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Le discours de Chuck Shumer soulève la rage de la droite qui soutient Israël
Les néoconservateurs.trices ne détestent les interférences en Israël que quand elles s'attaquent à leur soutient inébranlable en faveur de l'apartheid et du massacre des Palestiniens.nes
Murtaza Hussain, The Intercept, 15 mars 2024
Traduction, Alexandra Cyr
Le chef de la majorité démocrate au Sénat, Chuck Schumer, représentant de New-York, a livré un discours qui a provoqué la rage de la droite qui soutient Israël. Plusieurs l'ont décrit comme un appel à un changement de régime en Israël en visant son Premier ministre, Benjamin Nétanyahou. En quarante minutes environ, il a attaqué le Hamas et critiqué Israël tout en assurant que les États-Unis le défendraient et le soutiendraient durant toutes les crises auxquelles il pourrait faire face. Mais il a ciblé directement le Premier ministre Nétanyahou en décrivant son gouvernement « d'obstacle à la paix » et en disant que sa coalition gouvernementale « ne répondait plus aux besoins d'Israël ».
Il est même allé plus loin en souhaitant des élections en Israël qui apporteraient un nouveau gouvernement. Et il a ajouté que B. Nétanyahou : « s'est égaré en permettant à sa survie politique de prendre le dessus sur les meilleurs intérêts du pays ».
Malgré le ton qui soutient Israël, son discours a soulevé la rage chez les plus ardents défenseurs de ce pays y compris plusieurs néoconservateurs.trices. Écrivant pour le Conseil sur les relations étrangères, Elliott Abrams (impliqué dans l'affaire Iran-Contra), accuse M. Schumer sur un ton hystérique de vouloir faire d'Israël une « colonie américaine » en intervenant dans ses politiques : « C'est une manière honteuse et sans précédent de traiter un allié et une interférence inadmissible dans les politiques internes d'une autre démocratie ». Sa critique a été reprise par des élus.es israéliens.nes comme l'ancien Premier ministre, M. Naftali Bennett qui a dénoncé (le discours) comme « une intervention politique externe » dans les affaires israéliennes.
Ces arguments pourraient peut-être être respectables pour la plupart, si pour l'essentiel, la masse des interventions politiques américaines habituelles et institutionnelles à l'égard d'Israël et de son gouvernement, n'avaient été retournée avec succès par ses supporters ; les affaires d'un petit pays au bord de la Méditerranée sont devenues un enjeu problématique de politique intérieure aux États-Unis. B. Nétanyahou lui-même n'a affiché aucun embarras à propos de ses interventions dans la politique américaine alors qu'il livrait des discours frénétiques devant le Congrès des États-Unis lui demandant de légiférer en faveur d'Israël et endossant visiblement le candidat qu'il préférait pour la Présidence américaine durant les élections.
Sans contre dit, la politique étrangère américaine est actuellement fortement contrainte par le lobby de groupes d'intérêts spéciaux puissants comme le « American Israel Public Affairs Committee » (AIPAC). Ces organisations s'attachent à assurer que les États-Unis fournissent à Israël une aide militaire, économique et diplomatique sans faille, même quand son gouvernement rejette continuellement les demandes américaines pour la création d'un État palestinien en accord avec la loi internationale.
Que des gens comme Messieurs Abrams et Bennett expriment des doléances quant aux interventions américaines dans les affaires israéliennes semble plutôt à très courte vue car, elles ne sont pas que bienvenues mais exigées par Israël et ses soutiens aussi longtemps qu'elles sont en concordance avec la sécurité et les besoins politiques du gouvernement israélien.
Plus que jamais
Le discours de C. Schumer arrive au moment où Israël n'a jamais été aussi isolé et dépendant de l'aide américaine. Contrairement à ses propres désirs, le gouvernement américain est revenu au Proche Orient en luttant contre les Houtis au nom d'Israël, lui fournissant des armes pour sa campagne à Gaza et en décourageant le Hezbollah au Liban avec ses porte-avions stationnés en Méditerranée. Les trois militaires américains qui ont été tués en Jordanie plus tôt cette année, l'ont été dans un attaque clairement motivée par le rejet de l'aide américaine à Israël.
Les États-Unis ont utilisé leur droit de véto au Conseil de sécurité de l'ONU pour protéger Israël du flot de contestation mondiale devant la vue de tuerie de masse et la famine à Gaza. Quand Israël a reçu les réponses diplomatiques négatives de la part du Brésil, de l'Afrique du sud, de la Chine et de la plupart des pays musulmans, les États-Unis sont restés à ses côtés sans faiblir comme son plus important et parfois son unique défenseur sur la scène internationale.
Malgré tout ce soutien, Israël n'a pas joué la réciproque. Aux remarques du Président Biden en faveur d'une éventuelle solution à deux États toutes rhétoriques qu'elles aient été, B. Nétanyahou a répondu en humiliant publiquement son plus important défenseur. Il a déclaré sans vergogne, qu'il n'y aurait jamais d'État palestinien. Ce Premier ministre de droite s'est même vanté d'en avoir empêché un de voir le jour.
L'engagement inébranlable de B. Nétanyahou à défier la loi internationale et la majorité de l'opinion mondiale pour poursuivre le projet de colonisation de la Cisjordanie ne peut tenir que parce que ses supporters réussissent à fléchir les politiques américaines en faveur d'Israël, aucun autre pays n'en a autant bénéficié. Et aucun autre pays n'a aussi peu redonné pour les énormes chèques fait au porteur que les États-Unis ont libellés jusqu'à maintenant.
Malgré ses critiques envers B. Nétanyahou et sa coalition extrémiste devant le Sénat, C. Schumer était résolument en soutien à Israël et hostile à ses ennemis. Mais en souhaitant une solution à deux États, il a est entré en contradiction avec M. Nétanyahou et une majorité du public israélien qui s'y oppose. Ils préfèrent le statut quo ce qui entraîne le retrait systématique du droit de vote aux Palestiniens.nes ce que les groupes de défense des droits humains ont qualifié « d'apartheid ».
Dans ce contexte il ne faut pas comprendre les commentaires du leader de la majorité démocrate au Sénat comme un appel à organiser une révolution colorée à Tel Aviv. Il s'agit plutôt d'une tentative de prévenir Israël contre son arrivée à un niveau d'ostracisme d'où, même les États-Unis ne pourraient les sortir. Et M. Schumer d'ajouter : « Israël ne peut espérer réussir en tant que paria en opposition au reste du monde ».
Les supporters d'Israël qui ont été choqués.es par son discours ferait mieux d'entendre ce conseil avisé.
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Conseil de sécurité de l’ONU : les véritables raisons de la résolution états-unienne pour un cessez-le-feu à Gaza
Pour la première fois, Washington parle de cessez-le-feu immédiat dans un projet de résolution, qui doit être examiné vendredi 22 mars par le Conseil de sécurité de l'ONU. Joe Biden, en difficulté en cette année électorale, espère faire illusion.
Tiré de l'Humanité
Pierre Barbancey <https://www.humanite.fr/auteurs/pie...> , L'Humanité, France. Mise à jour le vendredi 22 mars 2024 à 11h57
www.humanite.fr/monde/guerre-israel-hamas/conseil-de-securite-de-lonu-les-veritables-raisons-de-la-resolution-etats-unienne-pour-un-cessez-le-feu-a-gaza <http://www.humanite.fr/monde/guerre...>
Pour son sixième déplacement au Proche-Orient depuis le 7 octobre, Antony Blinken, le secrétaire d'État américain (1), n'est pas venu les mains vides et sa façon de procéder montre quelles sont les préoccupations de Washington. Mercredi soir, en marge d'une visite en Arabie saoudite consacrée à la guerre menée par Israël contre la bande de Gaza, il a accordé un entretien au média saoudien Al Hadath dans lequel il annonce : « Nous avons en fait soumis une résolution qui est, à présent, devant le Conseil de sécurité (de l'ONU – NDLR), qui appelle à un cessez-le-feu immédiat lié à la libération des otages, et nous espérons vivement que les pays la soutiendront. » Il a ajouté espérer que cette initiative envoie un « signal fort ». Il est vrai que, jusqu'à présent, Washington a toujours refusé le mot « immédiat ».
*Un soutien trop inconditionnel ?*
Selon la chaîne qatarienne Al Jazeera, qui a obtenu une copie, ce projet de résolution, qui doit être examiné ce vendredi 22 mars, est ainsi rédigé : « Le Conseil de sécurité détermine l'impératif d'un cessez-le-feu immédiat et soutenu pour protéger les civils de toutes les parties, permettre la fourniture d'une aide humanitaire essentielle, et atténuer les souffrances humanitaires (2) et, à cette fin, appuie sans équivoque les efforts diplomatiques internationaux en cours pour obtenir un tel cessez-le-feu dans le cadre de la libération de tous les otages restants. »
À l'évidence, il s'agit d'un changement d'attitude de la part des États-Unis. Antony Blinken continue à marteler « nous nous tenons aux côtés d'Israël et son droit à se défendre », mais précise : « Il est impératif pour les civils, qui sont en danger et qui souffrent si terriblement, que nous nous focalisions sur eux, que nous faisions d'eux une priorité, en les protégeant et en leur procurant une aide humanitaire. »
Un changement de ton perceptible qui ne doit rien au hasard. Comme le relève le Washington Post, ce soutien inconditionnel à Israël (le porte-parole de la Maison-Blanche, John Kirby, avait même expliqué qu'il n'y avait pas de « lignes rouges », c'est-à-dire pas de limites) devient un boulet pour Joe Biden. « Ses alliés reconnaissent en privé que cela lui a causé des dommages importants aux niveaux national et mondial et pourrait facilement devenir son plus grand cataclysme en matière de politique étrangère. »
La stratégie de Biden reposait en fait sur un postulat central : un soutien inconditionnel permettrait d'influencer l'attitude israélienne et donc le cours de la guerre. Las, c'est exactement l'inverse qui s'est produit (3). Biden a dit son inquiétude face à une offensive israélienne sur Rafah (4) si aucun plan ne permettait de protéger les civils. Dimanche, Netanyahou a rétorqué que les « pressions internationales exercées par ceux qui veulent la fin de la guerre sans que les buts ne soient atteints » n'aboutiront pas, que ses troupes entreront dans Rafah et que la guerre se poursuivra « jusqu'à la victoire totale ».
*Des ambitions électorales compromises*
Ce qui revient à défier la puissance américaine au vu et au su du monde entier avec des conséquences géopolitiques certaines, mais également internes, alors que Joe Biden postule pour un nouveau mandat présidentiel en novembre. Dans l'État du Michigan, lors de la primaire démocrate, il a ainsi dû faire face à une fronde de plus d'une centaine de milliers de sympathisants qui se sont abstenus ou ont voté blanc pour protester contre le soutien de la Maison-Blanche à Israël (5).
Par ailleurs, plus du tiers des membres démocrates du Sénat américain ont demandé « à l'administration Biden de rapidement mettre en place et rendre public un plan solide détaillant les mesures nécessaires » à la création d'un État palestinien en Cisjordanie. Cette initiative intervient quelques jours après le discours surprise du chef des sénateurs démocrates au Sénat, Chuck Schumer, appelant à de nouvelles élections en Israël et critiquant ouvertement le gouvernement de Benyamin Netanyahou.
Si Netanyahou s'en prend à Rafah de manière inconséquente, a déclaré le sénateur démocrate Van Hollen, les États-Unis auront l'air « imbécile », rapporte le Washington Post. Le sénateur du Maryland a ajouté : « C'est bien d'entendre des commentaires plus durs de la part du président. Mais la question sera de savoir s'il utilise les leviers dont il dispose pour exiger des comptes et faire respecter ses demandes. »
La proposition de résolution se situe en réalité à mi-chemin. Elle permet à Joe Biden de prétendre agir (6) (y compris vis-à-vis de ses alliés arabes, notamment l'Arabie saoudite indispensable dans le montage régional de normalisation avec Tel- Aviv), tout en laissant les mains libres à Israël, qui bombarde sans discontinuer la bande de Gaza.
Le texte, jugé insuffisant par certains pays notamment parce qu'il n'utilise pas les mots « appelle » ou « demande » à propos du cessez-le-feu, fait l'objet de critiques notamment de la Russie qui pourrait utiliser son véto. Si tel était le cas, la France pourrait déposer sa propre résolution, selon France Info. Une réunion en Égypte serait d'ores et déjà « pré-organisée » pour s'assurer d'obtenir des soutiens.
(...)
(1) www.humanite.fr/monde/anthony-blinken/gaza-blinken-a-tel-aviv-une-treve-est-elle-enfin-possible <http://www.humanite.fr/monde/anthon...>
(2) www.humanite.fr/monde/aide-humanitaire/a-gaza-nous-atteignons-un-niveau-dinsecurite-alimentaire-inedit-alerte-jean-pierre-delomier-de-handicap-international <http://www.humanite.fr/monde/aide-h...>
(3) www.humanite.fr/monde/aide-humanitaire/gaza-lonu-denonce-les-entraves-israeliennes-a-laide-humanitaire <http://www.humanite.fr/monde/aide-h...>
(4) www.humanite.fr/politique/bande-de-gaza/emmanuel-macron-a-mes-yeux-rafah-est-un-point-de-rupture <http://www.humanite.fr/politique/ba...>
(5) www.humanite.fr/monde/etats-unis/les-enseignants-americains-pour-un-cessez-le-feu-a-gaza <http://www.humanite.fr/monde/etats-...>
(6) www.humanite.fr/monde/guerre-israel-hamas/gaza-joe-biden-critique-netanyahou-mais-maintient-son-soutien-a-israel <http://www.humanite.fr/monde/guerre...>
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Risques de normalisation du fascisme à la Trump et les dangers du bannissement de TikTok
D'accord j'ai un problème avec la propriété chinoise de TikTok. Bien sûr que j'aime n'importe qui d'autre. Je ne suis pas fan de la Chine. Mais l'idée que les autres réseaux sociaux sont transparents ou encore, qu'ils font un meilleur travail que lui quant à la modération, allons donc ! Il y a tout juste une semaine, Elon Musk, a annulé le nouveau programme de Don Lemon de sa plateforme, sur Twitter-X parce qu'il lui avait posé quelques questions difficiles.
Mehdi Hasan, Democracy Now, 14 mars 2024,
Traduction, Alexandra Cyr
Amy Goodman : Nous allons commencer notre émission (…) avec le très reconnu et acclamé journaliste de la télévision, Mehdi Hasan. En janvier, il a annoncé sa démission de MSNBC après le retrait de son émission de la programmation. Il était une des voix musulmanes les plus marquantes de la télévision américaine. En octobre, Semafor rapportait que MSNBC avait réduit le rôle de M. Hasan et de deux autres musulmans, Ayman Mohyeldin et Ali Velshi après l'attaque du 7 octobre contre Israël. En novembre le diffuseur annonçait la fin de l'émission de Hasan peu après qu'il ait interviewé Mark Regev, un conseiller du Premier ministre israélien B. Nétanyahou.
Introduction : Le journaliste Mehdi Hasan prévient : la couverture des élections américaine de 2024 ne sera pas capable de rendre compte objectivement du danger que pose Donald Trump et la version moderne du Parti républicain, à la démocratie : « nous devons parler très clairement de cette menace fasciste ». Et il prévient qu'il ne croit pas que l'industrie médiatique soit capable d'empêcher la « normalisation de son extrémisme, son racisme et son fanatisme », parce que, en soi, le droit à une presse libre pourrait être en danger s'il regagne le pouvoir : « un de nos deux grands partis a été complètement radicalisé et fait maintenant le lit des suprémacistes de droite…soyons précis à ce propos ».
Nermeen Shaikh : Mehdi, passons à un autre enjeu qui s'impose cette année soit, les élections américaines. Vous avez déclaré que les médias sont particulièrement incapables de rendre compte correctement (de la campagne) de D. Trump et que c'est un problème majeur. Bien sûr, il est maintenant le candidat désigné. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous voulez dire exactement par cela et quels sont les effets que cela aura cette année ?
Mehdi Hasan : Ouais ! Bon, voilà une bonne question Nermeen. Je dirais rapidement trois choses. 1- Comme je l'ai dit au point de départ, une des raisons pour lesquelles j'ai créé Zeteo c'est parce que je crois que les États-Unis font face à une menace fasciste. Elle émane du Parti républicain qui avec ses soutiens habituels a maintenant désigné D. Trump son candidat officiel. Nous devons absolument parler très clairement de cette menace fasciste. Nous devons en dire le nom, ne pas tourner autour du pot. Ne pas prétendre qu'il est un candidat « normal », ne pas normaliser son extrémisme, son racisme, son fanatisme et son autoritarisme. Nermeen, ce dont nous sommes témoins en ce moment, après 2020, quand nous avions pu observer une certaine amélioration dans la couverture de D. Trump, j'ai l'impression d'un recul vers 2016 de bien des façons : nous traitions D. Trump donnant un spectacle, bénéficiant des améliorations des cotes supplémentaires (d'audience et de lectorat) qu'il pouvait apporter à l'industrie et en le ménageant dans les entrevues. Récemment il a donné une entrevue ( de ce genre) à CNBC. C'était désagréable à voir. C'est un énorme problème. Donc, c'était le no. 1.
2- Il y a maintenant un enjeu d'accès au journalisme. Beaucoup de journalistes doivent encore avoir des invités.es des deux Partis en onde. L'obligation d'avoir les deux côtés politiques est devenu très frustrant. Les médias doivent vraiment réfléchir avec le plus grand sérieux à la manière de pratiquer le journalisme. Les vielles conventions et normes ne sont plus applicables. Il n'y a pas deux côtés à chaque sujet. Il n'y a pas deux côtés à la négation de l'Holocauste, des changements climatiques et des élections. Il n'y a pas deux aspects à la victoire ou non de J. Biden. Il faut que nous ouvrions les yeux sur ce à quoi nous faisons face et, encore une fois, que nous respections les téléspectateurs.trices et le lectorat et leur dire ce qui se passe ; leur dire que l'un de nos grands Partis est complètement radicalisé, fait le lit des suprémacistes blancs et répands certaines des pires théories conspirationnistes de QAnon. Soyons clairs.es à ce propos.
3- Les dangers, nous sommes déjà dedans selon moi. L'idée que les médias devraient être impartiaux (ne tient pas). Nous devons avoir un parti-pris en faveur de la vérité. Nous devons avoir un parti-pris en faveur de la presse libre parce que la survie des médias est en jeu chez-nous. Si D. Trump gagne les élections, que pensez-vous qui va arriver à la presse libre ? Il ne s'en cache pas ; il a parlé ouvertement de s'en prendre à NBC et MSNBC les accusant de trahison. Ses alliés., comme Kash Patel, ont parlé de poursuivre les médias pour devant les tribunaux criminels et civils. Un autre, Mike Davis, dit que si D. Trump le nomme Attorney General, il va m'enfermer à Guantanamo Bay. C'est ce genre de propos autoritaires que nous sert le Parti républicain. Les médias ne peuvent prétendre que c'est normal ou que ça ne menace pas nos libertés.
Amy Goodman : Pour finir, je voulais vous demander (ce que vous pensez) du projet de loi qui bannirait TikTok ? Adopté à la Chambre, il doit maintenant être voté au Sénat. Mais je voulais vous interroger sur un de ses aspects particuliers. Les militants.es en faveur des droits des Palestiniens.nes disent que la guerre d'Israël contre Gaza a enflammé les sentiments des conservateurs.trices et des élus.es centristes contre TikTok. Dans un enregistrement audio, dévoilé par une fuite après le 7 octobre, on peut entendre Jonathan Greenblatt qui dirige la Anti-Defamation League, dire : « Nous avons un problème avec TikTok ». Il fait référence à la baisse du soutien à Israël par la jeune population. Le groupe progressiste RootsAction a aussi noté que l'American Israel Public Afffairs Commitee (AIPAC) est le principal donateur du membre de la Chambre, Mike Gallagher, qui a parrainé le projet de loi pour le bannissement de TikTok. Et cela survient après que D. Trump se soit démentit. Il a changé de position la semaine dernière en s'opposant au projet de loi après avoir rencontré récemment le multimillionnaire très grand donateur au Parti républicain, Jeff Yass. Sa compagnie détient 15% des actions de ByteDance (la maison mère de TikTok. N.d.t.). Il est aussi intéressant de mentionner qu'il est un donateur important à des groupes de réflexion israéliens. Mehdi, que pensez-vous de tout cela ?
M.H. : Premièrement, Donald Trump ne croit à rien d'autre qu'à lui-même. Donc, il devrait vraiment soutenir ce projet de loi. Il va dans le sens de ses positions contre la Chine. Mais il ne le fait pas parce qu'il se peut qu'il fasse de l'argent de cette manière. Donc, ce n'est qu'un rappel de ce que D. Trump ne croit qu'en lui seul.
Quant à TikTok, c'est un vrai problème. D'une part, nous l'avons dit, il y a les reportages édulcorés des grands médias (sur la guerre à Gaza) mais en même temps il y TikTok qui montre à la jeunesse exactement ce qui se passe, la barbarie, la brutalité, les tueries de masse, la faim, les crimes de guerre et bien sûr, c'est un réel problème pour la machine de relations publiques israélienne et pour les factions pro israéliennes aux États-Unis.
Et c'est assez ironique d'entendre dire : « Oh ! Ça n'a rien à voir avec Israël, ça a à voir avec la Chine. Ça concerne nos connaissances à propos de cette compagnie ». Voyons ! D'accord j'ai un problème avec la propriété chinoise de TikTok. Bien sûr que j'aime n'importe qui d'autre. Je ne suis pas fan de la Chine. Mais l'idée que les autres réseaux sociaux sont transparents ou encore, qu'ils font un meilleur travail que lui quant à la modération, allons donc ! Il y a tout juste une semaine, Elon Musk, a annulé le nouveau programme de Don Lemon de sa plateforme, sur Twitter-X parce qu'il lui avait posé quelques questions difficiles. (…) C'est le genre de pouvoir qu'exercent les grandes entreprises de technologie américaines et leurs multimillionnaires qui sont capables de contrôler le discours public. C'est mentir complètement que de dire qu'avoir à faire avec TikTok va nous aider à mettre à mal la désinformation ou l'extrémisme.
A.G : Mehdi Hasan, merci d'avoir été avec nous.
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La Chine et l’Occident : vers une confrontation dure
Les deux assemblées parlementaires chinoises ont conclu leurs travaux le 11 mars à Pékin sur une note martiale, qui semble bien confirmer le fait que la Chine et l'Occident se dirigent à grands pas vers une confrontation idéologique dure. Son principal danger : qu'elle dégénère en conflit militaire, comme l'estiment nombre d'analystes.
Tiré de Asialyst
17 mars 2024
Pierre-Antoine Donnet
Le président chinois Xi Jinping et son homologue américain Joe Biden, lors d'une rencontre en marge du G20 à Bali, le 14 novembre 2022. (Source : Euronews)
Les motifs de querelles entre le régime communiste chinois et ses partenaires occidentaux n'ont cessé de s'amplifier et de se multiplier ces deux dernières années. Les griefs nourris à Pékin prennent l'allure de menaces de moins en moins voilées. Dans le contexte de l'agression russe contre l'Ukraine, Pékin prend aujourd'hui sans se cacher le parti de Moscou.
Les autorités chinoises avaient un temps préféré afficher une neutralité active dans le conflit en Ukraine. Elles n'avaient certes jamais condamné les « opérations spéciales » entamées par le dictateur russe Vladimir Poutine mais elles avaient pris soin de certifier que Pékin ne livrerait jamais d'armes létales à l'armée russe. Aujourd'hui, cette prudence n'est plus de mise. Si aucune preuve irréfutable n'existe pour identifier des livraisons d'armes chinoises à la Russie en guerre contre l'Ukraine depuis le 24 février 2022, plus personne ne doute que de grandes quantités d'armes sont livrées à l'armée russe par la Corée du Nord et l'Iran, deux proches alliés de Pékin.
Clairement, la Chine de Xi Jinping a donc choisi son camp : celui de la Russie. Elle espère qu'au bout du compte, Moscou gagnera cette guerre d'usure sanglante et brutale contre l'Ukraine car elle est aussi livrée contre l'Occident tout entier. Nombreux sont les signes de préparatifs menés au sein de l'Armée populaire de libération en vue d'une guerre dont le maître de la Chine avertit qu'elle est peut-être déjà inéluctable. « Le Parti communiste chinois accélère les préparatifs pour la grande confrontation à venir avec l'Amérique », écrit le 13 mars Luc de Barochez, éditorialiste au magazine Le Point. Or une confrontation avec l'Amérique ne manquerait pas de concerner, à des degrés divers certes, l'ensemble de l'Occident, y compris bien sûr le Japon, la Corée du Sud, l'Australie et l'Inde.
L'ère de l'ouverture de la Chine sur le monde initiée en 1978 par Deng Xiaoping est désormais reléguée aux oubliettes et, avec elle, les réformes économiques. Car la priorité des priorités est la stabilité politique, l'obsession de Xi Jinping. Conséquence, le régime se durcit et ferme progressivement le pays aux influences étrangères. Alors que la Chine traverse une crise économique inédite depuis quarante ans, l'appareil communiste sait pertinemment que les investisseurs étrangers fuient le pays et ne sont pas prêts de revenir, douchés qu'ils sont par l'espionnite généralisée introduite sous la férule de Xi Jinping. Il sait aussi combien sont élevés les risques de troubles sociaux, conséquence là aussi d'un fort ralentissement de la croissance économique, elle-même due à la gestion catastrophique de la pandémie de Covid-19 et de la priorité donnée aujourd'hui à la politique et à l'idéologie.
Preuve s'il en est de ce durcissement : cette année, pour la première fois depuis des décennies, le Premier ministre, en l'occurrence Li Qiang, a été privé du droit de donner la traditionnelle conférence de presse à la fin de la session annuelle de l'Assemblée nationale populaire, le simulacre de parlement aux ordres du pouvoir. Or ce rendez-vous était depuis plus de trente ans la seule occasion pour un dirigeant chinois premier plan de se prêter au jeu des questions-réponses avec les journalistes sur la situation de l'économie. Certes, celle-ci est en si piètre état que les questions de la presse étrangères auraient forcément été gênantes. Mais les réponses auraient peut-être permis de rassurer tant bien que mal les marchés étrangers.
La vraie raison est à trouver dans le règne monarchique exercé par Xi Jinping depuis son arrivée au pouvoir en 2012. Non seulement il s'est arrogé tous les pouvoirs, mais il ne tolère plus aucune critique au sein d'un régime ultra-autoritaire qui, de ce fait, est devenu depuis des années une dictature. Il prend désormais l'allure d'un régime sur la pente glissante du fascisme.
« Xi Jinping est un homme profondément affaibli. »
Rappelons-le : l'état de l'économie chinoise est catastrophique sinon même chaotique avec une croissance en berne qui, selon les projections officielles, ne dépassera pas les 5 % en 2024, un plancher lui-même inédit que les experts estiment largement surestimé. Les investissements directs étrangers sont en chute libre : -80 % en 2023, une dégringolade sans précédent depuis 1978. La démographie, elle aussi, dévisse de façon vertigineuse. La Chine n'est plus depuis avril 2023 le pays le plus peuplé du monde, coiffée au poteau par l'Inde. La crise immobilière, quant à elle, n'en finit pas de se creuser, laissant derrière elle une ardoise colossale qui n'est que la partie émergée de l'iceberg puisque l'endettement de l'État et des provinces atteint des sommets sans précédents dans l'histoire de la Chine contemporaine. Ajoutons à ce tableau déjà bien sombre un appareil politico-administratif sclérosé où bien rares sont ceux qui osent encore prendre des initiatives, de peur d'un retour de bâton d'une hiérarchie plus que jamais tatillonne et arc-boutée sur les directives du Parti.
La situation générale fait penser à celle de la fin de la Révolution culturelle, à la mort de Mao Zedong en 1976 : celle d'une Chine isolée du monde extérieur dont la population a perdu ses repères et surtout sa confiance dans le régime, et se met donc à douter de son avenir. « Nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation de grandes tensions géopolitiques, remarquait un ancien ambassadeur en Chine, à l'occasion d'une réunion récente de journalistes français spécialisés sur la Chine. Nous sommes à un moment difficile, délicat car Xi Jinping ne représente pas toute la Chine. »
« Le dialogue est nécessaire puisque la Chine n'a visiblement aucun intérêt à ce que les conflits [en Ukraine et entre Israël et le Hamas à Gaza] cessent », souligne de son côté Emmanuel Lincot, historien et expert de la Chine contemporaine. En raison des défis auxquels le pays est confronté, le risque est donc la surenchère et la fuite en avant. L'ambition de Xi Jinping demeure la même depuis longtemps : faire en sorte que la Chine devienne le leader dans le monde pour remplacer les États-Unis. « Ceci passe implacablement par l'annihilation de la pax americana », ajoute l'ancien ambassadeur. Or cet objectif a pour contexte « qu'en Chine même, il y a un tas de gens qui ne sont pas d'accord avec la vision [de Xi Jinping] uniquement tournée vers une domination suprême », explique encore ce sinologue averti. « Xi Jinping est un homme profondément affaibli » comme en témoigne les purges à répétition au sein de l'appareil du Parti ainsi que dans les rangs de l'armée, insiste encore Emmanuel Lincot, l'ancien ambassadeur comparant Xi Jinping « au grand empereur Qianlong » (1735-1796) de la dynastie Qing, dans la mesure où comme lui, le président chinois n'a cure de ce que pensent ou veulent de la Chine les Occidentaux.
L'obsession du régime communiste chinois est, depuis son arrivée au pouvoir en 1949 et même depuis sa fondation en 1921, la survie du Parti coûte que coûte. C'est une des raisons pour lesquelles Xi Jinping a trouvé en Vladimir Poutine un allié précieux. Lors d'une visite à Pékin en avril 2022, à quelques semaines de l'entrée en guerre de la Russie en Ukraine, le dictateur russe et son homologue chinois avaient déclaré que la coopération entre leurs deux pays était désormais « sans limites ». « Ce que veux la Chine c'est un nouveau Yalta ainsi qu'un nouveau système de sécurité européen », relève l'ancien ambassadeur pour qui la Russie est dès lors devenue d'autant plus nécessaire à la propre survie du régime chinois.
Vidéos devant Zhongnanhai
Plusieurs « incidents », évidemment passés sous silence dans la presse officielle et rapidement censurés sur les réseaux sociaux chinois étroitement surveillés, témoignent de la grogne sinon même de la colère qui semble grimper au sein de la population chinoise. Ainsi, une vidéo a montré une voiture de couleur noire qui a enfoncé la porte principale de Zhongnanhai, le cœur du pouvoir à Pékin. Ce qui a provoqué une explosion et un début d'incendie rapidement maîtrisé aux premières heures du 10 mars, à quelques centaines de mètres seulement du Palais du peuple où se déroulaient les travaux des deux assemblées parlementaires, l'Assemblée Nationale Populaire (ANP) et la Conférence consultative politique du Peuple chinois (CCPPC). Son conducteur a ensuite été extrait sans ménagement de la voiture par de nombreux agents de sécurité et emmené loin de la scène. Les images de cette vidéo ont été diffusées par l'Agence centrale de presse taïwanaise (CNA). La vidéo montre ce véhicule roulant à vive allure dans la nuit vers l'Ouest sur l'immense avenue Changan qui traverse Pékin d'Est en Ouest, passant devant la place Tiananmen pendant la nuit, avant de percuter violemment la porte de Zhongnanhai. Selon CNA, la voiture portait une plaque d'immatriculation de Pékin.
De nombreuses questions se posent. Comment ce véhicule a-t-il pu emprunter la rue puis le trottoir de l'avenue Changan, qui était alors barricadée du fait des travaux parlementaires en cours, et se diriger directement vers la porte Xinhua ? De plus, pendant les « deux Assemblées », Pékin est placé sous très haute sécurité, tout particulièrement autour de Zhongnanhai. Zhongnanhai est sans doute le site le plus surveillé et protégé de Chine, avec d'importantes forces de sécurité présentes à l'intérieur et à l'extérieur de cet ensemble de bâtiments en bordure de l'immense place Tiananmen. En effet, il abrite les bureaux du Comité central du Parti et du Conseil d'État qui chapeaute le gouvernement, ainsi que les résidences de dirigeants de haut rang.
Selon l'Agence de presse taïwanaise, le même jour, dans la province du Jiangsu, le bâtiment du gouvernement de la ville de Zhangjiagang a été le théâtre d'une explosion le matin. L'entrée a été sérieusement endommagée. Dans l'après-midi du même jour, une autre vidéo a montré des images du dernier étage du bâtiment du Bureau de la sécurité publique de la province du Jiangsu à Nankin qui a pris feu et dégagé beaucoup de fumée noire.
On se souvient peut-être de « l'incident de Sitongqiao » à la veille du XXème Congrès du Parti communiste chinois en octobre 2022, à Pékin. Le 13 octobre 2022, un manifestant avait calmement déroulé deux immenses bannières sur le pont Sitong dans le district très fréquenté de Haidian à Pékin pour protester contre « la dictature de Xi Jinping ». Ces deux bannières, vues par des dizaines de milliers de passants, protestaient contre le culte de la personnalité extravagant dont s'entoure Xi, les violations répétées des droits humains en Chine, la censure et les contraintes insupportables imposées par la politique du « zéro-Covid ». Ce manifestant, Peng Lifa (彭立发), avait rapidement été arrêté. Il a depuis disparu et n'a plus jamais donné signe de vie. Selon des médias d'opposition chinois à l'étranger, les manifestations contre le régime communiste sont nombreuses, surtout depuis le début des années 2000. Pas moins de 180 000 manifestations auraient eu lieu pendant la seule année 2019, selon le professeur de sociologue de l'université Qinghua, Sun Liping.
Xi Jinping en train de « tuer » le capitalisme à la chinoise
Dans son ouvrage The Crisis of Democratic Capitalism (Penguin Press), Martin Wolf dresse un état des lieux particulièrement alarmant de la Chine de Xi Jinping. Selon lui, elle est en train de basculer vers l'inconnu. Vétéran du journalisme et pendant plusieurs décennies commentateur au Financial Times, Martin Wolf expliquait mardi 12 mars dans les colonnes du quotidien britannique que Xi Jinping était en train de « tuer » le capitalisme à la mode chinoise que Deng Xiaoping avait instauré et qui avait remis la Chine sur les rails d'un développement accéléré.
« La tendance qui est celle de Xi de centraliser la prise de décision n'a évidemment pas arrangé les choses. Elle risque de susciter la paralysie et des réactions extrêmes, écrit-il. En effet, « gérer une économie menée par la politique au buts multiples est simplement plus difficile que celle d'une économie dont le seul objectif est la croissance. Les politiques de Xi ont également [eu pour résultat] de compliquer davantage les relations avec les dirigeants politiques occidentaux. Prendre le chemin inverse d'un système indépendant et légal qui était le garant des droits à la propriété et d'un système politique plus démocratique était beaucoup trop risqué. Dans un pays de la taille de la Chine […] cela aurait mené au chaos. L'alternative conservatrice de Xi est donc de chercher la sécurité, quand bien même cela pourrait tuer la poule aux œufs d'or économique. »
« La question plus importante est [de savoir] si, en centralisant, le règne de prudence et de conservatisme de Xi, le changement de Deng [Xiaoping] de la stagnation à une croissance explosive n'est pas condamné à un retour à la stagnation », souligne encore Martin Wolf. Si les gens en arrivent à croire que la dynamique de l'histoire récente est perdue pour de bon, le risque sera alors d'une spirale vers le bas et d'espoirs déçus. Mais la seule force d'1,4 milliard de personnes qui veulent une vie meilleure est extrêmement puissante. Sera-t-il possible de stopper cela ? La réponse, je pense, est non. »
Dans ce monde géopolitique de dangers croissants, la zone de fracture principale est Taïwan. Sur ce sujet, Alec Russell décrit « la voie périlleuse dans un monde distrait » de l'ancienne Formose dans un article publié le 11 mars par le même Financial Times. « Le scénario longtemps redouté est une invasion par l'armée chinoise à travers ce détroit large de 180 kilomètres qui sépare la Chine de Taïwan », souligne-t-il. Une menace qui s'accroit puisque Xi Jinping a demandé à ses forces armées de se tenir prêtes pour attaquer d'ici 2027.
Mais cette échéance risque fort de ne plus être la bonne car les mesures d'intimidation militaire ne cessent de se multiplier, Pékin se livrant à des activités dans une « zone grise » qui sont désormais toutes proches d'une agression en bonne et due forme. « Pékin paraît certainement plus belliqueux. Il a récemment aiguisé sa rhétorique en parlant de son devoir de « combattre » l'indépendance de Taïwan, plus que de s'y « opposer », formule qu'il préférait employer jusqu'à présent, analyse Alec Russel. Les experts les plus pessimistes spéculent sur le fait que la Chine pourrait mettre l'île à genoux en quelques jours en imposant un blocus, y compris en coupant les câbles électriques sous-marins. »
À cela s'ajoute Donald Trump qui, s'il est réélu en novembre prochain, a déjà clairement annoncé que Taïwan ne pourrait plus compter sur l'Amérique. « Il était depuis longtemps tentant de considérer Taïwan comme un modèle de société si le PCC devait s'effondrer. Mais comme l'Ukraine le sait, dans un voisinage encombrant, un voisin surpuissant qui nourrit des revendications territoriales anciennes peut supprimer les libertés en une nuit, remarque Alec Russel. Une différence entre l'Ukraine et Taïwan est celle de la dissuasion stratégique. L'Amérique avait clairement fait savoir qu'elle n'interviendrait pas si la Russie envahissait son voisin. Une autre guerre serait celle de Taïwan qui serait une catastrophe pour tout le monde. Voilà pourquoi certains s'interrogent sur le fait de savoir si la Chine n'est pas en train de miser sur le fait que l'île va finir par tomber dans son orbite. »
« En politique en Chine, ce qui n'est pas dit mène souvent à une vérité crue. »
Katsuji Nakazawa, éditorialiste chevronné et ancien correspondant en Chine pour le Nikkei Asia, explique pour sa part le fait que dans le narratif de la Chine communiste, ce qui n'est pas dit a souvent plus d'importance que ce qui est dit. « En politique en Chine, ce qui n'est pas dit mène souvent à une vérité crue, écrit-il le 14 mars dans les colonnes du média japonais. Cela a été plus que clair pendant la session de l'Assemblée nationale populaire […] qui a laissé quantité de questions sans réponse. Tout en haut des tabous que les dirigeants au sommet du pouvoir n'ont pas osé aborder […] sont les mystères qui ont entouré le limogeage soudain de l'ancien ministre des Affaires étrangères Qin Gang l'an dernier et les changements de personnels diplomatiques qui ont suivi. »
« Le scandale est d'autant plus grand que Qin était considéré comme un proche de Xi Jinping », souligne le journaliste pour qui cette affaire témoigne de la lutte pour le pouvoir qui se poursuit au sein des élites politiques chinoises. Mais surtout, ajoute Katsuji Nakazawa, le fait même que personne, y compris le ministre en exercice des Affaires étrangères Wang Yi, n'ait abordé cette question pendant les travaux de l'ANP, « l'affaire illustre le fait que Xi Jinping entend éliminer un à un tous ses rivaux déclarés ou potentiels » afin de rester seul maître à bord. Les membres de la Commission des affaires politiques de la CCPPC ont abondé dans des formules rhétoriques sur le fait que la Chine se dirigeait vers « un avenir brillant » sous la direction du Parti.
Une formule en résonance avec l'atmosphère politique actuelle en Chine dans laquelle les Chinois sont invités à ne dire que de bonnes choses sur le pays, sans jamais parler des problèmes graves qui secouent la Chine telles que le chômage des jeunes dont beaucoup fuient vers les États-Unis, l'Europe ou le Japon pour y trouver un avenir meilleur, explique l'auteur. Or la réalité est toute autre. En témoigne la chute impressionnante du nombre d'étudiants étrangers venant en Chine. Ainsi, souligne-t-il encore, le nombre d'étudiants américains en Chine est tombé autour de 350 en 2023 contre environ 15 000 il y a dix ans, selon des statistiques officielles. Cette situation, rendue plus grave encore avec les nouvelles directives et lois sur l'espionnage dont les cibles sont notamment les milieux universitaires, est pire que celle issue du massacre de la place Tiananmen en 1989, qui avait entrainé des départs en masse d'étudiants étrangers.
Conséquence du durcissement du régime chinois et de l'atmosphère délétère qui préside aux relations entre les deux géants économiques de la planète, les États-Unis envisagent l'interdiction totale de TikTok sur le sol américain. Un projet de loi dans ce sens a été adopté par la Chambre des représentants le 13 mars. Le texte de loi qui doit encore être voté par le Sénat, donne 165 jours à ByteDance, la société mère de TikTok, pour rompre ses liens avec le réseau social et, plus largement, avec la Chine. Certaines propositions vont jusqu'à envisager une interdiction totale de l'application sur le sol américain.
Le président Joe Biden a déjà exprimé son soutien, affirmant qu'il signerait la loi si elle était adoptée. Des parlementaires américains s'inquiètent des liens entre TikTok et les autorités chinoises. Ces courtes vidéos sont suspectées d'espionner et de manipuler les 170 millions d'utilisateurs aux États-Unis et d'envoyer leurs données personnelles vers la Chine.
« Les États-Unis n'ont jamais trouvé de preuves que TikTok menace leur sécurité nationale », a déclaré un porte-parole de la diplomatie chinoise, Wang Wenbin, interrogé sur le sujet. Interdire TikTok « sapera la confiance des investisseurs internationaux […] ce qui reviendrait pour les États-Unis à se tirer une balle dans le pied. »
Par Pierre-Antoine Donnet
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Inde : la future troisième économie mondiale bientôt aux urnes
À l'approche des élections générales, le Premier ministre Narendra s'avance en favori pour obtenir un troisième mandat consécutif. Il peut se prévaloir des chiffres insolents de l'économie indienne, souligne Olivier Guillard dans cette tribune.
Tiré de The asialyst.
Voilà deux mois que le troisième millénaire est entré dans sa 25ème année. Un millésime 2024 particulier à maints égards à cause de ses graves crises, conflits et zones de tension, mais aussi en ce qu'il marquera du sceau de la démocratie et des scrutins délicats rien de moins que sept des 10 pays les plus peuplés du globe. 2024 – « l'année électorale ultime » selon Time Magazine, « la mère de toutes les années électorales » selon l'expression du Council on Foreign Relations. Au total, quatre milliards d'individus ventilés sur une soixantaine d'États convieront leurs électeurs à déposer leur bulletin dans l'urne. L'Asie-Pacifique a entamé tambour battant cette longue procession électorale en organisant depuis janvier quatre scrutins au Bangladesh, à Taïwan, au Pakistan et en Indonésie. D'ici deux mois, un autre acteur asiatique et non des moindres mobilisera à son tour logistique, esprit civique et appétences démocratiques pour renouveler son parlement national : l'Inde.
En avril–mai, la « plus grande démocratie du monde » attirera la lumière sur un scrutin aux ordres de grandeur comptables par définition sans pareil avec 980 millions d'individus inscrits sur les listes électorales. Peu importent leur sensibilité politique ou partisane, la plupart des observateurs de ce grand rendez-vous électoral quinquennal – les 18e élections à l'Assemblée nationale ou Lok Sabha – anticipent un très probable nouveau succès de la coalition chevillée autour du Bharatiya Janata Party (BJP), le parti de l'actuel Premier ministre Narendra Modi au pouvoir depuis 2014. Cette victoire historique plus que plausible confierait à l'énergique ancien ministre-en-chef du Gujarat un troisième mandat consécutif. Une performance politique dont seul avant lui Jawaharlal Nehru (1) pourrait se prévaloir.
Fort d'une légitimité politique et d'une autorité que bien peu de monde lui dispute dans son pays, le dernier invité d'honneur des cérémonies du 14 juillet à Paris se présente devant l'électorat indien en s'appuyant sur un argument de poids : en 2024, la cinquième économie mondiale – et troisième économie d'Asie – se porte bien. Elle traverse au mieux une conjoncture internationale agitée par des ondes de choc géopolitiques allant des marges orientales de l'Europe au détroit de Taïwan, en passant par un Moyen-Orient en ébullition.
Les médias asiatiques se sont penché sur ce contexte économique opportun, jalousé par nombre d'acteurs étatiques (2) infiniment moins bien lotis en matière de croissance économique. Les chiffres et les prévisions de croissance pour 2023 et 2024 sont parfois insolents, au regard par exemple de l'atonie générale inquiétante de la zone euro (+0,2 % de croissance du PIB en Allemagne). « Les perspectives de l'économie indienne semblent prometteuses, avec une croissance du PIB de 7 % pour l'exercice 2025, annonce fièrement The Indian Express, en s'appuyant sur les données détaillées du dernier rapport du ministère indien des Finances. Pour l'exercice en cours, l'économie indienne devrait connaître une croissance de + 7,3 %. Ce serait la troisième année consécutive que la croissance du PIB dépasserait les +7 %. » Et pour expliquer ce dynamisme économique indien, l'auteur de l'article met en avant les bénéfices d'une « bonne récolte agricole, la rentabilité soutenue de l'industrie manufacturière, la bonne résistance des services ainsi que l'amélioration attendue de la consommation des ménages et du cycle d'investissement privé ».
Cette incontestable montée en régime du géant d'Asie méridionale n'a pas uniquement profité aux comptes publics ou aux grands trusts industriels du pays. Les 1,4 milliard d'Indiens en ont également perçu des dividendes concrets dans leur vie quotidienne : l'extrême pauvreté a significativement reculé en l'espace de quelques années (3), consécutivement aux transferts sociaux vers la population la plus exposée. La santé publique et l'hygiène sont davantage pris en compte par les autorités (projet « Clean India » ou mission « Swachh Bharat Abhiyan » : campagne nationale pour la construction de toilettes publiques lancée en 2014), faisant notamment reculer la mortalité infantile.
La construction annuelle depuis 2018 de plus de 10 000 km de routes supplémentaires offre certes à l'économie des gains de productivité importants mais également à la population des possibilités de déplacement nouvelles (trajets plus nombreux, moins heurtés et plus courts). La part du budget dévolue au financement des grands projets d'infrastructures est passée de 0,4 % du PIB en 2014 à 1,7 % aujourd'hui.
La croissance la plus rapide parmi les plus grandes économies du monde
Cet enthousiasme « comptable » ne se limite pas uniquement aux frontières du pays. Quelque 6 000 km vers l'Est et quatre fuseaux horaires plus loin, dans la capitale de la désormais quatrième économie mondiale, le Japon, l'analyse panoramique des récentes performances économiques et financières indiennes est pareillement allègre. « Cette fois, la croissance économique rapide de l'Inde « a des jambes ». Les facteurs qui avaient précédemment freiné l'élan ont enfin été pris en compte », décrit le Nikkei Asia. Un constat flatteur sans appel : « La qualité des performances récentes de l'économie indienne est incontestable. Le pays a été l'économie majeure à la croissance la plus rapide en 2022 et 2023 et devrait l'être à nouveau en 2024. »
Notons que les titans industriels et autres tout puissants conglomérats indiens se portent pour certains d'entre eux à merveille. C'est notamment le cas de l'incontournable Tata Group (4) dont le magazine India Today nous apprend que la capitalisation boursière atteint désormais les 365 milliards de dollars – soit 24 milliards de dollars de plus que la totalité du PIB pakistanais (341 milliards de dollars selon le FMI) (5).
Du reste, le regard européen sur l'insolente bonne santé de l'économie (6) du pays de Nehru et Gandhi lors de la décennie écoulée, sous le management énergique et pro-business de Narendra Modi, est à l'aune des lectures indienne et nipponne esquissées plus haut. Depuis Davos et son incontournable World Economic Forum (WEF) (7), les éloges et satisfécits pleuvent également sur les artisans de la réussite indienne. Pour son président Borge Brende, le PIB indien atteindra d'ici 5 ans le seuil symbolique des 10 000 milliards de dollars, garantissant ainsi à l'Inde le troisième rang mondial derrière les États-Unis et la Chine. « L'économie indienne est celle qui connaît la croissance la plus rapide parmi toutes les grandes économies du monde. Nous avons vu à Davos cette année que l'Inde suscitait un grand intérêt et je pense que cela va continuer […]. Quand on vient en Inde, on ressent un certain optimisme, ce qui n'est pas le cas partout dans le monde », s'enthousiasme l'ancien ministre norvégien des Affaires étrangères (8), confiant au passage : « Le Premier ministre indien Narendra Modi est toujours le bienvenu à Davos ». Un témoignage nécessairement apprécié du côté du Panchavati, la résidence officielle du chef de gouvernement indien.
Que de chemin parcouru depuis 2014. Qui se souvient aujourd'hui qu'une douzaine d'années plus tôt – en 2013 précisément, un an avant l'arrivée aux affaires de Narendra Modi -, la très respectée banque américaine Morgan Stanley intégrait l'Inde dans le cercle peu flatteur des économies de marché émergentes vulnérables, surnommées les « cinq fragiles » du fait notamment de leur dépendance aux capitaux étrangers pour alimenter leur économie ou de l'importance du déficit de leur balance courante. Un club comprenant à cette époque le Brésil, la Turquie, l'Afrique du Sud, l'Indonésie, et donc l'Inde.
En août dernier, depuis l'emblématique Fort Rouge de New Delhi où l'on célébrait le Jour de l'Indépendance, le Premier ministre Narendra Modi promettait à ses concitoyens que leur économie intégrerait le club huppé des économies développées d'ici 2047, année qui honorerait le centenaire de l'indépendance nationale, obtenue à l'été 1947. 23 ans avant cette échéance historique autant que symbolique, les augures semblent favorables à pareille prophétie.
Propos recueillis par Olivier Guillard
Notes
1- Après des victoires électorales obtenues en 1951, 1957 et 1962
2- En 2022, seulement 3 % de croissance du PIB chinois, +2,6 % En Corée du Sud et en Thaïlande et +2,4 % à Taïwan, selon la Banque asiatique de Développement
3- Laquelle concernait environ un Indien sur six en 2015 contre désormais moins d'un sur huit
4- Compagnies aériennes, aérospatiale, conseil, production d'électricité, énergie électrique, finance, hôtellerie, technologies de l'information, commerce de détail, commerce électronique, immobilier, télécommunications, etc. Plus d'un million de salariés
5- En comparaison, pour l'exercice fiscal 2022-2023, l'économie pakistanaise
6- Pourtant, on reproche à ce dynamisme économique indiscutable de ne pas créer suffisamment d'emplois pour accueillir chaque année les millions de jeunes gens arrivant sur le marché du travail.
7- L'édition 2024 (54ème du nom) de cette grand-messe mondiale s'est tenue du 15 au 19 janvier 2024
8- Borge Brende préside le WEF depuis 2017
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La triple illégalité de l’occupation israélienne du territoire palestinien
La plaidoirie magistrale de la Professeure Monique Chemillier-Gendreau au nom de l'Organisation de la coopération islamique devant la Cour Internationale de Justice concernant les « Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d'Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est »
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Texte intégral de la plaidoirie de Madame Monique Chemillier-Gendreau, professeure émérite de droit public et de sciences politiques à l'Université Paris Diderot, donnée le lundi 26 février 2024 devant la Cour Internationale de Justice au nom de l'Organisation de la coopération islamique concernant les « Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d'Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est » (source Compte rendu de la CIJ).
Mme CHEMILLIER-GENDREAU : Merci, Monsieur le président.
1. C'est au nom de l'Organisation de la coopération islamique que j'ai l'honneur de me présenter devant vous ce matin. Et je reviendrai ici sur trois éléments de la situation sur laquelle vous aurez à rendre votre avis.
LES NÉGOCIATIONS EN COURS COMME OBSTACLE SUPPOSÉ À LA COMPÉTENCE DE LA COUR
2. Quelques-uns des États participant à la présente procédure ont demandé à votre juridiction de décliner sa compétence. Ils estiment que l'avis demandé perturberait des négociations prétendument en cours entre les protagonistes, alors que ces négociations seraient le seul chemin vers la paix 1.
3. Mais il faut préalablement établir les faits. Les établir dans toute leur vérité est une condition indispensable à l'établissement de la justice. Y a-t-il des négociations en cours entre Israël et la Palestine ? La vérité sur cette question, c'est qu'il n'y en a plus. Il s'agit d'un mythe qui a été entretenu artificiellement longtemps, mais qui, à la lumière des événements, s'est effondré de l'aveu même des intéressés.
4. La Cour est-elle en mesure d'établir la vérité sur ce point ? Certains participants à cette procédure ont soutenu que vous devriez décliner votre compétence en raison d'une supposée difficulté à accéder aux faits. Mais le dossier qui vous a été fourni par les services des Nations Unies eux-mêmes comporte tous les éléments sur lesquels vous pouvez fonder l'avis qui vous est demandé.
5. Il est ainsi avéré que les accords d'Oslo remontent à 1993 et 1995, que leurs objectifs devaient être atteints au plus tard en 1999, que cette échéance n'a pas été tenue, que par la suite des réunions ont eu lieu à Charm el-Cheikh en 1999, à Camp David en 2000, et sont restées infructueuses. À partir de là, ni le redéploiement d'Israël ni le renforcement de l'autonomie de l'Autorité palestinienne ne se sont concrétisés.
6. L'horizon des accords d'Oslo était lié au respect des résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité qui y sont explicitement mentionnées. Ce respect impliquait le retrait par Israël du Territoire palestinien occupé en 1967. L'article 18 de la convention de Vienne sur le droit des traités dispose que les États parties à un accord doivent s'abstenir d'actes qui priveraient ce traité de son objet et de son but. Or Israël, en implantant à marche forcée des colonies juives sur le territoire palestinien, a privé les accords d'Oslo de leur objet et de leur but.
7. Et les responsables politiques d'Israël ont confirmé la mort des négociations en dénonçant les accords d'Oslo dès les années 2000, c'est-à-dire il y a plus de vingt ans. Ariel Sharon avait alors déclaré au journal Haaretz : « On ne continue pas Oslo. Il n'y aura plus d'Oslo. Oslo, c'est fini. » 2
Plus récemment, le 12 décembre 2023, le premier ministre Benjamin Nétanyahou affirmait : « Je ne permettrai pas à Israël de répéter l'erreur des accords d'Oslo. » 3
8. Votre Cour reconnaîtra que nous sommes ici devant un cas particulièrement remarquable de manquement à la bonne foi. Israël, membre des Nations Unies, est lié par les résolutions de cette Organisation ainsi que par les engagements particuliers qu'il a pris. Au mépris de tout ce corpus, cet État s'approprie le territoire de la Palestine, expulse son peuple et lui refuse par tous les moyens le droit à l'autodétermination. Vous avez eu l'occasion de rappeler dans votre arrêt de 2018 que, dès lors que des États s'engagent dans une négociation, « [i]ls sont alors tenus … de les mener de bonne foi » 4. Or il apparaît que, dès son engagement dans les négociations d'Oslo, Israël a manqué à la bonne foi.
9. Aussi n'y a-t-il aucun horizon de négociation qu'il faudrait protéger, mais seulement une guerre en cours et le refus des autorités israéliennes d'ouvrir toute perspective politique fondée sur le droit international. Voilà pourquoi l'argument selon lequel votre compétence pour rendre l'avis demandé ferait obstacle à une paix négociée est un argument sans fondement.
DES VIOLATIONS MASSIVES DU DROIT INTERNATIONAL NE PEUVENT PAS ÊTRE UN OBJET DE NÉGOCIATIONS
10. Je voudrais maintenant, et ce sera mon second point, rester encore un moment sur la question des négociations pour faire à ce propos une remarque de fond. Les Palestiniens ne recouvreront pas leurs droits légitimes à travers une négociation bilatérale directe avec Israël. Il y a à cela deux écueils. Le premier tient à l'inégalité écrasante entre les deux parties. La Palestine est sous la domination militaire d'Israël et ses représentants sont dans une position de faiblesse structurelle. Dès lors, toute négociation est biaisée et le traité qui en résultera sera nécessairement un traité inégal.
11. Le second écueil tient au fait que, dans les négociations qui ont eu lieu jusqu'ici, Israël a tenté de faire admettre par les Palestiniens des entailles aux droits fondamentaux qu'ils détiennent du droit international. La violation principale, source elle-même des autres violations, consiste dans le refus persistant qu'oppose Israël au droit du peuple palestinien à disposer de lui-même. À aucun moment depuis la fin du mandat britannique en 1947, les dirigeants d'Israël n'ont sincèrement admis qu'un État palestinien pouvait coexister auprès d'eux sur la terre de Palestine. Le premier ministre d'Israël a confirmé le 20 janvier dernier son opposition à une souveraineté palestinienne 5
12. Lorsque Israël a feint de négocier le droit des Palestiniens à devenir un État, c'était pour n'en concéder qu'une caricature : un pouvoir démilitarisé, enclavé, éclaté sur un territoire morcelé, avec un accès réduit à ses ressources naturelles. Et pourtant le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes a la valeur d'une norme de jus cogens. Il n'est pas un droit constitutif qui ne pourrait naître que de sa reconnaissance par Israël. Il est un droit déclaratif inhérent à la situation de peuple colonisé des Palestiniens. Il existe dès le moment où ce peuple a décidé de le revendiquer. De ce fait, et dans toute sa plénitude, ce n'est pas un droit négociable.
13. Israël a occupé à partir de 1967 le territoire palestinien suite à une action militaire qui a été menée en violation de la règle centrale d'interdiction du recours à la force. Il occupe donc un territoire sur lequel il n'a aucun droit. Il doit s'en retirer. Cela non plus n'est pas négociable.
14. En colonisant ce territoire, Israël viole l'interdiction du transfert de la population de la puissance occupante dans le territoire occupé 6. Et le projet israélien est officiellement de persister dans cette illégalité. De 700 000 qu'ils sont actuellement en Cisjordanie et à Jérusalem, les colons doivent dépasser le million aussi rapidement que possible, annonçait le ministre Smotrich le 12 juillet 2023 7. Israël a officialisé cette violation en inscrivant dans sa loi fondamentale de 2018 le développement des colonies juives comme une valeur de base de la société israélienne. Pourtant, le droit international exige le démantèlement de toutes ces colonies. Nous sommes là encore devant une obligation qui n'est pas négociable.
15. La sécurité des Palestiniens est gravement menacée. C'est par milliers qu'ils meurent sous les bombes israéliennes à Gaza depuis le 7 octobre. Et en Cisjordanie, selon les sources israéliennes, 367 Palestiniens ont été tués depuis le 7 octobre, dont 94 enfants. Et 2 960 Palestiniens ont été arrêtés. Les sources palestiniennes estiment que ces chiffres sont fortement sous-évalués 8.
16. Les colons implantés en Cisjordanie et à Jérusalem-Est exercent librement leur violence contre les Palestiniens. Ils y sont encouragés et des armes leur sont distribuées par l'État d'Israël lui-même 9. La dépossession de leurs terres et la répression dont sont l'objet les Palestiniens se sont ainsi intensifiées depuis quelques mois. Et se développe une politique de discrimination constitutive d'apartheid. Toutes ces violations de droits fondamentaux doivent cesser. Une fois de plus, cela n'est pas négociable.
17. Pour rendre l'avis attendu, votre Cour aura à se pencher sur la question de Jérusalem. Cette ville n'a pas été incluse dans le territoire destiné à Israël par la résolution 181 de l'Assemblée générale des Nations Unies proposant un plan de partage de la Palestine. Lors de son admission aux Nations Unies en 1949, Israël a solennellement accepté les principes de la Charte des Nations Unies et des résolutions votées par ses organes. Il y avait donc là reconnaissance du fait que Jérusalem ne lui était pas attribuée.
18. Cependant, s'emparant de la ville par la force en 1948 pour la partie ouest et en 1967 pour la partie est, Israël en a fait sa capitale réunifiée en 1980. Depuis, Jérusalem-Est est soumise à une israélisation forcée par une intense colonisation. Celle-ci est considérée comme irréversible par les responsables israéliens.
19. Toutefois, Jérusalem-Est n'a pas d'autre statut que celui d'être un territoire occupé militairement par une puissance étrangère, comme l'ensemble du Territoire palestinien occupé depuis 1967. Israël doit s'en retirer au profit du peuple palestinien comme l'ont exigé constamment les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et de l'Assemblée générale 10. Et les Lieux saints doivent être préservés et ouverts à la liberté de tous ceux qui souhaitent s'y rendre. Cela non plus n'est pas négociable.
20. Ignorant ces impératifs du droit commun, Israël voudrait légaliser les actions illicites que je viens de mentionner en les inscrivant dans un accord. Or ce qui apparaît de l'analyse juridique de la situation, c'est que, sur la Palestine, Israël n'a aucun droit. Il n'a que des devoirs. Et de leur respect dépend la préservation de l'ordre public international fondé sur des normes communes et non dérogeables. La responsabilité de leur respect incombe aux Nations Unies, en charge du maintien de la paix. Elles ont été investies du dossier de la décolonisation de la Palestine par l'échec du mandat confié au Royaume-Uni. Elles sont la seule autorité à même de résoudre sur des bases conformes au droit la situation créée par cet échec depuis des décennies. Et s'il faudra bien que la paix découle d'un accord entre les parties, celui-ci devra être conclu sous les auspices des Nations Unies, garantes du respect du droit, et non sous le parrainage arbitraire d'États tiers manquant d'objectivité.
21. Ainsi la manière dont les choses seront menées à partir des conclusions de votre avis devra permettre que l'accord par lequel les Palestiniens seront rétablis dans l'intégralité de leurs droits respecte les normes fondamentales jusqu'ici objet de tentatives de contournement. Et si ce n'était pas le cas, le futur traité de paix tomberait sous le coup de la convention de Vienne sur le droit des traités qui dispose : « Est nul tout traité qui, au moment de sa conclusion, est en conflit avec une norme impérative du droit international général. » 11.
LA QUESTION DU STATUT DE L'OCCUPATION PAR ISRAËL DU TERRITOIRE PALESTINIEN
22. J'en viens maintenant, et c'est mon dernier point, à la seconde question qui est posée à votre Cour par l'Assemblée générale des Nations Unies. Vous êtes interrogés sur le statut juridique de l'occupation et sur les conséquences juridiques qui en découlent. Vous aurez ainsi à examiner l'occupation par Israël du territoire palestinien à la lumière de tous les champs du droit international.
23. Il s'agit d'abord du jus ad bellum, ce droit qui régit l'usage de la force par les États. Il comporte la norme majeure d'interdiction de recourir à la menace ou à l'emploi de la force contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout État 12.
24. Or c'est bien par l'usage de la force qu'Israël a occupé la Palestine en 1967, comme l'ont rappelé sans relâche le Conseil de sécurité et l'Assemblée générale. Cet emploi de la force est dirigé contre l'intégrité territoriale et l'indépendance politique de la Palestine, aujourd'hui reconnue dans sa qualité d'État par les Nations Unies. L'occupation est donc illégale à sa source même.
25. Cette illégalité se manifeste aussi depuis 1967 par la manière dont a été conduite cette occupation. Elle enfreint en effet toutes les conditions posées par le droit de La Haye et de Genève à l'occupation militaire d'un territoire étranger. Ces conditions sont recensées par le Manuel du Comité international de la Croix-Rouge :
⎯ La puissance occupante ne peut pas modifier la structure et les caractéristiques intrinsèques du territoire occupé sur lequel elle n'acquiert aucune souveraineté. Israël n'a cessé de modifier à son profit ces caractéristiques.
⎯ L'occupation est et doit rester une situation temporaire. Israël occupe la Palestine depuis 66 ans et ses dirigeants affichent ouvertement leur intention de poursuivre indéfiniment cette occupation.
⎯ Israël doit administrer le territoire dans l'intérêt de la population locale et en tenant compte de ses besoins. Les besoins des Palestiniens sont cruellement méconnus.
⎯ Israël ne doit pas exercer son autorité pour servir ses propres intérêts et ceux de sa propre population. Toutes les politiques et pratiques d'Israël sont orientées au service des colons israéliens et au mépris des droits et intérêts des Palestiniens.
26. Ainsi les conditions dans lesquelles Israël a développé l'occupation du territoire palestinien, conditions dont toutes les preuves se trouvent dans les rapports des Nations Unies, vous amèneront à conclure que cette occupation, par sa durée et les pratiques déployées par l'occupant, est un prétexte à un projet d'annexion. Celui-ci, officialisé pour ce qui est de Jérusalem, est mis en œuvre de facto pour la Cisjordanie. Quant à Gaza, la guerre totale qui y est menée et les projets annoncés par le Gouvernement d'Israël confirment la volonté de cet État de garder la maîtrise de ce territoire.
27. Il résulte de ces constats, comme votre Cour ne manquera pas de le confirmer, que l'occupation par Israël du territoire palestinien est frappée d'une triple illégalité. Elle est illégale à sa source pour être en infraction à l'interdiction de l'emploi de la force. Elle est illégale par les moyens déployés, lesquels sont constitutifs de violations systématiques du droit humanitaire et des droits de l'homme. Elle est illégale enfin par son objectif, celui-ci étant de procéder à l'annexion des territoires palestiniens, privant ainsi le peuple de Palestine de son droit fondamental à disposer de lui-même.
CONCLUSION
28. Je donnerai quelques réflexions pour finir cette plaidoirie. La violence infondée et impunie qu'Israël exerce sur les Palestiniens entraîne en réponse une autre violence dans un cycle infernal, celui de la vengeance, qui est toujours à l'avantage du plus fort. C'est l'enchaînement meurtrier qui se déroule tragiquement sous nos yeux. Pour le rompre, il faut un tiers impartial affirmant avec autorité ce que doit être l'application de la norme commune. Il revient à votre Cour, à l'occasion de l'avis que vous allez rendre, de ramener l'ensemble de ce conflit sous la lumière du droit.
29. Ce droit permet de dire quelles règles doivent être appliquées à une situation critique, mais aussi quelles mesures peuvent être prises lorsque ces règles sont violées avec persistance. Je rappellerai ici que les conclusions de l'Organisation de la coopération islamique demeurent inchangées par rapport à celles de nos observations écrites et je me permets d'y renvoyer. Je rappellerai seulement que l'organisation que je représente demande à la Cour d'enjoindre à Israël de cesser toutes les violations qui ont été relevées ici et d'exiger des Nations Unies et de leurs États Membres qu'ils utilisent toute la gamme des mesures permettant de faire cesser la situation, ce y compris des sanctions contre l'État responsable.
30. Et pour finir, je voudrais, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, vous citer les propos du contre-amiral israélien Ami Ayalon, qui a dirigé pendant plusieurs années le service du renseignement intérieur israélien. Son chemin personnel l'a amené à s'interroger sur la notion d'ennemi et à mesurer l'impasse où se trouve Israël en ayant choisi la répression violente pour accompagner son refus de la solution politique. Et il conclut une interview donnée il y a quelques semaines à un quotidien français en disant : « La communauté internationale devrait jouer un rôle bénéfique. Nous avons besoin que quelqu'un de l'extérieur nous éclaire sur nos erreurs. » 13.
Sauver les Israéliens contre eux-mêmes, voilà à quoi la communauté internationale contribuera à travers l'avis consultatif que vous allez rendre. Je vous remercie de votre attention.
Note
1.Voir les observations écrites des Fidji, p. 3-5 ; de la Hongrie, par. 2, 11-30, 39, 41 ; d'Israël, p. 3-5 ; du Togo, par. 7-9 ; de la Zambie, p. 2
2. Haaretz, 18 octobre 2000.
3. Le Monde diplomatique, janvier 2024.
4.Obligation de négocier un accès à l'océan Pacifique (Bolivie c. Chili), arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 538, par. 86
5. Le Monde, 24 janvier 2024.
6. Quatrième convention de Genève du 12 août 1949, art. 49, dernier alinéa.
7. Magazine, 12 juillet 2023 (accessible à l'adresse suivante : https://tinyurl.com/26b24uz6).
8. « Cisjordanie : l'autre guerre menée par Israël », Le Monde, 31 janvier 2023.
9.« Ben-Gvir annonce la distribution prochaine de 10 000 armes aux volontaires israéliens dans les villes frontalières », Nouvelle Aube, https://www.yenisafak.com/fr/international/ben-gvir-annonce-la-distribution-prochaine-de-10-000-armes-aux-volontaires-israeliens-dans-les-villes-frontalieres-14005.
10. Voir celles qui sont citées dans les observations écrites de l'Organisation de la coopération islamique, par. 357-404.
11. Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969, art. 53.
12. Charte, art. 2, par. 4.
13. Le Monde, 25 janvier 2024.
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Israël effectue la plus importante saisie de terres en Cisjordanie depuis trente ans
Le ministre israélien d'extrême droite Bezalel Smotrich a annoncé l'appropriation par l'État de 800 hectares de terres dans la vallée du Jourdain. Il s'agit de la plus importante confiscation foncière depuis les accords d'Oslo, et d'un pied de nez à Washington.
Tiré de Courrier international. Légende de la photo : La colonie israélienne d'Efrat, près de Bethléem, en Cisjordanie occupée, le 6 mars 2024. Photo Hazem Bader/AFP.
“Au moment où certains en Israël et dans le monde cherchent à saper notre droit à la Judée-Samarie [la Cisjordanie], nous promouvons l'installation d'implantations par un travail acharné et de manière stratégique dans tout le pays.”
C'est avec ces mots que le ministre des Finances israélien, Bezalel Smotrich, considéré comme l'une des figures de proue du mouvement de colonisation de la Cisjordanie, a présenté vendredi 22 mars la décision de déclarer environ 800 hectares – soit 8 kilomètres carrés – de terres autour de la colonie de Yafit, dans l'est de la Cisjordanie, à 30 kilomètres au nord de la mer Morte, dans la vallée du Jourdain, comme terres domaniales au profit d'Israël.
Cela “va permettre la construction de centaines de logements” sur ce terrain, qui pourra également servir pour des “projets de développement” industriels ou commerciaux, explique le Times of Israel.
Le projet de Smotrich
Selon l'organisation israélienne anticolonisation La Paix maintenant, il s'agit de la plus importante saisie de terres en territoire palestinien depuis les accords de paix d'Oslo, signés en 1993.
Au regard du droit international, la colonisation israélienne en Cisjordanie est illégale. Pourtant, écrit The Washington Post, “Israël a utilisé des ordonnances foncières comme celle émise vendredi [22 mars] pour prendre le contrôle de 16 % des terres sous contrôle palestinien en Cisjordanie”.
À ce titre, 2024 constitue déjà une année record pour les déclarations de terres domaniales, selon l'ONG La Paix maintenant.
Trois semaines plus tôt, rappelle le Times of Israel, le ministère de la Défense israélien avait autorisé la construction de plusieurs centaines de nouveaux logements dans les colonies de Ma'ale Adumim et de Kedar, tout près de Jérusalem, ainsi que celle d'Efrat, plus au sud.
Un défi à Washington
Plus largement, souligne le site Middle East Eye, l'ONG et les Nations unies “ont indiqué qu'Israël étendait ses implantations illégales à un niveau record”, notamment depuis le 7 octobre.
C'est notamment une victoire pour Bezalel Smotrich, leader du Parti sioniste religieux, “qui a continuellement cherché à étendre les colonies illégales et à faire avancer un projet d'annexion israélienne de la Cisjordanie occupée”, écrit le site The Cradle.
Comme le rappelle le site, Smotrich a obtenu, au moment de la formation du gouvernement fin 2022, le transfert d'une grande partie du pouvoir en Cisjordanie occupée du ministère de la Défense à celui des Finances.
L'annonce du vendredi 22 mars a été faite au moment même où le secrétaire d'État américain, Antony Blinken, arrivait en Israël, alors que les relations entre les deux pays se sont refroidies sur fond de guerre à Gaza.
Un pied de nez de Smotrich, explique l'analyste israélienne Dahlia Scheindlin au Washington Post :
- “Il est entré au gouvernement avec un objectif primordial : annexer toutes les terres conquises en 1967 et étendre partout la souveraineté juive, peu importe comment et quand cela doit se produire. […] Le timing et la provocation avant la visite de Blinken sont un bonus.”
Ces dernières semaines, les États-Unis ont annoncé plusieurs trains de sanctions contre des colons israéliens.
Courrier international
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Les complexes médicaux de Ghaza assiégés : Israël s’acharne de nouveau contre les hôpitaux
Ces derniers jours, les forces d'occupation sionistes mènent une nouvelle série d'assauts contre les principaux hôpitaux de la bande de Ghaza au motif d'y traquer les combattants palestiniens. L'armée israélienne poursuit pour le septième jour consécutif son siège du complexe médical Al Shifa, au quartier Al Rimal, à l'ouest de la ville de Ghaza.
Tiré d'El Watan.
« L'armée d'occupation continue de prendre d'assaut l'hôpital Al Shifa, qui abrite environ 7000 personnes, entre déplacés et patients, et mène une campagne massive d'arrestations et d'assassinats et bombarde les maisons entourant l'hôpital », relève l'agence Wafa. « Les patients et les personnes déplacées réfugiées à l'hôpital Al Shifa souffrent de l'absence de soins et du manque de nourriture et d'eau en raison du siège imposé à l'hôpital », poursuit la même source.
Cinq blessés hospitalisés dans ce même établissement « sont décédés samedi faute de nourriture et de prise en charge médicale et en raison aussi d'une panne de courant dans les salles de soins intensifs ».
En outre, trois blessés ont été évacués à l'hôpital baptiste « après avoir été exposés à des tirs de snipers embusqués à proximité du complexe médical Al Shifa », affirme l'agence de presse palestinienne. Cette opération d'envergure contre l'hôpital Al Shifa a été lancée le 18 mars.
L'armée israélienne a déclaré que « 170 combattants palestiniens y avaient déjà été tués et 480 autres arrêtés ». Le ministère de la Santé dans la bande de Ghaza a précisé de son côté que trois bâtiments du même complexe hospitalier abritant des centaines de déplacés, de malades et de blessés, ont été bombardés et incendiés hier.
Deux autres hôpitaux sont de nouveaux assiégés et attaqués par l'armée israélienne, cette fois au sud de la bande de Ghaza : il s'agit des établissements Al Amal et Al Nasser à Khan Younès. « Les forces d'occupation ont pris d'assaut l'hôpital Al Amal et l'hôpital Nasser au milieu de violents bombardements et de tirs nourris », a alerté hier la Société du Croissant-Rouge palestinien dans un communiqué.
La même source a averti que plusieurs véhicules militaires de tous types « entourent actuellement l'hôpital Al Amal et mènent de vastes opérations de rasage au bulldozer dans ses environs ».
364 travailleurs médicaux tués depuis octobre
Le Croissant-Rouge palestinien qui, faut-il le signaler, s'occupe de la gestion de l'hôpital Al Amal, a annoncé par ailleurs qu'un de ses cadres, Amir Sobhi Abou Aisha, est tombé en martyr hier à l'aube sous les balles de soldats israéliens alors qu'il était de service dans ce même hôpital.
Le chahid Amir Abou Aisha était « membre du personnel de la salle des opérations d'urgence du Croissant-Rouge », précise Wafa. Le Croissant-Rouge palestinien estime, à juste titre, que ses équipes sont en grave danger et dénonce le fait qu'elles ont été empêchées d'enterrer Amir dans la cour de l'hôpital Al Amal en raison du climat d'insécurité qui y règne et de la répression infernale subie par le personnel médical.
« 364 travailleurs médicaux, dont des médecins, des infirmières et des ambulanciers, sont tombés en martyrs depuis le début de l'agression contre la bande de Ghaza », souligne le Croissant-Rouge palestinien.
La même source a fait savoir dans un autre communiqué diffusé hier que les forces d'occupation ont condamné l'accès à l'hôpital Al Amal et obligé le personnel médical, les patients et les déplacés à quitter les lieux en tirant des grenades fumigènes. Le même organisme soutient qu'un drone demandait aux personnes se trouvant à l'intérieur des blocs hospitaliers de « sortir nus », comprendre en sous-vêtements.
La situation est extrêmement tendue également à l'hôpital Nasser. « Des témoins oculaires ont affirmé que les bombardements aériens étaient concentrés au sud et à l'est du complexe Nasser et du secteur de Batn al Sameen, en plus des tirs d'artillerie continus ciblant les mêmes zones ainsi que des frappes d'hélicoptères et de drones qui ont entraîné la mort d'un certain nombre de personnes et en ont blessé d'autres », rapporte l'agence Wafa.
Il convient de rappeler qu'en février dernier, le même hôpital avait été assiégé durant plusieurs jours. Le 15 février, l'armée a donné l'assaut sur le complexe médical Nasser, faisant plusieurs morts et causant d'importantes destructions à la structure sanitaire.
A Rafah, plusieurs morts ainsi que des blessés ont été évacués à l'hôpital koweïtien suite au bombardement hier d'une habitation appartenant à la famille Al Satari, dans le quartier Al Barahima, à l'ouest de la ville frontalière avec l'Egypte, informe l'agence Wafa. D'un autre côté, deux citoyens ont trouvé la mort dans un bombardement qui a ciblé une maison derrière l'école Rabéa, à Rafah.
En outre, 5 personnes ont été blessées, parmi lesquelles des enfants, suite à un raid sur une maison de la famille Barakat à Haï Essalam, toujours dans la même agglomération.
L'on apprend par ailleurs que des équipes de secours ont « récupéré les corps de huit martyrs sous les décombres d'une maison bombardée par l'occupation israélienne, à l'est de la ville de Rafah », écrit Wafa. Les victimes étaient des membres de la famille Farwana, résidant au quartier d'Al Jeneina.
L'occupant sioniste a commis pas moins de huit massacres en vingt-quatre heures, qui ont fait 84 morts et 106 blessés dans la nuit de samedi à dimanche, a indiqué hier le ministère de la Santé du gouvernement Hamas à Ghaza. Ces nouvelles victimes portent à 32 226 morts et 74 518 blessés le bilan total provisoire des tueries israéliennes dans la bande de Ghaza depuis octobre.
Nouveau carnage à un point de distribution d'aide
Samedi, un nouveau carnage a été perpétré à un point de distribution de l'aide humanitaire. Cela s'est passé au rond-point dit Koweït, aux abords de la ville de Ghaza. Selon le ministère de la Santé de Ghaza, 21 personnes ont été tuées au cours de cette attaque.
Les victimes ont été ciblées par des « tirs de chars et d'obus de l'armée d'occupation sioniste », accuse la même autorité. Belal Hazilah, un Ghazaoui qui a perdu son neveu dans cette tuerie, témoigne à l'AFP : « Il voulait emporter de la farine et de la nourriture. Il a un fils de deux mois et onze personnes dépendent de lui. Ils n'ont rien à manger (...)
Il a perdu la vie pour rien. » Décidément, les raids aux points de distribution de l'aide humanitaire tendent à se multiplier à Ghaza. Le 29 février, une attaque exécutée dans des conditions similaires à la rue Al Rashid, dans la ville de Ghaza, a fait 117 morts et 800 blessés.
Le 14 mars, la population civile qui attendait les convois d'aide au rond-point Koweït a été visée par des tirs sauvages qui ont fait 20 morts et 155 blessés. Les Brigades Azzeddine Al Qassam ont prévenu que le déluge de feu qui s'abat sur Ghaza couplé au blocus infernal qui empêche l'entrée de l'aide humanitaire et qui a provoqué une famine à grande échelle, ont été responsables de la mort de plusieurs des otages qu'elles détiennent.
Dans un nouvel enregistrement diffusé ce samedi, Abou Obeida, le porte-parole militaire des Brigades Al Qassam, a ainsi fait savoir qu'un otage israélien de 34 ans est mort faute de médicaments et d'alimentation. « Nous avions averti précédemment que les otages de l'ennemi souffraient des mêmes conditions que notre peuple, à savoir la faim, les privations et le manque de nourriture », a-t-il fustigé.
Abou Obeida avait affirmé dans une déclaration antérieure que « le nombre d'otages tués à la suite des opérations militaires de l'armée ennemie dans la bande de Ghaza pourrait dépasser 70 personnes ». Sur le terrain des négociations, les chefs de la CIA et du Mossad ont quitté Doha samedi, en fin de journée, après un nouveau round de discussions.
Les pourparlers « se sont concentrés sur les détails et un ratio pour l'échange d'otages et de prisonniers », a assuré une source à l'AFP en précisant que « les équipes techniques restaient à Doha ».
Les négociations semblent toujours buter sur de profonds désaccords. Un responsable du Hamas a fait état avant-hier de « profondes divergences » selon l'AFP. « Israël refuse d'accepter un cessez-le feu complet, il refuse un retrait total de ses forces de Ghaza et veut garder la gestion du secours et de l'aide humanitaire sous son contrôle », ce que le Hamas conteste.
Guterres appelle Israël à « lever les derniers obstacles à l'aide » pour Ghaza
Le patron de l'ONU, Antonio Guterres, a appelé hier au Caire « Israël à lever les derniers obstacles à l'aide » pour la bande de Ghaza, menacée de famine, exhortant une nouvelle fois Israël et le Hamas palestinien à un « cessez-le-feu immédiat ».
« Quand on regarde Ghaza, on dirait presque que les quatre cavaliers de l'Apocalypse galopent au-dessus, semant la guerre, la famine, la conquête et la mort », a dit M. Guterres lors d'une conférence de presse conjointe avec le ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Choukri.
« Le monde entier pense qu'il est plus que temps de faire taire les armes et de mettre en place un cessez-le-feu immédiat », a-t-il ajouté. Plus tôt hier, il a rencontré le président égyptien, Abdel Fattah Al Sissi, accompagné du patron de l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (Unrwa), Philippe Lazzarini. Cinq mois et demi d'une guerre dévastatrice ont plongé la bande de Ghaza dans une situation humanitaire catastrophique.
M. Guterres avait déjà dénoncé, samedi en Egypte, la « douleur » des Ghazaouis, prisonniers d'« un cauchemar sans fin », à l'occasion d'un déplacement au point de passage avec la ville de Rafah, située dans le sud du territoire palestinien. Israël impose un siège complet à Ghaza depuis le 9 octobre et contrôle strictement l'aide qui arrive principalement depuis l'Egypte via Rafah. Ces contrôles réduisent, selon l'ONU, le nombre de camions entrant dans le territoire palestinien.
« D'un côté de la frontière, on voit des camions humanitaires à perte de vue, de l'autre une catastrophe humanitaire qui empire chaque jour », a constaté M. Guterres. Il a également souligné le « rôle politique et humanitaire vital de l'Egypte avec l'aéroport d'Al Arich et le point de passage de Rafah, artères essentielles pour l'entrée de l'aide vitale à Ghaza ».
Premier Etat arabe à avoir reconnu Israël, l'Egypte est un médiateur traditionnel entre Israéliens et Palestiniens. Avec le Qatar, elle a contribué à l'instauration d'une trêve ayant permis fin novembre la libération d'otages et de prisonniers palestiniens.
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Gaza : nous sommes sur le point d’assister à la famine la plus grave [intense] depuis la seconde guerre mondiale
La crise sanitaire de Gaza a son propre rythme effrayant. Même si les tirs cessent aujourd'hui et que les camions d'aide commencent à circuler, les morts se poursuivront pendant un certain temps.
Tiré d'Agence médias Palestine. Source : The Guardian. Traduction ED pour l'Agence Média Palestine. Photo : Reuters Mohammed Salem.
Gaza est déjà la famine la plus importante de ces dernières décennies. Le nombre de victimes de la faim et de la maladie pourrait bientôt dépasser celui des victimes des bombes et des balles.
Le comité d'examen de la famine a signalé cette semaine que Gaza était confrontée à une « famine imminente ».
Le système de classification intégrée des phases de la famine (IPC), mis en place il y a 20 ans, fournit les évaluations les plus fiables des crises humanitaires. Les chiffres concernant Gaza sont les pires jamais enregistrés, quel que soit le critère utilisé. Il estime que 677 000 personnes, soit 32 % de l'ensemble des habitants de Gaza, se trouvent aujourd'hui dans des conditions « catastrophiques » et que 41 % d'entre eux se trouvent dans des conditions « d'urgence ». Elle s'attend à ce que la moitié des habitants de Gaza, soit plus d'un million de personnes, soient en situation de « catastrophe » ou de « famine » d'ici quelques semaines.
Un autre rapport du réseau du système d'alerte contre la famine de l'Agence américaine pour le développement international tire la même sonnette d'alarme. Il s'agit de l'avertissement le plus clair que le réseau ait jamais donné au cours de ses 40 années d'existence.
En règle générale, on entend par « catastrophe » ou « famine » un taux de mortalité quotidien dû à la faim ou à la maladie de deux personnes sur 10 000. Environ la moitié sont des enfants de moins de cinq ans. L'arithmétique est simple. Pour une population d'un million d'habitants, cela représente 200 décès par jour, soit 6 000 par mois.
À titre de comparaison, la pire famine répertoriée par le CIP a frappé la Somalie en 2011, sous l'effet conjugué de la guerre, de la sécheresse et de l'arrêt de l'aide. À son point le plus bas, 490 000 personnes se trouvaient dans une situation de « catastrophe » et un plus grand nombre dans une situation d' »urgence ». On estime que 258 000 personnes ont péri en 18 mois.
La seule autre occasion où les données de l'IPC ont fait état d'une famine a été le Soudan du Sud en 2017. La guerre civile a plongé la moitié des 10 millions d'habitants du pays dans une situation d'urgence alimentaire, 90 000 d'entre eux souffrant de famine. Environ 1 500 personnes sont mortes de faim dans les deux districts dévastés par la famine, mais quatre années d'urgence alimentaire plus large ont coûté la vie à environ 190 000 personnes.
Le seuil de « famine » est arbitraire. Au stade suivant, celui de l' »urgence », les enfants meurent déjà de faim. Lorsque les experts ont élaboré un prototype d' »échelle de la famine », ils ont placé la barre plus bas pour déclarer la famine, ce qui correspond à peu près à l' »urgence » du CIP, et ont inclus des catégories de famine « grave » et « extrême » qui correspondent aux conditions de « famine » du CIP. Ils ont également pris en compte l'ampleur – le nombre total de personnes touchées et décédées – et, plus tard, ont commencé à prendre en compte la durée. Certaines situations d'urgence alimentaire durent des années, le nombre de morts s'accumulant lentement, sans jamais franchir le seuil de la « famine » fixé par le CIP.
« Même lorsque le nombre de personnes mourant inutilement diminuera, les cicatrices de la famine »
La famine n'a jamais été déclarée au Yémen. Mais l'urgence alimentaire qui a touché des millions de personnes pendant des années de guerre a causé jusqu'à 250 000 décès dus à la famine. Dans la région du Tigré, en Éthiopie, la situation est similaire.
Nous sommes sur le point d'assister à la famine la plus importante depuis la Seconde Guerre mondiale. Bien que ça ne sera pas la plus massive en termes de nombre de personnes, car la famine se limite aux 2,2 millions d'habitants de la bande de Gaza.
L'image que nous nous faisons de la famine est celle d'un enfant maigre qui dépérit, dont les yeux semblent gonflés alors que sa peau se rétrécit jusqu'à ses os. Certains enfants souffrent de kwashiorkor, une malnutrition aiguë caractérisée par un ventre gonflé.
Au fur et à mesure que le corps meurt de faim, le système immunitaire commence à s'affaiblir. Les personnes souffrant de malnutrition sont la proie d'infections d'origine hydrique et souffrent de diarrhées, qui provoquent une déshydratation dévastatrice. D'autres maladies transmissibles – qui aujourd'hui pourraient inclure le Covid – ravagent également les communautés. La cause la plus fréquente de décès lors d'une famine est la maladie, et non la famine en tant que telle.
Le droit pénal international définit la « famine » comme le fait de priver des personnes de ressources indispensables à leur survie. Cela comprend non seulement la nourriture, mais aussi les médicaments, l'eau potable, l'accès à des sanitaires, le logement, le nécessaire de cuisson des aliments et les soins maternels pour les enfants.
Des enfants palestiniens attendent de la nourriture le 16 février à Rafah, Gaza. Photo : Fatima Shbair/AP : Fatima Shbair/AP
Lorsque les gens sont chassés de chez eux pour se retrouver dans des camps surpeuplés, où l'eau y est rare ou insalubre, que les toilettes sont inexistantes ou insalubres, que les blessures ne sont pas soignées, les épidémies deviennent plus fréquentes et plus mortelles.
Sans abri et exposés au froid et à la pluie en hiver, à la chaleur et à la poussière en été, les gens succombent plus rapidement à la faim et à la maladie. Sans électricité ni combustible de cuisson, les mères ne peuvent pas préparer des repas que les jeunes enfants peuvent facilement digérer.
Des épidémiologistes de Londres et de Baltimore ont établi des prédictions concernant le nombre probable de décès à Gaza, toutes causes confondues, au cours des mois précédant le mois d'août. Si l'on tient compte des épidémies, leur scénario si la situations reste « telle quelle » prévoit une fourchette de 48 210 à 193 180 décès, tandis que dans le scénario « avec escalade », ces chiffres sont encore plus élevés.
La crise sanitaire de Gaza s'inscrit dans une dynamique effroyable. Même si les tirs cessent aujourd'hui et que les camions d'aide commencent à circuler, les décès se poursuivront pendant un certain temps.
Et même lorsque le nombre de personnes mourant inutilement diminuera, les cicatrices de la famine perdureront.
Les enfants en bas-âge qui survivent à la famine en subissent les conséquences tout au long de leur vie. Ils ont tendance à être plus petits que leurs camarades et à souffrir d'une réduction de leurs capacités intellectuelles. L'Organisation mondiale de la santé met en garde contre un « cycle intergénérationnel de la malnutrition » dans lequel les nourrissons ayant un faible poids à la naissance ou les filles sous-alimentées deviennent des mères plus petites et en moins bonne santé. Les dégâts causés par l'hiver hollandais de 1944 sont encore visibles de génération en génération.
La famine est également un traumatisme social. Elle déchire les communautés et détruit les moyens de subsistance. Les gens sont contraints aux pires indignités, brisant les tabous sur ce qu'ils peuvent manger et sur la manière dont ils peuvent se procurer les nécessités de la vie. Les mères doivent rationner la nourriture qu'elles donnent à leurs enfants. Elles refusent d'accueillir des voisins affamés à leur porte. Les familles vendent leurs objets de famille les plus précieux pour une bouchée de pain afin d'acheter un repas.
« Israël a été largement prévenu de ce qui arriverait s'il poursuivait sa campagne de destruction de toute ressource fondamentale à la vie »
Quel réconfort y a-t-il à dire aux parents qui ont enterré leur enfant que ce n'était pas de leur faute ? L'angoisse des survivants dure toute la vie.
Le sentiment de honte qui persiste est tel que les gens ne peuvent pas parler ouvertement de la famine, parfois pendant des générations. Il a fallu attendre près de 150 ans pour que l'Irlande commence à commémorer publiquement la grande famine des années 1840.
Tout cela est connu. Et à Gaza, il n'y a aucune marge de doute.
Dans la plupart des famines, il existe une marge d'incertitude dans les prévisions, car les gens peuvent trouver des sources inattendues de nourriture ou d'argent. Dans certaines régions rurales d'Afrique, les grands-mères peuvent reconnaître des racines et des baies sauvages comestibles, ou les travailleurs migrants peuvent trouver des moyens créatifs d'envoyer de l'argent à leurs familles. À Gaza, Israël comptabilise toutes les calories disponibles. En 2008, le coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires a calculé chaque aspect de la production et de la consommation alimentaires de Gaza, dans les moindres détails, et en a extrait les « lignes rouges » nécessaires pour maintenir les Palestiniens dans ce qu'il a appelé un « régime », frôlant la famine.
Jusqu'au 7 octobre 2023, Israël était, selon sa propre analyse, juste du bon côté des lois internationales interdisant la famine. Environ 500 camions de produits de première nécessité entraient chaque jour pour pourvoir aux besoins des fermes, des zones de pêche et du bétail local. Ces derniers mois, moins d'un tiers de ce nombre a été autorisé à entrer, alors que la production alimentaire locale a été réduite à presque rien.
Israël a été largement prévenu de ce qui arriverait s'il poursuivait sa campagne de destruction de tout ce qui est nécessaire à la vie. Le rapport du comité d'examen de la famine du CIP du 21 décembre a mis en garde contre la famine si Israël ne cessait pas ses destructions et n'autorisait pas l'entrée de l'aide humanitaire à grande échelle. Le juge israélien désigné pour siéger à la Cour internationale de justice, Aharon Barak, a voté avec la majorité de la Cour en faveur de « mesures immédiates et efficaces pour permettre la fourniture des services de base et de l'aide humanitaire dont le besoin se fait sentir d'urgence ».
Israël n'a pas changé de cap. Les fournitures qui entrent dans la bande de Gaza sont très inférieures aux calories minimales qu'Israël avait spécifiées avant la guerre. Les largages aériens de fournitures par les Américains et l'ouverture d'un port d'urgence ne sont qu'un piteux simulacre de solution de remplacement.
La famine sévit aujourd'hui à Gaza. Nous ne devrions pas avoir à attendre de compter les tombes d'enfants pour prononcer son nom.
Alex de Waal, le 21 mars 2024
• Alex de Waal est un écrivain spécialisé dans les questions humanitaires, les conflits et la paix, et un expert de la Corne de l'Afrique. Il est directeur exécutif de la World Peace Foundation et professeur de recherche à la Fletcher School of Law and Diplomacy de l'université Tufts, dans le Massachusetts.
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L’Occident fournit des armes à Israël tout en discutant de l’acheminement de l’aide à Gaza
L'Occident risque-t-il d'être accusé de complicité en fournissant des armes à Israël, compte tenu de son génocide plausible à Gaza ? Alors que les législateurs d'une grande partie de l'Occident débattent de la mesure dans laquelle Israël pourrait entraver le passage de l'aide vitale à Gaza, les exportations d'armes qui sous-tendent en grande partie la guerre d'Israël contre l'enclave assiégée continuent d'affluer.
Tiré de France Palestine Solidarité. Article publié à l'origine par Al Jazeera. Photo : Les opérations se poursuivent à Gaza @ Armée israélienne.
Depuis le début de la guerre, le volume d'armes entrant en Israël a augmenté, car d'énormes quantités de munitions sont utilisées pour raser des zones de Gaza, tuer, mutiler et déplacer la population civile.
"D'un côté, nous avons ce besoin humanitaire urgent, de l'autre, nous avons cette fourniture continue d'armes au pays d'Israël, [qui] crée ce besoin", a déclaré Akshaya Kumar, directeur de la défense des droits en cas de crise à Human Rights Watch (HRW).
Le droit international
Lorsqu'il s'agit d'armer un autre pays, le droit international prévoit des règles et des conventions pour contrôler qui arme qui et à quoi servent les armes.
En vertu de la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide - dont la Cour internationale de justice (CIJ) a jugé en janvier qu'elle pourrait être en cours à Gaza - les États sont légalement tenus de prévenir les génocides, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité.
Les États-Unis ont refusé de signer la convention jusqu'en 1988.
En vertu du traité international sur le commerce des armes, dont les États-Unis ne sont pas signataires, il est interdit à un pays d'exporter des armes vers un État qu'il soupçonne de les utiliser à des fins "de génocide, de crimes contre l'humanité ou d'attaques dirigées contre des biens civils ou des personnes civiles protégées en tant que telles. "
Selon le ministère palestinien de la santé à Gaza, plus de 31 000 Palestiniens, principalement des femmes et des enfants, sont morts à ce jour à cause de la guerre d'Israël contre Gaza, et quelque 73 000 ont été blessés. Les établissements de santé, également attaqués et assiégés, ne sont plus en mesure de prendre en charge les blessés et les mourants depuis des mois.
L'enclave est au bord de la catastrophe humanitaire. Le chef de la diplomatie de l'Union européenne, Josep Borrell, a déclaré mercredi au Conseil de sécurité des Nations unies qu'Israël utilisait la faim comme arme de guerre et provoquait une catastrophe en empêchant l'aide d'entrer.
Israël a également tiré sur les personnes qui se rassemblaient pour obtenir le peu d'aide autorisée.
Alors que "les États occidentaux se sont récemment donné beaucoup de mal pour qu'Israël reconnaisse son rôle dans la création des souffrances que nous voyons à Gaza", a déclaré M. Kumar de HRW, "nous ne constatons pas de réduction correspondante du flux d'armes en provenance d'États tels que les États-Unis, l'Allemagne et d'autres pays".
Les principaux fournisseurs d'armes d'Israël se sont concentrés sur l'acheminement de l'aide dans la bande de Gaza, afin d'atteindre les Palestiniens attaqués avec un grand nombre des armes qu'ils ont vendues à Israël.
Le président américain Joe Biden a profité de son discours sur l'état de l'Union cette année pour annoncer la création d'un corridor maritime qui, selon lui, permettrait de contourner Israël et d'acheminer de l'aide à Gaza.
La réalité sur le terrain
Si certains pays ont suspendu leurs exportations d'armes vers Israël à la suite de la guerre contre Gaza, d'importants fournisseurs subsistent.
La contribution annuelle des États-Unis au budget militaire israélien, qui s'élève à environ 3,8 milliards de dollars, s'est poursuivie. En outre, les États-Unis ont approuvé en février une enveloppe supplémentaire de 14 milliards de dollars pour Israël, dans le but, semble-t-il, de préparer Israël à une "guerre sur plusieurs fronts", ce que beaucoup interprètent comme l'ouverture d'un autre front contre le groupe armé du Hezbollah au Liban.
Selon l'Institut de Stockholm pour la paix, les États-Unis fournissent 69 % des importations d'armes d'Israël, mais de récentes informations confidentielles au Congrès américain, rapportées par le Washington Post, suggèrent que ce n'est pas tout à fait le cas.
Un vide juridique dans la loi américaine sur le contrôle des exportations d'armes - qui régit l'exportation et l'utilisation finale des armes expédiées des États-Unis - signifie que seuls les paquets d'une certaine valeur doivent être contrôlés par le Congrès, ce qui signifie que des "paquets groupés" d'une valeur inférieure à ce seuil passent régulièrement inaperçus.
Jusqu'à présent, une centaine de livraisons d'armes ont été effectuées sans aucun rapport public, ce qui a provoqué un tollé parmi les groupes de la société civile. "Avec les ventes et les transferts d'armes inférieurs aux seuils, nous n'avons que peu d'informations sur les munitions expédiées - c'est un trou noir", a déclaré Ari Tolany, directeur du Security Assistance Monitor au Center for International Policy, basé aux États-Unis."
De même, alors que le gouvernement israélien prétend pouvoir assurer à M. Biden que ces armes sont utilisées dans le respect du droit international humanitaire, les preuves recueillies à Gaza montrent que ce n'est pas le cas.
Les États-Unis maintiennent qu'ils agissent dans le respect des dispositions de la loi.
Les exportations d'armes de l'Allemagne vers Israël ont également augmenté : Berlin a expédié pour 350 millions de dollars d'armements, soit dix fois plus qu'en 2022, la plupart de ces exportations ayant été approuvées après l'attaque du Hamas contre Israël.
D'autres pays, tels que l'Australie, le Canada, la France et le Royaume-Uni, ont tous été cités dans un rapport des Nations unies publié en février comme pays maintenant leurs approvisionnements.
En réponse à une question d'Al Jazeera sur la responsabilité liée à l'armement d'Israël alors qu'il dévaste Gaza, un porte-parole du département d'État américain a écrit qu'il "n'y a pas eu de détermination qu'Israël a commis un génocide, y compris devant la CIJ".
Ces dernières semaines, le Royaume-Uni et d'autres pays ont adopté une position similaire face à la crise humanitaire de plus en plus grave qui sévit à Gaza et qui a fait l'objet d'un grand nombre de reportages. Ils ont maintenu leurs activités habituelles tout en exprimant leur crainte que les armes qu'ils continuent de fournir ne soient utilisées lors d'un assaut imminent sur Rafah, où 1,4 million de civils se réfugient.
Opposition
Cependant, alors que de nombreux pays occidentaux continuent de fournir des armes à Israël, d'autres anciens exportateurs semblent conscients des risques juridiques liés à l'octroi d'une licence d'armement à un État dont la CIJ a estimé qu'il était plausible qu'il commette un génocide.
Outre la condamnation de la police d'Anvers par le parti travailliste belge pour sa décision d'importer des armes antiémeutes d'Israël, il existe des interdictions plus larges et plus anciennes sur les ventes d'armes à Israël.
Peu après le début de l'assaut sur Gaza en octobre, l'Italie et l'Espagne ont interrompu leurs livraisons d'armes à Israël, bien que ce dernier continue de fournir des munitions pour "l'affichage". Le gouvernement régional wallon de Belgique, ainsi que la société japonaise Itochu Corporation, ont également annoncé qu'ils mettaient fin à leurs exportations d'armes.
En février, un juge néerlandais a confirmé une décision bloquant l'exportation de pièces de F-35 vers Israël, en déclarant : "Il est indéniable qu'il existe un risque évident que les pièces de F-35 exportées soient utilisées pour commettre de graves violations du droit humanitaire international".
Les Nations unies ont déjà mis en garde contre les risques juridiques liés à l'exportation d'armes vers Israël dans leur rapport d'experts, dont le titre est sans équivoque : "Les exportations d'armes vers Israël doivent cesser immédiatement".
Le Royaume-Uni est soumis à des pressions juridiques pour qu'il revienne sur sa position concernant les exportations d'armes vers Israël, tandis qu'aux États-Unis, l'ONG Center for Constitutional Rights (CCR) fait appel de son action contre le président, le secrétaire d'État et le secrétaire à la défense pour la poursuite des exportations d'armes vers un État potentiellement engagé dans un génocide.
Le tribunal initial (à Oakland, en Californie) a statué que la fourniture d'armes à Israël était en fin de compte une "question politique"", a déclaré à Al Jazeera Astha Sharma Pokharel, une avocate du CCR.
Toutefois, bien que le juge ait admis que la région ne relevait pas de sa compétence, il a demandé à l'exécutif de reconsidérer son "soutien indéfectible" aux attaques d'Israël contre les Palestiniens, ce qui est tout à fait inhabituel.
Abus documentés
Le fait qu'Israël ait pu utiliser des armes fournies par l'Occident pour tuer et mutiler plus de 100 000 personnes, ainsi que pour contribuer à la détresse d'un nombre incalculable d'autres personnes, est une conclusion de plus en plus fréquente dans les rapports des observateurs, des organisations d'aide et des analystes.
Au cours des premières semaines de janvier, les locaux de l'International Rescue Committee et de l'ONG Medical Aid for Palestine, situés dans l'une des "zones de sécurité" désignées par l'armée israélienne à Gaza, ont été frappés par un avion israélien.
Des enquêtes ultérieures ont révélé qu'il s'agissait d'une "bombe intelligente" tirée par un chasseur F-16, tous deux fabriqués aux États-Unis et dont les pièces détachées provenaient du Royaume-Uni.
Dans une déclaration faite cette semaine, les deux organisations ont indiqué que leurs tentatives pour comprendre ce qui s'est passé en janvier ont donné lieu à six versions différentes des événements de la part de l'armée israélienne et à aucun engagement de la part des États-Unis et du Royaume-Uni de demander des comptes à Israël pour l'utilisation de leurs armes en violation du traité sur le commerce des armes, ratifié par le Royaume-Uni en 2014.
Les rapports précédents ont documenté l'abus par Israël du langage de la protection humanitaire pour entasser les gens dans des zones de plus en plus petites censées être "sûres" et ensuite lancer des attaques sur ces mêmes personnes.
La guerre contre Gaza ne montre aucun signe d'apaisement.
Actuellement, Israël parle de créer des "îles humanitaires" au centre de Gaza avant de lancer un assaut terrestre sur Rafah, qu'il menace depuis des semaines.
Pendant ce temps, des millions de personnes attendent, réfugiées dans la ville et dans toute la bande de Gaza.
Traduction : AFPS
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Guerre à Gaza : Netanyahou « suggère que le nouveau port construit par les États-Unis pourrait aider à expulser les Palestiniens »
Cette suggestion a provoqué la colère des Palestiniens, qui suggèrent depuis longtemps que le but ultime des opérations israéliennes à Gaza est leur expulsion de la région.
Tiré de France Palestine Solidarité. Paru dans Middle East Eye. Photo : 10 janvier 2024, des Palestiniens marchent au milieu des destructions dans les zones d'Al Matahin et d'Al Qarara dans le nord de Khan Younis © UNRWA/Ashraf Amra
Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou aurait suggéré que le nouveau port temporaire construit par les États-Unis au large de Gaza, installé pour faciliter l'acheminement de l'aide jusqu'à l'enclave assiégée, pourrait être utilisé pour expulser les Palestiniens.
Washington a annoncé plus tôt ce mois-ci son intention de construire un quai flottant « temporaire » sur la côte de Gaza en vue de faciliter l'acheminement de l'aide.
« Une jetée temporaire augmentera considérablement la quantité d'aide humanitaire qui arrive chaque jour à Gaza », a déclaré le président américain Joe Biden.
Cependant, lors d'une réunion privée de la commission des Affaires étrangères et de la Sécurité de la Knesset, Netanyahou a suggéré que le port pourrait également faciliter l'expulsion des Palestiniens de Gaza.
Netanyahou a affirmé qu'il n'y avait « aucun obstacle » à ce que les Palestiniens quittent la bande de Gaza, hormis le refus d'autres pays de les accepter, selon un journaliste de Kan News.
Cette suggestion a provoqué la colère des Palestiniens, qui suggèrent depuis longtemps que le but ultime des opérations israéliennes à Gaza est leur expulsion de la région.
« Il n'a jamais abandonné son rêve d'un nettoyage ethnique complet des Palestiniens à Gaza », a réagi sur X (anciennement Twitter) Mustafa Barghouti, leader de l'Initiative nationale palestinienne.
Alors que Gaza est totalement assiégée depuis près de six mois, le ministère palestinien de la Santé a déclaré qu'environ un enfant sur trois souffrait désormais de malnutrition aiguë et que 2 sur 10 000 mouraient de faim.
Plus de la moitié de la population est désormais au bord de la famine, la majeure partie dans les gouvernorats du nord, où l'accès humanitaire est extrêmement limité.
L'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture a indiqué lundi que le nord de Gaza souffrirait de la famine d'ici mai.
Israël a nié avoir restreint l'entrée de l'aide à Gaza, affirmant que l'ONU était responsable du blocage des livraisons d'aide.
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Campagne de solidarité internationale avec Boris Kagarlitsky
Tunisie : Un an de racisme envers les migrant·es subsaharien·nes
Naître discriminé.e au Népal : la lutte des Dalits pour abolir le système de caste

Pour une éducation émancipatrice, équitable et de qualité

Retour à la table des matières Droits et libertés, automne 2023 / hiver 2024
Pour une éducation émancipatrice, équitable et de qualité
Suzanne-G. Chartrand, retraitée de l’enseignement secondaire et universitaire, et porte-parole de Debout pour l’école Jean Trudelle, retraité de l’enseignement collégial et président de Debout pour l’école 1948, une année qui connaît deux évènements majeurs de l’après-guerre : c’est l’année où le peuple de Palestine se voit dépossédé de sa terre par la création de l’État d’Israël sur son territoire. C’est également l’année de l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme dont l’article 26 stipule : « Toute personne a droit à l’éducation. L’éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l’enseignement élémentaire et fondamental. L’enseignement élémentaire est obligatoire… L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ».L’obligation de la fréquentation scolaire au Québec
C’est en 1943 que l’Assemblée législative de la province de Québec adopte l’obligation de fréquentation scolaire pour les enfants de 6 à 14 ans, une question débattue par les parlementaires depuis 1901. La loi abolit alors les frais de scolarité à l’élémentaire et instaure la gratuité des manuels. Malgré l’instauration de l’école obligatoire et la multiplication d’établissements scolaires à travers la province, cette mesure reste insuffisante pour assurer l’égalité de l’accès à l’école à tous et à toutes. Les années 1960 annoncent une époque de bouleversements sur le plan éducatif au Québec avec le rapport Parent, issu de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement, qui propose une vision de l’égalité des chances, entendue comme la possibilité pour toutes et tous d’acquérir les outils nécessaires pour s’émanciper, peu importe leur origine culturelle, sociale et économique.Dans les forums, on a donc exprimé la nécessité de se mobiliser pour obtenir à court et à moyen terme des changements substantiels du système d’éducation afin qu’advienne une école émancipatrice, inclusive, équitable et de qualité pour tous et toutes.Depuis le rapport Parent, l’éducation scolaire est non seulement un droit, mais elle est une obligation jusqu’à 16 ans1. Le rapport Parent avait bien saisi la portée du droit à l’éducation. L’éducation dans l’institution scolaire implique l’instruction qui se réfère à l’acquisition de connaissances et de compétences comme la lecture, l’écriture, la numératie et la capacité à débattre. Elle implique la socialisation des enfants qui doivent apprendre à apprendre et à vivre ensemble. Ce rapport favoriserait ce qu’il nommait l’égalité des chances entendue comme la possibilité pour toutes et tous d’acquérir les outils nécessaires pour s’émanciper, peu importe leur origine culturelle, sociale et économique.
Une ségrégation scolaire inacceptable
Force est de constater que soixante plus tard, ce souhait n’est pas devenu réalité. Le système scolaire québécois est fortement ségrégé. Il marginalise les élèves des milieux modestes ou pauvres et les condamne souvent à l’échec et au décrochage. Que l’on pense aux élèves des Premières Nations et inuits, dont 50 % sont scolarisés dans le système québécois et dont les cultures ne sont prises en compte ni dans le programme d’études ni dans la vie scolaire ; aux élèves récemment arrivés qui ne reçoivent pas toujours l’accueil et le soutien nécessaire à leur intégration et scolarisation ; aux élèves vivant avec un handicap ou en difficulté dont les besoins ne sont pas comblés et, enfin, à trop de jeunes qui se retrouvent par défaut à la formation générale des adultes. L’école québécoise n’est ni inclusive ni équitable. Selon notre collectif, l’éducation scolaire doit viser l’émancipation, à savoir la capacité des élèves à s’affranchir de la dépendance intellectuelle et morale aux idées toutes faites et aux préjugés, grâce aux connaissances acquises et aux valeurs partagées dans l’institution scolaire. L’instruction vue ainsi implique la socialisation des élèves qui, ensemble, apprennent et se développent à travers les échanges avec leurs condisciples. L’école privée subventionnée et les projets particuliers sélectifs offerts dans les écoles publiques sont réservés aux élèves performants et, sauf quelques rares exceptions, aux élèves dont les parents ont la capacité de payer les frais ou acceptent de s’endetter : tout concourt à segmenter les effectifs scolaires. Les élèves qui présentent de meilleures chances de réussite se retrouvent dans les mêmes écoles, ce qui concentre dans les mêmes classes celles et ceux qui éprouvent davantage de difficulté et qui sont privés du même coup de toute forme d’émulation, plus encore du soutien pédagogique et psychologique nécessaire. Fréquenter l’école publique ordinaire est devenu une étiquette négative. L’iniquité du système scolaire est donc bien réelle, feu l’égalité des chances ! L’institution scolaire est de plus en plus pervertie, depuis les années 1990, par la gestion axée sur les résultats dans le cadre de la Nouvelle gestion publique (NGP) où domine l’objectif d’efficience (l’efficacité à moindre cout) qui se traduit par les critères de réussite chiffrée et de diplomation, quelle qu’en soit la qualité de l’éducation2. Les indices de performance des systèmes scolaires, par exemple les résultats de PISA, études réalisées par l’OCDE, ne sont pas sans faille et trop de facteurs entrent en compte pour qu’on puisse les considérer comme une valeur absolue3.Libérer la parole citoyenne : du jamais vu depuis les États généraux de 1995 !
Rappelons que la démarche de la Commission des États généraux sur l’éducation (ÉGÉ) a connu deux périodes. Des consultations populaires ont été menées pour faire état de la situation de l’éducation au Québec et en analyser les principaux éléments. Aussi, il y a-t-il eu des audiences citoyennes dans toutes les régions du Québec qui ont été marquées par une mobilisation exemplaire. La deuxième phase est celle des assises nationales, tenues en septembre 1996. Elles ont porté sur un nombre limité de questions soit pour tenter de mieux éclairer des zones d’ombre, soit pour tenter de dénouer des impasses qui subsistaient. Pour beaucoup des participants à la première phase, le Rapport final de la Commission des ÉG a édulcoré plusieurs revendications débattues dans les audiences citoyennes. Debout pour l’école a retenu des ÉGÉ qu’il est essentiel de donner la parole aux citoyennes et aux citoyennes et non seulement aux représentants des institutions lorsqu’il s’agit d’éducation, assise d’une société. Debout pour l’école a été, avec d’autres, à l’origine de Parlons éducation qui a tenu 20 forums dans 19 villes du Québec au printemps 2023 et une cinquantaine d’ateliers réunissant près de 650 jeunes d’écoles secondaires, de cégeps, de centres d’éducation aux adultes, de centres de formation professionnelle, de maisons des jeunes, de centres communautaires, d’équipes sportives et de maisons d’hébergement. Cette démarche était soutenue par une cinquantaine d’organisations communautaires, syndicales ou citoyennes. Les forums de Parlons éducation (PÉ) ont libéré la parole de plus 1 500 citoyens, jeunes et moins jeunes pour s’exprimer sur plusieurs thèmes, dont la mission de l’école, son iniquité, les conditions de travail des personnels et le piètre état de la démocratie scolaire. Partout, la qualité de l’accueil reçu et l’intérêt profond pour l’éducation montré par les participants ont confirmé la pertinence de ces rencontres. Les interventions ont confirmé le piètre état de l’école québécoise, colorant par de nombreux exemples le portrait proposé dans le Document de participation4 et avançant plusieurs pistes de solutions. Tout en exprimant un vif désir que leur parole soit entendue par les pouvoirs publics, bien que les participants aient bien peu d’espoir dans le niveau d’écoute de ces derniers. Le Document de participation brossait un état des lieux alarmants du système scolaire actuel. Du flou entourant la mission de l’école jusqu’aux effets délétères d’une ségrégation des effectifs que le ministère s’obstine à nier, en passant par le constat d’une démocratie scolaire étiolée, tous les constats présentés ont été avérés par le regard engagé des personnes venues contribuer à l’exercice. Faute de temps, certains sujets n’ont pas pu être approfondis, bien que soulevant un vif intérêt. Ainsi en est-il des pratiques actuelles d’intégration des élèves handicapés ou des élèves en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage, de la tendance actuelle au surdiagnostic et à la médication ou du rôle des projets particuliers dans les écoles. Ces derniers se développent actuellement sans balises et sans moyens, ce qui crée un véritable marché scolaire axé sur la performance individuelle. Est-ce bien là ce que l’on veut comme système d’éducation ? Dans les forums, on a donc exprimé la nécessité de se mobiliser pour obtenir à court et à moyen terme des changements substantiels du système d’éducation afin qu’advienne une école émancipatrice, inclusive, équitable et de qualité pour tous et toutes. En filigrane des milliers de prises de paroles qu’ont permis les forums, il y a un vibrant appel pour une école, disposant de plus de moyens pour offrir aux élèves un milieu de vie serein, convivial et un parcours éducatif de qualité pour tous. Dans une société où s’effritent les repères, n’est-ce pas une nécessité ? Pour ce que cela se réalise, il est primordial que les compétences professionnelles de tous les personnels scolaires soient respectées, que leurs conditions de travail s’améliorent grandement et, enfin, que l’institution scolaire soit réellement démocratique, c’est-à-dire, d’une part, qu’elle permette que tous les acteurs, des élèves au personnel de direction, de débattre et de prendre des décisions sur ce qui les concerne et, d’autre part, que la communauté environnante de l’école et la société en général puissent faire partie des délibérations, car l’éducation scolaire est un bien collectif qui joue un rôle déterminant dans une société.Vers un Rendez-vous national sur l’éducation, début 2025
C’est pour toutes ces raisons que Debout pour l’école travaillera dans les prochains mois à coaliser le plus grand nombre d’organisations de la société civile organisée et des milliers de citoyennes et citoyens afin qu’ensemble ils dégagent des revendications prioritaires à adresser aux pouvoirs publics qui, s’ils ont un tant soit peu le respect de la démocratie, devront les mettre en œuvre. Un Rendez-vous national sur l’éducation est prévu au début 2025 pour obtenir des transformations structurantes en éducation. Ensemble, mettons-nous debout pour l’école !- Pour un aperçu historique, voir https://www.journaldemontreal.com/2023/08/27/vous-savez-au-quebec-lecole-na-pas-toujours-ete-obligatoire
- Voir les chapitres 1 et 2 de l’ouvrage du collectif Debout pour l’école : Une autre école est possible et nécessaire, Del Busso, éditeur, 2022.
- Lire Daniel Bart, Bertrand Daunay, Les problèmes de traduction dans le PISA : les limites de la standardisation des tests de compréhension. En ligne : https://liseo.france-education-international.fr/index.php?lvl=bulletin_display&id=9889
- Voir l’onglet Parlons éducation sur le site de Debout pour l’école. En ligne : https://deboutpourlecole.org
L’article Pour une éducation émancipatrice, équitable et de qualité est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.

Lancement du no. 31 des Nouveaux Cahiers du Socialisme sur l’intelligence artificielle (IA)
Librairie Zone Libre
mercredi 3 avril à 18 h
à la librairie Zone libre, près de l'UQAM.
Les NCS vous invitent au lancement de leur dernier numéro (dossier principal sur l'intelligence artificielle)
Quatre personnes prendront la parole pour discuter des différentes mythes et dangers de l'intelligence artificielle : Jonathan Martineau (« Le capital algorithmique »), Eric Martin (« Bienvenue dans la machine »), Dominique Perschard (de la Ligue des droits et libertés) et Pierre Mouterde (du comité du dossier des NCS).
L'IA est dotée d'une aura si séduisante qu'on fait l'impasse sur les dangers qu'elle véhicule.
Aux mains des tout puissants monopoles que sont les GAFAM, au sein d'un marché capitaliste néolibéralisé, elle est en train de faire son chemin dans nos vies au travers d'une surveillance généralisée et d'une utilisation dérégulée de nos données numériques. Elle risque de parachever le mouvement de « désappropriation » que le mode de production capitaliste faisait déjà peser sur la vie des travailleurs et des travailleuses.
L'IA constitue l'expression d'un saut qualitatif effectué dans le nouvel ordonnancement d'un monde globalisé. Avec une nuance de taille cependant : cet ordonnancement tend, par la course aux profits et aux logiques concurrentielles qui l'animent, par l'opacité et le peu de régulation dont il est l'objet, à court-circuiter les démarches démocratiques et citoyennes pensées par le bas et toute perspective émancipatrice.
Événement Facebook : https://www.facebook.com/events/438367492082430?ref=newsfeed
La qualité des projets de construction mise en danger par la « flexibilité » caquiste
Crise agricole au Bas-Saint-Laurent
Le 30 mars – mobilisation internationale de solidarité féministe de 24 heures pour la Palestine

La Conférence syndicale internationale de solidarité avec l’Ukraine et ses syndicats du 22 février 2024 : un bilan
Bilan et conclusions politiques de la Conférence syndicale internationale de solidarité avec l'Ukraine et ses syndicats qui s'est tenue le 22 février à Kiev (online). Par Alfons Bech, membre du Réseau Européen de Solidarité avec l'Ukraine (ENSU/RESU)
1- La conférence syndicale internationale a été un succès. Organisée par la Fédération des syndicats d'Ukraine (FPU), la Confédération des syndicats libres d'Ukraine (KVPU) et avec le soutien de la Confédération syndicale internationale (CSI), de la Confédération européenne des syndicats (CES), d'ACTRAV et de la Fondation Friedrich Ebert, la conférence internationale de solidarité "Syndicats ukrainiens : Deux ans de guerre totale : défis, priorités et soutien supplémentaire", avec la participation de 191 personnes.
2- Comme publié sur leurs sites web, les syndicats ukrainiens présents à la conférence sont intervenus : "Luc Triangle, secrétaire général de la CSI ; Esther Lynch, secrétaire générale de la CES ; Ludovic Voet, secrétaire confédéral de la CES ; Maria Helena Andre, directrice du Bureau des activités pour les travailleurs de l'OIT (ACTRAV) ; Cathy Feingold, vice-présidente de la CSI, directrice du département international de l'AFL-CIO ; Kemal Özkan, secrétaire général adjoint de GU IndustriAll ; Britta Lejon, présidente de l'Union suédoise des fonctionnaires (ST) ; Jan Willem Goudriaan, président de l'Internationale des services publics ; Bea Bruske, secrétaire générale de la FSESP, présidente du Congrès du travail du Canada ; Lone Ilum Christiansen, directrice du syndicat danois ; Hélène Debore, secrétaire internationale de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) ; Pierre Coutaz, du comité international de la CGT, qui a conclu son discours en ukrainien, promettant, comme tous les orateurs précédents, une aide et un soutien complets pour remporter la victoire sur l'ennemi, a été particulièrement bien accueilli par les syndicalistes ukrainiens. Les Ukrainiens ont également accueilli avec gratitude l'intervention de la coordinatrice internationale de l'UGT Catalunya, Catalina Llibre".
3- Le moment choisi pour la conférence était particulièrement difficile pour l'Ukraine sur le plan militaire. Avec beaucoup moins d'armes et de munitions que ne l'avaient promis les gouvernements qui la soutenaient, l'armée a dû se retirer des grandes villes. Les interventions de syndicalistes, hommes et femmes, devenus soldats, ont souligné l'émotion et le drame du moment, tout comme les interventions des dirigeants de la FPU et de la KVPU. Le message véhiculé est que la défense des droits du travail, des droits démocratiques et des droits humains est indissociable de la victoire dans la guerre contre la Russie. Honnêtement, nous ne pouvons pas isoler l'amélioration des conditions de vie et de travail de la classe ouvrière ukrainienne de l'aspect militaire. Nous devons "gagner la guerre et la révolution" en même temps.
4- C'est précisément parce que le moment est clé pour l'existence souveraine de l'Ukraine que cette conférence a été obligée de se confronter à cette question, l'une des plus difficiles dont l'ensemble du syndicalisme international a débattu depuis le début de la guerre à grande échelle. Le temps du changement est venu de passer à une position de soutien plus actif à l'Ukraine et donc plus exigeante vis-à-vis des gouvernements respectifs afin qu'elle puisse gagner la guerre et pas seulement "se défendre". Ce débat n'a pas encore été abordé, mais il a été soulevé lorsque la FPU et la KVPU ont adopté une déclaration commune disant : "À ce stade critique de la guerre, nous appelons nos amis internationaux à intensifier leur soutien global et indispensable à l'Ukraine afin d'accélérer la paix après la défaite de l'agresseur. Ce n'est qu'en vainquant l'agresseur russe que nous pourrons garantir une paix juste et durable en Ukraine et en Europe, et empêcher une telle agression à l'avenir. L'Ukraine continuera à progresser vers la victoire sur l'agression russe, ainsi que sur la voie de sa pleine intégration dans l'UE et l'OTAN".
5- L'intervention du représentant de l'UGT de Catalogne a commencé à entrer dans ce débat nécessaire, en déclarant : "Nous sommes convaincus que le droit des peuples à se défendre contre les agressions extérieures est un droit naturel inaliénable et que nous tous ici présents devons travailler pour aider nos camarades syndicalistes qui souffrent. Nous devons discuter de la manière dont nous pouvons les aider et travailler ensemble pour lever les barrières qui limitent cette aide et nous lient les mains. Même s'il faut pour cela revoir des positions des syndicats internationaux qui ont pu sembler valables en temps de paix, mais que les événements de ces dernières années ont obligé à revoir. Si les agresseurs ne respectent pas les traités internationaux et que, dans le même temps, nous imposons des limites à l'aide que nous pouvons apporter, nous laissons le champ libre à l'impérialisme, à la barbarie et au fascisme pour se répandre dans le monde entier".
6- Le rôle de l'ENSU dans cette conférence a été limité mais essentiel. Dès le début, nous avons encouragé les syndicats ukrainiens FPU et KVPU à approcher conjointement la CES et la CEI afin que ces deux organismes internationaux appellent à la participation de tous les syndicats européens. Nous avons été en contact avec les dirigeants internationaux de la FPU et de la KVPU, écoutant et faisant des propositions qui pourraient être utiles pour une large participation internationale. Nous avons adapté notre rythme et nos propositions à ceux acceptés par les syndicats, même si nous savions que les retards dans la prise de la décision finale de tenir la conférence ne facilitaient pas la participation en personne. Nous avons toujours, et à tout moment, essayé de suivre l'idée de "tout avec les syndicats ukrainiens, rien sans eux" et de consultation transparente et permanente sur tous les problèmes et difficultés. Le résultat montre que cette méthode de travail porte ses fruits et aide réellement les syndicats ukrainiens. Elle a également contribué à l'incorporation de l'UGT, syndicat historique de l'Etat espagnol. Savoir prendre notre place d'aide, d'auxiliaire des syndicats, sans chercher à les remplacer, est donc la clé de la poursuite de notre travail. Cela a ouvert une voie de solidarité et de confiance mutuelle entre les responsables syndicaux et l'ENSU, ce qui est un grand atout pour l'avenir.
7- Sur les débats politiques de fond qui doivent être discutés dans chaque syndicat et dans l'ensemble du syndicalisme international, l'ENSU défendra sa position contre les blocs militaires et l'escalade des armes, dans le cadre d'une politique indépendante des différents impérialismes.
Mais cela implique d'exiger des gouvernements qu'ils soutiennent l'envoi gratuit d'armes et de munitions à l'Ukraine, qu'elles soient suffisantes et les plus utiles. L'ENSU doit favoriser la compréhension et l'accord entre les syndicats ukrainiens qui demandent l'adhésion à l'OTAN comme "parapluie de sécurité" et les syndicats d'Europe occidentale qui sont contre l'OTAN, dans le cadre de réalités différentes et contradictoires. En tout état de cause, l'accord commun doit être de soutenir tout ce qui est utile à la victoire de la résistance ukrainienne dans cette guerre de libération nationale et à la défaite de l'impérialisme russe.
8- Une des prochaines étapes du travail syndical international peut être de soutenir les syndicats FPU et KVPU lors de la conférence de reconstruction à Berlin en juin prochain.
A notre avis, une des clés de la victoire et du soutien international est de lutter pour que l'Ukraine devienne dans un avenir proche une république des droits sociaux et humains, loin des politiques oligarchiques et corrompues.
Cela dépend également de la cohésion sociale interne et du retour de la majorité de la population déplacée ou réfugiée dans d'autres pays.Les syndicats ont une place de choix pour faire entendre leur voix lors de cette conférence. Nous leur avons déjà parlé à Kiv après la conférence et ils ont accepté d'en discuter en interne.Comme pour la conférence internationale, tout dépend si les syndicats ukrainiens jugent utile de participer, s'ils le font d'un commun accord et s'ils formulent leurs revendications.S'ils le font, l'ENSU est prête à les aider et à collaborer sur les questions qu'ils souhaitent.En fonction de leur réponse, nous réunirons à nouveau le groupe de travail syndical.
Alfons Bech, 19 mars 2024 (version originale en anglais)
Traduction Deepl.
Illustration : Logo CSI.
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L’intelligence artificielle – Mythes, dangers, désappropriation et résistances

INTRODUCTION AU DOSSIER – Ce n’est pas d’hier que le capitalisme mondialisé développe et s’approprie les techniques et les technologies les plus avancées et productives pour générer plus de capital privé par l’exploitation du travail et par la consommation étendue à l’échelle de l’humanité. Le capitalisme a aussi mis en place des mécanismes de discrimination qui surexploitent les plus dominé·e·s afin de maximiser les profits.
L’intelligence artificielle (IA) fait partie de ce monde capitaliste. Elle est présente dans nos vies depuis quelques décennies sous différentes formes, on n’a ici qu’à penser à la reconnaissance vocale en téléphonie déployée en 1995 par Bell Canada, pionnier mondial dans ce domaine, en éliminant au passage quelques milliers d’emplois occupés principalement par des femmes. Dans cette joyeuse marre aux algorithmes, les enjeux sont de l’ordre de centaines de milliards de dollars.
Jusqu’ici le développement et le déploiement de l’IA se faisaient plutôt discrets dans des centres de recherche enfouis dans les universités, en « partenariat » avec quelques géants de l’univers numérique. On nous en laissait parfois entrevoir quelques applications « innovantes », dans le domaine de la médecine, de l’automobile autonome, de la reconnaissance faciale, etc. Mais cela restait sous la bonne garde des géants de ce monde.
Mais voilà qu’à la fin de 2023 retentit un coup de tonnerre médiatique dans ce merveilleux univers numérique. L’IA générative, qui depuis une bonne décennie était réservée aux entreprises qui pouvaient se la payer, devient accessible à monsieur et madame Tout-le-Monde sous la forme du robot conversationnel ChatGPT.
La nouvelle a fait fureur et elle n’a pas tardé à déclencher de par le monde un déluge de commentaires et de jugements à l’emporte-pièce. Voilà que l’on pouvait, par le biais d’une simple application, disposer des services d’un robot conversationnel apparemment prodigieux capable de générer instantanément une dissertation de qualité sur n’importe quel sujet de son choix dans la langue de sa convenance.
Bien que l’IA générative sous forme de robot conversationnel ne soit qu’une sous-branche des applications de l’IA basée sur l’apprentissage profond – l’IA couvre beaucoup plus large – il n’en fallut pas plus cependant pour que sur les médias sociaux et dans les grands médias institutionnels finisse par s’imposer un nouveau discours hégémonique en la matière, un discours passe-partout et tout puissant, globalement favorable à l’intelligence artificielle de dernière génération ainsi qu’à ses multiples déclinaisons possibles. Cela est présenté comme quelque chose d’inéluctable et d’indispensable à notre vie future, mettant en sourdine ou à la marge, ou encore passant sous silence bien des dimensions problématiques de l’intelligence artificielle[1].
En guise d’introduction à ce dossier sur l’IA, nous voulons déchiffrer cet emballement pour l’IA et montrer ce qu’il y a derrière ce discours devenu si prégnant, en mettant en évidence comment il reste difficile dans nos sociétés contemporaines de faire la part des choses en matière de découvertes ou de progrès scientifiques et techniques, au point de jouer à l’autruche devant une multitude de dangers pourtant des plus inquiétants.
Sur l’idée de progrès
Il faut dire que pendant longtemps, modernité oblige, nous avons été portés – y compris à gauche – à doter le progrès économique et technique d’un indice hautement positif.
Après l’imprimerie en 1450, la machine à vapeur en 1770, le moteur à explosion en 1854, l’électricité en 1870, les technologies de l’information et de la communication dans les années 1970 et aujourd’hui l’intelligence artificielle, nous pourrions facilement imaginer être partie prenante d’une vaste trajectoire historique pleine de promesses, nous délivrant pas à pas de lourdes tutelles pesant sur notre humanité. Comme si, en nous laissant emporter par l’inéluctable passage du temps, le futur allait nécessairement nous offrir un avenir meilleur que le présent ou le passé.
On a tous en tête des images fortes – par exemple dans le dernier film de Sébastien Pilote, Maria Chapdelaine – de l’existence que menaient nos ancêtres à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe dans ce pays de froid et de neige qu’était le Québec. Ils n’avaient ni eau courante ni électricité ni médecin assuré. Pour survivre et pour faire face aux défis d’une nature hostile, il ne leur restait qu’une vie faite de bûchage acharné et de durs travaux agricoles, d’économies et de privations. Au regard de notre vie d’aujourd’hui, qui souhaiterait revenir à de tels temps ?
Bien sûr, il y avait dans ces images trop simplistes quelques signaux contraires, mais nous avons mis longtemps à en tirer les véritables conséquences. Le progrès, en même temps qu’il délivrait l’être humain de bien des fardeaux, apportait son lot d’inquiétudes et de destruction. À preuve cette ombre de la menace nucléaire qui, à partir de 1945, s’est mise à grignoter, comme un sombre présage, les lumières philosophiques de toutes nos humaines interrogations.
Il y avait aussi ceux et celles qui, à gauche, avaient compris que ce progrès était porté par un mode de production particulier – le mode de production et d’échange capitaliste – qui en sapait une grande partie des potentialités positives. Ils voyaient donc dans un système socialiste, où les richesses privées seraient socialisées, le moyen de redonner au progrès humain ses vertus émancipatrices et libératrices.
Pourtant la plupart d’entre eux, en installant cette socialisation dans un futur indéterminé ou en fermant les yeux sur les difficultés de son actualisation, passée comme présente, et en se croyant portés par le vent de l’histoire, tendaient malgré eux à reprendre à leur compte le mythe d’un progrès inéluctable. D’ailleurs, ils étaient devenus si nombreux, si influents, si assurés de l’avenir – quelle que soit la manière dont ils le pensaient – qu’on avait même fini par tous les regrouper sous un même chapeau : le progressisme. Ils étaient, disait-on, des « progressistes » pariant, plein d’optimisme, sur les valeurs de la modernité, sur les avancées assurées et positives de l’histoire[2].
Le « progressisme », que nous le voulions ou non, nous en sommes, à gauche, les héritiers, et l’idée d’un progrès inéluctable se déployant positivement au fil du temps, continue de nous habiter. Et cela, même si l’histoire parait avoir depuis des décennies infirmé une bonne partie de ces prophéties.
En ne débouchant jusqu’à présent sur aucun changement sociétal de fond, sur aucun saut qualitatif, sur aucun « bond de tigre » comme disait Walter Benjamin, les indéniables avancées scientifiques et techniques qui continuent de fleurir à notre époque s’accompagnent de désordres économiques criants, de guerres nouvelles, de malaises sociaux grandissants, de blocages politiques et de contradictions culturelles. D’autant plus qu’aux maux traditionnels de l’exploitation ou de l’inégalité, fruits connus du capitalisme, sont venus se rajouter ceux, passablement inquiétants et longtemps ignorés, d’un productivisme échevelé : des prédations environnementales généralisées et de brutaux changements climatiques posant cette fois-ci, dans un proche avenir, la question même de notre survie comme humanité.
Voir les choses depuis la perspective de l’histoire
En fait, tout – en particulier ce qui touche aux effets des récentes découvertes scientifiques et techniques sur les sociétés humaines – devrait pouvoir être discuté aujourd’hui, se retrouver sur la grande table des débats collectifs, sans peur et en toute liberté.
Les crises multiples et combinées (crises économiques, sociales, politiques, sanitaires, écologiques, géopolitiques) que collectivement nous affrontons aujourd’hui nous le montrent comme jamais : cette trajectoire ascendante du progrès est en train de se déliter, voire de se transformer peu à peu en son contraire. Elle nous oblige brutalement à nous questionner sur le type de vie auquel nous aspirons comme humains, et sur le devenir de l’humanité. S’épanouira-t-elle sous le signe de la liberté ou de l’émancipation, ou au contraire se distordra-t-elle au gré des impasses d’un « désordre établi » maintenu d’une main de fer par les puissants d’aujourd’hui ? Tout des drames grandissants d’aujourd’hui ne nous oblige-t-il pas à voir les choses de loin, à les scruter depuis la perspective de l’histoire ? Il y a plus de 150 ans de cela, un certain Karl Marx rappelait que :
la seule liberté possible est que l’homme social, les producteurs associés règlent rationnellement leurs échanges avec la nature […] et qu’ils accomplissent ces échanges en dépensant un minimum de force et dans les conditions les plus dignes et les plus conformes à la nature humaine. Mais, rappelait-il […] cette activité constituera toujours le royaume de la nécessité. C’est au-delà que commence le développement des forces humaines comme fin en soi, le véritable royaume de la liberté[3].
Cette vision large et prospective de la liberté, envisagée pour l’humanité universelle comme une libération vis-à-vis du temps de travail obligé, c’est là tout un programme dont on est loin de voir l’aboutissement aujourd’hui. Elle reste néanmoins d’une brûlante actualité quand on songe au surgissement dans nos sociétés de l’intelligence artificielle de dernière génération, si on ose s’arrêter à tout ce qu’elle bouscule sur le plan des conditions structurelles, économiques et techniques, favorisant ou non le déploiement possible d’une liberté humaine. Car on touche là, avec ce nouveau type de technologies, à quelque chose de résolument nouveau dont on peine à mesurer les conséquences sur les multiples dimensions de nos vies, travail et loisirs compris.
Il faut dire que les prouesses, dont cette intelligence artificielle est à l’origine, ont de quoi impressionner. La puissance et la rapidité de ses calculs comme les prodigieux résultats que ses algorithmes atteignent en matière de production quasi instantanée de textes conversationnels, d’images et de sons utilisables par tout un chacun, paraissent lui assurer un avenir à tout coup prometteur. Il faut dire aussi que cette capacité à recourir à des masses gigantesques de données numériques et à les trier à la vitesse de l’éclair recèle de potentiels côtés positifs, notamment en termes d’avancées scientifiques, et plus particulièrement ces derniers temps en termes de diagnostics médicaux. À condition cependant que ces machines apprenantes restent étroitement encadrées par des humains, selon des principes et des exigences éthiques et politiques réfléchies et connues de tous et toutes, de manière à pouvoir de part en part contrôler, dans la transparence, tous leurs tenants et aboutissants, leurs effets problématiques ou inattendus et leurs toujours possibles biais et bévues.
Derrière les prouesses des machines apprenantes, une désappropriation généralisée ?
Tel est le problème décisif : l’indéniable attractivité de l’IA l’a dotée d’une aura si séduisante qu’on tend, dans le grand public, à faire l’impasse sur les formidables dangers dont elle est en même temps le véhicule. Car telle qu’elle se présente aujourd’hui (aux mains des tout puissants monopoles que sont les GAFAM), telle qu’elle se déploie dans nos sociétés contemporaines (au sein d’un marché capitaliste néolibéralisé) et telle qu’elle est en train de faire son chemin dans nos vies (au travers d’une surveillance généralisée et d’une utilisation dérégulée de nos données numériques), l’IA risque bien de participer à un vaste mouvement de « désappropriation[4] » de nos vies. Oui, c’est bien cela : nous désapproprier d’une série d’habiletés collectives, de manières de faire, de façons d’être et de penser, de nous organiser socialement et politiquement, de nous éduquer; toutes choses qui étaient jusqu’à présent le propre de notre humanité commune, avec certes les indéniables limitations qu’elles portaient en elles, mais aussi toutes les libertés en germe qu’elles ne cessaient de nous offrir.
L’IA tend à participer à ce mouvement de désappropriation, en remplaçant ces manières de faire et d’être par des machines et des modèles automatisés et interconnectés, au fonctionnement et aux finalités à priori particulièrement opaques. Les voilà en effet aux mains de grands monopoles privés, eux-mêmes fouettés par le jeu d’une concurrence impitoyable et mus par le jeu cruel et impersonnel de l’accumulation infinie du capital. Le tout, en sachant qu’il s’agit de grands monopoles sur lesquels nous n’avons, dans l’état actuel des choses, pratiquement aucun contrôle démocratique, aucun pouvoir de décision citoyen, aucune prise sociale ou individuelle digne de ce nom.
L’IA risque ainsi d’accentuer, d’élargir et de parachever le mouvement de désappropriation que le mode de production capitaliste faisait déjà peser sur la vie des travailleurs et des travailleuses, en touchant cette fois-ci non pas seulement à l’organisation de leur travail ou à l’extorsion d’une survaleur économique, mais en s’immisçant dans, et en bouleversant de part en part les mécanismes d’information, d’organisation, de « gouvernementalité » de la société entière, tout comme d’ailleurs en se donnant les moyens de contrôler plus étroitement la subjectivité de chacun des individus qui la composent. Le tout, en tendant à pousser les sociétés humaines vers la surveillance généralisée, le contrôle bureaucratique systématisé, la fragmentation définitive des liens sociaux et communautaires; à rebrousse-poil de tous les idéaux démocratiques, d’égalité, de liberté, de fraternité et de diversité que tant d’entre nous continuent à poursuivre par le biais de la lutte sociale et politique.
C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de commencer cette présentation par une mise en perspective autour de la notion de progrès, et surtout, nous avons voulu placer ce dossier sur l’intelligence artificielle de dernière génération sous la forme d’une insistante interrogation dont nous chercherons à éclairer les enjeux sous-jacents : dernière les prouesses des machines apprenantes, ne se cache-t-il pas une désappropriation généralisée ?
Avec l’IA, en effet, l’affaire est plus que sérieuse, mais peut-être pas où on l’imaginerait de prime abord. Ici, il ne faut pas craindre de s’en prendre aux mythes qui circulent à son propos et qui, par exemple, verraient une sorte de grand ordinateur, super-intelligent et doté de conscience, prendre le dessus sur des sociétés humaines entières, un peu comme dans le célèbre film de Stanley Kubrick, 2001 : L’odyssée de l’espace, où l’ordinateur de bord HAL 9000 a pris le contrôle d’un vaisseau spatial malgré tous les efforts contraires de son équipage. Le problème n’est pas là, loin de là. Pourtant, si les peurs qu’une telle dystopie peut faire naitre sont actuellement dénuées de fondement, il reste qu’on a quand même bien des motifs d’être inquiets au regard des développements contemporains de l’IA de dernière génération.
Les véritables dangers de l’IA
Si aujourd’hui, ainsi que le rappelle Chomsky[5], l’IA dans sa forme actuelle est loin encore de pouvoir rivaliser sérieusement avec la versatilité et l’inventivité de l’intelligence humaine, ce qui fait néanmoins problème, c’est la manière dont ces nouvelles machines apprenantes – avec les impressionnants pouvoirs de mise en corrélation qu’elles recèlent – s’insèrent et se déploient dans les pores de nos sociétés déterminées par les logiques de l’accumulation capitaliste; elles-mêmes déjà profondément transformées par le déploiement récent des nouvelles technologies de la communication et de l’information (ordinateur, Internet, téléphones intelligents, réseaux sociaux, etc.).
En ce sens, l’IA n’est qu’un pas de plus, une nouvelle étape qu’on serait en train de franchir, l’expression d’un saut qualitatif effectué dans le nouvel ordonnancement d’un monde globalisé, connecté de part en part et mis systématiquement en réseau grâce aux puissances de l’informatique couplées maintenant à celles de l’intelligence artificielle de dernière génération. Avec une nuance de taille cependant : cet ordonnancement tend, par la course aux profits et aux logiques concurrentielles qui l’animent, par l’opacité et le peu de régulation dont elle est l’objet, à court-circuiter les interventions sociales et collectives pensées depuis le bas, ainsi que les démarches démocratiques et citoyennes et toute perspective émancipatrice touchant aux fins poursuivies par l’implantation de ces nouvelles technologies. Tout au moins si nous ne faisons rien pour empêcher son déploiement actuel, si nous ne faisons rien pour tenter d’en encadrer mieux et plus rigoureusement la mise en place, et plus encore pour imaginer les contours d’un autre monde possible et lutter collectivement pour son avènement : un monde dans lequel les nouvelles technologies seraient au service de l’humanité universelle et non son triste contraire.
C’est la raison pour laquelle nous avons voulu penser ce dossier comme une invitation à l’échange et à la discussion, au débat, mais aussi comme un appel à la résistance et à l’action. L’importance et la nouveauté des dangers encourus, tout comme le contexte sociopolitique difficile dans lequel nous nous trouvons, appellent à combiner des forces, à trouver des alliés, à élaborer des fronts amples pour faire connaître l’ampleur des dangers qui sont devant nous, pour faire de l’intelligence artificielle une question politique cruciale auprès d’un large public.
Le côté inédit de ces dangers nous demande en particulier de réfléchir et de travailler sur la nécessité d’une réglementation immédiate et beaucoup plus stricte que celle, balbutiante, que nous connaissons aujourd’hui. Non pas en imaginant qu’on pourra ainsi facilement et définitivement « civiliser » une technologie aux logiques pernicieuses, mais en nous donnant les moyens de gagner déjà de premières batailles sur ce front, aussi minimes soient-elles au départ, pour pouvoir par la suite aller plus loin et s’interroger en profondeur sur le mode de vie qu’on veut imposer de la sorte ainsi que sur la conception du progrès sous-jacente qui en voile toutes les dimensions problématiques.
Car avec l’intelligence artificielle de dernière génération, voilà soudainement les plus intimes des potentialités intellectuelles et artistiques de l’humanité, ses fondements démocratiques, ses outils professionnels d’information, etc., qui risquent d’être profondément chambardées par les dynamiques d’un technocapitalisme dérégulé auquel nous faisons face aujourd’hui.
Un dossier pour débattre et résister
La nouveauté comme la complexité des dangers et les problèmes entrevus obligent à l’humilité et à la prudence, mais il faut s’y arrêter, prendre connaissance de la situation et voir les possibilités de résistance.
Nous allons d’abord tenter avec André Vincent (Intelligence artificielle 101) d’explorer les constituantes technologiques sur lesquelles repose ce qu’on appelle l’IA. On y explique les apports de chacune des quatre constituantes de ce « réseau de neurones apprenant profondément et générant quelque chose » : les machines, les logiciels, les données et l’argent. Et comment tout cela s’imbrique dans diverses applications dans une foule de domaines d’activités. On y examine aussi les diverses formes d’encadrement de l’IA proposées à ce jour ainsi que leur portée. Un glossaire des principaux termes utilisés en IA complète cet article.
Après ce texte d’introduction à l’IA, la partie du dossier, De quelques bouleversements structurels, veut exposer quelques-uns des dangers et des problèmes les plus évidents qui semblent aujourd’hui sauter aux yeux des spécialistes. Et comme en ce domaine, on est loin de l’unanimité, on verra la richesse et la diversité des points de vue, y compris d’importantes oppositions. En particulier quand il s’agit de nommer et de conceptualiser les bouleversements d’ordre systémique qui s’annoncent à travers le développement de l’économie numérique.
Ainsi Maxime Ouellet (Penser politiquement les mutations du capitalisme à l’ère de l’intelligence artificielle) critique ceux qui ont tendance à amplifier le caractère inédit d’une nouvelle forme de capitalisme induite par l’exploitation des données numériques, et qui oublient d’expliquer comment ces transformations s’inscrivent dans la continuité de dynamiques structurelles plus larges du capitalisme de l’après-guerre. Il insiste sur le fait que le développement capitaliste contemporain s’appuie moins sur la forme marchandise prédictive des algorithmes que sur la valorisation financière d’une nouvelle classe d’actifs intangibles (brevets, droits de propriété intellectuelle, fusions et acquisitions, alliances stratégiques, etc.). Il s’oppose ainsi aux thèses de Jonathan Durand Folco et de Jonathan Martineau (Vers une théorie globale du capitalisme algorithmique) qui cherchent au contraire à montrer que l’on assiste à une mutation importante du capitalisme rendue possible par l’utilisation des algorithmes, une mutation du même type que celle apportée par la révolution industrielle du XIXe siècle. Ils veulent mettre en lumière comment l’algorithme est devenu le nouveau principe structurant qui, tout en prenant appui sur lui, réarticule et dépasse le néolibéralisme financiarisé.
C’est aussi cette thèse que tentent de confirmer Giuliana Facciolli et Jonathan Martineau (Au cœur d’une reconfiguration des relations internationales capitalistes), en critiquant l’approche de Cédric Durand[6] sur le « techno-féodalisme ». Sur la base de cette critique, l’autrice et l’auteur veulent démontrer comment les dynamiques du capitalisme algorithmique permettent de mieux comprendre les phénomènes de la périphérisation de certains espaces du capitalisme mondial et de renouveler la compréhension des rapports de dépendance coloniale entre le Nord (États-Unis et désormais Chine) et le Sud global, se traduisant par de nouvelles formes de dépendance de gouvernementalité algorithmique.
On trouvera aussi dans cette première partie un autre axe révélateur de débat entre, d’une part, les thèses défendues par Philippe de Grosbois (L’intelligence artificielle, une puissance médiocre) et, d’autre part, celles promues par Eric Martin (La privation du monde face à l’accélération technocapitaliste). Alors que le premier insiste sur le fait qu’un travail critique sur l’IA doit éviter de lui attribuer des capacités qu’elle n’a pas (« Il n’y a pas d’intelligence dans l’IA »), le second va à l’inverse montrer comment, sous l’emprise du capitalisme et du machinisme formaté à l’IA, on est en train de passer d’une société aux aspirations « autonomes » à des sociétés « hétéronomes » au sein desquelles le sujet se trouve alors « privé de monde » par un processus de déshumanisation et de « démondanéisation ». Deux approches apparemment aux antipodes l’une de l’autre, mais qui toutes deux cherchent à mieux mesurer – véritable défi – l’impact exact de l’IA sur nos vies : avec d’un côté, de Grosbois minimisant la portée d’une telle technologie et rappelant l’importance de poursuivre les tâches non achevées de déconstruction des systèmes d’oppression patriarcale et raciale, pendant que de l’autre côté, Martin insiste sur la nouveauté et le danger majeur que représente cet « oubli de la société » induit par le déploiement de l’IA.
Dans une tout autre perspective, Myriam Lavoie-Moore (Quelques leçons féministes marxistes pour penser une l’intelligence artificielle autrement) explore certains éléments des théories féministes de la reproduction sociale afin de voir si, à travers elles, on peut envisager une production et un usage de l’IA qui serviraient les activités reproductives sans les asservir aux impératifs de la valorisation. En refusant de rejeter en bloc l’adoption de telles technologies, elle fait cependant apercevoir, au fil de son analyse, certaines des limitations qu’elles comportent, notamment en ce qui concerne le rapport entre le temps de travail obligé et les tâches du « care », d’ordre relationnel.
Dans un deuxième temps cependant, De quelques effets bien concrets, certains auteurs ne manqueront pas de nous ramener à la vie ordinaire en montrant les effets immédiats et bien concrets de l’IA.
Ainsi Dominique Peschard de la Ligue des droits et libertés (Capitalisme de surveillance, intelligence artificielle et droits humains) traite des effets pervers associés d’ores et déjà à l’IA. Il insiste autant sur les activités toxiques qu’elle tend à promouvoir (le discours haineux, le partage non consensuel d’images intimes, etc.) que sur les problèmes de santé (la dépendance aux écrans) qui en résultent, les impacts environnementaux qu’elle induit ou encore la surveillance policière qu’elle renforce.
Le texte de Caroline Quesnel et Benoit Lacoursière de la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (L’intelligence artificielle comme lieu de lutte du syndicalisme enseignant) va dans le même sens, mais en insistant, pour le domaine de l’éducation, sur les vertus d’une perspective technocritique permettant de résister au risque de la discrimination algorithmique comme à celui du non-respect des droits d’auteur ou encore aux fraudes grandissantes. Elle et il mettent en lumière la nécessité d’un encadrement plus strict de l’IA et l’importance d’appliquer le principe de précaution à celle-ci.
On retrouve la même approche avec Jérémi Léveillé (L’intelligence artificielle et la fonction publique : clarification et enjeux), cette fois-ci à propos de la fonction publique, en montrant comment l’IA « perpétue plutôt le statu quo, c’est-à-dire la marginalisation et la discrimination de certaines populations selon des critères de genre, de religion, d’ethnicité ou de classe socioéconomique », le tout permettant à l’État d’accroitre la productivité et de diminuer les coûts.
De son côté, Jonathan Martineau (Les temporalités sociales et l’expérience du temps à l’ère du capitalisme algorithmique) fait ressortir les effets très concrets que risque de faire naitre l’IA à propos d’une dimension de notre vie d’humain à laquelle on ne prête pas nécessairement toute l’attention requise : notre façon d’expérimenter le temps. Il montre que le déploiement de l’IA brouille la distinction traditionnelle entre temps de travail et temps de loisirs, mais aussi tend à accélérer tous les rythmes de vie ainsi qu’à nous enfermer dans une vision « présentiste » du temps, c’est-à-dire qui privilégie indûment le moment du présent sur ceux du passé et de l’avenir.
Enfin, dans un troisième temps, De quelques considérations sur l’avenir, Jonathan Durand Folco (Dépasser le capitalisme algorithmique par les communs ? Vers un communisme décroissant technosobre) décrit comment l’IA – dans une société post-capitaliste où la prise en charge des communs serait assumée collectivement et démocratiquement – pourrait être utilisée dans une perspective de technosobriété et de décroissance. Faisant cependant ressortir les multiples inconnues comme les nombreux débats qui sont nés à ce propos, son texte se présente comme un exercice prospectif nous permettant de saisir toute l’ampleur des questions en jeu.
On ne sera donc pas étonné de réaliser que si ne manquent pas les dénonciations et points de vue critiques théoriques comme pratiques, notre dossier ne s’est cependant guère attardé aux formes de lutte à mener. C’est que, nouveauté de la thématique de l’IA, bien peu a encore été élaboré, bien peu a été pensé et mis en pratique de manière systématique à propos des luttes globales à entreprendre à l’encontre des dangers et des dérives de l’IA et de ses multiples applications. Tout reste à faire !
Pourtant les défis que la conjoncture contemporaine a placés devant nous obligent à lier étroitement réflexion et action, et par conséquent à réfléchir en situation, en fonction du contexte où l’on se trouve et qui ouvre ou non à la possibilité d’agir collectivement. On ne peut en effet ne pas tenir compte de la réalité des rapports de force sociopolitiques existants. Mais on ne peut en même temps, ainsi que nous le montre ce dossier sur l’IA, ne pas radicaliser nos interrogations sur le cours du monde, c’est-à-dire oser prendre les choses à la racine et par conséquent pousser la réflexion aussi loin que possible, en toute liberté, en n’hésitant pas à aller à rebrousse-poil de toutes les confortables indifférences de l’heure, pour agir ensemble. Puisse ce dossier nous aider à aller dans cette direction !
Par Flavie Achard, Édouard Lavallière, Pierre Mouterde, André Vincent
NOTES
- Voir à titre d’exemple l’émission spéciale de deux heures de Radio-Canada le 7 décembre 2023, L’intelligence artificielle décodée, <www.youtube.com/watch?v=QFKHd2k_RNE>. ↑
- Sur le plan culturel, la modernité est née quand, dans le cadre d’une conception générale du monde, ont commencé à s’imposer au XVIIIe siècle, à l’encontre des traditionnelles idées d’immuabilité du monde, de divinité, de foi et de fidélité, les idées nouvelles d’histoire, d’humanité, de raison (les sciences) et de liberté. Et au sein du paradigme culturel de la modernité, les progressistes apparaissaient comme ceux qui avaient repris à leur compte l’idée d’une histoire nous conduisant nécessairement vers le progrès. On pourrait avancer qu’il y avait en fait deux grands courants de progressistes : ceux qui imaginaient, notamment aux États-Unis, « la révolution par le progrès » et ceux qui imaginaient, notamment dans l’ex-URSS, « le progrès par la révolution ». ↑
- Karl Marx, Le capital, Livre 3, Paris, Éditions sociales, 1976, chap. 48, p. 742. ↑
- Le terme de « désappropriation » nous semble, dans le cas de l’IA, plus juste que celui de « dépossession » dans le sens où cette désappropriation va bien au-delà du phénomène de l’exploitation par exemple d’un salarié, quand on le dépossède – par l’extorsion d’une plus-value – de la part de valeur qui lui revient à travers son travail. En fait, avec l’IA et ses effets en chaîne, se poursuit et s’accomplit ce mouvement de dépossession en l’élargissant à la société entière et en bousculant les processus cognitifs et émotionnels à partir desquels l’être humain pouvait collectivement et à travers la culture faire preuve d’intelligence – user donc de cette capacité d’unifier le divers – en ayant ainsi les moyens de développer à travers l’histoire un sens de l’innovation inédit. ↑
- « Contrairement à ChatGPT et ses semblables, l’esprit humain n’est pas un volumineux moteur de recherches statistiques en quête de modèles, avalant des centaines de téraoctets de données et extrapolant la réponse la plus probable à une question ou la solution la plus vraisemblable à un problème scientifique. Bien au contraire, l’esprit humain est un système étonnamment efficace et même raffiné qui fonctionne avec de petites quantités d’informations ; il ne cherche pas à déduire des corrélations sommaires à partir de données, mais à élaborer des explications. […] ChatGPT fait preuve de quelque chose de très similaire à la banalité du mal : plagiat, apathie et évitement. Elle reprend les arguments habituels de la littérature dans une sorte de superbe automaticité, refuse de prendre position sur quoi que ce soit, plaide non seulement l’ignorance mais aussi le manque d’intelligence et, en fin de compte, offre une défense du type « je ne fais que suivre les ordres », en rejetant toute responsabilité sur ses créateurs. » Noam Chomsky, New York Times, 8 mars 2023, traduction du site Les Crises, <https://www.les-crises.fr/la-promesse-trompeuse-de-chatgpt-noam-chomsky/>.Voir aussi Hubert Krivine, L’IA peut-elle penser ? Miracle ou mirage de l’intelligence artificielle, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, 2021, p. 79 : « Comme l’écrit Yan Le Cun, « le fait que le monde soit tridimensionnel, qu’il y ait des objets animés, inanimés, mous, durs, le fait qu’un objet tombe quand on le lâche… les humains apprennent ça par interaction. Et ça, c’est ce qu’on ne sait pas faire avec les ordinateurs. Tant qu’on y arrivera pas, on n’aura pas de machines vraiment intelligentes. » […] Pour Descartes, c’est bien connu, « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée; il ne l’est pas pour la machine. Bien des bévues de l’IA résultant de calculs très sophistiqués, doivent être corrigées en y faisant tout simplement appel ». ↑
- Cédric Durand, Techno-féodalisme. Critique de l’économie numérique, Paris, Zones, 2020. Ce dernier rejoint en partie les thèses de Maxime Ouellet sur l’importance des biens intangibles (brevets, droits de propriété intellectuelle, etc.) au sein du capitalisme contemporain. ↑

Féminicides en Algérie. Rapport sur les meurtres de femmes et de filles 2019-2022
Féminicides en Algérie. Rapport sur les meurtres de femmes et de filles 2019-2022
Par Wiame Awres, Narimene Mouaci Bahi et Lila Bouchenaf
Au moins une femme est assassinée chaque semaine en Algérie.
Elles sont 228, depuis 2019, à avoir succombé à des mauvais traitements récurrents infligés, parfois depuis des décennies, par leur compagnon, ou à une agression du fait d'un inconnu. Leur point commun est d'être ciblées parce que femmes, ou filles. C'est ce mécanisme, et le contexte dans lequel il s'inscrit, que Féminicides Algérie s'est donné pour mission de comprendre, pour mieux le déconstruire. Données statistiques montées en tableaux et graphiques, analyses de cas, pour savoir et inventorier ; propositions et recommandations pour défaire les mailles de ce qui a tout l'air d'un système.
Rapport édité aux Editions Motifs
Liste des féminicides 2023
https://feminicides-dz.com/feminicides/liste-des-feminicides-2023/
Liste des féminicides 2024
https://feminicides-dz.com/feminicides/liste-des-feminicides-2024/
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Problèmes du « capital algorithmique » dans la théorie de la périodisation
Une critique du livre de Durand Folco et Martineau
Cet article est une recension critique du livre Le capital algorithmique de Jonathan Martineau et Jonathan Durand Folco (Écosociété, 2023). Il cherche à mettre en lumière les lacunes du diagnostic proposé par les auteurs concernant une hypothétique fin du néolibéralisme. Durand Folco et Martineau avancent que le régime d’accumulation néolibéral aurait été dépassé par une nouvelle phase désignée comme « le capitalisme algorithmique » à la suite de la crise financière de 2007-2008. Cet article défend plutôt l’idée que les algorithmes s’ajoutent et s’intègrent à la dynamique d’accumulation et aux formes institutionnelles du capitalisme néolibéral. La question de la focale sur la technique, la réification du concept d’algorithme, le manque de consistance avec l’analyse des anciens régimes d’accumulation, une amplification des logiques de pouvoir algorithmiques, le portrait inexact des classes et la thèse de la soi-disant supplantation de la finance par l’accumulation de données sont au nombre des arguments qui militent en faveur du rejet de la thèse du capitalisme algorithmique comme nouvelle phase du capitalisme.
Un article de Nathan Brullemans, candidat à la maîtrise en sociologie (UQAM) et membre du collectif Archives Révolutionnaires

On doit d’abord accueillir avec enthousiasme la parution du livre Le capital algorithmique, co-écrit par Jonathan Durand Folco et Jonathan Martineau. Les auteurs, déjà connus pour leur contribution à la théorie critique québécoise après leurs ouvrages À nous la ville[1] et L’ère du temps[2], nous surprennent maintenant avec une thèse audacieuse portant sur l’affinité élective entre le capitalisme et l’intelligence artificielle (IA). La publication des « deux Jonathan » frappe par son caractère programmatique[3] et ses allures de grand theory. Ils cherchent en effet à établir un programme de recherche qui se réfléchit explicitement comme une « théorie critique des algorithmes[4] ». Ce projet serait l’occasion de construire, comme le précisent les auteurs, « une démarche interdisciplinaire qui vise à comprendre les multiples ramifications de la logique algorithmique, ses dispositifs et sa dimension idéologique[5] ». Dans le sillage de cette bonne vieille dialectique entre théorie et pratique que l’on peut faire remonter à la 11e thèse sur Feuerbach, le but assumé de leur théorie des algorithmes est la transformation sociale dans un horizon émancipateur. En faisant le pari de réfléchir les phénomènes sociaux particuliers à partir du point de vue de la totalité, Martineau et Durand Folco nous invitent à saisir l’explosion inédite de l’intelligence artificielle depuis la dernière décennie comme une partie constitutive des rapports sociaux capitalistes, et du rôle que jouent la science et la technique dans l’élargissement de l’accumulation.
Pour ce faire, ils se proposent de poursuivre le chantier entamé par la théorie critique du capitalisme de surveillance. De ce point de vue, Le capital algorithmique se veut une tentative plus ou moins ouverte de « marxiser » le classique instantané L’âge du capitalisme de surveillance (2018), écrit par Shoshana Zuboff[6]. Reprenant les prémisses de l’autrice sur une base matérialiste, Durand Folco et Martineau évitent les dérives potentiellement complotistes de certains discours sur la « société de surveillance », où le concept de pouvoir devient évanescent, insaisissable, avant d’être renvoyé à une soif irrationnelle du contrôle de la part d’une élite technocratique anonyme. Loin de ce virage conspi que l’on peut déjà faire remonter à certaines thèses de Michel Foucault[7], les chercheurs insistent au contraire sur les impératifs sociaux du développement des technologies algorithmiques, à savoir : le principe de concurrence entre les capitalistes et la quête effrénée de profit qui s’en dégage.
En plus, la méthode matérialiste des auteurs se tient à distance du réductionnisme et ouvre la voie à l’analyse de l’articulation du « capital algorithmique » avec le pouvoir d’État, les différents systèmes de domination (racisme, sexisme, colonialisme) et la crise écologique. À partir de leur position méthodologique et normative qu’ils qualifient de « techno-sobre », Durand Folco et Martineau passent au crible l’avalanche de buzzwords et d’idéologies creuses qui émanent des meilleurs cerveaux de la Silicon Valley. Ces discours apologétiques de l’intelligence artificielle semblent animés d’une même logique : le techno-solutionnisme, soit l’idée selon laquelle tous les problèmes sociaux connaîtraient en fait des réponses techniques. D’après ce corps de doctrines, la crise écologique pourrait par exemple être réglée par la soi-disant bienfaisance de la « dématérialisation de l’économie ». Le marché mondial, nous affirment les disciples de l’IA, se développerait désormais dans l’univers parallèle des clouds et des réseaux de données. Durand Folco et Martineau relèvent que, bien au contraire, l’industrie extractive est au cœur du projet économique des capitalistes de la Big Tech, en sécurisant les minéraux critiques par l’impérialisme et en repoussant éternellement les limites biophysiques de l’extraction. Cela ne va pas sans rappeler que, loin d’un espace propre et éthéré, les centres de données sont des infrastructures colossales, énergivores et polluantes. Toujours très matérielle, l’accumulation ne nous a pas amenés aux portes d’une société pleinement robotisée, annonçant la « fin du travail » ; la génération d’algorithmes commande encore l’exploitation du prolétariat, quand elle ne vampirise pas le temps d’attention de sujets bien réels[8]. La technique n’est pas neutre : elle est mobilisée pour stimuler et reconduire l’accumulation de valeur[9].
Ce parti pris des auteurs est d’autant plus crucial à l’heure où ce ne sont pas que les idéologues de la « quatrième révolution industrielle » du Forum économique mondial qui sont charmés par les promesses de l’IA, mais aussi une certaine gauche qui, sous des figures comme celle d’Aaron Bastani, défend le mirage d’un « fully automated luxury communism », soit l’utopie candide d’une société post-rareté où les forces productives seraient enfin libérées du capitalisme[10]. En ce sens, le duo de théoriciens s’efforce de dénoncer ce qu’ils appellent le « caractère fétiche de l’algorithme ». En calquant le concept de « fétichisme de la marchandise » conçu par Marx dans le premier livre du Capital, Durand Folco et Martineau nous invitent à ne pas confondre le caractère social, qui traverse et constitue les différents gadgets algorithmiques, avec ces objets eux-mêmes[11]. Il faudrait ainsi toujours débusquer les rapports sociaux qui se cachent derrière les algorithmes, plutôt que de leur faire revêtir le manteau anthropomorphique de « l’autonomie ». En tombant dans ce faux-semblant, ce serait la pratique humaine que l’on viendrait ici réifier. Après tout, un algorithme n’est pas « intelligent » comme l’est un esprit humain (ou animal). Dans sa version simplifiée, un algorithme n’est rien d’autre qu’une suite de règles formelles, comme une recette de cuisine[12]. Dans sa version complexe, cet ensemble de fonctions opératoires s’ajuste rétroactivement face aux données qu’il est capable de recueillir.
Problèmes de la périodisation à partir du concept de « capital algorithmique »
Toutefois, Martineau et Durand Folco s’avancent sur une thèse qui semble entrer en tension avec cette prudente critique du fétichisme de l’algorithme. Les auteurs affirment en effet que le « capitalisme algorithmique » formerait ni plus ni moins qu’une nouvelle phase historique du capitalisme. Comme ils le disent eux-mêmes :
Notre hypothèse, loin de la simple poursuite du capitalisme numérique ou du néolibéralisme, encore moins d’un retour vers le futur « néoféodal » [un capitalisme numérique-rentier], est plutôt que nous amorçons la plus récente phase du mode de production capitaliste, le capitalisme algorithmique, qui s’appuie sur, et dépasse, le capitalisme néolibéral.[13]
En parlant en termes de phases, d’étapes ou de régimes d’accumulation, les auteurs s’inscrivent dans une théorie de la périodisation du capitalisme qui — partant de Hilferding, Lénine, Luxemburg et Boukharine — a connu une longue tradition jusqu’à la théorie de la dépendance latino-américaine et les théories marxistes de l’impérialisme des années 1960 et 1970[14]. Si les premières générations de théoriciens et de théoriciennes se focalisaient principalement sur la dynamique endogène de l’accumulation, des contributions plus récentes comme celles de l’École de la régulation et certaines nouvelles approches marxistes ont aussi insisté sur les formes sociales et institutionnelles qui s’y combinent (division du travail, paradigme technologique, formes de l’État et des régulations sociales, etc.)[15]. En se positionnant face à ces différents systèmes, Durand Folco et Martineau avancent une thèse provocatrice : le régime d’accumulation néolibéral (ou « post-fordiste », selon le langage régulationniste) serait maintenant chose du passé. Qu’est-il arrivé de son modèle de travail flexible et précaire, de la puissance des compagnies transnationales, de la soumission des États aux forces du marché, de la financiarisation de l’économie et de sa forme spécifique de division internationale du travail ? Tous ces éléments constitutifs de l’accumulation néolibérale depuis les chocs pétroliers des années 1970 et 1980 seraient tombés en crise après 2007-2008. En empruntant le langage hégélien du Aufhebung, les auteurs nous disent que le néolibéralisme aurait été à la fois supprimé et conservé, dans un « dépassement » qui annonce une logique d’accumulation et de régulation sociale dominée par les algorithmes[16]. Selon eux, l’accumulation du « capital algorithmique » formerait « une réponse à la crise du néolibéralisme, tout en représentant le nouveau cœur du système capitaliste[17] ».
Tableau 1 : Principales différences entre néolibéralisme et capitalisme algorithmique selon Durand Folco et Martineau[18]
| Stade du capitalisme | Capitalisme régulé par l’État (fordisme) | Capitalisme néolibéral financiarisé | Capitalisme algorithmique |
| Période | ~ 1945-1980 | ~ 1980-2007 | ~ 2007– … |
| Forme d’entreprise | Corporation | Entreprise multinationale | Plateforme |
| Forme de travail | Travail de masse | Travail flexible | Travail algorithmique |
| Moteur(s) d’accumulation | Pétrole, secteur des services | Spéculation financière et immobilière | Données algorithmiques |
| Type de capital dominant | Capital industriel | Capital financier | Capital algorithmique |
| Marchés prédominants | Biens de masse | Marchés financiers | Marchés prédictifs |
| Relations de classes | Managers / cols bleus et cols blancs | Actionnaires / classes moyennes endettées | Overclass ou cloudalist / précariat, travail digital |
| Dynamique sociétale dominante | Consumérisme / protection sociale | Mondialisation / privatisation | Datafication / automation |
| Logique globale | Logique technocratique | Logique néolibérale | Logique algorithmique |
| Forme d’État | État-providence | État néolibéral | État algorithmique |
Notre argument est que cette idée de la fin du néolibéralisme et du début d’un nouveau régime d’accumulation dit « algorithmique » est fortement exagérée : l’importance du secteur des nouvelles technologies n’apporte pour l’instant aucune remise en cause des règles qui forment la dynamique fondamentale de l’accumulation néolibérale. On lui a simplement surajouté l’intelligence artificielle, les algorithmes et les données massives. Mais ici, Martineau et Durand Folco semblent précisément tomber dans ce qu’ils critiquent et se concentrent d’abord sur la dimension technique du procès de travail pour caractériser le régime d’accumulation actuel, plutôt que de se focaliser sur ses aspects sociaux. En commençant par refuser le déterminisme technologique et la réification de l’algorithme, la technologie revient après coup dans leur théorie pour fonder le critère principal d’une nouvelle phase du capitalisme.
De plus, ce portrait d’un capitalisme dirigé par et pour les algorithmes est inadéquat : la structure de classe du néolibéralisme, dominée par le travail informel et précaire, n’apparaît pas ébranlée par l’intervention d’une nouvelle dynamique d’accumulation. En termes de classes sociales, Durand Folco et Martineau nous tracent les contours d’une division du travail dominée par le « travail digital », une « armée de travailleurs du clic » et un prolétariat de plateforme. Sur ce terrain, le duo offre trop peu de statistiques pour appuyer leur démonstration. En attendant cette preuve, c’est encore la force de travail de 2 milliards de personnes qui est captée par l’économie informelle, loin devant l’emploi industriel chiffré à 758 millions (et dont le continent asiatique absorbe à lui seul les deux tiers)[19]. Le travail informel, majoritairement contenu dans le Sud global, accueille une hétérogénéité de situation d’emplois autour d’un trait distinctif : il échappe à la médiation du contrat de travail[20]. Si la littérature montre bien que l’économie informelle n’est pas un parfait synonyme de pauvreté[21], elle avale la majorité des travailleurs pauvres du monde entier. Il s’agit d’un modèle de travail irrégulier, semi-intégré, tâcheronnisé et précaire (parfois subsumé sous du capital, parfois assigné à la subsistance)[22]. Ce dernier ne date pas d’hier, avec la fondation d’Uber en 2009. L’informalité, si elle est inscrite dans l’ADN de l’armée de réserve du capital, a été décuplée avec les grandes thérapies de choc des programmes d’ajustement structurel du FMI dans les années 1980, notamment en Amérique latine[23]. Parallèlement, l’explosion du secteur des services, souvent modelé sur un contrat de travail court et à temps partiel (le fameux « précariat »), a aussi créé dans les pays du Nord une main-d’œuvre corvéable[24].
Pour nous, s’il est possible d’établir une périodisation du capitalisme, ce projet doit prendre comme critère principal les formes sociales dominantes par lesquelles l’accumulation se poursuit. Évidemment, cela ne peut pas se faire sans considérer les éléments matériels (nature, corps humains, technologie, etc.) qui forment les conditions de possibilité de l’accumulation en général. Cependant, régler une périodisation principalement à partir de ces éléments matériels risque de chosifier les rapports sociaux qui les médiatisent. Bien sûr, nous ne pouvons pas nier que l’IA représente une importante source d’investissements et que l’incorporation de ces technologies au procès de production pourrait potentiellement constituer la base d’un modèle original d’exploitation du travail. En revanche, il ne semble pas qu’à l’heure actuelle l’IA soit mobilisée de manière à ce qu’elle augmente significativement le taux d’exploitation ni qu’elle relance systématiquement le modèle d’exploitation sous de nouvelles formes (par exemple : par une modification de la division internationale du travail, l’érection d’un modèle industriel inusité, etc.).
Les équivoques du concept de « capital algorithmique »
De plus, il faut soulever l’équivoque quant aux concepts de capital versus capitalisme algorithmique. Les auteurs n’emploient pas ces notions comme des synonymes. D’un côté, le capital algorithmique renvoie à « une nouvelle façon de produire, d’échanger et d’accumuler de la valeur via l’extraction massive de données, l’exploitation du travail digital et le développement accéléré de machines algorithmiques[25] ». De l’autre, le capitalisme algorithmique réfère à une totalité sociale concrète, un « ordre social institutionnalisé », selon l’expression empruntée à Nancy Fraser, qui ne peut qu’exister en interaction constante avec la nature et le travail de reproduction sociale[26]. Autrement dit, le capital algorithmique serait l’une des composantes — sans doute la principale — d’une structure historique, le capitalisme algorithmique, tout comme le capital financier serait la variable économique centrale de la société néolibérale. Ce diagnostic de la fin du néolibéralisme implique que nos auteurs pourraient prouver :
dans quelle mesure le capital algorithmique devient prédominant à notre époque (par contraste avec le capital financier, industriel ou commercial), et fournir d’autres arguments pour justifier la transition vers un nouveau stade du capitalisme, en précisant le moment et les causes exactes de ce basculement[27].
Dans cette citation, nos auteurs se trompent néanmoins de plan d’analyse. Le concept de « capital algorithmique » ne peut pas être considéré sur le même niveau d’abstraction que celui du capital industriel, commercial ou financier. En fait, la notion de capital algorithmique possède un statut analogue à celle de « capital fossile » forgée par Andreas Malm, où l’expression est surtout heuristique et insiste sur la rencontre entre les éléments matériels du procès de travail avec ses éléments sociaux. Dans d’autres contextes, l’expression de Malm réfère plus simplement aux fractions de la classe capitaliste dont les intérêts matériels sont liés à l’exploitation de combustibles fossiles et à la chaîne de dépendance de l’accumulation face à ce type d’énergie[28]. Selon sa conception plus directement matérielle, le concept de capital fossile désigne justement « l’appropriation de la nature comme substrat matériel de la valeur d’échange[29] ». L’expression de capital algorithmique doit se poser sur ce même niveau de discours (le plan matériel), car il réfère à la combinaison entre le savoir technique et le procès de travail. Il en va de même pour le « capital numérique » que les auteurs associent au couplement de l’ordinateur et de l’accumulation. Cela dit, même avec cet exemple, le capital numérique ne saurait avoir « remplacé » le capital industriel ou financier après l’intégration systématique des ordinateurs aux chaînes de production dans les années 1990. Le capital numérique n’existe qu’à travers les moments de transformations du capital que sont l’industrie, le commerce et la finance.
C’est ainsi que le capital algorithmique (tout comme le capital fossile ou numérique) revêtira en alternance les différentes formes du capital (productif, commercial, financier). Dans la formule générale du capital A–M… P… M’–A’ que l’on peut tirer du livre 2 du Capital[30], l’argent (A) doit se transformer en marchandise (M) qui doit être consommée productivement (P), ce qui veut dire qu’elle doit être couplée à un procès de travail qui exploite le travail vivant, afin de produire une nouvelle marchandise qui possède un incrément de valeur (M’). La vente de cette dernière sur le marché réalisera la plus-value qu’elle contient (A’) et, enfin, une partie de la plus-value devra être réinvestie productivement dans le procès de production[31]. Si telle ou telle entreprise peut se spécialiser dans la sphère de la production, de l’échange ou de la finance (de l’usine, à la banque, en passant par le transport), le capital comme rapport social n’existe que comme totalité, par sa métamorphose entre ces différents moments. Ce principe concerne autant le capital fossile de Shell que le capital algorithmique de Facebook ou d’Apple. La marchandise algorithmique devra tôt ou tard passer par la sphère de la production, puis sous la forme de l’argent, etc.
Donc, si l’expression de « capital algorithmique » a un sens — ce qui est certainement le cas — c’est uniquement quand on la mobilise pour référer à l’aspect technique du procès de travail. Les auteurs négligent précisément ce contrôle des niveaux d’abstraction : le capital algorithmique nous est présenté à la fois comme une composante technique du procès de travail et à la fois comme une « nouvelle forme de capital ». Si l’on reprend l’analogie du capital fossile, on se rend bien compte qu’on ne peut pas dire que le pétrole incarne une « nouvelle forme de production de valeur ». Les forces productives demeurent le support et la voie de conduction de la valeur d’échange.
Il est néanmoins clair que l’usage de données massives (Big data), vendues à des entreprises à des fins de publicités ciblées, décrit un événement inédit dans l’histoire du capitalisme. La question est pourtant de savoir si ce modèle économique correspond à plus qu’une nouvelle source de débouchés. La marchandisation d’aspects de la vie sociale autrefois épargnés ne témoigne pas ipso facto d’une transition de stade. Autrement dit, est-ce que la structure du procès de travail est transformée par la présence de l’algorithme ? Nous reviendrons plus loin sur le cas du travail digital qui ne représente pas selon nous une nouveauté, mais bien la continuité du capitalisme numérique néolibéral.
Une théorie de la périodisation ancrée dans les « conditions générales de production »
Au début de leur chapitre 8, Durand Folco et Martineau affichent déjà leur couleur théorique en précisant qu’ils s’inspirent de la théorie du « capitalisme IA » et du livre Inhuman Power de Nick Dyer-Whiteford, Mikkola Kjøsen et James Steinhoff. Ce groupe d’auteurs insisterait en effet sur :
le rôle déterminant des conditions générales de production dans l’évolution du capitalisme, c’est-à-dire les technologies, institutions et pratiques qui constituent l’environnement dans lequel prend forme la production capitaliste dans un lieu et une époque déterminée, en devenant progressivement les facteurs essentiels communs à toute production. L’énergie, les moyens de transport et de communication, comme les chemins de fer, le téléphone, l’électricité ou l’automobile, sont quelques exemples de conditions générales de production qui ont eu une incidence importante sur les formes de production, de distribution et de consommation au sein du capitalisme.[32]
Les rapports sociaux capitalistes ne se manifestent certainement pas in abstracto. Pour exister concrètement, ils ont besoin d’un ensemble de conditions de possibilités historiques : l’accès à une nature bon marché (cheap nature, selon l’expression de Jason Moore), à des sources de travail gratuit (le travail ménager des femmes, pour commencer), le recours à la violence d’État, la dépossession des producteurs et productrices directes, et à un certain nombre de connaissances techniques que permet la science à un moment déterminé de l’histoire. À la rigueur, les marxistes peu charitables dans leur orthodoxie nous diront que le concept classique de « forces productives » — qui, chez Marx, dépasse largement la simple question des outils et des machines, et englobe autant la nature que le savoir technique[33] — implique déjà analytiquement celui de « conditions de production ». Donc, s’il s’agit de dire que les algorithmes et de nouvelles technologies analogues sont des forces productives ou des conditions de production, il n’y a évidemment aucun problème à les recenser au nombre des facteurs qui sont incorporés dans le procès d’accumulation.
Mais Dyer-Whiteford et consorts ne s’arrêtent pas là : ils caractérisent, tout comme Durand Folco et Martineau, le stade actuel du capitalisme comme étant celui du « AI capitalism ». Ce choix conceptuel frappe néanmoins par son caractère arbitraire. En regardant de près le texte, on s’aperçoit que les régimes d’accumulation précédents décrits par Dyer-Whiteford et ses collègues — 1) la grande industrie, 2) le fordisme, 3) le post-fordisme — ne reçoivent aucune surdétermination conceptuelle en termes technologiques. En effet, seul l’IA fait l’objet d’un traitement analytique différentié où c’est l’aspect technologique qui devient le critère principal de la périodisation. Suivant ce critère, pourquoi le capitalisme de la grande industrie du début du XIXe siècle ne s’appellerait-il pas plutôt « capitalisme vapeur » ou « capitalisme chemin de fer » si les conditions de production sont si déterminantes ? L’invention du train représente assurément une révolution technologique tout à fait inédite aux yeux d’une paysannerie qui avait jusqu’alors parcouru les campagnes des empires européens à pied et en charrette[34].
De la même manière, on pourrait très bien faire l’analyse du fordisme en le décrivant comme le « capitalisme automobile », puisque la marchandise-voiture formait l’un des piliers centraux de l’accumulation du capitalisme de l’entre-deux-guerres. Or, ce qui fait la spécificité historique du fordisme, ce n’est pas tant la forme matérielle des marchandises qu’il produisait, mais sa dynamique sociale d’accumulation (basée sur les fameux « partages de gains de productivité » et l’accès de la classe ouvrière des pays du Nord à la consommation de masse), son rapport à l’intervention de l’État (sous une forme keynésienne) et le capitalisme de monopole qui lie la grande firme à une accumulation nationale, etc.[35] Le fordisme constituait une nouveauté importante par rapport au capitalisme concurrentiel qui était encore au XIXe siècle fortement ancré dans le modèle de la manufacture (basé sur la plus-value absolue), opérant dans des économies avec de forts bassins de population rurale en processus de migration et avec un pouvoir d’État bourgeois non démocratique qui réprimait férocement les organisations ouvrières (interdiction du droit de vote universel, du syndicalisme, etc.). Le prétendu « capitalisme algorithmique » produirait-il une transformation sociale et historique d’une ampleur aussi considérable ? Une révolution nous est-elle discrètement passée sous le nez au tournant de 2007-2008 ? Si l’unique indice est celui de la technologie, on a de sérieuses raisons d’en douter.
En somme, les critères employés par Dyer-Whiteford et consorts pour définir les trois premières étapes du capitalisme sont différents de ceux mobilisés pour décrire la nature de la phase actuelle. Or, si une méthode scientifique se veut cohérente, elle doit utiliser les mêmes critères épistémologiques pour approcher les mêmes phénomènes, ce qui oblige ou bien à reformuler une périodisation du capitalisme à partir de ses éléments techniques (l’une de ses fameuses « conditions générales de production »), ou bien à penser la possible transition du post-fordisme ou du néolibéralisme selon des variables relatives à l’organisation des composantes structurantes du mode de production capitaliste.
La régulation algorithmique : une voie de sortie de la périodisation techniciste ?
Du reste, on peut dire que Durand Folco et Martineau se dissocient de la thèse techniciste de Dyer-Whiteford et consorts, car ils jugent explicitement — et avec raison — que cette dernière ne s’intéresse pas assez aux « dimensions sociales et institutionnelles pour expliquer le passage entre les différents stades du capitalisme[36] ». C’est à ce moment de leur exposé que Durand Folco et Martineau recourent explicitement au concept de régime d’accumulation théorisé par l’École de la régulation (initiée par Michel Aglietta, Robert Boyer et Gérard Destanne de Bernis), concept qui recoupe partiellement celui déjà évoqué d’ordre social institutionnalisé de Nancy Fraser[37]. Le duo d’auteurs précise que la réalité de l’accumulation du capital dépasse largement la technologie, dans la mesure où le fonctionnement d’une économie de marché nécessite des institutions spécifiques, un rapport salarial particulier, des formes de régime monétaire, des systèmes d’innovation, etc.[38] L’argument de Durand Folco et Martineau stipule que les algorithmes seraient incorporés de manière spécifique à ces différentes institutions, formant ce que les chercheurs appellent une « gouvernementalité algorithmique », établissant une discipline par la prédiction du risque[39].
Mais en soulignant la dimension institutionnelle des régimes d’accumulation (ce qui est souhaitable dans un projet de périodisation du capitalisme), les auteurs sont-ils pour autant libérés d’une conception techniciste de la périodisation ? Tout comme avec l’exemple précédent de Dyer-Whiteford, le même problème épistémique persiste : les modes de disciplines attachés aux précédents régimes d’accumulation ne sont jamais décrits à partir de la technologie. Les anciennes logiques de pouvoir sont dites « coloniale, technocratique, néolibérale »… alors que la logique de pouvoir actuel possède ce curieux privilège d’avoir des critères de périodisation ad hoc : elle est une forme de pouvoir social décrit comme un « mode de régulation algorithmique[40] ». Il est clair que la militarisation de la police — en pleine expansion depuis le 11 septembre et les contre-sommets des années 2000 — a reposé sur une intégration de la technologie militaire pour parfaire l’exercice de sa discipline sociale. De manière plus récente, nous voyons aussi l’incorporation d’un certain nombre de gadgets à vocation de contrôle et de surveillance qui fonctionnent à partir d’algorithmes. Par contre, aux yeux de nos auteurs, la technologie militaire pré-IA ne paraît pas digne d’intérêt pour agir comme critère de la périodisation (gaz lacrymogènes, armes d’assauts, bombes nucléaires, etc.)… contrairement à la technologie de répression « intelligente ».
Autrement, il est évident que l’application de la logique algorithmique représente une transformation des relations de pouvoir fondées jadis sur la domination directe. Le modèle classique de l’hégémonie gramscienne, comprise comme la combinaison de la force et du consentement, semble quelque peu inadéquat pour rendre compte de la domination impersonnelle et autorégulée de l’algorithme. Celui-ci se passe bien du moment de la légitimation morale et idéologique. Il procède par conditionnement béhavioral et prédiction des comportements. Toutefois, on peut se questionner sur l’originalité de cette forme de pouvoir que les auteurs voient comme généralisée depuis 2007-2008. Le sociologue Michel Freitag écrivait déjà en 1986 dans son premier volume de Dialectique et société, que le « mode de régulation décisionnel-opérationnel » tend à saper la médiation symbolique et normative dans l’exercice du pouvoir. La discipline sociale serait réduite à un contrôle opéré par des mécanismes automatiques[41]. Freitag associe cette forme de régulation à l’époque « postmoderne », c’est-à-dire grosso modo au capitalisme néolibéral[42]. Les auteurs ne disent pas autre chose quand ils voient en Gilles Deleuze le théoricien précoce de la « société de contrôle ». L’algorithme semble donc le parachèvement des tendances et des formes de pouvoir du néolibéralisme, plutôt qu’une rupture stadiale. Les chercheurs le confessent eux-mêmes lorsqu’ils concèdent du bout des lèvres que la logique d’administration publique algorithmique s’appuie sur les « visées d’efficacité du précédent modèle [néolibéral][43] ».
Finalement, il paraît prématuré, voire téméraire, de dire que les logiques de pouvoir actuelles seraient majoritairement algorithmiques. Le fait que l’État et la police aient de plus en plus recours aux nouvelles technologies ne constitue pas une preuve que la régulation sociale fonctionne principalement à partir d’une logique algorithmique[44]. On ne retrouve pas non plus de démonstrations comme quoi cette forme de régulation sociale serait sui generis ou qu’elle sortirait des sentiers battus du contrôle néolibéral. L’exemple du populisme, présenté comme une expression de la restructuration algorithmique en cours, ne semble pas non plus aller dans le sens de l’argument des auteurs[45]. Le récemment élu Javier Milei ira de l’avant avec un agenda néolibéral sur stéroïdes, dans la grande tradition des Tatcher et Reagan de ce monde. En brandissant sa tronçonneuse en plein bain de foule, l’obsession du nouveau président argentin n’est pas la lubrification de l’accumulation algorithmique, mais l’angoisse néolibérale classique : la taille du budget de l’État. Si l’on scrute à la loupe le programme de casse sociale du Rassemblement national en France ou le copinage de Bolsonaro avec les capitalistes du Brésil, on y voit sans doute plus une logique d’État néolibéral vieux jeu qu’une manifestation du pouvoir algorithmique.

Du mirage du capitalisme cognitif au mirage du capitalisme algorithmique : une conception défaillante des classes
Après, Durand Folco et Martineau savent que les usages de l’appareil conceptuel de l’École de la régulation peuvent être très inégaux. C’est le cas du prétendu « capitalisme cognitif », une théorie qui affirme que les mécanismes d’extraction de la survaleur se fonderaient dorénavant sur le monopole du savoir et la captation de connaissance à partir des stratégies de copyrights et de brevetages en tout genre. Promue par des figures comme celle d’Antonio Negri, cette école insiste sur l’existence d’un soi-disant « cognitariat » et même de « communs numériques » (comme quoi le jargon des capitalistes du Big Tech vaut parfois celui de la gauche académique). Cette théorie porte, en plus de son charabia, un regard techno-enthousiaste sur le capitalisme numérique, sans égard aux dispositifs de domination et d’exploitation qui le traversent, comme le notent justement Durand Folco et Martineau[46].
Avec ses communs numériques et son capitalisme « Calinours », Antonio Negri n’en était pas à sa première caricature sociologique. Au début des années 2000, dans son livre Empire, co-écrit avec Michael Hardt, il brossait un portrait lourdement exagéré de la mondialisation, dépeinte comme un phénomène complet d’aplatissement de la compétition entre capitalistes. Les classes dominantes auraient fusionné en une giga-classe capitaliste globale et apatride. La distinction entre centres et périphéries serait rendue caduque dans un monde unipolaire, gouverné par la logique de coopération de l’ultra-impérialisme présagée par Kautsky. Martineau et Durand-Folco ne vont certainement pas aussi loin qu’Hardt et Negri dans la caricature. Leur tableau est plus nuancé, mais ils nous laissent néanmoins miroiter l’image d’une structure de classe dominée par le « travail digital » ou une « armée de travailleurs du clic ». Pour l’instant du moins, il est loin d’être clair que les emplois prolétarisés soient en majorité absorbés par le secteur des plateformes, ou plus largement du numérique. Avec cela, il ne faut pas oublier de préciser qu’une grande partie du secteur numérique a recours à une main-d’œuvre qualifiée, effectuant bien souvent un travail intellectuel grassement rémunéré. Les digital nomads de classe moyenne qui peuplent les auberges de jeunesse de la périphérie ne forment pas exactement une nouvelle classe dangereuse. Comme l’a souligné John Smith dans son livre Imperialism in the 21st century avec l’exemple du iPod 30 GB en 2006, sur les 13 920 employé·e·s d’Apple aux États-Unis, un peu moins de la moitié (6 101 personnes) avaient le statut de « professionnels ». Les fiches de paie de ces derniers comptaient un salaire annuel moyen de 85 000 $, supérieur de plus du deux tiers de la masse salariale moyenne des emplois américains. On ne peut évidemment pas dire une chose pareille des quelque 12 250 prolétaires en Chine qui étaient attaché·e·s à la chaîne de montage pour un salaire moyen de 30 $ par semaine[47].
En forçant le trait, Martineau et Durand Folco citent même, non sans audace, La formation de la classe ouvrière anglaise d’Edward P. Thompson, ouvrage bien connu pour sa conception historiciste des classes. Selon Thompson, les classes sont d’abord des entités vivantes et subjectives, construites à partir des expériences de luttes communes effectuées contre les groupes dominants. Suivant cette idée, nos auteurs déclarent que les « travailleurs du travail digital développent une subjectivité collective dans l’adversité de leurs conditions et dans des luttes visant à améliorer leur sort[48] ». La fable du cognitariat, pourtant critiquée par les auteurs quelques pages auparavant, semble revenir par infraction dans leur théorie du capitalisme algorithmique. Moins historiens que Thompson sur cette question (qui nous livre quand même sa conception de la subjectivité du prolétariat anglais au bout de 900 pages), Durand Folco et Martineau nous doivent encore la démonstration de l’émergence de la conscience de classe des digital workers. En effet, à partir de quelle expérience de lutte concrète les travailleurs et les travailleuses du digital se sont-ils construit une identité de classe participant à une forme plus large de subjectivité collective ? Faire une bonne sociologie marxiste ne peut pas consister à plaquer mécaniquement les concepts classiques sur la réalité contemporaine, qui plus est sans examens de cas.
Les deux auteurs pourraient rétorquer que nous les avons mal lus, car, nuance de taille, ils ne considèrent pas les travailleurs et travailleuses du digital comme le centre du travail algorithmique, mais uniquement l’un de ces quatre « moments », aux côtés du travail industriel, extractif et domestique[49]. On pourrait s’attarder longuement sur la valeur analytique de ce tableau quadriptyque du travail algorithmique. Premier problème, du point de vue de la sociologie des classes, on voit mal où y ranger tous les prolétaires du secteur des services. Sont-ils extérieurs au « capital algorithmique » (alors même que les services offrent à ce jour la majorité des emplois prolétarisés dans les pays impérialistes) ? De plus, rien ne garantit que le travail de reproduction sociale soit un maillon automatiquement inscrit dans la chaîne du travail algorithmique ; les prolétaires élevé·e·s aux petits soins de leur mère peuvent très bien aller se vendre à une entreprise du secteur de la construction. Tout travail domestique ne peut donc pas être compté comme un organe du « travail algorithmique ». Ensuite, cette division n’est pas propre à l’intelligence artificielle. Elle existe au moins depuis l’intégration de l’ordinateur à la production. On ne comprend pas alors ce que fait vraiment le capital algorithmique comme type de restructuration des classes, si ce n’est d’augmenter le nombre de travailleuses et de travailleurs du clic. Et encore là, il nous manque les statistiques pour apprécier pleinement l’étendue de cette révolution.
De manière générale, c’est toute l’entreprise de description des classes qui fait fausse route dans Le capital algorithmique. En revenant au tableau 1 (ci-dessus), on peut constater que, selon Durand Folco et Martineau, le conflit de classe du néolibéralisme serait formé de l’opposition entre les « actionnaires » et… « les classes moyennes endettées ». La profonde ambiguïté d’une telle proposition est tributaire de la conception qu’ont nos auteurs des classes moyennes endettées. La notion de classe moyenne au sens de « salarié·e·s ayant accès à la consommation de masse » ne concerne qu’une minorité de personnes à l’international (dans les pays impérialistes essentiellement). L’accumulation néolibérale se nourrit très largement de l’accroissement des inégalités sociales (à l’échelle Nord-Sud, mais aussi à l’intérieur des économies nationales)[50]. Il est utile de rappeler que l’un des traits caractéristiques des délocalisations dans les années 1980 dans les pays du Nord a été l’intégration des classes populaires au travail manuel, souvent pénible, du secteur des services. Qui sait, peut-être qu’un travailleur ou une travailleuse chez McDonald’s ou Tim Hortons constitue une forme de « classe moyenne » aux yeux de Durand Folco et Martineau ? Après, il est évident que les classes moyennes sont endettées sous le néolibéralisme, mais comme le sont les ménages des classes populaires. Certes, la catégorisation n’a que des prétentions schématiques et idéals typiques, ce que ne manquent pas de rappeler explicitement les auteurs[51]. N’empêche qu’un idéal-type, comme instrument de connaissance, doit être capable de livrer le portrait le plus fidèle possible de la réalité étudiée. Sans quoi, plutôt que de jeter de la clarté sur le réel, il aura la fâcheuse conséquence de l’embrouiller davantage.
Un autre exemple de l’incapacité de l’ouvrage à traduire de manière réaliste le conflit de classe se présente lorsque Martineau et Durand Folco nous disent que le régime d’accumulation algorithmique se structure autour de l’opposition entre les prétendus « cloudalist » — les capitalistes du cloud, soit Elon Musk et sa bande de technophiles — et le précariat / le travail digital. Les deux Jonathan suggèrent-ils donc, à l’instar de Guy Standing (ancien président de l’Organisation internationale du travail), que le précariat serait une invention de la crise de 2007-2008[52] ? Les classes moyennes auraient croulé sous le poids de l’endettement, avant de tomber dans les rangs du précariat après la crise des subprimes[53]? Cette idée est irrecevable lorsqu’on se penche sur le fait que le néolibéralisme s’est, dès son origine, structuré autour de la fluidification du contrat de travail[54], cette « médiation formelle » entre le capital et le travail selon l’expression de Marx[55]. Le diktat du néolibéralisme est celui du « hire and fire » (« engager et renvoyer »). Ce phénomène de la précarité a été d’autant plus aggravé avec le phénomène des délocalisations qui permet de coupler des capitaux hautement productifs à une armée de réserve abondante[56]. Rappelons qu’avec un réservoir rural de prolétaires en puissance de près d’un demi-milliard de personnes en Chine et d’un milliard en Inde, la hausse des salaires fait face à d’importantes contre-tendances[57]. L’armée de réserve des pays du Sud — composée du travail informel, flexible et précaire — est une camisole de force qui maintient à la baisse le coût de reproduction de la force de travail. L’intégration des formations sociales précapitalistes dans le bassin global des forces de travail depuis la chute de l’URSS, l’entrée de la Chine sur le marché mondial et la soumission de la production agricole de la périphérie aux traités de libre-échange sont des facteurs qui viennent saper la tendance à l’augmentation des salaires que connaissait le fordisme (et sa forte intégration salariale des populations européennes)[58].
Tout compte fait, en l’absence de concepts opératoires et d’éléments empiriques suffisants pour démontrer la transformation de la structure de classe, on doit considérer que le fardeau de la preuve concernant l’existence d’un nouveau stade du capitalisme, algorithmique, demeure dans le camp du tandem Martineau / Durand Folco.

Finance, industrie et algorithmes… quels sont les moteurs de la relance ?
Comme nous l’avons mentionné, pour Durand Folco et Martineau, la crise financière des années 2000 aurait constitué le détonateur de la restructuration algorithmique. Les luttes post-2008 — Occupy, les Indignados et les luttes de la classe ouvrière chinoise et indienne — auraient enfoncé le dernier clou dans le cercueil du néolibéralisme[59]. Très « orthodoxes » sur cette question (ce qui n’est pas forcément une insulte), nos camarades se rapprochent d’Ernest Mandel dans Les ondes longues du développement capitaliste. Ce dernier y avance que les restructurations n’interviennent qu’après une période de crise économique majeure, ce qu’il appelle le « retournement d’une onde longue ». Les causes de la crise sont selon lui internes aux paramètres d’accumulation d’un ordre productif donné, mais la reprise de l’économie n’est quant à elle jamais garantie. Pour ça, tout un ensemble de stratégies doit être déployé afin que la machine économique redémarre. Comme le précise Michel Husson :
L’un des points importants de la théorie des ondes longues est de rompre la symétrie des retournements : le passage de la phase expansive à la phase dépressive est « endogène », en ce sens qu’il résulte du jeu des mécanismes internes du système. Le passage de la phase dépressive à la phase expansive est au contraire exogène, non automatique, et suppose une reconfiguration de l’environnement social et institutionnel. L’idée clé est ici que le passage à la phase expansive n’est pas donné d’avance et qu’il faut reconstituer un nouvel « ordre productif »[60].
Autrement dit, les changements d’ordre productif sont toujours des potentialités offertes par les crises, jamais leurs conséquences mécaniques. Le fait que 2007-2008 soit bel et bien une crise économique ne pourrait donc pas ipso facto former une preuve de l’émergence d’un nouvel ordre productif. Ensuite, comme nos théoriciens, Mandel avance que les changements de paradigme d’accumulation sont mobilisés par les capitalistes pour contourner l’insubordination ouvrière[61]. Diverses stratégies peuvent être déployées pour casser les conditions de cette conscience commune. Mandel relève par exemple la question des révolutions technologiques qui naîtraient de l’effort conscient de briser la résistance politique du prolétariat à la hausse du taux d’exploitation[62]. La transformation du procès de travail aurait par exemple permis de défaire la solidarité ouvrière internationale après la Deuxième Guerre mondiale, puis pendant la grande période d’insubordination de Mai 68 et des années 1970. Maintenant, on en conviendra, comparer Occupy Wall Street à de tels mouvements est assez fort de café. Jamais l’occupation des places publiques — somme toute très peinardes — n’aura fait trembler les profits des capitalistes (pour ça, il faudra faire plus que des menaces de taxation envers le 1 % le plus fortuné de la population). Mais nos auteurs persistent et signent : « Les machines algorithmiques peuvent à la fois discipliner et déplacer une classe ouvrière trop revendicatrice, et ouvrir des canaux pour l’investissement, et même mener à une réindustrialisation du Nord autour de la production intelligente. »[63]
Les capitalistes rêvent certainement d’une réindustrialisation du Nord, mais Durand Folco et Martineau ont l’air de prendre ces rêves pour des réalités, car ils n’avancent pas de statistiques pour illustrer la réindustrialisation en cours. À en croire les chiffres des pays de l’OCDE, la valeur ajoutée de l’industrie sur le PIB est passée de 26,8 % à 24,6 % entre 1997 et 2007. Cette descente ne s’est pas renversée suivant la crise de 2007-2008, au contraire. En 2021, ce taux était tombé à 21,9 %. Dans la même période, les États-Unis, première puissance impérialiste et grand champion de l’accumulation algorithmique, sont passés de 21,6 % à 17,9 % en termes de valeur ajoutée par l’industrie[64]. La réindustrialisation se fait encore attendre. En cette matière, le « fix » technologique du capital algorithmique est encore bien loin de quelque miracle. Sur l’aspect industriel, Amazon fait cavalier seul, en employant une importante main-d’œuvre dans ses entrepôts du Nord global (et d’ailleurs) – mais la manutention n’est pas non plus une industrie productive de marchandises au sens propre.
S’il semble ainsi exagéré de dire que le capital algorithmique relance « la logique industrielle et de l’automation[65] » à une échelle globale, Durand Folco et Martineau cherchent à nous livrer un ultime indice de la supplantation du néolibéralisme par le capital algorithmique : les plus grandes compagnies cotées en bourse sont les GAFAM[66]. Toutefois, cet indicateur pourrait très bien servir l’argument inverse : puisque la financiarisation de l’économie est un des traits caractéristiques du néolibéralisme, le fait que les Big Techs doivent absolument passer par la finance pour opérer semble plutôt approfondir le modèle néolibéral. Les auteurs tombent ni plus ni moins dans l’hyperbole lorsqu’ils avancent que le capital algorithmique « remplace progressivement la logique d’accumulation financiarisée par une logique algorithmique basée en grande partie sur l’extraction et l’analyse des données[67] ». Faisons abstraction un instant des indications données dans la première section de cette critique à propos de la distinction des niveaux d’analyse entre « capital algorithmique » et les autres formes du capital (industriel, commercial, financier), puisqu’il est clair que les auteurs opèrent ici une fausse opposition entre la finance et les données. Maintenant, posons-nous concrètement la question dans les mêmes termes que ceux des auteurs : les données rapportent-elles plus de profit que la finance ? Une source rapporte que les profits du marché du Big data en 2023 étaient de 77 milliards $ US[68]. Ce chiffre n’est clairement pas insignifiant et témoigne du fait qu’il s’agit sans doute d’un secteur profitable à plusieurs égards. Il demeure néanmoins inférieur au budget de l’État québécois qui gravite quant à lui autour des 115 milliards. À comparer des profits des pétrolières, cela semble être de l’argent de poche.
On ne peut pas non plus considérer que le capital algorithmique soit par nature industriel ou même simplement productif. La finance avait déjà cette réputation d’avoir un fonctionnement improductif, alimentant les spéculations d’un « capitalisme drogué[69] ». Le capital algorithmique s’impose-t-il donc comme un champion de la production ? Les auteurs nous donnent quelques chiffr
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Argentine : Milei bafoue le droit à l’éducation

La DUDH : genèse de l’édifice universel des droits humains

La DUDH : genèse de l'édifice universel des droits humains
Retour à la table des matières Droits et libertés, automne 2023 / hiver 2024
Edouard De Guise, Étudiant à l’Institut d’études politiques de Paris et militant à la LDL La Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), adoptée le 10 décembre 1948, constituait à la fois une avancée remarquable dans l’internationalisation de la protection des droits humains et une déception pour celles et ceux qui espéraient y voir un outil juridiquement contraignant pour les États. La DUDH, à son adoption, innovait quant à sa portée et à son envergure. D’abord, sur la forme, aucun texte n’avait prétendu à l’universalité sur la scène internationale avant la DUDH. Il existait alors déjà, dans quelques pays, des déclarations des droits rédigées à la suite des grandes révolutions des XVIIe et XVIIIe siècles. Ces déclarations avaient une prétention à l’universalité mais ne concernaient que les rapports de l’État à l’individu en droit interne. Elles n’étaient souvent pas respectées pour toutes et tous, comme ce fut le cas des personnes autochtones, des femmes, des personnes noires, et de plusieurs autres minorités; elles n’avaient qu’une portée circonscrite à la nation. Il existait également, du côté des organisations civiles, des documents privés qui tentaient de codifier le droit international des droits humains. Ce fut le cas notamment des codifications de l’Institut de droit international en 1929 et de la Ligue des droits de l’Homme en 1936. Ces documents n’étaient cependant pas reconnus par la communauté internationale et ils n’ont pas progressé vers un ordre international de protection des droits humains. Par ailleurs, il y avait des documents qui avaient la forme de la Déclaration sans en avoir l’envergure sur le fond. C’est le cas de la Déclaration du 8 février 1815 du Concert de l’Europe sur l’abolition de la traite esclavagiste. C’est également le cas du Traité de Berlin de 1878, qui contenait une disposition pour protéger les minorités chrétiennes dans l’Empire ottoman. Ces traités, bien qu’ayant une forme juridique ou déclaratoire, étaient bien loin de déclarer des droits pour toutes et tous, ne s’en tenant qu’à un seul enjeu.La genèse
L’idée d’une charte mondiale de protection des droits humains était promue et revendiquée depuis la Crise des années 1930 par des figures intellectuelles de différents milieux, comme les groupes syndicaux, pacifistes, féministes, juifs, chrétiens et libéraux. Dans son discours au Congrès des États-Unis du 6 janvier 1941, le président Franklin Delano Roosevelt lançait le débat sur la protection des droits dans le nouveau régime international qui serait établi à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il espérait alors pousser les États-Unis hors de leur isolationnisme pour soutenir les alliés qui vivaient alors, pour la plupart, sous l’occupation nazie. Il formulait dans ce discours son souhait que soient protégées quatre libertés : la liberté d’expression, la liberté de religion, la liberté de vivre à l’abri du besoin et de la tyrannie. Ces libertés préfigurent l’esprit de la DUDH dans son inclusion au sein d’un même texte de droits civils, politiques, sociaux et économiques.L’échec de la Société des Nations
Un deuxième fait historique a inspiré la forme et le fond de la DUDH : l’échec de la Société des Nations. Malgré sa structure et ses objectifs d’abord politiques et diplomatiques, l’action de la Société des Nations couvrait quatre orientations qui relevaient du droit international des droits humains : le respect des droits des minorités, la protection des réfugiées, l’amélioration des conditions des travailleuses et travailleurs et une justice pénale internationale. Outre ces grandes orientations, on y affirme le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, toile de fond de l’organisation pensée par le président Woodrow Wilson. L’action de la Société n’a pas été vaine, puisqu’elle a, notamment, créé le poste de haut commissaire aux réfugiés, qui avait instauré le passeport Nansen, un docu ment de voyage destiné aux apatrides. Il a d’abord servi, en 1922, aux réfugié-e-s du bolchévisme, « contre-révolutionnaires » qui avaient été déclarés apatrides. En 1924, il a ensuite permis aux Arménien-ne-s de fuir le génocide. La Société des Nations a donc joué un rôle important dans la protection de certains groupes et classes de la société.La création de l’Organisation internationale du travail
En matière de protection des travailleuses et travailleurs, la Société avait entre autres présidé à la création de l’Organisation internationale du travail (OIT), plus tard intégrée à l’Organisation des Nations unies (ONU). L’OIT a adopté une série de conventions portant sur les droits des travailleuses et travailleurs, des femmes, des enfants, des migrant-e-s et plus encore. La Déclaration de Philadelphie de 1944, document concernant les buts et objectifs de l’OIT, a même été décrite par plusieurs comme la première déclaration de droits à vocation universelle. Cependant, la Société n’avait pas de régime unique de protection des droits humains, ce que tenteront d’accomplir les architectes du système des Nations unies à l’aune des conséquences des tragédies humaines de la Seconde Guerre mondiale.La rédaction
L’ONU a été créée en 1945 par l’adoption de la Charte des Nations unies à la clôture de la conférence de San Francisco. La Charte faisait suite à la Déclaration des Nations unies, un texte signé par 26 pays alliés en 1942. Cette déclaration constituait alors le premier document international faisant explicitement appel à la protection des droits humains dans leur intégralité à l’échelle internationale. Un comité de rédaction de la DUDH, présidé par Eleanor Roosevelt, a été formé en 1947. Des juristes d’origines diverses avaient été appelés à former ce comité pour poser la première brique dans l’édification d’un nouveau système de protection des droits de la personne. Le comité était épaulé par John Peters Humphrey, professeur de droit à l’Université McGill et premier directeur de la Division des droits de l’homme du Secrétariat général des Nations unies.Un travail collectif
Contrairement aux croyances populaires alimentées par la littérature nationaliste et patriotique, en vogue surtout en France, aux États-Unis et au Canada, la rédaction de la DUDH n’était pas le fruit du travail d’une seule femme ou d’un seul homme extraordinaire. Humphrey avait rédigé la première ébauche du document dans le cadre de ses fonctions au Secrétariat général. Son travail a été repris par René Cassin, juriste français et membre du gouvernement de la France libre pendant l’occupation allemande, qui a notamment milité pour remplacer le terme « international » par le terme « universel » pour que la DUDH ne relève pas exclusivement du champ de compétence étatique. Il a également donné un style déclaratif « à la française » au document. Peng-Chun Chang, universitaire et militant des droits humains en Chine, a insisté pour que la DUDH soit exempte de références religieuses au « Créateur » ou à la « nature », pour qu’elle soit plus inclusive. Les autres membres du Comité de rédaction ont également apporté des précisions et des améliorations au projet de DUDH pour en faire un document qui soit de portée réellement internationale, avec la participation consultative des gouvernements et des ONG. Grâce, entre autres, au soutien des Soviétiques, la DUDH signifiait également, dès son adoption, un élargissement considérable du domaine traditionnel des droits humains aux droits économiques et sociaux, revendication portée principalement par les groupes syndicaux. Ces droits faisaient alors leur toute première apparition dans les textes juridiques internationaux sur un pied d’égalité avec les droits civils et politiques. Toutefois, la balance du pouvoir à l’Assemblée générale de l’ONU était alors favorable aux pays occidentaux, dont certains avaient encore des colonies. On ne retrouve donc pas dans la DUDH le plus important des droits collectifs ; il figure pourtant au premier article des deux Pactes de 19661 mettant en œuvre le projet de la DUDH : le droit des peuples à l’autodétermination.La différence entre le texte de la DUDH et celui des Pactes de 1966 témoigne certainement d’un déplacement du poids diplomatique aux Nations unies depuis l’Occident vers ses anciennes colonies, fruit du mouvement de décolonisation entre la fin des années 1940 et les années 1960.
Vers les Pactes
La forme juridique du texte a créé un litige dès le début de la rédaction de la DUDH, et ce n’était pas leur statut colonial qui alignait les pays. Finalement, certains pays ont préféré que la DUDH ne soit pas contraignante. Au Canada par exemple, le gouvernement a hésité à voter l’adoption de la DUDH, craignant devoir respecter la liberté d’expression ou de religion de certains groupes comme les communistes ou les Témoins de Jéhovah. Humphrey n’aurait convaincu le Cabinet de voter en faveur de l’adoption qu’au dernier vote. Certains pays souhaitaient que la DUDH soit juridiquement contraignante, craignant qu’elle soit adoptée facilement, mais que les Pactes, contraignants, ne le soient pas. Bien que l’histoire n’ait pas matérialisé leurs craintes, le contexte de guerre froide ainsi que les tensions liées à la décolonisation leur ont presque donné raison. Il a donc fallu attendre 18 ans — 28 ans si l’on considère la date de l’entrée en vigueur — pour que soient adoptés des instruments juridiques qui pouvaient assurer la mise en œuvre des objectifs de la DUDH.Les Pactes
Entre la DUDH et les Pactes, plusieurs vagues de décolonisation se sont succédé, marquant un élargissement considérable du nombre de pays à l’Assemblée générale de l’ONU. Cet élargissement a entraîné un changement dans la balance du pouvoir au sein de cette assemblée : les pays en développement avaient maintenant la majorité. L’époque était également marquée par la guerre froide, polarisant la politique mondiale. Ces deux grandes divisions : décolonisation et guerre froide étaient la toile de fond de la création et de la rédaction de l’instrument juridique contraignant qui manquait à la DUDH. C’est dans ces conditions qu’a été déterminée la forme de ce nouvel outil, composé de deux pactes : l’un concernerait les droits civils et politiques, favorisés par l’Occident ; l’autre concernerait les droits sociaux et économiques, promus par le bloc soviétique et les pays en développement. En 1966, la rédaction des Pactes était terminée et la période de ratification pouvait débuter. Les Pactes ne sont entrés en vigueur qu’en 1976. Ils ont par la suite été complétés de protocoles facultatifs d’application ou de précision. Le plus célèbre d’entre eux était celui portant sur l’abolition de la peine de mort, en 1989. Il résultait de plusieurs années de travail militant sur les scènes nationale et internationale. La Déclaration universelle des droits de l’homme ainsi que les deux Pactes constituent ensemble la fondation du régime international de protection des droits humains. On appelle ce corpus de textes la Charte internationale des droits de l’homme. Si les Pactes identifient les obligations des États de respecter, de protéger et de mettre en œuvre les droits humains, les dernières décennies nous démontrent que les gouvernements prennent rarement les devants pour les assumer, et quand ils le font, il s’avère que ce sont bien souvent les crises ou les urgences qui dictent leurs actions.- Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP) et le Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC).
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