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Palestine : Une solidarité qui doit s’intensifier

La tuerie se poursuit à Gaza, Israël n'ayant de cesse de justifier ses actions comme étant des actes de légitime défense face à l'attaque du Hamas. Cette invocation de la légitime défense est particulièrement fallacieuse puisque le droit international est clair : la légitime défense ne peut être invoquée par une puissance coloniale contre un mouvement de libération nationale. Or Israël est bel et bien une puissance coloniale occupant illégalement des territoires palestiniens.
Se réclamer de l'Holocauste pour dire
que Dieu est avec nous en toutes
circonstances est aussi odieux que le
« Gott mit uns » qui figurait sur
le ceinturon des bourreaux.
• Emmanuel Levinas
La radicalisation droitière en Israël
Ce qui est particulièrement inquiétant en marge du massacre délibéré de toute une population civile à Gaza, c'est la droitisation que cela révèle chez la population juive israélienne. Dans un blog publié sur le site de l'Agence media Palestine, Jonathan Ofir faisait état d'une enquête publiée par l'Institut israélien de la démocratie montrant que 68% des Juifs israéliens s'opposaient au transfert de l'aide humanitaire à la population de Gaza. Dans ces circonstances il ne faut pas s'étonner du fait que des manifestants israéliens bloquent le passage des convois humanitaires près de Rafah et soient loin d'être réprimés pour ces gestes. Il en concluait que les « Israéliens ne semblent même plus se soucier de maintenir un semblant de libéralisme – ils sont passés en mode génocide ».
Cela se fait aussi lourdement sentir dans les territoires palestiniens occupés de Cisjordanie et de Jérusalem-Est. Ainsi, selon des données recueillies par des organismes de défense des droits humains, 422 personnes palestiniennes (108 mineurs) ont été tuées depuis le 7 octobre, 4690 blessées (724 mineurs), 7725 arrêtées. Les démolitions de maison se poursuivent, les raids de l'armée israélienne ont doublé depuis le 7 octobre et on a recensé 660 attaques de colons israéliens contre les Palestinien.nes. Il y a plus de 9000 Palestinien.nes détenues dans les prisons israéliennes, dont plusieurs en détention administrative (i.e. sans accusation précise et, a fortiori, sans procès). De plus Israël s'est approprié 8 000 dunums de terres palestiniennes dans la vallée du Jourdain, terres sur lesquelles le ministre des finances, Smotrich, se propose de construire de nouvelles colonies
Pendant ce temps à Gaza, le décompte macabre s'accélère. Si l'armée israélienne n'a pas encore lancée sa grande offensive contre Rafah, elle n'en poursuit pas moins ses opérations tant à Rafah que dans le reste de Gaza : ce sont encore des bâtiments civils et des hôpitaux qui sont principalement pris pour cible. Ceci sans compter la famine et les maladies liées à l'absence d'eau potable et de soins médicaux qui risquent d'accélérer le processus, de même que les morts de nourrissons et de jeunes enfants. Ainsi Gaza est passé du statut de prison à ciel ouvert à celui encore moins enviable de camp d'extermination.
Une fois de plus, Israël ignore la volonté de la communauté internationale et feint de croire que les décisions du conseil de sécurité ou celles de la Cour internationale de justice ne sont que des recommandations alors qu'elles constituent des obligations. Même si les États-Unis semblent avoir momentanément renoncé à utiliser leur droit de veto au conseil de sécurité de l'ONU, ils n'en continuent pas moins d'alimenter la machine de guerre israélienne.
Renforcer la solidarité internationale
L'expérience nous a montré que la plupart des États occidentaux continuent de soutenir, d'une façon ou d'une autre, Israël. Ce n'est que la solidarité des peuples qui peut parvenir à faire changer la donne pour la population palestinienne.
Le 23 mars, une coalition de plus de 200 organisations québécoises organisait une marche de solidarité avec le peuple palestinien. Il est à souhaiter que ce genre de coalition continue à agir ensemble pour montrer notre détermination à empêcher que le Québec et le Canada ne se fassent les complices d'un État génocidaire et maintenir une pression qui a permis que le gouvernement canadien appelle (tardivement) au cessez-le-feu à Gaza, recommence à financer l'UNRWA et révise sa politique de vente d'armes à Israël. Il semble que nous devons également redoubler d'effort par rapport au gouvernement québécois qui, non seulement a décidé d'ouvrir un bureau du Québec à Tel Aviv mais y a, après avoir longtemps menti à ce sujet, envoyé son responsable. Nous devons faire en sorte que ce bureau ferme définitivement.
Nous devons également redoubler d'efforts pour que l'aide humanitaire se rende effectivement à Gaza et qu'Israël se conforme aux décisions de la Cour internationale de justice qui a encore réitéré et notifié à Israël sa décision du 26 janvier dernier. Le parachutage de quelques denrées ou même la construction d'une jetée à Gaza ne sont que de la poudre aux yeux qui non seulement ne permet pas de nourrir adéquatement 2 millions de personnes, mais peut également s'avérer dangereuse puisque les soldats de l'armée israélienne n'hésitent pas à ouvrir le feu sur ceux et celles qui se précipitent sur les denrées.
Il importe également de remettre à l'ordre du jour le droit à l'autodétermination pour le peuple palestinien. À cet égard, il est urgent d'intensifier un peu partout à travers la planète la campagne de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) à l'encontre de l'Israël et de sa politique d'apartheid et de colonisation par rapport au peuple palestinien. Car il n'y saurait y avoir de paix et de justice si le peuple palestinien ne peut exercer son droit à l'autodétermination.
Diane Lamoureux
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Déclaration concernant l’imposition d’un visa canadien aux mexicaines et aux mexicains

Suite à l'augmentation du nombre de demandeurs d'asile mexicains au Canada, le gouvernement fédéral canadien, sous la pression des États-Unis et du gouvernement provincial du Québec, a réimposé l'obligation de visa d'entrée aux ressortissants mexicains, depuis le 29 février 2024 dernier. Cette mesure aura sans aucun doute un impact sur les personnes en quête d'un refuge et d'une vie paisible.
Tiré de Entre les lignes et les mots
C'est pourquoi les activistes et les organisations de défense des droits humains prennent position contre cette récente mesure. Ils soulignent la responsabilité du Canada dans la crise économique, sociale et de sécurité mexicaine, d'autant plus que le Mexique est l'un des partenaires commerciaux du Canada dans le cadre de l'Accord de libre-échange nord-américain.
1. La responsabilité du Canada dans la crise économique et sociale mexicaine depuis la signature de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA)
Depuis la signature de l'accord de libre-échange entre les États-Unis, le Canada et le Mexique en 1994, l'économie mexicaine est en déclin, en raison de décisions commerciales et politiques imposées qui ont fait du Mexique un partenaire faible de l'ALENA. Les industries canadiennes ont bénéficié de cet accord de manière inégale pour obtenir une main-d'œuvre bon marché, sans garantir de bonnes conditions de travail aux Mexicains. De nombreuses industries mexicaines ont également été démantelées, ce qui a entraîné du chômage et une augmentation de l'économie souterraine.
La population rurale est la plus touchée par l'ALENA : la réduction des aides à l'agriculture mexicaine a entraîné la destruction des campagnes. Les meilleures terres ont été laissées aux monopoles internationaux, spécialisés dans les produits agro-exportés, qui approvisionnent le marché canadien [1]. Cette situation a eu un impact sur la souveraineté alimentaire et la nutrition de la population mexicaine. L'agro-industrie a entraîné l'épuisement des sols fertiles, la déforestation, l'accaparement des terres et la pollution de l'eau par les produits agrochimiques utilisés dans l'industrie. La pauvreté a alors explosée dans les zones rurales, faisant de la migration un moyen alternatif de survie.
Nombre de nos concitoyens ont été contraints d'émigrer dans le cadre des programmes de travailleurs étrangers temporaires (PTET) ou des programmes de travailleurs agricoles temporaires (PTAT). Les conditions d'esclavage moderne dans lesquelles ils travaillent ont été dénoncées, vérifiées et documentées [2]. Les conditions inhérentes au fonctionnement de ces programmes font qu'une personne qui souffre déjà d'exploitation au travail se retrouve dans une situation d'« illégalité », avec le risque d'être expulsée et de vivre dans un état d'isolement et de clandestinité, passant de l'exploitation à la surexploitation [3].
Toutefois, les étudiants et les travailleurs agricoles saisonniers sont exemptés de cette nouvelle mesure imposée au Mexique. Pendant la pandémie, la sécurité alimentaire du Canada a été menacée. Cela démontre la nécessité de recourir à une main-d'œuvre temporaire et précaire.
2. Dépossession, migration forcée et violence liées à l'industrie minière canadienne et au crime organisé
L'industrie minière canadienne a été l'un des principaux bénéficiaires de l'accord de libre-échange ; 74% des concessions d'exploration minière au Mexique sont aux mains de sociétés canadiennes. Les méthodes violentes par lesquelles cette industrie s'est imposée sont bien documentées. Les compagnies minières canadiennes sont responsables de nombreuses violations des droits humains, de la pollution de l'environnement, ainsi que du développement de conflits communautaires internes et de la violence liée au crime organisé. L'assassinat de Mariano Abarca à Chicomuselo, au Chiapas, en 2009, et la relation entre le crime organisé, les compagnies minières et le soutien de l'ambassade canadienne à leurs entreprises en sont des exemples. Un autre cas est celui de la compagnie minière Peñasquito dans l'État de Zacatecas, dirigée par Goldcorp, qui, pour son expansion et sa consolidation, s'est appuyée sur le crime organisé en intimidant et en déplaçant la population. Elle s'est emparée non seulement du territoire, mais aussi du patrimoine familial.
Le lobbying des compagnies minières au Mexique a permis aux entreprises de payer moins d'impôts, en partie grâce à la corruption à laquelle les fonctionnaires mexicains ont consenti. De leur côté, les institutions canadiennes chargées de la responsabilité sociale des entreprises et le bureau du médiateur des peuples, bien que conscients des violations des droits humains commises par les entreprises, agissent avec indifférence et sans prendre de mesures punitives à l'encontre de ces dernières. Tout ceci a contribué au déplacement forcé de populations entières, à la prolifération des conflits sociaux et à l'insécurité au Mexique.
3. La violence au Mexique, cause de migration forcée
Depuis 2000, le Mexique est reconnu comme l'un des premiers pays au monde à générer de la migration, et cette situation s'est aggravée depuis la guerre contre le trafic de drogue décrétée par les anciens présidents Felipe Calderón et Enrique Peña Nieto. Cette guerre et la stratégie actuelle de lutte contre l'insécurité ont fait près de 350 000 morts entre 2006 et 2021 et plus de 72 000 disparus [4]. Dans ce contexte de violence, la situation des femmes et des jeunes filles est déchirante : chaque année, plus de 3 000 femmes sont assassinées, et les violences vont des agressions sexuelles aux féminicides.
La stratégie militaire adoptée par le gouvernement pour lutter contre l'insécurité s'est traduite par la mobilisation de 150 000 soldats de l'armée et de la Garde nationale. Ces soldats, initialement actifs dans les rues, se sont convertis en bâtisseurs de grands travaux publics et en gardiens de ports et de douanes, qui font mur face aux flux migratoires. Cette situation a de redoutables répercussions sur les droits humains de la population civile, car de graves abus ont été signalés. Les organes civils chargés de punir et de contrôler les militaires restent absents.
Nous pensons que cette situation est bien connue du gouvernement canadien : celui-ci a joué le rôle de conseiller militaire dans la stratégie de guerre au Mexique. Il est pratiquement impossible, étant donné le type de relations que le Canada entretient avec le Mexique, que le gouvernement canadien ne soit pas au courant de la situation réelle dans ce pays. Le Canada la connaît parfaitement, mais se tait et se cache pour préserver ses intérêts économiques au Mexique.
D'autre part, il existe un discours faux et hypocrite selon lequel nous, Mexicains, représentons un danger pour la sécurité du Canada dû à l'arrivée des cartels. Cependant, il n'est pas fait mention des mafias canadiennes, telles que le Wolfpack, et de leurs alliances avec ces organisations criminelles, qui opèrent avec et sans visa, en utilisant des méthodes sophistiquées par le biais d'Internet [5]. On ne parle pas non plus de la grande corruption qui sévit parmi les élites canadiennes, ces acteurs principaux qui sont les grands consommateurs et qui, en fin de compte, leur permettent d'entrer, de trafiquer et d'opérer en toute impunité.
Parallèlement, l'augmentation de la traite d'êtres humains au Canada est liée aux politiques migratoires de main-d'œuvre non libre (par le biais des programmes pour les travailleurs d'outre-mer (PTET)) et à la précarité qui touche la population immigrée et migrante. Les pratiques de traite d'êtres humains, d'esclavage et de travail forcé sont liées au flux de personnes cherchant à franchir la frontière canado-américaine, ainsi qu'aux pratiques abusives subies par les migrants qui restent et travaillent au Canada. Ce dernier doit donc assumer la responsabilité directe de ce phénomène par le biais de ses politiques migratoires.
4. Le rôle des demandeurs d'asile dans la vie économique canadienne
Les demandeurs d'asile au Canada, qui ont migré de force à la recherche de meilleures conditions de vie, sont le produit de la violence, de la dépossession, de l'inégalité économique, du manque d'opportunités, de l'extraction des ressources et de l'impunité au Mexique.
Cependant, le rêve canadien est souvent terni par les conditions de vie précaires auxquelles font face les travailleurs mexicains. Ils constituent une partie essentielle de l'économie canadienne, occupant principalement des emplois considérés comme essentiels ou se trouvant à la dernière étape des chaînes de production industrielle. Leur travail est souvent effectué dans des conditions précaires, ce qui nuit à leur expression juste et à leur bien-être.
Les possibilités de travailler dans un domaine professionnel propre au travailleur sont limitées et exigeantes. Les travailleurs sont incorporés dans des emplois peu qualifiés. Leur capacité et la contribution qu'ils peuvent apporter à la société canadienne sont alors gaspillées.
En ce qui concerne la crise du logement au Canada, les Mexicains sont confrontés à des abus constants de la part des propriétaires. Par crainte de perdre leur chambre, ils ne font souvent pas valoir leurs droits. Les familles de demandeurs d'asile ne reçoivent pas d'allocations familiales pour la garde d'enfants. Celles-ci permettraient aux parents de travailler et de maintenir la sécurité et la protection de leurs enfants. En outre, les familles reçoivent des conseils juridiques inefficaces de la part d'avocats mal formés.
Ceci influe sur leur capacité à poursuivre ou à gagner un procès. Leur futur dépend des avocats : vont-ils maintenir un statut régulier avec accès à la sécurité sociale ou vont-ils devoir vivre sans statut, dans la clandestinité et sans accès aux droits fondamentaux tels que la santé, l'éducation et le travail, exposant ainsi leur vie et celle de leur famille à des abus constants ?
5. Les impacts de l'imposition du visa sur la vie des personnes et la position diplomatique du Mexique vis-à-vis du Canada
Les impacts négatifs de l'imposition du visa n'affectent pas seulement la population qui demande l'asile, mais ont également divers effets collatéraux. De plus, les conditions d'obtention du visa sont excluantes et discriminatoires, notamment au niveau de la classe sociale.
Cette imposition s'inscrit dans un ensemble de réformes de l'immigration qui perpétuent le colonialisme en Amérique du Nord. Ces réformes portent atteinte aux droits humains et restreignent l'intégration des Mexicains dans la vie économique et académique du Canada, notamment celle des nouveaux travailleurs qualifiés et des étudiants. De plus, ce visa restreint le droit au regroupement familial pour la population mexicano-canadienne.
Afin de protéger les Mexicaines et les Mexicains au Canada, nous refusons de passer sous silence la position tiède et faible du gouvernement mexicain de la Quatrième Transformation, vis-à-vis du gouvernement de Justin Trudeau. Cette politique d'indifférence et de manque de reconnaissance de la part du gouvernement mexicain envers les Mexicains, qui existent et résistent au Canada, n'est pas différente de celle des administrations précédentes. En effet, citons l'exemple du silence de l'ambassade du Mexique au Canada et des consulats mexicains qui, conformément à cette politique nationale (et préoccupés par les prochaines élections présidentielles), ne se sont pas prononcés sur la décision d'imposer des visas aux Mexicains. Ils connaissent pourtant les implications de cette mesure pour la population qui est déjà au Canada ou celle qui veut y venir, principalement pour fuir le climat de tension et de violence qui est généré avant les élections [6].
L'imposition de visas est une violation directe de la Déclaration universelle des droits humains et ne contribue pas à garantir l'équité entre les personnes de différentes nationalités ; au contraire, elle accroît les inégalités et les conditions de vulnérabilité de milliers de personnes. La demande d'asile est un droit humain et les gouvernements des pays qui peuvent offrir des conditions de sécurité et de vie digne devraient mettre en œuvre des politiques publiques qui garantissent un transit digne à travers les frontières, sans mettre en danger la vie des personnes.
C'est pourquoi nous invitons le gouvernement canadien à annuler l'obligation de visa pour les Mexicaines et les Mexicains.
Montréal, Canada – 11 mars 2024
[1] https://aristeguinoticias.com/1903/mexico/el-tlc-y-la-destruccion-de-la-economia-mexicana/
[2] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2008704/travailleurs-etrangers-esclavage-conditions-ferme
[3] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2008704/travailleurs-etrangers-esclavage-conditions-ferme
[4] https://www.washingtonpost.com/es/post-opinion/2021/06/14/mexico-guerra-narcotrafico-calderon-homicidios-desaparecidos/
[5] https://www.infobae.com/america/mexico/2021/12/15/el-wolfpack-la-alianza-criminal-entre-el-cartel-de-sinaloa-y-las-mafias-canadienses-que-cambio-el-negocio/
[6] Depuis le début du processus en novembre dernier et jusqu'au 6 mars, au moins 23 homicides de maires, de candidats, de conseillers et de politiciens inactifs ont été documentés. Parmi eux, 13 étaient candidats aux élections du 2 juin.
http://www.elfinanciero.com.mx/elecciones-mexico-2024/2024/03/06/cuantos-candidatos-han-sido-asesinados-en-el-proceso-electoral-y-quienes-son/
Signez ici :
https://docs.google.com/document/d/1GrVjzoTFAOiMDIieGUdH84MeyqfnFoi0sRWgWHjaa3E/edit
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Nous arrivons !

À la population et aux organisations de la Mauricie, nous revendiquons une société égalitaire non pas qu'en théorie, mais aussi, et surtout, en pratique. Cela signifie, entre autres, une société où :
– Nos filles et nos fils naissent réellement égaux
– Le rose, le bleu, la douceur et la force n'ont pas de sexe ni de genre
– La contraception est gratuite et les milieux de garde abondants
– La charge mentale est partagée
– La répartition des pouvoirs est équilibrée
– Les femmes et les hommes gagnent le même salaire
– Devenir infirmier ou électricienne est valorisé
– Le travail non rémunéré est reconnu
– Être en sécurité n'est pas un privilège
– Avoir un toit et se nourrir n'est pas un combat
– Chaque personne accède aux mêmes services
– L'apport historique et culturel des femmes et des Premières Nations est reconnu
– Tout le monde est vu, entendu, cru et soutenu
– La discrimination n'existe plus
Nous arrivons de la survivance
avec le poids des luttes sur nos épaules
mais nos pas moins lourds sur la balance
nous arrivons avec nos espérances millénaires
et
nos fatigues ancestrales
nos abris nécessaires
nos silences
achevés
nous arrivons de la résistance
avec nos peines torrents
nos colères souterraines
car
dans nos archives et dans nos veines
dans nos mémoires et dans nos jours
trainent encore
la peur au ventre les plafonds de verre le vent de face
la trace
du déséquilibre
nous arrivons chargées d'urgence
avec, en bandoulière, notre sororité et nos miracles
nos miracles
d'être encore là chargées de rêves possibles
parce que nous avons le droit d'exister
entières et pleines
vivantes et souveraines
reconnues
soutenues
légitimes et puissantes
et parce que le Monde en a besoin
nous réclamons sa réparation
au cœur de l'intime jusqu'au bout du commun
le réparer toutes et tous Ensemble
des inégalités
de la brutalité
des injustices et des pillages
de la fatalité
des systèmes qui nous oppressent mais dans lesquelles nous avons marché toutes et tous Ensemble
par habitude et par défaut
parce que le passé parle au futur et qu'il lui dit que ça suffit
nous appelons la guérison
reconstruire toutes et tous Ensemble
autrement, autres mœurs
un Monde respect
un Monde nourricier
un Monde digne
des êtres qu'il enfante
à travers nous
Signature : Le mouvement des femmes de la Mauricie
Autrice : Liliane Pellerin
À la population et aux organisations de la Mauricie
Nous revendiquons une société égalitaire non pas qu'en théorie, mais aussi, et surtout, en pratique. Cela signifie, entre autres, une société où :
Nos filles et nos fils naissent réellement égaux
Le rose, le bleu, la douceur et la force n'ont pas de sexe ni de genre
La contraception est gratuite et les milieux de garde abondants
La charge mentale est partagée
La répartition des pouvoirs est équilibrée
Les femmes et les hommes gagnent le même salaire
Devenir infirmier ou électricienne est valorisé
Le travail non rémunéré est reconnu
Être en sécurité n'est pas un privilège
Avoir un toit et se nourrir n'est pas un combat
Chaque personne accède aux mêmes services
L'apport historique et culturel des femmes et des Premières Nations est reconnu
Tout le monde est vu, entendu, cru et soutenu
La discrimination n'existe plus
Aux élues et élus de la Mauricie
Nous revendiquons :
1- La reconnaissance du féminisme, de ses courants et de ses luttes, de son histoire et de ses contributions sociales, tout en reconnaissant l'intersection des oppressions
2- La reconnaissance de tous les systèmes d'oppression (par exemple, le racisme, l'hétérosexisme, le classisme, etc.) qui engendrent notamment des violences et nuisent aux conditions de vie des femmes
3- L'application de l'analyse différenciée selon les sexes et intersectionnelle (ADS+) dans les politiques, les plans d'action et les projets locaux et régionaux
4- L'obtention des données récentes à l'échelle territoriale et régionale, ventilées selon le sexe et les genres et selon différentes caractéristiques de la population (approche intersectionnelle), pour pouvoir agir adéquatement sur les enjeux d'égalité (éducation, emploi, revenu, santé, violence)
5- L'accès à un revenu couvrant tous les besoins essentiels, peu importe le travail des femmes, qu'il soit rémunéré ou pas
6- L'accès des femmes à des formations qualifiantes et à des professions d'avenir, dont les métiers à prédominance masculine
7- La valorisation des secteurs d'emploi à prédominance féminine
8- La mise en place de mesures favorisant la conciliation famille-travail-études afin de lever un frein à l'autonomie économique et à l'engagement professionnel des femmes dans les entreprises et organisations de la Mauricie
9- La reconnaissance de toutes les formes de violences faites aux femmes et la contribution à leur élimination
10- La mise en place de politiques et pratiques inclusives en s'attaquant au sexisme et à d'autres obstacles à l'égalité des sexes et des genres associés aux violences systémiques et institutionnelles vécues par les femmes dans tout type de parcours de vie
11- Le maintien et l'accessibilité des services publics de santé et d'éducation de qualité, universels et gratuits pour toutes les femmes sans discrimination, peu importe leur statut
12- Le développement et l'adaptation des services de santé et services sociaux pour les femmes afin qu'ils soient accessibles à toutes, dans tous les territoires, et culturellement sécuritaires
13- La mise en place de mesures favorisant la conciliation famille-travail-études afin de lever un frein à l'engagement politique et citoyen des femmes en Mauricie
14- La reconnaissance d'un financement à la mission adéquat et récurrent pour la TCMFM et les groupes en défense collective des droits, ainsi que pour les groupes de femmes et communautaires
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Projets de maisons d’hébergement à l’arrêt : Un dénouement des projets au cas par cas, sur fond de crise

Suite à la grande couverture médiatique entourant les enjeux des projets de construction de maisons d'hébergement pour femmes et enfants victimes de violence conjugale, les associations de maisons considèrent avoir été entendues par le ministère des Affaires municipales et de l'Habitation. En reconnaissant que les maisons d'hébergement ne sont pas du logement social et nécessitent à ce titre des ajustements, une sortie de crise se dessine à court terme.
Un dénouement projet par projet
L'incohérence gouvernementale, qui bloquait plusieurs projets, a pu être mise en lumière dans les dernières semaines. Les projets en péril ont été étudiés en profondeur et des solutions ont enfin été approuvées. Ces ajustements sont issus de demandes faites depuis les trois dernières années en vue de répondre à la réalité des maisons d'hébergement et aux besoins des femmes et des enfants victimes de violence. Des suggestions de la Société d'Habitation du Québec ont aussi permis certaines économies.
“Si notre expertise avait été reconnue dès le début, et que les adaptations avaient été mises en place, nous aurions pu construire plus rapidement et ainsi offrir la sécurité à plus de femmes et d'enfants” se désole Maud Pontel, coordonnatrice de L'Alliance des maisons d'hébergement de 2e étape.
Malgré ces avancées, il reste du chemin à faire pour sécuriser les projets actuels et futurs. Le risque de perdre de l'argent du gouvernement fédéral demeure. “La Société d'Habitation du Québec indique avoir l'intention d'évaluer les besoins des maisons d'hébergement afin d'adapter si nécessaire les programmes de financement actuels. Cette démarche est essentielle pour éviter de vivre les mêmes problèmes avec les projets futurs” indique Louise Riendeau, coresponsable des dossiers politiques au Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale. D'ici là, des rencontres de travail sont prévues pour ne pas ralentir les projets actuellement sur la table à dessin.
Manque de places, services saturés, féminicides : il y a urgence d'agir
Les projets de construction, retardés en raison de l'incohérence gouvernementale, ne résoudront hélas pas, à court terme, la situation d'urgence dans laquelle sont plongés les services qui viennent en aide aux femmes et aux enfants victimes de violence. “Pendant que ces projets prenaient du retard, le manque de places a continué de s'aggraver. Il va maintenant falloir mettre les bouchées doubles, autant pour la construction que pour le financement des services” insiste Mylène Bigaouette, directrice par intérim à la Fédération des maisons d'hébergement pour femmes. En plus du manque de places qui amène SOS violence conjugale à refuser 17 demandes d'hébergement par jour, les listes d'attente s'allongent pour les femmes et les enfants qui ont besoin de soutien sans être hébergés (ce qu'on appelle les services externes). Plus du tiers des maisons membres du Regroupement ne sont plus en mesure de répondre à la demande pour des activités de sensibilisation et de prévention, qui font partie intégrante de leur mission. Du côté des maisons de 2e étape, plusieurs d'entre elles pourraient d'ores et déjà constituer et former leur équipe en vue d'offrir des services temporaires, avant même d'ouvrir leurs portes.
Les maisons d'hébergement sont prêtes à augmenter leur offre de services aux femmes et aux enfants, et à discuter de solutions rapides avec le gouvernement. Pour répondre à la demande d'aide qui explose partout dans la province, les trois associations de maisons interpellent à nouveau le ministère de la Santé et des Services sociaux et le Secrétariat à la Condition féminine : il y a urgence d'agir pour maintenir le filet de sécurité.
Le meurtre de Madame Houle par son conjoint hier dans les Laurentides vient alourdir le bilan des féminicides conjugaux à 5 depuis le début de l'année au Québec. C'est à peine moins qu'à pareille date en 2021, où le Québec déplorait 7 féminicides en 7 semaines. Malgré des investissements records annoncés cette année-là par le gouvernement Legault, les deux derniers budgets de Monsieur Girard ne prévoyaient aucun argent neuf pour les maisons d'hébergement. Nous souhaitons continuer sur cette lancée afin d'obtenir un financement à la hauteur des services auxquels ont droit les femmes et les enfants victimes de violence.
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400 artistes opposés aux législations anti-trans au Canada – une lettre ouverte

Nous méritons tous la liberté d'être nous-mêmes, d'être en sécurité et traités avec dignité. Les personnes LGBTQ+ sont nos amis, notre famille, nos voisins et nos collègues de travail. Mais les groupes d'extrême droite exploitent la peur et nous opposent les uns aux autres afin de créer un Canada où nous avons peur de la différence. À l'heure actuelle, ils utilisent les personnes trans comme punching-ball, mais la vérité est que cette communauté est leur bouc émissaire commode. Leur programme est le même qu'il a toujours été : permettre aux personnes au pouvoir de conserver ce pouvoir aux dépens des plus marginalisés d'entre nous.
Tiré du site de la Fondation Tegan & Sara.
Pour ceux qui vivent à l'extérieur du Canada, le pays est souvent considéré comme un refuge pour les droits de la personne. Cependant, la réalité est que le Canada n'est pas à l'abri des attaques mondiales contre la communauté trans et son accès à des espaces, des soins de santé et des libertés inclusifs. En Alberta, la première ministre Danielle Smith a ciblé les jeunes transgenres en proposant d'interdire les traitements hormonaux, les bloqueurs de puberté et la chirurgie de confirmation de genre. Quelques mois auparavant, le Nouveau-Brunswick et la Saskatchewan avaient annoncé qu'ils exigeraient le consentement des parents avant que les écoles puissent honorer les noms et pronoms choisis par les enfants de moins de 16 ans de divers genres.
Tout le monde mérite d'avoir accès à des services de santé essentiels qui les valorisent. Toute personne détenant une identité historiquement d'exclusion sait ce que signifie être traitée différemment en raison de qui elle est. Les politiques anti-trans qui s'enracinent au Canada vont au-delà de la discrimination : elles présentent un risque évident pour le bien-être mental et physique des personnes trans partout au pays.
En tant qu'artistes, nous connaissons le danger d'un environnement social et politique qui restreint l'expression, l'exploration, l'individualité et l'autodétermination. Nous voulons continuer à vivre dans un monde qui célèbre la beauté de la différence, car différence et art vont de pair. Nous croyons également au pouvoir d'utiliser nos voix pour ceux qui ne sont pas entendus.
Nous, artistes sous-signés du Canada, nous opposons à ces politiques alarmantes et destructrices et appelons le grand public à porter son attention sur un problème croissant dans notre pays. Le gouvernement ne devrait jamais se mettre entre les parents, leurs enfants et des soins de santé et des soutiens fondés sur des données probantes. Nous tendons vers une législation anti-trans de plus en plus néfaste au Canada, et nous appelons nos communautés et les décideurs politiques locaux et nationaux à mettre un terme à cette montée inquiétante de la politique anti-trans.
Déclaration préparée par le conseil d'administration de la Fondation Tegan et Sara avec le soutien de Fae Johnstone.
Sigantaires
Adam DiMarco
Aïcha Diop
Aidan Andrews
Aidan Knight
Aiden
Aileen Tolentino
Aimee Yoncé Shennel
Aisling Chin-Yee
AJ Simmons
Alan Doyle
Alanis Morissette
Alex Klipper
Alexandra Caprara
Alexandra McDougall
Alexandra Stréliski
Alexandria Maillot
Alice Astrakianakis
Alicia Elliott
Alison Perdue
Alivia Sabatino
Allie X
Allison Russell
Allyson Mitchell
Althea Thauberger
Alyssa Reid
Amanda Rheaume
Amber Dawn
Andie Angelis
Andrea Ramautar
Andy Shauf
angelica schwartz
Anhi Tran
Ann-Marie MacDonald
Anne Murray
Aquakultre (Lance Sampson)
Ariane Lessard
Arkells (Max Kerman)
Arthi Chandra
Ash Molloy
August
August Klintberg
AuntBibby (Patty Locke)
Aurora Matrix (Anton Ling)
Austra (Katie Stelmanis)
AV & The Inner City (Jenn Dahlen)
Avan Jogia
Avery-Jean Brennan
Aysanabee
Babygirl
Backxwash (Ashanti Mutinta)
badbadnotgood (Leland Whitty)
Ballsy (Isabelle Banos)
Barenaked Ladies (Jim Creeggan)
Beau Cassidy
Begonia (Alexa Dirks)
Bells Larsen
Ben Whiteley
Ben Worcester
Berry Wet La Tina (William Franco)
Bif Naked
Bilal Baig
Billy-Ray Belcourt
Blake Mawson
BLOND:ISH
Bonjay (Alanna Stuart)
Brad Labelle
Brandi Sidoryk
Breagh Isabel
Brendan Grey (Super Duty Tough Work)
breton lalama
Bridget Moser
Bruce LaBruce
Buffy Sainte-Marie
Cadence Weapon (Rollie Pemberton)
Camila Diaz-Varela
Carly Cook
Carly Rae Jepsen
Caroline Marie Brooks
Carson Bassett
Cartel Madras
Cassie Mann
Cat McCluskey
Catherine Cormier
Catherine Hernandez
Caveboy (Mint Simon)
Cayce Fischer
Cendrine Tolomio/Photofrazzle
Chad VanGaalen
Chase Joynt
Chenelle Roberts
Cherie Dimaline
Chinese Medicine (Juno Hailey)
Chris Hibbins
Chris Slorach
Christine Quintana
Chrome Harvest
Cicely Belle Blain
Claudia Kedney-Bolduc
Cobie Smulders
Colin Mochrie
Cœur de pirate (Beatrice Martin)
colleen coco collins
Connor James (June Body)
Dallas Green (Alexisonfire, City and Colour)
Dan Mangan
Dana Cutts
Danica Sommer
Daniel Macivor
Daniel Maslany
Daniel Williston
Danny Ramadan
Darcy & Jer
Daryl Hannah
David Vertesi
Dawn Langstroth
Dayna Danger
Debra McGrath
Deepa Mehta
Deirdre Logue
Derek Walz
Devery Jacobs
Devours (Jeff Cancade)
Diana Krall
Dijah Payne (DijahSB)
Dizzy (Katie Munshaw)
Donovan Woods
Dr. Syrus Marcus Ware
Dragonette (Martina Sorbara)
Drew & Linda Scott
Elise Bauman
Elisha Cuthbert
Elliot Page
Elvis Costello
ElyOtto (Elliott Platt)
Elysse Cloma
Emily Austin
Emily Hampshire
Eren Burton
Eric J. Breitenbach
Eric Johnson
Eric Lourenço (Status/Non Status, OMBIIGIZI)
Eric Svilpis
Erica Chan
Erin Corbett
Esra Firatli
Eve Parker Finley
Fariha Roisin
Farzana Doctor
Feist (Leslie Feist)
Felix Cartel (Taelor Deitcher)
Finnley O'Brien
Fortunate Ones
Fred Penner
Future Star
Gavin Howard
Gentleman Reg / Regina the Gentlelady (Reg Vermue)
George Pettit (Alexisonfire)
Georgia Harmer
Giles Roy
Ginger Emery Quaint
Grant Zubritsky
GUTMACHINE (Jazz Cook)
Hannah
Hannah Mariko Bell
Hannah Obanni
Heather Barr
Heather Rankin
Helen Young
Hollerado (Jake Boyd)
Housewife (Brighid Fry)
Hyaenas (Jen Foster and Jessie Robertson)
Iohanne Wakal - Seidhhr
Ingrid Moore
iskwē
Ivan Coyote
J Stevens
Jade Ehlers
James Daniel Baxter
Jamie Fine
Janet Porter
Jann Arden
Jarin Schexnider
Jason Collett
Jason Sikoak
Jasmyn
Jay Arner
Jeanine LeBlanc
Jen Twynn Payne
Jenn Grant
Jenn Stewart
Jennifer Daley
Jennifer LeBlanc
Jessica Wong
Jesse Locke
Jessica Delisle
Jessie Robertson
Jill Barber
Jillian Tamaki
Jim Cuddy (Blue Rodeo)
Jivesh Parasram
Jo Passed (Jo Hirabayashi)
Joel Waddell
John Greyson
Jonah Falco
Jordan Tannahill
Joseph Topmiller
JP Hoe
JULES (Jules Ozon)
Julia Little
Julianna Riolino
July Talk (Leah Fay Goldstein, Peter Dreimanis)
k.d. lang
Kai Brooks
Kai Cheng Thom
Kali Horse
Kama La Mackerel
Kara Springer
Karkwa
Karla Marx
Kate Cooper
Kathy Zaborsky
Katie Tupper
Kayla Dunbar
Kendra Lewis
Kevin Drew (Broken Social Scene)
Kimberley Brower
Kimmortal (Kim Villagante)
Kiran Rai
Kirsten Kurvink Palm (Status/Non-Status)
Kitten Kaboodle
Kristine McCorkell
Kristyn Gelfand
Kyle Brownrigg
Kyle Loven
Kym Gouchie
Larissa B
Laura Hickli
Laura Nanni
Lauren Han
Lauren S
Lauren Spencer Smith
Lee Newman
Leeroy Stagger
Leith Ross
Lena Montecalvo
Leo D.E Johnson
Lex Feathers
Lights (Lights Poxleitner-Bokan)
Lindsay Ell
Lisa Cristinzo
Lisa LeBlanc
Liz Whitbread
LongTallMart (Jorie Doucette)
loser supreme (Sam Séguin)
Louise Burns
LU KALA
Lucy DeCoutere
Lucy Niles
Luke Renshaw
Luna Nuhic
Mac DeMarco
Madeline Nielsen
Mae Martin
Margot Durling
Mariya Stokes
Mark Rendall
Mark Suknanan p.k.a Priyanka
Matt Wiewel
Matti McLean
Mark Andrew Hamilton
Max Hopkins
Mel Lefebvre
Meg Symsyk
Metric
micha cárdenas
Michael Branham
Michael Crummey
Michael DeForge
Michael Malkin
Michelle McGeough
Midnight Channel (Matty, Brandon, Stu, Drake, Gabby and Chris)
Mike Trebilcock
Mishann Lau
Mishelle Cuttler
Mother Mother (Ryan, Molly, Jasmin, Ali and Mike)
Nancy Kenny
Natasha Restrepo
Neil Young
New Chance (Victoria Cheong)
Nice Horse (Brandi Sidoryk and Katie R)
Nico Pante
Nicolette and the Nobodies (Nicolette Hoang)
nikta boroumand
Nolan Bassett
NON ULTRAS
Nova Lupton
Ol Ben (Ben Wattie)
Olivia Cox (Waxlimbs, Leverette)
Only A Visitor (Robyn Jacob)
Owen Pallett
Pantayo (Jo Delos Reyes, Michelle Cruz, Katrin Estacio)
Parlour Panther (Frankie Brave)
Paul Langlois (The Tragically Hip ; Paul Langlois Band)
Peach Pit
Peaches
Pepper Rose
Peter Kohut
Peter Mahoney (Workers Comp)
pHoenix Pagliacci
Phono Pony (Shay Hayashi)
Phouka
Pillow Fite
poolblood
PUP
Quiet Winter (Brandon Garay)
Raine Hamilton
Rahat Saini
Raylene Harewood
Rec Centre (Alex Hudson)
Rezz (Isabelle Rezazadeh)
Ria Mae
Rich Aucoin
Robert Ondzik
Rodney Diverlus
Rose Cousins
Ruby Waters
Rufus Wainwright
Ryan Hemsworth
Ryland Moranz
S. Chandra
Said the Whale (Tyler Bancroft)
Safia Nolin
Sam Tudor
Sam Weber
Samantha Epp (ZENON)
Sara Porter
Sarah Harmer
Sarah McLachlan
Sarain Fox
Scott Button
Scott Nolan
Scott White
Serena Ryder
Sharon & Bram of Sharon, Lois & Bram
Shawn Everett
Shawnee Kish
Shazia Ahmad
Shelley Butler
Shemeeka McLean
Shyam Selvadurai
Siân Alcorn
Sophie Foster
Stacey MacNevin
Starpainter (Joel Stretch)
Stars (Amy Millan, Torquil Campbell)
Status/Non-Status
Stefana Fratila
Stephen Eckert
Steven Lambke
Steven Lourenço
Stoness Verda
Sum 41 (Cone McCaslin, David Baksh/Dave Brownsound)
SuperKnova
T. Thomason
TALK (Nicholas Durocher)
Tanya Marquardt
Tara Kannangara
Tea Fannie (Tiffannie Bruney)
Ted Gowans
Tegan and Sara Quin
The Beaches
The Bros Landreth (David Landreth)
The Burning Hell (Ariel Sharratt, Mathias Korn)
The Strumbellas (Close Kicks)
Theo Jean Cuthand
Theodore Walker Robinson
Tim Baker
TOBi (Oluwatobi Ajibolade)
Tokyo Police Club (Graham Wright, Greg Alsop)
Tomson Highway , writer/musician
Tranna Wintour
Trevor Blumas (E-Prime)
Trish Salah
Tyler Lieb
Tynomi Banks
Tyson M
Vanessa Kwan
Venus Sherwood
Vivek Shraya
Wade MacNeil (Alexisonfire)
Wendy Crewson
Wild Rivers (Khalid Yassein)
Win Bower
xeon aeon - Juniper Xeon
Yolanda Bonnell
Zachary Bennett
Zaki Ibrahim
Zoe Whittall
36 ? (Taylor Cochrane, Justin Van Groningen, Mitch Cooper)
4BPM

Northvolt, austérité, etc. : On nous prend pour des valises

En politique aussi. La dernière diversion de notre gouvernement provincial a été le déficit énorme qu'on nous a présenté la semaine dernière. Plusieurs analystes ont depuis tempéré ce déficit qui demeure un des plus élevés qui soit, mais quand même pas si énorme qu'on le prétend.
Sommes-nous en train de nous faire intégrer une période d'austérité à venir ? Après avoir baissé les impôts, envoyé des chèques aux familles et fait miroiter encore des baisses d'impôts à venir, aurons-nous la désagréable surprise de voir apparaître notre PM avec un air solennel nous affirmer qu'on n'a plus les moyens de nos ambitions ?
D'ailleurs quelles sont ces ambitions ? Passer à l'histoire pour avoir aidé à mettre en place le plus gros investissement de l'histoire avec NOTRE argent ? Avoir bafoué les règles environnementales en pleine crise climatique ? Je parle ici du projet Northvolt qui n'en finit plus de faire couler de l'encre et des énergies. Et pour cause. Comment peut-on affirmer que ce projet est le début d'une belle histoire d'implantation de filière porteuse de transition énergétique alors qu'elle a pour but de consacrer le mythe de l'auto solo ? Il n'y a rien là pour accélérer la transition énergétique, ce n'est qu'une transaction financière avec nos taxes, autrement cette compagnie ne serait pas venue chez-nous. C'est le ministre de l'Environnement qui l'a affirmé candidement.
Ce gouvernement affairiste qui actuellement est à mettre en place des projets éoliens privés au lieu de les intégrer à notre société d'État qu'est Hydro-Québec sous prétexte que nous ne possédons pas l 'expertise nécessaire. Selon le syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) représentant les employés d'Hydro-Québec, c'est totalement faux. Nous privatisons les profits et nous socialisons les dépenses.
Ces énormes montants consacrés à l'égo de nos super ministres auraient mieux servi à la transition énergétique en subventionnant le remplacement des portes et fenêtres du territoire au complet. Il y aurait même eu des surplus pour défrayer les coûts des maisons d'hébergement pour les femmes victimes de violence, les systèmes de ventilations de nos écoles, la mise en place de réseaux de transport collectif efficaces, la construction de logements abordables et pourquoi pas la réindexation des rentes des retraités de l'État qui attendent depuis plus de 24 ans maintenant ?
Alors, on nous prend réellement pour des valises.
Jacques Tétreault
Citoyen
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Adoption du projet de loi n°41 : Une loi prometteuse gâchée par des contraintes ministérielles

La coalition Sortons le gaz ! s'inquiète des contradictions au cœur du projet de loi 41, maintenant la Loi sur la performance environnementale des bâtiments et modifiant diverses dispositions en matière de transition énergétique, et de certaines modifications qui y ont été apportées par rapport au projet initial. Si le gouvernement semble, d'une main, vouloir encourager l'ambition climatique des villes, ce que la coalition félicite, de l'autre, il risque de briser l'élan qui avait commencé à se manifester en faveur de la décarbonation des bâtiments, notamment grâce au soutien de la coalition.
Rappelons qu'en janvier dernier, des représentant·es de la coalition Sortons le gaz ! ont présenté à l'Assemblée nationale leur mémoire dans le cadre des consultations particulières sur le projet de loi. À cette occasion, si la coalition reconnaissait le potentiel dudit projet de loi pour accélérer la décarbonation des bâtiments, elle insistait également sur la nécessité d'un niveau d'ambition beaucoup plus élevé pour répondre efficacement à la crise climatique. Elle demandait aussi au ministre de l'Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) de ne pas restreindre l'action climatique des municipalités, pour plutôt permettre à celles qui le désirent d'instaurer des règlements plus ambitieux que les normes nationales que compte établir le gouvernement en matière de cotation et de performance environnementale. Les recommandations de la coalition ont été soutenues par plusieurs député·es de l'opposition lors de l'adoption du principe de loi.
D'emblée, la coalition Sortons le gaz ! tient à souligner positivement la modification de l'article 29 autorisant les villes à être plus ambitieuses que les futures normes nationales établies, mais dénonce le régime d'exception instauré par l'article 30. En exigeant que les règlements municipaux concernant la sortie du gaz et allant au-delà du niveau d'ambition des normes nationales soient soumis à l'approbation du ministre de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie, l'article 30 entrave la liberté d'action municipale en matière de décarbonation des bâtiments. Il est impératif de souligner que cet obstacle n'a pas de fondement justifié. En effet, les municipalités possèdent les connaissances nécessaires et bénéficient d'un soutien juridique adéquat, leur permettant d'agir de manière autonome en prenant des décisions énergétiques éclairées avec toute la légitimité requise.
Plus exactement, les membres de la coalition Sortons le gaz ! considèrent que ce « superpouvoir » accordé à ce ministre restreint l'autonomie des municipalités dans leurs choix énergétiques. Les groupes sont d'avis que l'argument « de la sécurité énergétique du Québec » invoqué par le gouvernement ne tient pas la route. En réalité, il le détourne, avec l'objectif de réserver une grande partie des allocations des nouveaux blocs d'électricité à la grande industrie, au détriment de la décarbonation des bâtiments et de l'économie actuelle qui devrait pourtant être la priorité absolue. L'approche retenue par le gouvernement suscite beaucoup d'inquiétudes et de préoccupations chez la coalition, y compris en ce qui a trait au déficit démocratique entourant les prises de décisions. La coalition considère que de tels choix devraient impliquer un éventail plus large d'acteur·ices de la société.
Par ailleurs, la coalition dénonce aussi l'article 35.1, qui divise les municipalités québécoises en deux groupes distincts. Même si cet article préserve les règlements adoptés avant le 15 février 2024, dispensant ainsi certaines municipalités telles que Montréal, Prévost, Candiac et Mont-Saint-Hilaire de l'approbation ministérielle, les autres municipalités du Québec devront désormais obtenir le feu vert du ministre Fitzgibbon pour adopter des règlements plus ambitieux en matière de décarbonation des bâtiments. Ainsi, même si toutes les municipalités font face aux mêmes défis, elles n'auront désormais pas les mêmes capacités et libertés d'action.
Enfin, la coalition Sortons le gaz ! se désole du fait que le gouvernement ne profite pas de cette nouvelle loi pour encourager la rénovation des immeubles à logement mal isolés, par exemple en imposant des sanctions aux propriétaires réfractaires. La coalition souligne que les mesures incitatives telles que les subventions sont inefficaces pour faire agir les propriétaires de bâtiments locatifs. Seul le bâton de la réglementation est efficace pour améliorer leur efficacité énergétique.
Citations
Louise Morand, Regroupement vigilance hydrocarbures Québec (RVHQ) :
« Il y a un consensus chez les expert·es pour reconnaître que les solutions sont matures et facilement applicables pour décarboner rapidement le secteur du bâtiment. Les municipalités ont la volonté d'aller de l'avant pour décarboner leur territoire. Il serait navrant de voir le gouvernement faire fi de ce désir plus que légitime pour décider unilatéralement de sauvegarder des intérêts économiques liés aux hydrocarbures. »
Patricia Clermont, coordinatrice de l'Association québécoise des médecins pour l'environnement (AQME) :
« Le leadership municipal est capital dans la décarbonation du Québec, et dans le bâtiment en particulier. L'utilisation du gaz dans la vie quotidienne doit décroître y compris pour des raisons de santé humaine, actuelle et future, tout autant que par rapport à la concrétisation effective de la décarbonation. Le gouvernement doit comprendre et soutenir ces efforts plutôt que les freiner. »
Anne-Céline Guyon, analyste Climat-Énergie, Nature Québec :
« Avec ce projet de loi, le gouvernement du Québec avait l'opportunité d'enclencher un vrai mouvement de décarbonation des bâtiments, secteur responsable à lui seul de 7% des GES du Québec. Rappelons-le, les alternatives au gaz dans le bâtiment existent. Malheureusement, en dressant des barrières ministérielles inutiles, ce projet de loi ralentit l'élan des municipalités pourtant prêtes à agir. Encore une fois, on s'arrête au beau milieu du chemin. »
Andréanne Brazeau, analyste des politiques climatiques, Équiterre :
« L'esprit du projet de loi est le bon : on vient souligner l'importance de l'efficacité énergétique des bâtiments et on mise sur des outils intéressants, soit les cotes de consommation énergétique et les normes de performance environnementale. Toutefois, le caractère peu contraignant de la démarche et sa portée limitée sont à l'image des autres décisions de ce gouvernement en matière d'environnement : insuffisante et en décalage par rapport à l'urgence climatique. Les municipalités sont en marche pour sortir le gaz de leurs bâtiments, et le gouvernement n'est pas au rendez-vous pour les soutenir. »
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Grèves à la Société Québécoise du cannabis (2022-2023)

Chroniques de conflits de travail, no. 1
Les chroniques des conflits de travail (CCT) consistent à documenter l'histoire, les revendications, les actions et les enjeux, notamment juridiques, de conflits du travail, passés ou présents. Par là, elles veulent contribuer à alimenter les recherches sur les pratiques de résistance et de mobilisations collectives des travailleurs et des travailleuses en lutte contre l'exploitation.
Mars 2024
La grève de la Société Québécoise du Cannabis (SQDC) fut l'une des plus longues grèves de ces dernières années, au Québec1.
Pendant 17 mois, environ 300 travailleurs et travailleuses affilié·e·s à la FTQ ont multiplié les moyens de pression, piquetés devant les succursales, en hiver comme en été, pour tenter d'obtenir une augmentation de salaire, une amélioration de leurs conditions de travail et pour lutter contre la précarité des surnuméraires. Durant toute la durée du conflit, la SQDC a tenté de diviser les syndiqué·e·s, rejeté leurs revendications, suspendu des dizaines de travailleur·euse·s pour avoir refusé de porter l'uniforme réglementaire, multiplié les procédures judiciaires et recouru à des briseurs de grève.
Cette note revient sur cette lutte, en retraçant brièvement l'émergence de la toute jeune société d'État et ses objectifs (1). Elle aborde ensuite la « bataille intersyndicale » que se sont livrées les deux plus grandes centrales syndicales (FTQ et CSN) pour tenter de syndiquer les travailleurs et travailleuses des succursales qui, à partir de 2018, s'ouvrent progressivement un peu partout au Québec (2). La partie suivante retrace de manière chronologique les principaux évènements qui ont marqué la grève (3). En conclusion, nous présenterons quelques pistes de réflexion (4).
Pour lire l'ensemble du texte sur les grèves à la Société Québécoise Du Cannabis, cliquez sur l'icône :

La gauche n’apprend pas la terrible leçon des accointances passées avec l’extrême droite !

La gauche n'apprend pas la terrible leçon des accointances passées avec l'extrême droite ! Pourquoi republier ce texte écrit et publié en 2018 ? Mais parce que, malheureusement, il est aujourd'hui, encore plus pertinent qu'alors. Parce qu'en six ans, la dérive d'une partie de la gauche grecque, mais aussi européenne, vers l'extrême droite s'est accélérée, intensifiée et approfondie, la rapprochant toujours plus de sa mutation finale en l'exact opposé de ce qu'elle avait voulu devenir.
26 janvier 2018 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
Exagérations ? Plutôt non si l'on se souvient que cette gauche non seulement ne semble pas indignée, et encore moins révoltée, par les violations systématiques des droits et libertés démocratiques les plus élémentaires dans les pays dont les régimes lui plaisent, voire qu'elle soutient (par exemple, la Russie, la Chine, la Syrie, l'Inde, la Hongrie, l'Iran,…), mais tend dernièrement à « théoriser » cette attitude en traitant ces droits et libertés démocratiques comme des « luxes »… occidentaux d'importance secondaire dont son cher « monde émergent multipolaire » n'a pas besoin. C'est ainsi, qu'au lieu de prôner l'élargissement des droits et libertés que le régime bourgeois est contraint de concéder sous la pression des luttes populaires et ouvrières, cette gauche prône la réduction, voire l'abolition de ces droits, tels que la liberté de parler et d'écrire son opinion, de créer et d'organiser des partis politiques, des syndicats ouvriers et des mouvements sociaux, etc. Quant à tous ceux qui se battent, souvent dans les conditions les plus difficiles et souvent au péril de leur vie, pour défendre ces droits démocratiques fondamentaux, non seulement cette gauche ne leur témoigne pas la moindre solidarité et leur tourne le dos, mais elle va même jusqu'à reproduire les ignobles calomnies par lesquelles les bourreaux salissent l'honneur des victimes !
Alors, tout en continuant à clamer haut et fort son antifascisme, cette gauche est en train d'emprunter des pans entiers du programme traditionnel des courants et organisations d'extrême droite, voire néofascistes : dédain, voire hostilité, à l'égard des mouvements féministes et LGBT ; climato-scepticisme conduisant souvent à dénoncer le changement climatique comme une « escroquerie de l'impérialisme » ; attribution de vertus anti-systémiques à des régimes autoritaires, policiers, voire dictatoriaux, idéalisés au nom d'un anti-impérialisme qui choisit de soutenir un impérialisme contre un autre, et sympathie affichée, voire soutien à peine voilé, à des dictateurs ou aspirants dictateurs comme Trump, présenté comme victime des complots de l'establishment, etc. etc. Et « bien sûr », toujours moins des références à la lutte des classes remplacée par des références toujours plus nombreuses et insistantes à la patrie, au patriotisme et à « l'Europe des nations », ce qui conduit presque inévitablement à faire l'éloge même….de la famille traditionnelle (« grecque orthodoxe » dans le cas de la gauche grecque !) et d'autres « valeurs » conservatrices, réactionnaires et patriarcales, qui sont censées être menacées par les ennemis de la nation prétendument assiégée, etc, etc.
Alors, puisqu'on a déjà fait l'expérience de ce genre d‘apprentis sorciers dans l'entre-deux-guerres et on se souvient des conséquences catastrophiques de leurs politiques, et puisque notre époque ressemble de plus en plus à cet entre-deux-guerres, nous choisissons de republier le texte suivant, même si nous le faisons sans la moindre illusion que cela puisse changer quoi que ce soit à notre avenir immédiat, qui s'annonce de plus en plus sombre, d'autant plus que l'extrême droite internationale élargit toujours plus son influence. Mais, nous le faisons sûr que personne n'a jamais perdu en tirant des erreurs du passé les enseignements nécessaires pour le présent et l'avenir…
Yorgos Mitralias
2024-03-19_01-fight-racism
***
Quand la gauche grecque n'apprend pas la leçon des jeux dangereux du passé avec l'extrême droite !
Point de départ et en même temps motivation du bref récit de « l'affaire Radek-Schlageter »qui suit est la situation critique créée par le comportement des dirigeants d'une partie importante de la de la gauche radicale grecque à l'égard du rassemblement d'extrême droite (contre la reconnaissance de la République de Macédoine) qui s'est déroulé à Thessalonique le 20 janvier 2018. Alors attention, car les similitudes, les coïncidences et les analogies avec la tragédie européenne de l'entre-deux-guerres sont plus qu'évidentes…
C'est le Printemps 1923 et la Ruhr, le cœur industriel de l'Allemagne, vit sous l'occupation militaire française en guise de réparation de guerre mais aussi de vengeance de la France victorieuse de la Première Boucherie mondiale, sur l'Allemagne vaincue. Comme on pouvait s'y attendre, le peuple allemand humilié, appauvri et sans emploi, résiste à l'étranger qui pille son pays et réprime à la force des baïonnettes les protestations populaires. C'est donc une vague d'émotion et d'indignation qui déferle sur l'Allemagne lorsque les autorités militaires françaises d'occupation jugent, condamnent et exécutent l'ancien combattant, dirigeant des Frei Korps d'extrême droite et nazi Albert Leo Schlageter, arrêté alors qu'il effectuait l'un de ses nombreux sabotages.
Quelques jours plus tard, à l'occasion de l'exécution de Schlageter, le dirigeant bolchevique Karl Radek prononce devant le Comité Exécutif de la III Internationale, un discours qui allait marquer l'histoire du siècle passé de manière décisive mais aussi catastrophique. Voici donc tout de suite un extrait caractéristique de ce discours, tel qu'il est reproduit dans son livre « Moscou sous Lénine » [1] par le révolutionnaire français Alfred Rosmer, présent à cette réunion en tant que cadre dirigeant de la III Internationale.
« Durant tout le discours de la camarade Clara Zetkin, j'étais obsédé par le nom de Schlageter et par son sort tragique. Le destin de ce martyr du nationalisme allemand ne doit pas être tu ni être seulement honoré d'un mot dit en passant. Il a beaucoup à nous apprendre, à nous et au peuple allemand. Nous ne sommes pas des romantiques sentimentaux qui oublient la haine devant un cadavre, ou des diplomates qui disent : devant une tombe il faut louer ou se taire. Schlageter, le vaillant soldat de la contre-révolution, mérite de nous, soldats de la révolution, un hommage sincère. Son camarade d'idées, Freks, a publié en 1920 un roman dans lequel il décrit la vie d'un officier tombé dans la lutte contre les spartakistes intitulé Le pèlerin du néant. Si ceux des fascistes allemands qui veulent loyalement servir leur peuple ne comprennent pas le sens de la destinée de Schlageter, celui-ci est bien mort en vain et ils peuvent écrire sur sa tombe « Le Pèlerin du Néant » ».
Et Rosmer se souvient et raconte ce qui s'est passé immédiatement après : « Les délégués étaient interloqués. Que signifiait cet étrange préambule ? Ce qui suivit ne l'expliquait pas ; au contraire, venait renforcer l'impression première. Poursuivant son discours, Radek évoqua une Allemagne abattue, écrasée par le vainqueur. « Seuls des fous, dit-il, pouvaient s'imaginer que l'Entente traiterait l'Allemagne autrement que l'Allemagne a traité la Russie. Schlageter est mort. Sur sa tombe, ses compagnons d'armes ont juré de continuer : contre qui ? avec qui ? ». Et Rosmer de conclure : « Seule la conclusion (de Radek) était plausible : « Nous croyons que la grande majorité des masses secouées actuellement par des sentiments nationalistes appartient non pas au camp des capitalistes mais au camp du travail. »
Quand la direction du parti met enfin un frein à la catastrophe de la « ligne Radek » et abandonne les actions communes, le mal est déjà fait, du moins en grande partie. Au lieu d'avoir été plumés, les nazis sont sortis de leur isolement et sont devenus une force politique montante presque respectable, prouvant ainsi combien clairvoyant a été non pas le communiste Karl Radek, mais plutôt le… nazi Goebbels. Pourquoi ? Mais parce que Joseph Goebbels s'était empressé d'encenser (!) le discours honteux de l'apprenti sorcier de la Troisième Internationale car il avait immédiatement compris que ses conséquences pratiques seraient désastreuses pour le KPD (le Parti communiste d'Allemagne) alors qu'il serait une véritable aubaine pour son parti nazi… [2]
Malheureusement, c'est presque une tradition du mouvement ouvrier et surtout communiste et socialiste de ne pas apprendre de ses erreurs. Et ce, non seulement à cette époque-là, mais aussi aujourd'hui, presque un siècle plus tard ! Et si dans l'Allemagne d'avant-guerre, le KPD qui appliquait aveuglement les diktats de la bureaucratie stalinienne, et qui a répété plus tard – bien qu'occasionnellement – des actions communes et ses accointances avec les nazis, pourrait profiter de la circonstance atténuante que le fascisme et le nazisme étaient un « phénomène » nouveau et jusqu'alors inconnu, que dire des apprentis sorciers de la gauche grecque d'aujourd'hui qui semblent n'avoir rien appris des expériences tragiques de l'entre-deux-guerres européen – jusqu'à présent inégalées dans leur sauvagerie et leurs conséquences catastrophiques ?
C'est ainsi que les uns, c'est-à-dire ceux du parti au pouvoir Syriza, déclarent combattre le fascisme tout en appliquant avec excès de zèle les politiques néolibérales qui le nourrissent, tandis que les autres, ceux du KKE (PC grec), se vantent de faire face à la menace nazie en suivant fidèlement l'exemple notoirement failli du parti communiste allemand et de son dirigeant d'alors, Ernst Thaelmann, rendu tristement célèbre pour sa malheureuse prédiction. « Les nazis ne resteront que six mois, puis ce sera notre tour » ! Enfin, ceux qui nous préoccupent le plus aujourd'hui, à savoir les dirigeants d'une grande partie – mais heureusement pas de la totalité – de la gauche radicale, combattent le fascisme en découvrant et en louant les « vertus » cachées – totalement inexistantes – de son public social profondément barbare et raciste Tant les uns que les autres commettent un véritable crime ! Et s'ils continuent sur la voie sans issue qu'ils ont choisie, il est presque certain que l'avenir s'annonce sombre, malheureusement, pour les injustes mais aussi pour les justes, c'est-à-dire pour nous tous…
Ainsi, au lieu de rivaliser avec l'extrême droite – fasciste ou non – pour savoir qui est le plus « patriote », le plus authentiquement grec et le plus « combattant pour la Macédoine », il serait bien mieux, même pour eux, d'unir d'urgence leurs forces dans un front antifasciste uni. Un front antifasciste uni qui dissipera la confusion actuelle, inspirera la jeunesse, redonnera confiance aux démocrates, ressuscitera les bonnes vieilles valeurs de solidarité et d'internationalisme, et enfin passera à la contre-offensive dont nous avons si désespérément besoin.
Notes
[1] Alfred Rosmer, Moscou sous Lénine, 1923 – I : Poincaré fait occuper la Ruhr :
https://www.marxists.org/francais/rosmer/works/msl/msl2301.htm
[2] Le régime nazi a donné le nom de Schlageter à des rues et à des places, à des navires et à des casernes, à des villes et à des unités militaires, tandis qu'une pièce de théâtre a été écrite à son sujet, à laquelle on attribue d'ailleurs la phrase tristement célèbre « Quand j'entends le mot culture, je sors mon revolver ». Le dénonciateur présumé de Schlageter auprès des autorités françaises a été assassiné par Rudolf Hoess, futur commandant du camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau, et Martin Borman, bras droit et confident d'Hitler.
Yorgos Mitralias, 26 Janvier 2018

Retour sur la révolution mexicaine (1910-1945)

La révolution mexicaine (1910-1945) a non seulement modifié les structures du pouvoir politique, mais a également porté la promesse de la justice sociale et du développement économique. Via une analyse de la structure sociale du Mexique prérévolutionnaire et des luttes des classes sociales pendant le conflit armé, cet article revient sur la révolution mexicaine comme un processus contrasté de restructuration sociale.
Introduction
- « La bourgeoisie veut les choses que la minorité scientifique n'a pas à lui donner. Le prolétariat, pour sa part, veut le bien-être économique et la dignité sociale au moyen de la prise de possession de la terre et de l'organisation sociale, ce à quoi s'opposent autant le gouvernement que les partis bourgeois1. » Début novembre 1910, le révolutionnaire Ricardo Flores Magón analysait ainsi les problèmes politiques et sociaux auxquels le Mexique faisait face. Le 20 novembre, un soulèvement armé renversa le régime de Porfirio Díaz, au pouvoir depuis 34 ans.
Parce qu'il s'agit d'un processus à la fois politique et social, il est délicat de définir temporellement la révolution mexicaine. L'historiographie s'accorde à considérer le soulèvement armé du 20 novembre 1910 comme le début, tandis que la fin est débattue. Nous utilisons la chronologie proposée par les historiens William Beezley et Michael Meyer2. La première étape est le conflit armé (1910-1920). Dans la deuxième, caractérisée par une relative stabilité politique, les leaders révolutionnaires cherchaient à changer la société (1920-1938). Dans la troisième, les leaders révolutionnaires entreprenaient la création d'une société juste par le développement économique (1938-1945).
Cet article revient sur la révolution mexicaine en tant que révolution sociale, c'est-à-dire affectant la structure sociale et les inégalités de participation politique. Nous décrivons la structure sociale du Mexique prérévolutionnaire, documentons la participation des classes sociales au conflit armé, et examinons la restructuration sociale du Mexique sur le temps long.
Structure sociale du Mexique prérévolutionnaire
Les données du recensement de 1910 permettent de décrire la structure de classes. Sur les 4,6 millions d'actifs, il y avait environ 3 millions de peones de hacienda (ouvriers agricoles), 400 000 agriculteurs et 830 hacendados (propriétaires terriens). Parmi les 15 millions de Mexicains, l'historien Jesús Silva Herzog estime ainsi à 12 millions ceux qui dépendaient directement de l'agriculture, soit 80% de la population. Le monde paysan se structurait donc en trois classes :
1. Les 830 hacendados – moins de 1% de la population – possédaient 97% du territoire national. Ils se partageaient 8245 haciendas, dont certaines se mesuraient en milliers d'hectares. Selon les États, entre 88,2% et 99,8% des habitants n'avaient aucune propriété.
2. La classe des agriculteurs est difficile à définir. J. Silva Herzog fait l'hypothèse qu'elle inclut les propriétaires de terrains dans des aires urbaines et les ouvriers agricoles proches de l'hacendado. En somme, il s'agissait d'actifs vivant de l'agriculture et formant une classe intermédiaire entre hacendados et peones.
3. Les peones dépendaient des hacendados par un lien de subordination pouvant prendre plusieurs formes juridiques. Les salaires étaient faibles et en nature. Il était courant que les peones contractent des emprunts auprès de l'hacendado, ce qui les contraignait à rester indéfiniment sur ses terres pour tenter de rembourser leur dette, constituant une situation d'esclavage de fait3.
Le secteur industriel comprenait surtout des industries traditionnelles : mines, textile, agroalimentaire. L'industrie lourde émergea à la fin du porfiriat ; elle se caractérisait par une hiérarchisation entre une bourgeoisie d'affaires et un milieu ouvrier pauvre. Enfin, le secteur tertiaire était très peu développé. Par exemple, il y avait 3000 médecins pour 15 millions d'habitants, soit 2 pour 100 0004.
Ces inégalités de classe intersectaient avec des inégalités régionales. Comme dans tout le continent, la structure sociale ne se réduisait pas à une opposition universelle entre peones et hacendados : dans Rural Guerrillas in Latin America, l'historien Richard Gott décrit des conditions variantes « non seulement de pays à pays, ou de province à province, mais de vallée à vallée »5. Les États du nord (Hidalgo, Nuevo León) et la ville de Mexico profitèrent davantage de l'industrialisation, avec l'installation d'industries lourdes comme des aciéries et des cimenteries. Les États ruraux du centre (Puebla, Oaxaca, Guerrero, Michoacán) restaient en retard de développement. Ces inégalités s'observaient aussi à l'intérieur des États. Prenons l'exemple de Tlaxcala. Dans le nord dominaient des haciendas de plusieurs milliers d'hectares où vivaient des peones. Dans le centre et le sud, les haciendas étaient moins grandes et coexistaient avec un tissu industriel et artisanal. Enfin, le bassin du fleuve Atoyac-Zahuapán était caractérisé par une agriculture davantage spécialisée et les peones résidaient en dehors des haciendas6.
Les classes sociales face au conflit armé
« Une révolution populaire bourgeoise de caractère agraire »7 : par cette belle expression oxymorique, le sociologue Jorge Martínez Ríos décrit la participation politique des classes sociales au conflit armé (1910-1920). La révolution était de caractère agraire par ses objectifs et populaire mais surtout bourgeoise par son leadership. Par exemple, le leader révolutionnaire Francisco Madero était originaire d'une riche famille d'entrepreneurs et avait étudié à HEC et à l'Université de Californie à Berkeley. Les classes populaires souffraient d'un déficit d'inclusion politique en raison d'une part du faible accès au système éducatif, et d'autre part de l'idéologie positiviste et des pratiques excluantes du porfiriat. Miguel Salvador Macedo, entrepreneur proche du régime, les décrit ainsi : seuls les scientifiques (científicos) peuvent être dirigeants politiques et sociaux parce que « la science et la morale sont hors de portée »8 des classes populaires. Le régime réprimait systématiquement les mouvements sociaux, notamment d'importantes grèves ouvrières au début du XXe siècle.
Bien que ces conditions fassent supposer une participation populaire plutôt faible, les historiens ne parviennent pas à l'évaluer validement. J. Martínez Ríos souligne : « Jusqu'à quel point furent connues les thèses agraires et ouvrières dans les grands secteurs de la population ? Nous ne le savons pas9. » Observons toutefois le développement du mouvement ouvrier, organisé par les structures syndicales. Par exemple, dès 1915, environ 100 000 ouvriers étaient membres du syndicat anarchosyndicaliste Casa del Obrero Mundial. Enfin, la participation variait selon les régions. Par exemple, la stratégie d'agitation permanente des guérillas révolutionnaires dans les États de Morelos, Guerrero, Veracruz et Puebla encouragea de nombreux paysans – y compris hacendados – à participer au conflit armé.
L'ensemble des leaders révolutionnaires reconnaissaient l'importance fondamentale du problème agraire, mais divergeaient sur la solution. Ceux originaires du nord, où la société rurale comprenait des agriculteurs cherchant à devenir hacendados, concevaient que le problème se posait en termes de productivité de la terre et de coexistence pacifique entre les classes sociales. Le centre et le sud, au contraire, étaient caractérisés par la cohabitation parfois violente de grands hacendados et de nombreux peones. Les leaders révolutionnaires qui en étaient originaires étaient plus radicaux et projetaient l'abolition du système des haciendas10.
Une restructuration sociale contrastée
Les divergences originelles des leaders révolutionnaires furent suivies, sur le temps long, de politiques sociales à l'instrumentation et aux effets contrastés. La première loi agraire fut adoptée en 1915. Ses principales dispositions furent la redistribution de la terre, notamment la restitution aux communautés indigènes des terres acquises sous le porfiriat, et la création d'un statut par la suite emblématique, les ejidos, c'est-à-dire des terrains attribués à un groupe de paysans qui en sont propriétaires collectivement mais dont le fruit des récoltes revient à chaque paysan individuellement. En vertu de la loi des Ejidos de 1920, ces paysans étaient assurés de posséder une parcelle de terre « suffisante pour produire […] le double du salaire journalier moyen de la région ». Toutefois, la réforme agraire fut instrumentée de manière incohérente selon les régions. Elle ne supprima pas le système des haciendas, bien que celles-ci ne couvraient plus qu'environ la moitié des terres agricoles après la révolution (8 millions sur 16 en 1958). Elle ne résolut pas l'aggravation de l'exode rural : selon le recensement de 1940, 1,5 million d'hectares d'ejidos étaient à l'abandon11.
Le secteur industriel bénéficia d'une politique d'investissement, notamment les industries lourdes et d'extraction et les réseaux ferroviaire et routier. Ceci favorisa la croissance économique, puis l'augmentation des ressources des gouvernements fédéral et fédérés, et finalement le développement des services publics et de l'État-providence. Le taux d'alphabétisation augmenta de 38,5% en 1930 à 56,8% en 1950 ; une classe moyenne urbaine émergeait12.
Si la société mexicaine devenait plus égalitaire par la distribution des ressources économiques et territoriales, la bourgeoisie continuait à s'approprier les ressources politiques. La culture politique restait autoritaire. Le sociologue Pablo González Casanova explique comment le système éducatif participait à son inculcation aux classes populaires : « Dans toute structure sociale il y a une éducation politique. […] Le peuple est constamment éduqué, et est éduqué de manière autoritaire où la structure du pouvoir et l'attitude des strates dominantes sont autoritaires13. » Le nouveau régime se fondait sur une alliance entre l'ancienne l'oligarchie porfiriste et une partie des classes populaires qui participèrent au conflit armé ; il fonctionnait selon une alternance de répression et de compromis.
Conclusion
Avant 1910, la société mexicaine, structurée en classes dotées de différentes ressources sociales et politiques, était profondément inégalitaire. Les leaders révolutionnaires, dont l'ancrage populaire ou non reste difficile à évaluer, s'accordaient sur la nécessité de la changer, mais divergeaient sur les manières d'y arriver. Ces divergences originelles contribuent à expliquer le caractère contrasté de la restructuration sociale entreprise par les gouvernements de la révolution. Bien que l'industrialisation et le développement de l'État-providence contribuèrent à la réduction des inégalités, la réforme agraire resta inachevée et la socialisation politique des classes populaires marquée par l'autoritarisme.
Le bilan social de la révolution mexicaine est donc à bien des égards complexe et contrasté. L'établir n'est pas neutre politiquement. Comme l'exprimait l'éditorialiste Sabino Bastidas Colinas à l'occasion du centenaire de la révolution : « La révolution est-elle bien terminée ? A-t-elle rempli sa mission ? En avait-elle ? Quel est son bilan ? A-t-elle été couronnée de succès ? La révolution s'est-elle épuisée ? S'est-elle fatiguée ? Pourquoi sommes-nous si nostalgiques de la révolution ? Reste-t-il quelque chose à faire ? Que faire aujourd'hui de la révolution mexicaine ?14 »
Coline Ferrant
Maîtresse de conférences en développement et politiques sociales (Assistant Professor in Social Development & Policy) à Habib University (Karachi, Pakistan).
coline.ferrant@ahss.habib.edu.pk
Notes
1.Adolfo Gilly, La revolución interrumpida, Mexico, Ediciones Era, 2007, p. 81.
2.William H. Beezley, Michael C. Meyer, (dir.), The Oxford History of Mexico, New York, Oxford University Press, 2010.
3.Jesús Silva Herzog, Breve historia de la revolución mexicana, Mexico, Fondo de Cultura Económica, 1960.
4.Collectif, Nueva historia general de México, Mexico, El Colegio de México, 2010.
5.Richard Gott, Rural Guerrillas in Latin America, Londres, Penguin Books, 1973, p. 573.
6.Raymond Buve, « Agricultores, dominación política y estructura agraria en la revolución mexicana : el caso de Tlaxcala (1910-1918) », Revista mexicana de sociología, vol. 52, n°2, 1989, p. 181-236.
7.Jorge Martínez Ríos, « Revolución y conciencia social en México », in Collectif, Estudios sociológicos. Sociología de la revolución, tome II, Mexico, Instituto de Ciencias de Zacatecas, 1959, p. 394.
8.Cité dans Léopoldo Zea, El positivismo en México, Mexico, El Colegio de México, 1943, p. 171-173.
9.Jorge Martínez Ríos, op. cit., p. 389.
10.Lucio Mendieta y Núñez, « Un balance objetivo de la revolución mexicana », Revista mexicana de sociología, Mexico, vol. 22, n°2, mai-août 1960, p. 529-542.
11.Isidro Fabela (dir.), Documentos históricos de la revolución mexicana. Revolución y régimen constitucionalista, Mexico, Fondo de Cultura Económica, 1960.
12.Collectif, Estudios sociológicos. Sociología de la revolución, Mexico, Instituto de Ciencias de Zacatecas, 1959.
13.Pablo González Casanova, La democracia en México, Mexico, Ediciones Era, 2004, p. 211.
14.Sabino Bastidas Colinas, « ¿Ya acabó la revolución mexicana ? », El País, 17 novembre 2009.
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L’idéaliste et le tueur dans « La fonte des glaces »

Les deux co-scénaristes avaient collaboré pour le bruit des arbres mettant en vedette Roy Dupuis. Sarah aurait aussi travaillé sur le beau film sur un réfugié syrien fondateur d'une chocolaterie Du chocolat pour la paix, chocolaterie et film célébrés par la cheffe du Parti Vert, Elizabeth May. Elle en a offert une barre à Joe Biden lors de sa visite à Ottawa : il semblait y tenir vraiment, sensible au slogan la paix, un morceau à la fois, malgré sa dureté envers les Palestiniens.
Par Pierre Jasmin, artiste pour la paix
« La fonte des glaces » : voici une œuvre remarquable, tant par son scénario serré servi par des dialogues courts et punchés, que par le jeu de son héroïne Christine Beaulieu, dans un rôle physiquement exigeant qu'aucune autre comédienne n'aurait pu assumer. Vous avez droit de soupçonner subjective la critique de celui qui l'ayant choisie artiste pour la paix de l'année 2020 est sensible au scénario d'une idéaliste en butte à un système carcéral rigide, comme les APLP le sont face aux gouvernements, aux médias officiels et à l'armée.
Mais on trouvera vite des raisons d'adorer ce film avec son adéquation symbolique d'images de glace sur le St-Laurent que chevauche en canot la lutte solidaire de prisonniers sous la supervision de leur monitrice, leur inculquant ainsi, sans bla-bla moralisateur, la vigueur et l'entraide en équipe d'un sport dont tous sortent vainqueurs. De telles sorties qui exigent des moyens de surveillance et d'équipements exceptionnels suscitent la jalousie des « screws » traditionnels, préférant la discipline astreignante d'exercices punitifs en vase clos. Ceux qui ont connu la prison y verront soit une facilité, soit au contraire l'honnêteté du scénario, qui utilise en moteur de contraste idéalisant l'héroïne, l'hargneuse description de gardiens de prison répressifs, tel le regretté Pierre Falardeau dans un de ses chefs d'œuvre, le party (1990), où l'art interprétatif de Lou Babin ouvrait finalement les cœurs endurcis avec la chanson mythique de Richard Desjardins le cœur est un oiseau.
Une actrice à l'engagement imperturbable
L'héroïne du film, Louise Denoncourt, a la force constante, d'une part d'encourager ses prisonniers à s'ouvrir par une sorte de musicothérapie collective primaire mais efficace, et d'autre part, de faire face, sans jamais broncher, à leurs caprices ou dures récriminations, alors qu'ils ont à leur passif une ou des morts violentes, d'où un suspense continu avec une tension qui ne se relâche jamais. Les téléspectateurs/trices de la série cinquième rang qui vient d'achever sa cinquième et dernière année réussie constateront non sans frémir que son papa, un ex-policier rendu dépressif par la mort accidentelle de sa femme, la mère de Louise, est joué par Marc Béland qu'on présente d'abord en proie à une fascination morbide pour la thèse d'un assassinat.
La police ayant conclu à un simple accident, cela suffit à la pragmatique Louise, jusqu'à ce qu'elle rencontre un meurtrier coupable de 21 assassinats commandés, y compris possiblement celui-là, interprété par Lothaire Bluteau venant d'intégrer l'équipe privilégiée supervisée. S'ensuit un intense duel psychologique dont l'issue n'est pas forcément à l'avantage du meurtrier à la solde des Hells, joué par l'acteur charismatique de l'excellent JÉSUS DE MONTRÉAL de Denys Arcand, il y a trente-cinq ans.
Leur face à face est montré avec rigueur, sans la complaisance d'une multitude de films français en milieux carcéraux récompensés par le Festival de Cannes. Mais ce film féministe trop authentiquement québécois risque de passer à la trappe, à moins d'une gymnastique périlleuse de sous-titres nécessitée par les acteurs très bien recrutés pour leur proximité représentative avec de réels prisonniers au langage coloré et populaire.
L'engagement des femmes, le désengagement des hommes
Le Nouvel Obs, qui vient cette semaine de reprendre son nom mythique, révèle le résultat d'un sondage français selon lequel, dans la génération des 18 à 24 ans, les femmes seraient très à gauche à 11,3% (les hommes seulement à 2,6% !) et plutôt à gauche à 21% (les hommes à 17,9%). Effectués au Canada et aux États-Unis, des sondages similaires obtiendraient sans doute des résultats semblables, compte tenu de l'offensive répugnante des droites contre l'interruption de grossesse assistée, contre les garderies et les maisons de femmes battues « trop coûteuses », contre les transgenres et le wokismei.
Sans tracer de parallèle étroit, j'ai donc préféré « la fonte des glaces » à « l'Hôtel silence », un film de Léa Pool, où l'extraordinaire acteur Sébastien Ricard, engagé dans la vraie vie, joue un homme désengagé qui ne retrouvera une motivation à vivre, un peu trop prévisible, qu'en côtoyant une population résiliente dont une mère exemplaire jouée par Lorena Handschin survivant péniblement à une guerre de cinq ans. L'homme se raccrochera finalement et sereinement à l'amour de sa mère et de sa fille aimée qui n'est pas de lui.
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Aya Nakamura, l’artiste francophone la plus écoutée au monde

Aya Nakamura, chanteuse franco-malienne à l'aura internationale – elle est l'artiste francophone la plus écoutée au monde –, a été la cible de propos racistes de la part de membres de l'extrême droite, suscitant l'ouverture d'une enquête par le parquet. « The Conversation » dresse un portrait de cette grande artiste.
Tiré de MondAfrique.
Cette polémique enfle depuis quelques semaines après une déclaration d'Emmanuel Macron concernant la participation de la chanteuse plusieurs fois primée (dont les Victoires de la musique 2024) à la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques où elle interpréterait une chanson d'Édith Piaf.
Cette hypothèse a suscité des réactions de la droite et de l'extrême droite, surtout du parti « Reconquête » et d'un groupuscule d'ultradroite « Les Natifs » qui a déployé une banderole : « Y'a pas moyen Aya, ici c'est Paris, pas le marché de Bamako », faisant référence au refrain de sa chanson phare, « Djadja ».
Un sondage réalisé le 10 mars par Winimax RTL révèle que 63 % des Français seraient opposés à l'idée que la chanteuse puisse interpréter Édith Piaf lors de la cérémonie d'ouverture des JO. Les arguments avancés sont les suivants : les Français n'aiment pas ses chansons (73 %) ; elle ne représente pas la musique française (73 %), et encore moins la jeunesse (60 %). D'autres Français déplacent la polémique sur le terrain linguistique ; c'est le cas du député RN du Nord, Sébastien Chenu qui considère qu'Aya Nakamura ne valorise pas la langue française ou de Marion Maréchal qui déclare qu'elle « ne chante pas en français. Ce n'est ni notre langue ni notre culture. »
Pourtant, le premier titre de la chanteuse, « Djadja », sorti en avril 2018, est devenu le « tube de l'été » en traversant les frontières belges, suisses, autrichiennes, allemandes, etc.
La chanson « Djadja », 2018, a cumulé 951 millions de vues sur YouTube.
Aux Pays-Bas, « Djadja » a pris la tête des ventes, ce qui était une première depuis 1961 où Édith Piaf avait réussi cet exploit avec « Je ne regrette rien ». Le clip de « Djadja » a cumulé 951 millions de vues sur YouTube. Depuis, la chanteuse a atteint plus de 9 millions d'auditeurs par mois et est l'artiste française la plus écoutée sur Spotify.
Pourquoi Nakamura ne peut donc pas, selon certains, « représenter la France » aux JO ? Maltraiterait-elle à ce point la langue française ?
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Galerie d’affiches en solidarité avec les femmes palestiniennes

Pour la fin immédiate du génocide, nous avons publié 44 affiches de 17 pays pour la défense de la vie et du territoire des femmes palestiniennes. Le 8 mars est la Journée internationale de la femme. En cette année 2024, nous revenons au sens internationaliste de cette date pour exprimer la lutte des femmes pour la fin du génocide en cours en Palestine.
07/03/2024 |
Par Capire
Chaque année, depuis plus d'un siècle, nous nous mobilisons ce jour-là pour faire avancer dans les rues, les réseaux et les jardins la lutte féministe pour la construction d'un nouveau monde sans racisme, patriarcat, pauvreté, faim, guerres et colonialisme. Partout dans le monde, les femmes construisent à plusieurs mains les alternatives concrètes pour la construction de ce monde de paix que nous voulons, sans violence, avec la souveraineté alimentaire et une économie centrée sur la durabilité de la vie.
La liberté des femmes n'est possible qu'avec l'autodétermination des peuples. Tant que la Palestine ne sera pas libre, aucune femme ne sera vraiment libre.
En ce 8 mars 2024, nous nous joignons aux voix des femmes et des personnes dissidentes de genre du monde entier qui s'unissent en solidarité avec le peuple palestinien. Capire, avec ALBA Mouvements, l'Assemblée Internationale des Peuples (AIP) et le collectif Utopix, a lancé un appel international à des affiches en solidarité avec les femmes palestiniennes. Cette galerie est le résultat de cet appel, qui montre comment l'art est capable de renforcer la solidarité et les alliances internationalistes.
Ce sont 44 affiches de 17 pays de toutes les régions du monde : Pologne, Inde, Venezuela, Brésil, Afrique du Sud, Suisse, Suède, Kenya, Zimbabwe, Italie, Colombie, Chine, Porto Rico, État espagnol, Guatemala, Philippines et Tunisie. Elles montrent comment les femmes sont les premières victimes de la crise capitaliste et du génocide en cours. Mais elles sont aussi les protagonistes de l'union et de la lutte contre l'impérialisme.
Depuis 1947, et plus profondément depuis octobre 2023, nous assistons à un génocide. Poussés par de sordides intérêts économiques, les pays du Nord global soutiennent l'assaut militaire de l'armée colonialiste israélienne à Gaza et en Cisjordanie – ou choisissent de garder le silence face au massacre, ce qui signifie également être complice.
Les attaques militaires totalisent plus de 30 mille morts. Les chiffres du Ministère de la santé de Gaza indiquent qu'au moins 25 000 de ces victimes sont des femmes et des enfants. Face à l'expansion génocidaire de la guerre d'Israël, les Palestiniennes et les Palestiniens du monde entier, les militants des mouvements sociaux, féministes, anti-impérialistes et antiracistes exigent un cessez-le-feu immédiat dans la bande de Gaza, la reconnaissance de la souveraineté palestinienne et une solution pour les personnes qui ont vu leurs familles et des villes entières bombardées sous leurs yeux.
[-* La lutte palestinienne continue, car c'est la base de ce que signifie être palestinien. Comme nous l'a dit la militante palestinienne Yasmeen El-Hassan en mai 2023, « il n'y a qu'une seule maison, nous ne sommes qu'un seul peuple et c'est ce qui guide notre lutte. Nous sommes les natifs de cette terre. Cela signifie que nous sommes leurs gardiens ». Abeer Abu Khdeir, de la Marche Mondiale des Femmes, renforce la relation directe du peuple palestinien avec sa terre en préconisant que « nous avons le droit de nous battre partout dans le monde, parce que notre terre est occupée ». « Cette terre n'est pas israélienne, c'est notre terre », a-t-elle déclaré.Leila Khaledc'est aussi un exemple de la résistance palestinienne en disant que « ils ont peur, parce que les Palestiniens sont unis par l'espoir de réaliser leurs rêves par la lutte ».->https://capiremov.org/entrevista/abeer-abu-khdeir-as-forcas-israelenses-estao-atacando-a-palestina-sem-parar/]
Autour du monde, nous avons radicalisé notre espoir dans la lutte pour le droit du peuple palestinien à son territoire et à l'autodétermination. Nous continuerons à marcher jusqu'à ce que la Palestine soit libre !
Découvrez toutes les affiches ci-dessous ! Cliquez sur les diapositives pour les voir avec leurs légendes complètes. Visitez le websited'Utopix pour télécharger les affiches.
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La Worker Writers School
La Worker Writers School (1) soutient les écrivains issus de l'une des populations les plus omniprésentes et pourtant les moins entendues de la ville de New York : les travailleurs à bas salaires. Mark Nowak, poète et ancien syndicaliste, a fondé l'institut dans une usine Ford en 2011. La plupart des participants sont affiliés à des organisations syndicales progressistes comme Domestic Workers United (2), Haitian Women for Haitian Refugees (3), la Taxi Workers Alliance (4), le Worker Justice Center (5), le Laundry Workers Center (6), le Retail Action Project (7), la Damayan Migrant Workers Association (8) et le Restaurant Opportunities Center (9).
Lors d'ateliers d'écriture mensuels, des chauffeurs de taxi, des aides ménagères, des vendeurs ambulants, des ouvriers du bâtiment, des employé.e.s de restaurants, des aides-soignantes à domicile, des femmes de ménage, des manucures de salons de beauté et des caissières de magasins de détail, entre autres, se réunissent pour réimaginer leur vie professionnelle à travers la poésie. Le programme finance également une retraite d'écriture annuelle pour les étudiants du nord de l'État de New York et une assemblée pédagogique d'automne pour les écrivains, les universitaires, les travailleurs et le grand public de la ville de New York. Plus largement, le programme nourrit de nouvelles voix littéraires directement issues de la classe ouvrière mondiale et inspire de nouvelles tactiques pour le changement social de la classe ouvrière.
Source première : https://theintercept.com/2024/03/30/pen-america-festival-boycott-israel-palestine/
(1) https://pen.org/worker-writers-school/
https://twitter.com/workerwriters
(2) https://www.domesticworkersunitednyc.org
(3) https://haitianrefugees.org
(7) https://www.retailactionproject.org/
(8) https://www.damayanmigrants.org/
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Reconnaissance et condamnation du massacre des Algériens le 17 octobre 1961

Une nouvelle génération de Députés brise l'omerta dans l'hémicycle. Le combat contre les nostalgiques de la colonisation ne fait que commencer. La résolution reconnaissant et condamnant le massacre du 17 octobre 1961 à Paris, a été adoptée. Sabrina Sebaihi et ses collègues s'en félicitent.
De Paris, Omar HADDADOU
Comble de la traitrise, c'est d'écrire l'Histoire à sa guise !
Le chemin biaisé de la mémoire a donné du fil à retordre aux Historiens et aux peuples de débusquer le réel. La Gauche, notamment les groupes Ecologiste et Renaissance, menés par les Députées baroudeuses, Sabrina Sebaihi et Julie Delpech, a dû ferrailler ferme pour que la République regarde son passé en face.
La chape de plomb sur le massacre des manifestants Algériens (es), le 17 octobre 1961 à Paris, faisant plus de 200 morts, sous l'autorité du sinistre Préfet Maurice Papon, auteur de l'injonction : « Pour un coup reçu, vous en donnez 10 ! » se dissipe au fil des témoignages poignants.
En donnez 10 ! sous-entend « Tuez 10 ! ».
Aujourd'hui, l'outil de communication et sa force de frappe, contribuent activement et massivement à la prise de conscience des jeunes sur le passé colonial. La classe politique et l'Exécutif n'ont plus la main sur l'orientation de l'Histoire des peuples. Mais la responsabilité de l'Etat sous Vichy et l'enseignement de cet infâme épisode dans les manuels scolaires, restent comme des trous béants dans l'espace régalien.
Ramener la réalité à sa vraie dimension, tel est à présent le crédo de la Gauche française.
Un élan qui ulcère viscéralement l'opposition. En témoigne la résolution « condamnant la répression meurtrière et sanglante » des manifestants Algériens (es) le 17 octobre 1961, adoptée ce jeudi à l'Assemblée nationale à 67 contre 11 voix.
A la tribune, Sabrina Sebaihi, ne mâchait pas ses mots : « Il ne faut rien céder à ceux qui veulent écrire l'Histoire pour se racheter une conscience. On a voulu jeter un voile pudique sur cette part de notre Histoire » s'indigne -t-elle, avant de s'offusquer des officiers sanguinaires français, honorés sur la place de Paris.
Et la Députée Julie Delpech de la relayer : « Un voile d'omission a tenté de couvrir l'ampleur de cette tragédie. Le souvenir de cette journée reste gravé dans notre mémoire ».
Les Elus (es) dressent des rapports et des bilans glaçants.
Des constats battus en brèche, avec insolence et un condensé de racisme, par le Député du RN (Rassemblement national) : « Oui le FLN était un mouvement terroriste (hués), comme le HAMAS l'est aujourd'hui. En proposant cette résolution, vous (La Gauche) placez vos pas sur ceux d'Emmanuel Macron ! ».
En position de force, l'Homme devient l'oublieux de ses martyres d'hier. Les Algériens (es)des deux rives graveront dans le marbre le postulat suivant :
Les oppressés du III Reich sont devenus leurs oppresseurs ! Ironie de l'Histoire, une Légion d'Honneur leur est décernée.
Le carnage prémédité du 17 octobre a été sciemment couvert par les autorités de l'époque. Ni le Général de Gaule, ni le Premier ministre Michel Debré, ne reconnaitront la responsabilité de l'Etat. Ils se garderont même de pointer du doigt Maurice Papon, sommé à accomplir la sale besogne, celle d'étouffer impitoyablement la mobilisation pacifique des Indépendantistes algériens dans un bain de sang. Oui ? On a laissé faire le Préfet de police qui impudemment tonnait : « Mais la France tant que j'aurais un souffle, je n'y laisserai pas faire ! ».
Les « Français Musulmans d'Algérie », comme les nommait l'occupant, aspirant à l'autodétermination avaient répondu à l'appel du Front de Libération National (FLN).
Plus de 40. 000 Algériens et leurs familles, partis de la banlieue Est, se rassemblent à Paris pour protester contre le couvre-feu.
Le dispositif des CRS et des gendarmes (10.000), appelé ironiquement « Comité d'accueil », les prend en tenaille. On dénombre 12.000 arrestations. La répression est innommable ! Sur le pont de Neuilly, les Algériens (es) sont jetés dans la Seine et meurent par noyade. D'autres, dont des enfants et des femmes, seront criblés à bout portant de balles. Un grand nombre échappant à la mitraille, fera les frais de la ratonnade. S'en suivront des rafles et des internements dignes de la seconde Guerre mondiale.
Ceux qui ont l'Algérie en travers de la gorge, osent l'ineptie : « Nous n'avons pas à rougir de la Police nationale ! » meuglait le nostalgique de « l'Algérie française », Jean-Louis Arajol, Secrétaire Général du Syndicat de Police. Réclamant une revanche sur le FLN avec une police chauffée à blanc, Maurice Papon aura accompli la tâche exécrable de faucheur de vies, validant le Crime d'Etat.
Les auteurs de ce massacre ne seront jamais poursuivis en Justice !
O.H
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Gaza : derrière les massacres, les profiteurs de guerre

Certains y verraient une première inflexion. Tandis que le Canada décrète la fin des exportations d'armes vers Israël, les États-Unis portent au Conseil de sécurité de l'ONU un projet de résolution pour un « cessez-le-feu immédiat ». Après plus de cinq mois d'un conflit où les tueries de civils se sont produites à un rythme inédit au XXIè siècle, le temps de l'impunité est-il terminé pour Israël ?
21 mars 2024 | tiré de la lettre Le Vent se lève
Si l'opinion publique des pays nord-américains et européens semble chaque jour davantage en faveur d'une condamnation des bombardements israéliens, des intérêts économiques veillent à la préservation d'une bonne entente avec le gouvernement de Benjamin Netanyahu. Au-delà des producteurs d'armes, qui profitent directement de la situation, une nébuleuse d'acteurs a intérêt au maintien du statu quo [1].
Les bombardements israéliens sur Gaza ont coûté la vie à plus de 30 000 Palestiniens – selon les chiffres officiels acceptés par les institutions internationales -, dont la grande majorité sont des civils. Parmi eux, au moins 19 000 femmes et enfants. Tandis que les représentants israéliens multipliaient les appels à l'épuration ethnique, l'Afrique du Sud portait une accusation de « génocide » contre Israël devant la Cour internationale de justice (CIJ). Le 26 janvier, celle-ci statuait : il existe un « risque génocidaire », Israël pourrait enfreindre la Convention des Nations Unies sur le génocide. Les États qui le soutiennent militairement pourraient en être complices.
Les semaines suivantes, le gouvernement américain (ainsi que la grande majorité des européens) est demeuré un appui constant de Benjamin Netanyahu, malgré des déclarations inquiètes quant au sort des civils de Gaza. Son projet de résolution à l'ONU appelant à un « cessez-le-feu immédiat » marque peut-être un premier changement d'orientation – après cinq mois d'un soutien de facto inconditionnel.
« Je pense réellement que nous constaterons un bénéfice causé par la hausse des commandes sur l'ensemble de notre portefeuille. »
Greg Hayes, PDG de l'entreprise d'armement RTX, le 24 octobre, à propos des bombardements à Gaza
Entre-temps, l'administration Biden aura requis 14,3 milliards de dollars d'équipement militaire pour Israël – en plus des 3,8 milliards de dollars d'aide que les États-Unis concèdent déjà annuellement. Ce montant a été bloqué par le Congrès, mais Joe Biden l'a contourné à deux reprises en décembre 2023, pour imposer des ventes d'armes à Israël d'une valeur de plus de 200 millions de dollars.
De longue date, les opérations israéliennes sur Gaza sont une aubaine pour de nombreuses entreprises de défense basées aux États-Unis. Et elles ne s'en cachent pas. Selon Molly Gott et Derek Seidman, rédacteurs pour le média d'investigation Eyes on the Ties, cinq des six plus importants producteurs d'armes au monde sont basés aux États-Unis. Il s'agit de Lockheed Martin, Northrop Grumman, Boeing, General Dynamics et RTX (anciennement Raytheon). Sans surprise, elles ont vu leur cour en Bourse atteindre des sommets lorsque les bombardements israéliens sur Gaza ont commencé. Le lendemain des attentats du 7 octobre, il avait augmenté de 7 %.
Et les dirigeants de ces entreprises s'en sont publiquement réjouis. Évoquant le conflit lors d'une réunion datant du 24 octobre, le PDG de RTX, Greg Hayes, déclarait : « Je pense réellement que nous constaterons un bénéfice causé par la hausse des commandes sur l'ensemble de notre portefeuille. ». Le lendemain, le Directeur financier et Vice-président exécutif de General Dynamics, Jason Aiken, répondait à une question concernant les opportunités pour son entreprise : « La situation en Israël est terrible […] Mais si l'on considère le potentiel en termes de hausse de la demande, c'est probablement du côté de l'artillerie que cela aura lieu ».
Il ne fait aucun doute que ces armes sont directement utilisées pour commettre les crimes dont sont victimes les Palestiniens dans la bande de Gaza, ainsi que l'a rapporté Stephen Semler dans Jacobin. Elles incluent des missiles Hellfire, des obus d'artillerie et des fusils d'assaut, mais aussi du phosphore blanc, que Semler décrit comme « une arme incendiaire, capable de brûler à travers la chair, les os et même le métal ». Ce matériau est interdit d'utilisation à proximité des civils par le Protocole III des Conventions de Genève – et l'armée israélienne l'a utilisé à plusieurs reprises.
Mais au-delà des fournisseurs militaires, de nombreuses sociétés américaines ont d'importants investissements en Israël, et profitent directement du conflit – et de l'occupation de la Cisjordanie.
AU-DELÀ DE L'ARMEMENT
Parmi les entreprises basées aux États-Unis qui ont été visées par les campagnes de boycott, on trouve notamment l'entreprise d'informatique HP, le pétrolier Chevron et la société immobilière RE/MAX. HP fournit du matériel informatique à l'armée et la police d'Israël, ainsi que des serveurs à l'Autorité israélienne de l'immigration et de la population – une entité qui possède un rôle central dans l'occupation de la Cisjordanie, et le maintien d'un régime inégalitaire que de nombreuses associations et institutions onusiennes décrivent comme une forme d'apartheid.
Le géant de l'énergie Chevron extrait quant à lui du gaz revendiqué par Israël en Méditerranée orientale, et fournit à l'État israélien des milliards de dollars, afin de payer des licences de gaz. De plus, Chevron est impliqué dans le transfert illégal de gaz égyptien vers Israël, via un pipeline traversant la zone économique exclusive palestinienne à Gaza. Et potentiellement partie prenante du pillage, par Israël, des réserves de gaz palestiniennes en mer au large de la bande de Gaza – un crime de guerre en droit international.
En 2017, un rapport du Centre de recherche sur les entreprises multinationales (CREM), basé à Amsterdam, détaillait le rôle de la société Noble Energy dans la violation des droits des Palestiniens, en lien avec l'extraction de gaz en Méditerranée orientale – l'entreprise a été acquise par Chevron en 2020. Outre sa participation au blocus, qui empêche les autorités de Gaza d'avoir accès aux petites réserves de gaz au large de ses côtes, le CREM rapporte que ses activités d'extraction dans les champs gaziers israéliens pourraient également épuiser les réserves palestiniennes de gaz…
Les pétroliers ExxonMobil Corporation et Valero ne sont pas en reste par rapport à Chevron, et fournissent sans relâche du carburant aux bombardiers israéliens
« En ne faisant aucun effort pour s'assurer du consentement des Palestiniens, Noble Energy a manqué de se conformer aux Principes directeurs de l'OCDE pour les entreprises multinationales et aux Principes directeurs des Nations-unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme ». Le rapport poursuit : « L'entreprise a également pu contribuer à la violation du collectif à l'autodétermination. Si le gaz naturel palestinien était effectivement drainé […], on pourrait soutenir que Noble Energy a participé à un acte de pillage, en violation du droit humanitaire international et du droit pénal. »
RE/MAX commercialise quant à elle des propriétés dans les colonies israéliennes en Cisjordanie. Et a continué à le faire après les attentats du 7 octobre, alors que la violence des colons israéliens ne cessait de s'accroître.
D'autres entreprises américaines ont été désignées les mouvements de boycott : Intel, Google/Alphabet, Amazon, Airbnb, Expedia, McDonald's, Burger King et Papa John's, etc. Si leur affichage garantit des campagnes efficaces, elles ne sont que la partie émergée de l'iceberg. L'American Friends Service Committee (AFSC) maintient une liste plus complète des entreprises impliquées dans l'occupation de la Cisjordanie.
Parmi les cas particulièrement flagrants de complicité dans le processus de colonisation figure Caterpillar Inc., le géant de la construction, dont le bulldozer blindé D9 est fréquemment utilisé par l'armée israélienne pour détruire des maisons, des écoles et d'autres bâtiments palestiniens – ainsi que dans des attaques contre Gaza. En 2003, l'activiste américaine Rachel Corrie a été écrasée par l'un de ces bulldozers, « alors qu'elle tentait de défendre une maison palestinienne d'une démolition alors que la famille était encore à l'intérieur », selon l'AFSC.
Les pétroliers ExxonMobil Corporation et Valero ne sont pas en reste par rapport à Chevron, et fournissent sans relâche du carburant aux bombardiers israéliens. Motorola Solution Inc., l'entreprise de communications et de surveillance, fournit depuis longtemps la technologie de surveillance qu'Israël utilise pour surveiller les Palestiniens de Cisjordanie et sur les checkpoints de Gaza. La société de voyages et de tourisme TripAdvisor, quant à elle, est impliquée dans l'occupation d'une manière plus banale : comme Airbnb, elle fait office d'agent de réservation pour des propriétés dans des colonies et sur le plateau du Golan.
Selon le Bureau des représentants américains au commerce, en 2022, les États-Unis ont exporté pour pas moins de 20 milliards de dollars de biens et services vers Israël – soit 13,3 % des importations totales de ce dernier. Israël a exporté pour 30,6 milliards de dollars vers les États-Unis, un chiffre qui représente 18,6 % de toutes ses exportations. Le commerce et les investissements américains en Israël jouent un rôle significatif dans son économie israélienne, et constituent potentiellement un levier majeur.
Si le projet de résolution onusienne pour un cessez-le-feu porté par Joe Biden semble marquer une première inflexion diplomatique, nul doute que de puissants acteurs n'ont guère intérêt à cette issue pacifique.
Note :
[1] Article originellement publié par notre partenaire Jacobin sous le titre : « The Obscene US Profiteering From Israeli War and Occupation ».

Les femmes du coin de la rue. Corps à corps avec la précarité

Préface de Coline Cardi : « Jusqu'à l'os »
au livre de Patricia Bouhnik : Les femmes du coin de la rue. Corps à corps avec la précarité
Tiré de Entre les ligne s et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/03/29/preface-de-coline-cardi-jusqua-los/
Avec l'aimable autorisation des Editions Syllepse
« Depuis toujours, sortir de sa cage a été accompagné de sanctions brutales […] C'est l'idée que notre indépendance est néfaste qui est incrustée en nous jusqu'à l'os1. »
Ce livre est une invitation au voyage dans les territoires obscurs de Paris, dans les plis et replis de la ville, dans les marges, les franges, les « angles morts » de l'espace public. Il est une invitation à regarder et à entendre celles qu'on ne veut pas voir : les femmes pauvres, jeunes ou vieilles, désaffiliées, qui vivent avec ou dans la rue. Trop souvent rendues muettes, réduites à des ombres, à des figures sombres et déviantes du féminin. Femmes « infâmes », a priori peu respectables, il s'agit de leur redonner forme et voix. Au-delà de la diversité de leurs trajectoires et de leur quotidien, « leur point commun, écrit Patricia Bouhnik, c'est l'absence de place, de qualités reconnues, de droits et de ressources ». Il s'agit alors de restituer une part à ces sans-part2, de rendre compte de la capacité de celles qu'on juge incapables, de compter les incomptées, rejetées aux bords de la ville comme du politique.
Les « vies périphériques, infimes et méprisées3 », quand elles se déclinent au féminin, continuent d'être « reléguées aux oubliettes ». Chercher à en rendre compte suppose alors d'explorer les « silences de l'histoire4 », de documenter les processus historiques et contemporains d'invisibilisation, voire de disparition – ces processus qui conduisent à ne plus voir ces femmes, à ne plus vouloir les voir.
Il faut remonter au 19e siècle, ce moment où les frontières de genre et les frontières de l'espace urbain sont politiquement redessinées et progressiment incorporées. La ville du 18e siècle, rappelle Arlette Farge, est bruyante, bouillonnante et marquée par la forte présence des femmes issues des milieux populaires5. Le 19e siècle opère un « grand nettoyage ». Les politiques hygiénistes contribuent à vider les rues des « indésirables », les plus pauvres, relégué.es aux marges, associé.es au risque. Dans cette ville moderne décrite par Georg Simmel ou Walter Benjamin, seuls sont autorisés les modèles du flâneur et de la flâneuse : ils « incarnent et portent ostensiblement un modèle de comportement auquel les membres des classes bourgeoises vont adhérer et dans lequel ils vont se reconnaître ». Cette nouvelle police de l'espace public et de la précarité est aussi une police du genre : les femmes qui occupaient les rues et les centres sont désormais assignées à la sphère « privée », à des fonctions de mères et d'épouses. « Ce siècle d'effacement d'une partie des femmes s'est accompagnée de la catégorisation et de la disqualification des contrevenantes : mendiantes, prostituées, vagabondes », rappelle Patricia Bouhnik.
Les pandémies, et celle, plus récente, de la Covid-19, n'ont fait qu'accélérer encore le processus. Les mesures de confinements ont crûment mis en lumière les inégalités sociales et les vulnérabilités. Elles ont aussi conduit celles et ceux qui vivent avec, de, ou dans la rue, à se cacher encore davantage. Et les femmes, là encore, ont payé le plus lourd tribut : dans les logements, elles ont assuré l'ensemble des tâches éducatives et domestiques. La coexistence des sphères d'activité pour les deux sexes aurait pourtant pu donner lieu à des configurations inédites et plus égalitaires. Au-dehors, les « femmes contraintes de vivre à la rue, d'y traîner, d'y stationner, faute d'espace et de ressources, sont toujours là, avec la nécessité de se faire plus discrètes que jamais ». Les glaneuses ne peuvent plus glaner, celles qui vivent de la prostitution ou de la mendicité sont obligées de se cacher davantage. Les modifications architecturales récentes liées à l'organisation des Jeux olympiques, couplées aux lois répressives sur l'immigration et les usages de drogues, repoussent les précaires, exilées, racisées, encore plus loin dans les coulisses de l'espace public urbain. Dans ce contexte, rester invisibles est un principe de survie : il ne faut pas donner prise. S'abriter du stigmate pour ne pas « faire tache dans le paysage ». Éviter les contrôles policiers. Se protéger des violences masculines, omniprésentes.
On compte trop peu les mortes à la rue et les sciences sociales ont joué un rôle dans ce processus de disparition. Ce livre oblige à en prendre la mesure. En dehors de la question prostitutionnelle, les recherches sur la dimension genrée des formes contemporaines de la désaffiliation et des modes de présence et d'existence dans les marges de l'espace public et urbain, sont récentes. Dans les travaux de sociologie urbaine ou de sociologie de la déviance, « le coin de la rue » a, pour l'essentiel, jusque-là désigné, un lieu de sociabilité masculine et de construction de masculinités populaires. On pense, bien sûr, à l'ouvrage de William Foote Whyte, Street Corner Society (1 943), auquel le titre de ce livre fait explicitement référence6. On n'y croise que des hommes, « des femmes ont pourtant toujours été là, au coin de la rue, à la fois diverses, cachées et proches ». Il s'agit dès lors de rompre avec cette forme d'aveuglement pour repenser ces espaces, en s'attardant sur les trajets, les trajectoires et le quotidien de femmes qui, elles aussi, les traversent, les habitent parfois. Cet ouvrage propose une cartographie nouvelle de la ville et de ses marges. « Je suis partie de ces disparitions-là pour tisser le fil des histoires, recouper les contextes et déterminants et tenter de restituer la force des expériences et capabilités engagées », écrit Patricia Bouhnik.
Rendre compte de ces « composantes silencieuses et masquée de la vie sociale », demande du temps : dix années de rencontres et d'échanges, d'« équipées ethnographiques » avec une trentaine de femmes qui vivent dans la rue, dans les quartiers du nord-est de Paris et de l'autre côté du périphérique. Prendre le temps, c'est aussi accepter d'être mise à distance, c'est attendre d'être autorisée, de respecter les distances imposées, c'est parler de soi, de ses trois enfants notamment, de sentir et de ressentir, les odeurs, le froid, de se retrouver parfois dans des formes d'incertitude morale. C'est les suivre dans les kilomètres parcourus au quotidien sans jamais s'imposer. Ou encore rester assise avec elles, sur un banc, à même le sol, dans une tente ou dans une ancienne boutique de vêtements où se retrouvent des femmes vieilles et pauvres – mosaïque de petits mondes.
Rendre compte de ces existences fragiles c'est aussi nommer ces femmes. Les catégories de l'action publique ou de l'analyse sociologique n'y suffisent pas. Les nommer, c'est les reconnaître, les identifier, leur redonner un prénom propre : Josiane, Monique, Solange, Cathy, Brigitte, Riyina, Awa, Farhia, Houda, Anita, Marie, Louise, Violette, Jenny, Coralie, Corinne, Océane, Pauline, Anita, Halima, Yuan, Iny. Leur redonner corps aussi. « Vous avez un mètre dans la tête », dit Solange à Patricia. En leur donnant forme et figure, l'écriture nous oblige à voir les corps et les manières d'occuper l'espace, au-delà des « marques d'infamies à même la peau ». Elles sont blondes, brunes, les cheveux déjà gris, noires, blanches, ridées, décharnées, rondes, en pantalon le plus souvent, les yeux rendus hagards par la prise de crack, ou au contraire toujours à l'affût. Certaines s'efforcent de prendre soin de ce corps, d'autres, au contraire, s'attachent à gommer tout signe de féminité, préfèrent ne pas se laver : l'odeur permet de tenir les autres à distance. Lutter s'apprend par corps.
En traçant ces portraits, ces « vies précaires au bord du monde commun », Patricia Bouhnik repense les processus de désaffiliation et de discrimination en articulant rapports de genre, de classe, de race, d'âge et de sexualité. Ces trajectoires de précarisation sont marquées par des mises à l'écart successives : ruptures familiales ou conjugales, perte d'emploi, placement des enfants, exil, expulsions. Les violences de genre y jouent un rôle central, dans les espaces domestiques comme à la rue. Elles n'ont pas osé porter plainte ou la police n'a pas voulu les entendre. Certaines ont frôlé la mort, elles ont réussi à partir, s'appauvrissant encore. D'autres vivent ces violences au quotidien, taillent une pipe contre une dose de crack. Le déclassement se mesure aussi à des formes successives de dépouillement. Partie avec trois valises dans lesquelles Cathy a rangé son passé, il ne lui en reste plus qu'une aujourd'hui. La vie entière de Coralie tient quant à elle dans un sac à dos. Awa et Fahria n'ont plus de sac du tout.
Leur rapport aux institutions est marqué d'ambivalences. Certaines, migrantes, réfugiées et sans papiers, sans droits et sans ressources, fuient les contrôles policiers. Pour les autres, c'est la crainte des services sociaux qui domine : éviter à tout prix le stigmate de « mauvaise mère » quand elles ont encore leur enfant à charge. Accepter de l'aide, c'est aussi prendre encore le risque d'être violentée, cette fois dans les centres d'hébergement mixtes, tant les structures liées au sans-abrisme n'ont pas été pensées pour les femmes. Aller à la rencontre des « filles du coin de la rue » suppose alors de donner des gages : Patricia Bouhnik leur rappelle régulièrement n'être ni travailleuse sociale, ni policière, ni bénévole dans une association.
Au sens strict du terme, ces femmes ne constituent pas une « population » ni un tout homogène. Toutes ne sont pas logées à la même enseigne, « leurs histoires et leurs modes d'inscription dans la ville sont disparates ». Là est une des grandes forces de cet ouvrage : il souligne les différences pour montrer comment le quotidien de la précarité est lui-même traversé par des inégalités, les rejoue même. Pour négocier leur place, pour ne pas perdre complètement la face, les femmes rencontrées tâchent sans cesse de se distinguer, de mettre à distance les stigmates. Elles mobilisent des figures féminines repoussoirs auxquelles il ne faudrait surtout pas être assimilées. Monique évite celles qu'elle considère comme « sans dignité ». Louise ne veut pas « passer pour une marginale ». Entretenir ces distinctions est vital. Cela fait partie des « microstratégies » qui « misent sur une habile utilisation du temps, des occasions qu'il présente et aussi des jeux qu'il introduit dans les fondations d'un pouvoir7 ». Pour les saisir, le regard sociologique se concentre sur l'infiniment petit, le difficilement dicible – condition nécessaire pour comprendre les capacités des « incapables ».
Patricia Bouhnik met ainsi en évidence l'important travail déployé par ces femmes pour survivre. Non marchand, non reconnu, invisible, il s'agit bien d'un travail. Que Ryana nomme d'ailleurs comme tel. Il concerne le corps au premier chef. Corps-ressource, il est aussi toujours menacé. Pour ne pas subir de violences supplémentaires, il s'agit de déployer des techniques, d'intérioriser de nouveaux codes corporels, d'être au monde. On les perçoit dans les manières de se vêtir, de parler, de se mouvoir, d'affirmer un possible usage de la violence pour se défendre. Le corps peut aussi constituer une monnaie d'échange. Il faut alors payer de sa personne, « la norme de domination et de servitude volontaire est pratiquée ici à l'amiable ». Pour d'autres, en prendre soin est un moyen de se maintenir dans un état de « femmes respectables8 ». Dans ce contexte, les atteintes corporelles et la maladie sont lourdes de conséquences : elles constituent un risque supplémentaire de déclassement pour ces femmes qui, par ailleurs, ont très peu accès aux soins.
Ce travail désigne aussi les systèmes de débrouille et de survie mis en place pour trouver des ressources mentales et matérielles pour soi et pour les autres. Travail au noir, services sexuels, ramassage d'objets dans les rues pour les revendre ensuite, vols, constituent le travail d'« interstices » . Il désigne également les manières d'habiter : les places choisies sur le trottoir, les tentes ou les caravanes sont savamment aménagées. Ces intérieurs parfaitement rangés permettent, malgré tout, de construire une forme de « chez-soi ». Comme ailleurs, le travail est aussi domestique et de care : « Les mères et les sœurs, dans ces configurations de précarité et de malheur quotidiennes, se trouvent en première ligne pour supporter les charges et se sacrifier pour la famille. » Même placés, les enfants restent omniprésents dans l'esprit de leur mère.
Les capacités des « incapables » se logent, enfin, au cœur des solidarités et des jeux d'interdépendance mis en place – formes fragiles et nécessaires de sororité quand il s'agit, ensemble, de « faire corps ». Au final, ce livre est politique : il rappelle avec force que les « filles du coin de la rue » font partie du monde commun.
Coline Cardi9
Patricia Bouhnik : Les femmes du coin de la rue. Corps à corps avec la précarité
https://www.syllepse.net/les-femmes-du-coin-de-la-rue-_r_22_i_1067.html
1. Virginie Despentes, King Kong Théorie, Paris, Grasset, 2006.
2. Jacques Rancière, Aux bords du politique, Paris, Le Seuil, 1990.
3. Michel Foucault, « La vie des hommes infâmes », dans Dits et écrits III, Paris, Gallimard, 1994.
4. Michelle Perrot, Les femmes ou les silences de l'histoire, Paris, Flammarion, 1998.
5. Arlette Farge, Vivre dans la rue à Paris au 18e siècle, Paris, Gallimard/Julliard, 1979.
6. William Foote Whyte, Street Corner Society : The Social Structure of an Italian Slum, Chicago, University of Chicago Press, 1943 (traduction française : Street Corner Society, Paris, La Découverte, 1995).
7. Michel de Certeau, L'invention du quotidien, t. 1 : Arts de faire, Paris, Gallimard, [1980] 1990, p. 63.
8. Beverley Skeggs, Des femmes respectables : classe et genre en milieu populaire, Marseille, Agone, 2015.
9. Sociologue, maîtresse de conférences à l'Université Paris 8 et chercheuse au Cresppa/CSU. Ses travaux portent sur la dimension genrée du contrôle social et de la régulation, notamment au travers des figures de la « délinquante » et de la « mauvaise mère ». Elle a codirigé, avec Geneviève Pruvost, l'ouvrage Penser la violence des femmes (Paris, La Découverte, 2012).
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Le « wokisme » n’existe pas

Le « wokisme » ne désigne pas un mouvement car nul ne s'en revendique ; à défaut d'être un phénomène identifiable, il est le mot par lequel on cherche à éloigner le débat sur le caractère systémique des injustices. Le procès du « wokisme » permet en réalité de disqualifier les minorités dans leurs revendications et participe à une offensive réactionnaire contre l'éveil (wokeness) de la société.
25 mars 2024 | texte tiré d'AOC.info
https://aoc.media/analyse/2024/03/24/le-wokisme-nexiste-pas/
L'idée de l'inexistence du « wokisme » paraîtra sans doute surprenante à nombre de lecteurs. On le comprend : livre après livre, tribune après tribune, des auteurs de toutes disciplines, des journalistes aussi, décrivent une nouvelle configuration idéologique dont il conviendrait d'examiner, toutes affaires cessantes, les redoutables effets. Le doute, ici exprimé, quant à sa réalité ne relève pourtant ni de la provocation, ni de la cécité. Je n'ignore évidemment pas l'existence de cas qui donnent crédit à l'hypothèse d'atteintes systématiques aux libertés d'expression et de création. Quel que soit leur véritable nombre, il est parfaitement légitime de s'en préoccuper : ces libertés sont au fondement de la démocratie et doivent être soigneusement préservées.
Le point de vue que je défends se construit, pour l'essentiel, autour de trois propositions.
La première est d'établir que l'hétéro-désignation manque sa cible, le « wokisme » supposé étant introuvable non seulement parce que nul ne se revendique d'un mouvement qui porterait ce nom, mais surtout parce que les traits supposés le définir sont tellement généraux qu'ils permettent de ranger sous la même dénomination des théories parfaitement distinctes. Je chercherai à établir la valeur de cette proposition en procédant à l'analyse critique de l'idéaltype du « wokisme », tel qu'il est décrit par l'un de ses adversaires les plus déterminés.
La deuxième proposition consiste à montrer que le champ indéfini d'extension de l'accusation tient à sa nature : elle ne vaut que par la fonction qu'elle remplit et n'a nullement pour objectif de décrire le réel. Il s'agit d'euphémiser, voire de nier, la réalité des discriminations ou, au moins, de ne pas reconnaître leur nature et leurs causes.
Enfin, face au caractère systémique des injustices, que celles-ci se situent dans le champ social, dans celui des rapports de sexe ou dans celui des identités raciales, il s'agira d'énoncer ce qu'exige l'éveil par rapport à celles-ci (la wokeness, celle-ci étant considérée comme l'indice d'un bon fonctionnement de la démocratie), tout en se montrant attentif aux ornières dans lesquelles elle pourrait se perdre.
Introuvable « wokisme »
Le terme de « wokisme » suggère l'existence d'un mouvement politique homogène chargé de propager l'idéologie woke. Celle-ci se déclinerait en de multiples sens, mais on choisira, afin d'essayer de la circonscrire, la caractérisation qu'en fait Pierre-Henri Tavoillot (l'un des organisateurs du fameux colloque sur la « déconstruction » qui s'est tenu à la Sorbonne en janvier 2022).
Le philosophe définit le « wokisme » par quatre éléments qui font système : « D'abord, l'idée que la réalité se définit essentiellement comme domination. […] Deuxièmement, le grand dominateur dans cette affaire, c'est l'Occident. C'est en lui que se condensent toutes les oppressions : celle de l'Europe sur le reste du monde (impérialisme), celle de l'homme blanc sur toutes les femmes (patriarcat), celle de l'industrie sur la nature (productivisme), celle des riches sur les pauvres (capitalisme). Troisième point : face à cette grande domination, on a l'impression d'une amélioration des choses : la décolonisation, l'émancipation féminine, l'antiracisme et autres types d'émancipation semblent acquis ; or, pas du tout, ce n'est qu'illusion. […] Et quatrième élément : il faut agir, il faut annuler, changer la langue, déboulonner les statues, modifier les livres… ».
L'intérêt de cette définition est qu'elle synthétise très correctement les principaux griefs, tout en évitant les caractérisations fragiles par des termes caricaturaux à volonté polémique. Il en est ainsi de celles qui voient dans le « wokisme » une nouvelle Inquisition, un totalitarisme en marche, un héritier du trotskisme ou encore une religion sans avenir (la synthèse étant une religion totalitaire dont les fidèles sont disposés à envoyer au goulag celles et ceux qui luttent pour les libertés d'expression et de création).
Pierre-Henri Tavoillot insiste préalablement sur la domination, afin de suggérer qu'il serait inexact de privilégier ce prisme pour comprendre la réalité sociale. C'est le premier moment du déni : l'idée que les rapports sociaux ne puissent être, dans leur totalité, appréhendés par la domination ne devrait pas conduire à nier son importance, ni même à la relativiser.
La conception de la liberté comme absence de domination, que privilégie le républicain critique, est en effet plus convaincante que celle qui la définit par l'absence d'interférence. L'exemple classique pour illustrer ce point de vue est celui de l'esclave qui a la chance d'avoir un maître bienveillant : restant soumis au pouvoir du maître, il n'est pas libre. L'illusion du libéral-conservatisme, acharné à relativiser la dimension de la domination, est de croire qu'il l'est.
Le deuxième trait définitionnel emprunte à la rhétorique bien connue du « fardeau de l'homme blanc » : non, l'Occident n'est pas réellement coupable de ce dont on l'accuse (impérialisme, patriarcat, capitalisme productiviste). L'accusation serait injustifiée car l'Occident, lieu où sont nées les Lumières, ne pourrait être tenu pour responsable des dévoiements de ses principes. Deuxième moment du déni : comme le souligne Suzanne Citron, la France n'a pas dérogé à ses principes, bien qu'elle fût la patrie des droits de l'homme mais parce qu'elle l'était.
Troisième trait : les choses s'améliorent et les « wokistes » sont indifférents à ces évolutions favorables. Indifférents ? Certainement pas, mais celles et ceux qui luttent pour l'émancipation considèrent en effet, à l'instar des révolutionnaires de 1789, qu'il reste beaucoup à faire : il suffit de penser à la persistance des inégalités salariales entre les sexes, la difficulté à voir aboutir judiciairement les plaintes pour viol, le niveau invraisemblablement élevé des féminicides, la non-reconnaissance des mérites des femmes dans la recherche, notamment en science (le cas de Rosalind Franklin est loin d'être une anomalie).
Enfin, quatrième trait, la volonté destructrice du « wokisme », qu'il s'agisse des œuvres d'art, de notre passé ou de notre langue. On reconnaît là l'une des accusations les plus communes, laquelle relève de la cancel culture. Mais, comme l'a souligné Laure Murat, « qui annule quoi ? »[1]. Si les mouvements #MeToo et Black Lives Matter ont souvent recours à la culture de l'annulation, c'est pour dénoncer des situations iniques et exiger des institutions qu'elles prennent leurs responsabilités en cessant d'honorer les personnes accusées d'actes racistes ou d'agressions sexuelles.
Plutôt que sur la dénonciation, il conviendrait d'insister sur la responsabilité, puisqu'il s'agit d'inviter ceux qui sont incriminés à assumer leurs propos, à se justifier, ce qui relève en définitive de la prise de conscience éthique. La cancel culture n'est donc souvent que le seul moyen, pour ceux et celles qui n'ont aucun pouvoir, d'exprimer leur indignation en attirant l'attention sur certains dysfonctionnements dont la société s'accommode si volontiers.
N'oublions pas que cancel culture est une « expression de la droite américaine adoptée par les néoconservateurs français pour mieux disqualifier les interpellations progressistes »[2]. Aux États-Unis, les déboulonnements de statues visent en priorité ce qui symbolise le pouvoir colonial, les suprématistes blancs, les confédérés et le racisme institutionnalisé.
Dans le contexte européen, l'interpellation faite aux musées sur l'origine de leurs collections, en majorité issues des conquêtes impérialistes, montre que la cancel culture, loin de nier l'histoire ou de faire preuve d'une « inculture » systématique, attire souvent notre attention sur les contradictions d'une société qui prône officiellement l'antiracisme et célèbre partout la violence des colons dans l'espace public. Laure Murat, citant Guerre aux démolisseurs de Victor Hugo, rappelle que c'est « l'État qui, le premier, “annule” ou détruit … car il détient seul le pouvoir de censure et de contrôle ». L'histoire se fait en érigeant des monuments tout autant qu'en les faisant tomber.
Dans le même sens, Philippe Forest, pourtant fort peu bienveillant à l'égard du « wokisme », ne voit pas à l'université ce que craignent les anti-« wokistes » : il dit n'avoir jamais assisté, au sein de son établissement, « à ces cas dont on fait grand bruit dans la presse ». Et il ajoute, « je ne dis pas qu'ils n'existent pas, mais aussi scandaleux qu'ils soient, je pense qu'on a tendance à en exagérer l'importance. C'est toujours les mêmes anecdotes qui tournent en boucle : la conférence de Sylviane Agacinski annulée, le collège Evergreen aux États-Unis, la tragédie grecque empêchée pour cause de “blackface”, le professeur congédié pour avoir montré à ses étudiants un extrait du Mépris de Godard… Quelle est l'ampleur véritable du phénomène ? À titre personnel, je n'ai jamais été confronté à ce wokisme radical ».
On constate que la thèse du système « wokiste » a bien du mal à trouver de solides fondements. D'autant que nombreux sont ceux qui, comme moi, sont considérés comme « wokistes » alors que les indices d'appartenance sont évanescents. Que l'on en juge par l'exposé rapide de mes convictions. Mon engagement anticolonialiste vaut, pour mes adversaires, adhésion à la mouvance décoloniale. Ma critique de la « laïcité de combat » est l'indice de mon choix en faveur du multiculturalisme, voire du communautarisme (la distinction étant sans importance pour la plupart des anti-« wokistes »). Mon adhésion au républicanisme critique est comprise comme anti-républicaine (comme si, seule, l'occurrence française était légitime). Mon souci de concilier laïcité et tolérance est perçu comme une concession à un régime de coopération (et non de séparation) entre l'État et les églises. Ma défense de l'universalisme, constante depuis les débuts de ma vie intellectuelle, ne vaut rien pour ceux qui, de l'instruction de son procès, déduisent sa définitive condamnation. Enfin, mon souci de tenir compte des processus de subalternisation des savoirs périphériques, c'est-à-dire l'intérêt accordé à la notion d'injustice épistémique, indiquerait mon mépris pour l'objectivité et, plus globalement, la volonté de relativiser la science, de contester son privilège dans l'accès public au savoir, autrement dit l'absolu contraire de ce que je pense.
Bref, l'universaliste, le rationaliste, le républicain disparaissent sous les amalgames qu'une paresse de la pensée présente comme des articles de foi, sans accorder la moindre attention à la complexité des choix.
À quoi sert l'anti-« wokisme » ?
La promotion académique et sociétale du « wokisme » entretient bien des similitudes avec les querelles qui l'ont précédée (sans pour autant avoir disparu), celles du politiquement correct et de l'islamo-gauchisme. Elles obéissent à une même logique de désignation d'un ennemi supposé, ennemi de l'intérieur mais complice de ceux qui, en dehors de la « civilisation occidentale », chercheraient à en saper les fondements. « Wokisme » permet donc de disqualifier l'ensemble des forces contestataires issues des populations minorisées, accusées, entre autres griefs, d'hypersensibilité. Le refus de rester indifférent devant l'oubli de nos principes suscite une vive réaction venue de milieux politiques et intellectuels divers, mais ayant en commun une conception exclusive de l'appartenance citoyenne.
Au sein d'une nation fortement sécularisée, et ayant fait de la laïcité sa religion civile, l'une des modalités principales de disqualification est de constituer, au sein de nos sociétés démocratiques, une religion nouvelle, généralement décrite comme sectaire. Et si l'opprobre ne suffit pas, on dira que cette religion est à visée totalitaire, voire que ses fidèles sont les agents du totalitarisme. Le caractère outrancier de ce diagnostic ne semble pas un obstacle à sa crédibilité, si l'on juge cette dernière au nombre de passages médiatiques des anti-« wokistes » les plus ardents.
Aussi, alors que les « wokistes » sont suspectés de croire en des choses qui défient le bon sens (non malgré l'absurdité de leurs croyances mais en raison même de cette absurdité, comme le souligne Jean-François Braunstein), est-il permis de se demander si la qualification du « wokisme » comme totalitarisme ne relève pas du même mécanisme, tant, pour ceux qui savent à quoi renvoie le concept, le jugement est en effet absurde. Absurde, mais aussi indécent : faudrait-il comprendre que les « wokistes » font régner la terreur sur les campus et participent au lynchage de ceux qui résistent à la religion « wokiste » ? On mesure l'indécence lorsque l'on sait ce que furent réellement les lynchages aux États-Unis.
Mais, revenons un instant à l'absurdité : elle est au fondement de la constitution de la catégorie « wokisme ». Le procédé est parfaitement décrit par Jean-Yves Pranchère : « Les Lumières ont existé, mais celui qui, en choisissant tel texte de Mercier sur les bibliothèques, tel texte de Diderot sur les rois qu'il faudrait étrangler avec les tripes des prêtres, expliquerait que les Lumières ont été un cas de « lumiérisme », et que le « lumiérisme » qui rassemble Voltaire et Rousseau, Montesquieu et Adam Smith, Kant et d'Holbach, Helvetius et Lessing, etc., est un totalitarisme qui veut expurger les bibliothèques, assassiner les savants, faire régner la terreur, promouvoir le cannibalisme (on imagine au passage une lecture de Montaigne qui dirait que Montaigne voulait nous apprendre à manger les petits enfants), celui-là devrait être tenu pour un histrion »[3]. C'est ainsi que procèdent les anti- « wokistes » lorsqu'ils se veulent constructeurs de concepts.
De cette offensive, qui déborde largement le terrain académique, il n'est pas interdit de penser que son objectif principal, conjointement poursuivi par le pouvoir politique et la droite universitaire, est de combattre l'influence des courants critiques au sein de la recherche en sciences sociales. Cette hypothèse est étayée par le fait que le procès en « wokisme » est instruit contre tous ceux qui remettent en question l'ordre établi, qui sont attentifs à la justice sociale, à la condition féminine et à celle des minorités racisées. Dans ce procès, les procureurs s'approprient parfois les thématiques (notamment en revendiquant leur attention aux injustices, aux inégalités ou aux discriminations) et le vocabulaire des accusés pour les vider de leurs sens.
Quelles sont les craintes des anti-« wokistes » ? Les plus courantes concernent la fragmentation de la nation (ou son émiettement), une nation au sein de laquelle règne « une atmosphère toujours plus servilement diversitaire et victimaire »[4]. La « tribalisation » de la République serait déjà une réalité, les élites se soumettant à la « tyrannie des minorités » et célébrant la « religion diversitaire » au sein de laquelle l'individu, réduit à son assignation identitaire, ne s'appartient plus et substitue l'émotion à la rationalité. On mobilise volontiers les invariants de l'universalisme incantatoire, celui qui confond le « même » et le « commun », qui proteste contre la prétendue sacralisation de l'altérité et s'indigne de la disparition de l'esprit critique au profit du « masochisme moralisateur ».
On alerte aussi sur les dangers de l'islamo-gauchisme, comme figure de l'ennemi intérieur. Cette accusation, généreusement utilisée, popularisée par les pouvoirs publics et relayée par quelques figures médiatiques notoires, laisse entendre que le rôle de l'État est de dire quels courants de pensée seraient acceptables. Procédé dont l'efficacité est douteuse car, comme le remarque François Dubet, « selon la vieille loi de la prédiction créatrice, ce procès fait advenir l'adversaire qu'il combat ». Pourtant, la suspicion d'islamo-gauchisme reste disponible, essentiellement en raison de la fonction qu'elle remplit.
Depuis l'invention du terme, son champ d'application semble ne plus connaître de limites. Sont en effet désignés les courants théoriques perçus comme anti-occidentaux ou encore anti-blancs, c'est-à-dire étrangers à la culture nationale : intersectionnalisme, postcolonialisme, décolonialisme, culture de l'annulation, féminisme « misandriste » et, bien évidemment, « wokisme ».
Gilles Bastin fournit la croustillante recette de ce qu'il nomme justement « boniment néo-républicain » : « Prenez un mot (si possible anglo-saxon, comme “woke”, mais un mot composé “islamo-gauchisme”, par exemple, fera l'affaire), agitez-le fortement dans les médias en le mélangeant à d'autres types de mots (“postcolonial” est idéal mais, si vous n'y pensez pas, “repentance” ou “cancel culture” iront très bien). Au bout d'un moment, vous le verrez enfler, se transformer, devenir un symptôme, puis une menace que vous pourrez finalement brandir pour effrayer l'opinion ». On ne saurait mieux décrire le phénomène de construction du soupçon.
À cet égard, l'instrumentalisation de la laïcité constitue une excellente illustration. Le maintien affiché d'une norme, le modèle français de laïcité, vise en réalité à en imposer une nouvelle, comme le souligne le titre même du rapport Baroin de décembre 2002, « Pour une nouvelle laïcité ». On y lit que la laïcité est contestée « par certaines populations immigrées, qui, issues d'une culture non laïque et non démocratique, ne perçoivent pas le sens de ce principe ». Traduction, on ne peut plus claire, de ce que Géraldine Bozec appelle un « nationalisme cognitif » de la part de ceux qui mettent en œuvre les politiques publiques[5]. La crise de la laïcité est imputée à la gauche parce qu'elle a « défendu les différences culturelles » et le « communautarisme ». Ce rapport, qui revendique un ethnocentrisme décomplexé, exprime, hélas, ce que, probablement, pensent une majorité de Français.
Une autre fâcheuse conséquence de cette manipulation de l'opinion publique doit être mentionnée : le recul du débat démocratique. La démocratie ne peut, sans risque pour sa survie, laisser prospérer le dégoût du vrai, et, plus généralement, l'indifférence quant à la science, méprisée pour sa vocation à l'universalisation de ses propositions. La démocratie étant, par nature, l'espace où s'échangent les raisons, la promotion du règne généralisé de la doxa, soit la sacralisation du relativisme cognitif au nom d'un pseudo-idéal démocratique selon lequel tout se vaudrait est, à coup sûr, un péril mortel.
De fait, la remise en cause de la valeur de l'objectivité et de la possibilité de la vérité prépare les esprits à accepter le procès en « wokisme », procès instruit dans un nombre de plus en plus grand d'ouvrages et d'articles qui cherchent à donner une consistance à une mouvance, dont, redisons-le, nul ne se revendique. Il n'est pas interdit de penser que les procureurs qui instruisent à charge ce procès représentent une authentique menace pour la démocratie. La wokeness, c'est précisément l'attention inquiète pour la défense des principes démocratiques.
Wokeness versus « wokisme »
Loin de la vision anti-« wokiste » du monde, je souhaite désormais examiner les exigences de la wokeness, autrement dit les conditions de l'émancipation.
L'émancipation peut être définie comme la volonté politique de se défaire de la situation de minorité à laquelle on est soumis. La tentation est grande de hiérarchiser les luttes et, par conséquent, de négliger celles fondées sur la reconnaissance au nom d'un primat sur celles ayant la redistribution pour horizon ou, bien sûr, de choisir la priorité inverse. Je pense, au contraire, que nous devons articuler les unes et les autres. Rechercher les conditions de cette articulation, c'est faire l'éloge de la complication, là où un universalisme incantatoire, lui-même actif dans la chasse aux « wokistes » (ceux-ci étant toujours accusés d'être anti-universalistes), continue de la tenir à distance.
Cet effort doit s'accompagner d'un autre, tout aussi important : être lucide sur les risques que l'exaltation identitaire fait courir à la cause défendue[6]. On ne peut sans péril emprunter les mêmes chemins que ceux de l'oppresseur. Si l'on souhaite que le « wokisme » reste un mythe, qu'il demeure introuvable, l'universalisme, en tant que tel, ne peut être relativisé.
Il peut en effet arriver que les dominés empruntent le vocabulaire, voire l'idéologie des dominants et revendiquent une essence, celle-là même à laquelle ils sont assignés. L'oubli de l'appartenance à une commune humanité se manifeste mécaniquement par le rejet de toute possibilité d'universalisation et, notamment, celle des propositions générales de la science. L'objectivité, la réalité, la vérité deviennent des catégories particulières liées à une histoire et/ou à une communauté. La wokeness, dans la perspective que nous défendons, doit se tenir à l'écart de ces ornières.
La victime a le droit d'être écoutée, et de l'être avant quiconque. Il est, de surcroît, inacceptable de ne pas la considérer comme fondée à décrire l'oppression de son propre point de vue. L'antiracisme ne peut ignorer les revendications fondées sur les situations particulières de racisation. Pour justifier cette position, il est fréquent de citer, à bon escient, Hannah Arendt : « Lorsqu'on est attaqué en tant que Juif, c'est en tant que Juif que l'on doit se défendre ; non en tant qu'Allemand, citoyen du monde, ou même au nom des droits de l'homme[7]. » Ne pas comprendre cette primauté d'un moment, c'est rester enfermé dans une conception décharnée de l'égalité, pour utiliser le vocabulaire de Césaire.
Faut-il pour autant emprunter au raciste les raisonnements servant à légitimer ses privilèges ?
La tentation de l'« essentialisme inversé », c'est-à-dire celle de la reproduction du processus raciste d'essentialisation, mais en inversant la hiérarchie qu'il instaure, doit être écartée. Elle avait d'ailleurs été fermement condamnée par Frantz Fanon dans les Damnés de la terre (chapitre sur « Les mésaventures de la conscience nationale »)[8].
Dans la perspective que nous défendons, elle contrevient à l'exigence centrale de ne pas privilégier une appartenance au détriment de toutes les autres. L'« essentialisme inversé », en n'accordant de l'importance qu'à la race, emprunte au racisme ses schémas de pensée. Cette essentialisation identitaire implique le refus de l'alliance, autrement dit elle prive l'autre de toute expression de solidarité (ou de critique). L'humanisme réel pourrait-il s'en accommoder ? La réponse est bien entendu dans la question.
Une pensée de l'éveil qui négligerait le ressort universaliste des luttes pour l'émancipation donnerait crédit à l'accusation de manichéisme, puisque la division dominants/dominés, au lieu d'être un moteur du changement, deviendrait l'essence du réel, autrement dit tiendrait l'histoire à distance. Elle serait alors conforme à la description de l'anti-« wokisme » : dès lors, elle deviendrait wokisme.
Mais, malgré les tentatives de nous persuader du contraire, la wokeness reste, pour l'essentiel, éloignée de cette dérive. On interprétera, par conséquent, l'anti-« wokisme » comme l'expression d'un désir d'oubli : celui d'un passé dont on s'emploie à réécrire l'histoire, de façon à ce qu'il apparaisse comme une sorte d'accident ou d'anomalie au regard de l'universalité de nos principes. L'expression aussi d'une forme d'aveuglement : on refuse d'admettre la persistance d'un racisme quotidien, lequel explique les profondes inégalités qui ont accompagné l'intégration des populations immigrées.
Les revendications identitaires, pour être combattues, doivent être comprises comme la conséquence d'un déficit, voire d'un déni, de reconnaissance, au lieu d'être stigmatisées comme l'indice d'une volonté de séparation. Ce déficit est sans doute la marque d'une insuffisante intégration de nos passés dans une histoire commune. Réjane Sénac souligne, à juste titre, « la persistance du déni des inégalités et des injustices comme structurant l'histoire et le présent de la société française ». Un véritable engagement républicain implique de « réarticuler les mémoires des souffrances humaines afin qu'elles deviennent toutes des éléments fondamentaux pour rebâtir le monde en commun »[9].
À l'opposé, ceux qui ont recours au mythe du « wokisme » fabriquent un épouvantail sur lequel concentrer la colère, et détournent de ce qui devrait réellement faire peur : la catastrophe écologique, le recul de la démocratie, la banalisation de l'extrême droite et la perspective, corrélative, qu'elle parvienne au pouvoir. Le « wokisme », à défaut d'être un phénomène identifiable, est le mot par lequel on cherche à éloigner le débat sur les questions liées aux discriminations et, peut-être surtout, comme Bourdieu l'avait pressenti, à l'immigration. Il serait heureux que l'on puisse, le plus tôt possible, voir en lui une invention lexicale sans postérité.
NDLR : Alain Policar publiera le 5 avril 2024 Le « wokisme » n'existe pas. La fabrication d'un mythe, aux éditions Le Bord de l'eau.
Alain Policar
POLITISTE, CHERCHEUR ASSOCIÉ AU CEVIPOF
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Le Québec et la guerre en Ukraine

Les guerres mondiales ont marqué profondément l'histoire du Québec. La Nouvelle-France est passée sous contrôle britannique lors de la guerre de Sept Ans. La crise de la Conscription de 1918 a remis la question de l'indépendance à l'ordre du jour, pour la première fois depuis la rébellion des Patriotes de 1837-1838.
Éditions du Renouveau québécois ; Nombre de pages : 222 ; Année de publication : 2023
https://lautjournal.info/publications/le-quebec-et-la-guerre-en-ukraine
Aujourd'hui, la guerre en Ukraine provoque un chamboulement complet de la géopolitique internationale et menace de dégénérer en conflit mondial. Les alliances militaires se recomposent et se raffermissent. Les budgets militaires explosent. Les États-Unis opèrent un découplage économique avec la Chine – particulièrement dans le domaine des matériaux stratégiques – et enrôlent les pays amis dans une économie de guerre camouflée sous la dénomination de « transition énergétique ».
Les ressources minières et énergétiques canadiennes et québécoises sont dans le collimateur de l'Oncle Sam. Le Canada et le Québec répondent présents en subventionnant à coups de dizaines de milliards les usines de la filière batteries. Une politique qui n'est pas sans lien avec la décision du gouvernement Legault d'augmenter de 50% le potentiel hydroélectrique du Québec.
Dès le déclenchement de la guerre, le Québec s'est rallié spontanément à l'Ukraine, sans examen approfondi des politiques qui ont mené à cette guerre. Ce recueil d'articles publiés dans L'aut'journal a pour objectif de combler cette lacune. Il propose une analyse de la guerre en Ukraine d'un point de vue québécois, en rupture avec l'alignement du Canada sur les politiques de l'Empire américain, et renoue avec la tradition pacifiste du peuple québécois

L’intelligence artificielle – Mythes, dangers, désappropriation et résistances

INTRODUCTION AU DOSSIER – Ce n'est pas d'hier que le capitalisme mondialisé développe et s'approprie les techniques et les technologies les plus avancées et productives pour générer plus de capital privé par l'exploitation du travail et par la consommation étendue à l'échelle de l'humanité. Le capitalisme a aussi mis en place des mécanismes de discrimination qui surexploitent les plus dominé·e·s afin de maximiser les profits.
22 mars 2024 | tiré du site des NCS
L'intelligence artificielle (IA) fait partie de ce monde capitaliste. Elle est présente dans nos vies depuis quelques décennies sous différentes formes, on n'a ici qu'à penser à la reconnaissance vocale en téléphonie déployée en 1995 par Bell Canada, pionnier mondial dans ce domaine, en éliminant au passage quelques milliers d'emplois occupés principalement par des femmes. Dans cette joyeuse marre aux algorithmes, les enjeux sont de l'ordre de centaines de milliards de dollars.
Jusqu'ici le développement et le déploiement de l'IA se faisaient plutôt discrets dans des centres de recherche enfouis dans les universités, en « partenariat » avec quelques géants de l'univers numérique. On nous en laissait parfois entrevoir quelques applications « innovantes », dans le domaine de la médecine, de l'automobile autonome, de la reconnaissance faciale, etc. Mais cela restait sous la bonne garde des géants de ce monde.
Mais voilà qu'à la fin de 2023 retentit un coup de tonnerre médiatique dans ce merveilleux univers numérique. L'IA générative, qui depuis une bonne décennie était réservée aux entreprises qui pouvaient se la payer, devient accessible à monsieur et madame Tout-le-Monde sous la forme du robot conversationnel ChatGPT.
La nouvelle a fait fureur et elle n'a pas tardé à déclencher de par le monde un déluge de commentaires et de jugements à l'emporte-pièce. Voilà que l'on pouvait, par le biais d'une simple application, disposer des services d'un robot conversationnel apparemment prodigieux capable de générer instantanément une dissertation de qualité sur n'importe quel sujet de son choix dans la langue de sa convenance.
Bien que l'IA générative sous forme de robot conversationnel ne soit qu'une sous-branche des applications de l'IA basée sur l'apprentissage profond – l'IA couvre beaucoup plus large – il n'en fallut pas plus cependant pour que sur les médias sociaux et dans les grands médias institutionnels finisse par s'imposer un nouveau discours hégémonique en la matière, un discours passe-partout et tout puissant, globalement favorable à l'intelligence artificielle de dernière génération ainsi qu'à ses multiples déclinaisons possibles. Cela est présenté comme quelque chose d'inéluctable et d'indispensable à notre vie future, mettant en sourdine ou à la marge, ou encore passant sous silence bien des dimensions problématiques de l'intelligence artificielle[1].
En guise d'introduction à ce dossier sur l'IA, nous voulons déchiffrer cet emballement pour l'IA et montrer ce qu'il y a derrière ce discours devenu si prégnant, en mettant en évidence comment il reste difficile dans nos sociétés contemporaines de faire la part des choses en matière de découvertes ou de progrès scientifiques et techniques, au point de jouer à l'autruche devant une multitude de dangers pourtant des plus inquiétants.
Sur l'idée de progrès
Il faut dire que pendant longtemps, modernité oblige, nous avons été portés – y compris à gauche – à doter le progrès économique et technique d'un indice hautement positif.
Après l'imprimerie en 1450, la machine à vapeur en 1770, le moteur à explosion en 1854, l'électricité en 1870, les technologies de l'information et de la communication dans les années 1970 et aujourd'hui l'intelligence artificielle, nous pourrions facilement imaginer être partie prenante d'une vaste trajectoire historique pleine de promesses, nous délivrant pas à pas de lourdes tutelles pesant sur notre humanité. Comme si, en nous laissant emporter par l'inéluctable passage du temps, le futur allait nécessairement nous offrir un avenir meilleur que le présent ou le passé.
On a tous en tête des images fortes – par exemple dans le dernier film de Sébastien Pilote, Maria Chapdelaine – de l'existence que menaient nos ancêtres à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe dans ce pays de froid et de neige qu'était le Québec. Ils n'avaient ni eau courante ni électricité ni médecin assuré. Pour survivre et pour faire face aux défis d'une nature hostile, il ne leur restait qu'une vie faite de bûchage acharné et de durs travaux agricoles, d'économies et de privations. Au regard de notre vie d'aujourd'hui, qui souhaiterait revenir à de tels temps ?
Bien sûr, il y avait dans ces images trop simplistes quelques signaux contraires, mais nous avons mis longtemps à en tirer les véritables conséquences. Le progrès, en même temps qu'il délivrait l'être humain de bien des fardeaux, apportait son lot d'inquiétudes et de destruction. À preuve cette ombre de la menace nucléaire qui, à partir de 1945, s'est mise à grignoter, comme un sombre présage, les lumières philosophiques de toutes nos humaines interrogations.
Il y avait aussi ceux et celles qui, à gauche, avaient compris que ce progrès était porté par un mode de production particulier – le mode de production et d'échange capitaliste – qui en sapait une grande partie des potentialités positives. Ils voyaient donc dans un système socialiste, où les richesses privées seraient socialisées, le moyen de redonner au progrès humain ses vertus émancipatrices et libératrices.
Pourtant la plupart d'entre eux, en installant cette socialisation dans un futur indéterminé ou en fermant les yeux sur les difficultés de son actualisation, passée comme présente, et en se croyant portés par le vent de l'histoire, tendaient malgré eux à reprendre à leur compte le mythe d'un progrès inéluctable. D'ailleurs, ils étaient devenus si nombreux, si influents, si assurés de l'avenir – quelle que soit la manière dont ils le pensaient – qu'on avait même fini par tous les regrouper sous un même chapeau : le progressisme. Ils étaient, disait-on, des « progressistes » pariant, plein d'optimisme, sur les valeurs de la modernité, sur les avancées assurées et positives de l'histoire[2].
Le « progressisme », que nous le voulions ou non, nous en sommes, à gauche, les héritiers, et l'idée d'un progrès inéluctable se déployant positivement au fil du temps, continue de nous habiter. Et cela, même si l'histoire parait avoir depuis des décennies infirmé une bonne partie de ces prophéties.
En ne débouchant jusqu'à présent sur aucun changement sociétal de fond, sur aucun saut qualitatif, sur aucun « bond de tigre » comme disait Walter Benjamin, les indéniables avancées scientifiques et techniques qui continuent de fleurir à notre époque s'accompagnent de désordres économiques criants, de guerres nouvelles, de malaises sociaux grandissants, de blocages politiques et de contradictions culturelles. D'autant plus qu'aux maux traditionnels de l'exploitation ou de l'inégalité, fruits connus du capitalisme, sont venus se rajouter ceux, passablement inquiétants et longtemps ignorés, d'un productivisme échevelé : des prédations environnementales généralisées et de brutaux changements climatiques posant cette fois-ci, dans un proche avenir, la question même de notre survie comme humanité.
Voir les choses depuis la perspective de l'histoire
En fait, tout – en particulier ce qui touche aux effets des récentes découvertes scientifiques et techniques sur les sociétés humaines – devrait pouvoir être discuté aujourd'hui, se retrouver sur la grande table des débats collectifs, sans peur et en toute liberté.
Les crises multiples et combinées (crises économiques, sociales, politiques, sanitaires, écologiques, géopolitiques) que collectivement nous affrontons aujourd'hui nous le montrent comme jamais : cette trajectoire ascendante du progrès est en train de se déliter, voire de se transformer peu à peu en son contraire. Elle nous oblige brutalement à nous questionner sur le type de vie auquel nous aspirons comme humains, et sur le devenir de l'humanité. S'épanouira-t-elle sous le signe de la liberté ou de l'émancipation, ou au contraire se distordra-t-elle au gré des impasses d'un « désordre établi » maintenu d'une main de fer par les puissants d'aujourd'hui ? Tout des drames grandissants d'aujourd'hui ne nous oblige-t-il pas à voir les choses de loin, à les scruter depuis la perspective de l'histoire ? Il y a plus de 150 ans de cela, un certain Karl Marx rappelait que :
la seule liberté possible est que l'homme social, les producteurs associés règlent rationnellement leurs échanges avec la nature […] et qu'ils accomplissent ces échanges en dépensant un minimum de force et dans les conditions les plus dignes et les plus conformes à la nature humaine. Mais, rappelait-il […] cette activité constituera toujours le royaume de la nécessité. C'est au-delà que commence le développement des forces humaines comme fin en soi, le véritable royaume de la liberté[3].
Cette vision large et prospective de la liberté, envisagée pour l'humanité universelle comme une libération vis-à-vis du temps de travail obligé, c'est là tout un programme dont on est loin de voir l'aboutissement aujourd'hui. Elle reste néanmoins d'une brûlante actualité quand on songe au surgissement dans nos sociétés de l'intelligence artificielle de dernière génération, si on ose s'arrêter à tout ce qu'elle bouscule sur le plan des conditions structurelles, économiques et techniques, favorisant ou non le déploiement possible d'une liberté humaine. Car on touche là, avec ce nouveau type de technologies, à quelque chose de résolument nouveau dont on peine à mesurer les conséquences sur les multiples dimensions de nos vies, travail et loisirs compris.
Il faut dire que les prouesses, dont cette intelligence artificielle est à l'origine, ont de quoi impressionner. La puissance et la rapidité de ses calculs comme les prodigieux résultats que ses algorithmes atteignent en matière de production quasi instantanée de textes conversationnels, d'images et de sons utilisables par tout un chacun, paraissent lui assurer un avenir à tout coup prometteur. Il faut dire aussi que cette capacité à recourir à des masses gigantesques de données numériques et à les trier à la vitesse de l'éclair recèle de potentiels côtés positifs, notamment en termes d'avancées scientifiques, et plus particulièrement ces derniers temps en termes de diagnostics médicaux. À condition cependant que ces machines apprenantes restent étroitement encadrées par des humains, selon des principes et des exigences éthiques et politiques réfléchies et connues de tous et toutes, de manière à pouvoir de part en part contrôler, dans la transparence, tous leurs tenants et aboutissants, leurs effets problématiques ou inattendus et leurs toujours possibles biais et bévues.
Derrière les prouesses des machines apprenantes, une désappropriation généralisée ?
Tel est le problème décisif : l'indéniable attractivité de l'IA l'a dotée d'une aura si séduisante qu'on tend, dans le grand public, à faire l'impasse sur les formidables dangers dont elle est en même temps le véhicule. Car telle qu'elle se présente aujourd'hui (aux mains des tout puissants monopoles que sont les GAFAM), telle qu'elle se déploie dans nos sociétés contemporaines (au sein d'un marché capitaliste néolibéralisé) et telle qu'elle est en train de faire son chemin dans nos vies (au travers d'une surveillance généralisée et d'une utilisation dérégulée de nos données numériques), l'IA risque bien de participer à un vaste mouvement de « désappropriation[4] » de nos vies. Oui, c'est bien cela : nous désapproprier d'une série d'habiletés collectives, de manières de faire, de façons d'être et de penser, de nous organiser socialement et politiquement, de nous éduquer ; toutes choses qui étaient jusqu'à présent le propre de notre humanité commune, avec certes les indéniables limitations qu'elles portaient en elles, mais aussi toutes les libertés en germe qu'elles ne cessaient de nous offrir.
L'IA tend à participer à ce mouvement de désappropriation, en remplaçant ces manières de faire et d'être par des machines et des modèles automatisés et interconnectés, au fonctionnement et aux finalités à priori particulièrement opaques. Les voilà en effet aux mains de grands monopoles privés, eux-mêmes fouettés par le jeu d'une concurrence impitoyable et mus par le jeu cruel et impersonnel de l'accumulation infinie du capital. Le tout, en sachant qu'il s'agit de grands monopoles sur lesquels nous n'avons, dans l'état actuel des choses, pratiquement aucun contrôle démocratique, aucun pouvoir de décision citoyen, aucune prise sociale ou individuelle digne de ce nom.
L'IA risque ainsi d'accentuer, d'élargir et de parachever le mouvement de désappropriation que le mode de production capitaliste faisait déjà peser sur la vie des travailleurs et des travailleuses, en touchant cette fois-ci non pas seulement à l'organisation de leur travail ou à l'extorsion d'une survaleur économique, mais en s'immisçant dans, et en bouleversant de part en part les mécanismes d'information, d'organisation, de « gouvernementalité » de la société entière, tout comme d'ailleurs en se donnant les moyens de contrôler plus étroitement la subjectivité de chacun des individus qui la composent. Le tout, en tendant à pousser les sociétés humaines vers la surveillance généralisée, le contrôle bureaucratique systématisé, la fragmentation définitive des liens sociaux et communautaires ; à rebrousse-poil de tous les idéaux démocratiques, d'égalité, de liberté, de fraternité et de diversité que tant d'entre nous continuent à poursuivre par le biais de la lutte sociale et politique.
C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de commencer cette présentation par une mise en perspective autour de la notion de progrès, et surtout, nous avons voulu placer ce dossier sur l'intelligence artificielle de dernière génération sous la forme d'une insistante interrogation dont nous chercherons à éclairer les enjeux sous-jacents : dernière les prouesses des machines apprenantes, ne se cache-t-il pas une désappropriation généralisée ?
Avec l'IA, en effet, l'affaire est plus que sérieuse, mais peut-être pas où on l'imaginerait de prime abord. Ici, il ne faut pas craindre de s'en prendre aux mythes qui circulent à son propos et qui, par exemple, verraient une sorte de grand ordinateur, super-intelligent et doté de conscience, prendre le dessus sur des sociétés humaines entières, un peu comme dans le célèbre film de Stanley Kubrick, 2001 : L'odyssée de l'espace, où l'ordinateur de bord HAL 9000 a pris le contrôle d'un vaisseau spatial malgré tous les efforts contraires de son équipage. Le problème n'est pas là, loin de là. Pourtant, si les peurs qu'une telle dystopie peut faire naitre sont actuellement dénuées de fondement, il reste qu'on a quand même bien des motifs d'être inquiets au regard des développements contemporains de l'IA de dernière génération.
Les véritables dangers de l'IA
Si aujourd'hui, ainsi que le rappelle Chomsky[5], l'IA dans sa forme actuelle est loin encore de pouvoir rivaliser sérieusement avec la versatilité et l'inventivité de l'intelligence humaine, ce qui fait néanmoins problème, c'est la manière dont ces nouvelles machines apprenantes – avec les impressionnants pouvoirs de mise en corrélation qu'elles recèlent – s'insèrent et se déploient dans les pores de nos sociétés déterminées par les logiques de l'accumulation capitaliste ; elles-mêmes déjà profondément transformées par le déploiement récent des nouvelles technologies de la communication et de l'information (ordinateur, Internet, téléphones intelligents, réseaux sociaux, etc.).
En ce sens, l'IA n'est qu'un pas de plus, une nouvelle étape qu'on serait en train de franchir, l'expression d'un saut qualitatif effectué dans le nouvel ordonnancement d'un monde globalisé, connecté de part en part et mis systématiquement en réseau grâce aux puissances de l'informatique couplées maintenant à celles de l'intelligence artificielle de dernière génération. Avec une nuance de taille cependant : cet ordonnancement tend, par la course aux profits et aux logiques concurrentielles qui l'animent, par l'opacité et le peu de régulation dont elle est l'objet, à court-circuiter les interventions sociales et collectives pensées depuis le bas, ainsi que les démarches démocratiques et citoyennes et toute perspective émancipatrice touchant aux fins poursuivies par l'implantation de ces nouvelles technologies. Tout au moins si nous ne faisons rien pour empêcher son déploiement actuel, si nous ne faisons rien pour tenter d'en encadrer mieux et plus rigoureusement la mise en place, et plus encore pour imaginer les contours d'un autre monde possible et lutter collectivement pour son avènement : un monde dans lequel les nouvelles technologies seraient au service de l'humanité universelle et non son triste contraire.
C'est la raison pour laquelle nous avons voulu penser ce dossier comme une invitation à l'échange et à la discussion, au débat, mais aussi comme un appel à la résistance et à l'action. L'importance et la nouveauté des dangers encourus, tout comme le contexte sociopolitique difficile dans lequel nous nous trouvons, appellent à combiner des forces, à trouver des alliés, à élaborer des fronts amples pour faire connaître l'ampleur des dangers qui sont devant nous, pour faire de l'intelligence artificielle une question politique cruciale auprès d'un large public.
Le côté inédit de ces dangers nous demande en particulier de réfléchir et de travailler sur la nécessité d'une réglementation immédiate et beaucoup plus stricte que celle, balbutiante, que nous connaissons aujourd'hui. Non pas en imaginant qu'on pourra ainsi facilement et définitivement « civiliser » une technologie aux logiques pernicieuses, mais en nous donnant les moyens de gagner déjà de premières batailles sur ce front, aussi minimes soient-elles au départ, pour pouvoir par la suite aller plus loin et s'interroger en profondeur sur le mode de vie qu'on veut imposer de la sorte ainsi que sur la conception du progrès sous-jacente qui en voile toutes les dimensions problématiques.
Car avec l'intelligence artificielle de dernière génération, voilà soudainement les plus intimes des potentialités intellectuelles et artistiques de l'humanité, ses fondements démocratiques, ses outils professionnels d'information, etc., qui risquent d'être profondément chambardées par les dynamiques d'un technocapitalisme dérégulé auquel nous faisons face aujourd'hui.
Un dossier pour débattre et résister
La nouveauté comme la complexité des dangers et les problèmes entrevus obligent à l'humilité et à la prudence, mais il faut s'y arrêter, prendre connaissance de la situation et voir les possibilités de résistance.
Nous allons d'abord tenter avec André Vincent (Intelligence artificielle 101) d'explorer les constituantes technologiques sur lesquelles repose ce qu'on appelle l'IA. On y explique les apports de chacune des quatre constituantes de ce « réseau de neurones apprenant profondément et générant quelque chose » : les machines, les logiciels, les données et l'argent. Et comment tout cela s'imbrique dans diverses applications dans une foule de domaines d'activités. On y examine aussi les diverses formes d'encadrement de l'IA proposées à ce jour ainsi que leur portée. Un glossaire des principaux termes utilisés en IA complète cet article.
Après ce texte d'introduction à l'IA, la partie du dossier, De quelques bouleversements structurels, veut exposer quelques-uns des dangers et des problèmes les plus évidents qui semblent aujourd'hui sauter aux yeux des spécialistes. Et comme en ce domaine, on est loin de l'unanimité, on verra la richesse et la diversité des points de vue, y compris d'importantes oppositions. En particulier quand il s'agit de nommer et de conceptualiser les bouleversements d'ordre systémique qui s'annoncent à travers le développement de l'économie numérique.
Ainsi Maxime Ouellet (Penser politiquement les mutations du capitalisme à l'ère de l'intelligence artificielle) critique ceux qui ont tendance à amplifier le caractère inédit d'une nouvelle forme de capitalisme induite par l'exploitation des données numériques, et qui oublient d'expliquer comment ces transformations s'inscrivent dans la continuité de dynamiques structurelles plus larges du capitalisme de l'après-guerre. Il insiste sur le fait que le développement capitaliste contemporain s'appuie moins sur la forme marchandise prédictive des algorithmes que sur la valorisation financière d'une nouvelle classe d'actifs intangibles (brevets, droits de propriété intellectuelle, fusions et acquisitions, alliances stratégiques, etc.). Il s'oppose ainsi aux thèses de Jonathan Durand Folco et de Jonathan Martineau (Vers une théorie globale du capitalisme algorithmique) qui cherchent au contraire à montrer que l'on assiste à une mutation importante du capitalisme rendue possible par l'utilisation des algorithmes, une mutation du même type que celle apportée par la révolution industrielle du XIXe siècle. Ils veulent mettre en lumière comment l'algorithme est devenu le nouveau principe structurant qui, tout en prenant appui sur lui, réarticule et dépasse le néolibéralisme financiarisé.
C'est aussi cette thèse que tentent de confirmer Giuliana Facciolli et Jonathan Martineau (Au cœur d'une reconfiguration des relations internationales capitalistes), en critiquant l'approche de Cédric Durand[6] sur le « techno-féodalisme ». Sur la base de cette critique, l'autrice et l'auteur veulent démontrer comment les dynamiques du capitalisme algorithmique permettent de mieux comprendre les phénomènes de la périphérisation de certains espaces du capitalisme mondial et de renouveler la compréhension des rapports de dépendance coloniale entre le Nord (États-Unis et désormais Chine) et le Sud global, se traduisant par de nouvelles formes de dépendance de gouvernementalité algorithmique.
On trouvera aussi dans cette première partie un autre axe révélateur de débat entre, d'une part, les thèses défendues par Philippe de Grosbois (L'intelligence artificielle, une puissance médiocre) et, d'autre part, celles promues par Eric Martin (La privation du monde face à l'accélération technocapitaliste). Alors que le premier insiste sur le fait qu'un travail critique sur l'IA doit éviter de lui attribuer des capacités qu'elle n'a pas (« Il n'y a pas d'intelligence dans l'IA »), le second va à l'inverse montrer comment, sous l'emprise du capitalisme et du machinisme formaté à l'IA, on est en train de passer d'une société aux aspirations « autonomes » à des sociétés « hétéronomes » au sein desquelles le sujet se trouve alors « privé de monde » par un processus de déshumanisation et de « démondanéisation ». Deux approches apparemment aux antipodes l'une de l'autre, mais qui toutes deux cherchent à mieux mesurer – véritable défi – l'impact exact de l'IA sur nos vies : avec d'un côté, de Grosbois minimisant la portée d'une telle technologie et rappelant l'importance de poursuivre les tâches non achevées de déconstruction des systèmes d'oppression patriarcale et raciale, pendant que de l'autre côté, Martin insiste sur la nouveauté et le danger majeur que représente cet « oubli de la société » induit par le déploiement de l'IA.
Dans une tout autre perspective, Myriam Lavoie-Moore (Quelques leçons féministes marxistes pour penser une l'intelligence artificielle autrement) explore certains éléments des théories féministes de la reproduction sociale afin de voir si, à travers elles, on peut envisager une production et un usage de l'IA qui serviraient les activités reproductives sans les asservir aux impératifs de la valorisation. En refusant de rejeter en bloc l'adoption de telles technologies, elle fait cependant apercevoir, au fil de son analyse, certaines des limitations qu'elles comportent, notamment en ce qui concerne le rapport entre le temps de travail obligé et les tâches du « care », d'ordre relationnel.
Dans un deuxième temps cependant, De quelques effets bien concrets, certains auteurs ne manqueront pas de nous ramener à la vie ordinaire en montrant les effets immédiats et bien concrets de l'IA.
Ainsi Dominique Peschard de la Ligue des droits et libertés (Capitalisme de surveillance, intelligence artificielle et droits humains) traite des effets pervers associés d'ores et déjà à l'IA. Il insiste autant sur les activités toxiques qu'elle tend à promouvoir (le discours haineux, le partage non consensuel d'images intimes, etc.) que sur les problèmes de santé (la dépendance aux écrans) qui en résultent, les impacts environnementaux qu'elle induit ou encore la surveillance policière qu'elle renforce.
Le texte de Caroline Quesnel et Benoit Lacoursière de la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (L'intelligence artificielle comme lieu de lutte du syndicalisme enseignant) va dans le même sens, mais en insistant, pour le domaine de l'éducation, sur les vertus d'une perspective technocritique permettant de résister au risque de la discrimination algorithmique comme à celui du non-respect des droits d'auteur ou encore aux fraudes grandissantes. Elle et il mettent en lumière la nécessité d'un encadrement plus strict de l'IA et l'importance d'appliquer le principe de précaution à celle-ci.
On retrouve la même approche avec Jérémi Léveillé (L'intelligence artificielle et la fonction publique : clarification et enjeux), cette fois-ci à propos de la fonction publique, en montrant comment l'IA « perpétue plutôt le statu quo, c'est-à-dire la marginalisation et la discrimination de certaines populations selon des critères de genre, de religion, d'ethnicité ou de classe socioéconomique », le tout permettant à l'État d'accroitre la productivité et de diminuer les coûts.
De son côté, Jonathan Martineau (Les temporalités sociales et l'expérience du temps à l'ère du capitalisme algorithmique) fait ressortir les effets très concrets que risque de faire naitre l'IA à propos d'une dimension de notre vie d'humain à laquelle on ne prête pas nécessairement toute l'attention requise : notre façon d'expérimenter le temps. Il montre que le déploiement de l'IA brouille la distinction traditionnelle entre temps de travail et temps de loisirs, mais aussi tend à accélérer tous les rythmes de vie ainsi qu'à nous enfermer dans une vision « présentiste » du temps, c'est-à-dire qui privilégie indûment le moment du présent sur ceux du passé et de l'avenir.
Enfin, dans un troisième temps, De quelques considérations sur l'avenir, Jonathan Durand Folco (Dépasser le capitalisme algorithmique par les communs ? Vers un communisme décroissant technosobre) décrit comment l'IA – dans une société post-capitaliste où la prise en charge des communs serait assumée collectivement et démocratiquement – pourrait être utilisée dans une perspective de technosobriété et de décroissance. Faisant cependant ressortir les multiples inconnues comme les nombreux débats qui sont nés à ce propos, son texte se présente comme un exercice prospectif nous permettant de saisir toute l'ampleur des questions en jeu.
On ne sera donc pas étonné de réaliser que si ne manquent pas les dénonciations et points de vue critiques théoriques comme pratiques, notre dossier ne s'est cependant guère attardé aux formes de lutte à mener. C'est que, nouveauté de la thématique de l'IA, bien peu a encore été élaboré, bien peu a été pensé et mis en pratique de manière systématique à propos des luttes globales à entreprendre à l'encontre des dangers et des dérives de l'IA et de ses multiples applications. Tout reste à faire !
Pourtant les défis que la conjoncture contemporaine a placés devant nous obligent à lier étroitement réflexion et action, et par conséquent à réfléchir en situation, en fonction du contexte où l'on se trouve et qui ouvre ou non à la possibilité d'agir collectivement. On ne peut en effet ne pas tenir compte de la réalité des rapports de force sociopolitiques existants. Mais on ne peut en même temps, ainsi que nous le montre ce dossier sur l'IA, ne pas radicaliser nos interrogations sur le cours du monde, c'est-à-dire oser prendre les choses à la racine et par conséquent pousser la réflexion aussi loin que possible, en toute liberté, en n'hésitant pas à aller à rebrousse-poil de toutes les confortables indifférences de l'heure, pour agir ensemble. Puisse ce dossier nous aider à aller dans cette direction !
Par Flavie Achard, Édouard Lavallière, Pierre Mouterde, André Vincent
NOTES
1. Voir à titre d'exemple l'émission spéciale de deux heures de Radio-Canada le 7 décembre 2023, L'intelligence artificielle décodée, <www.youtube.com/watch?v=QFKHd2k_RNE> .
2. Sur le plan culturel, la modernité est née quand, dans le cadre d'une conception générale du monde, ont commencé à s'imposer au XVIIIe siècle, à l'encontre des traditionnelles idées d'immuabilité du monde, de divinité, de foi et de fidélité, les idées nouvelles d'histoire, d'humanité, de raison (les sciences) et de liberté. Et au sein du paradigme culturel de la modernité, les progressistes apparaissaient comme ceux qui avaient repris à leur compte l'idée d'une histoire nous conduisant nécessairement vers le progrès. On pourrait avancer qu'il y avait en fait deux grands courants de progressistes : ceux qui imaginaient, notamment aux États-Unis, « la révolution par le progrès » et ceux qui imaginaient, notamment dans l'ex-URSS, « le progrès par la révolution ».
3. Karl Marx, Le capital, Livre 3, Paris, Éditions sociales, 1976, chap. 48, p. 742.
4. Le terme de « désappropriation » nous semble, dans le cas de l'IA, plus juste que celui de « dépossession » dans le sens où cette désappropriation va bien au-delà du phénomène de l'exploitation par exemple d'un salarié, quand on le dépossède – par l'extorsion d'une plus-value – de la part de valeur qui lui revient à travers son travail. En fait, avec l'IA et ses effets en chaîne, se poursuit et s'accomplit ce mouvement de dépossession en l'élargissant à la société entière et en bousculant les processus cognitifs et émotionnels à partir desquels l'être humain pouvait collectivement et à travers la culture faire preuve d'intelligence – user donc de cette capacité d'unifier le divers – en ayant ainsi les moyens de développer à travers l'histoire un sens de l'innovation inédit.
5. « Contrairement à ChatGPT et ses semblables, l'esprit humain n'est pas un volumineux moteur de recherches statistiques en quête de modèles, avalant des centaines de téraoctets de données et extrapolant la réponse la plus probable à une question ou la solution la plus vraisemblable à un problème scientifique. Bien au contraire, l'esprit humain est un système étonnamment efficace et même raffiné qui fonctionne avec de petites quantités d'informations ; il ne cherche pas à déduire des corrélations sommaires à partir de données, mais à élaborer des explications. […] ChatGPT fait preuve de quelque chose de très similaire à la banalité du mal : plagiat, apathie et évitement. Elle reprend les arguments habituels de la littérature dans une sorte de superbe automaticité, refuse de prendre position sur quoi que ce soit, plaide non seulement l'ignorance mais aussi le manque d'intelligence et, en fin de compte, offre une défense du type « je ne fais que suivre les ordres », en rejetant toute responsabilité sur ses créateurs. » Noam Chomsky, New York Times, 8 mars 2023, traduction du site Les Crises, <https://www.les-crises.fr/la-promes...> .Voir aussi Hubert Krivine, L'IA peut-elle penser ? Miracle ou mirage de l'intelligence artificielle, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, 2021, p. 79 : « Comme l'écrit Yan Le Cun, « le fait que le monde soit tridimensionnel, qu'il y ait des objets animés, inanimés, mous, durs, le fait qu'un objet tombe quand on le lâche… les humains apprennent ça par interaction. Et ça, c'est ce qu'on ne sait pas faire avec les ordinateurs. Tant qu'on y arrivera pas, on n'aura pas de machines vraiment intelligentes. » […] Pour Descartes, c'est bien connu, « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ; il ne l'est pas pour la machine. Bien des bévues de l'IA résultant de calculs très sophistiqués, doivent être corrigées en y faisant tout simplement appel ».
6.Cédric Durand, Techno-féodalisme. Critique de l'économie numérique, Paris, Zones, 2020. Ce dernier rejoint en partie les thèses de Maxime Ouellet sur l'importance des biens intangibles (brevets, droits de propriété intellectuelle, etc.) au sein du capitalisme contemporain.
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Le 28e cahier des Brigades éditoriales de solidarité avec l’Ukraine est disponible au téléchargement libre

Les Brigades éditoriales de solidarité ont été créées au lendemain de l'agression de la Russie poutinienne contre l'Ukraine. Elles regroupent les éditions Syllepse (Paris), Page 2 (Lausanne), M Éditeur (Montréal), Spartacus (Paris) et Massari (Italie), les revues New Politics (New York), Les Utopiques (Paris) et ContreTemps (Paris), les sites À l'encontre (Lausanne) et Europe solidaire sans frontières, les blogs Entre les lignes entre les mots (Paris) et Utopia Rossa, ainsi que le Centre Tricontinental (Louvain-la-Neuve) et le Réseau syndical international de solidarité et de luttes.

Sexualités et dissidences queers

À la jonction des savoirs universitaires et militants, ce livre entend démystifier l'emprise qu'exercent les normes sur nos sexualités. L'ordre sexuel comporte un ensemble de règles souvent tacites régulant les dimensions les plus intimes de nos vies. De quoi est-il constitué ? Et surtout, qu'a-t-il comme effet sur certain·es membres de la société ?
Cet ouvrage collectif réunit des personnes qui réfléchissent à la libération des pratiques sexuelles et amoureuses à partir de la sociologie, de la sexologie, du travail social ou d'une perspective de terrain.
Il permet une rare prise de parole commune de dissident·es sexuel·les autour des bisexualités, du plaisir, de la culture du consentement, du sexting, du travail du sexe, du cruising gai, de la pornographie, du polyamour, de l'éducation à la sexualité, du chemsex, du BDSM et de l'asexualité.
Face au backlash anti-LGBTQ+, nous refusons d'être écrasé·es, nous refusons de disparaître.
Avec des textes de
MP Boisvert, mathilde capone, Marianne Chbat, Julie Descheneaux, Chacha Enriquez, Jorge Flores-Aranda, Blake Gauthier-Sauvé, Marie Geoffroy, Stéphanie Gingras-Dubé, Adore Goldman, Julie Lavigne, Miko Lebel, Hugues Lefebvre Morasse, Sabrina Maiorano, Mélina May, Rossio Motta-Ochoa, Alex Nadeau, Gabrielle Petrucci, Gabrielle Richard, Em Steinkalik et Gui Tardif.
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Écosabotage | Livre à paraître le 9 avril | Est-il temps de recourir à l’écosabotage pour défendre la vie sur Terre ?

Malgré les rapports du GIEC, les COP et les manifestations, la catastrophe climatique s'aggrave. Est-il temps de recourir à l'écosabotage pour défendre la vie sur Terre et infléchir le cours des choses ?
L'essai Écosabotage - De la théorie à l'action, de l'essayiste Anaël Chataignier, va paraître en librairie le 9 avril prochain.
En bref : À l'instar des suffragettes, les écologistes gagneraient-ils à inclure le sabotage dans leur arsenal tactique ? Une réflexion essentielle sur l'activisme dans un contexte d'écocide, doublée d'un manuel d'action militante.
À propos du livre
Incendies allumés par les suffragettes pour obtenir le droit de vote des femmes, déraillements de trains provoqués par la Résistance française pour contrer l'avancée nazie, opérations clandestines menées par le parti de Nelson Mandela pour faire tomber le régime d'apartheid... Le recours au sabotage fait partie intégrante de l'histoire des luttes politiques. Aujourd'hui, comment réagir à la négligence funeste des gouvernements face à la catastrophe climatique ? La désobéissance civile, l'action directe ou le blocage sont-ils de mise ? L'écosabotage gagnerait-il à faire partie de l'arsenal tactique des écologistes ? Considérant que les conditions de possibilité de la vie sur Terre sont menacées par la pollution et les GES, qui sont les véritables saboteurs ? Dans un contexte d'écocide, « saboter des pollueurs » signifie-t-il « désarmer des criminels » ?
Pour Anaël Chataignier, la gravité de la situation actuelle nous impose de parler stratégies, organisation et modes d'action. Car malgré les rapports alarmants du GIEC, les innombrables COP et les manifestations pour le climat, le virage écologique tarde et les pollueurs continuent d'œuvrer en toute impunité. Alors que les limites de la planète sont sans cesse transgressées, ce livre propose de repousser les limites de notre impuissance face à cette destruction. Il offre une contribution importante et légitime à un débat qui anime les luttes écologistes dans un contexte où la catastrophe environnementale s'avère chaque semaine plus grave que prévu. Ça ne peut plus durer.
S'inscrivant dans une longue tradition d'essais ayant fait de la radicalité un jalon incontournable de l'action militante et politique, ce livre prend le parti de (re)mettre de l'avant la pratique du sabotage et de l'action directe qui a été au cœur de bien des mouvements politiques du dernier siècle et demi. Essai de théorie politique et manuel d'action militante, Écosabotage veut aider le mouvement écologiste à repenser ses stratégies, reprendre l'offensive et réellement infléchir le cours des choses. Plaidoyer courageux en faveur de la convergence des luttes et de la diversité des tactiques, il nous invite à « désarmer » ce qui nous tue et à mettre du sable dans l'engrenage pour stopper la destruction du vivant.
À propos de l'auteur
Agrégé et docteur en histoire de l'art, artiste et professeur de dessin, Anaël Chataignier milite au sein de différents collectifs de sensibilité écologique et/ou anarchiste. Écosabotage est son premier essai.
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Instrumentaliser une tragédie pour en justifier une autre
Cet après-midi j'ai visionné le film de Jonathan Glazer, La Zone d'intérêt (2023) au Cinéma Beaubien. Un film qualifié par le réalisateur de La liste de Schindler, Steven Spielberg, de « meilleur film sur l'Holocauste que j'ai vu depuis le mien ».
J'en sors profondément ému.
Ovide Bastien, professeur retraité du Collège Dawson
Ici, le paradis : scènes où on voit le commandant d'Auschwitz-Birkenau, Rudolf Höss, en train de vivre paisiblement avec son épouse, Hedwig, et leurs enfants sur un magnifique et grand terrain – belle musique, rires, histoires racontées aux enfants au coucher, très belles fleurs, piscine, jardin de légumes, rivière, Höss frottant affectueusement sa tête sur celle de son cheval et lui disant affectueusement « Je t'aime » ...
Là, directement adjacent à ce terrain, l'enfer : on voit le grand mur surmonté de barbelés du plus grand camp de concentration et centre d'extermination de l'Allemagne nazi, et on entend occasionnellement, au cœur de cette vie familiale idyllique, coups de fusils et cris des victimes de l'Holocauste...
Je ressens une émotion similaire, et tout aussi profonde et bouleversante, lorsque je vois ce qui passe à Gaza et en Cisjordanie... Lorsque je vois la destruction massive, la faim utilisée comme arme de guerre... Lorsque je vois grimper, de jour en jour, le nombre de victimes – présentement, 32 800 Gazaouis morts et 75 200 blessés, la plupart enfants et femmes... Lorsque je vois Israël, alors que l'attention du monde entier se concentre sur Gaza, infliger une brutalité et une répression de plus en plus intenses en Cisjordanie, des colons juifs accaparant de plus en plus de terres, expulsant les familles palestiniennes avec la complicité de militaires israéliens qui effectuent des raids quotidiens durant lesquels, depuis le 7 octobre, ils ont tué 460 Palestiniens et en ont détenu 7 750, généralement sans accusation et sans possibilité de procès...
« Israël, par l'intermédiaire de ses médias et avec l'aide de ses universitaires, parle d'une voix unanime et encore plus forte que lors de la deuxième guerre du Liban en 2006, » commente l'historien juif Ilan Pappé. « Une fois de plus, l'État juif se trouve plongé dans une fureur qui, sous le couvert de la vertu, se traduit par une politique de destruction massive de la bande de Gaza. Il faut analyser l'autojustification honteuse de tant d'inhumanité et d'impunité afin de comprendre la quasi-immunité internationale dont jouit Israël en dépit de ses actions à Gaza. Cette immunité repose avant tout sur de mensonges éhontés, transmis dans une langue de bois qui rappelle les jours sombres de l'Europe des années 1930, » poursuit Pappé. « Toutes les demi-heures, pendant l'assaut de Gaza, les bulletins d'information de la radio et de la télévision décrivent les habitants de Gaza comme des terroristes et le massacre massif qu'Israël leur inflige comme de la légitime défense. Israël se présente à son propre peuple comme la victime vertueuse se défendant contre un grand mal. Le monde universitaire est recruté pour expliquer à quel point la lutte palestinienne est démoniaque et monstrueuse si menée par le Hamas. »[1]
Pappé ne décrit pas ici le massacre qu'Israël commet présentement à Gaza. Il a rédigé ce commentaire en 2010 et se réfère au massacre perpétré par Israël à Gaza en janvier 2009.
Cependant, la ressemblance entre les deux massacres, les justifications données par Israël pour les commettre, ainsi que les réactions de la communauté internationale, est étonnante.
Dans un article précédent <https://www.pressegauche.org/Les-at...> (Presse-toi à gauche, le 12 mars), j'ai puisé abondamment dans l'œuvre d'Ilan Pappé pour montrer que les atrocités actuelles à Gaza ne font que refléter, et peut-être même dépasser, celles que commettaient déjà les sionistes en Palestine lors de la fondation de l'État juif en 1947-8.
Dans celui-ci, je vais expliquer pourquoi cet historien juif, pourtant de renommée internationale, est tellement détesté aujourd'hui dans son propre pays Israël.
Pourquoi on déteste tant Ilan Pappé en Israël
Ilan Pappé est né le 7 novembre 1954 à Haïfa, d'un couple de juifs allemands qui, pour échapper aux premières persécutions nazies, arrivait, dans les années 1930, dans ce qui est aujourd'hui Israël. À 18 ans, il effectue son service militaire obligatoire dans l'armée israélienne et est employé sur les hauteurs du Golan pendant la guerre du Kippour en 1973. En 1978, il est diplômé de l'Université hébraïque de Jérusalem, et, en 1984, il obtient un doctorat de l'Université d'Oxford.
Sa thèse doctorale porte sur la relation entre l'Angleterre et la naissance d'Israël. Et le hasard veut que ce soient Albert Hourani et George Owen, deux intellectuels qui connaissent fort bien la version palestinienne des évènements de 1948, qui le dirigent dans sa recherche.
C'est ainsi que Pappé, qui a souscrit depuis l'enfance à la mythologie sioniste au sujet de la fondation de l'État juif en 1948, découvre graduellement la version du camp qui, jusqu'alors, a représenté pour lui ‘l'ennemi'. On lui a appris que, lorsque les Nations unies, à l'expiration du mandat britannique en Palestine, proposent de diviser la région en deux États, le monde arabe s'oppose à cette proposition alors que les Juifs l'acceptent immédiatement. S'ensuit une attaque militaire des Arabes durant laquelle ceux-ci convainquent les Palestiniens d'abandonner leurs territoires - malgré les appels des dirigeants juifs les invitant à y rester - afin de faciliter l'entrée des troupes arabes.
La tragédie des centaines de milliers de réfugiés palestiniens, selon cette mythologie, ne serait donc pas directement imputable à Israël.
Lorsque Pappé, dans sa recherche doctorale, se met à examiner les archives historiques sur la guerre de 1948, qui viennent tout juste d'être déclassifiées, il découvre une tout autre interprétation. Une interprétation qui le marquera profondément et changera le cours de sa vie.
Il apprend que bien avant l'attaque militaire du monde arabe, qui fut d'ailleurs assez facilement repoussée par les Juifs, les dirigeants du futur État d'Israël, sous la direction de David Ben Gurion, avaient conçu, et mis en branle de façon brutale et impitoyable, l'épuration ethnique de la Palestine. Celle-ci, complétée durant la guerre, correspond à ce que les Palestiniens, jusqu'à ce jour, qualifie de Nakbah (la catastrophe).
De retour dans son pays natal, Pappé commence à donner des cours à l'Université de Haïfa. Peu étonnamment, il enseigne à ses étudiants la nouvelle interprétation de l'histoire d'Israël que son doctorat lui a permis de découvrir. Même si cela dérange et étonne, Pappé est toléré et même apprécié, car un vent nouveau d'ouverture et de pluralisme commence à se faire sentir en Israël.
L'exemple le plus spectaculaire de cette ouverture est sans doute le livre The Birth of the Palestinian Refugee Problem, 1947—1949 que publie en 1989 un de ses collègues à l'Université de Haïfa, Benny Morris. Ce livre décrit de façon détaillée les nombreuses expulsions de Palestiniens de leurs villages et villes effectuées par les Juifs en fondant Israël. Des expulsions durant lesquelles eurent lieu des massacres et toutes sortes d'atrocités, incluant des viols.
« Quiconque fréquenterait le monde universitaire israélien au milieu des années 1990 sentirait sans doute un vent d'ouverture et de pluralisme souffler dans les couloirs d'un établissement stagnant qui avait été douloureusement fidèle à l'idéologie sioniste dominante dans tous les domaines de recherche touchant à la réalité israélienne, passée ou présente, » affirme Pappé. « Cette nouvelle ambiance permettait aux chercheurs de revoir l'histoire de 1948 et d'accepter certaines revendications palestiniennes sur ce conflit. Elle donnait lieu à des travaux d'érudition locaux qui remettaient en question de manière spectaculaire l'historiographie des débuts d'Israël. »
Cependant, cette fenêtre d'ouverture disparaît avec une rapidité remarquable, lorsqu'éclate la Seconde Intifada en 2 000, cet immense soulèvement populaire palestinien contre l'occupation, souvent accompagné de gestes violents, et qui ne se terminera qu'en 2005.
« Moins de dix ans plus tard, il aurait fallu un visiteur imaginatif et déterminé pour trouver la moindre trace de cette ouverture et de ce pluralisme, » affirme Pappé. « Sa disparition s'inscrit dans le cadre de la disparition générale de la gauche israélienne au lendemain de l'Intifada. (...) Lorsque l'Intifada a éclaté, la gauche l'a exploitée pour quitter une position inconfortable de patriotisme douteux et se rapprocher du centre consensuel. Là, au cœur de la politique israélienne, les fils perdus ont été accueillis dans un processus d'effacement des différences idéologiques entre la gauche et la droite dans l'État juif, qui s'est poursuivi au cours du siècle suivant. »
Rien n'explique mieux ce grand et rapide tournant idéologique qui a eu lieu en Israël que l'Affaire Katz. Un conflit qui amènera Pappé à quitter son pays natal en 2007 et qui illustre pourquoi il est tant détesté aujourd'hui dans son pays.
L'affaire Katz
À la fin des années 1980, Teddy Katz, un étudiant juif dans la quarantaine de l'Université de Haïfa, d'orientation sioniste mais faisant partie du mouvement appelant à la réconciliation, choisit comme sujet de maitrise les évènements qui se sont déroulés dans certains villages près de Haïfa durant la guerre de 1948. Il demande à Pappé de superviser sa recherche, mais ce dernier lui conseille de choisir un autre professeur. Si c'est moi, lui dit-il, cela pourra possiblement affecter la crédibilité de tes découvertes, étant donné que mon opinion sur la question palestinienne est fort connue.
Katz choisit donc un autre professeur.
Après plusieurs années d'efforts soutenus, comprenant de longs interviews de Juifs et de Palestiniens qui ont été témoins des évènements entourant l'expulsion des Palestiniens de villages où se trouve aujourd'hui un tronçon de l'autoroute n° 2 entre Haïfa et Tel Aviv, Katz rédige une maitrise pour laquelle il obtient 97 %, une note qui reflète celles qu'il avait obtenues dans l'ensemble de ses cours.
Un chapitre de sa maitrise porte sur le village de Tantura, que les forces juives occupaient le 22 mai 1948. À partir des preuves qu'il a recueillies, Katz arrive à la conclusion que lors de la conquête de Tantura, les forces juives auraient tué un grand nombre d'individus, peut-être jusqu'à 225. Il estime qu'une vingtaine d'entre eux sont morts pendant la bataille comme telle, et que les autres, civils et combattants capturés, ont été tués après la reddition du village et alors qu'ils étaient sans armes.
Comme les autres maitrises, celle de Katz est déposée dans la bibliothèque de l'université et ne dérange personne.
En janvier 2001, cependant, tout cela change lorsque le journaliste d'enquête Amir Gilat découvre la thèse dans la bibliothèque et en fait un compte rendu dans le quotidien Ma'ariv. Certains des soldats appartenant à la brigade Alexandroni qui avait capturé Tantura, écrivent à Gilat et protestent avec véhémence, niant qu'un massacre ait eu lieu. Par ailleurs, d'autres soldats de cette même brigade, ainsi que des témoins palestiniens, lui écrivent aussi, corroborant les faits avancés par Katz.
L'association des vétérans d'Alexandroni, habituée à voir des chercheurs ne lui demander de raconter que des histoires d'héroïsme personnel et de bravoure, et non de massacres, est tellement indisposée qu'elle entame une poursuite contre Katz pour diffamation. La somme demandée : 1 million de shekels, soit environ $300 000 Can.
Profondément troublé, Katz demande à son université de l'aider dans la procédure judiciaire. Elle refuse, et décide plutôt de biffer, avant même la tenue d'un procès, son nom de la liste des étudiants distingués, une récompense qu'il avait pourtant obtenue, précise Pappé, non seulement pour sa thèse, mais aussi pour l'ensemble de sa performance dans le cadre du programme de maîtrise.
Pour comprendre ce comportement peu rationnel de la part de l'Université de Haïfa, il importe de comprendre le contexte, poursuit Pappé. La Seconde Intifada avait éclaté à la fin de septembre 2000, avait gagné Israël, et risquait d'atteindre le campus de Haïfa, où 20 % des étudiants étaient des Israéliens palestiniens. Le climat de guerre était tel que l'université imposait des sanctions draconiennes aux étudiants palestiniens qui affirmaient leur identité en brandissant le drapeau palestinien ou appelant à la libération de la Palestine, tandis qu'un comportement similaire de la part d'étudiants juifs - afficher l'identité d'Israël, brandir un drapeau et prendre position contre l'Intifada – était non seulement toléré mais même encouragé.
Peu étonnant donc que, dans un climat de quasi-guerre, Katz, dans les mois précédents son procès du 13 décembre 2000, ait subi harcèlement constant et menaces téléphoniques dans le kibboutz où il vivait. Et que quelques semaines avant ce procès, cet homme de cinquante ans subisse une attaque cérébrale.
Durant le procès, on accuse Katz d'avoir systématiquement fabriqué des documents et de les avoir volontairement remis ‘à l'ennemi'.
« Pour démontrer que Katz avait systématiquement falsifié ses documents, l'avocate de l'accusation, Giora Erdingast, présente six exemples dans lesquels la transcription des bandes audio ne correspond pas à ce qui est écrit dans la thèse, » affirme Pappé. « Bien que consciente qu'il s'agisse des seules citations erronées trouvées parmi plus de 100 citations exactes, et qu'aucune d'entre elles ne remet en cause la conclusion principale selon laquelle des meurtres massifs de paysans innocents avaient eu lieu, Erdingast affirme que ces exemples illustrent que la thèse dans son ensemble est une fabrication. »
Après la deuxième journée de procès, Katz est pâle, épuisé, et déprimé. Il n'en peut plus d'endurer autant de tribulations et de pression. Durant la soirée, il se réunit, sans avertir l'avocat qui le défend, avec des membres de sa famille et un représentant de l'université. Le lendemain, il soumet à la juge une déclaration écrite où il affirme qu'après « avoir vérifié et revérifié les preuves », il reconnaît que sa conclusion « est dénuée de tout fondement », et qu'il n'a « pas voulu suggérer qu'il y a eu un massacre à Tantura. »
À peine quelques heures plus tard, Katz regrette son geste, et annonce à la juge Pilpel qu'il se rétracte, qu'il retire sa déclaration qui vient d'être présentée à la cour. Cependant, celle-ci refuse d'accepter sa rétractation
En raison du règlement conclu à l'amiable, je considère, dit-elle, que l'affaire est close.
Lorsque l'université prend l'initiative de publier sur son site web la déclaration de Katz, même si ce dernier l'a rétractée, Pappé est profondément outré. Il s'attèle à la tâche d'écouter attentivement, et ce pendant trois jours et trois nuits consécutifs, les 60 heures de cassettes audios que Katz lui avait données, et qui contenaient les témoignages oraux de personnes ayant vécu les événements à Tantura en 1948.
« Je ne les avais jamais écoutées auparavant, » affirme Pappé. « Ma défense de Katz était fondée sur l'amitié et la confiance. Ces trois jours et ces trois nuits m'ont non seulement révélé directement l'histoire effrayante des actes meurtriers qui ont eu lieu à Tantura en mai 1948, mais m'ont également persuadé de la nécessité d'étendre le projet d'histoire orale de la Nakbah et du devoir de défendre ces témoignages. Je me suis rendu compte, avec horreur, que c'était ma propre université qui s'acharnait à écraser et détruire les souvenirs sacrés des habitants de ces villages, ainsi que les preuves des crimes commis en 1948. »
Une fois ce travail de moine terminé, Pappé publie sur le site Internet de l'université les témoignages qu'il trouve les plus révélateurs. Cela provoque un tel émoi chez professeurs et étudiants que l'université décide d'établir une commission d'enquête qui devra examiner à nouveau la thèse de Katz. La conclusion de cette commission est toujours la même. La thèse est faible et erronée et doit donc être rejetée. Puis, dans une cérémonie qui rappelle les années les plus sombres de l'Europe des 1930s, l'université organise une cérémonie officielle où la thèse est retirée de la bibliothèque, précise Pappé,
Comme les règles de l'université permettent à Katz de présenter à nouveau sa thèse, il décide d'aller de l'avant. Il approfondit son enquête pendant presqu'un an, et soumet sa thèse, en corrigeant les quelques erreurs apparues dans la première version et en ajoutant des informations encore plus accablantes.
Encore une fois, cependant, la thèse est rejetée. L'argument toujours mis de l'avant pour la rejeter, en mai 2003, est qu'elle est de qualité insuffisante. La véritable raison, insiste Pappé, est autre. On la perçoit comme un acte de trahison contre un État en temps de guerre !
Révolté de voir une institution académique se comporter ainsi, Pappé décide de mener ces propres recherches sur le massacre de Tantura. Ce qu'il découvre, à la fois dans les documents d'archives qu'il consulte et les nouvelles preuves orales qu'il recueille, l'amène à conclure, de façon encore plus catégorique que ne le faisait Katz, qu'un massacre a bel et bien été commis à Tantura en mai 1948.
Les vétérans d'Alexandroni n'osèrent pas me poursuivre en justice, note Pappé, car ils « savaient que je ne céderais pas sous la pression d'un procès et que je l'utiliserais également comme forum pour présenter ce que je croyais être les faits sur la Nakbah au public israélien et international ».
La révolte de Pappé ne se limite pas au seul niveau académique. Il condamne de plus en plus ouvertement la politique insensée qu'Israël met en pratique dans les territoires occupés, politique qu'il décrit ainsi :
« Restriction de l'approvisionnement alimentaire à des communautés entières, conduisant ainsi à la malnutrition ; démolition de maisons à une échelle sans précédent ; assassinat de citoyens innocents, dont beaucoup d'enfants ; harcèlement aux postes de contrôle et destruction de la vie sociale et économique dans les territoires ».
Dès le début des années 2000, Pappé est parfaitement conscient « qu'il n'existe aucune force interne capable d'empêcher Israël de détruire le peuple palestinien et de l'amener à mettre fin à l'occupation ». Il choisit donc, pour faire connaître ses critiques, tous les forums internationaux possibles. Étant donné la politique étatsunienne, l'inaction européenne et l'impuissance et la désunion des États arabes, prédit-il dans ces forums, « le pire est à venir ».
À cause de sa critique mordante du comportement d'Israël, on l'ostracise de plus en plus sur le campus. Un de ses collègues, par exemple, commence à lui faire parvenir des lettres ouvertes, dans lesquelles il l'appelle Lord Haw-Haw, le nom du tristement célèbre Irlandais qui collaborait avec les nazis.
Je me foutais du nom qu'on me donnait, affirme Pappé. Cependant, cet incident illustrait « avec quelle facilité les Israéliens avaient nazifié les Palestiniens, tandis que leur armée recourait à un répertoire de cruautés rappelant les pires régimes du XXe siècle ».
Dans le contexte israélien, m'étiqueter ainsi revenait « à appeler les gens à me tuer », poursuit Pappé. Mais faire cela n'était pas considéré un crime dans mon université, alors que « dénoncer un massacre commis par les Israéliens en 1948 », était perçu comme un geste criminel.
L'ostracisation atteint son paroxysme le 5 mai 2002, lorsqu'une lettre express arrive au domicile de Pappé le convoquant à comparaître devant un tribunal disciplinaire spécial. En raison de sa position dans l'affaire Katz, et de la mauvaise réputation internationale qu'il est en train de donner à son université, on veut son renvoi.
Le jour même, Pappé fait parvenir une lettre à tous ses amis à travers le monde expliquant ce qui lui arrive et demandant leur solidarité.
La réponse à sa demande le laisse bouche bée. Dans l'espace de deux semaines, il ne reçoit pas moins de 2 100 lettres de soutien, avec copie au recteur de l'Université de Haïfa. La solidarité internationale est tellement massive que l'université décide de suspendre immédiatement la procédure disciplinaire.
Si Pappé prend la décision en 2007 de quitter son pays natal, c'est parce que la vie en Israël lui devient de plus en plus insupportable.
Lorsqu'Israël, en 2006, bombarde massivement des civils au Liban, occasionnant la mort d'environ 20 000 Palestiniens et Libanais, il sent que la population israélienne appuie pleinement cette politique génocidaire, de la gauche à la droite de l'échiquier politique sioniste. La seule critique que la population fait au gouvernement, c'est de ne pas autoriser l'armée à faire davantage de frappes destructives. Cette attitude troublante, il la retrouve partout : dans la presse, dans les talk-shows et les émissions téléphoniques, ainsi que dans son entourage immédiat.
Il fait aussi l'objet de menaces de mort de plus en plus nombreuses, parfois par téléphone, parfois par des lettres couvertes d'excréments déposées dans sa boîte aux lettres. Une personne qui l'appelle souvent lui rappelle un jour qu'il connait les mouvements de sa femme et de ses enfants, et il menace de les tuer.
Pappé vit présentement en Angleterre et enseigne l'histoire au département d'études arabo-islamiques de l'Université d'Exeter.
Instrumentaliser une tragédie pour en justifier une autre
Lorsque de jeunes Israéliens faisaient la fête et dansaient dans un kibboutz la nuit du 7 octobre 2023, on pouvait apercevoir, à deux kilomètres à peine, un grand mur surmonté de barbelés. Mais ce mur, et ce qui se passait derrière, n'était pas du tout une Zone d'intérêt pour eux. Ni d'ailleurs pour personne dans le monde. Y compris pour les nombreux pays arabes qui étaient alors occupés à normaliser leurs relations avec Israël.
Tout le monde vaquait paisiblement à ses occupations quotidiennes... travail, histoires aux enfants et petits-enfants à l'heure du coucher, exercice dans le gymnase, consultations thérapeutiques, restaurants, souci au sujet de l'invasion de l'Ukraine par la Russie...
Puis vint l'attaque féroce.
Cris et coups de feu surgissant soudainement de l'immense mur entourant la bande de Gaza, se dirigeant vers les avant-postes militaires israéliens et tuant atrocement sur leur chemin quelque 1200 Israéliens, de nombreux soldats mais surtout des civils, dont plusieurs enfants, puis retournant à Gaza sur des motos et dans des camionnettes avec 240 otages...
Cris et coups de feu provenant du plus grand camp de concentration du monde, où vivent 2,5 millions de Palestiniens, dont 70 % sont des Palestiniens ou descendants de Palestiniens qui ont été déracinés de leurs maisons et terres par les colonisateurs juifs il y a quelque 75 ans. La moitié d'entre eux sont des enfants, les plus traumatisés au monde, selon une enquête récente... Une immense prison à ciel ouvert où les gens, depuis 15 ans, souffrent atrocement à cause d'un siège total imposé par Israël. Un endroit où il est extrêmement difficile de joindre les deux bouts et où les enfants sont pris au piège, n'ayant aucun avenir devant eux...
Nous savons comment Israël a réagi à l'attaque du Hamas du 7 octobre : bombardement massif de Gaza, destructions et tueries massives, famine utilisée comme arme de guerre.
Le 26 janvier, la Cour internationale de justice estime recevable l'accusation de génocide portée par l'Afrique du Sud contre Israël et entame une enquête formelle.
Le 10 mars, Jonathan Glazer, qui vient de recevoir, lors de la 96e cérémonie des Oscars, le prix du meilleur long métrage international pour La Zone d'intérêt, affirme :
« Tous nos choix ont été faits pour refléter et nous confronter aux réalités actuelles. Non pas pour dire ‘Regarde ce qu'ils ont fait hier', mais plutôt ‘Regarde ce que nous sommes en train de faire aujourd'hui'. Notre film illustre où mène la déshumanisation, dans ce qu'elle a de pire. Celle-ci a façonné notre passé et elle façonne notre présent. En ce moment même, nous nous tenons ici en tant que personnes qui réfutent leur judéité et l'Holocauste lorsque ceux-ci se transforment en prétexte pour justifier une occupation, qui a plongé dans le conflit tant de personnes innocentes. »[2]
Le 25 mars, la rapporteuse spéciale des Nations unies pour les territoires palestiniens, Francesca Albanese, dépose un rapport où elle affirme qu'il « existe des motifs raisonnables » de croire qu'Israël a commis plusieurs « actes de génocides ».
Le même jour une motion de cessez-le-feu est acceptée au Conseil de sécurité de l'ONU, 14 membres votant en faveur et les États-Unis, pour une très rare fois, s'abstenant.
Étant donné que les États-Unis ont utilisé leur droit de veto des dizaines de fois par le passé pour bloquer toute motion du Conseil de sécurité de l'ONU jugée critique à l'égard d'Israël, dont trois depuis l'invasion de Gaza à la suite de l'attaque du Hamas du 7 octobre, plusieurs observateurs en arrivent à la conclusion que cette abstention montre que le fossé grandissant entre Joe Biden et Benjamin Netanyahou a atteint un point de rupture.
Ce qui arrive quelques heures plus tard semble pourtant indiquer qu'ils se trompent.
« Il s'agit d'une motion non contraignante, » déclare John Kirby, directeur du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche. « Elle n'a donc aucun impact sur la capacité d'Israël à continuer de s'en prendre au Hamas. »[3]
« Nous n'avons pas constaté qu'Israël viole le droit international humanitaire, ni en ce qui concerne la conduite de la guerre, ni en ce qui concerne la fourniture de l'aide humanitaire », déclare le porte-parole du Département d'État George Miller. [4]
Ayant obtenu encore une fois le feu vert de son allié étatsunien, Benjamin Netanyahu poursuit de plus bel ses bombardements massifs de Gaza, détruisant toujours plus d'infrastructures, notamment des hôpitaux, et tuant toujours plus de Palestiniens.
Le 27 mars, le lendemain de la résolution de cessez-le-feu du Conseil de sécurité de l'ONU, Al Jazeera nous montre une scène que son caméraman à Gaza vient de capter quelques minutes plus tôt. Deux Palestiniens, non armés et marchant les bras en l'air, sont froidement abattus par des soldats israéliens. Un énorme bulldozer pousse ensuite les deux corps et les enterre dans le sable et les décombres. [5]
Le 28 mars, les juges de la Cour internationale de justice (CIJ) prennent unanimement la décision d'ordonner à Israël de prendre toutes les mesures nécessaires et efficaces pour garantir que les denrées alimentaires de base parviennent sans délai à la population palestinienne de Gaza. Les Palestiniens de Gaza, affirment-ils, sont confrontés à des conditions de vie de plus en plus difficiles, et la famine et le manque de nourriture se répandent. Israël doit prendre « toutes les mesures nécessaires et efficaces pour assurer sans délai, en pleine coopération avec les Nations unies, la fourniture sans entrave et à grande échelle, par toutes les parties concernées, des services de base et de l'aide humanitaire nécessaire d'urgence, notamment la nourriture, l'eau, le carburant et les fournitures médicales ». [6]
Les États-Unis ont pris la décision de cesser de financer le principal organisme de l'ONU capable de fournir une aide humanitaire aux Palestiniens (UNRWA), et ceci pour au moins une année supplémentaire. Par ailleurs, depuis les attaques du Hamas du 7 octobre, ils ont autorisé une centaine de livraisons d'armes à Israël.
Alors que Joe Biden tente de démontrer un profond humanisme en répétant inlassablement « beaucoup trop de civils ont perdu la vie à Gaza, il faut absolument que davantage d'aide humaine parvienne aux populations affamées, nous faisons tout ce qui est humainement possible pour y parvenir », voici ce que l'on apprend vendredi 29 mars :
« Les États-Unis ont autorisé ces derniers jours le transfert à Israël de bombes et d'avions de combat d'une valeur de plusieurs milliards de dollars, ont déclaré vendredi deux sources au fait de la situation, alors même que Washington exprime publiquement ses inquiétudes au sujet d'une offensive militaire israélienne prévue à Rafah.
« Les nouveaux lots d'armes comprennent plus de 1 800 bombes MK-84 de 2 000 livres et 500 bombes MK-82 de 500 livres, ont déclaré les sources, qui ont confirmé un rapport du Washington Post. » [7]
Comme si tant de déshumanisation hypocrite ne suffisait pas, voici ce que le député républicain Tim Walberg, un pasteur considéré comme un bon chrétien, affirmait le même jour lors d'une réunion privée à Dundee, dans le Michigan :
« On ne devrait pas dépenser un seul sous pour l'aide humanitaire à Gaza. On devrait faire comme à Nagasaki et Hiroshima. Finir tout ça rapidement ». [8]
[1] Ilan Pappe, Out of the Frame : The Struggle for Academic Freedom in Israel <https://www.amazon.ca/-/fr/Ilan-Pap...> , Pluto Press, Kindle Edition. (Ma traduction de l'anglais, pour cette citation et toutes les autres. À moins d'indication contraire, toutes les citations dans cet article proviennent de cette source)
[2] Zoe Guy, Jonathan Glazer Condemns ‘Occupation,' ‘Dehumanization' in Oscars Speech <https://www.vulture.com/article/osc...> , Vulture, le 21 mars 2024. Consulté le même jour.
[3] Jacob Magid, US says ceasefire resolution non-binding ; less influential Security Council members object <https://www.timesofisrael.com/liveb...> , The Times of Israel, le 25 mars 2024. Consulté le même jour.
[4] US says Israel not violating international humanitarian law in its use of US-supplied weapons <https://www.aa.com.tr/en/americas/u...> , le 26 mars 2024. Consulté le même jour.
[5] Visual evidence of Israelis killing unarmed Palestinians <https://www.google.com/search?q=Al+...> , Al Jazeera, le 27 mars 2024. Consulté le même jour.
[6] ICJ orders Israel to take action to address famine in Gaza <https://www.aljazeera.com/news/2024...> , Al Jazeera, le 28 mars 2024. Consulté le même jour.
[7] Reuters, US reportedly approves transfer to Israel of bombs and jets worth billions <https://www.theguardian.com/us-news...> , The Guardian, le 30 mars 2024. Consulté le même jour.
[8] Jennifer Bowers Barhney, ‘Like Nagasaki And Hiroshima !' Republican Congressman Says To ‘Get It Over Quick' in Gaza At Town Hal <https://www.mediaite.com/politics/l...> l, Media-ite+, le 30 mars, 2024. Consulté le même jour.
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Le grand basculement ?
La guerre Israël-Hamas continue à faire rage dans la bande de Gaza, écrasée par l'aviation israélienne depuis le 10 octobre dernier. Le tribut humain de ces bombardements aériens a été particulièrement lourd, surtout chez les civils gazaouis. De plus, la famine les menace, en raison du blocus israélien. Tsahal est aux portes de Rafah qui est menacée d'anéantissement en cas d'assaut de l'armée israélienne après la "trêve" du Ramadan. Le gouvernement Netanyahou rêve de toute évidence d'en finir avec le Hamas. Il faut souligner en passant que la politique des représailles disproportionnées après chaque opération palestinienne d'envergure remonte aux origines mêmes de l'État hébreu. Par conséquent, les représailles énormes de Netanyahou contre Gaza après l'attaque du Hamas le 7 octobre 2023 ne sont pas une nouveauté et elles étaient prévisibles.
Pourtant, quelques lueurs d'espoir apparaissent dans ce conflit.
Tout d'abord, des négociations indirectes sont à l'ordre du jour entre le Hamas et le cabinet Netanyahou, qui vient de leur donner le feu vert. Que donneront-elles ? Aboutiront-elles à un cessez-le-feu permanent et à l'amorce de négociations sérieuses sur l'issue finale de la guerre ? C'est loin d'être certain, vu le gouvernement d'extrême-droite en poste à Tel-Aviv. Il doit cependant faire face à la pression croissante de ses soutiens occidentaux pour qu'il modère ses ardeurs belliqueuses, en particulier du côté de la Maison-Blanche.
Précisément, on remarque un phénomène inédit chez les alliés traditionnels de l'État hébreu, des divisions au sein de leurs classes politiques, observables autant à Ottawa qu'à Washington. Un esprit critique nouveau et plus intense qu'auparavant s'y fait jour, du moins en public, chez une partie notable d'entre elles vis-à-vis de leur protégé israélien. Les tiraillements sont visibles chez les démocrates aux États-Unis et les libéraux au Canada. Si cet esprit critique et ces divisions ne remettent pas en question l'appui à Israël, le bloc pro-israélien qui paraissait inentamable se fissure maintenant.
Cet esprit critique durera-t-il ? Et si oui, combien de temps ? S'il ne permet pas de céder à un franc optimisme, il autorise quand même un certain espoir de voir le soutien inébranlable que les gouvernements occidentaux ont toujours gratifié l'État hébreu, ébranlé.
Ce phénomène d'opposition aux politiques brutales d'Israël à l'égard des Palestiniens et Palestiniennes est encore plus évident au sein des opinions publiques où les manifestations de solidarité avec les Gazaouis et plus largement, les Palestiniens, se multiplient depuis plusieurs semaines.
Le gouvernement Netanyahou se livre, lui, à une sanglante fuite en avant, dépité par l'e désaveu dont il fait l'objet et surtout en raison de considérations politiques internes. Au-delà de toute raison, il multiplie en Cisjordanie les colonies de peuplement, laquelle à son tour devient une poudrière. Qui sème le vent...
Ce qu'il faut retenir de tout ça, c'est qu'il s'agit de la première fois que les opinions publiques occidentales s'émeuvent autant du sort des Palestiniens et Palestiniennes et que leurs classes politiques affichent des divisons aussi marquées sur le sujet. Le soutien à la cause palestinienne ne se limite plus à la gauche.
Il arrive toujours un point de rupture de l'histoire où les contradictions politiques deviennent toujours plus difficiles à gérer et où, peut-être approche le point d'éclatement. Les tensions entre le gouvernement Biden et celui de Netanyahou l'illustrent bien.
Les prochaines semaines seront déterminants là-dessus. Verrons-nous enfin la lumière au bout du tunnel ?
Jean-François Delisle
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Plus de 2 milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau potable

Un constat alarmant sur le partage de la ressource en or bleu. L'Unesco estime que 2,2 milliards de personnes n'ont pas accès à une eau potable sûre, selon son rapport annuel publié vendredi 22 mars, à l'occasion de la journée mondiale de l'eau.
Photo et article tirés de NPA 29. Article publié par reporterre.net
Les premières victimes du manque d'eau dans le monde sont les femmes et les filles, selon l'Unesco. Ce sont elles qui, en zones pauvres et rurales, sont chargées de la collecte de l'eau, facteur d'abandon scolaire accentuant leur vulnérabilité. Dans son rapport, l'organisation indique qu'une meilleure coopération internationale en matière d'accès à l'eau douce jouerait un rôle non négligeable dans l'amélioration de leur quotidien.
Les inégalités risquent de s'accroître encore
L'agence onusienne le reconnaît : « L'objectif de garantir l'accès à l'eau potable à tous d'ici à 2030 est loin d'être atteint. Il est même à craindre que les inégalités continuent de s'accroître dans ce domaine. »

Par ailleurs, « les inégalités dans la répartition des ressources en eau, dans l'accès aux services d'approvisionnement et d'assainissement » sont sources de tensions, qui peuvent elles-mêmes « exacerber l'insécurité hydrique », alerte le rapport. Les auteurs considèrent ainsi que les stratégies de partage des ressources en eau sont bien souvent négligées par les États. Sur les 153 pays partageant des cours d'eau, lacs ou eaux souterraines, « seuls 31 ont conclu des accords de coopération pour au moins 90 % de la superficie de leurs bassins transfrontaliers », souligne le rapport.
25 mars 2024
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Lancement du Forum national permanent de lutte contre les violences faites aux femmes des zones rurales, des forêts et des eaux

Le 19 mars, nous, de la Marche mondiale des femmes, avons participé à l'événement : « Marche des femmes : #BrasilporElas dans la lutte contre la misogynie et dans la promotion de l'égalité » organisé par le ministère des Femmes avec la participation du ministère de l'Égalité raciale, du Secrétariat général de la présidence, du ministère de la Pêche, ainsi que des femmes députées et sénatrices.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/03/30/lancement-du-forum-national-permanent-de-lutte-contre-les-violences-faites-aux-femmes-des-zones-rurales-des-forets-et-des-eaux/
À cette occasion, le ministère de la femme a lancé le plan d'action du pacte national pour la prévention du féminicide et le programme « Wings for the Future » destiné aux jeunes femmes. Le programme Wings for the Future vise à accroître la participation des jeunes femmes dans des secteurs tels que la technologie, l'énergie, les infrastructures, la logistique, les transports, la science et l'innovation, en mettant l'accent sur les carrières orientées vers la durabilité socio-économique.
Établi par le décret 11.640/2023, le pacte national de prévention du féminicide vise à prévenir toutes les formes de discrimination, de misogynie et de violence fondée sur le genre à l'encontre des femmes et des filles, par la mise en œuvre d'actions gouvernementales intersectorielles, dans une perspective de genre et d'intersectionnalité :
* Forum national pour l'élaboration de politiques publiques en faveur des femmes du mouvement hip-hop ;
* Forum national permanent de dialogue pour la promotion de stratégies visant à renforcer les politiques publiques en faveur des femmes de Quilombola ;
* Forum pour la promotion de stratégies et le renforcement des politiques publiques en faveur de l'autonomie économique et de la protection des femmes dans le secteur de la pêche, de l'aquaculture artisanale et de la conchyliculture ;
* Victoire de la Marche des marguerites : lancement du Forum national permanent de lutte contre la violence à l'égard des femmes des zones rurales, des forêts et des eaux.
Une autre étape très importante de l'événement a été le lancement du Forum national permanent de lutte contre la violence à l'égard des femmes des zones rurales, des forêts et des eaux, l'une des revendications de la Marche des marguerites. Il s'agit d'un espace de discussion et de proposition de politiques publiques qui tiennent compte de la réalité des femmes dans les campagnes, les forêts et les eaux.
Le Forum sera composé de représentant·es des mouvements sociaux et de représentant·es du gouvernement de différents ministères afin d'articuler les actions et les politiques.
Nous continuerons à marcher jusqu'à ce que nous soyons toutes libres !
https://www.marchamundialdasmulheres.org.br/lancamento-do-forum-nacional-permanente-de-enfrentamento-a-violencia-contra-mulheres-do-campo-da-floresta-e-das-aguas/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
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Violences sexuelles dans la famille et leurs conséquences sur les femmes et les enfants

Interview de Jeanne Sarson et Linda Macdonald par Francine Sporenda
Jeanne Sarson et Linda MacDonald ont exercé comme infirmières et sont les autrices de « Women Unsilenced : Our Refusal To Let Torturers-Traffickers Win ».
FS : Vous êtes toutes les deux des survivantes de la violence familiale. Comment est-ce que ça a influencé votre décision d'aider les victimes de cette forme particulière de violence ?
Jeanne : Mon background familial, c'est que je suis née dans une famille avec un très mauvais père, et j'ai dû regarder comment la misogynie de mon père faisait souffrir ma mère, avant et après qu'elle soit partie, parce qu'au moment où elle est partie, la société n'acceptait pas que les femmes quittent des relations violentes, alors oui, avoir été témoin de la discrimination et de la misogynie qu'elle a subi m'a beaucoup influencée.
Linda : Oui, absolument. Si je n'étais pas née dans le même type de violence – mon père était aussi très violent et très misogyne – je ne pense pas que j'aurais eu la même connexion avec les enfants qui sont piégés dans des groupes qui pratiquent la torture non-étatique dans le cadre de réseaux criminels permanents, mais même si cela n'a pas été jusqu'à la torture pour moi, cela a été vraiment horrible de juste survivre et d'arriver à sortir de ma famille. Les obstacles auxquels j'ai dû faire face sont au-delà de ce que les gens peuvent même imaginer, donc mon engagement pour la défense des enfants est très fort, et bien sûr aussi des femmes qui ont grandi dans ce genre de familles et qui ont été piégées dans la torture, la prostitution, la pornographie ou le trafic d'êtres humains. Je sais qu'elles n'obtiennent pas l'aide dont elles ont besoin, je sais ce que l'on ressent quand on est abandonnée par la société. Je ressens une très forte connexion avec ces personnes, et une très forte conscience de ma responsabilité de féministe de les soutenir.
FS : La plupart des gens ne savent pas ce qu'est la torture non-étatique. Pouvez-vous expliquer ce qu'est la torture non-étatique, quels sont ceux qui l'exercent, d'où ils viennent et quelles sont leurs motivations ?
Linda : Je vais vous lire la définition de la torture non-étatique mais je vais aussi préciser ce que le concept d'acteurs (perpétrateurs) non-étatiques signifie. La torture non-étatique (NST, non-state torture) est une forme de torture exercée par des personnes qui ne sont pas membres de l'appareil de l'Etat, en public ou dans le privé, dans le contexte de relations, de la famille, du trafic d'êtres humains, dans la prostitution, dans l'exploitation pornographique, par des groupes et des gangs violents, ces formes tortures étant banalisées comme pratiques ou normes sociales, traditionnelles ou religieuses, qui peuvent être commises au cours de migrations, de déplacements de populations, des troubles politiques ou humanitaires par exemple. Et le terme acteurs non-étatique signifie tout individu ou entité n'agissant pas sous l'autorité légale de l'Etat et cette définition provient de la résolution du Conseil de sécurité des Nations-Unies 1540 de 2004. Les acteurs non-étatiques peuvent être des parents, un conjoint ou d'autres membres de la famille, ils peuvent être des gardiens, des voisins, des gens sur le lieu de travail, des étrangers, des acheteurs de sexe, des proxénètes, des pornographes, ils peuvent être des adultes professionnels auxquels ont fait confiance, des membres de groupes du crime organisé, de gangs ou de cartels, ils peuvent faire partie de réseaux criminels informels, terroristes ou paramilitaires, ils peuvent être du personnel de sécurité, ils peuvent être des mercenaires, des combattants étrangers. Autrement dit, les tortionnaires non-étatiques peuvent exister dans n'importe quel aspect de la vie d'un individu.
FS : Pouvez-vous expliquer comment les façons de gérer ces violences à court terme (vous les nommez troublesome coping) utilisées par les victimes de NST peuvent être dommageables pour elles plus tard ?
Linda : Une des façons de gérer ces situations pour les survivantes de NST que nous avons découverte en interagissant avec elles et en les soutenant est que la dissociation est très commune chez elles. C'est une des principales façons qui leur permet d'endurer de telles douloureuses atrocités telles que le viol collectif, le fait d'être droguées, séquestrées, enfermées dans des cages, et toutes les terribles épreuves auxquelles elles sont soumises. Mais ce qui arrive quand elles quittent le groupe, quand elles deviennent adultes, est qu'elles ne se rappellent pas toujours qui étaient les perpétrateurs à cause de leur dissociation, ce qui fait qu'ils peuvent toujours avoir accès à elles quand elles sont adultes et qu'elles ne comprennent pas qu'elles sont en danger. Leurs souvenirs de ce qui leur est arrivé et du mal qu'on leur a fait ne sont pas clairs dans leur esprit, et c'est ce qui les rend vulnérables.
Ce que nous faisons est de les ramener en arrière de telle sorte qu'elles puissent récupérer ces souvenirs, les clarifier, les voir dans une perspective d'adulte, et réaliser comment on leur a menti et comment elles ont été manipulées quand elles étaient enfants ou jeunes femmes, de façon à ce qu'elles puissent prendre du recul et dire : « ok, maintenant je sais que j'ai été torturée, je comprends les tactiques que mes tortionnaires ont utilisées, je comprends comment j'ai été trompée et comment ont a employé la misogynie pour me manipuler, pour me faire croire que tout était de ma faute, et que si jamais j'osais en parler, je devrais me suicider. Et je sais que tout cela était faux, que je suis une personne qui a des droits humains, je sais qui sont les perpétrateurs, qu'ils ne peuvent plus me manipuler et me priver ainsi de ma liberté. Ce sont les principales façons dont elles gèrent ces situations, et bien sûr, les tortionnaires jouent là-dessus. Quand les femmes guérissent de leurs traumas, elles disent que ça leur devient impossible de se dissocier, parce qu'elles n'en ont plus besoin, parce qu'elles ne sont plus victimes de tortures. C'est une partie de leur guérison, et c'est important de savoir que si vous pouvez guérir de ces tortures non-étatiques, vous pouvez surmonter n'importe quelles violences.
Jeanne : Je peux ajouter spécifiquement que les perpétrateurs droguaient ces femmes quand elles étaient des petites filles, donc elles doivent aussi guérir leurs comportements vis-à-vis de la drogue. Et quand elles en sont guéries, il devient plus facile pour elles de s'attaquer à leur victimisation. Et une autre chose que les gens ne semblent pas comprendre est que les femmes peuvent guérir leurs comportements de dissociation, elles peuvent savoir quand elles commencent à dissocier, donc quand elles peuvent prendre conscience qu'elles commencent à dissocier sur la base de certaines réactions de leurs corps, elles peuvent bloquer leurs réponses de dissociation caractéristiques des survivantes. Nous n'avons pas vu souvent ce type d'information dans la littérature sur ce sujet mais c'est ce que nous avons appris en aidant les femmes à guérir.
FS : Vous avez soigné Sara, une femme qui a été torturée et trafiquée toute sa vie, parce qu'elle a été élevée dans une culture criminelle familiale. Qu'est ce qu'une culture criminelle familiale concrètement ?
Linda : Le crime organisé existe dans de nombreux types de groupe, une culture criminelle familiale est un groupe de crime organisé qui fonctionne sur le mode informel à partir d'une famille. Autrement dit, par exemple il y avait un père et une mère qui étaient tous les deux engagés dans l'organisation des tortures que Sara a dû subir dans le sous-sol de leur maison et qui la trafiquaient et la prostituaient à leurs amis ou à des étrangers ; c'est pour cela qu'on parle de culture criminelle familiale : les principaux perpétrateurs, ses principaux tortionnaires étaient ses parents. Mais c'est aussi une culture criminelle parce que Sara a été la victime de crimes, et c'est une culture, ou une co-culture parce que qu'il s'agit d'un groupe qui avait des pratiques spécifiques, ils avaient leurs propres « valeurs », leur propre code d'éthique, et leurs propres modes de fonctionnement, leur propre culture spéciale dans notre propre culture. Ils croient que ce n'est pas un problème de torturer des enfants et des femmes, ils savent que c'est illégal mais ça n'a aucune importance à leurs yeux, ça fait partie de leur culture, ils ont un système de croyances différent du nôtre et de nos lois, et ils retirent du plaisir d'infliger de la souffrance même si ça va à l'encontre des normes de notre société et de notre culture. Il ne fait aucun doute que leur culture est très cruelle.
FS : D'après ce que j'ai lu dans votre livre, cette culture semble être principalement sous le contrôle d'hommes assistés par des complices femmes. Pourquoi ces femmes aident-elles ces hommes à torturer des femmes et des enfants, Dans les cas d'inceste, parfois la femme est au courant mais elle ne dit rien. Est-ce que c'est un phénomène similaire et pourquoi ces femmes se comportent-elles ainsi ?
Jeanne : D'abord, je voudrais signaler qu'il y a quand même quelques femmes qui, de leur propre gré, sans être sous l'emprise d'aucun homme, commettent ce genre de crimes. C'était le cas de Sara. La mère de Sara a activement participé à la victimisation, au trafic et à la torture de sa fille. Sa mère n'a pas été forcée à le faire, et le père de Sara cherchait plutôt à l'exclure. Il organisait des jeux dans la maison, les enfants aimaient jouer à construire des tentes, et quand sa femme était occupée au travail, il organisait des jeux, des soi-disant jeux avec Sara et les autres enfants et perpétrait des crimes sexuels sur eux. Et ce qui est arrivé à Sara est qu'un jour sa mère a surpris son père qui lui faisait subir une forme de torture, et la mère a dit : « je pourrais aussi bien jouer avec vous et m'amuser ». Il existe des situations comme celle-ci où des femmes participent activement et Linda et moi avons été informées par Sara qu'elle a à un moment recherché une aide psychologique auprès de femmes professionnelles, et il y a eu certaines de ces femmes qui l'ont torturée et trafiquée aussi. C'était un petit groupe mais il n'y avait aucun homme dans ce groupe. En tant que femmes, nous devons reconnaître que tout ce que nous faisons n'est pas contrôlé par les hommes et nous devons accepter une certaine responsabilité pour nos propres actions. En dépit du patriarcat et de la misogynie, dont nous sommes toustes imprégnées, parce que nous naissons dans une culture patriarcale et misogyne, et c'est un des premiers principes que Linda et moi avons dû accepter : que nous devions tenir les femmes pour responsables de leurs propres comportements, y compris leur participation à la torture non-étatique.
Parfois ces femmes nous ont dit que leurs mères avaient aussi été victimisées, et dans ce cas vous avez les mères et les filles qui sont victimes, et parfois aussi les femmes de la famille : les mères et les grand-mères n'étaient pas les perpétratrices de ces crimes mais elles les facilitaient, elles savaient ce qui arrivait à leurs petites-filles et filles, elles avaient même des techniques pour amener ces enfants à se dissocier, à oublier ce qu'on leur faisait. Les femmes participent mais de façon très différente. Soit elles ne savent pas, certaines de ces femmes nous ont dit très clairement que leurs mères ne savaient pas ce qu'on leur faisait, ou elles ne se posaient pas de questions car elles étaient sous le contrôle de leur mari. Sur la question de l'inceste, nous n'utilisons pas ce terme car nous pensons que ce n'est pas une bonne définition du mal qui leur est fait. Sur la durée, cette expression tend à minimiser, donc nous préférons utiliser l'expression de « violence sexualisée », qu'il s'agisse d'abus sexuels ou de torture sexuelle.
FS : Mais l'expression d'abus sexuels ou de tortures sexuelles ne signifie pas que c'est un membre de la famille qui fait ça. Est-ce que ce n'est pas un problème ?
Jeanne : Si vous dites que dans sa famille, Sara a subi des abus sexuels et de la torture sexuelle, vous identifiez qui c'est. L'expression « inceste » minimise la sévérité du crime, parce que ce mot inceste ne dit pas que cela a commencé quand elle était âgée de 2 ans et ne s'est arrêté que quand elle avait 16 ans, donc vous avez 14 ans de violences sexuelles, qui incluent aussi les violences physiques, les violences psychologiques et les violences émotionnelles alors que, quand vous dites « inceste », les gens pensent que cela se limite à du sexe, que la violence n'existe que sous la forme sexuelle. C'est tout ça le mal qui est infligé à des enfants, et c'est pourquoi nous n'utilisons pas le mot inceste. Si vous lisez les articles des journaux, ils disent que le père a eu des relations sexuelles avec sa fille, que c'est ça l'inceste, alors que c'est un problème d'utiliser le mot « sexe » pour identifier un crime, donc nous devons arrêter de faire ça. Nous pouvons appeler ça un « viol familial », toute expression qui montre à quel point la notion de « violence sexuelle » peut être limitative, et c'est la raison pour laquelle nous n'utilisons jamais ce terme.
FS : Vous dites que Sara n'avait aucune limite, ne savait pas dire non, laissait entrer n'importe qui dans son appartement. Pouvez commenter là-dessus et comment vous lui avez appris à poser des limites ?
Linda : Ce qui arrive suite à n'importe quelle forme de violence sexuelle ou n'importe quelle forme de maltraitance ou de torture lorsque les limites d'une personne sont violées, et spécialement si vous avez été victime de n'importe quelle forme de maltraitance étant enfant, c'est-à-dire avant que vous ayez pu développer une forme quelconque de limites, c'est que ces personnes sont si profondément violentées qu'elles ne savent même pas qu'elles ont le droit d'avoir des limites ou que des limites existent. Parce que, suite à la dissociation et à la torture, Sara et les autres femmes que nous avons soutenues ne savaient pas qu'elles avaient un corps, elles étaient déconnectées de leurs corps, elles ne savaient pas qu'elles étaient des personnes. Si vous ne savez pas que vous êtes une personne, vous ne savez pas que votre corps vous appartient, vous ne savez pas que vous avez des droits humains, vous ne savez pas que vous avez le droit d'avoir des limites, ou même ce qu'est une limite : pouvoir dire non, dire aux gens de ne pas vous toucher. C'est une façon importante dont les tortionnaires détruisent, ou essayent de détruire, le sens de lui-même qu'a un enfant en détruisant son droit à dire non et la notion qu'il est propriétaire de son corps et que personne ne devrait vous toucher à moins que vous y consentiez, que vous soyez d'accord.
Nous avons compris qu'elle n'avait pas de limites mais nous ne l'avons vraiment vu clairement que lorsque nous sommes allées chez elle et que nous avons commencé à l'aider à se souvenir de ce qui déclenchait les flashbacks qui la perturbaient la nuit. Nous n'avions pas de bureau, nous louions un espace pour quelques heures, donc nous ne pouvions pas lui demander de passer à notre bureau, et pour nous, cela n'avait pas de sens qu'elle passe nous voir au milieu de la nuit puisque c'était précisément la nuit que ses souvenirs traumatiques lui revenaient. Et nous étions aussi des infirmières, donc nous étions habituées à venir voir des gens chez eux en pleine nuit pour leur administrer des médicaments quand ils étaient en train de mourir. Donc ce n'était pas inhabituel pour nous en tant qu'infirmières de nous rendre chez quelqu'un au milieu de la nuit. Donc nous nous rendions à son appartement et nous frappions à la porte, et quand nous frappions, elle ouvrait la porte mais nous ne pouvions la voir nulle part, elle était derrière la porte, elle se cachait derrière la porte. Elle se conduisait comme si sa maison ne lui appartenait pas, comme si sa porte n'était pas la sienne, comme si son appartement n'était pas le sien, comme si son corps ne lui appartenait pas. Donc nous avons commencé à lui expliquer ce que c'était qu'avoir des limites, que c'était important d'en avoir, qu'elle avait le droit d'en avoir, qu'avoir des limites garantissait sa sécurité, et nous lui avons appris comment ouvrir sa porte et qu'il y avait un trou, un judas dans la porte qui lui permettait de voir et de savoir qui était la personne derrière la porte avant de l'ouvrir et que, si elle ne voulait pas la laisser entrer, qu'elle pouvait dire « non, je ne vous laisse pas entrer », et ils devraient partir.
Et c'était une expérience entièrement nouvelle pour elle de réaliser qu'elle pouvait dire non aux gens. Même chose pour son téléphone : elle prenait juste l'appel automatiquement quand on l'appelait, et elle faisait tout ce que la personne qui l'appelait lui disait de faire, parce c'est ce qu'elle avait appris à faire quand elle était enfant. Ils l'appelaient, utilisaient certains mots auxquels elle était habituée à obéir, ils lui disaient de venir à tel ou tel endroit et y retrouver telle ou telle personne, et elle y allait. Elle a dû apprendre à déconstruire tous ces conditionnements, à se procurer un répondeur et à apprendre que, si elle ne voulait pas répondre, elle pouvait ne pas le faire et pouvait bloquer des numéros si elle ne voulait pas que ces personnes l'appellent, donc ça a été tout un processus d'apprentissage des limites. Et elle a appris qu'elle avait droit à des limites même avec nous : elle savait qu'elle avait le droit de nous dire non, le droit de ne pas répondre à nos questions, et si elle n'y répondait pas, elle n'allait pas être frappée ou maltraitée de quelque façon que ce soit. Cela lui a pris beaucoup de temps pour avoir des limites mais elle en a maintenant et elle sait qu'elle a le droit de décider elle-même exactement ce qui lui arrive, et quand.
FS : Vous avez déjà parlé de dissociation mais est-ce que vous pouvez y revenir un peu et décrire les façons dont ça se manifeste, et quels en sont les symptômes ?
Jeanne : Je dirais que nous avons appris ça essentiellement en tant qu'infirmières, parce que dans notre profession, nous travaillons souvent avec des personnes en crise, avec des gens qui vivent des tragédies, et je ressens très fortement que c'est notre formation d'infirmières et ce que nous avons appris en exerçant cette profession qui nous a aidées à identifier comment Sara et les autres femmes dissociaient. C'était fondamental et Linda et moi avons souvent parlé du fait que nos aptitudes d'infirmières ont été essentielles, et je peux vous donner un exemple : quand Linda et moi avons commencé à aider Sara, en 1993, il n'y avait aucun article, aucun livre nulle part que nous avons pu trouver qui puisse nous dire comment aider quelqu'un qui a été torturé et victime de trafic pendant autant d'années, comment l'aider à se reconstruire. Nous croyions dans sa capacité à guérir, parce qu'en tant qu'infirmières, on travaille à aider les gens à guérir, ou au moins on travaille à les aider à mourir sans souffrances, ce qui est en soi une forme de guérison.
Nous avons donc beaucoup discuté du fait que notre background d'infirmières était précieux dans cette démarche. Avec Sara, au fur et à mesure que nous apprenions, nous faisions régulièrement le bilan de ses progrès, comment grâce à nos interventions elle allait de l'avant, comment elle se libérait de sa victimisation. Ca a pris du temps mais nous pouvions voir qu'elle comprenait de mieux en mieux le monde à l'extérieur de sa famille et la vie qu'elle avait eue. Un jour Linda lui a dit, alors qu'elle observait sa communication non-verbale : « Sara, où sont vos yeux ? » Et elle a répondu : « ils sont derrière ma tête ». Et là nous savions ce qui se passait rien qu'en regardant ses yeux, ses yeux nous disaient qu'elle était en crise, qu'elle était en train de se dissocier des souvenirs dont elle parlait. Et ce qu'elle a fini par comprendre, alors qu'elle se connectait de plus en plus avec son corps, c'est qu'elle ressentait une sensation physique quand elle se dissociait : ses yeux, comme le disait, « se déplaçaient derrière sa tête ». Elle pouvait identifier cette sensation parce qu'elle devenait de plus en plus consciente de ce qui se passait dans son corps, elle faisait plus attention aux sensations qu'elle avait avec ses yeux, et quand elle avait l'impression que ses yeux de déplaçaient derrière sa tête, elle s'est enseigné à elle-même à arrêter ce mouvement, à ramener son attention dans le présent, a s'ancrer dans l'ici et le maintenant, et finalement, comme Linda l'a mentionné plus haut, la dissociation a cessé et elle ne dissocie plus.
Avec d'autres personnes que nous avons aidées, c'est la même chose, on peut voir leurs yeux rouler en arrière vers le haut de leur tête. Dans le cas de ces autres femmes, elles ont aussi appris à contrôler leurs réponses physiques à la dissociation, par exemple une de ces femmes, sa mère qui était mourante lui avait dit qu'elle ne méritait pas de porter une veste bien chaude, ce qui fait qu'elle ne le faisait pas et avait toujours froid en hiver. Elle ne comprenait même pas qu'elle avait un corps, et qu'elle avait une peau sur ce corps. Et quand elle a appris à sentir son corps, elle a réalisé qu'elle avait froid et elle s'est mise à porter des vêtements adéquats pour l'hiver, un manteau, une écharpe et un bonnet, et avoir chaud. Il y a différentes pour les femmes d'apprendre à identifier leurs réponses dissociatives de survie, qui leur ont permis de survivre quand elles étaient victimisées mais qui ne sont plus appropriées quand elles ne sont plus victimes. Elles doivent se débarrasser de leurs réponses traumatiques de façon à ne plus dissocier, et à cesser de se faire du mal inconsciemment.
FS : Vous dites que Sara était suicidaire et que ses agresseurs lui avaient dit qu'elle devrait se tuer. Vous dites aussi « qu'elle entendait encore la voix des agresseurs dans sa tête », ce qui est un énoncé typique chez les personnes qui sont sous l'emprise psychologique et le contrôle de quelqu'un. Pouvez-vous nous parler de cette emprise que les agresseurs ont sur l'esprit de leurs victimes, de telle façon que celles-ci entendent leurs voix dans leurs têtes ?
Linda : Oui, Sara et de nombreuses autres femmes que nous avons soutenues, on leur a appris comment se suicider quand elles étaient enfant, on leur a vraiment appris ça. Les adultes les prenaient avec elles et leur montraient comment et où s'ouvrir les poignets, ou quand elles étaient plus âgées, on les emmenait sur un pont d'où elles pourraient sauter, ou comment conduire sur des routes dangereusement verglacées, provoquer un accident et mourir comme ça. Les perpétrateurs étaient toujours en train de penser à des façons de se protéger au cas où leurs victimes, ces filles et ces femmes, songeraient à les dénoncer. Ils pensaient que si elles parlaient, elles devaient se suicider, elles devraient se tuer car elles auraient détruit leur famille : vous étiez mauvaise et vous deviez mourir. Quand on vous apprend ça alors que vous êtes une petite fille de 3 ou 4 ans, c'est la même chose que si votre mère vous apprenait une comptine pour enfants, et ce qui se passe dans votre vie devient une chanson que vous entendez dans votre tête. Ces filles entendaient des voix, les voix de leurs agresseurs qui leur disaient toutes ces choses, qui leur disaient qu'elles devaient mourir et se suicider.
Et elles n'ont pas de limites, Sara et toutes ces femmes que nous avons aidées, parce que la torture détruit les limites. Une des femmes que nous avons aidées, elle n'avait pas été torturée quand elle était jeune, elle a été torturée quand elle était adulte, et elle a commencé à entendre la voix de son agresseur dans sa tête, et elle pensait que c'était sa propre voix. En fait, nous pensons que beaucoup de femmes qui ont victimisées et qui sont diagnostiquées comme schizophrènes ne sont pas du tout schizophrènes, elles entendent la voix de leurs agresseurs qui leur disent de faire des choses. Ces personnes devaient être écoutées et comprises, et nous devrions faire la différence entre une réponse normale à la torture et la maladie mentale.
Ce que nous avons fait est de leur demander d'écrire ce que disaient les voix qu'elles entendaient dans leur tête, les mettre sur le papier sur une colonne, et sur une autre colonne, mettre ce que leur propre voix leur disait et ce qu'elles pensaient être vrai. Afin de pouvoir faire la différence entre leur voix et celle de leurs agresseurs, de distinguer le vrai du faux, et de voir clair dans leur vie, parce que vous n'avez pas à mourir par suicide, vous n'avez pas à vous tuer si vous dites la vérité. C'est un mensonge, et une torture psychologique extrême. C'était très important, très empouvoirant pour elles, et nous avons beaucoup utilisé cette méthode de leur faire écrire leurs pensées, pour qu'elles entendent leur propre voix, écrivent leur propre voix, et quand Sara l'a fait, les voix des agresseurs ont parlé moins fort, ont disparu peut à peu et maintenant elle sait que, quand de mauvais souvenirs lui reviennent, ce n'est pas une voix dans sa tête, c'est juste le souvenir de ce qu'on lui a dit, elle a une notion claire de la différence entre sa propre voix et ces autres voix, et elle est consciente de tous les mensonges que lui ont dit ses agresseurs, ses tortionnaires. C'est pourquoi nous parlons d'un conditionnement au suicide par les agresseurs, d'un féminicide par suicide, et nous ne savons pas, et probablement nous ne pourrons jamais savoir combien de femmes sont mortes ainsi par « suicide » alors qu'elles ne voulaient pas vraiment se suicider, elles ont juste été conditionnées à le faire parce qu'on les a manipulées, on leur a dit ça depuis qu'elles étaient enfant, donc c'est en fait une forme de féminicide et pas vraiment un suicide.
(Traduction Francine Sporenda)
https://revolutionfeministe.wordpress.com/2024/03/09/violences-sexuelles-dans-la-famille-et-leurs-consequences-sur-les-femmes-et-les-enfants/
Jeanne Sarson et Linda MacDonald ont exercé comme infirmières et sont les autrices de « Women Unsilenced : Our Refusal To Let Torturers-Traffickers Win ».

Les systèmes de prostitution dépénalisés sont un cancer qui s’est propagé à l’Union européenne et au Conseil de l’Europe

Lorsque la Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Dunja Mijatović, a publié le 15 février une déclaration appelant à la dépénalisation complète du proxénétisme, de la tenue de maisons closes et de toutes les formes de profit par des tiers, elle a affirmé avoir « consulté des travailleurs et travailleuses du sexe partout en Europe, leurs organisations représentatives, des organisations internationales et des experts compétents… » – écrit Rachel Moran.
C'était une nouvelle pour celles d'entre nous qui sont impliquées dans des organisations composées de survivantes du commerce du sexe, de prestataires de services de première ligne, de militantes pour les droits des femmes et de spécialistes du droit qui se consacrent à la lutte contre les méfaits du commerce du sexe dans le monde. C'était une nouvelle parce qu'en fait,aucune d'entre nous n'avait été consultée.
Aussi bizarre que cela puisse paraître à certains, il n'y a rien de nouveau dans la promotion du proxénétisme sous la bannière des principes des droits de l'homme ; cette prétention est évidemment contre-intuitive, mais nous, dans le mouvement des droits des femmes, entendons cet argument depuis des années. Il y a de nombreuses embûches logiques à franchir pour adhérer à cette ligne de pensée, mais la première et la plus essentielle est la fiction selon laquelle le fait d'être malmenée, léchée, sucée et pénétrée par des inconnus au hasard n'est pas une violation en soi.
De nombreuses femmes font campagne depuis des années contre le commerce mondial du sexe. Certaines d'entre nous, comme moi, ont été exploitées dans les maisons closes et les zones de prostitution. Beaucoup d'autres, non. Ce qui nous unit toutes, c'est la vision selon laquelle le monde a besoin d'un système de décriminalisation partielle, où les personnes exploitées dans la prostitution sont décriminalisées, tandis que les proxénètes qui profitent d'énormes bénéfices et les prostitueurs qui achètent un accès sexuel au corps de femmes vulnérables sont tenus légalement responsables de leur comportement abusif et exploiteur.
Nous assistons depuis plusieurs années à un retour de bâton imaginatif de la part des profiteurs d'un commerce d'exploitation qui doit se réinventer dans le contexte des progrès législatifs réalisés dans ce domaine par les survivantes du commerce du sexe et les organisations de défense des droits des femmes. Le manteau des « droits de l'homme » était probablement à la fois la position la moins appropriée mais la plus influente qu'ils auraient pu choisir pour soutenir leur prétention. De temps en temps, cependant, le masque tombe d'une manière si dramatique qu'elle en devient amusante, comme lorsque l'association Amnesty International a été interrogée au parlement de l'Irlande du Nord en 2014 sur l'implication du proxénète britannique Douglas Fox dans l'élaboration de leur politique en matière de prostitution, ou lorsque la défenseuse des « droits des travailleurs du sexe » et conseillère pour la politique de l'ONUSIDA Alejandra Gil a été reconnue coupable de trafic sexuel au Mexique sur la base d'une série de chefs d'accusation si nombreux et si graves qu'ils lui ont valu une peine de quinze ans dans une prison mexicaine.
Les personnes qui plaident en faveur d'une dépénalisation de l'industrie du sexe ne sont pas toutes motivées par un intérêt personnel aussi évident. Certaines ont pour objectif de faire carrière dans le monde universitaire, des intérêts qui ne sont pas aussi apparents pour l'observateur occasionnel, mais qui sont à mon avis au moins aussi méprisables que les motivations des proxénètes. D'autres, ignorants mais sincèrement bien intentionnés, prônent une décriminalisation générale de tous les aspects du commerce du sexe dans le monde. Quelle que soient leurs bonnes intentions, il n'est pas possible d'adopter cette position sans occulter la nature abusive de ce qui est fait aux femmes qui sont prostituées. Ce n'est que dans cette optique gravement illusoire, lorsque l'idéologie domine et qu'est passée sous silence la réalité de ce qui arrive au corps, à l'esprit et à la psyché des femmes exploitées, que cette position peut avoir un sens. Il ne m'échappe pas qu'il s'agit d'une nouvelle forme de déshumanisation. L'industrie du sexe en est imprégnée ; pourquoi les arguments pour le défendre auraient-ils une saveur différente ?
Je n'ai jamais rencontré d'argument appelant à la décriminalisation totale de tous les aspects de la prostitution qui ne soit pas truffé d'inexactitudes pratiques, d'inversions linguistiques et de dissimulations délibérées. La déclaration de Mme Mijatović en est un bon exemple. Elle y note que « la Belgique est devenue le premier pays européen à décriminaliser le travail du sexe en 2022 » avant de se féliciter de cette décision comme d'un nouveau phare de la législation progressiste, en donnant l'exemple suivant : « La nouvelle loi décriminalise également les tiers qui ne risqueront plus d'être pénalisés pour avoir ouvert un compte bancaire pour des travailleuses du sexe ou loué un logement à cette fin, et elle permet aux travailleurs et travailleuses du sexe de faire de la publicité pour leurs services. » Elle ne mentionne jamais pourquoi une femme soi-disant autonome en prostitution aurait besoin d'un proxénète pour ouvrir un compte bancaire en son nom, ni les tarifs imposés aux femmes pour louer des chambres, à des montants souvent si exorbitants qu'elles doivent se laisser exploiter par sept ou huit hommes avant de pouvoir couvrir le loyer d'une seule journée.
Je suis rentrée de Belgique le 11 février, quelques jours avant la publication de cette déclaration. J'y étais allée pour une mission d'enquête, pour mener quatre entretiens planifiés à l'avance et pour me promener, accompagnée, dans la zone de prostitution. Cette zone est située à quelques pas du Parlement européen. Ce que j'y ai vu m'a bouleversée au-delà des mots et de toute mesure. Des dizaines et des dizaines de femmes, presque nues dans des vitrines, bordaient tout le côté d'une très longue rue, et beaucoup plus de femmes dans les rues secondaires qui y sont reliées et les rues au-delà, et des garçons pré-pubères jouaient dans ces rues secondaires, comme si jouer parmi des femmes exposées comme des objets sexuels à louer était un environnement naturel ou sain pour les enfants ; comme si le fait d'inculquer la perception des femmes comme des marchandises sexuelles dans l'esprit des garçons pouvait créer autre chose que de la violence et de la misogynie chez les hommes qu'ils deviendront.
Les femmes que j'étais allée interviewer représentaient différents domaines d'expertise. Mme Viviane Teitelbaum, vice-présidente du Parlement régional bruxellois, m'a parlé de ses collègues politiques qui ont contribué à créer la situation dans laquelle se trouve aujourd'hui la Belgique : « Les politiciens qui ont voté pour la dépénalisation n'ont pas écouté les femmes. Ils ont voté pour un système qui profite aux proxénètes, aux trafiquants, à certains hommes… Ils ont ignoré tous les avertissements, fait fi de tous les messages d'organisations féministes, des femmes qui sont venues témoigner au Parlement. Ils se sont contentés d'écouter les représentants d'un système qui fait de l'argent à partir de la pauvreté des femmes. »
Pascale Rouges, elle-même prostituée depuis de nombreuses années en Belgique, a déclaré : « Vous vous donnez corps et âme. C'est ça le métier, si on peut appeler ça un métier. Tu donnes vraiment tout ton corps, rien ne t'appartient et tu perds ton âme. Je voudrais demander à ces hommes politiques s'ils aimeraient que ce soit une option pour leurs propres enfants. »
Alyssa Ahrabare est la responsable juridique du Réseau européen des femmes migrantes, basé à Bruxelles, qui regroupe plus de cinquante organisations travaillant dans vingt-trois pays de l'Union européenne. Je lui demande quel est le profil des femmes prostituées en Europe. Elle me répond que 70% des femmes prostituées en Europe sont des migrantes. Elle ajoute : « La réalité de la prostitution pour la majorité des femmes prostituées n'est rien d'autre que de la violence. Nous parlons beaucoup de liberté de choix et de liberté sexuelle, mais ce n'est pas ce qu'on observe dans le monde de la prostitution. Les femmes et les filles prostituées se voient dépouillées de leur désir, de leur individualité et de leur humanité. »
Mireia Cresto, directrice exécutive d'Isala, un service de première ligne basé à Bruxelles, déclare : « Il est évident que la nouvelle législation a créé un facteur d'attraction pour le commerce du sexe : les proxénètes et les trafiquants de sexe savent que le territoire belge est désormais propice à leurs profits. En première ligne, pour les femmes et les jeunes filles touchées par le système de la prostitution, la dépénalisation n'apporte ni statut ni protection supplémentaire, puisque pour condamner un proxénète, il faut prouver qu'il a bénéficié d'un profit ou d'un avantage anormal » ; anormal, c'est-à-dire au-delà de celui inscrit dans l'activité régulière de proxénétisme.
La décision du gouvernement belge d'autoriser la frénésie de violations des droits de l'homme dont j'ai été témoin dans les rues de Bruxelles démontre le décalage mortel entre une pensée élaborée en tour d'ivoire et la réalité du terrain. Ce qui est encore plus inquiétant, c'est que la Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe se livre à une campagne coordonnée et déterminée visant à étendre la dépénalisation du commerce du sexe à l'ensemble de l'Europe.
La vérité sur les systèmes de prostitution dépénalisée est qu'ils sont un cancer sur cette terre, et en Europe, ses premières cellules sont apparues dans deux structures politiques très importantes, l'Union européenne et le Conseil de l'Europe. Les années à venir nous démontreront le courage ou non de nos hommes politiques, en déterminant s'ils exciseront cette tumeur avec détermination ou s'ils laisseront ce cancer social destructeur se propager sur l,ensemble du continent.
Rachel Moran, contributrice invitée, EUREPORTER, 18 mars 2024
Rachel Moran est une militante pour les droits des femmes, une autrice publiée (ci-dessous) et la directrice de la politique internationale et du plaidoyer au Centre international sur l'exploitation sexuelle, une filiale du Centre national sur l'exploitation sexuelle. Sur X : @NCOSE.
https://tradfem.wordpress.com/2024/03/18/les-systemes-de-prostitution-depenalises-sont-un-cancer-qui-sest-propage-a-lunion-europeenne-et-au-conseil-de-leurope/
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Une nouvelle année scolaire commence sans une seule fille en classe

Le régime des talibans a officiellement annoncé le début de la nouvelle année scolaire, au premier jour de l'année 1403 du calendrier persan (correspondant au 20 mars 2024). Cette année, comme les deux précédentes, la cloche des écoles a sonné sans qu'aucune fille ne soit présente en classe. Aucune n'a été autorisée à entrer dans les écoles ni dans les universités. Elles attendaient, dépitées, derrière les grilles, les larmes aux yeux.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Lorsque Ahrar, 15 ans, frère aîné de Mahla, s'est joyeusement rendu à son école de Kaboul le matin pour entamer sa huitième année d'études, Mahla, 13 ans, le cœur brisé, a déclaré qu'elle aurait voulu être un garçon comme son frère, pour pouvoir aller à l'école et que son genre ne l'empêche pas d'étudier ! Mahla n'est pas la seule dont l'avenir a été volé par les talibans, elles sont des millions.
Selon l'UNICEF, cette année, 330 000 jeunes filles ayant terminé l'école élémentaire ne seront pas autorisées à poursuivre leurs études, rejoignant ainsi les millions de filles déjà exclues des écoles et de l'enseignement supérieur par les talibans, revenus au pouvoir en août 2021. Selon Care International, le nombre de jeunes filles afghanes en âge d'être scolarisées mais qui ne le sont plus s'élève à 2,5 millions.
Priver d'instruction des millions de jeunes filles trois ans consécutifs, interdire aux femmes de travailler et nier leur présence dans la société est une preuve évidente de l'apartheid de genre, pour lequel les autorités talibanes devront bien un jour rendre des comptes devant la justice.
Le Mouvement spontané des femmes afghanes (SMAW) condamne la politique misogyne et l'apartheid de genre imposés par les talibans et exige qu'il y soit mis fin sans délai. Les talibans, conformément à leurs enseignements religieux, ne respectent pas le droit des femmes à l'instruction, au travail et à la liberté, et ne sont pas prêts à abandonner leur politique médiévale : seule une lutte déterminée pourra y mette fin.
Bien que le SMAW fasse l'objet de menaces et de répression brutale de la part des services de renseignements talibans, bien que des dizaines de ses membres aient été arrêtées et torturées et que des centaines d'autres soient portées disparues, nous avons mis en place des dizaines d'écoles clandestines à domicile pour les jeunes filles à qui on interdit de sortir de chez elles.
Afin de maintenir nos 45 écoles en activité dans 12 provinces d'Afghanistan, où des centaines de jeunes filles reçoivent un enseignement, nous avons besoin d'une aide financière et de matériel éducatif. Nous demandons aux institutions et aux personnes qui défendent les droits des femmes, des enfants et aux organisations enseignantes, ainsi qu'à nos amis en Europe, en Amérique, en Australie et dans le monde, de comprendre notre souffrance et de nous soutenir.
– Soutenez la voix des femmes afghanes qui protestent contre les talibans pour obtenir le pain, le travail, la liberté et l'éducation !
– Participez activement à la campagne de collecte d'argent pour aider les écoles pour les jeunes filles afghanes !
Mouvement spontané des femmes afghanes (SMAW)
20 mars 2024, Kaboul – Afghanistan
https://defendafghanwomen.org/2024/03/26/une-nouvelle-annee-scolaire-commence-sans-une-seule-fille-en-classe/
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