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Communion médiatique autour du pape François : la disparition de l’esprit critique ?

29 avril, par Olivier Mathonat — ,
Les obsèques du pape François auront lieu ce samedi. Elles vont donner lieu à une multitude d'hommages, la plupart du temps respectueux et empreints de solennité, comme si (…)

Les obsèques du pape François auront lieu ce samedi. Elles vont donner lieu à une multitude d'hommages, la plupart du temps respectueux et empreints de solennité, comme si l'exercice critique journalistique disparaissait soudainement.

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

Les funérailles du pape seront un « media event » : un événement fédérateur, dont le déroulement est connu à l'avance, suivi en direct par des audiences très nombreuses. Ces cérémonies télévisées, identifiées comme telles par les sociologues Daniel Dayan et Elihu Katz, dans les années 1990, ont également pour particularité une couverture médiatique sur le registre laudatif.

En pareille occasion, en effet, les journalistes de télévision, pris par leur volonté d'initier les publics à l'événement solennel qu'ils retransmettent, abandonnent ponctuellement leur posture d'enquêteurs parfois contestataires pour revêtir les habits de maîtres de cérémonie respectueux. Ils se font les relais du sens donné à cet événement par l'institution organisatrice, ici l'Église catholique, parfois la royauté.

Le phénomène à l'œuvre fut en effet le même avec la monarchie anglaise lors des funérailles d'Elizabeth II ou le couronnement de Charles III. Comme le soulignent Dayan et Katz, lors de ce type d'évènement, les journalistes sont « transformés en prêtres, en “photographes de noces”, en convives », ce qui les conduit à adopter « une révérence qui touche à la componction ». L'heure ne sera donc pas – encore – au droit d'inventaire, mais à la mise en scène de l'unité, de la continuité et du recueillement, dans un récit médiatique suspendu à la solennité du moment.

Au-delà du rituel de la cérémonie en elle-même, les télévisions du monde entier se feront probablement l'écho de la « performance » de communion de la foule, silencieuse et priante, rassemblée place Saint-Pierre. Comme l'observait la doctorante en médias Liz Hallgren à l'occasion des funérailles d'Elizabeth II :

  • « En mettant en avant les foules massées pour “faire la queue” et voir le cercueil de la reine exposé, ou celles rassemblées pour assister à ses funérailles, les médias, notamment occidentaux, ont façonné l'image d'un collectif uni dans le deuil. »

Des réseaux sociaux moins obséquieux que les médias

On pourra certainement observer une différence de traitement importante entre ce qui sera retransmis à la télévision et ce qu'on pourra lire sur les réseaux sociaux. Des travaux sur les événements cérémoniels ont en effet montré récemment qu'en contraste avec le discours unanimement respectueux développé à la télévision, les médias sociaux sont les vecteurs d'une multiplicité de discours, parfois virulents ou moqueurs. Cette perspective s'oppose au consensus médiatique généralement observé dans le cas d'un deuil. Relevons d'ailleurs que c'est en fait à une confrontation de perspectives médiatiques qu'on assiste, car comme l'indiquait également Liz Hallgren à propos de la reine d'Angleterre :

  • « La couverture médiatique traditionnelle du décès de la reine reflétait une nostalgie pour une époque révolue de la télévision et des médias d'information traditionnels, où ces derniers constituaient la principale, voire l'unique, source d'information pour leur public. »

« Bon vieux temps » de la perspective unique de la télévision versus multiplicité actuelle des supports et des points de vue exprimés en ligne, en somme.

La communion par le foot et par le pape ?

Cette surmédiatisation des funérailles ne fera qu'ouvrir une chronique qui alimentera les médias ces prochaines semaines : le processus rituel de désignation du prochain pape. Nombre de spectateurs, habituellement très éloignés du catholicisme, vont alors suivre avec intérêt les préparatifs du conclave, entendront une nouvelle fois le récit – exagéré – de la première réclusion des cardinaux à Viterbe en 1274, guetteront la couleur de la fumée s'échappant de la chapelle Sixtine.

Cet attrait manifestera, s'il était encore nécessaire, le pouvoir intégrateur des rites, comme les Jeux olympiques l'ont montré d'une certaine façon, l'été dernier. Quitte à faire regretter aux publics français que nous ayons si peu de rituels nationaux autres que sportifs, comme Régis Debray l'affirmait dans Libération il y a vingt ans, deux jours avant l'élection de Benoît XVI :

  • « Il y a une joie à se rassembler, il y a un bonheur intense à se fondre au coude à coude dans une foule organisée. Notre déficit cérémoniel crée un vide à combler. Les philosophes dans le vent depuis cinquante ans, individualistes et libertaires, antitotalitaires et libéraux, parlent de cette euphorie comme d'une basse et vilaine écume. Ils parlent droits, sexe, langage, liberté, valeurs. Mais plus jamais de fraternité. Communautaire est un vilain mot. Communisme est obscène, où il y avait pourtant communion. Ne parlons pas de la patrie et du Parti. On ne va plus au meeting ni à la guerre. Les rites civiques s'effacent. Alors, que reste-t-il ? Le sport et le pape. »

Le pape, donc. Ou plutôt ce qu'il incarne dans cette période de deuil globalisé : une figure autour de laquelle se cristallisent des récits de communion et d'unité, dépassant les appartenances religieuses. À travers la scénographie ancienne des funérailles pontificales et la médiatisation de l'émotion collective, c'est une forme de récit de l'universalité qui se joue.

Universel, c'est d'ailleurs ce que signifie l'étymologie de « catholique ». Ce qui tend à démontrer la pertinence de la proposition de Dayan et Katz, pour qui « les cérémonies télévisées sont susceptibles de produire la communauté même à laquelle elles s'adressent ». Pendant quelques jours, quelques heures, l'Église catholique va atteindre cette ambition d'universalité.

Pourtant, ce moment d'unanimité, sans doute prolongé par l'enthousiasme que suscitera l'annonce du successeur du pape François, ne fera que précéder un retour de la fragmentation. Avant cela, nombre de commentateurs, y compris sur les réseaux sociaux, salueront l'élection du nouveau pontife d'un « Habemus papam » (« Nous avons un pape »), reprenant à leur compte l'expression des catholiques. Alors que pour bon nombre d'entre eux « habetis » ou « habent papam » (« vous avez », « ils ont un pape ») serait plus approprié. Signe, en creux, de la force persistante d'une formule rituelle.


Olivier Mathonat, Enseignant chercheur à l'Ircom - Doctorant en communication, Université Bourgogne Europe

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La crise haïtienne : genèse, fondement et persistance

29 avril, par Guecelyn Otilus — , ,
L'histoire socio-politique d'Haïti, c'est plus de deux siècles de tyrannies, de guerres intestines, de captation de l'État, d'occupations étrangères, mais aussi de grandes (…)

L'histoire socio-politique d'Haïti, c'est plus de deux siècles de tyrannies, de guerres intestines, de captation de l'État, d'occupations étrangères, mais aussi de grandes mobilisations populaires (Hector 2006 ; 1998 ; Etienne 2007 ; Dorismond 2020).

Introduction générale

Si par la Révolution de 1804, l'État haïtien est né sur les ruines de la colonie de Saint-Domingue, mettant ainsi fin au système d'exploitation implanté depuis la fin du 15e siècle. Il faut dire que les acquis de la révolution seront vite accaparés par une élite militaro-politique, trahissant ainsi l'idéal de la révolution « Tout moun se moun » (Péan 2009). La colonie de Saint-Domingue fut rongée par de profondes crises structurelles dont les tentacules allèrent hanter le nouvel État indépendant, alors on pourrait affirmer sans ambages qu'Haïti a pris naissance sur fond de crise.
Lorsqu'on étudie l'histoire socio-politique d'Haïti, on a l'impression que l'histoire se reproduit. Ce qui n'est évidemment pas le cas, l'histoire ne se reproduit pas, c'est toujours un phénomène, un évènement nouveau qu'on a sous les yeux, cette impression est due au fait qu'on est devant les manifestations d'un système politique qui se reproduit, se régénère pour perdurer dans le temps. La notion de crise devient depuis un certain temps un concept récurrent dans les travaux en Sciences sociales. Ici en Haïti, il y a une littérature assez vaste sur la crise haïtienne.

Dans toute cette littérature, il y a ce qui pourrait être considéré comme une crise de l'interprétation de la crise. Il faut dire que l'appréhension de la crise ne fait pas l'unanimité chez ces auteurs qui sont d'horizons disciplinaires variés. Depuis un certain temps, dans les sphères politiques, médiatiques et académiques le concept de « crise » est au cœur des principales discussions, il est si souvent présent que lorsqu'on l'évoque on ne sait plus de quoi parle-t-on. Peu importe si on appréhende la crise en terme de rupture ou de confrontation entre l'ancien et le nouveau, l'« état de crise » présuppose un état antérieur de stabilité, de fonctionnement de la structure sociale et politique. C'est qu'il y a une rupture entre ce qui est et ce qui devrait être en terme de normativité.

Dans la science politique, il y a cette tradition à penser en terme de normativité. De cette considération, pour répondre à la question « qu'est-ce qu'une crise ? », il faut esquisser une tentative de définition de la politique puisque dans une large mesure tout constat d'une crise passe par une rupture ou une disparité entre ce qui se fait et une certaine finalité de la politique. Je préfère cette conception de la politique comme « gestion de conflit ». Les différentes catégories sociales n'ont pas les mêmes intérêts, très peu importe les convictions politiques, que l'on soit de droite ou de gauche puisqu'on est en communauté, déjà le mot dit beaucoup, faire communauté c'est mettre en commun. On est obligé à discuter, contrairement à ce que pense Jürgen Habermas, la politique repose sur le dissensus comme l'a avancé J. Rancière. Il faut discuter sur l'avenir de la polis, sur la distribution des ressources. Le rapport de tension entre les classes doit passer principalement par le canal politique. Il y a crise lorsque la politique ne permet pas la cohabitation des catégories sociales opposées, et que l'ordre dominant est inégalitaire et structuré par la violence. Incapable de proposer un projet de société où des individus ne seraient pas des êtres non sujet de droit dans l'effectivité, vidés de leur dignité, incapables de se réaliser. De cette considération, dans le cadre de cette analyse nous retiendrons la définition de la crise proposée par le philosophe Dorismond pour qui c'est « La difficile ascension à un régime de rationalité politique susceptible de procéder à une juste redistribution du bien commun, et à la réalisation de soi et de chacun des Haïtiens » (2020). Maintenant, il est tout à fait légitime de se demander ; Comment parler de la crise tout en étant au cœur de celle-ci sans tomber dans une impasse ?

C'est une question presqu'aussi épineuse que la crise elle-même. Si dans le cas haïtien, la crise fait corps avec le système politique, alors quels sont ses fondements, comment la saisir dans son déploiement ? Et comment elle a pu traverser des siècles ? Dans les lignes qui suivent, il sera question de tenter d'apporter un élément de réponse à ces principales interrogations. Pour ce faire, nous nous référons à l'analyse de l'historien Michel Hector qui a su identifié trois (3) principales aspirations des contestations populaires qui a traversé le système politique haïtien, allant de la période de la chute du gouvernement de Boyer en 1843 à la chute de la dictature des Duvalier en 1986. À partir de cette identification, dans un premier temps nous allons tenter de saisir les fondements de la crise dans son déploiement sur la société haïtienne, et dans un deuxième mouvement de comprendre comment le système se régénère c'est-à-dire comment il a pu rester debout malgré les diverses vagues de contestation dont il fait l'objet durant deux siècles environ.

1er janvier 1804 : invention d'un État colonial dans une post-colonie

Au tout début du XIXe siècle, un évènement extraordinaire s'est produit dans les Amériques. Un groupe d'esclavagisés ont conduit une révolte contre leurs maitres, la seule révolte d'esclaves victorieuse de toute l'histoire de l'humanité. Par cet acte, les insurgés ont non seulement mis fin au système esclavagiste instauré depuis plusieurs siècles, mais aussi opéré une rupture dans l'imaginaire ou la pensée coloniale. C'était pour l'époque quelque d'inconcevable (Trouillot 1995 & Hurbon 2009). Ainsi, Haïti fait son entrée sur la scène politique internationale, devenant le premier État indépendant de l'Amérique latine.

Il faut dire que cet acte n'est pas resté sans conséquence, dans un monde où le racisme et l'esclavagisme définissent les relations internationales, Haïti était aux yeux des puissances esclavagistes le chien rageux à noyer pour préserver l'ordre des choses. Elle se trouvait enfermée dans un carcan, il existait certes des relations commerciales entre Haïti et les États-Unis d'Amérique, mais en raisons des diverses restrictions imposées, le pays ne pouvait pleinement profiter de ses exportations. Cette politique créait selon Etienne « sur le plan externe, un contexte d'isolement et d'hostilité qui ne facilitaient pas son insertion dans le système d'États concurrentiel, tout en structurant des rapports d'un genre nouveau entre le jeune État et le système capitaliste en expansion ». De cette dynamique découle en partie l'incapacité de l'État haïtien à prendre part dans la révolution industrielle au XIXe siècle.

Dès sa naissance, l'État haïtien est traversé par une contradiction fondamentale. Il a pris naissance contre la dynamique de l'Occident d'alors dans une certaine mesure, surtout colonialiste et esclavagiste, mais dans sa quête de reconnaissance, ou encore dans l'« Intérêt » des acteurs dominants au sens dorismondien du terme, pour se montrer capable de civilisation aux yeux du monde, les valeurs occidentales ont été présentées et considérées par les élites comme critère de référence. Dans le dispositif colonial, il y a ce discours à considérer comme supérieur tout ce qui ne vient pas des cultures africaines et autochtones et comme supérieur ce qui vient de l'Occident, langue, religion, science. Alors, le fait de lutter pour se rapprocher de la blanchitude, de la civilisation de l'Occident, ne fait que nourrir le système. La condition d'infériorité est une production de la civilisation à laquelle les ex-colonisés veulent accéder à tout prix, c'est un cercle vicieux, une forme de labyrinthe. Selon l'historien Victor « cette double réalité détermine la structure et l'organisation sociales de façon si importante que les nouvelles classes dirigeantes trouvent tout à fait naturel de reproduire l'économie des plantations – malgré le rejet de celle-ci par la grande masse des anciens esclaves – et d'élaborer un cadre juridique qui renforce l'exclusion des nouveaux libres ». On peut voir dans les comportements des premiers dirigeants des politiques ou des actes qui s'apparentent aux agissements de l'État colonial français.

Il ne s'agit point de faire ici un procès d'histoire aux premiers dirigeants haïtiens, mais il est une évidence que pour comprendre le caractère hostile de l'État haïtien dans ses articulations avec les masses il faudrait remonter à sa genèse. Certains historiens, c'est le cas de Délide (2017), pensent qu'il faut partir de la Constitution 1801 de T. Louverture, parce que cette constitution sera considérée comme un modèle à suivre, certains des articles seront repris dans les nouvelles constitutions à venir. Pour Bernard Hadjadj « Haïti a été mis sur les fonds baptismaux par Toussaint Louverture, avec la conquête de la liberté mais également avec la reproduction d'un système bafouant la dignité des hommes ». Puisqu'on ne peut étudier les politiques, les décisions des pères fondateurs dans leur exhaustivité, on s'appuiera sur les faits, parmi les plus importants.
Comme l'a écrit l'historien Claude Moise (2009, 41),

« Haïti est née de Saint-Domingue. Saint-Domingue est l'aboutissement d'un modèle colonial fortement structuré par les facteurs clés que sont la traite négrière, l'esclavage, les grandes plantations, le système de l'Exclusif et la domination des colons blancs. L'architecture de cette société n'est pas simple ».

Cette dynamique de la société esclavagiste saint-domingoise allait influer profondément la société haïtienne indépendante. Dans les années antérieures à 1789, l'économie saint-domingoise était à son apogée. « En 1776, la colonie de Saint-Domingue produisait à elle seule pour le compte de la métropole française plus de richesse que toute l'Amérique espagnole (Castor 1998, 12) ». Lorsque le 29 juillet 1793, grâce à aux luttes des esclaves, la pression des planteurs français sur les représentants de la métropole, l'isolement des autorités coloniales entre autres, Sonthonax déclara l'abolition générale de l'esclavage (Castor 1998). Une question de taille allait se poser, celle de la main-d'œuvre pour la substitution de la masse esclave. Toussait, à travers sa politique agraire tentera de répondre à cette question. Avec l'article 14 de la Constitution de 1801 stipulant que « la colonie étant essentiellement agricole, ne peut souffrir la moindre interruption dans les travaux de ses cultures » et son invitation aux colon-propriétaires qui fuyaient les mouvements révolutionnaires à retourner dans la colonie, c'est la volonté manifeste que le Gouverneur général voulait faire de Saint-Domingue la plus prospère des colonies. Mais à quel prix ? À ce sujet, Dorismond commente (2020, 228) « en vue d'alimenter la colonie en mains d'œuvre, la Traite continue, et le gouverneur général Toussait Louverture ne manquait de recevoir des esclaves pour les colons ». S'il est soutenu que Toussaint n'a pas utilisé le modèle de constitution présenté par Hamilton, il faut dire certains points de vue exprimés à travers le texte constitutionnel a été repris dans la Constitution de 1801, c'est le cas d'un chef héréditaire (Pean 2009, 57). Alors que la population de Saint-Domingue était constituée pour la plupart de Noirs, il faut souligner que cette catégorie était le grand absent parmi les constituants. La constitution autocratique de Toussaint Louverture fut élaborée par 7 Blancs et 3 mulâtres. Cette situation n'est pas l'unique forme d'exclusion socio-politique, elle se reproduira un peu plus tard, soit en 1804, il ne figurait aucun bossale parmi les 37 signataires de l'acte de l'indépendance (Madiou 1989, 150). Si Dalencour (1983) avance que la trajectoire absolutiste de l'État haïtien conduit droit à Toussaint Louverture, il faut dire qu'il n'y pas que son emprunte dans la formation socio-politique de la nation haïtienne.
L'administration de Dessalines, certes très brève, a laissé un héritage pas moins conséquent que son prédécesseur Toussaint Louverture. En 1804, un État particulier a pris naissance, il prendra tour à tour la forme impériale, royale et républicaine. Si l'on s'interroge sur les articulations de l'État haïtien avec la société, il y a lieu de nous poser cette question ; quelle a été la base sur laquelle reposait le pouvoir en 1804, c'est-à-dire quelle était sa source de légitimité ? Selon nous, l'hypothèse la plus plausible serait les premiers chefs d'État haïtiens tiraient la légitimité de leur pouvoir de leur faits d'armes. Dessalines comme tant d'autres généraux ont fait leur preuve durant la guerre de l'indépendance, il est vrai qu'il a été « le boucher des Noirs », précisément des bossales pour reprendre les mots de Leclerc dans une lettre adressée à Napoléon lorsqu'il a été sous ses ordres. Mais, grâce à diverses stratégies il s'est construit comme leader légitime de la nouvelle nation, ainsi il sera déclaré empereur par ses généraux. Encore, il faut dire que la peur d'un éventuel retour des Français qui exigeait la construction de nombreux forts miliaires ont contribué dans la formation et la construction de l'État haïtien comme un État militarisé, qui doit avoir à sa tête un militaire pour protéger la nation. Alors, il n'est pas étonnant que tous les chefs d'État haïtiens de 1804 à 1859 sont des militaires et ils ont participé à la guerre de l'indépendance.
Il est vrai que Dessalines a hérité d'un État militarisé, mais à travers certaines décisions prise ou politiques mises en place, il a renforcé l'aspect autoritaire de l'État. Concernant l'organisation du pouvoir politique dans le nouvel État, le général Charéron a proposé le modèle républicain pour la séparation, la limitation du pouvoir avec un président élu pour quatre ans comme c'était le cas aux États-Unis d'Amérique. Mais sa proposition a été vite rejetée par les généraux de Dessalines au profit de celle de B. Tonnerre. Leslie Péan (2009, 84) commente en ces termes « l'adoption de la voie proposée par Boisrond Tonnerre au lieu de celle de Charéron dit long sur l'optique absolutiste des dirigeants du nouvel État ».

Le défi d'institutionnalisation au lendemain de 1804

Malgré la volonté des Haïtiens de finir avec le passé colonial esclavagiste, il faut dire que l'histoire de la société haïtienne serait incompréhensible si nous ne tenons pas en compte son ancrage dans l'expérience coloniale de Saint-Domingue (Dorismond 2020, 109). Lorsqu'on évoque la problématique de l'institutionnalisation du pays, il faudrait remonter aux bases historiques de l'État haïtien pour mieux cerner les contours de cette problématique.

La problématique de l'institutionnalisation demeure aujourd'hui après plus de deux cent ans une question récurrente dans la société haïtienne. L'occupation américaine (1915-1934) et la dictature des Duvalier ont joué un rôle non négligeable dans l'affaiblissement des institutions haïtiennes, mais les racines du mal remontent à bien plus longtemps, à la période coloniale. Si la colonisation avant même d'être une vision du monde est une institution, il faut dire qu'Haïti n'a pas pris naissance contre cette institution. L'a-institution à la colonisation n'a pas été réalisée. Après 1804, l'élite politique surtout n'arrivait pas à instituer de nouvelles structures républicaines pour le jeune État. Elle préférait se replonger dans la bibliothèque coloniale pour redonner à des institutions coloniales contre lesquelles la révolution a été faite, de là se crée une première cassure entre la société politique et la société civile. La division territoriale en arrondissement reprend la division géographique du temps de la colonie, cette démarche opère une seconde cassure, cette fois-ci au sein de l'État même comme institution centrale.

Du point de vue qualitatif, il y a lieu de préciser qu'il existe une nette différence entre la colonisation française sur la partie occidentale de l'ile et celle espagnole de la partie orientale (Sauveur 2007). Tandis qu'à un moment où l'or n'était plus à portée de main, les espagnoles fuyaient la partie orientale pour la grande terre, particulièrement l'Amérique du sud, et le peu qui y restaient pratiquaient l'élevage, établissant ainsi une colonie de peuplement, les français de leur côté s'adonnaient à la culture de la canne-a-sucre, de l'indigo, du tabac, une nouvelle source de richesse. Saint-Domingue était à leurs yeux un lieu de transit, une fois qu'ils font fortune qu'ils quittent et partent pour la Métropole, confiant la gestion de leur habitation à un gérant, quand elle n'est pas vendue. Il n'y avait aucun souci d'investissement à long terme en matière d'infrastructure sinon que pour la production de richesse. Ainsi, après sa proclamation d'indépendance, Haïti se retrouve sans un véritable système éducatif par exemple, contrairement à la République Dominicaine qui a hérite de la plus ancienne université des Amérique, contribuant à former une élite nationale participant dans le renforcement et la mise en place des institutions au pays.

Le gouvernement français, écrit M. Villaret, a reconnu que la nécessité d'étendre et de généraliser l'instruction – convenable sans doute à un peuple libre – est incompatible avec l'existence de nos colonies qui reposent sur l'esclavage et la distinction de couleur… Ce serait donc imprudence bien dangereuse de tolérer des écoles pour les nègres et les gens de couleur.

L'attitude des pères fondateurs est aussi à signaler dans la difficulté à instituer dans le pays. Le projet d'État de Dessalines à travers sa constitution de 1805, celui de Pétion avec la constitution de 1806 et Christophe 1811 ont tous repris un article de la constitution de 1801 stipulant qu'ils se réservent le droit de désigner leur successeur, la captation de l'Etat.

Élites contre masse : le long dépérissement de la société haïtienne

Partant du postulat que la France a échoué dans la fabrication du nègre colonial, c'est par la force de ses armées et à sa bonne fortune qu'elle a pu tenir et administrer durant près de deux siècles la colonie de Saint-Domingue, ces deux éléments constituent la source du pouvoir de l'État métropolitain. Le pouvoir politique de l'État haïtien avait le même fondement que son prédécesseur français. Ce qui est fondamental dans cette dynamique, une seule institution a fait la transition entre la colonie et l'État indépendant ; l'armée (Casimir 2006). Et ce sont pour la plupart des militaires qui formeront l'élite politique dans le nouvel État. Si la masse d'anciens esclaves a gagné avec la proclamation d'indépendance, il faut dire qu'une minorité a perdu et elle fera tout pour compenser ses pertes. Ainsi « la société esclavagiste périt pour céder la place à de nouvelles formes de domination et d'exploitation » (Pean 2009, 48).

Si vers les années 90 l'école anthropologique américaine parle de la bourgeoisie haïtienne comme une élite moralement répugnante (morally repugnat elite), il faut dire que c'est un juste constat. Les élites haïtiennes n'ont pas su proposer un projet de société viable où les Haïtiens pourraient vivre en toute dignité après plus de deux siècles d'indépendance. Au sein du champ politique haïtien, le pouvoir est vu comme un grand gâteau à partager avec ses amis, le bien-être commun n'existe pas.

Le système politique haïtien : lieu de négation de la vie

Dans un célèbre ouvrage intitulé Haïti : State against Nation, l'anthropologue Michel-Rolph (1990) tente d'analyser les articulations de l'État haïtien en rapport avec la société, il conclut que l'État s'est institué contre la nation. Dès 1804, il existe un rapport de violence par excellence entre les tenants de l'État qui forment la nouvelle élite, et les masses. Ce rapport de domination dépasse le « Biopouvoir » de Michel Foucault comme gouvernementalité, un délaissement du territoire comme lieu de déploiement du pouvoir politique au profit du corps et de la vie. Le corps et l'individu qui tiennent lieu de déploiement du pouvoir politique font l'objet de protection, de contrôle et de préservation selon la logique de la biopolitique, d'où l'émergence de la démographie comme science pour le contrôle de la population, la mise en place des politiques sanitaires et la naissance des institutions comme la prison (Foucault 1976). Il s'apparente plutôt à la « Nécropolitique » d'Achille M'bembe comme droit de faire vivre ou de laisser mourir.
« M'bembe a proposé le concept de nécropolitique pour parler des mécanismes de domination et de pouvoir qui dictent qui peut vivre et qui doit mourir dans nos sociétés. Il permet de penser les inégalités structurelles de notre monde contemporain qui, de toute évidence, assignent certains à des death-worlds dans lesquels leur existence est non seulement dévalorisée, privée de pouvoir, mais désubjectivée, et dont la vie n'a pas vraiment de valeur. Ces groupes peuvent mourir, en fait ils sont comme « des vivants déjà morts » (Mbembe 2003 cite par ; Medico et Wallach 2020).

Nous entendons par « négation de la vie », cette volonté réfléchie de banaliser la vie d'autrui. De penser son propre existence par l'inexistence de l'autre, de le tenir à l'écart, dans un état critique afin de l'empêcher à déployer son énergie, son savoir-faire, sa capabilité jusqu'à ce que mort s'ensuive. Cette mort, elle peut être physique comme dans la plupart des cas, sociale ou politique.

Dans Qu'est-ce que la politique ? (1995) la philosophe Hannah Arendt envisage la pluralité humaine comme essence de la politique, et la liberté comme son sens. Il faut signaler que le système politique haïtien s'inscrit dans une large mesure en dehors de cette considération. La mise à mort de l'africain Félix Darfour le 02 septembre 1822 pour avoir critiqué la gestion du pays par le gouvernement de Boyer dit long sur le caractère intolérant de l'État haïtien (Pean 2009, 259).

Le philosophe Edelyn Dorismond, dans un article ayant pour titre Qu'est-ce qu'une vie humaine en Haïti ? Nous livre une analyse profonde et éclaireuse sur la question, il observe une certaine démarcation de Michel Foucault notamment de son concept « biopolitique », parce que selon lui, la biopolitique ne prend pas en considération l'expérience esclavagiste de la société « où s'est mise en place une politique de la vie comme production de la mort à petit feu ou comme métamorphose de l'humain en bête de somme en ‘‘bien meuble'' fondé juridiquement dans le Code noir. Il soutient que ce dispositif préexistait dans la société coloniale, et il deviendra le cadre anthropologique de la politique haïtienne, qu'il appelle la politique de la survie. C'est « le choix d'exposer la vie à la mort lente, à la vie négligée qui se meurt du fait de son insignifiance ».

Avec l'élaboration de son concept de « zoopolitique », Dorismond nous a offert de nouveaux outils conceptuels pour mieux traiter l'objet
.
La zoopolitique « n'a pas la vie bonne comme finalité ; dans ce cas elle se passe bien de l'éthique. Ce qu'elle vise c'est le ravalement de la vie humaine, individuelle ou collective, à sa forme animalisante et au projet de l'épuiser jusqu'à ce que mort s'ensuive ou l'immoler aux projets de toute puissance du chef-dictateur ». La politique haïtienne est une zoopolitique qui, dans une perspective téléologique ne conçoit pas la vie bonne.

Il y a toute une tradition philosophique qui pose la vie au cœur de la politique, il n'est pas moins important de préciser que dans l'imaginaire des élites haïtiennes, la vie n'est point appréhendée comme fin mais plutôt comme moyen. Moyen mobilisable pour parvenir à une fin. Cette vision a pris toute sa forme durant le fameux mouvement dénommé « Peyi lock ». Ce n'est pas de la politique, ou c'est une politique de la mort. Alors, il est tout à fait légitime de nous poser cette question ; Comment prétendre lutter au nom du bien-être de la communauté, tout en mettant en péril la survie de cette communauté ?

Si le « peyi lock » a fait l'objet d'une timide théorisation dans quelques travaux de sciences sociales haïtiennes, le présentant comme une forme inédite de mobilisation populaire. Il y a lieu de faire une archéologie de cette forme de contestation politique. Différentes hypothèses pourraient être avancées. Si c'était réellement une mobilisation populaire, on dirait qu'on a été témoins d'une nouvelle forme de lutte. Non pas parce qu'elle a provoqué le blocage systématique de tout le pays, mais parce qu'elle concerne la survie de toute la communauté. Car ce n'est point ordinaire dans les luttes sociales de voir les catégories dominées mettre leur survie en périls, ce qui est plus plausible à l'échelle individuelle, avec les grèves de faim par exemple. Peut-être le mouvement a été récupéré.

Le mouvement « peyi lock » a servi de monnaie d'échange dans les jeux de pouvoir entre le régime en place et l'opposition. En instaurant le « peyi lock », les élites politiques ont plongé le pays dans un état d'exception, où le droit est suspendu, un véritable état de nature en vue d'exiger la démission du président. Il ne s'agit surtout pas de remettre en question une telle demande, mais plutôt le dispositif mise en place. En quoi c'est différent du terrorisme politique ?

C'est-à-dire une forme de gouvernement par la terreur, l'emploie systématique de la violence dans la poursuite d'une fin politique tout en prenant pour cible la population ? Les gens sont barricadés chez eux sans eau, ni nourriture, les malades dans les hôpitaux sans médicament ni soin. Des bébés prématurés mourraient à cause de l'oxygène qui manquait dans les maternités. Les ambulances ne circulent pas, des femmes sur le point d'accoucher meurent avec leur bébé, c'est le même cas pour des personnes diabétiques qui n'ont pu se rendre à l'hôpital, les « madan sara » violées et rançonnées. Voilà ce qu'on ne dit pas du mouvement « peyi lock ». Une banalisation flagrante de la vie humaine, où la vie est un simple instrument, un moyen pour parvenir à une fin politique.

L'aliénation politique » comme pathologie de la démocratie libérale

Traditionnellement, dans la Science politique « l'aliénation politique » est comprise comme un rejet, un éloignement voire une certaine apathie contre le champ politique. Ce n'est point cette conception qui nous intéresse ici, mais plutôt celle considérant le sujet politique aliéné comme étranger à lui-même, dépolitisé et par conséquent qui est obligé de s'en remettre à un autre. Le discours dominant, c'est-à-dire le libéralisme, dans sa tentative d'explication de ce rejet et ou cette exclusion l'attribue à l'expression d'un droit, celui de ne pas voter. Cependant, les données empiriques ont démontré toute la complexité de la question. Depuis son émergence à la fin du 18e siècle, il est institué comme l'idéologie dominante, son axe politique a toujours fait de la démocratie son fer de lance. Si la société aristocratique a cédé sa place à la société démocratique, le suffrage censitaire au suffrage universel, il faut dire qu'il reste à démocratiser les moyens d'y parvenir. Comme Bourdieu (2001, 4) l'a écrit « le vote ne deviendra vraiment le suffrage universel qu'il prétend être que lorsqu'on aura universalisé les condition d'accès à l'universel ». Ce système que le politiste Daniel G. (1978) appelle « Cens caché ».

Lorsqu'on pose la question de l'émancipation populaire dans une démocratie représentative, on ne peut laisser de côté la représentation politique. Castoriadis n'a pas hésité à qualifier de « pseudo-démocratie » la démocratie représentative, parce que dit-il « Ce n'est pas une vraie démocratie. […] Personne n'a demandé au peuple sur quoi il veut voter. On lui dit : « Votez pour ou contre Maastricht (Cornelius 1998) ». Aujourd'hui le contrôle du champ politique échappe aux masses populaires qui sont pourtant considérées comme l'acteur principal de l'Histoire par les marxistes. Toutes les opinions ne se valent pas, la politique est devenue une affaire de professionnels. Les agents sociaux qui ont une faible compétence statutaire ou politiquement incompétents s'en remettent aux professionnels qui ont les capitaux nécessaires pour participer au jeu, le recrutement de ces professionnels se fait souvent au sein des classes dominantes.

«

Encore doit-on noter que, faute de mettre en place leur propre système de formation et d'encourager la promotion systématique de responsables issus des groupes sociaux défavorisés, les partis populaires recrutent souvent leur personnel dirigeant parmi les groupes sociaux cultivés. L'exclusion politique des groupes sociaux dominés et le monopole de l'exercice des activités politiques par les catégories dominantes aboutissent alors à ce que les porte-parole des premiers — ou ceux qui se présentent comme leurs porte-parole — se recrutent paradoxalement parmi les membres des secondes (Gaxie 1987, 46) »

Le champ politique est devenu « le monopole des professionnels » pour reprendre un titre de Bourdieu (1981). Le principe d'égalité des conditions si cher à la démocratie est bafoué, les agents sociaux qui maitrisent les codes, comme le langage autorisé, avec un capital culturel élevé, produisent un discours pour et à la place des agents qui en sont démunis. La domination se reproduit, un cercle vicieux que les masses dominées doivent briser. À ce sujet Gaxie écrit :
« Le champ politique favorise ainsi, par sa seule existence, le maintien de la domination politique des catégories dominantes. Au-delà des services matériels et idéologiques que le personnel politique peut rendre aux classes sociales dominantes, l'existence même d'un champ politique est probablement la contribution la plus cachée, donc la plus décisive, apportée à la reproduction de leur domination (1978, 311) ».

Avec la complexité des sociétés modernes, la démocratie représentative est apparemment la forme d'organisation politique la plus adaptée, à laquelle on ne peut se passer. Ce qui n'est pas totalement vrai, la démocratie directe demeure une alternative sérieuse pour garantir une participation plus active des catégories subalternes (Bourdieu 1984 ; 1975). On peut commencer l'expérience au niveau des collectivités territoriales comme c'est le cas dans certains pays en Europe et en Amériques du sud. Faire participer les citoyens dans l'élaboration des budgets pour les communes. Si la démocratie est selon l'une des trois principales revendications qui ont traversé toutes les crises ou mouvements sociaux en Haïti, il faut dire la démocratie telle qu'elle est pratiquée dans les sociétés libérales ne garantit pas tout à fait une émancipation populaire. Elle est récupérée et au service des classes dominantes.


En guise de conclusion

Dans son ouvrage intitulé Crises et mouvements populaires en Haïti, Michel Hector a su identifier certaines caractéristiques qui font la spécificité de la crise de 1986. D'abord c'est l'apparition sur la scène politique nationale d'un nouvel acteur collectif. « Ce nouvel acteur ne veut pas qu'on fasse des discours sur sa situation, qu'on s'apitoie sur son sort et qu'on décide pour lui. Fini le temps des beaux discours sur le peuple avec au fond la conviction que celui-ci n'osera jamais se montrer » (2006, 69). Ensuite c'est l'action en symbiose de la diaspora avec l'acteur collectif national. Ne serait-il pas plus fondé de considérer les mouvements de 1986 comme le prolongement ou encore les tentacules d'une seule et même crise ? Celle réclamant un nouveau contrat social, une juste distribution du bien commun, des revendications pluriséculaires. Au milieu de toutes ces interrogations ce qui est sûr, c'est que la stratégie des classes dominantes pour conserver et renforcer leur position sociale a aussi changé. Hormis les modus operandi classiques comme l'emploie systématique de la violence, l'instauration et l'institution de groupes paramilitaires, les interventions étrangères, certaines méthodes s'avèrent plus subtiles mais pas moins efficaces. Et mieux encore, elles puisent leur légitimité de l'idéologie dominante ; le libéralisme dans son versant économique et politique.

Le « Mythe du citoyen passif » a connu toute sa limite avec la présence du nouvel acteur collectif national sur la scène politique nationale, il a participé au jeu démocratique en votant aux élections de décembre 1990, cependant ses espérances seront vite décimés par un violent coup d'État en septembre 1991 (Hector 2006). L'institutionnalisation des luttes de classe a porté un coup dur aux aspirations populaires, si la plupart le parlement est devenu l'arène des affrontements de catégories sociales, aisées et démunies, il faut dire que les dernières n'ont pas les compétences nécessaires pour lutter à armes égales, le langage autorisé pour reprendre l'expression de Pierre Bourdieu. Le système politique fait des concessions, il accorde des droits sociaux en vue de casser les soulèvements populaires. Par exemple droit à la santé, à l'éducation, mais ces droits accordés seront vite instrumentalisés. La masse a eu ce à quoi il aspirait ; des droits. Mais ces droits ne sont pas effectifs, ce n'était qu'un palliatif. Ils ne seront jamais effectifs tant que la masse n'arrive pas au pouvoir. C'est la grande question de l'Histoire. A part les trois éléments constituant les fondements de la crise haïtienne avances par l'historien Michel Hector, il convient d'ajouter la perte du contrôle du champ politique haïtien par les agents politiques comme l'a soutenu le sociologue Carlyle(2024). La crise s'est métamorphosée.

Guecelyn OTILUS, diplômé en Sciences Politiques à l'Université État d'Haiti, Campus Henry Christophe de Limonade et également du département d'Histoire et de géographie de la Faculté des Sciences de l'Ééducation de l'Université Publique du Nord au Cap-Haitien. Membre du Collectif de Recherche en Sciences Sociales (CRSS).

Références bibliographiques

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Point de vue : les tarifs douaniers de Trump seront-ils bénéfiques pour les travailleurs de l’automobile ?

Pendant la grève de General Motors de 2019, alors que mes collègues et moi-même battions le pavé, quelque chose d'inspirant se produisait au sud de la frontière : l'ouvrier (…)

Pendant la grève de General Motors de 2019, alors que mes collègues et moi-même battions le pavé, quelque chose d'inspirant se produisait au sud de la frontière : l'ouvrier automobile mexicain Israël Cervantes, ainsi que de nombreux autres dans une usine GM à Silao, Guanajuato, ont refusé les heures supplémentaires en solidarité avec nous.

Leur action concrète a été particulièrement utile à notre cause, car ils construisent de gros camions, principale source de revenus de notre employeur commun. Peu après, Israël a été licencié et a contribué à la création du Syndicat national indépendant des travailleurs de l'industrie automobile (SINTTIA), évinçant ainsi un syndicat favorable aux employeurs à Silao. Le SINTTIA vient d'obtenir des augmentations de 10 % pour les travailleurs mexicains de GM.

20 avril 2025 | tiré du site de la gauche anticapitaliste | Photo : L'ouvrier automobile américain Sean Crawford (à droite, avec une casquette) a remercié l'ouvrier automobile mexicain Israel Cervantes (à gauche) pour sa solidarité lors de leur rencontre en 2023. Cervantes et d'autres ouvriers mexicains de General Motors avaient refusé les heures supplémentaires lorsque les ouvriers de GM aux États-Unis étaient en grève en 2019.
https://www.gaucheanticapitaliste.org/point-de-vue-les-tarifs-douaniers-de-trump-seront-ils-benefiques-pour-les-travailleurs-de-lautomobile/

Alors que les discussions sur les droits de douane atteignent leur paroxysme, nous devrions tous nous inspirer d'Israël si nous voulons bâtir un mouvement syndical plus puissant, plus connecté et plus affirmé. À maintes reprises, il a agi en solidarité avec ses collègues de travail, quel que soit le côté de la frontière où ils vivent.

J'ai eu l'occasion de rencontrer Israël en personne en 2023 et de le remercier pour son courage. Les circonstances qui nous ont réunis étaient révélatrices : il s'était rendu dans le Michigan pour soutenir notre grève, et nous nous sommes retrouvés devant le siège social d'une entreprise de pièces détachées automobiles, VU. Une douzaine de membres du syndicat United Auto Workers (UAW) et d'alliés de la communauté s'étaient rassemblés pour protester contre les licenciements et la mise sur liste noire de 400 ouvriers qui fabriquaient des accoudoirs à Piedras Negras, dans l'État de Coahuila.

Les travailleurs de VU avaient vaincu le syndicat jaune de la direction et s'étaient organisés avec un syndicat indépendant , la Ligue des travailleurs mexicains. Notre petite action de solidarité n'a pas suffi à stopper les représailles, mais elle a offert un aperçu des possibilités offertes par une coordination plus étroite et des liens plus étroits entre les travailleurs américains et mexicains de l'automobile.

Dans la spirale de la guerre commerciale

La solidarité transfrontalière s'attaque au cœur de l'un des mécanismes qui permettent aux entreprises de dominer : leur portée mondiale. Les géants contribuent à l'élaboration des lois commerciales internationales. Lorsqu'ils franchissent les frontières, ils diversifient (selon la logique des investisseurs) leurs activités, opposant ainsi des travailleurs à d'autres.

Lorsqu'une partie de leur activité est en grève, ils continuent dans une autre : c'est pourquoi ils ont exigé des heures supplémentaires des travailleurs de Silao lorsque nous étions en grève ici. Diviser pour mieux régner, telle est la règle du jeu.

La stratégie de lutte contre ces géants du secteur doit également être mondiale. Or, elle est menacée par les droits de douane de 25 % imposés par le président Donald Trump, qui sont en vigueur de manière intermittente. (Des exceptions partielles pourraient être prévues pour le Mexique et le Canada , qui seront définies après l'entrée en vigueur des droits de douane aujourd'hui. Ce week-end, Trump a déclaré que ces droits de douane toucheraient « tous les pays ».)

Preuve de l'escalade de la guerre commerciale alimentée par Trump, la Chine, le Japon et la Corée du Sud ont annoncé leur réponse commune aux droits de douane américains. Les travailleurs doivent désormais se préparer à l'incertitude et aux conséquences, alimentant les craintes d'inflation et de licenciements, qui sont précisément conçues pour briser la solidarité internationale.

Les tarifs douaniers font partie du programme America First de Trump, censé stimuler l'industrie manufacturière américaine, et l'UAW a apporté son soutien à Trump sur cette question.

Des résultats non garantis

Après la perte de 682 000 emplois aux États-Unis à cause de l'ALENA, mon syndicat espère que ces droits de douane punitifs stimuleront la production nationale et renforceront le tissu manufacturier américain. « Grâce à ces droits de douane, des milliers d'emplois manuels bien rémunérés pourraient être rétablis dans les communautés ouvrières des États-Unis en quelques mois », a déclaré Shawn Fain, président de l'UAW, dans un communiqué.

Fain a ensuite précisé, lors de l'émission « Face the Nation » sur CBS, que la construction d'une nouvelle usine pourrait prendre des années, mais il a ajouté que les droits de douane pourraient inciter à la création d'emplois massifs là où les entreprises ont supprimé des équipes de travail, comme à l'usine Volkswagen du Tennessee, où le syndicat négocie actuellement une première convention collective. Chez Stellantis, a déclaré Fain, l'entreprise pourrait récupérer 2 000 emplois perdus lors du transfert de la production du camion Ram au Mexique.

En négociation, il existe un truisme : si l'entreprise ne vous le donne pas par écrit, il ne faut pas la croire. Ces tarifs promettent la construction d'aucune nouvelle usine, mais deux choses sont sûres : les prix des véhicules augmenteront, peut-être jusqu'à 6 400 $ , car les constructeurs automobiles répercuteront les coûts des tarifs sur les acheteurs ; et la production sera perturbée par la baisse des ventes et les difficultés logistiques, ce qui entraînera probablement des licenciements. Le Michigan pourrait être le plus durement touché .

Pour entreprendre un projet aussi ambitieux que la construction d'une usine, les entreprises ont besoin d'une valeur sûre. Elles ont besoin d'une politique cohérente, offrant des incitations à long terme pour justifier une telle initiative. Trump a déjà démontré que ses politiques étaient tout sauf cohérentes. Un caprice passager d'un homme impulsif ne justifie guère la construction d'une usine entière, avec toute la logistique, les chaînes d'approvisionnement et les investissements que cela implique.

Et même si une entreprise décidait de construire une nouvelle usine aux États-Unis, cela prendrait des années à terminer, alors que d'autres pays auraient pu imposer des droits de douane de rétorsion au moment où vous lirez ces lignes !

Interrogé sur l'impact des droits de douane sur les prix, Trump a répondu : « Je m'en fiche complètement, car si les prix des voitures étrangères augmentent, ils achèteront des voitures américaines. » Rappel des faits : GM et Ford fabriquent également des véhicules au Mexique et au Canada, et dépendent de pièces détachées qui transitent par-delà les frontières pour leurs véhicules assemblés ici. Peter Navarro, conseiller commercial principal du président, affirme que le peuple américain devrait simplement « faire confiance à Trump ».

Un autre inconvénient est le risque de corruption, les entreprises se disputant les faveurs ; l'usage des transactions en mode « pay-to-play » est une caractéristique déterminante de l'administration Trump.

Vous souhaitez bénéficier d'une exemption tarifaire pour fabriquer votre produit à moindre coût que celui de vos concurrents ? Une contribution généreuse pourrait attirer l'attention du président. Cela a visiblement fonctionné pour Elon Musk, propriétaire de Tesla. Mieux encore, vous pourriez imposer des droits de douane à vos concurrents !

Alors que Trump démantèle l'investissement de Biden dans la transition vers les véhicules électriques, Musk a réalisé d'importants gains grâce à la suppression par Trump des crédits d'impôt à la consommation dont bénéficiaient les concurrents de Tesla, notamment les coentreprises de GM et de Ford. Cette situation menace les emplois des salariés que l'UAW vient de syndiquer ou est en train de syndiquer dans les usines de batteries du Kentucky, de l'Ohio et du Tennessee.

Une meilleure façon de faire

Tous les travailleurs du Midwest industriel peuvent constater que le « libre-échange » a été un désastre pour nous. Ville après ville, des pans entiers de nos États sont réduits à l'état de carcasses. Les morts par désespoir sont monnaie courante là où la prospérité s'épanouissait autrefois. Je comprends parfaitement le désir de protéger nos industries et nos communautés. Mais je comprends aussi que nos voisins du Nord et du Sud partagent ce même désir.

Ma proposition consisterait à taxer ou à imposer des droits de douane uniquement sur les véhicules et les pièces (nationaux et étrangers) produits dans des usines violant les droits des travailleurs. Cette approche permettrait de défendre les emplois syndiqués, piliers de nos familles et de nos communautés, et de renforcer la solidarité avec nos collègues syndiqués à l'étranger. Elle inciterait également les entreprises non syndiquées (1) à enfin respecter le droit de leurs employés à la négociation collective.

Ce type de politique tarifaire explicitement favorable aux travailleurs n'est clairement pas envisageable sous cette administration, mais il s'agit d'un objectif politique à considérer maintenant que le tabou autour des tarifs douaniers a été brisé. Associée à un fort mouvement de solidarité internationale entre les États-Unis, le Mexique et le Canada, elle nous donnerait plus de pouvoir et d'influence que jamais. Tout comme les grandes entreprises sont mondiales, notre solidarité doit dépasser les frontières pour s'adapter à leur sphère de contrôle sur la production et nos vies.

Il n'y a pas si longtemps, les travailleurs de l'automobile du Canada et des États-Unis étaient membres du même syndicat. Est-il inconcevable que nous puissions également intégrer le Mexique à un syndicat nord-américain ? Imaginez ce que nous pourrions accomplir ensemble ! Souvenons-nous de notre ami mexicain et de son esprit de fraternité, et construisons une solidarité qui dépasse ses limites actuelles.

Sean est un membre de la section locale 160 de l'UAW dans le Michigan, il travaille pour General Motors.

Article initialement publié le 10 avril sur le site d'Aplutsoc. Source : https://labornotes.org/blogs/2025/04/viewpoint-will-trumps-tariffs-be-good-auto-workers

Notes
1. Dans le contexte nord-américain, on dit qu'une entreprise est syndiquée dans le sens où au travers d'une procédure souvent laborieuse, le syndicat a acquis la représentativité parmi les salariés de cette entreprise et accède ainsi à la possibilité légale de négocier avec l'employeur

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Sud global : rencontre interrégionale du Réseau syndical Trade Unions for Energy Democracy SUD à Mexico

Une réunion du réseau syndical TUED Sud (Trade Unions for Energy Democracy) a réuni 120 syndicalistes de 34 pays à Mexico du 4 au 6 février dernier. Il s'agit de la deuxième (…)

Une réunion du réseau syndical TUED Sud (Trade Unions for Energy Democracy) a réuni 120 syndicalistes de 34 pays à Mexico du 4 au 6 février dernier. Il s'agit de la deuxième conférence syndicale interrégionale Sud-Sud sur la transition énergétique. Des syndicats d'Afrique, d'Asie, d'Amérique latine et des Caraïbes étaient présents, ainsi que des syndicats alliés du Nord. Les délégations se sont engagées en faveur d'une transition énergétique juste, ancrée dans la propriété et le contrôle publics.

22 avril 2025 | tiré du Journal des Alternatives
https://alter.quebec/sud-global-rencontre-interregionale-de-la-tued-sud-a-mexico/

Développer la Voie publique pour une transition juste

Lala Peñaranda est l'organisatrice du réseau TUED et la représentante pour l'Amérique latine et les Caraïbes. Elle fut au cœur de la rencontre de février comme responsable des communications pour l'événement. Elle constate que

« Les technologies de l'énergie évoluent rapidement. Leur situation en 2025 diffère beaucoup de celle qui existait il y a 30 ans, mais on se rend compte qu'elle reste souvent inaccessible. Dans bien des cas, les universités publiques n'ont pas accès aux progrès qui permettent la mise en œuvre des innovations les plus efficaces et les plus durables. »

Un fait qui crée une dépendance aux entreprises privées, qui occultent souvent les connaissances en leur faveur et créent une dépendance des communautés à leur endroit, notamment dans l'industrie minière. « Si nous avons un accès complet aux dernières innovations, nous pouvons ensuite décider si nous voulons en faire usage, s'il y a moyen de le faire à notre manière, avec notre propre planification et notre propre connaissance des territoires. »

C'est pourquoi l'événement a également mis à l'honneur une réponse dans la constitution du Red Camino Público (Réseau pour une Voie publique — RedCAPU). Cette approche vise à stopper et à inverser l'appropriation néolibérale des systèmes énergétiques et à mettre en place une alternative capable de répondre aux besoins énergétiques et aux objectifs climatiques dans un cadre d'autodétermination et de souveraineté énergétique.

Pour elle, ce fut aussi l'occasion d'échanger sur les progrès et les défis propres à différentes régions du Sud Global. Elle souligne également que l'événement a fait place à un forum des femmes syndicalistes, un événement où ont été abordés divers enjeux féministes et qui constitue une première pour le réseau TUED Sud et plus généralement dans tout le réseau des TUED.

La responsable des communications ajoute que les stratégies de résistance aux droites radicales ont fait l'objet de discussions, non seulement celui du gouvernement de Donald Trump, mais aussi ceux de Javier Milei en Argentine ou encore de Nayib Bukele au Salvador. « Nous allons travailler avec d'autres mouvements sociaux et populaires à développer les luttes antifascistes », affirme-t-elle..

TUED : un réseau mondial intersyndical sur la transition énergétique

Le réseau mondial TUED comprend 120 organisations syndicales qui œuvrent dans 48 pays et régions, dont quatre fédérations syndicales mondiales, trois organisations régionales et 16 centres nationaux. On y retrouve également une douzaine d'organismes alliés universitaires et de plaidoyers, dont le bureau de New York de la Fondation Rosa Luxemburg.

TUED vise à créer des ponts entre les luttes syndicales et écologiques et aborde la transition énergétique en tant qu'enjeu de classe. Une perspective particulièrement actuelle et inspirante en Amérique latine pour Lala Peñaranda : « Nous voulons développer nos propres outils de classe pour défendre l'environnement, nos propres alternatives au capitalisme vert. »

TUED a vu le jour en 2012 lors de la Conférence des Nations unies sur le développement durable (Rio+20) au Brésil, suite à la vague d'indignation suscitée par le corporatisme qui s'imposait lors de ce forum international. Lors de sa constitution, différents syndicats clés du Nord et du Sud en furent parties prenantes, mais des ONG comme War on Want et la Fondation Rosa Luxembourg.

Luttes de classes

« La perspective de classe reste extrêmement pertinente pour les luttes écologiques, tout comme le sont l'anticolonialisme et l'antiracisme », affirme Lala Peñaranda d'origine colombienne.

Le réseau a pris naissance en réaction à la récupération des principes du développement durable par les institutions économiques comme le Fonds monétaire international (FMI) ou la Banque mondiale (BM). Des institutions qui s'approprient les objectifs liés à la transition énergétique — par exemple la décarbonisation — pour exercer des pressions en faveur de la privatisation des services publics, par le biais des conditions de financement — avec un modèle qui génère un système d'endettement — qu'elles continuent d'imposer à plusieurs pays. Une logique capitaliste qui a pour conséquence d'affaiblir la souveraineté des peuples et les luttes écologiques dans le monde.

Ces institutions continuent d'utiliser les prêts pour faire pression et créer des marchés qu'elles qualifient de compétitifs ou de favorables à l'investissement. À cette violence institutionnelle, le réseau vise donc à répondre par des alliances ouvrières qui se déploient à l'échelle mondiale. Lala Peñarada explique :

« Nous avons besoin d'un réseau de syndicats qui s'opposent à ces ajustements structurels masqués d'environnementalisme et qui travaillent à mettre un frein aux changements climatiques, mais aussi à offrir un accès équitable à l'énergie et à défendre les personnes qui travaillent dans les secteurs de l'énergie. »

Elle indique que la propriété publique de l'énergie et son contrôle démocratique constituent les revendications communes du réseau. Sa perspective d'action implique toutefois plusieurs fronts, que ce soit en ce qui a trait à l'énergie verte ou à la défense des conditions de travail.

« Nous avons besoin de sortir le profit de l'équation ; c'est à partir de ce principe que se structure le projet. Il ne suffit pas que l'énergie soit publique, mais nous avons besoin d'une gestion démocratique, exercée par la classe ouvrière. »

Du Sud au Nord

La coordinatrice du réseau TUED pour l'Amérique latine et les Caraïbes considère qu'il s'agit d'une région essentielle pour l'actualité et l'avenir des luttes à l'échelle globale.

« Les mouvements écologiques d'Amérique latine constituent une authentique avant-garde climatique internationale. Ils sont les porteurs d'une vision alternative et anticoloniale, composée d'une multitude de perspectives de cultures, de genres et de classes. Ce sont des mouvements dotés d'autant plus de force qu'ils sont issus de décennies de résistance à des dictatures et à des régimes paramilitaires à l'origine d'exactions et de disparitions forcées. Alors, il nous appartient — surtout en tant qu'alliances internationales — de gagner la confiance de ces mouvements. »

« Les mouvements d'Amérique latine n'ont pas à suivre les mouvements du Nord. C'est en cheminant et en construisant ensemble que se gagne la confiance, dans un échange qui se base sur le respect des différences. »

Lala Peñarada insiste sur le fait qu'un tel échange implique une conscience anticoloniale. Une exigence d'autant plus essentielle dans un contexte où le lobbying en faveur de la privatisation et du capitalisme vert reste inhérent aux sommets comme ceux des Conférences des Parties (COP) de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques.

Les COP, de plus en plus corporatistes

« Il ne fait aucun doute que les COP sont de plus en plus corporatistes. À bien des égards, nous pouvons dire qu'elles sont une extraction des luttes climatiques. » Après avoir pris part en octobre 2024 à la COP16 en Colombie, le réseau TUED se prépare à assister à la COP30, qui aura lieu en novembre au Brésil.

Ces conférences donnent lieu à de plus en plus de critiques dans les mouvements écologistes. D'ailleurs, une première AntiCOP — laquelle a réuni des organisations de différents continents — a eu lieu du 4 à 9 novembre 2024 à Oaxaca de Juárez au Mexique. Un Sommet des peuples se tiendra également en marge de la COP 30 à Belém. Comme ce sont des réunions où s'expriment diverses voix du Sud, nous y allons pour faire du bruit, protester et nous battre pour des changements », conclut Lala Peñarada.

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Dix syndicats nationaux appellent à la résistance anti-Trump

29 avril, par Natascha Elena Uhlmann — , ,
Dix syndicats nationaux et des dizaines de sections locales représentant plus de 3 millions de membres ont publié une déclaration commune exigeant la libération des (…)

Dix syndicats nationaux et des dizaines de sections locales représentant plus de 3 millions de membres ont publié une déclaration commune exigeant la libération des travailleurs immigrants récemment enlevés par l'Immigration and Customs Enforcement.

9 avril 2025 | tiré de Z |Photo : Des membres de divers syndicats se sont rassemblés le 27 mars devant le centre de détention du Nord-Ouest à Tacoma, dans l'État de Washington, où l'organisateur des travailleurs agricoles Lelo Juarez et Lewelyn Davis, membre du SEIU, sont détenus. Crédit : The Stand | Source : Labor notes
https://znetwork.org/znetarticle/ten-national-unions-call-for-anti-trump-resistance/

La déclaration nomme le dirigeant syndical des travailleurs agricoles, Alfredo « Lelo » Juarez, qui a été arrêté dans ce qui semble être des représailles flagrantes pour son organisation ; Lewelyn Dixon, membre de la section locale 925 du SEIU, une technicienne de laboratoire de l'Université de Washington arrêtée alors qu'elle rentrait chez elle après avoir rendu visite à sa famille ; Rumeysa Ozturk, membre de la section locale 509 du SEIU, une étudiante diplômée dont la détention par des agents fédéraux a été filmée dans des images effrayantes ; le tôlier Kilmar Armando Abrego Garcia, un apprenti de la section locale 100 de SMART qui a été envoyé au tristement célèbre complexe pénitentiaire du Salvador, et Mahmoud Khalil, membre de la section locale 2710 des Travailleurs unis de l'automobile, enlevé par des agents fédéraux devant sa femme enceinte de huit mois.

Les syndicats demandent également aux employeurs, aux administrateurs d'universités et aux gouvernements locaux de refuser de coopérer et exigent que les élus « trouvent leur colonne vertébrale ».

Trump reprend des tactiques d'autres moments de l'histoire des États-Unis, lorsque « le gouvernement réprimait activement les protestations et la dissidence », a déclaré Carl Rosen, président de l'United Electrical Workers (UE).

Lors des raids Palmer de 1919-1920, des immigrants de gauche et des agitateurs syndicaux ont été arrêtés et déportés, principalement vers l'Italie et l'Europe de l'Est. À l'époque de McCarthy, à la fin des années 1940 et dans les années 1950, des travailleurs fédéraux, des travailleurs d'Hollywood, des universitaires et des dirigeants syndicaux présumés communistes ont été licenciés, mis sur liste noire, traînés devant le Congrès et parfois emprisonnés.

« Lorsqu'un segment de la population est ciblé pour la première fois, cela ne va pas s'arrêter là », a déclaré Rosen. « Finalement, il va être utilisé contre le mouvement ouvrier et tous les Américains qui veulent se lever pour la justice. Nous étions donc heureux de nous joindre à d'autres syndicats pour dire : « Nous allons résister à cela. »

Prélude à l'action ?

Face à l'éventail vertigineux d'attaques de Trump contre les travailleurs, les travailleurs immigrés, les travailleurs des campus et la liberté d'expression, jusqu'à présent, la classe ouvrière organisée, qui représente 14 millions de membres syndicaux, est restée largement silencieuse ou concentrée sur les luttes individuelles de chaque syndicat.

Cette déclaration commune pourrait être un prélude à une action plus coordonnée et plus directe pour résister aux attaques.

« J'espère que c'est un signe que, peut-être que s'il y avait des problèmes passés avec des syndicats ou des organisations qui avaient peut-être des différends, cela pourrait être la chose qui rassemble tout le monde, s'unit pour une seule cause », a déclaré Edgar Franks, directeur politique du syndicat indépendant des travailleurs agricoles Familias Unidas por la Justicia, où Lelo Juarez est un dirigeant. « Des relations seront établies ou modifiées, et à partir de là, nous pourrons avoir un front syndical uni et combatif. »

« À l'heure actuelle, il y a beaucoup de gens qui font beaucoup de bon travail pour essayer de se syndiquer », a déclaré Faye Guenther, présidente de la section locale 3000 des travailleurs de l'alimentation et du commerce à Washington, l'une des initiatrices de la lettre conjointe. « Je pense que nous serons mieux servis si nous pouvons mettre de côté autant de différences que possible et nous rassembler dans une table aussi large que possible. »

Trouver des cibles d'entreprise

Pour que les travailleurs puissent faire face à ces attaques, nos mouvements devront être prêts à perturber le statu quo. « De toute évidence, Tesla a touché une corde sensible », a déclaré Rosen, faisant référence aux manifestations régulières chez les concessionnaires à travers le pays, qui ont contribué à faire chuter l'action de l'entreprise ; Le PDG méga-milliardaire de Tesla, Elon Musk, est le fer de lance des attaques contre les travailleurs fédéraux.

« Je pense que nous devons trouver des cibles d'entreprise supplémentaires », a déclaré Rosen. « Il y a beaucoup de grandes entreprises qui profitent de leur association avec Donald Trump et de leur volonté de l'aider à mener à bien son programme. »

Il se souvient de la réaction explosive du public en 2008 lorsque les membres de la section locale 1110 de l'UE à Chicago ont pris une décision courageuse : ils ont occupé leur usine. Republic Windows and Doors fermait ses portes, mais le dernier jour de service, les travailleurs ont refusé de partir. Ils ont mené une grève d'occupation jusqu'à ce qu'ils parviennent à un accord de 1,75 million de dollars pour les indemnités de licenciement et autres avantages dus, et finalement ils ont rouvert l'usine en tant que coopérative gérée par les travailleurs.

« Cela a attiré l'attention des gens à travers le pays qui étaient tellement en colère contre les banques qui recevaient tout cet argent alors que les travailleurs étaient licenciés », a déclaré Rosen. Des partisans ont organisé des piquets de grève dans les bureaux de Bank of America et ont même commis une désobéissance civile en organisant des sit-in à l'intérieur des succursales des banques. « La pression exercée sur la banque a certainement été très importante pour s'assurer que les travailleurs obtiennent le règlement qu'ils ont obtenu. »

Parlez-en

« La prochaine étape de cette riposte exige que nous parlions à nos collègues et voisins de la façon dont les employeurs et les milliardaires bénéficient lorsque les travailleurs sont divisés et effrayés », a déclaré Stephanie Luce, professeure d'études du travail et de sociologie à la City University de New York et membre de l'AFT (AFT).

« Nous devrions chercher des espaces pour avoir plus de conversations et préparer les travailleurs à prendre des mesures plus importantes », a-t-elle déclaré, « parce que les attaques continueront d'arriver ». Elle a déclaré que les syndicats travaillent ensemble pour organiser de grandes actions le 1er mai (pour plus d'informations à maydaystrong.org), et a également recommandéla formation « Tactics to Build Power » de Labor Notes.

À moins que les membres ne s'en mêlent, une résolution n'est qu'un morceau de papier. « La pétition est un outil que nous devons utiliser pour unifier les gens, mais elle ne nous servira à rien si les seules personnes qui la signent sont des organisations », a déclaré M. Guenther. « Les travailleurs ont besoin d'être dans ces conversations profondes sur le genre de monde qu'ils veulent avoir et dans quel genre de pays ils veulent vivre. »

Mais les attaques de Trump ont également montré sur la scène publique pourquoi les travailleurs ont besoin d'une institution qui défend leurs droits : « Beaucoup de gens, même pas seulement dans le secteur des travailleurs agricoles, nous ont contactés pour savoir comment se syndiquer », a déclaré Franks. Tout comme les travailleurs fédéraux : l'AFGE signale un nombre record d'adhésions.

« Les hommes forts et les dictateurs se nourrissent de la peur et du chaos des gens », a déclaré Guenther. « Nous devons prendre des mesures qui nous permettent de montrer que nous pouvons gagner et qui aident à surmonter la peur des gens. »

Les syndicats peuvent signer la pétition ici.

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Manifeste pour une révolution écosocialiste – Rompre avec la croissance capitaliste

29 avril, par Quatrième Internationale — , ,
De nouvelles institutions doivent être construites pour délibérer, décider démocratiquement, organiser la production et l'ensemble de la société… Ces nouveaux pouvoirs devront (…)

De nouvelles institutions doivent être construites pour délibérer, décider démocratiquement, organiser la production et l'ensemble de la société… Ces nouveaux pouvoirs devront affronter la machine étatique capitaliste, qui devra être brisée. Le renversement de l'ordre social, l'expropriation des capitalistes se heurteront inévitablement à la riposte violente, armée, des classes dominantes.

Quatrième internationale

18e Congrès Mondial - 2025

TABLE DES MATIÈRES

. La nécessité objective d'une révolution écosocialiste, antiraciste, antimilitariste, anti-impérialiste, anticolonialiste et féministe

. Le monde pour lequel nous nous battons

. Notre méthode transitoire
. Pour un programme de transition anticapitaliste

. Les grandes lignes d'une alternative écosocialiste à la croissance capitaliste
. Contre les catastrophes, des plans publics de prévention adaptés aux besoins sociaux, sous contrôle populaire
. Partager les richesses pour prendre soin des humains et de notre environnement de vie, gratuitement
. Développer les biens communs et les services publics contre la privatisation et la marchandisation
. Prendre l'argent là où il est : les capitalistes et les riches doivent payer
. Pas d'émancipation sans lutte antiraciste
. Liberté de circulation et de séjour sur Terre ! Personne n'est illégal !
. Éliminer les activités économiques inutiles ou nuisibles
. Souveraineté alimentaire ! Sortir de l'agro-industrie, de la pêche industrielle et de l'industrie de la viande
. Cohabiter avec le vivant, arrêter le massacre des espèces
. Réforme urbaine populaire
. Socialiser l'énergie et la finance sans compensation ni rachat pour sortir au plus vite des énergies fossiles et du nucléaire
. Ouvrir la “boîte noire” des centres de données, socialiser les Big Tech
. Pour la libération et l'autodétermination des peuples ; contre la guerre, l'impérialisme et le colonialisme
. Garantir l'emploi pour tou·tes, assurer la reconversion nécessaire dans des activités écologiquement durables et socialement utiles
. Travailler moins, vivre et travailler mieux, vivre une bonne vie
. Réduire, réutiliser, recycler
. Garantir le droit des femmes sur leur propre corps et à une vie sans violence
. La connaissance est un bien commun. Réforme des systèmes d'éducation et de recherche
. Ne touchez pas aux droits démocratiques ! Contrôle populaire et auto-organisation des luttes
. Favoriser une révolution culturelle fondée sur le respect attentif du vivant et “l'amour de la Pachamama”
. Planification autogestionnaire écosocialiste

. La décroissance matérielle globale dans le contexte d'un développement inégal et combiné

. À contre-courant, faire converger les luttes pour rompre avec le productivisme capitaliste. S'emparer du gouvernement, initier la rupture écosocialiste basée sur l'auto-activité, l'auto-organisation, le contrôle par en bas, la démocratie la plus large

Ce Manifeste est un document de la Quatrième Internationale, fondée en 1938 par Léon Trotsky et ses camarades pour sauver l'héritage de la Révolution d'Octobre du désastre stalinien. Refusant un dogmatisme stérile, la IVe Internationale a intégré dans sa réflexion et sa pratique les défis des mouvements sociaux et de la crise écologique. Ses forces sont limitées, mais elles sont présentes sur tous les continents et ont activement contribué à la résistance au nazisme, à Mai 68 en France, à la solidarité avec les luttes anticoloniales (Algérie, Vietnam), à l'essor du mouvement altermondialiste et au développement de l'écosocialisme.

La IVe Internationale ne se considère pas comme la seule avant-garde ; elle participe, dans la mesure de ses forces, à de larges formations anticapitalistes. Son objectif est de contribuer à la formation d'une nouvelle Internationale, à caractère de masse, dont elle serait l'une des composantes.

Notre époque est celle d'une double crise historique : la crise de l'alternative socialiste face à la crise multiforme de la “civilisation” capitaliste.

Si la IVe Internationale publie ce Manifeste en 2025, c'est parce que nous sommes convaincu·es que le processus de révolution écosocialiste à différentes échelles territoriales, mais à dimension planétaire, est plus que jamais nécessaire : il s'agit désormais non seulement de mettre fin aux régressions sociales et démocratiques qui accompagnent l'expansion capitaliste mondiale, mais aussi de sauver l'humanité d'une catastrophe écologique sans précédent dans l'histoire humaine. Ces deux objectifs sont inextricablement liés.

Cependant, le projet socialiste qui est à la base de nos propositions nécessite une large refondation nourrie par l'évaluation pluraliste des expériences et par les grands mouvements de lutte contre toutes les formes de domination et d'oppression (classe, genre, communautés nationales dominées, etc.). Le socialisme que nous proposons est radicalement différent des modèles qui ont dominé le siècle dernier ou de tout régime étatiste ou dictatorial : c'est un projet révolutionnaire, radicalement démocratique, nourri par l'apport des luttes féministes, écologiques, antiracistes, anticolonialistes, antimilitaristes et LGBTI+.

Nous utilisons le terme d'écosocialisme depuis quelques décennies, car nous sommes convaincu·es que les menaces et les défis globaux posés par la crise écologique doivent imprégner toutes les luttes au sein de / contre l'ordre globalisé existant et nécessitent une reformulation du projet socialiste. La relation avec notre planète, le dépassement de la « fracture métabolique » (Marx) entre les sociétés humaines et leur milieu de vie, le respect des équilibres écologiques ne sont pas seulement des chapitres de notre programme et de notre stratégie, mais leur fil conducteur.

La nécessité d'actualiser les analyses du marxisme révolutionnaire a toujours inspiré l'action et la pensée de la Quatrième Internationale. Nous poursuivons cette démarche dans notre travail de rédaction de ce Manifeste écosocialiste : nous voulons contribuer à la formulation d'une perspective révolutionnaire capable d'affronter les défis du 21e siècle. Une perspective qui s'inspire des luttes sociales et écologiques, et des réflexions critiques authentiquement anticapitalistes qui se développent dans le monde.


LA NÉCESSITÉ OBJECTIVE D'UNE RÉVOLUTION ÉCOSOCIALISTE, ANTIRACISTE, ANTIMILITARISTE, ANTI-IMPÉRIALISTE, ANTICOLONIALISTE ET FÉMINISTE

Partout dans le monde, les forces d'extrême droite, autoritaires et semi-fascistes se renforcent et gagnent en influence. L'absence d'alternative à la crise du capitalisme tardif crée le désespoir qui favorise la misogynie, le racisme, la queerphobie, le déni du changement climatique et les idées réactionnaires en général. Effrayés parce que la crise écologique met objectivement en accusation l'accumulation pour le profit, des milliardaires se tournent vers une nouvelle extrême droite (allant des populistes de droite aux néofascistes) offrant ses services pour sauver le système par le mensonge et la démagogie sociale. Politiciens autoritaires et oligarques unissent leurs forces en défense du capital. Ciblant à la fois la protection de l'environnement et les programmes sociaux, ils mènent une guerre contre les travailleurs et les pauvres, tout en prétendant les représenter contre l'establishment libéral.

Le capital triomphe, mais son triomphe le plonge dans les contradictions insurmontables mises en évidence par Marx. En 1915, Rosa Luxemburg lançait un avertissement : « Socialisme ou barbarie ». Cent dix années plus tard, sonner l'alarme est plus urgent que jamais, car la catastrophe qui se développe est sans précédent. Aux fléaux de la guerre, du colonialisme, de l'exploitation, du racisme, de l'autoritarisme, des oppressions de toutes sortes, s'ajoute en effet un nouveau fléau, qui les exacerbe tous : la destruction accélérée par le capital de l'environnement naturel dont dépend la survie de l'humanité. L'élection de Trump en 2024 aggrave considérablement ce processus destructif. En se retirant des Accords de Paris, en encourageant l'exploitation illimitée des énergies fossiles (“drill, baby, drill”), en démantelant tous les règlements environnementaux aux USA, Donald Trump accélère la course planétaire vers l'abîme.

Les scientifiques identifient neuf indicateurs mondiaux de soutenabilité écologique. Les limites du danger sont estimées pour sept d'entre eux. En raison de la logique capitaliste d'accumulation, six de ces limites sont déjà franchies : (climat, intégrité des écosystèmes, cycles de l'azote et du phosphore, eaux douces souterraines et de surface, changement d'affectation des sols, pollution par de nouvelles entités chimiques). Les pauvres sont les principales victimes de ces destructions, surtout dans les pays pauvres.

Sous le fouet de la concurrence, la grande industrie et la finance renforcent leur emprise despotique sur les humains et la Terre. La destruction se poursuit, malgré les cris d'alarme de la science. La soif de profit, tel un automate, exige toujours plus de marchés et toujours plus de marchandises, donc plus d'exploitation de la force de travail et de pillage des ressources naturelles.

Le capital légal, le capital dit criminel et la politique bourgeoise sont étroitement liés. La Terre est achetée à crédit par les banques, les multinationales et les riches. Les gouvernements étranglent de plus en plus les droits humains et démocratiques par la répression brutale et le contrôle technologique.

Les mêmes causes sont à la base des inégalités sociales et de la dégradation de l'environnement. C'est peu dire que les limites de la soutenabilité sont franchies également au niveau social.

Le capitalisme implique la pénurie pour des milliards de personnes et l'enrichissement sans limite pour une infime minorité. D'un côté, le manque d'emplois, de salaires, de logements et de services publics alimente l'idée réactionnaire qu'il n'y a pas assez de ressources pour satisfaire les besoins de toutes et tous. De l'autre côté, avec leurs yachts, leurs jets, leurs piscines, leurs immenses terrains de golf particuliers, leurs nombreux SUV, leur tourisme spatial, leurs bijoux, leur haute couture et leurs résidences luxueuses aux quatre coins du monde, les 1 % les plus riches possèdent autant que 50 % de la population mondiale. La “théorie du ruissellement” est un mythe. C'est vers les riches que la richesse “ruisselle”, pas l'inverse. La pauvreté augmente, même dans les pays dits “développés”. Les revenus du travail sont comprimés sans pitié, les protections sociales – quand elles existent – sont démantelées. L'économie capitaliste mondiale flotte sur un océan de dettes, d'exploitation et d'inégalités.

Au sein des classes populaires, les populations les plus vulnérables et les groupes racisés sont frappés plus durement. Des communautés ethniques et raciales sont placées délibérément dans des zones contaminées par des déchets souvent toxiques et dangereux, plus polluées, ainsi que dans des zones à haut risque, dépourvues de planification urbaine (pentes des collines, par exemple). Victimes de racisme environnemental, ces populations sont de plus exclues systématiquement de la conception et de la mise en œuvre des politiques environnementales.

Assigner aux femmes le devoir de s'occuper des autres permet au capital de bénéficier d'une reproduction sociale à moindre coût et favorise la mise en œuvre de politiques d'austérité brutales dans les services publics. D'une manière générale, les inégalités et les discriminations touchent particulièrement les femmes. Elles ne perçoivent que 35 % des revenus du travail. Dans certaines régions du monde (Chine, Russie, Asie centrale), leur part diminue, parfois de manière significative. Les femmes rurales assurent 55 à 77 % du travail, mais ne possèdent que 9 % des terres, et ont peu accès aux ressources, aux crédits et aux politiques publiques. Au-delà du travail, les femmes sont attaquées sur tous les fronts en tant que femmes, par la violence sexiste et sexuelle – féminicides, viols, harcèlement sexuel, traite à des fins sexuelles et de travail – et dans leurs droits à l'alimentation, à l'éducation, leur droit d'être respectées et de disposer de leur propre corps.

Les personnes LGBTI+, et particulièrement transgenres, sont la cible d'une offensive réactionnaire mondiale qui aggrave leur précarité et les discriminations, compromet leur accès à la santé, et par conséquent aussi la santé publique.

Les personnes handicapées sont mises au rebut par le capital parce qu'elles ne peuvent pas travailler pour le profit, ou parce que leur travail nécessite des aménagements réduisant les profits. Certaines sont victimes de stérilisation forcée. Le spectre de l'eugénisme refait surface.

Les personnes âgées des classes populaires sont mises au rebut aussi, et la vie des générations futures est mutilée à l'avance. La plupart des parents des classes populaires ne croient plus que leurs enfants vivront mieux qu'elles et eux. Un nombre croissant de jeunes observent avec effroi, rage et tristesse la destruction programmée de leur monde, violé, éventré, noyé dans le béton, englouti dans les eaux froides du calcul égoïste.

Les fléaux de la famine, de l'insécurité alimentaire et de la malnutrition avaient reculé à la fin du 20e siècle ; la convergence catastrophique du néolibéralisme, du militarisme et du changement climatique les fait resurgir : près d'une personne sur dix a faim, près d'une sur trois souffre d'insécurité alimentaire, plus de trois milliards n'ont pas les moyens de se nourrir sainement. Cent cinquante millions d'enfants de moins de cinq ans souffrent d'un retard de croissance dû à la faim. La grande majorité d'entre eux ont pour seul tort d'être né·es à la périphérie du capitalisme.

L'espoir d'un monde pacifique s'évanouit. Plus de 30 pays du monde sont ou ont été récemment en proie à des guerres de grande ampleur, notamment le Soudan, l'Irak, le Yémen, la Palestine, la Syrie, l'Ukraine, la Libye, la République démocratique du Congo et le Myanmar. La crise climatique elle-même, la concurrence féroce pour les minerais (notamment les “terres rares”), les phénomènes météorologiques et les flux migratoires intenses qui en résultent alimentent de nombreux conflits. Les souffrances, les déplacements et la mort sont au rendez-vous.

Tandis que les impérialismes rivalisent, les mesures urgentes pour la transition climatique et un avenir soutenable sont remises en question. Outre le fait que les guerres éliminent des vies humaines, s'attaquent au corps des femmes, utilisent le viol comme instrument de terreur et déshumanisent la vie collective, elles aggravent aussi la destruction des écosystèmes, provoquent la déforestation, empoisonnent les sols, les eaux et l'air, et émettent de grandes quantités de carbone.

La guerre brutale de la Russie contre l'Ukraine et le nouveau degré de nettoyage ethnique perpétré à Gaza et contre le peuple palestinien en général sont des crimes majeurs contre l'humanité, qui confirment la nature de plus en plus barbare du capitalisme. L'agression impérialiste russe lancée en 2022 contre l'Ukraine a exacerbé les tensions géopolitiques à l'échelle mondiale. Elle confirme l'entrée dans une nouvelle ère de compétition inter-impérialiste pour l'hégémonie mondiale dans laquelle les ressources foncières, énergétiques et minérales constituent un enjeu important.

Tout le monde pourrait avoir une bonne vie sur la Terre, mais le capitalisme est un mode de prédation exploiteur, machiste, raciste, guerrier, autoritaire et mortifère. En deux siècles, il a conduit l'humanité dans une profonde impasse écosociale. Le productivisme est un destructivisme. La surexploitation des ressources naturelles, l'extractivisme forcené, la recherche des rendements maximums à court terme, la déforestation et le changement d'affectation des terres entraînent un effondrement de la biodiversité, c'est-à-dire de la vie elle-même.

Le changement climatique est l'aspect le plus dangereux de la destruction écologique, c'est une menace pour la vie humaine sans précédent dans l'histoire. La Terre risque de devenir un désert biologique inhabitable pour des milliards de pauvres qui ne sont pas responsables de ce désastre. Pour arrêter cette catastrophe, nous devons réduire de moitié les émissions mondiales de dioxyde de carbone et de méthane avant 2030, et atteindre zéro émission nette de gaz à effet de serre avant 2050. Cela signifie en priorité bannir les énergies fossiles, l'agro-industrie, l'industrie de la viande et l'hyper-mobilité… et par conséquent produire moins, globalement.

Est-il possible dans ce contexte de satisfaire les besoins légitimes de trois milliards de personnes qui vivent dans des conditions épouvantables, principalement dans les pays du Sud global (1) ? Oui. Le 1 % le plus riche émet près de deux fois plus de CO2 que les 50 % les plus pauvres. Les 10 % les plus riches sont responsables de plus de 50 % des émissions de CO2. Les pauvres émettent beaucoup moins que 2 à 2,3 tonnes de CO2 par personne et par an (le volume moyen à atteindre en 2030 pour parvenir à des émissions nettes nulles en 2050 avec une probabilité de 50 %). Un dollar dépensé pour répondre aux besoins des 1 % les plus riches émet trente fois plus de CO2 qu'un dollar investi pour répondre aux besoins sociaux des 50 % les plus pauvres de la population mondiale.

La satisfaction des besoins fondamentaux des classes populaires, tant dans les pays dominés que dans les pays dits “développés”, n'aurait qu'une empreinte carbone modeste – surtout si elle est planifiée démocratiquement et assumée par le secteur public. Elle serait compensée largement par la réduction radicale de l'empreinte carbone des 1 % les plus riches – ils doivent diviser leurs émissions par trente en quelques années au Nord comme au Sud ! – et la sobriété pour tou·tes. En fait, arrêter la catastrophe nécessite une société qui assure le bien-être et garantit l'égalité comme jamais auparavant. C'est une perspective désirable mais le 1 % le plus riche refuse le moindre effort et veut toujours plus de privilèges !

Les gouvernements se sont engagés à rester en dessous de +1,5°C, à préserver la biodiversité, à atteindre un soi-disant “développement durable” et à respecter le principe des “responsabilités et capacités communes mais différenciées” dans la crise écologique… tout en produisant toujours plus de marchandises et en utilisant toujours plus d'énergie. Il est exclu que ces promesses conjuguées soient tenues par le capital. Les faits le montrent :

– Trente-trois ans après le Sommet de la Terre de Rio (1992), le bouquet énergétique mondial est encore entièrement dominé par les combustibles fossiles (84 % en 2020). La production totale de combustibles fossiles a augmenté de 62 %, passant de 83 000 térawattheures (TWh (2) ) en 1992 à 136 000 TWh en 2021. Les énergies renouvelables viennent principalement s'ajouter au système énergétique fossile, offrant davantage de capacités et de nouveaux marchés aux capitalistes.

Avec la crise énergétique déclenchée par la pandémie et aggravée par la guerre impérialiste russe contre l'Ukraine, toutes les puissances capitalistes ont relancé le charbon, le pétrole, le gaz naturel (y compris le gaz de schiste) et l'énergie nucléaire.

– La promotion de l'intelligence artificielle (IA) par les compagnies de la Big Tech et les gouvernements capitalistes fait peser une nouvelle menace. Les data centers et le “crypto-mining” consomment déjà près de 2 % de l'électricité mondiale. Cette consommation augmentera de façon très importante avec l'expansion de l'IA, qui nécessite d'énormes quantités d'énergie et d‘eau. Les vies des peuples en seront affectées de nombreuses façons. L'utilisation capitaliste de l'IA menace des dizaines de millions d'emplois, dégrade et mine la création artistique et culturelle, renforce le racisme systémique et accélère la diffusion des mensonges de l'extrême droite. De plus, l'IA et les data centers accélèrent la frénésie d'un capitalisme sans repos, qui accapare l'attention des gens, corrompant ainsi leur temps libre et leurs liens sociaux.

– Principal responsable historique du dérèglement climatique, l'impérialisme américain dispose d'énormes moyens pour lutter contre la catastrophe, mais ses représentants politiques subordonnent criminellement cette lutte à la protection de leur hégémonie mondiale, quand ils ne la refusent pas tout simplement.

– Les mesures que les grands pollueurs mettent en œuvre sous le label “décarbonation” ne répondent pas à l'ampleur de la crise climatique. Elles sont déployées sans planification démocratique, en privilégiant le profit et en ignorant les impacts potentiels sur les écosystèmes. Elles accélèrent l'extractivisme, surtout dans les pays dominés, mais aussi au Nord et dans les océans, au détriment des populations et des écosystèmes.

– Cette soi-disant “décarbonation” exacerbe l'accaparement impérialiste des terres, le racisme environnemental et l'exploitation de la main-d'œuvre dans le Sud, avec la complicité des bourgeoisies locales (comme l'illustrent différents projets d'utilisation de l'énergie solaire et éolienne sur les territoires des communautés traditionnelles, des peuples indigènes, des agriculteurs et des petits pêcheurs dans les pays du Sud ainsi que dans des “zones franches”, afin de produire de “l'hydrogène vert” pour les industries des pays développés).

– Les “marchés du carbone”, les “compensations carbone”, les “compensations biodiversité” et les “mécanismes de marché”, fondés sur la compréhension de la nature comme un capital, pèsent sur les moins responsables, les pauvres, en particulier les populations autochtones, les populations racisées et les populations du Sud en général.

Valables en théorie, les concepts abstraits tels que “économie circulaire”, “résilience”, “transition énergétique”, “biomimétisme” deviennent des formules creuses dès lors qu'ils sont mis au service du productivisme capitaliste. Sans mise en œuvre d'un plan de reconversion de la production par l'ensemble de la société, les améliorations techniques ont un effet rebond (3) : ainsi, une réduction du prix de l'énergie entraîne généralement une augmentation de la consommation d'énergie et de matières.

La droite attribue le réchauffement climatique et le déclin de la biodiversité à la croissance démographique “galopante”. Elle cherche ainsi à rendre les opprimé·es responsables des crises et de leur propre misère, pour leur imposer des mesures de contrôle de la population. En réalité, les taux de croissance démographique élevés sont une conséquence plutôt qu'une cause de la pauvreté. La sécurité des revenus, l'accès à la nourriture, à l'éducation, aux soins de santé et au logement, l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes, contribuent tous à la transition démographique, parce que les taux de mortalité, puis les taux de natalité, diminuent.

Le fétichisme capitaliste de l'accumulation empêche de reconnaître cette vérité. En fin de compte, face à la crise climatique, il ne laissera finalement que deux options : déployer des technologies d'apprentis sorciers (nucléaire, capture-séquestration du carbone, géo-ingénierie…) ou sacrifier quelques milliards de pauvres dans les pays pauvres, en disant que “la nature” en a décidé ainsi.

Politiquement, l'impuissance et l'injustice du capitalisme vert font le jeu d'un néofascisme fossile, complotiste, impérialiste, raciste, violemment machiste et LGBTI+phobe, que cette seconde possibilité ne rebute pas. Une fraction des riches marche vers un immense crime contre l'humanité, en pariant cyniquement que sa richesse la protégera.

Le capitalisme mondial ne progresse pas graduellement vers la paix et le développement durable, il régresse à grands pas vers la guerre, le désastre écologique, le génocide et la barbarie néofasciste.

Face à ce défi, il ne suffit pas de remettre en cause le régime néolibéral et de revaloriser le rôle de l'État. Il ne suffirait même pas d'arrêter la dynamique d'accumulation (un objectif impossible sous le capitalisme !). La consommation finale mondiale d'énergie doit diminuer radicalement – ce qui implique produire moins et transporter moins à l'échelle mondiale – tout en augmentant la consommation d'énergie dans les pays les plus pauvres, pour satisfaire les besoins sociaux.

C'est la seule solution qui permette de concilier le besoin légitime de bien-être pour tou·tes et la régénération de l'écosystème mondial. La juste suffisance et la juste décroissance – la décroissance écosocialiste – est une condition sine qua non du sauvetage.

Sortir de l'impasse productiviste n'est possible qu'aux conditions suivantes :

– abandonner le “technosolutionnisme”, c'est-à-dire l'idée que la solution viendra des nouvelles technologies dont on présente la face écologique sans mesurer la consommation préjudiciable des énergies et ressources que leur production et usage induisent. Dans un souci de sagesse écologique, décider d'utiliser les moyens dont nous disposons, ils suffisent à répondre aux besoins de tou·tes ;

– réduire radicalement l'empreinte écologique des riches pour permettre une bonne vie pour tou·tes ;

– mettre fin au libre marché du capital (bourses, banques privées, fonds de pension, marché des crédits carbone...) ;

– réguler les marchés de biens et de services ;

– maximiser à tous les échelons de la société les relations directes entre producteur·ices et consommateur·ices, et les processus d'évaluation des besoins et des ressources sous l'angle des valeurs d'usage et des priorités écologiques et sociales ;

– déterminer démocratiquement quels besoins ces valeurs d'usage doivent satisfaire et comment ;

– placer au centre de cette délibération démocratique la prise en charge des humains et des écosystèmes, le respect attentif du vivant et des limites écologiques ;

– supprimer en conséquence les productions et les transports inutiles, refonder toute l'activité productive, sa circulation et sa consommation.

Ces conditions sont nécessaires, mais pas suffisantes. La crise sociale et la crise écologique ne font qu'une. Il faut reconstruire un projet émancipateur pour les exploité·es et les opprimé·es. Un projet de classe qui, au-delà des besoins fondamentaux, privilégie l'être au lieu de l'avoir. Un projet qui modifie en profondeur les comportements, la consommation, le rapport au reste de la nature, la conception du bonheur et la vision que les humains ont du monde. Un projet anti-productiviste pour vivre mieux en prenant soin du vivant sur la seule planète habitable du système solaire.

Le capitalisme a déjà plongé l'humanité dans des situations très sombres. À la veille du premier conflit mondial, l'hystérie nationaliste s'est emparée des masses et la social-démocratie, trahissant sa promesse de répondre à la guerre par la révolution, a donné le feu vert à des tueries sans précédent. Néanmoins, Lénine définissait la situation comme « objectivement révolutionnaire », parce que seule la révolution pouvait arrêter le massacre. L'histoire lui a donné raison : la révolution en Russie et la crainte de son extension ont contraint les bourgeoisies à mettre fin au bain de sang. La comparaison a évidemment ses limites. Les médiations vers l'action révolutionnaire sont aujourd'hui infiniment plus complexes. Mais le même sursaut des consciences est nécessaire. Face à la crise écologique, une révolution anticapitaliste est encore plus nécessaire objectivement qu'il y a un siècle. C'est ce jugement fondamental qui doit servir de base à l'élaboration d'un programme, d'une stratégie et d'une tactique, parce qu'il n'y a pas d'autre moyen d'éviter la catastrophe.


LE MONDE POUR LEQUEL NOUS NOUS BATTONS

Notre projet de société future articule l'émancipation sociale et politique avec l'impératif d'arrêter la destruction de la vie et de réparer autant que possible les dégâts déjà causés.

Nous voulons (tenter d') imaginer ce que serait une vie bonne pour tou·tes et partout en réduisant la consommation de matière et d'énergie, et donc en réduisant la production matérielle, en tenant compte des responsabilités différentiées. Il ne s'agit pas de donner un modèle tout fait, mais d'oser penser un autre monde, un monde qui donne envie de se battre pour le construire en se débarrassant du capitalisme et du productivisme.

« Oui, c'est pour le pain que nous nous battons,

mais nous nous battons aussi pour les roses. »

Une vie bonne pour tou·tes exige que les besoins humains fondamentaux – alimentation saine, santé, logement, air pur et eau propre – soient satisfaits.

Une bonne vie est aussi une vie choisie, épanouissante et créative, engagée dans des relations humaines riches et égalitaires, entourée de la beauté du monde et des réalisations humaines.

Notre planète dispose (encore) de suffisamment de terres arables, d'eau potable, de soleil et de vent, de biodiversité et de ressources de toutes sortes pour répondre aux besoins humains légitimes en renonçant aux combustibles fossiles nuisibles au climat et à l'énergie nucléaire. Cependant, certaines de ces ressources sont limitées et donc épuisables, tandis que d'autres, bien qu'inépuisables, nécessitent pour leur consommation humaine des matières épuisables, voire rares et dont l'extraction est écologiquement dommageable. En tout état de cause, leur utilisation ne pouvant être illimitée, nous les utilisons avec prudence et parcimonie, dans le respect de l'environnement.

Indispensables à notre vie, elles sont exclues de l'appropriation privée, considérées comme des biens communs, car elles doivent bénéficier à l'ensemble de l'humanité aujourd'hui et à long terme. Afin de garantir ces biens communs dans le temps, des règles collectives définissant les usages, mais aussi les limites de ces usages, les obligations d'entretien ou de réparation, sont élaborées.

Parce qu'on ne soigne pas une mangrove comme une calotte glaciaire, une zone humide comme une plage de sable, une forêt tropicale comme une rivière, parce que l'énergie solaire n'obéit pas aux mêmes règles, n'impose pas les mêmes contraintes matérielles que l'éolien ou l'hydraulique, l'élaboration de règles ne peut être que le fruit d'un processus démocratique impliquant les premier·es concerné·es, travailleur·ses et habitant·es.

Notre commun, c'est aussi l'ensemble des services qui permettent de répondre de manière égalitaire, et donc gratuite, aux besoins d'éducation, de santé, de culture, d'accès à l'eau, à l'énergie, à la communication, aux transports, etc. Ils sont, eux aussi, gérés et organisés démocratiquement par l'ensemble de la société.

Les services consacrés aux personnes et aux soins dont elles ont besoin aux différentes étapes de leur vie, brisent la séparation entre le public et le privé, l'assignation des femmes à ces tâches en les socialisant, c'est-à-dire en faisant en sorte qu'elles soient l'affaire de l'ensemble de la société. Ces services de reproduction sociale sont des outils essentiels, parmi d'autres, pour lutter contre l'oppression patriarcale.

Tous ces “services publics” décentralisés, participatifs et communautaires constituent la base d'une organisation sociale non autoritaire.

À l'échelle de la société dans son ensemble, la planification écologique démocratique permet aux populations de se réapproprier les grands choix sociaux relatifs à la production, de décider, en tant que citoyen·nes et usager·es, ce qu'il faut produire et comment le produire, des services qui doivent être fournis, mais aussi des limites acceptables pour l'utilisation des ressources matérielles telles que l'eau, l'énergie, les transports, le foncier, etc. Ces choix sont préparés et éclairés par des processus de délibération collective qui s'appuient sur l'appropriation des connaissances, qu'elles soient scientifiques ou issues de l'expérience des populations, sur l'auto-organisation des opprimé·es (par exemple : mouvements de libération des femmes, peuples racisés, personnes handicapées).

Cette démocratie économique et politique globale s'articule avec de multiples collectifs/commissions décentralisés : ceux qui permettent de décider au niveau local, dans la commune ou le quartier, de l'organisation de la vie publique et ceux qui permettent aux travailleur·ses et aux producteur·ices de contrôler la gestion et l'organisation de leur unité de travail, de décider de la manière de produire et donc de travailler. C'est la combinaison de ces différents niveaux de démocratie qui permet la coopération et non la concurrence, une gestion juste d'un point de vue écologique et social, épanouissante d'un point de vue humain, au niveau de l'atelier, de l'entreprise, de la branche… mais aussi du quartier, de la commune, de la région, du pays et même de la planète !

Toutes les décisions relatives à la production et à la distribution, à la manière dont nous voulons vivre, sont guidées par le principe suivant : décentraliser autant que possible, coordonner autant que nécessaire.

Prendre sa vie en main et participer à des collectifs sociaux demande du temps, de l'énergie et de l'intelligence collective. Heureusement, le travail de production et de reproduction sociale n'occupe que quelques heures par jour.

La production est exclusivement consacrée à la satisfaction des besoins démocratiquement déterminés. La production et la distribution sont organisées de manière à minimiser la consommation de ressources et à éliminer les déchets, les pollutions et les émissions de gaz à effet de serre, elle vise en permanence la sobriété et la “durabilité programmée” (par opposition à l'obsolescence programmée du capitalisme, qu'elle soit planifiée ou simplement due à la logique de la course au profit). Produire au plus près des besoins à satisfaire permet de réduire les transports et de mieux appréhender le travail, les matériaux et l'énergie nécessaires.

Ainsi, l'agriculture est écologique, paysanne et locale afin d'assurer la souveraineté alimentaire et la protection de la biodiversité. Des ateliers de transformation et des circuits de distribution permettent de produire la plupart des aliments en circuit court.

Le secteur de l'énergie basé sur les sources renouvelables est aussi décentralisé que possible afin de réduire les pertes et d'optimiser les sources. Les activités liées à la reproduction sociale (entre autres : santé, éducation, soins aux personnes âgées ou dépendantes, garde d'enfants) sont développées et renforcées, en veillant à ne pas reproduire les stéréotypes de genre.

Bien que le travail occupe moins de temps, il occupe une place essentielle, car, avec la nature et en prenant soin d'elle, il produit ce qui est nécessaire à la vie.

L'autogestion des unités de production combinée à la planification démocratique permet aux travailleur·ses de contrôler leur activité, de décider de l'organisation du travail et de remettre en cause la division entre travail manuel et travail intellectuel. La délibération s'étend au choix des technologies selon qu'elles permettent ou non au collectif de travail de maîtriser le processus de production. En privilégiant la connaissance concrète, pratique et réelle du processus de travail, les savoir-faire collectifs et individuels, la créativité, elle permet de concevoir et de produire des objets robustes, démontables et réparables, réutilisables et, le cas échéant, recyclables, et de réduire les consommations de matières et d'énergie – de la fabrication à l'utilisation.

Dans tous les domaines, la conviction de faire quelque chose d'utile et la satisfaction de le faire bien se conjuguent. En ce qui concerne les tâches fastidieuses, chacun·e veille à en réduire la lourdeur et la pénibilité. Il reste cependant une part incontournable que chacun·e accomplit à tour de rôle.

Une grande partie de la production matérielle, parce que le volume en est fortement réduit, peut être désindustrialisée (tout ou partie de l'habillement ou de l'alimentation) et les savoir-faire artisanaux, auxquels tout le monde peut être formé, sont valorisés.

Libérer le travail de l'aliénation permet d'abolir la frontière entre l'art et la vie dans une sorte de “communisme du luxe”. Nous pouvons garder ou partager des outils, des meubles, un vélo, des vêtements… toute notre vie parce qu'ils sont ingénieusement conçus et beaux.

Être plutôt qu'avoir

« Seul ce qui est bon pour tous est digne de vous.

Seul mérite d'être produit ce qui ne privilégie ni n'abaisse personne. » (A. Gorz).

La liberté ne réside pas dans une consommation illimitée, mais dans une autolimitation choisie et comprise, conquise contre l'aliénation consumériste. La délibération collective permet de déconstruire les besoins artificiels, de définir des besoins “universalisables” – c'est-à-dire non réservés à certaines personnes ou à certaines parties du monde – qui doivent être satisfaits.

La véritable richesse ne réside pas dans l'augmentation infinie des biens – avoir – mais dans l'augmentation du temps libre – être. Le temps libre ouvre la possibilité de s'épanouir dans le jeu, l'étude, l'activité civique, la création artistique, les relations interpersonnelles et avec le reste de la nature.

Nous ouvrons donc la voie à de nombreux travaux parce que nous avons le temps d'y réfléchir et parce que nous pouvons le faire en mettant au centre l'attention portée aux personnes et au reste de la nature.

Les lieux où nous vivons, chaque espace dans lequel nous nous socialisons, nous appartiennent pour construire d'autres relations sociales interpersonnelles. Libérés de la spéculation foncière et de la voiture, nous pouvons repenser l'usage des espaces publics, combler la séparation entre le centre et la périphérie, multiplier les espaces récréatifs, de rencontre et de partage, désartificialiser les villes avec l'agriculture urbaine et le maraîchage de proximité, restaurer les biotopes insérés dans le tissu urbain… Et au-delà, mettre en œuvre une politique à long terme visant à rééquilibrer les populations urbaines et rurales et à dépasser l'opposition entre ville et campagne afin de reconstituer des communautés humaines vivables et durables à une échelle permettant une réelle démocratie.

Nos désirs et nos émotions ne sont plus des choses qui s'achètent et se vendent, l'éventail des choix est considérablement élargi pour chacun·e. Chacun·e peut développer de nouvelles façons d'avoir des relations sexuelles, de vivre, de travailler et d'élever des enfants ensemble, de construire des projets de vie de manière libre et diverse, dans le respect des décisions personnelles et de l'humanité de chacun·e, avec l'idée qu'il n'y a pas une seule option possible, ou une option meilleure que les autres. La famille peut cesser d'être l'espace de reproduction de la domination, et cesser d'être la seule forme possible de vie collective. Nous pouvons ainsi repenser la forme de la parentalité de manière plus collective, politiser nos décisions personnelles en matière de maternité et de parentalité, réfléchir à la manière dont nous considérons l'enfance et la place des personnes âgées ou handicapées, aux relations sociales que nous établissons avec elles, et à la manière dont nous sommes capables de briser les logiques de domination que nous avons intériorisées, héritées des sociétés antérieures.

Nous construisons une nouvelle culture, à l'opposé de la culture du viol, une culture qui reconnaît les corps de toutes les femmes cis et trans, ainsi que leurs désirs, qui reconnaît chacun·e comme un sujet capable de décider de son corps, de sa vie et de sa sexualité, qui rend visible le fait qu'il y a mille façons d'être une personne, de vivre et d'exprimer son genre et sa sexualité.

Une activité sexuelle librement consentie et agréable pour toutes celles et tous ceux qui y prennent part est en soi une justification suffisante.

Nous devons apprendre à penser l'interdépendance des êtres vivants et développer une conception des relations entre l'humanité et la nature qui ressemblera probablement à certains égards à celle des peuples indigènes, mais qui sera néanmoins différente. Une conception selon laquelle les notions éthiques de précaution, de respect et de responsabilité, ainsi que l'émerveillement devant la beauté du monde, interféreront constamment avec une compréhension scientifique à la fois de plus en plus fine et de plus en plus consciente de son incomplétude. Les cultures des peuples indigènes peuvent constituer de précieuses sources d'inspiration.


NOTRE MÉTHODE TRANSITOIRE

Notre analyse du capitalisme, et plus particulièrement des politiques de la classe dirigeante en relation avec les dangers écologiques et le changement climatique, nous conduit à affirmer ce qui suit :

Premièrement, la nécessité d'une alternative globale et d'un projet de société basé sur une production et une reproduction orientées vers la satisfaction des besoins humains et non vers les profits (produire des valeurs d'usage plutôt que des valeurs d'échange). Tourner telle ou telle vis à l'intérieur du système, sans changer le mode de production, ne permettra ni d'éviter ni même d'atténuer de manière significative les crises et les catastrophes auxquelles nous sommes confrontés et qui s'aggraveront avec la persistance du système capitaliste. Transmettre cette idée est au cœur de la politique révolutionnaire.

La compréhension de la nécessité d'un changement révolutionnaire global est une tâche qui ne peut être résolue directement et sans difficulté dans la pratique. C'est pourquoi, deuxièmement, il est important de combiner la présentation de la perspective globale avec la diffusion de revendications immédiates pour lesquelles des mobilisations peuvent effectivement être développées ou promues.

Troisièmement, il faut le souligner : convaincre ne peut se faire uniquement par l'argumentation. Pour convaincre de se détourner du système capitaliste et encourager à résister, il faut des luttes réussies qui donnent du courage et démontrent que des victoires partielles sont possibles.

Quatrièmement, pour que les luttes soient couronnées de succès, une meilleure organisation est nécessaire. C'est toujours vrai en principe, mais aujourd'hui – parce que les syndicats ont largement disparu politiquement (dans de nombreuses parties du monde) et que la gauche est fragmentée – il est important de promouvoir la coopération pratique de manière non sectaire, en particulier au sein de la gauche anticapitaliste, et en même temps de soutenir les travailleur·ses dans leur auto-organisation.

D'une part, le temps presse si nous ne voulons pas voir le réchauffement climatique s'accélérer de manière incontrôlable parce que des points de basculement cruciaux sont franchis. D'autre part, la grande majorité n'est pas prête à se battre pour un autre système, c'est-à-dire pour renverser le capitalisme. Cela est dû en partie à un manque de connaissance de la situation générale, mais plus encore à un manque de vision de ce à quoi l'alternative pourrait ou devrait ressembler. En outre, le rapport de forces social et politique entre les classes n'encourage pas vraiment la confrontation avec les dirigeants et les profiteurs de l'ordre social capitaliste.

Par ailleurs, un programme qui veut réformer le capitalisme ou le dépasser progressivement (de surcroît, par une politique venant d'en-haut) n'a pas non plus de chance de réussir. Les réformes qui respectent les règles du système capitaliste ne permettent pas de relever les défis de la crise écologique. Et les changements progressifs dans l'économie et l'État n'ont jamais conduit à un changement de système. Les propriétaires et les profiteurs du capitalisme n'assisteront pas tranquillement à la confiscation de leurs richesses et à la privation de leur mode d'enrichissement, morceau par morceau.

Le temps presse et des mesures urgentes s'imposent. Certains opposants à l'écosocialisme plaident pour des réformes légères “parce que nous ne pouvons pas attendre la révolution mondiale”. Les partisan·es de l'écosocialisme n'ont pas l'intention d'attendre ! Notre stratégie est de commencer MAINTENANT, avec des revendications transitoires concrètes. C'est le début d'un processus de changement global. Il ne s'agit pas d'étapes historiques distinctes, mais de moments dialectiques dans un même processus. Chaque victoire partielle ou locale est une étape dans ce mouvement, qui renforce l'auto-organisation et encourage la lutte pour de nouvelles victoires.

Dans les luttes de classes à venir – qui constituent la base de la bataille pour l'hégémonie impliquant des couches plus larges de la classe ouvrière, les jeunes, les femmes, les indigènes – il doit être clair qu'en fin de compte, il n'y a aucun moyen d'échapper à un véritable changement de système et à la question du pouvoir. La classe dirigeante doit être expropriée et son pouvoir politique renversé.

Pour un programme de transition anticapitaliste

La méthode transitoire était déjà suggérée par Marx et Engels dans la dernière section du Manifeste communiste (1848). Mais c'est la Quatrième Internationale qui lui a donné sa signification moderne, dans le Programme de transition de 1938. L'hypothèse de base est la nécessité pour les révolutionnaires d'aider les masses, dans le processus de la lutte quotidienne, à trouver le pont entre les revendications actuelles et le programme socialiste de la révolution. Ce pont devrait inclure un système de revendications transitoires, découlant des conditions actuelles et de la conscience actuelle de larges couches de la classe ouvrière. Son objectif est de conduire les luttes sociales vers la conquête du pouvoir par le prolétariat.

Bien entendu, les révolutionnaires n'écartent pas le programme des vieilles revendications “minimales” traditionnelles : ils défendent évidemment les droits démocratiques et les conquêtes sociales des travailleur·ses. Cependant, ils proposent un système de revendications transitoires, qui peut être compris de manière appropriée par les exploité·es et les opprimé·es, tout en étant dirigé contre les bases mêmes du régime bourgeois.

La plupart des revendications transitoires mentionnées dans le Programme de 1938 sont toujours d'actualité : échelle mobile des salaires et échelle mobile des heures de travail ; contrôle ouvrier dans les entreprises et ouverture des livres de comptes ; expropriation des banques privées ; expropriation de certains secteurs capitalistes… L'intérêt de telles propositions est d'unir dans la lutte les masses populaires les plus larges possible, autour de revendications concrètes qui sont en contradiction objective avec les règles du système capitaliste.

Mais nous devons mettre à jour ce programme de revendications transitoires, afin de prendre en compte les nouvelles conditions du 21e siècle, en particulier la nouvelle situation créée par la crise écologique et le danger imminent d'un basculement climatique catastrophique. Aujourd'hui, ces revendications doivent être de nature socio-écologique et, potentiellement, écosocialiste.

L'objectif des revendications écosocialistes transitoires est stratégique : pouvoir mobiliser de larges couches de travailleur·ses urbains et ruraux, de femmes, de jeunes, de victimes du racisme ou de l'oppression nationale, ainsi que les syndicats, les mouvements sociaux et les partis de gauche dans une lutte qui remette en cause le système capitaliste et la domination bourgeoise. Ces revendications, qui combinent des intérêts sociaux et écologiques, doivent être considérées comme nécessaires, légitimes et pertinentes par les exploité·es et les opprimé·es, en fonction de leur niveau de conscience sociale et politique. Dans la lutte, les gens prennent conscience de la nécessité de s'organiser, de s'unir et de se battre. Iels commencent également à comprendre qui est l'ennemi : non seulement les forces locales, mais le système lui-même. L'objectif des revendications écosociales transitoires est de renforcer, grâce à la lutte, la conscience sociale et politique des exploité·es et des opprimé·es, leur compréhension anticapitaliste et, espérons-le, une perspective révolutionnaire écosocialiste.

Certaines de ces demandes ont un caractère universel : par exemple, la gratuité et l'accessibilité des transports publics. Cette revendication à la fois écologique et sociale porte en elle les germes de l'avenir écosocialiste : services publics contre marché, gratuité contre profit capitaliste. Cependant, la signification stratégique des revendications écosocialistes transitoires n'est pas la même selon les sociétés et les économies. Il s'agit de prendre en compte les besoins et les aspirations des masses, en fonction de leur expression locale, dans les différentes parties du système capitaliste mondial.


LES GRANDES LIGNES D'UNE ALTERNATIVE ÉCOSOCIALISTE À LA CROISSANCE CAPITALISTE

Satisfaire les besoins sociaux réels tout en respectant les contraintes écologiques n'est possible qu'en rompant avec la logique productiviste et consumériste du capitalisme, qui creuse les inégalités, nuit au vivant et « ruine les deux seules sources de toute richesse : la Terre et les travailleurs » (Marx). Briser cette logique implique de lutter en priorité pour les lignes de force suivantes. Elles forment un ensemble cohérent, à compléter et à décliner selon les spécificités nationales et régionales. Bien sûr, dans chaque continent, dans chaque pays, il y a des mesures spécifiques à proposer dans une perspective de transition.


Contre les catastrophes, des plans publics de prévention adaptés aux besoins sociaux, sous contrôle populaire

Certains effets de la catastrophe climatique sont irréversibles (élévation du niveau de la mer) ou dureront longtemps (canicules, sécheresses, précipitations exceptionnelles, tornades plus violentes, etc.) Les compagnies d'assurance capitalistes ne protègent pas les classes populaires, ou (au mieux) les protègent mal. Face à ces fléaux, les riches n'ont que le mot “adaptation” à la bouche. “L'adaptation au réchauffement”, pour eux, sert 1) à détourner l'attention des causes structurelles, dont leur système est responsable ; 2) à poursuivre leurs pratiques néfastes axées sur le profit maximum, sans se soucier du long terme ; 3) à offrir de nouveaux marchés aux capitalistes (infrastructures, climatisation, transports, compensation carbone, etc.) Cette “adaptation” capitaliste technocratique et autoritaire est en fait ce que le GIEC appelle une “maladaptation”. Elle accroît les inégalités, les discriminations et les dépossessions. Elle accroît également la vulnérabilité au réchauffement, au risque de compromettre gravement la possibilité même de s'adapter à l'avenir, en particulier dans les pays pauvres. À la “maladaptation” capitaliste, nous opposons l'exigence immédiate de plans publics de prévention adaptés à la situation des classes populaires. Elles sont les principales victimes des phénomènes météorologiques extrêmes, surtout dans les pays dominés. Les plans publics de prévention doivent être conçus en fonction de leurs besoins et de leur situation, en dialogue avec les scientifiques. Ils doivent concerner tous les secteurs, notamment l'agriculture, la sylviculture, le logement, la gestion de l'eau, l'énergie, l'industrie, le droit du travail, la santé et l'éducation. Ils doivent faire l'objet d'une large consultation démocratique, avec un droit de veto des communautés locales et des collectifs de travail concernés.

Partager les richesses pour prendre soin des humains et de notre environnement de vie, gratuitement

Des soins de santé de qualité, une bonne éducation, une bonne prise en charge des jeunes enfants, une retraite digne et une prise en charge respectueuse de la dépendance, un logement accessible, permanent et confortable, des transports publics efficaces, des énergies renouvelables, une alimentation saine, une eau propre, un accès à internet et un environnement naturel en bon état : tels sont les besoins réels qu'une civilisation digne de ce nom devrait satisfaire pour tous les humains, indépendamment de leur couleur de peau, de leur genre, de leur appartenance ethnique, de leurs convictions. Ceci est possible tout en diminuant de manière significative la pression globale sur notre environnement. Pourquoi Pourquoi n'en est-il pas ainsi ? Parce que l'économie est réglée sur la consommation induite créée en tant que sous-produit industriel par les capitalistes. Ils consomment et investissent toujours plus pour le profit, s'approprient toutes les ressources et transforment tout en marchandises. Leur logique égoïste sème le malheur et la mort.

Un virage à 180° s'impose. Les ressources naturelles et les connaissances constituent un bien commun à gérer prudemment et collectivement. La satisfaction des besoins réels et la revitalisation des écosystèmes doivent être planifiées démocratiquement et soutenues par le secteur public, sous le contrôle actif des classes populaires, et en étendant le plus possible le libre accès. Ce projet collectif doit mettre l'expertise scientifique à son service. La première étape nécessaire est la lutte contre les inégalités et les oppressions. La justice sociale et le bien vivre pour tou·tes sont des exigences écologiques !

Développer les biens communs et les services publics contre la privatisation et la marchandisation

C'est l'un des aspects clés d'une transition sociale et écologique, dans de nombreux domaines de la vie. Par exemple :

– L'eau : La privatisation, le gaspillage et la pollution actuelles de l'eau – rivières, lacs et nappes phréatiques – constituent un désastre social et écologique. La pénurie d'eau et les inondations dues au changement climatique sont des menaces majeures pour des milliards de personnes. L'eau est un bien commun et devrait être gérée et distribuée par des services publics, sous le contrôle des consommateur·ices. Les paysages et les villes devraient être désimperméabilisées, capables de stocker l'eau afin d'éviter les inondations massives.

– Le logement : Le droit fondamental de chaque personne à un logement décent, permanent et écologiquement durable ne peut être garanti sous le capitalisme. La loi du profit implique des expulsions, des démolitions et la criminalisation de celleux qui résistent. Elle implique également des factures d'énergie élevées pour les pauvres et des énergies renouvelables subventionnées pour les riches. Les premières étapes d'une politique alternative sont : le contrôle public du marché immobilier, l'abaissement et le gel des intérêts et des profits des banques, l'augmentation radicale du nombre de logements sociaux et coopératifs, un processus public d'isolation climatique des habitations et un programme massif de construction de bâtiments énergétiquement autonomes.

– La santé : Les millions de morts évitables du Covid 19 résultent de l'absence de politiques préventives, d'injonctions autoritaires et répressives remplaçant l'action collective, des politiques d'austérité, de privatisation et de marchandisation de la santé. L'égalité de toutes et tous devant les soins doit être garantie par leur gratuité, grâce à une protection sociale et un service de santé intégralement public disposant des moyens nécessaires. Les systèmes de santé doivent être réorientés pour inclure la prévention, le soin et le suivi. L'industrie pharmaceutique doit être socialisée et placée sous le contrôle des salariés et des usagers, les brevets doivent être abolis.

– Les transports : Le transport individuel dans le capitalisme privilégie les voitures individuelles, ce qui a des conséquences désastreuses sur la santé et l'écologie. L'alternative est un système large et efficace de transports publics gratuits, accessibles, ainsi qu'une grande extension des zones piétonnes et cyclables. Les marchandises sont transportées sur de grandes distances par des camions ou des porte-conteneurs, avec d'énormes émissions de gaz à effet de serre ; la réduction du gaspillage, la relocalisation de la production et le transport des marchandises par le train sont des mesures immédiates et nécessaires. Le transport aérien devrait être réduit de manière significative. Pas de trafic aérien pour les distances inférieures à 1 000 km quand il existe des systèmes ferroviaires opérationnels.

Prendre l'argent là où il est : les capitalistes et les riches doivent payer

Une stratégie globale de transition digne de ce nom doit articuler le remplacement des énergies fossiles par des énergies renouvelables, la protection contre les effets déjà perceptibles du changement climatique, la compensation des pertes et préjudices, l'aide à la reconversion (notamment la garantie de revenu des travailleur·ses concerné·es) et la réparation des écosystèmes. Les besoins financiers nécessaires d'ici 2050 s'élèvent à plusieurs milliers de milliards de dollars. Qui doit payer ? les responsables du désastre : les multinationales, les banques, les fonds de pension, les États impérialistes et les riches du Nord et du Sud. L'alternative écosocialiste passe par un vaste programme de réforme fiscale et de réduction radicale des inégalités pour aller chercher l'argent là où il se trouve : imposition progressive, levée du secret bancaire, cadastre des patrimoines, taxation du patrimoine, impôt unique exceptionnel à taux élevé sur le patrimoine foncier, élimination des paradis fiscaux, abolition des privilèges fiscaux des entreprises et des riches, ouverture des livres de comptes des entreprises, plafonnement des hauts revenus, abolition des dettes publiques reconnues comme illégitimes (sans compensation, sauf pour les petits investisseurs), compensation par les pays riches du coût de la renonciation à l'exploitation de leurs ressources fossiles par les pays dominés (projet de parc Yasuni). Surtout, une véritable planification démocratique écosocialiste n'est pas possible sans la socialisation publique des banques. Le “crédit pour le bien commun”signifie éliminer définitivement le profit dans la détermination du taux d'intérêt et de la marge d'intérêt, soutenir la fonction publique et populaire du crédit, garantir le rôle public et coopératif des banques.

Pas d'émancipation sans lutte antiraciste

L'oppression raciale est un élément structurel et structurant du mode de production capitaliste. Elle a accompagné l'accumulation primitive du capital à travers la colonisation, la traite des Noirs et l'esclavage. Le déplacement forcé de millions d'Africains, leur commercialisation dans les Amériques et l'exploitation de leur travail ont assuré l'enrichissement des Européens et garantissent encore aujourd'hui leurs privilèges.

Le racisme se manifeste de manière centrale comme un mécanisme d'oppression de secteurs de la classe ouvrière, configurant des positions spécifiques et des accès socialement déterminés pour les blancs (le sujet supposé universel) et pour les personnes perçues comme racisées. Il façonne les relations sociales, renforce et complexifie les mécanismes de l'exploitation bourgeoise et de l'accumulation des richesses. La diversité qui s'écarte des normes de la blanchéité est transmutée en oppression.

La construction d'un nouveau monde libéré de toute oppression et de toute exploitation exige une lutte frontale contre le racisme. C'est une tâche centrale de la stratégie écosocialiste. Il faut rompre avec la logique génocidaire contre les groupes non blancs et renforcer la lutte anti-prison contre l'incarcération de masse, imposée notamment à travers la tactique libérale de la prétendue guerre contre la drogue,

La lutte contre la militarisation de la police doit être au cœur de la lutte antiraciste, tout comme l'accès à des conditions de vie décentes en général. Il est nécessaire de combattre toutes les politiques d'austérité, qui touchent principalement et de plus en plus lourdement les personnes non blanches. Elles structurent le racisme environnemental qui répartit inégalement les conséquences mortelles de la production capitaliste.

Liberté de circulation et de séjour sur Terre ! Personne n'est illégal !

La catastrophe écologique est un facteur de déplacement de population et de migration de plus en plus important. Entre 2008 et 2016, une moyenne annuelle de 21,5 millions de personnes ont été déplacées de force en raison d'événements météorologiques. La plupart d'entre elles sont des personnes pauvres de pays pauvres déplacées dans leur pays ou dans des pays voisins pauvres. Les migrations climatiques devraient s'intensifier au cours des prochaines décennies : 1,2 milliard de personnes pourraient être déplacées dans le monde d'ici à 2050. Contrairement aux demandeur·ses d'asile, les réfugié·es climatiques n'ont même pas de statut. Ils ne portent aucune responsabilité dans la catastrophe écologique mais le vrai responsable, le système capitaliste, les condamne à venir grossir les rangs des 108,4 millions de personnes dans le monde qui ont été déplacées de force en 2020 en raison de persécutions, de conflits, de violences, de violations des droits de l'homme. Les droits fondamentaux de ces personnes sont constamment attaqués : le droit d'être protégé contre la violence, d'avoir suffisamment d'eau et de nourriture, de vivre dans un logement sûr, de garder sa famille u

Le modèle Trump-Musk : Un coup d’Etat milliardaire contre la démocratie

29 avril, par Confédération Syndicale Internationale — , ,
Nous travaillons plus que jamais, sans pour autant obtenir davantage de résultats. Nos journées sont plus chargées et la technologie, au lieu de nous aider, ne fait qu'empirer (…)

Nous travaillons plus que jamais, sans pour autant obtenir davantage de résultats. Nos journées sont plus chargées et la technologie, au lieu de nous aider, ne fait qu'empirer la situation. Tout le monde se sent laissé pour compte, comme si la démocratie ne répondait pas aux besoins des travailleurs et des travailleuses. Mais pourquoi ?

Tiré du site de la Confédération syndicale internationale

Les responsables politiques d'extrême droite, tels que Donald Trump, Javier Milei, Narendra Modi, Giorgia Meloni, Jair Bolsonaro ou Recep Tayyip Erdogan, aggravent la situation, mais, en réalité, ils n'agissent pas seuls. Derrière eux, des milliardaires non élus – Elon Musk et Jeff Bezos aux États-Unis, Vincent Bolloré et Bernard Arnault en France, Mukesh Ambani et Gautam Adani en Inde, Eduardo Eurnekian en Argentine et bien d'autres encore – leur murmurent à l'oreille. Seulement 0,0001 % de la population mondiale contrôle une grande partie de nos économies. Ce sont eux qui prennent les décisions importantes, sans se soucier des répercussions qui nous toucheront directement.

Ils n'ont qu'un seul objectif : s'enrichir davantage, à nos dépens. Ils veulent :

1. ne pas payer d'impôt, mais nous prélever plus d'impôts ;

2. éliminer les réglementations de leurs entreprises, mais réglementer davantage notre vie ;

3. des écoles privées élitistes pour leurs enfants, mais des écoles sous-financées pour les nôtres ;

4. des services de luxe pour eux, mais des services publics affaiblis pour nous ;

5. des soins de santé de première qualité et des retraites confortables pour eux, mais aucun filet de sécurité pour nous ;

6. des primes de plusieurs millions de dollars pour eux, mais des salaires de misère pour les travailleurs et les travailleuses ;

7. des mensonges concernant le climat et des voyages spatiaux luxueux pour eux, mais un changement climatique mortel pour nous ;

8. une liberté individuelle totale pour eux, mais aucune égalité en faveur des femmes ni des travailleurs/euses les plus exploités ;

9. une sécurité privée et des refuges pour eux, mais une grande violence et des menaces de guerre pour nous ;

10. un monde sans frontières pour leurs entreprises, mais un monde de prisons et de murs pour les migrants.

La classe des milliardaires va tricher, mentir, voler, voire se déguiser pour obtenir le monde dans lequel elle veut vivre. Elle finance un coup d'État contre la démocratie en utilisant un manuel similaire dans le monde entier en vue de s'emparer de davantage de pouvoir. Elle veut nous faire croire que c'est la seule manière d'envisager le monde. Mais ce n'est pas le cas.

Une vision d'un monde meilleur : LES TRAVAILLEURS ET LEURS SYNDICATS DÉCLARENT : OUI, IL EXISTE UNE ALTERNATIVE ! UNE VÉRITABLE DÉMOCRATIE, OÙ LES TRAVAILLEURS ET LES TRAVAILLEUSES, ET NON LES MILLIARDAIRES, DÉCIDENT POUR EUX-MÊMES.

Une vision d'un monde meilleur

1. une fiscalité équitable, où les plus riches paient davantage et où les travailleurs/euses n'ont pas à supporter le fardeau ;

2. des réglementations visant à assurer notre sécurité au travail contre les produits chimiques toxiques présents dans l'air, les aliments et l'eau ; contre les faillites bancaires et les fraudes financières ; contre la discrimination exercée par des employeurs sans scrupules et des gouvernements corrompus ;

3. une éducation de qualité qui nous donne les moyens d'agir, et non un privilège réservé à une minorité ;

4. des services publics de qualité et abordables qui assurent l'éclairage, la propreté de l'eau, des transports abordables, le ramassage des ordures et la prospérité de nos communautés ;

5. une protection sociale universelle, comprenant des soins de santé de qualité abordables et une bonne retraite pour tous, afin que personne n'ait à choisir entre consulter un médecin ou payer son loyer ;

6. un salaire vital, afin qu'un emploi suffise à vivre dans la dignité et pas uniquement à survivre ;

7. des emplois de qualité et durables, afin que nous puissions construire et produire ce dont nos communautés ont besoin sans détruire la planète ;

8. les libertés individuelles et l'égalité pour tous, afin que nous puissions être ce que nous sommes dans toute notre diversité sans crainte d'être sanctionnés ;

9. une sécurité réelle garantie par la paix et la solidarité, et non par la haine, la division et les guerres incessantes alimentées par les milliardaires ;

10. la liberté de se déplacer, de travailler et de construire sa vie, sans être exploité par les employeurs ou criminalisé par les gouvernements.

L'histoire nous a appris une chose : lorsque les travailleurs s'unissent, nous sortons vainqueurs.

Nous commençons par savoir contre qui nous nous battons.

Qui est impliqué dans le coup d'État milliardaire dans votre pays ? Qui est votre Donald Trump ? Qui est l'Elon Musk dans votre pays ? Racontez-nous. Nommez-les. Dénoncez leur plan. Et organisez-vous pour les en empêcher.

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« Un médecin pour la paix » de Tal Barda : la réalité de Izzeldin Abuelaish, médecin à Gaza

Dans un documentaire autobiographique, le médecin palestinien Izzeldin Abuelaish livre le récit de son combat pour la paix. Enfant de la deuxième génération après la Nakba, il (…)

Dans un documentaire autobiographique, le médecin palestinien Izzeldin Abuelaish livre le récit de son combat pour la paix. Enfant de la deuxième génération après la Nakba, il n'a jamais cessé de porter l'espoir de la réconciliation malgré les crimes de guerre commis par Israël qui ont anéanti sa famille.

Tiré du Journal l'Humanité
https://www.humanite.fr/un-medecin-pour-la-paix-de-tal-barda-la-realite-de-izzeldin-abuelaish-medecin-a-gaza
Publié le 25 avril 2025

Scarlett Bain

Suivre le pèlerinage d'Izzeldin Abuelaish dans les rues de Gaza en 2021, c'est redécouvrir cette ville vivante, désormais en ruines.

La réalisatrice d'« Un médecin pour la paix », Tal Barda, filme Izzeldin Abuelaish lors de son retour à Gaza en 2021. Le gynécologue palestinien, comme chaque année, s'y rendait pour se recueillir sur la tombe de ses filles et de sa nièce exécutées par l'armée israélienne. Suivre son pèlerinage dans les rues de Gaza, c'est déjà redécouvrir cette ville vivante désormais en ruineset retracer toute l'histoire de cet homme depuis sa naissance dans lecamp de réfugiés de Jabaliyajusqu'à son exil au Canada. Complété par des images d'archives, le témoignage d'Izzeldin Abuelaish s'ancre dans l'histoire longue du conflit israélo-palestinien, quand les films et photos de familles servent son discours poignant pour la paix.

Ce documentaire est adapté de votre livre « Je ne haïrai point. Un médecin de Gaza sur les chemins de la paix ». Pouvez-vous rappeler les conditions de son écriture ?

J'ai commencé l'écriture de mon livre en 2006. Mon entourage m'encourageait à raconter mon histoire. Celle d'un enfant né dans le camp de réfugiés de Jabaliya et devenu le premier gynécologue palestinien autorisé à exercer dans un hôpital israélien. Il s'agissait de transmettre un message de réussite au peuple palestinien. Mais, le 16 janvier 2009, l'armée israélienne a visé ma maison à Gaza. L'attaque a tué trois de mes filles et ma nièce.

Après leur assassinat, j'ai repris mon projet d'écriture avec la volonté desensibiliser le monde à l'histoire de mon peuple. Aujourd'hui, avec ce film, je souhaite porter un message rassembleur : les Palestiniens sont des gens comme les autres. Nous sommes pleins d'espoir, de projets et de rêves. Nous aimons la vie, nous nous soucions d'elle et nous voulons réussir. Nous vivons dans un monde où règnent la haine, la violence, le racisme, la discrimination, l'ignorance et la cupidité. Avec ce documentaire, j'invite les gens à se demander ensemble dans quel monde nous voulons vivre.

À travers votre histoire personnelle, c'est finalement l'histoire du peuple palestinien que vous souhaitez porter à la connaissance du monde ?

Oui, il ne s'agit pas de ma simple histoire personnelle. Lors des présentations du film, je demande toujours au public ce qu'il sait du peuple palestinien. Je leur dis que nous sommes comme eux : un peuple qui a su accomplir des choses et qui, malgré tout les défis quotidiens, construit son avenir. L'unique différence, c'est que nous sommes un peuple privé d'État et de la liberté d'exister en tant que nation. Or,à cause de la désinformation et des médias biaisés, les Palestiniens sont représentés comme les occupants de leur propre terre. Nous sommes devenus les étrangers alors que nous sommes les autochtones. Je souhaite avec mon travail envoyer un message au monde : nous, Palestiniens, nous voulons vivre en paix avec les autres.

Comment peut-on grandir sans haine quand on naît dans un territoire colonisé ?

Grâce à l'éducation. C'est aussi un des messages du film. J'ai grandi et je suis devenu médecin avant tout grâce au programme del'Unrwa (l'Agence des Nations unies pour les réfugiés de Palestine – NDLR) auquel Israël s'est immédiatement attaqué, en commettant en parallèle un génocide éducatif et humain. Ils tuent les enfants et s'attaquent à tous les lieux d'instruction, car ils savent que le savoir, c'est la lumière. Le gouvernement israélien ne veut pas que les Palestiniens soient éduqués, qu'ils connaissent leurs droits, mais nous ressusciterons, comme le Phénix. Personne ne peut nous empêcher d'atteindre nos rêves, et nous serons plus forts, plus déterminés. Mais nous avons besoin que le monde, par sa mobilisation pacifique, nous soutienne et parle d'humanité pour que les droits humains soient respectés et que l'occupation des territoires palestiniens se termine.

Après l'assassinat de vos filles, vous vous êtes immédiatement exprimé dans les médias pour réclamer la paix, puis vous vous êtes tourné vers la justice israélienne pour faire juger ce crime…

Le documentaire revient en effet sur ma longue bataille judiciaire. J'étais déterminé à adopter une approche humaine, légale, éthique et civilisée. Je demandais simplement des excuses, je n'ai rien obtenu. Je l'écrirai comme un testament pour mes enfants : ne renoncez pas à rendre justice à vos sœurs. Mais non pas avec des balles, ni avec des armes à feu, mais par des moyens légaux, éthiques et civilisés. C'est la voie que je m'engage à poursuivre.

Votre documentaire porte aussi l'idée forte que la cause palestinienne met le monde à l'épreuve…

Un génocide est en courset les Palestiniens sont réduits à des numéros. C'est un test pour l'humanité : la résolution du problème palestinien et la fin de l'occupation profiteront au monde entier. Notre liberté est la vôtre. Nous devons défendre la liberté et l'humanité de tous. C'est le défi pour notre monde. Si j'affirme défendre l'humanité, je dois le faire et sauver des vies. Lorsque j'exerçais la médecine en Israël, je ne demandais jamais à la femme si elle était musulmane, juive ou chrétienne avant de la soigner et de mettre son enfant au monde. Aujourd'hui, nous entendons dans les médias parler des Américains, d'Emmanuel Macron, des otages israéliens et de leurs familles, mais pas du peuple palestinien. Le monde est aveugle, sourd et complice. Pourtant, nous sommes tous des otages d'Israël, personne ne nous considère comme des êtres humains.

Le film était encore en cours de réalisation quand a eu lieu l'attaque terroriste du Hamas. Est-ce que cet événement a remis en cause sa production ?

Je ne résume pas ma vie à un jour, c'est là tout l'enjeu. Lorsque vous allez consulter un médecin, que fait-il ? Il vous demande vos antécédents. L'histoire permet de comprendre le problème et d'établir un diagnostic précis. Je voudrais quele 7 octobre et la réplique génocidaire d'Israël n'aient pas eu lieu. Je voudrais que mes filles n'aient pas été assassinées. Je n'ai pas souhaité la Nakba quand ma famille a été chassée de chez elle. Tous ces événements étaient évitables. Leur unique cause est l'occupation. Le 7 octobre a révélé l'hypocrisie de la communauté internationale et la vacuité de la Déclaration universelle des droits de l'homme.

Vous croyez encore au droit international pour rétablir la paix ?

Nous avons besoin du droit. La paix mondiale est en train de s'effondrer. Mais ce sont les dirigeants qui violent le droit international et veulent nous ramener à l'état de jungle. Les puissants mangent les faibles. Mais j'ai confiance dans l'opinion publique. L'avenir des Israéliens dépend de celui des Palestiniens. Ils ne seront pas en sécurité tant que nous ne serons pas libres et égaux. Je dis au monde que le seul moyen, c'est que le gouvernement israélien actuel, dirigé par un gouvernement fanatique d'extrême droite destructeur pour Israëlet pour les Palestiniens, soit arrêté. Israël n'écoute personne, à cause du soutien et de l'indifférence, voire de la complicité du monde occidental.

Emmanuel Macron a déclaré soutenir le plan de paix élaboré par les pays arabes. Qu'en pensez-vous ?

C'est une première étape. Mais pourquoi n'est-il pas allé visiter Gaza pour voir le génocide, pour agir et permettre à l'aide humanitaire d'entrer à Gaza ? Pourquoi n'a-t-il pas commencé par arrêter de fournir des armes à Israël ou à imposer des sanctions contre Israël ? La France a fait cela contre la Russie. Parler est une étape, agir en est une autre.

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La peine de mort est une question féministe en Iran

La perspective féministe sur la peine de mort en Iran révèle une interaction complexe entre le genre, le pouvoir et le système juridique Tiré de Entre les lignes et les (…)

La perspective féministe sur la peine de mort en Iran révèle une interaction complexe entre le genre, le pouvoir et le système juridique

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/22/la-peine-de-mort-est-une-question-feministe-en-iran/?jetpack_skip_subscription_popup

Photo : Pakhshan Azizi, Sharifeh Mohammadi, Varisheh Moradi

À première vue, la peine de mort peut sembler être une question de droit ou de droits des êtres humains, plutôt qu'une préoccupation féministe. Mais en Iran, où le genre façonne profondément les résultats juridiques, la question devient urgente : pourquoi les féministes devraient-elles se préoccuper de la peine capitale ? La réponse réside dans la manière dont le système judiciaire iranien applique la peine de mort, souvent à travers un prisme qui efface les réalités vécues par les femmes, en particulier celles qui ont subi des abus, des traumatismes et une violence systémique.

Les femmes qui résistent au régime, qui défendent leurs droits ou qui remettent en cause les structures patriarcales sont confrontées à une forme unique et brutale de répression. Les féministes, dans toutes leurs perspectives, s'engagent en faveur d'une justice non violente, équitable et consciente de la manière dont le pouvoir opère en fonction du sexe. En s'attaquant à la peine de mort, elles en dénoncent non seulement la cruauté, mais aussi l'application sexuée, en la considérant comme un outil de contrôle de l'État qui recoupe des questions de genre, de classe, de race et de sexualité. Le féminisme s'oppose à la peine de mort parce qu'elle renforce la violence, prive de justice les plus vulnérables et exclut toute possibilité de guérison et de transformation.

Le bilan de l'Iran en matière de droits des êtres humains a fait l'objet d'un examen approfondi en raison de l'augmentation inquiétante du nombre de condamnations à mort. Dans un rapport publié le 8 avril sur les condamnations à mort et les exécutions dans le monde, Amnesty International indique de manière choquante que les exécutions enregistrées ont atteint leur chiffre le plus élevé depuis 2015. En 2024, l'Iran, l'Irak et l'Arabie saoudite représentaient 91% de l'ensemble des exécutions recensées et figuraient parmi les cinq pays ayant procédé au plus grand nombre d'exécutions. Le rapport indique également que « l'Iran a exécuté 119 personnes de plus que l'année dernière (d'au moins 853 à au moins 972), ce qui représente 64% de toutes les exécutions connues » dans le monde.

Au moins 54 personnes ont été condamnées à mort pour des motifs politiques ou liés à la sécurité, et de nombreuses affaires ont été entachées de violations des droits de la défense et de procès inéquitables. Cette tendance alarmante est particulièrement préoccupante pour les militantes des droits des femmes, qui sont de plus en plus visées par le régime. Parmi les cas les plus notables, citons ceux de
* Pakhshan Azizi, travailleuse humanitaire et militante de la société civile condamnée à mort pour sa participation à des manifestations et son activisme ;
* Sharifeh Mohammadi, défenseur des droits des êtres humains risquant la peine de mort pour son activisme ; et
* Varisheh Moradi, militante des droits des femmes condamnée à mort pour son appartenance à un groupe d'opposition à la République islamique d'Iran.

Ces affaires ne mettent pas seulement en lumière la répression brutale de la dissidence par le régime, mais soulignent également les risques croissants encourus par les femmes qui osent défier l'État.

Le soulèvement qui a suivi la campagne « Femme, vie, liberté » s'est traduit par une augmentation significative des peines sévères, de nombreuses prisonnières et de nombreux prisonniers risquant d'être exécutés. L'utilisation de la peine de mort par le gouvernement iranien comme outil de répression politique a suscité des inquiétudes quant à son bilan en matière de droits des êtres humains. L'Iran est depuis longtemps connu pour son nombre élevé d'exécutions, mais en 2024, le pays a connu une augmentation sans précédent de l'application de la peine de mort, avec 972 exécutions recensées, ce qui en fait le premier bourreau mondial par habitant·e. Si bon nombre de ces exécutions ont eu lieu pour des délits présumés liés à la drogue, qui n'atteignent pas les seuils légaux internationaux pour la peine capitale, un nombre croissant de prisonnier·es politiques ont également été condamnés·e à mort, ce qui reflète un changement dangereux dans l'approche du régime iranien à l'égard de la dissidence.

Le cas de ces trois femmes – Azizi, Mohammadi et Moradi – nous rappelle brutalement que la répression politique est de plus en plus liée au genre et que l'État iranien utilise la peine de mort non seulement comme un outil de contrôle de l'État, mais aussi comme un moyen de faire taire les voix des femmes qui osent défier le régime. Les exécutions politiques en Iran, en particulier celles des femmes, démontrent la convergence des tendances misogynes et autoritaires de l'État, où l'action politique et le militantisme des femmes sont punis par la violence.

La perspective féministe sur la peine de mort en Iran révèle une interaction complexe entre le genre, le pouvoir et le système juridique. Le féminisme a toujours été plus qu'une simple question d'équité entre les sexes. Au fond, il s'agit d'une lutte contre toutes les formes de domination. Il représente une quête permanente de justice, d'autonomie et de dignité pour tous, en particulier pour ceux qui ont été mis en marge de la société.

En Iran, la peine de mort est appliquée de manière disproportionnée aux femmes qui participent à l'activisme politique, en particulier à celles qui remettent en cause le statu quo de la gouvernance patriarcale. Les trois femmes actuellement condamnées à mort – Sharifeh Mohammadi, Pakhshan Azizi et Varisheh Moradi – sont emblématiques de cette tendance générale. Elles ont toutes été arrêtées en 2023 lors de la répression du soulèvement « Femme, vie, liberté » de 2022, qui a été une source importante de dissidence contre les politiques oppressives du régime iranien.

L'implication des femmes dans les mouvements politiques est considérée comme un défi direct à l'ordre patriarcal en Iran. Des femmes comme Mohammadi, Azizi et Moradi ne protestent pas seulement contre les politiques qui restreignent leurs libertés, mais affirment également leur droit d'exister en tant qu'individues égales et autonomes. Cet acte de défi contre le contrôle patriarcal de l'État sur le corps, la voix et la vie des femmes peut être interprété comme un acte féministe en soi.

Cependant, l'État iranien ne tolère pas ce genre de défi. Les femmes qui s'engagent dans des mouvements politiques sont souvent qualifiées de menaces pour la stabilité de la nation, d'ennemies de l'État et soumises à des châtiments extrêmes, y compris la peine de mort. Dans ce contexte, la peine de mort a un double objectif : elle punit la dissidence politique et renforce le contrôle de l'État sur les femmes en tentant de réduire au silence celles qui remettent en cause les structures de pouvoir fondées sur le sexe.

Dans de nombreux cas, la peine de mort en Iran est appliquée de manière disproportionnée à des femmes qui sont elles-mêmes victimes de violences sexistes. Les femmes condamnées à la peine de mort ne sont pas simplement des cas de crime, mais souvent des histoires de survie face à un préjudice profond et systémique. Le magazine juridique et judiciaire de la Fondation des avocats iraniens, dans un article intitulé « Les cas les plus célèbres de femmes iraniennes meurtrières », note que « l'histoire des femmes iraniennes meurtrières est étrange et compliquée, de nombreuses affaires mettant des années à aboutir ». Derrière ces retards se cachent des vies marquées par les mariages d'enfants, les abus domestiques et une longue histoire de violence. Plutôt que de reconnaître ces injustices structurelles, le système juridique punit souvent les femmes avec sévérité, sans tenir compte du contexte de leurs actes ou des traumatismes qu'elles ont subis.

Selon Iran Human Rights, environ 70% des femmes exécutées pour meurtre avaient tué leur partenaire masculin, souvent par désespoir après avoir subi des violences prolongées. En 2024, au moins 31 femmes ont été exécutées en Iran – le nombre le plus élevé depuis 17 ans – dont beaucoup ont fait l'objet d'accusations découlant de situations telles que la violence domestique ou le mariage forcé. Ces cas soulignent que le système judiciaire iranien ne tient souvent pas compte des réalités vécues par les femmes, les punissant sévèrement sans tenir compte du contexte de leurs actes ou des traumatismes qu'elles ont subis.

Les condamnations à mort de prisonnier·es politiques, y compris celles des trois femmes, s'inscrivent dans une stratégie plus large de la République islamique visant à étouffer la dissidence et à supprimer toute opposition au gouvernement. Le régime a de plus en plus recours à la peine de mort pour intimider les manifestant·es et les militant·es, en utilisant la menace d'une exécution pour créer un climat de peur et réduire au silence celles et ceux qui s'expriment contre lui. Les féministes affirment que la criminalisation de l'activisme politique et le recours à la peine de mort qui s'ensuit reflètent une tentative patriarcale de contrôler et d'effacer les voix des femmes qui osent s'opposer au régime.

L'un des aspects les plus inquiétants de l'application de la peine de mort par la République islamique est l'absence de procédure régulière et le recours fréquent à des aveux forcés obtenus sous la torture. Les prisonnier·es politiques se voient souvent refuser l'accès à un·e avocat·e et sont soumis·es à des simulacres de procès, qui violent les normes internationales en matière de justice. Dans de nombreux cas, les « aveux » utilisés pour condamner les individu·es sont obtenus sous la contrainte, ce qui souligne le mépris systématique du régime pour les droits des êtres humains.

La peine de mort en Iran est appliquée de manière disproportionnée aux membres des minorités ethniques et religieuses. Comme on l'a vu dans le cas des trois femmes, les personnes qui risquent d'être exécutées appartiennent souvent à des communautés marginalisées, qui ont toujours fait l'objet d'une discrimination systémique dans la société iranienne. Ces minorités, notamment les Kurdes, les Baloutches, les Turcs, les Arabes et d'autres nationalités et communautés ethniques, sont souvent prises pour cible par le régime en raison de leur engagement dans l'activisme politique, et la peine de mort est utilisée comme un moyen d'étouffer encore davantage leur voix.

L'intersection du genre et du statut de minorité rend l'expérience de la peine de mort encore plus complexe pour des personnes comme Mohammadi, Azizi et Moradi. Ces femmes, en tant que membres de communautés minoritaires, sont victimes non seulement de violences fondées sur le genre, mais aussi de persécutions ethniques et politiques. Leur exécution servirait d'avertissement aux autres femmes et communautés minoritaires pour leur faire comprendre que la résistance au régime n'est pas tolérée.

Le recours à des aveux forcés obtenus sous la torture est une caractéristique du système judiciaire iranien, en particulier lorsqu'il s'agit de prisonnier·es politiques. Le régime utilise souvent ces aveux pour justifier la peine de mort, malgré leur manque de fiabilité inhérent. Par exemple, dans les cas de Mohammadi, Azizi et Moradi, il est probable que les aveux aient été obtenus sous la contrainte, et les procès qui ont abouti à leur condamnation à mort ont été entachés de graves violations des droits de la défense. Les universitaires féministes affirment que ces aveux sont particulièrement problématiques lorsqu'ils sont appliqués à des femmes, car ils impliquent souvent la criminalisation de l'action politique des femmes. Dans le cas des trois femmes, leur participation aux manifestations « Femme, vie, liberté » n'était pas seulement un acte politique, mais un défi direct au contrôle patriarcal que le régime cherche à maintenir. Les aveux forcés qui leur ont été arrachés servent à criminaliser leur résistance, les punissant effectivement pour avoir exercé leurs droits à la liberté d'expression et d'association.

L'exécution de prisonniers politiques en Iran, en particulier de femmes, constitue une violation flagrante du droit international en matière de droits des êtres humains. Le fait que l'Iran continue d'appliquer la peine de mort pour des crimes politiques est condamné par des organisations internationales, notamment Amnesty International et Human Rights Watch, ainsi que par le Conseil des droits des êtres humains des Nations unies, qui ont appelé à plusieurs reprises à l'abolition de la peine de mort et à la libération des prisonniers politiques.

Cependant, les gouvernements internationaux, en particulier ceux qui entretiennent des relations diplomatiques avec le régime iranien, sont restés largement silencieux face à ces exécutions. Le silence de la communauté internationale ne fait qu'enhardir le gouvernement iranien, lui permettant de poursuivre sa campagne brutale contre la dissidence.

Les militantes féministes et les organisations de défense des droits des êtres humains affirment qu'une pression mondiale doit être exercée sur l'Iran pour qu'il mette fin à l'application de la peine de mort à l'encontre des dissident·es politiques. Les gouvernements doivent s'élever contre ces exécutions et exiger la fin de la persécution systémique des femmes et des minorités en Iran. La communauté internationale doit tenir le régime iranien pour responsable de ses violations des droits des êtres humains, en particulier de son recours abusif à la peine de mort comme outil de répression politique.

Le recours croissant à la peine de mort en Iran comme moyen de faire taire les dissident·es politiques et de marginaliser les femmes est une pratique profondément troublante de la République islamique d'Iran. Les cas de Pakhshan Azizi, Sharifeh Mohammadi et Varisheh Moradi mettent en évidence l'intersection du genre, de la politique et de la violence d'État, la peine de mort étant utilisée comme un outil pour maintenir le contrôle patriarcal et supprimer les droits des femmes. Les militantes féministes et les organisations de défense des droits des êtres humains doivent continuer à faire pression pour l'abolition de la peine de mort en Iran et pour la libération des prisonnier·es politiques injustement condamné·es.

La lutte pour les droits des femmes en Iran est intrinsèquement liée à la lutte pour la justice et les droits des êtres humains pour tous et toutes. La condamnation à la peine de mort des prisonnier·es politiques, en particulier des femmes, n'est pas seulement une violation des droits individuels, mais une attaque directe contre les mouvements féministes qui remettent en cause les structures oppressives du pouvoir en Iran. Il est temps pour la communauté internationale d'agir, d'exiger l'abolition et la fin des exécutions, et de soutenir les femmes et les hommes qui continuent à lutter pour la liberté, la dignité et l'égalité en Iran.

En conclusion, la peine de mort en Iran, en particulier en ce qui concerne toutes et tous les prisonniers politiques et les femmes, n'est pas seulement une question de justice légale, mais aussi une question de lutte féministe. L'exécution d'Azizi, de Mohammadi et de Moradi met en évidence l'intersection de la violence d'État, de l'inégalité entre les sexes et de la répression politique, et la lutte pour mettre fin à ces condamnations à la peine de mort est une lutte pour la justice, l'égalité et les droits des êtres humains. Les féministes, tant en Iran que dans la diaspora iranienne et au niveau international, doivent continuer à exiger l'abolition de la peine de mort en Iran. L'abolition de la peine de mort n'est pas seulement une réforme juridique, c'est un engagement pour un avenir plus humain et plein d'espoir.

Cet article a été publié sur le site deLA Progressive. Les opinions exprimées ici sont uniquement celles de l'autrice et ne reflètent pas les opinions ou les convictions de LA Progressive.

Elahe Amani, 16 avril 2025
https://newpol.org/death-penalty-is-a-feminist-issue-in-iran/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

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Où est l’indignation face aux violences sexuelles « systématiques » contre les Palestinien·nes ?

Malgré les preuves de plus en plus nombreuses des crimes sexistes commis par l'armée, les associations de femmes israéliennes ont largement ignoré ou nié le nouveau rapport (…)

Malgré les preuves de plus en plus nombreuses des crimes sexistes commis par l'armée, les associations de femmes israéliennes ont largement ignoré ou nié le nouveau rapport accablant de l'ONU.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Le mois dernier, un rapport destiné au Conseil des droits des êtres humains des Nations unies a affirmé – comme les Palestinien·nes l'affirment depuis longtemps – qu'Israël a systématiquement eu recours à la violence sexuelle et aux crimes fondés sur le genre contre les femmes, les hommes et les enfants palestiniens depuis le 7 octobre.

L'enquête, publiée parallèlement à des témoignages poignants de survivant·es et de témoins, de représentant·es de la société civile, d'universitaires, d'avocat·es et d'expert·es médicaux au cours d'une audience de deux jours à Genève, a abouti à plusieurs conclusions essentielles qui, à mon avis, exigent une attention et une action immédiates de la part de la communauté internationale.

Tout d'abord, l'utilisation par les forces israéliennes de la violence fondée sur le genre a connu une escalade spectaculaire en termes d'échelle et d'intensité depuis le 7 octobre, devenant « systématique ». Ces crimes sont devenus un outil d'oppression collective visant à démanteler les familles et les communautés palestiniennes de l'intérieur – une tactique empruntée à d'autres campagnes de violence ethnique et de génocide dans des endroits tels que la Bosnie, le Rwanda, le Nigeria et l'Irak, où le corps des femmes est devenu un champ de bataille.

Deuxièmement, les centres de détention militaire israéliens sont devenus les épicentres des formes les plus flagrantes de violence sexiste. Au-delà des images largement diffusées de prisonnier·es palestinien·nes dénudé·es à Gaza, le rapport fait état de témoignages provenant d'installations telles que Sde Teiman, où les prisonnier·es, privé·es de toute protection juridique et loin de la vue des médias, ont été victimes de viols, de dégradations sexuelles et de tortures. Dans certains cas, comme celui du médecin Adnan Al-Bursh, les prisonniers sont morts en conséquence directe des abus sexuels qu'ils ont subis pendant leur détention.

Troisièmement, le rapport fait état de la prolifération de la violence sexiste à l'encontre des Palestinien·nes dans le domaine numérique. Les groupes vulnérables, en particulier les femmes et les jeunes, ont été confrontés à la honte, au doxing et à l'exploitation de leur orientation sexuelle ou de leur comportement privé en tant qu'outils de coercition et d'intimidation.

Les colons israéliens, qui agissent souvent sous la protection de l'armée, harcèlent sexuellement les femmes palestiniennes en Cisjordanie, exploitant les rôles traditionnels des hommes et des femmes au sein de la société palestinienne comme méthode d'oppression.

Les conclusions du rapport, qui a été réalisé par la Commission d'enquête des Nations unies sur le territoire palestinien occupé, s'appuient non seulement sur les récits des survivant·es, mais aussi sur les messages publiés par les soldats israéliens sur les réseaux sociaux. Les auteurs de ces actes ont fièrement décrit leurs actes « héroïques » de vengeance masculine, fouillant dans les tiroirs des Palestiniennes, posant en sous-vêtements et gribouillant des graffitis misogynes à l'intérieur des maisons occupées de Gaza. Bien qu'une grande partie de ce contenu ait ensuite été supprimée des plateformes sociales, il reste archivé dans le rapport de l'ONU pour la postérité.

Mais si ces vidéos et ces images sont indéniablement répréhensibles et criminelles, elles pâlissent en comparaison des violences sexuelles plus extrêmes documentées dans le rapport. Le déshabillage public forcé et les fouilles invasives, le retrait forcé du hijab des femmes, le tournage d'actes de dégradation sexuelle sous la menace de nouvelles violences, les menaces et les actes de viol comme forme de torture – tout cela constitue non seulement des violations de la dignité, mais aussi de profondes agressions physiques et sexuelles.

Le rapport affirme que des femmes et des hommes ont été la cible de ces crimes et met en cause les médias israéliens qui les ont normalisés en accueillant des commentateurs et des présentateurs qui ont parlé de l'utilisation de la violence sexuelle comme d'un outil légitime dans la guerre. Elle met par exemple en évidence les commentaires d'Eliyahu Yosian, de l'institut Misgav, sur la chaîne d'extrême droite Channel 14 : « La femme est un ennemi, le bébé est un ennemi, et la femme enceinte est un ennemi » (après que Channel 14 a mis en ligne le clip, il a reçu plus de 1,6 million de vues).

D'après les témoignages présentés à la commission, les femmes victimes ont souvent beaucoup de mal à dénoncer les abus dont elles sont victimes. Un exemple notable est celui d'un poste de contrôle militaire israélien près d'Hébron, où un soldat s'exposait régulièrement aux femmes palestiniennes qui passaient. Une étudiante qui doit passer par ce poste de contrôle pour se rendre à l'école choisira probablement de garder le silence sur ces abus, car en parler signifierait presque certainement qu'elle devrait interrompre ses études.

Les attaques contre les installations de santé reproductive à Gaza constituent un autre aspect des crimes de guerre sexistes commis par Israël. Selon le rapport, les forces israéliennes ont systématiquement pris pour cible les infrastructures de santé maternelle de Gaza, les centres de traitement de la fertilité et, en fait, toute institution liée à la santé génésique. Le rapport fait également état de cas où des snipers ont tiré sur des femmes enceintes et âgées, et où des médecin·es ont dû pratiquer des césariennes sans désinfectant ni anesthésie.

Sur la base des conclusions du rapport, Navi Pillay, présidente de la commission d'enquête, a déclaré : « Il est impossible d'éviter la conclusion qu'Israël a utilisé la violence sexuelle et sexiste contre les Palestinienfnes pour instiller la peur et perpétuer un système d'oppression qui sape leur droit à l'autodétermination. »

Un réveil brutal
Contrairement au rapport parallèle de l'ONU publié en mars 2024, qui enquêtait sur les crimes sexistes commis par des militants du Hamas contre des femmes israéliennes le 7 octobre, le rapport actuel n'a pratiquement pas été couvert par les médias grand public, que ce soit en Israël ou dans le reste du monde.

Il s'avère que même une escalade spectaculaire des crimes sexistes contre les femmes et les filles pendant la guerre, et la détermination sans équivoque que l'utilisation de ces méthodes par Israël était systématique, plutôt que de simples actes isolés commis par des soldats individuels, n'ont pas suffi à pousser les organisations féminines israéliennes ou internationales à s'opposer, à condamner ou même à demander un examen urgent de la question. Le fait que le rapport ait été publié quelques jours avant la Journée internationale des droits des femmes n'a pas suffi à déclencher des webinaires, des symposiums ou des conférences dans les universités du monde entier, ni des discussions d'urgence au sein des commissions parlementaires pour la promotion des droits des femmes.

Ici, en Israël, les réactions vont du silence au déni pur et simple. « L'ONU soutient les terroristes de la Nukhba et le Hamas », a déclaré Hagit Pe'er, présidente de Na'amat, la plus grande organisation de femmes en Israël. « Ce rapport dégage une forte odeur d'antisémitisme. Il s'agit d'une tentative de créer une réalité alternative et inversée en réponse au massacre sexuel perpétré par le Hamas contre des femmes et des hommes israéliens – alors que les institutions internationales, y compris les organisations de femmes du monde entier, restent ostensiblement silencieuses. Ce sont ces mêmes organisations qui condamnent toute violence sexuelle, sauf si les victimes sont des femmes israéliennes et juives ».

J'ai également soumis les conclusions du rapport à la professeure Ruth Halperin-Kaddari et à l'ancienne procureure militaire en cheffe Sharon Zagagi-Pinhas du projet Dina, une initiative chargée de documenter les violences sexuelles commises par le Hamas. Elles ont elles aussi qualifié cette initiative de « nouvelle étape dans la campagne de délégitimation d'Israël ».

« Depuis sa création en 2020, la [Commission d'enquête des Nations unies sur le territoire palestinien occupé] a adopté un parti pris unilatéral et anti-israélien dans la grande majorité de ses actions, ce qui se reflète clairement dans le rapport actuel », ont déclaré Halperin-Kaddari et Zagagi-Pinhas en réponse à mon enquête.

« Comment les affirmations faites dans ce rapport peuvent-elles être comparées aux crimes brutaux de violence perpétrés systématiquement et délibérément par le Hamas le 7 octobre – des actes horribles de viol, de mutilation génitale et de violence sexuelle infligés même à des cadavres », ont-elles poursuivi. « Il est profondément regrettable qu'au lieu de prendre des mesures pour inscrire le Hamas sur la liste noire des organisations qui commettent des violences sexuelles en tant qu'arme de guerre, la Commission ait choisi une autre voie ».

« Quant aux allégations elles-mêmes, ont-elles ajouté, contrairement au Hamas qui nie systématiquement ses crimes, si elles sont fondées, les autorités israéliennes sont tenues de mener une enquête en bonne et due forme ».

Comme beaucoup de femmes en Israël, j'ai également connu un réveil féministe brutal au cours de cette guerre. J'ai perdu des camarades palestinien·nes qui n'ont pas apprécié ma condamnation des violences commises par le Hamas contre les femmes israéliennes le 7 octobre, et j'ai perdu des amis juifs et des amies juives qui considéraient les femmes de Gaza comme des cibles légitimes.

Après une réflexion douloureuse, j'ai appris la force et le courage que nous, les femmes, devons cultiver pour dénoncer sans équivoque toute violence contre le corps d'une femme, qu'elle soit palestinienne ou israélienne. Il ne devrait pas être nécessaire d'expliquer qu'aucune mère – que son enfant ait les cheveux roux ou la peau foncée, les yeux verts ou bruns – ne devrait être tuée, et qu'aucun bébé ne devrait être donné en pâture à l'insatiable machine de guerre d'hommes assoiffés de pouvoir et de richesses.

Nous, les femmes – jeunes et âgées, mères et filles, féministes et même celles qui ne se définissent pas comme telles – devons élever la voix et dire : Assez de cette guerre. Cette patrie ne sera pas libérée sur nos corps, et aucun avenir ne vaut la peine d'être construit à partir de l'épave de nos utérus.

Une version de cet article a d'abord été publiée en hébreu sur Local Call. Lisez-le ici.

Samah Salaime
Samah Salaime est une militante et écrivaine féministe palestinienne.
https://www.972mag.com/systematic-sexual-violence-against-palestinians/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

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Pourquoi l’acheteur de sexe est-il invisible ?

Cet article est basé sur une intervention d'Esther lors d'un webinaire du Public Policy Exchange intitulé The Future of Sex Work in the UK (L'avenir du travail sexuel au (…)

Cet article est basé sur une intervention d'Esther lors d'un webinaire du Public Policy Exchange intitulé The Future of Sex Work in the UK (L'avenir du travail sexuel au Royaume-Uni), le 27 mars 2025.

Tiré de Entre les ligneset les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/18/pourquoi-lacheteur-de-sexe-est-il-invisible/

Les termes « travailleur du sexe » et « travail sexuel » sont des termes génériques qui englobent les personnes impliquées dans tous les aspects de l'industrie du sexe – du strip-tease à la webcam en passant par le porno et la prostitution. Ils aseptisent et occultent les préjudices spécifiques de la prostitution et cachent la dynamique du pouvoir entre les femmes qui vendent du sexe, les acheteurs de sexe et ceux qui profitent de la prostitution d'autrui. Les proxénètes et les propriétaires de maisons closes utilisent également l'expression « travailleuse du sexe » pour se décrire eux-mêmes.

La question de savoir si la légalisation, la décriminalisation complète ou le système de prostitution autorisé que nous avons en Angleterre et au Pays de Galles sont considérés comme des succès ou des échecs dépend du point de vue de l'acheteur de sexe (dont la grande majorité sont des hommes), de la personne qui profite de la prostitution d'autrui (dont la plupart sont, là encore, des hommes) ou de la personne impliquée dans la prostitution (dont la plupart sont des femmes).

Voici quelques citations tirées au hasard d'un des forums d'acheteurs de sexe du Royaume-Uni. Ils ne sont pas cachés sur le dark web. Ils sont accessibles à tous, ne nécessitent pas de créer un nom d'utilisateur et de se connecter, et aucune vérification d'âge n'empêche les garçons de 12 ans d'y accéder.

« C'est vraiment comme vivre dans un monde imaginaire. Franchir la porte d'un salon et choisir parmi un éventail de filles pour me sucer et être baisé par moi. Tous mes fantasmes d'adolescent sont là ».

« Le corps et les jambes sont plutôt plats, mais avec un cul parfait et rasé. Le seul problème est qu'elle utilise ses longues jambes pour empêcher une pénétration profonde, mais j'arrive à aller de l'avant (il semble qu'elle soit un peu sensible en bas) mais si vous allez lentement, elle s'y conforme. »

« Je ne vous presse pas, dit-elle, c'est juste que je n'aime pas qu'on me fasse certaines choses. Il ne fait aucun doute que je reviendrai au [bordel] car j'adore les femmes thaïlandaises. J'enverrai peut-être un message au [gérant du bordel] pour lui faire part de mon mécontentement. »

« XXXX m'a invité dans sa chambre et j'ai remarqué qu'elle semblait sous l'effet de produits chimiques. En interagissant avec elle, je ne pouvais pas dire si elle était juste défoncée ou simplement distante. C'est dérangeant. Elle aurait un grand potentiel ! »

Ces citations et d'autres similaires suggèrent que payer une femme pour des actes sexuels est un droit suprême de la « sphère masculiniste ». Quel prix attend un garçon de 12 ans lorsqu'il atteindra l'âge adulte ! Même les agents de l'État aideront les facilitateurs de ses demandes misogynes, dérivées du porno.

On parle souvent d'Andrew Tate comme s'il était l'« Ève mitochondriale » des proxénètes plutôt qu'un proxénète particulièrement indiscret. Ce qu'il promeut n'est pas nouveau. Il s'agit des valeurs et des pratiques ancestrales des proxénètes et des parieurs. C'est pourquoi il ne suffit pas que le gouvernement cible les « influenceurs » en ligne. Il n'a aucune chance de réduire de manière significative la misogynie et la violence à l'égard des femmes et des filles s'il ne s'attaque pas également à la demande des acheteurs de sexe et s'il ne réprime pas le proxénétisme.

Lois sur la protection des consommateurs et lois sur l'emploi

Les lois sur la protection des consommateurs vous permettent de choisir d'acheter ou de vendre des biens d'une certaine description ou d'un certain pays ou lieu d'origine, comme un single malt Islay de 15 ans d'âge ou du fromage Gorgonzola, et de convenir d'un prix sur la base de cette description.

Mais il n'en va pas de même pour les services, où les pratiques de recrutement, les conditions ou les taux de rémunération discriminatoires à l'égard d'une personne en raison de sa race, de son appartenance ethnique ou des autres caractéristiques protégées énoncées dans la loi de 2010 sur l'égalité sont généralement illégales et violent les principes de l'égalité et de la dignité humaine.

Ces pratiques sont courantes dans l'industrie du sexe. Parce que l'acheteur de sexe est roi. Si la prostitution était légalisée ou totalement décriminalisée au Royaume-Uni, ces pratiques s'étendraient probablement au-delà du commerce du sexe. Les syndicats tels que l'ASLEF, qui font campagne pour la dépénalisation totale, ne semblent jamais aborder ce simple fait. Comment un syndicat qui soutient ces pratiques dans l'industrie du sexe pourrait-il les refuser dans d'autres secteurs ? Qu'est-ce que cela signifierait pour les autres travailleurs et travailleuses ?

Santé et sécurité

Les lois, réglementations et pratiques britanniques en matière d'emploi obligent les employeurs à protéger la santé et la sécurité de leurs employé·es.

L'un des arguments couramment avancés pour réglementer la prostitution est de la soumettre à la législation sur la santé et la sécurité afin qu'elle soit plus sûre pour les femmes. Toutefois, cette approche ne tient pas compte des nombreux préjudices auxquels ces femmes sont confrontées et du fait que les clients eux-mêmes sont la principale source de préjudice.

Dans toute autre profession où il existe un risque d'exposition aux fluides corporels d'autres personnes, les travailleurs et les travailleuses sont tenues de porter des masques, des gants, des lunettes et des vêtements de protection. Les préservatifs sont loin de réduire les risques pour les personnes qui se prostituent à un niveau comparable à ceux auxquels sont confrontés les travailleurs,et les travailleuses, par exemple, de la dentisterie ou des soins infirmiers, parce que les préservatifs glissent et se cassent, et que les clients refusent souvent de les porter.

Les préservatifs ne protègent pas la personne prostituée de la salive, de la sueur et des autres fluides corporels du client, des lésions des orifices et des organes internes causées par la friction et les coups violents, prolongés et répétés de plusieurs acheteurs, jour après jour, ou de la violence délibérée de ces derniers.

Il n'est donc pas surprenant que les femmes qui se prostituent aient un taux de mortalité 12 fois supérieur à celui des femmes de la population générale.

Que se passe-t-il lorsque la demande augmente ?

Les budgets d'austérité imposés depuis 2010, l'impact des augmentations plus récentes du coût de la vie et les réductions continues des dépenses publiques ont contribué à une forte augmentation du nombre de femmes qui se prostituent par désespoir financier. Comme l'a montré leWomen's Budget Group, chaque budget depuis 2010 a bénéficié aux hommes au détriment des femmes.

Les proxénètes, les tenanciers de maisons closes et les autres personnes qui facilitent l'industrie du sexe en ont largement profité, en particulier ceux qui réalisent les plus gros bénéfices, notamment les grands sites web commerciaux sur le sexe. Leurs intérêts économiques ne sont pas les mêmes que ceux des femmes impliquées dans la prostitution.

Ces grands profiteurs tiers bénéficient d'une rotation élevée des femmes et d'une offre de femmes suffisamment importante pour maintenir des prix bas pour les acheteurs. Cela crée une concurrence et conduit les femmes à n'avoir d'autre choix que de dépasser les limites qu'elles s'étaient fixées lorsqu'elles sont entrées dans l'industrie du sexe et à se livrer à des actes plus dangereux et plus extrêmes pour conserver le même revenu.

Le trafic sexuel est la forme la plus rentable de la traite des êtres humains et les trafiquants sont incités à casser les prix en augmentant le nombre de femmes qu'ils contraignent ou forcent à se prostituer. Toute approche autorisée de la prostitution est plus attrayante pour les trafiquants qu'un système qui s'attaque à la demande des acheteurs de sexe.

L'entrée des femmes dans la prostitution

Statistiques issues d'études sur les femmes et les jeunes filles prostituées au Royaume-Uni.
Sources : Paying the Price et Breaking down the barriers
De nombreuses études montrent que beaucoup de femmes ont commencé à se prostituer lorsqu'elles étaient enfants – généralement à la suite d'une manipulation ou par désespoir financier. Mais quels que soient les abus et les catastrophes qui l'ont conduite là, à partir d'une minute après minuit le jour de son dix-huitième anniversaire, elle est considérée comme ayant fait le « choix » d'entrer dans la prostitution et est généralement orientée vers des services peu coûteux de « réduction des dommages » plutôt que vers des services qui offrent des voies de sortie et de véritables moyens alternatifs de gagner sa vie.

À partir de la même heure, le même jour de sa vie, le jeune homme préparé par la « sphère masculiniste » sera libre de payer des filles et des jeunes femmes pour qu'elles reproduisent des scènes de porno sans que le public ne s'en aperçoive, ne les critique ou ne les sanctionne.

Difficultés rencontrées par les femmes et les jeunes filles prostituées

De nombreuses études montrent que la majorité des femmes et des filles qui se prostituent sont confrontées à de multiples difficultés. Par exemple, deux études sur les femmes impliquées dans la prostitution (Breaking down the barriers et Prostitution & Trafficking in Nine Countries) ont révélé que :
50% étaient dépendantes de substances ou d'alcool.
50% étaient contraintes de continuer.
52% avaient des dettes qui rendaient leur départ difficile.
67% avaient un casier judiciaire.
58% répondaient aux critères du syndrome de stress post-traumatique.
89% voulaient partir mais ne savaient pas comment le faire.

Le manque d'autonomie dans leur implication dans la prostitution et le manque d'autodétermination sexuelle autonome et libre lors des interactions avec les acheteurs sont une réalité pour la plupart des femmes prostituées.

Ce que les acheteurs paient, c'est une sexualité aux conditions de l'acheteur. Il paie pour avoir le contrôle et ne pas avoir à penser aux besoins et au plaisir de la femme. Cela ne peut être concilié avec l'exigence selon laquelle l'activité sexuelle doit être basée sur le libre consentement. Cela sape le principe même du consentement. Comme le montrent ces études, près de 90% des femmes impliquées dans la prostitution veulent en sortir mais ne savent pas comment.

La stigmatisation

Faits marquants :

* Ce sont les acheteurs et ceux qui profitent de l'exploitation sexuelle d'autrui qui s'investissent le plus dans le maintien de la stigmatisation des femmes prostituées.

* Il est considéré comme « naturel » que les acheteurs de sexe masculin, dont la plupart sont mariés ou en couple, veuillent garder leur identité secrète.

* En revanche, il est considéré comme « positif » et « progressiste » pour les femmes prostituées de fournir une pièce d'identité ou de faire enregistrer leur participation à la prostitution par l'État.

Pourquoi serait-il moins « naturel » que les femmes qui se prostituent veuillent éviter que leur activité soit enregistrée par l'État ?

Les estimations du nombre de femmes impliquées dans la prostitution en Allemagne varient entre 90 000 et 400 000. Cependant, seules 28 000 d'entre elles sont enregistrées dans les maisons closes et leur nom est consigné par l'État. Une infime partie d'entre elles ont décroché un contrat de travail, bien que les femmes enregistrées puissent en bénéficier depuis de nombreuses années. La Belgiquen'a pas été le premier État à proposer des contrats de travail.

Le nombre de femmes non enregistrées impliquées dans d'autres systèmes légalisés ou décriminalisés est également important. Cela suggère que dans tout système légalisé « officiel », il existe toujours une importante « clandestinité » qui opère en dehors du système officiel.

La décriminalisation ou la légalisation complète entraînerait de la même manière une augmentation de la taille de la « clandestinité » au Royaume-Uni. L'augmentation massive de la demande qui s'ensuivrait entraînerait une augmentation considérable du nombre de femmes attirées par la prostitution au Royaume-Uni, beaucoup d'entre elles se trouvant dans des situations précaires qui les obligeraient à être « hors la loi » ou « clandestines » – par exemple, parce qu'elles bénéficient duUniversel Crédit et risquent d'être poursuivies pour fraude aux prestations sociales, ou parce qu'elles sont des migrantes sans droit au travail et risquent donc d'être expulsées. Ce n'est pas le modèle nordique qui crée ces risques et pousse les femmes à travailler « au noir ».

La police prétend que le manque de ressources l'empêche d'appliquer les infractions liées à la prostitution autres que celles qui visent les femmes impliquées dans la prostitution de rue – certaines des femmes les plus marginalisées et les plus défavorisées du Royaume-Uni. Mais il s'agit là d'une position politique et idéologique, tout comme la décision de poursuivre la fraude aux prestations sociales plus systématiquement que l'évasion fiscale.

Des études ont montré que ce qui dissuaderait le plus les acheteurs, et donc réduirait le plus la demande, c'est toute forme de publicité.

L'égalité croissante entre les hommes et les femmes, qui résulte de la lutte et de l'obtention par les femmes de droits de propriété, d'accès à la contraception, à l'avortement et au divorce, signifie que les acheteurs ont beaucoup plus à perdre en étant identifiés ou en rendant publique leur fréquentation des maisons closes que ce n'était le cas au cours des siècles précédents.

Très peu d'acheteurs de sexe actuels attirent l'attention sur leur statut d'acheteur de sexe. Les hommes ne le mentionnent pas sur leurs profils de rencontres en ligne. Ils savent que cela augmenterait la probabilité que la plupart des femmes choisissent quelqu'un d'autre.

Un sondage YouGov réalisé au Royaume-Uni en janvier 2024 a montré que l'opinion publique était largement favorable à la légalisation du paiement d'une autre personne pour des actes sexuels, même si les femmes étaient moins favorables à cette idée. Bien que l'étude ait également montré que le « travail du sexe » ne devrait pas être stigmatisé, la plupart des gens seraient contrariés si leur enfant était impliqué dans la prostitution. Peu de gens accepteraient de sortir ou d'entrer en relation avec une personne qui se prostitue ou s'est prostituée, et plus de gens refuseraient d'être ami·es avec une personne qui se prostitue ou s'est prostituée.

L'opinion du public britannique lorsque ces questions sont posées personnellement, plutôt que sous la forme d'une proposition abstraite, n'a pas changé de manière significative au fil du temps.

Toutefois, les instituts de sondage ne semblent jamais s'enquérir de l'attitude du public à l'égard des acheteurs de sexe, alors que c'est la demande de ces derniers qui alimente le commerce du sexe. Ils ne demandent pas si les membres du public s'opposeraient à fréquenter ou à être en relation avec un acheteur de sexe actuel ou passé, ou à être amis avec lui, ou s'ils seraient contrariés si l'un de leurs enfants ou des membres de leur famille était un acheteur de sexe.

Le biais dont témoigne le choix des questions de l'enquête est révélateur. Il permet aux acheteurs de sexe de s'en tirer à bon compte. Comme l'a dit Gisèle Pelicot, « la honte doit changer de camp ».

Légalisation ou décriminalisation totale

Dans le cadre de la légalisation, la prostitution n'est autorisée que dans des conditions spécifiques définies par l'État, tandis que dans le cadre de la décriminalisation totale, tous les aspects du commerce du sexe, y compris le proxénétisme et la tenue de maisons closes, sont décriminalisés.

En théorie, la légalisation est très différente de la décriminalisation totale, mais en pratique, il existe de nombreuses similitudes, notamment le fait que toutes deux entraînent une expansion massive de l'industrie du sexe et une prolifération conséquente de ses méfaits pour répondre à l'augmentation considérable de la demande de la part des acheteurs.

Lorsque la demande augmente, l'offre de femmes disponibles doit augmenter. Les proxénètes et les trafiquants interviennent alors pour faciliter cette augmentation de l'offre, car il n'y a pas assez de femmes qui se présentent volontairement. Les femmes qui ont de réelles options choisissent rarement une vie dans la prostitution, à moins qu'elles n'aient déjà été entraînées dans cette voie par la culture qui les entoure ou par des auteurs individuels.

La légalisation et la décriminalisation totale augmentent les profits des tiers qui peuvent faire baisser les prix et augmenter et maintenir leur part de marché en surapprovisionnant le marché. Ces tiers en viennent alors à dominer le secteur aux dépens des femmes qui se prostituent.

Rien de tout cela n'augmente ce que les femmes impliquées dans la prostitution peuvent gagner. Les acheteurs paient des prix beaucoup plus élevés en Suède, par exemple, le premier pays à avoir introduit le modèle nordique, que dans les pays européens où le commerce du sexe est toléré.

Lors de la libéralisation de la prostitution en 2002, de nombreuses Allemandes impliquées dans la prostitution n'étaient pas prêtes à accepter les tarifs plus bas que les propriétaires de maisons closes, qui cherchaient à dominer le nouveau marché, insistaient pour qu'elles fassent payer les acheteurs. En conséquence, la plupart des femmes qui se prostituent en Allemagne sont aujourd'hui des migrantes. En Allemagne, environ un million d'hommes achètent des services sexuels chaque jour et les prix beaucoup plus bas n'ont pas réduit le flux de touristes sexuels allemands vers des pays où ils sont encore plus bas.

Les lois contre la traite des êtres humains sont beaucoup plus difficiles à appliquer dans un système autorisé. Les ressources sont détournées. La plupart des trafics passent inaperçus. S'il n'y a pas d'aide pour sortir de la prostitution, les trafiquants de sexe risquent moins de perdre l'accès aux revenus des femmes qu'ils exploitent.

Le risque pour les femmes impliquées ne diminue pas, quel que soit le système autorisé. La prostitution illégale se poursuit. La coercition reste forte, souvent de la part des proxénètes et des tenanciers de maisons closes eux-mêmes.

En juillet 2024, la Cour européenne des droits de l'homme] a estimé à l'unanimité que l'introduction par la France de l'approche du modèle nordique en 2016 ne violait pas l'article 8 de la Convention européenne des droits des êtres humains – le droit à une vie privée et familiale. L'arrêt note que les effets négatifs de la loi décrits par les requérants concernant les dangers et les préjudices qu'ils ont subis dans le cadre du modèle nordique existaient déjà et avaient été observés avant la promulgation de la loi de 2016, probablement parce que la prostitution est intrinsèquement violente.

Qu'est-ce que l'approche du modèle nordique ?

Le modèle nordique, également connu sous le nom de modèle d'égalité, a été introduit pour la première fois en Suède en 1999 et a depuis été adopté par plusieurs autres pays. Il reconnaît que la prostitution fait partie de l'oppression structurelle des femmes et d'autres groupes marginalisés, et qu'elle est à la fois une cause et une conséquence de l'inégalité persistante entre les sexes.

L'approche du modèle nordique comporte cinq éléments, qui doivent tous être mis en œuvre :

* Il décriminalise la vente de services sexuels.
* Il fournit des services et de véritables voies de sortie de l'industrie.
* Il fait de l'achat de services sexuels un délit pénal.
* Il comprend des lois strictes contre la traite des êtres humains, le proxénétisme et la tenue de maisons closes.
*Il nécessite une série de mesures globales, notamment une campagne d'information du public, une éducation dans les écoles et une formation de la police.

Tous les pays qui ont introduit le modèle nordique ne l'ont pas entièrement mis en œuvre ou n'ont pas fourni suffisamment de fonds et d'autres ressources pour le faire.

Que s'est-il passé en Suède ?

Lesrésultats obtenus en Suède sont les suivants
* Diminution de la taille de l'industrie.
* Aucune indication que la prostitution soit devenue « clandestine ».
* Destination hostile pour les trafiquants internationaux.
* Changement dans la culture et le comportement des hommes.
* Soutien public généralisé.

Nombre de personnes impliquées dans la prostitution

Pourcentage de la population impliquée dans la prostitution par pays

Ce graphique utilise des données accessibles au public [*] pour montrer le pourcentage de la population impliquée dans la prostitution dans six pays : L'Allemagne et les Pays-Bas avec la légalisation, la Nouvelle-Zélande avec la décriminalisation totale, et la Suède, la Norvège et la France qui ont le modèle nordique. Il en ressort qu'une proportion beaucoup plus faible de la population est impliquée dans la prostitution dans le cadre du modèle nordique que dans le cadre de la légalisation ou de la décriminalisation totale. Cela suggère que le modèle nordique est efficace pour réduire la taille de l'industrie, ou au moins pour empêcher sa croissance.

Ce que montrent les données sur les homicides

Source des données : http://www.sexindustry-kills.de
Femmes Citoyennes
Taux annuel moyen d'homicides de femmes prostituées pour 100 000 femmes

Ce graphique montre le nombre de femmes impliquées dans la prostitution qui ont été assassinées par des proxénètes et des clients. Il est exprimé sous la forme d'un taux annuel moyen pour 100 000 femmes au cours des années pendant lesquelles le cadre législatif a été mis en place.

Il en ressort clairement que le nombre d'homicides de femmes impliquées dans la prostitution est nettement plus élevé en Nouvelle-Zélande, en Allemagne et aux Pays-Bas qu'en Suède, en Norvège ou en France.

Cela indique que l'affirmation selon laquelle le modèle nordique est plus dangereux pour les femmes impliquées dans la prostitution est fausse.

Toutefois, nous ne prétendons pas que le modèle nordique est « plus sûr » pour les femmes, car nous ne pensons pas que quoi que ce soit puisse rendre la prostitution sûre. Le modèle nordique vise plutôt à réduire le volume de la prostitution et le nombre de personnes impliquées.

Ces données suggèrent que, lorsqu'il est bien mis en œuvre, le modèle nordique y parvient.

Références

https://nordicmodelnow.org/2025/04/10/why-is-the-sex-buyer-invisible/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

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Entre intolérance et violence, Haïti célèbre la Journée internationale de la visibilité lesbienne

Ce 26 avril 2025, alors que le monde célèbre la Journée internationale de la visibilité lesbienne, Haïti, elle, célèbre dans l'ombre. Car ici, être lesbienne n'est pas (…)

Ce 26 avril 2025, alors que le monde célèbre la Journée internationale de la visibilité lesbienne, Haïti, elle, célèbre dans l'ombre. Car ici, être lesbienne n'est pas seulement une question d'amour ; c'est une question de survie.

Dans les rues de Port-au-Prince comme dans les villes de province, il n'y a ni parade, ni manifestation ouverte. La peur de la stigmatisation, de l'agression physique, du rejet familial ou professionnel réduit au silence celles qui devraient être à l'honneur aujourd'hui.

La société haïtienne, profondément enracinée dans des traditions conservatrices et des interprétations religieuses rigides, impose aux lesbiennes un exil intérieur. Elles vivent, mais invisibles. Elles aiment, mais cachées. Elles rêvent, mais en silence. L'intolérance n'est pas une menace abstraite : c'est une réalité quotidienne, brutale, parfois mortelle.

Pourtant, malgré ce climat d'hostilité, des voix courageuses émergent. Certaines militantes, journalistes et artistes défient les normes et osent affirmer que l'existence lesbienne est aussi haïtienne, aussi digne que toutes les autres. Leur combat, bien que minoritaire, est essentiel pour construire un futur où la diversité sera reconnue comme une richesse, et non comme une menace.
Célébrer la visibilité lesbienne en Haïti, c'est donc bien plus qu'un geste symbolique. C'est un acte politique. C'est revendiquer le droit fondamental d'exister pleinement, sans honte ni peur. C'est briser le mur du silence que l'intolérance et la violence cherchent à imposer.

Tant que les lesbiennes devront se cacher pour être en sécurité, Haïti ne pourra prétendre être une démocratie respectueuse des droits humains. Car la liberté d'un peuple se mesure aussi à sa capacité de protéger ses minorités.

Aujourd'hui, plus que jamais, le courage de vivre doit être salué. Et demain, il faudra que ce courage soit soutenu par des lois, des protections, et surtout par une transformation profonde du regard social.

Être lesbienne en Haïti ne doit plus être une condamnation à l'invisibilité. Cela doit devenir un droit inaliénable d'exister, d'aimer et de briller au grand jour.

Smith PRINVIL

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Une femme meurt toutes les deux minutes en donnant la vie

Les progrès réalisés depuis le début du siècle en matière de baisse de la mortalité maternelle sont en perte de vitesse, selon une nouvelle étude, qui estime à plus d'un quart (…)

Les progrès réalisés depuis le début du siècle en matière de baisse de la mortalité maternelle sont en perte de vitesse, selon une nouvelle étude, qui estime à plus d'un quart de million le nombre de décès annuels liés à des grossesses et accouchements – des morts pour l'essentiel évitables.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Le nouveau millénaire avait pourtant bien commencé pour les femmes enceintes. Depuis 2000, le monde a en effet connu une forte réduction de 40% de la mortalité maternelle. Pour la première fois dans l'histoire récente, aucun pays ne présente des taux de mortalité maternelle extrêmement élevés, soit plus de 1 000 décès pour 100 000 naissances. À l'inverse, plus d'un tiers des pays dans le monde affichent un taux de mortalité maternelle très faible.

« De réels progrès ont été réalisés, y compris dans certains des pays les plus pauvres du monde », se félicite le Directeur général de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, dans l'avant-propos d'une étude de l'ONU, publiée lundi à l'occasion de la Journée mondiale de la santé.

Ce nouveau rapport, basé sur des données fournies par diverses agences onusiennes, dont l'OMS, ainsi que par le Groupe de laBanque mondiale, montre comment certains pays comme le Rwanda et le Sri Lanka ont considérablement réduit la mortalité maternelle, notamment en développant l'accès au sages-femmes et aux soins de santé en milieu rural. Des stratégies susceptibles, selon le Dr Tedros, d'être partagées et adaptées à bien d'autres contextes.

Progrès de la recherche et l'accès aux soins

Les progrès enregistrés sont également le fruit des avancées en matière de recherche et de prestation de services.

Le chef de l'OMS mentionne notamment l'utilisation d'un dispositif simple et peu coûteux, dit du « drap », qui permet de réduire de 60% les saignements graves dus aux hémorragies post-partum et de sauver ainsi de nombreuses vies humaines.

L'apport de soins maternels lors d'urgences humanitaires par le biais de cliniques mobiles et de postes de santé sauve également des millions de femmes et de bébés qui, autrement, ne bénéficieraient pas de dépistages médicaux, de vaccinations et de traitements vitaux.

Un ralentissement depuis 2016

Toutefois, le rapport indique que les progrès réalisés ont ralenti depuis 2016, au point que la baisse de la mortalité maternelle est désormais bien trop lente pour atteindre les cibles des Objectifs de développement durable.

« Aujourd'hui encore, quelque part dans le monde, une femme meurt toutes les deux minutes de complications liées à la grossesse et à l'accouchement », déplore le Dr Tedros, sur la base d'une estimation de 260 000 décès de femmes liées à de telles complications en 2023, l'année la plus récente pour laquelle le rapport de l'ONU fournit des donnés chiffrées.

Selon le chef de l'OMS, la quasi-totalité de ces femmes auraient pu survivre si elles avaient bénéficié d'un accès suffisant à des soins vitaux avant, pendant et après l'accouchement.

Des inégalités régionales

Une femme en Afrique subsaharienne a 400 fois plus de risques de mourir en couches qu'une femme en Australie et en Nouvelle-Zélande.

Cette région représente en effet environ 70% de la mortalité maternelle dans le monde, notamment en raison de taux de pauvreté élevés et des multiples conflits dont elle est le cadre.

Par ailleurs, de nombreuses régions ont vu leurs progrès stagner après 2015, y compris l'Afrique du Nord, l'Asie occidentale, l'Asie de l'Est et du Sud-Est, l'Océanie (à l'exception de l'Australie et la Nouvelle-Zélande), l'Europe, l'Amérique du Nord, l'Amérique latine et les Caraïbes.

Des décès évitables

Malheureusement, de nombreuses femmes n'ont pas accès à des modes de contraception moderne, à un contrôle de leur grossesse ou à un suivi prénatal essentiel. D'autres ne peuvent se rendre que tardivement dans des établissements de santé souvent mal équipés et dépourvus des médicaments ou capacités nécessaires pour prévenir, détecter et traiter leurs complications, telles que les hémorragies et les infections.

« Les décès évitables dus à la mortalité maternelle sont profondément ancrés dans la pauvreté et les inégalités », affirme le Dr Tedros.

En effet, la quasi-totalité de ces décès ont lieu dans des pays et des communautés à revenu faible ou intermédiaire, ces mêmes pays et communautés qui seront les plus durement touchés par les coupes actuelles dans le financement de la santé mondiale.

Appels à élargir l'accès aux soins maternels

À l'occasion de la publication du rapport, le chef de l'OMS appelle ainsi à élargir l'accès aux services de soins maternels et à accorder une attention particulière à la qualité de ces services et aux compétences des professionnels de santé qui les dispensent.

Selon lui, lorsque les droits des filles et des femmes sont protégés et qu'elles ont accès aux services et informations dont elles ont besoin pour contrôler leur vie et leur corps, les grossesses non désirées, les avortements à risque et les décès maternels diminuent. Parallèlement, les possibilités de scolarisation et d'accès au marché du travail augmentent.

« La mortalité maternelle n'est pas un mystère », affirme le Dr Tedros. « Nous en connaissons les causes et nous disposons des outils pour la prévenir. La question n'est donc pas de savoir si nous pouvons mettre fin aux décès maternels évitables, mais si nous y parviendrons ».

https://news.un.org/fr/story/2025/04/1154561

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La Cour suprême britannique valide la transphobie

Mercredi 16 avril, après deux échecs en 2023, la Cour suprême britannique a obéi à l'organisation anti-trans « For Women Scotland » et réduit la définition de « femme » au « (…)

Mercredi 16 avril, après deux échecs en 2023, la Cour suprême britannique a obéi à l'organisation anti-trans « For Women Scotland » et réduit la définition de « femme » au « sexe biologique ». C'est l'aboutissement d'un mouvement astroturfé (1) et financé par des milliardaires qui mènent depuis des années la guerre aux personnes trans.

Hebdo L'Anticapitaliste - 751 (24/04/2025)

Par Sally Brina

Crédit Photo
DR

For Women Scotland avait attaqué le gouvernement écossais pour avoir inclus les femmes trans, conformément à la loi de 2004 sur le changement d'état civil, dans la catégorie légale des femmes, protégées contre toutes les discriminations et violences sexistes et comme bénéficiaires des mesures liées à la parité.

Aucune personne trans n'a été auditionnée. Une juge trans a été écartée, et les témoins entendus appartenaient tous à des groupes transphobes. Le jugement était donc programmé. Ce n'est pas une surprise s'il réduit les identités trans à des lubies de gens qui « imaginent » appartenir à un groupe social, loin de la réalité de nos vécus.

Une idéologie essentialiste et patriarcale

La Cour estime que lors de l'écriture de l'Equality Act en 1975, le législateur considérait que les femmes se définissent par leur capacité à accoucher avant tout. Cela signifie que l'identité de femme s'y réduirait, et que les protections contre le sexisme viennent du fait qu'elles seraient plus vulnérables physiquement que les hommes à cause de leurs grossesses.

Cela relève d'une idéologie essentialiste et patriarcale, qui implique donc que les femmes qui n'ont pas d'enfants, qui sont stériles ou ménopausées, ne subissent pas de discriminations au travail. Cela va à rebours de toutes les élaborations féministes pour qui les bases de l'oppression des femmes ne sont pas biologiques, mais sociales et économiques.

Mais cette décision a surtout des impacts à l'encontre des personnes trans. Elle acte leur impossibilité concrète d'exister publiquement dans la mesure où de nombreux emplois ou lieux de vie nécessitent de passer par des espaces non mixtes (vestiaires, toilettes, etc.) auxquels elles n'ont légalement plus accès.

Se mobiliser pour de nouveaux droits pour les personnes trans

Elle entérine aussi que les femmes trans ne doivent bénéficier d'aucun service de protection face au sexisme (2) (refuges pour femmes sans-abri, victimes de viol ou de violences conjugales), alors qu'elles en sont davantage victimes que les autres femmes (3,4). Elle garantit de facto qu'au Royaume-Uni des femmes pourront être battues, agressées, violées ou tout simplement discriminées, sans qu'elles ne puissent se défendre.

Aujourd'hui, alors que l'offensive antitrans se déploie au niveau mondial et que l'extrême droite menace, nous ne pouvons plus nous contenter de répéter que « Les femmes trans sont des femmes ! Les personnes trans sont légitimes ! » sans implication concrète.

À l'appel des syndicats et organisations trans, des milliers de personnes ont manifesté dans tout le Royaume-Uni ce samedi. En France aussi, il est urgent de se mobiliser pour défendre nos droits et en gagner de nouveaux. La question du changement d'état civil sur simple demande doit être à l'ordre du jour des Prides, et doit être portée plus largement par tout le mouvement social, les syndicats, la gauche sociale et politique.

Sally Brina

1. https://www.radiofrance…
2. Et ce, alors que la Cour reconnaît qu'elles en subissent !
3. https://www.cdc.gov/mmwr/volumes/73...
4. https://williamsinstitut…

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Stella Akiteng : la voix des populations spoliées de leurs terres dans le district de Kiryandongo en Ouganda

29 avril, par GRAIN — , ,
Les terres fertiles de Kiryandongo, communauté agricole jadis prospère de l'ouest de l'Ouganda, sont devenues le théâtre d'accaparements de terres par des multinationales (…)

Les terres fertiles de Kiryandongo, communauté agricole jadis prospère de l'ouest de l'Ouganda, sont devenues le théâtre d'accaparements de terres par des multinationales étrangères.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/04/larticulation-des-femmes-decvc-envoie-une-lettre-ouverte-a-hansen-sur-la-position-des-femmes-dans-la-vision-pour-lagriculture-et-lalimentation-autre-texte/?jetpack_skip_subscription_popup

Situé à 225 kilomètres de Kampala, la capitale de l'Ouganda, Kiryandongo est un creuset de populations venues de tout le pays. Beaucoup ont migré ici après avoir fui les catastrophes naturelles, la guerre ou la violence dans leur région d'origine. Le district accueille également une importante population de réfugié·es, ce qui renforce la diversité et la résilience de cette communauté.

Pour la plupart des habitant·es, la vie à Kiryandongo est l'histoire d'un double déplacement, une histoire marquée par la douleur, l'humiliation et la faim. Les terres de Kiryandongo, qui abritaient autrefois une riche communauté agricole et produisaient de la nourriture pour les familles et pour la nation, ont été transformées en plantations industrielles de soja et de maïs. Les femmes, en particulier, ont subi de plein fouet ces bouleversements, voyant leurs moyens de subsistance fragilisés et leur avenir incertain.

Les sols riches et le climat idéal du district en ont fait une cible de choix pour des entreprises comme Agilis Partners, Kiryandongo Sugar Limited et Great Season SMC Limited. Ces entreprises, qui agissent souvent main dans la main avec les autorités locales, ont violemment expulsé des milliers de familles de leurs maisons et de leurs fermes. À leur place, de vastes monocultures de soja et de maïs s'étendent désormais à perte de vue, effaçant les traditions agricoles dynamiques qui caractérisaient autrefois ce territoire.

Pour Stella Akiteng, agricultrice dépossédée de ses terres et leader communautaire, l'histoire est profondément personnelle. « J'étais agricultrice », dit-elle. « Je cultivais des haricots, du maïs, des arachides et d'autres cultures. Une partie de la récolte était vendue, et le reste nourrissait ma famille. Mais quand les investisseurs sont arrivés, ils ont tout pris. »

Le périple de Stella a commencé par un double déplacement forcé. Après avoir été mise à la porte de chez elle par son mari pour n'avoir donné naissance qu'à des filles, elle est retournée sur les terres de son père, où elle s'est vu attribuer 60 hectares. Mais en 2017, des grandes entreprises sont arrivées, soutenues par la police et l'armée, et ont saisi ses terres. « Ils ont trompé les responsables du district en prétendant avoir été envoyés par le gouvernement central », se souvient-elle. « Maintenant, ma famille et moi sommes sans terre. »

L'impact de ces saisies de terres va bien au-delà de la perte des moyens de subsistance. Les familles qui cultivaient autrefois du maïs pour nourrir l'Ouganda et d'autres pays ont désormais du mal à subvenir à leurs propres besoins. Des écoles ont fermé, privant des enfants d'accès à l'éducation. Même les lieux de sépulture sont interdits aux habitant·es, ce qui oblige les familles endeuillées à abandonner les corps de leurs proches dans les plantations de canne à sucre qui étaient autrefois leurs terres.

« Les plantations de canne à sucre ont apporté calamités et maladies », explique Stella. « Les moustiques, les serpents venimeux et les animaux sauvages circulent librement, rendant la zone dangereuse pour les enfants, les femmes et les hommes. »

Le rôle de Stella en tant que leader communautaire est devenu plus crucial que jamais. Autrefois conseillère et membre de l'association des agriculteurs de Nyamaleme, elle dirige aujourd'hui un réseau de familles déplacées qui luttent pour récupérer leurs terres et reconstruire leurs vies.

Le premier jour de leur expulsion a été particulièrement éprouvant. « Nous n'arrêtions pas de pleurer », se souvient Stella. « Au début, tout le monde était accablé, mais avec le temps, nous avons commencé à nous encourager les un·es les autres. Nous avons décidé de créer des associations et des groupes pour nous entraider. Avant de nous réunir, nous pensions que nous étions condamné·es, sans espoir. Maintenant, nous avons de l'espoir, l'espoir de retrouver nos vies et nos terres. »

Ces groupes sont devenus une source de force et de solidarité. « Nous partageons nos joies entre nous », dit Stella. « Survivre n'a pas été facile, mais nous avons trouvé des moyens de nous soutenir mutuellement. »

Un réseau de résistance

Le rôle de leader de Stella va désormais au-delà de Kiryandongo. Avec son groupe, elle a organisé des visites dans d'autres communautés ougandaises touchées par les accaparements de terres. Ces visites ont révélé le caractère généralisé du système d'exploitation mis en place par les multinationales.

À Kalangala, Stella a découvert comment les agriculteurs et agricultrices avaient été attiré·es dans des partenariats avec des entreprises leur promettant des parts dans des plantations de palmiers à huile. « On leur a dit que cela leur apporterait des avantages, mais une fois les palmiers plantés, les entreprises leur ont interdit de produire des cultures vivrières », explique-t-elle. Les produits chimiques utilisés dans les plantations ont contaminé le lac Victoria, tuant les poissons et dévastant l'industrie locale de la pêche.

À Mubende, Stella a pu observer les impacts environnementaux des plantations d'eucalyptus. « Ces arbres absorbent toute l'eau et assèchent les puits et les rivières », explique-t-elle. On a interdit aux agriculteurs et agricultrices de faire paître leur bétail et de ramasser du bois de chauffage, les privant ainsi de ressources essentielles.

À Hoima, la destruction de la forêt de Bugoma pour laisser place à des plantations de canne à sucre l'a particulièrement marquée. « La forêt était une ressource vitale pour la communauté : elle fournissait des plantes médicinales, du bois de chauffage et bien d'autres choses encore. Aujourd'hui, elle a disparu, tout comme leur mode de vie », explique Stella.

Ces visites ont incité Stella à rassembler les communautés touchées. « Nous avons compris que ce n'était pas seulement notre problème, mais que cela se produisait partout », affirme-t-elle. Elles ont formé un réseau informel contre les investissements fonciers en Ouganda, qui a maintenant rejoint l'Alliance informelle contre l'expansion des plantations industrielles de palmiers à huile en Afrique de l'Ouest, qui travaille en réseau avec d'autres groupes à travers le continent pour partager des stratégies et des ressources.

Pour Stella, la lutte ne se limite pas à la récupération des terres : il s'agit d'assurer l'avenir de la prochaine génération. « Si cela continue, il n'y aura plus de terres pour les cultures vivrières, seulement des plantations de canne à sucre et des exploitations forestières », prévient-elle. « Si nous n'agissons pas maintenant, il ne restera plus rien pour nos enfants. »

En tant que leader élue par sa communauté, Stella est animée par un profond désir de changement. « Tout ce que je veux, c'est un avenir meilleur pour notre communauté et notre pays », affirme-t-elle. « Nous apprenons les unes des autres, nous demeurons déterminées et nous nous associons à d'autres. Ensemble, nous pouvons relever tous les défis. »

Son message aux autres femmes est un appel à la résilience et à la solidarité. « J'encourage les femmes à tenir bon et à surmonter les difficultés », dit-elle. « Si je meurs, les femmes qui me connaissent suivront mon exemple. Si l'on me donne l'occasion d'en faire plus, je tiendrai bon et je saisirai cette chance. »

L'histoire de Stella montre la force de l'action collective. « Lorsque je raconte mon histoire à l'église, les femmes pleurent et me demandent comment je fais pour tenir bon, comment je surmonte la situation », confie-t-elle. « Ma réponse est toujours la même : ne souffrez pas seule. La résilience vient du fait d'être ensemble, d'écouter les autres et de faire preuve de compassion. Le monde est plein de douleur, mais ensemble, nous pouvons guérir et reconstruire ce qui a été brisé. »

https://grain.org/fr/article/7263-la-voix-des-femmes-semons-la-resistance-a-l-agriculture-industrielle

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L’autre catastrophe : génocide et famine au Soudan

29 avril, par Gilbert Achcar — , ,
Alors que la situation au Soudan n'obtient même pas un dixième de l'attention des médias mondiaux que la guerre génocidaire sioniste en cours à Gaza reçoit, l'ampleur de la (…)

Alors que la situation au Soudan n'obtient même pas un dixième de l'attention des médias mondiaux que la guerre génocidaire sioniste en cours à Gaza reçoit, l'ampleur de la catastrophe humaine y est tout aussi horrible. ... La vérité est que les pays occidentaux, même s'ils n'ont pas joué de rôle direct dans la guerre soudanaise, portent la responsabilité principale de ce qui est arrivé au pays.

23 avril 2025

Gilbert Achcar
Professeur émérite, SOAS, Université de Londres
Abonné·e de Mediapart
https://blogs.mediapart.fr/gilbert-achcar/blog/230425/l-autre-catastrophe-genocide-et-famine-au-soudan
Ce blog est personnel, la rédaction n'est pas à l'origine de ses contenus.

Deux ans se sont écoulés depuis que la guerre a éclaté au Soudan entre les deux camps du régime militaire que le pays a hérité du tristement célèbre Omar el-Béchir. Alors que la situation au Soudan n'obtient même pas un dixième de l'attention des médias mondiaux que la guerre génocidaire sioniste en cours à Gaza reçoit, l'ampleur de la catastrophe humaine y est tout aussi horrible. Le nombre de morts directement causées par la guerre entre militaires est estimé à plus de 150 000, tandis que le nombre de personnes déplacées s'élève à environ 13 millions et que le nombre de personnes menacées de famine sévère atteint 44 millions – un nombre record qui fait de la guerre au Soudan la plus grave crise humanitaire dans le monde d'aujourd'hui.

Bien sûr, il est facile de comprendre les facteurs géopolitiques qui font de la guerre menée par Israël à Gaza et dans le reste du Moyen-Orient une préoccupation internationale majeure, sans parler de l'invasion russe de l'Ukraine. Cependant, l'inclination raciste qui domine l'idéologie mondiale « spontanée » ne peut être niée. Elle a toujours fait en sorte que l'attention que les médias mondiaux prêtent aux guerres soit inversement proportionnelle au degré de noirceur de la peau des personnes impliquées. La guerre qui a duré cinq ans en République démocratique du Congo (Congo-Kinshasa) entre l'été 1998 et l'été 2003, et qui a fait environ six millions de victimes directes et indirectes, en est un exemple frappant. En dehors de l'Afrique subsaharienne, le monde a fermé les yeux sur les événements au Congo, tout en accordant beaucoup plus d'attention à des événements qui ont fait beaucoup moins de morts, tels que la guerre du Kosovo (1999), les attaques d'Al-Qaïda à New York et Washington (2001), l'intervention américaine en Afghanistan et l'occupation américaine de l'Irak (2003).

En général, les guerres auxquelles ne participent pas directement des soldats blancs du Nord mondial – qu'ils soient américains ou européens, y compris, bien sûr, les Russes – ne reçoivent que très peu d'attention mondiale. C'est le cas du Soudan qui connaît une guerre entre deux parties exclusivement locales, même si elle est alimentée par des forces régionales, notamment à travers leur soutien à la milice génocidaire des Forces de soutien rapide. Le rôle le plus dangereux à cet égard a été joué par les Émirats arabes unis, en alliance avec un acteur mondial, la Russie. C'est le même duo qui a joué le rôle principal dans le soutien à Khalifa Haftar dans la guerre civile libyenne.

La vérité est que les pays occidentaux, même s'ils n'ont pas joué de rôle direct dans la guerre soudanaise, portent la responsabilité principale de ce qui est arrivé au pays. L'envoyé spécial de l'ONU au Soudan, de début 2021 jusqu'à sa démission en septembre 2023, l'Allemand Volker Perthes, a joué le rôle de « l'homme blanc » dans sa mission avec un relent de colonialisme, et a agi de manière désastreuse, bafouant les principes auxquels les Occidentaux sont censés adhérer, peut-être parce qu'il croyait que les Soudanais ne sont pas dignes de la démocratie.

Lorsque le coup d'État mené par Abdel Fattah al-Burhan, interrompant le processus démocratique issu de la révolution de 2019, eut lieu à l'automne 2021, c'était durant le mandat de Perthes en tant qu'envoyé de l'ONU au Soudan. Perthes a cherché à réconcilier les dirigeants militaires avec les civils qu'ils avaient renversés, au lieu de prendre une position ferme contre les putschistes et d'appeler la communauté internationale à exercer une pression maximale sur eux pour qu'ils retournent dans leurs casernes et permettent la poursuite du processus démocratique. Cette indulgence envers les militaires et la tentative de les réconcilier avec les civils, plutôt que d'adopter une position dure à leur encontre, les ont encouragés à convoiter le maintien de leur contrôle total sur le pays. Cela a conduit, deux ans plus tard, à l'éclatement de combats entre les deux composantes de l'armée, les forces régulières et les Forces de soutien rapide, chaque camp se disputant le contrôle exclusif du pays.

La réalité est que la guerre au Soudan n'a que deux issues possibles. Soit les Nations Unies prennent enfin leurs responsabilités, organisent l'intervention de forces internationales, imposent un cessez-le-feu aux deux parties belligérantes, puis les obligent à se replier sur leurs casernes de sorte à permettre au processus démocratique de se poursuivre en lui apportant un plein soutien, y compris les moyens nécessaires pour dissoudre les sinistres Forces de soutien rapide et imposer des changements radicaux aux forces régulières soudanaises afin de les transformer d'armée d'une dictature militaire en armée soumise à l'autorité civile. Soit le Soudan se dirige vers la partition, ce qui perpétuerait le régime militaire dans sa partie orientale et permettrait aux Forces de soutien rapide (anciennement milices janjawids) d'imposer leur contrôle total sur la région du Darfour, où elles poursuivraient la guerre génocidaire raciste qu'elles ont commencé à mener au début du siècle actuel sous la direction de Béchir (il les a récompensés en 2013 en leur accordant un statut officiel de composante des forces armées soudanaises).

Enfin, en ce qui concerne la grande tragédie que connaît le Soudan, il est également nécessaire de souligner l'échec de la solidarité internationale avec le peuple soudanais affligé. Tout en nous félicitant vivement du développement considérable connu par le mouvement de solidarité avec le peuple palestinien contre la guerre génocidaire sioniste à Gaza, nous ne pouvons que regretter que la solidarité mondiale continue de dépendre de la formation de l'attention médiatique décrite ci-dessus. Il est de la plus haute urgence qu'émerge un large mouvement de solidarité avec le peuple soudanais, en particulier dans les pays occidentaux, mais aussi dans toutes les régions du monde, y compris la région arabe, pour faire pression en faveur d'une intervention de l'ONU afin de mettre fin à cette immense tragédie.

Traduit de ma chronique hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est d'abord paru en ligne le 22 avril. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.

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Burkina Faso. La fabrique étatique de la violence

29 avril, par Tanguy Quidelleur — , ,
Gagné, à partir de 2016, par l'insécurité venue du Mali voisin, le Burkina Faso a vu l'implantation massive de groupes djihadistes sur son territoire. Au fil des ans et des (…)

Gagné, à partir de 2016, par l'insécurité venue du Mali voisin, le Burkina Faso a vu l'implantation massive de groupes djihadistes sur son territoire. Au fil des ans et des ruptures politiques, le pays a progressivement plongé dans la guerre civile. Depuis l'arrivée du capitaine Ibrahim Traoré, on observe une fabrique étatique de la violence : militaire, civile et politique.

Tiré d'Afrique XXI. Légende de la photo : Accueil du capitaine Ibrahim Traoré à l'aéroport de Ouagadougou, après le sommet Russie-Afrique, le 31 juillet 2023.b© Ekokou

Début mars 2025, plusieurs vidéos envahissent les réseaux sociaux burkinabè. On y voit, dans la région de Solenzo, dans l'ouest du pays, des militaires accompagnés de Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) – des civils armés opérant aux côtés des forces régulières – massacrant des dizaines d'habitants accusés de collaborer avec ces groupes djihadistes (1). Au même moment, cette fois près de Fada N'Gourma, dans l'est du pays, des dizaines d'autres habitants auraient subi le même sort tragique. Par ailleurs, si le monde rural est désormais plongé dans ce que certains observateurs qualifient de « sale guerre », la violence exercée par l'État et ses collaborateurs touche l'ensemble de la société : disparitions d'opposants et de défenseurs des droits humains, arrestations de journalistes envoyés au front, intimidations…

Comment comprendre cette violence étatique multisectorielle et multisituée sur le territoire burkinabè ? Surtout, face à l'insurrection djihadiste et à la perte du contrôle de larges pans du territoire national, comment analyser cette contre-insurrection ? La violence pratiquée par les hommes en armes, qu'ils opèrent au sein ou en marge de l'État, apparaît comme un mode de gouvernement, et ces pratiques constituent une politique publique à part entière, accentuée par bientôt une décennie de violence.

Tout d'abord, la junte d'Ibrahim Traoré, arrivé par la force au pouvoir en 2022, s'inscrit dans l'histoire du Burkina Faso, marquée par la centralité de l'institution militaire et faisant de la violence une ressource légitime pour conquérir ou exercer le pouvoir. En effet, ces dynamiques ne sont guère nouvelles : depuis l'indépendance, en 1960, le rôle prépondérant des forces armées dans la politique s'est régulièrement traduit par des coups d'État. Cette « alternance par le putsch » (2) illustre la manière dont la violence armée ou sa menace s'imposent comme un levier politique essentiel.

Une double dynamique, militaire et milicienne

Ensuite, la militarisation historique du pouvoir ne se manifeste pas seulement par la présence de militaires à la tête de l'État, mais aussi par des pratiques, des discours et des représentations qui ont imprégné l'ensemble de la société. Ils ont notamment façonné les différentes formes de « gouvernement par la violence » (3) des populations, en particulier autour de la figure historiquement située (4) du « citoyen en arme », empruntée à Thomas Sankara.

On observe alors une double dynamique de militarisation du pouvoir et de milicianisation de la société (5).

Ainsi, dès son arrivée au pouvoir, le capitaine Traoré a décrété la mobilisation générale et lancé une vaste campagne de recrutement pour renforcer les forces paramilitaires engagées dans la lutte contre les groupes djihadistes. Selon les autorités, 90 000 personnes auraient déjà rejoint les rangs des VDP, une force instaurée timidement en 2019 sous le régime de l'ancien président Roch Marc Christian Kaboré. Ces citoyens burkinabè sont formés, équipés et financés par l'armée afin de participer aux opérations militaires aux côtés des forces régulières. On observe in fine, grâce au concours d'un État militarisé et de ses collaborateurs paramilitaires, une « milicianisation de la guerre contre le terrorisme » (6), qui façonne les discours et les représentations politiques autour du conflit, tout en exacerbant les violences et la polarisation de la société.

La construction d'une politique de contre-insurrection

Depuis bientôt une décennie, des groupes djihadistes s'implantent et étendent progressivement leur emprise sur l'ensemble du territoire. Leur avancée se traduit par l'expulsion des représentants de l'État et s'accompagne de dynamiques conflictuelles liées à leur administration de ces populations civiles. Dans de vastes zones désormais sous le contrôle des djihadistes, les forces militaires burkinabè peinent à s'imposer. Elles sont souvent confinées dans leurs bases, limitant leur présence effective à quelques opérations ciblées. Lorsqu'elles se hasardent à des patrouilles, elles sont régulièrement confrontées à des embuscades et à des engins explosifs improvisés (IED) qui réduisent considérablement leur capacité d'action.

Cette situation a conduit à la création de Bataillons d'intervention rapide (BIR). Mieux équipés que le reste de l'armée, ils sont chargés, à travers des opérations axées sur des unités mobiles, de traquer les groupes djihadistes. Cette stratégie fait notamment suite à différentes expériences de dispositifs sécuritaires, comme ceux du GAR-SI (Groupe d'actions rapides-Surveillance et intervention), des unités d'élite mixtes de la gendarmerie et de l'armée équipées, entraînées et financées, notamment, par des programmes de l'Union européenne entre 2017 et 2021 (7). Ces derniers éléments étaient déjà impliqués dans différentes exactions en lien avec des groupes d'autodéfense contre des populations civiles accusées de collusion avec les djihadistes, dans la boucle du Mouhoun, par exemple. Le processus de spécialisation s'est amplifié, et les BIR se sont multipliés, passant de six à vingt-huit en trois ans, a dit le capitaine Ibrahim Traoré dans son adresse à la nation le 3 janvier dernier.

De manière plus générale, les politiques publiques burkinabè se sont progressivement réarticulées autour d'une économie de guerre : achat de moyens aériens russes et contractualisation avec des « formateurs », acquisition de drones turcs, devenus fer de lance de la communication militaire du régime, recrutement massif.

Les civils en armes au cœur du dispositif

Pour tenter de reprendre le contrôle de ces zones, le deuxième volet de la stratégie s'est déployé à travers la mobilisation de civils en armes. En janvier 2020, l'Assemblée nationale adopte une loi instituant les VDP. Le dispositif prévoit que ces forces supplétives seront encadrées par les Forces de défense et de sécurité (FDS) et bénéficieront d'un soutien financier mensuel. Les volontaires doivent également recevoir un appui matériel et médical en cas de blessure, d'invalidité ou de décès. Une formation accélérée de quatorze jours est mise en place pour les préparer à leur mission. Les VDP sont créés pour compenser le faible maillage territorial de l'armée et son manque de connaissance du terrain. Selon les autorités, les effectifs de l'armée seraient de 14 000 militaires, tous profils confondus. Les VDP seraient donc plus nombreux que les forces régulières.

En première ligne aux côtés des soldats, les volontaires permettent de soulager des troupes épuisées par des années de conflit, souvent mal équipées, rarement relevées et insuffisamment formées. Leur mobilisation à moindre coût vise aussi à limiter les pertes en opération. La création des VDP consacre ainsi l'hégémonie de l'armée burkinabè dans le domaine sécuritaire. Alors que les groupes d'autodéfense relevaient autrefois du ministère de la Sécurité dans le cadre d'une politique de police de proximité, les VDP sont désormais placés sous l'autorité directe de la hiérarchie militaire. Depuis 2022, leur commandement est assuré par la Brigade de veille et de défense patriotique (BVDP), une structure dirigée par des militaires qui a accéléré la militarisation des groupes de volontaires (8).

La force paramilitaire est désormais au cœur de la communication politique du capitaine Traoré, qui en a fait un pilier de sa stratégie sécuritaire.

Des violences en augmentation

Cette contre-insurrection a eu pour effet de favoriser la hausse des violences sur les populations périphériques de l'État. Ces violences, à la fois stratégiques et instrumentales, traduisent une reconfiguration des relations entre combattants et populations civiles. Comme dans d'autres conflits (9), d'un point de vue stratégique, pour un État qui peine à contrôler de larges pans de son territoire, ces pratiques visent différents objectifs qui peuvent se cumuler en fonction des configurations : déloger des communautés pour mieux contrôler l'espace, punir un groupe spécifique, piller des ressources, instaurer un climat de terreur ou encore envoyer un message aux ennemis désignés. Le schéma est ainsi régulièrement le même : les militaires accompagnés de VDP sillonnent les espaces contrôlés par les djihadistes et massacrent les villageois, femmes et enfants compris, puis emportent ce qu'ils trouvent : objets de valeur, bétail.

Comment expliquer les meurtres de masse successifs et les pratiques criminelles de la part des forces gouvernementales et de leurs collaborateurs ?

D'abord, ces violences s'accompagnent de la reprise du discours manichéen de la « guerre contre le terrorisme », et donc d'un ennemi à éradiquer et avec qui on ne négocie pas, et plus largement de toute personne qui serait supposément en contact avec lui. Le blanc-seing donné au combattant augmente donc la violence, notamment parce que la contre-insurrection s'accompagne d'une impunité quasi généralisée. L'engagement des VDP et des BIR dans les combats s'accompagne, en effet, d'un phénomène d'apprentissage progressif dans l'exercice collectif d'une violence de masse. Au fil des opérations, ces groupes adoptent des tactiques de plus en plus brutales qui deviennent systémiques, franchissant différents seuils dans l'intensité de leurs exactions.

Ensuite, le recours massif à des VDP nationaux – qui peuvent être déployés sur tout le territoire – facilite les exactions puisque les combattants agissent de plus en plus en dehors de leur zone d'origine. Initialement engagées pour défendre leur communauté, ces forces paramilitaires s'aguerrissent et développent finalement une autonomie opérationnelle. Cette évolution s'explique notamment par la coproduction des violences de masse par des BIR et des VDP exogènes. Moins redevables aux populations, ils adoptent des méthodes plus expéditives. Loin d'être une simple réponse sécuritaire, la guerre contre le terrorisme devient alors un instrument de production de nouvelles formes de violence politique.

La circulation de pratiques prédatrices

Également, le mandat attribué par l'État permet aux VDP d'avoir une grande autonomie dans les zones où ils opèrent. On observe ainsi que cette coproduction de la violence produit une circulation des pratiques prédatrices entre les corps dits étatiques et paramilitaires, qui interagissent et progressent crescendo dans les différents stades de la violence. Cette collaboration représente, en effet, une opportunité d'obtenir des rétributions matérielles. Le pillage des ressources, notamment du bétail, peut, par exemple, être le fruit d'un massacre ou d'une vengeance après une attaque contre les forces de défense.

De plus, les motivations stratégiques et opportunistes sont souvent entremêlées avec des logiques de hiérarchisation identitaire, en particulier lorsqu'il s'agit de populations marginalisées. Malgré cette complexité, des caractères systémiques émergent dans les violences de masse et prédatrices, offrant un éclairage sur l'évolution politique actuelle du Burkina Faso.

Enfin, cette stratégie s'est aussi révélée meurtrière et contre-productive pour les populations des zones touchées par le conflit. La mobilisation des civils en armes expose directement les populations à des représailles des groupes djihadistes. Ces derniers ciblent les villages soupçonnés de soutenir l'État ou d'abriter des VDP, entraînant un cycle de vendetta. Ces dynamiques alimentent une guerre civile qui, comme toute guerre civile, est avant tout une guerre contre les civils : les représailles touchent indistinctement hommes, femmes et enfants et les frontières, se brouillent entre combattants et populations.

Un régime politique militaro-milicien

La réactualisation des ressources du patriotisme se manifeste dans un contexte politique marqué par une montée des discours nationalistes au Burkina Faso. Après le coup d'État militaire de 2022, les militaires se sont présentés sous la bannière du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), maintenant dirigé par le capitaine Traoré. Le capitaine « IB » a adopté une rhétorique nationaliste, valorisant des idéaux patriotiques tout en réprimant et en arrêtant les opposants, ou en faisant disparaître des journalistes et des militants des droits humains. Cette violence politique est construite par différents groupes spécialisés incarnés par certains escadrons de la police, des membres de la présidence du Faso ou encore de l'Agence nationale de renseignement (ANR). Les nouvelles autorités politiques burkinabè se sont aussi assuré le soutien d'une partie des milieux financiers (BTP, mines, grands commerçants…) pour construire une économie de guerre et capter des ressources, tout en rétribuant une clientèle politique.

Cette dynamique s'est conjuguée à une brutalisation de la vie politique, orchestrée par diverses mobilisations politiques soutenant la junte, allant d'influences néo-panafricanistes à divers mouvements religieux jusqu'aux identitaires de tous bords, qui n'hésitent pas à recourir à la violence et à la menace pour faire taire l'opposition (10). La « révolution progressiste populaire » dans laquelle le président du Faso a affirmé s'inscrire dans un discours à la nation, le 1er avril 2025, convoque aussi, dans sa communication, un imaginaire sankariste dévoyé. La militarisation du pouvoir a intensifié la milicianisation de la société, modifiant profondément le mode de gouvernement. Les pratiques coercitives se diffusent ainsi progressivement dans la société. On observe, par exemple, des groupes de soutien du régime contrôlant les ronds-points de Ouagadougou et extorquant de l'argent à la nuit tombée.

La communication officielle est omniprésente, à travers des slogans sur la souveraineté et le patriotisme accompagnés d'images de l'armée en action ou de frappes de drones. Enfin, la traque de toutes les formes de dissidence s'est généralisée, comme, par exemple, au travers des BIR-C (Bataillon d'intervention rapide de la communication), une mobilisation de propagande numérique qui défend le régime en menaçant et en dénigrant les opposants sur les réseaux sociaux.

Pourtant, la politique contre-insurrectionnelle burkinabè ne semble pas avoir atteint les résultats escomptés. Les récents revers de l'armée burkinabè dans la région Est confirment son incapacité à contrôler de vastes parties de son territoire. Les attaques djihadistes persistent, sapant les tentatives de reconquête de l'espace, et maintenant de vastes régions sous l'influence des groupes armés. La situation humanitaire se détériore rapidement, avec un nombre croissant de déplacés fuyant les violences et les représailles (11). Parallèlement, le climat politique et sécuritaire devient de plus en plus répressif, marqué par une dégradation inquiétante des droits humains. Entre l'intensification des conflits, la répression des voix dissidentes et l'effondrement des structures sociales, le Burkina Faso semble donc s'enfoncer dans un processus durable de crise profonde.

Notes

1- Voir ici un article de Libération.

2- Léon Sampana, « La démilitarisation paradoxale du pouvoir politique au Burkina Faso », Les Champs de Mars, n° 28, pp. 34-49, 2015.

3- Jacobo Grajales, « Gouverner dans la violence. Le paramilitarisme en Colombie », Karthala, 2016.

4- Thibaut François, « Édifier l'État par la kalach. Les Comités de défense de la Révolution de Ouagadougou et le maintien de l'ordre ». Politique africaine, 2023/2 n° 170, pp. 63-83, 2023.

5- Tanguy Quidelleur, « Gouverner par les armes au Burkina Faso : militariser le pouvoir et milicianiser la société », Politique africaine, 2024/2 n° 174, pp. 157-181, 2024.

6- Tanguy Quidelleur, « Les dividendes de “la guerre contre le terrorisme” : milicianisation, États et interventions internationales au Mali et au Burkina Faso », Cultures & Conflits, 2022/1 n° 125, p. 115-138, 2022.

7- Voir Emergency Trust Fund for Africa ici

8- Une distinction doit néanmoins être faite entre les VDP nationaux, qui sont dans les faits majoritaires, sous la coupe du ministère de la Défense et formés dans les camps de l'armée, et les VDP communaux, rattachés au ministère de l'Administration territoriale, de la Décentralisation et de la Sécurité (MATDS). Ces derniers sont formés dans des commissariats ou dans des casernes de gendarmerie proches de leur localité.

9- Gilles Dorronsoro, Politiques de la violence. Organiser la lutte de la Colombie au Pakistan, Karthala, 2021, « Raison stratégique, hiérarchie ethnique et logique biopolitique. Notes sur la polysémie des massacres dans la guerre d'Afghanistan », chapitre 5, pp.109-125.

10- La Confédération générale des travailleurs du Burkina Faso a ainsi porté plainte en octobre 2023 pour des menaces contre ses membres.

11- Selon les Nations unies, ils étaient plus de 2 millions en 2023. Certaines ONG, de manière non officielle, avancent actuellement le chiffre de 3 millions.

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Algérie–Mali : une recomposition explosive du Sahel

29 avril, par La Rédaction de Mondafrique — , , ,
Dans la nuit du 31 mars au 1er avril 2025, l'armée algérienne a abattu un drone de reconnaissance armé de type Akıncı, appartenant aux forces maliennes, près de la localité (…)

Dans la nuit du 31 mars au 1er avril 2025, l'armée algérienne a abattu un drone de reconnaissance armé de type Akıncı, appartenant aux forces maliennes, près de la localité frontalière de Tinzaouaten. Alger affirme que l'appareil avait pénétré de 2 km dans son espace aérien, tandis que Bamako soutient que le drone opérait toujours en territoire malien.

Tiré de MondAfrique.

Pour mieux comprendre les dynamiques à l'œuvre, Akram KHARIEF, journaliste spécialisé en sécurité et défense et fondateur du site Mendéfense, ainsi que Raouf FARRAH, chercheur en géopolitique, livrent ici leur analyse.

L'affaire aurait pu se régler dans un cadre diplomatique discret. Elle a, au contraire, provoqué un séisme régional. Enjeu de souveraineté, guerre de récits, surenchères médiatiques, fermeture d'espaces aériens, rappels d'ambassadeurs, saisie du Conseil de sécurité de l'ONU. La solidarité immédiate des membres de l'Alliance des États du Sahel (AES) avec Bamako.

Mais ce drone ne tombe pas dans un ciel dégagé. Il s'écrase dans un paysage diplomatique déjà miné par la méfiance, les réalignements géopolitiques, les frustrations historiques et les jeux d'influence. Loin d'être un simple incident aérien, cette crise révèle une recomposition violente du Sahel, où l'Algérie voit son rôle de puissance médiatrice contesté.

De la médiation à l'hostilité

Historiquement, l'Algérie a joué un rôle central dans les tentatives de résolution du conflit malien. Sa médiation a conduit à la signature des Accords pour la Paix et la Réconciliation au Mali en 2015, texte fondateur censé stabiliser le rapport entre le pouvoir central de Bamako et les groupes indépendantistes du nord du pays. Mais depuis l'arrivée au pouvoir de la junte militaire malienne en 2020, et plus encore après le deuxième coup d'État de 2021, cette relation s'est inexorablement détériorée.

Selon Raouf Farrah cette crise n'est pas un accident isolé, mais le point culminant d'une détérioration lente et structurelle. Trois facteurs majeurs l'expliquent : la dénonciation unilatérale par Bamako des Accords de paix de 2015, le bouleversement des alliances régionales après le départ de l'opération Barkhane, et la montée d'un discours souverainiste agressif de la junte malienne, qui instrumentalise la confrontation pour renforcer sa légitimité.

Akram Kharief ajoute que cette rupture s'est traduite sur le terrain par une stratégie de confusion délibérée. En assimilant les groupes indépendantistes à des entités terroristes, Bamako a justifié une offensive militaire brutale dans le Nord. Résultat : exodes massifs vers la Mauritanie et l'Algérie conduisant à une pression humanitaire et sécuritaire sur les zones frontalières.

« L'arrivée des drones turcs fin 2022 a marqué un tournant, offrant à l'armée une capacité de frappe accrue. Il faut bien comprendre une chose : les autorités maliennes utilisent les drones essentiellement pour des frappes d'opportunité. Elles font décoller des appareils qui patrouillent et tirent des missiles sur ce qu'elles considèrent comme des groupes d'individus ou des véhicules suspects. La vérification intervient après coup, et très souvent, il s'agit de familles, de commerçants ou d'orpailleurs. Par ailleurs, la propagande médiatique malienne donne l'impression que la lutte contre le terrorisme est exclusivement localisé dans le nord du pays alors qu'en réalité, la majorité des groupes jihadistes se trouvent dans la région du Macina, dans le centre du pays et vers le sud. », précise le journaliste.

La guerre des récits

Dans ce climat déjà délétère, le drone Akıncı devient le prétexte d'une escalade verbale inédite.

Par un communiqué de son Ministère de la Défense, Alger déclare avoir abattu un drone qui a fait une incursion de 2 km sur son espace aérien. Il s'agit d'un appareil sophistiqué d'une valeur de 30 millions de dollars vendu par la Turquie.

De son côté, le Mali, par un contre-communiqué, dément cette version et affirme que le drone n'a jamais quitté son ciel, précisant même qu'il se trouvait à 10 km de la frontière algérienne.

Le ton monte entre Alger et Bamako : surenchère médiatique, accusations mutuelles. Bamako accuse Alger d'être sponsor du terrorisme ; Alger dénonce une junte militaire incompétente en quête de légitimité.

Pour Akram Kharief, il est peu pertinent de juger de la position finale du drone : « Un drone abattu en vol ne s'écrase pas forcément à l'endroit exact de l'impact. Il garde une inertie, une trajectoire. Le fait qu'il ait été retrouvé côté malien ne prouve rien. Simple question d'aérodynamisme ». D'autant plus que l'enregistreur de vol aurait été récupéré par des éléments du Front de Libération de l'Azawad (FLA), non par les forces maliennes. Les données disponibles à Bamako sont donc très partielles.

Raouf Farrah souligne le manque de crédibilité technique d'une enquête malienne dans une région qu'elle ne contrôle plus réellement : « Même à l'époque de l'opération Barkhane, ce sont les Français qui faisaient les vérifications. Aujourd'hui, sans emprise réelle sur le nord, il est peu plausible qu'ils aient une version fiable. »

Derrière les faits, une véritable guerre de récits s'installe. Certains analystes vont même jusqu'à avancer que l'Algérie protégerait tacitement Iyad Ag Ghali, fondateur d'Ansar Dine et leader actuel du JNIM, que le drone aurait eu pour mission de traquer.

Ces accusations, selon Kharief, relèvent de la posture politique plus que de faits établis. L'Algérie maintient des canaux de dialogue avec certains groupes armés, y compris le FLA, dans une logique de sortie de crise. Mais cette nuance est inacceptable pour un pouvoir malien qui assimile désormais toute opposition armée au terrorisme.

Selon Raouf Farrah, la question du terrorisme dans les relations entre l'Algérie et le Mali a toujours été ambivalente. D'un côté, elle a servi de cadre à la coopération sécuritaire et à la mutualisation des efforts dans la lutte contre les groupes extrémistes violents. De l'autre, elle a alimenté des tensions profondes et persistantes.

Le premier facteur de discorde, et c'est une réalité historique difficilement contestable, réside dans le fait que de nombreux islamistes radicaux ayant combattu en Algérie durant la décennie noire (années 1990) ont trouvé refuge dans le nord du Mali à la fin de cette période. Plusieurs des groupes armés aujourd'hui actifs au Mali ont été fondés ou renforcés par d'anciens combattants algériens, contribuant à brouiller les perceptions et à alimenter une méfiance durable entre Alger et Bamako.

Le second facteur tient à la proximité humaine et anthropologique entre le sud algérien et le nord malien. Ces deux régions partagent des liens culturels et historiques profonds. Plusieurs figures rebelles, à l'image d'Iyad Ag Ghali, ont évolué dans les deux sphères. Ancien membre du MNLA à visée indépendantiste, il s'est ensuite radicalisé pour fonder le groupe jihadiste Ansar Dine. Cette trajectoire illustre la porosité des affiliations dans la région et complique davantage les représentations réciproques.

Personne dans le rôle du médiateur

Pendant plus d'une décennie, l'Algérie a été perçue comme une puissance stabilisatrice au Sahel. Mais la dénonciation des Accords d'Alger, les attaques rhétoriques de la junte et l'émergence du bloc AES (Mali, Burkina, Niger) semblent avoir marginalisé ce rôle. La Russie, en soutenant les régimes putschistes via Wagner, a profité du vide laissé par la France tout en entrant en collision avec les intérêts algériens.

Wagner, selon Kharief, « n'est plus un simple instrument d'influence, mais un acteur économique et militaire autonome, qui contribue à la brutalisation du conflit malien. »

Une recomposition serait néanmoins en cours. L'Africa Corps, entité dépendante du ministère russe de la Défense, pourrait remplacer Wagner à terme. Cela ouvrirait une brèche diplomatique, et peut-être une opportunité pour Alger de réactiver un rôle d'arbitre. Mais cela suppose une clarification stratégique en amont.

La réaction de l'AES à l'incident du drone fut sans ambiguïté : soutien total au Mali. Le Niger, avant cette crise, était en phase de rapprochement avec Alger. La Sonatrach y mène des prospections prometteuses. Il était question de raccorder le pétrole nigérien aux infrastructures algériennes pour mutualiser les exportations. Sans oublier le projet de gazoduc transsaharien en provenance du Nigéria, qui devait passer par le Niger et aboutir en Algérie.

Tous ces projets semblent aujourd'hui mis entre parenthèses au profit d'un front commun contre Alger.

Cette unité idéologique du bloc AES masque toutefois des fragilités profondes. Comme le rappelle Kharief, « le nord du Mali est économiquement dépendant de l'Algérie. Carburant, électricité, vivres… tout vient du sud algérien. » Et aucun autre acteur, ni la Russie, ni la Turquie, ni les Émirats, ne peut combler ce vide logistique.

Farrah nuance : « L'économie est une béquille, mais c'est la politique qui décidera. L'Algérie doit penser en termes de coalitions. Miser sur la Mauritanie et le Niger, renforcer sa collaboration avec la CEDEAO, proposer une alternative aux États enclavés. »

Une doctrine à refonder : de l'idéologie à la stratégie

Au-delà de l'incident, la crise met en lumière une faiblesse structurelle de la diplomatie algérienne : son absence de vision renouvelée. Longtemps fidèle à une diplomatie de principe, héritée des années 60-70, Alger peine à s'adapter aux nouvelles règles d'un Sahel fragmenté, fluide, multipolaire.

« Cela fait vingt ans que l'Algérie improvise sa politique étrangère, déplore Kharief. Il n'y a pas de stratégie claire sur son rôle régional. Faut-il se tourner vers la Méditerranée, recréer un Maghreb, ou s'assumer comme puissance sahélo-africaine ? Cette question n'a jamais été tranchée. »

Farrah appelle à dépasser les réflexes sécuritaires et à sortir d'une posture défensive : « La politique extérieure est le prolongement de la politique intérieure. Sans réforme démocratique, il n'y aura pas de stratégie cohérente. Il faut favoriser la participation citoyenne dans une optique d'intelligence collective. »

Dans cette perspective, Akram Kharief propose une vision audacieuse : faire de Tamanrasset un pôle d'influence régional. « L'Algérie est un pays sahélien. Tamanrasset pourrait devenir la capitale du Sahel. Mais cela suppose un investissement massif dans le développement du sud, une équité territoriale réelle, et une politique d'influence par les infrastructures. »

Les menaces sécuritaires, conclut-il, sont des symptômes plus que des causes. « Elles s'atténueront naturellement »

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« 200 ans après la dette odieuse imposée à Haïti, NON au mépris persistant de la France »

29 avril, par Collectif — , , , ,
Un collectif de signataire juge insuffisantes les annonces du président de la République à l'occasion du bicentenaire de l'indépendance d'Haiti. Tiré de l'Infolettre du (…)

Un collectif de signataire juge insuffisantes les annonces du président de la République à l'occasion du bicentenaire de l'indépendance d'Haiti.

Tiré de l'Infolettre du CADTM 24 avril
Photo : Womin

Deux siècles après l'imposition d'une dette coloniale injustifiable à Haïti, la France continue de fuir ses responsabilités. Nous, collectifs, membres de la société civile et militant·e·s solidaires, exprimons notre profonde indignation face à la déclaration du président Emmanuel Macron, qui refuse toujours de reconnaître pleinement la nature odieuse de cette dette et d'engager le processus de réparation.

Nous, actrices et acteurs de la société civile, membres d'organisations de solidarité internationale et défenseur·e·s de l'autodétermination des peuples, unissons nos voix pour rappeler une vérité longtemps occultée : Haïti est la victime d'une dette injuste, d'un mal-développement structurel et d'une violence historique dont la France demeure comptable.

Il aurait été temps que justice soit faite, que la France reconnaisse officiellement la dette odieusequ'elle a imposée à Haïti.

Il aurait été temps qu'elle restitue ce qu'elle a extorqué. Qu'elle répare. Mais il n'en fut rien !

Le président Emmanuel Macron, ce 17 avril 2025, a manqué ce moment historique, sans geste solennel, sans discours à la hauteur des enjeux historiques et humains, il a esquivé le rendez-vous de ce bicentenaire en un silence assourdissant. Un mépris néocolonial de plus.

Une dette injuste, fruit de la vengeance coloniale

Haïti, première République noire indépendante, a conquis sa liberté en 1804 au terme d'une révolution antiesclavagiste exemplaire. Mais cette victoire fut lourdement sanctionnée : en 1825, la France imposa à cette jeune nation une indemnité de 150 millions de francs-or pour « indemniser » les anciens colons – une exigence inique, extorquée sous la menace des canons.

Cette dette, qualifiée à juste titre d'odieuse, fut en réalité une rançon qui a étranglé l'économie haïtienne pendant plus d'un siècle. Pour la payer, Haïti a dû emprunter aux banques françaises et européennes, entrant dans une spirale d'endettement et de dépendance. La dernière tranche fut remboursée en 1947 – mais les conséquences économiques, sociales et politiques de cette dette continuent de peser.

Un héritage colonial toujours vivant

Ce fardeau s'inscrit dans une continuité historique d'exploitation. Pillée pendant la colonisation, puis abandonnée à un ordre mondial inégal, Haïti fait aujourd'hui encore les frais d'un système où les puissances occidentales – dont la France – refusent de reconnaître leur responsabilité, où des Tonton Macoutes aux Gangs, est soumise à des régimes d'extrêmes droites d'une extrême violence…

À la dette coloniale s'ajoute désormais une dette climatique

Haïti, faiblement émettrice de gaz à effet de serre, subit pourtant les ravages des catastrophes climatiques, aggravés par la déforestation et l'insécurité alimentaire.

À cela s'ajoutent des décennies d'ingérences étrangères – notamment américaines – qui ont contribué à déstabiliser les institutions haïtiennes, remis en cause son agriculture, favoriser la corruption et les violences armées, et priver le peuple de sa souveraineté.

Un mal-développement structurel imposé

Haïti, autrefois surnommée « la perle des Antilles », est aujourd'hui prisonnière d'un mal-développement structurel : santé, éducation, infrastructures, sécurité – tout est en crise. Les urgences se superposent : violences extrêmes, féminicides, contrôle de territoires par des groupes armés, catastrophes naturelles, effondrement institutionnel.

Ce drame n'est pas le fruit du hasard. Il est le résultat d'une histoire de spoliation, de domination, de silence.

Nous exigeons : justice, restitution, réparation

Face à cela, nous exprimons notre profonde indignation.

Nous attendions de la France un acte fort, historique, symbolique et concret.

Mais une fois encore, l'État français s'est dérobé à ses responsabilités.

Nous appelons donc à une mobilisation internationale pour exiger :

La reconnaissance officielle et sans ambiguïté de la dette odieuse imposée à Haïti ;

La restitution immédiate des sommes extorquées ;

Le versement de réparations justes et appropriées pour les crimes coloniaux et l'esclavage ;

Un soutien concret, sans ingérence, aux institutions haïtiennes et à la société civile ;

L'annulation de toute dette actuelle illégitime et un engagement réel en faveur d'un développement juste et durable.

Haïti mérite un avenir digne, libre, éclairé. Le peuple haïtien mérite justice.

Nous ne nous tairons pas. Nous resterons mobilisé·es.

Pour Haïti. Pour la mémoire. Pour la vérité. Pour la justice.

PREMIERS SIGNATAIRES :

La Plateforme Française de solidarité avec Haïti (PFSH)

Françoise Vergès, auteure, militante

Frédéric Thomas, politologue spécialiste d'Haïti, chargé d'études au Centre tri-continental (CETRI) à Louvain-la-Neuve (Belgique) et auteur de l'ouvrage Haïti notre dette

Verónica Carrillo Ortega, Promotora pour la Suspension du paiement de la dette publique au Mexique, membre du réseau CADTM AYNA, Mexique

Camille Chalmiers, économiste, professeur, représentant de la Plateforme Haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA), membre du réseau CADTM-AYNA et CADTM Internacional

Thérèse Di Campo, photojournaliste indépendante

Murielle Guibert & Julie Ferrua, Union Syndicale Solidaires

Laurence MARANDOLA, Porte-Parole de la Confédération Paysanne

Maxime Perriot – CADTM International

Fabien Cohen, secrétaire général de France Amérique Latine et Caraïbes (FAL) et conseil d'administration du CRID

Ruth Pierre, Haut conseil de coopération et de développement pour Haïti ; cofondatrice Ayiti Chanje

Jean-Pierre Giordani, Président Centre Anacaona droits humains Haïti (CADHH)

Jane-Léonie Bellay, militante Enjeux et Mobilisations Internationales, ATTAC France

Priscillia Ludosky, Présidente du CLSE

Sadrac Charles, Festival Haïti Monde ; cofondateur Ayiti Chanje

Samuel Colin, Forum Haïtien pour la paix et le développement durable (FOHPDD)

Ornella Braceschi, Présidente Collectif Haïti de France (CHF)

Mackendie Toutpuissant, Président d'honneur de la Plateforme des associations franco- haïtiennes de France (PAFHA)

Marie-Michelle Legrand, Vice-Présidente de Konbit Agency

William Rolle pour l'association ASSOKA asosyation solidarité karayb

Christian Mahieux, syndicaliste & éditeur

Nils Anderson, Agir contre le colonialisme (ACCA)

Capdevielle Colette, députée Parti Socialiste, Bayonne

Adja Meissa Gueye, secrétaire générale de l'ADDEA Sénégal

Serigne Sarr, membre de l'association pour la Défense des droits à l'eau et à l'assainissement (ADDEA), Sénégal

Clémence Lukeba Dialakana, fondatrice du Parlement des Femmes, militante Franco-Congolaise

Tania Nioka, présidente de l'association Rdjeunes

ILUNGA Désiré, Co-fondateur de Team-Congo

Nasteho Aden, conseillère municipale et territoriale Stains, présidente carré citoyen, afroféministe

Augusta Epanya Coordinatrice générale de la Dynamique Unitaire Panafricaine, Cameroun

Gérard Halie, ancien co-secrétaire national du Mouvement de la Paix

Collectif Viêtnam Dioxyne

Union pour le Reconstruction Communiste (URC)

HAUT COMMISSARIAT DES CONGOLAIS HCCF-E

Réseau syndical international de solidarité et de luttes

Synergie Outre-Mer

Christian Mahieux, syndicaliste & éditeur

Patricia Pol, militante Attac France

David Redon, militant Guyanais

CUSSEY Marie-Claire, militante Guadeloupe

Paul Laury-Ann, militant Martinique

Morland Lourdy

Rudy Louis-Philippe

Saskia Lissa Maria Vierheilig

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Source : L'Humanité

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Déclaration du comité exécutif régional de l’Assemblée des peuples de la Caraïbe sur la rançon imposée par la France au peuple haïtien

29 avril, par Camille Chalmers — , ,
Le Comité Exécutif Régional de l'Assemblée des Peuples de la Caraïbe tient à exprimer son indignation à l'occasion du 200e anniversaire de la rançon imposée à Haïti à travers (…)

Le Comité Exécutif Régional de l'Assemblée des Peuples de la Caraïbe tient à exprimer son indignation à l'occasion du 200e anniversaire de la rançon imposée à Haïti à travers une ordonnance du Roi de France Charles X du 17 avril 1825, exigeant le paiement d'une somme exorbitante de 150 millions de francs or comme condition pour la reconnaissance de l'indépendance arrachée sur le champ de bataille 21 ans plus tôt.

Tiré du site web du CADTM

À l'occasion de ce douloureux anniversaire, l'Assemblée des Peuples de la Caraïbe lance un vibrant appel à la mobilisation générale pour exiger à la France le remboursement intégral des sommes extorquées à la jeune république. Nous exigeons également le paiement de réparations appropriées pour les torts immenses et durables causés à Haïti par plus de 300 ans d'esclavage et par l'ordonnance odieuse du 17 avril 1825.

Depuis l'éclatante victoire des populations réduites à l'esclavage en Haïti et la proclamation d'une nouvelle République indépendante le 1er janvier 1804, l'empire français a tout fait pour asphyxier la jeune nation, la replacer sous le joug colonial et rétablir l'esclavage. L'ordonnance de 1825 n'est pas une simple arnaque, mais participe du combat des puissances capitalistes contre la liberté et les droits des peuples. La France des Bourbons, qui veut rétablir la monarchie, souhaite reconstituer un ordre colonial ébranlé et rétablir l'institution de l'esclavage, comme le démontrent les documents saisis par Henry Christophe quelques années auparavant dans la valise d'un des émissaires venus négocier une « indemnité » en faveur des colons esclavagistes.

L'ordonnance cherche, en plus de punir ceux et celles qui ont osé défier l'ordre colonial, à effacer la victoire de 1803 et réinsérer l'économie haïtienne dans le système mondial en assurant la continuité du pillage. Il est vital pour le système capitaliste mondial de démontrer que les peuples opprimés ne peuvent et ne doivent pas se révolter et que tout processus s'inspirant de la geste haïtienne ne peut conduire qu'à un douloureux échec.

Il est important de souligner que les coutumes de l'époque qui n'ont jamais cessé d'être appliquées pendant de longs siècles voulaient qu'à la fin d'une guerre, c'est le camp défait qui doit verser des indemnités au vainqueur. Nous avons gagné la guerre et nous avons dû payer aux vaincus. Les circonstances à travers lesquelles cette rançon a été imposée ne laissent aucun doute sur le caractère odieux de l'opération. La commission dirigée par le baron Mackau venue imposer cette rançon était accompagnée de plusieurs navires de guerre équipés de plus de 500 canons. Avec bien sûr, la menace de détruire la ville de Port-au-Prince en cas de refus de signer du Président Boyer. Il s'agit d'un cas emblématique de dette odieuse telle que définie depuis la fin du XIXe siècle et formalisée par Alexander Sack en 1927.

Dans le texte de cette infâme ordonnance, le nom d'Haïti n'est jamais mentionné. On parle des habitants de la partie occidentale de l'ile de Saint-Domingue.

Il faut souligner plusieurs éléments :

a) l'importance centrale de la colonie de Saint-Domingue, qui générait 40% de la production mondiale de sucre de canne et représentait une source fabuleuse d'accumulation pour les capitalistes français ;

b) La radicalité de la révolution haïtienne, qui alliait indépendance, autodétermination des Peuples, révolution sociale, antiesclavagisme, internationalisme et panafricanisme révolutionnaire et qui a postulé une vraie mondialisation des droits humains en se basant sur le principe de l'égalité de tous les êtres humains (« tout moun se moun »).

En 1838, suite à de longues et difficiles négociations, le montant de la dette est réduit à 90 millions de francs or. Mais ce nouvel accord renforce des conditions déjà imposées par l'ordonnance, qui structurent de nouveaux rapports de dépendance entre Haïti et la France. Dans cet accord Haïti est obligé de vendre son café à un prix réduit de 50% par rapport au prix pratiqué sur le marché mondial et doit accorder des préférences aux navires français arrivant aux ports d'Haïti, qui ne devront payer que 50% des droits de douane exigés par les douanes du pays.

Comment est-on arrivé au chiffre initial de 150 millions de francs or ? On a calculé la valeur des plantations perdues par les colons esclavagistes à la suite de la révolution haïtienne et la valeur des exportations de denrées. Dans ce calcul, on inclut la valeur marchande des esclavagisés. L'esclavage avait été aboli à Saint-Domingue en 793 et en France en 1794. L'ordonnance de Charles X réaffirme que les hommes ne sont que des objets destinés à fournir des profits aux propriétaires de capitaux. L'un des messages les plus puissants de la révolution haïtienne, c'est de proclamer qu'aucun être humain ne peut être traité comme une marchandise et l'égalité radicale de tous les êtres humains (« Tout moun se moun »). La révolution haïtienne est une avancée décisive vers la démarchandisation indispensable à la mise en place de sociétés libérées de toute forme d'oppression.

La loi Taubira de mai 2001, votée par le Parlement français, reconnait que l'esclavage est un crime contre l'humanité. Nous souhaitons que le combat pour la restitution intégrale des sommes colossales volées au Peuple haïtien s'articule aux justes revendications de la CARICOM. Celles-ci réclament des réparations pour le crime de l'esclavage commis pendant plusieurs siècles par les puissances européennes. Dans les débats animés qui ont suivi l'acceptation par le Gouvernement et le Sénat haïtiens, un écrivain haïtien suggérait que la France devrait tôt ou tard payer les salaires non versés aux africain·es réduit·es en esclavage sur notre sol pendant plus de 300 ans et qui ont généré un impressionnant volume de profits pour les classes dominantes européennes.

Le paiement de la rançon a eu des conséquences dévastatrices sur la société haïtienne. Pour citer un exemple, selon les archives des Institutions bancaires françaises, le service de la dette versé par l'État haïtien en mai 1841 a été acheminé dans des caisses pesant 1968 kilogrammes et contenant 85 961 pièces d'or. Le service de cette ignominie a généré une extraordinaire hémorragie de ressources financières qui a conditionné les finances haïtiennes pendant 127 années. Soulignons que les 150 millions de francs or réclamés en 1825 représentaient 10 fois les recettes fiscales annuelles de l'État et 300% du PIB annuel haïtien. Pour acquitter les versements annuels dès 1828, l'État haïtien a dû emprunter à des banques françaises qui ont appliqué des taux usuraires et des pratiques déloyales. Le fait de consacrer l'essentiel des recettes fiscales (parfois plus de 70%) au paiement du service de cette rançon a bloqué le processus de construction nationale et paralysé les investissements publics dans les infrastructures de base, les services essentiels d'éducation et de santé publique. Face au manque de liquidités pour honorer le service annuel de la rançon, l'État haïtien a dû vendre un volume important de bois précieux sur le marché international, accélérant le processus de déforestation déjà entamé à l'époque de la colonisation française. Des milliers de tonnes d'acajou, de gaïac, de campêche ont été abattus, ce qui a déstabilisé nos écosystèmes agricoles et a entrainé une diminution de la productivité de l'économie paysanne.

Le montant des valeurs que la France doit rembourser immédiatement doit faire l'objet d'études approfondies. Le Président Jean Bertrand Aristide parlait de 21,7 milliards de dollars US, l'économiste Thomas Piketty évoque un remboursement incontournable de 28 milliards de dollars US et d'autres études évaluent ce remboursement à au moins 115 milliards de dollars US en comptabilisant ce que de nombreux historiens appelant la double dette. Ces sommes ne représentent qu'une faible portion des torts immenses causés à la jeune république. Le montant de la restitution des sommes volées par la France doit être fixé par le Peuple haïtien, en particulier la paysannerie, qui a souffert très douloureusement des ravages provoqués par cette domination néocoloniale. Le Peuple haïtien doit être le principal acteur des processus de reconstruction. Il devra fixer le montant de la restitution et définir un processus pour des réparations appropriées. Il ne saurait accepter des mécanismes de remboursements qui, tout comme l'ordonnance de Charles X, remettent en question ou violent sa souveraineté et sa dignité.

Le combat que nous menons aujourd'hui avec le Peuple haïtien pour exiger justice, restitution et réparation revêt une dimension symbolique importante et est au cœur des combats contre le néocolonialisme, l'impérialisme et tous les mécanismes de la domination capitaliste qui réduisent nos Peuples à la faim, la misère, la surexploitation et le désespoir.

Nous demandons aux Peuples du monde du monde d'exiger à la France le paiement intégral des sommes volées en Haïti. Ce paiement ne saurait être inférieur aux 115 milliards de dollars qui ne peuvent compenser qu'une partie des dégâts et préjudices causés par cette rançon criminelle. Nous demandons également aux Peuples du monde entier de se soulever contre la domination capitaliste en s'associant aux valeurs cardinales de justice, de solidarité et de dignité portées par la grande la révolution haïtienne de 1804.

Non à l'esclavage de la dette ! Non à la marchandisation des êtres humains !
Vive la solidarité révolutionnaire des Peuples !
La France doit rembourser immédiatement les sommes extorquées au Peuple haïtien !
Haïti doit enfin sortir de plus de 200 ans de solitude imposée par les puissances impérialistes !

Camille Chalmers
Économiste, professeur, représentant de la Plateforme Haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA), membre du réseau CADTM-AYNA y CADTM Internacional.
https://www.cadtm.org/Declaration-du-comite-executif-regional-de-l-Assemblee-des-peuples-de-la

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Haïti, entre promesses et trahisons, un pays dont la jeunesse s’éteint dans l’oubli

29 avril, par Smith Prinvil — , ,
La situation actuelle d'Haïti, c'est celle d'un pays dont les fondations se fissurent sous le poids de l'inaction et de l'indifférence. Et au centre de ce naufrage, une (…)

La situation actuelle d'Haïti, c'est celle d'un pays dont les fondations se fissurent sous le poids de l'inaction et de l'indifférence. Et au centre de ce naufrage, une jeunesse qui se noie dans l'oubli, dans le déni.

Ces jeunes, pourtant porteurs de l'avenir, se retrouvent aujourd'hui pris dans un tourbillon d'incertitudes et d'injustices qui les condamnent à une existence de survie sans espoir réel de changement. Le système éducatif qui s'effondre, la violence omniprésente, et un manque cruel de perspectives sont les chaînes invisibles qui les enserrent.

D'un côté, les élites haïtiennes continuent de tirer profit d'une situation qu'elles contribuent à entretenir, se prélassant dans un confort que le peuple ne connaît que par le biais de leurs discours creux. Ces discours qui ne servent qu'à masquer l'incapacité chronique des gouvernements successifs à assurer un minimum d'ordre et de stabilité dans le pays. Ce qu'il faut comprendre, c'est que ces jeunes ne sont pas les victimes du seul contexte haïtien. Ils sont les victimes d'une politique internationale qui, par son ingérence, continue de maintenir Haïti dans un état de dépendance et de chaos.

Le vrai danger, dans cette situation, c'est la perte de repères et le désenchantement grandissant qui ronge les jeunes. Ceux qui ont encore l'espoir de voir le pays changer, de participer à sa reconstruction, sont de plus en plus désillusionnés, voyant les portes de l'avenir se refermer une à une. Leurs talents, leurs ambitions, leurs rêves se heurtent à un mur invisible : un système qui ne fonctionne pas pour eux. Et chaque jour, ce système les ignore un peu plus, les piétine un peu plus.

Dans cette réalité, les jeunes deviennent des invisibles : pris entre l'illusion du progrès et l'angoisse du quotidien, ils se trouvent à la croisée des chemins. Le choix de partir, de s'exiler ou de rester, n'est plus un véritable choix. C'est une fuite. Une fuite à la fois physique et psychologique. Parce que dans les esprits des jeunes, Haïti n'est plus un pays d'espoir. C'est un pays de désespoir.
Ceux qui détiennent le pouvoir doivent comprendre que ce sont les jeunes qui feront ou déferont l'avenir d'Haïti. Mais pour cela, il faut d'abord leur redonner leur place, leur voix, leurs droits. Une jeunesse ignorée est une jeunesse perdue. Il est urgent de créer un véritable projet de société qui leur redonne confiance, un projet qui les inclut, les respecte et leur permet d'être acteurs et non spectateurs de leur avenir. Les jeunes haïtiens n'ont pas besoin de charité, ils ont besoin d'égalité des chances, d'une éducation de qualité, d'un système de santé fonctionnel, et d'un environnement qui favorise leur épanouissement.

Haïti, comme tant d'autres pays, peut se relever. Mais cela ne pourra se faire sans une prise de conscience collective. La politique haïtienne ne peut plus se permettre de jouer à l'autruche face à la réalité des jeunes. Le silence et l'inaction sont des complicités dans leur déclin. Parce que chaque jeune qui abandonne, chaque rêve brisé, chaque départ précipité est un échec cuisant pour la nation.

Il est grand temps de choisir quel héritage nous voulons laisser à la prochaine génération : celui de l'inaction et de la désillusion, ou celui de la transformation, de l'espoir et de la renaissance. Mais pour cela, il faudra avant tout une réflexion collective, un changement radical de vision, et une action urgente.

La jeunesse haïtienne mérite plus que des promesses creuses. Elle mérite un véritable avenir. Celui qu'on lui a trop longtemps volé.

Smith PRINVIL

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États-Unis-Amérique Latine : retour de la politique du gros bâton et doctrine Monroe 2.0

La rhétorique agressive et la stratégie de pression maximale adoptées par l'administration Trump vis-à-vis de l'Amérique latine marquent le retour d'une politique étrangère (…)

La rhétorique agressive et la stratégie de pression maximale adoptées par l'administration Trump vis-à-vis de l'Amérique latine marquent le retour d'une politique étrangère plus interventionniste et coercitive de la part des États-Unis. Visant notamment à contrer l'influence chinoise, cette approche pourrait cependant compromettre, à plus long terme, les intérêts étatsuniens dans la région tout en faisant le jeu de la Chine.

20 avril 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/20/etats-unis-amerique-latine-retour-de-la-politique-du-gros-baton-et-doctrine-monroe-2-0/

La crise diplomatique aura été de courte durée. Dimanche 26 janvier 2025, s'insurgeant contre la politique de rapatriement forcé mise en œuvre par Donald Trump immédiatement après sa prise de fonction, le président colombien Gustavo Petro annonce que son pays n'acceptera pas de laisser atterrir sur son sol les avions militaires bondés de migrant·es expulsé·es des États-Unis. Cinglante, la réponse du locataire de la Maison-Blanche ne s'est pas fait attendre. Dans un post publié sur son réseau social Truth Social, il désavoue publiquement le président colombien et brandit la menace de dures sanctions économiques et diplomatiques : « Je viens d'apprendre que deux vols de rapatriement en provenance des États-Unis, avec un grand nombre de criminels illégaux, n'ont pas été autorisés à atterrir en Colombie. Cet ordre a été donné par le président socialiste colombien Gustavo Petro, déjà très impopulaire auprès de son peuple. Le refus de Petro d'autoriser ces vols a mis en danger la sécurité nationale et la sécurité publique des États-Unis, j'ai donc ordonné à mon administration de prendre immédiatement [des] mesures de représailles urgentes et décisives […] » [1]. S'ensuivra un bras de fer asymétrique qui fera plier quelques heures plus tard le gouvernement Petro… et claironner le président étatsunien.

Une sérieuse mise en garde

Abondement commenté par la presse internationale, l'épisode sonne comme une sérieuse mise en garde adressée aux pays d'Amérique latine qui n'accepteraient pas d'embrasser les objectifs de politique intérieure et extérieure électoralistes de Donald Trump. Menaçant de sanctions un pays longtemps réputé comme l'un des plus fidèles alliés de Washington – du moins jusqu'à l'arrivée au pouvoir de la gauche –, il signale l'ambition des États-Unis d'imposer un nouveau rapport de forces à l'Amérique latine pour y imposer son agenda. De renouer en quelque sorte avec la politique du « gros bâton » [2] (big stick), dans ce qui apparait comme une résurrection de la doctrine Monroe – cette vieille doctrine impérialiste utilisée autrefois comme prétexte à des interventions militaires sur le continent – sur fond d'enjeux migratoires et commerciaux, mais aussi de rivalité et de lutte d'influence croissantes entre les États-Unis et la Chine pour le contrôle des marchés, des chaines de valeurs et des ressources [3].

Beaucoup avaient prédit un tournant isolationniste radical pour ce second mandat de Donald Trump. Les premières déclarations du président élu annoncent plutôt la résurgence d'une politique hégémonique à visées expansionnistes.

Une doctrine Monroe 2.0

Beaucoup avaient prédit un tournant isolationniste radical pour ce second mandat de Donald Trump. Les premières déclarations du président élu – menaces d'annexion de la Zone du canal de Panama (rétrocédée en 1999, un peu plus de vingt ans après l'accord Torrijos-Carter) et du Groenland, si nécessaire par la force ; pressions irrédentistes sur le Canada ; volonté de rebaptiser le Golfe du Mexique et d'inscrire les cartels mexicains dans la liste des groupes terroristes, ce qui ouvrirait la voie à de possibles interventions extraterritoriales, etc – suggèrent le contraire. Elles annoncent plutôt la résurgence d'une politique hégémonique à visées expansionnistes.

Certes, ces rodomontades doivent être prises avec précaution, le président étatsunien étant coutumier des effets d'annonce et des provocations ! Pour autant, aussi extravagantes soient-elles, elles traduisent bien une rupture nette avec les politiques de bon voisinage et les rapports « relativement cordiaux » que les administrations démocrates antérieures ont entretenues avec les pays latino-américains. Aux antipodes d'un isolationnisme strictement appliqué, l'« America First serait [en réalité] une doctrine Monroe réactivée », note Hal Brands, professeur d'histoire et de relations internationales à l'Université John Hopkins : « Le retrait des États-Unis des avant-postes du Vieux Monde préfigurerait des efforts plus musclés pour préserver l'influence américaine dans le Nouveau Monde et empêcher ses rivaux d'y prendre pied » [4].

Tandis que John Kerry, secrétaire d'État de Barack Obama, avait annoncé en 2013 que l'ère de la doctrine Monroe était révolue, Trump entend lui donner une seconde jeunesse, tout comme nombre de cadors du Parti républicain et de sa frange MAGA (pour « Make America Great Again ») la plus radicale. Ils n'en ont jamais fait mystère. En 2019, déjà, l'ex-conseiller de Trump à la sécurité nationale, John Bolton, tombé depuis en disgrâce, proclamait « fièrement pour que tout le monde l'entende : la doctrine Monroe est bien vivante » [5]. À sa suite, des sénateurs et représentants républicains ont tenté de faire adopter des résolutions pour (re)confirmer sa validité. Plus récemment, certaines de ces voix les plus influentes ont multiplié les propos menaçants envers plusieurs pays d'Amérique latine, Mexique et Venezuela en tête, ressuscitant le spectre d'une forme d'impérialisme brut que l'on croyait révolu. Devant l'Assemblée générale des Nations unies, le président milliardaire lui-même avait fait part de son intention de réhabiliter la vieille doctrine pour préserver « la sécurité et les intérêts vitaux » des États-Unis : « Depuis le président Monroe, notre pays a pour politique officielle de rejeter l'ingérence des nations étrangères dans cet hémisphère et dans nos propres affaires. » À ceci près que l'avertissement ne s'adressait cette fois plus aux ex-puissances européennes et à l'ex-Union soviétique, mais principalement à la Chine et à ses alliés réels ou fantasmés [6].

Contrer l'influence de la Chine en Amérique latine, limiter sa mainmise sur les ressources du continent appelé à jouer un rôle clé dans la transition énergétique, tel est en effet l'une des priorités de l'administration étatsunienne en matière de politique étrangère (avec la lutte contre le narcotrafic et la question migratoire, érigée elle aussi en enjeu de sécurité nationale). Comme l'illustrent les déclarations hystériques de Trump et d'autres responsables gouvernementaux sur la construction, avec des capitaux chinois, du port de Chancay au Pérou, et la soi-disant mainmise de Pékin sur le canal de Panama, cette priorisation annonce le retour en force du hardpower étatsunien pour endiguer la « menace » chinoise en Amérique latine, et y ravive un nouveau climat de guerre froide.

Contrer l'influence de la Chine en Amérique latine, limiter sa mainmise sur les ressources du continent, appelé à jouer un rôle clé dans la transition énergétique, tel est en effet l'une des priorités de l'administration étatsunienne en matière de politique étrangère (avec la lutte contre le narcotrafic et la question migratoire, érigée elle aussi en enjeu de sécurité nationale).

Le bâton et la carotte

« Qu'est-ce que cela signifie pour l'Amérique latine ? », s'interroge l'intellectuel marxiste et ex-vice-président bolivien, Álvaro García Linera. « Elle va se retrouver prise dans la dispute entre une Chine en expansion, qui repose sur des chaines de valeurs globales, et des États-Unis en contraction, qui ont besoin de régionaliser leurs chaines de valeurs. L'Amérique latine est déjà liée à la Chine par des chaines de valeurs globales, mais les États-Unis veulent l'intégrer dans leur sphère d'influence. La Chine à l'avantage, car elle dispose d'argent pour investir. Les États-Unis en manquent. Face à ce manque de ressources, on peut s'attendre à ce que les États-Unis choisissent la voie de la force pour imposer cette régionalisation des chaines de valeurs » [7].

Il est toutefois peu probable que les nouvelles ambitions hégémoniques des États-Unis en Amérique latine débouchent sur de nouvelles aventures guerrières. Rappelons que malgré la rhétorique belliqueuse de Trump à l'égard du Venezuela durant son premier mandat, l'option militaire a très vite été écartée au profit d'un durcissement des sanctions [8]. Plutôt que des interventions militaires directes, Washington privilégiera sans doute des stratégies d'intimidation, le chantage permanent, les classiques menaces de représailles et des mesures de coercition économique pour imposer l'agenda de l'« America First ». Dans le collimateur, les pays qui s'opposeraient à la politique de refoulement des migrant·es, ceux qui renforceraient davantage encore leurs liens avec la Chine, dans le cadre notamment du projet de « Nouvelles routes de la soie », ainsi que ceux qui chercheraient à s'affranchir du dollar pour financer leurs échanges commerciaux ou aspireraient à rejoindre les BRICS. Dans cette logique, la menace d'une hausse de 100% des droits de douane sur les importations en provenance des pays des BRICS cible directement le Brésil, tout en envoyant un avertissement clair au Mexique, à la Bolivie et au Venezuela [9].

Plutôt que des interventions militaires directes, Washington privilégiera sans doute des stratégies d'intimidation, le chantage permanent, les classiques menaces de représailles et des mesures de coercition économique pour imposer l'agenda de l'« America First ».

Afin de renforcer les positions étatsuniennes dans la région, cette doctrine Monroe modernisée veillera également à attiser les divisions au sein du sous-continent. À diviser pour régner en quelque sorte. En marginalisant les pays jugés hostiles ou tout simplement réfractaires aux demandes de Washington, en bridant les ambitions de ceux qui, à l'image du géant brésilien, aspirent à un rôle fédérateur dans la région, et en s'appuyant sur des alliés loyaux. On pense bien sûr à Javier Milei en Argentine, à Daniel Noboa en Équateur, à Santiago Pena au Paraguay et à Nabil Bukele au Salvador. En échange de leur allégeance et de leur soutien, ceux-là devraient bénéficier pleinement des prodigalités de l'Oncle Sam : accords commerciaux avantageux, investissements, crédits, aides, etc.

Le bâton pour les uns, la carotte pour les autres en somme. Récompenser les fidèles, sanctionner les récalcitrants, tels seront les deux principaux leviers de cette nouvelle diplomatie assumée de la force et de la domination. Ce que confirme un journaliste du média ultraconservateur Washington Free Beacon dans un article portant sur la nomination de Marco Rubio au Secrétariat d'État : « Limiter l'influence chinoise sera plus difficile que de chasser les Soviétiques, mais récompenser les amis de l'Amérique et punir ses adversaires pourraient grandement contribuer à rendre l'économie du pays [plus grande] et sa frontière plus sûre » [10].

Les nouveaux alliés des États-Unis en Amérique latine ne seront toutefois pas les seuls vecteurs de leur politique hégémonique. Dans les pays peu disposés à s'aligner sur les intérêts étatsuniens, Washington devrait également apporter son soutien aux forces d'opposition aux gouvernements en place, en particulier à celles qui s'inscrivent dans l'agenda politico-culturel du trumpisme. Au cœur d'une nouvelle diplomatie idéologique, ces forces conservatrices pourraient être activement mobilisées pour promouvoir les intérêts des États-Unis et servir de fer de lance à d'éventuelles manœuvres de déstabilisation. Cette ingérence politique devrait devenir encore plus manifeste au cours des quatre prochaines années, exacerbant ainsi la polarisation idéologique dans ces pays. Il suffit de rappeler le rôle joué par l'actuel secrétaire d'État dans le coup d'État en Bolivie [11] ou encore la campagne de diabolisation orchestrée par Elon Musk contre un juge de la Cour suprême brésilienne, qui a contribué à remobiliser l'extrême droite bolsonariste dans la rue en soutien au milliardaire [12]. Au Brésil, le retour de Trump au pouvoir et l'arrivée de Musk dans son administration pourraient d'ailleurs donner un nouvel élan aux partisans de l'ex-président, affaiblissant Lula sur le plan politique et compromettant les perspectives de réélection de la gauche en 2026.

Il est cependant trop tôt pour tirer des conclusions définitives sur l'évolution des relations entre les États-Unis et l'Amérique latine dans les années à venir. D'autant plus que les déclarations tonitruantes de Trump, improvisées et circonstancielles, compliquent l'analyse. Reste que ce scénario était envisagé déjà – et même encouragé – bien avant la victoire de Trump par les principaux think tanks du Parti républicain. Ainsi, James Joy Carafano, expert en sécurité nationale et ancien vice-président de l'Heritage Foundation, l'un des principaux laboratoires d'idées ultraconservateurs, écrivait quelques mois avant la victoire de Trump :

« Tout comme l'agenda America First de M. Trump [lors de son premier mandat] n'a pas adopté de politiques isolationnistes dans la pratique, une version trumpienne de la doctrine Monroe ne mettrait probablement pas en œuvre des politiques identiques à celles du 19e et du début du 20 siècle, qui avaient façonné le concept de défense hémisphérique lorsque les États-Unis imposaient leur hégémonie régionale sur l'Amérique latine. Au contraire, une nouvelle doctrine Monroe consisterait en des partenariats entre les États-Unis et des nations de la région partageant les mêmes objectifs, tels que l'atténuation de l'influence de la Russie, de la Chine et de l'Iran, ainsi que la lutte contre la migration irrégulière. Ces objectifs impliqueraient également le rejet de l'agenda du Forum de São Paulo et la promotion des valeurs traditionnelles en matière de vie, de famille, de genre, de religion et de questions culturelles. Cette version […] de la doctrine Monroe devrait comporter trois volets […] Les États-Unis chercheront à renforcer immédiatement leurs relations bilatérales avec les gouvernements de l'hémisphère partageant des agendas similaires, comme l'Argentine et le Paraguay. En retour, ces partenaires régionaux devraient s'attendre à des investissements étrangers directs plus importants de la part des États-Unis […] Les politiques américaines envers Cuba, le Venezuela et la Bolivie, en particulier, se durciraient » ; [et les États-Unis feraient preuve d'une] « fermeté bienveillante » envers les régimes régionaux stratégiquement importants, mais dirigés par des leaders ne partageant pas l'agenda conservateur de M. Trump. Cela inclurait le Brésil, la Colombie, le Guatemala et le Mexique » [13].

Au vrai, il n'y a là rien de très nouveau par rapport aux politiques menées par Trump durant son premier mandat voire. Et même, dans une moindre mesure, par ses prédécesseurs démocrates. Ce à quoi il faut s'attendre dans les prochaines années, c'est principalement à leur intensification, sinon leur radicalisation.

Le retour en force du hardpower étatsunien dans la région pourrait cependant produire l'effet inverse de celui escompté par Washington. Et se traduire, à plus long terme, par un déclin, potentiellement irréversible, de l'influence des États-Unis dans la région.

Une aubaine pour la Chine… Et l'Amérique Latine.

Pour commencer, il faut rappeler une évidence : le caractère incontournable de la Chine pour l'Amérique latine. D'abord, en tant que premier partenaire commercial du continent et principal investisseur et maître d'œuvre en matière d'infrastructures. Ensuite, comme fournisseur essentiel de capitaux, de prêts, d'aides et de technologies. Les économies chinoise et latino-américaines sont de fait aujourd'hui tellement interdépendantes qu'il est illusoire de croire que ces pays seraient disposés à sacrifier leurs relations avec Pékin pour se conformer aux exigences des États-Unis. Réalisme économique oblige, même les voix les plus proches de Washington et critiques envers Pékin y ont renoncé. Après une posture initialement hostile, l'ex-président brésilien Jair Bolsonaro et l'Argentin Javier Milei ont ainsi rapidement revu leur position et adopté une approche plus conciliante.

Contrairement à Washington, la Chine, par ailleurs, ne conditionne pas son soutien, prône une coopération fondée sur l'égalité et respecte la souveraineté des États, ce qui en fait également un partenaire fiable et prévisible aux yeux des dirigeants latino-américains, à l'opposé des politiques fluctuantes des États-Unis, sous Trump en particulier.

Dans ces conditions, la stratégie de confrontation et de pression maximale adoptée par Trump permettra certes à son administration d'engranger quelques succès médiatiques, comme en témoignent l'épisode colombien, la décision du gouvernement panaméen de ne pas renouveler son accord avec la Chine, ou encore les concessions obtenues de force auprès du Mexique et du Canada après des menaces tarifaires. Cette approche pourrait cependant rapidement s'essouffler, devenir contre-productive et, à terme, se retourner contre les États-Unis en renforçant la position de la Chine dans la région.

Expérimentée sous le premier mandat de Trump, cette politique agressive avait d'ailleurs déjà montré toutes ses limites. « Avec le recul, la stratégie de Trump en Amérique latine a échoué à atteindre ses objectifs », note ainsi Oliver Stuenkel, professeur de relations internationales à la Fondation Getúlio Vargas. Malgré des sanctions paralysantes et une rhétorique menaçante, les régimes du Nicaragua, du Venezuela et de Cuba – que Bolton avait qualifiés de « Troïka de la tyrannie » – sont restés au pouvoir. Les efforts de Trump pour convaincre les gouvernements latino-américains d'interdire Huawei ou de réduire leurs liens avec la Chine n'ont également donné aucun résultat concret. Même sous l'administration Bolsonaro, le commerce du Brésil avec la Chine n'a cessé de croître […] Washington a ignoré les réalités politiques en Amérique latine […] L'approche musclée de Trump envers la région a largement servi les intérêts de Pékin ; les gouvernements latino-américains ont renforcé leurs liens avec la Chine pour contrebalancer [ses] gesticulations » [14] (Foreign Policy, 17 octobre 2024).

Pékin sait qu'il pourra tirer les dividendes de l'agressivité croissante de Trump à l'égard de l'Amérique latine. Plus l'approche de Trump sera agressive vis-à-vis du continent, plus les gouvernements latino-américains se rapprocheront de la Chine.

Encore plus radicales cette fois, les mesures prises par cette seconde administration – verrouillage de la frontière, chantage tarifaire, déportation en masse de millions de migrant·es et suppression des aides extérieures (levier traditionnel du soft power américain dans la région) – ne feront qu'accroître le ressentiment en Amérique latine et accélérer le basculement vers la Chine, avec à la clé un recul inévitable de l'influence de Washington dans la région. Que l'ambassadeur chinois publie un communiqué rappelant les liens indéfectibles entre la Colombie et la Chine peu après les menaces de Trump contre le gouvernement Petro n'est certainement pas une coïncidence. C'est un appel du pied, qui dit combien la relation avec le partenaire chinois est plus respectueuse et avantageuse. Pékin sait qu'il pourra tirer les dividendes de l'agressivité croissante de Trump à l'égard de l'Amérique latine. Plus l'approche de Trump sera agressive vis-à-vis du continent, plus les gouvernements latino-américains se rapprocheront de la Chine [15].

Mais cette logique trumpienne de la confrontation pourrait également avoir un autre effet inattendu et redouté par les États-Unis : au lieu de fragmenter le continent, elle pourrait contribuer à le souder et à accélérer son intégration. « Trump va obtenir quelque chose qu'il ne cherchait sûrement pas : la cohésion de tous les pays qu'il veut fragmenter et dont il a besoin d'une manière ou d'une autre » estime ainsi l'ex-président colombien Ernesto Samper [16]. Face aux turbulences internationales à venir, les États latino-américains ont désormais tout intérêt à saisir cette opportunité pour consolider leurs liens et approfondir leur intégration. C'est là la seule voie qui leur permettra, à terme, d'équilibrer un rapport de forces imposé et défavorable, de garantir leur autonomie et de défendre leurs intérêts dans la compétition inter-impérialiste qui se joue déjà sur leur territoire.

Laurent Delcourt
https://www.cetri.be/Etats-Unis-Amerique-latine-retour

Notes

[1] RFI, 26 janvier 2025.
[2] La diplomatie du « gros bâton » désignait à l'origine la politique étrangère interventionniste menée par le président Théodore Roosevelt au début du 20e siècle au nom de la stabilité géopolitique et de la sauvegarde des intérêts étatsuniens dans la région.
[3] T. FAZI « Trump's return to the Monroe Doctrine. His sabre-rattling betrays a new foreign strategy », UnHerd, 25 janvier 2025 ; O. STUENKEL , « Trump Has his Own Monroe Doctrine, Foreign Policy », Foreign Policy, 17 octobre 2024 ; J.G. TOKALIAN, « Donald Trump and the Return of the Monroe Doctrine », in Americas Quarterly, 4 septembre 2024.
[4] Brands H. (2024), « An America First World. What Trump's Return Might Mean for Global Order », Foreign Affairs, 27 mai.
[5] J.G. TOKALIAN, op.cit ;
[6] J.G. TOKALIAN, op.cit ; O. STUENKEL, op. Cit. 2024.
[7] V. ORTIZ et V. ARPOULET « L'Amérique latine face au néolibéralisme souverainiste de Trump. Entretien avec Álvaro García Linera », LVSL, 21 janvier 2025.
[8] L'actuelle administration Trump serait divisée quant à l'attitude à adopter par rapport au Venezuela entre, d'une côté, les partisans de la manière forte, incarnée par le secrétaire d'État Marco Rubio et la frange conservatrice plus traditionnelle du Parti républicain et de l'autre côté, plusieurs figures radicales du mouvement MAGA, lesquelles envisagent plutôt la possibilité d'un grand accord avec Maduro pour préserver – sinon faire fructifier – les intérêts étatsuniens dans la région, quitte à abandonner les anciennes exigences en termes de libéralisation et de démocratisation. Cette divergence de vues ne se limiterait pas au Venezuela. Elle illustrerait la bataille qui se jouera au sein du gouvernement pour la définition de la politique extérieure des États-Unis vis-à-vis de l'Amérique latine : O. STUENKEL, « Trump Can't Bully Latin America Without Consequences », Foreign Policy, 28 janvier 2025.
[9] Le Soir (2024), « Trump menace les BRICS de droits de douane à 100 % s'ils sapent la domination du dollar », 30 novembre ; K. PARTHENAY, « Trump 2.0 : l'Amérique latine face au retour du disruptor in chief », in The Conversation, 13 novembre 2024 ; K. PARTHENAY, « Trump 2.0 : l'Amérique latine face au retour du disruptor in chief », in The Conversation, 13 novembre 2024.
[10] M. WATSON, « Rubio and the Return of the Monroe Doctrine », Washington Free Beacon, 16 novembre 2024.
[11] Ortiz et Arpoulet, 2025, op.cit.
[12] B. MEYERFELD, « Au Brésil, avec la suspension de X, le Tribunal suprême fédéral durcit son bras de fer avec Elon Musk », Le Monde, 31 août 2024.
[13] J.J. CARAFANO, « A New Monroe Doctrine for the Western Hemisphere ? », Global Insight Report, 8 juillet 2024.
[14] O. STUENKEL,« Trump Has his Own Monroe Doctrine, Foreign Policy », Foreign Policy, 17 octobre 2024.
[15] O. STUENKEL, « Opinião : Batalha entre conservadores e trumpistas definirá a estrategía em relação a Venezuela », Estadão, 26 janvier 2025.
[16] F. ZEMMOUCHE ,« « Il est possible de résister à la présidence impériale de Trump. » Une conversation avec l'ancien président colombien Ernesto Samper », Le Grand Continent, 1er février 2025.

Bibliographie

Brands H. (2024), « An America First World. What Trump's Return Might Mean for Global Order », Foreign Affairs, 27 mai.
Carafano J. J. (2024), « A New Monroe Doctrine for the Western Hemisphere ? », Global Insight Report, 8 juillet.
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Le Soir (2024), « Trump menace les BRICS de droits de douane à 100 % s'ils sapent la domination du dollar », 30 novembre.
Meyerfeld B. (2024), « Au Brésil, avec la suspension de X, le Tribunal suprême fédéral durcit son bras de fer avec Elon Musk », Le Monde, 31 août 2024.
Ortiz V. et Arpoulet V. (2025), « L'Amérique latine face au néolibéralisme souverainiste de Trump. Entretien avec Álvaro García Linera », LVSL, 21 janvier.
Parthenay K. (2024), « Trump 2.0 : l'Amérique latine face au retour du disruptor in chief », in The Conversation, 13 novembre.
RFI (2025), « Trump sanctionne la Colombie pour avoir refusé des vols militaires d'immigrés expulsés , Petro réplique », 26 janvier.
O. STUENKEL,« Trump Has his Own Monroe Doctrine, Foreign Policy », Foreign Policy, 17 octobre 2024.
Stuenkel O. (2025a), « Opinião : Batalha entre conservadores e trumpistas definirá a estrategía em relação a Venezuela », Estadão, 26 janvier.
Stuenkel O. (2025b), « Trump Can't Bully Latin America Without Consequences », Foreign Policy, 28 janvier.
Tokalian J. G. (2024), « Donald Trump and the Return of the Monroe Doctrine », in Americas Quarterly, 4 septembre.
Watson M. (2024), « Rubio and the Return of the Monroe Doctrine », Washington Free Beacon, 16 novembre.
Zemmouche F. (2025), « « Il est possible de résister à la présidence impériale de Trump. » Une conversation avec l'ancien président colombien Ernesto Samper », Le Grand Continent, premier février.

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Teuchitlán : Barbarie sociale, disparitions forcées et narcoviolence dans un État « failli »

La barbarie réapparaît, mais cette fois, elle est engendrée au sein même de la civilisation et en fait partie intégrante. C'est une barbarie lépreuse, la barbarie comme lèpre (…)

La barbarie réapparaît, mais cette fois, elle est engendrée au sein même de la civilisation et en fait partie intégrante. C'est une barbarie lépreuse, la barbarie comme lèpre de la civilisation.
Karl Marx. Les manuscrits économico-philosophiques de 1844

Par Román Munguía Huato | 01/04/2025 | Mexique

L'État ne cherche pas parce que s'il cherchait il se trouverait.
Madre buscadoraMère

La terre ensanglantée ne doit plus être le présent ni l'avenir abominable dominé par le crime organisé et les complices enkystés dans les mauvais gouvernements en place
Les Abejas d'Acteal

Aux pères et mères des disparus et aux Madres buscadoras
À la mémoire de ma nièce Iza Cristina Munguía Gastélum, disparue

De Ayotzinapa à Teuchitlán : deux horreurs du Mexique barbare

Du 26 septembre 2014 au 5 mars 2025, dix ans et six mois se sont écoulés, mais comme si le laps de temps n'avait pas eu lieu, comme si le terrible premier acte criminel n'avait subi qu'un changement de lieu par rapport au second événement terrifiant. De l'État de Guerrero à celui de Jalisco, la tragédie s'est étendue à de nombreuses autres entités fédérales du pays. Ce qui s'est passé à Teuchitlán est une prolongation fatale du premier massacre, chacun ayant ses propres caractéristiques, mais similaires car les victimes étaient jeunes. Teuchitlán est la partie émergée de l'iceberg de la barbarie nationale. Dans chacune des milliers de fosses clandestines ou narcofosas, on retrouve la manifestation d'une profonde décomposition sociale, d'une insécurité citoyenne absolue, de la putréfaction d'un système politique corrompu jusqu'à la moelle par ses liens avec les puissants cartels mafieux qui aboutissent une hyperviolence sociale.

L'ombre de La Noche de Iguala1, (durant laquelle 43 étudiants de l'École Normale Rurale d'Ayotzinapa ont disparu, kidnappés soit par des tueurs à gages, par la police municipale ou par l'armée) a étendu son sinistre manteau de ténèbres sur la ferme Izaguirre de la municipalité de Teuchitlán, dans l'État de Jalisco. Deux lieux dans le même cercle de l'enfer de Dante.
Le 20 septembre 2024, des éléments de la Garde nationale (GN), en coordination avec l'armée mexicaine, ont occupé une base arrière d'un réseau criminel : le Rancho Izaguirre. Selon la GN, dix auteurs présumés de vols qualifiés ont été arrêtés lors de l'opération, deux personnes détenues ont été secourues et un cadavre a été retrouvé. La GN a partagé une image des objets trouvés après avoir saisi des armes lourdes, des chargeurs, du matériel tactique et des voitures. Malgré cette découverte, le site a été laissé sans surveillance et, apparemment, n'a fait l'objet d'aucune enquête de la part des autorités étatiques ou fédérales. Six mois plus tard, le mercredi 5 mars, le collectif Guerreros Buscadores de Jalisco a annoncé la découverte de trois camps d'entraînement et d'extermination au même endroit, utilisés par le Cartel Jalisco Nueva Generación (CJNG) comme centres de formation de tueurs à gages, de séquestration et d'extermination de jeunes, pour la plupart « recrutés » par des promesses d'emploi trompeuses. L'enlèvement est utilisé comme méthode systématique principale pour grossir les rangs des armées de trafiquants de drogues. Le narcotrafic est une activité illégale impliquant de multiples échanges de biens prohibés entre producteurs, distributeurs et consommateurs sur le marché des substances illégales. C'est un marché capitaliste où opèrent des entreprises comme les autres, mais sous le contrôle du crime organisé. Le narcotrafic est le cinquième employeur du Mexique : une enquête publiée par le magazine Science estime que le crime organisé compte 175'000 membres, soit plus que des entreprises comme Oxxo ou Pemex.

Les photographies des vêtements, chaussures, sacs à dos et divers objets personnels appartenant aux victimes (plus de 1'500 effets personnels) ont provoqué un émoi national et international, ainsi qu'une réponse tardive des autorités municipales, étatiques et fédérales. Mexicanos Contra la Corrupción, une organisation non gouvernementale, a rapporté que depuis 2019, la Garde nationale a informé le Secrétariat de la défense nationale (Sedena) qu'elle avait trouvé des restes de corps incinérés à Teuchitlán. Selon l'enquête, des membres de la GN ont signalé le 10 août de la même année qu'un supposé repaire de criminels avait été localisé avec plusieurs corps calcinés, près de la communauté de La Estanzuela, la même zone où un groupe de cherche de personnes disparues a localisé le crématorium d'Izaguirre au début du mois de mars 2025. Selon le rapport, les restes brûlés avaient été trouvés en 2019 dans des champs de maïs. Selon une survivante du Rancho Izaguirre, « environ 1'500 personnes » ont été assassinées pendant les trois années qu'elle a passées à cet endroit. Jalisco est l'un des États qui compte le plus grand nombre de personnes disparues ; à ce jour, 15'426 plaintes pour disparition de personnes ont été officiellement enregistrées. En octobre 2023, on comptait officieusement 5'698 fosses clandestines au Mexique.
Des collectifs de familles de personnes disparues ont trouvé au moins 1'400 fosses clandestines à Jalisco en 2024.

Un gatopardisme mexicain : « tout changer pour que rien ne change »...

Comment expliquer cette succession de scandales pour des crimes contre l'humanité qui se sont prolongés pendant des années ? Des années où il y a eu un prétendu changement politique démocratique « antinéolibéral » pour mettre fin à la mafia du pouvoir (anciens présidents du PRI et du PAN), selon la Quatrième Transformation entreprise par le Mouvement de Régénération Nationale (Morena) à partir du gouvernement d'Andrés Manuel López Obrador (AMLO), qui a débuté le 1er décembre 2018 et s'est achevé le 30 septembre 2024. Mais la mafia du pouvoir continue de parader.

Aujourd'hui, les événements de Teuchitlán font l'objet d'un scandale national et mondial sous le gouvernement de la présidente Claudia Sheinbaum Pardo. Il est indéniable que l'escalade de la violence sociale et de la violence liée au trafic de drogue déclenchée sous le gouvernement ultraconservateur et néolibéral du Parti d'action nationale (PAN) de Felipe Calderón a commencé lorsque celui-ci a déclaré la « guerre aux cartels de la drogue » en décembre 2006. Le gouvernement suivant d'Enrique Peña Nieto (PRI) n'a pas déclaré de « guerre » au narco, mais a établi des alliances politiques avec les cartels, ce qui a provoqué la disparition et le massacre des 43 étudiants d'Ayotzinapa. Il s'agissait d'un crime d'État que le gouvernement de Peña Nieto a tenté de dissimuler en inventant la soi-disant Vérité historique, selon laquelle une bande de narcotrafiquants connue sous le nom de Guerreros Unidos les aurait enlevés et aurait ordonné leur assassinat. Selon cette version, leurs corps auraient été incinérés dans une décharge de la municipalité de Cocula, voisine de celle d'Iguala, dans le même État. Cette version mensongère du gouvernement a été rejetée par le gouvernement de López Obrador qui, bien qu'il ait promis de faire la lumière sur ces événements tragiques, n'a jamais fait avancer l'enquête impliquant des officiers militaires et n'a pas rendu justice aux parents des 43 étudiants. Le dossier reste ouvert et la justice attend toujours.

À plusieurs reprises au cours de son mandat, López Obrador a déclaré que la question des disparitions était une priorité et que toutes les ressources nécessaires seraient mobilisées pour y répondre. Dans quelle mesure a-t-il tenu ses promesses et quels résultats a-t-il obtenus ? Selon les données du Registre national des personnes disparues et non localisées (RNPDNO), 53'296 personnes étaient enregistrées le 1er décembre 2018, tandis qu'en juin 2024, on en comptait un peu plus de 115'000, ce qui signifie que plus de 61'000 personnes ont disparu au cours du précédent sexennat2.. Par conséquent, le président n'a pas réussi à stopper l'augmentation, car la plupart des disparitions forcées ont eu lieu sous le gouvernement de López Obrador et la violence sociale ainsi que celle liée au trafic de drogue se sont exacerbées avec la politique passive et fatale de Abrazos y no balazos (des câlins et pas des balles), laissant le champ totalement libre aux activités criminelles des très puissants cartels de la drogue ; parmi eux, l'un des principaux groupes du crime organisé, le Cartel Jalisco Nueva Generación (CJNG).

En 2020, 150 groupes de narcotrafiquants actifs ont été identifiés au Mexique, opérant dans 32 États de la République. Il existe plusieurs cartels de narcotrafiquants au Mexique, dont le Cartel de Jalisco Nouvelle Génération (CJNG), le Cartel de Sinaloa, le Cartel du Golfe, le Cartel de Santa Rosa de Lima, le Cartel de Juárez, le Cartel de Tijuana, le Cartel Indépendant d'Acapulco, le Cartel des Guerreros Unidos, le Cartel de Caborca, Cartel Nueva Plaza. Les chefs les plus connus sont, entre autres, Nemesio Oseguera Cervantes, alias « El Mencho », chef du CJNG ; Iván Archivaldo Guzmán Salazar, alias « El Chapito », du Cartel de Sinaloa, Rodrigo Aréchiga Gamboa, alias « El Chino Antrax », du Cartel de Sinaloa3.

Pendant le mandat d'AMLO, une personne en moyenne disparaissait toutes les heures dans le pays. Sous le gouvernement de Felipe Calderón, lorsque la militarisation de la sécurité publique a commencé, il y avait 0,49 disparition par heure, et sous celui de son successeur, Enrique Peña Nieto, il y en avait 0,64. % . En date du 27 janvier 2025, le nombre de personnes disparues atteignait 121'651, selon le Registre national des personnes disparues et non localisées (RNPDNO). Le nombre de personnes disparues chaque jour au Mexique ne cesse d'augmenter et est devenu un problème déchirant. Les disparitions au Mexique ne sont toujours pas une priorité de l'État. En ce qui concerne le nombre de meurtres, 82 personnes ont été assassinées chaque jour ; le pays clôt l'année 2024 avec 30'570 homicides. Avec Sheinbaum, les meurtres ont augmenté au cours des premiers mois de son mandat. Au cours des trois derniers mois de 2024, qui correspondent à l'arrivée de Claudia Sheinbaum à la présidence, le nombre de meurtres a augmenté de 3 % par rapport à la même période en 2023. Il n'y a pas eu un coin du pays qui n'ait connu un crime sanglant lié au narcotrafic.

En 2010, AMLO a exprimé son mécontentement face à l'utilisation de l'armée pour pallier les incapacités des gouvernements civils et, face à l'éventuelle entrée en vigueur d'une réforme visant à accorder à l'armée plus de pouvoirs dans la lutte contre la criminalité, il a parlé d'une « stratégie de sécurité ratée » entreprise par l'administration de Felipe Calderón. López Obrador a lancé un appel expresse pour que l'armée retourne dans ses casernes, après avoir défendu l'idée que l'armée « ne doit pas être utilisée pour pallier les incapacités des gouvernements civils ». « Ce n'est pas avec l'armée que l'on peut résoudre les problèmes d'insécurité (...) Nous ne pouvons pas accepter un gouvernement militariste », affirmait-il le 26 avril 2010. Une fois président, AMLO a fait tout le contraire et a commencé à militariser le pays. Plutôt que d'essayer de régler la « stratégie de sécurité ratée », promesse rhétorique vaine, il a poursuivi la politique de Calderón en maintenant les troupes militaires hors des casernes et, plus encore, en augmentant le budget alloué à l'armée qui exercent maintenant des tâches administratives qui ne lui incombent pas. L'insécurité et la violence sociale ont augmenté de manière démesurée malgré la militarisation. Il est vrai que le Mexique n'a connu ni dictature militaire ni guerre civile, mais il y a des centaines de milliers de meurtres et de disparitions et on pourrait croire que c'est le cas. L'insécurité des citoyens est telle que ni la police municipale ni la police d'État ni la Garde Nationale ni l'armée ne parviennent à instaurer un climat de paix sociale. L'armée elle-même a commis des actes de violence en assassinant des jeunes, bien que pour AMLO, elle soit l'armée du peuple : « Le soldat est un membre du peuple en uniforme et c'est pourquoi il ne trahira jamais le peuple, la liberté, la justice, la démocratie et la patrie ». Bien sûr, pour l'ancien président, l'armée n'était pas responsable du massacre des étudiants et des civils en 1968 ni des tueries ultérieures. Lorsque AMLO a évoqué en 2023 les violences meurtrières de Tlatelolco, il a justifié le crime de l'armée : « Elle a reçu des ordres de Díaz Ordaz ». À Tlatelolco, plus de 300 étudiants ont été tués par l'armée et un groupe paramilitaire, le Bataillon Olimpia, à la suite d'une manifestation pacifique, dix jours avant les Jeux olympiques de 1968.

Le processus de militarisation du pays avec López Obrador a été très critiqué en interne et en externe. Par exemple, en 2022, l'ONU a exhorté le gouvernement mexicain à « abandonner immédiatement » la militarisation de la sécurité publique. Le comité d'experts indépendants qui s'est rendu dans le pays pour documenter la situation des disparitions forcées a estimé que la stratégie de lutte contre la criminalité était « insuffisante et inadaptée » pour la protection des droits humains. En ce sens, le gouvernement d'AMLO a été bien pire que celui de Felipe Calderón, car malgré la militarisation avec la création de la Garde nationale et une présence accrue de l'armée, la violence sociale n'a pas cessé et la déchirure du tissu social a été tragique. Sur les près de 480'000 personnes assassinées et les quelque 130'000 disparues au cours de ce premier quart de siècle, la plupart l'ont été sous le gouvernement de Morena. C'est comme si une petite ville d'un demi-million de Mexicains avait été exterminée dans une hécatombe.

La Quatrième transformation - qui veut se comparer à des changements historiques profonds tels que la Révolution d'indépendance (1810), la Réforme libérale (1857) et la Révolution démocratique de 1910 - est une chimère politique démagogique de propagande réduite à un changement formel de nature "gatopardiste" pour que tout continue à fonctionner comme avant. En ce sens, Morena est une prolongation du PRI avec un nouvel habillage bonapartiste-populiste.
Un lumpen-développement et un État "failli"

Après le modèle de développement stabilisateur émergent de la fin des années ‘40 -'50 qui s'épuise fin 1960 et début 1970, le modèle néolibéral s'impose vers 1980 et a jusqu'à présent des conséquences catastrophiques. La mondialisation économique a induit une nouvelle dynamique d'accumulation capitaliste qui a également entraîné au Mexique la présence de capitaux locaux impliqués dans le commerce de stupéfiants. L'histoire de la mafia du trafic de drogue national remonte au début des années 1930, se développe avec la Seconde Guerre mondiale et se consolide trois décennies plus tard. C'est précisément avec l'imposition du néolibéralisme, à partir du sexennat de Carlos Salinas de Gortari, qu'une expansion capitaliste s'ouvre sur le marché du trafic de drogue. Cela donnera lieu à un processus social, économique et politique que nous pouvons caractériser, en suivant André Gunder Frank, de développement marginalisant4 .

Ce développement qui produit du sous-développement signifie une profonde déshumanisation des structures sociales sous des formes politiques très dégradées, corrompues et avec une forte violence sociale. Si le capitalisme est une machine de broyage social, en particulier de la main-d'œuvre, le lumpen-développement a perfectionné cette machine pour la rendre plus efficace et plus rapide. Il a été très efficace pour écraser les droits de l'homme et creuser plus profondément la crise de civilisation. En ce sens, le développement sauvage mexicain est une crise humanitaire profonde d'une ampleur jamais vue, dérivée d'un capitalisme sauvage et de son inégalité sociale croissante. Le capitalisme sauvage actuel trouve sa plus grande expression précisément dans l'hyperviolence sociale, qui inclut la narcoviolence et sa terrible traînée de morts et de disparus. Dans le cadre de ce sous-développement ou lumpen-développement, il convient de prendre en compte un concept politique sujet à diverses interprétations, celui d'État défaillant.

Le concept d'État défaillant (ou État failli) est utile pour expliquer comment le pouvoir politique le plus important d'une nation est inefficace ou inapte dans nombre de ses fonctions institutionnelles fondamentales, entre autres celles qui visent à garantir la sécurité des citoyens, protéger la population civile contre les niveaux élevés de délinquance et de crime organisé. Dans l'incapacité des forces et des corps de sécurité à contrôler les niveaux élevés de terrorisme et la violence du crime organisé des cartels mafieux de trafiquants de drogue. Ce concept –dans son sens théorique wébérien, est très limité pour expliquer la réalité de l'État capitaliste– signifie également la perte de contrôle physique du territoire, ou la faiblesse du « monopole de l'usage légitime de la force ». Il ignore la nature classiste de celui-là et ses fonctions essentielles en tant qu'instrument répressif au service du capital. Quoi qu'il en soit, il est certain qu'un État défaillant est incapable d'exercer un contrôle relatif sur le territoire, permettant ou tolérant l'action de groupes armés - des bandes du crime organisé armées jusqu'aux dents ou des groupes paramilitaires sous les ordres de pouvoirs informels - qui défient l'autorité de l'État et cède également les décisions civiles au pouvoir militaire dans la politique de sécurité publique, comme c'est précisément le cas au Mexique.

L'État "failli" s'est progressivement installé au cours des dernières décennies, en particulier à partir des régimes de Calderón, Peña Nieto et López Obrador. Bien sûr, le concept n'est ni très clair ni très précis car l'État, y compris celui de nature néolibérale, ne cesse de remplir ses fonctions essentielles en tant qu'instrument de contrôle, de répression et de domination de la classe prolétarienne. En ce sens, l'hyperviolence sociale qui règne au Mexique est l'exemple d'une crise politique profonde d'un régime gouvernemental absolument incapable d'établir la sécurité publique. Cela se produit sur tout le territoire national, malgré la présence de la Garde nationale et de l'armée dans les rues. Peu importe que le monopole de l'usage de la force soit légitime ou non. Le monopole de la force est utilisé de manière classiste en faveur des intérêts du capital. Le fait est que l'État a une nature capitaliste de classe, qu'il établit les conditions politiques pour la reproduction de l'accumulation du capital, même si le gouvernement dit démagogiquement : « les pauvres d'abord ! », comme le répétait inlassablement López Obrador. Sous son gouvernement, les riches sont devenus plus riches. AMLO a expliqué lui-même comment les entrepreneurs ont bénéficié de son gouvernement : « Nous sommes en faveur des hommes d'affaires et des profits raisonnables ; nous sommes contre la corruption », a-t-il déclaré avec emphase dans une vidéo en 2020.

L'État mexicain est également défaillant car, malgré l'ensemble des institutions et de la législation relatives à la terrible crise humanitaire des disparus, celle-ci continue de s'aggraver. L'État a créé des lois et des organismes relatifs au problème des disparitions : en 2017, la loi générale sur les disparitions forcées de personnes et les disparitions commises par des particuliers a été promulguée, d'où découlent la Commission nationale de recherche des personnes (CNR) et, à son tour, le Système national de recherche des personnes (SNR). Le Registre national des personnes disparues et non localisées (RNPDNO) est également un organisme gouvernemental. Presque toute cette structure juridique et opérationnelle a été reproduite dans toutes les entités fédérales. Au Mexique, il existe également un Système national de sécurité publique (SNSP), une instance du gouvernement fédéral et son Secrétariat à la sécurité et à la protection des citoyens. De plus, dans le cas de Teuchitlán, il y a eu non seulement un manque de coordination entre le bureau du procureur général de la République et celui de l'État de Jalisco, mais aussi des omissions ou des « négligences » d'une totale ineptie en ce qui concerne le protocole opérationnel. Le collectif des Madres buscadoras a été ignoré dans l'enquête.

Quel est le bilan général de tout ce dispositif gouvernemental ? Les résultats sont presque nuls car tout a été géré selon des critères bureaucratiques et politiques qui empêchent le soutien aux familles des personnes disparues et la recherche de celles-ci. Le très grave problème des disparus est une question sociale exaspérante, mais c'est avant tout un problème politique, car l'État n'a pas voulu ni pu apporter de réponse satisfaisante. La sécurité des citoyens n'est pas une priorité en tant que politique publique dans le cadre d'un projet de développement capitaliste dans lequel les mégaprojets d'infrastructure ou d'équipement sont fonction des intérêts du capital.

Ce n'est qu'après le scandale de Teuchitlán que la présidente Sheinbaum s'est empressée de mettre à jour la législation sur les disparus. Pourtant l'initiative n'est qu'un maquillage juridique pour faire croire que quelque chose est fait face à la profonde crise humanitaire qui met à nu l'incapacité du gouvernement de la 4T à résoudre le problème et fait perdre sa légitimité et sa crédibilité à un gouvernement qui bénéficie du soutien populaire. Les mères des disparus rejettent les arrangements juridiques de Sheinbaum. Et exigent d'être associées à une enquête sur le sexennat d'AMLO. En outre, les experts en recherche de personnes disparues et en droits de l'homme considèrent que les mesures prises par la présidente Sheinbaum après l'affaire Jalisco « ne sont pas de nouvelles idées, mais des questions en suspens ».

À ce jour, la présidente ne veut ni entendre ni voir les mères à la recherche des disparus. Elle ne les a pas prises en compte dans ses initiatives visant à modifier les lois à ce sujet. La présidente est déterminée à défendre son prédécesseur, en essayant de dissimuler son irresponsabilité politique. Selon elle, « les crimes contre l'humanité n'existent plus dans le pays », mais la réalité indique tout le contraire. Il est vrai, comme elle l'a dit, qu'auparavant, la pratique des disparitions forcées était le fait de l'État - le terrorisme d'État, l'armée et les paramilitaires - et qu'aujourd'hui, elle n'est perpétrée que par le crime organisé ; mais elle oublie de dire que le terrorisme du crime organisé fait face à la passivité et à l'« indifférence » de l'État lui-même. « La vérité doit toujours prévaloir dans mon gouvernement, il n'y aura pas de construction obscure de vérités historiques, jamais de la part du gouvernement », a déclaré Sheinbaum. Cela part sans aucun doute d'une bonne intention, mais il se pourrait aussi qu'une nouvelle "vérité historique" commence à être fabriquée pour tenter d'exonérer l'État de toute responsabilité.

Où vont les disparus ?

La plupart des disparus sont jetés dans des fosses clandestines, qui se comptent par dizaines de milliers : le Mexique est une fosse clandestine. José Reveles, l'un des meilleurs journalistes d'investigation sur les mafias du narcotrafic et les disparus, écrit dans son livre Levantones, narcofosas y falsos positivos (2011) que les fosses clandestines sont partout : « Les cimetières clandestins les plus scandaleux de tous les temps au Mexique... sont apparus à partir de 2011 à Durango et San Fernando, Tamaulipas ». Le Mexique est le pays des disparus, dit Reveles. Dans le prologue, Edgardo Buscaglia écrit : « Aucun idéal ou objectif historique ne peut justifier le carnage humain qui a été causé par l'absence d'une stratégie étatique de développement social et politique pour promouvoir, en général, la prospérité des générations présentes et futures de Mexicains et, en particulier, pour démanteler les structures des groupes criminels ».

Tous les groupes de familles à la recherche des disparus ont travaillé sans relâche pour retrouver leurs proches, qui ont généralement été ignorés par les organismes gouvernementaux. En fait, ce sont ces groupes qui ont fait le travail qui incombe à l'État. L'infamie du pouvoir gouvernemental est aussi grande que la surface totale des fosses clandestines.

De nombreuses mères à la recherche de leurs enfants ont été assassinées par des tueurs à gages du narcotrafic dans le but de les intimider et les dissuder de toute tentative de recherche. À ce jour, il n'existe pas de chiffres officiels sur le nombre de fosses clandestines ; près de 3'000 fosses sont mentionnées en 2023, mais selon d'autres sources, ce nombre pourrait être deux fois plus élevé. L'une des tâches en suspens pour le gouvernement fédéral actuel est de créer un registre fiable des fosses clandestines. Le Mexique tout entier est un territoire de douleur et d'horreur.

Quelle alternative à la crise des personnes disparues ?

La première chose que nous devrions faire est montrer toute notre solidarité avec le combat mené par les Madres buscadoras afin qu'elles retrouvent leurs fils et filles disparues. Cela passe par l'exigence d'un changement effectif de la politique de l'État face à cette crise, ce qui implique également un changement radical de la politique en matière de sécurité citoyenne. Cependant, la profonde crise d'insécurité publique est avant tout un problème politique, et la réponse doit donc être politique, ce qui signifie que nous devons bouleverser en profondeur les structures du pouvoir politique dominant et commencer à construire de manière organisée une alternative démocratique radicale à partir d'en-bas, c'est-à-dire à partir de la base sociale du peuple des travailleurs et travailleuses des campagnes et des villes. Il s'agit de générer une solidarité humanitaire fondée sur un gouvernement ouvrier, paysan et populaire. Seul un gouvernement à orientation prolétarienne et de classe pourra résoudre les grands problèmes nationaux qui manifestent une barbarie sociale inhérente à un capitalisme sauvage. Il faut un programme de transition vers une nouvelle société régie politiquement par des principes directeurs socialistes, démocratiques et autogestionnaires.

Notes
(1) La nuit d'Iguala et le réveil du Mexique. Textes, images contre la barbarie. Manuel Aguilar Mora, Claudio Albertani (coordonnateurs). Juan Pablos Editor, Mexico, 2015.
(https://labiblioteca.mx/llyfrgell/1163.pdf)

(2) https://imdhd.org/redlupa/avance-de-la-ley-general-de-busqueda/las-personas-desaparecidas-al-final-del-gobierno-amlo/

(3) La bibliographie sur le trafic de drogue au Mexique est très vaste. Je ne mentionnerai que trois livres, dont deux traitent des barons de la drogue : Drogas Sociedades Adictas y Economías Subterráneas. Alejandro Gálvez Cancino (coordinateur). Editorial El Caballito, Mexico, 1992. Los señores del narco, d'Anabel Hernández, Random House Mondandori, Mexico 2010. Du même auteur, El traidor. El diario secreto del hijo del Mayo. Penguin Random House. Mexico 2019.
(4) Del desarrollo estabilizador al lumpendesarrollo. El México bárbaro neoliberal. Román Munguía Huato. https://revistaixaya.cucsh.udg.mx/index.php/ixa/article/view/7099
Román Munguía Huato. Militant de la Ligue d'unité socialiste (LUS), Mexique.

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« Au Mexique, les partis de droite sont pratiquement dans la pire phase de leur histoire »

29 avril, par Fabrice Thomas, José Luis — , ,
L'Anticapitaliste a rencontré à Paris José Luis, militant de la 4e Internationale, membre du syndicat mexicain des électriciens et du Mouvement socialiste du Pouvoir populaire (…)

L'Anticapitaliste a rencontré à Paris José Luis, militant de la 4e Internationale, membre du syndicat mexicain des électriciens et du Mouvement socialiste du Pouvoir populaire du Mexique à l'occasion de sa venue pour le congrès de la 4e Internationale, avant qu'il ne parte en Espagne rencontrer les camarades d'Anticapitalistas.

24 avril 2029 | tiré de Hebdo L'Anticapitaliste - 751 | Photo : DR José Luis
https://lanticapitaliste.org/opinions/international/au-mexique-les-partis-de-droite-sont-pratiquement-dans-la-pire-phase-de-leur

Quelle est la situation au Mexique après l'arrivée au pouvoir de Andrés Manuel López Obrador (AMLO) et plus récemment de Claudia Sheinbaum et après les attaques de Trump ?

L'Amérique latine a été le théâtre de fortes luttes contre les politiques néolibérales. Les luttes indépendantes qui ont été menées par les enseignantEs, les paysanNEs, les étudiantEs, les populations indigènes, etc. n'ont pas atteint leurs objectifs. Il y a même eu des défaites importantes. Cela a signifié que le mécontentement social et populaire à l'égard des politiques néolibérales a été au Mexique canalisé dans les élections. Le mécontentement a été canalisé d'abord à travers le Parti de la révolution démocratique (PRD) et plus récemment par le Mouvement de régénération nationale (MoReNa). Le premier était dirigé par Cuauhtémoc Cárdenas. Il est le fruit d'une rupture nationaliste au sein du parti au pouvoir. Les changements ont culminé au sein du parti, avec l'arrivée au pouvoir d'AMLO à la mairie de la ville de Mexico. Son mandat s'est caractérisé par un certain nombre de réformes progressistes telles que l'octroi d'une pension universelle pour les personnes de plus de 65 ans dans la ville de Mexico et d'autres politiques sociales.

Cela a conduit la droite à tenter de l'empêcher de devenir candidat à la présidence de la République en 2006 par le biais d'une manœuvre juridico-politique. Les gens ont vu l'attaque antidémocratique. Le pays s'est polarisé, des mobilisations de masse ont eu lieu pour permettre à López Obrador d'être candidat. Le processus électoral a suscité de nombreux doutes, à tel point que nous affirmons qu'il y a eu une fraude massive. Un homme politique de droite, Felipe Calderón Hinojosa est arrivé au pouvoir. Il s'en est suivi un processus de résistance face aux politiques néolibérales de Felipe Calderón Hinojosa, et de Peña Nieto. Le mécontentement était très fort : il y avait une forte corruption au sein du gouvernement mexicain qui était entièrement au service des intérêts des riches soumis aux États-Unis. C'est ce contexte qui explique la victoire d'AMLO avec plus de 50 % des voix.

En 2018 ?

Oui, en 2018. AMLO arrive avec un fort soutien populaire qui lui permet de réaliser des transformations très importantes, pour améliorer le niveau de vie des masses. L'une d'entre elles consiste à étendre au niveau national le droit à une pension universelle. Les personnes âgées de plus de 65 ans ont reçu un soutien de 160 dollars par mois, ce qui au Mexique permet de vivre plus ou moins bien. Les salaires minimums ont été augmentés de près de 100 %. Cela n'a pas permis le rattrapage complet des salaires mais la politique salariale a bénéficié à quelques millions de Mexicains.

Plus tard, la bourgeoisie mexicaine a également été contrainte, parce qu'elle était experte en matière d'évasion fiscale, de payer des impôts, ce qui a permis d'élargir l'assiette fiscale. Il a également mené une lutte acharnée contre la corruption qui rongeait l'État et qui n'a pas pris fin.

Penses-tu que ces réformes sont devenues anticapitalistes plus qu'antinéolibérales ou ont-elles eu des limites ?

Elles ont connu de nombreuses limites. Nous aurions préféré une renationalisation complète des entreprises publiques de l'énergie comme Pemex (Petróleos Mexicanos). Mais au moins les prix des carburants ont été stabilisés. Il faudrait procéder à une réforme fiscale en profondeur, ce qui est nécessaire car les riches mexicains paient très peu par rapport à leurs énormes profits. AMLO a aussi eu une gestion très « caudillo ». Le MoReNa, son parti, n'est qu'un appareil électoral où sont imposés, de manière non démocratique, des candidats en particulier de l'aile droite.

Comment expliquer que López Obrador avait à la fin de son mandat encore plus de 50 % de soutien et que sa candidate, Claudia Sheinbaum, a eu beaucoup de succès ?

Il y a bien eu une amélioration indéniable du niveau de vie des masses. Sinon, les masses n'auraient pas voté aussi massivement pour élire Claudia Sheinbaum. Elle a obtenu près de 60 % des voix.

Quand cela s'est-il produit ? En 2024 ?

Oui, Claudia Sheinbaum est présidente depuis octobre 2024 après sa victoire en juin. Il y a eu une forte bataille idéologique et culturelle. Au Mexique, les partis de droite sont ­pratiquement dans la pire phase de leur histoire. Ils sont très affaiblis, divisés et l'ultra-droite est une minorité insignifiante. Actuellement, même dans le processus de confrontation avec les menaces de Donald Trump d'imposer des tarifs douaniers, Claudia Sheinbaum, selon des sondages récents, a le soutien de 85 % de la population.

Les déclarations et menaces de Trump suscitent des réactions de la part du gouvernement et de Claudia Sheinbaum mais aussi de la part de la population...

Ce que nous voyons, c'est un problème mondial, qui ne concerne pas seulement le Mexique, même s'il fait partie du problème. Nous sommes confrontéEs à une puissance impérialiste en déclin qui tente de répercuter le coût de sa crise sur le reste du monde, par le biais de taxes, de droits de douane et autres, et de faire pression sur l'Europe pour qu'elle se réarme et partager les coûts de l'OTAN.

La crise est profonde : crise de la dette publique américaine, crise budgétaire. Les États-Unis perdent également, avec une détérioration technologique, dans la concurrence avec la Chine. Ils essaient donc de se repositionner. Donald Trump menace ses partenaires les plus proches, le Mexique et le Canada, d'imposer une augmentation du coût des importations aux États-Unis, sous prétexte que ces gouvernements ne font rien pour lutter contre la contrebande de drogue, en particulier le fentanyl, et le problème migratoire.

L'objectif est en fait de rechercher une renégociation, sur la manière de produire, en particulier dans le cadre de l'accord de libre-échange. Ils veulent récupérer de nombreux investissements faits au Mexique, et les emmener aux États-Unis, en particulier dans l'industrie automobile. C'est assez compliqué car il existe des chaînes de valeur en place depuis des décennies qui ne peuvent pas être modifiées du jour au lendemain.

Mais il y a une pression dans ce sens. Jusqu'à présent, le gouvernement de Claudia Sheinbaum a réagi avec fermeté en dénonçant les prétextes et l'hypocrisie pure et simple. Au fond, ce qui se passe, c'est du chantage, c'est le début d'une guerre commerciale contre le Canada et le Mexique, et si ce gouvernement insiste pour maintenir ces taxes, il y aura une réponse de sa part, pour appliquer des mesures similaires à d'autres produits, pour compenser ce que font les États-Unis.

Si la situation se tend, penses-tu qu'il y aura un grand soutien de la part des travailleurEs et du peuple mexicain ?

Oui, oui, parce que le peuple mexicain rejette très fortement ces attitudes agressives, grossières et autoritaires de la part du gouvernement américain et que cela a réveillé un ressentiment nationaliste… et progressiste.

Lorsqu'il y a une confrontation entre une nation forte et impérialiste et une nation faible, il est clair que nous sommes avec la nation faible, pour la confronter, surtout lorsque le dirigeant de cette nation agit non seulement de manière autoritaire et imposante, mais qu'il a aussi tout un programme politique d'extrême droite contre les migrantEs, un programme xénophobe, misogyne, contre la diversité des genres, belliciste, etc. En d'autres termes, nous sommes ici dans une lutte qui est à la fois anti-impérialiste, mais qui doit aussi être antifasciste, parce que Trump représente l'ultra-droite mondiale qui agit de manière de plus en plus ouvertement unie et coordonnée avec d'autres forces d'ultra-droite, à la fois en Europe et en Amérique latine. Nous devons donc être clairs sur le fait qu'il y a de nombreux enjeux au-delà de la question commerciale, qui est très importante.

Propos recueillis par Fabrice Thomas

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Aux armes citoyens / Valmy 2.0 -la gauche (radicale) et les débats sur la question militaire en Europe

29 avril, par Patrick Le Tréhondat, Patrick Silberstein — , , ,
Leçons ukrainiennes « La concurrence des divers États entre eux les oblige […] à prendre de plus en plus au sérieux le service militaire obligatoire et, en fin de compte, à (…)

Leçons ukrainiennes
« La concurrence des divers États entre eux les oblige […] à prendre de plus en plus au sérieux le service militaire obligatoire et, en fin de compte, à familiariser le peuple tout entier avec le maniement des armes donc à le rendre capable de faire à un moment donné triompher sa volonté. […] Et ce moment vient dès que la masse du peuple […] a une volonté. À ce point, l'armée dynastique se convertit en armée populaire ; la machine refuse le service, le militarisme périt de la dialectique de son propre développement [1] ».

9 avril 2025 | tiré d'Europe solidaire sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74471 | Article introductif au dossier « Partis pris », publié dans Adresses -internationalisme et démocr@tie n°11

La guerre d'autodéfense nationale de l'Ukraine a remis grandeur nature sur le devant de la scène les questions du militarisme, du réarmement et plus généralement les questions militaires. À cette occasion, il est sans doute temps de redonner à ces questions un peu de souffle en réfléchissant à une pensée alternative transitoire. C'est là l'objet de ce modeste dossier « Partis pris » que nous publions dans ce numéro 11 d'Adresses. Six textes ont retenu notre attention : « L'isolationnisme de gauche : le chemin vers l'insignifiance politique dans le débat sur la défense européenne » et « Rejeter le faux dilemme entre justice sociale et sécurité nationale » d'Hanna Perekhoda, « Danemark : la gauche face à la fin de l'alliance avec les États-Unis » de Michael Hertoft, « Comment gérer les dilemmes de défense de l'Europe ? » de Christian Zeller, « Trump et Poutine : une alliance autoritaire qui nous met tous en danger » de Li Andersson et « Soutenir la résistance ukrainienne, pas les plans de réarmement monstrueux » de Simon Pirani.

Le 26 février dernier, Hanna Perekhoda publiait un billet titré « Comment financer la défense européenne (et comment ne pas le faire) [2] ». Elle y rappelait que l'abandon par les États-Unis de l'Ukraine, la « dernière ligne de défense de la sécurité européenne », allait obliger les États européens, réfugiés de longue date sous le parapluie américain, à repenser leur système de défense. C'est chose faite. La remilitarisation de l'Europe est en route. Du moins l'idée est-elle en marche dans plusieurs capitales. On ne manquera pas de critiquer les choix et les politiques des États et de l'Union européenne, celles d'hier, d'aujourd'hui et de demain. Ce n'est pas l'objet de cet article [3].

La véritable question, toujours selon Hanna Perekhoda, est de savoir « si l'Union européenne, et en particulier la gauche [4], a un programme concret pour faire face à cette crise ». Si elle persiste, poursuit-elle, à « déplorer la militarisation sans proposer de solutions aux menaces très réelles auxquelles nous sommes tous confrontés », elle abandonnera « la société au profit de sa propre pureté idéologique ». C'est ce qu'on pourrait désigner comme l'établissement d'une ligne Maginot mentale. On sait ce qu'il advient en général des lignes Maginot.

À cela vient s'ajouter un phénomène plus ou moins surprenant, l'union des gauches pacifistes, munichoises et cryto-poutinistes qui, de facto font campagne de concert avec une extrême droite à la fois philo-poutiniste et philo-trumpiste, sur un leimotiv classique : plutôt le beurre que les canons, la paix tout de suite et quoi qu'il en coûte (à la liberté ukrainienne). Laissons la parole à Hanna Perekhoda :

L'approche la plus dangereuse et la plus négative consisterait à réduire les dépenses sociales pour financer l'augmentation des dépenses militaires. C'est la voie que les néolibéraux proposent déjà : réduire les budgets de la santé, de l'éducation, des retraites et de la protection sociale pour réaffecter ces fonds à la défense. Cependant, il est évident que l'affaiblissement de la protection sociale aggraverait les inégalités, alimenterait les tensions sociales et, en fin de compte, déstabiliserait les démocraties.

À l'heure où le populisme d'extrême droite gagne du terrain, imposer l'austérité renforcerait rapidement les forces antidémocratiques. Étant donné le soutien manifeste de la Russie et des États-Unis à ces forces, une telle mesure est exactement ce qu'espèrent Trump et Poutine. Une autre solution consisterait à augmenter les impôts des ultra-riches et des multinationales. Ceux qui ont le plus profité de la démocratie devraient contribuer le plus à sa défense. La mise en place d'impôts progressifs sur la fortune, d'impôts sur l'énergie et d'une réglementation plus stricte de l'impôt sur les sociétés pourrait générer des recettes sans nuire aux citoyens ordinaires [5].

Hanna Perekhoda, note que ce ne serait que justice si la confiscation des 300 milliards d'euros d'actifs russes gelés finançait la défense de l'Ukraine, mais que « la justice est une notion dangereuse » pour les tenants de l'ordre établi. La mise en œuvre de cette justice mettrait « en péril les fondements mêmes du capitalisme […], scénario impensable pour ceux qui profitent de ses injustices ».

Enfin, écrit-elle dans l'article que nous publions dans ces colonnes, il faut « rejeter le faux dilemme entre justice sociale et sécurité nationale ». Si la gauche veut rester crédible, elle doit « adopter une position claire sur les questions de défense ». À défaut, elle ne ferait que laisser les droites dominer le débat.

Dans son article (« Comment gérer les dilemmes de défense de l'Europe »), Christian Zeller rappelle qu'il est à la fois possible de lutter contre le réarmement et d'aider militairement l'Ukraine [6]. Li Andersson va dans le même sens en insistant pour sa part sur la nécessité de penser « l'autonomie stratégique de l'Europe [7] ». Le débat est ouvert, les nuances et les divergences se dessinent tout en ouvrant de larges plages d'accords.

Il n'est sans doute pas inutile de rappeler ici que les forces démocratiques et progressistes mondiales paieront le prix fort en cas de victoire de la Fédération de Russie et qu'inversement c'est la défaite militaire de celle-ci qui entraînera la chute de la dictature poutiniste.

Dans les colonnes d'Europe solidaire sans frontières, parodiant Clemenceau, Pierre Vandevoorde, écrit : « L'armée, c'est trop sérieux pour rester l'affaire des militaires [8] ». On pourrait même dire, en extrapolant un peu ce qu'il écrit, que c'est une affaire trop sérieuse pour être laissée aux politiciens bourgeois. Reprenant les mises en garde formulées par Hanna Perekhoda, il rappelle que la gauche devrait mener campagne pour la mise sous contrôle public des industries d'armement. Il insiste sur la nécessité d'ouvrir « la réflexion et le débat » sur la question militaire en renouant avec l'expérience des comités de soldats des années 1970, à la lumière de « ce que l'expérience ukrainienne nous apprend ». Il devient nécessaire de reposer les questions du droit syndical à l'armée, de la fin de l'armée de métier ou encore de la mise en place d'une réelle instruction militaire citoyenne.

De son côté, la Gauche anticapitaliste belge ouvre le débat en publiant une déclaration titrée : « Face à l'axe Trump-Musk-Poutine et aux gouvernements néolibéraux autoritaires européens : pour une politique de sécurité anticapitaliste et internationaliste ! ».

On y perçoit d'emblée les « leçons » de la guerre d'autodéfense ukrainienne : celle du type d'armes et celles des fins, des moyens et des objectifs à défendre. La Gauche anticapitaliste exhorte « l'ensemble du mouvement social et des forces de gauche à s'emparer sérieusement des enjeux de sécurité pour ne pas les laisser entre les mains de l'extrême droite ou des droites néolibérales ». Se prononçant contre le « plan ReArm Europe qui remet à l'industrie de l'armement et au marché les clés de notre politique de défense », l'organisation se prononce pour l'arrêt des ventes d'armes aux régimes dictatoriaux et colonialistes, pour « la socialisation et planification du secteur de l'armement […] sous contrôle démocratique » et pour l'envoi des moyens existants vers l'aide à la résistance ukrainienne. La « politique militaire indépendante et internationaliste » met en avant la nécessité d'« une autonomie de défense et stratégique complète par rapport aux États-Unis , ce qui implique la mise en œuvre d'« un programme indépendant de Starlink, l'arrêt des achats de F35, etc. ». Enfin, l'armée doit être démocratisée et placée « sous contrôle citoyen ».

Il est intéressant de rapprocher les observations faites par Zahar Popovitch à l'issue de la défaite de l'armée russe devant Kyiv en 2022 de ce qu'écrivait Philippe Guillaume, en 1949, dans les colonnes de Socialisme ou barbarie. Le militant ukrainien relève que « les forces armées ukrainiennes avaient établi des records d'efficacité » dans l'utilisation des armes dont elles disposaient. Pourquoi ?

« Une partie de la réponse, souligne-t-il, réside peut-être dans le fait que les Ukrainiens utilisent tous ces outils de manière plus créative et efficace. » Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, Philippe Guillaume rappelait que les prolétaires mobilisés (notamment américains) avaient rapidement assimilé l'usage des nouvelles armes mises à leur disposition. Selon lui, « l'industrialisation de la guerre et les progrès technologiques ne [faisaient] qu'augmenter l'autonomie, l'efficacité et partant la confiance en soi du combattant ». Il faut se rendre compte, écrivait-il encore, que les progrès « bouleversent si rapidement les conditions de la guerre » qu'ils bousculent à la fois les spécialistes, les états-majors et les combattants. Poussant la réflexion jusqu'à son ultime conséquence possible, il notait que « l'assimilation par les masses de la technique guerrière se retourne objectivement contre les exploiteurs avant même que les exploités utilisent consciemment leurs armes contre eux. »

Récemment, deux auteurs dont on ne peut soupçonner qu'ils aient la moindre des connivences avec nous, titraient ainsi leur article : « Ce que le Pentagone pourrait apprendre de la guerre en Ukraine [9] ». Tout à leur plaidoyer pour convaindre le Pentagone de revoir ses procédures d'acquisition des systèmes d'armes, ils donnent raison, à soixante-quinze ans de distance, à Philippe Guillaume en soulignant que les soldats ukrainiens avaient transformé les conditions de production et d'utilisation des matériels militaires en y intégrant des matériels civils (notamment les drones).

L'intelligence collective de la société est bel et bien indispensable à la défense d'un pays assailli qui sait pourquoi il se bat et indispensable à la production des armes qui lui sont nécessaires. La guerre d'Ukraine est venue nous le rappeler.

Défense nationale, défense du capital

Il y a quelque trente-cinq ans, avec notre ami Jean-Jacques Ughetto, aujourd'hui disparu, nous avions tenté d'ouvrir aux éditions Syllepse une collection « Point de mire » sous-titrée « Critique et pratique des systèmes militaires ». Inutile de dire que ce fut un flop retentissant [10]. L'idée avait germé à l'issue du cycle ouvert par la mobilisation démocratique de la jeunesse encasernée (1972-1982), à laquelle fait référence Pierre Vandevoorde. Celle-ci s'était construite autour de la problématique démocratique que synthétise parfaitement le slogan : « Soldat, sous l'uniforme tu restes un citoyen » ou sa déclinaison, « Soldat, sous l'uniforme tu restes un travailleur ».

Pour justifier pourquoi trois militants de la gauche révolutionnaire se lançaient dans une telle aventure éditoriale, nous rappelions que « la mise en interrogation de la défense, de son objet et des moyens qu'elle met en œuvre » s'articulait à « notre expérience passée d'appelés du contingent bien décidés à rester sous l'uniforme des citoyens à part entière ». En effet, la lutte menée pour imposer aux armées d'Europe le respect des libertés démocratiques [11], pour construire un droit d'association, notamment syndical, avait également permis d'exiger que la Grande Muette dise clairement à la société quelles étaient ses missions.

S'il ne s'était agi que du flop d'un projet éditorial, il ne serait pas utile d'en faire mention ici. Mais en réalité, ce « flop » révélait :

1) le désintérêt de la gauche révolutionnaire pour les questions militaires puisque l'antimilitarisme propagandiste et la litote du « défaitisme révolutionnaire [12] » suffisaient à sa politique [13] ;

2) la renonciation de la gauche parlementaire au pouvoir à partir de 1981 tout à la fois à l'introduction de la démocratie aux armées et à la prise en compte de celles-ci comme un enjeu politique et social.

La réflexion à laquelle nous espérions contribuer visait à aider à la « réappropriation des problèmes de défense par l'ensemble des citoyens et des citoyennes », démarche qui impliquait de tenter d'élaborer « une problématique de défense alternative nécessaire à tout projet de transformation de cette société ».

Un des enjeux stratégiques de cette discussion était de ne pas laisser isolées les couches sociales en uniforme face aux courants réactionnaires qui régnaient en maître dans les casernes. Les soldats du rang et l'encadrement inférieur étant par ailleurs souvent d'origine populaire. De plus, la réflexion sur une défense alternative ne pouvait se passer des compétences et de l'expérience de militaires eux-mêmes. Nous pensions donc vital de construire une alliance avec ces « travailleurs en uniforme » et de les gagner à un projet émancipateur auquel ils apporteraient leur contribution. Une démarche qui devait partir de leurs besoins immédiats sur leurs conditions de vie et de travail, en un mot de leurs intérêts sociaux, et qui trouvait son condensé politique dans le syndicalisme aux armées.

Il fallait donc – au moment où, mince affaire, l'empire russo-soviétique s'effondrait – (re)mettre dans le débat public une question toute simple : défendre quoi, comment et contre qui. Alors même que les armées étaient secouées par la crise sociale et par celle des missions, il fallait interroger« l'histoire, les débats et les mises en œuvre » et scruter « ce que la technologie et les bouleversements sociaux induisaient » pour l'organisation des armées Nous avions lu avec une certaine avidité l'Essai sur la non bataille de Guy Brossollet [14] et le livre d'Horst Afheldt qui s'en inspirait pour l'élaboration d'une défense non suicidaire en Europe [15]. Ils arrivaient à la conclusion que les systèmes de défense organisés autour d'une armée permanente et centralisée étaient dangereux et inadaptés au monde de la fin du 20e siècle.

Ils émettaient des propositions de forces armées intégrées dans la population, décentralisées, démocratiques, dé-hiérarchisées, reposant sur des structures mobiles dotées d'un armement ultramoderne performant [16].

De ce point de vue, le projet éditorial de la collection « Point de mire » mérite d'être rappelé. La note d'intention s'ouvrait ainsi : « Les débats dans notre pays sur les problèmes de défense s'embourbent souvent dans une approche quantitative. » En revanche, au-delà de leur juste dénonciation, tant la doctrine que l'organisation des forces armées – qui s'articulait alors autour du triptyque nucléaire-force de manœuvre-forces d'intervention, restaient peu soumises à la réflexion alternative [17]. L'époque était alors, rappelons-le, à ce que les doctrinaires de l'ordre établi appelaient la « défense opérationnelle du territoire », laquelle était conçue, selon le secrétaire d'État à la défense André Fanton « pour éviter tout retour aux événements qui ébranlèrent la Nation en mai 1968 ». Nous poursuivions la présentation de la collection en notant qu'il était le plus souvent oublié que la politique de défense était à la fois « so- cialement déterminée » et « amnésique ». En effet, on ignorait plus ou moins délibérément « les formes différentes d'organisation militaire » dont les sociétés avaient pu se doter à certains moments de leur histoire. Il était d'ailleurs révélateur que les célébrations du bicentenaire de la Grande Révolution occultaient avec délice les réalités des armées de l'An II [18].

L'axe néofasciste qui se met en place déstabilise la politique économique et sociale des États et des forces politiques qui se plaçaient, plus ou moins explicitement, sous le parapluie américain. Cette nouvelle donne jette une lumière crue sur le vide que nous avons laissé s'installer dans nos rangs sur les questions militaires [19]. Quelles sont les propositions alternatives que la gauche internationaliste et démocratique pourraient mettre en débat ?

Leçons ukrainiennes

Ce qui se passe dans l'armée ukrainienne devrait pourtant interpeller la gauche de transformation. Il n'est pas rare de voir en Ukraine des treillis dans des rassemblements de protestation sociale et des soldats du rang s'exprimer dans la presse sur leurs conditions de service pour dénoncer des abus. Le mouvement syndical, qui compte des milliers de membres dans les forces armées, entretient des liens permanents avec ses adhérents en uniforme. La première confédération syndicale ukrainienne, la FPU, vient de publier un fascicule Droits et garanties des militaires mobilisés et démobilisés.

Un syndicat de militaires LGBTQIA+ défend les droits des « gays en uniforme ». Une association de soldates, Veteranka, lutte pour les droits des femmes militaires. La question du droit syndical aux armées est ouvertement discutée alors que le pays est en guerre.

Yana Bondareva, qui gère une hotline créée par l'organisation socialiste Sotsialnyi Rukh à destination des soldat·es, explique que « la création de syndicats pour le personnel militaire serait un pas important vers la protection de ses droits et de ses garanties sociales. Les militaires ont le droit d'être représenté·es en matière de salaires, de conditions de service et de soins médicaux. » L'académie des forces terrestres de Lviv a procédé à une élection démocratique pour désigner son directeur. Cinq candidats étaient lice.

Les exemples de poussées démocratiques transformatrices dans l'armée ukrainienne abondent. Ils expriment les profondes aspirations du peuple ukrainien qui dans sa lutte de libération nationale contaminent l'espace militaire. Et ils ajoutent à l'armée ukrainienne au combat une « efficacité militaire » reconnue même par les états-majors ou experts occidentaux pourtant hostiles à tout souffle démocratique dans les casernes.

La démocratie sociale et politique aux armées apparaît un élément indispensable au combat militaire. La stratégie militaire en est bouleversée. Les modes de commandement interpellés. L'indispensable et nécessaire discipline militaire dans l'action, sur le terrain dans l'affrontement, repensée. Un nouvel art militaire émerge. Pour la gauche, rester sourde et aveugle à ces « révolutions militaires » en cours, sur le terrain, conduira au mieux à l'impuissance et au pire à la défaite politique face aux manœuvres des classes dominantes sur le réarmement. Le camp de l'émancipation doit disputer aux directions bourgeoises le monopole de la conduite des questions de défense. Dans cette perspective, le soutien à l'Ukraine résistante nous oblige à nous mettre à l'écoute de l'école militaire ukrainienne.

Patrick Le Tréhondat et Patrick Silberstein

Patrick Le Tréhondat et Patrick Silberstein ont été des syndicalistes sous l'uniforme, membres d'Information pour les droits du soldat et de la Conférence européenne des organisations d'appelés.

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Serbie : S’organiser contre le régime, hors des parlements

29 avril, par Sasa Savanovic — , ,
Le 15 mars dernier à Belgrade s'est tenue la plus grande manifestation étudiante organisée depuis le début de la vague de protestations la plus massive de l'histoire de la (…)

Le 15 mars dernier à Belgrade s'est tenue la plus grande manifestation étudiante organisée depuis le début de la vague de protestations la plus massive de l'histoire de la Serbie. La lutte continue, et avec elle, les discussions autour du changement « systémique » : au-delà des récits ethno-nationalistes ou des appels libéraux à un gouvernement d'expert·es, un conflit de classe émerge concrètement de la lutte étudiante.

24 avril 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/24/serbie-sorganiser-contre-le-regime-hors-des-parlements-autres-textes/#more-93014

Après des mois de confusion idéologique, des orientations plus claires commencent à émerger, tant chez les étudiant·es que dans la société en général. Cela se manifeste d'une part par l'apparition et la présence croissante de drapeaux ethno-nationalistes, et de l'autre, par les efforts de l'opposition libérale pour réduire la révolte étudiante et le soulèvement social à un simple changement de régime, en le traduisant dans le langage de la politique institutionnelle.

Le but est d'orienter la mobilisation vers les voies de la démocratie libérale, sous l'administration temporaire d'un gouvernement « d'expert·es » qui garantirait des conditions d'élections présentées comme libres et équitables.

Ces deux positions évoquent le récit, dominant dans les années 1990 et au début des années 2000, des « Deux Serbies » (l'une nationaliste contre l'autre libérale), mais ce temps-là est révolu. Cette opposition binaire classique n'est pas inévitable : il est tout à fait possible de critiquer les deux positions en même temps – surtout qu'en réalité, elles représentent les deux faces d'une même pièce capitaliste.

Beaucoup ont déjà du mal à assimiler ce que les étudiant·es ont effectivement soulevé – leurs revendications, leur démocratie directe, leurs prises de position – remettant en question la démocratie libérale (représentative) et son cadre économique néolibéral et appelant à un « changement systémique ». Les tenants et aboutissants exacts de ce changement restent en partie flous, ce qui permet aux différentes composantes qui coexistent à l'intérieur de la lutte d'interpréter ce changement à leur propre manière.

Changement de régime ou changement de gouvernance ?

En surface, le changement de système semble impliquer un changement de régime. C'est à ce niveau que se situe l'ensemble de l'opposition, y compris les médias et les commentateur·ices dominant·es de tous bords. Ce sont les mêmes expert·es (ou leurs héritier·es idéologiques) qui promettent à nouveau la même démocratie libérale, comme si les trente dernières années n'avaient pas eu lieu, comme si le système qu'ils et elles défendent ne s'était pas effondré en son cœur.

Pour reprendre les mots de Boris Buden, pour ce bloc, « le but ultime de la protestation est clair et indiscutable : nettoyer l'État de ses éléments corrompus et ainsi lui faire subir une sorte de révision générale, après quoi il sera comme neuf. » Dans cette conception qui réduit la politique au système partisan de la démocratie libérale, la protestation étudiante est critiquée comme étant antipolitique : « la solution doit être trouvée dans l'arène politique » – ce qui signifie par le biais des partis politiques, des élections, du parlement, etc.

Heureusement, la politique est bien plus large que sa forme institutionnalisée. En effet, la société s'est auto-organisée politiquement au cours des quatre derniers mois, au-delà des institutions politiques formelles. Elle agit politiquement au quotidien : dans les assemblées générales étudiantes, dans les associations informelles nouvellement formées de professeur·es en grève, dans les luttes du secteur de la culture à Belgrade et Kikinda, dans l'assemblée générale de la Bibliothèque Nationale, dans divers groupes de quartiers et de parents qui soutiennent les enseignant·es et les étudiant·es, dans les occupations des universités privées ; dans les protestations et revendications des travailleur·ses des transports publics de Belgrade, des pharmacien·nes de Belgrade, Kragujevac et Užice, dans les blocages des agriculteur·ices à Bogatić et Rača, dans les revendications des ingénieur·es de Serbie, dans les boycotts des chaînes de distribution de masse, dans les groupes formels et informels qui luttent contre les « projets de développement » tels que l'EXPO 2027 ou l'hôtel de Jared Kushner ; dans l'effort des travailleur·ses du secteur informatique pour fournir une aide financière aux enseignant·es en grève. La liste est encore longue. Hormis quelques syndicats et associations professionnelles semi-engagés, toutes ces initiatives politiques sont extra-institutionnelles.

Dans leur Lettre au peuple de Serbie (à noter que celle-ci ne s'adresse pas au peuple serbe, mais au peuple de Serbie), les étudiant·es expliquent la cohérence de leurs actions depuis des mois, systématiquement ignorée par les commentateurs et les prétendus représentant·es politiques. À la question « Quelle est la prochaine étape ? », les étudiant·es répondent sans équivoque : « Tout le monde en assemblées », appelant à la démocratie directe dans d'autres domaines publics. La compréhension des étudiant·es du changement systémique va donc plus loin qu'un simple changement de régime. Iels plaident pour un changement dans la manière dont la société est gouvernée, pour des institutions qui sont construites à partir de la base.

Contre l'opposition et sa démocratie libérale

Les étudiant·es, contrairement à l'opposition libérale, considèrent que la démocratie « n'est pas un but extérieur mais une pratique, la vie même du mouvement » (Rancière, message de soutien au mouvement), ouvrant alors une discussion sur la nature du système. Grâce à leur lutte, nous pouvons voir les Bosniaques, Slovaques, Valaques, Roms, non pas comme des caricatures de leurs représentant·es politiques, ni comme des « minorités », mais comme des membres égaux de la société.

L'opposition politique institutionnelle erre, perdue et incapable de trouver un rôle pour elle-même. Elle pourrait peut-être essayer d'agir comme médiatrice plutôt que comme représentante. Au lieu de parler en son nom, elle pourrait ouvrir un espace pour que la société parle d'elle-même). Au lieu de tenter de former parmi ses propres membres un gouvernement de transition qui n'aurait guère de légitimité , elle pourrait essayer d'engager la discussion avec la société politique auto-organisée.

Si elle veut devenir pertinente et, surtout, si elle veut être utile, l'opposition pourrait engager un dialogue avec les groupes mobilisés, les écouter, les autonomiser et les connecter les uns aux autres, se mettre d'accord avec eux sur des stratégies, des solutions de transition, des représentant·es et des priorités. L'opposition pourrait faire un effort pour être présente là où la nouvelle politique se façonne, là où de nouvelles institutions et de nouvelles visions sont en train de se construire.

L'ombre permanente du nationalisme

La lutte étudiante et celle d'autres groupes sociaux rebelles partent du fait évident que les temps joyeux de la mondialisation sont bel et bien révolus. Elles actent le fait que le capitalisme, particulièrement sous ses habits néolibéraux, n'a pas apporté la prospérité mais la destruction – signalant ainsi qu'un changement de paradigme économique est nécessaire. Les étudiant·es, les travailleur·euses culturel·les, de la santé et du social exigent des investissements publics plus importants ; les pharmacien·nes et les travailleur·euses des transports publics exigent l'arrêt des privatisations et la révision des contrats public-privé existants. Les associations environnementales exigent la suspension complète du projet de mine de lithium dans la vallée de Jadar, tandis que les travailleur·euses de Proleter à Ivanjica tiennent l'usine sous blocus, exigeant le paiement des salaires qui leur sont dus.

Cette perspective d'économie politique fait toutefois apparaître la part d'ombre des protestations étudiantes, à savoir l'absence de questionnement à propos du Kosovo et la formulation nationale de l'intérêt de l'État. Cette dernière tend à supprimer la nature de classe de la rébellion sociale. L'écart entre les intérêts nationaux et de classe, c'est-à-dire la question de savoir si la perspective de classe ou nationale de la lutte prédominera, est crucial pour l'avenir tant de la rébellion que de la Serbie.

Selon Jan Rettig, les programmes économiques des partis d'extrême droite en Europe peuvent être considérés en partie comme antisystèmes, puisqu'ils rompent avec la foi aveugle dans le marché. Cependant, la rupture se fait exclusivement dans le but de protéger le capital privé national. Tandis que des mesures protectionnistes sont introduites, le pillage néolibéral du secteur public et la privation des travailleur·euses ne sont pas interrompus, mais au contraire accentués. Cette trajectoire est devenue évidente dans les premiers mois de la présidence de Trump mais également avec les gouvernements centristes et conservateurs en Europe.

Un rejet émancipateur du « système »

Si les intérêts nationaux l'emportent dans la lutte sur le sens et les objectifs de la révolte sociale, la Serbie n'aura d'autre choix que de s'aligner avec une première, deuxième, troisième ou cinquième puissance impériale à laquelle elle offrira tout ce qu'elle possède – des individus, de la terre, des ressources. Dans ce scénario, seules les élites politiques et économiques peuvent s'en sortir indemnes.

Contrairement à la perspective nationale, les perspectives de classe et intersectionnelles imprègnent tous les aspects de la rébellion étudiante et sociale. Ses mots d'ordre sont justice, solidarité, égalité, entraide et vie digne pour chaque être humain. Contrairement à la droite qui se dit « antisystème », la charge antisystémique de la lutte étudiante est profondément féministe, car elle place l'éthique du soin au premier plan. Elle est anti-fasciste, car elle se préoccupe du bien-être des autres. Elle est également anticoloniale et anti-impérialiste, car elle rejette la logique de la suprématie (blanche). Enfin, elle est assurément une lutte de classe, car elle ne reconnaît pas la « naturalité » de l'appropriation et de l'exploitation.

Les politicien·nes s'efforcent de rétablir une nouvelle fois leur fantasme que constitue la démocratie libérale, alors que le système international dans lequel la Serbie existe a été irréversiblement altéré. Aucun retour en arrière n'est donc possible. Celui-ci ne serait d'ailleurs pas souhaitable : ce système du passé est responsable de l'apocalypse actuelle – politique, économique, écologique – qui prive la jeunesse d'aujourd'hui de son droit à un avenir. Au lieu de choisir entre périr dans une guerre nucléaire ou être brûlés par le soleil, les jeunes choisissent au moins de se battre pour la possibilité d'un avenir différent.

Si les libéraux·ales ne veulent pas ou ne peuvent pas aider les étudiant·es en lutte, qu'ils ne se mettent pas en travers de leur route. Il n'y a pas de chemins bien tracés, la voie à suivre est très risquée et l'issue incertaine. Le mouvement étudiant est parfois maladroit dans l'articulation de ses positions, mais la concrétude de la lutte qu'il mène produit « des idées et des rêves ».

Version abrégée d'un article paru sur Masina
Traduction, coupe et adpatation de la rédaction
Sasa Savanovic
https://solidarites.ch/journal/448-2/serbie-s-organiser-contre-le-regime-hors-des-parlements/
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74564

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Parlez, parlez, parlez, il en restera toujours quelque chose

29 avril, par Germain Dallaire — , ,
Il faut situer les prises de position de Donald Trump sur un temps très long. Déjà en1823, lors de l'énoncé de la fameuse Doctrine Monroe condamnant toute intervention (…)

Il faut situer les prises de position de Donald Trump sur un temps très long. Déjà en1823, lors de l'énoncé de la fameuse Doctrine Monroe condamnant toute intervention européenne dans les affaires américaines (nord et sud), le Groenland était inclus.

En 1867, dans la foulée de l'achat de l'Alaska, le président est revenu à la charge. Pendant la deuxième guerre, alors que l'Allemagne occupait le Danemark, les USA occupaient l'île continent (quatre fois plus grande que la France). Après la guerre. le président américain Truman a fait une offre d'achat de100 millions. En 2019, Donald Trump a exprimé le même souhait qu'aujourd'hui.

L'île fait partie de la plaque continentale américaine. L'île d'Elsmere appartenant au Canada est à 26 kilomètres des côtes groenlandaises. Copenhague, la Capitale du Danemark est à 3500 kilomètres.

Le premier intérêt du Groenland est évidemment géostratégique. La base américaine de Pituffik dans le nord de l'île est une pointe avancée de la ligne de surveillance face à la Russie et la Chine. Mais la recrudescence actuelle de l'intérêt vient du réchauffement climatique. De tout temps, le contrôle des voies de commerce maritime ont été l'apanage des grandes puissances. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre l'intérêt de Trump non seulement pour le Groenland mais aussi pour le Canada et le canal de Panama. Le réchauffement climatique est deux fois plus rapide en Arctique que dans le reste du monde. De 1980 à 2011, le couvert de glace y a diminué de 40%. Pour la Chine, ça veut dire un temps de transport raccourci de 40%. Non seulement, ces nouvelles routes maritimes du nord vont saliver les États-Unis mais aussi la Russie et la Chine.

La fonte accélérée des glaces qui recouvrent 85% de l'île fait rêver les promoteurs miniers. On parle entre autres de pétrole, de gaz naturel, d'uranium, de terres rares, etc… Bref, d'à peu près tout ce que le tableau périodique compte d'éléments. Tout ça à des quantités d'autant plus importantes qu'il s'agit d'estimation. Sur une vision à long terme, des glaciers qui fondent, c'est aussi de l'eau douce en grande quantité.

Le Groenland est donc un territoire d'avenir. Parler de réchauffement climatique, c'est cependant s'inscrire dans un temps relativement long. Dans le centre du Groenland, la glace atteint une épaisseur de trois kilomètres… Ce n'est donc pas demain qu'on va forer. Actuellement, il y a deux mines en opération et elles fonctionnent par intermittence. On évalue qu'il faut seize ans pour mettre une mine en opération. Au problème du froid s'ajoute celui de la main d'œuvre. Pendant cinq ans, Alcoa a cherché à construire une aluminerie mais a dû abandonner. Il aurait fallu faire venir 5,000 travailleurs mais il n'y a pas de logement et il est délicat d'ajouter une tel nombre de personnes à une si petite population. Le dernier gouvernement groenlandais était écologiste et avait instauré un moratoire sur tout développement minier. Le trafic maritime, même s'il augmente, n'est pas sans poser de problème tout simplement parce qu'on est en plein dans la route des icebergs et qu'une partie de l'année, il fait noir en permanence. Il y a donc loin de la coupe aux lèvres.

Et maintenant, parlons des habitants. L'île est peuplée de 57 000 habitants à 90% d'origine Inuit et 10% danoise. En 2009, résultat d'un long parcours du combattant, le Groenland obtenait un statut d'autonomie sauf sur les questions régaliennes (justice, défense, affaires étrangères, monnaie). La population porte les stigmates des peuples colonisés. Ainsi, dans les années 50, les colonisateurs danois ont pratiqué une politique forcée de rassemblement des communautés. Bien des familles vivant de la pêche et de la chasse habituées à la liberté et aux grands espaces se sont retrouvées dans des blocs appartements. Dans les années 60, les danois ont pratiqué une politique de stérilisation forcée qui a touché 50% des femmes Inuits. À ce jour, les autorités danoises ne se sont même pas encore excusées. Autre « stigmate », les enfants inuits sont 7 fois plus nombreux à être placés à l'extérieur de leur famille. Ce problème a été maintes fois dénoncé par des organismes internationaux de défense des droits humains. Ce n'est qu'en janvier que le gouvernement Danois a retiré ses grilles d'évaluation (avec Trump, le temps s'accélère !). Héritage de ce lourd passif colonial, la démographie est en chute libre. D'ici 2050, on prévoit que la population passera à 40 000. La langue de l'ascension sociale est le danois alors que les Inuits parlent l'inuktitut. Désœuvrés et sans avenir, les jeunes cherchent à quitter et ça va jusqu'à la vie elle-même. Le taux de suicide y est le plus élevé au monde.

Et l'indépendance là dedans ?

Avec 57,000 habitants, l'élite politique est évaluée à 50 personnes. Le parlement quant à lui compte 31 députés. On peut imaginer que tout le monde se connaît bien et que c'est tissé serré. Difficile de parler de vie politique comme on en parle habituellement. Quand même, lors des élections du 11 mars dernier, quatre partis s'affrontaient. C'est un parti de centre-droit qui est arrivé en premier. Le parti socialo-écologiste de gauche qui avait le pouvoir précédemment est arrivé troisième suivi de son allié social démocrate. Le parti indépendantiste a connu la plus importante progression pour arriver deuxième. Rapidement, un gouvernement de coalition s'est formé auquel l'entreprise parti indépendantiste a refusé de se joindre.

L'indépendance fait consensus dans la classe politique. Tous les partis y sont favorables. La question qui tue concerne l'échéancier. Compte tenu des menaces de Trump, cette question a été centrale pendant la campagne électorale. La coalition au pouvoir s'est réalisée sur la base d'une priorité donnée au développement économique comme préalable à l'indépendance. Comme il a été dit lors de l'annonce de la coalition : « construction de l'État Providence ».

Il faut savoir que le Danemark fournit annuellement près de 600 millions d'euros ce qui représente plus de la moitié du budget du gouvernement groenlandais. Ici au Québec, certains agitent l'épouvantail de la perte d'une péréquation annuelle de 14 milliards représentant moins de 10% du budget du gouvernement québécois alors que nous sommes 8 millions à payer de l'impôt à un gouvernement représentant 40 millions de personnes. Les Groenlandais sont 57,000 à le faire dans un pays de 8 millions d'habitants. Les deux situations ne se comparent pas. En termes de développement minier, on évalue qu'il faudrait une vingtaine de mines en opération pour remplacer ce 600 millions. Sans compter que comme toutes les populations autochtones, les Inuits sont près de la terre et fondamentalement allergiques à des développements miniers dévastateurs pour la nature.

Depuis le temps, on commence à connaitre le fonctionnement de Donald Trump. C'est un négociateur qui débute toujours avec une position maximale. Au fil du temps, il recule mais obtient toujours quelque chose. Ainsi au début d'avril, les États-Unis ont obtenu du gouvernement danois une entente de dix ans pour l'opération de trois bases militaires au Danemark, une entente qui a soulevé une opposition quasi-unanime dans la population tant la latitude des soldats américains est grande. L'influence américaine au Groenland a toujours été bien présente. Au cours des dernières années, ils ont obtenu l'annulation de 3 projets d'aéroport, d'un port et d'une mine tous promus par des intérêts chinois. L'influence des USA est déjà tellement grande qu'on se demande même où serait leur intérêt de prendre possession de l'île autre que celle de réaliser une vieille marotte.

Entre une Chine obsédée par son déploiement économique et des États-Unis souffrant du complexe de l'assiégé, l'avenir de cette petite population Inuit apparaît précaire et pointe plutôt vers la stagnation. C'est peut-être un peu cette quadrature du cercle qui explique que le parti le plus résolument indépendantiste affirme du même souffle que « les USA doivent être le premier partenaire économique du peuple groenlenlandais »

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La paix des cimetières n’est pas une paix du tout

Kris Parker fait un reportage en Ukraine et affirme que, comme ceux qui luttent en Palestine, en Syrie, au Soudan ou ailleurs, les Ukrainiens méritent le soutien des (…)

Kris Parker fait un reportage en Ukraine et affirme que, comme ceux qui luttent en Palestine, en Syrie, au Soudan ou ailleurs, les Ukrainiens méritent le soutien des internationalistes du monde entier.

25 avril 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/20/la-paix-des-cimetieres-nest-pas-une-paix-du-tout/#more-92753

Dans le froid et l'obscurité du petit matin du 23 février, l'armée russe a lancé la plus grande attaque de drones de sa guerre contre l'Ukraine à ce jour, couronnant la troisième année d'agression par une vague de 267 drones suicides et leurres. La ligne d'horizon au-dessus de Kiev s'est illuminée lorsque les forces de défense aérienne ont tiré de longues rafales sur les drones, les bruits des explosions et des mitrailleuses se mêlant au bourdonnement incomparable des Shaheds de conception iranienne. Trois personnes ont été tuées dans tout le pays, bien que 138 drones aient été abattus et 119 autres neutralisés par des systèmes de brouillage électronique. Les Russes ont également tiré trois missiles balistiques pendant l'attaque.

Aujourd'hui, alors que les Ukrainiens entament leur quatrième année consécutive de défense contre ces attaques quotidiennes, une nouvelle menace dynamique se développe rapidement sous le couvert d'une administration Trump ouvertement favorable au régime droitier de Poutine et qui s'emploie rapidement à saper la capacité de l'Ukraine à se défendre, tout en prétendant qu'ils poussent à la « paix. »

La paix du cimetière n'est pas une paix du tout, et si les menaces qui pèsent sur ceux qui, en Ukraine, luttent pour un avenir sûr et démocratique sont antérieures au proto-fascisme qui progresse aux États-Unis, l'ampleur des mesures prises récemment par l'administration Trump laisse présager un avenir qui sera défini par tout sauf la paix.

Pour ceux qui, en Ukraine, sont pris entre les chars russes, les banques occidentales, leur propre État profondément défectueux et néolibéral – en plus de l'abandon en cours par les États-Unis sous Trump – la situation pourrait difficilement être plus grave.

Malgré ces défis, les gens continuent de lutter pour un avenir meilleur, payant souvent de leur vie dans ce processus. Bien que souvent négligé par les commentateurs de salon de gauche comme de droite, le fait que les Ukrainiens se battent pour défendre leurs maisons et leur droit à l'autodétermination est central pour comprendre la guerre. Et comme ceux qui luttent en Palestine, en Syrie, au Soudan ou ailleurs, les Ukrainiens méritent le soutien des internationalistes du monde entier.

Après trois années sanglantes de guerre à grande échelle, la défense relativement réussie de l'Ukraine peut être attribuée à deux grands facteurs. Le premier est la motivation, le courage et l'auto-organisation d'une grande partie de la population, et le second est l'aide humanitaire et militaire internationale qui a fourni une grande partie du matériel nécessaire pour soutenir cette défense. De vastes réseaux de volontaires ont organisé le soutien matériel aux besoins humanitaires et aux unités militaires sous-équipées, souvent avec l'aide de volontaires internationaux.

Au cours de la première année de guerre, des centaines de milliers d'Ukrainiens de tous horizons se sont portés volontaires pour le service militaire, mais l'intensité des combats modernes a rapidement commencé à faire des victimes. Le gouvernement ukrainien ne publie pas systématiquement les informations sur les pertes, mais au moins 46 000 soldats ukrainiens ont été tués, alors que d'autres estimations sont beaucoup plus élevées. Des centaines de milliers de personnes ont été blessées et des dizaines de milliers de civils ont également été tués ou blessés.

Pour reconstituer les pertes et permettre aux troupes épuisées de se reposer, le gouvernement a mis en place un système de mobilisation de plus en plus draconien, puisque les plus motivés sont généralement déjà sous les drapeaux. Des cas d'abus et de corruption ont été documentés. Surpassés en nombre par les forces d'invasion russes, la plupart des soldats sont censés servir jusqu'à la fin de la guerre ou jusqu'à ce qu'ils soient blessés ou tués, ce qui fait naturellement l'objet de controverses dans la société ukrainienne.

Un projet de loi portant sur la démobilisation a été rédigé à la fin de l'année dernière, mais n'a pas encore été soumis à la Verkhovna Rada en raison des inquiétudes liées à l'insuffisance des réserves militaires. Actuellement, les hommes ukrainiens ne peuvent pas être mobilisés de force avant l'âge de 25 ans, dans le but de protéger la jeune génération face aux inquiétudes concernant les tendances démographiques à long terme, mais les administrations Biden et Trump ont toutes deux demandé au gouvernement ukrainien d'abaisser l'âge de la mobilisation à 18 ans. Volodymyr Zelensky a rejeté cette demande, arguant que le besoin le plus important concerne l'équipement de pointe : « Dites-moi, s'il vous plaît, si une personne se tient devant vous sans arme, quelle différence cela fait-il que cette personne ait 20 ans ou 30 ans ? Il n'y a aucune différence. »

Malgré l'épuisement et la douleur extrêmes ressentis dans toute la société ukrainienne, rien n'indique que les gens n'envisagent la capitulation. Un sondage réalisé en novembre 2024 indiquait qu'une légère majorité des personnes interrogées était favorable à un règlement négocié de la guerre le plus rapidement possible, ce pourcentage augmentant dans les zones proches des lignes de front. Un sondage plus récent mené par The Economist a indiqué quelques changements d'opinion, une majorité déclarant soutenir la lutte contre la Russie même avec la perte de l'aide américaine. La nature apparemment contradictoire de ces positions suggère un désir de repousser les Russes, tout en se rendant compte qu'il n'est peut-être pas possible de les repousser complètement dans le cadre des paramètres du déséquilibre actuel des pouvoirs.

La dépendance de l'Ukraine à l'égard de l'aide étrangère est sa plus grande vulnérabilité. La Russie dispose d'une population plus importante où puiser des troupes et d'une économie mobilisée pour la guerre. Bien qu'elle ait subi d'énormes pertes en Ukraine, l'armée russe est plus nombreuse que les forces ukrainiennes dans la plupart des secteurs du front, et elle progresse lentement. Bien que l'Ukraine ait amélioré le renforcement de ses propres industries militaires, l'ampleur du matériel consommé par les combats nécessite une aide extérieure.

Bien que l'administration Biden ait organisé la fourniture d'une assistance militaire, économique et humanitaire, un compte-rendu complet de l'approche défectueuse et opportuniste de l'administration Biden dépasserait le cadre de cet article. La rhétorique de l'administration défendant le droit international et condamnant l'agression impériale de la Russie a sonné creux lorsque Washington a autorisé la campagne israélienne d'extermination à Gaza et au-delà après les attaques du 7 octobre.

En arrière-plan se cachait le spectre de Trump et d'un mouvement MAGA d'extrême droite, qui affichait une hostilité croissante à l'égard de l'Ukraine, avec des figures clés blanchissant la propagande russe et tentant à plusieurs reprises de bloquer l'aide au Congrès. Signe des ennuis à venir, les républicains ont retardé de six mois un vote sur une aide militaire ukrainienne cruciale au cours de l'automne et de l'hiver 2023-24, contribuant probablement à la perte de la ville stratégique d'Avdiivka et à l'avancée russe qui en a résulté, qui a été ensuite ralentie mais pas encore entièrement arrêtée autour de Pokrovsk.

Maintenant que MAGA a pris le contrôle de l'État américain, cette hostilité qui s'envenime mûrit rapidement en un alignement ouvert sur la Russie d'extrême droite de Poutine, chaque jour apportant son lot de mauvaises nouvelles pour ceux qui se sont engagés en faveur d'une Ukraine libérée de toute domination étrangère. Bien que le rythme récent des actions de Trump puisse être vertigineux à comprendre ou à suivre, elles démontrent clairement les priorités de l'administration et laissent présager un avenir difficile pour l'Ukraine.

Trump a passé 2024 à blâmer… Zelensky et Biden pour l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Dès sa prise de fonction, il a qualifié Zelensky de dictateur, tout en refusant de caractériser Poutine comme tel. Lui et ses soutiens se sont ouvertement alignés sur l'allié d'extrême droite de Poutine, Viktor Orban, en Hongrie, depuis des années. L'une des premières mesures de l'administration a été de mettre fin au financement de l'USAID, ce qui a interrompu des traitements vitaux pour les patients atteints de tuberculose et de VIH/sida en Ukraine et dans le monde entier.

Le 3 mars, suite aux attaques débiles de Trump et de J. D. Vance contre Zelensky lors d'une conférence de presse convoquée pour annoncer la cession des ressources naturelles de l'Ukraine au contrôle effectif des États-Unis deux jours plus tôt, toute l'assistance militaire américaine à l'Ukraine a été mise en pause pour une durée indéterminée, en guise de punition pour avoir osé défier les diktats impériaux de Trump.

Le 5 mars, l'administration Trump a mis en pause tous les échanges de renseignements avec le gouvernement ukrainien, ce qui a réduit la capacité de l'Ukraine à cibler les forces russes avec des missiles à plus longue portée et à détecter les frappes aériennes russes entrantes. L'envoyé spécial de Trump pour l'Ukraine et la Russie, le lieutenant-général à la retraite Keith Kellogg, a justifié cette action en déclarant que les Ukrainiens l'avaient « provoquée eux-mêmes » et a décrit cette coupure comme « frapper une mule avec une pièce de bois, vous avez attiré leur attention. » Kellogg ne s'est pas arrêté à cette déshumanisation d'une population qui se bat pour défendre sa vie, mais il est allé jusqu'à insinuer que les Russes, l'agresseur, sont en fait plus raisonnables que les Ukrainiens.

Le 6 mars, Reuters a rapporté que l'administration Trump envisageait de supprimer la protection de 240 000 Ukrainiens dans le cadre de la suppression des droits des 1,8 million de migrants vivant aux États-Unis dans le cadre de programmes de libération conditionnelle humanitaire temporaire, les rendant ainsi éligibles à l'expulsion vers une zone de guerre active. (Ce plan aurait été envisagé avant la réunion du 1er mars à la Maison Blanche).

Le 7 mars, le jour même où des frappes russes ont tué 11 civils et en ont blessé 47 à Dobropillia, une petite ville de l'oblast de Donetsk, Trump a déclaré aux journalistes : « Je trouve qu'il est plus difficile, franchement, de traiter avec l'Ukraine. Et ils n'ont pas les cartes en main… Pour ce qui est d'obtenir un règlement définitif, il est peut-être plus facile de traiter avec la Russie. »

Il a ensuite justifié davantage l'agression russe : « Je pense qu'il [Poutine] veut que les choses s'arrêtent et se règlent et je pense qu'il les frappe plus fort qu'il ne l'a jamais fait et je pense que probablement n'importe qui dans cette position le ferait en ce moment. »

Le 9 mars, NBC a rapporté que l'équipe Trump cherchait désormais à étendre l'intensité de ses extorsions avant d'envisager toute reprise de l'aide en matière de renseignement et d'assistance militaire, les mesures prises pour acquérir le contrôle des ressources naturelles de l'Ukraine ne suffisant désormais plus à rassasier l'appétit de l'administration Trump.

Le 18 mars, Trump s'est entretenu au téléphone avec Poutine pour discuter ostensiblement des perspectives d'un cessez-le-feu de 30 jours que les dirigeants ukrainiens avaient accepté le 11 mars à l'issue d'une réunion en Arabie saoudite. À la suite de cette réunion, l'administration Trump a accepté de reprendre la livraison de l'aide militaire allouée sous l'administration Biden, tout en reprenant, semble-t-il, le partage de renseignements. Mais à ce stade, les forces ukrainiennes qui combattent dans la région russe de Koursk avaient été contraintes de battre en retraite, perdant ainsi un autre élément de levier pour de futures négociations. S'il n'est pas possible d'attribuer la percée russe uniquement aux actions américaines, il n'en reste pas moins vrai que les forces ukrainiennes dépendaient largement des renseignements satellitaires et des missiles à longue portée américains pour identifier et cibler les concentrations de troupes russes, deux éléments qui leur ont été retirés pendant cette période critique. En outre, l'administration Trump a empêché l'Ukraine d'utiliser l'imagerie satellitaire commerciale.

Autre cadeau fait à Poutine, les États-Unis ont mis fin au financement de la recherche sur l'enlèvement d'enfantsukrainiens par les autorités russes dans les territoires occupés. Cela s'ajoute à la fin d'une initiative du ministère de la Justice lancée sous Biden pour traquer les crimes de guerre russes en Ukraine, à la réduction des efforts pour contrer le sabotage russe et à lamise en pause des cyberactionsoffensives contre la Russie, tout cela alors que des membres clés de l'administration ne cessent de présenter Zelensky comme l'obstacle à la « paix. »

À la suite de l'appel téléphonique du 18 mars avec Trump, Poutine a ensuite émis ses propres exigences pour participer à tout cessez-le-feu. Elles comprennent la « cessation complète » de l'aide militaire étrangère à l'Ukraine et la démobilisation des forces ukrainiennes, deux mesures qui compromettraient gravement la capacité de l'Ukraine à se défendre contre de nouvelles attaques russes. Alors que l'administration Trump diffusait des déclarations déclarant que Poutine avait accepté une pause de 30 jours dans les attaques contre les infrastructures, des vagues de drones russes ont attaqué Kiev et d'autres cibles dans le pays. Ces attaques se sont poursuivies.

Après l'attaque du 18 mars, l'homme de main de Trump, Steve Witkoff, envoyé spécial au Moyen-Orient, a déclaré aux médias qu'il pensait que Poutine avait donné un ordre depuis 10 minutes aux forces russes de ne pas attaquer, et que toute attaque ayant eu lieu s'était produite avant cet ordre :

« En fait, les Russes m'ont dit ce matin que sept drones étaient en route lorsque le président Poutine a donné son ordre, et qu'ils ont été abattus par les forces russes, donc j'ai tendance à croire que le président Poutine agit de bonne foi, il a dit qu'il allait agir de bonne foi au président hier, et je le crois sur parole. »

Les attaques ont effectivement eu lieu environ six heures après la fin de l'appel entre Trump et Poutine, et il n'y a aucune raison logique pour que la Russie abatte ses propres drones – ni aucune preuve qu'elle l'ait fait. La déclaration de Witkoff, plus que d'afficher une stupidité sans fard, révèle une dynamique plus préoccupante en jeu. L'administration s'efforce clairement de privilégier les Russes, sur le plan rhétorique et matériel, par rapport aux Ukrainiens.

Lors d'une interview avec le fan de Poutine Tucker Carlson, Witkoff a doublé son ignorance et régurgité des arguments plus dangereux du Kremlin :

« Tout d'abord, je pense que le plus gros problème dans ce conflit, ce sont ces soi-disant quatre régions ; Donbas, Crimée, vous connaissez les noms, Lougansk, et il y en a deux autres. Elles sont russophones, il y a eu des référendums où l'écrasante majorité des gens ont indiqué qu'ils voulaient être sous la domination russe. Je pense que c'est la question clé du conflit. C'est donc la première chose à faire. Quand cela sera réglé, et nous avons des conversations très, très positives. »

Outre le fait que Witkoff ne peut pas nommer les régions d'Ukraine occupées et risquant une nouvelle annexion russe illégale – qui pour mémoire sont les oblasts de Louhansk, Donetsk, Zaporizhzhia et Kherson – il pousse l'idée extrêmement réductrice et factuellement incorrecte que ces régions sont intrinsèquement et activement pro-russes parce qu'il y a beaucoup d'Ukrainiens russophones qui y vivent. Il s'agit là d'une propagande pernicieuse, parmi les plus largement diffusées parmi les campistes et la foule rouge-brune. Cela dit, le mouvement séparatiste organisé et financé par les forces russes a reçu un certain soutien organique de la part des résidents à l'intérieur des frontières proclamées, bien qu'il soit caractérisé par une violence autoritaire et un programme politique réactionnaire.

La Crimée est également ukrainienne, bien qu'elle ait été prise en 2014 et remplie de colons essentiellement russes, une pratique qui se poursuit également au sein des territoires pris depuis 2022. Il n'y a pas eu de référendums légitimes montrant un soutien à l'adhésion à la Russie. Le 21 mars, Poutine a décrété que tous les Ukrainiens vivant « illégalement » dans les zones désormais occupées par l'armée russe avaient jusqu'au mois de septembre pour accepter la citoyenneté russe ou partir. Poutine a également insisté pour que toute négociation soit subordonnée à la cession par l'Ukraine de la totalité des quatre oblasts à la Russie. Les combats se poursuivent également dans certaines parties de l'oblast de Kharkiv.

La population ukrainienne, cependant, a montré peu d'intérêt à accepter un scénario dans lequel la Russie serait autorisée à dominer leur vie. Un sondage réalisé en octobre 2024 par l'Institut international de sociologie de Kiev a montré que 93% des Ukrainiens ont une opinion négative de la Russie, et seulement 3% une opinion positive. À la veille de l'invasion totale de 2022, seuls 50% exprimaient une opinion négative à l'égard de la Russie. L'augmentation du mépris pour la Russie montre clairement que l'agression brutale et meurtrière de la Russie n'est pas bien accueillie dans l'ensemble de la société ukrainienne.

L'alignement croissant entre MAGA et la Russie de Poutine devrait être une source d'inquiétude pour tout le monde, et pas seulement pour ceux qui défendent l'Ukraine. Avec la montée de l'extrême droite dans toute l'Europe, la lutte de l'Ukraine, malgré ses nombreux défauts, a des implications considérables. Son abandon sera une victoire pour la droite autoritaire.

Toute négociation, faite au-dessus de la tête des Ukrainiens et qui ne tient pas compte des préoccupations légitimes des gens qui vivent ici, a peu de chances d'apporter une paix digne de ce nom. Il y a peu de preuves que la Russie cherche autre chose qu'une capitulation totale, et tout les efforts de l'administration Trump pour faciliter cette politique doit être vigoureusement combattu.

En attendant, des efforts venant de la base sont en cours pour soutenir ceux qui en ont le plus besoin, les soldats comme les civils. Des groupes comme Solidarity Collectives, Radical Aid Force, Street Aid Daily, Base Ukraine, Eco Platform, the[ European Network for Solidarity with Ukraine], et Ukraine Solidarity Network-US, entre autres, offrent de bons points de départ pour s'impliquer davantage. Des revues comme Commons offrent également un point de vue critique.

Il y a beaucoup à apprendre de la lutte de l'Ukraine, et le temps presse.

Reportage publié le 9/4 /25 dans Tempest traduction Deepl revue ML
https://tempestmag.org/2025/04/death-from-above-resistance-from-below-in-ukraine/

Les opinions exprimées dans les articles signés ne représentent pas nécessairement celles des rédacteurs ou du Collectif Tempest. Pour plus d'informations, voir « À propos du collectif Tempest ».

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Fox News ne peut pas admettre l’identité juive des manifestants anti-Israël

29 avril, par Wilson Korik — , ,
« Des manifestants de [Jewish Voice for Peace] ont rempli le hall de la Trump Tower... pour dénoncer l'arrestation par l'immigration de Mahmoud Khalil, un militant (…)

« Des manifestants de [Jewish Voice for Peace] ont rempli le hall de la Trump Tower... pour dénoncer l'arrestation par l'immigration de Mahmoud Khalil, un militant pro-palestinien qui a aidé à diriger des manifestations contre Israël à l'Université de Columbia ».

Tiré de la page web de FAIR
https://fair.org/home/fox-news-cant-admit-jewish-identity-of-anti-israel-protesters/
17 avril 2025

Wilson Korik
photo : Des manifestants juifs envahissent le hall de la Trump Tower pour exiger la libération de Mahmoud Khalil AP (13/03/25) :

Dans sa couverture de la manifestation de Jewish Voice for Peace à la Trump Tower, Fox News a obscurci l'identité juive des manifestants – tout en faisant écho aux théories du complot antisémites et aux tropes racistes.

JVP, une organisation de Juifs américains en solidarité avec les Palestiniens, a organisé le sit-in le 13 mars devant la propriété de Trump à Manhattan pour protester contre la détentionpar l'ICE de Mahmoud Khalil, diplômé de l'Université Columbia et manifestant pro-palestinien.

Alors que la solidarité juive avec les Palestiniens confrontés au génocide ne s'inscrit pas parfaitement dans le récit de la chaîne selon lequel les manifestations pro-palestiniennes sont intrinsèquement antisémites, la couverture de la manifestation par Fox toute la journée a soit jeté le doute sur l'identité juive de l'organisation, soit minimisé la mention de JVP par son nom – tout en dépeignant les manifestants comme des antisémites.

De plus, la discussion sur la manifestation a dévié vers des théories du complot antisémites éhontées sur la façon dont George Soros et ses manifestants anti-américains prétendument payés cherchent à renverser l'Occident.

La couverture médiatique est un rappel absurde que, tandis que les alarmistes de droite dépeignent cyniquement l'opposition au génocide ou à la violation de la procédure régulière comme antisémite, la chaîne d'information câblée américaine la plus regardée n'a aucun problème à se faire l'écho des points de discussion de Goebbels.

« Ne leur donnez aucune publicité »

Fox News : Maintenant : Les manifestants occupent la Trump Tower et scandent « Libérez Mahmoud, libérez-les tous »
« Regardez certains des panneaux ici... Ils détestent les Juifs américains », a déclaré l'animateur d'Outnumbered, Harris Faulkner (13/03/25), tout en diffusant des images de manifestants brandissant des pancartes proclamant fièrement leur héritage juif.

L'argument avancé dans d'autres programmes selon lequel les manifestants étaient antisémites, anti-américains et alignés avec les nazis, nécessite une hésitation spécifique à l'égard du profilage de JVP, probablement mieux illustrée dans une interview sur The Story (13/03/25) avec le chef du NYPD, John Chell. Lorsqu'on lui a demandé qui était le groupe qui avait organisé la manifestation, il a répondu : « Nous connaissons bien ce groupe, je ne veux pas leur faire de publicité. »

Il a seulement négligé de dire la partie silencieuse à haute voix – qu'un cri pour JVP pourrait annoncer une réalité dans laquelle les manifestants en solidarité avec la Palestine et les manifestants sur les campus n'étaient pas motivés par l'antisémitisme.

Dans l'émission Outnumbered de Fox (13/03/25), l'animateur Harris Faulkner et d'autres panélistes ont passé beaucoup de temps à dépeindre les manifestants comme des antisémites – tout en obscurcissant intentionnellement le message ouvertement juif de la manifestation.

Ce n'est pas comme si les panélistes ou le journaliste Eric Shawn ignoraient d'une manière ou d'une autre qui manifestait : environ sept minutes après le début de la couverture, la panéliste Emily Compagno a lu le dos de l'un des T-shirts, imprimé « Les Juifs disent d'arrêter d'armer Israël ». Sans perdre de temps, elle s'est lancée dans une diatribe incohérente sur la façon dont le Parti démocrate et les universités de l'Ivy League vénèrent le Hamas. Quelques minutes plus tard, Eric Shawn a balbutié le nom du groupe une fois en passant, puis plus jamais.

Sans surprise, ces deux mentions fortuites ont été noyées par des accusations incessantes selon lesquelles les manifestants exprimaient une haine manifeste envers les Juifs.

Faulkner a donné le ton de la conversation avec certaines de ses remarques principales : « Regardez une partie de la signalisation ici... Ils haïssent Israël, ils haïssent les Juifs américains, ils sont anti-américains. (De telles pancartes violemment antisémites comprenaient « Combattez les nazis, pas les étudiants », « S'opposer au fascisme est une tradition juive » et « Plus jamais ça pour personne ».) Elle a ensuite demandé à son auditoire : « Si vous êtes juif dans ce bâtiment, vous sentez-vous en sécurité ? »

Lisa Boothe, la panéliste invitée, a ajouté que les manifestants « détestent l'Occident », affirmant qu'ils « soutiennent les nazis ».

« Certains ont dit qu'ils étaient juifs »

Lorsque les Cinq (13/03/25)ont mentionné pour la première fois l'identité juive des manifestants environ huit minutes après le début de l'émission, ils l'ont fait pour jeter le doute sur la prémisse selon laquelle les Juifs se livreraient à un tel acte : « Certains ont dit qu'ils... étaient juifs », bégaya Greg Gutfeld, « mais les médias vont-ils vérifier cela ? J'en doute !

(Il n'est pas clair qui Gutfeld considère comme « les médias », étant donné qu'il est panéliste dans l'émissionla mieux notée de la chaîne d'information câblée la plus regardée.)

Comme sur Outnumbered, les cinq panélistes ont accusé les manifestants de soutenir l'antisémitisme tout en ne mentionnant l'identité juive des manifestants qu'en passant. Jesse Watters a le mieux résumé la position du panel, déclarant que les manifestants « soutenaient un antisémite » qui « déteste les Juifs » et « [a fait exploser] Columbia ».

Le commentaire repose sur l'hypothèse qu'un public islamophobe entendra qu'une foule antisémite s'est rassemblée à la Trump Tower en soutien à Mahmoud Khalil « faisant exploser la Colombie » – et ne fera pas de suivi sur l'organisateur du rassemblement, ni pourquoi.

Une telle obscurcissement chargé de mots à la mode révèle une paranoïa dans une telle couverture : si les téléspectateurs choisissent de suivre et d'en apprendre davantage sur les manifestants, cela pourrait révéler le jeu. Les hordes d'antisémites présumés pourraient soulever des questions parfaitement raisonnables sur l'érosion de la procédure régulière et le financement du génocide par les États-Unis. Certaines de ces manifestations, comme celle de la Trump Tower, pourraient même être dirigées par des Juifs.

« Les mains dans de nombreux pots de protestation »

Fox News : Figure : Réseau de financement de Jewish Voice for Peace, NGO monitor 2019-2021
Fox News a parlé de George Soros comme s'il était le principal financier du mouvement palestinien – bien que, selon son propre graphique (Will Cain Show,), Soros ne soit que le cinquième plus grand bailleur de fonds de JVP, avec un tiers de son plus grand donateur et représentant moins de 2 % du financement total du groupe.

Curieusement, malgré toute leur préoccupation pour l'antisémitisme, Outnumbered, the Story, the Five, le Will Cain Show (13/03/25]) et Ingraham Angle (13/03/25) avaient tous une chose en commun : une fascination conspiratrice pour le financement de gauche prétendument astroturfé. Laura Ingraham a été particulièrement explicite :

Le groupe Jewish Voice for Peace... se présente comme un foyer pour les Juifs de gauche... et il reçoit son plus gros financement de groupes associés à George Soros.... Soros lui-même a les mains dans de nombreux marmites de protestation, attisant un mélange toxique d'antisémitisme et d'anti-américanisme.

Elle a cité un graphique affiché dans le Will Cain Show, qui a également été référencé dans le Five. Il a décrit le fonds Open Society de Soros comme le cinquième plus grand bailleur de fonds de JVP pour 2019-2021, contribuant à hauteur de 150 000 $. Étant donné que JVP dispose d'un budget annuel de plus de 3 millions de dollars, cela suggère que Soros est responsable de moins de 2 % du financement du groupe.

Ingraham a néanmoins ressenti le besoin de s'insurger contre Soros et la gauche juive au sens large. Elle a également qualifié le mouvement pro-palestinien de « cause du renversement de l'Occident ».

Ainsi, les manifestations pro-palestiniennes « antisémites » sont financées par un milliardaire juif anti-américain cherchant à renverser l'Occident ? Comme ses pairs dans Outnumbered et the Five, Ingraham a le pouvoir de faire avancer de tels tropes nuisibles, tant qu'elle s'attaque également à une accusation fallacieuse d'« antisémitisme ».

Tropes anti-arabes, anti-immigrés

Fox News : Rage radicale : des agitateurs de gauche prennent d'assaut la Trump Tower pour Mahmoud Khalil
Jeanine Pirro (13/03/25), a condamné les manifestants « qui voulaient que Mahmoud [Khalil] ait tous ses droits constitutionnels », laissant entendre que la violation de la procédure régulière de Khalil est légale parce qu'il « déteste toutes nos valeurs occidentales ».

L'obscurcissement par Fox du message ouvertement juif de la manifestation est sous-tendu par une autre hypothèse : que la protestation menée par les Palestiniens ou les immigrants contre le génocide est en quelque sorte moins légitime que la protestation menée par les Juifs américains. La couverture médiatique a non seulement occulté le rôle de JVP dans l'organisation de la manifestation, mais a également utilisé des tropes anti-arabes et des appels à l'expulsion pour salir la légitimité des demandes des manifestants.

Lorsque Jesse Watters a évoqué des fantasmes de manifestants étudiants faisant exploser des universités, ou que le panéliste invité d'Outnumbered (et ancien attaché de presse de la Maison Blanche de Bush) Ari Fleischer a accusé les manifestants d'être des résidents illégaux qui « devraient tous être expulsés de ce pays », ils ont joué sur les impulsions racistes de leur public.

Mahmoud Khalil est un immigrant palestino-syrien – ainsi, son opposition à un génocide au cours duquel Israël a tué au moins 51 000 Palestiniens à Gaza, avec 10 000 autres présumés morts sous les décombres, est illégitime. Et si les manifestants du JVP sont aussi des immigrants arabes, alors leur opposition à la répression et au génocide est sans fondement et antisémite.

C'est une autre raison pour laquelle il est dans l'intérêt de Fox de ne pas identifier les manifestants de la Trump Tower – pour permettre l'hypothèse qu'ils sont arabes, ou immigrants, ce qui les discrédite d'une manière ou d'une autre.

Ennemis sans nom

JVP : Si vous vous concentrez sur la libération palestinienne, pourquoi vous concentrez-vous sur l'organisation des Juifs ? Pourquoi ne pas simplement participer aux efforts menés par les Palestiniens ? JVP a un rôle spécifique et critique à jouer dans le mouvement de libération de la Palestine. En tant que Juifs, nous nous efforçons de répondre à l'appel de nos partenaires palestiniens pour construire un mouvement juif qui puisse effectivement former un contrepoids au soutien sioniste juif à l'apartheid israélien. Cela inclut souvent la défense de nos organisations partenaires palestiniennes, lorsqu'elles sont accusées d'antisémitisme pour avoir critiqué les politiques de l'État israélien. Notre rôle dans le mouvement pour la liberté palestinienne est d'ébranler l'alliance américano-israélienne en changeant fondamentalement le calcul financier, culturel et politique du soutien juif à l'apartheid israélien et au sionisme.
En tant qu'organisation dirigée par des Juifs en solidarité avec les Palestiniens, JVP souligne l'importance de lutter contre les fausses calomnies antisémites contre ses partenaires palestiniens et de créer un avenir juif désinvesti du sionisme.

L'hésitation de Fox News à identifier JVP est un contraste frappant avec la propension générale de Fox à nommer des ennemis. Une recherche sur FoxNews.com pour le « New Black Panther Party », un groupe nationaliste noir marginal, donne plus de 100 résultats ; comparez cela à moins de 30 visites sur le site Web d'AP. Une recherche de « Dylan Mulvaney », un influenceur trans qui a été ciblé dans une campagne de haine de masse en 2023, donne plus de 5 000 résultats sur Fox, contre 50 pour AP.

Fox News se nourrit d'ennemis, mais Jewish Voice for Peace est différent. En tant que groupe ouvertement juif-américain, JVP conteste le récit de Fox News selon lequel les protestations contre le génocide à Gaza sont enracinées dans l'antisémitisme.

« Nous organisons notre peuple et nous résistons au sionisme parce que nous aimons les juifs, la judéité et le judaïsme », indique le siteWeb de JVP. « Notre lutte contre le sionisme n'est pas seulement un acte de solidarité avec les Palestiniens, mais aussi un engagement concret à créer l'avenir juif que nous méritons tous. »

Pour être clair, la préoccupation continue des médias conservateurs et centristes pour l'antisémitisme supposé des opposants au génocide d'Israël n'est jamais de bonne foi – comme lorsque le New York Times (14/04/25), rapportant sur « la campagne de pression de Trump contre les universités », a allègrement affirmé que « les étudiants pro-palestiniens sur les campus universitaires... harcelé des étudiants juifs », sans noter que de nombreux étudiants pro-palestiniens étaient eux-mêmes juifs. Mais l'accusation d'antisémitisme est encore plus ridicule de la part d'un média qui utilise des tropes antisémites pour lancer ses propres attaques contre le mouvement pro-palestinien.

Et l'accusation est des plus ridicules de la part d'un réseau qui a trop peur de nommer son ennemi, comme si la simple reconnaissance que certains Juifs s'opposent au soutien américain au génocide d'Israël pouvait ébranler les fondements de tout son récit.

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La lâcheté impériale — Gaza ou l’effondrement moral des élites américaines

À Gaza, les bombes tombent. En Amérique, le silence tue. Ce texte expose un empire qui a sacrifié la vérité à ses idoles et troqué la pensée pour l'obéissance. Face à cette (…)

À Gaza, les bombes tombent. En Amérique, le silence tue. Ce texte expose un empire qui a sacrifié la vérité à ses idoles et troqué la pensée pour l'obéissance. Face à cette trahison morale, une jeunesse se dresse — non pour supplier, mais pour accuser.

Billehttps://blogs.mediapart.fr/haibaus/blog/190425/la-lachete-imperiale-gaza-ou-l-effondrement-moral-des-elites-americaines
t de blog de Haibaus

Il y a peu, dans un échange écrit courtois, un ami américain — anglo-saxon, avocat de profession, diplômé de George Washington et de Yale — me confia une conviction qu'il croyait lucide : selon lui, Israël surpassait de loin le monde arabe en diplomatie, stratégie et technologie. Quant aux Juifs américains, ils excellaient dans l'art de manier les leviers du pouvoir — non par privilège, mais par mérite. Il ne voyait là ni captation ni hégémonie, mais un aboutissement mérité de la modernité politique.

Je l'ai lu avec attention. Puis je lui ai répondu, sobrement. Je ne conteste ni la résilience d'un peuple ni ses réussites. Mais je questionne la manière dont une fidélité idéologique — le sionisme — s'est imposée comme norme tacite au cœur du pouvoir américain. Une orthodoxie devenue réflexe, où toute nuance devient suspecte, et toute interrogation, blasphème.

Je pris soin de distinguer ce que notre époque confond : critiquer un appareil de pouvoir n'est pas viser une communauté. Pour illustrer cette saturation idéologique, j'ai cité — en la désamorçant — une formule trouble sur la « domination juive de l'Occident ». Non pour la reprendre, mais pour rappeler que l'assujettissement réel est celui à un lobby pro-israélien : structuré, efficace, comparable aux autres groupes de pression — mais doté d'un surcroît d'impunité symbolique.

Il ne s'agit pas d'identité, mais de pouvoir. D'un appareil narratif fondé sur la disqualification, l'intimidation morale et la sacralisation de la mémoire. Une mémoire devenue cuirasse. Une impunité érigée en doctrine.

Mon ami refusa d'entrer dans cette complexité. Quelques jours plus tard, il coupa les ponts. Par peur, plus que par hostilité. Peur de prononcer certains mots. Peur, aussi, de troubler l'équilibre domestique : sa femme était juive, et Gaza déjà un mot maudit. Il ne fuyait pas une idée. Il fuyait un climat. Celui d'une époque où le doute est une faute et la pensée, une transgression.

Tout est là. L'Amérique ne pense plus. Elle récite. Elle ne gouverne plus. Elle s'incline.

Ce qu'elle vénère désormais, c'est une vision binaire et brutale du monde — celle d'un empire qui continue de raisonner comme une frontière. Cette posture n'est pas nouvelle. L'élite anglo-saxonne, forgée dans l'expansion, n'a pas attendu les lobbies pour frapper. Mais sans l'emprise idéologique actuelle, elle aurait sans doute hésité davantage — et frappé avec plus de retenue.

C'est une nation de cow-boys sûrs d'eux-mêmes, persuadés que tout conflit est un duel, et toute voix dissonante, une trahison. Le Moyen-Orient n'est pas, pour elle, une région à comprendre, mais un théâtre à dominer. Dans cette scène mentale, Israël joue un rôle familier : bras armé, avant-poste moral, reflet valorisé d'une Amérique qui s'admire en empire.

Ce réflexe n'est pas une dérive. Il révèle une carence : celle d'un pays sans aristocratie de l'esprit. Jackson naquit dans une cabane. Truman ne fréquenta jamais l'université. Reagan joua sa présidence comme un rôle. Bush fils, malgré Yale, incarne le privilège sans culture. Quant à Trump, il est l'enfant nu d'un empire déchaîné : fortune sans noblesse, pouvoir sans frein, vulgarité sans gêne.

Sous ce vide, un malaise plus profond : une élite WASP, longtemps dominante mais peu érudite, déstabilisée, depuis plusieurs décennies, par l'ascension d'élites juives américaines — plus cultivées, plus cosmopolites, plus stratèges, et foncièrement sionistes. Celles-ci, soutenues par une base évangélique doctrinaire et influente, ont su capter le récit. L'élite blanche protestante, au lieu de rivaliser, s'y est ralliée. Certains par conviction ; beaucoup, par crainte ou simple résignation.

Alors le récit a changé de mains. Non par complot. Mais par renoncement — et par imposture.

Et ce renoncement tue. À Gaza, il tue les corps. En Amérique, il tue les esprits. Là-bas, des hôpitaux s'effondrent. Ici, les consciences. Il ne reste ni pensée ni diplomatie, seulement une liturgie politique. Et ceux qui prononcent le mot « génocide » — étudiants, artistes, journalistes — sont livrés au pilori.

La fracture morale est béante. Une génération — instruite, critique, parfois juive elle-même — voit ce que l'élite ne sait plus nommer : qu'Israël est devenu une machine de guerre génocidaire, et l'Amérique, son dispensateur d'impunité.

Cette complicité est bipartisane. Elle porte tantôt le nom de Biden, tantôt celui de Trump.
L'un incarne la soumission feutrée, l'autre, l'aveuglement brutal. Trump n'a pas été une erreur : il fut un verdict. Une revanche contre la trahison des principes universels. Il n'a pas seulement défait les institutions : il a réhabilité le suprémacisme blanc, ravivé un antisémitisme de fond.
Ironie tragique : à force de défendre Israël aveuglément, l'Amérique met en péril l'avenir moral de ses propres citoyens juifs.

Plus largement, elle s'est abandonnée aux lobbies — surtout au pro-israélien. Des progressistes aux conservateurs, cette soumission à Israël transcende les clivages — elle est devenue rite bipartisan.
Sa politique étrangère n'est plus qu'un prolongement des intérêts privés. Elle est achetée, capturée, exécutée.

Et cette soumission repose sur un socle plus vaste : un système électoral gangrené, où l'argent dicte l'agenda, et où la fidélité à Israël vaut plus qu'un programme, une morale ou une nation.
Depuis l'arrêt Citizens United, des personnes morales peuvent créer des PAC et inonder les campagnes de financements opaques. La corruption ne s'arrête pas au Congrès : elle atteint jusqu'à la Cour suprême.

Nancy Isenberg a montré que l'Amérique n'est pas une méritocratie, mais une hiérarchie d'humiliation. Richard Slotkin rappelle que sa mythologie nationale repose sur la rédemption par la violence. Et Alexander Hinton nous enseigne que le génocide ne commence pas par les bombes, mais par les silences.

Gaza n'est pas une anomalie. C'est un miroir. Et dans ce miroir, la jeunesse américaine ne contemple plus l'empire : elle y voit sa ruine morale.

Pourtant, même fracturée, elle reste traversée de courants de résistance : intellectuels lucides, journalistes intègres, artistes visionnaires. Mais ces voix sont dispersées, sans coordination.
En face, les conservateurs savent verrouiller le récit, imposer l'agenda, occuper l'espace.

La guerre de Gaza n'a pas seulement déchiré une carte. Elle a révélé une rupture générationnelle. Une Amérique jeune, éduquée, connectée, critique, se lève. Et elle parle une langue que l'élite politique dirigeante ne comprend pas.

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Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG)

gauche.media

Gauche.media est un fil en continu des publications paraissant sur les sites des médias membres du Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG). Le Regroupement rassemble des publications écrites, imprimées ou numériques, qui partagent une même sensibilité politique progressiste. Il vise à encourager les contacts entre les médias de gauche en offrant un lieu de discussion, de partage et de mise en commun de nos pratiques.

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