Derniers articles

Le Chili approuve une loi intégrale contre les violences faites aux femmes

Le Chili vient d'adopter une loi intégrale pour prévenir, sanctionner et éradiquer les violences faites aux femmes. Une bonne nouvelle pour les féministes chiliennes qui œuvraient depuis sept ans à ce projet.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
23 mars 2024
Par Agathe Ripoche
Depuis son élection en 2022 à la tête du Chili, Gabriel Boric avait assuré que cette loi contre les violences était une priorité législative pour le pays. Deux ans après, cette promesse se concrétise enfin. Elle est le fruit d'un travail acharné des féministes, ex-ministres, parlementaires et du ministère des Droits des femmes qui travaillent depuis sept ans avec un seul objectif : inscrire cette loi dans la Constitution chilienne. C'est donc chose faite depuis le 6 mars 2024, soit deux jours avant la journée internationale des droits des femmes, où la loi intégrale contre les violences faites aux femmes a fait son entrée dans la Constitution.
Loi intégrale contre les violences faites aux femmes
Jusqu'à présent au Chili, seules des mesures immédiates pouvaient être prises en cas de violences intra-familiales. Désormais, la loi étend son champ d'application aux délits et agressions qui surviendraient en dehors des relations familiales ou affectives. Elle renforce également le rôle juridique du Service national de la femme et de l'égalité de genre, service public chilien, qui pourra désormais agir plus rapidement en cas de féminicides ou suicides forcés, garantissant aide et représentation juridique gratuite aux victimes.
Le texte donne également une définition plus précise de la violence de genre. Sera donc considérée comme telle « toute action ou omission causant la mort, des blessures ou souffrances à une femme en raison de son genre, sans distinction du lieu où elle se trouve, que ce soit dans l'espace public ou privé ; ou une menace ». La définition de violence est même étendue plus largement aux différentes formes que peut prendre celle-ci. Par exemple, la loi entend ainsi par violence aussi bien des violences physiques que psychologiques, sexuelles, économiques ou encore gynécologiques. Le but étant avant tout d'œuvrer pour prévenir ces violences avec la mise en place de programmes et protocoles.
Un autre point important est à souligner dans ce texte. Ce dernier va plus loin que la protection des femmes puisqu'il reconnaît également comme violence de genre toute violence exercée sur les enfants et adolescentes dans le but d'atteindre leur mère ou tutrice. Ces derniers ne sont donc plus considérés comme des témoins mais comme des victimes.
Une loi attendue et saluée
C'est avec beaucoup d'émotion que cette nouvelle a été reçue au Chili. Après l'approbation de la loi, la ministre des droits des femmes, Antonia Orella, a d'ailleurs salué la lutte de toutes les femmes qui ont permis d'obtenir des droits et d'arriver aujourd'hui à adopter une telle loi : « Si nos grands-mères ont rendu possible le travail rémunéré, si les femmes ont pu récupérer la démocratie, si nous avons pu avoir les premières lois sur la violence et la création d'un ministère des droits des femmes, aujourd'hui, nous faisons un pas en avant pour la prochaine génération en adoptant la Loi intégrale contre les violences ». Sur son compte X, elle a aussi tenu à remercier plus particulièrement celles qui ont travaillé toutes ces années pour rendre ce jour possible.
Agathe RIPOCHE
Les Nouvelles News
P.-S.
• FAL. PUBLIÉ LE 23 MARS 2024 :
https://www.espaces-latinos.org/archives/119173
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Pour survivre, les travailleurs et les travailleuses d’Ukraine ont besoin de l’aide internationale

Alfons Bech s'est rendu à Kyiv à l'occasion du deuxième anniversaire de l'invasion de l'Ukraine par la Russie dans le cadre d'une délégation syndicale internationale reçue par la FPU et la KVPU. Le syndicat espagnol UGT était le seul représenté physiquement à Kyiv, les autres ayant participé à la rencontre en visio. Il revient sur des témoignages entendus à cette occasion.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/03/28/pour-survivre-les-travailleurs-et-les-travailleuses-dukraine-ont-besoin-de-laide-internationale/
Je suis à Kyiv depuis quatre jours. Je faisais partie d'une délégation de solidarité internationale organisée par les syndicats FPU et KVPU. Le 22 février, il y a deux jours, nous avons tenu une conférence, en partie en visio et en partie en présentiel, au siège de la FPU. Bien qu'elle ait été organisée à la dernière minute, elle a été soutenue par la CES, la CIS et de nombreux syndicats nationaux y ont participé. La liste est longue et je ne l'ai pas sous la main mais, pour mémoire, 191 personnes ont participé.
La seule délégation internationale physiquement présente dans le hall de la Maison des syndicats de la place Maïdan était celle de l'UGT de Catalogne. Elle était soutenue par l'UGT de l'État espagnol. Le secrétaire général de l'UGT, Pepe Álvarez, est également vice-président de la CES.
Les interventions des différents délégués internationaux ont manifesté leur soutien à l'Ukraine et à ses syndicats. D'Europe, d'Amérique du Nord, d'Austra- lie, ils ont transmis des messages de solidarité en souhaitant que les travailleurs et les travailleuses puissent bientôt vivre dans de meilleures conditions. Á la fin de la rencontre, le président de la FPU a fait un discours et demandé à ses délégués de rester encore. Il a alors montré une valise contenant un drone et a déclaré que son syndicat faisait don de cet appareil qui aiderait à sauver la vie de ses propres collègues syndicalistes et d'autres travailleurs qui sont sur la ligne de front pour défendre l'Ukraine. C'était un acte intime et solennel ; des photos et des vidéos ont été prises des personnes présentes ainsi que du drone.
Les cheminots poursuivent leur mission de service public
Aujourd'hui, samedi [24 février], deux ans après l'invasion et la guerre totale, je suis allé voir les cheminots. Le camarade Oleksandr Skyba dirige le syndicat des chemins de fer de la KVPU. Nous nous étions rencontrés pour la première fois à Lviv en mai 2022. Et il m'avait promis de me présenter à d'autres camarades cheminots lors de mon prochain passage à Kyiv. Il y avait aussi le dirigeant du syndicat indépendant des cheminots Oleg Chkoliar. Et la camarade Natalia Zemlianska, du syndicat des producteurs et entrepreneurs FPU, qui organise les travailleurs des services ferroviaires et des entreprises auxiliaires, majoritairement des femmes très précaires. Ils voulaient tous savoir ce que faisaient les cheminots en Catalogne et en Espagne, comment ils et elles voyaient la situation en Ukraine. Pour les Ukrainiens et les Ukrainiennes, la vie a beaucoup changé avec la guerre. Tout d'abord, ils et elles doivent poursuivre leur mission de service public, qui est essentiel, tant pour le transport des personnes que pour l'armée. Les avions ne fonctionnent pas en Ukraine. En plus, il leur faut aussi défendre leurs membres dans un contexte où la guerre est parfois utilisée par l'entreprise et par l'État pour se décharger de leurs responsabilités à l'égard de leurs travailleurs ainsi que des familles fuyant les zones détruites. Un exemple de cette situation critique de négligence : le manque d'équipement dans de nombreuses parties du front. Les soldats doivent se procurer eux-mêmes des articles de base tels que des gilets pare-balles, des gants, des chauffe-mains ou de bons manteaux. Et ils m'expliquent à quel point certains appareils électroniques sont nécessaires à la survie dans la guerre actuelle. Comme ils et elles ne peuvent ni protester ni faire grève en raison de la loi martiale, les moyens de se plaindre au gouvernement, surtout en première ligne, leur font défaut.
Ils me parlent du cas d'un collègue cheminot qui est mort il y a quelques jours parce que sur le front, où il se trouvait, ils n'avaient pas un simple appareil pour se connecter à internet et ils n'ont pas su que des missiles étaient tirés sur leur position ; plusieurs jeunes soldats sont ainsi morts. Ces syndicalistes me demandent de les aider, d'expliquer aux syndicats pourquoi ils et elles ont besoin de ce genre de matériel. Sans être dans une position d'offensive, ils et elles sont là pour sauver la vie de celles et ceux qui résistent à un ennemi bien supérieur en matériel et en nombre. Sans cette aide des syndicats, me dit-on, nous sommes condamnés.
Le premier des droits : défendre leur vie
La conférence des syndicats et des syndicalistes a donné un bon coup de fouet au moral de tous les participants et syndicats ukrainiens. Cependant, Natalia me disait aujourd'hui qu'il ne suffit pas de faire une bonne déclaration de temps en temps. Il faut plus que de bonnes paroles. La situation militaire pèse sur tout et les premiers à comprendre qu'il faut résister et chasser l'ennemi impérialiste russe sont les travailleurs. Natalia veut que nous, syndicats occidentaux, interpelions notre gouvernement pour qu'il fournisse les armes dont ils ont besoin et qu'ils n'ont pas. Nous devons faire quelque chose, car des travailleurs meurent chaque jour et le premier droit des travailleurs est de pouvoir défendre leur propre vie et celle de leur famille. Sans ce droit, les autres droits pourront-ils être défendus ? me demande-t-elle.
La coordinatrice internationale de l'UGT catalane, Cati Llibre, a peut-être mis le doigt sur un point sensible lorsqu'elle a déclaré dans son discours, le dernier prononcé avant la clôture de cet événement :
Nous travaillons pour la paix, nous rejetons et condamnons fermement l'invasion russe de l'Ukraine. Nous sommes convaincus que le droit d'un peuple à se défendre contre une agression extérieure est un droit naturel inaliénable et que nous devons tous ici travailler pour aider nos frères et sœurs syndicalistes qui en souffrent. Nous devons mettre sur la table les moyens pour les aider et travailler ensemble pour lever les barrières qui limitent cette aide et qui nous lient les mains. Même s'il faut pour cela revoir des positions syndicales au niveau international qui ont pu sembler justes en temps de paix mais que les événements de ces dernières années nous obligent à revoir.
Si les agresseurs ne respectent pas les traités internationaux et que, dans le même temps, nous fixons des limites au type d'aide que nous pouvons apporter, nous ouvrons grande la voie à l'impérialisme, à la barbarie et au fascisme pour qu'ils se répandent dans le monde entier.
En tant que syndicalistes, fidèles à notre tradition de lutte pour les droits humains, les libertés et la démocratie, nous sommes obligés de faire nôtre la lutte des travailleurs et des travailleuses ukrainiennes pour leur liberté.
Alfons Bech
Syndicaliste catalan des CCOO, membre du RESU et coordinateur de sa campagne syndicale. Article paru dans Sin permiso, 25 février 2024, traduction Mariana Sanchez.
Texte publié dans Les Cahiers de l'antidote : Soutien à l'Ukraine résistante (Volume 28)
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/03/23/nous-ecrivons-depuis-lespagne/
https://www.syllepse.net/syllepse_images/soutien-a—lukraine-re–sistante–n-deg-28_compressed.pdf
La Conférence syndicale internationale de solidarité avec l'Ukraine et ses syndicats du 22 février 2024 : un bilan
https://www.pressegauche.org/La-Conference-syndicale-internationale-de-solidarite-avec-l-Ukraine-et-ses
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Les syndicats thaïlandais font avancer la campagne de ratification des conventions de l’OIT

En remettant une lettre demandant la ratification des Conventions 87 et 98 de l'OIT au ministre thaïlandais du travail, Phiphat Ratchakitprakarn, dans les locaux du ministère du travail à Bangkok, le coordinateur du réseau et Président de la CILT (Confédération du travail industriel de Thaïlande), Prasit Prasopsuk, a déclaré que la ratification de ces conventions était susceptible de créer un système de relations sociales équitable et offrir une meilleure qualité de vie aux travailleurs et travailleuses thaïlandais.
Tiré de Entre les lignes et les mots
« L'adoption des normes internationales du travail et la protection des droits des travailleurs donneront une bonne image de la Thaïlande au niveau international. Cela renforcera sans aucun doute notre compétitivité commerciale, attirera davantage d'investissements et stimulera la croissance économique. »
Le même jour, vingt syndicalistes de la CILT et du syndicat PTTLU ont également remis au Parlement une lettre au Président de la commission du travail, Saritphong Khruang, demandant au gouvernement d'accélérer la ratification de ces conventions de l'OIT.
En octobre 2023, le gouvernement thaïlandais a mis en place un comité tripartite et deux groupes de travail pour étudier la faisabilité de la ratification de la C87 et de la C98, ainsi que sa cohérence avec le droit du travail thaïlandais. L'étude de faisabilité devrait être achevée d'ici un an.
Toutefois, la Fédération des industries thaïlandaises s'est fermement opposée à la ratification des deux conventions, affirmant que la liberté syndicale entraînerait une augmentation du nombre de grèves. Le ministère de l'intérieur craint que si les travailleurs migrants sont autorisés à former des syndicats, cela ne constitue une menace pour la sécurité et ne dévaste l'économie.
Apsorn Krissanasmit, Président de la SEWFOT (Fédération des travailleurs des entreprises d'État de Thaïlande) et du PTTLU, a déclaré :
« En tant que membre du comité tripartite, j'engagerai continuellement les parties prenantes à ratifier les conventions et à amender le droit du travail, si l'on y trouve des obstacles à la ratification des conventions par le gouvernement et le parlement. Je m'engage à faire en sorte que les avantages que le pays tirera de la ratification soient mieux compris. »
Ramon Certeza, Secrétaire régional d'IndustriALL pour l'Asie du Sud-Est, a déclaré :
« IndustriALL apportera son soutien pour permettre à ses affiliés en Thaïlande de s'engager de manière significative dans le dialogue social en vue de la ratification de ces deux conventions que les travailleurs et travailleuses thaïlandais appellent de leurs vœux »
À l'avenir, le réseau de pilotage 8798 des conventions de l'OIT prévoit de produire davantage de contenus de communication et à destination des médias afin d'améliorer la compréhension des deux conventions par les travailleurs et la société dans son ensemble.
Ce réseau, qui comprend 26 syndicats et organisations de travailleurs, a été créé lors d'un atelier en août dernier.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Pour un vrai mouvement internationaliste de défense des Palestiniens et des Ukrainiens !

La journée du vendredi 22 mars a vu se produire plusieurs faits importants d'ordre militaro- diplomatique. Celui qui a fait le plus de bruit n'est pas le plus clair. Le massacre d'environ 70 personnes dans une grande salle de concert de la périphérie de Moscou est revendiqué par Daesh après que les médias russes ont entrepris de le mettre sur le dos des Ukrainiens, et alors que l'ambassade US à Moscou alertait publiquement sur un risque d'attentat depuis quelques jours. Nous verrons comment, une semaine après sa prétendue « réélection » par une fraude d'État d'une ampleur historique, et un peu plus d'un mois après l'assassinat de Navalny et les manifestations massives qu'il a suscitées en Russie, le régime poutinien va utiliser cet attentat.
23 mars 2024 | tiré du site aplutsoc | Photomontage : À gauche, la voiture dans laquelle Hind Rajab (à droite), 6 ans, et cinq membres de sa famille sont morts. © Photomontage Armel Baudet / Mediapart avec AFP
https://aplutsoc.org/2024/03/23/pour-un-vrai-mouvement-internationaliste-de-defense-des-palestiniens-et-des-ukrainiens/
Auparavant, dans la journée, deux faits d'une grande importance s'étaient produits. En Russie, le pouvoir a officialisé l'emploi du terme « guerre » pour son « opération militaire spéciale », en prétendant que la guerre est menée, en Ukraine, par « l'Occident global » contre le « monde russe » (et ses alliés « multipolaires »).
Et une résolution pour un cessez-le-feu à Gaza, visant à bloquer l'offensive israélienne en préparation contre Rafah, c'est-à-dire l'achèvement de la destruction de tout habitat humain dans la bande de Gaza en vue d'en chasser les habitants, a été déposée au Conseil de sécurité de l'ONU. Elle a été, comme d'habitude, repoussée. Un non-évènement, un rituel ? Non, car la résolution était américaine. Les deux votes contre de membres avec droit de veto (plus l'Algérie) étaient ceux de la Russie suivie de la Chine. L'inverse du rituel habituel !
Le motif russe allégué : quand ce sont les États-Unis qui déposent une telle résolution, elle est « hypocrite » et il faut donc voter contre !
Formidable démonstration : il est montré au grand jour que jusque-là, TOUTES les résolutions appuyées ou proposées par la Russie et la Chine pour un cessez-le-feu l'ont été en escomptant bien qu'elles ne passeraient pas, bloquées par les États-Unis, lesquels, de 1967 au 22 mars 2024, ont en effet barré toute résolution exécutoire du Conseil de sécurité à l'encontre de la politique d'occupation israélienne avec ses conséquences : colonisation, ségrégation, crimes contre l'humanité.
Le but n'était pas, il n'a jamais été, de sauver et d'aider les Palestiniens. Il était, il a toujours été, de les utiliser comme moyen mondial de propagande au service de l'ordre existant, dans le monde arabe et partout. En escomptant bien que l'État et l'armée israéliens continuent à les persécuter !
Mais pourquoi ce changement dans la position des États-Unis ? Pas seulement parce que Netanyahou agace Biden. Mais parce que, dans la confrontation « multipolaire » des impérialismes, les États-Unis deviennent perdants au fur et à mesure que se prolonge le massacre à Gaza, et, pire encore, leur propre crise interne en est aggravée, Trump ayant affiché clairement la ligne de soutien total à la réalisation des menaces génocidaires visant tant les Ukrainiens que les Palestiniens.
Déjà engagé dans une confrontation avec l'Iran dont le principal terrain est l'affrontement avec les Houthis autour du détroit de Bab-el-Mandeb, les Etats-Unis ont reçu un clair signal d'alarme avec la rupture par le Niger, plusieurs mois après celle visant la France, de sa coopération militaire avec les États-Unis, imposant le prochain départ des troupes US d'Agadez. Poutine « réélu » semble préparer une mobilisation militaire plus importante et accentue la pression meurtrière sur l'Ukraine, menaçant de rompre le front soit vers Kharkiv, soit vers Odessa en relation, dans ce cas, avec les menaces visant la Moldavie. Et d'autre part le régime nord-coréen a créé depuis des semaines les conditions d'une crise dans la péninsule qui finirait de coincer la Chine dans l'alliance eurasiatique avec la Russie et l'Iran, alors même que son aviation militaire tourne autour de Taïwan.
Quelle est la voie efficace pour la défense des Palestiniens ? Le but immédiat doit bien sûr être un cessez-le-feu, au-delà des discussions sur les perspectives ultérieures permettant de garantir les droits démocratiques et nationaux des Palestiniens et des Judéo-israéliens. Jusque-là, le verrou contre un cessez-le-feu était à Washington. Le début de tournant de Washington, appelé depuis quelques jours d'ailleurs par la vice-présidente Kamala Harris, n'est pas provoqué par les manifestations dites pro-palestiniennes aux États-Unis ou ailleurs, mais par l'évolution géopolitique provoquée par la polarisation sur Gaza, au bénéfice du régime poutinien avant tout, et par ses répercussions sur la crise aux sommets aux États-Unis en pleine campagne présidentielle avec la « question Trump », et dans ce cadre par les risques de recul électoral des Démocrates dans des secteurs de la jeunesse universitaire et des couches afro-américaines et musulmanes.
Ces faits donnent une leçon. On a entendu répéter sur tous les tons, depuis le 7 octobre 2023, qu'on ne pourrait rien comprendre aux crimes du Hamas suivis des crimes de l'armée israélienne sans tout situer dans « le contexte » de la colonisation, remontant (au moins) jusqu'en 1948. La répétition d'un tel truisme avait en réalité pour fonction de tenter d'interdire de comprendre l'opération pogromiste du Hamas et ses suites prévisibles dans son cadre réel, qui ne se réduit pas au seul territoire palestino-israélien mais se situe dans le cadre mondial de la crise du capitalisme, de la lutte des classes et des confrontations entre États. Le 7 octobre a ouvert une phase mondiale de réaction, qui porte en elle la guerre mondiale et qui se heurte à la lutte sociale des opprimés – des grèves américaines à celles des collèges de Seine-Saint-Denis – et tout particulièrement à la résistance ukrainienne, qu'elle vise soit à submerger, soit à lui imposer un « cessez-le-feu » qui, ici, ne serait rien d'autre que la garantie de l'écrasement des populations (à l'inverse de celui qu'il faut exiger à Gaza).
La faillite du « mouvement pro-palestinien » est profonde : il ne sert à rien pour les Palestiniens tant qu'il est aligné sur la logique des camps géostratégiques en taisant le rôle du Hamas et en se focalisant sur le seul Genocide Joe que n'est pas Joe Biden, qui n'est pas non plus, bien sûr, le père Noël, mais seulement le chef d'État flageolant de la première puissance impérialiste en crise. Pire, le « mouvement pro-palestinien » tel qu'il s'est reproduit suite au 7 octobre 2023, ouvre les vannes de l'antisémitisme et interdit systématiquement de relier la cause palestinienne à la défense des autres peuples opprimés, non seulement les Ukrainiens, mais même les Palestiniens lorsqu'ils sont massacrés et torturés par des pouvoirs non juifs, comme en Syrie. La célébration du culte des « enfants massacrés » à Gaza suppose que le massacre continue : ainsi fétichisée, la « cause palestinienne » vise à se nourrir de la souffrance palestinienne (à condition que l'on puisse tenir les Juifs pour responsables), pas à les défendre sérieusement et à les aider à s'organiser eux-mêmes pour leur souveraineté et leurs droits démocratiques, contre Israël et contre le Hamas. Certes, toutes les organisations et tous les secteurs militants appelant à manifester ne sont pas à loger à la même enseigne, et beaucoup cherchent à agir pour un cessez-le-feu immédiat, mais la tonalité dominante et finalement retenue est malheureusement celle-ci, pour une raison politique : l'absence de toute « contextualisation » réelle des évènements se produisant en Palestine dans la situation mondiale.
Disons le brutalement, en comprenant bien sûr que des millions de jeunes et de moins jeunes cherchent sincèrement à agir dans ces manifestations : la répétition mécanique des « manifestations pro-palestiniennes » déclenchée par le 7 octobre n'a pas servi à protéger et à aider les Palestiniens. Oui, il faut manifester pour les Palestiniens, il s'agit de gagner et pas de reproduire l'ordre existant et la souffrance palestinienne !
Les Palestiniens ont besoin d'une solidarité internationaliste efficace. Une solidarité internationaliste efficace pour les Palestiniens doit taper là où ça peut craquer :
- exiger de Joe Biden la pression pour un cessez-le-feu immédiat ;
- stopper l'envoi d'armes à Israël alors que c'est l'Ukraine qui en a besoin ;
- exiger que les moyens militaires et autres porte-avions français servent à sécuriser le ravitaillement de Gaza ;
- lier le soutien aux Palestiniens au soutien aux Ukrainiens et, envers les Palestiniens, soutenir les revendications nationales démocratiques et pas les programmes islamistes visant à les opprimer ;
- soutenir, dans le même esprit, la cause des femmes palestiniennes comme iraniennes ;
- ne surtout pas taire la question des otages ou celles des viols commis le 7 octobre ;
- rechercher systématiquement la solidarité syndicale concrète et les contacts intersyndicaux ;
- soutenir les oppositions démocratiques dans la société israélienne et les mouvements tels que Standing together ;
- ne pas faire du « sionisme » un objet fétiche diabolisé mais dénoncer frontalement le colonialisme, le racisme et l'apartheid.
Avec la question ukrainienne, la question palestinienne soulève douloureusement et immédiatement la nécessité de reconstruire le véritable internationalisme.
VP et OD, le 23/03/2024.

Appel à l’action 17 avril : Journée internationale des luttes paysannes

Le 17 avril, nous marquons la Journée internationale des luttes paysannes, notre journée d'action annuelle qui nous réunit pour commémorer le massacre d'Eldorado do Carajás* en 1996 et honorer la résistance des paysan·nes du monde entier qui persistent dans leur lutte pour la justice sociale et la dignité.
Photo et article tirés de NPA 29
Affiche : Inspirée par la cosmovision andine, notre affiche cette année reflète l'interconnexion de tous les éléments de la nature, l'humanité étant une partie intégrante. Elle illustre comment la Mère Terre soutient les paysan·nes et leurs luttes, défendant leur existence et leurs droits. Selon cette vision, nous pouvons également être une offrande de la terre, en tant que mouvement collectif comme celui des paysan·nes. Représentée comme une force unificatrice, la Mère Terre nous soutient, aux côtés de ses expressions naturelles, les montagnes symbolisant nos ancêtres et notre mémoire collective.mouvement collectif comme celui des paysan·nes. Représentée comme une force unificatrice, la Mère Terre nous soutient, aux côtés de ses expressions naturelles, les montagnes symbolisant nos ancêtres et notre mémoire collective.
Suite à notre 8e conférence internationale en décembre dernier, nous, paysan·nes, jeunes, femmes, hommes et diversités, migrant·es, travailleur·euses du monde rural, peuples autochtones et sans terres, nous tenons debout avec un espoir et une force renouvelés, une conscience accrue, un engagement indéfectible, une unité organisée et une détermination à affronter les crises multiformes. Nous poursuivons une lutte sans relâche contre les génocides, les guerres, les violations de la souveraineté des peuples, les expulsions de familles paysannes, la criminalisation et la persécution des paysan·nes et leaders sociaux, ainsi que l'extractivisme et les violations des droits des paysans. Unis, nous protégeons notre mère la terre contre l'emprise des multinationales de l'agrobusiness, des néocolonialistes, et des forces fascistes et militaires répressives.
Cette dévastation implique de nombreux acteurs dans l'ombre, notamment les institutions néolibérales telles que l'OMC, la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International. Leur ingérence dans les politiques agricoles nationales, liées au commerce et à la protection sociale, est évidente. Les accords de libre-échange et d'autres cadres de partenariat économique imposent des conditions néolibérales liées aux prêts et aux programmes d'assistance financière, ou des mesures favorisant les intérêts des corporations, mettant en péril les moyens de subsistance des paysan·nes, des travailleur·euses agricoles et des migrant·es. Pourtant, ce sont les paysan·nes qui nourrissent 70 % de la population mondiale avec une alimentation saine et de qualité.
Assez avec le génocide, les expulsions et la violence !
Aujourd'hui, le monde est le témoin d'une multitude de crises qui touchent chaque aspect de la vie sur terre. Le système capitaliste révèle désormais sa véritable nature destructrice, poussant les paysan·nes en Asie et dans d'autres régions du monde au suicide en raison de dettes impayables. Il corrompt les gouvernements, qui tuent leurs peuples pour favoriser des intérêts privés, violant la nature et l'équilibre écologique, compromettant ainsi l'avenir de l'humanité. Ce système engendre des génocides, non seulement par le militarisme, mais aussi en refusant l'accès à la nourriture, en utilisant la famine comme arme de guerre, comme on le voit actuellement à Gaza. Il prend également la forme d'un génocide lent, comme celui subi par les populations haïtiennes avec des politiques anti-paysannes et une gangstérisation orchestrée pour faciliter une nouvelle intervention étrangère, permettant ainsi l'accaparement des terres paysannes et le pillage des communs.
Le néocolonialisme est inhérent à ce système, s'étendant également à des pays tels que le Niger, où les sanctions de l'Union européenne affectent le droit à l'alimentation des populations. Les conflits politiques et armés provoqués en Libye, en Syrie et au Soudan ont entraîné des déplacements massifs de populations, la destruction d'infrastructures, ainsi que des difficultés d'accès aux terres agricoles. Cette logique capitaliste mine luttes des paysan·nes pour leur droits, la souveraineté alimentaire, les méthodes de production agroécologiques durables et diversifiées, les exploitations agricoles familiales, la préservation de la biodiversité et la paix avec la justice sociale servant de solutions paysannes à la crise alimentaire et climatique**. Elle écrase la diversité sous toutes ses formes de genre et ethniques, et ignore les savoirs agricoles locaux et ancestraux, masquant ses véritables intentions derrière des solutions de développement ne servant que les intérêts économiques d'une minorité. Les capitalistes qui contrôlent et marchandisent nos biens communs entravent les jeunes paysan·nes à accéder à la terre et brisent l'autonomie des celleux qui la travaillent, les poussant vers des conflits agraires, la pauvreté, la famine et une agriculture sans paysan·nes.
Construisons la solidarité, uni·es pour la souveraineté alimentaire !
L'année 2024 a commencé avec les manifestations massives des paysan·nes en Europe, en Asie et dans d'autres parties du monde contre des politiques agricoles défavorables aux agriculteur·trices. Ces manifestations ne se limitent pas à la recherche de prix équitables et d'une vie digne pour les paysan·nes, mais expriment également la nécessité d'une société orientée vers un avenir où l'agroécologie paysanne l'emporte sur les méthodes de l'agrobusiness et où la justice sociale et la dignité de chacun·e sont garanties. Il est impératif de garantir que personne ne soit contraint de quitter sa terre, sa famille et sa culture pour chercher une vie meilleure ailleurs tout en sacrifiant sa vie pour nourrir sa famille.
Nos luttes paysannes, profondément enracinées dans les principes de la souveraineté alimentaire, visent à établir un système inclusif qui promeut les économies rurales et soutient les moyens de subsistance des paysan·nes, tout en cultivant l'espoir d'atténuer des tragédies telles que le suicide, les ruptures familiales et les migrations forcées dans les zones rurales. Reconnaissant la souveraineté alimentaire, l'agroécologie paysanne et l'accès à la terre, au territoire et aux biens communs comme de véritables solutions aux crises globales, La Via Campesina plaide ardemment en faveur de la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales (UNDROP), un instrument international crucial pour aborder les crises multiples auxquelles sont confrontés les paysan·nes. De plus, nous plaidons pour l'établissement d'un nouveau cadre commercial international basé sur la coopération et la souveraineté alimentaire pour défier le système commercial néolibéral qui perpétue la faim. Parallèlement, nous nous préparons pour le Forum mondial de Nyéléni en 2025, qui réunira le mouvement international pour la souveraineté alimentaire pour faire face aux défis de la faim et de la pauvreté en favorisant le développement et le renforcement des économies locales.
Le 17 avril, nous occuperons les rues et tous les espaces où les luttes paysannes se font sentir pour réaffirmer avec force notre voie paysanne et renforcer la souveraineté alimentaire dans nos territoires. Nous exhortons vivement tous les membres, alliés et sympathisant·es de La Via Campesina à se mobiliser dès maintenant et tout au long du mois d'avril, uni·es dans une seule voix de solidarité pour soutenir les luttes des paysan·nes contre les crises globales.
Construisons la solidarité ! Assez du génocide, des expulsions et de la violence !
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Présidentielle du 24 mars 2024 : Admirable peuple africain du Sénégal !

La présidentielle du 24 mars 2024 a pris la forme d'un referendum pour ou contre la continuité du système néocolonial vermoulu de domination, de servitude volontaire, de prédation et d'autocratie.
Tiré d'Afrique en lutte.
Le peuple sénégalais, en toute souveraineté et maturité, a voté NON et a choisi massivement la voie de la formation rupture incarnée par le candidat Bassirou Diomaye Faye. Ce dès le premier tour, avec un score de plus de 2 400 000 voix, soit plus de 54 %, loin devant Amadou BA, le candidat du pouvoir, qui a obtenu environ 1 050 000 voix, soit 35,7%, pour un taux de participation légèrement supérieur à 61%, avec un total de 19 candidats en lice.
Par ce vote clair, les électeurs ont entendu couper court à toute incertitude, à tout mauvais calcul, à tout faux prétexte pour un éventuel coup fourré. Et cerise sur le gâteau, le tout dans la paix et la sérénité : admirable peuple du Sénégal ! Un fait inédit pour un opposant face à un candidat au pouvoir, un authentique tsunami- selon le mot du doyen des doyens Alla KANE, repris en quelque sorte par la presse internationale qui parle de « tremblement de terre », de « razzia », de « raz de marée » ou de « séisme » politique. Même Macron de la république de France s'est résolu à envoyer au Président démocratiquement élu, Bassirou Diomaye Faye, un message de félicitations en français et même … tenez- vous bien, en wolof !
C'est une loi de l'histoire : aucune révolution, ni même aucun changement significatif dans aucun pays au monde, n'a jamais pu se produire, dans l'histoire contemporaine des luttes des peuples, sans que n'aient été réunies les trois conditions suivantes i) le peuple ne veut plus être dirigé comme avant ; ii) le pouvoir ne peut plus gérer comme avant ; iii) des pans entiers du camp du pouvoir (‘'le système '') basculent peu ou prou, à un moment déterminé de l'exacerbation des antagonismes de classe, dans le camp opposé au pouvoir (‘'l'antisystème'')-CF na contribution : De la Gauche qui se meurt à la Gauche qui vit, in Le Quotidien, du 9 septembre 2021.
Dans ce cadre, il est essentiel qu'à toutes les étapes, le noyau dirigeant de la lutte sache garder le cap, « en restant stratégiquement ferme sur ses orientations de base, et en même temps lucide, ouvert et vigilant dans la conduite politique, autour d'objectifs pertinents, clairement définis et aptes à faire avancer réellement la lutte des masses populaires » (Idem, Ibidem). Sous ce rapport, aucune mauvaise querelle, aucun reproche hypocrite, ne sauraient être opposés à la démarche de la Coalition Diomaye Président, laquelle a su rallier à sa cause et unir autour d'elle l'essentiel des forces vives nationales décidées à en finir avec le régime de régression politique et sociale de l'APR-BBY.
D'un côté, le scrutin du 24 mars consacre, dans une osmose militante intergénérationnelle avec des segments importants parmi leurs devanciers, la montée en puissance de nouvelles générations de patriotes révolutionnaires, souverainistes, anti-impérialistes et panafricanistes, opposés au diktat du dogme néolibéral mondialisé. En même temps, le 24 mars signe l'enterrement de première classe ou, en d'autres termes, la descente aux enfers de certains ténors de ce que l'on appelle abusivement ‘'classe politique'', que ce soient les tenants de la politique politicienne de ‘'la droite classique'' et ses fragments épars, ou les personnages balafrés de ‘'la gauche plurielle'' capitularde.
Le 24 mars marque une importante victoire d'étape dans la lame de fond ou la dynamique politique de révolution démocratique, sociale et citoyenne amorcée plus nettement depuis le 23 juin 2011, prolongée et amplifiée depuis mars 2021. Ni hasard ni miracle spontané, la lutte prolongée d'un peuple debout, uni autour d'un leadership de progrès, de convictions fortes, tenaces et partagées, constitue la clé de la victoire contre le système, ses injustices et ses violences de toutes sortes, tant il est vrai que, sous nos tropiques, la république, l'état de droit et la démocratie restent encore largement un combat de tous les jours et une conquête permanente ; tout comme d'ailleurs la bataille contre le socle économique, social, culturel et idéologique du système, ses valeurs ou contre-valeurs, ses mécanismes de reproduction et de perpétuation, les mentalités et comportements secrétés par lui et sédimentés dans le corps politique et social.
Fort heureusement, soutenant la dynamique de la révolution politique enclenchée, une véritable révolution culturelle est en train de s'opérer à grands pas sous nos yeux, pour le changement positif des mentalités et des comportements, en rupture avec le mimétisme et l'élitisme complexé hérités de l'occident capitaliste. C'est pourquoi quand le président élu Bassirou Diomaye Faye oublie sa personne et déclare : « Le héros de la journée du 24 mars, c'est le peuple sénégalais », il se montre parfaitement en phase avec cette exigence de rupture paradigmatique.
Il en est de même quand, armé symboliquement d'un balai tout au long de la campagne, il déblaie la voie du Jub-Jubël-Jubbënti (Incarner soi-même la droiture -Amener chacun et chacune à pratiquer la droiture - S'employer à corriger tout comportement non conforme à l'esprit de droiture), selon la pédagogie par l'exemple et par le haut. Pareillement quand lui-même et le président Sonko s'engagent publiquement devant le peuple, non à distribuer ou à partager des privilèges ou prébendes, mais plutôt à travailler dur en vue de la réalisation collective des objectifs et engagements du Projet pour un Sénégal souverain, juste et prospère, dans une Afrique de progrès.
Félicitations appuyées et méritées à l'ensemble des composantes du peuple sénégalais des villes comme des campagnes, femmes comme hommes, jeunes comme personnes âgées, avec un accent particulier à l'endroit de nos exemplaires compatriotes de la diaspora.
À présent, le plus dur, le plus difficile, restent à faire et pour relever le défi, nous nous devons de changer nous-mêmes pour changer le Sénégal et l'Afrique. Ceux ou celles qui disent : « nous avons renversé la bourgeoisie, c'est maintenant à notre tour de nous servir », rendent un bien mauvais service à la cause ! En reconnaissance des énormes sacrifices consentis et à la mémoire de l'ensemble des martyrs de notre lutte commune, nous avons l'obligation et la lourde responsabilité de ne décevoir ni les attentes immenses ni le formidable espoir de tout un pays, de tout un continent, de tout un peuple, notamment de sa frange la plus vigoureuse, sa vaillante jeunesse.
Des chantiers prioritaires, divers et nombreux, sont à prendre à bras le corps par le président Diomaye et son équipe, comme : lutte contre la vie chère et le chômage ; réconciliation nationale, vérité et justice, non à l'impunité ; refondation des institutions, fin de l'hyper-présidentialisme néocolonial ; rationalisation et diminution de la dépense publique, lutte contre la corruption et l'enrichissement illicite ; état des lieux et concertations ciblées avec les divers secteurs pour la prise en charge efficiente de leurs préoccupations ; construction nationale, retour définitif de la paix en Casamance, développement endogène et souveraineté alimentaire ; éradication de l'analphabétisme, culture et communication du changement pour la promotion d'une citoyenneté nouvelle de discipline et de responsabilité ; mise en place du nouveau gouvernement pour faire face efficacement et sans retard aux urgences, entre autres.
Dans tous les cas, la mobilisation populaire et citoyenne pour la promotion du Projet politique porté par le Président Diomaye et, en toutes circonstances, pour la défense du nouveau pouvoir face à toutes manœuvres éventuelles de déstabilisation ou de retour en arrière, d'où qu'elles viennent, doit faire constamment l'objet, à tous les niveaux, de toute l'attention requise. Puisse le 4 avril 2024, dédié à la jeunesse et aux forces armées, constituer le coup d'envoi d'une authentique campagne de SET SETAL NATIONAL : setal suniy gox, sellal suniy jikko !
Dakar, le 27 mars 2024
Madieye Mbodj, membre de la Conférence des leaders de la Coalition Diomaye Président
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Rwanda : la France, « principal accélérateur du processus génocidaire »

En 1994, la France, présidée par François Mitterrand, était au cœur du génocide des Tutsi au Rwanda. Trente ans après, il est de notre devoir de connaître et raconter le déroulement et les responsabilités dans cet évènement historique.
Photo et article tirés de NPA 29
Les colons belges en 1922 vont trouver au Rwanda un système politique fortement hiérarchisé socialement. Les dynasties tutsi vont s'imposer, contrairement au pays voisin le Burundi où un partage du pouvoir va s'opérer entre les lignages aristocratiques tutsi et hutu. Au Rwanda, la catégorisation tutsi et hutu revêt avant tout un caractère social :
« Il n'y a pourtant pas de “Hutu” sans “Tutsi” : l'un ne va pas sans l'autre. “Hutu” avait du reste un double sens puisqu'il désignait le dépendant ou l'inférieur dans un rapport de clientèle ou hiérarchique, fût-il lui-même un “Tutsi” »1.
Les colons reprennent à leur compte la théorie des Tutsi descendant·es d'une population hamite provenant d'Éthiopie envahissant le pays et asservissant des Hutu. Cette racialisation d'une domination sociale exercée par une élite tutsi s'intégrait dans les théories racistes issues des penseurs comme Gobineau. Les Tutsi étaient vus comme plus proches des populations européennes qu'africaines. Les colons belges vont donc s'appuyer sur eux pour gouverner le pays :
« Les Batutsi étaient destinés à régner, leur seule prestance leur assure déjà, sur les races inférieures qui les entourent, un prestige considérable… Rien d'étonnant que les braves Bahutu, moins malins, plus simples, plus spontanés et plus confiants, se soient laissé asservir sans esquisser jamais un geste de révolte »2.
Cette idéologie se diffuse dans l'ensemble de la société. Dans les écoles gérées par l'ordre des Pères Blancs, la priorité est donnée aux élèves tutsi pour en faire des fonctionnaires tandis que les Hutu seront systématiquement orientés vers les tâches manuelles. Les colons belges introduisent une ségrégation sociale basée sur l'ethnie.
La « révolution » de 1959
En 1957 le Manifeste des Bahutu paraît. Il réclame la justice sociale et dénonce la situation de discrimination que vivent les Hutu. Cette critique s'intègre dans le cadre colonial et d'ethnicisme contre les Tutsi en dénonçant leur caractère allochtone (qui provient d'un endroit différent, a été transporté (s'oppose à autochtone), NDLR). À la suite de cette parution se forme le parti Parmehutu qui sera soutenu par les colonisateurs belges. Ce changement s'explique par leur volonté de maintenir leur influence au moment de l'indépendance du pays en 1962. Les colons évitent ainsi la formation d'une coalition d'intérêts entre Hutu et Tutsi. En effet, Kayibanda, le dirigeant du Parmehutu : « préféra unir les “Hutu” contre les “Tutsi”, plutôt que coaliser les “Hutu” pauvres et les “petits Tutsi” contre les nantis, “Hutu” et “Tutsi” confondus. »3
Une compétition se développe entre les formations hutu pour gagner le leadership, favorisant les discours de haine contre les Tutsi. En 1959, ce qui sera appelé révolution ne sera qu'un immense pogrom sur l'ensemble du pays, poussant des dizaines de milliers de Tutsi à prendre le chemin de l'exil.
Un pouvoir raciste
En 1962, le pays accède à l'indépendance, fortement encadrée, par la Belgique. Kayibanda est le premier président. Il exercera un pouvoir de plus en plus violent, y compris contre des opposants hutu. Sous son règne on assiste à des véritables campagnes d'épuration ethnique dans les écoles et les administrations contre la minorité tutsi. En juillet 1973, Juvénal Habyarimana prend le pouvoir par un coup d'État. À cette même époque, la France, sous l'impulsion de Giscard d'Estaing, prend pied dans le pays et l'intègre dans son pré-carré. Elle apporte au gouvernement une aide financière, diplomatique et surtout militaire.
En 1990, le Front patriotique rwandais (FPR), composé des Tutsi réfugiés en Ouganda mais aussi de quelques opposants hutu, lance une opération pour s'emparer du pouvoir.
Le FPR est décrit par Paris comme une agression ougandaise soutenue par le monde anglo-saxon. La France est partie prenante de cette guerre tout en prônant, au moins officiellement, une solution diplomatique qui prendra corps avec les accords d'Arusha en 1993. Ces derniers prévoient le démantèlement de l'apartheid anti tutsi, le partage du pouvoir et surtout le départ des militaires français. C'est une claque pour les généraux français.
Génocide
Au moins depuis 1990, les extrémistes partisans du « Hutu power » se préparent à l'extermination des Tutsi. Les responsables français ne pouvaient l'ignorer au vu de leur forte présence dans l'appareil sécuritaire rwandais. Cela est d'ailleurs confirmé par le général Jean Varret, ancien chef de la Mission militaire de coopération d'octobre 1990 à avril 1993. Lors de son témoignage à la commission parlementaire, il rapporte les propos du chef d'état-major de la gendarmerie rwandaise : « ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider ».
Les milices et les Forces armées rwandaises (FAR) vont procéder à des exécutions de Tutsi en présence de l'armée française. Des témoignages font état de l'appui de militaires français lors des barrages routiers tenus par les miliciens en 1991 : « Je me suis rendu compte que parmi les militaires il y avait des Français qui demandaient aussi les cartes d'identité des Rwandais où figurait la mention « hutu », « tutsi », ou « twa ». Les Tutsi se faisaient sortir de la voiture et les militaires français les remettaient aux mains des miliciens agacés qui les coupaient à coups de machettes et les jetaient dans une rigole au bord de la grande route asphaltée Ruhengeri-Kigali. »4
L'attentat contre l'avion présidentiel, lors duquel Juvénal Habyarimana trouvera la mort, n'a pas été la cause du génocide, tout au plus le déclencheur d'un processus préparé depuis longtemps. Par contre, cet attentat signe le début du coup d'État des extrémistes hutu. Ils liquident les partisans des accords d'Arusha – ainsi Agathe Uwilingiyimana, Première ministre, et Joseph Kavaruganda, président de la Cour constitutionnelle, et bien d'autres, seront assassinés–, ils forment le Gouvernement intérimaire rwandais (GIR), soutenu par la France. Le génocide des Tutsi commence de manière ordonnée et encadrée par les unités des FAR et les milices des Interahamwe.
Le soutien de la France
La France est le seul État à reconnaître le GIR, n'hésitant pas à recevoir ses membres à l'Elysée. Elle met tout son poids diplomatique aux Nations unies pour soutenir ce gouvernement d'extrémistes. Roméo Dallaire, général canadien en charge de la Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda (MINUAR), tentera désespérément d'alerter la communauté internationale sur les massacres qui se déroulent au pays des mille collines.
Quant à la banque française BNP Paribas, elle autorisera les transferts d'argent pour l'achat d'armes, en plein embargo décrété par l'ONU.
Le Rwanda va connaître trois opérations militaires françaises. La première, Noroît, est déclenchée officiellement pour protéger l'ambassade et les citoyens français suite à l'offensive du FPR en 1990. Dans les faits, cette opération a pour but d'épauler les FAR contre les offensives du FPR. Pendant trois ans, les soldats français vont mener la guerre contre le FPR. Ils participeront aussi à la formation des miliciens5.
La deuxième est l'opération Amaryllis, débutée deux jours après l'attentat contre l'avion présidentiel. Le but est d'exfiltrer les ressortissants français. Elle laissera sur place les Tutsis travaillant pour l'ambassade de France et d'autres agences françaises. La plupart seront assassiné·es. Ce sont les militaires belges de l'opération Silver Back qui embarqueront près de deux cents Rwandais·es, essentiellement Tutsi, refoulé·es par les militaires français tandis que les miliciens entourent l'aéroport.
Enfin, l'opération Turquoise, composée essentiellement d'anciens de Noroît, est présentée comme une opération humanitaire. Elle servira dans un premier temps à tenter de stopper l'offensive du FPR6. Ce qui explique le refus, par cette opération, de sauver les Tutsi sur la colline de Bisero qui faisaient depuis le début du génocide l'objet d'attaques incessantes de la part des génocidaires. C'est seulement sous la pression conjointe de militaires et de journalistes que les officiers daignèrent intervenir. Turquoise est l'occasion pour les génocidaires de mettre en place une stratégie d'exode des populations qui leur offrait le double avantage de fuir sans difficulté face à l'arrivée du FPR et de maintenir les populations sous contrôle dans les camps de réfugiés au Zaïre. C'est à partir de ces camps que des milices sont organisées. Elles bénéficieront du transfert d'armes organisé par l'armée française.7
Cette présence des génocidaires hutu a aussi complétement déstabilisé la région de l'est du Zaïre puisque leur émanation armée, les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), provoquent encore maintenant guerres et massacres contre les populations civiles congolaises.
Les dénégations de la France
Les autorités françaises n'ont eu de cesse de nier leurs responsabilités. Elles ont caché la guerre qu'elles menaient contre le FPR lors de l'opération Noroît. Elles ont ensuite tenté de contester le génocide en parlant de massacre interethnique, et lorsque les informations ont commencé à parvenir en France, les autorités ont parlé d'un double génocide, une manière de brouiller les pistes et d'occulter leurs responsabilités dans le soutien au GIR.
Au niveau juridique, avec l'aide du juge Bruguière, elles tenteront d'accréditer l'idée que l'attentat de l'avion présidentiel a été perpétré par le FPR sous le prétexte qu'il considérait les Tutsi comme des « collaborateurs du régime Habyarimana »8. Doit-on rappeler que c'est le FPR qui a mis fin au génocide des Tutsi ?
La France va se draper dans son rôle de sauveuse des vies humaines avec Turquoise. Une façon de faire taire les critiques à l'international en utilisant le fait que le 21 avril 1994, en plein génocide, les Nations unies avaient retiré les Casques bleus. Sauf que la France a aussi voté pour ce retrait. Afin d'éviter de rendre des comptes, les manœuvres au parlement vont bon train. À la demande de la création d'une commission d'enquête parlementaire par les communistes et les Verts, les dirigeant·es socialistes allumeront un contre-feu en créant une commission d'information n'ayant pas les prérogatives d'investigation. Cette commission évitera autant qu'elle le pouvait de poser les questions embarrassantes. Manœuvres également du parquet pour prévenir, en vain, les procès contre des militaires français de Turquoise pour viol, toujours en cours, grâce à la ténacité d'une socialiste et humanitaire, Annie Faure.
Alors que dans la plupart des pays occidentaux, des génocidaires hutu ont été jugés et condamnés, « en France, le premier procès d'un homme accusé d'avoir participé au génocide n'a eu lieu qu'en… 2014 »9.Rappelons que la femme de Juvénal Habyarimana, une des ferventes partisanes du « Hutu power », vit en France. Mitterrand disait d'elle lors de son exfiltration par l'opération Turquoise : « elle a le diable au corps, elle veut faire des appels publics à la continuation des massacres. ». Cela n'empêchera pas le ministère de la coopération de lui verser 200 000 francs lors de son installation et surtout qu'elle ne soit nullement inquiétée par la justice. Il faudra les actions du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) pour que des génocidaires soient démasqués et enfin jugés.
Deux questions
Pourquoi la France s'est-elle tant impliquée au Rwanda ? il n'y a pas de réponse unique. On peut évoquer : le dessein d'être présent dans ce pays comme point d'appui à la politique de contrôle de la République démocratique du Congo (RDC), une volonté d'affirmation de la France vis-à-vis de ses partenaires anglo-saxons suite à la chute du mur de Berlin, la méconnaissance de l'histoire du pays. Védrine secrétaire général de l'Elysée comparait le pogrome de 1959 à la révolution française en parlant de « sans-culotte hutu »10. Il y a aussi l'exigence de montrer aux autres dictateurs africains du pré-carré que la France ne les abandonnait pas. Et, sur le plan personnel, Mitterrand appréciait Habyarimana pour sa francophilie. Les fils des deux présidents ont noué une amitié, Jean-Christophe Mitterrand était alors le conseiller Afrique de l'Elysée.
Comment la France a-t-elle pu être complice d'un génocide ? La présence de la France en Afrique est considérée comme allant de soi par la classe politique. Certes il y a des vues différentes mais l'idée dominante est que le passé partagé avec l'Afrique – du fait de la colonisation – impliquerait une responsabilité particulière, voire un avenir commun. C'est sur ce socle consensuel que toutes les dérives de la politique française en Afrique ont pu prospérer. D'autant qu'au-delà de ce consensus il n'y a ni information, comme on l'a vu avec l'opération Noroît au Rwanda, ni à fortiori de contre-pouvoir. Tout se décide au sein d'un cénacle de quelques personnes à l'Elysée.
Lorsque Habyarimana va demander de l'aide à la France, les soldats français vont être entraînés dans une dynamique de guerre. De la formation et l'encadrement ils seront rapidement sur le front au coté des FAR. L'idéologie anti FPR se diffuse chez les officiers supérieurs français. Les termes khmers noirs, agents de l'Ouganda ou tutsi seront utilisés pour désigner le FPR. La DGSE et même la Direction du renseignement militaire avertiront l'Élysée des massacres perpétrés contre les Tutsi. Mais dans la tradition des interventions françaises, les violations des droits humains sont monnaie courante pour soutenir les dictatures africaines ou les coups d'État. Sauf que là « la France s'intègre dans le mécanisme génocidaire parce qu'elle soutient le régime qui organise l'élimination de la minorité tutsi » et Vincent Duclert, président de la Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi, ajoute : « ce soutien inconditionnel au pouvoir d'Habyarimana, c'est même, je dirais, le principal accélérateur du processus génocidaire »11. Ce constat sans appel est une puissante condamnation de la politique africaine de la France qui, malgré ce drame, demeure inchangée.
Paul Martial
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Burkina Faso : Déclaration sur la situation nationale

C'est avec une profonde affliction que nos organisations font l'amer constat de ce que la situation nationale reste indéniablement marquée par la crise sécuritaire imposée à notre pays, avec son lot de drames et de désolation.
Tiré du site du CADTM.
Au cours de ces trois derniers mois, nous avons à nouveau, enregistré de nombreux blessés et perdu des éléments de nos Forces de défense et de sécurité (FDS), des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) ainsi que des civils, lâchement tués par des hordes sauvages qui écument nos villes et campagnes depuis bientôt une dizaine d'années.
Récemment encore, au cours du week-end du 24 au 25 février 2024 notamment, dans ses régions du nord et de l'est, notre pays a été endeuillé par des tueries à très grande échelle ayant occasionné des centaines de morts d'éléments des FDS, de VDP ainsi que de très nombreuses populations civiles. Plusieurs autres attaques ont été, par la suite, notées par nos organisations ; ce qui dénote du caractère délétère de la situation sécuritaire actuelle de notre pays.
En ces moments extrêmement douloureux et préoccupants pour la nation entière, nos organisations saluent respectueusement la mémoire des victimes, présentent leurs condoléances aux familles des disparus et souhaitent un prompt rétablissement aux blessés. Elles encouragent les FDS et les VDP qui, au prix d'énormes sacrifices, assurent la sécurité des Burkinabè.
Ces dures épreuves ne devraient en aucun cas émousser l'esprit de résilience, à fortiori entamer l'engagement du peuple burkinabè à vaincre l'hydre terroriste qui, voilà bientôt dix ans, endeuille nos villes et campagnes.
Hélas, alors qu'elle constitue une condition sine qua-non pour la victoire contre les forces du mal, la cohésion nationale tant souhaitée par les burkinabè est quotidiennement mise à rude épreuve par des actes de gouvernance sociopolitique négatifs, en total déphasage avec cette nécessité de l'heure.
En effet, le constat fait de la division systématique des burkinabè en deux catégories (les « patriotes » et les « apatrides ») constitue l'autre élément de préoccupation majeure du moment. Une division stigmatisante, généralement sous-tendue par des menaces de toute nature proférées par des groupuscules instrumentalisés, des arrestations et détentions arbitraires, des enrôlements forcés à des fins de traitements inhumains et dégradants de toute voix émettant une opinion critique négative sur la gestion actuelle du pouvoir d'Etat.
Aujourd'hui encore, il est ainsi loisible de constater qu'à la suite de la décision du tribunal administratif de Ouagadougou en date du 06 décembre 2023 (suspendant l'ordre de réquisition de Rasmané ZINABA, Bassirou BADJO et Issaka LINGANI), les ordres de réquisition jadis servis à la tête du client, semblent avoir fait place à une pratique tout aussi nocive et dangereuse qui a cours et s'amplifie en ces moments : celle d'arrestations de citoyens (parfois en pleine rue) par des individus vêtus de tenues civiles, encagoulés ou se présentant à visage découvert comme étant des éléments de Forces de sécurité intérieure (FSI).
S'opérant au mépris de toute procédure régulière prescrite par les lois et règlements de la République, ces pratiques ne constituent ni plus, ni moins, que des enlèvements, ainsi que les qualifient à juste titre nos organisations et l'opinion publique nationale et internationale.
En rappel, l'article 3 de la Constitution du Burkina Faso dispose que « nul ne peut être privé de sa liberté, s'il n'est poursuivi pour des faits prévus et punis par la loi » et que, « nul ne peut être arrêté, gardé, déporté ou exilé qu'en vertu de la loi ».
Or, les personnes enlevées le sont généralement sans motif officiel déclaré et sont détenues dans des lieux tenus secrets par leurs ravisseurs.
Il souviendra à tous les Burkinabè que, le vendredi 21 octobre 2022, devant les membres du Conseil constitutionnel, le Chef de l'Etat a solennellement pris l'engagement de respecter et de faire respecter la Constitution, en jurant devant le peuple burkinabè et sur son honneur, « de préserver, de respecter, de faire respecter et de défendre la Constitution, la Charte de la transition et les lois. De tout mettre en œuvre pour garantir la justice à tous les habitants du Burkina Faso ».
Bien qu'ayant été récemment révisée, notre Constitution n'a ni modifié, à fortiori retiré les dispositions de l'article 3 sus-citées de son corpus. Ces dispositions continuent donc de proscrire les violations des libertés individuelles et collectives, les arrestations arbitraires, les enlèvements et autres disparitions forcées.
De ce fait, il apparait impératif que soit respecté le serment du Chef de l'Etat, au nom des principes de l'Etat de droit, et que cessent ces enlèvements de citoyens burkinabè en totale violation de notre Constitution et des lois de la République.
De la longue liste de personnes (anonymes et connues, dont l'expert en sécurité informatique Younoussa SANFO) ainsi enlevées, nos organisations avaient, dans un communiqué publié le 29 janvier 2024 suite à la tentative d'enlèvement de Moussa DIALLO, Secrétaire général de la CGT-B, cité quelques noms, dont ceux de :
– El hadj Mahamoudou DIALLO, Imam de la mosquée de Sikassossira,
– Anselme KAMBOU, opérateur économique ;
– Wahabou DRABO, ministre des sports sous le MPSR I ;
– Docteur Daouda DIALLO secrétaire exécutif du CISC ;
– Idrissa KABORE, habitant à Pouytenga ;
– Docteur Ablassé OUÉDRAOGO, président du parti Le Faso Autrement ;
– Lamine OUATTARA du MBDHP ;
– Maître Guy Hervé KAM, avocat à la cour et coordonnateur du mouvement SENS.
Depuis, les agents commis aux enlèvements et arrestations arbitraires ont allongé cette liste, avec l'enlèvement de Rasmané ZINABA et de Bassirou BADJO, respectivement les 20 et 21 février 2024 et l'arrestation, le 19 mars 2024, de Gérard Ismaël SANOU, Secrétaire général du Mouvement Sauvons la Kossi (MSK).
Ces commis aux enlèvements semblent également avoir dorénavant mis le cap sur les campus universitaires de Ouagadougou avec l'enlèvement, fin janvier 2024, de Issaka OUEDRAOGO, Alexis NACOULMA, Ousmane TOU et Seydou SAWADOGO, et ceux de Paul DAMIBA et Hamidou SAVADOGO, tous deux délégués de promotion à l'UFR/SVT, mi-février 2024.
A ces enlèvements récurrents s'ajoute la défiance ouverte de l'Autorité judiciaire par les tenants actuels du pouvoir, avec le refus d'exécuter des décisions de justice, comme celles ordonnant d'une part, la suspension de l'ordre de réquisition de Rasmané ZINABA, Bassirou BADJO et Issaka LINGANI et d'autre part, la libération de Anselme KAMBOU et de Maître Guy Hervé KAM.
Il est temps que cela cesse ! Car, quand bien même serions-nous en situation de guerre, il importe de ne point en tirer prétexte mais plutôt, de veiller à ce que ne soient point remis au goût du jour, les pratiques des régimes d'exception d'antan, contre lesquelles le peuple burkinabè s'est vaillamment battu.
Avec de telles pratiques, suscitant rancœurs et aiguisant des sentiments de haine et de vengeance, les appels à l'union des forces des filles et fils du Burkina pour lutter contre le terrorisme risquent hélas d'être et de demeurer vains.
C'est pourquoi, nos organisations, tout en réitérant leur ferme condamnation des attaques terroristes, lâches et barbares contre notre peuple :
1) Dénoncent et condamnent la pratique des enlèvements de citoyens, qui ouvre la voie à toutes les dérives possibles ;
2) Appellent instamment le gouvernement à :
– respecter et faire respecter l'ensemble des dispositions de la Constitution, ainsi que le Chef de l'Etat lui-même en a pris l'engagement lors de sa prestation de serment, le 21 octobre 2022 ;
– faire procéder à la libération sans délai ni condition de toute personne illégalement arrêtée et arbitrairement détenue au regard de la loi ;
– faire proscrire définitivement la pratique des enlèvements de citoyens et de leur détention illégale ;
– asseoir une stratégie de lutte antiterroriste qui favorise une large adhésion et une implication effective et efficiente des populations sur l'ensemble du territoire national ;
– veiller, dans ce contexte de lutte contre le terrorisme, à conformer les pratiques des Forces de défense et de sécurité aux principes des droits humains et aux règles de l'Etat de droit, afin de favoriser la nécessaire collaboration des populations, pour la victoire et la reconquête totale du territoire national ;
– prendre des mesures spéciales et rigoureuses de protection des populations civiles, aussi bien contre les attaques des groupes terroristes que contre toutes dérives de FDS et/ou de VDP.
3) Encouragent fortement la Justice à enregistrer et traiter sans faiblesse, toute plainte pour enlèvement et détention arbitraire de citoyens ;
4) Appellent à nouveau leurs militants et sympathisants, ainsi que toute personne soucieuse du respect des droits humains à se mobiliser contre les enlèvements, détentions arbitraires et disparitions forcées de citoyens et pour la préservation des libertés démocratiques chèrement acquises.
• Non au terrorisme, source de violations des droits humains !
• Pour la mise en œuvre d'une politique intelligente et responsable de lutte contre le terrorisme, mobilisation et lutte !
Ouagadougou, le 27 mars 2024
Ont signé
– Association des Journalistes du Burkina (AJB)
– Association Kébayina des femmes du Burkina
– Balai Citoyen
– Coalition Nationale de lutte contre la vie chère, la corruption, la fraude, l'impunité et pour les libertés – Section de Ouagadougou (CCVC/Ouaga)
– Comité de Défense et d'Approfondissement des Acquis de l'Insurrection Populaire (CDAIP)
– Centre pour la Gouvernance Démocratique (CGD)
– Centre d'Information et de Documentations Citoyennes (CIDOC)
– Collectif contre l'Impunité et la Stigmatisation des Communautés (CISC)
– Centre National de Presse Norbert ZONGO (CNP/NZ)
– Mouvement Burkinabè des Droits de l'Homme et des Peuples (MBDHP)
– Réseau National de Lutte Anti-Corruption (REN-LAC)
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Une nouvelle organisation socialiste en Afrique du Sud

120 délégués se sont réunis à l'Université de Wits du 14 au 17 décembre 2023 pour lancer Zabalaza for Socialism (ZASO, Zabalaza signifie lutte), une organisation écosocialiste, féministe et antiraciste.
Tiré de Inprecor 719 - avril 2024
26 mars 2024
Par Inprecor
Les militant·es qui s'étaient regroupé·es au sein de Dialogues for an Anti-Capitalist Future – après la dégénérescence politique du « NUMSA Moment » (une opportunité pour un large regroupement de la gauche suite à l'expulsion du NUMSA, le syndicat de gauche National Union of Metalworkers of South Africa, du COSATU, le Congrès des syndicats sud-africains, et la décision du NUMSA d'explorer la construction d'un mouvement pour le socialisme avec d'autres forces de gauche) – ont pris l'initiative audacieuse de lancer une organisation révolutionnaire. La majorité des délégués provenaient de divers syndicats et mouvements sociaux, ce qui a permis à la ZASO d'avoir une base solide dans le mouvement populaire. La ZASO a été renforcée par l'implication d'un certain nombre d'activistes érudits ayant une longue expérience de la politique de gauche.
Le lancement de ZASO a lieu à un moment très difficile pour la gauche fragmentée en Afrique du Sud. À la veille de célébrer 30 ans de démocratie, le pays s'effondre sous l'impact de l'austérité, de la privatisation et d'autres politiques néolibérales, ainsi que de la corruption systémique. Le 29 mai, des élections nationales et provinciales doivent avoir lieu sans qu'aucun parti de gauche crédible ne soit en lice.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Au Chili, « le décrochage est total au sein des classes populaires »

À mi-mandat, le président Gabriel Boric n'a pas encore été en mesure de mener les profondes réformes attendues, nous explique Franck Gaudichaud, spécialiste de l'Amérique latine. À la tête de l'État depuis mars 2022 et élu avec l'espoir de réorienter son pays sur la voie du progressisme, le jeune président Gabriel Boric (38 ans) semble plutôt avoir recentré sa politique, incapable de faire le poids face au bloc conservateur ni de fédérer la gauche autour de son gouvernement.
28 mars 2024 | tiré du journal l'humanité.fr
https://www.humanite.fr/monde/chili/au-chili-le-decrochage-est-total-au-sein-des-classes-populaires
Luis Reygada : À mi-mandat, quel est le bilan de celui qui avait promis de « rouvrir les grandes avenues » du président socialiste Salvador Allende ?
Franck Gaudichaud : Gabriel Boric est arrivé au pouvoir en incarnant l'espoir d'un tournant postnéolibéral, dans un contexte très particulier puisqu'il fait suite à l'explosion sociale de 2019. Il était porté par des demandes très fortes, sociales notamment, et à la tête d'une coalition incluant des partis bien plus à gauche que lui (comme le Parti communiste chilien) et fondamentalement critique des vingt années de gouvernement de la période post-dictature, la Concertation (entre 1990 et 2010), marquée par des compromissions, voire une gestion néolibérale du pouvoir par les gouvernements de gauche durant cette période.
Boric arrive donc avec des promesses de réformes profondes dans un pays où le privé représentait le socle structurant de la société, avec une mainmise sur d'amples secteurs largement libéralisés (éducation, santé, retraites, etc.). De façon générale, c'est donc l'espoir d'un « nouveau Chili » dans lequel le public réussirait à reprendre le dessus sur les forces du marché que Boric avait laissé entrevoir. Sur tous ces aspects, le bilan est extrêmement décevant.
Luis Reygada : Faute de majorité au Congrès ?
Franck Gaudichaud : Oui mais pas seulement. Le gouvernement n'est pas en position de force au sein des institutions, il doit donc négocier en permanence et a fini par gouverner à « l'extrême-centre », en réintégrant y compris des figures centrales du PS au pouvoir. Le président n'a pas su tirer profit de la lune de miel des six premiers mois de son mandat : il a tout misé sur l'approbation du premier projet de Constitution pour consolider une dynamique politique d'orientation progressiste. Son rejet (à 62 %, en septembre 2022 – NDLR) a été une douche froide. Cette défaite a fait du mal à l'ensemble de la gauche et aux mouvements sociaux, ceux-ci sont d'ailleurs aujourd'hui à la peine après un long cycle électoral assez chaotique qui a débouché sur un second processus constituant, dominé par l'extrême droite. Ce second projet constitutionnel a finalement aussi été rejeté – par plus de 55 % des votants. Le gouvernement est apparu comme neutralisé, incapable de reprendre l'initiative politique.
Par ailleurs, le manque de capacité à mobiliser les bases sociales et les mouvements sociaux fait que le gouvernement ne compte pas sur un soutien large et structuré qui lui permette de faire le poids face aux forces de l'opposition. Encore moins de défier l'oligarchie chilienne, qui elle peut compter sur les partis les plus conservateurs et traditionnels pour représenter ses intérêts.
Luis Reygada : Des avancées ont tout de même été réalisées, et les sondages donnent au président un taux d'approbation entre 26 et 30 % ?
Franck Gaudichaud : Tout à fait, ce qui est plus que ses prédécesseurs. Au bout de deux ans, il peut toujours compter sur un socle et il est indéniable qu'il dispose d'un certain ancrage au sein des classes moyennes progressistes diplômées. Mais le décrochage est total au sein des classes populaires.
Il y a eu des avancées en matière sociale (baisse à quarante heures de la durée hebdomadaire du travail, mais avec de nouvelles flexibilisations du travail, hausse des salaires minimums, accès à la santé primaire gratuite facilité…) mais les grandes réformes structurelles (notamment fiscale) n'ont pu voir le jour, et le cadre dominant reste totalement capitaliste et dominé par la même oligarchie. La déception est très grande et renforce l'extrême droite.
Luis Reygada : Une montée aussi favorisée par un contexte sécuritaire défavorable, avec une hausse de la criminalité ?
Franck Gaudichaud : Il est vrai que, en à peu près six ans, le Chili a vu multiplier par deux son taux de crimes les plus violents, avec une claire intensification de l'activité des groupes liés aux cartels de la drogue (comme le cartel vénézuélien nommé « El tren de Aragua »). Cette violence, parfois tristement spectaculaire, frappe beaucoup les couches populaires et moyennes. Toutefois, les chiffres montrent une légère amélioration depuis quelques mois, et nous sommes là face à un autre problème difficile à surmonter, aiguisé par la capacité des médias dominants à imposer dans le débat public les thématiques sécuritaires, sous un angle défavorable à la gauche.
Pour autant, la réponse de Boric au problème de la violence des cartels a aussi beaucoup déçu parmi les siens. La réforme du corps des carabiniers, responsable de graves violations des droits humains notamment en 2019, n'a jamais eu lieu. Boric avait toujours refusé de militariser la question de l'ordre public, c'est désormais chose faite, dans le cadre de la lutte contre la criminalité, mais aussi du conflit avec le peuple Mapuche, dans le Sud du pays. Il y a là un vrai problème de politique publique au sujet d'une thématique bien plus facile à gérer pour l'extrême droite, qui prône évidemment une militarisation à tout-va, appuyée sur un discours xénophobe et raciste.
Luis Reygada : Nous sommes bien loin du président « de gauche radicale » que la droite aime présenter ?
Franck Gaudichaud : Le président Boric s'est toujours montré disposé à dialoguer, voire à chercher à créer une certaine unité nationale, comme on a pu le voir lors de la commémoration des cinquante ans du coup d'État de 1973. Une stratégie peu payante quand on a affaire à une droite qui n'en veut pas, qui continue à revendiquer – au moins en partie – l'héritage de la dictature, qui s'oppose systématiquement à tout compromis et cherche, au contraire, à « hystériser » en permanence tout débat politique, en pointant par exemple du doigt l'aile gauche du gouvernement dans un pays où l'anticommunisme primaire reste présent. Le récent décès accidentel de l'ex-président Sebastian Piñera, l'un des responsables de la répression de la révolte de 2019, et la façon dont Boric a malgré tout mis en avant sa figure « républicaine », a aussi étonné ou même choqué une partie de sa base militante.
Dans les faits, le président Boric a multiplié les gestes symboliques qui ont montré une évolution de son positionnement idéologique, au point de revendiquer récemment l'héritage du président démocrate-chrétien Patricio Aylwin (1990-1994), figure majeure de l'époque de la transition dans les années 90.
Boric s'était pourtant construit politiquement en opposition à cette période historique. À ce jour, nous pouvons dire que son mandat s'inscrit plus dans une continuité de ce qu'a représenté l'époque de la transition et ses « consensus ». À cinquante ans du coup d'Etat, si l'on doit faire une comparaison, c'est plus à Michelle Bachelet que son administration pourrait ressembler plutôt qu'à celle du gouvernement de l'Unité populaire des années 1970.

Contre le coup d’État judiciaire à Porto Rico, laissez le peuple décider dans les urnes !

Jeudi dernier, le 21 mars, un tribunal de Porto Rico a disqualifié cinq candidatures nationales du Mouvement pour la victoire des citoyens, qui briguent toutes des postes de premier plan au sein du gouvernement et du corps législatif. Trois d'entre eux sont des députés en exercice de l'assemblée législative de Porto Rico. Toutes ces candidatures avaient été certifiées par la commission électorale de l'État de Porto Rico.
Inprecor 719 - avril 2024
26 mars 2024
Par Democracia Socialista de Puerto Rico
Cette démarche s'inscrit dans une stratégie globale visant à faire échouer Alianza País, une union de forces électorales progressistes qui a menacé la domination des partis néolibéraux qui ont gouverné au cours des six dernières décennies, à savoir le Parti démocratique populaire et le Nouveau parti progressiste.
Cette disqualification est l'attaque la plus récente et la plus forte d'un processus qui a inclus l'imposition d'un nouveau code électoral antidémocratique, l'illégalisation des alliances électorales et une campagne judiciaire contre l'un des députés sortants du Mouvement à la Chambre des représentants.
Ceux d'entre nous qui signent cette déclaration s'opposent à ce coup d'État judiciaire qui attaque les processus démocratiques à Porto Rico et qui s'inscrit dans le cadre des attaques des forces conservatrices contre les processus démocratiques dans la région. C'est le peuple portoricain lui-même qui doit élire ses représentants, et non la Cour. Pour ces raisons, nous nous joignons à la demande « Laissez le peuple décider dans les urnes » et exigeons que la disqualification de ces cinq candidats soit annulée.
Partagez cette pétition en personne ou ajoutez le code QR aux supports que vous imprimez.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Des députés et des pairs signent une lettre demandant au gouvernement britannique d’interdire les ventes d’armes à Israël

Les ministres sont de plus en plus pressés d'agir, alors qu'Israël semble vouloir ignorer la résolution de l'ONU sur le cessez-le-feu
28 mars 2024 | tiré du journal The Guardian
https://www.france-palestine.org/Des-deputes-et-des-pairs-signent-une-lettre-demandant-au-gouvernement
Les parlementaires font pression sur le gouvernement britannique pour qu'il interdise les ventes d'armes à Israël, alors que ce pays semble vouloir ignorer la résolution du Conseil de sécurité de l'ONU adoptée cette semaine et appelant toutes les parties à s'engager en faveur d'un cessez-le-feu.
Une lettre signée par plus de 130 parlementaires et adressée au ministre des Affaires étrangères, David Cameron, souligne les mesures prises par d'autres pays, dont le plus récent est le Canada, qui a annoncé la semaine dernière qu'il mettrait fin à toutes ses exportations d'armes vers Israël.
Les ministres sont déjà confrontés aux appels du ministre fantôme des affaires étrangères, David Lammy, à publier l'avis juridique donné aux ministres sur la question de savoir s'il existe un risque sérieux qu'Israël viole le droit humanitaire international, ce qui déclencherait normalement une suspension des ventes d'armes au Royaume-Uni.
La lettre, coordonnée par la députée travailliste Zarah Sultana, a été signée par 107 députés et 27 pairs, dont l'ancien ministre travailliste du Moyen-Orient Peter Hain, le chef du parti national écossais à Westminster, Stephen Flynn, l'ancien ministre fantôme Jess Phillips, l'ancien leader travailliste Jeremy Corbyn et le pair conservateur Nosheena Mobarik.
Parmi les autres signataires figurent l'ancien secrétaire permanent du ministère des affaires étrangères, John Kerr, et l'ancienne ministre travailliste, Tessa Blackstone. Au total, 46 députés travaillistes ont soutenu l'appel, ainsi que la quasi-totalité du parti parlementaire SNP.
La lettre affirme que le statu quo en matière d'exportations d'armes britanniques vers Israël est "totalement inacceptable". Elle affirme que des armes fabriquées au Royaume-Uni sont utilisées à Gaza et rappelle qu'une récente enquête des Nations unies a révélé qu'un avion de chasse F-16 fabriqué à partir de pièces britanniques était probablement à l'origine du bombardement de médecins britanniques à Gaza.
Lors de deux précédentes escalades du conflit à Gaza, les gouvernements britanniques ont suspendu les ventes d'armes à Israël. "Aujourd'hui, l'ampleur des violences commises par l'armée israélienne est bien plus meurtrière, mais le gouvernement britannique n'a pas agi.
Cette lettre fait suite au vote surprise du Conseil de sécurité des Nations unies, lundi, en faveur d'une résolution exigeant un cessez-le-feu immédiat, une demande fermement rejetée par le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, qui a annulé la visite prévue d'une délégation israélienne à Washington en réponse à l'abstention des États-Unis sur la résolution. Les attaques sur Rafah se sont poursuivies.Les États-Unis ont déclaré que la résolution n'était pas contraignante, mais le Royaume-Uni ne partage pas cette interprétation.
M. Cameron a intensifié ses critiques à l'égard d'Israël ces dernières semaines, mais les ministres affirment qu'une décision sur les ventes d'armes est une décision juridique complexe qui tient compte d'une série de facteurs, notamment des efforts déployés par Israël pour minimiser les pertes civiles. Certaines des critiques du ministre des affaires étrangères ont suggéré implicitement qu'Israël, en tant que puissance occupante, ne respecte pas l'obligation qui lui incombe en vertu du droit international de fournir de la nourriture et de l'eau aux civils palestiniens.
Un nombre croissant d'organisations de défense des droits humains et d'organisations humanitaires ont également demandé la suspension des licences d'armement, notamment Oxfam, Save the Children, Christian Aid, Amnesty International et Islamic Relief.Mme Sultana a déclaré "Le gouvernement israélien semble ignorer la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies sur le cessez-le-feu, ce qui constitue une nouvelle violation du droit international et rend impossible d'ignorer la nécessité de mettre un terme aux ventes d'armes.
"Le gouvernement britannique doit enfin faire respecter les droits du peuple palestinien, tenir compte de l'appel de 130 parlementaires de tous bords et mettre immédiatement fin aux ventes d'armes à Israël.
Katie Fallon, responsable du plaidoyer à Campaign Against the Arms Trade (Campagne contre la vente d'armes), a déclaré que la réponse du gouvernement à l'interdiction des ventes d'armes "allait de l'obstruction des députés à la répétition de réponses dénuées de sens et, ce qui est le plus inquiétant, à des efforts considérables pour s'assurer que les conseils juridiques du ministère des Affaires étrangères n'admettent jamais définitivement qu'il existe un "risque clair" qu'Israël utilise ces exportations d'armes dans le cadre d'une violation grave du droit humanitaire international".
Par ailleurs, une demande de contrôle judiciaire a été déposée concernant la décision du Royaume-Uni de suspendre son financement à l'UNRWA, l'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens. Le recours a été lancé par le cabinet d'avocats Bindmans au nom d'un Britannique d'origine palestinienne, dans le but de protéger sa famille constituée de réfugiés enregistrés auprès de l'UNRWA.
Le recours juridique allègue que la décision de suspension a été prise de manière illogique et sans tenir compte des preuves, des obligations internationales ou des cadres décisionnels du ministère des Affaires étrangères.Le Royaume-Uni a suspendu son financement à la suite d'allégations selon lesquelles une douzaine de membres du personnel de l'UNRWA auraient participé à l'assaut sanglant contre Israël le 7 octobre.
Les ministres ont déclaré qu'ils attendaient deux rapports indépendants avant de prendre une décision sur le rétablissement du financement. De nombreux autres pays, dont l'Australie et le Canada, ont déjà rétabli leur financement.
Traduction : AFPS

Attaque terroriste à Moscou : Quand la réaction du gouvernement est plus effrayante que l’attaque terroriste elle-même

Le 22 mars, l'un des pires attentats terroristes de l'histoire de la Russie moderne a été perpétré à l'hôtel de ville Crocus de Moscou : plusieurs hommes armés ont pris d'assaut le bâtiment et ont tiré à bout portant sur une foule de civils. À 16 heures, le 23 mars, les autorités russes faisaient état de 133 morts et de plus de 100 blessés. Nous présentons nos condoléances à toutes les victimes et à leurs proches. Des civils innocents ne devraient pas devenir la cible de la violence politique.
Tiré de Inprecor 719 - avril 2024
27 mars 2024
Par Posle
Intérieur de l'amphithéâtre russe Crocus City Hall, au lendemain de l'attentat terroriste du 22 mars 2024. © Mosreg.ru, CC BY 4.0
Malgré de nombreuses spéculations sur l'implication de fondamentalistes islamiques, nous ne savons toujours pas avec certitude qui sont les auteurs de l'attentat, ni qui en est à l'origine. Toutefois, certaines conclusions peuvent d'ores et déjà être tirées. Tout d'abord, l'attaque terroriste a manifestement pris les autorités russes par surprise.
Récemment encore, Vladimir Poutine qualifiait de « provocation » les mises en garde des services de renseignement occidentaux contre d'éventuelles attaques terroristes dans les villes russes. Le contact direct entre les services de renseignement de la Russie et des pays occidentaux ayant été rompu, et les avertissements publics ayant été ignorés par les autorités russes pour des raisons clairement politiques (des informations sur l'imminence d'attaques terroristes ont été publiées peu avant l'élection présidentielle), le risque d'autres tragédies s'accroît. Les autorités russes attendent de leurs propres citoyens qu'ils paient le prix de la vision conspirationniste du monde du gouvernement et de sa méfiance à l'égard de tout service de renseignement étranger.
Deuxièmement, la capacité de l'État russe est à nouveau remise en question. Elle a été mise à rude épreuve pour la première fois il y a six mois, lors de la mutinerie de Prigozhin. Il s'est avéré que les services spéciaux les plus puissants, dans une ville truffée de caméras vidéo, ont été non seulement incapables d'empêcher ce crime odieux, mais qu'ils ont à peine réussi à en attraper les auteurs. Fait symptomatique, la veille de l'attentat, l'organisme russe de surveillance financière Rosfinmonitoring a ajouté l'inexistant « mouvement public international LGBT » à sa liste de « terroristes et d'extrémistes ». Lorsque la lutte contre des ennemis imaginaires prime, il est trop facile de négliger la véritable menace.
Troisièmement, l'État russe, comme toujours, tentera de tirer profit de cette situation, et c'est pourquoi la réaction de l'État peut être plus effrayante que l'attaque terroriste elle-même. Les députés de la Douma d'État, les Z-blogueurs pro-guerre et l'ancien président de la Russie Dmitri Medvedev demandent déjà la levée du moratoire sur la peine de mort pour les terroristes (que, rappelons-le, l'État russe qualifie également d'opposants pacifiques au régime, notamment Boris Kagarlitsky). Vladimir Poutine n'est pas pressé de reconnaître l'implication des islamistes dans l'attaque terroriste, mais il a déjà détecté une « trace ukrainienne ». Il ne fait aucun doute que l'attentat terroriste sera utilisé pour justifier de nouvelles mesures de répression, l'adoption de nouvelles lois répressives, l'escalade de la violence en Ukraine et, éventuellement, une nouvelle vague de mobilisation.
Cette attaque terroriste n'est pas la première du genre : on se souvient des attentats à la bombe contre des appartements en 1999 ou du siège de l'école de Beslan en 2004. Mais il y a une différence importante : le degré de violence sans précédent dans lequel la société russe a été plongée avec la guerre en Ukraine. Les médias ont déjà rapporté que l'auteur présumé de l'attaque terroriste s'était fait couper l'oreille par les forces de sécurité russes et qu'il avait été contraint de la manger. Les partisans de la droite, toutes tendances confondues, ont déjà commencé à utiliser une rhétorique anti-migrants et islamophobe dans le contexte de l'attaque terroriste. Le régime russe, qui a ouvert la boîte de Pandore d'une violence sans précédent en lançant une invasion totale de l'Ukraine, peut-il la maîtriser ? Étant donné l'incapacité des services de sécurité à prévenir l'attaque terroriste, il y a de fortes raisons d'en douter.
23 mars 2024
Source : Posle.media.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

France - Le récit de la peur de la dette sert la destruction de l’État social

L'annonce d'un déficit public plus élevé que prévu a intensifié le discours lancé voici quelques semaines sur la menace de la dette. Ce récit a pour principale fonction de justifier l'austérité future en préservant les transferts vers le secteur privé.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
27 mars 2024
Par Romaric Godin
C'est une pièce de théâtre sans cesse rejouée dans le spectacle général de l'économie. À intervalles réguliers, un placard s'ouvre et un ministre des finances découvre avec horreur l'existence de titres de dettes qu'il a lui-même placés dans le meuble. S'ensuit une panique générale bien rodée où les portes claquent et où chacun vient crier à la faillite, appeler à la responsabilité, menacer d'une attaque des marchés financiers.
Chacun alors appelle à la baisse de la dépense publique et à l'austérité « pour sauver le pays ». D'ailleurs, voici un employé de bureau du ministère qui se présente avec une pile d'études économiques fort sérieuses montrant que l'austérité renforce « la croissance structurelle ». Contre les populismes, la raison commande de couper dans les dépenses.
La scène se poursuit par un régime d'austérité sévère qui concerne principalement les plus pauvres. La misère croît, le pays voit sa croissance structurelle s'effondrer, et la récession est assurée. Le final est assuré par le même ministre qui jure, la main sur le cœur, qu'on ne l'y prendra plus. Avant de retourner remplir le placard…
La France, en ces premiers mois de 2024, semble être entrée de plain-pied dans ce mauvais vaudeville rejoué cent fois, mais dont les conséquences concrètes sont considérables. Les discours alarmistes sur la dette se multiplient. Comme le souligne auprès de Mediapart Benjamin Lemoine, sociologue et auteur de l'ouvrage L'Ordre de la dette (La Découverte, 2022), « l'effet de surprise politico-médiatique est feint ».
Il rappelle que, « quand les taux d'intérêt étaient au plus bas, grâce à la capacité de la BCE à administrer le marché des emprunts d'État, le souci des pouvoirs publics était la disparition de la dette en tant que problème ». Une fois ce soutien levé, « il convenait de préparer l'opinion à ce qu'on entrevoit aujourd'hui et qui s'apparente à un retour de l'ordre de la dette ». C'est à cette préparation, notamment, que s'attelle Bruno Le Maire depuis plus de trois mois.
Le ministre des finances a en effet ouvert le fameux placard. Soudainement, la dette publique de la France, qu'il a allègrement contribué à creuser à coups de largesses pour le secteur privé, est devenue insoutenable. Et il y a urgence.
Dans son livre-programme titré La Voie française et publié la semaine dernière chez Flammarion, le ministre consacre un chapitre au nécessaire désendettement. Il tente fort maladroitement d'y donner les raisons de l'urgence de la réduction des dépenses. C'est une véritable caverne d'Ali Baba des arguments, allant de la hausse des taux (dont la fin s'annonce en juin prochain) au « déclassement de la France » (avec le recours à des anachronismes grossiers convoquant les trop dépensiers Saint Louis et Louis XIV) en passant par la reine des preuves : la baisse de la croissance.
Depuis que l'on sait que les prévisions de croissance du gouvernement pour 2024 étaient beaucoup trop élevées, la majorité macroniste recourt en permanence à cet argument résumé ainsi par le ministre graphomane dans son livre : « La croissance faible ralentit notre désendettement ; elle doit donc nous amener à trouver dans l'immédiat d'autres leviers pour réduire la dette. »
Le vaudeville se mue alors en un pastiche d'Ubu roi, car réduire les dépenses pour réduire la dette en période de croissance faible, c'est s'assurer d'affaiblir encore davantage la croissance et donc de rendre la dette encore plus difficile à rembourser. La leçon a été clairement montrée au cours de la décennie précédente par la crise de la zone euro.
Bruno Le Maire et les dirigeants d'aujourd'hui étaient alors déjà en vie et actifs. Ils devraient avoir retenu ce fait simple. Mais ils ont désormais une autre histoire à nous raconter, la même, précisément, qu'en 2010-2014, lorsque la croyance dans « l'austérité expansive » proclamée par Jean-Claude Trichet plongeait la zone euro dans une des récessions les plus longues de son histoire.
La réduction en panique de la dette a contribué à alourdir durablement le poids de la dette. Et l'empressement à réduire la dette publique dans la zone euro a-t-il pu améliorer ses capacités à investir dans l'avenir et à construire une économie plus solide et plus durable, comme annoncé ? C'est en fait l'inverse qui a eu lieu.
La Cour des comptes, metteuse en scène du drame de la dette
C'est pourtant ce même récit que l'on retrouve déployé dans l'espace public depuis trois mois. À cet égard, on ne saurait trop sous-estimer le rôle de la Cour des comptes dans la construction de cette narration.
Depuis plusieurs années, l'institution de la rue Cambon s'est muée en gardienne du temple de l'orthodoxie financière. Compte tenu de son indépendance théorique, elle est un point d'appui extrêmement pratique pour construire le récit de panique sur la dette. Elle y joue une partition extrêmement bien rodée pour justifier l'idée d'une dette insoutenable.
Comme son prédécesseur Didier Migaud, le premier président de cette institution, Pierre Moscovici, gestionnaire désastreux pendant son passage à Bercy de 2012 à 2014 (qui avait mené une politique « d'austérité expansive » pendant son mandat, portant la dette publique de 80 à 95 % du PIB), mobilise, lui aussi, les figures classiques de la peur et de la honte pour justifier une politique rapide de désendettement.
Il utilise ainsi la comparaison, éternel levier des politiques néolibérales. Dans un entretien à La Dépêche du 13 mars, le premier président de la Cour des comptes fustige « nos dépenses publiques les plus dégradées de la zone euro ». Puis, il reprend l'argument de l'avenir gâché. Le 12 mars, lors de la présentation du rapport de la Cour sur l'adaptation au dérèglement climatique, il prétendait ainsi que la situation « préoccupante » de nos finances publiques rendrait plus difficile la mobilisation des moyens pour faire face à la crise écologique.
Bref, tout est bon pour justifier la future austérité, même l'injustifiable. Car on voit mal comment on aurait trouvé 20 % du PIB pour faire face au Covid alors que la dette publique était à 100 % du PIB, mais pourquoi on ne parviendrait pas à trouver l'argent nécessaire à l'adaptation climatique avec une dette à 110 % du PIB…
Peurs et tremblements
Une fois posé ce cadre narratif, les médias entrent dans la danse, multipliant les sujets sur la dette, assurant, sondages à l'appui (comme celui publié par La Tribune Dimanche voici dix jours), que la « France a peur » du niveau de la dette et multipliant les titres et textes alarmistes, de la « cure de détox pour notre État drogué à la dette » du Point à la « France au bord du gouffre » de François Lenglet sur TF1.
L'annonce, ce 26 mars, du déficit public pour 2023 à 5,5 %, contre 4,8 % en 2022, est alors traitée comme un choc majeur. Rapidement, un mot s'est imposé à la une des chaînes et des sites d'information : « dérapage ». « Que va faire le gouvernement ? », s'interroge ainsi BFM, alors même que le ratio dette sur PIB a reculé de deux points l'an passé et qu'il n'existe aucune tension sur les marchés financiers.
Peu importe, il faut agir, et vite. Évidemment, Bruno Le Maire sur RTL et Pierre Moscovici sur France Inter viennent renforcer cette idée d'une urgence, reprenant les arguments déjà cités en en ajoutant un dernier : celui de la morale. Car si la dette de la France « dérape », c'est parce que les Français sont nonchalants, incapables de la nécessaire rigueur.
« Nous avons une culture nationale qui fait qu'après les crises, nous ne savons pas réduire assez vite notre dépendance à la dépense », expliquait Pierre Moscovici dans La Dépêche. D'ailleurs, les Français refusent de voir la « vérité » en face, et le premier président de la Cour des comptes demande un « discours de vérité ». Et pour couronner le tout, Bruno Le Maire, lui, affirme que les Français doivent comprendre que « ça ne peut plus être open bar » sur le remboursement des frais médicaux.
Derrière ces leçons de morale, l'idée est bien sûr de préparer les esprits à l'austérité « difficile, mais nécessaire » qui devra frapper ceux qui sont ciblés comme « profiteurs » de la dépense publique. Pour Benjamin Lemoine, « tout est appréhendé à l'aune de la dépense publique et l'on oublie mécaniquement ce qui a produit ce déficit : le discours anti-impôts et la façon dont l'État se fait providence pour le capital ». Une étude de l'Institut de recherches économiques et sociales (Ires) a évalué à près de 200 milliards d'euros par an les aides diverses au secteur privé.
Pour détourner le regard de cette responsabilité, on concentre le problème sur la dépense sociale et les services publics. Ce seraient eux qui seraient responsables du creusement de la dette, et le récit sur la dette permet de justifier à la fois les futures coupes dans les services publics et les transferts sociaux. Ceux-ci ont d'ailleurs déjà commencé avec le coup de rabot de 10 milliards d'euros réalisé en urgence en février et avec les multiples réformes de l'assurance-chômage. Mais plus encore est à venir.
Un final de guerre sociale
Ce récit politique sur la dette, martelé à longueur de temps par le gouvernement, une partie de l'opposition (et désormais même le Rassemblement national) et les « experts », permet avant tout de justifier une politique de classe. On pourrait la résumer ainsi : l'épouvantail de la dette a pour fonction de démanteler ce qui reste de l'État social pour préserver les transferts vers le secteur privé et soutenir sa rentabilité face à une croissance stagnante.
Le spectacle des déplorations sur l'état de la dette publique semble donc venir régler un conflit interne au capital posé par les récents développements économiques sur le dos du monde du travail et des services publics. Benjamin Lemoine insiste sur la pression renaissante des créanciers et du secteur financier. « La qualité d'actifs sans risque n'étant plus explicitement garantie institutionnellement par les rachats de la BCE, il incombe aux gouvernements de rassurer les prêteurs », explique-t-il en résumant : « Si le revolver des maîtres chanteurs de la dette avait été désactivé par ces rachats, il est partiellement réarmé. » Il rappelle que le refinancement sans entraves sur le marché de la dette est « produit politiquement via les promesses de réformes aux investisseurs ».
Mais cette logique vient percuter la situation d'affaiblissement structurel de la croissance et le besoin permanent d'autres secteurs, notamment de l'industrie, de bénéficier de flux publics directs et indirects. Pour régler cette tension, et permettre de satisfaire tous les secteurs du capital, la solution est alors de faire peser l'ordre de la dette sur les dépenses sociales et les services publics. La proposition de hausse de la TVA de Bruno Le Maire pour régler le problème – déjà mise en place sous le quinquennat Hollande – s'inscrit également dans ce cadre de répression sociale.
« Le retour de l'ordre de la dette vient asseoir les inégalités de classes », résume Benjamin Lemoine, qui ajoute : « Il y a un cahier des charges social du maintien de la dette en tant qu'actif sans risques au service des financiers : les plus vulnérables, ceux qui dépendent des services publics, comme les organisations de la main gauche de l'État (santé, éducation, recherche, etc.) sont la variable d'ajustement automatique de cette logique perpétuellement recommencée. »
L'historien de l'économie états-unien Robert Brenner a, dans un article de la New Left Review de 2020, résumé de cette façon ce qu'il pense être un « nouveau régime d'accumulation » et qu'il appelle le « capitalisme politique » par cette formule simple : « la redistribution directe politiquement pilotée de richesse vers le haut pour soutenir des éléments centraux d'une classe capitaliste dominante partiellement transformée ». C'est cette logique qui semble pleinement fonctionner dans le cas français.
« Le maintien de l'ordre de la dette demande un dosage incessant entre le soutien au capital privé et une capacité à assurer sans chocs politiques le service de la dette, et depuis des années cette capacité repose entièrement sur le sacrifice de l'État social », souligne Benjamin Lemoine. Le problème est que cette logique, soutenue par le récit sur la dette, craque de toute part. Non seulement elle ne produit pas de croissance, mais elle affaiblit, par son coût social et environnemental, la capacité de remboursement de la dette. La guerre sociale alimentée par le récit sur la dette est une impasse. Derrière le vaudeville, il y a bien un récit mortifère.
Romaric Godin
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Bruxelles s’inquiète...

Bruxelles s'inquiète parce que l'instrument favori des bourgeoisies européennes pourrait bien vite ne plus remplir le rôle que peu à peu il a été amené à jouer, à savoir celui de réducteur d'incertitude contrariant l'amplitude de l'oscillation du balancier politique dans les États membres.
Tiré de recherches internationales
Michel Rogalski
* économiste, cnrs ; directeur de la revue recherches internationales.
Au départ simple marché commun favorisant les grands groupes économiques et financiers l'Union européenne s'est vite transformée sous l'empilement de traités successifs, dont la portée était supérieure aux lois nationales, en gangue engluante interdisant toute mise en œuvre de politiques s'écartant du « cercle de la raison ». Les bourgeoisies européennes avaient trouvé là une nouvelle « Sainte alliance » de nature à les protéger de toute secousse politique à même de les menacer. Tout était verrouillé pour que les programmes progressistes et socialement avancés viennent se fracasser sur le mur de l'Europe remplaçant le « Mur d'argent » d'il y a un siècle. Les deux dernières présidentielles françaises ont révélé des questionnements sur la possibilité d'appliquer un programme dans le cadre d'une Union européenne hostile et capable de résister à des changements internes dans un quelconque État
membre. Chaque fois la question du rapport à l'Europe fut posée.
La mise en œuvre d'une véritable alternative de gauche porte en elle les germes d'un affrontement avec le carcan européen constitutionnalisé. Elle est lourde de désobéissances, de résistances, de confrontations, de renégociations. Faut-il plier ou désobéir ? Aucun programme politique de gauche ne sera crédible s'il n'explore pas
cette dimension.
Des précédents avaient de quoi faire réfléchir.
La construction européenne n'a jamais rimé avec démocratie. La campagne sur le Traité constitutionnel européen en 2005 avait déjà désilé les regards. Il ne fut tout simplement pas tenu compte du refus exprimé par référendum par le peuple français auquel on imposa par un vote du Congrès l'adoption du Traité de Lisbonne qui reprenait l'essentiel de ce qui avait été rejeté deux ans plus tôt.
L'enjeu était alors clair. Il s'agissait de constitutionnaliser, c'est-à-dire de graver dans le marbre l'ensemble des traités qui s'étaient empilés au cours de la construction européenne. C'est au refus de ce quitus qu'il convenait de s'attaquer. Quand dix années plus tard, la Grèce s'avise de refuser par référendum les mesures austéritaires proposées par la Troïka (la Banque centrale européenne, la Commission européenne, le FMI) il lui fut répondu par Jean-Claude Juncker, alors président de la Commission européenne, « qu'il ne pouvait y avoir de choix démocratique contre les traités européens déjà ratifiés » sans qu'aucun chef d'État ne s'en émeuve.
Tout ceci a contribué à une dépolitisation portée par l'illusion de la politique unique entraînant nombre d'électeurs dans la conviction que certes on pouvait changer de gouvernements mais pas des politiques menées. À cela s'ajoute la multiplication des affaires de corruption ayant touché lors de la dernière mandature nombre de députés européens. Sur ce terreau un nationalisme d'extrême droite s'est mis à prospérer à travers le continent et menace désormais les grands équilibres politiques de l'institution européenne. Les sondages prédisent une montée de ces forces permettant aux deux formations qui les représentent – l'ECR et l'ID – d'atteindre chacune une centaine de députés. Si ces deux groupes fusionnaient malgré leurs divergences quant au rapport à la Russie, principal point de discorde, ils formeraient le premier groupe du Parlement européen et pourraient ainsi peser sur la candidature au poste de Commissaire européen dont on connaît l'importance des attributions. Une autre hypothèse fréquemment évoquée envisage la fin de l'actuelle cogestion entre le groupe PPE et le groupe des sociaux-démocrates au profit d'une grande coalition des droites dans laquelle l'extrême droite prendrait une large place, réalisant ce qui s'est déjà produit dans 5 ou 6 États européens. Le débat reste ouvert de savoir pourquoi ce sont ces forces qui ont su labourer les travers de la construction européenne et non pas les forces progressistes.
Bruxelles devrait s'inquiéter car les deux piliers qui ont servi à vendre l'Union européenne ne font plus recette. Il y a longtemps que les discours sur l'Europe censée protéger de la mondialisation ou sur celle devant instiller une dimension sociale font sourire.
La construction européenne présente un cas particulier de la mondialisation. C'est un espace continental où ses formes ont été les plus accentuées et où les traités se sont empilés entraînant chaque fois des délégations de souveraineté : Acte unique, Traité de Maastricht, Pacte de stabilité, le tout repris et rassemblé dans le corset du Traité de Lisbonne et complétés et aggravés par ceux découlant des critères de la gestion de la monnaie unique allant jusqu'à faire obligation aux parlement nationaux à faire viser par la Commission européenne les projets de budgets de chaque pays.
La construction européenne est ainsi devenue le laboratoire de la mondialisation, sa forme la plus avancée et ne peut être considérée comme potentiellement lui être porteuse de résistance. Car elle en réunit tous les ingrédients : marché unique, libre circulation des marchandises, des services, des capitaux et des travailleurs dans un espace où les écarts de salaires s'échelonnent de 1 à 9 et où les normes sociales, fiscales et environnementales sont différentes. Dans un tel espace ce qui s'échange ce ne sont pas des marchandises mais les conditions contextuelles dans lesquelles elles sont produites. Il est vain alors de parler de concurrence libre et non faussée. Les dérives délétères de la mondialisation y ont été multipliées rendant problématiques les conditions de l'exercice de la souveraineté dans cet ensemble européen. On comprend ainsi pourquoi prétendre construire l'Europe pour s'opposer à la mondialisation qu'on n'a pas hésité à présenter comme « heureuse » relève de l'escroquerie et combien il est vain d'espérer que l'Europe sociale vendue dès 1986 par Martine Aubry puisse se réaliser. Il ne s'agissait guère d'autre chose que d'un contre-feu allumé pour sauver l'idée de construction européenne en panne à l'époque. Ce serait l'amplification des « concurrences » qui tirerait les droits sociaux vers le bas et aggraverait les écarts de développement et les nombreuses inégalités sociales et territoriales.
On comprend comment dans un tel contexte les projets d'élargissement de l'UE à 5-6 nouveaux pays membres inquiètent au moment même où l'Europe affiche sa division sur maints problèmes. À l'ancienne division Nord-Sud qui la travaillait vient s'ajouter une opposition Est-Ouest au moment où le couple franco-allemand affiche publiquement ses désaccords sur la conduite de l'assistance à l'Ukraine et où les pays européens se divisent à l'ONU sur le conflit israélo-palestinien. Si l'on ajoute à cela les approches souvent opposées sur le Pacte migratoire en voie d'adoption, la notion d'autonomie stratégique ou la lecture de l'atlantisme, l'élargissement risque de rimer avec ingouvernabilité ou avec dislocation. Conscient de ces obstacles le rapport rédigé par le député Jean-Louis Bourlanges sur les conditions de l'élargissement de l'Europe pose la question des conséquences institutionnelles, c'est-à-dire du mode de gouvernance. La formule d'une « union sans cesse plus étroite entre les peuples européens », reste son mantra.
Pour piloter cet élargissement, il propose « d'étendre le champ d'application du vote à la majorité qualifiée », saut supplémentaire vers une Europe fédérale.
L'Europe ne doit pas être perçue comme une mécanique d'où partiraient oukases et interdits mais bien au contraire comme une structure permissive à même d'accompagner les trajectoires singulières librement choisies de ses États membres. Faute d'une telle orientation l'Europe ne sera plus la solution mais le problème.
Bruxelles devrait s'inquiéter.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

En Europe, la colère paysanne explose dans sa diversité

Le début de l'année 2024 a vu des mobilisations agricoles inédites se mettre en place dans tous les pays européens [1]. Morgan Ody, coordinatrice générale de La Via Campesina décrypte la situation.
28 mars 2024 | tiré du site du cadtm par
https://www.cadtm.org/En-Europe-la-colere-paysanne-explose-dans-sa-diversite
Quelle est l'origine de la crise agricole européenne ?
C'est une colère qui vient de très loin. Il faut tout d'abord la raccrocher aux mobilisations agricoles qui ont eu lieu aux Pays-Bas en juin 2022. Ce pays a de gros soucis de nitrates dans le sol depuis des décennies. Le Conseil d'État a imposé de réduire les émissions d'azote. Le plan des autorités néerlandaises, avant d'être abandonné, a suscité une levée de boucliers extrêmement forte dans le monde agricole. Cette situation a profité à un parti agrarien d'extrême droite appelé « BBB », ou Mouvement citoyen-paysan qui est arrivé en tête des élections régionales. Le pays traverse encore une grande instabilité politique.
« La Commission européenne a soutenu l'agribusiness ukrainien contre les petits paysans européens et ukrainiens. Pour soutenir réellement le peuple ukrainien, il faudrait renforcer la capacité de ses petits producteurs à assurer la sécurité alimentaire du pays en priorité. » Morgan Ody
Dans l'État espagnol, en juillet dernier, il y a eu un mouvement agricole qui a émergé dans un contexte de baisse de productivité, de grande sécheresse et d'élections législatives. Mais là c'était une tout autre configuration : le gouvernement central est social-démocrate, les demandes sociales et le problème des importations ukrainiennes ont été mieux solutionnés. Une loi sur les chaines alimentaires a été mise en place qui interdit la vente en dessous du cout de production. Vox, le parti néo-franquiste qui gouverne avec la droite la région de Castille-et-León, a largement investi ces manifestations. La Coag [2], le syndicat membre de ECVC, suite à des débats intenses a décidé de rejoindre les manifestations paysannes et de mettre en avant la question du revenu. Leur présence a permis que l'extrême droite ne réussisse pas à récupérer le mouvement.
Enfin, en décembre 2023 l'Allemagne a été secouée par d'intenses manifestations paysannes. Le gouvernement de coalition entre libéraux, écologistes et sociaux-démocrates a initié des coupes budgétaires drastiques et a donc décidé de supprimer les exonérations fiscales sur le gasoil agricole. La base s'est mise en mouvement contre cette mesure brutale de manière assez spontanée, sans impulsion du Deutscher Bauernverband (DBV) le principal syndicat agricole allemand. L'extrême droite, composée de l'Alternative pour l'Allemagne (AfD) mais aussi de groupuscules néonazis, a essayé également d'infiltrer les barrages. Des pancartes « non au Green Deal, remigration » étaient affichées dans les manifestations. ABL, qui est le syndicat membre de ECVC, très ancré dans l'écologie et le bio, a décidé de participer aux manifestations et barrages. Iels y ont défendu que l'« agriculture est colorée, non brune », en diffusant des tracts et en proposant d'accompagner la réduction progressive de la consommation de carburant. Le syndicat a été bien reçu et a été assez efficace. Le 20 janvier une grande manifestation a été organisée à Berlin, avec la coalition Wir haben es satt [3], qui a regroupé 8 000 personnes, contre les nouveaux OGM et pour une meilleure rétribution du travail agricole.
Quels sont les principaux problèmes auxquels font face les agriculteur.ices européen.nes ?
L'agriculture est dans une situation de ciseaux, d'un côté les couts de production augmentent et de l'autre les prix baissent. Cela est dû aux choix libéraux qui ont été faits depuis 30 ans en matière de politiques agricoles avec l'entrée de l'agriculture dans l'OMC, l'abandon de la régulation de la Pac, la fin des quotas et des stocks. On peut aussi parler de l'ouverture des frontières européennes aux productions ukrainiennes, qui ne pouvaient plus passer par la mer noire, bloquées par la guerre. Les produits ukrainiens beaucoup moins chers ont envahi les pays de l'Est [4] et du Sud européen et ont généré une situation de dumping.
À cette situation s'ajoutent de nouvelles ambitions en matière de transition écologique et de lutte contre le dérèglement climatique. L'Union européenne a souhaité mettre en place le Green deal [5], un pacte vert en vue de réduire l'utilisation des émissions de carbone, de pesticides, promouvoir des systèmes alimentaires durables, augmenter les surfaces en bio, etc. Le Copa-Cogeca [6] s'y est tout de suite opposé alors que ECVC de son côté a salué les objectifs en déplorant le manque d'outils de mise en œuvre. La montée en gamme engendre forcément une augmentation des couts de production, et elle ne peut pas se faire dans le cadre du libre-échange. On a ainsi un pôle qui défend le business contre la transition, et un autre qui défend la sortie du libéralisme pour pouvoir mettre en place des politiques écologiques. À l'heure actuelle on a clairement perdu une bataille, même si un débat intéressant a émergé au niveau européen.
L'agriculture européenne est dans une impasse : ceux et celles qui souhaitent continuer à vendre à l'international en produisant toujours plus ne peuvent pas intégrer dans leur logiciel la crise écologique et climatique. Le capitalisme n'arrive pas à prendre en considération le changement climatique, d'où l'attrait du climatoscepticisme. L'extrême droite se nourri de ça. Ceux et celles qui ne veulent pas regarder la situation en face plongent dans le déni et adoptent des arguments non rationnels et autoritaires. L'enjeu est pour nous de faire comprendre le cul-de-sac dans lequel se trouve l'agriculture productiviste, contre l'extrême droite et proposer des politiques publiques de sortie du libéralisme, de soutien du revenu, et en faveur de la transition. ECVC en interne n'a aucun problème pour défendre ça, les positions sont très partagées au sein de notre mouvement européen. Nous avons d'ailleurs réussi à organiser une grande manifestation européenne le 1er février à Bruxelles, chose que le Copa-Cogeca n'est pas capable de faire. Il y a trop de divergences en interne, entre les pays du Sud européen qui subissent le dérèglement du climat, les pays de l'Est qui doivent faire face aux importations ukrainiennes et ceux du Nord qui ne sont plus compétitifs à l'international. Leur seul dénominateur commun, défendu par les chefs, est l'anti « normes environnementales ». Mais j'ai le sentiment que ce que défendent les dirigeants, une poignée d'agrimanagers, dont Arnaud Rousseau est le symbole, ne correspond pas aux aspirations de la base, qui veut de la régulation. Ce sont les volontés des grands céréaliers et viticulteurs qui ont été satisfaites.
L'Union européenne comptait 9,1 millions de fermes en 2020, dont près d'un tiers en Roumanie (32 %). La surface agricole recouvrait plus de 38 % du territoire européen. La taille moyenne d'une exploitation agricole dans l'UE était de 17,1 hectares, même si 64 % des exploitations agricoles avaient une taille inférieure à 5 hectares. L'Union européenne est l'une des plus grandes puissances agricoles mondiales. En 2023, la production agricole du continent a représenté environ 552 milliards d'euros, selon la Commission européenne. L'État y contribuant le plus est la France (plus de 17 % du total de l'UE), suivie de l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, les Pays-Bas, la Pologne et la Roumanie. Ensemble, ces sept États membres représentent plus des trois quarts de la production agricole totale de l'UE. Le revenu moyen des agriculteurs européens était de 28 800 euros en 2021. Un chiffre en augmentation de 56 % par rapport à 2013. Les inégalités sont fortes d'un bout à l'autre du continent. Les agriculteur.ices du nord-ouest de l'UE (Suède, Danemark, Pays-Bas, nord de l'Allemagne, nord de la France) affichent les revenus les plus élevés, là où la Roumanie, la Slovénie, la Croatie ou encore la Pologne enregistrent les plus faibles revenus de l'UE. (source : https://www.touteleurope.eu/)
Quelles réponses donnent les politiques ?
Les réponses des instances nationales et européennes vont à l'encontre de la transition agroécologique [7]. Ils reviennent par exemple sur des aspects négociés dans la Pac, comme la mesure « jachère » ou le plan Ecophyto. On a le sentiment que le « roi est nu », que les dirigeants nationaux et européens arrêtent de faire semblant de vouloir protéger l'environnement et la santé.
Lors des réformes de la Pac de 2015 et 2023, nous avons demandé plus de régulation et des aides par actif et non liées aux surfaces. Nos demandes n'ont pas été entendues, en revanche une directive dite Unfair trade practices a été adoptée en 2017. Bien trop faible, elle a malgré tout ouvert le chemin des lois Egalim en France et de la chaine alimentaire en Espagne. Dans cette directive, il manque l'interdiction de la vente à perte et pas la transparence. Il est question actuellement de renforcer cette loi européenne, ce qui va dans le sens du « Egalim européen » du président français, mais correspond également aux demandes de la Belgique ou de l'Espagne. Si cette initiative peut permettre de régler la question du prix payé aux paysans au niveau national, elle reste insuffisante pour gérer le problème des importations et donc des Accords de libre-échange.
Y a-t-il quelque chose de commun dans les colères paysannes européennes ?
Les paysan.nes européen.nes sont les victimes d'une même crise environnementale et économique, iels partagent le besoin d'un revenu digne. La transition est une obligation, mais elle est impossible dans le système actuel. La seule réponse pragmatique est la régulation et la sortie du libre-échange, à l'inverse du populisme qui n'en est pas une. Les travailleur.euses de la terre sont largement soutenu.es par les populations [8], perçues comme essentiel.les. Iels partagent le sort des premier.es de cordée, ce qui se reflète dans les alliances fortes tissées avec le mouvement social salarié et écologiste. Je pense que ECVC et les organisations membres sortent renforcées de cette première bataille, bien que peu de revendications ont été entendues.
Propos recueillis par Roxanne Mitralias
mailfacebookprintertwitter
Source : Campagnes solidaires, revue de la Confédération paysanne
Notes
[1] France, Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Italie, Espagne, Grèce, Irlande, Suisse, Pologne, Roumanie et Bulgarie sont concernés
[3] Nous en avons marre !
[5] D'intenses mobilisations ont eu lieu en Roumanie, Pologne, Bulgarie et la Grèce, en partie liées à cette situation.
[6] Le COPA (Comité des organisations professionnelles agricoles de l'Union européenne), et la COGECA (Confédération générale des coopératives agricoles) regroupent certaines organisations syndicales et professionnelles agricoles et coopératives, dont la FNSEA. https://copa-cogeca.eu/
[7] Ursula von der Leyen, a annoncé le retrait d'un texte qui prévoyait la mise en place de mesures pour réduire de moitié, d'ici à 2030, l'utilisation et les risques des produits phytosanitaires chimiques dans l'Union européenne par rapport à la période 2015-2017.
[8] Un sondage réalisé le 23 janvier chiffre le niveau de soutien au mouvement actuel en France à 82%, soit 10 points de plus que les gilets jaunes au début de leur mobilisation

Référendums en Irlande : un sacré raté

Le résultat inattendu des référendums du 8 mars en Irlande est une déception et renvoie l'image d'une Irlande retournée à son atavisme traditionnel. Les amendements proposés, qui allégeaient la conception réactionnaire de la famille et de la place des femmes en son sein telle qu'elle est gravée dans la constitution, ont été rejetés à 67 et 73% des voix, avec une participation de 44%. Jamais un vote référendaire n'avait été aussi largement perdu, alors même qu'aucun parti d'importance n'appelait à voter non.
18 mars 2024 | tiré de la Gauche écosocialiste
https://gauche-ecosocialiste.org/referendums-en-irlande-un-sacre-rate/
Particulièrement rétrograde, adoptée en 1937, la constitution irlandaise fut l'œuvre du président De Valera et répondait à deux objectifs. Il s'agissait avant tout d'en finir avec les liens organiques qui demeuraient avec la couronne britannique suite au compromis passé avec la Grande Bretagne lors de l'indépendance en 1922. L'autre dimension fut le renforcement de l'influence de l'Eglise catholique (garantie de la liberté religieuse mais place centrale de « l'Eglise romaine et apostolique gardienne de la foi professée par la grande majorité des citoyens ») et d'une idéologie familialiste particulièrement réactionnaire.
Le texte a déjà été amendé par référendum pour autoriser le divorce (en 1995, dernier pays d'Europe), le mariage pour toutes et tous (2015, premier pays au monde à l'autoriser par référendum) et l'avortement (en 2018). Les résultats des derniers référendums ont démontré la profonde transformation de la société irlandaise et une sécularisation tardive mais rapide. Ils ont aussi induit l'idée que les deux consultations de 2024 seraient remportées sans difficulté. Que s'est-il donc passé ?
Il convient de rappeler qu'en Irlande, des « assemblées citoyennes » composées aux deux tiers de citoyen.nes tiré.es au sort selon un principe de représentativité, ont préparé les différentes modifications constitutionnelles depuis 2014. C'est une innovation inspirée des expériences de démocratie délibérative qui ont été tentées auparavant en Islande ou au Canada. Elle fut lancée au départ par des activistes avant d'être institutionnalisée par l'Etat. Les deux articles qu'il était question d'amender, définissant le rôle des femmes et celui de la famille, soulevaient, outre la dimension strictement féministe, des enjeux liés aux transformations de la famille elle-même mais aussi à la politique sociale mise en œuvre par l'Etat en sa direction. A cet égard, l'assemblée citoyenne avait fait des préconisations que le gouvernement (formé par l'alliance des deux principaux partis historiques, l'un de droite l'autre du centre droit qui ont exercé le pouvoir en alternance depuis l'indépendance) a choisi d'ignorer.
De même, les formulations choisies sont restées trop floues, rendant les changements insuffisamment tranchants et relativisant leur nécessité.
Il s'agissait d'abord d'élargir la notion de la famille, qui ne serait plus forcément basée sur le mariage mais éventuellement sur « d'autres relations durables », tout en maintenant juste en dessous la défense de l'institution du mariage.
Il s'agissait ensuite de retirer les passages concernant le rôle des femmes au domicile familial (l'article de la constitution non amendé précise entre autres que l'Etat doit faire en sorte que « la femme » ne soit pas contrainte de travailler à l'extérieur du domicile pour des raisons économiques), et d'insérer un nouvel article reconnaissant les soins en direction de la famille (« family care »,) qui seraient désormais considérés comme assurés par « les membres de la famille » et pas seulement les femmes. En dessous du minimum syndical, pourrait-on dire.
Si les courants les plus réactionnaires se sont évidemment mobilisés en faveur d‘une vision ultra rétrograde de la famille et de la place des femmes en son sein, le débat a finalement en grande partie porté sur l'incapacité de l'Etat à fournir une protection sociale et son choix de la déléguer aux familles, qu'il s'agisse des enfants, des personnes âgées ou des personnes porteuses de handicap. Ces dernières ont été au cœur de la campagne, leurs associations de défense militant pour le non, dénonçant ce qui apparaissait comme une volonté de dégager l'Etat de toute politique en termes de prise en charge et d'accès aux droits, en comptant strictement sur les familles pour ce faire. Le premier ministre, Leo Varadkar, l'a d'ailleurs assumé dans une interview avant de tenter en vain de se rattraper aux branches. Dans un pays où l'Etat social est à peu près inexistant et où les politiques mises en œuvre continuent à entraver le travail salarié des femmes, le tout sur fond de crise aigue du logement, la question est évidemment sensible et explique le décalage entre les deux résultats.
Les partis du gouvernement ont au final fort peu fait campagne mais ont associé leur très grande impopularité au camp du oui. De l'autre côté de l'échiquier politique, une certaine confusion régnait. Les sphères militantes, le mouvement social, étaient divisés sur la marche à suivre. S'agissant des toutes petites forces de la gauche radicale, People before profit a appelé à voter oui du bout des lèvres et le Socialist Party a finalement appelé à voter non en évoquant la question du désinvestissement assumé de l'Etat. Le Sinn Fein, principal parti de gauche, a appelé à voter oui sur l'idée qu'il valait mieux ces amendements que la version initiale des articles, mais sans grande conviction. Il avait promis, si le non était majoritaire, d'appeler à de nouveaux référendums s'il arrivait au gouvernement. Devant l'ampleur du camouflet, il a dit l'exact inverse au lendemain des scrutins.
Il faudra bien pourtant finir le travail de sape entamé dans les années 1980 contre le texte constitutionnel, en menant une campagne claire au nom de l'égalité des droits. Si les vents mauvais soufflent aussi au-delà de la mer d'Irlande, il serait trop simple de renoncer en concluant que la population irlandaise est durablement retournée dans le giron catholique.
Ingrid Hayes

Ukraine : Bilkis, un féminisme de terrain

Bilkis a été fondée il y a 4 ans à Kharkiv, puis avec la guerre, a déménagé à Lviv. Depuis le 24 février 2022, « Bilkis a modifié son registre d'activités pour répondre aux besoins de la population ukrainienne. L'essentiel pour les Ukrainiens qui ont tout perdu était de leur fournir un abri, de la nourriture et des médicaments », expliquent les féministes.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/04/01/ukraine-bilkis-un-feminisme-de-terrain/
Durant les quatre premiers mois de la guerre, « nous avons envoyé des colis vers l'est et le centre de l'Ukraine. Le plus souvent, c'était vers Dnipro et Kropyvnytsky, car c'est là que de nombreuses personnes des régions de Donetsk et de Louhansk ont été évacuées » précisent ses membres. Aujourd'hui, à Lviv, elles ont ouvert un « Espace des choses », « un espace où l'on peut laisser les objets et où on peut certainement les emporter ». Mais Bilkis n'oublie pas son identité féministe. Parmi de nombreuses campagnes qu'elles organisent, il y a eu en décembre 2022, celle contre une marque d'alcool, qui affichait une femme nue sur ses bouteilles. Les militantes se sont postées devant la boutique de la marque à Lviv, pendant 3 samedis après-midi, brandissant des pancartes dénonçant « Arrêtez de sexualiser les femmes », « Le corps féminin n'est pas une publicité ». Le groupe fasciste ukrainien Katarsis, venu sur les lieux, les a alors menacés physiquement. Depuis plusieurs mois les féministes de Lviv organisent également des distributions de repas chauds, « Hodivnichka », une cantine populaire tous les dimanches matin. Aujourd'hui, elles répondent à nos questions pour dresser un premier bilan de deux années d'activités sur le terrain.
Patrick Le Tréhondat
*-*
En mai et juin 2022, j'ai vu que vous organisiez les randonnées cyclistes de votre groupe autour de Lviv. Pourquoi était-ce important pour vous de faire ces randonnées ? Est-ce que vous continuez à en faire ?
Dans notre équipe, il y a Ivanka qui est une cycliste expérimentée et qui fait du vélo tout le temps, en toutes saisons. Ivanka a lancé des randonnées de courte distance pour les femmes de l'équipe Bilkis. Notre club de cyclisme féminin était ouvert à toutes les filles, quel que soit leur niveau d'expérience. Ce soutien de la communauté cycliste était une bonne occasion de commencer à explorer le monde du cyclisme. Nos randonnées avaient pour but de gagner en confiance sur la route, de surmonter les peurs, telles que la peur de la chaussée, de partir à l'aventure et d'avoir un sentiment de sororité. Les randonnées ont été l'occasion de rencontrer des personnes partageant les mêmes idées, de trouver une compagne de route et même des amies. Le Femvelloclub n'est pas une compétition ou une course de performance. Il s'agit de réunir des cyclistes de tous niveaux : des professionnelles aux débutantes. Pour certaines, il s'agissait de leurs premiers 20 kilomètres, et pour d'autres, c'était loin d'être leurs premiers. L'important, c'est que nous avons tous parcouru nos distances ensemble !
Nous avons aussi fait une fois de la randonnée en montagne avec des tentes.
Aujourd'hui, Ivanka n'a pas assez de ressources pour animer le Femveloclub de manière permanente, car la coordination d'un tel projet nécessite beaucoup d'attention et une préparation minutieuse, mais de temps en temps, dans un format spontané, il y a toujours un désir de rouler ensemble.
6 millions d'Ukrainiens ont dû quitter l'Ukraine, 6 millions sont des personnes déplacées à l'intérieur du pays. De nombreux membres de Bilkis appartiennent à cette deuxième catégorie. Après deux ans de guerre à grande échelle, pensez-vous que vous rentrerez un jour chez vous ? Comment le vivez-vous ?
Ivanka : Je suis originaire du Donbass, d'une petite ville appelée Roubijne, dans la région de Louhansk. Cela fait deux ans que je vis ici et, pour être tout à fait honnête, je suis encore en train de m'adapter : à un nouvel environnement, à une nouvelle routine, à une nouvelle vie, à la recherche constante de nouveaux liens et de nouveaux endroits préférés. Le déménagement et l'adaptation se sont imposés dans ma vie à cause de l'attaque russe, et je ne peux pas considérer cela comme une aventure ou un voyage. Je ne sais pas si je retournerai à Roubijne ou si je resterai à Lviv. La guerre totale dans mon pays dure depuis deux ans, alors comment puis-je faire des rêves dans cette situation ? Bien sûr, j'ai un rêve : la victoire et le retour à la maison. Ma région est maintenant occupée et j'ai vu des photos de mon appartement détruit. J'envisage la possibilité de rester à Lviv pendant longtemps, et je continuerai donc à me développer ici. Où que la vie me jette, je veux juste avoir la force de faire ce que je veux, de vivre et d'aider notre armée. Aujourd'hui, je suis incroyablement heureuse d'avoir la possibilité d'être sur mon propre territoire. Oui, je ne suis pas chez moi, mais je suis en Ukraine. Cela me donne beaucoup de force, même si je suis toujours déprimée et que je vis le traumatisme de la perte de ma maison, mais je construis des piliers intérieurs solides qui me soutiennent en ces temps de prédation.
Vous avez ouvert l'Espace des choses août 2022 où l'on peut donner des choses (vêtements, livres, etc.) et en prendre selon ses besoins. Tout est gratuit. Avec le succès de l'Espace des choses, vous ouvrez un jour pour déposer des objets et un jour pour les récupérer. Pouvez-vous nous dire qui dépose et qui récupère ? Que disent les gens de l'Espace des choses ?
Notre projet l'Espace des choses fonctionne avec succès depuis un an et demi. Il s'est avéré que de nombreuses personnes peuvent et veulent donner leurs objets à d'autres. Cependant, nous ne pouvons pas gérer la quantité de choses que les gens nous donnent (ou veulent nous donner). C'est pourquoi nous avons mis en place un calendrier d'acceptation des objets. Nous accueillons généralement des objets toutes les deux semaines, mais parfois moins souvent. En avril, nous ne prendrons plus d'objets, mais nous les donnerons, car nous en avons beaucoup maintenant.
Plus de 90% de nos visiteur·seuses sont des femmes. Il y a aussi des hommes, mais beaucoup moins souvent. Bien que nous destinions ce lieu exclusivement aux femmes, nous accueillons tout le monde. Nous pensons que c'est parce que, premièrement, notre public cible en tant qu'organisation féministe est constitué de femmes. Deuxièmement, les femmes sont plus souvent engagées dans le travail reproductif et, par conséquent, elles recherchent ici les affaires de leurs enfants, font le ménage chez elles et trouvent ainsi des choses utiles.
Comme nous pouvons l'estimer, le noyau principal de nos visiteurs est constitué de jeunes filles et de femmes qui prennent et apportent souvent des objets, ainsi que de femmes plus âgées qui font partie de groupes vulnérables (personnes déplacées, personnes à faible revenu, sans-abri).
Jusqu'à présent, nous n'avons reçu que des commentaires positifs sur notre lieu, car nous essayons de fournir un service de qualité et de maintenir un environnement agréable. Les gens disent que ce projet est utile, qu'il les aide. En outre, ils nous demandent souvent d'ouvrir d'autres lieux à Lviv et dans d'autres villes d'Ukraine. Mais nous ne pouvons nous contenter que d'un seul centre. Il y a également des commentaires selon lesquels les gens utiliseraient nos services de manière malhonnête – revendre des choses, nous avons nous-mêmes eu de tels soupçons à plusieurs reprises concernant des personnes spécifiques. Cependant, nous ne pouvons pas empêcher ces personnes de se comporter de manière inappropriée. Et malgré ces cas très rares, la plupart des gens comprennent la signification et les règles de notre Espace et les respectent (c'est-à-dire qu'ils utilisent les choses sans but commercial).
Pouvez-vous nous parler de la pauvreté à Lviv ?
La pauvreté a déjà été un problème aigu en Ukraine par le passé. Cependant, en raison de la guerre et de la détérioration de la situation économique dans le pays, le problème de la pauvreté est devenu encore plus aigu à Lviv, ainsi que dans d'autres villes. La pauvreté après des événements tels que la guerre augmente en raison de divers facteurs tels que la destruction de l'infrastructure, la perte d'emplois, la réduction de l'activité économique, et d'autres. Les gens perdent leurs maisons, leurs moyens de subsistance et l'accès aux services de base, ce qui exacerbe le problème de la pauvreté dans tout le pays. En outre, depuis 2022, la population de Lviv a augmenté car les gens fuient vers l'ouest, loin de l'horreur de la guerre. Notre initiative apporte régulièrement de l'aide aux personnes en situation difficile en leur donnant de la nourriture. Ce n'est qu'un moyen parmi d'autres de lutter contre la pauvreté dans notre ville, mais c'est un moyen important, car la nourriture est un besoin fondamental pour tout le monde.
Pourriez-vous également nous dire qui vient à ces distributions ?
Différentes personnes s'adressent à nous pour la distribution de nourriture. Bien sûr, il s'agit toujours de personnes qui se trouvent en dessous du seuil de pauvreté, mais leur apparence est très différente. Certaines personnes ont l'air d'être des sans-abri, d'autres sont habillées « correctement » et nous n'aurions jamais pensé qu'elles avaient un problème d'accès à la nourriture si nous les avions vues dans un parc ou dans un bus. Nous parlons souvent aux personnes qui viennent nous voir, et leurs histoires ne laissent aucun doute sur leur honnêteté. Cela nous fait toujours penser que la pauvreté est un problème bien plus important qu'il n'y paraît à première vue. Nous nourrissons tout le monde, sans distinction d'âge, de sexe, de genre, etc., mais nos bénéficiaires sont le plus souvent des personnes âgées de 28 à 30 ans, originaires de tout le pays. Les femmes et les hommes viennent à la distribution dans des proportions à peu près égales.
Comment les gens réagissent-ils à cette initiative ?
Si vous interrogez les personnes qui viennent à la distribution, elles sont submergées de gratitude. Il semble parfois que nos distributions constituent une sorte de mini-vacances dans la vie de nos nécessiteux de chaque dimanche. Nous aimons recevoir leurs commentaires et nous entendons souvent un « merci » de chaque personne qui vient chercher de la nourriture, mais le plus souvent, nous recevons beaucoup plus de reconnaissance et de bénédictions. Souvent, les personnes dans le besoin sont surprises de constater qu'il ne s'agit pas seulement de nourriture, mais d'une nourriture délicieuse sans produits d'origine animale. La plupart des personnes qui viennent aux distributions connaissent une vie et une situation difficiles. Nous connaissons déjà un peu mieux certaines d'entre elles, et nous sommes même devenus amies avec certaines d'entre elles. Nous ne voulons pas être techniques dans notre approche de la distribution alimentaire, nous continuons à communiquer avec elles, nos repas sont justes un instrument d'attention, de soutien et de solidarité. C'est une approche très importante pour créer un projet social.
Quant à la question des personnes qui nous voient de l'extérieur lorsque nous distribuons de la nourriture, pour être honnête, nous n'y prêtons même pas attention parce que nous sommes occupés par le processus. Lorsque nous livrons de la nourriture en taxi, les chauffeurs nous demandent parfois ce que nous transportons dans de si grands conteneurs, et lorsqu'ils le découvrent, ils nous félicitent. En général, tous ceux qui connaissent notre « mangeoire », nous font des commentaires positifs. C'est agréable à entendre et cela nous encourage à continuer.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
Aujourd'hui, nous n'avons pratiquement plus de difficultés. Il s'agit d'une petite initiative dans laquelle tous les participant·es sont interchangeables et si quelqu'un·e tombe malade ou quitte la ville, ce n'est pas la fin du monde. Il y a un an, lorsque nous avons commencé, le processus de cuisson était nouveau et peu maîtrisée. Nous nous sommes trompés dans le calcul de la quantité à cuire. Nous ne savions pas comment apporter la nourriture chaude et la distribuer pour que tout le monde en ait assez. Il nous a fallu beaucoup de temps et d'efforts pour comprendre comment cuisiner plusieurs dizaines de portions à la fois. Avec l'expérience, nous avons amélioré tous les processus et élaboré un menu. Aujourd'hui, il s'agit simplement d'un certain « algorithme ».
L'été dernier, nous avons eu des difficultés avec le public. L'ancien lieu de distribution se trouvait dans un quartier résidentiel, où nous avions apporté une table pliante. Après avoir mangé, les gens allaient aux toilettes dans les buissons, faisaient la queue tôt et faisaient du bruit sous les fenêtres. Cela gênait les habitants de l'immeuble, et nous entendions constamment des plaintes et des menaces. Maintenant, nous faisions la distribution à côté de l'église, où il y a un accès aux toilettes, et les gens se comportent un peu plus poliment à côté d'un bâtiment religieux. Bien que nous n'ayons rien à voir avec l'église. Nous sommes simplement situés à proximité. La seule difficulté est maintenant de trouver un financement pour ce projet.
29 mars 2024
Page Facebook de Bilkis
https://www.facebook.com/fem.bilkis
Instragam
https://www.instagram.com/fem.bilkis/
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Contre la politique impérialiste de Poutine, soutien au peuple ukrainien

À l'issue d'un scrutin fantoche étalé sur trois jours, Vladimir Poutine vient d'être réélu pour un 5e mandat de six ans à la tête de la Russie. Au fil d'un quart de siècle d'une dégénérescence allant crescendo, le poutinisme a installé un État autoritaire. Le capitalisme s'est imposé sous une forme oligarchique, le nationalisme grand-russe et ultra réactionnaire s'est redéployé. La Russie cherche désormais à étendre son territoire et son influence par la guerre, comme c'est actuellement le cas en Ukraine.
20 mars 2024 | tiré du site du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA)
https://nouveaupartianticapitaliste.org/actualite/international/contre-la-politique-imperialiste-de-poutine-soutien-au-peuple-ukrainien
Macron, dangereux bouffon
Il n'en reste pas moins que les rodomontades de Macron sur l'envoi de troupes au sol en Ukraine ne peuvent apparaître que pour ce qu'elles sont : sérieuses et dangereuses. Macron, discrédité et en perdition dans les sondages, a inversé le cap après avoir mené initialement une politique de conciliation avec la Russie. Incontrôlable sur la scène internationale avec ses déclarations intempestives, ignorant à cette occasion le Quai d'Orsay et même sa propre cellule diplomatique à l'Élysée, il n'aide en rien la résistance ukrainienne. Alors que la perte des derniers points d'appui de l'impérialisme français en Afrique est inévitable et que le président français est plus que jamais isolé et illégitime, il persiste et répète que l'envoi de troupes au sol en Ukraine est une hypothèse crédible à laquelle il faut se préparer.
Ce n'est en rien ce que les UkrainienNEs demandent : ils veulent des armes, un soutien technique, logistique et financier pour se défendre de manière autonome. La tendance va-t-en guerre et caporaliste de la macronie – engagée dans un cours autoritaire dont les effets domestiques sont d'ores et déjà profonds (SNU, uniforme à l'école, usage répété du mot « réarmement »…) – se renforce sans aucune utilité pour la résistance.
Soutenir vraiment le peuple ukrainien, sans asservissement
Après deux ans de guerre, le rapport de forces général se dégrade au profit de la Russie. Le soutien à la résistance ukrainienne doit s'amplifier, mais ne doit pas passer par un asservissement économique et politique à l'OTAN ou à l'Union européenne. Les armes doivent être données (et non vendues !), et aucune dette ne doit venir vampiriser l'Ukraine pour les décennies à venir. Plus encore, il faut vaincre la corruption et les nuisances des oligarques, en finir avec les politiques ultra-libérales du gouvernement ukrainien qui s'opposent aux conditions d'une lutte de résistance nationale qui, pour être plus forte et efficace, doit être socialement juste.
Un enjeu majeur est que notre soutien s'inscrive dans un engagement global internationaliste en soutien aux peuples en résistance et contre le militarisme et la course aux armements. La nécessaire socialisation des industries d'armement en est la condition. Elle accompagne notre solidarité concrète à tous les peuples qui, dans des contextes divers, de l'Ukraine à la Palestine, luttent contre l'oppression néocoloniale et l'impérialisme, sans oublier toutes celles et ceux qui en Russie cherchent contre Poutine les voies de l'émancipation.
Le mercredi 20 mars 2024

Turquie : Après sa victoire aux élections locales, l’opposition turque retrouve des couleurs face au président Erdogan

Dans une position précaire moins d'un an après sa défaite à l'élection présidentielle, l'opposition turque a conservé toutes les grandes villes du pays, tout en conquérant de nouvelles municipalités, dimanche 31 mars. “La chaîne du désespoir est rompue”, se félicite la presse de gauche.
Tiré de Courrier international.
“Une victoire historique” clame la une du quotidien nationaliste et laïc Cumhuriyet. Le journal, crée par Mustafa Kemal Atatürk est un soutien historique du CHP, le Parti républicain du peuple, également fondé par le fondateur de la République turque. Totalisant 37,74 % des voix à l'échelle nationale contre 35,49 % pour l'AKP du président Recep Tayyip Erdogan, le parti kémaliste est, pour la première fois depuis 1977, le parti qui récolte le plus de suffrages a l'échelle nationale souligne le quotidien.

Après la surprise et le désespoir occasionnés par la victoire du président turc lors de l'élection présidentielle de mai 2023, cette victoire arrive à point nommé pour l'opposition qui se trouvait tiraillée en interne et au bord de l'explosion.
“L'on craignait comme dans un cauchemar que le pouvoir, sur la lancée de sa victoire, n'emporte les grandes villes, Istanbul, Ankara et même Izmir, que l'opposition soit définitivement réduite au silence, mais cette chaîne du désespoir est rompue”, se félicite un éditorialiste du quotidien de gauche Birgün. En définitive, l'opposition kémaliste a non seulement gardé les plus grandes villes du pays, conquises en 2019, mais elle a aussi emporté des arrondissements et des villes traditionnellement acquis à l'AKP, qui recule même dans ses bastions historiques.
Les limites de la polarisation pour faire oublier la crise économique
“Séisme dans les urnes”, titre de son côté en une le quotidien de l'opposition conservatrice Karar, alors que le parti du président turc et de ses alliés d'extrême-droite du MHP ont vu les suffrages en leur faveur fortement diminuer dans les zones du pays touchées par le tremblement de terre de février 2023.

Dans ces régions, l'aide et la reconstruction promises par le pouvoir tardent à se manifester. Dans le sud du pays, la très conservatrice ville d'Adiyaman, durement affectée par le séisme, est ainsi tombée dans l'escarcelle de l'opposition.
La stratégie du président turc, visant à jouer sur les cordes du nationalisme et du conservatisme en polarisant le débat face à une opposition décrite comme suppôt du “terrorisme” ou du “LGBTisme” n'a pas fait recette cette fois.
Pour autant, pour le quotidien pro-gouvernemental Sabah, il ne s'agit pas d'un camouflet adressé au président de la République. “Lors des élections de l'année dernière, les Turcs ont bien montré leur soutien à Erdogan, il s'agissait pour eux, cette fois, d'adresser un message de mécontentement face aux faibles pensions de retraite, à l'inflation et à certains candidats locaux au profil discutable”, estime une éditorialiste proche du leader turc qu'elle interviewe régulièrement.
Victoires du parti pro kurde dans le sud-est du pays
Dans l'est du pays, le parti prokurde, qui avait vu ses municipalités confisquées par l'État et ses élus démis de leurs fonctions, emprisonnés pour certains et remplacés par des tuteurs nommés par les préfets, a triomphé dans toutes ces villes confisquées et en a même remporté de nouvelles, souligne le média en ligne proche de la cause kurde Arti Gerçek.
Le parti prokurde a néanmoins dénoncé de nombreuses manipulations électorales dans les régions kurdes du pays, des cas de votes hors de l'isoloir ou de bulletins prétamponnés ont été remarqués. Surtout, des milliers de militaires et membres des forces de sécurité en garnison dans la région ont investi certains bureaux de vote stratégiques, risquant de faire basculer certains scrutins en faveur du pouvoir.
De nombreuses vidéos sur les réseaux sociaux montrent des cohortes de jeunes gens, la tête baissée et tentant de dissimuler leur identité, patienter pour voter sous une pluie de questions et parfois de quolibets des élus et électeurs locaux, dont certains ont été arrêtés. Dans un village proche de la ville de Diyarbakir, une bagarre entre électeurs a dégénéré en affrontement violent, occasionnant de nombreux blessés et la mort d'un assesseur du parti prokurde, touché par balles, rapporte le quotidien Habertürk.
Cette défaite majeure va-t-elle entraîner un durcissement du pouvoir, déjà en proie depuis plusieurs années à une grave dérive autoritaire, ou le pousser vers une “normalisation” démocratique, s'interroge le média en ligne Diken ? “Face à la crise économique, impuissant à reprendre Istanbul et Ankara et à en finir avec leurs maires, populaires figures de l'opposition, le pouvoir peut faire le choix d'un retour à la normale pour tenter de se concilier une partie des Kurdes et des électeurs fatigués par la crise”, espère une éditorialiste du média, tout en gardant à l'esprit que l'inverse est aussi possible.
Courrier international
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

L’attaque contre TikTok ou la compétition des Tartuffe

Les conflits armés sont aussi des guerres de récits. Les réseaux sociaux y prennent une part active, tous contrôlés par des groupes américains à l'exception d'un : le chinois TikTok. Depuis des années, élus démocrates et républicains veulent le ramener dans le giron états-unien ou l'interdire. Dernier prétexte avancé : il est « pro palestinien », voire antisémite.
Tiré d'Orient XXI.
Alors qu'Israël interdit tout accès à la bande Gaza aux reporters étrangers et tire sur les journalistes palestiniens comme sur des lapins — avec une centaine de morts dans la profession depuis le 7 octobre 2023 — que deviendraient les (déjà trop rares) informations sur Gaza si un réseau social comme TikTok venait à disparaître ? Si un seul propriétaire, à savoir Meta, obtenait le monopole de la diffusion des plateformes en ligne ? Ces questions ne relèvent pas totalement du fantasme.
Le 13 mars 2024, élus républicains et démocrates de la Chambre des représentants américaine ont arrêté un projet de loi exigeant la vente de la célèbre application à une entreprise « sûre » — c'est-à-dire états-unienne. Faute de quoi, elle serait interdite. Ce projet doit encore être voté par le Sénat. Il n'est donc pas pour demain. Cependant, républicains et démocrates savent en général dépasser leurs divergences quand il s'agit de la Chine. Et TikTok appartient au groupe chinois ByteDance.
Reconnaissons aux faucons américains une certaine constance. Ils se battent depuis 2020 pour s'accaparer la plateforme qui a séduit adolescents et jeunes adultes — la « génération Z » née avec Internet et le numérique. Celle-ci est friande de TikTok qui totalise 170 millions d'utilisateurs aux États-Unis, soit davantage qu'Instagram (157 millions) et presqu'autant que Facebook (175 millions) qui recrute dans les couches un peu plus âgées. Jusqu'alors, les dirigeants américains avançaient avec une très grande prudence : priver la jeunesse de son mode de communication favori n'est pas une chose aisée, et on ne sait jamais ce qu'il peut arriver si l'on y touche.
Parti pris idéologique et tiroir-caisse
Visiblement, le concepteur du projet de loi, Mike Gallagher, l'un des plus farouches sinophobes des États-Unis, a trouvé l'argument massue pour accélérer le processus en panne depuis quatre ans : TikTok est pro palestinien voire antisémite… Comme Pékin réclame un cessez-le-feu d'urgence à Gaza, l'ouverture des négociations, la fin de la colonisation israélienne, et que l'application est chinoise, ses utilisateurs sont forcément « manipulés par le gouvernement chinois ». Se combinent ainsi parti pris idéologique et opération économique, espoir d'imposer un récit plus favorable à la guerre israélienne et volonté de stopper l'avance chinoise dans le numérique, en faisant tomber dans l'escarcelle nationale l'un des réseaux sociaux les plus inventifs du moment.
Du point de vue des massacres commis par Israël, le spécialiste Anthony Goldbloom, qui a étudié les données TikTok pour les acheteurs de publicité, a effectivement trouvé beaucoup plus de vues de vidéos avec des hashtags pro palestiniens que pro israéliens. Selon lui, le ratio peut aller jusqu'à 69 contre un (1). Faut-il voir ici la preuve que Pékin est entré dans la tête des Américains ? Ou la preuve qu'une majorité de jeunes est contre la guerre ? Pour avoir la réponse, il suffit de lire les reportages dans les journaux américains, ou simplement les sondages attestant que les moins de 35 ans (environ la moitié des utilisateurs de l'application chinoise) sont majoritairement antiguerre. C'est d'ailleurs l'une des raisons des faibles performances du président-candidat Joe Biden.
Car l'application a choisi de ne pas censurer les contenus, en Occident du moins. En Chine, TikTok est introuvable. Seul Douyin, sa version exclusivement réservée au pays, très étroitement surveillée, a droit de cité. Au royaume de l'hypocrisie, Pékin qui crie au scandale peut prétendre au poste suprême. Néanmoins, Joe Biden rivalise dans la tartufferie : en février dernier, le président américain ouvre un compte TikTok le dimanche du très populaire Super Bowl pour poster une vidéo sur sa passion du football et en mars, il fait savoir qu'il signera avec enthousiasme la loi Gallagher interdisant l'application.
Des images inédites en provenance de Gaza
En attendant, TikTok n'inflige pas de censure. C'est bien là que réside son succès. Y sont postées des vidéos commentant la guerre de Benyamin Nétanyahou, apportant des images en provenance de Gaza (quand les Palestiniens ont de l'électricité et Internet), mais aussi d'Israël, comme le raconte ce professeur d'une université dans un reportage du Washington Post : « Quand la guerre a éclaté, mes étudiants ont navigué en divers endroits sur TikTok pour voir quel genre de vidéos étaient populaires en Israël par rapport à Gaza, en Cisjordanie ou en d'autres endroits. Je n'avais jamais pensé à faire ça » (2).
Cette liberté met en fureur Nétanyahou et ses acolytes. Elle dérange tout autant les républicains américains ouvertement pro israéliens et anti palestiniens, que les démocrates de Joe Biden qui déplorent la situation humanitaire des Gazaouis, et finissent par réclamer un cessez-le-feu lors de la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies du 25 mars 2024, mais continuent de livrer des armes qui tuent les civils palestiniens. Le conflit se mène aussi sur le plan de l'information et de l'image (3).
Censure sur X, Facebook et Instagram
Sur les autres réseaux populaires, la censure plus ou moins directe sévit massivement depuis le 7 octobre. Quelques post d'Orient XXI en ont fait l'expérience, ne pouvant être partagés sur X ou sur Facebook, comme c'est le cas de certains récits de Rami Abou Jamous, notre correspondant à Gaza qui tient régulièrement son journal de bord.
D'une façon plus globale, Human Rights Watch (HRW) pointe « la censure systémique des contenus pro palestiniens sur Instagram et Facebook » (4). Ces contenus issus de comptes palestiniens ou de personnes défendant leurs droits ne sont tout simplement pas diffusés : ce que l'on appelle le « bannissement furtif » (shadow banning). Ils ne sont pas retirés, toutefois les algorithmes sont conçus pour qu'ils restent invisibles ou presque. Pour contourner l'obstacle, les utilisateurs mettent une pastèque pour désigner la Palestine (dont le drapeau possède les mêmes couleurs rouge, vert, noir et blanc), changent une lettre en astérisque ou en point pour parler de Gaza, ce qui empêche d'être repéré par les algorithmes. Il ne s'agit là que d'une faible parade.
Amnesty International constate également ce phénomène. « Les politiques et systèmes de modération de contenus de Meta réduisent de plus en plus au silence les voix en faveur de la Palestine sur Instagram et Facebook », note la directrice d'Amnesty Tech qui s'inquiète, car cette « censure contribue à l'effacement des souffrances des Palestiniens » (5).
Ce qui vaut, de façon si dramatique, pour la guerre israélienne contre les Palestiniens, vaut dans tous les domaines. On oublie trop souvent que le monopole des trois géants américains — Méta, Google et Elon Musk (X) — sur la communication numérique planétaire constitue une menace pour les démocraties. Cela ne blanchit pas pour autant TikTok. Mais le forcer à se vendre à l'un des trois ne ferait que renforcer leur mainmise. Il en est de même pour son interdiction. C'est d'une régulation publique dont les internautes ont besoin.
Logiciels espions chinois ?
Certes, comme les autres, TikTok véhicule de fausses informations et des propos plus ou moins haineux. Cependant, cela n'a rien à voir avec la nature autoritaire du régime chinois. Les dirigeants américains craignent que le président Xi Jinping aspire les données des utilisateurs occidentaux pour nourrir de sombres projets, pas uniquement commerciaux. Son patron, le Singapourien Shou Zi Chew, sous le feu des questions des élus du Congrès pendant plus de cinq heures l'an dernier, a essayé de rassurer : son groupe est détenu à 60 % par des investisseurs institutionnels tels les richissimes fonds de gestion d'actifs BlackRock et Susquehanna International Group, spécialisé dans la Tech, à 20 % par les fondateurs chinois et le reste par le personnel. Trois des cinq membres du conseil d'administration de l'application sont des Américains. Enfin, les serveurs stockant les données sont installés aux États-Unis, sur le cloud Oracle, et non plus sur le sol chinois ou singapourien.
Pourtant, selon les partisans de l'interdiction de TikTok, cela ne suffit pas. Le pouvoir chinois est soupçonné d'avoir déployé des logiciels espions pour s'accaparer les cerveaux, mais aussi influencer les choix américains, et fausser le jeu des élections. L'a-t-il fait ? Nul ne le sait. Rien dans ce que produisent les autorités et services de renseignement américain ne dit que son « algorithme a fait la promotion de la République populaire de Chine – et je suppose que si le directeur du bureau du renseignement national en avait la preuve, il l'aurait fournie », écrit Julia Angwin dans le New York Times (14 mars 2024). Ce que confirme la représentante démocrate de Californie, Sara Jacobs, après la rencontre entre les élus du Congrès et les services de sécurité nationale : « Pas un seul élément de ce que nous avons entendu dans ce briefing classifié n'est propre à TikTok. Ce sont des choses qui se produisent sur toutes les plateformes des médias sociaux » (6).
Comme l'ont fait remarquer quelques élus de bon sens à la Chambre, il n'est pas besoin de détenir le capital d'une application en ligne pour créer des faux comptes, envahir les réseaux de fausses révélations voire tenter de manipuler les votes. Les démocrates ont d'ailleurs accusé Vladimir Poutine de tels desseins et, à ma connaissance, le président russe ne possède aucune application.
Faux comptes américains en Chine communiste
Au moment où les médias et les dirigeants politiques occidentaux se déchaînaient unanimement ou presque contre TikTok, on a appris de la CIA que l'agence américaine avait « créé des faux comptes sur les réseaux sociaux chinois pour propager des rumeurs et diffuser des récits négatifs contre les dirigeants » dans l'espoir de « retourner l'opinion publique » et d'influencer l'extérieur. Le tout sous l'autorité du président de la République d'alors, Donald Trump (7). Autre exemple de la tartufferie ambiante à propos de TikTok.
En fait, républicains et démocrates sont moins inquiets pour les cerveaux américains que pour les coffres forts des multinationales qu'ils défendent. Pour l'heure, une partie des données des utilisateurs occidentaux leur échappe alors que TikTok est sur le point de dépasser le chiffre d'affaires de Meta. Le dépouiller de ses précieuses data offrirait de juteuses perspectives. Mais cela permettrait surtout de s'approprier le logiciel et l'algorithme qui ont forgé le succès de l'application et qui témoignent d'une certaine avance de la Chine dans ce domaine. Le pouvoir chinois a déjà dit qu'il s'opposerait à une vente au nom du libre-échange et de la liberté d'expression défendue par le premier amendement de la Constitution américaine. Une autre tartufferie.
Notes
1- « How TikTok Was Blindsided by U.S. Bill That Could Ban It », Stu Woo, Georgia Wells, Raffaelle Huang, Wall Street Journal, 12 mars 2024.
2- « Young Americans are more pro-Palestinian than their elders. Why ? », Frances Vinall, Washington Post, 21 décembre 2023.
3- « Gen Z and Palestine : how social media activists are changing journalism forever », Laura Cugusi, UntoldMag, 12 janvier 2024.
4- « Meta : censure systémique de contenus pro palestiniens », Human Rights Watch, 21 décembre 2023.
5- « Israël/Gaza : les réseaux sociaux entre censure des voix palestiniennes et démultiplicateur de haine », Amnesty International, 2 novembre 2023.
6- « Why Are Lawmakers Trying to Ban TikTok Instead of Doing What Voters Actually Want ? », Julia Angwin, New York Times, 14 mars 2024.
7- « Exclusive : Trump launched CIA convert influence operation against China », Joel Schectman et Christopher Bing, Reuters, 14 mars 2024.
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

La tyrannie du productivisme d’État – À propos Congrès national du peuple de Chine de 2024

Le Congrès national du peuple est actuellement en session à Pékin, au beau milieu d'une forte récession économique qui affecte les conditions de vie de millions de personnes : resserrement du crédit sur le marché immobilier qui s'étend maintenant à d'autres secteurs financiers (voir mon article ici), déflation, ralentissement de l'industrie manufacturière, fuite massive des investissements étrangers, augmentation du chômage, etc.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/03/21/la-tyrannie-du-productivisme-detat-a-propos-congres-national-du-peuple-de-chine-de-2024/
En réponse à ces problèmes, le Premier ministre Li Qiang [1] a présenté un rapport qui n'est rien d'autre qu'une longue liste de mesures définit par ses 26 ministères et qui fait penser à l'inventaire d'une épicerie. Il y a en fait quelque chose de plus : des slogans creux. Le mystère plane toujours sur ce que Li Qiang a dans la tête quant à la stratégie globale à appliquer pour résoudre la crise qui se dessine. Il a reconnu qu'il y avait eu des « difficultés et problèmes entremêlés », mais il a rassuré son auditoire sur le brillant avenir de la Chine : « sous la ferme direction du Comité central du PCC, avec le camarade Xi Jinping à sa tête, le peuple chinois a le courage, l'ambition et la force de relever n'importe quel défi et de surmonter n'importe quel obstacle ». De fait, il a mentionné Xi à 19 reprises, le couvrant d'éloges en tous genres. S'il y a un thème principal qui revient dans l'inventaire de l'épicerie dressé par le Premier ministre, c'est bien le culte du dirigeant suprême.
Le Premier ministre et son inventaire d'épicier
Mais c'est précisément la raison pour laquelle ce rapport doit nous inquiéter. Non pas que le ralentissement économique actuel soit entièrement imputable à Xi. Bien avant son arrivée au pouvoir, les déséquilibres économiques entre l'investissement, la production et la consommation avaient déjà atteint des proportions gigantesques et le jour du bilan approche. Mais le problème de Xi, c'est que ses orientations ont encore aggravé les déséquilibres et que, dans certains domaines, il s'est tout simplement tiré une balle dans le pied, comme l'a montré sa politique du « zéro covid ». Sa politique de répression disproportionnée à Hong Kong a non seulement anéanti l'opposition et les organisations syndicales, mais a aussi largement contribué à tuer la poule aux œufs d'or de l'État-parti – le marché financier de la ville a toujours été la planche à billets de Pékin, mais aujourd'hui Hong Kong c'est « fini », comme l'a annoncé Stephen Roach, ancien président de Morgan Stanley Asia, qui avait commencé à travailler dans cette ville à la fin des années 1980. Certains grands médias occidentaux ont expliqué à Pékin qu'il devrait faire ce que Wen Jiabao, son prédécesseur, avait fait en 2008 et 2009, en lançant un plan de sauvetage de 634 millions de dollars US pour stimuler l'économie stagnante ou, du moins, faire quelque chose pour renforcer la confiance des consommateurs. Même si leurs conseils sont très discutables, le cœur du problème à l'heure actuelle est que Pékin n'a aucune stratégie crédible pour faire face à l'affaissement de l'économie.
Pour mieux comprendre le problème structurel de l'économie chinoise, il nous faut sans doute revenir à l'époque de Mao et, au terme de ce voyage, nos lecteurs comprendront que, malgré toutes les ruptures entre la Chine de Mao et celle de Deng, il y a aussi une grande continuité – l'empressement à « dépasser la Grande-Bretagne et à rattraper les États-Unis » a traversé les deux époques, d'où cette stratégie de croissance fondée sur un taux d'investissement anormalement élevé qui est resté remarquablement le même. C'est tellement évident pour Li Qiang qu'il n'a pas pris la peine de développer ce point. Il lui suffisait de perpétuer la tradition du PCC. Nos lecteurs se doivent cependant de réexaminer cette question dont on ne parle pas assez, mais qui est d'une importance capitale, car cela permettra non seulement de mettre en lumière l'absurdité de la stratégie, mais aussi de mieux cerner le degré de réussite de la politique économique de Pékin.
« La production doit avoir la priorité sur le niveau de vie »
À l'époque de Mao, le programme d'industrialisation rapide du parti a été mis en œuvre par le biais de l'« économie planifiée ». Mais la tension entre le gouvernement central et les bureaucraties provinciales a toujours été l'un des principaux obstacles à une croissance moins déséquilibrée de l'économie. L'« économie à planification centralisée » était tristement connue pour son manque d'efficacité, et les gouvernements provinciaux manquaient toujours de matériel, de main-d'œuvre qualifiée ou simplement de mesures incitatives, ce qui ne tardait pas à contraindre le gouvernement central à recourir périodiquement à l'allocation de ressources et de moyens – non pas aux populations locales, mais à la bureaucratie des provinces. Ces dernières, poussées par leurs propres intérêts, ont toujours été prêtes à saisir toute occasion d'obtenir plus de pouvoir (et donc plus d'intérêts matériels), avant de réaliser que l'heure des comptes n'allait pas tarder à arriver, car la décentralisation provoquait un surinvestissement et un chaos suffisant pour convaincre le gouvernement central de reprendre le pouvoir aux provinces. Ce « cycle » de shou, si, fang et luan [2], ou répétition de la centralisation, de la décentralisation et de la recentralisation, a affecté l'économie dès le départ.
Par l'exploitation impitoyable des surplus de main-d'œuvre, le régime a permis à l'État de financer un taux d'investissement absurdement élevé entre 1958 et 1980, qui a toujours été de près de 30% (sauf au lendemain de la famine du début des années 1960). Cela s'est traduit non seulement par de nombreux gaspillages, mais aussi et surtout par une baisse du niveau de vie des gens ordinaires. Les salaires ont été gelés pendant toute la période, malgré une croissance économique annuelle moyenne de plus de 4%. En réponse aux travailleurs mécontents, la propagande du parti a mis en avant le slogan « la production doit avoir la priorité sur les conditions de vie du peuple » [3].
Les quatre décennies de « réforme et d'ouverture » ont été une période où le capitalisme d'État (en partenariat avec le secteur privé) allait remplacer « l'économie planifiée », mais le taux d'investissement absurdement élevé promu par l'État s'est perpétué jusqu'à aujourd'hui. Aujourd'hui, il est même beaucoup plus élevé, dépassant les 30% et se maintenant à plus de 40% au cours des 20 dernières années, au prix d'une chute brutale de la part relative de la consommation des ménages dans le PIB, qui est passée de plus de 50% au début des années 1980 à moins de 35% en 2010. Même si elle a commencé à augmenter depuis lors, elle n'a jamais atteint 40% au cours des dernières années. La raison principale de cette baisse de la consommation des ménages est la diminution de la part des revenus du travail dans le revenu national.
Deux universitaires chinois ont mis en garde contre cette situation il y a déjà quelques années dans un article dont voici un extrait :
« Le taux d'investissement de la Chine est supérieur de 30% à la moyenne mondiale, tandis que son taux de consommation est inférieur de 30% à la moyenne mondiale … et il en a résulté des capacités de production en excédent qui deviennent de plus en plus sérieuses. »
Exporter les excédents de capacité
Pékin n'avait pas l'intention d'abandonner son obsession productiviste tant qu'elle pouvait continuer à exporter ses capacités excédentaires. L'annonce récente selon laquelle, les ventes de voitures électriques BYD ayant dépassé celles de Telsla, les États-Unis et l'Europe envisagent désormais des mesures de rétorsion, n'est qu'un exemple parmi d'autres de la manière dont l'atelier du monde, qui exporte ses problèmes dans le monde entier, suscite de plus en plus de ressentiment et de mesures de rétorsion de la part des autres pays.
En ce qui concerne le marché intérieur, le PCC n'a pas tenu compte de la contrainte que représente le niveau relativement faible du revenu disponible des ménages parmi la population active, et a continué à encourager les gens à acheter leurs propres maisons, puis leurs résidences secondaires, tout en permettant aux gouvernements locaux d'accumuler des dettes dans le seul but de promouvoir le marché immobilier et leurs projets d'urbanisation. Maintenant, le jour du bilan est arrivé, et le cycle d'expansion a tourné à la débâcle. Xi est bien intervenu pour faire face à la méga-bulle à la fin de 2020 (la politique des trois lignes rouges), mais il était trop tard.
Il a assisté à la croissance rapide de la bulle depuis son arrivée au pouvoir en 2012, mais pendant dix ans, il n'a rien fait de substantiel pour refroidir la spéculation folle, sans même parler de rectifier le tir par rapport aux problèmes structurels que pose le productivisme. « Accumuler, accumuler ! C'est Moïse et les prophètes ! ». Mais le capitalisme victorien de libre marché tel que Marx le décrivait faisait pâle figure face au capitalisme d'État chinois d'aujourd'hui. La vérité dérangeante est cependant qu'il y a toujours une limite à tout, notamment pour ce qui est de la pulsion d'accumulation et de la pulsion d'abus de pouvoir. Dans le cas de la Chine, nous sommes aujourd'hui en grande difficulté parce que ces deux pulsions sont enchevêtrées, comme nous l'a révélé le Congrès national du peuple en cours.
Que faire si le pilote n'a jamais piloté d'avion ?
Cette session du Congrès était très différente des précédentes, car il a été mis fin à la tradition qui voulait que le Premier ministre tienne une conférence de presse à la fin de la session, comme cela avait été le cas chaque année depuis 1993. Cela avait toujours été un moment très important pour permettre aux observateurs extérieurs d'avoir un aperçu de l'équilibre des pouvoirs entre les différentes factions au sommet de l'État. Donner la vedette au Premier ministre est un héritage politique de Deng Xiaoping : « Nous ne permettrons jamais que l'emprise du parti sur le gouvernement se relâche, pas même d'un seul millimètre, mais nous ne permettrons pas non plus le retour à l'autocratie de l'époque de Mao ». Cependant, c'est précisément ce que Xi fait en ce moment, à savoir non seulement en revenir à l'autocratie, mais aussi faire de son abus de pouvoir la nouvelle normalité. Il ne se contente pas de concentrer toutes les instances de pouvoir entre ses mains, il continue également à se placer à la tête d'une douzaine de groupes de travail de haut niveau pour acquérir encore plus de pouvoir. En pleine crise du crédit, Xi a créé en octobre dernier une nouvelle organisation, la Commission financière centrale, en apparence sous les auspices du Comité central du PPC. Bien que le chef de la CFC soit Li Qiang, la présente session du Congrès du peuple a déjà montré clairement qui est le véritable patron de cette CFC. L'intention de Xi semble être d'affaiblir davantage les institutions financières de l'État, telles que les différentes instances de régulation.
Le problème, cependant, est de savoir si Xi sait quoi que ce soit du fonctionnement du capitalisme ou de son marché financier. En janvier dernier, nous avons vu les régulateurs du marché, dans la hâte de prévenir une chute brutale, ordonner aux investisseurs institutionnels de ne pas procéder à des ventes nettes d'actions certains jours. Cela revient à fermer le couvercle d'une marmite en ébullition pour l'empêcher de déborder. Cette mesure ne fait qu'éroder davantage la confiance du marché. Pour être honnête, Li Qiang a annoncé qu'il allait émettre des obligations d'État d'une valeur de mille milliards de RMB (ou 139 milliards de dollars US) afin de lever des fonds pour soutenir une économie en manque de liquidités. Ce montant est minuscule par rapport au risque de défaillance des gouvernements locaux, qui ont une dette de 94 000 milliards de RMB, dont 3 200 milliards arriveront à échéance à la fin de l'année (source). Sans oublier que les promoteurs immobiliers ont également besoin de 2 000 milliards de dollars américains rien que pour liquider leurs stocks(source).
Le professeur Li a quelque chose à vous dire
Ou Xi a-t-il un plan plus radical en tête ? La seule chose dont nous pouvons être sûrs, c'est que Xi dispose de nombreux leviers pour résoudre la crise émergente. En cas de nouvelles désagréables sur les marchés, il peut tout simplement les faire disparaître en fumée. Après la publication en mai dernier de statistiques montrant que le taux de chômage des jeunes dépassait les 20%, le gouvernement a tout simplement cessé de publier ces chiffres. Très vite, d'autres statistiques sont venues s'ajouter à la liste des informations censurées : baisse du taux de natalité, chute de la confiance des consommateurs et des marchés financiers, etc. Notre dirigeant avait résolu tous ces problèmes en les balayant simplement sous le tapis.
Le Congrès du peuple a donc fait un excellent travail, une fois de plus, en rappelant à la population qu'avec Xi Jinping à sa tête, personne ne devrait s'inquiéter de quoi que ce soit – il est tellement doué pour éliminer les problèmes en éliminant ceux qui les ont signalés, comme le dit le proverbe chinois. Les lecteurs étrangers se rendent rarement compte du fait que, tout au long des sessions du congrès, des pétitionnaires tentent d'adresser au gouvernement toutes sortes de doléances, parce que leur apparition en public n'est pas autorisée. Les « délégués du peuple » présents dans la grande salle se moquent éperdument de ces pétitionnaires. Il en va de même pour les médias officiels. Parfois, la détresse de ces pétitionnaires est rapportée par un compte privé sur les médias sociaux. Le commentaire suivant sur ce message à propos des pétitionnaires mérite d'être cité :
« Qu'ils ont de la chance d'avoir pu quitter leur province et se rendre à Pékin ! ». (Note de l'auteur : il est courant que les autorités locales empêchent, par la force, les pétitionnaires de se rendre à Pékin pour adresser une pétition au gouvernement central).
« La conséquence désastreuse du lavage de cerveau est que les pétitionnaires ne savent pas que l'Administration nationale des plaintes et des propositions publiques (vers laquelle les pétitionnaires se tournent) n'est pas autre chose que la collaboratrice de ceux qui leur ont causé des torts ».
« Il n'y a pas d'autre solution que de renverser le Parti communiste ».
Les gens sont privés du droit d'être entendus, tout au plus peuvent-ils exprimer leur mécontentement en privé par l'intermédiaire des médias sociaux, mais même cette possibilité est régulièrement supprimée.
Aujourd'hui, c'est le très connu « Professeur Li » qui « est devenu un organe d'information à lui tout seul et une source essentielle d'informations sur les manifestations en Chine tant pour les personnes qui se trouvent à l'intérieur que pour celles qui se trouvent à l'extérieur du grand pare-feu informatique », comme l'a rapportéThe Nation. Le professeur Li est un immigré chinois de 32 ans qui vit en Italie, mais il a suffisamment de contacts chinois pour publier toutes sortes d'informations sur son compte Twitter. Il est devenu célèbre lors du mouvement du Livre blanc à la fin de l'année 2022. Selon des informations récentes, les autorités ont décidé de s'en prendre à lui en harcelant ses abonnés en ligne, dont le nombre s'élève à un million. Les lecteurs étrangers qui souhaitent écouter les voix d'en bas sont invités à suivre « Teacher Li » – mais si vous le faites, surveillez vos arrières.
Au Loong-yu
Traduction de Pierre Vandevorde pour ESSF avec l'aide de DeepL pro.
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article70188
[1] Ne pas confondre Li Qiang avec le précédent Premier ministre Li Keqiang, qui a été mis de côté sans cérémonie en mars 2023.
[2] “一收(權)就死,一死就放(權),一放就亂,一亂就收(權)“
[3] “先生產,後生活“
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Des dizaines de milliers de personnes dans les rues de Jérusalem pour dénoncer l’“échec de Nétanyahou”

Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont manifesté dimanche 31 mars contre le gouvernement de Benyamin Nétanyahou, rapporte la presse internationale. Un mouvement inédit depuis les attaques du 7 octobre, qui fragilise un peu plus la coalition ultra-conservatrice du Premier ministre israélien.
Tiré de Courrier international. Légende de la photo : À Jérusalem, le 31 mars 2024. Les manifestants qui protestent contre le gouvernement de Benyamin Netanyahou, ont prévu de rester quatre jours dans la ville sainte. Ils réclament des élections anticipées. Photo Ronen Zvulun/Reuters.
La guerre entre Israël et le Hamas continue, mais l'unité nationale israélienne semble se craqueler. Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont marché dans la soirée du 31 mars à Jérusalem contre la coalition menée par Benyamin Nétanyahou.
“Il s'agit de la plus grosse manifestation depuis le 7 octobre, lorsque la guerre [contre le Hamas] a mis fin à plusieurs mois de protestations contre le gouvernement israélien et contre ses efforts pour réformer le système judiciaire”, précise The Times of Israel. Les protestataires entendent occuper la ville sainte pendant quatre jours.
“Nous avons besoin d'élections anticipées, explique l'un d'entre eux dans les pages du journal israélien. Le gouvernement n'a plus le soutien du peuple.” Un autre participant ajoute :
- “Ce pays, autrefois si prospère, est maintenant dirigé par ce politicien et ses hommes de main, ce n'est pas croyable… ”
Les manifestants demandent aussi la conclusion d'un accord avec le Hamas pour obtenir la libération des otages israéliens toujours détenus à Gaza. “La lenteur des négociations, les nombreux retards engendrés par les décisions de Nétanyahou et, surtout, son manque constant d'empathie à l'égard des souffrances des otages ont fini par avoir raison des espoirs de nombreuses familles d'otages”, analyse Ha'Aretz. Einav Zangauker, la mère de l'un de l'un d'entre eux, a notamment accusé le dirigeant israélien d'être un “obstacle” à la libération de son fils.
Convergence des luttes
Des critiques auxquelles Benyamin Nétanyahou a répondu dimanche soir. D'après The Times of Israel, il a assuré “comprendre le désespoir des familles et leur besoin de tout faire pour faire revenir leurs proches”, mais estimé que des élections anticipées iraient à l'encontre d'un tel objectif et donnerait l'avantage au Hamas. “En tant que Premier ministre israélien, je fais et ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour ramener nos compatriotes au bercail”, a-t-il déclaré. Ses partisans ont quant à eux dénoncé des manifestations qui fragilisent Israël à un moment critique.
Pour le correspondant à Jérusalem du Financial Times, les négociations avec le Hamas ne sont pourtant pas les seules épines au pied du gouvernement. Dimanche, un autre groupe de manifestants s'est rendu dans le quartier ultraorthodoxe de Mea She'arim pour demander la fin de la très controversée exemption militaire des hommes ultraorthodoxes, en vigueur depuis la création de l'État hébreu, en 1948. “Des agents de police sont intervenus pour séparer les manifestants de résidents ultraorthodoxes, mais les organisateurs de la manifestation ont accusé ces derniers de leur avoir jeté des œufs.”
Les divisions politiques occultées par la guerre contre le Hamas refont surface dans l'État hébreu. The Jerusalem Post note que c'est la première fois que des familles d'otages appellent clairement à des élections anticipées. “Jusqu'à présent, il y avait deux mouvements différents : ceux qui demandaient la libération des otages et s'attiraient ainsi la sympathie de presque tout le pays, et ceux qui demandaient de nouvelles élections, des militants politiques avec un objectif clair et un soutien populaire moins large, bien que conséquent, explique le titre conservateur. Ils se sont rassemblés en un seul mouvement.”
Isolé sur la scène internationale
Dans un article d'opinion, Ha'Aretz rappelle quant à lui que ces protestations interviennent alors que l'État hébreu est de plus en plus isolé sur la scène internationale. Même les États-Unis, “le pays qui a été à nos côtés depuis le début de la guerre”, n'ont pas mis leur véto lors du vote d'une résolution de l'ONU appelant à un cessez-le-feu à Gaza. Une preuve, s'il en faut, que “Nétanyahou a échoué” et qu'il faut “retourner dans la rue” pour protester contre sa politique.
Un nouveau cycle de négociations doit reprendre à Doha, au Qatar, entre Israël et le Hamas. Mais en ce début de semaine, le gouvernement israélien a aussi approuvé une nouvelle offensive sur la ville de Rafah, au sud de l'enclave de Gaza, affirme la correspondante en Israël du Times. Nétanyahou “a assuré que rien n'empêcherait l'armée israélienne d'entrer dans la ville, où se trouvent 1,5 million de déplacés, ajoutant qu'il ne céderait ‘ni aux pressions américaines, ni à aucune pression'.”
De son côté, le Hamas s'est pour la première fois excusé dimanche auprès des Gazaouis pour les difficultés causées par la guerre sur sa chaîne Telegram, sans pour autant abandonner son ambition de poursuivre la guerre.
Marie Daoudal
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Ces privilèges indus des ultraorthodoxes qui sapent Israël

L'État hébreu accorde de nombreux avantages à la communauté haredi, comme l'exemption du service militaire, de plus en plus contestée et qui pourrait partiellement prendre fin lundi 1er avril. Paradoxalement, cette rupture d'égalité institutionnalisée a jusqu'ici perduré par crainte de mettre à mal la sacro-sainte unité du pays, écrivent deux chercheuses dans le quotidien israélien “Ha'Aretz”.
Tiré de Courrier international.
La notion de contrat social est au cœur de la démocratie moderne. Elle exprime les quelques idées fondamentales suivantes : l'être humain seul est faible et sans défense ; c'est en se regroupant qu'il peut acquérir plus de force pour lutter contre les menaces.
Avec le temps, les hommes ont fini par inventer l'État, qui est devenu le représentant de l'ensemble des intérêts des individus nécessaire à leur survie. L'État ne leur apporte pas seulement la sécurité, il est aussi le garant de leur liberté contre l'oppression extérieure et assure le respect de l'intérêt commun.
En contrepartie de la sécurité, de la liberté et de la jouissance de biens publics, les citoyens acceptent d'assumer des obligations qui serviront ce même intérêt commun. C'est ainsi qu'ils concluent un “contrat” avec les autres citoyens et avec l'État.
On considérerait comme féodal un État dans lequel seul un pan de la population paierait des impôts et remplirait ses devoirs (l'obligation de faire un service militaire), tandis que l'autre jouirait du privilège de pouvoir se détendre et vivre en toute sécurité. Et pourtant, c'est exactement le type de régime ubuesque sous lequel vivent actuellement les citoyens de l'État d'Israël.
Une communauté privilégiée
Selon les données fournies par le Bureau central des statistiques, un ménage juif non ultraorthodoxe paie neuf fois plus d'impôts sur le revenu par membre du foyer fiscal qu'un ménage ultraorthodoxe, lequel perçoit par ailleurs une aide financière de l'État 52 % plus élevée que celle attribuée à un ménage non ultraorthodoxe.
En outre, les écoles ultraorthodoxes privées (“reconnues, mais non officielles”) bénéficient de meilleures subventions que les autres établissements d'enseignement de statut équivalent : elles reçoivent plus de 15 000 shekels (environ 3 780 euros) par élève et par an, contre 11 000 shekels pour les écoles laïques et 8 000 pour le secteur arabe.
Il convient naturellement de mentionner aussi l'ahurissante exemption de service militaire. Selon les chiffres publiés par les forces de défense israéliennes pour l'année 2022, environ 69 % des hommes juifs de la tranche d'âge concernée étaient sous les drapeaux.
Sur les 31 % exemptés de service militaire, plus de la moitié étaient des étudiants ultraorthodoxes de yeshiva [centres d'étude de la Torah et du Talmud]. Toujours selon ces données, environ seulement 10 % des hommes ultraorthodoxes effectuent leur service militaire ; le plus souvent, il s'agit de personnes éloignées de la religion.
Une telle situation a des conséquences évidentes : les ultraorthodoxes ne connaissent pas les difficultés et les risques du service militaire et de la guerre. [Le sujet fait depuis plusieurs semaines l'objet de tiraillements au sein du gouvernement israélien, qui n'a pas réussi à trouver un accord. La Cour suprême s'est donc saisie de la question en imposant une fin de facto de l'exemption militaire pour une partie des haredim, qui doit être effective lundi 1er avril].
Ils n'ont jamais eu à vivre des deuils douloureux et ne savent pas ce que c'est que de vivre dans l'angoisse permanente de voir un proche mourir ou être mutilé à la guerre.
Sans parler du fait que les citoyens israéliens ordinaires doivent mettre entre parenthèses leur carrière et leur vie de famille pendant les trois années de service obligatoire ; après quoi, ils doivent se débrouiller pendant quarante-cinq à cinquante ans en moyenne pour gagner leur vie, en composant tant bien que mal avec les perturbations dans leur vie personnelle et les pertes financières qui vont avec le statut de réserviste. Tous ces éléments sont des caractéristiques ordinaires de la vie des non-orthodoxes.
Injustice structurelle
On observe donc trois formes d'injustice, qui se superposent et sont toutes plus scandaleuses les unes que les autres. La première, la plus évidente, c'est que les ultraorthodoxes se la coulent douce, sans avoir à se préoccuper de leur sécurité, aux dépens des citoyens qui travaillent dur tout en se battant pour assurer la défense du pays. La deuxième, c'est que les ultraorthodoxes ont droit à une plus grande part du gâteau qu'ont préparé péniblement les autres. La troisième injustice, enfin, c'est qu'ils jouissent tranquillement, grâce à ce gâteau qu'ils n'ont pas fait eux-mêmes, d'un grand bien-être émotionnel dans des conditions de sécurité parfaite.
Or, cette situation d'asymétrie et d'injustice est sur le point de s'aggraver. En effet, si le projet de loi actuellement devant la Knesset est adopté, les futures recrues auront à faire un service militaire plus long, et leur période de réserviste sera également prolongée de plusieurs années. D'autre part, l'accroissement des effectifs militaires devrait se traduire par une augmentation des impôts, et l'on sait bien qui va devoir supporter cette nouvelle charge…
Certes, il existe des inégalités dans toutes les sociétés, car elles découlent, qu'on le veuille ou non, des structures économiques. Mais en Israël, elles proviennent de décisions délibérées issues d'accords de coalitions politiques. Elles sont inscrites dans le système social lui-même. Israël est le seul pays au monde où les privilèges d'un groupe et les inégalités sont déclarés et inscrits dans la loi comme partie intégrante d'un contrat social indécent.
Par ailleurs, il est à noter qu'en Israël, ces inégalités sont fondées sur la naissance. Dernier point : alors que dans la plupart des sociétés en butte à de graves inégalités, l'État tente de les combattre et de rectifier le tir, en Israël, l'injustice est non seulement imposée par l'État à ses citoyens, mais elle s'accroît au fil du temps, en raison de la croissance démographique de la population ultraorthodoxe.
Quel est le rôle de l'État ?
L'accroissement des inégalités s'explique également par l'augmentation du poids politique des partis ultraorthodoxes. De ce fait, ceux-ci peuvent mieux négocier des avantages pour leur propre camp et s'exonérer des charges croissantes qui pèsent sur les autres citoyens israéliens (ils ne sont notamment pas concernés par les réductions budgétaires imposées par les amendements proposés au budget 2024).
Le cas des ultraorthodoxes en Israël n'a pas d'équivalent dans le monde. L'exemple sans doute le plus choquant de la partialité de ce contrat social est le projet de loi visant à inscrire l'étude de la Torah dans une loi fondamentale. Proposé par les membres ultraorthodoxes de la Knesset en juillet 2023, le projet de loi met l'étude du Talmud sur le même plan que le service militaire, en décidant que “ceux qui auront consacré une longue période de leur vie à l'apprentissage de la Torah” pourraient être considérés comme ayant rendu un “service conséquent” à l'État d'Israël “dans le cadre de leurs droits et devoirs”.
La distorsion des relations entre les ultraorthodoxes, les autres citoyens d'Israël et l'État a des effets encore plus profonds : elle porte atteinte au contrat social israélien dans son ensemble. En effet, dès lors qu'un groupe établit une relation unilatérale avec l'État qui lui sert à promouvoir ses petits intérêts sectoriels, d'autres groupes, comme celui des colons, peuvent se sentir en droit de demander à bénéficier d'un régime préférentiel. L'État est réduit au rang de simple réservoir de ressources que différents groupes tentent de s'approprier.
C'est parce que l'État sert de plus en plus les intérêts des ultraorthodoxes et de leurs alliés, les colons, qu'il a lamentablement laissé tomber les plus de 100 000 personnes qui ont été évacuées du nord du pays dans des conditions traumatisantes, en réaction directe aux massacres et aux attaques.
Comme nous l'avons vu le 7 octobre, l'État n'a pas été en mesure de garantir une sécurité minimale ; il n'a pas pu offrir un soutien immédiat et correct, à la fois sur le plan moral et matériel, aux agriculteurs ou aux entreprises, et il a fallu faire appel au bénévolat pour combler ses lacunes. Plus étonnant encore, ceux qui travaillent, servent dans l'armée et meurent au combat sont précisément ceux qui ont envoyé des vêtements, cueilli des fruits et des légumes dans des champs déserts, informé les familles désemparées du sort de leurs proches et apporté du réconfort aux personnes en deuil.
Si l'État a brillé par son absence, c'est tout simplement parce qu'il n'est plus à leur service. Le contrat n'existe que dans un sens : les citoyens non orthodoxes sont au service de l'État, lequel est au service des ultraorthodoxes. N'importe quel autre peuple aurait depuis longtemps fomenté une insurrection contre un tel ordre social qui défie toute rationalité et menace l'avenir de l'État. Pourquoi cela n'a-t-il pas été le cas ?
Le piège de l'unité nationale
Dans la célèbre parabole du jugement de Salomon, la véritable mère de l'enfant dont une autre lui dispute la maternité préfère renoncer à sa revendication plutôt que de voir souffrir son enfant. Le fait qu'elle soit prête à se séparer de ce qui fait sa plus grande joie pour le bien du bébé met en évidence ses liens de filiation avec lui. À l'image de cette mère, le camp démocratique est prêt à tout perdre pour garder entier le bébé qu'il nomme “l'unité de la population”.
Selon la Guemara [un commentaire de la Mishna, le premier recueil de la loi juive], le Second Temple a été détruit à cause de la sinat hinam (la “haine gratuite”). On voit donc que l'idée qu'une division au sein du peuple juif peut avoir des répercussions graves, voire catastrophiques, est profondément ancrée dans la pensée juive et, depuis le 7 octobre, la notion de sinat hinam ne cesse d'être évoquée.
Pour cette raison, ceux qui se sentent responsables de l'État hésitent à provoquer des divisions au sein de la population. Mais il s'agit là d'une position à la fois erronée et dangereuse, car le pays est dirigé par des personnes qui ont prouvé, à maintes reprises, qu'elles ne se soucient pas du bien commun ni d'un avenir durable pour Israël.
De plus, la population est déjà profondément divisée entre ceux qui veulent détruire la démocratie et ceux qui veulent la préserver, entre ceux qui veulent construire une théocratie et ceux qui veulent asseoir la légitimité internationale d'Israël. Le bébé a déjà été coupé en deux, et le sage dirigeant a été remplacé depuis longtemps par de détestables hommes politiques uniquement soucieux de leurs propres intérêts.
En temps normal, nous devrions tous tendre vers l'unité et la fraternité. Mais dans le contexte israélien, ce serait une grave erreur, car ces appels à l'unité sont exploités sans vergogne par ceux qui ont semé la discorde et la haine au sein de la population, à commencer par le Premier ministre, Benyamin Nétanyahou.
Le 7 octobre a révélé et mis à nu tout le délabrement des infrastructures de l'État, qui menace la nation même. C'est pourquoi, le véritable peuple d'Israël – celui sans lequel l'État ne pourrait exister – doit reprendre possession de son pays. Il doit retrouver sa souveraineté en tant que peuple israélien et réécrire un contrat social juste. Il n'y a pas, tout simplement, d'autre moyen de sauver Israël !
Les autrices
Eva Illouz est une sociologue et universitaire franco-israélienne, autrice d'une vingtaine d'ouvrages à succès explorant les liens entre les émotions intimes et les systèmes politiques. Mais depuis le 7 octobre, cette opposante au Premier ministre Benyamin Nétanyahou est très régulièrement interrogée sur la guerre qui fait rage entre Israël et le Hamas.
Tamar Hostovsky Brandes est une juriste israélienne, notamment spécialiste en droit constitutionnel, et maître de conférences à l'Ono Academic College et chercheuse associée au centre de recherches de l'Institute for Israeli Thought, tous deux situés à Tel-Aviv.
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

L’autorité palestinienne dénonce le plan israélien d’une zone tampon : Gaza risque de perdre 16% de son territoire

L'occupant sioniste est en train de mettre en place un plan machiavélique d'une annexion partielle qui ne dit pas son nom. « Israël perpétue son occupation militaire de la bande de Ghaza en délimitant la soi-disant zone tampon qui dévore une grande partie de la bande et la démembre », a dénoncé hier le département des Affaires étrangères de l'Autorité palestinienne.
Tiré d'El Watan.
Au nom de la préservation de sa sécurité, l'Etat hébreu a mis en œuvre un plan consistant à créer une zone tampon dans la bande de Ghaza assortie de l'annexion de larges pans d'un territoire déjà étriqué et d'un morcellement poussé de l'enclave assiégée.
Selon plusieurs médias dont le journal israélien Haaretz, l'opération que mène l'armée israélienne pour établir cette zone tampon va conduire à l'amputation de 16% du territoire de la bande de Ghaza.
Un plan qu'a dénoncé vigoureusement le département des Affaires étrangères de l'Autorité palestinienne hier à travers un communiqué relayé par l'agence Wafa. « Israël perpétue son occupation militaire de la bande de Ghaza en délimitant la soi-disant zone tampon qui dévore une grande partie de la bande et la démembre en érigeant des constructions transversales et des routes longitudinales », a fustigé hier le ministère palestinien des Affaires étrangères.
En exécutant ce plan, Israël a « transformé le territoire en zones isolées », comme le montre « la séparation du nord de la bande de Ghaza de son centre et de son sud », et « l'encerclement et l'isolement de Rafah », constate la même autorité.
On assiste en outre à une « fermeture complète de toutes les frontières de la bande de Ghaza » et à la « poursuite de sa destruction zone après zone, la transformant en un lieu impropre à la vie humaine » relève le département palestinien des Affaires étrangères avec effroi.
Contrôle militaire de Ghaza
Alors que l'armée israélienne s'est formellement retirée de la bande de Ghaza en 2005, le ministère palestinien des Affaires étrangères et des Expatriés considère qu'Israël vise en réalité à « consolider son contrôle militaire et sécuritaire sur la bande de Ghaza en la séparant complètement de la Cisjordanie occupée, sapant ainsi les efforts internationaux déployés pour unifier la géographie de l'Etat de Palestine sous une légitimité palestinienne reconnue ».
Le communiqué prévient que « tout arrangement qui ne s'appuie pas sur une pleine coordination avec les dirigeants palestiniens, et qui n'est pas pensé dans le cadre d'une solution politique claire garantissant l'incarnation de l'Etat palestinien sur les frontières du 4 juin 1967 soutenue par une résolution contraignante du Conseil de sécurité de l'ONU, est une perte de temps et prolonge le conflit et le cycle des guerres et des violences ».
Le département palestinien des AE préconise de « traduire rapidement le consensus international sur la solution à deux Etats en mesures pratiques pour résoudre le conflit conformément aux dispositions de la légitimité internationale ».
Jeudi dernier, le journal israélien Haaretz rapportait : « Israël poursuit actuellement un projet massif dans la bande de Ghaza : l'établissement d'une zone tampon adjacente à la barrière frontalière. La zone prévue aura une largeur d'environ un kilomètre et, une fois achevée, englobera environ 16% de la superficie de la bande de Ghaza ».
Le journal ajoute que le plan en question prévoit également un « couloir de contrôle est-ouest pour surveiller les Palestiniens se déplaçant vers le Nord ». Dans son édition en ligne du 4 février 2024, le magazine Géo titrait : « Israël a-t-il déjà commencé, à coups de bulldozers, l'annexion d'une partie de Ghaza ? » Le magazine évoquait dans cet article une « zone tampon mordant sur de nombreuses terres palestiniennes ».
Citant une enquête du journal britannique The Telegraph, le magazine note : « Cette zone de sécurité encerclerait la bande et serait d'un kilomètre de largeur. 1072 bâtiments dans son périmètre ont été détruits, selon le Telegraph, sur les 2824 en place (…). Selon Israël, ces constructions ont été démolies pour des raisons de sécurité, entraînant la disparition de maisons, champs, écoles ou encore mosquées ».
Des vergers entiers détruits par les bulldozers
Dans son édition du 2 février 2024, The Telegraph publiait, en effet, une enquête fouillée sous le titre : « La nouvelle frontière israélienne avec Ghaza ». Une équipe du quotidien britannique a mené des investigations sur une base cartographique, à partir d'images satellite, sur la transformation du territoire de Ghaza depuis l'invasion israélienne le 27 octobre 2023. « Les images satellite analysées par The Telegraph montrent plus de 1000 bâtiments détruits autour du périmètre terrestre de Ghaza », révèle le journal.
Et de préciser : « Le Telegraph a été témoin direct des destructions généralisées lors d'un récent voyage à travers la prétendue zone tampon. Les Forces de défense israéliennes (FDI) ont déclaré qu'elles faisaient exploser des bâtiments en montrant des preuves d'infiltration du Hamas.
Une analyse plus approfondie utilisant des images satellite prises le long de la frontière a révélé des centaines de maisons rasées, des champs et des vergers détruits, des services publics explosés et des écoles et des mosquées rasées. »
Le journal poursuit : « La zone autour de la ville de Beit Hanoun était autrefois célèbre pour ses vergers et son agriculture, avec ses plantations d'agrumes, ses arbres fruitiers et ses cultures de figues de Barbarie. Mais une grande partie de ces vergers a été détruite par les bulldozers de Tsahal envoyés pour tracer de nouvelles routes et ouvrir la voie aux véhicules militaires utilisés lors de l'invasion terrestre.
Les arbres fruitiers, les champs et les serres semblent avoir été enfouis dans le sol (…). Presque toute trace de verdure a disparu. La limite nord-est de Beit Hanoun montre environ 150 bâtiments proches de la ‘‘zone tampon'' complètement détruits, tandis que les maisons autour de la zone sont parsemées de dégâts causés par l'invasion. »
Le journal en ligne The Times of Israël a publié de son côté, le 25 mars dernier, un long papier sur le même sujet. « D'une zone tampon à des drones d'attaque en passant par des troupes supplémentaires, l'armée prévoit d'assurer la sécurité d'Israël en adoptant une approche de tolérance zéro », résume l'article en exergue.
« Le processus consistera pour Tsahal à passer de mesures défensives plus passives à l'adoption d'une doctrine de sécurité qui verra les habitants de Ghaza repoussés loin de la frontière et une force renforcée le long de la clôture activement engagée dans le maintien de la sécurité des villes israéliennes en renforçant la capacité de dissuasion », explique le site israélien.
Et de faire remarquer que « les responsables prennent soin d'utiliser le terme ‘‘zone tampon'' et non ‘‘zone de sécurité'', de peur qu'il ne rappelle la zone de sécurité du Sud-Liban maintenue par l'armée israélienne de 1985 à 2000 et considérée internationalement comme une ‘‘occupation militaire'' ».
Violences géographiques
The Times of Israël précise que « la décision de créer une zone tampon a été prise au début de la guerre, après que les massacres du 7 octobre ont amené Tsahal à conclure qu'un dispositif d'alerte précoce reposant sur le renseignement et la surveillance était insuffisant pour protéger les villes israéliennes proches de la frontière de Ghaza ».
Le site d'information indique par ailleurs : « Outre la destruction de dizaines de kilomètres de tunnels, la création de la zone tampon implique de déblayer toute végétation, y compris les champs agricoles, et de raser les maisons et autres bâtiments. » L'auteur de l'article s'est déplacé dans une localité frontalière, en l'occurrence le village palestinien de Khuzaa.
Il établit ce constat : « La destruction est évidente à Khuzaa, dont l'extrémité orientale longe pratiquement la frontière. Les maisons qui se trouvaient à quelques centaines de mètres de la clôture avant la guerre sont aujourd'hui réduites à l'état de ruines. »
Le média israélien précise que l'Etat hébreu s'est même préparé à mener une bataille juridique pour aménager cette zone tampon en violation du droit international. « L'armée travaille toujours sur le plan administratif de la zone tampon : son aspect, les capacités qu'elle comprendra, les règles d'ouverture du feu sur ceux qui y pénètrent et la possibilité d'une démarcation visible de l'endroit où elle commence.
Ce travail est effectué en collaboration avec la division juridique de Tsahal, qui pourrait un jour avoir à défendre la décision d'exproprier une parcelle de terre de la bande de Ghaza », affirme l'auteur du papier.
Plusieurs pays avaient mis en garde Israël contre toute velléité d'altération géographique de la bande de Ghaza. Même l'administration américaine s'est opposée à la création de cette zone tampon.
Le 24 janvier dernier, le porte-parole du Conseil de sécurité nationale à la Maison-Blanche, John Kirby, avait clairement fait savoir dans une conférence de presse : « Notre point de vue sur cette question n'a pas changé. Nous ne voulons pas voir le territoire de Ghaza réduit d'aucune façon, et nous ne soutenons pas cela. »
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Benyamin Nétanyahou, le pire ennemi d’Israël ?

Chaque semaine, “Courrier international” explique ses choix éditoriaux et les débats qu'ils suscitent au sein de la rédaction. Dans ce numéro, nous revenons sur les lourdes conséquences du jusqu'au-boutisme du Premier ministre israélien. Pour la presse étrangère, Nétanyahou est en train de faire de son pays un état paria, isolé du reste du monde et mis en cause par la justice internationale. Face à la catastrophe humanitaire à Gaza, les opinions se sont retournées et les alliés traditionnels d'Israël, dont les Américains, prennent leurs distances. Décryptages.
Tiré de Courrier international.
“Benyamin Nétanyahou est devenu un fardeau pour Israël. Il l'expose à des risques stratégiques qui pourraient lui coûter très cher” : voilà ce qu'écrit Ha'Aretz dans son éditorial daté du mardi 26 mars, jour de notre bouclage. Trop tard pour que l'article soit intégré à notre dossier, mais le ton est donné. Pour le grand quotidien de gauche israélien, le Premier ministre “mène Israël à sa perte” et nuit délibérément aux citoyens israéliens. Il doit donc démissionner.
La veille, et pour la première fois, le Conseil de sécurité des Nations unies avait adopté un texte appelant à un cessez-le-feu immédiat à Gaza, et ce grâce à la position des Américains, qui n'y ont pas mis leur veto. Une autre première, et non des moindres au vu du soutien jusque-là indéfectible à l'État hébreu affiché par l'administration Biden. Mais le vent tourne.
Mi-mars déjà, le chef de file de la majorité au Sénat américain, Chuck Schumer, avait sonné la charge et “accusé Nétanyahou de faire passer sa survie politique avant l'intérêt supérieur de son pays”, rappelle David Hearst dans Middle East Eye. Chuck Schumer est le plus haut responsable juif aux États-Unis, explique le journaliste, et sa voix compte particulièrement. “Israël ne peut pas survivre s'il devient un paria”, avait encore asséné le démocrate. Il n'est pas le seul à employer la formule.
Près de six mois après les attaques terroristes du Hamas, le 7 octobre, le jusqu'au-boutisme de Benyamin Nétanyahou, au prétexte de vouloir éradiquer à n'importe quel prix le Hamas, a fini par retourner l'opinion mondiale contre son pays. Un aveuglement qui pourrait menacer à terme la sécurité même d'Israël, constate la presse étrangère. Dans ces conditions, et alors que les négociations pour un cessez-le-feu piétinent, il nous paraissait plus qu'urgent de monter ce dossier.
Alors que la guerre aveugle menée par Israël a déjà fait plus de de 32 000 morts, dont 13 600 enfants, selon l'Unicef – “la bande de Gaza est aujourd'hui l'endroit le plus dangereux du monde pour un enfant”, dénonçait récemment l'organisation –, plus de 1 million de personnes sont menacées de famine à court terme dans la bande de Gaza. “Dans le nord de Gaza, il n'y a pratiquement aucune nourriture disponible. Les gens ont recours à la nourriture pour animaux, aux graines pour oiseaux pour rester en vie. Certains n'ont plus que de l'herbe à manger”, écrivait récemment le responsable d'une organisation caritative dans The Guardian.
Des bilans désormais insupportables aux yeux d'une très large partie du monde. Plus rien ne peut excuser ce qui se passe à Gaza ni l'acharnement de Nétanyahou. “La perte du soutien de l'opinion publique en Occident, les accusations de génocide portées devant la Cour internationale de justice, l'érosion du consensus au sein du peuple juif et la nervosité des partenaires financiers de l'État hébreu sont autant d'éléments qui laissent présager une défaite stratégique pour Israël”, avance Middle east eye.
Dans Ha'Aretz encore, le journaliste Alon Pinkas explique pourquoi cette guerre en fait est un aller simple vers l'“isolement d'Israël”. Dans The Jerusalem Post, Douglas Bloomfield se demande, lui, si Gaza n'est pas “le Vietnam d'Israël”. Le 12 mars, l'organisation Commanders for Israel's Security, qui rassemble plus de 500 anciens responsables sécuritaires israéliens, s'est fendu d'une lettre encore plus explicite, relayée par The Times of Israel, accusant Nétanyahou et ses alliés extrémistes de saper la sécurité de l'État hébreu.
Aujourd'hui, c'est une autre menace qui pèse sur Nétanyahou : le débat autour du statut particulier des ultraorthodoxes dans la société israélienne, explique quant à lui Yair Rosenberg dans The Atlantic. Les haredim sont en effet exemptés du service militaire depuis 1948. Une exception de plus en plus contestée en Israël, y compris au sein de l'extrême droite, qui pourrait faire imploser la coalition au pouvoir.
“À l'heure actuelle, je crains qu'Israël ne soit davantage synonyme de forteresse que de douceur du foyer. Ce pays n'offre ni sécurité ni bien-être, et mes voisins expriment souvent des doutes et des exigences à l'égard des pièces et des murs du foyer en question, voire de son existence même”, écrivait récemment l'écrivain David Grossman dans une tribune publiée par The New York Times et que nous avons traduite en français. Un texte à relire absolument.
Claire Carrard
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Alors que la CIJ et des juristes évoquent des génocides plausibles à Ghaza : Les alliés d’Israël poursuivent leurs envois d’armes

Pendant que la famine s'installe à Ghaza où la population continue d'être la cible des bombardements sionistes incessants, faisant près d'une centaine de morts chaque jour, Washington vient d'autoriser le transfert de près de 2,3 milliards de dollars d'armement militaire vers l'Etat hébreu. A Londres, un groupe d'avocats et de juristes a « averti » le gouvernement britannique sur le fait qu'Israël viole le droit international et conseillé de « cesser immédiatement » toute vente d'armes à Tel-Aviv.
Tiré d'El Watan.
Tout en se déclarant publiquement contre une offensive terrestre contre Rafah, Washington vient d'autoriser le transfert de près de 2,3 milliards USD d'armement vers l'entité sioniste. Dans le lot, figurent des avions de combat ainsi que plus de 1 800 bombes MK84, des engins de près de 900 kg chacun et 500 bombes MK82 de 500 livres.
Il est important de rappeler que les bombes de 900 kg sont extrêmement redoutables et peuvent raser des quartiers entiers. Raison pour laquelle beaucoup les qualifient de bombes à destruction massive et ne sont plus utilisées par de nombreuses armées dans les zones densément peuplées, en raison des pertes humaines extrêmement élevées qu'elles occasionnent.
L'armée israélienne en a fait usage dans plusieurs quartiers de réfugiés à Ghaza, tuant des centaines de Palestiniens. Ce qui a suscité des réactions de condamnation mais aussi de mise en garde de l'ONU, contre d'éventuels crimes de génocide.
Dans sa livraison de vendredi dernier, le Washington Post a expliqué que « la décision de Biden de poursuivre l'acheminement d'armes vers Israël a été fortement soutenue par de puissants groupes d'intérêt pro-israéliens à Washington, y compris AIPAC (American Israël Public Affairs Committee), qui dépense des dizaines de millions de dollars, au cours de ce cycle électoral pour renverser les démocrates qu'il considère comme insuffisamment pro-Israël ».
Ce transfert intervient au moment où Israël est pointé du doigt pour les crimes de génocide qu'elle commet à Ghaza et pour graves autres violations du droit international, malgré les injonctions qui lui ont été imposées par la CIJ (Cour internationale de justice), la plus haute juridiction de l'ONU et surtout une opinion de plus en plus hostile à la guerre.
En effet, mercredi dernier, un sondage (de Gallup) a montré que 55% des Américains désapprouvent les actions militaires israéliennes à Ghaza, soit une augmentation de 10% par rapport au même sondage effectué au mois de novembre 2023.
Il est constaté aussi que 36% des Américains sont d'accord avec l'offensive militaire israélienne à Ghaza, alors qu'ils constituaient la moitié de la population au mois de novembre 2023.
Hier, la presse britannique a fait état d'un document fuité, rédigé par un groupe d'avocats et de juristes, dont le conseiller juridique du gouvernement britannique dans lequel ils affirment qu'Israël « a enfreint le droit international ». Par conséquent, ils appellent le gouvernement à « cesser, sans délai, toutes les ventes d'armes à Israël, pour éviter d'être poursuivi pour complicité » dans le génocide en cours à Ghaza.
Alliés indéfectibles d'Israël, les USA constituent le premier fournisseur d'armement de l'Etat hébreu auquel ils octroient annuellement 3,8 milliards de dollars d'aide militaire, suivis de l'Allemagne, mais aussi de l'Italie et l'Espagne, les Pays-Bas et le Canada qui ont suspendu leurs livraisons, en raison de la guerre à Ghaza, ainsi que la France et le Royaume-Uni.
Cesser immédiatement la vente d'armes à Israël
Selon le journal israélien Times of Israël, 250 avions-cargos et une vingtaine de navires avaient été livrés, fin janvier, ainsi qu'une dizaine de milliers de tonnes d'armement et d'équipements militaires, alors que le New York Times a avancé le chiffre de 5000 bombes MK-84 livrées au mois de décembre 2023. Deuxième fournisseur, les livraisons de l'Allemagne ont connu une hausse considérable, notamment après le 7 octobre 2023.
Officiellement, elles ont atteint 326 millions d'euros, mais le gouvernement a déclaré que ces cargaisons ne concernaient que les « biens militaires », tels que des véhicules blindés ou de transport de troupes et de matériel de protection. La semaine écoulée, c'était au tour de l'Australie d'être au centre des critiques et de manifestations populaires persistantes (depuis des mois) devant les entreprises de fabrication militaires, exigeant l'arrêt des exportations d'armes vers Israël.
Chaque semaine, des piquets de grève sont organisés dans des usines à Melbourne, perturbant les activités de l'industrie d'armement qui fabrique principalement les pièces de rechange des avions F-35 utilisés par l'entité sioniste dans ses raids aériens contre la population de Ghaza.
La France, qui fait également partie du club des exportateurs d'armes vers Israël, est elle aussi, depuis quelques jours, au centre de violentes critiques, poussant le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, à admettre « l'envoi de composants de munitions à Israël », tout en insistant sur leur destination de réexportation. Le gouvernement français avait affirmé n'exporter que des équipements défensifs.
La déclaration du ministre des Armées est intervenue à la suite d'une enquête, publiée le 28 mars dernier par l'ONG Disclose, qui prouve que « la société IMI Systems en Israël, réputée fournisseuse de l'armée, a acheté des maillons de munitions fabriqués en France (…). Ces maillons sont conçus pour assembler des cartouches de 5,56 mm en bande, ce qui pose la question de leur utilisation finale.
Malgré les assurances de Sébastien Lecornu et du PDG d'Eurolinks, fabricant des maillons, sur les restrictions d'usage, le manque de surveillance et de contrôle soulève des inquiétudes quant à l'usage réel de ces composants en situation de conflit », a écrit l'ONG.
Lors d'une conférence de presse, le ministre, Sébastien Lecornu, a affirmé que « la France n'exporte aucune arme, aucune munition vers Israël susceptible d'être utilisée dans l'offensive à Ghaza, pas plus que dans les autres territoires palestiniens (..).
On a un dispositif de contrôle des exportations en matière de matériel de guerre et de biens à double usage, parmi les plus approfondis et les plus stricts qui existent (...). L'essentiel du matériel exporté vers Israël consiste en des composants élémentaires, car Israël est une puissance industrielle qui intègre des composants destinés à la réexportation (…).
Notre vigilance sur cette question est toujours pleine ». Même si plusieurs pays ont déjà quitté le club des exportateurs d'armement vers Israël, beaucoup continuent à soutenir l'entité sioniste dans sa guerre contre la population civile.
De nombreux Etats mais aussi des ONG et des avocats se préparent à mener une grande bataille judiciaire devant la CPI (Cour pénale internationale) et la CIJ, pour complicité de génocide. Le Nicaragua a déjà fait le premier pas en attaquant l'Allemagne devant la CIJ, alors que des avocats ont engagé une plainte contre le gouvernement britannique pour les mêmes accusations.
Attaque contre des journalistes
L'armée d'occupation israélienne a délibérément bombardé les tentes abritant des journalistes dans la cour de l'hôpital Martyrs d'Al Aqsa à Deir Al Balah et tiré, encore une fois, sur des Palestiniens qui attendaient l'arrivée de l'aide humanitaire, faisant des martyrs et blessés, hier, au 177e jour de son agression génocidaire contre Ghaza.
Les attaques sionistes se poursuivent dans le territoire palestinien assiégé et dévasté, notamment autour de plusieurs hôpitaux. Au moins 75 personnes sont tombées en martyrs dans la nuit dans de nouveaux bombardements et attaques terrestres, pour la plupart des femmes et des enfants, selon le ministère palestinien de la Santé à Ghaza.
Dans un communiqué, le bureau des médias à Ghaza a déclaré que l'entité sioniste avait commis « un nouveau massacre en bombardant les tentes abritant des journalistes et des personnes déplacées à l'hôpital Martyrs d'Al Aqsa ». « Nous tenons l'occupation et la communauté internationale entièrement responsable de ce crime », ajoute le communiqué.
Le bureau des médias a également déclaré que plus de 400 personnes, dont du personnel médical, des patients et des personnes déplacées, étaient tombées en martyrs lors du siège de 13 jours du complexe médical Al Shifa dans la ville de Ghaza. Il a ajouté que les forces sionistes détenaient 107 personnes, dont 30 patients et 61 agents de santé, dans des conditions « inhumaines » à l'hôpital.
A Khan Younès, au sud de Ghaza, au moins 13 Palestiniens sont tombés en martyrs hier matin dans une série de frappes aériennes et d'artillerie de l'armée d'occupation israélienne, a rapporté l'agence de presse palestinienne (WAFA). Onze personnes sont tombées en martyrs et des dizaines ont été blessées lorsque les forces sionistes ont pris pour cible des civils à Bani Suheila, à l'est de Khan Younès.
Dans la région d'Al Masawi, à l'ouest de Khan Younès, une femme et sa fille sont tombées en martyrs dans un bombardement d'artillerie, selon WAFA. Les frappes aériennes sionistes ont également visé une tour résidentielle dans le quartier d'Al Asra, dans la ville de Ghaza.
Ces attaques incessantes et le siège sioniste ont aggravé la crise humanitaire et l'acheminement de l'aide à l'intérieur de Ghaza. Le Croissant-Rouge palestinien a déclaré que cinq personnes sont tombées en martyrs et des dizaines d'autres blessées par des tirs, lors d'une rare distribution d'aide dans le nord de Ghaza.
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Le pont Francis Scott Key à Baltimore s’effondre, tuant six travailleurs immigrés qui n’ont pas eu accès aux avertissements d’urgence

Six personnes sont portées disparues et présumées mortes après qu'un cargo de 984 pieds a heurté le pont Francis Scott Key à Baltimore, provoquant l'effondrement du pont tôt mardi matin. Tous les six ont été identifiés comme des travailleurs de la construction immigrants originaires du Mexique, du Guatemala, du Salvador et du Honduras. Le gouverneur du Maryland, Wes Moore, a déclaré que l'équipage du navire avait pu lancer un appel de détresse d'urgence avant d'entrer en collision avec le pont, ce qui a permis aux autorités d'arrêter le trafic entrant et d'éviter d'autres victimes. Cependant, les rapports indiquent que les travailleurs déjà sur le pont n'ont pas reçu d'avertissements similaires. « La question que nous devrions nous poser est de savoir pourquoi les gens sur ce pont... n'avaient pas de ligne directe avec le service de répartition des urgences alors qu'ils travaillaient clairement dans un environnement potentiellement dangereux », explique le journaliste Maximillian Alvarez, rédacteur en chef de l'organisation The Real News Network, basée à Baltimore, qui a suivi de près l'histoire et la façon dont elle a affecté les communautés d'immigrants et de la classe ouvrière. « Qu'est-ce que cette histoire nous montre réellement ? Que les immigrants remplissent nos nids-de-poule la nuit pour que nous puissions nous rendre au travail en douceur le matin », explique M. Alvarez. « J'espère que les gens pourront voir cela et voir l'humanité en nous. »
27 mars 2024 | tiré de démocracy now !
https://www.democracynow.org/2024/3/27/francis_scott_key_bridge_collapse_baltimore
Invité : Maximillian Alvarez, rédacteur en chef de The Real News Network, basé à Baltimore, dans le Maryland.
(...)
AMY GOODMAN : Pour en savoir plus, nous sommes rejoints par Maximillian Alvarez, rédacteur en chef de The Real News, basé à Baltimore. Bienvenue à Democracy Now ! Condoléances à votre ville. Et si vous pouviez commencer par parler de ce que vous avez appris sur ces travailleurs ? Je veux dire, l'avertissement a été émis, bien qu'il n'y ait eu que quelques minutes, assez de temps pour empêcher tout le trafic de traverser le pont. Parlez-nous de ce que vous comprenez de plus sur ces hommes, huit – deux ont été sauvés, un dans un état critique et six sont présumés morts.
MAXIMILLIAN ALVAREZ : Eh bien, merci beaucoup de m'avoir invité. C'est un honneur d'être ici. Mais, comme vous l'avez dit à juste titre, vous savez, nos cœurs sont brisés aujourd'hui ici à Baltimore. Il y a un trou dans nos cœurs aussi grand que l'espace où se trouvait le pont. Et il y a un vide dans ces familles qui ne sera plus jamais comblé. Et c'est vraiment ce qui nous préoccupe le plus aujourd'hui.
Et il y a encore beaucoup de choses à apprendre et à étudier sur cette histoire, mais, comme vous l'avez mentionné, ce que nous savons et ce que Jesus Campos m'a dit hier et ce que j'ai vu dans d'autres rapports, c'est que ces travailleurs, qui travaillaient pour Brawner Builders, vous savez, un entrepreneur qui est en activité depuis des décennies et qui a des contrats avec l'État du Maryland sur de nombreux autres projets, que ces travailleurs travaillaient avec Brawner au milieu de la nuit pour réparer les nids-de-poule sur le pont Key. Les hommes que nous croyons maintenant morts, dont six, vous savez, étaient sur ce pont, étaient, selon Jésus, en pause déjeuner de 30 minutes, assis dans leurs voitures ou près de leurs voitures, lorsque le pont s'est effondré.
Quand j'ai demandé à Jésus s'il savait si l'équipage avait été averti de l'appel de détresse, il m'a dit très explicitement : « Non. Non, ils ne l'ont pas fait. Et je crois que c'est ce que nous entendons chez le répartiteur de la police, n'est-ce pas ? La police savait qu'il n'y avait pas de ligne directe avec le contremaître et les gens qui se trouvaient sur ce pont. Ainsi, la police s'est précipitée pour bloquer la circulation de chaque côté du pont et attendait des renforts pour que l'un des agents puisse se rendre sur le pont et avertir l'équipe. Mais chaque seconde qui passait était une seconde perdue, et ils n'ont pas eu le temps de rejoindre l'équipe sur la passerelle. Mais je pense que le problème le plus flagrant et la question que nous devrions nous poser est de savoir pourquoi les gens qui se trouvaient sur ce pont et qui effectuaient ce travail dangereux au milieu de la nuit n'avaient pas de ligne directe avec le service de répartition des urgences, alors qu'ils travaillent clairement dans un environnement potentiellement dangereux et alors que ces énormes méganavires passent sous leurs pieds. Et jusqu'à présent, c'est ce que nous savons.
Je veux dire, il y a, encore une fois, comme, des détails qui doivent être confirmés, mais, vous savez, il y a beaucoup de choses dans cette histoire qui sembleront différentes si vous ne connaissez pas les travailleurs de la construction, si vous ne connaissez pas beaucoup d'immigrants, si vous ne connaissez pas beaucoup d'immigrants sans papiers. Juste un exemple, et je ne dis pas que c'est exactement ce qui s'est passé, mais je dis que j'ai regardé beaucoup de nouvelles locales au cours des dernières 24 heures, et il y aurait eu deux travailleurs qui ont été sortis vivants de l'eau hier, dont l'un est allé à l'hôpital, l'autre aurait refusé les soins d'urgence. Il a refusé d'être transporté à l'hôpital. Et donc, les présentateurs ont dit : « Eh bien, je suppose que cette personne allait bien, et elle est simplement rentrée chez elle. » C'est peut-être le cas. Mais encore une fois, si vous connaissez des travailleurs de la construction et que vous connaissez des immigrants et des sans-papiers, votre esprit pense immédiatement : « C'était un travailleur qui avait une peur mortelle d'aller à l'hôpital, parce qu'il était peut-être sans papiers. » Et c'est une situation dans laquelle se trouvent tant de travailleurs dans ce pays en ce moment. Et je ne peux qu'imaginer, après avoir vécu cela, si c'était le cas, ce qui doit se passer dans la tête d'une personne pour refuser les services d'urgence à ce moment-là.
Il y a donc encore beaucoup à découvrir. Mais en ce moment, les familles sont en deuil. Les collègues de travail sont en deuil. Jésus était en grande partie sous le choc quand je lui ai parlé. Et, vous savez, j'étais très ému par la suite, après lui avoir parlé aussi. Vous savez, ma fille adoptive vient du Honduras. Elle n'a pas de papiers. Elle partage avec moi des messages toute la journée depuis le Honduras de personnes essayant de savoir s'il s'agissait de membres de leur famille. C'est dévastateur, Amy.
JUAN GONZÁLEZ : Maximillian, je voulais vous poser une question : cette question des travailleurs latinos et des travailleurs immigrés tués ou blessés au travail est un problème national, presque épidémique, depuis des années, et on lui accordé peu d'attention. Dix-huit pour cent de tous les travailleurs aux États-Unis sont latinos, mais 23 % des décès sur les lieux de travail concernent les Latinos et de manière disproportionnée les travailleurs immigrés. Que répondez-vous à ces faits par rapport à ce que nous entendons constamment dans les médias à propos des migrants qui sont des criminels et un danger pour la société ?
MAXIMILLIAN ALVAREZ : Je vous remercie de votre question, Juan. Et je pense que c'est vraiment important. C'est quelque chose que je veux vraiment souligner pour les gens. Je veux dire, d'abord et avant tout, comme vous l'avez dit, vous savez, la raison pour laquelle tant de gens tendent la main, c'est parce qu'ils se sentent connectés à cette histoire. Même s'il s'agissait d'un accident unique et horrible, il y a tellement d'éléments dans cette histoire auxquels les gens, les travailleurs, à travers le pays se sentent connectés. J'étais justement à East Palestine, dans l'Ohio, ce week-end. Des résidents qui m'ont envoyé des textos toute la journée parce qu'ils se sentent liés à cela d'une certaine manière.
Des travailleurs de la construction et des gens de métier qui ont fait la même chose. Pourquoi ? Parce que la construction est toujours l'un des emplois les plus meurtriers de ce pays, bien plus meurtrier que la police, n'est-ce pas ? Je veux dire, pas plus tard que l'année dernière, six membres d'une équipe de construction ont été tués lorsqu'une voiture – dans le comté de Baltimore, lorsqu'une voiture les a percutés. C'est tout autant de personnes qui sont mortes hier. Et chacune de ces vies est précieuse, et nous devrions nous soucier tout autant de ces vies qui sont perdues. Chaque année, plus de 10 fois plus de travailleurs se tuent sur les chantiers de construction que dans des accidents de la route dans tout le pays. Ces vies comptent aussi.
Mais comme vous l'avez mentionné, Juan, je veux dire, il ne s'agit pas seulement, vous savez, des travailleurs de la construction. Il ne s'agit pas seulement d'entrepreneurs et de tout le reste. Je veux dire, le problème est tellement plus grand ici, et il va vraiment au cœur du discours que nous avons dans ce pays, où Donald Trump et les gens qui ont été empoisonnés par sa rhétorique injuste et maléfique et ses positions anti-immigrés, vous savez, vilipende des gens qui me ressemblent, des gens qui ressemblent à Jésus. Des gens comme les hommes sur ce pont, des gens comme ma fille adoptive, ses amis et son petit ami qui travaille dans la construction. C'est ça ? Cela aurait pu être nous. Cela aurait pu être n'importe lequel d'entre nous. Et Jésus et moi le savions quand nous nous parlions.
Et, vous savez, je pense que ce qu'il est vraiment important de souligner aux gens, c'est que nous ne venons pas dans ce pays pour le ruiner. Nous ne sommes pas les méchants. Nous ne sommes pas les ennemis. Nous sommes des travailleurs comme vous. Nous sommes vos voisins. Right ? Alors qu'on parle de nous comme d'une horde d'envahisseurs qui vient détruire le pays, qu'est-ce que cette histoire nous montre réellement ? Que les immigrants comblent nos nids-de-poule la nuit pour que nous puissions nous rendre au travail en douceur le matin. Les travailleurs immigrés et les entrepreneurs qui les emploient et exploitent la relation contractuelle, qui se produit partout au pays, c'est pourquoi vous trouvez des enfants qui travaillent dans des usines de conditionnement de la viande en nettoyant des scies à os au milieu de la nuit. C'est pourquoi vous trouvez des enfants, principalement des enfants migrants bruns, qui devraient être à l'école, travaillant dans des distributeurs de pièces Hyundai en Alabama. Et pourtant, Hyundai peut dire qu'il n'est pas responsable de cela parce que c'est un entrepreneur, un sous-traitant, et puis, et puis et puis... . Cela va beaucoup plus loin. Il y a des travailleurs comme celui-ci qui travaillent dans des conditions proches de l'esclavage dans notre pays en ce moment, cueillant les tomates qui vont sur votre hamburger Wendy's. Et pourtant, nous contribuons à ce pays. Nous voulons améliorer notre vie et celle de nos familles, tout comme les familles qui sont en deuil en ce moment parce que ces six hommes ne rentreront jamais à la maison. Par exemple, nous ne sommes pas vos ennemis. Nous sommes vos compagnons de travail. Nous sommes vos voisins. Nos enfants sont les amis de vos enfants à l'école. Et j'espère, plus que tout, que les gens pourront voir cela et voir l'humanité en nous et voir que cette idée que les immigrants détruisent d'une manière ou d'une autre notre pays, alors que, vous savez, comme, la cupidité des entreprises et toute la corruption causent des catastrophes de la Palestine orientale à Boeing et que sais-je encore. Par exemple, nous ne sommes pas des ennemis.
Nous sommes juste ici pour essayer de faire vivre une vie pour nos familles, de travailler et de vivre une vie confortable et digne. Et je ne sais pas pourquoi que c'est une chose si difficile à comprendre pour une si grande partie de ce pays.

USA : offensive réactionnaire contre le contrôle des naissances

Après avoir réussi il y a deux ans à renverser l'arrêt Roe vs. Wade qui assurait la protection fédérale du droit à l'avortement, par la décision de la Cour suprême et après avoir adopté des restrictions à l'avortement dans plusieurs États qui ont pratiquement éliminé l'avortement, la droite préconise aujourd'hui l'élimination des pilules contraceptives.
Hebdo L'Anticapitaliste - 701 (28/03/2024)
Dan La Botz
Crédit Photo
Wikimedia Commons / Fibonacci Blue from Minnesota, USA - CC BY 2.0 Deed
Prétendant défendre les femmes qui pourraient être lésées par la contraception hormonale, et arguant qu'ils protègent également la dignité des femmes et la famille, les médias sociaux de droite ont lancé une campagne visant à mette fin à la « sexualité récréative ». Selon eux, l'élimination de la pilule contraceptive est une question féministe, bonne pour le corps et l'âme des femmes.
Offensive contre la « sexualité récréative »
Les arguments idéologiques de la droite contre la pilule, comme ceux contre l'avortement, sont formulés en termes de défense de la famille et des femmes elles-mêmes. La fondation conservatrice Heritage Foundation déclare que « ...les conservateurs doivent montrer la voie en redonnant à la sexualité sa véritable raison d'être et en mettant fin à la sexualité récréative et à l'utilisation insensée de la pilule contraceptive ».
Charles Rufo, militant de droite, affirme que « la pilule cause des problèmes de santé à de nombreuses femmes. Le “sexe récréatif” explique en grande partie pourquoi nous avons tant de familles monoparentales, ce qui favorise la pauvreté, la criminalité et les dysfonctionnements. Le but du sexe est de créer des enfants — c'est naturel, normal et bon ».
Une commentatrice de droite, s'exprimant sur X, suggère que la pilule contraceptive a souvent causé aux femmes de graves problèmes psychologiques et conduit à des relations sexuelles récréatives souvent « sans amour et dégradantes ». Elle affirme qu'il devrait y avoir « un mouvement féministe pour réapprivoiser le sexe et lui rendre son danger, son intimité et ses conséquences ». De cette façon, dit-elle, les femmes peuvent « renouer avec la plénitude de notre nature incarnée ». Les politiciens républicains ont repris ces arguments et certains proposent de restreindre ou d'interdire la pilule.
80 % des électeurEs jugent « très importante » la protection de la contraception
Il est peu probable que la plupart des femmes adhèrent à cet argument. La pilule contraceptive a été largement utilisée depuis 1960 par des dizaines de millions de femmes au cours des 60 dernières années, et bien qu'elle ne soit pas la meilleure forme de contraception pour toutes les femmes, et qu'un pourcentage relativement faible de femmes souffrent d'effets indésirables, la pilule a permis aux femmes de prendre le contrôle de leur propre vie. On parle souvent de la pilule en termes de « révolution sexuelle », mais elle a fait partie intégrante du mouvement de libération des femmes.
La pilule, largement utilisée par les femmes célibataires ou mariées, a permis aux femmes de planifier leur carrière et leur famille et, oui, d'avoir des relations sexuelles pour le plaisir quand elles le souhaitaient. Les femmes de la classe ouvrière et les femmes pauvres n'ont plus eu à avoir des enfants qu'elles ne pouvaient pas se permettre de prendre en charge, ou des enfants si nombreux qu'elles étaient submergées par le travail domestique et émotionnellement épuisées. La plupart des adolescentes ont leur premier rapport sexuel à l'âge de 16 ou 17 ans, mais certaines plus tôt, et c'est pourquoi les parents essaient souvent de les protéger contre les grossesses non désirées en prenant des dispositions avec un médecin pour qu'elles prennent la pilule contraceptive.
Un récent sondage national réalisé par Americans for Contraception, dont le New York Times s'est fait l'écho, a révélé que 80 % des électeurEs ont déclaré que la protection de l'accès à la contraception était « très importante » pour eux, et que même parmi les Républicains, 72 % considéraient le contrôle des naissances d'un œil favorable. Pourtant, les politiciens républicains tenteront probablement de restreindre l'accès aux pilules contraceptives. Ce mois-ci, dans l'État de l'Arizona, les Démocrates ont présenté un projet de loi visant à protéger l'accès à toutes les formes de contrôle des naissances, mais les Républicains l'ont rejeté. Les femmes et leurs alliés devront rester sur leurs gardes face à une nouvelle atteinte à leur liberté.
Traduction Henri Wilno
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre
La suspension des activités du Centre Justice et Foi, une mauvaise décision
gauche.media
Gauche.media est un fil en continu des publications paraissant sur les sites des médias membres du Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG). Le Regroupement rassemble des publications écrites, imprimées ou numériques, qui partagent une même sensibilité politique progressiste. Il vise à encourager les contacts entre les médias de gauche en offrant un lieu de discussion, de partage et de mise en commun de nos pratiques.