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« Cellule de légitimation » : une unité israélienne chargée de relier les journalistes de Gaza au Hamas
Considérant les médias comme un champ de bataille, une unité secrète des services de renseignement de l'armée a fouillé Gaza à la recherche d'éléments susceptibles de renforcer la hasbara israélienne, y compris des affirmations douteuses qui justifieraient le meurtre de journalistes palestiniens.
Tiré de France Palestine Solidarité. Photo : Les bombardements israéliens ont tué les journalistes d'Al Jazeera Anas Al-Sharif et Mohammed Qreiqeh © Motasem A Dalloul.
L'armée israélienne a mis en place une unité spéciale appelée « Legitimization Cell » (Cellule de légitimation), chargée de recueillir des renseignements à Gaza susceptibles de renforcer l'image d'Israël dans les médias internationaux, selon trois sources des services de renseignement qui se sont entretenues avec +972 Magazine et Local Call et ont confirmé l'existence de cette unité.
Créée après le 7 octobre, cette unité recherchait des informations sur l'utilisation par le Hamas d'écoles et d'hôpitaux à des fins militaires, ainsi que sur les tirs de roquettes ratés par des groupes armés palestiniens qui ont causé des dommages aux civils dans l'enclave. Elle a également été chargée d'identifier les journalistes basés à Gaza qu'elle pourrait présenter comme des agents secrets du Hamas, afin d'atténuer l'indignation mondiale croissante suscitée par le meurtre de reporters par Israël, dont le dernier en date est le journaliste d'Al Jazeera Anas Al-Sharif, tué lors d'une frappe aérienne israélienne la semaine dernière.
Selon les sources, la motivation de la cellule de légitimation n'était pas la sécurité, mais les relations publiques. Poussés par la colère que les journalistes basés à Gaza « salissent le nom [d'Israël] devant le monde entier », ses membres étaient impatients de trouver un journaliste qu'ils pourraient associer au Hamas et désigner comme cible, a déclaré une source.
La source a décrit un schéma récurrent dans le travail de l'unité : chaque fois que les critiques à l'égard d'Israël s'intensifiaient dans les médias sur une question particulière, la cellule de légitimation recevait pour instruction de trouver des renseignements pouvant être déclassifiés et utilisés publiquement pour contrer le discours.
« Si les médias internationaux parlent d'Israël tuant des journalistes innocents, alors on cherche immédiatement un journaliste qui ne serait pas si innocent, comme si cela rendait acceptable le meurtre des 20 autres », a déclaré la source du renseignement.
Souvent, c'était l'élite politique israélienne qui dictait à l'armée les domaines du renseignement sur lesquels l'unité devait se concentrer, a ajouté une autre source. Les informations recueillies par la cellule de légitimation étaient également transmises régulièrement aux Américains par des canaux directs. Les agents du renseignement ont déclaré qu'on leur avait dit que leur travail était essentiel pour permettre à Israël de prolonger la guerre.
« L'équipe recueillait régulièrement des renseignements pouvant être utilisés à des fins de hasbara — par exemple, un stock d'armes [du Hamas] [trouvé] dans une école — tout ce qui pouvait renforcer la légitimité internationale d'Israël pour continuer à se battre », a expliqué une autre source. « L'idée était de [permettre à l'armée] d'opérer sans pression, afin que des pays comme les États-Unis ne cessent pas de fournir des armes. »
L'unité a également cherché des preuves reliant la police de Gaza à l'attaque du 7 octobre, afin de justifier de la prendre pour cible et de démanteler les forces de sécurité civiles du Hamas, a déclaré une source proche du travail de la cellule de légitimation.
Deux des sources du renseignement ont raconté qu'au moins une fois depuis le début de la guerre, la cellule de légitimation avait déformé des informations afin de présenter à tort un journaliste comme un membre de la branche militaire du Hamas. « Ils étaient impatients de le désigner comme une cible, comme un terroriste, afin de pouvoir l'attaquer en toute légitimité », se souvient une source. « Ils ont déclaré : Pendant la journée, c'est un journaliste, mais la nuit, c'est un commandant de peloton. Tout le monde était enthousiaste. Mais il y a eu une série d'erreurs et de raccourcis. »
« Finalement, ils ont réalisé qu'il était vraiment journaliste », a poursuivi la source, et le journaliste n'a pas été pris pour cible.
Un schéma similaire de manipulation est évident dans les renseignements présentés sur Al-Sharif. Selon les documents publiés par l'armée, qui n'ont pas été vérifiés de manière indépendante, il a été recruté par le Hamas en 2013 et est resté actif jusqu'à ce qu'il soit blessé en 2017 — ce qui signifie que, même si les documents étaient exacts, ils suggèrent qu'il n'a joué aucun rôle dans la guerre actuelle.
Il en va de même pour le cas du journaliste Ismail Al-Ghoul, tué lors d'une frappe aérienne israélienne en juillet 2024 avec son caméraman à Gaza. Un mois plus tard, l'armée a affirmé qu'il était un « membre de la branche militaire et un terroriste de Nukhba », citant un document de 2021 qui aurait été récupéré sur un « ordinateur du Hamas ». Or, ce document indiquait qu'il avait obtenu son grade militaire en 2007, alors qu'il n'avait que 10 ans, soit sept ans avant d'avoir été prétendument recruté par le Hamas.
« Trouver autant de matériel que possible pour la hasbara »
L'une des premières actions très médiatisées de la cellule de légitimation a eu lieu le 17 octobre 2023, après l'explosion meurtrière à l'hôpital Al-Ahli de Gaza. Alors que les médias internationaux, citant le ministère de la Santé de Gaza, rapportaient qu'une frappe israélienne avait tué 500 Palestiniens, les responsables israéliens affirmaient que l'explosion avait été causée par une roquette du Jihad islamique qui avait mal fonctionné et que le nombre de morts était bien inférieur.
Le lendemain de l'explosion, l'armée a diffusé un enregistrement que la cellule de légitimation avait trouvé dans des interceptions de renseignements, présenté comme un appel téléphonique entre deux agents du Hamas attribuant l'incident à un tir raté du Jihad islamique. De nombreux médias internationaux ont ensuite jugé cette affirmation plausible, y compris certains qui ont mené leurs propres enquêtes, et cette divulgation a porté un coup sévère à la crédibilité du ministère de la Santé de Gaza — saluée au sein de l'armée israélienne comme une victoire pour la cellule.
Un militant palestinien des droits humains a déclaré à +972 et Local Call en décembre 2023 qu'il avait été stupéfait d'entendre sa propre voix dans l'enregistrement, qui, selon lui, n'était qu'une conversation anodine avec un autre ami palestinien. Il a insisté sur le fait qu'il n'avait jamais été membre du Hamas.
Une source ayant travaillé avec la cellule de légitimation a déclaré que la publication de documents classifiés tels qu'un appel téléphonique était très controversée. « Cela ne correspond pas du tout à l'ADN de l'unité 8200 d'exposer nos capacités pour quelque chose d'aussi vague que l'opinion publique », a-t-il expliqué.
Néanmoins, les trois sources du renseignement ont déclaré que l'armée considérait les médias comme une extension du champ de bataille, ce qui lui permettait de déclassifier des informations sensibles pour les rendre publiques. Même les membres du personnel du renseignement n'appartenant pas à la cellule de légitimation ont reçu pour instruction de signaler tout document susceptible d'aider Israël dans la guerre de l'information. « Il y avait cette phrase : « C'est bon pour la légitimité » », se souvient une source. « L'objectif était simplement de trouver autant de documents que possible pour servir les efforts de hasbara. »
Après la publication de cet article, des sources officielles du secteur de la sécurité ont confirmé à +972 et Local Call que diverses « équipes de recherche » avaient été mises en place au sein des services de renseignement militaires israéliens au cours des deux dernières années dans le but de « dénoncer les mensonges du Hamas ». Ils ont déclaré que l'objectif était de « discréditer » les journalistes qui couvraient la guerre sur les chaînes de télévision « d'une manière prétendument fiable et précise », mais qui, selon eux, faisaient en réalité partie du Hamas. Selon ces sources, ces équipes de recherche ne jouent aucun rôle dans la sélection des cibles individuelles à attaquer.
« Je n'ai jamais hésité à transmettre la vérité »
Le 10 août, l'armée israélienne a tué six journalistes lors d'une frappe qu'elle a ouvertement reconnue comme visant le reporter d'Al Jazeera Anas Al-Sharif. Deux mois plus tôt, en juillet, le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) avait fait part de ses craintes pour la vie d'Al-Sharif, affirmant qu'il était « la cible d'une campagne de dénigrement de l'armée israélienne, qu'il considère comme un prélude à son assassinat ».
Après qu'Al-Sharif ait publié en juillet une vidéo virale dans laquelle il apparaissait en larmes alors qu'il couvrait la crise alimentaire à Gaza, le porte-parole arabophone de l'armée israélienne, Avichay Adraee, a publié trois vidéos différentes l'attaquant, l'accusant de « propagande » et de participer à la « fausse campagne de famine du Hamas ».
Al-Sharif a établi un lien entre la guerre médiatique menée par Israël et la guerre militaire. « La campagne d'Adraee n'est pas seulement une menace médiatique ou une destruction d'image ; c'est une menace réelle », a-t-il déclaré au CPJ. Moins d'un mois plus tard, il a été tué, l'armée présentant ce qu'elle a qualifié d'informations déclassifiées sur son appartenance au Hamas pour justifier l'attaque.
L'armée avait déjà affirmé en octobre 2024 que six journalistes d'Al Jazeera, dont Al-Sharif, étaient des agents militaires, une accusation qu'il avait vigoureusement niée. Il est devenu le deuxième de cette liste à être pris pour cible, après le reporter Hossam Shabat. Depuis l'accusation d'octobre, sa localisation était bien connue, ce qui a conduit de nombreux observateurs à se demander si le meurtre d'Al-Sharif, qui rendait régulièrement compte de la situation à Gaza, faisait partie du plan israélien visant à imposer un black-out médiatique avant ses préparatifs militaires pour s'emparer de la ville.
En réponse aux questions du magazine +972 sur le meurtre d'Al-Sharif, le porte-parole de l'armée israélienne a réitéré que « l'armée israélienne avait attaqué un terroriste de l'organisation terroriste Hamas qui opérait sous le couvert d'un journaliste du réseau Al Jazeera dans le nord de la bande de Gaza », et a affirmé que l'armée « ne blesse pas intentionnellement des personnes non impliquées, et en particulier des journalistes, conformément au droit international ».
Avant l'attaque, a ajouté le porte-parole, « des mesures ont été prises pour réduire le risque de blesser des civils, notamment l'utilisation d'armes de précision, des observations aériennes et des informations supplémentaires provenant des services de renseignement ».
À seulement 28 ans, Al-Sharif était devenu l'un des journalistes les plus reconnus de Gaza. Il fait partie des 186 reporters et professionnels des médias tués dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre, selon le CPJ — la période la plus meurtrière pour les journalistes depuis que le groupe a commencé à collecter des données en 1992. D'autres organisations ont estimé le nombre de morts à 270.
« Si ces mots vous parviennent, sachez qu'Israël a réussi à me tuer et à faire taire ma voix », a écrit Al-Sharif dans son dernier message, publié à titre posthume sur ses comptes de réseaux sociaux. « J'ai vécu la douleur dans tous ses détails, j'ai goûté à la souffrance et à la perte à maintes reprises, mais je n'ai jamais hésité à transmettre la vérité telle qu'elle est, sans déformation ni falsification. »
Traduction : AFPS

« Ill y a des époques qui appellent les médiocres » (Karl Marx) - A propos des billettistes du Journal de Montréal
Cette formule me vient à l'esprit quand je parcours le Journal de Montréal. En effet, une bonne partie de ses billettistes (à quelques exceptions près) doivent leur renommée aux chroniques qu'ils y tiennent bien plus qu'à la pertinence ou à la profondeur de leurs analyses. Ils s'abandonnent le plus souvent à la démagogie la plus grossière.
Je pense à Richard Martineau, Joseph Facal, Mario Dumont, Sophie Durocher, Mathieu Bock-Côté et Yasmine Abdelfaddel. S'ils n'écrivaient pas dans ce journal à grand tirage, certains seraient inconnus du grand public ou encore, pour la plupart d'entre eux, des commentateurs dans des médias de droite peu lus par le public. Mais même ceux d'entre eux qui bénéficient d'une certaine notoriété, la médiocrité leur colle à la peau, y compris Bock-Côté, en dépit des ouvrages qu'il a déjà publiés et Dumont qui a déjà été député. La notoriété de ce dernier ne le sauve pas de la relative médiocrité intellectuelle qui semble sa marque de commerce. Les prétentions intellectuelles de Bock-Côté, le « penseur de service » de Québecor ressemblent à un bel habit qui dissimule ses très moyennes performances intellectuelles et sa démagogie prétentieuse.
Deux grands axes guident tout ce monde à divers degrés : l'anti gauchisme, (en fait la gauche en général) et le « wokisme » en particulier celui-ci étant censé incarner un danger majeur pour la liberté de pensée ; Joseph Facal surtout s'est fait une spécialité de le dénoncer, car il sévirait dans les universités d'une part. Leur autre obsession est la défense acharnée d'Israël ; en effet, Richard Martineau s'emploie à confondre antisionisme et « antisémitisme » ; il se fait aussi une spécialité de dénigrer les sociétés arabes en reprenant à son compte tous les préjugés les plus éculés à leur endroit. Bien entendu, de son point de vue, la gauche propalestinienne s'enferre dans des contradictions insoutenables en ne mentionnant pas certaines positions du Hamas palestinien et en donnant priorité à la critique d'Israël. Je ne m'étendrai pas sur les arguments souvent spécieux utilisés par ces deux bouffons puisqu'ils les étalent sans complexe dans leurs chroniques. Il suffit d'ouvrir le Journal de Montréal pour que leur démagogie apparaisse au premier coup d'oeil.
Mais celle-ci dépasse la personne de ces petites vedettes qui ont renoncé à toute subtilité dans l'étalage de leurs positions. En effet, qu'ils se laissent prendre ou non à leur propre démagogie importe peu puisqu'ils ne forment que la courroie de transmission de l'orientation politique de Québecor. Ils se livrent à une entreprise d'intoxication idéologique auprès du grand public, traduisant en terme simples (pour ne pas dire simplistes dans le cas de Martineau) ce qui paraît bien constituer la position de Québecor, leur employeur, sur certaines questions délicates.
Par exemple, s'ils défendent la souveraineté, ils appuient du même souffle un certain conservatisme dans la gestion des finances publiques. Ils sont donc partisans d'une indépendance mâtinée de néoconservatisme.
De leur point de vue, la lutte armée des Palestiniens est qualifiée de « terrorisme » mais ils évitent d'exposer les motifs qui poussent ce peuple opprimé à résistance. Mais Israël, lui, bien sûr, ne fait qu'utiliser son droit à l'autodéfense...
Poutine est un tyran et les Ukrainiens ont le droit et même le devoir de lutter pour sauvegarder leur liberté nationale, ça va de soi. Ils ne qualifient jamais la résistance ukrainienne de « terroriste ».
Les six billettistes ci-dessus nommés se prononcent sur une foule de sujets un une sorte de bavardage aussi bruyant que superficiel, comme des commères. Facal et Bock-Côté eux, s'efforcent de donner une certaine sophistication à leurs propos, ce qui ne confère pas pour autant à ceux-ci de réelle profondeur analytique. Ils s'en tiennent à la surface des choses. Ils participent donc à la médiocrité politique ambiante autant qu'ils en sont le résultat.
Le Journal compte aussi quelques chroniqueurs progressistes, à la critique sociale plus pertinente, comme Josée Legault, Émilise Lessard-Therrien (une ancienne députée de Québec solidaire) ou centristes comme Antoine Robitaille et un analyste international comme Loïc Tassé. Pierre-Karl Péladeau, le grand patron du Journal, essaie sans doute de maintenir une apparence d'équilibre entre la droite et la « gauche » dans sa feuille de chou, mais la tonalité dominante relève tout de même en faveur de la première.
Pour s'amuser des propos de Richard Martineau, Joseph Facal¸Mathieu Bock-Côté et Mario Dumont, il faut posséder un certain sens de l'humour. En effet, selon Chris Marker, « l'humour est la politesse du désespoir ».
Jean-François Delisle

De l’Iran à Gaza, la guerre sans fin d’Israël
C'est une nouvelle étape qui s'est ouverte au Proche-Orient, avec l'attaque israélo-étatsunienne contre l'Iran. Même si les hostilités ont cessé, le plan du premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou se confirme : anéantir Gaza, étendre le théâtre des conflits, engager son pays dans une guerre sans fin pour l'hégémonie régionale.
Tiré d'Orient XXI.
Le 18 juin 2025, sixième jour de l'attaque israélienne contre l'Iran, dans une interview accordée au New York Times, le général David Petraeus prodigua au président étatsunien Donald Trump une série de conseils que celui-ci ne lui avait pas demandés : le président devait lancer un ultimatum à l'ayatollah Ali Khamenei et lui ordonner de démanteler le programme d'enrichissement d'uranium de Téhéran sous peine d'encourir « la destruction totale de son pays, de son régime et de son peuple ». Si Khamenei refusait « cela renforcerait notre légitimité, et nous serions en quelque sorte “obligés” de les réduire en cendres » (1). On n'a guère entendu de commentaires sur ces propos de Petraeus, l'ancien commandant en chef des troupes étatsuniennes en Irak et en Afghanistan, qui recommandait en substance de faire subir à un pays de 90 millions d'habitants le même traitement que Gaza : les menaces d'hécatombe proférées par des responsables étatsuniens contre des dirigeants étrangers et leurs peuples ne choquent plus personne et ne suscitent aucune condamnation ; elles font désormais simplement partie du « débat » sur les modalités de la gestion de l'empire.
Comme l'arme atomique à Hiroshima
Le 22 juin, l'armée de l'air étatsunienne a largué des bombes anti-bunker GBU-57 sur les sites d'enrichissement d'uranium de Fordow et de Natanz et lancé des missiles Tomahawk sur un centre de recherche nucléaire proche d'Ispahan. On aurait pu croire que Trump suivait les conseils de Petraeus, mais il s'est bientôt empressé de crier victoire, alléguant que les frappes étatsuniennes avaient détruit les capacités nucléaires de l'Iran — selon un rapport préliminaire classifié des services de renseignement, le programme nucléaire iranien n'aurait été retardé que de quelques mois —, avant de convaincre les belligérants d'accepter un cessez-le-feu.
- Dans le style surréaliste qui caractérise la politique étrangère de Trump, les trois parties en conflit pouvaient chacune revendiquer la victoire.
Les frappes israéliennes ont causé d'importants dégâts dans des quartiers résidentiels et près d'un millier d'Iraniens auraient été tués. Mais malgré les menaces de Benyamin Nétanyahou, Khamenei n'a pas été assassiné, et Washington n'a pas réduit l'Iran en cendres. Ce qui n'a pas empêché Trump, lors de la visite du premier ministre israélien à la Maison Blanche le 6 juillet, de comparer son action à l'utilisation de l'arme atomique par le président Harry Truman à Hiroshima (« elle a évité beaucoup de combats inutiles, et mon action a aussi évité beaucoup de combats inutiles ». (2) Pendant ce temps, à Gaza, famine et massacres continuaient de plus belle, mais tant qu'Israël et l'Iran étaient en guerre, les souffrances des Palestiniens ne faisaient plus la une.
Dans le style surréaliste qui caractérise la politique étrangère de Trump, les trois parties en conflit pouvaient chacune revendiquer la victoire. Nétanyahou vantait les succès de l'armée de l'air israélienne, qui avait éliminé les principaux dirigeants des Gardiens de la révolution par des frappes éclair aussi dévastatrices que la destruction de l'aviation égyptienne dès les premières heures de la guerre de juin 1967. Khamenei se félicitait du fait que son régime ait survécu et que les missiles balistiques iraniens aient pénétré jusqu'au cœur du territoire israélien, frappant cinq bases militaires, causant des dégâts considérables à Haïfa et à Tel-Aviv et se soldant par la mort de 28 civils, dont les membres d'une famille palestinienne qui habitait l'un des nombreux villages arabes dépourvus d'abri anti-aériens. Trump, enfin, pouvait se présenter à la fois comme un grand chef militaire et un artisan de paix, ralliant à sa cause des néoconservateurs hostiles à son administration tels que William Kristol, tout en rassurant sa base sur le fait qu'il n'était pas en train de fomenter une nouvelle guerre coûteuse au Proche-Orient.
Lors de sa rencontre avec Trump, Nétanyahou révéla qu'il avait proposé la candidature du président étatsunien au prix Nobel de la paix. De son côté, le président iranien Massoud Pezechkian, dans une interview avec Tucker Carlson, fit preuve d'une curieuse mansuétude (visiblement très calculée) envers l'homme qui venait de bombarder son pays : « Trump est tout à fait capable de guider le Proche-Orient vers un avenir de paix et de prospérité », a-t-il déclaré sans la moindre trace d'amertume (3). L'important était que l'occupant de la Maison Blanche empêche Israël d'entraîner toute la région dans un « abîme » de guerres sans fin.
Tout cela aurait pu être évité
Depuis le cessez-le-feu, le régime de Téhéran a lancé une purge contre les traîtres présumés, dont quelques-uns ont été pendus, et expulsé des centaines de milliers de réfugiés afghans. Israël contrôle l'espace aérien iranien et peut y déployer à volonté ses avions de combat et ses drones, comme il le fait régulièrement au-dessus du Liban et de la Syrie. Tout cela aurait pu être évité. Il y a dix ans, le Conseil de sécurité des Nations unies, l'Union européenne et l'Iran avaient conclu un accord, le Plan d'action global commun (JCPOA), visant à garantir que le programme nucléaire iranien serait destiné à des fins pacifiques. Mais trois ans plus tard, l'administration Trump a dénoncé cet accord, alors même qu'il semblait bien fonctionner et qu'il n'y avait aucune preuve que l'Iran l'ait violé — une décision vivement applaudie par Israël et ses partisans. Dans la foulée, Téhéran a aussitôt commencé à enrichir de plus grandes quantités d'uranium à Fordow et dans ses autres installations nucléaires.
Pourtant, au moment où Israël a lancé son attaque-surprise le 13 juin, l'Iran était toujours en pourparlers avec les États-Unis, et la directrice du renseignement national de Trump, Tulsi Gabbard, avait elle-même déclaré devant le Congrès en mars 2025 que l'Iran n'était pas en train de construire une arme nucléaire. (Démentie publiquement par son chef, qui l'accusa carrément de ne pas savoir de quoi elle parlait, elle a changé son discours après l'entrée en guerre des États-Unis.)
- Pourtant, jusqu'à présent, la Maison Blanche n'avait jamais laissé aucune force militaire étatsunienne participer à une offensive israélienne.
Il est tentant d'interpréter la décision de Trump de bombarder l'Iran en termes psychologiques, une explication qu'il a lui-même encouragée. « Peut-être que j'attaquerai, peut-être que je n'attaquerai pas, déclarait-il le 18 juin à des journalistes qui l'interrogeaient à ce sujet. En fait, personne ne sait ce que je vais faire. » Il est possible qu'il ait souhaité avant tout éviter de donner une impression de faiblesse, même si cela l'amenait à un conflit frontal avec ceux de ses partisans qui sont très hostiles aux interventions militaires outre-mer, comme Tucker Carlson et Steve Bannon. Peut-être aussi ne voulait-il pas laisser Israël pilonner l'Iran sans en tirer lui-même le moindre profit symbolique.
Un blanc-seing à Tel-Aviv
Mais les motivations personnelles de Trump importent moins que ce fait incontournable : Washington a donné son plein aval à l'hégémonie régionale d'Israël. Depuis la guerre de 1967, les États-Unis ont régulièrement joué le rôle de protecteur de cet État en lui apportant une aide financière et militaire considérable et un soutien inébranlable au Conseil de sécurité de l'ONU, y bloquant toute résolution condamnant les crimes de guerre israéliens. En 2003, Washington a envahi l'Irak sans aucune justification militaire raisonnable, mais sous les applaudissements des faucons israéliens, dont Nétanyahou.
Pourtant, jusqu'à présent, la Maison Blanche n'avait jamais laissé aucune force militaire étatsunienne participer à une offensive israélienne.
Notes
1- Elisabeth Bumiller, « Iran and the Specter of Iraq : ‘We Bought All the Happy Talk' », The New York Times, 18 juin 2025.
2- Larissa Howie, « Trump compares himself to Truman after Iran attack », MSN, juin 2025.
3- « Tucker Carlson interviewe le président iranien Mosoud Pezeshkian », YouTube, 8 juillet 2025.

De l’anti-impérialisme au compromis : la politique de classe de l’indépendance indienne
Alors que le pays célèbre le 78ᵉ anniversaire de son indépendance, nous présentons une série d'articles retraçant la naissance de la nation et sa situation actuelle. Cet article, le premier de la série, examine l'indépendance de l'Inde, en situant 1947 dans le contexte plus large des crises de l'impérialisme mondial, de l'évolution de l'équilibre des forces de classe et des calculs stratégiques de l'État britannique. Au-delà de l'hagiographie nationaliste, il interroge les compromis économiques et politiques qui ont façonné le transfert du pouvoir, le rôle de la bourgeoisie indigène dans la limitation de la portée de la décolonisation et les possibilités révolutionnaires manquées, en particulier en ce qui concerne la position du Parti communiste indien pendant la guerre. En reliant les luttes internes aux développements géopolitiques, cet article cherche à présenter l'indépendance indienne comme un processus historique controversé plutôt que comme un moment unique de libération. -éd
Tiré d'Europe solidaire sans frontière.
L'indépendance de l'Inde en 1947 a marqué un tournant majeur dans l'histoire contemporaine, car elle a signifié la fin de près de deux siècles de domination coloniale britannique, la plus importante de la planète. Cet événement ne peut être réduit à une simple victoire politique pour une nation, mais doit être considéré comme s'inscrivant dans le cadre plus large du conflit mondial entre les puissances impérialistes et les nations opprimées, façonné par la relation entre la lutte des classes et le développement des forces productives. Le mouvement d'indépendance a suscité de grands espoirs d'émancipation sociale, mais ce rêve est resté largement insaisissable.
L'Inde britannique était une colonie dépendante de l'économie capitaliste mondiale. Vers la fin du XVIIIᵉ siècle, l'économie du sous-continent a été transformée pour répondre aux besoins des entreprises britanniques. Elle constituait un vaste marché pour les produits manufacturés britanniques et une source de matières premières et de produits agricoles, notamment le coton, le jute et le thé. La politique coloniale a systématiquement affaibli les industries locales. Selon Karl Marx, « l'Angleterre commença par évincer les cotonnades indiennes du marché européen, puis elle se mit à exporter en Hindoustan le filé et enfin inonda de cotonnades la patrie des cotonnades », ce qui a nui à l'autosuffisance de l'économie locale, la rendant dépendante du capitalisme britannique. Bien sûr, il ne s'agissait pas d'une conséquence involontaire de la gouvernance britannique, mais d'une reconfiguration délibérée de la dynamique économique de l'Inde afin de l'aligner sur les objectifs capitalistes métropolitains.
Les forces de classe au sein du mouvement nationaliste indien
La lutte interminable pour l'indépendance de l'Inde n'était pas un mouvement unique, mais une coalition de personnes de différentes classes et origines ayant des objectifs différents. Le Congrès national indien a été fondé en 1885, et la plupart de ses dirigeants étaient issus de la bourgeoisie indigène et de la classe terrienne. Leur objectif principal était de créer un État indépendant qui conserve des droits de propriété capitalistes solides et un marché national qui ne soit pas contrôlé par les Britanniques.
Dans les années 1920, la classe capitaliste indienne, un groupe restreint mais influent composé d'industriels, de commerçants, de banquiers et de propriétaires d'usines, avait accumulé un pouvoir économique considérable au sein de l'économie coloniale. Cette consolidation était le résultat de trois développements historiques clés : les changements dans la politique coloniale, l'émergence d'intérêts capitalistes organisés et la montée du capitalisme nationaliste.
La Première Guerre mondiale (1914-1918) a offert deux opportunités majeures à la classe capitaliste indienne. Elle a perturbé les importations britanniques en Inde, créant ainsi un espace pour la croissance industrielle locale, en particulier dans les secteurs du textile, du jute, du fer et de l'acier. La guerre a également stimulé la demande en fournitures militaires, permettant aux capitalistes indiens d'accumuler des profits sans précédent. Selon l'historien Bipan Chandra, « la perturbation des échanges commerciaux normaux pendant la guerre a augmenté les exportations indiennes de matières premières et de denrées alimentaires ». Les Britanniques, bien que réticents, ont dû s'appuyer davantage sur les entreprises indiennes en raison des pénuries liées à la guerre.
Dans le même temps, la bourgeoisie indienne s'est organisée de diverses manières, notamment par le biais de la Chambre des marchands indiens (1907) et, plus tard, de la Fédération des chambres de commerce et d'industrie indiennes (FICCI) (1927). Cela a donné à la bourgeoisie une voix institutionnelle pour faire pression en faveur de droits de douane, d'une politique industrielle et d'une participation accrue à la gouvernance. De colossaux industriels indiens tels que G. D. Birla, Jamnalal Bajaj et Purshottamdas Thakurdas devinrent des personnalités influentes tant sur le plan économique que politique.
La bourgeoisie indienne s'est alignée sur le Congrès national indien (INC), en particulier pendant le mouvement de renom de non-coopération (1920-1922), soutenant le swadeshi (utilisation de produits indiens) en même temps comme politique nationaliste et comme politique axée sur le profit. Bien que la bourgeoisie indigène fût politiquement soumise aux Britanniques, elle a établi une domination manifeste dans certains secteurs. Vers les années 1920, les usines indiennes dominaient le secteur du coton à Bombay et Ahmedabad et se développaient dans le domaine du jute au Bengale, auparavant dominé par le capital britannique. L'aciérie créée par les Tata à Jamshedpur (Tata Iron and Steel Company) en 1907 est devenue un symbole de l'autosuffisance industrielle et était la plus imposante aciérie de l'Empire britannique au milieu des années 1920. Tous ces développements ont facilité leur influence sur les politiques commerciales, la bourgeoisie indienne ayant réussi à faire adopter des droits de douane protecteurs (par exemple, les droits sur le coton en 1923) afin de protéger l'industrie nationale des importations britanniques.
Leur alliance avec la politique nationaliste et leur soutien au Congrès leur ont donné un poids politique leur permettant d'influencer l'orientation du mouvement d'indépendance vers des objectifs servant les intérêts capitalistes plutôt que la révolution socialiste. L'hégémonie de la bourgeoisie indienne était un projet de classe, et cela ne se reflétait nulle part mieux que dans le programme économique du Congrès, qui visait l'indépendance nationale sous le capitalisme. Ainsi, la puissance économique de la bourgeoisie indienne a créé son hégémonie politique, lui permettant de devenir la classe dirigeante du mouvement national et de marginaliser les revendications plus radicales des ouvriers et des paysans. Son leadership a permis de garantir que les luttes anti-impérialistes ne dépassent pas les limites et ne menacent pas les relations de propriété capitalistes. Il est également avéré qu'elle a parfois coopéré avec certaines sections de l'État colonial lorsque cela servait ses intérêts, par exemple en acceptant des capitaux britanniques dans des coentreprises et en réprimant les mouvements sociaux militants.
Malgré sa domination économique croissante, la bourgeoisie indigène avait encore du chemin à parcourir. Elle était toujours soumise à des contraintes structurelles, car le capital britannique conservait le contrôle des finances, du transport maritime, des plantations et de nombreux secteurs très rentables, notamment les assurances et les banques. De plus, l'État colonial était fondamentalement conçu pour protéger les intérêts impériaux, et les concessions accordées aux capitalistes indiens n'étaient que tactiques et n'ont jamais été transformatrices.
En résumé, dans les années 1920, la bourgeoisie indienne avait atteint une domination sectorielle dans des industries clés (textile, acier). Sa puissance économique lui a permis d'exercer une hégémonie sur la politique nationaliste, qu'elle a habilement utilisée pour faire avancer ses intérêts de classe, orientant ainsi le programme économique du mouvement indépendantiste vers le développement capitaliste. En raison de leur position hégémonique au sein du bloc anticolonial, les alternatives socialistes et ouvrières ont été explicitement mises à l'écart.
La situation créée autour de la Première Guerre mondiale a été une précieuse leçon pour la bourgeoisie indienne. Elle a compris qu'elle pouvait équitablement rivaliser avec le capital britannique lorsqu'elle bénéficiait d'une protection, et que le pouvoir politique était la clé pour garantir cette protection de manière permanente.
Au-delà du discours bourgeois
Les récits officiels nous rappellent que le Congrès national indien a mené la lutte pour la liberté et l'a remportée en 1947. Cependant, ils ne précisent pas pour qui cette liberté a été obtenue. Qu'est-il advenu des ouvriers des usines, des paysans écrasés par les loyers et les dettes, ou des masses laborieuses qui ont versé leur sang dans les rues ?
Pendant ce temps, la révolution russe a changé le cours de l'histoire humaine. Elle a prouvé que même un pays vaste et arriéré pouvait vaincre sa classe dirigeante et ses chaînes impérialistes grâce à la puissance unie des ouvriers et des paysans. Elle a inspiré des millions de personnes à travers le monde et, en Inde, quelques années plus tard, les communistes et les socialistes ont pris leur rôle d'aile consciente de la lutte pour la liberté. Ils ont lié la lutte anti-impérialiste à la lutte pour renverser le capitalisme et le féodalisme. Cependant, bien avant l'existence du Parti communiste, les révolutionnaires indiens à l'étranger – les Ghadarites – ont brandi la bannière de la rébellion armée contre les Britanniques. Bien qu'ils ne fussent pas encore marxistes, ils partageaient avec les communistes une haine de l'exploitation coloniale et une croyance en la solidarité internationale de la classe ouvrière.
Le Parti communiste indien (CPI) a été officiellement créé en 1925 à Kanpur. Dès le début, il s'est enraciné dans les luttes des ouvriers et des paysans. Il a mené des grèves dans les usines textiles de Bombay et les usines de jute du Bengale, organisé les cheminots en syndicats militants et diffusé la littérature marxiste malgré la répression coloniale brutale. Dès le début, les communistes ont explicitement indiqué que l'indépendance sous le capitalisme ne mettrait pas fin à l'exploitation. Leur objectif était une république ouvrière et paysanne.
En 1934, le Parti socialiste du Congrès (CSP) a été fondé par Jayaprakash Narayan, Acharya Narendra Deva et d'autres. Ils ont tenté de pousser le Congrès vers des réformes agraires radicales, une industrialisation dirigée par l'État et également une action directe contre l'impérialisme. Si le CSP a souvent collaboré avec les communistes dans le cadre de grèves et de luttes paysannes, sa position au sein du Congrès lui a souvent lié les mains lorsque la direction a fait des compromis avec les Britanniques ou la bourgeoisie.
Les communistes et les socialistes ont créé des organisations de masse qui ont donné à la lutte pour la liberté une dimension militante et ouvrière. Les grèves menées par l'All India Trade Union Congress (AITUC) ont secoué Bombay, Calcutta et les lignes ferroviaires à travers le pays. Sous la direction de l'All India Kisan Sabha (AIKS), des millions de paysans se sont soulevés contre le système foncier, déclenchant des mouvements tels que Tebhaga au Bengale, la lutte armée au Telangana et d'autres. Il ne s'agissait pas de protestations symboliques, mais de défis directs au pouvoir colonial et capitaliste foncier.
Les communistes indiens ont en effet été parmi les premiers à réclamer ouvertement et sans relâche l'indépendance totale (purna swaraj) vis-à-vis de la domination britannique. Ce faisant, ils ont marqué leur temps, à une époque où les dirigeants bourgeois indiens du Congrès hésitaient encore entre une réforme constitutionnelle modérée et le statut de dominion au sein de l'Empire britannique. Jusqu'à la fin des années 1920, la direction dominante du Congrès (dominée par les modérés, puis par l'aile du « programme constructif » de Gandhi) n'exigeait pas la séparation complète de l'Empire britannique. Ses revendications portaient généralement sur une plus vaste représentation de l'Inde au sein du pouvoir législatif et sur le statut de dominion, c'est-à-dire l'autonomie gouvernementale au sein de l'Empire, à l'instar du Canada ou de l'Australie. La bourgeoisie craignait qu'une rupture totale ne provoque des soulèvements de masse incontrôlables qui pourraient également menacer ses propres relations de propriété. Même dans le rapport Nehru de 1928, le statut de dominion était l'objectif officiel, malgré l'agitation croissante des jeunes et de la gauche en faveur d'une indépendance totale.
Les années de guerre et les contradictions de classe
Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclata, les communistes s'y opposèrent initialement en tant que guerre interimpérialiste, c'est-à-dire un conflit entre puissances coloniales rivales pour des marchés et des territoires. Ils s'opposèrent aux efforts de guerre britanniques en Inde, appelèrent à des luttes militantes et s'alignèrent avec d'autres forces anticolonialistes dans des grèves, des soulèvements paysans et des manifestations. Cela créa des communistes une partie de la coalition antibritannique plus large, malgré leur taille encore limitée.
Cependant, la situation a changé après l'invasion de l'Union soviétique par Hitler en 1941. La ligne du Komintern s'est orientée vers une guerre populaire, soutenant les Alliés contre le fascisme. Cela a conduit le CPI à s'abstenir du mouvement Quit India en 1942. Cette action a créé des divisions entre les communistes et les autres forces anti-impérialistes.
Pour les communistes du monde entier, la défaite du fascisme devint la tâche principale ; les luttes anticoloniales devaient désormais être subordonnées à l'effort de guerre des Alliés. Ce fut la « capitulation » du PCI dans le contexte indien. Dans la pratique, il soutint l'effort de guerre des Alliés (britanniques) en Inde, exhortant les travailleurs à éviter les grèves qui pourraient entraver la production pour la guerre. Il œuvra même au maintien de la paix industrielle, une position qui aida objectivement l'impérialisme britannique. Lors du mouvement Quit India d'août 1942, le plus vaste soulèvement populaire contre la domination britannique depuis 1857, le CPI s'y opposa, le qualifiant de perturbateur pour la lutte contre le fascisme.
Quit India était principalement dirigée par le Congrès et par une action spontanée des masses populaires. En refusant d'y participer — et dans certains cas en décourageant activement les grèves et les manifestations —, le CPI s'est aliéné une portion considérable des masses anti-impérialistes. Cette décision a été considérée par de nombreux nationalistes comme une « trahison » ou une « collaboration » avec les Britanniques.
Avant 1941, les communistes gagnaient en influence grâce à des grèves militantes et des actions paysannes. La nouvelle ligne a refroidi cette militance, rompant le lien entre le CPI et les courants anti-britanniques les plus militants pendant près de trois ans. Ce changement a signifié que le CPI a cédé le leadership du mouvement de masse au Congrès nationaliste bourgeois. La chance de positionner la classe ouvrière comme l'avant-garde de la lutte pour l'indépendance a été perdue, du moins temporairement.
Du point de vue du PCI, cette politique était une question de loyauté internationaliste envers l'Union soviétique, qui était menacée dans son existence même. Mais en Inde, elle signifiait donner la priorité aux besoins de guerre de l'Empire britannique plutôt qu'à la libération immédiate. Si cela pouvait se défendre d'un point de vue antifasciste mondial, cela affaiblit la crédibilité anti-impérialiste du PCI au niveau national et sa capacité à contester le leadership bourgeois après 1945.
Après la guerre, le CPI a tenté de retrouver son élan révolutionnaire avec la lutte armée du Telangana, le mouvement Tebhaga et des grèves militantes, mais à ce moment-là, le Congrès s'était déjà réaffirmé comme la principale force nationaliste. La « capitulation » communiste de 1941-1945 a sans doute compromis la possibilité d'une indépendance menée par la gauche en Inde. Les marxistes comme R. Palme Dutt défendent la décision du PCI comme étant historiquement nécessaire pour vaincre le fascisme, tandis que d'autres – y compris certains membres de la gauche indienne – affirment qu'il s'agissait d'une subordination sectaire aux ordres du Komintern qui a rompu le lien organique entre les communistes et le soulèvement anticolonialiste de masse en Inde.
Il est crucial de reconnaître que les organisations populaires de gauche, en particulier les syndicats, ont contribué de manière significative au mouvement Quit India. Les factions de gauche issues de traditions non communistes, telles que le RSP, le RCPI, le BLPI, entre autres, se sont engagées dans le mouvement avec un enthousiasme considérable. De plus, les socialistes du CSP sont entrés dans la clandestinité pour lutter, et après 1945, les communistes sont revenus à l'action militante de masse, menant des grèves, des mutineries (révolte de la Royal Indian Navy, 1946) et des soulèvements paysans armés.
L'occasion manquée et ses conséquences
Le refus du CPI de rejoindre Quit India a empêché la classe ouvrière et la paysannerie de devenir les leaders organisés et conscients du mouvement d'indépendance à un moment décisif. En conséquence, le nationalisme bourgeois a pu présenter 1947 comme sa victoire, façonnant le nouvel État pour servir l'accumulation capitaliste et préserver le pouvoir des propriétaires terriens.
Le retrait du PCI du front anti-britannique en 1942 a laissé le champ politique ouvert à l'expansion des forces communautaires, même si ce n'était pas la seule cause. Le lien est subtil mais très réel en termes de politique de classe et de vide politique.
Le retrait du PCI n'a pas créé le communautarisme. La politique impériale britannique et les contradictions de classe en Inde l'avaient déjà nourri, mais avec le départ des communistes du front anti-impérialiste, un pôle d'attraction séculaire majeur de la classe ouvrière a été retiré du front. Sans ce pôle, le fossé entre la bourgeoisie et les communautés s'est creusé, et la lutte pour l'indépendance s'est de plus en plus jouée en termes communautaires plutôt qu'en termes de classe. Le sous-continent souffre encore aujourd'hui de cet héritage dévastateur.
En résumé, subordonner une lutte de libération coloniale aux besoins de politique étrangère d'un autre État (même « socialiste ») peut rompre le lien organique entre les révolutionnaires et les masses et rendre l'initiative politique à la bourgeoisie.
La révolution inachevée
En fin de compte, la direction bourgeoise du Congrès a négocié un accord avec l'impérialisme britannique qui a laissé intact le système féodal et protégé la propriété capitaliste. Les communistes et les socialistes, malgré leur héroïsme, n'étaient pas en mesure de prendre le pouvoir national en 1947. La répression, les débats internes et la force politique de la bourgeoisie ont fait que la révolution s'est arrêtée à mi-chemin.
1947 montre que la souveraineté politique peut coexister avec l'exploitation capitaliste.
Soumya Sahin
• Traduit pour ESSF par Sushovan Dhar.

Au Japon, l’Orient extrême
Imaginez votre stupeur quand, flânant dans les rues d'une grande ville allemande, vous découvririez une église où l'on vient prier pour les soldats nazis morts au combat. Cette folie révisionniste existe bel et bien en plein centre de Tokyo, à deux pas du Kokyo, le palais de la famille impériale.
Tiré de : La chronique de Recherches internationales
Axel Nodiot
Journaliste, spécialiste de l'Asie-Pacifique
Au sanctuaire shinto de Yasukuni, entre de grandes allées, des cerisiers et d'anciennes maisons de thé, les Japonais honorent les deux millions de "divinités" tombées lors des invasions coloniales de l'empire (1868-1945) et pendant la "Grande guerre d'Asie de l'est" – la Seconde guerre mondiale. Au détour d'un sentier, un monument est même dressé à la gloire de la Kempeitai, surnommée la "Gestapo japonaise", qui tortura, massacra, viola et réduit au travail forcé des Coréens, Chinois, Taïwanais et d'autres peuples de la région.
Cette époque sombre, qui a vu le Japon rejoindre les puissances de l'Axe et se conclure par l'horreur des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, a toujours ses nostalgiques. Preuve en est du scrutin du 20 juillet dernier, qui a renouvelé la moitié des sièges de la Chambre des conseillers, la chambre haute de la Diète japonaise. La conclusion principale de cette élection est la perte de majorité du Parti libéral-démocrate (PLD, droite). Cette dernière était prévisible, tant ses dirigeants, empêtrés dans des scandales de fraude financière et électorale, ont entraîné le peuple dans un ultralibéralisme intenable. Mais ce nouveau revers est éclipsé par la percée des mouvements d'extrême droite, jusqu'ici anecdotiques ou tentant de prendre les rênes du PLD.
Le Sanseito, parti populiste et xénophobe, n'avait jusqu'ici qu'un conseiller – Sohei Kamiya, son leader. Il en a fait élire 14 de plus, recueillant 7,4 millions de voix sur l'archipel, soit 12,55 %. Créé en 2020 pendant la crise du Covid-19, le mouvement est très présent sur les réseaux sociaux, où ses dirigeants déversent des discours antisémites, antivax, homophobes et favorables à la réécriture de la Constitution pacifique du Japon. Il a surtout réussi à capter la faction nationaliste des électeurs du PLD. Ces derniers sont issus des classes aisées, et les plus zélés d'entre eux suivaient jusqu'à présent la très droitière Sanae Takaichi. Elle a failli devenir premier ministre en septembre 2024, lors des élections internes au parti convoquées après la démission de Fumio Kishida (2021-2024), devancée de seulement quelques voix par Shigeru Ishiba, l'actuel dirigeant. Également révisionniste, elle se rend régulièrement au sanctuaire de Yasukuni, les mains chargées d'offrandes. Takaichi est enfin affiliée au Nippon Kaigi, une organisation ultranationaliste qui a pour symbole l'ancien drapeau du Japon impérial, sur lequel le soleil levant irradie ses rayons rouges.
Mais le Sanseito a réussi à mobiliser l'électorat populaire. À 47 ans, Sohei Kamiya a mené une campagne à la Donald Trump (dont il loue le "style politique audacieux") centrée sur l'immigration et "Les Japonais d'abord", en détournant les préoccupations principales de la classe travailleuse : la sécurité sociale, la hausse des prix du riz et la baisse alarmante de la natalité. Comme leurs voisins Sud-coréens, les Japonais sont déprimés par l'inflation et une culture du travail très prenante, qui les fait rechigner à se marier et à fonder une famille. En 2024, seules 700 000 naissances environ ont été enregistrées dans l'archipel, le plus bas chiffre depuis l'établissement du recensement, à la fin du XIXe siècle. Le capitalisme à outrance et les inégalités creusées dans son sillage mènent certains hommes japonais à l'isolement – symbolisé par l'inquiétant phénomène des hikikomori, ces hommes plus ou moins jeunes qui ne sortent plus de leur chambre quitte à y mourir – et constitue un terreau fertile à l'antiféminisme et à la xénophobie.
C'est aussi à ces masculinistes que s'est adressé le Sanseito, à l'instar d'autres dirigeants de droite nationaliste tels que l'États-unien Donald Trump, l'Argentin Javier Milei ou le Sud-coréen Yoon Suk-yeol, déchu après avoir déclaré la loi martiale en décembre 2024. Sohei Kamiya a par exemple qualifié l'égalité des genres "d'erreur qui pousse les femmes à travailler et les empêche d'avoir des enfants". Résolument antisyndicaliste et favorable à des baisses d'impôt pour les entreprises et à "des coupes" dans l'administration et les services publics, il est enfin partisan d'une remilitarisation de l'archipel. Le sujet est brûlant depuis quelques années : l'article 9 de la Constitution interdit certes au Japon de disposer d'une armée autre que défensive. Mais le texte hérité de 1945 est sans cesse détricoté par les gouvernements du PLD depuis Shinzo Abe (2006-2007 et 2012-2020) : les jietai (Forces japonaises d'autodéfense) sont désormais déployées à l'étranger, et le pays a récemment mis à l'eau son premier porte-avions depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Il s'agit du "Kaga", du nom d'un ancien porte-avions qui avait servi lors de la seconde guerre sino-japonaise et de la bataille de Pearl Harbor.
Cette remilitarisation est largement encouragée par l'allié états-unien, qui fournit des armes à Tokyo, Séoul, Manille ou encore Taipei pour encercler la Chine dans le Pacifique. La "stratégie des chaînes d'îles", comme formulée par Washington, fait du Japon un maillon essentiel de l'impérialisme américain en Asie. Quelque 50 000 GI stationnent en permanence sur l'archipel, notamment sur les bases militaires d'Okinawa, au sud, ce qui irrite les habitants, confrontés de longue date à des agressions de jeunes Japonaises par les soldats. Et le gouvernement japonais ambitionne d'établir un commandement unifié des jieitai, dirigé par un général états-unien. Pour réarmer leur pays en dépit de la "paix éternelle" inscrite dans la Constitution, les dirigeants ont commandé ces dix dernières années la bagatelle de 147 avions bombardiers F-35 au Pentagone, ainsi que plusieurs centaines de missiles Tomahawk. En 2023, le premier ministre Fumio Kishida, lui aussi issu des rangs du PLD, a fait voter par la Diète une loi de programmation militaire qui doterait le Japon du troisième budget de la Défense au monde.
Récemment, les menaces de droits de douane de l'administration Trump ont de nouveau fait ployer le genou à Shigeru Ishiba. Parmi les gages du premier ministre au président états-unien, outre les 15 % de taxes sur les produits japonais, des investissements de 550 milliards de dollars dans l'industrie américaine, notamment de l'armement, alors que " le ministère de la Défense achète déjà environ 1 000 milliards de yens (5,8 milliards d'euros, ndlr) d'armes aux Etats-Unis ", déplore le journal communiste Akahata. Pour ne rien arranger, Ishiba est partisan d'un " OTAN asiatique " qui assiérait encore plus confortablement Washington en Asie-Pacifique, au risque de faire enrager Pékin et de mettre le feu à la poudrière régionale. Le premier ministre évoque même le " parapluie nucléaire américain ", impensable pour le seul pays atomisé de l'Histoire, à quelques jours des commémorations des 80 ans de Hiroshima et Nagasaki.
Cette escalade mortifère provoque l'ire des hibakusha, les survivants de la bombe nucléaire et leurs descendants. Ils voient déjà leur gouvernement boycotter le dernier comité préparatoire à la conférence d'examen du Traité de non-prolifération nucléaire cette année. Ils redoutent désormais de voir bientôt abrogé l'article 9, ce que désire ardemment le Sanseito et les factions nationalistes du PLD. Un temps avancée, la démission de Shigeru Ishiba après le scrutin du 20 juillet est finalement abandonnée. Mais pour gouverner, le premier ministre devra nouer de nouvelles alliances avec les partis d'opposition. Il s'agit de savoir s'il privilégiera les besoins de son peuple, comme le veulent les progressistes pacifistes, ou s'il préfèrera séduire les nationalistes bellicistes. Malheureusement, de premiers éléments de réponse existent. Durant la campagne, les libéraux se sont alignés sur l'agenda xénophobe de l'extrême droite et de la "paix par la force" états-unienne. Au risque de revoir un jour les rayons de l'empire japonais brûler l'Asie de l'Est.
Cette chronique est réalisée en partenariat rédactionnel avec la revue Recherches internationales à laquelle collaborent de nombreux universitaires ou chercheurs et qui a pour champ d'analyse les grandes questions qui bouleversent le monde aujourd'hui, les enjeux de la mondialisation, les luttes de solidarité qui se nouent et apparaissent de plus en plus indissociables de ce qui se passe dans chaque pays.
Site : http://www.recherches-internationales.fr/
https://shs.cairn.info/revue-recherches-internationales?lang=fr
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31 organisations de la diaspora indienne et de la société civile internationale condamnent la disparition forcée et la torture en détention d’étudiants et de jeunes militants par une cellule spéciale de la police à Delhi, en Inde.
22 juillet 2025, Montréal, New Delhi, Londres, RU. 31 organisations de la diaspora indienne et de la société civile internationale ont publié une déclaration commune condamnant la disparition forcée et la torture d'étudiants et de jeunes militants dans la ville de New Delhi et ses environs. Cette déclaration souligne la gravité de cet incident et la négligence flagrante des autorités de l'État à l'égard des obligations internationales de l'Inde en matière de droits de
l'homme.
Cette action de la Cellule spéciale de la police de Delhi contre des étudiants et des jeunes militants dénonçant les excès de l'État en Inde n'est pas un incident survenu dans le vide, mais met en évidence la suspension de la démocratie en Inde et la manière dont les autorités de l'État ignorent de manière flagrante les obligations internationales de l'Inde en matière de droits de la personne.
Elle rappelle des incidents précédents en la matière et fait référence à la volonté générale et systémique du gouvernement indien de démanteler la société civile indienne. La déclaration souligne le lien existant entre l'état d'exception qui s'impose dans certaines régions telles que le Cachemire, le Bastar et le Manipur et la façon dont le mépris de l'état de droit se normalise de plus en plus dans l'ensemble du pays.
Le texte intégral est ci-bas.
Cette déclaration commune souligne les enjeux que soulèvent la prise en otage et la torture d'étudiants et de jeunes militants dans la ville de New Delhi, la capitale nationale de l'Inde, et dans ses environs.
Une précédente déclaration commune sur la répression dans deux universités de Delhi, publiée le 5 mars 2025, notait que les étudiants et étudiantes critiquant la violence d'État en cours dans la région Adivasi du Bastar dans l'État du Chhattisgarh, situé dans le centre de l'Inde, ainsi que l'exclusion toujours plus systématique des musulmans en tant que citoyens de l'Inde, étaient « arbitrairement enlevés puis portés “disparus” alors qu'il était su qu'ils étaient détenus dans des postes de police, certains d'entre eux étant soumis à des interrogatoires illégaux par des agences de renseignement dont les attributions relèvent de la sécurité nationale de haut niveau ». Toutes ces actions des autorités de l'État sont justifiées par « un récit qui délégitime l'activisme étudiant et citoyen en le qualifiant de “naxalisme urbain” ou de perturbations menées par des musulmans à l'encontre d'un “État hindou pacifique” ».
Les 17 et 18 juillet 2025, des rapports de terrain ont signalé que de nombreux étudiants et jeunes militants, incluant certains de ceux qui avaient été visés par les incidents mentionnés dans notre déclaration précédente, étaient portés disparus depuis plusieurs jours et que d'autres continuaient à disparaître.
Il est ressorti que le 9 juillet 2025, les activistes Gurkirat, Gaurav et Gauraang du Bhagat Singh Chhatra Ekta Manch (bsCEM) ont été portés disparus à Delhi. Le 11 juillet 2025, Ehtmam et Baadal du Forum Against Corporatization and Militarization, qui fait campagne contre les excès de l'État dans le Bastar, ont également été portés disparus à Delhi. À peuprès à la même époque, Samrat Singh a également été porté disparu à Yamunanagar, dans l'Haryana, « à l'insu
des autorités locales et en dehors du mandat juridictionnel de la police de Delhi ». Nous insistons sur l'utilisation du terme « disparu » car aucun mandat d'arrêt n'a été produit, ces personnes ont simplement été enlevées de force par les autorités de l'État et détenues dans un poste de police local en plein Delhi. Pendant plusieurs jours, personne n'a su où elles étaient et elles n'ont pas eu accès à leur famille ou à un avocat. Ils n'ont pas été présentés à un magistrat
dans les 24 heures suivant leur arrestation comme l'exige la loi. La déclaration de la Campaign Against State Repression's (CASR) souligne que pendant leur garde à vue, les militants ont été « déshabillés, battus, électrocutés et soumis à des traitements dégradants, notamment en se faisant plonger la tête dans des cuvettes de toilettes. La police a également proféré à leur endroit d'horribles menaces de violences sexuelles, en particulier à l'encontre des militantes, à qui l'on a dit qu'elles seraient violées à l'aide de bâtons ». On leur a demandé de signer des documents vierges et nous pouvons supposer que ceux-ci pourraient éventuellement être utilisés contre eux ou pour incriminer d'autres militants. Ils ont ensuite été libérés les uns après les autres vers le 18 juillet 2025, mais le 19 juillet, on a appris une nouvelle disparition, celle de Rudra, étudiant au Zakir Hussain College de l'université de Delhi.
Ces disparitions forcées, autrefois caractéristiques de régions fortement militarisées telles que le Cachemire, le Bastar et le Manipur, sont aujourd'hui observées dans toute l'Inde, dans les zones rurales comme dans les zones urbaines. Si l'ampleur de ces attaques est sans précédent, elle n'est pas inattendue, car les prémices de cette évolution sont en cours depuis un certain temps. En 2021, le conseiller à la sécurité nationale Ajit Doval avait ouvertement déclaré que
lasociété civile était le « nouveau front de bataille ». La surveillance, l'intimidation et l'incarcération d'acteurs civils clés, d'organisateur-ices et de mobilisateur-ices travaillant avec des communautés marginalisées, ainsi que le resserrement des sources de financement leur étant destinées, ont contribué audémentellement systématiquede la société civile de diverses manières depuis déjà plusieurs années. À l'automne del'année suivante, le ministre de l'intérieur Amit Shah a « présidé » un « Chintan Shivir » - traduit par « camp de réflexion » - réunissant les ministres de l'intérieur, les lieutenants-gouverneurs et les administrateurs des territoires de l'Union, les ministres de l'intérieur des États, les directeurs généraux de la police et les directeurs généraux des forces centrales de police armée et des organisations centrales de police de tout le pays pour « réfléchir à des améliorations » à apporter aux stratégies et tactiques
de sécurité nationale. Cette grande assemblée de l'« appareil de sécurité » de l'Inde s'est tenue à Surajkund, dans l'Haryana. Le 28 octobre 2022, Narendra Modi s'est adressé à celle-ci par liaison vidéo. Au travers d'autres « suggestions », il a offert cette « perle de sagesse » : « Toute forme de naxalisme, qu'il s'agisse de celui qui utilise des armes ou celui qui utilise des stylos, doit être déracinée ». Cela faisait écho àl'ordre de deux juges qui avaient suspendu le premier acquittement du professeur G.N. Saibaba, lors d'une audience extraordinaire de la Cour suprême de l'Inde, et qui avaient estimé que cela était justifié car le « cerveau était plus dangereux » que « l'implication directe ». Une autre stratégie utile « suggérée » par Narendra Modi à Surajkund consistait à réorienter les ressources policières en matière d'investigations sur les délits mineurs - en déréglementant le commerce - vers le renforcement des lois
antiterroristes et des mécanismes de surveillance numérique. En d'autres termes, il était temps d'étendre la suspension de la Constitution, qui avait déjà cours au Cachemire, au Manipur et dans le Bastar.
Les disparitions forcées et les tortures perpétrées aujourd'hui derrière les murs d'un commissariat de police ne peuvent être comprises que comme une manifestation de l'enracinement et de la normalisation de la violence d'État ainsi que du mépris de l'État de droit en tant que mode de gouvernance, qui s'étend désormais des forêts du Bastar et du Cachemire
jusqu'au cœur de la capitale. C'était voulu. Le poste de police qui a été le théâtre des derniers épisodes de torture visant les étudiants et des jeunes les plus brillants de l'Inde est situé dans l'un des quartiers les plus choyés de New Delhi - New Friends Colony, une localité où se côtoient différentes classes sociales, notamment d'anciens officiers de la marine et de l'armée, des hommes d'affaires et des résidents plus modestes. Le fait que ces tortures se déroulent sous
leur nez, dans la capitale nationale dirigée par le BJP, illustre une fois de plus la normalisation de la violence d'État en Inde.
Passons en revue les violations commises dans le cadre de la présente affaire, qui ne fait l'objet d'aucune forme de procédure régulière, d'aucune documentation juridique et d'aucune garantie procédurale, comme l'exigent généralement le droit constitutionnel indien et les procédures pénales établies. Nous ne disposons d'aucune information concernant la reconnaissance officielle des arrestations par aucune autorité compétente, ni aucune indication de contrôle judiciaire ou documentation démontrant que les personnes détenues ont été présentées à une autorité judiciaire dans les délais légaux prescrits par la loi indienne. Il s'agit donc de disparitions forcées avec violation du droit à être informé des motifs de l'arrestation (aucune note d'arrestation ni aucun mandat n'ont été présentés), du droit à pouvoir disposer d'un avocat, du droit des familles d'être informées et du droit à la vie et à la dignité. Les menaces de violence sexuelle sont constitutives de torture sexuelle au regard des lois et conventions contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Toutes ces suspensions de droits constituent une multitude de violations des lois, statuts et conventions nationales et internationales qui protègent nos droits civils et politiques, dont le droit de protester contre les excès de l'État. L'Inde est tenue, en vertu du droit international relatif aux droits de l'homme, et en particulier du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel elle est partie, de défendre les droits de toutes les personnes privées de liberté, y compris la protection contre les arrestations arbitraires et l'accès rapide à un avocat et au contrôle judiciaire (article 9, paragraphes 1 à 4). Les normes internationales, telles que reflétées dans la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées - que l'Inde a signée mais n'a malheureusement pas encore ratifiée - interdisent la détention secrète (article 17(1)) et exigent que tous les détenus soient placés dans
des installations officiellement reconnues, avec des registres régulièrement mis à jour, accessibles et centralisés (article 17(2)-(3)).
Nous, groupes de la diaspora indienne et de la société civile du monde entier, demandons une enquête complète et indépendante sur les circonstances des détentions illégales, de la torture et de l'intimidation par la police à Delhi. Nous condamnons sans équivoque l'inversion complète de l'État de droit par l'État indien, son utilisation abusive des lois relatives à « l'ordre public », ainsi que son recours normalisé et généralisé à la surveillance, aux disparitions forcées et à la violence en détention à l'encontre de ses propres citoyens.
Signataires :
International Solidarity for Academic Freedom in India (InSAF India)
India Labour Solidarity (UK)
South Asia Solidarity Group
Students' Federation of India - United Kingdom
Anti-Imperialist Front (Britain)
International Council of Indian Muslims (ICIM)
12ummah.com
Prof Saibaba Study Circle
Sofia Karim, Turbine Bagh, London
SOAS Ambedkar Society
Hounslow Friends of Palestine
Indian Workers Association (GB)
Indian Scheduled Caste Association UK
Hindus for Human Rights UK
Oxford South Asian Ambedkar Forum (OxSAAF)
Justice For All Canada, (Toronto, ON)
Canadian Forum for Human Rights and Democracy in India
Hindus for Human Rights USA
Brighton Ambedkar Reading Circle
other indias collective (The Netherlands)
Alliance Against Islamophobia
Telangana Vidyavanthula Vedika - North America
Indian American Muslim Council (IAMC)
The Humanism Project (Australia)
Indian Alliance Paris (IAP)
South Asian Diaspora Action Collective (SADAC)
Institute for Policy Studies Climate Policy Program, USA
Boston South Asian Coalition (BSAC)
CERAS - Centre sur l'Asie du Sud/South Asia Forum
Progressive Students' Group – South Asian University
ROT Collective (UK)
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Jubilé de la Cedeao. Un anniversaire dans la tempête
Le 28 mai, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest a fêté son cinquantième anniversaire dans un contexte régional et international profondément instable, marqué par des mutations géopolitiques et des recompositions d'alliances. Pour l'organisation, qui a souvent été pionnière en matière d'intégration, ce jubilé est synonyme de remise en question aussi urgente que profonde.
Tiré d'Afrique XXI.
La crise de confiance à l'égard de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao), comme à l'égard d'autres institutions régionales, n'est pas un phénomène isolé. Elle s'inscrit dans un paysage de reconfiguration plus large de l'ordre international, qui voit les partenariats extérieurs se multiplier et se diversifier sur le continent africain. La Chine, la Russie, la Turquie, l'Union européenne (UE) ou encore les États-Unis proposent des modèles d'engagement aux logiques concurrentes et au service de leurs intérêts qui ont progressivement fragmenté l'espace ouest-africain. L'intensification des violences liées aux groupes armés djihadistes, la résurgence des coups d'État militaires, la montée du sentiment anti-interventionniste et les pressions économiques ont également contribué à fragiliser la capacité de la Cedeao à promouvoir un modèle de cohésion régionale.
Dans un contexte de réaffirmation de la souveraineté nationale et d'une quête de reconnaissance internationale, la diversification des partenariats est, certes, source d'opportunités. Elle rend cependant plus complexe encore la construction d'un projet régional commun dans la durée. Déjà fragilisée par des tensions internes et des difficultés à faire respecter ses normes, l'organisation a été prise de court. Elle n'a pas su répondre efficacement aux frustrations des citoyens ouest-africains que les juntes militaires au pouvoir au Mali, au Niger et au Burkina Faso ont su, elles, exploiter.
Le retrait coordonné de la Cedeao de ces trois pays, effectif depuis le 29 janvier, constitue pour l'institution un tournant historique. Pour la première fois, trois États membres fondateurs se retirent en même temps, dénonçant publiquement une organisation déconnectée des aspirations populaires et de leurs priorités sécuritaires. Ce départ retentissant met en lumière les tensions qui traversent la Cedeao depuis plusieurs années. Conçue autour d'un ambitieux projet d'intégration économique et politique, l'organisation peine aujourd'hui à faire l'unanimité parmi ses membres. Les critiques récurrentes sur son fonctionnement – jugé trop intergouvernemental, peu inclusif et instrumentalisé par certains chefs d'État – vont jusqu'à menacer sa légitimité.
Plus d'une décennie de débats
Cinquante ans après sa création, cette crise politique peut aussi devenir une chance. Le temps du bilan est arrivé : que reste-t-il du projet fondateur d'intégration ? Quels acquis préserver ? Et, surtout, quelles orientations nouvelles impulser pour restaurer la confiance, redéfinir les priorités et adapter les outils institutionnels aux nouvelles réalités ? Ce tournant historique exige des choix ambitieux et difficiles. La capacité de l'organisation à se réinventer sera déterminante tant pour sa propre survie que pour l'avenir du modèle de coopération régionale qu'elle incarnait en Afrique de l'Ouest.
L'émergence de la Cedeao n'a pas été le fruit d'une inspiration soudaine, ni l'œuvre d'un individu, d'un État ou d'un groupe d'États. Elle est plutôt le produit de plus d'une décennie de débats patients et de discussions continues, dans lesquels chaque État et chaque dirigeant de la région ont été, à un moment ou à un autre, plus ou moins étroitement impliqués.
Après une première tentative avortée, pilotée par le président libérien William Tubman en 1965, il faut attendre la fin de la guerre du Biafra, en 1970, pour que les chefs d'État du Nigeria (le général Yakubu Gowon), du Togo (le général Gnassingbé Eyadéma) et du Bénin (le général Mathieu Kérékou) relancent activement l'idée d'une communauté économique sous-régionale, en avril 1972. Le Togo y voit un intérêt stratégique : tirer parti de sa position géographique entre le Ghana et le Nigeria et promouvoir la stabilité régionale comme condition préalable à un commerce entre États. L'exemple du Togo rappelle que la personnalité des dirigeants ouest-africains a toujours été un facteur déterminant dans la transformation de l'organisation.
Le fruit d'un contexte régional et international
La Cedeao voit le jour le 28 mai 1975 à Lagos, au Nigeria, avec pour objectif de « promouvoir la coopération et le développement dans tous les domaines de l'activité économique […] dans le but d'élever le niveau de vie de ses peuples, d'accroître et de maintenir la stabilité économique, de renforcer les relations entre ses membres et de contribuer au progrès et au développement du continent africain ». Ce qui ressort clairement de la liste des seize États membres, c'est que la Cedeao réunit une grande diversité de pays, tant en termes de puissance économique et militaire que de régimes politiques. Cette hétérogénéité a toujours façonné les dynamiques internes de l'organisation.
Ses valeurs fondatrices sont le panafricanisme et le non-alignement, qui reflètent la volonté des États ouest-africains de s'autodéterminer régionalement et de se préserver de l'emprise des grandes puissances extérieures. À l'époque, l'influence de la Communauté économique européenne (CEE) sur la Cedeao est indirecte et elle se manifeste principalement par la reconnaissance de la pertinence du modèle et de l'expérience européens.
La région ouest-africaine possède une longue tradition de coopération, sous des formes variées, dont certaines remontent à la période coloniale. Les premiers modèles d'institutions régionales africaines orientées vers le développement économique ont vu le jour à la fin des années 1950. C'est le cas de plusieurs organisations regroupant d'anciens territoires colonisés par la France comme le Conseil de l'entente, créé en 1959 et toujours en activité sous la direction de la Côte d'Ivoire, la Fédération du Mali, née la même année et rapidement dissoute, en 1960, ou encore l'Union douanière de l'Afrique de l'Ouest, remplacée par l'Union douanière et économique de l'Afrique de l'Ouest en 1966, puis par la Communauté économique de l'Afrique de l'Ouest en 1972.
Un foisonnement propice au « Forum shopping »
En 2006, la Commission économique des Nations unies pour l'Afrique1 répertoriait près de trente organisations régionales coexistantes en Afrique de l'Ouest. Face à cette galaxie d'institutions aux mandats parfois redondants, elle appelle à une rationalisation, c'est-à-dire à une meilleure coordination, voire à la fusion de certaines structures pour gagner en efficacité et en lisibilité. En 2013, un premier pas est franchi avec la signature de l'accord établissant le Cadre de consultation, de coopération et de partenariat entre les organisations intergouvernementales d'Afrique de l'Ouest. Mais il est insuffisant. La rationalisation institutionnelle reste un chantier inachevé reflétant les contradictions persistantes entre ambitions d'intégration régionale et opportunisme national.
Cette multi-appartenance, bien que témoignant d'un fort intérêt des acteurs politiques pour la coopération régionale, a surtout donné lieu à une pratique dite de « Forum shopping » permettant aux États de s'investir, parmi une multitude d'organisations dont ils sont membres, dans celles qui répond le mieux à leurs intérêts du moment. C'est ce qu'a démontré, par exemple, le recours à la Commission du bassin du lac Tchad pour déployer la Force multinationale mixte de lutte contre Boko Haram. De même, le Burkina Faso et le Niger, deux des trois pays ayant quitté la Cedeao, sont membres de plus de huit organisations intergouvernementales en Afrique de l'Ouest2.
Cette pluralité d'appartenances offre aux États une marge de manœuvre diplomatique non négligeable : elle leur permet de réorienter leur coopération régionale vers d'autres cadres institutionnels plus flexibles, moins contraignants politiquement ou davantage alignés sur leurs intérêts stratégiques du moment, tout en maintenant une présence dans les dynamiques régionales. Cependant, ce foisonnement a surtout engendré un imbroglio institutionnel, caractérisé par des chevauchements de mandats, une dispersion et un gaspillage des ressources humaines et financières aboutissant à une inefficacité opérationnelle encore observable aujourd'hui.
Un cadre de référence en Afrique
Dans ses premières années, jusqu'en 1990, la Cedeao se concentre principalement sur l'intégration économique. Elle est la première organisation du continent à mettre en œuvre la libre circulation des personnes, des biens et des capitaux, avec la signature du Protocole sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et d'établissement en 1979. En pleine guerre froide, le Protocole de non-agression de 1978 et le Protocole relatif à l'assistance en matière de défense de 1981 sont les deux premiers instruments sans lien avec le développement économique. Ils visent à protéger les États membres contre toute déstabilisation émanant d'un autre État. Le Protocole de 1981 prévoit d'ailleurs la mise en place des Forces armées alliées de la Communauté, avant-goût de l'actuelle Force en attente (FAC). Mais ces deux protocoles n'ont jamais été mis en œuvre, et il faut attendre les années 1990 pour qu'un virage vers la coopération sécuritaire s'opère.
Dans ces années-là, les réformes politiques de l'organisation sont influencées par l'évolution du contexte international marqué par l'essor de l'ordre libéral démocratique. Alors même que la plupart de ses États membres sont encore gouvernés par des régimes militaires, la Cedeao s'aligne progressivement sur les nouvelles exigences de gouvernance démocratique. En 1991, les chefs d'État et de gouvernement adoptent la Déclaration de principes politiques, qui affirme leur adhésion aux principes de la démocratie, des droits de l'homme et de l'État de droit. Cette reconnaissance au plus haut niveau institutionnel permet d'inscrire ces principes à l'agenda de l'organisation.
Cette période est aussi marquée par le glissement progressif d'un agenda purement économique vers un rôle accru dans les domaines politique et sécuritaire. L'idée sous-jacente est que la promotion de la bonne gouvernance et des principes démocratiques dans les États membres favorisera un environnement politique stable et prévisible permettant d'attirer les investissements directs étrangers et de stimuler la croissance économique régionale. Le lien sécurité-développement est énoncé pour la première fois en 1993 dans le traité révisé. L'inclusion des conflits intraétatiques dans le champ d'action de la Cedeao accroît significativement son autorité supranationale.
Premières immixtions dans des conflits armés
Durant cette période, l'organisation joue un rôle central dans la gestion des conflits armés au Liberia (1990-1997), en Sierra Leone (1997-2000) et en Guinée-Bissau (1998-2008). Les interventions de l'Ecowas3 Monitoring Group (Ecomog) constituent un moment charnière dans la gestion du maintien de la paix par les organisations régionales africaines. Ces opérations relancent un débat ancien, porté dès 1963 par Kwame Nkrumah, sur la nécessité d'une capacité continentale de réponse aux crises. Si l'Ecomog a permis de limiter l'ampleur de certaines catastrophes humanitaires, le bilan de ses interventions reste cependant contrasté, en raison d'un manque d'expérience militaire, de lacunes logistiques, d'une coordination insuffisante entre les États contributeurs et entre les structures de commandement ainsi que d'une volonté politique limitée4. S'y ajoutent des faiblesses institutionnelles, un flou sur le rôle même de l'Ecomog et des accusations de corruption ou d'ingérence.
Tirant les leçons, la Cedeao abandonne progressivement le principe de non-ingérence tant débattu au moment de l'intervention au Liberia5. Cette orientation est consolidée en 1999 par l'adoption du Mécanisme pour la prévention, la gestion, la résolution des conflits, le maintien de la paix et la sécurité. Il confère notamment au président de la Commission le pouvoir d'intervenir rapidement en cas de crise, sans attendre l'approbation préalable des chefs d'État. Mais l'exercice de ce pouvoir reste limité par un processus complexe qui implique l'adoption d'un mandat juridique, des manœuvres diplomatiques et le soutien (ou l'absence de soutien) des États membres.
Ces évolutions montrent comment la Commission de la Cedeao s'est progressivement engagée dans la promotion de la démocratie et dans la lutte contre des menaces sécuritaires de plus en plus diverses. Elle a ainsi tenté de faire évoluer une vision centrée sur la réponse militaire vers un horizon plus large, dit de sécurité humaine, prenant en compte les vulnérabilités politiques, économiques, sociales, sanitaires, agricoles et environnementales des populations. Toutefois, cette ambition s'est heurtée à la persistance d'une visée centrée sur la sécurité des États, dominante depuis les années 1990. La montée de l'insécurité en Afrique de l'Ouest, notamment dans les pays du Sahel, démontre les limites d'une approche principalement militaire6 et constitue un tournant dans l'histoire récente de la Cedeao.
Approfondir l'intégration pour affronter les nouveaux défis
Depuis les années 2000, l'organisation a continué d'approfondir l'intégration régionale tout en répondant à des défis contemporains de plus en plus complexes. La création de l'Architecture africaine de paix et de sécurité (APSA) en 2002 par l'Union africaine (UA), dont la Cedeao est l'un des piliers, a renforcé la priorité accordée aux questions de sécurité, parfois au détriment du projet d'intégration économique initial.
Consciente du lien étroit entre gouvernance et instabilité, l'organisation adopte en 2001 le Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance réaffirmant que les carences en matière démocratique figurent parmi les causes profondes des conflits dans la région. Elle est une nouvelle fois pionnière en matière de prévention des conflits avec la création du mécanisme d'alerte précoce plus connu sous l'acronyme anglais Ecowarn (Ecowas Early Warning and Response Network). Ce dispositif permet à l'organisation de surveiller en permanence l'état de la sécurité humaine dans la région grâce à 77 points focaux issus de la société civile, répartis dans les quinze pays (cinq par pays et sept pour le Nigeria). Le réseau est coordonné par un représentant national du Réseau ouest-africain pour l'édification de la paix, ou Wanep (West Africa Network for Peacebuilding). Les observateurs nationaux collectent chaque semaine des données locales et les soumettent à la direction de l'alerte précoce, située au siège de la Cedeao, à Abuja. Cette direction surveille, collecte, contrôle et analyse ces données afin de fournir des recommandations aux différentes parties prenantes de la Commission.
En 2014, la Cedeao décide de décentraliser ce dispositif. L'objectif est de privilégier les actions aux niveaux national, départemental et communautaire et de faire en sorte que l'organisation n'intervienne qu'en dernier ressort. En 2017, la décentralisation démarre avec l'ouverture à Bamako du premier centre national de coordination du mécanisme d'alerte précoce et de réponse. Le processus s'est poursuivi, et, en juin 2025, tous les États membres disposaient d'un centre, à l'exception du Bénin, du Cap-Vert, du Sénégal et du Togo.
Les États membres maîtres de l'agenda
À ce jour, la Cedeao repose sur une architecture institutionnelle complexe combinant des organes politiques et techniques. Cette configuration peu lisible de l'extérieur rend son fonctionnement difficile à appréhender, notamment pour les partenaires internationaux, les observateurs et les citoyens ouest-africains eux-mêmes. En 2007, le Secrétariat exécutif de la Cedeao est transformé en Commission afin de lui donner plus de moyens pour agir. La Commission joue un rôle central de coordination entre cinq institutions régionales (Parlement, Cour de justice, Groupe intergouvernemental d'action contre le blanchiment d'argent en Afrique de l'Ouest-Giaba, Organisation ouest-africaine de la santé, Banque d'investissement et de développement de la Cedeao) et quatorze agences spécialisées traitant de domaines aussi variés que la monnaie, l'agriculture, l'énergie, le genre ou la jeunesse.
Si la coopération économique et sécuritaire est son activité la plus connue et la plus visible, la Cedeao ne s'y réduit pas. Malgré des avancées majeures dans les interventions régionales, à l'image de la Gambie en 2017 sous le leadership du Sénégal7, elle reste critiquée pour les irrégularités et le caractère ad hoc de ses processus de prise de décision. L'opportunisme à court terme de ses États membres s'est traduit par la formation de coalitions ad hoc, comme le G5 Sahel en 2014 ou l'Initiative d'Accra en 2017. Ces initiatives militaires portées par des États ont relégué au second plan les efforts au profit d'une planification stratégique engagés en 2004 avec le projet de force en attente.
La Commission est un acteur majeur dans l'élaboration des politiques dans les divers domaines qu'elle tente de coordonner8. Toutefois, malgré son étroite collaboration avec les États membres, ces derniers restent les principaux responsables de l'élaboration de l'agenda. Ce phénomène est particulièrement perceptible dans le domaine de la prévention des conflits. Bien que la Commission ait développé un arsenal d'outils dédiés, dont Ecowarn, les dirigeants ouest-africains privilégient généralement une approche réactive face aux crises ouvertes plutôt que proactive en négligeant les signaux et les indicateurs d'alerte.
Autonomie financière et dépendance externe
Afin de se donner les moyens de l'autonomie financière, les États membres lancent le prélèvement communautaire, mécanisme unique en Afrique. Mis en place sous la forme d'une taxe de 0,5 % appliquée sur les importations en provenance de pays non membres, ce prélèvement constitue une source importante de revenus qui permet de financer entre 70 et 90 % du budget opérationnel annuel de l'organisation9. Mais malgré l'instauration de ce prélèvement communautaire, présenté comme un instrument de souveraineté financière, les appels répétés à la régularisation des contributions des États membres laissent entrevoir des manquements fréquents et des retards de paiement qui fragilisent la stabilité budgétaire de l'institution.
Dans les faits, de nombreux projets stratégiques, notamment dans les domaines de la paix et de la sécurité, des infrastructures ou du développement sectoriel (agriculture, climat, santé), restent fortement dépendants de financements extérieurs. L'Union européenne, la Banque africaine de développement, la Banque mondiale, ainsi que des partenaires bilatéraux comme la France ou l'Allemagne jouent un rôle central en matière de financement, d'appui technique et de coordination des projets de la Cedeao. Le Fonds pour la paix, destiné à financer les opérations de soutien à la paix régulières ou exceptionnelles, illustre bien cette hybridation. Alimenté par le prélèvement communautaire, il bénéficie également de contributions volontaires des États membres et du soutien d'une multitude de bailleurs de fonds internationaux tels que les Nations unies, le Japon ou la Chine.
Cette configuration soulève des tensions structurelles. D'un côté, l'organisation peut se prévaloir, mieux que d'autres sur le continent, d'une relative autonomie budgétaire dans le financement de ses coûts de fonctionnement grâce à son système communautaire, mais, de l'autre, elle reste fortement tributaire de l'aide internationale, notamment pour ses missions les plus visibles et politiquement sensibles.
Les défis des conflits transfrontaliers
Tout comme les guerres civiles dans l'Union du fleuve Mano dans les années 1990, la crise du Sahel, qui éclate au Mali en 2012, et ses effets de débordement dans les États côtiers ont constitué un test pour la capacité de la Cedeao à prévenir et à gérer les conflits.
Les opérations de la force Ecomog, dès le début des années 1990, ont démontré sa capacité à s'engager rapidement. Dans un contexte de fin de guerre froide, la force s'inscrit dans une tendance croissante vers une « appropriation » locale de la gestion des conflits permettant une réponse plus contextualisée et plus légitime. La Cedeao est en mesure de déployer des contingents de ses pays membres dans les zones de conflits plus rapidement et à moindre coût que les missions de maintien de la paix qui prennent le relais. À partir de 2004, le projet de Force en attente accélère l'interopérabilité entre les forces de sécurité nationales.
Mais malgré ces avancées, l'organisation fait face à des capacités opérationnelles et expéditionnaires limitées qui la rendent fortement dépendante du soutien logistique et financier de bailleurs de fonds extérieurs. Les niveaux de formation et d'équipement varient considérablement d'un État membre à l'autre, ce qui nuit à l'efficacité et à l'harmonisation des interventions. Par ailleurs, une forme de concurrence institutionnelle entre l'UA et la Cedeao dans le déploiement des troupes complique parfois la coordination des efforts. Enfin, le modèle d'opérations de paix dirigées par des acteurs africains reste inadapté pour répondre pleinement aux menaces terroristes croissantes dans la région, du fait de moyens logistiques limités, d'un manque de coordination opérationnelle et de mandats souvent trop restrictifs.
La lutte contre le terrorisme, une rupture dans l'agenda
À partir des années 2010, et plus précisément après la crise sécuritaire au Mali et ses développements, la Cedeao se voit reléguée à un rôle secondaire dans la lutte contre le terrorisme. Le sentiment général est que ses outils ne sont ni pleinement fonctionnels ni effectivement mis en œuvre. En 2013, les États membres définissent une politique commune et adoptent une stratégie en matière de lutte contre le terrorisme. En 2014, une stratégie Sahel voit le jour, intitulée Programme de cohérence et d'actions régionales pour la stabilité et le développement des zones sahariennes-sahéliennes (PCAR). Mais aucune de ces deux stratégies ne sera réellement opérationnalisée.
Le PCAR, en particulier, ne verra pas le jour, faute d'adéquation entre les ambitions affichées et les moyens financiers mobilisés. Son intérêt résidait pourtant dans la volonté de proposer un cadre d'action ouest-africain cohérent, capable de coordonner des organisations jusque-là actives de manière fragmentée ou dans des formats ad hoc. À l'inverse, les stratégies développées par d'autres acteurs, tels que l'Union européenne, les Nations unies ou la Banque africaine de développement, mieux dotés en ressources humaines, financières et politiques, se révèlent plus attractives10.
En 2019, les chefs d'état-major des armées de la Cedeao, les chefs des services de sécurité et les chefs des services de renseignements identifient plusieurs obstacles majeurs à la mise en œuvre de la Stratégie de lutte contre le terrorisme de l'organisation : un faible engagement des États membres, des retards dans l'adoption et la mise en œuvre des mesures de prévention imaginées, un faible niveau de partage du renseignement entre les États ainsi qu'une implication insuffisante des acteurs de la société civile dans les efforts de prévention.
Un manque de moyens et de souveraineté
Un autre argument voit dans l'intergouvernementalisme excessif de la Cedeao, son talon d'Achille depuis sa création, l'un des principaux freins à son fonctionnement efficace. Ce caractère intergouvernemental transparaît dans le pouvoir exercé avant tout par la Conférence des chefs d'État, organe politique où prime la défense des intérêts nationaux sur les objectifs d'intégration régionale. La réputation de la Commission de la Cedeao en matière de défense de la démocratie a ainsi été mise à mal lorsque certains dirigeants se sont opposés à la révision du Protocole de 2001 visant à limiter les mandats présidentiels ou lorsque l'organisation a adopté une position ambivalente face aux modifications constitutionnelles en Côte d'Ivoire ou au Togo11
En outre, la force en attente a été délaissée au profit d'une coopération militaire régionale qui apparaît de plus en plus comme un sous-produit de la sécurité des régimes. Paradoxe de l'histoire, l'Ecomog a toujours été citée comme un exemple de première coalition ad hoc ayant permis à la Cedeao de construire sa crédibilité et sa légitimité en matière sécuritaire. Deux décennies plus tard, la crise au Sahel a remis à l'ordre du jour les coalitions ad hoc : le G5 Sahel, l'Initiative d'Accra et la Force multinationale mixte ont réuni des États confrontés à un problème de sécurité commun, notamment à leurs frontières. Ces formats souples permettent un déploiement rapide dans un cadre qui respecte davantage la souveraineté nationale tout en offrant des ressources ciblées et une forme de légitimité politique. Si ces coalitions ont parfois montré leurs limites en matière de durabilité et d'efficacité, leur montée en puissance témoigne néanmoins d'une perte de confiance dans les mécanismes classiques de la Cedeao, perçus comme trop rigides ou obsolètes, notamment sa Force en attente, rarement mobilisée.
Enfin, la dépendance financière de la Commission et des États membres pour la mise en œuvre des projets et des déploiements régionaux s'est accompagnée d'une influence politique extérieure qui a progressivement affecté la souveraineté régionale, voire brouillé les priorités stratégiques au profit des agendas des bailleurs de fonds. Cette même dépendance a fait l'objet de critiques récurrentes sur l'interférence extérieure dans les affaires économiques et politiques des États membres, notamment dans des contextes de fragilité ou de transition. La création du G5 Sahel continue d'être perçue comme une initiative portée à bout de bras par les pays européens tout en étant concurrente – ou du moins parallèle – des efforts de sécurité de la Cedeao. Bien que les partenaires extérieurs affirment laisser la direction politique et stratégique aux acteurs de la région, l'impression demeure que leurs décisions orientent l'agenda au détriment du rôle africain.
Et les peuples dans tout ça ?
Adoptée en 2007, la « Vision 2020 » de la Cedeao marque une volonté claire de transformation : passer d'une « Cedeao des États » à une « Cedeao des peuples ». La « Vision 2050 » de la Cedeao réaffirme cette ambition avec pour objectif de renforcer l'intégration régionale tout en répondant aux défis émergents, en misant sur un développement durable, inclusif et participatif. Or, malgré un cadre normatif ambitieux et une visée progressiste, la construction d'une véritable Cedeao des peuples se heurte à des résistances étatiques, à une faiblesse des leviers institutionnels et à une distance encore marquée entre l'organisation et ses citoyens.
Certes, la Commission peut se prévaloir de sa proximité avec les organisations de la société civile ouest-africaine. En 2004, elle a signé un partenariat avec le West Africa Network for Peacebuilding (Wanep), qui fait partie intégrante de son dispositif d'alerte précoce. Cependant, l'implication active des citoyens et des organisations de la société civile dans les processus décisionnels demeure marginale, et les espaces de dialogue restent réduits, à l'image de la liberté d'expression dans certains États membres.
Pour renforcer sa légitimité, la Cedeao doit prioriser une communication concrète et une gouvernance participative. Actuellement, de nombreux citoyens ouest-africains ignorent les missions et les bénéfices tangibles de l'organisation, ce qui suscite indifférence et méfiance. Par exemple, peu de commerçants comprennent que la libre circulation des biens permise par la Cedeao influe directement sur leurs revenus ou que la carte d'identité biométrique facilite leurs déplacements transfrontaliers. La Cedeao est souvent perçue comme une entité technocratique ou un « club de chefs d'État » éloignés des réalités quotidiennes. Une transformation est donc cruciale pour replacer les populations au cœur du projet d'intégration.
Les reproches des citoyens
Au-delà des discours, la Cedeao manque encore de ressources humaines et financières pour assurer un suivi rigoureux dans la mise en application des décisions, y compris lorsqu'il s'agit de rappeler à l'ordre les États membres qui ne les respectent pas. Les nombreux protocoles sur la libre circulation, la gouvernance ou l'intégration économique restent d'application inégale, et leurs manquements ont rarement été sanctionnés. Cette lacune se traduit concrètement sur le terrain. Par exemple, les citoyens se heurtent encore fréquemment à des tracasseries administratives ou à des contrôles abusifs aux frontières, même lorsqu'ils possèdent la carte d'identité biométrique de la Cedeao. Ce décalage entre les engagements régionaux et la réalité nationale affaiblit la crédibilité de l'organisation et nourrit la frustration. Dans les années à venir, l'une des priorités devrait être de recentrer les efforts sur un bilan honnête des actions entreprises et de renforcer les mécanismes de suivi et de redevabilité, afin que les décisions soient réellement adaptées et appliquées.
Enfin, la Commission et ses agences spécialisées doivent impérativement corriger l'inégalité dans la répartition des bénéfices de l'intégration régionale. Les populations de plusieurs pays riches en ressources naturelles, comme le Mali (or) ou le Nigeria (pétrole), dénoncent leur exclusion des retombées économiques, voyant souvent la richesse se concentrer entre les mains de quelques élites. Le désenchantement et le rejet de la gouvernance se sont manifestés à travers des mouvements citoyens comme Y'en a marre au Sénégal ou Le Balai citoyen au Burkina Faso. Cette frustration a nourri un scepticisme croissant à l'égard de la Cedeao et de son action au service des peuples. Pour renforcer un sentiment d'appartenance régionale, l'organisation doit concentrer ses efforts sur la visibilité des politiques de redistribution et développer la communication sur les bénéfices concrets de l'intégration, notamment dans les zones transfrontalières.
La crise actuelle de la Cedeao intervient dans un contexte mondial marqué par une remise en question du multilatéralisme, fragilisé tant par le repli souverainiste de certains États que par les limites de la coopération internationale face à des crises complexes (pandémies, guerres, reconfiguration des alliances stratégiques, etc.). Dans cet environnement incertain, les organisations régionales devraient jouer un rôle crucial de stabilisation et de projection collective. Or la paralysie partielle de la Cedeao fragilise cette posture, alors même que l'Afrique de l'Ouest fait face à des défis multiples : insécurité, inégalités croissantes, transitions politiques contestées, pression démographique et vulnérabilité aux chocs extérieurs.
Ne pas « casser la calebasse »
Pour les pays membres, les enjeux d'intégration vont bien au-delà du seul cadre institutionnel, la Cedeao offrant des leviers essentiels pour faciliter les échanges, harmoniser les politiques économiques, attirer les investissements et promouvoir des projets structurants à l'échelle régionale. Dans un espace où la majorité des pays sont enclavés et dépendants de corridors transfrontaliers, en particulier les trois pays qui viennent d'en claquer la porte, l'absence de coordination régionale freinera encore davantage la croissance et l'inclusion économique. La désintégration partielle de la Cedeao pourrait ainsi compromettre les objectifs de réduction de la pauvreté et d'émergence économique en ralentissant les dynamiques de marché commun, de mobilité et de mutualisation des ressources.
Consciente de ces risques, l'organisation a récemment adopté une posture plus conciliante à l'égard des membres de l'Alliance des États du Sahel en laissant ouverte la porte du dialogue. Le maintien de la libre circulation des personnes est vital, et les deux organisations n'ignorent pas leur interdépendance économique et sociale profonde. Malgré les tensions politiques actuelles, la Cedeao souhaite montrer l'importance de préserver l'esprit de solidarité communautaire.
Il en va donc de l'avenir collectif des sociétés ouest-africaines de repenser leur intégration en conjuguant souveraineté nationale et coopération régionale au service du développement humain. La survie et la pertinence de la Cedeao dépendront de sa capacité à se réformer, à entendre les voix discordantes et à faire évoluer ses instruments vers plus de flexibilité, de légitimité et d'impact pour les populations.

Une vaste purge militaire au Mali
La situation au Mali est particulièrement tendue, marquée par une série d'arrestations qui secouent l'armée et le pouvoir en place. Sur fond d'une situation économique catastrophique et d'accusations contre les services français dont un agent aurait été arrèté.
Tiré d'Afrique en lutte.
Des arrestations massives ont eu lieu à Bamako : Entre 36 et 40 militaires et hauts gradés ont été arrêtés ces derniers jours, dont des figures respectées comme le général Abass Dembélé et la générale Nema Sagara. Les motifs officiels sont flous. Un communiqué officiel a confirmé les arrestations « pour tentative de déstabilisation ». En coulisse, il s'agirait de neutraliser toute contestation interne à la junte.
Une certitude, l'atmosphère est tendue au Mali. Des témoignages évoquent des cris dans les sous-sols de la DGSE malienne, assimilée à une police politique au service du régime.
La France visée
Lors d'une précédente purge en mai 2022, le gouvernement malien avait évoqué le soutien d'un “État occidental” aux putschistes, sans le nommer. Beaucoup ont vu une allusion à la France. La DGSE française est visée par le pouvoir malien. Un agent nommé “Yann” est cité. La junte semble plutôt mener une opération de consolidation du pouvoir, sous couvert de sécurité nationale.
Depuis le coup d'État militaire du 18 août 2020, la République du Mali semble avoir substitué à la quête de justice et de démocratie un dogme du développement vitrifié : construire des routes, ériger des ponts, découper des rubans — tout en muselant la société civile et en détournant les règles les plus élémentaires de la commande publique.
Dans une tribune incisive publiée en juillet 2025, explique le chroniqueur et expert Mohamed AG Ahmedou, l'analyste malien Sambou Sissoko dresse un tableau implacable d'un État devenu le théâtre d'un “hold-up infrastructurel” orchestré au profit d'un cartel d'entreprises aux accointances opaques. COVEC, EGK, EGMK, ATTM : ces noms reviennent avec une régularité métronomique dans les décrets ministériels, les annonces du gouvernement de transition, et les rares contrats consultables. Des noms que l'on croirait sortis d'un roman dystopique, et pourtant, ce sont les véritables bénéficiaires d'un Mali livré à une économie politique de la prédation.
Les propos de Sissoko, que certains dans la capitale accusent d'« exagération idéologique », trouvent pourtant un écho bien réel dans les rues de Kayes, dans les cercles de Tombouctou, et jusque dans les villages délaissés du Gourma. À Gossi, Issa AG Alhassane, enseignant à la retraite, soupire : « Ils parlent de routes, mais moi je vois des promesses. Des chantiers qui commencent et ne finissent jamais. Et quand c'est fini, la saison des pluies emporte tout. »
Même constat à Sévaré, où Aïcha, commerçante, rit jaune en évoquant les 32,6 milliards de francs CFA alloués à la route Sévaré-Mopti :
« Ils ont goudronné le centre-ville pour les caméras, mais les camions dégradent le peu de route praticable dès la sortie. On sait tous que c'est du théâtre. »
La fabrique du consentement autoritaire
« Les chantiers d'infrastructures, note Mohamed AG Ahmedou sur son site, sont devenus les piliers d'une gouvernance autoritaire, qui instrumentalise le développement pour consolider le pouvoir. L'autoritarisme malien ne se contente plus de menacer les journalistes ou de dissoudre les partis politiques. Il s'habille désormais d'enrobé bitumineux ».
La procédure dite « d'entente directe », mentionnée à de multiples reprises dans les décisions gouvernementales, est systématiquement utilisée pour contourner les appels d'offres ouverts. La législation de l'UEMOA est pourtant claire : sauf urgence avérée, la concurrence est la règle. Mais depuis 2020, aucun audit de la Cour des comptes n'a été publié. Le silence administratif est devenu l'allié le plus fidèle de la captation. Ces projets, sans exception , ont été confiés à des entreprises proches du pouvoir, souvent sans publication des résultats d'attribution, sans justification technique, sans contrôle parlementaire.
« La commande publique est devenue une affaire privée. » Sissoko
Dans les régions nord du pays, cette centralisation économique attise une frustration croissante. Un conseiller municipal d'Anefis confie, sous anonymat : « Le Nord est exclu des décisions économiques, sauf quand il s'agit de sécuriser les convois d'approvisionnement. Aucune route ne sort de chez nous, sauf pour aller vers les mines. »
Une diplomatie du béton
Le COVEC, bras armé économique de Pékin, est emblématique de cette diplomatie du bitume. Là où la Banque mondiale ou la BAD exigent des contreparties en matière de gouvernance et de traçabilité, la Chine se contente de résultats visibles — peu importe la manière.
À Bamako, le nouveau contournement RR9 trône comme un symbole de modernité. Mais aucun rapport n'en détaille les surcoûts, ni l'état d'avancement réel.
« La route n'est pas un bien neutre. C'est un choix politique », commente Youssouf Ag Rhissa, chercheur en développement basé à Niamey.

Deux ans après le coup d’Etat, le Niger à la dérive
Le 26 juillet 2023, le Niger basculait brutalement dans l'incertitude politique. Le président élu Mohamed Bazoum était évincé par un coup d'État militaire, dont les zones d'ombre demeurent, deux ans plus tard, toujours aussi épaisses. Derrière ce putsch, certains voient la main de l'ancien président Mahamadou Issoufou, évoquant un jeu d'alliances et de rivalités internes mal maîtrisé. Une hypothèse qui alimente les tensions au sein même du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), tiraillé entre courants divergents et ambitions contradictoires.
Tiré de MondAfrique.
Deux années se sont écoulées. Et pourtant, la promesse d'une transition structurée, capable d'ouvrir une nouvelle ère politique, semble aujourd'hui dissoute dans un discours souverainiste souvent excessif et parfois contreproductif. Loin d'un processus ordonné de refondation, le pays évolue dans une zone grise institutionnelle, sans cap clair, sans échéancier crédible, sans projet cohérent.
Une transition sous tension
Le CNSP, organe militaire s'étant emparé du pouvoir, est rapidement passé du langage de la rupture à celui de la rente politique. Le discours patriotique, teinté d'une rhétorique de rupture avec l'ordre ancien et les puissances étrangères, a servi de paravent à une gestion du pouvoir marquée par le repli, l'improvisation, et la personnalisation de la décision. Le pays s'est progressivement isolé de ses voisins et de ses partenaires traditionnels, rompant des alliances sans en bâtir de nouvelles réellement viables.
À l'interne, la machine de la refondation tourne à vide. Les institutions transitoires attendues, garantes d'un retour à l'ordre constitutionnel, tardent à voir le jour. Le Conseil consultatif de transition (CCR), présenté comme l'organe de dialogue et de représentation nationale, s'est avéré n'être qu'un cénacle de partisans du régime, récompensés pour leur loyauté plus que pour leur légitimité. Sans réel pouvoir, son rôle reste flou, sa mission obscure, et sa pertinence contestée. L'utilité de ce Conseil est en effet loin d'être une évidence et se présente au contraire comme une anomalie institutionnelle budgétivore en décalage total avec les attentes d'un peuple en proie à de graves incertitudes.
Le projet AES : entre précipitation et opacité
L'adhésion hâtive du Niger à l'Alliance des États du Sahel (AES), aux côtés du Mali et du Burkina Faso, illustre les errements d'une diplomatie devenue trop idéologique. Ce projet d'intégration régionale, aussi ambitieux que mal préparé, aurait mérité un débat national, une concertation élargie, et une planification rigoureuse. Au lieu de cela, slogans et décisions à l'emporte-pièce ont pris le pas sur le pragmatisme nécessaire à une véritable refondation géopolitique. La mise en place d'une confédération, présentée comme un horizon stratégique, ne peut se faire sans l'adhésion explicite et informée de l'ensemble des populations concernées.
Par ailleurs, la création de cette alliance, autour de réalités propres aux trois pays membres, ne devrait pas se concevoir comme alternative à l'actuelle Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) qui devrait demeurer, à une autre échelle, le cadre sous régional d'intégration économique en cohérence avec les autres parties du continent.
Isolement régional, tensions internes
Sur la scène régionale, le Niger paie aujourd'hui le prix fort de ses ruptures intempestives. Les relations avec ses deux géants frontaliers, le Nigeria et l'Algérie, sont au plus bas. La fermeture prolongée de la frontière avec le Bénin constitue un contresens diplomatique et économique, dont les conséquences pèsent lourdement sur les circuits d'approvisionnement et les conditions de vie des Nigériens.
Le populisme qui entoure ces décisions masque difficilement l'absence de vision stratégique. Revendiquer la souveraineté ne saurait se faire au détriment de l'intérêt national. Or, le Niger semble évoluer dans une logique d'affrontement plutôt que de coopération, se coupant de leviers essentiels à sa stabilité et à son développement.
Le Niger devrait conserver son rôle de pôle de référence en matière de stabilité dans la sous-région. Ce marqueur de sagesse et de pragmatisme doit être préservé en dépit des vicissitudes politiques internes actuelles.
Une impasse politique et sécuritaire
Deux ans après le putsch, les Nigériens sont toujours dans l'attente d'un véritable projet politique. Les espoirs nés de la promesse d'une gouvernance vertueuse, débarrassée des travers du passé, clientélisme, corruption, exclusion, s'étiolent. Le pays donne l'image d'un pouvoir replié sur lui-même, sourd aux aspirations populaires, et prisonnier d'une logique de survie.
Malgré des promesses de lutte renforcée, le CNSP peine à inverser la tendance sécuritaire. Les régions comme Tillabéri, Tahoua ou Dosso échappent de plus en plus au contrôle de l'Etat, laissant la population à la merci d'exactions de toutes sortes.
La situation de Mohamed Bazoum, maintenu en détention depuis son renversement, cristallise cette impasse. Au-delà de la dimension humaine, c'est le respect du droit et des principes républicains qui est en jeu. Une sortie apaisée, respectueuse des fonctions qu'il a occupées, s'impose comme une nécessité politique et morale.
L'appel au sursaut
Le Niger est à la croisée des chemins. Dans un contexte régional et international de plus en plus instable, l'heure exige lucidité et à laresponsabilité. Le pays ne peut se permettre un naufrage politique prolongé, au risque d'aggraver les souffrances d'une population déjà éprouvée par l'insécurité et la crise économique. Un sursaut national s'impose, porté par les élites politiques, intellectuelles et sociales, pour remettre le Niger sur les rails d'un avenir possible.
Il est encore temps de sauver l'essentiel : la stabilité, la cohésion nationale, et la dignité d'un peuple en quête de justice, de sécurité et d'un État enfin au service du bien commun.

Comptes rendus de lecture du mardi 26 août 2025
Le mythe de la bonne guerre
Jacques R. Pauwels
Version originale en néerlandais
Il s'agit probablement du meilleur livre qu'il m'ait été donné de lire sur la Deuxième Guerre mondiale et ses suites. C'est un ouvrage fouillé qui déconstruit les nombreux mythes véhiculés depuis 1945 à travers le cinéma et la littérature états-uniennes sur les réalités de cette guerre contre l'Allemagne nazie. Comme le montre l'auteur, les États-Unis sont entrés en guerre sous la contrainte et leurs riches industriels ont fait des affaires avec le IIIe Reich le plus longtemps possible en prolongeant ainsi la guerre sans grande conscience morale. Ce sont en fait les Soviétiques qui ont affronté l'essentiel des troupes hitlériennes tout au long de la guerre, qui en ont le plus souffert avec environ 27 millions de morts, et qui nous ont finalement libérés des nazis. Vous en apprendrez même beaucoup plus. Un livre à lire absolument !
Extrait :
En ce qui concerne l'élite du pouvoir aux États-Unis, la Guerre Froide s'apparentait, ou du moins s'approchait, de la perfection, mais pas uniquement parce qu'elle était centrée sur l'ennemi « parfait ». La Guerre Froide se révéla merveilleuse, quelle que fut l'identité ou la nature de l'ennemi, tout simplement parce qu'il s'agissait d'une guerre et non de la paix. N'importe quel conflit contre n'importe quel ennemi se révélait être un cadeau du ciel car il permettait de maintenir les dépenses militaires à des niveaux élevés, soutenant ainsi le boom économique produit par la Deuxième Guerre mondiale. Grâce à ce nouveau conflit, l'industrie de l'armement pouvait continuer à fonctionner comme la dynamo keynésienne de l'économie américaine. De surcroît, la principale caractéristique de la Guerre Froide ― l'escalade sans fin de la « course aux armements » ― fournira une abondante source de profits aux grandes entreprises américaines. Et, comme le nouvel ennemi, l'Union soviétique, patrie du communisme, était le vrai ennemi idéologique ― ce que l'ancien ennemi nazi n'avait jamais été ―, la Guerre Froide offrit encore un avantage supplémentaire. Avec un tel ennemi, c'étaient non seulement les communistes américains, mais tous les partisans de changements radicaux, qui pouvaient être discrédités en tant que subversifs « non américains », en tant qu'agents de l'Union soviétique. La Guerre Froide servit à supprimer toute dissidence.
Peut-on voyager encore ?
Rodolphe Christin
J'avais beaucoup aimé le « Manuel de l'antitourisme » de Rodolphe Christin il y a plusieurs années. « Peut-on voyager encore ? » est d'une lecture moins agréable, plus difficile. C'est malheureux, parce qu'il traite de façon recherchée des effets délétères des grands voyages touristiques, mais aussi de bien d'autres incidences négatives du capitalisme sur l'environnement. Il gagnerait à être écrit avec plus de fluidité, mais il vaut tout de même grandement la peine d'être lu.
Extrait :
Face aux enjeux climatiques et sociaux, le système touristique ne devrait pas avoir d'avenir si l'on veut être conséquent et considérer les désastres en cours à la mesure de leur importance.
L'argent
Émile Zola
« L'argent » est le dix-huitième roman de la série des Rougon-Macquart dans l'ordre de rédaction, mais le quatrième dans l'ordre chronologique. On y retrouve de nouveau Aristide Saccard, sans scrupules, lui qui avait amassé une importante fortune dans le précédent roman « La curée ». Brouillé avec son frère, le ministre Eugène Rougon, il conserve toujours ses rêves de gloire. Il met ainsi sur pied une entité nébuleuse, la Banque Universelle, destinée à financer des travaux de grande envergure au Moyen-Orient. Il y attire dans ses filets en les trompant des petits épargnants en quête de profits faciles et rapides. Tout semble se dérouler sans obstacle, de mieux en mieux, alors qu'il gonfle artificiellement la valeur des actions… Le roman s'inspire des événements de l'époque. Des idées en cours aussi. J'ai bien aimé encore une fois.
Extrait :
Ah ! l'argent, cet argent pourrisseur, empoisonneur, qui desséchait les âmes, en chassait la bonté, la tendresse, l'amour des autres ! Lui seul était le grand coupable, l'entremetteur de toutes les cruautés et de toutes les saletés humaines. A cette minute, elle le maudissait, l'exécrait, dans la révolte indignée de sa noblesse et de sa droiture de femme. D'un geste, si elle en avait eu le pouvoir, elle aurait anéanti tout l'argent du monde comme on écraserait le mal d'un coup de talon, pour sauver la santé de la terre.
Du contrat social
Jean-Jacques Rousseau
Je viens de lire cet important essai qui repose dans ma bibliothèque depuis plusieurs dizaines d'années. C'est le texte le plus important sur le sujet qui nous provienne du siècle des Lumières. Selon Rousseau, la justice ne peut se définir comme le droit du plus fort ; s'il en était ainsi, les individus les plus puissants seraient donc toujours les plus justes. La justice consiste plutôt en l'harmonie entre les actes individuels et l'autorité civile. Et les individus ne sont d'ailleurs contraints à agir que si l'autorité est légitime... Pour se protéger, les personnes s'accordent sur une relation contractuelle par laquelle elles s'engagent à accepter diverses fonctions et obligations en échange des avantages de la coopération sociale. Un petit livre de moins de deux cents pages, mais une œuvre monumentale !
Extrait :
Je veux chercher si, dans l'ordre civil, il peut y avoir quelque règle d'administration légitime et sûre, en prenant les hommes tels qu'ils sont, et les lois telles qu'elles peuvent être. Je tâcherai d'allier toujours dans cette recherche ce que le droit permet avec ce que l'intérêt prescrit, afin que la justice et l'utilité ne se trouvent point divisées.

Sol Zanetti, candidat au porte-parolat de Québec solidaire
Le lien pour rejoindre sa campagne :
Sol Zanetti, candidat au porte-parolat de Québec solidaire
https://solzanetti.quebec/
QUI SUIS-JE ?
Né à Sainte-Foy d'un père venu d'Italie et d'une mère de Shawinigan, j'ai sillonné les rues de ma banlieue-bungalow classique et occupé les sous-sols style années 1970 du quartier jusqu'à mes 17 ans.
À 15 ans, j'ai lu le livre d'Albert Jacquard J'accuse l'économie triomphante ! et ma vision du monde a changé irréversiblement. Alimenté par un mythique prof d'histoire en secondaire 5, je me suis mis dans la tête qu'il fallait changer le monde au plus vite et que c'était possible. « Soyons réalistes, exigeons l'impossible », disait le Che ; la citation se trouvait sur le mur de ma chambre.
Entre 15 et 20 ans, je deviens indépendantiste. La lutte pour la liberté de notre peuple me touche au plus profond du cœur. Je me rends compte que cette quête de souveraineté est un enjeu universel. Je ne cesse depuis de prendre conscience de son importance, non seulement pour le peuple québécois, mais pour toutes les nations autochtones d'ici et d'ailleurs. Ensemble, dans la paix et l'amitié véritables, nous vaincrons, j'en suis convaincu.
« Il faut rester fidèle à ses rêves de jeunesse, car ils sont les seuls », disait Pierre Bourgault. Cette maxime est gravée en moi à jamais. Un jour, peut-être, je me la tatouerai quelque part, mais pas tout de suite.
Je pars ensuite étudier au Cégep de Lévis-Lauzon en sciences humaines et langues. J'ai pu constater dès les années 2000 que le problème de la mobilité interrives était vraiment dû au manque de transport collectif plutôt qu'à un manque de troisième lien à l'est.
J'ai voulu être journaliste, historien, sociologue, économiste ; je me suis retrouvé en philo.
Pendant mes études, je travaille comme préposé aux bénéficiaires dans un hôpital, principalement en géronto-psychiatrie. Pas facile. Je découvre que les préposées d'expérience ont souvent le même superpouvoir : ensoleiller les vies des personnes vulnérables, rester positives lorsque le crépuscule de la vie approche et que l'esprit s'étiole. Mon admiration envers elles est infinie.
Je travaille ensuite comme intervenant en santé mentale dans une clinique de traitement pour jeunes adultes aux prises avec la psychose. J'ai appris à écouter l'humain pour vrai. Merci infiniment à la communauté du 388.
Et là, je deviens prof de philosophie au Campus Notre-Dame-de-Foy. J'adore ça. J'enseigne à des futures pompières, policiers ou musiciennes, à des étudiants en mode, etc. J'apprends à vulgariser, à susciter le désir d'apprendre et de philosopher.
En 2012, j'ai 29 ans, bientôt 30, et c'est le soulèvement étudiant. Je m'implique dans les Profs contre la hausse et je commence mon implication politique. Je deviens candidat pour Option nationale, un parti indépendantiste de gauche naissant. Un an et demi plus tard, j'en deviens le chef jusqu'à sa fusion avec Québec solidaire en 2017.
Bien que je me sois toujours considéré féministe, c'est en militant dans un parti politique constitué majoritairement d'hommes, comme la plupart des milieux politiques encore aujourd'hui, que ma compréhension du féminisme et du patriarcat s'est approfondie. Merci aux militantes d'Option nationale, de QS et aux vidéos des Brutes de m'avoir fait cheminer grandement dans ma formation continue d'allié.
Élu en 2018 comme député solidaire de Jean-Lesage, je milite pour ma ville et mon pays en construction.
Le militantisme indépendantiste est la colonne vertébrale de mon engagement. Depuis 2015, j'ai participé à plusieurs ouvrages collectifs de promotion de l'indépendance : Le livre qui fait dire oui, Ce qui nous lie ; l'indépendance pour l'environnement et nos cultures. Depuis 2016, j'ai donné 89 conférences sur l'indépendance et je compte franchir le cap du 100 avant les élections 2026. Les appuis à l'indépendance et à la gauche, nous pouvons les faire augmenter. Je le sais maintenant et je veux qu'on y contribue tout le monde ensemble.
Aujourd'hui, papa d'une fille formidable de 4 ans (et demi !), je me présente pour devenir le prochain co-porte-parole de Québec solidaire. C'est un peu fou, cette histoire, mais bon. C'est ce qui arrive quand on écoute son cœur, j'imagine.
Rêver, mobiliser, changer le monde
Cette lettre ouverte signée par Sol Zanetti a été publiée dans Le Soleil le 3 mai 2025
Il ne se serait pas passé grand-chose dans l'histoire de l'humanité sans les rêveuses et les rêveurs. Rêver, imaginer un avenir libre, affranchir nos ambitions collectives des préjugés sur ce qui est possible et impossible, oser se projeter dans le monde dont nous avons besoin pour être heureux : c'est le superpouvoir humain à l'origine de toutes les grandes créations scientifiques et sociales.
La joute politique tue souvent les rêves collectifs. Rapidement, celles et ceux qui osent rêver se font dénigrer par les corbeaux du prétendu « réalisme ». Leurs adversaires tentent de les dévaluer en faisant croire que leurs propositions sont impossibles. Il ne faut jamais céder devant ces oiseaux de malheur.
En effet, il n'y a rien qui change aussi souvent que les limites du possible dans l'opinion majoritaire d'une société. Le droit de vote des femmes et l'abolition de l'esclavage, pour ne nommer que ces exemples frappants, ont été longtemps considérés comme impossibles avant de devenir des acquis sociaux évidents.
Il est parfaitement possible de faire du Québec un pays libre et démocratique, une société qui vit en équilibre avec son environnement, et où l'égalité et la solidarité rendent possible l'épanouissement de tout le monde.
Nos rêves à nous, Québécoises et Québécois, sont beaucoup trop grands et précieux pour les laisser pourrir dans l'espace confiné d'une province du pétro-État canadien. Donnons à nos rêves les coudées franches et à notre désir l'espace d'exister. Ce qui est impossible, c'est de penser que le monde pourra poursuivre sur la même voie encore 25 ans en continuant de surproduire, de détruire la planète et de laisser se creuser les inégalités partout. Tôt ou tard, ça va péter solide. En 2025, il vaut mieux rêver que dormir au gaz.
Pour que nos rêves politiques soient féconds, nous devons passer à l'action et mobiliser nos communautés. Une fois rassemblés, tout devient possible.
Nous devons investir le Parlement, mais aussi les rues, les ruelles et les rangs. Le pouvoir des partis de gauche au Québec est ancré dans les luttes sociales menées sur tout le territoire davantage qu'au sein du système politique englué que nous a légué notre histoire coloniale.
Lorsque je vois les idées conservatrices et rétrogrades gagner en popularité ici comme ailleurs, un sentiment d'urgence me traverse.
Les solutions de l'avenir ne peuvent pas être de « continuer comme ça », de nous désolidariser les uns des autres et de nous diviser en nous contentant de protéger la richesse des riches.
Le monde a besoin d'amour, de rencontres, d'écoute, d'empathie, de remises en question, de générosité, de partage, d'entraide, d'espoir, de créativité, de liberté, de joie, de temps pour penser et vivre dignement. Ce sont les politiques de gauche qui donnent tout ça. Ce sont les politiques de gauche que je veux pour le Québec, notre véritable pays. C'est pour ça que je suis engagé à Québec solidaire : pour transformer mon inquiétude personnelle en espoir partagé et contribuer à changer le monde.
Je voulais, par cette lettre, vous annoncer que je réfléchis sérieusement à me porter candidat pour devenir le porte-parole masculin du parti en novembre prochain. Je veux épauler Ruba de mon mieux pour qu'elle nous représente au débat des chefs de la prochaine campagne électorale si c'est le souhait des membres et le sien.
Je veux que nos députées et députés sortent encore plus de l'Assemblée nationale pour épauler les mouvements citoyens sur l'ensemble du territoire, je veux qu'on prenne plus de risques pour défendre nos valeurs même quand ça fait fâcher des chroniqueurs, je veux qu'on remette la lutte aux changements climatiques au centre de la politique québécoise et qu'on contribue à nous faire penser en pays toute la gang.
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Je suis candidat au co-porte-parolat de Québec solidaire, pour une gauche unie et assumée
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Ma vision
Les dernières années ont été marquées par une montée de la droite, et surtout de l'extrême-droite intolérante, partout dans le monde. Plus que jamais, nous avons besoin d'une gauche forte et rassembleuse.
Je crois profondément que Québec solidaire doit jouer un rôle fort en tant que parti progressiste, féministe, écologiste et indépendantiste.
Environnement et lutte aux changements climatiques
Alors que la crise climatique continue de prendre de l'ampleur, il est inconcevable que ce sujet ne soit pas plus pris au sérieux. Par exemple, l'environnement n'a pas été au coeur des débats lors de la dernière élection fédérale, ce qui s'avère particulièrement inquiétant.
Au Québec, depuis 2018, la CAQ nous fait reculer en environnement : elle abandonne les transports collectifs, tout en s'entêtant à défendre de mauvais projets autoroutiers comme le troisième lien. Elle sacrifie nos milieux naturels pour des projets comme Stablex ou Northvolt. Elle met en péril la qualité de l'air et la santé de la population en cédant devant des entreprises comme Glencore, qui polluent de Limoilou à Rouyn-Noranda. Même le PQ renonce à faire la lutte aux changements climatiques en proposant d'abolir la taxe sur l'essence.
C'est la responsabilité de Québec solidaire de rappeler que la crise climatique est bien réelle et que l'environnement n'est pas un sujet accessoire. Alors que François Legault est prêt à raviver les projets de pipeline pour exporter le pétrole albertain et à sacrifier notre territoire, nous avons besoin de la voix forte de Québec solidaire pour rappeler à quel point les Québécoises et les Québécois n'adhèrent pas à cette vision passéiste.
Justice sociale et logement
Québec solidaire se distingue depuis sa création par l'attention portée aux plus vulnérables de notre société et par son profond désir de justice sociale. Plus que jamais, la lutte aux inégalités sociales doit être au cœur de notre projet politique.
Depuis sept ans, l'écart entre les riches et les pauvres se creuse au Québec, les loyers augmentent de manière vertigineuse et l'itinérance explose dans toutes les villes du Québec.
L'inaction de la CAQ est particulièrement inquiétante : les villes sonnent l'alarme sur l'absence d'implication du gouvernement du Québec en matière de lutte à l'itinérance et la ministre de l'Habitation, plutôt que de considérer le logement comme droit et d'agir en conséquence, suggère plutôt aux locataires d'investir en immobilier !
Depuis sept ans, les services publics se dégradent, les hôpitaux tombent en ruines, les salaires des éducatrices en CPE sont de moins en moins attractifs et les droits syndicaux disparaissent.
Démocratie
Québec solidaire porte depuis sa création les idéaux de démocratie et de représentativité : ça se traduit à travers ses engagements de longue date en faveur de la réforme du mode de scrutin ou en faveur de l'assemblée constituante comme chemin vers la souveraineté du Québec.
Ça se traduit également par nos principes féministes incarnés par les pratiques de parité et de représentation, qui assurent une plus grande pertinence à notre vision de la société.
Mais, notre parti ne porte pas seulement ces idéaux uniquement dans les débats publics : il s'est toujours démarqué des autres par la force de sa démocratie interne, de l'implication de ses membres et de la richesse de ses débats politiques. L'importance qu'accorde notre parti au partage du pouvoir et aux décisions collectives fait peut-être sourciller certains chroniqueurs, mais elle constitue le fondement de ce qui nous distingue et rend notre proposition politique aussi solide.
S'impliquer dans les relations avec les instances, être à l'écoute et présent sur le terrain : voilà selon moi un rôle essentiel du porte-parole. Ce rôle doit s'incarner partout au Québec, avec une sensibilité particulière pour la diversité des régions, des réalités et des enjeux.
Course au porte-parolat de Québec solidaire : Etienne Grandmont reçoit l'appui de Christine Labrie
Québec, le 25 août 2025 – Le député de Taschereau, Etienne Grandmont, poursuit sa tournée des régions du Québec dans le cadre de sa course au porte-parolat de Québec solidaire.
Alors qu'il sera à Sherbrooke ce mercredi 27 août en soirée pour rencontrer les membres de Québec solidaire, il a reçu ce matin l'appui de sa collègue députée de la circonscription de l'Estrie, Christine Labrie, qui a publié sur ses réseaux sociaux un message dans lequel elle vante les qualités de son collègue, notamment son écoute et son leadership rassembleur, ainsi que son engagement sincère envers l'environnement et la justice sociale.
Voir la publication : https://www.facebook.com/photo/?fbid=1299876104839367&set=a.406331327527187
Il s'agit du deuxième appui qu'Etienne Grandmont reçoit d'un-e membre du caucus des député-es de Québec solidaire après celui d'Andrés Fontecilla, député de Laurier-Dorion, lors de son lancement de campagne au printemps dernier.
Un engagement envers l'environnement et la justice sociale et une qualité d'écoute rassembleuse
Avec tout le travail qu'il y a à faire au Québec pour réduire les inégalités, Christine Labrie se dit rassurée par l'engagement profond de son collègue envers la lutte aux changements climatiques et envers la justice sociale.
Celle qui a été co-porte-parole par intérim reconnaît en son collègue les qualités nécessaires pour agir en tant que co-porte-parole pour la suite. Elle cite notamment ses grandes capacités d'écoute, sa présence sur le terrain et dans les instances du parti, ainsi que son désir de travailler pour unir les forces.
« Etienne, c'est quelqu'un qui aborde ses dossiers l'esprit ouvert : il écoute, il est capable de prendre acte des points de vue différents pour trouver la meilleure solution, et il est toujours constructif. C'est de politiciens comme ça dont on a besoin au Québec, et Québec solidaire a besoin de lui pour grandir », explique Christine Labrie, députée solidaire de Sherbrooke.
« C'est un immense honneur pour moi de recevoir l'appui de Christine, une femme intègre et rigoureuse qui a beaucoup donné à la gauche québécoise au cours des 7 dernières années. Sa capacité à rassembler autour d'objectifs communs et son excellent travail sur le terrain m'ont toujours beaucoup inspiré. Christine incarne à cet égard le travail que je veux faire pour coaliser les forces progressistes du Québec si je deviens co-porte-parole. », conclut Etienne Grandmont.
-30-
Renseignements :
Marc-Olivier Gingras-Tremblay
Attaché de presse
514 210-3993 etienne2025qs@gmail.com
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Sous Mark Carney, le principal groupe de pression du capital reprend le volant
Le gouvernement libéral du Canada est devenu l'instrument docile du pouvoir des grandes entreprises, ressuscitant la gouvernance en coulisses du Business Council.
31 juillet 2025 / Canadian Dimension | Photo : Sous Mark Carney, le gouvernement libéral du Canada est devenu l'instrument docile du pouvoir des grandes entreprises, ressuscitant la gouvernance en coulisses du Business Council et marginalisant la démocratie au passage. Photo : Mark Carney/Facebook)
La plupart des Canadien-nes n'ont aucune idée de ce qu'est le Business Council of Canada ni de qui il représente. Mais à Ottawa, l'organisation et ses lobbyistes sont reconnus comme des acteurs de poids, bénéficiant de plus d'influence et d'accès que jamais. Le PDG du Business Council, Goldy Hyder, a obtenu une rencontre en face à face avec le premier ministre Mark Carney quelques jours à peine après son élection et depuis, les lobbyistes du groupe sont en contact constant avec Carney et ses plus hauts responsables.
Par l'intermédiaire du Business Council, le Canada des grandes entreprises a formulé son cahier de doléances sans détour : accélérer l'extraction des ressources, réduire les impôts pour les géants du numérique et les riches, démanteler les services publics et injecter des fonds massifs dans l'industrie de l'armement.
Peut-être plus controversé encore : après une élection présentée comme un bras de fer face aux États-Unis, le Business Council a poussé en faveur d'un rapprochement avec le régime Trump — malgré les preuves accablantes de son caractère erratique et peu fiable.
Sur tous les dossiers majeurs, Carney a livré. Son gouvernement libéral s'est rapidement aligné sur les priorités du Council, laissant de nombreux partisans libéraux désorientés. Pourtant, à bien des égards, cela marque un retour à la normale dans l'alliance de longue date entre la classe politique canadienne et son élite corporative.
L'élection de Carney a déclenché une sorte de renaissance pour le Business Council, qui s'était senti marginalisé ces dernières années. Jadis force dominante dans la définition des politiques économiques des années 1980 et 1990, le Council — connu un temps sous le nom de Conseil canadien des chefs d'entreprise — avait vu son influence décliner sous le gouvernement Trudeau.
Aujourd'hui, avec Carney à la barre, Ottawa a connu ce que Politico décrit comme un profond « changement d'ambiance ». Finies les excuses larmoyantes et les consultations interminables de Trudeau. À la place, les libéraux de Carney, de concert avec les conservateurs, ont fait passer à toute vitesse des projets de loi controversés comme C-2 (Loi sur des frontières solides) et C-5 (Loi sur la construction du Canada), tout en réorientant rapidement les priorités fédérales vers les intérêts corporatifs et l'expansion militaire.
Ottawa : ouverte aux affaires
Alors que les Premières Nations, les groupes environnementaux et les défenseur-euses des droits des migrant-es sont exclu-es des lieux de pouvoir, les dirigeant-es d'entreprise profitent d'une politique de la porte ouverte, rencontrant régulièrement les principaux et principales ministres et conseillers-ères de Carney. Comme le rapporte Politico, « les pontes du monde des affaires veulent entrer — et obtiennent du temps face à face » alors que Carney pousse ses ambitieux projets « de construction nationale » prêts à l'emploi.
Aucun groupe n'a plus profité de cet accès que le Business Council of Canada. Selon Taylor-Vaisey et Djuric, Goldy Hyder affirme que le groupe peine à répondre à l'avalanche d'invitations de la part du nouveau gouvernement Carney, qui s'est montré « très ouvert… à tous les niveaux ».
Ces démarches portent leurs fruits. En quelques mois à peine, le gouvernement libéral de Carney a rayé un à un les points de la liste de souhaits du lobby patronal : suppression de la taxe carbone (que le Business Council soutenait autrefois comme un prix à payer pour obtenir des pipelines) et de la hausse de l'impôt sur les gains en capital ; accélération des projets d'extraction de ressources et affaiblissement des droits autochtones ainsi que des réglementations environnementales ; expansion massive des dépenses militaires, tout en annonçant les coupes budgétaires les plus profondes d'une génération.
Le Business Council n'est pas un lobby ordinaire. Il représente les PDG de plus de 170 des plus grandes entreprises du Canada, et son conseil d'administration réunit certain-es des dirigeant-es les plus puissant-es du pays. Le milliardaire de l'alimentation Galen Weston, incarnation de l'avidité corporative au Canada, y siège, aux côtés de PDG de compagnies pipelinières (TC Energy, Keyera), de grandes banques (CIBC, Banque Nationale) et d'autres institutions financières majeures (Blackrock, Power Corporation), y compris Brookfield Asset Management, où Carney était vice-président jusqu'à l'an dernier.
Le Business Council a depuis longtemps défendu un programme d'extractivisme, de déréglementation et d'austérité, programme que les gouvernements canadiens successifs ont progressivement fait leur. « Si vous voulez savoir ce que le gouvernement fédéral prépare pour demain, écrit le journaliste Donald Gutstein dans son livre The Big Stall, il suffit de regarder ce que [le Business Council of Canada] réclame aujourd'hui. »
Les coudes baissés
Alors, que réclament aujourd'hui le Business Council of Canada et son omniprésent PDG ? L'item numéro un de leur agenda est que le gouvernement fédéral adopte une politique de rapprochement avec le président américain Donald Trump. Selon le Globe and Mail, le puissant lobby corporatif a « poussé agressivement le gouvernement Carney en coulisses » sur la bonne approche à adopter vis-à-vis de Trump. La campagne de pression a commencé presque aussitôt après la réélection de Carney et des libéraux.
Lorsque Carney s'est rendu à Washington pour sa première rencontre avec Trump, Hyder était sur place pour le voir (« une coïncidence, mais aussi une occasion fortuite », selon ses mots). Alors que Carney affirmait poliment mais fermement à Trump et aux médias que le Canada « n'était pas à vendre », les PDG représenté-es par Hyder ont clairement estimé que l'époque des « coudes levés » était terminée. « Nous devons nous rappeler que, sous certains aspects, nous voulons effectivement être davantage intégrés aux États-Unis », a écrit Hyder en revenant de sa visite.
Hyder avait rencontré des responsables de l'administration Trump, dont le secrétaire au Trésor Scott Bessent, et a fait rapport au premier ministre sur ce qu'il faudrait pour « réaffirmer » la relation économique du Canada avec l'Amérique de Trump :
« On nous a beaucoup parlé à la fois de sécurité nationale et de sécurité économique. L'expression Forteresse Amérique du Nord a été répétée de nombreuses fois par plusieurs responsables. On nous a parlé de l'importance de l'Arctique et de la nécessité d'un “dôme doré” pour protéger nos deux pays. Et on nous a parlé de l'importance des ressources naturelles du Canada. Dans chacun de ces domaines, il existe beaucoup de terrains d'entente et de partenariats à développer. »
Dans un pays supposément démocratique comme le Canada, on pourrait croire naïvement que la construction d'une Forteresse Amérique du Nord serait politiquement inacceptable — surtout après une élection polarisante centrée sur l'opposition à Trump. Les sondages montrent de façon constante qu'une écrasante majorité de Canadiens rejette toute concession et favorise une ligne dure face aux États-Unis, se disant prête à assumer le coût de la résistance. Peu de Canadiens souhaitent rejoindre le projet de défense antimissile Golden Dome. Et rares sont ceux et celles qui accepteraient que l'eau, les minéraux critiques ou d'autres ressources naturelles servent de monnaie d'échange dans l'espoir (de plus en plus vain) que Trump renonce à ses tarifs.
Pour les PDG du Canada, cependant, il ne s'agit que d'un problème de communication à gérer. Équilibrer les attentes des Canadien-nes — qui pensaient que le gouvernement Carney prendrait ses distances avec une intégration accrue aux États-Unis — tout en se rapprochant dans les faits de l'Amérique de Trump est « un exercice d'équilibrisme » nécessaire, selon Hyder.
Lier toujours plus le Canada aux États-Unis
Faire en sorte que le Canada se lie toujours plus étroitement aux États-Unis est au cœur de la raison d'être du Business Council. Fondé en 1976 sous le nom de Business Council on National Issues, le groupe de pression a mené la charge pour un accord commercial avec les États-Unis dans les années 1980, a soutenu des ententes similaires verrouillant les politiques pro-entreprises comme l'ALÉNA, l'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI) et la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) dans les années 1990, et a exigé dans les années 2000 une intégration économique plus profonde, des liens militaires plus étroits et des politiques d'immigration harmonisées avec les États-Unis au moment où ceux-ci menaient une série de guerres désastreuses au Moyen-Orient.
En fin de compte, être en décalage avec l'opinion publique ne gêne en rien le Council. Celui-ci « se fiche de ce que pense le public, car son audience est le gouvernement »,expliquait Gutstein au National Observer en 2020. « Ils ciblent le premier ministre. Les premiers ministres provinciaux. Les hauts fonctionnaires. »
Hyder et le Business Council ont en effet su cibler Carney et ses principaux et principales conseiller-ères avec efficacité. La rencontre « fortuite » du 6 mai à Washington entre Carney et Hyder n'a pas été un coup isolé. Depuis l'élection de Carney, le Business Council a fait pression sur des responsables gouvernementaux à 22 reprises. La plupart de ces rencontres ont eu lieu avec le chef de cabinet du premier ministre et ses principaux et principales conseiller-ères, ou avec la ministre des Affaires étrangères Anita Anand et l'ambassadrice du Canada aux États-Unis Kristen Hillman — les personnes clés dans la définition de la stratégie de Carney vis-à-vis de Trump. D'après le registre des lobbyistes, ces démarches ont porté massivement sur les relations canado-américaines et la renégociation imminente de l'Accord Canada–É.-U.–Mexique (ACEUM).
Carney cède, nous en payons le prix
Les principaux conseiller-ères de Carney semblent avoir été particulièrement réceptifs à l'influence du Conseil canadien des affaires. Bien que le premier ministre ait fait campagne sur la réduction de la dépendance du Canada envers les États-Unis, son gouvernement a gardé secrètes les premières négociations avec le régime Trump après l'élection du 28 avril. Dès juin, des rapports ont commencé à circuler sur un passage rapide de la défiance à l'accommodement.
Malgré les attaques répétées de Trump, qualifiant le Canada de « 51e État », et ses lourds tarifs sur l'acier, l'automobile et l'aluminium canadiens, le Canada a assoupli ses mesures de représailles. Carney, pour sa part, s'est efforcé de bâtir une relation plus étroite avec Trump. Lors de pourparlers en coulisses sur un projet « d'accord global de commerce et de sécurité », il a multiplié concession sur concession face aux exigences erratiques et changeantes du président américain.
Le revirement de Carney laisse perplexes de nombreux analystes. « Rien dans la stratégie américaine de M. Carney, en particulier sa quête d'un accord “global” de commerce et de sécurité, n'a le moindre sens », écrivait Blayne Haggart dans le Globe and Mail du 9 juillet, après l'abrogation par Carney de la taxe sur les services numériques — un cadeau de 7 milliards de dollarsaux géants technologiques américains comme Google et Meta :
« L'abandon de la TSN, qui annulait une loi votée au Parlement, n'a rien rapporté au Canada. En échange de cette abdication si servile de notre souveraineté, M. Carney a obtenu la promesse d'un menteur en série de poursuivre les négociations sur un accord qui, n'étant pas un traité, dépendra entièrement des caprices de l'autocrate de la Maison-Blanche…
La recherche même d'un tel traité pose le même problème. Vu le caractère éphémère de tout accord potentiel, pourquoi pense-t-il qu'un accord global est possible, même sans tout céder d'avance ? »
Cette confusion se dissipe pourtant si l'on comprend que chacune de ces concessions à Trump — de l'abolition de la taxe numérique à l'affaiblissement des réglementations environnementales pour les industries extractives, en passant par l'augmentation massive des dépenses militaires — constitue aussi une concession à l'agenda corporatif du Conseil canadien des affaires et de ses membres, qui réclament précisément ces changements depuis des années (et, sans surprise, les directeurs générauxde Google et de Meta sont membres du Conseil).
Hyder, le Conseil et la classe dirigeante des affaires dans son ensemble adoptent une stratégie « pile je gagne, face tu perds » dans leurs négociations avec Trump. Si un accord de commerce et de sécurité est conclu, les concessions à Trump seront présentées comme le prix nécessaire à payer pour faire lever les tarifs — en passant sous silence le levier considérable que le Canada pourrait exercer contre les États-Unis s'il le voulait.
Si l'accord échoue, ces mêmes politiques pourront immédiatement être rebrandées comme des « mesures fermes » pour tenir tête à Trump et rebâtir notre souveraineté économique. Dans les deux cas, ce sont les travailleur-euses, les migrant-es, les Premières Nations et l'environnement qui en paient le coût. À cet égard, Carney s'avère un vendeur idéal de l'agenda corporatif.
La stratégie du Conseil canadien des affaires pourrait toutefois exploser au visage de Carney. Le chef libéral bénéficie encore d'une lune de miel politique, mais son agenda radicalisé en faveur des grandes entreprises suscite rapidement de l'opposition.
Les Premières Nations, les groupes de défense des droits des migrant-es, les défenseur-euses des droits civiques et les organisations environnementales commencent déjà à exprimer leur frustration d'être exclu-es des cercles du pouvoir, dénonçant les initiatives de Carney comme dangereusement antidémocratiques — voire ouvertement trumpistes. Un chef autochtone a décritle récent sommet des Premières Nations sur le projet de loi C-5, convoqué à la hâte après son adoption, comme une « séance de subjugation — pas de consultation ».
Les travailleur-euses du secteur public, les défenseur-euses des services publics, ainsi que les groupes de solidarité avec la Palestine et les mouvements anti-guerre risquent de se joindre bientôt à elleux, en posant la question suivante : pourquoi y a-t-il tant d'argent pour les joujoux militaires fabriqués et contrôlés aux États-Unis comme le F-35 ou le grotesque Golden Dome de Trump, mais si peu pour la santé et l'éducation ?
Le président Trump, flairant la désespérance, a multiplié ses exigences envers le Canada. Les espoirs de suppression totale des tarifs s'amenuisent, tandis que les responsables de l'administration Trump réclament des concessions allant de la gestion de l'offre laitière à la relance de l'oléoduc Keystone XL en passant par l'abolition des lois linguistiques du Québec.
Mais si Carney doit s'inquiéter des contrecoups politiques, ce n'est pas le problème du Conseil canadien des affaires.
Un « gouvernement parallèle »
À bien des égards, il s'agit d'un retour aux sources pour ce puissant groupe de pression. Durant les années 1980 et 1990, les premiers ministres sollicitaient régulièrement les avis et l'approbation du Conseil canadien des affaires sur les budgets, et les innombrables groupes de travail et comités sectoriels de ce lobby d'affaires œuvraient en coulisses pour transformer les rêves politiques du 1 % en réalité législative — souvent avec grand succès. Sans surprise, l'hystérie autour des déficits, les baisses d'impôt aux entreprises et une austérité écrasante étaient alors à l'ordre du jour.
À son apogée, le Conseil ne se contentait pas d'influencer la législation : il la rédigeait souvent. Ce fut notamment le cas de la Loi sur la concurrence, profondément défaillante, qui a permis aux monopoles corporatifs de prospérer sans grand contrôle. Durant cette période, le Conseil fonctionnait comme un véritable « gouvernement parallèle », son PDG de l'époque, Thomas d'Aquino, faisant office de « premier ministre de facto », comme le constatait le regretté Murray Dobbin dans un portrait publié en 2007.
Sous Stephen Harper, toutefois, l'influence du Conseil à Ottawa a commencé à décliner. Le chroniqueur conservateur Terrence Corcoran le décrivait alors comme « un leader beaucoup plus timide en matière de politique qu'il ne l'avait été sous d'Aquino ». Mais ce relatif effacement traduisait moins un recul qu'un reflet de ses succès antérieurs : les premiers ministres Jean Chrétien et Paul Martin avaient déjà livré l'essentiel du programme économique de Bay Street, ne laissant que peu de choses à ajouter pour Harper.
De plus, John Manley, avocat d'affaires de Bay Street et ministre de l'Industrie sous Paul Martin, incarnait précisément ces « élites laurentiennes » que les néoconservateurs de l'Ouest comme Harper adoraient détester. Harper était davantage à l'écoute d'un cercle restreint — et idéologiquement plus rigide — d'élites économiques et de think tanks, dont plusieurs issus du secteur pétrolier albertain.
Les frustrations du Conseil ont persisté sous Justin Trudeau, surtout dans ses gouvernements minoritaires après 2019. Si Trudeau s'est montré remarquablement conciliant durant la pandémie — offrant au Canada corporatif des renflouements massifs sans conditions réelles —, l'accord de mars 2022 avec le NPD a été jugé inacceptable par le Conseil.
Le vice-président principal du Conseil, Robert Asselin, a dénoncé l'entente comme preuve que Trudeau se concentrait « de plus en plus sur sa survie plutôt que sur une gouvernance de principe ». En mettant de l'avant l'assurance-médicaments, les soins dentaires et une loi anti-briseurs de grève malgré l'opposition des milieux d'affaires, le gouvernement Trudeau avait « signalé un virage marqué à gauche » et « outrepassé son rôle ». Des priorités clés des entreprises — comme le financement de l'armée, la baisse des impôts et l'expansion des infrastructures fossiles — étaient négligées.
Lorsque Trudeau a démissionné, Hyder a déploré que « la relation entre le gouvernement fédéral et le secteur privé ait souvent été conflictuelle ». Mais le Conseil n'était pas pour autant impuissant durant ces années. Comme l'a documenté Gutstein, le lobby des PDG a exercé une influence décisive sur le « grand compromis » climatique de Trudeau, qui associait tarification carbone et construction de pipelines.
La pression du Conseil et d'autres groupes de lobbying patronal poussait déjà les libéraux vers la droite, même avant la démission de Justin Trudeau. Mais avec l'arrivée providentielle à la tête du gouvernement d'un ancien banquier central et ex-Goldman Sachs, la réconciliation avec le Canada corporatif a atteint un nouveau sommet.
Nikolas Barry-Shaw est responsable de campagne sur le commerce et la privatisation au sein du Conseil des Canadiens.
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La popularité montante du PQ se conjugue avec celle de son discours raciste
Plusieurs ont eu vent de cet article du Journal de Montréal où le chef péquiste remarquait une « flambée de violence observée chez les jeunes [qui] est liée en partie à des groupes criminels issus de l'immigration ». Il en déduisait que « Québec devrait […] embaucher 800 policiers supplémentaires et 100 nouveaux travailleurs de rue. » Il semble que la montée en popularité du PQ se conjugue avec l'intensification de son « dog whistling » raciste.
22 août 2025
Heureusement que l'IRIS est aux aguets : « Il est pour le moins surréel d'entendre le chef péquiste parler de l'époque, « il y a 20-30 ans », où le crime organisé avait soi-disant des méthodes plus douces, considérant que sévissait au Québec au début des années 1990 une guerre des motards qui a fait de nombreuses victimes, dont certaines parfaitement innocentes. Au-delà de cette première impression, il importe d'aller voir ce que disent les données et la recherche au sujet de la criminalité et des jeunes. On constatera alors que la situation est très différente de l'interprétation qu'en propose M. St-Pierre Plamondon » ce que démontre avec maintes statistiques à l'appui la note de recherche de Julia Posca de l'IRIS.
Règle générale, la criminalité québécoise et montréalaise est en baisse depuis le début du siècle, en particulier pour les homicides. Chez les jeunes la criminalité non violente l'est aussi mais non celle violente. Avant de pointer du doigt la jeunesse (racisée), il faudrait prendre le temps de jauger les enjeux sociaux de constater la recherchiste :
En faisant malgré tout ce rapprochement [entre criminalité et immigration], Paul St-Pierre Plamondon reprend à son compte un discours aux relents xénophobes sur la jeunesse racisée et sur les personnes immigrantes qui n'est malheureusement pas nouveau.
En déformant la réalité de l'évolution de la criminalité à Montréal, le chef du PQ emprunte une vieille stratégie rhétorique qui lui donne les moyens de justifier des solutions répressives dont l'efficacité a pourtant maintes fois été démentie. Depuis les années 1980, on dépeint les jeunes issus de l'immigration (ou perçus comme tel) comme représentant une menace pour la sécurité des autres citoyen·ne·s. Ce discours a permis de légitimer des mesures qui ont accentué la criminalisation de ces jeunes, et ce faisant, leur marginalisation. Ce cercle vicieux, qui est encore à l'œuvre aujourd'hui, explique en partie les tendances que l'on observe depuis quelques années en matière de criminalité juvénile.
L'expérience des intervenant·e·s sur le terrain et les travaux de plusieurs chercheurs et chercheuses ont bien montré que ce n'est pas à cause de leur origine ethnique ou de leur statut d'immigration que certains jeunes commettent des crimes, mais plutôt à cause de facteurs psychologiques et sociaux sur lesquels il importe d'intervenir. La précarité économique et le manque d'opportunités, l'insécurité liée au profilage et à la répression qui sévit dans les quartiers où résident ces jeunes ainsi que le besoin d'appartenance et de valorisation comptent parmi les facteurs en cause.
Le racisme montant du PQ élargit le vide à gauche de l'échiquier politique, tout comme en symbiose avec celui de la CAQ il cristallise le nationalisme québécois comme un nationalisme raciste ce qui entache l'indépendantisme et corrompt la lutte pour la langue française. En ce moment, il n'y a que Québec solidaire qui puisse donner un coup de Jarnac pour corriger cette débandade politique. Celle-ci entraîne le peuple québécois vers l'abîme trumpiste y compris la complicité génocidaire et la marginalisation de l'existentielle crise climatique. Le gouvernement fédéral de l'alliance de facto Libéral-Conservateur, par sa politique fossile (loi C-5), militariste (2% du PIB cette année, 5% en 2035) et répressive (loi C-5 et projet de loi C-2), masquée par le fauxsemblant du nationalisme canadien, a ouvert tout grand les portes à cette plongée dans le gouffre.
Il ne suffit pas de s'afficher comme le parti des travailleuses et travailleurs y compris racisé-e-s comme le fait le Manifeste de Québec solidaire définissant la nouvelle orientation du parti. Même si les politiques du logement, du pouvoir d'achat, des services publics, des droits des travailleurs-travailleuses s'adressent aussi à celles et ceux racisé-e-s, elles ignorent la spécificité d'une visible lutte contre le racisme. Abandonner les « woke » pour les travailleurs-travailleuses, comme avoir honte du député Haroun Bouazzi dénudant l'hypocrisie de l'Assemblée nationale, est se précipiter de Charybde en Scylla tout en sombrant, en vain, dans l'opportunisme électoraliste. Comme l'a mis en évidence la sympathie du peuple-travailleur québécois envers les agent-e-s de bord d'Air Canada, l'électorat est majoritairement prêt à appuyer les travailleuses et les travailleurs mais sur une base wokiste, cette fois-ci, c'était les femmes et les LGBTQ+.
Marc Bonhomme, 22 août 2025
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca
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Qu’est-ce que l’impérialisme MAGA ?
John Bellamy Foster explique que, malgré certaines allusions à un isolationnisme pseudo anti-impérialiste, la politique étrangère de Donald Trump s'est cristallisée en une forme de populisme « hypernationaliste » qui rompt avec l'internationalisme libéral adopté par les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale. Elle promeut la domination sur les autres pays par la puissance militaire plutôt que par la mondialisation économique.
Foster précise que cette « doctrine Trump s'oppose aux empires multiethniques et aux nations multiethniques », en opérant sur une « définition raciale de la politique étrangère, avec l'idée que les États-Unis sont un pays blanc et que les autres ethnies n'y ont pas leur place ».
Alors que certaines analyses situent la base de la coalition trumpiste dans la « classe ouvrière blanche », cette idéologie plonge en réalité ses racines dans la petite bourgeoisie, propriétaire de biens et moins hostile à la grande bourgeoisie capitaliste. « Si vous remontez aux années 1930, en Italie et en Allemagne, c'est la même base sociale qui a nourri le mouvement fasciste, mais comme résultat d'une alliance entre le grand capital… et la petite bourgeoisie. »
8 juillet 2025 | tiré de Democracy now !
Lien :
« The Trump Doctrine and the New MAGA Imperialism »
AMY GOODMAN : Bienvenue à Democracy Now !, democracynow.org, The War and Peace Report. Je suis Amy Goodman, avec Juan González. Le président Trump a annoncé lundi sur les réseaux sociaux une nouvelle série de tarifs douaniers menaçants, allant de 25 à 40 % sur les importations de 14 pays, dont le Bangladesh, l'Indonésie, le Japon, la Corée du Sud et la Thaïlande. Ils devraient entrer en vigueur le 1er août, sauf nouvel accord. Parallèlement, Trump a menacé d'imposer un tarif additionnel de 10 % aux pays qui s'aligneraient sur le groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), invoquant leurs « politiques anti-américaines ». La menace est survenue alors que le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva ouvrait un sommet de deux jours des BRICS à Rio de Janeiro.
PRÉSIDENT LUIZ INÁCIO LULA DA SILVA : [traduit] Nous ne voulons pas d'un empereur. Nos pays sont souverains. Si Trump impose des tarifs, les autres ont le droit de faire de même. Il existe une loi de réciprocité. Je pense qu'il n'est pas responsable pour le président d'un pays comme les États-Unis de menacer le monde avec des tarifs douaniers sur les réseaux sociaux. Honnêtement, il existe d'autres forums pour qu'un président d'un pays de cette taille s'adresse aux autres nations.
AMY GOODMAN : Cela intervient alors que le vice-président JD Vance promeut la nouvelle orientation de politique étrangère de Trump. Le mois dernier, il s'est adressé au Parti républicain de l'Ohio.
VICE-PRÉSIDENT JD VANCE : Ce que j'appelle la doctrine Trump est assez simple. Premièrement, vous définissez clairement l'intérêt américain : dans ce cas, que l'Iran ne peut pas posséder l'arme nucléaire. Deuxièmement, vous tentez d'abord de résoudre agressivement ce problème par la diplomatie. Et troisièmement, si cela échoue, vous employez une puissance militaire écrasante pour régler la question, puis vous vous retirez rapidement, avant que cela ne devienne un conflit prolongé.
AMY GOODMAN : Pour en parler, nous sommes rejoints par John Bellamy Foster, professeur de sociologie à l'Université de l'Oregon, rédacteur en chef du Monthly Review, où son nouvel article s'intitule « The Trump Doctrine and the New MAGA Imperialism ». Eh bien, professeur Foster, pouvez-vous exposer votre thèse pour nous ?
JOHN BELLAMY FOSTER : Merci. La doctrine Trump a été formulée durant la première administration Trump. Normalement, ce sont les médias qui définissent les « doctrines présidentielles », en observant comment une présidence agit selon un principe particulier. Avec Trump, la situation était confuse : était-il isolationniste ? anti-impérialiste ?
Durant son premier mandat, Michael Anton, un des principaux idéologues MAGA, issu du Claremont Institute (un centre intellectuel MAGA), siégeait au Conseil de sécurité nationale. On l'a écarté de ce poste pour qu'il puisse formuler officiellement une doctrine Trump crédible pour les experts en politique étrangère. Il a donné une conférence, nommé ensuite à Hillsdale College (institution MAGA), puis à Princeton, et son exposé a été publié dans Foreign Policy, la principale revue américaine de politique étrangère. Aujourd'hui, Anton est directeur de la planification politique au Département d'État, en pratique le principal « idéologue » de la diplomatie américaine.
Il a défini une doctrine en quatre piliers :
- Le populisme national — manière dont le mouvement MAGA se désigne lui-même, écho au national-socialisme nazi.
- Chaque nation doit être avant tout nationaliste dans son orientation.
- Opposition à l'internationalisme libéral et à l'hégémonie américaine libérale d'après-guerre. À la place : un impérialisme hypernationaliste « America First », où les États-Unis dominent seuls le monde.
- Opposition aux empires et nations multiethniques. En s'inspirant d'Aristote (tribu, cité, empire), Anton soutient que la politique étrangère doit se fonder sur l'ethnicité, en pratique sur une définition raciale : les États-Unis comme pays blanc, excluant les autres ethnies, et organisant la politique étrangère comme intérieure sur cette base.
Voilà pourquoi cette doctrine est cruciale : Anton est désormais le principal stratège de la politique étrangère américaine.
JUAN GONZÁLEZ : Professeur, dans votre analyse, que je trouve parmi les plus claires sur ce nouveau mouvement fasciste, vous contredisez ceux qui affirment que le néofascisme trumpiste repose sur la classe ouvrière. Vous dites plutôt que trois secteurs du capital monopoliste — la tech, le pétrole et gaz, et le capital-investissement — se sont alliés avec la petite bourgeoisie et des travailleurs privilégiés pour constituer la base du mouvement MAGA. Pouvez-vous développer ?
JOHN BELLAMY FOSTER : Sociologiquement, la petite bourgeoisie est une catégorie bien définie aux États-Unis : petits propriétaires, exploitants agricoles, cadres intermédiaires, populations rurales, souvent liée à l'évangélisme. Elle est majoritairement blanche, plus aisée que la classe ouvrière (les 60 % inférieurs), et vote beaucoup plus. C'est la base du trumpisme : nationaliste, revancharde (« rendre sa grandeur à l'Amérique »), raciste, anti-immigrés, misogyne, patriarcale. On la retrouve dans les zones périurbaines.
Dès l'émergence de Trump, The New York Times, qui ne parlait plus de la classe ouvrière depuis des décennies, a commencé à évoquer la « classe ouvrière blanche ». Mais en réalité, il s'agit de la petite bourgeoisie, historiquement appelée la petite-bourgeoisie, base traditionnelle des mouvements fascistes. Dans les années 1930, en Italie et en Allemagne, c'était la même assise sociale, alliée au grand capital.
Cette couche n'est pas anticapitaliste : elle s'oppose surtout à ce que l'idéologie MAGA appelle la « classe dirigeante » (les cadres et technocrates vus comme contrôlant l'État), ainsi qu'à la classe ouvrière, perçue comme multiethnique, diverse et pauvre — condition qu'ils redoutent. Elle joue donc un rôle d'« arrière-garde » mobilisée par les milliardaires, depuis le Tea Party jusqu'à Trump, pour pousser le système politique vers la droite dure et développer un mouvement néofasciste, malgré ses contradictions internes.
AMY GOODMAN : John Bellamy Foster, merci beaucoup d'avoir été avec nous. Professeur de sociologie à l'Université de l'Oregon, rédacteur en chef du Monthly Review, il s'exprimait depuis l'État de Washington. Son article le plus récents'intitule « The Trump Doctrine and the New MAGA Imperialism », disponible sur democracynow.org.
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Révolution en Serbie : lettre ouverte à M. Sandro Gozi
Sandro Gozi, député européen Renaissance, se dit très inquiet de la situation politique en Serbie, où le régime au pouvoir a repris les méthodes utilisées en son temps par Slobodan Milošević. Pourtant, en même temps, Emmanuel Macron soutient fermement Aleksandar Vucic, au nom de la stabilité... et des investissements français en Serbie.
Tiré du blogue de l'auteur.
M. Gozi, dans un entretien que vous venez d'accorder au media serbe N1, vous partagez votre grande inquiétude quant au scenario biélorusse qui se produit actuellement en Serbie, orchestré par le parti au pouvoir et par le président de la République, Aleksandar Vučić.
Vous indiquez clairement que la rhétorique utilisée par le pouvoir est une menace explicite de guerre civile, dans un pays candidat à l'Union Européenne. Vous évoquez les revendications légitimes de justice, d'indépendance des médias et des institutions publiques dans le pays. Le Parlement Européen a bien eu plusieurs débats sur la situation, et ce depuis plusieurs années déjà. La Commission Européenne pointe régulièrement dans son rapport annuel sur la Serbie les entraves à la justice, à l'État de Droit, les menaces contre des journalistes et les scrutins électoraux frauduleux.
Les revendications portées dans la rue n'ont pas commencé avec l'effondrement de l'auvent devant la gare de Novi Sad le 1er novembre dernier, où 16 personnes ont perdu la vie. Elles étaient présentes bien avant. De nombreux étudiant-es serbes présent-es à l'étranger, ont manifesté à Paris, Berlin, Vienne, Rome, et même sous les fenêtres de vos bureaux du Parlement Européen.
Aujourd'hui, M. Gozi, exprimer votre inquiétude ne suffit plus. En tant que secrétaire général du groupe Renew Europe, vous avez un pouvoir non négligeable. Votre rôle est d'autant plus important que vous siégez au Parlement Européen en tant que député Renaissance, parti du président Emmanuel Macron.
Ce même M. Macron tient pourtant à démontrer son amitié avec le président Vučić. Pas plus tard que début août, le président de la République française a échangé avec son homologue serbe, répétant ce qu'il avait dit en février, ou en août 2024, que la Serbie avait un destin européen. Pourtant, dans les faits, la France demeure aujourd'hui un allié indéfectible du président serbe. Les entreprises françaises n'ont jamais autant obtenu de contrats publics. On y compte notamment Dassault et ses Rafale, Vinci et la gestion de l'aéroport de Belgrade, mais aussi Egis qui se targue de ses travaux de reconstruction de la gare de Novi Sad. Ce groupe, malgré sa participation au consortium et les opacités sur le contrat, n'a pas daigné répondre aux questions soulevées après la chute mortelle de l'auvent, ni aux médias ni à une justice serbe entre les mains du pouvoir.
M. Gozi, si vous tenez aujourd'hui réellement au destin européen de la Serbie et à la vie des citoyennes et citoyens serbes, s'inquiéter gravement n'est plus une ligne politique tenable. Vos collègues du groupe Renew Irena Joveva et Helmut Brandstätter ont soutenu la nomination des étudiants serbes au prix Sakharov du Parlement Européen. C'est un premier pas vers la reconnaissance de la légitimité de leurs demandes. En tant que député Renaissance, il est aussi de votre devoir de demander publiquement à l'ensemble de votre parti, mais aussi et surtout à M. Macron de cesser de soutenir le régime dictatorial – n'ayons pas peur d'utiliser les mots puisque c'est vous qui comparez la Serbie à la Biélorussie – de M. Vučić et du parti progressiste serbe (SNS).
Celui-ci se comporte non pas en garant de la stabilité, mais en agitateur permanent de haine. Est-on vraiment surpris quand on sait que ce même président fut un temps Ministre de la Propagande sous le régime de Slobodan Milošević ? Allez-vous continuer à vous indigner depuis Bruxelles, tout en tolérant que vos collègues et amis de Paris soutiennent coûte que coûte le président serbe au motif d'une stabilité érodée depuis bien longtemps ? Allez-vous fermer les yeux sur les connivences des groupes industriels français, allemands et italiens avec le régime au pouvoir ?
Le destin européen de la Serbie se joue maintenant, et bien que ses citoyens n'attendent pas nécessairement un changement venu d'ailleurs, vous avez aussi votre importance dans les demandes citoyennes en cours et l'orientation future de la Serbie. Les personnes qui sont actuellement réprimées, arrêtées, frappées, menacées de viols et de mutilations par la police sauront s'en souvenir dans les mois à venir.
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Une base de données de l’armée israélienne suggère qu’au moins 83 % des morts à Gaza étaient des civils
Des informations classifiées datant du mois de mai révèlent qu'Israël estimait avoir tué quelque 8 900 militants lors de ses attaques contre Gaza, ce qui indique un pourcentage de victimes civiles sans précédent dans l'histoire moderne, selon une enquête conjointe.
Tiré d'Agence médias Palestine.
Les données issues d'une base de données interne des services de renseignement israéliens indiquent qu'au moins 83 % des Palestiniens tués lors de l'offensive israélienne sur Gaza étaient des civils, selon une enquête menée par le magazine +972, Local Call et The Guardian.
Les chiffres obtenus à partir de cette base de données classifiée, qui recense les décès de militants du Hamas et du Jihad islamique palestinien (JIP), contredisent largement les déclarations publiques faites tout au long de la guerre par l'armée israélienne et les responsables gouvernementaux, qui ont généralement affirmé que le ratio entre civils et militants tués était de 1 pour 1 ou 2 pour 1. Au contraire, ces données classifiées corroborent les conclusions de plusieurs études suggérant que les bombardements israéliens sur Gaza ont tué des civils à un rythme sans précédent dans l'histoire moderne.
L'armée israélienne a confirmé l'existence de cette base de données, qui est gérée par la Direction du renseignement militaire (connue sous l'acronyme hébreu « Aman »). Plusieurs sources proches des services de renseignement et familiarisées avec cette base de données ont déclaré que l'armée la considérait comme le seul décompte officiel des victimes parmi les militants. Une source affirme : « Il n'y a aucun autre endroit où vérifier ».
La base de données comprend une liste de 47 653 noms de Palestiniens de Gaza qu'Aman considère comme actifs dans les branches armées du Hamas et du JIP ; selon les sources, cette liste est basée sur les documents internes des groupes obtenus par l'armée (que +972, Local Call et The Guardian n'ont pas pu vérifier). La base de données désigne 34 973 de ces noms comme étant des membres du Hamas et 12 702 comme étant des membres du Jihad islamique (un petit nombre d'entre eux sont répertoriés comme actifs dans les deux groupes, mais ils ne sont comptés qu'une seule fois dans le total général).
Selon les données obtenues en mai de cette année, l'armée israélienne estimait avoir tué environ 8 900 membres depuis le 7 octobre, dont 7 330 considérés comme morts avec certitude et 1 570 enregistrés comme « probablement morts ». La grande majorité d'entre eux étaient des membres subalternes, l'armée estimant avoir tué entre 100 et 300 membres haut placés du Hamas sur les 750 nommés dans la base de données.
Une source proche de la base de données a expliqué qu'une information spécifique était jointe au nom de chaque membre de la liste dont l'armée était certaine d'avoir tué, justifiant ainsi cette désignation. +972, Local Call et The Guardian ont obtenu les données chiffrées de la base de données sans les noms ni les rapports de renseignement supplémentaires.
Le bilan global publié quotidiennement par le ministère de la Santé de Gaza ( dont l'organisation Local Call a révélé l'année dernière qu'il était considéré comme fiable, y compris par l'armée israélienne) ne fait pas la distinction entre civils et militants. Mais en comparant les chiffres des victimes militantes obtenus à partir de la base de données interne de l'armée israélienne en mai et en les comparant au bilan total du ministère de la Santé, il est possible de calculer une proportion approximative de victimes civiles pour la guerre jusqu'à il y a trois mois, lorsque le bilan s'élevait à 53 000 morts.
En supposant que tous les décès certains et probables de militants aient été pris en compte dans le bilan, cela signifierait que plus de 83 % des morts à Gaza étaient des civils. Si l'on exclut les décès probables et que l'on ne retient que les décès certains, la proportion de morts civils passe à plus de 86 %.
Les sources des services de renseignement ont expliqué que le nombre total de militants tués est probablement plus élevé que celui enregistré dans la base de données interne, car il n'inclut pas les membres du Hamas ou du JIP qui ont été tués mais n'ont pas pu être identifiés par leur nom, les Gazaouis qui ont pris part aux combats mais n'étaient pas officiellement membres du Hamas ou du JIP, ni les personnalités politiques du Hamas telles que les maires et les ministres du gouvernement, que Israël considère également comme des cibles légitimes (en violation du droit international).
Toutefois, cela ne signifie pas nécessairement que le pourcentage de victimes civiles est inférieur à celui calculé ci-dessus ; en fait, il pourrait même être plus élevé. Des études récentes ont suggéré que le bilan du ministère de la Santé, qui s'élève actuellement à environ 62 000 morts, est également susceptible d'être largement inférieur au nombre total de victimes de l'offensive israélienne, peut-être de plusieurs dizaines de milliers.
Falsification des chiffres
Depuis le début de la guerre, les responsables israéliens ont cherché à rejeter les accusations de meurtres gratuits à Gaza alors que le nombre de morts palestiniens s'accumulait rapidement. En décembre 2023, alors que le nombre de morts s'élevait déjà à 16 000, le porte-parole international de l'armée israélienne, Jonathan Conricus, a déclaré à CNN qu'Israël avait tué deux civils pour chaque militant, un ratio qu'il a qualifié de « extrêmement positif ». En mai 2024, alors que le nombre de morts s'élevait à 35 000, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a affirmé que le ratio était en fait plus proche de 1:1, une affirmation qu'il a répétée en septembre de la même année.
Le nombre précis de militants qu'Israël affirme avoir tués depuis le 7 octobre a fluctué de manière apparemment illogique. En novembre 2023, un haut responsable de la sécurité a laissé entendre au site d'information israélien Ynet qu'Israël avait déjà tué plus de 10 000 militants. Dans une évaluation militaire officielle présentée au gouvernement le mois suivant, ce chiffre est tombé à 7 860.
Les fluctuations mystérieuses du nombre de victimes parmi les militants se sont poursuivies en 2024. En février de cette année-là, le porte-parole de l'armée israélienne a affirmé qu'Israël avait tué 13 000 membres du Hamas, mais une semaine plus tard, l'armée a annoncé un chiffre inférieur, soit 12 000. En août 2024, l'armée a déclaré avoir tué 17 000 membres du Hamas et du JIP, un chiffre qui a de nouveau diminué deux mois plus tard pour atteindre 14 000 morts « avec une forte probabilité ». En novembre 2024, Netanyahu a estimé ce nombre « proche de 20 000 ».
Dans son discours de départ à la retraite en janvier de cette année, le chef d'état-major sortant Herzi Halevi a réaffirmé qu'Israël avait tué 20 000 militants à Gaza depuis le 7 octobre. Et en juin, le Centre Begin-Sadat pour les études stratégiques, un centre de recherche de droite de l'université Bar-Ilan, a cité des sources militaires affirmant que le nombre de militants tués à Gaza s'élevait à 23 000.
Des sources des services de renseignement ont déclaré à +972, Local Call et The Guardian que certaines de ces affirmations provenaient probablement d'une base de données ancienne et inexacte tenue par le commandement sud de l'armée, qui estimait à la fin de l'année dernière, sans fournir de liste de noms, qu'environ 17 000 militants avaient été tués. « Ces chiffres sont des affabulations du commandement sud », a déclaré une source des services de renseignement.
Les rapports exagérés du commandement sud reposaient probablement sur les déclarations de commandants sur le terrain dont les subordonnés signalaient régulièrement à tort des victimes civiles comme étant des militants.
Par exemple, +972 et Local Call ont récemment révélé un cas dans lequel un bataillon stationné à Rafah a tué environ 100 Palestiniens et les a tous enregistrés comme « terroristes », alors qu'un officier du bataillon a témoigné que, sauf dans deux cas, les victimes étaient toutes non armées. Une enquête menée l'année dernière par Haaretz a également révélé que seuls 10 des 200 « terroristes » que le porte-parole de l'armée israélienne avait déclaré avoir été tués par la 252e division dans le corridor de Netzarim pouvaient être identifiés comme des membres du Hamas.
En avril 2024, le quotidien de droite Israel Hayom a rapporté que plusieurs membres de la commission des affaires étrangères et de la défense de la Knesset avaient remis en question la fiabilité des chiffres sur les pertes militantes qui leur avaient été présentés par l'armée. Après avoir examiné les données de l'armée, les membres de la commission ont constaté que le nombre réel était beaucoup plus faible et que l'armée avait gonflé le nombre de victimes parmi les militants « afin de créer un ratio de 2 pour 1 » entre les morts civils et les morts parmi les militants.
« « Nous signalons la mort de nombreux membres du Hamas, mais je pense que la plupart des personnes que nous déclarons mortes ne sont pas vraiment des membres du Hamas », a déclaré à +972, Local Call et The Guardian une source des services de renseignement qui accompagnait les forces sur le terrain. « Les gens sont promus au rang de terroriste après leur mort. Si j'avais écouté la brigade, j'aurais conclu que nous avions tué 200 % des membres du Hamas dans la région. »
Une source officielle chargée de la sécurité a confirmé qu'avant la mise en place de la base de données du renseignement, les chiffres avancés par l'armée concernant les pertes parmi les militants, tels que le chiffre de 17 000, n'étaient qu'une « estimation » largement basée sur les témoignages des officiers. « La méthode de comptage a changé », a déclaré la source. « Au début de la guerre, [nous nous basions] sur les déclarations des commandants qui disaient « J'ai tué cinq terroristes ».
La base de données du renseignement, en revanche, repose sur une analyse individuelle et constitue le seul chiffre auquel l'armée peut « s'engager » avec un haut degré de certitude, a expliqué la source, tout en admettant qu'il pourrait s'agir d'une sous-estimation. La source a ajouté que les chiffres avancés publiquement par les dirigeants politiques ne sont pas coordonnés avec les données du renseignement disponibles.
L'analyste palestinien Muhammad Shehada a déclaré à +972, Local Call et The Guardian que les chiffres de la base de données des services de renseignement correspondent étroitement à ceux qui lui ont été communiqués par des responsables du Hamas et du JIP : en décembre 2024, ils estimaient qu'Israël avait tué environ 6 500 de leurs membres, y compris des membres de la branche politique.
« Ils mentent sans arrêt »
Peu après le 7 octobre, Yossi Sariel, alors commandant de l'unité d'élite de renseignement militaire Unit 8200, a commencé à partager quotidiennement avec ses subordonnés le nombre de membres du Hamas et du JIP tués à Gaza. Selon trois sources proches du dossier, ce graphique, appelé « tableau de bord de la guerre », était présenté par Sariel comme une mesure du succès de l'armée.
« Il mettait beaucoup l'accent sur les données, les données, les données », a expliqué l'un des subordonnés de Yossi Sariel. « Il fallait tout mesurer en termes quantitatifs. Pour montrer l'efficacité. Pour essayer de rendre tout plus intelligent et plus technologique. »
Une autre source a déclaré que cela ressemblait à « un match de football, avec des officiers assis autour d'un tableau de bord qui regardaient les chiffres grimper ». (Yossi Sariel a décliné notre demande de commentaires, nous renvoyant vers le porte-parole de l'armée israélienne.) Le général de division (à la retraite) Itzhak Brik, qui a servi pendant de nombreuses années comme commandant dans l'armée israélienne, puis comme médiateur pour les plaintes des soldats, a expliqué comment cette vision des choses avait alimenté une culture du mensonge.
« Ils ont créé un système [selon lequel] plus vous tuiez, plus vous réussissiez, et par conséquent, ils ont menti sur le nombre de personnes tuées », a-t-il déclaré, qualifiant les chiffres présentés par le porte-parole de l'armée israélienne de « l'un des bluffs les plus dangereux » de l'histoire d'Israël.
« Ils mentent sans arrêt, tant les militaires que les responsables politiques », a ajouté Brik. « À chaque raid, le porte-parole de l'armée israélienne déclarait : « Des centaines de terroristes ont été tués » », a-t-il poursuivi. « Il est vrai que des centaines de personnes ont été tuées, mais ce n'étaient pas des terroristes. Il n'y a absolument aucun lien entre les chiffres qu'ils annoncent et ce qui se passe réellement. »
Lorsqu'il s'est entretenu avec des soldats chargés d'examiner et d'identifier les corps des personnes tuées par l'armée à Gaza, ceux-ci lui ont déclaré : « Parmi toutes les personnes que l'armée dit avoir tuées, la plupart sont des [civils]. Point final. »
Le Hamas et le JIP ont tous deux été gravement affaiblis par l'offensive israélienne de ces deux dernières années, qui a tué la plupart des hauts responsables des deux groupes et considérablement endommagé leurs infrastructures militaires. Néanmoins, les données obtenues à partir de la base de données des services de renseignement montrent qu'Israël n'a tué qu'un cinquième des personnes qu'il considère comme des militants. Les estimations des services de renseignement américains suggèrent que le Hamas a recruté 15 000 agents pendant la guerre, soit deux fois plus que le nombre de personnes tuées par Israël.
Mais les discours génocidaires largement répandus par les dirigeants israéliens et les hauts responsables militaires depuis le début de la guerre suggèrent une intention de nuire à tous les Palestiniens de Gaza, et pas seulement aux militants. Le matin du 7 octobre, l'ancien chef d'état-major Herzi Halevi a déclaré à sa femme : « Gaza sera détruite », a-t-elle révélé dans un podcast récent. Et dans un enregistrement divulgué ces derniers mois et diffusé la semaine dernière sur la chaîne israélienne Channel 12, le directeur de l'Aman de l'époque, Aharon Haliva, a déclaré que « 50 Palestiniens doivent mourir » pour chaque Israélien tué le 7 octobre, ajoutant « peu importe même si ce sont des enfants ».
Le droit international ne définit pas ce qui constitue un taux « acceptable » de victimes civiles, mais examine plutôt chaque attaque selon le principe de « proportionnalité ». À cet égard, dès novembre 2023, +972 et Local Call ont révélé que l'armée israélienne avait considérablement assoupli les restrictions sur les pertes civiles après le 7 octobre, autorisant le meurtre de plus de 100 civils palestiniens lors d'une tentative d'assassinat d'un haut commandant du Hamas, et jusqu'à 20 pour des agents subalternes.
Selon les experts, cette politique de tir et la culture de vengeance qui s'est développée après le 7 octobre ont entraîné un taux de victimes civiles à Gaza extrêmement élevé pour une guerre moderne, même comparé à des conflits connus pour leurs tueries aveugles, tels que les guerres civiles en Syrie et au Soudan.
« Ils mentent sans arrêt, tant les militaires que les responsables politiques », a ajouté Brik. « À chaque raid, le porte-parole de l'armée israélienne déclarait : « Des centaines de terroristes ont été tués » », a-t-il poursuivi. « Il est vrai que des centaines de personnes ont été tuées, mais ce n'étaient pas des terroristes. Il n'y a absolument aucun lien entre les chiffres qu'ils annoncent et ce qui se passe réellement. »
Lorsqu'il s'est entretenu avec des soldats chargés d'examiner et d'identifier les corps des personnes tuées par l'armée à Gaza, ceux-ci lui ont déclaré : « Parmi toutes les personnes que l'armée dit avoir tuées, la plupart sont des [civils]. Point final. »
Le Hamas et le JIP ont tous deux été gravement affaiblis par l'offensive israélienne de ces deux dernières années, qui a tué la plupart des hauts responsables des deux groupes et considérablement endommagé leurs infrastructures militaires. Néanmoins, les données obtenues à partir de la base de données des services de renseignement montrent qu'Israël n'a tué qu'un cinquième des personnes qu'il considère comme des militants. Les estimations des services de renseignement américains suggèrent que le Hamas a recruté 15 000 agents pendant la guerre, soit deux fois plus que le nombre de personnes tuées par Israël.
Mais les discours génocidaires largement répandus par les dirigeants israéliens et les hauts responsables militaires depuis le début de la guerre suggèrent une intention de nuire à tous les Palestiniens de Gaza, et pas seulement aux militants. Le matin du 7 octobre, l'ancien chef d'état-major Herzi Halevi a déclaré à sa femme : « Gaza sera détruite », a-t-elle révélé dans un podcast récent. Et dans un enregistrement divulgué ces derniers mois et diffusé la semaine dernière sur la chaîne israélienne Channel 12, le directeur de l'Aman de l'époque, Aharon Haliva, a déclaré que « 50 Palestiniens doivent mourir » pour chaque Israélien tué le 7 octobre, ajoutant « peu importe même si ce sont des enfants ».
Le droit international ne définit pas ce qui constitue un taux « acceptable » de victimes civiles, mais examine plutôt chaque attaque selon le principe de « proportionnalité ». À cet égard, dès novembre 2023, +972 et Local Call ont révélé que l'armée israélienne avait considérablement assoupli les restrictions sur les pertes civiles après le 7 octobre, autorisant le meurtre de plus de 100 civils palestiniens lors d'une tentative d'assassinat d'un haut commandant du Hamas, et jusqu'à 20 pour des agents subalternes.
Selon les experts, cette politique de tir et la culture de vengeance qui s'est développée après le 7 octobre ont entraîné un taux de victimes civiles à Gaza extrêmement élevé pour une guerre moderne, même comparé à des conflits connus pour leurs tueries aveugles, tels que les guerres civiles en Syrie et au Soudan.
« La proportion de civils parmi les personnes tuées serait exceptionnellement élevée, d'autant plus que cela dure depuis si longtemps », a déclaré Therese Pettersson, du Programme de données sur les conflits d'Uppsala (UCDP), qui recueille des données sur les victimes civiles dans le monde entier. Elle a ajouté qu'il est possible de trouver des taux de victimes civiles similaires en isolant une ville ou une bataille particulière dans le cadre d'un conflit plus large, mais « très rarement » lorsqu'on examine une guerre dans son ensemble.
Dans les conflits mondiaux suivis par l'UCDP depuis 1989, les civils n'ont représenté une proportion plus importante des morts que lors des génocides de Srebrenica (1992-95) et du Rwanda (1994) et pendant le siège de Marioupol par la Russie, qui a duré trois mois (2022), a déclaré Mme Pettersson.
Ce n'est qu'après un cessez-le-feu qu'il sera possible de calculer avec précision le nombre de victimes civiles et militantes à Gaza. Mais la base de données du renseignement indique que le ratio de victimes civiles est nettement supérieur aux chiffres présentés par Israël au monde depuis près de deux ans.
+972 et Local Call ont initialement contacté le porte-parole de l'armée israélienne à la fin du mois de juillet pour obtenir des commentaires et ont reçu une déclaration qui ne contredisait pas nos conclusions : « Tout au long de la guerre, des évaluations complètes des renseignements ont été menées sur le nombre de terroristes éliminés dans la bande de Gaza. Le décompte est un processus complexe qui repose sur la situation des forces sur le terrain et sur des informations provenant de divers services de renseignement, tout en recoupant un large éventail de sources. »
Trois semaines plus tard, après que le Guardian eut demandé des commentaires sur les mêmes données, l'armée a déclaré qu'elle souhaitait « reformuler » sa réponse et a rejeté nos conclusions sans autre explication : « Les chiffres présentés dans l'article sont incorrects et ne reflètent pas les données disponibles dans les systèmes de l'armée israélienne. Tout au long de la guerre, des évaluations du renseignement sont effectuées en continu concernant le nombre de terroristes éliminés dans la bande de Gaza, sur la base de méthodologies d'évaluation des dommages causés par les bombes (BDA) et de vérifications croisées provenant de diverses sources […] [y compris] des documents provenant d'organisations terroristes dans la bande de Gaza. »
Un porte-parole n'a pas immédiatement répondu lorsqu'on lui a demandé pourquoi l'armée avait donné des réponses différentes à des questions portant sur un seul ensemble de données.
Emma Graham-Harrison, du Guardian, a contribué à cet article.
Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine
Source : +972 Magazine
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Le programme en IA de Mark Carney est un cadeau à Big Tech
Le gouvernement libéral fonce tête baissée dans la technologie malgré les preuves croissantes de ses effets néfastes pour les travailleurs-euses, les groupes vulnérables et les services publics
24 juillet 2025 | tiré de Canadian dimension
https://breachmedia.ca/mark-carneys-ai-agenda-is-a-gift-to-big-tech/
Lorsque Evan Solomon est monté sur scène à Ottawa le mois dernier pour prononcer son discours inaugural en tant que tout premier ministre canadien de l'Intelligence artificielle et de l'Innovation numérique, il s'est empressé de rassurer les dirigeant-es technologiques : la régulation de leur secteur ne serait pas sa priorité.
Plutôt que de s'attarder sur les dangers de l'IA et de « trop miser sur les avertissements et la régulation », il a déclaré vouloir se concentrer sur le déblocage du potentiel économique de la technologie. Le projet de loi réglementaire préparé sous Justin Trudeau a donc été définitivement abandonné.
Pour les élites technologiques canadiennes, ce fut une véritable célébration. Après avoir passé une grande partie de l'année dernière à se rapprocher de Pierre Poilievre et des conservateurs à la recherche de moins de régulation et de baisses d'impôts, ces PDG pouvaient enfin pousser un soupir de soulagement.
Mais pour tous-tes les autres — des travailleurs-euses du secteur public aux artistes, travailleurs-euses de plateforme, réfugié-es et au grand public — le message de Solomon doit alerter. Le gouvernement semble décidé à accélérer l'adoption de l'IA sans prendre en compte ses effets néfastes déjà documentés.
L'IA comme, pierre angulaire du programme de Carney
Depuis son arrivée en politique, Mark Carney a fait de l'adoption de l'IA une pierre angulaire de son programme, persuadé que la technologie pouvait être un outil essentiel pour stimuler la productivité et résorber le déficit budgétaire. Son programme électoral fédéral prévoyait une augmentation du financement des projets d'IA, la création d'incitatifs pour que travailleurs-euses et entreprises l'adoptent, et une réduction de la « paperasse » autour de la construction d'infrastructures comme les centres de données.
L'enthousiasme de Carney pour l'IA n'est pas nouveau. Dans son livre Values(s) (2021), il affirmait que l'IA, le big data et la puissance accrue de calcul signifiaient que « des machines plus intelligentes remplacent déjà un éventail plus large d'activités humaines qu'auparavant ». Désormais, lorsqu'on l'interroge sur les finances publiques, les achats militaires ou l'état de l'économie, il évoque systématiquement l'IA comme une solution évidente, sans donner plus de détails.
Mais il y a de nombreuses raisons de s'inquiéter des conséquences de cette adoption optimiste de l'IA à tout prix.
Le précédent cycle de l'hyper médiatisation de l'IA
Les affirmations selon lesquelles l'intelligence artificielle serait sur le point de transformer la société ne sont pas nouvelles. Dans les années 2010, on soutenait souvent que les progrès de la robotique et de l'IA allaient détruire jusqu'à la moitié des emplois, relançant à gauche le débat sur le revenu universel. Mais ces récits détournaient l'attention de la réalité : la manière dont l'IA était réellement utilisée dans la société.
L'IA n'a pas provoqué de chômage massif. Elle a plutôt donné aux employeurs-euses de nouveaux outils pour exploiter les travailleurs-euses.
Des entreprises comme Amazon et Uber ont été pionnières dans le déploiement de techniques de gestion algorithmique, utilisant des systèmes automatisés pour accroître le contrôle sur les employé-es, briser les tentatives de syndicalisation, faire baisser les salaires et dégrader les conditions de travail. Le travail à la demande s'est étendu, transformant des employé-es en pseudo-contractuel-les tout en leur offrant l'illusion de liberté et d'autonomie. Depuis, ces technologies se sont répandues bien au-delà des grandes firmes technologiques.
Les gouvernements, eux aussi, ont cédé au battage médiatique, comme aujourd'hui. Partout dans le monde, des agences ont déployé des systèmes d'IA pour accroître l'efficacité et réduire les coûts, souvent au détriment des plus vulnérables. Sans surprise, les systèmes de protection sociale furent parmi les premières cibles.
De la Suède et du Danemark aux Pays-Bas et à l'Australie, les systèmes de détection de fraude alimentés par l'IA ont faussement ciblé des personnes issues de groupes marginalisés, privant des centaines de milliers de citoyen-nes de prestations — détruisant des vies et poussant certain-es au suicide.
En 2021, un recours collectif a forcé le gouvernement australien à verser 1,8 milliard AUD en compensation à 443 000 victimes de son système « robodebt ». Un rapport récent montre que les fonctionnaires australien-nes hésitent désormais à adopter de nouveaux systèmes d'IA, ayant vu à quel point ils pouvaient être destructeurs.
Des scandales ont aussi éclaté dans les domaines du maintien de l'ordre, de la santé et de l'immigration. Le Canada n'y a pas échappé : des experts en droits humains ont exprimé des inquiétudes concernant l'utilisation gouvernementale de décisions automatisées dans le traitement des visas et l'évaluation des risques.
Le modèle travailliste britannique
Il a décrit la création de grandes entreprises d'IA au Canada comme une « question urgente » et a même suggéré que le pays pourrait se rapprocher de l'Arabie saoudite pour financer de grands projets. Il s'est aussi montré ouvert à l'idée de permettre aux entreprises d'IA d'entraîner leurs modèles sur des œuvres protégées par le droit d'auteur — artistes, écrivain-es, créateurs-ices— sans leur consentement ni compensation. Cette mesure, déjà proposée au Royaume-Uni, a suscité une vaste indignation dans le milieu artistique.
Le Parti travailliste britannique de Keir Starmer a une longueur d'avance. Il s'est empressé d'apaiser l'industrie technologique : suppression d'obstacles locaux à la construction de centres de données, introduction de l'IA dans les écoles et plan de déploiement dans les services publics.
Mais la réaction publique a été immédiate et virulente, plongeant le gouvernement travailliste dans une crise de relations publiques. Carney, pourtant, semble déterminé à suivre les traces de son ami Starmer. Le mois dernier, il a signé un accord avec le Royaume-Uni et l'entreprise canadienne Cohere pour « approfondir » la collaboration en matière de déploiement de l'IA.
Concrètement, Cohere a été chargée d'accélérer l'adoption de l'IA dans la fonction publique canadienne, même si Carney a refusé de préciser l'impact potentiel sur l'emploi et la qualité des services. L'annonce coïncide avec des coupes budgétaires massives : l'IA pourrait servir de justification à des mises à pied et à des réductions de services, sous couvert d'efficacité.
Le mythe de la productivité de l'IA
Le pari de Carney sur l'IA a peu de chances de tenir ses promesses en matière de productivité. Comme lors du précédent boom, son déploiement risque surtout de renforcer le pouvoir de la direction plutôt que d'améliorer réellement l'efficacité.
Une étude menée l'an dernier révèle que 77 % des employés estiment que l'IA générative leur crée plus de travail qu'elle n'en retire. Plus récemment, The Economist a rapporté que de plus en plus d'entreprises abandonnent leurs projets liés à l'IA générative, tandis que la BBC a interrogé des sociétés contraintes d'embaucher pour corriger les erreurs commises par ces systèmes. Air Canada a même dû indemniser un client à cause d'une erreur de son chatbot.
Des preuves s'accumulent aussi que l'utilisation de chatbots réduit les capacités cognitives des utilisateurs-ices, affaiblissant leur esprit critique, selon une étude impliquant des chercheurs de Microsoft. On rapporte des cas inquiétants de personnes devenues dépendantes des chatbots, sombrant dans desdélires graves et nécessitant un internement psychiatrique. Parallèlement, la technologie a entraîné une hausse d'images explicites générées sans consentement, ciblant particulièrement les adolescentes.
Alors que les régulateurs peinent encore à gérer les conséquences des réseaux sociaux, l'IA générative risque d'annuler ces efforts et de multiplier les effets néfastes. Pourtant, le ministre de la Justice Sean Fraser a déclaré qu'il « réévaluait » le projet de loi sur les préjudices en ligne et pourrait ne pas le réintroduire, laissant ces enjeux sans réponse.
Coude baissé face à Big Tech
Carney ne fait pas qu'ignorer les dangers de l'IA : il façonne délibérément une politique qui épouse les intérêts de Big Tech.
Alors qu'il se vantait d'avoir tenu tête à Trump lors de la dernière élection fédérale, son approche vis-à-vis des géants technologiques — dont plusieurs dirigeants sont proches du mouvement MAGA — a été tout sauf combative. Son gouvernement a enterré l'augmentation prévue de l'impôt sur les gains en capital, qui avait irrité les cadres de la tech, multiplié les mesures pour attirer leurs investissements et plus récemment,abandonné la taxe sur les services numériques qui déplaisait aux PDG américains.
Son pari est que la complaisance envers l'industrie technologique stimulera la croissance économique du Canada — l'unique indicateur qui semble importer à l'ancien banquier central.
Mais ce faisant, il paraît prêt à livrer l'agenda de recherche du pays à une industrie qui alimente des bulles financières pour son propre profit, accroît la surveillance et cherche à capter l'attention du public pour maximiser ses revenus.
La technologie peut servir le bien commun, mais seulement si elle est développée dans ce but.
L'agenda de Carney laissera prospérer les dommages déjà connus de la tech tout en en générant de nouveaux, nous forçant tous-tes à en payer le prix. Une autre voie est possible, mais il est clair que le gouvernement n'y renoncera que sous la pression.
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Près de 600 personnes créent une chaîne humaine
À l'occasion de la Journée internationale de l'amitié, près de 100 personnes du côté américain et 600 du côté canadien se sont réunies afin de former une chaîne humaine transfrontalière, de passer un message de fraternité, et de dénoncer les dérives du président Trump.
20 août 2025 | tiré de l'Aut'journal
https://www.lautjournal.info/20250820/pres-de-600-personnes-creent-une-chaine-humaine
Organisé par Mères au front, en collaboration avec Montpelier Strong Indivisible et la coalition nord-américaine Friends Across Borders, le rassemblement de Frelighsburg et Berkshire s'inscrivait dans une série historique de plus de 40 mobilisations simultanées aux frontières du Canada, du Mexique et des États-Unis.
La matinée a été marquée par des interventions de Mélissa Mollen-Dupuis, militante innue, Miriam Hansen, citoyenne américaine et canadienne et cofondatrice de Montpelier Strong Indivisible, et Laure Waridel, écosociologue et cofondatrice de Mères au front.
Des échanges chaleureux et des poignées de main ont été partagés entre les participant·es de part et d'autre de la frontière, sous le signe de l'amitié et de la fraternité. L'événement a aussi été ponctué de moments symboliques, tels que l'interprétation de « L'hymne à la beauté du monde » par Catherine Major accompagnée de quelques enfants, ainsi qu'un lâcher de 80 papillons migrateurs. Le rassemblement a culminé par la formation d'une chaîne humaine le long de la frontière, suivie de cinq minutes de silence et de l'interprétation collective de la chanson Imagine de John Lennon.
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« Nous sommes là pour rappeler que l'amitié et la solidarité sont des forces, pas des faiblesses. Que, malgré les discours de Donald Trump qui divisent, nous sommes indivisibles. » – Laure Waridel, cofondatrice de Mères au front
« Je veux que mes compatriotes canadiens comprennent que, même si la vie aux États-Unis est devenue vraiment terrifiante, nous nous levons et vous n'êtes pas oubliés. Et je veux que mes compatriotes américains sachent à quel point les Canadiens se sentent en colère et trahis, car ils ne nous voient pas nous opposer en grand nombre à ce régime et pensent que nous ne nous soucions pas du Canada », a ajouté Miriam Hansen, cofondatrice de Montpelier Strong Indivisible.
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Québec Solidaire, mon parti qui s’autodétruit
C'est avec tristesse que je vois mon parti s'autodétruire. Je suis membre depuis une dizaine d'années sans être un militant très engagé. Je ne fréquente pas les congrès et les conseils nationaux. J'ai participé à plusieurs rencontres de mon association locale à travers les années et donné un coup de main en campagne électorale. Dans mon entourage des gens ont quitté le parti ou n'ont plus l'enthousiasme pour voter pour lui à la prochaine élection. Pour ma part je m'y reconnais de moins en moins.
Le coup d'état « pragmatique » de Gabriel Nadeau-Dubois vers le parti des urnes et le départ tout à tour de deux porte-paroles femme Catherine Dorion, puis Amélie Lessard-Therrien, du parti de la rue et des rangs m'a beaucoup déçu. Ces deux composantes ne s'opposent pas mais auraient dû mieux s'équilibrer dans les dernières année du parti, trop réfugié selon moi dans les murs et le costume de l'Assemblée Nationale. L'absence de discussion informelle et ouverte au sein de mon association locale avant de voter sur des propositions, souvent remplacée par une bière dans un bar avec de la musique plein les oreilles, m'a aussi déçu. L'absence d'un discours anticapitaliste affirmé, pour ne pas faire peur au monde et aller chercher plus de votes, ce qui au contraire nous en a fait perdre, m'a également démotivé alors que les Québécois-es ont besoin plus que jamais d'une telle alternative dans la dominante de la « business » actuelle.
La cerise sur le sundae, lorsque j'ai lu dans un article du Devoir et qui a été confirmé après avoir pris connaissance des propositions adoptées aux derniers congrès et conseil national, à savoir que deux femmes ou personnes apparentées pourraient être nos deux porte-paroles dans le futur, mais pas deux hommes ou personnes apparentées, me font dire maintenant que notre parti est complètement « flyé » et déconnecté. Au moment où tant de gens ont de la difficulté à payer leur logement ou leur épicerie, mon parti m'apparaît de plus en plus dans son monde à lui, loin de la réalité, comme d'autres politiciens qui sont aussi dans leur monde à eux, déconnectés, dans leur gang, et n'oeuvrant plus pour le bien commun.
Finalement je garde une petite porte ouverte en désirant échanger avec les gens de ma nouvelle association locale après avoir déménagé avant de renvoyer ma carte à la permanence du parti, ce que je ferais avec beaucoup de peine.
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Relance de la Table sur la réussite éducative : un forum essentiel pour les élèves autochtones
Plus de 27 actrices et acteurs clés représentants 13 organisations éducatives du réseau scolaire provincial et des milieux autochtones se sont réunis le 12 août afin de relancer la Table sur la réussite éducative des élèves autochtones.
La Table revêt un caractère essentiel pour la réussite éducative des élèves : elle constitue l'unique forum de concertation qui permet au gouvernement du Québec de prendre pleinement conscience des défis vécus par nos jeunes en manière d'éducation afin de chercher des solutions collaboratives à ces enjeux.
La relance de ces travaux tombe à point nommé : en novembre 2024, le Vérificateur général du Québec (VGQ) publiait un rapport accablant sur l'inaction du ministère de l'Éducation, affirmant que celle-ci contribue à ériger des obstacles systémiques à la persévérance et à la réussite des élèves des Premières Nations et Inuit fréquentant le réseau scolaire public, ce qui représente plus de 1 300 jeunes.
Malgré ces constats alarmants, le gouvernement du Québec a suspendu unilatéralement les travaux de la Table en janvier dernier, soit à peine deux mois après la publication du rapport du VGQ. Cette décision inconsidérée est survenue alors que les membres de la Table ont travaillé de concert pour faire progresser un mandat novateur, établi avec le soutien et la participation du ministre de l'Éducation au cours des années précédentes. Ce dernier repose sur des principes directeurs offrant des pistes de solution structurantes au gouvernement du Québec afin de permettre aux élèves d'atteindre leur plein potentiel et d'améliorer leur persévérance et leur réussite scolaires.
Alors que les élections provinciales approchent à grands pas, les membres de la Table lancent un message clair au gouvernement : la réussite éducative des Premiers Peuples et Inuit doit être au cœur des priorités. Nous avons espoir que la province agira de bonne foi afin qu'ensemble, nous trouvions des solutions concrètes et durables. Nous sommes convaincus qu'une reprise du dialogue permettra de lever les barrières systémiques qui freinent la réussite scolaire des élèves des Premières Nations et Inuit. Reconnaissant que le ministre de l'Éducation collabore avec d'autres ministères qui influent sur la capacité de la Table à réussir son mandat, nous demandons respectueusement et insistons sur la nécessité de tenir une rencontre prochainement avec les ministres Drainville, Déry, Dubé, Girard et Lafrenière.
Source : Conseil en éducation des Premières Nations.
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L’exclusion scolaire ne devrait jamais être une option
Nous sommes des parents d'élèves en situation de handicap ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage (HDAA) de la région de Québec. Dans les dernières années, nos enfants ont vécu des périodes plus ou moins longues de déscolarisation : des heures réduites (parfois à moins d'une heure par jour !), des appels fréquents, voire quotidiens, pour venir chercher nos enfants pendant les heures de classe, quand ce n'est pas des retraits complets de l'école.
Nous savons que nous sommes des milliers de parents dans cette situation.
Selon vos propres statistiques, la situation s'aggrave, mais vous continuez de banaliser le problème des bris de scolarisation et, plus globalement, de l'accès aux services éducatifs pour les élèves HDAA, ces élèves qu'on dit « à besoins particuliers ».
C'est du moins l'impression que vous donnez quand nous voyons avec quelle désinvolture vous avez tenté d'imposer des « contraintes budgétaires » de 570 millions $ aux centres de services scolaires en juin dernier. (Heureusement, la mobilisation populaire a su vous faire reculer en partie et vous forcer à « remettre » 540 millions $ dans les services aux élèves.)
C'est aussi l'impression que vous donnez lorsque vous soulignez en entrevue que le nombre d'élèves HDAA a fortement augmenté et que vous ne pouvez « garantir que chaque élève va avoir tout ce dont il a besoin... parce que les besoins sont infinis ».
En fait, Monsieur le Ministre, nous avons parfois le sentiment que vous essayez d'envoyer le message qu'il est normal d'exclure des élèves de l'école.
De notre point de vue, cette attitude à l'égard des élèves HDAA est déjà trop présente dans le milieu scolaire. De plus en plus, les autorités scolaires semblent considérer qu'il est acceptable que nos enfants ne soient pas scolarisé-es comme les autres.
À l'heure de la rentrée scolaire, nous croyons important que vous dissipiez toute ambiguïté et que vous donniez l'exemple.
Nous vous écrivons aujourd'hui, Monsieur Drainville, pour vous inviter à affirmer haut et fort qu'au Québec, l'exclusion scolaire ne devrait jamais être considérée comme une option.
C'est un peu ce que nous rappelait le Protecteur national de l'élève dans son premier rapport annuel, l'hiver dernier, quand il disait que « tous les moyens nécessaires doivent être entrepris pour assurer la scolarisation des élèves ».
Et faut-il vraiment vous rappeler, Monsieur Drainville, pourquoi les bris de scolarisation ne devraient jamais être considérés comme acceptables ?
D'une part, parce qu'ils représentent un déni de droit. En vertu de la Loi sur l'instruction publique, l'État a l'obligation d'offrir des services éducatifs qui répondent aux besoins individuels de l'ensemble des élèves. Et la Charte des droits et libertés de la personne garantit le droit à l'éducation, sans discrimination, pour les élèves HDAA.
D'autre part, parce que le moindre bris de scolarisation peut avoir plusieurs impacts. Évidemment, ce sont d'abord nos enfants qui en paient le prix, en étant privé.es de précieux apprentissages, à une étape cruciale de leur développement, et exclu.es de leur communauté.
Les conséquences sont lourdes pour nous aussi, les parents, qui devons souvent garder nos enfants durant les heures normales de classe. Pour plusieurs, les bris de scolarisation mènent à la perte d'emploi, à l'appauvrissement, à l'isolement social et à la détresse, surtout pour les mères.
Et en bout de ligne, n'est-ce pas l'ensemble de la société qui est perdante quand l'école décide d'exclure une partie de ses membres de ce qui devrait être un lieu privilégié de socialisation, l'école ?
En conclusion, Monsieur Drainville, il va sans dire que le changement d'attitude que nous réclamons devra s'accompagner de gestes forts : votre gouvernement devra s'assurer de donner au réseau scolaire les moyens nécessaires pour que l'ensemble des élèves puissent enfin avoir accès aux services éducatifs auxquels ils et elles ont droit.
Une lettre du Comité pour le droit à la scolarisation cosignée par :
1. Simon Bouchard 2. Marie-Ève Duchesne 3. Catherine Frappier 4. Nicolas Kokot 5. David Labrecque 6. Christelle Landheer-Cieslak 7. Ronald Landheer-Cieslak 8. Typhaine Leclerc 9. Patrice Lemieux Breton 10. Nabila Messaoud 11. Mélanie Papillon 12. Besetranirina Rakotomalala 13. Julie Rioux 14. Laurence Simard-Gagnon 15. Maria Wardeh
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Femmes et extrême-droite
Vous pensez regarder un simple tuto cuisine avec une femme qui prépare du Coca maison dans une cuisine vintage pastelle ? 🧠 Ce n'est pas une recette, mais un programme politique.
Les tradwives, ces épouses “traditionnelles” qui glorifient le foyer, la soumission et le patriarcat, ne se contentent pas de faire des gâteaux. Elles font passer des idées.
Conservatisme, antiféminisme, et parfois bien pire, sous une couche de crème au beurre.
Le tout semble inoffensif, mais c'est pensé. Stratégique. Efficace.
📲 Ne vous laissez pas avoir par le filtre sépia.
👉 Consultez le carrousel.
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La saga du "rapport Savaria" à Drummondville
Le Collectif CA-PRESSE ( Collectif d'Action Pour une Rivière et un Environnement Sans Site d'Enfouissement) a obtenu l'accès à un rapport de Savaria Experts Conseils qui révèle la présence d'un taux "très très élevé" de composés perfluorés (nommés PFAS ou « polluants éternels ») dans les eaux rejetées par le lieu d'enfouissement technique (LET) de Waste Management à Saint-Nicéphore. Les parties du rapport rendues publiques par la Commission d'accès à l'information, ainsi que les recommandations des auteurs du rapport qui, bien que demeurées "confidentielles", ont été publiées dans un reportage de Radio-Canada.
Les résultats des analyses d'eau commandées par la Ville de Drummondville en 2021 viennent seulement d'être dévoilées au public à grand fracas. Voici un résumé des faits saillants.
En 2021, M. Alain d'Auteuil, alors conseiller municipal à Drummondville, s'inquiétait de la toxicité appréhendée des rejets du LET de Saint-Nicéphore vers l'usine de traitement d'eaux usées de la Ville. C'est pourquoi il a utilisé son budget discrétionnaire de conseiller pour commander à la firme Savaria Experts Conseils une analyse de ces rejets et, au besoin, des recommandations sur des actions à entreprendre. Le rapport de la firme a été livré la même année, mais le Conseil municipal de Drummondville a choisi de le soustraire à l'attention de ses citoyens en le déclarant confidentiel.
Cette "confidentialité" a eu pour effet d'aggraver l'inquiétude d'un bon nombre de citoyens, y compris ceux du Collectif CA-PRESSE. En janvier 2023, un membre de ce Collectif, le regretté Roger Pomerleau, a déposé à la Ville une requête d'accès à l'information en vue d'obtenir une copie du rapport. La Ville a refusé d'accéder à cette demande. En mars 2023, M. Pomerleau a fait appel de cette décision devant la Commission d'accès à l'information. Roger est malheureusement décédé subitement avant que sa cause ne soit entendue. En juin 2024, le tribunal de la Commission d'accès à l'information a invité la succession de M. Pomerleau à nommer un représentant pour l'audience de la cause en question. À la suggestion du juriste Richard Langelier, Mme Ginette Laporte, la conjointe de feu M. Pomerleau, a pu mandater le Centre Québécois du droit de l'environnement (CQDE) pour représenter le demandeur.
Le 15 avril 2025, le CQDE a informé le collectif CA-PRESSE que l'appel du demandeur avait obtenu gain de cause : le rapport Savaria a ainsi été rendu public en majeure partie. Cette portion publique excluait toutefois 7 pages du rapport en question, y compris ses recommandations à la Municipalité de Drummondville.
Dans un article publié sur Info Radio-Canada le 29 juillet 2025 ainsi que dans un reportage au téléjournal Estrie le même jour (voir segment entre 8'45" et 13') , le journaliste Thomas Deshaies informe la population que trois experts auxquels il a présenté les données maintenant publiques du rapport Savaria se sont dit surpris par les taux "très, très élevés" de PFAS (les fameux "contaminants éternels") dans les eaux issues du LET de Drummondville, jugeant la situation "préoccupante". Ce l'est d'autant plus qu'à ce jour, les PFAS ne font l'objet d'aucun traitement à l'usine de traitement de Drummondville. En conséquence, Drummondville se trouve à déverser une quantité importante de PFAS dans la rivière Saint-François et dans les boues qui sont utilisées comme fertilisant dans beaucoup de nos fermes.
Le journaliste fait état de l'inquiétude de certains citoyens devant la confidentialité qui était maintenue sur les recommandations du rapport Savaria, puisqu'elle les empêche de savoir si la Ville a donné quelque suite que ce soit à ce rapport "préoccuppant".
Or, un nouvel article et un nouveau reportage télévisé (voir segment entre 6' et 9'30") de Thomas Deshaies diffusés le 30 juillet 2025 nous apprennent que :
1. L'argument invoqué par la Ville pour garder les recommandations confidentielles n'est pas valide, car il s'agit d'une loi obligeant l'ingénieur à protéger le secret de ses clients, alors que le client (ici, la Ville) a pour sa part parfaitement le droit de lever ce secret ;
2. Une source a procuré au journaliste une copie du rapport Savaria complet et son reportage cite en toutes lettres les 𝐫𝐞𝐜𝐨𝐦𝐦𝐚𝐧𝐝𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧𝐬 qui y apparaissent.
3. Quatre de ces recommandations portent sur le suivi à donner à la présence de PFAS dans les eaux usées du LET.
4. La Ville de Drummondville n'a donné suite à aucune de ces quatre recommandations, invoquant qu'elles sont du ressort du gouvernement provincial.
5. L'administration municipale n'a pas non plus pressé le gouvernement du Québec d'agir dans ce dossier.
𝐿𝑎 𝑑𝑒́𝑚𝑎𝑟𝑐ℎ𝑒 𝑝𝑟𝑜-𝑎𝑐𝑡𝑖𝑣𝑒 𝑑𝑒 𝑉𝑖𝑐𝑡𝑜𝑟𝑖𝑎𝑣𝑖𝑙𝑙𝑒
Le reportage mentionné au téléjournal du 30 juillet était immédiatement suivi d'un reportage de Jean-François Dumas sur un projet en cours à Victoriaville (segment commençant vers 9'30"). Cette juxtaposition a mis en lumière un contraste frappant entre l'attitude passive de Drummondville et celle pro-active de Victoriaville face aux dangers des contaminants éternels. Cette dernière poursuit en effet un projet de recherche conjoint avec l'École de technologie supérieure (ETS) qu'elle a mandatée pour expérimenter des nouvelles technologies prometteuses pour l'élimination de PFAS à même l'usine de traitement de Victoriaville. On ne peut que souhaiter que Drummondville adopte dorénavant une approche aussi tout aussi pro-active !
Pierre Isabelle
Saint-Lucien
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Projet minier Troilus d’or et de cuivre de Troilus Gold en Eeyou Istchee dans le Nord-du-Québec : les commentaires de Québec meilleure mine
En 6 tuiles, le résumé de nos commentaires devant l'Agence d'évaluation d'impact du Canada sur l'étude d'impact du projet minier Troilus d'or et de cuivre de Troilus Gold en Eeyou Istchee dans le Nord-du-Québec. Avec MiningWatch Canada=AZUChD6_ozR4IQRREuJiagz7Fvc72_GBtEv9UbRBjQDrHKSIUOC2xvDDPFct0q_OSQwKohWR_r2OgvMUbKE96hkRVTQxCCf-0OBLtgIkcko2G8J5klADkZ3Ip3rHbWCh1v5gBDaM50HfIWDcmNWhZC7ctdlGH9Ke9Yb6M87lGCwJXjdjiAy5zkOLOtmcZOWNE_8&__tn__=-]K-R].
Objet : Commentaires sur l'étude d'impact du projet minier Troilus d'or et de cuivre de Troilus Gold en Eeyou Istchee dans le Nord-du-Québec
Les présents commentaires sont produits dans le cadre de l'évaluation du projet minier Troilus de la compagnie Troilus Gold en Eeyou Istchee dans le Nord-du-Québec devant l'Agence d'évaluation d'impact du Canada après concertation avec nos membres et partenaires intéressé·e·s à l'évaluation des impacts du projet. Plus particulièrement, nous demandons à l'Agence d'évaluation d'impact du Canada de ne pas autoriser le projet minier Troilus tel que soumis.
Nous réitérons que dans sa version actuelle, nous ne soutenons pas le développement du projet minier Troilus à l'étude en raison des biais méthodologiques induits dans son analyse des impacts cumulatifs dans la région, de son plan de destruction du ruisseau Bibou, du manque d'information concernant le transport du concentré vers la Fonderie Horne de Rouyn-Noranda, de l'absence d'engagement concernant la décontamination du passif minier local. Nous considérons que le promoteur n'a pas fait la démonstration de l'absence de scénario de rechange viable à la destruction du ruisseau Bibou pour réaliser son plan. Pour chacun de ces enjeux, nous avons soulevé que des renseignements et des études complémentaires sont nécessaires afin d'informer le public adéquatement des impacts du projet minier à l'étude.
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Mémoire de la FTQ sur la planification pluriannuelle de l’immigration au Québec
Le 15 août 2025, la FTQ a déposé un mémoire portant sur la planification pluriannuelle de l'immigration au Québec pour la période 2026-2029. Vous pouvez prendre connaissance de l'intégral du mémoire ici.
Introduction La Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), la plus grande centrale syndicale au Québec, représente 600 000 travailleurs et travailleuses de différents secteurs d'activité et de toutes les régions du Québec. La diversité des secteurs économiques représentés par ses syndicats affiliés lui permet de parler au nom de milliers de personnes issues de parcours migratoires variés, qui vivent différentes situations au sein du marché du travail et dans la vie de tous les jours. La FTQ s'intéresse donc de près aux enjeux, défis et réalités des travailleurs et travailleuses issus de l'immigration. Elle a mené ces derniers mois divers travaux et consultations auprès de ses membres dont les résultats feront l'objet de discussions à l'occasion de son prochain Congrès triennal, en vue de renouveler et d'approfondir son engagement envers la normalisation et l'amélioration des conditions de travail et de vie de cette catégorie de population trop souvent marginalisée, vulnérabilisée, voire exploitée du marché du travail. Compte tenu de l'importance de l'immigration face aux défis démographique, culturel et économique du Québec, et à l'instar de nombreux intervenants de la société québécoise, la FTQ considère essentiel de prendre position dans le débat public sur les perspectives de l'immigration pour les prochaines années. Les orientations dévoilées le 5 juin dernier par le ministère de l'Immigration, de la Francisation et de l'Intégration (MIFI)1 donnent l'occasion à la FTQ de réaffirmer plusieurs principes importants auxquels les syndicats adhèrent en matière d'immigration et de francisation. La FTQ fait la promotion des droits et des intérêts de toutes les travailleuses et de tous les travailleurs, peu importe leurs origines. Elle se porte à la défense de l'ensemble de ces personnes et milite pour des conditions d'accès au marché du travail, d'insertion et de maintien en emploi permettant à tous et toutes de vivre dignement des fruits d'un travail décent et épanouissant. C'est dans cet esprit que la centrale participe aux discussions sur les enjeux de main-d'œuvre et d'immigration, notamment au sein des instances de la Commission des partenaires du marché du travail (CPMT), tels que l'Assemblée délibérante, le Groupe de travail sur l'immigration, le Comité consultatif des personnes immigrantes et plusieurs autres tables sectorielles et régionales. Pour la FTQ, une société prospère comme le Québec a le devoir moral de recevoir et d'intégrer, dans de bonnes conditions, les personnes immigrantes provenant de divers pays. Notre immigration ne doit pas être planifiée uniquement dans une perspective économique à court terme. Elle doit exprimer une vision à moyen et long terme axée sur l'importance d'accueillir ici des individus qui rêvent d'un avenir différent pour eux-mêmes et leurs proches. C'est pourquoi la centrale milite pour une politique d'accueil et d'ouverture qui accorde une large place à l'immigration permanente, expression d'un Québec épris de solidarité et inclusif, où chaque personne peut trouver la promesse d'un avenir sécuritaire et épanouissant, pour elle et sa famille.
De manière globale, la FTQ partage certains des objectifs mis de l'avant par le gouvernement dans les réflexions soumises à la consultation. Nous saluons ainsi les efforts du gouvernement visant à aider les personnes immigrantes à trouver des emplois décents. De même, nous soutenons la volonté du gouvernement de travailler concrètement au développement et à la protection de la langue française au Québec. Pour y parvenir, des efforts costauds en matière de francisation doivent encore être fournis et la FTQ souhaite que les mesures qu'elle propose dans ce mémoire permettent de faire progresser l'acquisition et l'adoption par ces nouveaux arrivants et nouvelles arrivantes de la langue commune du Québec, qui doit leur être accessible comme un droit fondamental et une clé d'intégration durable à leur société d'accueil. Cela étant dit, la centrale s'inquiète depuis plusieurs années de la part croissante du recours à une main-d'œuvre temporaire précarisée comme rouage désormais institutionnalisé de l'économie québécoise. La FTQ s'attendait, après la pandémie de COVID-19, à une plus grande reconnaissance de la contribution et de l'importance de milliers de travailleuses et travailleurs étrangers pour l'économie québécoise, à travers une simplification et une accélération des mécanismes de régularisation et de sélection vers la résidence permanente, et ce, au bénéfice de leurs familles, des communautés, des régions et finalement du bien-être collectif du Québec. La réduction de l'immigration temporaire mise de l'avant par le gouvernement doit se faire au bénéfice d'une vision d'accueil et d'inclusion des ressortissantes et ressortissants étrangers qui sont déjà présents sur le territoire à travers une immigration permanente plus ouverte et généreuse, et des efforts d'accompagnement et de francisation accrus par le gouvernement. Or, ce ne sont pas les orientations qui semblent se dégager de la proposition gouvernementale, et c'est pourquoi la FTQ mettra un point d'honneur à prendre part au débat public, car la vision proposée ne nous apparaît pas en voie de résoudre les défis d'ordre humanitaire, social ni même économique qui se posent au Québec actuellement. Qui plus est, la FTQ ne peut que constater avec étonnement, à la lecture des documents de consultation, un silence criant quant aux enjeux découlant du recours accru aux programmes d'immigration temporaire et à leur effet délétère sur le respect des droits au travail des travailleuses et travailleurs migrants. Pour la FTQ, le maintien du permis de travail fermé est le principal responsable de la création d'une seconde classe de travailleuses et travailleurs et témoigne d'une approche à courte vue du gouvernement quant aux enjeux de main-d'œuvre. Après toute l'encre qui a coulé dans les dernières années concernant les abus dont sont victimes les travailleuses et travailleurs migrants sous permis fermé, il est incompréhensible que la planification soit muette sur cet enjeu. Bien au-delà de leur contribution à la vitalité économique ou à leur capacité à répondre aux besoins de main-d'œuvre des entreprises québécoises, les personnes immigrantes contribuent à l'évolution de la société québécoise. C'est pourquoi les moyens consacrés à l'intégration socioculturelle et linguistique de ces personnes doivent constituer une priorité afin de donner aux nouvelles personnes arrivantes une occasion de s'épanouir et de vivre convenablement au Québec. Une contribution qui s'avère positive et qui doit s'inscrire à l'intérieur des paramètres que le Québec a définis par le biais des lois qui façonnent notre vie collective, telles la Charte des droits et libertés de la personne, la Charte de la langue française, etc.
Pour la FTQ, il est important que le Québec se dote d'une véritable vision en immigration à moyen et long terme afin que notre société demeure inclusive et bienveillante pour les nouvelles personnes arrivantes et qu'elle puisse se développer collectivement en harmonie. Dans les prochaines pages de ce mémoire, nous exposerons quelques commentaires sur le présent débat public entourant l'immigration au Québec et sa planification, avant de rappeler quelques-uns des grands principes qui guident la réflexion et le positionnement de la FTQ sur les défis auxquels sont confrontées les personnes immigrantes et les solutions qu'elle préconise. En dernier lieu, les orientations soumises à la consultation publique par le MIFI seront plus spécifiquement discutées.
1. Commentaires sur la discussion publique en matière d'immigration
2. Commentaires sur la consultation publique annoncée
3. Considérations générales sur les enjeux actuels de l'immigration
a. Assumer la pleine gouvernance de l'immigration sur le territoire du Québec
Recommandation 1 : La FTQ demande au gouvernement du Québec de poursuive ses efforts pour obtenir le rapatriement des pouvoirs en immigration, afin de réaliser les objectifs socioéconomiques fixés par la société civile et de doter le Québec de meilleurs moyens pour bien intégrer les personnes immigrantes ; et que d'ici là, les gouvernements québécois et canadien améliorent leurs processus de gestion en mettant en place des canaux de discussion, tout en collaborant à la mise en œuvre efficace de l'Accord Canada-Québec relatif à l'immigration et à l'admission temporaire des aubains.
b. Faire de l'intégration des personnes immigrantes une réussite
Recommandation 2 : Que la politique d'immigration facilite et simplifie les procédures favorisant l'accompagnement des détenteurs de permis temporaires par leurs proches et qu'à cette fin le gouvernement mette de l'avant un chantier visant à répondre dans les meilleurs délais à l'ensemble des demandes de regroupement familial en attente.
Recommandation 3 : Que le ministère de l'Immigration, de la Francisation et de l'Intégration (MIFI) et le ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale (MESS) travaillent de concert pour ouvrir et soutenir les services d'aide à l'emploi de manière à ce que toutes les catégories de l'immigration autorisées à travailler sur le territoire du Québec puissent être accompagnées et soutenues dans leur insertion sur le marché du travail.
Recommandation 4 : Que le gouvernement du Québec améliore l'accès et les processus de reconnaissance des acquis et des compétences (RAC) des personnes immigrantes dans leur milieu de travail et améliore pour ces dernières l'accès à la formation continue et la requalification professionnelle.
Recommandation 5 : Que le gouvernement multiplie les ententes de reconnaissance mutuelle des qualifications avec les différents pays d'où proviennent les personnes immigrantes.
Recommandation 6 : Que le gouvernement mette à jour la Politique gouvernementale d'éducation des adultes et de formation continue et adopte un nouveau plan d'action qui invite les ministères et les acteurs concernés à accélérer le développement des processus permettant la reconnaissance des compétences et acquis, dont ceux des personnes immigrantes.
Recommandation 7 : Que le MIFI s'assure d'une plus grande transparence envers les personnes qui souhaitent immigrer au Québec et les informe de la différence entre l'évaluation que l'on fait de leurs diplômes et compétences, lors du processus de sélection, et ce qui est effectivement reconnu lorsqu'elles sont acceptées, ainsi que des ressources et services existants pour les accompagner.
Recommandation 8 : Qu'en attendant que l'on complète les processus liés à la reconnaissance des diplômes acquis à l'étranger, le gouvernement du Québec étudie la mise en place de moyens temporaires qui permettraient de bénéficier des compétences des personnes ayant complété leur formation dans leur pays d'origine afin d'éviter que les qualifications et les compétences de ces personnes ne deviennent désuètes, parce que non utilisées.
Recommandation 9 : Qu'une véritable politique de régionalisation de l'immigration soit mise en place par le gouvernement du Québec et qu'un comité de travail interministériel travaille sur l'ensemble des aspects reliés à cette régionalisation.
Recommandation 10 : Que cette politique de régionalisation de l'immigration vise à donner aux acteurs régionaux les moyens de soutenir l'intégration des personnes immigrantes et que ces mesures soient rapidement mises en place et adéquatement financées par le gouvernement du Québec.
Recommandation 11 : Que cette politique de régionalisation de l'immigration contienne des mesures précises quant à l'accès facile à la francisation, à l'éducation, aux transports, aux services publics notamment de santé et de loisirs, à des services de garde, à des logements décents pour la population immigrante et une sensibilisation aux réalités interculturelles pour la population d'accueil.
Recommandation 12 : Que cette politique ne repose sur aucune forme de contrainte envers les personnes immigrantes à s'établir en région, notamment par l'effet de permis de travail fermés.
Recommandation 13 : Que l'ensemble des organismes d'accueil et de soutien aux personnes immigrantes, de francisation et d'employabilité soient financés adéquatement par les divers paliers de gouvernements impliqués.
Recommandation 14 : Que les subventions accordées aux organismes à but non lucratif (OBNL) et aux syndicats qui interviennent dans le domaine de l'accueil et de l'intégration des personnes immigrantes soient augmentées en fonction des besoins d'intégration.
Recommandation 15 : Que le gouvernement favorise une meilleure concertation et une meilleure collaboration entre les différents acteurs sociaux que sont les organismes gouvernementaux, communautaires et les syndicats.
c. Se donner les moyens de faire du français la langue d'adoption
Recommandation 16 : Que le gouvernement consacre les ressources budgétaires et humaines suffisantes et adéquates dans les réseaux d'enseignement et les organismes de francisation, de même qu‘à Francisation Québec pour assurer rapidement à toutes les personnes qui le requièrent les services de francisation adaptés à leurs besoins et leur permettant de répondre dans les temps impartis aux exigences et attentes fixées.
Recommandation 17 : Que les syndicats soient reconnus comme des acteurs importants dans l'intégration en milieu de travail des personnes immigrantes et que le gouvernement du Québec intègre les syndicats dans ses stratégies visant l'intégration et la francisation des personnes immigrantes.
Recommandation 18 : Que le gouvernement réaffirme son appui à la formation en francisation en entreprise en rehaussant le financement de Francisation Québec et en le mandatant pour améliorer ses programmes en concertation avec les acteurs sociaux et institutionnels impliqués dans ce type de formation.
Recommandation 19 : Que l'on maintienne et bonifie la politique visant à soutenir financièrement les personnes immigrantes qui s'inscrivent dans un parcours de francisation offert par le gouvernement du Québec.
Recommandation 20 : Que l'ensemble des cours de français offerts aux personnes immigrantes par les instances gouvernementales comportent un volet qui présente le contexte sociohistorique du Québec, sa culture, ses institutions et ses valeurs.
d. Mettre fin à l'esclavage moderne : offrir une voie aux travailleurs et travailleuses migrants temporaires
Recommandation 21 : Que le gouvernement du Québec facilite l'accès à la résidence permanente des travailleuses et travailleurs migrants en permettant à toutes les personnes salariées immigrantes qui occupent des emplois peu qualifiés dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) de se qualifier au Programme de l'expérience québécoise (PEQ).
Recommandation 22 : Que le gouvernement du Québec explore des manières de prolonger le séjour des travailleurs étrangers temporaires (TET) afin que ces derniers aient le temps nécessaire pour convenablement se franciser et atteindre le niveau de maîtrise du français exigé par le PEQ, en vue de se qualifier au PEQ.
Recommandation 23 : Que le gouvernement du Québec exige du gouvernement du Canada l'abolition immédiate des permis de travail nominatifs (appelés aussi permis de travail fermés), et exige que soient plutôt octroyés des permis de travail ouverts ne restreignant pas la liberté du travailleur migrant de changer d'employeur.
Recommandation 24 : Que le gouvernement du Québec mette en œuvre de façon stricte le Règlement sur l'immigration au Québec relativement aux refus d'étude d'impact sur le marché du travail (EIMT) pour des raisons de non-conformité.
Recommandation 25 : Que le gouvernement bonifie la liste des situations menant au refus de l'EIMT, et prévoit des périodes d'exclusion d'une longueur proportionnelle à la gravité de la faute commise par l'employeur.
Recommandation 26 : Que le gouvernement du Québec rende publique la liste de tous les employeurs s'étant vu refuser une EIMT pour des raisons de non-conformité.
Recommandation 27 : Que le gouvernement du Québec exige du gouvernement du Canada la régularisation du statut migratoire de tous les travailleuses et travailleurs étrangers sans statut.
Recommandation 28 : Que le gouvernement du Québec s'assure que toutes les travailleuses et tous les travailleurs, sans distinction fondée sur leur statut migratoire, reçoivent la pleine protection offerte par les lois du travail.
Recommandation 29 : Que le gouvernement du Québec adapte la réglementation afin que, dans le cadre du processus d'approbation de l'EIMT, l'employeur doive fournir au MIFI un avis de l'association syndicale concernant la conformité de l'offre d'emploi aux dispositions de la convention collective en vigueur, et concernant le respect des critères de l'EIMT, notamment les efforts raisonnables faits par l'employeur pour embaucher ou former des résidents du Québec avant d'avoir recours au PTET.
Recommandation 30 : Que le gouvernement du Québec adapte la réglementation afin que l'association syndicale reçoive copie des demandes d'EIMT et des contrats de travail des TET.
Recommandation 31 : Que l'on reconnaisse aux travailleuses et travailleurs du secteur agricole le même droit à la syndicalisation que pour les autres travailleuses et travailleurs régis par le Code du travail.
4. Considérations spécifiques sur les orientations gouvernementales
a. Orientation 1 : réduction progressive du nombre de personnes résidentes non permanentes
Recommandation 32 : Que le gouvernement du Québec facilite l'accès à la résidence permanente des travailleuses et travailleurs migrants en permettant à toutes les personnes salariées immigrantes qui occupent des emplois peu qualifiés dans le cadre du PTET de se qualifier au PEQ, comme c'est déjà le cas pour certaines professions.
b. Orientation 2 : trois scénarios de réduction de l'immigration permanente
c. Orientation 3 : accroître la connaissance du français
Recommandation 33 : Que le gouvernement du Québec explore des manières de prolonger le séjour des travailleuses étrangères ou les travailleurs étrangers temporaires (TET)afin que ces derniers disposent du temps nécessaire pour convenablement se franciser et atteindre le niveau de maîtrise du français exigé par le PEQ, en vue d'obtenir leur Certification de sélection du Québec (CSQ).
Recommandation 34 : Que le gouvernement du Québec rende l'acceptation des candidatures au PTET conditionnelle à un engagement de francisation de la part des employeurs, sur le temps de travail, dès l'arrivée des personnes immigrantes en sol québécois, lorsque les travailleuses étrangères ou les travailleurs étrangers temporaires proviennent de pays non francophones.
Recommandation 35 : Que le gouvernement du Québec accélère, finance et renforce la mise en œuvre de programmes d'apprentissage du français et de francisation des personnes immigrantes en milieu de travail, durant la semaine normale de travail et sans perte de rémunération pour les travailleuses et les travailleurs.
Recommandation 36 : Que des projets pilotes de prise en charge de la francisation par le milieu, soutenus financièrement par une mesure gouvernementale, soient implantés par le biais de certains comités de francisation déjà constitués dans des entreprises.
Recommandation 37 : Que le gouvernement adopte des mesures incitatives favorisant l'organisation de cours de français pendant les heures de travail à l'intention des personnes immigrantes en collaboration avec les syndicats en place et que cette offre de cours de francisation soit également offerte aux travailleuses et travailleurs étrangers temporaires.
Recommandation 38 : Que le gouvernement s'assure que les employeurs offrent une formation en francisation lorsque les dispositions légales le prévoient.
Recommandation 39 : Que le gouvernement exige des employeurs qui recrutent des travailleuses et travailleurs qualifiés que ces derniers maîtrisent le français dans un délai raisonnable.
Recommandation 40 : Que le gouvernement crée un comité d'experts et de professionnels pour examiner l'enjeu des seuils de francisation nécessaires pour l'obtention d'un Certificat de sélection du Québec.
Recommandation 41 : Que le gouvernement du Québec instaure des examens de français conditionnels à l'obtention du Certificat de sélection du Québec, qu'ils soient conçus au Québec, qu'ils évaluent le français parlé au Québec et qu'ils soient corrigés au Québec.
d. Orientation 4 : accroître la permanence de personnes déjà présentes
e. Orientation 5 : prioriser l'immigration économique dans les admissions permanentes
Recommandation 42 : Que le gouvernement du Québec établisse des seuils d'immigration économique qui tiennent réellement compte du nombre important de personnes immigrantes susceptibles d'obtenir leur Certificat de sélection du Québec par le biais du PEQ.
f. Orientation 6 : favoriser les personnes résidentes dans les programmes d'immigration humanitaire
Recommandation 43 : Que le gouvernement du Québec permette aux personnes demandeuses d'asile d'accéder à l'ensemble des services publics, incluant les services de santé et les garderies subventionnées.
Recommandation 44 : Que le gouvernement du Québec ajuste les seuils du regroupement familial à la réalité des personnes demandeuses provenant de l'immigration temporaire et rétablisse les cibles d'immigration pour les personnes réfugiées, notamment le nombre accepté dans le cadre du parrainage privé, lors des prochaines consultations pluriannuelles sur l'immigration.
Recommandation 45 : Que le gouvernement du Québec facilite la mise en place rapide d'un programme de régularisation inclusif, en collaboration avec la société civile, pour les personnes immigrantes sans statut du Québec.
Recommandation 46 : Que le gouvernement du Québec fasse pression sur le gouvernement du Canada afin que le programme de régularisation soit véritablement inclusif, notamment en minimisant les exigences d'admissibilité et en simplifiant le processus administratif de demande.
Recommandation 47 : Que la Loi sur les accidents de travail et maladie professionnelle soit modifiée afin que les travailleuses et travailleurs domestiques n'ayant pas travaillé le nombre d'heures requis puissent être couverts en tant que travailleuses et travailleurs autonomes.
Conclusion
Se doter d'une véritable politique visionnaire en immigration c'est convenir de prendre tous les moyens qui sont mis à la disposition de l'État du Québec pour s'assurer du succès de cette démarche. Des centaines de milliers de personnes ont mis ou mettront entre nos mains leurs destinées et leurs projets de vie et il importe de les considérer d'une manière digne en agissant avec diligence dans leurs processus d'immigration et d'intégration.
Nous devons leur ouvrir nos portes en protégeant aussi ce que nous sommes et nous distingue en Amérique du Nord. La langue française est minoritaire sur le continent nord-américain et nous devons y prendre soin. En contrepartie, cela requiert aussi de la part de la société d'accueil des marques de respect et d'intégrité pour ces nouvelles personnes immigrantes. La FTQ est heureuse de partager avec le MIFI et la commission parlementaire ses commentaires et résolutions avec l'espoir qu'ils permettront d'améliorer le processus d'immigration et d'accueil du Québec. Elle considère qu'il existe encore des moyens pour humaniser davantage cette expérience, de lui permettre d'assurer la protection des droits des travailleuses et des travailleurs étrangers, et en favorisant également la francisation de ces nouvelles Québécoises et nouveaux Québécois.
La FTQ considère que l'immigration est davantage qu'un processus économique visant à suppléer aux besoins de main-d'œuvre. Les personnes immigrantes contribuent à la richesse du Québec notamment par des apports culturels importants venant ainsi enrichir avec de nouveaux mots l'accent québécois déjà riche en expressions variées.
Par le truchement de cette consultation et en intégrant plusieurs des recommandations mentionnées par les parties intéressées lors de cette commission parlementaire, nous pourrons démontrer que le Québec est une société ouverte, inclusive et bienveillante.
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Tête-à-tête avec Éric Gingras, président de la CSQ : les leçons à tirer du passé pour relever les défis à venir
Dans ce troisième et dernier article, le président de la CSQ, Éric Gingras, répond à des questions plus personnelles et fait le point sur ses quatre années à la tête de la Centrale. Il nous livre également son analyse de ce qui nous attend au cours de l'année à venir, dans le contexte d'une élection générale au Québec, qui approche à grands pas.
Propos recueillis par Léanne Fiset-Gingras et Laurianne Veilleux.
« Ce dont je suis le plus fier, c'est le retour du nous, chez les travailleuses et les travailleurs, auquel nous avons assisté durant les dernières négociations en front commun. Ça faisait 20 ans qu'on n'avait pas vu ça : des personnes syndiquées qui s'élevaient au-dessus de leur propre catégorie d'emploi, pour revendiquer des améliorations dans l'intérêt commun de toutes et tous. », Éric Gingras, président de la CSQ.
Contexte politique et élections
Au Québec, l'année politique à venir s'annonce particulièrement chargée. Traditionnellement, la Centrale évite de prendre publiquement position en faveur ou contre des partis engagés dans la joute électorale. La CSQ prévoit-elle, cette fois-ci, adopter une approche différente à l'égard de la campagne électorale ?
Nous sommes toujours à l'étape de définir notre stratégie pour les mois à venir. Est‑ce que nous allons y prendre part ? La réponse est oui, certainement. Nous allons mettre en lumière les plateformes des différents partis et travailler afin de les amener à prendre position publiquement sur les enjeux qui touchent les travailleuses et les travailleurs du secteur public, particulièrement en éducation et en santé.
Au Québec comme ailleurs, les idées de droite gagnent en popularité et les discours décomplexés se multiplient, notamment auprès des jeunes et chez certains chroniqueurs qui remettent en question le rôle des centrales syndicales. Dans ce contexte, comment vois-tu l'avenir des organisations syndicales ?
C'était le thème de notre 44e congrès, l'été dernier : la confiance envers nos institutions. Dans ce contexte, nous n'avons pas d'autres choix que de favoriser nos liens au Québec et au Canada, mais également ailleurs dans le monde. Notre réponse à cette montée de la droite, ce sont nos alliances. Ce sont elles qui nous permettent d'aller à contre-courant de l'individualisme en mobilisant nos forces ensemble. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les organisations syndicales ont décidé de tenir, sous le thème L'union fait l'avenir !, de grands états généraux sur le syndicalisme qui se déroulent en 2025-2026. L'idée est d'oublier nos différences pour se concentrer sur ce qui nous unit et renouveler ainsi notre discours commun. Ensemble, nous voulons répondre d'une voix forte au courant individualiste en lui opposant une vraie solidarité qui bénéficie à toutes et tous.
Regard sur les dernières années
Éric, tu es arrivé à la CSQ avec la volonté d'une nouvelle approche syndicale, privilégiant le recours au dialogue social avec le gouvernement plutôt que la confrontation. Quatre ans plus tard, quel bilan fais-tu de cette approche ?
De prime abord, force est de constater que, pour qu'il y ait un dialogue, il faut qu'il y ait une volonté de part et d'autre de discuter. Ce qui n'a malheureusement pas toujours été le cas avec le gouvernement en place.
Cependant, je demeure convaincu que l'appel au dialogue social est la voie qu'il faut continuer de privilégier. Le ton que l'on prend est très important. Plusieurs de nos membres nous ont d'ailleurs fait part de leur satisfaction quant à notre façon de travailler. Ils apprécient cette forme de syndicalisme qui avance des solutions concrètes au gouvernement plutôt que d'être continuellement en opposition systématique. Toutefois, être présent et bien vulgariser les enjeux n'empêche pas, à l'occasion si nécessaire, d'être virulent et d'énoncer fermement ce dont on a besoin. C'est comme ça qu'on reste crédible dans l'espace public et ça, j'y crois encore beaucoup.
Le dialogue social implique également de coopérer avec des représentants de tous les partis politiques. Mais ce dialogue est aujourd'hui fragilisé parce que le gouvernement actuel refuse la discussion et cherche plutôt à sanctionner les personnes mobilisées, en particulier les organisations syndicales. On assiste à un véritable dialogue de sourds, avec des interlocuteurs gouvernementaux fermés au dialogue. Le modèle syndical fonctionne, mais le dialogue social, lui, reste un tout autre défi.
Est-ce que l'approche du dialogue social avec un gouvernement caquiste demeure un objectif atteignable et réaliste ?
Il est clair que le réalisme nous a définitivement rattrapés à l'issue des dernières négociations. Le premier ministre n'a pas encore digéré la défaite qu'il a subie face au Front commun et il continue de nous le faire payer. Je continue de croire que l'avenir nous réserve d'autres moments de dialogue social, mais je demeure pragmatique. Quand on voit un ministre du Travail, avec qui nous avions pourtant de bonnes relations, déposer un projet de loi aussi antisyndical que le PL 89, alors il y a lieu de troquer une certaine dose d'idéalisme pour un peu plus de réalisme.
Comptes-tu renouveler l'expérience du Front commun lors de la prochaine négociation du secteur public ?
Il est trop tôt pour le dire mais une chose est certaine, les dernières négociations du secteur public ont envoyé un signal fort au gouvernement : les organisations syndicales au Québec ne sont pas prêtes à baisser les bras et sont capables de se mobiliser pour défendre le bien commun. Donc oui, nous sommes déterminés et oui, nous allons nous battre encore ensemble si c'est la volonté commune des autres organisations et des membres.
Éric, depuis ton arrivée, plusieurs objectifs ont été atteints, notamment en renforçant la présence de la CSQ sur les réseaux sociaux. Quelle est ta vision pour les prochaines années et dans quelle direction souhaites-tu amener la Centrale ?
Selon moi, il y a deux choses importantes, indépendamment de la conjoncture politique. D'abord, le rôle d'influence que nous devons exercer auprès des décideurs, mais également auprès de la population. Aujourd'hui, quand on entend parler de la CSQ, on entend parler de solutions et de propositions concrètes, et non pas seulement de revendications.
Ensuite, on ne peut pas échapper à l'importance de la cohésion de notre organisation. Si nous voulons exercer une influence dans la société, il faut nécessairement que nous soyons unis et solidaires les uns envers les autres au sein de notre organisation. C'est pour cette raison que nous faisons autant d'efforts pour maintenir la cohésion chez nos membres, notamment se présenter forts et unis au prochain rendez-vous de la négociation du secteur public.
La cohésion interne, c'est fondamental si on veut continuer à parler d'une voix forte et crédible comme centrale syndicale.
Face à la diversité des revendications et à l'arrivée constante d'enjeux nombreux et complexes, qu'est-ce qui guide ta réflexion et tes décisions au quotidien ?
Chaque matin, je pense à nos fédérations et à nos affiliés. Quand on prend une décision, c'est avant tout à eux que je pense. Je me demande comment ils vont en bénéficier et quels seront pour eux les impacts. Chaque jour, mon premier souci est de m'assurer que nos membres sont bien représentés, bien entendus, et surtout, solidement soutenus dans toutes leurs revendications.
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Réforme Boulet : Dites Non au PL 101
Alors que le Québec s'en allait enfin vers une législation sensée, qui obligerait tous les milieux de travail sans exception à se doter de mécanismes de prévention, le PL 101 chamboule tout et instaure un régime de prévention à deux vitesses en minimisant les obligations en matière de prévention des établissements de santé, de services sociaux et de l'éducation. Voici ce qu'il faut savoir.
En bref
Moins de prévention et de participation
Le PL101 affaiblit nettement les outils de prévention et la participation des travailleur·se·s de la santé et des services sociaux à la protection de leur santé et de leur sécurité au travail.
Les établissements ne seront plus obligés de collaborer avec les représentant·e·s des travailleur·se·s pour élaborer et mettre en œuvre leur programme de prévention. Ces dernier·ère·s n'auront par exemple plus leur mot à dire sur le choix des équipements de protection ou les formations en santé et sécurité du travail (SST).
Les représentant·e·s en santé et sécurité (RSS) auront des responsabilités limitées et moins de temps pour les exercer. Il·elle·s ne pourront pas, par exemple, participer aux enquêtes d'accidents.
Il en va de même pour les comités de santé et sécurité (CSS), qui compteront en outre moins de représentant·e·s des travailleur·se·s.
Ces mesures auront des conséquences graves : elles empêcheront notamment la tenue d'un registre d'accidents et ralentiront les inspections et l'identification des risques.
Une réforme discriminatoire
Ce projet de loi nuit aux femmes puisqu'il vise des milieux de travail majoritairement féminins, et ce, bien qu'un niveau de risque élevé y soit désormais reconnu. S'il est adopté dans sa forme actuelle, les travailleuses seront privées de protections dont bénéficiera encore le personnel des milieux à prédominance masculine.
Dites Non au PL101 !
Alors que le gouvernement prétend être un employeur de choix, il se dérobe aux obligations qu'il impose à tous les autres employeurs du Québec. C'est inacceptable ! Faites-le lui savoir en répondant « Complètement en désaccord » à la question 1 de ce formulaire en ligne.
Pour la petite histoire
La création du régime québécois de santé et de sécurité du travail en 1979 avait introduit des mécanismes de prévention et de participation obligatoires, réservés aux milieux jugés plus à risque, comme ceux de la construction et de l'industrie, alors majoritairement masculins. Le réseau de la santé et des services sociaux, pourtant à haut risque, en était exclu. Après plus de 40 ans de mobilisation, la réforme de 2021 (Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail) visait à rendre ces mécanismes obligatoires pour tous les milieux de travail. Aujourd'hui, le ministre Boulet tente d'en priver le réseau de la santé et des services sociaux. Disons NON au PL 101 !
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Travail non payé dans l’industrie aérienne : les agents de bord d’Air Transat pressent la ministre Hajdu de respecter sa promesse
Dans la foulée de la grève des agents de bord d'Air Canada, les agentes et agents de bord d'Air Transat veulent s'assurer que la mobilisation contre le travail non rémunéré se traduise en actions concrètes. Leur syndicat, la Composante d'Air Transat du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), a fait parvenir une lettre à la ministre de l'Emploi, Patty Hajdu, lui demandant de tenir sa promesse de mettre fin à cette pratique.
À l'instar d'Air Canada, Air Transat et d'autres transporteurs canadiens continuent d'exiger de leurs équipages des tâches essentielles au sol – préparation des cabines, vérifications de sécurité, embarquement, responsabilités post-vol – sans que celles-ci soient rémunérées.
« Madame la ministre a eu raison d'affirmer que personne ne devrait travailler gratuitement au Canada. Il est temps que ces paroles se traduisent en mesures législatives et réglementaires applicables à toutes les compagnies aériennes. Nos membres veulent simplement être payés pour chaque minute de travail qu'ils accomplissent, au même titre que n'importe quel autre travailleur au pays », a déclaré Marie-Hélène Nadeau, présidente de la Composante d'Air Transat du Syndicat Canadien de la Fonction Publique.
Le SCFP-Québec rappelle que la reconnaissance et la rémunération de l'ensemble des heures travaillées est une question d'équité, mais aussi de sécurité pour les passagers. « Les agents de bord à travers le pays sont unis dans ce combat, peu importe la compagnie pour laquelle ils travaillent. Nous appelons la ministre Hajdu à faire preuve de leadership et à établir un précédent historique », conclut Mme Nadeau.
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Soutien à l’Ukraine résistante : le numéro 41 est disponible en téléchargement gratuit
Les Brigades éditoriales de solidarité ont été créées au lendemain de l'agression de la Russie poutinienne contre l'Ukraine. Elles regroupent les éditions Syllepse (Paris), Page 2 (Lausanne), M Éditeur (Montréal), Spartacus (Paris) et Massari (Italie), les revues New Politics (New York), Les Utopiques (Paris) et ContreTemps (Paris), les sites À l'encontre (Lausanne), Europe solidaire sans frontières (Paris), Trasversales (Madrid) et Presse-toi à gauche (Québec), les blogs Entre les lignes entre les mots (Paris) et Utopia Rossa, ainsi que le Centre Tricontinental (Louvain-la-Neuve) et le Réseau syndical international de solidarité et de luttes.
Le numéro 41 de la revue est maintenant disponible et vous pouvez le télécharger en suivant ce lien. Ce numéro spécial porte sur les journées de juillet. Pour la première fois depuis le début de l'invasion à grande échelle par la Russie en février 2022, l'Ukraine a vu une partie de sa population descendre dans la rue et exprimer sa colère vis-à-vis de sa classe politique et en particulier de son président Volodymyr Zelensky, qui était resté jusque-là plutôt populaire.
Les 22, 23, 24 et 25 juillet, malgré une loi martiale interdisant les manifestations, des milliers de personnes se sont réunies dans plusieurs villes du pays, dans la capitale de Kyiv mais aussi dans des villes comme Sumy ou Kharkiv qui continuent de subir bombardements et tirs de missiles quotidiennement, de nuit comme de jour.
Plusieurs contributions sont présentées dans ce numéro afin de bien comprendre ce que signifient ces nouvelles mobilisations dans un contexte de guerre.
gauche.media
Gauche.media est un fil en continu des publications paraissant sur les sites des médias membres du Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG). Le Regroupement rassemble des publications écrites, imprimées ou numériques, qui partagent une même sensibilité politique progressiste. Il vise à encourager les contacts entre les médias de gauche en offrant un lieu de discussion, de partage et de mise en commun de nos pratiques.











