagne), mais l'idée que le nucléaire puisse contribuer à la transition énergétique gagne du terrain.
La Chine a une capacité nucléaire installée déjà comparable à celle de la France, avec vingt centrales supplémentaires en construction. Elle est probablement l'un des rares pays à être capable de tripler son parc nucléaire d'ici 2050 et prévoit déjà de le doubler avant 2035. Rien ne s'oppose donc à ce qu'elle signe l'engagement de Dubaï, si ce n'est sa réticence à prendre des engagements internationaux qui puissent constituer une contrainte pour sa politique énergétique.
L'Inde est dans une situation comparable. Son parc nucléaire actuel est assez modeste (7 GW contre 57 GW pour la Chine et 63 GW pour la France). Mais ses projets de construction en cours ou annoncés pourraient tripler les capacités nucléaires du pays d'ici 2035 ou 2040.
Le Japon n'utilise actuellement que le tiers de ses trente-trois centrales nucléaires, en raison du choc durable provoqué par l'accident nucléaire de Fukushima. Ses projets de construction sont limités, et sa participation à la déclaration de Dubaï a pour le moment une portée plus symbolique que réelle.
La Corée du Sud a des projets de construction de centrales plus actifs que le Japon, lui permettant d'augmenter d'environ 30 % ses capacités nucléaires d'ici 2035. Au total, les signataires asiatiques de la déclaration de Dubaï sur le nucléaire ne sont pas ceux qui ont une chance d'atteindre l'objectif fixé.
Globalement, la prudence des pays asiatiques dans les débats de la COP28 reflète à la fois des réflexes de souveraineté et un réalisme sur les ambitions qui tranche avec le volontarisme européen. Le texte final de la Conférence a le mérite principal de souligner le rôle central des énergies fossiles dans le réchauffement climatique. Il fixe un horizon et tente d'impulser une accélération. L'Asie-Pacifique, avec 53 % des émissions de gaz à effet de serre et 90 % de leur progression depuis 2015, sera déterminante pour faire de cet objectif une réalité.
Par Hubert Testard
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COP 28 : Non au colonialisme vert, Non aux fausses solutions du capitalisme vert, Non à la normalisation verte, Pour la souveraineté des peuples sur leurs territoires

Tous les rapports officiels sur le climat, y compris le rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), confirment l'aggravation de la crise climatique mondiale associée au réchauffement climatique et le fait que nous sommes terriblement proches du point de non-retour fixé, par son rapport spécial de 2018, à 1,5 degrés Celsius. Ces phénomènes seront multipliés par cinq si les émissions de gaz à effet de serre poursuivent leur tendance, selon le même rapport.
13 décembre 2023 | tiré du site du CADTM
https://www.cadtm.org/COP-28-Non-au-colonialisme-vert-Non-aux-fausses-solutions-du-capitalisme-vert
Ces transformations profondes bien réelles sont liées à la pollution accélérée de l'atmosphère qui accompagne le développement du système capitaliste mondial depuis le milieu du XIXe siècle, notamment en Europe et aux États-Unis. Elles sont qualifiées par les scientifiques comme une nouvelle ère de l'histoire géologique Anthropocène ou plus précisément Capitalocène.
Les changements climatiques liés au réchauffement climatique ne sont pas seulement des pronostics pour l'avenir, ils sont présents depuis longtemps et s'incarnent notamment dans des phénomènes extrêmes tels que les inondations, les incendies de forêt et les fortes canicules. Ces phénomènes augmentent en fréquence et en intensité dans de nombreuses régions du monde : inondations en Belgique et en Allemagne en 2022, incendies de forêt en Turquie, en Algérie et au Maroc, pour ne citer que ceux-là.
Malgré la catastrophe et l'urgence de la crise, essentiellement liée au système de production, de distribution et de consommation capitaliste imposé à la majorité par des minorités parasitaires mondiales et locales, les classes dominantes poursuivent leurs opérations de greenwashing et leurs tentatives pour tirer profit de cette crise pour réaliser plus de profits.
Les voilà qu'ils tiennent le sommet COP28 du 30 novembre au 12 décembre 2023 à Dubaï aux Émirats arabes unis, le pays qui a le deuxième taux de pollution le plus élevé au monde par rapport à sa population. Ils ont osé et accepté de céder la présidence de la COP28 à Sultan Al Jaber, président-directeur général d'Abu Dhabi Petroleum Company, l'une des plus grandes sociétés pétrolières au monde. Les Émirats arabes unis sont également l'un des États les plus répressifs au monde, notamment les libertés d'organisation des syndicats et des associations.
Le Maroc, avec les pays non pétroliers d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient, est considéré comme un symbole d'injustice environnementale, car sa contribution aux émissions de gaz à effet de serre est très faible par rapport à des pays comme les États-Unis d'Amérique et les Emirats Arabe Unies. Malgré cela, c'est l'un des pays les plus touchés par les effets de ces changements et parmi les moins préparés à leur faire face. La baisse des précipitations, la succession des années de sécheresse et leur gravité croissante, ainsi que la succession des inondations et leurs incidences croissantes ces dernières années, sont considérées comme les expressions les plus importantes de ces transformations dans notre pays.
Le régime marocain est considéré comme le premier allié du colonialisme vert, dans la mesure où il permet aux entreprises internationales et aux classes dirigeantes de s'accaparer les terres et des territoires sous prétexte de transition énergétique, avec pour conséquence le déplacement et l'oppression des populations, comme cela s'est produit à Midelt où 5 000 hectares de terres ont été expropriés aux autochtones, et avant cela, le cas de Ouarzazate où 3 000 hectares ont été expropriés, et il y en a d'autres... représentés par les projets à venir, comme celui de Total Energy dans la région de Guelmim, où 150 hectares seront expropriés.
Malgré les investissements massifs réalisés par les gouvernants dans des projets d'énergies renouvelables, notamment solaires et éoliennes, financés directement par le budget public ou à travers le mécanisme de la dette, la part de ces énergies ne dépasse pas 20% de l'énergie totale produite pour l'année 2021.Ce pourcentage ne dépasse pas 8% de l'énergie primaire dominée par les produits pétroliers comme l'essence et le gasoil importés exclusivement par des sociétés privées dominées par celles du groupe d'Aziz Akhannouch (un milliardaire et chef du gouvernement actuel au Maroc), puis par les groupes Total et Shell. Le processus de privatisations du secteur énergétique au Maroc depuis la fin des années 1990, et son approfondissement avec le lancement des projets dits verts et la loi n°13-09 relative aux énergies renouvelables, ont abouti à un contrôle quasi total du secteur par le capital privé avec 78% de la production d'énergie électrique.
Les dirigeants marocains affirment donc leur intention de mener une transition énergétique en investissant environ 70 milliards de dirhams depuis le début du plan en 2009. Mais la réalité est que ce plan et la prétendue transition verte ne sont qu'un prétexte pour réaliser davantage de profits. Nous pourrons avancer l'exemple du contrat de la centrale solaire de Midelt dont a bénéficié la société « Green of Africa » company, propriété d'Akhannouch en partenariat avec EDF France et Masdar de l'Émirats Arabes Unies. Il y a aussi celui de la société Nareva du groupe Al Mada - anciennement ONA – qui contrôle à plus de 90 % le marché de l'énergie éolienne au Maroc.
Le régime marocain est également l'un des partenaires les plus importants de l'entité sioniste dans ce secteur, dans ce que l'on peut appeler une normalisation verte, à travers l'implication d'entreprises israéliennes dans des projets verts au Maroc, notamment ENLT et NewMed.
La position du Maroc au sommet de la COP28
À l'exception de la signature de nouveaux traités et accords commerciaux coloniaux portant sur des projets plus extractifs orientés vers l'exportation d'énergie verte vers l'Europe et des déclarations d'intention envers l'Afrique, il est difficile de clarifier la position des négociateurs marocains sur les questions les plus importantes soulevées à le sommet de Dubaï, notamment : l'arrêt de l'extraction des énergies fossiles, l'évaluation des engagements de l'Accord de Paris, le manque d'engagement des pays, les États-Unis d'Amérique en tête, et la question des réparations et du fonds d'indemnisation.
Les grandes puissances font pression pour que ce fonds, s'il est créé, soit remis à la Banque mondiale qui a joué et continue de jouer un rôle colonial aux côtés du Fonds monétaire international. Ces deux institutions portent une responsabilité majeure dans la détérioration du niveau de vie de millions de personnes dans le monde et dans la destruction de nombreux écosystèmes en encourageant par des financements des politiques extractives. Ils portent également une responsabilité historique dans la crise climatique globale en soutenant et en finançant des projets polluants. C'est ce qui a été dénoncé énergiquement par les mouvements sociaux mondiaux dans leur sommet à Marrakech contre les réunions annuelles de ces deux institutions en octobre dernier (2023).
Nous à ATTAC CADTM Maroc, alors que nous joignons notre voix à celles du mouvement mondial luttant pour la justice climatique et contre toutes les formes de colonialisme vert, considérons que toute transition écologique juste nécessite :
• La rupture avec l'illusion du rattrapage ou le calquage du modèle de développement capitaliste occidental qui n'a pas abouti socialement et qui est impossible à généraliser écologiquement.
• Faire payer la facture de la transition environnementale aux responsables du désastre : les multinationales, les États impérialistes et les « élites » locales qui pillent.
• Arrêter et annuler le paiement des dettes financières publiques illégitimes.
• Assurer la souveraineté des populations locales sur les décisions à chaque étape du processus de transition écologique : conception, mise en œuvre, exploitation, stockage, distribution, etc.
• Établir une alliance entre tous les acteurs directement concernés au sein des populations, les travailleurs, les usagers, etc.
• Donner la priorité aux alternatives décentralisées et conçues à petite échelle visant à répondre aux besoins fondamentaux de la majorité, tout en respectant le potentiel de régénération des écosystèmes.
• Développer des alliances écologiques régionales basées sur les principes de complémentarité, de solidarité et d'intérêt commun.
Rabat, le 8 décembre 2023
Secrétariat National
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La COP28 d’accord pour en finir avec les fossiles - mais pas trop vite

La COP28 a évité l'échec, au terme d'une nuit blanche de négociation. L'accord mentionne la « transition hors des énergies fossiles ». Mais sans date ni obligation. Dubaï (Émirats arabes unis), reportage
13 décembre 2023 | tiré de reporterre.net | Photo : La salle éclate en applaudissements. Le président de la COP28, Sultan Al Jaber, a frappé le coup de marteau signifiant qu'un accord était adopté.
https://reporterre.net/La-COP28-d-accord-pour-en-finir-avec-les-fossiles-mais-pas-trop-vite
Au terme d'une folle journée de mardi, cadencée par les séances plénières, les réunions bilatérales, les rumeurs, la présidence a proposé tôt le matin une nouvelle version du projet de décision. ll a été adopté au cours de la séance plénière qui s'est achevée à 11 heures (heure de Dubaï). Pour la première fois dans un accord issu d'une de ces COP, le texte appelle à une « transition hors des énergies fossiles ». La formulation tient en quelques lignes qui ont été rédigées mot à mot au cours d'âpres négociations nocturnes : le texte appelle les États à « opérer une transition hors des combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques [transitioning away from fossil fuels in energy systems], d'une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l'action au cours de cette décennie cruciale afin d'atteindre le niveau zéro d'ici 2050 » (article 28).
Les objectifs consensuels sont bien là : triplement des capacités de production mondiale des énergies renouvelables (électriques et biomasse) entre 2023 et 2030, doublement du rythme d'amélioration de l'efficacité énergétique (qui passerait donc à 4 %/an). Plus délicat, étant donné la place que pèse encore le charbon dans de nombreux pays, notamment en Asie, l'accélération de la diminution du nombre de centrales au charbon non équipées de systèmes de captage.
Les secteurs du fret maritime et du transport aérien ne sont pas oubliés : il leur est recommandé d'utiliser des carburants bas et zéro carbone bien avant ou aux alentours de 2050.
L'accord emploie une formule alambiquée à propos de la sortie des énergies fossiles : les États pétroliers s'opposaient jusque là à cette idée, d'où leblocage de la négociation les jours derniers). Elle suggère d'accélérer la décarbonation des systèmes énergétiques de sorte qu'ils atteignent la neutralité carbone au mitan du siècle. Cela peut s'interpréter comme une sortie progressive des énergies fossiles ; laquelle devra se faire « orderly » et de manière équitable. Traduction : chacun pourra le faire à son rythme et selon ses méthodes, sans aucune contrainte.
Pour aider les décideurs à décarboner leur bouquet énergétique, la présidence émirienne a aussi proposé une série de modes de production d'énergie labellisés « bas carbone » : renouvelables et nucléaire (l'inclusion de l'énergie nucléaire dans l'accord est une victoire pour legouvernement français !). Le texte mentionne aussi des technologies d'extraction du CO₂, telle que le captage-stockage géologique (CSC) et l'hydrogène « bas carbone ». Elles ne devront être utilisées que pour les secteurs industriels difficiles à décarboner : sidérurgie et cimenterie en tête.
Autre point notable, à l'attention des producteurs de gaz et de système de climatisation : il faudra accélérer « de manière substantielle » la baisse des émissions de gaz à effet de serre autres que le gaz carbonique. Comprendre : le méthane (principal composant du gaz naturel) et les fluides frigorigènes qui comptent parmi les gaz à effet de serre les plus puissants qui soient.
Les transports routiers ne sont pas oubliés : ils devront, eux aussi, abattre leurs rejets carbonés. Et en la matière, la voie est toute tracée pour l'électrification du parc automobile mondial. En pointe dans ce domaine, la Chine et l'Europe sont aux anges.
Déjà présent dans les précédentes versions, le couplet sur la fin des « subventions aux énergies fossiles inefficaces », dès que possible, est toujours là. Et l'on ignore toujours leur définition précise. Pourront être maintenues, en revanche, les aides publiques aux précaires énergétiques et à la transition énergétique « juste ».
Un paragraphe qui « reconnaît que l'utilisation transitoire » de carburants ou combustibles fossiles peut jouer un rôle dans la transition énergétique et le renforcement de la sécurité d'approvisionnement a été ajoutée à la demande du Groupe Afrique dont de nombreux États membres privilégient leur développement, quitte à consommer leurs hydrocarbures, à la baisse des émissions. Cette position a notamment été défendue par Adonia Ayebare, chef de la délégation ougandaise.
Les pays en développement ont besoin de plus de 200 milliards de dollars par an pour s'adapter au réchauffement

Séance plénière finale le 13 décembre à Dubaï - © Giuseppe Cacace/AFP
Le texte consacre un chapitre à l'adaptation, sujet majeur pour les pays en développement. Il appelle les gouvernements à accroître leurs ambitions, à réduire les risques de ruptures d'approvisionnement en eau. Ce qui suppose de développer une agriculture résiliente aux effets du réchauffement. Novateur, le texte appelle les pouvoirs publics à se pencher sur les conséquences sanitaires du réchauffement, notamment dans les populations défavorisées.
Il appelle aussi les gouvernements à se doter de plans nationaux d'adaptation. Ces documents devraient mentionner les risques inhérents à chaque pays et les outils mis en œuvre pour y faire face. Il n'y a pas d'urgence : la première échéance est fixée à 2030.
« Regrettant » que les pays occidentaux n'aient pas tenu leur promesse de verser 100 milliards de dollars par an, entre 2020 et 2023, aux nations les plus vulnérables, le texte appelle les pays les plus développés à accroître leurs soutiens pour financer l'adaptation des pays en développement. Leurs besoins sont déjà importants : entre 215 et 387 milliards de dollars par an jusqu'à 2030.
« Ce n'est pas une décision historique »
Dès le début de la matinée, le projet de décision avait reçu le soutien de l'Union européenne. Ce projet apporte des améliorations « conséquentes », estimait le chef des négociateurs de l'UE, Wopke Hoekstra, pour qui « c'est le début de la fin des énergies fossiles ».
De son côté, l'Arabie Saoudite a entraîné avec elle les autres pays membres de l'OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole). La plupart des membres du Groupe Afrique étaient, eux aussi, favorables à la version finale. Mais les ONG environnementales voient l'accord en demi-teinte. « C'est un signal important que toutes les énergies fossiles soient citées dans le texte mais cela n'est pas encore la décision historique dont les populations, notamment les plus vulnérables, ont besoin. Les négociations ne peuvent plus ignorer les avertissements lancinants que nous avons entendus ces derniers jours de la part des représentants des petits États insulaires », indiquait Gaïa Febvre, responsable des politiques internationales au Réseau Action Climat.
D'autres groupes étaient moins enclins à le signer des deux mains. S'exprimant au nom du Coalition de la Haute Ambition (HAC), le ministre du climat de l'Irlande a estimé que « tout le monde a des problèmes avec ce texte. » Un point de vue partagé par la Zambie, le Bangladesh, le Brésil, les États-Unis et le Canada.
Mais l'échec n'était pas envisageable. Tout le monde a donc approuvé. Entérinant le début de la fin des énergies fossiles...
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COP28 : l’Asie, l’OPEP et les énergies fossiles

Le président de la COP28 Sultan al-Jaber entouré du négociateur chinois Xie Zhenhua (à gauche) et de l'émissaire américain pour le climat John Kerry, le 9 décembre 2023 à Dubaï. (Source : Bloomberg)
Le président de la COP28 Sultan al-Jaber entouré du négociateur chinois Xie Zhenhua et de l'émissaire américain pour le climat John Kerry, le 9 décembre 2023 à Dubaï. (Source : Bloomberg)
La COP28 s'est conclue par un accord pour une « transition hors des énergies fossiles ». Après une longue bataille entre les partisans et les opposants d'une « suppression progressive » de ces énergies, l'imagination des négociateurs a permis de trouver une formulation moins contraignante qui permette d'aboutir à un consensus. Dans cette bataille, l'Asie s'est essentiellement cachée derrière l'OPEP, qui a mené la bataille des « pro-fossiles ». Une discrétion qui contraste avec celle de la COP27 où l'Inde et la Chine avaient dû sortir du bois pour éviter une formulation contraignante sur la suppression progressive du charbon. Quelles que soient les formulations, la fin du recours aux énergies fossiles reste un enjeu colossal pour tous.
13 Décembre 2023 mise à jour 14 décembre | tiré du site asialyst.com
https://asialyst.com/fr/2023/12/13/cop28-asie-opep-energies-fossiles/
Il aura fallu 28 COP pour que l'ensemble des énergies fossiles soient sur la sellette. Ce qui donne la mesure de la vitesse à laquelle la communauté internationale se mobilise face au changement climatique. L'accord final, dont chaque mot a été âprement négocié, prévoit d'effectuer une « transition hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques, d'une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l'action dans cette décennie cruciale, afin d'atteindre la neutralité carbone en 2050 conformément aux préconisations scientifiques. » L'idée d'accélération d'ici 2030 répond à la demande des Américains et des Européens, et aux recommandations de l'Agence internationale de l'énergie (AIE).
Le besoin d'accélérer est évident alors que les émissions de CO2 ont continué à progresser de 1,1 % en 2023, contre +0,9 % en 2022. Il faudrait, selon l'AIE, les réduire de 42 % d'ici 2030 pour rester sur une trajectoire compatible avec un réchauffement de la température mondiale limité à 1,5 degrés. Les progrès dans la composition du mix énergétique ont été très lents, et l'Asie-Pacifique n'est pas en tête de cette course de tortues, malgré le développement rapide des énergies nouvelles en Chine, en Inde et ailleurs.
LES ÉNERGIES FOSSILES TOUJOURS INCONTOURNABLES
Depuis 1990, la part des énergies fossiles dans le mix énergétique mondial n'a diminué que de cinq points, passant de 86,9 % en 1990 à 81,8 % en 2022.

Le Moyen-Orient ne progresse pas du tout et reste quasi exclusivement fossile (98,5 %). L'Asie-Pacifique avait en 1990 un mix énergétique plus tourné vers les énergies fossiles que la moyenne mondiale. Elle a progressé un peu plus vite vers la décarbonation, avec une diminution de 6,4 points de la part des énergies fossiles, comparable à celle de l'Amérique du Nord. Mais elle reste au-dessus de la moyenne mondiale. Le seul continent qui progresse de façon plus sensible est l'Europe (une diminution de 12,7 points), avec des énergies fossiles qui restent toutefois dominantes (seule la France est à 50 % grâce au nucléaire), malgré les multiples engagements pris depuis la conférence de Kyoto en 1997. Les débats de la COP28 visaient en pratique à progresser vingt fois plus vite vers la décarbonation d'ici 2050 que durant les trente années passées, ce qui soulève un sérieux problème de faisabilité.
L'OPEP était cette fois-ci au premier rang de la résistance au changement. Car si la COP27 s'était concentrée sur une seule énergie fossile qui était le charbon, la COP28 étend le champ de la transition énergétique au pétrole et au gaz. Or la quasi-totalité du mix énergétique du Moyen-Orient repose sur le gaz (52 %) et le pétrole (46 %). L'Asie-Pacifique vient en seconde ligne car son mix énergétique inclut d'abord le charbon (47 %), loin devant le pétrole (25 %) et le gaz (12 %). Les pays asiatiques ont pu s'abriter derrière la résistance des pays du Moyen-Orient pour éviter des formulations trop contraignantes dans le texte final de la Conférence.
LA CHINE AVANCE À PAS COMPTÉS
La Chine s'est voulue « constructive » dans la phase de préparation de la COP28 comme dans son déroulement. La déclaration conjointe avec les États-Unis du 15 novembre dernier – appelée « Sunnylands statement » – convient qu'il faut poursuivre les efforts en vue de tripler les capacités de production d'énergies renouvelables d'ici 2030. Pour autant, la Chine n'a pas rejoint l'engagement global sur les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique signé par 120 pays en marge de la COP28, dont l'UE et les États-Unis. Cet engagement porte précisément sur un triplement des capacités installées d'énergie renouvelable et sur un doublement de l'efficacité énergétique d'ici 2030. La Chine ne l'a sans doute pas signé car il va au-delà des objectifs du 14ème plan chinois en matière d'efficacité énergétique (qui ne seront probablement pas atteints). Surtout, il fait mention d'une « suppression progressive » du charbon, avec l'engagement d'un arrêt des nouvelles centrales à charbon.
La Chine est en 2023 le principal responsable de la hausse des émissions de CO2 dans le monde, avec une progression de 4 % de ses propres émissions. Elle planifie toujours une augmentation des capacités installées de ses centrales à charbon de 250 Gigawatts d'ici 2030, ce qui dépasse le niveau total des capacités installées de l'Inde, deuxième utilisateur mondial du charbon. La seule bonne nouvelle est que l'expansion des capacités d'énergie renouvelable se poursuit à un rythme très rapide. Selon Lauri Millyvirta, un expert de l'ONG Carbon Brief, la Chine devrait commencer à réduire de façon structurelle le niveau de ses émissions de CO2 à partir de 2024 grâce à l'impact de ses investissements dans le renouvelable.
Pékin vient d'annoncer avec un an de retard un plan de réduction de ses émissions de méthane, qui faisait partie des engagements pris avec les États-Unis à la veille de la COP27. Ce plan comporte certains objectifs sectoriels – par exemple, réutiliser 85 % des émissions de méthane liées à l'élevage d'ici 2030 – mais n'inclut aucun engagement global de réduction. Pour une raison simple : plus de 40 % des émissions de méthane chinoise sont liées à l'activité des mines de charbon.
Dans les négociations, le chef de la délégation chinoise, Xie Zheng Hua, s'est opposé à tout langage trop contraignant sur la « suppression progressive » des énergies fossiles, tout en se montrant prêt à accepter différentes formules de compromis.
La Chine s'est par ailleurs gardée de participer au fond de réparation des dommages climatiques destiné aux pays les plus fragiles, qui a été rendu opérationnel le premier jour de la conférence. Une position qui soulève de plus en plus de critiques. La distinction trop simpliste entre pays développés et pays en développement qui fonde l'équilibre des engagements en matière de climat ne reflète manifestement pas la répartition par pays des émissions mondiales. La Chine, proche du seuil des pays à hauts revenus, et qui représente plus de 30 % des émissions mondiales, ne va pas pouvoir longtemps éluder ses responsabilités à l'égard de pays les plus pauvres et les plus exposés aux risques climatiques.
L'INDE S'OPPOSE À TOUTE CONTRAINTE SUR SA POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE
La délégation indienne avait imposé un affaiblissement de la déclaration de Glasgow (COP27) l'an dernier concernant le charbon. Dans le texte final de la conférence, « l'élimination progressive » du charbon avait été remplacée par « la réduction progressive » du charbon. Cette position a été réaffirmé lors de la visite de Narendra Modi à Dubaï début décembre. Son ministre des Affaires étrangères a rappelé que « le charbon est et restera une partie importante du mix énergétique indien ». En clair, l'Inde n'a pas l'intention de compromettre sa stratégie de développement économique par des engagements internationaux contraignants. Alors que Narendra Modi s'est publiquement engagé à un triplement des capacités d'énergie renouvelable du pays d'ici 2030, son pays n'a, pas plus que la Chine et pour les mêmes raisons, accepté de se joindre aux 120 pays signataires de l'engagement global sur les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique.
Les émissions de CO2 de l'Inde ont connu une progression record en 2023 : + 8,2 % et + 10 % pour les émissions liées aux centrales à charbon. Le ministre de l'Électricité indiquait le 23 novembre dernier, lors d'une réunion avec les compagnies d'électricité du pays, qu'il faudrait ajouter 80 GW de centrales à charbon d'ici 2030 au-delà des 27GW déjà en construction, soit une progression de près de 40 % du parc installé. On est encore loin de la « réduction progressive » convenue lors de la COP27 ou de la « transition accélérée » de la COP28.
LE JAPON DÉPLOIE UNE VISION « TECHNOLOGIQUE » DE LA DÉCARBONATION
La politique du gouvernement japonais porte le nom de « Code GX » (pour « Green transformation »). Ce plan insiste sur les technologies dites de « charbon propre », qui passent notamment par la capture et le stockage du carbone (carbon capture and storage ou CCS en anglais) émis par les centrales thermiques, ou la cogénération à base d'ammoniaque et de charbon. Le Japon, avec 54GW de capacités installées, dispose du quatrième parc mondial de centrales au charbon derrière la Chine, l'Inde et les États-Unis. Il prévoit encore une augmentation limitée de ses capacités jusqu'en 2030.
Le gouvernement japonais a invité en mars dernier une dizaine de pays d'Asie-Pacifique à créer une communauté asiatique de la neutralité carbone (« Asia net zero community »). Le communiqué conjoint publié à l'issue de cette réunion fait la part belle aux solutions technologiques promues par l'industrie japonaise : hydrogène, ammoniaque, CCS…
Le débat sur la captation et le stockage du carbone a été vif lors de la COP28. Les partisans du CCS ne se limitent pas aux Japonais. Ils incluent les majors de l'industrie pétrolière américaine comme Exxon Mobil, dont le PDG Darren Woods est venu pour la première fois participer à une COP. L'Agence internationale de l'énergie considère pour sa part comme « illusoire » l'idée qu'une montée en puissance du CCS puisse constituer une solution, en raison de nombreux problèmes techniques et de coûts beaucoup plus élevés que ceux des énergies renouvelables. Le représentant américain pour le climat John Kerry est sur une ligne assez proche, même s'il essaie de prendre en compte les intérêts de l'industrie pétrolière américaine. Il a qualifié le recours exclusif au CCS comme une solution « dangereuse et inquiétante ». Emmanuel Macron lors d'une conférence de presse à Dubaï a qualifié de « marginal » l'apport de la captation et du stockage de carbone à la transition énergétique. Pour lui, cette solution ne doit pas entraver l'effort international de sortie des énergies fossiles, et il serait beaucoup plus utile d'agir sur la déforestation. La campagne pour une décarbonation « technologique » lancée par le Japon est par ailleurs vue par de nombreuses ONG comme une offensive des groupes industriels japonais en vue de limiter l'effort de sortie des énergies fossiles.
L'ASIE RESTE PRUDENTE DANS SES ENGAGEMENTS INTERNATIONAUX SUR LE NUCLÉAIRE CIVIL
À l'initiative de la France et des États-Unis, une déclaration sur le triplement des capacités nucléaires civiles à l'horizon 2050 a été adoptée en marge de la COP28. Cette déclaration a été signée par 23 pays dont neuf pays membres de l'Union européenne et trois pays d'Asie-Pacifique : le Japon, la Corée du Sud et la Mongolie. Là encore, la Chine et l'Inde n'ont pas signé cette déclaration pour le moment. La part du nucléaire est passée de 6 % du mix énergétique mondial en 1990 à 4 % seulement en 2022. La relance du secteur ne fait pas consensus (on pense notamment à l'Allemagne), mais l'idée que le nucléaire puisse contribuer à la transition énergétique gagne du terrain.
La Chine a une capacité nucléaire installée déjà comparable à celle de la France, avec vingt centrales supplémentaires en construction. Elle est probablement l'un des rares pays à être capable de tripler son parc nucléaire d'ici 2050 et prévoit déjà de le doubler avant 2035. Rien ne s'oppose donc à ce qu'elle signe l'engagement de Dubaï, si ce n'est sa réticence à prendre des engagements internationaux qui puissent constituer une contrainte pour sa politique énergétique.
L'Inde est dans une situation comparable. Son parc nucléaire actuel est assez modeste (7 GW contre 57 GW pour la Chine et 63 GW pour la France). Mais ses projets de construction en cours ou annoncés pourraient tripler les capacités nucléaires du pays d'ici 2035 ou 2040.
Le Japon n'utilise actuellement que le tiers de ses trente-trois centrales nucléaires, en raison du choc durable provoqué par l'accident nucléaire de Fukushima. Ses projets de construction sont limités, et sa participation à la déclaration de Dubaï a pour le moment une portée plus symbolique que réelle.
La Corée du Sud a des projets de construction de centrales plus actifs que le Japon, lui permettant d'augmenter d'environ 30 % ses capacités nucléaires d'ici 2035. Au total, les signataires asiatiques de la déclaration de Dubaï sur le nucléaire ne sont pas ceux qui ont une chance d'atteindre l'objectif fixé.
Globalement, la prudence des pays asiatiques dans les débats de la COP28 reflète à la fois des réflexes de souveraineté et un réalisme sur les ambitions qui tranche avec le volontarisme européen. Le texte final de la Conférence a le mérite principal de souligner le rôle central des énergies fossiles dans le réchauffement climatique. Il fixe un horizon et tente d'impulser une accélération. L'Asie-Pacifique, avec 53 % des émissions de gaz à effet de serre et 90 % de leur progression depuis 2015, sera déterminante pour faire de cet objectif une réalité.
Par Hubert Testard
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Les pathologies de l’espoir dans la guerre pour la Palestine : Une réponse à Adam Shatz

Quand les intellectuels occidentaux expriment leur consternation devant les « pathologies vengeresses » de la violence palestinienne du 7 octobre, c'est qu'ils en ignorent les causes militaires, tactiques et politiques sous-jacentes.
Tiré d'Algeria-Watch.
L'article intitulé « Vengeful Pathologies », signé par Adam Shatz publié dans la London Review of Books et largement diffusé, développe un narratif qui associe de manière complexe des analogies historiques et des comparaisons fallacieuses visant à affaiblir les principes de la décolonisation et les bouleversements qui accompagnent leur mise en œuvre. Shatz met en avant un argumentaire construit autour de trois grands énoncés polémiques. Le premier consiste à affirmer que la vengeance est le principal mode d'interaction entre Israéliens et Palestiniens, les « pathologies vengeresses » des deux parties reflétant les mêmes instincts primordiaux. Le deuxième point est une critique de ce que l'auteur présente comme la « gauche décoloniale », qu'il accuse de fermer volontairement les yeux sur les « crimes » commis par les colonisés et de se réjouir de manière puérile de la mort de civils. Le troisième point, peut-être le plus important, concerne l'utilisation d'analogies historiques pour souligner la nature véritable des événements du 7 octobre, en pointant la similitude entre ceux-ci et un épisode oublié de la guerre de libération algérienne – la bataille de Philippeville – dans l'exacerbation de la montée du fascisme en Occident.
Cet article est l'expression achevée d'un véritable dédale intellectuel qui hante les intellectuels occidentaux. Ce labyrinthe de la pensée caractérise les Palestiniens comme des « victimes nécessaires et inévitables », les rendant visibles uniquement en tant que notes de bas de page à portée archivistique dans une perspective clairement coloniale. N'est-il pas curieux que la sympathie manifestée aux Palestiniens soit directement proportionnelle à leur incapacité supposée à faire face à la mécanique uniforme du colonialisme de peuplement ? Il y a une gratification cachée à assister de loin à ce récit tragique. La très évidente supériorité continue d'Israël est un puissant stimulant de la sympathie des intellectuels occidentaux, une sorte de pseudo-solidarité qui murmure aux Palestiniens : « Nous sommes avec vous, mais uniquement tant que vous demeurez des victimes tragiques, sombrant gracieusement dans votre propre abîme ». On pourrait même dire que cette sympathie est subordonnée à l'acceptation par les Palestiniens de ce dramatique statu quo.
Ces intellectuels y trouvent un certain confort : l'expérience palestinienne, aussi douloureuse soit-elle, reste confortablement distante, comme un spectacle à apprécier. Ce scénario très installé apparait comme le marqueur préoccupant des limites de l'engagement intellectuel critique à l'égard de la Palestine et des Palestiniens.
De ce fait, lorsque les Palestiniens osent se rebeller et remettre en question le sort qui leur est imposé après des années d'oppression, les réactions sont schizophréniques, comme on pouvait s'y attendre. Les mêmes intellectuels qui pleuraient autrefois sur notre sort sont aujourd'hui déchirés. Nombre d'entre eux se transforment en policiers moraux, brandissant rapidement le bâton de la condamnation, mais plus gravement encore, ils entérinent volontiers le récit des événements du 7 octobre élaboré et sensationnalisé par Israël, autour des événements qui touchent ce que l'on appelle l'enveloppe de Gaza (les colonies israéliennes qui bordent Gaza).
D'autres, drapés dans un linceul d'indifférence, n'offrent rien d'autre que le silence, parmi ceux-ci beaucoup d'intellectuels et d'historiens palestiniens. La voix collective, qui résonnait autrefois avec sympathie, résonne aujourd'hui de mises en garde contre la colère des opprimés, qui serait barbare, primitive et coupable de réveiller le fascisme. Lorsque certains s'expriment malgré tout, comme Joseph Massad, ils font l'objet d'une chasse aux sorcières destinée à les transformer en bouc-émissaire et réduire ainsi les autres au silence.
La pathologie vengeresse d'Israël et le franchissement du mur de fer
Lorsque l'on s'enfonce dans le dédale du récit historique d'Israël, il devient évident que la vengeance n'est pas simplement une émotion abstraite et fugace, mais qu'elle est presque insidieusement ancrée dans le centre nerveux même du militarisme israélien. Il suffit d'examiner des événements tels que l'incendie de Turmusayya et de Huwwara : il ne s'agit pas de simples accidents de parcours dans l'histoire du sionisme, mais de confirmations que la vengeance est son modus operandi. Le véritable paradoxe du récit de Shatz réside dans sa compréhension erronée du fonctionnement de la vengeance sioniste, qui ne se contente pas de réagir aux actions et aux provocations des Palestiniens, ni même à leur capacité à invoquer la terreur, mais va au-delà du domaine conventionnel de la cause et de l'effet et cherche à punir les Palestiniens d'avoir l'audace d'exister. Même un Palestinien comme le président Mahmoud Abbas, qui permet à Israël de poursuivre l'expansion de ses colonies en Cisjordanie et de servir ses intérêts sécuritaires et financiers, est ressenti comme un affront par les colons. En échange de sa coopération civile et sécuritaire avec Israël, l'Autorité palestinienne (AP) n'a obtenu que des sanctions financières et le désir caché d'Israël de se débarrasser de sa dépendance vis-à-vis de l'AP en matière policière.
Nous sommes témoins de cette expression génocidaire dans le tissu social israélien – non seulement dans la droite radicale, mais aussi au cœur de la politique de l'État, et même parmi ses courants libéraux. Le dévoilement de ce moment de vérité touche à l'essence même du problème sioniste. C'est un moment où l'inconscient collectif du sionisme, largement exprimé par des gens comme Bezlalel Smotirtich et Itamar Ben-Gvir, apparaît comme la conscience collective de l'État dans ses différents courants.
Shatz, dans sa myopie, a peut-être négligé la transformation irrésistible du très estimé Haaretz (qu'il qualifie d'extraordinaire quotidien d'Israël ») en relais de propagande, alors qu'il résonnait d'appels à la vengeance et au conflit. Au bout de 75 ans, Israël réitère obstinément ce qui est sa transgression fondamentale : l'anéantissement des Palestiniens. Le déversement de 18 000 tonnes d'explosifs sur l'une des régions les plus densément peuplées du monde dépasse la simple réaction aux événements du 7 octobre ; il signifie qu'Israël arme la folie et s'attaque à un monde qui ose remettre en question le statu quo dominant du colonialisme expansif et de l'occupation militaire.
Les pères fondateurs du sionisme, tels que Ze'ev Jabotinsky, avaient une vision lucide des « maux nécessaires » qu'Israël devrait commettre pour établir un État aux dépens des Arabes palestiniens. Le « mur de fer » de Jabotinsky reflète en fait la doctrine militaire actuelle d'Israël, qui consiste à s'engager à fond dans la force militaire en érigeant un « mur de fer » que les Arabes seraient finalement contraints d'accepter.
La doctrine du mur de fer conduit à la prise de conscience que le sionisme culmine dans un jeu à somme nulle à l'égard des indigènes – une équation existentielle du « soit nous, soit eux ». Pour sortir de ce cycle, il est impératif de démanteler ce mur, de remettre en question la confiance d'Israël dans l'élaboration perpétuelle d'une « solution militaire » à une situation systémique et politique complexe. Que l'on approuve ou que l'on condamne, c'est précisément ce que les Palestiniens ont entrepris le 7 octobre.
La barbarie palestinienne et la « folie logique » d'Israël
Lors de l'évaluation des événements du 7 octobre, il y a lieu de tenir compte des règles préexistantes d'engagement militaire, dont beaucoup avaient déjà été établies par Israël au cours de ses 16 années de blocus de Gaza et de campagne contre-insurrectionnelle. Il est nécessaire également de tenir compte de l'ensemble des facteurs politiques et sociaux qui constituent la toile de fond de ce même événement. Shatz fait référence à certains de ces facteurs dans son récit, mais il semble les écarter en faveur de l'imputation aux Palestiniens d'une sorte de désir de vengeance primitive motivant leurs actions.
Dans l'argumentation de Shatz, on retrouve l'idée selon laquelle si les combattants palestiniens avaient limité leurs attaques à des cibles militaires, ils auraient pu obtenir un semblant de « légitimité ». Une telle approche aurait pu, peut-être, empêcher la condamnation sans appel associée à l'image du combattant palestinien barbare dans l'imaginaire collectif occidental, qu'Israël et les États-Unis tentent d'assimiler à ISIS. Mais la proposition de Shatz doit être examinée avec scepticisme parce qu'elle néglige plusieurs points cruciaux dans l'histoire de l'engagement militaire d'Israël contre la résistance.
Prenons ainsi en référence l'incursion terrestre d'Israël au Liban en 2006, où la distinction entre cibles militaires et civiles s'est rapidement estompée, entraînant d'importantes pertes civiles libanaises et plus de 1 200 morts. Et à quoi Israël répondait-il ? Au ciblage d'une unité militaire israélienne – une cible militaire légitime selon Shatz.
De même, l'enlèvement du caporal Gilad Shalit à Gaza a déclenché une riposte militaire qui a causé des dommages directs aux civils palestiniens, faisant près de 1 200 morts. Ces exemples soulignent l'imbrication des cibles militaires et des populations civiles sur le théâtre du conflit. Ni l'histoire du conflit ni le discours américain et israélien n'ont jamais fait de ces distinctions une question d'importance, et le Hezbollah comme le Hamas demeurent des organisations terroristes, qu'ils ciblent des militaires ou des civils. L'intensité de la réponse n'est pas non plus vraiment différente – après tout, la « doctrine Dahiya » a été élaborée en réponse à la capture et à l'élimination de soldats israéliens par le Hezbollah.
La mise en œuvre de ma doctrine Dahiya est évidente à Gaza aujourd'hui. Israël a déclaré que toute attaque jugée significative entraînerait la destruction complète des infrastructures civiles et gouvernementales, y compris le bombardement de villages, de villes et de cités pour les ramener à « l'âge de pierre » par des destructions massives. En d'autres termes, toute forme de résistance, quelle qu'en soit la cible, fera l'objet d'une politique aérienne de terre brûlée.
Mais ce qui est le plus important dans tout cela, ce n'est pas tant la réponse militaire israélienne disproportionnée (qui reste la même lorsque les combattants attaquent des cibles « légitimes ») que l'évolution du style de guerre et de contre-insurrection d'Israël. Ces règles d'engagement militaire, principalement fixées par Israël, devraient constituer la toile de fond première de toute analyse du 7 octobre.
Au cours des deux dernières décennies, Israël s'est orienté vers une forme de guerre qui tente d'éliminer l'affrontement direct, en choisissant de maintenir ses soldats et son armée à distance en s'appuyant sur son monopole de puissance aérienne comme moyen d'action offensif. Israël a eu recours à cette stratégie lors de ses précédentes guerres à Gaza, ce qui a eu pour effet de préserver ses soldats tout en tuant des centaines de Palestiniens, pour la plupart civils. En 2021, Israël a même tenté de tromper les combattants palestiniens en annonçant une opération terrestre visant à cibler les tunnels souterrains et à éliminer de nombreux combattants palestiniens. Cette « opération métro » a échoué en partie à cause de l'incrédulité des Palestiniens qui ne croyaient pas qu'Israël entrerait réellement dans la bande de Gaza. Pendant des années, la dépendance à l'égard de la puissance aérienne et du renseignement a fait d'Israël une armée unidimensionnelle qui utilise essentiellement sa puissance aérienne pour des opérations de contre-insurrection, avec toutes ses limites opérationnelles et une efficacité limitée pour cibler les combattants, tout en causant des ravages dans les espaces civils palestiniens.
Israël a choisi de tuer sans risquer d'être tué. Cette stratégie a incité ses adversaires à développer des alternatives en réponse à la réticence apparente d'Israël pour des engagements terrestres – si vous ne venez pas à nous, nous viendrons à vous. La guerre, comme le suggère Clausewitz, est intrinsèquement dialectique et s'apparente à un « duel » dans lequel chaque partie utilise son expertise technique, sa détermination, sa structure organisationnelle, son commandement et son contrôle, ainsi que ses renseignements pour s'assurer un avantage. C'est ce qui s'est passé le 7 octobre ; il s'agissait bien d'une réponse palestinienne au statu quo tactique imposée par Israël.
Il est essentiel de comprendre que la résistance palestinienne dans la bande de Gaza a commencé à planifier cette opération en 2022, un an seulement après que « l'opération métro » d'Israël ait échoué. Les planificateurs militaires palestiniens ont tenu compte de plusieurs facteurs importants. L'un de ces paramètres étant la réticence récurrente d'Israël à s'engager directement à Gaza, mais il existait également des pressions politiques et sociales qui allaient dans le sens du 7 octobre. Notamment l'amélioration trop lente et très limitée des conditions de vie dans la bande de Gaza ainsi que l'absence d'une voie politique claire pour aller de l'avant. En d'autres termes, il s'agit bien du constat de l'épuisement des voies politiques, diplomatiques et juridiques.
De plus, les efforts délibérés d'Israël pour délégitimer l'AP en imposant des sanctions financières ont exacerbé la nécessité de recourir à des options militaires. La radicalisation des factions de droite israéliennes, ainsi que les tentatives des colons les plus extrémistes de modifier le statu quo à Jérusalem et l'expansion des colonies illégales en Cisjordanie, ont jeté de l'huile sur le feu. Et lorsque les Palestiniens se sont engagés dans des manifestations sans représenter une véritable menace lors de la Grande Marche du Retour, ils ont été confrontés à une réponse létale, disproportionnée, des centaines de manifestants ayant été victimes de tirs de snipers qui les ont handicapés à vie.
Shatz mentionne certaines de ces circonstances contextuelles sans vraiment en comprendre les implications. Ces circonstances mettent en évidence la volonté d'exiger des Palestiniens de demeurer non-violents étant donné le statut mondial d'Israël – un état apparemment capable de pratiquer la violence symbolique, structurelle et physique en toute impunité. Il y a quelques années, les États-Unis ont mis en garde la CPI contre toute poursuite pénale à l'encontre de dirigeants israéliens accusés de crimes de guerre. L'Europe n'a ni reconnu l'État de Palestine ni imposé des sanctions à Israël. Le monde a envoyé un message clair aux Palestiniens : il n'y aura pas de répit juridique, pas de soulagement politique, seulement un soutien limité à la non-violence et des condamnations occasionnelles quand et si Israël est perçu comme ayant commis des crimes. En fait, l'insistance de la communauté internationale sur la non-violence est elle-même une violence, car elle invite les Palestiniens à se coucher et à mourir.
La question de la mort des civils
On pourrait être généreux avec Shatz en supposant qu'il ne partage pas nécessairement cette injonction dogmatique contre la violence politique et que ses scrupules résident davantage dans le choix de la cible – les civils – et peut-être dans la manière dont ils ont été massacrés. Mais Shatz concède déjà trop au récit officiel israélien et, plus important encore, il ignore une autre série d'éléments contextuels dans la planification militaire du Déluge d'Al-Aqsa.
L'un de ces éléments concerne le caractère particulier de la société israélienne. Les différentes couches de la structure défensive d'Israël intègrent la proximité géographique de ses installations militaires et de ses colonies civiles, y compris la présence importante de forces de police, formées par l'armée, dans les zones civiles. La détention généralisée d'armes à feu, notamment dans les zones frontalières telles que l'enveloppe de Gaza, est également un élément important à prendre en compte dans toute planification militaire ou opération offensive.
Cette observation ne signifie pas pour autant que tous les Israéliens soient des militaires et donc des cibles légitimes. Elle joue cependant un rôle important en déterminant une démarche de prudence ou de précaution – que de nombreuses organisations militaires, qu'elles soient occidentales ou orientales, civilisées ou barbares, partagent dans la conduite de leurs opérations militaires. La politique de la terre brûlée d'Israël, qui comprend l'utilisation de sa puissance de feu à plusieurs niveaux dans ses manœuvres offensives, la création de « ceintures de feu » et la lenteur des mouvements pour éviter la mort de ses propres soldats, en dit long de ce point de vue.
Le discours israélien dominant soutient que l'attaque d'octobre n'avait pas d'objectif stratégique sous-jacent au-delà de la simple vengeance et de l'effusion de sang gratuite. Il semble parfois que, malgré lui, Shatz ait intériorisé ce récit. Une évaluation plus nuancée s'avère nécessaire.
Les informations disponibles permettent de supposer que l'opération du 7 Octobre avait trois objectifs tactiques principaux : capturer des soldats israéliens en échange de prisonniers, obtenir des informations ou des armes à partir des nombreuses bases militaires israéliennes et faire en sorte qu'aucune force policière ou militaire ne puisse facilement nettoyer et reprendre l'enveloppe de Gaza (ce qu'elle ferait probablement en négociant les otages qu'elle détient dans les colonies situées à l'intérieur de l'enveloppe de Gaza).
Les combattants se sont donc installés dans les colonies israéliennes pour tenter de retarder la reprise de l'enveloppe. Pour ce faire, ils se sont battus ou ont négocié pendant longtemps pour libérer les otages tout en empêchant les civils de s'opposer à la manœuvre en profondeur à l'intérieur du territoire israélien. Le problème est que de plus en plus d'éléments montrent qu'Israël n'était pas intéressé par la négociation sur les otages et qu'il a préféré reprendre l'enveloppe de Gaza en bombardant ses propres colonies, en tuant les combattants et en provoquant probablement la mort de ses propres civils.
Bien entendu, cela ne signifie pas que de nombreux combattants n'aient pas outrepassé leurs ordres ou que tous les combattants palestiniens aient agi à l'unisson, mais cela suggère que la stratégie militaire palestinienne visait à retarder et à différer le retour de l'armée d'occupation, tandis que la stratégie d'Israël se concentrait sur la récupération rapide et la reconquête du territoire. Et il est très peu probable que cette politique n'ait pas, au moins, exacerbé l'ampleur des pertes civiles. De nombreux témoignages de survivants israéliens indiquent que les unités militaires et policières israéliennes n'ont peut-être pas fait preuve de discernement lors des combats autour de l'enveloppe de Gaza. Ces éléments ont incité un groupe d'Israéliens à rédiger une lettre ouverte encourageant leurs concitoyens à exiger la vérité sur les événements du 7 octobre.
La principale différence entre les crimes commis par Israël contre les civils palestiniens et ceux commis par les Palestiniens provient donc d'un réseau médiatico-politique international qui légitime, clarifie et coordonne la logique qui sous-tend les actions militaires israéliennes. Cela confère à ces actions une apparence de respectabilité, même lorsque le raisonnement sous-jacent semble profondément discutable ou semble justifier le massacre à grande échelle de civils palestiniens à Gaza. En examinant la littérature de n'importe quel groupe de réflexion militaire occidental et israélien, il ressort à l'évidence que la guerre urbaine, notamment, est intrinsèquement complexe. Ces scénarios de combat impliquent souvent de nombreuses victimes civiles et peuvent nécessiter de frapper des installations civiles, y compris des hôpitaux, comme le soulignent certains documents de recherche. Israël s'en est souvent servi pour préparer le public international au massacre des Palestiniens. Ces justifications militaires sont ensuite diffusées dans les médias grand public, où elles sont souvent dissimulées dans des récits qui rendent les Palestiniens responsables des actions meurtrières systématiques d'Israël. Les porte-parole américains se font également l'écho de ces massacres en répétant le mantra selon lequel « la guerre entraîne la mort de civils » en Palestine, alors qu'ils s'offusquent des mêmes effets dans le contexte de la guerre de la Russie contre l'Ukraine.
Le Hamas peut ainsi rester barbare et Israël peut rester un allié « démocratique et libéral » des États-Unis. Dans le premier cas, il s'agit d'un acte irréfléchi de violence sauvage, tandis que dans le second, il s'agit de frappes calculées et méthodiques, une forme sanctifiée de violence. Cette dichotomie empêche de répondre à la question de savoir si la manœuvre offensive palestinienne du 7 octobre répondait à une logique militaire opérationnelle.
En refusant d'approfondir la logique militaire de l'offensive, Adam Shatz illustre l'aversion pour la confrontation avec la réalité de la violence et les logiques qui l'animent, aversion endémique chez certains intellectuels. Il ne s'agit pas seulement du refus de mettre ces sujets en lumière, mais de ce que ce refus signifie quant à la problématique du traitement de la rationalité de la violence palestinienne, en particulier dans un environnement qui la considère simplement comme barbare, détestable et moralement dégradée. C'est pourquoi l'essai de Shatz est d'autant plus surprenant : il tente de décoder la violence palestinienne, mentionne souvent une partie du contexte politique et social, mais revient à la pulsion instinctive de vengeance.
Ce qui est sans doute essentiel à tout jugement moral, c'est qu'il doit être rigoureusement soumis à des preuves, en particulier lorsqu'Israël refuse de partager une grande partie des preuves dont il dispose. Le Hamas a-t-il donné l'ordre de tuer des civils, ou bien le meurtre de civils a-t-il constitué un dépassement de la part des combattants ? Combien d'Israéliens ont été tués dans les échanges de tirs avec les combattants ? L'effort militaire israélien pour reprendre l'enveloppe de Gaza a-t-il pris en compte la présence de civils israéliens ? Ces questions sont importantes, non seulement parce qu'elles permettent d'y voir plus clair, mais aussi parce que la version officielle israélienne des événements a été utilisée pour justifier la campagne aérienne contre Gaza, comparable à celle qui a frappé Dresde, et le massacre des Palestiniens. Il ne s'agit pas d'une simple question éthique. Il s'agit de l'instrumentalisation du préjudice moral pour commettre des massacres.
L'examen de la logique militaire de l'attaque suggère également que l'analogie historique de Shatz, qui assimile les actions offensives palestiniennes à la bataille de Philippeville en Algérie française, n'est pas tout à fait exacte. L'objectif principal de la bataille de Philippeville était de cibler les civils, et supposer que c'était l'objectif principal du 7 octobre revient à ignorer les faits. Encore une fois, cela ne signifie pas que des civils n'ont pas été tués ni que les combattants palestiniens ne se sont pas engagés dans le meurtre pur et simple de civils, mais cela nous donne une idée de la façon dont leurs actions ont été reçues : Shatz semble avoir intériorisé la perception largement répandue selon laquelle les combattants palestiniens sont cruels, ce qui l'a incité à faire la comparaison avec Philippeville en premier lieu.
L'une des conséquences les plus importantes de la bataille de Philippeville a été de mettre fin aux perspectives d'un mouvement de « troisième voie » qui liait les Arabes algériens aux colons français. En Palestine, cette « troisième voie » a pris fin il y a deux décennies, devenant une coalition très faible soutenue par quelques organisations de défense des droits de l'homme et des voix minoritaires en Israël, sans réel impact politique. Rien ne le démontre mieux que l'absence totale de mention des Palestiniens lors du mouvement de protestation israélien contre la réforme judiciaire de la droite.
En outre, chaque guerre ou bataille est un événement unique dans sa propre conjoncture historique, et les analogies avec le passé en disent plus sur ceux qui les établissent qu'elles ne facilitent la lecture du présent.
Les retombées du 7 octobre
Shatz lui-même doit reconnaître que, après avoir été écartée pendant des années comme une question sans importance dans les centres de pouvoir, y compris la politique de non-engagement de Biden, la Palestine réapparaît sur la scène internationale comme une question urgente. De plus, la manière dont les alliances fonctionnent de nos jours accroît la probabilité d'un conflit régional et international, ainsi qu'un grave contrecoup économique qui pourrait empêcher l'économie mondiale de se remettre des pressions inflationnistes. Sans compter que la rhétorique de Biden pourrait réussir à lui aliéner nombre d'électeurs de moins de trente ans lors des prochaines élections.
M. Biden ignore peut-être qu'en ce qui concerne la Palestine, il n'y a pas de consensus sur une guerre longue et sanglante. Les Palestiniens ont construit un réseau de soutien qui comprend des organisations de la société civile, des mouvements politiques et diverses formes de luttes intersectionnelles aux États-Unis parmi les progressistes et la gauche – et même parfois la droite conservatrice. Ces coalitions commencent à créer un dissensus dans les pays occidentaux d'une manière qui n'existe pas pour le consensus occidental sur le soutien à l'Ukraine, par exemple.
Pourtant, tout ce que nous obtenons de Shatz à ce sujet, c'est un commentaire par courriel de la correspondance de Shatz avec l'universitaire palestinien Yezid Sayigh, qui a historiquement minimisé la lutte palestinienne et suggéré son incapacité à avoir un impact significatif sur le système international. Le courriel de Sayigh à Shatz fait état de ses craintes que les retombées du 7 octobre n'accélèrent les tendances fascistes, les comparant à Sarajevo en 1914 ou à la Nuit de Cristal en 1938. Il n'est pas question de savoir comment le fascisme se développe en Occident en premier lieu, ou peut-être encore plus critique, comment l'évolution quotidienne sous un gouvernement ouvertement fasciste dont le ministre des Finances a annoncé publiquement un « plan décisif » pour les Palestiniens qui équivaut à un nettoyage ethnique bien avant le 7 octobre – nous a amenés à ce point.
La contradiction flagrante dans l'essai de Shatz est évidente, mais il semble l'ignorer : on le voit lorsqu'il commence son essai en identifiant les objectifs politiques de l'offensive palestinienne, mais qu'il les réduit ensuite à de simples pathologies « vengeresses ». Il rejette des analogies historiques spécifiques, comme l'offensive du Têt au Vietnam, sans expliquer son raisonnement autrement que par son aversion pour la violence. Ces observations sont incongrues : soit les Palestiniens avaient des objectifs politiques et ont effectivement ouvert un espace politique auparavant fermé pendant des années, soit ils sont des acteurs irrationnels et barbares animés par une pulsion émotionnelle.
La planification méticuleuse, la « ruse » stratégique et le contournement réussi des défenses israéliennes sont autant d'indices d'une manœuvre délibérée (ce que Shatz admet lorsqu'il dénonce le caractère « effrayant » de la nature méthodique des excès des combattants). Le système d'alliance de la résistance palestinienne constitue un levier important, qui complique à la fois la réponse israélienne et la position américaine dans la région. En fait, une nouvelle perspective significative est que la réputation d'Israël en tant qu'acteur stratégique calculé, rationnel et compétent est questionnée. Le pays lutte pour redorer son image et dépend de plus en plus des ressources et de la puissance de l'OTAN, ce qui le place également dans une posture qui permettrait à son allié américain, qui ne partage pas exactement les mêmes intérêts s'agissant d'une escalade régionale, d'influencer ses décisions politiques. Pour l'instant, il semble qu'Israël n'ait pas identifié d'objectif spécifique autre que la « vengeance ». La visite de M. Blinken il y a quelques jours l'a confirmé lorsque le secrétaire d'État américain s'est rendu compte que M. Netanyahou n'avait pas de stratégie de sortie.
Enfin, pourquoi une attaque contre le nerf principal d'Israël – sa dissuasion et sa puissance militaire – ne conduirait-elle pas à une leçon d'humilité qui pourrait ouvrir d'autres voies pour une nouvelle solution politique ? Si de telles perspectives semblent lointaines dans le feu de l'action et des intentions génocidaires d'Israël, c'est la bataille réelle sur le terrain qui décidera de l'avenir. Shatz est particulièrement peu convaincant sur ce point, puisqu'il choisit déjà d'exclure les possibilités qui pourraient émerger des suites du 7 octobre.
En contournant leur utilité politique et leur logique militaire et en les confinant à une simple « vengeance », Shatz ignore le fait que toutes les guerres et les batailles, aussi horribles, sanglantes et tragiques soient-elles, peuvent en fin de compte créer un espace pour de nouvelles possibilités, éventuellement porteuses d'espoir. Il reste fidèle à une interprétation dystopique, ajoutant une tonalité plus sombre au destin de la Palestine et du monde. Peut-être a-t-il raison de dire qu'en fin de compte, tout le monde sera perdant et que le pays la métropole n'est pas disposé à déconstruire son organisation ethno-religieuse et nationale. L'essai de Shatz en est peut-être un signe. La volonté du maintien de la domination et de l'hégémonie pourra peut-être contribuer à la montée du fascisme en Occident. Mais ce courant de pensée ignore également le monde tel que les Palestiniens le vivent et le perçoivent – c'est-à-dire que tant que les Israéliens vivront dans la conviction de la pérennité de leur pouvoir, la volonté de changer la réalité des Palestiniens restera absente.
Même si la résistance palestinienne ne parvient pas à arracher une victoire relative dans cette bataille, l'alternative aurait été une mort lente.
Violence et Fanon
Ce serait faire preuve de légèreté que de ne pas mentionner la façon dont Shatz traite Fanon en ce qui concerne la violence palestinienne. Dans Les Damnés de la Terre, Fanon fait remarquer que la violence des colonisés entraîne une forme de catharsis et de reconnaissance de soi – une « désintoxication », comme le souligne Shatz – dans laquelle la violence n'est pas seulement une brutalité pure, mais un rite de transformation qui nettoie les taches de l'asservissement. Cependant, Shatz s'empresse de souligner que Fanon ne se réjouissait pas nécessairement de cette perspective, étant donné le cauchemar imminent d'un avenir postcolonial où le libérateur devient l'oppresseur, et où les schémas de la hiérarchie coloniale sont recréés au sein de l'État postcolonial naissant. Shatz a raison de souligner le traitement nuancé par Fanon du rôle de la violence dans la décolonisation, qui met en garde contre les célébrations nihilistes de l'utilité psychologique de la violence, car cela risque d'occulter l'effet néfaste de la violence sur ceux qui l'exercent.
Mais même si Shatz le souligne à juste titre, il ne reste pas entièrement fidèle à la portée de l'œuvre de Fanon. Fanon n'a pas seulement mis en garde contre les mirages de la conscience nationale, il a également défendu un changement dialectique vers un horizon humaniste et socialiste plus large. Indépendamment de l'ombre portée de la violence, Fanon a finalement considéré la violence comme une nécessité dans les limites de l'oppression coloniale, et comme un outil stratégique et politique indispensable au démantèlement des structures coloniales. Shatz en est sans aucun doute conscient, mais il ne le traduit pas dans sa lecture de la situation très pénible des Palestiniens.
L'élément central du discours de Fanon sur la libération découle du fait qu'il était profondément enraciné dans un mouvement auquel il appartenait véritablement. Il n'était pas un observateur extérieur portant un jugement ou jetant l'opprobre sur les combattants qu'il côtoyait. Il s'agissait d'une critique interne capable d'identifier les potentiels et les pièges du mouvement anticolonial. Plus important encore, Fanon a également parié sur la capacité de la colonie non seulement à se libérer du colonialisme de peuplement, mais aussi à libérer la métropole d'elle-même. C'est là que réside son ultime imaginaire radical.
C'est le type d'engagement critique authentique avec la résistance palestinienne dont nous avons besoin. Il ne s'agit pas seulement de la position de la Palestine contre le nettoyage ethnique, ou de son propre combat pour récupérer la Palestine – il s'agit plutôt d'un mouvement de libération avec une résonance mondiale qui représente une lutte universelle. Alors que des personnalités comme Yezid Sayigh et Adam Shatz pensent que la violence du 7 octobre alimentera le fascisme, elle a aussi le potentiel d'ouvrir la voie à un horizon humain plus large. Les mouvements palestiniens, malgré leurs imperfections, requièrent plus qu'une simple critique négative, le retrait et les condamnations sévères des intellectuels masquent souvent des réserves profondes ou un rejet pur et simple de la lutte de libération palestinienne, quand il ne s'agit pas simplement de mépris.
Les Palestiniens devraient-ils simplement accepter le sort prédéterminé qui leur est réservé par les intellectuels occidentaux ? Si c'est le cas, ces intellectuels devraient avoir le courage de l'exprimer clairement. Si leur suggestion est l'anéantissement politique de la Palestine ou sa réduction en note de bas de page d'articles et de critiques savantes d'Israël, il faut le dire avec conviction.
Il est possible que la perception des événements du 7 Octobre ne soit qu'une expression de la nécrose intra-palestinienne et, davantage une indication de ce que les intellectuels souhaitent secrètement pour nous. Mais nous, en Palestine, nous voulons et nous nous battons pour un monde qui nous inclut, et un monde qui inclut tout le monde. Pleurez-nous si vous voulez, ou ne le faites pas. Condamnez-nous ou non. Comme si nous n'avions pas déjà entendu les cris de condamnation.
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