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Cisjordanie : De Sakhnin à Ramallah, une nouvelle vague de lutte populaire palestinienne prend racine
Face à l'indignation croissante suscitée par la situation à Gaza, les manifestations et les grèves de la faim marquent le renouveau d'un mouvement palestinien déterminé à surmonter les divisions et à maintenir la résistance.
Tiré d'Agence médias Palestine.
Ces dernières semaines, la mobilisation populaire palestinienne a connu un essor remarquable, en particulier dans les territoires de 1948 (Israël) et en Cisjordanie occupée. Cette dynamique reflète un effort croissant pour renouer avec une vague de solidarité mondiale revitalisée, qui perdure, et même s'étend, malgré les répressions sévères contre les mouvements pro-palestiniens aux États-Unis et dans une grande partie de l'Europe.
Tous les signes indiquent que cette dynamique continuera à croître, avec la possibilité d'aboutir à une insurrection populaire plus large, capable de faire reculer les politiques brutales d'Israël envers les Palestiniens sur l'ensemble du territoire.
Les images déchirantes en provenance de Gaza, enfants émaciés, familles sans cesse déplacées, civils abattus alors qu'ils attendent de la nourriture, deviennent impossibles à ignorer ou à justifier pour les alliés d'Israël. Ces images commencent à hanter les gouvernements occidentaux, longtemps complices de la campagne génocidaire israélienne, les exposant à la honte dans l'opinion publique et révélant la faillite morale de leur silence. Sous la pression croissante de leurs citoyens, plusieurs États occidentaux ont récemment durci leur ton face à la conduite d'Israël à Gaza : rythme effréné des tueries, obstruction délibérée à l'aide humanitaire, absence manifeste de plan pour mettre fin à la guerre.
Les reproches les plus visibles sont venus sous forme de reconnaissances officielles (ou de menaces de reconnaissance) de l'État de Palestine par quelques chefs d'État occidentaux, notamment Emmanuel Macron. Pourtant, ces déclarations, bien que spectaculaires sur le papier, restent largement symboliques. La « solution à deux États » qu'elles évoquent est largement perçue comme illusoire et insuffisante, elle préserve le régime colonial et d'apartheid d'Israël et nie à des millions de réfugiés palestiniens leur droit au retour.
Même si ces déclarations ne devraient pas avoir d'impacts concrets immédiats, elles restent néanmoins un geste de soutien important, et un encouragement moral nécessaire au mouvement populaire, ouvrant la voie à une nouvelle phase de réflexion et d'action.
Un paysage en mutation
Les manifestants palestiniens et leurs alliés suivent de près les évolutions de l'équilibre géopolitique régional. Avec le soutien indéfectible de Washington, Israël agit désormais en toute impunité sur l'ensemble du territoire de ce que l'on appelle « l'Axe de la Résistance » dirigé par l'Iran. Et malgré les coups sévères subis par l'Iran lors de sa récente guerre de 12 jours contre Israël, il est loin d'être vaincu. Les deux camps accélèrent leur réarmement en vue d'une phase encore plus sanglante du conflit.
Mais pour l'instant, face à une balance des forces fortement en faveur d'Israël, de nombreux militants palestiniens se tournent vers l'intérieur, vers la résistance populaire de base, en l'absence de force militaire extérieure capable de freiner l'agression israélienne. Et certains éléments laissent penser que cette stratégie peut porter ses fruits.
Malgré sa domination militaire, la position mondiale d'Israël, y compris parmi les communautés juives, est plus fragile que jamais. En juin, en tant que président de la campagne One Democratic State (ODSC), j'ai participé à un événement exceptionnel : la première conférence juive antisioniste, tenue dans la ville natale de Theodor Herzl, fondateur du mouvement sioniste. Les organisateurs y ont réuni environ 500 intellectuels et militants juifs du monde entier, avec pour but d'unir le nombre croissant de Juifs antisionistes et de les intégrer dans le mouvement progressiste mondial contre le régime génocidaire d'Israël.
Face aux horreurs infligées à Gaza et à la violence croissante en Cisjordanie, Israël ne parvient plus à redorer son image à l'étranger. Sa propagande ne peut plus masquer ses crimes. Certains estiment même qu'Israël n'a pas encore pris conscience de l'ampleur des dégâts, à la fois sur le plan stratégique et de sa réputation, qu'il est en train de s'infliger, des dommages qui pourraient devenir irréversibles. Dans ce contexte, une stratégie de résistance populaire soutenue et connectée à l'échelle mondiale n'est plus seulement envisageable ; elle devient une nécessité historique.
Ces dernières années, plusieurs tentatives ont été faites pour emprunter cette voie, notamment les grandes manifestations à la frontière de Gaza en 2018-2019, connues sous le nom de « Grande Marche du Retour ». Dès le départ, ces marches ont été violemment réprimées par l'armée israélienne, dans le but d'étouffer leur impact auprès de l'opinion publique mondiale.
Pourtant, cette dynamique n'a jamais atteint la Cisjordanie. Cela s'explique en partie par le climat politique fragile et par l'absence de vision cohérente de la résistance populaire au sein de l'Autorité palestinienne (AP). Liée à sa coordination sécuritaire avec Israël, l'AP a activement saboté les mobilisations indépendantes, collaborant étroitement avec le colonisateur pour empêcher leur émergence.
En mai 2021, un large soulèvement populaire avait balayé toute la Palestine, du fleuve à la mer. Un instant, on a cru à l'émergence d'une campagne nationale et durable de résistance civile. Mais l'introduction d'une dimension militaire, par les tirs de roquettes du Hamas, a rompu cet élan et affaibli le potentiel de cette voie civile. L'opportunité existait malgré la répression israélienne ; elle ne s'est simplement pas concrétisée.
Ces occasions manquées ont renforcé chez beaucoup la conviction que la résistance populaire, légale, culturelle, artistique, reste l'un des moyens les plus prometteurs de défier la domination israélienne, peut-être même plus que la force militaire. Même certains analystes israéliens admettent désormais que les événements du 7 octobre et la guerre qui s'en est suivie ont ébranlé le prestige de l'armée israélienne, un prestige qui, malgré des décennies de crimes, était resté étonnamment intact.
Une étincelle venue de Sakhnin
Un développement récent marque un possible tournant dans la mobilisation des citoyens palestiniens d'Israël. Dans la ville de Sakhnin, au nord, des milliers de personnes se sont réunies pour une grande manifestation contre le génocide à Gaza, tandis qu'à Jaffa, plusieurs figures de proue, y compris des députés palestiniens et des membres du Haut Comité de suivi des citoyens arabes d'Israël, ont lancé une grève de la faim de trois jours. La présence significative de Juifs israéliens anti-occupation fut particulièrement marquante, un signe encourageant pour l'avenir d'une véritable co-résistance.
De Sakhnin, les manifestations se sont rapidement étendues à d'autres villes palestiniennes des territoires de 1948, à travers la Galilée, le Triangle, le Naqab et la région côtière. Et désormais, fait crucial, l'écho de ce mouvement commence à résonner en Cisjordanie, bien que les Palestiniens y soient toujours pris entre la répression des forces d'occupation israéliennes et celle de leurs collaborateurs de l'Autorité palestinienne.
Inspirés par la grève de la faim des leaders palestiniens à l'intérieur d'Israël, des activistes et figures nationales de Cisjordanie ont entamé leur propre grève, non seulement en solidarité avec Gaza, mais aussi comme outil de réveil politique. Les grévistes de la faim à Ramallah, que j'ai rejoints un jour, parlaient ouvertement de leur inspiration directe tirée de la mobilisation des citoyens palestiniens d'Israël et de leurs dirigeants. Sommes-nous en train d'assister aux premiers pas d'un mouvement populaire unifié, capable d'imposer un véritable changement ? Il est encore trop tôt pour le dire. Mais une chose est certaine : les Palestiniens ne peuvent plus se permettre la paralysie de l'immobilisme politique. La suite dépendra des dynamiques internes, et de la capacité des leaders du mouvement à penser stratégiquement pour construire le moteur, la structure et le cadre nécessaires à cette transformation historique.
Awad Abdelfattah, le 6 Août 2025
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Le Munich de l’Alaska : Le sommet Trump-Poutine a récompensé l’agression et trahi l’Ukraine
Christopher Ford affirme qu'il s'agit de l'effondrement du "pivot" vers l'Ukraine et de la consolidation de l'axe Trump-Poutine.
17 août 2025 | Ukraine Solidarity Campaign de Grande-Bretagne --- Christopher Ford
Traduction : Marc Bonhomme
Il y a deux semaines, Washington a amorcé un virage serré contre Moscou. L'indignation publique du président Trump face au massacre de civils ukrainiens par la Russie a été si intense qu'il a prétendu avoir ordonné à deux sous-marins nucléaires américains de s'approcher des eaux russes, tout en promettant de nouvelles sanctions sévères. Les commentateurs ont parlé d'un "pivot" vers l'Ukraine.
Ce pivot n'était qu'un leurre, il n'a jamais eu lieu.
M. Trump a décidé de remplacer l'aide directe à l'Ukraine par un accord commercial dans lequel les gouvernements européens paient l'intégralité du coût des armes, notamment de la défense aérienne. Un spectacle grotesque où Trump profite de la vulnérabilité de l'Ukraine, qu'il a contribué à créer. Il n'y a pas eu d'augmentation importante de l'aide militaire, même par le biais de ventes à l'Europe pour l'offrir à l'Ukraine.
La menace de Trump d'imposer des "tarifs douaniers sévères" à la Russie et à ses clients pétroliers ne s'est finalement concrétisée que par des droits de douane sur l'Inde, épargnant la Chine, la Turquie et d'autres pays - une décision largement perçue en Asie comme une question de relations commerciales plutôt que comme un soutien à l'Ukraine. En juillet, il a fixé au 2 septembre la date limite pour que la Russie progresse vers la paix, puis l'a reportée du 7 au 9 août, avant de remplacer brusquement le discours sur les conséquences graves par un discours sur les territoires ukrainiens qui devraient être cédés à la Russie. Le délai est passé sans conséquence ; au lieu de cela, Trump a envoyé l'envoyé spécial Steve Witkoff à Moscou le 6 août, où Poutine n'a fait aucune concession et a répété ses demandes d'annexion maximalistes - une réunion que Trump a saluée comme un "grand progrès". Le lendemain, le sommet de l'Alaska a été annoncé, et lors des préparatifs, M. Trump a affirmé à plusieurs reprises que l'Ukraine devrait céder des territoires pour parvenir à un accord.
À la veille du sommet de l'Alaska, la Russie a de nouveau frappé l'Ukraine avec 85 drones Shahed et un missile Iskander, tuant des civils et détruisant des infrastructures. Sur le front, ses forces ont poursuivi leurs offensives, sans nouvelles sanctions américaines, maintenant ainsi la machine de guerre en marche.
Dans ce contexte, le sommet a débouché sur quatre résultats clairs, tous à l'avantage de Moscou et tous au détriment de l'Ukraine :
1. Normalisation des relations avec la Russie
L'accueil sur tapis rouge, les échanges personnels chaleureux et les éloges publics de M. Trump ont marqué une nouvelle étape dans la réhabilitation internationale de Vladimir Poutine. Les deux hommes ont salué des entretiens "extrêmement productifs" et "très chaleureux". Poutine a invité Trump à Moscou pour le prochain round.
2. Les sanctions ne sont plus à l'ordre du jour
Les mesures annoncées comme inévitables ont disparu. Dans une interview accordée à Fox News après le sommet, M. Trump a confirmé qu'"en raison de ce qui s'est passé aujourd'hui", une action punitive n'était plus envisagée. L'influence des États-Unis s'est évaporée en un aprèsmidi.
3. Pression sur l'Ukraine pour qu'elle cède des territoires
Dans la même interview accordée à Sean Hannity (Fox News), Trump a admis que lui et Poutine s'étaient "largement mis d'accord" sur les conditions de l'échange de territoires, laissant à Kiev le soin d'accepter ou de refuser. Les exigences de l'agresseur sont ainsi présentées comme relevant de la responsabilité de l'Ukraine, ce qui a pour effet de rejeter sur l'Ukraine la responsabilité de l'échec de la pacification et de récompenser l'invasion de la Russie.
4. Le cessez-le-feu n'est plus nécessaire
Le cessez-le-feu immédiat que Trump a demandé à l'Ukraine d'accepter sous la contrainte, au prix de nombreuses vies, sans aucune pression réciproque sur Poutine, a été abandonné. Aujourd'hui, Trump a entièrement adopté la position russe en faveur d'un soi-disant accord de paix permanent.
En substance et symboliquement, l'Alaska n'a pas été un pas vers la limitation de l'agression russe, mais un pas vers l'accommodement. Le prétendu pivot vers l'Ukraine s'est dissous dans un rapprochement plus profond envers la Russie.
Toutes les nouvelles sanctions destinées à punir la guerre de conquête de la Russie ont disparu, la justice pour les crimes de guerre a disparu et la charge de mettre fin à la guerre a été transférée de l'auteur à la victime.
Malgré toute l'hypocrisie de Washington et son histoire mouvementée en matière d'adhésion à l'ordre juridique d'après-guerre qu'il a contribué à créer à Nuremberg, accueillir Poutine - un criminel de guerre recherché - marque un nouveau coup d'arrêt. Rappelons que Poutine est recherché pour l'enlèvement de milliers d'enfants dans les régions d'Ukraine occupées par la Russie et leur transfert dans la Fédération de Russie.
Le sommet a donné une victoire au Kremlin et a rejoué le scénario de l'apaisement des années 1930 qui a récompensé l'agression et enhardi les autoritaires en puissance. On peut soutenir que l'ordre international d'après-guerre est effectivement terminé, avec un effondrement de ses principes fondamentaux et un affaiblissement des institutions face à la montée de l'autoritarisme et à l'agression incontrôlée.
C'est l'axe de réaction Trump-Poutine en action : un réalignement stratégique qui normalise un criminel de guerre inculpé, démantèle la pression exercée sur son régime et exige que l'Ukraine paie le prix d'une "paix" qui consacre l'occupation russe.
Les dirigeants européens ont fait l'éloge de M. Trump et du sommet de l'Alaska, Keir Starmer (premier ministre de la Grande-Bretagne) déclarant que le "leadership de M. Trump dans la poursuite de la fin de la tuerie doit être salué". Cette réaction accommodante de Trump joue en sa faveur : elle renforce la fausse image qu'il veut projeter tout en camouflant l'aide qu'il apporte réellement aux objectifs du Kremlin. En le présentant comme un pacificateur crédible malgré sa volonté de normaliser les relations avec Poutine sans réelles concessions, Trump légitime l'atteinte à la souveraineté de l'Ukraine et enhardit la Russie. Il affaiblit également le mouvement syndical et ceux qui défendent la démocratie aux États-Unis.
Il existe une alternative à la trahison.
Pendant toute une année, on nous a dit que la ville de Pokrovsk, dans la région du Donbass, tomberait aux mains de la Russie. Un an plus tard, bien que privée d'aide, l'Ukraine tient toujours la ville, qui ne doit pas être livrée à l'occupation russe, comme d'autres villes. La résilience ukrainienne devrait prouver qu'il existe une alternative à la trahison si l'aide réelle dont l'Ukraine a besoin pour garantir une paix juste était fournie.
Il existe une alternative, que le mouvement syndical doit affirmer, comme l'indique la vision de la campagne de solidarité avec l'Ukraine "Une autre Ukraine est possible - libérée de l'occupation". Le mouvement syndical, la société civile et le gouvernement travailliste doivent rejeter tout règlement légitimant l'occupation russe et rallier un soutien militaire, financier et diplomatique. Cela signifie qu'il faut augmenter les livraisons d'armes, saisir les actifs russes, annuler la dette de l'Ukraine et appliquer des sanctions plus sévères. La justice internationale doit poursuivre les crimes de guerre et garantir le retour des enfants enlevés.
La voie à suivre ne doit pas consister à apaiser les nouveaux autoritaires, mais à soutenir une Ukraine démocratique et unie, débarrassée des oligarques et des occupants. Cela signifie qu'il faut résister à la conquête territoriale et se tenir aux côtés de ceux qui, en Ukraine, luttent pour la justice sociale, l'égalité et l'autodétermination - un avenir construit sur la solidarité, et non sur la capitulation face à de nouvelles formes de fascisme.

Pas d’accord avec les criminels de guerre sur le sol de l’Alaska
À lire ! Les organisations du Native Movement Alaska viennent d'adopter cette déclaration qui dénonce l'impérialisme russe et la rencontre des néofascistes Trump/Poutine à Anchorage, ce 15 août 2025 :
« Le Mouvement autochtone s'oppose à tout accord qui force l'Ukraine à céder des territoires, à récompenser l'agression ou à réduire au silence ceux dont la vie est en jeu. Nous nous opposons à la montée du fascisme et à l'occupation violente partout, que ce soit en Ukraine, en Palestine ou ici en Alaska. Aucun de nous ne sera libre tant que nous ne le serons pas tous. »
Internationaliste, cette déclaration rompt avec le discours actuellement porté par une partie de la gauche québécoise qui, dans les faits, défend un internationalisme à géométrie variable, selon qu'il s'agisse de la Palestine ou de l'Ukraine.
Elle devrait ainsi interpeller l'ensemble des organisations militantes qui, tout en se disant décoloniales, ne prennent pas clairement position en faveur du droit du peuple ukrainien à l'auto-détermination et à la résistance, y compris armée, contre le colonialisme.
Ce communiqué a été traduit en français par Aplutsoc.
Camille Popinot et Paco
Aucun accord avec les criminels de guerre sur le sol alaskien
Alors que le président Donald Trump s'apprête à rencontrer le président russe Vladimir Poutine en Alaska le 15 août pour discuter de la crise ukrainienne, le Mouvement autochtone se tient aux côtés des Alaskiens et de ceux qui, à travers le pays, condamnent toute tentative de légitimer les crimes de guerre russes sur le territoire alaskien.
L'Alaska connaît le coût de l'impérialisme russe. Pendant plus d'un siècle, les colonisateurs russes ont volé et exploité des terres, décimé les populations autochtones d'Alaska par la violence, les maladies et l'esclavage, et anéanti des cultures par la suprématie religieuse. Aujourd'hui, nous observons la même stratégie impérialiste en Ukraine : annexion de territoires, ciblage de civils et déportation forcée de plus de 20 000 enfants ukrainiens – un crime de guerre au regard du droit international.
L'histoire de l'Alaska sous la domination russe ne nous rend pas neutres, elle fait de nous des témoins. La décision d'accueillir Poutine, un criminel de guerre, sur le sol alaskien est une trahison de notre histoire et de la clarté morale qu'exigent les souffrances de l'Ukraine et des autres peuples occupés.
Le Mouvement autochtone s'oppose à tout accord qui force l'Ukraine à céder des territoires, à récompenser l'agression ou à réduire au silence ceux dont la vie est en jeu. Nous nous opposons à la montée du fascisme et à l'occupation violente partout, que ce soit en Ukraine, en Palestine ou ici en Alaska. Aucun de nous ne sera libre tant que nous ne le serons pas tous.
Native Movement Alaska : https://www.nativemovement.org/nm-blog/2025/8/14/no-deals-with-war-criminals-on-alaska-soil
Traduit par Aplutsoc : https://aplutsoc.org/2025/08/15/alaska-non-au-sommet-des-brigands/
PS : une vidéo du "comité d'accueil" à Anchorage : https://www.facebook.com/100001518997674/videos/pcb.24478548451779115/1931539270967762

Donald Trump jette à la poubelle le socle de la politique climatique des États-Unis
L'Agence étasunienne pour la protection de l'environnement s'est sabordée en annulant un texte juridiquement fondamental. Une étape de plus dans la lutte sans relâche de Donald Trump contre toute politique écologique.
Tiré de Reporterre
2 août 2025
Par Erwan Manac'h
La thérapie de choc orchestrée par Donald Trump contre les politiques environnementales et climatiques ne connaît aucun répit. Mardi 29 juillet, l'Agence pour la protection de l'environnement (EPA) a rayé d'un trait de plume un texte adopté sous Barack Obama servant de fondement juridique aux réglementations fédérales limitant les rejets de CO2 des voitures et des usines.
L'endangerment finding (« reconnaissance de dangerosité » en français) est un texte scientifique publié en 2009, à l'issue de décennies de débats et de controverses juridiques et à la suite d'un arrêt de la Cour suprême des États-Unis faisant jurisprudence, en 2007. Il reconnaît que le dioxyde de carbone et le méthane, comme causes du changement climatique et facteurs de pollution atmosphérique, nuisent à la santé. C'est sur le fondement de ce grand principe que l'EPA a pu réglementer les émissions maximales des pots d'échappement des véhicules ainsi que les rejets des usines et centrales à gaz ou à charbon.
Croisade contre « la religion du changement climatique »
« Si elle est finalisée, l'annonce d'aujourd'hui serait la plus grande mesure de dérégulation de l'histoire des États-Unis », a claironné Lee Zeldin, le patron climatodénialiste de l'EPA, nommé par Donald Trump le 29 janvier. En s'exprimant à l'occasion d'une visite chez un concessionnaire de camions à Indianapolis, il a fustigé « les personnes qui […] sont prêtes à ruiner le pays au nom de la justice environnementale ».
Dans sa croisade contre « la religion du changement climatique », il vise en particulier les normes édictées par l'administration de Joe Biden pour réduire les émissions de gaz à effet de serre des voitures et camions, accusées d'augmenter le prix des véhicules neufs et de renchérir les factures énergétiques des ménages.
« En révoquant cette conclusion scientifique fondamentale, Trump fait passer la loyauté envers les grandes compagnies pétrolières avant la science et la santé des populations. Il s'agit purement et simplement d'une capitulation politique », dit Dan Becker, directeur de campagne pour l'ONG Center for Biological Diversity, dans un communiqué.
« Les fondements juridiques [de cette décision] sont très fragiles »
Pour motiver sa décision, qui se dessine depuis le mois de mars, le ministère étasunien de l'Énergie a publié le 29 juillet un rapport commandé à cinq scientifiques c connus pour nier les causes anthropiques et minimiser les conséquences du réchauffement climatique. Ils dénoncentdans ce texte les « stratégies d'atténuation agressives ».
De nombreux observateurs s'alarment des conséquences importantes d'une suppression de l'endangerment finding sur les réglementations passées et futures en termes d'émissions de gaz à effet de serre. La bataille ne fait toutefois que commencer : une période de consultation publique de quarante-cinq jours s'ouvre, ainsi qu'une guérilla juridique, avec des recours qui pourraient aboutir à l'annulation de la décision annoncée le 29 juillet.
« Les fondements juridiques sont très fragiles », dit Richard Revesz, expert en politique environnementale à la faculté de droit de l'université de New York, interrogé par le Guardian. Il estime notamment que les fondements théoriques sur lesquels s'appuie l'administration Trump pour motiver sa décision risquent de ne pas tenir, face à cinquante ans de travaux scientifiques démontrant la dangerosité des gaz à effet de serre.
Lire aussi : Climat : pourquoi la décision de la Cour internationale de justice est « historique »
Bien que fragile juridiquement, la décision annoncée le 29 juillet risque d'avoir des conséquences inaltérables, soulignent les ONG : « Ça va prendre des années » pour remonter jusqu'à la Cour suprême, estime Dena Adler, spécialiste du droit de l'environnement interrogée par l'Agence France-Presse. « Pendant ce temps, les entreprises polluantes auront infligé des dommages irréversibles », dit Lena Moffitt, directrice de l'ONG Evergreen Action, également citée par le Guardian.
Six mois d'attaques contre l'environnement
Cette décision est l'une des plus violentes attaques de Donald Trump contre les politiques climatiques, qu'il multiplie depuis son retour à la Maison Blanche en janvier.
Il a notamment pris plusieurs mesures pour favoriser les énergies fossiles : levée, dès son investiture, d'interdictions de forage décidées par son prédécesseur ; détricotage en juin de la réglementation sur les rejets des centrales au charbon, au pétrole et au gaz, incriminées dans une pollution massive de l'environnement au mercure ;attaque, devant les tribunaux, des États qui tentent de faire payer aux compagnies pétrolières et gazières les conséquences du changement climatique ; affaiblissement des procédures d'autorisation environnementale pour les projets extractivistes ; retrait des États-Unis de l'Accord de Paris sur le climat ; autorisationde l'exploitation minière des fonds marins…
En une seule journée, le 12 mars, il a démantelé 31 réglementations environnementales, dont beaucoup portaient sur l'extraction d'hydrocarbures.
Lire aussi : En 100 jours, Trump a plongé les États-Unis dans une dystopie climatique
Donald Trump a également baissé les garde-fous contre le déversement de polluants dans les zones navigables et l'EPA s'est illustrée, en mai, par un affaiblissement des mesures visant à lutter contre la présence de PFAS, ces « polluants éternels » dérivés du fluor, dans l'eau potable. Les seuils de concentration maximale de la plupart des polluants ont été supprimés, tandis qu'une loi est en préparation pour supprimer la quasi-totalité des protections d'habitat pour les espèces menacées.
Au total, 20 milliards de dollars (environ 18 milliards d'euros) de subventions destinées à la lutte contre la crise climatique ont été supprimés depuis son retour au pouvoir en janvier. L'Agence étasunienne d'observation océanique et atmosphérique a dû licencier 900 de ses employés(20 % de son effectif) et doit cesser de répertorier les grandes catastrophes climatiques. Des subventions aux universités Harvard et Columbia ont été gelées et les chercheurs ont été forcés, sous peine de perdre leurs financements, de bannir 120 mots de leurs travaux, dont « climat » et « femme ».
Les États-Unis sont le deuxième plus gros émetteur de gaz à effet de serre mondial après la Chine et le plus important de l'histoire. Ils représentaient à eux seuls 11 % des gaz à effet de serre mondiaux en 2021.
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Trump, les Démocrates et nous : les trois blocs aux États-Unis
Après la victoire éclatante de Zohran Mamdani – candidat de la gauche socialiste (DSA) – aux primaires démocrates de la ville de New York, en vue de l'élection municipale qui aura lieu à l'automne, Mathieu Bonzom s'interroge sur les formes de résistance au pouvoir trumpiste, analyse la crise du Parti démocrate et donne à voir les perspectives possibles pour la gauche états-unienne.
Tiré de la revue Contretemps
21 juillet 2025
Par Mathieu Bonzom
Milliardaire recherche candidat. Après avoir soutenu Donald Trump à la dernière élection présidentielle, Bill Ackman fait la une des journaux en annonçant vouloir financer une grande campagne électorale centriste. Contre le trumpisme ? Non : contre la gauche, à New York, au lendemain de l'étonnante victoire de Zohran Mamdani à la primaire démocrate pour le siège de maire.
La presse s'interroge, notamment en France : que font donc les Démocrates face à Trump ? Et les interrogations sur cette apparente inaction démocrate sont compliquées par ce qui se joue entre ce parti et les socialistes qui entreprennent (surtout depuis Bernie Sanders à la présidentielle il y a une dizaine d'années) de s'inviter dans ses primaires [1].
Or, l'arène électorale, où certains contre-pouvoirs institutionnels potentiels au trumpisme sont en jeu (dès cette année au niveau local, l'année prochaine au niveau du Congrès fédéral) est très révélatrice de ce que les Démocrates sont en train de faire, et de ce qui est en train d'arriver à la vie politique étatsunienne en général.
Malgré tout ce qui sépare les dispositifs institutionnels et l'histoire politique des États-Unis et des autres pays du centre capitaliste, force est de constater qu'une même dynamique « à trois blocs » (extrême-droite, centre, gauche) est en train de s'affirmer un peu partout, et se présente comme une sorte de nouvel horizon politique général à la fin de ce premier quart du 21e siècle.
Les Démocrates, à la tête du deuxième parti capitaliste aux États-Unis (et même premier en dons de milliardaires s'agissant de la campagne Kamala Harris l'an dernier), en sont les premiers surpris. Dans « la plus vieille démocratie au monde », les aspects anti-démocratiques du système politique trahissent aussi bien son âge que la défaite historique de la gauche voici un siècle. Des milliards de dollars inondent l'arène politique avec de moins en moins de retenue. Pourtant il semblerait que tout cela ne suffise plus à garantir indéfiniment le verrouillage du champ politique autour des deux grands partis de la bourgeoisie. De façon pour le moins imprévue (au même titre qu'en France du reste), ce ne sont pas deux mais trois blocs qui se dessinent, de façon persistante, aux États-Unis.
Pour mieux comprendre comment s'organisent les conflits politiques entre ces trois blocs depuis le retour de Trump, commençons par quelques remarques sur les forces et les limites, à ce jour, de la résistance au trumpisme.
Mamdani et la résistance contrastée à Trump
L'élection municipale new-yorkaise revêt plus que jamais un enjeu national. Parce qu'un charismatique socialiste de 33 ans a gagné l'investiture du Parti démocrate, au grand dam de la direction de ce dernier. Parce qu'il a mené une campagne mobilisant 50 000 bénévoles et a fait remonter la participation électorale de façon spectaculaire [2].
Parce qu'il l'a fait au nom d'un programme à la fois combatif contre la vie chère [3], et solide sur l'antiracisme, face à l'offensive de Trump contre les immigré∙es comme à l'islamophobie exacerbée, et sur l'anti-impérialisme en particulier concernant la Palestine. Parce qu'il s'est imposé dans l'un des plus grands centres du pouvoir économique au monde, et dans un pays où la gauche a historiquement été marginalisée, ou encore parce qu'il est musulman. Mais aussi parce que Trump ne semble rencontrer aucune résistance significative depuis son retour à la tête de l'État.
Aucune résistance ? Il en a peu été question en France, mais les « No Kings » protests [4] contre sa présidence ont fait du 14 juin l'une des plus grandes journées de manifestations de l'histoire des États- Unis, avec 4 à 6 millions de personnes rassemblées à travers le pays, dans plus de 2 000 localités. Ce n'est peut-être qu'un début.
Certes, il en faudra plus pour arrêter un autoritarisme déterminé à détruire ce qu'il reste de libertés dans une société déjà malmenée par le passé. Dos au mur face à l'austérité de Trump [5], les franges combatives du mouvement syndical, par exemple, retrouveront peut-être leur dynamisme des années Biden. Des réseaux de solidarité s'organisent, notamment face au déchaînement de racisme, de violence et aux détentions arbitraires contre les immigré∙es et certain∙es opposant∙es politiques.
De leur côté, Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez sillonnent les régions républicaines à fort électorat populaire en dénonçant l'oligarchie devant des salles combles. Et la victoire de Mamdani déclenche une nouvelle vague d'adhésions à l'organisation phare de la nouvelle gauche socialiste, les Democratic Socialists of America (DSA).
Le retour d'un trumpisme déchaîné n'a pas encore rencontré d'obstacle décisif sur son passage. D'après le bilan ci-dessus cependant, on peut dire qu'une base politique existe pour une contre-offensive. De plus, Trump n'est pas sûr de remporter son pari de conserver son étroite majorité électorale grâce au racisme d'État et à son usage autoritaire des institutions alors que sa politique économique et sociale va causer des ravages dans les classes populaires, y compris dans les secteurs qui ont voté pour lui.
Certaines des structures organisationnelles existantes ou en train de se constituer (politiques, syndicales et inter-syndicales, associatives…) pourraient contribuer à lancer cette contre-offensive pour de bon. Jusqu'à présent celle-ci a été introuvable, le choc et la désorientation ont eu tendance à l'emporter, mais le coup d'éclat new-yorkais pourrait non seulement faire des émules mais résonner comme un appel à la mobilisation générale.
Si la victoire de Mamdani à la primaire démocrate pour la mairie de New-York a connu un tel retentissement national, c'est qu'elle apparaît comme la campagne la plus éclatante et crédible pour regrouper les forces qui s'opposent à Trump, sans comparaison possible avec tout ce qu'ont pu faire les Démocrates depuis six mois.
Entre Trump et la gauche : la crise du Parti démocrate
En ces temps de crise politique, les grands dirigeants démocrates se font bien plus discrets qu'en 2017. Beaucoup espèrent un retour de balancier aux élections de mi-mandat, qui sont encore bien loin. Compter sur Trump pour organiser des élections régulières relève déjà du pari. Mais surtout, abandonné par une part croissante des classes populaires, le parti vit une crise dans la crise.
Joe Biden, revenu en politique en 2020 pour bloquer Sanders, est devenu l'incarnation parfaite d'un parti dépassé, dans le déni du rejet massif de son bilan social et international. Kamala Harris a prôné la continuité, avec le résultat que l'on sait.
Si l'on revient à New York, il est significatif que les ténors et les sopranos du Parti démocrate, dans la primaire d'une élection test après le retour de Trump, n'aient rien trouvé de mieux que de se ranger derrière Andrew Cuomo. L'ancien gouverneur de l'État de New York a démissionné, il y a quatre ans, après avoir été accusé de corruption et de harcèlement sexuel, ainsi que d'une gestion désastreuse des soins aux personnes âgées pendant la pandémie du Covid-19.
Cela n'a pas empêché son parti de le soutenir à nouveau cette année (après tout, fils de gouverneur lui-même, il s'est associé personnellement et politiquement aux familles Kennedy et Clinton depuis de longues années). Les riches donateurs ont fait de même et les sondages le donnaient gagnant, mais il est finalement arrivé deuxième loin derrière Mamdani. Il a fini par confirmer son intention déjà annoncée de se présenter comme candidat indépendant, mais il s'est là encore fait voler la vedette par le candidat socialiste sur les réseaux sociaux : Cuomo n'a qu'à ouvrir la bouche pour faire affluer les dons de simples électeurs∙trices vers Mamdani, ironise ce dernier.
Et c'est peut-être encore la deuxième place qui attend Cuomo au concours d'imitateurs de Trump : le maire démocrate sortant, Eric Adams, se présente lui aussi en tant qu'indépendant. Inculpé pour corruption, il a vu son affaire classée alors qu'il se ralliait publiquement à la politique migratoire du président. Les « phénomènes morbides » de la crise ne portent pas seulement les noms de Trump, Vance, ou Musk, mais aussi Biden, Harris, Clinton, Schumer, Pelosi, Cuomo, Adams, etc.
Il y a tout juste un an, les dirigeants démocrates se réjouissaient d'avoir fait battre les élu∙es de gauche Jamaal Bowman (à New York) et Cori Bush (à Ferguson) dans les primaires au Congrès, en raison de leurs prises de position défendant la Palestine [6]. Tandis que Biden remportait la primaire présidentielle sans opposition, beaucoup croyaient refermer la parenthèse de dix années de poussée socialiste. Aujourd'hui, on voit bien que c'était illusoire, que les dix ans de renouveau socialiste n'étaient pas un épiphénomène en train de se terminer, et que l'un de ses facteurs est bien l'incapacité durable des Démocrates à incarner une politique crédible pour les classes populaires.
La question de la Palestine mérite que l'on s'y arrête un peu plus. Le New York d'Eric Adams a vu le déchaînement de la police contre les mobilisations de solidarité avec la Palestine (notamment à Columbia). Plus tard, lors de son rapprochement avec Trump impliquant de soutenir l'action de la police fédérale de l'immigration, celle-ci en a profité pour enlever et placer en rétention prolongée le militant étudiant Mahmoud Khalil loin de sa famille pendant trois mois, le laissant aujourd'hui menacé d'expulsion. Le moins qu'on puisse dire est que les Démocrates ne s'empressent pas de soutenir Khalil, naturellement.
La campagne Mamdani, tout en maintenant sa focalisation sur les questions socio-économiques, a courageusement tenu des positions justes sur ces questions, et démontré que ce n'était pas un suicide politique à New York, voire aux États-Unis. Au contraire : c'est un enjeu très important en soi (les États-Unis étant activement impliqués dans une colonisation qui dure depuis trois quarts de siècles et aboutissant à un génocide encore en cours) mais aussi pour rallier les classes populaires et marquer une rupture nette avec le consensus des deux grands partis des classes dirigeantes.
« Good policy and good politics », comme on dit parfois : c'est juste à la fois sur le fond, et en termes de stratégie politique, de construction d'un bloc à vocation majoritaire. Mamdani a été très bon dans la dimension socio-économique de sa campagne ; cela ne doit cependant pas faire oublier l'importance de son positionnement antiraciste et anti-impérialiste, qu'il n'a jamais renoncé à défendre (ce qui n'a pas été le cas de tous ses camarades socialistes ces dernières années).
La poussée à gauche se poursuit bel et bien. De son côté, Trump a mis son camp en ordre de bataille. Le centre néolibéral est pris entre la montée de l'extrême droite et la résurgence de la gauche, comme dans bien d'autres pays. Mais il semble plus pris de cours qu'ailleurs, un peu comme si des décennies de vie politique rendue si routinière par l'érosion extrême de la démocratie avaient endormi ses capacités d'analyse et d'initiative politique (dans un système où les partis sont des organisations notoirement décentralisées). Le Parti démocrate, qui faisait campagne « contre le fascisme » il y a quelques mois, trahit aujourd'hui que pour lui c'était un slogan de campagne comme un autre, car il ne sort pas vraiment de son mode de fonctionnement antérieur.
Du reste, on voit bien que le centre préférerait le face-à-face avec l'extrême-droite, comme en France là aussi. Si le but du centre est d'apparaître comme la seule opposition légitime, prête à bénéficier d'un déclin de la popularité de l'extrême-droite, alors la gauche ne doit même pas avoir le droit d'exister. D'où les attaques très virulentes contre Mamdani de la part de figures démocrates, après sa victoire. Des attaques choquantes pour la frange de centre-gauche du parti, qui sans être anticapitaliste, voit très nettement qu'une vieille garde corrompue tente de saborder une campagne jeune, dynamique et populaire, soit tout ce qui manque au parti. Du côté de la base du centrisme, il y a donc de bonnes raisons de penser que la crise s'approfondira encore.
Et du côté des classes dirigeantes ? C'est bien parce que le Parti démocrate ne s'impose plus autant dans le peuple, malgré tout le soutien dont il bénéficie de la part des riches, que l'on observe l'attrait de bon nombre d'entre eux pour l'ultra-autoritarisme. Les grands capitalistes peuvent en effet trouver leur compte, à court terme, dans le trumpisme – moyennant quelques rappels à l'ordre par Wall Street, comme sur le protectionnisme. Le brouillard de la guerre (militaire, économique, environnementale) se fait de plus en plus épais sur le long terme. « Après moi le déluge » prend son sens le plus littéral.
Alimenter le racisme permet aux riches trumpistes de cimenter une alliance avec une partie des classes populaires blanches issues de zones rurales surreprésentées en vertu de la Constitution, tout en bénéficiant de la crise du Parti démocrate dans d'autres secteurs de l'électorat. Il reviendra à la gauche et aux mouvements populaires de briser ce bloc d'extrême droite.
Quelles perspectives à gauche ?
On ne saurait assez insister sur la ligne politique qui a conduit à la victoire d'une campagne de masse à New York en plein retour du trumpisme. Cette ligne se caractérise, comme on l'a vu, par deux dimensions principales : un positionnement limpide et combatif pour les conditions de vie des classes populaires et contre les riches, et une intransigeance contre les principaux points de la politique raciste et impérialiste des États-Unis, en particulier dans la solidarité avec les immigré∙es et les musulman∙es dont il fait partie, ainsi qu'avec la Palestine – cette deuxième dimension, antiraciste et anti-impérialiste étant plus affirmée que dans la plupart des précédents en date aux États-Unis. Si cette ligne pourra sans doute connaître des ajustements dans le cadre d'une stratégie différenciée sur le plan local, il serait dommageable, sur le fond et en termes de stratégie, de revenir en arrière, et de ne pas porter cette ligne à l'échelle nationale.
Cependant les chances de lancer et réussir une contre-offensive à Trump ne reposent pas seulement sur la capacité des socialistes à trouver et tenir la bonne ligne politique : la lutte contre les classes dirigeantes repose sur le développement d'une dynamique entre le bloc de gauche qui se consolide peu à peu et les mobilisations de masse. La consolidation et l'extension progressive de ce bloc et le déploiement de fortes mobilisations sociales devront s'alimenter mutuellement, ou échouer séparément.
De ce point de vue la radicalité de la campagne Mamdani et du bloc de gauche en général dépend moins de la lettre de son programme que de sa capacité à servir de catalyseur au développement et l'activité d'une gauche de masse dans la population. Sans cela, même des mesures relativement modestes seront inapplicables et Trump continuera d'avoir largement le champ libre. Avec cela au contraire, des espoirs plus ambitieux seront permis car la démonstration sera faite qu'il est possible pour les classes populaires de remporter des victoires qui changent la société à condition de s'organiser et de se mobiliser. Car c'est bien cette conviction même, moteur fondamental de la politique anticapitaliste de masse, qui reste encore à reconstruire au 21e siècle. Les deux niveaux (construction au sein des masses de mobilisations sociales et d'un bloc politique) doivent fonctionner ensemble.
Prenons encore une fois le cas de Mamdani à New York. La situation est contrastée : la campagne elle-même a permis d'élargir, de mobiliser et d'organiser les forces militantes de la gauche dans la ville. DSA compte désormais plus de 10 000 militant∙es dans la ville de New York (et peut espérer des retombées dans le reste du pays, en termes d'adhésions et de stratégie). Ses résultats électoraux sont prometteurs dans les classes populaires. Cependant ces dernières restent largement extérieures aux organisations de la gauche comme DSA. Mamdani a reçu des soutiens importants de la part du mouvement syndical, qui reste lui aussi largement à reconstruire néanmoins.
En outre, les obstacles seront nombreux pour l'application du programme : il faudra non seulement affronter les initiatives directes des riches, de Trump, ou d'une police très puissante et autonome (le fameux NYPD), ce qui annonce de nouvelles batailles antiracistes et anti-impérialistes difficiles mais décisives. Il faudra également faire face aux Démocrates centristes qui contrôlent encore les institutions de l'État de New York.
Ceux-ci se disent ouverts à certaines propositions de politique sociale de Mamdani (pour ne pas déplaire à l'électorat populaire sur le logement ou les crèches par exemple) mais résolument opposés aux mesures de justice fiscale qui sont indispensables à leur réalisation [7]. Aux États-Unis, les villes sont très dépendantes de l'aval des États pour un certain nombre de mesures [8], notamment fiscales. L'État de New York exerce aussi un contrôle sur la régie des transports municipaux (la MTA). Le maire de centre-gauche Bill de Blasio s'était d'ailleurs heurté dans les mêmes domaines à l'opposition du gouverneur… Andrew Cuomo.
Il faudra donc mener une bataille politique pour que les centristes paient le prix de leurs positions politiques, mais cela ne pourra pas réussir seulement depuis la Mairie, il faudra une mobilisation populaire, d'une façon ou d'une autre (ainsi sans doute que de nouvelles campagnes électorales de gauche à l'échelon de l'État).
Zohran Mamdani ne vient pas des classes populaires, cependant c'est un militant socialiste plus chevronné que beaucoup des candidat∙es que DSA a été amené à soutenir. Il est sans doute très conscient de ces enjeux, ce qui est un bon début.
Ensuite, le problème de la reconstruction de mobilisations de masse et d'organisations politiques des classes populaires, dans leur diversité de genre et de race, se pose un peu partout. Là encore, la solution n'est pas une simple question de ligne politique. Des réponses organisationnelles sont à inventer, aux États-Unis comme ailleurs, à partir des conditions de vie et des activités autonomes des classes populaires d'aujourd'hui : activités syndicales et para-syndicales, comités de locataires, mais aussi multiples formes d'entraide dans le travail reproductif qu'il s'agirait de soutenir, de consolider, d'organiser et de politiser.
La situation politique est critique, et pour y faire face il sera indispensable de commencer à inventer de telles solutions. C'est parfois dans ce genre de situation que des avancées soudaines se produisent, ce qui justifiera d'examiner avec attention la ville et l'État de New York, ainsi que les États-Unis plus généralement, dans les prochains mois et années. La voie vers un parti de masse des classes populaires au 21e siècle reste à trouver, mais il faudra la trouver.
Après avoir beaucoup insisté sur la nécessité de mobilisations de masse pour que ce défi soit sérieux, il faut tout de même souligner que les mobilisations nécessitent tout autant une perspective politique aussi bien pour les déclencher que pour leur permettre de savoir ce qu'elles veulent et d'obtenir de réels succès.
Quelles que soient les incertitudes sur l'avenir, le retour confirmé de la politique de classe et de la polarisation gauche-droite, un siècle après sa défaite historique aux États-Unis ne saurait donc être considéré comme un détail. Les petits groupes d'extrême-gauche qui mettent en garde contre le réformisme ne mesurent pas le caractère vital de ces avancées dans la politique de masse (la politique de masse étant d'ailleurs vitale y compris précisément d'un point de vue révolutionnaire).
Alors que certains secteurs de DSA divergent de New York notamment sur la place des campagnes électorales en général et des primaires démocrates en particulier, on peut faire ici l'hypothèse que la poursuite dans cette voie est justifiée jusqu'à nouvel ordre. Parce qu'elle renforce la gauche en élargissant sa base électorale et en consolidant ses organisations comme DSA. Parce qu'elle contribue à la crise du Parti démocrate, crise qui devra être bien plus profonde encore avant qu'un parti de gauche de masse puisse émerger (sans que l'on puisse préjuger des délais que cela implique, en ces temps incertains).
Parce que les expériences concrètes et les débats qu'elles occasionnent sont aussi la source de propositions stratégiques distinctes tournées vers l'électorat populaire républicain, comme des campagnes électorales indépendantes sur de bases de gauche (le cas récent souvent cité est celui de Dan Osborne, qui tentera une deuxième fois sa chance pour devenir Sénateur du Nebraska l'année prochaine), l'objectif à terme étant d'affaiblir le bloc d'extrême-droite dans les classes populaires et de mettre en crise les deux partis.
Républicains et Démocrates agissent comme si rien n'allait leur faire payer le prix de leur incapacité à répondre réellement aux besoins et attentes des classes populaires. La gauche relève le défi de leur prouver le contraire.
Les dirigeants des deux partis et leurs riches soutiens pourront-ils acheter la défaite de Mamdani et de ses homologues à travers le pays ? Peut-être. Ils feront alors, au vu de tous, un pas de plus dans la voie de l'oligarchie, qui sème la misère, la destruction de la planète, la fascisation, et – aboutissement logique – la guerre et le génocide. À la primaire de New York, cependant, ils ont échoué.
Des deux côtés de l'Atlantique, du Nouveau Front populaire à Zohran Mamdani, la gauche esquisse un autre horizon politique en gagnant des batailles qui paraissaient perdues d'avance. Elle le fait en sachant s'unir sur des bases offensives. Car les compromis sociaux-libéraux avec les milliardaires, rejetés dans la rue et les urnes par les classes populaires, n'arrêteront pas l'argent ni la force brute de l'oligarchie fascisante. Trumpistes et centristes, macronistes et lepénistes, ne pourront éternellement voler la victoire.
*
Une première version de ce texte, nettement moins développée, a été publiée sous forme de tribune sur le site du journal Le Monde.
Notes
[1] Les règles des primaires sont définies par les États, qui disposent de listes électorales où les électeurs∙trices sont inscrit∙es comme étant affilié∙es à tel ou tel parti. En vertu de quoi on peut être membre d'une organisation socialiste, tout en étant inscrit démocrate et donc légalement autorisé à concourir aux primaires démocrates. Il ne peut donc y avoir d'exclusion des socialistes selon les mêmes modalités que dans d'autres contextes.
[2] Les résultats détaillés montrent de bonnes surprises dans des catégories sociales populaires votant rarement, dans des quartiers populaires ayant connu des percées pour Trump en 2024, etc. Voir les commentaires présentés ici : https://newleftreview.org/sidecar/posts/gilded-city?pc=1685
[3] Les principales propositions sont un gel des loyers assorti de projets de construction de logements sociaux, des transports publics gratuits et efficaces, la création de commerces alimentaires municipaux pour lutter contre l'inflation, ou encore l'accès universel à des crèches gratuites. Soit un ensemble de mesures d'urgence pour qu'il redevienne possible pour les classes populaires de vivre dignement dans la ville qui dépend de leur travail. Le tout financé par un ajustement fiscal en faveur des classes populaires, calqué sur ce qui existe dans des villes voisines.
[4] Cette journée organisée par une large coalition d'organisations sociales (syndicales, de défense des droits humains…) et politiques (structures soutenant des candidatures de centre-gauche ou de gauche) s'est focalisée sur la question démocratique, comme son nom l'indique (voir le site officiel : https://www.nokings.org/). La date a été choisie pour coïncider avec la grande parade militaire voulue par Trump pour marquer les 250 ans de l'armée des États-Unis, et son propre 79e anniversaire, et qui ne fut pas la démonstration de force espérée par la Maison Blanche. Ce type de mobilisation n'est donc pas survenu aussi vite qu'en 2017 mais a bien fini par entrer en scène de façon marquante, non seulement dans les bastions démocrates mais dans tout le pays : https://jacobin.com/2025/06/no-kings-protests-trump-popularity
[5] Avec le fameux « Big Beautiful Bill », celui qui fut un candidat pseudo-anti-système l'année dernière montre aujourd'hui son vrai visage de président des riches, avec une politique budgétaire de classe et de race d'ampleur historique : réductions d'impôts massives pour les riches et explosion du budget de la police de l'immigration, financées en particulier par des coupes monumentales dans le financement fédéral des prestations sociales de santé et alimentaires. Cela vient s'ajouter à de multiples autres mesures consistant à détruire des services publics déjà réduits à la portion congrue.
[6] Le niveau de solidarité avec la Palestine atteint des niveaux historiques aux États-Unis ces dernières années ; et le bilan des campagnes pro-Israël aux États-Unis est bien plus mitigé que leurs soutiens ne le prétendent, comme l'illustre la victoire de Mamdani et comme l'indiquait récemment Jacobin : https://jacobin.com/2025/07/israel-lobby-campaign-spending-nyc
[7] Un maire de gauche pourrait sans doute, cependant, avancer plus librement sur des mesures ayant de bonnes chances d'entretenir sa popularité. Pour une analyse poussée (et parfois technique) des enjeux, voir https://www.dissentmagazine.org/online_articles/what-can-zohran-accomplish/
[8] Le maire socialiste de Chicago, Brandon Johnson, en a fait l'amère expérience ces dernières années.
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25 ans de réductions d’impôts et de désastre budgétaire aux Etats-Unis
Le 3 juillet, le Congrès américain a adopté les réductions d'impôts de Trump. Les médias traditionnels et les économistes ont principalement rendu compte des détails de ces réductions, c'est-à-dire les impôts qui ont été réduits dans la loi de 2025, les gains qui en découlent pour les entreprises et les riches par rapport au reste de la population, l'impact sur le PIB et peut-être même sur les déficits et la dette publics.
12 août 2025 | tiré du site alencontre.org
https://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/25-ans-de-reductions-dimpots-et-de-desastre-budgetaire-aux-etats-unis.html
Tout cela est intéressant, mais ce n'est pas le plus important. Ils ignorent délibérément la perspective historique de ces réductions d'impôts et la situation d'ensemble qu'elles révèlent.
Cette situation d'ensemble annonce la crise budgétaire qui se profile, alimentée par la convergence croissante entre les réductions effrénées d'impôts depuis 2001, l'escalade chronique des dépenses militaires et de guerre, les crises économiques de plus en plus fréquentes et profondes entrecoupées de périodes de croissance économique plus lente, et maintenant, depuis 2022, l'accélération des coûts annuels de la dette nationale des Etats-Unis, qui s'élèvent à des milliers de milliards de dollars.
La dette des Etats-Unis est en passe d'atteindre 38 000 milliards de dollars d'ici la fin de l'année 2025. Les paiements d'intérêts aux détenteurs d'obligations dépassent déjà 1000 milliards de dollars par an. Le Congressional Budget Office, l'organe de recherche du Congrès américain, estime que la dette nationale atteindra 56 000 milliards de dollars d'ici 2034, avec des paiements d'intérêts à hauteur de 1700 milliards de dollars, et tout cela était pronostiqué avant que Trump adopte des réductions d'impôts de 5000 milliards de dollars.
De plus, l'élite américaine » ne montre aujourd'hui aucun signe de vouloir remédier à la crise budgétaire qui s'annonce. Elle continue :
• à réduire de plusieurs milliers de milliards de dollars les impôts des entreprises, des investisseurs et des 1% des ménages les plus riches,
• à augmenter les dépenses du Pentagone, des guerres et autres « mesures de défense » [voir l'article de William D. Hartung publié sur le site alencontre.org le 29 juillet],
• à permettre aux assurances maladie et aux grandes entreprises pharmaceutiques de ponctionner le Trésor,
• à verser chaque année des milliers de milliards de dollars supplémentaires aux détenteurs de titres américains, qu'ils soient étrangers ou états-uniens.
De nombreuses études montrent que, historiquement, 60% des déficits budgétaires des Etats-Unis, et donc de la dette nationale, sont dus à l'insuffisance des recettes fiscales, résultant de réductions chroniques d'impôts, d'une croissance économique lente, de l'évasion fiscale légale et de la fraude. Voici quelques faits intéressants sur les réductions d'impôts cumulées opérées par les deux partis politiques depuis 2001.
Réductions d'impôts cumulées 2001-2025
Les réductions d'impôts de George W. Bush décidées en 2001-2003 se sont élevées à 3800 milliards de dollars sur la décennie 2001-2010. On estime qu'environ 80% de ces réductions ont profité aux entreprises, aux sociétés et aux particuliers fortunés, car elles ont été principalement axées sur les taux d'imposition des particuliers, les plus-values et les dividendes des entreprises, ainsi que sur l'impôt sur les successions touchant les 1% des ménages les plus riches. George W. Bush a ensuite réduit les impôts de 180 milliards de dollars au printemps 2008, alors que l'économie commençait à entrer en récession et que la grande crise de 2008-2009 se profilait.
Lorsque Barak Obama a pris le pouvoir en 2009, son plan de relance économique, l'American Rescue Plan, adopté en mars, prévoyait 325 milliards de dollars supplémentaires de réductions d'impôts. L'ensemble de son plan de relance s'élevait à 787 milliards de dollars, dont 280 milliards ont été alloués aux Etats, qui ont ensuite thésaurisé la majeure partie de cette somme.
Moins de 200 milliards de dollars ont donc été consacrés à la relance de la consommation, ce qui s'est immédiatement révélé insuffisant pour relancer l'économie des Etats-Unis. Il a dû ajouter 25 milliards de dollars supplémentaires pour le programme « cash for clunkers » ou Car Allowance Rebate System [prime à la casse devant faciliter l'achat de nouvelles voitures consommant moins d'essence] et 25 milliards de dollars supplémentaires pour les « first time home buyers » (acheteurs d'une première maison) plus tard dans l'année. La plupart de ces derniers n'ont d'ailleurs pas été versés aux acheteurs de maisons, mais aux prêteurs hypothécaires afin de les inciter à accorder davantage de prêts hypothécaires.
Lorsque les réductions d'impôts de Bush ont dû être renouvelées en 2010, Obama les a prolongées de deux ans, jusqu'en 2012. Cela représentait 803 milliards de dollars supplémentaires de réductions d'impôts, là encore principalement au profit des riches et des entreprises.
En août 2011, dans le cadre d'un accord avec le Congrès [les républicains sont majoritaires dans la Chambre des représentants], Obama a réduit les dépenses sociales de 1500 milliards de dollars dans le cadre d'un nouveau plan « d'austérité ». 1000 milliards ont été supprimés dans le seul domaine de l'éducation et d'autres programmes sociaux ; 500 milliards de dollars devaient être supprimés dans les dépenses de défense, mais cette mesure a été reportée et n'a jamais été appliquée.
Les plans d'austérité dans les programmes sociaux suivent toujours les plans de relance en cas de crise. Cela a été le cas en 2011 après les plans de relance de 2009-2010. C'est à nouveau le cas aujourd'hui, en 2025, après les plans de relance Covid de 2020-2021, que nous aborderons plus en détail ci-dessous.
Les réductions d'impôts d'Obama en 2012 ont rendu permanentes celles de Bush. Elles ont coûté 5000 milliards de dollars supplémentaires. Elles étaient censées éviter ce que les médias, les lobbyistes et les propagandistes appelaient le « mur budgétaire » imminent [pour s'opposer à des augmentations d'impôts – qui passeraient de 35% à 39,6% – entre autres sur les Américains gagnant plus de 400 000 dollars annuels]. Elles étaient censées relancer l'économie.
Ce ne fut pas le cas. La croissance économique en termes de PIB pour le reste du mandat d'Obama n'a atteint en moyenne que 60% de la moyenne historique des périodes de reprise qui ont suivi les dix récessions précédentes aux Etats-Unis depuis 1948.
Obama a donc réduit les impôts des riches et des entreprises plus que Bush. Pour rappel, Bush a réduit les impôts de 4000 milliards de dollars (3800 milliards + 180 milliards). Obama a réduit les impôts de 325 milliards de dollars (2009) + 803 milliards de dollars (2010-2011), puis de 5000 milliards de dollars (2012). Cela représente 4000 milliards de dollars (Bush) et 6100 milliards de dollars (Obama). Puis sont venus les 4500 milliards de dollars de Trump en 2018.
***
Trump avait promis pendant la campagne électorale de 2016 de réduire les impôts de 5000 milliards de dollars. Et c'est à peu près ce qu'il a fait. La réduction d'impôts de 2018 pour la décennie à venir a coûté 4500 milliards de dollars.
Son administration, soutenue par les médias et les économistes de profession, a estimé que ces 4500 milliards de dollars ne coûteraient que 1900 milliards. Le secrétaire au Trésor de Trump à l'époque, Steve Mnuchin, a même déclaré publiquement que les réductions d'impôts de Trump « se financeraient d'elles-mêmes ».
Il voulait dire par là que les réductions d'impôts stimuleraient tellement le PIB et l'économie des Etats-Unis que la croissance entraînerait une augmentation des recettes fiscales au cours de la décennie qui compenserait les 1900 milliards de dollars. Citons Steve Mnuchin à l'époque : « nous pensons que les réductions d'impôts s'autofinanceront sur une période de dix ans » (Reuters, 13 février 2020).
La preuve que les réductions d'impôts de Trump en 2018 s'élevaient à 4500 milliards de dollars, et non à 1900 milliards, se reflétait dans les prévisions budgétaires de l'administration Trump et dans la réduction du déficit fédéral américain de 4600 milliards de dollars sur la décennie 2018-2028. Une preuve encore plus convaincante a été fournie par le Congressional Budget Office (Bureau du budget du Congrès), l'organe de recherche du Congrès, qui a estimé en 2025 que le coût des réductions d'impôts de 2018 s'élevait à au moins 4000 milliards de dollars au total !
Pendant plusieurs années, lors de débats avec des économistes de profession de renom tels que Robert Reich et Paul Krugman, l'auteur de cet article n'a cessé de démontrer que les réductions d'impôts de Trump ne s'élevaient pas à 1900 milliards de dollars, mais à 4500 milliards de dollars. Voici pourquoi.
Tout d'abord, l'estimation officielle de 1900 milliards de dollars était basée sur l'hypothèse que l'économie américaine connaîtrait une croissance annuelle de 3 à 3,5% au cours des dix prochaines années, soit de 2018 à 2028. Une prévision qui s'est avérée totalement inexacte.
Après une croissance modeste en 2018-2019, l'économie des Etats-Unis s'est effondrée en 2020 lorsque le gouvernement a ordonné un arrêt partiel de l'activité économique en réponse au Covid. L'économie a redémarré timidement et s'est redressée par étapes en 2021. Elle n'a ensuite connu qu'une croissance modérée entre 2022 et 2024 [respectivement 2,5%, 2,9% et 2,8%].
Cette modeste reprise du PIB sur trois ans a fait suite à l'énorme plan de relance budgétaire et monétaire de 10 700 milliards de dollars mis en place par le Congrès et la Réserve fédérale (Fed, banque centrale) entre 2020 et 2022 : 6700 milliards de dollars de relance budgétaire et 4000 milliards de dollars supplémentaires de relance monétaire par la Réserve fédérale. En d'autres termes, une montagne de mesures de relance n'a produit qu'une goutte d'eau dans l'océan du PIB.
Ensuite, l'estimation des réductions d'impôts de 2018 a largement sous-estimé et n'a pas pris en compte l'ampleur des réductions d'impôts dont ont bénéficié les transnationales américaines offshore.
Les 108 plus grandes entreprises américaines du classement Fortune 500 ayant des filiales offshore avaient accumulé 2700 milliards de dollars sur leurs comptes offshore, qu'elles ne rapatriaient pas aux Etats-Unis afin d'éviter de payer le taux d'imposition des sociétés de 35% en vigueur à l'époque. Les estimations des bénéfices non rapatriés provenant des activités offshore des transnationales américaines s'élevaient à 4000 à 5000 milliards de dollars.
Les réductions d'impôts de Trump en 2018 leur ont permis de rapatrier ces bénéfices et de ne payer que 10%. Cela représente une économie d'impôt de 25% sur au moins 4000 milliards de dollars.
Le département américain du Commerce a estimé en 2020 que les transnationales américaines n'avaient rapatrié que 750 milliards de dollars en 2018 et 250 milliards supplémentaires en 2019. Elles ont donc payé 10%, soit 100 milliards de dollars, au lieu de 35%, soit 350 milliards. Elles ont empoché les 900 milliards restants sur les mille milliards rapatriés. Malheureusement, aucun registre gouvernemental à ce sujet n'a été tenu après 2019.
Qu'ont-elles fait des 900 milliards de dollars qu'elles ont rapatriés ? Comme l'a rapporté le Wall Street Journal le 28 janvier 2020 : « Une grande partie de ce que les entreprises ont récupéré a servi à des rachats d'actions ». Après avoir atteint en moyenne environ 125 milliards de dollars par trimestre en 2017, les rachats d'actions du S&P 500 ont bondi à 200 milliards de dollars par trimestre en 2018 et 2019.
Et qu'est-il advenu des quelque 3000 à 4000 milliards de dollars supplémentaires que les entreprises n'ont jamais rapatriés ? Elles ont thésaurisé les 3000 à 4000 milliards de dollars restants dans leurs filiales offshore afin d'échapper à l'impôt. Une autre faille leur a permis de convertir leurs bénéfices en espèces provenant de leurs activités à l'étranger en titres financiers à court terme détenus à l'étranger, sur lesquels ils n'avaient pas à payer d'impôts.
Et il y avait un autre moyen d'éviter les impôts : elles ont manipulé leurs prix internes, c'est-à-dire ce que les activités situées aux Etats-Unis facturaient ou payaient à leurs filiales étrangères. Elles ont payé à leurs filiales étrangères des prix plus élevés pour les composants ou les produits finis, transférant ainsi les bénéfices à l'étranger où ils étaient enregistrés à des taux d'imposition plus bas, ce qui a également augmenté leurs coûts aux Etats-Unis et donc réduit les bénéfices imposés à un taux plus élevé.
La loi fiscale Trump de 2018 a également augmenté le montant que les transnationales devaient verser aux pays étrangers, qu'elles pouvaient ensuite déduire de leurs impôts dus aux Etats-Unis.
Le fait est donc que ces règles et ces échappatoires offshore ont considérablement réduit le montant total des réductions d'impôts d'au moins 2000 milliards de dollars sur dix ans, entre 2018 et 2028, qui ont été largement sous-estimées ou n'ont pas été prises en compte dans les estimations officielles du Trump de 2018, qui évaluaient le coût de la réduction d'impôts à 1900 milliards de dollars.
En résumé, des hypothèses erronées concernant la croissance du PIB sur une décennie, la réduction de l'imposition des bénéfices rapatriés et les échappatoires permettant de réduire les impôts dus sur les activités de leurs filiales offshore ont fait que les réductions d'impôts des transnationales américaines ont été bien plus importantes que ce qui avait été annoncé. Ces hypothèses et ces échappatoires ont fait que les réductions de 2018 se sont élevées à 4500 milliards de dollars, et non à 1900 milliards de dollars comme annoncé « officiellement ».
Ainsi, le total des réductions d'impôts pour la période 2001-2019 s'élève à 14 600 milliards de dollars.
***
Puis est venu le plan de relance budgétaire Covid de 2020, pendant la dernière année du mandat de Trump, en 2020. Les impôts ont été réduits de 950 milliards de dollars supplémentaires dans le cadre du plan de relance budgétaire « CARES Act » adopté par le Congrès en mars 2020, puis de 260 milliards de dollars supplémentaires dans le cadre de la loi d'urgence « Consolidated Appropriations Act » adoptée en décembre de la même année, alors que l'économie américaine vacillait à nouveau.
Ces réductions d'impôts de 1200 milliards de dollars en 2020 ont été suivies en 2021 par le plan de relance budgétaire « AMERICAN RELIEF PLAN » de Biden, qui a réduit les impôts de 640 milliards de dollars supplémentaires.
En 2022, Biden a ensuite réaffecté une partie des aides non utilisées pour les programmes sociaux de son plan de relance à une nouvelle série de trois programmes de relance des investissements des entreprises, d'un coût total de 1700 milliards de dollars :
1. la loi sur les infrastructures,
2. la loi sur les puces électroniques et la modernisation,
3. la loi mal nommée « Inflation Reduction Act », qui consistait principalement en des réductions d'impôts et des subventions aux entreprises énergétiques, aux énergies alternatives et aux combustibles fossiles.
Ces trois lois de 2022 sur l'investissement des entreprises ont permis de réduire les impôts d'environ 500 milliards de dollars supplémentaires.
Si l'on additionne toutes les réductions d'impôts de 2001 à 2024, les deux partis – deux administrations républicaines et deux administrations démocrates ont réduit les impôts de près de 17 000 milliards de dollars !
Il n'est donc pas surprenant que Trump 2025 réduise à nouveau les impôts de 5000 milliards de dollars, une fois de plus principalement au profit des entreprises, des investisseurs et des ménages les plus riches. Une réduction massive des impôts est en cours depuis un quart de siècle, depuis 2001. (On peut affirmer que cette tendance remonte encore plus loin, aux réductions d'impôts de Reagan en 1981 et 1986 et à celles de Clinton en 1997-1998.)
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Tout cela s'inscrit dans la politique budgétaire à long terme de l'ère néolibérale (de 1979 à actuellement) :
• réduire les impôts des riches et de leurs entreprises,
• compenser en partie le coût des réductions d'impôts par des coupes dans les programmes sociaux,
• augmenter les dépenses de défense et de guerre,
• ignorer les effets de tout cela sur les déficits budgétaires et la dette nationale, qui se traduisent par une augmentation des paiements d'intérêts aux détenteurs d'obligations américaines à 1000 milliards de dollars par an.
Des études historiques à long terme montrent de manière concluante que les réductions d'impôts et la baisse des recettes fiscales due à la lenteur de la croissance économique, à la fraude et à l'évasion fiscale sont responsables de 60% des déficits budgétaires.
Les autres facteurs importants qui ont contribué au déficit budgétaire et à la dette nationale des Etats-Unis depuis 2001 sont les suivants :
• les 9000 milliards de dollars dépensés pour les guerres à l'étranger au cours du premier quart du XXIe siècle ;
• les deux grands plans de sauvetage de 2008-2009 (787 milliards de dollars au total), 2020 (3,1 milliards de dollars) et 2021 (1,9 milliard de dollars) ;
• la hausse chronique des prix pratiqués par les entreprises de santé et d'assurance, qui fait grimper le coût des programmes publics d'aide à la santé (Medicare [pour les personnes âges dès 65 ans et les handicapés], Medicaid [personnes à faibles revenus], Schip-State Children's Health Insurance Program, rebaptisé Chip, pour enfants non assurés de familles à bas revenus, ACA [Obamacare adoptée suite à la hausse du coût des soins]) ;
• l'augmentation des intérêts versés aux investisseurs (américains et étrangers) qui achètent des titres du Trésor américain.
Ainsi, la perte de recettes fiscales due à 25 ans de réductions d'impôts et au ralentissement de la croissance économique à long terme (17 000 milliards de dollars), les 9000 milliards de dollars gaspillés dans des guerres sans fin depuis 2001, le coût des plans de sauvetage (5800 milliards de dollars) et la flambée des prix des soins de santé (environ 500 milliards de dollars) expliquent à eux seuls la majeure partie de la dette nationale actuelle, qui s'élève à 36 200 milliards de dollars.
En bref, un train budgétaire est en train de dérailler depuis au moins 25 ans et le « Big Beautiful Bill » (BBB) de Trump, d'un montant de 5000 milliards de dollars, ainsi que les milliers de milliards supplémentaires consacrés à la défense et aux guerres, font passer ce train à la vitesse supérieure.
Trump, les déficits budgétaires et la dette nationale
Les déficits budgétaires américains s'élèvent en moyenne à 2000 milliards de dollars par an et sont en hausse depuis 2016. Ils devraient augmenter de 2000 milliards supplémentaires en 025, avant même que les réductions d'impôts de Trump n'entrent en vigueur cette année.
La dette nationale n'est que l'accumulation des déficits budgétaires annuels. En 2000, la dette nationale américaine s'élevait à 5600 milliards de dollars. Huit ans plus tard, elle avait presque doublé pour atteindre 10 700 milliards de dollars. Elle a ensuite doublé sous Obama pour atteindre 20 000 milliards de dollars à la fin de 2016. Trump a ajouté 7800 milliards de dollars au cours des quatre années de son premier mandat et Biden a ajouté 850 milliards de dollars supplémentaires en seulement quatre ans. A la fin du mandat de Biden, en décembre 2024, la dette nationale avait atteint 36 200 milliards de dollars.
À titre indicatif, ce chiffre, qui devrait atteindre 38 000 milliards de dollars d'ici la fin de l'année 2025 et 56 000 milliards de dollars d'ici 2034, n'inclut pas la dette inscrite au bilan de la Réserve fédérale (qui s'élève actuellement à 8000 milliards de dollars) ni la dette des Etats et des collectivités locales, qui se chiffre à plusieurs milliers de milliards de dollars supplémentaires.
Conséquences futures
Il est ironique que Trump ait choisi d'appeler sa proposition de réduction des impôts et d'augmentation des dépenses de défense le « Big Beautiful Bill » (le grand beau projet de loi), ou BBB comme l'appelle le Congrès. En effet, dans le monde de la finance, BBB désigne les entreprises les plus mal gérées, surendettées et présentant un risque élevé (notation triple B). La notation triple B les rend financièrement très fragiles et les expose à un risque élevé de défaut de paiement et de faillite.
Il est toutefois peu probable que le gouvernement fédéral américain fasse faillite ou ne puisse honorer ses paiements annuels de 1000 à 1700 milliards de dollars aux détenteurs d'obligations de la dette nationale. Il lui suffit pour cela d'« imprimer » davantage de billets, soit en ajoutant électroniquement des comptes à la Réserve fédérale, soit, dans un avenir proche, en créant une monnaie numérique.
Mais si cela ne signifie pas nécessairement la faillite, cela pourrait très bien entraîner l'effondrement de la valeur du dollar américain à l'échelle mondiale. Cela pourrait à son tour entraîner l'abandon du dollar comme monnaie de réserve et d'échange mondiale. Et cela pourrait entraîner l'effondrement du recyclage des dollars américains vers les Etats-Unis par les détenteurs étrangers de dollars excédentaires. Dans ce cas, le budget annuel des Etats-Unis ne pourrait plus être financé, ce qui nécessiterait alors des réductions massives des dépenses et des hausses d'impôts. En d'autres termes, ce serait la fin de l'empire mondial états-unien.
Les réductions d'impôts et le projet de loi sur les dépenses de Trump ne sont qu'une nouvelle version de la politique budgétaire néolibérale, cette fois-ci sous stéroïdes. Mais la politique budgétaire néolibérale est défaillante. En effet, elle ne produit plus les mêmes effets de relance sur l'économie réelle, les investissements réels et la croissance du PIB qu'au cours des dernières décennies. Il faut augmenter l'ampleur des mesures de relance budgétaire pour générer une croissance du PIB réel identique, voire inférieure.
La politique budgétaire a plutôt pour effet de stimuler les marchés financiers, aux Etats-Unis et dans le monde, et donc de faire grimper les cours des actions, des obligations, des devises, des produits dérivés et autres instruments financiers. Ou bien les réductions d'impôts sont réorientées par les transnationales qui en bénéficient vers des investissements et des activités offshore.
En d'autres termes, elles servent à subventionner l'expansion du capital états-unien à l'étranger. La financiarisation et la mondialisation des investissements sont deux caractéristiques de l'économie capitaliste du XXIe siècle. Un effet similaire s'applique à la politique monétaire américaine : une part de plus en plus importante des injections de liquidités de la Réserve fédérale dans l'économie est détournée vers les marchés financiers et vers l'étranger.
La meilleure preuve en est peut-être les 10 700 milliards de dollars de mesures de relance budgétaire et monétaire injectés par le Congrès et la Réserve fédérale en 2020-2022. Cela aurait dû entraîner une expansion massive de la croissance du PIB en 2022-2024. Elle n'a produit qu'une croissance historique moyenne un peu supérieure à 2%.
Tous les médias, les économistes et les responsables gouvernementaux qui vantent les mérites des réductions d'impôts de Trump et de la loi BBB pour stimuler l'économie réelle (c'est-à-dire les salaires, l'emploi, l'investissement, etc.) ne font que du battage médiatique. Les réductions d'impôts de 2018 n'ont pas eu cet effet. Ni celles d'Obama et de Bush avant elles. La loi BBB actuelle de Trump n'aura pas d'effet différent.
La politique budgétaire et monétaire de la fin de l'ère néolibérale – dans le capitalisme américain et l'empire économique mondial du XXIe siècle – est en train d'échouer. Néanmoins, « l'élite américaine » redouble d'efforts pour réduire les impôts des riches et mener ses guerres pour défendre l'empire.
Jack Rasmus
Jack Rasmus est professeur au St. Mary's College en Californie et l'auteur du livre récemment publié The Scourge of Neoliberalism : US Economic Policy from Reagan to Trump (Le fléau du néolibéralisme : la politique économique américaine de Reagan à Trump), Clarity Press, 2020.
Article publié sur le site de Jack Rasmus le 11 juillet 2025 ; traduction rédaction A l'Encontre
https://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/25-ans-de-reductions-dimpots-et-de-desastre-budgetaire-aux-etats-unis.html
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Trump, les Démocrates et nous : les trois blocs aux États-Unis
Après la victoire éclatante de Zohran Mamdani – candidat de la gauche socialiste (DSA) – aux primaires démocrates de la ville de New York, en vue de l'élection municipale qui aura lieu à l'automne, Mathieu Bonzom s'interroge sur les formes de résistance au pouvoir trumpiste, analyse la crise du Parti démocrate et donne à voir les perspectives possibles pour la gauche états-unienne.
21 juillet 2025 | tiré du site contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/trump-democrates-mamdani-sanders-gauche-etats-unis/
***
Milliardaire recherche candidat. Après avoir soutenu Donald Trump à la dernière élection présidentielle, Bill Ackman fait la une des journaux en annonçant vouloir financer une grande campagne électorale centriste. Contre le trumpisme ? Non : contre la gauche, à New York, au lendemain de l'étonnante victoire de Zohran Mamdani à la primaire démocrate pour le siège de maire.
La presse s'interroge, notamment en France : que font donc les Démocrates face à Trump ? Et les interrogations sur cette apparente inaction démocrate sont compliquées par ce qui se joue entre ce parti et les socialistes qui entreprennent (surtout depuis Bernie Sanders à la présidentielle il y a une dizaine d'années) de s'inviter dans ses primaires[1].
Or, l'arène électorale, où certains contre-pouvoirs institutionnels potentiels au trumpisme sont en jeu (dès cette année au niveau local, l'année prochaine au niveau du Congrès fédéral) est très révélatrice de ce que les Démocrates sont en train de faire, et de ce qui est en train d'arriver à la vie politique étatsunienne en général.
Malgré tout ce qui sépare les dispositifs institutionnels et l'histoire politique des États-Unis et des autres pays du centre capitaliste, force est de constater qu'une même dynamique « à trois blocs » (extrême-droite, centre, gauche) est en train de s'affirmer un peu partout, et se présente comme une sorte de nouvel horizon politique général à la fin de ce premier quart du 21e siècle.
Les Démocrates, à la tête du deuxième parti capitaliste aux États-Unis (et même premier en dons de milliardaires s'agissant de la campagne Kamala Harris l'an dernier), en sont les premiers surpris. Dans « la plus vieille démocratie au monde », les aspects anti-démocratiques du système politique trahissent aussi bien son âge que la défaite historique de la gauche voici un siècle. Des milliards de dollars inondent l'arène politique avec de moins en moins de retenue. Pourtant il semblerait que tout cela ne suffise plus à garantir indéfiniment le verrouillage du champ politique autour des deux grands partis de la bourgeoisie. De façon pour le moins imprévue (au même titre qu'en France du reste), ce ne sont pas deux mais trois blocs qui se dessinent, de façon persistante, aux États-Unis.
Pour mieux comprendre comment s'organisent les conflits politiques entre ces trois blocs depuis le retour de Trump, commençons par quelques remarques sur les forces et les limites, à ce jour, de la résistance au trumpisme.
Mamdani et la résistance contrastée à Trump
L'élection municipale new-yorkaise revêt plus que jamais un enjeu national. Parce qu'un charismatique socialiste de 33 ans a gagné l'investiture du Parti démocrate, au grand dam de la direction de ce dernier. Parce qu'il a mené une campagne mobilisant 50 000 bénévoles et a fait remonter la participation électorale de façon spectaculaire[2].
Parce qu'il l'a fait au nom d'un programme à la fois combatif contre la vie chère[3], et solide sur l'antiracisme, face à l'offensive de Trump contre les immigré∙es comme à l'islamophobie exacerbée, et sur l'anti-impérialisme en particulier concernant la Palestine. Parce qu'il s'est imposé dans l'un des plus grands centres du pouvoir économique au monde, et dans un pays où la gauche a historiquement été marginalisée, ou encore parce qu'il est musulman. Mais aussi parce que Trump ne semble rencontrer aucune résistance significative depuis son retour à la tête de l'État.
Aucune résistance ? Il en a peu été question en France, mais les « No Kings » protests[4] contre sa présidence ont fait du 14 juin l'une des plus grandes journées de manifestations de l'histoire des États- Unis, avec 4 à 6 millions de personnes rassemblées à travers le pays, dans plus de 2 000 localités. Ce n'est peut-être qu'un début.
Certes, il en faudra plus pour arrêter un autoritarisme déterminé à détruire ce qu'il reste de libertés dans une société déjà malmenée par le passé. Dos au mur face à l'austérité de Trump[5], les franges combatives du mouvement syndical, par exemple, retrouveront peut-être leur dynamisme des années Biden. Des réseaux de solidarité s'organisent, notamment face au déchaînement de racisme, de violence et aux détentions arbitraires contre les immigré∙es et certain∙es opposant∙es politiques.
De leur côté, Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez sillonnent les régions républicaines à fort électorat populaire en dénonçant l'oligarchie devant des salles combles. Et la victoire de Mamdani déclenche une nouvelle vague d'adhésions à l'organisation phare de la nouvelle gauche socialiste, les Democratic Socialists of America (DSA).
Le retour d'un trumpisme déchaîné n'a pas encore rencontré d'obstacle décisif sur son passage. D'après le bilan ci-dessus cependant, on peut dire qu'une base politique existe pour une contre-offensive. De plus, Trump n'est pas sûr de remporter son pari de conserver son étroite majorité électorale grâce au racisme d'État et à son usage autoritaire des institutions alors que sa politique économique et sociale va causer des ravages dans les classes populaires, y compris dans les secteurs qui ont voté pour lui.
Certaines des structures organisationnelles existantes ou en train de se constituer (politiques, syndicales et inter-syndicales, associatives…) pourraient contribuer à lancer cette contre-offensive pour de bon. Jusqu'à présent celle-ci a été introuvable, le choc et la désorientation ont eu tendance à l'emporter, mais le coup d'éclat new-yorkais pourrait non seulement faire des émules mais résonner comme un appel à la mobilisation générale.
Si la victoire de Mamdani à la primaire démocrate pour la mairie de New-York a connu un tel retentissement national, c'est qu'elle apparaît comme la campagne la plus éclatante et crédible pour regrouper les forces qui s'opposent à Trump, sans comparaison possible avec tout ce qu'ont pu faire les Démocrates depuis six mois.
Entre Trump et la gauche : la crise du Parti démocrate
En ces temps de crise politique, les grands dirigeants démocrates se font bien plus discrets qu'en 2017. Beaucoup espèrent un retour de balancier aux élections de mi-mandat, qui sont encore bien loin. Compter sur Trump pour organiser des élections régulières relève déjà du pari. Mais surtout, abandonné par une part croissante des classes populaires, le parti vit une crise dans la crise.
Joe Biden, revenu en politique en 2020 pour bloquer Sanders, est devenu l'incarnation parfaite d'un parti dépassé, dans le déni du rejet massif de son bilan social et international. Kamala Harris a prôné la continuité, avec le résultat que l'on sait.
Si l'on revient à New York, il est significatif que les ténors et les sopranos du Parti démocrate, dans la primaire d'une élection test après le retour de Trump, n'aient rien trouvé de mieux que de se ranger derrière Andrew Cuomo. L'ancien gouverneur de l'État de New York a démissionné, il y a quatre ans, après avoir été accusé de corruption et de harcèlement sexuel, ainsi que d'une gestion désastreuse des soins aux personnes âgées pendant la pandémie du Covid-19.
Cela n'a pas empêché son parti de le soutenir à nouveau cette année (après tout, fils de gouverneur lui-même, il s'est associé personnellement et politiquement aux familles Kennedy et Clinton depuis de longues années). Les riches donateurs ont fait de même et les sondages le donnaient gagnant, mais il est finalement arrivé deuxième loin derrière Mamdani. Il a fini par confirmer son intention déjà annoncée de se présenter comme candidat indépendant, mais il s'est là encore fait voler la vedette par le candidat socialiste sur les réseaux sociaux : Cuomo n'a qu'à ouvrir la bouche pour faire affluer les dons de simples électeurs∙trices vers Mamdani, ironise ce dernier.
Et c'est peut-être encore la deuxième place qui attend Cuomo au concours d'imitateurs de Trump : le maire démocrate sortant, Eric Adams, se présente lui aussi en tant qu'indépendant. Inculpé pour corruption, il a vu son affaire classée alors qu'il se ralliait publiquement à la politique migratoire du président. Les « phénomènes morbides » de la crise ne portent pas seulement les noms de Trump, Vance, ou Musk, mais aussi Biden, Harris, Clinton, Schumer, Pelosi, Cuomo, Adams, etc.
Il y a tout juste un an, les dirigeants démocrates se réjouissaient d'avoir fait battre les élu∙es de gauche Jamaal Bowman (à New York) et Cori Bush (à Ferguson) dans les primaires au Congrès, en raison de leurs prises de position défendant la Palestine[6]. Tandis que Biden remportait la primaire présidentielle sans opposition, beaucoup croyaient refermer la parenthèse de dix années de poussée socialiste. Aujourd'hui, on voit bien que c'était illusoire, que les dix ans de renouveau socialiste n'étaient pas un épiphénomène en train de se terminer, et que l'un de ses facteurs est bien l'incapacité durable des Démocrates à incarner une politique crédible pour les classes populaires.
La question de la Palestine mérite que l'on s'y arrête un peu plus. Le New York d'Eric Adams a vu le déchaînement de la police contre les mobilisations de solidarité avec la Palestine (notamment à Columbia). Plus tard, lors de son rapprochement avec Trump impliquant de soutenir l'action de la police fédérale de l'immigration, celle-ci en a profité pour enlever et placer en rétention prolongée le militant étudiant Mahmoud Khalil loin de sa famille pendant trois mois, le laissant aujourd'hui menacé d'expulsion. Le moins qu'on puisse dire est que les Démocrates ne s'empressent pas de soutenir Khalil, naturellement.
La campagne Mamdani, tout en maintenant sa focalisation sur les questions socio-économiques, a courageusement tenu des positions justes sur ces questions, et démontré que ce n'était pas un suicide politique à New York, voire aux États-Unis. Au contraire : c'est un enjeu très important en soi (les États-Unis étant activement impliqués dans une colonisation qui dure depuis trois quarts de siècles et aboutissant à un génocide encore en cours) mais aussi pour rallier les classes populaires et marquer une rupture nette avec le consensus des deux grands partis des classes dirigeantes.
« Good policy and good politics », comme on dit parfois : c'est juste à la fois sur le fond, et en termes de stratégie politique, de construction d'un bloc à vocation majoritaire. Mamdani a été très bon dans la dimension socio-économique de sa campagne ; cela ne doit cependant pas faire oublier l'importance de son positionnement antiraciste et anti-impérialiste, qu'il n'a jamais renoncé à défendre (ce qui n'a pas été le cas de tous ses camarades socialistes ces dernières années).
La poussée à gauche se poursuit bel et bien. De son côté, Trump a mis son camp en ordre de bataille. Le centre néolibéral est pris entre la montée de l'extrême droite et la résurgence de la gauche, comme dans bien d'autres pays. Mais il semble plus pris de cours qu'ailleurs, un peu comme si des décennies de vie politique rendue si routinière par l'érosion extrême de la démocratie avaient endormi ses capacités d'analyse et d'initiative politique (dans un système où les partis sont des organisations notoirement décentralisées). Le Parti démocrate, qui faisait campagne « contre le fascisme » il y a quelques mois, trahit aujourd'hui que pour lui c'était un slogan de campagne comme un autre, car il ne sort pas vraiment de son mode de fonctionnement antérieur.
Du reste, on voit bien que le centre préférerait le face-à-face avec l'extrême-droite, comme en France là aussi. Si le but du centre est d'apparaître comme la seule opposition légitime, prête à bénéficier d'un déclin de la popularité de l'extrême-droite, alors la gauche ne doit même pas avoir le droit d'exister. D'où les attaques très virulentes contre Mamdani de la part de figures démocrates, après sa victoire. Des attaques choquantes pour la frange de centre-gauche du parti, qui sans être anticapitaliste, voit très nettement qu'une vieille garde corrompue tente de saborder une campagne jeune, dynamique et populaire, soit tout ce qui manque au parti. Du côté de la base du centrisme, il y a donc de bonnes raisons de penser que la crise s'approfondira encore.
Et du côté des classes dirigeantes ? C'est bien parce que le Parti démocrate ne s'impose plus autant dans le peuple, malgré tout le soutien dont il bénéficie de la part des riches, que l'on observe l'attrait de bon nombre d'entre eux pour l'ultra-autoritarisme. Les grands capitalistes peuvent en effet trouver leur compte, à court terme, dans le trumpisme – moyennant quelques rappels à l'ordre par Wall Street, comme sur le protectionnisme. Le brouillard de la guerre (militaire, économique, environnementale) se fait de plus en plus épais sur le long terme. « Après moi le déluge » prend son sens le plus littéral.
Alimenter le racisme permet aux riches trumpistes de cimenter une alliance avec une partie des classes populaires blanches issues de zones rurales surreprésentées en vertu de la Constitution, tout en bénéficiant de la crise du Parti démocrate dans d'autres secteurs de l'électorat. Il reviendra à la gauche et aux mouvements populaires de briser ce bloc d'extrême droite.
Quelles perspectives à gauche ?
On ne saurait assez insister sur la ligne politique qui a conduit à la victoire d'une campagne de masse à New York en plein retour du trumpisme. Cette ligne se caractérise, comme on l'a vu, par deux dimensions principales : un positionnement limpide et combatif pour les conditions de vie des classes populaires et contre les riches, et une intransigeance contre les principaux points de la politique raciste et impérialiste des États-Unis, en particulier dans la solidarité avec les immigré∙es et les musulman∙es dont il fait partie, ainsi qu'avec la Palestine – cette deuxième dimension, antiraciste et anti-impérialiste étant plus affirmée que dans la plupart des précédents en date aux États-Unis. Si cette ligne pourra sans doute connaître des ajustements dans le cadre d'une stratégie différenciée sur le plan local, il serait dommageable, sur le fond et en termes de stratégie, de revenir en arrière, et de ne pas porter cette ligne à l'échelle nationale.
Cependant les chances de lancer et réussir une contre-offensive à Trump ne reposent pas seulement sur la capacité des socialistes à trouver et tenir la bonne ligne politique : la lutte contre les classes dirigeantes repose sur le développement d'une dynamique entre le bloc de gauche qui se consolide peu à peu et les mobilisations de masse. La consolidation et l'extension progressive de ce bloc et le déploiement de fortes mobilisations sociales devront s'alimenter mutuellement, ou échouer séparément.
De ce point de vue la radicalité de la campagne Mamdani et du bloc de gauche en général dépend moins de la lettre de son programme que de sa capacité à servir de catalyseur au développement et l'activité d'une gauche de masse dans la population. Sans cela, même des mesures relativement modestes seront inapplicables et Trump continuera d'avoir largement le champ libre. Avec cela au contraire, des espoirs plus ambitieux seront permis car la démonstration sera faite qu'il est possible pour les classes populaires de remporter des victoires qui changent la société à condition de s'organiser et de se mobiliser. Car c'est bien cette conviction même, moteur fondamental de la politique anticapitaliste de masse, qui reste encore à reconstruire au 21e siècle. Les deux niveaux (construction au sein des masses de mobilisations sociales et d'un bloc politique) doivent fonctionner ensemble.
Prenons encore une fois le cas de Mamdani à New York. La situation est contrastée : la campagne elle-même a permis d'élargir, de mobiliser et d'organiser les forces militantes de la gauche dans la ville. DSA compte désormais plus de 10 000 militant∙es dans la ville de New York (et peut espérer des retombées dans le reste du pays, en termes d'adhésions et de stratégie). Ses résultats électoraux sont prometteurs dans les classes populaires. Cependant ces dernières restent largement extérieures aux organisations de la gauche comme DSA. Mamdani a reçu des soutiens importants de la part du mouvement syndical, qui reste lui aussi largement à reconstruire néanmoins.
En outre, les obstacles seront nombreux pour l'application du programme : il faudra non seulement affronter les initiatives directes des riches, de Trump, ou d'une police très puissante et autonome (le fameux NYPD), ce qui annonce de nouvelles batailles antiracistes et anti-impérialistes difficiles mais décisives. Il faudra également faire face aux Démocrates centristes qui contrôlent encore les institutions de l'État de New York.
Ceux-ci se disent ouverts à certaines propositions de politique sociale de Mamdani (pour ne pas déplaire à l'électorat populaire sur le logement ou les crèches par exemple) mais résolument opposés aux mesures de justice fiscale qui sont indispensables à leur réalisation[7]. Aux États-Unis, les villes sont très dépendantes de l'aval des États pour un certain nombre de mesures[8], notamment fiscales. L'État de New York exerce aussi un contrôle sur la régie des transports municipaux (la MTA). Le maire de centre-gauche Bill de Blasio s'était d'ailleurs heurté dans les mêmes domaines à l'opposition du gouverneur… Andrew Cuomo.
Il faudra donc mener une bataille politique pour que les centristes paient le prix de leurs positions politiques, mais cela ne pourra pas réussir seulement depuis la Mairie, il faudra une mobilisation populaire, d'une façon ou d'une autre (ainsi sans doute que de nouvelles campagnes électorales de gauche à l'échelon de l'État).
Zohran Mamdani ne vient pas des classes populaires, cependant c'est un militant socialiste plus chevronné que beaucoup des candidat∙es que DSA a été amené à soutenir. Il est sans doute très conscient de ces enjeux, ce qui est un bon début.
Ensuite, le problème de la reconstruction de mobilisations de masse et d'organisations politiques des classes populaires, dans leur diversité de genre et de race, se pose un peu partout. Là encore, la solution n'est pas une simple question de ligne politique. Des réponses organisationnelles sont à inventer, aux États-Unis comme ailleurs, à partir des conditions de vie et des activités autonomes des classes populaires d'aujourd'hui : activités syndicales et para-syndicales, comités de locataires, mais aussi multiples formes d'entraide dans le travail reproductif qu'il s'agirait de soutenir, de consolider, d'organiser et de politiser.
La situation politique est critique, et pour y faire face il sera indispensable de commencer à inventer de telles solutions. C'est parfois dans ce genre de situation que des avancées soudaines se produisent, ce qui justifiera d'examiner avec attention la ville et l'État de New York, ainsi que les États-Unis plus généralement, dans les prochains mois et années. La voie vers un parti de masse des classes populaires au 21e siècle reste à trouver, mais il faudra la trouver.
Après avoir beaucoup insisté sur la nécessité de mobilisations de masse pour que ce défi soit sérieux, il faut tout de même souligner que les mobilisations nécessitent tout autant une perspective politique aussi bien pour les déclencher que pour leur permettre de savoir ce qu'elles veulent et d'obtenir de réels succès.
Quelles que soient les incertitudes sur l'avenir, le retour confirmé de la politique de classe et de la polarisation gauche-droite, un siècle après sa défaite historique aux États-Unis ne saurait donc être considéré comme un détail. Les petits groupes d'extrême-gauche qui mettent en garde contre le réformisme ne mesurent pas le caractère vital de ces avancées dans la politique de masse (la politique de masse étant d'ailleurs vitale y compris précisément d'un point de vue révolutionnaire).
Alors que certains secteurs de DSA divergent de New York notamment sur la place des campagnes électorales en général et des primaires démocrates en particulier, on peut faire ici l'hypothèse que la poursuite dans cette voie est justifiée jusqu'à nouvel ordre. Parce qu'elle renforce la gauche en élargissant sa base électorale et en consolidant ses organisations comme DSA. Parce qu'elle contribue à la crise du Parti démocrate, crise qui devra être bien plus profonde encore avant qu'un parti de gauche de masse puisse émerger (sans que l'on puisse préjuger des délais que cela implique, en ces temps incertains).
Parce que les expériences concrètes et les débats qu'elles occasionnent sont aussi la source de propositions stratégiques distinctes tournées vers l'électorat populaire républicain, comme des campagnes électorales indépendantes sur de bases de gauche (le cas récent souvent cité est celui de Dan Osborne, qui tentera une deuxième fois sa chance pour devenir Sénateur du Nebraska l'année prochaine), l'objectif à terme étant d'affaiblir le bloc d'extrême-droite dans les classes populaires et de mettre en crise les deux partis.
Républicains et Démocrates agissent comme si rien n'allait leur faire payer le prix de leur incapacité à répondre réellement aux besoins et attentes des classes populaires. La gauche relève le défi de leur prouver le contraire.
Les dirigeants des deux partis et leurs riches soutiens pourront-ils acheter la défaite de Mamdani et de ses homologues à travers le pays ? Peut-être. Ils feront alors, au vu de tous, un pas de plus dans la voie de l'oligarchie, qui sème la misère, la destruction de la planète, la fascisation, et – aboutissement logique – la guerre et le génocide. À la primaire de New York, cependant, ils ont échoué.
Des deux côtés de l'Atlantique, du Nouveau Front populaire à Zohran Mamdani, la gauche esquisse un autre horizon politique en gagnant des batailles qui paraissaient perdues d'avance. Elle le fait en sachant s'unir sur des bases offensives. Car les compromis sociaux-libéraux avec les milliardaires, rejetés dans la rue et les urnes par les classes populaires, n'arrêteront pas l'argent ni la force brute de l'oligarchie fascisante. Trumpistes et centristes, macronistes et lepénistes, ne pourront éternellement voler la victoire.
*
Une première version de ce texte, nettement moins développée, a été publiée sous forme de tribune sur le site du journal Le Monde.
Notes
[1] Les règles des primaires sont définies par les États, qui disposent de listes électorales où les électeurs∙trices sont inscrit∙es comme étant affilié∙es à tel ou tel parti. En vertu de quoi on peut être membre d'une organisation socialiste, tout en étant inscrit démocrate et donc légalement autorisé à concourir aux primaires démocrates. Il ne peut donc y avoir d'exclusion des socialistes selon les mêmes modalités que dans d'autres contextes.
[2] Les résultats détaillés montrent de bonnes surprises dans des catégories sociales populaires votant rarement, dans des quartiers populaires ayant connu des percées pour Trump en 2024, etc. Voir les commentaires présentés ici : https://newleftreview.org/sidecar/posts/gilded-city?pc=1685
[3] Les principales propositions sont un gel des loyers assorti de projets de construction de logements sociaux, des transports publics gratuits et efficaces, la création de commerces alimentaires municipaux pour lutter contre l'inflation, ou encore l'accès universel à des crèches gratuites. Soit un ensemble de mesures d'urgence pour qu'il redevienne possible pour les classes populaires de vivre dignement dans la ville qui dépend de leur travail. Le tout financé par un ajustement fiscal en faveur des classes populaires, calqué sur ce qui existe dans des villes voisines.
[4] Cette journée organisée par une large coalition d'organisations sociales (syndicales, de défense des droits humains…) et politiques (structures soutenant des candidatures de centre-gauche ou de gauche) s'est focalisée sur la question démocratique, comme son nom l'indique (voir le site officiel : https://www.nokings.org/). La date a été choisie pour coïncider avec la grande parade militaire voulue par Trump pour marquer les 250 ans de l'armée des États-Unis, et son propre 79e anniversaire, et qui ne fut pas la démonstration de force espérée par la Maison Blanche. Ce type de mobilisation n'est donc pas survenu aussi vite qu'en 2017 mais a bien fini par entrer en scène de façon marquante, non seulement dans les bastions démocrates mais dans tout le pays : https://jacobin.com/2025/06/no-kings-protests-trump-popularity
[5] Avec le fameux « Big Beautiful Bill », celui qui fut un candidat pseudo-anti-système l'année dernière montre aujourd'hui son vrai visage de président des riches, avec une politique budgétaire de classe et de race d'ampleur historique : réductions d'impôts massives pour les riches et explosion du budget de la police de l'immigration, financées en particulier par des coupes monumentales dans le financement fédéral des prestations sociales de santé et alimentaires. Cela vient s'ajouter à de multiples autres mesures consistant à détruire des services publics déjà réduits à la portion congrue.
[6] Le niveau de solidarité avec la Palestine atteint des niveaux historiques aux États-Unis ces dernières années ; et le bilan des campagnes pro-Israël aux États-Unis est bien plus mitigé que leurs soutiens ne le prétendent, comme l'illustre la victoire de Mamdani et comme l'indiquait récemment Jacobin : https://jacobin.com/2025/07/israel-lobby-campaign-spending-nyc
[7] Un maire de gauche pourrait sans doute, cependant, avancer plus librement sur des mesures ayant de bonnes chances d'entretenir sa popularité. Pour une analyse poussée (et parfois technique) des enjeux, voir https://www.dissentmagazine.org/online_articles/what-can-zohran-accomplish/
[8] Le maire socialiste de Chicago, Brandon Johnson, en a fait l'amère expérience ces dernières années.

Amérique latine. Vers une « contre-révolution culturelle ? »
« Quand vous regardiez les chiffres du Chili, il semblait impossible que le système s'effondre […], mais soudain, il s'est effondré. Et il s'est effondré parce que, fondamentalement, ils n'ont pas livré la bataille culturelle. » Cette affirmation confuse de Javier Milei est curieuse, non pas tant parce qu'un président « libertarien » revendique la dictature d'Augusto Pinochet – plusieurs ultralibéraux de l'époque l'ont également appuyée –, mais parce que le pinochetisme a bel et bien mené une bataille culturelle qui a même transcendé son propre régime. Mais au-delà des précisions historiques, ce que révèle la phrase du président argentin, c'est son obsession – et celle des nouvelles droites radicales – pour la bataille culturelle ; une contre-révolution à la Viktor Orbán en Hongrie, aujourd'hui admirée pour son combat anti-woke.
24 juillet 2025 | tiré du site Europe solidaires sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article75835
Le terme « woke » (éveillé), dont l'origine remonte à l'histoire du mouvement afro-américain, a été détourné par la droite contre ses ennemis. Si, dans un premier temps, il servait à critiquer un certain progressisme excessivement « paternaliste », il est aujourd'hui devenu un cri de ralliement contre le progressisme dans son ensemble. Bien qu'il fût jusqu'à récemment inconnu dans le monde hispanophone, il a finalement fait son entrée dans le discours public grâce à la nouvelle droite, notamment Vox en Espagne.
« Peu importe que nous soyons bons gestionnaires ou bons politiciens, nous n'irons nulle part sans la bataille culturelle », a déclaré Milei en décembre 2024, lors d'une réunion [en Argentine] de la Conférence d'action politique conservatrice (CAPC), un réseau mondial très présent en Amérique latine, qui constitue l'un des porte-voix de la réaction internationale.
L'Amérique latine a connu ces dernières années la montée en puissance des nouvelles droites radicales, qui étaient déjà en train de transformer les champs politiques dans les démocraties occidentales. La victoire électorale de Jair Bolsonaro en 2018 avait ouvert la « fenêtre d'Overton » – c'es-à-dire la possibilité de tenir des discours extrémistes sans être socialement pénalisé –, mais c'est l'élection de Javier Milei qui a donné un élan sans précédent à ce phénomène qui a eu pour contrepartie la crise des droites libérales-conservatrices traditionnelles. En fin de compte, la région n'est pas étrangère à la « rébellion du public » – théorisée par l'ancien analyste des médias de la CIA Martin Gurri [dans son livre datant de 2014 The Revolt of the Public and the Crisis of Authority in the New Millennium] – , ni au ressentiment, à l'anxiété, à la dépression, à la colère et à la méfiance sociale abordés par Richard Seymour dans son livre Disaster Nationalism : The Downfall of Liberal Civilization (Verso, 2024).
La défaite de l'Argentin Mauricio Macri [en 2019 face à Alberto Fernandez, « péroniste »] et la crise du second mandat du Chilien Sebastián Piñera [qui s'est terminé en mars 2022] ne sont que deux expressions d'un phénomène plus large. Pour l'influenceur réactionnaire Agustín Laje [écrivain argentin, actif à la tête de la Fundacion Faro et de la Fundacion Libre], ce n'est que le résultat d'une « droite lâche » dont la pusillanimité a fini par ouvrir la voie au retour de la gauche ou du centre-gauche au pouvoir dans plusieurs pays de la région. Pour Agustin Laje – invité quotidiennement dans différents pays d'Amérique latine et dont l'influence idéologique ne cesse de croître au sein du gouvernement Milei –, ces droites ont capitulé face au mondialisme, voire face à l'agenda « woke ». Le mondialisme, a-t-il déclaré, est un système de domination mondiale et de contrôle total, « le projet de pouvoir politique le plus ambitieux jamais vu ». D'où la diabolisation de l'Agenda 2030 [en septembre 2025, à l'échelle internationale, les gouvernements ont adopté la résolution : « Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l'horizon 2030 »].
Au cours des deux premières décennies de ce siècle, le centre-droit brandissait un discours contre le populisme de gauche, qui mettait l'accent sur les institutions républicaines, qui accusait les populistes d'autoritarisme et brandissait la défense de la démocratie libérale. Aujourd'hui, cependant, les droites radicales sont loin de ces véhémences. En Argentine, les partisans de Milei qualifient de « républicains ringards » les libéraux qui critiquent le mépris de l'exécutif pour les institutions et les insultes constantes de Milei visant quiconque ose le remettre en question. C'est pourquoi le président autoritaire salvadorien Nayib Bukele peut apparaître comme un modèle en matière de lutte contre la criminalité – même si, dans la pratique, son modèle est difficilement exportable –, ou que Milei peut continuer à dire qu'il « déteste l'Etat » alors qu'il est chef de l'Etat, et Bolsonaro a été séduit par l'idée d'organiser un coup d'Etat [en janvier 2023].
Les connexions mondiales d'un projet « antiglobaliste »
Budapest, autrefois éloignée géographiquement et culturellement de l'Amérique latine, est aujourd'hui une Mecque réactionnaire. Son influence n'a plus besoin d'être traduite en espagnol par Vox. De plus en plus de figures de proue de la droite latino-américaine se rendent dans la capitale hongroise en quête d'inspiration.
« L'immigration illégale n'est pas un accident. C'est une stratégie. C'est une décision politique. C'est une arme contre la liberté de nos peuples », a dénoncé le Chilien José Antonio Kast, qui est en lice pour les élections présidentielles de cette année [soit un des trois candidats de la droite, outre Evelyn Matthei et Johannes Kaiser, libertarien], reprenant ainsi la théorie complotiste du « grand remplacement » diffusée par le Français Renaud Camus [1re édition 2011].
Mais si, en Europe, le cœur de cette « théorie » est lié à la paranoïa civilisationnelle vis-à-vis de l'islam, en Amérique latine, la migration est intrarégionale (et dans le cas du Chili, elle vote en grande partie à droite, surtout les Vénézuéliens). Laje, dont la Fundacion Faro a été soutenue par le gouvernement Milei, a également trouvé dans la Hongrie d'Orbán un modèle pour son projet « antiglobaliste » (antimondialisation). Ces nouvelles droites ont également « acheté » l'occidentalisme façonné par les extrêmes droites du Nord. Les messages publiés sur les réseaux sociaux par les libertariens argentins contre les « dangers » de l'islam peuvent ignorer le fait qu'il n'y a pas d'immigration musulmane récente dans la région, reproduire des visions fantaisistes sur la « civilisation judéo-chrétienne » [voir à ce sujet l'ouvrage de Sophie Bessis, La civilisation judéo–chrétienne : anatomie d'une imposture, Liens qui libèrent, 2025] et surjouer leur soutien à Israël, à l'instar du « sionisme chrétien », des évangéliques pro-israéliens très influents dans des pays comme le Brésil ou le Guatemala. « L'Occident est en danger » à cause du socialisme, a averti Milei lors du Forum économique mondial de Davos en 2024.
« Ceux qui sont censés défendre les valeurs occidentales sont cooptés par une vision du monde qui conduit inexorablement au socialisme et, par conséquent, à la pauvreté. » Cet Occident se résume souvent aux Etats-Unis de Donald Trump et à l'Israël de Benyamin Netanyahou.
Une droite rebelle ?
Comme ailleurs, les nouvelles droites latino-américaines combinent de manière complexe des images de retour à l'ordre et de rébellion contre le statu quo. Si Milei incarnait davantage une droite rebelle, le Chilien José Antonio Kast incarne une droite de la loi et de l'ordre. Mais en réalité, les deux articulent les deux éléments. Milei s'est vanté de rétablir l'ordre dans les rues contre les protestations sociales et, malgré sa haine de l'Etat, il a augmenté les dépenses en matière de services de renseignement. De son côté, Kast appelle à « oser » voter pour lui, et son crypto-pinochetisme rime avec son appel à « être audacieux ».
Bien qu'elles fassent appel à des rétro-utopies, ces droites sont loin de représenter un retour linéaire au passé. Elles s'adaptent plutôt aux nouvelles circonstances. Par moments, la tragédie tourne à la farce : Milei, militant nataliste, n'a que des « enfants à quatre pattes » [des chiens clonés] (Elon Musk lui-même lui a déjà fait remarquer que cela ne comptait pas !). Ni Milei, ni sa puissante sœur Karina, ni sa vice-présidente Victoria Villarruel ne sont mariés. Ces droites peuvent même se revendiquer de « gays anti-queer » et compter parmi leurs leaders de nombreuses femmes « anti-idéologie du genre ».
Le progressisme régional est s'affronte donc à un paradoxe : si les forces de centre-gauche gouvernent un grand nombre de pays, dont le Brésil et le Mexique, elles se sentent affaiblies face à la bataille culturelle menée par des droites qui leur disputent la rue. Et aussi les réseaux sociaux, à partir desquels ces droites trollent, trompent leurs cibles et accablent leurs adversaires progressistes pour les mettre sur la défensive. Les droites ont également conquis un grand nombre de jeunes, surtout, mais pas uniquement, des hommes. Leurs discours, en particulier les discours libertariens, semblent mieux adaptés pour interpréter les changements socio-technologiques en cours. Tout cela laisse penser que de nombreux gouvernements progressistes pourraient être remplacés par des forces de droite entre 2025 et 2026.
Pourtant, les sociétés latino-américaines ont connu ces dernières années de profondes transformations, notamment l'adoption du mariage pour tous et du droit à l'avortement dans plusieurs pays, et ne semblent pas disposées à accepter passivement des restaurations conservatrices. Ce n'est pas un hasard si l'une des plus grandes manifestations contre Milei a été organisée par des collectifs LGBTI+ après ses déclarations au Forum de Davos, où son anti-wokisme l'a conduit à associer l'homosexualité à la pédophilie (une analogie qui, a-t-il précisé par la suite, ne s'appliquait qu'aux gays woke). Le slogan « Nous ne retournerons jamais dans le placard » a mobilisé des milliers de personnes, pas seulement des homosexuels, dans le centre de Buenos Aires.
Pour l'instant, aucune de ces extrêmes droites n'a réussi à imposer son projet politique (établir une hégémonie), à l'exception de Bukele, dont les positions idéologiques sont assez complexes et qui gouverne un petit pays (le Salvador). Bolsonaro n'a pas été réélu et est aujourd'hui inéligible. Milei jouera une partie de son avenir lors des élections de mi-mandat de cette année, et d'autres, comme Kast, tenteront de l'emporter lors des prochaines élections. Le progressisme représente encore – malgré l'érosion de sa « sécurité ontologique » [confiance dans la continuité de sa propre identité et de la constance de l'environnement social] – de larges secteurs sociaux et conserve une capacité de mobilisation considérable lorsqu'il trouve un étendard fédérateur. En fait, on pourrait dire qu'une partie de la radicalité des nouvelles droites naît de la crainte que les progressistes retrouvent leur confiance en eux et passent à l'offensive.
Pablo Stefanoni
P.S.
Opinion publiée dans El Pais le 22 juillet 2025 ; traduction rédaction A l'Encontre
https://alencontre.org/ameriques/amelat/debat-une-contre-revolution-culturelle-en-amerique-latine.html
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La portée de l’attaque de Trump contre le Brésil - La guerre tarifaire de Trump selon les pays et régions du monde
Trump ne veut pas seulement établir de nouvelles conditions commerciales avec le Brésil. Son véritable objectif est d'imposer son autorité sur un pays étranger. La guerre tarifaire menée par les États-Unis contre le monde entier, mise en œuvre selon une méthode que certains qualifient désormais de harcèlement et de chantage à l'échelle internationale, est l'expression ultime de l'interventionnisme impérialiste. Sous la présidence de Trump, les États-Unis affichent leur mépris pour la planète, en particulier pour les nations qu'ils considèrent comme subalternes et fragiles.
8 août 2025 | tiré d'Europe solidaires ans frontières
Il est difficile de dresser la carte des droits de douane. Ceux-ci fluctuent au gré des caprices de Trump, de ses élans autoritaires et de son immoralité sans limites.
Il est néanmoins possible d'identifier trois groupes de pays.
Le premier d'entre eux est la Chine, le pivot de la guerre tarifaire. Le retour des États-Unis à une politique protectionniste s'explique par la concurrence chinoise et le déclin relatif de la puissance économique américaine. Trump cherche ainsi à attaquer la Chine, directement ou indirectement, en visant ses alliés sur le plan économique. Mais comme le poids de l'économie chinoise est aujourd'hui incontournable, après une escalade tarifaire sans précédent en avril, Trump a dû conclure un accord, qui prévoit des droits de douane de 30 % sur les produits chinois contre 10 % dans le sens inverse.
La deuxième sphère est représentée par les pays considérés comme des alliés. Dans ces cas, Trump met un couteau sous la gorge de ses partenaires traditionnels afin d'obtenir des avantages économiques immédiats. C'est cette logique qui a présidé aux accords conclus avec l'Union européenne, le Japon et la Corée du Sud, par exemple. Ces accords prévoient des droits de douane asymétriques entre les États-Unis et les pays concernés ainsi que des achats et des investissements étrangers sur le territoire américain, en particulier dans le secteur énergétique.
Le troisième groupe est constitué des pays considérés comme fragiles par l'impérialisme. Il s'agit du Sud global. Dans leurs cas, Trump tente de piller les économies nationales, de générer une instabilité politique, d'intervenir et de piller les ressources. Le président souhaite également soustraire les pays du Sud global à l'influence chinoise, reconstituant ainsi, par l'intimidation, les « arrière-cours » des États-Unis dans le monde. Mais la réalisation complète de ce souhait est irréalisable.
Il est important de rappeler que même les économies les plus modestes sont soumises à des droits de douane plancher de 10 %. Un article récent du New York Times a montré que la simple perspective de ces droits de douane a provoqué une véritable catastrophe au Lesotho, en Afrique, où l'industrie textile s'effondre et où les licenciements sont massifs. Ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres.
Dans l'optique de Trump, le Brésil se trouve dans ce troisième groupe de nations. D'où la gravité des attaques perpétrées contre le Brésil, qui visent à la fois l'économie et la souveraineté du plus grand pays d'Amérique latine, désormais pénalisé par les droits de douane les plus élevés, en plus des sanctions dirigées contre sa Cour suprême.
Trump ne veut pas seulement établir de nouvelles relations commerciales avec le Brésil. Son véritable objectif est d'imposer son autorité sur un pays étranger. Ces menaces reflètent la convoitise impérialiste pour les ressources naturelles, les entreprises publiques, les minerais rares et même le fonctionnement du marché intérieur brésilien, y compris le contrôle du système Pix de paiements électroniques et les normes juridiques qui régissent l'environnement virtuel et les géants de la technologie.
S'il le pouvait, Trump soumettrait l'administration brésilienne au même type de contrôle déjà imposé au Panama et à l'Ukraine. Après les menaces contre le canal de Panama, José Raúl Mulino a retiré le pays d'Amérique centrale de la Route de la soie chinoise et a accordé des privilèges commerciaux et militaires aux États-Unis. Volodymyr Zelensky, sous la pression de la guerre, a quant à lui cédé à Trump l'exploitation des minerais ukrainiens. Et le président américain peut compter sur la collaboration enthousiaste de l'extrême droite brésilienne.
Nous sommes confrontés à la plus grande menace pour la souveraineté nationale de ce siècle, un fait politique qui inaugure une nouvelle ère dans les relations entre les deux pays et dans la situation brésilienne. Le Brésil n'est pourtant pas un acteur insignifiant. Outre le fait qu'il s'agit de la principale économie d'Amérique latine, le pays compte 210 millions d'habitants, est membre des BRICS, possède des richesses naturelles et, en ce moment même, mène à bien une enquête pour traduire en justice son extrême droite criminelle et putschiste.
Dans les semaines à venir, on peut espérer que le gouvernement brésilien maintiendra la fermeté dont il a fait preuve jusqu'à présent, car c'est la seule façon de préserver les intérêts nationaux. En outre, le moment semble opportun pour le pays d'adopter des mesures de rétorsion à l'égard des États-Unis et de renverser la logique de dépendance de son économie, y compris vis-à-vis de la Chine. Cela exigerait la décision de renforcer le marché intérieur, de rompre avec la politique économique néolibérale et de s'attaquer aux effets du retour à la primauté du modèle extraviste – un ensemble de mesures qui semblent difficiles à mettre en œuvre sans une forte pression sociale.
Quant à Trump, il faut espérer que les conflits internes aux États-Unis, ajoutés à la mobilisation anti-impérialiste mondiale, parviennent à enrayer la spirale de la démence. Après tout, ceux qui ressentent un tel besoin de montrer leur force ont généralement besoin de cacher leur faiblesse. Et au cas où une « tempête parfaite » viendrait à se former au-dessus de la tête du président américain, le sortilège pourrait bien se retourner contre le lanceur de sorts.
Samir Oliveira
P.-S.
• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepLpro
Le titre a été augmenté par ESSF.
Source - « La portée de l'attaque de Trump contre le Brésil ». FLCMF, 8 août 2025
https://flcmf.org.br/a-dimensao-do-ataque-de-trump-ao-brasil/
« Fondation Lauro Campos et Marielle Franco » Fondation du PSOL " dont l'objectif est de fournir aux militant.es. des outils qui leur permettent, de manière critique et ouverte, d'affronter les débats qui ont lieu dans la société et ainsi d'augmenter la portée des idées socialistes.
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Un nouveau cycle pour la gauche brésilienne ?
30 juillet 202 | tiré d'Europe solidaire sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article75843
1. La recomposition de la gauche brésilienne est un processus qui a déjà commencé mais qui se développe très lentement. Sommes-nous à l'aube d'un cycle qui dépasse les limites du lulisme ? Il existe de nombreuses variables encore indéfinies. Les deux plus importantes sont indissociables et nous ramènent au cœur de l'énigme : la gauche sera-t-elle capable de vaincre l'extrême droite et, dans ce processus qui passera par les élections de 2026, assisterons-nous à une montée de la combativité des travailleurs et de la jeunesse ? Telles sont les deux questions centrales. L'histoire nous enseigne qu'il n'y a pas moyen d'ouvrir un cycle au-delà du lulisme sans victoire sur le bolsonarisme et sans une montée de la lutte des masses. Si c'est la défaite qui prévaut, nous continuerons à voir des divisions, des fractures et une dispersion au sein de la gauche. Ce sera une régression, et nous connaîtrons une pause historique comme celle qui a suivi 1964, espérons-le, moins longue. Les militants révolutionnaires doivent rester convaincus que, tôt ou tard, les travailleurs se soulèveront. Mais l'ouverture d'un nouveau cycle au-delà du lulisme ne peut reposer uniquement sur ce dénouement. L'improvisation créative, bien qu'elle ait sa place dans la lutte politique, est dangereuse. Il existe une marge pour L'imprévu, le soudain, le brusque, le surprenant, mais elle est mince. Nous avons appris lors des événements tumultueux de juin 2013 que des occasions se présentent et se perdent. L'« objectivisme », une forme simpliste de déterminisme sociologique qui prône le statu quo, n'est pas une bonne boussole. La force de la conscience se joue dans l'engagement, la volonté, le projet et le programme. Le marxisme est militant. Il faudra ouvrir la voie avec de nouveaux outils, tant dans la sphère des mouvements sociaux, en particulier féministe et noir, que dans la lutte politique, qui exige un instrument plus puissant que ceux dont nous disposons aujourd'hui.
2. Que nous enseigne l'histoire ? Quand on regarde en perspective, il y a eu, au cours des cent dernières années, cinq cycles de la gauche au Brésil : l'anarcho-syndicaliste, le getuliste [de Getulo Vargas, dictateur « social » puis président réformiste élu entre 1930 et 1954 ndt], le communiste, le guérillerisme et le petiste/luliste. Le passage de chacun de ces cycles au suivant a été déterminé par de grands changements des conditions objectivess au Brésil et dans le monde, mais aussi par d'intenses luttes politico-idéologiques. Les transitions ont été conditionnées par des phases intermédiaires plus ou moins complexes. Les conditions qui ont favorisé l'affirmation du getulisme sur l'anarcho-syndicalisme ont été, pour simplifier, la victoire de la révolution de 1930, le début de l'industrialisation et le rôle prépondérant de Vargas. Le cycle communiste s'est ouvert sous l'impact de la défaite du nazisme et du fascisme, du rôle de l'URSS et du leadership de Prestes. Le cycle de la guérilla s'est appuyée sur l'impact de la révolution cubaine, la vague de mobilisation étudiante et ouvrière de 1968 et le rôle de Mariguella. Le cycle du PT s'est appuyée sur les luttes de masse de la phase finale de la dictature et le rôle de Lula. Mais il faut garder le sens des proportions. Le cycle anarcho-syndicaliste a duré moins de vingt ans. Le getulisme a été hégémonique pendant une trentaine d'années. Les communistes ont co-dirigé pendant moins de quinze ans. Les organisations de lutte armée ont été influentes pendant environ cinq ans. Le lulisme domine la gauche depuis quarante ans. Tous ceux qui l'ont sous-estimé se sont trompés. Il n'est ni immortel ni insurmontable, mais il est résilient.
3. À l'échelle latino-américaine, les cinq forces les plus importantes de la gauche sont le chavisme, le lulisme, le kirchnérisme, le MAS bolivien et la Frente Amplio uruguayenne, héritière de Mujica. Le lulisme est un phénomène distinct tant du kirchnérisme – dernière incarnation du péronisme – que du chavisme. Comparativement, il est plus fort que le kirchnérisme et plus faible que le chavisme. Il est plus fort que le péronisme pour deux raisons principales : (a) parce qu'il repose sur la majorité des mouvements sociaux organisés, sur la majorité de l'intelligentsia de gauche et, surtout, sur le PT, qui reste l'un des plus grands partis de gauche au monde ; (b) parce que Lula est un leader de gauche qui jouit d'une légitimité populaire supérieure à celle de Cristina. Mais il est paradoxalement plus faible que le chavisme après la mort de Chávez pour deux raisons essentielles : (a) parce qu'il n'a pas mené un processus révolutionnaire comme l'a été la victoire sur la tentative de coup d'État de 2002 ; (b) parce qu'il ne s'appuie pas sur une implantation dans les forces armées. Le lulisme est également un phénomène différent, beaucoup plus enraciné dans la classe ouvrière que le parti Morena de Claudia Sheinbaum au Mexique, le Frente Amplio de Gabriel Boric au Chili ou la coalition Pacto Histórico de Gustavo Petro en Colombie. Mais le PT est beaucoup plus homogène que le Frente Amplio uruguayen. Le seul parti qui a réussi à s'implanter socialement de manière équivalente est le MAS d'Evo Morales, mais les divisions internes irréversibles de la gauche bolivienne l'ont condamné.
4. Le cycle du PT a été le plus fort et, de loin, le plus long de notre histoire. La gauche n'a jamais eu autant d'influence et n'a jamais été aussi solidement enracinée dans le passé. Comme on peut s'y attendre, il sera beaucoup plus difficile de le dépasser que lors des épisodes précédents. Cela nécessitera la conjonction d'une montée en puissance colossale, de ruptures au sein du PT et du PCdB, la présence d'acteurs politiques collectifs. Mais c'est possible. Entre autres raisons, parce que le petisme s'est transformé en lulisme, et si c'est là sa force, c'est aussi sa faiblesse. Les sondages dont on dispose sur une longue période indiquent une dynamique claire. Le lulisme a une date de péremption. Pourquoi ? (a) parce qu'il dépend d'une relation de confiance personnelle avec les plus pauvres ; (b) parce que le PT n'a pas réussi à préserver son influence majoritaire parmi les couches moyennes de travailleurs « modestement aisés » ; (c) parce que l'expérience des masses avec la stratégie luliste de « réformisme faible » n'est pas suffisante pour gagner la « guerre » idéologique pour la conscience. La dépendance du PT vis-à-vis de Lula est désormais absolue. Un lulisme sans Lula aura peu de chances de perdurer, car aucun leader de remplacement doté de la même autorité n'est apparu. Sans Lula, le PT n'est qu'un appareil électoral sans tête, et la tendance la plus probable est un déclin irréversible.
5. La recomposition de la gauche dépendra de l'issue de la lutte contre le bolsonarisme. À un autre niveau d'analyse, elle sera conditionnée par l'évolution de la situation internationale, en particulier par la résistance à l'extrême droite en Argentine contre Milei, et contre Trump dans le monde. La victoire pourrait être rapide, si d'ici 2026, on voyait surgir une vague ascendante, même strictement électorale. Si l'on envisage un scénario de victoire « à froid », on assisterait, dans les grandes lignes, à une prolongation indéfinie de la « durée de validité » du lulisme, car le PT trouve sa cohésion dans la gestion de l'État. Si l'on envisage un scénario de victoire « à chaud », tout s'accélère, car les limites du lulisme seront remises en question par un niveau d'attentes et d'exigences beaucoup plus élevé, mais les voies en seront « à découvrir » car les différenciations internes ne se sont pas encore « décantées ».
Ce qui semble certain, c'est que la possibilité d'une rupture au sein du PT favorisera la construction d'un nouvel instrument de lutte incluant l'unification avec des fractions de la gauche radicale.
Si l'on envisage un scénario de défaite électorale et de démoralisation inexorable, le plus probable est que la configuration de l'après-lulisme dépende de la « libération des forces » à la suite d'une crise explosive au sein du PT, un peu comme il en a été du dénouement de la crise du PCB après la défaite de 1964, qui sera probablement précédée d'un virage programmatique vers encore plus de modération de la part de l'appareil et de ruptures avec les ailes de gauche. L'avenir de la gauche sera un processus de médiation entre « l'ancien » et le « nouveau », dans une large mesure, malgré le lulisme, mais sans nécessairement renier l'héritage du lulisme.
6. Le résultat récent du processus d'élection directe (PED) au PT en 2025 a confirmé la montée en puissance de l'aile CNB (Construindo um Novo Brasil, « Construire un nouveau Brésil ») et le recul de l'influence des tendances de gauche, ainsi que la victoire incontestable d'Edinho. Le vote est décourageant pour ceux qui avaient misé sur le fait que le PT pourrait jouer un rôle plus important en poussant le gouvernement vers un virage à gauche au cours des douze prochains mois. Il a également laissé sans soutien les courants qui comprennent la nécessité de lutter pour un programme avec une inflexion anti-impérialiste plus forte face à l'offensive des États-Unis. Non pas que les attentes étaient très élevées, car personne mieux que la gauche du PT n'est conscient qu'elle occupe un espace de résistance. Mais le résultat modeste obténu par Rui Falcão et Valter Pomar, même additionné à celui de Romênio Pereira, signale un isolement à la limite de l'irréversible, presque irrattrapable.
7. La conclusion à tirer de ce PED est que, malgré les luttes internes épouvantables au sein de la CNB, avec des critiques féroces sur la concentration des pouvoirs dans la trésorerie, la menace exacerbée d'une dispute pour la présidence par le Nordeste, et même les accusations abusives de Quaquá, l'unité du courant luliste, déchiré par divers groupes d'intérêts parlementaires et régionaux, a été préservée. Aucune divergence n'était finalement insurmontable. Pourquoi ? Il y a trois hypothèses. Le dévoilement des scores montre clairement que ce n'était pas par crainte des résultats, si les listes de gauche s'étaient unies. La CNB conserve une emprise sur l'appareil bien supérieure à ce qu'est son hégémonie politique. Ce n'est pas non plus parce qu'il existe un accord stratégique sur un projet politique pour le Brésil. Il n'y a pas eu de discussion sur le programme. La troisième hypothèse est que l'unité a été maintenue et qu'Edinho a remporté une élection triomphale parce que Lula l'a demandé.
8. Le processus de confrontation interne et même externe au PT pour l'après-Lula est contenu jusqu'aux élections de 2026 pour trois raisons principales, bien qu'il existe d'autres facteurs : (a) la première est de nature objective – un facteur est défini comme objectif lorsqu'il s'impose de lui-même et qu'il n'y a rien à y faire – Lula sera candidat à sa réélection, et cela conditionne tout ; (b) la deuxième est de nature subjective et se résume au fait incontournable qu'il n'y a pas de consensus au sein de la CNB sur ce que doit être le programme et sur qui doit être le successeur ; (c) la troisième est que le successeur sera désigné par Lula, même si cela nécessitera de nombreuses négociations et consultations.
9. Il est impossible d'imaginer l'avenir de la recomposition sans le PSol. La simple existence du PSol, depuis vingt ans, dans les conditions terribles de la lutte politique au sein de la gauche brésilienne, est un exploit remarquable. Le PSol a été une tranchée défendue par des combattant.e.s dévoué.e.s à la cause sociale, un espace d'accueil pour les socialistes des traditions les plus diverses. La liberté interne garantit l'expression de toutes les tendances dans le respect de la proportionnalité. Le PSol attire la majorité des jeunes qui s'engagent, dont le militantisme sur les lieux de travail, dans les quartiers, dans les mouvements pour le logement populaire, dans le féminisme, dans la lutte pour les droits des Noirs et parmi les LGBT est reconnu pour leur enthousiasme et leur dévouement. Le PSol a été en première ligne des campagnes internationalistes au cours des deux dernières décennies. Le défi de construire un parti de gauche radicale avec une présence dans les institutions, légalement reconnu, de manière à ce que la visibilité d'un programme socialiste puisse s'exprimer, était un pari qui exigeait du courage, de la détermination et beaucoup d'espoir en l'avenir. Il a été prouvé qu'il était possible d'avoir une gauche en dehors du PT, même minoritaire. Dans les deux plus grandes villes du Brésil, le PSOL est arrivé au second tour des élections municipales, devant le PT. Il a perdu, mais il a perdu des élections que le PT aurait également perdues. Le PSol n'est pas immunisé contre les mêmes pressions que l'ensemble de la gauche. Il souffre de l'électoralisme, d'adaptation syndicaliste, du poids de son appareil et du bureaucratisme. Ce n'est pas le parti révolutionnaire imaginaire idéalisé par une partie de l'avant-garde. Oui, le PSol est très imparfait, mais il n'est pas pétrifié et stérile, c'est une organisation utile. Face au poids parfois écrasant du PT, il a été un point d'appui pour les militant·e.s les plus lucides qui résistent à l'idée que la seule façon de lutter pour la révolution brésilienne est de se replier sur un projet politique « de musée »
10. Tant le camp luliste que la gauche ultra-radicale partagent l'idée que le PSOL aurait tous les défauts du PT, mais pas sa principale qualité, qui est le soutien encore majoritaire du peuple de gauche. En d'autres termes, c'est le parti qui a le plus de poids électoral. Dans la version la plus « marxiste », le PT est le parti de gauche à qui la classe ouvrière fait le plus confiance. Quant aux défauts du PSol, ils peuvent être résumés en trois « péchés originels » : (a) ce serait un parti de parlementaires ; (b) ce serait un parti regroupant différentes courants sans capacité de centralisation ; (c) ce serait un parti réformiste. Ce sont trois demi-vérités. Une demi-vérité est un mensonge complet, une simplification. Le PSOL est très imparfait, évidemment. Mais cette évaluation hâtive n'est ni correcte ni juste. Le PSOL n'est pas seulement un appareil électoral : son rôle militant a été indispensable dans les récentes mobilisations de la campagne « Sem Anistia » (Pas d'amnistie) en mars, et dans l'organisation des manifestations de juillet pour la taxation des super-riches, par exemple. Il n'est pas honnête de minimiser le fait qu'une partie des militants les plus combatifs des mouvements de femmes et de Noirs, des mouvements populaires pour le logement et des LGBT, des mouvements environnementaux, indigènes et culturels soutiennent le PSOL. Le PSOL, bien qu'hétérogène et divisé en deux camps, majoritaire et minoritaire, a conservé une remarquable capacité d'intervention unifiée au cours des vingt dernières années, même s'il a connu des hauts et des bas. Enfin, il n'existe pas de « règle » pour définir qui est révolutionnaire et qui ne l'est pas. À strictement parler, il existe deux positions extrêmes, mais insatisfaisantes : (a) soit sont révolutionnaires toutes les personnes qui défendent la nécessité d'une révolution ; (b) soit seules sont révolutionnaires les personnes qui ont dirigé une révolution. Évidemment, la première position est très large et la seconde très restrictive. Bien qu'il s'agisse d'un parti qui a les élections pour horizon, le PSOL organise une partie très importante, sinon la majorité, des révolutionnaires de gauche.
Valerio Arcary
P.-S.
• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepLpro
Source - Esquerda online. 30 juillet 2025 :
https://esquerdaonline.com.br/2025/07/30/um-novo-ciclo-da-esquerda-brasileira/
• Valerio Arcary est professeur titulaire à la retraite de l'IFSP. Docteur en histoire de l'USP. Militant trotskiste depuis la Révolution des œufs. Auteur de plusieurs livres, dont Ninguém disse que seria fácil (Personne n'a dit que ce serait facile, 2022), publié aux éditions Boitempo.
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Renaissance du projet sioniste de fragmentation de l’Orient arabe
Tandis que ce projet semble dérivé de l'imagination d'adeptes de la « théorie du complot », il est loin d'être une fiction et est plus proche de sa réalisation que jamais auparavant.
23 juillet 2025
Gilbert Achcar
Professeur émérite, SOAS, Université de Londres
Abonné·e de Mediapart
https://blogs.mediapart.fr/gilbert-achcar/blog/230725/renaissance-du-projet-sioniste-de-fragmentation-de-l-orient-arabe
Ce blog est personnel, la rédaction n'est pas à l'origine de ses contenus.
Dans l'article de la semaine dernière sur les affrontements sanglants dans la province syrienne de Soueïda, j'ai écrit qu'Israël « espère certainement une escalade de la violence afin d'en profiter pour renforcer l'influence de la minorité parmi les Druzes syriens qui aspire à établir un émirat druze sous protection israélienne » (« Syrie : le danger de jouer avec le feu », Al Quds Al-Arabi, 15 juillet 2025). À cet égard, il convient de rappeler une perspective caressée depuis longtemps au sein du mouvement sioniste, en particulier parmi ses « faucons », selon laquelle il est dans l'intérêt du projet sioniste de fragmenter l'Orient arabe en établissant des entités basées sur des minorités sectaires et ethniques, soumises à la protection israélienne. Cela permettrait à l'État sioniste de construire un empire régional qui lui serait inféodé en tant que plus grande puissance militaire de la région.
Tandis que ce projet semble dérivé de l'imagination d'adeptes de la « théorie du complot », le document le plus important qui le révèle est loin d'être une fiction. Il est constitué par les journaux intimes de Moshe Sharett (1894-1965), l'un des fondateurs de l'État d'Israël et son deuxième Premier ministre depuis la fin de 1953, à la suite de la démission de David Ben Gourion de ce poste qu'il allait récupérer deux ans plus tard. Les papiers de Sharett, considéré comme l'une des « colombes » de l'establishment israélien, sont des notes qu'il a écrites entre 1953 et 1957 pour son usage privé (elles n'étaient pas destinées à la publication). Ces notes ont été publiées en hébreu en 1979 en huit volumes. Livia Rokach, une journaliste israélienne qui a travaillé comme correspondante pour la radio israélienne dans les années 1960 avant de devenir une critique du régime sioniste (elle s'est suicidée en 1984) a méticuleusement lu ces volumes. Elle a fait connaître leurs révélations les plus graves à travers des extraits qu'elle a traduits en anglais et commentés dans un livre sorti au début des années 1980, publié par l'Association des diplômés universitaires arabo-américains (AAUG), dont Naseer Aruri (1934-2015), un intellectuel et militant politique palestinien de premier plan, était cofondateur et président. Aruri écrivit une préface au livre, faisant suite à un avant-propos de Noam Chomsky.
Les journaux de Sharett ont révélé de nombreuses questions qui ont fait l'objet de débats au sein de l'élite du pouvoir de l'État sioniste. Il s'agissait, entre autres, de plans visant à occuper le sud de la Syrie, à établir un État maronite au Liban, à soustraire la bande de Gaza au contrôle égyptien (sous lequel elle se trouvait jusqu'à son occupation par Israël en 1967) et à expulser les réfugiés palestiniens originaires des terres saisies par l'État sioniste en 1948, de tous les territoires situés entre le Jourdain et la mer Méditerranée, en commençant par l'expulsion des réfugiés palestiniens de la bande de Gaza vers le territoire égyptien.
En 1982, l'AAUG a publié un autre document sioniste, traduit en anglais et annoté par Israël Shahak (1933-2001), professeur de chimie à l'Université hébraïque de Jérusalem, un survivant du génocide nazi des Juifs d'Europe devenu l'un des plus éminents critiques juifs du sionisme, et le dirigeant de la Ligue israélienne pour les droits humains et civils. Le document, un article publié dans une revue sioniste en février 1982, a été connu plus tard sous le nom de « plan Yinon » d'après le nom de son auteur, Oded Yinon, haut fonctionnaire du ministère israélien des Affaires étrangères et ancien conseiller d'Ariel Sharon, un des principaux dirigeants de l'extrême droite sioniste à l'époque. Sharon supervisa l'occupation du Liban en 1982 en tant que ministre de la guerre dans le gouvernement de Menahem Begin, premier gouvernement dirigé par le parti d'extrême droite Likoud dans l'histoire de l'État d'Israël.
Intitulé « Une stratégie pour Israël dans les années 1980 », l'article de Yinon décrivait un plan qui comprenait l'établissement d'un État copte en Égypte, conduisant à la partition de l'Égypte, qui conduirait à son tour à la partition du Soudan et de la Libye voisins. Le plan comprenait également la division du Liban, de la Syrie et de l'Irak en entités basées sur des lignes sectaires et ethniques (y compris un État druze en Syrie, auquel le plateau du Golan pourrait être annexé, selon la vision de Yinon). Il s'agissait également d'accorder aux Palestiniens le contrôle de la Jordanie, de sorte à ouvrir la voie au déplacement de tous les autres Palestiniens de la rive occidentale à la rive orientale du fleuve.
La mention de ce vieux projet sioniste s'est estompée au cours des dernières décennies, car il s'est heurté à la décision des États-Unis de maintenir la division de la carte de la région telle qu'elle a résulté de la domination coloniale européenne qui a fait suite à l'effondrement de l'Empire ottoman pendant la Première Guerre mondiale. (Notons cependant qu'il n'a pas manqué aux États-Unis, durant leur occupation de l'Irak, de partisans de la partition de ce pays selon la perspective sioniste.) La dérive droitière de la société et de la politique israéliennes, qui a atteint son apogée sous le gouvernement actuel de Benjamin Netanyahou, a ressuscité le projet, en le stimulant considérablement.
Ce gouvernement a saisi l'occasion offerte par l'opération « Déluge d'al-Aqsa » lancée par le Hamas le 7 octobre 2023, pour attaquer non seulement les Gazaouis, mais toutes les composantes du peuple palestinien vivant entre le fleuve et la mer. Il a également attaqué le Liban, la Syrie et le Yémen, trois pays qui ont connu ou connaissent encore des guerres civiles fondées sur des divisions confessionnelles. Et ce, tandis que l'Irak, quatrième pays dans la même situation, a jusqu'à présent été épargné par l'agression directe d'Israël depuis que les États-Unis y ont détruit l'État depuis 1991 et ont cherché ensuite à le reconstruire depuis 2003 sur la base du « diviser pour régner ». Tout cela sans parler, bien sûr, de la partition de facto de la Libye, du Soudan et du Yémen.
Le résultat est que les conditions dans l'Orient arabe – et en particulier dans les trois pays géographiquement proches de l'État sioniste : le Liban, la Syrie et l'Irak – sont maintenant plus propices que jamais à la réalisation d'une partition de ces États selon la perspective sioniste. Le comportement actuel d'Israël à l'égard de la Syrie et du Liban s'inscrit clairement dans ce contexte. Cette ambition israélienne se heurte à l'intérêt des États arabes qui ont une influence sur Washington – autrement dit, les riches États du Golfe – ainsi qu'à celui de l'État turc, tous soucieux d'empêcher une telle partition hautement déstabilisatrice pour l'ensemble de la région. Cette contradiction a maintenant atteint son paroxysme et c'est la raison pour laquelle l'administration Trump a manifesté son mécontentement face au comportement de son allié israélien envers la Syrie en particulier.
Traduit de ma chronique hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe,Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est d'abord paru en ligne le 22 juillet. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.
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Comment la Chine redessine l’Asie du Sud-Est
Des dettes du Laos aux équilibres fragiles de la Thaïlande : cinq exemples montrent comment Pékin tisse un réseau de dépendances économiques et politiques.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
23 juillet 2025
Par Andrea Ferrario
Depuis des années, la Chine tisse un réseau dense de relations en Asie du Sud-Est, combinant investissements, infrastructures, coopération technologique et pression diplomatique. Les pays de la région stratégiquement situés entre l'océan Indien et le Pacifique sont aujourd'hui au cœur d'une transformation silencieuse qui redéfinit leurs orientations économiques et, dans de nombreux cas, leurs structures décisionnelles elles-mêmes. La Chine a articulé sa stratégie autour d'une série d'initiatives qui vont bien au-delà du champ économique. La « sécurité nationale globale », concept désormais central dans la pensée stratégique chinoise, englobe des domaines tels que l'alimentation, la finance, la technologie, le cyberespace et même l'opinion publique. Dans cette optique, les initiatives promues au sud de la frontière ne sont pas isolées, mais s'inscrivent dans un projet global visant à consolider une zone d'influence stable, favorable aux intérêts de Pékin et moins perméable à la présence de rivaux.
L'Asie du Sud-Est est idéale pour ce projet. Ses économies, dynamiques mais encore vulnérables, ont besoin de capitaux, de technologies et d'infrastructures. La Chine est prête à les fournir, mais à des conditions qui ne se limitent pas aux taux d'intérêt. L'accès préférentiel aux ports, aux chemins de fer et aux centres logistiques, la promotion d'accords numériques bilatéraux, la construction de laboratoires partagés et de plates-formes industrielles communes ne sont que quelques-uns des instruments mis en œuvre. À cela s'ajoute un travail minutieux avec les élites politiques et entrepreneuriales, souvent mené loin des projecteurs. Tous les gouvernements ne réagissent pas de la même manière. Certains pays se sont laissés absorber presque entièrement, d'autres tentent de se débrouiller en conservant une marge de manœuvre. Tous évoluent toutefois dans un contexte où la Chine a su tirer parti des incertitudes mondiales et du retrait d'autres acteurs pour consolider sa position. Plus qu'une conquête fulgurante, il s'agit d'un lent rééquilibrage qui modifie les habitudes logistiques, les dépendances énergétiques et les liens institutionnels.
Dans la suite de cet article, nous analyserons cinq cas emblématiques, chacun représentatif à sa manière d'une forme différente d'influence : de la dépendance structurelle à la cooptation sélective, du compromis calculé à la résistance prudente. Il en ressortira une mosaïque hétérogène, mais tendant vers une convergence : l'adaptation, plus ou moins consciente, à une présence chinoise qui semble destinée à durer.
Le Laos : le prototype de la dépendance structurelle
Le Laos est aujourd'hui peut-être l'exemple le plus flagrant de la capacité de l'influence chinoise à remodeler profondément un pays, au point de compromettre son indépendance effective. En quelques années, le gouvernement de Vientiane a lié son destin économique, logistique et technologique à celui de la Chine, en acceptant un modèle de développement fortement dépendant du crédit et de la présence directe de la République populaire. La rhétorique officielle parle de partenariat stratégique et de modernisation accélérée, mais la réalité quotidienne montre une économie en difficulté, une population appauvrie et une administration de plus en plus perméable aux intérêts extérieurs.
La crise est évidente. Les salaires dans la fonction publique ont été réduits, les retraites sont versées avec retard, les denrées alimentaires subissent des hausses constantes et les ménages ont du mal à faire face aux dépenses de base. La dévaluation du kip, la monnaie nationale, a érodé en quelques années le pouvoir d'achat de la population urbaine et rurale, tandis que l'inflation se maintient à des niveaux élevés. Le pays, qui n'a pas les ressources nécessaires pour faire face à ses dettes, n'a évité le défaut de paiement que grâce à un soutien discret mais constant de la Chine. En échange, il a cédé le contrôle d'infrastructures essentielles, les droits d'exploitation des ressources naturelles et des parts importantes de son espace économique.
L'expansion chinoise ne s'est pas limitée aux chemins de fer et aux centrales électriques. Dans de nombreuses zones urbaines, les activités commerciales et les complexes résidentiels sont aujourd'hui entièrement gérés par des opérateurs chinois, souvent soumis à des réglementations distinctes de celles qui s'appliquent au reste du pays. Le réseau électrique a été transféré à une entreprise chinoise en garantie des prêts reçus. L'accès préférentiel à des zones économiques spéciales, la construction d'infrastructures clés et la diffusion du mandarin comme langue technique dans l'administration publique sont les signes d'un processus qui va bien au-delà de la coopération économique.
Malgré ce contexte, le gouvernement continue de tenir un discours optimiste. Chaque visite officielle chinoise s'accompagne de nouveaux protocoles d'accord et de projets communs, souvent présentés comme des succès inégalables. L'absence d'espace critique dans les médias, le contrôle de l'information et le consensus apparent contribuent à maintenir cette image figée. Cependant, les tensions sociales s'intensifient. Dans une école de la banlieue de la capitale, un enseignant commentait, résigné : « Les Chinois sont partout, ils parlent entre eux, ils construisent, ils achètent, mais nous ne comptons presque plus pour rien ». Ce témoignage, recueilli par Le Monde, reflète un sentiment qui peine à émerger mais qui est de plus en plus répandu.
Le cas du Laos montre clairement ce qui peut arriver lorsqu'un petit pays vulnérable adopte une stratégie de développement fondée sur la dépendance à un seul acteur dominant. Il n'y a pas eu d'occupation ni de mise sous tutelle formelle, mais le résultat n'est pas très différent de ce qu'aurait produit un contrôle direct, à savoir une souveraineté vidée de sa substance, une économie asservie et une société qui s'adapte en silence à un nouveau centre de commandement.
Le Cambodge : une alliance personnelle et structurelle
Au Cambodge, l'influence chinoise a trouvé un terrain fertile grâce à la convergence entre les intérêts stratégiques de Pékin et le projet dynastique de la famille Hun. Le long maintien au pouvoir de Hun Sen, suivi de l'ascension de son fils Hun Manet à la tête du gouvernement, a assuré la continuité d'une relation construite au fil du temps, consolidée par un réseau dense d'accords, d'investissements et de faveurs réciproques. Plus qu'une simple alliance politique, c'est une relation de symbiose qui s'est établie, dans laquelle la légitimité interne du régime repose en grande partie sur la protection et le soutien économique de la Chine.
À la différence du Laos, où la dépendance se manifeste sous la forme d'une dette, le Cambodge connaît plutôt une convergence stratégique. La Chine a massivement investi dans le pays, avec des projets allant des infrastructures à la sécurité. Le port de Ream, en cours d'agrandissement, est au centre des préoccupations en raison de ses potentialités militaires. Les manœuvres militaires conjointes, ainsi que la fourniture d'équipements à la police et à l'armée cambodgiennes, confirment une collaboration qui va au-delà du symbolique. Pékin a trouvé dans le gouvernement de Phnom Penh un allié fiable, prêt à défendre ses positions, y compris dans les forums multilatéraux.
Les effets de cette présence sont particulièrement visibles sur la côte. La ville de Sihanoukville, autrefois fréquentée par les touristes locaux et occidentaux, a été transformée en quelques années par une vague de capitaux chinois. Casinos, tours résidentielles, centres commerciaux et hôtels se sont multipliés, souvent sans plan d'urbanisme cohérent. La population locale a été en partie expulsée des quartiers centraux, les prix ont augmenté, le paysage urbain a été bouleversé. La croissance, concentrée dans quelques secteurs, a principalement profité aux entrepreneurs chinois et aux personnalités proches du pouvoir.
Dans le reste du pays également, la coopération s'étend à des secteurs clés : routes, ponts, barrages, réseaux numériques. Les entreprises chinoises participent à des projets de développement agricole, gèrent des zones industrielles et proposent des systèmes de surveillance urbaine. Le gouvernement cambodgien a accueilli cette pénétration comme une opportunité, favorisant l'enseignement du mandarin dans les écoles publiques et renforçant les échanges universitaires. La structure étatique s'adapte progressivement aux protocoles, aux modèles et aux priorités définis par Pékin.
Toutefois, cette centralité chinoise comporte également des vulnérabilités. L'économie cambodgienne, même si elle est en croissance, reste fragile et dépendante de quelques secteurs. Le risque qu'une crise en Chine ou un changement de ligne politique ait des répercussions immédiates sur le pays est réel. Mais pour les dirigeants de Phnom Penh, le lien avec Pékin est considéré comme une garantie de stabilité et de protection. Le système qui s'est consolidé n'a pas seulement accepté l'influence chinoise : il en a fait un élément essentiel de sa survie.
Thaïlande : un équilibre fragile
La Thaïlande se distingue des autres pays analysés par sa tradition indépendante, héritée d'une longue histoire d'équilibre entre puissances rivales. Cette attitude se reflète encore aujourd'hui dans la gestion des relations avec la Chine, perçue à la fois comme un partenaire indispensable et une source potentielle d'ingérence. Bangkok a cherché à tirer parti de la concurrence entre Pékin et Washington pour conserver une marge de manœuvre, mais les contradictions internes et les pressions extérieures rendent cette stratégie de plus en plus difficile à maintenir.
L'économie thaïlandaise est fortement intégrée à celle de la Chine. La Chine est le premier partenaire commercial du pays et a investi dans de nombreux projets d'équipements, notamment la ligne ferroviaire à grande vitesse qui devrait relier le nord du pays au réseau chinois en passant par le Laos. À cela s'ajoutent des accords dans les secteurs de l'automobile, du tourisme et de la logistique. Toutefois, l'adoption des technologies chinoises et la participation à des initiatives promues par Pékin n'ont jamais été automatiques. Les autorités thaïlandaises ont à plusieurs reprises ralenti ou renégocié les termes de projets jugés trop déséquilibrés tout en cherchant à renforcer la coopération avec d'autres acteurs régionaux et internationaux.
Sur le plan politique, les relations avec la Chine sont étroitement liées aux dynamiques internes du pouvoir. La monarchie, les dirigeants militaires et les élites entrepreneuriales partagent dans une certaine mesure la même conception d'une Thaïlande neutre, mais appelée à jouer un rôle central dans la région. Cependant, au sein même de ces cercles, des divergences d'orientation apparaissent. Certains secteurs prônent un rapprochement plus net avec Pékin, d'autres craignent qu'une dépendance excessive ne compromette l'autonomie stratégique du pays. La gestion de l'équilibre, plus qu'un art diplomatique, est devenue un exercice quotidien de compromis et d'adaptations.
Les tensions entre la Thaïlande et le Cambodge pour le contrôle des eaux entourant l'île de Ko Kut et ses ressources en gaz naturel offrent un exemple concret de la manière dont la Chine peut influencer les dynamiques régionales de façon opaque. Bien qu'elle ne soit pas directement impliquée dans le conflit, Pékin est liée aux deux pays par des intérêts convergents, et sa position ambiguë contribue à rendre le cadre des négociations plus incertain. Ce type de situation alimente en Thaïlande la crainte que la Chine, plutôt que de jouer le rôle de médiateur, agisse comme un acteur intéressé par le maintien d'une tension contrôlée qui renforce sa position centrale.
La Thaïlande n'est pas un pays passif et dispose de ressources institutionnelles, économiques et militaires suffisantes pour mener une politique étrangère autonome. Mais la pression croissante, combinée à l'érosion de la confiance dans d'autres interlocuteurs internationaux tels que les États-Unis, rend de plus en plus coûteux le maintien d'une position équilibrée. Le risque n'est pas tant celui d'une subordination formelle que celui d'une convergence progressive par inertie, dans laquelle la liberté de choix se réduirait sans être explicitement supprimée.
Vietnam et Malaisie : l'art difficile de l'équilibre
Le Vietnam et la Malaisie font face à la présence chinoise à partir de positions différentes, mais tous deux tentent, avec des résultats contrastés, de maintenir une position autonome dans une région où les pressions se multiplient. Les deux pays ne partagent ni la même histoire ni la même structure économique, mais ils sont unis par un besoin stratégique commun : éviter que l'influence de Pékin ne se transforme en une subordination structurelle, sans pour autant renoncer aux avantages économiques qu'elle comporte.
Le Vietnam est peut-être le plus prudent et le plus méfiant des pays de la région à l'égard de la Chine. Le souvenir de la guerre de 1979 est encore vif, tout comme les tensions entre les deux pays en mer de Chine méridionale, et malgré les discours sur la coopération, Hanoï se méfie des intentions chinoises. Dans le même temps, le pays est profondément intégré dans la chaîne de valeur asiatique et entretient avec la Chine l'une de ses relations commerciales les plus intenses. Les exportations vietnamiennes dépendent en grande partie des matières premières et des composants chinois, et toute tentative de diversification s'avère lente et coûteuse. Le découplage technologique entre les États-Unis et la Chine a offert au Vietnam une occasion rare. Les entreprises occidentales ont transféré une partie de leur production dans le pays, réduisant ainsi leur dépendance à l'égard de la fabrication chinoise. Mais ce transfert a également exposé Hanoï à de nouvelles pressions. Les autorités américaines ont commencé à surveiller le Vietnam pour des pratiques présumées de triangulation commerciale, l'accusant de servir de passerelle pour les marchandises chinoises destinées au marché américain. Le pays se trouve ainsi pris entre deux feux : il doit exploiter la rivalité sino-américaine pour renforcer son économie, sans toutefois devenir une cible ou un pion.
Le positionnement de la Malaisie est plus ambivalent, l'influence chinoise s'y manifestant sous des formes plus nuancées mais tout aussi pénétrantes. Ces dernières années, Pékin a renforcé sa coopération avec Kuala Lumpur dans des secteurs sensibles tels que l'intelligence artificielle, les technologies numériques et les transports. La visite du président chinois a abouti à une série de nouveaux accords qui renforcent le rôle de la Chine en tant que principal partenaire stratégique. Dans le même temps, la Malaisie exporte beaucoup vers les États-Unis et bénéficie encore d'une certaine ouverture aux capitaux occidentaux. Le gouvernement malaisien a déclaré à plusieurs reprises qu'il ne souhaitait pas s'engager en faveur d'un camp ou d'un autre, mais cette position est de plus en plus difficile à tenir. Les élites économiques et politiques sont divisées : certaines poussent à une convergence plus explicite avec la Chine, d'autres craignent que cela ne réduise la marge de manœuvre pour négocier avec d'autres acteurs internationaux. La diplomatie malaisienne continue d'invoquer l'équilibre et la neutralité, mais la structure économique du pays reflète une réalité plus complexe, où les choix formels ne coïncident pas toujours avec les choix effectifs.
Les deux pays montrent, chacun à leur manière, la difficulté d'une stratégie médiane. Le Vietnam résiste avec prudence mais dépend d'un réseau de production qui le lie étroitement à la Chine. La Malaisie tente de naviguer entre deux pôles mais risque de se retrouver dans une position de subordination dissimulée sous une apparence de souplesse. Dans les deux cas, la Chine n'impose pas mais dispose, en proposant des accords, des technologies, des capitaux et des alliances qui s'insèrent dans les espaces laissés vacants par d'autres. Le choix n'est pas toujours contraignant mais les conséquences le sont bel et bien.
Convergences et divergences dans la dépendance
La pénétration chinoise en Asie du Sud-Est n'est pas homogène mais contrastée. Elle va de modèles de dépendance structurelle, comme au Laos et au Cambodge à des configurations plus souples, comme en Thaïlande, au Vietnam et en Malaisie. Dans tous les cas, ce sont les mécanismes (prêts garantis, investissements directs, concessions stratégiques, formation d'élites locales) qui rendent l'influence chinoise efficace, et non seulement les idéologies ou la propagande. Il ne s'agit pas d'une domination explicite ou militaire, mais d'une hégémonie silencieuse qui s'exerce à plusieurs niveaux : économique, technologique et institutionnel. Dans certains cas, les gouvernements ont utilisé l'axe avec Pékin pour compenser des déficiences internes ou pour renforcer leurs régimes politiques, presque toujours au détriment de la transparence, de la neutralité administrative et, surtout, de la liberté de leurs populations. Là où la Chine a pris le rôle d'interlocuteur privilégié, la marge de manœuvre s'est réduite.
L'influence chinoise se consolide dans les contextes où les dirigeants politiques sont prêts à céder des pouvoirs de décision en échange d'un soutien économique, d'infrastructures clés en main ou d'une légitimation diplomatique. Cela vaut autant pour les pays aux institutions fragiles que pour ceux qui conservent une certaine autonomie. Ce qui change, c'est la vitesse à laquelle les règles locales s'adaptent à des logiques extérieures.
Andrea Ferrario
P.-S.
• Traduit pour ESSF par pierre Vandevoorde avec l'aide de Deeplpro
Source - Andrea Ferrario, 23 juillet 2025 :
https://andreaferrario1.substack.com/p/come-la-cina-ridisegna-lasia-sudorientale
*****
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Moscou en Asie : alliance avec Pékin, flirt avec ses rivaux
Alors que Poutine et Xi consolident leur partenariat « sans limites », la Russie entretient des relations de plus en plus étroites avec les principaux rivaux régionaux de la Chine.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
21 juillet 2025
Par Andrea Ferrario
En février 2022, alors que Vladimir Poutine consolidait avec Xi Jinping un partenariat qualifié d'« illimité », peu auraient imaginé que trois ans plus tard, des avions militaires russes et chinois survoleraient ensemble le ciel de l'Alaska, ou que leurs garde-côtes mèneraient des patrouilles conjointes dans l'Arctique. Pourtant, derrière cette coopération militaire croissante se cache un paradoxe stratégique qui caractérise la présence russe en Asie. Moscou se range résolument aux côtés de Pékin contre l'Occident sur la scène internationale, mais cultive en même temps des relations de plus en plus étroites avec les principaux rivaux régionaux de la Chine.
Le cas le plus emblématique est celui du Vietnam. En juin 2024, alors que la guerre en Ukraine faisait rage depuis trois ans, Poutine a été reçu en grande pompe à Hanoï. Le président vietnamien To Lam a déclaré que le dirigeant russe « avait contribué à la paix, à la stabilité et au développement de la région Asie-Pacifique », annonçant son intention de renforcer la coopération dans les domaines de la défense et de la sécurité. Les deux pays ont signé plus d'une douzaine d'accords bilatéraux, allant de l'énergie à la technologie nucléaire, tandis que la Russie continue d'avoir accès à la base navale de Cam Ranh Bay, essentielle pour projeter sa présence en mer de Chine méridionale.
Les relations avec l'Inde sont encore plus significatives. Lors du sommet Inde-Russie de juillet 2024, Modi a rencontré Poutine pour la deuxième fois en quelques mois, le qualifiant de « cher ami » et soulignant que leur lien « a été mis à l'épreuve à plusieurs reprises, et en est toujours sorti renforcé ». L'Inde a continué d'augmenter ses importations de pétrole russe, qui représentaient 40 % du total en 2023, et a mis en place des systèmes de paiement alternatifs pour contourner les sanctions occidentales. Dans le même temps, New Delhi reste fortement dépendante des livraisons militaires russes, qui représentent depuis plus de vingt ans plus de 65 % de ses importations d'armes, même si l'Inde diversifie actuellement ses sources d'approvisionnement.
Cette double approche, qualifiée par les analystes de « balancing-hedging » (c'est-à-dire un équilibre entre l'alignement stratégique avec une puissance et la prudence dans le maintien de relations avec ses rivaux), n'est pas le fruit du hasard. À l'échelle mondiale, la Russie s'appuie de plus en plus sur la Chine comme partenaire économique, militaire et politique pour contrebalancer l'influence des États-Unis. Au niveau régional, cependant, Moscou adopte une stratégie de diversification, évitant de prendre position en faveur de Pékin dans les différends territoriaux et maintenant des canaux de communication ouverts même avec les pays qui sont en concurrence avec elle. La position russe sur la question de la mer de Chine méridionale est particulièrement révélatrice. Moscou n'a jamais critiqué ouvertement la Chine ni remis en cause publiquement la « ligne des neuf traits », avec laquelle Pékin revendique la quasi-totalité de la zone maritime. Dans le même temps, elle ne soutient pas clairement et directement ses revendications. Lorsque, en 2016, le tribunal de La Haye s'est prononcé contre les prétentions chinoises, Poutine a défendu le choix de la Chine de ne pas reconnaître le verdict, mais uniquement parce que Pékin n'avait pas participé à la procédure, sans entrer dans le fond du litige.
La position de la Russie repose sur une logique stratégique bien calibrée. Bien que Pékin ait conscience des relations de Moscou avec ses rivaux régionaux, la Chine accepte tacitement cette ligne de conduite, reconnaissant qu'un éventuel désengagement russe pousserait des pays comme le Vietnam et l'Inde vers un rapprochement avec Washington. Comme l'a fait remarquer un expert des relations sino-russes, la Chine préfère que ses voisins s'appuient sur la Russie plutôt que sur les États-Unis. De plus, les tensions croissantes avec Washington rendent encore plus important pour Pékin de renforcer son entente avec Moscou, considérée comme son seul grand allié possible dans sa confrontation à long terme avec les États-Unis.
L'énergie nucléaire comme instrument d'influenceà longue échéance
L'énergie nucléaire est devenue l'élément le plus sophistiqué de la stratégie russe de pénétration en Asie, un domaine dans lequel Moscou parvient encore à rivaliser à armes presque égales avec les puissances occidentales, malgré les sanctions. Rosatom, la société nucléaire d'État russe, contrôle 88 % du marché mondial des centrales nucléaires et a enregistré en 2024 un chiffre d'affaires à l'étranger supérieur à 18 milliards de dollars. Mais derrière ces chiffres se profile une stratégie géopolitique à long terme, dans laquelle la coopération nucléaire, une fois mise en place, crée des dépendances structurelles durables en matière de maintenance des installations, d'approvisionnement en combustible et de gestion des déchets. Le cas du Vietnam est particulièrement révélateur. Le projet de centrale nucléaire de Ninh Thuận-1, suspendu en 2016, a été relancé en janvier 2025 avec la signature d'un nouveau protocole d'accord entre Rosatom et Vietnam Electricity. Pendant les neuf années où le projet a été suspendu, la Russie a continué à investir dans le pays. Selon le PDG de Rosatom, Alexeï Likhachev, entre 2019 et 2025, l'entreprise a formé environ 400 techniciens vietnamiens qui ont été employés dans ses programmes à l'étranger. Aujourd'hui, en plus de la reprise des travaux à Ninh Thuận-1, la Russie prévoit également la construction d'un nouveau réacteur de recherche dont le chantier devrait démarrer en 2027.
L'Indonésie apparaît comme le banc d'essai le plus ambitieux pour cette stratégie. Rosatom a présenté à Jakarta un modèle de développement modulable, conçu pour s'adapter à la configuration géographique de l'archipel. La première phase comprend des centrales nucléaires flottantes, qui seront suivies par des centrales à haute puissance construites sur la terre ferme. Le vice-PDG de Rosatom, Andrei Nikipelov, a souligné que les unités flottantes constituent un moyen rapide d'accéder à l'énergie nucléaire et entraînent des coûts minimes pour l'Indonésie puisque le remplacement du combustible serait géré par les installations russes. Cette proposition s'inscrit parfaitement dans les plans de développement énergétique du pays, qui prévoient la mise en service de 250 MW d'énergie nucléaire d'ici 2032, 7 GW d'ici 2040 et 35 GW d'ici 2060.
Outre le Vietnam et l'Indonésie, l'expansionnisme nucléaire russe concerne un nombre croissant de pays d'Asie du Sud-Est. Parmi ceux-ci, la Malaisie a manifesté un intérêt croissant pour les technologies proposées par Moscou. Lors d'une réunion qui s'est tenue en juin 2025 entre le PDG de Rosatom, Aleksey Likhachev, et le vice-Premier ministre malaisien Fadillah Yusuf, Kuala Lumpur a exprimé un intérêt particulier pour les centrales nucléaires flottantes de 100 mégawatts. Même des pays aux capacités technologiques plus limitées, comme le Cambodge et le Laos, explorent la possibilité d'une coopération avec la Russie dans ce domaine. Tous deux ont signé des accords préliminaires pour l'utilisation civile de l'énergie atomique et Moscou a propose des programmes de formation destinés au développement des compétences locales. L'objectif à long terme est de créer un réseau de dépendances technologiques qui rendrait beaucoup plus difficiles d'éventuelles sanctions occidentales contre Rosatom. Selon Rafael Grossi, directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique, sanctionner l'entreprise pourrait avoir des répercussions négatives sur la sécurité mondiale, car Rosatom fournit du combustible et des services à de nombreux pays.
Le Myanmar, laboratoire de l'alliance russo-chinoise
Le Myanmar, gouverné par une junte militaire qui a pris le pouvoir lors d'un coup d'État et qui est aujourd'hui engagé dans une guerre civile, est devenu le laboratoire le plus avancé de la coopération russo-chinoise en Asie, un cadre dans lequel Moscou et Pékin expérimentent une division des rôles qui pourrait préfigurer les dynamiques régionales de demain. La Chine investit des milliards de dollars dans le Corridor économique Chine-Myanmar et dans de grands projets d'infrastructure, tandis que la Russie se concentre sur le transfert de technologies militaires avancées, la coopération spatiale et le nucléaire. Il en résulte une forme de partenariat complémentaire, développé dans un contexte d'isolement international total des forces rebelles.
La création de l'Agence spatiale du Myanmar en juin 2024 est un signe fort de cette stratégie. L'agence a été placée sous le contrôle direct du chef de la junte, Min Aung Hlaing, et a vu le jour trois mois après sa visite à Moscou, au cours de laquelle plusieurs protocoles d'accord ont été signés avec la Russie, dont un sur l'exploration et l'utilisation pacifique de l'espace. Poutine a confirmé qu'un centre de traitement des données satellitaires est déjà opérationnel en Birmanie avec le soutien de Moscou, tandis que Min Aung Hlaing a déclaré avoir beaucoup appris lors de sa visite à Samara, une région russe réputée pour la production de vaisseaux spatiaux et de satellites.
La coopération s'est également intensifiée sur le plan militaire. La Russie a achevé la livraison des six chasseurs Su-30SME commandés en 2018 pour un montant total de 400 millions de dollars. Les deux derniers appareils ont été livrés lors d'une cérémonie qui s'est tenue en décembre 2024 à la base aérienne de Meiktila, où Min Aung Hlaing a fait baptiser les avions avec de l'eau bénite, les qualifiant d'essentiels pour protéger l'intégrité territoriale du pays et faire face aux « menaces terroristes », c'est-à-dire la résistance démocratique armée. Malgré cette supériorité aérienne, la junte a toutefois perdu le contrôle de vastes zones dans les États ethniques et dans le centre du Myanmar, y compris deux centres de commandement régionaux dans le nord de l'État Shan et le quartier général du Commandement occidental dans l'État de Rakhine.
La coopération nucléaire ajoute une dimension stratégique supplémentaire. Rosatom est engagé dans le développement d'un projet de réacteur modulaire au Myanmar sur la base d'un accord intergouvernemental signé en 2023, tandis que des experts russes collaborent avec des institutions locales dans le cadre de programmes de formation et d'initiatives scientifiques visant à renforcer les compétences internes. Dans le même temps, la Chine continue de jouer le rôle de principal investisseur économique. Au cours de cette seule année, Myanmar China Harbour Engineering a signé des protocoles d'accord d'une valeur totale de 61 millions de dollars avec la Fédération du riz du Myanmar et quatre entreprises publiques en vue de construire des infrastructures portuaires destinées à développer les exportations agricoles du pays.
Le cas du Myanmar montre clairement que la Russie et la Chine mettent en œuvre une stratégie de complémentarité qui va au-delà de la simple coopération économique. D'un côté, Pékin garantit la survie du régime grâce à des investissements massifs et à son accès aux marchés. De l'autre, Moscou fournit des technologies à haute valeur stratégique, telles que des satellites, des avions de chasse et des réacteurs nucléaires. Cette répartition des rôles permet aux deux puissances d'étendre leur influence sans entrer en concurrence directe, dessinant ainsi un modèle de pénétration conjointe qui pourrait également être appliqué dans d'autres contextes marqués par des crises ou l'isolement international.
Les limites structurelles et les perspectives d'avenir
Malgré l'expansion apparente de l'influence russe en Asie, les données mettent en évidence des limites structurelles susceptibles de compromettre la viabilité de cette stratégie. Le secteur des ventes d'armes, historiquement le plus rentable pour Moscou dans la région, a connu un effondrement spectaculaire. Il est passé de 1,4 milliard de dollars en 2014 à moins de 100 millions en 2024. Les sanctions occidentales ont remis en question la fiabilité de la Russie en tant que fournisseur d'armement, poussant de nombreux pays d'Asie du Sud-Est à se tourner non seulement vers des approvisionneurs traditionnels tels que les États-Unis et l'Europe, mais aussi vers de nouveaux acteurs émergents tels que la Corée du Sud et la Turquie.
Les difficultés logistiques constituent un obstacle supplémentaire. La Russie rencontre des problèmes d'accès aux marchés de l'Asie du Sud-Est en raison de l'infrastructure portuaire encore peu développée dans ses régions d'Extrême-Orient et de sa forte dépendance à l'égard des routes commerciales chinoises. Le commerce bilatéral avec le Cambodge, par exemple, est passé de 239 millions de dollars en 2021 à environ 55 millions en 2024, tandis que celui avec le Laos a été réduit à seulement 5 millions. Les autorités russes elles-mêmes ont reconnu les difficultés à pénétrer de nouveaux marchés, comme le montre le cas du projet de recrutement d'un million de travailleurs indiens. Les responsables concernés ont reconnu leur manque d'expérience avec la main-d'œuvre indienne ou sri-lankaise, soulignant les barrières culturelles et linguistiques qui entravent l'expansion. La dépendance de nombreux partenaires asiatiques à l'égard des institutions financières occidentales impose également de fortes limites. Malgré des signes de rapprochement croissant avec Moscou et un volume d'échanges commerciaux qui a atteint 1,3 milliard de dollars en 2024, le Pakistan reste structurellement dépendant du Fonds monétaire international pour faire face à ses problèmes économiques. Cette situation a contraint Islamabad à condamner publiquement l'invasion russe de l'Ukraine. Le projet d'importation de pétrole russe a également été bloqué en raison de l'absence de modernisation des raffineries pakistanaises.
Le cas des Philippines sous la présidence de Ferdinand Marcos Jr. montre à quel point les changements politiques peuvent rapidement affecter les équilibres régionaux. Après une phase d'ouverture à l'égard de Moscou sous le mandat de Duterte, Manille a ramené sa politique étrangère vers des positions plus proches de Washington. En conséquence, le commerce bilatéral avec la Russie est passé de 1,16 milliard en 2021 à environ 600 ou 700 millions en 2024. Jusqu'en 2022, plus de 80 % des exportations philippines vers Moscou étaient constituées de produits électroniques. Cependant, les sanctions imposées par les États-Unis en 2023 aux entreprises impliquées dans la chaîne d'approvisionnement de l'industrie russe de la défense ont rendu ces échanges encore plus difficiles.
La Russie ne se limite plus à ses stratégies économiques et militaires traditionnelles mais s'essaie également à des opérations visant à infléchir l'opinion publique dans des contextes qui peuvent sembler peu perméables. Le cas du Japon est emblématique. En 2024, l'agence de presse gouvernementale Sputnik a plus que triplé la diffusion de ses contenus sur le compte japonais de la plateforme X, dépassant 1,04 million de partages contre 320 000 l'année précédente. À partir d'octobre 2023, la stratégie s'est affinée. Les heures de publication ont été avancées de la soirée au matin afin de favoriser une plus grande visibilité, et les contenus alternent entre des images apparemment inoffensives, telles que des crabes ou des loutres de mer, et de la propagande anti-ukrainienne et des thèses complotistes. L'objectif n'est pas tant de promouvoir un discours pro-russe que de déstabiliser la société japonaise. Cet objectif est devenu évident lorsque, en pleine campagne électorale pour le renouvellement de la chambre haute du Japon, la chaîne russe en langue locale a donné la parole à un représentant du parti d'extrême droite Sanseito, déjà en forte croissance à l'époque et qui est ensuite passé de 2 à 17 députés lors du scrutin.
Un événement particulièrement significatif a été la rencontre en mai 2024 entre Poutine et Akie Abe, veuve de l'ancien Premier ministre japonais et ancien chef du parti LDP au pouvoir, assassiné en 2022. Les douze articles publiés par Sputnik sur cet événement ont été partagés près de 10 000 fois, atteignant plus de 12 millions de vues. La tentative de légitimer la Russie à travers l'image publique d'une personnalité respectée comme Akie Abe démontre le niveau de sophistication atteint par ces campagnes, ainsi que, bien sûr, la disponibilité de la droite gouvernementale de Tokyo à s'y laisser impliquer. Contrairement à ce qui se passe en Europe et aux États-Unis, le Japon n'a imposé aucune restriction à Sputnik, qui reste en revanche interdit dans l'Union européenne depuis mars 2022.
La confrontation croissante entre les États-Unis et la Chine pourrait, paradoxalement, élargir ou bien restreindre la marge de manœuvre de la Russie. D'une part, l'incertitude causée par la politique de Trump à l'égard de ses alliés traditionnels pourrait inciter plusieurs pays asiatiques à diversifier leurs alliances, créant ainsi de nouvelles ouvertures pour Moscou. Le fait qu'un nombre croissant de membres de l'ASEAN se rapprochent des BRICS, l'Indonésie y étant désormais pleinement intégrée et la Malaisie, la Thaïlande et le Vietnam y étant associés en tant que partenaires, reflète la volonté d'explorer des alternatives aux canaux occidentaux traditionnels. Cependant, l'intensification de la polarisation mondiale risque de restreindre progressivement l'espace disponible pour la stratégie russe du « double niveau ». Plus la rivalité entre Washington et Pékin s'intensifie, plus les mécanismes d'alignement systématique ont tendance à prévaloir, réduisant ainsi la possibilité pour chaque pays de mener une politique étrangère autonome. Les gouvernements d'Asie du Sud-Est, bien que désireux de préserver leur indépendance stratégique, pourraient être contraints de faire des choix plus clairs. Dans ce scénario, la capacité de la Russie à cultiver des relations avec les rivaux régionaux de la Chine dépendrait non seulement de son habileté diplomatique, mais aussi de la volonté de Pékin de tolérer une certaine ambiguïté stratégique dans un contexte marqué par une confrontation de plus en plus directe avec les États-Unis.
Andrea Ferrario
P.-S.
• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevorde avec l'aide de Deeplpro.
Source - Andrea Ferrario, 21 juillet 2025
https://andreaferrario1.substack.com/p/mosca-in-asia-alleanza-con-pechino
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Tensions frontalières en Asie du Sud-Est : Dynasties, Capital et guerre contre les peuples
Les récents affrontements armés entre le Cambodge et la Thaïlande ont fait des victimes, déplacé des communautés et détruit des moyens de subsistance. Présentés dans les médias comme un « différend frontalier », ils sont en réalité le symptôme violent de forces bien plus profondes : l'héritage du colonialisme, la cupidité d'élites bien établies, la domination géopolitique et les rivalités entre les superpuissances, ainsi que la logique militariste qui continue de dominer l'Asie du Sud-Est. Il ne s'agit pas simplement de lignes territoriales, mais de savoir qui détient le pouvoir, qui tire profit des conflits et qui saigne pour et à cause d'eux.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
13 août 2025
Par Raul Urbano
Frontières coloniales, héritage impérial
Les origines de ce conflit remontent à l'ère coloniale, lorsque les autorités impériales françaises ont unilatéralement découpé l'Asie du Sud-Est en territoires pour servir leurs propres intérêts stratégiques et économiques. Dans le cas du Cambodge, la France a délimité 817 kilomètres de territoire cambodgien, une décision qui a semé les graines d'un conflit à long terme, en particulier au sujet des temples anciens situés près de la frontière. Mais si la cartographie coloniale a tracé les lignes, la violence actuelle est entretenue par des classes dirigeantes qui manipulent les griefs historiques pour attiser le nationalisme et détourner l'attention de leurs propres échecs.
Corruption, capital et nuage de fumée
Au Cambodge, un énorme scandale a révélé les liens de la famille dirigeante avec le groupe Huione, un empire financier basé à Phnom Penh, accusé d'avoir blanchi des milliards de dollars par l'intermédiaire de filiales telles que Haowang Guarantee, Huione Pay PLC et Huione Crypto, souvent via la Thaïlande. Son principal dirigeant, Hun To, est directement lié à l'actuel président du Sénat et au Premier ministre.
Les avertissements de la banque centrale du Cambodge et les révélations des médias internationaux n'ont pas apporté de réforme ni de justice. Au contraire, l'éclatement du conflit frontalier a permis à la famille dirigeante de se refaire une image de défenseur nationaliste et de se mettre à l'abri de tout contrôle. Le moment de l'embrasement, qui coïncide avec le pic d'attention du public pour le scandale, révèle comment la guerre peut être déployée comme un nuage de fumée politique.
Dynasties et militarisme
La divulgation par les dirigeants cambodgiens d'un appel téléphonique impliquant la Première ministre thaïlandaise dans des conflits militaires internes a aggravé les tensions. En Thaïlande, la Première ministre Paetongtarn Shinawatra - fille de Thaksin et nièce de Yingluck - représente une autre dynastie bien ancrée. Le Cambodge et la Thaïlande sont tous deux pris dans des cycles où le pouvoir oscille entre les familles oligarchiques et les militaires, ce qui affaiblit les institutions démocratiques et les rend facilement inapplicables.
Le conflit du temple, bien qu'il ait été réglé par les tribunaux internationaux en faveur du Cambodge, a été instrumentalisé par l'État thaïlandais pour susciter un sentiment nationaliste, à l'instar du refus de la Chine de reconnaître les décisions internationales relatives à la mer des Philippines occidentales. Dans ce cas, le nationalisme n'est pas une défense de la souveraineté du peuple, mais un instrument de survie politique.
La guerre contre les marginaux
Le 24 juillet, le conflit s'est transformé en guerre ouverte. Des civils et des soldats sont morts. L'initiative de cessez-le-feu du président de l'ANASE (ASEAN) et Premier ministre malaisien Anwar Ibrahim a échoué lorsque la Thaïlande a rompu la trêve. Les Nations unies ont organisé une réunion, mais la violence a persisté.
Ce n'est pas l'élite dirigeante qui souffre le plus, mais les pauvres - agriculteurs, pêcheurs, communautés indigènes - contraints de fuir leurs maisons et d'abandonner leurs terres. Ces personnes n'ont pas eu leur mot à dire dans les décisions qui ont déclenché la guerre, et c'est pourtant sur elles que pèse le plus lourd fardeau.
Au Cambodge, la pauvreté se maintient à près de 18 %, avec des taux élevés de famine et de mauvaise santé. En Thaïlande, 2,3 millions de personnes - essentiellement des ruraux - vivent dans la pauvreté. Les Philippines connaissent des situations similaires, avec des dynasties politiques contrôlant la plupart des provinces et aggravant la pauvreté des paysans, des pêcheurs et des populations indigènes. Dans toute la région, la domination des élites - enracinée dans les structures coloniales et soutenue par les systèmes capitalistes - signifie que les besoins fondamentaux de la majorité sont systématiquement négligés.
L'impérialisme dans le processus de paix
Même le cessez-le-feu a été moins un triomphe de la diplomatie qu'une démonstration de marchandage géopolitique. Il n'a eu lieu que sous la pression de la Malaisie, de la Chine et des États-Unis, ces derniers utilisant les négociations commerciales comme moyen de pression. Cela révèle comment la « paix » dans de tels contextes est souvent traitée comme une monnaie d'échange pour des intérêts impériaux et économiques, et non comme un droit de l'homme ou un impératif moral.
La farce s'est aggravée lorsque le Cambodge a désigné Donald Trump pour le prix Nobel de la paix - un geste déjà soutenu par le Pakistan et Israël - mettant à nu le cynisme et la manipulation de l'image qui définissent la politique de l'élite mondiale.
La lutte à venir
Ce conflit n'est pas seulement une question de terres et de territoires. Il s'agit de systèmes - frontières coloniales maintenues par les dirigeants postcoloniaux, profits capitalistes qui enrichissent une minorité et militarisme qui considère les vies humaines comme sacrifiables à la poursuite du pouvoir. Le nationalisme n'est pas transformateur : c'est une arme utilisée par les élites dirigeantes pour faire taire les dissidents, justifier la militarisation et dresser les peuples les uns contre les autres au lieu de les opposer à leurs véritables oppresseurs.
Si nous voulons briser ces cycles, la voie à suivre doit être ancrée dans la solidarité anticoloniale, le démantèlement des régimes dynastiques et militaires, la résistance au pillage capitaliste de nos terres et de notre travail, et la défense des droits de l'homme de tous les peuples. Nous devons rejeter le faux choix entre les autocrates nationaux et les impérialistes étrangers. La véritable souveraineté que nous recherchons est le pouvoir des communautés de contrôler leurs terres, leurs ressources et leur avenir sans exploitation, militarisme et domination. La solidarité d'en bas doit être travaillée et renforcée par toutes les parties prenantes, en particulier les opprimés, les exploités et les marginalisés.
L'avenir de l'Asie du Sud-Est ne sera pas assuré par des dynasties, des armées ou des milliardaires. Il sera gagné par les luttes organisées et unies des peuples à travers les frontières, refusant d'être réduits au silence par le bruit des tirs ou trompés par l'agitation de drapeaux qui masquent l'avidité des puissants.
Raul Urbano
Mindanao, Philippines
P.-S.
• Traduit pour ESSF par Pierre Rousset avec l'aide de DeepLpro.
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Débat. « Vers 3ºC de plus en 2100. Faire ce qu’il est possible de faire » (I)
L'année 2024 a été la plus chaude depuis des milliers d'années. Auparavant, le record était détenu par l'année 2023 !
Tiré de A l'Encontre
15 juillet 2025
Par Robert Lochhead
Celeste Saulo, l'ancienne directrice du Service Météorologique National de l'Argentine, et actuelle secrétaire générale de l'Organisation Météorologique Mondiale, avertit que les évènements météorologiques extrêmes n'ont jamais été si nombreux et si intenses, et qu'ils vont augmenter encore. [1]
Le croira-t-on ? depuis 1990, quand on commençait à se préoccuper de l'effet de serre, jusqu'en 2019, plus de combustibles fossiles ont été brûlés que de 1750 à 1990, soit depuis le début de la Révolution industrielle ! [2] Depuis 1990, toute la politique du réchauffement climatique n'a-t-elle donc été qu'un théâtre hypocrite ? Quelle est la part des bonnes intentions impuissantes et de la mauvaise volonté ?
Le nouveau président du GIEC [3], l'écossais Jim Skea, remarquait en juillet 2023 : « Nous sommes dans une situation très difficile. Les actions entreprises par les États jusqu'ici ne permettent pas d'atteindre les objectifs de la COP 21 de Paris en 2015. Le fait que nous ayons fait aussi peu de progrès sur la réduction des émissions de CO2 renforce la nécessité d'accélérer le processus d'atténuation des effets du réchauffement. » [4] L'objectif de Paris en 2015, c'était de ne pas dépasser en 2100, 1,5ºC-2ºC de plus qu'en 1850. Or aujourd'hui, nous avons déjà atteint 1,5ºC de plus et le monde continue à brûler toujours plus de combustibles fossiles. À ce rythme, nous allons vers 3ºC voire 4ºC de plus en 2100. Soit un monde invivable pour les milliards d'êtres humains les plus vulnérables.
Le GIEC avait calculé que cela nécessitait de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 50% d'ici à 2030 pour les annuler complètement en 2050. Et que donc les usages du charbon, du pétrole et du gaz naturel devraient d'ici 2050 baisser respectivement de 95%, 60% et 45% (comparé à 2019). [5] On n'en prend pas le chemin !
Qui s'attendait à ce qu'un paladin du néo-libéralisme comme l'ex-premier ministre britannique Tony Blair déclare récemment : « La stratégie actuelle ne fonctionne pas » ? C'est le moins qu'on puisse dire. Tony Blair a fait sa déclaration en présentant le rapport de son Tony Blair Institute for Global Change : Le paradoxe climatique : pourquoi nous avons besoin de relancer (reset) l'action contre le changement climatique. » [6]
Mais les banquiers les plus influents, eux, signalent que le marché aura besoin de « générations » pour abandonner les combustibles fossiles, car les investissements dans les énergies renouvelables ne sont tout simplement pas rentables et seuls les combustibles fossiles rapportent des bénéfices à deux chiffres. [7]
Qui s'en préoccupe encore ?
Les trois dernières conférences internationales sur le climat se sont tenues dans des pays pétroliers, à Sharm El-Sheik en 2022, à Dubaï en 2023, à Bakou en 2024. Donald Trump a été réélu qui avait retiré les États-Unis du Traité conclu à Paris en 2015 à la COP 21. Trump qui encourage une consommation accrue du charbon et une croissance des forages pétroliers, et qui interdit aux fonctionnaires fédéraux toute allusion au réchauffement climatique. Les partis d'extrême-droite nient que le réchauffement climatique soit un vrai problème. Le mouvement international contre le réchauffement climatique semble ébranlé. L'ambiance est plombée par l'extermination des Palestiniens à Gaza, la récente guerre d'Israël et des États-Unis contre l'Iran, et la poursuite de l'offensive russe contre l'Ukraine, et les progrès partout de l'extrême-droite, qui est négationniste du réchauffement climatique.
Les 10-21 novembre prochains, aura lieu la COP 30 à Belem, au Brésil, en pleine forêt amazonienne.
La faim, la misère, les guerres, l'oppression, l'exploitation avec ses bas salaires et la précarité, ainsi que les distractions des médias, masquent le problème aux yeux des larges masses que les gouvernements ne se préoccupent d'ailleurs pas d'éclairer et alerter.
L'échec patent de trente années des politiques contre l'effet de serre illustre une réalité terrible : la masse immense sur la Terre de l'industrie des combustibles fossiles. Pas seulement la puissance financière et politique des grandes multinationales pétrolières mais l'omniprésence physique de cette industrie :
« L'ampleur physique de l'actuel système énergétique basé sur les combustibles fossiles est en effet énorme. Il y a des milliers de grandes mines de charbon et de centrales électriques au charbon, quelques 50'000 champs pétrolifères, un réseau mondial comptant au moins quelque 300'000 km d'oléoducs et 500'000 km de gazoducs et 300'000 km de lignes de transmission. Globalement, le coût de remplacement de l'infrastructure fossile et nucléaire existante est d'au moins 15 à 20 trillions de dollars. » [8] Remplacement par des énergies renouvelables, s'entend.
Le capitalisme s'est construit depuis le XVIIIe siècle sur les combustibles fossiles, charbon d'abord, pétrole ensuite. C'est la prospérité de millions d'entreprises, les profits de leurs actionnaires, et le gagne-pain de leurs salariés, qui en dépendent chaque jour. Leur abandon suscite donc des résistances puissantes. Que vont devenir les pays pétroliers dans une économie mondiale sans pétrole ? Mais ces pays et ces entreprises ont eu 30 ans pour se reconvertir.
Dans son rapport fameux publié en 2006, l'ex-économiste en chef de la Banque mondiale, le très néolibéral Nicholas Stern, décrivait le changement climatique comme « l'échec le plus grave de l'économie de marché ». [9]
Regarder en face le monde à 3ºC ou 4ºC plus chaud qu'en 1850
Dans ce monde en 2100 avec 3ºC de plus, le Sahara sera remonté jusqu'à Madrid, Rome et Athènes, le désert du Nouveau Mexique jusqu'à San Francisco, le désert du Namib s'étendra jusqu'à Johannesburg, et le désert de Gobi jusqu'à Beijing. Les Alpes seront aussi peu enneigées que l'Atlas marocain aujourd'hui, et pour un milliard d'habitants des pays tropicaux et équatoriaux, il y aura des conditions inhabitables avec des températures de plus de 42ºC au Soleil durant 145 jours par année, rendant dangereux de travailler dehors, et 200 nuits par année trop chaudes pour se rafraîchir de la chaleur du jour, et pour dormir. La plupart des villes portuaires du monde seront inondées régulièrement par la hausse du niveau des mers.
Le rétrécissement des glaciers de l'Himalaya, avec les massifs qui l'entourent, va diminuer le débit des grands fleuves qui irriguent l'Inde et le Pakistan (Indus, Gange, Brahmapoutre), l'Indochine (Mékong), la Chine (Yang Tsé Kiang et Fleuve jaune). C'est l'agriculture qui nourrit des milliards de personnes qui sera menacée.
Le GIEC a calculé que la hausse du niveau des océans, du fait de la fonte des glaces et de la dilatation de l'eau par sa température plus élevée, pourrait atteindre entre 0,4 et 1,4 m environ en moyenne. Daniel Tanuro, dans son livre de 2010, L'impossible capitalisme vert, fait remarquer qu'entre 1990 et 2006 le niveau moyen des océans s'est élevé de 3,3 mm par an alors que le GIEC avait prévu 2 mm par an. Soit 60% de plus. [10]
Une hausse de 1m, ou s'approchant de 1m, signifie que les côtes, et les estuaires, là où habite la majorité de la population humaine, connaîtront des inondations géantes plus fréquentes et plus catastrophiques. Les deltas seront submergés, les plages, les forêts riveraines, les estuaires, les embouchures des fleuves, les villes portuaires et les rives urbanisées aussi, et le dessin des côtes sera bouleversé. Un pays comme le Bangladesh, qui est le delta du Gange et du Brahmapoutre, et se situe tout entier au raz de la mer, sera annihilé, comme beaucoup des petits États insulaires du Pacifique et de l'Océan indien, des grandes parties de la Floride et de la Louisiane, pour ne rien dire des Pays-Bas.
Le monde à + 4ºC en 2100
Si la température moyenne au niveau des mers montait de 4ºC, l'Himalaya n'aura plus que la moitié de sa couverture de glace et les Alpes plus que 10%. La calotte de glace de l'Antarctique Ouest aura commencé à se fragmenter. Le niveau des mers sera monté de 2m ce qui déplacera des centaines de millions d'habitants des régions côtières. Soit autant de réfugiés désespérés de ne savoir où aller. Les régions méditerranéennes et subtropicales seront des déserts et l'Amazone, et les autres forêts équatoriales, envahies par la mer, seront desséchées et ravagées par des terribles incendies. Aux latitudes aujourd'hui dites tempérées de Tokyo, Shanghai, Rio de Janeiro, et New York, la longue saison à plus de 40ºC rendra le travail à l'extérieur impossible et tuera des milliers de personnes de coups de chaleur. Entre la montée du niveau des mers, la désertification et les terribles chaleur et humidité, l'Inde, le Pakistan, le Bangladesh, la Floride et la Louisiane, le delta du Mékong au Vietnam, tels que nous les connaissons, n'existeront plus.
À 40ºC, les céréales alimentaires ne pourront plus pousser. La production du maïs des États-Unis s'effondrera. Les trois quarts des cultures de blé du monde seront ravagées par la sécheresse. Dans les décennies antérieures, les cultures auront certes prospéré dans le Grand Nord, au Canada, en Sibérie, en Alaska. Mais dans le monde à 4ºC de plus, elles seront rattrapées par la sécheresse montant du Sud et par la fonte du permafrost au Nord et les inondations de boues que cette fonte engendre. [11]
L'humanité ne s'éteindra pas. Mais ce sera un basculement catastrophique de la civilisation humaine.
Cette prévision d'un monde à + 3ºC ou + 4ºC doit devenir une arme politique en étant expliquée et rappelée à la population par les gouvernements, et par les mouvements sociaux, pour justifier et définir les mesures radicales à prendre et servir de tableau de bord pour l'effort collectif.
Les dangers des aggravations en cascade ou rétroactions positives
La gravité d'un avenir plus chaud n'est pas linéaire sinon exponentielle car une Terre plus chaude accroît l'effet de serre. Plus de chaleur provoque plus de chaleur encore :
– La fonte du permafrost arctique et antarctique dégage du méthane qui dans l'atmosphère est un puissant gaz à effet de serre, en plus du gaz carbonique.
– La fonte des glaces diminue les surfaces blanches du globe qui réfléchissent les rayons du soleil. Une Terre plus sombre se chauffera plus vite.
– Les forêts absorbent massivement du CO2. Mais la sécheresse croissante diminuera la couverture des forêts équatoriales et tropicales. Une Terre moins verte se chauffera plus vite.
– En particulier, la chaleur et la sécheresse accroissent le nombre et les dimensions des incendies de forêts qui libèrent de grandes quantités de CO2 et peuvent diminuer la couverture forestière.
À pas de tortue
De 1990 à 2021, la part à la production mondiale primaire d'énergie des combustibles fossiles a, certes, baissé de 81,36% à 80,34% grâce au développement des énergies renouvelables. Mais leur quantité absolue a presque doublé, passant de 298 millions de térajoules à 496 millions de térajoules. Même la part du charbon a passé de 93 millions de térajoules en 1990 à 168 millions de térajoules en 2021. [12] La production d'électricité de l'Inde, nouveau géant économique, est principalement à base de charbon et son représentant à la COP26 à Glasgow en 2021 a mis son veto à ce que la résolution finale parle d'une élimination rapide du charbon.
La croissance économique depuis 1990 a été fossile et le reste. Les capitalistes des fossiles ne défendent pas seulement leurs profits mais surtout la rentabilité de leurs gigantesques capitaux fixes pas encore amortis et résultant d'investissements réalisés relativement récemment partout dans le monde.
La Commission de l'Union européenne annonce que l'UE s'approche d'une réduction de 55% des gaz à effet de serre depuis 1990 et d'une croissance à 42,5% de la part des énergies renouvelables. Ses objectifs pour 2030. Mais ce sont là les plans nationaux annoncés par les gouvernements, et non une réalité accomplie et vérifiée. [13]
Le gouvernement chinois a annoncé que les émissions de CO2 de la Chine ont baissé de 1% en 2024 et que les énergies renouvelables, dans lesquelles il inclut le nucléaire, constituent 57% de la production d'énergie et 89% des capacités installées dans la dernière année.[14]
Naomi Klein qui se bat pour un New Deal Vert, a porté un jugement averti sur Donald Trump : « On parle parfois de Donald Trump comme d'un négationniste du changement climatique. Je ne pense pas qu'il nie l'existence du changement climatique. Il sait très bien qu'il y a des changements climatiques. Mais il croit que tout ira bien. C'est pourquoi il se demande comment acheter le Groenland – pour profiter de la fonte des glaces pour s'approprier le pétrole et le gaz. Quelqu'un qui ne croit pas aux changements climatiques ne serait pas intéressé par le Groenland. Le Groenland ne l'intéresse que parce que la glace fond, ouvre des routes commerciales et libère des réserves de combustibles fossiles. Il n'y a que l'indifférence et la croyance que les riches pourront s'isoler. » [15]
Pour Donald Trump, le réchauffement et la montée du niveau des mers sont des perspectives de promotion immobilière sur les nouveaux bords de mer pour des plages et des hôtels de luxe. Il a retiré les États-Unis du Traité de Paris de 2015, parce qu'il n'accepte aucune limitation ni restriction aux entreprises et à la rentabilité des capitaux. De par « l'égoïsme sacré » de son nationalisme, il n'accepte aucune contrainte sur son gouvernement par des accords multilatéraux qui instituent des engagements qu'il devrait respecter. C'est ainsi qu'il a retiré les États-Unis de l'Organisation Mondiale de la Santé. Les politiques promues contre le réchauffement climatique et contre les pandémies sont pour lui « l'extrémisme du socialisme européen. » [16]
Isabel Díaz Ayuso, la présidente d'extrême-droite de la communauté de Madrid, déclare qu'elle reconnaît dans les solutions proposées contre le réchauffement climatique, un communisme qui ne dit pas son nom. Il y a là un grain de vérité car les solutions imposent d'aller à contre-courant du business as usual.
Probablement que beaucoup de décideurs du monde se rassurent en pensant que le progrès scientifique va apporter dans dix ou vingt ans des solutions insoupçonnées aujourd'hui qui ne perturberont pas la marche du business et permettront même de faire des bonnes affaires.
Les alternatives aux combustibles fossiles ne sont pas rentables
De COP en COP, les gouvernements et les décideurs du monde ont postulé que l'abandon progressif des combustibles fossiles devait être financé par les investisseurs privés. Mais leurs promesses de financement ne se sont pas concrétisées.
Et, si possible, faire payer la facture aux salariés-consommateurs, par le jeu des prix protégeant les profits, ce qui ne cesse de discréditer la lutte contre le changement climatique aux yeux des couches les plus pauvres de la population, ce que l'extrême-droite exploite malicieusement.
Michael Roberts l'a expliqué récemment en se basant sur le livre de Brett Christophers, The Price is Wrong-Why Capitalism won't save the Planet, Verso, 2023 : Premièrement, la rentabilité est structurellement faible sur le marché mondial capitaliste depuis des décennies, anémiant l'investissement. Mais, deuxièmement, la baisse des prix des énergies renouvelables diminue la rentabilité des capitaux qui s'y placent pour les vendre. Une fois que les panneaux solaires sont vendus et installés, le soleil est gratuit alors que les combustibles fossiles doivent être achetés tous les jours. Seuls les combustibles fossiles offrent des bénéfices à deux chiffres. « Pour ces raisons, les économistes de la banque JPMorgan concluent que “le monde a besoin d'un contrôle de réalité” dans son mouvement des combustibles fossiles vers l'énergie renouvelable, et ils affirment que cela pourrait prendre “des générations” pour atteindre les cibles net-zéro. JPMorgan considère que changer le système énergétique du monde « est un processus qui devrait être mesuré en décennies, ou en générations, et pas en années”. Parce que l'investissement dans l'énergie renouvelable “n'offre actuellement que des retours médiocres”. »
C'est pourquoi Brett Christophers conclut que le sauvetage du réchauffement climatique nécessitera l'action de la puissance publique, c'est-à-dire des investissements massifs par les États. [17]
(Dans la deuxième partie de l'article, nous proposons cinq mesures possibles de politiques publiques pour diminuer l'émission de CO2.)
Capturer le CO2 émis au lieu d'arrêter d'en émettre
Le nouveau président du GIEC depuis 2023, le britannique Jim Skea déclarait en entrant en fonctions : « Même avec une neutralité carbone, nous devrons sans doute extraire du CO2 de l'atmosphère. » [18] C'était reconnaître l'échec des politiques de diminution de l'effet de serre jusqu'à maintenant.
La COP 29 à Bakou l'année dernière a vu la consécration des techniques expérimentales pour extraire le CO2déjà émis et pour refroidir l'atmosphère et la Terre. C'est-à-dire les promesses futuristes hasardeuses pour n'avoir pas besoin de renoncer aux combustibles fossiles. Cela s'est introduit dans la résolution finale de la conférence avec le nouveau terme de combustibles fossiles non-atténués (unabated fossil fuels), soit ceux dont le CO2 émis n'est pas recapturé. Les « bons » combustibles fossiles seront donc ceux qui bénéficieront de la recapture du CO2 qu'ils émettent. [19]
Toute une armada de start-ups et expérimentations, financées par Bill Gates et autres oligarques super-riches, travaillent sur ces idées.
La technologie existe, certes, pour retirer le CO2 des gaz émis, par exemple par une usine. Par exemple, une aciérie ou une usine de ciment qui en dégagent beaucoup. Mais appliquer cela à l'air ambiant, à l'atmosphère entière, paraît de la science-fiction. Il existe des moyens d'intégrer le CO2 à un matériau, par exemple une roche carbonée, ou de le transformer en un carburant, ce qui repousse le problème plus loin. Mais ce qui est envisagé couramment, et déjà pratiqué à petite échelle, c'est de simplement enfermer le CO2 dans un réservoir, dans une cavité souterraine, ou dans une roche perméable mais étanche, des mines de sel souterraines, des lacs souterrains, …C'est possible mais hautement dangereux. Car si le réservoir fuit, ou que le CO2 s'échappe à nouveau dans l'atmosphère, tout est perdu. Ce sont les NET, les technologies à émissions négatives.
Le climatologue de l'Université de Manchester, Kevin Anderson, a fait scandale en 2016 en révélant que, en cachette, les NET avaient fait partie des calculs optimistes de la COP21 de Paris en 2015. [20]
Les NET, technologies à émissions négatives
– La NET qui est disponible techniquement et qui a les faveurs de l'industrie des combustibles fossiles, c'est la BECCS, bioénergie avec capture et séquestration du carbone : cultiver sur des surfaces immenses des herbes ou des arbres à croissance rapide, par exemple des Eucalyptus, pour les brûler à la place des combustibles fossiles. En croissant, ils auront absorbé du CO2 de l'air. Comme combustibles, ils permettent d'employer les technologies que maîtrise l'industrie pétrolière. Le CO2 qu'émet leur combustion est conservé, enfermé, comprimé, conduit par des réseaux de pipelines jusqu'à ces « puits » où on prétend l'enfermer pour des milliers d'années. Outre le pari hasardeux de cet enfermement, cette BECSS, de par les surfaces immenses de plantations, concurrencera l'agriculture pour l'alimentation. On se souvient que le président de Nestlé en 2009 avait publiquement dénoncé les cultures de céréales pour la production d'alcool comme combustible, parce que cela aggravait la crise alimentaire.
– La capture du CO2 de l'air par une résine adsorbante. Le principe est bien connu par ces petites billes de résine jaune qui servent à désioniser l'eau en retirant son calcaire. Des surfaces immenses seraient couvertes d'une telle résine qui adsorberait le CO2. Périodiquement, il faudrait laver cette résine puis extraire le CO2 de l'eau de rinçage, l'enfermer, le comprimer, le conduire par des tuyauteries jusqu'à l'enfermer sous terre.
– La fixation par la soude caustique. Comme on sait, le CO2 réagit avec la soude caustique pour donner du carbonate de sodium. Le CO2 de l'air serait fixé par la soude caustique dans des tours de lavage. Le carbonate de sodium pourra être jeté à la mer ou calciné pour retrouver la soude caustique à réutiliser et le CO2 à enfermer. La soude caustique est produite par électrolyse de l'eau salée ce qui consomme de l'électricité.
– Augmenter l'absorption du CO2 atmosphérique par les océans en y dispersant de la chaux. Cela produit du carbonate de calcium, du calcaire, qui précipite au fond de la mer. Pour disperser cette chaux, il faut une immense flotte de bateaux qu'il faut propulser. La chaux est produite par calcination du calcaire, ce qui consomme de l'énergie et dégage du CO2 qu'on pense enfermer. [21]
Tout cela est à un stade expérimental ou de petites installations-pilotes. De là à traiter tout le CO2 de l'atmosphère pour en diminuer la quantité, il y a un saut pour le moins incertain. Tout cela est absurde mais envisagé pour continuer à brûler pétrole, gaz naturel et charbon.
Refroidir l'atmosphère pour continuer à brûler du pétrole
Les grandes éruptions volcaniques refroidissent l'atmosphère durant plusieurs mois en injectant dans la stratosphère des aérosols, entre autres soufrés, et des particules, qui filtrent les rayons du soleil. Jusqu'aux années 1970, les pétroles consommés contenaient une haute teneur en soufre qui, une fois brûlé, produisait du dioxyde de soufre (SO2) puis avec l'eau de pluie des gouttelettes d'acide sulfurique. Ces gouttelettes filtraient les rayons du soleil et freinèrent l'effet de serre de 1940 à 1975. Mais ces « pluies acides » nuisaient à la végétation et provoquaient des maladies pulmonaires chez des millions de personnes. On a donc préféré des pétroles pauvres en soufre et désulfuré préalablement le pétrole. C'est ainsi que dès 1975, le réchauffement climatique a pu prendre son envol. [22]
– L'idée sur laquelle travaillent plusieurs équipes bien financées, c'est trouver à injecter dans la haute atmosphère des aérosols chimiques qui miment cet effet refroidissant du soufre et des volcans. Mais sans nuire ni à la santé des humains ni à celle de la végétation. Or l'atténuation de l'ensoleillement nuit déjà à la végétation.
– Autre solution : Le méthane ou gaz naturel est présent dans l'air en quantités beaucoup plus faibles que le CO2. Il s'échappe naturellement lentement dans l'espace hors de l'atmosphère alors que le CO2 y reste pour des milliers d'années. Mais c'est un gaz à effet de serre 84x plus puissant que le CO2. L'idée de certains, c'est éliminer au moins ce méthane atmosphérique en provoquant à hautes altitudes une réaction chimique qui le transforme en CO2.
– Ou encore, compenser le rétrécissement de la surface de neige et de glace qui réfléchissait les rayons du soleil en blanchissant les nuages ou des grandes surfaces du sol par de la poudre d'oxyde de titane, le blanc de la peinture blanche, ou des gigantesques toiles blanches.
Tout cela est appelé géo-ingénierie. C'est étudié en recevant des financements intéressés. Ou encore, mettre en orbite des parasols titanesques. L'industrie pétrolière est prête à financer tout cela pour préserver la poule aux œufs d'or du pétrole.
Que de temps perdu
Que de temps perdu depuis la Conférence de Rio de 1992 qui a fait officiellement de l'effet de serre une préoccupation des Nations Unies en votant à l'unanimité la Convention-cadre sur les changements climatiques.
Que de temps perdu depuis la déposition devant le Congrès à Washington en 1988 du climatologue James Hansen de la NASA.
Que de temps perdu depuis la fondation en 1988 par l'Assemblée des Nations Unies du GIEC, le Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat dont les rapports font autorité depuis lors.
Que de temps perdu depuis son rapport de 1990 qui établissait que pour stabiliser le taux de CO2 dans l'atmosphère au double de sa valeur préindustrielle, c'est-à-dire environ 580 ppm, il faudrait réduire les émissions annuelles de CO2 de 60%. [23] Aujourd'hui en 2025, c'est encore 420 ppm mais ça monte chaque année.
Que de temps perdu depuis 1982 quand les ingénieurs de la compagnie pétrolière EXXON, dans un rapport secret, calculaient que la croissance de la consommation de pétrole allait augmenter le taux de CO2 dans l'atmosphère et par son effet de serre réchauffer le climat de la planète.
Que de temps perdu depuis 1959 quand le physicien nucléaire Edward Teller (1908-2003) exposait à l'Université de Columbia à New York que la combustion des carburants fossiles allait, par l'effet de serre, faire fondre les glaces après l'an 2000 et monter le niveau des mers. [24]
Que de temps perdu depuis 1954, quand une Air Pollution Foundation créée par les compagnies pétrolières et automobiles des États-Unis finançait les mesures du taux de CO2 dans l'air de Charles Keeling et envisageait les « conséquences planétaires » de son accroissement. [25]
Le marché contre le climat
De la COP1 à Berlin en 1995 à la COP3 en 1997 à Kyoto puis la COP 21 en 2015 à Paris, les puissances du monde ont cherché des moyens de lutter contre l'effet de serre qui ne dérangent pas les affaires ni les profits, et si possible des astuces pour atteler les lois mêmes du marché capitaliste à la tâche. Cela s'est révélé un mirage :
– Le commerce des droits d'émission de carbone s'est révélé un casino de spéculations financières. Ces marchés artificiels de droits et crédits d'émissions commercialisables ont produit peu de diminution des émissions de gaz à effet de serre. [26]
– Les fonds d'investissements verts et durables sont un leurre parce que les produits pétroliers sont bien plus rentables.
– La neutralité carbone est un faux-semblant car elle postule que les émissions de CO2 soient contrebalancées par son absorption par l'activité humaine, par les eaux et par la végétation. Mais cette absorption est difficile à mesurer exactement et elle est systématiquement exagérée pour éviter de couper dans les émissions. La neutralité carbone est actuellement une véritable arnaque qui permet aux entreprises de s'en réclamer en finançant des prétendus projets de fixation du CO2 par des parcelles de forêt qu'elles financent bon marché dans des pays pauvres. C'est ainsi que Air France, par exemple, s'engage à compenser depuis 2020 les émissions de ses vols en France métropolitaine grâce à des projets au Brésil, au Pérou, au Kenya, en Inde et au Cambodge. [27] En février 2019, le gouvernement français, dans sa nouvelle loi sur l'énergie, a remplacé l'objectif de diviser par 4 les émissions de CO2 de la France d'ici 2050, décidé en 2005 sous la présidence de Jacques Chirac, par l'objectif d'atteindre en 2050 la neutralité carbone, ce qui n'est pas du tout la même chose et implique la poursuite des émissions inchangées. [28]
Tous les instruments envisagés par les vingt-quatre conférences des Nations Unies sur le climat depuis 1992 restent à l'intérieur, pas seulement du capitalisme, mais plus précisément du néo-libéralisme qui est l'orthodoxie impérieuse depuis cinquante ans :
Enno Schröder et Servaas Storm de l'Institute for New Economic Thinking le jugent ainsi : « Nous serons capables de mettre fin progressivement aux émissions de gaz à effet de serre avant le milieu du siècle seulement si nous mettons nos sociétés et nos économies “sur un pied de guerre” (…) Notre analyse statistique montre que pour éviter une catastrophe climatique, le futur doit être radicalement différent du passé. La stabilisation du climat requiert un bouleversement fondamental des infrastructures des énergies fossiles, de la production et des transports, un bouleversement massif des intérêts privés dans les énergies fossiles et leur production, et des investissements publics à grande échelle – et tout cela devrait être fait au plus vite. L'analogie de Steffen d'une mobilisation massive face à une menace existentielle est fondamentalement correcte. Le problème pour la plupart des économistes, c'est que cela suggère une poussée directionnelle par des acteurs étatiques, cela a un goût de planification, de coordination et d'interventionnisme public, et cela va à l'encontre du système de croyances orienté vers le marché de la plupart des économistes. »[29] Et à l'encontre des intérêts économiques dominants.
Kevin Anderson et ses collègues jugent ainsi le temps perdu dans leur grand article de 2021 : « Pourquoi n'avons-nous pas infléchi la courbe des émissions ? » : « Les comptes rendus historiques suggèrent qu'il y avait à la fin des années 1980 déjà une compréhension partagée parmi des industriels influents, des scientifiques et des politiciens que le changement climatique d'origine humaine était une préoccupation réelle qui rendait l'action nécessaire. Ainsi le sujet fut traité par l'Assemblée générale des Nations Unies en 1988, et le GIEC fut créé la même année. La prise de conscience publique de la question a commencé à se diffuser à travers le monde dans les années 1990, même si la compréhension était limitée. Si une action concertée et décisive avait été entreprise alors, des réductions modestes des émissions et une transition cumulative progressive d'abandon des combustibles fossiles aurait pu éviter une grande partie du changement climatique qui aujourd'hui a été inscrit irrémédiablement dans la Nature. Au lieu de cela, et en trente années seulement, plus de CO2fossile a été émis qu'auparavant dans l'histoire entière : 804 Gigatonnes durant les 240 années de 1750 à 1990 et 872 Gigatonnes durant les trente années de 1990 à 2019. » [30]
La courbe décisive
La courbe décisive à considérer, c'est celle de la croissance du taux de CO2 dans l'atmosphère. C'est la courbe de Keeling du nom de Charles Keeling (1928-2005) qui a mesuré heure par heure la concentration de CO2 depuis 1958 au sommet du Mauna Loa à Hawaï. En 1960, c'étaient 320 parties par million (0,32‰) ; en 1978 : 330 ppm. C'est aujourd'hui 420 ppm. La Conférence de Paris en 2015 prévoyait qu'en atteignant 1,5ºC de réchauffement en 2040, la courbe s'infléchirait enfin et le taux de CO2 cesserait d'augmenter et commencerait à baisser ou, tout au moins, à se stabiliser à 440 ppm (voir le graphique).
Pour redescendre à 400 ppm de CO2 dans l'atmosphère en 2050, ce qui correspondait à limiter la hausse de la température moyenne du globe à 2°C d'ici 2100, le GIEC a calculé qu'il faudrait diminuer pour cela d'ici 2050 le total des rejets dans l'atmosphère de gaz à effet de serre de 50% à 85%.
Si aucun infléchissement de la courbe n'a lieu avant 2100, la température planétaire aura alors augmenté de 3ºC depuis 1850. L'infléchissement de la courbe, vers 2050-2060 enfin, espérons-le, serait le début de la diminution du taux de CO2 dans l'air et donc d'une diminution de l'effet de serre qui réchauffe l'atmosphère. Mais on est loin.
Le site Carbon Brief vient de publier la courbe de la Chine qui montre un infléchissement depuis mars 2024 et une légère descente depuis lors. (cité par Adam Tooze, Chartbook 5 juin 2025). Mais c'est peut-être causé par des réductions de la production d'électricité qui brûle des combustibles fossiles, plus que par la réduction de ses émissions de CO2.
Graphique : Taux de CO2 dans l'atmosphère (courbe de Keeling). Graphique de 2023 du Meteorological Office du Royaume-Uni. Nous sommes en 2025 et aucun infléchissement de la courbe n'a eu lieu, la courbe continue de monter. Le zig-zag de la courbe est dû à l'alternance des saisons dans l'hémisphère Nord, qui a plus de masses continentales : en été la végétation est abondante et absorbe beaucoup de CO2, en hiver beaucoup moins. [31]
La catastrophe imminente
Dans le meilleur des cas, ce qui a été fait depuis 1992, ce sont des progrès dispersés, par exemple la génération de l'électricité par le soleil et le vent en Europe et les progrès de l'automobile électrique. Red Eléctrica, la gestionnaire du réseau électrique espagnol, rapporte que la production d'électricité par les renouvelables, hydroélectrique, photovoltaïque et éolienne, a atteint un maximum historique et continue de croître : en 2024, 56, 8% de la demande totale, 10% de plus que l'année précédente avec en 2024 un minimum historique d'émissions de CO2 par l'Espagne. [32] Le GIEC estime que dans le monde entier, le solaire et l'éolien représentent aujourd'hui 10% de la génération d'électricité. [33]
Mais les petits progrès sont sans cesse noyés par la croissance économique et la croissance de la consommation des combustibles fossiles ailleurs dans le monde. Et cela se fait en ordre dispersé, pays par pays, parfois ville par ville, les uns plus avancés, les autres plus en arrière. Il a été calculé qu'à ce rythme, il faudra un siècle et demi pour atteindre l'objectif de réduction des émissions de CO2 que la COP de Paris en 2015 fixait pour 2050.
La perspective effrayante et la terrible inaction des pouvoirs en place suscitent chez les jeunes conscients de l'enjeu, un désespoir, voire des suicides, et, surtout, un refus de faire des enfants qui devient fréquent et que les démographes commentent de plus en plus souvent. Mais le pire n'est pas certain et il est encore temps si les mesures efficaces sont mises en œuvre sans attendre, pour infléchir cette courbe de Keeling. Ma petite-fille a 5 ans, c'est pour elle que j'écris. Elle aura 40 ans en 2060. Quel avenir vais-je lui laisser ? Pendant combien de temps est-il encore temps ?
Daniel Tanuro a mis en exergue de son livre de 2020 les vers de François Villon de 1489 : « Frères humains qui après nous vivrez, N'ayez les cœurs contre nous endurcis. » [34]
Sans pression sociale rien ne se fera
Il est évident malheureusement qu'il n'existe aujourd'hui pas de rapport des forces social qui pousse les gouvernements à agir efficacement. Sans des mouvements populaires politisés qui exigent des mesures efficaces, les gouvernements et les capitalistes ne feront rien.
Un modèle, ce sont les manifestations massives contre les centrales nucléaires dans les années 1970 dans plusieurs pays. Un mouvement qui fut massif, insistant, inventif, avec des comités de base organisant beaucoup de gens et accumulant un savoir pour surveiller l'industrie nucléaire et les services étatiques compétents et polémiquer de façon informée contre eux.
C'est pour un tel mouvement que nous allons formuler plus loin des ébauches d'un programme de mesures de politiques publiques possibles. (2e partie à suivre le 16 juillet)
Notes
[1] Interview de Celeste Saulo, El Pais, 11 mars 2025.
[2] Isak Stoddard, Kevin Anderson, Stuart Capstick, Wim Carton, Joanna Depledge, Keri Facer, Clair Gough, Frederic Hache,Claire Hoolohan, Martin Hultman, Niclas Hällström, Sivan Kartha, Sonja Klinsky, Magdalena Kuchler, Eva Lövbrand,Naghmeh Nasiritousi, Peter Newell, Glen P. Peters, Youba Sokona, Andy Stirling, Matthew Stilwell, Clive L. Spash, and Mariama Williams,
“Three Decades of Climate Mitigation : Why Haven't We Bent the Global Emissions Curve ?”(Trois décennies d'atténuation du climat : Pourquoi nous n'avons pas infléchi la courbe des émissions globales ?),
Annual Review of Environment and Resources, www.environ.annualreviews.org, 29 june 2021.
[3] Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat / Intergovernmental Panel on Climate Change.
[4] Le Temps, Genève, 25 juillet 2023.
[5] Daniel Tanuro, « OPA fossile sur les COP », alencontre.org, 8 décembre 2023.
[6] El Pais, 30 avril 2025.
[7] Michael Roberts, « Fixing the climate – it just ain't profitable », thenextrecession.wordpress.com, 23 juin 2024.
[8] Nations-Unies, World Economic and Social Survey 2011 : The Great Green Technological Transformation, Genève, 5 juillet 2011, cité par Daniel Tanuro, Trop tard pour être pessimistes ! Écosocialisme ou effondrement, éditions Textuel, Paris, 2020, page 105.
[9] Daniel Tanuro, « COP 28, Ahmed al-Jaber inscrit son nom dans l'histoire de l'enfumage capitaliste », alencontre.org, 15 décembre 2023.
[10] Daniel Tanuro, L'impossible capitalisme vert, La Découverte, Paris, 2010
[11] Mark Lynas, Our Final Warning, Six Degrees of Climate Emergency, HarperCollins, Dublin, 2020, pp. 167-211.
[12] Agence Internationale de l'Énergie/AIE, cité par Alain Bihr, “Le mirage des énergies « renouvelables »”, alencontre.org, 15 octobre 2024.
[13] El Pais, 29 mai 2025.
[14] El Pais, 26 mai 2025.
[15] The Nation, 10 septembre 2019. Naomi Klein est l'autrice de nombreux ouvrages dont :Tout peut changer : Capitalisme et changement climatique, Toronto, Alfred A.Knopf, 2014.
[16] Gilbert Achcar, « Néofascisme et changement climatique », Mediapart, 7 juillet 2025.
[17] Michael Roberts, « Fixing the climate – it just ain't profitable », thenextrecession.wordpress.com, 23 juin 2024.
[18] Le Temps, Genève, 25 juillet 2023.
[19] Pascaline Minet, “ La capture du carbone au cœur des débats à la COP28”, Le Temps, Genève, 9 décembre 2023.
[20] Kevin Anderson, The Hiddden Agenda : How Veiled Techno-Utopias shore up the Paris Agreement, (Le plan caché : Comment des utopies technologiques cachées soutiennent l'accord de Paris), https://www.geoengineeringmonitor.org
[21] Daniel Tanuro, Trop tard pour être pessimistes, op. cit., p.148.
[22] Robert Lochhead, « Effet de serre, Pour quelques degrés de plus », page*2. no. 8/9, janvier -février 1997.
[23] Robert Lochhead, art. cit.
[24] Benjamin Franta, « Ce que le Big Oil savait sur le changement climatique, selon ses propres termes », The Conversation, 28 octobre 2021, traduction alencontre, 7 novembre 2021.
[25] Oliver Milman, « L'industrie des combustibles fossiles était au courant du danger climatique dès 1954 », alencontre.org, 31 janvier 2024, traduction de The Guardian, 30 janvier 2024.
[26] Daniel Tanuro, L'impossible capitalisme vert, La Découverte, Paris, 2010, page 290.
[27] Coralie Schaub et Aurore Coulaud, « La “neutralité carbone” : la grande arnaque.“Le seul zéro qui compte, c'est à la source” », Libération, 4 novembre 2021, alencontre.org.
[28] Arjuna Andrade, « France/Climat. Macron ordonne “ne changez rien” », Les nouvelles de l'éco, France Culture, 11 février 2019, alencontre.org.
[29]https://braveneweurope.com/enno-schroder-and-servaas-storm-why-green-growth-is-an-illusion
[30] Isak Stoddard, Kevin Anderson, et al. art.cit.
[31] Martina Igini, “Atmopsheric CO2 Jump in 2024 off Track With Trajectory Needed to Meet 1,5C Goal, Met Office Says”, Earth Org, Jan 19th 2024.
[32] El Pais, 30 avril 2025.
[33] Le Temps, Genève, 3 septembre 2023.
[34] Daniel Tanuro, Trop tard pour être pessimistes ! Écosocialisme ou effondrement, éditions Textuel, Paris, 2020.
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Débat. « Vers 3ºC de plus en 2100. Faire ce qu’il est possible de faire » (II)
Tiré de A l'encontre
16 juillet 2025
Par Robert Lochhead
La merveilleuse Greta Thunberg a eu cent fois raison de qualifier ces conférences annuelles COP des cirques. Elles sont d'ailleurs aussi des foires commerciales et les lieux de tous les lobbyings. Elles noient les gouvernements disposés à agir au milieu de ceux qui freinent et de ceux dont on ne peut rien espérer comme les pays pétroliers. L'unanimisme de ces conférences a pour fonction d'éviter ce que les capitalistes appellent la distorsion de la concurrence : il faut universaliser les politiques afin d'éviter que, sur le marché mondial, les pays qui agissent soient concurrencés avec succès par ceux qui n'agissent pas mais s'économisent le coût des mesures efficaces. Cela repose donc sur l'idée que la lutte contre le réchauffement climatique est défavorable aux affaires.
Pour des conférences des gouvernements disposés à agir
Le croira-t-on ? La résolution adoptée par la COP 28 à Dubaï fut la première de l'histoire des COP à inclure les mots « fossil fuels/ combustibles fossiles »[1]
Car la Convention-cadre adoptée à l'unanimité par la Conférence de Rio en 1992 ne parlait, elle, que « d'éviter une perturbation anthropique dangereuse du système climatique. »
Il faudrait exiger des conférences internationales des pays disposés à agir efficacement et qui constituent une masse suffisante pour avoir un effet notable sur la planète, ce qui est appelé diplomatiquement « union of the willing. »Par exemple, l'Union européenne plus le Canada, l'Australie et la Nouvelle Zélande, soit des pays où une pression populaire, une force démocratique, peut s'exercer sur les gouvernements. Plus la Chine, si elle réalise ses promesses de mesures efficaces contre le réchauffement climatique. Étant entendu que d'autres pays pourraient rejoindre plus tard.
Mais redisons-le : Sans pression sociale, rien ne se fera !
Pour un New Deal Vert ou un Projet Manhattan pour le climat
Il n'existe aujourd'hui aucun rapport de forces social pour un écosocialisme même si c'est la solution véritable. Cela imposerait rien moins qu'abolir le capitalisme. Mais il faut proposer à un mouvement social des objectifs prioritaires, à court et moyen terme, qui soient le ferment d'une lutte à long terme plus globale. Des objectifs qui soient repris par un mouvement social comme un pont entre la situation actuelle et la nécessaire transition ces prochaines années vers des objectifs de transformation à grande échelle plus vastes si le mouvement social se renforce. [2]
Il doit être possible de proposer des mesures fortes d'action gouvernementale et d'intervention étatique dans l'économie, comme évoquées dans la première partie de l'article, et pousser pour les imposer aux gouvernements. L'urgence d'éviter un monde à + 3ºC en 2100 n'est-elle pas suffisante pour des mesures comparables aux politiques de guerre des deux guerres mondiales, c'est-à-dire des injections massives d'argent public ?
Naomi Klein et beaucoup d'autres auteurs proposent un New Deal Vert parce que le New Deal de 1933 du président Franklin Roosevelt est un précédent d'un capitalisme corrigé par des grandes entreprises publiques. Avant 1990 et les privatisations néolibérales, il y avait encore des entreprises publiques, des banques publiques et des industries publiques, et des politiques économiques publiques, qui seraient aujourd'hui des points d'appui pour une action publique ambitieuse contre le réchauffement climatique.
Le New Deal de 1933-1938 a créé cette grande entreprise publique hydroélectrique, et de mise en valeur de la vallée du fleuve Tennessee, la Tennessee Valley Authority, qui a employé jusqu'à 30'000 salariés, et le Projet Manhattande 1941-1945 qui a construit la bombe atomique avec des usines publiques gigantesques employant 130'000 employés fédéraux.
Le projet Manhattan a coûté au budget fédéral deux milliards de dollars. Deux milliards de dollars d'alors équivalent aujourd'hui à un pouvoir d'achat de 40 milliards de dollars. C'est l'ordre de grandeur des investissements récents dans l'Intelligence Artificielle.
En 2019, le sénateur Bernie Sanders et la représentante Alexandria Ocasio-Cortez, les deux animateurs des Democratic Socialists of America, ont proposé un programme de Green New Deal qui prévoit d'injecter en 10 ans 16'000 milliards de dollars d'argent public pour la transition énergétique. Daniel Tanuro juge ce projet très réjouissant mais lui reproche d´être bien vague quant aux sources de financement, n'envisageant même pas une ponction fiscale sur les riches.[3]
Brian Deese du MIT, qui fut un haut fonctionnaire de la Maison Blanche sous Joe Biden, propose un Plan Marshall contre le réchauffement climatique en offrant au monde un grand financement public US pour exporter les bonnes technologies d'énergie propre des États-Unis, comme par hasard celles qui intéressent les compagnies pétrolières : la capture du CO2, l'hydrogène vert, produit à partir du pétrole ou du gaz naturel, l'énergie géothermique, plus le nucléaire. Ben voyons !
Mais l'idée d'un plan Marshall et, surtout, sa dimension sont intéressantes. Le Plan Marshall de 1947 pour reconstruire l'Europe eut un financement de 13 milliards $ jusqu'en 1952, ce qui correspond à 200 milliards $ d'aujourd'hui. Cela fut alors 5% du PIB des Etats-Unis, ce qui serait aujourd'hui 1000 milliards $. [4]
Des mesures concrètes quantifiées et popularisées
Jusqu'ici, on a compté sur des petites améliorations progressives, chaque année un peu moins de charbon, un peu plus d'électricité solaire, un peu plus de voitures électriques, un peu plus d'investissements dans des entreprises « vertes ». Ce qu'il faut, c'est des grosses tranches de mesures efficaces d'un coup, pour marquer une dynamique, pour mobiliser le grand public, pour démontrer que c'est possible.
Des mesures efficaces sont possibles qui ne soient pas d'avance choisies pour leur ajustement aux préférences du marché capitaliste mais qui n'y sont pas forcément contraires. Une liste doit être élaborée pour constituer un plan discuté publiquement.
Je commence par en citer seulement 5 exemples en attendant que la liste s'allonge par une réflexion collective. Chaque exemple mériterait, bien sûr, d'être développé car c'est plus facile à dire qu'à faire. Encore faut-il vouloir faire !
A-Remplacer tout le chauffage des bâtiments au mazout et au gaz naturel par du chauffage électrique, par une campagne volontariste sur 10 ans dans toute l'Europe.
Le chauffage des bâtiments, tant d'habitation qu'administratifs, commerciaux et industriels, consomme environ 35% de l'énergie totale consommée en Suisse. Principalement sous la forme de mazout et de gaz naturel. [5] Par conséquent, ce remplacement en Europe -en plus d'autres pays volontaires comme le Canada et l'Australie-, devrait permettre d'infléchir enfin un peu cette terrible courbe de Keeling.
Cela veut dire imposer aux propriétaires des immeubles des délais, subventionner massivement la production, l'achat et l'installation de nouveaux chauffages électriques, accroître en proportion la production d'électricité, par des moyens autres que les combustibles fossiles s'entend, et le réseau qui la distribue.
Bill McKibben nous signale cette mesure d'électrification du chauffage en présentant sous le titre The Future Is Electric dans la New York Review of Books du 4 novembre 2021 le livre de l'ingénieur Saul Griffith pour le remplacement des combustibles fossiles par l'électrification :
« Si nous devons couper en deux les émissions dans la présente décennie – un impératif – nous devons tailler dans l'usage des combustibles fossiles en grosses tranches, pas des petites. (…) Nos maisons consomment environ un cinquième de toute l'énergie, la moitié pour le chauffage et la climatisation, et un autre quart pour chauffer l'eau. “Le joyau des banlieues, la villa unifamiliale, domine la consommation d'énergie, loin devant les grands appartements au deuxième rang”, avertit Griffith. Le secteur de l'industrie consomme plus d'énergie – environ 30 quadrillons de BTUs – mais un grand pourcentage surprenant en est dépensé pour “trouver, extraire et raffiner les combustibles fossiles”. »[6] Bill McKibben est l'éminent militant écologiste, ami du sénateur Bernie Sanders, régulièrement menacé de mort depuis 1990.
B-Moteurs électriques pour tous les camions et bus
Il est énormément question de l'augmentation des voitures électriques. Mais cela bute sur les faibles revenus et le scepticisme des millions de salariés automobilistes dont beaucoup roulent avec des voitures anciennes.
Dans les pays industrialisés, les transports consomment 32% de l'énergie finale, fournie à 90% par les carburants fossiles. Les transports routiers 74%, les avions 11,4% et les bateaux 13%, le rail 1,4%. L'Agence Internationale de l'Énergie calcule que bien qu'ils ne constituent que 8% des véhicules, les camions et les bus consomment 35% des carburants du transport routier et dégagent donc autant du CO2 émis. 35% de 74% de 32% sont 8,3% : camions et bus émettent donc 8,3% du CO2 total émis contre 15,4% les véhicules légers.[7]
Il serait plus facile d'électrifier rapidement camions et bus qui sont relativement moins nombreux et appartiennent pour la plupart à des entreprises importantes qui en ont les moyens. Il faut donc obliger les propriétaires de tous les camions et tous les bus à passer en cinq, ou dix ans, à des moteurs électriques, moyennant des subventions étatiques pour faciliter une telle transition.
L'Union européenne a édicté qu'en 2035 plus aucune automobile à moteur thermique ne pourra être mise en service. Pour les camions et bus, tiens donc ?, l'objectif est moins strict, seulement des émissions plus basses. Ce que je propose, c'est d'inverser cela et électrifier d'abord à marche forcée les camions et bus.
Dans son excellent article récent sur la voiture électrique, Alain Bihr expose que l'avantage des voitures électriques sur les voitures à moteur à explosion n'est vraiment substantiel que si leur fabrication et l'extraction de leurs matériaux, en particulier les métaux des piles, soient réalisés en consommant le moins de combustibles fossiles possible, c'est-à-dire essentiellement à base d'énergies renouvelables. Mais heureusement, les faits qu'il expose démentent le titre négatif de son article : « La voiture électrique, une alternative illusoire. » Mais par ailleurs, il a raison qu'il est indispensable de diminuer parallèlement le trafic automobile : [8]
– Diminuer le transport des marchandises par camions au profit du rail. Le transport des marchandises par le rail, c'est 29,7% en Suède, 22% en Italie, 20,6% en Allemagne, 38% en Suisse, mais seulement 9,2% en France et 4,2% en Espagne. [9]
– Dissuader les automobiles transportant une seule personne et imposer un minimum de deux personnes sur les trajets particulièrement chargés du domicile au lieu de travail. Sur le Golden Gate Bridge de San Francisco, le péage est fortement réduit si trois ou plus d'occupants par véhicule. En Suisse, le trajet Lausanne-Genève, 70 km, est l'autoroute la plus chargée de Suisse. C'est un va et vient de pendulaires entre ces deux pôles économiques du Léman. On pourrait y décourager catégoriquement d'un coup la présence d'une seule personne dans chaque voiture.
C-Remplacer tous les vols de moins de 1000 km par le train. Il faut chiffrer leur contribution aux émissions de CO2 et donc la contribution de leur abandon à leur diminution.
Dans toutes l'Europe, sauf curieusement en Espagne, les trains de nuit ont été récemment redéveloppés et connaissent un grand succès. C'est réjouissant.
Certains proposent un rationnement des vols en avions. C'est impossible à tous égards. Pour la complexité de l'application et parce que cela va nuire avant tout à la population la moins aisée pour qui les voyages et les vacances en avions sont devenus une consommation courante de vacances.
C+–Les mouvements écologistes réclament l'interdiction des avions privés. Dans le triomphalisme actuel des super-riches, c'est probablement impossible. Mais l'État pourrait exiger que leurs avions soient à la pointe de la motorisation sans rejets de CO2. Ils peuvent se le payer : Moteurs électriques avec grandes piles au lithium, moteurs à hydrogène. Et qu'ils servent de démonstration pour les nouveaux avions de ligne.
D-Stimuler l'économie des pays d'Afrique noire pour lui permettre de supporter le réchauffement climatique.
L'Afrique noire est particulièrement menacée par le réchauffement climatique de par sa latitude et, surtout, de par sa pauvreté et son marasme économique. Son réchauffement va produire des migrations massives vers le Nord, le Maghreb et la Méditerranée et l'Europe, et vers le Sud, vers l'Afrique du Sud.
Deux mesures efficaces peuvent être prises immédiatement et produire leurs effets salutaires rapidement :
-Remettre la dette astronomique des pays d'Afrique noire, ce qui est revendiqué, et parfois promis, depuis longtemps. Afin de permettre à ces pays les dépenses publiques dont ils ont besoin. Et qui leur permettront de prendre des mesures contre le réchauffement climatique.
En l'an 2020, l'Afrique subsaharienne devait 702 milliards de dollars aux institutions financières du Nord, et leur servait chaque année 44 milliards d'intérêts. Pour certains de ces pays, ce sont 60% de leurs revenus annuels. Ainsi les pays les plus pauvres du monde financent les banques du Nord, et cela depuis des décennies. [10]
-Abolir le Franc CFA des anciennes colonies françaises. C'est un carcan déflationniste, et néo-colonialiste, piloté depuis Paris qui empêche ces quinze pays de moduler une monnaie nationale pour stimuler leurs exportations.[11]
De façon cruelle, on rétorquera que cela augmentera leur consommation de produits pétroliers et leurs émissions de CO2. Dans un premier temps assurément, mais des mesures correctrices peuvent plus facilement être prises par des pays à l'aise financièrement que sans cesse étranglés par leur dette. Et la diminution des émissions des pays riches peut compenser cet effet négatif provisoire chez les pays pauvres.
E-Subventionner partout dans le monde la reforestation pour augmenter fortement la surface boisée et pas seulement la maintenir.
Planter des arbres n'est pas cette panacée pour ceux qui la financent pour ne pas avoir à diminuer leur consommation de combustibles fossiles. Couvrir d'arbres les continents ne peut pas remplacer la diminution des combustibles fossiles.
Mais les forêts sont réellement des puissants puits de CO2 qui en diminuent le taux dans l'atmosphère. Il faut en accroître la surface dans tous les pays au-delà des limites traditionnelles. Certes, cela va être en partie un travail de Sisyphe car une course de vitesse contre le desséchement et les incendies, accrus par le réchauffement du climat. Mais la reforestation est un travail peu coûteux de faible technologie, de forte intensité de main-d'œuvre, et qui a l'avantage de permettre la mobilisation de nombreux volontaires, et même des milliers d'enfants, pour planter des petits arbres.
Il faut planter des forêts dans tous les pays, même un pays qui se croit modèle comme la Suisse parce qu'elle a bloqué sa surface de forêts par sa Loi de 1902, renouvelée par le nouveau texte de 1991. Donc pour la Suisse, planter activement au-delà de la limite de 1902.
Il s'agit ici, bien sûr, de planter des forêts durables, pour toujours, avec des espèces d'arbres spécifiques, adaptées à l'écosystème local, et non ces monocultures d'espèces intruses destinées à servir de combustible dans les BECCS. En outre, il n'y a pas à planter d'arbres dans les savanes et les tourbières qui absorbent beaucoup de CO2. [12]
– Dans la dernière période, l'Espagne et l'Écosse ont réalisé des campagnes volontaristes de reboisement, pour citer ces deux pays comme exemples. Depuis 1990, la surface de forêts en Espagne a augmenté de 33,6%. Depuis la création du parlement et du gouvernement écossais en 1999, la Forestry Commission Scotland a planté 84% des surfaces reforestées au Royaume-Uni. Jusqu'en 2018, le gouvernement écossais avait fait planter 11'200 nouveaux hectares de forêts et il prévoit de planter 15'000 ha par année dorénavant. La nouvelle autonomie écossaise veut réparer le déboisement massif des siècles passés pour la construction des bateaux et l'élevage extensif, quand l'Écosse était dominée par l'Angleterre.
– L'Amazone et toutes les forêts tropicales humides sont en recul et doivent être préservées et agrandies. Cela implique un subventionnement massif de la part des pays riches, de la reforestation d'une part mais surtout pour dédommager tous les humbles gens qui défrichent et endommagent la forêt à la recherche d'un gagne-pain.
Il faut proposer une agence de l'ONU qui regroupe tous les pays qui portent la forêt tropicale humide : Brésil, Pérou, Bolivie, Colombie, Venezuela, les Guyanes, Panama, Costa Rica, Guatemala, Bélize, Gabon, Cameroun, Congo, Angola, Indonésie, Malaisie, Timor, Birmanie, Thaïlande, Laos, Cambodge, Vietnam, ma liste n'est pas exhaustive !
Depuis 2023, les huit pays de la forêt amazonienne sont réunis par une association pour le moment assez vague.
Une telle agence doit stimuler protection et reforestation, et études, recevoir et distribuer les subventions internationales, sanctionner gouvernements et entreprises, organiser collectivement la lutte contre les incendies.
– Depuis 2002, l'Union africaine encourage la plantation de la Grande Muraille Verte de Dakar à Djibouti pour verdir le Sahel et faire barrage au désert du Sahara : 7500 km sur 15 km de large. Cette Grande Muraille Verte doit être largement subventionnée par les pays riches et accélérée pour aller à l'encontre de la désertification. Vingt pays ont constitué l'Agence panafricaine de la grande muraille verte. À ce jour, seulement 15% ont été plantés, principalement au Sénégal et en Éthiopie. Mais entre deux, c'est malheureusement le Sahel des pires guerres civiles et massacres.
Le modèle, c'est la grande muraille verte de Chine parallèle à la Grande Muraille pour faire barrage au désert de Gobi. Dans le Sahel africain, la grande muraille verte pose, bien sûr, des problèmes complexes d'interaction avec les populations et de développement rural, pour ne pas parler des guerres civiles.
Le projet est soutenu par toutes les agences de l'ONU et par la Banque mondiale et l'Union européenne.
– Les campagnes de reforestation doivent également boiser l'intérieur des villes, pour créer des forêts urbaines qui rafraîchissent l'air et l'ambiance pendant les grandes chaleurs. Cela permet, par exemple, de mobiliser les enfants des écoles pour planter les plantons.
Une levée sur la fortune des super-riches
Pour déployer les énergies renouvelables sur dix ans, l'Union européenne calcule qu'il faudra 600 milliards d'investissements. [13]
L'ancien directeur général de l'OMC, Pascal Lamy, estime que la lutte contre le changement climatique coûtera 1700 milliards de dollars par année pour la Terre entière. [14]
L'économiste Cédric Durand, de l'Université de Genève, chiffrait cela ainsi en 2021 : « L'autre aspect de la transition est une forte poussée d'investissement pour faire face au choc de l'offre causé par la décroissance du secteur du carbone (…) Dans son dernier rapport sur l'énergie, Bloomberg (New Energy Outlook 2021) estime qu'une économie mondiale en croissance nécessitera un niveau d'investissement dans l'approvisionnement et les infrastructures énergétiques compris entre 92'000 et 173'000 milliards de dollars au cours des trente prochaines années. L'investissement annuel devra plus que doubler, passant d'environ 1700 milliards de dollars par an aujourd'hui à une moyenne comprise entre 3100 et 5800 milliards de dollars par année. » [15]
En particulier, beaucoup d'argent sera nécessaire pour aider, dédommager, subventionner, toutes celles et tous ceux, entreprises et particuliers, qui seront lésés par l'abandon des combustibles fossiles.
De COP en COP, ce sont 1300 milliards $ qui ont été promis aux pays dits en développement pour chaque année dès 2035. Une grande partie seront des prêts, qui vont augmenter leur dette, et le reste devrait être des investissements privés. Cela reste vague. [16] Ce sont des promesses. Pour le moment, même les 100 milliards par année promis pour le Fonds vert pour le Climat, destiné à être géré par la Banque mondiale, n'ont pas été versés par les pays riches. Entretemps, durant l'année 2021-2022, les compagnies pétrolières et gazières ont fait 4000 milliards $ de bénéfices. [17]
Plusieurs auteurs ont proposé de financer la lutte contre le réchauffement climatique par l'impôt sur les super-riches.
Pour sortir de la grande récession de 2008, la Fed a injecté dans l'économie mondiale 4500 milliards de dollars entre 2008 et 2010.[18]
Pour se réarmer, l'UE prévoit aujourd'hui de dépenser 650 milliards d'Euros.
La Première Guerre mondiale et la défaite ont coûté à l'Allemagne 73 milliards de marks-or. [19] Adaptés au coût de la vie, ce sont 250 milliards € d'aujourd'hui. Elle a financé cela par l'impôt et des emprunts parmi sa population.
– Le 31 décembre 1919, Matthias Erzberger (1875-1921), le ministre des finances de l'Allemagne, vaincue, accablée de dettes, faisait voter une levée sur la fortune (Reichsnotopfer) qui a été en vigueur durant trois ans. Le taux en était progressif, débutant à 10% et montant jusqu'à 65% pour les fortunes de plus de 2 millions de marks. [20]
– Ces dernières années, les Jeunesses socialistes suisses ont par deux fois réussi à faire soumettre à votation populaire un impôt sur la richesse :
En 2019, les JS déposaient avec 109'332 signatures de citoyens suisses leur initiative fédérale « Alléger les impôts sur les salaires, imposer équitablement le capital » dite initiative 99%. Le texte prévoyait que les revenus du capital du 1% des contribuables les plus riches, supérieurs à 100'000 francs, seraient taxés comme 1,5 fois plus grands, ce qui augmenterait de 5 à 10 milliards de francs les rentrées fiscales, afin d'alléger les impôts des petites fortunes. L'initiative fut soumise à votation populaire en 2021 et rejetée, mais en remportant 35,12% des voix.
En février 2024, les JS déposaient avec 140'000 signatures leur initiative dite « pour l'avenir » qui prévoit de taxer à un taux de 50% les successions et donations de plus de 50 millions de francs « pour financer la politique climatique ». L'initiative vient d'être rejetée par les deux chambres du Parlement, approuvée par la Parti socialiste en minorité, et sera soumise à votation populaire le 30 novembre 2025 prochain.
Le patronat et les partis bourgeois, majoritaires au parlement suisse, ont combattu férocement les deux initiatives en les qualifiant de « confiscatoires » et nuisibles à l'investissement et à la prospérité.
– Lors du World Economic Forum de janvier 2023 à Davos, Oxfam a présenté sa proposition d'un impôt sur les super-riches, de 2% pour les millionnaires, 3% pour ceux qui possèdent plus de 50 millions de dollars, et 5% pour les milliardaires, qui rapporterait 37 milliards de dollars par an rien qu'en Suisse. Cela afin de lutter contre la pauvreté. [20]
Selon la revue Bilan de décembre 2024, les 25 plus grandes fortunes de Suisse étaient :
– Gérard Wertheimer, 37 milliards
– Famille Hoffmann Oeri, 28 milliards
– Famille Duschmalé, 28 milliards
– Klaus-Michael Kühne, 27 milliards
– Famille Joseph Safra, 22 milliards
– Famille Aponte, 20 milliards
– Jorge Lehmann, 17 milliards
– Andrey Melnichenko, 17 milliards
– Famille Bertarelli, 15 milliards
– Famille Blocher, 15 milliards
– Famille Firmenich, 14 milliards
– Guillaume Pousaz, 14 milliards
– Famille Bonnard et Schindler, 13 milliards
– Famille Brenninkmeijer, 13 milliards
– Famille Castel, 13 milliards
– De Carvalho-Heineken, 12 milliards
– Famille Charlen, 12 milliards
– Famille Khan, 12 milliards
– Famille Mortimer Sackler, 11 milliards
– Nicolas Puech, 11 milliards
– Johann Rupert, 11 milliards,
– Prince Hans-Adam de Liechtenstein, 10 milliards
– Famille Liebherr, 9 milliards
– Marcel Telles, 9 milliards
– Famille Landolt, 8 milliards Total : 398 milliards CHF
Disons 7%. Une levée de 7% sur ces 25 contribuables produirait 27,8 milliards de francs suisses, approximativement autant d'Euros. Et ce ne sont que les 25 plus riches. Et 7%, ce n'est pas beaucoup. Ce taux pourrait être progressif, par exemple de 7% à 15%. Ce numéro de Bilan recense 313 contribuables en descendant jusqu'à 200 millions de francs de fortune dont 53 qui possèdent un milliard et plus. En Suisse seulement. Ces 313 contribuables totalisent une fortune de 910,85 milliards. Une levée de 7% produirait donc 63,75 milliards de francs suisses. Le « moins riche » avec 200 millions de francs de fortune devrait payer 14 millions.
Le même calcul pourra être fait pour d'autres pays. Prenons encore l'exemple de l'Espagne où j'habite maintenant :
Selon la revue Forbes de novembre 2023, les 25 plus fortunés d'Espagne étaient :
– Amancio Ortega, 81,8 milliards €
– Sandra Ortega, 7,1 milliards €
– Rafael del Pino, 5,9 milliards €
– Juan Carlos Escotet, 4 milliards €
– Juan Roig, 3,9 milliards €
– Tomás Olivo, 3,5 milliards €
– Daniel Maté, 2,9 milliards €
– Juan Abelló, 2,9 milliards €
– Leopoldo Del Pino Calvo-Sotelo, 2,7 milliards €
– Famille Andic, 2,7 milliards €
– Miguel Fluxá Roselló, 2,5 milliards €
– María Del Pino Calvo-Sotelo, 2,5 milliards €
– Alicia Koplowitz, 2,4 milliards €
– Victor Grifols Roura y familia, 2,4 milliards €
– Hortensia Herrero, 2,2 milliards €
– Sol Daurella Comadrán, 2 milliards €
– Florentino Pérez, 1,9 milliards €
– Guillermo Fierro Eleta, 1,9 milliards €
– Juan María Riberas Mera, 1,6 milliards €
– Simon Pedro Barceló Vadell y familia, 1,6 milliards €
– Francisco Riberas Mera, 1,5 milliards €
– Alberto Palatchi, 1,5 milliards €
– José María Serra Farré y familia, 1,5 milliards €
– Carmen Thyssen, 1,4 milliards €
– Albert Cortina, 1,4 milliards €
Cela fait un total de 145,7 milliards €. Une levée de 7% produirait donc 10,2 milliards €.
Cette liste Forbes énumère les 100 personnes plus riches d'Espagne, en descendant jusqu'à 349 millions €, totalisant une fortune de 196,2 milliards €. 7% de 196,2 milliards € sont 13,73 milliards €.
On peut donc estimer que si on répète ces calculs pour les 47 pays d'Europe, on arriverait avec ces 7% de levée sur les fortunes des quelques centaines de super-riches de chaque pays d'Europe, à un produit total d'environ 1000 milliards €.
– Un groupe international d'économistes emmenés par Thomas Piketty du Laboratoire de l'Inégalité Mondialeproposait en 2023 pour lutter contre le réchauffement climatique, une taxe sur la fortune des 65'130 personnes du monde qui possèdent plus de 100 millions de dollars (0,001% de la population), avec un taux de 1,5% jusqu'à 3%, qui permettrait de lever chaque année 300 milliards de dollars. [22]
– Plus modestement, l'économiste Gabriel Zucman, qui avait été en 2013 le doctorant de Thomas Piketty, a réussi à faire voter par la Chambre des députés française le 20 février 2025 dernier, sur proposition de la NUPES, une taxe plancher de 2% sur les patrimoines de plus de 100 millions €, soit 4000 personnes en France, contre la volonté du président Macron qui accepterait cette taxe si elle était mondiale. Ce taux plancher veut dire que l'impôt sur le revenu de ces riches contribuables ne pourrait pas être inférieur à 2% de leur patrimoine. La loi est devant le Sénat. Cette taxe pourrait rapporter quelque chose de l'ordre de grandeur de 10 milliards €. Gabriel Zucman a rédigé un rapport sur une telle taxe, mais mondiale, à la demande de la présidence brésilienne du G20. [23]
Les moyens financiers existent donc, en abondance, facilement accessibles pour les autorités fiscales des États, pour financer le sauvetage de l'humanité des terribles + 3ºC en l'an 2100.
Toutes et tous ces super-riches, qui sont les puissants actionnaires des entreprises capitalistes, voient depuis des années leur fortune augmenter chaque année et réussissent à échapper largement à l'impôt. Il est important de les nommer toutes et tous, pour créer une pression sociale sur elles et eux.
Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'ils se désolidarisent du sort des milliards d'habitants de cette planète. (Juin 2025)
Notes
[1] Daniel Tanuro, « COP 28, Ahmed al-Jaber inscrit son nom dans l'histoire de l'enfumage capitaliste », alencontre.org, 15 décembre 2023.
[2] Je paraphrase le Programme de Transition de Léon Trotsky de 1938. Je n'ai vraiment pas la prétention de proposer un « programme de transition » pour la lutte contre le réchauffement climatique. Si tant est que cela puisse avoir un sens dans les circonstances si différentes. Mais c'est une inspiration pour combler l'écart entre la politique quotidienne et le « programme maximum », le but humaniste qu'il faut viser : l'écosocialisme.
[3] Daniel Tanuro, Trop tard pour être pessimistes ! Écosocialisme ou effondrement, éditions Textuel, Paris, 2020, pp. 303-306.
[4] Brian Deese, « The Case for a Clean Energy Marshall Plan, How the Fight Against Climate Change Can Renew American Leadership », Foreign Affairs, foreignaffairs.com, september 2024. Adam Tooze, Chartbook 319, adamtooze@substack.com, sept. 2024
[5] Statistique globale de l'énergie 2023, Office fédéral suisse de l'énergie.
[6] Bill McKibben, « The Future is Electric », The New York Review of Books, November 4th 2021. Saul Griffith, Electrify : An Optimist's Playbook for Our Clean Energy Futur, MIT Press, Cambridge MA, 2021. Une British Thermal Unit/BTU = 1055 kilojoules. De Bill McKibben en français : La Nature assassinée, Fixot, 1994 (1re éd. 1989).
[7] eurostat/statistics et iea trucks and buses
[8] Alain Bihr, “La voiture électrique, une alternative illusoire”, alencontre.org, 11 novembre 2024.
[9] El Pais, 22 juin 2025.
[10] CADTM, décembre 2022.
[11] Ndongo Samba Sylla, « The Franc Zone, A Tool of French Neocolonialism in Africa », Jacobin.com, 1er juin 2020. CFA= Communauté financière en Afrique
[12] Élise Buisson, Marie Ange Ngo Bieng, Thierry Gauquelin, « Pour un reforestation raisonnée », Pour la Science, novembre 2021.
[13] El Pais, 4 mai 2025.
[14] Le Temps, Genève, 28 juillet 2023.
[15] Cédric Durand, « Le dilemme énergétique. (Et la voie d'une transition écologique démocratique », NLR-Sidecar, alencontre.org, 5 novembre 2021.
[16] Bernardo Jurema, « Will COP 30 Deliver for the Amazon – and the Planet ? », jacobin.com. 23 décembre 2024.
[17] Daniel Tanuro, « COP 28, Ahmed al-Jaber inscrit son nom dans l'histoire de l'enfumage capitaliste », alencontre.org, 15 décembre 2023.
[18] Adam Tooze, « The Forgotten History of the Financial Crisis », Foreign Affairs, September/October 2018.
[19] Isaac Johsua, La crise de 1929 et l'émergence américaine, Presses Universitaires de France, Paris, 1999, p.184.
[20]- Feuille des Lois du Reich/ReichsgesetzBlatt Nr.252, S. 2188.
[21] Le Temps, Genève, 16 janvier 2023.
[22] El Pais, 31 janvier 2023.
[23] Libération, 21 février 2025.
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Sahel : sortir de l’impasse militariste
Que se passe-t-il actuellement au Sahel ? Paul Martial nous décrit l'évolution des rapports de force militaires en les réinsérant dans les contextes politiques et sociaux propres aux différents pays de la région.
Tiré du site web de la revue Contretemps.
Vendredi 13 juin. À peine arrivés au Mali, des mercenaires de la nouvelle structure militaire russe Africa Corps remplaçant Wagner, la milice d'Evgueni Prigojine décédé, sont tombés dans une embuscade entre Anefis et Aguelhoc dans la région de Kidal. Le bilan est lourd. Plusieurs dizaines de morts sont évoquées. L'opération est revendiquée par le Front de libération de l'Azawad (FLA) regroupant majoritairement les indépendantistes touarègues.
Ce traquenard met à mal le narratif présentant les mercenaires russes, qu'ils soient de Wagner ou d'Africa corps (et bien souvent appartenant successivement aux deux entités), comme de redoutables combattants qui, sur le terrain militaire, étaient censés faire la différence. Il relativise aussi le seul succès dont peut se prévaloir Wagner, à savoir la récupération de Kidal, place forte des mouvements indépendantistes touarègues et présentée par les autorités maliennes comme la reconquête de la souveraineté nationale qui se révèle pour le moins précaire.
Le remplacement de Wagner par Africa Corps ne va pas modifier en profondeur la relation entre les autorités maliennes et les supplétifs russes. L'essentiel des combattants de Wagner a été intégré à Africa Corps. Ce qui pourrait évoluer est une plus grande mainmise des autorités russes sur la politique malienne car la nouvelle entité dépend du ministère de la défense, ce qui n'était pas le cas pour Wagner. D'autres changements pourraient apparaître notamment sur le volet économique. Le gouvernement malien payait mensuellement 10 millions de dollars à l'officine de mercenaires.
Avec Africa Corps on assiste plus à une formalisation de l'intervention russe considérée plus comme une relation d'État à État ouvrant éventuellement la voie à une exonération de ce paiement pour le gouvernement malien. Pour l'essentiel, rien ne devrait changer y compris sur le terrain militaire tant au Mali que pour les deux autres pays, le Niger et le Burkina Faso qui forment l'Alliance des États du Sahel (AES) confrontés eux aussi aux attaques des djihadistes.
La situation humanitaire dégradée
Depuis la prise du pouvoir par les juntes militaires des pays de l'AES, les djihadistes du JNIM, l'acronyme de Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn (Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans) affilié à Al-Qaïda et les troupes de l'État Islamique au Grand Sahara (EIGS) ne cessent de progresser. Sur les 135 entités administratives que comptent ces trois pays sahéliens, la plupart des experts considèrent que les deux tiers sont sous le contrôle plus ou moins lâche des groupes islamistes.
Cette progression s'accompagne d'une augmentation importante des décès, près de 11 200 comptabilisés fin juin 2024. Soit un triplement par rapport à 2021. Et encore il faut apprécier cette évolution avec prudence, car le contrôle des juntes sur l'information avec une répression contre les journalistes laisse à penser que cette évolution reste sous-estimée.
Sur le versant humanitaire, la situation elle aussi a empiré, près de cinq millions et demi de personnes sont déplacées. Dans la plupart des zones où la guerre fait rage entre forces islamistes et armées, les écoles et centres de santé sont fermés laissant les populations sans éducation et soins. A titre d'exemple au Burkina Faso, 20 % des établissements sanitaires et environ 5 300 structures scolaires sont laissés à l'abandon. Le résultat est que 40 % des enfants n'ont pas accès à l'école.
L'insécurité alimentaire est considérée comme un risque majeur. Au Mali, 12 % de la population est victime de malnutrition, au Niger la moitié des enfants souffre de carences nutritives modérées ou sévères, et au Burkina Faso plus de 2,3 millions de personnes souffrent de la faim.
L'avancée djihadiste
Les groupes islamistes gagnent du terrain en tirant profit de l'affaiblissement des armées nationales lié à l'incurie et la corruption de la plupart des officiers supérieurs. Ils détournent les soldes, utilisent une partie des financements conséquents que consacrent les pays à leur défense pour construire des villas ou acheter des sociétés. À cela s'ajoute le trafic des armes parfois vendues aux groupes armés.
Les experts du Conflict Armament Research estiment que l'essentiel de l'armement et des munitions des assaillants proviennent des armées nationales dont une grande partie est récupérée à la suite d'attaques contre les convois militaires ou les casernes.
De plus les djihadistes ont largement investi dans les technologies notamment dans les communications grâce aux réseaux Starlink permettant une circulation de l'information entre les combattants donnant un avantage décisif lors des batailles. Ce renforcement des capacités opérationnelles s'accompagne, avec le réseau satellitaire de Musk, d'une présence sur les principaux réseaux sociaux où des courtes vidéos mettent en avant les succès de leurs opérations militaires démentant les communications officielles des autorités.
De plus l'avantage qu'avaient les forces armées des pays sahéliens dans les airs tend à s'estomper avec l'utilisation des drones par les groupes armés. Ils s'en servent pour la collecte de renseignements, pour des bombardements mais aussi pour la conduite des batailles. La première utilisation de drone a eu lieu au Mali en avril 2024 où les combattants ont utilisé un quadrirotor, équipé de grenades et d'obus de mortier pour attaquer une milice Dozo alliée à l'armée nationale.
Au Burkina Faso l'attaque du camp militaire de Diapaga qui a causé la mort d'une cinquantaine de personnes et permis la prise d'un important arsenal, notamment des automitrailleuses, a été dirigée avec l'aide de drones. Cela permettait aux dirigeants des insurgés d'avoir une vision globale du champ de bataille. Il est probable que l'utilisation des drones par les groupes armés va s'intensifier, augmentant leur force de frappe.
Dans ce contexte, les armées nationales sont dans l'incapacité de tenir les territoires, les casernes deviennent des cibles et chaque attaque accroît le nombre de soldats tués ou fait prisonniers, provoquant la démoralisation parmi les troupes. L'exemple du camp de Boulikessi considéré comme hautement stratégique pour son contrôle des routes dans le centre du Mali est tout à fait révélateur. Attaquée deux fois en un mois, l'armée malienne n'a eu d'autres solutions que l'abandon de cette emprise sous l'euphémisme d'un retrait stratégique.
Les juntes au pouvoir
Tant au niveau social que sécuritaire la situation est des plus préoccupante et ne cesse de se dégrader. C'était pourtant pour mettre fin au déficit sécuritaire que les militaires dans les trois pays, avaient décidé de renverser le régime civil, comme si l'armée n'avait pas de responsabilité dans cet état de fait. La prise du pouvoir par les militaires s'est déroulée dans un contexte de forte combativité populaire bien que différenciée dans les trois pays.
Au Mali, des mobilisations importantes notamment conduites par le Mouvement du 5 Juin – Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) se sont déroulées contre le gouvernement du président Ibrahim Boubacar Keïta qui ne s'est pas contenté de cumuler les échecs économiques et militaires mais a aussi été éclaboussé par les différents scandales de corruption. Particulièrement dans le viseur les frasques « bling bling » du fils du président, Karim. Sur les réseaux sociaux, on le voit se prenant en selfie en croisière sur un yacht de luxe où le champagne coule à flot en train de danser avec des jeunes filles.
Les militaires ont dévoyé la mobilisation populaire en usurpant le pouvoir avec la complicité d'une minorité du M5-RFP conduite par Choguel Maïga qui deviendra Premier ministre sans avoir de réel pouvoir.
Au Burkina Faso en 2014 une révolution renverse la dictature de Blaise Compaoré qui débouchera sur des élections dont les deux principaux candidats étaient des libéraux proches de la France. Le bilan du gouvernement de Roch Marc Christian Kaboré comme leur coreligionnaire civil malien a été incapable de redresser un tant soit peu la barre. L'attaque de la caserne de gendarmerie d'Inata va déclencher une indignation de la population car malgré plusieurs appels, ces gendarmes resteront isolés réduits à chasser pour se nourrir. Lors de l'attaque conduite par les djihadistes, une soixantaine de militaires périront.
Si la responsabilité de cet évènement est largement partagée entre le gouvernement Kaboré et l'armée, cela n'empêchera nullement les militaires de prendre le pouvoir par un premier coup d'État mené par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba suivi par un second. L'armée burkinabée avait le champ totalement libre, contrairement au Mali, avec l'absence d'une quelconque opposition politique. La volonté du mouvement du Balai Citoyen bien implanté parmi la jeunesse à se cantonner uniquement dans un rôle de vigie de la scène politique, à enlever la possibilité d'apparaître comme une alternative aux politiciens dont l'allégeance à la France était évidente.
Une autre voie aurait pu être empruntée à l'image des Comités de Résistance au Soudan. Ils apparaissent au début comme un mouvement civil d'aide et de solidarité, puis comme un outil de mobilisation, pour à la fin juste avant la guerre des généraux, être capable de proposer une « charte révolutionnaire du pouvoir populaire » présentée comme une alternative aux militaires mais aussi aux partis politiques intégrés au système.
Le Niger présente une différence notable, Le président Mohamed Bazoum a été élu lors d'un processus électoral globalement satisfaisant. Il avait commencé à suivre une voie intéressante pour tenter de mettre fin à la guerre menée par les djihadistes en tentant à la fois une réponse militaire et une politique d'ouverture pour des pourparlers de paix. Cependant il est apparu comme l'homme des Français en acceptant d'héberger les troupes françaises dans son pays qui avaient été précédemment expulsées du Mali puis du Burkina. De plus avant de briguer la présidence Bazoum était ministre de l'intérieur et de la sécurité et avait laissé de forts mauvais souvenirs aux activistes du pays.
Un incident qui est relativement passé sous silence mais qui reflète les tensions et les mobilisations contre l'impérialisme de la France est la manifestation à Téra dans la région de Tillabéri contre le convoi de l'opération Barkhane dont la répression a fait deux morts, certainement provoqués par les tirs des soldats français.
On le voit peu ou prou, l'accession au pouvoir des militaires dans les pays de l'AES reste une conséquence des mobilisations populaires contre les gouvernements civils corrompus. Elle s'est également nourrie de l'incompréhension des populations sur l'absence tangible de résultats contre les djihadistes par l'armée française se targuant de connaître le terrain, incapable de juguler les attaques ennemies.
Pour nombre de jeunes, cette incompréhension s'est transformée en doute, puis en conviction celle d'une complicité de la France avec les groupes armés. Une opinion qui a été en vogue sur les réseaux sociaux. Elle doit aussi son succès à la politique de l'armée française tissant une alliance bien qu'informelle mais réelle avec les indépendantistes touarègues, regroupés à l'époque dans le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA). Le travail en commun entre le MNLA et l'armée française contre les djihadistes a été vu comme une atteinte à la souveraineté nationale parce qu'elle impliquait une sanctuarisation de la région de Kidal pour les touarègues indépendantistes.
Au niveau économique la junte malienne a engagé un bras de fer avec des sociétés minières occidentales pour un partage des profits plus équitables. Si cet objectif a conduit à des mesures coercitives pour les dirigeants des filiales des multinationales, elle n'est pas en soi une rupture avec l'ordre économique. Beaucoup de gouvernements africains ont revu leur droit minier, les ont amendés afin d'obtenir une meilleure répartition des richesses. Dans le passé des gouvernements parfaitement réactionnaires et totalement alignés sur les gouvernements occidentaux ont parfois pris des mesures bien plus radicales, c'est le cas par exemple de la politique de la zaïrianisation au Congo, comportant un versant économique lancé par Mobutu.
Cela a débouché sur le changement de monnaie, sur la nationalisation du foncier et des biens commerciaux appartenant aux étrangers. Cette campagne s'est déroulée avec une volonté affichée de rompre avec tout ce qui pouvait représenter l'occident dans le pays, ainsi les prénoms, les noms des villes et des rues ont été changés y compris celui du pays. Le Congo deviendra la république du Zaïre. Cette politique violente, bureaucratique et imposée par le haut a été un moyen d'affermir une politique clientéliste pour la pérennité du pouvoir. C'est ce qui se passe avec les juntes de l'AES qui profitent largement de la rente sécuritaire avec l'explosion des budgets de défense.
Les méthodes de corruption restent classiques, des contrats opaques sans appel d'offres, des attributions de marchés publics à des membres de la famille ou des proches de la junte et la répression contre les journalistes et les ONG pour éviter que les informations sur ces détournements circulent. Cependant, il est difficile de cacher les villas luxueuses récemment construites par les membres des juntes.
Concernant les narratifs souverainistes abondamment utilisés par les putschistes, elles font difficilement illusion. Rappelons que les caciques de la Françafrique n'hésitent pas eux aussi à utiliser le vocabulaire anti-colonialiste ou des organisations « panafricaines » pour vilipender les ONG qui pointent la corruption de ces satrapes. Ainsi « l'ONG » Dignité et conscience africaine organisait une conférence de presse pour faire « face aux attaques des ONG occidentales contre les dirigeants africains » avec la question : « Comment accepter que des chefs d'État de pays indépendants soient l'objet de telles intrusions dans les affaires intérieures de leurs pays respectifs ? »
Les dirigeants maliens ont bien compris que la question de la reconquête de Kidal pourrait renforcer leur popularité et donner un peu de crédit à leurs déclarations souverainistes même si à moyen terme cette politique s'est révélée catastrophique comme nous le verrons un peu plus tard. Certes les déclarations contre la politique de la France sont toujours accueillies avec enthousiasme, que cela soit celle du Premier ministre Choguel Maïga à la tribune des Nations-Unies déclarant que la France avait abandonné le Mali en plein vol ou celle du dirigeant Burkinabé Ibrahim Traoré critiquant les politiques néo-colonialistes de l'occident, sous l'œil bienveillant de son hôte Poutine, rejouant ainsi une pâle copie frelatée de Thomas Sankara.
D'autant que le comportement des autorités françaises ne fait qu'alimenter cette rhétorique. Avec Barkhane, la hiérarchie militaire française dirige les opérations et s'affranchit des avis des pays sahéliens concernés. Les soldats français ont travaillé en collaboration avec des milices qui se sont rendues coupables de crimes de guerre comme le GATIA (le Groupe autodéfense touareg Imghad et alliés). Les forces tricolores ont été responsables de bombardement sur des civils notamment à Bounti tuant 19 personnes tout en refusant systématiquement la création d'une commission d'enquête indépendante. Les autorités françaises voulaient intervenir militairement pour rétablir Bazoum suite au coup d'État. Sans parler évidemment de l'arrogance continue du Président Macron qui indispose autant les Africains que les Français.
Les juntes contre la population
La question centrale pour les trois juntes pourrait se résumer à comment rester au pouvoir avec un bilan bien éloigné des promesses faites pour justifier leur coup de force. Pendant de longs mois, les discours sur la souveraineté et la seconde indépendance des pays de l'AES ont rencontré une approbation.
Elle tend maintenant à se déliter au vu des attaques quasi quotidiennes des groupes armés avec leur lot de morts, de prisonniers, de témoignages de soldats attaqués ne recevant aucune aide en dépit de leurs appels désespérés, des villages encerclés et abandonnés à leur triste sort par les autorités. Les politiques adoptées par juntes restent d'abord de limiter les informations au profit d'une propagande basée, comme dirait Trump, sur la vérité alternative. Ainsi, les radios et chaines de télévision indépendantes sont fermées, les journaux menacés et les journalistes sont bâillonnés.
Les voix dissidentes doivent être aussi étouffées même les partisans de la première heure des coups d'Etat qui se montrent critiques sont emprisonnés au Mali ou envoyés au front au Burkina Faso. Au Niger des militants anti-impérialistes comme Moussa Tchangari sont emprisonnés sur ordre du président Abdourahamane Tiani ancien chef de la garde présidentielle. Il se veut désormais le héraut de la souveraineté du pays, pourtant lors de sa longue carrière il ne s'est pas particulièrement distingué dans la lutte contre le néocolonialisme de la France.
Au Burkina Faso, les syndicalistes, comme Moussa Diallo Secrétaire général de la CGT-B, sont obligés de rentrer dans la clandestinité. Au Mali, les partis sont désormais interdits et les militants comme Oumar Mariko dirigeant du parti de la gauche radicale Solidarité Africaine pour la Démocratie et l'indépendance (SADI) sont contraints à l'exil. Dans le même temps les structures ad hoc créées et assujetties aux juntes adoubent les présidents ainsi Asimi Goita qui est passé directement de colonel à général cinq étoiles pourra rester à la présidence du Mali aussi longtemps que le pays encoure des risques terroristes.
Leur gestion de la guerre a véritablement fait empirer la situation. Au Mali la junte a dénoncé unilatéralement les accords d'Alger signés par une série de groupes armés, pour la plupart indépendantistes. Puis elle les a considérés comme des terroristes et lancé l'opération de reconquête de Kidal. Non seulement la junte malienne s'est mise à dos l'Algérie, la principale force régionale l'accusant de déstabiliser le Mali, mais elle a ouvert un nouveau front en interne avec le risque qui tend à se concrétiser d'une alliance entre JNIM et FLA.
Au Burkina Faso la fuite en avant est de mise avec la mise en place des Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP). Ces civils qui sont recrutés reçoivent pendant une ou deux semaines une formation militaire des plus sommaires. Ils sont censés être une aide dans le renseignement pour l'armée. Eparpillés dans les villages, ils deviennent rapidement des cibles pour les djihadistes. La plupart des VDP sont issus des Koglweogo qui dans les campagnes jouaient le rôle à la fois de police et de juge. Ils ont été souvent épinglés par les organisations de défense des droits humains pour des actes de torture contre des personnes soupçonnées d'être des bandits. Actuellement les VDP sont accusés de massacres contre la communauté peule soupçonnée de soutenir le JNIM. Les forces armées nigériennes dans une moindre mesure s'appuient aussi sur des milices communautaires, notamment les Zankaï issues de la communauté zarma qui visent les Peuls accusés de soutenir l'Etat Islamique en particulier dans la région de Tillabéri.
Les armées de l'AES accompagnées de leurs mercenaires russes ou communautaires ont tué plus de civils que de djihadistes. Les dernières révélations du journal « Le Monde » et de l'hebdomadaire « Jeune Afrique » sur les actes de tortures des mercenaires de Wagner, le tout accompagné d'insultes racistes, en sont une illustration glaçante de ce que peuvent subir les populations de ces trois pays. L'isolement et les violations à grande échelle des droits humains ne font que renforcer les positions des groupes armés islamistes ou indépendantistes.
L'ironie est que la stratégie de la fuite en avant militariste adoptée par les forces armées nationales est la même que celle suivie par les militaires français avec à la clef, le même résultat, un échec cuisant s'expliquant par la nature de la crise au Sahel.
La stratégie des djihadistes
Au Sahel, les raisons de l'engagement dans le combat djihadiste sont multiples. Elles sont souvent liées au souci de protection de soi, de sa famille ou de sa communauté. Il peut s'agir aussi de vengeance contre les exactions des autorités ou de milices se réclamant d'une autre communauté. La question économique c'est-à-dire la possibilité d'avoir une activité lucrative est aussi évoquée par les prisonniers djihadistes ou les repentis interrogés par des universitaires. Un constat se dégage, très peu mettent en avant la religion.
Certes, il existe des débats sur l'importance que prend la religion dans cette radicalisation. Il semble illusoire d'écarter complètement cette donnée. D'autant que la plupart des dirigeants ont une approche différente et plus religieuse qu'ils transmettent quotidiennement aux combattants. Cela permet de donner un cadre à l'action mais aussi une justification à la guerre menée avec son cortège de souffrance et de mort.
La force des groupes djihadiste est de s'insérer dans les communautés par différentes façons, et d'être partie prenante dans des conflits très locaux. Autrement dit les combats politiques et parfois armés sont le plus souvent bien antérieurs à l'apparition des groupes djihadistes. Si on prend le cas des rébellions touarègues, elles datent depuis le début de l'indépendance du Mali. Le Niger également a connu des révoltes armées de ces communautés. À cet égard le parcours de Iyad Ag Ghali, le dirigeant du JNIM, est tout à fait édifiant et caractéristique de l'histoire de la lutte des touarègues dans les régions du Mali. À la fin des années 1980, il fonde le Mouvement populaire de libération de l'Azawad (MPLA) qui n'a rien de religieux et défend les revendications de Touarègues. Ce n'est qu'au début des années 2000 que la question religieuse deviendra centrale.
Dans le centre du Mali la katiba de Macina du prédicateur Amadou Koufa s'est construite en défendant les populations les plus pauvres, il dénonce les abus, l'obligation de verser de l'argent pour accéder aux pâturages, critique les grands propriétaires de troupeaux, les religieux corrompus. On retrouve cette même rhétorique dans le groupe Ansarul Islam du Burkina Faso qui a intégré le JNIM, son dirigeant Ibrahim Malam Dicko défend l'égalité entre les classes sociales, défends les personnes d'origine serviles et critique les chefferies traditionnelles. Ces discours ont un grand retentissement parmi les nombreux jeunes déclassés et sans avenir.
Les djihadistes assurent au moins à la population une justice qui apparait juste et rapide. Cette dimension est souvent sous-estimée mais importante voire même vitale quand il s'agit de régler des questions foncières ou liées au cheptel. Cette lutte armée est mue par les profondes inégalités sociales, la violence des forces armées et l'absence de justice et n'est pas surdéterminée par les questions religieuses même si globalement les populations ont une forte attache à l'islam. Gagner cette guerre implique des profondes réformes sociales.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, l'armée française avait intégré cette dimension et a tenté d'y répondre en lançant le projet « Alliance Sahel » puis « Coalition pour le Sahel » en sollicitant la participation de l'Union Européenne, et des institutions financières internationales. Cette action est restée vaine car elle rentrait en contradiction avec la trajectoire affichée de l'intervention, à savoir l'éradication des terroristes et non la mise en place d'une politique de développement et d'amélioration de la gouvernance. Une telle politique se serait heurtée aux élites en place et in fine aurait donné du crédit aux combattants islamistes critiquant la corruption et l'inefficience des autorités.
Les milliards dépensés et qui continuent à l'être le sont en pure perte et auraient pu être investis dans des programmes améliorant réellement le sort des populations.
Quel avenir ?
Indépendamment des spécificités de chaque pays composant l'AES, certains éléments communs peuvent être soulignés car susceptibles de jouer un rôle dans l'avenir.
En premier lieu, il y a d'abord une volonté manifestée depuis des années des populations d'ouvrir un dialogue avec les djihadistes et plus généralement les groupes armés pour aller vers la paix. Si on prend le cas du Mali cette demande a été réitérée à plusieurs reprises. En 2017 lors de la Conférence d'entente nationale, la société civile a lancé des appels à la discussion. En 2019 à nouveau, lors du dialogue national inclusif, sur les 3 000 délégués un bon nombre s'est prononcé pour l'ouverture des pourparlers avec Amadou Koufa et Iyad Ag Ghali pour instaurer la paix.
Au Niger des négociations ont été initiées dès 2022 par le gouvernement Bazoum avant qu'il ne soit renversé. Au Burkina Faso sous la présidence de Kaboré puis ensuite lors du premier coup d'État mené par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, la volonté de négociation de paix s'est heurtée à l'intransigeance des autorités françaises qui s'étaient tracées comme ligne rouge le refus de discuter et a fortiori de négocier avec ce qu'elles appelaient les terroristes. Une règle systématiquement bafouée quand il s'est agi de négocier la libération des otages occidentaux.
Cette recherche de dialogue, on la retrouve au plus profond des trois pays. Des villages ou des villes négocient avec les djihadistes la fin du blocus ou la fin des attaques et souvent il s'agit de notables et religieux qui mènent ces discussions. Ces accords passés entre villageois et groupes armés sont considérés comme un soutien aux djihadistes et entraînent des massacres de nombreux civils par les militaires. La junte au Burkina Faso considère les partisans du dialogue comme des traîtres. Récemment encore Traoré déclarait : « Le Burkinabè ne négociera pas avec son ennemi. On va se battre et nous allons vaincre. Nous ne lâcherons rien, absolument rien. »
Deuxièmement la situation internationale a des répercussions sur les groupes armés ou du moins certains. L'évolution du groupe Hayat Tahrir al-Cham dirigé par Ahmed al-Charaa en Syrie pourrait être une voie empruntée par le JNIM. À savoir une désaffiliation d'Al-Qaeda, des exigences religieuses moindres qui permettraient des alliances avec d'autres groupes comme les indépendantistes de l'Azawad.
Les discussions existent déjà entre ces deux forces avec deux points de divergence, la question religieuse et la question de l'indépendance. Si chaque entité, on n'ose pas dire « met de l'eau dans son vin », alors une alliance pourait se former. Si des escarmouches entre FLA et JNIM se sont produites au moment de la fin de l'accord de paix, rapidement un modus vivendi a été trouvé ouvrant la voie à des coopérations militaires ponctuelles contre les forces armées maliennes et les mercenaires de Wagner. Ce fut le cas à Tin-Zouatin près de la frontière algérienne où 82 Russes ont trouvé la mort.
Troisième donnée, l'isolement grandissant des juntes à l'extérieur. Le Niger refuse de coopérer avec son voisin le Bénin, facilitant les attaques de plus en plus nombreuses des djihadistes dans ce pays. Le Burkina Faso a des relations exécrables avec la Côte d'Ivoire, l'accusant de vouloir déstabiliser le pays sans que des preuves formelles puissent étayer cette accusation. Le Mali s'est brouillé avec l'Algérie qui a joué un rôle décisif dans les accords de paix dénoncés depuis par la junte. Ces pays frontaliers à ceux de l'AES sont de plus en plus inquiets de la dégradation sécuritaire qui fragilise leur régime et qui voient peu à peu des incidents violents se produire sur leurs sols. C'est le cas par exemple du parc naturel W-Arly-Pendjari (WAP) se situant sur les trois frontières du Bénin du Burkina et du Niger, véritable base arrière pour les islamistes armés.
Quatrième point, la fragilité des juntes. En effet on ne peut exclure des mouvements à l'intérieur de l'armée. Au Burkina Faso Traoré dénonce des tentatives de coups d'État réelles ou imaginaires déjouées. Cela montre qu'il ne peut compter sur la totalité des forces armées. Récemment, le Niger en l'espace de deux jours, a connu deux mutineries l'une à Filingué l'autre à Téra. Les troupes ont refusé de monter au front ce qui en dit long sur l'état des forces nigériennes. Au Mali à l'intérieur de l'armée des voix dissidentes se font entendre.
Pour l'avenir de nombreuses options existent, on peut en citer trois qui se sont produites dans d'autres pays. Un scénario à la somalienne où les groupes islamistes parviennent à contrôler la plupart des territoires encerclant des capitales, restant sous la domination des juntes, en tentant d'imposer un blocus et continuant leurs guerres vers les pays côtiers. Un second scénario qui ressemblerait à ce qui s'est produit en Syrie. La rupture du JNIM avec Al-Qaeda et une relative déconfessionnalisation permettant des alliances avec des fractions de l'armée dans un des trois pays de l'AES autour de l'expulsion des troupes russes, et d'une gouvernance sans corruption. Enfin on ne peut écarter un écroulement, sous les coups de boutoir des djihadistes, d'un des trois régimes qui aurait un effet de domino sur les deux autres pays. Un épisode qui rappellerait celui de l'Afghanistan avec toutes les conséquences catastrophiques particulièrement pour les femmes.
*
2 juillet 2025.
Illustration : Wikimedia Commons.
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La tragique guerre oubliée du Soudan
Depuis plus de deux ans, le Soudan est en proie à une guerre opposant l'armée régulière à un groupe paramilitaire. Ce conflit a plongé le pays dans la plus grave crise humanitaire au monde et provoqué le déplacement de près de 13 millions de personnes depuis avril 2023, selon les Nations unies.
Tiré de MondAfrique.
Quel bilan peut-on dresser aujourd'hui de ces deux années de guerre ? Éléments de réponse avec Marie Bassi, maîtresse de conférences à l'Université Côte d'Azur et coordinatrice du Centre d'études et de documentation économiques, juridiques et sociales au Soudan, basé à Khartoum mais actuellement délocalisé au Caire.
The Conversation : Pourriez-vous revenir brièvement sur les origines du conflit actuel au Soudan ?
Marie Bassi : La guerre a éclaté le 15 avril 2023 en plein cœur de Khartoum, la capitale soudanaise. Elle oppose deux acteurs ; les forces armées soudanaises (FAS), dirigées par le général Abdel Fattah al-Burhan, et un puissant groupe paramilitaire appelé les Forces de soutien rapide (FSR), représenté par Mohamed Hamdan Daglo (alias « Hemetti »). Les premiers, l'armée régulière, gouvernent le Soudan de manière presque ininterrompue depuis l'indépendance du pays, en 1956. Les deuxièmes, les FSR, sont dirigées par des chefs issus de tribus arabes de l'ouest du Soudan, au Darfour.
Ce conflit a la particularité d'avoir débuté dans la capitale, une première pour le pays. Bien que l'histoire du Soudan ait été marquée par des décennies de tensions entre le Nord et le Sud et par des conflits entre le centre et les périphéries, ceux-ci ne s'étaient jamais exportés dans la capitale. Cette fois-ci, Khartoum a été directement affectée, avec des pillages, la destruction des infrastructures (centrales électriques, conduites d'eau, hôpitaux, écoles, patrimoine culturel, archives nationales…), et des attaques de zones administratives et militaires, mais aussi de très nombreuses habitations.
C'est aussi probablement la première fois qu'autant de puissances étrangères sont directement impliquées dans le conflit. L'économie de guerre est alimentée par un réseau complexe d'alliances internationales. Les Émirats arabes unis apportent leur soutien aux FSR, ce qu'ils démentent en dépit de plusieurs enquêtes qui le prouvent. D'un autre côté, l'Égypte est un allié majeur de l'armée. La Libye, l'Ouganda, le Tchad, le Soudan du Sud, la Russie, l'Iran et bien d'autres sont également impliqués, plus ou moins directement.
Ce conflit se caractérise aussi par son extrême violence. On compte plus de 150 000 morts, des viols, des tortures, des exécutons sommaires. Les viols de masse font partie du recours généralisé aux violences sexuelles comme arme de guerre.
Ce sont 25 millions de Soudanais qui souffrent de faim aiguë avec l'augmentation drastique des prix des denrées alimentaires. La famine a été confirmée par l'ONU dans dix régions du pays. À cette crise alimentaire s'ajoute une crise sanitaire : de nombreux hôpitaux ne sont plus opérationnels et près de la moitié de la population n'a pas accès à des soins médicaux. On observe le développement d'épidémies, comme la rougeole, la dengue, le paludisme ou le choléra.
On assiste à une prolifération des armes et à une multiplication des groupes armés qui éloignent l'espoir d'une paix proche. La guerre se poursuit et les deux camps continuent de commettre des exécutions sommaires visant des civils, accusés de soutenir le camp adverse ou appartenant à des groupes ethniques perçus comme proches soit des FSR, soit de l'armée. On a également pu observer des campagnes de nettoyage ethnique menées par les FSR ou par l'armée, notamment au Darfour et dans la région de la Gezira.j
Quelle est actuellement la situation au Darfour ?
M. B. : Le Darfour est une région de l'ouest du Soudan, presque aussi grande que la France. Depuis 2003, le Darfour est le théâtre d'un conflit armé ayant pour origine un accès inégal aux ressources, des années de marginalisation politique, des conditions économiques difficiles et l'implication de grandes puissances qui en convoitent les richesses.
Aujourd'hui, les FSR en contrôlent la quasi-totalité. Seule la ville d'Al Fasher, capitale du Darfour du Nord, leur échappe, mais elle est actuellement en état de siège. Une famine dramatique touche la ville. Le Darfour était déjà très pauvre en infrastructures de base avant la guerre ; maintenant, l'ensemble de la région est dans une situation humanitaire catastrophique.
Il y a quelques mois, les FSR avaient annoncé leur intention de former un gouvernement parallèle à celui établi à Port-Soudan sous le contrôle de l'armée. Ce 26 juillet, les FSR ont nommé un premier ministre. Elles vont peut-être réussir à contrôler l'entièreté du Darfour et une partie du Kordofan du Sud, et on évoque un risque de partition du pays.
On dit souvent que la guerre au Soudan souffre d'une sous-médiatisation. Cela engendre-t-il une mauvaise compréhension du conflit et de ses conséquences ?
M. B. : Il est vrai que cette réalité dramatique contraste avec un silence politique et médiatique assourdissant. Les rares moments où les médias européens parlent du Soudan se comptent sur les doigts de la main. D'autre part, je pense que la mise en récit de la guerre par les belligérants, par la plupart des médias et par certains acteurs politiques repose sur des interprétations assez simplificatrices et essentialistes.
On parle souvent d'une « guerre entre généraux », d'une « guerre ethnique », d'une « guerre entre les périphéries et Khartoum » ou uniquement d'une « guerre par procuration ».
C'est un peu tout ça, mais en réalité les racines de la guerre sont bien plus complexes et celle-ci doit être étudiée sous un prisme historique.
Le conflit est lié à une longue histoire d'exploitation des ressources des périphéries du Soudan par le pouvoir central, avec une gestion militarisée et brutale de ces périphéries. La violence qui secoue le pays, depuis 2023, va bien au-delà d'une simple compétition entre généraux rivaux. Il convient de rappeler deux éléments essentiels.
Il y a effectivement une guerre de pouvoir entre les deux groupes pour s'emparer du contrôle d'un pays très riche, en or, en uranium, en terres arables, en bétail, en gaz naturel et en pétrole, et d'un territoire 800 km qui donne également accès à la mer Rouge. Cependant, il faut mentionner que cette guerre oppose des personnes issues du régime précédent et alliées de longue date.
En effet, depuis l'indépendance, le gouvernement soudanais a suivi une stratégie d'externalisation de la violence en faisant systématiquement appel à différentes milices pour se prémunir des coups d'État et pour vaincre les mouvements armés dans certaines régions, notamment au Darfour ou dans les monts Nuba (dans l'État du Kordofan, Soudan du Sud) qui luttaient pour le partage équitable des ressources du pays.
Les FSR ne portaient pas le même nom il y a quelques années. Ils sont en partie des héritiers des janjawids, des milices issues des tribus arabes du Darfour, qui étaient impliquées dans les massacres, du début des années 2000 au Darfour, qualifiés de génocide par la Cour pénale internationale.
Elles ont pris du poids au fil des années et, en 2013, l'ancien dictateur Omar al-Bachir les convertit en FSR avant de les institutionnaliser en 2017. Avec leur participation comme supplétifs dans le conflit au Yémen, leur rôle pour renforcer le contrôle aux frontières à la demande de l'Union européenne, leur implantation dans les secteurs très rentables de l'or et de l'immobilier, les FSR se sont considérablement enrichies et ont été en position de rivaliser avec l'armée. Les milices qui sévissent aujourd'hui ont donc en réalité été construites par l'armée.
Ensuite, pour comprendre cette guerre, il faut revenir au soulèvement révolutionnaire soudanais de 2019. En avril, le dictateur Omar al-Bachir est destitué du pouvoir après trente ans de règne. Débutait alors une période de transition démocratique qui devait déboucher sur un gouvernement civil.
L'ancien inspecteur de l'armée soudanaise, Abdel Fattah al-Burhan, qui avait succédé à Bachir, s'allie avec Mohamed Hamdan Daglo qui est à la tête des FSR. Ils orchestrent un coup d'État en octobre 2021 qui renverse le gouvernement de transition, évince les forces civiles et marque la reprise du pouvoir par l'armée et leurs alliés, les FSR.
Abdel Fattah al-Burhan dirige le nouveau gouvernement de transition militaire. Cependant, l'alliance entre l'armée et les FSR est fragile et leurs rivalités pour le partage du pouvoir s'exacerbent jusqu'à donner lieu au conflit d'avril 2023.
Fin mai, l'armée soudanaise a annoncé avoir libéré l'État de Khartoum des forces paramilitaires. Quel impact cette annonce a-t-elle eu auprès des diasporas soudanaises ? A-t-on pu observer des retours massifs vers la capitale ?
M. B. : Tout d'abord, il faut rappeler le nombre colossal de Soudanais contraints au déplacement forcé : on estime qu'au moins 13 millions de personnes ont quitté leur foyer, dont 4 millions dans les pays voisins. Les principaux pays d'accueil sont l'Égypte, avec plus d'un million et demi de Soudanais, le Soudan du Sud où ils sont plus d'un million, puis le Tchad (1,2 million), la Libye (plus de 210 000) et enfin l'Ouganda (plus de 70 000). Ce sont des chiffres colossaux et ils expliquent en partie pourquoi cette guerre est considérée comme la plus importante crise humanitaire au monde.
Ensuite, on observe en effet beaucoup de retours au Soudan, ces dernières semaines, bien que les chiffres annoncés restent approximatifs et soient à prendre avec précaution. La reprise de la capitale a marqué un tournant, c'était une victoire à la fois symbolique et tactique.
À l'intérieur du Soudan, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) estime que près d'un million de personnes sont revenues dans leurs foyers d'origine, principalement à Khartoum et dans la région de la Gezira dont l'armée a également repris le contrôle début 2025. Près de 320 000 Soudanais seraient aussi revenus d'Égypte et du Soudan du Sud.
En Égypte, le gouvernement a mis en place une ligne de train pour faciliter le retour, et des bus entiers partent quotidiennement du Caire vers la frontière. Les gens ont envie de revenir dans leur maison, de voir s'il en reste quelque chose. Les personnes âgées ne veulent pas mourir en dehors de leur pays.
Les personnes les plus précaires, celles qui ne sont pas parvenues à scolariser leurs enfants ou à trouver des moyens de subsistance, reviennent. Par ailleurs, les autorités militaires cherchent à encourager le retour des Soudanais, en multipliant les annonces officielles. Celles-ci, toutefois, apparaissent souvent déconnectées de la situation réelle, comme lorsqu'elles affirment pouvoir reconstruire Khartoum en six mois pour retrouver son état d'avant-guerre.
Tout ceci a néanmoins un goût amer, puisque certains Soudanais se retrouvent contraints de célébrer leurs anciens ennemis, le camp de l'armée, celle-là même contre laquelle ils s'étaient mobilisés lors de la révolution de 2019, une révolution portée par l'espoir d'un gouvernement civil.
Et il faut aussi garder en tête que la guerre et les horreurs continuent dans plusieurs régions, notamment au Darfour et au Kordofan.
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Burkina Faso : Traoré, un despote conservateur et antidémocratique
Depuis sa prise de pouvoir au Burkina Faso par un coup d'État militaire en 2022, le capitaine Ibrahim Traoré s'est positionné comme un révolutionnaire anti-impérialiste luttant contre l'influence occidentale tout en combattant les insurgés islamistes. Ses partisans célèbrent son retrait de la CEDEAO [Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest], et ses partenariats avec la Russie comme des pas vers la souveraineté africaine. La réalité est plus troublante.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière.
Dans cette interview d'Amandala !, Rahmane Idrissa expose la nature autoritaire du régime de Traoré, son échec à combattre la violence djihadiste, et la répression brutale que subissent les citoyens burkinabè ordinaires. Loin de la transformation progressiste promise, le Burkina Faso sous Traoré représente une consolidation conservatrice et anti-démocratique du pouvoir qui a plongé le pays plus profondément dans la crise tout en réduisant au silence toute opposition.
Amandla ! : Ibrahim Traoré est arrivé au pouvoir à la suite d'un coup d'État en 2022. Quelle était la situation qui a mené au coup d'État ?
Rahmane Idrissa : Traoré est arrivé au pouvoir en renversant un autre putschiste, le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba, qui avait lui-même renversé le dirigeant élu, Roch March Christian Kaboré, en janvier 2022. Il est impossible de comprendre ces deux coups d'État sans tenir compte du fait prépondérant au Sahel à ce moment-là : la guerre djihadiste qui fait rage au Mali depuis 2012 et qui a englouti le Burkina à partir de 2016-2018. Ni le Mali ni le Burkina n'étaient équipés pour lutter contre les guérillas djihadistes. Un plan, élaboré en partenariat avec la France et d'autres États occidentaux, avait été établi pour mettre fin à cette situation, mais il était lui-même truffé de problèmes. Le plus grave était qu'il divisait l'opinion publique entre les nationalistes, qui considéraient la coopération avec l'Occident comme empreinte d'impérialisme, et les pragmatiques, qui voulaient tirer le meilleur parti de cette coopération.
Au Mali, la situation était un peu plus compliquée, mais lorsque l'armée a pris le pouvoir en 2020, elle a choisi de s'appuyer sur les nationalistes et de faire appel à la Russie. Cela impliquait de rejeter l'aide occidentale.
Cette attitude a galvanisé les nationalistes burkinabés qui attendaient de Damiba qu'il agisse de la même manière. Il ne l'a pas fait. En fait, en dépit des discours nationalistes, Damiba savait que l'aide française était efficace, tant pour éliminer les dirigeants djihadistes que pour la fourniture gratuite de renseignements opérationnels et le soutien aux expéditions terrestres.
Le fondateur du mouvement djihadiste burkinabe Ansar Dine est mort moins d'un an après la création de ce mouvemen, à la suite d'une opération française menée par des hélicoptères. Il en a été de même pour les dirigeants du MUJAW, un groupe djihadiste qui a organisé des attentats à la bombe et des attaques à main armée à Ouagadougou et à Grand Bassam, en Côte d'Ivoire, en 2016.
Les nationalistes avaient toutefois décidé que l'ennemi n'était pas les djihadistes, mais la France. Ils croient, ou font semblant de croire, que les djihadistes sont les sbires des Français. Ils se sont donc réjouis lorsque Traoré a renversé Damiba neuf mois plus tard.
Lorsqu'il a pris le pouvoir, Traoré a promis de mettre fin à la guerre djihadiste dans les douze mois, puis de se retirer. Il a déclaré qu'il n'avait pas effectué un coup d'État par goût du pouvoir et qu'il respecterait les « valeurs humaines ». La première personne à le féliciter a été le Russe Evgueni Prigogine, le défunt patron du groupe mercenaire Wagner. Prigogine l'a présenté comme un combattant anticolonialiste.
Traoré a trahi les trois promesses qu'il avait faites :
• Les djihadistes sont aujourd'hui plus puissants que jamais, ils ont pris le contrôle des zones rurales dans au moins 50 % du territoire et peuvent agir librement partout ailleurs ;
• Il s'est octroyé un mandat de cinq ans de pouvoir absolu (Damiba ne voulait « que » trois ans) ; et
• Sa guerre est de loin la plus brutale de celles qui sont actuellement conduites dans les trois pays du Sahel.
A ! : Vous avez parlé de « révolution » à propos du pouvoir de Traoré. S'agit-il d'un véritable processus révolutionnaire ou simplement d'une consolidation d'un régime autoritaire ?
RI : Il s'agit d'une révolution autoritaire, à l'opposé d'une révolution démocratique. En octobre 2014, les Burkinabés se sont révoltés contre le despote Blaise Compaoré. Un an plus tard, un militaire loyaliste a renversé le gouvernement démocratique provisoire dans le but de rétablir Compaoré. La population s'est à nouveau soulevée et l'a bloqué. L'armée n'a joué aucun rôle dans ces événements. Le peuple a donc qualifié cela de révolution. Le terme est excessif, car les conditions politiques n'ont pas changé, mais on peut le comprendre. Lorsque les dirigeants de ce mouvement populaire ont voulu commémorer son anniversaire en octobre 2023 (comme ils l'avaient fait auparavant), les partisans de Traoré, armés de machettes et identifiés sous le nom de Wayiyan (« Dehors ! »), ont menacé d'attaquer quiconque organiserait une telle cérémonie. Inutile de dire que cela n'a pas eu lieu. Depuis lors, tous les dirigeants ont été soit arrêtés – sans qu'aucune charge ne soit retenue contre eux –, soit ont fui le pays. Dans le Burkina de Traoré, on est soit derrière lui, et donc patriote, soit contre lui, et donc apatride. (« sans patrie »).
A ! : Compte tenu de la situation économique et politique difficile à laquelle le Burkina Faso est confronté, qu'est-ce que Traoré fait de différent par rapport aux dirigeants corrompus et compradores du passé ? Comment vivent les gens ordinaires au Burkina Faso ? Quelles mesures concrètes met-il en œuvre pour lutter contre le sous-développement et l'extrême pauvreté qui touchent la majorité de la population ?
RI : Il est un peu surréaliste de parler de développement dans un pays dont la moitié est pratiquement une zone de guerre sans gouvernement. Traoré multiplie les décisions symboliques, mais beaucoup d'entre elles sont en fait d'anciens projets qu'il reprend et tente de conduire à terme pour s'attirer les louanges de ses adorateurs. Un exemple en est la gratuité de l'éducation de l'école primaire à l'université. La gratuité de l'éducation a été inscrite dans la loi il y a quelques années, mais sa mise en œuvre est difficile compte tenu des faibles moyens budgétaires de l'État. Traoré l'étend à l'université. Cette décision n'a été précédée d'aucun débat sur son financement, sa mise en œuvre, son utilité, etc., d'autant plus que le problème fondamental est la qualité de l'éducation, et non son coût. De toute manière, le débat libre est interdit dans le Burkina de Traoré. Les personnes sensées qui, pour une raison ou une autre, le soutiennent sont de ce fait quelque peu schizophrènes. J'ai encadré un groupe de réflexion burkinabé dont les membres veulent croire en Traoré, mais qui ont beaucoup de mal à faire leur travail – qui porte sur le développement – parce que tout le monde baisse la tête. Personne ne veut parler ni partager d'informations. Il n'y a ni loi ni clientélisme politique, seulement le règne d'un seul homme.
A ! : Le gouvernement de Traoré prétend lutter contre les insurgés islamistes. Son régime a-t-il fait des progrès significatifs dans ce domaine ? Comment sa légitimité se maintient-elle parmi les Burkinabè ordinaires ?
RI : Traoré est en train d'échouer, comme les deux autres juntes du Sahel, mais à sa manière. Cela implique un degré de violence à l'égard des civils d'origine peule si important que certains parlent de génocide. Il s'agit plutôt d'une vendetta. Bien sûr, les islamistes sont également très violents. Mais leur violence est exacerbée par celle de l'État. C'est un cercle vicieux sanglant. Quoi qu'il en soit, c'est au Burkina que les djihadistes progressent le plus aujourd'hui, ce qui inquiète les Nigérians. Sans le dire ouvertement, ils reprochent à Traoré son animosité envers les Peuls, car cela radicalise également les Peuls de leur côté de la frontière.
Je trouve le mot « légitimité » hors de propos dans ce contexte. Il y a essentiellement deux Burkina : l'un qui vénère Traoré et l'autre qui le déteste. Difficile de dire lequel est majoritaire ; peut-être y en a-t-il un troisième, celui de ceux qui se sont résignés et soupirent « Allons seulement ». Il s'agit d'une expression française dont la signification est africaine. Elle signifie « continuons puisque nous ne pouvons rien faire ». Quoi qu'il en soit, les adorateurs et les partisans de Traoré sont les seuls que l'on entend au Burkina, car ils ont transformé la place publique en tribune. Les autres sont réduits au silence ou en exil.
A ! : Le Burkina Faso a acquis une certaine crédibilité anti-impérialiste en se retirant de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et en nouant de nouvelles alliances avec le Mali et le Niger. Qu'est-ce qui se cache réellement derrière cette décision et quelle est sa signification pour la région ? Et quel est le rôle de la Russie ?
RI : La sortie de la CEDEAO est anti-démocratique, pas anti-impérialiste. L'idée est de ne pas être lié par les règles de la CEDEAO, qui imposent la démocratie. De toute façon, la CEDEAO n'a jamais sanctionné les transgressions de Traoré. Contrairement au Mali, le Burkina n'a pas été soumis à un embargo, et contrairement au Niger, il n'a pas été menacé d'une intervention contre les putschistes. Il faut noter que le Burkina fait toujours partie de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), l'organisation des pays de l'Afrique de l'Ouest qui ont adopté le franc CFA, qui a des liens institutionnels avec le Trésor français. Les règles de l'UEMOA ne dérangent pas ces juntes, car elles sont plus techniques que politiques, c'est-à-dire qu'elles ne sont pas assorties de conditions politiques. Les juntes apprécient également le fait de pouvoir lever plus facilement des fonds sur leurs marchés obligataires qu'ailleurs. De plus, elles reçoivent de l'argent du FMI et de la Banque mondiale.
Jusqu'à présent, la CEDEAO n'a pas pris de mesures pour les exclure, ce qui est un soulagement. Les moyens de subsistance de la plupart des habitant.e.s du Sahel dépendent des relations avec les pays du golfe de Guinée. La population totale de la diaspora burkinabé, malienne et nigérienne en Côte d'Ivoire est supérieure à la population autochtone. Imaginez si la Côte d'Ivoire décidait que toutes ces personnes ont désormais besoin d'un visa et d'un permis de séjour pour rester dans le pays ! La CEDEAO est la soupape de sécurité du Sahel, région pauvre et surpeuplée. Seules l'hystérie idéologique et l'égoïsme des élites privilégiées peuvent expliquer les agissements des trois juntes à l'égard de cette organisation.
La Russie est le protecteur des trois juntes. Au Burkina et au Mali, elle leur a fourni des services de protection. J'ai perdu le compte du nombre de fois où Traoré a annoncé avoir déjoué un projet de coup d'État, et je suis presque certain que bon nombre de ces complots ont été inventés de toutes pièces pour purger l'armée. Mais cela montre qu'il a peur. À présent, ses gardes du corps sont russes, et non burkinabés. Ils fouillent même ses ministres lorsqu'ils viennent le voir. C'est ainsi qu'a commencé la Françafrique, le système néocolonial à bout de souffle de la France. Le Burkina de Traoré semble vouloir devenir un pilier de la Russiafrique, aux côtés du Mali, de la République centrafricaine et peut-être du Niger. La France a été accusée de « piller » le pays alors qu'elle n'y possède aucune société minière. Aujourd'hui, Nordgold, la société minière russe, est comme « un goret dans un carré de trèfle » dans ce pays.
A ! : Dans quelle mesure s'inspire-t-il de l'héritage de Thomas Sankara ? Est-ce que vous qualifieriez son orientation de socialiste ?
RI : Non, les temps ont changé. Sankara a grandi dans les années 70, à une époque où le socialisme était très présent en Afrique et où les gens lisaient, réfléchissaient, débattaient et écrivaient beaucoup. Je me souviens avoir lu Marx au lycée ! Traoré est le représentant d'un panafricanisme plus récent, plus sombre, fondé sur le ressentiment historique, l'obsession identitaire et une vision conservatrice de la société, patriarcale, religieuse et homophobe (le Burkina, comme le Mali et le Niger, a criminalisé l'homosexualité, sous les applaudissements de la population). Il traque les partisans du progrès social et s'appuie sur le soutien des chefs religieux, des autorités traditionnelles et des fondamentalistes culturels. Cela pousse à se rassembler autour de certaines valeurs, comme la fierté des « cultures burkinabè ». Mais cela ressemble plus à la mobilisation culturelle artificielle en soutien au dirigeant, telle qu'on l'a vue sous les dictatures militaires précédentes, qu'à la créativité joyeuse qui irradiait de la Maison du Peuple à l'époque de Sankara.
A ! : Y a-t-il une forme d'organisation populaire sur le terrain et autour de quoi se mobilise-t-elle ? Comment le gouvernement y répond-il ?
RI : Il n'y a pas d'organisation libre au Burkina. L'ère de la démocratie, même sous le despotisme de Compaoré, avait donné naissance à une scène publique animée composée de syndicats professionnels, d'organes de presse et d'associations civiles et religieuses. Aujourd'hui, toutes ces organisations ont été mises au pas. Les dirigeants des associations civiles, qui tenaient Compaoré en échec, ont fui, sont en prison ou se taisent. Par exemple, un pogrom a eu lieu dans un village peul, au cours duquel des photos et des vidéos ont été prises par les auteurs, des membres de l'armée burkinabè et leurs auxiliaires, les VDP, c'est-à-dire les Volontaires pour la défense de la patrie. Ces images ont été divulguées dans la presse et sur les réseaux sociaux, et les dirigeants du syndicat de la presse ont tous été arrêtés. Et puis, il y a les Wayiyan, la milice du régime.
Les actions se passent en réalité en ligne, où s'affrontent les « guerriers des réseaux sociaux » de Traoré et ceux de la société civile et de la presse en exil. Mais ce combat n'a jusqu'à présent eu que peu d'impact politique. Au Burkina même, la presse est étroitement contrôlée, la télévision est saturée de propagande et le bureau d'information du régime présente une image idyllique de la situation du pays. Les habitants des villes du centre et du sud, loin de la guerre djihadiste, sont prêts à l'accepter, même si c'est en mode « Allons seulement ».
• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepLpro
Source - Amandla !, Mardi 12 août 2025 :
• Abdourahmane (Rahmane) Idrissa est politologue au Centre d'études africaines de l'université de Leyde et à l'Institut africain de Sharjah (Émirats arabes unis).
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La stratégie de Trump pour réaffirmer la domination américaine
L'administration Trump a porté un coup de massue à l'ordre international et national existant. Tous les dégâts causés peuvent sembler n'être qu'une opération cynique de destruction et de pillage orchestrée par Donald Trump et ses acolytes capitalistes. C'est le cas, mais ce n'est pas tout. Le noyau rationnel du projet de Trump est exposé par la Heritage Foundation dans ses documents Mandate for Leadership et The Prioritization Imperative : A Strategy to Defend America's Interests in a More Dangerous World. Ces documents lui ont fourni un plan directeur pour mettre en œuvre une stratégie nationaliste autoritaire visant à réaffirmer la domination des Etats-Unis dans le capitalisme international.
11 août 2025 | alencontre.org
https://alencontre.org/laune/la-strategie-de-trump-pour-reaffirmer-la-domination-americaine-i.
Trump abandonne le projet post-guerre froide de Washington, qui consistait à superviser un ordre néolibéral de mondialisation du libre-échange. Au lieu de cela, il tente d'atteindre son objectif maintes fois répété de « rendre sa grandeur à l'Amérique » en faisant passer « l'Amérique d'abord » avant ses amis comme ses ennemis. Il déclasse ou abandonne les institutions multilatérales, impose des droits de douane à de nombreux pays et menace d'annexer le Groenland, le Panama et même le Canada.
Bien que beaucoup plus cohérente que Trump 1.0, l'administration Trump 2.0 reste déchirée par des conflits, dont le meilleur exemple est la rupture apocalyptique de la mauvaise « bromance » entre le président et Elon Musk au sujet du « Big Beautiful Bill ». C'est l'une des nombreuses scissions, parmi lesquelles la bataille de Trump contre la Federalist Society [organisation conservatrice et libertarienne prônant une interprétation originaliste de la Constitution, soit comme elle semblait être comprise en 1787], qui a contribué à remplir les tribunaux de juges favorables à l'administration, pour son soutien à la décision de la Cour d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale contre sa capacité à imposer des droits de douane. Une autre scission, plus importante, oppose Trump à sa base MAGA au sujet de la publication de la liste des clients de Jeffrey Epstein, avec lesquels il se livrait à un trafic de femmes et de jeunes filles.
Malgré tout le chaos, la confusion et les luttes factionnelles, l'administration Trump est unie derrière un même projet : l'escalade de la rivalité impériale de Washington avec la Chine.
Mandate for Leadership de la Heritage Foundation qualifie la Chine d'« ennemi totalitaire des Etats-Unis, et non de partenaire stratégique ou un concurrent loyal ». L'administration tente de se désengager des guerres en Ukraine et à Gaza, d'obliger ses alliés à assumer la responsabilité de leur propre sécurité et de se libérer ainsi pour donner la priorité à sa rivalité avec Pékin.
En réponse, la Chine a clairement fait part de sa détermination à affronter les Etats-Unis dans la guerre commerciale, ainsi que face à leurs menaces géopolitiques et leur renforcement militaire en Asie. Face à une telle opposition de Pékin, Trump a renoncé à ses mesures les plus extrêmes, assouplissant par exemple les restrictions sur les exportations de puces informatiques de Nvidia et réduisant les droits de douane sans précédent qu'il avait initialement imposés [Nvidia est prêt à payer 15% au gouvernement américain de ses revenus d'exportation en Chine, un marché clé, The Guardian, 11 août] .
Mais la concurrence croissante entre les deux puissances perturbera ces mesures temporaires. Alors que leur rivalité interimpérialiste risque de s'envenimer, la gauche doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour construire une solidarité internationale afin d'empêcher que ce conflit ne déclenche une guerre catastrophique entre puissances nucléaires.
Les racines capitalistes de la rivalité impérialiste
Soyons clairs, cette rivalité n'est pas le résultat des politiques des administrations Trump ou Biden, ni de celles du régime de Xi Jinping en Chine. Elle est le produit des lois du capitalisme, à savoir le développement inégal et combiné, les crises et la concurrence entre les Etats pour le partage et le repartage du marché mondial au profit de leurs entreprises.
Cette concurrence économique pousse les Etats vers la rivalité géopolitique et la guerre. Le résultat de ces conflits crée une hiérarchie dynamique des Etats, avec les puissances impérialistes au sommet, les puissances régionales au milieu et les nations et peuples opprimés au bas de l'échelle. Tous ces Etats capitalistes sont déchirés par des divisions sociales et de classe internes.
Aucun ordre entre les Etats n'est permanent. Les périodes d'expansion, de récession, de rivalités, de guerres et de luttes internes du système bouleversent et remanient le système des relations interétatiques, avec le déclin des puissances établies et la montée en puissance de nouvelles puissances. Nous avons assisté à une succession d'ordres impérialistes au cours du siècle dernier : la période coloniale multipolaire du XIXe siècle, les deux guerres mondiales, la guerre froide bipolaire et l'hégémonie sans rivale de Washington après l'effondrement de l'Union soviétique.
Les Etats-Unis espéraient maintenir cet ordre unipolaire en intégrant tous les Etats dans leur « ordre fondé sur des règles » de mondialisation du libre-échange. Ils ont tenté de bloquer la montée de tout concurrent potentiel, de démanteler tout « Etat voyou » comme l'Irak et de contrôler les Etats déstabilisés par les politiques néolibérales et les interventions de Washington, comme Haïti.
Le déclin relatif de l'impérialisme américain
Quatre événements ont conduit au déclin relatif des Etats-Unis et à la fin de l'ordre unipolaire. Tout d'abord, le boom néolibéral du début des années 1980 jusqu'à la grande récession de 2008 a entraîné l'émergence de nouveaux centres d'accumulation du capital, notamment la Chine, mais aussi la Russie, le Brésil, l'Arabie saoudite et bien d'autres.
Deuxièmement, la tentative de Washington de consolider son hégémonie sur le Moyen-Orient et ses réserves énergétiques par le biais de ses guerres en Afghanistan et en Irak s'est soldée par une défaite désastreuse, le contraignant à se livrer à des occupations brutales et à des opérations de contre-insurrection. Washington étant enlisé, la Chine, la Russie et diverses puissances régionales sont devenues de plus en plus affirmées dans le système interétatique.
Troisièmement, la Grande Récession a mis fin au boom néolibéral, ouvrant la voie à une période de marasme mondial marquée par une alternance de récessions et de reprises timides. La croissance atone et la baisse des taux de profit ont poussé les Etats à protéger leurs propres entreprises, ralentissant le commerce mondial et exacerbant les rivalités géopolitiques.
Enfin, la pandémie, la perturbation des chaînes d'approvisionnement internationales et la récession qui l'a accompagnée ont mis en évidence le déclin relatif de Washington, ainsi que sa dépendance vis-à-vis de la Chine. Ensemble, ces développements ont donné naissance à l'ordre multipolaire asymétrique actuel.
Les Etats-Unis restent au sommet du système avec la plus grande économie et la plus grande puissance militaire, ainsi qu'une influence géopolitique sans pareille, mais ils sont désormais confrontés à des rivaux impérialistes, notamment la Chine, mais aussi la Russie. A cela s'ajoute une multitude de puissances régionales qui se disputent entre elles et les grandes puissances le contrôle sur les pays et les peuples opprimés/exploités.
Aucune des puissances impérialistes n'étant en mesure de surmonter la crise mondiale, les élites dirigeantes de chacune d'entre elles se sont tournées vers l'austérité et la répression autoritaire de la contestation à l'intérieur de leurs frontières, ainsi que vers des politiques de protectionnisme et de dumping à l'étranger.
Dans ce nouvel ordre, la rivalité principale oppose les Etats-Unis et la Chine. Ces deux pays étaient des partenaires stratégiques dont les économies étaient de plus en plus intégrées à l'apogée de la mondialisation néolibérale sous l'administration Clinton [1993-2001]. Mais ce n'est plus le cas aujourd'hui.
Aujourd'hui, la Chine est le plus grand producteur industriel du monde. Elle exerce une influence géopolitique croissante et dispose de la capacité de faire respecter sa volonté grâce à la deuxième armée la plus importante du monde. Washington considère désormais la Chine comme un concurrent potentiel qu'il doit contenir. En conséquence, les deux puissances sont en désaccord sur tout, de l'économie à la géopolitique en passant par l'expansion militaire, en particulier dans la région Asie-Pacifique.
Le nouveau consensus de Washington
Dans cet ordre mondial multipolaire asymétrique, les administrations américaines successives ont abandonné l'ancienne stratégie de superintendance du capitalisme mondial pour adopter le nouveau consensus de Washington, qui prévoit un conflit entre grandes puissances avec la Chine. Jusqu'à la dernière décennie, les Etats-Unis avaient poursuivi une stratégie de « con-gagement » [containment et engagement] avec Pékin, combinant endiguement et collaboration. Le pivot vers l'Asie [novembre 2011] de l'administration Obama a été son dernier sursaut.
La première administration Trump [2016-2020] a résolument réorienté la grande stratégie des Etats-Unis vers une rivalité avec la Chine et la Russie. Elle visait à dévaloriser les alliances multilatérales au profit d'une affirmation unilatérale de la puissance américaine, en interdisant les exportations de haute technologie vers la Chine, en imposant des droits de douane pour réindustrialiser les Etats-Unis, en augmentant le budget militaire et en réorientant les forces armées vers l'Asie.
Mais les revirements erratiques de Trump, les profondes divisions internes de son administration et l'opposition de la bureaucratie d'Etat ont entravé la mise en œuvre de cette nouvelle approche. En fin de compte, il a accéléré le déclin relatif de Washington et, selon les termes de deux responsables de l'administration Obama [Robert Malley et Philip H. Gordon], il a réussi à « enhardir la Chine, inquiéter l'Europe et laisser tous les alliés et ennemis des Etats-Unis s'interroger sur la durabilité de nos engagements et la crédibilité de nos menaces » (New York Times, 11 novembre 2020).
L'administration Biden a maintenu l'accent mis par Trump sur la rivalité entre les grandes puissances avec la Chine et la Russie, mais a remplacé l'approche « America First » de son prédécesseur par un « multilatéralisme musclé ». Elle visait à rénover le capitalisme américain en mettant en œuvre une nouvelle politique industrielle dans le domaine des hautes technologies, à maintenir le régime tarifaire de Trump avec une barrière élevée autour d'un petit périmètre de technologies stratégiques afin de bloquer les progrès de la Chine, en particulier dans le domaine des microprocesseurs avancés, et à reconstruire et élargir les alliances de Washington, en les retournant contre Pékin et Moscou.
Après le retrait chaotique des Etats-Unis d'Afghanistan en 2021, l'administration Biden a exploité l'invasion impérialiste de l'Ukraine par la Russie pour rallier ses alliés, non seulement contre Moscou, mais aussi contre Pékin. Elle a convaincu l'OTAN de déclarer que la Chine représentait un défi mondial pour la sécurité.
Mais Biden a fondamentalement sapé ses prétentions moralisatrices selon lesquelles les Etats-Unis défendaient leur soi-disant ordre international fondé sur des règles en soutenant la guerre génocidaire d'Israël contre Gaza. Cela a permis à la Chine et à la Russie de dénoncer l'hypocrisie de Washington et de rallier d'autres Etats autour d'eux sous la bannière de la « multipolarité ».
Néanmoins, personne ne doit se faire d'illusions sur le fait que Pékin ou Moscou seraient des alliés d'un mouvement de libération de la Palestine. Dans le cas de la Chine, malgré son opposition rhétorique au génocide israélien, elle est le deuxième partenaire commercial d'Israël, son groupe portuaire public Shanghai International Port Group a construit et exploite le port de Haïfa, impliquant un investissement de 1,7 milliard de dollars, une autre de ses entreprises construit le réseau de tramway de Tel-Aviv, et une autre, Hikvision, vend à Israël des technologies de surveillance pour contrôler les Palestiniens en Cisjordanie.
Xi redonne sa grandeur à la Chine
Face à la nouvelle stratégie de grande puissance de Washington visant à contenir la montée en force de la Chine, Pékin n'avait d'autre choix que de riposter par des contre-mesures agressives. Xi Jinping a rompu avec la politique étrangère prudente de ses prédécesseurs, promettant de mener à bien un « renouveau national » afin de réaliser le « rêve chinois » qui consiste à retrouver le statut de grande puissance.
Mais Xi est confronté à d'innombrables défis. L'économie chinoise a ralenti, passant d'une croissance annuelle d'environ 10% dans les années 2000 à environ 5% aujourd'hui. Elle est en proie à la surproduction [entre autres, dernièrement, dans les voitures électriques, ce qui débouchera sur une concentration], à l'éclatement de la bulle immobilière, à une dette massive, à la corruption, au vieillissement et à la diminution de la population active, ainsi qu'à un taux de chômage élevé chez les jeunes. Le régime chinois a également été confronté à des vagues de luttes sociales et de classe, depuis les grèves et les manifestations de masse des années 2000 jusqu'au soulèvement démocratique à Hong Kong, en passant par la résistance des Ouïghours au colonialisme des colons Han au Xinjiang et les actions insurrectionnelles et marches massives contre les mesures brutales de confinement imposées dans le cadre de la politique « zéro Covid ».
Pour maintenir son pouvoir face à ses rivaux bureaucratiques et à la résistance venue d'en bas, Xi s'est tourné vers la répression autoritaire. Il a purgé les bureaucrates dissidents et corrompus, interdit les ONG syndicales, mené un génocide culturel et procédé à l'incarcération massive des Ouïghours au Xinjiang, écrasé le mouvement à Hong Konget intensifié l'oppression des femmes et des personnes LGBTQ dans le cadre de la politique nataliste du régime visant à augmenter le taux de natalité et à renouveler sa main-d'œuvre.
Xi a accompagné cette répression de nouveaux investissements massifs dans l'économie, avec deux objectifs : renforcer le soutien intérieur en promettant une vie meilleure et repousser les tentatives de Washington de bloquer la montée en puissance de la Chine. Le régime a mis en place un énorme plan de relance pour soutenir la croissance économique après la Grande Récession et dans un contexte de ralentissement mondial.
En 2015, Xi a inauguré « Made in China 2025 », une politique industrielle financée par l'Etat visant à développer les entreprises de haute technologie, à garantir leur autosuffisance et à les positionner de manière à ce qu'elles puissent concurrencer leurs rivales transnationales. A tous égards, cette initiative a été un succès retentissant. La Chine compte désormais des entreprises de conception et de fabrication de puces de classe mondiale telles que HiSilicon et SMIC, le plus grand constructeur mondial de véhicules électriques, BYD, le premier fabricant mondial de batteries, CATL, le principal fabricant de panneaux solaires, JinkoSolar, des innovateurs pionniers dans le domaine de l'IA tels que DeepSeek, des fabricants de robots qui ont automatisé le travail en usine à un rythme plus élevé qu'en Europe et aux Etats-Unis, et un quasi-monopole sur les usines de traitement des terres rares et les fabricants d'aimants qui fournissent l'industrie high-tech mondiale.
La Chine a commencé non seulement à rattraper son retard, mais aussi, dans certains cas, à dépasser les industries de haute technologie des Etats-Unis. Comme l'affirment deux économistes influents, David Autor et Gordon Hanson dans le New York Times du 14 juillet 2025 : « Selon l'Australian Strategic Policy Institute, un groupe de réflexion indépendant financé par le ministère australien de la Défense, les Etats-Unis devançaient la Chine dans 60 des 64 technologies de pointe, telles que l'IA et la cryptographie, entre 2003 et 2007, tandis que la Chine ne devançait les Etats-Unis que dans trois domaines. Dans le dernier rapport, qui couvre la période 2019-2023, le classement s'est inversé. La Chine est en tête dans 57 des 64 technologies clés, et les Etats-Unis ne sont en tête que dans sept. »
En réalité, les interdictions de Washington sur les exportations de technologies vers la Chine se sont retournées contre lui, poussant les entreprises chinoises à développer leurs propres capacités qui sont désormais comparables, voire dans certains cas supérieures, à celles de leurs rivaux du monde capitaliste avancé. Cela a conduit le PDG de Nvidia, Jensen Huang, à qualifier les interdictions technologiques de Washington à l'égard de la Chine d'« échec » qui « ne fait que renforcer les rivaux étrangers » et « affaiblit la position des Etats-Unis ».
Concurrence pour les marchés
Toutes ces mesures de relance gouvernementales n'ont pas sauvé la Chine du marasme mondial du capitalisme. Elles ont au contraire provoqué une crise de surinvestissement, une concurrence acharnée entre les entreprises capitalistes publiques et privées, une baisse de la rentabilité, une déflation et une surcapacité.
Cela a conduit le capital à se diriger vers des investissements spéculatifs dans l'immobilier, créant une bulle gigantesque qui a éclaté avec l'effondrement de la plus grande société immobilière du monde, Evergrande. Cela a exacerbé la crise de la dette du pays, frappé durement le patrimoine de la classe moyenne et affaibli la demande des consommateurs.
Même après avoir partiellement stabilisé cette crise, la Chine n'a pas résolu son problème de surproduction. En fait, le régime l'a exacerbé avec un nouveau plan de relance visant à sortir son économie de la récession pandémique. En conséquence, la Chine produit plus de tout – du béton à l'acier, en passant par les panneaux solaires et les véhicules électriques – qu'elle ne peut vendre sur le marché intérieur avec des profits suffisamment élevés.
La classe dirigeante chinoise espérait que son initiative « Belt and Road Initiative » (BRI – Nouvelle route de la soie), lancée en 2013, aiderait la Chine à exporter son excédent de capacité industrielle. La BRI était un projet de développement des infrastructures d'un montant de 1000 milliards de dollars qui prévoyait la construction de routes, de réseaux ferroviaires et de ports, principalement dans les pays du Sud.
Les Etats participants ont contracté des emprunts auprès de banques chinoises pour financer la construction, faisant de la Chine le plus grand créancier au monde. Et, selon un schéma impérialiste classique, les systèmes de transport construits dans le cadre de la BRI sont le plus souvent conçus pour acheminer les matières premières des industries extractives des pays en développement vers la Chine pour son système de production.
La Chine a également augmenté ses exportations, déclenchant des réactions protectionnistes de la part des Etats capitalistes, non seulement des Etats-Unis, mais aussi de l'Union européenne et de divers Etats du Sud. Tous ont commencé à se plaindre du dumping de ses excédents sur leurs marchés et de la concurrence déloyale qu'elle fait subir à leurs entreprises moins compétitives.
Cette frénésie d'exportations a eu un impact négatif sur les alliés officiels de Pékin. Par exemple, elle a aggravé la désindustrialisation du Brésil, réduisant de plus en plus son économie à l'exportation de matières premières et de produits agricoles vers la Chine, un piège classique de la dépendance.
La diversification des marchés d'exportation de Pékin vise également à protéger son économie des droits de douane et des interdictions croissants imposés par Washington. Dans le cadre de cet effort, elle a réduit ses avoirs en bons du Trésor américain et a de plus en plus recours à sa propre monnaie pour commercer avec d'autres pays comme la Russie.
Mais la Chine ne peut en aucun cas remplacer entièrement le marché des Etats-Unis. Afin d'échapper aux droits de douane américains, elle a donc délocalisé ses usines dans des pays comme le Vietnam et le Mexique afin de les utiliser comme plateformes de transformation pour l'exportation.
Dans le même temps, le régime a pris conscience qu'il devait développer son propre marché intérieur. Pour atteindre cet objectif, il a lancé sa stratégie de double circulation, qui consiste à investir dans des entreprises publiques produisant pour le marché intérieur tout en maintenant une économie parallèle orientée vers l'exportation.
Dans le cadre de cette stratégie, Xi a promis à plusieurs reprises de stimuler la demande intérieure en augmentant les revenus des travailleurs et travailleuses, en renforçant le filet de sécurité sociale minimal de l'Etat et en stabilisant le marché immobilier. Mais ces propositions de « prospérité commune » étaient restées lettre morte par le passé.
Pourquoi ? Parce que la croissance économique de la Chine repose pour l'essentiel sur l'exploitation d'une main-d'œuvre migrante bon marché. (voir The Journal of Asian Studies, mai 2021) Elle s'abstient donc ainsi d'augmenter les salaires de ces travailleurs et des dépenses sociales. C'est pourquoi Xi s'est opposé à « l'égalitarisme » et au « welfare » qui récompensent « les paresseux ». En conséquence, la Chine reste dépendante de son économie d'exportation. (Article publié sur le site Tempest le 24 juillet 2025 ; traduction rédaction A l'Encontre, la suite sera publiée en date du 12 août)
Afin de maintenir et d'étendre son accès au marché mondial, la Chine a conclu des pactes politiques multilatéraux et bilatéraux. Elle a créé l'Organisation de coopération de Shanghai, qui rassemble des Etats d'Eurasie et du Moyen-Orient, notamment la Chine et la Russie, au sein d'une alliance économique, politique et sécuritaire.
Forger des alliances dans un monde multipolaire
Plus important encore, la Chine a mis en place l'alliance des BRICS, composée du Brésil, de la Russie, de l'Inde, de la Chine et de l'Afrique du Sud, ainsi que d'une liste croissante d'autres pays, mais dans laquelle Pékin est de loin l'acteur dominant. La Chine a utilisé cette alliance pour faire avancer des initiatives politiques et économiques, notamment la New Development Bank (NDB) et l'Asian Infrastructure Investment Bank (AIIB), pour établir des relations économiques avec les pays du Sud et pour tenter de les mener dans une contestation de l'ordre unipolaire de Washington, avec la visée d'établir un ordre multipolaire.
La Chine a renforcé son alliance géopolitique la plus importante avec la Russie lorsque Xi et Vladimir Poutine ont signé leur « amitié sans limites » lors des Jeux olympiques de Pékin en 2022, à la veille de l'invasion impérialiste de l'Ukraine par la Russie. En tant qu'acteur dominant, la Chine a augmenté ses exportations vers Moscou, notamment les technologies dites « à double usage » destinées à son industrie militaire, afin d'empêcher la Russie de succomber aux sanctions américaines et européennes. Elle a conclu des accords avec la Russie pour importer du pétrole, du gaz naturel et du charbon.
Mais ces puissances ne forment pas un bloc cohérent d'Etats, ni ne sont en train de forger un « axe du bouleversement » (« The Axis of Upheaval », article de Foreign Affairs publié le 23 avril 2024) contre les Etats-Unis. Elles sont divisées en leur sein par des intérêts distincts et parfois concurrents.
Les exemples de leurs divisions sont innombrables. L'Inde, par exemple, fait partie de l'alliance des BRICS avec la Chine, mais elle fait également partie du QUAD (Dialogue quadrilatéral pour la sécurité : coopération militaire et diplomatique) avec les Etats-Unis, l'Australie et le Japon contre la Chine. L'Inde et la Chine se sont récemment affrontées au sujet de revendications territoriales contestées. Et la Russie et la Chine ont abandonné l'Iran, autre membre des BRICS, lorsqu'il a été attaqué par les Etats-Unis et Israël.
Les pactes conclus par Pékin ne rompent pas non plus avec l'ordre néolibéral établi par les Etats-Unis. Par exemple, la Nouvelle banque de développement des BRICS a déclaré son soutien au « système commercial multilatéral avec l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en son centre ». En fait, la Chine a utilisé ses alliances pour faire promouvoir ses intérêts au sein de l'ordre néolibéral de mondialisation du libre-échange mis en place par les Etats-Unis.
Faire étalage de sa puissance militaire
Pour soutenir son ascension économique et géopolitique, la Chine a modernisé son armée. Elle a augmenté ses dépenses militaires annuelles pendant trente années consécutives pour atteindre le montant colossal de 296 milliards de dollars en 2023, ce qui la place au deuxième rang mondial, mais ne représente toujours qu'un tiers des dépenses des Etats-Unis, qui s'élevaient à plus de 916 milliards de dollars en 2023.
Elle a développé une marine de guerre capable de naviguer en haute mère et disposant de plus de navires que toute autre puissance, dont trois porte-avions, et un quatrième actuellement en construction. Elle développe également son armée de l'air, son arsenal nucléaire et son arsenal de missiles balistiques intercontinentaux et hypersoniques à un rythme rapide.
La Chine a fait étalage de sa puissance militaire en mer de Chine méridionale. Elle a déployé sa marine pour protéger les voies maritimes, affirmer son contrôle sur les zones de pêche et revendiquer des réserves sous-marines de pétrole et de gaz naturel. Cela l'a mise en conflit avec plusieurs pays de la région, notamment les Philippines et le Japon, soutenus par les Etats-Unis, la puissance dominante en Asie, au sujet de revendications territoriales sur des îles.
Plus important encore, la Chine a déployé ses forces armées dans le cadre d'exercices de plus en plus agressifs autour de Taïwan, qu'elle considère comme une province rebelle qu'elle entend assimiler par la force si nécessaire. Les Etats-Unis ont armé cette nation insulaire et maintiennent une « ambiguïté stratégique » quant à leur intention de la défendre en cas d'invasion chinoise.
Les enjeux de cette confrontation ne sont pas seulement géopolitiques, mais aussi économiques. Taïwan produit 90% des micropuces les plus avancées au monde, qui sont essentielles à tout, des ordinateurs aux avions de combat high-tech comme le F-35 de Lockheed Martin. Les Etats-Unis et la Chine sont en désaccord sur Taïwan, chacun l'utilisant comme un pion dans leur rivalité tout en bafouant le droit de cette nation à l'autodétermination.
« Rendre à l'Amérique sa grandeur »
Pour contrer la menace chinoise à l'hégémonie américaine, Trump rompt radicalement avec la grande stratégie mise en place par Washington après la guerre froide, qui consistait à superviser le capitalisme mondial à travers des alliances économiques, politiques et militaires multilatérales. A la place, il met en œuvre la stratégie nationaliste autoritaire préconisée par la Heritage Foundation.
Sur le plan intérieur, Trump a lancé une guerre de classes néolibérale. Il espère que l'austérité, les réductions d'impôts et la déréglementation stimuleront les investissements capitalistes dans l'industrie manufacturière, restaureront l'indépendance économique des Etats-Unis et renforceront leur compétitivité en général, et plus particulièrement face à la Chine.
Il mène cette offensive de manière autoritaire, en recourant à des décrets présidentiels, en contournant et, dans certains cas, en démantelant la bureaucratie fédérale, et en testant les limites de la Constitution américaine. Il a démantelé des pans entiers de ce qu'on appelle l'« Etat profond » qui l'avait gêné lors de son premier mandat, détruit l'Etat-providence et licencié des fonctionnaires fédéraux. Pour diviser et vaincre la résistance de la classe laborieuse, il a fait des migrants, des personnes transgenres, des personnes de couleur et des militants solidaires du peuple palestinien des boucs émissaires.
A l'étranger, Trump met en œuvre l'unilatéralisme de l'« America First ». Il ne s'agit pas d'isolationnisme, malgré les affirmations répétées et erronées des commentateurs mainstream. Il est déterminé à intervenir économiquement, politiquement et militairement dans le monde entier pour faire avancer les intérêts des Etats-Unis au détriment de ses alliés et de ses adversaires, en particulier la Chine.
Son bombardement des installations nucléaires iraniennes en est la preuve. Cette attaque visait à envoyer un message aux puissances mondiales, en particulier à la Chine, pour leur faire comprendre que l'administration est tout à fait disposée à utiliser son puissant arsenal de destruction pour atteindre ses objectifs.
Sa stratégie ne consiste pas non plus à forger un nouveau « concert des grandes puissances » (« The Rise and Fall of Great-Power Competition », Stacie E. Goddard, Foreign Affairs, 22 avril 2025) qui diviserait le capitalisme mondial en sphères d'influence supervisées par les Etats-Unis, la Chine, la Russie et d'autres grandes puissances. Quels que soient les accords qu'il ait proposés à Poutine et à Xi, leurs sphères d'influence potentielles se chevauchent et se contredisent.
Les Etats-Unis, par exemple, ne céderont pas l'Asie à la Chine, pas plus qu'ils n'abandonneront l'Europe à la Russie. Il n'y aura pas de Yalta 2.0. Trump affirme la domination américaine dans le monde entier, tant à l'égard de ses alliés que de ses adversaires.
Au milieu du chaos qui règne dans son régime, Donald Trump met en œuvre la stratégie unilatéraliste exposée sans ambages dans The Prioritization Imperative of focusing on Washington's great power rivalry with China (L'impératif de la priorisation : se concentrer sur la rivalité entre les grandes puissances avec la Chine – Heritage Foundation, 1er août 2024, Special Report Defense). Tout d'abord, l'administration a déclaré qu'elle ne jouerait plus le rôle de gendarme du monde, soutenant ses alliés contre l'opposition externe et interne.
Trump a tenté de sortir les Etats-Unis des guerres à Gaza et en Ukraine, sans succès. Malgré ses échecs, il semble déterminé à détourner l'attention de ces crises et à convaincre les alliés des Etats-Unis d'assumer la responsabilité de leur gestion.
Dans le cas de l'Europe, le vice-président J. D. Vance a averti les alliés avant même son élection que « les Etats-Unis doivent se concentrer davantage sur l'Asie de l'Est. Ce sera l'avenir de la politique étrangère américaine pour les 40 prochaines années, et l'Europe doit en prendre conscience ».
Dans cette optique, Trump a obtenu des membres de l'OTAN qu'ils s'engagent à porter leurs dépenses de défense à 5% de leur PIB afin de dissuader l'impérialisme russe, déclenchant ainsi une course aux armements en Europe (Washington Post, 5 juin 2025). L'Allemagne est allée jusqu'à suspendre ses restrictions constitutionnelles en matière de déficit budgétaire [frein à l'endettement] afin d'investir massivement dans le réarmement, tout en réduisant les dépenses sociales, et d'affirmer son statut de puissance impérialiste à part entière.
Donner la priorité à la Chine
En essayant de faire le ménage dans le budget de Washington, Trump a tenté de donner la priorité au conflit entre Washington et la Chine. Il a imposé de nouveaux droits de douane à Pékin [ce qui n'exclut pas des négociations], intensifié la guerre des puces électroniques avec de nouvelles interdictions sur les ventes de semi-conducteurs et de logiciels, suspendu la vente de technologies et de logiciels essentiels à la fabrication de moteurs à réaction par la Chine. Il a menacé de soumettre toutes les demandes de visa des étudiants étrangers chinois à un contrôle renforcé et de refuser les visas aux membres du Parti communiste.
Trump a soutenu cette offensive économique par des pressions géopolitiques sur Pékin. Il a envoyé le secrétaire à la Défense Pete Hegseth dans toute l'Asie pour renforcer les alliances contre la Chine. Lors du Dialogue de Shangri-La à Singapour (mai 2025), Hegseth a déclaré aux alliés que la menace chinoise « est réelle et pourrait être imminente » pour tous, en particulier pour Taïwan (voir son discours sur le U.S. Department of Defense, publié en date du 31 mai).
Il a promis de les soutenir à condition qu'ils augmentent leurs dépenses de défense. Cette pression, associée aux conflits entre divers Etats asiatiques et la Chine, alimente une nouvelle course aux armements sans précédent dans la région depuis la Seconde Guerre mondiale. Le secrétaire d'Etat Marc Rubio a renforcé ce message lors de son propre voyage de suivi en Asie.
Enfin, l'administration augmente son propre budget militaire. Trump a porté le budget du Pentagone à 1000 milliards de dollars, avec pour priorité absolue, selon les termes de Hegseth, « de dissuader l'agression de la Chine communiste ».
Les Etats-Unis appuient cette rhétorique par des démonstrations de plus en plus agressives de leur puissance militaire dans la région Asie-Pacifique, dont la plus récente est l'exercice mené tous les deux ans par les Etats-Unis et réunissant 19 pays, baptisé « Talisman Saber », le plus important à ce jour, spécialement conçu pour simuler une guerre avec la Chine.
En outre, l'administration a promis de consacrer des centaines de milliards de dollars à son système de défense « Golden Dome » destiné à intercepter les missiles avancés développés par la Chine. Un tel système, s'il est construit et s'il fonctionne réellement, permettrait aux Etats-Unis de frapper sans craindre de représailles, sapant ainsi la dissuasion de la destruction mutuelle assurée et prédisposant Washington et Pékin à frapper d'abord et à poser les questions ensuite, mettant ainsi en danger toute vie sur Terre.
Obstacles à la hiérarchisation des priorités
L'administration Trump est confrontée à des obstacles objectifs et subjectifs à la mise en œuvre de sa stratégie de hiérarchisation des priorités. De toute évidence, en tant que plus grand empire informel de l'histoire mondiale, avec des intérêts économiques propres, des alliances géopolitiques et 800 bases militaires aux quatre coins du globe, elle aura objectivement du mal à se dégager de son rôle de gendarme mondial pour se concentrer sur Pékin.
A cela s'ajoutent les problèmes subjectifs de l'administration – ses conflits internes, son incohérence et l'idiotie dictée par le slogan « Make America Great Again » (Rendre sa grandeur à l'Amérique) – qui compromettent sa stratégie de hiérarchisation des priorités. Ceux-ci affaibliront encore davantage le capitalisme états-unien et saperont sa domination impériale. (Martin Wolf, « Trump's assault on American greatness, Financial Times, 8 juillet 2025)
Trump est tiraillé dans plusieurs directions. Les protectionnistes comme le conseiller commercial Peter Navarro et le leader du mouvement MAGA Steve Bannon prônent un découplage total avec la Chine. Le secrétaire au Trésor Steve Bessent et le président du Conseil des conseillers économiques de Trump, Stephen Mirran, s'y opposent et veulent simplement un meilleur accord – un accord de Mar-a-Lago [une répétition sur le plan monétaire de l'Accord du Plaza, 22 septembre 1985, entre les Etats-Unis et le Japon, l'Allemagne de l'Ouest et le Royaume-Uni]– pour rééquilibrer le commerce dans le cadre de l'ordre capitaliste néolibéral actuel. Et les capitalistes de la technologie comme Jensen Huang de Nvidia et Elon Musk soutiennent le libre-échange, y compris avec la Chine.
Trump, toujours transactionnel et versatil, balance entre ces factions. Leur conflit a explosé sur la politique économique, Navarro poussant les droits de douane réciproques les plus extrêmes, Musk s'y opposant et dénonçant Navarro comme « un crétin » et « plus bête qu'un sac de briques », Bessent faisant marche arrière dans l'espoir de conclure des accords bilatéraux avec des dizaines de pays, et Trump se vantant que tout ce chaos était un exemple de son « art de la négociation ». Ces conflits ont entraîné des contradictions dans l'offensive du régime contre la Chine, notamment dans ses nouvelles politiques tarifaires. Après avoir cédé aux faucons anti-Chine et joué les durs avec des droits de douane records, il a ensuite fait marche arrière en accordant des concessions aux partisans du libre-échange comme Huang, le PDG de Nvidia, en autorisant la vente des puces de l'entreprise à Pékin.
Huang a plaidé en faveur d'une stratégie différente pour les Etats-Unis afin de maintenir leur domination dans le domaine des hautes technologies, et plus particulièrement dans celui de l'intelligence artificielle (IA). Il soutient que Washington devrait maintenir la Chine dans une situation de dépendance vis-à-vis des puces les moins puissantes de Nvidia afin de l'empêcher de développer les siennes. De cette manière, Washington pourrait à la fois protéger son monopole sur les puces les plus avancées et empêcher Pékin de créer sa propre infrastructure d'IA concurrente qui pourrait supplanter celle des Etats-Unis. Mais cette stratégie a peu de chances d'aboutir, étant donné que la Chine est déterminée à construire précisément une telle infrastructure.
Les faucons de l'administration américaine ont également prévenu que le simple fait pour Pékin d'avoir accès à des puces même moins avancées lui permettrait de les copier et d'accélérer son propre programme. L'issue de ce débat stratégique reste incertaine, mais aucune des deux options ne semble susceptible d'empêcher le développement rapide par la Chine de ses propres puces, de ses entreprises de haute technologie et de ses programmes d'IA. (Suite de l'article publié sur le site Tempest le 24 juillet 2025 ; traduction rédaction A l'Encontre, la suite sera publiée en date du 13 août)
Des contradictions similaires sont apparues dans le traitement réservé par Trump aux alliés et vassaux de Washington. Trump augmente les taxes douanières pour contraindre tous les Etats du monde à se plier aux intérêts des Etats-Unis et à s'opposer à la Chine. Par exemple, son nouvel accord avec le Vietnam empêche ce pays d'être utilisé par la Chine comme base de transbordement de marchandises vers les Etats-Unis afin d'éviter les droits de douane (Financial Times,A. Anantha Lakshmi, 13 juillet 2025).
Les messages confus de Don TACO (« Trump Always Chicken Out » – « Trump se dégonfle toujours »)
Mais une telle intimidation lui aliène les Etats dont Trump a justement besoin pour former un bloc contre la Chine. Il était peu judicieux de déclencher une guerre tarifaire avec la semi-colonie de Washington, le Mexique, et avec son partenaire impérialiste junior, le Canada, qui sont tous deux totalement intégrés à l'économie américaine.
Il était encore moins judicieux d'imposer des droits de douane généraux à des ennemis, des alliés et des îles insignifiantes (îles Heard-et-MacDonald, territoire extérieur de l'Australie situé sur la plaque antarctique) sur le plan économique, habitées uniquement par des pingouins et des phoques. Tout cela n'a fait que pousser les alliés à faire passer leurs intérêts avant ceux des Etats-Unis, perturbant ainsi la formation d'un bloc d'Etats impérialistes pour affronter et contenir la Chine.
Trump a ajouté à la confusion dans sa politique tarifaire en accordant des dérogations à des transnationales comme Apple, puis en ramenant tous les droits de douane réciproques à 10%, un niveau encore sans précédent ces dernières années, et en promettant de nouvelles réductions dans le cadre de négociations bilatérales avec des pays du monde entier.
Cela a valu au président le surnom insultant de TACO, abréviation de « Trump Always Chickens Out » (« Trump se dégonfle toujours »). Sa brève guerre tarifaire avec la Chine a été tout aussi maladroite et contre-productive. Lorsque les Etats-Unis ont imposé des droits de douane de 145% sur les exportations chinoises, la Chine a riposté avec des droits de 125%, perturbant les chaînes d'approvisionnement, ralentissant les deux économies et entraînant des pénuries dans les usines et les rayons des magasins aux Etats-Unis. Une fois de plus, Don TACO a reculé, concluant à Genève le 11 mai un « accord à l'amiable » visant à réduire les droits de douane sur les produits chinois à 30%, tandis que Pékin les ramenait à 20%. La guerre tarifaire erratique menée par Trump contre la Chine a aliéné les capitalistes américains qui dépendent de la chaîne d'approvisionnement chinoise et vendent sur son marché.
La Business Roundtable, la Chambre de commerce, de grandes transnationales comme Apple et des dizaines de petites entreprises ont toutes fait pression sur Trump pour obtenir des exemptions et une réduction des taxes.
En outre, les marchés boursiers et obligataires ont manifesté leur opposition. Les actions ont chuté tandis que les investisseurs se sont débarrassés de leurs obligations, faisant grimper les rendements et, avec eux, les taux d'intérêt à long terme. Trump n'a donc eu d'autre choix que de céder, faisant passer le « Tariff Man » pour un chien qui aboie mais ne mord pas.
Sa nouvelle série d'augmentations tarifaires est empreinte de la même contradiction. D'un côté, il a adressé des lettres sévères à des pays, amis comme ennemis, les menaçant de nouvelles taxes, mais de l'autre, il a repoussé au 1er août la date limite pour la conclusion d'accords commerciaux. [A cette date, l'Union européenne (UE), le Japon ou la Corée du Sud voient ainsi leurs produits taxés à hauteur de 15%, et le Royaume-Uni de 10%, la Suisse 39%, le Canada 35% sauf pour les produits couverts par l'accord de libre-échange entre les trois pays d'Amérique du Nord, Thaïlande 19% (au lieu de 36%), Cambodge 19% (au lieu de 49). Avec la Chine, la trêve a été fixée au 12 août, puis prolongée pour 90 jours. Le Brésil, pour des raisons politiques (procès contre Bolsonaro), est frappé d'une surtaxe de 50%. Le 6 août, Trump a doublé les 25%, les portant à 50%, pour l'Inde, « en réponse à l'achat continu de pétrole russe ». – Réd.]
Rendre la stagflation à nouveau importante
Le « Big Beautiful Bill » (budget) de Trump aggravera les problèmes du capitalisme états-unien et compromettra sa tentative de réaffirmer sa domination. Malgré des mesures d'austérité brutales contre la classe ouvrière, il entraînera une augmentation globale des dépenses, avec une forte hausse des mesures de contrôle aux frontières ainsi que des dépenses de défense, tout en réduisant les impôts des riches et des entreprises. Cela creusera le déficit et la dette.
La baisse plus accentuée en 2025 du salaire annuel des travailleurs constituant le 25% inférieur (quartile) de l'ensemble.
Elon Musk a dénoncé le projet de loi comme « une abomination répugnante ». Il a lancé une guerre sur les réseaux sociaux contre Don TACO, puis a créé un troisième parti pour destituer les républicains qui ont voté en faveur de ce projet. L'agence de notation Moody's a donné raison à Musk en abaissant la note de crédit de Washington, augmentant ainsi la probabilité d'une hausse des taux d'intérêt pour tous, des capitalistes aux propriétaires de petites entreprises, en passant par les professionnels et les travailleurs et travailleuses.
L'offensive de Trump contre les migrants aggravera encore les problèmes économiques des Etats-Unis. Son projet de loi prévoit une augmentation de 170 milliards de dollars du budget consacré à l'immigration, ce qui portera les dépenses annuelles de l'ICE (United States Immigration and Customs Enforcement) à près de 40 milliards (37,5) de dollars, ce qui est plus élevé que le budget militaire de 15 pays. Il a déjà fermé la frontière et lancé des raids dans tout le pays, déclenchant une résistance à Los Angeles et dans tout le pays.
Trump a répondu à cette opposition en déployant 4000 soldats de la Garde nationale, ainsi que 700 marines, pour rejoindre les forces de police de Los Angeles afin de protéger le règne de terreur de l'ICE contre les migrant·e·s. Mais les travailleurs et travailleuses qu'il vise $ expulser sont essentiels à l'économie des Etats-Unis dans tous les secteurs, du conditionnement de la viande à la construction et à l'agriculture.
Toute diminution de présence de la main-d'œuvre dans ces secteurs vitaux entraînera une hausse des salaires, provoquant des pénuries, une augmentation des prix et une hausse de l'inflation. Signe de désespoir, la secrétaire à l'Agriculture Brooke Rollins a lancé une proposition sadique et absurde visant à utiliser de nouvelles exigences en matière de travail obligatoire pour forcer les bénéficiaires de Medicaid à remplacer des millions de travailleurs expulsés. [Dans Politico du 8 juillet, Brooke Rollins déclare : « Avec 34 millions de personnes, des adultes valides bénéficiant de Medicaid (qualifiées comme ayant des ressources limitées ou considérées comme handicapées), nous devrions être en mesure de le faire assez rapidement », faisant référence aux participants à Medicaid actuellement dans le programme qui ne répondent pas encore aux nouvelles exigences de travail du programme de réinsertion. – Réd.]
Face à la menace de perdre leur main-d'œuvre, l'agro-industrie, les barons de l'hôtellerie, les entreprises de construction et d'autres capitalistes ont fait pression sur Trump pour qu'il revienne sur sa décision, ce qu'il a fait, promettant de réduire les rafles sur les lieux de travail et de se concentrer sur les « criminels ». Mais ensuite, sous la pression de son bras droit d'extrême droite, Stephen Miller, il a promis de poursuivre les raids, malgré le fait que la majorité de la population s'y oppose désormais et que 79% considère l'immigration comme une « bonne chose » (Washington Post, 11 juillet 2025).
Les économistes craignent que les politiques de Trump n'affaiblissent la croissance, voire ne déclenchent une récession. Au lieu de stimuler la relance de l'industrie manufacturière aux Etats-Unis, la politique tarifaire erratique et le projet de loi controversé de Trump ont entraîné une contraction des investissements et un gel des embauches, ralentissant une économie déjà stagnante dans un contexte d'inflation persistante [en juillet, l'inflation sous-jacente est à 3,1%] et potentiellement plus élevée en raison de la perturbation des chaînes d'approvisionnement chinoises. Cela a ravivé les craintes d'un nouveau cycle de stagflation, cauchemar des années 1970, qui affaiblirait le capitalisme américain.
Les idioties du MAGA
La guerre idéologique menée par Trump contre la bureaucratie étatique, les institutions sociales et les agences de soft power impérial compromettra encore davantage la domination des Etats-Unis. Elle supprime, réduit et purge des ministères clés, du FBI à la CIA, en passant par l'armée et le département d'Etat, afin de se débarrasser de tout garde-fou qui entrave son autoritarisme.
Ce faisant, Trump rend inopérantes des parties essentielles de l'Etat qui font respecter et accepter la domination des Etats-Unis. Par exemple, il a vidé de sa substance Voice of America, un média clé que les Etats-Unis ont historiquement utilisé pour diffuser leur propagande contre leurs adversaires et séduire leurs opposants nationaux afin qu'ils considèrent à tort Washington comme un allié dans leurs luttes.
La Chine et la Russie se sont réjouies. L'ancien rédacteur en chef du Global Times chinois a déclaré que c'était « vraiment gratifiant », tandis que le rédacteur en chef de la chaîne russe RT (Russia Today) a qualifié cette décision d'« impressionnante ». Pékin et Moscou injectent davantage d'argent pour combler le vide et gagner en influence mondiale.
L'assaut tous azimuts de Trump contre l'enseignement supérieur, en particulier les institutions d'élite comme Harvard, va également saper la suprématie états-uniennes. Lui et surtout J.D. Vance, qui a prononcé en novembre 2021 un discours tristement célèbre intitulé « Les universités sont l'ennemi », méprisent ces institutions parce qu'elles reproduisent l'establishment capitaliste libéral, qu'ils considèrent comme leur ennemi mortel.
Trump a justifié cette attaque en invoquant de fallacieuses accusations d'antisémitisme et une prétendue hésitation de ces institutions à écraser le mouvement de solidarité avec la Palestine. Sous ce prétexte, il a réduit leur financement, exigé qu'elles réécrivent leurs programmes et appelé à la suppression de leurs dispositifs en faveur de la diversité, de l'équité et de l'inclusion.
Cette attaque contre l'enseignement supérieur affaiblira l'impérialisme des Etats-Unis. Elle perturbera la reproduction de la classe dirigeante, de ses idéologues et de ses professionnels. Et elle empêchera la formation de secteurs de salariés qualifiés, décisifs pour que les Etats-Unis puissent dominer leurs concurrents dans le domaine des hautes technologies.
Ces institutions sont au cœur du complexe militaro-industriel, en particulier dans les domaines des sciences, de la technologie, de l'ingénierie et des mathématiques (STEM). La réduction de leur financement sapera les efforts des Etats-Unis pour gagner « la guerre des puces » contre la Chine. Les répercussions ne seront pas seulement supportées par les écoles d'élite et leurs étudiants fortunés des Etats bleus (démocrates), mais aussi par les universités publiques et les étudiants issus de la classe ouvrière des Etats rouges (New York Times, 12 juin 2025)
Pire encore pour l'impérialisme états-unien, la chasse aux sorcières menée par Trump contre les étudiants étrangers, en particulier chinois, ainsi que contre les scientifiques internationaux, les poussera à quitter le pays, privant ainsi les universités et les entreprises d'une source essentielle de talents internationaux, en particulier dans les domaines des STEM (science, technology, engineering and mathematics). Déjà, les concurrents de Washington, de l'Europe à la Chine, recrutent des étudiants chinois en leur offrant des financements et des emplois lucratifs, ce qui fait paniquer la classe dirigeante qui redoute une fuite des cerveaux.
L'offensive de Trump contre la science compromettra également la suprématie des Etats-Unis. Il ne se contente pas de supprimer le financement de la recherche scientifique dans l'enseignement supérieur, mais aussi à la National Science Foundation, aux National Institutes of Health, à l'Environmental Protection Agency, à la National Oceanic and Atmospheric Administration, au National Weather Service et à la Federal Emergency Management Agency (FEMA).
Ces coupes budgétaires paralyseront la recherche essentielle non seulement aux entreprises, mais aussi à la sécurité et à la santé publiques, déstabilisant ainsi la société. Avec la FEMA et d'autres agences paralysées, les tragédies causées par le changement climatique, comme la mort par noyade de plus d'une centaine de personnes lors des récentes inondations soudaines dans le centre du Texas, qui auraient pu être évitées avec des réglementations, des précautions et des alertes appropriées, se multiplieront dans tout le pays.
La démolition de l'USAID par Trump, ainsi que le retrait de la plupart des institutions et accords multilatéraux, notamment l'Organisation mondiale de la santé (OMS), les accords de Paris sur le climat et presque toutes les agences des Nations unies, compromettent fondamentalement le soft power de Washington et sa capacité à gagner des alliés et à soumettre les autres à son projet impérialiste contre la Chine. Au contraire, cela isolera et discréditera les Etats-Unis et incitera encore plus d'Etats à les considérer avec suspicion.
La politique « America First » de Trump a déjà conduit des puissances à tracer leur propre voie, en donnant la priorité à leurs intérêts économiques, politiques et militaires. Cela conduira à son tour à une intensification des conflits entre les Etats à travers le monde. Il sera également plus difficile pour les Etats-Unis de faire pression sur leurs alliés de principe, comme l'Europe et le Japon, pour qu'ils limitent leurs échanges commerciaux avec la Chine. En conséquence, le régime Trump n'aura plus que le « pouvoir dur » (par opposition au « solf power »), l'intimidation économique et militaire.
Plutôt que de restaurer la domination états-unienne, la mise en œuvre incohérente de la stratégie de hiérarchisation par le régime risque d'accélérer son déclin relatif. Fiona Hill, qui a servi dans la première administration Trump, est allée jusqu'à comparer son ancien patron à Boris Eltsine, qui a supervisé l'effondrement de l'Union soviétique en 1991, déclarant : « Trump est en train de déconstruire les Etats-Unis, tout comme Eltsine a déconstruit l'Union soviétique. » (New York Times, 22 juillet 2025)
La Chine affronte Trump
Consciente de sa position de force vis-à-vis des Etats-Unis, la Chine a tenu tête à l'agressivité de Trump et a exploité les contradictions de son administration. Elle a mis en échec sa stratégie sur les droits de douante, répondant à chacune de ses augmentations par des hausses similaires, y compris celles visant les Etats républicains.
Elle a joué son atout majeur : son quasi-monopole sur le traitement des terres rares et des aimants permanents (qui font appel aux terres rares), composants essentiels de tout, des voitures aux avions de combat américains comme le F-35. Elle a suspendu ses exportations, paralysant ainsi la production civile et militaire.
La Chine a poussé Trump à conclure un « accord à l'amiable » prévoyant une pause de 90 jours afin de permettre la tenue de négociations en vue d'un accord commercial. Trump a manifesté une hésitation dans la confrontation, Xi Jinping de même. Avec une économie qui peinait déjà à maintenir sa croissance, Xi Jinping ne pouvait se permettre une cessation quasi totale des échanges commerciaux avec les Etats-Unis. Malgré une augmentation des exportations vers l'Europe et l'Asie du Sud-Est et une croissance globale modeste, la perte des marchés états-uniens a désorganisés les entreprises chinoises.
Mais leur accord a volé en éclats lorsque la Chine a limité la vente de métaux rares et que les Etats-Unis ont riposté en interdisant l'exportation de puces, de logiciels essentiels et de pièces détachées pour la construction d'avions chinois [Nvidia propose toutefois de pouvoir exporter en Chine, pas son haut de gamme mais ses produits moins sophistiqués tout en proposant une taxe de 15% de taxe sur les revenus de ces exportations à verser au gouvernement des Etats-Unis – réd.]. Leurs économies étant en péril, les deux pays ont de nouveau hésité, promettant de rétablir leur accord et de poursuivre les négociations commerciales bilatérales en vue d'un accord final [délai prolongé à nouveau de 90 jours le 11 août par l'administration Trump]. Néanmoins, la Chine a démontré la faiblesse de Trump.
Xi a exploité l'abandon par la nouvelle administration de la supervision de l'ordre néolibéral de la mondialisation du libre-échange en se posant comme son défenseur. Il s'est engagé à être, contrairement à Washington, un partenaire commercial fiable pour le reste du monde.
Bien sûr, cette attitude n'était guère désintéressée, car la Chine a été l'un des principaux bénéficiaires de cet ordre et a désespérément besoin d'accéder aux marchés internationaux pour exporter son capital et ses produits. En effet, la Chine a compensé la perte des marchés américains en réorientant ses exportations vers le reste du monde, atteignant un excédent commercial record de 586 milliards de dollars.
Xi a également profité de la décision stupide de Trump de lancer sa guerre commerciale contre tous les pays à la fois en proposant des accords diplomatiques et commerciaux aux Etats d'Asie, d'Amérique latine, d'Afrique et d'Europe. Mais la réponse des Etats à travers le monde a été contradictoire. Ils ont à la fois salué les offres de la Chine et exprimé leur inquiétude quant au fait qu'elle les utilise pour exporter ses excédents vers leurs marchés, ce qui nuirait à leurs entreprises.
Le Brésil s'est récemment rallié à la Chine dans une défense commune du libre-échange, mais l'année dernière encore, il enquêtait sur Pékin pour cause de dumping, tandis que ses entreprises sidérurgiques réclamaient une augmentation des droits de douane afin de protéger leur industrie et leur part de marché.
Enfin, Xi a répondu au militarisme accru de Trump par des affirmations agressives de la puissance militaire de la Chine. La Chine a intensifié ses exercices militaires autour de Taïwan, envoyé des navires en Australie dans le cadre d'un exercice naval sans précédent, exacerbé ses conflits avec les Philippines et d'autres Etats de la mer de Chine méridionale au sujet d'îles contestées, et même déployé deux porte-avions dans les eaux économiques japonaises. (Suite de l'article publié sur le site Tempest le 24 juillet 2025 ; traduction rédaction A l'Encontre, la suite sera publiée en date du vendredi 15 août)
La rivalité entre les Etats-Unis et la Chine englobe désormais le monde entier, du Groenland au Panama, en passant par l'Arctique, l'Antarctique et même l'espace (les différends entre la Chine et les Etats-Unis portent sur la présence militaire dans l'espace, entre autres l'armement antisatellite). Ils sont engagés dans une concurrence acharnée dans des théâtres conflictuels clés en Europe, au Moyen-Orient, en Afrique et en Amérique latine.
Escalade de la rivalité mondiale
En Europe, Trump avait espéré conclure un accord avec Vladimir Poutine pour le partage de l'Ukraine, peut-être dans le but de détacher la Russie de son alliance avec la Chine. Mais sa proposition a été rejetée par Moscou, qui semble déterminé à annexer autant de territoire que possible, quel qu'en soit le coût en vies humaines pour la Russie et l'Ukraine. [Un élément de constat devrait ressortir après la réunion bilatérale qui se tient à Anchorage, Alaska, ce 15 août – réd.]
La Chine reste attachée à son « amitié sans limites » avec la Russie, soutenant son économie contre le régime de sanctions. De son côté, Kiev est opposé à la partition de son pays, a refusé tout accord sans garanties de sécurité. L'Ukraine continue de défendre sa souveraineté face à l'agression incessante de la Russie et a réussi à lancer une attaque de drones en juin 2025 contre la flotte de chasseurs-bombardiers de Moscou.
Mais Trump a remporté quelques victoires, notamment en faisant pression sur ses alliés de l'OTAN pour qu'ils augmentent leurs dépenses de défense à hauteur de 5% de leur PIB et se réarment à un rythme effrayant [les pays de l'UE, par exemple, accroissent leurs achats d'armement aux grands groupes des Etats-Unis, ce qui est sous-jacent à l'objectif des 5% des Trump – réd.]. En conséquence, l'Ukraine continuera d'être une source de conflit interimpérialiste autour d'une lutte de libération nationale qui pourrait dégénérer en une guerre impliquant plusieurs grandes puissances.
Au Moyen-Orient, les Etats-Unis étaient jusqu'à présent l'hégémon incontesté, mais la Chine est une puissance montante. Comme Pékin dépend du pétrole et du gaz naturel de la région pour son énergie et son industrie pétrochimique, elle a établi des relations politiques et économiques avec tous les acteurs de la région, de l'Iran aux Etats du Golfe en passant par Israël.
Biden et maintenant Trump ont utilisé la guerre génocidaire d'Israël pour réaffirmer la puissance des Etats-Unis dans la région et affaiblir le soi-disant « axe de la résistance », décimant le Hezbollah, affaiblissant l'Iran et concluant des accords avec les rebelles qui ont renversé la dictature syrienne. Trump espérait consolider la domination états-unienne grâce à une « solution finale » à Gaza, à des accords économiques avec les Etats arabes, à l'extension des accords d'Abraham visant à normaliser leurs relations avec Israël et à un nouveau pacte nucléaire avec l'Iran, afin de pouvoir donner la priorité à la Chine.
Cependant, une résistance palestinienne demeure. De plus, l'adhésion des masses arabes de la région à la « cause palestinienne » et leur opposition à la normalisation impliquent leur hostilité à leurs dirigeants qui vivent dans le luxe alors qu'elles sombrent dans la pauvreté. Lorsque les négociations sur le nucléaire avec l'Iran ont achoppé, Israël a saisi l'occasion pour lancer une guerre éclair (le 13 juin), non seulement contre les installations nucléaires de Téhéran, mais aussi contre ses dirigeants, son armée et ses scientifiques.
Trump a alors décidé de soutenir l'attaque et a largué (les 21-22 juin) plusieurs des plus grosses bombes conventionnelles de l'armée américaine, les Massive Ordnance Penetrator (GBU-57), afin de détruire les installations nucléaires iraniennes, notamment celle de Fordow, enfouie profondément sous une montagne. Trump a toutefois limité son action à une attaque ponctuelle, au lieu de tenter un changement de régime, qui aurait entraîné Trump dans une guerre gigantesque et sapé le soutien de sa base MAGA isolationniste.
Trump s'est maintenant engagé à reprendre les négociations avec l'Iran, dans l'espoir de parvenir à un accord sur son programme nucléaire. Reste à voir si le régime iranien, divisé entre ceux qui veulent fabriquer une bombe et ceux qui préfè

Conçu pour dominer. Palantir Technologies, bras armé numérique de la répression mondiale
L'entreprise Palantir Technologies, notamment fondée par Peter Thiel, conçoit l'infrastructure de la répression, et nous explique pourquoi dans ses campagnes de publicité. Théoricien du fascisme tardif, le philosophe Alberto Toscano analyse à partir de ce cas les noces de la Big Tech et de l'extrême droite nationaliste mais aussi les rêves de fusion entre un État policier et le capital.
Alberto Toscano 17 juillet 20250 revue Contretemps.
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Une nouvelle campagne de recrutement a fait son apparition sur les campus des universités les plus prestigieuses des États-Unis. Par exemple, à l'Université Cornell à Ithaca (une petite ville universitaire située à environ 280 km au nord-ouest de New York) et à l'Université de Pennsylvanie à Philadelphie, des affiches sombres affichées aux arrêts de bus affichaient un avertissement inquiétant : « L'heure de vérité a sonné pour l'Occident ». Elles reprochaient aux géants de la tech de négliger « l'intérêt national » lorsqu'ils décident de « ce qui doit être construit ».
À l'inverse, Palantir[1], le sous-traitant de la défense spécialisé dans l'analyse de données à l'origine de ces affiches, déclarait qu'il ne se contentait pas de créer des produits technologiques « pour assurer l'avenir de l'Amérique », mais « pour dominer ».
Le message implicite de ces publicités fait écho à la conviction des dirigeants de Palantir, dont le fondateur Peter Thiel (1967) et le PDG Alex Karp (1967), selon laquelle la véritable mission de la Silicon Valley est de consolider la suprématie militaire des États-Unis et de l'Occident – une nostalgie réactionnaire de la fusion entre l'État, l'ingénierie et le capital qui caractérisait la Guerre froide.
Dans cette version du nationalisme technologique, rendre sa grandeur à l'Amérique se traduit certes par une volonté de dominer ses adversaires étrangers, mais aussi par une offensive contre le « capital woke », le consumérisme jugé efféminé et un système universitaire dédié à la justice sociale et à la diversité. (Les affiches de Palantir ont été publiées parallèlement à une nouvelle initiative visant à attirer des lycéens et des lycéennes obtenant d'excellents résultats scolaires pour qu'ils « échappent à l'endoctrinement » de l'enseignement supérieur au profit d'une bourse Palantir de quatre mois.)
Palantir a de solides raisons de se lancer dans une vague de recrutements. Bien que ses détracteurs se soient réjouis lorsque son action a brièvement chuté après les annonces de droits de douane de l'administration Trump, elle a depuis triplé sa valeur par rapport à celle qu'elle avait lors de l'élection présidentielle de novembre. Et le talent de l'entreprise pour cultiver des relations de haut niveau au sein de la sécurité nationale lui a rapporté une manne de contrats gouvernementaux liés à l'autoritarisme croissant de Trump.
Palantir s'est déjà associée à SpaceX, l'entreprise d'Elon Musk (1971), et à Anduril [2], un sous-traitant spécialisé dans l'IA et la robotique, pour commencer à construire le « Golden Dome » de Trump une version étatsunienne du système de défense aérienne israélien Iron Dome. Elle travaille également avec le Department of Government Efficiency (Département de l'efficacité gouvernementale) de Musk pour créer une interface de programmation d'applications [3] permettant au Department of Homeland Security (Département de la Sécurité intérieure) de passer au crible les données de l'IRS afin de trouver des contribuables sans papiers à expulser.
En avril, Palantir, qui entretient depuis longtemps des partenariats avec l'armée, la police et les services de contrôle des frontières, a remporté un contrat de 29,8 millions de dollars avec l'ICE afin d'améliorer son « Immigration Lifecycle Operating System » [4] — un système dystopique, qui fournit des informations détaillées sur les immigrants que le gouvernement souhaite surveiller, détenir et expulser.
L'entreprise s'apprête également à réorganiser le système de gestion des enquêtes de l'ICE afin de mieux suivre les « populations » ciblées à travers des centaines de catégories de données, allant de la couleur des yeux et des tatouages à l'adresse professionnelle et au numéro de sécurité sociale. Certains anciens employés, alarmés par le travail de l'entreprise en faveur du programme répressif de Trump, ont récemment publié une lettre ouverte, intitulée « The Scouring of the Shire » (Le Nettoyage de la Comté)[5], avertissant que Palantir – et plus largement les géants de la tech – « normalise l'autoritarisme sous le couvert d'une « révolution » menée par des oligarques ».
Le travail de Palantir dans le domaine de la R & D fasciste ne s'arrête pas aux frontières des États-Unis ; l'entreprise et Karp ont clamé haut et fort leur soutien idéologique et matériel à Israël alors que celui-ci mène son génocide à Gaza. Lors d'une réunion extraordinaire du conseil d'administration à Tel Aviv en janvier 2024, l'entreprise a vanté son partenariat stratégique avec le ministère israélien de la Défense, auquel elle fournit des technologies de combat, notamment sa plateforme d'intelligence artificielle qui serait utilisée pour la prise de décisions en temps réel sur les zones de guerre, grâce à des agents conversationnels automatisés. La direction de Palantir a clairement indiqué que sa conception de la suprématie occidentale impliquait la défense intransigeante du sionisme à l'étranger et du nationalisme d'extrême droite dans son pays.
À travers tout cela, Palantir est devenue l'exemple même de l'adhésion de l'industrie technologique au nationalisme autoritaire, bien plus que les saluts nazis de Musk, son pro-natalisme digne des tabloïds et ses trolls « dark MAGA »[6]. Comme l'écrit le chercheur en technologies Jathan Sadowski, « depuis sa création, Palantir a pour objectif de fournir […] la « couche ontologique » du fascisme, en contribuant à donner une réalité matérielle à ses objectifs idéologiques ».
En d'autres termes, Palantir crée une infrastructure numérique au service des multiples formes de violence et de contrôle étatiques sur lesquelles repose l'autoritarisme contemporain, des logiciels facilitant les expulsions massives à l'IA utilisée dans des guerres contre des peuples colonisés.
Moins d'un mois après la reprise du pouvoir par Trump, Karp a publié son nouveau livre, The Technological Republic : Hard Power, Soft Belief, and the Future of the West, un curieux mélange, à la fois foisonnant et verbeux, de manifeste néoconservateur et de brochure promotionnelle. Au centre de ce livre se trouve une version technologique de la sempiternelle plainte de la droite : selon Karp, les élites libérales « woke », les étudiant.es contestataires et même des intellectuels comme Edward Said (1935-2003) auraient « émasculé » l'Occident et affaibli son élan technologique, précisément au moment où celui-ci doit faire face à la révolution de l'IA et à la montée de l'hégémonie chinoise.
Mais derrière toute cette rhétorique stéréotypée sur la guerre culturelle, il n'est pas difficile de discerner la colère de Karp face à la résistance organisée des travailleurs et des travailleuses du secteur technologique – à travers des campagnes telles que #NoTechForIce[7] ou Tech Workers Coalition – contre le projet de bâtir l'arsenal du fascisme. Ici, l'idéologie se confond avec un argumentaire commercial.
Palantir ne tire pas seulement profit de la peur — qu'il s'agisse des migrant.es, de l'IA ou des guerres à venir menées par des essaims de drones — qui pousse les gouvernements à délier les cordons de la bourse ; elle tire aussi parti du simple battage médiatique autour de son modèle commercial dystopique, qui promet de fusionner l'analyse des données et la violence étatique.
La capitalisation boursière de l'entreprise a plus que quintuplé au cours de l'année écoulée et dépasse désormais 290 milliards de dollars, bien au-delà de la croissance de son chiffre d'affaires. Cet écart est comblé par la spéculation sur l'avenir — un avenir que Palantir présente comme un choix entre la suprématie étatsunienne et la domination chinoise.
Derrière toutes les plaintes de Karp sur une crise occidentale de la « croyance », ce en quoi il veut vraiment nous faire croire, c'est en Palantir : une nouvelle interface brillante pour le bon vieux commerce du racisme, de la répression et de la guerre.
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Publié initialement le 4 juin 2025 sur le site In These Times. Traduit de l'anglais pour Contretemps par Christian Dubucq.
Alberto Toscano enseigne à la School of Communications de l'Université Simon Fraser et codirige le Centre for Philosophy and Critical Theory de Goldsmiths, Université de Londres. Il a récemment publié Late Fascism : Race, Capitalism and the Politics of Crisis (Verso), Terms of Disorder : Keywords for an Interregnum (Seagull) et Fanaticism : On the Uses of an Idea (Verso, 2010 ; 2017, 2e éd.). Il a également traduit les travaux d'Antonio Negri, d'Alain Badiou, de Franco Fortini et de Furio Jesi. Il vit à Vancouver.
Illustration : Wikimedia Commons.
Notes
[1] Palantir Technologies Inc. est une entreprise étatsunienne fondée en 2003 et cotée au Nasdaq. Elle fournit aux administrations publiques (défense, renseignement, police, immigration) des plateformes d'analyse de données massives (Gotham, Foundry, AIP). En 2024, elle a généré 2,87 milliards $ de chiffre d'affaires, avec 214 M $ de bénéfice au 1ᵉʳ trimestre 2025. Son action a bondi de + 73 % depuis le début de l'année, propulsant sa capitalisation à près de 300 milliards $, ce qui la place parmi les 40 entreprises les mieux valorisées au monde. Cette explosion financière est soutenue par des contrats lucratifs avec l'ICE (30 M $ en avril) et le Pentagone (178 M $ en mars), ainsi qu'un rôle majeur dans l'essor de l'IA – un succès économique inquiétant pour les militant·e·s des droits humains, qui dénoncent une surveillance de masse et des dérives autoritaires.
[2] Anduril Industries est une entreprise étatsunienne fondée en 2017, spécialisée dans les systèmes autonomes pour la défense (drones aériens et sous-marins, surveillance, lanceurs de roquettes), pilotés par sa plateforme logicielle « Lattice ». En juin 2025, sa valorisation a atteint 30 milliards $ après une levée exceptionnelle de 2,5 milliards $. Elle collabore désormais avec de grandes entreprises de défense, comme Rheinmetall, pour produire des drones en Europe, et affiche un vaste portefeuille de contrats et projets (défense étasunienne, marine australienne, etc.), ce qui lui confère une puissance militaire et industrielle croissante.
[3] En avril 2025, la revue WIRED révèle que Palantir collabore avec le Department of Government Efficiency (DOGE), initiative menée par Elon Musk, pour développer une grande interface unique permettant d'accéder à toutes les bases de données de l'IRS (l'agence fiscale étatsunienne chargée de la collecte des impôts et du contrôle fiscal). Ce projet vise à centraliser des données fiscales sensibles — noms, adresses, numéros de sécurité sociale, déclarations d'impôt — et à créer une plateforme où le logiciel Foundry de Palantir servirait de centre de lecture unique des systèmes de l'IRS, ce qui soulève de vives inquiétudes quant à la concentration et la sécurisation des données privées. Voir Makena Kelly, « Palantir Is Helping DOGE With a Massive IRS Data Project », WIRED, 11 avril 2025.
[4] Immigration Lifecycle Operating System (ILOS) : plateforme numérique créée par Palantir pour l'agence ICE, utilisée pour ficher, traquer et faciliter l'expulsion de personnes migrantes. Présentée comme un outil d'« efficacité », elle incarne la dérive sécuritaire et raciste de la technologie au service de politiques migratoires répressives et déshumanisantes. Voir https://notechforice.com.
[5] « The Scouring of the Shire » (« Le Nettoyage de la Comté ») est l'avant-dernier chapitre du Seigneur des Anneaux de Tolkien, où les hobbits rentrent chez eux pour découvrir la Comté corrompue par Saruman. Grâce à leurs liens communautaires, ils renversent ce régime oppressif, menant une double quête morale : détruire l'Anneau et défendre leur foyer.
[6] Le terme « dark MAGA » désigne un mouvement politique en ligne, soutenu notamment par Elon Musk et certaines figures de la tech, mariant une esthétique gothique noire (casquettes noires, montages rouge et noir, yeux laser sur des portraits de Trump) à des idées ouvertement fascistes. Ce style s'appuie aussi sur des symboles comme le Sonnenrad (le « Soleil noir » nazi utilisé à l'origine par les SS et repris aujourd'hui dans des milieux néonazis et suprémacistes blancs) et des runes SS, utilisés pour renforcer une imagerie d'extrême droite radicale dans des mèmes viraux, redéfinit la rhétorique MAGA en y injectant des codes néo-nazis.
[7] #NoTechForICE est une campagne lancée en 2018 par l'organisation Mijente, visant à mettre fin aux contrats passés entre des entreprises technologiques (comme Palantir, Amazon ou Microsoft) et l'agence étatsunienne ICE (Immigration and Customs Enforcement), afin de dénoncer l'usage de technologies de surveillance et de bases de données au service des politiques d'expulsion et de détention des personnes migrantes. Voir https://notechforice.com.
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Les systèmes militaro-industriels pourraient représenter des noyaux totalitaires de notre société »
Dans un contexte marqué par l'intensification des conflits interimpérialistes et des projets de militarisation de l'économie, nous avons souhaité avoir le point de vue de Claude Serfati sur l'actualité politique et économique internationale. Entretien de Hélène Marra et Nicolas Menna avec Claude Serfati.
Votre travail sur l'industrie militaire et sa fonction géopolitique semble résonner avec la situation actuelle. Nous vivons, depuis plusieurs décennies, une crise de la rentabilité du capital, la persistance de la guerre et même son aggravation. Les foyers se situent en Moyen-Orient, en Afrique et désormais aussi en Europe avec l'agression russe en Ukraine. Suite au désengagement militaire des États-Unis, les États européens, ayant abandonné la perspective d'un capitalisme vert, semblent prêts à engager un « tournant militariste » sous prétexte de faire face à la menace russe.
Juin 2025 | tiré du site d'Inprecor
https://inprecor.fr/sites/default/files/2025-07/733-web.pdf
Je pense qu'il faut partir du fait que l'élection de Trump et les mesures qu'il a prises ouvrent une période de chaos et de marche vers des territoires incontrôlés. Trump même ne sait pas exactement où ça mènera mais, comme on dit en français, « il faut que ça passe ou que ça casse ». Plutôt que de s'intéresser aux traits de caractère psychologiques ou pathologiques du personnage, il faut, au contraire, replacer le rôle des individus dans l'histoire par rapport à la situation. Il ne pouvait y avoir qu'un individu comme Trump pour casser ce qui est à casser pour les besoins du capitalisme américain.
Depuis la fin des années 2000, le capitalisme est entré dans une nouvelle situation – c'est ce que j'appelle « le moment 2008 » qui s'est traduit à la fois par une crise économique et financière et par le ralentissement considérable de l'accumulation du capital que vous venez de rappeler. Le deuxième élément fondamental est le recul géopolitique et économique des États-Unis face à l'émergence de la Chine, tandis que le troisième ce sont les limites physico-environnementales que la nature dresse face aux prétentions du capital. Dès lors, l'accumulation ne peut se faire qu'en violant de plus en plus les lois de la nature. Les bases de données de l'intelligence artificielle consomment 3 % de la consommation énergétique totale des États-Unis en 2024. Les prévisions pour les années à venir, c'est-à-dire avant 2030, sont estimées à 8 %, et jusqu'à 12 % selon le département d'énergie des États-Unis. Cela a des conséquences sur la destruction de la nature et la raréfaction des ressources et explique l'urgence avec laquelle Trump a déclaré sa volonté d'annexer le Groenland et le Canada, précisément dans le but d'élargir les bases de ressources minérales des États-Unis.
Cette situation existe depuis le « moment 2008 » mais les réponses données par l'administration américaine, sous Obama et ensuite Biden, cherchaient à contenir l'irrésistible ascension économique, géopolitique et donc militaire de la Chine, tout en continuant à s'appuyer sur ce que j'appelle « le bloc transatlantique », c'est-à-dire en reproduisant l'ordre libéral, économique international qui prévalait depuis 1945. Cette stratégie n'a pas permis de contenir l'ascension de la Chine ni le recul des États-Unis et encore moins la dévastation environnementale qui rend l'accès aux ressources de plus en plus difficile. C'est donc, dans ce contexte, qu'un personnage caractériel comme Trump se lance dans une fuite en avant qui conduit vers un précipice dans lequel l'économie mondiale et l'humanité risquent d'être englouties. Trump sème le chaos mais il n'a aucune certitude qu'il en récoltera les bénéfices.
C'est là que les personnages rencontrent les lois de l'histoire : le court-termisme de Trump est à l'image du court-termisme de l'horizon du capital étatsunien. Celui-ci n'a plus de vision stratégique, sauf celle de briser l'essor économique et géopolitique de la Chine avant 2030. Helvétius, le grand encyclopédiste des Lumières français, dit que « l'évolution sociale a besoin de grands hommes et quand elle ne les trouve pas, elle les invente ». Cette formule est reprise par Marx dans Les luttes classes en France entre 1848 et 1850. Elle résume bien la relation entre les grands hommes dans l'histoire et les lois structurelles fondamentales du capitalisme.
Vous considérez donc cet affrontement entre les États-Unis et la Chine comme central pour comprendre la dynamique du capital mondial. Comment la politique européenne s'inscrit-elle là-dedans ? Comment interprétez-vous l'annonce des 800 milliards d'euros d'investissement dans le cadre du plan de réarmement de l'Europe ? Que dire de la reconversion militaire de l'Allemagne pour faire face à la crise du secteur de l'automobile ? Comment l'Europe compte-t-elle rester dans la course mondiale dans le contexte de pénurie qu'on a évoqué à l'instant ?
Le fait qu'il s'attaque également à l'Europe est sans doute l'aspect le plus surprenant de la politique de Trump et c'est ce qui a beaucoup terrorisé les dirigeant·es européen·nes. C'est très important, pour votre revue et pour mener les discussions théoriques sur ces questions, de comprendre que, contrairement à ce que certain·es ont longtemps cru, il n'y avait pas un seul super-impérialisme dans le monde qui tendait à vassaliser les bourgeoisies européennes.
Comme je l'ai écrit régulièrement depuis les années 1990, ma position a toujours été celle d'identifier les rivalités inter-impérialistes, non pas uniquement avec la Chine mais également au sein du bloc transatlantique. Bien sûr, la domination militaire des États-Unis empêchait l'éclatement d'une guerre entre ces pays, ce qui a conduit, à tort, une bonne partie du courant marxiste à décréter la fin des guerres inter-impérialistes. Aujourd'hui, on assiste à cette situation extraordinaire qui nous autorise à nous poser une question presque taboue : peut-il exister une guerre armée entre les États-Unis et l'Europe ? Bien sûr, aujourd'hui je réponds non, mais il faut bien comprendre que le simple fait qu'on pose la question donne une mesure de l'ampleur des rivalités inter-impérialistes et du rôle joué par l'offensive de Trump.
C'est une dimension très importante, qui « donne des prétextes » aux dirigeants de l'UE pour accélérer la militarisation. Je ne dirais pas à remilitariser, parce qu'en fait elle est déjà militarisée depuis longtemps. Je me suis attelé à expliquer que si on ne peut pas parler d'un impérialisme européen au singulier, il faut surtout se garder de considérer qu'il n'y avait pas d'impérialismes en Europe. Vous avez cité l'Allemagne, la France, et on aurait pu citer aussi le Royaume-Uni. Dans une mesure bien plus restreinte, on voit que les jeux géopolitiques autour de la Libye montrent que même l'Italie, qui est pourtant un vestige d'impérialisme, a encore ses ambitions.
S'il n'y a pas de rupture, le plan « réarmer l'Europe » est néanmoins très important. Dans l'article disponible dans la revue du Conseil scientifique d'Attac publié en juin 20241, j'évoque des lignes de force qui me paraissent encore pertinentes un an après. D'une part, l'Union européenne a militarisé son territoire en augmentant les dépenses militaires de plus de 50 % depuis 2014. D'autre part, même si on regarde les dépenses militaires de l'Union européenne aujourd'hui, en parité de pouvoir d'achat2, elles sont plus importantes que celles de la Russie.
Je ne théorise pas cela en disant que l'Europe est plus armée que la Russie, ça serait absurde, mais c'est tout aussi absurde d'expliquer que l'Europe ne dépense pas assez pour faire face à la Russie lorsqu'on connaît ces chiffres. Il y a donc indéniablement une poussée militariste, une accentuation d'un processus en cours depuis les années 2010. Il y a cette masse énorme d'argent qui est annoncée et la reconnaissance, par la Commission elle-même, qu'il incombe aux États membres de prendre en charge à la fois l'essentiel des dépenses et la responsabilité de la militarisation. Cette augmentation des dépenses va principalement faire croître, engrosser et engraisser les systèmes militaro-industriels nationaux, et principalement ceux qui existent en France et en Allemagne, d'un côté, et au Royaume-Uni de l'autre côté.
J'ouvre ici une parenthèse : j'ai regardé le plan allemand qui supprime l'interdiction du déficit budgétaire. S'il y a bien une militarisation accrue de l'Allemagne comme de la France, une différence majeure existe : plus de la moitié de ces mille milliards est consacrée à la transition énergétique et aux infrastructures pour l'amélioration des routes, des voies de transport, etc. On voit bien que, par rapport à l'industrie française qui est de plus en plus recroquevillée sur l'armement, l'Allemagne ne peut pas renoncer, sous peine de périr, à son objectif d'être la plus puissante économie de l'UE et sans doute la deuxième au monde. Au contraire, le mode d'existence de la France, tel qu'il apparait de plus en plus, c'est de préserver son statut international militaire et donc de renforcer son système militaro-industriel. Avec les conséquences dramatiques de « guerre sociale » contre les droits des salarié·es, des immigré·es et de la jeunesse ainsi que des menaces contre les libertés démocratiques. Il y a donc un plan général, tous les pays se militarisent, mais avec des spécificités nationales.
Il faut donc faire une distinction entre un militarisme économique comme celui de l'Allemagne, première puissance européenne, et un militarisme français au sens le plus exact du terme. La France apparait aujourd'hui comme un impérialisme en crise qui perd son influence en Afrique et souffre de la concurrence économique de l'Allemagne et des autres puissances.
Oui, c'est très important. L'économie française est la seule déficitaire des 15 pays de la zone euro, qui affichent tous des excédents commerciaux, c'est-à-dire qu'elle achète beaucoup plus au reste du monde ou aux européens qu'elle ne leur vend. De plus, les échanges commerciaux de la France sont déficitaires avec tous les pays de l'eurozone, ce qui reflète l'écart de compétitivité entre l'industrie française et les autres industries européennes comme l'industrie allemande bien sûr mais aussi l'italienne où l'industrie manufacturière est supérieure à celle de la France. Cette dernière accumule, depuis 2008, un déficit commercial cumulé de 500 milliards d'euros avec l'eurozone.
L'affaiblissement de la France n'est donc pas seulement vis-à-vis de la Chine ou des États-Unis, il est vraiment au sein même de ce qui a constitué la stratégie française depuis 50 ans, c'est-à-dire faire de l'Europe un tremplin de puissance pour la France. On s'est très vite aperçu, à partir des années 1990, que cette ambition de dominer l'Europe était illusoire. Les gouvernements se sont alors nourris de l'espoir que l'« avantage compétitif » de la France au sein de l'Europe reposerait sur le militaire.
Puisque la militarisation de l'UE était inévitable, les dirigeants français vivaient dans la croyance que leur pays serait leader dans ce domaine. Or, la France connaissait déjà un recul géopolitique en Afrique, au Liban et au Moyen-Orient mais la guerre en Ukraine a définitivement mis fin à cette illusion que la France pourrait jouer le rôle du régent de la défense européenne. En effet, si l'industrie française s'est construite autour du militaire, cette stratégie a toutefois fini par avoir des effets désagrégateurs sur l'ensemble de l'industrie civile, ce qui n'est pas du tout le cas de l'Allemagne, comme je l'ai documenté depuis longtemps3.
Quand l'Allemagne décide d'engager un plan de 1 000 milliards de dollars, elle le fait parce qu'elle dispose de formidables excédents commerciaux mais aussi d'excédents budgétaires. Aujourd'hui, en France, on s'apprête à augmenter les dépenses militaires qui, en 2025, sont à peu près de 50 milliards d'euros, et les faire passer à 70 milliards, voire à 90 milliards, comme affirmé par le ministre de la Défense Lecornu. Il est donc évident qu'il va falloir prendre cet argent sur les dépenses sociales, ce qui veut dire concrètement augmenter l'exploitation du salariat. En France, plus qu'ailleurs, le recul économique pose aujourd'hui la question du beurre ou des canons, c'est-à-dire que soit vous choisissez les canons, soit vous choisissez « le beurre » et donc le maintien des droits sociaux. Il est donc très important d'étudier, dans les dynamiques des années à venir, la façon dont la divergence de trajectoire entre l'Allemagne et la France va augmenter car, si les deux pays militarisent, ils le font dans des contextes économiques, internationaux et dans le cadre de rapports politiques internes très différents.
Dans notre courant, suite au chaos provoqué par la réélection de Donald Trump, on parle d'un pacte entre les États-Unis et la Russie, comment vous positionnez-vous là-dessus ?
Personne ne peut prévoir l'avenir mais je crois que certains ont pris un peu rapidement l'accord sur le dépeçage de l'Ukraine entre Trump et Poutine pour un « revirement stratégique ». Leur convergence idéologique ne doit pas conduire à imaginer une sorte de pacte structurel entre Trump et Poutine. Ceci est d'ailleurs démenti par les dirigeants américains eux-mêmes. Marco Rubio, le secrétaire d'État, s'est exprimé en ce sens lors d'une conférence sur le soutien à l'Ukraine qui s'est tenue à Bruxelles il y a quelques mois. Il n'y a ni abandon définitif des Européens par les Etats-Unis, ni une entente stratégique durable entre Poutine et Trump. Rubio confirme que ce qu'ils veulent, c'est faire en sorte que les États-Unis s'occupent de la Chine et que l'Europe s'occupe de la Russie. La ligne directrice est l'Amérique d'abord, c'est la volonté de faire la peau à la Chine.
Si les Européens ne veulent pas rester de leur côté, ils vont tenter de les casser mais si les Européens, pour des raisons diverses, arrivent à travailler avec Trump, la configuration pourrait encore changer. Il faudra aussi observer la réaction de la Russie par rapport à l'agression dont la Chine est victime sur le plan commercial depuis le 1er avril 2025. En somme, l'accord Poutine-Trump, visant avant tout à déposséder l'Ukraine, n'engage pas l'avenir des relations entre les deux impérialismes sur un chemin de paix permanente.
En France, nous connaissons le problème d'un régime fort, celui de la 5e République. On parle souvent à ce propos d'« État autoritaire » ou d'« autoritarisme ». En tout cas, il y a une sorte de radicalisation des bourgeoisies permettant, dans l'actuelle situation de crise, de poursuivre et aggraver les politiques d'austérité budgétaire. Nous commençons à vivre les premiers mouvements sociaux comme Hands Off aux États-Unis ou encore les mobilisations étudiantes en Europe mais cela reste pour l'instant insuffisant. Voyez-vous des formes de résistance possibles ?
Je pense qu'il faut tirer un bilan difficile et douloureux du positionnement des courants radicaux sur la question du militarisme. Ce n'est pas du tout pour faire une critique négative mais les courants radicaux ont sous-estimé le fait que le capitalisme n'est pas simplement un régime économique fondé, comme on l'a dit de façon maladroite, sur le néolibéralisme, mais c'est aussi un régime de domination sociale qui a besoin d'un État et d'une force armée aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur.
Le fait d'avoir négligé cette dimension au profit d'une vision centrée sur la mondialisation néolibérale et la victoire du marché, a empêché de voir qu'il y avait en même temps les guerres pour les ressources, qui déchirent principalement les pays africains et qui étaient complètement intégrées dans les chaînes de production des grands groupes mondiaux. Cette vision a également conduit à négliger les rivalités persistantes entre les pays impérialistes. La militarisation a d'ailleurs très vite recommencé après la chute du mur de Berlin.
Dès la fin des années 1990, tous les budgets des pays développés, de la Russie et de la Chine, sont repartis à la hausse. Aujourd'hui, on paye encore cette illusion que l'idéologie dominante a réussi à insuffler, même dans la tête des penseurs critiques, que finalement c'était la victoire du marché. Dans mes articles, j'ai essayé d'expliquer qu'à la fin des années 1990, la victoire du capital financier était fortement liée aux groupes de l'armement et à leurs valeurs boursières, devenues extrêmement rentables. Il faut savoir qu'aux États-Unis, depuis des dizaines d'années, le rendement boursier des valeurs de l'armement pour les actionnaires a été supérieur à la rentabilité de l'indice S&P, c'est-à-dire l'indice qui regroupe les 500 premières valeurs étatsuniennes. Cette idée que les « marchés » vont de pair avec la guerre était minoritaire dans les cercles critiques. Même cette penseuse souvent pertinente qu'est Ellen Meiksins Wood écrit en 2003 que « l'impérialisme capitaliste est presque devenu entièrèment une question de domination économique »4.
Dans ces milieux, les guerres étaient vues comme une sorte d'excroissance passagère ou, en tout cas, partielle, d'un processus beaucoup plus large qui était l'expansion du capital. J'ai essayé d'expliquer, aussi bien dans La mondialisation armée en 2001 qu'ailleurs, que les deux se tenaient étroitement et qu'on pouvait d'autant moins les séparer que le capital est de plus en plus confronté à ses propres limites qui sont des limites à la fois économiques et environnementales. En un mot, le capital en tant que rapport social demeure politiquement construit et territorialement fragmenté. Cela m'a conduit à penser que le militarisme était devenu, et on le voit bien avec Trump aujourd'hui, un mode d'existence même du capitalisme. Il faut mesurer à quel point l'enracinement des systèmes militaro-industriels (SMI), essentiellement celui des États-Unis mais aussi de quelques autres pays dont la France, s'est renforcé depuis les années 1950 au rythme de la crise de l'accumulation et de ses difficultés, au rythme des rivalités géopolitiques des années 2000 au point que ces SMI représentent aujourd'hui des noyaux totalitaires de notre société. Le fait que les systèmes militaro-industriels se situent à l'interface entre l'économie et la politique semble une aberration par rapport à toute une doxa marxiste qui part de l'idée qu'il y a une séparation stricte entre infrastructure et superstructure, ce qui a eu l'effet désastreux de marginaliser la politique. Quand vous lisez Hannah Arendt ou d'autres comme Franz Neumann, le juriste marxiste qui avait écrit Béhémoth5 et qui parlait de capitalisme monopoliste totalitaire, vous voyez que l'une des caractéristiques du totalitarisme c'est précisément de faire disparaître la frontière entre l'économie et le politique. Tout en n'étant pas un politiste, c'est ce que j'ai compris de cette notion de « totalitarisme » que je n'aime pas beaucoup mais qui, comme le dit Enzo Traverso, est à la fois une mauvaise définition et une définition utile car elle nous permet de discuter.
Je pense qu'aujourd'hui, avec notamment la place que prend l'intelligence artificielle dans les systèmes d'armement, son rôle dans le contrôle des citoyens et les conséquences sur le salariat, nous pouvons parler d'une régénération des systèmes militaro-industriels et d'un noyau totalitaire qui se forme et qui aspire à être beaucoup plus qu'un simple pourvoyeur d'armes. Avec l'intelligence artificielle, on efface les frontières entre le fichage civil et le fichage militaire, entre les objectifs militaires et les objectifs civils, comme le confirme le génocide en Palestine. La détérioration et l'impasse du capital, en raison des limites imposées par la nature et par son propre mode de reproduction des richesses, nous imposent de regarder les systèmes militaro-industriels autrement que simplement comme des instruments d'accumulation. Ils constituent de fait des institutions qui ont vocation à se diffuser dans la société sous des formes à la fois sécuritaires et civiles qui peuvent être tout autant dangereuses.
On parle désormais de techno-fascisme, illustré par cette alliance entre Trump et Musk aux États-Unis et donc cette imbrication très forte entre le capitalisme de plateforme et des Big Tech et les gouvernements réactionnaires. Les patrons du capitalisme numérique se sont déplacés du camp démocrate vers le camp républicain. Ces complexes militaro-industriels se transforment et j'ai l'impression qu'ils sont de plus en plus difficiles à critiquer précisément car ils sont noyés dans un discours autour des transformations technologiques, de l'innovation, où les pratiques de communication sont fortement liées aux logiques de surveillance des citoyens, d'exploitation des données et du travail de l'usager. Ces phénomènes ont été bien illustrés par le travail de Cédric Durand ou d'Antonio Casilli. Quels sont selon vous les liens avec l'industrie militaire ?
L'hypothèse que je fais est la suivante : après la Seconde Guerre mondiale, ce n'est pas la guerre qui a relancé l'économie capitaliste. Elle a certes détruit une masse formidable de forces productives, dont le prolétariat fait partie, mais c'est un mode d'accumulation intensive – comme on dit dans le langage de Marx – et les gains de productivité ont permis au capitalisme de sortir momentanément de son impasse. Les gains de productivité sont principalement fondés sur la substitution du capital au travail, donc sur un rôle croissant du « système des machines » comme dit Marx dans Le Capital, en termes actuels on dirait sur la technologie.
Mandel avait amorcé cette analyse pour caractériser le dernier âge du capitalisme. Son hypothèse pourrait être actualisée et enrichie, à condition de mesurer à quel point, après la Seconde Guerre mondiale, la technologie est devenue, de façon de plus en plus imbriquée, à la fois une arme de pouvoir militaire et une arme de compétitivité économique. Après la Seconde Guerre mondiale, pour l'essentiel c'est bien l'arme de compétitivité économique qui a dominé. Je ne sous-estime évidemment pas l'empreinte du militarisme américain dans sa société mais disons que, dans l'immédiat après-guerre, c'est la volonté d'augmenter la plus-value produite par les salariés afin de remettre sur ses rails l'accumulation du capital qui a prévalu. L'imbrication entre les deux dimensions de la technologie – arme de destruction et vecteur de « compétitivité » – est devenue plus intense depuis les années 2000. Une illustration en est fournie par la notion de sécurité nationale, lancée par toutes les grandes puissances. Elle combine ces deux dimensions de la technologie et diminue l'écart entre guerre commerciale et guerre armée.
Il y a tout un débat chez les économistes et les marxistes autour de la façon de qualifier l'intelligence artificielle comme étant une quatrième révolution industrielle qui ferait suite à celle de la machine à vapeur, de l'électricité et du pétrole à la fin du 19e siècle, puis de l'informatique et de l'électronique. Très développée, cette thèse donne l'espoir pour les défenseurs du capitalisme, ou la crainte pour ses critiques, d'une nouvelle phase d'expansion longue. En tant qu'économiste industriel et de l'innovation, je pense que l'idée que l'intelligence artificielle prolongerait les trois précédents cycles et en ouvrirait un quatrième, que les historiens appellent un « cycle expansif », est une pure illusion. En effet, cette analyse ne prend pas en compte les différences qualitatives de l'environnement politico-économique dans lequel l'IA se développe par rapport aux précédentes innovations.
L'IA s'est développée dans un contexte marqué par des fortes rivalités inter-impérialistes. L'examen des publications scientifiques en intelligence artificielle publiées dans le monde montre l'émergence de nombreux pays. En 2024, la France n'arrive d'ailleurs qu'au onzième rang et pas très loin derrière on trouve l'Iran, l'Arabie saoudite, la Turquie. Ce n'est pas comme ça que les autres révolutions technologiques ont eu lieu. Il s'est produit un phénomène de diffusion beaucoup plus lent. L'idée du développement inégal et combiné retrouve donc ici toute sa validité car l'intelligence artificielle s'est d'emblée construite dans un environnement économiquement concurrentiel et rival militairement.
Cet aspect en fait une menace qui la rend unique par rapport aux technologies du passé. En effet, de par sa polysémie et sa capacité à pénétrer dans tous les domaines, elle nous menace d'un triple point de vue : en tant que salarié·es, comme cela a effectivement été montré par Antonio Casilli et d'autres, en tant que citoyens, victimes des contrôles répressifs et du fichage, et en tant que civil·es, car elle permet de décupler les cibles d'une attaque militaire. L'armée israélienne elle-même s'est félicitée des résultats de l'intelligence artificielle qui a permis en quelques semaines, dit-elle, de faire ce qu'il aurait fallu constituer pendant des années : le fichage de 30 000 « militants du Hamas », soit l'équivalent de plus d'un million de personnes en France.
Il faut comprendre que la technologie n'est jamais neutre et que cette dimension transversale, salariale, civile et citoyenne, est incorporée par le système militaro-industriel. En intégrant les Big Tech (les Gafam), celui-ci peut non seulement détruire de façon extrêmement efficace des cibles, même si on provoque en même temps des victimes collatérales, mais il peut aussi étendre la sphère du contrôle social de la société.
En 1858, Marx écrit à Engels que le capitalisme est en train d'achever sa deuxième conquête du monde après celle du 16e siècle, grâce à la colonisation de la Californie, de l'Australie et à l'ouverture du marché chinois et japonais et il ajoute « puisque la terre est ronde, ce processus semble achevé ».
Rosa Luxemburg ajoute que le marché intérieur et le marché extérieur sont des notions non pas de géographie mais d'économie sociale. Aujourd'hui, on peut constater la clairvoyance de phrases fulgurantes de Marx sur le besoin compulsif du capital « de faire argent de la conservation et du développement de la vie »6. Le capital, après avoir conquis les territoiresphysiques, s'attaque désormais aux territoires intangibles. Cela s'est produit dans les années 1990 avec le contrôle et la privatisation des processus de reproduction du vivant dans les semences, le séquençage génétique, etc. Aujourd'hui, le capitalisme contrôle ce que des courants féministes critiques appellent la reproduction sociale, c'est-à-dire les conditions mêmes d'existence de nos vies, grâce aux données que les Gafam sont capables de collecter sur notre dos ou sur notre PC. J'appelle ça un phénomène d'involution car le capitalisme n'est plus en évolution expansive vers l'extérieur, c'est comme s'il se repliait en quelque sorte sur sa principale victime qui est l'individu. Au final, l'insertion de l'intelligence artificielle dans les systèmes militaro-industriels va au-delà de la simple addition d'un outil technologique supplémentaire pour rendre les armes plus précises, ça a une portée beaucoup plus large qui impacte à la fois le travail, la citoyenneté et les formes de contrôle militaire et social.
Le 2 avril 2025
Notes
1. « 100 days of Secretary Noem : Making America safe again » - https://www.dhs.gov/news/2025/05/05/100-days-secretary-noem-making-america-safe-again
2) « The Story of the ‘Mistakenly Deported Mary- land Man' », Juliet Macur, Jazmine Ulloa, Annie
Correal, Kirsten Noyes, Alan Feuer et Dan Barry, New York Times, 4 mai 2025
”3) « Temporary Protected Status (TPS) : Fact Sheet »,14 mars 2025, National Immigration Forum.
4) « Asylum seekers deported by the U.S. are stuck in Panama unable to return home », Manuela
Rueda, NPR, 5 mai 2025.
5) « Trump team urged Ukraine to take U.S.deportees amid war, documents show », Adam
Taylor, Sarah Blaskey et Siobhán O'Grady, le 6 mai 2025
6) « ICE expands use of ankle monitors, aiming to track more than 4.5M migrants roaming streets »,
Jennie Taer, 9 mai 2025, New York Post.
7) « Trump administration advances immigration crackdown on foreign student protesters », Alana
Wise, 28 mars 2025, NPR.
8) « DHS Announces Historic Travel Assistance and Stipend for Voluntary Self-Deportation »,
Homeland Security
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Pourquoi les BRICS ne dénoncent pas le génocide en cours à Gaza
Les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et l'Afrique du Sud) qui ont admis en leur sein 5 États de plus (Égypte, Émirats Arabes Unis, Éthiopie, Indonésie et Iran) se sont réunis à Rio de Janeiro les 6 et 7 juillet 2025. L'Arabie Saoudite était présente mais n'a pas officiellement adhéré en tant que pays membre. Une petite vingtaine d'autres États considérés comme partenaires étaient également représentés.
7 août 2025 | tiré du site du CADTM | Photo : Source : This file or its source was published by Press Information Bureau on behalf of Prime Minister's Office, Government of India, CC, Wikimedia Commons
Alors que le président des États-Unis multiplie les actions unilatérales tant au niveau militaire qu'au niveau commercial, les BRICS défendent le multilatéralisme et le système des Nations Unies qui sont en pleine crise. Ils défendent également le mode de production capitaliste, productiviste-extractiviste qui exploite le travail humain et détruit la nature.
Les BRICS représentent la moitié de la population mondiale, 40% des ressources fossiles d'énergie, 30% du produit intérieur mondial et 50% de la croissance. S'ils voulaient mettre en œuvre un modèle de développement différent, ils auraient à leur disposition d'importants moyens pour le faire mais ce n'est pas dans leur intention et cela ne fait pas partie de leur pratique.
Il est nécessaire d'exprimer un point de vue clairement critique à l'égard des BRICS. Cette posture n'empêche en rien de dénoncer, d'abord et avec la plus grande fermeté, le gouvernement des États-Unis, ainsi que ses alliés européens et indo-pacifiques (Japon, Australie, etc.), pour leur politique impérialiste. Cette politique s'exprime de manière flagrante par leur soutien à l'État d'Israël, responsable du génocide en cours à Gaza et des agressions militaires contre les pays voisins. Israël est le bras armé des États-Unis dans la région. Sans le soutien indéfectible de Washington et la complicité de l'Europe occidentale, le gouvernement néo-fasciste israélien ne pourrait pas poursuivre le génocide. De leur côté, les BRICS ne prennent aucune mesure concrète, en tant que groupe de pays, pour effectivement empêcher la poursuite des massacres et du génocide.
Dans cette série de questions/réponses, Éric Toussaint analyse la déclaration finale du sommet des BRICS rendue publique le 6 juillet 2025 ainsi que la politique pratique des BRICS et des institutions qu'ils ont mises en place.
Cette première partie de la série aborde la politique internationale des BRICS concernant leurs relations avec Israël et le génocide dont se rend coupable le gouvernement israélien.
Ensuite, dans les autres parties de la série, l'auteur abordera la position des BRICS par rapport à d'autres questions internationales : les attaques des Etats-Unis et d'Israël contre l'Iran, les Houthis, l'invasion de l'Ukraine, l'OTAN,…. Il abordera également la position des BRICS sur des sujets comme le système financier international, le dollar, la Nouvelle banque de développement, le G20, la crise écologique,…
Dans la déclaration finale du sommet des BRICS publiée le 6 juillet 2025, les BRICS ne parlent pas de génocide pour décrire ce qui est en cours à Gaza
Oui. Dans la déclaration finale du sommet des BRICS publiée le 6 juillet 2025, les BRICS ne parlent pas de génocide pour décrire ce qui est en cours à Gaza. Les BRICS critiquent l'utilisation de la force par Israël dans les points 24 à 27 de leur déclaration mais ils n'utilisent nulle part le terme « génocide » ou « nettoyage ethnique » ou « massacre ». Ce qui est frappant également, c'est que la partie de la déclaration du 7 juillet 2025 qui concerne Gaza est quasiment identique à ce qui se trouve dans la déclaration finale du précédent sommet des BRICS tenue en Russie à Kazan en octobre 2024 (point 30 de la déclaration finale, voir la version en anglais sur le site officiel russe : http://static.kremlin.ru/media/events/files/en/RosOySvLzGaJtmx2wYFv0lN4NSPZploG.pdf ). Comme si les preuves, qui s'accumulent chaque jour, concernant le génocide ne justifiaient pas d'employer clairement ce terme.
Est-il vrai que les BRICS ne proposent pas des sanctions contre Israël ?
Oui c'est vrai : dans leur déclaration finale les BRICS ne proposent pas de sanction contre Israël. Ils ne proposent pas de rompre les différents accords qui les lient à l'État d'Israël. Pourtant le génocide en cours et les massacres de Gazaouis à la recherche de nourriture justifient et exigent des actions allant au-delà des protestations de la part des BRICS et d'autres États. Les protestations des dirigeants des BRICS étaient totalement insuffisantes en octobre 2024 lors de leur sommet à Kazan et le sont encore plus en 2025. Il faut des actes concrets et forts que seuls des gouvernements et des organismes multilatéraux peuvent prendre. Bien sûr les mobilisations de rue, les occupations de places ou d'université, les initiatives juridiques des organisations citoyennes sont fondamentales mais elle ne remplacent pas les actions des États et des institutions internationales.
Pour une mise en contexte du génocide en cours à Gaza et les responsabilités des puissances occidentales, lire : Gilbert Achcar, « Gaza ou la faillite de l'Occident », Le Monde diplomatique, juin 2025, https://www.monde-diplomatique.fr/2025/06/ACHCAR/68472 Lire également de Gilbert Achcar, Gaza, génocide annoncé – Un tournant dans l'histoire mondiale, La Dispute, Paris, 2025, https://ladispute.fr/catalogue/gaza-un-genocide-annonce-un-tournant-dans-lhistoire-mondiale/
Les BRICS prennent-ils des mesures concrètes contre le gouvernement israélien ?
L'Afrique du Sud a pris l'initiative d'une plainte contre Israël devant la Cour internationale de Justice de La Haye mais elle a une pratique commerciale en contradiction avec cette action juridique
Les BRICS ne prennent aucune mesure concrète contre le gouvernement israélien, aucun boycott, aucun embargo. Certes, l'Afrique du Sud a pris l'initiative d'une plainte contre Israël devant la Cour internationale de Justice de La Haye, ce qui est positif, mais elle a une pratique en contradiction avec cette action juridique. En effet, l'Afrique du Sud maintient des relations commerciales avec Israël notamment en permettant à des sociétés sud-africaines d'exporter régulièrement par bateau des cargaisons de charbon vers Israël.
Les BRICS maintiennent-ils des relations commerciales avec Israël ?
À part l'Iran, les pays membres des BRICS maintiennent les relations commerciales avec Israël. En plus de l'Afrique du Sud, La Russie, le Brésil, les Émirats Arabes Unis, l'Égypte et la Chine poursuivent la vente de combustibles (pétrole, gaz, charbon,…) à Israël. C'est une aide importante envers le gouvernement israélien qui a besoin de diversifier ses sources d'approvisionnement en matière énergétique pour poursuivre son effort de guerre et son fonctionnement normal, pour éviter que le mécontentement de la population israélienne n'augmente dans des proportions incontrôlables.
Pour en savoir plus sur la poursuite des relations commerciales entre les BRICS et Israël pendant le génocide, lire en anglais ou en espagnol : Patrick Bond, ‘The Blessing' for genocide, publié le 1 octobre 2024, La “bendición” para el genocidio
Nous allons passer en revue de manière sommaire les relations entretenues par les pays membres des BRICS avec Israël.
Quelle est la place de la Chine dans les relations commerciales d'Israël ?
La Chine est le principal fournisseur commercial d'Israël
La Chine est le principal fournisseur commercial d'Israël. La Chine réalise d'importants investissements en Israël. La Chine a exporté vers Israël pour une valeur de 13 milliards de dollars en 2022, de 16 milliards en 2023 et pour 19 milliards de dollars en 2024. La croissance se poursuit en 2025. Le volume pourrait dépasser largement les 20 milliards de dollars si aucune mesure de limitation ou de boycott n'intervient. Les montants indiqués proviennent notamment de https://tradingeconomics.com/israel/imports/china, et de l'agence Chine nouvelle Xinhua https://english.news.cn/20240122/5ad497aefbcd43f0851ff597b64fab5a/c.html On peut lire de source chinoise que pour Israël, en 2023, la Chine était est la plus importante source d'importations et ce pour la quatrième année consécutive. Les Etats-Unis viennent en deuxième position. En 2024, cette position dominante de la Chine s'est confirmée https://eng.yidaiyilu.gov.cn/p/0TBMCK92.html.
Parmi les marchandises échangées entre Israël et la Chine, les produits high-tech sont dominants : des équipements électriques/électroniques (imports et exports), machines industrielles, produits optiques et médicaux figurent parmi les catégories majeures échangées.
Le déficit commercial d'Israël avec la Chine est très important. Israël importe beaucoup plus de la Chine qu'il n'exporte vers la Chine. Le déficit commercial israélien avec la Chine a augmenté fortement ces dernières années. Il a dépassé 10 milliards de dollars en 2024.
Précisons que si on prend les pays de l'UE en bloc, c'est l'UE qui est le principal fournisseur d'Israël avec un montant d'environ 26 milliards de dollars exportés vers Israël en 2024 En réalité, chaque pays de l'UE fournit Israël séparément et parmi eux c'est l'Allemagne avec environ 6 milliards de dollars qui vient en tête au niveau des exportations vers Israël. C'est pour cela que la Chine peut être considérée comme le premier fournisseur (avec 19 milliards d'exportation de la Chine vers Israël en 2024) et les Etats-Unis comme le deuxième fournisseur (avec un montant d'un peu plus de 9 milliards de dollars d'exportations vers Israël en 2024).
Parmi les produits manufacturés vendus par la Chine à Israël, on trouve des drones qui à l'origine ne sont pas destinés à un usage militaire mais qui sont transformés en armes par les militaires israéliens pour tuer des civil·es palestinien·es. C'est ce dont témoigne une enquête réalisée par le média indépendant israélien +972 Magazine qui indique que ces drones sont produits par l'entreprise privée chinoise Autel Robotics (basée à Shenzhen) qui produit des drones EVO). Voici un extrait de ce qui est révélé :
“L'armée israélienne a militarisé une flotte de drones commerciaux fabriqués en Chine pour attaquer les Palestinien·es dans certaines zones de Gaza qu'elle cherche à dépeupler, comme le révèle une enquête menée par +972 Magazine et Local Call. Selon des entretiens menés auprès de sept soldats et officiers ayant servi dans la bande de Gaza, ces drones sont pilotés manuellement par des troupes au sol et sont fréquemment utilisés pour bombarder des civil·es palestinien·nes, y compris des enfants, dans le but de les forcer à quitter leurs maisons ou de les empêcher de retourner dans les zones évacuées. Les soldats utilisent le plus souvent des drones EVO, produits par la société chinoise Autel, qui sont principalement destinés à la photographie et coûtent environ 10 000 NIS (environ 3 000 dollars) sur Amazon. Cependant, grâce à un accessoire militaire connu en interne sous le nom de « boule de fer », une grenade à main peut être fixée au drone et larguée d'une simple pression sur un bouton pour exploser au sol. Aujourd'hui, la majorité des compagnies militaires israéliennes à Gaza utilisent ces drones. S., un soldat israélien qui a servi dans la région de Rafah cette année, a coordonné des attaques de drones dans un quartier de la ville que l'armée avait ordonné d'évacuer. Au cours des près de 100 jours pendant lesquels son bataillon a opéré dans cette zone, les soldats ont mené des dizaines de frappes de drones, selon les rapports quotidiens de son commandant de bataillon examinés par +972 et Local Call. Dans ces rapports, tous les Palestiniens tués étaient répertoriés comme des « terroristes ». Cependant, S. a témoigné qu'à l'exception d'une personne trouvée en possession d'un couteau et d'une seule rencontre avec des combattants armés, les dizaines d'autres personnes tuées – en moyenne une par jour dans la zone de combat de son bataillon – n'étaient pas armées. Selon lui, les frappes de drones ont été menées dans l'intention de tuer, alors que la majorité des victimes se trouvaient à une telle distance des soldats qu'elles ne pouvaient constituer aucune menace. [1] » Lire : +972 Magazine, “‘Like a video game' : Israel enforcing Gaza evacuations with grenade-firing drones”, 10 juillet 2025, https://www.972mag.com/drones-grenades-gaza-chinese-autel/
Dans un article publié Euro-Med Monitor, une ONG indépendante basée à Genève (Suisse), en février 2024, dénonçait déjà l'utilisation par les militaires israéliens des drones produits par AUTEL Robotics https://euromedmonitor.org/en/article/6166/Gaza:-Israel-systematically-uses-quadcopters-to-kill-Palestinians-from-a-close-distance Cette ONG qui se consacre à la documentation des violations des droits de l'homme dans la région Moyen-Orient, Afrique du Nord (MENA) et Europe avait demandé aux entreprises chinoises notamment AUTEL de se conformer au droit international :
« Dans les régions touchées par des conflits armés, les entreprises courent un risque accru de se rendre complices de violations graves du droit international humanitaire et des droits humains. Par conséquent, les entreprises opérant dans de tels environnements doivent agir pour diminuer ces risques. Lorsqu'un produit est utilisé de manière abusive, en contradiction avec les obligations internationales et les valeurs non violentes de l'entreprise, en particulier à des fins militaires conduisant à des crimes de guerre ou violations graves des droits humains, l'entreprise doit agir. Elle doit prendre des mesures immédiates pour mettre fin ou empêcher sa contribution. Euro-Med Human Rights Monitor souligne que les entreprises, y compris Autel Robotics, un fabricant chinois d'électronique et de drones, doivent se conformer au droit international. » [2]Source : Euro-Med Monitor, “Chinese companies must prevent their arms, drones from being used in Israeli international crimes”, 1 juillet 2024, https://euromedmonitor.org/en/article/6387/Chinese-companies-must-prevent-their-arms,-drones-from-being-used-in-Israeli-international-crimes
Des drones civils fabriqués par une autre entreprise chinoise sont également utilisés par l'armée israélienne dans la guerre contre la population palestinienne de Gaza. Il s'agit de drones fabriqués par DJI (Da-Jiang Innovations), qui est une entreprise privée chinoise basée à Shenzhen (Chine), leader mondial de la fabrication de drones civils et professionnels. Voir l'article publié par Al Jazeera le 8 mai 2025 : « Israel retrofitting DJI commercial drones to bomb and surveil Gaza », https://www.aljazeera.com/news/2025/5/8/israel-retrofitting-dji-commercial-drones-to-bomb-and-surveil-gaza
Comme l'écrit Francesca Albanese, rapporteuse spéciale auprès des Nations Unies sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés, dans son rapport intitulé « De l'économie de l'occupation à l'économie du génocide » rendu public en juin 2025 :
« 20. Lorsque des entités commerciales poursuivent leurs activités et leurs relations avec Israël – avec son économie, son armée et ses secteurs public et privé liés au territoire palestinien occupé – elles peuvent être reconnues coupables d'avoir sciemment contribué à : (a) La violation du droit des Palestinien·nes à l'autodétermination ; (b) L'annexion du territoire palestinien, le maintien d'une occupation illégale et, par conséquent, le crime d'agression et les violations des droits humains qui y sont associées ; (c) Les crimes d'apartheid et de génocide ; (d) D'autres crimes et violations accessoires. 21. Les lois pénales et civiles de diverses juridictions peuvent être invoquées pour tenir les entités corporatives ou leurs dirigeants responsables des violations des droits humains et/ou des crimes relevant du droit international. »
Le rapport complet en anglais est disponible en ligne : https://www.un.org/unispal/document/a-hrc-59-23-from-economy-of-occupation-to-economy-of-genocide-report-special-rapporteur-francesca-albanese-palestine-2025/
Il incombe donc aux autorités du pays où ces entreprises sont basées et aux entreprises elles-mêmes d'éviter toute forme de complicité avec les autorités israéliennes, cela vaut pour la Chine comme pour le reste de la planète.
La Chine réalise-t-elle des investissements en Israël ?
La Chine a réalisé d'importants investissements dans deux ports israéliens d'une importance stratégique, le port de Haïfa et le Port d'Ashdod, tous deux situés sur la Méditerranée. La société chinoise China Harbor Engineering Company, filiale de China Communications Construction Company, a modernisé et développé le terminal portuaire d'Ashdod. Ce projet a permis de d'augmenter les capacités des installations portuaires et d'améliorer les infrastructures pour répondre à la croissance du commerce international. Le port d'Ashdod est l'un des principaux hubs commerciaux d'Israël. Sa modernisation a renforcé sa position stratégique dans la région, facilitant ainsi les échanges entre la Chine et Israël, notamment dans le cadre de la nouvelle route de la soie (Belt and Road Initiative ou BRI). La China National Offshore Oil Corporation (CNOOC), une autre grande société chinoise, a acquis une part importante du terminal à conteneurs de Haïfa, dans le cadre d'un partenariat avec le gouvernement israélien. Ce projet, tout comme celui d'Ashdod, a permis à Israël d'attirer des investissements dans l'amélioration des infrastructures portuaires. Dans le cas des installations du Port de Haïfa, les investissement chinois se font en partie via une collaboration avec des sociétés indiennes.
Au-delà des ports, les entreprises chinoises investissent également dans d'autres secteurs des infrastructures, comme les transports, l'énergie et la haute technologie. Par exemple, des projets dans le domaine des technologies de transport intelligent, de l'intelligence artificielle, de la cybersécurité, et des télécommunications sont en cours de développement, avec la participation de grandes entreprises chinoises comme Huawei et ZTE.
Quelles sont les relations entre le gouvernement russe et le gouvernement israélien ?
Il est de notoriété publique que Vladimir Poutine et Netanyahou ont une bonne opinion l'un de l'autre même si la Russie critique publiquement l'Israël pour sa politique au Proche-Orient. Jusqu'ici dans aucune de ses déclarations, Poutine n'a dénoncé le génocide en cours à Gaza. Par contre, il a utilisé très souvent le terme génocide pour justifier l'invasion de l'Ukraine et l'annexion d'une partie de son territoire. Dans son discours du 24 février 2022 pour justifier l'« opération militaire spéciale » en Ukraine, Poutine a déclaré :
« Notre objectif est de protéger les personnes victimes de génocide de la part du régime de Kiev depuis huit ans. Nous nous efforcerons de démilitariser et dénazifier l'Ukraine. » (http://kremlin.ru/events/president/news/67843 ) [3].
Il faut également noter que le 1 juillet 2025, Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères de Russie, quelques jours avant de se rendre au sommet des BRICS à Rio, a déclaré :
« Nous constatons avec satisfaction que le chef du nouveau gouvernement israélien Benjamin Netanyahu s'est prononcé deux fois en un mois pour régler le problème palestinien avec une solution à deux États. Nous espérons que cette position sera appuyée par des démarches concrètes. De notre côté, nous continuerons de contribuer à la reprise des négociations – aussi bien via les canaux bilatéraux que sur diverses plateformes internationales, notamment dans le cadre du Quartet des médiateurs internationaux pour le Moyen-Orient. Il faut garder un œil sur la situation dans la bande de Gaza, dont la population continue d'éprouver de graves difficultés humanitaires. Il faut entreprendre des démarches pour lever le blocus ou tout au moins le réduire. » (voir la déclaration complète sur le site officiel du ministère des affaires étrangères de la Fédération de Russie https://mid.ru/fr/foreign_policy/news/1511247/ ) [4].
Comme on peut le constater dans cette déclaration, il n'y a pas de la part de Sergueï Lavrov de dénonciation du génocide en cours et son attitude à l'égard du premier ministre fasciste Benjamin Netanyahu est positive, ce qui est tout à fait inadmissible.
Israël dépend toujours partiellement de la Russie pour son alimentation (céréales) et pour l'énergie (pétrole, gaz, charbon), malgré les tensions géopolitiques. Israël exporte vers la Russie des produits à forte valeur ajoutée : agro-produits, matériel médical, chimie et électronique. Israël a un déficit commercial important avec la Russie. En 2023, le volume du commerce avait baissé suite aux sanctions prises contre la Russie après l'invasion de l'Ukraine mais en 2024, il a rebondi. Le volume des échanges avait atteint 3,5 milliards en 2022, a chuté à 2,6 milliards en 2023 et a rebondi à 3,9 milliards en 2024. En résumé, Israël, dans la pratique, n'applique pas les sanctions occidentales à l'égard de la Russie suite à l'invasion de l'Ukraine et la Russie n'applique pas de sanction à l'égard d'Israël malgré le génocide en cours.
Dans la pratique, Israël n'applique pas les sanctions occidentales à l'égard de la Russie suite à l'invasion de l'Ukraine, tout comme la Russie n'applique pas de sanction à l'égard d'Israël malgré le génocide en cours
À noter que depuis l'invasion de l'Ukraine en 2022, des centaines de millions de dollars (environ 300 millions de dollars par trimestre) ont été transférés en Israël via les comptes d'oligarques ou de nouveaux migrants. Lire en anglais : https://internationalinvestment.biz/en/analytics/5344-over-95000-russians-have-relocated-to-israel.html Soulignons également qu'environ 500 soldats de l'armée israélienne porteurs d'un passeport russe ont participé aux opérations dans la bande de Gaza entre octobre 2023 et mars 2024, 9 d'entre eux y ont trouvé la mort. Cette information a été fournie par les autorités israéliennes. Lire https://en.topwar.ru/239764-izrailskoe-posolstvo-nazvalo-chislo-pogibshih-v-gaze-rossijan-mobilizovannyh-v-sostav-cahal.html et https://tass.com/world/1786343 Pour l'année 2025, nous ne disposons pas d'informations précises concernant les chiffres mais il est avéré que des soldats de l'armée israélienne qui participe au génocide ont la double nationalité russe et israélienne. Les autorités russes ne critiquent pas les Russes mobilisés au sein de l'armée israélienne, y compris ceux engagés à Gaza.
Où en est le commerce entre l'Inde et Israël ?
L'Inde représente plus d'un tiers du total des exportations d'armes d'Israël
Le volume du commerce entre l'Inde et Israël est en croissance et se situe autour de 10 milliards de dollars. L'Inde fournit des produits pétroliers à Israël, des diamants et autres pierres précieuses, des produits chimiques et pharmaceutiques ainsi que des armes (dont des drones).
Israël fournit des armes (missiles), des munitions, des systèmes de défense à l'Inde. Selon le site Moneycontrol.com, un des principaux site financiers en Inde, le commerce des armes entre Israël et l'Inde a été multiplié par 33 en 10 ans, entre 2015 et 2024, atteignant en 2024, 185 millions de dollars US. Le magazine New Internationalist écrit dans son édition de janvier 2025 :
« Des entreprises indiennes telles qu'Adani-Elbit Advanced Systems India, Premier Explosives et l'entreprise publique Munitions India fournissent activement des drones et des armes à Israël alors que ce dernier poursuit sa guerre génocidaire contre la population de Gaza. En avril , soucieuse de ne pas compromettre ces accords, l'Inde s'est abstenue lors du vote d'une résolution de l'ONU appelant à un cessez-le-feu et à un embargo sur les armes à destination d'Israël. De son côté, Israël a continué à fournir sans interruption du matériel militaire à l'Inde, ce qui représente un engagement important étant donné qu'Israël a postposé plus de 1,5 milliard de dollars d'exportations d'armes vers d'autres pays depuis octobre 2023. Depuis l'arrivée au pouvoir du Premier ministre Narendra Modi en 2014, l'Inde est devenue un acteur clé dans le commerce des armes d'Israël. En tant que premier importateur mondial d'armes, ce pays d'Asie du Sud est devenu l'acheteur le plus fiable d'Israël, représentant 37 % de ses exportations totales d'armes. » [5] Mohammad Asif Khan, “Partners in power : Israel, India and the arms trade”, 1 January 2025, New Internationalist, https://newint.org/arms/2025/partners-power-israel-india-and-arms-trade
Concernant la fourniture d'armes à Israël par Adani-Elbit Advanced Systems India, lire en anglais : https://www.business-humanrights.org/en/latest-news/india-report-finds-adani-elbit-advanced-systems-india-ltd-and-munitions-india-ltd-were-authorized-to-ship-products-to-israel-amidst-the-war-in-the-occupied-palestinian-territories/
Lire également : https://www.stopadani.com/adani_groups_business_with_israel Concernant de nouvelles collaborations entre Adani , Elbit et un société étatsunienne d'armement, lire sur le site de Adani : https://www.adani.com/newsroom/media-releases/adani-defence-aerospace-and-sparton-enter-strategic-partnership-to-indigenise-anti-submarine
Rien n'indique une volonté une volonté de changement dans l'orientation pro israélienne du premier ministre indien (présent en personne au sommet des BRICS à Rio en juillet 2025). L'Inde et Israël espèrent conclure un accord de libre-échange avant la fin de l'année 2025. En effet selon Times of Israël du 18 février 2025 :
« Israël et l'Inde cherchent à signer dès cette année un accord de libre-échange longtemps attendu, suite à la décision, par le président américain Donald Trump, de réorganiser les plans d'une route commerciale entre les États-Unis et l'Inde qui passerait par Israël. »
En ce qui concerne les positions de l'Inde à propos de la Palestine, on a assisté à un changement important en faveur d'Israël surtout depuis l'élection de Narendra Modi. En 2017, il est devenu le premier Premier ministre indien à se rendre en Israël sans visiter la Palestine, rompant ainsi avec la tradition. Le gouvernement Modi a évité de critiquer directement Israël, en particulier lors des bombardements de Gaza (2014, 2021, 2023, 2024 et 2025) et des violences commises par les colons en Cisjordanie. À l'intérieur du pays, la solidarité avec la Palestine est de plus en plus attaquée, dénigrée ou délégitimée par la droite hindoue, en particulier dans le climat politique et idéologique façonné par le Bharatiya Janata Party (BJP) de Modi.
Comment sont les relations de l'Afrique du Sud avec Israël ?
« Les conglomérats extractifs et miniers, tout en fournissant des sources d'énergie civile, ont alimenté les infrastructures militaires et énergétiques d'Israël, toutes deux utilisées pour créer des conditions de vie visant à détruire le peuple palestinien. », Francesca Albanese, rapporteuse spéciale auprès des Nations Unies sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés, « De l'économie de l'occupation à l'économie du génocide »
Il n'y a aucun doute qu'il est très positif que le gouvernement d'Afrique du Sud ait déposé une plainte contre Israël le 29 décembre 2023 devant la Cour Internationale de Justice (CIJ), le tribunal des Nations Unies chargé de régler les différends entre États. Pretoria accuse Israël de violer la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans son assaut militaire à Gaza. La requête de l'Afrique du Sud avance ses accusations dans ce qu'elle dénonce comme le contexte plus large de la conduite d'Israël envers les Palestinien·es pendant ses soixante-quinze ans d'apartheid, ses cinquante-six ans d'occupation belligérante du territoire palestinien et ses seize ans de blocus de la bande de Gaza. Dans sa décision du 26 janvier 2024, tout en n'accédant pas à la demande de l'Afrique du Sud d'exiger d'Israël la suspension de ses opérations militaires à Gaza, la Cour ordonne à Israël de prendre des mesures pour prévenir les actes de génocide dans la bande de Gaza. Depuis ce moment, Israël a malgré tout poursuivi le génocide du peuple palestinien à Gaza et a renforcé le blocage de l'aide humanitaire.
L'Afrique du Sud a contribué à créer, en janvier 2025, le « groupe de La Haye » pour coordonner des mesures juridiques et diplomatiques contre la politique d'Israël à Gaza (lire :
https://www.theguardian.com/law/2025/jan/31/south-africa-and-malaysia-to-launch-campaign-to-protect-justice). Selon la déclaration inaugurale, les principaux engagements consistent à exiger le respect des ordonnances de la Cour Internationale de Justice et des mandats d'arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) à l'encontre des dirigeants israéliens, à interdire le transfert d'armes ou de carburant (à des fins militaires) susceptible de servir dans le conflit et de bloquer l'accès aux ports aux navires transportant du matériel militaire vers Israël. Les pays fondateurs du groupe sont l'Afrique du Sud, la Colombie, le Belize, la Bolivie, Cuba, le Honduras, la Malaisie, la Namibie et le Sénégal. Une réunion d'urgence a eu lieu à la mi-juillet 2025 à Bogota.
Du côté des BRICS, des 4 États fondateurs (Brésil, Russie, Inde et Chine), jusqu'ici, aucun ne s'est joint à la plainte de l'Afrique du Sud alors que 15 États se sont joints d'une manière ou d'une autre à cette plainte. Parmi les 5 BRICS, seuls le Brésil, très tardivement, c'est à dire en juillet 2025, a annoncé son intention de se joindre dans le futur à la plainte contre Israël. Si on prend en compte les 10 pays qui composent en 2025 les BRICS, jusqu'ici seule l'Égypte s'est jointe à la plainte.
De la part de l'Afrique du Sud, ce qui est déplorable et très gravement incohérent par rapport à sa juste plainte contre Israël, c'est qu'elle continue à commercer avec ce pays notamment en fournissant du charbon. Selon certaines sources, 15% du charbon consommé par Israël provient d'Afrique du Sud. Patrick Bond professeur d'université en Afrique du Sud a dénoncé régulièrement les livraisons de charbon sud-africain à Israël, lire notamment en anglais https://www.cadtm.org/The-Blessing-for-genocide et en espagnol : https://www.cadtm.org/La-bendicion-para-el-genocidio Selon Patrick Bond, l'argument principal avancé par les autorités de Pretoria pour justifier la poursuite de la fourniture de charbon à Israël, est que, dans le cas contraire, cela irait à l'encontre des règles de l'OMC. Ce à quoi Patrick Bond répond que cet argument n'est pas du tout sérieux car ces dernières années, un nombre considérable d'États contreviennent aux règles de l'OMC sans que rien ne se passe. On peut ajouter que si l'Afrique du Sud mettait fin à son commerce avec Israël son acte serait incontestablement légitime.
En effet, comme l'écrit Francesca Albanese, rapporteuse spéciale auprès des Nations Unies sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés, au point 89 de son rapport intitulé « De l'économie de l'occupation à l'économie du génocide » :
« Les conglomérats extractifs et miniers, tout en fournissant des sources d'énergie civile, ont alimenté les infrastructures militaires et énergétiques d'Israël, toutes deux utilisées pour créer des conditions de vie visant à détruire le peuple palestinien. » [6]
Le rapport complet en anglais est disponible en ligne : https://www.un.org/unispal/document/a-hrc-59-23-from-economy-of-occupation-to-economy-of-genocide-report-special-rapporteur-francesca-albanese-palestine-2025/
Signalons que ce rapport tout à fait fondamental a été rendu public fin juin 2025, avant le sommet des BRICS. Or la déclaration finale du sommet BRICS rendue publique le 6 juillet 2025 n'en fait pas mention.
Patrick Bond a rassemblé un important dossier concernant le groupe sud-africain d'armement Paramount Group dont le patron est Ivor Ichikowitz pour dénoncer la collaboration étroite entre cette entreprise, Israël et les Émirats Arabes Unis (EAU). Bond dénonce notamment la collaboration de Paramount Group avec la société israélienne d'armement Elbit. Son dossier intitulé « Le commerce entre l'Afrique du Sud et Israël comprend-il des armements ? » (« Does SA-Israel trade include armaments ? ») a été publié le 21 décembre 2024, https://diplomaticinside.com/2024/12/21/does-sa-israel-trade-include-armaments/
Il faut savoir que le patron de Paramount Group, Ivor Ichikowitz, a dénoncé la plainte introduite par l'Afrique du Sud contre Israël. Il écrivait dans le magazine Fortune :
« La position récente de l'Afrique du Sud, ouvertement hostile à Israël et très favorable au Hamas, qui a abouti à traduire l'État d'Israël devant la Cour internationale de justice (CIJ), aurait très bien pu conduire à une sanction et à l'exclusion de l'Afrique du Sud de l'AGOA, une perspective qui pèse toujours sur les relations entre les États-Unis et l'Afrique du Sud. » [7] Source : Ivor Ichikowitz, “South Africa should be truly non-aligned–and stop risking its vital trade ties with the West”, Fortune, 26 janvier 2024, https://fortune.com/2024/01/26/south-africa-non-aligned-risk-vital-trade-ties-west-us-biden-israel-politics/
Patrick Bond, différents mouvements sud-africains et de nombreux activistes appellent les autorités de Pretoria à prendre des sanctions contre Israël en interdisant l'exportation de charbon vers ce pays et notamment en mettant fin à toutes les relations commerciales.
Quelles sont les relations commerciales du Brésil avec Israël ?
Le volume du commerce entre le Brésil s'élève à un peu moins de 2 milliards de dollars. Le Brésil importe plus d'Israël qu'il n'exporte vers Israël. Le Brésil exporte du pétrole brut vers Israël, cela constitue 1/4 de ses exportations vers ce pays. Il exporte aussi de la viande qui représente environ 20% de ses exportations et des graines de soja transgénique pour également 20%. Le reste : du poulet casher, des armes, etc.
Il y a donc un commerce d'armes entre le Brésil et Israël
Le Brésil a entretenu un commerce des armes avec Israël malgré le génocide et surtout maintient une coopération technologique notable dans le domaine de la défense
Oui. En 2024, par exemple, le Brésil a exporté des armes vers Israël pour un montant limité (un peu moins de 2 millions de dollars) mais il s'agissait de munitions de guerre (voir https://tradingeconomics.com/brazil/exports/israel/arms-ammunition-parts-accessories ). Le Brésil a importé en 2024 des armes de guerre d'Israël pour un peu moins de 9 millions de dollars (voir https://tradingeconomics.com/brazil/imports/israel/military-weapons-excluding-revolvers-pistols-lances ). Le Brésil entretient donc un commerce des armes malgré le génocide et surtout maintient une coopération technologique notable dans le domaine de la défense, principalement avec l'entreprise israélienne Elbit Systems (voir site officiel https://www.elbitsystems.com/ ) et sa filiale brésilienne Ares Aeroespacial e Defesa. Il faut savoir que la firme Elbit System est explicitement mentionnée dans le rapport et figure sur la liste des firmes d'armement qui collaborent directement au génocide selon Francesca Albanese, rapporteuse spéciale auprès des Nations Unies sur la situation droits humains dans les territoires palestiniens occupés.
Au point 31 de son rapport, Francesca Albanese écrit :
« Le complexe militaro-industriel est devenu le pilier économique de l'État. Entre 2020 et 2024, Israël était le huitième exportateur d'armes au monde. Les deux plus grandes entreprises d'armement israéliennes – Elbit Systems, créée sous forme de partenariat public-privé puis privatisée, et l'entreprise publique Israel Aerospace Industries (IAI) – figurent parmi les 50 premiers fabricants d'armes au monde. Depuis 2023, Elbit coopère étroitement avec les opérations militaires israéliennes, en intégrant du personnel clé au ministère de la Défense, et a reçu le prix israélien de la défense 2024. Elbit et IAI fournissent un approvisionnement national essentiel en armement et renforcent les alliances militaires d'Israël grâce à l'exportation d'armes et au développement conjoint de technologies militaires. » [8]
Elle ajoute au point 33 :
« Les drones, hexacoptères et quadricoptères ont également été des machines à tuer omniprésentes dans le ciel de Gaza. Les drones, largement développés et fournis par Elbit Systems et IAI, volent depuis longtemps aux côtés de ces avions de combat, surveillant les Palestiniens et fournissant des renseignements sur les cibles. Au cours des deux dernières décennies, avec le soutien de ces entreprises et la collaboration d'institutions telles que le Massachusetts Institute of Technology (MIT), les drones israéliens ont été équipés de systèmes d'armes automatisés et ont acquis la capacité de voler en formation en essaim. » [9]
La collaboration entre le Brésil et Israël dans le domaine militaire par l'intermédiaire d'Elbit et sa filiale ARES est avérée. Par exemple, Ares a fourni des stations d'armes téléopérées (RCWS, REMAX) au Brésil dans le cadre d'un contrat d'environ 100 millions de dollars. La coopération va au-delà des échanges physiques, avec des transferts technologiques, co-production et formation via Elbit/Ares.
Par ailleurs, en avril 2024, sous pression du ministère de la défense, le programme VBCOAP (armored self propelled howitzer) du Brésil a désigné le système ATMOS 2000 155 mm monté sur camion (Tatra T 815 6×6) développé par Elbit Systems comme vainqueur d'un appel d'offres impliquant également le Caesar (France), le SH 15 (Chine) et le Zuzana 2 (Slovaquie/CZ). Le contrat initial prévoit l'acquisition de 36 obusiers : 2 unités devaient être livrées dans les 12 mois pour évaluation technique et opérationnelle au Brésil. Les 34 systèmes restants seront livrés annuellement jusqu'en 2034. Le montant total du marché est estimé à 150 200 millions de dollars, voire 210 millions de dollars selon certaines sources (voir le journal brésilien The Rio Times : https://www.riotimesonline.com/lulas-brazil-acquires-israeli-defense-tech-despite-criticism-over-gaza-conflict/ ). Au moment où nous écrivons cet article, le projet est « gelé » (frozen) depuis octobre 2024 en raison des critiques du président Lula da Silva contre Israël et la guerre à Gaza (https://www.defensenews.com/global/the-americas/2024/10/07/brazils-deal-for-israeli-howitzers-frozen-over-gaza-war/ ). Toutefois, aucun décret exécutif d'annulation n'a été signé. Depuis l'annonce du gel du contrat, le ministère de la Défense brésilien et le chef de l'armée tentent de débloquer le dossier et persuader le président de procéder aux livraisons, notamment des deux unités prototypes pour tests opérationnel. A la fin du mois de juillet 2025, le ministre brésilien des relations extérieures, Mauro Vieira, a annoncé un durcissement des positions du Brésil à l'égard d'Israël et l'arrêt du commerce des armes avec Israël (en portugais : https://www.gazetadopovo.com.br/republica/brasil-sancoes-israel-por-genocidio-gaza-chanceler-onu/ ).
Comment se comporte l'Égypte, qui est membre à part entière des BRICS, à l'égard de la solidarité avec le peuple palestinien ?
Nous observons depuis des années une collaboration croissante entre l'Égypte, Israël et les États-Unis, au détriment de la solidarité avec la Palestine
Il faut d'abord souligner le fait que les autorités égyptiennes ont réprimé et empêché en juin 2025 des milliers de personnes provenant de dizaines de pays différents de se déplacer dans le pays pour rejoindre le poste frontalier de Rafah afin d'exprimer leur solidarité avec le peuple palestinien, exiger la fin du génocide et soutenir la nécessité d'un cessez le feu. En effet, le 10 juin 2025, des militant·es venu·es de plus de 50 pays ont lancé la Marche mondiale pour Gaza, une initiative civile portée par une large coalition internationale pour dénoncer le blocus israélien et exiger l'ouverture d'un corridor humanitaire vers Gaza via le poste-frontière de Rafah. Cependant, les autorités égyptiennes ont empêché le déroulement de la marche, mobilisant dès le départ une campagne de diffamation médiatique contre les organisateurs. La répression s'est intensifiée par des arrestations (dans les rues, hôtels et restaurants), confiscations de passeports et destructions de téléphones, empêchement des convois de quitter le Caire. Des violences et mises en détention ont également été observées à Ismaïlia, où 200 militant·es ont été arrêté·es. Plusieurs expulsions et refoulements à l'aéroport ont aussi été signalées. (Lire https://jewishcurrents.org/egypt-cracks-down-on-the-global-march-to-gaza ).
Cette répression reflète la collaboration croissante entre l'Égypte, Israël et les États-Unis, au détriment de la solidarité avec la Palestine. En effet, à l'époque de Gamal Abdel Nasser, l'Égypte a refusé toute normalisation avec Israël et a continué à critiquer sévèrement les abus israéliens à l'encontre des Palestinien·es. Mais son successeur, Anwar Sadat, a signé un traité de paix avec Israël en 1979, sous l'égide des États-Unis. Considéré comme une trahison par les Palestinien·es, et les peuples de la région, y compris le peuple égyptien, ce traité a ouvert la voie à une coopération croissante, militaire, sécuritaire et économique. Sous la présidence d'Abdel Fattah al-Sissi, cette normalisation s'est accentuée à des niveaux sans précédent, avec une coopération sécuritaire, dépendance économique accrue à l'égard du gaz israélien, soutien implicite au blocus de Gaza, en contrôlant étroitement le point de passage de Rafah et en démantelant les tunnels de commerce vers Gaza. Le régime continue à réprimer systématiquement les manifestations pro-palestiniennes et même des gestes symboliques comme brandir un drapeau palestinien peuvent mener à des accusations de terrorisme.
Qu'en est-il du commerce entre l'Égypte et Israël ?
En 2022 : le commerce entre l'Égypte et Israël était estimé à environ 300 millions USD, contre environ 330 millions USD selon un rapport de 2021. En 2023, les échanges ont augmenté de 56 % par rapport à 2022, soit un total estimé à environ 468 millions USD. En 2024, la croissance s'est accélérée en fin d'année, avec un bond de 168 % au quatrième trimestre, mais le total annuel exact n'est pas précisé. Le principal produit acheté par l'Égypte à Israël est le gaz naturel. Le gaz « israélien » représentait 15 20 % de la consommation égyptienne début 2025.
Y a-t-il une collaboration militaire entre l'Égypte et Israël ?
Oui, il existe une collaboration militaire secrète mais substantielle entre l'Égypte et Israël, malgré leur histoire conflictuelle (guerres de 1948, 1967, 1973). Depuis 2007, l'Égypte et Israël organisent de fait un blocus à l'égard de Gaza (restrictions sur la circulation biens et des personnes, surveillance des tunnels). L'Égypte et Israël mènent des opérations conjointes en détruisant des tunnels entre Gaza et l'Égypte (avec aide technologique israélienne). L'Égypte a acquis des systèmes de surveillance israéliens (dont des radars Elbit) via des intermédiaires européens. Selon le Wall Street Journal du 7 mars 2024, Israël a mené des frappes secrètes contre des armes transitant par l'Égypte vers Gaza, avec l'accord tacite des autorités égyptiennes. L'aide militaire apportée par les Etats-Unis à l'Égypte pour un montant de 1,3 milliard de dollars est octroyée à la condition que Le Caire collabore avec Israël. Les États-Unis veillent à ce que cette condition soit respectée.
Quelles relations les Émirats Arabes Unis entretiennent-ils avec Israël ?
En 2020, sous l'égide du président Donald Trump, les accords d'Abraham débouchent sur la normalisation des relations entre Israël et les Émirats arabes unis
En 2020, sous l'égide du président Donald Trump, les accords d'Abraham [10] débouchent sur la normalisation des relations entre Israël et les Émirats arabes unis (pour en savoir plus sur les Émirats Arabes Unis lire l'encadré). Le 29 août 2020, quelques semaines après l'annonce des accords d'Abraham, les Émirats ont abrogé la loi fédérale de 1972 qui interdisait les relations économiques avec Israël. Cette décision a rendu légaux les échanges commerciaux et les investissements bilatéraux ; l'importation et la vente de produits israéliens ; la coopération scientifique, culturelle, technologique, etc. Avant cette abrogation, des relations de plus en plus étroites s'étaient progressivement établies.
Après les accords d'Abraham, le Comprehensive Economic Partnership Agreement (CEPA) a été signé le 31 mai 2022 et est entré en vigueur le 1er avril 2023, avec suppression ou forte réduction des droits de douane sur environ 96 % des lignes tarifaires et 99 % de la valeur des échanges (Wikipédia). Ce traité vise à faire croître les échanges bilatéraux jusqu'à plus de 10 milliards de dollars dans les cinq ans suivant sa conclusion. Le conflit à Gaza a réduit en 2024 la visibilité des échanges, mais le commerce est resté actif et s'est accru. Pour preuve, le volume du commerce qui atteignait 2,5 milliards de dollars en 2022 atteindra selon les prévisions 5 milliards de dollars en 2025.
Selon Bloomberg, il y a, en 2025, environ 600 entreprises israéliennes actives aux EAU et selon un rapport de Dubai Chamber (2023), plus de 200 entreprises émiraties ont noué des partenariats ou ouvert des activités en Israël depuis la normalisation des relations (https://www.dubaichamber.com).
Encadré : ABC à propos des Émirats Arabes Unis
Bien que Dubaï soit la plus grande ville, la plus connue à l'international, et un centre commercial, financier et touristique majeur, c'est Abou Dhabi qui est la capitale officielle des Émirats arabes unis. Les Émirats Arabes Unis (EAU) ont un rôle économique et militaire international de loin supérieur à leur population. La population des EAU est d'environ 10 millions d'habitant·es dont seulement une dizaine de pourcent sont émirati·es. Sur ces 10 millions, environ 9 millions sont étranger·es dont 3 millions viennent de l'Inde, 1,5 million viennent du Pakistan, un autre million et demi du Bangladesh et le reste vient principalement d'autres pays d'Asie (Philippines, Sri Lanka, Népal). Enfin, environ 1 million vient des pays arabes dont la moitié de l'Égypte.
Dubaï, la plus grande ville est devenue un centre financier international de premier plan qui est rentré en compétition avec d'autres centres financiers comme Londres, Zurich, Luxembourg, Singapour, Hong Kong. Pour attirer les sociétés financières privées internationales, les autorités émiraties offrent les conditions les plus favorables imaginables : une législation ainsi qu'une fiscalité particulièrement clémentes à l'égard des grandes entreprises et des hautes fortunes.
Le Dubaï International Financial Centre (DIFC) est une zone franche réglementée avec son propre système judiciaire inspiré du droit anglais, abritant plus de 5 000 entreprises, dont plus de 1 000 institutions financières (banques, compagnies d'assurances, fonds, etc.). La Zone franche offre comme avantage : 0 % d'impôt sur les sociétés (dans certaines conditions) ; pas de taxes sur les plus-values ni sur les dividendes ; 100 % de propriété étrangère. On verra plus loin dans la série que le recours à des Zones franches ou Zones Économiques Spéciales est développé à la fois par des pays comme les EAU et, à sa manière, par la Chine (qui exerce plus de contrôles et est moins favorable en terme d'impôts et taxes) et est mis en avant par les BRICS lors de leurs sommets.
Comme l'écrit Husam Mahjoub dans une étude publiée par le Transnational Institute (TNI) basé à Amsterdam :
« Les Émirats arabes unis sont devenus une puissance sous-impériale en Afrique, investissant dans des ports, des aéroports et des projets d'infrastructure afin d'extraire des ressources et d'accroître leur influence politique et militaire à l'échelle mondiale. Il est essentiel de comprendre le rôle des Émirats arabes unis dans la refonte de la géopolitique régionale pour que les mouvements de résistance et de justice puissent contester efficacement les structures de pouvoir impérialistes. » [11]
Husam Mahjoub donne deux exemples concrets de la montée en puissance des EAU :
« Le premier vol d'Emirates Airlines a décollé le 25 octobre 1985, reliant Dubaï à la ville pakistanaise de Karachi, à bord d'un avion loué à Pakistan International Airlines. Aujourd'hui, Emirates dispose d'une flotte de plus de 260 appareils et dessert plus de 136 destinations à travers le monde. En 2023, l'aéroport international de Dubaï a été classé pour la dixième année consécutive comme le hub le plus fréquenté au monde pour les passagers internationaux. Le port de Jebel Ali, situé au large de la côte de Dubaï, a été inauguré en 1979, suivi six ans plus tard par la création de la zone franche de Jebel Ali. En 2023, il était le dixième port à conteneurs le plus fréquenté au monde. » [12]
Ce qui précède est d'une certaine manière la pointe de l'iceberg car au-delà de la ville vitrine de Dubaï et de l'archi connue ligne aérienne Emirates, les EAU sont une importante puissance économique et y compris militaire.
Les EAU ont investi 60 milliards de dollars dans plusieurs pays africains dans divers secteurs tels que l'exploitation minière, le pétrole, les infrastructures, la logistique et l'agriculture, commençant à jouer un rôle significatif dans leur économie nationale. Avec ce volume d'investissement, les EAU viennent en quatrième position après la Chine, les pays de l'UE et les États-Unis.
Les EAU sont des alliés d'Israël et des États-Unis mais jouent un rôle particulier dans la région arabe et en Afrique au Sud du Sahara.
Comme l'écrit Husam Mahjoub :
« Tout au long des années 2010, les ambitions sous-impériales des Émirats arabes unis et du Qatar ont, à bien des égards, reflété le modèle israélien. Malgré leur petite taille et leur faible population, et bien qu'ils soient situés dans un environnement régional hostile, ils ont tiré parti de leur richesse et de leurs relations stratégiques avec les puissances occidentales pour exercer leur influence dans toute la région. Les deux nations ont soutenu diverses factions, notamment des mercenaires et des insurgés, afin de promouvoir leurs intérêts nationaux et d'affirmer leur domination régionale. » [13]
Pour justifier l'emploi du concept de sous-impérialisme à propos des EAU, Husam Mahjoub se réfère aux travaux de Ruy Mauro Marini . Son explication mérite d'être reproduite ici :
« Le concept de sous-impérialisme, introduit par le chercheur et militant marxiste brésilien Ruy Mauro Marini, fournit des informations précieuses pour analyser les stratégies et les impacts des Émirats arabes unis. Il montre comment les Émirats arabes unis peuvent être à la fois soumis à l'impérialisme et agents de pratiques impérialistes dans leurs sphères d'influence, tout en remettant en cause les acteurs impérialistes traditionnels.
Dans ce contexte, le sous-impérialisme désigne un phénomène selon lequel un pays, sans être une grande puissance impériale mondiale, agit de manière à s'aligner sur les intérêts des puissances impériales ou à les soutenir, et se comporte de manière impérialiste au sein de sa propre région. » [14]
Le pouvoir et la richesse aux Émirats arabes unis sont concentrés entre les mains des familles régnantes d'Abou Dhabi (Al-Nahyan) et de Dubaï (Al-Maktoum), ainsi que de quelques clans capitalistes spécialisés dans le commerce et la finance qui leur sont étroitement liés. Le chef de l'État est Cheikh Mohamed Bin Zayed Al Nahyan. Il était présent en personne aux sommets des BRICS à Kazan en 2024 et à Rio en 2025 au Brésil.
Au centre de la géostratégie des EAU figure la prise de contrôle d'infrastructures portuaires et de logistiques sur tout le pourtour de l'Afrique. Les EAU possède des infrastructures en Afrique du Nord, sur la Méditerranée (Algérie et Égypte) ; en Afrique occidentale et australe, sur l'océan Atlantique (Angola, Congo, République démocratique du Congo (RDC), Guinée et Sénégal) ; sur l'océan Indien, en Afrique orientale (Kenya, Mozambique et Tanzanie) ; ainsi que dans la région de la mer Rouge, y compris la Corne de l'Afrique, avec des projets en Égypte, au Puntland, au Somaliland et à Djibouti. Ils investissent dans des hubs de logistiques à l'intérieur du territoire africain : Rwanda, Maroc, Nigeria, Afrique du Sud et Tanzanie. Voir le dossier réalisé par le Financial Times : « The UAE's rising influence in Africa », 30 May 2024, https://archive.ph/6HEca#selection-1375.0-1384.2
Le fait que les EAU aient accueilli la COP 28 montre également qu'ils sont très engagés dans le capitalisme vert. Lors de la COP 28, la société Blue Carbon LLC, créée par un membre de la famille royale des Émirats arabes unis, a passé de nombreux contrats avec des dirigeant·es des Suds pour accaparer pendant 30 ans des surfaces hallucinantes de leurs terres. Ces terres permettront à Blue Carbon LLC de vendre des crédits carbone aux entreprises polluantes [15], pour que ces dernières « compensent » la pollution qu'elles génèrent. 25 millions d'hectares de forêt du Libéria, d'Angola, du Kenya, de Tanzanie, d'Ouganda, de Zambie ou du Zimbabwe ont été achetés par cette société, et donc par les Émirats arabes unis (l'équivalent de la surface du Royaume-Uni). 20% de la surface du Zimbabwe, 10% de la surface du Libéria et de la Zambie, 8% de la surface de la Tanzanie ont été accaparés par Blue Carbon LLC.
Comme le montre très bien l'universitaire Adam Hanieh [16], les EAU et d'autres pays du Golfe tentent de placer les pseudos-technologie de captation du carbone et le marché des compensations carbone au centre des discussions, notamment lors des COP, pour qu'on ne parle pas de la fin des énergies fossiles (dont ils sont de très gros exportateurs). Leur stratégie est la suivante : noyer le poisson et être à la tête des fausses solutions passant par la finance et par le marché pour pouvoir générer toujours plus d'argent sur le dos de la transition écologique et continuer à extraire et exporter tranquillement les hydrocarbures. En bref, s'activer pour que rien ne change.
Y a-t-il un commerce des armes entre Israël et les Émirats Arabes Unis ?
Lors du salon d'armement tenu en février 2025 à d'Abou Dhabi, 34 firmes israéliennes d'armement étaient présentes
Oui, le commerce des armes est bien réel entre Israël et les Émirats depuis la normalisation en 2020. Il concerne principalement des systèmes anti-aériens (SPYDER, Barak 8, le Dôme de fer -Iron Dome-), des drones et technologies électroniques, et s'appuie aussi sur la coopération industrielle. Bien que les contrats spécifiques restent sensibles, le commerce s'est accéléré depuis 2022, avec une visibilité publique croissante depuis 2024–2025 via les salons d'armement comme le salon IDEX qui a lieu tous les deux ans. Lors de l'exposition IDEX tenue en février 2025, 34 firmes israéliennes spécialisées dans l'armement étaient présentes. La société émiratie EDGE spécialisée dans l'armement collabore activement avec les entreprises israéliennes du secteurs de l'armement comme Elbit, Rafael, IAI, RT, Thirdeye.
Y a-t-il une collaboration directe des forces armées émiraties avec l'armée israélienne ?
Oui, il y a une collaboration militaire même si elle n'est pas officiellement revendiquée par les deux parties. Cette collaboration s'explique d'ailleurs en partie par l'hostilité de ces deux pays à l'égard de l'Iran et de son influence dans la région. Il en va de même de leurs intérêts communs contre les Houthis au Yémen.
Depuis le début de la guerre au Yémen en 2015, les Émirats arabes unis ont accru leur présence militaire dans la région, notamment sur l'île principale de Socotra, officiellement yéménite. Les EAU ont occupé cette île, y ont installé une base militaire et coopèrent sur place avec l'armée israélienne. L'archipel de Socotra, situé au large du Yémen dans l'océan Indien, contrôle des voies maritimes cruciales entre la mer Rouge et le golfe d'Aden. Environ 20 000 navires de transport passent chaque année à proximité de l'archipel de Socotra, dont 9 % visant l'approvisionnement mondial annuel en pétrole. Lire : Karim Shami, “Tyranny on the waters : The UAE-Israeli occupation of Yemen's Socotra Island”, 24/03/2023, https://thecradle.co/articles-id/916# Lire également : “UAE, Israel expand spy bases in Yemen's Socotra under US-sponsorship : Report”, 29/07/2024,

Déclaration de membres du Conseil International du Forum Social Mondial Cotonou – Bénin, 30 juillet 2025
En ce 30 juillet, nous concluons les travaux du Conseil International du Forum Social Mondial à Cotonou, au Bénin, et adressons un message de fierté et de solidarité à tous les mouvements sociaux et solidaires qui, à travers le monde, ont exprimé leur soutien au peuple palestinien dans sa lutte contre toutes les formes de colonialisme, d'occupation et d'apartheid.
Nous, les signataires ci-dessous, nous condamnons avec la plus grande fermeté la guerre génocidaire, les déplacements forcés, le blocus, les massacres et la famine imposés par l'occupation israélienne au peuple palestinien – une politique soutenue depuis des décennies par les États-Unis et d'autres puissances occidentales, dans une complicité aujourd'hui plus évidente que jamais.
Face à cette guerre prolongée, la communauté internationale a échoué : elle n'a pas arrêté l'offensive en cours, ni condamné le génocide – le plus effroyable depuis la Seconde Guerre mondiale. Les tentatives d'envoi d'aide médicale et humanitaire ont été bloquées, et aucune mesure efficace n'a été prise pour suspendre l'approvisionnement en armes de l'armée d'occupation. Ce silence et cette inaction ont révélé l'effondrement du système multilatéral issu de l'après-guerre et son incapacité à agir dans un monde désormais dominé par une idéologie capitaliste globale.
Pourtant, cette guerre a radicalisé les consciences. Elle a renforcé, dans les mouvements sociaux du Nord comme du Sud, la conviction que l'avenir d'un monde nouveau et juste commence avec la Palestine. La victoire du mouvement de libération nationale palestinien est devenue le symbole de la justice globale. Les récentes convergences entre les luttes politiques, syndicales, féministes, écologiques, antiracistes et décoloniales, portées principalement par la jeunesse mondiale, ont marqué un tournant décisif. Elles ont suscité une réelle espérance pour les peuples – et une peur visible parmi les forces de domination.
La Palestine est aujourd'hui la boussole des forces du changement : elle incarne une résistance légitime et vivante pour le droit à l'autodétermination, tout en révélant la persistance des politiques coloniales et racistes, ainsi que les nouvelles formes d'hégémonie culturelle.
Le génocide à Gaza, et plus largement l'oppression continue du peuple palestinien depuis 1948, reflètent l'absence alarmante d'un ordre mondial juste et la montée inquiétante des tensions religieuses, identitaires et racistes. Notre soutien au droit légitime de résister à l'occupation s'inscrit dans un désir profond : construire une éthique et un esprit de résistance civile mondiale, transnationale et transculturelle, pour un monde juste – dont la Palestine est la première porte d'entrée.
Cette lutte s'enracine dans les principes fondateurs du Forum Social Mondial : la lutte contre le néolibéralisme, la domination coloniale, pour les droits des peuples, des minorités, des citoyens et pour les valeurs universelles de la solidarité humaine.
En pensant avec une douleur partagée aux dizaines de milliers de victimes à Gaza, nous nous souvenons des crimes commis contre le peuple palestinien depuis plus de 75 ans. Nous affirmons, devant le monde, que l'État d'Israël, soutenu par les puissances hégémoniques, constitue aujourd'hui une grave menace pour l'humanité entière. L'ampleur du désastre est sans précédent : les portes de l'enfer restent ouvertes, non seulement à Gaza, mais dans tous les territoires palestiniens occupés.
Nous affirmons que la Palestine ne lutte pas seulement pour sa propre libération, mais aussi pour la nôtre. La cause palestinienne met à l'épreuve et interroge les valeurs démocratiques, les droits humains et les principes de la justice internationale. Elle révèle le parti pris explicite des puissances dominantes en faveur de l'État d'occupation et leur déni systématique des droits palestiniens depuis la Nakba de 1948.
En réponse, nous, membres du Conseil International du Forum Social Mondial réunis à Cotonou, lançons un appel solennel pour :
– Un cessez-le-feu immédiat et permanent ;
– La levée totale du blocus imposé à Gaza ;
– L'entrée libre et suffisante de l'aide humanitaire et médicale ;
– L'arrêt immédiat des agressions des colons en Cisjordanie et du processus de colonisation ;
– La traduction en justice des criminels de guerre devant les tribunaux nationaux et internationaux ;
– Le renforcement de toutes les formes de boycott, sanctions et désinvestissement contre l'occupation israélienne ;
– Le développement de mécanismes de solidarité, de responsabilité et de reddition de comptes envers ceux qui ont légitimé, financé ou soutenu la guerre génocidaire en cours.
– La reconnaissance immédiate de l'État de Palestine par la communauté internationale, conformément aux résolutions de l'ONU et au droit à l'autodétermination.
– La suspension de tous les accords de coopération entre l'UE et Israël, y compris les partenariats commerciaux et militaires, jusqu'à ce qu'Israël respecte le droit international et mette fin à l'occupation des territoires palestiniens.
Un autre monde est possible. Il commence avec la Palestine et le droit du peuple palestinien à un État indépendant, libre de toute ingérence extérieure.
Pour signer l'appel.
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Les agents de bord du SCFP prouvent que la négociation, et non l’article 107 de Carney, permet de réaliser des accords
OTTAWA, ON, le 19 août 2025 - Les agents de bord d'Air Canada, membres du SCFP, ont porté un coup décisif aux employeurs qui croient pouvoir contourner une négociation équitable en invoquant l'article 107 du Code canadien du travail.
Le gouvernement du Premier ministre Carney a choisi d'imposer l'article 107 quelques heures à peine après le déclenchement de la grève - une mesure musclée et sans précédent visant à faire pencher la balance en faveur de l'employeur. Avec le soutien de l'ensemble du mouvement syndical, le SCFP a tenu bon, a défié l'ordre et a forcé l'entreprise à retourner à la table de négociation - où un accord équitable a été conclu. Le résultat est très clair sur un point : l'article 107 n'est plus une arme fiable pour les employeurs.
En refusant de se soumettre face à l'ingérence du gouvernement, les agents de bord du SCFP ont démasqué l'article 107 pour ce qu'il est : une violation inconstitutionnelle du droit à la négociation collective libre et équitable par les travailleuses et travailleurs qui est protégé par la Charte. Tout employeur qui pense pouvoir utiliser l'article 107 devrait désormais y réfléchir à deux fois - leur espoir vient de se briser.
Les accords sont conclus là où ils devraient l'être - à la table de négociation. C'est favorable pour les travailleuses et travailleurs, pour les collectivités et pour nouer des relations durables entre les syndicats et les employeurs. Le mouvement syndical tout entier est reconnaissant aux agents de bord pour leur force et leur persévérance à rester ferme dans la défense de ces droits.
Depuis les dernières 24 heures, il a été prouvé que l'article 107 est inconstitutionnel, inapplicable et destructeur pour la libre négociation collective. Les syndicats du Canada réclament qu'il soit retiré du Code canadien du travail. Nous demandons à tous les partis au Parlement d'en faire une priorité lors de la prochaine session cet automne - car la protection des droits des travailleuses et travailleurs garantis par la Charte ne doit jamais être optionnelle, et les employeurs ne doivent plus jamais être autorisés à compter sur l'article 107 pour retarder ou refuser une négociation équitable.
La leçon à tirer de cette grève est indéniable : les travailleuses et travailleurs sont gagnants quand ils mènent une lutte, et les conventions collectives sont conclues par la négociation, et non par des ordonnances imposées par le gouvernement. L'article 107 a été sérieusement ébranlé et ne devrait pas s'en remettre - c'est une bonne nouvelle pour tous les travailleurs et travailleuses du Canada.
Congrès du Travail du Canada
Le gouvernement Carney cède à la pression d'Air Canada et trahit les agent(e)s de bord
Le gouvernement libéral de Mark Carney a causé des dommages incalculables à la Charte et aux droits des travailleuses et travailleurs en se rangeant du côté d'Air Canada pour piétiner les droits des agent(e)s de bord. Aujourd'hui, la ministre de l'Emploi et des Familles, Patty Hajdu, a invoqué l'article 107 du Code canadien du travail pour intervenir au nom d'Air Canada afin de mettre fin à la grève des agent(e)s de bord moins de 12 heures après son déclenchement. La ministre renvoi ainsi l'affaire au CCRI en imposant un arbitrage de différends.
« Ce n'est pas fini », a déclaré Mark Hancock, président national du SCFP. « Nous continuerons à nous battre sur les lignes de piquetage, dans les rues, à la table de négociation, devant les tribunaux et au Parlement, jusqu'à ce que l'injustice du travail non rémunéré soit définitivement éliminée. Malgré tous les efforts du gouvernement libéral et de ses alliés du monde des affaires, les travailleuses et travailleurs gagneront cette bataille. »
Air Canada savait qu'elle pouvait éviter de régler les enjeux du travail non payé et des salaires de misère des agent(e)s de bord en entravant les négociations ; les libéraux lui ont donné raison une fois de plus.
« C'est absolument honteux et une énorme trahison », a déclaré Candace Rennick, secrétaire-trésorière nationale du SCFP. « La décision du gouvernement d'intervenir en faveur d'un employeur extrêmement rentable, contre une main-d'œuvre majoritairement féminine qui se bat bec et ongles pour sortir de la pauvreté, n'est pas seulement injuste, c'est un abus de pouvoir utilisé pour servir les intérêts des entreprises au mépris des principes d'équité. »
Les mesures prises aujourd'hui par les libéraux ne garantiront pas la bonne entente chez Air Canada. Elles ne feront que repousser les problèmes non résolus, qui continueront ainsi de s'aggraver. Cela ne garantira pas non plus la bonne entente dans ce secteur, car le travail non payé est une pratique qui touche presque l'ensemble du secteur du transport aérien. Cette question continuera de se poser dans les négociations entre les agent(e)s de bord et d'autres transporteurs comme WestJet et Porter, qui n'ont désormais plus aucune raison de négocier, car ils savent que Mark Carney et les libéraux viendront à leur secours.
Le mouvement syndical du Canada est uni face au gouvernement qui viole les droits des travailleurs - Congrès du travail du Canada (CTC)
Déclaration de Bea Bruske, présidente du Congrès du travail du Canada, à la suite d'une réunion d'urgence des syndicats du Canada concernant la grève des agentes et agents de bord d'Air Canada
« Ce soir, les dirigeantes et dirigeants des syndicats du Canada se sont réunis en session d'urgence pour faire front commun avec les agentes et agents de bord d'Air Canada pour défier la violation inconstitutionnelle des droits des travailleuses et travailleurs par le gouvernement.
Nous en sommes sortis plus forts et plus unis, avec un message clair que nous allons riposter contre les atteintes du gouvernement aux droits des travailleuses et travailleurs : une attaque contre l'un d'entre eux est une attaque contre nous tous. Le mouvement syndical se tient ferme et uni, et nous ne tolérerons pas que ces droits protégés par la Charte soient bafoués.
Les syndicats du Canada ont voté à l'unanimité pour demander au gouvernement fédéral de :
Retirer immédiatement l'ordonnance en vertu de l'article 107 pour mettre fin à la grève légale de la composante Air Canada du SCFP ;
S'engager à cesser immédiatement le recours à l'article 107 pour mettre fin à une grève légale dans le cadre d'un conflit de travail relevant de la compétence fédérale ou pour la prévenir ;
Convenir de modifier le Code canadien du travail afin de supprimer l'article 107, en tant que première affaire à l'ordre du jour à la reprise des travaux du Parlement.
Pour appuyer ces revendications, les syndicats du Canada sont prêts à :
Coordonner une campagne de riposte, en rappelant aux élus politiques et à la population canadienne plus largement les raisons pour lesquelles ces travailleuses et travailleurs se battent ;
Promouvoir et coordonner les contributions financières des syndicats affiliés et d'autres afin d'aider à régler les coûts judiciaires et autres frais encourus liés à la décision de la composante Air Canada du SCFP de défier l'ordre de la ministre ;
Diffuser rapidement auprès des syndicats affiliés des informations sur les manifestations et autres actions pour assurer un impact maximal ;
Travailler avec le SCFP et tous les syndicats affiliés afin de garantir que, si le gouvernement engage des mesures judiciaires contre ces travailleuses et travailleurs, le mouvement syndical répondra rapidement et sera uni dans une solidarité inébranlable.
Le Premier ministre Carney a été élu pour lutter contre Trump, et non pour miner les droits des travailleuses et travailleurs du Canada. Ce gouvernement a été élu pour protéger nos emplois et nos collectivités, et non pour appuyer des sociétés comme Air Canada qui exigent de leurs employés qu'ils travaillent gratuitement.
Il est temps de prendre la bonne décision et de respecter le droit des travailleuses et travailleurs canadiens à la négociation collective. »
Grève chez Air Canada - Déclaration de la présidente de la CSN
MONTRÉAL, le 18 août 2025 - Les représentantes et représentants des médias sont priés de prendre note de la réaction de la présidente de la CSN, Mme Caroline Senneville, quant aux récents développements de la grève des agentes et agents de bord d'Air Canada.
« Les agentes et agents de bord d'Air Canada peuvent compter sur la solidarité de la CSN. Les gouvernements Legault et Carney se permettent de plus en plus d'attaques envers le droit de grève et dévoilent leurs vraies couleurs : ils ne sont pas du côté des travailleuses et des travailleurs. Par ailleurs, j'inviterais la ministre du Travail à éviter le recours à l'article 107 pour mettre fin à des conflits de travail, puisque le droit de grève est constitutionnellement protégé. »
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Mark Carney nous a promis la résistance, il nous livre la reculade
Mark Carney a surgi sur la scène politique canadienne avec deux messages très clairs, un pour les électeurs.trices et l'autre pour la classe capitaliste. Devant le public, il s'est présenté comme un pragmatique, un homme qui a des valeurs, qui a écrit des bouquins et qui parle d'un leadership sans failles. Il a promis de sortir les Canadiens.nes de l'emprise de D. Trump et de ses « amis.es conservateurs.trices au Canada » comme Pierre Poilievre. Ça a marché ! Cela a propulsé sa victoire improbable en une reprise politique (libérale) historique.
Jjuillet 2025 | Canadian Dimension, premier juillet 2025
Traduction, Alexandra Cyr
Mais ce n'est pas ce qu'il avait donné à voir devant les conseils d'administration canadiens et américains. Son vrai plan était d'être Pierre Poilievre mais sans l'allure théâtrale. Il allait faire alliance avec D. Trump et B. Netanyahu à l'étranger tout en laissant de côté la classe ouvrière d'ici. C'est ce programme qui a prévalu jusqu'à maintenant et qui l'a fait entrer en conflit avec l'électorat qui l'a porté au pouvoir.
Au point de départ, beaucoup ont gardé confiance malgré les lourdes pertes du NPD, leur incapacité à s'assurer d'être la minorité de blocage qui aurait pu obliger le nouveau Premier ministre à collaborer avec lui autour de lois progressistes. L'inverse s'est produit. M. Carney a clairement affirmé immédiatement après l'élection qu'il avait peu à lui offrir malgré son appui. Il a plus tôt livré un Discours du trône clairement de droite. Résultat ? Le caucus du NPD s'y est opposé mais les Libéraux et les Conservateurs s'y sont rallié unis qu'ils sont dans leur rejet des valeurs progressistes.
Tout cela s'est reflété dans la première législation de ce gouvernement, la loi C-5 que M. Carney a défendu comme un plan pour que le « Canada se reconstruise ». Mais une alliance entre le NPD et des groupes des Premières nations lui a offert une forte opposition. Les chefs autochtones d'Ontario par exemple se sont liés à la députée NPD, Leah Gazan, pour s'y attaquer parce qu'elle menace leur environnement vital et le processus de consultation avec les Premières nations.
Ces chefs sont particulièrement concernés parce que cette loi autorise le Cabinet à désigner des projets au titre « d'intérêt national » ce qui leur garantit l'approbation fédérale même s'ils transgressent les droits des Premières nations, endommagent leur environnement ou comportent des risques pour la santé publique.
Alors que le NPD a réussi à repousser légèrement son adoption, elle a été précipitée par une alliance en Chambre entre les Libéraux et les Conservateurs qui a sérieusement limité les débats. Chrystia Freeland à même travaillé de près avec les Conservateurs du Sénat pour que l'adoption aille de l'avant.
La suite gouvernementale n'a pas été mieux. La loi C-2 en appelle clairement au mot d'ordre conservateur « la loi et l'ordre ». Elle menace d'éroder les droits à la vie privée des Canadiens.nes. Elle permet à la police de requérir des informations à n'importe quel serveur internet, aux hôtels, aux agences de locations de véhicules, aux fournisseurs de services téléphoniques et même aux fournisseurs privés de soins de santé, tout ceci sans mandat.
Ce genre de législation ferait rougir Stephen Harper. Pire, c'est une sérieuse menace aux droits à l'avortement. Les organisations de défense des libertés civiles le notent : « Cette loi pourrait ouvrir la porte au partage des informations avec les autorités policières américaines comme celles du Mississipi auxquelles on pourrait signaler qu'une personne a obtenu des services d'avortement dans une clinique canadienne ».
Les implications font frémir. Le gouvernement Carney pourrait se retrouver à aider les régimes d'extrême droite américains à faciliter leur criminalisation de l'avortement. L'électorat libéral avait peur de P. Poilievre à ce sujet, peur qu'il restreigne les droits à l'avortement ; il n'aurait pas voté pour un Premier ministre qui puisse appliquer ce que les Conservateurs n'avaient encore pas fait.
Pendant qu'il assure résister au trumpisme sur la scène internationale, il a pourtant jusqu'ici, repris et même justifié des mensonges du Président américain. Par exemple il lui a notablement donné son soutien au bombardement en Iran malgré les fausses raisons invoquées. Alors que les experts en renseignement du Président s'opposaient à ces raisons, M. Carney a absurdement justifié l'attaque et en a remis le blâme sur l'Iran.
Bien sûr, ce n'est pas d'aujourd'hui que le Canada adopte les visées interventionnistes de l'Occident. Mais la position de M. Carney est plus faible que celle de gouvernements libéraux antérieurs comme celui de Jean Chrétien. Elle entre aussi en contradiction avec la campagne « elbows up » et sa rhétorique.
Il permet à D. Trump de dicter la politique étrangère canadienne mais aussi, avec sa politique de frais de douane (sur nos marchandises), il crée un précédent troublant. Au cours des dernières semaines, le Président américain s'est laissé aller contre les politiques canadiennes particulièrement contre les taxes imposées aux géants de la technologie comme Uber, Amazon et Apple. Quand cette imposition a été adoptée en 2024, la ministre des finances de l'époque, Mme C. Freeland a souligné son caractère bipartisan ainsi que le fait que des mesures semblables avaient été adoptées partout en Europe.
Mais pour apaiser le Président Trump et la Chambre de commerce américaine, M. Carney s'est empressé de la retirer abruptement. Cela n'a suscité aucune opposition et aucune concession américaine n'a été faite en retour. Il n'avait pas fait campagne à propos de cadeaux sous la forme de congé d'impôts et de taxes aux multimillionnaires de la Silicone Valley pour plaire à D. Trump. Comme le dit Don Davies, chef intérimaire du NPD : « Le Canada est un pays souverain qui a le droit d'adopter ses propres lois en matière d'imposition. Abandonner une taxation juste envers les géants de la technologie est un apaisement inacceptable ».
En fait, comme le souligne Nora Loreto, ce n'est pas pour ça que les Canadiens.nes ont voté : « Ceux et celles qui ont voté pour M. Carney, ont voté contre un approfondissement de notre intégration aux États-Unis. M. Carney n'a pas fait campagne en faveur de la guerre ».
Erica Ifill décrit cette trahison sans ménagements : « Le Canada a été dupé. Nous avons évité de voter pour un sympathisant d'extrême droite de D.Trump. Mais nous avons élu un Premier ministre qui va aligner nos politiques sur celles des États-Unis. Malgré toute sa rhétorique contre D. Trump et la célébration de l'idée que le Canada est indépendant et n'a aucune envie d'être comme les États-Unis, nous adoptons maintenant des lois inspirées par Make America Great Again (MAGA).
M. Carney est devenu Premier ministre grâce au vote des progressistes qui voulaient empêcher l'axe Trump-Poilievre de s'installer sur toute l'Amérique du nord. Mais, jusqu'ici, ses politiques n'ont servi qu'à répliquer D. Trump et valider Poilievre. Déjà, il signale les promesses rompues en augmentant de manière impressionnante les dépenses militaires jusqu'à 5% du PIB selon les visées de D. Trump. Cela peut mener à des coupes de budget bien plus importantes, que l'électorat ne pourrait jamais approuver.
Si c'est le résultat du vote stratégique, c'est une stratégie qui est un échec patent ».
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En massacrant les journalistes de Gaza, Israël avoue l’ampleur de ses crimes
Israël a revendiqué l'assassinat, le 10 août, de six journalistes palestiniens à Gaza, assimilant l'un d'entre eux à un terroriste. Ils étaient parmi les derniers, après un massacre sans précédent de professionnels de l'information par l'armée israélienne.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière.
Le 16 avril, place de la Bastille à Paris, s'est tenu un trop maigre et trop tardif rassemblement en solidarité avec les journalistes palestinien·nes de Gaza. Toute notre profession avait pourtant sous les yeux, depuis des mois, l'hécatombe de confrères et de consœurs délibérément tué·es par l'armée israélienne.
Depuis février 2024, Mediapart s'efforce de montrer les visages de ce carnage qui dépasse le décompte de deux cents journalistes tué·es. Un chiffre sans précédent historique connu : jamais, en cumulant les deux guerres mondiales du XXe siècle et tous les conflits modernes passés, autant de professionnels de l'information n'avaient disparu dans une seule et même séquence, chronologique et géographique. Jamais autant de témoins, ayant la charge d'un droit humain fondamental – celui de savoir ce qui arrive à notre humanité commune –, n'avaient été supprimés, sciemment, volontairement, cyniquement, par l'un des belligérants d'un conflit armé.
Lors du rassemblement parisien d'avril 2025, le directeur général de Reporters sans frontières (RSF), Thibaut Bruttin, s'est inquiété de la trop grande indifférence des médias français et, plus largement, occidentaux face à ce défi meurtrier lancé à la raison d'être du journalisme : l'information, sa liberté, sa nécessité. Et il n'a pas mâché ses mots (à 33 min 40 s dans cette vidéo) : « Le poison insidieux des forces armées israéliennes s'est introduit parfois jusque dans notre propre métier. Depuis dix ans que je travaille à RSF, c'est la première fois qu'on me demande si le journaliste est vraiment un journaliste, quand il est mort. Cela n'était jamais arrivé. »
Et cela arrive, toujours et encore. Israël a revendiqué l'assassinat, dimanche 10 août, d'Anas al-Sharif, célèbre reporter palestinien d'Al Jazeera, dans un bombardement ciblé qui a tué cinq autres journalistes et leur chauffeur. Un crime collectif assumé par l'affirmation de l'armée israélienne, assortie d'aucun début de preuve, qu'Anas al-Sharif aurait été un chef de cellule du Hamas.
Des récits et des preuves à éliminer
Dans la sauvagerie généralisée que libère la prétendue guerre de civilisation menée par Israël à Gaza, il y a donc aussi cette nouveauté : le journalisme n'est plus une protection, encore moins un sanctuaire. Tout État, y compris un État qui se prétend encore une démocratie, est en droit de décréter qu'un journaliste est un terroriste, et à ce titre de le supprimer ainsi qu'au passage les collègues qui l'accompagnent. Sur le théâtre d'expérimentation barbare de Gaza, Israël traduit en actes définitifs le rêve de tous les ennemis de l'information comme contre-pouvoir et contre-récit.
Selon le bilan 2024 publié par RSF, « Gaza est devenue la région la plus dangereuse au monde pour les journalistes, un endroit où le journalisme lui-même est menacé d'extinction ». L'ONG française a déjà déposé quatre plaintes auprès de la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre commis à Gaza par l'armée israélienne.
La même CPI affiche toujours sur son site le mandat d'arrêt du 21 novembre 2024 visant, pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité, le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, lequel y est déclaré « actuellement en fuite ». Amère et dérisoire illustration de l'impuissance du droit face à la force, tant que la communauté internationale s'en tiendra à des mots sans actes, c'est-à-dire sans sanctions concrètes contre l'État d'Israël.
Dès lors, la question du journalisme peut sembler secondaire. Devant l'ampleur du désastre, plus que jamais en cours, dont les qualifications juridiques – crimes de guerre, crimes contre l'humanité, crime de génocide – peinent à dire la terrible réalité, on peut penser que ce n'est qu'un aspect, parmi d'autres, de la catastrophe. C'est d'autant plus légitime que, si les journalistes sont formellement protégé·es par le droit international humanitaire (lire ici, là et là), c'est au même titre que les civil·es, lesquel·les payent à Gaza le plus lourd tribut d'une guerre explicite de destruction de la Palestine.
Il y a pourtant une dimension supplémentaire. L'hécatombe de journalistes n'est pas qu'une énième illustration du mépris total des droits humains fondamentaux par l'armée israélienne. Le massacre de journalistes à Gaza est l'aveu par Israël des crimes commis dans l'enclave. « Dans cette guerre, nous avons appris que ce que l'on ne voit pas, on ne le sait pas », résumait dès septembre 2024 Yossi Klein, un éditorialiste du quotidien israélien Haaretz. Ce qui ne se voit pas, ne se montre ni ne se documente, n'existe pas…
Toute indifférence au sort des journalistes à Gaza devient une indifférence à l'essence du métier de journalisme.
De fait, aucun média international n'a accès à la bande de Gaza depuis le déclenchement de la guerre israélienne de riposte au 7-Octobre. Quant aux journalistes palestiniens, dont la diversité des médias pour lesquels ils travaillent reflète forcément les débats et les courants de leur société (lire cette mise au point éclairante d'« Arrêt sur images »),ils sont explicitement des cibles, autrement dit, des regards, des récits, des preuves à éliminer.
L'impunité du crime exige l'absence de témoins. La guerre absolue à l'information et au journalisme menée par les dirigeants israéliens est à la mesure de leur lucidité sur la gravité de leurs actes. Elle va de pair avec leur volonté acharnée de discréditer, bannir et punir les organisations non gouvernementales, les agences onusiennes – l'Unrwa au premier chef –, et même jusqu'à la Croix-Rouge et au Croissant-Rouge – dont des personnels médicaux ont été tués dans l'exercice de leurs fonctions.
Heureusement, dans notre univers interconnecté où la société civile peut elle-même alerter et documenter en temps réel, ce black-out total sur l'information n'a pas empêché que l'incommensurable crime commis à Gaza soit d'ores et déjà établi. Fin 2024, par Amnesty International (le 5 décembre), Médecins sans frontières (le 18 décembre) et Human Rights Watch (le 19 décembre). Le 21 janvier 2025, par Forensic Architecture sous le titre « A Cartography of Genocide ». Et, tout récemment, en juillet, en Israël même, par l'ONG B'Tselem, sous l'intitulé « Our Genocide ».
Le rapport de B'Tselem tout comme l'exceptionnel travail de recension réalisé par l'historien israélien Lee Mordechai soulignent l'enjeu informationnel de la guerre israélienne à Gaza. « Ingérence dans la couverture médiatique », dit l'un, « limitation de la circulation de l'information », dit l'autre : derrière la prudence des mots, il y a ce constat d'un crime que ses auteurs auraient voulu sans témoin, pour mieux l'effacer. Qu'ainsi, il n'y ait plus de vérité factuelle, rigoureuse, indépendante, que des vérités alternatives, jetées dans l'arène des opinions et des manipulations.
Dès lors, toute indifférence, notamment de la profession elle-même, au sort des journalistes à Gaza devient une indifférence à l'essence du métier de journalisme : servir la vérité des faits. Dans ce registre, le journalisme ne saurait être neutre, sauf à servir le mensonge et la propagande. Or la vérité, c'est qu'un génocide a eu lieu, a toujours lieu, à Gaza, dont les Palestinien·nes sont les victimes, dans un processus criminel dont le colonialisme est le ressort, de déshumanisation de l'opprimé et de barbarisation de l'oppresseur.
Il suffit de lire « Our Genocide », par B'Tselem :
« Le génocide va au-delà des souffrances atroces infligées à ses victimes directes. Il s'agit d'une atteinte à l'humanité elle-même : à la conviction fondamentale que chaque vie est précieuse et au principe fondamental selon lequel chaque être humain a des droits fondamentaux qui lui garantissent une protection contre la violence arbitraire. L'histoire montre que tenter d'éradiquer un groupe d'êtres humains est un crime aux conséquences catastrophiques, un crime que chaque personne a le devoir de combattre et d'arrêter immédiatement. Il s'agit d'un impératif moral, juridique et humain : reconnaître les faits, les nommer, se tenir aux côtés des victimes et exiger la fin de la destruction et de l'extermination pendant qu'elles se déroulent. […]
« Dans l'immédiat, la reconnaissance du fait que le régime israélien commet un génocide dans la bande de Gaza et la profonde inquiétude quant à son extension à d'autres zones où les Palestiniens vivent sous domination israélienne exigent une action urgente et sans équivoque de la part de la société israélienne et de la communauté internationale. C'est le moment d'agir. C'est le moment de sauver ceux qui ne sont pas encore perdus à jamais et d'utiliser tous les moyens disponibles en vertu du droit international pour mettre fin au génocide des Palestiniens par Israël. »
Edwy Plenel
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Nous sombrons dans l’autoritarisme. Nous résistons. Mais pas assez !
Nous sommes poussés et nous glissons vers un État autoritaire. Nous vivons aujourd'hui dans un pays où de nombreuses institutions démocratiques, y compris les tribunaux, ont été sérieusement affaiblies, où les organisations de la société civile ont été profondément compromises et où nos libertés civiles sont mises à mal. Les États-Unis n'ont jamais été un modèle de démocratie, loin s'en faut, en particulier pour les personnes de couleur. Mais au cours des cinq premiers mois du second mandat de Donald Trump, les choses ont commencé à changer fondamentalement lorsqu'il s'en est pris aux médias, aux universités, à la science, à la médecine et à la santé publique, aux juges et aux avocats, aux fonctionnaires et à leurs syndicats, et surtout aux immigrants, arrachés à leur lieu de travail ou même à leur école, arrêtés et expulsés. Des agents de l'Immigration and Customs Enforcement (ICE) ont arrêté et détenu des responsables du Parti démocrate, dont un sénateur américain et un contrôleur de la ville de New York qui était également candidat à la mairie. Il a instauré de nouvelles interdictions de voyager pour les pays du Moyen-Orient et d'Afrique, tout en accueillant les Sud-Africains blancs comme victimes d'un « génocide ». Des poursuites judiciaires ont été engagées et lorsque Trump a perdu, il a retardé l'application des décisions de justice et a même ignoré les tribunaux, y compris la Cour suprême. Puis, progressivement, comme l'a dit Masha Gessen, la normalisation s'est installée ; tout est devenu routinier pour nous. Mais en réalité, rien n'est normal aujourd'hui.
2 août 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/08/02/nous-sombrons-dans-lautoritarisme-nous-resistons-mais-pas-assez-texte-sur-ice/#more-96419
Nous savions depuis des mois que nos droits et notre démocratie étaient érodés, nous avons protesté et nous avons vécu avec, mais peu à peu, beaucoup d'entre nous ont pris conscience que tout était différent. Nous ne vivons plus dans le pays auquel nous nous étions habitués, en tant que natifs ou immigrants, un pays qui, malgré ses nombreux problèmes, n'était pas un régime autoritaire. Les gens prennent conscience de cette nouvelle réalité à des moments différents. Pour certains, cela s'est produit lorsqu'ils ont vu des étudiants immigrés être enlevés dans la rue par des hommes masqués qui ne s'identifiaient pas, fourrés dans des voitures banalisées et envoyés dans des camps en vue de leur expulsion. Pour d'autres, ce fut la vue d'immigrés envoyés dans une prison tristement célèbre au Salvador ou au Soudan du Sud, hors de toute procédure régulière, sans audience ni procès, simplement arrêtés et emmenés par avion.
Le tournant pour beaucoup, le moment où tout est devenu clair, des hauts fonctionnaires aux journalistes en passant par les citoyens ordinaires, s'est produit le 7 juin, lorsque Trump a illégalement fédéralisé et déployé la Garde nationale californienne à Los Angeles (L.A.) sans invitation du gouverneur Gavin Newsom ou de la maire de L.A., Karen Bass. Il les a déployés illégalement, car il n'y avait ni invasion ni insurrection, comme l'exige la loi pour justifier leur mobilisation. Des soldats dans les rues d'une ville américaine ont été utilisés pour réprimer des manifestants.
Trump a d'abord envoyé 2 000 soldats à L.A., mais en l'espace de quelques jours, il en a mobilisé 2 000 autres et a également envoyé 700 marines. Il a invoqué le titre 10 du Code des États-Unis, qui autorise le président à envoyer des troupes fédérales s'il y a « une rébellion ou un danger de rébellion contre l'autorité du gouvernement des États-Unis » ou lorsque « le président est incapable, avec les forces régulières, d'exécuter les lois des États-Unis ». Mais il n'y avait ni rébellion ni danger de rébellion. Le déploiement des Marines est une violation de la loi Posse Comitatus qui interdit l'utilisation des troupes pour le maintien de l'ordre intérieur. Trump s'en moque. Comme il l'a dit, « nous allons avoir des troupes partout ».
Trump qualifie les manifestants de « foules violentes et insurrectionnelles » et d'« insurgés payés », inventant clairement un argument pour justifier le recours à la loi sur l'insurrection. Quoi qu'il en soit, Trump ne se soucie guère des subtilités juridiques. La loi sur l'insurrection pourrait conduire à l'instauration de la loi martiale dans tout le pays. Nous vivrions alors dans un État policier à part entière.
Au moment même où les troupes américaines intimidaient la population de Los Angeles, Trump organisait un défilé militaire pour célébrer le 250e anniversaire de l'armée américaine – et, « par coïncidence », son anniversaire. 6 700 soldats, des dizaines de chars M1A2 Abrams et d'autres véhicules militaires ont défilé devant la Maison Blanche ; des hélicoptères de combat ont survolé la foule et les Golden Knights Parachute Team ont sauté du ciel pour remettre un drapeau au président. De tels défilés célèbrent généralement la fin d'une guerre, mais dans ce cas, ils célébraient le début d'une guerre, contre nous.
Le manque d'humanité et l'absence de compassion au niveau national ont trouvé leur pendant dans une politique similaire à l'étranger. La nouvelle politique étrangère impérialiste de Trump appelle les États-Unis à prendre le contrôle et à gouverner le Panama, le Groenland et le Canada, et il a suggéré qu'ils pourraient également s'emparer de Gaza lorsque les Palestiniens en auront été chassés, pour en faire une station balnéaire. Il a aligné les États-Unis sur le dictateur russe Vladimir Poutine contre l'Ukraine et a soutenu le génocide israélien à Gaza, les campagnes contre le Hezbollah au Liban, contre les Houthis au Yémen et les bombardements en Syrie. Il s'est maintenant joint à la guerre d'Israël contre l'Iran, augmentant ainsi le risque d'une conflagration régionale plus large. Il a également lancé une guerre tarifaire et commerciale contre le Canada et le Mexique, contre l'Europe occidentale, contre la Chine et le Vietnam et d'autres pays d'Asie du Sud-Est. Les États-Unis ont toujours été une nation impérialiste, mais sous Trump, ils ne prétendent même plus promouvoir la démocratie et les droits humains ou améliorer la vie des peuples. La fermeture de l'USAID, qui faisait autrefois partie du soft power américain, entraînera la mort de centaines de milliers, voire de millions de personnes, victimes de maladies et de la faim. Il est en concurrence avec la Chine pour la domination mondiale. Notre présent est une guerre de conquête et de génocide, notre avenir pourrait être une guerre mondiale ou une guerre nucléaire.
Il est clair que nous sommes entrés dans une nouvelle période aux États-Unis, sous la présidence d'un populiste, de droite et autoritaire. On peut se demander s'il n'est pas en train de s'entraîner à Los Angeles, préparant le terrain pour une imposition nationale de la puissance militaire sur les États, en particulier ceux dirigés par le Parti démocrate qui ont adopté des lois sanctuaires interdisant à la police d'État de coopérer avec l'ICE. Nous devons nous demander si Trump prépare ce qu'on appelle en Amérique latine un « autogolpe » ou « coup d'État auto-proclamé », c'est-à-dire le maintien du pouvoir présidentiel tout en remplaçant un État démocratique libéral par une dictature.
À l'heure actuelle, selon les sondages, Trump bénéficie du soutien de 40% à 50% des Américains, parmi lesquels des dizaines de milliers de membres de milices armées telles que les Three Percenters et bien d'autres, et nous devons nous demander ce qui se passerait s'il les mobilisait également. S'agit-il des premiers pas vers l'imposition d'un régime fasciste ? Voyons-nous dans la militarisation de Los Angeles le signe d'une guerre civile à venir, géographiquement entre les côtes, d'une part, et le Midwest et le Sud, d'autre part, entre l'Amérique urbaine et l'Amérique suburbaine et rurale ?
Certains dirigeants politiques se sont exprimés à la fois sur le danger et sur les mesures à prendre. Dans un discours adressé aux Californiens, le gouverneur Newsom a qualifié les mesures de Trump d'« actes d'un dictateur ». Il a déclaré à ses concitoyens et aux autres Américains :
« Cela nous concerne tous. Cela vous concerne. La Californie est peut-être la première, mais cela ne s'arrêtera clairement pas là. D'autres États suivront. La démocratie est la prochaine sur la liste. La démocratie est attaquée sous nos yeux, le moment que nous redoutions est arrivé. Ce à quoi nous assistons n'est pas l'application de la loi, c'est l'autoritarisme. Ce que Trump veut avant tout, c'est votre loyauté. Votre silence. Que vous soyez complices en ce moment. Ne lui donnez pas. »
De même, le maire de Chicago, Brandon Johnson, a qualifié Trump de « tyran ». « Je compte sur tous les habitants de Chicago pour résister en ce moment », a déclaré Johnson. « Quel que soit le groupe vulnérable qui est visé aujourd'hui, un autre groupe sera le prochain. »
La députée Ilhan Omar, du Minnesota, a déclaré : « Nous sommes en train de créer un État policier… Nous devrions tous descendre dans la rue pour rejeter ce qui se passe [à Los Angeles et à Washington, D.C.]. »
C'est la première fois de ma vie que j'entends des politiciens appeler à la résistance populaire contre le gouvernement fédéral, encourageant les millions de personnes déjà dans la rue. Omar, Johnson et Newsom sont des politiciens qui ont leurs propres agendas et aspirations – Newsom veut devenir président – mais ils expriment les préoccupations et les sentiments de nombreux électeurs qui ont pris part à des manifestations massives pour s'opposer à Trump en tant que dictateur. Mais le Parti démocrate, qui est solidement ancré dans le système, ne s'est pas lancé dans la lutte contre Trump à tous les niveaux.
Trump espérait peut-être que le déploiement de la Garde nationale et des Marines à Los Angeles intimiderait ses opposants dans cette ville et dans tout le pays, mais cela n'a pas été le cas. À Los Angeles et dans quarante autres villes de vingt-trois États, des manifestations ont eu lieu contre les raids, les arrestations et les expulsions de l'ICE, ainsi que contre le déploiement de la Garde nationale et des Marines à Los Angeles par Trump, et ce malgré les gaz lacrymogènes, les grenades assourdissantes, les balles en caoutchouc et l'arrestation de centaines de manifestants. Et partout où l'ICE se rend, les habitants sortent pour résister, même au risque d'être arrêtés et emprisonnés.
Puis, le 14 juin, entre cinq et dix millions de personnes ont participé à deux mille manifestations « No Kings Day » dans les grandes villes et les petites villes des cinquante États, la plus grande manifestation nationale contre Trump à ce jour et la plus grande manifestation en une seule journée de l'histoire des États-Unis. Les pancartes des manifestants critiquaient le président pour ses attaques contre les soins de santé, les programmes alimentaires pour les enfants et les personnes âgées, l'éducation et la science, ainsi que contre les personnes LGBTQ et en particulier les personnes transgenres. Certaines banderoles proclamaient « Combattons l'oligarchie ». Plus de pancartes que lors des manifestations précédentes affichaient le slogan « Combattons le fascisme ! ». Là où j'ai manifesté à New York, les gens scandaient « À qui appartient ce pays ? Notre pays ! » Dans toutes les manifestations, il y avait davantage de drapeaux américains et davantage de slogans exprimant le désir d'une rédemption nationale. Les manifestations contre l'ICE et les marches « No Kings Day » ont représenté une nouvelle avancée pour la résistance contre Trump.
Trump pensait peut-être que ses rafles contre les immigrés, soutenues par l'armée, renforceraient sa popularité, mais divers sondages réalisés à la mi-juin suggéraient que ce n'était pas le cas. Trump avait promis de s'en prendre aux criminels, mais lorsque les gens l'ont vu arrêter des travailleurs et briser des familles, son soutien et celui de ses rafles contre les immigrés ont diminué, même si près de la moitié des Américains le soutiennent encore à l'approche des élections de mi-mandat de novembre 2026.
Trump nous opprime, et nous nous soulevons. Mais nous aurons besoin de plus de force pour nous protéger et nous débarrasser de lui. Les manifestations dans certaines villes, comme à New York, ont été trop blanches et n'ont pas bénéficié d'une participation proportionnelle des communautés de couleur. Un mouvement comme celui-ci a besoin de plus de puissance, de grèves et de désobéissance civile massive.
Nous devons gagner le soutien des travailleurs et de leurs syndicats. La bureaucratie syndicale reste un problème. Le président du syndicat Teamster, Sean O'Brien, a apporté son soutien virtuel à Trump en prenant la parole lors de la convention nationale du Parti républicain. Et Shawn Fain, qui avait soutenu la démocrate Kamala Harris et critiqué Trump, s'est ensuite prononcé fermement en faveur des droits de douane de Trump. Si les fonctionnaires, en particulier les employés fédéraux, s'opposent à Trump, les dirigeants et les membres des syndicats du bâtiment le soutiennent généralement. Les dirigeants syndicaux ne semblent pas comprendre que Trump représente une crise existentielle pour les syndicats et pour le peuple américain, une crise plus grave que n'importe quelle politique particulière. Nous avons besoin d'un mouvement syndical regroupant des travailleurs de toutes races, ethnies et religions, opposé à Trump et du côté de la démocratie et des libertés civiles – et des immigrants – et cette unité devra se construire à partir de la base, à partir des rangs.
Si les manifestations anti-Trump, nombreuses et croissantes, sont une bonne chose, nous devons veiller à ce que ce mouvement ait un impact politique et crée une force politique indépendante. Nous ne pouvons pas compter sur les démocrates, mais devons œuvrer pour un véritable parti politique de gauche, multiracial, ouvert à tous les genres et issu de la classe ouvrière. Un tel parti, à la fois parti électoral et mouvement social, aura besoin d'un programme qui parle aux travailleurs des salaires, du prix des denrées alimentaires, du coût du logement, de la nécessité d'un système de santé pour tous et d'une éducation publique gratuite de la maternelle à l'université, et qui propose de taxer les entreprises et les milliardaires pour financer tout cela. Ce parti devra défendre la justice sociale pour tous, les droits des immigrés, les droits reproductifs et les droits des minorités raciales. Ce devra être un parti ouvrier qui défend la liberté.
Si nous avons un programme qui parle aux travailleurs et aux opprimés, et une classe ouvrière unifiée, et si les mouvements sont prêts à s'engager dans des grèves et des actions de désobéissance civile de masse, nous avons une chance d'arrêter la dérive vers l'autoritarisme et le fascisme.
Dan La Botz, été 2025
Dan La Botz est membre du comité de rédaction de New Politics.
https://newpol.org/issue_post/we-are-descending-into-authoritarianism-and-we-are-resisting-but-not-enough/
https://www.reseau-bastille.org/2025/07/27/nous-sombrons-dans-lautoritarisme-nous-resistons-mais-pas-assez/
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Prix Nobel de la paix pour Francesca Albanese et les médecins de Gaza
A tous les nominateurs éligibles et au Comité Nobel : "Nous, citoyens du monde entier, pensons que Francesca Albanese, Rapporteure spéciale des Nations unies pour les territoires palestiniens occupés, et les médecins qui sauvent des vies à Gaza, méritent le prix Nobel de la paix pour leur travail."
Elle a refusé de se taire, et est désormais sous le coup de sanctions de l'administration Trump. Voici le prix que paye Francesca Albanese, la rapporteuse des Nations unies pour les droits humains en Palestine occupée.
Les nominations pour lui décerner le prix Nobel de la paix se multiplient. Pourtant, Francesca continue de centrer le débat sur les plus vulnérables : tous ceux qui tentent de survivre à Gaza.
Nous sommes des millions à travers le monde. Ensemble, nous pouvons retourner la situation pour lui montrer que nous la soutenons et que nous voulons que le prix le plus prestigieux du monde lui revienne, ainsi qu'aux médecins qui sauvent des vies Gaza. Rejoignons cet appel et partageons-le avec nos proches.
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Déclaration de solidarité avec le soulèvement au Kenya
Nous, la Marche mondiale des femmes, déclarons notre solidarité indéfectible avec le soulèvement féministe et populaire qui secoue actuellement le Kenya.
Nous sommes aux côtés des femmes et des jeunes qui, de Nairobi à Kisumu, de Mombasa à d'innombrables villes et quartiers, sont descendues dans la rue avec courage. Ce qui a commencé comme une protestation contre le projet de loi financière oppressive de 2024 s'est transformé en un mouvement historique, une rébellion massive qui réclame justice, dignité et liberté.
Nous ne considérons pas ce soulèvement comme un événement isolé, mais comme faisant partie d'une résistance féministe mondiale contre les systèmes capitalistes, patriarcaux et autoritaires. La violence déployée par l'État kenyan – balles en caoutchouc, balles réelles, gaz lacrymogènes, désinformation et violences sexuelles ciblées – ne nous est pas inconnue. Nous dénonçons ces tactiques comme des instruments destinés à écraser la résistance et à punir celles et ceux qui osent imaginer et exiger un avenir différent.
Nous déclarons :
* Que les rues appartiennent au peuple et que le peuple a le droit de résister.
* Que la violence contre les femmes manifestantes est une arme politique enracinée dans le patriarcat, visant à faire taire la voix des femmes.
* Que l'économie est politique et que la politique est genrée.
* Que les femmes, en particulier les jeunes femmes et les femmes issues de la classe ouvrière, sont touchées de manière disproportionnée par l'austérité, la surveillance, la cupidité des entreprises et la violence étatique.
* Que la véritable libération passe par le démantèlement de toutes les formes d'oppression — économique, raciale, coloniale et sexiste — au Kenya et partout ailleurs.
Nous affirmons :
* Le pouvoir de la résistance féministe collective.
* Le droit du peuple kenyan à manifester sans crainte.
* La mémoire et l'héritage de celles et ceux qui ont été assassinés dans cette lutte, dont les noms et les vies ne seront pas oubliés.
* L'héritage de Saba Saba et la place légitime de cette génération dans la poursuite de la lutte pour la démocratie et la libération.
Nous condamnons le recours délibéré du gouvernement kenyan à la violence sexuelle et à des hommes de main à la solde de l'État pour intimider et violenter les manifestants. Ces actes constituent des crimes contre le peuple et des crimes contre l'humanité. Nous exigeons que tous les responsables soient traduits en justice, qu'ils soient condamnés à réparer leurs actes et que justice soit rendue à toutes les victimes.
À nos sœurs du Kenya : votre lutte est notre lutte. Vos voix résonnent au-delà des frontières. Votre résistance renforce la nôtre. De l'Amérique latine à l'Asie, de l'Afrique à l'Europe, du Moyen-Orient à l'Amérique du Nord, nous nous levons avec vous. Nous exhortons les organismes internationaux de défense des droits humains, les mouvements féministes mondiaux et toutes les personnes de conscience à faire pression sur le gouvernement kenyan pour qu'il mette fin à sa répression violente, respecte le droit de manifester et défende les droits humains.
Nous appelons nos membres et nos alliés à travers le monde à amplifier les voix kenyanes, à soutenir les organisations locales et à se tenir prêts à agir en solidarité.
Dans la résistance féministe et la solidarité mondiale,
Marche mondiale des femmes
https://marchemondiale.org/fr/2025/07/11/declaration-de-solidarite-avec-le-soulevement-au-kenya-2/
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gauche.media
Gauche.media est un fil en continu des publications paraissant sur les sites des médias membres du Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG). Le Regroupement rassemble des publications écrites, imprimées ou numériques, qui partagent une même sensibilité politique progressiste. Il vise à encourager les contacts entre les médias de gauche en offrant un lieu de discussion, de partage et de mise en commun de nos pratiques.












