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Gaza, le nouveau camp de concentration
Dans toute analyse politique, surtout s'il s'agit d'un sujet brûlant, poser adéquatement les termes du problème constitue la tâche préliminaire indispensable, même si cela peut heurter un certain fanatisme et bien des intérêts. C'est le cas pour l'interminable guerre qui oppose l'État hébreu et la nation palestinienne.
Il faut donc commencer par définir convenablement les caractéristiques de la situation, sinon on la complique et on rend la solution plus difficile à trouver et à appliquer. Pour dénouer des noeuds durs, il faut éviter d'en nouer d'autres.
Le premier ministre canadien Mark Carney fait un peu les deux. Avec la Grande-Bretagne et la France, il propose la reconnaissance d'un État palestinien à condition que les otages détenus par le Hamas soient libérés, que cette organisation soit tout à fait démilitarisée, qu'on tienne en Palestine un scrutin libre dès l'an prochain et que le Hamas ne puisse y participer. De plus, certains commentateurs utilisent aussi le terme de pogrom pour désigner l'attaque du Hamas du 7 octobre 2023 contre des citoyens palestiniens.
Pour voir clair dans tout ça, il importe d'abord de déboulonner certaines idées reçues.
Tout d'abord, peut-on considérer l'offensive du Hamas d'octobre 2023 comme un « pogrom » ? Ce terme renvoie aux violences commises par une partie de la population de certains pays européens contre des communautés juives de 1881 à 1921 , souvent tolérées, voire encouragées par le pouvoir en place. Avec le temps, la notion de pogrom s'est étendue plus largement et de manière plus générale aux violences perpétrées par une partie de la population contre une communauté ethnique, religieuse, ou d'origine différente de la population majoritaire.
En attaquant Israël le 7 octobre 2023, le Hamas voulait sans doute relancer la question palestinienne sur la scène internationale et forcer un débat là-dessus. Il ne s'en prenait pas à une minorité ethnique ou religieuse persécutée, mais à certains ressortissants de la plus grande puissance militaire du Proche-Orient, responsable, entre autres malheurs qui frappent la population palestinienne, du marasme qui affligeait Gaza (et dont la situation n'a fait qu'empirer depuis). Les Juifs n'étaient pas visés comme tels mais comme les citoyens de cet État ; les victimes, certes, étaient des civils (tout comme les otages, d'ailleurs). Il faut toutefois se rappeler que depuis des décennies, les autorités israéliennes infligent des « opérations coup de poing » souvent très meurtrières par voie aérienne aux Palestiniens en exil (dans les camps de réfugiés du Liban en particulier) et que ceux de Cisjordanie subissent une très dure répression dès qu'ils se mettent à résister à la colonisation juive.
Qualifier cette offensive relève donc du sophisme, qui est l'erreur sous le manteau de la vérité. Cela ne signifie pas bien sûr qu'on doive approuver cette attaque-surprise, mais en parler comme d'un pogrom relève d'une malhonnêteté intellectuelle cynique, car elle utilise sans vergogne la mémoire des victimes de l'Holocauste à des fins politiques contemporaines, dans un tout autre contexte que celui de l'Europe du temps de Hitler.
Ensuite se pose toute la question de la composition de la délégation palestinienne lors de futurs pourparlers (qui devront bien advenir un jour). Il existe une vérité fondamentale en la matière : on ne choisit pas ses interlocuteurs, il faut s'en accommoder. Les Palestiniens doivent se faire reconnaître le droit de choisir eux-mêmes les gens qui les représenteront lors des négociations et non se les faire imposer par les alliés indéfectibles d'Israël. Dans cette optique, il faut arrêter de dénigrer le Hamas puisqu'il s'agit d'un joueur incontournable de la scène politique palestinienne. Ses militants et dirigeants sont des fanatiques anti-israéliens ? Oui, mais s'ils reçoivent un soutien populaire important et persistant, c'est avant tout en raison de l'intransigeance de la plupart des classes politiques occidentales à l'idéal d'une Palestine libre et de leur appui indéfectible à Israël ; ce sont deux fanatismes qui se répondent l'un l'autre ; que l'un soit en complet-cravate ne le rend pas plus respectable... le désabusement populaire à l'égard de l'Autorité palestinienne, discréditée en raison de son incompétence, de son népotisme et surtout de sa collaboration avec le gouvernement israélien joue aussi un rôle important dans l'influence dont bénéficie le Hamas auprès de la population gazaouie, et palestinienne en général. Le Hamas n'est pas un bloc monolithique sur le plan idéologique. Différents courants idéologiques et politiques coexistent tant bien que mal en son sein. L'admettre à la table des négociations donnerait une chance aux modérés et aux réalistes de l'organisation de s'imposer et peut-être de marginaliser les radicaux. L'expérience vaut en tout cas d'être tentée. Essayer d'imposer aux Palestiniens une délégation de complaisance peu représentative constituerait non seulement une insulte à leur endroit et une injustice, mais conduirait nécessairement les négociations à l'impasse avec les dangers de rupture et de dérapage qui en découleraient.
Le principal problème est toujours le même : tenter d'imposer une paix à rabais aux Palestiniens par l'intermédiaire de pourparlers truqués et de représentants palestiniens plus ou moins capitulards. Le meilleur moyen d'implanter une démocratie palestinienne durable ne consiste pas, comme le beuglent les sionistes, à soutenir la soi-disant culture démocratique israélienne par contraste à celle, présumément autoritaire, des Palestiniens ; selon eux, à ce titre, Israël mériterait l'appui inconditionnel de l'Occident, « la seule civilisation qui vaille », selon une formule teintée de racisme que l'on entend parfois. Les alliés de l'État hébreu appuient en fait bien plus son nationalisme que sa supposée « démocratie ». Il faut reconnaître sans ambiguïté le droit à l'autodétermination de la nation palestinienne et exercer les pressions nécessaires sur Tel-Aviv pour qu'il devienne enfin réalité. Sinon, le conflit israélo-palestinien ne sera pas près de s'éteindre. À qui la faute ?
Jean-François Delisle
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Innergex, encore un investissement contesté de la CAQ

Ukraine : pourquoi LFI ment ?
La France insoumise martèle contre toute évidence que partis et syndicats sont interdits en Ukraine. Tout observateur même distrait ou tout visiteur de l'Ukraine constate facilement que ce n'est pas le cas.
Ukraine : pourquoi LFI ment ?
Un article de Patrick Le Tréhondat
Du 4 au 8 août le syndicat étudiant Priama Diia a tenu librement et démocratiquement son troisième congrès en présence d'une soixantaine de délégués. Quelques jours plus tard le syndicat du personnel soignant « Soyez comme nous sommes » a organisé une conférence syndicale à Odessa. A Lviv, le groupe féministe » l'Atelier féministe » a tenu une réunion publique le 4 août sur le thème « Qui sont les féministes ? Contre qui et pourquoi se battent-elles ? ». Le 20 août 2025, à Kharkiv, des syndicalistes de la confédération syndicale FPU (3 millions de membres) se sont réunis. Et le 20 août, l'organisation socialiste Sotsialnyi Rukh a tenu à Kyiv, rue Yaroslavska, 35a, une réunion sur la situation des travailleurs dans les infrastructures critiques, notamment en présence de Kateryna Izmaylova du Syndicat des cheminots et des constructeurs de transports d'Ukraine. La tenue du registre des activités quotidiennes des syndicats et partis (et surtout de gauche) en Ukraine serait un travail fastidieux qui rempliraient des centaines de pages.
Mais alors pourquoi LFI ment-elle sur la réalité sociale et politique de l'Ukraine. Pourquoi méprise-t-elle à ce point le prolétariat ukrainien , ses organisations et les mouvements sociaux ?
1/ Pour LFI, la Fédération de Russie est un Etat anti-impérialiste politiquement « déformé » ou « dégénéré » avec des traits autoritaires. En conséquence elle peut à la fois la soutenir contre l'impérialisme américain et ses alliés européens et regretter la répression qui frappe certains de ses opposants (choisis par ses soins) et même leur apporter son soutien. Elle peut également déplorer, à l'occasion, l'absence de démocratie dans la Fédération. Mais en dernier ressort, puisqu'elle analyse la situation mondiale en termes d'affrontements entre Etats et non en termes de lutte de classes, la Fédération de Russie constitue d'abord et avant tout un point d'appui à défendre contre l'impérialisme américain, ennemi unique et principal. Il ne faut pas donc pas trop l'affaiblir par des critiques inconsidérées en regard des enjeux internationaux.
2/ Dans ce cadre, le mouvement ouvrier et les mouvements sociaux ukrainiens ne peuvent pas exister. Car la reconnaissance de leur existence et de leurs activités, indépendantes de l'Etat ukrainien, parfois contre lui lorsqu'il s'agit de défendre des acquis et droits sociaux, obligerait à reconnaitre une démocratie sociale ukrainienne mille fois supérieure à la dictature poutinienne. Ce déni de réalité a, par ailleurs, l'insigne avantage de tirer un trait d'égalité entre le régime de Kyiv et celui de Moscou en termes de normes démocratiques. L'un et l'autre se valent à cette aune. A la différence près, et essentielle, que celui du Kremlin s'oppose aux Etats-Unis alors que celui de Zelensky en est le jouet. Il est par conséquent essentiel d'effacer dans l'équation tronquée le facteur X que constitue l'existence des organisations ouvrières et des mouvements sociaux ukrainiens. Effacement qui permet de choisir raisonnablement la Fédération de Russie contre l'Ukraine et de valider comme légitime ses ambitions coloniales comme forme de résistance anti-impérialiste. Même si dans un sanglot furtif, LFI peut regretter l'agression russe contre l'Ukraine, nécessité « anti-impérialiste » fait loi.
25 août 2025
Patrick Le Tréhondat
Ukraine : why is LFI lying ?
La France Insoumise insists, against all evidence, that parties and unions are banned in Ukraine. Any observer, even a casual one, or any visitor to Ukraine can easily see that this is not the case. From August 4 to 8, the student union Priama Diia held its third congress freely and democratically, attended by some 60 delegates. A few days later, the healthcare workers' union “Be Like Us” organized a trade union conference in Odessa. In Lviv, the feminist group “The Feminist Workshop” held a public meeting on August 4 on the theme “Who are feminists ? Who are they fighting against and why ?” On August 20, 2025, trade unionists from the FPU trade union confederation (3 million members) met in Kharkiv. And on August 20, the socialist organization Sotsialnyi Rukh held a meeting in Kyiv, at 35a Yaroslavska Street, on the situation of workers in critical infrastructure, attended by Kateryna Izmaylova of the Trade Union of Railway Workers and Transport Builders of Ukraine. Keeping a record of the daily activities of trade unions and parties (especially left-wing ones) in Ukraine would be a tedious task that would fill hundreds of pages.
But then why is LFI lying about the social and political reality in Ukraine ? Why does it despise the Ukrainian proletariat, its organizations, and social movements to such an extent ?
1/ For LFI, the Russian Federation is a politically “deformed” or “degenerate” anti-imperialist state with authoritarian traits. As a result, it can both support it against US imperialism and its European allies and regret the repression of some of its opponents (chosen by LFI) and even support them. It may also occasionally deplore the lack of democracy in the Federation. But ultimately, since it analyzes the world situation in terms of clashes between states and not in terms of class struggle, the Russian Federation is first and foremost a point of support to be defended against US imperialism, its sole and main enemy. It should therefore not be weakened too much by ill-considered criticism in view of the international stakes.
2/ In this context, the Ukrainian labor movement and social movements cannot exist. For to recognize their existence and their activities, independent of the Ukrainian state and sometimes against it when it comes to defending social gains and rights, would mean recognizing a Ukrainian social democracy a thousand times superior to Putin's dictatorship. This denial of reality also has the distinct advantage of drawing a line of equality between the regimes in Kyiv and Moscow in terms of democratic standards. The two are equal in this respect. The only difference, and it is an essential one, is that the Kremlin regime opposes the United States, while Zelensky's regime is its puppet. It is therefore essential to remove from the truncated equation the X factor represented by the existence of Ukrainian workers' organizations and social movements. This removal allows us to reasonably choose the Russian Federation over Ukraine and validate its colonial ambitions as a form of anti-imperialist resistance. Even if, in a fleeting moment of emotion, LFI may regret Russia's aggression against Ukraine, “anti-imperialist” necessity prevails.
August 25, 2025
Patrick Le Tréhondat
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La Gazaouie et le sac de farine
LA GAZAOUIE ET LE SAC DE FARINE
–
N'y va pas, Besma ! C'est un piège.
-
Je te dis que c'est un traquenard. Les Snipers vont te canarder. –
Tant pis. Je mourrai en Chahida (Martyr). -
T'es trop jeune pour braver un tel danger. –
Il me faut ce sac de farine, ma mère et mes petites sœurs vont crever de faim. –
Reste là, ma chérie ! Je partagerai le mien avec toi. –
Vous êtes 8 sous la tente, Sourour. –
Pas grave. Je remets ça demain. –
Il n'en est pas question. –
Alors on y va ensemble et retiens bien ce que je vais te dire, Besma ! -
D'accord. –
L'occupant et ses collabos de l'Intelligence artificielle se sont fixés un objectif : Nous exterminer tous (tes) ! -
Je l'sais. –
Le monde entier assiste au génocide, sans bouger le p'tit doigt. C'est la loi du plus fort ! –
Pourquoi nous livrent-
ils aux bourreaux, demande Besma. –
Quand tu auras mon âge, tu comprendras notre Histoire, la cruauté des Puissants et la lâcheté de ceux qui nous regardent trépasser. –
Le sac de farine est peut-
être trop lourd pour moi ? -
Je te donnerai un coup de main, t'inquiète. –
Ne cours pas trop vite ! Sourour. -
Si ! Il le faut ! Mais dès que tu te sens en difficulté ou à bout de souffle, tu m'alertes, d'accord. -
Attends, attends ! Je retrousse les pans de ma Abaya. –
Vas-
y ! -
Tu sais, Sourour, je n'ai pas peur de mourir. –
Ne parle-
pas de ça maintenant ! -
T'as raison. –
Une dernière fois, écoute-
moi bien, Besma ! -
Je suis toute ouïe. -
Le colon nous a réduits en proies affamées à appâter avec un sac de farine. Lui qui a connu ce supplice inhumain sous le Nazisme, n'hésitera pas à exceller dans la « Boucherie » pour venir à bout du dernier (re) d'entre nous. –
Pourquoi les Américains le laisse faire ? -
Ne t'occupe pas de ça, j'te dis ! -
Pardon ! -
Avant qu'on parte affronter la mort, je te pose quelques questions : -
Vas-
y ! Sourour. -
C'est quoi le signal de départ ? -
« Yallah ! ». –
Bravo ! -
A découvert, on est la cible de… ? -
« El Kannas ! » (Sniper). –
« Ahsanti ! » (très bien, excellente !). ( La mine de Besma s'irradie, vite rattrapée par une peur viscérale qui lui rappelle l'instant de vérité ) -
On le porte comment le sac de farine ? poursuit Sourour. -
Autour de la nuque. –
Parfait ! (Elle l'interroge encore) : C'est tout… ? -
J'ai oublié. –
On se baisse. –
Aah, oui ! –
T'as pris ton sac, tu t'es baissée… Tu fais quoi ? -
Je cours à toute allure. –
Eh ben T'ES MORTE ! sur le champ ! -
Ya Latif ! Pourquoi ? -
Parce que t'as pas retenu la plus importante des consignes. –
Dis la moi ! s'il te plait. -
Je t'avais répété dix fois : « Si tu veux augmenter tes chances de regagner indemne l'enclave, tu cours en zigzagant ! Mafhoum ? (Compris ?) -
Takram Aynek ! (Remerciement). Ouallah mafhoum (Compris, je le jure)
( Les deux intrépides Gazaouies s'emparent de la denrée précieuse et courent ployées à toute biture en récitant un verset du Livre Saint. Les balles sifflent autour d'elles. Prenant leur courage à deux main, elles puisent dans leurs ultimes efforts…) -
Ne t'arrête pas Besma ! s'écrie Sourour, on y est presque ! -
J'en peux plus ! Mes forces m'abandonnent ! -
Cours ! J'te dis ! On est arrivées ! Plus que 100 mètres et nous ne mourrons pas de faim ! -
Ils tirent encore ! Je suis essoufflée. -
Plus que 40 mètres, Besma. –
C'est vrai ? -
Oui, c'est vrai ! Même moins que ça. –
On va manger Khobz Taboun ? (pain palestinien). -
Avec de l'huile de l'olive ! Ma chérie, de l'huile d'olive…
( Aux derniers mètres, les deux fillettes sont rattrapées par un drone en rase motte et achevées cruellement ! )
Texte et dessin Omar HADDADOU Hommage à Gaza (août 2025)
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Militarisme, défense et démocratie
Hanna Perekhoda est ukrainienne, russophone, originaire de Donetzk, auteure d'un travail sur les bolcheviks en Ukraine et leurs contradictions en 1917 et après, elle réside en Suisse et l'organisation qu'elle mentionne comme la sienne, où elle est confrontée aux arguments qu'elle discute, est SolidaritéS (Suisse romande).
Une récente discussion sur le réarmement et la militarisation m'a aidé à clarifier mes idées. Je suis consciente que ma position n'est pas partagée par beaucoup de gens à gauche, et cela ne me dérange pas. Ce que j'espère, c'est qu'elle puisse ouvrir la voie à une réflexion honnête, tant pour moi que pour les autres.
Mais avant même de commencer à parler de défense, nous devons nous poser une question fondamentale y-a-t-il une menace réelle pour nous ? Et pour y répondre, nous devons définir ce que nous entendons par ce « nous ».
Au niveau national, dans la plupart des pays d'Europe centrale et occidentale, il n'y a en effet aucun risque d'invasion militaire directe. Et de nombreux populistes de gauche et de droite ne parlent qu'en ces termes nationaux : « Il n'y a pas de menace militaire pour notre nation, alors pourquoi dépenser de l'argent pour la défense ? »
Mais cette position est contre-productive. En attisant les sentiments isolationnistes, la gauche fait le jeu de l'extrême droite. L'extrême droite est plus cohérente et promeut l'égoïsme dans tous les domaines, de sorte que la gauche est toujours perdante dans ce jeu.
Si nous adoptons plutôt une perspective européenne, nous devons admettre que oui, l'Europe en tant qu'entité est menacée. Mais la forme de cette menace varie selon les endroits.
Si nous incluons l'Ukraine dans notre conception de l'Europe, alors la guerre est déjà là, et elle est énorme.
Dans le même temps, la production d'armes européenne est loin d'être suffisante pour couvrir ne serait-ce que les besoins immédiats de l'Ukraine. Cela signifie que la production doit être augmentée et que les armes doivent être envoyées là où elles sont nécessaires.
Pour les pays situés à l'ouest de l'Ukraine, le danger ne réside pas dans l'arrivée de chars à Berlin. Un scénario plausible serait une provocation dans les pays baltes, destinée à tester la crédibilité de la dissuasion européenne. Ce qui constitue une invasion et ce qui n'en est pas une est toujours une question d'interprétation. Rappelons-nous que les avions de combat russes violent déjà l'espace aérien d'autres pays. Petit à petit, ils testent jusqu'où ils peuvent aller.
Du point de vue de Poutine, c'est tentant. Car il pense que l'Europe occidentale ne se battra pas pour quelques millions d'Estoniens, de Lituaniens, de Moldaves, etc. Et il a des raisons de le croire. Si les grands États décident que cela n'en vaut pas la peine, alors la dissuasion s'effondre.
Pendant des décennies, les Européens se sont appuyés sur la puissance militaire américaine. Mais ce mécanisme de sécurité s'effondre.
Or les secteurs stratégiques indispensables au fonctionnement des armées européennes dépendent presque entièrement des États-Unis : transport aérien, renseignement par satellite, missiles balistiques, défense aérienne, etc. Si les États-Unis se retirent, les systèmes de défense des pays européens deviendront complètement inopérants. La réalité aujourd'hui est que l'existence des pays européens dépend du régime d'extrême droite de Trump, qui ne réagira probablement pas en cas d'invasion. Ils sont également vulnérables au régime d'extrême droite de Poutine, qui se réarme, se mobilise et cherche activement la confrontation.
Les pays baltes, la Pologne et la Finlande doivent donc reconstituer leurs stocks et renforcer leurs infrastructures. Lorsque votre voisin est la deuxième puissance militaire mondiale, qu'il bombarde quotidiennement des villes, consacre un tiers de son budget à la guerre et qualifie votre pays d'« erreur historique », la capacité à se défendre ne relève pas d'une course à l'armement. C'est une question de survie. Mais cette survie n'est possible qu'avec l'aide des alliés d'Europe occidentale, car aucun pays d'Europe orientale n'est capable de produire les armes nécessaires et d'affronter seul l'armée russe.
En Europe occidentale, la menace est différente. Il s'agit moins d'une invasion que de la montée de l'extrême droite. Pour Poutine, pour Trump, pour J. D. Vance, le scénario idéal est clair : l'Europe de l'Est sous domination russe, l'Europe occidentale dirigée par des gouvernements d'extrême droite qui acceptent leur vision d'un monde divisé en zones d'influence autoritaires.
Ici, la défense revêt donc une autre signification : lutter contre la désinformation, protéger les infrastructures, bloquer les fonds étrangers dans la politique, se défendre contre les cyberattaques, le sabotage et le chantage énergétique. Et aider ceux qui ont immédiatement besoin d'armes pour leur survie.
En bref : nous devons adapter nos outils aux menaces. Et surtout, nous devons cesser de penser uniquement en termes nationaux étroits. Car c'est précisément cette logique nationale qui a alimenté des siècles de guerre, de destruction et de division sur le continent européen.
—
Alors, où cela nous mène-t-il ?
Je pense que nous devons faire la distinction entre militarisme et défense.
Le militarisme, c'est la guerre comme opportunité commerciale, motivée par le profit capitaliste. C'est aussi mettre la guerre au centre et y subordonner toute la société. La défense est la capacité de la société à se protéger contre les agressions. (Et aujourd'hui, alors que les trois plus grandes puissances militaires menacent ouvertement d'envahir d'autres pays – la Chine contre Taïwan, les États-Unis parlant même du Groenland, et la Russie menant déjà la guerre en Ukraine –, on ne peut pas prétendre que le problème de la défense n'existe pas.)
Le problème n'est pas la production en soi. Le problème est de laisser le marché décider ce qui est produit, pour qui et selon quelles règles. C'est là qu'est le vrai sujet. Qui décide ? Dans quel but ? Dans quelles conditions ?
Et ici, la gauche a un rôle crucial à jouer : imposer des règles strictes en matière d'exportation, la transparence des contrats, le contrôle démocratique.
Aujourd'hui, même au sein de ma propre organisation, j'entends dire : « Nous n'avons pas la capacité d'imposer de telles règles. » Et je demande : avons-nous davantage la capacité d'abolir la guerre et les armes sur toute la planète ?
À ce stade, nous devons être honnêtes. Les slogans sur l'abolition de la guerre ne relèvent plus de la politique. Ils sont beaucoup plus proches de la religion, insensibles aux exigences de la réalité. Lorsque nous formulons des revendications prétendument radicales sans aucun moyen de les réaliser et sans organisation de masse en vue, le résultat pratique est simple : nous abandonnons le terrain à ceux qui sont déjà au pouvoir. Ils organiseront alors la défense entièrement selon leurs propres règles et intérêts. Et nous obtiendrons exactement le militarisme auquel nous prétendons nous opposer.
Nous pouvons bien sûr prétendre que le fait d'adopter des positions maximalistes aiguise les contradictions, approfondit les divisions sociales et précipite l'effondrement de l'État bourgeois. Et que cet effondrement entraînera la révolution, la lutte finale. Même si l'extrême droite est forte. Même si une dictature militarisée se trouve juste à côté. Car nous parions que lorsque notre État s'effondrera, les populations des dictatures militarisées voisines se soulèveront – et dans notre pays, ce sera nous, et non l'extrême droite, qui prendrons le pouvoir.
D'accord. Mais soyons sérieux un instant. Quelle est la probabilité que les gens se révoltent dans des États militarisés, d'extrême droite et illibéraux, où règne la surveillance de masse ? Et dans un monde où règne la violence pure et simple, où le pouvoir se décide par la force des armes, quelles chances la gauche d'aujourd'hui a-t-elle réellement contre l'extrême droite ?
La politique n'est pas une question de fantaisie. Il s'agit d'analyser le rapport de force réel et de faire avancer ses objectifs dans ce cadre.
La question qui se pose à nous est donc simple : quelle est la position réaliste de la gauche européenne dans les conditions actuelles ?
Pour moi, elle doit commencer par deux exigences simultanées :
* Premièrement, assurer la survie structurelle d'un espace démocratique.
* Deuxièmement, lutter de l'intérieur de cet espace pour redéfinir son contenu politique et social.
Cela signifie lutter deux fois plus fort contre les politiques néolibérales, mais sans renoncer au cadre démocratique où cette lutte est encore possible.
En effet, le projet européen – la démocratie libérale en général – est une contradiction totale. Il protège contre le pouvoir politique arbitraire, mais laisse les gens sans défense contre l'arbitraire du capital – d'ailleurs, dans les États dits socialistes, c'était l'inverse : une certaine protection contre l'arbitraire économique, mais aucune protection contre le pouvoir politique. Mais ceux qui ont aujourd'hui la capacité et la volonté déclarée de démanteler ce projet sont les régimes où les citoyens ne sont protégés ni de l'oppression politique ni de l'oppression économique.
Rappelons-nous que nous avons commencé par nous demander ce que nous entendons par « nous ». Bien sûr, du point de vue de la gauche, il ne s'agit pas d'un État-nation ou d'une communauté européenne, mais d'une classe ouvrière mondiale. Je pense que nous devons garder à l'esprit que ni la vie humaine, ni les droits des travailleurs, ni l'environnement ne peuvent être protégés dans un État qui se trouve dans la « zone d'influence » de puissances impérialistes extractivistes autocratiques comme la Russie de Poutine, les États-Unis de Trump ou la Chine. Dans un monde dominé par une politique de grandes puissances sans contrôle, les organisations progressistes et leurs valeurs sont toujours anéanties, d'abord politiquement, puis physiquement.
La démocratie libérale est pleine de contradictions. Mais ce sont des contradictions contre lesquelles nous pouvons lutter de l'intérieur. La liberté de former des syndicats, les droits des femmes, les politiques sociales, la solidarité internationale – tout cela n'est pas abstrait, mais constitue des infrastructures matérielles qui dépendent de notre capacité à préserver le petit espace de liberté qui a été ouvert au prix de grands sacrifices.
—
Maintenant, quelques mots sur les mesures pratiques qui peuvent être prises dans le contexte suisse.
La Suisse n'est pas une île. L'instabilité dans l'UE affecte immédiatement la sécurité suisse. Une fois de plus, la Suisse semble choisir son ancien rôle : celui de refuge pour les criminels de guerre et leur argent.
C'est pourquoi nous devons agir :
• Contre la stratégie de la Suisse qui consiste à se cacher derrière la « neutralité » tout en faisant du commerce avec des criminels de guerre. Contre le secret bancaire et les paradis fiscaux qui font de la Suisse un paradis pour les corrompus et les criminels.
• Pour des sanctions plus sévères et des mesures diplomatiques maximales contre les États qui commettent des crimes de guerre et violent le droit international.
• Pour confisquer les centaines de milliards d'actifs russes gelés et les utiliser pour financer la défense de l'Ukraine et la sécurité européenne. Certains craignent que cela ne créé un dangereux précédent. Ils ont raison : la justice est toujours un dangereux précédent dans un système conçu pour protéger les riches. Mais c'est le seul précédent qui vaille la peine d'être créé.
• Pour la réexportation d'armes vers l'Ukraine et contre la vente d'armes aux dictatures et aux États qui violent le droit international.
• Contre les dépenses de plusieurs milliards pour la « défense nationale ». La Suisse n'est pas menacée par l'Allemagne, la France ou l'Italie. Pour contribuer plutôt à la sécurité collective européenne.
• Pour l'abandon des combustibles fossiles russes et l'investissement massif dans les énergies renouvelables. L'autonomie énergétique est synonyme de sécurité. Chaque franc dépensé pour le gaz russe est un franc dépensé pour la guerre de Poutine.
Hanna Perekhoda, 22/08/25.
Ce texte a été traduit de l'anglais par Aplutsoc, qui a choisi le titre.
https://aplutsoc.org/2025/08/24/militarisme-defense-et-democratie-hanna-perekhoda/
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Nouvelles sanctions américaines contre la Cour Pénale Internationale
Le secrétaire d'Etat américain Marco Rubio a annoncé mercredi 20 août des sanctions à l'encontre de quatre membres de la Cour pénale internationale. Leur tort ? Ils menaceraient la sécurité du pays par leurs investigations menées à l'encontre d'Israël et des Etats-Unis dans le cadre du génocide en cours à Gaza.
Tiré d'Agence médias Palestine.
La juge canadienne Kimberley Prost et le juge français Nicolas Guillou sont deux des quatre magistrats de la Cour Pénale Internationale (CPI) sous le coup des sanctions annoncées hier par Marco Rubio, le secrétaire d'Etat américain (l'équivalent du ministre des Affaires étrangères). A leurs noms s'ajoutent ceux de Nazhat Shameem Khan des Îles Fidji et Mame Mandiaye Niang du Sénégal, deux procureurs adjoints à la CPI.
Les Etats-Unis dénoncent une menace pour leur sécurité nationale
“La Cour Pénale Internationale continue de bafouer la souveraineté nationale et de favoriser la guerre juridique en s'efforçant d'enquêter, d'arrêter, de détenir et de poursuivre des ressortissants américains et israéliens. En réponse, je sanctionne quatre autres responsables de la CPI. Nous continuerons de demander des comptes aux responsables des actions moralement dénuées de fondement juridique et de la CPI contre les Américains et les Israéliens.” C'est par ce tweet publié hier après-midi que le secrétaire d'Etat américain a annoncé de nouvelles sanctions à l'égard de ces quatre magistrats de la CPI. Un communiqué officiel plus détaillé a également été publié par le Département d'Etat américain.
Différents faits sont reprochés par l'administration américaine aux personnels mis en cause. A chaque fois, les allégations visent des affaires dans lesquelles les Etats-Unis sont impliqués, et pas seulement le dossier palestinien. C'est le cas de la juge canadienne Kimberley Prost, sanctionnée pour son implication dans l'enquête en cours de la CPI sur des crimes de guerre potentiellement commis par des soldats américains en Afghanistan. L'autre juge, le français Nicolas Guillou, est le juge qui préside la chambre préliminaire de la CPI en charge du dossier sur la Palestine. C'est cette chambre qui est à l'origine des mandats d'arrêt émis en novembre 2024 par la CPI pour crimes contre l'humanité à l'encontre du chef du gouvernement israélien Benjamin Netanyahu et de son ministre de la défense de l'époque, Yoav Gallant.
Les deux procureurs sont quant à eux mis en cause puisqu'ils sont chargés de par leur statut de poursuivre et d'enquêter sur les personnes soupçonnées de crimes contre l'humanité ou de crimes de guerre, ici des citoyens américains et israéliens. Les Etats-Unis dénoncent la “politisation” excessive de la CPI et son ingérence dans les affaires internes des deux pays alors que ni les Etats-Unis ni Israël n'en sont membres.
Les réactions internationales
Face à ces sanctions, les réactions de la CPI en premier lieu n'ont pas tardé à tomber, l'organe judiciaire international qualifiant ces sanctions “d'attaque flagrante contre une institution judiciaire impartiale”. Plusieurs pays occidentaux pourtant peu enclins à la fermeté avec les Etats-Unis et Israël ont condamné cette décision, à l'image de la France qui a exprimé “sa consternation” et sa “solidarité à l'égard des magistrats visés par cette décision” à travers la voix d'un porte-parole du ministère des Affaires étrangères.
La CPI ne se laisse pas pour autant intimider. Cette dernière a déclaré qu'elle continuerait à “s'acquitter de ses mandats, sans se laisser décourager, dans le strict respect de son cadre juridique tel qu'adopté par les Etats parties et sans tenir compte de la moindre restriction, pression ou menace”.
De son côté, l'Etat génocidaire israélien a logiquement soutenu les sanctions prononcées par le secrétaire d'Etat américain. En tant que dirigeant d'un pays allié de longue date des Américains, Benjamin Netanyahu a salué “une mesure ferme contre la campagne de diffamation mensongère à l'égard de l'État d'Israël et de son armée, et pour la vérité et la justice”.
Une politique systématique de sape des instances internationales
Ces sanctions annoncées hier par les Etats-Unis ne sont pas une nouveauté. Elles s'inscrivent plutôt dans la continuité d'une politique extérieure américaine qui vise à miner les autorités internationales. C'est déjà la troisième fois depuis le début de l'année que le secrétaire d'Etat américain Marco Rubio vise des membres de la CPI.
En février dernier déjà, des mesures avaient été prises à l'encontre du procureur de la CPI Karim Khan. Il est le magistrat qui avait requis il y a un an le mandat d'arrêt contre Benjamin Netanyahu, finalement émis en novembre dernier. Même chose pour les sanctions annoncées en juin contre quatre autres membres de la CPI. Les magistrates visées étaient certes différentes, mais elles étaient toutes les quatre également impliquées soit dans le dossier des crimes de guerre américains en Afghanistan, soit dans l'émission des mandats d'arrêts contre les responsables politiques israéliens Netanyahu et Gallant.
Dernière affaire similaire en date du mois de juillet dernier, où la rapporteuse spéciale des Nations unies pour la Palestine Francesca Albanese était cette fois dans le viseur de Marco Rubio. Elle avait subi des sanctions similaires pour son soutien aux procédures en cours à la CPI et sa dénonciation du génocide à Gaza.
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Palestine - Le piège de la reconnaissance d’État
Un nombre croissant d'États, dont le Royaume-Uni, la France et le Canada, s'orientent vers la reconnaissance de l'État palestinien. Bien que cette démarche puisse être utilisée stratégiquement pour faire progresser les droits des Palestiniens, elle comporte également le risque de normaliser le génocide du peuple palestinien à Gaza tout en stabilisant le statu quo de la domination coloniale israélienne et en freinant le potentiel d'une véritable autodétermination.
Tiré de Agence Média Palestine
8 août 2025
Par Noura Erakat et Shahd Hammouri,
La plus grande promesse de cette nouvelle initiative de reconnaissance, la précédente ayant eu lieu en 2011-2012, réside dans un front uni pour défier le soutien intransigeant des États-Unis à Israël. Depuis qu'ils sont devenus l'allié principal d'Israël à la suite de la guerre de 1967, les États-Unis ont utilisé leur statut de superpuissance mondiale pour protéger systématiquement Israël de toute responsabilité et pour saper les efforts multilatéraux visant à promouvoir l'autodétermination palestinienne. Plus récemment, le soutien américain à Israël s'est traduit par la livraison ininterrompue d'armes, l'imposition de sanctions contre la Cour pénale internationale pour avoir émis des mandats d'arrêt contre des dirigeants israéliens, et surtout, par cinq vétos au Conseil de sécurité contre un cessez-le-feu. Cette initiative de reconnaissance est le premier effort coordonné d'États européens pour affronter la politique américaine, et cet élan est bien nécessaire. Mais leur poussée en faveur de la reconnaissance de l'État palestinien est non seulement insuffisante, elle contourne aussi des droits inaliénables appartenant au peuple palestinien.
Introduite 22 mois après le début du génocide que les États tiers ont refusé de prévenir ou d'arrêter, cette initiative risque désormais de récompenser Israël en le sauvant de lui-même. Compte tenu de son isolement croissant sur la scène internationale, y compris des critiques venant de ses alliés traditionnels, cet effort diplomatique risque de freiner une remise en cause essentielle du sionisme, idéologie suprémaciste qui nécessite l'élimination des Palestiniens pour établir et maintenir une souveraineté coloniale juive en Palestine. C'est cette idéologie sioniste qui a animé la Nakba, une structure de dépossession, d'expulsion et d'élimination à travers toute la Palestine, d'abord en 1948, puis aujourd'hui dans sa forme la plus grotesque à Gaza. Reconnaître un État palestinien limité à la Cisjordanie et à Gaza, sans prendre en compte l'ensemble de l'autodétermination palestinienne, reviendrait à normaliser la Nakba et à maintenir intacte la logique ayant permis près de deux années de génocide colonial d'une cruauté sans précédent. Cela reformulerait le génocide comme une simple flambée d'hostilités entre ennemis irréconciliables, tout en reléguant environ 11 millions de réfugiés à un exil permanent et en soumettant environ 2 millions de citoyens palestiniens d'Israël, dont 56 % des Israéliens juifs soutiennent la déportation forcée, à une subjugation permanente.
Un phénomène similaire a eu lieu après les Accords d'Oslo de 1993. En échange de la signature de ces accords, qui ont donné à Israël l'apparence d'un « partenaire pour la paix » sans véritable mécanisme de responsabilité ou de contrôle, Israël a normalisé ses relations économiques dans le monde entier. Depuis, il n'a fait qu'accélérer son expansion coloniale, comme en témoigne le récent vote de la Knesset en faveur de l'annexion de la Cisjordanie, sans subir la moindre conséquence. Reconnaître un État palestinien n'est pas un substitut aux sanctions et à la responsabilité juridique, et c'est précisément le risque grave que cela pose, car les États pourraient reconnaître la Palestine au lieu de remplir leurs obligations légales existantes.
Les obligations des États envers la Palestine au regard du droit international sont parfaitement claires. En janvier 2024, la Cour internationale de Justice a jugé qu'il existait un risque plausible de génocide, obligeant les États à le prévenir ; en juillet 2024, la principale instance judiciaire des Nations unies a déclaré que la présence d'Israël à Gaza et en Cisjordanie était illégale, exigeant ainsi un boycott international. Fin 2016, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 2334 condamnant sans ambiguïté la colonisation israélienne en Cisjordanie. Sans parler des multiples résolutions de l'Assemblée générale et des rapports d'agences spécialisées des droits humains dénonçant les abus systématiques d'Israël contre les Palestiniens. Les États tiers doivent imposer des sanctions fermes pour rendre le génocide et l'occupation non rentables, ce qui nécessite une coopération internationale visant à exclure Israël du marché mondial et des organisations internationales.
Les États n'ont pas besoin de reconnaître la Palestine pour mettre fin à l'occupation, mettre fin au génocide et faire progresser l'autodétermination palestinienne : ils ont besoin de la volonté politique de décréter des embargos sur les armes et l'énergie, de cesser tout commerce et investissement avec Israël, de l'exclure de l'ONU, de poursuivre en justice les criminels de guerre israéliens et les entreprises complices dans leurs juridictions nationales, et d'arrêter le Premier ministre Benyamin Netanyahou conformément au mandat de la CPI. Jusqu'à présent, les États les plus économiquement puissants du monde ont esquivé ces obligations pour se contenter de signer une déclaration de reconnaissance d'État, sanctionner quelques colons et fournir une aide humanitaire dérisoire. Désormais, leur initiative de reconnaissance pourrait encore plus détourner ces devoirs et obligations.
Le Royaume-Uni illustre parfaitement ce risque. Le Premier ministre britannique, Keir Starmer, a menacé de reconnaître la Palestine comme État à moins qu'Israël ne mette fin à son génocide et ne s'engage à une « paix durable à long terme relançant la perspective d'une solution à deux États ». Menacer d'une reconnaissance pour contraindre à un cessez-le-feu est absurde, car cela transforme deux obligations juridiques, le devoir de prévenir un génocide et celui de mettre fin à l'occupation illégale de Gaza et de la Cisjordanie, en marchandages politiques. Le prix de cette reconnaissance ? Quelques milliers de morts et de mutilés supplémentaires, deux millions de personnes affamées en plus, et une prolongation sadique d'un mois de cette sinistre version de Hunger Games, tout cela pour satisfaire les caprices d'un empire qui n'a jamais affronté ses crimes.
Même lorsqu'elle est effective, la reconnaissance européenne de la Palestine a souvent été symbolique et incohérente, certains États l'ayant reconnue pendant la guerre froide avant de la révoquer ou de la saper (par exemple la République tchèque, la Hongrie), montrant qu'une reconnaissance sans sanctions ni politique cohérente est creuse. La reconnaissance récente par l'Irlande illustre le risque d'opportunisme politique : Dublin s'en est servi pour retarder l'interdiction du commerce avec les colonies ainsi que l'interdiction du transit d'armes ou le désinvestissement des obligations israéliennes.
Un autre risque majeur est l'intention de confier la direction du nouvel État à l'Autorité palestinienne (AP), un organisme élitiste et corrompu, complice des crimes de l'occupation illégale israélienne, y compris la torture et le recours à la force létale contre des Palestiniens jugés menaçants pour Israël. En près de deux années de génocide à Gaza, l'AP a bloqué toutes les initiatives visant à sanctionner Israël, voyant plutôt la situation comme une opportunité d'assurer sa direction incontestée sur les territoires occupés et de garantir l'aide étrangère. Cette autorité ressemble à d'anciens simulacres postcoloniaux destinés à maintenir une façade d'autonomie, tout en empêchant la population colonisée d'utiliser les relations internationales comme levier de lutte. Pour que les Palestiniens développent une direction responsable, ils doivent être assurés que leurs dirigeants les plus compétents ne seront pas emprisonnés, expulsés ou assassinés. La proposition actuelle d'autonomie palestinienne est celle d'un État policier subordonné aux intérêts américains et israéliens.
Les termes de la Conférence internationale de haut niveau pour un règlement pacifique de la question palestinienne, tenue à New York la semaine dernière sous la direction de la France et de l'Arabie saoudite, confirment et aggravent ces risques. La volonté apparente de ménager les États-Unis a conduit les participants à ignorer le déséquilibre de pouvoir flagrant entre un État génocidaire et le peuple qu'il cherche à anéantir, tout en adoptant une approche délibérément anhistorique.
Le document aurait tout aussi bien pu être rédigé en 2005, à la fin nominale du processus de paix d'Oslo, tant il omet les piliers de l'autodétermination palestinienne et les principes fondamentaux de la responsabilité des États tiers. Les réparations y sont réduites à l'aide humanitaire ; le droit au retour et les mesures de responsabilité sont écartés ; et les négociations sont présentées comme la seule voie possible. De plus, la libération des otages israéliens est considérée comme une obligation, tandis que celle des prisonniers politiques palestiniens est reléguée à un simple point de discussion. L'AP y est glorifiée dans au moins sept clauses, à qui l'on confie la gestion de l'État, ouvrant la voie à un État policier aux côtés d'une entité coloniale.
Aucune mention n'est faite du siège et de la guerre systématique contre Gaza, de l'expansion de la colonisation en Cisjordanie, ou des revendications américaines soutenant la souveraineté israélienne sur Jérusalem-Est et le plateau du Golan syrien. Les participants ne commentent pas non plus la loi fondamentale israélienne de 2018 sur l'État-nation affirmant que seuls les Juifs ont la souveraineté sur la terre du fleuve à la mer, consacrant ainsi un régime d'apartheid selon les grandes organisations de défense des droits humains. Le ton du document rappelle la rhétorique « civilisatrice » de l'ère coloniale utilisée pour contrôler les peuples subordonnés qui revendiquent leur indépendance, allant jusqu'à inclure des clauses paternalistes sur les programmes scolaires palestiniens.
En août 2025, 149 pays reconnaissent déjà l'État de Palestine et, depuis novembre 2012, la Palestine est un « État observateur non membre » à l'ONU. Cette reconnaissance n'a guère amélioré la condition de Nakba des Palestiniens ni empêché sa phase la plus cruelle à Gaza aujourd'hui.
La reconnaissance de la Palestine n'est pas le chaînon manquant entre le présent génocidaire et un avenir durable. Ce qui manque, c'est la volonté politique d'affronter la colonisation de la Palestine et les imbrications économiques et politiques qui la soutiennent. Les États-Unis, l'Europe et les États du Golfe, entre autres, ont activement soutenu l'effort de guerre israélien. Par exemple, la Ligue arabe, l'Égypte, la Jordanie et le Qatar ont refusé de participer à d'autres mécanismes comme le Groupe de La Haye, qui cherche à imposer des sanctions à Israël, préférant privilégier la reconnaissance, preuve du caractère superficiel de l'initiative. Pendant ce temps, les nations européennes ont continué à exporter armes et énergie vers Israël, tout en persécutant sévèrement ceux qui exigent l'application équitable du droit international, allant jusqu'à les diffamer en les qualifiant de « terroristes ».
Il existe suffisamment de droit pour mettre fin au génocide, à l'occupation et au régime racial et colonial israélien. Malgré la clarté des obligations juridiques internationales, les États économiquement puissants se sont abstenus d'agir concrètement depuis près de deux ans alors même que le génocide le plus horrifique et le plus médiatisé de l'histoire contemporaine se déroule sous les yeux du monde. Ils cherchent aujourd'hui à contourner toutes ces obligations en reconnaissant un État palestinien sans tenir compte du génocide, du régime suprémaciste racial israélien ou de leur complicité dans ces crimes internationaux parmi les plus graves.
Privilégier la reconnaissance d'État plutôt que la réalisation des piliers fondamentaux de l'autodétermination et des normes internationales de responsabilité des États ne rend pas justice à la lutte palestinienne ; cela la déforme. Cela assimile faussement l'autodétermination à la seule reconnaissance d'État, une équation dangereuse qui a déjà miné d'autres luttes anticoloniales. Le spectacle observé à New York la semaine dernière est un nouveau chapitre d'une entreprise coloniale continue visant à étouffer toute véritable autodétermination. Si l'élan politique est plus crucial que jamais, la reconnaissance de l'État palestinien dans ces conditions est insuffisante et lourdement porteuse de risques. Les Palestiniens méritent bien plus, et bien mieux.
Source : Jadaliyya
Traduction : ST pour Agence Media Palestine
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Négociations sous le feu : les déclarations contradictoires de Netanyahou
Netanyahou annonçait hier, dans la même journée, qu'il approuverait le plan d'invasion terrestre de Gaza, et qu'il relancerait immédiatement les négociations en vue de mettre fin à la guerre. Le premier ministre est coutumier de ces déclarations contradictoires, qu'il use pour imposer des conditions toujours plus cruelles aux peuple palestinien.
Tiré d'Agence médias Palestine.
« Aux informations, on parle d'une possible trêve, mais sur le terrain, on ne voit que des explosions et des morts. », expliquait hier Rabah Abu Elias, habitant de Gaza de 67 ans à l'agence Reuters. « Nous sommes confrontés à une situation très difficile : mourir chez nous ou partir et mourir ailleurs. Tant que cette guerre continue, notre survie est incertaine. »
Père de sept enfants, Rabah Abu Elias fait partie des milliers de résident-es de la ville de Gaza sous la menace imminente d'une invasion terrestre, forcé-es de fuir sans aucune direction.
Alors que Netanyahou et ses ministres multiplient les déclarations concernant un possible assaut terrestre israélien sur la ville de Gaza, les habitant-es sur place affirment qu'elle a déjà lieu. Le quartier historique de Zaytoun est en effet méthodiquement bombardé depuis mardi, et des chars interdisent à celles et ceux qui l'ont fui de revenir.
Au même moment, Netanyahou déclarait hier avoir « donné des instructions pour lancer immédiatement des négociations pour la libération de tous nos otages et pour mettre fin à la guerre dans des conditions acceptables pour Israël ». On pourrait retenir de cette phrase la première partie, qui affirme « lancer des négociations », mais c'est en fait la dernière partie de cette phrase, « dans des conditions acceptables pour Israël », qu'il faut retenir : cette déclaration est en fait une réponse (peu engageante) à une proposition de cessez-le-feu présentée par le Qatar et l'Égypte et acceptée lundi par le Hamas.
Depuis le début du génocide, Netanyahou multiplie les déclarations tour à tour évasives, mensongères ou contradictoires pour conserver le narratif de sa campagne de mort, faire taire les critiques et maintenir la pression. Ici, il prétend lancer des négociations —qui sont déjà entamées et qui n'attendent que son accord— tout en prédisant en cas d'échec un massacre —qu'il est déjà en train de perpétrer.
« Négociations sous le feu »
Marwan Bishara, analyste politique pour Al Jazeera, compare la dernière annonce de Netanyahu concernant la reprise des prétendues négociations de trêve alors que l'armée intensifie son offensive sur la ville de Gaza à des « négociations sous le feu ».
« Les combats ne cesseront pas. Le génocide se poursuivra sans interruption. Le Hamas va devoir se décider alors qu'Israël tue des dizaines, voire des centaines de Palestiniens qui tentent d'avancer [et] qu'il transfère un million de Palestiniens vers le sud de Gaza », souligne Bishara. « Israël dicte désormais toutes les conditions, il n'écoute personne et il a le feu vert de Washington. »
En juin dernier, l'Agence Média Palestine s'entretenait avec un médiateur ayant pris part aux développement des négociations en vue d'un cessez-le-feu à Gaza, qui affirmait que depuis février, Israël revenait sur tous les points précédemment acceptés par les deux parties.
En effet, alors qu'en février dernier Israël avait consenti à un cessez-le-feu et s'était engagé à des négociations en vue d'un cessez-le-feu permanent, au retrait complet des troupes israéliennes et à l'entrée massive d'aide humanitaire, ces conditions semblent aujourd'hui relever du fantasme. C'est la multiplication incessante de déclarations qui façonnent, petit à petit, cette réalité inacceptable.

L’invasion de Gaza a déjà commencé, avec la destruction d’un de ses quartiers historiques
Malgré les annonces de l'armée israélienne selon lesquelles elle prévoit d'occuper la ville de Gaza en octobre, la première phase de l'invasion a déjà commencé. Elle commence par le rasage du quartier de Zaytoun, y compris la vieille ville de Gaza.
Tiré d'Agence médias Palestine.
Au début du mois, l'armée israélienne a confirmé son intention d'occuper la ville de Gaza, l'invasion devant débuter le 7 octobre selon certaines informations. Mais sur le terrain, l'invasion a déjà commencé.
Le 10 août, l'armée israélienne a commencé à envahir l'est de la ville de Gaza, les forces terrestres israéliennes s'installant dans l'un des plus grands quartiers de la ville, al-Zaytoun. Ce quartier est bordé au sud par le corridor de Netzarim.
Les habitants du quartier de Zaytoun ont déclaré à Mondoweiss qu'ils avaient reçu par téléphone l'ordre d'évacuer leurs maisons vers le sud de la bande de Gaza. Peu après, l'armée israélienne a commencé à bombarder sans relâche le quartier.
Au vu du rythme des bombardements intensifs, les habitants de Gaza pensent désormais que le 7 octobre ne sera pas la date du début de l'occupation israélienne de la ville, mais la date limite à laquelle la ville de Gaza sera complètement rayée de la carte.
Mahmoud Basal, porte-parole de la défense civile de Gaza, affirme que l'armée israélienne est présente dans le quartier de Zaytoun depuis le début de la guerre. Il explique que l'armée israélienne a mené une opération dans l'est de la ville de Gaza il y a deux mois, lorsque le quartier de Shuja'iyya, adjacent à al-Zaytoun, a été complètement rasé.
M. Basal précise que la dernière opération de l'armée israélienne dans les quartiers est a commencé il y a neuf jours, le 10 août, par des frappes intensives contre des bâtiments surplombant le corridor de Netzarim.
« Nous parlons de 450 bâtiments dans le quartier d'al-Zaytoun qui ont été détruits en seulement neuf jours », a déclaré Basal.
Puis les forces terrestres ont commencé à approcher. Basal raconte que mardi soir, les chars israéliens ont avancé de 150 mètres dans al-Zaytoun jusqu'à atteindre la clinique Sabra, sous le couvert d'un tir d'artillerie intense.
Les chars se sont retirés à l'aube mercredi, selon Basal, mais les tirs d'artillerie se poursuivent, détruisant des bâtiments et des maisons dans le quartier d'al-Zaytoun. Il confirme que les habitants de la zone craignent une invasion soudaine de tout le quartier, précisant que 80 % des habitants de Zaytoun ont été évacués, ceux qui sont restés le faisant faute de meilleure solution.
« Tout le monde ne quittera pas son domicile », a déclaré Basal à Mondoweiss. « Certaines familles n'ont pas de tentes ni d'endroit où s'abriter, en particulier celles qui ont vécu le déplacement la première fois et ont connu l'amertume de la vie dans les camps et les tentes. Elles n'ont pas l'intention de revivre cette expérience. »
« Auparavant, les personnes déplacées se rendaient à Rafah et Khan Younis, mais ces endroits n'existent plus. L'occupation les a détruits », a déclaré Basal, ajoutant que le seul endroit qui reste aux personnes déplacées est la zone côtière de Mawasi, qui souffre déjà de surpopulation. « Si l'occupation venait à occuper la ville de Gaza, la vie de plus d'un million de personnes serait directement menacée. »
Au moins 75 % des infrastructures de la ville de Gaza ont été détruites, selon Basal, ce qui a entraîné un effondrement « catastrophique » du système de services.
Les chars israéliens envahissent les quartiers
Huda Abdul Rahman, une ancienne habitante du quartier d'al-Zaytoun, explique la situation difficile à laquelle sont confrontés les habitants, soulignant que les bombardements ont commencé mardi à tomber au hasard sur les maisons, au-dessus de la tête des habitants.
Abdul Rahman n'est pas originaire de la ville de Gaza. Elle fait partie des dizaines de milliers de personnes qui ont fui leurs maisons dans le nord de Gaza sous les bombardements israéliens pour se réinstaller dans la ville de Gaza. Elle dit qu'elle n'avait pas l'intention de quitter sa résidence de Zaytoun, car la partie ouest de la ville de Gaza était bondée de milliers d'autres personnes déplacées du nord. « Il n'y avait nulle part où fuir, alors ma famille et moi avons décidé de rester à al-Zaytoun », raconte-t-elle à Mondoweiss.
Leur détermination s'est affaiblie lorsque les bombardements se sont intensifiés et qu'ils ont commencé à recevoir des appels de l'armée israélienne leur ordonnant d'évacuer tout le quartier d'al-Zaytoun et de se diriger vers le sud, dans la région de Mawasi. Abdul Rahman explique que lorsqu'elle a quitté son domicile mardi, le quartier où elle vivait était presque entièrement détruit par les bombardements intensifs.
« Lorsque nous avons été contraints de partir vers l'ouest de Gaza, les bombardements n'ont pas cessé », explique Abdul Rahman. « Ils se sont intensifiés. Nous avons constaté que la plupart des habitants avaient également quitté leurs maisons après avoir reçu des appels similaires de l'armée israélienne. »
Les tirs d'artillerie se sont poursuivis pendant plusieurs heures. « Il n'y a eu aucun avertissement préalable ni aucune considération pour la présence de civils dans leurs maisons », raconte Abdul Rahman.
Certains membres de la famille d'Abdul Rahman ont tenté de retourner chez eux pour voir comment allait leur quartier, mais ils ont trouvé des chars de l'armée israélienne positionnés tout près de la partie est d'al-Zaytoun. « Je ne pourrai pas retourner chez moi tant que ces véhicules seront là », dit-elle.
« Leur seul objectif est de rayer la vielle ville de la carte »
Abdul Aziz al-Dahdouh, un habitant d'al-Zaytoun, note que la seule partie du quartier qui n'a pas été détruite est la vieille ville de Gaza. Mais il craint que bientôt, la vieille ville historique soit également rayée de la carte.
« L'armée israélienne a bombardé sans discernement les maisons pour nous forcer à fuir », explique al-Dahdouh.
Al-Dahdouh ne voulait pas partir non plus, surtout après avoir déjà été déplacé vers le sud. Mais la situation de sa famille l'a contraint à partir.
« Ma femme est malade et handicapée, et je ne peux pas la déplacer sans aide », explique-t-il. « J'ai aussi des enfants et des petits-enfants. »
« Si nous n'avions pas eu de femmes et d'enfants avec nous, personne n'aurait quitté sa maison », insiste al-Dahdouh. « Nous serions restés chez nous, quel que soit le danger. »
Al-Dahdouh souligne que la destruction s'est étendue à de vastes zones du quartier, expliquant que les secteurs de Kashko, al-Siyam, al-Sharqiya, al-Maslakh et al-Nadim, en plus de la rue Salah al-Din au sud de la route 8, ont tous été détruits ces derniers jours.
Les destructions se sont également étendues au quartier d'al-Sabra, adjacent à al-Zaytoun à l'ouest, selon al-Dahdouh. « L'armée israélienne procède à un rasage historique du quartier d'al-Zaytoun, ce qui signifie que ces zones ne seront jamais reconstruites. »
« Elles sont complètement rasées », poursuit al-Dahdouh. « Tous leurs sites emblématiques sont en train d'être effacés. Il n'y a aucun objectif sécuritaire ou militaire – leur seul but est de détruire cette ville ancienne, riche d'une longue histoire. L'occupant veut l'anéantir. »
Malgré l'ampleur des destructions et des déplacements, M. al-Dahdouh affirme que les habitants de Gaza espèrent toujours un dénouement à leur tragédie et un retour dans le quartier d'al-Zaytoun.
« Dès que j'ai appris que le Hamas avait accepté la proposition égyptienne et qu'une trêve était possible, j'ai immédiatement essayé de retourner dans le quartier », raconte-t-il. « Mais j'ai été surpris de trouver des véhicules et des chars près de nos maisons, qui m'ont obligé à battre en retraite de peur d'être touché par un obus ou une balle de sniper. » Il souligne que toutes ces destructions ne dissuaderont pas les habitants du quartier d'al-Zaytoun de tenter de retourner chez eux.
Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine
Source : Mondoweiss

Le boom de la confection au Bangladesh, les travailleurs restent enchaînés
Il y a déjà plus d'un an que le régime autoritaire de Sheikh Hasina est tombé au Bangladesh. Derrière l'image d'un soulèvement conduit par les étudiants et la jeunesse, des dizaines de milliers de travailleurs et de travailleuses se sont eux aussi levés pour la démocratie. Mais leurs voix, leurs sacrifices, leur colère restent largement étouffés. Où en sont-ils aujourd'hui ?
Au centre de l'économie bangladaise bat le cœur de l'industrie du prêt-à-porter : première source de devises du pays, elle repose presque entièrement sur la sueur et l'exploitation des femmes. Le Bangladesh est devenu le deuxième exportateur mondial de vêtements, juste derrière la Chine. T-shirts, pantalons, pulls, vestes : la production s'écoule vers les marchés des États-Unis, de l'Union européenne (Allemagne, Royaume-Uni, Espagne) et du Canada. En 2024, ce secteur a fourni à lui seul près de 84 % des revenus d'exportation du pays.
Quatre millions d'ouvrières et d'ouvriers y sont employés — dont plus de 80 % de femmes. Pour donner chair à cette réalité, Alternative Viewpoint a rencontré Lovely Yesmin, présidente de la Fédération des travailleurs du prêt-à-porter. Entrée à l'usine à douze ans comme enfant exploitée, elle témoigne aujourd'hui, en tant que dirigeante syndicale, de la vie précaire des ouvrières, des crises qui secouent l'industrie et de l'avenir incertain des luttes sociales au Bangladesh. – Réd.
Parlez-nous des conditions de travail des ouvriers du textile au Bangladesh.
Lovely Yesmin : Actuellement, les femmes qui travaillent dans l'industrie textile au Bangladesh sont confrontées à divers défis. Bien que la situation se soit quelque peu améliorée, de nombreux problèmes subsistent. Du côté positif, ces travailleuses sont plus conscientes qu'auparavant, leurs compétences techniques s'améliorent et beaucoup ont désormais leur mot à dire dans les décisions économiques du ménage. Cependant, la réalité demeure brutale. Dans beaucoup d'usines, les conditions de travail restent loin des normes : sécurité quasi inexistante, soins de santé insuffisants, prestations de maternité dérisoires. Un défi encore plus considérable est la sécurité de l'emploi : en raison de la baisse des exportations, le risque de licenciements a augmenté. La charge de travail est lourde, tandis que les salaires restent relativement bas. De plus, parmi les personnes qui ont perdu leur emploi, les femmes constituent la majorité, et beaucoup, par pur désespoir, travaillent désormais dans des usines sous-traitantes pour la moitié du salaire habituel. Déjà insuffisants auparavant, leurs revenus ne leur permettent plus de survivre dignement. Vous pouvez imaginer ce que cette situation signifie pour leur qualité de vie. Les prix du marché des produits de première nécessité, en particulier le poisson et la viande, sont extrêmement élevés. Se nourrir uniquement d'œufs, de lentilles et de légumes verts à feuilles, tout en produisant des vêtements de haute qualité pour le marché international dominé par le dollar, n'est guère viable pour le corps humain – nous comprenons tous très bien ces réalités.
Quelles que soient les circonstances et quelle que soit la manière dont on les décrit, je tiens à souligner, comme syndicaliste, que la situation des travailleuses dans le secteur de l'habillement a toujours été mauvaise. Permettez-moi de vous donner quelques éléments de contexte. Au cours des années 1980 et 1990, un nombre considérable de femmes issues de familles paysannes pauvres, dévastées par l'érosion fluviale, le manque de terres et les difficultés du travail journalier, ont quitté les zones rurales pour Dhaka à la recherche d'un emploi dans les usines de confection. La plupart de ces femmes étaient âgées de 15 à 20 ans, mais il y avait aussi parmi elles des femmes divorcées et veuves. De plus, des femmes issues de milieux urbains, mariées ou célibataires, cherchaient également du travail dans les usines de confection. La majorité de ces travailleuses avaient reçu peu d'éducation et beaucoup étaient totalement analphabètes. Ce sont ces femmes qui ont travaillé dur dans cette industrie, jour après jour, année après année. En outre, il y avait une présence considérable d'enfants travailleurs, dont beaucoup avaient moins de quinze ans.
Les travailleuses travaillaient souvent de tôt le matin jusqu'à 22 ou 24 heures, et parfois même toute la nuit. Leurs salaires étaient maigres : les aides ne recevaient que 300 à 500 takas par mois (1 USD équivaut à 121,50 takas), tandis que les opérateurs de machines gagnaient de 1 000 à 1 500 takas.
Il n'existait aucun concept d'avantages sociaux au-delà du salaire journalier. Les travailleurs ne recevaient ni lettre de nomination ni carte d'identité, et les licenciements arbitraires étaient monnaie courante. Les cadres intermédiaires abusaient souvent des travailleurs, tant verbalement que physiquement. Les employeurs réduisaient régulièrement les salaires sans compensation et volaient ou retenaient les heures supplémentaires. De plus, ils ne fournissaient même pas d'eau potable dans les usines.
Au départ, de nombreuses usines fonctionnaient dans des pièces d'habitation, où un nombre limité de machines étaient entassées. Malgré ces conditions dangereuses, le nombre d'usines a continué à augmenter. Lorsque des bâtiments plus imposants ont finalement été construits, ils l'ont souvent été sans respecter les normes de construction, ce qui les rendait dangereux. Les issues de secours étaient souvent inexistantes et il n'y avait aucun équipement de lutte contre l'incendie. Cette négligence a culminé en 1990 avec un tragique incendie chez Saraka Garments à Mirpur 10, qui a causé la mort de 27 personnes, dont l'un des propriétaires, qui ont péri dans les flammes, ont été piétinées ou asphyxiées par la fumée. Cet incident a été la première tragédie majeure de l'industrie.
Lors des 40 dernières années, d'innombrables travailleurs ont tragiquement perdu la vie dans des usines de confection à la suite d'incendies ou d'effondrements de bâtiments. De plus, des milliers d'autres continuent de vivre avec des handicaps permanents. Depuis quarante ans, incendies et effondrements ont tué des milliers… C'est l'histoire sanglante de ce secteur.
Au cours des années 1980 et 1990, les rues de Dhaka étaient presque désertes après 22 ou 23 heures. Il y avait peu de moyens de transport disponibles, les magasins étaient rares et fermaient souvent tôt, et les lampadaires étaient peu nombreux et peu éclairants. Dans cet environnement, les travailleuses rentraient souvent chez elles à pied. Pendant leur trajet, elles étaient fréquemment victimes de harcèlement de la part de voyous et, parfois, d'agressions sexuelles. Le fait d'arriver tard le soir à la maison entraînait également des malentendus et des soupçons au sein des familles, rendant leur vie domestique insupportable.
Les femmes du secteur textile bangladais ont fait progresser cette industrie, endurant sans relâche les abus, la négligence, le mépris et la privation. Mais, avons-nous vraiment reconnu leur combat ?
Lovely Yesmin – Aujourd'hui, partout dans le monde, les dirigeants et les élites portent des vêtements produits par ces travailleuses, qui ont joué un rôle déterminant dans le développement du marché international du textile. Cependant, le parcours des travailleuses du textile n'a jamais été facile.
Les propriétaires d'usines de confection sont passés de la gestion d'une seule usine au contrôle de conglomérats industriels entiers, amassant une richesse considérable tant au niveau national qu'international. Le travail et la persévérance de ces ouvrières ont enrichi les propriétaires, qui ont amassé des fortunes colossales s'élevant à des milliers de milliards de takas, celles qui produisent le « Made in Bangladesh » pour le marché mondial restent prisonnières de la pauvreté.
Avant la COVID-19, environ 4 500 usines de confection étaient enregistrées auprès de l'Association des fabricants et exportateurs de vêtements du Bangladesh (BGMEA), employant environ 5,5 millions de travailleurs, dont 75 à 85 % étaient des femmes.
Environ 800 à 1 000 usines, principalement des petites et moyennes entreprises des catégories B et C, ont fermé leurs portes pendant la pandémie de COVID-19. En conséquence, le nombre d'usines en activité est tombé à un peu plus de 3 500 dans l'ère post-COVID.
Les élections de la BGMEA ont eu lieu en mai 2025. Selon leurs déclarations, le nombre actuel d'usines membres est de 1 806, ce qui reflète également le nombre d'électeurs lors de cette élection. La main-d'œuvre totale de ces usines est de 2,7 millions de personnes.
En outre, il existe environ 2 000 usines sous-traitantes, qui emploient près d'un million de travailleurs.
Après le mouvement de juillet 2024 et le soulèvement massif du 5 août, de nombreux entrepreneurs du secteur de l'habillement favorables à la Ligue Awami se sont cachés, tant au niveau national qu'à l'étranger, abandonnant leurs usines. Lors de l'année écoulée, ces usines ont continuellement fermé leurs portes. La fermeture de ces établissements a privé les travailleurs de leurs droits légaux. Après 20 à 25 ans d'emploi, les travailleurs sont rentrés chez eux avec seulement un salaire symbolique, sans bénéficier de leurs avantages sociaux et autres droits. Seules quelques usines ont vu le ministère du Travail du gouvernement intérimaire assumer ses responsabilités, en versant des salaires accompagnés d'avantages sociaux minimaux. En conséquence, les travailleurs et les syndicats ont dûaccepter ces conditions, ce qui est sans précédent par rapport au passé.
Les statistiques indiquent qu'à la suite de la pandémie de COVID, le nombre d'usines enregistrées auprès de la BGMEA est passé de 4 500 à 1 806, dont 248 sont classées comme usines vertes.
Pendant ce temps, près de 1,5 million de travailleurs des usines fermées se sont retrouvés sans emploi, les femmes étant particulièrement touchées. Des enquêtes menées par les syndicats et des discussions lors de séminaires organisés par des ONG axés sur les travailleuses révèlent que ces femmes ont signalé une baisse significative de leurs revenus. Auparavant, elles travaillaient comme opératrices de machines dans des usines du groupe et gagnaient un salaire de 17 000 taka. Aujourd'hui, elles doiventaccepter des postes dans des usines sous-traitantes, où leurs salaires ont chuté à seulement 9 000 à 10 000 takas. De plus, les aides-machinistes perçoivent des salaires compris de 5 000 à 7 000 takas, ce qui constitue une violation du droit du travail. En revanche, le salaire minimum légal pour les aides-machinistes dans les usines du groupe est fixé à 12 500 takas.
Vous avez mentionné tout à l'heure les entreprises sous-traitantes. Pourriez-vous nous donner des détails sur le nombre de ces entreprises, la main-d'œuvre qu'elles emploient et les conditions dans lesquelles elles opèrent ?
Lovely Yesmin – Il existe environ 2 000 usines qui ne sont pas membres de la BGMEA et qui ne sont pas agréées en vertu de la loi sur les usines ; en d'autres termes, elles fonctionnent sans licence commerciale. Les propriétaires de ces usines acceptent les commandes de vastes usines appartenant à des groupes qui ont des contrats avec des marques internationales, et fonctionnent donc comme des sous-traitants. La main-d'œuvre de ces usines sous-traitantes dépasse le million de personnes.
Les propriétaires des usines sous-traitantes ignorent ouvertement le droit du travail, ce qui leur permet d'imposer leurs propres conditions arbitraires aux travailleurs. Ces conditions comprennent notamment des bâtiments et des lieux de travail dangereux. Sont également compris des salaires maigres, le non-paiement des heures supplémentaires légalement obligatoires, des retards dans leur versement mensuel, des environnements insalubres, l'absence de congés, des licenciements illégaux et la fermeture arbitraire d'usines sans préavis, licenciements arbitraires — c'est la norme.
Les autorités compétentes persistent à fermer les yeux sur ces problèmes. Les dirigeants de la BGMEA affirment : « Ce ne sont pas nos membres enregistrés. » De son côté, l'inspecteur en chef adjoint du département des usines et des établissements déclare : « Nous n'avons pas approuvé ces usines. » De plus, les marques et les acheteurs ignorent que ces usines produisent leurs commandes.
Alors, qui est responsable de ces violations massives ? Comment osent-elles enfreindre la loi à plusieurs reprises, exploiter les travailleurs et opérer illégalement ?
Vous avez mentionné la migration des travailleurs. Ce scénario s'applique-t-il uniquement aux travailleuses, ou touche-t-il également les hommes ?
Lovely Yesmin – Dans cette situation, les hommes comme les femmes ont perdu leur emploi. Lors de l'année écoulée, plus de 155 usines de confection, de tricot et de textile ont fermé leurs portes au Bangladesh. Cela comprend 76 usines de confection enregistrées auprès de la BGMEA, plus de 50 relevant de l'Association des fabricants et exportateurs de tricots du Bangladesh (BKMEA) et 14 associées à l'Association des usines textiles du Bangladesh (BTMA).
Le secteur des pulls a été confronté à de nombreux défis lors de l'année dernière, notamment la fermeture de l'usine Natural Wool Wears Limited, qui a entraîné le chômage de près de 900 travailleurs du jour au lendemain.
Cette vague de fermetures d'usines a créé un climat d'incertitude dans l'industrie du pull-over, affectant directement la vie des travailleurs. Il est important de noter que la majorité des travailleurs de ces usines de pull-overs sont des hommes, qui exercent généralement selon un système de rémunération à la pièce : plus ils produisent, davantage ils gagnent. En moyenne, les travailleurs rémunérés à la pièce peuvent gagner de 25 000 à 30 000 takas par mois.
Lorsque les usines de pulls ont fermé, les travailleurs masculins ont été touchés de manière disproportionnée. Beaucoup de ceux qui ont perdu leur emploi dans ces usines ont dû chercher du travail dans des usines de tissage. Au départ, ils ont dû acquérir de nouvelles compétences pour ce travail et ont été rémunérés à un salaire fixe plutôt qu'à la pièce. Cependant, la majorité d'entre eux ont peiné à survivre dans le secteur du tissage en raison des salaires nettement inférieurs. Par conséquent, pour joindre les deux bouts, Beaucoup ont dû devenir conducteurs de rickshaws, journaliers, vendeurs ambulants. L'économie informelle explose, nourrie par le désespoir sous différentes formes. Récemment, Dhaka a connu une augmentation du nombre de conducteurs de pousse-pousse motorisés, de vendeurs ambulants et de modestes stands de nourriture, tous directement liés à la hausse du chômage des travailleurs.
Les fermetures d'usines ont contraint de nombreuses personnes à accepter ces emplois contre leur gré, uniquement pour survivre. Un nombre conséquent d'entre elles n'avaient pas les capitaux nécessaires pour créer une microentreprise. Certaines sont retournées dans leur village pour vendre leurs terres pour émigrer. Beaucoup meurent en tentant de franchir des frontières. D'autres ont pris des risques et ont réussi à trouver du travail à l'étranger. En outre, de nombreuses travailleuses ont émigré légalement au Moyen-Orient, où elles trouvent un emploi comme domestiques dans divers foyers.
Avez-vous constaté une discrimination en termes de qualité du travail ou de salaire entre les travailleurs masculins et féminins dans l'industrie textile ?
Lovely Yesmin : Oui, la discrimination est évidente, en particulier au niveau des cadres intermédiaires, où les hommes occupent la plupart des postes. Il existe également une disparité salariale dans certaines fonctions : les hommes sont souvent mieux rémunérés pour le même travail et obtiennent des promotions plus rapidement, tandis que les femmes ont tendance à être à la traîne. Cependant, dans le cas des opérateurs de machines à coudre, les femmes constituent la majorité. Elles possèdent les meilleures compétences et fournissent un travail de haute qualité. Dans les textes, pas de différence salariale ; dans la pratique, les écarts persistent. Nous, syndicalistes, exigeons une égalité réelle, sans prétexte.
Comme dirigeants syndicaux, nous visons à garantir l'égalité des salaires et des opportunités sur la base des qualifications et des compétences plutôt que de l'identité de genre.
Récemment, les travailleurs ont été confrontés à un défi de taille : l'introduction d'un droit de douane de 35 % sur les exportations de vêtements bangladais vers le marché américain. Le tarif douanier de 35 % imposé par les États-Unis est un coup terrible. Ce n'est pas seulement une guerre commerciale, c'est une guerre contre nos travailleuses. En raison de cette taxe, nos produits sont désormais plus chers que ceux des pays concurrents, ce qui incite de nombreux acheteurs à se tourner vers d'autres marchés. En conséquence, les exportations sont en baisse et les usines sont confrontées à une perte de commandes. Les répercussions directes de cette situation sont ressenties par nos travailleurs ; beaucoup perdent leur emploi, tandis que d'autres ne reçoivent pas leur salaire en temps voulu.
Comme dirigeant syndical, je soutiens que cette guerre tarifaire n'est et une question commerciale, mais également une crise humaine et sociale. Notre secteur de l'habillement dépend fortement des travailleuses, et ces droits de douane ont mis leurs moyens de subsistance en grave danger. Ce qu'il faut maintenant, c'est une initiative diplomatique vigoureuse de la part du gouvernement, des mesures pour rétablir la confiance des acheteurs et des mesures sérieuses pour protéger les travailleurs. Avant tout, pour les travailleuses en particulier, nous devons garantir des salaires dignes, des conditions de travail sûres, l'élimination de la discrimination salariale et la garantie des droits du travail. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons résister au choc de ces droits de douane injustes.
Quelle est votre évaluation du rôle actuel du gouvernement ?
Lovely Yesmin – Pour la première fois en 52 ans, un gouvernement intérimaire au Bangladesh a mis en place plusieurs commissions de réforme. Il s'agit notamment (1) de la Commission de réforme du travail, (2) de celle des affaires féminines et (3) celle des collectivités locales. Chacune de ces commissions est essentielle au progrès du Bangladesh.
La création de la nouvelle Commission de réforme du travail, présidée par Syed Sultan Uddin Ahmed, a insufflé un sentiment d'espoir parmi nous, les dirigeants syndicaux. Fort d'une expérience étendue dans le domaine des politiques et de la recherche sur les lois et réglementations du travail, et ayant lui-même été dirigeant syndical, son expérience nous donne confiance dans le processus de réforme. Il a déjà organisé de nombreuses réunions avec des représentants de diverses fédérations syndicales, au cours desquelles il nous a encouragés à soumettre nos revendications par écrit. Nous avons préparé des mémorandums demandant la reconnaissance des travailleurs des secteurs formel et informel et la modification des lois du travail qui portent atteinte aux droits des travailleurs. Si le gouvernement reste sincèrement déterminé à servir la population, nous pensons que la réforme du droit du travail, si le gouvernement est sincère, ces réformes peuvent changer la vie des ouvrières.
Depuis le mouvement de juillet 2024 et le soulèvement du 5 août, de nombreux propriétaires d'usines de confection alignés sur la Ligue Awami ont abandonné leurs usines et se sont cachés, soit à l'étranger, soit dans le pays. Dans ce contexte, nous avons été témoins de cas étranges et injustes, tels que le dépôt de la même accusation de meurtre contre l'ancienne Première ministre Sheikh Hasina et un modeste vendeur de thé. Plusieurs propriétaires d'usines font désormais l'objet de multiples poursuites judiciaires, notamment pour meurtre, et ont choisi de se cacher. Pour nous, syndicalistes, la réalité est que nous devons collaborer avec le gouvernement en place, quel qu'il soit, afin de résoudre les problèmes auxquels sont confrontés les travailleurs. Lors des 16 à 17 dernières années, les propriétaires d'usines de confection ont prospéré confortablement sous le patronage de Hasina, obtenant des millions de prêts ; pourtant, aujourd'hui, ils ont disparu, laissant les travailleurs sans emploi.
Lorsque les travailleurs descendent dans la rue pour faire entendre leurs revendications, ils sont souvent qualifiés de collaborateurs des « fascistes ». Je n'ai jamais été affilié à aucun parti politique et notre fédération a toujours fonctionné de manière indépendante pour défendre les droits des travailleurs. Cependant, depuis que le gouvernement actuel a pris le pouvoir, certaines fédérations qui se disent alignées sur lui ont lancé des attaques contre nous, nous qualifiant de « collaborateurs fascistes ». Pendant cette période, le ministère du Travail a créé plusieurs comités comprenant certains dirigeants syndicaux, mais nous en avons été exclus, malgré des années de combat, partout où les ouvriers nous appellent. Notre contribution à ce secteur n'est en rien inférieure à celle des autres.
La principale ressource de notre syndicat est constituée par les travailleurs eux-mêmes. Les cotisations des travailleurs et les modestes dons couvrent les frais liés à la location des bureaux et au fonctionnement général de l'organisation. Nous recevons parfois le soutien de quelques sympathisants dans le pays. Quel que soit le parti politique au pouvoir, nous avons toujours participé à des négociations tripartites avec le gouvernement pour traiter les questions relatives aux travailleurs. Par exemple, même sous le gouvernement actuel, nous avons réussi à résoudre plusieurs conflits au niveau des usines grâce à des discussions directes. Le gouvernement a le pouvoir de saisir les actifs des usines et d'utiliser les fonds publics pour garantir que les travailleurs reçoivent leur dû. Ainsi, ce sont finalement les travailleurs qui subissent les conséquences d'être injustement qualifiés de collaborateurs fascistes et des tentatives d'intimidation à l'encontre des militants syndicaux comme nous.
Après une série d'affrontements, le gouvernement semble avoir pris conscience que les mouvements syndicaux, quelle que soit leur affiliation politique, doivent inévitablement collaborer avec ceux qui sont au pouvoir. Notre objectif premier est de garantir les droits des travailleurs. Cela nécessite que notre lutte transcende les loyautés partisanes et reste fermement ancrée dans les intérêts des travailleurs.
Vos propos suggèrent que le gouvernement intérimaire est au moins quelque peu sincère dans ses efforts pour traiter les questions relatives aux travailleurs, comme en témoigne la création de ces commissions de réforme. Cependant, comme il ne s'agit pas d'un gouvernement élu, peut-il vraiment promulguer de nouvelles lois en faveur des travailleurs ? Finalement, la mise en œuvre de lois favorables aux travailleurs se heurte souvent à la résistance des riches, ce qui pourrait potentiellement conduire à la chute du gouvernement. De plus, sans mandat électoral, des questions subsistent quant à la véritable base sociale du gouvernement. Qu'en pensez-vous ?
Lovely Yesmin – Il est crucial de souligner que le gouvernement intérimaire actuel fonctionne indépendamment de tout parti politique. En revanche, les gouvernements élus par le passé étaient souvent étroitement liés aux intérêts commerciaux, de nombreux hommes d'affaires siégeant dans les comités du parti au pouvoir et devenant par la suite députés, ministres ou maires. Par conséquent, toute initiative visant à introduire une législation favorable aux travailleurs était soumise à une pression considérable de la part de ces mêmes groupes commerciaux. Cependant, ce gouvernement intérimaire a une occasion unique de s'attaquer à maintes complexités juridiques et des injustices de longue date auxquelles sont confrontés les travailleurs de l'habillement, sans subir de telles influences.
Comme syndicats, nous avons plaidé pour que le Bangladesh ratifie et mette en œuvre les conventions essentielles de l'OIT. Il est encourageant de constater que ce gouvernement a démontré un engagement sincère à approuver des conventions telles que C155, C187 et C190.
L'un des principaux obstacles à notre législation du travail est l'obligation pour au moins 20 % des travailleurs d'une usine de remplir le formulaire D pour former un syndicat. Dans les vastes industries, où chaque usine emploie des milliers de personnes, atteindre ce seuil de 20 % s'avère ardu et est devenu un obstacle structurel à la syndicalisation. Afin de faciliter la formation de syndicats libres et accessibles, nous avons recommandé à la Commission du travail la suppression totale de cette exigence en matière de pourcentage.
Une autre injustice flagrante concerne le congé de maternité. Les travailleuses du secteur de l'habillement n'ont droit qu'à quatre mois de congé, alors que les employées du gouvernement et celles d'autres secteurs bénéficient de six mois. C'est inacceptable. Nous exigeons l'égalité totale. Nous avons insisté pour que les travailleuses du secteur de l'habillement bénéficient également d'un congé de maternité de six mois. Sur cette question, le gouvernement intérimaire s'est aligné sur notre position.
Cependant, beaucoup dépend encore du prochain gouvernement élu. Même si le gouvernement intérimaire approuve les recommandations de la commission sous la forme d'un journal officiel, il appartiendra au nouveau parlement de les adopter officiellement sous forme de loi. Les élections sont prévues en février, le gouvernement intérimaire a donc encore le temps de publier ces journaux officiels. Par la suite, le véritable test consistera à voir si le gouvernement élu pourra résister à la pression des entreprises et promulguer ces décrets. S'il n'y parvient pas, ou pire, s'il tente de les édulcorer ou de les annuler d'une manière qui va à l'encontre des droits des travailleurs, les syndicats n'auront d'autre choix que de mener un mouvement puissant.
Merci de partager ces réflexions. Si vous souhaitez commenter la situation politique actuelle, n'hésitez pas à le faire. Si vous avez un message à adresser aux lecteurs, vous êtes également les bienvenus.
Lovely Yesmin – J'ai commencé mon parcours en tant qu'enfant travailleur à l'âge de douze ans, d'abord comme aide. Au fil du temps, j'ai progressé pour devenir un opérateur qualifié, puis un superviseur, et finalement un chef de ligne. Ayant passé près d'une décennie dans l'enceinte de l'usine, je comprends les conditions auxquelles sont confrontés les travailleurs non pas à travers des rapports ou des statistiques, mais à partir de ma propre expérience vécue.
À dix-sept ans, alors que je travaillais dans une usine appelée Sparrow Apparel à Mirpur, j'ai, avec mes camarades, organisé les travailleurs pour former un syndicat, qui a réussi à obtenir son enregistrement. J'ai occupé le poste de secrétaire adjoint de ce comité. Cependant, la réponse a été brutale. Lorsque nous avons présenté notre liste de revendications, Chayon Islam, le fils du Dr Mazharul Islam, a engagé des voyous locaux armés de pistolets pour nous intimider et a fait expulser de force tous les dirigeants syndicaux. Le lendemain, les travailleurs sont descendus dans la rue pour manifester. Pendant six mois, notre lutte s'est poursuivie, marquée par des marches, des rassemblements, des négociations avec les dirigeants politiques, des poursuites judiciaires à notre encontre et des attaques violentes contre nos cortèges. En réponse, nous avons déposé plainte, demandant notre réintégration devant le tribunal du travail et engageant des poursuites pénales, où j'ai été plaignant pendant des années.
Cette expérience reflète la réalité du leadership syndical dans notre pays : ce n'est pas une position confortable, mais une position qui exige de grands sacrifices. J'ai enduré d'innombrables batailles juridiques et des attaques incessantes. En 2008, alors que ma fille n'avait que dix ans, j'ai dû la laisser derrière moi et me cacher pendant plusieurs mois. Malgré ma situation, j'ai continué à comparaître devant les tribunaux et, au bout d'un an, j'ai été acquitté de toutes les charges qui pesaient contre moi. Mon parcours n'a jamais été facile ; il est devenu de plus en plus ardu et périlleux au fil du temps. Néanmoins, nous persévérons, car quelqu'un doit défendre les travailleurs.
Les bouleversements politiques de l'année dernière nous ont placés dans une situation précaire. Nous avons perdu la confiance de nombreux importateurs, ce qui a entraîné la fermeture d'innombrables usines. La vie des travailleurs est devenue de plus en plus instable au fil des jours. Autrefois, le monde louait les travailleurs de l'industrie textile du Bangladesh pour leur compétence et leur productivité. Aujourd'hui, même ceux qui possèdent une expertise significative sont confrontés au chômage.
Actuellement, notre défi le plus urgent dépasse la question des salaires et des heures de travail ; il s'agit purement et simplement de survie. La question qui se pose à nous est la suivante : comment pouvons-nous garantir que nos travailleurs restent en vie, dans la dignité, au milieu de ces bouleversements mondiaux et nationaux ? Si je ne peux pas prédire si l'avenir ressemblera à ce qu'il était autrefois, je suis certain que notre lutte – pour des lois justes, l'égalité, la dignité — doit continuer, coûte que coûte.
Lors de cette période difficile pour les travailleurs du secteur textile, les employés d'autres secteurs au Bangladesh, ainsi que les citoyens ordinaires, ont-ils manifesté leur soutien ?
Lovely Yesmin : Absolument ! Le Bangladesh compte plus de 70 millions de travailleurs dans les secteurs formel et informel, dont beaucoup sont directement ou indirectement liés à l'industrie textile. Nos vies et nos moyens de subsistance sont étroitement liés à bien des égards. Ce lien favorise la solidarité, en particulier dans les moments critiques, incitant les travailleurs de différents secteurs à se soutenir mutuellement.
Historiquement, les travailleurs du secteur textile étaient souvent considérés avec mépris, leur travail étant jugé peu respectable. Cependant, cette perception a changé. Aujourd'hui, le rôle essentiel des travailleurs du secteur textile dans l'économie nationale est largement reconnu. Autrefois méprisés, les ouvrières et ouvriers de la confection sont aujourd'hui respectés pour leur rôle central dans l'économie.
Ainsi, lorsque les travailleurs de l'industrie textile expriment des revendications légitimes, qu'il s'agisse de salaires équitables, de droits ou de sécurité, c'est notre communauté qui se mobilise. Les travailleurs de divers secteurs à travers le pays, ainsi que les citoyens ordinaires, se montrent solidaires avec nous. Dans nos luttes, nous ne sommes pas seuls.
• Traduit pour ESSF par Sushovan Dhar.

L’option Haïfa
Samedi 23 août , jour de l'appel à une grande manifestation juive et arabe à Tel Aviv, déjà réprimée par la police qui a réduit à 5000 puis 500 le nombre autorisé des manifestants, puis refusé un parcours et imposé un rassemblement place dizengoff.Elle a ensuite interdit ce lieu, déplacé place Habimah , et n'a pas autorisé non plus ce lieu. A l'heure où nous écrivons nous ne savons pas comment cette manifestation-rassemblement interdit va avoir lieu et dans quelles conditions. Majd Kayyal postait hier matin ce message sur facebook appelant à réaliser que Haïfa est la ville où toutes les semaines se tiennent des manifestations réprimées et lance un appel.
Tiré d'Agence médias Palestine.
C'est très étrange et très regrettable d'observer l'ignorance des manifestations de Haïfa par tous les partis politiques et nationaux sur place, la Commission de suivi, les comités populaires et les institutions, ainsi que par des personnalités respectées sur le plan social, culturel et politique, à Haïfa et ailleurs.
Dans l'une des villes les plus importantes de Palestine, des manifestations sont organisées chaque semaine de manière presque régulière. Ce sont des manifestations obstinées, avec une détermination forte, un défi et de la sagesse. Oui, ce sont des manifestations petites, mais elles conservent les derniers souffles de protestation, de dignité et de mouvement, dans une réalité où chaque mot libre est écrasé et réduit au silence.
Je ne sais pas qui appelle à ces manifestations – c'est normal et nécessaire dans un contexte de répression terrible – mais son identité militante, morale et unificatrice est très claire, ainsi que sa responsabilité et son courage. Il est évident que ceux qui y participent sont les meilleurs et les plus beaux garçons et filles de ce pays, ainsi que des camarades juifs authentiques opposés au sionisme (plus que certains partis, institutions et personnalités).
Ces manifestations continuent chaque semaine, imposant sur le terrain une réalité de protestation qui s'oppose à une réalité de soumission totale. Elles construisent une situation qui défend un espace d'action, de mouvement et un devoir humanitaire. (Car nous ne défendons pas Gaza, nous avons tardé trop longtemps et cela est terminé, nous défendons juste nous-mêmes et notre avenir !)
Les manifestations sont réprimées de manière violente, c'est vrai, mais c'est également une violence fragile, insignifiante et stupide. Sans parler du fait que tous les détenus sont libérés le même soir. Ceux qui connaissent Haïfa, sa police et sa municipalité, savent que cette violence peut être contenue et maîtrisée, et qu'il est possible d'imposer, à Haïfa en particulier pour des raisons sociales et historiques, des dynamiques différentes (comme cela se produit tout le temps dans l'histoire de cette ville, surtout au cours des 15 dernières années). Mais pour imposer ce changement, défier cette violence et la contenir nécessite une pression accrue, plus de participants et de la chaleur dans les actions.
Ce n'est pas une question de rivalité ou d'attaque politique, loin de là. Nous parlons calmement, avec compréhension et respect.
Mais mes amis, il y a des jeunes hommes et femmes qui portent avec insistance une petite flamme, dont nous pourrions tirer un peu de lumière pour l'avenir de notre lutte et notre survie ici, pour l'esprit de dignité après les déferlements de peur, de répression et de sauvagerie.
Il est dommage de négliger cette opportunité.
Il n'y a personne ici qui soit au-dessus des autres, nous sommes tous dans le même bateau. Personne ne possède quoi que ce soit, et personne ne monopolise quoi que ce soit. Ces manifestations n'ont besoin ni de père ni de leader. Elles ont besoin de gens sincères et bons, qui s'humilient devant toute cette destruction, ce sang, cette tragédie et ce désastre. Des gens qui se tiennent aux côtés de leur communauté et qui s'accrochent à la vérité face à la barbarie des policiers.
Et ce n'est pas seulement une question de Haïfa et de ses habitants.
Haïfa a toujours été la mère des étrangers, un refuge pour tous, et il est essentiel qu'elle reste l'endroit où les gens viennent de partout pour manifester, parler, s'exprimer, crier et défier la brutalité de la police.
Alors pourquoi pas ? Vraiment, pourquoi pas ?
Pourquoi ne pas venir, rejoindre et se tenir entre ces gens, sans micros ni prétention, sans que quiconque soit au-dessus des autres, à l'exception de la voix des martyrs, des souffrances de nos familles et de ce qu'il reste de notre conscience collective. Pourquoi ces manifestations ne se transformeraient-elles pas, dans leur simplicité et leur humilité, en un lieu solennel, rassembleur qui unit les gens et unifie les voix.
Pourquoi ne pas en faire une entrée pour affirmer notre capacité à lutter contre l'injustice, notre capacité à lever la tête face à la brutalité sauvage, notre capacité à récupérer un peu, juste un peu, le strict minimum de notre dignité devant nos familles à Gaza, et devant le regard des enfants de l'avenir sur nous ?
C'est juste un appel modeste, issu d'un espoir, d'une foi et d'un amour pour notre terre et pour ses habitants souffrants, ainsi que ses habitants silencieux.
Un appel à tous les gens ici, peu importe qui ils sont, de venir avec leurs amis, leurs familles, leurs jeunes enfants (nous pouvons les ramener facilement avant que les horreurs ne s'abattent sur nous), leurs collègues de travail, d'école, d'université, des jeunes d'un parti, des employés d'une association, un groupe WhatsApp d'amis. Venez aux manifestations qui se déroulent à Haïfa.
Vous devez les rejoindre, mes amis, il est impossible, vraiment impossible, de continuer ainsi.

Coup sur coup, l’armée israélienne bombarde deux fois l’hôpital Al-Nasser
Le lundi 25 aout 2025, l'armée israélienne à frappé l'hôpital Al-Nasser de Khan Younis de deux tirs de tank consécutifs. Le bilan de cette attaque génocidaire est déjà très lourd.
Tiré de France Palestine Solidarité.
La première est en soi déjà constitutive d'un crime de guerre, la seconde voit son caractère criminel s'amplifier du fait de la présence des secours venus soigner et tenter de sauver les rescapé-es mais aussi de plusieurs journalistes venu-es couvrir cette attaque.
Le bilan est lourd. Au moins 14 morts. La plupart sont des soignant-es et des secouristes. On déplore aussi la mort de quatre journalistes.
Les quatre journalistes tué-es sont : Mohammad Salama, photojournaliste freelance pour Al Jazeera ; Mariam Abu Dagga, photojournaliste indépendante collaborant avec plusieurs médias dont Associated Press ; Hussam al-Masri, photojournaliste pour Reuters et Moaz Abu Taha, journaliste freelance pour NBC News.
Sources : WAFA / Motaz Azaiza / Ines El-Hajj / Euromed HR Monitor / Al Jarmaq News / Quds News NetworkPhoto : Ines El-Hajj
Les secours sur les lieux des frappes à l'hôpital Al-Nasser, ouest de Khan Younis.

Bolivie : le tournant à droite
Les « élections les plus sales de l'histoire bolivienne », comme elles ont été qualifiées en raison des dispositifs de guerre numérique utilisés par les partis, ont eu un résultat prévisible et un autre surprenant, qui n'avait pas été détecté par les sondages.
18 août 2025 | alencontre.org
https://alencontre.org/ameriques/amelat/bolivie/bolivie-le-tournant-a-droite.html
Ce qui était prévisible s'est produit : 23 ans de domination du Mouvement vers le socialisme (MAS, gauche) ont pris fin. Le vote nul, appelé par Evo Morales, a atteint environ 19% et s'est classé quatrième. Ce fut le meilleur résultat des différents groupes de gauche issus de la récente implosion du MAS et en lice dans la course.
La surprise est venue du vainqueur des élections, qui n'était aucun des favoris, mais Rodrigo Paz, invité par le Parti démocrate-chrétien (PDC), qui a obtenu 31,7% des voix avec un investissement minimal dans la campagne et en partant d'une intention de vote de 3% au début de l'année. La remontée de Paz s'est principalement produite au cours des deux dernières semaines de la campagne grâce à sa capacité à attirer les électeurs indécis, qui ont été nombreux jusqu'à la fin. C'est pourquoi il n'a pas été repéré par les sondages officiels.
Rodrigo Paz est le fils de l'ancien président Jaime Paz Zamora [1989-1993] et occupe actuellement le poste de sénateur représentant le centre droit ; il a également été maire de la ville de Tarija [sud de la Bolivie]. Figure de second plan de la politique de ces dernières décennies, il s'est présenté comme une alternative de renouveau par rapport aux autres candidats souhaitant « sortir du cycle du MAS » et s'est associé à un tiktokeur populaire, l'ancien policier Edman Lara. Paz et Lara ont remporté une large victoire dans la ville d'El Alto [dans le prolongement et au-dessus de La Paz, ayant plus d'habitants que la capitale], principal bastion populaire, ainsi que dans d'autres villes et zones rurales de l'ouest du pays, attirant ainsi les votes des secteurs qui faisaient auparavant confiance au MAS.
L'ancien président Jorge « Tuto » Quiroga, membre actif du groupe international de droite Liberté et Démocratie, qui comprend José María Aznar [Etat espagnol, PPE] et Iván Duque [président de Colombie de 2018 à 2022], entre autres anciens présidents néolibéraux hispano-américains, est arrivé en deuxième position. Quiroga a obtenu 27,3% des voix, ce qui lui a suffi pour se qualifier pour le second tour.
Le troisième était l'homme d'affaires Samuel Doria Medina, qui n'a obtenu que 20% des voix malgré avoir été en tête des sondages pendant toute la campagne. C'est pourquoi il a été le plus touché par la « guerre sale », tandis que Paz a profité de sa position en retrait et n'a pratiquement pas été victime d'attaques numériques.
Evo Morales a appelé à voter blanc, faisant passer le taux d'abstention de 4% habituellement à 19%. On peut donc dire que les partisans de l'ancien président, principalement ruraux, ont représenté environ 15% de l'électorat lors de cette élection. Ce n'est pas un mauvais chiffre si l'on tient compte de l'usure dont a souffert la personne de Morales au cours de la dernière décennie en raison de son obsession pour la réélection et des accusations judiciaires qui pèsent contre lui.
Si Morales n'a pas participé, ce n'est pas par manque de volonté, bien au contraire ; il en a été empêché par les blocages du président Luis Arce qui, après leur rupture en 2022, a cherché à le disqualifier afin de s'emparer à la fois du parti (le MAS) et de la candidature présidentielle de la gauche bolivienne. Il y est parvenu, mais une grave crise économique a éclaté en cours de route et la popularité d'Arce en a tellement souffert qu'il n'a pas pu se présenter non plus.
Dans le même temps, Morales s'est efforcé d'empêcher quiconque d'autre que lui ne représente ses partisans aux élections. Il a donc déclaré « double et triple traître » un troisième dirigeant, Andrónico Rodríguez, et a appelé à voter nul afin de lui ôter le plus d'oxygène électoral possible pour son « erreur » d'avoir imaginé une gauche sans lui à sa tête. La mauvaise campagne menée contre Rodríguez (8% des voix) et les attaques des « evistas » [partisans d'Evoa], qui l'ont harcelé, lui et ses candidats, surtout dans le Chapare, bastion de Morales mais aussi région où vit Rodríguez, ont joué en sa défaveur. Dimanche, il a voté dans cette région au milieu des acclamations, des bagarres et des jets de pierres.
En résumé, lors de ces élections, la gauche s'est livrée à un « jeu perdant-perdant » qui lui coûtera probablement cher. Le prochain gouvernement changera certainement les politiques étatistes actuelles pour résoudre la crise économique et pourrait exécuter le mandat d'arrêt lancé contre Evo Morales pour le viol présumé d'une adolescente de 15 ans à Yacuiba, en 2016, alors qu'il était président et âgé de 56 ans. Ce mandat n'a pas été exécuté jusqu'à présent car l'ancien président se trouve réfugié au cœur du Chapare, entouré d'une garde prétorienne prête à se sacrifier pour son leader.
La chute de la gauche bolivienne s'inscrit dans le « virage à droite » que connaît l'Amérique du Sud après les victoires de Javier Milei en Argentine et de Daniel Noboa en Equateur. Quiroga et le candidat à la vice-présidence le capitaine Edman Lara reflètent tous deux ces nouvelles tendances. Le premier a promis qu'« aucune entreprise publique ne restera entre les mains de l'Etat » et qu'il supprimera la propriété collective de la terre, qui existe depuis l'époque du vice-roi Toledo, au XVIe siècle. Lara est partisan de la « main de fer » contre la corruption et la criminalité.
La somme des votes nuls, ceux d'Andrónico et ceux du MAS, qui a présenté l'ancien ministre d'Arce Eduardo del Castillo (3,3%), indique que la gauche bolivienne aurait pu résister si ses luttes internes et le sectarisme de ses dirigeants ne l'en avaient pas empêchée. (Article publié dans El Pais en date du 18 août 2025 ; traduction rédaction A l'Encontre)
Fernando Molina est l'auteur, entre autres, de Historia contemporánea de Bolivia (Gente de Blanco, Santa Cruz de la Sierra, 2016) y El racismo en Bolivia (Libros Nóadas, La Paz, 2022).
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Venezuela : défendre les droits humains des plus démunis n’est pas un crime
Appel à signer la pétition pour la liberté de la défenseure des droits humains au Venezuela, Martha Lía Grajales.
13 août 2025 | tiré d'inprecor
Nous, soussignés, militants du mouvement social, organisations de défense des droits humains, partis politiques démocratiques, éditorialistes et intellectuels de différents pays, avons appris avec inquiétude l'arrestation au Venezuela de l'avocate des droits humains Martha Lía Grajales, membre du collectif Surgentes (Collectif des droits humains). Martha, mère d'un adolescent, est une militante chaviste qui travaille avec des communautés dans différents quartiers de Caracas, en particulier dans la paroisse de San Agustín.
Le 5 août 2025, Martha a accompagné les soixante mères qui ont organisé une veillée devant la Cour suprême de justice du Venezuela pour demander la révision des dossiers de leurs fils injustement accusés de terrorisme après les élections de juillet 2024. Au cours de cette manifestation pacifique, les mères et les défenseurs des droits humains ont été agressés par des civils à moto, armés et équipés de matraques, qui se comportaient comme des bandes paramilitaires. Les femmes qui participaient à la veillée ont été sauvagement attaquées et dépouillées de leurs effets personnels, notamment de leurs téléphones portables et de leurs cartes d'identité.
Martha Lía Grajales et d'autres militants des droits humains, ainsi que les mères concernées, ont participé à un rassemblement de solidarité le 8 août. À la fin de la manifestation de solidarité avec les Mères en défense de la vérité, vers 16 heures, Martha Lía Grajales, carte d'identité n° 29.565.914, accompagnée de quelques compagnons qui avaient assisté à l'événement, a été arrêtée à un barrage de la Division des enquêtes criminelles de la Police nationale bolivarienne. Alors qu'elle expliquait à la police que sa carte d'identité lui avait été volée le mardi 5 août, à proximité de la Cour suprême de justice pendant la veillée des Mères en défense de la vérité, d'autres véhicules conduits par des personnes présumées être des policiers sont arrivés sur les lieux et l'ont emmenée.
Martha Lía Grajales a été enlevée par un groupe de policiers présumés, sans identification, qui l'ont introduite de force dans une camionnette grise sans plaque d'immatriculation. Ces faits se sont produits sur l'avenue Francisco de Miranda, entre les avenues 1 et 2, à Los Palos Grandes, Caracas. À l'heure actuelle, on ignore où elle se trouve. Elle portait une chemise blanche en flanelle et un pantalon vert.
Nous demandons que son intégrité physique soit protégée, qu'elle soit autorisée à communiquer avec ses avocats et sa famille, et que ceux-ci soient informés du lieu de sa détention. Libération immédiate de Martha Lía Grajales.
Le 12 août 2025
Document et signatures :
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Martinique : APVC, CIOM, table ronde, congrès… Seule l’audace sera réaliste !
On peut être surpris du rapprochement fait ici entre des démarches politiques distinctes,menées par des actrices et acteurs biendistincts, et parfois bien opposés. Il y a en effet bien des différences, mais il y a malgré tout un point commun, plus ou moins marqué. Il est dans la façon de produire la synthèse des échanges réalisés.
31 juillet 2025 | tiré d'inprecor.org | Photo : La Table Ronde sur la vie chère à la Collectivité Territoriale de Martinique le jeudi 10 octobre. ©Alain Rivori
Derrière la nouveauté, une certaine routine
La publication du bilan des Assises Populaires de la vie chère montre, non pas le manque d'intérêt d'une initiative tout à fait positive, mais les limites dans la réalisation de l'exercice. Lorsqu'après deux jours d'échanges, une synthèse est tentée en petit comité, le résultat est forcément frustrant, même après des consultations du public en ligne menées par ce comité : les contradictions ne sont pas traitées, et il est probable que plus d'un auront du mal à yreconnaître leurs petits. Et pour le moment, on ne peut pas dire que les députés aient reçu un mandat très précis du peuple représenté, pour défendre telle ou telle revendication.
Le Comité Interministériel des Outremers, que nous n'avons pas porté au baptême, mais qui indique bien dans son intitulé ce qu'il est, a provoqué des protestations courroucées à cause des exclusions qu'il a pratiquées. En réalité, le problème n'est pas tant que les ministres fassent, comme d'habitude, leur cuisine dans leur coin. Il est, que le peuple ne fasse pas la sienne pour définir de son côté, ses propres positions.
Serge Letchimy nous apprend, à la faveurd'une émission télévisée, que « le congrès » suitson cours et prépare son projet à présenter à l'État. On imagine qu'il s'agit de formuler desorientations suite aux consultations menéestous azimuts, il y a quelques mois par la CTMincluant syndicalistes, État, patrons. Cettesorte de « table ronde » bis présentait certes lanouveauté d'inclure les syndicats, mais comportait un double vice fondamental : d'une part ces rencontres prétendaient faire émerger les intérêts de « la Martinique », comme si laditeMartinique n'était pas traversée par des antagonismes incontournables entre le peuple et l'oligarchie. Chimère tenace aussi vieille quele capitalisme lui-même. D'autre part, on retrouve le même système de construction d'une « synthèse » par un arbitre unique : l'organisateur de la démarche, placé en quelque sorte au-dessus des classes sociales composant la société, et libre de choisir tout seul, lespropositions qu'il retient.
L'audace première : la construction d'un projet prolétarien et populaire
Dans une intervention au nom du GRS lors de la rencontre internationale du cercle Frantz Fanon, Philippe Pierre-Charles prenait le contre-pied d'une opinion répétée, çà et là, suivant laquelle : « nou ja palé asé ».
Non ! Trois fois non ! Nou pôkô palé asé ! Tantque nous n'aurons pas forgé un programme simple mais cohérent, réfléchi et partagé au-delà de petits groupes plus divisés qu'unis, nou ké ni pou palé ! Trop de critiqueurs et critiqueuses qui prennent plaisir à critiquer le grand et beau mouvement de février 2009, refusent de combler encore aujourd'hui la lacune principale de 2009 : l'absence d'un programme revendicatif suffisammentdéveloppé et discuté à une large échelle dans la population.
Si nous avions avancé d'un iota sur ce sujet depuis 2009, n'importe quel·le militant·e de la cause émancipatrice pourrait dire sans hésiter les 5 ou 6 ou 7 revendications fondamentales sur lesquelles on se bat, au-delà des nuances ou des divergences entre les forces populairesengagées. Classer le monde militant en deux camps « autonomistes » ou « indépendantistes », résumer un programme politique en uneposition sur le statut politique de la Martinique, n'est que le degré 0,5 de la politique.
Sans surestimer prétentieusement notreréunion du 13 juillet (voir le résumé dans le précédent RS), nous affirmons que la tâcheurgente du mouvement ouvrier et populaire et des forces qui prétendent le représenter, est d'engager le débat, de prendre à bras le corps les propositions des un·es et des autres pour faire émerger un programme de lutte, unestratégie de luttes sans lesquelles lesconciliabules avec les CIOM et Cie ne seront quede vains bavardages.
« Réglez vos problèmes et unissez-vous pour la lutte »
La veille de son assassinat en prison, GeorgesJackson, écrivait ce cri aux fractions rivales des mouvements Afro-américains. Et si nous décidions ici de suivre cette exhortation ? Et si nous décidions d'en finir avec les sectarismes rances qui ont freiné la lutte dans le passé et dont les traces, même très affaiblies, restent encore perceptibles, constituent un mauvais exemple pour les nouvelles générations qui s'engagent ?
Cet effort de dépassement est une condition pour un débat fructueux. L'autre effort qui va de pair, c'est de mener les luttes immédiates que l'impératif de la survie commande, quel que soitle degré d'élaboration du programme. Le temps presse. Il presse chez nous. li presse dans les colonies. Il presse en France. li presse dans le monde.
L'un des premiers débats à mener est d'ailleurs probablement celui sur l'urgence du moment, sur la réponse à la question vitale du « Où en sommes-nous ? ». Nous y reviendrons.
Le 28 juillet 2025
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Trump, Netanyahou et le prix Nobel de la paix
Considérations sur le désir de Donald Trump d'obtenir le prix Nobel de la paix et sur sa désignation comme candidat par des experts hautement qualifiés, tels que Netanyahou.
19 août 2025 | tiré du blogue de mediapart.fr
La poursuite effrénée du prix Nobel de la paix par Donald Trump a suscité de nombreux commentaires dans les médias internationaux, d'autant plus que son obsession pour le prix s'est intensifiée depuis son retour à la Maison Blanche pour un second mandat. Cette fixation remonte à son premier mandat : elle était issue de sa jalousie pathologique envers Barack Obama, son prédécesseur. Elle a atteint un tel degré que Trump s'est récemment prévalu d'avoir joué un rôle décisif dans la négociation de la paix dans deux conflits majeurs, malgré la forte objection de l'une des parties impliquées dans chaque cas.
Trump a ainsi affirmé avoir joué un rôle clé dans l'arrêt de la confrontation militaire qui a éclaté au printemps dernier entre l'Inde et le Pakistan, bien que l'Inde ait nié avec véhémence le mérite de Washington à cet égard. Toutefois, Asim Munir, le chef d'état-major de l'armée pakistanaise (dont la qualité de personne éprise de paix est tout à fait évidente), a proposé la candidature du président américain pour le prix Nobel.
Trump a également prétendu avoir joué un rôle clé dans la fin de la guerre de douze jours entre Israël et l'Iran d'il y a deux mois. Cette affirmation est un comble de l'ironie : la guerre s'arrêta après que les États-Unis se furent joints à l'agression de l'État sioniste contre l'Iran. Téhéran a naturellement vu dans la prétention de Trump une blague de très mauvais goût. Un autre comble de l'ironie à ce propos est la nomination par Benyamin Netanyahou du président américain pour la prestigieuse récompense.
Lors de la visite qu'il a effectuée à la Maison Blanche il y a quelques semaines, le premier ministre israélien – un homme bien connu pour son expertise inégalée dans l'instauration de la paix – a remis à Trump une copie de sa lettre au comité du prix Nobel. Dans ce document, il salue le « dévouement » du président américain « à promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité dans le monde », en particulier au Moyen-Orient, où les efforts de Trump « ont apporté des changements spectaculaires et créé de nouvelles opportunités pour élargir le cercle de la paix et de la normalisation ». Netanyahou conclut sa lettre en affirmant : « Je ne connais personne qui mérite le prix Nobel de la paix plus que le président Trump ».
Afin que lectrices et lecteurs ne soient pas surpris par l'auto-nomination de Trump, ou par sa nomination par Munir et Netanyahou, il nous faut considérer l'illustre histoire du prix Nobel de la paix. Il a été décerné par le passé à Henry Kissinger (1973) et à Menahem Begin (1978), deux personnages peu reconnus par l'histoire pour leur dévouement à la paix. Barack Obama a reçu le prix en 2009, avant d'établir un record de frappes de drones et d'assassinats ciblés au cours de sa présidence. Pareillement, le premier ministre éthiopien Abiy Ahmed Ali a reçu le prix en 2019, avant de lancer un an après, dans la région du Tigré au nord de son pays, une guerre brutale qui a tué plus de 100 000 personnes (plus de 300 000, selon une étude universitaire) et entraîné le déplacement et la famine de millions de personnes.
En gardant ce palmarès à l'esprit, il faut se demander si Donald Trump ne mérite pas, en effet, d'être nommé pour le prix Nobel de la paix, voire de l'obtenir. Son ferme soutien à la guerre génocidaire menée par l'armée sioniste à Gaza et son appel à déporter la population de l'enclave pour faire place au développement immobilier américain, deux exemples exceptionnels d'efforts pour l'instauration de la paix, ne méritent-ils pas d'être reconnus ? Et d'ailleurs, en suivant la même logique, pourquoi ne pas nommer Benyamin Netanyahou lui-même pour le vénérable prix ? Lançons donc une pétition internationale demandant au jury norvégien d'attribuer le prix Nobel de la paix au premier ministre israélien.
Nous suivrions ainsi l'exemple du député suédois Erik Brandt, qui en 1939 avait envoyé une lettre au même comité nommant « le chancelier et Führer allemand Adolf Hitler ». Brandt argua que Hitler « plus que personne au monde a mérité cette récompense hautement respectée ». Bien que la lettre du député suédois ait été d'intention sarcastique, elle fut prise au sérieux par beaucoup à l'époque. Aujourd'hui, il n'y a pas trace d'ironie dans la nomination de Trump au prix Nobel de la paix par ses flatteurs. Les partisans de Netanyahou pourraient même prendre notre proposition au sérieux.
* Dernier ouvrage paru : Gaza, génocide annoncé. Un tournant dans l'histoire mondiale.
Traduit de ma chronique hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe,Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est d'abord paru en ligne le 19 août. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.
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Le recours à la Garde nationale : de la guerre de Trump contre les migrants à l’instauration d’un régime autoritaire
Depuis mai, la guerre menée par MAGA contre les migrant·e·s est devenue encore plus agressive, tandis que sa composante militaire s'est considérablement renforcée. La Garde nationale et les Marines envoyés par Trump à Los Angeles en juin – officiellement pour réprimer les « émeutes » des manifestant·e·s qui ne se sont jamais produites – sont restés déployés sur place pendant plus d'un mois.
18 août 2025 | tiré du site alencontre.org
https://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/le-recours-a-la-garde-nationale-de-la-guerre-de-trump-contre-les-migrants-a-linstauration-dun-regime-autoritaire.html
Mais Trump ne faisait que tester le terrain à Los Angeles. Depuis qu'il s'en est bien sorti en envoyant des troupes fédérales là-bas, sa deuxième initiative a été de déployer la Garde nationale à Washington, DC, tout en menaçant de faire de même dans d'autres villes, comme New York, Chicago, Baltimore et Oakland, toutes dirigées par des maires démocrates noirs.
Déjà, des hommes armés et masqués, vêtus de treillis militaires, sillonnent les quartiers immigrés à bord de véhicules banalisés à travers tout le pays, prêts à foncer sur des parents qui déposent leurs enfants à l'école, des travailleurs et travailleuses qui se rendent à leur travail ou des personnes qui assistent à une audition devant les services d'immigration, tout cela apparemment n'importe quand et n'importe où. Certains ont été aperçus dans des camions de location Penske devant un magasin Home Depot, tandis qu'au moins l'un d'entre eux a été photographié déguisé en ouvrier du bâtiment (The Intercept, 11 août 2025)
Le conseiller politique le plus important dans la politique d'immigration de Trump est Stephen Miller, un nationaliste blanc notoire qui soutient la « théorie du grand remplacement », selon laquelle les personnes non-blanches tentent d'effacer les Blancs de la surface de la Terre. Pendant ses études à l'université Duke (Caroline du Nord), il était ami avec Richard Spencer, le célèbre nationaliste blanc qui a organisé le rassemblement « Unite the Right » en 2017 à Charlottesville, en Caroline du Nord. Il convient également de rappeler que Trump avait alors qualifié les fascistes rassemblés à Charlottesville de « très bonnes personnes » [voir sur le site alencontre les articles des 15 et 16 août 2017].
Dans son obsession d'opérer des expulsions massives, l'administration Trump fait appel à des agents du FBI, des U.S. Marshals [une agence de police du gouvernement fédéral dépendant du département de la Justice], de la Drug Enforcement Administration, du Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives et du Federal Bureau of Prisons. Ainsi, ceux qui sont les témoins de scènes où des agents fédéraux anonymes frappant et embaquant des migrant·e·s dans des véhicules banalisés sont non seulement empêchés d'identifier le nom ou le numéro de matricule des ravisseurs, mais ne savent même pas quelle agence contacter pour essayer de retrouver les personnes emmenées.
« L'ICE semble être partout »
Dans les mois qui ont suivi la deuxième investiture de Trump, l'ICE (U.S. Immigration and Customs Enforcement) a plus que doublé son taux d'arrestations quotidiennes, avec une moyenne de 666 arrestations par jour, contre moins de 300 par jour en 2024. Mais en mai, Stephen Miller a exigé que l'ICE procède à 3000 arrestations par jour comme objectif, contre 650 auparavant. Les résultats ont été immédiats. Rien qu'à Los Angeles, entre le 6 et le 22 juin, les agents de l'immigration ont arrêté plus de 1600 personnes. Le nombre total d'arrestations pour immigration illégale effectuées par le département de la Sécurité intérieure dans la région de Los Angeles a atteint près de 3000 en juin, contre 850 en mai (New York Times, 11 juillet 2025).
Comme l'a rapporté l'Associated Press le 19 juin, « soudain, l'ICE semblait être partout. Nous avons vu des agents de l'ICE dans des fermes, pointant des fusils d'assaut sur des vaches et emmenant la moitié de la main-d'œuvre », a déclaré Rebecca Shi, PDG de l'American Business Immigration Coalition, qui représente 1700 employeurs et soutient l'augmentation de l'immigration légale. Ce n'est qu'un aperçu de ce que l'avenir pourrait réserver aux migrant·e·s si Trump et la bande de flagorneurs réactionnaires qu'il a placés à la tête de son administration parviennent à atteindre leurs objectifs.
Ce n'est pas seulement le nombre de détentions et d'expulsions d'immigrants qui inquiète les communautés migrantes à travers le pays, mais aussi les tactiques dignes de la Gestapo utilisées par des voyous sans badge qui refusent de s'identifier lorsqu'ils battent et kidnappent leurs victimes.
Et il y a quelque chose de sadique dans l'adhésion des politiciens du MAGA aux méthodes d'arrestation violentes de Trump. L'élue républicaine à la Chambre des représentants de Caroline du Sud, Nancy Mace, par exemple, a déclaré à Fox News le 17 juillet :
« [Il y a] un nouveau shérif en ville. Je dois vous dire que l'une de mes choses préférées à regarder sur YouTube ces jours-ci, ce sont les audiences où des clandestins comparaissent devant le tribunal et où [l'Immigration and Customs Enforcement] se pointe pour les traîner hors de la salle d'audience et les expulser. Je ne vois rien de plus américain aujourd'hui que de rendre nos rues plus sûres en expulsant ces criminels violents des Etats-Unis d'Amérique. »
Lorsqu'on lui a demandé, lors d'une audience au Congrès en mai, de définir le terme « habeas corpus », Kristi Noem, secrétaire d'Etat à la Sécurité intérieure, qui qualifie régulièrement les immigrants sans papiers d'« ordures », a répondu que ce terme désigne « un droit constitutionnel qui permet au président d'expulser des personnes de ce pays et de suspendre leurs droits ». L'habeas corpus est bien sûr exactement le contraire de la définition de Noem : il s'agit du droit constitutionnel de toute personne accusée d'un crime de contester la légalité de sa détention. Il s'agit donc d'une garantie contre la détention illégale, qui permet de s'assurer que les individus ne soient pas condamnés sans procédure régulière.
Stephen Miller, quant à lui, a déclaré son intention de suspendre l'habeas corpus en affirmant que les Etats-Unis sont victimes d'une « invasion » de migrant·e·s. « Je dirais que c'est une option que nous envisageons activement », a déclaré Miller. « Cela dépend en grande partie de la décision des tribunaux. »
En rupture avec le passé, des groupes de voyous de l'ICE attendent désormais devant les tribunaux d'immigration, sans doute parce qu'ils peuvent ainsi arrêter le plus grand nombre de migrants avec le moins d'efforts. Comme l'a décrit Eileen Markey le 24 juillet dans The Nation,
La grande majorité des immigrants dont les dossiers sont en cours de procédure devant les juridictions de l'immigration se présentent à leurs audiences, convaincus qu'en se conformant aux exigences labyrinthiques du système, ils seront récompensés par l'autorisation de rester dans le pays. Ou du moins la possibilité de se battre un jour de plus. Mais sous le régime d'expulsion agressif du président Donald Trump, le fait de respecter des règles du système d'immigration est devenu de plus en plus dangereux. Ceux qui se présentent devant tribunal sont désormais systématiquement arrêtés. Et le fait de ne pas se présenter à une audience entraîne généralement une mesure d'expulsion.
La grande majorité des migrant·e·s n'ont pas d'avocat pour les représenter lors de leurs audiences d'immigration. Personne ne sait exactement combien de migrants sont enlevés dans des bâtiments fédéraux et emmenés pour être détenus et expulsés, car le département de la Sécurité intérieure (Homeland Security) garde ces informations onfidentielles. Mais il est certain que même lorsque les juges fixent de nouvelles dates d'audience, de nombreux migrants sont néanmoins arrêtés dès leur sortie du tribunal.
De plus, l'ICE a désigné certaines prisons où les immigrants croupissent pendant des jours, voire plus d'une semaine, comme des centres de « rétention » plutôt que de « détention », affirmant que, comme dans le cas du 26 Federal Plaza à New York, elles « hébergent [les immigrants] jusqu'à ce qu'ils puissent être placés en détention ». Cette nouvelle appellation prive les membres élus du Congrès du droit d'inspecter ces installations.
Il convient toutefois de noter que le 9 mai, lorsque quatre élus ont tenté d'entrer dans un centre de détention du New Jersey pour l'inspecter, des agents de l'ICE ont tenté de les en empêcher physiquement. Ras Baraka, le maire de Newark, a été arrêté avec l'élue à la Chambre des représentants LaMonica McIver, tous deux Noirs. Si les charges retenues contre Baraka ont été abandonnées, LaMonica McIver a été inculpée pour « obstruction et entrave à l'exercice des agents fédéraux ». Une déclaration officielle du département de la Sécurité intérieure a affirmé que ces élus étaient des « manifestants » qui « ont pris d'assaut la porte et ont fait irruption dans le centre de détention ». (New York Times, 9 mai 2025)
Et ces dits centres de rétention ne disposent pas de conditions pour des détentions de longue durée. Le centre 26 Federal Plaza, par exemple, qui est prévu pour des heures de détention, et non des jours, ne dispose pas des infrastructures pour les repas, les lits ou les douches.
Le profilage racial comme politique
Sans surprise, le zèle du gouvernement pour arrêter les migrant·e·s potentiellement sans papiers a conduit à un recours généralisé au profilage racial, entraînant l'arrestation de citoyens états-uniens sur la seule base de la couleur de leur peau. Aucune agence fédérale ne rend public le nombre de ces arrestations, mais les témoignages sont nombreux.
Une vidéo virale réalisée par Kenny Laynez-Ambrosio, un adolescent de Floride (disponible ici), montrant sa propre arrestation a révélé à des millions de téléspectateurs les tactiques inhumaines utilisées par les agents de patrouille à la frontière. Début mai, Laynez-Ambrosio se rendait à son travail de paysagiste à North Palm Beach avec sa mère et deux amis lorsque leur voiture a été arrêtée. Laynez-Ambrosio est citoyen, mais il a tout de même été arrêté.
Comme le décrit The Guardian le 25 juillet :
La vidéo de l'incident filmée par Laynez-Ambrosio, un citoyen américain de 18 ans, semble montrer un groupe d'agents en tenue d'intervention travaillant ensemble pour arrêter violemment les trois hommes*, dont deux sont sans papiers. Ils semblent utiliser un Taser sur l'un des hommes, en étrangler un autre et on peut les entendre dire à Laynez-Ambrosio : « Tu n'as aucun droit ici. Tu es un migo [diminutif de amigo mais servant à qualifier la personne de « chicano », terme péjoratif pour désigner les personnes originaires d'Amérique latine], mon frère. » On entend ensuite les agents se vanter et se moquer des arrestations, qualifiant l'utilisation du pistolet paralysant de « drôle » et plaisantant : « Tu peux sentir ça… 30 000 dollars de prime. »
Les centres de détention fédéraux portant des noms tels que « Alligator Alcatraz » (en Floride) [cela renvoie à la prison d'Alcatraz connue comme une prison de haute sécurité et antérieurement une prison militaire] et « Speedway Slammer » (dans l'Indiana, avec quelque 1000 places) montrent à quel point les agents se réjouissent de se moquer de la violence qui attend les migrants détenus dans leurs locaux. Un nouveau rapport du bureau du sénateur démocrate Jon Ossoff, de Géorgie, a recensé 510 cas crédibles de violations des droits humains depuis l'investiture de Trump en janvier.
Comme le rapporte The Guardian le 6 août, « les violations présumées comprennent des décès en détention, des abus physiques et sexuels sur des détenus, des mauvais traitements infligés à des femmes enceintes et à des enfants, des soins médicaux inadéquats, la surpopulation et des conditions de vie insalubres, une alimentation et un approvisionnement en eau insuffisants, l'exposition à des températures extrêmes, le refus d'accès à un avocat et la séparation des enfants ».
Des « criminels » dont le seul crime est d'exister
L'administration Trump a présenté les immigrants comme des « ennemis » envahisseurs et des criminels violents afin de justifier leur arrestation et leur expulsion. En réalité, selon les propres statistiques de l'ICE à la fin du mois de juin, 71,7% des immigrants détenus dans les centres de l'ICE à travers le pays n'avaient fait l'objet d'aucune condamnation pénale. Quatre-vingt-quatre pour cent des immigrants détenus dans les prisons et les camps de concentration de l'ICE ont été classés comme ne présentant aucun niveau de menace, c'est-à-dire qu'ils sont considérés comme n'ayant pas de casier judiciaire, et beaucoup d'autres personnes arrêtées avaient des antécédents pour des délits mineurs tels que des infractions au code de la route ou simplement pour avoir déjà été expulsées. La réalité derrière la rhétorique est que l'administration Trump veut simplement expulser autant d'immigrants que possible, même si cela signifie les renvoyer vers la torture, la violence et la mort.
Comment comprendre autrement les positions contradictoires adoptées par l'administration Trump lorsque, fin juin, le gouvernement a supprimé le statut de protection des Haïtiens fuyant la terreur et la violence dans leur pays d'origine ? Comme l'a noté le Miami Herald le 27 juin, « un porte-parole du département de la Sécurité intérieure a déclaré vendredi que « la situation environnementale en Haïti s'est suffisamment améliorée pour que les citoyens haïtiens puissent rentrer chez eux en toute sécurité », alors même que le département d'Etat déconseille aux Américains de se rendre dans ce pays en raison des enlèvements, des troubles civils, des soins de santé limités et de la violence extrême des gangs. Cette semaine, l'agence a exhorté les Américains à « quitter ce pays dès que possible ».
La rhétorique haineuse du gouvernement a été utilisée pour justifier l'expulsion d'immigrants non seulement vers leur pays d'origine, mais aussi vers des pays tiers avec lesquels ils n'ont aucun lien. Dans le cadre d'une politique qui reflète celle de la deuxième présidence Bush – lorsque les « combattants ennemis » de la soi-disant « guerre contre le terrorisme » étaient systématiquement enlevés et transférés vers des « sites noirs » [prisons secrètes] notoires dans divers pays où ils étaient emprisonnés et torturés –, certains expulsés sont envoyés vers des pays tiers dirigés par des dictatures connues pour leur brutalité, et certains vers des pays déchirés par des conflits violents.
Le régime Trump a conclu des accords (The Intercept, 25 juin 2025) avec au moins 19 pays, dont le Salvador, le Soudan, la Libye et le Rwanda, et cherche à en conclure avec des dizaines d'autres, afin d'accueillir les personnes expulsées des Etats-Unis – un plan que la Cour suprême a également approuvé fin juin dans son « shadow docket » (« dossier fantôme » : hors calendrier). Cette politique délibérément cruelle et inhumaine a été défendue par Stephen Miller de manière effrayante : « L'ICE envoie des avions partout dans le monde en permanence. Quiconque est venu ici illégalement, nous le trouvons et nous le renvoyons. » Le gouvernement a récemment expulsé huit hommes vers le Soudan du Sud (on leur avait dit qu'ils étaient envoyés en Louisiane) et cinq hommes vers l'Eswatini, une minuscule monarchie absolue enclavée en Afrique australe, un Etat où, selon le propre rapport du département d'Etat, il y a « des exécutions arbitraires ou illégales, y compris des exécutions extrajudiciaires ; des actes de torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants infligés par le gouvernement ».
L'intention de l'administration d'expulser tout immigrant non citoyen, quel que soit son statut juridique actuel ou son casier judiciaire, vers n'importe quel pays de son choix – de préférence ceux où il risque l'emprisonnement, la torture ou la mort – a été clairement exprimée en mars dernier. A l'époque, l'administration Trump avait invoqué la loi de 1798 sur les ennemis étrangers (Alien Enemies Act) pour justifier l'expulsion de 250 hommes vénézuéliens et salvadoriens vers le tristement célèbre Centre de confinement pour terroristes (CECOT) au Salvador, après que Trump eut conclu un accord de 6 millions de dollars avec le dictateur brutal du Salvador, Nayib Bukele, qui a placé le pays sous loi martiale depuis 2022. Trump a affirmé que les expulsés étaient membres d'un gang vénézuélien violent, Tren De Aragua, et du gang salvadorien MS-13, une affirmation qui a été rapidement démentie (voir The Intercept, 27 mars)
L'enlèvement et l'expulsion vers le Salvador, le 15 mars, de Kilmar Abrego Garcia, résident du Maryland, ont été révélateurs. L'administration elle-même a affirmé qu'il avait été expulsé par erreur. Face au tollé général, même la Cour suprême a ordonné son retour. Trump a réagi en redoublant d'efforts, allant jusqu'à publier des photos truquées pour « prouver » que Garcia était membre du MS-13 et promettant de ne jamais le laisser revenir aux Etats-Unis, alors que Garcia avait fui le Salvador à l'adolescence pour échapper à la violence des gangs. Puis, dans un revirement complet, Garcia a été brusquement renvoyé aux Etats-Unis en juin pour être jugé pour trafic d'immigrants. Les manifestations très médiatisées et les demandes en faveur de sa libération ont sans doute contribué à faciliter son retour, mais les efforts déployés par l'administration Trump pour « reprendre » son expulsion sur la base d'une affaire judiciaire probablement fallacieuse montrent que la lutte sera encore longue alors que l'ICE intensifie sa campagne d'expulsion.
Mettre fin au droit du sol et promouvoir la « dénaturalisation »
Le premier jour de son second mandat, Trump a annoncé son programme anti-immigrés en publiant un décret mettant fin au droit du sol, la loi inscrite dans le 14e amendement de la Constitution [ratifié en 1868] qui accorde automatiquement la citoyenneté à toute personne née sur le sol américain. Cet amendement avait été adopté après l'abolition de l'esclavage afin de garantir que les anciens esclaves puissent devenir citoyens des Etats-Unis. Dans une affaire historique de 1898, la Cour suprême a statué qu'un homme né aux Etats-Unis, dont les parents chinois n'étaient pas citoyens américains, était citoyen par le droit du sol.
Après une série de poursuites judiciaires intentées par des Etats et des groupes de défense des immigrants, le décret a jusqu'à présent été bloqué par des juges fédéraux de district. Mais le mois dernier, la majorité conservatrice de la Cour suprême a accordé à Trump une victoire initiale dans son projet de mettre fin à la citoyenneté par droit de naissance en statuant que les tribunaux inférieurs ne peuvent pas imposer de mesures injonctives à l'échelle nationale pour des plaignants particuliers – bien que la Cour ne se soit pas prononcée sur la constitutionnalité du décret de Trump et n'ait pas exclu d'autres moyens, tels que des recours collectifs, pour bloquer le décret. Cette décision a ouvert la voie à la possibilité que le décret de Trump soit appliqué dans certains Etats mais pas dans d'autres.
Plusieurs décisions de la Cour suprême en faveur de Trump – par exemple, les décisions autorisant Trump à procéder à des licenciements massifs de fonctionnaires fédéraux, à renvoyer des soldats transgenres, à mettre fin au statut de protection temporaire de centaines de milliers d'immigrants et à expulser des immigrants vers des pays tiers – ont été rendues rapidement sous la forme de décisions succinctes et non signées, sans aucune explication des motifs de la cour dans ce qui a été qualifié d'« urgence » ou de « dossier fantôme ».
Pour l'instant, le décret sur la citoyenneté par droit du sol reste bloqué par une série de juges fédéraux de districts. Outre les multiples recours contre le décret de Trump devant les tribunaux de district et d'appel, plus de deux douzaines de procès sont en cours dans différents Etats et villes du pays. En fin de compte, l'affaire finira par être renvoyée devant la Cour suprême, où l'administration Trump comptera sur la majorité conservatrice pour invalider, ou du moins modifier, le 14e amendement.
La stratégie démesurée de Trump se retourne contre lui
La stratégie excessive de l'administration Trump semble toutefois se retourner contre elle. Comme l'a rapporté Politico (11 juillet) : « Mais à mesure que la répression de Trump s'intensifie, l'opinion négative des Américains sur l'immigration s'est inversée. » Un sondage Gallup publié le 11 juillet a montré :
Les Américains sont nettement plus favorables à l'immigration depuis un an, la proportion de ceux qui souhaitent une réduction de l'immigration étant passée de 55% en 2024 à 30% aujourd'hui. Dans le même temps, 79% des adultes, un chiffre record, estiment que l'immigration est une bonne chose pour le pays.
Ces changements inversent une tendance à la hausse des inquiétudes concernant l'immigration qui avait commencé en 2021 et reflètent des changements au sein de tous les grands partis politiques.
Avec la forte baisse des passages illégaux à la frontière cette année, les Américains sont moins nombreux qu'en juin 2024 à soutenir des mesures strictes de contrôle des frontières, tandis que davantage sont favorables à l'octroi d'une voie vers la citoyenneté aux immigrants sans papiers déjà présents aux Etats-Unis.
Le même sondage révèle que les Américains sont beaucoup plus nombreux à exprimer leur désapprobation qu'à approuver la gestion de l'immigration par le président Donald Trump.
De plus, les procureurs de Los Angeles ont lamentablement échoué à obtenir du grand jury [institution au sein d'un tribunal qui a le pouvoir de mener une procédure officielle pour enquêter sur les actes criminels et de déterminer si des accusations doivent être retenues] qu'il inculpe la grande majorité des personnes accusées d'« agressions » et d'« obstruction » lors des manifestations anti-ICE en juin. La raison est simple : les arrestations et les accusations sont en grande partie fondées sur des mensonges.
Comme l'a rapporté The Real News Network :
Le Los Angeles Times rapporte que Bill Essayli, qui a été nommé par la ministre de la Justice Pam Bondi au début de l'année pour occuper le poste de procureur fédéral du district central de Californie, s'est récemment mis en colère et a été entendu « hurler » contre les procureurs du tribunal fédéral du centre-ville de Los Angeles lorsqu'un grand jury a refusé d'inculper un manifestant anti-ICE qui était visé par des accusations criminelles potentielles.
Et selon le LA Times, ce refus d'inculper les manifestants est loin d'être un cas isolé.
« Bien que son bureau ait engagé des poursuites pénales contre au moins 38 personnes pour des fautes présumées commises lors des manifestations du mois dernier ou à proximité des lieux où se sont déroulées les rafles d'immigrés, beaucoup ont été classées sans suite ou réduites à des délits mineurs », écrit le journal. « Au total, il n'a obtenu que sept inculpations, qui doivent généralement être prononcées au plus tard 21 jours après le dépôt d'une plainte pénale. »
Il est extrêmement rare que les procureurs ne parviennent pas à obtenir l'inculpation par un grand jury, qui doit seulement déterminer s'il existe des « motifs raisonnables » de croire qu'un suspect a commis un crime et qui n'entend pas les arguments de la défense pendant la procédure.
[…] Le représentant Ted Lieu (démocrate de Californie) a également critiqué les procureurs pour avoir utilisé des déclarations facilement discréditables d'agents de l'ICE afin d'obtenir des mises en accusation. « Je suis un ancien procureur et je peux confirmer que n'importe quel procureur peut obtenir d'un grand jury qu'il inculpe un sandwich au jambon », a-t-il écrit. « Sauf le procureur général de Los Angeles. Pourquoi ? Parce que cet article montre que LES AGENTS DE L'ICE INVENTENT DES HISTOIRES. Vous voulez que vos agents soient respectés ? Dites-leur d'arrêter de mentir.” »
Trump accélère la répression militaire, progressivement
Mais l'administration Trump, imperméable à la désapprobation croissante de l'opinion publique, n'a fait que monter les enchères.
Le « grand et beau projet de loi » [budget] de Trump, qui a été adopté par le Congrès début juillet, promet d'étendre massivement le dispositif de contrôle de l'immigration. Le National Immigration Justice Center a qualifié ce projet de loi de « caisse noire » pour les agences chargées de l'application des lois sur l'immigration, car il « débloque plus de 170 milliards de dollars pour gonfler le complexe industriel de l'immigration dirigé par les agences Immigration and Customs Enforcement (ICE) et Customs and Border Protection (CBP) du département de la Sécurité intérieure (DHS), au profit des dirigeants de prisons privées et des entrepreneurs publics. L'impact sur les communautés à travers le pays sera désastreux et marquera un recul historique des droits des immigrants et de leur accès à la justice »
L'ICE est actuellement en pleine campagne de recrutement afin d'augmenter ses effectifs déjà considérables. Elle a supprimé toutes les conditions d'âge, offre des primes à la signature pouvant atteindre 50 000 dollars et le remboursement des prêts étudiants jusqu'à 60 000 dollars afin d'attirer le plus grand nombre de candidats possibles dans les plus brefs délais.
En réalité, l'appel lancé par l'ICE aux Américains « patriotes » pour qu'ils rejoignent ses rangs est très susceptible d'attirer ceux qui cherchent à gagner leur vie en battant et en kidnappant des immigrants.
Comme l'a fait remarquer (The Bulwark, 13 août), Vanessa Cárdenas, directrice exécutive du groupe de défense des droits des immigrants America's Voice : « Prenez un adolescent qui a plus de testostérone que de sagesse, armez-le de fusils et de cagoules, donnez-lui des voitures rapides et, pour couronner le tout, faites-lui miroiter des primes en espèces pour des arrestations rapides et sans discernement. Ajoutez à cela la culture d'impunité et d'abus de pouvoir de l'ICE. Que pourrait-il bien arriver ? »
Le 11 août, comme indiqué en début d'article, Trump a déployé la Garde nationale, cette fois à Washington, DC, feignant à nouveau une « urgence » inexistante. Lors d'une conférence de presse truffée de propos racistes, Trump a affirmé que « notre capitale a été envahie par des gangs violents et des criminels sanguinaires, des bandes de jeunes sauvages, des maniaques drogués et des sans-abri ». Washington DC, comme d'autres grandes villes américaines, connaît un taux de criminalité violente historiquement bas, le plus bas depuis 30 ans, de sorte que l'argument « d'urgence » avancé par Trump est manifestement faux.
C'est néanmoins l'excuse invoquée par l'administration Trump pour prendre le contrôle fédéral de la police municipale et nommer le directeur de la Drug Enforcement Administration, Terry Cole, « commissaire de police en situation d'urgence » doté de tous les pouvoirs du chef de la police. Trump a, à toutes fins utiles, placé la ville de Washington DC sous tutelle fédérale.
Le 12 août, le Washington Post a rapporté que l'administration Trump évaluait « des plans visant à créer une « force d'intervention rapide en cas de troubles civils internes » composée de centaines de soldats de la Garde nationale chargés de se déployer rapidement dans les villes américaines confrontées à des manifestations ou à d'autres troubles, selon des documents internes du Pentagone… Le plan prévoit que 600 soldats soient en état d'alerte permanente afin de pouvoir être déployés en moins d'une heure. »
Ces derniers développements démontrent que Trump et ses plus proches conseillers s'efforcent de repousser les limites du régime autoritaire, afin d'établir des précédents qui pourront servir de tremplin pour restreindre et réprimer davantage les expressions authentiques de la démocratie et de la dissidence, tout en réalisant leur vision des Etats-Unis comme un pays réservé aux hommes blancs.
Si cela n'était pas déjà évident, cela l'est désormais : nous tous, quel que soit notre statut migratoire, souffrirons si l'administration Trump continue de faire avancer son programme autoritaire, car il n'a jamais été uniquement question d'immigration. (Article reçu le 17 août 2025 ; traduction rédaction A l'Encontre)
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« Nettoyage ethnique » aux Etats-Unis
Les pratiques antimigratoires en vigueur dans ce qui était une grande démocratie sont en train de transformer le territoire étatsunien en une vaste zone frontalière. La peur s'installe dans le pays qui protégeait jadis ceux qui cherchaient la sécurité.
Manouk BORZAKIAN (Neuchâtel, Suisse), Gilles FUMEY (Sorbonne Univ./CNRS). Renaud DUTERME (Arlon, Belgique), Nashidil ROUIAI (U. Bordeaux), Marie DOUGNAC (U. La Rochelle)
15 août 2025 | tiré d'un blog de mediapart.fr | Illustration : Le camp d'Alcatraz Alligator en Floride
https://blogs.mediapart.fr/geographies-en-mouvement/blog/150825/nettoyage-ethnique-aux-etats-unis
Dans l'histoire et la géographie de l'enfermement, donc de la privation d'espace, on atteint aux États-Unis trumpiens un niveau rarement égalé de violence et de sadisme à l'égard des humains. Olivier Milhaud avait ouvert la thématique d'une géographie des prisons. Espérons qu'il sera suivi par une jeune génération sur celle des camps de migrants.
Les États-Unis ont ouvert en juillet 2025 un centre de détention pour les personnes migrantes. Un « centre de concentration » au cœur d'un marécage infesté d'au moins 200 000 alligators dont la taille des adultes atteint quatre mètres. Situé dans les Everglades de la Floride, un nouveau bâtiment est sorti de terre en moins de dix jours. Des tôles, des grillages derrière lesquels on entasse neuf exilés par cellule, sans soins, sans nourriture propre à la consommation et de la lumière par des néons 24h/24.
Pour l'Observatoire sur les 'Etats-Unis et le consortium pancanadien de recherches Borders in Globalization, Elizabeth Vallet n'a pas peur des mots : c'est un « centre de concentration ». Donald Trump s'est permis des blagues sur ceux qui risqueraient leur vie en s'enfuyant, comme les bagnards sur l'île du Diable en Guyane au temps de Dreyfus : « Les serpents sont rapides, mais les alligators… » a-t-il plaisanté. Trump feignant de craindre qu'on apprenne aux prisonniers à échapper aux reptiles, a voulu qu'on appelle ce centre l'« Alcatraz des alligators », en allusion au fort de la baie de San Francisco où se trouve le fameux pénitencier.
La journaliste Elie Hervé rapporte les propos d'Elizabeth Vallet : « Ce qui définit la politique migratoire de Trump, c'est la mise en place d'une politique répressive et de la cruauté dont il fait preuve à l'encontre des personnes exilées. » Même pour certains détenteurs de carte verte qui sont aussi enfermés. Ces pratiques s'ajoutent à des renvois de migrants vers une prison du Salvador, voire le sinistre camp militaire de Guantanamo à Cuba, ouvert à la suite des attentats du 11-Septembre. Une politique surprenante, visant à contourner les refus de certains États à récupérer leurs citoyens. En juillet, certains exilés ont été renvoyés au Soudan du Sud, pays en guerre, alors qu'ils n'en sont pas originaires.
Tout comme le ministre Bruno Retailleau a mobilisé 4000 forces de l'ordre les 18 et 19 juin 2025 pour interpeller illégalement plusieurs dizaines de milliers de migrants dans les gares et les bus à Paris, Trump a demandé à la police fédérale de l'immigration (ICE) aidée par des Marines d'arrêter des hispaniques dans les hôpitaux, les tribunaux, les magasins de bricolage et jusque dans les écoles. Pour Elizabeth Vallet, s'installe un climat de peur dans la société étatsunienne. « Les coupes dans le domaine de la santé, de l'éducation, des services sociaux, de l'aide au développement, dans des services administratifs bénéficiant de l'ICE sont en train de faire de cet office un État dans l'État. »
Trump n'a pas la primeur de cette politique. L'histoire rappelle que dans les années 1920, il ne faisait pas bon migrer aux États-Unis et que le Ku Klux Klan, organisation terroriste suprémaciste des années 1860 agissait ainsi. Mais la nouveauté est qu'aujourd'hui, la traque aux migrants est décidée d'en haut. Les gardes-frontières, les policiers, les membres de l'ICE agissent partout sur le territoire : « L'ensemble du pays est devenu une zone frontalière, un espace où l'arbitraire est maître ». Les centres de détention prospèrent, gérés par des sociétés privées qui font des profits, en faisant travailler les détenus, les migrants « pour un salaire dérisoire qui s'apparente à du travail forcé » selon Elizabeth Vallet. Une situation dont il sera difficile de suivre l'évolution, en évitant les mensonges du président : certaines personnes arrêtées ne sont pas enregistrées. Et donc, ne peuvent pas faire valoir leurs droits.
L'indécence et le cynisme atteignent-ils leur somment lorsque l'influenceuse d'extrême-droite, Laura Loomer, osait déclarer que « les alligators auraient au moins 65 millions de repas ». 65 millions, c'est le nombre d'Hispaniques dans le pays. « Ce que Trump met en place, c'est un nettoyage ethnique, pour le chercheur José Angel Maldonado, né au Honduras. Il veut façonner une Amérique blanche et, pour cela, il n'a plus aucune limite. »
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Washington : la contestation grandit face à la prise de pouvoir de Trump
Six États dirigés par des Républicains se sont désormais engagés à envoyer des troupes de la Garde nationale pour appuyer la prise de contrôle de Washington, D.C., par l'administration Trump, laquelle a assumé le commandement des forces de police au nom de la lutte contre le crime. En y ajoutant la Garde nationale de D.C., que Trump contrôlait déjà, cela porte à plus de 2 000 le nombre de soldats déployés dans les rues de la capitale. Cette mise sous tutelle fédérale intervient alors même que la criminalité violente dans la capitale est à son plus bas niveau depuis 30 ans — des chiffres que l'administration Trump conteste, le ministère de la Justice ayant ouvert une enquête pour déterminer si les responsables municipaux avaient manipulé les statistiques.
« Ce que nous voyons, c'est l'illégalité, mais elle vient entièrement de la Maison-Blanche », déclare l'activiste communautaire Keya Chatterjee, directrice du groupe Free DC.
20 août 2025 | tiré de democracy.now
AMY GOODMAN : Le Tennessee est devenu le sixième État républicain à accepter d'envoyer des troupes de la Garde nationale à Washington, D.C., afin d'appuyer la mainmise grandissante du président Trump sur la capitale nationale. Les gouverneurs républicains de Louisiane, de l'Ohio, de la Caroline du Sud, de la Virginie-Occidentale et du Mississippi font de même. Une partie des troupes est arrivée mardi. Ces gouverneurs ont mobilisé leur Garde nationale même si plusieurs de leurs villes connaissent des taux de criminalité pires que ceux de D.C. Selon le média The Handbasket, des membres de la Garde nationale de D.C. ont commencé à s'entraîner à porter des armes de poing dans les rues de la capitale.
Trump a envoyé la Garde nationale la semaine dernière en déclarant que D.C. faisait face à une « urgence criminelle », alors que les archives montrent que la criminalité violente y est au plus bas depuis 30 ans. En janvier, le bureau du procureur fédéral du district avait publié un communiqué intitulé « La criminalité violente à D.C. atteint son plus bas niveau depuis 30 ans ». Mais Trump a mis en doute ces chiffres, et les procureurs fédéraux ont lancé une enquête criminelle pour savoir si la police locale avait manipulé les données. Cette enquête est supervisée par l'avocate par intérim nommée par Trump pour le district de Columbia : l'ancienne animatrice de Fox News, Jeanine Pirro.
Pendant ce temps, The Washington Post rapporte qu'un nouveau sondage indique que 80 % des habitants de D.C. s'opposent au décret fédéralisant les forces de l'ordre. La mairesse Muriel Bowser a accusé Trump de mener une offensive autoritaire. Voici ses propos :
MURIEL BOWSER : « Les chiffres dans le district ne justifient pas l'arrivée de mille personnes d'autres États. Vous le savez… Ce n'est pas logique. Si vous voulez comprendre ce qui se passe, la question n'est pas pour nous, mais pour savoir pourquoi l'armée est déployée dans une ville américaine pour y surveiller des Américains. »
AMY GOODMAN : Des organisateurs communautaires se sont mobilisés contre le déploiement de la Garde nationale. Voici Samantha Davis, fondatrice de la Black Swan Academy, qui œuvre pour l'autonomisation des jeunes noirs :
SAMANTHA DAVIS : « Ce n'est pas une question de criminalité, c'est une question de contrôle. Ce n'est pas une question de sécurité publique, c'est une question de pouvoir. La semaine dernière, Donald Trump a proposé que nos enfants à D.C., dès 14 ans, soient jugés comme des adultes. Voulez-vous ça ? »
PUBLIC : « Non ! »
SAMANTHA DAVIS : « Et la procureure de Trump a dit qu'elle voulait poursuivre nos jeunes, mais qu'elle était frustrée parce qu'elle “ne pouvait pas mettre la main sur eux”. Voulez-vous ça ? »
PUBLIC : « Non ! »
SAMANTHA DAVIS : « Trump a menacé que si D.C. ne punissait pas plus sévèrement nos enfants, il fédéraliserait notre ville. Voulez-vous ça ? »
PUBLIC : « Non ! »
SAMANTHA DAVIS : « Nous ne sacrifierons pas nos enfants à un tyran. »
AMY GOODMAN : Nous allons maintenant à D.C., avec Keya Chatterjee, directrice de Free DC. Pouvez-vous nous faire un point sur les troupes déployées ?
KEYA CHATTERJEE : « Ce que nous voyons ici, c'est une situation qui, si D.C. était un État, serait considérée comme un acte de guerre civile. Des Gardes nationaux envoyés d'un État vers un autre, contre la volonté des élus locaux et des habitants. C'est le manuel classique d'un dictateur : prendre le contrôle de la capitale pour faire taire la dissidence.
Nous sommes vulnérables car D.C. n'est pas un État. Nos élus ne contrôlent même pas notre propre Garde nationale. Cette prise de pouvoir armée met en danger non seulement les habitants de D.C., mais aussi la démocratie américaine et, par extension, le monde entier. Nous voyons déjà des postes de contrôle illégaux, des fouilles humiliantes, des arrestations arbitraires. Tout cela, c'est l'illégalité organisée, mais elle vient de la Maison-Blanche. »
Vie quotidienne et résistance
Chatterjee décrit la peur quotidienne : habitants enlevés dans la rue par des agents fédéraux masqués, familles sans nouvelles de leurs proches. Mais aussi la résistance :
- solidarité de voisinage,
- musique go-go dans les rues,
- casserolades tous les soirs à 20 h, symbolisant les huit quartiers de la ville.
- « C'est une méthode éprouvée contre les dictateurs : répondre par la joie, la communauté, la fierté culturelle », dit-elle.
- Sur les financements bloqués
- Le Congrès a gelé 1,1 milliard de dollars de fonds locaux de D.C. :
- « Si le gouvernement voulait la sécurité, il permettrait d'investir dans le logement, l'éducation, la santé et l'alimentation, ce qui réduit la criminalité. Au lieu de cela, il bloque nos ressources. C'est du vol pur et simple. Et rappelons-le : l'absence d'égalité juridique pour D.C. est un héritage direct de l'esclavage et du racisme. Aujourd'hui, on doit choisir : être du côté de D.C. et de l'égalité, ou être du côté de la tyrannie. »
Les sans-abri visés
JESSE RABINOWITZ, du National Homelessness Law Center :
« Enfermer les gens qu'on ne veut pas voir, c'est du pur autoritarisme. Trump commence par cibler les sans-abris, les personnes trans et les migrants, parce qu'il pense qu'ils n'ont pas de soutien populaire. Mais bientôt, ce sera tous ceux qui ne sont pas des hommes blancs, riches, cisgenres, chrétiens et héérosexuels. »
KEYA CHATTERJEE ajoute :
« Ils détruisent les campements, jettent les affaires des gens à la poubelle. Ils veulent criminaliser la pauvreté, criminaliser l'existence même de ceux qui dorment dehors. Mais ce sont nos voisins, une partie intégrante de notre communauté. Nous exigeons que cette brutalité cesse immédiatement. »
Conclusion :
Les habitants de D.C. restent unis pour exiger le départ immédiat des troupes fédérales et de la Garde nationale déployées par Trump.
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Tunisie : après la démocratie, les libertés syndicales dans le viseur
Depuis début août 2025, l'Union générale tunisienne du travail (UGTT) est la cible d'attaques frontales par le président tunisien Kaïs Saïed et ses partisans. Le 7 août, des manifestants ont attaqué le siège de la Centrale tunisienne. Cette tentative d'assaut de son siège a été suivie par une déclaration du président tunisien en soutien aux manifestants, avec une menace à peine voilée, visant à criminaliser l'action syndicale et à affaiblir l'UGTT. Ces attaques interviennent dans un contexte où le dialogue social est très dégradé, marqué par une rupture quasi totale et une confrontation ouverte.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière.
Les organisations syndicales françaises CFDT, CGT, Unsa, Solidaires et FSU dénoncent ces attaques, condamnent la campagne d'intimidation menée par les autorités tunisiennes et expriment leur solidarité avec leurs homologues de l'UGTT.
Depuis son « coup de force constitutionnel » le 25 juillet 2021, qui s'apparente de plus en plus à un coup d'État au fur et à mesure que Kaïs Saïed s'arroge les pleins pouvoirs, ce dernier a progressivement mis en place une présidence autoritaire, affaiblissant les piliers de la démocratie tunisienne. Kaïs Saïed, qui ne cache pas son hostilité aux corps intermédiaires, gouverne par décrets présidentiels, sans contre-pouvoirs institutionnels. Après le démantèlement du pluralisme politique avec l'arrestation d'opposants sous prétexte de « complot contre la sûreté de l'État », l'intimidation et la criminalisation des voix dissidentes et l'attaque contre la liberté d'expression avec le harcèlement et même l'emprisonnement de journalistes pour leurs critiques du régime, Kais Saïed s'attaque désormais au syndicalisme.
Les organisations syndicales françaises CFDT, CGT, Unsa, Solidaires et FSU appellent le gouvernement français, et plus largement les décideurs européens, à condamner les dérives autocratiques du régime de Kaïs Saïed et à dénoncer le mémorandum UE-Tunisie.
L'UGTT, fondée en 1946, est un acteur historique majeur en Tunisie, ayant joué un rôle central pour l'indépendance de la Tunisie. L'UGTT est co-lauréate, en 2015, du Prix Nobel de la Paix pour son rôle dans le processus de transition démocratique en Tunisie, après la révolution de 2011. La CFDT, la CGT, l'Unsa, Solidaires et FSU réaffirment leur soutien à l'UGTT et au rassemblement organisé par le syndicat ce jeudi 21 août. Les organisations syndicales françaises joignent leur voix à l'appel du mouvement syndical mondial aux autorités tunisiennes 1 pour garantir la sécurité des membres des syndicats et respecter leurs obligations internationales en vertu des Conventions 87 « Liberté syndicale et protection du droit syndical » et 98 « Droit d'organisation et de négociation collective » de l'OIT.
CFDT, CGT, Unsa, Solidaires, FSU

Depuis des décennies, le Nord accumule une dette environnementale envers les peuples du Sud
Éric Toussaint est interviewé par le journaliste argentin Jorge Muracciole. Depuis la Belgique, l'historien et économiste met en garde contre la crise écologique mondiale. Il affirme qu'elle a atteint un niveau extrême et insiste sur la nécessité de « lutter pour changer le mode de production et les relations de propriété ». Comprendre la dette climatique et écologique est essentiel pour parvenir à la bifurcation écologique. Cela devient indispensable pour trouver une solution juste et durable. La dette écologique, celle que doivent notamment les États du Nord, doit être reconnue : cela donnerait lieu à des réparations correspondantes. Afin de démêler ce défi, dans l'impasse de la mondialisation capitaliste, nous reprenons le dialogue, cette fois depuis Bruxelles, avec Éric Toussaint est le porte-parole du Comité pour l'abolition des dettes illégitimes (CADTM), historien, docteur en sciences politiques de l'université de Liège et de Paris VIII, membre du Conseil scientifique d'ATTAC France, cofondateur du Conseil international du Forum social mondial en 2001.
2 juillet 20225 | tiré du site du CADTM | Illustration : Jorge Alaminos
https://www.cadtm.org/Depuis-des-decennies-le-Nord-accumule-une-dette-environnementale-envers-les
Jorge Muracciole – Quelle est la situation actuelle de ce qu'on appelle la dette écologique ?
Éric Toussaint – Elle a atteint un niveau extrême. Les températures et le niveau des océans augmentent progressivement et le nombre de personnes touchées, tant au Sud qu'au Nord, est impressionnant. Toutes les données nous montrent que la situation va continuer à s'aggraver car le système capitaliste international n'a pas la volonté d'agir et les gouvernements n'ont donc pas la capacité de trouver des solutions. De nombreux gouvernements négationnistes, comme ceux de Trump ou de Milei, ne donnent pas d'importance à l'ampleur de la crise. Les États du Nord ont accumulé des dettes envers les peuples du Sud : ils devraient reconnaître la dette écologique mondiale historique qu'ils ont contractée et accepter le fait qu'ils doivent payer des compensations financières.
Jorge Muracciole –Est-ce faisable ?
Éric Toussaint –Si l'on tient compte de la chronologie, la dette contractée par les États du Nord, au niveau de ce qui peut être mesuré en termes de changement climatique, de crise écologique et d'effet de serre à grande échelle, a commencé avec l'avènement de la révolution industrielle en Europe à partir de 1820/30 et s'est poursuivie aux États-Unis. Il s'agit d'un processus de deux siècles d'accumulation de gaz à effet de serre propres au développement industriel capitaliste. Au cours des XXe et XXIe siècles, d'autres pays de la périphérie capitaliste se sont ajoutés à ces émissions. Il est évident que les ouvriers qui ont travaillé tout au long du XIXe siècle, soumis à une exploitation extrême, avec des journées de plus de 12 heures et dans des conditions de travail insalubres, ainsi que le travail infantile inhumain, ne sont pas responsables des dommages écologiques causés par leurs gouvernements et les entreprises privées, soutenues par des méthodes policières. La réponse du mouvement ouvrier a été très variée. On ne peut en aucun cas tenir les prolétaires européens pour responsables du projet civilisateur polluant de leurs bourgeoisies. Les paysans ne sont pas non plus responsables du développement du modèle capitaliste dans la production agricole. Ils sont plutôt victimes de ce modèle. Les coupables sont les gouvernements au service de la classe capitaliste et de ses grandes entreprises privées.
Jorge Muracciole -Dans un texte datant du début de l'année 2025, vous affirmez que les groupes capitalistes dominants ont épuisé les réserves et pollué la planète par l'utilisation excessive des énergies fossiles et la surproduction : l'imposition d'une mondialisation néolibérale absurde selon les intérêts des peuples du Sud.
Éric Toussaint –On peut identifier de grandes sociétés industrielles qui existaient déjà il y a plus d'un siècle et qui exploitaient frénétiquement les ressources naturelles en Europe et en Amérique du Nord, puis dans le Sud global.
Il est essentiel de souligner la responsabilité des grandes entreprises qui ont vu le jour au XIXe siècle ou au début du XXe siècle, telles que Coca-Cola (fondée en 1886), Pepsi-Cola (1898), Monsanto (1901), Cargill (1865) dans le secteur agroalimentaire, BP (1909), Shell (1907), Exxon Mobil (1870), Chevron (1879), Total (1924), dans le secteur pétrolier, ThyssenKrupp (1811), Arcelor Mittal (une union de différents groupes nés dans la première moitié du XXe siècle) dans le secteur de l'acier et des métaux, Volkswagen (1937), General Motors (1908), Ford (1903), Renault-Nissan-Mitsubishi (groupe de trois entreprises créées entre 1870 et 1932) dans le secteur automobile, Rio Tinto (1873), BHP Billiton (1895) dans le secteur minier, ont eu et ont encore une énorme responsabilité dans les émissions de GES. Si l'on calculait la quantité de GES générée par leurs activités depuis leur création, on se rendrait compte que cela représente une part très importante de ce qui s'est accumulé dans l'atmosphère comme une véritable bombe à retardement, qui a fini par exploser. Plus récemment, il convient d'ajouter à la liste incomplète mentionnée ci-dessus l'impact néfaste sur l'environnement des GAFAM (Google, Apple, Facebook-Meta, Amazon et Microsoft), X,… avec leurs énormes centre de data qui prennent encore plus d'ampleur avec l'exploitation de l'Intelligence Articifielle. Enfin, il faut ajouter aujourd'hui à cette liste une série d'entreprises privées, ou dans certains cas publiques, originaires de pays capitalistes dits émergents qui jouent également un rôle néfaste pour l'environnement : Gasprom et Rosneff en Russie ; Sinopec et Petrochina en Chine, Petrobras et Vale do Rio Doce au Brésil, Coal India et Tata en Inde,… pour ne donner que quelques exemples.
Fondamentalement, que ce soit au Nord ou au Sud, le mode de production capitaliste est responsable de la destruction de la planète. Au lieu de rendre l'humanité responsable de la crise écologique en parlant d'anthropocène, il serait plus approprié de rendre le mode de production capitaliste responsable de la crise et d'utiliser l'expression capitalocène, comme le fait le CADTM et d'autres.
Jorge Muracciole –Et aujourd'hui ?
Éric Toussaint –Cet impact de l'industrie extractive se produit en pleine mondialisation, avec la recherche de terres rares ou de lithium pour l'industrie de la téléphonie numérique et des batteries, dans des régions telles que le triangle entre le sud de la Bolivie, le nord-ouest de l'Argentine et le nord du Chili. On pourrait dresser une longue liste d'exemples de l'impact environnemental et humain.
Jorge Muracciole –Ce sont des faits occultés par la presse dominante.
Éric Toussaint – La solution au problème n'est pas compatible avec le mode de production capitaliste. Il n'existe pas de solution de « capitalisme vert ». Il faut une politique de rupture avec le mode de production capitaliste.
Jorge Muracciole – Ce ne sera pas facile.
Éric Toussaint –Cette année, différents peuples autochtones de différentes régions de la planète auront l'occasion de débattre de cette question, notamment lors de la COP 30 qui se tiendra à Belém, au Brésil, du 10 au 21 novembre. Les peuples autochtones des Amériques, avec des délégations du monde entier, s'opposeront au sommet officiel, qui n'offrira aucune solution réelle. Ils s'opposeront même à l'orientation productiviste et extractiviste du gouvernement Lula, qui souhaite exploiter davantage de pétrole, y compris dans des zones très sensibles sur le plan environnemental.
Jorge Muracciole –En ce qui concerne ce sommet, quelle est la situation des régions les plus touchées par les effets du productivisme extractiviste ?
Éric Toussaint –L'Asie, et en particulier l'Asie du Sud, avec des pays comme le Pakistan et le Bangladesh, qui comptent au total 400 millions d'habitants. Au Pakistan, en 2022, des inondations ont provoqué le déplacement de près de 30 % de la population. Il en va de même en Afrique de l'Est : des inondations combinées à l'intervention de groupes paramilitaires payés par des sociétés transnationales, comme en République démocratique du Congo, au Kenya, en Tanzanie et au Mozambique, pour extraire du coltan, du cuivre, de l'uranium, du pétrole...
Jorge Muracciole –En Amérique du Nord également.
Éric Toussaint –Oui, des pluies incontrôlables avec de grandes inondations ou des sécheresses prolongées et des incendies en Californie, à Hollywood, ou encore à São Paulo et Quito. Tout cela est le résultat d'un projet civilisationnel qui génère des changements climatiques dans le Nord global et affecte toute la planète. Il est nécessaire de mettre en œuvre un projet de décroissance dans les pays du Nord afin de réduire considérablement les effets de cette croissance incontrôlée. Et de modifier le mode de vie des populations du Nord... Par exemple, en réduisant l'utilisation des voitures individuelles. D'autre part, dans les pays du Sud, nombreux sont ceux qui ont besoin de croissance, de réorganiser et d'articuler la production avec des éléments de décroissance dans certains secteurs de production et de croissance dans d'autres. Par exemple, une production accrue pour améliorer les conditions de logement, l'accès à l'électricité, aux égouts, à l'eau courante, à faible coût pour la population, l'investissement dans l'éducation...
Jorge Muracciole –Pour le mettre en œuvre, un véritable changement de conscience est nécessaire.
Éric Toussaint –Un changement de culture ne suffit pas, il faut également mettre fin ou réduire fortement les activités des entreprises extractives et limiter l'utilisation des ressources naturelles du sous-sol. Il faut lutter pour changer le mode de production et les relations de propriété. Les entreprises énergétiques et extractives doivent être sous contrôle public. L'obligation de rembourser la dette est ce qui instaure l'idée forte d'exporter davantage de matières premières pour les pays périphériques. Il faut l'annuler.
La version originale publiée dans Tiempo Argentino a été révisée et modifiée par Éric Toussaint.
Traduction de l'espagnol par CADTM.
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« L’agriculture pastorale extensive est le seul rempart pour reprendre la terre aux feux »
Cet été, les terres du département de l'Aude ont été ravagées par une série de cinq incendies. Pour le vigneron Nicolas Mirouze, des mutations de la vie paysanne s'imposent après la catastrophe.
22 août 2025 | tiré de Reportere.net
https://reporterre.net/L-agriculture-pastorale-extensive-est-le-seul-rempart-pour-reprendre-la-terre-aux-feux
Nicolas Mirouze est vigneron dans les Corbières (Aude) et membre de la coopérative l'Atelier paysan. Il milite pour une agriculture paysanne et biologique. Son exploitation est située juste à proximité de la zone où des incendies ont ravagé le département cet été.
Nicolas Mirouze est vigneron dans les Corbières (Aude) et membre de la coopérative l'Atelier paysan. Il milite pour une agriculture paysanne et biologique. Son exploitation est située juste à proximité de la zone où des incendies ont ravagé le département cet été.
Reporterre — Comment avez-vous réagi face à l'énorme feu qui a sévi du 5 au 9 août ?
Nicolas Mirouze — On ne parle pas juste d'un grand feu, mais d'une série d'incendies. On en a vécu cinq dans les Corbières cet été. Le premier a commencé sur notre commune, le 29 juin, juste devant notre ferme. Le vent l'a poussé de l'autre côté de la route départementale, on n'a pas eu de dégât immédiat. Mais cinq jours plus tard, ça recommençait.
Dans le massif, 400 hectares ont disparu. Le 10 juillet, un autre incendie frappait les alentours de Narbonne : 2 500 hectares ont été ravagés à 3 kilomètres de chez nous. On espérait alors que ce soit fini, on se disait que c'était le plus gros feu... Mais cela ne faisait que commencer. Début août, ça a été apocalyptique, on n'avait jamais vu ça. On vivait entre les flammes et les canadairs, dans un état de stress terrible.
Au total, en deux mois, 20 000 hectares ont brûlé près de chez nous. Voilà la réalité : on est dévastés. Tout est en train de cramer, on ne voit pas d'autres perspectives. On vit comme en sursis, en se disant que c'est une question de temps avant que ce qui n'a pas été brûlé se consume.
À l'évidence, la végétation n'est plus adaptée au climat. Les arbres meurent. Cela fait quatre ans que l'on subit une sécheresse incroyable : nos cumuls de pluie sont inférieurs à la moitié de ce que l'on avait l'habitude de recevoir. On change de monde. Nous ne sommes plus juste dans le climat sec méditerranéen, on est passé à autre chose, un chaos aride.
Comment ce phénomène vient-il percuter votre vie paysanne ?
On attend la pluie et on redoute l'été. La destruction par le feu est d'une radicalité effrayante. Après le passage de l'incendie, il n'y a plus rien, c'est une dévastation totale. Il va falloir reconstruire et repenser beaucoup de choses pour qu'habiter ici redevienne désirable. En tant que paysans et paysannes, nous sommes ancrés dans le sol, nous ne pouvons pas et ne voulons pas fuir. Notre vie est sur place. On a un attachement physique, presque viscéral à cette terre, même si elle est rude.
« Le feu prolonge les conséquences de l'industrialisation de l'agriculture »
Surtout, je crois que le feu vient raviver une crise plus profonde que nous traversons depuis des décennies. Il prolonge les conséquences de l'industrialisation de l'agriculture, prend appui sur la déprise agricole et la disparition de la paysannerie.
Entre 900 et 2 000 hectares de vignobles ont brûlé cet été. Mais la destruction des vignes n'a pas commencé avec les incendies. L'arrachage des vignes a été poussé par les politiques productivistes, pour privilégier les grosses structures et restructurer la filière. En une génération de travailleurs, soit en moins de quarante ans, on a supprimé la moitié de la surface en vigne du département. Les friches ont gagné du terrain sur les zones les plus déshéritées et les moins arrosées, qui sont aussi les plus à risque en matière d'incendie.
Vous voulez dire que les feux sont aussi l'occasion de faire le bilan de l'agriculture industrielle ?
Tout à fait, il faut questionner ces politiques d'arrachage qui ont conforté le modèle de l'agriculture intensive. Elles ont décimé les communautés paysannes, dans des zones où on aurait pu faire du bon vin et d'autres formes de production. L'incendie vient se greffer à cette situation et fragilise encore davantage l'agriculture paysanne.
Aujourd'hui, il est urgent d'imaginer un autre scénario, de replanter des vignes, d'installer des éleveurs, de remettre au goût du jour les transhumances hivernales - celles qui vont des montagnes au littoral - pour repeupler ce territoire.
« L'agriculture paysanne doit retrouver sa place »
Cette catastrophe doit au minimum permettre de prendre des décisions stratégiques à la hauteur du danger : l'agriculture paysanne doit retrouver sa place dans les friches abandonnées et les terres livrées au feu. C'est pourquoi nous plaidons pour la structuration d'une filière d'élevage extensif dans notre département.
En quoi le retour de la petite paysannerie et de l'élevage extensif pourrait limiter les feux ?
Le projet d'installation pastorale extensive est le seul rempart crédible pour reprendre la terre aux grands feux. Par l'élevage, on va avoir une occupation de surface sans commune mesure avec ce que l'on pourrait imaginer avec une monoculture de vignes. C'est aussi une bonne réponse à la protection des zones naturelles. Cela permet de diversifier la production agricole, de transformer des friches viticoles par des surfaces fourragères. Les troupeaux régénèrent les sols épuisés par la monoculture intensive de la vigne et débroussaillent les friches. Ce sont de bons pare-feux contre les incendies.
Chez nous, on a installé un éleveur avec un cheptel de 120 brebis. Cela protège aussi nos champs et nos bâtiments. Mais cette démarche individuelle et sa duplication ne suffira pas, il faut imaginer la mise en place de toute une nouvelle filière à l'échelle du département, créer des prairies, nourrir la terre pour faire pousser des vergers et de la production maraîchère. L'élevage extensif est un levier de transformation plus général du modèle agricole. C'est une première étape.
Quels sont justement les freins et les difficultés qui bloquent son apparition ?
Ce sont des problèmes systémiques que l'on retrouve ailleurs : la difficulté à promouvoir l'installation agricole. Les conditions de production ici sont dures, donc ce n'est pas très désirable : les moyens alloués par les politiques publiques doivent être plus importants. Notre territoire et la zone méditerranéenne, de manière générale, devraient être reconnus comme étant des espaces en « situation de handicap naturel majeur » lié au réchauffement climatique.
Lire aussi :« Du jamais-vu » : pourquoi l'incendie dans l'Aude s'est propagé si vite
Cela permettrait d'aider davantage financièrement les futurs éleveurs, comme dans les zones de montagne. Au fond, il faudrait requestionner la PAC [politique agricole commune] et flécher l'argent autrement. Faut-il massivement soutenir la viticulture intensive productiviste ou d'autres modèles d'installation dans les Corbières ?
Le second frein, immense, est la valorisation de la production locale. Tant que notre viande sera peu valorisée, il n'y aura pas d'installation massive. L'importation de viande ovine venue de l'autre bout de la planète, qui inonde le marché avec des prix imbattables, devrait être interrogée. Il faut des mesures protectionnistes pour que la valorisation aille aux producteurs, avec des prix minimum d'entrée sur le territoire.
Ce feu peut-il servir de prise de conscience ?
J'espère évidemment un sursaut. C'est dans les moments de crise que l'on évolue. Le plus important reste surtout de ne pas rester passifs, de ne pas attendre tout des pouvoirs publics. Il faut se structurer, sortir collectivement de l'impuissance et de la dépossession, repenser les choses démocratiquement, comme citoyens, habitantes et habitants.
On n'est pas naïfs. On voit que le modèle agricole intensif va chercher à se maintenir, qu'il n'est pas fondamentalement remis en question. Des offensives médiatiques utilisent aussi les tragédies qui nous frappent pour polariser encore davantage notre société, en incriminant les écologistes et les consommateurs de viande. Nous refusons ces clivages : pour panser nos blessures et penser un avenir en commun, le moment est à la solidarité plutôt qu'à la division. On va mener notre reconstruction par le bas, à l'échelle locale. Et ce sera révolutionnaire.
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Plastique : un échec temporaire du multilatéralisme ?
Quelques pays seulement ont réussi à faire échouer une entente mondiale voulue par la majorité des 184 à Genève du 4 au 14 août pour créer un traité international contraignant contre la pollution plastique, qui semble de plus en plus être un danger pour la planète et la santé de la population.
L'environnement mondial est actuellement en crise. En 1950, la production de plastique était de 2 millions de tonnes. Elle a régulièrement augmenté et en 20 ans, soit de 2000 à 2020, sa production est passée de 230 millions de tonnes par ans à 460 millions. Si rien n'est fait, elle devrait tripler d'ici 2060 et atteindre 1,2 milliard de tonnes annuellement. Un tiers du pétrole extrait aujourd'hui de la terre est transformé en plastique. Comme mondialement, il y aurait seulement 9 % des déchets de cette production qui seraient recyclés, il y aurait actuellement 8 milliards de tonnes de plastiques qui pollueraient la planète.
Un échec
Après dix jours de pourparlers, les 184 pays réunis à Genève pour créer un traité international contraignant contre la pollution plastique (CNI5-2) ne sont pas parvenus à l'adopter. Les négociations portaient sur toute la durée de vie du plastique depuis la substance dérivée du pétrole jusqu'à son état de déchets. Les pays avaient échoué une première fois à avoir un accord lors de la dernière séquence de négociation à Busan en Corée du Sud en 2024.
L'Arabie saoudite, le Qatar, les États-Unis, la Russie et la Chine se sont opposés de plusieurs manières à l'arrivée d'un accord contraignant. Selon le ministre fédéral belge du Climat et de la Transition environnementale, Jean-Luc Crucke, c'est un échec du multilatéralisme parce que malgré 120 pays qui se sont réunis derrière l'Europe, les pays producteurs de pétrole ont refusé un accord. « Une poignée de pays, guidés par des intérêts financiers de court terme et non par la santé de leurs populations et la durabilité de leur économie, ont bloqué l'adoption d'un traité ambitieux contre la pollution plastique », a affirmé la ministre française de la Transition énergétique, Agnès Pannier Runacher.
Selon le chef de la délégation de Greenpeace, Graham Forbes, ces négociations ont été inondées de lobbyistes de l'industrie des carburants fossiles. « L'industrie pétrochimique est déterminée à nous sacrifier au profit de ses intérêts à court terme », affirme Greenpeace.
Des conséquences sur la santé ?
Le plastique ne disparaît pas, mais s'effrite et devient de plus en plus petit. Il devient microplastique quand il a une taille inférieure à 5 millimètres, puis nanoplastique quand il est inférieur à un micromètre. Il est alors facile à inhaler et ingérer. Selon la chercheuse spécialisée sur les microplastiques de l'université de Lille, Mathilde Body-Malapel, « on sait qu'une fois qu'ils sont dans l'organisme, selon leur taille, ils vont se diffuser de manière plus ou moins importante ». Plus ils sont petits, moins les barrières de l'organisme vont pouvoir les retenir. Les plus petits réussissent à pénétrer dans le sang. Ils peuvent alors se diffuser dans l'ensemble des organes.
Les scientifiques cherchent encore à déterminer les effets de ces plastiques sur les humains. Plusieurs tests ont déjà été menés sur des souris. Ils ont constaté des maladies neurologiques comme le Parkinson ou l'Alzheimer, des problèmes cardiovasculaires avec des AVC, des problèmes pulmonaires, intestinaux ou de fertilité.
Mathilde Body-Malapel affirme de plus qu'il y a 16000 additifs différents qui sont ajoutés aux polymères de plastique pour réaliser les produits que nous consommons dans notre vie quotidienne. Il y aurait 4000 de ceux-ci qui seraient jugés préoccupants pour la santé ou l'environnement.
Nathalie Gontard directrice de recherche en science de l'alimentation et de l'emballage à l'INRAE a écrit un livre sur le plastique et considère qu'il est une drogue dans nos sociétés. « On à une mauvaise compréhension de la pollution plastique parce que l'on croit que c'est uniquement une question de déchets or ce n'est pas le cas ». Le plastique émet des micros et des nanoplastiques dès le début de sa production.
Un traité mondial nécessaire
La Directrice du Programme des Nations unies pour l'environnement, Inger Andersen, affirme qu' « il faut garder à l'esprit que le monde veut et a besoin d'un traité conventionnel sur le plastique, car la crise devient incontrôlable et les citoyens sont franchement indignés. »
Le ministre danois de l'environnement, Magnus Heunicke, a précisé que bien que les négociations soient suspendues, l'Union européenne n'abandonnera pas. « Ces négociations suspendues veulent dire que nous allons travailler plus efficacement avec les pays qui sont prêts à aller de l'avant. »
L'Union européenne a pour sa part mis de l'avant la nécessité de réfléchir à la manière dont les pays peuvent mieux travailler ensemble à l'avenir. « Quelque chose doit changer. Les méthodes de travail et les règles actuelles ont atteint leurs limites » a affirmé la négociatrice principale du Panamá, Debbra Cisneros, lors de la dernière plénière.
Ce n'est donc que partie remise. « Le secrétariat va travailler pour trouver une date et un endroit, où CNI5-3 aura lieu », a déclaré le président du comité des négociations (CNI5-2), l'Équatorien Luis Vayas Valdivieso. L'utilisation du vote à la majorité des participants a été proposée pour la prochaine rencontre. Cet échec du multilatéralisme pourra-t-il être surmonté suffisamment rapidement pour éviter que cette problématique ne s'aggrave ?
Michel Gourd
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Canulars et négationnisme climatique
Cette année nous avons peut-être l'un des étés les plus horribles dont je me souvienne, avec des épidémies toujours actives dans la moitié du pays : on estime qu'environ 24 000 personnes ont dû être expulsées de leurs maisons, plus de 140 000 hectares ont été brûlés [au 22 août, le chiffre de 400 000 hectares a été dépassé] et au moins quatre personnes sont mortes dans différents incendies. Une tragédie aux conséquences incalculables, qui met une fois de plus en lumière, sur le territoire et sur nos propres vies, l'impact mortifère de la crise écologique que nous vivons : « Une classe de maître en matière de destruction climatique ».
20 août 2025 | tiré de Viento sur
Un hélicoptère-bombardier travaille à éteindre l'incendie, le 17 août 2025, à Quiroga, Lugo, Galice (Espagne). Europa Press -Publico.es
Parce que la succession des incendies et leur plus grand potentiel destructeur ne sont pas le fruit du hasard ou d'un été « exceptionnellement » chaud, mais la conjonction de la crise climatique, de la dégradation permanente du territoire et de la vie de ceux qui l'habitent sous le maelström de l'exploitation capitaliste.
Malgré le fait que la barbarie climatique est déjà là, l'avancée des formations d'extrême droite continue de nier l'évidence de l'urgence écologique dans une défense du statu quo néolibéral extractiviste et prédateur des ressources. Elles agissent ainsi comme un frein à la mise en œuvre de politiques ambitieuses de transition énergétique et d'adaptation au changement climatique. Mais la vérité est qu'il est difficile de déchiffrer dans quelle mesure les positions négationnistes défendues par la vague réactionnaire mondiale répondent à une croyance idéologique ou s'inscrivent dans une stratégie de défense des intérêts du pouvoir des entreprises et d'un modèle économique ancré dans l'énergie fossile. En fait, il est tout à fait possible qu'ils répondent à ces deux raisons, et même à d'autres. Mais ce qui, à mon avis, ne fait aucun doute, c'est que le négationnisme climatique a évolué d'un arrière-plan discret pour atteindre une place de premier plan dans les guerres culturelles de l'extrême droite, devenant une caractéristique presque unanime dans les formations d'extrême droite à l'échelle mondiale.
Ainsi, comme pour le Dana ou le black-out, aujourd'hui, avec les incendies et les canicules, les canulars et les complots de l'extrême droite sont de retour pour inonder les réseaux sociaux et enivrer le débat public. Ils réaffirment leur négationnisme climatique, répandent leur haine, attaquent le gouvernement et, ce faisant, tentent de sauver de leur responsabilité dans la tragédie tous ces politiciens négationnistes ou retardataires qui investissent plus d'argent dans la promotion de la corrida que dans la prévention des incendies de forêt. N'importe quelle explication, aussi folle qu'elle puisse paraître, tant qu'elle nie la crise climatique. Nous ne pouvons pas oublier que beaucoup de ces distributeurs professionnels de canulars sont dopés jusqu'aux sourcils avec de l'argent public par le biais des institutions contrôlées par le Parti populaire (PP).
Dans le cas de la Dana de Valence, Abascal lui-même (leader de Vox) est allé jusqu'à pointer, sur le réseau social X, la Commission européenne et sa présidente Ursula von der Leyen comme faisant partie des coupables de la tragédie de Valence. Tous, sauf son partenaire Mazón. Ainsi, il accuse Von der Leyen de favoriser la suppression des barrages en raison du « fanatisme climatique » du Green Deal européen : « S'il y a des coupables... vous êtes la première avec votre droit pénal à faire sauter des barrages. Vous êtes une ennemie des Espagnols ». Le canular sur la démolition des barrages franquistes par le gouvernement a eu un tel écho sur les réseaux, atteignant même certaines émissions de télévision, que le ministère de la Transition écologique et du Défi démographique (MITECO) a dû nier qu'un réservoir de Valence ait été détruit. Malgré les dénégations de MITECO, l'extrême droite a fait la sourde oreille et a continué à répandre le même canular, parce que l'examen de la raison n'a aucune valeur pour eux, pour qui ne compte que la capacité à mobiliser de tristes passions.
En ce sens, dans le cadre de la fête de la colombe à Madrid, le vice-président de Vox, Javier Ortega Smith, a assuré à la presse que « le fanatisme climatique ne permet pas de nettoyer les montagnes », attisant le fantôme conspirationniste sur l'Agenda 2030 que l'extrême droite aime tant. Un nouveau canular profitant d'un moment de crise et d'agitation publique pour diffuser son programme négationniste.
Non seulement la législation n'interdit pas le défrichement des forêts, mais dans de nombreuses régions, c'est obligatoire. Par exemple, en Galice, il s'agit d'une obligation de prévention des incendies ; en Castille-et-León, une obligation ; en Catalogne, une obligation ; et dans le Pays valencien, une obligation établie qui, si elle n'est pas respectée, entraîne également une sanction.
Un canular auquel s'est également jointe la présidente de la Communauté de Madrid, Isabel Díaz Ayuso, en pointant du doigt ces « agendas idéologiques » (Agenda 2030) déjà évoqués par Ortega Smith et qui empêcheraient soi-disant de « nettoyer les montagnes » ou les « berges des fleuves ». Bien que Díaz Ayuso puisse sembler être une ultra-exception, il s'agit plutôt d'un exemple de la façon dont la droite conservatrice européenne adhère à l'agenda du déni climatique, y compris les canulars.
Lors de la tragédie de Valence, l'un des canulars les plus fortement répétés de la fachosphère a été l'incroyable théorie de l'attaque météorologique marocaine utilisant une arme expérimentale américaine, le High Frequency Active Auroral Research Program (HAARP). N'importe quelle explication, aussi folle soit-elle, tant qu'elle nie la crise climatique. Ces jours-ci, nous voyons comment un canular qui présente des similitudes avec l'attaque présumée de HAARP à Valence se propage comme de la poudre à canon : un prétendu terrorisme incendiaire provoquerait des incendies de manière coordonnée dans différentes parties du pays. En fait, le président du PP, Alberto Núñez Feijóo, a utilisé le concept de « terrorisme » dans ses déclarations publiques pour faire référence à cette vague d'incendies.
La prétendue mafia terroriste pyromane qui attaque notre pays est un canular qui vise à dédaigner, une fois de plus, l'influence du changement climatique sur les incendies, ou à nier directement son existence. Parce que, quelle que soit l'origine de l'incendie, les scientifiques ont documenté comment le réchauffement climatique et la modification de certaines conditions environnementales non seulement favorisent, mais intensifient également le pouvoir destructeur des incendies. Les vagues de chaleur de plus en plus fréquentes et les sécheresses soudaines (une chaleur sévère et soudaine qui assèche la végétation et le sol à une vitesse inhabituelle) sont des épisodes qui ont une relation directe et causale avec les incendies de cette année.
En ce sens, l'un des canulars les plus courants pour nier l'intensité et la fréquence anormales des vagues de chaleur, un produit du changement climatique, est d'accuser la communauté scientifique et les médias de faux alarmisme pour justifier les politiques d'action climatique. Ainsi, il a été affirmé que les chaînes de télévision peignent des cartes météorologiques avec des couleurs de plus en plus intenses pour effrayer la population. Tout cela au milieu de l'une des pires vagues de chaleur de mémoire d'homme, non seulement à cause des températures élevées, mais aussi à cause de sa prolongation temporaire, un exemple de plus de la façon dont les canulars négationnistes attaquent même le principe empirique le plus élémentaire.
Le « grand black-out » d'avril 2025 a poussé la droite dans sa guerre culturelle particulière en faveur du nucléaire, à charger contre le gouvernement et, bien sûr, à s'attaquer aux énergies renouvelables, dans le but de délégitimer les politiques d'action contre la crise climatique, en amplifiant les discours négationnistes. Dans le cas des incendies de cet été, une fois de plus, les réseaux sociaux ont été inondés de faux messages combinant l'attaque contre le gouvernement avec la criminalisation de l'énergie photovoltaïque et éolienne.
De cette façon, ils ont diffusé un prétendu plan machiavélique du gouvernement lui-même par lequel il aurait provoqué les incendies pour « s'emparer du terrain et construire des moulins et des panneaux solaires ». Des canulars qui se sont répandus comme de l'écume à travers les réseaux de la fachosphère, malgré le fait que la loi forestière interdit l'utilisation d'une terre brûlée pour autre chose que la régénération du couvert végétal.
Il est paradigmatique qu'à mesure que le climat se détériore et que la moitié de l'Espagne brûle, le négationnisme par canular augmente. L'avancée des positions négationnistes d'extrême droite contre toute politique d'atténuation de la crise climatique montre que les preuves scientifiques et empiriques de la crise écologique, en elles-mêmes, sont inutiles. Car, face aux peurs et aux incertitudes générées par la crise écologique – qui, à son tour, est une variante de la crise systémique du capitalisme – les pactes étatiques ou les pactes de greenwashing ne sont pas valables. Avec notre territoire en flammes, il est plus nécessaire que jamais d'élever une alternative écosocialiste qui nous permette d'abriter un principe d'espoir pour l'avenir. En attendant, jusqu'à ce que nous nous attaquions à cette tâche de manière décisive, le déni de l'autoritarisme réactionnaire continuera de croître.
19/08/25
Miguel Urban. Ancien député européen d'Anticapitalistas et membre du Conseil consultatif de Viento Sur
https://www.publico.es/opinion/columnas/fuego-dana-apagon-bulos-negacionismo-climatico.html
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Comment travaillent les enseignant·es ukrainien·nes à 60 kilomètres du front ?
Malgré le danger permanent et le manque d'enseignant·es, les éducateurs et les éducatrices de la ville frontalière de Kryvyi Rih continuent d'instruire les enfants et de veiller à leur avenir. Snizhana Oleksun, enseignante, parle de la vie entre les sirènes, des écoles souterraines.
En Ukraine, le nombre d'enseignant·es diminue : d'ici 2030, il manquera 108 000 enseignant·es, soit un tiers. Les professeur·es de langues étrangères et de sciences naturelles sont les plus recherchés, et la pénurie est particulièrement criante dans les communautés proches du front. Les écoles qui manquent d'enseignant·es affichent, comme on pouvait s'y attendre, un niveau de préparation des élèves moins bon, ce qui s'ajoute au stress causé par la guerre, les difficultés quotidiennes et la formation en ligne prolongée. Dans l'ensemble, l'invasion russe à grande échelle a entraîné des pertes éducatives équivalentes à deux années d'études scolaires.
Olena Tkalich s'est entretenu avec Snizhana Oleksun, professeure d'anglais et de sciences sociales à Kryvyi Rih, la petite ville natale du président Volodymyr Zelensky et grande ville industrielle de la région de Dnipropetrovsk, dont les frontières sont actuellement disputées par les envahisseurs russes. Elle a parlé des écoles souterraines, des perspectives pour les jeunes dans cette ville minière et de la vie des enseignant·es dans un contexte de guerre.
Comme le salaire des enseignant·es est faible, environ 15 000 hryvnias [310 euros] en moyenne, et qu'il y a une pénurie d'enseignant·es, Snizhana travaille à la fois à l'école, au collège et donnant des cours particuliers d'anglais.
« Ma journée de travail commence à 8 heures du matin et se termine généralement à 20 heures, parfois même à 21 heures. Mais j'exagère un peu. Ce ne sont que des cours jusqu'à 20 heures. En plus, quand tu rentres à la maison, tu dois remplir tout un tas de documents. Il y a les méthodes pédagogiques, les dossiers électroniques dans lesquels tu dois impérativement enregistrer des informations, et la vérification des cahiers. La charge de travail est énorme. En plus, les parents t'appellent sans arrêt, tu dois être constamment joignable. En ce moment, il faut savoir tout le temps où en est chaque enfant. Sans compter les nuits blanches avec les sirènes et les bombardements. Et chaque enseignant·e a ses propres problèmes, vous comprenez » explique Snizhana.
Son mari et son fils servent dans l'armée ukrainienne, et parmi ses anciens élèves, il y a des jeunes qui se sont engagés volontairement dans l'armée.
« C'est très difficile pour moi d'en parler, car ce sont mes meilleurs élèves. Ils ont obtenu leur diplôme en 2019. Dania Kozlov était dans une compagnie de reconnaissance et a été tué. Il était la fierté de notre groupe », dit-elle.
Quand on lui demande ce qui la motive à continuer à travailler dans l'éducation, Snizhana répond qu'elle vient d'une famille de profs et qu'elle n'a jamais pensé à faire autre chose.
« Je suis tout simplement passionnée par ce métier. Je l'aime beaucoup et c'est clairement ma vocation, ce que je ressens au plus profond de moi. Vous comprenez, il faut travailler. Et ce sont sans doute les yeux des enfants, qui brillent lorsqu'ils acquièrent de nouvelles connaissances, qui vous motivent » souligne Snizhana.
Comment fonctionne l'éducation « en sous-sol »
D'ici fin 2025, 180 écoles souterraines devraient voir le jour en Ukraine. Trois d'entre elles sont en cours de construction à Kryvyi Rih. Cependant, dans l'école où travaille Snizhana, tout le processus éducatif a déjà été transféré « sous terre ».
« À l'école, nous travaillons tout le temps dans un abri. Mes cours commencent dans l'abri et nous ne nous déplaçons pas (en cas d'alerte aérienne, les enseignant·es sont tenu·es d'emmener les enfants dans l'abri, ndlr). D'un côté, c'est pratique, mais de l'autre, c'est gênant car il n'y a pas de portes entre les classes et on entend constamment les autres enseignant·es et les autres enfants, on est en permanence dans le bruit. Cela déconcentre les enfants, il faut retenir leur attention pendant toute la leçon et imaginer différentes formes et méthodes pour les intéresser et les empêcher de se disperser. On nous a livré de nouveaux meubles cette année, on nous a donné de nouveaux tableaux interactifs. Mais tout cela se trouve sous terre. Les enfants tombent très souvent malades, car ces conditions ne conviennent pas à tout le monde. En réalité, elles ne conviennent à personne. Même avec une super ventilation, quand tu arrives le matin, tu ne peux pas respirer » explique Snizhana.
Au collège, en revanche, les enfants étudient dans leurs classes habituelles et en partie en ligne. De plus, l'établissement scolaire compte de nombreux bâtiments, entre lesquels les élèves doivent constamment se déplacer dans la ville. Il est très difficile de s'assurer que tout le monde se rende à l'abri en cas d'alerte. Pour des raisons de sécurité, mais aussi parce qu'elles et ils ne peuvent pas quitter le pays après 18 ans, de nombreux enfants partent à l'étranger.
« Cette année, après le dernier bombardement du terrain de jeux de Yuvileiny (qui a fait 18 mort·es, dont 9 enfants, ndlr), beaucoup ont quitté l'école. Les parent·es viennent chercher leurs enfants parce qu'elles et ils s'inquiètent. La sécurité passe avant tout, l'éducation est secondaire. Elles et ils partent [à l'étranger] pratiquement tous les jours. Ce sont surtout les enfants qui étudient au collège après leur première année qui partent. Elles et ils sont assez nombreux. Quand elles ou ils atteignent l'âge de 16 ans, elles ou ils partent même seuls. Et elles et ils commencent à s'adapter à la vie, à travailler. Souvent, elles ou ils poursuivent leurs études au collège en ligne. Tant que c'est possible, mais on ne sait pas ce qu'il en sera avec les nouvelles lois » raconte Snizhana.
Cet été, un débat a eu lieu sur la réduction de l'enseignement en ligne, car il aurait un impact négatif sur la qualité. Cependant, le ministère de l'Éducation et de la Recherche a finalement accepté que chaque établissement scolaire décide lui-même de la forme d'enseignement à dispenser.
« Pour passer complètement à l'enseignement hors ligne, il faudrait une sécurité totale. Or, celle-ci n'existe pas. Et les bombardements sont constants. La nuit dernière, une école de sport pour enfants a été touchée, elle est complètement détruite » déplore Snizhana.
Selon elle, de nombreux enseignant·es quittent également le pays en raison de la combinaison des risques et des bas salaires.
« En particulier celles et ceux qui enseignent l'anglais. Même si elles et ils terminent leurs études universitaires, elles et ils ne veulent pas aller travailler dans une école pour un salaire dérisoire. Elles ou ils ouvrent donc leurs propres établissements privés » note-t-elle.
En même temps, il y a beaucoup de personnes déplacées à l'intérieur du pays. La proximité de l'est et le mode de vie similaire à celui d'une grande ville industrielle ont fait de Kryvyi Rih un centre d'accueil important pour les personnes déplacées. « Au collège, j'ai des garçons qui ont même quitté la région lorsque la guerre a éclaté dans le Donbass en 2014. Ils vivent dans une ville située presque à l'extérieur de la ville. Les transports y sont très mauvais. Mais cela ne les empêche pas de bien étudier » explique l'enseignante.
De plus, dans le contexte de la guerre, des cours spéciaux sur la sécurité ont été mis en place dans les écoles et les collèges. « Il y a des moments consacrés à la sécurité au travail, où nous parlons constamment aux enfants des dangers des mines. Nous avons tous et toutes suivi des formations appropriées lorsque la guerre a éclaté et avons obtenu des certificats. De plus, nous organisons obligatoirement des cours sur la sécurité de l'information sur Internet, afin d'apprendre aux élèves à prendre toutes les informations avec un esprit critique et à ne pas se laisser provoquer » ajoute Snizhana.
L'Ukraine reste l'un des pays les plus minés au monde. En trois ans d'invasion russe, 336 personnes ont été tuées par des engins explosifs en Ukraine, dont 18 enfants, et 825 personnes ont été blessées. Au cours de l'année dernière, les cas où les services spéciaux russes ont recruté des adolescents et les ont forcés à incendier des voitures militaires ou à apporter des explosifs dans des installations militaires se sont multipliés. Plusieurs mineurs ont été tués ou gravement blessés. Parallèlement, il y a quelques mois, le SBU a annoncé que deux garçons de 14 et 17 ans originaires de Kryvyi Rih avaient refusé de travailler pour le FSB [service de renseignement russe] et avaient informé les forces de l'ordre de tentatives de recrutement. Ils ont été récompensés pour leur geste.
Pourquoi la pénurie de main-d'œuvre ne favorise pas l'augmentation des salaires
Au cours des dernières années, en particulier dans le contexte de la guerre, des discussions se poursuivent sur le manque criant de main-d'œuvre qualifiée dans le pays. Il s'agit notamment de personnes capables de travailler dans des industries complexes, y compris dans le domaine militaire. Après la désindustrialisation rapide des années 1990, l'économie du pays s'est réorientée vers le secteur des services, et le prestige des professions ouvrières et, par conséquent, de l'enseignement professionnel a considérablement diminué. Cependant, Kryvyi Rih reste une ville de métallurgistes dotée d'une infrastructure éducative appropriée.
« Nous sommes une ville industrielle, avec des mines, des carrières, des usines. C'est pourquoi le collège se concentre sur les professions qui seront demandées dans notre ville. Soudeurs, électricien·nes, informaticiens·ne, spécialistes en informatique et en logiciels » explique Snizhana. Selon elle, ici, les étudiant·es des collèges ne sont pas considéré·es comme des outsiders et, pour la plupart, elles et ils poursuivent ensuite des études supérieures, en se concentrant déjà clairement sur une spécialité et une expérience spécifiques. Aujourd'hui, ellks et ils acquièrent cette expérience plus tôt que d'habitude, car les géants métallurgiques de Kryvyi Rih manquent de main-d'œuvre. Au début de l'invasion, lorsque les occupants ont coupé les voies logistiques vers la mer d'Azov, de nombreuses entreprises ont cessé leur activité et mis leurs employé·es au chômage technique. La plupart d'entre eux ont fini par s'engager dans l'armée. Mais aujourd'hui, de nouvelles voies ont été trouvées pour le transport du minerai de fer et d'autres produits. Les étudiant·es des collèges sont donc activement impliqués dans ce processus.
« À l'usine ArcelorMittal (anciennement Kryvorizhstal, qui fait désormais partie de la plus grande entreprise métallurgique au monde – ndlr), les enfants sont passés à un enseignement individuel et ont commencé à travailler dès leur deuxième année. Vous comprenez donc à quel point la main-d'œuvre manque » souligne Snizhana.
Et pourtant, selon elle, il existe un paradoxe : les jeunes spécialistes se voient proposer un salaire minimum qu'elles et ils refusent. Ainsi, une partie des diplômé·es qui pourraient acquérir de l'expérience, une qualification supérieure et, à terme, un meilleur salaire, sont perdu·es.
« Parmi les diplômés de l'année dernière, il y avait une jeune fille dont toute la famille sont des électriciens. Elle est allée travailler à l'usine, mais le salaire y est de 7 000 hryvnias [144 euros]. Pour des jeunes qui veulent vivre indépendamment de leurs parents et louer un logement, c'est trop peu. C'est pourquoi, bien sûr, elles ou ils vont travailler comme baristas ou dans des magasins d'alimentation, où les salaires sont deux fois plus élevés. Beaucoup partent également à Kyiv pour gagner leur vie où elles et ils ne sont pas déclarés officiellement, mais travaillent au noir dans le bâtiment » note l'enseignante.
À la question de savoir quel sera le rôle des diplômé·es des collèges dans la reconstruction du pays, Snizhana répond qu'il est trop tôt pour en parler.
« Pour l'instant, tout le monde pense avant tout à sa sécurité. Les enfants sont évacués en masse. Et celles et ceux qui restent, seront-ils capables de s'en sortir émotionnellement, physiquement et psychologiquement La reconstruction est une question secondaire pour l'instant, à mon avis » dit-elle.
Presque tous les élèves et enseignant·es de son collège et de son école ont des proches dans l'armée. Mais l'année dernière, certains avaient choisi d'étudier au collège pour échapper à la conscription.
« Comment puis-je réagir à cela ? C'est une question provocante. J'ai deux fils qui font la guerre… » soupire Snizhana.
Fin juillet, lors des manifestations contre la corruption, elle a rejoint le mouvement à Kryvyi Rih, brandissant une pancarte sur laquelle on pouvait lire : « Pour des conditions de vie dignes ».
Actuellement, les autorités reconnaissent le problème de la pénurie d'enseignant·es, principalement en raison des bas salaires. Selon les lois « Sur l'éducation » et « Sur l'enseignement secondaire général complet », le salaire minimum d'un·e enseignant·e en Ukraine doit être au moins égal à trois salaires minimums. En 2025, cela représentera 24 000 hryvnias [496 euros] par mois. Cependant, dans la pratique, cette norme est reportée chaque année lors de l'adoption du budget de l'État. Le ministre de l'Éducation, Oksen Lisovyi, a déclaré qu'en 2026, la « prime aux enseignant·es » devrait être augmentée de 1 000 hryvnias [22 euros] à partir de janvier, puis de 2 000 hryvnias supplémentaires à partir de septembre. Toutefois, cela nécessite un financement de 40 milliards hryvnias, ce qui, dans un contexte budgétaire restreint, reste incertain.
7 aout 2025
Traduction par Patrick Le Tréhondat}

Venez me parler
Katya Gritseva, co-fondatrice et militante du syndicat étudiant ukrainien Priama Diia était à l'Université d'Eté des Mouvements Sociaux et des Solidarités de Bordeaux, en août 2025. Nous publions ici son intervention.
Comment aborder des sujets difficiles. Comment parler de choses graves. Chaque jour, quelqu'un meurt. Des roquettes volent, nous sommes privés de sommeil.
Nous sommes des militants. Nous nous jetons dans la lutte sociale parce que nous pensons que c'est important. Mais aussi parce que nous ne voulons pas penser uniquement à la guerre. Pourtant, il est impossible de ne pas y penser. Parce que chaque jour, quelqu'un meurt : des amis, d'anciens camarades de classe, des proches. Chaque jour, quelqu'un part à la guerre, quelqu'un perd sa maison, sa ville, sa région. La mer, les champs, la forêt. Qui sera le prochain et que va-t-il se passer ensuite ? Des camarades partent à la guerre, ils changent, on a du mal à les reconnaître. Quelqu'un passe à côté de vous et le bruit de ses pas vous irrite. Le moindre bruit retentissant vous oblige à vous cacher.
Chaque jour, tout change : combien de temps pouvons-nous encore tenir ? Certains sont déjà brisés, d'autres le seront demain. Quand atteindrez-vous votre limite personnelle ? J'ai besoin et envie de parler de la lutte sociale des mouvements progressistes en Ukraine. Mais le fait est que je ne peux pas en parler sans évoquer la guerre, et j'aimerais un jour pouvoir avoir cette perspective, mais tant que l'impérialisme russe existera, le traumatisme ne pourra pas disparaître. Je ne serais pas libre de m'exprimer complètement.
Trois ans de guerre. Et chacun a accumulé de nombreuses histoires. Lorsque je raconte la mienne, les gens ont tendance à me plaindre et à me dire que je suis forte. Lorsque j'écoute les histoires des autres, j'ai envie de les plaindre et de leur dire qu'ils sont forts. Il y a toujours quelqu'un dont l'histoire est plus effrayante et plus terrible. En écoutant mes camarades palestiniens, j'ai été choquée d'apprendre que ce qui n'a duré que quelques mois à Marioupol – le blocus, la faim, les bombardements constants – dure déjà depuis un an en Cisjordanie. Ma ville, Marioupol, est actuellement occupée, soumise à une propagande russe constante et à l'exploitation. La ville a été détruite, mais au moins, elle n'est plus bombardée. Les soldats russes violent les femmes qui y résident, les hommes d'affaires russes bafouent les droits des travailleurs, parler sa propre langue est un crime. Mais au moins, ma mère a de l'électricité et de l'eau. Quel sens a la pitié et qu'est-ce qu'un véritable soutien ? Comment mettre fin à toutes les guerres ? Ce sont des questions trop complexes qui, en tant que militant social en Ukraine, ne m'aident pas vraiment à agir. Il y a une frustration totale et l'impossibilité de se souvenir de ce que signifie la stabilité. Mais il est nécessaire de continuer à avancer et d'apporter notre petite contribution à la cause commune.
Nous devons rester humanistes, mais pour cela, nous devons toujours rester curieux et garder foi en l'être humain. Être progressiste, c'est cultiver la compréhension des autres ou prouver que nous sommes meilleurs qu'eux, que nous savons mieux qu'eux ? Je suis souvent déçue par les gens de mon pays, mais je veux les comprendre, je veux les soutenir lorsqu'ils font des pas vers la démocratie et la justice sociale.
En juillet dernier, nous avons été témoins de manifestations spontanées massives contre une loi interdisant les institutions anticorruption. Nous avons eu le sentiment qu'un événement important, inattendu et passionnant était en train de se produire. En France, nous sommes habitués à de tels bouleversements, mais en Ukraine, même avant que la population et les rues ne soient épuisées par la guerre, les manifestations de masse étaient rares. Et pourtant, dans plusieurs grandes villes, les citoyens sont descendus dans la rue, unis contre cette loi controversée.
Nous n'avions aucune illusion sur cette manifestation, qui était en fait assez libérale, mais pour mes camarades, il était essentiel de s'y joindre et d'y injecter un programme social. Nous avons été agréablement surpris de voir que les gens étaient capables de se mobiliser même en temps de guerre. Nous apprenons seulement à redonner le contrôle des processus qui se déroulent dans le pays au peuple, aux exploités et aux opprimés. La guerre a créé la nécessité d'agir différemment, d'être inventifs et attentifs. Nous ne cherchons pas à attirer toute l'attention sur nous, mais nous sommes devenus plus attentifs à nos sœurs dans le malheur, aux pays qui souffrent également des ambitions impérialistes.
Dans différentes régions du monde, des personnes continuent de s'entre-tuer pour des ressources. Nous n'avons pas beaucoup évolué depuis le Moyen Âge, si ce n'est que les armes sont désormais plus terrifiantes et invisibles. Le concept de décolonialisme est devenu naturel pour beaucoup, même s'ils ne connaissent pas encore ce mot ou n'ont pas lu Fanon. Cependant, comment élargir et approfondir les revendications sociales ? La grande majorité des citoyens ukrainiens ont un besoin urgent de soutien social. Beaucoup ont appris à se soutenir mutuellement, à partager leurs ressources, à organiser des activités publiques. En 2024, le premier syndicat de locataires a été fondé ; en 2023, nous avons relancé le syndicat étudiant Priama Diia, ce qui a en fait signifié la création d'un mouvement étudiant de gauche à partir de zéro ; en 2022, des « collectifs de solidarité » ont commencé à se former, un réseau de soutien aux soldats anti-autoritaires.
La médecine, l'éducation, les transports publics et d'autres infrastructures sont constamment soumis à la double frappe des missiles russes et des réformes néolibérales. Un recteur d'université, un propriétaire d'usine, un ministre, un directeur : tous justifient leurs actions antisociales par la guerre. « Nous n'avons pas d'argent, nous sommes en guerre, taisez-vous, nous sommes en guerre. » Les conflits de classe s'intensifient, et la chose la plus stupide dans notre situation serait de rester les bras croisés à attendre une révolution, de donner des leçons de morale. Notre avenir et notre capacité à survivre dépendent directement de notre capacité à unir les gens malgré leur atomisation pathologique, de notre capacité à développer des initiatives citoyennes.
Nous n'avons pas besoin de pitié, mais de compréhension et de respect. Nous avons besoin d'un dialogue direct. Nous avons besoin d'être entendus. Cependant, nous avons également beaucoup à apprendre : mieux écouter les autres peuples opprimés, cultiver notre curiosité. La catastrophe provoquée par la Russie est horrible et doit être stoppée, mais en même temps, quelque chose de véritablement nouveau est en train de naître et de se développer dans les vides qu'elle a créés, dans les blessures qu'elle a exacerbées.
En tant que mouvement de jeunesse, nous recherchons de nouvelles formes d'organisation des masses. Nous devons comprendre comment développer un mouvement libre de toute tendance capitaliste, patriarcale, autoritaire et exploiteuse, et l'utiliser pour avancer vers une société libre et égalitaire.
L'activisme étudiant n'est que l'une des premières étapes vers la création d'une culture de l'engagement. En deux ans et demi d'existence, nous avons uni et rallié de nombreux jeunes à des idées progressistes ; nous sommes devenus l'un des mouvements les plus visibles et les plus importants d'Ukraine. Nous acquérons de plus en plus d'expérience, nous apprenons de nos erreurs et de nos victoires, mais ce qui est également important, c'est que nous essayons d'établir des liens solides avec des mouvements similaires en Pologne, en Géorgie, en Serbie, en France et dans d'autres pays, car nous savons que notre lutte est mondiale.
Je suis heureuse d'avoir été invitée dans cette université. Chacun d'entre vous peut discuter avec moi, débattre, argumenter. Vous pouvez être en désaccord et garder votre propre opinion, vous n'êtes pas obligé d'adopter ma position. Mais je vous invite à trouver en vous l'intérêt et la curiosité sincère pour ce qui se passe dans mon pays. Venez me parler.
Bordeaux, 23 août 2025.
Katya Gritseva
co-fondatrice et militante du syndicat étudiant ukrainien Priama Diia
Source : Patrick Le Trehondat, RESU-France.
Titre choisi par Camille Popinot

Une rentrée sociale hautement frondeuse en France
Outragée ! « Rançonnée » dans les urnes, la Gauche, menée par son chef charismatique Jean-Luc Mélenchon (LFI-NFP), a promis de revenir à la charge dès la rentrée sociale, en septembre 2025. Pour empêcher le plan Bayrou, elle s'offre l'alliance du nouveau mouvement « Bloquons tout le 10 septembre ! ».
Voilà une résolution cogitée sous un parasol, que le Premier ministre peut s'enorgueillir de dérouler aux Français (es) en quête d'un pouvoir d'achat : « Suppression de 2 jours fériés. Comme disait ma mère : « La ration est moindre et les mouches à foison ! ».
François Bayrou, le Sisyphe de la Macronie que la combinarde Marine le Pen (RN) et le déserteur renégat, Olivier Faure (PS), pouponnent obséquieusement à des fins politiciennes, s'échine à redorer son blason et redresser sa cote de popularité en chute libre (18 % indice de confiance) par des mesures hautement préjudiciables au citoyen (e).
Sa formule visant à combler le déficit budgétaire à hauteur de 4,5 milliards d'euros, a suscité un tollé au sein de la Gauche. Une opportunité pour Jean-Luc Mélenchon (LFI-NFP) de réinvestir l'arène de la contestation, et, soit dit en passant, se faire justice. En effet, ce lundi, le chef des Insoumis a fait part « d'une prochaine mobilisation sur le terrain comme à l'Assemblée nationale, et une session extraordinaire dans la perspective de faire tomber le gouvernement, conformément aux vœux des Français ».
L'ancien Député européen semble engagé dans une dynamique de reconquête et de lutte digne de la pugnacité de Gisèle Halimi, ralliant le nouveau mouvement « Bloquons tout » le 10 septembre (très actif sur les réseaux sociaux).
Un collectif rassemblant des adhérents (es) de divers horizons qui a déjà esquissé ses premières actions. A savoir la chute du gouvernement actuel, le pouvoir d'achat et les retraites.
Emboitant le pas à Jean-Luc Mélenchon, le porte-parole de La France Insoumise, Manuel Bompart, ne mâchait pas ses mots quant à l'initiative de faire tomber le locataire de Matignon, exhortant de vive voix, ce lundi 18 août, tout le monde à prendre le même engagement : « Je demande aux militants de LFI et de tous ceux qui partagent nos idées de se mettre au service de ce mouvement », s'étrangle le député.
L'heure est à la concertation entre syndicats pour décider d'une riposte unitaire, au plus tôt ! Aussi, les formations poids lourds, telles la CFDT, CGT, FO, CFTC, CFE-CGC, s'attèlent-elles à apporter les dernières mises au point avant le passage à l'offensive sur le bitume. Et le roussi émane déjà de quelques déclarations virulentes à l'instar de celle débitée par le Président de CFE-CGC, François Hommeril : « Un premier ministre qui ne connait rien au travail et à la productivité ! ».
Plus acerbe, l'ancien Secrétaire général de Force ouvrière (FO), Jean-Claude Mailly, martèle : « Politiquement, Bayrou va droit au mur volontairement. Il veut s'arrêter ! ». Si certains syndicats sont déjà montés au créneau contre le chef du gouvernement et l'exécutif, la circonspection et l'attentisme restent de mise pour nombre de formations. Les Écologistes, porteurs du slogan « À la rigueur budgétaire, mobilisation unitaire » le scénario catastrophe n'est pas à exclure, à la rentrée sociale. Ils dénoncent une politique d'austérité délétère : « l'État prépare 43,8 milliards d'économie en cinq ans », pointent-ils. Le passage au laminoir des acquis sociaux sous un gouvernement de Droite implacable, fait craindre une implosion sociale dure à contenir.
La Gauche, pourrait, dans les prochaines échéances, voir les usurpateurs de sa légitimé électorale, aller droit dans le mur !
O.H
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Le Parti travailliste est mort" : Zarah Sultana trace la voie d’une alternative socialiste en Grande-Bretagne
À 31 ans, Zarah Sultana incarne une nouvelle génération de dirigeantes socialistes britanniques qui refuse les compromissions. Son opposition intransigeante au soutien du gouvernement Starmer au génocide de Gaza lui a valu d'être exclue du groupe parlementaire travailliste en 2024.
17 août 2025 | tiré d'Europe solidaire sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article75931
Loin de s'en lamenter, Sultana a choisi de quitter définitivement un parti qu'elle juge « mort » pour co-fonder avec Jeremy Corbyn une nouvelle formation de gauche. Dans cet entretien, elle détaille sa vision d'un parti démocratique et de masse, ancré dans les mouvements sociaux, capable de défier à la fois l'establishment travailliste et la montée de l'extrême droite. Un projet qui pourrait redéfinir le paysage politique britannique.
Zarah Sultana fait partie des dirigeantes socialistes les plus en vue de Grande-Bretagne. Née à Birmingham en 1993, elle s'est politisée dans le mouvement étudiant puis lors de la montée du corbynisme : siégeant au bureau national des Young Labour [1], travaillant comme organisatrice communautaire pour le parti et finalement se présentant au parlement, où elle représente maintenant Coventry South [2]. Son élection a coïncidé avec le début de la direction travailliste de Keir Starmer, qu'elle a longtemps fustigée pour ses perspectives réactionnaires et son autoritarisme mesquin. Au cours de l'année écoulée, son profil s'est considérablement accru grâce à son opposition tranchante à la complicité du gouvernement Starmer dans le génocide de Gaza. Sa dissidence a conduit à sa suspension du groupe parlementaire, et depuis lors elle est devenue l'étendard de l'alternative de gauche naissante : l'une des figures les plus jeunes et les plus populaires impliquées dans sa formation. Sultana a proposé de co-diriger le nouveau parti aux côtés de Corbyn, et fait partie d'un groupe travaillant sur la conférence de fondation cet automne.
Pour le troisième volet de cette série Sidecar, Oliver Eagleton s'est entretenu avec Sultana sur le nouveau parti de gauche : pourquoi il est nécessaire, quel type de structures démocratiques il devrait avoir, ses objectifs parlementaires et extra-parlementaires, sa réponse à l'extrême droite, l'argument en faveur de la co-direction, et comment la conférence devrait être organisée.
Oliver Eagleton : Commençons par votre trajectoire politique et votre relation avec le Parti travailliste. Comment a-t-elle évolué dans le temps ? Qu'est-ce qui vous a amenée à la décision de partir plus tôt cette année ? Pensez-vous que d'autres de la soi-disant « gauche travailliste » vous suivront ?
Zarah Sultana : J'ai été formée politiquement par la Guerre contre le terrorisme et les conséquences de la crise financière. La première fois que je me suis engagée dans la politique parlementaire, c'était quand le gouvernement de coalition [3] a lancé une attaque directe contre ma génération en triplant les frais de scolarité ; j'ai fait partie de la première cohorte qui a dû payer 9 000 livres par an [environ 10 500 euros] pour l'enseignement supérieur. J'ai décidé d'adhérer au Parti travailliste à l'âge de dix-sept ans, parce qu'à cette époque il semblait qu'il n'y avait pas d'autre parti qui pouvait servir de véhicule pour le changement. Je n'ai jamais pensé qu'il était parfait. Ma section locale dans les West Midlands [4] était contrôlée par des hommes âgés qui ne voulaient pas que les jeunes – surtout pas les jeunes femmes de gauche – soient impliqués. Quand je suis allée étudier à Birmingham en 2012, les clubs et sociétés travaillistes ne faisaient rien d'autre qu'organiser des conférences de députés de droite, alors j'ai dû trouver d'autres débouchés politiques.
Dans ma première semaine d'université, mon père et moi avons rejoint une délégation de conseillers et militants travaillistes qui sont partis en voyage en Cisjordanie occupée, et cela a changé ma façon de me voir. Je n'avais jamais pensé auparavant que j'étais privilégiée, mais j'ai réalisé qu'à cause du pur hasard de l'endroit où j'étais née et du passeport que je détenais, j'étais traitée différemment par les autorités israéliennes. J'ai vu comment elles harcelaient et maltraitaient les Palestiniens puis se comportaient avec moi comme avec un être humain normal. Je suis allée à Hébron [5] et j'ai vu les routes réservées aux Juifs, les communautés qui subissaient des attaques quotidiennes de la part des colons et des soldats. Tout cela était difficile à comprendre. Mais c'était encore plus déconcertant que nous – notre pays, notre société – permettions que cela arrive. Alors cela a allumé un internationalisme en moi : une opposition profonde au pouvoir impérial, à l'apartheid, au colonialisme de peuplement et à l'occupation militaire.
Puis quand je me suis impliquée dans le National Union of Students [6], j'ai réalisé que je n'étais pas la seule à ressentir cela. C'est un moment vraiment magique, quand vous découvrez que vous n'êtes pas seule dans votre politique. J'ai commencé à faire campagne sur des questions comme l'éducation gratuite, les bourses d'entretien, l'antiracisme, le logement, Boycott, Désinvestissement et Sanctions [7]. Ce n'est qu'après avoir obtenu mon diplôme, cependant, que j'ai appris à quel point notre contrat social était brisé. J'ai vraiment eu du mal à trouver du travail. J'allais au Jobcentre [8], regardais mon CV et me demandais pourquoi, malgré mon diplôme et mon expérience, je n'avais pas de place dans cette économie. Et bien sûr j'étais aussi accablée par 50 000 livres [environ 58 000 euros] de dettes.
Quand Jeremy a remporté l'élection à la direction travailliste en 2015, ma pensée immédiate a été : « Oh mon dieu, voici une opération politique nationale qui ne déteste pas les jeunes ! » Alors j'ai mis toute mon énergie dans l'aile jeunesse du parti. J'avais déjà vu Jeremy s'exprimer sur les questions qui étaient les plus importantes pour moi – lors de manifestations, d'événements, de piquets de grève – ce qui rendait naturellement le Parti travailliste comme un endroit où j'appartenais. Il a mis en place une Unité d'Organisation Communautaire, dans le but de développer un type différent de politique enracinée dans les préoccupations matérielles des gens, et je suis allée y travailler, ce qui m'a permis d'organiser dans ma région d'origine : des zones comme Halesowen, Wolverhampton et Stourbridge [9], qui avaient toutes voté pour le Brexit. Nous avons fait campagne sur des questions locales, organisé des formations, identifié des dirigeants et construit le pouvoir communautaire. De là, j'ai eu l'opportunité de me présenter aux élections européennes puis aux élections générales de 2019, c'est ainsi que je suis devenue députée.
Mais aujourd'hui nous avons un type très différent de Parti travailliste : un qui poursuit l'austérité, dilue les projets de loi sur les droits des travailleurs, et soutient activement le génocide. J'ai passé des mois à pousser le gouvernement Starmer à considérer des politiques populaires comme les taxes sur les super-riches, la nationalisation des services publics et les repas scolaires gratuits universels. J'ai aussi lutté contre certains de ses pires excès, comme le maintien du plafond des allocations pour deux enfants [10], la suppression des paiements de combustible d'hiver et des allocations d'invalidité, et la vente d'armes à la machine de guerre israélienne. En conséquence, j'étais parmi le groupe de députés qui ont eu le whip retiré [11] l'année dernière. Quand j'ai parlé pour la dernière fois au Chief Whip du parti [12], il a insinué que je n'allais jamais être réadmise parce que j'avais critiqué leur complicité dans les crimes de guerre d'Israël. Mais, contrairement à certains faux rapports, ils n'allaient jamais m'expulser du groupe parlementaire ; ils prévoyaient de me maintenir dans un limbe permanent. J'ai tenu bon. J'ai dit au Chief Whip que le génocide en Palestine était un test décisif – non seulement pour moi, mais pour des millions de personnes à travers le pays – et que c'était bien plus important pour moi que ma carrière politique.
Alors quitter le parti a longtemps été une question de quand, pas de si. Mais il était important pour moi de partir selon mes propres termes, sinon vous donnez à la direction la capacité de contrôler le narratif. J'ai choisi de le faire lors d'une semaine saillante, quand le gouvernement a décidé de cibler les allocations d'invalidité et de proscrire Palestine Action [13]. Il ne pouvait y avoir de reflet plus clair de là où le Parti travailliste a fini. Voici un parti qui veut imposer des coupes à certaines des personnes les plus marginalisées de notre société pour plaire aux investisseurs. Voici un parti qui, pour la première fois dans l'histoire britannique, criminalise un groupe d'activistes non-violents, utilisant les parties les plus répressives de l'État pour protéger les marges bénéficiaires des fabricants d'armes. Si ce ne sont pas des lignes rouges pour vous, alors franchement vous n'en avez aucune.
Le Parti travailliste est mort. Il a détruit ses principes et sa popularité. Certains députés travaillistes qui se considèrent de gauche s'accrochent encore à son cadavre. Ils disent qu'en restant ils pourront conserver leur influence politique. Ma réponse est simple : vous n'avez pas pu arrêter les coupes d'invalidité, vous n'avez pas pu arrêter le flux d'armes vers un État d'apartheid génocidaire, alors où est cette influence dont vous parlez ? Il n'y a aucun intérêt à rester à attendre un changement de direction pendant que les gens meurent – pas seulement à Gaza, mais aussi de la pauvreté dans ce pays. Il est temps de sortir, de construire quelque chose de nouveau, et d'inviter tout le monde à nous rejoindre.
OE : Pour beaucoup de gens de notre génération, le corbynisme a établi un paradigme pour la politique radicale. Considérant le gouffre historique entre 2015 et 2025, cependant, comment devrions-nous l'adapter au présent ?
ZS : Je pense que nous sommes dans un moment politique très différent. Nous devons nous appuyer sur les forces du corbynisme – son énergie, son attrait de masse et sa plateforme politique audacieuse – et nous devons aussi reconnaître ses limites. Il a capitulé devant la définition IHRA de l'antisémitisme [14], qui l'assimile notoirement à l'antisionisme, et que même son auteur principal Kenneth Stern a maintenant publiquement critiquée. Il a trianguló sur le Brexit [15], ce qui a aliéné un énorme nombre d'électeurs. Il a abandonné la resélection obligatoire des députés pour le compromis du scrutin de déclenchement [16], gardant en place beaucoup des structures antidémocratiques du parti. Il n'a pas fait d'effort réel pour canaliser ses adhérents de masse vers le mouvement ouvrier ou les syndicats de locataires, ce qui aurait enrichi la base sociale du parti. Quand il a été attaqué par l'État et les médias, il aurait dû riposter, reconnaissant que ce sont nos ennemis de classe. Mais au lieu de cela il était effrayé et beaucoup trop conciliant. C'était une erreur grave. Si nous contestons le pouvoir d'État, nous allons faire face à une réaction majeure, et nous devons avoir la résilience institutionnelle pour y résister. Vous ne pouvez pas donner un pouce à ces gens.
Entre 2015 et 2019 j'avais des amis et collègues qui travaillaient au sommet du Parti travailliste, et ils peuvent vous dire qu'en partie c'était un environnement de travail hautement dysfonctionnel avec de la toxicité et du harcèlement – pas de Jeremy, mais de certaines personnes autour de lui. Le pouvoir était trop centralisé. Ce n'est pas ce dont nous avons besoin pour ce projet émergent. Nous avons maintenant une génération plus jeune qui est hautement politisée à cause des politiques désastreuses de l'establishment sur le logement, l'éducation, l'emploi et la guerre. Ils vont exiger une place à la table et la capacité d'exercer un pouvoir réel, et à juste titre. Ma vision pour le nouveau parti concerne ce type de participation active, parce que c'est ainsi que je suis entrée en politique moi-même : pas par la voie traditionnelle de me présenter comme conseillère, mais à travers les mouvements sociaux. Tout le monde doit sentir qu'il est impliqué et l'organisation doit être représentative de la société au sens large. Cela signifie aussi que nous ne pouvons pas minimiser notre antiracisme. Certaines personnes veulent que nous nous concentrions uniquement sur les « questions économiques ». Mais si la politique de classe est détachée de la politique de race alors elle est vouée à l'échec – parce que quand nos voisins sont simultanément ciblés pour l'expulsion et la déportation, cette lutte est une seule et même chose.
OE : Vous avez raison qu'un projet de gauche qui trace une ligne de division illusoire entre race et classe finira par diviser sa base, tout en dégénérant politiquement. Mais je veux aussi demander comment le parti devrait se positionner vis-à-vis de Reform [17]. Une partie de ses messages jusqu'à présent a mis l'accent sur l'arrêt de l'extrême droite et la défaite de Farage. Je pense que nous pouvons tous être d'accord sur la nécessité de cela. Mais y a-t-il un danger qu'en se présentant principalement comme un parti antifasciste, cela puisse détourner l'attention du gouvernement comme notre adversaire principal, ou même légitimer le Parti travailliste comme partie d'une sorte de front populaire ?
ZS : Je ne pense pas que vous devez choisir si vous concentrer sur Reform ou le Parti travailliste. Vous pouvez vous opposer à Farage et expliquer ce qu'il ferait au pays, et vous pouvez aussi attaquer le gouvernement pour agir comme Reform-lite. Rappelez-vous cette citation de Sivanandan [18], « Ce qu'Enoch Powell dit aujourd'hui, le Parti conservateur dit demain, et le Parti travailliste légifère le jour d'après. » [19] À moins que nous défions cette politique powelliste partout où elle lève la tête, nous rendons un mauvais service aux gens que nous voulons représenter. Il est vrai que nous ne pouvons pas traiter la montée du nationalisme raciste comme simplement une question morale ; nous devons aborder ses causes structurelles : la façon dont il se nourrit de la colère et du désespoir dans des zones qui ont été dévastées par le consensus de Westminster [20]. Mais la droite n'a pas le monopole de cette colère. Je suis en colère aussi. Nous devrions tous être en colère quand nous pensons à ce qui est arrivé à ces communautés de la classe ouvrière, et nous devrions canaliser ces sentiments pour faire un argument très clair – que le problème n'est pas le travail migrant mais les propriétaires exploiteurs, les compagnies d'énergie cupides, les services privatisés. Nous n'avons pas à traiter les gens avec condescendance et leur dire que leurs frustrations sont fausses, nous n'avons pas non plus à céder à aucune sorte de nativisme. Nous pouvons être confiants dans notre politique et la communiquer à travers des campagnes locales et des conversations persuasives.
C'est un long processus ; cela prend des mois et même des années, surtout dans des endroits où ces arguments ne sont pas familiers à la plupart des gens. Mais il y a des façons de les faire passer. L'une est de parler du type de société que nous voulons réellement, et de la décrire en détail plutôt que de simplement faire des slogans. Quels sont nos objectifs à long terme ? Plus de temps avec nos proches, plus d'espaces verts, garde d'enfants universelle, transport public gratuit, ne pas s'inquiéter des factures. Ce sont des choses dont Farage et Starmer ne parlent pas, alors cela nous permet de contraster notre vision positive avec leur vision entièrement négative. Et puis il y a toujours la question : comment allons-nous payer pour cela ? Eh bien, nous pouvons mettre fin aux dépenses militaires massives ; nous pouvons taxer les compagnies de pétrole et de gaz ; nous pouvons inverser la redistribution de richesse du public vers le privé qui s'est accélérée depuis le Covid. Nous devrions nous engager à financer le transport public gratuit au lieu de financer des guerres éternelles. Ce sont des politiques qui ont du sens pour les gens. Nous devons argumenter pour elles aussi agressivement que la droite argumente pour les siennes.
OE : C'est une bonne description de l'horizon à long terme. Quels sont les objectifs à plus court terme du projet ?
ZS : Nous en sommes encore à un stade embryonnaire, mais d'un autre côté nous avons déjà plus de 700 000 personnes qui ont montré de l'intérêt, alors notre travail en ce moment devrait être de nous concentrer sur l'activation de notre base et d'articuler qui nous sommes – ce qui, incidemment, est pourquoi je crois que nous devrions nous appeler « La Gauche », parce que c'est une expression sans excuses de ce que nous défendons. En même temps nous devons recruter à travers le pays, dans des zones qui n'ont pas les mêmes niveaux d'activité politique que Londres. Nous avons vu un énorme intérêt dans le Nord-Ouest et le Nord-Est [21], ce qui est très excitant, et bien sûr j'aimerais voir plus de gens impliqués dans les West Midlands. Mon point de vue est qu'il devrait aussi y avoir un haut degré d'autonomie pour l'Écosse et le Pays de Galles. Beaucoup de groupes locaux officieux ont aussi surgi depuis que nous avons annoncé le parti, mais nous formaliserons nos structures lors de la conférence à venir. La structure globale du parti doit être unitaire, sinon ce ne sera pas un projet cohésif qui unit le spectre existant de mouvements et de luttes. Une fédération ne sera pas aussi capable de galvaniser les gens ou de passer à l'offensive ; elle pourrait finir par être peu plus qu'une collection lâche de différents groupes plutôt qu'un bloc puissant et uni.
Pour établir tout cela nous devons avoir une conférence pleinement démocratique. Cela repose sur quelques choses différentes. D'abord, elle ne peut pas être dirigée juste par des députés. En ce moment il y a six d'entre nous députés dans l'Alliance Indépendante [22], cinq desquels sont des hommes. Ce ne devrait pas être à quoi notre parti ressemble en avançant, alors le comité qui organise la conférence devrait être équilibré en genre ainsi que racialement et régionalement diversifié, tous avec un enjeu égal et des droits de vote. Tout ce qui est moindre serait un club de garçons. Deuxièmement, ceux qui participent à notre conférence inaugurale doivent participer de manière significative, et cela ne peut signifier qu'Un Membre Un Vote. Il devrait y avoir un lieu accessible, ainsi qu'un aspect hybride avec de faibles barrières à l'entrée. Nous devrions viser la participation de masse, par opposition à une structure de délégués étroite qui pourrait être non représentative de notre base. Et finalement, nous devrions avoir un véritable forum pour le débat et la discussion, pas une situation où les décisions sont prises par une équipe exécutive et approuvées par tout le monde d'autre.
Tout cela est vital, parce qu'à moins que nous ayons les bons processus démocratiques internes dès le départ il sera beaucoup plus difficile pour le parti d'agir comme un catalyseur pour toute forme plus large de démocratisation ; alors que si nous organisons une conférence ouverte et pluraliste, nous aurons déjà brisé les conventions de la politique britannique, ce qui est un premier pas sur la route pour les remodeler. Nous pouvons alors établir non seulement une plateforme qui parle aux préoccupations quotidiennes des gens, mais aussi une présence de campagne majeure à travers le pays. Nous ne voulons pas juste de l'électoralisme – nous voulons un projet qui est lié aux syndicats de locataires, à l'organisation ouvrière, à la lutte pour défendre le NHS [23] de la privatisation et au mouvement de solidarité avec la Palestine.
Pour faire campagne efficacement sur tous ces fronts nous devons faire un ensemble clair de demandes. Pensez à Zohran Mamdani à New York [24] ; même beaucoup d'entre nous ici en Grande-Bretagne savons quels sont ses principaux engagements. Il les a exprimés de sorte que tout le monde puisse les comprendre, et ils résonnent à un niveau bien plus profond que la plupart du discours politique. Si nous commençons à faire cela alors nous réaliserons que nous n'avons pas à être redevables aux traditions archaïques de Westminster, qui sont conçues pour rendre la politique exclusive.
OE : Une des questions que nous avons discutées dans cette série jusqu'à présent est l'équilibre entre pouvoir populaire et parlementaire. Certains ont argumenté que le nouveau parti devrait être un levier pour la mobilisation populaire, dont le rôle principal est de renforcer ou créer des institutions de la classe ouvrière comme prérequis pour de futures campagnes électorales. D'autres disent que la priorité est de créer un bloc parlementaire proéminent qui peut faire des interventions efficaces et gagner des élections – ce qui, en retour, aura un effet spontanément énergisant sur la vie civique de la classe ouvrière. Où vous situez-vous dans ce débat ?
ZS : C'est un faux binaire. Je vois mon travail à Westminster comme un pont entre les mouvements sociaux, les syndicats et le parlement. Les lois progressistes que nous prenons maintenant pour acquises – protections des travailleurs, congé de maternité, le week-end, même le droit de vote – ne sont venues que parce que les députés ont été forcés de répondre à des pressions plus larges. Les luttes qui ont forcé ces concessions sont souvent effacées de l'histoire. Aujourd'hui nous voyons des députés travaillistes montrer leur soutien aux « droits des femmes » en portant des écharpes de suffragettes tout en votant en même temps pour proscrire Palestine Action. Nous ne devrions pas suivre leur exemple en agissant comme s'il y avait un gouffre nécessaire entre les royaumes du pouvoir populaire et parlementaire. Un parti qui ne se soucie que des élections sera irrelevant en dehors d'un cycle électoral. Et un parti qui ignore le parlement créera un vide qui sera inévitablement occupé par l'extrême droite.
Ce que je veux – et j'ai du mal à voir comment un parti de gauche réussi pourrait être établi d'une autre façon – est une orientation de campagne, de mouvement social combinée avec une présence parlementaire robuste : une situation où nos députés sont en première ligne des actions de grève et des mobilisations antifascistes. Si vous vous concentrez entièrement sur le parlement plutôt que de construire une capacité plus large, c'est une approche très à court terme, parce que qu'est-ce qui arrive quand ces députés sont attaqués par l'establishment ? Qu'est-ce qui arrive s'ils perdent leurs sièges ou s'ils prennent leur retraite ? Vous devez construire l'infrastructure sociale qui les soutiendra en fonction et identifiera de nouveaux dirigeants pour les remplacer. C'est ce type de pouvoir communautaire qui soutient les politiciens socialistes et les tient responsables. Sans cela, vous obtenez soit la capitulation, soit vous obtenez une gauche qui est dominée par quelques figures de proue au sommet, ce qui la rend formellement indistinguable de tout autre parti.
Le fait est que les gens reconnaissent quand les politiciens sont inauthentiques, quand ils n'ont aucune connexion à une base populaire. Ils le voient à travers immédiatement. Alors que quand vous êtes le type de politicien comme Jeremy ou John McDonnell [25] ou Diane Abbott [26], dont l'autorité est profondément enracinée dans les luttes communautaires, vous avez un profil très distinct, et vous pouvez faire des gains beaucoup plus significatifs.
OE : Quand il s'agit de certaines décisions stratégiques, cependant, il pourrait y avoir quelques choix binaires. Par exemple, le parti devrait-il mettre en place sa propre unité d'organisation communautaire, comme celle pour laquelle vous aviez l'habitude de travailler, ou devrait-il laisser l'organisation communautaire aux communautés ?
ZS : En théorie, j'adore l'idée d'avoir l'organisation communautaire de masse comme partie de l'ADN du parti. Il y a des gens qui font déjà le travail quotidien de s'assurer que personne dans leur communauté n'ait faim, ou que l'extrême droite ne puisse pas attaquer les hôtels d'asile [27]. Le nouveau parti devrait trouver ces gens – qui ne correspondent pas nécessairement aux notions traditionnelles d'un dirigeant politique – et les faire participer, leur demander de façonner l'organisation, les cultiver pour des positions d'autorité. Mais cela devrait-il prendre la forme d'une unité d'organisation communautaire telle que nous en avions dans le Parti travailliste ? Ici je pense qu'il y a certaines limitations. Dans mon expérience, la COU n'obtenait pas toujours les victoires qu'elle méritait, en partie parce que quand ce type de travail communautaire est attaché à un parti il vient immédiatement avec certaines connotations, qui pourraient rebuter ceux qui sont compréhensiblement lassés de la politique de parti. Nous avons aussi eu des situations où la COU est entrée en conflit avec d'autres parties du Parti travailliste, par exemple quand les conseils ne payaient pas leurs travailleurs un salaire équitable. Je ne dis pas que cela arriverait avec le nouveau projet, mais il y a toujours le danger que quand un parti national fait une gamme d'activités d'organisation différentes elles peuvent ne pas s'imbriquer parfaitement et des tensions peuvent survenir.
L'organisation communautaire serait plus efficace si, plutôt que d'être dirigée par une unité spécifique, elle devient une pratique ancrée à travers le parti – dans comment nous dirigeons les réunions, les sessions de formation, le démarchage et les campagnes. Le rôle du parti pourrait être de développer ce type de culture politique de masse : rendre naturel pour les gens de s'engager en politique au niveau de base, pour qu'ils aillent créer des syndicats de locataires, des clubs de lecture, des groupes anti-raids [28], ou quoi que ce soit d'autre qui répondrait à leurs besoins locaux. De cette façon, le parti jouerait un rôle en stimulant les luttes populaires sans avoir à les gérer et les contrôler. L'éducation politique serait une partie vitale de cela : traduire le sens instinctif des gens de ce qui ne va pas avec la société en une perspective radicale. Si nous obtenions la moitié des gens qui se sont inscrits comme sympathisants dans l'éducation politique, les effets seraient transformateurs. Il est impossible de prédire où cela mènerait.
OE : C'est intéressant. Alors le parti ne serait pas nécessairement chargé de former ces institutions, mais il ne présumerait pas non plus qu'elles vont simplement surgir spontanément. Il utiliserait plutôt ses structures démocratiques locales et ses initiatives d'éducation pour créer la culture politique qui pousserait les gens à devenir actifs. Une chose qui va certainement militer contre tout cela est le factionnalisme inutile. Qu'en est-il des divisions qui ont assailli le projet jusqu'à présent ?
ZS : Après que j'ai annoncé ma démission et mon intention de co-diriger la fondation d'un nouveau parti de gauche avec Jeremy, les fuites contre moi ont été presque instantanées. Un petit nombre de personnes qui sont impliquées dans le parti se sont engagées dans des briefings anonymes, faisant des commentaires hostiles et implicitement islamophobes sur moi au Sunday Times et Sky News. Ce comportement est absolument inacceptable dans n'importe quel contexte, mais surtout un dans lequel nous essayons de créer une nouvelle culture politique. Des gens qui sont supposément de gauche pensant qu'il est approprié d'utiliser la presse Murdoch [29] pour diffuser des calomnies est stupéfiant. C'est la même classe médiatique qui a essayé de détruire la réputation de Jeremy et la politique qu'il représente. Il n'y a pas de place pour cela dans ce que nous construisons. Nous comprenons tous le désaccord camarade, mais c'est différent quand vous franchissez les lignes de classe pour le bien du factionnalisme et du psychodrame. Les membres ne veulent pas cela ; c'est un repoussoir majeur pour eux. Personnellement je n'ai pas de temps pour ce type d'intimidation et d'harcèlement, et je ne vais pas laisser cela saboter un projet qui est beaucoup plus grand que nous tous. Nous avons le fascisme qui grogne à la porte ; les égos n'ont pas de place dans ce combat.
OE : Un argument d'avocat du diable contre un modèle de parti entièrement dirigé par les membres pourrait aller quelque chose comme suit. Parce que nous n'avons pas encore une culture politique de masse, beaucoup de gens qui veulent être politiquement actifs ne savent pas vraiment ce que cela impliquerait. Ils pourraient donc vouloir que leurs énergies soient dirigées, plutôt que de faire toute la direction eux-mêmes. L'absence de politique de masse signifie aussi que la gauche organisée consiste en divers groupes relativement petits avec leurs propres priorités distinctes, qui seront difficiles à rassembler dans une structure unifiée sans intervention d'en haut. Et il y a aussi le risque connexe que certaines de ces priorités pourraient ne pas être particulièrement représentatives de la société au sens large. Que diriez-vous à cela ?
ZS : Si nous suivons cet argument nous allons juste reproduire les problèmes avec chaque autre parti politique : contrôle de haut en bas, prise de décision non responsable, querelles internes, emplois distribués aux copains. Je trouve l'argument contre la démocratie dirigée par les membres bizarre étant donné que notre objectif entier est d'autonomiser les gens. Vous ne pouvez simplement pas faire cela sans faire participer les gens et leur donner la propriété sur les politiques, la stratégie et la direction. Cela résultera inévitablement en quelques situations difficiles, avec diverses positions et perspectives s'affrontant, mais c'est à prévoir. S'il y a certaines questions où nous ne pouvons pas convaincre une majorité, alors nous ne pouvons pas simplement les contourner ou les ignorer ; ce serait une abdication de responsabilité politique. Au lieu de cela nous devons travailler plus dur. Je n'ai aucune réticence, par exemple, à défendre un programme socialiste résolument antiraciste et pro-trans, même si des parties de cela sonnent controversées pour certaines personnes. Ce n'est qu'en ayant ces discussions au grand jour et à travers les canaux appropriés que nous pouvons créer quelque chose qui semble fondamentalement différent, se sent fondamentalement différent, des autres partis de Westminster. Si ce n'est pas l'objectif, que faisons-nous ici ?
OE : Tant que nous sommes sur le sujet des autres partis, quelle est votre vue sur les alliances électorales ?
ZS : Je suis ouverte aux alliances électorales, avec la réserve que cela devrait être soutenu par les membres. En général, je pense que nous devrions être disposés à travailler avec quiconque nous aidera à battre la droite et l'establishment. Nous devons être pragmatiques, surtout tant que nous travaillons dans le système du scrutin uninominal à un tour [30], bien que gagner la réforme électorale devrait aussi être un objectif. Mais à ce point il serait prématuré de commencer à découper les circonscriptions – décider où nous devrions nous présenter, où nous pourrions nous effacer – quand nous n'avons pas encore compris l'étendue complète de ce que nous construisons. Jusqu'à ce que nous ayons réellement créé le parti, et obtenu un sens de ses capacités et de ses limites, nous ne pouvons pas faire cela en détail. Il va y avoir quatre ans jusqu'aux prochaines élections générales. Nous devons d'abord développer les structures du parti, et alors les négociations sur ce type de stratégie viendront plus tard si les membres les approuvent.
OE : Quels sont les bénéfices d'un modèle de co-direction, avec vous et Corbyn à la barre ?
ZS : Si nous avons plus de voix au sommet, si nous évitons de concentrer le pouvoir dans une paire de mains, alors nous serons plus représentatifs de notre mouvement et plus responsables envers lui. Ce n'est pas une petite chose de commencer un nouveau parti, il y a beaucoup à faire et nous devons partager le travail. Alors il semble naturel que deux personnes avec les mêmes valeurs et principes, et la même croyance dans le projet, le fassent ensemble. Nous avons beaucoup à apprendre l'un de l'autre ; j'apprends toujours de Jeremy et j'aimerais penser qu'il y a des perspectives que je peux lui offrir aussi. Une co-direction avec des pouvoirs égaux signifierait qu'aucun de nous n'est une figure symbolique. Cela nous permettrait aussi de prendre ce qui est souvent juste un slogan libéral sur « plus de femmes dans des rôles de direction » et d'en faire une réalité, sapant les préjugés qui retiennent habituellement les jeunes femmes : pas assez sérieuses, trop inexpérimentées, et ainsi de suite. Les gens sont déjà énormément excités par cette idée et ils ont pris contact en nombres vastes. Il ne s'agit pas d'éviter une direction forte, mais de doubler sa force.
OE : Que peuvent faire les sympathisants avant la conférence ? Comment peuvent-ils être le plus utiles ?
ZS : Le recrutement de masse est crucial. Nous devrons organiser des événements dans la période qui précède la conférence pour enthousiasmer les sympathisants et recruter plus de gens. Une des meilleures parties du corbynisme était les rassemblements et la musique et les performances. Nous devons récupérer cela. Ce dont nous avons besoin est une politique d'amusement et de joie. Nous ne sommes pas intéressés par des réunions où tout le monde a un point d'ordre et ils parlent pendant vingt minutes chacun. Pensez-vous que les jeunes de seize ans qui vont bientôt avoir le droit de vote [31] voudront s'asseoir à travers cela ? Le nouveau projet devrait engager cette génération en s'imbriquant dans la culture de masse. Nous avons déjà vu des musiciens, artistes, acteurs s'aligner pour s'impliquer. Jade Thirlwall [32] a été favorable, ainsi qu'Aimee Lou Wood [33] et Ambika Mod [34] – des gens dans cette tranche d'âge plus jeune qui sont en contact avec le sentiment populaire et qui savent à quel point il est éloigné de la politique en décomposition de l'establishment. Nous devons faire de la politique différemment et ce n'est pas un cliché, mais un prérequis pour ce parti.
L'objectif est de changer la politique pour toujours. Quand nous avons un gouvernement qui aide au génocide et mène la guerre contre ses propres citoyens, et une extrême droite qui se prépare à entrer à Downing Street [35], nous ne pouvons pas nier l'urgence. Alors je suis prête à tout donner à ce combat. C'est ce que je dois à ma communauté et à ma classe. C'est le moment.
is among Britain's most prominent socialist leaders. Born in Birmingham in 1993, she became politically active in the student movement and later in the upsurge of Corbynism : serving on the national executive of Young Labour, working as a community organiser for the party and eventually running for parliament, where she now represents Coventry South. Her election coincided with the beginning of Keir Starmer's Labour leadership, which she has long excoriated for its reactionary outlook and petty authoritarianism. Over the past year her profile has increased significantly thanks to her trenchant opposition to the Starmer government's complicity in the Gaza genocide. Her dissent led to her suspension from the parliamentary party, and since then she has become a standard-bearer for the nascent left alternative : one of the youngest and most popular figures involved in its formation. Sultana has proposed co-leading the new party alongside Corbyn, and is part of a group working on the founding conference this autumn.
Zarah Sultana interviewée par Oliver Eagleton
P.-S.
https://newleftreview.org/sidecar/posts/the-alternative
Traduit pour ESSF par Adam Novak
Notes
[1] Young Labour est l'aile jeunesse du Parti travailliste, pour les membres âgés de 14 à 26 ans
[2] Coventry South est une circonscription parlementaire dans les Midlands de l'Ouest, région industrielle du centre de l'Angleterre
[3] Le gouvernement de coalition entre conservateurs et libéraux-démocrates de 2010-2015, dirigé par David Cameron
[4] Les West Midlands sont une région métropolitaine du centre de l'Angleterre, incluant Birmingham et Coventry
[5] Hébron est une ville de Cisjordanie sous occupation israélienne, théâtre de tensions constantes entre colons juifs et population palestinienne
[6] Le NUS est le syndicat national des étudiants britanniques
[7] BDS est un mouvement international de boycott d'Israël inspiré de la lutte anti-apartheid en Afrique du Sud
[8] Le Jobcentre Plus est l'agence gouvernementale britannique pour l'emploi et les allocations
[9] Ces villes des West Midlands sont d'anciennes zones industrielles touchées par la désindustrialisation
[10] Cette mesure limite les allocations familiales aux deux premiers enfants
[11] Le « whip » est la discipline de parti ; perdre le whip signifie être exclu du groupe parlementaire
[12] Le Chief Whip est responsable de la discipline parlementaire
[13] Palestine Action est un groupe d'activistes britanniques qui mène des actions directes contre l'industrie de l'armement israélienne
[14] La définition de l'antisémitisme de l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste (IHRA), controversée car elle assimile souvent antisionisme et antisémitisme
[15] Triangulation politique : stratégie consistant à adopter des positions modérées entre la gauche et la droite
[16] Système où les députés sortants peuvent être défié par leur section locale sous certaines conditions
[17] Reform UK est le parti d'extrême droite de Nigel Farage
[18] A. Sivanandan était un intellectuel et activiste antiraciste sri-lankais-britannique
[19] Enoch Powell était un politicien conservateur britannique connu pour ses positions anti-immigration
[20] Le « consensus de Westminster » fait référence aux politiques néolibérales partagées par les partis principaux
[21] Régions industrielles du nord de l'Angleterre
[22] L'Alliance Indépendante regroupe les députés ayant quitté ou été exclus du groupe parlementaire travailliste
[23] National Health Service, le système de santé publique britannique
[24] Zohran Mamdani est un député socialiste démocrate de l'État de New York
[25] John McDonnell était le ministre fantôme des Finances sous Corbyn
[26] Diane Abbott est une députée travailliste de gauche, première femme noire élue au Parlement britannique
[27] Les hôtels d'asile hébergent temporairement les demandeurs d'asile en Grande-Bretagne
[28] Les « raids » font référence aux opérations d'arrestation d'immigrés sans papiers
[29] Empire médiatique de Rupert Murdoch, incluant The Sun et The Times
[30] First-past-the-post : système électoral britannique où le candidat avec le plus de voix gagne
[31] L'âge de vote au Royaume-Uni pourrait être abaissé à 16 ans
[32] Membre du groupe pop Little Mix
[33] Actrice britannique connue pour « Sex Education »
[34] Actrice britannique
[35] Résidence officielle du Premier ministre britannique
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Après la grande panne d’électricité : quel modèle énergétique pour la transition écologique ?
La panne d'électricité du 28 avril dernier a bouleversé pendant quelques heures la péninsule ibérique et le sud de la France. Toutes celles et ceux qui y vivent ont été touchés d'une manière ou d'une autre. Cela a fait l'objet de nombreuses discussions qui, pour ne pas rester au stade de l'anecdote, compte tenu des risques systémiques qu'une telle situation se reproduise, exigent une analyse et une réflexion approfondies. Il faut en tirer des leçons pour l'avenir.
19 août 2025 | Tiré d'Inprecor->https://inprecor.fr/node/4949 | Photo : Rue Rosalia de Castro, Vigo le 28 avril 2025. /Seoane Pardo CC BY-SA 4.0
En ce sens, on peut dire que le système énergétique se trouve à un tournant historique. L'urgence climatique, la fragilité géopolitique et la raréfaction des ressources nous obligent à repenser la manière dont nous produisons, distribuons et consommons l'énergie. Dans ce contexte, l'augmentation de la capacité énergétique basée sur les énergies renouvelables apparaît comme un enjeu crucial.
Mais tout développement n'est pas bon à prendre : il reproduit en effet bon nombre des logiques du système fossile qu'il est censé remplacer, car le modèle de transition énergétique actuel est mené par de grandes entreprises privées, dont l'objectif est la rentabilité. Un oligopole privé a pénétré et accaparé toutes les sources et technologies, y compris les énergies renouvelables, et est protégé par l'État et par un système de prix qui lui garantit des marges et un marché, dans le secteur le plus rentable de l'économie espagnole. Face à cette situation, il est urgent de défendre une transition écosocialiste juste, démocratique et planifiée qui place au centre la vie et le bien-être collectif.
Comment fonctionne le système électrique ?
Le système électrique n'est pas la forme principale sous laquelle l'énergie nous parvient et ne représente que 24 % du total de l'énergie utilisée, le reste provenant de sources fossiles utilisées pour le transport ou le chauffage. Le réseau électrique nécessite une infrastructure complexe qui permet à l'électricité produite d'atteindre les points de consommation de manière instantanée, continue et sûre. Pour comprendre les défis actuels et les décisions que suppose sa transformation, il est important de connaître ses éléments clés et leurs interactions.
Le système électrique comprend quatre grandes phases :
• Production d'électricité dans des centrales (thermiques, nucléaires, hydroélectriques, solaires, éoliennes, etc.).
• Acheminement de l'électricité à haute tension sur de longues distances via un réseau de lignes de transport.
• Distribution de l'électricité en moyenne et basse tension aux foyers, aux entreprises et aux services.
• Consommation : utilisation finale de l'énergie électrique par les utilisateurs domestiques, industriels ou publics.
Le système électrique centralisé exige que la production et la consommation soient équilibrées à tout moment. Cela nécessite un contrôle technique continu, généralement automatisé, afin d'ajuster l'offre à la demande réelle, la production à la consommation, seconde par seconde. Pour répondre à cette exigence, il faut non seulement une surveillance et une coordination adéquates, mais aussi combiner des technologies présentant des caractéristiques très différentes, certaines plus difficiles à gérer que d'autres – c'est le cas des énergies renouvelables – dans la production qui contribue au système électrique.
Les caractéristiques des technologies de production d'électricité
En résumé, les principales technologies actuelles présentent les caractéristiques suivantes.
Centrales thermiques fossiles (gaz, charbon, fioul)
Elles contribuent à la gestion du système électrique centralisé actuel en ayant l'avantage de pouvoir être mises en marche ou arrêtées en fonction de la demande. Elles ont également une puissance installée et une inertie élevées qui assurent la stabilité au système.
Cependant, elles sont très polluantes, émettent de grandes quantités de CO₂ et d'autres gaz, sans oublier la dépendance extérieure qu'entraîne le recours à l'importation de ces sources, l'incertitude causée par les troubles géopolitiques et d'autres risques environnementaux et sanitaires graves.
Centrales nucléaires
On attribue souvent à cette technologie le mérite d'une production continue et contribuant à la stabilité du réseau, en raison de son inertie. Mais il faut savoir que cette continuité n'est pas un avantage, mais un élément de rigidité, car si les centrales peuvent être arrêtées, leur remise en service est très lente et très coûteuse. Le fait de devoir produire en permanence est exactement le contraire de ce dont le système de réseau centralisé a besoin. Les lobbies nucléaires essaient de promouvoir leur technologie, avec le mantra de sa stabilité, mais elle implique d'adapter le système et le reste des sources d'énergie.
Il est également vrai qu'elles n'émettent pas directement de CO₂, mais différents éléments rendent totalement inenvisageables leur utilisation dans le cadre de la transition écologique à moyen et long terme : même si leurs coûts d'exploitation sont faibles, leurs coûts d'investissement sont élevés, ce qui les rend peu rentables ; leur durée de vie est limitée à quelques décennies et il en découle des coûts de démantèlement et de réinvestissement très élevés ; la gestion des déchets radioactifs s'étend à l'échelle géologique et il n'existe pas de conteneurs capables de résister à la corrosion pendant plus d'un siècle ; et malgré les améliorations en matière de sécurité, les risques à long terme font de l'improbable un danger certain, comme pourrait l'affirmer Ulrich Beck1, sans oublier la consommation d'eau nécessaire au refroidissement des centrales.
Les énergies renouvelables
Les énergies renouvelables représentent l'alternative, mais elles ne sont pas exemptes de contraintes. Tout d'abord, le système de réseau électrique centralisé est mal adapté aux énergies renouvelables.
L'énergie éolienne est propre, ainsi que l'énergie solaire photovoltaïque, et celle-ci est en outre modulaire et facile à installer. Toutes deux ont de faibles coûts d'exploitation. Mais elles sont intermittentes, plus difficiles à gérer, nécessitent de grandes surfaces disponibles et le modèle technologique actuel ne génère pas d'inertie. Pour accroître leur compatibilité dans un environnement stable, avec le système actuel, elles nécessitent des solutions de stockage ou de secours, qui sont aujourd'hui insuffisantes. Dans les pays où l'eau est abondante, comme les pays scandinaves, les centrales hydroélectriques fonctionnent bien, mais dans les pays touchés par des sécheresses récurrentes, comme le nôtre, les batteries constituent une alternative. Celles-ci sont également coûteuses, tant en termes économiques qu'en termes de matériaux critiques (lithium, cobalt, nickel), avec l'empreinte écologique qui en découle, tandis que l'hydrogène est peu efficace comme accumulateur et que ses utilisations seront limitées.
Plus on intègre d'énergies renouvelables intermittentes, plus le réseau électrique devient techniquement complexe. C'est pourquoi, parallèlement à la production renouvelable, il est indispensable de promouvoir un modèle décentralisé et distribué de manière à ce que l'autoconsommation dans des communautés énergétiques, qui réduit la pression sur le réseau central, soit privilégiée. Il faut aussi appliquer des politiques de gestion de la demande qui encourage la consommation aux heures où la production est la plus élevée. À cet égard, certaines mesures peuvent déjà être prises. Dans la mesure où le système électrique nécessite une synchronisation entre la production et la consommation, quel sens cela-t-il qu'au printemps et en été, la tranche de consommation la plus chère corresponde aux heures les plus ensoleillées ? Il faudrait au contraire que l'électricité soit moins chère pendant les heures les plus ensoleillées de la journée à cette période de l'année.
Ce qui ne fonctionne pas dans le développement actuel des énergies renouvelables
Loin de constituer une véritable alternative au système fossile, le déploiement actuel des énergies renouvelables est guidé par la logique du marché et non par les besoins sociaux ou écologiques. Les entreprises privées investissent de manière désordonnée, en privilégiant les zones où le raccordement au réseau électrique est le plus accessible et rentable, et celles où la consommation est plus importante, sans tenir compte des conséquences sur les territoires et des conflits avec les besoins des communautés rurales, qui sont souvent situées à proximité de ces mêmes points de raccordement.
Cette logique extractiviste des renouvelables ne réduit pas vraiment le recours aux sources non renouvelables : dans de nombreux cas, elle s'y ajoute simplement, tandis que les systèmes fossiles et nucléaires se maintiennent tant qu'ils continuent à générer des profits. En outre, la centralisation du système – qui reproduit le modèle fossile – à travers des méga-installations solaires et éoliennes et un réseau électrique centralisé qui nécessite une part importante d'énergies polluantes pour être stable, entre souvent en conflit avec les populations rurales, les usages agricoles traditionnels et la biodiversité.
Au lieu d'avancer vers une réduction de la consommation et une réorganisation du modèle énergétique, on reproduit un modèle productiviste qui se heurte de front aux limites écologiques de la planète.
Vers un modèle énergétique juste et durable
L'énergie est un bien commun essentiel. Elle doit donc être gérée par une planification publique, avec une participation démocratique communautaire, et non comme un domaine lucratif. Il est indispensable que les pouvoirs publics reprennent l'initiative dans la conception du système énergétique, en s'orientant vers un modèle qui combine :
• Les énergies renouvelables comme source principale, en réduisant et en remplaçant progressivement les énergies fossiles et nucléaires.
• Une distribution décentralisée et communautaire, avec des systèmes d'autoconsommation, des réseaux locaux et un stockage de l'énergie adapté à chaque territoire.
• Une collaboration avec les communautés rurales et urbaines, en intégrant des critères sociaux, environnementaux et paysagers dans le choix des sites et des modèles de gestion.
• Une participation démocratique aux décisions énergétiques, en reconnaissant l'énergie comme un droit et non comme une marchandise.
Ce modèle nécessite un investissement public soutenu, non seulement dans les infrastructures de production, mais aussi dans les réseaux de distribution intelligents, le stockage, l'efficacité énergétique et l'éducation technique et citoyenne. Un investissement public ne peut se limiter au financement des infrastructures dont les entreprises privées tirent profit ; il doit profiter à l'ensemble de la société. Par exemple, la location massive de batteries et de systèmes de stockage, bien qu'elle puisse contribuer à stabiliser le réseau électrique, revient également à réduire les coûts d'investissement que les entreprises privées auraient dû assumer. Si le secteur public loue des batteries à grande échelle, alors il serait logique que l'ensemble du système soit public, par une socialisation de ce secteur stratégique. Le coût, bien qu'élevé, sera toujours inférieur aux 5 % de dépenses prévues pour la Défense d'ici à 2030. Il s'agirait sans aucun doute d'une bien meilleure option.
Mettre en œuvre la socialisation n'est toutefois pas suffisant. Cela doit s'accompagner d'une planification du redéploiement des infrastructures et de modifications technologiques. Fondé sur les énergies renouvelables – et de manière marginale, sur le gaz pour les situations d'urgence – ce modèle doit remplacer les autres technologies et sources d'énergie, déployer un modèle décentralisé, et adapter les sources aux spécificités des territoires, par les décisions démocratiques de chaque communauté concernant l'emplacement des installations. De même, il semble indispensable que la réorganisation et le redéploiement des infrastructures s'effectuent dans le cadre d'une transition appuyée sur la recherche et l'innovation. Ainsi, elle pourra reposer de plus en plus sur des technologies low tech – appelées également « modestes » ou « légères » – indépendantes de l'industrie fossile et capables de minimiser l'utilisation des matériaux et de l'énergie, et s'inscrivant dans une « économie en spirale », dans laquelle on réintègre autant que possible les matériaux dans le cycle de la nature – en gardant à l'esprit que la thermodynamique est têtue à cet égard, comme le souligne souvent le professeur José Manuel Naredo 2. Tout en fournissant un service suffisant à l'ensemble de la population.
Souveraineté énergétique et territoire
Dans un monde de plus en plus marqué par les tensions autour du contrôle des ressources, l'autosuffisance énergétique devient un élément clé de la souveraineté. La péninsule ibérique, et en particulier le sud, dispose d'un potentiel énorme, suffisamment important pour satisfaire une grande partie de sa demande avec des énergies renouvelables. Mais cela exige un changement de modèle : il ne suffit pas de changer les sources énergétiques, il faut également transformer les rapports de forces qui structurent le système.
Une véritable souveraineté énergétique implique de décider collectivement quelle énergie doit être produite, comment, où, pour qui et avec quels impacts. Cela suppose de reconnaître que l'énergie n'est pas neutre, que son accès inégal conditionne tous les aspects de la vie et que toute transformation doit s'accompagner d'une justice territoriale et sociale, dont le premier pas est l'éradication de la précarité énergétique, en garantissant l'approvisionnement de base à toute la population, et en tenant compte des limites de notre biosphère.
Cette justice implique également, comme nous l'avons indiqué, de convenir de l'emplacement des installations selon des critères qui ne compromettent pas les possibilités et les besoins de la production agricole, ni les besoins des communes rurales, et qui incluent l'adaptation technique des infrastructures nécessaires. Par exemple, développer des éoliennes sans pales, qui transfèrent l'énergie par le biais de vibrations induites par des vortex – car les oiseaux suivent le même chemin que le vent exploité par ces dispositifs –, ou installer les fermes solaires sur des parkings, sur les toits des bâtiments et des industries et dans les zones rurales, de façon à avoir un impact moindre sur les populations, l'agriculture et la biodiversité.
Gardons également à l'esprit que nous devons multiplier ces infrastructures basées sur les énergies renouvelables – non pas pour les additionner aux technologies fossiles et nucléaires, mais pour les remplacer dans leur immense majorité.
Les limites biophysiques : la face cachée de la transition
On ne peut pas parler de transition énergétique sans reconnaître les limites matérielles de la planète. L'électrification de l'économie, nécessaire à bien des égards, ne doit pas être conçue dans le cadre d'une croissance illimitée de la production d'énergie renouvelable. Il semble nécessaire d'augmenter radicalement la capacité actuelle, à condition que cela ne se fasse pas de manière désordonnée et selon des critères de marché, mais en tenant compte des besoins et des conditions sociales, environnementales et techniques. Mais nous devons être conscients que cela implique de disposer de matériaux en quantités énormes, tels que le cuivre, le lithium et les terres rares, dont la disponibilité est limitée et dont le cycle de vie pose d'énormes défis écologiques. Cela impliquera également de poursuivre la recherche scientifique et de développer des infrastructures pouvant utiliser d'autres matériaux abondants, tels que l'aluminium qui, bien que moins bon conducteur que le cuivre, pourrait convenir à certaines activités.
Les infrastructures renouvelables actuelles dépendent indirectement des énergies fossiles pour leur extraction, leur fabrication, leur transport ou leur maintenance. Leur durée de vie est limitée – généralement pas plus de 30 ans –, ce qui implique de les reconstruire, et elles génèrent des déchets. Il ne suffit donc pas de changer les sources d'énergie, il est indispensable de transformer le modèle économique pour une économie sobre et juste, opérant des choix dans les besoins énergétiques à satisfaire, en évitant les consommations excessives et superflues, au lieu d'essayer de maintenir le même niveau de consommation.
Cela implique :
• De promouvoir des modes de vie et de consommation sobres, efficaces et partagés, sans renoncer à satisfaire les besoins liés au bien-être et à un mode de vie digne.
• De parier sur la mobilité publique, collective et électrifiée, en donnant la priorité au transport par rail et tramway, mais aussi par bus ou métro, et de réserver l'usage des voitures électriques en milieu urbain pour les services essentiels (taxi, ambulance, pompiers). Il s'agit aussi de développer des systèmes municipaux de transport partagés permettant de desservir les zones rurales non desservies.
• Donner la priorité à l'utilisation de l'énergie pour couvrir les besoins fondamentaux et les activités à forte utilité sociale.
Quelle politique économique pour quel modèle énergétique ?
Une transition énergétique écologique exige une politique économique au service du bien commun. Il ne s'agit pas seulement de changer la matrice énergétique, mais de construire un autre modèle de développement. Un modèle qui ne recherche pas une croissance illimitée, mais l'équilibre avec les limites naturelles et la justice sociale.
Cela nécessite :
• Une planification publique à long terme, avec des critères techniques, sociaux et écologiques ;
• Une négociation et une participation démocratique des communautés aux décisions stratégiques ;
• Une reconversion de l'emploi et de la formation professionnelle vers des secteurs écologiques ;
• Une décentralisation des systèmes de production et de distribution, en maintenant une articulation, voire une synergie, entre les différents systèmes.
Les élites économiques et politiques mondiales semblent avoir choisi une voie opposée : une transition autoritaire et antisociale, fondée sur le contrôle des ressources stratégiques, l'extractivisme, le recours croissant à la force, les inégalités et l'exclusion. Il s'agit d'un modèle où les combustibles fossiles, l'énergie nucléaire et les énergies renouvelables extrêmement centralisées coexistent dans un système de plus en plus instable, extractif et militarisé. Un modèle qui se barricade pour faire face aux protestations, restreint les droits et consolide les privilèges d'une minorité.
Cette voie est non seulement socialement injuste, elle est aussi anti-écologique et politiquement insupportable. Elle va à l'encontre des intérêts de la majorité, en particulier des classes populaires et des peuples du Sud, et bloque toute possibilité de transition réelle vers un avenir viable.
Le modèle énergétique n'est pas une simple question technique : c'est une question profondément politique. Il détermine quelle vie est possible et pour qui. C'est pourquoi la lutte pour un nouveau système énergétique est aussi une lutte pour la démocratie, la justice et la dignité. De même, le système électrique n'est pas seulement un réseau technique : c'est aussi un champ de décisions politiques, sociales et écologiques. Chaque technologie a ses conditions, ses avantages et ses limites, et aucune, pas même les énergies renouvelables, n'est exempte d'impacts. C'est pourquoi une transition énergétique juste nécessite non seulement davantage d'énergies renouvelables, mais aussi une planification démocratique consciente, à partir du secteur public et des communautés, qui donne la priorité aux usages socialement nécessaires, minimise les impacts et distribue l'énergie de manière plus démocratique.
Éviter les coupures d'électricité à l'avenir ne dépend pas seulement de l'installation de plus de panneaux solaires ou d'éoliennes, mais d'une profonde refonte de notre mode de vie, de production et d'organisation. Nous avons besoin d'un modèle public, démocratique, à la hauteur des besoins, écologique et juste. Et nous devons le développer dès maintenant, car le modèle actuel est de plus en plus incertain et dangereux.
Le 6 juin 2025
1. Ulrich Beck (1944-2015), est un sociologue allemand, enseignant-chercheur à la London School of Economics, auteur de la Société du risque (1986), et de nombreux ouvrages et réflexions sur la gestion et la mitigation politique et économique des risques dans les sociétés occidentales contemporaines.
2. José Manuel Naredo Pérez (1942-…) est un économiste et statisticien espagnol, pionnier, chercheur et vulgarisateur de l'économie écologique en Espagne, domaine dans lequel il a apporté d'importantes contributions en tant qu'auteur et éditeur.
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Israël et l’extermination des journalistes à Gaza
Jamais un conflit ni un champ de brutalité n'ont atteint le degré de sauvagerie qu'Israël inflige depuis près de deux ans aux journalistes de Gaza. L'exécution de plus de 230 reporters et correspondants en 680 jours, constitue une entreprise d'extermination dirigée contre celles et ceux qui portent caméras, micros et ordinateurs pour consigner, jour après jour, les récits et témoignages de leur peuple.
Tiré du blogue de l'auteur.
Jamais, dans l'histoire documentée des guerres et des violences collectives, un conflit ni un champ de brutalité n'ont atteint le degré de sauvagerie qu'Israël inflige depuis près de deux ans aux journalistes de Gaza.
L'exécution de plus de 230 reporters et correspondants en 680 jours, presque tous délibérément ciblés par des bombardements aériens, des tirs de snipers ou la traque incessante de drones, constitue une entreprise d'extermination dirigée contre celles et ceux qui portent caméras, micros et ordinateurs pour consigner, jour après jour, les récits et témoignages de leur peuple.
Cette politique d'élimination s'inscrit dans un projet plus vaste d'anéantissement méthodique qui a déjà frappé médecins, personnels soignants et secouristes — plus de 400 tués —, ainsi que professeurs et enseignants palestiniens — plus de 450 assassinés. Par leur effacement, c'est l'avenir même de la société palestinienne qui est visé, dans ce que l'on nomme désormais « le futuricide » : la destruction des conditions d'un devenir collectif, aggravée par la dévastation de plus de 85 % des infrastructures hospitalières, scolaires et universitaires de l'enclave.
Le meurtre des journalistes revêt toutefois une signification singulière, intrinsèquement liée à l'entreprise génocidaire, et peut-être encore plus redoutable sur le plan politique. Il vise à instiller la terreur absolue, à exhiber une impunité totale et, surtout, à contrôler intégralement la production de l'information et du langage, à prescrire la description du réel et à imposer une narration unique avec ses interprétations. Autrement dit, il s'agit de liquider la fonction journalistique elle-même, dans ce qu'elle incarne de rôle social, politique, documentaire et critique, afin d'empêcher l'émergence de récits indépendants, dotés de leur propre vocabulaire et de leurs concepts, capables de contester ou de déconstruire la rhétorique officielle de la « guerre contre le terrorisme ».
Le meurtre comme norme suprême de la censure
Israël, en tant que puissance d'occupation et de guerre, tire une part essentielle de sa domination de sa capacité à maintenir la fiction de la « légitimité » de sa violence et à imposer ses justifications dans les grands médias occidentaux. Cela suppose un discours unique, soigneusement calibré, qu'aucune voix ne doit troubler. Israël agit également comme s'il détenait le monopole absolu de la production du sens. En façonnant mots et images, il décide de ce qui peut être dit ou tu, substitue à la réalité une version artificielle et l'impose comme vérité exclusive, réputée inattaquable.
Une telle politique exige aussi un contrôle physique et territorial, imperméable à toute imprévisibilité. Si les journalistes étrangers sont interdits d'accès à Gaza afin d'éviter les versions divergentes, il faut surtout empêcher les reporters palestiniens de combler ce vide en les éliminant. L'attitude israélienne à leur égard dépasse toute comparaison avec les systèmes coloniaux lors de leurs guerres de fin d'empire ou avec les régimes totalitaires — y compris fascistes — qui considéraient le meurtre comme la sanction ultime de la censure. Ces derniers recouraient encore à des mesures « intermédiaires » : suspension, emprisonnement, mutilation ou exécution ponctuelle destinée à semer la peur. Israël, lui, a fait du meurtre la règle, le seuil ordinaire en deçà duquel rien n'est jugé suffisant, et au-delà duquel ne subsistent que l'escalade des atrocités, les raffinements macabres de la mise à mort et le sort infligé aux corps.
Ce comportement sans précédent dans l'histoire de la violence d'État, relève davantage des logiques de réseaux criminels « professionnels » qui assurent leur survie en exécutant quiconque menace leurs secrets ou leur capital symbolique et matériel. C'est précisément ce que fait l'armée israélienne depuis octobre 2023 : tous les deux ou trois jours, elle liquide un.e journaliste palestinien.ne dont les récits et les images révèlent ses crimes. À cette logique s'ajoute enfin une dimension de vengeance : ayant échoué à imposer le silence, Israël pourchasse ceux et celles qui ont brisé son mur de propagande et ruiné son monopole sur l'information, l'image et le sens.
L'honneur du métier et le refus de sa disparition
Cette approche criminelle et vindicative mène à une équation implacable : à une violence israélienne d'une intensité inédite répond une résistance palestinienne exceptionnelle par sa forme et par la détermination de ses acteurs à préserver la fonction journalistique et son rôle politique. Chaque massacre voit surgir de nouvelles et nouveaux reporters reprenant le flambeau de leurs collègues tombés. Le combat contre l'anéantissement devient constitutif du métier, exercé quotidiennement au milieu des ruines, dans les quartiers dévastés, sous les tentes des déplacés, jusque dans la proximité des centres de distribution d'aide humanitaire, où l'armée d'occupation frappe ceux qui ne cherchent qu'à survivre.
Depuis près de deux ans, les journalistes palestiniens protègent donc, au péril de leur vie, les nouvelles de leur peuple. Mais ils défendent pareillement le journalisme lui-même. Leur cause est devenue l'une des lignes de fracture culturelle, politique et éthique les plus marquantes du monde aujourd'hui.
C'est la raison pour laquelle ils paient un prix double : celui d'une guerre génocidaire et celui d'une guerre de diffamation visant à justifier l'horreur. Leur survie, ainsi que celle des jeunes journalistes appelés à leur succéder, représente bien plus que la protection d'êtres humains et de leurs récits : elle incarne la sauvegarde d'une profession et d'une fonction critique dont l'impact dépasse les frontières de Gaza, tout en y demeurant tragiquement enraciné.
Une première version de ce texte a été publié en arabe dans le quotidien Al-Quds Al-‘Arabi, basé à Londres, le 16 août 2025.
gauche.media
Gauche.media est un fil en continu des publications paraissant sur les sites des médias membres du Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG). Le Regroupement rassemble des publications écrites, imprimées ou numériques, qui partagent une même sensibilité politique progressiste. Il vise à encourager les contacts entre les médias de gauche en offrant un lieu de discussion, de partage et de mise en commun de nos pratiques.











