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Portrait des Québécoises édition 2024 – Violence

29 avril, par Conseil du statut de la femme — , ,
Le CSF a rendu publique la plus récente édition du Portrait des Québécoises. Grâce à différents indicateurs statistiques, l'édition 2024 brosse un portrait de l'ampleur et de (…)

Le CSF a rendu publique la plus récente édition du Portrait des Québécoises. Grâce à différents indicateurs statistiques, l'édition 2024 brosse un portrait de l'ampleur et de l'évolution de la violence faite aux femmes au Québec.

Tiré de l'Infolettre de L'R des Centres de femmes Nouvel'R du 23 avril 2025

Il aborde plus spécifiquement :

• la violence dans les relations intimes

• la violence sexuelle

• la violence dans différents contextes, soit en milieu sportif, en milieu de travail et en ligne

• les féminicides.

Violence conjugale

Selon la définition retenue par le gouvernement du Québec en 1995, la violence conjugale « se caractérise par une série d'actes répétitifs, qui se produisent généralement selon une courbe ascendante […]. Elle ne résulte pas d'une perte de contrôle, mais constitue [plutôt] un moyen choisi pour dominer l'autre personne et affirmer son pouvoir sur elle ». La violence conjugale peut prendre plusieurs formes (psychologique, économique, physique, sexuelle, etc.) et survenir au cours d'une relation intime ou à son terme.

L'Enquête québécoise sur la violence commise par des partenaires intimes 2021-2022 montre que 40 % des femmes et 26 % des hommes de 18 ans et plus déclarent avoir subi au moins un acte de violence entre partenaires intimes au cours de leur vie. Elle ne permet toutefois pas de distinguer les actes de violence conjugale de l'ensemble des actes violents pouvant être commis entre partenaires intimes.

D'après les données du Programme de déclaration uniforme de la criminalité (DUC), le nombre d'infractions commises en contexte conjugal qui font l'objet d'un signalement et qui sont déclarées par la police est en hausse.

Le taux de femmes victimes d'infractions commises en contexte conjugal passe globalement de 451 à 520 femmes sur 100 000 de 2005 à 2022.

Les femmes constituent 75 % des victimes d'infractions commises en contexte conjugal.

La proportion de femmes victimes d'infractions commises en contexte conjugal est supérieure dans les catégories d'infractions plus graves.

En 2022, les femmes représentent :

100 % des victimes d'homicides ;
96 % des victimes d'agressions sexuelles ;
93 % des victimes d'enlèvement, de traite ou de séquestration.

Violence sexuelle

« […] le concept de violence sexuelle […] fait notamment référence aux problématiques d'agression sexuelle, d'exploitation sexuelle et de harcèlement sexuel » et dont les manifestations sont « ancrées dans une dynamique de rapport de force » (Stratégie gouvernementale intégrée pour contrer la violence sexuelle). Différentes enquêtes récentes permettent d'en prendre la mesure.

L'Enquête québécoise sur la santé des jeunes du secondaire révèle que :

15 % des filles et 3 % des garçons de 14 ans et plus déclarent, en 2020-2023, avoir déjà été forcés à avoir une relation sexuelle ;

la proportion de filles qui disent avoir déjà vécu cette situation est passée de 10 % à 15 % entre 2010-2011 et 2022-2023.

Selon l'Enquête sur la sécurité dans les espaces publics et privés de 2018, réalisée par Statistique Canada :

25 % des femmes et 6 % des hommes déclarent avoir subi au moins une agression sexuelle depuis l'âge de 15 ans ;

les femmes qui sont plus susceptibles d'avoir subi cette forme de violence sont : celles appartenant à un groupe minoritaire en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre (41 % c. 25 % pour les femmes hétérosexuelles et cisgenres) ;

celles ayant une incapacité (32 % c. 21 % n'ayant pas d'incapacité).

Les données du Programme DUC relatives aux infractions qui font l'objet d'un signalement et qui sont déclarées par la police montrent que :

les femmes représentent 87 % des victimes d'infractions sexuelles en 2022 et d'infractions liées à l'exploitation sexuelles en 2019 ;

le nombre d'infractions sexuelles signalées par des femmes et déclarées par la police est en hausse, notamment dans la foulée des dénonciations en ligne (2016-2018) et de la pandémie de COVID-19 (2020-2022). Il passe de 4 751 en 2015 à 7 470 en 2018 et à 10 334 en 2022 ;

l'auteur présumé est un homme dans 95 % des infractions sexuelles en 2022 et 86 % des infractions liées à l'exploitation sexuelle en 2019 ;

l'auteur présumé fait partie de l'entourage de la victime dans 90 % des infractions sexuelles en 2022 et 71 % des infractions liées à l'exploitation sexuelle en 2019.

Violence dans différents contextes

En milieu sportif

Chez les jeunes du secondaire de 14 ans et plus pratiquant un sport organisé en 2022-2023, les adolescentes sont proportionnellement plus nombreuses que les adolescents à affirmer avoir subi de la violence psychologique, instrumentale ou sexuelle (d'après l'Étude sur le vécu des adolescents et adolescentes dans les milieux sportifs au Québec).

En milieu de travail

15 % des femmes ont déclaré, en 2020-2021, avoir vécu du harcèlement psychologique ou sexuel au travail dans la dernière année, comparativement à 11 % des hommes (selon les données de l'Enquête québécoise sur la santé de la population).

25 % des femmes et 13 % des hommes ont affirmé avoir subi, en 2018, au moins un comportement sexuel non désiré au travail au cours des 12 derniers mois (selon les données de l'Enquête sur la sécurité dans les espaces publics et privés).

En ligne

15 % des femmes et 12 % des hommes ont déclaré, en 2018, avoir subi au moins un comportement non désiré en ligne au cours des 12 derniers mois.

Certaines femmes sont proportionnellement plus nombreuses à rapporter avoir subi au moins un comportement non désiré en ligne :

celles issues de minorités en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre (31 % c. 14 % pour les femmes hétérosexuelles et cisgenres) ;

celles ayant une incapacité (22 % c. 11 % pour celles n'ayant pas d'incapacité) ;

celles appartenant à une minorité visible (20 % c. 14 % pour celles n'appartenant pas à une minorité visible).

Source : Enquête sur la sécurité dans les espaces publics et privés.

Les féminicides

On définit le féminicide comme le meurtre d'une femme ou d'une fille en raison de son sexe. Les féminicides ne sont pas reconnus comme des crimes distincts dans le Code criminel du Canada, de sorte qu'aucune donnée ne permet d'en comptabiliser officiellement les occurrences. Des données sont toutefois disponibles sur les femmes victimes d'un meurtre.

En 2022 au Québec :

19 femmes ou filles ont été tuées par un accusé de sexe masculin (données de l'Observatoire canadien du fémicide pour la justice et la responsabilisation).

13 femmes ont été tuées en contexte conjugal (données du Programme DUC).

Pour en savoir plus sur la violence faite aux femmes, consultez ces productions du CSF :

50 ans d'évolution en matière d'égalité entre les femmes et les hommes – Section 2.3 (« Violence »)

L'avis sur le recours à la justice réparatrice par des femmes qui ont déjà subi de la violence conjugale

L'étude sur les femmes et le sport – Section 2.2. (« La sécurité des filles et des femmes dans le milieu sportif »)

L'étude sur les personnes victimes d'agressions sexuelles ou de violence conjugale face au système de justice pénale

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Le projet de loi 94 ou comment priver des femmes de leurs droits

29 avril, par Collectif — , ,
Nous, groupes féministes de tous horizons, dénonçons avec force l'interdiction du port de signes religieux dans le réseau de l'éducation proposée par le projet de loi 94 du (…)

Nous, groupes féministes de tous horizons, dénonçons avec force l'interdiction du port de signes religieux dans le réseau de l'éducation proposée par le projet de loi 94 du ministre de l'Éducation, Bernard Drainville. Cette nouvelle loi élargirait la portée de mesures discriminatoires introduites par la loi 21, qui proscrit déjà aux figures d'autorité et aux personnes enseignant dans le réseau public de porter des signes religieux visibles. Désormais, cette interdiction s'étendrait aux étudiant·es, aux parents, à l'ensemble du personnel scolaire et aux personnes travaillant dans le cadre d'ententes avec les établissements scolaires. Cela, alors même que la constitutionnalité de telles mesures est actuellement contestée devant la Cour suprême du Canada.

Une lettre ouverte du Réseau des Tables régionales de groupes de femmes du Québec, de la Fédération des femmes du Québec et de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes, appuyée par 17 autres groupes signataires, dont L'R des centres de femmes du Québec.

Lettre ouverte ― Le projet de loi 94 ou comment priver des femmes de leurs droits

Lettre ouverte au ministre de l'Éducation, Bernard Drainville
Nous, groupes féministes de tous horizons, dénonçons avec force l'interdiction du port de signes religieux dans le réseau de l'éducation proposée par le projet de loi 94 du ministre de l'Éducation, Bernard Drainville. Cette nouvelle loi élargirait la portée de mesures discriminatoires introduites par la loi 21, qui proscrit déjà aux figures d'autorité et aux personnes enseignant dans le réseau public de porter des signes religieux visibles. Désormais, cette interdiction s'étendrait aux étudiants, aux parents, à l'ensemble du personnel scolaire et aux personnes travaillant dans le cadre d'ententes avec les établissements scolaires. Cela, alors même que la constitutionnalité de telles mesures est actuellement contestée devant la Cour suprême du Canada.

Le gouvernement prétend agir au nom de l'égalité entre les femmes et les hommes pour justifier son projet de loi. Nous nous y opposons fermement justement parce que nous défendons les droits de toutes les femmes à l'égalité, à la sécurité, à l'autonomie et au travail. Pour les femmes pratiquant diverses religions, c'est l'ensemble de ces droits qui seront à nouveau fragilisés, tout comme ils le furent avec l'adoption de la loi 21. La Cour supérieure du Québec a d'ailleurs reconnu l'effet disproportionné de cette loi sur les femmes musulmanes.

La loi 21 adoptée en 2019 a eu de multiples conséquences négatives directes et indirectes, frappant principalement les femmes québécoises musulmanes portant le voile, surtout dans le milieu de l'éducation, mais affectant même celles ne le portant pas. Comme le témoignent plusieurs femmes, l'interdiction du port de signes religieux a des impacts désastreux sur leur parcours professionnel, les limite dans leurs choix de carrière et porte atteinte à leur sécurité économique. À cela s'ajoute une augmentation des violences psychologiques et physiques à leur endroit. Ces femmes, bien souvent racisées, relatent vivre plus de harcèlement au travail et être davantage les cibles d'intimidation et d'insultes dans l'espace public ou sur les réseaux sociaux. Elles doivent constamment faire preuve de stratégies et d'hypervigilance pour faire face à l'exclusion, la discrimination et la haine légitimées par cette loi.

Tous ces contrecoups ont amené les femmes musulmanes à se sentir écartées de la vie publique et exclues de la société québécoise. Selon une étude de Metropolis, 64 % d'entre elles ont vu leur volonté de participer à la vie sociale et politique diminuer depuis l'adoption de la loi 21. Au lieu de favoriser l'inclusion et l'harmonie sociale, qui sont les objectifs déclarés de nos dirigeants politiques, cette loi a eu précisément l'effet inverse.

Sachant toutes ces répercussions, comment le ministre Drainville ose-t-il déposer le projet de loi 94 ? Plutôt que de remettre en question la loi 21, il redouble d'ardeur. Il propose d'étendre l'insécurité aux femmes portant le voile et travaillant notamment au service de garde, à la cafétéria, comme conseillères pédagogiques, comme psychologues ou s'impliquant comme parents bénévoles ; des rôles essentiels à notre réseau d'éducation publique. Jusqu'où ce gouvernement ira-t-il ? Où ces femmes ont-elles encore le droit d'exister, de travailler et de s'épanouir ?

De surcroît, la Ligue des droits et libertés nous alerte que le projet de loi 94 fera fi de 38 articles de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, dont précisément le droit à l'égalité ! En tant que groupes féministes, nous refusons une telle vision sélective de l'égalité qui nie ce droit à certaines catégories de femmes. Le féminisme que nous défendons est un féminisme de l'autonomie, du respect et de la dignité. Il est intersectionnel, antiraciste et solidaire.

Notre constat est clair : le projet de loi 94 du ministre Drainville étend la portée de mesures discriminatoires ayant un impact disproportionné sur les femmes et, pour ce faire, contourne la Charte, un levier juridique qui a historiquement permis aux femmes d'améliorer leurs conditions de vie et le respect de leurs droits. C'est pourquoi il est hautement contradictoire d'affirmer que ce projet est motivé par l'égalité entre les femmes et les hommes. À cet égard, nous déplorons que les groupes féministes critiques de la loi 21 et du projet de loi 94 n'aient pas été invités en commissions parlementaires.

Les femmes musulmanes décident de porter le voile pour de multiples raisons et adhèrent fortement aux valeurs touchant l'égalité des genres. Nous, groupes féministes, soutenons leur autonomie et rejetons toute imposition de porter ou de retirer le voile. Au nom de l'égalité, nous demandons au ministre Drainville de retirer le projet de loi 94 et d'abroger la loi 21, d'engager un véritable dialogue avec les organisations musulmanes et féministes et de garantir l'accès à l'école sans condition religieuse.

Signé par :

Audrey Gosselin Pellerin, organisatrice féministe politique
Réseau des Tables régionales de groupes de femmes du Québec

Sara Arsenault, responsable des dossiers politiques
Fédération des femmes du Québec

Stephan Reichhold, directeur général
Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes

Et 17 autres groupes signataires :

Fédération des maisons d'hébergement pour femmes

L'R des centres de femmes du Québec

Conseil d'intervention pour l'accès des femmes au travail (CIAFT)

L'Observatoire pour la justice migrante

DTMF – Association pour les droits des travailleur•ses de maison et de ferme

Réseau québécois d'action pour la santé des femmes (RQASF)

Regroupement Naissances Respectées

Le conseil canadien des femmes musulmanes

YWCA

Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN)

L'Association canadienne contre la violence sexuelle

DAWN Canada

Co-Savoir

Regroupement québécois des CALACS

Fonds d'action et d'éducation juridique pour les femmes (FAEJ)

Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI)

Relais-femmes

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Jorge Bergoglio, contre l’idolâtrie du capital

Avec la mort de Jorge Bergoglio, le pape François, disparaît une figure peu commune, qui se distinguait, dans une Italie gouvernée par les néofascistes, et une Europe de plus (…)

Avec la mort de Jorge Bergoglio, le pape François, disparaît une figure peu commune, qui se distinguait, dans une Italie gouvernée par les néofascistes, et une Europe de plus en plus réactionnaire, par un engagement éthique, social et écologique surprenant.

Billet de blog 22 avril 2025
https://blogs.mediapart.fr/michael-lowy/blog/220425/jorge-bergoglio-contre-lidolatrie-du-capital

Avec la mort de Jorge Bergoglio, le pape François, disparaît une figure peu commune, qui se distinguait, dans une Italie gouvernée par les néofascistes, et une Europe de plus en plus réactionnaire, par un engagement éthique, social et écologique surprenant.

Depuis que Pie XII a excommunié les communistes, la gauche ne pouvait s'attendre qu'à des anathèmes du Vatican. Jean-Paul II et Ratzinger n'ont-ils pas persécuté les théologiens de la libération, accusés d'utiliser des concepts marxistes ? N'ont-ils pas tenté d'imposer à Leonardo Boff un « silence obéissant » ? Certes, depuis le XIXe siècle, il y a toujours eu des courants de gauche dans le catholicisme, mais ils n'ont rencontré que l'hostilité des autorités romaines. D'autre part, les courants cléricaux critiques à l'égard du capitalisme étaient généralement assez réactionnaires. Critiquant le socialisme féodal ou clérical dans Le Manifeste communiste, Marx et Engels constataient « son incapacité absolue à comprendre le cours de l'histoire » ; mais ils reconnaissaient dans ce mélange « d'échos du passé et de grondements du futur » une « critique mordante et spirituelle » qui pouvait parfois « frapper la bourgeoisie en plein cœur ».

Max Weber propose une analyse plus générale de la relation entre l'Église et le capital : dans ses travaux sur la sociologie des religions, il constate la « profonde aversion » (tiefe Abneigung) de l'éthique catholique envers l'esprit du capitalisme, malgré les adaptations et les compromis. C'est une hypothèse à prendre en compte pour comprendre ce qui s'est passé à Rome avec l'élection du pape argentin.
1. Jorge Bergoglio, le pape François

Que pouvions-nous attendre du cardinal Jorge Bergoglio, élu Pontifex Maximum en mars 2013 ? Certes, il était latino-américain, ce qui restait un signe de changement. Mais il avait été élu par le même conclave qui avait intronisé le conservateur Ratzinger, et il venait d'Argentine, un pays où l'Église n'est pas réputée pour son progressisme, plusieurs de ses dignitaires ayant activement collaboré avec la dictature militaire sanglante. Ce n'était pas le cas de Bergoglio : selon certains témoignages, il aurait même aidé des personnes persécutées par la junte à se cacher ou à quitter le pays. Mais il ne s'est pas non plus opposé au régime : un « péché d'omission », pourrait-on dire. Alors que certains chrétiens de gauche, comme Adolfo Pérez Esquivel (prix Nobel de la paix), l'ont toujours soutenu, d'autres le considéraient comme un opposant de droite au gouvernement des « péronistes de gauche » Néstor et Cristina Kirchner.

Quoi qu'il en soit, une fois élu, François – nom qu'il a choisi en référence à saint François, l'ami des pauvres et des oiseaux – s'est immédiatement distingué par sa position courageuse et engagée. D'une certaine manière, il rappelle le pape Roncalli, Jean XXIII : élu « pape de transition » pour garantir la continuité et la tradition, il a initié le changement le plus profond de l'Église depuis des siècles : le concile Vatican II (1962-65). Bergoglio avait d'ailleurs initialement pensé prendre le nom de « Jean XXIV » pour honorer son prédécesseur des années 1960.

Le premier voyage du nouveau pontife hors de Rome a eu lieu en juillet 2013 dans le port italien de Lampedusa, où des centaines de migrants clandestins arrivaient, tandis que beaucoup d'autres se noyaient en Méditerranée. Dans son homélie, il n'a pas hésité à s'opposer au gouvernement italien - et à une grande partie de l'opinion publique - en dénonçant la « mondialisation de l'indifférence » qui nous rend « insensibles aux cris des autres », c'est-à-dire au sort des « immigrants morts en mer, dans ces embarcations qui, au lieu d'être un chemin d'espoir, étaient un chemin de mort ». Il reviendra à plusieurs reprises sur cette critique de l'inhumanité de la politique européenne envers les migrants.

En ce qui concerne l'Amérique latine, un changement notable s'est également produit. En septembre 2013, François a rencontré Gustavo Gutiérrez, fondateur de la théologie de la libération, et le quotidien du Vatican Osservatore Romano a publié pour la première fois un article favorable à ce penseur. Un autre geste symbolique a été la béatification, puis la canonisation, de l'archevêque Romero du Salvador, assassiné en 1980 par les militaires pour avoir dénoncé la répression anti-populaire, un héros célébré par la gauche catholique latino-américaine mais ignoré par les pontifes précédents. Lors de sa visite en Bolivie en juillet 2015, Bergoglio a rendu un hommage intense et vibrant à la mémoire de son compagnon jésuite Luis Espinal Camps, prêtre missionnaire, poète et cinéaste espagnol assassiné sous la dictature de Luis García Meza le 21 mars 1980 pour son engagement dans les luttes sociales. Lors de sa rencontre avec Evo Morales, le président socialiste bolivien lui a offert une sculpture réalisée par le martyr jésuite : une croix appuyée sur une faucille et un marteau en bois...

Lors de sa visite en Bolivie, François s'est rendu à une rencontre mondiale des mouvements sociaux dans la ville de Santa Cruz. Son discours à cette occasion illustre la « profonde aversion » pour le capitalisme dont parlait Max Weber, mais à un degré jamais atteint par aucun de ses prédécesseurs. Voici un passage désormais célèbre de son discours :

« Nous punissons la terre, les peuples et les individus d'une manière presque sauvage. Et derrière tant de douleur, tant de mort et de destruction, il y a l'odeur de ce que Basile de Césarée appelait « le fumier du diable » ; l'ambition effrénée de l'argent qui gouverne. Le service du bien commun passe au second plan. Lorsque le capital s'érige en idole et domine toutes les options humaines, lorsque la cupidité de l'argent guide tout le système socio-économique, il ruine la société, condamne l'homme, le transforme en esclave, détruit la fraternité entre les hommes, oppose les peuples entre eux et, comme nous le voyons, met même en danger notre maison commune ».

Comme on pouvait s'y attendre, l'approche de François a rencontré une résistance considérable dans les secteurs les plus conservateurs de l'Église. L'un des opposants les plus actifs est le cardinal américain Raymond Burke, fervent partisan de Donald Trump, qui a également pris contact, lors d'un voyage en Italie, avec Matteo Salvini, le leader de la Ligue du Nord... Certains de ces opposants accusent le nouveau pontife d'être un hérétique, voire un... marxiste déguisé.

Lorsque Rush Linebaugh, un journaliste catholique réactionnaire (américain), l'a qualifié de « pape marxiste », François a répondu en réfutant poliment cet adjectif, tout en ajoutant qu'il ne se sentait pas offensé car « il connaissait beaucoup de marxistes qui étaient de bonnes personnes ». En effet, en 2014, le pape a reçu en audience deux éminents représentants de la gauche européenne : Alexis Tsipras, alors chef de l'opposition au gouvernement de droite d'Athènes, et Walter Baier, coordinateur du réseau Transform, formé par des fondations culturelles liées au Parti de la gauche européenne (comme la Fondation Rosa Luxemburg en Allemagne). À cette occasion, il a été décidé d'entamer un processus de dialogue entre marxistes et chrétiens, qui s'est concrétisé par plusieurs rencontres, dont une université d'été commune en 2018 sur l'île de Syros, en Grèce. En 2014, le pape a reçu une délégation des participants (chrétiens et marxistes) à ce dialogue (dont l'auteur de la présente note).

Il est vrai que lorsqu'il s'agit du droit des femmes à disposer de leur propre corps et de la morale sexuelle en général – contraception, avortement, divorce, homosexualité – François s'en tient aux positions conservatrices de la doctrine de l'Église. Mais il y a quelques signes d'ouverture, dont le violent conflit de 2017 avec la direction de l'Ordre de Malte, une institution riche et aristocratique de l'Église catholique, est un symptôme frappant. Le Grand Maître ultra-conservateur de l'Ordre, le prince (?!) Matthew Festing, a exigé la démission du chancelier de l'Ordre, le baron de Boeselager, pour le terrible péché d'avoir distribué des préservatifs aux populations pauvres menacées par l'épidémie de sida en Afrique. Le chancelier a fait appel au Vatican, qui a statué en sa faveur contre Festing ; ce dernier, soutenu par le cardinal Burke, a refusé d'obéir et a été démis de ses fonctions par le Vatican. Ce n'est pas encore l'adoption de la contraception par la doctrine morale de l'Église, mais c'est un changement...

Bien sûr, il n'y a rien de marxiste chez le pape François, et sa théologie est très éloignée de la forme marxiste de la théologie de la libération. Sa formation intellectuelle, spirituelle et politique doit beaucoup à la théologie du peuple, une variante argentine non marxiste de la théologie de la libération, dont les principaux inspirateurs sont Lucio Gera et le théologien jésuite Juan Carlos Scannone. La théologie du peuple ne prétend pas se fonder sur la lutte des classes, mais elle reconnaît le conflit entre le peuple et l'« anti-peuple » et soutient l'option préférentielle pour les pauvres. Elle s'intéresse moins aux questions socio-économiques que d'autres formes de théologie de la libération et accorde une plus grande attention à la culture, en particulier à la religion populaire.

Dans un article de 2014, « Le pape François et la théologie du peuple », Juan Carlos Scannone souligne à juste titre combien les premières encycliques du pape, comme Evangelium Gaudí (2014), décriées par ses détracteurs de gauche comme « populistes » (au sens argentin, péroniste, et non européen, du terme), doivent à cette théologie populaire. Cependant, il me semble que Bergoglio, dans sa critique de « l'idole du capital » et de tout le « système socio-économique » actuel, va plus loin que ses inspirateurs argentins. Surtout dans sa dernière encyclique, Laudato si' (2015), qui mérite une réflexion marxiste.

Laudato si'L'« encyclique écologique » du pape François est un événement d'importance planétaire, d'un point de vue religieux, éthique, social et politique. Compte tenu de l'énorme influence de l'Église catholique, il s'agit d'une contribution cruciale au développement d'une conscience écologique critique. Si elle a été accueillie avec enthousiasme par les véritables écologistes, elle a suscité l'inquiétude et le rejet des conservateurs religieux, des représentants du capital et des idéologues de l'« écologie de marché ». Il s'agit d'un document d'une grande richesse et d'une grande complexité, qui propose une nouvelle interprétation de la tradition judéo-chrétienne - rompant avec le « rêve prométhéen de domination du monde » - et une réflexion critique sur les causes de la crise écologique. Sur certains aspects, comme l'association indissociable entre le « cri de la terre » et le « cri des pauvres », il est évident que la théologie de la libération – en particulier celle de l'éco-théologien Leonardo Boff – a été l'une de ses sources d'inspiration.

Dans les brèves notes qui suivent, je voudrais souligner un aspect de l'encyclique qui explique la résistance qu'elle a rencontrée dans les milieux économiques et médiatiques : son caractère antisystémique.

Pour le pape François, les catastrophes écologiques et le changement climatique ne sont pas uniquement le résultat de comportements individuels – même s'ils jouent un rôle –, mais des « modèles actuels de production et de consommation ». Bergoglio n'est pas marxiste, et le mot « capitalisme » n'apparaît pas dans l'encyclique... Mais il est très clair que pour lui, les problèmes écologiques dramatiques de notre époque sont le résultat des rouages de l'économie mondialisée actuelle - rouages constitués par un système global, « un système structurellement pervers de relations commerciales et de propriété » (section 52 du document. Souligné par l'auteur).

Quelles sont, pour François, ces caractéristiques « structurellement perverses » ? Tout d'abord, un système dans lequel prédominent « les intérêts limités des entreprises » et « une rationalité économique discutable », une rationalité instrumentale dont le seul objectif est de maximiser les profits. En conséquence, « le principe de maximisation du profit, qui tend à s'isoler de toute autre considération, est une distorsion conceptuelle de l'économie : si la production augmente, peu importe de produire au détriment des ressources futures ou du bien-être de l'environnement ». (195) Cette distorsion, cette perversité éthique et sociale, n'est pas propre à un pays plutôt qu'à un autre, mais à un « système global, où prédominent la spéculation et la recherche de rendements financiers, qui tendent à ignorer tout contexte et tout effet sur la dignité humaine et l'environnement ». Il semble donc que la dégradation de l'environnement et la dégradation humaine et éthique soient intimement liées ». (56)

L'obsession de la croissance illimitée, le consumérisme, la technocratie, la domination absolue de la finance et la déification du marché sont des caractéristiques perverses du système. Dans une logique destructrice, tout se réduit au marché et au « calcul financier des coûts et des bénéfices ». Cependant, il faut comprendre que « l'environnement est l'un de ces biens que les mécanismes du marché sont incapables de défendre ou de promouvoir de manière adéquate ». (190) Le marché est incapable de prendre en compte les valeurs qualitatives, éthiques, sociales, humaines ou naturelles, c'est-à-dire « des valeurs qui dépassent tout calcul » (36).

Le pouvoir « absolu » du capital financier spéculatif est un aspect essentiel du système, comme l'a mis en évidence la récente crise bancaire. Le commentaire de l'encyclique est démystificateur : « Sauver à tout prix les banques, en faisant payer le prix aux citoyens, sans une décision ferme de revoir et de réformer l'ensemble du système, réaffirme une domination absolue de la finance qui n'a pas d'avenir et qui ne peut que générer de nouvelles crises après une longue et coûteuse reprise apparente. La crise financière de 2007-2008 était une occasion de développer une nouvelle économie plus attentive aux principes éthiques et favorable à une nouvelle réglementation de l'activité financière spéculative et de la richesse fictive. Mais il n'y a eu aucune réaction conduisant à une remise en question des critères obsolètes qui continuent de régir le monde » (189).

Cette dynamique perverse du système mondial qui « continue de régir le monde » est la raison de l'échec des sommets mondiaux sur l'environnement : « les intérêts personnels sont trop nombreux et il est trop facile pour les intérêts économiques de prévaloir sur le bien commun et de manipuler l'information pour éviter que leurs projets ne soient affectés ». Tant que les impératifs des puissants groupes économiques prédominent, « on ne peut s'attendre qu'à quelques déclarations superficielles, à des actions philanthropiques isolées et même à quelques efforts pour montrer une certaine sensibilité à l'environnement, alors qu'en réalité, toute tentative des organisations sociales pour changer les choses sera considérée comme une nuisance causée par des utopistes romantiques ou comme un obstacle à contourner » (54).

Dans ce contexte, l'encyclique dénonce l'irresponsabilité des « responsables », c'est-à-dire des élites dominantes, des oligarchies intéressées à préserver le système, face à la crise écologique : « Beaucoup de ceux qui détiennent la majeure partie des ressources et du pouvoir économique ou politique semblent surtout faire tout leur possible pour masquer les problèmes ou dissimuler les symptômes, en essayant seulement de réduire certains impacts négatifs du changement climatique. Mais de nombreux symptômes indiquent que ces effets continueront à s'aggraver si nous maintenons nos modèles actuels de production et de consommation ». (26)

Face à la destruction dramatique de l'équilibre écologique de la planète et à la menace sans précédent que représente le changement climatique, que proposent les gouvernements ou les représentants internationaux du système (Banque mondiale, FMI, etc.) ? Leur réponse est ce qu'on appelle le « développement durable », un concept dont le contenu est de plus en plus vide, un véritable flatus vocis comme le disaient les scolastiques du Moyen Âge. François ne se fait aucune illusion sur cette mystification technocratique : « Le discours de la croissance durable a l'habitude de devenir un moyen de distraction et de réduction de la culpabilité qui absorbe les valeurs du discours écologique au sein de la finance et de la technocratie, et la responsabilité sociale et environnementale des entreprises a l'habitude de se réduire à une série d'actions de marketing et d'image » (194).

Les mesures concrètes proposées par l'oligarchie techno-financière dominante sont totalement inefficaces, comme les « marchés du carbone ». La critique du pape à l'égard de cette fausse solution est l'un des arguments les plus importants de l'encyclique. Se référant à une résolution de la Conférence épiscopale bolivienne, Bergoglio écrit : « La stratégie d'achat et de vente de « crédits carbone » peut donner lieu à une nouvelle forme de spéculation et nuire au processus de réduction des émissions mondiales de gaz polluants. Ce système semble être une solution rapide et facile, qui donne l'apparence d'un certain engagement en faveur de l'environnement, mais qui, en tout état de cause, ne constituerait pas un changement radical à la hauteur des circonstances. Pire encore, il pourrait devenir un remède qui encourage la consommation excessive dans certains pays et certains secteurs » (171).
Des passages comme celui-ci expliquent le manque d'enthousiasme des milieux « officiels » et des partisans de l'« écologie de marché » (ou du « capitalisme vert ») pour Laudato si'...

En liant la question écologique à la question sociale, François insiste sur la nécessité de mesures drastiques, c'est-à-dire de changements profonds pour relever ce double défi. Le principal obstacle à cela est la nature « perverse » du système : « la même logique qui nous empêche de prendre des décisions drastiques pour inverser la tendance au réchauffement climatique est celle qui nous empêche d'atteindre l'objectif d'éradication de la pauvreté » (175).

Si le diagnostic de Laudato si' sur la crise écologique est d'une clarté et d'une cohérence impressionnantes, les actions qu'elle propose sont plus limitées. Certes, nombre de ses suggestions sont utiles et nécessaires, par exemple : « proposer des formes de coopération ou d'organisation communautaire qui défendent les intérêts des petits producteurs et préservent les écosystèmes locaux de la prédation ». (180) Il est également très significatif que l'encyclique reconnaisse la nécessité, pour les sociétés les plus développées, de « se contenir un peu, de fixer certaines limites raisonnables et même de faire marche arrière avant qu'il ne soit trop tard », c'est-à-dire « le moment est venu d'accepter une certaine décroissance dans certaines parties du monde, tout en mettant en œuvre les remèdes pour que d'autres puissent croître sainement ». (193)

Mais ce sont précisément des « mesures drastiques » qui font défaut, comme celles proposées par Naomi Klein dans son livre This changes everything : rompre avec les combustibles fossiles (charbon, pétrole) avant qu'il ne soit trop tard, en les laissant sous terre. Nous ne pouvons pas changer les structures perverses du mode de production et de consommation actuel sans un ensemble d'initiatives antisystémiques qui remettent en cause la propriété privée, par exemple celle des grandes multinationales des combustibles fossiles (BP, Shell, Total, etc.). Certes, le pape évoque l'utilité de « grandes stratégies qui freinent efficacement la dégradation de l'environnement et inculquent une culture du respect qui imprègne toute la société », mais cet aspect stratégique est peu développé dans l'encyclique.

Reconnaissant que « le système mondial actuel est insoutenable », Bergoglio recherche une alternative globale, qu'il appelle « culture écologique », un changement qui « ne peut se limiter à une série de réponses urgentes et partielles aux problèmes croissants de dégradation de l'environnement, d'épuisement des ressources naturelles et de pollution. Il doit s'agir d'une perspective différente, d'une façon de penser, d'une politique, d'un programme éducatif, d'un style de vie et d'une spiritualité qui acceptent la résistance à l'avancée du paradigme technocratique ». (111) Mais il y a peu d'indices d'une nouvelle économie et d'une nouvelle société correspondant à cette culture écologique. Il ne s'agit pas de demander au pape d'adopter l'écosocialisme, mais l'alternative pour l'avenir reste quelque peu abstraite.

Le pape François fait sienne « l'option préférentielle pour les pauvres » des Églises latino-américaines. L'encyclique l'expose clairement comme un impératif planétaire : « Dans les conditions actuelles de la société mondiale, où il existe tant d'inégalités et où les personnes sont de plus en plus marginalisées et privées des droits humains les plus élémentaires, le principe du bien commun se transforme immédiatement, comme une conséquence logique et inéluctable, en un appel à la solidarité et en une option prioritaire pour les plus pauvres ».

Mais dans l'encyclique, les pauvres n'apparaissent pas comme les acteurs de leur propre émancipation, le projet le plus important de la théologie de la libération. Les luttes des pauvres, des paysans et des peuples autochtones pour défendre les forêts, l'eau et la terre contre les multinationales et le commerce agricole, ainsi que le rôle des mouvements sociaux, qui sont précisément les principaux acteurs de la lutte contre le changement climatique - Via Campesina, Justice climatique, Forum social mondial - sont une réalité sociale qui n'apparaît pas beaucoup dans Laudato si'.

Ce sera toutefois un thème central des rencontres du pape avec les mouvements populaires, les premières de l'histoire de l'Église. Lors de la rencontre de Santa Cruz (Bolivie, juillet 2015), François a déclaré :

« Vous, les plus humbles, les exploités, les pauvres et les exclus, vous pouvez et vous faites beaucoup. J'ose vous dire que l'avenir de l'humanité est, en grande partie, entre vos mains, dans votre capacité à vous organiser et à promouvoir des alternatives créatives, dans la recherche quotidienne des 3 T (travail, logement, terre) et aussi dans votre participation en tant que protagonistes aux grands processus de changement, nationaux, régionaux et mondiaux. Ne vous sous-estimez pas ! Vous êtes les semeurs du changement. »

Bien sûr, comme le souligne Bergoglio dans l'encyclique, la tâche de l'Église n'est pas de se substituer aux partis politiques en proposant un programme de changement social. Avec son diagnostic antisystémique de la crise, qui lie indissociablement la question sociale et la protection de l'environnement, « le cri des pauvres » et « le cri de la terre », Laudato si' est une contribution précieuse et inestimable à la réflexion et à l'action pour sauver la nature et l'humanité de la catastrophe.

Il appartient aux marxistes, communistes et écosocialistes de compléter ce diagnostic par des propositions radicales visant à changer non seulement le système économique dominant, mais aussi le modèle pervers de civilisation imposé à l'échelle mondiale par le capitalisme. Des propositions qui incluent non seulement un programme concret de transition écologique, mais aussi une vision d'une autre forme de société, au-delà du règne de l'argent et des marchandises, fondée sur les valeurs de liberté, de solidarité, de justice sociale et de respect de la nature.


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Il est difficile de prévoir quel sera l'avenir de l'Église après la mort du pape François : qui sera élu par le prochain conclave ? Suivra-t-il l'orientation critique et humaniste de Bergoglio, ou reviendra-t-il à la tradition conservatrice des pontifes précédents ? De nombreux nouveaux cardinaux ont été nommés par François, mais quelle est leur conviction intime ?

Les prochaines semaines décideront si Bergoglio n'était qu'une parenthèse ou s'il a ouvert un nouveau chapitre dans la longue histoire du catholicisme.

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Une vaste coalition dénonce l’échec annoncé de la réforme du‬ ‭régime forestier‬

29 avril, par Collectif — , ,
"Le projet de loi de la ministre Blanchette Vézina laisse‬ malheureusement 100 % de la planification dans les mains de l'industrie forestière. Dès le‬ rapport Coulombe, qui a (…)

"Le projet de loi de la ministre Blanchette Vézina laisse‬ malheureusement 100 % de la planification dans les mains de l'industrie forestière. Dès le‬ rapport Coulombe, qui a suivi le film L'erreur boréale, on savait déjà que c'était une erreur", Dominic Tourigny, vice-président de la FIM–CSN.

Une vaste coalition rassemblant‬‭ un large éventail d'acteurs‬‭ de la‬ forêt – groupes environnementaux, organisations syndicales représentant les travailleuses et les travailleurs de‬ la filière forestière québécoise, dont la FIM–CSN, gestionnaires de zecs et de pourvoiries – condamne le‬ projet de loi no 97 déposé par la ministre des Ressources naturelles et des Forêts, Maïté Blanchette Vézina. Les‬ organisations parlent d'une même voix pour dénoncer l'échec annoncé de la réforme du‬ régime forestier si ce projet de loi, longuement attendu, n'est pas revu en profondeur,‬ puisqu'il ne répond ni aux enjeux actuels ni aux défis à venir.‬

Des reculs environnementaux et sociaux‬

‭Les organisations dénoncent d'importants reculs environnementaux et sociaux,‬‭ notamment‬ la concentration du pouvoir décisionnel vers le forestier en chef et les aménagistes‬ forestiers régionaux,‬‭ un zonage qui cède minimalement‬‭ 30 % du territoire forestier public à‬ l'industrie‬, l'abolition des Tables de gestion intégrée‬‭ des ressources et du territoire,‬ l'affaiblissement de la‬‭ définition de l'aménagement‬‭ écosystémique et un flou dans le‬ mécanisme de con‬‭sultation du public et des acteurs‬‭ du milieu.‬La coalition demande à la ministre une réelle modernisation du régime forestier qui assure‬ une foresterie véritablement durable et inclusive au Québec‬‭. Cette réforme doit être‬ impérativement‬‭ couplée à une nouvelle stratégie de‬‭ développement industriel et de transition‬ juste, qui permettront ensemble de diminuer les pressions sur les écosystèmes et les‬ espèces, d'apaiser les conflits avec les autres usagères et usagers de la forêt, de répondre aux menaces‬ tarifaires, d'assurer la pérennité des emplois et d'adapter les forêts à la crise climatique.‬

Absence de véritable dialogue social‬

Les organisations dénoncent aussi un processus opaque ayant mené à la rédaction de ce‬ projet de loi et l'absence d'un véritable dialogue social sur cette importante réforme. Les‬ propositions qui s'y retrouvent n'ont pas fait l'objet d'une consultation de la société civile en‬ bonne et due forme, outre durant des rencontres à huis-clos, liées à des ententes de‬ confidentialité.‬

Sommet sur la forêt le 20 mai prochain : mobilisation pour une vision commune du‬ régime forestier‬

Les organisations estiment que le secteur de la forêt n'a pas besoin d'une réforme‬ polarisante, mais d'un dialogue inclusif pour trouver des solutions durables. C'est pourquoi‬ les organisations syndicales représentant les travailleuses et les travailleurs de la filière forestière québécoise‬ organisent le Sommet sur la forêt, qui se tiendra le 20 mai prochain à Saguenay. Cet‬ événement rassemblera une diversité d'acteurs du milieu forestier désireux de contribuer à‬ l'avancement d'une foresterie durable et équitable, en explorant des alternatives aux enjeux‬‭ actuels et en abordant de manière concrète la question de la transition juste du secteur‬ forestier. Les organisations demandent à la ministre de modifier son projet de loi à la suite‬ des discussions et des propositions qui émaneront de ce sommet.‬

Citations

« La réforme proposée ne permettra pas de résoudre la crise économique, sociale et‬ environnementale en forêt. Si le projet de loi 97 n'est pas modifié, cette réforme va attiser la‬ contestation et les tensions sociales, fragiliser davantage les écosystèmes forestiers, rendre‬ nos forêts plus vulnérables aux changements climatiques, nuire à la prévisibilité et précariser‬ les travailleurs, les travailleuses et les communautés qui dépendent d'une forêt en bonne‬ santé »,‬‭ Alice-Anne Simard, directrice générale de‬‭ Nature Québec‬‭.‬

« Dans sa forme actuelle, le projet de loi visant à moderniser le régime forestier est un‬ rendez-vous raté avec la protection du territoire, des écosystèmes et des espèces. C'est le‬ fruit d'un ministère état dans l'état qui impose sa vision industrielle étroite sans véritable‬ égard aux autres missions gouvernementales et autres usagers. Ce nouveau régime‬ contient tous les ingrédients pour nuire à l'acceptabilité sociale, à la pérennité des emplois et‬ à la protection d'une ressource collective chère aux Québécoises et aux Québécois, notre forêt publique »,‬‭ Alain‬ Branchaud, directeur général à la SNAP Québec‬‭.‬

« Face à la crise économique que traverse l'industrie forestière et à la nécessité de‬ préserver les écosystèmes, les travailleurs et travailleuses sont à la recherche de solutions‬ pérennes. Malgré les prétentions de la ministre, ce projet de loi échouera à protéger les‬ emplois tout en attisant les tensions déjà palpables avec de nombreux partenaires du milieu‬ forestier. Les conflits créeront une plus grande imprévisibilité et un environnement d'affaires‬ qui éloignera les investisseurs dont nous avons cruellement besoin. Pour rendre nos emplois‬ durables, nous avons besoin d'un approvisionnement en bois fiable et d'une nouvelle‬ stratégie industrielle pour la filière. Sur ces deux fronts, le projet de loi rate sa cible »,‬‭ Daniel‬ Cloutier, directeur québécois d'Unifor‬‭.‬

« Nous avons participé activement tout au long du processus qui nous laisse profondément‬ déçus du projet de loi visant la réforme du régime forestier. Il doit impérativement faire l'objet‬ de travaux supplémentaires, car il ne répond ni aux attentes ni aux besoins de protection du‬ territoire, de la biodiversité et du développement des activités à plus faible impact‬ environnemental, comme les activités fauniques, récréotouristiques et de villégiature. De‬ surcroît, la vision proposée accentuera les iniquités dans le dialogue social au bénéfice de la‬ productivité ligneuse, tout en mettant en péril la protection de la forêt publique et le‬ développement économique régional durable et moderne »,‬‭ Myriam Bergeron, directrice‬ générale de la Fédération québécoise des gestionnaires de zecs et de la Fédération‬ québécoise pour le saumon atlantique‬‭.‬

« Ça fait des années que le secteur forestier passe d'une insécurité à l'autre, dans l'attente d'une véritable évolution. Les personnes et les communautés qui en vivent ont attendu‬ longtemps, et ce qui est sur la table aujourd'hui reste flou et grandement incomplet.‬ Certaines pistes sont intéressantes, mais leur mise en œuvre soulève encore trop‬ d'inconnus. Ce qu'on a devant nous, ce sont des bases de travaux qui laissent en suspens‬ une foule de questions et d'incertitudes. Ce qu'on souhaite, c'est un régime forestier inclusif,‬‭ capable d'assurer la pérennité des emplois et la vitalité des communautés. Pour y arriver, il‬ faudra sécuriser et impliquer l'ensemble des intervenantes et intervenants, et espérer une écoute réelle lors‬ des études du projet de loi »,‬‭ Luc Vachon, président‬‭ de la Centrale des syndicats‬ démocratiques (CSD)‬‭.‬

‭« Qu'on assure un approvisionnement stable aux entreprises, c'est légitime. Mais le faire‬ sans dialogue réel, sans diversification, sans créer davantage de transformation ici même au‬ Québec, c'est rater une occasion historique. La ministre prétend parler en notre nom, il‬ faudrait qu'elle commence par nous écouter. On ne bâtira pas une foresterie durable en‭ sacrifiant la voix de ceux et celles qui en vivent »,‬‭ Nicolas Lapierre, directeur adjoint,‬ Syndicat des Métallos‬‭.‬

‭« Le gouvernement parle d'aménagement durable, mais oublie des acteurs de première‬ ligne qui aménagent, entretiennent et protègent activement nos forêts publiques depuis des‬ décennies. Nous sommes des passionnés de la forêt, engagés dans nos communautés et‬ avons une vision de développement durable pour nos territoires visités par plus d'un‬ demi-million de Québécoises et de Québécois chaque année. Ce projet de loi nous inquiète par son absence de‬ vision intégrée et de cohérence économique »,‬‭ Dominic‬‭ Dugré, président – directeur‬ général de la Fédération des pourvoiries du Québec.‬

« Pour les travailleuses et les travailleurs, on déplore que le projet‬‭ de loi ne contienne pas de conditions claires‬ pour que les compagnies puissent avoir droit aux volumes de bois de notre forêt publique.‬ Ce bois devrait soutenir le développement des régions, ça devrait être clair, dans la loi, et ne‬ pas dépendre du bon vouloir du ou de la ministre qui sera en place quand un industriel voudra‬ déménager nos jobs. Le projet de loi de la ministre Blanchette Vézina laisse‬ malheureusement 100 % de la planification dans les mains de l'industrie forestière. Dès le‬ rapport Coulombe, qui a suivi le film L'erreur boréale, on savait déjà que c'était une erreur.‬ Ça l'est encore. On s'inquiète aussi de l'aménagement intensif qui est prévu dans le tiers de‬ nos forêts. Ça risque de nous faire perdre la certification environnementale FSC qui est‬ importante pour vendre notre bois, notamment en Europe. Cet aménagement intensif devrait‬ être discuté et planifié, notamment avec celles et ceux qui effectuent le travail et avec les Premières‬ Nations‬‭ »,‬‭ Dominic Tourigny, vice-président de la‬‭ FIM–CSN.‬

À propos‬

Les organisations signataires de ce communiqué comprennent : Nature Québec, Unifor‬ Québec, la Centrale des syndicats démocratiques (CSD), le Syndicat des Métallos, la‬ Fédération de l'industrie manufacturière (FIM–CSN), la Société pour la nature et les parcs‭ (SNAP Québec), la Fédération québécoise des gestionnaires de zecs, la Fédération des‬ pourvoiries du Québec et la Fédération québécoise pour le saumon atlantique. Ces‬ organisations se rassemblent pour défendre un avenir durable et équitable pour les forêts du‬ Québec, dans le respect des communautés et des écosystèmes.‬

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Pape François (1936-2025) : un pape progressiste dans une Église conservatrice

Le Pape François est décédé le 21 avril 2025, lundi de Pâques. Avec lui, une partie du mouvement social, écologiste, pro-palestinien et du soutien aux réfugiés, perd un allié (…)

Le Pape François est décédé le 21 avril 2025, lundi de Pâques. Avec lui, une partie du mouvement social, écologiste, pro-palestinien et du soutien aux réfugiés, perd un allié inattendu et de poids, qui a tenu des positions très éloignées de celles de la bourgeoisie catholique d'extrême droite française. Un pape restant un pape et l'Eglise catholique restant l'Eglise catholique – cela n'a bien sûr pas empêché des positions aussi conservatrices sur d'autres sujets.

21 avril 2025 | tiré du site de Frustrations
ttps ://frustrationmagazine.fr/pape-francois-eglise

Un pape argentin et jésuite

Le Pape François, dont le nom vient de Saint François d'Assise, aura marqué la période la plus progressiste de l'Eglise depuis Vatican II (1962-1965), un concile qui s'était ouvert sous Jean XXIII et qui s'était terminé sous Paul VI et qui avait réformé l'Eglise catholique afin de l'ouvrir au monde moderne, aux questions sociales et à favoriser le dialogue avec les autres religions et les non-croyants.

Le Pape François a incarné un changement majeur dans la géographie catholique : le passage du pôle de gravité du christianisme de la vieille Europe vers le Sud global.

Le Pape François a incarné un changement majeur dans la géographie catholique : le passage du pôle de gravité du christianisme de la vieille Europe vers le Sud global. Pape François fut le premier pape non-européen de l'époque moderne et le premier pape originaire d'Amérique latine. Ce n'est pas un hasard : le catholicisme s'est beaucoup développé en Amérique latine et en Afrique tandis qu'il décline en Europe. C'est une des explications de ce retour vers l'intérêt envers les pauvres.

L'Amérique latine a notablement été marquée par la théologie de la libération, courant des années 1960 qui lisait l'Evangile à partir des luttes des pauvres et des opprimés et appelant à leur émancipation sur Terre.

Sans être de ce courant, Pape François fut toutefois le premier pape jésuite de l'Histoire, c'est-à-dire issu de la Compagnie de Jésus, un ordre religieux fondé par Ignace de Loyola au XVIe siècle qui se distingue par une approche pastorale tournée vers les démunis (justice sociale, accompagnement des marginalisés, engagement auprès des pauvres). Les jésuites sont également formés à vivre avec sobriété : le Pape François aura ainsi refusé les signes extérieurs de pouvoir comme les chaussures rouges ou l'appartement papal luxueux.

Le refus des kermesses des dominants

Ce retour aux pauvres, Pape François aura essayé de l'incarner en refusant les grandes kermesses des dominants.

Le dernier exemple le plus remarquable aura été son refus de venir à la réouverture de Notre Dame de Paris aux côtés de Trump, Macron, et Bernard Arnault pour préférer aller à Ajaccio pour une messe populaire.

“Entre Paris et la Corse, il n'y a pas photo. La Corse coche toutes les cases. (…) C'est une périphérie. Il

met le centre aux périphéries et les périphéries au centre. »
Constance Colonna-Cesari, journaliste spécialiste du Vatican, pour France Inter

Constance Colonna-Cesari, journaliste spécialiste du Vatican précisait à ce moment-là : “Entre Paris et la Corse, il n'y a pas photo. La Corse coche toutes les cases. (…) C'est une périphérie. Il met le centre aux périphéries et les périphéries au centre. C'est une île et il les a quasiment toutes faites, Lesbos, Lampedusa, etc. Ce ne sont pas des îles touristiques. Il ne va pas aux Baléares. Il va là où l'église peut se déployer, comme un hôpital de campagne, dans les périphéries géographiques existentielles, là où les gens souffrent”

L'écologie : un problème de modèle économique et social

Le Pape François avait montré une compréhension assez fine de la catastrophe environnementale et placé l'écologie au cœur de son pontificat. Dans son encyclique (une lettre officielle écrite par le pape, adressée aux évêques et souvent à tous les fidèles, pour donner un enseignement sur une question importante de foi, de morale ou de société) Laudato si' publiée en 2015, il appelait à une “écologie intégrale”, refusant d'isoler ce sujet des autres et rappelant que “tout est lié” : crise environnementale, sociale, économique. Il y dénonçait “la logique de l'exploitation et l'égoïsme” et invitait à une “conversion écologique” des systèmes économiques et du rapport à la nature.

Critique du capitalisme

Sans être, évidemment, anticapitaliste, le Pape François aura toutefois formulé des critiques très vives du capitalisme.

« Personne n'est scandalisé si je bénis un entrepreneur qui exploite potentiellement des gens, et cela est un péché très grave. Alors que si je bénis un homosexuel, des gens sont choqués… C'est de l'hypocrisie ! »
Pape François en février 2024

Il avait ainsi dénoncé une finance qui “piétine les gens”, et encourage la guerre, un système économique profondément inégalitaire qui traite les pauvres comme des “déchets”. Il défendait un accès plus équitable aux richesses, s'en était pris aux multinationales pratiquant les délocalisations pour exploiter des travailleurs moins chers. Pape François appellait également à l'annulation des dettes qui enrichissent les pays riches au détriment des pays pauvres.

En février 2024, il dénonçait l'hypocrisie de ceux qui acceptent qu'il bénisse des “entrepreneurs véreux” mais pas des homosexuels : « Personne n'est scandalisé si je bénis un entrepreneur qui exploite potentiellement des gens, et cela est un péché très grave. Alors que si je bénis un homosexuel, des gens sont choqués… C'est de l'hypocrisie ! »

Favorable à l'accueil des réfugiés

Alors que les catholiques français se sont massivement tournés vers l'extrême droite (RN et Zemmour), extrêmement hostile à l'immigration et aux réfugiés, le Pape François n'aura eu de cesse de défendre leur accueil, leur protection et leur intégration.

« La Méditerranée et la mer Égée sont devenues un cimetière insatiable, une image de notre conscience insensible et endormie”
Pape François en 2016

En juillet 2013, pour son premier voyage hors du Vatican, il s'était rendu à Lampedusa, refusant de voir la Méditerranée devenir un “cimetière” (« La Méditerranée et la mer Égée sont devenues un cimetière insatiable, une image de notre conscience insensible et endormie” déclarait-il en 2016), critiquant “la mondialisation de l'indifférence”. Dans les années qui avaient suivies, il avait fait de l'accueil des migrants un “devoir chrétien” et des politiques de rejet “un péché grave”. Pour lui il ne s'agissait pas que de déclarations de vertu abstraites : en 2015 il avait demandé « que chaque paroisse, chaque communauté religieuse, chaque monastère, chaque sanctuaire d'Europe accueille une famille » de réfugiés.

“Un ami fidèle du peuple palestinien”

Pendant que le camp occidental s'est largement vautré dans le soutien à Israël et au massacre des Palestiniens, Pape François n'a eu de cesse de dénoncer les horreurs à Gaza.

Il avait condamné la “cruauté” des frappes israéliennes, puisparlé de “terrorisme” les concernant, refusant les condamnations à géométrie variable que l'on a vu fleurir depuis presque deux ans.

Le Pape François au Vatican, le 7 décembre 2024 (photo par Reuters/Remo Casilli)

Dans son livre L'espérance ne déçoit jamais. Pèlerins vers un monde meilleur, publié en novembre 2024, il écrivait que « selon certains experts, ce qui se passe à Gaza présente les caractéristiques d'un génocide », déclenchant des réactions extrêmement hostiles du gouvernement israélien. Il avait enfoncé le clou un mois plus tard, en décembre 2024, en inaugurant une crèche au Vatican avec l'enfant Jésus sur un keffieh, le foulard traditionnel des Palestiniens. Cette crèche était l'œuvre du Comité présidentiel supérieur pour les affaires de l'Église en Palestine, organe de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), et de l'ambassade palestinienne au Vatican. L'OLP en avait profité pour redire sa « profonde gratitude au pape pour son soutien indéfectible à la cause palestinienne et ses efforts inlassables pour mettre fin à la guerre contre Gaza”.

Presque déjà mourant, en février, alors qu'il était hospitalisé,c'est pour Gaza qu'il adressait ses rares paroles et ses prières. À peine sorti de son hospitalisation, il appelait à la fin “immédiate” des frappes israéliennes.

« Selon certains experts, ce qui se passe à Gaza présente les caractéristiques d'un génocide »
Pape François dans L'espérance ne déçoit jamais. Pèlerins vers un monde meilleur (novembre 2024)
En réaction à son décès, Mahmoud Abbas a salué “un ami fidèle du peuple palestinien”.

Le scandale des crimes sexuels dans l'Eglise

Depuis vingt ans, des révélations de crimes sexuels massifs, souvent pédocriminels, parfois organisés et souvent couverts par la hiérarchie ecclésiale, se sont succédées.

En 2019, le Pape François avait levé le secret pontifical dans les cas de violences sexuelles et d'abus sur mineurs commis par des membres du clergé.

Après avoir demandé pardon au nom de l'Eglise, ce qui marquait une reconnaissance importante, Pape François a mené sur ce sujet un certain nombre d'actions. En 2019, le Pape François avait levé le secret pontifical dans les cas de violences sexuelles et d'abus sur mineurs commis par des membres du clergé. Il avait changé le droit canonique afin de rendre obligatoire le signalement de tout soupçon d'agression sexuelle. Les diocèses sont désormais obligés de mettre en place des lieux spécifiques pour recevoir les plaintes.

Enfin, il avait créé des instances de réparation comme la Commission Reconnaissance et Réparation.

Toutefois de nombreuses victimes ont également dénoncé un manque de transparence, une absence de compréhension des causes systémiques, des méthodes inadaptées et des formes de mise en scène non suivies des faits. Sur ce thème, Pape François n'aura pas été aussi radical que sur d'autres combats et sûrement pas à la hauteur du mal commis.

Des avancées sur les LGBTQ+ mais peu de progrès sur la place des femmes et la laïcité

Alors que le catholicisme est un des vecteurs majeurs de l'homophobie dans le monde, que ce soit en Europe – La Manif pour Tous, mouvement de masse homophobe était largement catholique, encouragé, organisé et subventionné par l'Eglise – en Afrique ou en Amérique latine, Pape François aura tenté de mettre à distance cette obsession homophobe d'une grande part de la population catholique en appelant à un meilleur accueil des “fidèles LGBT”.

Pape François aura tenté de mettre à distance cette obsession homophobe d'une grande part de la population catholique

En 2024,il avait autorisé la bénédiction des couples homosexuels, créant une large fronde au sein même de l'Eglise catholique.

Par ailleurs, le pape aura accueilli régulièrement des groupes de personnes transgenresdans des audiences générales au Vatican, pour notammententendre leurs témoignages et discuter de leur accueil dans l'Eglise et déclarant que “dans l'Église, il y a de la place pour tous”. En novembre 2023, il avait fait préciser par le Vatican qu'elles pouvaient recevoir le baptême et être parrains ou marraines.

Le pape aura accueilli régulièrement des groupes de personnes transgenres dans des audiences générales au Vatican

Malgré ces avancées, le chemin reste long puisque l'homosexualité est toujours considéré comme un “péché” par l'Eglise et Pape François sera resté opposé au mariage homosexuel. Il avait lui-même proféré des insultes homophobes.

Sur d'autres sujets, le Pape François sera resté conservateur ou réactionnaire. Il n'y aura pas eu, pendant son pontificat, de changements majeurs sur la conception patriarcale de l'Eglise, sur l'avortement ou la contraception. Lors des attentats contre Charlie Hebdo, celui-ci avait tenu des propos très ambigües semblant en faveur de l'interdiction du blasphème, déclarant que celui qui insultait sa mère pouvait “s'attendre à un coup de poing”.

Il n'y aura pas eu, pendant son pontificat, de changements majeurs sur la conception patriarcale de l'Eglise, sur l'avortement ou la contraception

La mort du Pape François marque la fin d'un pontificat à bien des égards exceptionnel. Pris dans les contradictions inhérentes à l'institution qu'il dirigeait, il aura pourtant ouvert des brèches inattendues dans l'édifice rigide de l'Église catholique. En assumant une parole critique sur le capitalisme, en défendant les réfugiés, les opprimés et les exclus, en tendant la main aux personnes LGBTQ+ et en dénonçant les massacres commis par Israël à Gaza, il s'est placé là où peu l'attendaient, surtout en France où la bourgeoisie catholique se range massivement dans le camp de la fascisation. Sans être une révolution, le Pape François aura pris des positions rares et courageuses, assez pour que sa disparition laisse un vide. Esperons que ce souffle venu du Sud survivra à celui qui l'incarnait.

Photo de couverture : Pape François en juillet 2015 aux côtés d'Evo Morales (Reuters)

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Marche funèbre silencieuse contre Stablex

29 avril, par Climat Québec, Coalition des citoyens de Blainville contre la cellule #6 de Stablex — , ,
Loin d'être résignée, la mobilisation contre l'expansion toxique de Stablex ne fait que grandir. Blainville, dimanche 27 avril à 13 h Blainville, vendredi le 25 avril (…)

Loin d'être résignée, la mobilisation contre l'expansion toxique de Stablex ne fait que grandir.

Blainville, dimanche 27 avril à 13 h

Blainville, vendredi le 25 avril 2025 – Martine Ouellet, cheffe de Climat Québec, et Marie-Claude Archambault, de la Coalition des citoyens de Blainville contre la cellule #6 de Stablex, annoncent une Marche funèbre silencieuse ce dimanche 27 avril à 13 h. Le départ se fera devant les installations de Stablex, au 760 boulevard Industriel à Blainville, pour se diriger vers la Montée St-Isidore, face à la Grande tourbière. Arrivé à destination, les participants seront invités à accrocher un message, un dessin, une fleur ou un symbole personnel sur la clôture longeant ce milieu naturel menacé – un geste de mémoire, de résistance et d'espoir.

Complicité du PM Legault et de la mairesse Poulin

Climat Québec et la Coalition des citoyens de Blainville contre la cellule #6 de Stablex dénoncent non seulement les agissements de Stablex, mais aussi la complicité des autorités politiques. D'un côté, le gouvernement Legault impose un projet d'agrandissement par expropriation, à coups de bâillon. De l'autre, la mairesse Liza Poulin propose que l'agrandissement se fasse sur un terrain « alternatif »... encore plus près des résidences. Dans les deux cas, c'est le même scandale environnemental et humain qui se poursuit.

«

L'acharnement du gouvernement Legault à défendre Stablex coûte que coûte, malgré tous les drapeaux rouges, dépasse l'entendement. On parle d'expropriation forcée, de procédés défaillants, de dépassements de normes, de protections environnementales contournées. Il flotte une odeur de complaisance... et elle pue.

», déclare Martine Ouellet cheffe de Climat Québec.

« La mairesse Poulin doit cesser de faire semblant de défendre les citoyens tout en proposant un site alternatif d'enfouissement des déchets toxiques encore plus près des maisons. Elle a le pouvoir politique de financer une campagne d'échantillonnage exhaustive indépendante avec les fonds de la Ville et de s'opposer clairement à tout agrandissement. Mais elle refuse systématiquement depuis plus d'un an, préférant s'en remettre à un ministère qu'elle sait trop proche de Stablex. Pourtant, avec une nouvelle preuve de toxicité émanant d'une autorité municipale, le gouvernement ne pourrait plus, politiquement, continuer à se fermer les yeux sur un problème aussi grave de contamination. »

, dénonce Marie-Claude Archambault pour Coalition des citoyens de Blainville contre la cellule #6 de Stablex .

Un appel à l'unité, à la paix et à la vie

Les organisateurs lancent un appel à toute la population de Blainville et des environs : venez marcher avec nous, en blanc(ou une couleur pâle). Cette couleur de paix, de lumière et de pureté symbolise ce que nous voulons protéger : la santé de nos proches, de nos enfants, de nos écosystèmes, et notre avenir collectif.

Dimanche, marchons ensemble pour faire entendre le silence de notre colère.

AIDE-MÉMOIRE

MARCHE FUNÈBRE SILENCIEUSE CONTRE STABLEX

DATE : DIMANCHE 27 AVRIL

HEURE : 13 H

PRISES DE PAROLE DÈS 13 H

DÉPART : DEVANT STABLEX

760 boulevard industriel, Blainville

DESTINATION : MONTÉE ST-ISIDORE

Devant la Grande tourbière

SOURCE :

https://climat.quebec/2025/04/25/communique-marche-funebre-silencieuse-contre-stablex/

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Projet de loi 69 : Une parodie de consultation sur l’énergie

29 avril, par Collectif — , ,
Nous sommes des citoyens et citoyennes qui avons récemment participé aux consultations sur le Plan de gestion intégrée des ressources énergétiques du Québec (PGIRE). Ces (…)

Nous sommes des citoyens et citoyennes qui avons récemment participé aux consultations sur le Plan de gestion intégrée des ressources énergétiques du Québec (PGIRE). Ces consultations doivent avoir lieu dans 13 villes, pour se terminer à Québec le 13 juin.

Rappelons que le PGIRE est au cœur du projet de loi 69, la Loi assurant la gouvernance responsable des ressources énergétiques et modifiant diverses dispositions législatives,de l'ex-ministre Fitzgibbon. Ce projet de loi, qui ouvre grande la porte à la privatisation des services énergétiques au Québec, est présentement à l'étude à l'Assemblée nationale.

L'enjeu du PGIRE est important puisque la manière d'utiliser nos ressources énergétiques a une incidence directe sur notre capacité à décarboner notre économie et à mener la lutte au changement climatique. Pourtant, l'annonce de la consultation n'a pas été rendue publique. Nous avons appris l'existence de cette consultation via les réseaux de communications entre les groupes citoyens actifs sur les questions environnementales. Une d'entre-nous a reçu l'invitation à participer moins de 24 heures à l'avance.

Dans leur discours d'ouverture la Ministre Fréchette (à Montréal ) et le député Yves Montigny (à St-Jean-sur-Richelieu) ont précisé le contexte de la consultation : le monde entier est en transition ; nos ressources énergétiques doivent servir à cette transition, mais aussi au développement économique. Un peu comme si on disait à un médecin urgentologue que les gestes qu'il pose doivent servir à sauver des vies et enrichir l'industrie pharmaceutique.

Les participant.es à la consultation étaient réparti.es autour de 9 tables, selon leurs différentes affiliations : une table pour les municipalités, une pour l'industrie, une autre pour les groupes environnementaux, etc. Nous avons disposé d'environ 30 minutes pour discuter entre nous de chacun des deux enjeux proposés (Comment envisager la demande énergétique ? Quelles orientations pour l'offre d'énergie ?), et avons été invité.es à inscrire le plus lisiblement possible le fruit de nos échanges sur les feuilles généreusement mises à disposition sur chacune des tables. Les élus présents dans la salle circulaient entre les tables pour prêter une oreille bienveillante aux discussions.

À la fin de l'exercice, une personne par équipe devait résumer en 8 à 10 minutes les propositions. Après les résumés, madame la ministre ou monsieur le député commentaient les idées émises : « J'entends que vous proposez d'éliminer le gaz des bâtiments,…etc. » Mais de toute évidence, le temps alloué était trop court pour discuter sérieusement ne serait-ce que sur le quart des propositions. Heureusement, les organisateurs se sont faits rassurants en nous invitant à remettre nos feuilles de notes aux responsables de la consultation à la fin de la rencontre. Disons qu'il est plutôt cocasse d'imaginer le personnel du MEIE penché sur des notes manuscrites jetées pêle-mêle sur des feuilles de papier pour en retranscrire le contenu et en faire un rapport. Si rapport il y a, et pour qui...

Il ne fait donc pas de doute qu'avec sa tournée de consultations sur le PGIRE, le gouvernement Legault veut montrer qu'il est fidèle à sa promesse, lancée lors de son élection de 2022, de tenir un grand débat de société sur les enjeux énergétiques. Mais la démonstration s'avère bien peu convaincante.

Le Québec possède pourtant une longue expérience de consultations publiques. En s'inspirant des procédures du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE), la ministre Fréchette aurait pu annoncer publiquement ces consultations plusieurs semaines avant le début des audiences, de manière à permettre aux participant.es de se préparer. Le cadre et les enjeux de la consultation auraient été soumis à l'examen pour être bonifiés selon les expertises disponibles. Les documents de la consultation auraient été bien étayés et accessibles à tous. Les participant.es auraient été bien identifié.es et invité.es à transmettre leurs questions et recommandations par écrit, sous forme de mémoire, ou oralement, en s'adressant à une commission indépendante. Celle-ci aurait été chargée de faire rapport au gouvernement. Et toutes les présentations orales, tous les mémoires ainsi que le rapport de la commission auraient ainsi été publics et faciles d'accès.

Avec cette parodie de consultation sur le PGIRE qui se déroule présentement, le gouvernement Legault s'assure de demeurer en contrôle du message qui sera livré à la fin de l'exercice. Même si la ministre Fréchette a annoncé que les citoyen.nes pourront faire part de leurs recommandations en ligne et que le scénario du fameux PGIRE sera soumis à la discussion avant d'être adopté, tout est déjà en place pour éviter qu'ait lieu un véritable débat de fond sur la manière de nous affranchir des énergies fossiles et de limiter les impacts des différentes filières énergétiques sur le climat, l'environnement, la biodiversité, l'économie et les communautés.

Les groupes de la société civile et les experts ont été, et sont encore, nombreux à réclamer l'abandon ou le report du projet de loi 69 tant et aussi longtemps qu'une véritable discussion ouverte sur l'énergie du Québec ne sera pas menée dans le cadre d'une commission indépendante. Ce simulacre de consultation sur le PGIRE n'a rien pour nous satisfaire. Force est de constater que nous sommes encore loin de la ligne de départ.

Louise Morand, L'Assomption en Transition
Katherine Massam, Mouvement d'Action Régional en Environnement
Émilie Laurin-Dansereau, ACEF du Nord de Montréal
Jacques Tétreault, Secrétaire de Solidarité populaire Richelieu-Yamaska
Gilles Cazade, Président du syndicat des spécialistes et professionnels d'Hydro-Québec
Jean-Philippe Waaub, Collectif scientifique sur les enjeux énergétiques au Québec

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Avenir de l’éolien au Québec : après 25 ans d’audiences du BAPE, un nouveau rapport de recherche propose des solutions concrètes d’apaisement

29 avril, par Front commun pour la transition énergétique — , ,
Montréal, le 24 avril 2025 - Le Front commun pour la transition énergétique rend public un rapport indépendant portant sur les conditions d'un dialogue apaisé sur l'éolien au (…)

Montréal, le 24 avril 2025 - Le Front commun pour la transition énergétique rend public un rapport indépendant portant sur les conditions d'un dialogue apaisé sur l'éolien au Québec.

Cette publication offre une analyse détaillée des préoccupations émises vis-à-vis des parcs éoliens développés au Québec depuis 25 ans, souligne les faiblesses des mécanismes de participation existants et pointe les occasions à saisir afin d'améliorer l'acceptabilité sociale des projets éoliens sur le territoire.

La recherche, menée en résidence au Front commun pour la transition énergétique, est basée sur cinq axes de travail : une revue de littérature sur l'acceptabilité sociale et la consultation des peuples autochtones, vingt entretiens de cadrage avec des représentant·es d'intérêts et de structures varié·es, une enquête terrain dans deux MRC et une analyse de l'ensemble des vingt-huit dossiers éoliens des archives du BAPE.

En croisant les données issues de ces cinq axes, le rapport propose huit grands constats :

Des demandes récurrentes du BAPE n'ont pas trouvé de réponses depuis 25 ans.

Certains effets de l'éolien restent mal connus et doivent être étudiés et documentés (santé, écosystèmes, impacts cumulés).

Les municipalités sont au cœur de la transmission de l'information : elles ont besoin d'être outillées (informations exploitables, ressources humaines).

Il existe une grande quantité de données disponibles mais dispersées concernant les projets éoliens au Québec ; les archives du BAPE sont une mine d'informations sous-exploitée.

Une consultation générique sur l'éolien et des consultations sur la transition énergétique des MRC (que certaines ont déjà initiées) permettraient d'anticiper les enjeux sur le terrain et de gagner du temps dans la mise en œuvre des projets.

La clarification du processus de prise de décision par le gouvernement concernant la politique énergétique et la délivrance des autorisations contribuerait à améliorer l'acceptabilité sociale des projets.

La perspective d'ouvrir les consultations à des contributions créatives et des recherches participatives permettrait à la fois de bonifier les projets et d'élargir la participation du public.

Il est possible (et souhaitable) d'inclure un « indicateur d'acceptabilité sociale » dans la grille d'analyse des projets éoliens.

Ce rapport a été produit par Amandine Volard, ingénieure en congé sabbatique de l'ADEME (Agence de la transition écologique en France).

Pour consulter le rapport

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" Nous faisons de l’information politique, pas de l’électoralisme "

29 avril, par Réseau québécois des groupes écologistes — , ,
Bien qu'il contienne de belles propositions quant à l'accessibilité pour les électeurs et électrices vulnérables ou pour combattre la désinformation, le projet de loi 98 (Loi (…)

Bien qu'il contienne de belles propositions quant à l'accessibilité pour les électeurs et électrices vulnérables ou pour combattre la désinformation, le projet de loi 98 (Loi modifiant la Loi électorale principalement afin de préserver l'intégrité du processus électoral), tel que présenté à l'Assemblée nationale, comprend, de l'avis du RQGE, des modifications très problématiques à la Loi mettant en danger la liberté d'expression de la société civile.

par l'insertion de la notion de dépenses électorales et préélectorales faites par des tiers ;

par l'absence de définition de ce qu'est un acte avantageux ou désavantageux pour une entité politique ;

en imposant une période préélectorale plus longue aux tiers que pour les entités politiques ;

le tout assorti de mécanismes et lourdeurs bureaucratiques et amendes abusives pour le tiers état.

Le RQGE est très inquiet face à ces insertions pouvant décourager, voire judiciariser et appauvrir des personnes ou groupes de la société civile de bonne foi, et ce de façon disproportionnée, dans un encadrement législatif mal défini, portant à interprétation et même à l'arbitraire.

Pour plus de détails quant aux problématiques de ce projet de loi, voire soutenir une parole citoyenne sans entrave, nous vous invitons à consulter et partagerle Mémoire RQGE PL98 que nous avons présenté le 23 avril 2025 devant la Commission parlementaire des Institutions.

Réseau québécois des groupes écologistes RQGE

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Programme de stabilisation des berges du lac : Un BAPE s’impose !

29 avril, par Mouvement Onésime-Tremblay — , ,
Le processus de renouvellement du programme de stabilisation des berges est déjà commencé et doit aboutir en 2026, exactement 100 ans après la fermeture des vannes du barrage (…)

Le processus de renouvellement du programme de stabilisation des berges est déjà commencé et doit aboutir en 2026, exactement 100 ans après la fermeture des vannes du barrage d'Îles Malignes qui ont rehaussé le niveau moyen du lac d'une dizaine de pieds.

Mouvement Onésime-Tremblay

Après cent ans, il est plus que temps de se poser les bonnes questions et d'arrêter de jouer au pompier.

Nous, du Mouvement Onésime-Tremblay, croyons qu'un BAPE s'impose compte tenu de l'ampleur des problèmes. Résultat de rafistolages à la pièce, ces derniers sont légions. Pensons à la sortie de la Belle-Rivière qui cause beaucoup de soucis aux utilisateurs nautiques. La réorganisation de la sortie réalisée il y a quelques années n'a pas donné les résultats escomptés étant donné que des roches se sont déplacées dans le chenal et que le sable s'est accumulé causant ainsi des dommages aux utilisateurs en plus de limiter l'accès au lac. Pensons aussi à la disparition des plages à St-Gédéon-sur-le-lac, remplacées par des perrés ce qui est une autre conséquence d'un lac trop haut vulnérable aux grands vents.

Le problème le plus épineux est sans nul doute celui de la Pointe Langevin où deux expropriations ont déjà eu lieu et d'autres sont à venir. Devant l'ampleur du problème, Rio Tinto a lâchement pris les jambes à son cou et s'est déresponsabilisé. Pourtant, tout le monde sait bien que tout ça est indissociable du niveau élevé du lac et du débit élevé de la rivière Péribonka en hiver. C'en est au point où même le village de Péribonka est menacé. Cent ans après, la tragédie du lac Saint-Jean se poursuit. Onésime Tremblay a des raisons de se retourner dans sa tombe.

Les gens du lac Saint-Jean doivent prendre en main leurs problèmes. Rio Tinto n'était pas là il y a plus de cent ans et ne sera pas là éternellement. Les gens du Lac l'étaient et le seront. Un BAPE est l'occasion parfaite pour que s'expriment tous ceux et celles qui le désirent et nous souhaitons qu'ils soient nombreux.

Le premier objectif du Mouvement Onésime-Tremblay créé l'automne dernier est « de favoriser l'expression et la diffusion d'un point de vue citoyen axé sur le bien commun face à l'impact des actions passées, présentes et futures d'Alcan et de Rio Tinto ». La tenue d'un BAPE s'inscrit parfaitement dans cette démarche.

Naturellement, parce qu'un BAPE se doit d'examiner l'ensemble de la situation, sa tenue disqualifie à l'avance toute entente préalable à la réalisation du processus d'audience. L'état du lac concerne tout le monde et pas seulement un petit groupe de personnes tout autant élus qu'ils soient. Il en va de la crédibilité même du processus du Bureau des audiences publiques. Il ne faut pas contribuer à diminuer son rôle.

Compte tenu des décisions anti-environnementales (Northvolt, Stablex…) du gouvernement Legault, nous sommes conscients que la pression populaire devra être importante. Dans le but de favoriser une dynamique, nous invitons toutes les personnes et organismes qui appuient la démarche de le faire savoir sur la page Facebook du Mouvement Onésime-Tremblay.

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Amazon : Alliance Ouvrière lance une semaine de perturbation *économique du 27 avril au 3 mai

29 avril, par Alliance ouvrière, Syndicat des Travailleuses et Travailleurs d'Amazon Laval (STTAL-CSN) — , ,
Montréal et Québec, 25 avril 2025 — Alliance Ouvrière lance une semaine d'action et de perturbation économique du 27 avril au 3 mai, sous le thème « Jusqu'à la victoire finale (…)

Montréal et Québec, 25 avril 2025 — Alliance Ouvrière lance une semaine d'action et de perturbation économique du 27 avril au 3 mai, sous le thème « Jusqu'à la victoire finale ».

Chaque jour, des actions de protestation mettront en lumière la complaisance du gouvernement du Québec envers Amazon et ses pratiques. L'organisation dénonce également les réformes du ministre du Travail Jean Boulet, notamment le projet de loi 89.

Pour lancer la semaine, le groupe organise une manifestation-convoi à Trois-Rivières le dimanche 27 avril 2025 sous le titre « Boulet, réveille ! ». Elle partira du Parc de Normanville à 13h, situé au coin de la rue de Normanville et de la rue Nérée-Beauchemin.

Cinq actions de perturbation, qui se tiendront dans la grande région de Montréal entre le lundi 28 avril et le samedi 3 mai, ne seront pas annoncées publiquement avant les faits. Elles seront publicisées par voie de communiqué au moment où elles commenceront. Toutes ces actions auront pour but de perturber le cours normal des activités économiques.

D'autres actions déjà publiques :

- Mardi 29 avril : la section de Québec d'Alliance Ouvrière organise une action de visibilité au centre-ville de la capitale nationale.

- Jeudi 1er mai à Montréal : la section montréalaise organise un contingent dans la manifestation syndicale, au Parc Lalancette à 17h30. Elle sera présente en compagnie de la campagne citoyenne « Ici, on boycotte Amazon » ainsi que le Syndicat des Travailleuses et Travailleurs d'Amazon Laval.

- Jeudi 1er mai à Québec : La section de Québec se joindra à la manifestation à la Place de l'Université du Québec à 16h30.

- Samedi 3 mai : à 14h, la section de Québec organise une action de solidarité intersyndicale à Sainte-Foy.

Des organisations et syndicats ont déjà indiqué à Alliance Ouvrière leur intention de tenir des actions supplémentaires au courant de la semaine.

Citations

*Félix Trudeau, président du Syndicat des Travailleuses et Travailleurs d'Amazon Laval (STTAL-CSN) et membre d'Alliance Ouvrière :
-

« Les travailleurs licenciés d'Amazon ont tout fait pour réveiller Legault et son gouvernement, mais ils continuent de nous ignorer. Et ça, malgré une rencontre en personne avec le ministre du Travail ! Rendu là, il ne reste plus d'alternative. La seule voix que ce gouvernement écoutera peut-être, c'est celle qui menace les profits de ses amis. »

Benoît Dumais, porte-parole d'Alliance Ouvrière :
-

« Legault, Carney, Bezos... Est-ce qu'ils pensent qu'on va rester tranquilles pendant qu'ils nous arrachent nos droits un à un, comme ils l'ont fait aux travailleurs d'Amazon ? Qu'on va regarder nos conditions de vie se détériorer pendant qu'eux engrangent les profits ? Ils devraient relire leurs livres d'histoire. La classe ouvrière s'est déjà soulevée, et elle pourrait bien le refaire. »

-

« Amazon a orchestré sans conséquence un des plus grands licenciements collectifs de l'histoire du Québec, tout en faisant un doigt d'honneur à ses lois. C'est inacceptable. Le gouvernement doit la sanctionner sévèrement et la forcer à compenser sérieusement les travailleurs qui ont perdu leur emploi. »

Page Facebook : facebook.com/alliance.ouvriere

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Occupation du siège social d'Hydro-Québec pour dénoncerla vente à rabaisd'ébergie aux Américains et à AWS*

Montréal, 28 avril 2025 — *Un groupe de manifestant occupent depuis quelques minutes le siège social d'Hydro-Québec à Montréal. Cette action été organisée par Alliance Ouvrière, qui est accompagné du Syndicat d'Amazon Laval-CSN. Alors que la population canadienne se dirige vers les urnes pour choisir son approche envers les États-Unis et leur guerre commerciale, les militants dénonce comment Hydro-Québec vend son énergie à rabais à des méga-entreprises américaines comme Amazon Web Services (AWS).*

En effet, à l'aide de tarifs préférentiels, Amazon paie presque deux fois moins chers son électricité qu'un travailleur québécois moyen. La multinationale a aussi reçu des rabais supplémentaires de 20% la première année, diminuant de 5% par année.

C'est sans compter que le gouvernement provincial et fédéral continuent d'octroyer des contrats majeurs à AWS, indirectement financés par les québécois ordinaires qui payent le plein pris pour leur électricité, chaque mois.

Finalement, il convient de rappeler en cette journée d'élection que le PDG d'Intelcom (qui a repris le contrat de distribution de Prime) est le frère de Mélanie Joly1, qui joue son siège aujourd'hui. Celle-ci est également ministre des affaires étrangères et directement responsable de la relation
avec les États-Unis.

Un parti osera-t-il remettre en question le statu-quo où les institutions gouvernementales donne des contrats publiques important, des rabais et des subventions à d'immenses multinationales américaines, proche de Donald Trump ?

CITATIONS

*Benoît Dumais, porte-parole d'Alliance Ouvrière :*

« François Legault utilise Hydro-Québec pour forcer les québécois ordinaires à payer l'électricité d'AWS, en nous chargeant quasiment deux fois plus qu'à Amazon. Pendant ce temps-là, les libéraux fédéraux font semblant de se tenir debout face aux États-Unis, mais ne semble pas trop se soucier qu'ils utilisent nos ressources à rabais. »

« À force d'attaques contre les syndicats et de vendre nos ressources aux américains, Legault et Joly commencent à nous rappeler Maurice Duplessis. »

*Félix Trudeau, président du Syndicat des Travailleuses et Travailleurs d'Amazon Laval (STTAL-CSN) et membre d'Alliance Ouvrière :*

«

Amazon ferme ses entrepôts et nous laissent avec des miettes. Et quelle est la réaction de François Legault ? Rien du tout. Pendant ce temps là, le gouvernement provincial et fédéral continuent de gaver Amazon Web Services d'argent public, entres autres à l'aide d'Hydro-Québec. »

*À propos d'Alliance Ouvrière :* Alliance Ouvrière vise à constituer la classe ouvrière en force politique indépendante. Elle organise et mobilise la classe ouvrière dans les milieux de travail et les autres sphères de la vie sociale afin de récupérer l'outil de la grève politique. Page Facebook :
facebook.com/alliance.ouvriere

*À propos du Syndicat des Travailleuses et Travailleurs d'Amazon Laval (STTAL) :* Le STTAL regroupe les travailleurs et travailleuses de l'entrepôt DXT4 d'Amazon, à Laval. Il a été fondé en mai 2024. Il est le premier syndicat de la multinationale au Canada.

MISE À JOUR :

Les manifestants ont quitté les lieux vers 12h45 après avoir occupé les bureaux pendant environ 30 minutes.

Ils ont ensuite manifesté devant les bureaux pendant un 15 minutes supplémentaire.

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Jour de deuil : la sécurité et le bien-être des travailleuses et travailleurs doivent être en tête des priorités

29 avril, par Congrès du travail du Canada (CTC) — , ,
Chaque année, le 28 avril, les travailleuses et travailleurs du Canada soulignent le Jour de deuil national, une occasion solennelle de commémorer et honorer les personnes qui (…)

Chaque année, le 28 avril, les travailleuses et travailleurs du Canada soulignent le Jour de deuil national, une occasion solennelle de commémorer et honorer les personnes qui sont blessées, rendues malades ou mortes en raison de leur travail. Aujourd'hui, nous nous réunissons en souvenir et en solidarité, et nous réfléchissons aux vies changées à jamais par ces tragédies. Nous renouvelons notre engagement à veiller à ce que les travailleuses et travailleurs rentrent à la maison sains et saufs à la fin de chaque journée.

Cette année, les syndicats du Canada appellent à des mesures urgentes pour éliminer non seulement les dangers visibles en milieu de travail, mais aussi ceux qui ne peuvent pas être vus. Les environnements de travail dangereux, sous-financés ou stressants ont des effets bien réels sur la santé mentale. L'exposition à des substances dangereuses et la mauvaise qualité de l'air intérieur peuvent également causer des séquelles permanentes. Ce n'est pas parce qu'une blessure ou une condition ne laisse pas de cicatrices physiques qu'elles ne changent pas la qualité de vie.

Pendant la seule année 2023, il y a eu au Canada 1 057 décès en milieu de travail et plus de 274 000 réclamations pour blessures entraînant une perte de temps. Ce ne sont pas seulement des chiffres : il s'agit de personnes dont la vie a été écourtée ou modifiée de façon permanente. Et ces chiffres ne représentent que la partie visible de l'iceberg. De nombreuses autres blessures et maladies ne sont jamais signalées, reconnues ni prises en charge, surtout lorsqu'elles sont invisibles.

« Ce n'est pas uniquement la question des accidents — mais des défaillances systémiques », déclare Bea Bruske, présidente du CTC. « Quand on tourne les coins ronds, quand on ignore ou qu'on n'applique pas la réglementation et quand les profits passent avant les personnes, les travailleuses et travailleurs en paient le prix. La loi Westray a pour but de tenir les employeurs criminellement responsables des décès en milieu de travail causés par la négligence. Mais sans application cohérente, le pouvoir de la loi est limité. La vie d'un travailleur n'est pas une dépense d'affaires. »

Les jeunes travailleurs sont particulièrement vulnérables. Un grand nombre d'entre eux intègrent le marché du travail sans connaître les risques qui ne sont pas évidents ; des risques qui peuvent mener à des séquelles durables. Chaque travailleuse et travailleur a le droit de savoir à quoi il est exposé, et chaque employeur a le devoir de fournir un milieu de travail sécuritaire et sain, notamment en protégeant les travailleurs contre les risques invisibles et en reconnaissant que les blessures liées à la santé mentale sont valides et indemnisables.

Le Jour de deuil national de cette année tombe le même jour que les élections fédérales. Les syndicats du Canada exhortent les électeurs à garder à l'esprit le bien-être des travailleurs lorsqu'ils se rendront aux urnes.

« Il est possible de prévenir les blessures et les maladies en milieu de travail ; elles ne font pas partie du travail. Chaque travailleuse ou travailleur mérite de rentrer à la maison en santé et en sécurité à la fin de son quart de travail », indique madame Bruske. « Alors aujourd'hui, nous pleurons, mais nous luttons aussi. Nous luttons pour les vivants. Nous luttons pour la justice. Et nous luttons pour un avenir où aucune personne ne doit risquer sa vie ou son bien-être pour un chèque de paie. »

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La Fédération autonome de l’eneignement (FAE) demande le retrait du projet de loi 94 : Loi visant à renforcer la laïcité dans le réseau de l’éducation.

29 avril, par Fédération autonome de l'enseignement (FAE) — , ,
Le mémoire de la FAE souligne particulièrement les point suivants. Avirl 2025 • La profession enseignante est actuellement suffisamment encadrée. Le projet de loi no 94, (…)

Le mémoire de la FAE souligne particulièrement les point suivants.

Avirl 2025

• La profession enseignante est actuellement suffisamment encadrée. Le projet de loi no 94, qui reprend en grande partie les encadrements légaux déjà en vigueur, n'est pas nécessaire ;

• La réponse à des événements condamnables et isolés ne doit pas être l'ajout et l'usage de mesures de contrôle disproportionnées et généralisées à l'ensemble du réseau de l'éducation ;

• Le projet de loi no 94 met à mal le jugement professionnel du personnel enseignant et pour cette raison, il nuira à leur travail ;

• Le projet de loi no 94 ne règle pas les problèmes qui affectent le réseau scolaire, qui sont nombreux, et en crée de nouveaux ;

• Par le projet de loi no 94, le gouvernement nous rappelle qu'il préfère imposer et sanctionner, plutôt que négocier ;

• La Fédération autonome de l'enseignement privilégie la mise en place d'un plan d'action ministériel pour s'assurer de l'application des encadrements existants ;
Considérant ce qui précède, la Fédération autonome de l'enseignement demande le retrait du projet de loi no 94.

Pour lire l'ensemble du mémoire cliquez sur l'icône

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Des soins dans des murs en ruine : quand l’état des lieux menace la santé et la sécurité

29 avril, par Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), Julie Bouchard — , , ,
Il faut le voir pour le croire. Des murs gangrenés par la moisissure, des équipements défectueux, des fuites d'eau à répétition, des ascenseurs constamment en panne, de la (…)

Il faut le voir pour le croire. Des murs gangrenés par la moisissure, des équipements défectueux, des fuites d'eau à répétition, des ascenseurs constamment en panne, de la vermine qui rôde, des bâtiments infestés d'amiante. Et au milieu de ce chaos, des professionnelles en soins qui continuent, avec courage et dévouement, à offrir les meilleurs soins possibles à la population. Voilà le quotidien dans trop d'hôpitaux et de centres de soins au Québec en 2025.

À Drummondville, Montréal, Sorel, Saint-Jérôme, Mont-Laurier — et bien d'autres endroits —, des établissements de santé tombent en ruine, sous le regard indifférent d'un gouvernement plus préoccupé par des mégaprojets inutiles que par la sécurité de son personnel et de ses citoyen-ne-s. Ces lieux censés être synonymes de guérison sont devenus, dans bien des cas, des zones à risque.

Si les murs de certains de nos hôpitaux pouvaient parler, ils hurleraient à l'abandon. Et leur cri serait celui de toutes les professionnelles en soins du Québec, épuisées de devoir soigner dans des conditions dignes d'un autre siècle. Comment parler de qualité des soins quand les outils manquent, quand les infrastructures menacent de céder, quand les milieux de travail sont à ce point insalubres que la santé de celles qui y exercent est elle-même compromise ?

Pendant ce temps, que fait le gouvernement ? Il investit à coups de millions dans des projets qui n'ont aucun lien avec les besoins urgents du réseau de la santé. Plus de soixante millions de dollars pour des études sur un troisième lien mort-né. Des centaines de millions engloutis dans le fiasco SAAQclic. Sept millions pour séduire une équipe de hockey millionnaire à venir faire du tourisme à Québec. Et bien sûr, une pluie de millions versés à Northvolt, sans débat public, sans transparence, sans conditions.

Mais lorsqu'il s'agit de rénover un hôpital, de réparer un ascenseur ou de s'assurer que les salles d'urgence ne débordent pas, les coffres sont soudainement vides. On nous répète qu'il faut faire des choix responsables, que le budget est serré, que les ressources sont limitées. Mais il semble que ces contraintes ne s'appliquent qu'à la santé et à l'éducation. Quand vient le temps de satisfaire des intérêts économiques ou politiques, l'argent, lui, coule à flots.

Ce désintérêt chronique pour l'état des infrastructures de soins est non seulement un affront aux professionnelles en soins, mais aussi à la population. Car il ne s'agit pas seulement de conditions de travail indignes : il s'agit de sécurité, de décence, de respect. Chaque dollar gaspillé dans un projet douteux est un dollar qui manque pour protéger une vie, prévenir une chute, éviter une infection.

Et dans un contexte où les besoins en santé explosent, où la population vieillit et où la santé mentale devient un enjeu majeur, continuer de négliger l'entretien et la modernisation de nos établissements, c'est foncer droit dans le mur. La situation actuelle favorise l'exode des professionnelles en soins vers des milieux plus sécuritaires, plus modernes, plus respectueux. Peut-on vraiment les blâmer ?

Le gouvernement doit se ressaisir. La santé n'est pas une ligne comptable ni un levier de marketing politique. C'est un pilier fondamental de notre société. Il est impératif de réinvestir massivement dans nos infrastructures, de garantir des milieux de soins sécuritaires et salubres, et de respecter l'expertise de celles qui, jour après jour, prennent soin de nous.

Il est plus que temps de cesser de jouer au Monopoly avec les fonds publics. Ce qui est en jeu ici, ce n'est pas une partie de stratégie financière. Ce sont nos vies. Nos corps. Notre dignité.

Julie Bouchard
Présidente de la Fédération Interprofessionnelle de la santé du Québec—FIQ

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Notes sur une mobilisation anti-impérialiste planétaire : « Hands off Ethiopia »

29 avril, par Martin Gallié — , ,
Ce texte propose de revenir sur une mobilisation exceptionnelle dans l'histoire du mouvement ouvrier et de l'internationalisme, encore peu documentée en français : la campagne (…)

Ce texte propose de revenir sur une mobilisation exceptionnelle dans l'histoire du mouvement ouvrier et de l'internationalisme, encore peu documentée en français : la campagne menée en solidarité avec l'Éthiopie entre 1934 et 1936 contre l'invasion italienne, plus connue en anglais sous le nom de « Hands off Ethiopia ».

À travers ce bref retour historique, par un auteur qui n'a aucune compétence et aucune prétention d'historien, il s'agit de mettre en perspective certains débats qui traversent actuellement la gauche radicale concernant la solidarité armée avec l'Ukraine. L'objectif est notamment de tenter de faire ressortir certaines difficultés rencontrées à l'époque par les militant·es socialistes pour construire une solidarité internationale avec l'Éthiopie qui articule tout à la fois le soutien aux luttes de libération nationale et la lutte des classes ; le soutien à la lutte contre le fascisme et la lutte contre toute forme de colonialisme et d'impérialisme.

  • « Si Mussolini l'emporte, cela signifiera le renforcement du fascisme, la consolidation de l'impérialisme et le découragement des peuples coloniaux en Afrique et ailleurs. La victoire du Négus, en revanche, constituerait un coup terrible pour l'impérialisme dans son ensemble et donnerait un élan puissant aux forces rebelles des peuples opprimés. Il faut vraiment être complètement aveugle pour ne pas le voir ». Léon Trotsky, « Le conflit Italo-éthiopien », juillet 1935"

À l'heure où la gauche internationale se fracture sur la question du soutien militaire à apporter à la résistance ukrainienne afin qu'elle puisse, ou ne puisse pas, se défendre contre l'impérialisme Russe, nous proposons ici de faire un pas en arrière. Il s'agit de revenir sur une mobilisation internationale exceptionnelle contre une autre agression impérialiste : la campagne de solidarité avec l'Éthiopie entre 1934 et 1936 contre l'invasion italienne, plus connue en anglais sous le nom de « Hands off Ethiopia ».

Cette mobilisation reste étrangement peu documentée en français alors qu'il s'agit d'une des plus importantes mobilisation internationale de l'histoire ouvrière du XXe siècle [1]. Pendant plus d'une année, elle donne lieu à d'innombrables manifestations de solidarité à travers le monde mais également, ce qui est encore plus rare, à de très nombreuses actions pour bloquer les livraisons d'armes, voire même pour encourager un enrôlement militaire dans l'armée éthiopienne. Cette campagne est également exceptionnelle en ce qu'elle marque « un tournant dans l'organisation politique antiraciste et anticoloniale sur le continent africain et dans la diaspora » [2]. Des figures devenues incontournables du mouvement de lutte contre le colonialisme et le racisme, comme C. L. R. James, Tiémoko Garan Kouyaté, George Padmore, Amy Ashwood Garvey, se mobilisent et tissent des liens amenés à perdurer bien au-delà de la campagne. Enfin, une dernière particularité remarquable de cette mobilisation est qu'elle se construit à la base, comme « une sorte de globalisme par en bas » [3], c'est-à-dire en dehors – voire contre - les principaux partis politiques et les organisations syndicales internationales. C'est ainsi une mobilisation en réaction à l'hypocrisie et à la passivité des États et des organisations internationales, comme la Société des Nations mais également des organisations ouvrières qu'elles soient sociales-démocrates, comme la Seconde internationale ou la Fédération syndicale internationale (FSI) ou communistes, comme le Komintern et le Profintern. Bref, pour Joseph Fronczak, auteur d'une précieuse étude sur le sujet et sur laquelle nous nous appuyons ici, cette campagne est « l'un des tournants les plus critiques dans la formation d'une gauche mondiale au XXe siècle, avec des effets sur l'histoire internationale qui se sont poursuivis jusqu'à la Seconde Guerre mondiale et ont duré jusqu'à l'ère de la décolonisation de l'après-guerre » [4].

Et aujourd'hui encore, ce retour historique permet de mettre en perspective certains des débats qui divisent la gauche sur la solidarité à apporter à l'Ukraine : comment articuler soutien à la lutte de libération nationale et la lutte des classes ? Comment articuler lutte contre le fascisme et lutte contre le colonialisme et l'impérialisme [5] ? Comment construire une solidarité internationale avec un peuple envahi sans soutenir les impérialismes concurrents ?

Brève mise en contexte historique

Depuis le début des années 1930, l'Italie fasciste de Mussolini planifie politiquement et militairement d'envahir l'Éthiopie [6]. En décembre 1934, des affrontements à la frontière somalienne (« l'incident de Welwel ») lui fournissent un prétexte. Des négociations de mauvaise foi pendant toute la première partie de l'année 1935, lui donne le temps d'amasser des armes et d'envoyer en Érythrée, une colonie italienne, la plus grande armée coloniale jamais envoyée en Afrique, soit environ 500 000 hommes, en comptant des ouvriers, des responsables des communications, des médecins etc. Finalement, le 2 octobre 1935, elle envahit l'Éthiopie du dictateur Haïlé Sélassié 1er, dit le Négus. Addis-Abeba tombe le 5 mai 1936, date qui marque officiellement la fin de la guerre mais pas celle de la résistance éthiopienne qui ne cessera de harceler les forces italiennes jusqu'à prise de pouvoir par les britanniques en 1941. Les estimations varient beaucoup mais selon certains au moins 760 000 éthiopien·nes perdront la vie (dans un pays d'environ six millions d'habitant·es) - dont nombre empoisonné·es par du gaz moutarde, de faim, de maladie [7].

La guerre consacre l'impuissance de la Société des Nations à s'opposer aux ambitions impérialistes de l'Italie. Elle révèle également l'absence de volonté politique des principales puissances occidentales comme de l'URSS stalinienne à s'y opposer.

De fait, dans un premier temps, les États européens, la France et le Royaume-Uni en tête, espèrent éviter de pousser Mussolini « dans les bras de Hitler ». Ils ne feront donc rien dans les premier mois de l'année 1935 pour contrarier ses ambitions en Éthiopie. Au contraire, la France signe en janvier une entente de non-intervention avec l'Italie et le Royaume-Uni décrète un embargo sur les armes à destination de l'Éthiopie. Après le début de l'invasion, la France et, surtout le Royaume Uni, insistent et réussissent à imposer des sanctions via la SdN. Ils développent alors, selon Florence Oppen, « la propagande bourgeoise comme quoi ce conflit était une lutte des « démocraties » (Angleterre, France, USA) contre le « fascisme » (Italie) » [8] et ils présentent les sanctions économiques comme une alternative crédible au soutien armé à la résistance éthiopienne [9]. Ces sanctions ne ciblent pourtant pas l'essentiel à savoir le charbon, le pétrole et l'acier, qui restent alors de précieuses sources de revenus pour les britanniques et les français, et sans lesquelles Mussolini n'aurait pas pu mener à bien son projet colonial [10].

Les États-Unis de Roosevelt s'engagent quant à eux dans une politique dite de non-intervention, voire isolationniste. Le Département d'État étatsunien contraint même la Standard-Vacuum Oil co. à renoncer à un « contrat pétrolier » conclut pendant la guerre avec l'Empereur éthiopien dans une tentative désespérée de ce dernier d'impliquer les États-Unis dans le conflit [11]. Ce « deal », qui avait toute les apparences d'un racket, prévoyait la « location » de la moitié du territoire éthiopien à la compagnie pétrolière [12].

Enfin, pour les Soviétiques, derrière un discours de lutte contre « les fascismes » Italien et Éthiopien, il s'agit de ne pas se brouiller avec les Italiens dans l'espoir de contrer l'expansionnisme de l'Allemagne Nazie [13]. Par ailleurs, à la même époque, l'Union soviétique entretient d'importants échanges commerciaux avec l'Italie et continue de lui vendre, plus ou moins discrètement, des matières premières dont du pétrole. Bref, en mettant sur le même plan le fascisme italien et éthiopien, l'Union soviétique renonce à lutter contre le colonialisme et l'impérialisme italien et instrumentalise la lutte contre le fascisme à ses propres fins.

La lutte contre le fascisme et la marginalisation des luttes anti-impérialistes et anti-racistes

En effet, depuis les années 1924-1925 Staline et Boukharine considèrent que l'URSS est assiégée par les États bourgeois. Contre les thèses de Marx, Engels, Lénine et Trotsky notamment, ils défendent alors l'idée qu'il est possible de réaliser le « socialisme dans un seul pays ». Dans cette perspective, la priorité de la politique étrangère soviétique n'est plus d'encourager la révolution internationale mais de défendre la « patrie du prolétariat » contre les partis fascistes mais également contre la social-démocratie identifiée comme complice si ce n'est comme une variante du fascisme. Cette analyse sera théorisée lors sixième congrès de 1928 du Komintern, sous le nom de la stratégie dite « classe contre classe ». Concrètement, les partis communistes du monde entier doivent alors refuser toute alliance électorale, tout « front unique » avec la social-démocratie, désormais formellement qualifiée de sociale-fasciste ; y compris dans le cas de luttes contre le fascisme ou de décolonisation [14].

Finalement, après la prise de pouvoir par les nazis en 1933, Staline change progressivement de cap. L'Allemagne, et dans une moindre mesure l'Italie fasciste et le Japon impérial, sont désormais perçus comme les principales menaces militaires qui pèsent sur l'URSS. Le rapprochement entre l'Union soviétique et les démocraties occidentales (Royaume-Uni et France en particulier) est donc considéré comme le meilleur moyen de lutter contre les nazis.

Dans ce contexte, la critique des démocraties occidentales, et donc la critique de leur politique coloniale et impérialiste, est secondarisée, « mise en sourdine » [15]. La consigne est donnée aux partis communistes à travers le monde, via le Komintern, de centrer la lutte contre le fascisme et d'encourager les « fronts populaires » avec les sociaux-démocrates [16]. À partir de ce moment, souligne Tom Buchanan, seule une minorité de militant·es s'engage dans une lutte qui articule tout à la fois la lutte contre le fascisme et la lutte contre l'impérialisme. En fait, la majorité du mouvement ouvrier « se concentre sur la menace militaire et politique immédiate posée par l'Allemagne, l'Italie et le Japon plutôt que sur les iniquités de l'empire » [17].

À l'inverse, au même moment, les militants anticolonialistes, antiracistes et anti-impérialistes s'éloignent des instances staliniennes, du Komintern et du Profintern. Georges Padmore par exemple, qui avait activement participé à la Ligue contre l'impérialisme et l'oppression coloniale et au Comité international des travailleurs noirs, deux organisations étroitement liées au parti communiste soviétique, quitte le Komintern en 1933. Pour l'organisation communiste G. Padmore accorde une place trop importante à la lutte contre le racisme et le colonialisme au détriment de la lutte des classes. À l'inverse G. Padmore accuse « le Komintern de modérer son anticolonialisme, afin de permettre à l'Union soviétique de rechercher des alliances anti-allemandes avec la Grande-Bretagne et la France » [18]. Dans le même sens, en 1933 également, Tiémoko Garan Kouyaté, l'un des fondateurs de la Ligue de Défense de la Race Nègre (LDRN) en France est exclu du parti communiste français, officiellement pour des questions de malversation mais officieusement pour avoir refusé de se plier à la stratégie du « classe contre classe » et pour avoir priorisé les luttes anticoloniales [19].

Un antifascisme impérialiste

En ce qui concerne le conflit Italo-éthiopien, cette ligne politique signifie, pour les partis communiste, d'occulter le caractère colonial et impérialiste de la conquête italienne et, à l'inverse, de mettre en exergue du caractère fasciste des régimes italiens mais également éthiopiens. Une politique qui permet alors, au nom de la lutte contre "les fascismes", de légitimer l'absence de soutien matériel à l'Éthiopie. À un point tel que de la fin de l'année 1934 jusqu'au mois d'août 1935, l'URSS comme le Komintern restent largement inactifs et développent un discours incohérent pour se justifier.

D'un côté ils affichent un timide soutien verbal à l'intégrité territoriale de l'Éthiopie et au « peuple éthiopien », par opposition à « l'Éthiopie fasciste ». Mais d'un autre côté, ils refusent d'accorder un quelconque soutien militaire au régime du Négus, qualifié de bourgeois et d'impérialiste au même titre que l'Italie. Les partis communistes et de nombreux partis de gauche européens suivent alors cette ligne et refusent de s'engager dans des campagnes de solidarité avec le Gouvernement éthiopien. À titre d'exemple, l'exécutif de l'International Labour Party anglais estime que « la différence entre les deux dictateurs rivaux et les intérêts qui les sous-tendent ne valent pas la perte d'une seule vie britannique », adoptant ainsi une posture de neutralité, pacifiste, contrairement à la position défendue par de nombreux membres du parti [20]. Les régimes italien et éthiopien sont donc renvoyés dos à dos, que ce soit au nom de la priorité donnée à la lutte contre le fascisme et à la défense de l'URSS ou du pacifisme.

Bref, le Komintern et les partis communistes notamment, occultent délibérément la dimension coloniale, raciste et impérialiste de la conquête de l'Éthiopie par l'Italie ce qui fait dire à Tom Buchanan que par bien des aspects l'anti-fascisme de l'époque est en fait impérialiste :

  • « to a surprising degree the anti-fascism of the later 1930s rested on imperial assumptions » [21].

L'absence de solidarité des partis communistes et la division du mouvement

Concrètement cette posture légitime l'absence de tout soutien à l'Éthiopie. L'URSS comme la plupart des partis communistes et des démocraties occidentales, n'apportent aucune aide, aucun soutien militaire au gouvernement éthiopien [22]. George Padmore, par exemple, dénoncera violemment la passivité et l'absence de soutien de l'URSS et des organisations communistes rappelant que « not one rouble was sent to Abyssinia, not one bandage, not one ton of wheat » [23]. Et il faut attendre la fin du mois d'août 1935, soit quelques semaines avant le déclenchement de la guerre et alors que la campagne « Hands off Ethiopia » est déjà à son sommet à travers le monde, pour que le Komintern prenne officiellement position. Il dénonce alors, toujours très timidement, l'Italie fasciste et accepte implicitement l'idée d'un front commun avec les organisations sociales-démocrates [24].

Concrètement toujours, cette politique centrée sur la dénonciation des fascismes italien et éthiopien, signifie que la campagne Hands off Ethiopia va se construire malgré ou contre les partis communistes. De fait, au nom de la priorité accordée à la lutte contre le « social-fascisme », ils s'opposent à la construction de liens de solidarité avec les organisations qui se mobilisent alors en défense de l'Éthiopie. À titre d'exemple, en France, le Parti communiste français et le Komintern s'opposent à des actions communes entre l'Union des travailleurs noirs - qui est alors plus ou moins contrôlée par le parti communiste - et la Ligue de défense de la race noire (LDRN), une organisation indépendantiste qui se mobilise alors activement contre la guerre [25].

Mais si le mouvement se construit malgré tout c'est que pour de nombreux militant·es soutenir l'Éthiopie, c'est défendre un projet politique d'émancipation plus large que l'antifascisme et la lutte des classes : c'est également celui de la lutte pour l'indépendance, contre le colonialisme, contre le racisme, contre l'impérialisme et pour le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Le mouvement de solidarité se construit alors contre la réthorique soviétique, des partis communistes et leurs pratiques. C.L.R. James, militant trotskyste en Angleterre au sein de l'Independent Labour Party anglais (ILP), considère ainsi que la priorité accordée par les staliniens à la lutte antifasciste revient à donner la priorité aux intérêts des européens sur les intérêts des non-européens colonisés [26]. C'est notamment pour cette raison qu'il fonde en 1935, avec Amy Ashwood Garvey, l'International African Friends of Ethiopia (IAFE) et organise de nombreuses manifestations, en défense de la souveraineté éthiopienne [27].

Dans le même sens, la féministe britannique Sylvia Pankhurst déclare que l'antifascisme ignore les souffrances des victimes non blanches du fascisme. Pour elle, l'accent mis sur l'antifascisme contribue à masquer le caractère colonial et raciste de la conquête éthiopienne [28].

Enfin, tout une étude reste à faire sur le sujet, mais on relèvera que lorsque les partis communistes s'engagent finalement dans la campagne Hands Off Ethiopia, à l'automne 1935, ils continuent de s'attaquer aux groupes qui se sont constitués aux États-Unis autour de la question raciale et de la solidarité des afro-américains avec les Éthiopiens et qui dénoncent l'attitude hypocrite de l'URSS. À titre d'exemple on peut lire dans The Communist International l'organe officiel de propagande de la IIIe Internationale (Komintern) à l'automne 1935 :

  • "Les réactionnaires bourgeois nègres ont fait tout ce qu'ils pouvaient pour brouiller les pistes, d'abord en en faisant une question de race, Nègres contre Italiens, en fermant les magasins italiens avec des escadrons volants, etc. (A New York et dans le New Jersey, il y a eu de petites émeutes entre Italiens et Nègres.Et, deuxièmement, en calomniant l'U.R.S.S. affirmant qu'elle soutien l'Italie (traduction deepl). [29]

Cette analyse est également développée par les dirigeants communistes aux États-Unis. "Not a Race War" écrit ainsi James W. Ford, un des représentants du Parti communiste étatsunien, lui-même noir :

  • Il y a cependant certaines sections du peuple noir qui considèrent les événements d'Ethiopie comme une guerre de tous les hommes noirs contre tous les hommes blancs, en d'autres termes une « guerre raciale ». C'est inexact ! La guerre d'Ethiopie est une guerre défensive nationale contre une attaque impérialiste de pillage et devrait et doit recevoir le soutien de toutes les forces antifascistes et anti-impérialistes. C'est sur cette base que peut se construire le front uni de tous les alliés du peuple éthiopien" (traduction deepl) . [30].

L'action de l'Internationale des gens de la mer et du Comité syndical international des travailleurs noirs

Si le Komintern et la plupart des partis communistes restent largement inactifs jusqu'à l'automne 1935, des travaux révèlent toutefois l'action de deux organisations communistes internationales, pourtant étroitement dépendantes du Komintern et qui ont malgré tout tenté de mobiliser leurs membres : l'Internationale des gens de la mer (ISH) et le Comité syndical international des Travailleurs noirs (ou International Trade Union Committee of Negro Workers - ITUCNW).

Au cours de l'année 1935, l'ISH - un syndicat international communiste de dockers - lance des appels au boycott des livraisons d'armes à l'Italie, à au moins deux reprises. La première campagne est lancée en mars 1935. Selon H. Weiss, elle échoue car l'ISH est alors largement dysfonctionnelle depuis la prise du pouvoir par les nazis et le déménagement en urgence de son siège à Amsterdam. Mais cet échec est également dû à la stratégie déployée. De fait, conformément à la stratégie définie par les instances soviétiques, l'ISH invite les dockers et les marins à défendre le « peuple abyssin » mais pas « l'Abyssinie », c'est-à-dire l'empereur et le système politique. Une telle position n'est clairement pas « inclusive », note H. Weiss, en ce sens qu'elle mine la construction de solidarité avec le gouvernement éthiopien d'une part et d'autre part avec ceux et celles attachés à la décolonisation et au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Bref, le mot d'ordre ne convint pas grand monde.

En octobre 1935, après le VIIe congrès mondial du Komintern d'août 1935, le secrétariat de l'ISH lance un second appel au boycott international des navires italiens. Mais là encore l'appel est un échec. L'ISH refuse toujours d'appeler à la solidarité avec le Gouvernement éthiopien et l'International Transport Workers Federation (ITF) – le principal syndicat des gens de mer associé à la Seconde internationale quant à lui – refuse de s'associer avec des syndicats communistes [31].

Le Comité syndical international des travailleurs noir tente également très tôt de mobiliser et joue un rôle important grâce, notamment, à son journal The Negro Worker et à l'investissement de son dirigeant Otto Huiswoud. Celui-ci, qui a remplacé George Padmore à la tête de l'organisation, milite activement pour faire de la Ligue l'avant-garde de la campagne. C.L.R James, pourtant anti-stalinien et qui s'implique activement dans la campagne au Royaume Uni, soulignera le rôle joué par le mensuel The Negro Worker qui circule de port en port et diffuse les appels au boycott un peu partout dans le monde [32].

Mais l'action des communistes, d'Huiswoud et de la Ligue, comme celle de l'ISH restent limitées et ils peinent à mobiliser a contrecourant du Komintern.

L'hypocrisie soviétique mise à nue

De fait, c'est surtout la politique et l'hypocrisie éhontée de l'URSS qui mine les efforts déployés par les membres de l'Internationale des gens de la mer ou du Comité syndical international des travailleurs noirs en les plaçant clairement « en porte-à-faux » [33]. En effet en septembre 1935, le New York Times publie en première page un article révélant le soutien matériel apporté par l'URSS à l'Italie. Le journal expose alors la complicité du régime stalinien qui tout en condamnant formellement la campagne de Mussolini, poursuit des échanges très lucratifs avec l'Italie et soutient activement la colonisation éthiopienne [34].

Un mois plus tard, un article de George Padmore publié dans The Crisis, le journal fondé par W.E.B. du Bois et organe officiel de la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP) étatsunienne, donne le « coup de grâce » à l'action de Huiswoud et du Comité, en rapportant à son tour les échanges commerciaux de l'URSS avec l'Italie fasciste. Selon H. Weiss,

  • « La nouvelle fit le tour de l'Atlantique africain, ce qui eut pour conséquence que de nombreux militants noirs, sinon la plupart, rompirent avec les partis et les organisations communistes » [35].

Une tentative d'articulation entre soutien aux guerres de libération nationale et lutte contre les impérialistes

La rhétorique contradictoire de l'URSS et du Komintern qui tout en affirmant timidement leur soutien au « peuple éthiopien », refusent de s'engager concrètement et ne cessent de renvoyer dos à dos les régimes fascistes italien et éthiopien, n'échappent pas à Léon Trotsky. Celui-ci, dans un texte de juillet 1935, revient sur ce conflit « de la plus haute importance » et se dissocie alors clairement de cette position stalinienne. Il insiste alors pour soutenir l'Éthiopie au nom de la lutte contre l'anti-impérialisme :

  • « Bien entendu, nous sommes pour la défaite de l'Italie et pour la victoire de l'Éthiopie, et nous devons donc faire tout notre possible pour empêcher, par tous les moyens en notre pouvoir, que d'autres puissances impérialistes soutiennent l'impérialisme italien et en même temps faciliter du mieux que nous pouvons la livraison d'armes, etc. à l'Éthiopie.
    Néanmoins nous devons faire valoir que cette lutte n'est pas dirigée contre le fascisme mais contre l'impérialisme. Quand c'est de guerre qu'il s'agit, il n'est pas question pour nous de savoir qui est « le meilleur » du Négus ou de Mussolini, mais d'un rapport de forces et du combat d'une nation sous-développée pour se défendre contre l'impérialisme »
    [36].

Plus tard, en avril 1936, Trotsky dénonce de nouveau les partis de gauche socialistes ou staliniens qui prônent le pacifisme, qui refusent de prendre parti en faveur de l'Éthiopie, au motif qu'il s'agit de deux dictateurs fascistes en conflit. Comme si l'Éthiopie sous-développée et l'Italie puissance coloniale pouvaient être mises sur un pied d'égalité ; comme si des dictateurs n'avaient jamais pu jouer un rôle progressiste dans l'histoire (il cite notamment Cromwell et Robespierre) ; comme si la victoire de Mussolini ou du Negus aurait les mêmes conséquences pour la classe ouvrière.

  • « Si Mussolini l'importe, cela signifiera le renforcement du fascisme, la consolidation de l'impérialisme et le découragement des peuples coloniaux en Afrique et ailleurs. La victoire du Négus, en revanche, constituerait un coup terrible pour l'impérialisme dans son ensemble et donnerait un élan puissant aux forces rebelles des peuples opprimés. Il faut vraiment être complètement aveugle pour ne pas le voir » [37].

Trotsky qualifie alors ceux qui se contentent de parler de « querelles entre dictateurs », comme « un modèle exemplaire de l'impuissance spirituelle et morale du pacifisme » [38].

Dans le même temps cependant, il insiste sur l'importance et la nécessité pour la classe ouvrière de dénoncer l'hypocrisie et les pratiques de tous les impérialistes, y compris des soutiens affichés à l'Éthiopie. Il invite alors à soutenir un agenda d'actions distinct de celui des États de la SdN, à développer des « sanctions ouvrières » :

  • « La vérité́, c'est que si les ouvriers commencent à appliquer contre l'Italie leurs propres sanctions, leurs actions vont inévitablement atteindre leurs propres capitalistes et la S.D.N. sera alors contrainte d'abandonner toute sanction. Elle ne propose aujourd'hui de sanctions que parce que les voix des ouvriers ne s'élèvent dans aucun pays. L'action ouvrière ne peut commencer qu'en opposition absolue à la bourgeoisie nationale et à ses combinaisons internationales. Soutien de la S.D.N. et soutien des actions ouvrières sont comme l'eau et le feu : on ne les marie pas". [39].

Cette position sera notamment activement défendue aux États-Unis par les des militants trotskystes du Socialist Appeal, qui défendent alors la nécessité d'articuler un soutien actif à l'Éthiopie et une critique radicale de tous les impérialismes.

  • « Nous devons œuvrer pour un boycott de l'Italie, un boycott si efficace qu'il vaincra l'Italie. Mais nous devons également lutter contre toute implication dans une guerre au nom de « notre » gouvernement impérialiste (…) nous rejetons l'idée de boycotter à la fois l'Italie et l'Éthiopie » [40].

Une mobilisation ouvrière à l'échelle planétaire

Certes, la mobilisation ne part pas uniquement de la base. Il y a bien eu des appels internationaux à la solidarité avec l'Éthiopie provenant d'organisations ou de partis de gauche. Outre le soutien de certains organisations trotskystes, on a vu que les appels au boycott lancé par l'ISH ont eu une diffusion mondiale, notamment grâce à journal The Negro Worker. Mais ces appels, estime H. Weiss, sont le plus souvent des réactions à des actions déjà menées localement, par des syndicats, par les comités anti-guerres locaux ou des équipages, indépendants du Komintern.

Ainsi, à la différence de la campagne internationale « Hands off China » lancée contre le Japon suite à l'invasion de la Mandchourie en 1932 et qui avait été dirigée et menée par les organisations politiques et syndicales communistes, le Komintern et le Profintern en particulier, la campagne « Hands off Ethiopia » est surtout le fait d'organisations nationales, de terrain, syndicales, antiracistes, religieuses etc [41].

C'est donc un mouvement qui part de la base mais qui ne vient pas de nulle part. Il s'inscrit notamment dans la continuité d'autres grandes mobilisations internationales, comme celles pour les « Scottsboro boys », pour Angelo Herndon ou Sacco et Vanzetti [42], autant de campagnes populaires, qui « contrastent avec l'inertie et la division de la gauche institutionnelle durant ces années » selon Fronczak [43]. Toutefois, la mobilisation contre la guerre en Éthiopie marque un changement d'échelle [44]. À la différence de ces précédentes mobilisations, qui concernaient des enjeux nationaux et des individus, des « causes célèbres » pour reprendre la formule de Buchanan [45], il s'agit ici d'une mobilisation contre une guerre impérialiste, entre deux États, au cours de laquelle tout le répertoire d'actions militantes est mobilisé ; des plus classiques, comme les pétitions, sit-in, manifestations, aux plus radicales comme des effigies brulées, des grèves, des boycotts, des blocages, du vandalisme, des actes de sabotages, des mutineries.

De fait, ce mouvement donne lieu à d'innombrables mobilisations à travers le monde. T. Kouyaté et plus récemment J. Fronzcak ont identifié des dizaines de manifestations ou des actions en France, au Royaume-Uni, aux États-Unis, au Japon, au Brésil, en Égypte, en Tunisie, en Inde, en Guyane, dans les Caraïbes, en Afrique du Sud etc. Il s'agit parfois de petites actions directes. Ainsi, à Chicago le 22 juin 1935, une jeune femme blanche de 19 ans et une autre noire de 24 ans s'attachent avec des menottes au consulat italien de Chicago, vêtues de T-shirt avec les inscriptions, « Hands off Ethiopia », devant une trentaine de soutiens, communistes ou non, blancs, noirs, hommes et femmes [46]. Mais très souvent, il s'agit d'importantes manifestations, regroupant des milliers de personnes. À titre d'exemple, le 17 juillet à Johannesburg une importante manifestation est organisée, regroupant des blancs et des noirs contre le fascisme italien ; une effigie de Mussolini est brulée. Le 5 août, plus de 100 000 personnes manifestent à Harlem. À Paris, le 22 août 1935, Messali Hadj, figure de la lutte anticoloniale algérienne, se souvient d'un « gargantuan meeting », au cours de laquelle il prend la parole et appelle à la solidarité de tous les travailleurs, indépendamment de leur religion ou couleur de peau, contre le fascisme . De même, les britanniques se mobilisent massivement contre la guerre tandis que les socialistes de Rio de Janeiro organisent « a mammouth demonstration » . Et selon Fronzcak, « [n]ulle part dans le monde, le sentiment d'identification à l'Éthiopie n'a été aussi aigu que dans toute l'Afrique » . Il a notamment identifié des actions et des manifestations au Sierra Léone, au Nigéria, au Ghana, Kenya etc [47].

À noter enfin que cette campagne suscite parfois d'importantes confrontations, qui peuvent être très violentes. Ainsi une émeute éclate à Harlem en mars 1935 au cours de laquelle les manifestants dénoncent le fascisme italien. En août 1935, les rues de Jersey City sont, trois jours durant, le lieu de violentes confrontations entre fascistes et antifascistes d'origine italienne. En octobre, des jets de pierres sont jetée sur le consulat italien de Rio de Janeiro, du piquetage est organisé devant celui de New York ; le 3 octobre une violente bagarre éclate à Toulouse quand le bruit circule que des immigrés italiens souhaitaient répondre à l'appel à la mobilisation lancé par Mussolini etc [48].

Blocage des livraisons d'armes et appels à la mobilisation armée

Mais ce mouvement ne se limite pas à manifester son opposition à la guerre. D'innombrable actions de boycott, des grèves et même des mutineries se déploient pour empêcher les livraisons de matériel, militaire ou non, à l'Italie, ce qui est relativement exceptionnel dans l'histoire ouvrière. Et encore une fois, comme l'ont déjà relevé H. Weiss et J. Fonczak, si certains partis de gauche se sont parfois mobilisés pour mener de telles actions [49], la plupart d'entre elles sont réalisées plus ou moins spontanément par les organisations syndicales locales, des marins et des dockers, indépendamment des consignes des organisations syndicales internationales.

Et la liste des actions menées et recensées, notamment par H. Weiss, est impressionnante :

  • « L'équipage de cinq navires grecs lancent une grève pour protester contre l'envoi de matériel de guerre destiné aux troupes italiennes. Les travailleurs portuaires d'Alexandrie (Égypte), du Cap et de Durban (Afrique du Sud), de Bombay (Inde) et de Marseille (France) refusent de charger des navires italiens. Il semble qu'aucune de ces activités n'ait été coordonnée par le secrétariat de l'ISH, mais par des comités locaux et des activistes. Des grèves et des boycotts similaires ont été organisés aux États-Unis (San Pedro), au Royaume-Uni (Cardiff ; Londres), en France (Port Saint-Louis-Du-Rhône ; Marseille), en Belgique (Anvers), en Grèce (Le Pirée), en Égypte (Port Saïd), en Algérie (Bone) et en Afrique du Sud-Ouest / Namibie (baie de Lüderitz) » [50].

J. Fonczak rajoute de nombreuses autres actions comme des dockers qui refusent de charger un bateau italien à San-Francisco, à Marseille, (le SS Vildemetz), à Seattle (le SS Cellini) à Bône en Algérie ou à Port of Spain, à Trinidad et Tobago ; en mer noire, des marins grecs et roumains se mutinent à bord d'un tanker italien ; à Montréal, des pierres sont jetées sur un bateau avec des tracts invitant les marins à ne pas livrer d'armes à l'Italie etc [51].

Enfin, des militant·es ont également lancé des appels à s'engager militairement. Ainsi, « [à] Istanbul, les partisans de l'Éthiopie organisent une campagne d'enrôlement pour l'armée éthiopienne » [52]. Dans le même sens, suite à une réunion à Nairobi, les participants, demandent à la Grande-Bretagne de lever une armée noire en cas d'invasion italienne » tout en réclamant la fin de l'Empire britannique [53]. Enfin, C.L.R. James propose en 1935 de « former une brigade militaire composée de Britanniques noirs volontaires pour rejoindre la résistance éthiopienne contre les troupes italiennes », une initiative qui ne débouchera pas. C.L.R. James affirmera plus tard dans le journal de l'ILP, New Leader, avoir alors voulu s'enrôler comme volontaire dans l'armée éthiopienne :

  • « Mon espoir était d'entrer dans l'armée. Cela m'aurait donné l'occasion de prendre des contacts non seulement avec des abyssins et d'autres africains, mais à leurs côtés, j'aurais eu la meilleure opportunité́ de défendre le socialisme internationaliste » [54].

Si ces appels à s'enrôler dans l'armée éthiopienne ne débouchent pas, ils lancent toutefois une idée qui sera reprise l'année suivante, avec les Brigades internationales pendant la guerre civile espagnole. Par ailleurs, force est de constater que ce sont bien ces appels à la solidarité armée avec l'Éthiopie et à ne pas dissocier la lutte contre le fascisme, contre le colonialisme et contre les impérialismes – et non pas les mots d'ordre des partis communistes appelant à lutter exclusivement contre les fascismes – qui ont fortement contribué à mobiliser les travailleurs et les travailleuses un peu partout dans le monde, bien au-delà des milieux syndicaux communistes [55].

Remarques conclusives

Alors pour conclure, nous avons bien conscience que l'Italie et l'Éthiopie de 1935 ne sont pas la Russie et l'Ukraine de 2022 et qu'il est toujours très délicat de faire des analogies historiques. Toutefois, il nous semble difficile de ne pas faire un lien ici entre l'opposition des partis communistes d'hier à soutenir militairement l'Éthiopie colonisée et le refus de toute une partie de la gauche radicale d'aujourd'hui à soutenir militairement l'Ukraine envahie.

Dans le premier cas, cette opposition était justifiée au nom du pacifisme, de la stratégie dite de « classe contre classe » ou de la lutte contre le régime fasciste du Négus et de ses alliés. Dans le second cas, c'est toujours au nom du pacifisme, de la stratégie « classe contre classe » ou de la lutte contre le régime néo-libéral de Volodymyr Zelensky et de ses alliés que toute une partie de la gauche s'oppose à soutenir militairement l'Ukraine.

Dans les deux cas, les puissances impérialistes proposent des « deals » qui sont de véritables rackets. Dans les deux cas, les sanctions internationales ne ciblent pas les matières premières nécessaires à la conquête coloniale. Dans les deux cas, la lutte contre le fascisme est instrumentalisée à des fins de politiques nationalistes et chauvines et pour refuser de soutenir militairement un pays colonisé. Dans les deux cas, la lutte contre le colonialisme et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes sont secondarisés au nom de la lutte des classes. Dans les deux cas, la volonté des premier·ères concerné·es, celle des travailleurs et des travailleuses, est passée sous silence et le principe de solidarité internationale, l'internationalisme, abandonné.

Martin Gallié


[1] Voir Holger Weiss, « Against Japanese and Italian Imperialism : The Anti-War Campaigns of Communist International Trade Union Organizations, 1931–1936 », Moving the Social 60 (2018) : 121-146 ; Joseph Fronczak, « Local People's Global Politics : A Transnational History of the Hands Off Ethiopia Movement of 1935 », Diplomatic History (2015/2), p. 245-274 ; Arlena Buelli, « The Hands Off Ethiopia campaign, racial solidarities and intercolonial antifascism in South Asia (1935–36) », Journal of Global History 18.1 (2023) : 47-67 ; Clayton Vaughn-Roberson, « Grassroots Anti-Fascism : Ethiopia and the Transnational Origins of the National Negro Congress in Philadelphia, 1935–1936 », American Communist History 17.1 (2018) : 4-15 ; Tom Buchanan, « ‘The dark millions in the colonies are unavenged' : Anti-fascism and anti-imperialism in the 1930s », Contemporary European History 25.4 (2016) : 645-665 ; Sabine Dullin et Brigitte Studer, « Communisme+transnational. L'équation retrouvée de l'internationalisme au premier XXe siècle », Monde(s), 2016/2 (N° 10), p. 9-32 ; Florence Oppen, La seconde guerre italo-éthiopienne (1935-1936), 2022, https://aplutsoc.org/2024/02/27/la-seconde-guerre-italo-ethiopienne-1935-1936-et-la-politique-trotskyste-par-florence-oppen/

[2] Arlena Buelli, « The Hands Off Ethiopia campaign, racial solidarities and intercolonial antifascism in South Asia (1935–36) », Journal of Global History 18.1 (2023) : 47-67

[3] Joseph Fronczak, « Local People's Global Politics : A Transnational History of the Hands Off Ethiopia Movement of 1935 », Diplomatic History (2015/2), p. 245-274, p.256 (“a sort of grassroots globalism »)

[4] Joseph Fronczak, « Local People's Global Politics : A Transnational History of the Hands Off Ethiopia Movement of 1935 », Diplomatic History (2015/2), p. 245-274.

[5] Sur la distinction à l'époque, voir par exemple Michael Goebel, « Anticolonialism and Anti-Imperialism », The Interwar World. Routledge, 2023. 569-582.

[6] Pour l'historique nous nous sommes principalement appuyé sur : Holger Weiss, « Against Japanese and Italian Imperialism : The Anti-War Campaigns of Communist International Trade Union Organizations, 1931–1936 », Moving the Social 60 (2018) : 121-146 ; Joseph Fronczak, « Local People's Global Politics : A Transnational History of the Hands Off Ethiopia Movement of 1935 », Diplomatic History (2015/2), p. 245-274

[9] Nicholas Mulder, The Economic Weapon : The Rise of Sanctions as a Tool of Modern War, Yale University Press, 2022. Les sanctions sont imposées le 18 novembre 1935 (embargo sur les armes et les importations, interdictions d'exportation de certains produits et création d'un fond de soutien et exclusions explicites du pétrole, de l'acier et du charbon)

[11] Joseph Fronczak, « Local People's Global Politics : A Transnational History of the Hands Off Ethiopia Movement of 1935 », Diplomatic History (2015/2), p. 245-274, p.262-263 ; voir aussi, “Haile Selassie gives a mighty concession”, New York Times, 1er septembre 1935, https://www.nytimes.com/1935/09/01/archives/haile-selassie-gives-a-mighty-concession-however-standard-oil-knows.html

[12] À noter qu'en mars 1945, une fois revenu au pouvoir, l'Empereur conclut de nouveau un accord avec Harry Ford (« Sinco ») Sinclair, 69 ans, le président de Sinclair Oil Corp. Selon le Time, ce dernier aurait « obtenu d'Hailé Sélassié une concession de 50 ans lui donnant des droits exclusifs sur tout le pétrole qu'il pourrait trouver sur les 350 000 miles carrés de l'Éthiopie… En échange de la concession, Sinclair a promis de consacrer une partie de ses bénéfices éthiopiens - s'il y en a - à la construction d'écoles, d'hôpitaux, de cliniques, d'installations sanitaires « et d'autres institutions publiques pour l'amélioration, l'éducation, la santé, la culture et la prospérité du peuple ». On ne peut s'empêcher ici de mentionner qu'environ 90 ans plus tard, en février 2025, le Gouvernement des États-Unis tente à son tour d'imposer à l'Ukraine un « deal » globalement homologue, l'acquisition de la moitié des ressources minières de l'Ukraine, mais cette fois-ci sans contrepartie. « Oil Sinco places a bet », Time, https://time.com/archive/6792001/oil-sinco-places-a-bet/ ; sur le « Deal » avec l'Ukraine ; « Trump vient-il de signer un traité inégal ? », Le Grand Continent, 27 février 2025, https://legrandcontinent.eu/fr/2025/02/27/trump-vient-il-de-faire-signer-a-lukraine-un-traite-inegal-le-texte-integral-de-laccord-etats-unis-ukraine-sur-les-mineraux-critiques/

[13] Holger Weiss, « Against Japanese and Italian Imperialism : The Anti-War Campaigns of Communist International Trade Union Organizations, 1931–1936 », Moving the Social 60 (2018) : 121-146, p.136

[14] « Front unique », Wikirouge, https://wikirouge.net/Front_unique

[15] Tom Buchanan, « ‘The dark millions in the colonies are unavenged' : Anti-fascism and anti-imperialism in the 1930s », Contemporary European History 25.4 (2016) : 645-665.

[16] « Front unique », Wikirouge, https://wikirouge.net/Front_unique

[17] Tom Buchanan, « ‘The dark millions in the colonies are unavenged' : Anti-fascism and anti-imperialism in the 1930s », Contemporary European History 25.4 (2016) : 645-665, p.665

[18] Théo Williams, « L'International African Service Bureau entre marxisme et panafricanism », 2021 https://www.contretemps.eu/read-offline/27196/international-african-service-bureau-marxisme-panafricanisme.print

[19] Tiémoko Garan Kouyaté, fiche Le Maitron, https://maitron.fr/spip.php?article173285

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Monde arabe : pour un regard lucide sur Israël

29 avril, par Yassine Al Haj Saleh — , , ,
Yassin al-Haj Saleh (né en 1961) est sans doute l'auteur politique progressiste et le dissident syrien le plus respecté de notre époque. Dans sa jeunesse, il a passé 16 ans, de (…)

Yassin al-Haj Saleh (né en 1961) est sans doute l'auteur politique progressiste et le dissident syrien le plus respecté de notre époque. Dans sa jeunesse, il a passé 16 ans, de 1980 à 1996, dans les prisons de la dictature syrienne d'Hafez al-Assad. À partir de 2011, il a accompagné, analysé et expliqué les sources du « printemps arabe » dans les médias arabes et occidentaux et est devenu une figure centrale de la résistance démocratique et de la défense des droits de l'homme en Syrie. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la révolution syrienne, la prison, la torture et la violence génocidaire du régime, notamment The Impossible Revolution : Making Sense of the Syrian Tragedy (Hurst, Londres, 2017).

Tiré d'À l'encontre.

Réfugié en Turquie en 2013, il est installé en Allemagne depuis 2017. Son épouse Samira al-Khalil, elle aussi militante de la révolution syrienne, a été enlevée par un groupe islamiste armé à Douma en décembre 2013 et n'est jamais réapparue. Dans cet article publié dans le magazine en ligne New Lines, le 4 octobre 2024, sous le titre « Seeing Israel Clearly Through Arab Eyes », il se propose de dissiper les impensés et les confusions qui empêchent les Arabes de porter un regard lucide sur Israël en distinguant analytiquement les trois dimensions de la réalité israélienne et en proposant de penser cette complexité historique pour mieux affronter le défi posé par le sionisme. (Marc Saint-Upéry)

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Le conflit avec Israël fait désormais partie de la conscience collective du monde arabe depuis plusieurs générations, mais la nature de l'État israélien et de ses fondements idéologiques ont rarement fait l'objet d'une réflexion sérieuse en dehors de certains cercles palestiniens. Dans certains pays voisins, comme la Syrie et le Liban, l'existence d'Israël a servi aux dirigeants locaux de prétexte pour justifier l'imposition de politiques injustes. Pour d'autres, plus éloignés, l'État juif est perçu de manière apolitique comme une entité maléfique et un objet de haine ou bien, à l'inverse, comme l'incarnation d'un destin inéluctable qui justifierait l'inaction, voire l'acquiescement.

La réalité est plus complexe. Depuis sa naissance, l'existence d'Israël a engendré un mélange de détresse psychologique, de difficultés politiques et de dilemmes intellectuels pour les peuples du monde arabe. Le défi israélien a fait beaucoup de victimes, et ses effets toxiques persisteront probablement pendant longtemps.

En dernière analyse, la question israélienne est une question arabe, et pour que le peuple arabe s'émancipe et surmonte son impuissance, les Arabes devront apprendre à rationaliser et clarifier leur perception de cette force redoutable qui, en tout état de cause, les considère comme un tout unifié. Pour comprendre Israël, il faut reconnaître qu'il s'agit d'un État qui présente aux mondes trois facettes principales : la dimension coloniale, la dimension juive et la dimension sacrificielle. Chacun de ces piliers sur lesquels repose l'État d'Israël mérite d'être analysé dans ses propres termes, ce afin d'amorcer le processus de connaissance de cette entité politique qui a remodelé le Moyen-Orient tout entier depuis des générations.

Une entité coloniale

Israël est avant tout une puissance coloniale. En tant qu'État, il est le prolongement de la vague colonialiste dont la plupart des pays arabes ont fait l'expérience au cours des XIXe et XXe siècles. Mais la forme de colonialisme qu'il incarne est tout à fait spécifique : il s'agit d'un colonialisme de peuplement, soit d'un projet politique que, parmi les autres nations arabes, seule l'Algérie a connu. Dans la littérature palestinienne, on voit parfois le terme « remplaçant » accolé à celui de « colon », pour mettre en exergue l'idée qu'il s'agit d'un processus de déracinement de la population indigène visant à la remplacer par des étrangers.

Le colonialisme de peuplement a souvent un fort potentiel génocidaire, comme en témoignent l'exemple historique des États-Unis, du Canada et de l'Australie. Ce potentiel génocidaire peut également se manifester à travers l'éradication du peuple visé en tant qu'entité politique, ou « politicide », terme auquel a recours le sociologue israélo-canadien Baruch Kimmerling dans un livre du même nom. Dans le cas d'Israël-Palestine, Kimmerling attribue toutefois la responsabilité de cette forme d'oblitération aux seules actions de l'ancien Premier ministre israélien Ariel Sharon, considéré comme un faucon, plutôt qu'au projet colonial sioniste dans son ensemble [1].

Le politicide peut également se manifester sous la forme d'une combinaison de colonialisme de peuplement et de ségrégation raciale ou d'apartheid, comme le décrit Amnesty International dans un rapport publié début février 2022, ou encore l'intellectuel palestinien Azmi Bishara dans un article intitulé « Colonialisme de peuplement ou apartheid : faut-il choisir ? » [2]. Enfin, le politicide peut prendre la forme d'un génocide à grande échelle visant indistinctement civils et combattants non seulement par les armes, mais aussi en assiégeant la population, en l'affamant et en instaurant un contrôle strict ou un blocage de l'accès à l'aide humanitaire, comme l'a fait Israël avec les habitants de Gaza pendant la guerre en cours.

L'une des justifications idéologiques initiales du colonialisme de peuplement en Palestine était l'affirmation selon laquelle il s'agissait d'une « terre sans peuple pour un peuple sans terre ». C'est ainsi que le sioniste britannique Israel Zangwill (1864-1926) le présentait à l'époque. Ce déni de l'existence du peuple palestinien est similaire à certains des discours utilisés pour justifier le nettoyage ethnique pendant les guerres yougoslaves des années 1990, et la négation de l'identité palestinienne a trouvé son illustration la plus exemplaire lors de la Nakba [3] en 1948, lorsque les trois quarts de la population palestinienne, soit environ 750 000 personnes, ont été expulsés en masse sous la menace de massacres et de diverses formes de violence.

Quant aux Palestiniens qui sont restés sur leurs terres, ils ont vécu sous régime militaire jusqu'en 1966. Pendant longtemps, ils ont été réduits à la condition de peuple vulnérable et opprimé, vivant dans ce que le philosophe italien Giorgio Agamben définit comme un « état d'exception », soit une situation dans laquelle les individus existent en dehors de la protection de la loi. La notion d'« homo sacer » développée par Agamben s'inspire d'un concept du droit romain désignant une personne qui ne peut faire l'objet d'un sacrifice rituel, mais qui peut être tuée en toute impunité, et s'appuie en outre sur l'expérience des détenus des camps de concentration nazis [4]. On peut également l'appliquer aux sujets de la domination coloniale qui, comme l'a montré Hannah Arendt dans Les Origines du totalitarisme, sont gouvernés par des directives administratives plutôt que par des normes juridiques [5].

Arendt prenait comme exemple Lord Cromer, gouverneur britannique de l'Égypte pendant près de 30 ans, mais la situation des Palestiniens est bien pire que celle des Égyptiens sous Cromer. Ils sont traités comme des étrangers dans leur propre pays, des milliers d'entre eux – plus de 10 000 à ce jour – sont détenus dans des prisons israéliennes en vertu de décisions rendues par des tribunaux militaires, et Israël les soumet à une pression incessante pour qu'ils quittent le territoire. Cet état de violence légitimée n'a fait qu'empirer pendant la guerre actuelle à Gaza.

L'idée des origines coloniales de l'État israélien est renforcée par le fait qu'il a émergé à l'époque du mandat britannique sur la Palestine. Dans son ouvrage intitulé The Palestine Problem and the One-State/Two-States Solution [6], l'universitaire palestinien Raef Zreik explique que les principes constitutifs de ce mandat, établis pour la première fois lors de la conférence de San Remo en avril 1920 et officiellement adoptés par la Société des Nations en juillet 1922, intégraient la déclaration Balfour [7]. Le deuxième paragraphe du préambule du texte qui les résume fait explicitement référence à cette déclaration et à son adoption par les pays alliés. La forme « mandat » était l'expression spécifique du colonialisme européen dans certains pays du Levant, notamment en Syrie et au Liban, contrôlés par les Français. En ce sens, le mandat britannique a joué le rôle de « matrice » de l'entité israélienne, qu'il a nourrie pendant trois décennies. En 1938, le général britannique Orde Wingate déclarait : « Nous sommes ici pour créer l'armée sioniste [8]. »

Le projet colonial sioniste n'a pas vu le jour en Palestine ou au Moyen-Orient, mais en Europe, à la convergence de trois phénomènes européens : l'essor d'un nationalisme agressif, l'expansion de l'impérialisme européen et la propagation de l'antisémitisme, ou sentiment anti-juif, en tant que forme distincte de racisme. L'impérialisme, qui a permis à l'Europe de dominer une grande partie du monde, a créé les conditions nécessaires à la concrétisation du projet sioniste.

Dans son livre intitulé Comment la terre d'Israël fut inventée, l'historien israélien Shlomo Sand explique que Theodor Herzl, le père du sionisme, était un « colonialiste » qui estimait qu'en tant qu'elle était une projection du monde bourgeois civilisé, l'acquisition d'une patrie en dehors de l'Europe n'avait besoin d'aucune autre justification [9].

En deçà de toute discussion historique ou théorique, le peuple palestinien et les élites arabes ont vécu la création de l'État d'Israël comme une forme de violence coloniale imposée par les armes, violence qui persiste depuis le moment de son émergence jusqu'à nos jours. Cette perception subjective du colonialisme israélien est essentielle, car elle reflète la manière dont les personnes concernées appréhendent la présence continue d'Israël comme une attaque non provoquée contre leur existence même. En réponse à cette agression, diverses formes de résistance ont vu le jour. Dans les années 1960 et 1970, cette résistance reposait plus souvent sur des fondements progressistes qu'au cours des dernières décennies, mais elle a échoué en raison de la nature sui generis de l'ennemi auquel elle était confrontée – un ennemi bénéficiant d'un soutien militaire écrasant de la part de ses alliés occidentaux –, ainsi que du déclin depuis cette même époque des valeurs émancipatrices jadis au principe des politiques intérieures et de la diplomatie arabes.

On attribue au premier chef du gouvernement et père fondateur d'Israël David Ben Gourion la phrase suivante : « Ce qui ne peut être obtenu par la force peut être obtenu par plus de force encore. » Cette affirmation reflète une mentalité coloniale qui non seulement reconnaît le refus palestinien du projet israélien, mais anticipe aussi la vocation belliciste d'Israël et sa volonté durable d'imposer la soumission par la violence

Elle implique également quelque chose de plus important encore, à savoir l'idée d'une garantie continue de la supériorité de l'État juif en matière d'armement, fondement du principe de l'application de « plus de force encore ». Les paroles de Ben Gourion se sont révélées prophétiques à bien des égards. Depuis les années 1970, cette garantie de la supériorité militaire israélienne a pris la forme d'un engagement de Washington à maintenir la suprématie qualitative des armes israéliennes sur l'ensemble des pays arabes. Le fait que cet engagement n'ait plus été mis en avant dans le discours public étasunien ces dernières années ne signifie pas pour autant qu'il ait été abandonné. Bien au contraire, il a été sanctionné par le Congrès en 2008 sous la forme d'une loi a interdisant toute vente d'armes à un pays arabe qui serait susceptible de menacer « l'avantage militaire qualitatif » d'Israël. On peut en tirer la conclusion que ce n'est pas seulement Israël qui considère les Arabes comme un tout unifié, mais les États-Unis eux-mêmes.

Identité juive et racines bibliques

L'identité d'Israël ne se limite toutefois pas à son statut d'entité coloniale. Elle comporte deux autres aspects, qu'il serait grave d'ignorer. Le premier, et peut-être le plus évident, est son caractère juif. Israël se définit comme un État juif. Cette identité juive ne signifie pas nécessairement qu'il s'agit d'un État religieux, mais reflète l'existence d'un lien profond avec toute une histoire et une géographie bibliques sacrées centrées sur la Palestine, ou « Eretz Israël », et ayant Jérusalem en son cœur.

Le récit biblique reste une source fondamentale de légitimité pour de nombreux penseurs et critiques sionistes. Dans son livre Zionist Thought in the Labyrinth of Renewal and Regeneration, le chercheur palestinien Amal Jamal cite le journaliste et essayiste Uri Elitzur (1946-2014), qu'il décrit comme « l'un des représentants les plus éloquents de la pensée néo-sioniste », et qui affirme que « sans la Bible, nous [les Israéliens] ne sommes rien de plus qu'une colonie européenne au Moyen-Orient » [10].

Même si Israël avait à ses débuts un caractère laïc et vaguement socialiste, son histoire depuis la guerre de 1967 a été marquée par la montée des mouvements religieux et des partis de droite. Cette évolution s'est consolidée avec la victoire du Likoud aux élections de 1977, la première depuis la création de l'État. Israël est marqué par une contradiction politique inhérente entre sa dimension religieuse et ses fondements laïques, et cette contradiction se résout de plus en plus en faveur du côté religieux.

La composante juive joue un rôle important dans la définition de l'État d'Israël et constitue également l'un des piliers garantissant le soutien continu de l'Occident, un soutien qui va au-delà de sa nature coloniale ou de son rôle de « forteresse de l'Occident », comme le décrivait le chancelier allemand Konrad Adenauer. Il est révélateur qu'Adenauer ait tenu ces propos au lendemain de la guerre de 1956, lorsque Israël s'est joint au Royaume-Uni et à la France pour attaquer l'Égypte suite à la nationalisation du canal de Suez par Nasser. Mais le soutien à Israël ne disculpe en rien l'Occident de pratiquer une forme d'antisémitisme déguisé. Il est désormais plus facile de soutenir une entité politique juive dès lors qu'elle est établie au Moyen-Orient et non plus en Europe.

Dans son livre The Jew, the Arab : A History of the Enemy (Le Juif, l'Arabe : une histoire de l'ennemi), le chercheur franco-américain Gil Anidjar explique que les Européens ont toujours considéré les Juifs comme un ennemi théologique interne, tandis que les musulmans étaient considérés comme un ennemi politique externe [11]. Dans cette perspective, il devient utile que ces deux ennemis soient occupés à s'affronter mutuellement. Ce sentiment trouve un écho dans certains cercles de la droite antisémite en Europe et en Occident, qui, de nos jours, plutôt que de viser les Juifs, incitent à la haine contre les musulmans, les immigrés et les minorités. Le gouvernement du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou est aujourd'hui aligné avec ces groupes fascistes ou semi-fascistes dans une guerre religieuse et civilisationnelle contre les Arabes et les musulmans, reflétant la dérive réactionnaire du soutien occidental à Israël.

L'ombre de la Shoah

La troisième dimension fondamentale du caractère national israélien est liée à la Shoah, une catastrophe historique souvent perçue comme caractérisée par sa singularité absolue et qui s'est traduite par l'extermination de 6 millions de Juifs aux mains de l'Allemagne nazie. Après la chute du régime hitlérien en 1945 et l'occupation de l'Allemagne par l'Union soviétique, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, il ne restait plus personne pour défendre le nazisme. Tout au contraire, ses victimes, en particulier les Juifs, ont suscité une immense sympathie en raison de l'horreur de ce qu'elles avaient enduré et aussi parce que, contrairement aux Russes, aux Polonais, aux Ukrainiens, aux Biélorusses, aux Tchèques, aux Slovaques ou aux Français, elles ne disposaient pas d'un État ou d'une entité politique susceptible de les protéger.

Le sionisme, alors actif en Europe depuis plus d'un demi-siècle, a su capitaliser sur cette sympathie en présentant la Shoah comme la preuve de la nécessité d'un État juif, afin de garantir que de telles atrocités ne se reproduisent plus jamais. C'est l'essence même de l'expression « plus jamais », utilisée dans un sens excluant qui sous-entend qu'un tel événement ne doit plus jamais se reproduire au détriment des Juifs, oblitérant l'interprétation plus généreuse selon laquelle une telle tragédie ne devrait plus arriver à personne.

Cet aspect de l'identité israélienne l'enracine dans un sacrifice monumental, quelque chose de si profond qu'on pourrait en faire le fondement d'une religion – ce qui est d'une certaine manière le cas. La Shoah est bien devenue une sorte de religion, non seulement en Israël, qui a réussi à s'approprier politiquement et moralement de cet événement extraordinairement tragique, mais aussi dans l'ensemble de l'Occident. Cette dimension sacrale est encore renforcée par le fait que les victimes étaient membres d'un groupe religieux et que, du fait du sentiment de culpabilité et de repentance suscité par la Shoah, les Juifs furent dès lors considérés comme des co-fondateurs de la civilisation occidentale.

Dans cette nouvelle « religion », les Juifs exterminés ont en quelque sorte remplacé le Christ crucifié, occupant désormais la place symbolique du « Fils de Dieu ». Comme l'écrivait Charlotte Delbo, survivante de la Shoah, « vous qui avez pleuré deux mille ans / un qui a agonisé trois jours et trois nuits / quelles larmes aurez-vous / pour ceux qui ont agonisé / beaucoup plus de trois cents nuits et beaucoup plus de trois cents journées / combien / pleurerez-vous / ceux-là qui ont agonisé tant d'agonies / et ils étaient innombrables » [12].

Dans ce poème, Delbo fait bien sûr référence aux horribles souffrances infligées aux Juifs par les nazis. Il s'agit d'une immense tragédie qui mérite d'être mieux reconnue et méditée dans le monde arabe, surtout dans le contexte de la description et de l'analyse des souffrances vécues dans notre propre région, y compris en Palestine.

Penser le problème dans sa complexité

Les échecs répétés des confrontations arabes avec Israël, et le succès durable du projet sioniste, nous obligent à remettre en question notre compréhension de ce projet, qui a dévasté l'existence de générations entières, affectant plusieurs dizaines de millions d'Arabes, soit bien plus que la population juive mondiale, estimée à environ 15 à 16 millions de personnes.

Le dramaturge syrien Saadallah Wannous, aujourd'hui décédé, déclarait dans un documentaire réalisé par le regretté Omar Amiralay qu'Israël lui avait « volé sa vie », un sentiment né de l'humiliation et de la perte de dignité qui ont empoisonné son existence entre 1941 et 1997 [13]. Après la visite du président égyptien Anouar el-Sadate à Jérusalem en 1977, Wannous avait tenté de mettre fin à sa vie. Bien qu'il ait finalement survécu, il a alors choisi une forme de suicide symbolique en restant silencieux pendant des années. De tels exemples sont plus fréquents qu'on ne pourrait le croire dans le monde arabe, même s'ils ne prennent pas toujours des formes aussi dramatiques. Yassin al-Hafez, un intellectuel syrien décédé en 1978 à l'âge de 48 ans, a lui-même expliqué qu'il avait envisagé le suicide après la défaite de 1967, mais qu'il en avait été dissuadé par « un reste de confiance métaphysique dans les capacités du peuple arabe ». Le poète libanais Khalil Hawi (1919-1982) s'est suicidé lors de l'occupation de Beyrouth par Israël pendant l'été 1982. Tous ces exemples, qui ne représentent que la partie émergée de l'iceberg, montrent bien que nous avons des raisons non seulement politiques, militaires, juridiques et morales, mais aussi psychologiques, de considérer l'existence d'Israël comme une question cruciale qui exige une réponse.

La création de l'État israélien a engendré un problème chronique pour les peuples du monde arabe. Il s'agit d'une question qui pousse des intellectuels au suicide, qui répand un sentiment d'humiliation chez des millions de personnes, qui empoisonne l'existence d'une multitude d'êtres humains et qui se traduit périodiquement par des explosions d'hostilité et de haine ; au cours des deux dernières générations, elle a alimenté des conflits nihilistes entre les Arabes eux-mêmes.

Pour affronter avec succès cette question à l'avenir, il est nécessaire de mener une réflexion approfondie, d'exercer notre jugement politique et d'offrir une vision. Tout à la foi défi spirituel, épreuve de la volonté et dilemme intellectuel, elle exige de notre part un effort sérieux de compréhension pour dépasser l'impuissance. Nous ne deviendrons des acteurs historiques efficaces que si nous transformons nos sentiments confus en un programme susceptible d'être mis en œuvre concrètement.

Une des manifestations les plus patentes de l'incapacité à établir une ligne de conduite efficace est sans doute l'idéologie dite de la « mumanaa », qui signifie en gros « empêcher l'ennemi de parvenir à une domination totale ». Au Moyen-Orient, cette prétention d'intransigeance a en fait toujours été associée à la dictature, à la corruption et au sectarisme. À l'inverse, et avec des effets tout aussi autodestructeurs, on a l'« anti-mumanaa », une position qui accepte les exigences radicales d'Israël sous couvert de modération.

Alors que la mumanaa se traduit par la perpétuation de la lutte pour le contrôle politique, l'anti-mumanaa est incarnée par de groupes qui collaborent avec Israël ou acceptent sans réserve son comportement agressif, suprémaciste et raciste. Mais comme le dit un proverbe levantin, « peu importe ce que nous leur cédons, ils ne sont jamais satisfaits ». Les résultats des accords d'Oslo au cours des trente dernières années en sont la preuve flagrante.

Il est déconcertant de constater que certains pays acceptent un déséquilibre de pouvoir aussi flagrant en faveur d'un État de la région, d'autant que cet État s'est fondé sur le nettoyage ethnique et refuse d'accorder la moindre portion de justice à ses victimes ou de traiter ses voisins sur un pied d'égalité. Avant la Seconde Guerre mondiale, les nations européennes ont souvent été en guerre pendant un siècle et demi sous prétexte de corriger des déséquilibres de pouvoir. Pourquoi les Arabes devraient-ils penser et agir autrement ?

Ceux qui prônent la normalisation avec Israël font preuve de myopie politique s'ils estiment possible d'intégrer l'État juif dans des relations « normales » avec le reste de la région. Israël n'est pas un État « normal » et ne se considère pas comme une entité politique comme les autres – susceptible d'être critiquée, d'être boycottée, de se heurter à des résistances et des condamnations, de conclure des traités et des accords de paix ou de gagner la confiance de ses voisins. Car Israël n'accepte pas ses voisins arabes comme des égaux.

Prendre en compte les trois dimensions de l'État israélien peut nous aider à proposer de nouvelles manières de répondre au défi qu'il pose au monde arabe. En ce qui concerne sa dimension juive, il est important de reconnaître que la présence juive en Palestine et dans le monde arabe ne posait pas problème avant l'essor du sionisme.

La présence des Juifs dans le monde arabe doit être reconnue et saluée. Cela inclut non seulement les Juifs arabes – ceux qui vivaient dans les pays arabes et parlaient notre langue –, mais aussi les Juifs originaires d'autres régions du monde. Le Moyen-Orient, berceau des religions abrahamiques, s'est arabisé à partir de l'expansion de l'islam, mais n'a jamais cessé d'accueillir une certaine diversité religieuse. Cette diversité a décliné au cours des deux derniers siècles sous l'influence de l'Occident moderne et, plus encore, sous l'effet de l'émergence du sionisme et de la création d'Israël.

En outre, au lieu d'embrasser la diversité, les infrastructures intellectuelles et politiques du monde arabe moderne, qu'elles soient nationalistes ou islamiques, ont souvent rejeté les éléments faussement perçus comme étrangers à leurs sociétés. L'ouverture à la présence juive ne menace pas plus le caractère arabe de la région que la présence de musulmans en Europe ne menace l'existence de ces pays, malgré ce que prétendent les fascistes et la droite en Occident.

En ce qui concerne la Shoah et son aspect sacrificiel, on aurait pu soutenir un droit à l'existence de l'État d'Israël dans un pays européen comme l'Allemagne, voire la Pologne ou la République tchèque. Mais c'est sur les épaules des Palestiniens et des Arabes qu'on a injustement jeté tout le poids de l'immense sacrifice de la Shoah, et à qui on exige de le respecter.

Pour ce qui est de la dimension coloniale d'Israël, qui a entraîné le déplacement des trois quarts de la population palestinienne à travers diverses formes de massacre et d'intimidation – une situation qui persiste et s'aggrave depuis plus de 76 ans –, l'État israélien tel qu'il est actuellement constitué n'a aucun droit légitime d'exister, au sens où aucune forme de colonialisme ou d'apartheid n'a le droit d'exister.

Nous devons cependant reconnaître qu'Israël, tel qu'il existe, est une combinaison de ces trois dimensions. Son identité juive lui confère une profondeur historique mythique et s'appuie sur l'idée d'une « mission éternelle » liée à la terre. Sa dimension sacrificielle lui confère une aura de justice et de légitimité, quels que soient les actes qu'il commet. Et sa dimension coloniale lui confère un potentiel génocidaire, capable de prendre pour cible tous les Arabes et pas seulement les Palestiniens.

Cet Israël-là, selon Shlomo Sand, comprend à la fois « une société, une culture et un peuple » qui n'existent que depuis trois générations. Mais nombre de ses habitants juifs ne connaissent pas d'autre patrie.

Existe-t-il un moyen de conceptualiser la question israélienne qui soit susceptible de nous conduire un jour à une solution globale de cet immense problème ? L'intellectuel palestinien Edward Said a toujours rejeté l'idée de déplacer telle ou telle population de ce qui constitue aujourd'hui – et constituait déjà à son époque – la terre d'Israël et de Palestine ; mais il prônait avec fermeté l'élimination de la dimension coloniale et raciste d'Israël.

Comprendre la question israélienne dans cette perspective ouvre la voie à des solutions complexes capables de prendre en compte ces trois dimensions à la fois. On peut par exemple insister sur le respect du droit international en ce qui concerne le retrait d'Israël des territoires occupés en 1967 et sur le retour des réfugiés palestiniens, ou bien sur une indemnisation équitable s'inspirant des réparations versées par l'Allemagne à Israël. Cette approche pourrait constituer la pierre angulaire d'une solution à la dimension coloniale.

Les chances de succès sont susceptibles d'augmenter si l'on déploie parallèlement des efforts pour traiter les deux autres dimensions : favoriser l'ouverture à la présence juive en Palestine et dans le monde arabe, notamment en restituant les biens des Juifs arabes désirant retourner dans leurs foyers, ce en échange d'une compensation similaire pour les Palestiniens. Il convient en outre de mettre davantage l'accent sur la Shoah en tant que modèle de génocide et expression emblématique de la capacité humaine à commettre le mal. On pourrait par exemple stimuler la traduction en arabe d'ouvrages clés sur la Shoah, ainsi que l'organisation de conférences et de séminaires sur cet événement et sur d'autres génocides dans le monde, dans le but de favoriser une meilleure compréhension. Une telle approche ne serait pas une concession à Israël, au sionisme ou même au peuple juif, mais plutôt une occasion pour les Arabes de participer à la défense des opprimés dans le monde entier.

Victimes d'une des plus grandes injustices de l'époque moderne, commise à leurs dépens sans qu'ils y soient pour rien, les Arabes ont vécu une profonde crise émotionnelle en voyant les opprimés d'hier devenir les oppresseurs d'aujourd'hui, bardés d'arrogance et de justifications fallacieuses, soutenus par les nations les plus puissantes du monde. En abordant de front la question israélienne, on ferait un premier un pas vers la résolution de cette crise existentielle et la réparation des blessures profondes engendrées par plus d'un siècle de confrontation fatidique entre le sionisme et le monde arabe.

La question israélienne comme question arabe

En ce sens, la question israélienne est devenue une question arabe, un enjeu et un défi pour les Arabes. Il est peu probable qu'ils parviennent à une véritable liberté s'ils ne font pas de progrès dans ce domaine.

Dire que la question israélienne est une question arabe signifie que ces possibles progrès sont liés à la solution d'autres problèmes que les Arabes ont créés pour eux-mêmes et pour le reste du monde. Cela mérite un débat à part, mais il nous suffira de dire que les Arabes sont aujourd'hui parmi les peuples les moins libres du monde en raison de leur lutte contre une triple tyrannie. Le premier aspect de cette tyrannie est le fait que tous les régimes arabes, sans exception, pratiquent le politicide. Le deuxième aspect est la présence coloniale, occidentale et non occidentale, dont Israël est l'expression la plus manifeste, mais en aucun cas la seule. Enfin, il faut signaler l'essor d'un fondamentalisme religieux nihiliste à tendance fascisante.

Cette exigence de comprendre la question israélienne est un appel à la raison, à l'action politique et à la générosité. C'est aussi une exhortation à faire revivre les traditions pluralistes et œcuméniques qui prospéraient jadis dans le monde arabe et islamique avant la période coloniale et l'émergence des États-nations modernes.

On a injustement imposé aux Palestiniens et aux Arabes la tâche de résoudre la question juive, qui est un problème européen. Les Arabes n'ont joué aucun rôle dans la Shoah, sauf dans l'esprit d'individus comme Netanyahou. Son affirmation selon laquelle Hitler aurait été inspiré par le mufti de Jérusalem, Amin al-Husseini, a suscité les protestations de nombreuses personnalités juives et allemandes, avant même celles des Arabes.

Les Arabes n'ont joué aucun rôle non plus dans le développement historique de la diaspora juive. Ils ont pris la Palestine aux Byzantins, et non à une entité juive. Pendant les six siècles qui ont précédé la conquête arabe, les Juifs n'ont eu aucune présence politique constituée dans la région, et à aucun moment les Arabes n'ont chassé les Juifs de Palestine ou des terres voisines. Quant au colonialisme européen, les Palestiniens et les Arabes en sont les victimes au même titre que les Africains, les Indiens et d'autres peuples, tandis qu'Israël a bénéficié de ce même colonialisme avant et après sa création. La responsabilité de cette injustice historique revient à l'alliance occidentale-sioniste. L'Allemagne a versé des réparations à Israël pour les crimes nazis commis contre les Juifs, mais ni l'Allemagne ni aucune autre entité occidentale ou internationale n'ont versé de compensation aux Palestiniens pour le vol de leur patrie ou l'injustice coloniale qu'ils ont subie.

Pourtant, si nous réfléchissons à la question, nous arriverons probablement à la conclusion que ce qui nous empêche de développer une compréhension nuancée de la question israélienne, ce n'est pas du côté israélien qu'il faut le chercher, mais du côté arabe. Quelle est la subjectivité arabe qui tente de formuler une vision et une politique à l'égard d'Israël ? Cette subjectivité est-elle capable de se remettre en question et de réfléchir en termes historiques ? À l'heure actuelle, aucune entité arabe n'en semble capable. Cette incapacité maintient la perception de la question israélienne dans un cadre arbitraire, infra-politique et infra-historique.

Une affaire de longue haleine

Dans quel délai sera-t-il possible de résoudre la question israélienne ? Car si l'on parle d'une « question », cela implique de discuter d'une solution, et la recherche d'une solution implique une certaine maîtrise de la réalité représentée par cette question – une maîtrise qui requiert que l'on passe d'un statut de sujet passif à celui de sujet actif.

De par sa nature, il s'agit d'une question à long terme. On ne parle pas ici de quelques années, mais de décennies et de générations entières. Le concept de « question juive » circulait déjà lorsque Marx rédigeait un texte portant ce titre en 1843. Au cours du siècle qui s'est écoulé entre la publication de ce texte et la création d'Israël, on a assisté à l'essor d'un antisémitisme qui s'enracinait dans le nationalisme plutôt que dans ses fondements chrétiens traditionnels. Après quoi sont advenues l'émergence du nazisme et la Shoah, tentative nazie d'apporter une « solution finale » à la question juive. À bien des égards, Israël est la solution finale de cette solution finale : un accord conclu après la Seconde Guerre mondiale et le génocide entre les élites ashkénazes influentes en Occident, le « Yishouv » (les immigrants juifs en Palestine) et les puissances coloniales occidentales.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, on a vu aussi émerger une « question d'Orient » lorsque l'Empire ottoman a commencé à être qualifié d'« homme malade de l'Europe », selon l'expression du tsar Nicolas Ier de Russie. Dès le départ, cette soi-disant question d'Orient a été en fait une préoccupation occidentale, comme l'observera plus tard Arnold Toynbee. Elle a été « résolue » à la fin de la Première Guerre mondiale par l'effondrement et le démembrement de l'Empire ottoman. Mais du point de vue des populations les plus directement concernées, en particulier les Arabes, la « question » a été modifiée, mais pas résolue. Tant sur le plan intellectuel que sur le plan politique, elle n'a d'ailleurs jamais été correctement comprise ni traitée par les parties concernées. La question d'Orient est donc devenue une question arabe rendue encore plus problématique par la question israélienne. La fragmentation que nous observons aujourd'hui au sein du monde arabe est le résultat de l'incapacité à résoudre ces deux questions. Elle exprime aussi l'effondrement ou la désintégration d'une subjectivité capable de les résoudre, voire tout simplement de les comprendre pleinement. Essayer de conceptualiser la question israélienne revient en fait à s'efforcer de résister à cette désintégration.

Certes, discuter d'un horizon temporel s'étendant sur plusieurs décennies ou plusieurs générations sera perçu par d'aucuns comme profondément insatisfaisant. Il y aura toujours des critiques pour s'empresser d'accuser les partisans d'une telle approche de prôner la capitulation, la normalisation ou pire encore. Mais c'est justement la crainte de telles accusations qui a contribué à notre situation actuelle et à sa dynamique autodestructrice et catastrophique. Face aux porte-parole de la mumanaa et à ceux de l'anti-mumanaa, face à ceux qui sont prêts à se battre pour qu'on leur accorde quelques miettes, des voix doivent s'élever parmi nous pour exprimer leurs convictions sans crainte ni autocensure. Problématiser Israël comme un triple défi s'enracinant dans une longue histoire constituera un premier pas dans cette direction. (Traduction par Marc Saint-Upéry)

Notes

[1] Baruch Kimmerling, Politicide : Sharon's War Against the Palestinians, Verso, Londres, 2003.

[2] Azmi Bishara, « Settler Colonialism or Apartheid : Do We Have to Choose ? », Omran, vol. 10, n° 38, automne 1981, https://omran.dohainstitute.org/en/038/pages/art02.aspx.

[3] Littéralement, la « catastrophe », en arabe.

[4] Giorgio Agamben, Homo Sacer : le pouvoir souverain et la vie nue, Seuil, Paris, 1997.

[5] Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme : Tome 2, L'Impérialisme, Seuil, Paris, 2006.

[6] Raef Zreik, The Palestine Problem and the One-State/Two-States Solution, Institute for Palestine Studies, Beyrouth, 2014.

[7] La Déclaration Balfour est une lettre ouverte datée du 2 novembre 1917 et signée par Arthur Balfour, secrétaire d'État britannique aux Affaires étrangères dans le gouvernement de David Lloyd George. Elle était adressée à Lionel Walter Rothschild (1868-1937), personnalité de la communauté juive britannique et financier du mouvement sioniste, afin d'être communiquée à l'Organisation sioniste mondiale, fondée par le père du sionisme Theodor Herzl. Le Royaume-Uni s'y déclarait en faveur de l'établissement en Palestine d'« un foyer national pour le peuple juif ».

[8] Cité in Ari Shavit, My Promised Land : The Triumph and Tragedy of Israel, Random House, New York, 2013. Orde Charles Wingate (1903-1944) était un officier supérieur britannique affecté en Palestine en 1936. Sympathisant affiché du sionisme, il promeut en 1938 la création de commandos juifs conduits par des officiers britanniques expérimentés, les Special Night Squads (escadrons de nuit spéciaux) pour combattre les insurgés arabes et mener des opérations punitives contre les villages ayant aidé ou hébergé des saboteurs palestiniens. Considéré comme un héros par les sionistes, Wingate était particulièrement apprécié par Moshe Dayan, qu'il avait entraîné et qui déclarait avoir tout appris de lui.

[9] Shlomo Sand, Comment la terre d'Israël fut inventée, Flammarion, Paris, 2012.

[10] Amal Jamal, Zionist Thought in the Labyrinth of Renewal and Regeneration : The Dialectic of Internal Contradictions and their Practical Ramifications, Institute for Palestine Studies, Beyrouth, 2016.

[11] Gil Anidjar, The Jew, the Arab : A History of the Enemy, Stanford University Press, Redwood City (CA), 2003.

[12] Charlotte Delbo, Auschwitz et après, 4 tomes, Minuit, Paris, 2018-2025.

[13] Omar Amiralay, There Are So Many Things Still to Say, ARTE France/Grains de Sable, 1997.

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L’IA arrive dans les soins à domicile au Québec

29 avril, par Emma Soares — , ,
La privatisation des services sociaux dans le monde pose des défis considérables pour les équipes sur le terrain. L'intégration de méthodes axées sur la productivité et le (…)

La privatisation des services sociaux dans le monde pose des défis considérables pour les équipes sur le terrain. L'intégration de méthodes axées sur la productivité et le rendement est souvent inadaptée à la réalité que traverse le personnel. L'intelligence artificielle est perçue comme un poids qui renforce les tensions entre l'État, les professionnel.les et les patient.es. Rencontre avec Eugénie Loslier, responsable de la mobilisation, communication et négociation à la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ).

Tiré de la page web du Journal des Alternatives

Par Emma Soares -23 avril 2025

Crédit photo : Jernej Furman

L'Organisation Internationale du travail (OIT) a publié aujourd'hui unrapportsur les risques encourus par ces nouvelles technologies dans le secteur du travail. Ils identifient déjà des dangers liés à ce nouveau partenariat humain-robot, où les défaillances et imprévisibilité des systèmes amènent des obstacles sur le chemin de l'automatisation.

À travers le monde, les syndicats et associations s'opposent à ces logiciels, inquiets des risques de dégradation de la qualité des soins et des conditions de travail, qui pousseraient les personnes soignantes vers la sortie. L'incorporation de nouvelles technologies tel que l'IA dans les services de soins à domicile est un enjeu croissant.

Au Québec, l'application canadienne Alayacare, diffusée à travers le monde a été introduite, il y a plus d'un an, dans les soins à domicile du nord de l'île de Montréal et l'adaptation du personnel se montre difficile. Eugénie Loslier, représentante de 4000 soignant.es de ce secteur, nous éclaire sur les défis que cette nouvelle application impose au personnel à domicile.

Une surveillance accrue du travail de soins à domicile

L'application d'intelligence artificielle, Alayacare est un système de gestion de soins intégré dans les cellulaires des professionnel.les qui répertorie toutes les données essentielles à leur travail : les dossiers de patient.es, les calendriers de travail et les notes de visite.

Depuis son intégration comme projet pilote dans les services à domicile, de graves enjeux techniques et éthiques ont été soulevés par le personnel qui l'utilise. Elle implique une standardisation des soins, les soignant.es sur le terrain se voient imposés des temps stricts pour chaque visite et tâche comprise. Toutes les données récoltées par Alayacare sont mises à disposition des responsables qui peuvent scruter la localisation du personnel, mais aussi leurs performances en temps réel. Une surveillance accrue qui impacte significativement le climat de travail.

Eugénie Losllier nous explique qu'au quotidien, le travail du personnel soignant et des auxiliaires à domicile est lourdement affecté par l'imposition de ce nouvel outil. En standardisant leurs services, on leur impose un calendrier effréné où chaque minute compte et le temps manque souvent pour délivrer des soins et un accompagnement humain de qualité.

En arrivant au domicile de leur patient.e, la personne soignante évalue souvent un besoin supérieur à celui indiqué sur l'application, ce qui nécessite plus de temps pour allouer ces soins. Travailler à domicile, au plus près de la population est essentiel pour le personnel soignant, qui peut tenir compte de la globalité des besoins en évaluant la condition de vie et le soutien social pour mettre en place des soins adaptés.

Cette standardisation bloque les évaluations au cas par cas et nuit à la mission préventive des services. La FIQ a enquêté en récoltant des témoignages provenant de cinq équipes du secteur du nord de l'île, afin de cerner les enjeux et défis qu'englobent ces nouveaux outils dans leur profession. En collectant ces données directement sur le terrain et à partir de sondages et de consultations, les inquiétudes de base se confirment.

Des impacts marquants sur la qualité des soins

L'application comporte des problèmes techniques préoccupant, le personnel soignant est régulièrement déconnecté et perd accès aux données indispensables à l'exécution de leur travail. Certains membres du personnel sont contraints de sortir du domicile de leur patient pour tenter de se reconnecter sur le trottoir. En plus de perdre accès aux données, des dossiers de patients sont fusionnés, des formulaires perdus… la liste est longue. Les soignants subissent le coût de ses erreurs techniques au quotidien, ralentissant leur productivité et impactant leurs conditions de travail.

Un des principaux enjeux des soins à domicile est d'établir une approche humaine et un lien de confiance avec les patients. En utilisant Alayacare, la productivité et le rendement attendu du personnel est visiblement augmenté. Le corps soignant est imposé des temps réduits et prédéterminés pour chaque soin dans le but d'augmenter le nombre de visite sur leur route.

Les équipes doivent désormais couvrir 12 à 16 personnes dans leur journée de travail, soit 7,5 heures au cours desquelles elles doivent aussi prendre leur pose, manger et rédiger leurs notes. Une surcharge conséquente qui alourdis gravement leur charge de travail et pose des risques psychologiques non négligeables. L'inadaptation d'Alayacare sur le terrain dégrade le lien thérapeutique entre patient.e et soignant.e, leur route surchargée les empêche d'avoir le temps de construire adéquatement et progressivement ce lien.

Parmi les professionnel.les interrogés par la FIQ, sept sur dix affirment qu'Alayacare impacte la qualité des soins délivrés. Les objectifs d'efficacité et de sécurité qui ont poussé la direction et le gouvernement à implanter Alayacare dans les services de soins à domicile ne sont pas atteints. Les retombées négatives de son utilisation pèsent lourds sur les professionnels de santé.

Le personnel espère que les nouvelles technologies aident leur profession et améliore la gestion des soins, mais les outils actuels demeurent mal adaptés au terrain. Parmi les efforts des gouvernements et industries privés, il manque un point crucial sur lequel ces nouvelles technologies ne s'attardent pas : la qualité des services.

Malgré les preuves d'inefficacité d'Alayacare, elle va continuer d'être appliquée et même exportée à d'autres équipes à Québec. Le personnel soignant poursuive leur lutte pour recentrer la qualité des soins au cœur du développement des services de santé. L'OIT appelle à renforcer les politiques mondiales et nationales pour garantir une gestion globale des nouveaux risques et dangers qui émergent à l'ère du numérique.

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L’AUTRE VOIE, Une confrontation avec l’IA

29 avril, par André Prone — ,
Trump et ses complices nous poussent vers le mur… mais y a-t-il une issue ?Mon nouveau livre explore une piste radicale : confronter une IA générative,miroir des biais du (…)

Trump et ses complices nous poussent vers le mur… mais y a-t-il une issue ?Mon nouveau livre explore une piste radicale : confronter une IA générative,miroir des biais du capitalisme, à une alternative qui propose Une Autre voie.
Un essai court, tranchant – une lecture urgente à l'heure des crises.

Une Plongée dans les promesses (et pièges) de l'IA. Un dialogue choc entre l'humain et la machine sur l'effondrement social et environnemental en cours.

A lire avant que les algorithmes ne décident pour nous

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Elles avaient fui Franco

29 avril, par Marie-José Nadal — , ,
Présentation Y a-t-il un intérêt à rendre compte, en 2024, de l'expérience de femmes qui ont fui l'Espagne au moment de la victoire de Franco en 1939 ? C'est à travers des (…)

Présentation

Y a-t-il un intérêt à rendre compte, en 2024, de l'expérience de femmes qui ont fui l'Espagne au moment de la victoire de Franco en 1939 ? C'est à travers des récits de vie, des trajectoires de trois femmes, que ce livre entend contribuer à une compréhension toujours à renouveler du fascisme, des résistances au quotidien, des processus de violence. Ainsi, la première partie du livre met en perspective les récits en posant un cadre historique.

La deuxième présente le témoignage de trois femmes espagnoles qui avaient refusé la victoire du général Franco en 1939 et s'étaient réfugiées en France en l'absence de leur mari. Cette séparation était due au fait que la frontière entre la France et l'Espagne avait été ouverte aux civils et aux blessés à partir du 27 janvier 1939, alors qu'elle était restée fermée aux soldats de l'armée républicaine espagnole jusqu'au 5 février 1939.

Les trois narratrices, qui ont accepté de raconter leur vie à l'auteure, 50 ans après la défaite républicaine, étaient issues de familles dont les hommes avaient été des militants ou des sympathisants de partis politiques opposés au coup d'État nationaliste. Leur enfance et leur adolescence se sont passées à Barcelone, avec son lot de conflits sociaux et de répression. Leurs témoignages montrent comment des ouvrières ou des mères de famille des quartiers ouvriers se sont senties concernées par les idées nouvelles et par les changements politiques intervenus dès leur jeunesse.

L'imprégnation politique émanant du milieu familial et de la vie de quartier alimente le sentiment d'appartenir à une classe sociale qui lutte pour améliorer ses conditions de vie. Dès lors, les femmes n'hésitent pas à intervenir à leur manière dans leur quartier. Ce sont les petits gestes de solidarité ou de rejet, les échanges verbaux dans les magasins, les coopératives d'alimentation, les lavoirs publics ou le récit de leurs loisirs dans les centres communautaires, qui révèlent la constitution d'un espace politique qui ne s'exprime que lors d'événements particulièrement importants comme les grèves, la célébration de l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement républicain, la guerre ou l'exil.

Pour ces trois femmes, leur décision de quitter l'Espagne représente leur fidélité idéologique à leur condition de femmes du peuple, en même temps qu'elles se sont montrées solidaires des choix politiques de leur famille, de leur milieu social et de leurs époux impliqués dans la guerre civile.

Collection : « Des paroles en actes »
Auteur-e : Marie-José Nadal

Parution : Février 2025
Pages : 200
Format : 150 x210
ISBN : 979-10-399-02556

Marie-José Nadal est anthropologue mexicaniste. Elle a été professeure associée à l'Université du Québec à Montréal et professeure-chercheure invitée dans plusieurs universités du Mexique et de France. Elle a publié, en plus de nombreux articles, À l'ombre de Zapata. Vivre et mourir dans le Chiapas, La Pleine Lune, Montréal, 1994 ; Le Félin, Paris, 1995 ; Les Mayas de l'oubli, Logiques, Montréal, 2001 ; Les femmes autochtones dans l'espace public mexicain, Presses de l'Université Laval, Québec, 2021 et Derniers entretiens avec Charles Gagnon. Parcours d'un militant, La Pleine Lune, Montréal, 2021.

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« Un couple panafricain. Miriam Makeba et Stokely Carmichael en Guinée »

29 avril, par Miriam Makeba, Stokely Carmichael — , ,
Information publiée le 25 avril 2025 par Faculté des lettres - Université de Lausanne < marc.escola[a]]unil.ch > sur le site internet « Fabula – La Recherche en (…)

Information publiée le 25 avril 2025 par Faculté des lettres - Université de Lausanne < marc.escola[a]]unil.ch > sur le site internet « Fabula – La Recherche en littérature » < www.fabula.org/actualites/127275/elara-bertho-un-couple-panafricain-miriam-makeba-et-stokely-carmichael-en-guinee.html <http://www.fabula.org/actualites/12...> >

En 1968, Miriam Makeba et Stokely Carmichael quittent les États-Unis pour s'installer à Conakry, capitale de la Guinée socialiste. Réfugiés politiques en exil, la chanteuse sud-africaine mondialement connue et le militant révolutionnaire noir décident de se mettre au service du régime de Sékou Touré et de son ambitieux programme de décolonisation des esprits.

En suivant ce couple iconique de la lutte antiraciste dans ses pérégrinations transatlantiques, ce livre replace Conakry dans une cartographie mondiale et une histoire globale des luttes de libération. Dans cette capitale africaine, radicalités noires, combat anti-impérialiste, décolonisation des savoirs et idéal panafricain furent adossés à une politique culturelle ayant pour aspiration de rayonner depuis l'Afrique vers le reste du monde.

*Lire l'introduction du livre,Un couple à Conakry… <https://www.rot-bo-krik.com/ressour...>
*

www.rot-bo-krik.com/ressources/intro-une-couple-panafricain*
*

/Chargée de recherches au CNRS au sein du laboratoire Les Afriques dans le Monde, *Elara Bertho *s'intéresse aux relations entre histoire et littérature en Afrique de l'Ouest. Elle anime avec Elgas un séminaire à Sciences Po portant sur les liens entre littératures et sciences sociales./

/Directrice de la collection « Lettres du Sud » aux éditions Karthala <https://www.karthala.com/> et membre du comité de rédaction de la revueMultitudes <https://www.multitudes.net/> , elle a publié en 2023« Léopold Sédar Senghor <https://www.puf.com/leopold-sedar-s...> » (PUF). Elle travaille actuellement à une histoire des productions artistiques dans la Guinée révolutionnaire de Sékou Touré et aux circulations transnationales du panafricanisme./

* *URL *de référence : https://www.rot-bo-krik.com/un-couple-panafricain

*Une suggestion de lecture de André Cloutier, Montréal, le 25 avril 2025*

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Vivre et mourir en centre de soins de longue durée

29 avril, par Maude Lévesque — , ,
Maude Lévesque Collection Problèmes sociaux et interventions sociales Résumé Comment prendre soin de nos personnes aînées dans un système souvent déshumanisé ? Pourquoi (…)

Maude Lévesque
Collection
Problèmes sociaux et interventions sociales

Résumé

Comment prendre soin de nos personnes aînées dans un système souvent déshumanisé ? Pourquoi vieillir est-il trop souvent synonyme de solitude et de négligence ? Les centres de soins de longue durée (CSLD) sont-ils vraiment des lieux de compassion ?

Ce livre examine les réalités des CSLD au Québec et en Ontario à travers une étude comparative, en s'appuyant sur des entrevues avec des personnes impliquées dans ce milieu. L'auteure, inspirée par son expérience personnelle, interroge le système de soins et les logiques qui guident son organisation. Elle met en lumière l'emprise des pratiques biomédicales de l'organisation, ses représentations et ses conséquences sur les pratiques et les interrelations en CSLD.

Vivre et mourir en centre de soins de longue durée est essentiel pour la recherche, les personnes professionnelles de soins ou candidates à l'intervention et les décisionnaires. Il propose des pistes concrètes pour réhumaniser les soins aux personnes aînées, offrant une réflexion sur les conditions de fin de vie. Cette lecture incontournable appelle à repenser nos pratiques. Elle permet de réfléchir aux limites structurelles et éthiques des CSLD et de participer à un changement tangible.

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Les ressorts du fascisme de Jason Stanley

29 avril, par Éditions Éliott — , ,
Jason Stanley, philosophe américain, professeur à l'université de Yale, est spécialiste de philosophie du langage et d'épistémologie. Il jouit d'une reconnaissance qui a (…)

Jason Stanley, philosophe américain, professeur à l'université de Yale, est spécialiste de philosophie du langage et d'épistémologie. Il jouit d'une reconnaissance qui a dépassé les frontières du monde académique depuis la parution de son livre How Propaganda Works (2015), son œuvre a été plusieurs fois récompensée. L'auteur collabore régulièrement au New York Times. Il a récemment quitté les Etats-Unis pour s'installer à Toronto où il enseigne à l'université de l'endroit.

Traduit de l'anglais (É.U.) par A. Dang Van & S. Réhault

Pourquoi parler, à notre époque, de politique fasciste ?

À partir d'exemples pris dans de nombreux pays, des États-Unis à la Hongrie en passant par l'Inde, la Birmanie, la Russie, la Turquie ou encore la France, Jason Stanley dresse un tableau saisissant des stratégies visant à saper les institutions démocratiques : propagande et théories du complot, défiance à l'égard des intellectuels, critique de l'Université et des médias, nostalgie pour un passé patriarcal mythique, opposition entre territoires ruraux et villes cosmopolites, obsession sécuritaire, stigmatisation et criminalisation des minorités ethniques et des populations pauvres.

Rédigé sous le mandat de Donald Trump, dont il a anticipé la fin par bien des aspects, ce livre dévoile les ressorts du fascisme et nous met en garde contre la naïveté consistant à croire qu'il s'agirait d'une histoire révolue.

Janvier 2022
232 pages - 37.95$
ISBN 9782493117014
13 x 19,5 cm


« Peu de gens savent que l'idéologie fasciste forme un tout structuré et que chacun de ses rouages concourt au bon fonctionnement de l'ensemble. Ils n'ont généralement pas conscience que les slogans politiques qu'on tente de leur faire répéter forment une trame unique. J'ai écrit ce livre dans l'espoir de fournir aux citoyens les outils critiques qui leur permettront de distinguer les stratégies politiques qui, dans une démocratie libérale, sont légitimes et les stratagèmes iniques qui constituent les ressorts de la politique fasciste. »

Jason Stanley, Introduction

« L’OTAN », cette alliance guerrière au service de Washington

29 avril, par Simon Gionet — , ,
En quelques mois, le désengagement du gouvernement Trump à l'international et ses menaces annexionnistes ont poussé le Canada et l'Union européenne à renforcer leurs (…)

En quelques mois, le désengagement du gouvernement Trump à l'international et ses menaces annexionnistes ont poussé le Canada et l'Union européenne à renforcer leurs investissements en défense et à réaffirmer le bien-fondé de l'OTAN, au nom de la paix et de la stabilité mondiale. Dans leur essai L'OTAN. Une alliance au service de la guerre, les militants pacifistes Medea Benjamin et David Swanson mettent en cause cette militarisation croissante en exposant les rouages de l'alliance transatlantique et, surtout, son pouvoir destructeur.

22 avril 2025 | tiré du site de Lux Éditeur | Source : Le Devoir 22 avril 2025
https://luxediteur.com/catalogue/lotan/

En quelques mois, le désengagement du gouvernement Trump à l'international et ses menaces

« Plusieurs pensent que [l'OTAN] est une institution nécessaire pour le maintien de la paix et du libéralisme dans le monde, mais ils ont besoin de comprendre qu'elle agit en violation flagrante de la Charte des Nations unies et qu'elle est une force extrêmement destructrice plutôt que bénéfique pour notre monde », résume David Swanson en entrevue avec Le Devoir.

Respectivement président de World Beyond War et cofondatrice de Code Pink, deux groupes militant pour la paix, Swanson et Benjamin ont amorcé l'écriture avec la volonté d'offrir aux lecteurs une analyse critique et accessible de l'OTAN, au-delà du discours politique ou médiatique ambiant.

Au fil d'une dizaine de courts chapitres, dans un style vulgarisé aux airs pamphlétaires, les auteurs explorent les origines de l'alliance après la Seconde Guerre mondiale, son fonctionnement, ses liens avec l'industrie de l'armement ainsi que son expansion et ses offensives militaires au fil des décennies. S'y dessine une organisation qui, sous le contrôle des États-Unis et de ses intérêts, s'est étendue au mépris du risque nucléaire, des droits de l'homme et de la paix, jusqu'à contribuer à « provoquer » l'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022.

« Par provocation, je ne veux pas dire que c'était excusable, permis, acceptable, sans faute ou sans blâme, précise David Swanson. Je veux simplement dire […] que des mesures ont été prises alors qu'on savait qu'elles rendaient [l'invasion] plus probable. » Lui et Medea Benjamin détaillent à ce titre l'intervention de diplomates, de dirigeants américains ou d'experts qui, dès les années 1980, préviennent du potentiel explosif d'une expansion de l'OTAN près des frontières russes, contraire aux engagements réitérés à Moscou par les pays occidentaux dans la foulée de la dissolution de l'URSS.

À la lecture, cette démonstration de l'attitude belliqueuse de l'OTAN fait néanmoins peu de place à la responsabilité militaire de Moscou, à ses aspirations impérialistes ou à ses crimes de guerre. Swanson justifie cette approche par souci de « corriger » le traitement unidimensionnel des médias américains de la Russie et de la guerre en cours. « Les gens ont besoin d'entendre que plusieurs choses peuvent être vraies simultanément. Que le gouvernement russe peut commettre le mal, mais qu'il peut aussi être encouragé dans un cercle vicieux d'hostilité par d'autres gouvernements. » À commencer par celui des États-Unis.

Le militant antiguerre salue à cet égard la reprise du dialogue entre Washington et Moscou, une initiative de Donald Trump, mais il doute qu'un accord de paix soit véritablement durable sans l'inclusion de l'Ukraine, de l'Europe et des provinces séparatistes russes au cœur des pourparlers.

Militarisme trumpien

Parmi les préjugés qu'ils déboulonnent, Benjamin et Swanson s'attaquent dans leur livre à l'idée que le président républicain, qui remet en question l'OTAN depuis 2016, constitue une menace sérieuse à l'alliance ou au militarisme américain.

« Donald Trump a dit beaucoup de choses, mais il n'a jamais fait quoi que ce soit pour nuire à l'OTAN, résume David Swanson. En fait, il est parvenu [durant son premier mandat] à convaincre les membres de l'OTAN d'augmenter leurs dépenses militaires plus que ne l'a fait Biden. » Le militant doute que l'alliance soit mise en péril par le républicain dans les années à venir, citant sa promesse non tenue de réduire les dépenses militaires durant son premier mandat de même que son appui sans réserve à Israël, qui représente un partenaire et fournisseur d'armes important pour l'OTAN.

Autre idée contestée par les auteurs : la légitimité de la cible de 2 % du PIB que devrait consacrer à la défense chaque pays membre de l'OTAN, ainsi que les récentes pressions de Trump pour le porter à 5 %. Ce taux, adopté en 2006 de façon « antidémocratique » sans l'appui des Parlements de chaque pays, est « complètement arbitraire et sans limite », critique Swanson, qui ajoute que l'industrie de l'armement tentera toujours de l'augmenter pour des raisons de profit.

L'écrivain réitère que l'armement militaire, loin d'être un bien public à valoriser, accentue le risque d'apocalypse nucléaire et fragilise la coopération internationale. Il s'inquiète en ce sens de voir l'Union européenne vouloir gonfler son budget de défense au détriment d'autres services publics. « Les États-Unis devraient apprendre de l'Europe, qui a une meilleure espérance de vie, une population plus heureuse, un environnement plus sain et une économie plus durable. Or, c'est le contraire qui se produit », dit-il.

Appel à la résistance

Benjamin et Swanson concluent l'ouvrage avec des solutions de rechange à opposer au militarisme ambiant, au rang desquelles on retrouve la diplomatie du désarmement et le renforcement des conventions internationales pour rendre les États responsables en cas d'infraction.

Pour Swanson, il importe que les pays rehaussent la pression sur les États-Unis pour infléchir leurs politiques étrangères et militaires, à l'image de l'Afrique du Sud qui « a pris l'initiative de faire respecter l'État de droit » en déposant une requête contre Israël auprès de Cour internationale de justice pour « génocide » à Gaza.

Plutôt qu'être un « acolyte » de Washington, le Canada devrait selon lui s'inspirer de cet exemple et « devenir un leader » en matière de droit international, comme il l'a fait durant la guerre du Vietnam ou en 2005 avec la Convention sur l'interdiction des mines antipersonnel, signée à Ottawa.

« Il faut défendre un modèle, soutenir ce que les gens veulent vraiment. C'est-à-dire une vie sécuritaire, avec des écoles, de la santé et des hôpitaux, au lieu de toute cette belligérance. »

Simon Gionet, Le Devoir, 22 avril 2025.

Photo : Susan Walsh, Archives Associated Press. Une fanfare militaire passant devant la Maison-Blanche à l'occasion d'un dîner officiel entre l'ex-président américain Joe Biden et les pays alliés et partenaires de l'OTAN, le 10 juillet 2024, dans le cadre du 75e anniversaire de l'alliance.

Comptes rendus de lecture du mardi 29 avril 2025

29 avril, par Bruno Marquis — , ,
Histoire de la Révolution mexicaine Jésús Silva Herzog Traduit de l'espagnol J'ai beaucoup aimé ce livre de Jésús Silva Herzog sur la Révolution mexicaine. On y découvre, (…)

Histoire de la Révolution mexicaine
Jésús Silva Herzog
Traduit de l'espagnol

J'ai beaucoup aimé ce livre de Jésús Silva Herzog sur la Révolution mexicaine. On y découvre, pendant ces années 1910-1917, les faits et gestes des dictateurs mexicains Porfilio Díaz et Victoriano Huerta et des chefs révolutionnaires Francisco Madero, Venustiano Carranza, Álvaro Obregón, Pancho Villa et Emiliano Zapata. L'auteur y prête une attention particulière aux questions sociales, au partage des terres et à la répression des grèves qui ont poussé des millions de paysans et d'ouvriers à la révolte. Nous sommes aussi en pleine Doctrine Monroe, avec ses conséquences funestes pour le Mexique, mais aussi pour toute l'Amérique latine.

Extrait :

On ne peut cependant nier l'intervention, condamnable à tous les points de vue, du premier mandataire nord-américain dans les affaires intérieures du Mexique. Il est évident qu'il avait l'entière faculté de ne pas reconnaître le gouvernement du criminel dictateur ; mais il n'avait pas le pouvoir d'exiger qu'il renonçât à la présidence, comme il le fit au moyen de deux notes que son chargé d'affaire remit au ministre des Affaires étrangères au mois de novembre de cette sombre année 1913, si funeste à la nation. Une telle ingérence, à l'égal des interventions antérieures de la Maison Blanche et de celles postérieures, de Wilson au Mexique et dans d'autres nations latino-américaines, ne se justifiera jamais devant l'histoire.

Agent Orange - Apocalypse Viêt Nam
André Bouny

Le populaire président américain Barack Obama a terminé son second mandat sans avoir présenté la moindre excuse au peuple japonais pour les bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki en 1945, alors que la guerre était vraisemblablement terminée, et sans avoir présenté la moindre excuse au peuple vietnamien pour l'utilisation massive de l'Agent Orange lors de l'occupation américaine du Vietnam de 1961 à 1971. C'est sur ce dernier cas que se penche avec beaucoup de rigueur André Bouny dans son excellent ouvrage « Agent Orange - Apocalypse Viêt Nam ». La guerre livrée par le gouvernement américain au Viêt Nam fut la plus grande guerre chimique de l'histoire de l'humanité. Il n'y a probablement aucun langage suffisamment puissant pour traduire les horreurs des attaques américaines d'alors contre le Viêt Nam - le bombardement des villages, la destruction de l'habitat rural, le massacre de millions de gens, la dévastation d'un paysage magnifique et les effets cruels de l'Agent Orange sur les adultes et les enfants qui ont survécu. Ce livre en est un vibrant témoignage. On ne peut pas ne pas en recommander la lecture.

Extrait :

Aussi atroces que soient les effets des agents chimiques, principalement l'Agent Orange, sur les hommes et leur descendance, ils ne représentent qu'une partie du problème. la destruction intentionnelle des règnes végétal, animal et minéral, par empoisonnement de la terre qui apportait protection et subsistance aux habitants de ces écosystèmes n'a pas de précédent dans l'Histoire de l'humanité.

Les armoires vides
Annie Ernaux

C'est le premier roman d'Annie Ernaux et - comme le reste de son œuvre - il est en grande partie autobiographique. Denise Lesur est une adolescente qui a honte de ses parents, malgré leurs efforts pour qu'elle poursuive ses études. Elle aspire, comme d'autres, à un monde moins vulgaire, plus cultivé, de mieux nantis, à l'image des jeunes filles et surtout des garçons qu'elle cherche à côtoyer. C'est un roman agréable à lire, certes, mais très dur. Le mépris des enfants pour leurs parents de conditions modestes est en mon sens une chose bien cruelle ; surtout, comme dans ce roman, quand il se manifeste avec autant d'intensité et sur une longue période de temps.

Extrait :

Ne pas pouvoir aimer ses parents, ne pas savoir pourquoi, c'est intenable. Personne à qui avouer, je déteste mon père parce que tous les matins la cascade de pisse dans le seau de chambre traverse la cloison, jusqu'à la dernière goutte, que ma mère se gratte en grimaçant sous ses jupes, qu'ils lisent France-Dimanche dont le prof a dit que c'était un torchon, qu'ils disent une hôtel, un anse.

Le municipalisme libertaire
Janet Biehl
Traduit de l'anglais

J'ai lu ce livre parce qu'il s'inspire en grande partie de la pensée de Murray Bookchin, dont j'avais beaucoup aimé « Pour une société écologique », publié chez Écosociété. « Le municipalisme libertaire » est un essai qui vise à instaurer la démocratie là où cela doit être fait, au niveau municipal ou local, et non, de façon faussement représentative, au niveau de l'État ; c'est surtout un essai qui ne transige pas avec l'oligarchie en place et qui ne fait pas de compromis avec la démocratie. Avant de poursuivre, et pour bien comprendre, il faut bien sûr s'entendre sur les termes. On ne parle évidemment pas ici de cette « démocratie » de pacotille qu'on nous claironne dans tous les médias de masse et qui vivrait supposément en symbiose avec le capitalisme — un peu comme une poule avec un renard dans un poulailler. On parle ici de vraie démocratie, où ce sont tous les citoyens qui décident ensemble de ce qu'ils veulent faire. « Le municipalisme libertaire » est un livre à lire pour tous ceux qui s'intéressent au changement et au progrès...

Extrait :

Il est impossible que l'État-nation et le capitalisme survivent indéfiniment. Alors même que ce système creuse le fossé entre riches et pauvres tout autour du monde en un abîme d'inégalité, il suit aussi une trajectoire de collision avec la biosphère. L'impérialisme capitaliste de la "croissance ou de la mort" surtout, qui recherche le profit aux dépens de toute autre considération, s'oppose radicalement aux réalités pratiques de l'interdépendance et des limites, tant du point de vue social que du point de vue de la capacité de la planète à maintenir la vie.

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Trump II

29 avril, par Guylain Bernier, Yvan Perrier — ,
Trump fait la manchette autant dans son pays qu'à l'échelle planétaire. Pas moyen de s'y soustraire. Dans certains articles on le présente souvent comme un personnage « bizarre (…)

Trump fait la manchette autant dans son pays qu'à l'échelle planétaire. Pas moyen de s'y soustraire. Dans certains articles on le présente souvent comme un personnage « bizarre », « vulgaire », « raciste », « misogyne », « anti-intellectuel », « anti-scientifique », « antiwoke », etc., qui aimerait, malgré ses travers, faire l'unanimité autour de lui, compter sur une quantité phénoménale de supportrices et de supporteurs, avoir de nombreux émules et pouvoir s'appuyer sur un vaste réseau d'alliés ou de dirigeantes soumisEs. Hélas pour lui, il est très controversé, et ce même s'il est parvenu à créer, autour de son personnage politique, des copies sur divers continents. Pensons ici à Orban (Hongrie), Meloni (Italie), Milei (Argentine), Netanyahou (Israël) et Modi (Inde). Sans oublier, parmi des dirigeants qui ne sont plus aux pouvoirs, les Boris Johnson (Royaume-Uni) et Jair Bolsonaro (Brésil), etc.. Comment est-il possible de rendre compte de la présence sur la scène politique de ce type de dirigeantE qui adopte des politiques visant à réduire les fonctions régaliennes de l'État ; à mettre au pas l'élite universitaire et intellectuelle ; à dicter les orientations des décisions des tribunaux ? Voire même à chasser les immigrantEs et les personnes qui demandent l'asile politique ? À brimer les droits des groupes minoritaires opprimés et dominés ? Etc. ? Comment expliquer ce type de politicien qui est en rupture à plusieurs égards avec plusieurs de ses prédécesseurs (mis à part Richard Nixon) ?

La nouvelle donne depuis les années quatre-vingt du siècle dernier

Commençons par constater que nous vivons dans un monde au sein duquel nous pouvons observer une crise profonde des régimes parlementaires nationaux dominés par un capitalisme-impérialiste prédateur qui n'a plus de modèle alternatif pour le concurrencer. Les États-nations aujourd'hui sont, de moins en moins, en mesure de se définir à l'extérieur de leur rapport avec certaines organisations internationales (OMC, Banque mondiale de développement) ou sans envisager des traités de libre-échange avec d'autres pays. Il en est ainsi depuis les années quatre-vingt du siècle dernier. Même si Donald Trump semble vouloir aller à contre-courant de cette tendance, en adoptant une politique protectionniste (via l'imposition de tarifs douaniers aux produits importés sur son territoire), il s'agit là pour nous, à ce moment-ci, d'une parenthèse étasunienne dans la mondialisation, dont il est trop tôt pour conclure quoi que ce soit à ce sujet. L'heure du repli protectionniste n'a pas encore sonné aux USA. Trump semble chercher, pour le moment, à travers des négociations bilatérales avec divers pays, à rétablir la balance commerciale en faveur du sien. Attendons voir avant de conclure trop rapidement au sujet de cette politique héritée de l'époque du mercantilisme.

Pour comprendre le phénomène Donald Trump en politique, il faut revenir sur certaines caractéristiques du monde dans lequel nous vivons depuis l'élection de Margaret Thatcher (1979 à 1990) et de Ronald Reagan (1981 à 1989) et surtout depuis l'effondrement des régimes communistes du bloc de l'Est (de 1989 à 1991). Manifestement, la situation générale d'aujourd'hui, à l'échelle planétaire, est celle de la victoire complète du capitalisme à l'échelle mondiale. Il n'y a plus, en ce moment, que quatre régimes politiques qui se réclament du communisme ou du socialisme et il s'agit des suivants : Cuba, Vietnam, Corée du Nord et République populaire de Chine. Cette dernière se présente comme un « État socialiste de dictature démocratique populaire » dont le modèle de développement économique correspond à une « économie socialiste de marché ». Bref, un capitalisme d'État. La grande menace communiste, qui a donné le ton aux relations internationales de 1917 à 1991 semble avoir été éradiquée. Le grand gagnant de l'affrontement est-ouest est incontestablement le bloc de l'Ouest. Or, les implications de la victoire du capitalisme global à l'échelle mondiale sont nombreuses.

Dans un livre intitulé Trump, Alain Badiou (2019) a mis en évidence quatre implications découlant de ce triomphe :

1) La première c'est celle des inégalités : « de nos jours, deux cent soixante-quatre personnes possèdent, par héritage ou par revenu, autant que les sept milliards d'autres qui peuplent le monde. C'est là un déséquilibre bien plus important que ce qui a été possible du temps des monarchies absolues. » (p. 19).

2) La deuxième implication concerne les positions que le « sujet contemporain » (p. 45) peut occuper dans ce système d'inégalités. Le philosophe français en identifie quatre : être un « propriétaire industriel ou terrien, bref un capitaliste » ; « être à la fois un salarié et un consommateur, c'est-à-dire de vendre sa force de travail pour acquérir des marchandises quelconques » ; « être un pauvre paysan » en Afrique (ou dans un pays sous-développé) ; et, enfin, « n'être rien du tout, ni un consommateur ni un salarié, ni un paysan, ni un capitaliste » (pp. 45-46).

3) La troisième implication découle des deux précédentes et notre auteur l'énonce comme suit et concerne les populations démunies qui sont errantes et migrantes : « Il semble […] que le capitalisme lui-même soit incapable de procurer du travail à la totalité de la population mondiale […] parce que, comme vous le savez, les capitalistes offrent du travail uniquement s'ils peuvent espérer faire du profit » (p. 47). Il résulte de cette situation un excédent de gens démunis et sans avenir, les quelques milliards qui ne sont rien du tout, qui ne devraient pas exister, et dont une partie erre à travers le monde à la recherche de moyens de subsistance.

4) Dans ce champ planétaire, du capitalisme, dont la loi primordiale est la circulation de l'argent, les politicienNEs, et c'est là la quatrième implication, ne peuvent œuvrer que dans les limites étroites de la sphère nationale. Or, de la brutalité du capitalisme global associée à l'absence de choix politiques réels, à l'échelon national, résultent une frustration populaire, une peur de l'avenir et un sentiment généralisé de désarroi, ceci au sein d'une fraction de la classe moyenne, mais surtout parmi les pauvres. D'où une base électorale pour des politiciens à la Trump.

Sur le plan idéologique, last but not least, Badiou définit le monde dans lequel nous vivons par l'absence d'une autre orientation stratégique que celle du capitalisme. Autrement dit, le capitalisme ne prétend plus, comme jadis, être le meilleur système d'organisation économique et sociale ; il prétend tout simplement être le seul possible (pp. 15 à 17).

Depuis environ plus de trente-cinq ans, soit depuis l'effondrement des régimes communistes (1989-1991), l'humanité semble s'être résignée au fait qu'il n'y a plus de modèle alternatif, qu'il n'y a donc, par conséquent pour elle, qu'une seule voie à suivre. Ce qui implique qu'il n'y a plus de politique à proprement parler, la politique étant essentiellement une opposition entre deux visions antagonistes du monde et la voie jadis considérée comme alternative — le communisme à la soviétique ou à la chinoise — s'est dissipée dans les vapeurs de différentes substances : l'autoritarisme, le déviationnisme idéologique et politique, la corruption, les scandales, etc..

Trump n'est pas une exception : « [F]ace à l'oligarchie politique traditionnelle nous voyons apparaître, plutôt que des politiciens bourgeois chevronnés, une nouvelle espèce d'activistes, qui défendent des propositions violentes et démagogiques et semblent prendre de plus en plus pour modèle les gangsters ou la mafia » (p. 22). En effet, justement parce que l'argent-roi domine l'esprit capitaliste qui ne fait pas de distinction entre le respect des lois et le hors-la-loi. Tout est une question de tirer profit des circonstances, dans le but indispensable d'accumuler toujours davantage et davantage encore. De là, l'illusion d'une limite, et ce, même si les ressources planétaires en ont une… Grave problème qui peut être renversé par l'avenue de l'autre monde — le cyberespace — où l'argent est débarrassé de son corps physique pour devenir entièrement virtuel. Ainsi, l'avenir de l'enrichissement capitaliste passera à l'intérieur de cet autre monde à conquérir (une autre conquête). Voilà pourquoi les grandes puissances du monde terrestre s'allient aux grandes compagnies Internet et s'infiltrent donc dans le monde virtuel, tout en entreprenant des guerres de « hacking » aux effets profitables — d'où pourquoi aussi d'autres pays cherchent aussi à s'enrichir de la sorte au nom de leur souverain. Et sur ce point Badiou a raison de comparer leurs agissements à celui des groupes illégaux, car seul l'enrichissement compte ici.

Pour le philosophe, c'est la domination stratégique du capitalisme global qui règne internationalement, quelles que soient les pseudonouvelles politiques, et face à laquelle le trouble et la frustration des peuples n'y peuvent rien puisque ce « capitalisme démocratique » leur est présenté comme la seule voie possible envisageable.

Badiou revient sur la nécessité d'une autre voie, une autre stratégie pour la vie de l'humanité… : « Ce dont nous avons besoin c'est d'une idée, d'une grande idée […] il est possible de résumer cette idée par quelques points très simples, qui sont en réalité les points retenus par le communisme » (p. 69). Or, le communisme fait encore peur.

La mondialisation compétitive et conflictuelle

Nous vivons dans un monde qui a comme point cardinal la mondialisation. Celle-ci s'effectue dans un mode compétitif qui est foncièrement désorganisé, se définit et se déploie à travers des conflits et des rivalités entre différents pays. Les compétiteurs, que sont les USA, la République populaire de Chine et la Russie, cherchent à imposer leur domination dans différentes zones de la planète. Nous ne pouvons pas affirmer que les dirigeantEs politiques qui dominent la scène politique sont toutes et tous des personnes qui ont lu Kant et qui agissent en fonction de l'impératif catégorique suivant : « Agis de façon telle que tu traites l'humanité, aussi bien dans ta personne que dans toute autre, toujours en même temps comme fin, et jamais simplement comme moyen. » Les rivalités à l'échelle internationale s'activent. Trump parle souvent « d'état d'urgence », « d'ennemis », « de guerre », etc.. Or, nous savons que les libertés fondamentales ne sont respectées dans les pays occidentaux qui se présentent comme étant des démocraties libérales parlementaires qu'en proportion inverse de l'intensité des conflits internationaux. En cas de conflits ouverts, les libertés sont sévèrement restreintes et limitées, les gouvernements exigent une loyauté inconditionnelle à l'égard de l'État et imposent diverses restrictions à la liberté d'expression (contrôle de la presse, des centres de recherche et des universités ; surveillance des citoyens ; expulsion de certains ressortissantes et ressortissants de l'étranger, etc.). Il faut préciser ici qu'en dehors de l'état de guerre ouverte ou présumée, ces restrictions aux droits et libertés diminuent sans réellement disparaître complètement.

D'un monde bipolaire, à un monde unipolaire et pourquoi pas maintenant multipolaire…

Nous aurions donc évolué dans un monde bipolaire du lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, et ce jusqu'à l'effondrement des régimes communistes des pays du bloc de l'Est. De 1991 jusqu'au début de l'an 2000 environ, il pourrait être question d'un monde unipolaire et, depuis le début du XXIe siècle, un monde multipolaire aurait émergé, avec à sa tête un triumvirat composé des USA, de la République populaire de Chine et de la Russie. Le monde compterait maintenant au moins deux super puissances plus une ex qui multiplie les efforts pour reprendre du gallon ou du poil de la bête.

Il faut savoir au sujet de la République populaire de Chine — l'Empire du Milieu — qu'elle revient de loin, de très loin même. Comment qualifier autrement que de victime de prédation le sort réservé à un empire chinois affaibli, à partir de la première guerre de l'opium, par à peu près tout ce que le monde comptait au XIXe siècle de puissances navales ? Par une ironie de l'histoire, la Chine, aujourd'hui est redevenue superpuissance, se retrouve assise à la table des prédateurs (Heisbourg, 2024) avec ses deux grands tantôt partenaires ou tantôt rivaux.

Il est à souligner que ces trois grands pays impérialistes déclinent en ce moment leur stratégie en exploitant les interdépendances pour en extraire tous les avantages possibles. Sur ce point, disons d'abord que la Chine est devenue une cyberdictature qui cherche à s'approprier les technologies européennes et américaines, à détacher l'Europe des États-Unis, à intégrer l'Europe dans l'espace eurasiatique, notamment via la 5G, tout en se réservant l'option de l'intervention militaire (à Taïwan notamment). Ensuite, forts de leur suprématie militaire et de leur capacité d'innovation, cyberpuissance avérée, pays détenteur de la devise monétaire qui permet encore largement les échanges commerciaux internationaux, les USA ont, avec Donald Trump, abandonné (provisoirement) le libre-échange et, pour au moins les quatre prochaines années, leur prétention à l'exemplarité pour verser dans le transactionnalisme à courte vue, le bilatéralisme et l'imposition de tarifs douaniers en vue de réduire les impôts des particuliers les plus riches. Enfin, reléguée par sa faiblesse économique dans une autre catégorie que les deux autres puissances, la Russie est animée par une démarche révisionniste vis-à-vis de la perte de son statut de superpuissance, ainsi que de l'ordre de sécurité européen de l'après-guerre froide. Elle compense son manque de ressources en se montrant conquérante et belliqueuse tout en essayant de déstabiliser ses adversaires par la désinformation.

Ce sont ces pratiques de prédation qui se déploient en ce moment un peu partout dans le monde. La Russie veut gruger des territoires de l'Ukraine et obtenir le contrôle éventuel de la route maritime de l'Océan Arctique ; la Chine veut s'annexer Taïwan et développer sa zone d'influence sur le continent Africain ; les USA ont annoncé une politique d'annexion territoriale agressive à l'endroit du canal de Panama, du Groenland et du Canada. Trump a même annoncé vouloir chasser la population palestinienne de la bande de Gaza pour en faire une zone touristique sous le contrôle d'Israël. Au milieu de ce champ de forces, l'Union européenne offre aux prédateurs les atours de ses divisions internes et de son absence de moyens de défense stratégiques.

Mais est-ce si différent des temps passés ? La conquête de territoires n'a cessé d'animer un type de dirigeant qui se croyait être l'Un parmi les autres. Ce qui animait donc l'Asie et l'Europe de l'Antiquité — étant sûrement tout autant le cas en Amérique, même si notre connaissance reste limitée sur cette période en ce territoire —, possible de rappeler aussi durant le Moyen Âge, lors de la formation des États-nations, se poursuit tout simplement. Là où la mainmise sur la Méditerranée devient ensuite un contrôle des blocs continentaux, on en vient tout naturellement à vouloir contrôler le monde entier avec son cyberespace — et pourquoi pas ensuite tout ce qui concerne l'espace extraterrestre et non virtuel. Pour se faire, il faut devenir puissant, créant alors un cycle perpétuel binaire entre la nécessité de conquête pour être puissant et le désir d'être puissant qui oblige la conquête, donc dans une vision limitée des choses ; cela revient à dire qu'après la paix vient la guerre et après la guerre le besoin d'une pause dans la paix. En bref, le contexte international actuel n'a rien de surprenant. C'est la nature humaine qui est en cause ici : répondre à des besoins et des désirs. Mais il existe une frange qui ambitionne plus que les autres, ne pouvant se contenter. À cela se joignent évidemment des excès de la personnalité qui rappellent les Augustes, les Césars, les Empereurs ou les Rois-tyrans d'un temps bizarrement pas aussi révolu que nous pouvons le croire.

Plus près de nous, il y a la suite des deux Grandes guerres, où les puissances poussent dans ses extrêmes retranchements la formule de l'État, reposant sur une autorité centralisatrice et structurée. Autrement dit, on revient même à l'ancien questionnement portant sur la grosseur idéale de l'État, de son régime politique, économique et social à prioriser — en dépit de ce qui a été dit plus haut au sujet de la solution unique ou de la voie de salut offerte par le capitalisme. En réalité, notre mode de pensée continue d'être mené par le passé de conquêtes et de religiosité. Le désenchantement du monde de Weber ou de Gauchet intervient certes ici de façon à supposer sa prochaine phase consistant à le généraliser, alors que nous évoluons toujours dans un monde très religieux, qui en plus reconnaissait la place des Empereurs et des Rois au sein d'une division entre la Cité céleste et la Cité terrestre qui ne possède pas seulement les traits augustiniens. Il existe toujours dans l'esprit humain cette grandeur qui dépasse l'humanité, parce que, comme le disaient les Descartes, Kant, James et Bergson de ce monde, nous avons besoin de croire. Par contre, son inaccessibilité physique, dans un certain sens, exigeait de l'exprimer concrètement à travers ce que nous avons généré en termes de hiérarchie — avec ses dérives. La catégorisation des choses, comme le dirait Foucault, accentue aussi les discriminations sur le plan humain. Au-delà des forts et des faibles, des êtres intelligents et des sots, s'ajoute une hiérarchie basée sur le sexe (ou le genre), sur la race, le sang, la couleur et ainsi de suite. Cela s'est évidemment répercuté dans une recherche de suprématie qui, dans un contexte de mondialisation et d'immigration de toute provenance, n'a plus sa place, selon un certain point de vue toutefois et malgré le capitalisme qui n'a rien à faire des différences, hormis entre les riches et les pauvres, soit la seule hiérarchie qui le concerne. Voilà qui expose une quête allant au-delà des richesses promises par le capitalisme.

Nos sociétés continuent de présenter ce caractère craintif par rapport aux différences, par rapport donc à l'inconnu. La crainte de perdre des repères, de ne plus savoir où aller, voire même à quoi ou qui croire, stimule d'ailleurs le besoin de retourner vers des bases connues et jugées solides, même si elles ont causé toutes sortes de désagréments et, au plus, des destructions massives. Pourtant, on reconnaît certaines valeurs jugées universelles et, en l'occurrence, rattachées à une vie en commun harmonieuse, mais cette idéalité se confronte à une réalité de besoins qui ramène l'intérêt égoïste en avant-plan — d'où le capitalisme. On veut manger, avoir un toit sur la tête et suffisamment d'argent pour éviter le manque et, au meilleur, s'offrir un temps pour soi et nos proches. Au fond, la plus grande difficulté que nous avons à faire face est de rendre compte de l'humanité, c'est-à-dire de donner forme à une seule espèce humaine ou de rentrer dans cette unité ses multiples expressions. Car, comme l'a bien dit Bergson (2012[1932]), c'est la religion qui en est la cause première, cherchant à créer un homogénéité basée sur la foi plutôt que sur le territoire ou la tribu. Malheureusement, notre tendance à repousser la différence (ou à combattre celles et ceux qui ne font pas partie de notre tribu) entre en opposition avec cette vision de l'humanité, ce qui pourrait alors expliquer également cette tendance des conquêtes et des frictions entre superpuissances. Autrement dit, le réenchantement du monde en misant sur cette forme de lien fraternel qu'est l'humanité exige conséquemment une nouvelle forme d'État ou de gouvernement ; à savoir une autre façon de coordonner les relations humaines autrement que par une hiérarchie propre à élever les uns sur les autres. C'est là que des organismes, en songeant à l'ONU, peuvent servir de pont, afin de ramener les divisions vers une compréhension plus générale de l'humanité dans ses formes de distinction étant à la source même de sa splendeur. Ce réenchantement exige en plus un rééquilibre entre l'humain et la nature, puisque les deux sont conjointement liés : envisageons-nous alors un retour vers le jardin d'Éden, comme voie de sortie du capitalisme impérial ?

Conclusion

Cette nouvelle dynamique géopolitico-économique de la présente phase de la mondialisation, qui nous expose à une authentique alternance gouvernementale sans possibilité d'une alternative politique, pourrait (en partie) expliquer l'émergence du type de politicienNE aux caractéristiques comportementales à la Donald Trump. La fin de la guerre froide entre les pays des blocs de l'Ouest et de l'Est a permis l'émergence de politicienNEs pour qui la fin justifie les moyens et où la raison cède le pas à la déraison, ce qui se répercute sur une population des pays du centre craintive et préoccupée par son avenir, entre autres sur le marché du travail et de l'emploi. Cette population redoute les affres du chômage et les conséquences de la perte ou de l'érosion de son pouvoir d'achat. Une frange importante des électrices et des électeurs adhère au diagnostic simpliste selon lequel la situation économique s'est détériorée à cause supposément d'une immigration massive et également en raison de politiques en faveur des groupes discriminés. Mais ces dirigeantEs de l'ultra-droite, qu'une frange importante de l'électorat est prête à accorder son vote, prônent et adoptent, une fois installéEs au pouvoir, des politiques qui ont pour effet d'accentuer les écarts entre les riches et les pauvres. « Tout fonctionne normalement, ça tourne en rond évidemment », comme dirait l'Autre… Jusqu'à ce que la masse décide d'en finir et choisisse la voie de la révolution. Mais, à la chute des impériaux, viendra des périodes troubles susceptibles de créer une marche de recul. Car pour avancer, il faut une direction avec une destination. Le temps est venu de se pencher sur des alternatives au capitalisme impérial, à des solutions qui exigeront de transformer la mentalité actuelle : à commencer par notre relation avec la richesse et avec autrui.

Guylain Bernier
Yvan Perrier
26 avril 2025
18h

Références

Allès, Delphine, Frédéric Ramel et Pierre Grosser. 2023. Relations internationales. Paris : Armand Colin, 318 p.

Badiou, Alain. 2019. Trump. Paris : PUF, 97 p.

Bergson, Henri. 2012[1932]. Les Deux Sources de la morale et de la religion. Paris : Flammarion, 446 p.

Canivez, Patrice. 2013. Qu'est-ce que l'action politique ? Paris : Vrin, 125 p.

Heisbourg, François. 2024. Le temps des prédateurs : La Chine, les États-Unis, la Russie et nous. Paris : Odile Jacob, 238 p.

Manzagol, Claude. 2011. La mondialisation : Données, mécanismes et enjeux. Paris : Armand Colin, 191 p.

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En mission officielle, la Directrice de l’OIM Amy Pope s’immerge dans la détresse silencieuse des déplacés internes

29 avril, par Smith Prinvil —
Port-au-Prince, 14 avril 2025 – Sous un soleil de plomb, entre des allées boueuses et des tentes de fortune en plastique noir, la Directrice Générale de l'Organisation (…)

Port-au-Prince, 14 avril 2025 – Sous un soleil de plomb, entre des allées boueuses et des tentes de fortune en plastique noir, la Directrice Générale de l'Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), Madame Amy Pope, foule le sol craquelé d'un camp de déplacés internes à Delmas 33. Sa visite, très attendue, résonne comme un moment de reconnaissance pour les milliers de familles ayant fui les balles, les incendies, les menaces et les cauchemars imposés par les gangs armés dans la région métropolitaine.

Le regard grave, Amy Pope échange avec des mères qui racontent leur fuite de Martissant ou de Cité Soleil, avec des enfants qui n'ont pas mis les pieds à l'école depuis des mois, et avec des chefs de famille qui ne savent plus à qui s'adresser pour se faire entendre.

“La résilience ne doit pas être confondue avec une solution,” a-t-elle déclaré, d'une voix ferme. “Ces gens n'ont pas choisi cette vie. Ils ont été arrachés à leurs maisons, à leur quotidien, à leur dignité. Ils ont un besoin urgent de protection, d'abris et de soutien.”

Une humanité en suspend

Depuis plusieurs années, les camps de déplacés internes se multiplient à travers la capitale haïtienne. La recrudescence de la violence des groupes armés a vidé des quartiers entiers, forçant des dizaines de milliers de personnes à chercher refuge dans des espaces publics transformés en zones de survie. Écoles abandonnées, cours d'églises, places publiques… les abris improvisés ne protègent ni du froid, ni des maladies, encore moins de la faim.

Marie-Ange, 38 ans, mère de trois enfants, raconte : “Ils sont venus en pleine nuit. On n'a rien pu emporter. Depuis, je dors par terre. On survit comme on peut.”

Comme elle, des milliers de femmes, souvent seules à porter le fardeau familial, dénoncent le manque d'assistance, l'insécurité dans les camps et l'absence de perspective.

Une visite au goût d'alerte

La venue d'Amy Pope marque un tournant. Rarement un haut responsable onusien s'est montré aussi direct dans ses propos. Sa visite n'était pas un simple geste diplomatique : elle a mis en lumière la gravité d'une crise humanitaire que le pays ne peut plus ignorer. Et elle a lancé un signal clair à la communauté internationale : Haïti ne peut pas affronter seule cette catastrophe.

Face à la presse, Mme Pope a insisté : “Nous devons sortir ces familles de l'ombre. La situation actuelle n'est pas soutenable. L'OIM fera tout son possible, mais cela demande un effort collectif, national et international.”

L'État haïtien face à ses responsabilités

Cette visite soulève aussi une question brûlante : que fait l'État haïtien ? Malgré les promesses répétées d'une meilleure coordination humanitaire, les structures publiques restent désorganisées, sous-financées, voire absentes sur le terrain. Les déplacés internes sont devenus les symboles d'un effondrement progressif, où l'aide humanitaire supplée un État défaillant.


Un appel à l'action

En quittant le camp, Amy Pope a laissé derrière elle des regards remplis d'attentes. Sa visite ne guérira pas les blessures ni ne restaurera les toits perdus. Mais elle aura permis une chose essentielle : remettre la lumière sur ceux qu'on ne veut plus voir.

Derrière chaque chiffre, chaque tente, il y a des noms, des histoires, des vies en attente de justice. Il est temps de passer de l'observation à l'action.

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Trois militaires tués à Kenscoff : symbole d’un État en lutte

29 avril, par Smith Prinvil —
Haïti a perdu, ce dimanche 20 avril 2025, trois de ses fils. Trois militaires tombés sous les balles de la terreur, dans la commune de Kenscoff, alors qu'ils tentaient de (…)

Haïti a perdu, ce dimanche 20 avril 2025, trois de ses fils. Trois militaires tombés sous les balles de la terreur, dans la commune de Kenscoff, alors qu'ils tentaient de défendre un territoire stratégique contre l'assaut féroce de la coalition de gangs armés connue sous le nom de Viv Ansanm. Une nouvelle tragédie dans un pays où le sang coule trop souvent dans le silence des collines.

Kenscoff, longtemps considérée comme un havre de paix, s'est transformée en théâtre de guerre. Les attaques répétées, les tentatives de prise du commissariat, de la Mairie et de la zone de Téléco, traduisent une ambition claire : celle d'étendre l'emprise criminelle sur des zones rurales jusque-là préservées. Cette escalade de la violence n'est pas une dérive ponctuelle. C'est une stratégie de conquête. Une guerre insidieuse menée contre la République.

Les militaires tués ce dimanche n'étaient pas de simples soldats. Ils étaient le visage d'un espoir national : celui d'un État qui résiste, d'un pouvoir qui se bat encore, malgré ses failles, ses lenteurs et ses déchirures internes. Leur mort interpelle. Elle révèle à la fois le courage de nos forces armées et la profondeur du gouffre sécuritaire dans lequel le pays s'enfonce.

La Primature, dans un communiqué, a salué leur bravoure, leur engagement, leur sacrifice. C'est un geste noble, nécessaire. Mais il ne suffit plus de rendre hommage. Il faut agir. Chaque soldat qui tombe doit éveiller une conscience, raviver une volonté politique. Car laisser les gangs prendre Kenscoff aujourd'hui, c'est compromettre demain toute l'aire métropolitaine.

Nous faisons face à un ennemi structuré, armé, déterminé. La réponse doit être à la hauteur : coordination renforcée entre les forces de sécurité, investissements massifs dans les équipements, appui logistique, mais aussi travail en profondeur sur l'intelligence territoriale, le renseignement, la réinsertion et la désactivation des bases criminelles.

Et surtout, la société ne peut pas rester spectatrice. Il faut un sursaut collectif. Ce ne sont pas seulement des militaires qui tombent, c'est une part de notre souveraineté qui s'effondre à chaque fois. La peur ne doit pas remplacer le civisme. Le silence ne doit pas étouffer la mémoire de ces héros.

Le combat pour Haïti ne se joue pas seulement dans les rues de Port-au-Prince. Il se joue aujourd'hui à Kenscoff, demain ailleurs. Face à l'ombre qui avance, il nous faut de la lumière, du courage et un engagement sans faille.

Paix à ces soldats. Honneur à leur engagement. Et à nous, le devoir de poursuivre le combat.

Smith PRINVIL

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L’humanité malade de ses humains ou la banalité du mal

29 avril, par Gaétan Roberge — ,
Au nom de la justice, nous devrions descendre de nos bien-pensantes tribunes, quitter nos cérémoniales chaires « financées » et nos commodes tours de garde doctrinaires pour (…)

Au nom de la justice, nous devrions descendre de nos bien-pensantes tribunes, quitter nos cérémoniales chaires « financées » et nos commodes tours de garde doctrinaires pour ouvrir nos yeux sur les injustices du monde et agir. L'empathie et la solidarité auraient-elles brûlées sur le bûcher ardent du confort et de l'indifférence ?

Deux visions, un choix : Barbarie ou civilisation

Hannah Arendt : « La mort de l'empathie humaine est l'un des premiers signes et le plus révélateur d'une culture de la barbarie. Elon Musk : « L'empathie est la faiblesse fondamentale de la civilisation occidentale. »

Ah la justice ! Quelle justice au juste ?

Mais, où sont donc passés les justes de la terre ? La justice si difficile et imparfaite puisse-t-elle demeure l'un des précieux indicateurs déterminant non seulement le degré d'avancement d'une société ou d'une civilisation, mais également de légitimer sa propre raison d'être. Puisque sans la justice, qui incarne le principe moral qui exige le respect du droit et de l'équité, sans État de droit qui garantit la protection légale et le respect des droits civils et politiques fondamentaux ainsi que les libertés civiles et accès à la justice on ne peut exercer sa liberté d'expression et établir des rapports égalitaires. La justice s'avère la prémisse essentielle et fondatrice de tout engagement et de toutes les libertés. Sans elle, il ne pourrait donc pas y avoir de civilisation sur les pas empressés de nos horizons chaotiques et de nos réalités à la fois angoissantes et fascinantes. Ainsi, lorsque l'injustice se manifeste, telle l'éclosion d'un virus, elle annonce d'avant-coureurs et graves symptômes d'une civilisation ou d'une société malade.

Les despotes ou l'instauration de la barbarie et de la bêtise

C'est pourquoi, tout en demeurant extrêmement vigilants, méfions-nous des discours haineux, de la propagande mensongère et du règne de l'arbitraire lorsque des sociétés dont la gouvernance, la liberté de parole et l'appareil de justice basculent aux mains tentaculaires et aux pieds destructeurs de despotes. Ces autocraties, souvent sous le couvert d'une légalité tronquée dont elles se revendiquent, perdent leur légitimité en ne faisant que broyer froidement la dignité des populations ciblées, bafouer leurs droits fondamentaux ainsi que terrasser leurs assises, tarer leurs valeurs et encager leurs libertés.

« Il n'y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l'on exerce à l'ombre des lois et avec les couleurs de la justice. » Montesquieu

Les cent premiers jours de l'administration américaine Trumpienne, dont les débuts ont été abondamment inspirés duProjet 2025 ou Projet de transition présidentielle proposée par un « think thank » de droite, la Heritage Foundation, représentent une violente démonstration de ce glissement vers un régime autoritaire. Un régime instrumentalisé par un cruel voyou affecté dusyndrome d'hubris, tout comme son sanguinaire et oligarque ami Poutine, et inlassablement assoiffé de pouvoir, de richesse et surtout de sa petite personne. – Si Trump pouvait boire sa propre bêtise, il la boirait assurément jusqu'à la lie… – Un régime « commandité » à hauteur de 239 millions de dollars USD par une bande d'oligarques du numérique, dont il sera redevable, suspendus telles des sangsues aux babines du Torquemada des tarifs et secondé par une confrérie d'incompétents et serviles idéologues. Un régime qui triture sans vergogne la vérité, fait fi du pouvoir exécutif et dirigé par un président qui tire à bout portant sur tout ce qui bouge et qui en toute impunité s'autoproclame au-dessus des lois et se divertit quotidiennement au salon ovale par l'imposition psychotropique de décrets ubuesques à la signature gonflée à la fatuité et à l'encre imprégnée de souffrance. À l'image d'un Staline qui avec la complicité de membres du Politburo de l'URSS se faisait un jovial devoir tous les matins de cocher sur une liste dressée par le NKVD les noms des personnes qui « méritaient » de mourir dans ses camps de travail du Goulag. Staline expédiait les personnes dans l'antichambre de la mort. Quant à Trump, sans aucune empathie et de façon cynique, il les dompe tels des déchets par milliers désespérées et en colère dans les caniveaux de l'oubli ou sur les débarcadères de la misère ou bien sur les tarmacs de la déportation.

« Le pouvoir tend à corrompre, le pouvoir absolu corrompt absolument. » Lord Acton

Nous parlons d'un régime autocratique qui sème à tout vent les graines de la souffrance, de la déraison et de l'injustice et même celles du racisme et d'un eugénisme à peine dissimulé et qui cultive la discorde en s'imposant par le chantage, la force et la terreur. Heureusement, voici une pensée qui console un peu : « … les despotes et les coteries dirigeantes peuvent réussir à dominer leurs frères, mais ils sont incapables de prévenir leurs réactions. » Erich Fromm. À preuve, des milliers d'Américains ont commencés à tenir des assemblées citoyennes et à prendre la rue. Cette mobilisation est train de se mettre en place partout dans les villes pour manifester contre les politiques de Trump et réclamer sa destitution ainsi que celle de son administration d'oligarques carburant à l'idiocratie et l'IAcratie.

« On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps. » Abraham Lincoln

Les laissé.e.s- pour- compte et les réfugié.e.s de la terre

Notre histoire contemporaine regorge d'exemples révoltants du désespoir et de la souffrance. N'oublions pas que sur tous les continents des millions d'êtres humains sont privés de leurs droits. Ils sont contraints de vivre ou tentent de survivre dans des abris de (mauvaise) fortune ou lorsqu'ils ne sont pas froidement jetés à la rue ou contraints de croupir dans les ruelles sordides desbidonvilles – L'ONU estime à plus d'un milliard de personnes qui vivent dans des bidonvilles, soit l'équivalent de la population réunie de l'Amérique du Nord et du Sud – et des banlieues blafardes pour tenir compagnie à leurs sœurs et frères ainsi qu'à la fratrie des rats errants et des chiens affamés.

Nous portons aussi l'odieux de « fabriquer » des réfugiés.e.s de la terre sans terre d'accueil et souvent apatrides et sans issue que l'on enterre presqu'à vie dans des camps. Ils sont malheureusement légion. Selon l'Agence des Nations Unies pour les réfugié.e.s (UNHCR), avec l'escalade mondiale des conflits, des guerres et de la violence ainsi que l'augmentation des catastrophes naturelles, chaque minute crée 20 réfugié.e.s et l'on estime à 122,6 millions de personnes déplacées de force dans le monde. Soit 43,7 millions de réfugié.e.s, 72,1 millions de personnes déplacées à l'intérieur de leur pays et 8 millions de demandeur.e.s d'asile. Sans compter les 4,4 millions d'apatrides privés de nationalité et d'accès aux droits élémentaires comme l'éducation, les soins de santé, l'emploi et la liberté de circulation. Et selon un autre rapport de l'UNHCR-, cette crise des réfugiés.e.s touche principalement les enfants car plus de 42% d'entre eux sont des enfants. Des enfants privés d'enfance et loin de l'amour des leurs. Parmi eux, certains auront été témoins ou victimes d'actes de violence physique et sexuelle et exposés à de mauvais traitements. Ils risqueront de devenir d'innocentes victimes de négligence, d'exploitation, de traite d'êtres humains ou de recrutement militaire pour en faire des enfants soldats « tueurs ». De petits soldats embrigadés de force qui recevront pour seuls cadeaux une dose de dope pour cuirasser leur conscience, un beau fusil d'assaut AK-47 pour témoigner de leur bravoure et une grosse tape sur l'épaule pour célébrer leurs crimes …

Les prisonniers et prisonnières des camps de la terre

Ainsi, ce sont des millions d'êtres humains – comme vous, moi, vos enfants ou vos proches – abandonnés et cruellement emmurés contre leur gré dans des camps. Des camps que l'on peut qualifier de prisons à ciel et égouts ouverts avec pour unique habitat pour se protéger des intempéries des tentes plantées au cœur des macadams ensablés de souffrance et des monticules de détritus de la misère et comptant pour seule nourriture des miettes rationnées des ONG. Pendant qu'ils récoltent la haine outrancière de leurs voisins belligérants, ils n'ont pour eau que des larmes de douleur et de colère au goût de choléra et de dysenterie, pour chaleur et éclairage, des tempêtes d'éclairs de drones et de tirs de roquettes et pour seul espoir, d'atroces et permanentes déchirures de l'exil et d'avoir dû tout abandonner derrière eux ou finalement pour d'autres, l'attente de la mort comme ultime et inéluctable délivrance !

« Quand la fin du monde arrivera, faudra-t-il se souhaiter bonne fin du monde ? » Voltaire

La Palestine ou les Oublié.e.s de la terre

Lors de la création de l'État d'Israël, en 1948, 750 000 Palestiniens ont perdu leur domicile et leurs terres. Certains ont fui la guerre et d'autres expulsés de force. Bon nombre se sont réfugiés en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, tandis que d'autres sont partis dans les pays voisins telle la Jordanie, le Liban et la Syrie. Ce fut que l'on a appelé en arabe, la Nakba, soit la catastrophe. Pour ajouter l'insulte à l'injure, depuis laGuerre des Six Jours remportée par Israël, en 1967, 475 000 Israéliens habitent maintenant dans des colonies en Cisjordanie. Des colonies pourtant déclarées illégales au regard du droit international des Accords d'Oslo de 1990. Encore récemment en Cisjordanie, des colons Israéliens avec la complicité brutale et parfois létale des soldats de Tsahal harcèlent et chassent, pour ne pas dire déracinent, violemment et en toute impunité les Bédouins et leur famille de leurs terres ancestrales.

La bande de Gaza ou La naissance d'une occupation

Depuis 2007, la bande de Gaza fait figure de cruelle et tragique illustration de notre inhumanité. Là où un peu plus deux millions d'enfants, de femmes et d'hommes sont littéralement affamés et entassés sur un territoire plus petit que la ville de Québec. Là où le soleil se meurt du cancer de la noirceur, où la liberté est balayée par les vents de l'indifférence et les rayons de la justice assombris par des nuages de larmes d'abandon et des poussières de douleur nacrées de désespoir. Depuis le 7 octobre 2023, un ciel d'enfer crache le venin la mort et de la désolation au-dessus de la tête des Gazaouis. Tandis que le sol se dérobe sous leurs pieds meurtris par les fuites à marches forcées, ils agonisent par milliers enclavés et terrorisés par la haine des colonnes de blindés. Un mur de souffrance et de désespoir semblable à celui du Ghetto juif de Varsovieet d'une hauteur de plus de 6 mètres et d'une longueur de 65 km. – Honte à Israël qui aurait dû être le dernier État au monde à ériger un tel mur de l'ignominie et imposer autant de dévastation et de privation à un autre peuple « frère ». –

La bande de Gaza ou La naissance d'un génocide

Depuis plus de deux ans à l'intérieur de la bande de Gaza, 2,1 millions d'êtres humains, soit la population de l'île de Montréal, agonisent abandonnés et à la face du monde. Il n'y a plus d'eau, d'électricité, d'infrastructures civiles, commerciales, industrielles, médicales et sanitaires. Quant aux terres agricoles, elles ont été dévastées provoquant de graves pénuries de nourriture. Pendant ce temps, Israël ne cesse de canonner des civils, de chasser et déplacer massivement 90 % de la population en plus de bloquer l'entrée des secours et de l'aide humanitaire. Gaza s'est transformée en un inimaginable champ de ruines et de désolation. On estime que près de 60 % des bâtiments ont été détruits ou endommagés, soit 160 000 en tout. Concernant les établissements de santé, nous parlons également de 60 % et plus de 70 % des écoles ont été détruites et 50 000 personnes tuées. Par contre, la revue médicale britannique The Lancet avance plutôt que le nombre probable de tués serait plutôt de 64 260 morts, soit 1 habitant sur 35 ! De ce nombre, 14 500 enfants, soit 23 %, auraient été tués, 25 000 blessés et 17 000 autres séparés de leurs parents en raison du conflit ou se sont retrouvés seuls suite à la mort de ces derniers. Combien d'autres enfants vont demeurer handicapés ou mourir de leurs blessures faute de soins ? En plus de ce bilan, le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) a déclaré qu'environ 10 000 habitants de Gaza portés disparus seraient enterrés sous les décombres. Plus abject encore, un rapport de la Commission indépendantede l'ONU sur les crimes sexuels et reproductifs commis par Israël à l'encontre de la population palestinienne et je cite : « … confirme ce que nous savions déjà : l'État sioniste utilise systématiquement et massivement la violence sexuelle contre les femmes, les hommes, les filles et les garçons palestiniens ! » Dire que Netanyahou, cautionné par sa coalition d'extrême droite expansionniste, s'acharne à perpétuer ses crimes dans cet atroce conflit dans le seul but avoué de surseoir à son procès et celui de son épouse pour corruption …

La banalité du mal et Le droit à l'autodétermination

Ce qui se déroule sous nos yeux en Palestine ne constitue en rien une guerre, mais correspond davantage à un sanglant et ignoble massacre d'innocentes victimes et la destruction systématique de leur territoire et de leur patrimoine. Nous ne sommes peut-être pas loin de la « Solution finale », orchestrée jadis par les nazis Heidrich et Eichmann, en voulant déraciner la population de la Palestine qui selon eux parasite « l'espace vital » d'Israël ? Comme nous l'a démontré Hannah Arendt par le passé, nous assistons ici à la « banalité du mal ». Oui, nous nous trouvons en face de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, selon l'Organisme Human Rights Watch, et confrontés à un véritable et dramatiquegénocide. Dire qu'avant le partage de l'ONU en 1947 qui divisait la Palestine en un État juif et un État arabe, c'était l'un des endroits les plus cosmopolites où vivaient en paix Juifs, musulmans, Arabes, Arméniens et Assyriens. Pourtant depuis 78 ans, la Palestine n'a fait que revendiquer son indépendance politique et sa souveraineté sur son territoire. Il en va du droit à l'autodétermination reconnu par la Charte des Nations Unies et la Palestine n'aspire qu'à vivre en toute dignité, en paix et en harmonie avec les autres nations !

Lorsque l'on prend un temps de recul, on réalise que la tragédie qui perdure en Palestine et ailleurs dans le monde représente en vérité le sombre et lourd héritage d'une forme de transmutation du colonialisme d'antan en un impérialisme parvenu à son stade suprême de développement, soit celui du capitalisme financier. Un système de domination sur les nations pauvres et d'exploitation de leurs biens et de leurs ressources et qui détermine et contrôle les enjeux stratégiques du grand échiquier pipé de la géopolitique mondiale et porte la responsabilité des perturbations politiques et socioéconomiques. En somme, un système qui consacre ses énergies « capitales » et ses indices boursiers à sacraliser un productivisme et son dogme de la croissance sans fin et à promouvoir à tous crins la capitalisation captive afin de maintenir la primauté de l'actionnariat et la recherche obsessive de profits. Mais qui par contre, pour le bon usage et la survie du système, ne néglige jamais le bon entretien de la fabrique des pauvres en nourrissant « leurs forces de travail » de miettes boostées aux condiments « novlanguins » et aux stéroïdes chimériques d'un bonheur consumériste et doté en prime d'une promesse constamment renouvelée, pour ne pas dire circulairement recyclable, annonçant : « Des lendemains meilleurs dans un pays plus fort … » – MAGAFIQUE ! N'est-ce-pas ? –

« Le discours politique est destiné à donner aux mensonges l'accent de la vérité, à rendre le meurtre respectable et à donner l'apparence de solidarité à un simple courant d'air. » George Orwell

Sauver la Palestine et donner une chance à l'humanité

L'interminable et impitoyable oppression imposée par Israël au peuple palestinien au sein de son territoire national et des territoires occupés depuis 1967 (la péninsule du Sinaï et la Cisjordanie) constitue une forme d'apartheid et « ce peuple supposément élu d'Israël », qui a pourtant subi les affres du nazisme et de la Shoah, se rend maintenant coupable à son tour de génocide et de crimes contre l'humanité. Quant à nous, nous fermons les yeux et tolérons depuis 2007 ce terrible blocus israélo-égyptien. Un blocus qui entrave la survie du peuple palestinien et qui a pourtant été jugé illégal en vertu de l'article 55 da la 4e Convention de Genève. Honte à nous qui avons lâchement enfoui le cœur de notre indignation, les poings de notre colère et la mémoire de nos convictions sous les sables ensanglantés et piégés du désert aride de la souffrance et de ses dunes de la mort.

Que faire à partir de maintenant ? Tout d'abord, adoptons comme étendard la devise des Nations Unies : « Paix, dignité et égalité sur une planète saine ». Puis, cessons de cautionner silencieusement cette cruelle et injuste oppression dans une presque totale et inacceptable indifférence. Ayons le courage des mots et la volonté des actes en faisant preuve d'empathie et de solidarité envers le peuple de la Palestine qui n'en finit plus d'agoniser sous des pilonnages high-techs qui visent trop souvent des victimes innocentes et détruisent stratégiquement des infrastructures civiles essentielles ; dommages collatéraux dans le jargon abscon de la guerre. –Surtout lorsque l'on prend pour cible des journalistes pour mieux museler les médias, des humanitaires et même des secouristes de la Croix Rouge. – Pourtant, Gaza n'est pas confronté à une véritable guerre, mais plutôt foudroyé par un carnage innommable et plongé au cœur d'un désastre humanitaire injustifiable.

En premier lieu, souhaitons que la révolte grandissante de la population israélienne liée à la libération des otages et à la réforme de la justice interprétée tel un coup d'État qui gronde actuellement puisse bannir du pouvoir Netanyahou et neutraliser sa bande d'ultra-orthodoxes. Eux qui ne rêvent que d'autarcie et d'homogénéité ethnique et cautionnent les ignobles « opérations de nettoyage » par la déportation du peuple palestinien et la destruction et l'occupation entière du territoire de la bande de Gaza. Cependant, consolons-nous. Ce boucher de la Knesset, admirateur de Trump et de ses méthodes brutales, risque dans un avenir proche de passer de sa cellule de commandement à une cellule de prisonnier de droit commun, puis de trépasser dans une autre cellule, celle d'un criminel de guerre et responsable de crimes contre l'humanité. Ensuite, que les États-Unis cessent ce double jeu dramatique et criminel qu'ils pratiquent depuis trop longtemps en affirmant à la face du monde vouloir travailler à la réconciliation et à la paix alors qu'ils n'en continuent pas moins d'offrir du soutien politique et logistique et de livrer de grande quantité coûteuse – 20 milliards en 2024 et 7,4 milliards de dollars en 2025, soit la moitié de la somme estimée pour le relèvement et la reconstruction de la bande de Gaza – de matériel militaire de pointe à Israël. Faire en sorte que les cinq membres « permanents à vie », (la Chine, les États-Unis d'Amérique, la France, le Royaume-Uni et la Fédération de Russie) du Conseil de sécurité des Nations-Unies ne soient plus permanents à vie. Qu'ils cessent de bloquer systématiquement nombre de résolutions portées par les membres de l'Assemblée générale de l'ONU allant ainsi à l'encontre de la volonté d'autres nations qui elles sont alors identifiées, souvent à tort, pour n'avoir pas choisi d'intervenir dans certaines situations. Soulignons que la majorité des cinq membres de ce Conseil figurent en tête de liste des plus grands fournisseurs d'arme ! Et cela, avec pour gravissimes conséquences l'apparition de possibles conflits d'intérêt gommés d'un discours plus ou moins transparent et d'avoir le cœur sur des mains sales …

Un gouvernement palestinien unifié et la reconstruction de Gaza

Les factions palestiniennes ont signé la Déclaration de Beijing en juillet 2024. Le consensus le plus important du dialogue de Beijing c'est d'être parvenu à la réconciliation entre le Hamas et le Fatah et à l'unité entre les 14 factions confirmant l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) comme seul représentant légitime de l'ensemble du peuple palestinien. Par la suite, il faudra œuvrer avec la communauté internationale des Nations-Unies à la création d'un gouvernement intérimaire de réconciliation nationale axé sur le financement et la reconstruction de Gaza après le conflit. Dans un second temps, procéder à l'établissement durable et la reconnaissance légitime et juridique d'un État palestinien indépendant et souverain en accord avec le droit international et le respect des résolutions des Nations Unies. Finalement, faire en sorte qu'Israël se conforme à ce nouvel ordre mondial afin que tous et toutes puissent enfin cohabiter en harmonie dans ce coin du Proche-Orient.

« L'égalité économique est la clé maitresse de l'indépendance non violente. » Gandhi

À la recherche de la paix et de la justice

Sans être manichéen, comme avait dû le faire Roméo A. Dallaire, commandant de la force de l'ONU de 1993-1994, lors du génocide du Rwanda, – dont on n'a pas tenu compte de ses avertissements et surtout de la part de l'administration Clinton qui est demeurée mortellement silencieuse – d'être contraint de serrer « la main du Diable ». Eh bien, je crois que nous éprouverions la même sensation si nous devions serrer la main de Trump, Netanyahou, Poutine, Xi Jinping, Modi et de tant d'autres dictateurs dans le monde. Un monde où 70 % de la population mondiale, soit près de 6 milliards de personnes vivent sous le contrôle de dictatures. Et n'ayons point peur des mots, nous sommes dirigés par un nombre inquiétant de fous d'eux-mêmes et de malades de pouvoir. Nous devrons trouver les moyens de menotter ces mains sales. Puis laver notre linge sale en famille, entre nations égalitaires qui saisissent l'urgence et la nécessité de restaurer les sentiers de la liberté, donner une chance à la paix et de rendre justice aux opprimés.e.s de la terre.

Sauver la beauté du monde

Nous avons l'obligation d'affronter les vagues de dangers imminents car nous sommes presque parvenus à un point de non-retour climatique. Quant au climat géopolitique mondial, il vire à tribord à toute vapeur et se militarise de nouveau à la vitesse grand « V » pour violence et victimes et sans compter le péril nucléaire qui est revenu hanté les chaumières de l'humanité. Nous nous dirigeons à pas de géant vers un monde dystopique, injuste et sans partage et où le fossé entre les riches et les pauvres ne cesse de s'élargir. Nous sommes également en danger d'extinction civilisationnel et pour parvenir à relever de grands défis telle la malnutrition, la santé, l'éducation, l'habitation et le travail nous devrons nous unir, réanimer le feu intérieur de nos valeurs universelles et réveiller nos consciences. Le sort de l'humanité repose entre nos mains et nous devrons impérativement modifier nos modes de vie consumériste et extractiviste destructeurs. Nous soutenir en toute équité, égalité et en solidarité et tout en faisant preuve de courage, de bonne volonté et dans le respect des diversités. Nous habitons la même planète qui nous a tant donné, même jusqu'à épuisement, et tous les peuples font partie du même Genre humain. Si nous n'agissons pas, la vie sur terre ne deviendra que malheur, souffrance et destruction – elle l'est déjà trop – et nous risquons de mourir de nos inactions, de nos fautes et de notre propre bêtise. L'humanité est malade et elle seule porte en elle le remède. Nous nous devons de sauver la beauté du monde. La balle se trouve dans notre camp et saurons-nous l'attraper ? Une grande Question à 8,5 milliards de réponses …

Voici une réponse : « L'utopie est la mémoire des rêves que nous n'avons pas encore réalisés. » Paul Ricoeur

Gaétan Roberge

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Gaza : l’enfer des bombardements et du blocage de l’aide humanitaire !

L'incommensurabilité de l'horreur infligée à la population de Gaza se poursuit dans l'impunité. Rompant une trêve de 2 mois, les frappes israéliennes ont fait, hier lundi, 40 (…)

L'incommensurabilité de l'horreur infligée à la population de Gaza se poursuit dans l'impunité. Rompant une trêve de 2 mois, les frappes israéliennes ont fait, hier lundi, 40 victimes. Une barbarie dénoncée par la Présidente d'Europalestine et le Docteur Nizar Badran, Président PalMed France.

De Paris, Omar HADDADOU

La violence du Puissant, langue universelle à inscrire dans le Patrimoine de l'Humanité !
Deux options pour venir à bout de la Résistance dans la bande de Gaza : « Arrêter l'aide humanitaire et rendre inopérantes les maternités afin annihiler toute natalité ». Les stratégies donnent froid dans le dos ! Elles ont été rendues publiques par la très intraitable Olivia Zémor, cheffe de fil d'Europalestine et le Docteur Nizar Badran, président de l'Association PalMed France, décrivant « une situation d'horreur » dans la bande de Gaza !
Depuis les attaques du 7 octobre 2023, le Hamas et Tsahal se livrent à un bras de fer armé dont seuls les enfants et la population civile paient le lourd tribut sous les bombes. Si les branches politique et armée du Mouvement palestinien se disent prêts à aller à la table des négociations, le Premier ministre Netanyahou ne l'entend pas de cette oreille. Il promet mordicus de récupérer tous (es) les otages et d'éradiquer la Résistance. Conclusion : la bande de Gaza et la Cisjordanie sont devenues un cimetière à ciel ouvert, avec la bénédiction de Trump (plaidoyer du transfert des Palestiniens), les Européens et les Institutions Internationales en papier mâché !
Privée de l'aide humanitaire depuis 50 jours, les Gazaouis(es) ont pour horizons le blocus, les maladies, l'exode et le dernier sommeil (mort), perpétrés avec une cruauté innommable. Hier lundi, le pilonnage de l'aviation israélienne a fauché la vie de 40 Palestiniens (es), rapportent les médias français.
Les envoyés spéciaux des chaînes en langue arabe transmettaient des images insoutenables de bébés, de femmes et de vieillards extirpés calcinés des décombres !

Oui ! La culture de la domination conduit la Puissance à se « génomiser » Ogre.

En attendant la conférence en juin co-présidée avec l'Arabie Saoudite, sur la solution à 2 Etats, des tractations tenues secrètes, indique un canal public français, se dérouleraient actuellement, en vue d'aboutir à l'étape décisive de reconnaissance officielle de l'Etat palestinien.

La France, par la voix du Porte-parole du gouvernement, Sophie Prima, a appelé, ce lundi, Israël « à arrêter le massacre », et au Hamas à la libération immédiate des otages. Une démilitarisation de la Moukaouama ainsi que la refondation de l'Autorité palestinienne, restent le préalable pour une coexistence effective que nombre d'observateurs jugent fragile.

Plus frappant, est le constat établi par l'ONG française PalMed œuvrant en territoire palestinien, sur la situation des enfants et les structures infantiles à Gaza.
Horrifié, son Président, le Docteur Nizar Badran, ne mâche pas ses mots : « C'est une horreur totale ! On parle de 27 enfants tués par jour, selon l'Unicef. Sur les 51.000 exterminés à Gaza, 15.000 sont des enfants, 34.000 blessés et 11.200 sous les décombres. Un rapport publié le 13 mars parle ciblage des installations de Santé reproductive, comme la clinique El Besma (Le sourire), pour empêcher justement toute procréation. Le but des attaques des maternités, est de détruire la capacité des Palestiniens d'avoir des enfants. On peut dire pour les enfants palestiniens qu'une génération entière a été éliminée et qu'il y aura un trou générationnel. Ceux qui survivent, souffreront de troubles psychologiques ».
Cette réalité atterrante n'a pas laissé Europalestine indifférente. Sa Présidente, Olivia Zémor, dont les procédures judiciaires la guettent à chaque sortie, a fait, encore une fois, montre de détermination à défendre la cause palestinienne. Ce samedi 26 avril, à Paris, de la Fontaine des Innocents jusqu'au Boulevard des Batignoles (17 arr), elle a conduit le cortège pour un cessez le feu à Gaza, comme un officier supérieur ses troupes. A chaque fois, l'activiste passe en revue la procession, procédant à des mises au point, soufflant dans le mégaphone les slogans pour l'arrêt du génocide, tout en réitérant la levée du blocus. De façon impromptue, elle improvise et régule la cadence de la marche funèbre, rythmée par le retentissement des gamelles et des Jerricans vides, illustrant la famine et la carence en eau potable dans la bande de Gaza. D'une voix révoltée, elle fustige, s'indigne et exhorte les manifestants (es) à reprendre près elle : « Tortionnaires, assassins ! On n'accepte pas le supplice de la famine ! Arrêtez de brûler vifs les enfants de Gaza ! Leur guerre de religion, c'est du bidon ! Ça s'appelle Colonisation ! Trump casse-toi ! Le monde a honte de toi ! »

Et de boucler la manifestation par : « Génocide à Gaza, on ne se taira pas ! »

O.H

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Nouveau désordre, transition géopolitique et militarisation de l’Europe

29 avril, par Jaime Pastor — ,
La nouvelle ère que le bloc réactionnaire regroupé autour de Trump aspire à imposer à l'échelle mondiale vient de commencer, mais nous voyons déjà apparaître les contradictions (…)

La nouvelle ère que le bloc réactionnaire regroupé autour de Trump aspire à imposer à l'échelle mondiale vient de commencer, mais nous voyons déjà apparaître les contradictions et les résistances provenant de différents horizons qui s'opposent à ce projet. Je tenterai dans cet article de souligner certaines des caractéristiques de ce moment historique avant d'aborder ses implications pour l'Europe.

Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
26 avril 2025

La tendance fondamentale qui caractérise cette période sur le plan politico-idéologique à l'échelle internationale est la montée d'un autoritarisme réactionnaire, qui a pour référence un « fascisme de la fin des temps » (Klein et Taylor, 2025), avec à sa tête Trump et ses techno-oligarques intellectuels (Morozov, 2025) et qui trouve son expression extrême dans l'État génocidaire d'Israël dirigé par Netanyahu. Ce phénomène s'inscrit dans le cadre d'une polycrise mondiale – un ensemble de crises interdépendantes, parmi lesquelles la crise climatique et écosociale occupe une place prépondérante – qui, dans le cadre de la présente analyse, remet en question la mondialisation capitaliste néolibérale et le système hiérarchique impérial qui prévaut depuis la chute de l'URSS.

En réalité, comme l'ont déjà analysé Arrighi et Silver [1], Günder Frank ou Wallerstein, entre autres, la tendance au déclin de l'hégémonie américaine qui se manifeste aujourd'hui avec force dans le cadre de la polycrise actuelle est ancienne. Eux tous plaçaient cette tendance dans la transition entre le XXe et le XXIe siècle et, plus précisément, dans les changements qui s'opéraient dans l'économie mondiale – surtout avec l'essor que connaissaient la Chine et l'Asie du sud-est – ainsi que dans les conséquences de l'énorme échec des guerres menées par les États-Unis en Irak et en Afghanistan et de leur crise d'hyperextension stratégique.

Après la Grande Récession de 2008 et la crise sanitaire de 2020, ces changements géopolitiques se sont en outre développés dans le contexte de la crise d'un capitalisme numérique largement financiarisé qui, malgré les progrès technologiques et le niveau extrêmement élevé d'exploitation, s'approprie et domine la majorité de l'humanité et la planète Terre, ne parvient pas à créer les conditions nécessaires pour sortir de la longue période de stagnation qui a débuté à la fin des années 70 du siècle dernier.

D'un moment réactionnaire à une nouvelle ère mondiale

Dans ce contexte général de transformation qualitative du type de capitalisme tel que nous le connaissions jusqu'à présent (Velásquez, 2025) et de crise de la gouvernance mondiale, l'épuisement des démocraties libérales, le déclin des « néolibéralisme progressistes » et l'échec qui a sanctionné le cycle du passage au pouvoir de différentes gauches (symbolisé principalement dans le cadre européen par la défaite subie en Grèce en 2015) ont ouvert la voie à la consolidation d'une extrême droite internationale qui conquiert l'hégémonie politico-culturelle grâce à une alliance de différentes forces sociales – allant de fractions de l'oligarchie à des secteurs populaires autochtones – autour de différentes versions d'un ethno-nationalisme xénophobe, antiféministe et négationniste de la crise climatique.

Ce dernier point se retrouve aujourd'hui principalement dans la grande puissance américaine, déjà vieillissante, avec la constitution d'un bloc où convergent les « intellectuels » techno-oligarques, le capital fossile et les secteurs de la classe moyenne et ouvrière blanche. C'est ainsi qu'est arrivé au pouvoir un suprémacisme blanc, oligarchique et protectionniste, prêt à mener à bien son projet MAGA face à ce qui, selon l'expression de son aile la plus millénariste, suppose l'entrée dans une phase apocalyptique où l'urgence est de construire, ce que denoncent aussi Klein et Taylor (2025), une « nation retranchée » prête à s'assurer toutes les ressources nécessaires – et de plus en plus rares – pour survivre au cataclysme imminent.

C'est dans ce contexte général qu'il faut comprendre le revirement de Trump en matière de politique étrangère, tant sur le plan commercial – comme nous le voyons avec la guerre des droits de douane, en particulier avec la Chine, qui est en train de se retourner contre les États-Unis (Katz, 2025) – que sur le plan géopolitique. Sur ce front, d'une part, il tente une nouvelle expansion impériale (Groenland, canal de Panama...) et, d'autre part, il neutralise son vieil ennemi russe autour de la guerre en Ukraine grâce à un accord avec Poutine, avec lequel il ne cache pas ses affinités idéologiques. Sur ces deux plans, ce revirement implique également un changement dans les relations avec l'UE, même si l'on ne sait pas encore quelle sera son ampleur, notamment en ce qui concerne l'OTAN et la présence militaire américaine sur le territoire européen.

Le réarmement du pilier européen de l'OTAN

S'il faut rappeler que le monopole systématique exercé sur le concept d'Europe par une UE divisée et dont le moteur allemand est en déclin reste abusif et sert les intérêts de l'ancien eurocentrisme occidental, il semble évident que ses élites tirent aujourd'hui parti de l'alibi que leur offre Trump pour redynamiser leur projet fallacieusement qualifié d'« autonomie stratégique ». Elles aspirent ainsi à freiner leur perte croissante de centralité à l'échelle mondiale en redéfinissant leur rôle dans le domaine économique et commercial en l'associant étroitement au domaine militaire, comme le confirme le Livre blanc sur la défense (Jaén, 2025).

Ce plan comprend un budget de 800 milliards d'euros (dont 150 milliards seront obtenus sur le marché des capitaux) jusqu'en 2030 (avec un maximum de 1,5 % par an), qui permet aux États de contourner les règles du déficit budgétaire et qui profitera en outre principalement à l'industrie militaire américaine. Un plan qui n'est d'ailleurs pas présenté comme incompatible avec la participation à l'OTAN – qui est d'ailleurs citée 25 fois dans ce document –, bien au contraire.

En réalité, cela aboutira donc à un renforcement du pilier européen de l'OTAN. Une alliance militaire qui, ne l'oublions pas, continue d'accorder une importance stratégique aux « menaces » provenant de la frange sud, c'est-à-dire de l'Afrique, où, outre la persistance du rôle traditionnel de l'impérialisme français, une concurrence intense se développe déjà pour le pillage des minerais clés, en particulier avec la Chine, considérée comme un « rival systémique » par les États-Unis et l'OTAN.

Pour justifier ce bond en avant dans leur militarisation, les élites européennes ont définitivement choisi de considérer la Russie comme une « menace existentielle » pour les « valeurs démocratiques » qu'elles prétendent défendre, alors qu'elles-mêmes ne cessent de les bafouer chaque jour qui passe. En témoignent clairement leur complicité dans le génocide israélien contre le peuple palestinien (comme nous le voyons également dans le cas espagnol, avec les contrats du gouvernement avec des entreprises israéliennes [2]) et la mise en œuvre d'une politique migratoire raciste qui viole des droits fondamentaux tels que le droit d'asile. À tout cela s'ajoute la criminalisation croissante des protestations de nombreux mouvements sociaux, comme nous le voyons dans le cas espagnol avec le harcèlement visant la solidarité avec la Palestine ou la répression et l'emprisonnement d'activistes antifascistes (comme les 6 de Saragosse) et de travailleurs en grève (comme les 6 de la Suiza).

De plus, l'utilisation du terme « réarmement » est un exemple flagrant de novlangue, car ces élites veulent donner l'impression que « l'Europe » n'est pas armée alors qu'en réalité, comme le rappelle Gilbert Achcar, « l'Union européenne a plus de trois fois la population, plus de dix fois l'économie et trois fois les dépenses militaires, en incluant le Royaume-Uni, que la Russie — malgré le fait que la Russie soit directement impliquée dans une guerre à grande échelle et donc au maximum de ses capacités, contrairement à l'Europe. Dans ces conditions, il serait absurde d'envisager sérieusement une invasion russe de l'Europe » (Desnos, 2025).

Si l'argument idéologique, pas plus que l'argument purement militaire, ne tient pas la route, d'autres raisons de poids peuvent être ajoutées pour rejeter la thèse selon laquelle la Russie constituerait une « menace existentielle » pour l'UE. Premièrement, parce que la principale menace pour cette « Europe » se trouve à l'intérieur, dans la montée d'une extrême droite réactionnaire qui, dans les prochaines années, pourrait arriver au pouvoir dans des pays clés comme la France et l'Allemagne et qui, d'ailleurs, bénéficierait de façon certaine du soutien de Trump ; deuxièmement, parce que le bilan, plus de trois ans après l'invasion injustifiée de l'Ukraine, montre que la Russie n'a pas été capable d'occuper plus de 20 % de son territoire, et qu'il est donc difficile de croire qu'elle pourrait se lancer dans de nouvelles aventures militaires dans d'autres pays de son front occidental. En ce qui concerne ces derniers, il est évident qu'elle est prête à recourir à différents moyens de pression afin de pouvoir compter sur des « régimes amis », comme c'est déjà le cas de la Hongrie, mais ce n'est pas en militarisant davantage les pays voisins que cette guerre hybride sera neutralisée.

Il semble toutefois clair que Poutine serait prêt à profiter de la fenêtre d'opportunité que lui a offerte Trump pour parvenir à une reconnaissance mutuelle de leurs sphères d'influence (toi l'Ukraine, moi le Groenland, le canal de Panama et mes États « vassaux »...) ce qui, ne nous leurrons pas, aboutirait finalement à l'accepter une UE où ses alliés idéologiques continueraient de se multiplier. C'est dans ce sens que vont certaines des réflexions des idéologues proches de Poutine, davantage intéressés à diriger leur expansionnisme vers leur « étranger proche » dans l'espace eurasien [3].

Car, comme le souligne Hélène Richard :

« Les risques pris par Moscou pour maintenir Kiev de force dans son orbite ne sont pas comparables à ceux qu'elle devrait prendre pour y faire entrer d'autres pays, même ceux qui abritent des minorités russophones, comme la Lituanie, l'Estonie et la Lettonie. Car même si l'on admettait que Moscou est en proie à une soif insatiable de territoires, elle aurait bien du mal à la satisfaire. Attaquer les États baltes reviendrait à s'affronter une coalition otanienne dans laquelle pourraient entrer une trentaine de pays européens, sans compter les États-Unis » (Richard, 2025 : 13).

Enfin, n'oublions pas que, contrairement à la défunte URSS, la Russie est aujourd'hui une formation sociale capitaliste aux traits distincts de ceux de l'Occident, mais dont celui-ci est dépendant pour des matières premières essentielles, comme l'a démontré l'échec de la politique de sanctions qui a été mise en place après le début de l'invasion russe de l'Ukraine en février 2022.

Ce qui est indéniable, c'est que la Russie de Poutine a un projet nationaliste « grand russe » qui constitue une menace existentielle pour l'Ukraine. Il est donc légitime de soutenir le peuple ukrainien dans sa juste résistance – et, au sein de celui-ci, les secteurs de gauche qui critiquent les politiques néolibérales et pro-atlantistes de Zelenski – face à l'occupation russe, ainsi que dans sa revendication d'une paix juste et durable qui ne conduise pas au partage de ses terres et de ses ressources entre Poutine et Trump.

Mais cela n'impose pas d'utiliser cette guerre comme alibi pour un « réarmement » qui s'annonce d'ailleurs ouvertement offensif, car cela reviendrait à entrer dans une nouvelle phase de la course aux armements (y compris aux armes nucléaires, comme le réclame déjà la Pologne face à la puissance qui dispose du plus grand arsenal nucléaire), avec le risque de provoquer une escalade dans une guerre qui serait alors directement interimpérialiste.

Le plan ReArm Europe n'a donc pour seul sens que de contribuer à imposer un bond en avant dans le renforcement de l'UE en tant que bloc impérialiste, afin de lui permettre de retrouver son rôle de premier plan dans la concurrence interimpérialiste croissante à l'échelle mondiale pour le contrôle des ressources rares et le pillage des biens communs, tant au Nord qu'au Sud. Il s'agit, en résumé, de mettre en place un eurokeynésianisme militaire comme nouvelle version de la doctrine du choc, qui non seulement ne contribuerait pas à sortir de la crise de rentabilité du capitalisme (Roberts, 2025), mais surtout se ferait au détriment de la lutte la plus nécessaire et la plus urgente contre la crise climatique, ainsi que des acquis sociaux, culturels et démocratiques qui ne nous ont pas encore été arrachés au terme du long cycle néolibéral. Un scénario qui serait sans aucun doute encore plus favorable à la montée de l'extrême droite dans nos propres pays et au « changement de régime » préconisé par J. D. Vance lors du sommet de Munich.

Quelle sécurité, quelle défense ?

Il est donc urgent de réfuter le discours militariste, sécuritaire et raciste sur la sécurité prôné par les élites européennes, ainsi que leur culture de la peur – avec la mise au pas sociale qui l'accompagne – et de lui opposer un autre discours fondé sur la recherche d'une sécurité écosociale et démilitarisée à l'échelle européenne et mondiale.

Pour cela, en tant que gauche alternative et pacifiste radicale, nous ne pouvons pas non plus ignorer le débat sur les modèles de défense face à ceux qui nous accusent de ne pas proposer d'alternatives. En réalité, comme l'a récemment rappelé Jorge Riechmann (2025), dès les années 80, des contributions intéressantes et des débats animés ont eu lieu dans le cadre du mouvement pour la paix européen et également dans l'État espagnol sur ces questions.

Il s'agissait alors de répondre à l'escalade des armements et du nucléaire à l'échelle européenne, ainsi qu'à l'engagement du gouvernement de Felipe González en faveur du maintien dans l'OTAN, qui a abouti à un référendum dont nous sommes sortis vaincus pour des raisons que nous avons pu rappeler dans d'autres travaux [4]. C'est dans ce but que nous avons eu l'occasion de réfléchir à des propositions de systèmes de dissuasion alternatifs de type défensif, et en aucun cas agressif, qui excluaient les armes de destruction massive et qui devaient privilégier les formes de résistance active et non-violente qui s'appuient sur l'auto-organisation populaire. C'est dans cette ligne que s'inscrivaient le modèle développé par Horst Afheld, mentionné par Riechmann dans son article, ainsi que d'autres modèles discutés lors des différentes journées d'études de la CEOP (Coordinadora Estatal de Organizaciones Pacifistas, Coordination nationale des organisations pacifistes), qui ont également bénéficié de la participation de spécialistes éminents, entre lesquels il convient de distinguer Johan Galtung, malheureusement décédé en février 2024.

À l'époque, on nous disait que nous n'avions rien à opposer à la course aux armements et à l'OTAN, mais en réalité, nous étions en train de construire une alternative en misant sur la dénucléarisation de l'Europe, de l'Atlantique à l'Oural, et sur le refus de l'alignement sur l'un des deux blocs, l'OTAN et le Pacte de Varsovie. Nous n'avons pas gagné la bataille, mais une culture pacifiste et antimilitariste a perduré, qui a trouvé sa continuité dans le mouvement de refus de la conscription militaire, dans le « Non à la guerre en Irak » et dans différents centres de recherche et collectifs antimilitaristes et pour la paix et qui restent actifs dans différentes régions d'Europe et en Espagne et qui développent des propositions autour de ces questions et d'autres.

Aujourd'hui, dans un contexte différent mais plus dangereux, il nous appartient de relancer et d'actualiser ces débats et ces propositions afin de démontrer que nous avons bel et bien des solutions de rechange à proposer face à l'accélération de la catastrophe climatique, sociale et militariste dans laquelle nous entraîne le capitalisme du désastre, véritable menace pour la survie de la vie sur cette planète.

Il est évident que le pari sur des modèles alternatifs de défense est indissociable d'une mobilisation unitaire aussi large que possible aujourd'hui contre le plan de réarmement, pour la dissolution de l'OTAN et le démantèlement de toutes les bases militaires américaines sur ce continent, afin d'avancer vers une Europe décoloniale, dénucléarisée et disposée à faire la paix avec tous les peuples et avec cette planète.

Jaime Pastor

Références

Arrighi, G. et Silver, B. J., éd. (2000) Chaos et ordre dans le système-monde moderne. Madrid : Akal.

Desnos, Gaëlle (2025) « Gilbert Achcar : « Pour un désarmement mondial synchronisé » », CQFT, 04.04.2025 :
https://cqfd-journal.org/Pour-un-desarmement-mondial

Jaén, Jesús (2025) « ¿A dónde va Europa ? Acerca del rearme y la defensa » (Où va l'Europe ? À propos du réarmement et de la défense), Viento Sur, 24/04, https://vientosur.info/a-donde-va-europa-acerca-del-rearme-y-la-defensa/

Katz, Claudio (2025) « El desmadre programado que desborda a Trump » (Le chaos programmé qui submerge Trump), Viento Sur, 16/04, https://vientosur.info/el-desmadre-programado-que-desborda-a-trump/

Klein, Naomi et Taylor, Astra (2025) « L'essor du fascisme de la fin des temps), traduction française par ESSF, originellement publié sur le Guardian le 13/04, https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74594

Morozov, Evgeny (2025) « Los nuevos legisladores de Silicon Valley (Les nouveaux législateurs de la Silicon Valley) », sinpermiso, 12/04, https://sinpermiso.info/textos/los-nuevos-legisladores-de-silicon-valley

Richard, Hélène (2025) « La menace russe est-elle réelle ? », Le Monde Diplomatique, 354, avril, pp. 13-14.

Riechmann, Jorge (2025) « Por una defensa (auténticamente) no ofensiva. Sobre el rearme y militarización que propone la UE (Pour une défense (authentiquement) non offensive. À propos du réarmement et de la militarisation proposés par l'UE) », Viento Sur, 31/03/, https://vientosur.info/por-una-defensa-autenticamente-no-ofensiva-sobre-el-rearme-y-militarizacion-que-propone-la-ue/

Roberts, Michael (2025) « From welfare to warfare : military Keynesianism (Du bien-être à la guerre : le keynésianisme militaire) », 22/03, https://thenextrecession.wordpress.com/2025/03/22/from-welfare-to-warfare-military-keynesianism/

Velásquez, Diego (2025) « Desborde reaccionario del capitalismo : la hipótesis tecnofeudal
Entrevista a Cédric Durand (Entretien avec Cédric Durand : Le débordement réactionnaire du capitalisme : l'hypothèse technoféodale) », Nueva Sociedad, janvier-février 2025, https://nuso.org/articulo/315-desborde-reaccionario-del-capitalismo-la-hipotesis-tecnofeudal/
P.-S.

• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepLpro

Source - Viento Sur, 26 avril 2024 :
https://vientosur.info/nuevo-desorden-transicion-geopolitica-y-militarizacion-de-europa/

• Jaime Pastor est politologue et membre de la rédaction de Viento Sur

Notes

[1] Rappelons ce qu'écrivaient déjà Arrighi et Silver en 1999 : « Si le système [ils font référence au « système-monde »] finit par s'effondrer, ce sera avant tout à cause de la résistance des États-Unis à s'ajuster et à s'adapter à la montée en puissance économique de l'Asie orientale, condition nécessaire à une transition sans catastrophe vers un nouvel ordre mondial » (2000 : 292).

[2] N'oublions pas que même si l'un d'entre eux a été annulé, d'autres restent en attente de clarification : https://www.eldiario. es/internacional/contratos-compra-armamento-israel-tendra-revocar-gobierno-espanol-cumplir-compromiso_1_12244788.html

[3] Lire le texte de Sergueï Karaganov, directeur du Conseil de politique étrangère et de défense de Russie, dans « Un lebensraum pour la Russie de Poutine : Karaganov et la géopolitique de la Grande Eurasie », Le Grand Continent, 18/03/25, https://legrandcontinent. eu/es/2025/03/18/un-lebensraum-pour-la-russie-de-poutine-l'union-géopolitique-de-la-grande-eurasIE-selon-karaganov/

[4] Voir, par exemple, le dossier « Dix ans de l'OTAN » dans Viento Sur, 25, mars 1996, pp. 111-126, avec des articles d'Enric Prat, Ramón Adell et Consuelo del Val. Pour ma part, j'ai noté quelques réflexions dans le chapitre V de mon livre Guerra, paz y sistema de Estados (Guerre, paix et système des États) (Madrid, Ediciones Libertarias, 1990) : « Mouvement pour la paix et démocratie participative. Leçons du cas espagnol “

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