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Jour du dépassement : cette année, c’est pour le 15 mars
Aujourd'hui, le 15 mars, marque le Jour du dépassement du Canada. 🌎 Cela signifie que nous avons épuisé toutes les ressources que notre planète peut régénérer en une année, si toutes les personnes habitant la Terre consommaient au même rythme que celles du Canada. Il faudrait 5.1 Terres pour soutenir ce mode de vie à l'échelle mondiale.
Cette année, le Jour du dépassement Canadien survient près de quatre mois avant la date prévue du Jour du dépassement mondial. ⌛
Le Jour du dépassement, créé par l'ONG Global Footprint Network=AZXrXUYDvwaiOMZIgnCii9qSE1TMaG7nB5xj_LPhP-6N7T-T6SaoqSubBXAivvwQcNfQu__X4e47yJUBCVvONINrk30TRJwKkCB7J0nATXCo91MGlwdw49k28oZ3AUpRVsZe1hol8IDn5IrEhyxYcU_Kzzgna8EO_d1hXMMrnuEiMieHuzYSmtjcRbXoXce9aKHu3RU6gcBGDB2ladbUsf7M&__tn__=-]K-y-R], nous offre une occasion de réfléchir à l'impact de notre consommation en termes de "journées perdues". Cette réflexion nous encourage à trouver des solutions pour "gagner" des jours, comme le prône le mouvement #MoveTheDate=AZXrXUYDvwaiOMZIgnCii9qSE1TMaG7nB5xj_LPhP-6N7T-T6SaoqSubBXAivvwQcNfQu__X4e47yJUBCVvONINrk30TRJwKkCB7J0nATXCo91MGlwdw49k28oZ3AUpRVsZe1hol8IDn5IrEhyxYcU_Kzzgna8EO_d1hXMMrnuEiMieHuzYSmtjcRbXoXce9aKHu3RU6gcBGDB2ladbUsf7M&__tn__=*NK-y-R]. ♻️🗓️
"Même si notre planète est limitée, les possibilités humaines ne le sont pas."
Le pouvoir des possibilités des solutions climatiques déjà existantes s'oppose au Dépassement : elles sont disponibles et ont la capacité de passer à l'échelle. ✍️ Global Footprint Network identifie cinq domaines de transformation à long terme, reposant sur l'action collective et individuelle : la planète, les villes, l'énergie, l'alimentation et la population. 🌱✨
Nous vous invitons à explorer leur site qui regorge de ressources très bien conçues 🧑💻📚
👉 Pour calculer votre empreinte écologique (en français) : https://ow.ly/YUZT50QTtJ2
👉 Pour explorer la carte des empreintes carbone et des capacités biologiques (en anglais) : https://ow.ly/xigH50QTtJ3
👉 Pour découvrir des solutions (en anglais) : https://ow.ly/INJV50QTtIZ
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Des artistes demandent un cessez-le-feu à Gaza à la 96ème Cérémonie des Oscars
Lors de la Cérémonie des Oscars 2024, la demande pour un cessez-le-feu à Gaza a fait l'objet de plusieurs prises de parole et de position. Le 10 mars 2024 se déroulait la 96ème Cérémonie des Oscars, à Los Angeles. Dans la rue et du côté des lauréats, la demande pour un cessez-le-feu à Gaza a été au coeur des prises de parole et de position.
Par l'Agence Média Palestine, le 14 mars 2024
photo Manifestation sur Sunset Boulevard à Los Angeles, le soir des Oscars 2024.
Des centaines de manifestants, coordonnés notamment par ‘Workers For Palestine' et ‘SAG-AFTRA for a ceasefire', ont bloqué une grande partie d'Hollywood pendant la cérémonie de tapis rouge des Oscars. À quelques minutes du début de la cérémonie, la salle de bal est inhabituellement vide alors que les invités d'honneur se voient forcés d'accéder à pied à la cérémonie, se retrouvant ainsi en retard et nez-à-nez avec les manifestants.
Les manifestants ont fermé le Sunset Boulevard entre Vine Street et La Brea Avenue. Ils ont défilé dans la rue avec des pancartes sur lesquelles on pouvait lire « Pas de récompense pour le génocide » et ont conduit des bus scolaires couverts de drapeaux palestiniens.
Le prix du meilleur film étranger a été décerné à « La zone d'intérêt », de Jonathan Glazer, un film plongé dans l'Holocauste qui suit le quotidien du commandant du camp d'Auschwitz Rudolf Höss, et de sa famille dans leur maison situé en bordure du camp de concentration où plus d'un million de personnes sont mortes durant la Seconde Guerre Mondiale. Le film de Glazer, élaboré en collaboration avec le Mémorial et Musée d'Auschwitz-Birkenau, s'intéresse aux manières dont on peut lutter contre la déshumanisation, tant à l'époque qu'aujourd'hui. Lors de son discours, le réalisateur a adressé ce message concernant la situation à Gaza :
« Les choix de ce film ont été faits pour nous faire réfléchir et réagir dans le présent, pas pour qu'on se dise dans quelques années 'regardez ce qu'ils ont fait', mais pour qu'on se dise maintenant 'regardez ce qu'on fait'. Notre film montre là où a pu mener la déshumanisation la plus terrible. Et cela a forgé notre passé et notre présent. Aujourd'hui, nous nous tenons devant vous comme des hommes qui refusons que notre judéité et l'Holocauste soient instrumentalisés par une occupation qui a mené à une guerre impliquant tant d'innocents. Qu'il s'agisse des victimes du 7 octobre en Israël ou de celles des attaques incessantes qui se déroulent à Gaza, elles sont toutes des victimes de cette déshumanisation. »
Le film de Glazer avait d'ailleurs été programmé dans le cadre d'un ciné-club du collectif juif décolonial Tsedek, qui avaient ensuite été annulés suite à des pressions externes. Le réalisateur du film a tenu a adresser un message de soutien au collectif : « Au nom de la liberté de pensée et d'expression, nous soutenons le droit du collectif juif Tsedek ! de diffuser et discuter le film ‘La Zone d'intérêt'. Comme nous, ils condamnent les meurtres et l'oppression en cours des civil-es innocent-es à Gaza et dans les territoires occupés, comme celui des civil-es innocent-es tué-es et pris-es en otage le 7 octobre en Israël. Leur position n'est pas antisémite ». Une nouvelle programmation du film dans le cadre du ciné-club Tsedek sera bientôt prévue.
Sur le tapis rouge, plusieurs célébrités portaient également le pin's rouge d'« Artists for a Ceasefire », notamment les acteurs du film multi-nominé ‘Pauvres Créatures' Ramy Youssef et Mark Ruffalo, ou encore la chanteuse Billie Eilish. Le pin's symbolise un soutien au peuple palestinien et un appel au cessez-le-feu immédiat et permanent. Quand Ramy Youssef a été interviewé sur la raison pour laquelle il a choisi de porter ce pins lors de la cérémonie, il a répondu :
« Nous demandons un cessez-le-feu immédiat et permanent à Gaza. Nous appelons à la paix et à une justice durable pour le peuple de Palestine. C'est un message universel : Arrêtons de tuer des enfants. Cessons de tuer des enfants. Ne participons pas à d'autres guerres. Personne n'a jamais regardé la guerre en arrière et pensé qu'une campagne de bombardements était une bonne idée. Le fait d'être entouré de tant d'artistes qui sont prêts à prêter leur voix, la liste ne cesse de s'allonger. Beaucoup de gens vont porter ces pin's ce soir. Il y a beaucoup de têtes parlantes dans les journaux télévisés, ici c'est un espace de cœurs parlants. Nous essayons d'envoyer un grand message à l'humanité. »
Les acteurs du film de Justine Triet primé à la catégorie du meilleur scénario ‘Anatomie d'une chute', Swann Arlaud et Milo Machado-Graner, ont eux porté un pin's arborant le drapeau palestinien.
Après près de 160 jours de bombardements israéliens sur la bande de Gaza, Israël a assassiné plus de 31 341 Palestiniens depuis le 7 octobre, dont au moins 12 300 enfants, et a blessé plus de 73 134 personnes.
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« Le domaine des artistes, c’est l’art, pas la politique ! »
Justine Triet a reçu l'Oscar du meilleur scénario original pour Anatomie d'une chute après de nombreuses péripéties, marquées par un discours mémorable à Cannes l'an dernier contre la retraite à 64 ans. On lui reproche, comme à d'autres avant elle, d'être trop politique. Puisque ça ne semble pas évident pour tout le monde, retour sur quelques bases.
Tiré du blogue de l'auteur.
« Son discours n' avait rien à faire dans ce contexte de cinéma », « Qu'elle reste dans son rôle » ou « Qu'elle fasse de la politique alors, pas du cinéma ! » sont des commentaires récurrents de la prise de parole de Justine Triet l'an dernier lors du festival de Cannes. Et ce n'est ni la première ni la dernière fois que cela arrive.
Judith Godrèche a eu le même type de réactions aux Césars de cette année, souvenons-nous de celles à l'encontre du documentariste aujourd'hui député François Ruffin à ceux de 2017. C'est une rengaine : le cinéma et la politique seraient deux choses séparées.
Plus généralement, l'art et la politique seraient séparés. En tant qu'auteur, j'avoue avoir du mal à envisager par quel chemin on peut arriver à penser ainsi.
Créer, c'est militer
Quand on crée, on prend la parole. Par principe, cela signifie qu'on considère qu'elle vaut quelque chose. C'est politique. On refuse la position du sujet, de l'objet, on revendique au minimum celle de l'observateur. Parfois même celle de l'acteur.
Dans notre France actuelle, les hiérarchies sont bien présentes et de nombreuses personnes considèrent que leur parole est illégitime, inintéressante et inutile. Et quand ce n'est pas cela qui nous limite, ce sont directement des affirmations partagées massivement. Comme celles d'un Président de la République qui déclarait dans une gare qu'il y a ceux qui réussissent et « ceux qui ne sont rien ». Se mettre en avant, s'affirmer et s'exprimer, c'est donc déjà un acte militant.
Mais créer, c'est aussi agir dans un contexte de production. Dans l'émission Soft Power de Lex Tutor, on apprend chaque vendredi à quel point ce contexte est important pour la culture et ceux qui la font. Doit-on accepter ou refuser les subventions ? Et pour les publicités et les sponsors ? Quel rôle donne-t-on à celles et ceux qui travaillent avec nous ? Aux plateformes ? Aux intelligences artificielles ? Sur quel média s'exprime-t-on ? Sous quelle forme ? Si on choisit d'avoir une communauté, quel pouvoir doit-elle avoir sur notre travail ?
Chaque artiste doit se placer sur toutes ces questions dans l'intervalle confortable entre une rémunération suffisante et les valeurs et messages qu'il ou elle porte. Les compromis sont souvent nécessaires et aucune œuvre n'échappe au monde qui vit autour d'elle.
Cela signifie aussi que quand on devient créateur, on a une vie professionnelle de créateur. Des expériences, des aventures et des combats d'artistes. On aurait tort de s'en priver pour inspirer nos propres travaux. À ce degré là, on milite pour conserver ou changer notre environnement et nos conditions de travail. Notamment au sein de nos créations. Toute œuvre parle de l'art en général, de ce qu'il est au moment où il est décrit ou dénoncé, de comment il se fait ou ne se fait pas, de ses limites et de ses permissions.
J'irai même plus loin.
Créer, c'est répondre
J'ai commencé mon aventure d'auteur dans le monde de la fanfiction quand j'étais adolescent. J'ai lu des récits alternatifs des mondes d'Harry Potter, de Star Wars, de Digimon ou de Death Note et me suis parfois risqué à écrire dedans moi-même.
La première question que je me pose alors est : qu'est-ce que je souhaite écrire ? La première réponse, la plus simple, est d'essayer de reproduire et de développer une partie de ces univers qui me plaisent. De faire dans ce style. Dans cet esprit.
Le choix de l'œuvre de départ est déjà politique. Les grandes sagas sont privilégiées dans mon esprit car elles ne dévoilent qu'une partie assez minime de leur univers, laissant ainsi un champ libre à mon imagination. Mais dans ma jeunesse, il y avait aussi Matrix, Le Seigneur des Anneaux ou le Monde de Narnia. J'ai eu beau lire, regarder et aimer ces sagas, jamais je ne m'y suis aventuré dans mes écrits. Le champ des possibles m'y paraissait plus restreint, moins accueillant aussi. Question d'affinités. Parce que la création, même dans ces cadres de dérivés de fiction, doit permettre de se déployer soi et ses problématiques.
Le développement de l'univers que je choisis est donc une réponse. Une réponse à l'œuvre, à ses manques, à ses oublis, à ses aveuglements. Ce qui signifie en fait une relecture de cette œuvre par mes obsessions, qui ne sont pas celles de l'autrice ou de l'auteur originel. Ces oublis, ce sont des oublis selon moi. Des manques dans ce qui, moi, m'intéresse. C'est donc infiniment personnel. Et partager le travail qui en résulte s'en retrouve infiniment politique.
Depuis, j'écris de la fiction en général et tout un tas d'autres choses. Pourtant, j'ai tendance à me dire que tous mes travaux sont des fanfictions : les codes choisis sont bien plus larges, les inspirations plus nombreuses, mais tout ce que j'écris est une réponse. Créer est une critique, une réponse à d'autres créations et au monde.
Quand j'écris une romance pour le recueil de nouvelles Qui Sème l'Été, je réponds à toutes les romances que j'ai pu lire et à certains présupposés qui ne me conviennent pas. Quand j'écris Mauvais Élève qui raconte mon parcours dans l'éducation nationale, je décris évidemment l'application de certaines politiques, mais j'y raconte mes émotions en réponse à un militantisme que je trouve trop méfiant envers celles-ci. Quand j'écris une vidéo sur l'état déplorable des logements en France, je réponds à un silence médiatique tout en rendant hommage au travail de la fondation Abbé Pierre.
Et je ne suis pas le seul. Star Wars est une réponse à la guerre du Vietnam. Digimon remplace les créatures animales et végétales de Pokémon par des programmes dans un monde virtuel. Harry Potter à l'école des sorciers propose une manière de briser la barrière entre les genres fantasy et fantastique. Toutes ces œuvres sont des réponses à des créations préexistantes dans lesquelles on déploie ensuite ses propres obsessions.
Ironiquement, commenter, c'est déjà créer
Je ne connais pas d'étape dans la création qui ne soit pas le résultat d'un choix, et qui n'ait donc pas d'implication politique.
À mon avis, qui est plutôt un doigt mouillé qu'un baromètre, ce discours de séparation absolue entre cérémonie artistique et discours politique est d'abord dû à une société qui met des barrières partout : entre les scientifiques et les littéraires, entre les jeux d'enfants et les loisirs adultes, entre le spectacle et le monde (qu'il décrit ou dénonce pourtant). Nous gagnerions tous à davantage de transversalité et à moins d'exclusions automatiques.
Mais l'inconcevabilité d'un art apolitique me rend tout de même très perplexe. Est-ce possible de voir, de lire, d'écouter sans rien déceler qui gratte un peu ? Est-ce possible même de vouloir créer quelque chose qui ne suscite aucune discussion ?
Face à cet embarras, j'ai trouvé une réponse. Une histoire insuffisante mais confortable. Je crois que ces commentaires ne sont pas sincères.
Je pense et je me convainc de plus en plus que les personnes qui prétendent vouloir séparer l'art de la politique sont en réalité très imbus de leur pouvoir sur les réseaux sociaux. Un pouvoir précisément très politique.
Elles sont d'ailleurs contredites par toutes celles et tous ceux qui commentent sous les mêmes vidéos des « Bravo ! », « une prise de parole courageuse ! » ou des « enfin du bon sens ! ».
Tout se passe comme si on ne souhaitait séparer de la politique que l'art qui nous déplaît ou les prises de parole en désaccord avec nos engagements. Les deux positions antagonistes coexistent dans une forme de lutte pour un surcroît d'approbations, pour être repris ailleurs, pour engager une polémique qui va dépasser les seuls espaces d'expression libre. Finalement, en disant ne pas vouloir faire de politique, ces gens en font quotidiennement. Et je peine à croire qu'ils ne s'en aperçoivent pas.
La spécialité du « deux poids, deux mesures » que le monde politique pratique en permanence semble maintenant reprise par des internautes anonymes sinon conscients de leur positionnement politique, du moins bien au courant de leur potentiel pouvoir de nuisance.
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Aya Nakamura et les JO : quand la France exporte son racisme
Aya Nakamura est l'artiste française la plus connue à l'étranger. Ces tubes viraux on pu faire le tour du monde notamment « Djadja », « Copine »... Ce choix n'est pas le fruit du hasard, cette artiste connaît un succès à l'international et fait le show. C'est ce que l'on attend lors d'un événement de cette envergure.
Tiré du blogue de l'autrice.
Aya Nakamura aux JO : un choix questionné
Les internautes sont conscients du choix stratégique fait pour “redorer” le blason de la France après les nombreuses polémiques racistes et islamophobes. Une femme noire pour l'ouverture des JO en France, quel pays progressiste ! Mais rapidement cette nouvelle ouvrira un spectacle raciste et misogyne. Pour illustrer cette annonce, un média a utilisé une photo de… Naomi Campbell au côté de Brigitte Macron ou des internautes français utilisent une photo de Megan Thee Stallion, artiste américain, pour dénoncer le manque de classe de la chanteuse française.
Confondre deux personnes racisés n'est pas une simple erreur : les personnes racisées ici les femmes noires n'ont pas le droit à leur individualité. Cela est aussi constaté par la psychologue Racky KA-SY :
- “Refuser de reconnaître l'autre comme un être unique et distinct des autres [...], nier son identité et ne pas le considérer comme l'humain qu'il est, c'est de la déshumanisation.”
Nous parlons également de l'homogéneisation exo-groupe c'est-à-dire que nous voyons les groupes différents de nous comme homogène d'où le fait de les confondre, ce regard reste fondé sur des idées reçues et stéréotypes. À contrario, l'hétérogéneisation endo-groupe permet de distinguer les personnes du groupe auquel nous appartenons. Il y a tout de même un certain rapport de domination qui s'instaure à travers ce regard porté sur l'autre.
Ce choix est remis en cause car il est considéré que la chanteuse n'est pas légitime pour représenter la France. Femme noire, issue d'un quartier populaire avec un style entre la pop, le R&B, le hip-hop et l'afrobeat… Au final un style très en vogue, un mélange et un renouvellement qui enflamment les pistes du monde entier. Certain.e.s se questionnent, peut-on ne pas aimer ce choix et ne pas être raciste ?
L'identité française : le mépris de classe et le racisme ?
Pour ses réfractaires, Aya Nakamura ne représente pas la France, ses chansons, son image ne collent pas. Nous avons pu avoir des propositions comme Michel Sardou, Patrick Bruel, Jean-Jacques Goldman ou encore Véronique Sanson… Si ce sont des grands noms de la chanson française, est ce qu'en 2024 ils ont la visibilité d'Aya Nakamura ? Et surtout est-ce vraiment pertinent dans le cadre des JO ? Il y a tout de même une volonté à parler au monde entier donc mettre une artiste internationale reste un choix cohérent. Le problème reste le racisme qui découle de cette annonce.
“ Y a pas moyen Aya, ici c'est Paris pas le marché de Bamako” voici ce que l'on peut lire sur la bannière d'un crépuscule d'extrême droite pour contester cette décision. À partir de là, est-ce que les débats parallèles comme ses tenues ou ses paroles ont de l'importance ?
La chanteuse subit de la misogynoir depuis le début de sa carrière. La misogynoir est un concept de la chercheuse Moya Bailey voulant mettre en lumière l'expérience particulière du racisme et de la misogynie que vivent les femmes noires. Comme le fait d'être les comparer à des hommes noirs quand leur physique ne répond à certaines injonctions (comme le fait de ne pas porter de maquillage ou d'avoir un corps musclé), les considérer comme des femmes colériques et agressives. À cela s'ajoute du mépris de classe car elle joue une musique qui n'est pas légitime si nous reprenons les théories bourdieusiennes du champ musical.
Les commentaires revenant assez souvent sont : “elle ne représente pas la France”, “elle est vulgaire”, “des textes qui ne sont pas écrit en français”... La musique peut avoir plusieurs formes. Nous avons des musiques à textes avec un message profond comme nous avons des musiques plus légères qui conviennent aux espaces festifs. Chanter du Edith Piaf n'est en rien un sacrilège, nombreux sont les artistes reprenons des titres de la variété française dans des genres tout à fait différents, c'est aussi ça la magie de l'art.
Racisme, misogynie, mépris de classe, les éditorialistes français se surpassent afin de contester ce choix qui n'a pas été acté. D'autres se voit surpris du manque de réaction du président qui n'avait pas hésité à prendre la parole pour défendre Gérard Depardieu. Même reproche à Rachida Dati qui avait pu promouvoir la musique dite urbaine argumentant sur le mépris de classe et la dimension artistique et politique du rap
“Mais je vous dois quoi en vrai ? Que dalle !”
La réponse de l'artiste a pu faire parler. Afin de répondre à la banderole raciste la chanteuse a pu tweeter :
- “Vous pouvez être racistes mais pas sourds. C'est ça qui vous fait mal ! Je deviens un sujet d'État numéro 1 [..] mais je vous dois quoi en vrai ? Que dalle !”
Forcément nous avons eu le droit à la fameuse gratitude que nous devons avoir surtout en tant que personne racisées, j'ai pu aborder cette question suite à la polémique autour d'Omar SY l'an dernier. Par son travail et son parcours, la chanteuse a pu se faire une place avec un succès international tout en subissant tous les jours des attaques sur son physique, sa couleur de peau, sa vie privée…. mais comme j'avais pu le préciser les personnes racisées devraient être plus reconnaissantes que le reste de la population. "Grâce à la France vous avez pu avoir du succès", il y a clairement une dimension raciste derrière cela et pour illustrer cette vision nous pouvons reprendre des propos tenus sur Sud Radio au sujet de la journaliste Rokhaya Diallo :
« Sans la France madame Diallo serait en Afrique avec 30kgs de plus, 15 gosses, en train de piller le mil par terre et d'attendre que Monsieur lui donne son tour entre les 4 autres épouses.
Des propos violents au niveau de la banderole de l'extrême droite. Pouvons-nous commencer à questionner l'aisance avec laquelle il est permis de tenir des propos d'une telle violence sous prétexte de la liberté d'expression ?
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Appel pour la VIème Rencontre écosocialiste internationale
Les 9, 10 et 11 mai 2024, la VIème Rencontre écosocialiste internationale et la Ière Rencontre écosocialiste Latino-Américaine et Caribéenne se tiendront à Buenos Aires.
Tiré de Gauche anticapitaliste
13 mars 2024
Par Collectif
Appel pour la VIème Rencontre écosocialiste internationale
La VIème Rencontre écosocialiste est la première à se tenir en Amérique Latine et dans les Caraïbes (Abya Yala), et s'inscrit dans la lignée des précédentes Rencontres organisées en Europe. Elle cherche à alimenter les débats sur la base de l'accumulation des constructions antérieures. L'objectif est de passer des dénonciations et des luttes défensives à la construction d'une stratégie globale pour affronter les causes structurelles générées par la marchandisation et la déprédation capitaliste et pour avancer vers un modèle de société qui n'est pas gouverné par les profits des entreprises et d'autres groupes d'intérêt, mais plutôt en termes de besoins sociaux en équilibre avec la nature et dans une perspective éco-féministe et anti-raciste.
La réunion comprendra des panels, des ateliers, des plénières et des espaces d'échange entre les collectifs, les activistes et les organisations en lutte afin d'avancer collectivement vers un agenda et un programme de lutte pour l'écosocialisme. Afin d'arriver à la réunion avec des contributions et des lignes de travail définies, nous organisons des activités en ligne qui peuvent être suivies via notre chaîneYouTube.
Nous comprenons que la diversité qui nous caractérise en tant qu'organisations de défense des biens communs et de lutte pour un monde sans exploitation est notre plus grande force, c'est pourquoi nous invitons tout le monde à participer aux groupes de travail et surtout à la construction de notre programme, qui sera l'axe organisateur des débats que nous voulons avoir dans ce moment historique. La construction est ouverte aux collaborations et nous vous encourageons à participer organiquement à cette instance afin d'avancer dans les discussions qui nous semblent indispensables.
La Rencontre aura une instance hybride, au moins pour les débats principaux, afin de faciliter la participation de celleux qui ne peuvent pas être présent·e·s en présentiel. Toutes les informations seront diffusées par le biais de nos réseaux et de notre liste de diffusion, et toute personne intéressée peut demander l'accès à la liste en cliquant sur le lien suivant :https://groups.google.com/g/6encuen...
Afin d'encourager et de donner de l'espace à tous les points de vue intéressés par la construction d'un horizon écosocialiste, nous recevons des contributions telles que des textes et/ou d'autres matériaux qui seraient intéressants pour socialiser avec le collectif qui participera à la Rencontre. Vous pouvez envoyer votre contribution par email : 6encuentroecosocialista@gmail.com ou par les réseaux de messagerie au numéro +541135648839.
Nous commençons à élaborer le programme de la Rencontre. Nous souhaitons que ce programme reflète les propositions des différents collectifs qui seront présents. Nous vous invitons à nous envoyer vos propositions et à participer aux réunions du groupe de travail programmeà travers ce lien. Nous avons déjà plusieurs axes thématiques, tels que l'écoféminisme, le militarisme, le syndicalisme, l'extractivisme et la stratégie et la construction écosocialiste.
L'objectif de la 1ère Rencontre Ecosociale d'Amérique Latine et des Caraïbes est de donner une continuité aux débats écosociaux à partir des territoires et des enjeux de la région, et il est proposé de poursuivre avec une seconde Rencontre qui se tiendra à l'occasion de la COP 30, qui aura lieu au Brésil l'année prochaine. Afin de construire le processus de la 2ème Rencontre, le Réseau Brésilien des Ecosocialistes a proposé de faciliter et de promouvoir les échanges nécessaires à la formation d'une coordination large et diversifiée de collectifs et d'activistes en vue de l'organisation de la 2ème Rencontre à Bethléem.
Dans cet Appel pour les VIèmes Rencontres, nous aimerions compter sur la signature d'organisations et/ou d'individus qui souhaitent contribuer à la diffusion et à la construction de l'initiative, pour lesquelles nous partageons notre Appel. Nous sommes en train d'organiser la logistique pour recevoir tout le monde de la meilleure façon possible, nous demandons donc à celleux qui souhaitent participer aux activités de remplir notre formulaire d'inscription.
Le contexte dans lequel nous devons organiser cet événement depuis l'Argentine est celui de l'avancée d'une extrême droite qui vise à détruire les droits gagnés par les syndicats, les féminismes et les organisations qui ont lutté – et continuent de lutter – pour plus de démocratie et une meilleure démocratie, en affrontant les dictatures et les projets néolibéraux.
Cependant, tout ce scénario nous appelle également à construire des horizons possibles à partir des luttes sociopolitiques et écologiques d'en bas et de gauche. Aujourd'hui, plus que jamais, l'Argentine et l'Amérique latine ont besoin du soutien et de la solidarité internationalistes. C'est pourquoi nous comptons sur la présence de nombreux·euses camarades pour un débat fraternel.
Afin de rendre la Rencontre possible, nous demandons aux organisations, collectifs et individus qui peuvent et/ou veulent collaborer financièrement de le faire à travers le compte suivant. Nous pourrons ainsi commencer à préparer les espaces et garantir le transport, l'hébergement et la nourriture des camarades, ainsi que l'équipement nécessaire pour les transmissions en ligne.
IBAN ES25 1491 0001 2221 7799 8321
BIC TRIOESMMXXX
Titre : ASOCIACIÓN ANTICAPITALISTAS MOVIMIENTO POR EL PODER POPULAR (ASSOCIATION ANTICAPITALISTE POUR LE POUVOIR POPULAIRE)
Concept : Contribution VI Rencontres écosocialistes
Nous vous attendons à Buenos Aires !
Toutes les infos sur le site alterecosoc.org
Premières signatures
Anticapitalist Resistance / Anticapitalistas – España / Articulação Nacional das Mulheres Indígenas Guerreiras da Ancestralidade – Brasil / ATTAC Argentina / CADTM – AYNA/ Centelhas (PSOL) – Brasil / CLATE – Argentina / Climaximo – Portugal / Corriente Política de Izquierda (CPI) – Argentina / EcosBrasil / Ekologistak Martxan – País Vasco / ESK sindikatua- País Vasco / Extinction Rebellion South Africa / Gauche anticapitaliste – Belgique / Groupe écosocialiste de solidaritéS – Suiza / Grupo Iniciativa Ecosocialista en Chile / Gune Ekosozialista – País Vasco / Heñói – Paraguay / Huerquen Comunicación – Argentina / Insurgência (PSOL) – Brasil / Internacional de Servicios Públicos (ISP) / Jauzi Ekosoziala – País Vasco / La Cultural de la Costa – Argentina / LAB – País Vasco / Marabunta – Argentina / Marcha Plurinacional de los Barbijos – Argentina / Movimento Pela Soberania Popular na Mineração (MAM) – Brasil / Multisectorial Paren de Fumigarnos – Santa Fe – Argentina / Museo del Hambre – Argentina / Nouveau Parti Anticapitaliste – Francia / Nuestramérica – Argentina / Observatorio Petrolero Sur – Argentina / Plataforma América Latina y el Caribe Mejor Sin TLC / Poder Popular – Argentina / Propuesta Sur – Argentina / Rebelião Ecossocialista – Brasil / Rede Brasileira de Ecossocialistas – Brasil / Setorial ecossocialista del PSOL – Brasil / SolidaritéS – Suiza / Steilas sindikatua – País Vasco / Subversión – Argentina / Subverta (PSOL) – Brasil / Transnational Institute (TNI) / Yasunidxs – Ecuador
Adrian Ruiz / Alejandro Horowicz / Alfonso Caño Reyero / Andoni Louzao Bustamente / Andrea Leonett / Arlindo Rodrigues / Aude Martenot / Beatriz Rajland / Cecília Feitosa / Cecilia Piérola / Christine Poupin / David Fajardo / Eduardo Giesen / Endika Perez Gomez / Evelyn Vallejos / Fernando E. Tecuatl / Fernando Gonzaléz Cantero / Flavio Serafine / Francisca Fernández Droguett / Gabriel Casnati / Gabriel E. Videla / Hugo Milito / Iñaki Bárcena / Iñaki Uribarri / Iñigo Antepara / Iratxe Álvarez Reoyo / Iratxe Delgado Arribas / Ivan Moraes / Janilce Magalhães / Javier Aguayo / Javier Echaide / Jeanne Planche / Joana Bregolat / João Camargo / Joaquin Vega Padial / José Manuel Gutiérrez Bastida / José Seoane / José Seoane / Juan Tortosa / Julio Gambina / Licia Garcia / Listado de personas / Luciana Ghiotto / Lucien Durand / Manuel Gari / Marcos Filardi / María Elena Saludas / Mariana Souza / Marije Etxebarria Ezpeleta / Mario Bortolotto / Marisa Castro Delgado / Martin Lallana / Martín Mosquera / Mauricio Cornaglia / Mauricio Laxe / Michel Loẅy / Moira Millan / Natalia Chaves / Nathalie Delbrouck / Ollivier de Marcellus / Professor Túlio / Renan Dias Oliveira / Renato Roseno / Ritxi Hernández Abaitua / Rodrigo Andrade / Sabrina Fernandes / Sara Ibáñez Ortega / Sébastien Beltrand / Sébastien Brulez / Sergio Abraham Esparza / Sergio Esparza / Steven Tamburin / Talíria Petrone / Tamara Perelmuter / Tárzia Medeiros / Teo Frei / Tom Kucharz / Tomi Etxeandia Egidazu / Vanessa Dourado / Yayo Herrero
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Leila Alaoui, made in India
Paris. Quartier du Marais. Jeudi, 7 mars 2024. La Galeria Continua expose une série d'oeuvres inédites de Leila Alaoui. L'artiste, en résidence à Chennai, ancienne Madras, en Inde, témoigne de la condition ouvrière dans les usines de textile.
PAR MUSTAPHA SAHA.
Elle installe durant l'été 2014 un studio mobile avec projecteurs, déflecteurs, toile de fond noire Le cadre se décontextualise. Les trois cents travailleuses, revêtues de saris magnifiques, défilent devant son objectif. Aucune sélection préalable. Se nouent spontanément des liens d'empathie. Chaque séance est un moment d'amitié. Les gestes, les postures, les allures se ritualisent. Des silhouettes fines, droites, impassibles. Des peaux hâlées par le soleil et le vent. Des regards profonds. Un immense panneau décline trente gros plans de mains, des mains indélébilement marquées par le dur labeur, striées de cicatrices, rugueuses, noueuses. Des mains parfois effilées de jeunes filles. Des mains quelquefois veineuses, trahissant un âge avancé. Des mains nues découvrant leur innocence. La communauté féminine d'une obscure région tamoule acquiert, par la magie de l'art, une impressionnante visibilité.
En cette année 2014 où Leila Alaoui réalise son reportage photographique, une étude du Centre de recherche sur les entreprises multinationales (SOMO) et du Comité néerlandais pour l'Inde (ICN) souligne les conditions inhumaines de travail dans les filatures du Tamil Nadu. Des employées de tous âges travaillent six jours par semaine, du matin au soir, pour des salaires dérisoires. Les femmes sont incitées à quitter leur village par des promesses alléchantes. Elles se retrouvent esclavagisées. Les cadences infernales ne laissent aucun répit. Beaucoup des travailleuses sont hébergées dans des résidences misérables appartenant aux entreprises. Les gérants et les superviseurs, exclusivement des hommes, intimident, menacent, apeurent, profèrent des insultes et des injures. Les contrôles systématiques, les pressions permanentes, les chantages au licenciement au moindre retard entraînent une lourde pathologie professionnelle, maladies respiratoires, affections vésicales et rénales, problèmes cardiaques, lombalgies, fatigues chroniques, crises d'angoisse, dépressions.
Les usines d'habillement sous-traitent au profit des marques occidentales. La mondialisation est synonyme de délocalisation. Les enseignes de confection ne se soucient guère du fonctionnement interne de leurs fournisseurs, des violations des droits humains. Les carences de sécurité sont partout criantes. Les drames se succèdent. Les fabriques sont des cimetières de la mode jetable, du surconsumérisme effréné. Les vêtements et les chaussures usagés s'évacuent dans les pays du sud. Les marques d'ultra fast fashion rabaissent sans limites les petits prix. Les produits bon marché s'acculement dans des décharges monstrueuses. Selon le rapport 2020 de Climate Chance, l'industrie du textile est responsable d'un tiers des rejets de microplastiques dans l‘océan.
L'exposition est aussi une invitation à découvrir la culture tamoule. Les grands formats de Leila Alaoui suggèrent les architectures domestiques où certaines ouvrières évoluent au quotidien, les vérandas sur la rue avec des tuiles sur poteaux de bois, les cours intérieures, les arrière-cours, les thalvarams surnommés « les rues qui parlent ». Les façades offrent des extensions publiques, des passages toiturés au service des piétons, des bancs maçonnés pour les visiteurs et les pèlerins. La rue s'homogénéise avec juxtaposition d'appentis, de corniches, de pilastres, de colonnes ornées, de parapets sculptés. Une atmosphère retrouvée dans la scénographie de l'exposition, salles désenclavées, vétustés esthétiquement exploitées.
Les Tamouls, vivant majoritairement dans l'Etat du Tamil Nadu, principalement des indous, comptent également des minorités chrétiennes et musulmanes. Une culture millénaire, diversitaire. Une langue ancienne, riche d'un formidable patrimoine littéraire. Une musique antique, dite carnatique, codifiée quatre siècles avant l'ère chrétienne, essentiellement basée sur l'improvisation. Les architectures dravidiennes, les temples rocheux, les grottes sacrées, les stupas, les mosquées, les palais, les bas-reliefs, les arches monumentales, toranas. La vallée de l'Indus est la plus immémoriale des civilisations urbaines, avec la Mésopotamie et l'Egypte pharaonique. Les styles accompagnent l'évolution du bouddhisme. Révolution iconographique il y a deux mille ans, le Bouddha est représenté, pour la première fois au Gandhara, sous forme humaine. Les techniques de construction se perfectionnent avec les royaumes hindouistes du sud à partir du huitième siècle. Les temples en pierre se substituent aux édifices excavés. Plus tard, les architectures indo-musulmanes et mogholes.
Les dynasties tamoules antiques, protectrices des lettres et des arts, archivistes, édificatrices d'architectures somptueuses, entretiennent des relations diplomatiques avec Athènes et Rome. Une relation grecque anonyme du premier siècle, Periplus Maris Erytraei, Le Périple de la mer Erythrée, énumère les exportations indiennes, poivre, cannelle, nard, perles, ivoire, soie, diamants, saphirs, écaille de tortue. Au sixième siècle, les Pallava érigent le premier empire. La construction de vastes temples, fastueusement décorés, s'accélère. Des sages tamouls fondent le mouvement bhakti, composante essentielle de l'indouisme, préconisant l'amour pur et l'oubli de soi. Cinq voies balisent sa pratique, le jnâna yoga, yoga de la connaissance, le karma yoga, voie de l'action consacrée, le raja yoga, exercices physiques et spirituels, le tantra yoga, rites magiques et la discipline personnelle. Les Chola renversent les Pallava au neuvième siècle. Les invasions musulmanes prennent la relève à partir du quinzième siècle. Deux siècles plus tard, les puissances européennes établissent des colonies. Français, britanniques, portugais, néerlandais introduisent des styles européens, des dômes gothiques, des tours d'horloge victoriens. New Delhi s'enorgueillit de ses monuments Art déco. La Grande-Bretagne domine tout le sous-continent jusqu'à l'indépendance de 1947.
L'art tamoul est surtout un art religieux. La peinture de Tanjore apparaît au neuvième siècle. Le support est une pièce d'étoffe recouverte d'oxyde de zinc. L'image est polychrome. Elle peut être ornée de pierres semi-précieuses, brodée de fils d'or et d'argent. Le style d'origine est repris avec des techniques adaptées dans les fresques religieuses. Les sculptures de pierre et les icônes de bronze, de l'époque Chola notamment, sont des contributions majeures au patrimoine de l'humanité. Cet art se caractérise par des lignes douces et fluides, des détails traités avec une infinie minutie. Ni préoccupation d'exactitude ni souci de réalisme dans l'éxécution des portraits. Un art archétypal.
Flotte dans l'air de l'exposition une empreinte d'indigo, couleur apaisante, relaxante, envoûtante. Chromatique de la méditation, de l'intuition, de l'inspiration, de la création, de la conscience profonde. La haute résolution accentue l'effet hypnotique. L'indigo, pigment végétal issu des feuilles et des tiges de l'indigotier, était, dans les temps anciens, un produit de luxe. Les grecs et les romains l'appelaient l'or bleu. L'indigo, réintroduit dans les pays occidentaux au quinzième siècle par des marchands arabes, est prisé par les hippies pacificistes et la contre-culture californienne. Il imprègne de sa légende jusqu'aux Bleu jeans. Nous baignons toute l'après-midi dans un espace hors-temps, une ambiance hiératique peuplée de déesses.
Octobre 2014. Je fais la connaissance de Leila Alaoui à l'occasion de l'événement Le Maroc contemporain à l'Institut du Monde Arabe où nous sommes tous les deux exposants. Je présente des peintures sur toile, des portraits de figures de proue de la littérature marocaine, Driss Chraïbi, Edmond Amran El Maleh, Mohamed Leftah. Leila Alaoui montre Cossings, Traversées, une installation vidéo immersive, en triptyque, sur des migrants subsahariens clandestins, plongés dans un environnement hostile, collectivement traumatisés. Le pseudo-paradis européen se révèle une utopie problématique. Elle évite judicieusement la corde sensible. Portraits statiques, paysages abstraits, voix-off. La démarche anthropologique rejoint mon travail sociologique en recherche-action. Nous avons quelques conversations philosophiques. Elle me pose des questions sur Mai 68, sur le cinéma de Jean Rouch, sur la théorie rhizomique de Gilles Deleuze et Félix Guattari, sur des événements historiques qu'elle aurait voulu avoir vécus, sur des intellectuels qu'elle aurait voulu avoir connus. Elle me paraît assurer une relève crédible. Elle élabore des méthodologies originales, des techniques novatrices. Elle me tient informé de ses projets artistiques, toujours motivés par des raisons solidaires. J'apprécie sa soif intellectuelle, son énergie créative. Je lui consacre une chronique, après sa disparition tragique en juin 2016, intitulée Leila Alaoui ou l'ombre de l'absente. Dans l'édifice prestigieux de la Maison Européenne de la photographie de Paris, une photographie en noir et blanc de Leila Alaoui en guise d'hommage. Terrible contraste avec le rayonnement de son sourire. Remonte des tréfonds de l'être l'insurmontable sentiment d'impuissance. Que dire face à la perte irremplaçable d'un joyau de la terre ?
Mustapha Saha
Sociologue, artiste peintre.
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« Aid state : elite panic, disaster capitalism, and the battle to control Haiti »
L'État d'Haïti est au bord de l'effondrement : des groupes armés ont envahi le pays, de nombreux responsables gouvernementaux ont fui après l'assassinat du président Moïse en 2021, des réfugiés ont désespérément embarqué sur des bateaux pour rejoindre les États-Unis et l'Amérique latine, et l'économie est sous le choc des séquelles, de catastrophes, tant d'origine humaine que naturelle, qui ont détruit une grande partie des infrastructures d'Haïti.
« Aid state : elite panic, disaster capitalism, and the battle to control Haiti » by Jake Johnston, St Martin's Press. Published 18/03/2024. 384 pages. ISBN/Ean 1250284678 / 9781250284679. £18.74 £24.99
Tiré de Browns Books.
Traduction Google+a.c.
Comment une nation fondée sur la libération - un peuple qui s'est révolté avec succès contre ses colonisateurs et ses esclavagistes - est-elle arrivée à un tel précipice ? Dans « Aid State », Jake Johnston, chercheur et écrivain au Center for Economic and Policy Research, révèle comment les objectifs des capitalistes américains et européens ont réasservi Haïti sous prétexte de l'aider.
Pour l'Occident, Haïti a toujours été un endroit où la main d'œuvre est bon marché, où les politiciens sont dociles et où les profits peuvent être réalisés.
Au cours de près de 100 ans, les États-Unis ont cherché à contrôler Haïti avec une police d'occupation, des militaires et des forces de maintien de la paix, ainsi qu'avec des dirigeants triés sur le volet, censés réprimer les soulèvements et protéger les intérêts des entreprises.
Les tremblements de terre et les ouragans n'ont fait que nuire davantage à un État déjà décimé par le complexe industriel "humanitaire". Basé sur des années de reportages sur le terrain en Haïti et d'entretiens avec des hommes politiques aux États-Unis et en Haïti, des responsables de l'ONU et des Haïtiens qui luttent pour leur vie, leur foyer et leur famille, « Aid State » est un livre de témoignage qui bouleverse les consciences.
Image for Aid state : elite panic, disaster capitalism, and the battle to control Haiti
Une suggestion de lecture de : André Cloutier, Montréal, Québec, 17 mars 2024*
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Adresse inaugur@le pour une revue
Les tambours de guerre du FNL vietnamien annonçaient une incroyable nouvelle : les envahisseurs n'étaient pas invincibles. Partout, ou presque, les campus s'enflammaient, l'insubordination ouvrière se répandait comme une traînée de poudre, le vieux monde était bousculé, Paris, Mexico, Berlin, Berkeley, Turin et Prague ne faisaient plus qu'un.
Tiré d'Entre les lignes entre les mots.
C'était il y a longtemps
La jeunesse, celle des facs et celle des usines, secouait la vieille société, les hiérarchies, les pouvoirs de droit divin, la propriété inaliénable, le patriarcat, les bureaucraties prédatrices et liberticides. Les murs prenaient la parole et les barricades ouvraient des voies insoupçonnées.
Désordre climatique dans le monde de Yalta, le cycle des saisons en fut perturbé. Le printemps fut tchécoslovaque et, en France, Mai dura jusqu'en juin. En Italie, Mai fut rampant et l'automne chaud. Dans les années qui suivirent, tout avait semblé possible à Santiago et à Lisbonne qui s'était couvert d'œillets.
Le fond de l'air était rouge et le souffle long de la révolution mit à mal la propriété privée des moyens de production, la morale établie, les rapports sociaux sexués, les divisions ethniques et les partis uniques. Il y eut de la contestation et de la subversion, des grèves et des conseils ouvriers, des expropriations et de l'autogestion, des livrets militaires brûlés, des batailles pour les droits civiques, des combats pour l'égalité et la libération des femmes, l'émergence nouvelle de l'écologie et, à une échelle inconnue jusque-là, d'un raz-de-marée féministe. Les libertés inabouties ou trahies étaient à portée de main et la chienlit éclaboussait les pères fouettards et les gardes-chiourmes.
Le monde pouvait changer de base : il apparaissait désormais possible de se réapproprier le contrôle des mécanismes de la vie en société. La démocratie pouvait être sans bornes et ne plus s'arrêter ni à la porte des entreprises ni aux frontières pas plus que dans les quartiers et les relations entre les peuples.
C'est aujourd'hui
Le monde a changé. Le printemps fut brisé à Prague et à Santiago, étouffé à Lisbonne. Un silence de mort est retombé sur la place Tienanmen. Mais le Mur de la prison « soviétique » s'est effondré libérant à la fois un espace pour la liberté et un continent entier aux prédateurs. L'emprise des multinationales sur le monde ne connaît plus guère de limites. Les impérialismes ont désormais de nombreux visages. De même que la barbarie. La planète brûle des prédations que la civilisation capitaliste lui inflige. Le monde est lourd du péril de la guerre de tous contre tous. Le fond de l'air est sombre, parfois même brun. Les fascismes du 21e siècle ne portent pas que des chemises noires.
Demain est pourtant déjà commencé
Cela fait plus d'un demi-siècle que d'aucuns avaient annoncé que la « civilisation était à un carrefour ». Il fallait choisir un itinéraire qui passait par des politiques démocratiques qui mettent au service du plus grand nombre ce que permettaient les progrès sociaux, culturels, scientifiques, technologiques et humains. Les chars russes, ceux qui pensaient que le bilan était « globalement positif », ceux qui se sont adaptés et accommodés et bien sûr ceux qui étaient partisans de la liberté du renard dans le poulailler en ont décidé autrement.
La civilisation est désormais au bord du gouffre : les forces du capital, celles des impérialismes et des sous-impérialismes, celles des barbaries et celles des fascismes sont à l'offensive sur la planète. Une planète qui brûle.
Quant aux forces émancipatrices, elles ont souvent fait, en partie, ce qu'elles ont pu mais elles se sont également souvent égarées dans diverses impasses dont les noms figurent sur les cartes comme autant d'obstacles à éviter : « campisme », « avant-gardisme », « substitutisme », « étatisme », « sectarisme » , « autoritarisme », « relativisme » et bien d'autres encore.
Alors oui, il faut en sortir. D'où l'idée d'une revue
Une de plus, direz-vous. C'est vrai. Cependant son titre se veut un clin d'œil à l'Association internationale des travailleurs de Marx et Bakounine et un appel à la mise en place d'un outil international et internationaliste de réflexion, de partage et d'échanges.
Le projet que vous avez sous les yeux paressait dans divers tiroirs. Il attendait un déclic. Celui-ci est venu d'outre-Atlantique avec le texte « Pour une gauche démocratique et internationaliste » rédigé par Ben Gidley, Daniel Mang et Daniel Randall, que nous avons été plusieurs à signer en répondant ainsi à leur appel et que nous publions en page 5 de ce numéro 00. C'est un texte qui met les pieds dans le plat et qui appelle au renouvellement des pratiques et des idées afin de rester fidèles à ce pour quoi nous combattons depuis des décennies : nous sommes attaché·es à une vision et à une pratique révolutionnaire où la démocratie, l'auto-organisation, l'autogouvernement – sous toutes leurs formes – sont au cœur du projet. Non la démocratie comme abstraction mais la démocratie comme objectif. Non l'internationalisme comme abstraction mais l'internationalisme comme pratique.
L'ambition est claire : faire renaître la capacité à discuter et à élaborer ensemble pour que s'ouvre – à la lumière de nos expériences multiples qui se sont souvent frottées les unes aux autres – une large discussion pour faire de la révolution une utopie concrète, pour permettre des synthèses, pour conserver et transmettre la mémoire des luttes, des expériences, des révolutions, pour contribuer à la socialisation des opprimé·es et des exploité·es.
Alors oui, une revue mondiale qui mette en place les conditions d'un échange mondial et qui donne accès « au plus grand nombre » à l'archipel des articles et des textes participant de cette recherche d'une issue à la crise du projet émancipateur.
Une revue pour explorer l'internationalisme et la démocratie
Sa « base politique » sera articulée autour des thématiques suivantes : émancipation du travail, autogouvernement, autodétermination, autogestion, auto-organisation, féminisme et genre, révolution, renversement/dépassement du capitalisme, alternatives, droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, démocratie socialiste, reconversion industrielle pour une production socialement utile et écologiquement soutenable, refus du campisme et lutte contre tous les impérialismes et sous-impérialismes…
Une revue singulière composée de « cahiers » comportant des textes et articles piochés sur les sites et revues du monde, une sorte de plateforme, de hub où se croiseront les réflexions, selon un dispositif à construire et sans autres lignes directrices que de permettre l'échange et la lecture.
Une revue qui ne fera volontairement aucune concurrence aux publications papier ou internet existantes, bien au contraire, qui agira pour les mettre en synergie.
Une revue qui évitera les polémiques de seconde zone ou les textes étroitement politiciens.
Un projet ouvert en construction permanente.
Télécharger le n°0 au format PdF : Adresses inaugurales n°0
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Vous trouverez ci-joint le numéro 00 de notre revue.
Nous écrivons dans l'éditorial : « L'ambition est claire, faire renaître la capacité à discuter et à élaborer ensemble pour que s'ouvre, à la lumière de nos expériences multiples qui se sont souvent frottées les unes aux autres, une large discussion pour faire de la révolution une utopie concrète, pour permettre des synthèses, pour conserver et transmettre la mémoire des luttes, des expériences, des révolutions, pour contribuer à̀ la socialisation des opprimé·es et des exploité·es. »
Certes, le projet formulé est ambitieux, mais il nous oblige. Nous pensons qu'il faut prendre des initiatives simples et rapides si nous ne voulons pas que l'« Appel pour une gauche démocratique et internationaliste » ne se transforme en une simple pétition.
Nous pourrions nous rencontrer pour faire connaissance, échanger sur les conditions d'un possible débat et jeter les bases d'une discussion organisée autour de nos objectifs communs.
Aussi, nous prenons l'initiative d'inviter les signataires qui le peuvent à se réunir à Paris courant mai. Un prochain courrier précisera le rendez-vous.
Bien sûr, cette réunion ne s'oppose pas aux réunions mondiales zoom envisagées autour de thèmes définis. Au contraire. Elle s'inscrit dans la perspective de faciliter les échanges entre nous.
Merci de faire parvenir à l'adresse de la revue vous remarques et votre avis concernant cette rencontre en mai à Paris.
Pour nous écrire : Adresses.la.revue@gmail.com
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Pourquoi la bifurcation écologique est incontournable
L'économiste Cédric Durand et le sociologue Razmig Keucheyan ont joint leurs réflexions pour imaginer les voies possibles vers une planification écologique afin d'arrêter la destruction des écosystèmes.
13 mars 2024 | tiré de politis.fr | Illustration : Comment bifurquer. Les principes de la planification écologique, Cédric Durand et Razmig Keucheyan, La Découverte/Zones, 256 pages, 20,50 euros.
https://www.politis.fr/articles/2024/03/cedric-durand-ramzig-keuchian-comment-bifurquer-pourquoi-la-bifurcation-ecologique-est-incontournable/
Bien que toutes les personnes raisonnables sachent parfaitement que la crise environnementale menace et mène à la possible destruction de tous les êtres vivants, humains compris, les décisions prises par nos dirigeants politiques, industriels ou technocrates supposés travailler sur le sujet ne sont toujours pas à la hauteur de « l'impasse dans laquelle nous nous trouvons ». Et si la question environnementale est paradoxalement omniprésente dans le débat public, les indicateurs écologiques sont aujourd'hui tous au rouge.
Devant cette impuissance, ou plutôt cette non-volonté de changer de voie pour sauvegarder notre environnement, les deux auteurs de cet essai novateur, l'économiste Cédric Durand (université de Genève) et le sociologue Razmig Keucheyan (université Paris-Cité), se sont d'abord penchés sur les raisons de cette absence de réactions et de modifications du développement économique planétaire, en dépit de l'évidence des destructions en cours. Mais leur livre est surtout une analyse du chemin qu'il est impératif de suivre pour « bifurquer ».
« Limite fondamentale »
Bifurquer vers un autre monde s'impose en effet sans traîner, soulignent les deux chercheurs, puisqu'il est certain que « le monde du capitalisme industriel, productiviste et consumériste n'est pas compatible avec la préservation des écosystèmes vivables pour les humains ». Depuis 2008 et la dernière grande crise du système capitaliste, les États ont dû « dissiper cette illusion – pour ceux qui étaient encore sous son emprise – de la vertu régulatrice des marchés ». Et donc intervenir, les économies étant depuis largement sous perfusion publique.
La crise du covid-19 n'a fait que confirmer ce processus, celui d'une « 'étatisation' des mécanismes de marché », en phase avec un projet néolibéral qui, loin de réduire le pouvoir des États, s'emploie à s'en servir pour mieux protéger et développer les intérêts des marchés et des grandes entreprises productivistes, extractivistes, consuméristes, voire spéculatrices. Pourtant, « le cœur du problème actuel réside dans la crise environnementale » et « les solutions de marché à cette crise ne fonctionnent pas ».
Le capitalisme n'a d'autre boussole que le profit, et il n'investira que s'il en escompte un.
Cette crise, insiste les auteurs, se heurte à une « limite fondamentale », quand bien même le marché s'emploierait à « limiter » les destructions de l'écosystème : « Le capitalisme n'a d'autre boussole que le profit, et il n'investira que s'il en escompte un. » Et de souligner que « 'l'anarchie de la production' – la concurrence entre capitaux privés – empêche que les investissements nécessaires à la bifurcation écologique soient collectivement hiérarchisés et réalisés ».
Ce système, datant de plus de deux siècles, voire trois, n'a que trop duré, car on sait désormais qu'il nous mène à une impasse, empêchant la perpétuation même de nos existences. [1] « Nous n'avons pas le temps d'attendre. » Il y a urgence et « il nous faut un plan », s'exclament les auteurs. Leur livre se veut donc « une enquête sur les mondes possibles : ceux que l'on pourra conserver et ceux auxquels il faudra renoncer ».
Puisque le modèle de la croissance illimitée et de la centralité du PIB est clairement celui qui nous conduit à l'extinction prochaine de notre planète. Cette planification à laquelle appellent les auteurs est double : d'un côté, un « calcul écologique » inéluctable pour stopper les destructions des écosystèmes et assurer notre survie ; de l'autre, l'organisation d'un « espace démocratique » ou « processus de discussion » sur le devenir économique de nos sociétés, l'un et l'autre irrémédiablement liés.
L'importance de gagner le soutien des classes populaires.
Les difficultés politiques seront immenses, ne serait-ce qu'entre centralisation des impératifs écologiques et économiques et décentralisation politique capable de promouvoir une expérimentation institutionnelle de prise de décision au plus près des besoins humains et de la nature. Car « la planification écologique joue sur deux tableaux : côté pile, le calcul écologique ; côté face, la politique des besoins ».
Une planification indissociable de l'exigence d'un renouveau démocratique et donc de la constitution politique d'un « bloc social-écologique » soutenant un tel changement institutionnel et programmatique. Cela ne se fera pas sans mal puisque « travail et capital sont fracturés selon des lignes transclasses en fonction de l'intensité carbone des secteurs dans lesquels ils s'inscrivent ». Et de souligner l'importance de gagner le soutien des classes populaires à la planification écologique. Qui « sera sociale ou ne sera pas ».
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[1] On ne saurait trop recommander, sur cette question vitale, la lecture du magistral essai écoféministe de la philosophe Émilie Hache, De la génération. Enquête sur sa disparition et son remplacement par la production, La Découverte.
Trump : La voie/voix du hors-État
Il peut s'avérer surprenant de constater à quel point la justice étasunienne semble être hypnotisée par les cas de déviance de l'ex-président, monsieur Donald Trump, qui pourtant cumule les mises en accusation pour des méfaits dont la culpabilité entraînerait normalement une sanction, en songeant surtout à l'attaque contre la démocratie et son symbole par le biais de son influence1.
Cette situation troublante mérite certes une attention et impose une réflexion qui doit aller au-delà d'une critique voulant que la justice utilise la règle du deux poids, deux mesures en fonction de la personne à l'endroit de qui des accusations pèsent. Car, il faut l'avouer, la logique veut qu'une personne qui a commis une faute reçoive une punition conséquente, bien sûr à condition d'avoir démontré hors de tout doute la faute en cause, ce qui engage forcément plusieurs nuances. Attardons-nous alors à l'une d'entre elles.
La loi du plus fort
À un certain moment de l'humanité, la hiérarchie humaine au sein d'un groupe ignorait les préceptes de la morale afin de suivre une loi fort simple : celle du plus fort. Nous pouvons présumer que la force physique et la ruse (ou force de l'esprit) régnaient donc en roi et maître. Or, la conscience et divers désirs contribuèrent à des modifications, voire à moderniser cette loi originelle de façon à garantir une meilleure cohésion de groupe. En instaurant une morale, il est alors devenu possible d'établir des règles ou des lois du vivre ensemble, supposant à la rigueur des obligations et des interdits à respecter, mais aussi des privilèges en tant que droits et libertés en vue d'un certain équilibre.
Cependant, à ces règles – subalternes – s'impose toujours la loi du plus fort qui échappe à ce registre ou plutôt réaffirme son hégémonie dans la mesure où elle ne fait pas la distinction entre un défenseur des lois et un hors-la-loi. Lorsque deux groupes se rencontrent, les plus forts d'entre eux – en puissance, en richesse ou en capital social et symbolique, non plus obligatoirement en termes de force physique – s'offrent un respect mutuel avant de s'affronter, s'il y a lieu. Plus souvent qu'autrement, des ententes tacites ou formelles assurent la coexistence des groupes sur des terrains spécifiques, voire même communs, jusqu'au moment où un déséquilibre survient et exige à l'un des plus forts de s'imposer.
Dans un contexte de loi, tout en sachant que la loi du plus fort a préséance, la coexistence d'hommes et de femmes qui respectent les lois et d'autres dits et dites hors-la-loi est assurée dans une forme de conclusion binaire dépassant la seule idée de la dichotomie du fort et du faible, puisque, tout compte fait, la vraie moralité qui découle de la loi du plus fort provient du besoin de trêve ou de compromis entre les plus forts eux-mêmes dans le but d'éviter leur anéantissement.
Des hors-États
En songeant au monde dans lequel nous évoluons, la notion d'État apparaît dans une connotation politique, juridique, géographique/territoriale, économique et sociale (incluant les communautés, les cultures et les religions) à travers laquelle les lois participent au maintien de son équilibre et mode de fonctionnement ; autrement dit, à l'ordre aspiré. Si à l'intérieur de ses frontières cette dynamique s'exerce, force est de considérer également quelques règles venant régir les relations avec d'autres États. Ces lois internationales lorsque brisées entraînent des sanctions contre le ou les États fautifs, mais le tout peut dégénérer en guerre dans un retour inéluctable à la loi du plus fort avec toute la splendeur de la barbarie qu'elle peut occasionner.
En revanche, il existe un pendant, voire l'envers de la médaille, qui suggère la présence d'un hors-État, toujours actif avec ses adeptes, à savoir une sorte de monde à la fois parallèle et interdépendant à celui de l'État, et ce, autant à l'intérieur qu'à l'extérieur des frontières nationales. Or, cette réalité binaire s'exprime dans des extrêmes dont la zone médiane s'élargit en de multiples nuances, dans la mesure où le citoyen ou la citoyenne ordinaire peut aussi bien fréquenter l'un que l'autre, consommant les produits des deux mondes qui n'en forment qu'un seul. Néanmoins, la personne qui respecte les lois et celle qui se veut hors-la-loi connaissent la ligne ou cette frontière à franchir pour passer d'un côté à l'autre, à savoir cette zone intermédiaire remplie de permissions sous-entendues. Cette forme de limite assure un équilibre des instances (ou un ordre pour éviter trop de désordre), toujours dans une certaine mesure. Imaginons un instant la possibilité d'une équivoque par laquelle une limite ou frontière différente serait établie avec des vérités alternatives davantage appréciées par la population d'ensemble, forçant ainsi la main des plus forts à redéfinir leur entente.
Pour un autre registre
Ces précédentes réflexions nous amènent vers le registre employé par l'ex-président étasunien, monsieur Donald Trump, qui a compris le pouvoir d'une idée capable de se transformer en une idéologie grâce à laquelle une vision inédite du sens de l'existence devient réalisable, ce qui signifie également une autre façon de désigner la vérité. Chose certaine, les insatisfactions de la population étasunienne, voire plutôt d'une frange visiblement réfractaire au respect des lois, servent de mobile à l'apparition d'une voie de sortie vers le hors-État qui stimule d'ailleurs l'imaginaire dans une recherche de la liberté maximale, une valeur étasunienne fondamentale. Par conséquent, les attaques contre monsieur Donald Trump par les lois accentuent automatiquement un plus grand appui envers lui par ce mouvement qui le supporte, alors que ce dernier incarne le nouvel État espéré : le hors-État.
Par un étrange paradoxe, les États-Unis, fiers de leur État, ont engendré des êtres profitant de leurs valeurs et de leurs richesses, mais provoquant en même temps leur déséquilibre graduel vers le hors-État, dont un représentant continue d'animer une volonté dont plusieurs personnes et groupes se sentent interpellés. Pour rétablir l'ordre dans le désordre, alors que les lois ne suffisent plus, la solution consiste à un éventuel combat entre les plus forts de la nation.
Conclusion
Même au sein de notre civilisation, la loi ancestrale du plus fort continue de dominer et aide à comprendre plusieurs incohérences à nos systèmes jugés moralement bons. La justice étasunienne tergiverse sur le cas de monsieur Donald Trump, parce qu'elle le reconnaît comme un fort et qu'il incarne une voie comptant de nombreux et nombreuses adeptes. Par contre, le hors-État ne signifie pas l'absence de lois, mais plutôt une façon différente de les considérer, sinon de nouvelles ou semblables avec d'autres nuances. N'oublions toutefois pas que pour résoudre un problème, comme le dirait monsieur Albert Einstein, il importe d'utiliser des idées différentes de celles qui l'ont créé.
Guylain Bernier
Note 1 : Par définition, l'influence équivaut à dire « A – intentionnellement ou non – “fait voir” à B son intérêt là où il ne l'aurait pas placé dans cette relation. De sorte que B va, de lui-même, adopter une attitude ou un comportement appropriés (sic), c'est-à-dire, négativement, sans obligation […] » (Braud, 1985, p. 352). Ainsi, l'influence aurait un pouvoir de séduction, de manière à ce que l'individu influencé perçoive un avantage à la subir. Dans le coffre à outils de l'influence se trouvent donc la persuasion, la manipulation et l'autorité.
Référence
Braud, P. (1985). Du pouvoir général au pouvoir politique. Dans M. Grawitz & J. Leca (Dir.), Traité de sciences politique. La science politique, science sociale. L'ordre politique (Tome I) (pp. 335-394). Paris, France : Presses Universitaires de France.
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Le Nouveau Parti Démocratique du Québec : l’inconnu dans la maison
Dans le précédent numéro de Presse toi à gauche (édition du 12 au 18 mars), j'abordais sommairement et trop partiellement les raisons de l'insuccès persistant du parti au Québec. J'y confondais plus ou moins le NPD fédéral et son "petit frère" provincial. Il importe de bien les distinguer l'un de l'autre et de relater plus précisément l'évolution du parti au Québec.
Le Nouveau Parti démocratique du Québec a été fondé en 1963 par des syndicalistes, ceux de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) et par des militants francophones du Parti social démocratique du Québec, une petite formation de gauche. Il formait donc à ses débuts la section québécoise du NPD fédéral et le demeurera jusqu'en 1988. À ce titre, il a participé aux scrutins fédéraux et provinciaux. À celui, fédéral de 1965 par exemple, il est allé chercher 12% des voix au Québec ; en 1968, 7%. Il exerçait ses activité exclusivement comme antenne du parti frère fédéral dans la "Belle province". Le Parti socialiste du Québec (PSQ) lui, proche du NPD, se chargeait de défendre la social-démocratie dans le cadre provincial, conformément à l'entente conclue avec le NPD d'Ottawa en 1963. Mais le PSQ "s'évapora" vers 1968.
Il faut dire qu'en cette époque farouchement nationaliste qui voyait la montée en puissance du mouvement souverainiste (fondation du Rassemblement pour l'indépendance nationale en 1960 et surtout celle du Parti québécois en 1968), la conjoncture n'était guère favorable pour un parti de centre-gauche fédéraliste.
Le Nouveau Parti démocratique du Québec consacra donc l'essentiel de ses énergies à la politique fédérale au cours des années 1970 et au début de la suivante. Il négligea la question nationale québécoise et insista plutôt sur une meilleure répartition de la richesse produite. Mais une bonne partie de la gauche se rallia au Parti québécois qui offrait le double avantage de promouvoir l'émancipation nationale du Québec et une forme de social-démocratie, du moins en théorie. La personnalité charismatique de René Lévesque y était pour quelque chose.
S'en rendant compte et pour ne pas abandonner tout le terrain de la politique provinciale "de gauche" au Parti québécois, le NPDQ y a fit quelques timides incursions, par exemple un petit nombre de candidats aux élections de 1970. Par la suite, il ne présenta plus de candidats aux scrutins provinciaux.
Les néodémocrates n'avaient rien d'inspirant pour l'électorat, en particulier les jeunes. Quelques chefs furent élus (comme Raymond Laliberté, ancien syndicaliste et président de la Corporation des enseignants du Québec de 1971 à 1973, Henri-François Gautrin de 1973 à 1979) mais non seulement leur personnalité était plutôt terne, mais ils ne comprenaient pas l'attrait de l'idéal souverainiste auprès d'une importante fraction de la jeunesse. Le parti tenta une nouvelle expérience électorale en 1976 mais subit un nouvel échec.
Toutefois, malgré tout influencée par l'ambiance très nationaliste de cette époque, le parti milita pour la reconnaissance du droit à l'autodétermination du Québec, ce qui influença à son tour une partie des membres du grand frère fédéral, mais que le congrès fédéral rejeta en 1977. Cependant. le congrès revint sur sa décision en 1983 et affirma le droit du Québec à l'autodétermination. Il devint ainsi le premier parti fédéral à affirmer cette reconnaissance.
Au milieu des années 1980, la direction du parti provincial jugea qu'il existait un vide au Québec. À l'époque, le gouvernement péquiste de René Lévesque se trouvait discrédité par l'échec du référendum de mai 1980 et surtout par les politiques budgétaires très restrictives imposées sans préavis par le cabinet Lévesque de 1981 à 1985. On estima donc au sein des cercles néodémocrates que le temps était peut-être propice pour détrôner le Parti québécois. Le NPDQ résolut donc de dédoubler sa mission : tout en demeurant une section provinciale du NPD fédéral, il s'investit sur la scène politique provinciale.
À partir de 1984, on procéda donc à une tentative de relance, non sans un certain succès : un nouveau chef, Jean-Paul Harney, ex député du NPD à la Chambre des Communes de 1972 à 1974 et surtout en 1985, la mise sur pied officielle de la nouvelle version du NPDQ qui occupa dès lors tout le champ politique, tant provincial que fédéral. Ce parti "relooké" présenta des candidats aux scrutins provinciaux de 1985, 1989, 1994 et 1998 avec divers succès mais dans tous les cas très modestes.
Au plan constitutionnel, pour se mettre en phase avec l'importante frange nationaliste et profiter de la mise en veilleuse de l'option souverainiste par le successeur de René Lévesque, Pierre-Marc Johnson, il affirma aussi son rejet de la Loi constitutionnelle de 1982. Il défendit cette position lors du scrutin de 1985. Il bénéficia aussi de la croissance du nombre de ses membres, ce qui n'en n'a pas fait pour autant un parti de masse comme l'avait déjà été le Parti québécois dans les années 1970.
Lors des élections fédérales de 1988, il recueillit 14% des votes au Québec. Dans les sondages, il grapillait de 10% à 17% des intentions de vote en 1987-1988. Il connut même une pointe de 22% en octobre 1987 à égalité avec le Parti québécois, quelques semaines avant le décès de René Lévesque.
En avril 1989, lors d'un congrès d'orientation, il adopta le principe d'une rupture des liens structurels avec les NPD fédéral. Par la même occasion, le parti y réaffirma sa position de 1985 sur le droit à l'autodétermination du peuple québécois Assortie d'une nouvelle association politique avec le Canada. Il concentra donc désormais tous ses efforts sur la scène politique provinciale. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, cette rupture ne scandalisa pas la direction du parti à Ottawa, vu que les divergences de vues entre les deux ailes créaient souvent des frictions entre elles. L'année suivante, le retour au pouvoir de péquistes sous Jacques Parizeau diminua encore sa marge de manoeuvre.
"À quoi bon appuyer un petit parti indépendantiste alors qu'un grand parti souverainiste vient de conquérir une majorité parlementaire ?" durent se dire bon nombre d'électeurs et d'électrices péquistes. En tout cas, le NPDQ ne recueillit à cette occasion que 1% des votes.
En 1995, le NPDQ devint (ou redevint) le Parti de la démocratie socialiste ; retour en un sens à la période 1963-1968. Il appuya bien sûr le OUI à la souveraineté en octobre 1995, mais on peut douter de son influence sur le résultat de ce nouveau référendum.
Le 7 septembre 2002, il intégra la coalition de l'Union des forces progressistes (UFP) pour se fondre ensuite dans Option citoyenne en 2006. (Précisons qu'il ne se fonde pas dans Option citoyenne mais fusionne avec pour devenir QUébec Solidaire : Presse toi à gauche) Il n'exista plus de 2006 à 2014.
À la suite du succès inattendu du NPD en 2011, des militants et militantes envisagèrent de relancer de relancer le parti sur la scène politique provinciale, mais sans la souveraineté.
Il fut donc "refondé" le 30 janvier 2014 et son chef intérimaire était Pierre Ducasse, ancien bras droit de Jack Layton au Québec. À l'élection partielle de Louis-Hébert du 2 octobre 2017, il n'alla chercher que 1.3% des voix. Le 21 janvier 2018, Raphaël Fortin fut élu chef de la formation, poste qu'il conserve encore. Au scrutin de 2018, le parti présenta 59 candidats sur 125 comtés mais il ne recueillit que 0.5% des suffrages. En 2022, il n'aligna aucun candidat. Il est totalement absent de la scène publique.
Voilà dans les grandes lignes l'histoire du NPD au Québec. S'il a fait acte de présence depuis 1963, celle-ci ne se révéla guère significative. Il n'a jamais réussi à s'imposer. La conjoncture a souvent joué contre lui, mais même cet élément défavorable ne peut tout expliquer. Il n'a même pas su profiter des rares périodes positives qui se sont présentées à lui, comme ce fut le cas durant la décennie 1980. Au plan fédéral, il a du affronter la concurrence des libéraux fédéraux, et au provincial, celle du Parti québécois. Le retour au pouvoir du parti souverainiste en 1994 lui a porté un coup fatal. Même la tentative de relance de 2014 ne lui a pas permis de se relever.
L'explication fondamentale à tous ces échecs ne réside-t-elle pas en définitive dans l'incapacité persistante de ce parti à se brancher sur une idéologie nationale franchement québécoise ?
Jean-François Delisle
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La Question palestinienne et le marxisme
Dans une brochure claire et concise, notre camarade Joseph Daher prolonge un exercice déjà entamé dans un long article publié dans Contretemps en 2021 : définir une stratégie politique réaliste pour l'émancipation du peuple palestinien, à partir d'une perspective révolutionnaire et ancrée dans les réalités de la région.
Tiré de NPA 29
La brochure permet de sortir la tête de la situation immédiate. Un apport salutaire face à la situation catastrophique à Gaza, qui paraît ne jamais avoir de fin. D'abord, parce qu'elle réinscrit la question de la résistance palestinienne et del'État colonial et d'apartheidqu'est Israël dans l'histoire longue et dans les processus politiques régionaux. Ensuite, parce qu'elle médite les erreurs et impasses stratégiques des luttes passées et actuelles. Enfin, parce qu'elle projette la réflexion dans le temps long et à l'échelle régionale.
La question palestinienne et le marxisme vise à renforcer la solidarité pour la lutte de libération et d'émancipation du peuple palestinien en s'appuyant sur quelques principes : le droit des peuples à la résistance face à un régime d'apartheid et de colonisation, y compris armée, sans le confondre avec le soutien aux perspectives politiques des différents partis politiques palestiniens.
Mais aussi la centralité de la défense des droits fondamentaux comme le droit au retour, le droit à l'autodétermination, la fin de l'apartheid, de l'occupation et de la colonisation, la complète égalité des droits entre Palestinien·nes et Israélien·nes. Et le soutien à la campagne internationale du mouvementBoycott Désinvestissement Sanctions (BDS).
Développement inégal et combiné
L'ouvrage permet d'identifier une ligne stratégique réaliste pour la cause palestinienne. Réaliste parce qu'elle s'appuie sur une lecture matérialiste et historique, mais aussi parce qu'elle pense les erreurs du passé et la situation actuelle. Une ligne qui ne se cache pas les difficultés : ainsi l'auteur n'élude pas l'analyse de la faiblesse de la classe travailleuse palestinienne et l'intérêt économique bien compris de la classe travailleuse israélienne, comme son soutien idéologique à son État.
Il en analyse les fondements : l'émergence d'une économie juive qui s'appuie sur les structures coloniales britanniques. Une économie dite « socialiste » mais en réalité à caractèrecolonial et ethno-racial, organisée dans l'alliance entre un syndicalisme juif et l'Organisation sioniste (OS) sous le slogan « terre juive, travail juif, produit juif ». Avec comme résultat un développement inégal et combiné entre l'économie palestinienne et israélienne ; la première étant maintenue dans un état de dépendance par rapport à la seconde, subissant une dynamique de « dé-développement ».
Daher invite donc à penser le problème non pas comme celui de la couleur politique des dirigeant·es israélien·nes, mais comme un « processus de colonisation continue » qui organise les rapports entre les deux populations.
Daher défait également toute attente envers les principales forces politiques palestiniennes : le Hamas affirme une politique réactionnaire d'islamisation de la société gazaouie et s'allie avec des régimes autoritaires comme l'Iran, le Qatar ou la Turquie. Simultanément, ce mouvement « ne considère pas les masses palestiniennes, les classes ouvrières régionales et les peuples opprimés comme des forces susceptibles d'obtenir leur libération » et défend une économie basée sur le capitalisme et le libre marché.
Joseph Daher rappelle à ce titre que la petite bourgeoisie est la « base sociale historique du fondamentalisme islamique », que ce « projet réactionnaire n'offre aucune solution aux sections de la paysannerie et des salarié·es » qu'il gagne et que pour lui « la lutte des classes est donc considérée comme une chose négative ». De son côté, l'Autorité Palestinienne est définitivement décrédibilisée par sa collaboration avec la puissance occupante.
Vers l'auto-organisation par en bas
Ce qui constitue le caractère paradoxal de sa proposition est qu'elle est aussi implacablement réaliste qu'elle semble lointaine, voire inatteignable. Mais c'est l'horizon stratégique que défend Joseph Daher : la seule stratégique réaliste de libération est une « stratégie révolutionnaire régionale (…) qui passe par l'établissement d'un État démocratique, socialiste et laïque dans la Palestine historique, avec des droits égaux pour les peuples palestinien et juif, au sein d'une fédération socialiste à l'échelle du MOAN. »
C'est-à-dire que les Palestinien·nes doivent construire une « nouvelle direction politique engagée dans l'auto-organisation par en bas » et des alliances avec les forces socialistes et émancipatrices de toute la région.
On regrettera toutefois que cette direction stratégique ne soit pas étayée de quelques propositions politiques de court et moyen terme. L'auteur peine à proposer des pistes où se concrétise la ligne stratégique défendue. Gageons que cela soit l'objet d'une seconde brochure !
vendredi 8 mars 2024, Guillaume Matthey solidaritéS
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Ukraine. « La normalisation de la guerre à grande échelle a vu le retour de la confrontation politique »
Deux ans après l'invasion de l'Ukraine, l'incertitude règne toujours quant à l'avenir du pays. La guerre s'est étendue et sera la toile de fond des élections présidentielles russes, qui se tiendront du 15 au 17 mars. Comment les organisations socialistes ukrainiennes se positionnent-elles à l'heure actuelle ? Comment abordez-vous la lutte contre Vladimir Poutine et les forces de droite dans votre propre pays ?
14 mars 2024 | tiré d'u site entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/03/19/ukraine-la-normalisation-de-la-guerre-a-grande-echelle-a-vu-le-retour-de-la-confrontation-politique
Quels ont été les principaux impacts de ces deux années de guerre sur la société ukrainienne ?
L'impact le plus important a été la banalisation d'une guerre de grande échelle. En deux ans, les gens se sont habitués à la guerre et l'ont intégrée à leur vie quotidienne. La guerre est considérée comme l'un des problèmes sociaux les plus importants, mais aussi comme un problème parmi d'autres. En conséquence, les confrontations politiques sont de retour, tout comme les discussions sur des problèmes tels que la corruption, les inégalités, les problèmes économiques, etc.
Bien sûr, d'une manière ou d'une autre, la plupart des discussions sont encore menées à travers le prisme de la guerre et de la résistance à la Russie. Toutes les forces politiques cherchent à faire appel à l'armée et à la lutte contre la Russie, les décisions ou propositions étant généralement justifiées par le fait qu'elles sont « utiles au front et à la victoire ». Mais la société ukrainienne n'est pas épuisée de la guerre : le niveau de soutien à l'armée est stable depuis longtemps. Les gens se sont plutôt habitués à la guerre et se sont adaptés aux conditions actuelles, dont ils se rendent compte qu'elles ne changeront pas avant très longtemps. Dans un sens, la guerre est un moyen de dissuasion pour de nombreux conflits internes (de classe, politiques, idéologiques, etc.). Mais avec la banalisation, ces conflits reviendront de plus en plus à leur état d'avant-guerre, bien que la guerre soit désormais utilisée comme l'un des arguments, sinon l'argument décisif.
Comment le Mouvement social interprète-t-il le récent remplacement de l'ancien commandant en chef Valeri Zaloujny par le général Oleksandr Syrsky ?
Le principal problème de ce remplacement est son manque de transparence. La conception du président ukrainien Volodymyr Zelensky de la souveraineté du pouvoir présidentiel est vraiment douteuse. Même avant l'invasion massive, il n'a jamais expliqué ses nominations et ses révocations. La guerre à grande échelle n'a fait qu'exacerber ce problème. Par exemple, l'ami proche de Zelensky, Ivan Bakanov, qui était à la tête du service de sécurité ukrainien, a été démis de ses fonctions sans aucune explication – alors qu'il était évident que ses actions pouvaient être qualifiées a minima de négligentes. Nous n'avons reçu aucune explication claire justifiant le remplacement de Zaloujny. Au lieu de cela, il n'y a eu qu'une vague déclaration publique et une séance d'information à huis clos pour la presse. Le public n'a pas été informé de tout. C'est en partie compréhensible, car la guerre impose des limites à la transparence. Cependant, tout ce qui nous reste, ce sont des spéculations basées sur des informations d'initiés publiées dans divers médias.
La situation de Zaloujny est assez paradoxale. La société critique de plus en plus l'armée. L'armée ukrainienne a hérité de nombreux problèmes de l'armée soviétique. Ceux qui s'engagent ne sont pas satisfaits de la bureaucratie, des méthodes dépassées, de la corruption, etc. D'un autre côté, ces critiques n'ont pas affecté la popularité de Zaloujny, bien que celui-ci n'ait pas agi contre les dirigeants impopulaires de l'armée (par exemple, le chef du corps médical qui n'a pas approvisionné l'armée en médicaments tactiques, ou les chefs des centres de recrutement territoriaux impliqués dans des affaires de corruption). Il ne faut pas sous-estimer le rôle de Zaloujny dans la défense face à l'invasion russe : c'était un général brillant dont les actions non conventionnelles et courageuses ont sauvé notre pays. En conséquence, son autorité est devenue pratiquement inattaquable, dans l'armée et dans la société. Comme toute personne, il peut commettre des erreurs et a des faiblesses. Mais la légende qui s'est développée autour de lui empêche toute discussion sérieuse à ce sujet.
Dans le même temps, les difficultés de l'armée perturbent le soutien de Zelensky. Le mécontentement de Zelensky à l'égard de Zaloujny est dû à ses tentatives de s'exprimer de manière indépendante dans les médias. L'équipe de Zelensky accorde beaucoup d'attention au contrôle de la narration médiatique et n'aime pas qu'on perturbe ses plans. Ces faits, ainsi que le manque d'explications à cette décision, ont popularisé des explications simplistes – par exemple, que Zaloujny aurait été remplacé parce que trop pessimiste, alors que Zelensky exigerait de lui des rapports plus optimistes [1].
Il s'agit probablement d'une simplification excessive : nous n'avons pas constaté de divergences ou de conflits graves au sein de l'état-major ukrainien ou entre les dirigeants militaires et politiques pendant la contre-offensive de l'été. De nombreuses décisions aujourd'hui critiquées a posteriori (défense de Bakhmout et offensives simultanées sur plusieurs points) ne peuvent être attribuées à une seule personne. Bien que de nombreux problèmes de la campagne 2023 aient été causés par le manque et la lenteur du soutien militaire étranger, la décision de changer le commandant en chef a probablement été provoquée par ces mêmes problèmes. Il est évident qu'une nouvelle stratégie est recherchée pour contrer la Russie dans des conditions de plus en plus difficiles. Nous espérons que la nouvelle stratégie s'appuiera sur les points forts de l'Ukraine – comme cela s'est produit lors de la campagne navale de 2023, qui a été une victoire majeure pour l'Ukraine et a permis de rouvrir la mer Noire au commerce.
Notre impression, depuis l'extérieur, est que les critiques à l'encontre de Zelensky semblent s'intensifier de manière plus générale. Des protestations ont eu lieu sur différents sujets, de la nouvelle loi de mobilisation aux priorités budgétaires pour le gouvernement local, en passant par le projet de rationalisation de l'enseignement universitaire. Pouvez-vous nous donner une idée de l'ampleur de ces critiques et de ces protestations ? Y voyez-vous un affaiblissement de l'effort de guerre ?
Il s'agit simplement d'une conséquence de la banalisation de la guerre et du retour des questions politiques. Dans un monde idéal, la société serait totalement unie, comme au début de l'invasion. Mais c'est impossible. La raison principale en est que différents groupes sociaux sont prêts, à des degrés divers, à compromettre leurs intérêts pour gagner la guerre. Les secteurs les plus privilégiés, qui sont personnellement plus éloignés de la guerre, peuvent avoir beaucoup à perdre d'une défaite, mais ils savent qu'ils peuvent au moins partir facilement à l'étranger. Par contre, ceux de la classe ouvrière et des couches moyennes inférieures, pour la plupart, ne peuvent envisager un avenir sans l'Ukraine et sont donc prêts à faire de grands compromis au nom de la victoire.
Il est significatif que l'offensive contre les droits des travailleurs soit à l'origine de ce retour progressif de la politique. Les travailleurs et de nombreux autres groupes sont sur la défensive. Ce retour de la politique signifie que chaque problème, chaque critique, chaque mouvement de protestation sera utilisé par un groupe politique ou un autre. Cela conduira inévitablement à la surenchère, au ralentissement de la prise de décision, etc. Il ne s'agit pas seulement de l'Ukraine, mais d'un processus politique caractéristique de presque tous les pays d'Europe de l'Est. La seule différence est que nous menons une guerre à grande échelle contre un ennemi supérieur.
Tout cela a bien sûr un impact sur la guerre. Par exemple, le retard dans l'adoption de la loi sur la mobilisation a empêché la reconstitution rapide des troupes épuisées sur le front. Mais il est important de noter que la principale raison de ce retard et de la réticence de Zelensky à procéder à une nouvelle mobilisation à grande échelle est d'ordre financier. Les coûts de la mobilisation ne peuvent être couverts sans augmenter les impôts. C'est cela qui fait peur au gouvernement, et pas seulement le fait qu'il y ait moins de personnes prêtes à se battre. Le désir du gouvernement de protéger les groupes privilégiés du fardeau de la guerre entrera de plus en plus en conflit avec l'effort de guerre. Nous continuerons à le souligner afin de réduire les dommages qu'il cause à notre pays.
Dans une interview récente, Oksana Dutchak, membre de l'équipe éditoriale du magazine ukrainien de gauche, Спільне/Commons, a déclaré : « il y a un sentiment d'injustice par rapport au processus de mobilisation. Le niveau de revenus et/ou la corruption conduisent à mobiliser majoritairement (mais pas exclusivement) les classes populaires, ce qui va à l'encontre de l'image idéale de la “guerre populaire” à laquelle participe toute la société » [2]. Quelle est l'ampleur de cette tendance ?
La mobilisation pour repousser l'agression extérieure est nécessaire, mais elle est injuste dans les conditions actuelles. La société ukrainienne est divisée socialement. Dotées de pouvoir, les classes privilégiées tenteront à tout prix de réduire le nombre de victimes issues de leur classe. Les riches peuvent payer des pots-de-vin pour éviter le service militaire. En revanche, les travailleurs sont pratiquement sans voix et risquent bien plus de payer de leur vie. Le fardeau des travailleurs est donc disproportionnellement plus lourd. Le risque de sanctions en cas de désobéissance aux exigences de la mobilisation est beaucoup plus élevé pour les pauvres, car leur accès à des avocats est limité. Dans le même temps, des innovations sont introduites pour permettre aux riches d'acheter légalement leur liberté de mouvement ou de partir à l'étranger.
Les politiques néolibérales en matière d'emploi ont également considérablement affaibli les incitations pour les travailleurs à s'engager dans l'armée. Depuis juillet 2022, les travailleurs mobilisés ne reçoivent plus le salaire moyen de leur lieu de travail en plus de leur rémunération en tant que soldats, ce qui rend les travailleurs et leurs familles plus vulnérables. De plus, d'un point de vue administratif, il est beaucoup plus facile de distribuer des convocations en masse là où les travailleurs sont concentrés – dans les mines, les chemins de fer, les exploitations agricoles, etc.
Pour que la guerre devienne populaire, il est nécessaire d'établir l'égalité sociale – en commençant par la confiscation des richesses qui dépassent la norme nécessaire à une vie décente, une fiscalité progressive pour mieux soutenir financièrement les familles des travailleurs tués au front, et un moratoire complet sur les réformes qui augmentent la pauvreté. Je voudrais ajouter qu'il est difficile de répondre sans équivoque à la question de la prévalence d'une « mobilisation de classe », car l'État ne tient pas à tenir des statistiques sur l'appartenance sociale des personnes mobilisées.
Les camarades du Mouvement social ont analysé les défauts du nouveau Code du travail proposé, qui renforce la domination du patronat et affaiblit les syndicats. Comment le mouvement syndical peut-il lutter contre cela sous la loi martiale ?
Contrairement aux oligarques, les travailleurs essaient d'éviter de saper l'économie de leur pays pour leurs propres intérêts. Par conséquent, les principaux moyens dont nous disposons pour lutter contre les initiatives anti-travailleurs passent par la bataille médiatique à l'intérieur du pays et le lobbying contre ce type d'initiatives avec des partenaires étrangers. Ces deux moyens fonctionnent : les mesures anti-travailleurs sont très impopulaires et une couverture médiatique suffisante a entraîné d'importants retards dans leur mise en œuvre. La collaboration avec des partenaires étrangers a également permis de faire pression sur les autorités en augmentant le coût de l'introduction de ces mesures.
Idéalement, nous aimerions que les revendications sociales (qui ont leur raison d'être en temps de guerre totale) soient placées au même niveau que la lutte contre la corruption. Tout cela doit être pris en compte dans le cadre de la poursuite de l'intégration de l'Ukraine dans l'Union européenne, notamment parce que l'UE offre une meilleure protection juridique aux travailleurs que l'Ukraine. D'une manière ou d'une autre, l'Ukraine devra harmoniser sa législation avec celle de l'UE.
Enfin, et c'est peut-être le plus important, nous voyons comment la réalité économique commence à percuter le paradigme néolibéral. L'Ukraine commence à souffrir de pénuries de main-d'œuvre– plus de 90% des entreprises affirment y être confrontées. L'adoption de nouvelles lois anti-ouvrières ne fera qu'accentuer l'exode des travailleurs. Jusqu'à présent, les autorités ont cherché à résoudre ce problème par des mesures administratives plutôt naïves, telles que le lobbying pour annuler les prestations sociales des citoyen·es ukrainien·es déplacé·es en Europe. Cependant, il est évident que de telles mesures sont vouées à l'échec, car les pays européens veulent intégrer dans leurs économies les Ukrainien·es déplacé·es. Tôt ou tard, le gouvernement devra trouver des moyens de faire revenir celles et ceux qui sont parti·es et de garder celles et ceux qui sont resté·es. Nous continuerons à rendre compte de tout cela et à mettre en garde contre les conséquences de toute politique irréfléchie.
Alors que les gouvernements occidentaux se sont empressés de venir en aide à l'Ukraine dans les semaines qui ont suivi l'invasion, l'aide militaire fournie aujourd'hui est loin de répondre aux besoins.
Qu'est-ce que cela nous apprend sur la façon dont les gouvernements occidentaux perçoivent la guerre ? Et que peuvent faire les partisans de l'Ukraine dans d'autres pays pour contribuer à inverser cette situation et aider la gauche en Ukraine ?
Nous ressentons les effets directs du déclin du soutien occidental. De plus en plus de missiles russes ne sont pas abattus, ce qui se traduit par un plus grand nombre de morts parmi les civils. Et les troupes russes progressent plus rapidement à mesure que l'armée ukrainienne manque de munitions. Mais nous sommes loin de penser que l'Occident ne s'intéresse plus à l'Ukraine. Nous constatons plutôt un processus de banalisation de la guerre et un éloignement de la situation d'urgence des premiers mois de l'invasion. Tout cela a entraîné un ralentissement considérable de l'aide, en raison de la bureaucratie habituelle.
Cela a également permis à des groupes restreints mais influents, tels que l'extrême droite, l'agro-industrie, les négociants en pétrole et certains membres des cercles militaires, d'utiliser l'Ukraine comme moyen de chantage politique. Par exemple, Viktor Orbán, Premier ministre hongrois, a réussi à soutirer dix milliards d'euros à l'UE en échange de son vote sur le programme d'aide à l'Ukraine. Les agriculteurs européens ont reçu davantage de subventions de l'UE en raison du blocus du commerce ukrainien. En outre, de nombreuses armées européennes ont procédé à des améliorations d'équipement assez lucratives, en utilisant l'aide à l'Ukraine comme excuse pour obtenir le soutien des États-Unis et de l'Allemagne. Quant au ministère australien de la défense, il a décidé, pour des raisons internes, de détruire des hélicoptères plutôt que de permettre à l'Ukraine de les utiliser pour évacuer des combattants blessés.
L'aide à l'Ukraine ne dépend pas tant du soutien de la majorité de la société occidentale à l'Ukraine que de l'ampleur des capacités de résistance de l'Occident au chantage de ces groupes restreints mais bien organisés. Pas seulement sur l'Ukraine, car ces groupes cherchent à influencer la société sur d'autres questions. C'est particulièrement vrai lorsqu'il s'agit de l'extrême droite. Presque partout, c'est l'extrême droite qui bloque le soutien à l'Ukraine. Après l'armée russe, elle est l'ennemi numéro 2 de l'État ukrainien. Même ceux qui ont soutenu l'Ukraine au début de l'invasion (comme le parti polonais Droit et Justice, PiS) utilisent aujourd'hui une rhétorique anti-ukrainienne pour plaire à leurs électeurs.
La meilleure façon de soutenir la gauche ukrainienne est de soutenir l'Ukraine et sa résistance. Ayant vu à plusieurs reprises des missiles anti-aériens occidentaux abattre des drones et des missiles russes depuis la fenêtre de ma maison, je peux affirmer avec certitude que l'aide militaire occidentale sauve des vies ukrainiennes. Les Ukrainien·es suivent activement la politique des pays occidentaux et, à bien des égards, les considèrent comme un modèle auquel aspirer. Les Ukrainien·es n'oublieront jamais qui, à l'Ouest, les a soutenu·es et qui s'est opposé à eux.
Étant donné que la plupart des mouvements de droite mènent des politiques anti-ukrainiennes, les militant∙es de gauche qui défendent l'Ukraine à l'étranger contribueront à rehausser l'écho de la gauche en Ukraine même. Si vous voulez nous soutenir, soutenez l'Ukraine. Participez à des actions, demandez à vos représentants de soutenir l'Ukraine, parlez de nous dans les médias. En outre, soutenir directement les organisations ukrainiennes de gauche, telles que les syndicats ukrainiens (par exemple la Confédération des syndicats libres d'Ukraine et la Fédération des syndicats d'Ukraine), les collectifs de solidarité, l'organisation féministe FemSolution, le Mouvement social et Спільне/Commons contribuera à nous faire apprécier à l'intérieur du pays.
Le gouvernement Zelensky s'est rangé du côté d'Israël dans son occupation de Gaza, tandis que le Mouvement social a récemment publié une déclaration intitulée « De l'Ukraine à la Palestine – L'occupation est un crime » [3]. Quelle est l'opinion en Ukraine sur ce conflit ? Est-elle en train de changer ?
Il n'est pas tout à fait exact que le gouvernement ukrainien soutient pleinement Israël. L'Ukraine a voté en faveur de pratiquement toutes les résolutions pro-palestiniennes aux Nations unies. Zelensky lui-même soutient publiquement la politique des deux États et l'indépendance palestinienne. Les paroles de soutien à Israël étaient largement opportunistes, malavisées et hors contexte. Elles ont été prononcées peu après le 7 octobre, qui a été un crime terrible, quelle que soit l'appréciation que l'on porte sur les actions ultérieures d'Israël. La politique étrangère ukrainienne souffre d'opportunisme mais, sur la question de la Palestine, l'Ukraine a une bien meilleure position que la plupart des pays développés.
La plupart des Ukrainien·es connaissent mal le Moyen-Orient et ses conflits. Mais la guerre à grande échelle a eu tendance à populariser une position pro-palestinienne. La plupart des Ukrainien·es ont une très mauvaise opinion des autorités israéliennes en raison de leur amitié avec les dirigeants russes. Aujourd'hui encore, alors que la Fédération de Russie fournit des armes aux groupes anti-israéliens, Israël refuse de lever son embargo sur les armes fabriquées avec la technologie israélienne depuis l'Europe vers l'Ukraine. Deuxièmement, de plus en plus d'Ukrainien·es commencent à se familiariser avec les connaissances post-coloniales et à établir des parallèles entre les actions d'Israël et de la Russie : attaques aveugles contre des zones résidentielles, implantation de colonies dans les territoires occupés, etc.
La principale différence entre nos conflits est que le peuple ukrainien dispose d'un État pleinement opérationnel, alors que le peuple palestinien en est privé. Il est certain que la Russie aimerait qu'il en soit de même pour l'Ukraine, car il lui serait plus facile de tuer les Ukrainiens si nous n'avions pas notre propre État. Nous l'avons vu lors de la guerre russo-itchkérienne [4]. À bien des égards, Netanyahou ne fait que répéter ce que la Russie a fait à l'Itchkérie. C'est pourquoi les Ukrainien·es doivent en savoir plus sur la Palestine, non seulement pour des raisons morales, mais aussi pour nous mettre en garde contre les objectifs de notre ennemi et les méthodes qu'il pourrait utiliser.
* Victoria Pigoul (Вікторія Пігуль), féministe ukrainienne, est membre du conseil de l'organisation socialiste démocratique ukrainienne Sotsialnyï Rukh (Mouvement social). Federico Fuentes est journaliste du magazine australien LINKS International Journal of Socialist Renewal. Cet entretien a d'abord été publié le 15 février 2024 en anglais par LINKS.
https://links.org.au/viktoriia-pihul-social-movement-ukraine-normalisation-full-scale-war-has-seen-return-political
Traduit par J.M.
Publié dans Inprecor n°718, mars 2024
Notes
[1] Un bon exemple de cette narration est l'article de Politico publié le 8 février sous le titre « Zaloujny sort, le “boucher” entre en jeu ».
[2] « Des tensions s'accumulent dans la société ukrainienne en raison des politiques néolibérales imposées par le gouvernement », 3 février 2024, Presse-toi à gauche !
https://inprecor.fr/node/3830
[3] « De l'Ukraine à la Palestine – L'occupation est un crime », 31 janvier 2024.
https://inprecor.fr/node/3839
[4] La Russie a répondu militairement à la déclaration de l'indépendance de la République tchétchène d'Itchkérie en 1991 par deux guerre sanglantes (1994-1996 et 1999-2009). Selon les données de différentes ONG, ces conflits auraient causé la mort de plusieurs dizaines de milliers de personnes et le déplacement de quelque 350 000 réfugié·es (la majorité étant revenue après la fin du conflit). Le clan Kadyrov, soutenant la Russie, a par cette guerre pris la tête de la Tchétchénie réintégrée au sein de la fédération de Russie.
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Féministes internationalistes en guerre
En ce mois de mars 2024, les féministes internationalistes s'organisent et s'activent sur le terrain militaire.
C'est tout particulièrement le cas sur la question des armes et du soutien armé à l'Ukraine, cette « épine dans le pied de l'ensemble des organisations anticapitalistes, féministes et anti-impérialistes » pour reprendre la formule de Daria Saburova, une militante féministe ukrainienne francophone. Elles contribuent notamment à documenter cette réalité, apportent un soutien concret aux soldat.es et offrent ainsi, un « visage vivant de politique militaire féministe », pour reprendre la formule d'Aplutsoc.
Féministes dans l'armée
Au nombre des actions réalisées au mois de mars 2024, en français, on peut notamment renvoyer à un Webinaire organisé par le Réseau Européen de Solidarité avec l'Ukraine (ENSU/RESU) avec des militantes féministes ukrainiennes. Parmi les intervenantes, on insistera ici sur les interventions d'une soldate (1h02 et s. ; 1h37 et s. ; 2h28 et s.) qui, à la suite d'autres témoignages et documentaires, permettent d'illustrer concrètement cet engagement militaire féministe.
Cette soldate, âgée d'une vingtaine d'années, rappelle qu'elle est confrontée à la guerre depuis l'âge de 12 ans. Aujourd'hui, elle fait partie des 70 000 femmes engagées dans l'armée ukrainienne, au front comme à l'arrière, ce qui en fait une des armées les plus féminisées au monde. À titre d'exemple, dans les bataillons dans lesquels elle était engagée, les femmes représentaient plus de 10% des effectifs. Après avoir servi dans l'infanterie, elle a été nommée commandante d'un véhicule blindé, détruit depuis par l'armée Russe. Elle opère aujourd'hui dans une unité de reconnaissance et apprend le maniement des drones. Elle souhaite cependant réintégrer l'infanterie car, selon elle, c'est dans ces fonctions que l'on peut être le plus utile.
Elle insiste sur le fait c'est parce que les femmes se sont préalablement organisées, qu'elles avaient rejoint des bataillons d'auto-défense (voir notamment le Bataillon invisible)) qu'elles ont été finalement intégrées, par la suite, au sein d'une armée régulière qui leur fermait auparavant largement les portes. Elle souligne que ce sont les luttes menées par les femmes au sein de l'armée qui ont permis qu'aujourd'hui certaines d'entre elles occupent des postes jusque-là réservés aux hommes.
Reste que le combat contre le sexisme, la misogynie et le patriarcat est loin d'être gagné au sein d'une armée où les points de vue « très patriarcaux et rarement progressistes » prévalent ; c'est inquiétant quand on pense que « c'est l'armée d'aujourd'hui qui contribue à former la société ukrainienne de demain » insiste la soldate. Enfin, à la question « qu'attendez-vous de nous », la réponse est claire : des armes, des drones, des médicaments, une solidarité internationale active.
Féminisme et équipement militaire
La solidarité des féministes internationalistes ne se limite pas à documenter la situation militaire et l'engagement des femmes dans l'armée, elle est également très concrète, y compris sur le terrain des armes. À titre d'exemple, le RESU organise actuellement une collecte afin de répondre à la demande de l'Association des femmes vétéranes d'Ukraine. Celle-ci appelle à des dons pour acheter un véhicule blindé pour faciliter l'évacuation des blessées. Cette aide est particulièrement importante d'après un expert interrogé dans Médiapart car selon lui un ou une blessée si elle « n'est pas tué[e] sur le coup, a toutes les chances de survivre [si elle] se trouve dans un bloc opératoire moins heure et, mieux, vingt minutes après la blessure : de toute évidence, ce n'est pas le cas dans ce conflit ».
Enfin, parmi les récentes actions en français, on peut renvoyer à cette table ronde organisée par le Nouveau Partie Anticapitaliste (NPA), Femmes en guerre / Femmes en résistance, avec des militantes féministes Kurde, Palestinienne, Congolaise, Ukrainiennes. Si les priorités ne sont bien évidemment pas partout les mêmes, un point commun ressort de ces interventions : les femmes restent toujours, à de rares exceptions près (comme au Kurdistan semble-t-il), dépossédées des armes.
Féminismes internationalistes et pacifistes
Ces différentes activités s'inscrivent ainsi en plein dans la continuité des revendications du Manifeste féministe internationaliste des ukrainiennes qui réclament le « droit de résister », « le droit à l'autodéfense (y compris armée) » et qui appellent les féministes du monde entier à la solidarité pour lutter contre l'impérialisme, contre la division sexuelle du travail, pour la défense des droits reproductifs des femmes, le droit à la contraception, à l'avortement, la protection des droits des minorités notamment.
À noter cependant, que cette solidarité s'oppose à un autre féminisme, pacifiste, porté par les signataires du Manifeste Résistance féministe contre la guerre. Celles-ci s'opposent aux « décisions d'ajouter davantage d'armes au conflit », déclarent que « la guerre est irréconciliable avec les valeurs et les objectifs essentiels du mouvement féministe », affirment que les « armes perpétuent la guerre, perpétuent la barbarie et perpétuent la souffrance ». On soulignera qu'à notre connaissance, ce Manifeste n'a pas reçu le soutien d'aucune féministe ukrainienne.
Bref, on retrouve donc dans les organisations féministes les mêmes clivages que ceux qui divisent aujourd'hui plus largement la gauche concernant la définition même de l'internationalisme, de ce que l'on considère comme une lutte décoloniale et la question des livraisons d'armes à l'Ukraine.
Et sur ce débat, force est de constater qu'au Québec, jusqu'à présent, il n'existe pas de mouvement de solidarité avec les féministes ukrainiennes sur la question de la résistance armée. Peut-être que ce mouvement est en passe de s'organiser, mais pour le moment, il est à toutes fins pratiques invisible. La majeure partie des associations féministes Québécoises (FFQ, Coordination du Québec de la Marche mondiale des femmes etc.), les organismes de défense « des » droits (Ligue des droits et libertés ; AQOCI, CISO etc.) les syndicats (FTQ, CSN, CSQ etc.) ont choisi de se taire voire de combattre les revendications des féministes ukrainiennes en armes.
Illustration : Romana Ruban, https://www.supportukraine-pic.com/?pgid=j9zl8qi9-5ecc1040-fa57-4237-a089-bc6987e8a38e
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Le nouvel âge des fléaux du capitalisme. Les pandémies seront plus fréquentes, se propageront plus rapidement et tueront plus de gens (I)
[Ceci est le premier d'une série d'articles sur les causes et les implications de la descente du capitalisme mondial dans une ère où les maladies infectieuses sont de plus en plus courantes. Mes opinions font l'objet d'un débat permanent et d'une mise à l'épreuve dans la pratique. J'attends vos commentaires, critiques et corrections – I.A.]. Le premier cas de ce qui a ensuite été appelé Covid-19 a été diagnostiqué à Wuhan, en Chine, en décembre 2019. En l'espace de quelques mois, cette zoonose – c'est-à-dire une maladie d'origine animale – s'est propagée à une vitesse inégalée, touchant tous les pays, sinon toutes les personnes, de la planète.
12 mars 2024 | tiré du site alencontre.eorg
https://alencontre.org/ecologie/le-nouvel-age-des-fleaux-du-capitalisme-les-pandemies-seront-plus-frequentes-se-propageront-plus-rapidement-et-tueront-plus-de-gens-i.html
« Nous sommes entrés dans une ère de pandémies. » – Dr Anthony Fauci [1]
En mars 2024, les sources officielles estimaient que 703 millions de personnes dans le monde avaient contracté le Covid-19 et qu'un peu plus de 7 millions d'entre elles étaient décédées [2], mais la réalité est bien pire. The Economist calcule que la « surmortalité » pendant la pandémie est deux à quatre fois supérieure aux chiffres officiels [3], ce qui en fait la troisième pandémie la plus meurtrière des temps modernes, dépassée seulement par la grande grippe de 1918-1920 et le VIH/sida depuis 1980.
Outre ses effets directs sur la santé et la mortalité, la pandémie a déclenché ce que la Banque mondiale décrit comme « la plus grande crise économique mondiale depuis plus d'un siècle » [4] : le nombre de personnes vivant dans la pauvreté absolue a augmenté d'au moins un demi-milliard, l'éducation de centaines de millions d'enfants et de jeunes adultes a été interrompue et d'innombrables emplois ont été supprimés. « L'activité économique s'est contractée en 2020 dans environ 90% des pays, dépassant le nombre de pays ayant connu un tel déclin pendant les deux guerres mondiales, la Grande Dépression des années 1930, les crises de la dette des économies émergentes des années 1980 et la crise financière mondiale de 2007-2009. » [5]
Contrairement aux pandémies précédentes, le Covid-19 fait partie d'une vague de nouvelles maladies infectieuses qui, selon les scientifiques, marque l'arrivée d'une période « qualitativement distincte » dans le domaine de la santé humaine [6], ce qui « annulera de nombreux progrès réalisés au XXe siècle dans la lutte contre les maladies infectieuses mortelles… [et] ramènera l'humanité à un régime de santé antérieur caractérisé par une forte mortalité due à des maladies infectieuses mortelles ». Contrairement aux prédictions optimistes du XXe siècle, les maladies infectieuses n'ont pas été vaincues. De nouvelles maladies prolifèrent et de nombreuses maladies que l'on croyait éradiquées sont réapparues et constituent une menace majeure pour la santé humaine.
La liste des nouvelles venues comprend le chikungunya, la fièvre Q [inhalation de poussières contaminées par des animaux infectés], la maladie de Chagas, les grippes multiples, la peste porcine, la maladie de Lyme, Zika, le SRAS, le MERS, Nipah [transmis par les boissons et aliments contaminés par des excréments de chauves-souris frugivores], Mpox [variole du singe], Ebola, et bien d'autres encore, en plus des ennemis résurgents comme le choléra, l'anthrax, la polio, la rougeole, la tuberculose, le paludisme et la fièvre jaune. Selon les Proceedings of the National Academy of Sciences, au rythme actuel, la probabilité annuelle d'épidémies extrêmes pourrait tripler au cours des prochaines décennies [8].
Comme l'écrit l'épidémiologiste marxiste Rob Wallace, l'émergence et la réémergence simultanées de multiples maladies contagieuses n'est pas une pure coïncidence.
« Ne vous y trompez pas, ces épidémies qui se succèdent sont liées. Et elles ne nous arrivent pas par hasard ; elles représentent les résultats involontaires de ce que nous entreprenons. Elles reflètent la convergence de deux formes de crises sur notre planète. La première crise est écologique, la seconde est médicale. Lorsque les deux se croisent, leurs conséquences communes apparaissent sous la forme d'un ensemble de nouvelles maladies bizarres et terribles, émergeant de sources inattendues. »[9]
A la mi-2020, alors que des politiciens scientifiquement analphabètes continuaient d'affirmer que le Covid-19 n'était pas pire que la grippe et qu'il disparaîtrait bientôt, la UN's Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services (IPBES) a convoqué un groupe multidisciplinaire d'experts scientifiques pour résumer l'état des connaissances scientifiques sur le Covid-19 et d'autres maladies qui se transmettent de l'animal à l'homme [10]. [Le rapport des experts – qui avait l'avantage singulier de ne pas être édulcoré ou modifié par des politiciens et des bureaucrates – offrait un compte rendu très différent des dangers posés par les maladies zoonotiques à notre époque. En voici quelques extraits :
« Les pandémies représentent une menace existentielle pour la santé et le bien-être des populations de notre planète. Les données scientifiques examinées dans le présent rapport montrent que les pandémies sont de plus en plus fréquentes, en raison de l'augmentation continue des maladies émergentes sous-jacentes qui les déclenchent. En l'absence de stratégies préventives, les pandémies apparaîtront plus souvent, se propageront plus rapidement, tueront plus de gens et affecteront l'économie mondiale avec un impact plus dévastateur que jamais auparavant. »
« Le risque de pandémie augmente rapidement, avec plus de cinq nouvelles maladies apparaissant chaque année chez l'homme, chacune d'entre elles ayant le potentiel de se propager et de devenir pandémique. Le risque de pandémie est lié à l'augmentation exponentielle des changements anthropiques. Il est donc erroné de rendre la faune sauvage responsable de l'émergence des maladies, car l'émergence est causée par les activités humaines et l'impact de ces activités sur l'environnement. »
« Les causes sous-jacentes des pandémies sont les mêmes changements environnementaux mondiaux que ceux qui sont à l'origine de la perte de biodiversité et du changement climatique. Il s'agit notamment du changement d'affectation des sols, de l'expansion et de l'intensification de l'agriculture, ainsi que du commerce et de la consommation d'espèces sauvages. »
En bref, la destruction écologique mondiale que les scientifiques du système terrestre ont baptisée « grande accélération » [Great Acceleration] fait entrer l'humanité dans une ère de « grande maladie » [Great Sickening]. A moins que des changements radicaux ne soient apportés, nous pouvons nous attendre à ce que Covid-19 ne soit pas la dernière pandémie mondiale – ni la plus meurtrière.
Un phénomène sans précédent dans l'histoire
Au début de la crise, l'historien Mike Davis [1946-2022] a décrit l'émergence du Covid-19 comme une « ouverture vers une ère de pestes » [11]. Cette nouvelle ère de calamités pose un défi majeur aux mouvements en faveur d'un développement humain durable, à la fois à court terme – quelles mesures devons-nous exiger pour atténuer les effets dévastateurs du Covid et de ses successeurs ? – et à long terme – comment la présence et l'émergence probable de nouvelles maladies mortelles affecteront-elles notre capacité à faire naître un monde nouveau des cendres de l'ancien ?
L'ère des pandémies confère une nouvelle urgence au slogan classique « socialisme ou barbarie » – et fait sans doute pencher davantage la balance des probabilités sociales vers ce qui, selon Marx et Engels, pourrait être « la ruine des diverses classes en lutte » [Manifeste communiste, Pléiade, Œuvres, Economie I, p. 162].
Il ne s'agit pas d'une crise comme les autres, et elle ne doit pas être traitée comme une énième étape de plus sur la longue liste des maux du capitalisme. Comme l'écrit Sean Creaven dans Contagion Capitalism, « il est tout à fait justifié de considérer la crise épidémiologique en cours de la société (et même de la nature) comme qualitativement différente de toutes celles qui l'ont précédée, c'est-à-dire comme historiquement sans précédent » [12].
Une crise sans précédent exige une réponse sans précédent. Pour relever le défi, la gauche ne doit pas se contenter de critiquer les échecs des gouvernements et d'accuser le capitalisme d'en être la cause. Nous ne pouvons pas aller de l'avant, ni sortir de l'ère des pandémies, si nous ne développons pas une analyse scientifique sérieuse (sociale et biologique) de la crise épidémiologique de l'Anthropocène. Le collectif révolutionnaire Chuang [13] le dit clairement dans son récit essentiel de la pandémie en Chine, Social Contagion :
« Ce n'est pas le moment de se livrer à un simple exercice marxiste de type “Scooby-Doo” [Scoubidou] consistant à retirer le masque du méchant pour révéler que, oui, en effet, c'est le capitalisme qui a causé le coronavirus depuis le début !… Bien sûr, le capitalisme est coupable – mais comment, exactement, la sphère socio-économique s'articule-t-elle avec la sphère biologique, et quelles leçons pouvons-nous tirer de toute cette expérience ? » [14]
Les articles à venir tenteront de répondre à ces questions. A suivre… (Article publié sur le site de Ian Angus Climate&Capitalism, le 5 mars 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
Notes
[1] David M. Morens and Anthony S. Fauci,“Emerging Pandemic Diseases : How We Got to COVID-19,” Cell 182, no. 5 (September 2020) : 1077. Anthony S. Fauci, immunologue, ex-conseiller médical en chef du président des Etats-Unis (janvier 2021-décembre 2022) et directeur du National Institute of Allergy and Infectious Diseases (1984-2022).
[2] “Coronavirus Tracker,” March 2, 2024.
[3] “Excess Mortality during the Coronavirus Pandemic (COVID-19),” Our World in Data (blog), February 29, 2024.
[4] World Bank, World Development Report 2022, (Washington, DC : World Bank, 2022).
[5] World Bank, 1.
[6] Ronald Barrett et al., “Emerging and Re-Emerging Infectious Diseases : The Third Epidemiologic Transition,” Annual Review of Anthropology27, no. 1 (October 1998) : 248.
[7] Katherine Hirschfeld, “Microbial Insurgency : Theorizing Global Health in the Anthropocene,” The Anthropocene Review 7, no. 1 (April 2020) : 4,.
[8] Marco Marani et al., “Intensity and Frequency of Extreme Novel Epidemics,” Proceedings of the National Academy of Sciences 118, no. 35 (August 31, 2021) : 1.
[9] Rob Wallace, “The Virus and the Virus,” Counterpunch (blog), June 14, 2013.
[10] IPBES, “Workshop Report on Biodiversity and Pandemics of the Intergovernmental Platform on Biodiversity and Ecosystem Services (IPBES),” October 29, 2020.
[11] Mike Davis, “C'est La Lutte Finale,” Progressive International, April 30, 2020.
[12] Creaven, Sean, Contagion Capitalism : Pandemics in the Corporate Age (London : Routledge, 2024), 255.
[13] La version française a pour titre Contagion sociale. Guerre de classe et pandémie en Chine, Niet Editions, août 2022. L'éditeur précise : « Chuang est un collectif communiste international dont la plupart des membres vivent en Chine. Dans Contagion sociale, ils relatent l'histoire inédite de l'épidémie de Covid-19 à Wuhan et dans le reste du pays, et racontent les luttes quotidiennes de la population, prise entre le marteau d'un virus létal et l'enclume d'un Etat répressif. » (Réd.)
[14] Chuang, Social Contagion : And Other Material on Microbiological Class War in China (Chicago, IL : Charles H. Kerr Publishing Company, 2021), 10.
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Le nouvel âge des fléaux du capitalisme. L’évolution constante crée des « ennemis résistants et dangereux » dans l’Anthropocène (II)
[Deuxième contribution d'une étude en plusieurs parties – voir ici la première partie – sur les causes et les implications de l'entrée du capitalisme mondial dans une ère où les maladies infectieuses sont de plus en plus courantes. Mes opinions font l'objet d'un débat permanent et d'une mise à l'épreuve dans la pratique. Précisions et corrections sont les bienvenues – I.A.] La plupart des comptes rendus sur la pandémie de Covid-19 ne posent pas la question suivante : pourquoi maintenant ? Pourquoi un virus qui, pendant des siècles, a vécu paisiblement dans un animal sauvage de la Chine rurale a-t-il soudain attaqué des millions d'êtres humains dans le monde entier [1] ?
16 mars 2024 | tiré du site alencontre.org
https://alencontre.org/ecologie/le-nouvel-age-des-fleaux-du-capitalisme-levolution-constante-cree-des-ennemis-resistants-et-dangereux-dans-lanthropocene-ii.html
Pour qu'un virus potentiellement mortel provoque une maladie, il faut que les conditions soient réunies pour qu'il infecte une plante ou un animal et se multiplie. Et pour qu'une maladie devienne une épidémie ou une pandémie, les conditions doivent être réunies pour qu'elle se propage rapidement à d'autres personnes. Les épidémies et les pandémies sont à la fois micro-biologiques et macro-écologiques [2] – elles émergent et se propagent grâce à l'interaction et au conflit entre le changement biologique et le changement social.
Pour comprendre pourquoi les nouvelles maladies virales se multiplient aujourd'hui, nous nous concentrons d'abord sur l'évolution incessante des entités biologiques les plus petites et les plus nombreuses de la Terre.
***
Si vous demandez à la plupart des gens ce que sont les virus, ils vous répondront qu'il s'agit de microbes et de bactéries. En effet, jusqu'à récemment, c'est ainsi que la plupart des scientifiques les considéraient : en 1977, les célèbres biologistes Jean et Peter Medawar ont écrit qu'un virus est « simplement une mauvaise nouvelle enveloppée dans une protéine ». Personne ne pouvait voir un virus avant l'invention du microscope électronique dans les années 1930, et à moins qu'il ne soit à l'origine d'une maladie, les scientifiques ne savaient pas qu'il fallait le rechercher. Pendant des décennies, les virus ont été classés en fonction de leur apparence et de leur impact sur la santé humaine.
Ce n'est qu'au cours de ce siècle que l'analyse génétique automatisée a permis l'identification rapide d'un grand nombre de virus, provoquant une révolution dans le domaine de la virologie. Etude après étude, les scientifiques découvrent des milliers de virus inconnus jusqu'alors, si nombreux que les efforts pour les cataloguer ont du mal à suivre et que nous n'avons aucune idée de ce que font la plupart d'entre eux (si tant est qu'ils fassent quelque chose).
Les chiffres sont ahurissants. Peut-on vraiment comprendre des chiffres tels que les 1031 virus individuels estimés sur Terre, soit 10 millions de fois plus que le nombre estimé d'étoiles dans l'Univers ? Chaque litre d'eau de mer contient environ 100 milliards de virus, et la poussière transportée par le vent transporte chaque jour quelque 800 millions de virus sur chaque mètre carré de la surface terrestre. Il y a environ mille milliards de virus dans notre corps à tout moment – certains infectent nos cellules humaines, d'autres les millions de bactéries que tous nous hébergeons, et d'autres encore ne font que passer dans notre nourriture ou notre haleine.
Comme l'écrit le biologiste évolutionniste John Thompson, ils constituent, à bien des égards, « le mode de vie le plus réussi sur terre » [3].
« Les virus sont, de loin, les entités organiques les plus abondantes que nous connaissions ; en fait, ils sont probablement plus répandus que toutes les autres formes de vie réunies… Chaque niche écologique dans laquelle on peut trouver de la vie a été pénétrée par la virosphère. Plus de 100 millions de types de virus infectent toutes les espèces d'êtres vivants, y compris les animaux, les microbes et les plantes. » [4]
La plupart des virus sont des spécialistes qui ne peuvent infecter que des espèces particulières de micro-organismes, de plantes ou d'animaux – et généralement que des types spécifiques de cellules dans des espèces particulières. La rage, par exemple, infecte d'abord les cellules musculaires de certains mammifères, puis s'attaque à leurs cellules cérébrales. Les virus Ebola ciblent les cellules du foie et du système immunitaire de l'homme, ainsi que les parois de ses veines et de ses artères. Les coronavirus infectent les cellules des voies respiratoires humaines, certains provoquant de légers symptômes de rhume et d'autres le SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) ou le Covid-19.
Les virus jouent un rôle majeur dans les cycles biogéochimiques* qui définissent et régissent l'ensemble du système terrestre. Certains virus tuent chaque jour des milliards d'organismes unicellulaires dans les océans, faisant couler (et finalement recyclant) des millions de tonnes de carbone organique. Environ un quart du carbone fixe passe par ces processus viraux, et cinq pour cent de l'oxygène que nous respirons provient de la photosynthèse stimulée par les virus dans les océans. De nombreux virus coexistent dans des relations symbiotiques permanentes à l'intérieur des cellules des plantes et des animaux, tuant les bactéries nuisibles, stimulant la production de substances chimiques essentielles, facilitant la digestion et bien d'autres choses encore. Environ 8% du génome humain est constitué d'ADN provenant de divers virus.
Mais dans cet article, je me concentre sur la petite minorité, une fraction d'un pour cent de toutes les espèces de virus, qui peut provoquer des maladies chez l'homme et d'autres animaux. Deux caractéristiques biologiques, communes à tous les virus, rendent ces agents pathogènes potentiels particulièrement dangereux.
1.- Les virus ne peuvent pas se reproduire seuls. Les virus ne ressemblent à aucune autre forme de vie – en fait, le débat se poursuit sur la question de savoir s'ils sont vivants ou non. Ils n'ont pas de système métabolique propre, pas de source d'énergie pour faire quoi que ce soit. Il s'agit d'une vie (si ce terme s'applique) réduite à une poignée d'instructions d'ARN (acide ribonucléique) ou d'ADN (acide désoxyribonucléique) pour faire des copies d'elle-même. Elle ne peut se reproduire qu'en pénétrant dans une cellule vivante et en détournant ses mécanismes de reproduction. Ce faisant, des centaines ou des milliers de copies peuvent être fabriquées et libérées dans l'environnement en quelques heures.
Ce processus de reproduction peut provoquer des maladies, soit en empêchant les cellules de remplir des fonctions essentielles pour l'organisme dans son ensemble, soit en provoquant une réaction excessive du système immunitaire de l'hôte, soit par une combinaison de ces deux moyens. Comme l'écrit la virologue Marilyn Roossinck :
« Si nous imaginons que les virus ont un but, c'est simplement de se multiplier. Ils ne sont pas poussés à provoquer des maladies ou à faire le bien ; ils veulent simplement produire plus de virus. Parfois, dans cette volonté de se reproduire, ils profitent à leurs hôtes, et dans ce cas, il peut y avoir une forte sélection pour maintenir la relation. D'autres fois, ils causent accidentellement du tort à leurs hôtes, surtout si eux et leur hôte ont une nouvelle relation qui doit encore être affinée par l'adaptation et l'évolution. En fin de compte, un virus s'adaptera à tout ce qui favorise sa reproduction. » [5]
Malgré le terme d'« objectifs », les virus ne recherchent en aucun cas de nouvelles cellules à infecter. Lorsqu'ils ne sont pas dans les cellules, les virus sont inertes, incapables de faire quoi que ce soit. Seul un contact accidentel avec des cellules appropriées leur permet de recommencer à se reproduire, mais comme ils sont des millions, il y a de fortes chances que certains d'entre eux infectent de nouvelles cellules et recommencent à se reproduire [6].
2.– Les virus évoluent constamment au fur et à mesure qu'ils se reproduisent. Contrairement aux cellules, les virus ne se reproduisent pas en se divisant. Ils obligent la cellule hôte à créer les protéines nécessaires, puis à les assembler en copies d'elle-même. Contrairement à l'ADN, avec sa célèbre structure en « double hélice », qui identifie et corrige les erreurs de copie lorsqu'une cellule se divise, le matériel génétique de la plupart des virus est l'ARN, qui n'a pas cette capacité de correction des erreurs. En moyenne, il y a une erreur, ou mutation, dans chaque copie d'un virus à ARN [7]. Si deux types de virus infectent la même cellule, ils peuvent mélanger leurs gènes, créant ainsi des hybrides. La plupart des mutations et des échanges de gènes affaiblissent ou désactivent le virus, mais ceux qui confèrent un avantage en termes de survie ont tendance à se répandre dans la population virale.
« Ce brassage de gènes crée des opportunités infinies pour que de nouveaux virus et particules virales évoluent et passent à travers diverses formes de vie. Ainsi, sur plusieurs milliards de générations, les anciens cousins créent des progénitures qui sont progressivement plus distinctes les unes des autres. » [8]
En substance, la combinaison des erreurs de copie et de la sélection naturelle darwinienne conduit à un grand nombre d'expériences simultanées d'évolution virale. Comme le biologiste Richard Levins l'a signalé il y a trente ans, les changements évolutifs constants donnent aux pathogènes microbiens un avantage significatif sur la science médicale.
« La composition génétique des populations pathogènes… change facilement, non seulement à long terme, mais aussi au cours d'une seule épidémie et au sein d'un seul hôte pendant un épisode de maladie. La biologie de l'agent pathogène est soumise à de fortes demandes opposées pour sélectionner l'accès aux nutriments, pour éviter les défenses de l'organisme et pour se diriger vers un nouvel hôte. Les variations de l'état nutritionnel de l'organisme, de son système immunitaire, la présence ou l'absence d'autres infections, l'accès au traitement, le régime de traitement et les conditions de transmission sont autant de facteurs qui poussent et tirent le patrimoine génétique des populations de pathogènes dans des directions différentes. Cela signifie que nous voyons constamment apparaître de nouvelles souches, qui diffèrent par leur résistance aux médicaments et aux antibiotiques, leur évolution clinique, leur virulence et leurs caractéristiques biochimiques. Certaines développent même une résistance à des traitements qui n'ont pas encore été utilisés si ceux-ci menacent la survie des agents pathogènes de la même manière que les anciens traitements. » [9]
Un virus qui tue son hôte s'éteint à moins qu'il ne puisse en infecter un autre avant la mort du premier hôte. En général, ce mouvement ne se produit qu'à l'intérieur d'une espèce, mais des infections zoonotiques peuvent se produire lorsqu'un virus passe de l'animal à l'homme. Dans ce cas, un virus inoffensif pour l'espèce d'origine peut provoquer une maladie grave, voire la mort, chez l'espèce suivante. Mais un virus ne peut pas infecter une nouvelle espèce si les conditions nécessaires au changement d'espèce ne sont pas réunies. L'écologiste Jaime García-Moreno explique que les obstacles physiques et biologiques au passage d'une espèce à l'autre ont rendu ces changements relativement rares.
« Les agents pathogènes sont souvent confinés à une espèce hôte (ou à un groupe d'espèces apparentées) et donc, bien que l'on soit continuellement exposé à de multiples agents pathogènes ayant d'autres espèces comme hôtes, la plupart d'entre eux ne peuvent pas infecter l'homme et ne l'infectent pas ; ceux qui y parviennent provoquent rarement des maladies chez l'homme et conduisent presque toujours à des chaînes d'infection brisée…
« Il est clair que la simple apparition d'un nouvel agent pathogène ne suffit pas à provoquer une nouvelle maladie, car de nombreux facteurs finissent par déterminer si un agent pathogène peut infecter un hôte potentiel et si l'infection peut se propager d'elle-même – distribution de l'hôte, libération de l'agent pathogène de l'hôte et survie, exposition de l'homme (ou d'un autre nouvel hôte) ou réponse immunitaire, pour n'en citer que quelques-uns. Nous sommes exposés quotidiennement à de nombreux virus, mais seuls quelques-uns d'entre eux ont développé les mécanismes nécessaires pour provoquer un cycle d'infection réussi chez l'homme. » [10]
Néanmoins, au fil des siècles, de nombreux virus ont réussi à faire le saut. Les premiers chasseurs ont sans aucun doute contracté des maladies mortelles à partir du sang des animaux qu'ils tuaient, dépeçaient et mangeaient, mais leurs sociétés étaient trop petites pour que les agents pathogènes puissent persister en tant que maladies humaines. La situation a changé avec la révolution néolithique, lorsque l'élevage a mis un grand nombre d'humains en contact direct et fréquent avec les animaux.
« L'élevage a créé une “manne pour nos microbes”. Lorsque nous avons domestiqué des animaux sociaux, tels que les vaches et les porcs, ils étaient déjà atteints de maladies épidémiques qui ne demandaient qu'à nous être transmises. » [11]
Mais le simple fait de passer à des hôtes humains ne garantissait pas un succès viral à long terme. Pour continuer à être pathogène pour l'homme, un virus doit être capable de passer à des humains non infectés avant que les personnes infectées ne meurent ou ne développent une immunité. Cette condition a été remplie par la formation de grandes colonies et de villes qui ont accompagné l'adoption de l'agriculture. Un grand nombre de personnes vivant à proximité les unes des autres constituait un environnement idéal pour que les agents pathogènes d'origine animale se propagent et s'adaptent à la biologie humaine.
Depuis le néolithique, des centaines de virus sont passés avec succès de l'animal à l'homme, infectant d'abord les communautés locales, puis se propageant dans le corps des soldats et des commerçants. Dans certains cas – l'invasion européenne des Amériques en est un exemple particulièrement horrible – cela a provoqué des pandémies qui ont tué des millions de personnes qui n'avaient pas développé d'immunité.
La plupart des maladies infectieuses qui touchent aujourd'hui l'homme – y compris les virus, les bactéries, les champignons et les parasites – sont apparues chez les animaux sauvages et domestiques. Selon un rapport publié en 2020, « dans le monde entier, les 13 zoonoses les plus courantes ont eu le plus d'impact sur les éleveurs pauvres des pays à revenu faible ou intermédiaire et ont causé, selon les estimations, 2,4 milliards de cas de maladie et 2,7 millions de décès chez l'homme par an » [12]. Ces chiffres ont été presque immédiatement rendus obsolètes par le Covid-19.
Le nombre d'agents pathogènes microscopiques auxquels nous sommes aujourd'hui confrontés est sans précédent dans notre histoire, et d'autres sont à venir. Comme l'a déclaré un groupe d'experts scientifiques au gouvernement états-unien en 1993 :
« Il n'est pas réaliste d'espérer que l'humanité remporte une victoire complète sur la multitude de maladies microbiennes existantes ou sur celles qui apparaîtront à l'avenir… Les microbes comptent parmi les organismes les plus nombreux et les plus diversifiés de la planète ; les microbes pathogènes peuvent être des ennemis résistants et dangereux. Bien qu'il soit impossible de prédire leur émergence individuelle dans le temps et l'espace, nous pouvons être sûrs que de nouvelles maladies microbiennes apparaîtront…
« Bien qu'il y ait peu de chances qu'un organisme choisi au hasard devienne un pathogène humain efficace, la grande variété de micro-organismes dans la nature augmente ces chances… La coévolution des agents pathogènes et de leurs hôtes animaux et humains restera un défi pour la science médicale, car le changement, la nouveauté ou la »nouveauté« font partie intégrante de ces relations… » [13]
Des changements environnementaux radicaux, motivés par la volonté inexorable du capitalisme de croître à tout prix, ont affaibli les barrières naturelles contre l'émergence de nouveaux agents pathogènes et multiplié les occasions pour les virus agressifs d'infecter l'homme. En conséquence, nous assistons à l'émergence d'un plus grand nombre de maladies zoonotiques et nous pouvons nous attendre à ce que les pandémies mondiales caractérisent de plus en plus l'Anthropocène. (Article publié sur le site de Ian Angus, Climate&Capitalism, le 14 mars 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre – A suivre)
Notes
[1] Some readers have asked about claims that the virus came from a Chinese laboratory. Research into the exact origin is ongoing, but the evidence for animal origin is very strong, while the evidence for a lab link is virtually non-existent. See : https://www.msnbc.com/the-mehdi-hasan-show/the-mehdi-hasan-show/covid-origin-report-lab-leak-theory-manmade-debunked-rcna91500
[2] Chu ?ng, Social Contagion : And Other Material on Microbiological Class War in China (Chicago, IL : Charles H. Kerr Publishing Company, 2021), 24.
[3] John N. Thompson, Relentless Evolution (Chicago : Univ. of Chicago Press, 2013), 113.
[4] Anne Aronsson ; Fynn Holm, “Multispecies Entanglements in the Virosphere : Rethinking the Anthropocene in Light of the 2019 Coronavirus Outbreak,” The Anthropocene Review 9, no. 1 (2022) : 26.
[5] Marilyn J. Roossinck, Viruses : A Natural History (Princeton : Princeton University Press, 2023), 64.
[6] Dorothy Crawford, Viruses : The Invisible Enemy, 2nd ed. (Oxford : Oxford University Press, 2021), 14.
[7] Roossinck, Viruses, 138.
[8] Pranay G. Lal, Invisible Empire : The Natural History of Viruses (Gurugram, Haryana, India : Penguin/Viking, 2021), 41.
[9] Richard Levins, “When Science Fails Us,” International Socialism, September 1996.
[10] Jaime Garcia-Moreno, “Zoonoses in a Changing World,” Bioscience 73 (n.d.) : 712.
[11] Jared M. Diamond, Guns, Germs, and Steel : The Fates of Human Societies (New York : Norton, 1999), 205–6.
[12] Md. Tanvir Rahman et al., “Zoonotic Diseases : Etiology, Impact, and Control,” Microorganisms 8, no. 9 (September 12, 2020) : 1405.
[13] Institute of Medicine, Emerging Infections : Microbial Threats to Health in the United States, ed. Joshua Lederberg, Robert E. Shope, and Stanley C. Oaks, 3. (Washington, DC : National Acad. Press, 1993), 32, 44.
* Un cycle biogéochimique est le processus de transport et de transformation cyclique (recyclage) d'un élément ou composé chimique entre les grands réservoirs que sont la géosphère, l'atmosphère, l'hydrosphère, dans lesquels se retrouve la biosphère.
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Francophones : augmentation de six millions en un an, mais...
Si le nombre de francophones a augmenté de près de 2 % l'année dernière à la grandeur de la planète, d'importants défis doivent cependant être relevé par les organismes faisant la promotion du français, ce qui obligerait à une certaine sobriété cette année dans l'interprétation des prévisions de croissance, qui devraient être mieux comprises.
Selon le bras statistique de l'Observatoire de la langue française de l'Organisation internationale de la Francophonie, soit l'Observatoire démographique et statistique de l'espace francophone (ODSEF), il y aurait 327 millions de francophones en 2023, une augmentation de 6 millions en un an. Le sociologue à l'Université Laval et directeur de l'ODSEF, Richard Marcoux, considère que les données sont actuellement précises à 95 %. Il y aurait cependant une réelle incertitude pour celles récoltées en Amérique latine et en Asie, en raison du manque de données valides pour ces régions. Le sociologue a donc été au Vietnam en 2023, puis en Amérique latine cette année pour préciser les chiffres.
Richard Marcoux considère aussi que les prévisions sur le long terme sont mal présentées au public, l'Observatoire de la langue française donnant une fourchette allant de 350 à 700 millions de francophones sur 40 ans. La donnée supérieure serait cependant celle là plus souvent utilisée et l'autre oubliée. Comme il considère que la scolarisation de la jeunesse francophone stagne actuellement dans presque tous les pays africains, il voudrait donc passer un message demandant de la rigueur au niveau de l'interprétation cette année.
Les menaces identifiées
Richard Marcoux croit que la violence incluant le djihadisme au Mali, au Niger et au Burkina Faso, qui forcent la fermeture des écoles pendant de longues périodes, se ferait au détriment de la progression du français en Afrique.
Certains textes récemment publiés se questionnent même sur combien de temps l'Afrique parlera encore français, considérant qu'on pourrait y assister à un déclin, donnant comme exemple ce qui se passe en Algérie ou l'anglais remplace peu à peu le français depuis 2019 dans l'enseignement et l'administration. Des questions sur la place du français se poseraient aussi au Sénégal ou Boubacar Boris Diop, lors d'une récente conférence expliquait qu'il n'écrirait plus qu'en wolof, principale langue nationale du Sénégal.
Dans plusieurs secteurs universitaires, le français reculerait aussi au profit de l'anglais, « Le phénomène nous inquiète, mais il nous motive également », affirme à ce sujet Tanja Niemann, la directrice générale d'Érudit le consortium formé de l'UQAM, l'Université de Montréal et de l'Université Laval.
Encore un bon potentiel
La croissance de la francophonie n'en a pas moins été impressionnante dans certains pays d'Afrique comme le Mali ou le nombre de locuteurs du français a été multiplié par 33 en 60 ans alors que la population n'y a été augmentée que par quatre. Des pays comme la Côte d'Ivoire, le Togo et le Bénin, continuent aussi d'avoir une bonne progression du français. Certaines actions politiques des autorités du Mali, qui ont fait passer le français de langue officielle à langue de travail, pourraient ne pas être aussi nuisibles que certains le supposent puisque la dynamique linguistique pourrait être difficile à changer dans ce pays qui a du mal à financer ses écoles.
La francophonie est d'ailleurs encore identifiée comme un élément de la croissance africaine. En Côte d'Ivoire, la secrétaire générale de la Commission nationale de la Francophonie (CNF), Bernise N'Guessan, affirmait le 12 mars lors d'une conférence de presse que l'édition 2024 des journées de la Francophonie misait sur le fort potentiel, en termes de création d'emplois dans les domaines liés à l'entrepreneuriat, à l'innovation et a la créativité. Un des objectifs de cette journée est de faciliter l'appropriation de la langue française par la population locale, la considérant comme une valeur ajoutée. Cette édition vise aussi à mettre en lumière la diversité et la force de la Francophonie en vue d'en faire une dimension mondiale.
Promouvoir la francophonie économique et scientifique
Les missions commerciales et économiques qu'organise l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) peuvent aussi aider à soutenir la progression du nombre de francophones. La mission commerciale organisée cette année à Québec et à Montréal du 11 au 13 juin y attirera environ 110 participants internationaux de 80 entreprises, des institutions d'Europe, d'Afrique, d'Asie et des Caraïbes pour faire la promotion de l'augmentation du commerce entre toutes ces régions du monde.
Au niveau des sciences, cinq des six partenaires privilégiés de l'Université Laval sont des universités francophones dont trois sont françaises, une est suisse, une est belge et la dernière brésilienne. Elle a d'ailleurs envoyé une mission à l'Université Côte d'Azur les 14 et 15 mars pour renforcer son partenariat depuis 2017.
Finalement, la francophonie aurait encore une grande importance pour la France qui en est le ferment originel. Le secrétaire général de l'Assemblée parlementaire de la Francophonie, Jacques Krabal, affirme que le Sommet de la francophonie, qui se déroulera le 4 octobre à la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts et le 5 octobre à Paris, est l'un des deux événements majeurs qui se prépare en France en 2024, l'autre étant les Jeux olympiques de Paris. L'événement devrait, selon lui, donner de l'élan à la francophonie.
Michel Gourd
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Comment l’intelligence artificielle a déjà changé la guerre
L'intelligence artificielle est devenue une composante incontournable de l'innovation. Présentée comme un levier de croissance économique et une révolution industrielle, elle suscite, en matière militaire, des critiques et des inquiétudes éthiques et stratégiques.
6 mars 2024 | tiré de politis.fr
https://www.politis.fr/articles/2024/03/comment-lintelligence-artificielle-a-deja-change-la-guerre/
Alors que le bilan humain ne cesse d'augmenter à Gaza, l'armée israélienne continue sans relâche son offensive. Pour « éliminer » le Hamas, Tsahal utilise des systèmes et des armes de pointe. Ce conflit a offert à l'armée israélienne une occasion sans précédent de déployer des technologies militaires basées sur l'intelligence artificielle (IA) dans un large spectre opérationnel.
« Usine d'assassinats de masse »
Durant les trente-cinq premiers jours de l'offensive, Israël affirme avoir attaqué « 15 000 cibles ». Comparé aux anciennes opérations de l'armée, le nombre de bombardements est colossal. Ces chiffres dépassent de loin ceux des quatre précédentes opérations majeures dans la bande de Gaza réunies. Par exemple, lors de l'opération « Guardian of the Walls » en 2021, Israël a attaqué 1 500 cibles en 11 jours. Pendant l'opération « Bordure protectrice » en 2014, qui a duré 51 jours, Israël a frappé entre 5 000 et 6 000 cibles. Bien loin des chiffres actuels. Pour en arriver à un tel volume de bombardement, Tsahal reçoit un coup de main.
Sur le même sujet :« On assiste au nettoyage ethnique de notre peuple »
Elle est appuyée par une importante plateforme d'IA : le Habsora (L'Évangile). En gérant d'énormes quantités de données, Habsora recommande les sites de bombardement en temps réel à un rythme effréné. D'après le média +972 qui a enquêté sur cette technologie, Habsora est décrite par un ancien officier du renseignement, comme une « usine d'assassinats de masse » dans laquelle « l'accent est mis sur la quantité et non sur la qualité ».
L'accent est mis sur la quantité et non sur la qualité.
Une fois les informations collectées et les cibles établies, c'est une autre IA qui prend la main. Appelée Fire Factory, elle est utilisée pour optimiser en temps réel les plans d'attaque des avions et des drones. Le système calcule la quantité de munitions requises, attribue les cibles aux différents avions et drones, et détermine l'ordre le plus efficace pour les attaques, comme l'explique Bloomberg. Dans la bande de Gaza, plus de 30 000 personnes, dont plus de 5 000 enfants, seraient morts depuis le 7 octobre.
Smart Shooter « fait de chaque soldat ordinaire un tireur d'élite »
Les troupes au sol sont, elles aussi, dopées à l'IA. Fixé sur l'arme, le viseur de l'entreprise israélienne Smart Shooter, « fait de chaque soldat ordinaire un tireur d'élite », explique Tsahal, l'armée israélienne. Son viseur SMASH 2000 a la capacité de détecter automatiquement les cibles et de les verrouiller, ce qui permet à l'arme de ne faire feu que lorsqu'elle a le plus de chances de toucher sa cible. Utilisé dans la lutte contre les drones, qui pullulent dans les conflits modernes, le système est aussi capable de détecter les êtres humains.
En Cisjordanie, Smart Shooter est justement utilisé par Israël dans cette optique. Au check-point d'Hébron, des tourelles sont équipées d'armes pouvant tirer des balles en caoutchouc et des grenades lacrymogènes. L'intelligence artificielle permet à l'opérateur d'identifier une cible, de la suivre automatiquement et de s'assurer du tir.
Sur le même sujet : Barbarie ordinaire et impunité en Cisjordanie
En plus du ciel et du sol, l'intelligence artificielle est aussi utilisée dans les souterrains de Gaza. Le réseau de tunnels du Hamas, estimé à plus de 500 kilomètres, est une des priorités d'Israël. Pour les observer, l'armée utilise des petits drones boostés à l'IA, notamment ceux fabriqués par Robotican. Enveloppés dans une cage robotique, ils sont envoyés directement dans les tunnels et sont capables les cartographier et de détecter les humains. Le drone construit alors un modèle 3D de son environnement et y suit sa position sans avoir besoin d'un opérateur humain pour le guider.
L'Ukraine, un autre laboratoire
Si le massacre actuel est devenu un laboratoire d'IA pour Israël, les autres armées du monde ne restent pas les bras croisés face à ces technologies. Dans un conflit différent, en Ukraine, face à l'invasion russe, l'intelligence artificielle est mise à contribution. Pour Robin Louise Fontes, une générale à la retraite de l'armée américaine, qui a servi pour la dernière fois en tant que générale commandante adjointe du United States Cyber Command (USCYBERCOM), « l'IA est utilisée pour analyser des images satellites, mais aussi pour géolocaliser et analyser des données open source telles que des photos de réseaux sociaux ».
Produire des avantages stratégiques et tactiques
L'IA sert aussi, selon elle, au renseignement en combinant « des photos au niveau du sol, des séquences vidéo de drones et des images satellites » afin de « produire des avantages stratégiques et tactiques ». L'Ukraine auraitaussi développé, selon le Fonds monétaire international, « un logiciel de traduction et de reconnaissance vocale basé sur l'IA pour surveiller les conversations non cryptées de soldats et pilotes russes, puis en extraire des renseignements exploitables ».
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La modernisation de l'armée française
En France aussi, l'armée travaille activement à intégrer ces technologies de pointe à son arsenal. Le ministère des Armées s'est vu attribuer dès 2019, via la loi de programmation militaire, un budget de 100 millions d'euros par an pour les études et la recherche sur l'IA. En janvier 2023, la start-up française NukkAI, en collaboration avec Thales, a développé une intelligence artificielle capable de fusionner des données provenant de sources totalement différentes. Cette technologie permet à un état-major composé de seulement 15
personnes d'accomplir le même travail qu'un état-major de 100 personnes, selon FranceInfo.
Lors du lancement récent de la coalition « artillerie pour l'Ukraine », le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a confirmé que le canon d'artillerie Caesar de nouvelle génération allait recevoir un peu d'IA dans son électronique. Le gouvernement vient d'en commander 109 pour 350 millions d'euros. La partie intelligence artificielle a été confiée à la société européenne Helsing. Pour l'instant, aucune information détaillée n'a été fournie sur son rôle spécifique. Mais, par exemple, l'IA pourrait permettre au Caesar d'analyser des images provenant de drones, indépendamment des signaux de géolocalisation par satellite, pour pointer sa cible.
Un contrôle à la traîne
Dès 2019, dans son livre blanc sur la défense nationale, la Chine a théorisé l'« intelligentisation » de la guerre, déclarant que l'intégration de l'intelligence artificielle est un pilier essentiel de la stratégie de modernisation. De son côté, le Pentagone utilise aussi des algorithmes pour aider à identifier les cibles des frappes aériennes, selon une enquête de Bloomberg. Tout récemment, ceux-ci ont été utilisés pour mener plus de 85 frappes aériennes dans le cadre d'une mission au Moyen-Orient.
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Face à cette poussée de l'IA dans le monde militaire, l'éthique se retrouve au milieu des débats qui opposent ceux qui défendent l'autonomie de l'intelligence artificielle et ceux qui insistent sur la nécessité de la présence humaine à tous les niveaux. Le 22 décembre 2023, à l'ONU, 152 pays ont voté en faveur d'une résolution de l'Assemblée générale sur les dangers des systèmes d'armes autonomes. Quatre ont voté contre (Biélorussie, Inde, Mali et Russie) et onze se sont abstenus.
La résolution 78/241 reconnaît ainsi les « les enjeux de taille et les vives inquiétudes que soulève également, sur les plans humanitaire, juridique, sécuritaire, technologique et éthique, l'utilisation de nouvelles applications technologiques dans le domaine militaire, y compris celles liées à l'intelligence artificielle et à l'autonomie des systèmes d'armes ».
Les mutations technologiques rendent imminent un futur fait de meurtres.
M. Wareham
Elle enjoint le secrétaire général de l'ONU, António Guterres, à solliciter les avis des pays membres et observateurs « sur les systèmes d'armes létaux autonomes ». Ces notes devront être intégrées dans un rapport présenté à l'assemblée générale d'ici à septembre 2024. En octobre 2023, avec la présidente du Comité international de la Croix-Rouge, Mirjana Spoljaric, il demandait « aux dirigeants politiques d'imposer d'urgence de nouvelles règles internationales sur les systèmes d'armes autonomes, afin de protéger l'humanité ».
Et d'appeler à « des négociations sur un nouvel instrument juridiquement contraignant visant à établir des interdictions et des limitations claires concernant les systèmes d'armes autonomes et à les mener à terme d'ici à 2026 ». Pour Mary Wareham, directrice du plaidoyer auprès de la division Armes de Human Rights Watch, « les mutations technologiques rendent imminent un futur fait de meurtres automatisés qui doit être empêché ».

Chili : Femmes autochtones et paysannes engagées dans le processus de reconstruction depuis les incendies dévastateur
ANAMURI, en partenariat avec la communauté autochtone Lof Relmu Rayen Chod Lafken et le groupe environnemental Entre Cerros, tiendra un événement de solidarité le 9 mars au Cerro Achupallas, à Viña del Mar. Cet événement rend hommage aux femmes touchées par les incendies tragiques, commémore les victimes et soutient les familles affectées.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/03/15/chili-femmes-autochtones-et-paysannes-engagees-dans-le-processus-de-reconstruction-depuis-les-incendies-devastateur/
Voici l'appel lancé par ANAMURI à cet égard.
Avec la force des femmes, revoir la lutte et l'espoir
8 mars, journée internationale des femmes travailleuses
ANAMURI réitère l'appel de La Vía Campesina en ce 8 mars. « Nous continuerons à renforcer la lutte pour l'égalité, la paix et les alliances ville-campagne, qui nous met au défi de construire de nouvelles relations de genre entre les êtres humains, mais aussi de prendre soin de la Terre Mère, de rester organisé·es, uni·es face et résistant à l'extractivisme, au capitalisme et au patriarcat dans nos territoires, de défendre et préserver la biodiversité, les semences, nos biens communs et les connaissances ancestrales. Nous continuons à construire un mouvement, à révolutionner les cœurs et les esprits, tout en luttant pour la souveraineté populaire, la souveraineté alimentaire, la souveraineté de nos peuples et communautés, et la souveraineté des femmes. »
ANAMURI, en collaboration avec la communauté autochtone de Lof Relmu Rayen Chod Lafken et les jeunes du groupe environnemental Entre Cerros, vous invite à un événement public le samedi 9 mars au Cerro Achupallas à Viña del Mar. Partagez une rencontre solidaire, culturelle et résistante, en hommage au courage des femmes qui, avec force et détermination, ont affronté cette situation tragique et difficile. Un acte d'affection et de respect pour les 134 personnes qui ont perdu la vie, aux côtés des milliers de familles qui ont perdu leurs foyers dans l'horreur des flammes. Les terres brûlées, les forêts, la perte de cultures, d'animaux, d'oiseaux et d'animaux de compagnie sont les conséquences des maux causés par ce système capitaliste et patriarcal qui viole, opprime et exploite les femmes et la Mère Nature.
Aujourd'hui, notre force et nos voix se joignent aux organisations féministes, sociales et populaires de notre pays pour traduire en justice les responsables de tant de catastrophes, tout en demandant également : Combien de temps subirons-nous ce système infernal capitaliste, patriarcal et inhumain, responsable de tant de tragédies dans nos villages pour maintenir les grands intérêts du capital ?
Ce 9 mars, autour du feu, avec des chansons et des sopaipillas [1], nous transformerons la douleur et la colère en force et en engagement pour continuer à renforcer la solidarité. Le chemin sera long, il nécessite toutes les volontés et l'unité dans ce projet commun de reconstruction, de restauration de la vie et de la nature meurtrie, pour rendre à la Terre Mère sa capacité infinie à faire germer des graines, des arbres qui nous donnent de l'ombre et un abri, pour continuer la lutte pour la vie, assurant la nourriture des cuisines communautaires, donnant force et courage à toutes les femmes. Nous faisons également appel à votre solidarité pour cet événement.
Nous vous attendons ce samedi 9 mars de 16h à 20h, à la Plaza Las Amapolas, située au stop 3 ½ du Cerro La Achupallas à Viña del Mar.
Les femmes renaissent de la Terre Mère, avec conviction, force et espoir !
#8M2024 #ValparaísoSeRelève
[1] La sopaipilla est un type d'aliment frit fabriqué à partir d'une pâte de farine de blé frite dans de l'huile ou du saindoux. Les ingrédients de la recette ont de nombreuses variantes régionales. Le nom sopaipilla est utilisé au Chili.
https://viacampesina.org/fr/chili-femmes-autochtones-et-paysannes-engagees-dans-le-processus-de-reconstruction-depuis-les-incendies-devastateurs/
Chile : ANAMURI to hold #8M24 event with indigenous and peasant women who are rebuilding since the deadly fires
https://viacampesina.org/en/chile-anamuri-to-hold-8m24-event-with-indigenous-and-peasant-women-who-are-rebuilding-since-the-deadly-fires/
Chile : ANAMURI celebrará el evento #8M24 con mujeres indígenas y campesinas reconstruyendo, tras los devastadores incendios.
https://viacampesina.org/es/chile-anamuri-celebrara-el-evento-8m24-con-mujeres-indigenas-y-campesinas-reconstruyendo-tras-los-devastadores-incendios/
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Déclaration (Myanmar) : 8 mars 2024, Journée internationale des femmes
En cette Journée internationale des femmes, les femmes continuent de faire les frais de l'incapacité du monde à respecter les droits de chaque individu. En effet, on ne peut qu'être déçu par la lenteur, les carences, et même les pratiques discriminatoires qui caractérisent les efforts déployés par le monde pour mettre fin aux violences sexuelles et sexistes, à la torture, aux traitements inhumains ou dégradants, aux châtiments collectifs, à l'apartheid sexiste, aux fémicides et aux génocides commis à l'encontre des femmes de toutes origines.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/03/12/declaration-myanmar-8-mars-2024-journee-internationale-de-la-femme/
Au Myanmar, cette inaction qui dure depuis des décennies met encore plus en danger la vie des femmes. Plus de trois ans après sa tentative de coup d'État, l'armée birmane continue de commettre des atrocités pour tenter d'étendre et de renforcer son contrôle illégal sur le pays. L'armée continue d'utiliser des livraisons d'armes financées par l'étranger et des frappes aériennes pour tuer des civils et détruire des infrastructures civiles, ce qui a entraîné le meurtre d'au moins 822 femmes. L'armée a également anéanti l'État de droit limité qui existait dans le pays et a utilisé son système juridique factice pour arrêter arbitrairement 5 427 femmes, en condamner 52 à la prison à vie et 16 à la peine de mort ; elle a également utilisé ses politiques génocidaires contre les Rohingyas pour arrêter arbitrairement au moins 1 132 femmes appartenant à cette minorité. Au moins 3 909 prisonnières politiques internées dans des prisons sordides sont actuellement exposées aux violences sexuelles, à la torture, aux traitements cruels, inhumains ou dégradants de l'armée, au refus d'un accompagnement juridique approprié, au refus de soins médicaux, au refus de produits essentiels, y compris la nourriture et les serviettes hygiéniques, et à d'autres pratiques odieux encore.
En dehors des murs de la prison, les femmes sont également la cible de viols individuels ou collectifs, d'esclavage sexuel et d'autres formes de violence sexuelle alors qu'elles fuient les bombardements aériens de la junte et les opérations de destruction des terres et se retrouvent dans des conditions encore plus précaires.
Dans le contexte de la crise actuelle, la récente loi sur la conscription forcée adoptée par l'armée birmane constitue manifestement une nouvelle tentative d'infliger une punition collective à la population du pays. L'armée a déjà utilisé cette loi comme prétexte pour appréhender arbitrairement des civils, en particulier des jeunes femmes et des personnes déplacées à l'intérieur du pays.
Ceux et celles qui se font enrôler seront probablement soumis à la torture, à la violence sexuelle et à d'autres abus, et seront utilisés par la junte comme chair à canon ou comme boucliers humains lorsqu'elle perpétuera des crimes atroces.
Alors que la crise du Myanmar contraint de nombreux civils à fuir, il est de la responsabilité des pays voisins et de la communauté régionale d'assurer leur sécurité, leur protection et de répondre à leurs besoins humanitaires. Cependant, cela ne s'est pas encore concrétisé pour les plus de 1,3 million de réfugiés du Myanmar, dont plus de la moitié sont des femmes et des enfants. Les femmes et les enfants représentaient également près des trois quarts des Rohingyas qui ont été contraints à des traversées maritimes meurtrières sur la mer d'Andaman et le golfe du Bengale en 2023, « l'année la plus meurtrière ». De la Thaïlande au Bangladesh, en passant par l'Indonésie et la Malaisie, ces femmes réfugiées n'ont toujours pas accès à la sécurité et à la protection, à l'asile ou à la réinstallation dans un pays tiers, à un toit, à la nourriture et à l'eau potable, aux vêtements, aux soins de santé de base et aux soins maternels, ni à aucun autre dispositif permettant d'assurer leur subsistance. Pour nombre d'entre elles, leur situation juridique hypothèque également leurs perspectives d'avenir dans leur pays d'accueil, les privant d'un emploi déclaré, de l'accès à l'éducation ou à d'autres possibilités d'acquisition de compétences, et même de l'accès aux hôpitaux. Les femmes qui osent s'exprimer sont confrontées à des représailles : des campagnes de surveillance et d'intimidation visent les défenseuses des droits de l'homme qui continuent de s'opposer à la tentative de coup d'État en exil, tandis que des enlèvements, des extorsions et autres agressions visent les femmes rohingyas qui transgressent les normes de leur communauté dans les camps de réfugiés du Bangladesh.
Bien que ces risques mettent leur vie en danger, ces femmes continuent de se voir refuser un soutien juridique étendu et d'autres moyens de se protéger. En conséquence, nombre d'entre elles risquent de rester en détention pour une durée indéterminée dans leur pays d'accueil, d'être expulsées de force vers le Myanmar et, pour les réfugiées rohingyas en particulier, de faire l'objet de discours haineux et de risquer de plus en plus de subir des exactions.
Pour « favoriser l'inclusion », nous devons activement construire un environnement qui y soit propice. Dans cette optique, les femmes appartenant à des minorités ethniques et religieuses s'efforcent depuis longtemps de mettre fin à l'impunité qui, pendant des décennies, a permis la perpétration de crimes atroces à leur encontre. Aujourd'hui, dans tout le pays, des gens accompagnent ces femmes dans leur lutte pour une démocratie fédérale véritablement inclusive. Le monde devrait lui aussi s'inspirer des femmes du Myanmar et se mobiliser immédiatement en leur faveur.
C'est pourquoi, en cette Journée internationale de la femme, nous lançons les appels suivants :
• Les gouvernements et les donateurs doivent fournir une assistance financière, matérielle et technique directe aux femmes défenseurs des droits de l'homme et aux organisations de la société civile et communautaires dirigées par des femmes, notamment par la mise en place de mécanismes de financement flexibles garantissant une souplesse maximale et un soutien optimal, afin d'accroître la participation des femmes à la vie politique et de leur assurer durablement un rôle dirigeant.
• Les pays d'Asie du Sud et du Sud-Est doivent garantir aux réfugiées du Myanmar un accès total et sûr à l'asile et à la protection, incluant des possibilités de réinstallation dans des pays tiers, la satisfaction des besoins humanitaires, des logements protégés et des hébergements, la nourriture, l'éducation, l'emploi et les soins de santé, ainsi que l'accès à la justice locale et à un soutien psychosocial et de santé mentale adapté à leurs besoins et à leur situation spécifiques. Les femmes réfugiées rohingyas, en particulier, doivent pouvoir être débarquées immédiatement et en toute sécurité après leur traversée périlleuse de la mer, des missions de recherche et de sauvetage doivent être déployées, et des mesures doivent être prises pour empêcher les discours de haine et la désinformation qui les visen particulièrement.
• Le Conseil de sécurité des Nations unies doit renforcer les mesures de responsabilisation concernant le Myanmar et réagir au non-respect par lajunte de la résolution 2669 (2022), notamment en adoptant une résolution forte et contraignante qui porte la situation du Myanmar devant la Cour pénale internationale et qui prévoie des sanctions économiques ciblées, ainsi qu'un embargo sur les armes et le carburant destiné à l'aviation, à l'encontre de l'armée birmane. Le Conseil devrait également tenir une réunion spéciale pour discuter du non-respect des mesures provisoires prises par la Gambie contre le Myanmar devant la Cour internationale de justice.
• Que la communauté internationale, lorsqu'elle aborde la crise au Myanmar pour obtenir justice et demander des comptes, consulte les femmes de tous horizons, y compris les défenseuses des droits de l'homme, les représentantes du mouvement démocratique birman, les femmes des minorités ethniques et religieuses, les minorités sexuelles, les jeunes femmes et les filles, ainsi que les victimes et les survivantes d'atrocités, et s 'engage à leurs côtés.
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article70070
Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec DeepLpro.
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Communiqué du Mouvement spontané des femmes afghanes (SMAW), 8 mars 2024
Les femmes afghanes ont besoin de votre soutien !
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/03/11/communique-du-mouvement-spontane-des-femmes-afghanes-smaw-8-mars-2024/
Alors que les femmes afghanes brûlent dans l'enfer du régime taliban à partir d'août 2021, les grandes puissances et la communauté internationale se livrent à des concessions et à des accords ouverts et secrets avec les talibans. Alors que plus de 50 décrets anti-femmes ont été publiés et mis en œuvre par les Talibans afin de priver systématiquement les femmes de tous leurs droits humains et civils, la communauté internationale reste silencieuse. Alors que les manifestations civiles de femmes réclamant « du pain, du travail, de la liberté » sont brutalement réprimées à Kaboul et dans d'autres provinces et que les manifestantes sont arrêtées, torturées et tuées, la communauté internationale ne prend aucune mesure sérieuse pour mettre un terme aux atrocités commises par les talibans. Alors que des centaines de femmes manifestantes sont actuellement soumises à des tortures physiques et mentales dans des prisons privées et officielles des talibans, et que l'on ne dispose d'aucune information sur le sort de certaines d'entre elles, aucune instance locale ou internationale n'essaie de les libérer. Alors que des centaines de militantes afghanes sont menacées de mort par les talibans et souffrent de problèmes nutritionnels, sanitaires, éducatifs et psychologiques dans des lieux clandestins, les pays qui se réclament des droits des êtres humains ne prêtent pas attention à leur demande d'asile.
Les femmes afghanes, elles-mêmes victimes de plusieurs décennies de guerre, comprennent de tout leur cœur les douleurs et les problèmes des gens, en particulier des femmes de Gaza-Palestine et d'Ukraine, et expriment leur sincère sympathie à l'occasion de la Journée internationale de la femme. La catastrophe humanitaire actuelle à Gaza et la guerre en Ukraine, dont les civils, les femmes et les enfants sont les principales victimes, doivent cesser immédiatement.
A l'occasion du 8 mars, Journée internationale des femmes, le Mouvement spontané des femmes afghanes (SMAW) appelle une nouvelle fois les institutions des droits des êtres humains, les militantes des droits des femmes et toutes et tous les hommes et femmes philanthropes, contrairement à l'indifférence honteuse de leurs gouvernements face à la situation désastreuse en Afghanistan, à poursuivre leur solidarité active avec les femmes afghanes. En raison des menaces qui pèsent sur leur sécurité et du risque d'être tuées par les talibans, les militantes du Mouvement spontané des femmes afghanes (SMAW) célèbrent cette année le 8 mars dans la plupart des provinces d'Afghanistan, dans des maisons clandestines. Les femmes qui protestent, que ce soit dans les prisons talibanes ou dans des maisons secrètes, ne cèdent pas à l'oppression et à la pression des talibans, elles élèvent leur voix pour la liberté et la justice par tous les moyens possibles.
Le Mouvement spontané des femmes afghanes (SMAW) demande à tous ses ami·es dans le monde de se faire la voix des droits et de la liberté des femmes afghanes à l'occasion de la Journée internationale des femmes, de demander à leurs gouvernements et à leurs représentants dans les parlements de ne pas sacrifier les droits et les libertés des femmes afghanes à leur opportunisme politique. Demandez-leur de faire de la réouverture des écoles et des centres éducatifs pour femmes, du travail des femmes et des libertés civiles une condition préalable à toute négociation avec les talibans. Les talibans doivent cesser de réprimer, d'arrêter, de torturer et de tuer les femmes qui manifestent et libérer immédiatement toutes les femmes emprisonnées.
Vous seul·es, défenseurs et défenderesses des droits des êtres humains militantes des droits des femmes, femmes et hommes humanitaires, êtes l'espoir de vie et de liberté des femmes manifestantes assignées à résidence sous la menace des talibans, et vous devez donc plaider en faveur de leur asile immédiat. Prenez une part active à la campagne d'asile pour les femmes afghanes qui protestent et ne laissez pas des centaines de femmes pauvres perdre la vie sous la torture physique des talibans dans les prisons et des centaines d'autres dans les prisons d'origine à cause de la torture mentale. Les femmes afghanes ont besoin de votre aide et de votre soutien en ces temps difficiles.
Journée internationale des femmes, lutte unie pour la paix, l'égalité et la liberté !
Vive la solidarité entre les femmes d'Afghanistan et du monde entier !
Mouvement spontané des femmes afghanes (SMAW)
Kaboul, mars 2024
https://defendafghanwomen.org/2024/03/08/a-release-of-the-spontaneous-movement-of-afghan-women-smaw-8-march-2024/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
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Construisons un féminisme antiraciste qui prend en compte la lutte contre l’antisémitisme et l’islamophobie
Nous, collectif féministe antiraciste de lutte contre l'antisémitisme, avons envie de vomir de l'état critique actuel du mouvement féministe.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Les féministes de gauche, qui composent notre camp politique, sont encore une fois prises dans un jeu dangereux pour nous, juifves, mais aussi pour la lutte féministe et antiraciste : celui de la complaisance avec l'antisémitisme.
Tandis que les féministes réactionnaires sont prises dans des confusions entre lutte contre l'antisémitisme et défense de la politique israélienne.
Dans un contexte français, où on a lu des communiqués de collectifs et partis en soutien entier à toute forme de résistances en Palestine, y compris celle du Hamas ; dans un contexte où on entend une partie de la droite et au-delà soutenir les massacres à Gaza et les violences de la colonisation, et réprimer tout soutien à la Palestine ; n'est-il pas temps de déployer des positions politiques plus complètes ?
Le féminisme décolonial ne doit pas fantasmer une résistance sexiste et antisémite, et la lutte contre l'antisémitisme doit aussi lutter contre la déshumanisation et l'invisibilisation des palestinien.nes !
Dans une histoire de la gauche, qui a nié à l'époque le caractère antisémite du meurtre d'Ilan Halimi, qui ne s'est pas emparée politiquement des attentats antisémites, ni même des féminicides et agressions sexistes antisémites en France ces dernières années, nous ne sommes pas étonné.es de ces confusions.
Et puisque le fonctionnement de l'antisémitisme semble incompris, nous nous devons de le définir dans cette situation : le 25 novembre, pour la marche contre les violences sexistes et sexuelles, c'était considérer que des femmes victimes de telles violences et tuées parce que juives, n'ont pas le droit à notre égard féministe car elles sont israéliennes. Quand on abandonne des femmes pour leur identité, c'est ce qu'on appelle du racisme.
C'est ainsi que dans la tribune « Propagande de guerre pro-israélienne : notre féminisme ne se laissera pas enrôler ! » (21/11/2023), https://www.lemediatv.fr/articles/2023/propagande-de-guerre-pro-israelienne-notre-feminisme-ne-se-laissera-pas-enroler-i7Hc1eCST7miT1iGrjVL3A) vous dites que le signifiant antisémite est mal utilisé : c'est vous qui en faites une coquille vide à force de l'exclure de vos champs d'analyses et de lutte !
Toutes vos connaissances scientifiques et empiriques en terme d'analyse du monde social ne sont malheureusement pas mobilisées dans cette tribune, qui nie l'expérience raciale de la violence. Ne pas vouloir mobiliser le concept de « féminicides de masse » n'empêche pas de parler des violences sexistes et sexuelles perpétrées sur des femmes juives, et une dénonciation sans réserve n'affaiblit pas une analyse du contexte politique.
C'est vous qui projetez un « Orient monstrueux » (selon vos mots) en opposant les femmes palestiniennes et israéliennes selon leurs souffrances et leurs positionnements dans les rapports sociaux de race : ces femmes font toutes parti de « l'orient » que vous méjugez et fantasmez.
De l'autre côté de l'échiquier politique, la tribune « Pour la reconnaissance d'un féminicide de masse en Israël le 7 octobre » (10/11/2023) (https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/pour-la-reconnaissance-dun-feminicide-de-masse-en-israel-le-7-octobre-20231110_EMTPN3H2EBDLJBMLLTZ2SRLY6A/?redirected=1) fait une grave erreur en disant qu'on peut parler des violences perpétrées par le Hamas sans analyser le contexte géopolitique.
Il faut parler de l'étendue de la terreur qui s'abat sur les femmes gazaouies, qui subissent depuis trop longtemps les effets de la colonisation sur les rapports de genre et sur les violences sexistes et sexuelles.
Les mouvements qui se disent « humanistes » et qui emploient des modes d'action symboliques tels que les taches de sang à l'entre-jambe, semblent aujourd'hui incapables de parler de la souffrance des palestinien.nes, car ils sont aveuglés par leur islamophobie et alimente ainsi la réception de la propagande de l'extrême droite au pouvoir en Israël.
La lutte contre l'antisémitisme, ainsi mobilisée par des forces réactionnaires, participe à alimenter d'autres racismes.
Nous, Oraaj sommes sur une ligne de crête, nous tentons de nous rattacher à des AG féministes et décoloniales pour la Palestine, nous tentons de lutter contre l'antisémitisme en même temps, nous tentons de co-construire, tandis que les analyses et rhétoriques antisémites se déploient encore dans les mouvements militants de gauche et d'extrême gauche, et tandis que la répression politique s'abat sur les mobilisations pour la Palestine.
Nous nous retrouvons alors isolé.es à la fois politiquement mais aussi physiquement. Dans cette manifestation de samedi 25 novembre, nous n'avons pas arrêté de nous déplacer pour trouver une place où défiler ; une partie du mouvement féministe est sourde face à nos critiques, une autre tente de discréditer nos dénonciations d'antisémitisme, et ce par plusieurs techniques de décrédibilisation.
La première serait qu'il n'y aurait qu'une instrumentalisation de l'antisémitisme. La deuxième que nous ferions la confusion entre antisémitisme et antisionisme. La dernière étant de nous qualifier de sioniste.
Nous pensons que parler d'antisémitisme uniquement par le biais de son instrumentalisation est une erreur d'analyse, et participe à l'invisibilisation de l'antisémitisme et donc à sa reproduction. Nous pensons que l'antisionisme n'est pas forcément de l'antisémitisme, mais que certaines positions antisionistes sont formées de rhétoriques antisémites.
Nous pensons qu'il y a des sionismes de droite et d'extrême droite, comme celui d'Israël, qui sont des idéologies racialistes et coloniales. Et qu'il y a des sionismes et antisionismes auxquels il faut se référer pour penser l'existence des juifs et palestinien.nes sur un territoire commun.
La question du sionisme et de l'antisionisme prise de manière essentialiste et réductrice, de tous les côtés, ne fait qu'envenimer la situation politique. Ces définitions identitaires sont inopérantes quand elles sont mobilisées pour classer les « bons » et « mauvais » juifs et les « bons » et « mauvais » militants.
Let us tell our stories !
Celles de différentes oppositions à la colonisation et à la politique d'Israël, avec des perspectives multiples liées aux parcours d'exils et de migrations, et aux stratégies d'auto-défense face à un antisémitisme historique, et toujours opérant au présent.
Vous pensez qu'il n'y a symboliquement pas de victimes collatérales de ces positionnements polarisés ? Eh bien vous vous trompez.
Jamais nous ne nous allierons avec les féministes de droite et d'extrême droite, nous voulons construire une lutte féministe de gauche contre l'antisémitisme et pour Gaza ! Nous nous adressons à notre camp politique et l'enjoignons à faire preuve d'auto critique, de féminisme antiraciste et donc contre l'antisémitisme !
ORAAJ, Organisation Révolutionnaire Antiraciste Antipatriarcale Juive
Communiqué par PS
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Prendre conscience du caractère historique du capitalisme
Dans L'Origine du capitalisme, paru début février, l'historienne canadienne Ellen Meiksins Wood souligne combien le capitalisme n'est pas un phénomène « naturel », mais bien un phénomène historique. Une leçon essentielle pour notre temps.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
26 février 2024
Par Romaric Godin
C'est la dernière ligne de défense du capitalisme, et souvent la plus puissante. Ce régime socio-économique serait « naturel », et le seul réellement adapté à la « nature humaine ». Il permettrait en effet, par la magie de la « main invisible » et selon la vieille fable des abeilles de Mandeville, de transformer l'égoïsme « naturel » de l'humanité en bienfaits pour l'ensemble de cette dernière. À cela s'ajoute la capacité du capitalisme de tout quantifier et donc de tout « rationaliser ». Dans les années 1950, la « main invisible » a ainsi pris sa forme mathématique sous l'apparence des modèles d'équilibre général qui dominent encore aujourd'hui les sciences économiques. La mécanique capitaliste devenait alors une équation. Autrement dit, elle atteignait un niveau supérieur de « naturalité ». Aussi vrai que deux et deux font quatre, le capitalisme serait l'essence de l'homme.
Les conséquences de cette vision sont immenses. Si le capitalisme est la réalisation profonde de l'essence humaine, alors comment peut-on envisager de le dépasser ? C'est évidemment peine perdue. Le réformisme socialiste qui, dans les premiers textes d'Eduard Bernstein, est encore un moyen d'avancer vers le socialisme est progressivement devenu une force de gestion du capitalisme.
Et la chute des régimes « communistes » en 1989-1991 n'a fait que confirmer ce mouvement : ces régimes luttaient en vain contre la « nature humaine », ce qui expliquait leur recours à la violence. Leur chute et la mondialisation du capitalisme représentaient donc l'achèvement de l'histoire humaine, au sens hégélien du terme, par la rationalisation du monde comme une forme de réalisation de l'Esprit.
L'histoire devait évidemment traduire cette vision du monde. Puisque le capitalisme est naturel et rationnel, l'histoire de l'humanité se réduirait à un seul grand mouvement : la libération des entraves permettant à un capitalisme sous-jacent de se réaliser. Là encore, on est dans l'idéalisme hégélien : chaque société humaine a toujours eu en soi le capitalisme, mais les intérêts matériels de certains groupes ont tenté de bloquer son déploiement. C'est lorsque ces obstacles ont fini par être levés, et les derniers d'entre eux en 1989-1991, que l'homme a pu réaliser son destin rationnel à travers le capitalisme.
Un ouvrage de 2009 de l'historienne canadienne Ellen Meiksins Wood, récemment traduit en français et publié aux éditions Lux, L'Origine du capitalisme, vient briser ces belles certitudes. Et cela en fait un livre indispensable à notre époque. Car la première partie de l'ouvrage s'emploie avec succès à déconstruire ce caractère « naturel » du développement humain vers le capitalisme. Le tour d'horizon qu'elle entreprend des différentes théories sur l'origine du système capitaliste montre combien le débat était d'emblée verrouillé.
Persuadés du caractère inéluctable du capitalisme, les historiens, y compris la grande majorité des historiens marxistes, ont soumis l'histoire à cette lecture préalable. Cette lecture s'appuyait sur l'idée que le commerce était naturellement d'essence capitaliste et ne demandait qu'à se libérer des contraintes de la société féodale pour le devenir pleinement. Une fois ce stade atteint, le capitalisme a pu donner le meilleur de lui-même et s'imposer à une humanité le reconnaissant comme le fruit de sa propre nature. C'est le modèle de la « commercialisation » qui a dominé et domine encore la lecture de l'histoire du capitalisme. « Ces gens tiennent pour acquis que le capitalisme a toujours existé, du moins sous une forme embryonnaire, depuis la nuit des temps, et qu'il serait à la limite inhérent à la nature et à la raison humaine », résume Ellen Meiksins Wood (page 25).
L'historienne montre comment même ceux qui essaient d'échapper aux modèles traditionnels « bourgeois » n'échappent pas à cette logique de la « commercialisation ». C'est notamment le cas de Karl Polanyi, qui, malgré sa critique radicale de la marchandisation, n'échappe pas au schéma liant développement commercial au progrès technique et à l'industrialisation. Il peut ainsi défendre l'idée que « lorsque les liens féodaux se sont affaiblis, avant de disparaître, fort peu de choses empêchaient les forces de marché de s'imposer ». Autrement dit, ces forces de marchés, entravées par le féodalisme, étaient bien présentes à l'état latent. Mais ce travers ne manque pas non plus de marquer la grande polémique entre marxistes des années 1950 qui oppose Paul Sweezy et Maurice Dobb.
Le premier qui sortit réellement de ce schéma de la « commercialisation » aura été l'historien étasunien Robert Brenner dans un article célèbre datant de 1976, « Agrarian Class Structure and Economic Development in Pre-Industrial Europe ». Brenner, qui est l'inspirateur d'Ellen Meiksins Wood, voit dans le capitalisme un phénomène non pas naturel mais historique, né dans les campagnes anglaises des XVe et XVIe siècles. Il rejette l'idée de tout capitalisme latent ou embryonnaire. Ce texte va provoquer une levée de boucliers dans le milieu historique, dont il sortira un ouvrage, The Brenner Debate (republié en 2009 aux éditions universitaires de Cambridge), où, pour la première fois, la validité du modèle de la « commercialisation » allait être mis en discussion.
« The Brenner Debate », Cambridge UP, 2009. © DR
Ellen Meiksins Wood s'inscrit clairement dans la continuité du Robert Brenner de 1976. La suite de l'ouvrage tente ainsi d'aller encore plus avant pour décrire la naissance du capitalisme comme un phénomène historique, né d'un contexte historique.
Pour sortir du biais de la « commercialisation », l'historienne rappelle plusieurs éléments clés. D'abord, il existe une différence radicale entre le commerce et son développement et le capitalisme et, partant, entre la bourgeoisie des villes vivant du commerce et le capitalisme. Le capitalisme n'est pas simplement un système où existe le marché, c'est un système où le marché dicte sa loi à l'ensemble de la société. La concurrence est alors la force motrice de toute la société, l'obligeant à améliorer en permanence la productivité pour répondre aux prix fixés par le marché. Le marché conduit alors à un besoin de circulation des capitaux et oblige les forces sociales à s'adapter à ce besoin. Ellen Meiksins Wood estime que la force sociale dominante est alors économique : c'est le marché et ses impératifs qui décident de l'attribution des surplus de production.
Et c'est là la différence majeure avec les sociétés précapitalistes où les surplus de production font l'objet de mesures politiques, « extra-économiques » comme le disait Marx : impôts divers, droits seigneuriaux, conflits armés. Dans ces sociétés, par ailleurs, l'utilisation des surplus est différente. Ils servent soit à entretenir la rente commerciale à un niveau constant, soit à assurer une consommation de luxe. L'investissement massif dans l'augmentation de la productivité du travail n'est alors pas nécessaire.
L'historienne canadienne montre bien ici la différence notable qui existe entre les exemples classiques de « capitalisme avorté » que sont les villes italiennes de la Renaissance ou les Provinces-Unies (Pays-Bas) du XVIIe siècle et la société capitaliste en formation en Angleterre. Dans ces deux cas, le commerce développa la richesse d'une classe urbaine nombreuse. Mais si « le marché joua un rôle dans leur développement, il paraît aussi évident que ce marché offrait des occasions bien plus qu'il n'imposait ses impératifs ». Et Ellen Meiksins Wood d'ajouter : « En tout cas, le marché ne provoquait pas le besoin constant et typiquement capitaliste de maximiser les profits en développant les forces productives. »
Les bourgeois florentins profitaient d'occasions liées aux savoir-faire de leurs artisans, ceux des Pays-Bas jouissaient de leur maîtrise des routes commerciales. Parfois, ils « investissaient » par la guerre ou la diplomatie pour maintenir ces avantages, mais une fois les aubaines disparues et les marchés taris, leur richesse s'évanouissait. Cet échec n'était pas la conséquence d'obstacles empêchant le développement du capitalisme, mais tenait précisément à la nature non capitaliste de ces développements économiques.
Comprendre l'origine du capitalisme pour le dépasser
La thèse défendue par l'ouvrage est que le capitalisme n'est pas né dans les sociétés commerçantes et urbaines comme le veut la vision traditionnelle, mais dans l'Angleterre rurale de l'époque des Tudors. L'Angleterre a connu un développement unique durant la période féodale. Contrairement à la France, par exemple, le pays a été politiquement unifié très rapidement, avant même la conquête normande de 1066, avec une noblesse associée au pouvoir central et non recentrée sur ses pouvoirs locaux. La Grande Charte de 1215 et le pouvoir croissant du Parlement représentaient ce partage du pouvoir au niveau central. On est loin du cas français, où le pouvoir nobiliaire resta longtemps décentralisé, y compris sous l'absolutisme.
L'aristocratie anglaise a ainsi perdu progressivement les moyens de prélèvement extra-économiques des surplus agricoles qui resteraient en place en France jusqu'au 4 août 1789 (les fameux « privilèges »). Mais, en compensation, l'État anglais attribua à la noblesse deux éléments clés : de fortes garanties de son droit de propriété des terres et un marché national intégré. Alors qu'en France, les petits paysans possédaient leurs terres et payaient des droits à leur seigneur, en Angleterre, les nobles louaient leurs terres à des fermiers et soumettaient ces baux à un marché national pour les valoriser davantage. Se mit donc en place « un système de rentes concurrentielles où les seigneurs chaque fois que c'était possible louaient leur terre au plus offrant », système qui, naturellement, gagna du terrain sur les droits coutumiers résiduels. Dès lors, les fermiers, pour conserver leurs terres, durent se montrer les plus concurrentiels possibles en augmentant leur productivité. La logique capitaliste était née.
Le mouvement des « enclosures » qui réduisait les terres gérées en commun a ainsi connu un premier élan décisif dès l'époque Tudor. Mais, contrairement à ce que pensaient Polanyi et Marx, il était déjà une conséquence et non une cause du capitalisme. Rapidement, l'agriculture anglaise fut capable de nourrir l'immense métropole londonienne où allaient se réfugier les classes chassées de la campagne par ce même mouvement. Ces masses étaient désormais contraintes à acheter des biens essentiels sur le marché à bas prix. La logique aurait donc pu buter sur la faiblesse naturelle de l'emploi et du pouvoir d'achat des paysans anglais soumis à ce bond de la productivité agricole. Or, cet état de fait favorisa encore davantage le développement de marchés fondés sur la consommation de masse à bas prix et donc sur une productivité accrue. Bientôt, le capitalisme anglais devint industriel par le biais du secteur textile, destiné à répondre à un tel marché. Toutefois, « ce ne sont pas les possibilités offertes par le marché, mais bien ses impératifs qui poussèrent les petits producteurs à l'accumulation ».
« Ce fut le premier système économique de l'histoire où les restrictions économiques du marché eurent pour effet d'accroître obligatoirement les forces de production au lieu de les ralentir ou de les entraver », explique Ellen Meiksins Wood. Là où la baisse de la demande commerciale entraîna le déclin des Provinces-Unies, les ressources limitées du prolétariat anglais favorisèrent l'investissement industriel. « Quand le capitalisme industriel vit le jour, la dépendance au marché s'insinua en profondeur dans toutes les strates de l'ordre social. Mais pour en arriver là, il fallait que la dépendance au marché soit déjà un phénomène bien implanté », résume l'historienne.
Le capitalisme se développa donc bien dans un lieu précis et dans une époque donnée. Et il se développa non pas comme une force naturelle, mais bien davantage comme le fruit de « rapports de propriété particuliers », des rapports « médiatisés par le marché ». L'autrice passe sans doute rapidement sur la lutte de classes qui constitue l'arrière-plan de cette évolution, mais il n'empêche que ce livre, qui, par ailleurs, présente des réflexions également stimulantes sur le colonialisme et l'État, est essentiel pour la réflexion actuelle.
À l'heure où le néolibéralisme, mode de gestion du capitalisme mondialisé, peine à répondre aux défis de notre temps, cette étude est précieuse. Elle offre un contenu profondément révolutionnaire. Car si le capitalisme est un phénomène historique, il peut être dépassé comme tout phénomène historique. Il n'est pas le seul horizon possible, fût-il, comme le souligne Branko Milanović dans son dernier livre, Le Capitalisme, sans rival (à paraître aux éditions La Découverte en avril), le seul système socio-économique persistant. S'il n'est pas « naturel », il n'est pas immortel, ou, du moins il n'est pas destiné à emporter l'humanité dans sa disparition.
En remettant le capitalisme à sa place, autrement dit en réaffirmant son caractère historique, Ellen Meiksins Wood remplit trois rôles essentiels. D'abord, elle permet de revenir aux fondements de la critique du capitalisme. Le philosophe allemand anti-stalinien Karl Korsch estimait dans son ouvrage Karl Marx, publié en 1938 et traduit en français aux éditions Ivrea, que « le premier des principes fondamentaux de la nouvelle science révolutionnaire de la société, c'est le principe de la spécification historique de tous les rapports sociaux ». L'apport de Marx est donc de renvoyer les catégories « bourgeoises » (à entendre ici au sens de « capitalistes ») à leur réalité historique « bourgeoise ». Dès lors que ces catégories sont effectivement historiques et ne relèvent pas de l'essence de l'homme, alors elles sont modifiables par l'histoire humaine. La critique peut donc envisager son dépassement. Le combat de Marx contre la dialectique idéaliste hégélienne et celui contre le caractère absolu de l'économie politique capitaliste vont donc de pair et se rejoignent ici dans le travail de l'historienne canadienne.
Dès lors que l'horizon se débouche et que les arguments de café de commerce du type « de tous temps » ou « la nature humaine » sont écartés, le travail d'Ellen Meiksins Wood ouvre aussi une autre perspective. Le capitalisme est issu de rapports de propriété. La question de la propriété est donc centrale pour le dépasser. En cela, cette recherche semble donner raison à la réflexion menée par Thomas Piketty ou Benoît Borrits sur la nécessité d'engager le débat sur le plan de la propriété. Tout combat qui n'engagera pas directement cette question semble voué à l'échec ou plutôt à la reproduction de la logique capitaliste. Comme le montrent les travaux de l'historienne canadienne, cela ne signifie sans doute pas la disparition du commerce, de l'échange et du progrès technique. Toutes ces notions, contrairement à ce qu'ont tenté d'imposer certains, ne sont pas l'apanage du capitalisme et existaient dans les sociétés non capitalistes.
Or, et c'est la troisième leçon de l'ouvrage, la logique capitaliste ne saurait faire face au défi écologique. Le capitalisme, et c'est là la clé de son succès et de son expansion, a une logique de fuite en avant continuelle. Ce n'est pas un régime stagnant, mais en croissance permanente. Ce besoin de progression infinie (qui se traduit bien par sa mathématisation récente) est aujourd'hui confronté au fini du monde physique. L'emballement du capitalisme agraire anglais se transmettant à l'ensemble de la société anglaise, puis au reste du monde, pose désormais un problème écologique grave et urgent. La fable du « capitalisme sobre » ne tient pas face à l'histoire même de ce système.
Il y a donc urgence à créer un nouveau rapport social pour organiser la survie de l'humanité. Sans doute le capitalisme a apporté beaucoup à l'humanité, et il n'est pas question de remettre en cause son intérêt historique (ce que reconnaissait déjà Marx), mais ce n'est qu'un moment historique. Comme d'autres avant lui, ce régime a sans doute fait son temps. Et le livre d'Ellen Meiksins Wood aide à le comprendre.
Romaric Godin
Ellen Meiksins Wood, L'Origine du capitalisme – Une étude approfondie, Lux, 2020, 249 pages, 10 €.
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Présidentielle au Sénégal : de si grandes incertitudes pour une si étrange campagne
C'est une campagne présidentielle raccourcie, de deux semaines seulement, qui s'est ouverte au Sénégal après une période de turbulences. Dix-neuf candidats brigueront le mandat suprême, dans ce qui s'annonce déjà comme une campagne inédite.
Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Des affiches d'Anta Babacar Ngom, seule femme en liste pour l'élection présidentielle sénégalaise, au siège de son parti, à Dakar le 10 mars 2024. Photo Zhora
Bensemra / Reuters.
“Présidentielle 2024 : le scrutin de toutes les premières !” s'exclame Sud Quotidien, alors que la campagne présidentielle au Sénégal s'est ouverte au pas de course le 9 mars, et s'achèvera le 22 à minuit, après toute une série de rebondissements politiques et juridiques.
Le média sénégalais énumère ainsi toutes ces “premières” qui sont intervenues dans la vie politique sénégalaise comme autant de coups de théâtre inattendus, même pour les observateurs les plus aguerris : “processus électoral en mille bris, calendrier républicain chahuté, risque de suppléance à la tête de l'État, temps de campagne écourté, président sortant hors jeu, bras de fer autour de la date du scrutin, pluralité de candidats dont un [est] en campagne depuis la prison”. “L'inédit prend ses quartiers dans le jeu électoral en perspective de l'accession à la magistrature suprême”, résume le titre.
Les candidats sont officiellement 19, selon la liste arrêtée par le Conseil constitutionnel. Dix-huit hommes et une seule femme, Anta Babacar Ngom. Mais de nombreuses incertitudes planent encore sur une élection qui aura lieu en plein ramadan et à laquelle participeront 18 millions de Sénégalais et Sénégalaises. Une élection qui déterminera, pour cinq ans, le destin d'un pays dont la nature démocratique a semblé vaciller plusieurs fois.
Quand aura lieu cette élection ?
La date du 24 mars semble enfin assurée, après de nombreux atermoiements. Tout a commencé le 2 février, lorsque le président, Macky Sall, a indiqué, dans un discours à la nation, avoir décidé le report sine die de l'élection présidentielle initialement prévue le 25 février. Mais, comme le rapporte Sud Quotidien, le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnelle la loi scellant ce report [le 15 février] et a demandé le respect du calendrier républicain. Après que de nombreuses dates ont été proposées, Macky Sall a fixé l'élection au 24 mars. “Finalement, le consensus a été de tenir la présidentielle à la date proposée par le chef de l'État”, indique Sud Quotidien.
Qui est Amadou Ba, le candidat de la majorité présidentielle ?
À 62 ans, l'ex-chef du gouvernement portera les couleurs de la majorité présidentielle, après que Macky Sall a renoncé à se présenter pour un troisième mandat jugé inconstitutionnel. Comme le rappelle Sud Quotidien, “c'est la première fois dans l'histoire du Sénégal indépendant qu'un président de la République sortant organise des élections auxquelles il ne participe pas comme candidat”.
Amadou Ba, qui était le Premier ministre de Macky Sall jusqu'à son remplacement, le 6 mars, par Sidiki Kaba, se consacre depuis à une campagne électorale qui semble déjà compliquée pour lui. La presse sénégalaise s'interroge en effet sur la réalité du soutien que reçoit le candidat Ba de la coalition présidentielle. Sud Quotidien estime ainsi qu'il demeure un candidat “contesté” même au sein de son camp, rappelant que les dissidents de la mouvance présidentielle Aly Ngouille Ndiaye, Mahammed Boun Abdallah Dione et Mame Boye Diao ont aussi présenté leur candidature. Un geste inédit qui souligne encore la dimension singulière de cette élection présidentielle. Quant à SenePlus, il note qu'Amadou Ba est “attaqué de partout”, s'étonnant des dissensions et du “malaise” qui traversent le camp présidentiel.
Amadou Ba se réclame du bilan de Macky Sall. Mais, comme l'analyse le journal algérien L'Expression, “tandis que le continent est livré à une compétition stratégique intense et que la Russie renforce ses positions chez les voisins sahéliens en butte au djihadisme, le président Sall a maintenu des relations fortes avec l'Occident. Mais les grands chantiers entrepris par ‘Macky' n'ont pas profité à tous, et le bilan à défendre, c'est aussi celui de dernières années difficiles.”
Qui est Bassirou Diomaye Faye, le principal candidat de l'opposition ?
À 43 ans, ce candidat était le numéro deux du parti Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité (Pastef), la principale formation de l'opposition, qui a été dissoute en juillet 2023 dans la foulée de l'inculpation de son leader, Ousmane Sonko, pour appel à l'insurrection et complot. Situation inédite là aussi, puisque Bassirou Diomaye Faye a pris la place de Sonko en novembre, détaillait Sud Quotidien dans un autre article, après que ce dernier avait vu sa candidature invalidée à la suite de ses déboires judiciaires.
Mais, comme le rappelle L'Expression, “l'antisystème Bassirou Diomaye Faye entame la course derrière les barreaux”. Incarcéré depuis près d'un an pour outrage à magistrat à la suite d'une publication sur Facebook, indique SenePlus dans un autre article, il reste “perçu comme l'un des favoris du scrutin”, avec un “discours souverainiste et anti-élites” très populaire dans la jeunesse. Quoi qu'il en soit, à la faveur de la loi d'amnistie adoptée le 6 mars et qui concerne les faits liés aux manifestations politiques organisées entre février 2021 et février 2024, la presse sénégalaise pronostique la possible sortie de prison de Bassirou Diomaye Faye et d'Ousmane Sonko.
Karim Wade peut-il être candidat ?
La candidature du fils de l'ancien président sénégalais Abdoulaye Wade est l'une des questions encore en suspens, Karim Wade semblant décidé à épuiser tous les recours disponibles contre la décision du Conseil constitutionnel de ne pas l'inclure dans la liste définitive des candidats. Selon Le Quotidien Sénégal, il a annoncé avoir déposé le 11 mars un recours devant la Cour suprême pour contester le décret convoquant le collège électoral le 24 mars. “Karim Wade et compagnie [d'autres candidats écartés] considèrent que leurs ‘droits sont bafoués'” car on les prive de “la possibilité de prendre part à l'élection présidentielle ‘pour excès de pouvoir'”, indique le média sénégalais.
Car, comme le rapportait alors Wakat Séra, la Cour constitutionnelle a réaffirmé le 7 mars la validité de la liste des 19 candidats établie avant le report de l'élection présidentielle. La décision passait donc outre à la préconisation, formulée à l'issue du dialogue national convoqué par Macky Sall, de valider la candidature de Karim Wade, candidature qui avait été rejetée en raison de la double nationalité du champion en exil du Parti démocratique sénégalais (PDS) – qui a renoncé à sa nationalité française, mais seulement après avoir déposé son dossier de candidature.
Quid d'Ousmane Sonko ?
L'autre grande incertitude porte sur la candidature ou non d'Ousmane Sonko, fondateur du Pastef, maire de Ziguinchor, dans le sud du pays, et principal opposant à Macky Sall. En effet, le site Dakaractu rapporte, le 13 mars, que l'État du Sénégal s'est désisté de son pourvoi contre la décision d'un tribunal de Dakar ayant ordonné, le 14 décembre, la réinscription de l'opposant sur les listes électorales, dont il avait été radié à la suite des procédures judiciaires le visant. “La condamnation d'Ousmane Sonko par contumace [pour corruption de la jeunesse] est donc définitivement anéantie. La condamnation pour diffamation étant couverte par la loi d'amnistie, le casier judiciaire de M. Sonko redevient vierge”, estime le site dakarois.
Reste désormais, nuance Senego, “à confirmer si cette révision judiciaire lui permettrait d'être réinscrit sur les listes électorales et d'être éligible, malgré sa condamnation pour diffamation. Selon son avocat, cette affaire pourrait être couverte par une loi d'amnistie, mais une confirmation officielle est nécessaire pour éclaircir cette possibilité.”
Courrier international
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Les soldats américains sommés de quitter le Niger
En mettant fin à la coopération militaire avec les Etats-Unis, le Niger sort de son ambiguïté stratégique et facilite l'installation du partenaire militaire russe, déjà actif chez ses deux alliés de l'Alliance des Etats du Sahel.
Tiré de MondAfrique.
Pour cette rupture, le Niger a choisi de laver son linge sale en public, au lendemain d'une mission américaine de haut niveau qui s'est déroulée du 11 au 14 mars dans un climat tendu de part et d'autre. Washington se voit ainsi rappelé à son tour au nouvel ordre mondial, qui a déjà coûté à la France le départ forcé de ses bases et de son ambassadeur.
Dans un communiqué publié le 17 mars, le gouvernement nigérien s'en prend autant à la forme qu'au fond des échanges. « La délégation américaine n'a pas respecté les usages diplomatiques », regrette le porte-parole du Conseil national pour la sauvegarde de la Patrie (CNSP), le colonel Amadou Abdramane. La mission a été décidée « de façon unilatérale » par le gouvernement américain, tant dans sa date, dans la composition de la délégation que dans son objet, qui n'avait pas été précisé, rapporte-t-il.
Cette forme de discourtoisie était peut-être volontaire. Ayant compris que le jeu tournait en leur défaveur, les autorités américaines semblent avoir tenté d'intimider Niamey dans une ultime opération de quitte ou double. Rappelons que la délégation menée par la sous-secrétaire d'Etat adjointe pour les affaires africaines, Molly Phee, comprenait la secrétaire à la Défense pour les affaires de sécurité internationale des Etats-Unis Celeste Wallander et le général Michael Langley, commandant en chef d'Africom.
Les questions militaires au coeur des débats
Bien que les échanges aient officiellement porté sur les aspects politiques de la transition en cours au Niger, il est clair que l'enjeu était surtout militaire, autour du maintien de la plus grande base de drones américaine sur le continent installée à Agadez, dans le nord du Niger et dont la construction a coûté 300 millions de dollars au Pentagone. Cette base est stratégique pour les Etats-Unis, qui s'en servent comme plateforme de surveillance et d'action militaire pour tout le nord du continent, bien au-delà des intérêts nigériens.
Le porte-parole a regretté « la volonté de la délégation américaine de dénier au peuple nigérien souverain le droit de choisir ses partenaires et le type de partenariat à même de l'aider véritablement contre les terroristes alors même que les Etats-Unis d'Amérique ont décidé unilatéralement de suspendre toute coopération entre nos deux pays. » Washington a interrompu la coopération militaire avec le Niger le lendemain du coup d'Etat du 26 juillet mais n'a pas cessé ses activités à partir d'Agadez.
Le communiqué gouvernemental nigérien dénonce « l'attitude condescendante assortie de menaces de représailles de la part de la cheffe de la diplomatie américaine vis à vis du gouvernement et du peuple nigériens. »
La Russie et l'Iran « focalisent particulièrement l'intérêt des Etats-Unis d'Amérique », selon le porte-parole, alors que ces deux pays entretiennent une coopération déjà ancienne avec le Niger. « Le gouvernement tient à porter à la connaissance du peuple nigérien et de la communauté internationale qu'il n'a jamais signé d'accord secret avec ces pays partenaires. Tous les accords signés avec le Niger depuis l'avènement (de la junte) respectent le droit international et les règles de transparence. »
L'Iran et la Russie au coeur du contentieux
Molly Phee aurait accusé le Premier ministre Lamine Zeine et son gouvernement d'avoir conclu un accord secret avec l'Iran pour la livraison d'uranium et ajouté que le Niger s'exposait ce faisant à des représailles de l'Agence internationale de l'Energie atomique.
Ces propos ont réveillé le souvenir des fausses accusations lancées en 2003 par George Bush contre Saddam Hussein pour justifier la guerre. En 2002, un diplomate nigérien basé à Rome, aujourd'hui décédé, avait été instrumentalisé pour un dossier fictif monté par des membres des services de renseignement italiens accusant Bagdad d'avoir acheté du yellow cake au Niger en vue de fabriquer la bombe atomique.
Le porte-parole du CNSP qualifie les accusations de Molly Phee de cyniques et estime que cette « approche (est) habituellement utilisée pour discréditer, diaboliser et justifier » les menaces américaines contre les Etats. Et de rappeler « les fausses preuves brandies par le secrétaire d'Etat américain devant le Conseil de sécurité pour justifier l'agression américaine contre l'Irak. »
« Dans cette affaire, le gouvernement du Président Tandja avait été accusé de façon mensongère d'avoir fourni de l'uranium aux autorités de Bagdad alors même qu'il est de notoriété publique que l'exploitation de l'uranium nigérien est totalement contrôlée par la France », poursuit le colonel Amadou Abdramane. L'uranium présent dans le nord du pays est, jusqu'à ce jour, exploité et commercialisé par Orano, qui n'a pas quitté le Niger et a repris récemment ses activités après une phase d'interruption dans la période la plus tendue de la crise entre Paris et Niamey. Les concurrents chinois et canadiens d'Orano n'ont pas commencé l'exploitation.
En ce qui concerne la Fédération de Russie, « il s'agit d'un partenaire avec lequel le Niger traite d'Etat à Etat, conformément aux accords de coopération militaire signés par les gouvernements antérieurs pour acquérir les matériels militaires nécessaires à sa lutte contre les terroristes. »
Une coopération militaire américaine sans utilité ni confiance
A l'inverse de cette coopération concrète sur le terrain militaire, les autorités nigériennes s'interrogent sur le fond des intentions américaines dans leur pays. En effet, le fondement juridique de la coopération militaire américaine avec le Niger est très ténu et ne prévoit aucune contrepartie pour Niamey.
Le porte-parole qualifie même la présence américaine d'illégale, n'ayant pas été soumise à l'Assemblée comme le prévoit la loi. Elle coûte des milliards de francs CFA aux contribuables nigériens, a dit le porte-parole, puisque c'est le Niger qui « paye des factures liées aux taxes pour les avions militaires américains dont ces derniers devraient normalement s'acquitter. »
Plus grave encore, les autorités nigériennes, y compris militaires, « n'ont aucune information sur les activités menées à partir des bases américaines au Niger, ignorent jusqu'aux effectifs civils et militaires ainsi que les matériels déployés sur le sol nigérien. » L'armée américaine n'a, d'ailleurs, « aucune obligation d'accéder aux demandes nigériennes d'appui contre les groupes terroristes. »
Devant cette situation, le ministre de la Défense, le général Salifou Modi, avait adressé à Molly Phee, en décembre, une proposition de mémorandum plus contraignant pour les Etats-Unis. Mais il n'a jamais reçu aucune réponse.
Enfin, le porte-parole de la junte dénonce « des activités illégales du survol de son territoire par des aéronefs américains et qui sont de nature à s'interroger sur la sincérité de leur partenariat. » L'un de ces survols, en février, aurait été coordonné avec un avion français à la frontière du Bénin. Le 19 octobre 2023, à l'occasion d'une tentative d'évasion manquée de Mohamed Bazoum, les Etats-Unis avaient mis à disposition du Président déchu deux hélicoptères basés à Niamey, comme l'avait révélé Mondafrique. Le porte-parole l'évoque d'ailleurs de façon allusive en parlant d'une confiance « entamée par les événements du 19 octobre 2023. »
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Soudan : de la révolution à la guerre
Au Soudan, voilà près d'un an que les troupes paramilitaires des Forces de soutien rapide et celles de l'armée régulière s'affrontent.
Photos et article tirés de NPA 29
En avril 2023, les premières ont pris d'assaut Khartoum, la capitale, occasionnant pillages, viols et meurtres parmi la population, tandis que les secondes ripostaient à grand renfort de bombardements. Selon les Nations unies, 12 000 personnes ont été tuées et 7 500 000 personnes ont été déplacées à l'intérieur comme à l'extérieur du pays — un bilan sûrement sous-évalué. Pourtant, les soulèvements populaires qui ont abouti à la destitution d'Omar al-Bachir, depuis 30 ans au pouvoir, avaient été porteurs d'espoir en 2018 et 2019. Pourquoi la guerre a‑t-elle supplanté la révolution ? Que reste-t-il de celle-ci aujourd'hui ? Dans cet entretien que nous traduisons, paru dans le média Red Pepper, la chercheuse et militante soudanaise Muzan Alneel revient sur les cinq années qui ont passé depuis le début de la révolution soudanaise.
Que se passe-t-il aujourd'hui au Soudan ?
Une guerre est en cours dans de nombreuses villes du Soudan, qui oppose les Forces armées soudanaises (SAF) et les Forces de soutien rapides (RSF), un groupe militaire para-gouvernemental. Ce dernier été formé en 2013 sur ordre du président de l'époque, Omar el-Bechir, qui a été au pouvoir de 1989 à 2019. Aujourd'hui, Khartoum, la capitale, ainsi que Nyala et plusieurs autres localités sont des villes fantômes, des zones de guerre. Des civils sont tués lors de raids menés chez eux par les RSF, par des frappes aériennes aléatoires qui touchent les zones résidentielles, ou meurent à cause de l'absence de soin et de médicaments. Certains sont aussi morts de faim et de soif chez eux car les dégâts engendrés par la guerre ont coupé l'approvisionnement en eau — des points d'eau sont occupés par les RSF. Les deux camps affirment que la victoire est proche, mais sur le terrain, la violence reste écrasante. Plusieurs régions du pays ont déjà connu la guerre par le passé. Alors qu'on s'attendait depuis des décennies à ce que le conflit atteigne la capitale, ça n'est que ces dernières années, à mesure que le pouvoir politique des RSF se développait, que nous avons vu arriver les signes d'une guerre impliquant différentes milices gouvernementales. Dans un entretien qui date de 2014, le dirigeant des RSF, Mohamed Hamdan Dagalo, connu sous le nom de Hemedti, avait clairement exprimé ses ambitions : « Nous sommes le gouvernement et le gouvernement [officiel] pourra échanger avec nous lorsqu'il aura lui-même une armée. »
En 2018 et 2019, des soulèvements populaires ont mis fin à 30 ans de dictature d'Omar al-Bachir. Dans quelle mesure ces soulèvements ont-ils réussi ? Y avait-il des signes qu'un conflit était susceptible d'émerger ensuite ?
Le soulèvement qui est survenu en 2018 et 2019 contre al-Bachir n'était pas le premier. Quand, en 2013, les RSF sont rentrées dans Khartoum pour la première fois, c'était pour mettre fin à des protestations contre le régime. Des centaines de personnes ont été tuées à cette occasion. Néanmoins, le soulèvement de 2018–2019 a été plus fructueux, pour plusieurs raisons. D'abord, la conjoncture économique était catastrophique. La pauvreté s'était généralisée et la petite classe moyenne du pays avait la mainmise sur le peu de ressources disponibles. Dans ce contexte, une nouvelle entité politique, l'Association des professionnels soudanais[Sudanese Professionals Association], a été créée. Elle s'est emparée du sentiment général d'opposition au régime et s'est révélée capable d'agir comme un vecteur de changement. Enfin, l'usage de formes décentralisées d'organisation comme les comités de quartier a facilité une action politique directe de la part de beaucoup de groupes restés jusque-là en dehors de la lutte.
« L'usage de formes décentralisées d'organisation comme les comités de quartier a facilité une action politique directe de la part de beaucoup de groupes restés jusque-là en dehors de la lutte. »
Les manifestations pacifiques des quatre premiers mois ont été très révélatrices du pouvoir qu'a le peuple en action : elles ont forcé le renversement d'al-Bachir par ses généraux par le biais d'un coup d'État. Le pouvoir a ensuite été transféré à un « conseil militaire de transition », mais ce conseil ne rapportait pas les demandes du peuple et des sit-in réclamant un gouvernement entièrement civil ont été organisés pendant plusieurs semaines dans tout le pays autour des quartiers généraux de l'armée. Face aux tentatives du conseil militaire de disperser violemment les manifestants, la population a fait preuve de résilience et a montré sa force collective. Mais les partis contre-révolutionnaires à l'intérieur et à l'extérieur du Soudan ont fait pression pour qu'une solution rapide soit trouvée, ce qui, avec l'accord [sur la transition démocratique] d'août 20191, a de fait stoppé le mouvement populaire. Cet accord, forgé par une élite politique désavouée, l'armée et un gouvernement civil, stipule que les chefs du conseil militaire ne seront pas tenus responsables des crimes qu'ils ont commis contre les manifestants.
Que cette impunité soit cautionnée les a, sans surprise, incités à en commettre d'autres. Les meurtres de manifestants, l'oppression et les mauvaises pratiques économiques qui ont poussé les gens à descendre dans la rue en 2018 ont tout simplement continué. Il est également important de noter que les puissances extérieures ont, ces dernières années, exercé une grande influence sur la politique soudanaise. Le pouvoir du RSF, par exemple, a été renforcé par le « processus de Khartoum », un accord conclu en 2014 entre l'Union européenne et le gouvernement soudanais, qui a financé le RSF afin d'empêcher les migrants espérant atteindre l'Europe de traverser les frontières soudanaises.
Quel a justement été, selon vous, le rôle historique et l'impact des interventions étrangères ayant mené à la situation actuelle ?
Le soutien international et régional d'acteurs tels que l'Arabie saoudite, l'Égypte, les Émirats arabes unis, le Royaume-Uni et les États-Unis a joué un rôle essentiel dans l'imposition d'un partenariat répressif au gouvernement et dans la légitimation du régime militaire, en particulier lorsqu'il est clairement apparu que la population était déterminée à mettre en place un gouvernement civil. Par exemple, en mai 2019,la classe ouvrière soudanaise a organisé une grève de deux jours dans tout le pays pour exiger la fin du régime militaire. Le Soudan était à l'arrêt. Les aéroports, les marchés, les champs de pétrole, les mines, tout était fermé. Un autre exemple s'est déroulé après le massacre du 3 juin 2019à Khartoum, lorsque les forces armées du conseil militaire soudanais ont violemment dispersé les manifestants qui participaient à des sit-in. Au moins 100 personnes ont été tuées et 700 ont été blessées. Pourtant, au lendemain de cet événement déchirant, malgré une coupure d'Internet dans tout le pays, les comités de résistance de quartier ont formé des organes de coordination entre comités voisins. Une marche de plusieurs millions de personnes, qui ont continué à revendiquer la fin du régime militaire, s'est ensuite tenue d'un bout à l'autre du pays.
Cependant, les gens se sont heurtés à une puissante machine de propagande diffusée par les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite, qui vantait le « modèle soudanais » d'une association criminelle. S'appuyant sur des acteurs tant nationaux qu'internationaux favorables au statut quo, think tanks et diplomates réformistes apportèrent des gratifications et un soutien de façade. On a prétendu que les personnes au pouvoir allaient réaliser les objectifs de la révolution. Les personnes qui ont rejeté les politiques mises en œuvre par le gouvernement de partenariat entre les militaires et le gouvernement de transition du Soudan — politiques qui, d'ailleurs, ressemblaient étroitement à celles d'al-Bachir — ont été qualifiées d'opposants au « gouvernement de la révolution ». Ce qui est sûr, c'est que le gouvernement de partenariat n'aurait pas été formé et n'aurait pas duré aussi longtemps sans l'intervention des puissances internationales. C'est l'objectif même de ce type d'intervention : préserver le statu quo, mettre fin à la révolution. L'hypocrisie est telle que les diplomates et les institutions qui ont conçu et encouragé les structures qui ont conduit au massacre, au coup d'État et à la guerre actuelle, discutent encore ouvertement de « l'avenir du Soudan ». Il est choquant de voir combien de personnes peuvent mourir à cause des méthodes douteuses de la diplomatie internationale. Quel que soit le nombre de guerres et de régimes oppressifs qu'ils facilitent, leur responsabilité n'est jamais mise en jeu.
Pensez-vous que les espoirs et les aspirations pour lesquelles les soulèvements de 2018–2019 se sont battus restent présents au sein de la population ?
« Malgré les tentatives du gouvernement pour réduire le pouvoir des comités de résistance, ces derniers se sont étendus et participent aujourd'hui à sauver des vies humaines. »
Malgré les tentatives du gouvernement pour réduire le pouvoir des comités de résistance, ces derniers ne se sont pas contentés de survivre, mais se sont étendus et participent aujourd'hui à sauver des vies humaines. Dans les premières heures de la guerre, ils ont installé des services d'urgence à l'échelle locale afin de fournir les soins essentiels, mobiliser des soignants, organiser des dons de médicaments, etc. Certains de ces services ont initié des cantines communautaires, tandis que d'autres se sont occupés des évacuations et coordonné la réparation des lignes électriques détruites. Même en dehors des zones touchées par la guerre, des services d'urgence ont été créés pour prendre en charge l'hébergement des personnes déplacées à cause du conflit. Pour que des vies soient sauvées, les gens utilisent les organisations locales dont ils ont besoin, ce qui prouve que les valeurs de paix et de justice que les manifestations populaires ont défendues sont toujours bien vivantes.
Dans les médias mainstream, on s'intéresse beaucoup à la « recherche de solutions », bien moins à la façon dont le peuple souhaite construire un Soudan avec plus de justice sociale. Quels sont les dangers d'une telle couverture médiatique ?
Les grands mainstream sont construits pour nous informer sur l'élite tout en omettant le peuple. Lorsque le gouvernement de transition a adopté les mêmes mesures économiques que le gouvernement renversé d'al-Bachir, les principaux médias se sont focalisés sur les visites de diplomates étrangers plutôt que sur les difficultés qui en résultent. Et pour ce qui est des centaines de manifestations contre la politique menée par le gouvernement de transition et l'impunité des généraux, elles ont été ignorées. Prenons l'exemple des solutions que les gens trouvent face à la guerre. À propos des hôpitaux, les médias parleraient aujourd'hui d'une poignée de médecins en les présentant comme des héros, tout en ignorant le fait que ces hôpitaux sont administrés par le peuple. C'est l'organisation populaire qui fait fonctionner ces hôpitaux, jusqu'à payer les salaires des médecins.
Quel pourrait être l'avenir ?
La voie révolutionnaire que la résistance soudanaise emprunte face à la guerre, celui de l'organisation populaire pour la survie, est porteuse de grands espoirs. On commence à percevoir, dans l'orientation prise un chemin plus sûr menant à un pouvoir populaire allant au-delà d'un seul accès à des services d'urgence. C'est ce qu'on voit se dessiner en partie. Mais beaucoup d'éléments doivent encore évoluer et de gros efforts seront nécessaires pour rendre possible un système de gouvernement populaire : ce dernier suppose la formation d'un corps politique organisé qui soit en mesure de défendre, théoriser et organiser le pouvoir du peuple. En attendant, nous n'avons rien à attendre de la diplomatie internationale — ainsi que de son pouvoir reposant sur des accords vides et une impunité vis-à-vis des militaires qu'elle soutient — pour qu'adviennent des changements significatifs en faveur de la population soudanaise. En fin de compte, ça n'est pas au peuple de faire comprendre aux forces contre-révolutionnaires leurs erreurs, elles en sont parfaitement conscientes. La tâche des révolutionnaires consiste à comprendre ce qu'il se passe et, chemin faisant, élaborer des méthodes pour faire avancer les objectifs de la révolution : la liberté, la paix et la justice pour le peuple.
11 mars 2024
https://www.revue-ballast.fr
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« Haïti a besoin de paix » : le Premier ministre Ariel Henry annonce sa démission, un conseil de transition sera désigné
Par ailleurs, avant ces négociations, ces gouvernements étrangers se sont réuni en secret sans aucune participation haïtienne. Plus tard, ils les ont invités.es. Et ce sont ces gouvernements étrangers qui ont décrété les règles d'engagement, ce qui signifie que vous ne pouvez pas prendre part à la discussion si vous n'êtes pas d'accord d'abord et avant tout avec cette intervention étrangère que les États-Unis ont planifiée pour Haïti.
Democracy Now, 12 mars 2024
Traduction, Alexandra Cyr
Amy Goodman : Nous débutons notre émission avec la situation en Haïti où le Premier ministre non élu, Ariel Henry a annoncé sa démission (et se retirera) quand un conseil de transition sera constitué. Il a fait cette annonce au lendemain d'une rencontre des leaders caraibéens avec le Secrétaire du département d'État américain et d'autres (délégués.es politiques) en Jamaïque pour discuter de la crise haïtienne où des groupes armés se sont soulevés la semaine dernière contre M. Henry. Il a annoncé sa démission sur les réseaux sociaux. (…) Le Miami Herald rapporte que la CARICOM a proposé un plan pour créer un panel de sept personnes, nommées par intérim, qui devrait nommer un nouveau Premier ministre et gouverner jusqu'à ce que des élections aient lieu. Le Premier ministre de la Barbade, Mme Mia Mottley, a déclaré que ce panel ne devrait être constitué que d'Haïtiens.nes qui seraient d'accord pour le déploiement d'une force de sécurité soutenue par l'ONU. La semaine dernière le Premier ministre Henry est allé au Kénya dont le gouvernement doit diriger cette mission sécuritaire. Il n'a pas pu rentrer en Haïti et se trouve maintenant à Porto-Rico.
Lundi, une des leaders du soulèvement armé, Jimmy Chérizier, connu sous le sobriquet de « Barbecue » a mis en garde contre l'idée que ce soit des forces extérieures qui choisissent le prochain dirigeant : (depuis la traduction anglaise), « Nous profitons de cette opportunité pour dire à la communauté internationale que si elle continue sur ce chemin, nous allons plonger Haïti dans le chaos, si elle choisit un petit groupe de politiciens.nes, avec qui elle mène des négociations sur papier pour décider qui sera Président.e et quel genre de gouvernement nous aurons. Aujourd'hui il est clair que, ce sont les habitants.es des districts de la classe ouvrière et du peuple haïtien qui savent ce que sont leurs souffrances et c'est à eux que revient la tâche de décider qui va les diriger et comment ».
A.G. : Pour en savoir plus, nous nous tournons vers Mme Jemima Pierre. Elle est professeure à l'Institut pour la justice sociale à l'Université de Colombie-Britannique au Canada. Elle est aussi chercheuse associée à l'Université de Johannesburg. Elle est une universitaire haïtienne américaine et codirige l'équipe haïtienne américaine de la Black Alliance for Peace qui suit de près la situation en Haïti. Elle a publié récemment un article sur NACLA intitulé : « Haïti as Empire's Laboratory ».
Soyez la bienvenue sur Democracy Now ! Les événements et les développements se déroulent à vive allure, professeure Pierre. Pouvez-vous réagir à l'annonce d'Ariel Henry. Depuis Porto-Rico, semble-t-il, il annonce sa démission à venir. Qu'est-ce que cela veut dire exactement ?
Jemima Pierre : Bonjour Amy et merci pour l'invitation.
C'est intéressant. Plusieurs personnes se demandent comment un Premier ministre qui n'a pas été choisi par le peuple ni aucun dirigeant.e peut ainsi, démissionner alors qu'il n'avait aucun mandat au départ. Ce que je comprends et plusieurs personnes également, c'est que cette fiction ne sert que de verni légal sur la situation : fondamentalement, on dit qu'il faut que A. Henry démissionne pour qu'un conseil présidentiel soit nommé pour organiser de soi-disant élections libres et justes. Pour moi, le peuple qui prend des décisions continue de le faire, cette mascarade de légalité est au service de ceux et celles qui prennent des décisions. C'est en soi un problème qui ne sera pas résolu.
Juan Ganzalez (D.N.) : Professeure Pierre, toutes les informations que nous recevons ici aux États-Unis, portent sur le chaos créé par les gangs dans les rues. Vous avez d'autres perspectives et vous vous opposez à l'emploi de ce terme. Pouvez-vous nous expliquer le rôle de ces gangs dans la démission d'A. Henry ?
J.P. : Comme je l'ai dit hier, les gens se fixent sur ce que les médias font et les grands médias américains se concentrent sur les images de l'extrême violence de ces groupes. Je n'aime pas le terme « gang » parce que je pense qu'elles n'en sont pas. C'est un terme extrêmement terrible, radical qu'on utilise quand on parle des Haïtiens. Je pense que ce sont des groupes armés. Certains sont paramilitaires mais d'autres ne sont que des groupes qui ont accès aux armes. Et nous devons être clairs : ce ne sont pas des attroupements de gens qui se déplacent dans les alentours comme nous le montraient les films des années 1990 portant sur les gangs aux États-Unis. Voilà pour un premier temps.
Deuxièmement, la violence de ces dites « gangs » n'est pas le principal problème d'Haïti. Son principal problème, c'est la constante interférence de la communauté internationale, c'est-à-dire, les États-Unis, la France et le Canada. Et c'est fascinant de constater qu'hier, les négociations avec la CARICOM se faisait avec des soi-disant négociateurs étrangers, hors des pays de la CARICOM, les États-Unis, la France, le Canada et le Mexique. C'est un problème en soi parce que ce sont ces pays qui sont derrière le coup d'État qui a sorti notre Président élu et qui nous a menés.es jusqu'ici. Alors, pourquoi la France, (…) pourquoi est-ce que, ce sont les Caraibéens qui négocient au nom d'Haïti ?
Par ailleurs, avant ces négociations, ces gouvernements étrangers se sont réuni en secret sans aucune participation haïtienne. Plus tard, ils les ont invités.es. Et ce sont ces gouvernements étrangers qui ont décrété les règles d'engagement, ce qui signifie que vous ne pouvez pas prendre part à la discussion si vous n'êtes pas d'accord d'abord et avant tout avec cette intervention étrangère que les États-Unis ont planifiée pour Haïti. Le statut quo veut que les États-Unis prennent les décisions. Ce qui arrive aujourd'hui se répétera dans le futur.
J.G. : Quels sont les intérêts des États-Unis, du Canada en Haïti ?
J.P. : Souvent les gens se demandent pourquoi les États-Unis ont tant d'intérêt pour Haïti. Il faut se poser la question du début. Les États-Unis ont tenté de prendre le contrôle d'Haïti depuis bien longtemps, depuis la fin des années 1880 quand ils voulaient s'emparer du sommet du Môle Saint-Nicolas, une ile sur le Passage Windward, une route directe vers le Canal de Panama leur permettant d'atteindre l'Asie. Ils devaient y avoir une force militaire conséquente pour détourner Cuba, le Venezuela etc. Ils avaient aussi besoin d'Haïti pour ses corporations et ses salariés.es sous payées.es. La population d'Haïti est de 12 millions, c'est la plus grande population de la CARICOM. Haïti a été déstabilisé par les États-Unis tant de fois.
Et la mission ; je veux parler de cette mission qu'on appelle mission des Nations Unies, ce qui est un problème car ce n'est pas une mission des Nations Unies. C'est une mission sanctionnée par les Nations Unies. On lit le libellé de la résolution qui permet ce déploiement mais, il vient en vertu du Chapitre 7 sur les déploiements. Ce qui veut dire qu'une telle force peut utiliser des capacités extrêmes, aériennes, terrestres ou maritimes. Si on lit l'entente, il y est dit que ce n'est pas une mission officielle des Nations Unies mais que s'en est une de pays volontaires. Cela veut dire qu'ils doivent en assumer les frais. C'est pour cette raison que le Secrétaire d'État A. Blinken et le Département de la défense (américain) ajoute plus d'argent pour payer les 200 millions de dollars, maintenant 300, de Kényans qui viendront.
Les implications pour le peuple haïtien, en terme de droits humains par exemple, sont différentes par le fait que ce ne soit pas une mission des Nations Unies. Nous n'avons plus le semblant de protection que nous avions avec la MINUSTAH durant l'occupation des Nations Unies qui a durée de 2004 à 2017. Chacun.e des Haïtiens.nes se rappelle ce que cela voulait dire. Je pense au choléra qui a tué de 10 à 30 millions de personnes et en a rendu un million malade. Elle a aussi apporté des morts et des meurtres hors justice, de l'exploitation sexuelle de jeunes filles et de femmes. Pour nous, c'est cela l'occupation.
Maintenant….c'étaient des gens sous mandat des Nations Unies avec ses règles d'engagement. L'entente actuelle n'est pas dans ce cadre. Les gens qui mènent ces négociations disent que la première exigence pour y participer est d'accepter cette force étrangère, Kényanne, qui ne parlent pas la langue et qui est reconnue pour ses abus des droits humains, pour moi, c'est problématique.
Je veux vite ajouter que cela me rappelle ce qu'a dit Dantès Bellegarde, un diplomate haïtien au début des années 1900. Le pays était sous occupation à l'époque. Il a déclaré : « Dieu est trop loin et les États-Unis trop proches ». Je pense que ça traduit le sentiment de beaucoup d'Haïtiens.nes en ce moment.
A.G. : Finalement, cela va permettre à A. Henry de revenir au pays maintenant qu'il a dit qu'il démissionnerait ? Quelles sont les implications pour lui qui est réputé avoir participé à l'assassinat du Président Moïse, qui a téléphoné à répétition à Badio, l'homme qui était dans la pièce quand les assassins colombiens qui ont reconnu le Président avant de le tuer et qui sont allés plusieurs fois au domicile de M. Henry ? Qu'est-ce que cela implique ? Pensez-vous qu'il va retourner au pays ?
J.P. : Je ne suis pas sûre qu'il y retournera parce qu'il y est persona non grata même si je pense qu'il n'est pas la pire partie du problème. Le pire problème, c'est la communauté internationale qui dirige Haïti.
Ariel Henry est impliqué dans l'assassinat ; ce qui nous oblige à nous demander pourquoi les États-Unis l'ont soutenu ces derniers 30 mois malgré le fait que cette implication était connue de tous et toutes. Il doit s'inquiéter des sanctions américaines à son égard plus tard, d'accusations d'assassinat par exemple.
Je ne suis pas certaine que cela va résoudre le problème actuel du pays. Les gens, les journalistes qui font des reportages disaient que les rues étaient plus calmes hier. Mais je ne suis pas convaincue que la population va adhérer (à ce programme) parce qu'il ne fait que démontrer qu'Haïti est constamment occupé par des étrangers.
En plus, je veux dire que Mme Mia Mottley, au nom des États-Unis, a parlé d'une autre condition pour participer aux négociations actuelles : vous devez y accepter les multinationales, et que quand le bureau électoral sera nommé par le Conseil de transition, et organisera des élections, ceux et celles qui auront participé aux négociations, ne devront pas contester les résultats annoncés par ce bureau. Donc, ils établissent les paramètres pour choisir les élus.es qui leur conviennent. Pour moi, cela veut dire que le problème va durer, qu'il y aura plus de situations explosives au cours des prochains mois, des prochaines années. Nous devons prendre le problème à sa racine, soit arrêter la constante imposition des conditions américaines sur le peuple haïtien avec la négation de sa souveraineté.
A.G. : Merci Jemima Pierre d'avoir été avec nous. (…)
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État de l’Union : Biden lance sa campagne au milieu des protestations
Le président Joe Biden a profité du discours sur l'État de l'Union, le rapport annuel du chef de l'exécutif au Congrès, pour lancer sa campagne de réélection à la présidence, alors que des centaines de manifestants bloquaient la Pennsylvania Avenue, qui mène de la Maison Blanche au Capitole, pour exiger un cessez-le-feu dans la guerre d'Israël contre la Palestine.
Hebdo L'Anticapitaliste - 699 (14/03/2024)
Par Dan La Botz
Crédit Photo
Wikimedia commons
Joe Biden, qui fait face au scepticisme des électeurs en raison de son âge – il a 81 ans – a prononcé ce discours d'une heure avec énergie et enthousiasme, se présentant comme un dirigeant fort et critiquant l'ancien président Donald Trump, qu'il n'a appelé que « mon prédécesseur ». Son discours, plein d'exagérations sur ses propres succès, a présenté en grande partie un programme intérieur d'allure progressiste qui défendrait le droit des femmes à l'avortement et améliorerait la santé et l'éducation – bien que les progressistes du Parti démocrate aient critiqué ses positions sur l'immigration et en particulier sur le soutien à la guerre d'Israël.
Biden critiqué par les plus progressistes
Dans son discours préparé et ses remarques impromptues, Biden a mis les Républicains au défi d'adopter le projet de loi bipartisan sur l'immigration devant le Congrès, ce qu'ils ont refusé de faire à la suite des injonctions de Trump. En effet, Trump ne veut pas qu'il soit adopté parce qu'il veut pouvoir attaquer Biden sur la question des frontières et de l'immigration. Mais ce projet de loi est critiqué par les progressistes parce qu'il militariserait la frontière et refuserait aux demandeurs d'asile l'entrée aux États-Unis, en violation du droit américain et international.
Des centaines de milliers de démocrates ayant refusé de voter pour Biden et s'étant abstenus lors des primaires au niveau des États, parce qu'ils sont mécontents de son soutien inconditionnel à Israël et de son incapacité à appeler à un cessez-le-feu, le président a dû faire quelques gestes pour reconnaître la situation épouvantable des PalestinienNEs à Gaza. Dans son discours, il a appelé à « un cessez-le-feu immédiat qui durerait six semaines » afin d'obtenir la libération des otages israéliens, dans l'espoir que cela conduise à un cessez-le-feu plus long. Il a également annoncé que les États-Unis allaient commencer à acheminer de l'aide à Gaza par voie maritime.
Trump et ses discours hitlérien contre l'immigration
Le discours de Joe Biden, bien qu'il ait été généralement bien accueilli par son parti, ne semble pas avoir beaucoup ému l'opinion publique, selon les sondages. À l'heure actuelle, Trump, qui fait campagne depuis quatre ans, est en tête des sondages dans les États clés, mais Biden et les démocrates ont une longueur d'avance en termes de collecte de fonds et d'organisation sur le terrain.
Le principal message de campagne de Trump, répété à l'envi dans les discours prononcés lors de ses grands rassemblements, est que des « millions » d'immigrants provenant de « prisons et d'institutions psychiatriques » continuent d' « envahir » les États-Unis. Il a déclaré que les politiques frontalières de Biden équivalent à une « conspiration visant à renverser les États-Unis d'Amérique ». Il fait des déclarations absurdes comme celle selon laquelle, en raison de l'afflux d'immigrants à New York : « il n'y a plus de baseball pour les enfants. Il n'y a plus de sport. Il n'y a plus de vie à New York et dans beaucoup de ces villes ». Et il est resté fidèle à sa proclamation hitlérienne selon laquelle « les immigrants empoisonnent le sang du pays ».
La gauche du pays divisée
De nombreux électeurEs originaires de Palestine et autres électeurEs arabes et musulmans, ainsi que des NoirEs et des jeunes électeurEs, risquent de ne pas participer à l'élection. Biden et Trump étant au coude à coude, les tiers partis pourraient déterminer l'élection. Le parti No Labels, dont le slogan est « ni à gauche, ni à droite, mais en avant », a proposé de présenter un Républicain à la présidence et un Démocrate à la vice-présidence, mais n'a pour l'instant pas de candidat. Jill Stein, du Parti vert, pourrait obtenir suffisamment de voix des Démocrates et des indépendants dans le Michigan et dans d'autres États pour que Trump remporte l'élection. Le théologien noir radical Cornel West pourrait avoir un impact similaire. La gauche est divisée entre ceux qui voteront pour Biden afin d'arrêter Trump, ceux qui voteront pour les progressistes Stein ou West, et ceux qui ne voteront pas lors de cette élection. Le débat continuera jusqu'au 5 novembre.
Dan La Botz, traduction Henri Wilno
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États-Unis : la surenchère xénophobe au cœur de la présidentielle
Dans la bataille présidentielle, Biden et Trump se veulent les champions d'une frontière étanche avec le Mexique. Une préoccupation au centre de l'élection après des années de durcissement xénophobe du régime.
Tiré de Révolution Permanente
14 mars 2024
Par Raji Samuthiram
Crédit photo : Voice of America
Alors que ces derniers jours le duel Biden-Trump pour la présidentielle américaine de novembre prochain a été confirmé, Joe Biden a proposé cette semaine dans son projet budgétaire pour 2025 une augmentation de 4,7 milliards de dollars pour renforcer les frontières avec le Mexique. Ce fonds d'urgence devrait permettre d'embaucher plusieurs milliers d'agents de répression aux frontières, de maintenir ouvert 34 000 lits en centre de rétention, et de continuer de détenir et de trier les enfants immigrés. Mais il sera sûrement bloqué par les Républicains, qui avaient déjà refusé d'approuver une augmentation de 13,6 milliards de dollars en février — après l'avoir négocié eux-mêmes avec les Démocrates. Une volte-face de dernière minute, après qu'ils ont exigé la fermeture de la frontière comme condition pour approuver l'aide financière à l'Ukraine, à Israël et à Taïwan.
Ces bisbilles politiciennes s'inscrivent dans le contexte tendu des élections américaines, qui se déroulent en pleine crise de l'establishment sur fond d'une souffrance sociale croissante : fusillades quotidiennes, chute de l'espérance de vie et de la qualité de l'éducation, épidémie d'opioïdes… Face à une désillusion générale sur le contrat social américain et les dépenses militaires externes exorbitantes, les deux partis misent aujourd'hui sur un agenda anti-immigrés pour attirer le vote conservateur, instrumentalisant les chiffres records d'arrivées aux frontières depuis le début du mandat de Biden. En découlent deux campagnes tournant autour d'une même surenchère xénophobe et sécuritaire pour gagner le vote des Américains perdants de la mondialisation et de l'impérialisme menée par leur propre camp.
Pour mettre les Démocrates en échec, les Républicains instrumentalisent la vie des immigrés
Depuis le début du mandat de Biden, le nombre de contrôles aux frontières a augmenté de 40 % pour atteindre 2,4 millions en 2023, selon la police aux frontières. Tous les ans, plusieurs millions de personnes passent par la frontière avec le Mexique, poussés par les crises climatiques et sociales dans leur pays, souvent subordonnés aux agendas impérialistes. Au Mexique, le gouvernement d'Andrés Manuel López Obrador joue un rôle clé dans le durcissement de la politique migratoire des États-Unis et l'appauvrissement de son pays, maintenant un budget historique pour les forces répressives de son pays avec l'appui de Washington. Résultat : la violence du passage à la frontière s'est également accrue. En 2023, 148 personnes sont mortes à la frontière mexicaine — un chiffre record, doublant celui de 2022.
Dans un même temps, l'immigration est devenue une préoccupation centrale dans les sondages pour la première fois depuis des années. Le résultat d'une campagne sécuritaire menée de façon intense tant par les Républicains que par les Démocrates conservateurs. Dans la course présidentielle, l'instrumentalisation de l'immigration est donc une pièce centrale. Depuis le début de son mandat, Trump et les Républicains fustigent Biden pour sa mollesse sur l'immigration — une critique face à laquelle celui-ci tente encore et toujours de montrer les muscles contre les étrangers.
Autour de 2022, dans le contexte d'une immigration repartant à la hausse après la paralysie du Covid, les gouverneurs républicains du Texas et de la Floride ont commencé à envoyer systématiquement des migrants vers les villes démocrates au nord, où les élus locaux ont alerté d'un déficit financier criant par rapport aux ressources allouées pour répondre aux besoins de milliers d'immigrés arrivant du Sud. À New York, Eric Adams — le maire démocrate droitier et ancien policier, élu sur un agenda sécuritaire a mis fin au droit à l'hébergement d'urgence en réponse à l'arrivée de milliers d'étrangers en plein hiver, déclarant que leur présence allait détruire la ville. Une déclaration qui a mis à mal les idéaux humanitaires de l'État historiquement démocrate qui, dans un contexte de crise sociale, de désillusion avec les démocrates, et de grandes campagnes politico-médiatiques sur la montée de la criminalité, vote de plus en plus à droite depuis quelques années.
Un petit exemple des dynamiques qui touchent d'autres États historiquement démocrates, qui avaient présenté leurs villes comme des « sanctuaires » pour les immigrés face à Trump et qui aujourd'hui voient une résurgence de la rhétorique et du sentiment anti-immigrés, sous le coup de l'agitation xénophobe des politiques. Témoignant de la fragilité de Biden dans son propre parti, plusieurs Démocrates s'alignent ouvertement sur le discours républicain et exigent plus de fermeté à la frontière de la part du président, à l'instar des 14 élus démocrates qui ont voté une proposition républicaine dénonçant la politique de l'administration en la matière. En difficulté face à un électorat polarisé par l'immigration d'une part et par le soutien du gouvernement au génocide à Gaza de l'autre, l'élection est loin d'être gagnée pour Biden. Pour l'instant, il mise surtout sur la peur de Trump pour mobiliser un vote du « moindre mal ».
La xénophobie d'État, des continuités entre Trump et Biden
Les sorties xénophobes de Trump qui, dernièrement, accusait les immigrés de « polluer le sang » des Américains, sont aujourd'hui devenues banales. Arrivé à la tête du pays en 2016, l'un de ses premiers actes avait été d'instituer une interdiction d'entrée sur le territoire pour tous les ressortissants de sept pays à majorité musulmane, et l'arrêt de l'admission de tous les réfugiés pendant quatre mois. Ces politiques chocs, comme les rafles d'immigrés menées par l'ICE (United States Immigration and Customs Enforcement, la police des frontières) ou les enfants arrachés à leurs parents aux frontières, ont été des mesures phares de l'administration de Trump, érigée en véritable époque de terreur anti-immigration par de nombreux commentateurs libéraux.
Pourtant, en matière de répression xénophobe, le parti démocrate et Biden se sont souvent alignés sur Trump, poursuivant des politiques toutes aussi, voire plus conservatrices, alors que le nombre de personnes tentant de se réfugier aux États-Unis augmente de jour en jour. Certaines des pires mesures sous Trump, comme l'enfermement des enfants, découlent directement des mesures instaurées par Obama, et sont aujourd'hui poursuivies par Biden. En mai 2023, après la fin de la mesure d'exception de Trump, instituée lors de la pandémie pour refuser le droit d'asile aux réfugiés, l'administration Biden l'a remplacée par un refoulement des demandeurs d'asile, visant ceux qui n'ont pas demandé l'asile dans des pays de transit avant leur arrivée.
La surenchère anti-migratoire se joue également au niveau militaire, avec l'envoi à la frontière de troupes de la Garde nationale par les gouverneurs du Texas et de la Floride depuis 2021, ou encore de la menace républicaine d'une intervention militaire au Mexique contre le trafic de drogue, agité comme un autre mal découlant de l'immigration. Biden, quant à lui, a envoyé 1 500 soldats au Mexique en mai 2023, et Trump promet de faire de même s'il est réélu, annonçant par la même occasion qu'il mobiliserait les troupes aujourd'hui déployées à l'étranger. Une annonce qui s'inscrit dans la rhétorique isolationniste de Trump, qui fait campagne sur le protectionnisme et la défense des intérêts des États-Unis. Cette surenchère, qui se joue principalement aujourd'hui entre Biden et Trump, a pris des nouvelles proportions récemment en vue des élections présidentielles.
La dépendance envers la main-d'œuvre immigrée : une contradiction dans la surenchère
Si la droite ne se prive pas d'utiliser les frontières comme levier politique pour avancer sur son agenda, la situation économique des États-Unis pointe aussi ses contradictions. Alors que les économistes bourgeois se félicitent de « l'atterrissage en douceur » de l'inflation, la croissance du PIB américain est indéniablement liée à l'afflux continu de travailleurs immigrés, surtout à l'heure d'un déclin démographique, comme le souligne l'économiste Michael Roberts. En Floride, où le gouverneur Ron DeSantis a tenté de concurrencer Trump dans la primaire avec une politique anti-migratoire brutale, le Parti républicain a dû apaiser le patronat suite au passage d'une loi locale ultra-dure. Celle-ci criminalise le transport de personnes sans papiers dans l'état et oblige les hôpitaux de demander le statut migratoire des personnes admises en clinique — ce qui, selon de nombreux patrons mécontents, n'aide pas à attirer la main d'œuvre exploitable.
À l'heure d'une baisse de natalité et de la productivité locale, et alors que le mouvement ouvrier connaît une revitalisation inédite depuis des décennies qui inquiète le patronat américain, ces contradictions constituent une limite à l'agenda réactionnaire des Républicains. Si la mise en œuvre de ces délires xénophobes pourrait se trouver limitée en pratique, le discours visant à fabriquer un ennemi intérieur devrait cependant constituer un élément essentiel de la campagne électorale de Trump, tout en alimentant fortement le programme de Biden.
Cette dynamique américaine fait écho au renforcement autoritaire et anti-migratoire qui touche plus largement les pays du cœur impérialiste. Le nouveau « Pacte sur la migration et l'asile » de l'Union européenne vise ainsi à refouler les demandeurs d'asile hors d'Europe, tandis que le Royaume-Uni tente d'aller encore plus loin en organisant la prise en charge de ses demandeurs d'asile par le Rwanda. Ces politiques entretiennent un dialogue constant avec l'extrême droite, qui surfe sur les crises sociales pour progresser dans les parlements, voire atteindre le gouvernement fédéral, comme en Italie.
La militarisation des frontières, l'enfermement des migrants et le programme de l'extrême droite, présentés comme une solution aux crises à répétition, affaiblit en réalité notre camp social en semant la division entre nationaux et étrangers, migrants réguliers et sans-papiers, et protège in fine la stabilité des États impérialistes responsables des crises qui touchent non seulement le Sud global, mais également leurs propres classes populaires. Pour combattre ces politiques qui tuent et qui divisent, il faut revendiquer la liberté de circulation et d'installation et la régularisation de tous.
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Les réactions de la fille d’une otage retenue à Gaza et d’une professeure américano-palestinienne à l’adresse du Président Biden
Le Hamas réagissait à 16 ans de siège. Je ne fais pas l'apologie de ce qui s'est passé le 7 octobre mais, de dire que toute cette affaire a commencé à ce moment-là, c'est ignorer le fait que chaque jour de 2023, un.e Palestinien.ne a été tué.e. C'est ce qui a mené au 7 octobre. Donc, si on ne considère pas les racines de ce qui a causé le 7 octobre, si on ne prend pas en compte la violence par laquelle deux millions de personnes ont été tenues sous siège pendant 17 ans, sans liberté de mouvements, on ira nulle part.
Democracy Now, 8 mars 2024
Traduction et organisation du texte
Alexandra Cyr
Amy Goodman : Durant son adresse (à la nation), le Président Biden a traité de la situation à Gaza qui est devenue un enjeu clé pour les élections. (…) :
Président Joe Biden : « Israël a le droit de s'attaquer au Hamas, qui, s'il relâchait les otages, déposait les armes et livrait les responsables (de l'attaque) du 7 octobre, il pourrait mettre fin au conflit.
Mais Israël fait face à un enjeu de plus, le Hamas se cache et opère au milieu de la population comme un lâche, sous les hôpitaux, les garderies et toutes les institutions du genre. Israël a une responsabilité fondamentale, protéger les civils.es innocents.es de Gaza.
Cette guerre a fait plus de mal aux civils.es innocents.es que toutes les autres guerres réunies, y compris celle-ci. Plus de 30,000 Palestiniens.nes ont été tués.es et dans leur vaste majorité ils et elles ne faisaient pas partie du Hamas. Ce sont des milliers et des milliers d'innocents.es, des femmes et des enfants, des garçons et des filles dont des orphelins.es. Près de 2 millions sont sous les bombardements et déplacés.es, leurs maisons ont été détruites, leurs quartiers ne sont que des décombres, les villes sont en ruines. Les familles n'ont pas de nourriture, d'eau ni de médicaments. Ça brise le cœur.
J'ai travaillé sans relâche pour arriver à un cessez-le-feu immédiat qui pourrait durer six semaines pendant lesquelles tous et toutes les otages pourraient être libérés.es, (où on pourrait) alléger l'intolérable crise humanitaire et nous orienter vers quelque chose de plus durable.
Les États-Unis ont dirigé les efforts internationaux pour plus d'aide humanitaire à Gaza. Ce soir, je demande à l'armée américaine de prendre le leadership d'une mission d'urgence en installant un quai temporaire dans la Méditerranée sur la côte de Gaza pour y apporter de la nourriture, de l'eau, des médicaments et des abris temporaires en grande quantité. Il n'y aura pas de soldats.es américain sur le territoire. Ce quai temporaire permettra d'augmenter massivement l'aide humanitaire à Gaza chaque jour ».
A.G. : Avant le début de ce discours, des centaines de protestataires ont bloqué les rues autour de la Maison blanche près du Capitole ce qui en a retardé le début. La manifestation exigeait un cessez-le-feu immédiat. D'autres manifestations se sont tenues ailleurs dans le pays. On en attend d'autres cette fin de semaine à Chicago où se tiendra la Convention démocrate à l'été. Une coalition contre la guerre a tenu une vigile de 24 heures à la Plaza fédérale de la ville ; on y a lu le plus de noms possibles des 30,000 Palestiniens.nes tués.es par les bombardements israéliens à Gaza. On y a aussi tenu un discours alternatif sur l'état de l'Union :
Eman Abdelhadi : « L'adresse sur l'état de l'Union de ce soir est celle (de l'état) du génocide. Nos leaders ont suivi un plan que nous connaissons, investir dans le pouvoir de l'argent et du sang au mépris de l'humanité ».
A.G. : Nous nous rendons maintenant à Chicago pour entendre Mme Eman Abdelhadi une militante et professeure américano-palestinienne à l'Université de Chicago. Elle étudie entre autre, les politiques des musulmans.es américains.es. Elle a appuyé le Président Biden en 2020 et a décidé de ses amis.es à voter.
Soyez la bienvenue sur Democracy Now professeure Abdelhadi. Vous avez livré votre message hier soir…
E.A. : Merci Amy pour l'invitation.
Je veux signaler que j'ai écrit ce discours avec Ari Bloomekatz qui est le rédacteur en chef du site In These Times. Nous voulions avertir que tout ne peut pas aller comme avant et que nous ne nous retirerons pas. Le génocide dure depuis 152 jours et c'est un projet américain à 100%. On n'en serait pas là si les États-Unis n'envoyaient pas d'armes à Israël et ne lui accordaient pas un appui inconditionnel. Il est donc dangereux de n'en parler qu'en fin de discours comme si c'était un enjeu de politique étrangère éloignée et non un enjeu qui est dans toutes les têtes américaines.
A.G. : Et que dites-vous de l'idée de construire un port ? Il y a eu les parachutages de nourriture dans un premier temps. Ça donne l'impression qu'il y a eu un désastre naturel, comme un tremblement de terre, une tornade ou un ouragan et qu'il faut s'assurer que les populations aient de quoi manger. Mais c'est le fait d'Israël, un allié des Américains qui l'arment.
E.A. : En effet, le Président Biden pointe un fusil sur la tête des Palestiniens.nes, tire d'une main et leur lance des miettes de l'autre. Et il veut que nous, le peuple américain nous nous centrions sur les miettes qu'il parachute. Alors, nous disons et redisons : « Président Biden, bat les armes ». C'est absurde de présenter ces morts.es comme de simples victimes collatérales et non une stratégie volontaire de l'État d'Israël d'opérer un nettoyage ethnique.
A.G. : Je veux introduire dans la conversation, Neta Heiman Mina. Elle est membre du chapitre israélien de Women Wage Peace. Sa mère de 84 ans, Mme Ditza Heiman, a été capturée par le Hamas dans sa maison dans le kibboutz Nir Oz près de la frontière avec Gaza. Elle a été relâchée le 28 novembre. Mme Heiman Mina nous parle depuis Israël.
Neta merci de vous joindre à nous. Il y a eu beaucoup de familles d'otages présentes hier soir. Elles étaient les invitées des Bidens, de Israeli Américan ou American hostages in Gaza. D'abord, comment va votre mère ? Et pouvez-vous nous dire ce que vous voulez qui se passe maintenant ?
Neta Heiman Mina : Merci de l'invitation.
Ma mère va bien. Elle commence à vivre sa nouvelle vie. Elle ne peut retourner chez-elle dans le kibboutz qui a été endommagé par le Hamas. Elle attend toujours ses voisins.es et amis.es du kibboutz ; il y en a encore 37 otages à Gaza.
Je pense qu'il faut tout faire pour les libérer, les ramener à la maison même s'il faut un cessez-le-feu même s'il faut libérer des prisonniers.ères palestiniens.nes. Nous devons le faire le plus tôt possible, il leur reste peu de temps. Ils et elles ne doivent pas rester là-bas. (…) Ce sont des personnes âgées, des femmes et des enfants et nous apprenons ce qu'ils et elles traversent. (Leur libération) doit arriver le plus vite possible.
A.G. : Pouvez-vous nous parler du mouvement qu'ont formé les familles d'otages ? Je ne pense pas que leur message soit bien entendu aux États-Unis. Nous avons conduit beaucoup d'entrevues à propos de ces Israéliens.nes qui ont été tués.es le 7 octobre. Par exemple, nous avons parlé à un membre de la famille de Hayim (Katzman) à Bruxelles. Il était étudiant à l'Université de Washington, Noy (Katzman) nous a dit : « Mon frère ne voudrait pas que ce carnage continue à Gaza ». Pouvez-vous nous dire ce que les familles d'otages disent en ce moment. Un certain nombre (de ces otages) qui sont morts.es étaient des militants.es pour la paix ?
N.H.M. : Je ne veux parler au nom de toutes ces familles parce que nous ne pensons pas tous et toutes la même chose. Mais je pense que la majorité veulent faire tout ce qui est possible pour leur libération. Peu importe s'il faut arrêter la guerre pour leur retour ou libérer des prisonniers.ères palestiniens.nes. Je pense que la majorité veut faire le maximum pour leur libération. Il y a deux semaines, nous avons discuté avec des gens qui comprennent et qui nous ont dit qu'Israël pouvait s'organiser pour arrêter la guerre, libérer des prisonniers.ères, qu'il n'y avait aucun problème avec cela.
A.G. : Nous allons revenir à la professeures Abdelhadi. Pouvez-vous nous parler de ce que B. Nétanyahou menace de faire : l'invasion de Rafa au sol ? Qu'est-ce que cela pourrait signifier ?
E.A. : Ça voudrait dire le nettoyage ethnique total du reste de la Bande de Gaza. Nous avons vu un million 500 mille personne s'entasser sur ce petit bout de territoire. C'est devenu le dernier refuge. C'était supposé être sûr et il serait attaqué. Les Palestiniens.nes n'ont littéralement nulle part où aller.
En définitive, c'est la continuation de la politique que B. Nétanyahou a suivi depuis le 7 octobre, n'est-ce pas ? Il a été, de même que d'autres membres de son administration, très franc en déclarant son intention d'en finir avec Gaza, d'en sortir tous les habitants.es et d'en faire un espace de colonisation tout prêt. Et sans conséquences américaines. Votre invitée précédente disait qu'il nous faut une politique étrangère transformative mais, ce que nous observons c'est que la classe dirigeante aux États-Unis n'est pas prête à transformer l'inconditionnel appui américain à Israël.
A.G. : Eman, quels sont les plans en vue de la Convention démocrate à Chicago où vous vous trouvez ?
E.A. : Vous le savez, nous sommes très mécontents.es de cette administration. Je pense que le vote « non engagé » le démontre. La plus grande communauté palestinienne se trouve à Chicago. Elle est une des plus grande du monde. Nous ne partons pas. Nous allons toujours être dans les rues. Et nous allons nous assurer que le Comité national démocrate sache où nous nous situons.
A.G. : Neta Heiman Mina, pouvez-vous nous dire ce qui se passe au gouvernement en ce moment ? Il est clair que B. Nétayahou est pour le moins en conflit d'intérêt. S'il est poussé hors du gouvernement il pourrait finir en prison. Voilà que Benny Gantz rencontre la vice-présidente, Mme Kamala Harris et le Secrétaire d'État Blinken à Washington. Il est membre du cabinet de guerre et il a été ministre de la défense (dans le passé). Pensez-vous que le gouvernement s'effondre ?
N.H.M. : Je ne sais pas si le gouvernement s'effondre. Mais permettez-moi, avant que je ne réponde à votre question, de rappeler qu'il ne faut jamais oublier que c'est le Hamas qui a attaqué. Le 7 octobre, le Hamas a attaqué Israël, tué 1,400 personnes, fait 254 otages en les tirant de leurs lits en pyjamas. Nous devons nous rappeler cela. Maintenant, la situation à Gaza ; c'est aussi le fait du Hamas. Il ne se préoccupe aucunement de la population où israélienne ou gazaouie. Je pense qu'il se préoccupe encore moins de celle de Gaza que de celle d'Israël et encore moins de celle des États-Unis.
Je ne sais pas si le gouvernement va tomber. Il y a un problème. Pour notre Premier ministre la libération des otages n'est pas une priorité. Sa priorité fondamentale c'est de demeurer Premier ministre et que le gouvernement ne tombe pas. I. Ben-Gvir et B. Smotrich (qui en font partie) sont un réel problème. S'il devait y avoir une entente pour, disons mettre fin à la guerre, B. Nétanyahou aurait un problème avec son gouvernement.
A.G. : Mme Abdelhadi, pouvez-vous réagir à ce que Neta vient de dire ? Et nous venons tout juste de recevoir une nouvelle ; selon CBS News, cinq personnes auraient été tuées vendredi lors du parachutage de paquets d'aide quand un des parachutes ne s'est pas ouvert correctement et les paquets sont tombés sur ces personnes. Il y a une vidéo en ligne maintenant. (…)
E.A. : Le Hamas réagissait à 16 ans de siège. Je ne fais pas l'apologie de ce qui s'est passé le 7 octobre mais, de dire que toute cette affaire a commencé à ce moment-là, c'est ignorer le fait que chaque jour de 2023, un.e Palestinien.ne a été tué.e. C'est ce qui a mené au 7 octobre. Donc, si on ne considère pas les racines de ce qui a causé le 7 octobre, si on ne prend pas en compte la violence par laquelle deux millions de personnes ont été tenues sous siège pendant 17 ans, sans liberté de mouvements, on ira nulle part.
A.G. : Merci Mme Abdelhadi (…) et Mme Neta Heiman Mina (…) pour votre participation.
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