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Etats-Unis. « Démanteler le gouvernement tout en renforçant le Pentagone »

Sous prétexte d'efficacité, l'administration Trump s'attaque à des programmes et des agences essentiels qui constituent l'épine dorsale du gouvernement civil américain. La suppression quasi totale de l'Agence américaine pour le développement international (U.S. Agency for International Development – USAID) [1] et les plans de fermeture du ministère de l'Education ne sont que les exemples les plus visibles d'une campagne qui comprend le licenciement d'experts budgétaires, de responsables de la santé publique, de scientifiques et d'autres personnels essentiels dont le travail sous-tend le fonctionnement quotidien du gouvernement et fournit les services de base nécessaires aux entreprises, aux familles et aux particuliers. Bon nombre de ces services sont aptes à opérer une distinction entre la solvabilité et pauvreté, santé et la maladie, voire, dans certains cas, entre la vie et la mort pour les populations fragiles.
Tiré de A l'Encontre
25 avril 2025
Par William D. Hartung
Drone subsonique de la firme Anduril.
La rapidité avec laquelle les programmes et les agences civiles sont supprimés sous ce deuxième mandat Trump révèle le véritable objectif du Département de l'efficacité gouvernementale (DOGE). Dans le contexte du régime Musk-Trump, « l'efficacité » est un prétexte pour une campagne idéologique motivée par la cupidité visant à réduire radicalement la taille du gouvernement sans se soucier des conséquences humaines.
Jusqu'à présent, la seule agence qui semble avoir échappé à la colère du DOGE – ne soyez pas surpris ! – est le Pentagone. Après que des titres trompeurs ont laissé entendre que son budget serait réduit annuellement de 8% pendant les cinq prochaines années dans le cadre de cette prétendue campagne d'efficacité, le véritable plan a été rendu public : trouver des économies dans certaines divisions du Pentagone pour investir ensuite l'argent ainsi économisé dans d'autres programmes militaires, sans aucune réduction réelle du budget total du département. Puis, lors d'une réunion à la Maison Blanche avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, le 7 avril, Trump a annoncé que « nous allons approuver un budget, et je suis fier de dire qu'il s'agit en fait du plus important que nous ayons jamais consacré à l'armée… 1000 milliards de dollars. Personne n'a jamais vu une telle somme. »
Jusqu'à présent, les coupes budgétaires destinées à financer de nouveaux types d'investissements militaires se sont limitées au licenciement d'employé·e·s civils du Pentagone et au démantèlement d'un certain nombre de départements stratégiques et de recherche internes. Les activités qui rapportent de l'argent aux fabricants d'armes n'ont pratiquement pas été touchées, ce qui n'est guère surprenant étant donné que Musk lui-même préside une importante entreprise sous-traitante du Pentagone : SpaceX.
La légitimité de son rôle devrait bien sûr être remise en question [2]. Après tout, il s'agit d'un milliardaire non élu qui bénéficie d'importants contrats gouvernementaux et qui, ces derniers mois, semble avoir acquis plus de pouvoir que l'ensemble du cabinet. Or, les membres du cabinet sont soumis à la confirmation du Sénat, ainsi qu'à des règles de divulgation financière et de conflit d'intérêts. Ce n'est pas le cas de Musk. Non seulement il n'a pas été contrôlé par le Congrès, mais il a été autorisé à conserver son rôle au sein de SpaceX.
Un gouvernement fantoche ?
Le dépouillement du gouvernement civil par Trump et Musk, tout en maintenant le budget du Pentagone à des niveaux extrêmement élevés, signifie que les Etats-Unis sont en passe de devenir le « État garnison » contre lequel le président Dwight D. Eisenhower avait mis en garde dans les débuts de la guerre froide [entretien publié le 14 mai 1953]. Et attention, tout cela est vrai avant même que n'aient agi les faucons républicains du Congrès, comme le président de la commission des forces armées du Sénat, Roger Wicker [sénateur républicain du Mississippi, Président de la Commission des forces armées], qui demande 100 milliards de dollars supplémentaires pour le budget du Pentagone par rapport à ce que ses responsables ont demandé.
L'enjeu dépasse toutefois largement la manière dont le gouvernement dépense son argent. Après tout, ces décisions s'accompagnent d'une atteinte aux droits constitutionnels fondamentaux tels que la liberté d'expression et d'une campagne d'expulsions massives qui touche même des personnes ayant le droit légal de résider aux Etats-Unis. Sans parler des intimidations et du chantage financier exercés sur les universités, les cabinets d'avocats et les grands médias pour les contraindre à se plier aux volontés politiques de l'administration.
En fait, les deux premiers mois de l'administration Trump-Musk représentent sans aucun doute la prise de pouvoir la plus flagrante de l'exécutif dans l'histoire de cette république, une mesure qui mine notre capacité à préserver, et encore moins à étendre, les droits fondamentaux qui sont censés être les principes fondateurs de la démocratie américaine. Ces droits ont bien sûr été violés à un degré ou à un autre tout au long de l'histoire de ce pays, mais jamais de cette manière. La répression actuelle menace d'effacer les victoires durement acquises par les mouvements pour les droits civiques, les droits des femmes, les droits des travailleurs et travailleuses, les droits des immigré·e·s et les droits des LGBTQ, qui avaient permis à ce pays de se rapprocher de ses engagements déclarés en faveur de la liberté, de la tolérance et de l'égalité.
En 2019, Steve Bannon, populiste d'extrême droite et ami de Trump, a déclaré à la chaîne PBS Frontline que la clé d'une victoire future était d'augmenter la « vitesse initiale » des changements politiques radicaux, afin que les opposants au mouvement MAGA ne sachent même pas ce qui leur arrive. « Tout ce que nous avons à faire, a-t-il déclaré alors, c'est d'inonder la scène. Chaque jour, nous leur assénons trois coups. Ils mordront à l'appât, et nous aurons fait tout ce que nous avions à faire. Bang, bang, bang. Ces types ne s'en remettront jamais, jamais. Mais nous devons commencer par la rapidité de mise en œuvre. »
L'administration Trump/Musk met actuellement en œuvre une stratégie de ce type de manière stupéfiante.
Epargner le Pentagone
Malgré un certain bruit autour des gains d'efficacité réalisés au Pentagone grâce au DOGE, le Pentagone a en effet été épargné du sort réservé à des organismes civils tels que l'Agence pour le développement international (USAID) et le ministère de l'Education, qui ont été soit décimés, soit voués à disparaître complètement.
Une proposition visant à licencier 60 000 employés civils du Pentagone aura des conséquences dramatiques pour ceux qui s'attendent à perdre leur emploi. Mais cela ne représente que 5% des effectifs du département, qui compte 700 000 fonctionnaires et plus d'un demi-million de personnes sous contrat. En revanche, les effectifs de l'USAID, qui apportait une aide pacifique à des pays du monde entier, ont été rapidement réduits de 10 000 à moins de 300.
En outre, les licenciements de scientifiques et d'experts en santé publique pourraient avoir des conséquences désastreuses à l'avenir en réduisant la capacité du gouvernement à prévenir ou à réagir face à des maladies infectieuses et d'éventuelles pandémies, telles que liées à de nouveaux variants du Covid ou à la grippe aviaire. Pour aggraver le problème, l'administration a ordonné le licenciement d'un employé sur cinq des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC-Centers for Disease Control and Prevention) et fait désormais pression sur cette agence pour qu'elle résilie plus d'un tiers de ses contrats externes.

Ed. Bold Type Books, à paraître en novembre 2025.
En outre, le licenciement quasi instantané, au début du second mandat de Trump, des inspecteurs généraux indépendants chargés de surveiller le gaspillage, la fraude et les abus au sein du gouvernement n'augure rien de bon pour le contrôle d'une administration déjà en proie à de nombreux conflits d'intérêts. Pire encore, la suspension par le ministère de la Justice des poursuites judiciaires en matière de droits civiques permettra à l'injustice raciale de prospérer sans la moindre opposition juridique significative.
A cela s'ajoutent les projets de l'administration Trump et des républicains de la Chambre des représentants visant à réduire les programmes de Medicaid [couverture médicale à des personnes à faibles revenus ou handicapées], de la sécurité sociale et de l''aide alimentaire d'urgence, qui bénéficient à des dizaines de millions d'Américains. En outre, des réductions de personnel ont déjà eu cours au sein de l'administration de la sécurité sociale, et des mesures ont été prises pour rendre plus difficile l'accès aux prestations. Et ce n'est sans doute qu'un début. A l'avenir, des coupes directes dévastatrices pourraient être opérées dans un programme qui bénéficie à plus de 70 millions d'Américains. Et ces programmes essentiels pourraient, à leur manière, finir par être supprimés, en partie pour faire place à une réduction d'impôts de plusieurs milliers de milliards de dollars destinée principalement – vous ne serez sans doute pas surpris de l'apprendre – à aider les personnes les plus aisées.
En bref, l'objectif est de rendre l'Amérique plus inégalitaire grâce à un programme expansif qui pourrait faire passer pour ridicules les niveaux actuels d'inégalité qui dépassent déjà ceux atteints pendant l'« âge d'or » de la fin du XIXe et du début du XXe siècle.
L'exception du Pentagone
Alors que la plupart des agences gouvernementales sont assiégées ou craignent de l'être dans un avenir relativement proche, une agence a largement échappé aux coupes budgétaires : le Pentagone. En 2024, cette agence (y compris les travaux sur les ogives nucléaires réalisés par le ministère de l'Energie) a déjà reçu la somme astronomique de 915 milliards de dollars, soit plus de la moitié du budget discrétionnaire du gouvernement fédéral pour cette année-là.
Dans le même temps, comme l'a récemment montré une analyse du New York Times (4 mars 2025), les revenus des principaux entrepreneurs du secteur de l'armement n'ont pratiquement pas été touchés. Jusqu'à présent, General Dynamics, avec une perte de moins de 1%, et Leidos [entre autres systèmes informatiques], avec une perte de 7%, sont les seules entreprises parmi les dix premiers fournisseurs d'armes à avoir subi une baisse de leurs revenus suite aux efforts du DOGE.
Au sein du Pentagone un compromis possible pourrait consister à abandonner les grandes « infrastructures » telles que les porte-avions et les avions de combat pilotés pour se tourner vers des systèmes plus rapides, plus agiles et plus faciles à produire, basés sur des applications d'intelligence artificielle, notamment des essaims de drones. Elon Musk critique depuis longtemps l'avion de combat F-35 de Lockheed Martin, qu'il a qualifié de « pire rapport qualité-prix militaire » de l'histoire des achats du Pentagone. Sa solution, cependant, consiste en des drones encore plus perfectionnés, probablement produits par ses alliés de la Silicon Valley.
Mais il existe une autre possibilité : le Pentagone pourrait augmenter encore son budget afin de financer des systèmes de toutes tailles, alimentant ainsi à la fois les grands entrepreneurs et les entreprises émergentes dans le domaine des technologies militaires. Après tout, malgré les critiques de Musk, le président a récemment annoncé que Boeing produirait un nouvel avion, le F-47 (le « 47 » étant, vous l'avez deviné, en l'honneur du 47e président des Etats-Unis).
S'il y a une tendance à trouver des compromis entre les systèmes existants et les nouvelles technologies, les deux camps disposeront d'un poids considérable en matière de lobbying. Après tout, la Silicon Valley est littéralement implantée dans l'administration Trump, de Musk au vice-président J.D. Vance, un protégé de Peter Thiel, le fondateur de l'entreprise de technologie militaire Palantir. Peu après avoir obtenu son diplôme de la faculté de droit de Yale, J.D.Vance a été embauché chez Mithril, une société de capital-risque appartenant à Thiel. Lorsque Vance a quitté cette entreprise en 2019 pour se présenter au Sénat dans l'Ohio, il l'a fait avec le soutien financier de Peter Thiel, à hauteur de 15 millions de dollars.
Et Thiel n'est qu'un parmi les magnats de la technologie qui soutiennent Vance. Une analyse de CBS News a révélé que : « Vance, un nouveau venu dans la politique nationale, a assidûment courtisé les milliardaires et les tycoons de la Silicon Valley pour financer son ascension improbable, passant du statut d'auteur à succès d'un libre autobiographique sur le désespoir, la drogue et la pauvreté générationnelle dans les Appalaches à un poste qui pourrait le placer à deux doigts de la présidence. »
Le journal conservateur New York Post a résumé la situation dans un article publié en juillet 2024 : « La Silicon Valley salue le choix de Vance alors que de plus en plus de milliardaires de la tech soutiennent Trump. » Et n'oubliez pas que Musk et Vance ne sont pas les seuls défenseurs du secteur militaro-technologique au sein de l'administration Trump. Stephen Feinberg, numéro deux du Pentagone, a travaillé pour Cerberus Capital, une société d'investissement qui a déjà investi dans les industries des armes à feu et de la défense. Et Michael Obadal, directeur principal chez Anduril, a été sélectionné pour occuper le poste de secrétaire adjoint à l'Armée (Under Secretary of the Army). Une analyse récente de Bloomberg a en effet révélé que « plus d'une douzaine de personnes liées à Thiel – notamment des employés actuels et anciens de ses entreprises, ainsi que des personnes qui ont contribué à gérer sa fortune ou qui ont bénéficié de ses investissements et de ses dons caritatifs – ont été intégrées à l'administration Trump ».
De leur côté, les cinq grands fabricants d'armes, emmenés par Lockheed Martin, ont toujours une ferme emprise sur le Congrès, après avoir versé des millions de dollars en contributions électorales, employé des centaines de lobbyistes au sein de commissions qui influencent les dépenses et la stratégie militaires, et implanté leurs installations dans la majorité des Etats et des circonscriptions du pays. Même si certains membres du Pentagone tentaient de supprimer progressivement le F-35, le Congrès pourrait bien ajouter des fonds à la demande budgétaire de cette institution afin de sauver le programme.
Les récentes décisions en matière d'acquisitions suggèrent que le Congrès et l'administration Trump pourraient souhaiter financer à la fois les entrepreneurs traditionnels et les entreprises technologiques émergentes. Les deux annonces les plus importantes récemment faites dans le cadre de ce programme – la sélection de Boeing comme principal fournisseur de l'avion de combat de nouvelle génération F-47 et l'engagement du président Trump en faveur d'un système de défense « Golden Dome » censé protéger l'ensemble des Etats-Unis contre les missiles ennemis – offriront de nombreuses perspectives aux entreprises d'armement traditionnelles et aux entreprises technologiques militaires émergentes. La phase de lancement du programme F-47 pourrait coûter jusqu'à 20 milliards de dollars, mais comme l'a fait remarquer Dan Grazier du Stimson Center, ces 20 milliards ne seront qu'un « capital de départ ». A terme, le coût total s'élèvera à plusieurs centaines de milliards de dollars. Parallèlement, General Atomics et Anduril sont en concurrence pour construire des drones « wingmen » [drones subsoniques et animés par l'IA] qui fonctionneraient en coordination avec les futurs F-47 en situation de combat.
A ce stade, le « Golden Dome » [par référence du « Iron Dome » israélien] du président Trump n'est pas encore un concept abouti, mais une chose est sûre : pour atteindre son objectif d'une défense complète et étanche contre les missiles, il faudra construire un grand nombre d'intercepteurs et de nouveaux satellites militaires reliés entre eux par des systèmes de communication et de ciblage avancés, pour un coût potentiel de plusieurs centaines de milliards de dollars à terme. Et si les grandes firmes d'armement ont peut-être une longueur d'avance dans la construction du matériel nécessaire au « Golden Dome », les entreprises technologiques émergentes sont mieux placées pour produire les composants logiciels, de ciblage, de surveillance et de communication du système.
Le « Golden Dome » est sur le point d'être mis en œuvre bien que, comme l'a affirmé Laura Grego de l'Union of Concerned Scientists, « il est depuis longtemps admis que la défense contre un arsenal nucléaire sophistiqué est techniquement et économiquement irréalisable ». Mais cette réalité n'empêchera pas l'afflux massif de fonds publics dans ce projet, aussi irréaliste soit-il, car les profits tirés de sa production seront bien trop réels.
Une résistance grandissante ?
Des signes d'une résistance croissante à l'agenda de Musk et Trump se manifestent, qu'il s'agisse de poursuites judiciaires, de rassemblements contre l'oligarchie menés par le sénateur Bernie Sanders (Indépendant du Vermont) et la représentante Alexandria Ocasio-Cortez (AOC, démocrate de New York) [3], ou encore d'un boycott des voitures Tesla de Musk. Ces actions devraient être appuyées par l'engagement de millions de personnes supplémentaires, y compris les partisans de Trump qui ont été touchés par ses coupes dans des programmes essentiels qui les aidaient à rester à flot financièrement. L'issue de tout cela est incertaine, mais les enjeux sont tout simplement colossaux. (Article publié sur le site Tom Dispatch le 22 avril 2025 ; traduction rédaction A l'Encontre)
[1] Les financements d'USAID ont été réduits à hauteur de 83%. USAID, lancé par Kennedy, participait d'une opération de soft power des Etats-Unis, suite à la révolution cubaine. Cette initiative s'articule avec les opérations de la CIA, pour faire court. La part humanitaire dans le budget a une place significative et étaye le travail de nombreuses ONG. (Réd. A l'Encontre)
[2] Elon Musk vient d'annoncer le recentrage de ses activités, au-delà de désaccords ponctuels au sein de l'administration, vers son entreprise Tesla, dont l'action a reculé de 431 dollars le 27 décembre à 284 le 22 avril. Du point de vue de Tesla, le succès de la voiture autonome semble décisif par rapport aux modèles traditionnels qui datent de cinq à sept ans. (Réd. A l'Encontre)
[3] La campagne contre l'oligarchie initiée par Bernie Sanders a reçu une audience importante dans de très nombreuses villes, réunissant des milliers de participants et traduisant un potentiel d'opposition au plan social et démocratique. La participation d'AOC s'inscrit certes dans un projet de relance du Parti démocrate, comme force bourgeoise historique. (Réd. A l'Encontre)
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Etats-Unis. « Diktats, DOGE, dissidence et démocrates en déroute à l’ère Trump »

Analyser les différentes offensives et attaques de la guerre éclair sans précédent menée par Trump demanderait beaucoup de recherches. Nous laisserons ici à d'autres le soin d'examiner les aspects importants de la réorganisation de l'empire américain. Je limiterai mon analyse à quelques points centraux qui indiquent les limites et l'étendue des bulldozers de Trump ainsi que les sources de l'opposition.
Tiré de A l'Encontre
2 mai 2025
Par Kim Moody
(Photo : Sarah Jane Rhee)
Le point d'achoppement ultime des plans de Trump et des efforts des démocrates pour les bloquer ou les minimiser, sans parler de proposer une véritable alternative, réside dans l'état à long terme du capitalisme, surtout aux Etats-Unis et dans les autres économies développées.
Commerce, droits de douane et coût de la vie
Trump a insufflé une nouvelle vie à la conquête impériale. Son intérêt pour le Panama, le Groenland et même le Canada peut sembler purement fou sur le plan politique ou militaire, mais il n'est pas totalement irrationnel sur le plan économique. En effet, la ruée vers les terres rares et les métaux nécessaires à l'intelligence artificielle et aux technologies connexes, ainsi que la concurrence pour les parts de marché dans l'Arctique, font partie des nouvelles rivalités impérialistes actuelles.
La réappropriation du canal de Panama donnerait aux Etats-Unis un contrôle significatif sur le commerce océanique et ses coûts ; l'acquisition du Groenland et, plus absurdement encore, l'annexion du Canada donneraient à la Grande Amérique la domination sur les voies maritimes arctiques en expansion du passage du Nord-Ouest. Une alliance avec la Russie renforcerait considérablement la présence des Etats-Unis dans le passage nord-est de l'Arctique, complétant ainsi deux grandes routes interocéaniques nordiques. Ces deux éléments réduiraient considérablement le temps de transport océanique. [1]
Il existe déjà quelque 200 ports libres de glace sur les différentes routes maritimes de l'Arctique, dont au moins vingt au Groenland. [2] A mesure que la calotte polaire fond, les possibilités deviennent, disons, non pas infinies – car elles nous rapprocheront la catastrophe climatique –, mais en attendant, il y a de l'argent à gagner !
Bien sûr, les cibles de ce fantasme colonial résisteront et il y a des problèmes de droit international. Plus que la possession, il est probable que Trump souhaite obtenir des accords similaires à celui conclu avec le Panama.
Dans ce pays, la société hongkongaise Panama Ports Company a vendu 90% de ses parts à un consortium états-unien dirigé par le géant du capital-investissement BlackRock. Ce qui lui donne le contrôle des ports situés à l'entrée du canal sur l'Atlantique et le Pacifique. En outre, le président du Panama a accepté de rejeter les initiatives chinoises « Belt and Road » (Nouvelle route de la soie) au Panama. [3] Un coup de maître pour Trump.
Peut-être le Groenland sera-t-il persuadé de donner la préférence aux transporteurs maritimes états-uniens dans les ports de l'Arctique, ainsi que les droits sur les terres rares et autres métaux que Trump convoite tant. Une telle réorganisation des routes commerciales perturberait toutefois les chaînes d'approvisionnement mondiales actuelles, car certains transporteurs de la côte Est des Etats-Unis et d'Europe passeraient d'un trafic vers l'est à un trafic vers l'ouest, ce qui modifierait les itinéraires et perturberait les principales chaînes d'approvisionnement.
Les droits de douane sont censés générer des recettes pour compenser la réduction des impôts sur les riches, mais leur objectif principal est d'encourager les entreprises à investir dans l'industrie manufacturière aux Etats-Unis en augmentant le coût des importations. Les droits de douane et les taxes représentent environ 3% des recettes fédérales des Etats-Unis. Trump les a augmentés à 3,65% lors de son premier mandat et Biden les a légèrement réduits. Si les droits de douane beaucoup plus élevés qu'il propose aujourd'hui augmenteraient quelque peu les recettes, ils réduiraient également les importations, limitant ainsi les nouvelles recettes provenant des droits de douane.
Quoi qu'il en soit, si des droits de douane élevés augmenteront considérablement les coûts pour les consommateurs, ils ne devraient pas compenser les importantes réductions d'impôts. Comme l'indique une étude de la Maison Blanche sous Biden, « il est mathématiquement improbable qu'un droit de douane général puisse jamais remplacer les recettes provenant de l'impôt sur le revenu des particuliers » [4].
Bien que la production manufacturière états-unienne ait connu une certaine reprise ces dernières années, la principale raison pour laquelle une augmentation des droits de douane n'est pas susceptible d'entraîner une relance importante de ce secteur réside dans l'état de l'économie des Etats-Unis et de la plupart des pays développés depuis la grande récession de 2008-2010.
Cette situation se caractérise non seulement par la tendance à la baisse et à l'instabilité des taux de profit et par l'extrême inégalité de la répartition des profits aux Etats-Unis, mais aussi par une quinzaine d'années de faible productivité dans le secteur manufacturier – qui ne montre aucun signe d'amélioration –, ainsi que par une croissance économique relativement lente dans l'ensemble, associée à une tendance inflationniste.
En conséquence, les droits de douane que Trump a imposés, puis suspendus, puis réinstaurés jusqu'en avril, sur le Mexique et le Canada, ainsi que les droits de douane surprise de 50% sur l'acier et l'aluminium canadiens, qui s'ajoutent à ceux imposés à la Chine, vont accélérer la tendance inflationniste déjà existante. [5]
L'industrie automobile en est un exemple flagrant. Environ 40% des véhicules vendus aux Etats-Unis par Stellantis [Groupe PSA et Fiat Chrysler Automobiles], 30% par Ford et 25% par GM sont fabriqués au Canada ou au Mexique. Nissan, Honda et Volkswagen produisent également des voitures au Mexique pour les exporter vers les Etats-Unis. Il est évident qu'un droit de douane de 25% entraînerait une augmentation significative des prix de vente. Mais même les voitures et les camions « fabriqués aux Etats-Unis » dépendent de pièces importées.
Une étude récente de l'OCDE montre que les pièces importées du Mexique et du Canada représentent en moyenne 10% du coût des voitures fabriquées aux Etats-Unis, tandis que les pièces chinoises ajoutent 5,4% supplémentaires. [6] Il est évident que des droits de douane élevés sur ces intrants, non seulement dans l'industrie automobile mais dans l'ensemble du secteur manufacturier, entraîneront une hausse générale des prix, même au-delà des tendances inflationnistes sous-jacentes du capitalisme contemporain.
Une estimation des droits de douane proposés jusqu'à présent, y compris ceux sur le Mexique, le Canada et la Chine, prévoit une augmentation des coûts de 600 milliards de dollars. [7] Cela constituera un sérieux problème pour Trump, qui a remporté en partie la campagne électorale victoire en promettant de contrôler le coût de la vie.
Réduction de l'Etat ou nettoyage politique et ethnique ?
Aujourd'hui, l'Etat fédéral emploie environ 3 millions de fonctionnaires civils, contre un pic de 3,4 millions en 1990, sans aucune réduction budgétaire. Ce chiffre a augmenté sous Reagan [1981-1989], a légèrement baissé sous Clinton [1993-2001] et Obama [2009-2017], puis a augmenté sous Trump et Biden. Mais il n'est jamais descendu en dessous de 3 millions au cours des cinquante dernières années. Ses dépenses n'ont pas non plus diminué de manière significative au cours des dernières décennies. [8]
Elon Musk affirme que son DOGE (Department of Government Efficiency) a supprimé 200 000 emplois fédéraux. Cela ramènerait le nombre d'emplois au niveau de 2016 sous Obama, ce qui est loin d'être suffisant pour financer les cadeaux proposés par Trump aux plus riches. Face aux critiques venant de toutes parts, Musk affirme que les chefs d'agence feront le reste du sale boulot et qu'il passera à la redigitalisation des systèmes déjà numérisés des agences. [9]
Cependant, le DOGE a déjà rencontré des problèmes provenant de diverses origines, notamment les tribunaux et, bien sûr, les fonctionnaires fédéraux et leurs syndicats. Il n'est donc pas certain que ces réductions soient permanentes. Si, en revanche, elles sont maintenues et même renforcées, le gouvernement sera plus susceptible de faire face à des perturbations et à des fermetures qu'à des gains d'efficacité.
Cela peut convenir à Trump, à Musk et à leurs collègues milliardaires, mais les citoyens touchés par ces mesures ne seront pas ravis, et ils seront nombreux, y compris parmi les partisans actuels de MAGA. En outre, un nombre croissant d'entreprises qui ont des contrats avec le gouvernement ou dépendent de son agrément ont exprimé dans leurs derniers rapports trimestriels leur inquiétude face au chaos créé par le DOGE. [10]
Outre l'expulsion inhumaine prévue de millions d'immigrants, l'une des mesures envisagées qui risque d'avoir les conséquences sociales les plus immédiates et de susciter une vive réaction est la réduction proposée du programme Medicaid [couverture des frais médicaux de personnes à très faible revenu ou handicapées]. Les républicains à la Chambre des représentants ont déjà proposé, dans leur résolution budgétaire, de réduire de 880 milliards de dollars le budget de Medicaid sur dix ans. Cela représenterait une part importante des 660 milliards de dollars que coûte actuellement Medicaid chaque année.
Si Medicaid est toujours considéré comme un programme destiné aux pauvres, 72 millions de personnes bénéficient en réalité de ses prestations. De telles coupes toucheraient davantage les circonscriptions démocrates, car celles-ci se trouvent dans des Etats qui ont étendu Medicaid dans le cadre de l'Affordable Care Act [Loi sur la protection des patients connue sous le nom d'Obamacare], mais de nombreuses circonscriptions républicaines seraient également touchées. Dans la circonscription du président républicain de la Chambre des représentants, Mike Johnson [Louisiane], par exemple, un tiers de la population bénéficie de l'aide de Medicaid. Certains représentants républicains ont exprimé leurs inquiétudes quant aux conséquences électorales de telles coupes. [11]
Des coupures importantes dans le programme Medicaid affaibliraient également les hôpitaux et les maisons de retraite dans les circonscriptions les plus touchées. Medicaid et Medicare [couvrant les frais médicaux des personnes âgées] représentent ensemble près d'un tiers des revenus des hôpitaux. A lui seul, Medicaid fournit environ 14% de ces revenus, et davantage pour les maisons de retraite. Les coupes budgétaires proposées entraîneraient la fermeture de certains services de santé, ainsi que des licenciements de personnel. Ainsi, les communautés les plus touchées par les coupes budgétaires et déjà confrontées à des services médicaux insuffisants verraient leurs établissements de soins se raréfier.
Ces coupes auront également un impact sur les budgets des Etats en général, puisque les fonds fédéraux et étatiques destinés à Medicaid représentent en moyenne 28% des recettes des Etats. [12] L'opposition aux coupes dans Medicaid a déjà pris la forme de recours judiciaires intentés par une alliance de procureurs généraux des Etats démocrates.
La plupart des coupes budgétaires effectuées jusqu'à présent visent non seulement à réduire ou à supprimer les agences qui aident les personnes pauvres et les classes populaires aux Etats-Unis et à l'étranger, mais aussi à affirmer le pouvoir présidentiel et le contrôle de l'exécutif sur tous les aspects de la bureaucratie administrative.
Sept mille employés du programme USAID ont été licenciés ou mis en congé, 1700 du Bureau de protection financière des consommateurs, trois hauts fonctionnaires de la Commission pour l'égalité des chances en matière d'emploi et deux du Conseil national des relations du travail (National Labour Relations Board-NLRB), perpétuellement en sous-effectif.
Les nouveaux responsables des agences de Trump ont également procédé à des purges politiques au sein du département d'Etat, du Conseil national de sécurité, du Bureau de la démocratie, des droits de l'homme et du travail, et de deux comités consultatifs économiques du département du Commerce. Le licenciement des 18 inspecteurs généraux qui supervisent toutes les grandes agences fédérales – c'est-à-dire la suppression de tout contrôle objectif et de toute transparence – est un signe clair du renforcement du pouvoir et de la liberté d'action du président.
Trump/Musk ont également licencié plus d'une douzaine de procureurs fédéraux qui enquêtaient sur les activités criminelles de Trump. [13] Et ainsi de suite.
Depuis que Woodrow Wilson [1913-1921] a ségrégué une grande partie de la bureaucratie fédérale, aucun président n'avait pris de mesures aussi ouvertement racistes à l'encontre des fonctionnaires fédéraux. L'une des premières mesures prises par Trump a été de mettre fin à tous les programmes DEI (diversité, équité et inclusion). Cette mesure a été suivie par le licenciement ou la mise en « congé » du personnel lié à la DEI dans l'ensemble du gouvernement.
A la mi-février, cela concernait notamment les anciens combattants (Veterans Affairs), l'EPA (Environmental Protection Agency), l'éducation (département de l'Education), l'EEOC (Equal Employment Opportunity Commission) et même les garde-côtes. [14] Avec l'expulsion prévue de millions d'immigrants, c'est un pas de plus dans la volonté de Trump de « rendre l'Amérique blanche à nouveau », ce qu'elle n'a jamais été. Des manifestations ont déjà éclaté pour s'opposer à ce racisme flagrant et d'autres sont à prévoir.
Pour couronner son nettoyage ethnique du gouvernement au profit de la ploutocratie, voire de l'oligarchie, Trump a nommé pas moins de 13 milliardaires et un nombre supplémentaire de multimillionnaires à des postes de haut niveau dans son administration. Certains sont des amis de Donald Trump, beaucoup travaillent dans la finance, le capital-investissement ou l'immobilier. Ensemble, ils pèseraient 380 milliards de dollars.
Cela ne tient pas compte d'Elon Musk, dont la fortune, estimée à plus de 400 milliards de dollars, dépasse celle de tout le groupe, du moins jusqu'à ce que le cours de l'action Tesla se soit effondré en mars. [15] C'est un sacré casting pour un soi-disant populiste.
Les obstacles à la MAGAnomics, les racines de la résistance
Les obstacles à la réalisation du rêve de Trump d'une « forteresse américaine » fondée sur une économie manufacturière florissante et les racines de la résistance croissante résident en partie dans la situation économique de longue date des Etats-Unis et du monde. Je dis « en partie » parce que l'action sociale des êtres humains n'est jamais le simple reflet des conditions économiques.
Trump ira à contre-courant de l'économie aussi longtemps que possible, et l'inflation et la résistance populaire contre les expulsions contribueront à l'émergence d'un nombre croissant de leaders et d'organisations de base, y compris potentiellement la croissance des syndicats, mais ne la garantiront pas. Comme beaucoup d'autres, j'ai souvent plaidé en faveur de la nécessité d'une « minorité militante » de la classe laborieuse, consciente et bien organisée, telle qu'elle a émergé dans les années 1930, pour diriger une résistance de masse.
Il est désormais presque universellement reconnu que le capitalisme dans les économies avancées, avec les Etats-Unis au centre et la Chine qui rattrape son retard, a ralenti jusqu'à presque s'arrêter au cours de la dernière décennie et devrait continuer à ce rythme. Même le Fonds monétaire international et la Banque mondiale le confirment. Comme l'a déclaré l'année dernière la directrice du FMI, Kristalina Georgieva, le reste de la décennie s'annonce « morose et décevant » et « sans correction de cap, nous nous dirigeons vers une décennie 2020 tiède ». [16] Si cette réalité fait débat, d'un point de vue marxiste, le déclin général des taux de profit, avec quelques hauts et bas, a limité les investissements dans les secteurs productifs de l'économie.
De plus, même si les super-riches dépensaient moins leurs nouveaux abattements fiscaux dans les cryptomonnaies, les actions et autres spéculations financières (contre l'avis de Trump), le succès serait certainement limité. L'économie des Etats-Unis a été déformée par des investissements disproportionnés dans le développement des infrastructures gigantesques (très coûteuses et désastreuses sur le plan écologique) nécessaires à l'intelligence artificielle générative (IA) et aux technologies connexes. Une grande partie de ces investissements aura probablement peu d'utilité industrielle pratique, même si Musk en absorbera une partie pour refondre l'Etat.
Les énormes capitaux absorbés par ce secteur de l'IA ont, à leur tour, contribué à saper la productivité dans le reste de l'économie, en particulier dans la production et la circulation des biens. Dans le but d'augmenter leurs profits, les entreprises ont augmenté leurs prix et contribué à l'inflation. Ensemble, ces tendances laissent présager une période de « stagflation » analogue à celle des années 1970 plutôt qu'un nouvel « âge d'or ». [17]
Aux Etats-Unis, les profits non financiers ont augmenté d'année en année, mais leur répartition a empêché une période de croissance générale. D'un côté, des centaines de milliards pour l'IA et un petit groupe de grandes entreprises (principalement les « Magnificent Seven » de la technologie) ; de l'autre, des entreprises « zombies » en déclin, avec peu ou pas de bénéfices, qui représentent 20 à 30% de toutes les entreprises ces dernières années, et celles du milieu qui tombent en dessous du seuil de rentabilité. [18]
La répartition des profits est illustrée par le fait que, mesurées en termes de taux de marge net, les entreprises du secteur des technologies de l'information affichent un taux de profit deux fois supérieur à la moyenne. Etant donné qu'autant d'entreprises affichent un faible retour sur investissement, les taux de profit moyens ont de nouveau baissé depuis 2022. [19]
En outre, l'idée que l'IA générative va entraîner une renaissance de l'industrie manufacturière est une autre utopie technologique. Comme le souligne Daron Acemoglu, expert de renom en IA, fin 2024, « seules 5% environ des entreprises aux Etats-Unis ont déclaré utiliser l'IA ». Il ajoute : « L'IA est une technologie de l'information. Elle ne fera pas votre gâteau ni ne tondra votre pelouse. Elle ne prendra pas non plus le contrôle des entreprises ou de la recherche scientifique. Elle peut plutôt automatiser une série de tâches cognitives qui sont généralement effectuées dans les bureaux ou devant un ordinateur. » [20]
Une étude récente de la Brookings Institution est arrivée à la même conclusion : « L'IA n'est pas susceptible de perturber beaucoup le travail physique, routinier et manuel, à moins d'une percée technologique dans le domaine de la robotique. » [21] Cette dernière n'a pas eu d'impact sur la productivité de l'industrie manufacturière ou des transports depuis plus d'une décennie, malgré quelques nouveaux développements.
Une enquête réalisée en 2025 par le Pew Research Center a révélé que près de 80% des travailleurs et travailleuses n'utilisent pas l'IA ou n'en ont jamais entendu parler sur leur lieu de travail. En outre, ceux qui l'utilisent sont concentrés dans quelques « zones métropolitaines hautement qualifiées », à savoir San Jose, San Francisco, Durham, New York et Washington DC, et non dans les grandes villes industrielles.
L'IA pourrait bien accélérer et éliminer de nombreux emplois, mais ceux-ci ne concerneront pas principalement la production et le transport de marchandises ni la plupart des services qui exigent un effort physique et des déplacements, c'est-à-dire la majorité des emplois de la classe laborieuse. [22]
Enfin, l'inflation va très certainement compromettre les plans de Trump et, dans le même temps, susciter une résistance accrue parmi un plus grand nombre de travailleurs. Cela risque d'encourager à la fois la militance syndicale et la création de nouvelles organisations, malgré l'affaiblissement de la NLRB par Trump et le fanatisme anti-syndical général.
La faible productivité, combinée à la stagnation à long terme des salaires réels et à l'augmentation des marges bénéficiaires (même si elles sont inégalement réparties), tend à pousser les prix à la hausse et à alimenter l'inflation. Après avoir légèrement reculé à partir de février 2024, l'inflation a de nouveau augmenté entre septembre et janvier 2025 pour atteindre 3% sur l'ensemble des biens, avant de retomber légèrement à 2,8% en février, en raison presque exclusivement de la baisse des prix des billets d'avion et des voitures – une baisse qui ne durera pas longtemps avec les droits de douane imposés par Trump.
Dans l'ensemble, Goldman Sachs prévoit que les droits de douane de Trump feront augmenter l'inflation d'un point de pourcentage en 2025. [23] La croissance réelle du PIB a chuté à 2,3% au cours de cette période et le chômage est resté autour de 4%. Malgré la hausse des profits, les investissements fixes ont baissé et les faillites d'entreprises ont augmenté, ce qui laisse présager une « stagflation », c'est-à-dire une croissance lente combinée à une hausse des prix. [24]
Les grèves ne concernent bien sûr pas uniquement les salaires, les questions liées aux conditions de travail étant souvent encore plus importantes. Et là aussi, il y a lieu de s'attendre à une résistance, car les employeurs cherchent à augmenter leurs taux de profit en baisse en intensifiant le travail, souvent sous l'impulsion des technologies numériques.
Toutefois, à l'heure actuelle, début 2025, on ne constate pas de recrudescence des grèves. Comme le rapporte le Labor Action Tracker de l'Institute for Labor Research (ILR), le nombre de grèves est passé de 471 en 2023 à 359 en 2024, tandis que le nombre de grévistes est tombé de 539 000 à 293 000. Ces niveaux restent toutefois bien supérieurs à ceux de 2022 et 2021. Néanmoins, début mars de cette année, seules 36 grèves ont été enregistrées par l'ILR, ce qui est nettement inférieur aux trois années précédentes. [25]
Le nombre de grévistes en 2023 a été soutenu par d'importantes négociations collectives, notamment celles des 160 000 acteurs de la SAG-AFTRA (Screen Actors Guild ?American Federation of Television and Radio Artists), les 75 000 membres du SEIU (Service Employees International Union) chez Kaiser Permanente [consortium de soins intégrés] et les 65 000 enseignants de Los Angeles. [26] Deux raisons peuvent expliquer ce recul des actions de grève : le ralentissement de la hausse des prix à la consommation pendant la majeure partie de l'année 2024 et le nombre moins élevé qu'en 2023 de contrats arrivant à expiration, moment où la plupart des grèves ont lieu.
Toutefois, en ce qui concerne les grèves importantes impliquant 1000 travailleurs ou plus, leur nombre a augmenté, avec 31 grèves mobilisant 271 500 travailleurs, soit plus de 90% du total, à partir de 2024. Le nombre de grèves importantes a été bien supérieur à celui de toutes les années depuis 2000, tandis que le nombre de grévistes a également été supérieur à celui de la plupart des années depuis 2000, à l'exception de 2023 et de la vague de grèves des enseignants des « Etats rouges » [républicains] en 2018-2019.
L'éducation et les services de santé ont été les principaux secteurs touchés par les grèves, et l'Ouest a été le théâtre de la majorité d'entre elles, reflétant les changements au sein de la classe ouvrière. [27] Une grande partie des contrats expirant en 2025 concernent l'éducation et les services de santé, ce qui laisse présager un nombre important de grèves de grande ampleur.
D'autre part, la syndicalisation s'est quelque peu accélérée en 2024 grâce à l'amélioration du NLRB et à des tactiques plus audacieuses, même si cela reste loin de ce qui est nécessaire pour que le mouvement syndical se développe réellement par cette voie. Selon les estimations du Bureau of Labor Statistics (BLS), le nombre d'adhérents aux syndicats n'a pratiquement pas changé, augmentant à peine de 31 000 personnes, grâce uniquement aux secteurs de l'éducation et de la santé. [28] Cependant, les premières victoires, même partielles, remportées par les Teamsters chez Amazon et les grèves « transplants » [horizontales dans des secteurs de plusieurs firmes] de l'UAW pourraient annoncer une percée majeure, avec ou sans l'aide de la NLRB.
Dans le même temps, les mouvements réformateurs de ces dernières années ont poussé à plus de démocratie et d'action dans un certain nombre de syndicats, notamment l'United Auto Workers (UAW), les Teamsters, les syndicats ferroviaires, l'United Food and Commercial Workers, les Theatrical and Stage Employees, les Professional and Technical Engineers et la National Association of Letter Carriers.
Suivant l'exemple des Teamsters chez UPS en 2023, davantage de travailleurs se sont engagés dans des campagnes actives pour obtenir des contrats et rejeter ceux qui leur étaient proposés, obtenant souvent des gains importants grâce à une menace de grève sérieuse. [29] Ces éléments indiquent que, même si le niveau des grèves et l'intensification de la syndicalisation restent faibles par rapport aux normes historiques, les nouvelles tactiques et la plus grande implication de la base suggèrent que la « majorité militante » est en train de croître.
Il sera encore plus difficile de remporter des victoires par des moyens conventionnels en 2025, non seulement parce que Trump fera tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher les victoires, briser les syndicats et s'attaquer aux travailleurs immigrés qui jouent un rôle clé dans de nombreux secteurs, mais aussi en raison du problème sous-jacent de la rentabilité. Outre les faibles bénéfices de nombreuses entreprises, les coûts de production ont déjà augmenté, comme le montre la hausse de l'indice des prix à la production du BLS, et les employeurs s'opposeront aux gains importants obtenus ces deux dernières années. [30]
Dans le même temps, cependant, la hausse du coût de la vie encouragera les travailleurs à se mobiliser. Il est impossible de prédire laquelle de ces forces contradictoires l'emportera, mais le conflit sous-jacent s'est intensifié. Les signes de résistance se multiplient, tant dans les négociations collectives que dans l'opposition aux expulsions massives de travailleurs immigrés.
Le syndicat des enseignants de Chicago, par exemple, tente de constituer une coalition de syndicats locaux prêts à lutter contre les initiatives de Trump. Stratégiquement, en s'appuyant sur les succès remportés depuis environ un an par les Teamsters et d'autres, une percée significative chez Amazon ou d'autres entreprises très rentables pourrait modifier considérablement les rapports de forces entre classes.
Des démocrates désorientés, en déclin et en désarroi
Le Parti démocrate est l'un des rares lieux où la résistance est notablement absente. Des anciens et actuels responsables politiques aux stratèges et experts sympathisants, en passant par les consultants associés, les chroniqueurs de journaux et les grands donateurs, tous sont désabusés et divisés quant à la défaite électorale du parti, à la perte de son électorat traditionnel, à son avenir et à la marche à suivre.
Trop « woke » ou pas assez « woke » [« réveillé »] ? S'opposer ou coopérer (lorsque c'est possible) ? « Faire le mort » (James Carville – conseiller en stratégie du Parti démocrate) ou « attendre et voir » (Hakeem Jeffries – chef de la minorité démocrate à la Chambre). Ou peut-être le vieux refrain : « C'est l'économie, idiot ». Si l'on assiste soudainement à quelques dénonciations rhétoriques des milliardaires, il n'y a pas de véritable remise en question des politiques économiques ou sociales susceptibles de rallier les électeurs et électrices.
Tout le monde semble s'accorder sur un point : s'il y a beaucoup de candidats à l'investiture présidentielle de 2028, ce parti manque de leaders et de leadership. De plus, selon les politiciens et les experts, le problème réside dans le « message » et l'« image de marque » du parti. [31]
C'est le langage de la publicité, pas celui de la politique ou des politiques publiques, et encore moins celui d'une organisation populaire. C'est le cadre analytique d'un parti qui dépense des milliards en publicité, en consultants et en bureaucratie, qui manque de membres et de base organisée, et qui dépend de la générosité des donateurs. Sa base électorale est un public individualisé, qu'il perd de plus en plus.
Cela n'a pas toujours été le cas. Quelle que soit l'opinion que l'on ait sur les limites de la New Deal Coalition [qui soutenait le Parti démocrate en 1932] qui s'est effondrée il y a plusieurs décennies – certes nombreuses –, elle était enracinée dans les quartiers urbains grâce à ses anciennes machines électorales, aussi corrompues fussent-elles, avec leurs organisations départementales, leurs systèmes de clubs politiques et, après 1937, leurs syndicats industriels actifs. Dans les années 1970 ont disparu les machines, privées de clientèle en raison de l'évolution démographique urbaine, les clubs abandonnés et les organisations départementales vidées de leur substance. [32]
Même avant la disparition des emplois industriels et le déclin des syndicats, ces derniers, qui adoptaient de plus en plus le syndicalisme d'entreprise, avaient perdu leur capacité à mobiliser leurs membres pour l'action politique. La politique et les soutiens politiques, tout comme la négociation collective, étaient devenus l'apanage des directions. Sur le lieu de travail, les litiges étaient de plus en plus souvent réglés au plus haut niveau et les délégués syndicaux ainsi que les comités se voyaient réduits à un travail social légalisé plutôt qu'à la mobilisation et à l'action, économique et politique.
Ainsi, après une brève augmentation à 80% contre Goldwater en 1964 [Lyndon B. Johnson obtient 61,1% des votes et Barry Goldwater 38,5%], sans résistance organisée à la « réaction blanche » de la fin des années 1960, le vote des ménages syndiqués démocrates et des membres blancs des syndicats s'est effondré depuis longtemps. Depuis lors, le pourcentage de ménages syndiqués votant démocrate est resté bloqué entre 55% et 60%, à l'exception de 1976, après huit ans de Nixon, sans jamais se redresser, même après quatre ans de Trump. [33]
A leur place, à partir des années 1970, sont apparus les PAC d'entreprise [assurant le financement des campagnes], suivis par de riches donateurs, des consultants coûteux et des comités de parti de haut niveau de plus en plus bien financés et dotés en personnel.[34] En 2024, les trois principaux comités nationaux du Parti démocrate, sans compter les fonds levés par les PAC, les candidats individuels et les partis des Etats, ont dépensé à eux seuls plus de 2 milliards de dollars, contre 620 millions en 2000, dont une grande partie a été consacrée aux médias et aux consultants. [35]
Sur le plan politique, les centristes qui contrôlent aujourd'hui ces comités du parti n'ont aucun projet pour changer cela, ni aucune politique économique pour modifier la perception selon laquelle les démocrates sont le parti du statu quo (ancien et insatisfaisant).
Le principal problème actuel de la hiérarchie démocrate est l'érosion de sa base électorale, qui s'est manifestée en 2024 par la perte de six millions de voix par rapport à 2020, notamment le déclin continu du vote des hommes noirs et la chute brutale du vote latino. [36]
Au cours des deux dernières décennies, le nombre d'électeurs inscrits se déclarant pleinement démocrates est passé de 37-40% à 33% en 2024. La situation n'était pas meilleure dans les scrutins régionaux, où le pourcentage de parlementaires démocrates est devenu minoritaire, à 44%, pour la première fois en plus de cent ans. [37]
Les conditions économiques évoquées ci-dessus, combinées à l'incapacité de taxer les revenus élevés, à la richesse individuelle obscène et aux profits exorbitants des géants de la finance et des hautes technologies en raison de la dépendance des démocrates à leur égard, ainsi qu'à l'idéologie de la plupart des responsables politiques et des titulaires de fonctions officielles, empêchent les démocrates de plaider en faveur d'une redistribution significative des richesses.
C'est pourquoi la couverture médicale universelle, la garantie de l'emploi, les logements à bas prix, l'augmentation du salaire minimum, le contrôle des prix sous toutes ses formes, le développement massif des énergies renouvelables, etc. ne sont pas sérieusement envisagés.
De plus, les élections de 2024 ont encore plus centré le parti national. A la Chambre des représentants, le Squad [Alexandria Ocasio-Cortez, Ilhan Omar, Ayanna Pressley, Rashida Tlaib et d'autres] a perdu deux membres et le Progressive Caucus n'a enregistré aucun gain net. En revanche, 23 des 33 démocrates nouvellement élus à la Chambre ont rejoint la New Democratic Coalition (New Dems), un groupe centriste qui est désormais de loin le plus important de la Chambre.
Comme si cela ne suffisait pas, les New Dems ont choisi le conservateur Brad Schneider (Illinois), membre du Blue Dog [caucus fort modéré du Parti démocrate], comme président. Tout espoir que ce groupe mène une lutte sérieuse contre Trump ou améliore les politiques économiques et sociales du parti relève de l'utopie.
Les démocrates pourraient reprendre le Congrès en 2026 en raison de la réaction contre les excès de Trump. Cette bataille se livrera toutefois dans un peu plus de 40 circonscriptions (sur 435) qui sont réellement disputables. Beaucoup d'entre elles se trouvent dans des circonscriptions suburbaines disproportionnellement aisées, où le « message » sera modéré, ce qui exclut tout glissement vers la gauche. Les candidats « de première ligne » triés sur le volet par le parti pour défendre les circonscriptions démocrates disputées sont toujours des New Dems modérés à une écrasante majorité.
Cela signifie la poursuite d'un cycle où le centre l'emporte sur la droite à la Chambre, ou pire, la montée de la droite avec ou sans Trump, plutôt que l'espoir d'une évolution progressiste. A moins que l'opposition populaire ne se développe rapidement et que la gauche ne prenne au sérieux son propre discours sur la construction d'un parti des travailleurs, même s'il ne s'agit que de quelques expériences dans ce sens en 2026. (Article publié sur le site Against the Current, mai-juin 2025 ; traduction rédaction A l'Encontre)
Kim Moody a fondé le réseau syndical Labor Notes en 1979. Il est l'auteur de nombreux ouvrages. Il enseigne actuellement à l'University of Westminster, Londres.
Notes
1. Nordregio.org., Sea Routes and Ports in the Arctic, Nordregio.org., January 2019, https://nordregio.org/maps/sea-routes-and-ports-in-the-Arctic/
2. Guardian Staff, “US firm to take control of ports on Panama canal in $14bn deal,” The Guardian, March 5, 2025 : 2.
3. White House, Tariffs as a Major Revenue Source : Implications for Distribution and Growth, White House, July 12, 2024, https://bidenwhitehouse.archives.gov/cea/written-materials/2024/07/12/tariffs-as-a-major-revenue-source-implications-for-distribution-and-growth/ ; Felix Richter, “Tariffs Are Not a Meaningful Source of Government Revenue, Statista, November 12, 2024, https://www.statista.com/chart/33464/us-government-receipts-in-fy-2023-by-source/
4. BLS, Manufacturing : NAICS 31-33, Industries at a Glance, February 19, 2025. See below.
5. Kana Inagati, et al. “How the car industry is exposed to Donald Trump's tariffs, “ Financial Times, November 29, 2024, https://www.ft.com/content/3d21261d-6c58-4487-9191-1c848df9fde9
6. Michale Roberts, “”Trump's ‘little disturbance',” Michael Roberts Blog, March 5, 2025.
7. USAFacts, How many people work for the federal government ? USAFacts, December 19, 2024, https://usafacts.org/Arcticles/how-many-people-work-for-the-federal-government/
8. Elixabeth Dwoskin, Faoz Siddiqui, and Emily Davies, “Turmoil within DOGE spills into public view as Musk's group confronts a PR crisis,” The Washington Post, March 10, 2025. https://www.washingtonpost.com/technology/2025/03/10/doge-musk-rebrand-trump-conflicts/
9. Douglas MacMilan, Aaron Schaffer and Daniek Gilbert, “Companies warn investors that DOGE's federal cuts might hurt business,” The Washington Post, March 9, 2025.
10. Michael Kinnucan, “Republicans Want to Gut Medicaid. They Might Regret It,” New York Times, February 28, 20205, https://www.nytimes.com/2025/02/28/opinion/medicaid-republicans.html ; Margot Sanger-Katz and Alicia Parlapiano, “What Can House Republicans Cut Instead of Medicaid ? Not Much,” New York Times, February 25, 2025, https://www.nytimes.com/2025/02/25/upshot/republicans-medicaid-house-budget.html
11. Jenny Yang, “Hospital Revenue share in the U.S. as of 2021, by payer mix,” Statista, July 15, 2024, https://www.statista.com/statistics/1029719/composition-of-hospital-revenue-by-payer-contribution-in-the-us/#:~:text=In%202021%2C%20Medicare%20payments%20contributed%20to%2018.9%20percent,notified%20via%20email%20when%20this%20statistic%20is%20updated ; Kinnucan ; and Sanger-Katz and Parlpiano.
12. Amy Schoenfeld, et. al., “Where Trump, Musk and DOGE Have Cut Federal Workers So Far,” New York Times, February 11, 2025, https://www.nytimes.com/interactive/2025/02/11/us/politics/trump-musk-doge-federal-workers.html ; Reuters, “Trump administration disbands two expert panels on economic data,” Reuters, March 5,2025, https://www.reuters.com/world/us/trump-administration-disbands-two-expert-panels-economic-data-2025-03-05/
13. Schoenfeld, op cit.
14. Peter Charalambous, et. al., “Trump has tapped an unprecedented 13 billionaires for his administration. Here's who they are,” ABC News, December 18, 2024, https://abcnews.go.com/US/trump-tapped-unprecedented-13-billionaires-top-administration-roles/story?id=116872968 ; The Economic Times, News, “Billionaires in Trump 2.0 team worth over $380 bn, exceeding 172 countries' GDP,” January 3, 2025, https://economictimes.indiatimes.com/news/international/global-trends/billionaires-in-trump-2-0-team-elon-musk-vivek-ramaswamy-warren-stephens-linda-mcmahon-jared-isaacman-howard-lutnick-steven-witkoff-doug-burgum-scott-bessent-worth-over-380-bn-exceeding-172-countries-gdp/Articleshow/116919672.cms?utm_source=contentofinterest&utm_medium=text&utm_campaign=cppst
15. Michael Roberts, “The Tepid Twenties,” Michale Roberts Blog, April 14, 2024.
16. Ascension Mejorado and Manuel Roman, Declining Profitability and the Evolution of the US Economy : A Classical Perspective, New York : Routledge, 2024 ; Michael Roberts, The Long Depression : How It Happened, Why It Happened, and What Happens Next, Chicago : Haymarket Books, 2016 ; Anwar Shaikh, Capitalism : Competition, Conflict, Crises, New York : Oxford University Press, 2016 ; Michael Roberts “Blog” which is cited in places below. For shifting logistics and falling productivity see Kim Moody, “The End of Lean Production & What Lies Ahead for Labor : The US Experience,” Capital & Class, forthcoming.
17. Mejorado and Roman : 14, passim ; Michale Roberts, “From the Magnificent Seven to the Desperate Hundreds,” Michael Roberts Blog, April 7, 2024.
18. Full:ratio, Profit Margin by Industry, March 2025, https://fullratio.com/profit-margin-by-industry ; Michael Roberts, “Profits : margins and rates,” Michael Roberts blog, March 18, 2024.
19. Daron Acamoglu, “America is Sleepwalking into an Economic Storm,” New York Times, October 17, 2024, https://www.nytimes.com/2024/20/17/opinion/economy-us-aging-work-force-ai.html
20. Molly Kinder, et. al., “Generative AI, the American worker, and the future of work,” Brookings Institution, October 10, 2024.
21. Mark Muro, et. al., The Geography of generative AI's workforce impacts will likely differ from those of previous technologies,” Brookings Institution, February 19, 2025.
22. Robert Kuttner, “Trump's Stagflation,” The American Prospect, March 12, 2025.
23. BLS, Consumer Price Index-February 2025, USDL-25-0332, March 12, 2025 ; BLS, Employment Situation-February 2025 USDL-25-0296, March 7, 2025 ; BEA, Gross Domestic Product, 4th Quarter and Year 2024, BEA 25-05, February 27, 2025 ; Michael Roberts, “A whiff of stagflation,” Michael Roberts Blog, February 17, 2025.
24. Deepa Kylasam Lyer, et. al., Labor Action Tracker : Annual Report 2024 : 3-4, 11.
25. Jenny Brown, “Big Strikes, Bigger Gains,” Labor Notes 538, January 2024 : 8-10.
26. BLS, Major Work stoppages in 2024, USDL-25-0226, February 20, 2025 ; BBLS, Work Stoppages, Annual work stoppages involving 1,000 or more workers, 1947 – Present, February 20, 2025.
27. BLS, Union Members 2024, USDL-25-0105, January 28, 2025.
28. See Jenny Brown, “Strikes and Organizing Score Gains, but Storm Clouds Loom, “ Labor Notes 550, January 2025 : 8-10.
29. BLS, Producer Price Indexes-January 2025, USDL-25-0176, February 13, 2025.
30. Citations for this would take up pages, but the major sources are New York Times, Washington Post, Politico, The Hill, Jacobin, HuffPost.
31. Steven P. Erie, Rainbow's End : Irish-Americas and the Dilemmas of Urban Machine Politics, 1840-1985,Berkeley : University of California Press, 1988 ; Dennis R. Judd and Todd Swanstrom, City Politics : The Political Economy of Urban America ; Iro Katznelson, City Trenches : Urban Politics and the Patterning of Class in the United States, Chicago : University of Chicago Press, 1981.
32. For a few analyses of this see : Mike Davis, Prisoners of the American Dream : Politics and Economy in the History of the US Working Class, Verso, 1986 ; Kim Moody, US Labor in Trouble and Transition : The Failure of Reform From Above, The Promise of Revival From Below, London : Verso, 2007.
33. There are many accounts of this, but for a recent look at the rise of money, despite its misleading title : Ryan Grim, We've Got People : From Jesse Jackson to Alexandria Ocasio-Cortez, the End of Big Money and the Rise of a Movement, Washington DC : Strong Arm Press, 2019 ; also Kim Moody, Breaking the Impasse : Electoral Politics, Mass Action & The New Socialist Movement in the United States, Chicago : Haymarket Books, 2022.
34. OpenSecrets.com, Political Parties, 20204, 2000.
35. For more detail on this see : Kim Moody, “The Democrats' Path to Defeat,” Against the Current #234, February 2025 : 14-18 ; Howie Hawkins, “A Political Paradox : A Progressive-Leaning Public Elects A Far Right President,” New Politics Vol. XX No 2, Winter 2025 : 3-16.
36. Pew Research Center, “The partisanship and ideology of American voters,” Pew Research Center, April 9, 20204 ; Ballotpedia, “Democrats lost 92 state legislative seats during the Biden presidency,” Daily Brew, March 10,2025.
37. Michael Li and Gina Feliz, “The Competitive Districts that Will Decide Control of the House,” Brennan Center for Justice, October 24, 2024, https://www.brennancenter.org/our-work/analysis-opinion/competitive-districts-will-decide-control-house
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L’accord sur les minéraux de Trump est-il une extorsion au profit des énergies fossiles ?

L'administration Trump a signé un accord avec l'Ukraine accordant aux États-Unis une participation à long terme dans les ressources pétrolières, gazières, charbonnières et minérales du pays, dans le cadre d'un fonds d'investissement commun avec Kyiv. Le président Trump a présenté cet accord comme une forme de remboursement de l'aide militaire américaine fournie à l'Ukraine depuis le début de l'invasion russe en février 2022. Nous nous entretenons avec la journaliste d'investigation Antonia Juhasz, qui qualifie cet accord de « prise » de ressources « sans précédent », permettant à Trump de rouvrir l'accès des États-Unis au pétrole et au gaz russes, lesquels peuvent transiter par les infrastructures énergétiques ukrainiennes.
1er mai 2025 | tiré du site de Democracy now !
https://www.democracynow.org/2025/5/1/ukraine_minerals_trump_zelensky
AMY GOODMAN : Vous écoutez Democracy Now !, democracynow.org, le Journal de la guerre et de la paix. Je suis Amy Goodman, avec Nermeen Shaikh.
NERMEEN SHAIKH : Des responsables américains et ukrainiens ont signé un accord octroyant aux États-Unis une participation dans les réserves de minerais de l'Ukraine, dans le cadre d'un fonds d'investissement conjoint avec Kyiv. Les détails de l'accord n'ont pas encore été rendus publics, mais, selon le Financial Times, il ne comprend pas de garanties de sécurité explicites de la part des États-Unis. Trump a tenté de présenter cet accord comme un remboursement de l'aide militaire américaine depuis l'invasion russe de février 2022. Le Parlement ukrainien devra encore ratifier l'accord. Le secrétaire au Trésor, Scott Bessent, s'est exprimé après la signature.
SCOTT BESSENT, SECRÉTAIRE AU TRÉSOR : L'accord d'aujourd'hui envoie un message clair à la direction russe : l'administration Trump est engagée dans un processus de paix centré sur une Ukraine libre, souveraine et prospère à long terme. Il est temps que cette guerre cruelle et insensée prenne fin.
AMY GOODMAN : Nous sommes rejoints par Antonia Juhasz, journaliste d'investigation qui a reçcu de nombreux prix pour ses recherches, spécialisée depuis longtemps dans le domaine du pétrole et de l'énergie. En mars, Antonia a publié un article dans Rolling Stone intitulé : « L'accord minier de Trump est-il une extorsion fossile ? » Elle a également couvert le démantèlement par l'administration Trump des réglementations environnementales et climatiques. Elle nous rejoint depuis Washington D.C. Antonia, bienvenue à nouveau sur Democracy Now !
ANTONIA JUHASZ : Merci de m'accueillir. Bonjour.
AMY GOODMAN : Pouvez-vous nous parler de cet accord signé hier entre les responsables ukrainiens et américains ? Cet accord sur les minerais dits « rares » ? Que contient-il, et que représente-t-il selon vous ?
ANTONIA JUHASZ : Bien sûr, et encore merci de m'avoir invitée. Bonjour.
Il s'agit en fait d'un fonds d'investissement pour la reconstruction mis en place entre les États-Unis et l'Ukraine. On le surnomme depuis un moment l'« accord sur les minerais », ce qui est un peu un abus de langage. L'idée originale de l'accord remonte à plusieurs années, après la première invasion russe, lorsque Zelensky cherchait à convaincre le Congrès républicain de continuer à financer l'aide militaire à l'Ukraine sous l'administration Biden, en leur proposant, en gros : « Si vous continuez à nous soutenir, nous vous donnerons une part de l'économie ukrainienne. »
Sous l'administration Trump, cela s'est transformé en une véritable prise de contrôle des ressources naturelles ukrainiennes — certaines pourraient inclure des terres rares, mais l'intérêt principal concerne surtout le pétrole, le gaz, le charbon, donc les énergies fossiles, avec une ouverture à l'investissement américain, mais aussi, selon moi, au contrôle russe. L'objectif principal de Poutine est la levée des sanctions, pour rouvrir la Russie aux compagnies pétrolières américaines.
L'accord signé hier a été modifié depuis la version initiale présentée fin février. C'était d'ailleurs l'objet de la visite de Zelensky à la Maison-Blanche. Cette rencontre, mise en scène par JD Vance et Trump, visait à humilier Zelensky, à lui montrer que Trump avait pris parti pour la Russie et qu'il devrait se soumettre s'il voulait obtenir quoi que ce soit. L'accord devait être signé ce jour-là. Ce ne fut pas le cas. Depuis, des négociations ont eu lieu. L'accord présenté hier est, je dirais, meilleur que celui de février, mais reste problématique à plusieurs égards.
NERMEEN SHAIKH : Pouvez-vous expliquer certains de ces problèmes ? Lors de la rencontre très publique et tendue de février, Zelensky avait déclaré que le projet d'accord revenait à, je cite, « vendre son pays ». Quels étaient alors les obstacles, et qu'est-ce qui a été modifié dans la version actuelle — qui doit encore être ratifiée par le Parlement ukrainien ?
ANTONIA JUHASZ : Oui. D'abord, clarifions bien les choses. On parle d'un « accord minier », mais l'Ukraine ne possède pas nécessairement beaucoup de minerais. Elle produit du titane et du graphite. Elle pourrait avoir du lithium, et peut-être d'autres terres rares — douze métaux essentiels à l'énergie renouvelable. Il y a un intérêt à développer cette filière, d'autant plus que cela permettrait de réduire la dépendance aux énergies fossiles russes.
Mais l'accord inclut toutes les ressources naturelles de l'Ukraine — pétrole, gaz, charbon — et aussi ses infrastructures : les gazoducs qui traversent le pays, les ports, les installations de stockage, les raffineries, les centrales nucléaires. L'accord crée un fonds dans lequel iraient tous les futurs profits de ces ressources. Les États-Unis y contribueraient aussi, mais sans précision sur les montants. L'accord initial laissait entendre que les États-Unis auraient un contrôle majoritaire sur l'utilisation de ces ressources et des fonds, sans réellement injecter de l'argent — un « remboursement » pour l'aide militaire passée, selon Trump.
Aujourd'hui, on parle d'un partage 50/50 dans les décisions, et non plus d'un remboursement de l'aide militaire passée, mais d'un apport basé sur les aides futures. Cela reste problématique, car ce type d'accord n'a aucun précédent. Les États-Unis financent généralement la reconstruction via des dons ou prêts, ou investissent par des contrats. Il est inédit de lier une telle prise de contrôle aux ressources d'un pays en échange d'une poursuite de l'aide militaire. Même lors de l'occupation américaine de l'Irak, il n'y avait pas de disposition aussi explicite.
L'autre problème, c'est que Trump présente cet accord comme un échange : la paix en Ukraine contre la perte de la Crimée et des territoires occupés depuis 2014 et 2022, qui contiennent justement les plus riches réserves de pétrole, gaz et charbon de l'Ukraine, notamment dans le Donbass. Si Trump lève les sanctions, les compagnies américaines pourraient revenir en Russie.
AMY GOODMAN : Dix secondes, Antonia.
ANTONIA JUHASZ : Oui, pardon. Si Trump supprime les sanctions, tout le marché russe du pétrole et du gaz redevient accessible aux entreprises américaines.
AMY GOODMAN : Merci beaucoup, Antonia Juhasz, journaliste d'investigation primée, spécialiste de l'énergie. Nous mettrons en lien votre article pour Rolling Stone, « L'accord minier de Trump est-il une extorsion fossile ? » et vous inviterons à nouveau pour parler du bilan environnemental de Trump.
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“C’est le chaos” : comment les chercheurs américains font face aux assauts contre la science

Financements réduits, bourses annulées, fonctions supports supprimées… Les sanctions du gouvernement Trump contre les institutions scientifiques accablent les chercheurs. Certains, parmi ceux que le quotidien californien “San Francisco Chronicle” a rencontrés, redoutent que ces mesures ne privent les États-Unis de futurs prix Nobel.
30 avril 2025 | tiré de Courrier international
Lien de l'article : https://www.courrierinternational.com/article/c-est-le-chaos-comment-les-chercheurs-americains-font-face-aux-assauts-contre-la-science_229441 | Lien de l'image : https://focus.courrierinternational.com/2025/04/25/0/0/2400/1600/1280/0/60/0/ffed034_sirius-fs-upload-1-c6ju57nbw3vy-1745587010722-clone-schmitz.jpg |PhotoDessin de Stephan Schmitz paru dans « Science Magazine », Washington
Le gouvernement Trump a bloqué les financements fédéraux, réduit les ressources des universités et mis fin aux programmes liés à la diversité, à l'égalité et à l'inclusion, ce qui compromet les bourses en cours. Le “département de l'efficacité gouvernementale” (Doge) d'Elon Musk a également entrepris une campagne de licenciements dans les institutions scientifiques, en prétendant que cela permettra de limiter les budgets surdimensionnés.
À lire aussi : Recherche. La suppression des politiques de diversité heurte de plein fouet les scientifiques aux États-Unis
Ces mesures radicales ont semé le chaos dans les laboratoires et les établissements de recherche en Californie. “Nous éprouvons un sentiment de frustration, déclare Needhi Bhalla, chercheuse en biologie moléculaire, cellulaire et du développement à l'université de Californie (UC) à Santa Cruz, à propos de la précarité de la situation. Et nous nous demandons pourquoi ce qui a bénéficié du soutien des deux partis pendant soixante-dix ans se retrouve aujourd'hui pris pour cible.”
Chiffre
Un bon retour sur investissement
On estime que chaque dollar investi dans la recherche et le développement, aux États-Unis, rapporte au moins 5 dollars en moyenne, rapporte The Atlantic. Soit un gain de plusieurs milliards de dollars par an. Depuis des décennies, “la science a prospéré, transformant l'investissement du gouvernement en innovation technologique et en croissance économique”, insiste le magazine américain.En outre, rappelle de son côté la revue britannique Nature, les universités américaines créent chaque année plus de 1 100 start-up scientifiques. Elles donnent naissance à d'innombrables produits qui ont sauvé et amélioré des millions de vies. Par exemple des médicaments pour le cœur, contre le cancer ou les vaccins à ARN messager. Courrier International
Les États-Unis ont longtemps été à la pointe de la recherche scientifique et de l'innovation, mais les spécialistes redoutent que cette destruction aléatoire des infrastructures n'ait des conséquences négatives, généralisées et durables.
Dès le mois de janvier, le gouvernement a pris des mesures pour limiter les National Institutes of Health (NIH) et la National Science Foundation (NSF), qui financent la recherche dans tout le pays à hauteur de dizaines de milliards de dollars chaque année.
Durant l'exercice 2024, la Californie a reçu 5,2 milliards de dollars [environ 4,6 milliards d'euros] des NIH et 1 milliard de la NSF. En ce moment, les scientifiques se heurtent à de multiples obstacles pour obtenir des fonds – même l'argent qui avait été attribué avant le début du mandat de Trump.
“Le mal est fait”
D'autres étapes essentielles de la recherche scientifique sont perturbées. La procédure de demande de bourse auprès des NIH est interrompue à cause de l'annulation brutale des réunions d'évaluation des projets, au cours desquelles étaient recommandées les attributions de financements.
Les NIH au tribunal
Les NIH (Instituts nationaux de la santé), qui se consacrent à la recherche biomédicale, sont les mieux dotées de toutes les agences fédérales scientifiques. Ils mènent leurs propres travaux et soutiennent des projets au sein des universités.Mais depuis l'arrivée au pouvoir de Donald Trump, ils ont dû annuler des centaines de bourses, retarder l'attribution de nouvelles et tenter de réduire drastiquement les sommes allouées aux coûts indirects qui permettent notamment d'assurer le bon fonctionnement des laboratoires.“Mais les chercheurs ne se laissent pas faire”, assure Nature. Cinq poursuites sont en cours, intentées par des organismes scientifiques, des universitaires et des procureurs, contre les NIH et leur organisme de tutelle, le ministère de la Santé américain. Courrier International
“C'est tout simplement le chaos”, commente Gary Karpen, professeur de biologie moléculaire et cellulaire à l'UC Berkeley. L'incertitude règne dans le domaine de la planification des travaux et dans les programmes de recrutement, ajoute-t-il.
Randy Schekman, professeur de biologie moléculaire et cellulaire et chercheur auprès du Howard Hughes Medical Institute, craint que le blocage des fonds n'ait des répercussions qui dureront même plus longtemps que la pandémie. “Peut-être que ça sera rectifié dans les mois qui viennent, mais le mal est fait”, souligne Randy Schekman. Les scientifiques craignent en particulier que ces mesures n'affectent les étudiants, les doctorants et les postdoctorants.
À lire aussi : Opinion. Face à Trump, l'université Harvard bascule dans la résistance
À la fin du mois de janvier, le gel d'une grande partie des financements a suscité l'angoisse de la communauté scientifique. Bien qu'un juge fédéral ait bloqué la décision et que la directive ait été abrogée [une procédure d'appel est en cours], son effet a été traumatisant, disent les chercheurs, qui en ressentent encore l'onde de choc.
L'incertitude qui entoure le financement fédéral a incité le programme doctoral de sciences biologiques de l'UC San Diego à n'accepter que 17 étudiants pour l'année universitaire qui démarre l'automne prochain – nettement moins que les 25 qui sont admis d'ordinaire, indique Kimberley Cooper, qui enseigne la biologie cellulaire et du développement dans cette université.
Une génération touchée
Selon Randy Schekman, lauréat du prix Nobel de physiologie (ou médecine) en 2013, le département de biologie moléculaire et cellulaire de Berkeley accepte lui aussi moins d'étudiants pour son programme de l'an prochain. Ce recul est un nouveau coup dur pour les jeunes générations de chercheurs, qui ont aussi dû surmonter la pandémie. Il déplore :
“J'ai peur que nous ne perdions des gens qui pourraient être de futurs nobélisés.”
Les postdoctorants, qui ont pour objectif de s'établir et de prendre la direction de nouveaux laboratoires, font eux aussi face à un avenir incertain. Les postes sont limités, et des institutions comme Stanford ont gelé les embauches. Et même quand un jeune chercheur trouve effectivement un poste, à cause de la fragilité du financement fédéral, il peut être difficile de développer un programme de recherche.
“Je pense qu'à ce stade beaucoup de gens commencent pour cette raison à regarder ailleurs qu'aux États-Unis”, constate Isaac Lichter Marck, postdoctorant de la NSF qui travaille à l'Académie des sciences de Californie.
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Les scientifiques sont par ailleurs confrontés à des difficultés de financement à la suite de la suppression par le gouvernement Trump des programmes de diversité, d'égalité et d'inclusion (DEI). Un décret daté du 20 janvier [le jour de l'investiture du nouveau président] a annulé ces programmes dans toute l'administration, et les institutions de recherche en ont subi le contrecoup.
Les agences fédérales s'efforcent de se conformer au décret. La NSF, par exemple, passe actuellement en revue des bourses déjà attribuées en fonction de termes associés à la DEI, comme “égalité des chances” et “femmes”.
Les programmes qui aident les étudiants issus de milieux sous-représentés ont disparu. Ceux qui visaient à optimiser le développement des étudiants et leur accès à des carrières dans la recherche ont par exemple fermé en février 2025, soit onze mois plus tôt que prévu.
Des larmes et du travail jeté à la poubelle
Fabiola Avalos-Villatoro, diplômée du département de biologie moléculaire et cellulaire de l'UC Santa Cruz, a vu un financement potentiel lui échapper à cause de la purge anti-DEI. Sous la direction de Needhi Bhalla, elle a passé des semaines à préparer une demande pour des fonds spécifiquement destinés aux stagiaires venant de milieux sous-représentés, comme elle – Latino-Américaine et diplômée universitaire de première génération. Ce programme n'existe plus, il a été supprimé quelques jours avant qu'elle n'effectue sa demande. “Un mois de travail pour rien”, déplore-t-elle.
Fabiola Avalos-Villatoro étudie la ségrégation et la recombinaison des chromosomes, des travaux qui pourraient permettre de mieux comprendre l'infertilité, les fausses couches et les maladies génétiques. “J'ai pleuré pendant quelques jours”, avoue-t-elle. Needhi Bhalla prévoit de la financer à l'aide d'autres fonds. Mais cela pourrait empêcher le laboratoire de recruter d'autres étudiants à l'avenir, craint-elle.
Le programme Research Experiences for Undergraduates [REU, Expériences de recherche pour les étudiants] de la NSF pourrait également connaître des difficultés. Ce programme, qui finance des stages d'été dans des laboratoires dans tout le pays, est ouvert aux étudiants de premier cycle. Certains programmes sont spécifiquement conçus pour offrir aux étudiants issus de groupes sous-représentés des expériences pratiques en laboratoire.
“C'est toujours une formidable bouffée d'air frais d'accueillir tous ces jeunes”, assure Matthew Tiscareno, chercheur de l'Institut Seti, un organisme de recherche à but non lucratif situé à Mountain View, et directeur d'un programme REU. Selon lui, rien ne garantit que certains programmes REU continuent à être financés. Or les candidatures pour les programmes d'été affluent. Il s'inquiète que les étudiants ne se retrouvent sur la touche si les programmes REU restent ouverts aux candidatures pour s'apercevoir en fin de compte qu'ils n'ont plus de financement. “Ce serait du jamais-vu”, lâche-t-il.
Les coûts indirects plafonnés
Le gouvernement Trump a également tenté de réduire les fonds des NIH en s'attaquant aux “coûts indirects” associés aux bourses. Contrairement aux “coûts directs” de la recherche, les coûts indirects désignent les frais généraux, incluant par exemple les installations et l'administration.
Cela concerne le personnel universitaire qui gère les bourses et les infrastructures nécessaires pour assurer le bon fonctionnement des laboratoires et des équipements. Les taux de recouvrement des coûts indirects, négociés avec les institutions, correspondent en moyenne à 27 % ou 28 % du montant requis pour les coûts directs ; ils peuvent atteindre 50 % ou 60 %.
Le 7 février, les NIH ont ordonné que les coûts indirects des bourses, les nouvelles et celles qui sont en cours, soient plafonnés à 15 %. Une réduction du financement des bourses en cours serait synonyme de difficultés financières considérables pour les universités.
Celle de San Diego pourrait ainsi faire face à une réduction de ses fonds de 150 millions de dollars par an, à en croire Pradeep Khosla, chancelier de l'établissement. Loin de viser à améliorer l'efficacité, ces mesures semblent n'être qu'un moyen de nuire au système éducatif et aux infrastructures de recherche, estime Gary Karpen, de Berkeley.
À lire aussi : États-Unis. “C'est un bain de sang” : Trump lance “une purge de grande envergure” au ministère de la Santé
Un juge fédéral a bloqué l'entrée en vigueur des réductions budgétaires, pour l'instant du moins. Mais chez les chercheurs, l'inquiétude persiste. Needhi Bhalla affirme que si les baisses des coûts indirects sont mises en œuvre, des gens vont perdre leur emploi.
“Il y a toute une infrastructure, en ce qui concerne le personnel et les ressources, qui a pour mission de garantir que les étudiants qui rejoignent mon laboratoire puissent se concentrer sur la recherche, explique-t-elle. Tous ces emplois dépendent des coûts indirects.”
Le plafonnement des bourses pourrait avoir des conséquences importantes pour des villes comme Santa Cruz, dont l'université est le principal employeur du comté.
Vingt-deux États, dont la Californie, ont intenté une action en justice contre le gouvernement Trump au sujet du plafond de 15 %. “Une réduction de cette ampleur est tout simplement catastrophique pour d'innombrables Américains qui dépendent des avancées scientifiques de l'université de Californie pour sauver des vies et améliorer les soins de santé”, assure Michael Drake, président de l'université de Californie, dans un communiqué en soutien de l'action en justice.
“Une véritable tragédie”
Les scientifiques craignent que les changements de ces dernières semaines n'aient des conséquences durables sur la recherche scientifique aux États-Unis, ainsi que sur l'économie. Needhi Bhalla prévient :
“Souvent, dans le cas de la recherche publique financée par le gouvernement fédéral, il faut attendre des décennies avant que les résultats soient perceptibles.”
Les avancées scientifiques, comme le vaccin à ARNm contre le Covid-19, qui a sauvé des vies, nécessitent des années de recherche fondamentale.
À lire aussi : Médecine. Les promesses de l'ARN messager
Du point de vue de Bruce Alberts, biochimiste à l'UC San Francisco et président de l'Académie nationale des sciences de 1993 à 2005, les changements qui touchent les chercheurs vont engendrer un “gaspillage massif”, quand des laboratoires vont fermer et que des scientifiques vont quitter le pays. “C'est une véritable tragédie de voir les États-Unis s'affaiblir au profit de nos concurrents mondiaux”, regrette-t-il dans un courriel.
“Une machine bien huilée sabotée par l'administration Trump”
Mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le système de financement de la recherche académique a permis aux États-Unis de devenir – et de demeurer – le leader mondial de la découverte scientifique et de l'innovation technologique. Il repose sur “un partenariat visionnaire entre les secteurs public et privé”, indique Nature.Le gouvernement fédéral finance des agences de recherche thématique – comme la Nasa pour l'espace ou les NIH pour la santé – qui elles-mêmes reversent des subventions aux universités pour des projets de recherche. Ces sommes font effet de levier et permettent d'attirer d'autres sources de financement via des collaborations industrielles, des organisations caritatives, des ONG, des administrations locales, etc.En 2023, ces fonds externes ont permis de faire passer les 60 milliards de dollars versés par les agences à 109 milliards de dollars au total pour la recherche universitaire. Celle-ci débouche ensuite sur des technologies, des brevets et la création d'entreprises qui stimulent l'économie du pays. “Mais, aujourd'hui, cette machine bien huilée est victime de sabotage de l'administration Trump, déplore la revue scientifique. Les coupes budgétaires généralisées sont en train de démanteler les infrastructures qui ont justement contribué à faire des États-Unis une superpuissance scientifique.” Courrier International
Au beau milieu de ce chaos, des milliers de chercheurs font part de leurs inquiétudes sur des réseaux sociaux comme Bluesky et organisent des manifestations. Abby Dernburg, professeure de biologie moléculaire et cellulaire à Berkeley, est une des organisatrices du rassemblement Stand Up for Science [“Debout pour la science”] qui a eu lieu à San Francisco le 7 mars, une des 32 manifestations orchestrées dans tout le pays.
“L'objectif de Stand Up for Science est entre autres de rappeler à quel point nous sommes tous tributaires de la science et à quel point elle a une influence positive sur nos vies, indique-t-elle. Tout ça dépend d'énormes investissements dans la recherche. Ça ne se fait pas tout seul.”
Jack Lee
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Cachemire. Pourquoi le conflit entre l’Inde et le Pakistan ?

L'attentat de Pahalgam, dans la vallée de Baisaran, au Jammu-et-Cachemire, qui a tué 25 touristes indiens et un népalais, le 22 avril 2025, a relancé les hostilités entre l'Inde et le Pakistan. Il a été revendiqué par l'organisation islamiste le Front de résistance, lié au groupe djihadiste Lashkar-e-Taiba qui prospère au Pakistan.
Tiré d'Orient XXI.
Sans surprise, le gouvernement indien voit dans ce massacre la main d'Islamabad, mais n'apporte aucune preuve. De leur côté, les autorités pakistanaises démentent et proposent une « commission d'enquête internationale », mais restent muettes sur les liens entre ces mouvements djihadistes.
L'affrontement pakistano-indien sur la question du Jammu-et-Cachemire n'en est pas à ses premières salves. Dès août 1947, quand l'empire britannique des Indes est démantelé sur une base religieuse, entre l'Inde à majorité hindoue et le Pakistan majoritairement musulman, s'est posée la question du rattachement de l'État princier du Cachemire coincé entre les deux. Cette vaste région montagneuse s'était vu octroyer l'indépendance un an plus tôt. Mais son maharaja était hindou alors que la majorité de la population était musulmane. « L'élite du futur Pakistan considérait que le Jammu-et-Cachemire faisait “naturellement” partie du lot pakistanais », explique Christophe Jaffrelot (1). Dès octobre 1947, elle a ouvert les hostilités. Les deux pays se sont affrontés militairement pendant près de deux ans.
Trois guerres, trois confrontations
À l'issue de cette première guerre, le Cachemire est divisé en deux le long d'une ligne de 770 kilomètres, aujourd'hui encore appelée « Ligne de contrôle », faute de frontière dûment reconnue : 37 % du territoire revient au Pakistan, le reste à l'Inde.
Au total, l'ancien territoire est éclaté entre l'Azad Cachemire (le « Cachemire libre ») et le Gilgit-Baltistan, administrés par le Pakistan (soit 86 000 km2 et 6,4 millions d'habitants) ; le Jammu-et-Cachemire géré par l'Inde (92 440 km2 et 12,5 millions d'habitants) ; et l'Aksai Chin conquis par la Chine en 1962 ainsi que la vallée de Shaksgam cédée par le Pakistan. New Delhi, quel que soit le pouvoir en place, revendique avec constance la souveraineté sur l'ensemble ; le Pakistan sur le Jammu-et-Cachemire.

Depuis, New Delhi et Islamabad ont mené deux autres guerres (en 1965 et en 1971). Sans aller jusqu'à un conflit total, ils ont également fait parler la poudre trois fois (en 1999, en 2000-2001, en 2019), tuant des dizaines de milliers de personnes (entre 50 000 et 100 000 morts selon les sources).
Bordé à l'est par la Chine, dont la frontière avec l'Inde n'est toujours pas stabilisée ; à l'ouest par le frère ennemi pakistanais, lié à Pékin dans le cadre des Nouvelles routes de la soie ; au nord par l'Afghanistan à l'avenir incertain, le Cachemire représente en effet un enjeu stratégique. Au cœur de l'Himalaya, il assure aussi les réserves en eau.
Cependant le défi indien est aussi politique. Mis à part une courte période au début des années 2000, New Delhi a fait régner un ordre colonial et autoritaire sur la population cachemirienne musulmane (assassinats, détention arbitraire, discrimination…). Si certains mouvements contre ce régime d'exception militent pour un rattachement au voisin pakistanais, la majorité des opposants luttent pour une autonomie réelle de l'État sinon pour l'indépendance.
Hindouisation accélérée
Depuis août 2019, une chape de plomb supplémentaire s'est abattue sur la population. Le premier ministre Narendra Modi a lancé son plan d'hindouisation à marche forcée, supprimant l'article 370 de la constitution indienne qui garantissait l'autonomie de l'État. Pour assurer son autorité, il coupe le territoire en deux entre le Jammu-et-Cachemire et le Ladakh (moitié bouddhiste tibétain et moitié musulman).
L'article 35A qui interdisait aux non-Cachemiriens d'y acheter des terres est également supprimé — de quoi faciliter les projets immobiliers et touristiques pour transformer l'État en « riviera de l'Asie du Sud » selon l'expression à la mode. Et, progressivement, réduire la part des musulmans au profit des hindous acquis à New Delhi. En attendant, la répression demeure — arrestation d'avocats, de journalistes, détention sans procès, retraits de passeports — faisant le lit des attaques violentes ou djihadistes.
À défaut d'en finir avec cette politique, Narendra Modi va-t-il choisir la fuite en avant dans un nouveau conflit armé avec le Pakistan ? Les escarmouches se multiplient le long de la ligne de contrôle, les troupes s'amassent des deux côtés. Rien ne saurait être exclu.
Vers une guerre de l'eau ?
Mais le plus inquiétant vient, sans doute, de la menace proférée par le premier ministre indien de « couper l'eau de l'Indus ». Depuis l960, un traité signé sous l'égide de la Banque mondiale garantit un accès équitable au fleuve pour tous : l'Inde contrôle trois affluents à l'Est, et le Pakistan les deux affluents plus à l'Ouest. Même dans les crises les plus virulentes entre les deux ennemis, nul n'a touché à ce partage des eaux.
Certes, Modi ne peut stopper le fleuve d'un coup de baguette magique, comme on ferme un robinet. Mais il pourrait se servir de ce prétexte pour accélérer ses projets de barrage visant à sécuriser les ressources énergétiques : plus de deux cents sont prévus ou en cours sur le Gange, le Brahmapoutre ou l'Indus ; déjà ses voisins comme le Bangladesh en souffrent. Il n'est d'ailleurs pas le seul : la Chine voit également les barrages dans l'Himalaya comme solution d'avenir.
Les menaces de Modi sonnent-elles le début d'une guerre de l'eau ?
Notes
1- L'Inde contemporaine de 1950 à nos jours, Fayard, 2019.
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Le Yémen sous les bombes de Donald Trump

Le conflit yéménite est entré dans une nouvelle phase avec l'arrivée au pouvoir du président étatsunien. Régionalisé dès ses débuts en 2015, avec l'implication de l'Iran et de l'Arabie saoudite, la guerre se révèle de plus en plus internationalisée. Outre la stratégie militaire de Washington, qui multiplie les raids contre les infrastructures houthistes, la Russie semble désormais en embuscade — mais sûrement pas au bénéfice des civils.
Tiré d'Orient XXI.
Le 15 mars 2025, parallèlement à son classement des rebelles houthistes en tant qu'organisation terroriste, le président étatsunien Donald Trump a lancé une offensive aérienne d'ampleur sur le territoire yéménite sous le nom de code Rough Rider (« Cavalier brutal »). En un mois et demi, plus de 800 frappes ont été menées. L'incident surnommé « Signalgate », qui a entraîné la fuite d'informations militaires à un journaliste de The Atlantic, ajouté par erreur à un groupe de discussion par le conseiller à la sécurité intérieure étatsunien, Mike Waltz, a fait grand bruit, illustrant l'amateurisme de la nouvelle administration (1). Mais les effets de cette stratégie et ses implications, notamment pour les civils yéménites, demeurent largement ignorés. Pourtant, l'intervention américaine parait toujours plus éloigner le Yémen du règlement pacifique d'un conflit qui perdure depuis plus d'une décennie. L'approche de Trump constitue également une prise de risque pour la diplomatie américaine.
Une communication habile des houthistes
L'implication directe des États-Unis, appuyée par Londres et Tel-Aviv, s'inscrit dans la mise sous pression de l'Iran et de ses alliés. Elle est plus précisément censée répondre à l'escalade lancée en mer Rouge par les houthistes depuis novembre 2023, en soutien aux habitants de Gaza. Leurs plus de 150 attaques contre les navires commerciaux, puis contre les frégates et porte-avions occidentaux protégeant les voix de navigation, ont indéniablement transformé le conflit yéménite. Celui-ci est un temps réapparu sur les radars, affectant cette voie maritime qui relie la Méditerranée et l'Océan indien et par laquelle circule en temps normal près de 20 % du commerce maritime international. Cet engagement est venu incarner la capacité d'action de portée mondiale des houthistes.
La communication du mouvement yéménite, habile, a servi à leur assurer une notoriété régionale. Les houthistes sont, de fait, le mouvement armé aujourd'hui le plus engagé en faveur de la Palestine. Leurs drones ou missiles ont à plusieurs reprises également atteint le territoire israélien, y compris jusque dans le nord, à Haïfa, comme le 23 avril 2025, sans cette fois faire de dégâts.
Face à la propagande houthiste et afin de ne pas apparaître comme des supplétifs des Israéliens, les Saoudiens se sont mis en retrait. Mais ils ont surtout veillé à maintenir leur volonté de s'extraire du bourbier yéménite. Depuis 2022, un pacte de non-agression implicite s'est institué entre eux et les houthistes. En dépit des pressions américaines (gageons que celles-ci seront renouvelées au cours de la visite de Donald Trump à Riyad prévue à la mi-mai) l'armée saoudienne — comme échaudée par l'échec de son engagement au Yémen débuté en 2015, reste à bonne distance.
Le prix payé par les civils
Depuis la première sortie aérienne américaine dans le cadre de l'opération « Rough Rider », les victimes civiles se sont multipliées. Les houthistes sont aussi prompts à les cacher pour ne pas apparaître en situation de faiblesse qu'à les rendre publiques pour souligner la violence de l'agression « américano-sioniste ». Ainsi, ont-ils largement dénoncé le bombardement du 17 avril 2025 qui aurait fait 80 morts et plus de 150 blessés dans le nord de la Tihama, puis celui du 28 avril sur un centre de détention pour migrants non loin de la frontière saoudienne et qui aurait entrainé le décès d'au moins 68 civils, largement originaires d'Afrique de l'Est. Un rassemblement tribal a également été visé lors du premier jour de l'Aïd, le 30 mars.
Le retour des bombardements massifs constitue, après trois années d'accalmie liée au retrait de facto des Saoudiens, une source d'angoisse pour les Yéménites, tout particulièrement dans les zones du nord-ouest, contrôlées par les houthistes. À Sanaa, mais aussi à Saada — berceau du mouvement rebelle —, et dans la plaine côtière de la Tihama, les destructions sont nombreuses. Les attaques répétées sur le port de Ras Issa menacent également d'affecter l'approvisionnement en aide humanitaire, essentielle pour la survie de 60 % des Yéménites.
Les groupes anti-houthistes yéménites, bien que divisés, ont communiqué sur l'opportunité que représente l'engagement étatsunien. Dans une impasse, le gouvernement reconnu par la communauté internationale souhaite ainsi généralement reprendre l'offensive au sol. Les positions militaires de Tareq Saleh, neveu de l'ancien président Ali Abdallah Saleh, dans le sud de la Tihama pourraient notamment être mobilisées. Ainsi une offensive contre la ville de Hodeïda, port principal d'entrée des biens (et potentiellement des armes) en zone houthiste et quatrième ville du pays, pourrait-elle être rapidement lancée. Les houthistes s'y préparent, creusent des tranchées et renforcent leurs positions défensives. En 2018, le risque humanitaire posé par une telle bataille avait déjà amené la communauté internationale à faire pression sur la coalition emmenée par l'Arabie Saoudite. Celle-ci avait alors consenti à accepter les accords de Stockholm et renoncé à l'offensive.
Rétrospectivement, ce recul est fréquemment perçu par les anti-houthistes comme une erreur qui a prolongé la guerre et renforcé leurs ennemis. Il conviendrait donc de leur point de vue de dorénavant reprendre le travail inachevé. Mais à quel prix pour les civils ?
Par-delà l'engagement militaire de Washington, le classement par Trump des houthistes en tant qu'organisation terroriste fragilise l'économie, en particulier le système bancaire. Au risque de voir les transferts interrompus, les institutions financières sont sommées de se désaffilier de la banque centrale tenue par les houthistes qui avait pourtant réussi à stabiliser la monnaie et limiter l'inflation. Les flux commerciaux, tout comme l'action des acteurs humanitaires, sont également potentiellement suspendus. L'intervention des ONG internationales dans les zones houthistes, qui impose par exemple une coordination avec le Croissant rouge yéménite, pourrait être assimilée, en droit étatsunien, à un soutien à un groupe terroriste.
Un piège implacable
En revanche, contrairement aux menaces bravaches de Donald Trump sur les réseaux sociaux, les dirigeants houthistes semblent encore largement hors de portée des bombardements. Si l'assassinat de Yahya Al-Hamran, responsable houthiste de la sécurité à Saada, a été reconnu fin avril 2025, les rumeurs concernant la mort de Muhammad Ali Al-Houthi, figure charismatique et président du Comité révolutionnaire, restent à confirmer. Le leader du mouvement, Abdulmalik Al-Houthi, a multiplié les interventions vidéo ces dernières semaines, menaçant ses ennemis, mais veillant à déployer un discours nationaliste, qui occulte à la fois le lien du mouvement avec l'Iran, mais aussi la logique confessionnelle propre de l'exercice de son pouvoir. Il mobilise aussi dans ses discours un argumentaire qui s'appuie volontiers sur le droit international et la nécessité de protéger les Palestiniens d'un génocide. Pointant du doigt la faiblesse de la réponse du monde arabe face à Israël, il a dans le même temps veillé à faire apparaître les opérations militaires houthistes comme des représailles aux offensives de l'armée israélienne, respectant donc les moments de trêve à Gaza.
Si des fantassins houthistes semblent mourir en nombre sous les bombes américaines, la capacité de nuisance du mouvement yéménite demeure. Le porte-avion Harry Truman a été la cible de tirs répétés. Le territoire israélien, certes protégé par toute une série de systèmes de sécurité, continue à être visé, notamment à travers l'envoi de nouveaux missiles nommés Palestine-2. En outre, il a fallu l'intervention de la marine française le 18 avril 2025 pour abattre un drone armé.
Cet engagement militaire a un coût qui n'est pas négligeable. Seize drones Reaper américains (d'une valeur individuelle avoisinant, selon les sources, soit 100 millions, soit 30 millions de dollars) ont été abattus par les houthistes depuis leur engagement en mer Rouge en novembre 2023, dont sept depuis le 15 mars 2025. La facture est non seulement d'ordre financier, mais également stratégique. Deux porte-avions américains sur les onze en service sont notamment engagés sur la zone. Pour l'armée des États-Unis, l'intervention contre les houthistes mobilise du matériel très sophistiqué qui n'est pas aisément remplaçable et qui pourrait bien venir à manquer ailleurs.
Ainsi, des missiles stationnés dans la région indo-pacifique ont été transférés, selon le New York Times, vers la mer Rouge, fragilisant potentiellement les positions de défense de Taïwan (2). Les accusations portées par les États-Unis contre la Chine, soupçonnée de fournir des informations sensibles aux houthistes via les satellites de la société Chang Guang, signalent combien le piège tendu par les houthistes est implacable et dépasse dorénavant le cadre régional. La Chine réévalue sa place au Proche-Orient et la crise yéménite pourrait constituer un levier. En effet, alors même que les produits fabriqués dans les usines chinoises à destination de l'Europe transitent en grande partie par la mer Rouge, ses navires ont été épargnés par les attaques houthistes depuis 2023.
La Russie en embuscade
Parallèlement, le dossier semble de plus en plus investi par la Russie. Tout comme la Chine, celle-ci s'était longtemps tenue à l'écart de la question yéménite, notamment parce qu'il convenait de préserver des relations cordiales avec l'Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis engagés militairement contre les houthistes. Une forme de neutralité faisait dès lors sens. Toutefois, les derniers mois semblent avoir marqué une inflexion. Les Saoudiens sont eux-mêmes en quête d'un apaisement des relations avec l'Iran afin d'affirmer leur rôle de médiateur. Ainsi Khaled Ben Salman, ministre de la défense, s'est-il rendu mi-avril 2025 à Téhéran, où il a rencontré le Guide Ali Khamenei. Pour la Russie, intervenir dans le jeu yéménite n'implique donc plus automatiquement de se brouiller avec les Saoudiens.
Dès lors, les initiatives, discrètes, se sont multipliées. Fin 2024, une délégation houthiste de haut rang s'est rendue à Moscou. Au même moment, des filières de recrutement de Yéménites envoyés par les Russes sur le front en Ukraine ont été mises au jour. Celles-ci concerneraient plusieurs centaines de combattants dont certains ont témoigné à leur retour (3). Les experts en armement de l'Organisation des Nations unies (ONU) relèvent aussi l'utilisation par les houthistes de nouveau matériel russe. Enfin, selon des données en sources ouvertes analysées par le média d'investigation Bellingcat, du blé ukrainien saisi par la Russie en Crimée aurait été débarqué à Hodeïda. Il aurait été revendu via l'Iran, en échappant aux contrôles de l'ONU (4). Ces éléments illustrent combien les houthistes, entrés en confrontation directe avec les États-Unis, émergent en tant que levier mobilisé — à moindre coût —, par diverses puissances pour bouleverser les équilibres mondiaux. De ce jeu qui leur échappe, bien des Yéménites sont plus que lassés.
Notes
1- Jeffrey Goldberg, « The Trump Administration Accidentally Texted Me Its War Plans », The Atlantic, 24 mars 2025.
2- Edward Wong et Eric Schmitt, « U.S. Commanders Worry Yemen Campaign Will Drain Arms Needed to Deter China », The New York Times, 8 avril 2025.
3- Kersten Knipp et Safia Mahdi, « Yemenis forcefully recruited to fight for Russia in Ukraine », Deutsche Welle (DW), 12 juillet 2024
4- Bridget Diakun et Yörük Işık, « Ukraine ‘Outraged' at Yemen Grain Shipment From Occupied Crimea », Bellingcat, 18 décembre 2024.
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Iran : deuil et colère le 1er Mai suite à la catastrophe de Bandar Abbas

La journée de la fête du Travail en ce 1er mai en Iran a été assombrit par le deuil. Alors que les travailleurs du monde entier célèbrent leurs droits et leur dignité, le peuple iranien est toujours sous le choc de la tragédie, cinq jours après l'explosion meurtrière survenue au port de Rajaï à Bandar Abbas.
Tiré du blogue de l'auteur.
La journée de la fête du Travail en ce 1er mai en Iran a été assombrit par le deuil. Alors que les travailleurs du monde entier célèbrent leurs droits et leur dignité, le peuple iranien est toujours sous le choc de la tragédie, cinq jours après l'explosion meurtrière survenue au port de Rajaï à Bandar Abbas. L'émotion se mêle à une colère profonde contre un régime accusé de négligence criminelle, de dissimulation et de mise en danger de la population civile.
Une détonation qui secoue toute une nation
Le samedi 26 avril, une explosion d'une rare intensité a frappé le terminal de conteneurs de Rajaï, principal port commercial d'Iran. Le souffle a dévasté une partie des infrastructures, embrasé des centaines de conteneurs, libéré des fumées toxiques pendant plusieurs jours, et ravagé les zones résidentielles voisines, dont la totalité d'un village.
Selon des chiffres officiels partiels, au moins 70 personnes ont perdu la vie, et plus de 1 200 ont été blessées, dont de nombreux cas graves. Mais les sources indépendantes, notamment issues de la résistance iranienne, parlent de plusieurs centaines de morts. « On ne peut pas voir ces images, entendre les cris dans les hôpitaux, et croire à leurs chiffres », témoigne un habitant de Bandar Abbas joint par messagerie sécurisée.
Du perchlorate de sodium à proximité des zones civiles
Rapidement, des éléments ont émergé sur l'origine probable du drame. Une explosion dû à des produits chimique. Après enquête le Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI) a pu établir que c'est un entrepôt de conteneurs enfermant du perchlorate de sodium, un composé utilisé pour la production de propergol solide dans les missiles balistiques, aurait explosé.

Ce produit peut exploser suite à une erreur de stockage ou de manipulation, sous l'effet de l'impact, de l'inflammation ou de la chaleur. L'entrepôt appartenait à la société Banagostar, filiale d' Sepehr Energy, elle-même liée au ministère de la Défense et de la Logistique des forces armées (MODAFL) du régime. "Sepehr Energy" a été sanctionné par le Trésor américain le 30 novembre 2023 :
« Ce sont des matériaux de guerre stockés comme de simples marchandises, sans protocole de sécurité, au milieu de la population » selon un expert.
L'information a été relayée par l'agence de presse iranien ISNA, le 28 avril, avant d'être supprimée quelques heures plus tard. ISNA révélait que la cargaison importée, victime d'une explosion et d'un incendie au port de Rajaï samedi, ne comportait aucun numéro de covoiturage ni déclaration douanière, et que le navire et sa cargaison n'étaient pas en possession des douanes.
Un port stratégique paralysé
Le port de Rajaï, situé dans le détroit d'Hormuz, est un maillon essentiel de l'économie iranienne : il concentre 80 % du trafic conteneurisé du pays, assure l'approvisionnement en nourriture, matières premières et produits de première nécessité. Sa paralysie risque de provoquer une crise logistique et sociale majeure.

Les écoles ont été fermées, l'air est resté irrespirable pendant deux jours, et le trafic maritime a été suspendu dans plusieurs zones. Des familles cherchent encore des disparus, sans réponse des autorités.
Le silence d'État et les accusations de dissimulation
Face à la colère grandissante, le régime tente de minimiser la catastrophe. Le porte-parole du ministère de la défense du régime iranien, Reza Talaeinik, a nié toute présence de matériel militaire, qualifiant les informations diffusées par les médias étrangers de « guerre psychologique ». Pourtant, le PDG de Sina Marine – sous-traitant de Banagostar – a reconnu que certaines cargaisons « extrêmement dangereuses » avaient été introduites sans documents douaniers ni étiquetage conforme.
« C'est un mensonge d'État de plus », dénonce un membre du Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI). « Le régime islamiste stocke des explosifs dans des ports civils, puis cache les conséquences lorsqu'ils tuent des innocents. »
Une comparaison avec Beyrouth 2020
Pour Maryam Radjavi, présidente élue du CNRI, le parallèle avec la catastrophe du port de Beyrouth est évident. « Comme au Liban, la dictature religieuse a stocké des explosifs au mépris des vies humaines. Le résultat est le même : des morts, des blessés, des ruines, et aucune justice. »

De son côté, le porte-parole des Moudjahidine du Peuple a accusé directement les Gardiens de la révolution d'avoir importé illégalement ces matériaux. Ce carburant provenait de Chine et avait été acheminé vers l'Iran par deux navires, comme l'avait révélé le Financial Times en janvier.
Même au sein du régime, des voix discordantes émergent. l'ancien député Heshmatollah Falahatpisheh a évoqué une faille catastrophique dans la chaîne de sécurité civile.
Le journal Etemad constate que l'explosion a révélé une grave mauvaise gestion au port de Rajaee, allant du stockage de matières dangereuses dans des conditions dangereuses au non-respect des normes de sécurité élémentaires.
Une fête du Travail sous le signe du deuil et de la révolte
En ce 1er mai, alors que le pays traverse une grave crise sociale et économique, le peuple iranien ne manifeste pas pour plus de droits sociaux : il cherche ses disparus, enterre ses morts, soigne ses blessés, et réclame des comptes.

« Le port de Rajaï est devenu un cimetière à ciel ouvert », écrit un travailleur portuaire sur Telegram. « Ce régime n'honore ni les vivants ni les morts. Il sacrifie tout à sa survie. »
Dans les villes de Bandar Abbas, Chiraz, Kerman et Ahvaz, des rassemblements spontanés ont été signalés, malgré la censure et les arrestations. Sur les réseaux sociaux, la solidarité avec les travailleurs à Bandar Abbas se pultiplient.

Focus sur les conditions des travailleurs iraniens
De nombreux syndicats ouvriers et des confédérations syndicales à travers le monde expriment leurs solidarités et dénoncent les conditions de vie et de travail insupportables des ouvriers iraniens.
Des syndicats australiens ont énuméré ces conditions désastreuses :
– 94 % des travailleurs sont employés sous des contrats à durée déterminée ou informels, ce qui les prive de toute sécurité d'emploi et de tout avantage, selon les journaux Jahan-e Sanat et Resalat.
– 95 % des travailleurs ne reçoivent pas de copie de leur contrat de travail, ce qui permet aux employeurs de les licencier à leur guise sans indemnité.
– Le régime ne reconnaît pas les syndicats indépendants. Il impose plutôt des entités contrôlées par l'État, comme les « Conseils islamiques du travail », qui ne représentent pas les intérêts des travailleurs.
– Le salaire minimum iranien pour 2025 a récemment été fixé à 10 millions de tomans par mois, alors que le coût de la vie dépasse 35 millions de tomans, selon les médias d'État. Des millions de familles sont ainsi privées des produits de première nécessité.
– Le quotidien Arman Emrooz a noté en 2023 que certains travailleurs ne pouvaient pas se permettre de manger de la viande plus de trois fois par an.
– Selon le quotidien Kar o Kargar (Travail et Travailleur), environ 40 travailleurs meurent chaque semaine des suites d'accidents du travail, souvent dans des mines et sur des chantiers dangereux et dépourvus de contrôle réglementaire.
– Un rapport de Farhikhtegan de 2021 a révélé que 20 % des femmes actives ont perdu leur emploi en une seule année, soulignant une grave discrimination fondée sur le sexe dans l'emploi.
À l'heure où les travailleurs iraniens peinent à vivre dignement, où les syndicats indépendants sont muselés et interdits, et où les libertés fondamentales sont bafouées, cette tragédie du 26 avril apparaît comme le symbole d'un système à bout de souffle. Un régime qui, aux yeux de millions d'Iraniens, n'a plus ni légitimité ni avenir. Une fois le deuil passé, la colère d'un peuple tout entier pourrait bien porter un coup fatal à l'ensemble du régime.
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Battant tous les records, la censure des médias israéliens atteint des sommets sans précédents

En 2024, la censure militaire israélienne a interdit la publication de 1 635 articles et en a partiellement censuré 6 265 autres, dans le cadre d'une offensive plus large contre la liberté de la presse.
Tiré d'Agence médias Palestine.
En 2024, la censure militaire en Israël a atteint son niveau le plus extrême depuis que le magazine +972 a commencé à collecter des données en 2011. Au cours de l'année, la censure a complètement interdit la publication de 1 635 articles et en a partiellement censuré 6 265 autres. En moyenne, la censure est intervenue dans environ 21 reportages par jour l'année dernière, soit plus du double du précédent pic d'environ 10 interventions quotidiennes enregistré lors de la dernière guerre à Gaza en 2014 (opération Bordure protectrice), et plus de trois fois la moyenne en temps de paix, qui est de 6,2 par jour.
Ces chiffres ont été fournis par la censure militaire en réponse à une demande conjointe du magazine +972 et du Mouvement pour la liberté d'information en Israël, à l'approche de la Journée mondiale de la liberté de la presse.
Bien que la censure militaire ne divulgue pas les raisons de chaque intervention, la guerre de destruction que mène actuellement Israël à Gaza, ainsi que ses conflits au Liban, en Syrie, au Yémen et en Iran, sont probablement la principale raison de cette augmentation record de la censure.
Cette escalade se reflète non seulement dans le volume considérable des activités de la censure, mais aussi dans le taux plus élevé de rejet des documents soumis et dans la fréquence accrue des interdictions totales (par opposition aux expurgations partielles).
En vertu de la loi israélienne, tout article relevant de la catégorie largement définie des « questions de sécurité » doit être soumis à la censure militaire, et les équipes éditoriales sont chargées de décider, selon leur propre jugement, quels articles soumettre.
Les médias n'ont pas le droit d'indiquer qu'il y a eu censure lorsque le censeur intervient, ce qui signifie que la plupart de ses activités restent cachées au public. Aucune autre « démocratie occidentale » ne dispose d'une institution comparable.

Il convient de noter qu'en vertu de cette loi, le magazine +972 est légalement tenu de soumettre ses articles à examen. Pour en savoir plus sur notre position concernant la censure militaire, cliquez ici.
« Le public a le droit de savoir ce qui lui a été caché »
En 2024, les organes de presse israéliens ont soumis 20 770 articles à la censure militaire pour examen, soit près du double du total de l'année précédente et quatre fois plus qu'en 2022. La censure est intervenue dans 38 % des cas, soit sept points de pourcentage de plus que le précédent pic enregistré en 2023. Les rejets purs et simples d'articles entiers ont représenté 20 % de toutes les interventions, contre 18 % en 2023. Au cours des années précédentes, la moyenne n'était que de 11 %.
Le média israélien i24 a rapporté dimanche que le brigadier général Kobi Mandelblit, chef de la censure militaire, avait demandé au procureur général d'enquêter sur des journalistes israéliens qui auraient contourné la loi sur la censure en partageant des informations confidentielles avec des médias étrangers. Le procureur général a rejeté cette demande.
La censure militaire n'est pas tenue par la loi de répondre aux demandes d'accès à l'information et a fourni les chiffres ci-dessus de son plein gré. Cependant, elle a refusé de fournir les données supplémentaires que nous avions demandées, notamment : un détail des données par mois, par média et par motif d'intervention ; des précisions sur les cas où elle a ordonné de manière proactive à des médias de supprimer des contenus qui n'avaient pas été soumis à examen ; et toute trace de procédures administratives ou pénales engagées pour violation de la censure. (À notre connaissance, aucune mesure coercitive de ce type n'a été prise à ce jour.)
En outre, alors que la censure militaire fournissait auparavant des données sur la censure dans les livres — généralement ceux écrits par d'anciens membres des services de sécurité israéliens —, elle refuse désormais de communiquer ces informations. Au cours de la dernière décennie, elle a également examiné et est intervenue dans les publications en ligne des Archives nationales. Dans certains cas, elle a même bloqué la publication de documents qui avaient déjà été jugés inoffensifs par les experts en sécurité des archives et qui étaient auparavant accessibles au public. Cet acte de « recensure » a suscité de nombreuses critiques.
L'année dernière, les Archives nationales ont soumis 2 436 documents à la commission de censure. Bien que celle-ci ait déclaré que « la grande majorité » d'entre eux avaient été approuvés pour publication sans modification, elle refuse systématiquement de divulguer le nombre de documents d'archives qu'elle a « recensurés ».

Or Sadan, avocat du Mouvement pour la liberté d'information et directeur de la Freedom of Information Clinic au Centre d'études universitaires en gestion, a déclaré à +972 que, bien qu'il ne soit pas surpris par la recrudescence de la censure l'année dernière, il espérait que « la publication de ces données contribuerait à réduire l'utilisation des outils de censure qui, bien que parfois nécessaires, sont également dangereux lorsqu'il s'agit de l'accès du public à l'information ».
« Même si certaines informations ne peuvent être publiées en cas d'urgence, le public a le droit de savoir ce qui lui a été caché », a-t-il expliqué. « La censure signifie la dissimulation d'informations qu'un journaliste estime que le public a le droit de connaître. En temps de guerre, beaucoup de gens ont déjà le sentiment qu'on ne leur dit pas tout, et il est donc approprié de réexaminer rétrospectivement les décisions de censure. »
Une guerre contre la liberté de la presse
Au-delà de la recrudescence sans précédent de la censure militaire, la Journée mondiale de la liberté de la presse de cette année marque une étape sombre pour le journalisme israélien. En 2024, Israël occupait la 101e place sur 180 (soit une baisse de 4 places par rapport à l'année précédente) dans le classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières ; ce classement a encore reculé depuis, passant à la 112e place. Cette évaluation ne reflète que la situation du journalisme en Israël, sans tenir compte des massacres de journalistes à Gaza.
Selon le Comité pour la protection des journalistes, au moins 168 journalistes et professionnels des médias palestiniens ont été tués à Gaza par l'armée israélienne pendant la guerre, soit plus que dans tout autre conflit violent enregistré au cours des dernières décennies. D'autres organisations estiment ce nombre à 232. Dans le cadre d'enquêtes menées en collaboration avec Forbidden Stories, +972 a révélé que des journalistes de Gaza étaient régulièrement tués par l'armée ou attaqués par des drones de l'armée alors qu'ils étaient clairement identifiés comme membres de la presse. En outre, Israël considère les journalistes travaillant pour des médias affiliés au Hamas comme des cibles militaires légitimes et a affirmé à plusieurs reprises que d'autres journalistes qu'il avait tués étaient liés au Hamas, généralement sans présenter de preuves.
Mais les journalistes à Gaza ne doivent pas seulement faire face à la menace constante de la mort sous les bombardements israéliens, ils souffrent aussi souvent de la faim, de la soif et du déplacement. Ils sont également victimes de la répression du Hamas lui-même, qui fait pression sur les journalistes qui critiquent l'organisation ou couvrent les manifestations contre elle. Israël a aggravé cette situation déjà dramatique en interdisant à tous les journalistes étrangers d'entrer dans la bande de Gaza pendant plus d'un an et demi, une mesure confirmée par la Cour suprême israélienne et condamnée par de nombreux journalistes à travers le monde comme un coup dur porté à la liberté de la presse et une tentative délibérée de dissimuler ce qui se passe à Gaza.
Dans le même temps, Israël a systématiquement arrêté et emprisonné des journalistes palestiniens de Gaza et de Cisjordanie, souvent sans inculpation, en guise de punition pour leurs reportages critiques. Cette répression s'est accélérée pendant la guerre, comme en témoigne l'interdiction d'exercer en Israël de médias tels qu'Al-Mayadeen et Al-Jazeera.
Le gouvernement s'en est pris simultanément à la presse libre israélienne : il a pris des mesures pour fermer la chaîne publique « Kan », étrangler financièrement le quotidien libéral Haaretz et affaiblir délibérément des médias établis de longue date, tout en finançant avec des fonds publics de nouveaux médias pro-gouvernementaux tels que Channel 14. Au-delà de cela, le gouvernement a imposé de sévères restrictions à la publication de l'identité des soldats soupçonnés de crimes de guerre, et l'incitation continue à la violence contre les journalistes par des législateurs et des personnalités publiques affiliés au gouvernement Netanyahu a conduit à plusieurs attaques violentes contre des reporters.
Et pourtant, le coup le plus dur porté au journalisme israélien n'est pas venu de la censure gouvernementale, mais de la trahison par les rédactions de leur mission fondamentale : informer le public de la vérité sur ce qui se passe autour d'eux. Les journalistes israéliens, y compris ceux qui avaient autrefois exprimé des remords de ne pas avoir couvert les événements à Gaza lors des guerres précédentes, ont délibérément occulté les hôpitaux bombardés, les enfants affamés et les fosses communes que le monde voit chaque jour.
Au lieu de témoigner de la vérité sur la guerre ou d'amplifier la voix des journalistes basés à Gaza (sans parler de leur solidarité avec leurs collègues pris pour cible par l'armée de leur pays), la plupart des journalistes israéliens se sont engagés dans la propagande de guerre, allant jusqu'à rejoindre les troupes de combat et à participer activement à la démolition de bâtiments, et diffusent librement des appels directs au génocide, à la famine et à d'autres crimes de guerre. Ce n'est pas de la coercition, c'est de la complicité. Ce n'est pas la censure qui a effacé les horreurs de Gaza des écrans israéliens, ce sont les journalistes et les rédacteurs en chef.
Une version de cet article a été publiée pour la première fois en hébreu sur Local Call. Vous pouvez le lire ici.
Haggai Matar est un journaliste et militant politique israélien primé, et directeur exécutif du magazine +972.
Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine
Source : +972 Magazine
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« Conquérir Gaza » : le nouveau plan israélien d’expansion de sa campagne génocidaire

Le cabinet de sécurité du Premier ministre Benjamin Netanyahu a approuvé à l'unanimité des plans visant à mobiliser les réservistes et à confier à l'armée israélienne la responsabilité de l'approvisionnement en nourriture et autres produits de première nécessité des 2,3 millions de personnes qui souffrent du blocus imposé par Israël sur le territoire palestinien.
Tiré d'Agence médias Palestine.
Hier, le chef de l'armée israélienne Eyal Zamir annonçait son intention de mobiliser des dizaines de milliers de réservistes pour intensifier encore son offensive contre la bande de Gaza assiégée. Ces déclarations précédaient une réunion du conseil de sécurité de Benjamin Netanyahu, qui a cette nuit approuvé un nouveau plan d'expansion de la campagne militaire en cours à Gaza depuis maintenant 576 jours. Dans cette campagne génocidaire, Israël a déjà assassiné plus de 52 567 Palestinien·nes et en a blessé 118 610 autres.
Ce nouveau plan diffère des précédents en ce qu'il explicite la volonté d'Israël de « conquérir Gaza » : selon des sources officielles israélienne, le nouveau plan comprend le « contrôle de territoires » de l'enclave et la promotion du « départ volontaire des Gazaouis » du territoire palestinien. La volonté affichée ne serait donc plus la libération des otages ni même une victoire sur le Hamas, mais bien l'annexion.
Le ministre des finances israélien Bezalel Smotrich, ministre d'extrême-droite fervent défenseur de la colonisation, a déclaré lors d'une conférence qu'Israël ne se retirerait pas de la bande de Gaza, « même dans le cadre d'un accord sur les otages ». « Nous allons conquérir la bande de Gaza une fois pour toutes. Nous cesserons d'avoir peur du mot « occupation » », a-t-il déclaré. « Nous capturerons le territoire et nous y resterons. »
Le Premier ministre israélien a publié une nouvelle vidéo en hébreu sur X cet après-midi, dans laquelle il aborde le plan approuvé par le cabinet pour étendre l'offensive sur Gaza et confirme l'intention d'occupation. Selon des extraits traduits rapportés par Reuters, Netanyahu a déclaré que la population palestinienne de Gaza « sera déplacée, pour sa propre protection », ajoutant que les soldats israéliens n'entreraient pas dans Gaza pour lancer des raids puis s'en retirer par la suite : « l'intention est tout le contraire ».
« Contrôle total de l'aide humanitaire »
Le plan approuvé cette nuit prévoit également le contrôle de l'aide humanitaire. Là aussi, Smotrich affirme clairement la volonté d'Israël d'un « contrôle total de l'aide humanitaire, afin qu'elle ne se transforme pas en ravitaillement pour le Hamas » : « Nous voulons que nos soldats se battent contre un ennemi fatigué, affamé et épuisé, et pas face à un ennemi qui a de l'aide et des produits qui arrivent de l'extérieur de l'enclave ».
Israël interdit entièrement depuis le 2 mars l'acheminement d'aide humanitaire dans la bande de Gaza. Depuis un mois et 3 jours donc, aucune nourriture, aucun médicament, aucune fourniture essentielle n'a pu pénétrer dans l'enclave. Un blocus cruel qui a déjà causé la mort d'au moins 57 Palestinien·nes et menace des milliers d'enfants atteints de malnutrition, et qui aggrave encore la situation des hôpitaux gazaouis, déjà au bord de l'effondrement après 18 mois de bombardements israéliens.
C'est pour remédier à cette situation qu'il a lui-même volontairement créée qu'Israël présente donc son plan de « contrôle total de l'aide humanitaire ». Citant un responsable israélien anonyme, le Times of Israel a déclaré que le nouveau plan israélien impliquerait « des organisations internationales et des sociétés de sécurité privées [distribuant] des colis alimentaires » aux familles de Gaza. Les soldats israéliens assureraient « une sécurité extérieure aux entreprises privées et aux organisations internationales qui distribuent l'aide ».
L'équipe humanitaire de campagne (HCT), un forum qui regroupe des agences des Nations unies, a déclaré dimanche que les responsables israéliens cherchaient à obtenir son accord pour acheminer l'aide par le biais de ce qu'elle a qualifié de « centres israéliens soumis aux conditions fixées par l'armée israélienne, une fois que le gouvernement aura accepté de rouvrir les points de passage ». Dans un communiqué, la HCT a déclaré qu'un tel plan serait dangereux et « contraire aux principes humanitaires fondamentaux et semblait destiné à renforcer le contrôle sur les produits vitaux comme moyen de pression, dans le cadre d'une stratégie militaire ».
La coalition a déclaré que l'ONU ne participerait pas à ce projet, car il ne respecte pas les principes humanitaires mondiaux d'humanité, d'impartialité, d'indépendance et de neutralité. Cette position a été saluée par le Hamas, qui a qualifié lundi de « chantage politique » les projets d'Israël visant à prendre le contrôle de l'aide humanitaire : « Nous rejetons l'utilisation de l'aide comme outil de chantage politique et soutenons la position de l'ONU contre tout arrangement qui viole les principes humanitaires », a déclaré le groupe armé dans un communiqué, insistant sur le fait qu'Israël est « entièrement responsable » de la « catastrophe humanitaire » à Gaza. Jan Egeland, le chef du Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC), a affirmé de son côté que le plan israélien est « fondamentalement contraire aux principes humanitaires ».
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« The Settlers » de Louis Theroux : Une heure d’arrogance, d’agressivité, de racisme et de haine anti-palestinienne de la part d’Israël

Télévision : Le documentaire de Louis Theroux « The Settlers » est l'un des travaux journalistiques les plus révélateurs réalisés par la BBC depuis le début du génocide israélien à Gaza.
Tiré d'Association France Palestine Solidarité. Photo : Capture d'écran du documentaire de Louis Theroux « The Settlers », BBC, 2025
Donnez à quelqu'un suffisamment de corde et il se pendra. Les colons israéliens, quant à eux, n'ont guère besoin d'être incités, comme le montre avec brio Louis Theroux (le roi de l'incitation) dans son dernier film, The Settlers (Les colons).
Le résultat est une heure d'arrogance, de racisme et de haine anti-palestinienne sans fard, exprimée par des personnages tels que Daniella Weiss, la « marraine » du mouvement des colons israéliens.
Passant d'un endroit à l'autre des plus de 140 colonies israéliennes de Cisjordanie, toutes illégales au regard du droit international, Theroux s'entretient avec toute une série de colons : jeunes et vieux, hommes et femmes, Russes et Américains - tous unis par un zèle religieux et une énergie digne du Far Ouest.
Plus que toute autre chose, le documentaire de Theroux montre le mépris total des colons pour la vie et la souffrance des Palestiniens, grâce à l'occupation militaire israélienne qui les soutient et leur permet d'agir en toute impunité.
À un moment donné, surplombant les ruines fumantes du nord de Gaza, Theroux se trouve au milieu d'un rassemblement d'activistes israéliens qui planifient l'implantation de colonies dans la bande de Gaza. Avant de danser et de chanter, le groupe discute nonchalamment de la manière dont « tout Gaza et le Liban devraient être nettoyés » des « sauvages » et des « chameliers ».
De retour au cœur de la Cisjordanie, Ari Abramowitz, un colon israélo-texan qui a illégalement fondé un centre touristique sur des terres palestiniennes, explique à Theroux qu'il n'existe pas de « Palestiniens ».
« Ce sont des Arabes, pas des Palestiniens... Et je me fiche de savoir si ces colonies sont légales. Ici, en Judée, certaines choses transcendent les caprices de la législation [israélienne] ».
Un « État » dans le déni
Pendant ce temps, un autre fondateur de colonie, Malkiel Bar Hai (qui porte un chapeau de cow-boy, une demi-douzaine de chevaux et huit enfants) explique que l'ancien nom de la Cisjordanie est « Judée », ce qui signifie « appartient aux Juifs... L'histoire dit qu'elle appartient à Israël » - ce que Theroux décrit immédiatement comme une lecture sélective de l'histoire qui ignore les Palestiniens qui ont vécu sur ces terres pendant des générations.
Dans ce qui est probablement le moment le plus fort du documentaire, Theroux demande à Daniella Weiss si elle est préoccupée ou « consciente que [les Palestiniens] souffrent vraiment » de la violence des colons et de son désir non dissimulé de déplacer les Palestiniens vers « l'Afrique, le Canada, la Turquie, etc ». Weiss rétorque dédaigneusement qu'elle ne se préoccupe que de son peuple et de sa famille, pas des autres, ce que Theroux qualifie de « sociopathe ».
Weiss est considérée comme une folle religieuse par certains en Israël, mais la réalité est qu'elle fait partie des 700 000 Israéliens qui vivent dans des colonies illégales en Cisjordanie.
Bien qu'il se manifeste à différents niveaux d'extrémisme et de ferveur religieuse, le mouvement des colons israéliens est un élément normalisé et inhérent à la société israélienne, ce qui explique pourquoi le pays n'a jamais connu de protestations généralisées contre un accaparement des terres aussi éhonté et évident en Cisjordanie.
Pourquoi ? Parce que pour qu'Israël atteigne un tel niveau d'indignation et de condamnation publiques, la nation devrait faire face à une horreur et à une réalité encore plus grandes : l'État moderne d'Israël a été fondé et construit sur la destruction et la dépossession continues du peuple palestinien, du fleuve à la mer, et pas seulement de la Cisjordanie. Un projet d'ethno-nationalisme irrédentiste fondé sur l'alya, le nettoyage ethnique et le génocide.
Le rêve des colons construit sur la mort
Les documentaires de Louis Theroux suivent généralement les groupes marginaux d'un pays. The Settlers rompt totalement avec cette tendance. Weiss l'admet elle-même.
Dans un autre moment extraordinaire, elle raconte avec jubilation à Theroux comment : « Nous [les colons] faisons pour les gouvernements ce qu'ils ne peuvent pas faire pour eux-mêmes... Netanyahou est très heureux de nos projets... mais il ne peut pas le dire. [Nous] aidons le gouvernement ».
Theroux est connu pour son approche « à la volée », mais ses documentaires se terminent toujours par sa propre voix éditoriale et son propre point de vue : « Le rêve des colons ne montre aucun signe d'apaisement, de même que les déplacements, les dislocations et la mort qui en découlent inévitablement. Avancé par des idéologues, soutenu par ceux qui ont le pouvoir, il n'a de comptes à rendre qu'à Dieu. »
Cette collusion entre l'État israélien et les colons de Cisjordanie est mise en évidence lors de la visite de Theroux à Hébron.
Alors qu'il visite la structure d'apartheid de la ville sous l'occupation israélienne et qu'il manque de se faire arrêter par un soldat caricatural du poste de contrôle de l'armée israélienne, le guide palestinien de Theroux résume l'état des choses sans affectation : « [Les Israéliens] ne nous considèrent pas comme des êtres humains égaux qui méritent les mêmes droits qu'eux, c'est aussi simple que cela ».
Une fois déshumanisé, tout est possible.
Traduction : AFPS
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Solidarité Palestine

Nous vous écrivons au nom de la Coalition Internationale de la Marche vers Gaza, composée de représentants de plus de vingt pays, afin de solliciter l'adhésion de votre organisation à la Marche vers Gaza, qui se déroulera sur le territoire égyptien à partir du 15 juin.
Montréal, le 4 mai 2025
À qui de droit,
Cette marche est une initiative humanitaire internationale visant à dénoncer le blocus inhumain imposé à la bande de Gaza et à exiger la levée immédiate du blocage de l'aide humanitaire à la frontière de Rafah. Actuellement, plus de 3 000 camions transportant nourriture, médicaments et fournitures essentielles sont bloqués, tandis que la population de Gaza subit une famine forcée, une pénurie totale de matériel médical et la destruction systématique de ses conditions de vie.
Depuis octobre 2023, Gaza subit une offensive militaire dévastatrice et un siège total de la part de l'État d'Israël. En plus des destructions, le blocus empêche l'entrée de biens essentiels : nourriture, eau potable, carburant et soins médicaux. Les Nations Unies ont averti que la population de Gaza est délibérément poussée au bord de la famine. Les rapports les plus récents documentent la mort de milliers d'enfants par malnutrition et manque de soins médicaux de base.
La communauté internationale ne peut rester silencieuse face à ce crime. La Marche vers Gaza, inspirée par des actions historiques de solidarité, réunira des personnes de divers pays dans une marche vers les frontières de Gaza pour exiger la levée immédiate du blocus, l'accès sans restriction à l'aide humanitaire, et le respect du droit international humanitaire.
Nous vous invitons donc à adhérer formellement à cette initiative en tant qu'organisation solidaire. L'adhésion peut être symbolique (par la diffusion ou un soutien public) ou active (participation à la délégation, aide logistique ou contribution financière). Votre soutien renforcera cette action collective et amplifiera l'appel à la justice, la dignité et la vie pour le peuple palestinien.
Pour plus d'informations ou pour confirmer votre adhésion, vous pouvez nous contacter à l'adresse suivante : palestinevivramtl@gmail.com Nous comptons sur votre engagement en faveur des droits humains et de la dignité des peuples.
Avec solidarité,
Palestine Vivra, au nom de la Coalition Internationale de la Marche vers Gaza
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Appel à candidatures pour l’UEMSS 2025 à Bordeaux de l’OFQJ
« La rançon de 1825 imposée par la France vise à détruire la révolution haïtienne » — Georges Eddy Lucien
Des militants et des cols bleus bloquent la gare de triage du CN

Quelques observations à la suite du scrutin du 28 avril 2025

Le Parti libéral du Canada (PLC) formera donc le prochain gouvernement, voire un gouvernement minoritaire dirigé par Mark Carney, un homme qui a fait carrière dans le secteur bancaire ; il a dirigé la Banque du Canada, la Banque d'Angleterre et, ensuite, il a déployé ses compétences professionnelles dans les hautes sphères du capital financier et de la diplomatie internationale. Fait à noter, il a assumé une fonction importante en vue de convaincre l'élite mondiale d'inclure la question environnementale au développement capitaliste.
Qui s'attendait à un tel résultat électoral il y a quelques mois à peine ? Rappelez-vous : à ce moment-là, le Parti conservateur du Canada (PCC) dirigé par Pierre Poilievre caracolait très haut dans les sondages. Il devançait même par 20 points le PLC — dirigé à l'époque par Justin Trudeau — dans les intentions de vote des personnes sondées. Il était même question d'une éventuelle disparition de la formation politique dont les assises plongent dans le XIXe siècle. À n'en point douter, l'élection de Donald Trump à la présidence états-unienne, la menace qui accompagne la politique de tarifs douaniers à la frontière et, dans une certaine mesure, la crainte de se retrouver au Canada avec un gouvernement qui s'inspire des politiques de l'ultradroite, ont pu contribuer à une reconsidération du vote chez plusieurs électrices et électeurs.
Quelques constats suite à l'élection générale
Au lendemain du scrutin du 28 avril 2025, un certain nombre de constats s'imposent à nous : d'abord, la députation conservatrice prolongera son séjour sur les banquettes de l'opposition. Il est à retenir par contre que la performance du PCC lui permet de garder espoir en vue de la prochaine élection générale ; il a d'ailleurs fait élire 24 députés de plus qu'au dernier scrutin. Pour ce qui est du pourcentage du vote obtenu, celui-ci est en hausse, voire même se veut supérieur au record du parti détenu par les troupes de Mulroney. C'est vous dire. Pierre Poilievre, battu dans sa propre circonscription, a trouvé un député d'un comté de l'Alberta qui entend lui céder son siège. D'ici six mois, le chef vaincu devrait effectuer un retour à la Chambre des communes.
Par la force des choses, le gouvernement libéral minoritaire aura ensuite à naviguer entre ce qui reste de la députation du Bloc québécois ou du Nouveau Parti démocratique (NPD) pour se maintenir au pouvoir. Mais puisque les coffres des caisses électorales de ces deux partis sont aujourd'hui quasiment vides et exigeront un temps pour être renfloués, y compris tant et aussi longtemps que le NPD ne se sera pas reconstruit, l'appétit pour aller de nouveau en campagne électorale restera à son plus bas.
Enfin, le chef du PLC, Mark Carney, a promis des baisses d'impôt et une lutte au déficit. Ceci n'annonce pas, a priori, un avenir réellement enviable pour la classe moyenne, la population canadienne démunie et les salariéEs syndiquéEs de la Fonction publique fédérale. Pourquoi ? Parce que le budget visera davantage à soutenir la croissance économique que d'assurer une amélioration des services aux classes défavorisées, tandis que les baisses d'impôt supposent davantage d'argent dans les poches des contribuables et, par conséquent, une capacité de payer légèrement augmentée mais néanmoins suffisante pour avoir un impact inflationniste. Par ricochet, la gestion du fonctionnariat occasionnera une réduction de la taille de l'État, sinon une diminution des augmentations salariales. Pourtant il y a un bémol à apporter sur ce point, en se fiant aux paroles du premier ministre, c'est-à-dire une étape initiale consistant à diminuer la croissance des dépenses de l'État canadien. Autrement dit, on ne parle pas ici de licenciements, bien plutôt d'évaluer les besoins d'avenir et donc d'envisager une gestion par attrition — à savoir, par une meilleure répartition des effectifs et l'élimination des postes non comblés et surtout « non nécessaires » (sic). Voilà une conception qui diverge des coupures drastiques présentées par Pierre Poilievre lors de ses points de presse durant la campagne.
Les grands gagnants du scrutin
Au sujet des grands gagnants du scrutin du 28 avril 2025, il faut incontestablement considérer les éléments suivants : premièrement, le mode de scrutin uninominal à un tour qui a permis la remontée d'un parti politique moribond il y a six mois. Celui-ci est même parvenu à se maintenir au pouvoir avec à sa tête un nouveau chef qui a su faire passer sous le radar le bilan politique de son prédécesseur ; deuxièmement, l'aura de Donald Trump qui a su polariser l'électorat autour de quasiment un seul enjeu : qui est le mieux positionné pour négocier avec lui la nouvelle donne du commerce international ; troisièmement, la logique en vertu de laquelle une élection sert maintenant non pas à tracer les voies de l'avenir de la population, bien plutôt à choisir qui va l'emporter (majoritaire ou minoritaire) au jeu de l'alternance gouvernementale sans véritable alternative politique.
Malgré sa défaite, il importe de reconnaître le souffle d'optimisme insufflé par le résultat du PCC, et ce, en vue du prochain scrutin général, dans la mesure où il sait que tôt ou tard, sans égard pour la volonté réelle de la population, la loi de l'alternance gouvernementale jouera en sa faveur. Par contre, le « Bon Sens » de Pierre Poilievre — et évidemment lui-même — a été battu dans son propre comté. En dépit de la chose, cela ne l'empêchera pas d'effectuer un retour à la Chambre des communes. Il se dira mandaté par la population pour ses idées qu'il voudra imposer, d'abord, dans le débat politique, ensuite, s'il est réélu à la tête d'une formation majoritaire — ou même minoritaire — dans trois, quatre ou cinq ans, où il en profitera enfin pour les mettre en valeur, elles qui relèvent de l'ultradroite. Chassez le naturel, qu'il revient au galop…
Une bipolarisation qui se justifie
Ce bref résumé entourant la récente campagne électorale canadienne expose une réalité binaire bien visible qui amènerait pourtant à se questionner sur la santé de notre démocratie, sur le bien-fondé du mode de scrutin actuel et sur la capacité à présenter une offre politique plurielle. Si le contexte dans lequel nous évoluons avait été différent, sans la présence donc d'un président états-unien prisant les décrets protectionnistes, sans la montée même de l'ultradroite dans d'autres pays, alors que le thème de l'itinérance, du logement, des changements climatiques et d'autres enjeux – féministes et sociaux - auraient eu plus d'écho, et que les résultats des élections canadiennes auraient été les mêmes, peut-être alors cette préoccupation aurait obtenu un fondement plus important. Or, la réalité est inverse. Pourquoi ? Parce que le Canada, comme d'autres endroits du monde, a fait face à un changement dans ses relations internationales. Celles-ci se sont transformées en une source de tension ayant mené à la crise des tarifs. Autrement dit, le Canada est entré dans une dynamique conflictuelle avec son voisin du sud.
En suivant le sociologue Jacques Beauchard (1981), bien qu'il s'est intéressé surtout aux conflits de travail, on s'aperçoit que son analyse peut servir dans n'importe quel type de conflit, même celui qui met en confrontation deux pays. Car il existe une succession, voire une série d'étapes qui mènent vers le conflit proprement dit — sans envisager une guerre ouverte et violente, mais un véritable antagonisme. Et lorsqu'on approche de la riposte, le passage de la tension — et/ou de la crise, s'il y a lieu ensuite — entraîne la phase de bipolarisation, c'est-à-dire l'identification des deux camps antagoniques qui s'affrontent. Même si l'affrontement entre le Canada et les États-Unis sert de portrait à la dynamique conflictuelle d'ensemble, à l'intérieur de ces pays des divisions surviennent ; autrement dit, la bipolarisation se répète tout en s'ajustant aux caractéristiques de chaque population et territoire. Mais cela ne signifie pas forcément un fractionnement net et total de ces populations, car il y a toujours des gens et des groupes qui préfèrent rester à l'écart ou qui tentent de nuancer les propos pour chercher le compromis viable à leurs yeux. Néanmoins, de façon générale, la bipolarisation apparaît et est palpable.
En revenant aux élections canadiennes, la bipolarisation entre les votes favorables au PLC et au PCC, avec les pertes pour les autres partis, expose le concret de cette approche théorique. Face à la menace — qui crée des tensions —, un raisonnement binaire s'enclenche : suis-je pour ou contre ce changement ? suis-je pour ou contre la riposte impliquant des tarifs égaux à ceux qui nous ont été imposés ? suis-je pour ou contre un parti qui maintient une idéologie de libre-échange ? suis-je pour ou contre une politique de compromis ? et à la rigueur, suis-je pour ou contre l'annexion du pays aux États-Unis ? Automatiquement, le choix binaire réduit les possibilités pour s'intéresser aux partis pouvant être jugés les plus forts et les plus aptes à faire face à la menace actuelle. Et encore, ces deux possibilités s'incarnent surtout dans les chefs ; en raison de cette inclination humaine à vouloir donner une figure concrète à laquelle se rattacher. En l'occurrence, l'antagonisme interne au Canada doit s'exprimer, afin de mieux affronter l'antagonisme externe avec les États-Unis. Ainsi, le PLC et le PCC ont été identifiés comme étant les deux plus forts, en tenant compte du profil des chefs en présence aux aptitudes et limites dissemblables. Nous revenons alors au choix binaire : pour ou contre Carney ? pour ou contre Poilievre ? Ce qui revient à dire : suis-je pour ou contre un premier ministre canadien issu de la sphère économique et donc possiblement mieux outillé pour contrer un président états-unien qui utilise d'ailleurs les armes économiques ? suis-je pour ou contre un premier ministre canadien issu du monde politique traditionnel et donc plus avisé des ruses du domaine, mais moins affairé en économie ? suis-je pour ou contre un premier ministre canadien qui aurait plutôt des affinités avec le président états-unien ? et ainsi de suite. Il s'agit donc ici de questions qui alimentent le « qui ? », c'est-à-dire : qui, entre les deux, représenterait le choix logique pour contrer les menaces diverses du président états-unien, sans envenimer les choses, mais en faisant respecter la souveraineté du Canada ?
Conclusion
Sans conteste, l'élection générale canadienne du 28 avril 2025 s'inscrit dans un contexte particulier, supposant alors un résultat différent dans la normalité. Face à la menace états-unienne d'un président hors-norme, les tensions vécues — et toujours présentes — accompagnées par des attaques concrètes contre l'économie canadienne ont contribué à réduire les priorités, afin de concentrer les pensées sur la contre-offensive, voire également sur la négociation nécessaire. Mark Carney est alors apparu comme l'homme de la situation pour plusieurs, survenu au bon moment, compte tenu de son expertise, de son expérience en finance internationale. Ce dernier point en est un majeur, puisqu'il marque une rupture de plus en plus nette dans le choix du chef d'État recherché par rapport au passé. Il ne suffit plus d'être avocat ou d'avoir étudié dans une université offrant des cadres de connaissances en science politique ; il ne suffit plus d'avoir une carrière politique. Avec sa suprématie sur les autres domaines et enjeux, l'économie oblige — et obligera davantage, d'après un certain point de vue — d'avoir des femmes et des hommes d'État verséEs dans ses rouages. Peut-être s'agit-il seulement d'une nécessité causée par le contexte ? Cela ne semble pas être le cas, en raison du phénomène de néolibéralisation des États, de la recherche de l'efficience et de l'efficacité, alors que les indicateurs de performance prennent d'assaut les ministères. A contrario, cette quête n'empêche point les États de faire de plus en plus des déficits, montrant ainsi une contradiction profonde dans la gestion des affaires publiques. La solution à ce problème serait simple, en poursuivant la logique de cette rupture : il faudrait encore plus de femmes et d'hommes verséEs en économie dans nos gouvernements, afin d'éviter de s'enfoncer davantage. Mais est-ce réellement une bonne chose ?
Encore là, cet événement électoral montre à quel point nous demeurons en mode réactif plutôt que proactif ; et ce, même si nous n'avions aucun pouvoir sur le choix du président états-unien. Dans un monde où les inégalités socioéconomiques progressent, nous approchons du moment inéluctable où, comme Ulrich Beck (2008, p. 67) le prétend, tous les effets pervers de l'activité économique et industrielle, en termes soit de menaces, soit de risques, auront tôt fait d'affecter tout le monde, tel un effet boomerang pour leurs auteurs, alors que « même les riches et les puissants ne sont pas en sécurité ». Notre avenir dépend d'enjeux qui débordent de la guerre tarifaire, dans un monde où les pays sont extrêmement interdépendants sur plusieurs autres facteurs. Il ne suffit donc pas de choisir un chef d'État connaisseur de l'économie. D'autres qualités s'avèrent utiles. Pour l'instant, il faut donner la chance au nouveau gouvernement canadien de dénouer ce conflit, tout en espérant le voir également agir sur l'amélioration de l'existence humaine au sein de la Nature. Or, la logique politique actuelle tend à conserver sa réalité binaire. Lors d'une prochaine élection, les gains obtenus aujourd'hui par le PCC peuvent aboutir à sa prise du pouvoir éventuellement. Ainsi, le Gros Bon Sens proclamé en 2025, par le chef du parti, réapparaîtra. Lorsque le moment sera venu, il faudra s'attarder consciencieusement à son contenu et se demander : suis-je pour ou contre ce « Bon Sens » proposé ? De notre côté, nous connaissons déjà notre réponse.
Guylain Bernier
Yvan Perrier
4 mai 2025
9 h AM
Références
Beauchard, Jacques. 1981. La dynamique conflictuelle. Comprendre et conduire les conflits. Paris : Réseaux, 290 p.
Beck, Ulrich. 2008. La société du risque. Sur la voie d'une autre modernité. Paris : Flammarion, 521 p.
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Des féminicides coloniaux

Si le discours public sur la mort de personnes de groupes marginalisés est toujours politique, cela devient très clair quand on a affaire aux débats d'opinion sur le génocide perpétré envers les peuples autochtones et sur les féminicides de femmes autochtones au Québec et au Canada. Chronique d'un militantisme anti-autochtones bien de chez nous.
Le 3 juin 2019, nous étions de nombreux·euses observateur·rices et chercheur·euses à sortir ébranlé·es de la cérémonie de clôture de l'Enquête nationale sur les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA [1] autochtones disparues et assassinées (ENFFADA), au Musée canadien de l'histoire, à Hull. Nous étions ébranlé·es par cette communion des deuils et par la vibrante et contagieuse indignation des proches de victimes. Nous n'étions toutefois pas étonné·es par la conclusion phare de l'enquête : les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA autochtones sont des cibles du génocide colonial canadien.
Un « non » catégorique
Cependant, dès l'après-midi du 3 juin, des chroniqueurs se scandalisaient. Sur TVA, Mario Dumont déclarait « le [rapport] a commencé à circuler […] avec cette fameuse expression, un “ génocide ”… c'est pas acceptable, c'est pas vrai ». Le même jour, Yves Boisvert de La Presse titrait sa chronique « C'était pas un “ génocide ” » et y affirmait que « ce tordage de mots militants suggère au final de comparer les chambres à gaz nazies et les assassinats massifs à coups de machette au Rwanda avec la situation des femmes autochtones ».
Le 8 juin, sur les ondes de Global News, Andrew Scheer, alors chef du Parti conservateur, déclarait que l'enjeu des disparitions et des assassinats de femmes autochtones était « its own thing », « un dossier particulier » qu'on ne pouvait qualifier de génocide. Entre autres propos suintant de racisme, Normand Lester du Journal de Montréal écrivait le lendemain que « le rapport […] a habilement utilisé cette réalité en l'associant au mot honni « génocide » pour réaliser une fantastique et malhonnête opération de propagande à l'échelle internationale ». Encore tout récemment, à l'occasion de la Journée nationale des peuples autochtones de juin dernier, Jean-François Lisée usait de sa tribune dans le Devoir pour défendre la liberté d'expression des négationnistes de partout au pays et réclamer le droit de douter de l'existence de tombes anonymes d'enfants sur les sites des pensionnats fédéraux. Pour appuyer ses propos, Lisée se faisait le relais des écrits de Tom Flanagan, négationniste de renom et l'un des porte-étendards du militantisme anti-autochtones au Canada.
Un génocide colonial
Les rédactrices du rapport avaient vu venir cette levée de boucliers. On peut lire, dans le rapport, qu'il est souvent difficile, voire impossible de faire reconnaître certains événements qui correspondent en beaucoup de points à des génocides en raison de l'intensité extrême de la violence qu'on associe à l'Holocauste, à l'Holodomor ou au génocide rwandais. Ce sont des événements dont la violence a été brutale autant dans le temps que dans l'espace, alors que le génocide canadien, lui, repose sur des structures diffuses, des actions et des omissions dont les effets génocidaires (létaux et non létaux) s'étalent longuement dans le temps. Pensons à la Loi sur les Indiens, aux pensionnats, à la rafle des années 1960, aux déplacements forcés de communautés inuites dans l'Extrême Arctique, au long bras de la Protection de la jeunesse ou aux biais persistants de la police et du système judiciaire, from coast to coast to coast.
Cumulées, coordonnées et à long terme, ces structures créent une violence à la fois culturelle, économique, institutionnelle et de santé publique qui vise l'extinction de la souveraineté autochtone et l'effacement de la présence autochtone sur le territoire. Cette extinction est fondamentale pour assurer l'emprise de l'État canadien sur ce territoire et ses ressources : le génocide colonial est un mode d'opération inscrit dans l'ADN de l'État colonial de peuplement [2]. Sa souveraineté et son intégrité territoriale dépendent de l'effacement des Premiers Peuples.
Féminicides
Le féminicide est le meurtre misogyne d'une femme ou d'une personne dont l'expression de genre est féminine. On le décrit souvent comme la face la plus visible des violences de genre, qu'on peut positionner sur un continuum d'intensité. En ce qui concerne les féminicides perpétrés envers des femmes autochtones, il s'agit de l'un des nombreux rouages et effets de la violence structurelle que produit le colonialisme. C'est une violence qui se situe au confluent de la misogynie, de la colonialité et du racisme.
Au Québec, depuis 2021, on a réalisé une avancée dans le discours en délaissant plus ou moins les fâcheuses expressions « drame conjugal » ou « drame familial » pour leur préférer le terme « féminicide » [3]. Une avancée, parce que dire « féminicide » nous éloigne d'une compréhension purement criminaliste pour mieux représenter le caractère politique de la violence faite à la victime en raison de son genre. Dans un contexte où les meurtres conjugaux – ces meurtres commis par un (ex-)partenaire – sont les plus médiatisés, parler enfin de féminicide a aussi le potentiel d'élargir la couverture médiatique vers tous les types de violences commis envers les femmes, même hors de la sphère domestique, et de complexifier notre compréhension collective du féminicide.
En réalité, tous les féminicides ne sont pas des meurtres conjugaux. Parler de féminicide est particulièrement important lorsqu'il est question des femmes autochtones assassinées qui, selon l'Observatoire canadien du fémicide, sont plus susceptibles d'être tuées par un inconnu ou par une connaissance que les femmes allochtones. Sachant cela, et sachant qu'au moins une femme assassinée sur cinq au Canada est une femme autochtone, on ne saurait faire du féminicide un synonyme de meurtre conjugal : ce mot doit conserver toute sa force et refléter toutes les réalités des violences de genre, notamment coloniales [4].
La violence policière ne date pas d'hier
Au moment où l'ENFFADA est lancée, en 2015, des militant·es et des associations de femmes autochtones luttent depuis plusieurs décennies déjà pour que ces disparitions et ces assassinats soient examinés et traités avec l'urgence qu'ils méritent. Dès 2004, Amnistie internationale, en collaboration avec l'Association des femmes autochtones du Canada, publiait un rapport intitulé On a volé la vie de nos sœurs : discrimination et violence contre les femmes autochtones. Les organisations y signalaient le vif contraste entre le nombre alarmant de femmes autochtones disparues et assassinées et l'indifférence des corps de police et des élu·es devant la violence commise envers elles.
À lire les transcriptions des audiences de l'ENFFADA, on voit que celles-ci étaient l'occasion pour les proches de répondre aux discours déshumanisants et à l'indifférence des autorités. La plupart des témoignages dénoncent le traitement général que les femmes autochtones reçoivent de la société coloniale dominante, qui se traduit par cette phrase, parfois même entendue de la bouche des autorités : « c'est rien qu'une (autre) femme autochtone ». Ce qu'on y comprend, c'est un appel à économiser ses énergies pour une femme qu'on décrit comme indistincte, dispensable et de peu de valeur. De nombreux témoins à l'ENFFADA en ont montré les graves conséquences, comme le ralentissement des enquêtes, la décrédibilisation des témoignages de proches et de victimes, et l'indifférence générale de la population devant le sort réservé aux femmes autochtones disparues et assassinées.
Au Québec, nous avons été aux premières loges de ce traitement discriminatoire. En 2015, des femmes anishinabeg et cries de la région de Val-d'Or témoignent à l'émission Enquête du mépris des policiers à leur égard, mais aussi des abus et des violences commises par les forces de l'ordre à l'endroit des femmes autochtones. On apprend aussi que des agents commettent des starlight tours [5]. En dépit de la gravité des actes dénoncés et du grand nombre de témoignages entendus, plusieurs s'obstinent à remettre en doute la parole des femmes victimes.
En réplique à l'appui offert aux femmes par les communautés autochtones et les allié·es allochtones, une manifestation s'organise à Val-d'Or en soutien aux policiers. Certain·es manifestant·es diront à Radio-Canada : « Je suis tannée en maudit d'entendre parler contre nos policiers. Je ne crois pas que nos policiers soient des abuseurs » ; « Nous, comme citoyens, nous sommes tannés d'entendre parler de Val-d'Or du côté très négatif » ; « Ça été ben que trop loin. C'est pas la réalité. Non. C'est pas ça. » On verra aussi l'apparition du bracelet rouge 144, distribué et porté par des policiers du Québec pour signifier leur appui aux huit agents suspendus du poste 144 de Val-d'Or.
Le déni se poursuit encore aujourd'hui. En mai dernier, le caquiste Pierre Dufour avançait encore, au conseil municipal de Val-d'Or, que l'émission d'Enquête était « bourrée de menteries », qu'elle avait « attaqué des policiers qui étaient très honnêtes ». Dufour accusait aussi la municipalité d'avoir failli à sa tâche de protéger ses policiers après la diffusion de l'épisode d'Enquête et la publication du rapport de la commission Viens, lequel soulignait que les femmes autochtones vivent une victimisation secondaire dans leurs rapports avec les policiers.
Le dos large du crime
Dans un contexte plus qu'hostile à la dénonciation, les militant·es et les associations autochtones tiraient donc sans relâche la sonnette d'alarme depuis des dizaines d'années. Mais elles se butaient à des élu·es qui défendaient un discours selon lequel les féminicides étaient une affaire criminelle, pas un phénomène sociologique ni un enjeu politique – une attitude bien utile pour ceux et celles qui veillent à évacuer la responsabilité de l'État et de ses appendices policier et judiciaire.
Parmi les politicien·nes insistant pour faire des féminicides un problème de criminalité, on compte Stephen Harper, qui tenait ces propos en 2014 : « Comme l'a montré la GRC dans sa propre enquête, la vaste majorité [des cas de disparition et d'assassinat] sont pris en charge et résolus par les enquêtes policières, on va les laisser continuer de s'en occuper. […] Il ne faut pas voir ça comme un phénomène sociologique, il faut plutôt voir ça comme une affaire de crimes. Ce sont des crimes commis envers des personnes innocentes, il faut les traiter comme tels. » En insistant sur l'acte criminel, Harper veillait à faire des violences des événements indépendants les uns des autres, n'impliquant à chaque fois qu'une victime innocente et un agresseur troublé et dangereux. La solution, c'est donc l'arrestation, le procès et la sentence, le tout opéré et supervisé dans l'impartialité par l'appareil policier et le système judiciaire canadiens.
Depuis la mort tragique de Joyce Echaquan, François Legault prend le relais de Harper en refusant de reconnaître l'existence du racisme systémique. Le 5 octobre 2021, en point de presse, Legault faisait dans la question rhétorique et dans la parodie des recommandations d'expert·es : « Est-ce qu'il y a quelque chose qui part d'en haut et qui est communiqué partout dans le réseau de la santé en disant “soyez discriminatoires dans votre traitement des Autochtones” ? C'est évident pour moi que la réponse, c'est non. Par contre, je comprends qu'à certains endroits, il y a des employés, je dirais même dans certains cas des groupes d'employés et même des dirigeants qui ont des approches discriminatoires. » En martelant que des individus sont racistes, mais pas le système, Legault usait de la même manœuvre discursive que l'ancien premier ministre conservateur pour circonscrire la violence à des événements isolés et des actes individuels.
Les féminicides de femmes autochtones peuvent bien être perpétrés par des individus (très souvent impunis, par ailleurs), mais ils sont rendus possibles par un contexte politique qui vulnérabilise, précarise et oppresse les femmes autochtones. Canadien·nes ou Québécois·es, les négationnistes du génocide des peuples autochtones, ces chiens de garde du colonialisme, arrivent toujours à l'heure pour dégager l'État de sa responsabilité dans la mort de Joyce Echaquan et celle d'autres Autochtones. Les efforts mis à contredire, tour à tour, les conclusions de l'ENFFADA sur le génocide canadien et décrédibiliser les témoignages sur lesquels elle s'appuie sont autant d'énergies investies pour compromettre la sécurité des femmes autochtones.
[1] L'acronyme 2ELGBTQQIA rassemble les personnes deux esprits, lesbiennes, gaies, bisexuelles, trans, queer, en questionnement, intersexes et asexuelles.
[2] Selon Patrick Wolfe (2006), un État colonial de peuplement « vise à dissoudre les sociétés autochtones » pour « ériger une nouvelle société coloniale sur les terres expropriées – les colonisateurs viennent pour rester ».
[3] À l'échelle internationale, le Québec est en retard. Cela fait maintenant plus de vingt ans que les termes « femicidio » et « feminicidio » sont employés couramment en Amérique latine pour dénoncer le nombre effrayant de meurtres misogynes qui y sont perpétrés. Le Québec est aussi légèrement à la remorque de la France, où on commence à parler plus couramment de féminicide vers 2017.
[4] Au-delà du sujet du présent texte, cela doit inclure les violences perpétrées envers les femmes et personnes à l'expression de genre féminine issu·es de divers groupes minorisés et marginalisés, qui sont les cibles de violences s'inscrivant dans d'autres systèmes de maintien du pouvoir, comme le classisme et la queerphobie.
[5] Les starlight tours, littéralement « voyages sous la lumière des étoiles », sont une pratique policière qui consiste à intercepter et embarquer des Autochtones en milieu urbain pour les déposer à plusieurs kilomètres à l'extérieur des limites de la ville, en plein hiver et en pleine nuit. Si certain·es réussissent à regagner la ville à pied, un nombre important meurent d'hypothermie. La pratique est bien documentée dans les Prairies canadiennes, mais elle est aussi utilisée au Québec – c'est ce que nous apprenaient les femmes autochtones de Val-d'Or qui ont témoigné de ces abus à l'émission Enquête en 2015.
Illustration : Marcel Saint-Pierre, Sous le chapiteau, 1999, détail. Pellicule d'acrylique sur toile, 120 x 150 cm. Collection particulière.
Des militants sortent les meubles de bureaux de la CDPQ

France. La bataille de Sainte-Soline
Une nouvelle étape a été franchie dans la répression des mouvements écologistes, alors que les mobilisations contre les réservoirs d'eau artificiels et les autres infrastructures écocidaires battent leur plein en France.
Le 25 mars dernier, plusieurs milliers de personnes manifestent dans la commune de Sainte-Soline, dans l'ouest de la France, contre le développement croissant de « mégabassines », d'immenses réservoirs d'eau artificiels puisant dans les nappes phréatiques pour l'irrigation agricole. La manifestation s'inscrit dans un contexte plus général de luttes contre l'accaparement des terres et des réserves en eau par une minorité d'entreprises privées favorisant une agriculture productiviste et mortifère pour les écosystèmes et le climat.
No bassaran !
L'important cortège (entre 25 000 et 30 000 personnes selon les organisateurs, 8 000 selon les autorités) rassemble un public composite : syndicalistes paysans et militant·es écologistes, activistes locaux, néoruraux et périurbains, jeunes diplômé·es et retraité·es, primomanifestant·es et zadistes expérimenté·es… À l'appel de plusieurs collectifs, dont les Soulèvements de la Terre, Bassines Non Merci, et la Confédération Paysanne, toutes et tous convergent pour occuper pacifiquement les terrains vagues pressentis pour accueillir le projet de mégabassines. Les manifestant·es ont conscience que cette occupation est illégale, que leur manifestation a été interdite par la préfecture et qu'ils seront accueilli·es par un large dispositif policier. Après tout, c'est précisément l'inertie chronique des autorités françaises face aux mouvements sociaux et syndicaux qui les a poussé·es à réinvestir des tactiques d'action directe jugées plus radicales telles que la désobéissance civile, le sabotage ou l'occupation. Mais peu de militant·es se seraient douté·es qu'ils et elles allaient faire face à une telle violence d'État.
En effet, les terrains vagues de Sainte-Soline et ses alentours vont être le théâtre d'un déploiement massif et disproportionné des forces de l'ordre. Plus de 3200 gendarmes et policiers à pied ou motorisés, plusieurs hélicoptères, blindés et canons à eau ; contrôles routiers et d'identités massifs ; constitution d'un fortin de véhicules encerclant le chantier. Très vite, les hostilités sont initiées par les forces de l'ordre qui sont équipées d'armes classées matériel de guerre comme le tristement célèbre lanceur de balle de défense (LBD) ou divers types de grenades lacrymogènes et assourdissantes, dont certaines projettent leurs fragments lors de la détonation. En deux heures, c'est plus de 5 000 grenades lacrymogènes, 40 dispositifs déflagrants et 81 tirs de LBD qui s'abattent de manière injustifiée et indiscriminée sur les manifestant·es. Le but est clair : l'occupation ne doit pas avoir lieu, quoi qu'il en coûte. Bilan de l'affrontement : plus de 200 blessé·es du côté des manifestant·es, dont 40 dans un état grave et 1 dans le coma. Du côté des forces de l'ordre, le bilan officiel est de 47 blessé·es, la plupart en raison d'acouphènes, et deux hospitalisations. Les journalistes révèleront par la suite que les autorités vont volontairement entraver l'arrivée des secours sur place.
Haro sur les écologistes
Cette débauche de violence n'est pas le fruit du hasard. L'activisme environnemental est devenu l'un des nombreux épouvantails du gouvernement et de la droite française en général. En effet, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a continuellement cherché à discréditer les activistes écologistes, en les assimilant à des délinquant·es, voire à des écoterroristes (une qualification qui n'existe pourtant pas dans le droit pénal français). Ce lexique a aussi été utilisé par les forces de l'ordre, ainsi qu'une partie des médias, qui ont régulièrement qualifié les actions des manifestant·es comme relevant d'un « activisme violent », de la « gauche radicale », de « l'ultra-gauche », des « black-blocs », ou encore d'un « totalitarisme vert ». Cette rhétorique de criminalisation a servi à délégitimer les idées et les actions des militant·es et des organisations civiles afin de justifier le recours à des moyens juridiques et policiers exceptionnels, que ce soit avant, pendant ou après la manifestation de Sainte-Soline.
Ainsi, de nombreux militant·es et élu·es écologistes ou de gauche affirment avoir été surveillé·es de manière illégale par les services de renseignement et de police via des écoutes administratives, des balises de géolocalisation sous leurs voitures, des logiciels informatiques ou des produits de marquage codés. Après les évènements de Sainte-Soline, le ministre Darmanin s'est également empressé d'annoncer la création d'une « cellule anti-ZAD [1] » pour que « l'autorité réclamée par les Français » soit restaurée. Cela n'est pas sans rappeler la surveillance qu'avaient déjà subie les militant·es contre les pesticides et les abattoirs industriels à travers la cellule Demeter, une cellule spéciale de la gendarmerie créée en 2019 afin d'empêcher les actes « délictueux » visant le monde agricole pour des raisons « idéologiques ».
L'assimilation des manifestant·es écologistes à des criminel·les permet aussi de s'arroger le monopole de la communication. Dans une logique par laquelle « on ne discute pas avec les terroristes », aucune place n'a été laissée pour permettre un véritable dialogue. Le gouvernement s'est senti libre d'imposer sa lecture des évènements dans les grands médias français (dont on rappellera que 90 % d'entre eux sont détenus par une dizaine de milliardaires).
Les intimidations contre le milieu associatif constituent une autre forme de la répression en cours. Le ministre Darmanin et la première ministre, Elizabeth Borne, ont ainsi menacé de couper les subventions publiques à la Ligue des Droits de l'Homme (LDH), dont les membres ont documenté les évènements de Sainte-Soline. D'autres collectifs se sont vu exclure de divers processus de concertations publiques. Autant d'exemples qui montrent comment le gouvernement cherche à mettre à l'écart ses opposants du champ démocratique. Mais le coup de force qui a suscité le plus de réactions est sans aucun doute la dissolution par décret gouvernemental des Soulèvements de la Terre (SLT), la coalition de collectifs locaux, ruraux, et syndicaux à l'origine de la manifestation de Sainte-Soline.
La décision, prise le 21 juin, s'est accompagnée de deux vagues d'arrestations de militant·es écologistes, avec le soutien de la sous-direction antiterroriste. Le principal argument du ministère de l'Intérieur pour justifier la dissolution : les SLT se seraient rendus coupables de « provocation à des agissements violents », de « destruction d'infrastructures », de « sabotages », de « prises à partie » contre les forces de l'ordre, ou encore de diffuser des instructions inspirées par les groupes « black blocs » pour « ne pas être identifiés ou localisables ». Les membres des SLT sont aussi accusé·es de fonder leurs actions « sur les idées véhiculées par les théoriciens prônant l'action directe et justifiant les actions extrêmes allant jusqu'à la confrontation avec les forces de l'ordre » [2]. Si les SLT assument une partie des dommages matériels causés (qu'ils préfèrent considérer comme étant des « désarmements » contre la destruction massive du vivant), la sévérité du gouvernement demeure incompréhensible et déclenche une vague de soutien au sein des milieux de gauche et écologistes, en France et ailleurs. Le 11 août, le Conseil d'État suspend en référé la dissolution. Un jugement provisoire trouvera son issue lors d'une nouvelle audience cet automne.
Un glissement autoritaire général
La répression de Sainte-Soline s'inscrit dans une tendance plus large de délégitimation et de criminalisation des mouvements sociaux par les autorités françaises. Que ce soit lors des rassemblements écologistes, des manifestations contre la réforme des retraites, du mouvement des Gilets Jaunes ou des révoltes populaires des banlieues, une certaine routine s'est installée. Interdictions de manifester, répression policière et judiciaire, explosion du nombre de blessé·es et de mutilé·es, surenchère réactionnaire dans les grands médias… Depuis 2017, les assauts répétés contre les libertés d'expression, de participation, de réunion ou d'association inquiètent de nombreux expert·es, organisations et institutions, que ce soit en France ou à l'étranger. De la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH), à Amnistie internationale en passant par les Nations Unies, le constat est le même : l'espace de la société civile et politique française se réduit comme peau de chagrin.
Les pouvoirs nécessaires pour mener une telle offensive ont été graduellement obtenus à travers à une série de réformes liberticides et sécuritaires mises en place sous les mandats de Macron et de ses prédécesseurs comme la loi « anticasseurs », la loi « sécurité globale » ou la loi « séparatisme » pour ne citer que les plus récentes. Il s'agit d'un véritable continuum répressif, dont une grande partie a été initialement dirigée contre les communautés noires et arabes, musulmanes, ou migrantes. La force de la répression actuelle ne peut être comprise sans évoquer la banalisation des discours racistes d'extrême droite. Il n'est ainsi pas anodin que la rhétorique outrancière utilisée par le gouvernement pour diaboliser les oppositions de gauche (comme « terrorisme intellectuel de l'extrême gauche », « islamo-gauchisme » ou « ensauvagement ») ait conservé une forte connotation raciste.
À l'abri au Canada ?
Les évènements politiques qui secouent la France peuvent nous sembler lointains outre-Atlantique. Pourtant, ils pourraient fournir de précieux éléments de réflexion sur le présent et l'avenir des mouvements sociaux au Québec et au Canada. Si l'on entend par répression l'ensemble des efforts visant à supprimer la contestation, l'image souvent véhiculée d'un pays paisible et consensuel s'étiole rapidement.
L'activisme environnemental est un cas d'école en la matière. Le soutien massif apporté par les pouvoirs publics au modèle extractiviste a donné naissance à un vaste dispositif de lois visant à protéger les « infrastructures critiques », à collecter des données sur les activistes et à les criminaliser. Les grands médias ont également été très efficaces pour promouvoir les agendas des entreprises d'extraction de ressources et des industries polluantes, décourageant ainsi l'opposition potentielle et marginalisant les voix alternatives. À noter que la répression au Canada ne se limite pas à des mesures préventives comme le montre la violence historique et systémique exercée par les forces de l'ordre contre les mouvements de défense des territoires autochtones. Bien qu'il ne soit pas autant visible aux yeux du grand public, le Canada et le Québec sont aussi dotés d'un puissant arsenal répressif qui n'attend que d'être mobilisé. Tout comme en France, nous ne sommes jamais à l'abri d'un affaissement prompt et brutal des libertés publiques.
Mais surtout, le cas français montre comment les discours et les lois utilisés pour stigmatiser une population particulière peuvent être vite employés contre d'autres groupes. Que ce soit aujourd'hui ou demain, les mesures sécuritaires, liberticides et réactionnaires constituent une menace pour l'ensemble des forces progressistes et des communautés marginalisées. Ce constat nous invite à faire preuve de solidarité et de vigilance dans un contexte de plus en plus marqué par les discours réactionnaires, les campagnes contre le « wokisme » et les sorties racistes et xénophobes de la classe politique.
[1] ZAD réfère à « Zone à défendre »
[2] Le ministère de l'Intérieur faisait ici référence au livre Comment saboter un pipeline, écrit par le militant suédois Andreas Malm et couramment vendu en librairie.
Photos : Sainte-Soline, 23 mars 2023. (Crédit : Mehdi Juan) ; Sainte-Soline, 23 octobre 2023. (Crédit : Choupette).

Colombie. Entre la violence et l’espoir
Plusieurs analystes ont expliqué la persistance de la violence en Colombie par des manifestations de criminalité individuelle. Il faut toutefois, même si cela est complexe, tenter de comprendre la violence autrement pour rendre compte de sa persistance dans le temps et l'espace.
De nombreuses générations ont vécu dans ces circonstances, depuis le moment de notre naissance en tant que république en 1810 par la main du libérateur Simon Bolivar et son rêve d'une Amérique unie. À cette époque, il est évident que les guerres menées par les Espagnols ont été guidées par des intérêts individuels qui s'opposaient à ce rêve.
Une clarification nécessaire
Il est important de garder à l'esprit que les différents actes de violence en Colombie ont été si nombreux et d'une telle ampleur qu'il n'est pas possible de les traiter dans leur ensemble. Les facteurs qui ont déclenché ces conflits sont multiples. Les victimes ne peuvent pas être entièrement comptabilisées.
Le sociologue colombien Orlando Fals Borda a avancé plusieurs hypothèses sur les raisons de cette violence. Certaines d'entre elles sont liées à une série de luttes régionales, d'autres à des causes structurelles telles que la pauvreté et les inégalités sociales. Une troisième hypothèse concerne les idéologies politiques en jeu. Une autre analyse s'intéresse au manque de légitimité de l'État et à l'exercice du monopole de la force [1].

Par ailleurs, de l'État colombien et son appareil militaire et paramilitaire aux groupes de paysans armés en passant par les diverses guérillas insurgées ou les groupes criminels en général, de nombreux acteurs violents ont été impliqués. Chacun d'entre eux a contribué à ces conflits.
Les origines de la violence
Le contexte actuel trouve ses racines dans les évènements connus sous le nom de « La Violencia » qui se sont produits entre 1946 et 1963. Un cap est franchi le 9 avril 1948, avec l'assassinat du dirigeant du Parti libéral Jorge Eliécer Gaitan. Cet épisode décisif pour l'histoire de la Colombie marque la naissance des groupes d'autodéfense paysans. Ces derniers vont engendrer des guérillas proches du Parti libéral qui constituaient alors la réponse armée aux groupes paramilitaires liés au Parti conservateur.
La période de violence s'est approfondie avec la barbarie vécue dans les campagnes, où la mise à mort par empalement des hommes, des femmes et des enfants est devenue chose courante. Cela a entraîné de grands déplacements des communautés paysannes qui ont été contraintes d'occuper de nouvelles terres pour leurs cultures, ce qui a déclenché diverses confrontations avec les propriétaires terriens.
Il convient de mentionner que les oligarques ont accepté de mettre fin à la guerre entre les conservateurs et les libéraux par la construction du Front national, qui était un pacte entre les deux partis pour écarter le général dictateur Gustavo Rojas Pinilla du pouvoir et « arrêter l'effusion de sang ». Cependant, le Front national a fermé les portes du pouvoir politique à certains groupes sociaux, dont les groupes paysans, les communautés autochtones et la population à gauche politiquement, en assurant l'alternance du pouvoir entre libéraux et conservateurs tous les quatre ans. Les problèmes dans les campagnes se sont poursuivis, les paysans n'ayant pas de terres à cultiver et la misère dans les villes continuant de croître. En conséquence, certaines guérillas libérales ont refusé la paix proposée par le gouvernement et ont continué d'affronter l'État.
Parallèlement à l'augmentation du déséquilibre dans la distribution des terres, la répression exercée par l'État s'est accrue. Plusieurs groupes émergent face à cette situation. En 1967, les guérillas révolutionnaires des FARC-EP [2], de l'EPL [3], et de l'ELN [4], tous d'orientation marxiste-léniniste, apparaissent. En 1970, le M-19 nait en réponse à la fraude électorale qui a profité au conservateur Misael Pastrana. D'une autre perspective, le mouvement indigène Quintín Lame nait à son tour en 1981.
De difficiles accords de paix
Bien que l'histoire de la Colombie ait été marquée par la violence, il est important de mentionner que la société civile – les communautés paysannes, les syndicats, les peuples autochtones, les femmes, les afrodescendant·es, les étudiant·es et les communautés locales – a toujours recherché la paix.
Les années 1980 ont été caractérisées par le travail de diverses communautés pour cesser les hostilités entre les différents groupes armés, y compris l'armée nationale. C'est pourquoi, en 1984, une table de négociation a été ouverte entre le gouvernement de Belisario Betancur et la guérilla des FARC-EP à Uribe-Meta. Elle avait pour but d'obtenir un cessez-le-feu bilatéral et de négocier une solution politique au conflit social et armé.
L'un des éléments les plus importants qui ont été discutés concernait la nécessité d'élargir la démocratie et de faire participer les secteurs de la société qui avaient été historiquement marginalisés par les politiques du Front national. Ainsi est né le parti La Unión Patriótica-UP. Son objectif était de consolider un accord de paix qui permettrait la participation politique de la guérilla et d'autres secteurs populaires et alternatifs.

L'UP était composée d'un grand nombre de personnes avec et sans affiliation politique. Elle comprenait des membres des FARC et du Parti communiste colombien, des syndicalistes, des organisations paysannes, communautaires et étudiantes, et même des libéraux et conservateurs ayant des positions démocratiques.
Cependant, il n'a pas fallu longtemps pour que la violence contre l'UP commence. Dès le premier instant de sa consolidation, des milliers de militant·es ont été assassiné·es, torturé·es et contraint·es de fuir le pays. Le nombre de victimes de ce génocide a été estimé à 6000 personnes. Il convient de mentionner l'assassinat de deux candidats à la présidence : Jaime Pardo Leal et Bernardo Jaramillo. L'extermination de l'Unión Patriótica signifiait la perte de son statut juridique et donc la perte de son action politique. D'ailleurs, ce n'est pas seulement l'UP qui a été victime de la répression de l'État et de son appareil paramilitaire, mais aussi d'autres coalitions comme le mouvement syndical et populaire A Luchar.
Ces massacres faisaient partie d'un plan d'extermination systématique contre le parti politique. Ils et elles ont été exécuté·es avec la participation d'agents de l'État et du secteur paramilitaire, et avec la complaisance des autorités. Dans ce contexte, les FARC-EP ont considéré qu'il n'y avait pas de conditions politiques favorables pour continuer le processus de paix et ont repris les armes.
Malgré la répression et la persécution politique, le peuple colombien n'a pas renoncé à son rêve de vivre en paix, et, en 1990, la paix a été signée avec le M-19, une partie de l'EPL, le Mouvement Quintín Lame et une faction de l'ELN. Cependant, la violence s'est fait à nouveau sentir le 8 mars de la même année lorsque le candidat présidentiel du M-19, Carlos Pizarro, a été assassiné. En 1991, la nouvelle constitution néolibérale est promulguée, laissant derrière elle de nombreux éléments démocratiques qui avaient été acquis.
Les années 1990 ont été caractérisées par une violence intense dans le pays où les oligarques ont travaillé avec les trafiquants de drogues et les paramilitaires, faisant des milliers de mort·es, de disparu·es, de torturé·es et de déplacé·es.
Malgré ce climat politique, de nombreuses organisations, partis de gauche et secteurs démocratiques ont continué à travailler pour la paix. À la fin de la décennie, une table de négociation a été créée entre le gouvernement d'Andrés Pastrana et la guérilla des FARC-EP à El Caguán. Malheureusement, elle a échoué en raison de l'aggravation du conflit et du renforcement du paramilitarisme.
Après la rupture de la table des négociations, le conflit s'est aggravé avec l'arrivée d'Álvaro Uribe et sa politique de « sécurité démocratique ». Celle-ci se concentrait prétendument sur l'élimination militaire de l'insurrection, tout en renforçant la répression contre les organisations sociales, les défenseur·euses des droits humains et les militant·es de gauche. Durant cette période sombre, 6 402 exécutions extrajudiciaires ont été dénombrées à ce jour. Le plus souvent, il s'agissait de civil·es déguisé·es en guérillero·as et tué·es par l'armée pour obtenir des prix et des promotions.
Des années plus tard, en 2012, l'UP a de nouveau été légalement autorisée à fonctionner. La même année, l'État colombien a accepté une certaine responsabilité dans le génocide. Et en novembre 2016, la guérilla des FARC et le gouvernement de Juan Manuel Santos ont signé l'Accord final pour la fin du conflit et la construction d'une paix stable et durable.
Le dénouement de ce long conflit rend manifeste la nécessité de mettre fin aux violences, de distribuer plus équitablement les terres, de mettre en place un système de justice, de vérité, de réparation et de non-répétition des erreurs passées.
Un moment historique
La Colombie a une longue histoire de violence qui a laissé des blessures profondes, dont la plupart ne sont toujours pas cicatrisées. Mais en même temps, elle a une histoire de résistance et de résilience. Ses principaux acteurs et actrices ont contribué à une politique démocratique, à la mémoire historique, à l'art et à la transformation sociale. La lutte pour la paix à partir du principe moral de justice sociale a été un but décisif pour la construction de la démocratie dans le pays.
À chaque épisode de violence, les communautés ont appris à affronter les scénarios les plus douloureux. Il n'est pas possible de parler de la violence en Colombie sans parler des actions collectives qui visent toujours à construire et transmettre la mémoire collective. Les luttes historiques pour la terre, les revendications des communautés historiquement marginalisées comme les communautés autochtones, afrodescendantes, paysannes et ouvrières, la signature de l'accord de paix et le soulèvement de millions de jeunes en 2021 ont créé les conditions sociopolitiques nécessaires pour qu'une coalition des forces alternatives et de gauche arrive au pouvoir en juin 2022. C'est une première dans l'histoire de la Colombie.
Cette coalition s'est engagée à vérifier certains des besoins des populations vulnérables. Six mois après l'arrivée au pouvoir du gouvernement de Gustavo Petro, ancien guérillero du M-19, une série de réformes ont été mises en place, comme la protection de l'Amazonie, la réforme agraire, la loi de paix totale, le rétablissement des relations avec le Venezuela et la reprise des négociations avec l'ELN [5].
Mais ni la paix ni la justice sociale ne viendront du gouvernement seul. Les mouvements sociaux et les partis de gauche en sont conscients et travaillent chaque jour pour éviter d'être victimes d'un nouveau conflit ou d'être instrumentalisés par les institutions.
Tant les mouvements que les partis travaillent à mettre un terme définitif à un système oppressif, extractiviste, raciste, criminel et patriarcal qui a fait de la Colombie sa véritable forteresse économique. C'est pourquoi notre slogan restera le suivant : « Ils peuvent couper une fleur, mais ils ne mettront pas fin au printemps. »
[1] Centro Nacional de Memoria Histórica, ¡Basta Ya ! Colombia : memorias de guerra y dignidad. Resumen, Bogotá, CNMH, 2013, page 13. ; German Guzman Campos, Orlando Fals Borda, Eduardo Umana Luna, La violencia en Colombia Tomo 1, Bogotá, Taurus, 2005, page 15.
[2] Forces armées révolutionnaires de la Colombie-Armée populaire.
[3] Armée populaire de libération.
[4] Armée populaire de libération nationale.
[5] INFOBAE, Colombia/ Estos son los 50 logros que destacó Gustavo Petro en sus primeros 100 días de gobierno, www.infobae.com/america/colombia/2022/11/15/estos-son-los-50-logros-que-destaco-gustavo-petro-en-sus-primeros-100-dias-de-gobierno/
Jessica Ramos et Ronald Arias sont militant·es de l'Unión Patriótica (parti politique colombien)
Photos : Unión Patriótica

Le Canada continue d’encourager l’impunité de ses entreprises

Le gouvernement canadien est passé maître dans l'art de faire semblant d'agir pour encadrer les activités de ses entreprises à l'étranger. La nouvelle loi sur le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d'approvisionnement, adoptée en mai 2023, ne fait pas exception à la règle.
Depuis des décennies, des entreprises transnationales canadiennes – et des entreprises minières en particulier – sont la cible de nombreuses allégations de violations des droits humains et de dommages environnementaux à travers le monde : meurtres, torture, viols, travail forcé, détention arbitraire, intimidation, déplacements de populations, pollution des sources d'eau potable, etc. Les cas sont trop nombreux pour être recensés ici, mais on peut penser notamment à Barrick Gold en Papouasie–Nouvelle-Guinée, à Goldcorp Inc. au Guatemala et, dans le secteur du textile, à la tragédie de l'effondrement en 2013 du Rana Plaza au Bangladesh, où Loblaws (Joe Fresh) s'approvisionnait, notamment.
Encore aujourd'hui, de nombreuses entreprises canadiennes continuent de violer les droits humains des populations et de saccager l'environnement dont les communautés dépendent pour leur survie – tout cela afin de s'enrichir en toute impunité. Les communautés et les travailleur·euses qui subissent ces préjudices n'ont souvent pas accès à des voies de recours ou à des mesures de réparation, tandis que les défenseur·euses des droits humains et de l'environnement qui dénoncent les comportements des entreprises, souvent issu·es de communautés autochtones, sont fréquemment victimes de violences, d'intimidation, de criminalisation ou d'assassinats. Sous de beaux discours, le gouvernement canadien donne plus d'importance aux profits des compagnies canadiennes à l'étranger qu'au respect des droits humains, ce qui se reflète par exemple dans le rôle de promotion de l'industrie canadienne joué par les ambassades.
Que fait le Canada ?
Le gouvernement canadien est bien au courant des graves accusations qui pèsent contre certaines entreprises canadiennes qui opèrent à l'étranger. Des rapports indépendants publiés en 2005 et en 2007 soulignaient déjà qu'il existe un problème lié à l'impunité dont jouissent les multinationales canadiennes, notamment les minières. Ces rapports affirmaient que le gouvernement canadien devrait renoncer à son approche volontaire face à la responsabilité sociale des entreprises et qu'un poste d'ombudsman indépendant devrait être mis sur pied. L'ombudsman aurait pour mandat de donner des conseils, d'effectuer des enquêtes et de produire des rapports.
Presque 20 ans plus tard, nous attendons toujours que le Canada se dote de mécanismes efficaces et contraignants pour encadrer les activités des entreprises transnationales canadiennes et offrir un accès à la justice aux communautés affectées. D'une part, le Canada continue de compter sur la bonne volonté des entreprises – même si des années d'expérience démontrent clairement que cette approche ne fonctionne pas. D'autre part, il a mis sur pied au fil des années plusieurs mécanismes qui se sont avérés inefficaces, comme le poste de conseillère en responsabilité sociale des entreprises et le bureau de l'ombudsman canadien pour la responsabilité des entreprises. En fait, il leur manquait les éléments essentiels pour faire leur travail : une indépendance par rapport au gouvernement et des pouvoirs d'enquête pour obliger les entreprises à témoigner ou à produire des documents. En plus d'être inefficaces, ces mécanismes peuvent aussi s'avérer dangereux pour les communautés affectées, car les personnes qui portent plainte contre les entreprises risquent d'être prises pour cibles par la suite.
Des apparences trompeuses
En mai 2023, les parlementaires canadiens ont adopté le projet de loi S-211, la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d'approvisionnement. Avec un titre comme celui-là, il est bien difficile d'être contre, mais quand on y regarde de plus près, cette loi est sans substance.
Dans les faits, la loi obligera désormais certaines entreprises à publier un rapport annuel sur les mesures qu'elles ont prises, le cas échéant, pour prévenir et réduire le risque de travail forcé ou de travail des enfants dans leurs chaînes d'approvisionnement. Mais attention : elle n'obligera pas les entreprises à prendre des mesures pour contrer l'existence de travail forcé ou de travail des enfants. Elle les obligera seulement à produire un rapport disant si elles ont pris des mesures… ou non !
De plus, même si le travail forcé et le travail des enfants sont évidemment des enjeux importants, les activités des entreprises transnationales peuvent aussi violer de nombreux autres droits humains. L'approche préconisée ne tient pas compte du principe internationalement reconnu selon lequel les droits humains sont indivisibles et interdépendants.
La loi ne permettra pas non plus aux personnes lésées par les entreprises canadiennes, leurs filiales ou leurs fournisseurs, d'obtenir réparation pour les abus qu'elles ont subis, par exemple en portant plainte devant les tribunaux canadiens. En résumé, cette loi donne l'impression que le gouvernement prend des mesures concrètes en faveur des droits humains, alors que ce n'est pas le cas.
Un échec ailleurs
Certains pays, dont le Royaume-Uni et l'Australie, ont adopté des lois similaires au projet de loi S-211. Résultat ? Selon des études, elles n'ont donné lieu qu'à la publication de rapports superficiels par les entreprises et n'ont pas entraîné d'améliorations significatives des pratiques des entreprises en vue d'éliminer l'esclavage moderne. Bref, ces lois se sont avérées inefficaces et ont bloqué les progrès vers l'adoption de lois efficaces.
D'autres pays ont adopté ou sont en voie d'adopter des lois sur le devoir de diligence des entreprises en matière de droits humains et d'environnement qui visent véritablement à assurer la prévention des abus et la reddition de compte des entreprises. C'est le cas de la France, par exemple, qui a adopté en 2017 une Loi sur le devoir de vigilance. Même chose pour l'Allemagne, qui a adopté une loi obligeant les entreprises à effectuer des analyses de risques régulières, à mettre en place des mesures préventives ainsi qu'un mécanisme pour recevoir les plaintes. La Belgique, les Pays-Bas, l'Autriche et même le parlement européen étudient présentement la possibilité d'adopter des lois similaires.
Des solutions existent… ne manque que la volonté politique
Heureusement, le projet de loi S-211 n'a pas été adopté à l'unanimité au parlement canadien. C'est dire que plusieurs député·es comprennent qu'au-delà des apparences, cette loi ne permettra pas de véritablement lutter contre l'impunité des entreprises et qu'il faudra une autre loi pour y parvenir. La bonne nouvelle, c'est qu'un modèle existe déjà et qu'il pourrait être utilisé par le gouvernement. En effet, le Réseau canadien pour la reddition de compte des entreprises (RCRCE) a publié en 2021 un projet de loi modèle qui fournit aux législateur·rices une voie à suivre pour enchâsser dans le droit canadien l'obligation qui incombe aux entreprises de respecter les droits humains et l'environnement [1].
L'adoption d'un projet de loi sur le devoir de diligence et l'octroi de véritables pouvoirs d'enquête à l'ombudsman canadien sur la responsabilité des entreprises démontreraient un réel engagement de la part du Canada à prioriser les droits humains et l'environnement par rapport aux profits des entreprises. Les solutions existent. Elles sont connues. Ne manque maintenant que la volonté politique d'agir en faveur du bien commun.
[1] RCRCE, « Législation en matière de droits de la personne pour les entreprises ». En ligne : cnca-rcrce.ca/fr/campagnes/lois-dh-entreprises/
Denis Côté est analyste des politiques à l'Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI).Amélie Nguyen est coordonnatrice du Centre international de solidarité ouvrière (CISO). Aidan Gilchrist-Blackwood est coordonnateur du Réseau canadien sur la reddition de compte des entreprises (RCRCE).
Illustration : Ramon Vitesse

Entrevue : Cinéma sous les étoiles et Funambules Média

Cinéma sous les étoiles, organisé par Funambules Média, est un festival de documentaires sociaux qui se tient dans les parcs et quartiers de Montréal. Dans le cadre de leur 14e édition, Cinéma sous les étoiles propose près de 45 projections à 15 endroits à Montréal. Propos recueillis par Samuel-Élie Lesage.
À bâbord ! : En quelques mots, comment décrivez-vous Cinéma sous les étoiles ?
Hubert Sabino-Brunette : Cinéma sous les étoiles (CslE) vise à faire rayonner le documentaire social et politique en dehors des salles et à apporter ce type de film à de nouveaux auditoires. De plus, le parc, comme lieu de projection, permet des rencontres nouvelles et de diffuser dans un cadre ludique et agréable.
Romane Lamoureux-Brochu : Chaque projection est aussi suivie d'une discussion avec le réalisateur ou la réalisatrice du documentaire, sinon avec un·e expert·e du sujet abordé. Chaque documentaire offre une perspective unique et personnelle, celle du réalisateur ou de la réalisatrice, et nous désirons qu'il suscite la discussion et la réflexion, d'où le fait que le parc est un lieu idéal pour tenir ces projections.
H. S.-B. : Il s'agit aussi d'un lieu qui permet de diffuser de nouveaux talents et qui se démarque des plateformes existantes pour diffuser et soutenir la relève. Notamment, nous organisons à chaque année un concours de court-métrages. Ce concours permet de présenter le court-métrage comme une pratique artistique propre.
ÀB ! : Qu'est-ce qui motive la tenue de Cinéma sous les étoiles ?
H. S.-B. : Notre volonté première est de trouver des films qui ne seraient pas diffusés autrement ou qui sont difficilement accessibles au Québec. CslE s'inscrit ainsi dans un réseau avec d'autres organismes alternatifs de diffusion, comme Cinema Politica ou encore les Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM), qui visent à montrer ce qui se passe à l'extérieur du Québec et sous un angle nouveau. Au Québec, la diffusion du documentaire est difficile et nous cherchons à le rendre plus accessible pour différents publics.
R. L.-B. : Une autre motivation est de créer des rencontres entre les réalisateur·rices et le public, et de susciter l'intérêt pour le documentaire. Aussi, nous cherchons constamment de nouveaux partenaires pour améliorer la diffusion. Par exemple, cette année, nous avons organisé une semaine thématique portant sur l'environnement. À cela s'ajoute une collaboration avec la Biosphère pour la projection de quatre documentaires autour de la thématique de l'eau, ainsi qu'un documentaire plus familial sur la vie animalière des potagers, en collaboration avec Espace pour la vie.
ÀB ! : Hubert, tu as mentionné que la diffusion du documentaire au Québec est difficile. Pourquoi ?
H. S.-B. : Il y a de moins en moins de diffusion de documentaires dans les grandes salles de projection. Le documentaire est surtout diffusé dans quelques salles indépendantes de Montréal, mais c'est à peu près tout. La plateforme en ligne Tënk fait aussi un bon travail. Sinon, c'est très difficile pour les régions, malgré des initiatives enthousiasmantes ! CslE diffuse les documentaires québécois après leur vie en salle et s'inscrit donc en complémentarité avec les salles qui diffusent du documentaire. Si le documentaire en ligne est bien écouté, les grandes plateformes comme Netflix imposent souvent leur narratif et leur esthétique. CslE essaie donc de faire rayonner un documentaire différent, en octroyant notamment une grande place au documentaire d'auteur.
ÀB ! : Quelles orientations guident la programmation d'une édition de Cinéma sous les étoiles ?
H. S.-B. : Premièrement, nous visons à mettre de l'avant le plus possible des œuvres locales (environ 30-40% de la programmation), puis on cherche à équilibrer les sujets pour couvrir le plus d'enjeux possibles. On cherche de plus à choisir des films mettant en valeur des communautés distinctes des nôtres. Finalement, on cherche à programmer des films internationaux, bien que ce soit parfois plus complexe à cause des coûts élevés des droits de diffusion.
R. L.-B. : Aussi, les invité·es sont à considérer ! On cherche avant tout à inviter le ou la cinéaste, ou du moins une personne qui a participé à la réalisation du film, sinon (et surtout pour les films internationaux), des experts ou expertes sur le sujet. La discussion sur le film est tout aussi importante que la projection.
ÀB ! : Et comment les lieux de projection sont-ils choisis ?
R. L.-B. : Certains des lieux sont devenus des piliers, comme le parc Laurier, où CslE a commencé, ou les parcs Molson ou des Faubourgs. On cherche des lieux qui permettront une belle diffusion, où se réapproprier pour apprendre et discuter se prêtera bien. On cherche aussi à rejoindre des milieux nouveaux et différents publics. Finalement, il faut bien entendu trouver des endroits accessibles et assez grands pour accueillir parfois plus d'une centaine de personnes !
Une fois le lieu déterminé avec les arrondissements, on choisit le film qui y sera projeté. Après 13 ans, nous savons mieux quel parc va attirer quel public.
H. S.-B. : Nous cherchons constamment à construire et porter plus loin CslE. Un rêve a été réalisé cette année en diffusant dans le quartier chinois Big Fight in Chinatown, un documentaire sur la gentrification des différents chinatowns des villes occidentales. Ç'a été l'un des plus beaux moments de la présente édition.
R. L.-B. : La pandémie a ralenti ce volet, mais nous avons organisé par le passé des projections à l'extérieur de Montréal. C'est quelque chose que nous désirons reprendre.
ÀB ! : J'aimerais vous entendre un peu plus sur le parc et sa signification comme lieu de diffusion.
R. L.-B. : Le parc, c'est un lieu de rassemblement, familial, accessible et convivial, synonyme en quelque sorte de ce que CslE désire être. Nous rendons ludique et agréable la diffusion du documentaire social, nous créons des lieux de rassemblements et de discussion. C'est donc aussi un espace public qu'on se réapproprie pour apprendre et qu'on inscrit dans l'actualité. Alors imaginons : un documentaire peut avoir la réputation d'être barbant ou trop complexe. Mais si c'est projeté dans un parc ? Ça rend le film plus intéressant et plus surprenant aussi ! Autrement dit, le parc démocratise le documentaire.
H. S.-B. : L'été, le parc devient aussi l'extension de la maison. C'est un lieu de socialisation et de rencontre, et on veut amener la culture du documentaire là.
Et le parc est aussi un lieu d'évènements imprévisibles ! C'est aussi le parc qui vient au documentaire. Des gens promènent leurs chiens et des gens qui ne viennent pas à la projection se joignent… Le parc rend publique la diffusion.
ÀB ! : Comment travaillez-vous pour que Cinéma sous les étoiles poursuivent sa mission ? Comment s'assurer de rejoindre différentes personnes et différentes communautés ?
R. L.-B. : C'est une question qu'on se pose constamment pour chaque édition. Pour la suite, notre priorité est de sortir de Montréal pour la prochaine édition. Les régions ont également des enjeux spécifiques et il nous faut penser la programmation de films qui y seront bien reçus avec des organismes locaux.
H. S.-B. : Nous essayons de rejoindre différentes communautés en choisissant des films distincts et en projetant dans des lieux nouveaux. On veut porter divers messages et diverses œuvres à différents publics. C'est aussi la même logique qui anime la recherche de partenariat !
ÀB ! : Pour finir, pour cette quatorzième édition, y a-t-il une projection dont vous êtes fiers et fières ?
R. L.-B. : La semaine de l'environnement propose une programmation variée avec beaucoup d'angles différents, avec des discussions qu'on s'attend être riches et intéressantes.
H. S.-B. : Durant cette semaine, le film Paradis est projeté en première québécoise. Le film suit une communauté Iakoute en Sibérie combattant les feux de forêt de 2021 et abandonnée par l'État russe. Il y a une troublante correspondance entre ce film et les feux de forêt qui ont frappé le Québec cet été.
Le film d'ouverture de cette édition a été aussi un grand moment, où nous avons projeté Mon pays imaginaire du grand Patricio Guzman en première devant plus de 450 personnes, qui relate les récents manifestations sociales du Chili. Et finalement, la projection de Le mythe de la femme noire, d'Ayana O'Shun, a attiré près de 900 personnes ! C'est un record de participation !
QU'EST−CE QUE FUNAMBULES MÉDIAS ?
Funambules Médias est une une coopérative de travail fondée à Montréal en 2008 par des documentaristes actif·ves dans la production vidéo, la formation et la diffusion de cinéma documentaire. Elle réunit des cinéastes qui souhaitent soutenir la production et la diffusion de films. Elle vient aussi en aide aux organismes partageant les mêmes valeurs sociales de justice et d'inclusion. Elle offre enfin de la formation, notamment en éducation et en réalisation.
Illustration : Elisabeth Doyon
Un projet de règlement de Toronto menace le droit de manifester
CDPQ : plus de 27 milliards $ dans 76 entreprises complices de l’occupation et du génocide en Palestine

Déclaration de Bea Bruske, présidente du Congrès du travail du Canada, au sujet des résultats de l’élection fédérale

Félicitations au Premier ministre Mark Carney pour sa victoire électorale hier soir. Les Canadiens et Canadiennes aux opinions politiques diverses ont livré un message clair : ils rejettent les politiques conservatrices à l'américaine de Pierre Poilievre. Ils ont choisi de défendre les valeurs qui nous définissent - des services publics solides comme les soins de santé, des emplois syndicaux stables et la conviction que les voisins prennent soin les uns des autres.
Maintenant, les Canadiens attendent de ce nouveau gouvernement qu'il agisse de toute urgence.
Les Canadiens comptent sur le Premier ministre Carney pour agir rapidement. L'heure n'est plus aux hésitations.
Nous assistons déjà à des pertes d'emplois dans tous les secteurs et un trop grand nombre de travailleuses et travailleurs sont laissés pour compte par un régime d'assurance-emploi désuet qui a besoin d'une réforme urgente. Les gens s'attendent à des investissements dans les soins de santé publics, dans le logement abordable et dans les services sur lesquels les familles comptent. Ils veulent un gouvernement qui réduira notre dépendance vis-à-vis des États-Unis, renforcera les industries nationales et créera de bons emplois syndicaux dans toutes les régions du pays, tout en respectant clairement les valeurs canadiennes.
Les coupures ne nous mèneront pas sur le chemin de la prospérité. Le moment est venu de bâtir - en investissant dans les gens et dans les systèmes publics qui les soutiennent.
Les syndicats du Canada, qui représentent plus de 3 millions de travailleurs et travailleuses, sont prêts à travailler avec le gouvernement pour réaliser de réels progrès. Nous savons qu'en travaillant ensemble, nous pouvons relever les défis de demain et bâtir une économie plus juste et plus résiliente qui fonctionne pour tous, ce qui comprend :
• Offrir des soins de santé publics, dont l'accès à un médecin ou à une infirmière praticienne pour chaque personne au Canada et élargir le régime public universel d'assurance-médicaments ;
• Réduire le coût de la vie en empêchant les entreprises de hausser excessivement les prix et en augmentant les salaires ;
• Investir dans les services publics sur lesquels les familles comptent ;
• Lutter contre la crise du logement en construisant des logements qui sont vraiment abordables ;
• Créer de bons emplois syndicaux en investissant dans les infrastructures sociales et physiques, l'énergie propre et la fabrication intérieure.
Mais soyons clairs : la menace des États-Unis n'est en aucun cas exclue. La volatilité économique, l'escalade des pressions commerciales et l'imprévisibilité croissante des marchés américains nuisent déjà aux investissements et à la confiance des entreprises ici au pays. Les industries et les travailleurs canadiens en ressentent les effets. Le Canada ne peut pas se contenter de rester les bras croisés. Ce dont nous avons besoin maintenant, c'est d'une réponse vigoureuse et ambitieuse - à la hauteur de la situation et avec l'ampleur et la gravité qu'elle requiert.
C'est un moment critique pour le Canada. Les choix qui seront faits dans les semaines à venir façonneront notre économie, nos collectivités et notre avenir pour des générations.
Les syndicats du Canada sont prêts à agir - avec urgence et détermination et en partenariat - pour s'assurer que le gouvernement offre le pays sûr, inclusif et prospère pour lequel les Canadiens ont voté.

Sid Ryan : Cette élection a été un désastre pour le NPD et les syndicats

Le résultat de l'élection fédérale a été un désastre pour le NPD, mais aussi une catastrophe pour l'ensemble du mouvement syndical. Il y a quelque chose de profondément défaillant dans le message que les syndicats transmettent à leurs membres. En ce jour, les sonnettes d'alarme devraient résonner au Congrès du travail du Canada et dans toutes les autres fédérations syndicales du pays.
30 avril 2025 | Canadian Dimension
https://canadiandimension.com/articles/view/sid-ryan-this-election-was-a-disaster-for-the-ndp-and-unions
Comment expliquer que les conservateurs aient remporté tous les sièges dans le corridor Hamilton-Windsor — le cœur industriel du pays ?
Manifestement, soit les syndiqués n'écoutent plus du tout leurs dirigeants syndicaux, à tous les niveaux du mouvement, soit les syndicats ont perdu la capacité de communiquer efficacement avec leur propre base.
Le NPD, de son côté, a eu tort de croire qu'il suffisait de s'adresser à une poignée de leaders syndicaux pour obtenir un succès électoral. Les conservateurs leur ont damé le pion en parlant le langage des travailleurs et en allant à leur rencontre sur leurs lieux de travail. Ce virage dans la stratégie conservatrice a commencé sous Erin O'Toole, s'est poursuivi avec Doug Ford et a été amplifié par Pierre Poilievre. Le mouvement syndical et le NPD n'ont rien fait, ou presque, pour contrer cette évolution.
En pleine campagne électorale, les Conservateurs ont publié une déclaration de politique indiquant clairement leur intention de mettre fin à la formule Rand et d'introduire des lois sur le droit au travail au Canada. De manière stupéfiante, le CTC (Congrès du travail du Canada) est resté pratiquement muet face à cette menace existentielle. C'était une occasion en or pour le mouvement syndical organisé de s'impliquer directement dans l'élection, mais il a raté le coche. La seule façon pour les conservateurs de faire une razzia dans le corridor Hamilton-Windsor, c'était que des métallos, des ouvriers de l'automobile, des enseignants, des travailleurs de la construction et des employés du secteur public votent massivement pour leurs candidats. Rappelons que cela s'est produit alors que les emplois dans l'automobile et la sidérurgie étaient menacés par les tarifs imposés par Donald Trump, et au moment même où Poilievre laissait entendre qu'il sabrerait massivement dans les services publics et les postes.
En 2014, lorsque le chef conservateur Tim Hudak a proféré des menaces similaires en Ontario, la Fédération du travail de l'Ontario avait mobilisé les syndiqués à travers la province et joué un rôle majeur dans sa défaite.
Les 54 syndicats membres du CTC doivent se remettre sérieusement en question et se demander comment un parti politique de droite peut aujourd'hui exercer plus d'influence sur leurs membres qu'eux-mêmes. À l'heure actuelle, le mouvement syndical ressemble davantage à une simple agence de perception de cotisations sans idéologie politique. Il est impératif que l'organisation se ressaisisse. Elle ne peut continuer à fonctionner avec une base divisée entre le NPD, les libéraux, les conservateurs et le Bloc québécois. La voix de 3,4 millions de syndiqués et de leurs familles a honteusement été absente de cette élection.
Quant au NPD, le message est clair : soit il retourne à ses racines, celles de la Fédération du Commonwealth coopératif (FCC), et à sa raison d'être — représenter les intérêts des travailleurs et de leurs familles —, soit il plie bagage et rejoint les libéraux.
De plus, les bureaucrates centristes qui détiennent le pouvoir au sein du parti depuis deux décennies doivent être écartés et le parti reconstruit de fond en comble.
Dans les années 1960, la FCC et le CTC avaient uni leurs forces pour former un nouveau parti politique : le NPD. Les deux organisations doivent aujourd'hui retrouver cet esprit de combat pour redevenir une force politique. Sinon, elles dépériront et sombreront dans l'insignifiance et l'oubli.
Sid Ryan est l'ancien président de la Fédération du travail de l'Ontario.
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gauche.media
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