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« Il faut faire vite » : Jane Fonda relance le groupe de son père en faveur de la liberté d’expression
Quand nous les visons au porte-monnaie (l'action porte). (...) C'est ce que nous devons faire. Et nous allons le faire. Je suis très confiante. L'expérience actuelle est nouvelle. Pas au cours des années 1920 ou 1930 quand les États-Unis flirtaient avec le fascisme. Même pas quand ils ont attaqué les (Black) Panthers avec toute la violence que les Panthers ont subi et ce qui est arrivé durant les années 1950. Maintenant c'est différent. Je ne pense pas que nous allons rester assis.es sur nos chaises.
Democracy Now ! 3 octobre 2025
Traduction, Alexandra Cyr
Amy Goodman : (…) Nous nous tournons maintenant vers l'actrice gagnante d'un Oscar et militante, Jane Fonda. Elle relance l'organisation de lutte pour la liberté d'expression de son père, le Comité pour le premier amendement. Henry Fonda l'a fondé en 1947 pour combattre le McCarthysme.
Voici une prise de position de ce comité : « Le gouvernement fédéral encore une fois s'est engagé dans une campagne structurée pour réduire au silence ses critiques dans le gouvernement, les médias, les tribunaux, les universités et dans l'industrie du divertissement. Nous refusons de ne rien faire et de laisser cela arriver ».
Avant d'interviewer Jane, je veux vous faire entendre un extrait d'une émission de radio produite par le Comité pour le premier amendement dans les studios de ABC en 1947. Voici la chanteuse et actrice Judy Garland :
« Je suis Judy Garland. Êtes-vous allés.es au cinéma cette semaine ? Vous y allez ce soir ou demain ? Regardez dans la salle. Y a-t-il des journaux sur le sol, des magazines sur votre table, des livres sur les étagères ? Vous avez toujours eu le droit de lire quoi que ce soit, à votre guise.
Mais maintenant il semble que tout devienne plus compliqué. Au cours de la semaine passée, à Washington, le Comité de la Chambre sur les activités anti américaines a enquêté sur l'industrie du film. Je n'ai jamais été membre de quelque organisation politique que ce soit, mais j'ai suivi cette enquête et je n'aime pas ça. Il n'y a pas beaucoup de stars ici pour vous parler. Nous faisons partie du « show business » mais nous sommes aussi des citoyen.nes américains.es. Tant pis si on nous qualifie de mauvais.es acteur.rices. Ça fait mal mais on peut le prendre. C'est autre chose si on vous qualifie de mauvais.es Américains.es. On le subit ».
A.G. : C'était Judy Garland qui avec Henry Fonda a contribué à fonder le Comité pour le premier amendement en 1947 pour combattre le McCarthysme.
Jane, c'est super que vous soyez avec nous sur Democacy Now ! Vous relancez l'organisation de votre père. Pourquoi maintenant ? Et pourquoi pensez-vous que ce qui se passe maintenant se compare à ce que votre père a connu ?
Jane Fonda : Les esperts.es des régimes autoritaires (ce que vous venez de diffuser m'a mis les larmes aux yeux) disent être vraiment inquiets.es en voyant ce qui se passe qui serait la plus rapide et agressive confiscation du pouvoir dans une démocratie industrielle. J'apprends que les autoritaires prennent généralement 18 à 22 mois pour consolider leur pouvoir. Cette administration avance très vite, nous devons donc aller vite. Il faut faire tout ce que nous pouvons pour arrêter ce processus avant qu'il ne devienne la norme, avant qu'il ne s'institutionnalise.
De multiples secteurs de la société sont attaqués. Mais comme mon père, Judy Garland et beaucoup d'autres vedettes des années 1950 le savaient, nous avons la liberté chevillée au corps. La liberté d'expression est essentielle pour la créativité des rédacteur.rices d'histoires que nous sommes. Nous allons nous battre. Nous allons montrer que nous avons les capacités, parce que nous sommes si créatif.ves, d'être à la hauteur de CNN dans la non-violence, la non-coopération, pour la résistance et être un modèle pour le reste du pays.
(…) Quand j'ai accepté mon : Sreen Actors Guild Life Achievement Award, j'ai déclaré : « Nous visionnons tous des documentaires comme (ceux portant sur) les sit-ins aux comptoirs lunch au Mississipi et au Tennessee, des gens qui se font battre, des chiens qui attaquent, etc. et nous nous demandons si nous aurions été aussi braves ». C'est le genre de documentaire dans lequel nous sommes en ce moment. Allons-nous être assez braves pour nous tenir debout ? Parce que la seule chose qui puisse arrêter ce qui se passe c'est un mouvement massif de gens non-violents et unifiés. C'est ce que nous tentons d'encourager et d'inspirer.
Nous le faisons de l'intérieur de l'industrie du divertissement en espérant que cela va en inspirer d'autres.
(…)
Laissez-moi (ajouter) ceci Amy. Au lancement, hier, nous avons reçu 550 signatures. En quelques heures, des centaines et des centaines de personnes de plus de cette industrie ont aussi signé. C'est excitant et donne vraiment de l'espoir.
A.G. : Je veux retourner en mai quand nous avons interviewé l'estimée historienne du McCarthysme, Mme Ellen Schrecker à propos de son article « Worse Than McCarthysm : Universities in the Age of Trump, sur The Nation.
Ellen Schrecker : Le pire qui soit arrivé aux universités à l'époque, c'est que des centaines de professeurs, la plupart avec des postes permanents, ont été congédiés et placés sur une liste noire. Presque toutes les grandes institutions civiles du pays ont subi ce sort. Malgré que les universités se vantent de leur liberté académique, peu importe ce que cela veut dire, elles ont collaboré avec les forces répressives qui imposaient fermement un climat de peur. L'autocensure régnait dans toute la société.
Aujourd'hui, ce qui se passe est pire, tellement pire, nous sommes dans une nouvelle phase du phénomène, Je ne sais pas ce que ça deviendra, mais durant la période de McCarthy seuls les professeurs étaient attaqués individuellement sur la base de leurs activités politiques de gauche en dehors de leur travail dans le passé ou au moment présent. Aujourd'hui, la répression venant de Washington s'attaque à tout ce qui bouge sur les campus américains.
A.G. : C'était l'historienne Ellen Schrecker qui parlait des campus. Qu'est-il arrivé à votre père à Hollywood ? Pouvez-vous nous parler les listes noires d'écrivains.es, d'acteur.rices et de scénaristes, de ce qui est arrivé à Hollywood durant cette période et pourquoi dites-vous que c'est pire en ce moment ?
J.F. : À cette époque qui que ce soit, membre de quelque organisation que ce soit, était accusé.e d'être communiste et perdait son emploi. Plusieurs ont été emprisonné.es et leur carrière a été détruite. C'est ce contre quoi mon père, avec beaucoup d'autres, protestaient. Je pense que cette dame le dit très justement : c'était les individu.es qui étaient attaqué.es et emprisonné.es. Nous voyons cela actuellement partout dans le pays et massivement. Nous ne pouvons laisser faire.
A.G. : Dans cette ère du McCarthysme, je veux vous faire entendre un enregistrement du Président Nixon en septembre 1971 où il vous mentionne :
Président R. Nixon : Pour l'amour du ciel qu'est-ce qui ne va pas avec Jane Fonda ? Je suis si désolé pour Henry Fonda qui est une chic personne. Oui, oui elle aussi, réellement. C'est une grande actrice et elle est belle. Mais ma foi, elle est si souvent sur le mauvais chemin.
A.G. : C'était donc le Président Nixon. Voici maintenant votre père, Henry Fonda qui reçoit l'American Film Institute Life Achievement Award en 1978 et répond au Président Nixon d'une certaine manière :
Henry Fonda : Depuis que mon père nous a quitté, j'ai fait des choses qu'il approuverait j'en suis sûr. J'espère que j'en ai fait qu'il aurait aussi défendue. Je sais qu'il se pèterait les bretelles ce soir. Il n'a jamais connu mes enfants, mais je sais qu'il en serait fier. Je peux l'entendre répliquer à certaines critiques : « Taisez-vous. Elle est parfaite ».
A.G. : « Taisez-vous. Elle est parfaite » disait Henry Fonda. Les gens qui nous entendent à la radio et qui ne peuvent nous voir ne vous voient pas commencer à pleurer. Mais quelle signification ont les mots de votre père et qu'elle confiance en vous ?
J.F. : Cela m'émeut profondément. Que puis-je dire ?
A.G. : Je voudrais que vous donniez vos impressions à propos de Jimmy Kimmel, l'émotif Jimmy Kimmel de retour sur les ondes de ABC après avoir été suspendu définitivement par le directeur de la Commission des communications, M. Brendan Carr. Il avait menacé le diffuseur et ses affiliés de leur retirer leur licence suite aux commentaire de J. Kimmel. Dans un monologue il avait parlé du regard porté par des comédien.nes de l'étranger sur les États-Unis :
Jimmy Kimmel : Ils et elles savent à quel point nous sommes chanceux.ses ici. Leur admiration va surtout vers notre liberté de parole. Je l'avais toujours pris pour acquis jusqu'à ce que mon ami Stephen (Colbert) soit retiré des ondes et que nos affiliés qui diffusent ce show dans les villes où vous vivez, aient été mis sous pression pour qu'il soit retiré des ondes. C'est illégal. Ce n'est pas américain. C'est sous-américain et dangereux.
A.G. : Finalement tout ça, est revenu à la normale. Mais Sinclair Broadcasting et Nexstar qui sont propriétaires de beaucoup d'affiliés ont refusé de le remettre en onde quand Walt Disney qui détient ABC a décidé de le faire. Il y a eu beaucoup de répercussions : pourquoi Walt Disney a-t-il remis Jimmy Kimmel en onde ? Il faisait référence à son ami Stephen Colbert dont le programme se terminera en mai.
J.F. : L'important ici c'est que 1 million 700 milles Américains.es ont annulé leur financement à Disney. Voilà l'affaire. Ça s'appelle la non coopération. Toucher leur porte-monnaie c'est ce qui compte vraiment. Lors de son premier mandat, D.Trump a décrété une interdiction d'entrée sur le territoire aux musulman.es. Sara Nelson, la brave dirigeante du syndicat des hôtesses de l'air, a appelé à la grève générale. C'est une des actions importantes qui a fait que l'interdiction a été retirée. (Cette grève) aurait mis le trafic aérien à l'arrêt dans tout le pays. Quand nous les visons au porte-monnaie (l'action porte). Comme pour les comptoirs lunch dans le sud durant le mouvement des droits civiques. Les commerces du bas des villes du sud ont été tellement touchés qu'ils ont fait pressions sur les élu.es de tous les niveaux pour que les comptoirs (jusque-là seulement ouverts aux blancs) soient ouverts à tous et toutes.
C'est ce que nous devons faire. Et nous allons le faire. Je suis très confiante. L'expérience actuelle est nouvelle. Pas au cours des années 1920 ou 1930 quand les États-Unis flirtaient avec le fascisme. Même pas quand ils ont attaqué les (Black) Panthers avec toute la violence que les Panthers ont subi et ce qui est arrivé durant les années 1950. Maintenant c'est différent. Je ne pense pas que nous allons rester assis.es sur nos chaises. Nous devons être informé.es et uni.es. Renforcé.es en nombre. Avec le « chacun.e pour soi » nous n'allons pas sauver notre démocratie. Nous devons nous unir à travers tous les secteurs. Ce régime tient sur des piliers : le militaire, les médias, les professions, etc. Si chaque pilier s'organise pour retirer son soutien nous pouvons y arriver. Et il faut le faire vite.
A.G. : Jane Fonda, nous devons nous arrêter ici. Merci d'avoir été avec nous.
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Écocide à Gaza : la destruction des ressources naturelles comme arme de guerre
La capacité d’accueil : notion scientifique ou construction politique ?
16 septembre 2025 | https://www.youtube.com/watch?v=aMfwJLYUWEs
Existe-t-il réellement un calcul scientifique qui permet de déterminer la capacité d'accueil du Québec ?
À travers cette capsule et une série de deux articles, l'Observatoire retrace l'histoire de cette notion, explique son usage politique au Canada et au Québec, et met à l'épreuve des faits les discours qui, en politisant l'immigration, nourrissent un imaginaire de submersion et de peur et font porter le fardeau des pénuries dans les services publics aux personnes migrantes et immigrantes.
Pour lire nos deux articles qui accompagnent la capsule, rendez-vous sur opljm.org
Réalisation : KyVy Le Duc
Recherche et idéation : l'équipe de l'OPLJM
Scénarisation : Manal Drissi en collaboration avec Coralie LaPerrière et l'équipe de l'OPLJM
Protagonistes : Mireille Paquet, Coralie LaPerrière et Amel Zaazaa
© 2025 Observatoire pour la justice migrante (OPLJM). Tous droits réservés.
Toute reproduction, diffusion, réutilisation, téléchargement, réédition, découpage, adaptation ou traduction de ce contenu, en tout ou en partie, est interdite sans autorisation écrite préalable de l'OPLJM, sauf dans les limites des exceptions prévues par la Loi sur le droit d'auteur (Canada).
Publiée avec la permission de l'OPLJM (PTAG)
Le prix Nobel de la discorde
Il faut avoir une biais idéologique marqué à droite pour ne pas soutenir le Venezuela contre les sanctions que lui impose l'Amérique depuis la nationalisation de son pétrole. Dans les années Trente du XXième siècle, les véritables progressistes soutenaient la République espagnole. Aujourd'hui, à défaut de soutenir la personne de Maduro, ils soutiennent le Venezuela dans sa confrontation avec Trump.
Alors le prix Nobel décerné à Maria Corina Machado est pour le moins problématique car il cautionne une opposante de droite radicale à Maduro et lui concède un prestige qu'elle ne mérite pas.
En effet cette personne, traquée dans son pays, a plaidé pour un référendum contre Hugo Chavez. Elle a encouragé les émeutiers d'extrême droite qui ont brulé des garderies populaires et mis le feu à des hôpitaux à Caracas, détruisant des biens publics. Elle s'est associée à toutes les défaites aux élections légitimes qui ont eu lieu au Venezuela. Et il y en eu des élections : 10 en moins de 20 ans !
Ce prix est une véritable honte pour le comité Nobel. Il a été accordé à quelqu'un qui a appelé à l'invasion militaire de son pays par les États-Unis contre son propre peuple comme si la souveraineté du Venezuela ne valait rien à ses yeux. Elle s'est compromise dans des appels à la guerre. Elle a soutenu le génocide à Gaza et demandé à Netanyahou de frapper le territoire vénézuélien.
Ses positions d'extrême droite ne semble susciter aucune réprobation dans les médias de ces démocraties libérales qui font la leçon au Venezuela pour son totalitarisme alors que Maduro a été porté au pouvoir par des élections on ne peut plus démocratiques plus souvent que n'importe chef d'État occidental. C'est se moquer de la Paix.
Une organisation pacifiste américaine, Code Pink, déclare pour sa part que le prix Nobel de la Paix aurait dû être remis aux journalistes morts à Gaza qui ont fait plus pour la paix que cette égérie d'extrême droite.
Je ne doute pas que si vous avez le moindre penchant en faveur de la paix, vous vous prononcerez contre les tactiques militaires américaines de guerre dans les Caraïbes à l'encontre du Venezuela au nom de la lutte au narco trafique. Des civils ont été sauvagement agressés et tués sans accusation ni procès comme de vulgaires sous-hommes si chers aux nazis que seraient les citoyens du Venezuela.
Malcom X a dit des grands médias « qu'ils vous feront croire que les opprimés sont des oppresseurs et que les oppresseurs sont opprimés ». Ne vous y trompez pas, la vérité a plus de poids progressiste que les mensonges et les menaces de guerre de l'impérialisme.
Guy Roy
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2025 - 6e action de la Marche mondiale des femmes
Le 18 octobre prochain, on débarque en force à Québec ! Sous le thème « Encore en marche pour transformer le monde », des féministes de toutes les régions se rassemblent pour une grande journée de mobilisation collective. Ensemble, nous marcherons pour dénoncer la pauvreté, les violences faites aux femmes et la crise environnementale afin d'opposer une vision d'un monde juste, solidaire et féministe.
Orientations
Dénoncer le continuum de la violence envers les filles et les femmes
– Nous nous mobilisons contre toutes les formes de violence sexiste générées par le système patriarcal dont la forme ultime est le féminicide ;
– Nous nous mobilisons contre les discriminations qui font violence aux femmes à la croisée des systèmes d'oppressions ;
– Nous nous mobilisons contre l'industrie de la guerre et de l'armement en complicité avec les gouvernements qui amplifient les violences envers les femmes ;
Dénoncer la pauvreté qui représente une violence systémique
– Nous nous mobilisons contre l'appauvrissement généré par la division sexuelle et genrée du travail de même que par la non-reconnaissance du travail invisible, ici comme ailleurs ;
– Nous nous mobilisons contre tous les préjugés qui portent atteinte à la dignité des filles, des femmes et de toute personne ;
– Nous nous mobilisons contre les choix politiques qui nuisent à la redistribution de la richesse et qui promeuvent la privatisation des services publics ;
Dénoncer le capitalisme responsable de la crise climatique et de l'effondrement de la biodiversité au détriment de la santé et de la vie des populations et celles des prochaines générations ;
– Nous nous mobilisons contre le pouvoir des entreprises transnationales et nationales et leurs impacts négatifs sur le quotidien des femmes, sur la démocratie et l'environnement ;
– Nous nous mobilisons contre les choix d'actions gouvernementales pour la défense de la biodiversité et du climat en connivence avec les intérêts des entreprises au détriment du bien commun dont la privatisation des ressources naturelles ;
Nous marchons pour
– Le droit des filles et des femmes de vivre en paix et en sécurité ;
– Le droit des filles et des femmes de pouvoir faire leurs propres choix libres et éclairés et que ceux-ci soient respectés ;
– Le droit à un revenu décent garantissant une autonomie économique aux femmes pour vivre dans la dignité ;
– Le droit à un accès gratuit et universel à des services publics de qualité, notamment en santé et services sociaux, en éducation, etc.
– Le droit de vivre dans un environnement sain et respectueux des humains, des communautés et de la biodiversité ;
– Nous marchons pour une société basée sur les valeurs féministes qui place l'économie au service du vivant
Porte-paroles
Les orientations sont portées politiquement par les 3 porte-paroles officielles de la MMF au Québec. Ces dernières ont été élu par les membres de la CQMMF pour leur expérience, leur pertinence et leur analyse transversale des enjeux.
Pour approfondir comment elles défendent les 3 positions politique de la MMF 2025, nous vous invitons à consulter la page suivante où elles se prononcent sur chacun des thèmes.
Pour approfondir.
Pour poursuivre la lecture.
Maroc : la jeunesse se soulève
Des employés de Safeway dénoncent des mauvais traitements
Des employés de Safeway dénoncent des mauvais traitements

Portrait de l’itinérance en Outaouais

L’inégalité face aux conditions de vie est manifeste : la pauvreté n’est pas une simple conséquence de choix individuels, mais le résultat d’un système économique et social défaillant. L’Outaouais, une région où la classe ouvrière s’appauvrit de plus en plus, nous montre bien que derrière chaque chiffre, chaque statistique, se cachent des vies humaines et des familles qui luttent pour survivre.
Un revenu digne pour toutes et tous
Le niveau de revenu pose une question cruciale et déstabilisante. Alors qu’un niveau décent de revenu devrait être un droit fondamental, il peut constituer un véritable enjeu de santé publique. Ainsi, un seul revenu, loin de remplir son rôle de couvrir les besoins de base, est souvent insuffisant et met à risque des citoyennes et citoyens de vivre une situation d’itinérance.
Il est impossible de parler de revenu sans parler de travail. La vie telle qu’on la connait repose sur l’argent, un système qui tourne autour de la production et de la création de richesse. Travailler fait partie intégrante de notre existence; nous sommes appelé·e·s à accomplir des tâches rattachées à un salaire ou à un autre type de revenu, ce qui crée inévitablement des écarts, car chaque revenu n’est pas égal. Ce système ne parvient pas à rémunérer décemment toutes celles et ceux qui créent la richesse.
Certains diront qu’il y a le salaire minimum, cette « planche de salut » censée protéger la dignité. À 15,75 $ l’heure, montant à peine réévalué en mai 2024, il ne fait qu’enfoncer un peu plus les citoyennes et citoyens dans un quotidien de lutte. Imaginons la situation suivante : être le seul pourvoyeur de sa famille, travailler 40 heures par semaine et voir son revenu englouti par un loyer de 1 500 $ par mois, sans compter les frais alimentaires et autres dépenses essentielles. Ce scénario est vécu par des milliers de familles condamnées à vivre dans la précarité, une situation qui n’épargne pas les femmes, qui constituent 58 % des travailleurs au salaire minimum dont 40 % travaillent à temps plein. Imaginons ce que ces femmes, ces mères monoparentales, doivent faire pour pallier les différents manques, une réalité d’autant plus crue quand elles doivent cumuler plusieurs emplois pour joindre les deux bouts.
La conjoncture est tout aussi déplorable pour les personnes prestataires de l’aide de dernier recours. Censée être une bouée de sauvetage, cette aide plonge davantage ces personnes dans l’impasse, un cercle vicieux où la pauvreté devient un fardeau presque impossible à briser. En 2023, la région de l’Outaouais comptait 12 962 personnes ayant eu recours à l’assistance sociale, dont 6 180 étaient des femmes avec 1 758 enfants à charge. Se retrouvant à peine au-dessus du seuil de pauvreté, elles survivent avec un peu moins ou un peu plus de 900 $ par mois, un montant bien en deçà de ce qui serait nécessaire pour couvrir les besoins essentiels.
Il faut faire très attention aux déclarations ! Une erreur administrative ou une déclaration inexacte peut entrainer une sanction, ce qui réduit drastiquement cette aide à 600 $ par mois pour certaines personnes. Perçues comme des fautes de parcours et non comme des erreurs de bonne foi, ces erreurs n’empêchent pas l’État de serrer la vis aux plus fragiles, exacerbant ainsi la précarité. Quand l’invalidité au travail et la pauvreté s’entrelacent, il devient de plus en plus évident que le revenu ne suffit pas à garantir la dignité humaine, ce qui expose encore là les personnes ou les communautés fragilisées ou à risque à habiter temporairement la rue.
Le Portrait des communautés de l’Outaouais 2021 réalisé par l’Observatoire du développement de l’Outaouais (ODO)[1] fait état de 19 885 ménages consacrant plus de 30 % de leur revenu à leur loyer, et de 6 320 qui y consacrent plus de 50 %. Comme les politiques publiques continuent de marginaliser et de pénaliser les plus vulnérables, alors il ne s’agit plus d’une crise économique : il s’agit d’une crise de solidarité et de valeurs humaines. Il devient impératif de contester l’ordre établi et de revendiquer un revenu qui ne soit pas seulement un chiffre sur un papier, mais bien un moyen pour chaque citoyenne et citoyen de vivre dignement, en paix et sans discrimination.
L’itinérance en Outaouais en chiffres
Afin de bien dresser le portrait de l’itinérance en Outaouais, il est important de donner quelques chiffres pour illustrer les particularités de notre région. Dans le rapport du dénombrement du 11 octobre 2022[2], les données recueillies sont criantes : on a recensé 534 personnes en situation d’itinérance, soit une augmentation de 268 % du nombre de personnes dans cette situation en Outaouais, la plus forte hausse au Québec. Dans ce rapport, les raisons rapportées pour la perte de logement attirent l’attention : 24 % à la suite d’une expulsion, 18 % en raison d’un manque de revenu et 14 % à cause de conflits avec une conjointe ou un conjoint, comparativement aux causes généralement ciblées comme les problèmes de consommation de substances (11 %) et de santé mentale (5 %).
À la suite de ce rapport, la Ville de Gatineau, en concertation avec les organismes du milieu, a produit un Portrait de l’itinérance dans la Ville de Gatineau[3] dans le but d’apporter un volet plus qualitatif aux données provinciales publiées par le ministère de la Santé et des Services sociaux. Dans ce contexte, un deuxième recensement a été organisé dans la nuit du 18 octobre 2023, se concentrant cette fois sur le nombre d’installations et de ressources d’hébergement disponibles. Les résultats montrent 167 abris de fortune installés dans tous les secteurs de la ville, 216 places en hébergement d’urgence et 364 places en hébergement de transition.
Sur le terrain
Lorsqu’on parle de l’itinérance en Outaouais, on pense à l’aréna Robert-Guertin, au Ruisseau de la Brasserie et aux nombreux abris de fortune qui s’y sont installés depuis la pandémie. C’est en 2023 que la Ville de Gatineau a cessé de démanteler régulièrement les campements installés aux abords du Gîte Ami et a désigné l’espace Guertin comme une zone de tolérance.
Le phénomène de l’itinérance a pris une telle ampleur en Outaouais qu’il ne s’agit plus seulement d’une réalité urbaine. Différentes initiatives se développent présentement dans chaque municipalité régionale de comté (MRC) de la région pour répondre aux besoins de la population itinérante qui, autrefois, se serait dirigée vers Gatineau, où se retrouvent les services, mais qui choisit maintenant de rester dans son secteur car les services sont saturés.
Cette nouvelle réalité de l’itinérance rurale apporte son lot de défis. Ces milieux disposent de peu, voire d’aucune ressource allouée ou spécialisée pour couvrir des territoires excessivement vastes. De plus, souvent les personnes en situation d’itinérance se cachent par peur de se faire chasser, ce qui rend difficile leur repérage afin de leur offrir l’aide disponible.
L’itinérance chez les personnes âgées
Le phénomène de l’itinérance chez les personnes âgées constitue une problématique croissante et une réalité saisissante, exacerbée par le manque d’hébergements, et aggravée par les coupes, les fermetures et les changements administratifs dans les résidences pour ainé·e·s (RPA). Le Gîte Ami, un refuge de la région, signale qu’en 2023, plus de 35 personnes âgées de 60 ans et plus ont utilisé leurs services, plusieurs étant à leur première expérience d’itinérance. Les conditions dans lesquelles ces personnes sont forcées de survivre ne permettent pas de maintenir une bonne santé. Selon le Portrait des personnes en situation d’itinérance[4], le taux de mortalité des personnes en situation d’itinérance est de 3 à 4 fois plus élevé que celui de l’ensemble de la population. Un regard sérieux et des efforts concertés sont nécessaires pour développer des solutions adaptées et offrir un soutien adéquat à cette population.
L’itinérance chez les femmes
Les femmes en situation d’itinérance développent des stratégies de survie uniques, car elles sont exposées à des risques accrus de violence, à des responsabilités parentales supplémentaires et à des obstacles spécifiques dans l’accès aux services. Par exemple, certaines femmes choisissent de rester avec un conjoint violent ou de maintenir une relation avec une personne qu’elles n’apprécient pas, en échange de faveurs sexuelles, pour éviter de se retrouver en situation d’itinérance. Elles peuvent aussi être amenées à partager une tente ou un espace de vie avec un homme qu’elles ne désirent pas, mais encore une fois, ce choix est dicté par des considérations de sécurité, qu’il s’agisse de violence physique, sexuelle ou autre. Ces stratégies de survie sont souvent le fruit de l’absence de solutions de rechange viables et mettent en lumière les réalités complexes auxquelles ces femmes sont confrontées au quotidien.
L’itinérance chez les familles
Même les familles sont à risque d’itinérance; cela nécessite une collecte de données plus détaillée et la mise en place de services adaptés afin de mieux comprendre les besoins et mieux leur répondre. L’Observatoire du développement de l’Outaouais[5] démontre que le statut socioéconomique a un impact direct sur la qualité de vie. En plus de faire le point sur la situation, le rapport de l’Observatoire donne un aperçu de ce qui s’en vient : la ville comptait 6 840 ménages de toutes tailles ayant des besoins impérieux en matière de logement. Cela signifie que les résidences de ces familles sont considérées comme inadéquates, inabordables ou d’une taille non convenable. Un nombre insuffisant de logements sociaux contraint les familles à vivre dans des conditions indignes : dans des logements trop chers, insalubres ou mal adaptés. Cela condamne certaines familles à vivre de l’itinérance cachée ou à être contraintes d’habiter temporairement la rue.
L’itinérance cachée
L’itinérance cachée (aussi nommée couch surfing) désigne les personnes qui, bien qu’elles ne vivent pas dans la rue, n’ont pas de domicile stable, sécuritaire et adéquat. Elles peuvent résider temporairement chez des ami·e·s ou chez des membres de la famille, dans des logements insalubres ou surpeuplés, ou encore dans des véhicules. Cette situation est souvent invisible, ce qui rend difficile l’évaluation précise de l’ampleur du phénomène. Une étude menée en 2023 par la Table de développement social des Collines-de-l’Outaouais (TDSCO)[6], à laquelle le Collectif régional de lutte à l’itinérance (CRIO) a participé, a révélé que 40 % des 219 répondantes et répondants considéraient leur situation de vie comme instable. Cette enquête a également mis en lumière que 66 enfants et 108 adultes vivaient avec ces personnes en situation de précarité. Ces données soulignent la nécessité de développer des stratégies adaptées pour identifier et soutenir les personnes en situation d’itinérance cachée en Outaouais, en tenant compte des spécificités rurales et urbaines.
Ces choix de survie sont souvent liés à un manque d’options et à des conditions de vie extrêmement difficiles, ce qui provoque malheureusement un exode. De plus en plus de familles ou de jeunes adultes qui voudraient rester dans la région sont contraints de chercher un logement ailleurs, souvent dans des villes plus éloignées où les prix sont plus « abordables ». Certaines régions rurales comme le Pontiac et la Vallée-de-la-Gatineau écopent tout autant. Cela révèle une dilution du filet social et un déséquilibre dans certaines communautés.
Crise de l’habitation
L’inflation, dont l’effet cumulé a été de plus de 20 % depuis 2018[7], s’inscrit dans un système qui ne suit pas la tendance des réels besoins de la population. Un fort taux d’occupation des logements, la hausse des loyers et l’étalement urbain exercent une pression croissante sur le marché immobilier. L’Outaouais traverse une période complexe marquée par une crise de l’habitation persistante qui ne se résume pas à un simple manque de logements. Plusieurs facteurs sont en cause : l’inflation, la surenchère, les rénovictions, les locations Airbnb ainsi que la loi 31[8], et ce, tout en tenant compte des enjeux de revenu exposés plus haut.
Plusieurs éléments participent à la surenchère. La hausse des prix des matériaux et la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur de la construction ont radicalement augmenté les coûts du développement immobilier. Cela a pour conséquence de réduire l’offre de nouveaux logements accessibles. Ainsi, malgré la disponibilité de ceux-ci, les personnes marginalisées, vulnérables et vivant sous le seuil de la pauvreté se retrouvent dans l’impossibilité de les louer. Cette situation affecte non seulement la stabilité économique des individus, mais également leur santé mentale et physique. Des conditions de logement précaires, comme la surpopulation, l’humidité ou la mauvaise qualité de l’air, peuvent entrainer de graves problèmes de santé. Les familles à faible revenu, les étudiantes et étudiants et les jeunes adultes entrant sur le marché du travail sont directement touchés par cette pénurie de logements abordables.
En Outaouais, comme dans plusieurs régions du Québec, les locataires ne sont pas à l’abri d’être rénovincés. Cette problématique est devenue particulièrement préoccupante dans les grands centres urbains comme Gatineau. Le terme rénoviction fait référence à une pratique où des propriétaires avides, voyant une opportunité d’augmenter leurs profits, demandent à leurs locataires de quitter leur logement sous prétexte de rénovations majeures. Cependant, dans plusieurs cas, ces rénovations ne sont qu’un prétexte pour hausser les loyers ou pour transformer l’espace afin de le louer à un tarif bien plus élevé, rendant le logement inaccessible à l’ancienne ou à l’ancien locataire.
Une fois de plus, des lois charognardes du gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ), comme la loi 31, viennent fragiliser davantage les locataires. Le retrait d’un des plus grands leviers dont celles-ci et ceux-ci disposaient pour exercer un certain contrôle sur l’explosion du prix des loyers – le droit de céder leur bail – a été charcuté au profit des propriétaires. Ces derniers ne sont désormais plus dans l’obligation légale d’accepter qu’une ou un locataire transfère son contrat de location à une ou un autre. Il est encore difficile d’évaluer les impacts économiques et sociaux de cette mesure, notamment en Outaouais, mais il est évident qu’elle aggrave la crise locative en ajoutant rigidité et contrainte à l’accès au logement. Se loger, rappelons-le, est un droit fondamental qui ne devrait pas être soumis aux logiques du profit.
À propos de profit, examinons le cas d’Airbnb. Selon AirDNA, une agence qui recueille les statistiques canadiennes des locations à court terme, le secteur de Gatineau comptait en moyenne 957 annonces actives sur une période de 12 mois en 2024, dont 21 % étaient des locations disponibles à temps plein. Cela signifie qu’environ 200 logements sont devenus inaccessibles à la location résidentielle pendant l’année. Malgré les réglementations mises en place pour encadrer ces locations, l’Outaouais n’échappe pas aux nombreux cas de contournement observés. Selon une enquête du média Pivot[9], plusieurs annonces ne respectent pas les restrictions en vigueur, ce qui met en lumière les défis liés à ce genre de pratiques qui précarisent encore davantage les communautés vulnérables, au profit des propriétaires.
Hausse en flèche de l’aide alimentaire
Encore une fois, l’inflation frappe et n’épargne pas le marché de l’alimentation : impossible d’aller à l’épicerie sans en ressortir avec un goût amer. Moisson Outaouais[10] affirme d’ailleurs dans son bilan 2023-2024 que l’organisation a répondu à 94 653 requêtes d’aide alimentaire, une augmentation considérable de 107 % par rapport à 2019. Elle observe aussi que l’augmentation des demandes chez les travailleuses et travailleurs à faible revenu a presque doublé depuis deux ans. Ayant distribué 1 680 048 kg de nourriture en 2023-2024, en partenariat avec 48 organisations qui agissent contre l’insécurité alimentaire, chacune d’elles observe le même phénomène grandissant et les besoins criants. Le lien entre l’augmentation du coût des loyers et l’augmentation de l’utilisation des services d’aide alimentaire dans la région est évident. Un loyer trop cher force les citoyennes et citoyens à négliger d’autres besoins essentiels, comme la nourriture.
Désert alimentaire
La précarité liée à l’accès difficile aux supermarchés ne doit pas être négligée. Elle représente un obstacle majeur en milieu rural et dans certains quartiers. Elle contraint les personnes vulnérables à consommer davantage de produits alimentaires transformés, moins chers et souvent moins nutritifs, des choix alimentaires qui ont des répercussions sur la santé. Il est aussi important de se figurer les obstacles discriminatoires et le profilage auxquels une personne en situation d’itinérance peut être confrontée en matière d’accès aux supermarchés.
Une réponse désorganisée
Une des grandes difficultés dans la lutte contre l’itinérance est la question de la responsabilité : qui est responsable de quoi ? Évidemment, on peut se tourner vers la Politique nationale de lutte contre l’itinérance[11], votée à l’unanimité en 2014 par le gouvernement péquiste, mais celle-ci est vague et non contraignante, ce qui laisse la porte grande ouverte à un jeu de patate chaude auquel se livrent les différents paliers gouvernementaux. Le meilleur exemple régional de ce lançage de balle demeure la halte-chaleur installée dans l’ancien aréna Robert-Guertin à l’hiver 2022-2023. Un organisme communautaire opérait un service dans cet édifice municipal, loué au CISSS de l’Outaouais. Lorsque les toilettes se sont bouchées, la Ville a refusé d’intervenir parce que l’édifice était loué au CISSS, qui, à son tour, a refusé d’intervenir parce que l’édifice appartenait à la ville. Lorsque l’organisme a tenté de faire intervenir des plombiers privés, ceux-ci ont refusé, car c’était un édifice municipal. Le résultat a été désastreux : la halte-chaleur a été inondée d’eaux d’égout, contaminant tout ce qui s’y trouvait, dont les quelques matelas donnés, les effets personnels des personnes utilisant le service et la santé de toutes et tous les employé·e·s et personnes hébergées.
Depuis le Sommet municipal sur l’itinérance de l’Union des municipalités du Québec (UMQ) en septembre 2023, les municipalités ont commencé à réclamer davantage de pouvoirs et de responsabilités en matière d’itinérance. Bien que nous ayons d’abord vu d’un bon œil l’implication des villes en tant que gouvernements de proximité, plus près de la réalité terrain, nous nous rendons vite compte que l’arrivée de ce nouveau joueur comporte son lot de défis. Le partage des pouvoirs entre la province et les villes n’ayant pas encore été clarifié, l’implication de celles-ci repose essentiellement sur la bonne volonté des élu·e·s qui siègent aux différents conseils municipaux. On peut prendre ici l’exemple de la ville de Gatineau, qui, en 2023, avait annoncé une somme de cinq millions de dollars pour la construction d’une halte-chaleur permanente, une infrastructure revendiquée par le milieu communautaire depuis plus de 20 ans. Un an plus tard, à la suite d’un changement au conseil municipal dû à la démission de la mairesse, on a annoncé des investissements de près de 25 millions de dollars sur cinq ans pour un plan d’action en itinérance, mais sans halte-chaleur permanente.
Que ce soit au palier municipal, provincial ou fédéral, force est de constater que la lutte contre l’itinérance repose essentiellement sur la volonté politique des partis en place. Bien que ce soit les organismes communautaires qui œuvrent directement auprès des populations à risque ou aux prises avec des problématiques, ces organismes sont largement dépendants du bon vouloir de l’État et de ses représentantes et représentants, qui décident de l’attribution du financement et du montant qui leur est consenti. Les élu·e·s décident de la grosseur de la tarte, l’administration la divise et les organismes doivent se battre pour les miettes.
En 2023, la gestion du programme Vers un chez-soi, financé par le fédéral, a été confiée à la province, et au mois de novembre, nous apprenions que les hébergements jeunesse de l’Outaouais ne seraient plus financés par cette enveloppe. Ceci n’est qu’un exemple de la fragilité à laquelle sont confrontés les organismes communautaires. Au cours des 30 dernières années, le financement à la mission, qui leur permettait de fonctionner, d’innover et de répondre aux besoins de la communauté en temps réel, par une analyse des besoins et une construction du bas vers le haut, s’est vu remplacé par de minces financements par projet, contraignants et accompagnés de longues redditions de comptes.
Pistes de solution
Dans le communautaire, des personnes créatives, il n’en manque pas ! C’est ainsi que sont mis sur la table des pistes de solution, des idées et des concepts, de l’aide atypique adaptée à la réalité du milieu, une panoplie de programmes mis en place, et ce, avec les moyens du bord. Explorons différents projets.
Un Québec sans pauvreté
Comme la campagne Revenu de base du Collectif pour un Québec sans pauvreté le suggère, un revenu de base adapté à la réalité économique d’aujourd’hui permettrait de réduire les inégalités économiques et sociales en garantissant à chacune et chacun un niveau de vie où les besoins de base sont comblés. Le collectif propose que ce revenu de base soit financé par une révision de la fiscalité, avec des augmentations d’impôts ciblées pour les plus riches et pour les grandes entreprises, afin d’assurer une redistribution équitable des ressources. Le financement du revenu de base pourrait également passer par la réduction de certaines dépenses publiques qui seraient moins nécessaires dans un système où chacune et chacun reçoit un revenu de base garanti.
Des logements sociaux et accessibles
C’est là une réponse à la crise qui profiterait à chaque citoyenne et citoyen, pas seulement aux plus privilégié·e·s. En Outaouais, de nombreuses personnes à faible revenu, y compris des familles monoparentales, des personnes âgées ou des travailleuses et travailleurs à faible revenu, sont particulièrement vulnérables à l’exclusion sociale. La construction de plus de logements sociaux permettrait de briser ce cercle et d’offrir des opportunités d’intégration sociale. Le logement social jouant un rôle clé dans la lutte contre la pauvreté et la conservation du filet social, il est aberrant d’apprendre que seulement 11 % du marché locatif est social. Comme le scande la campagne du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), La clé, c’est le logement social ! Ajoutons à cela un de leurs principes fondamentaux : le logement est un droit humain. L’accès à des logements sociaux permettant de répondre à leurs besoins garantirait à des citoyennes et citoyens contraints à la précarité d’avoir un toit décent dont le coût ne mange pas la moitié de son salaire. Ces logements peuvent aussi créer un environnement propice à l’installation d’autres services, par exemple des épiceries, améliorant ainsi la dynamique et l’accessibilité.
Un registre des loyers
En encourageant un marché stable et responsable, le registre des loyers proposé par l’organisme Vivre en Ville est un outil centralisé qui permet de suivre les prix des loyers locatifs, une solution indispensable pour inciter les propriétaires à une transparence équitable, pour éviter les abus et les prix excessifs du marché. Dans un contexte de crise de l’habitation, comme en Outaouais, un tel registre pourrait avoir plusieurs avantages, tant pour les locataires que pour les propriétaires, ainsi que pour les autorités municipales qui souhaitent assurer un marché immobilier plus juste et accessible à toutes et tous. Il agirait ainsi comme un rempart contre l’embourgeoisement.
La clause G du bail
Pour éviter une hausse de coût excessive entre le nouveau loyer et l’ancien, tout en protégeant la ou le locataire à la signature du bail, il faut jeter un coup d’œil à la clause G, page 3 du bail. C’est à cette section que le propriétaire doit inscrire le montant du loyer le plus bas payé dans les douze derniers mois. Clause difficilement respectée par les propriétaires, il est impératif d’en renforcer l’application. Il faut d’abord en parler avec le propriétaire concerné. Si ce dernier décline, il est possible de faire une réclamation au Tribunal administratif du logement (TAL).
Abroger la loi 31
Un des seuls leviers forts que les locataires québécois avaient, en dépit des avantages et du profit des propriétaires, était le droit de céder leur bail. Comme nous l’avons exposé précédemment, la cession de bail permettait au locataire de trouver une nouvelle personne pour reprendre son contrat, ce qui gardait ainsi le logement à un prix raisonnable, qui ne suit pas l’inflation du marché que l’on connait présentement. La loi 31 de la CAQ abolit ce droit, retirant par défaut un bon nombre de logements accessibles à une population précaire et exposant encore une fois plusieurs personnes à vivre leurs premiers épisodes d’itinérance.
Le programme TAPAJ
Créé à Montréal en 2000 par l’organisme communautaire Spectre de Rue, et ayant inspiré plusieurs villes au Québec ainsi qu’en Europe, le programme TAPAJ (Travail alternatif payé à la journée) a fait ses preuves. Dans la région de l’Outaouais, ce programme est porté par l’organisme Réseau Outaouais ISP (ROISP). C’est une initiative de réduction des méfaits qui offre un dépannage économique ponctuel aux personnes en situation de précarité sociale et économique. Ce programme propose des plateaux de travail rémunérés à bas seuil d’exigences, qui ne nécessitent ni qualification ni expérience préalable. Les participantes et participants sont accompagnés par des intervenantes et intervenants, qui travaillent « coude à coude » avec elles et eux pour favoriser la création de liens et l’amélioration de leurs conditions de vie. TAPAJ vise à prévenir la désaffiliation sociale et à favoriser la réaffiliation en offrant un environnement de travail sécuritaire et respectueux, où les participantes et participants peuvent travailler sans avoir à cesser ou à réduire leur consommation de substances psychoactives. Grâce à cette approche inclusive et pragmatique, le programme permet aux personnes en situation de précarité de recevoir un soutien financier immédiat tout en développant des compétences professionnelles et psychosociales.
Des centres de jours adaptés
Finalement, citons un dernier projet : des centres de jour adaptés, répartis sur l’ensemble du territoire, accueillants et offrant des services qui répondent aux besoins identifiés par les acteurs du milieu. Ces centres s’appuient sur le rythme des personnes en situation d’itinérance ou de précarité et à risque de l’être. Ils orientent les personnes utilisatrices de leurs services vers des démarches sociocommunautaires qui ne les renvoient pas dans un système qui les a déjà échappées. Ces centres pourraient regrouper infirmières, travailleuses et travailleurs sociaux, dentistes, etc., toutes et tous sous un même toit.
Pour conclure, soulignons que l’itinérance en Outaouais est démographiquement complexe et qu’elle présente des défis qui concernent surtout l’encadrement par les diverses instances politiques. Car il est encore difficile de faire reconnaitre le phénomène dans certaines municipalités qui manquent d’empathie et qui interviennent avec dureté.
Par Vanessa L. Constantineau et Alexandre Gallant, respectivement agente de liaison et coordonnateur du Collectif régional de lutte à l’itinérance en Outaouais
- Observatoire du développement de l’Outaouais, Portrait des communautés de l’Outaouais 2021. ↑
- Ministère de la Santé et des Services sociaux, Dénombrement des personnes en situation d’itinérance visible au Québec, Rapport de l’exercice du 11 octobre 2022, Annexe : Résultats supplémentaires pour l’Outaouais. ↑
- Portrait de l’itinérance dans la Ville de Gatineau, 2022. ↑
- Gouvernement du Québec, Portrait des personnes en situation d’itinérance. ↑
- Observatoire du développement de l’Outaouais, Portrait des communautés de l’Outaouais, 2021. ↑
- Comité Vers un chez-soi La Table de développement social des Collines-de-l’Outaouais, Portrait de l’itinérance dans les Collines-de-l’Outaouais, Cantley, Table de développement social des Collines-de-l’Outaouais (TDSCO), 2024. ↑
- <https://www.banqueducanada.ca/taux/renseignements-complementaires/feuille-de-calcul-de-linflation/>. ↑
- Loi sur l’habitation sanctionnée le 21 février 2024 et qui a, entre autres, enlevé la possibilité pour une ou un locataire de faire une cession de bail ou une sous-location à profit. ↑
- Zachary Kamel, « Le roi du Airbnb à Montréal : quadrupler les loyers et remplacer les locataires par des hôtels fantômes », Pivot, 28 juillet 2023. ↑
- Moisson Outaouais, Rapport annuel 2023-2024, Gatineau, 2024. ↑
- Ministère de la Santé et des Services sociaux, Politique nationale de lutte à l’itinérance. Ensemble pour éviter la rue et en sortir, Québec, gouvernement du Québec, 2014. ↑

Conteurs à gages : Des récits pour se réconcilier avec la/notre nature
Étienne Laforge et Félix Morissette, surnommés les « Conteurs à gages », créent pour, par et avec des groupes citoyens, des contes écologiques au cœur du quartier Rosemont—La-Petite-Patrie à Montréal. Nous nous sommes entretenus avec eux pour en apprendre sur leurs ambitions, et plus particulièrement sur le rôle de l'art du conte pour réfléchir notre rapport à la nature, nourrir l'imaginaire, et construire des récits ancrés dans les quartiers. Propos recueillis par Samuel Raymond.
À bâbord ! :Une part de votre mission est de « susciter la curiosité et inspirer la transition écologique ». Pourquoi avoir choisi l'art du conte ?
Étienne Laforge : En fait, il s'est imposé. En pandémie, Félix et moi marchions dans les ruelles de notre enfance et nous trouvions qu'il y avait là une mythologie existante issue de communautés, de parents, et d'enfants qui se voisinaient. Le conte, c'est l'art de se raconter. On voulait rassembler le monde.
Félix Morissette : On l'a aussi choisi pour deux de ses forces. Premièrement, on a un grand besoin de tirer nos imaginaires par les. Un·e conteur·euse est toujours en train de modeler son histoire en fonction de qui il ou elle s'adresse, et selon le contexte. C'est ancré dans une réalité. On avait envie d'infinies variations pouvant être portées par plein de voies différentes. Deuxièmement, le conte permet de grandes libertés. Par exemple, il permet de réfléchir à des êtres non humains très facilement. La forme est simple, a peu de règles et favorise l'improvisation. Tout ça facilite la création de situations ou de personnages éclatés. On peut évoquer les grands peupliers du parc Lafontaine et automatiquement, on est en présence d'eux.
ÀB ! : Dans votre processus, pourquoi mettre autant l'accent sur la question de la relation des humains avec la nature ?
F. M. : La pandémie nous a permis de ralentir et, comme plusieurs artistes, de prendre contact avec notre quartier. Et puis, on voyait la nature reprendre ses droits. Ça donnait envie de se renseigner, de sortir un livre, de commencer à identifier les plantes, de faire un jardin de balcon. On a fait beaucoup de recherches pour mieux comprendre ce qui nous entoure, nos différences d'avec les autres êtres. Par exemple, le Merle d'Amérique. Comment fonctionne-t-il ? Qu'est-ce qu'il fait pendant l'hiver ? Tout ça donnait des filons narratifs aux histoires qui venaient s'ajouter à une série de réflexions à propos de situations personnelles et collectives.
É. L. : La pandémie a été un moment de reconnexion avec la nature. Dans leurs derniers retranchements, c'est souvent là où les gens vont. Toutefois, le discours écologiste me mine parfois. La lutte écologiste vient des fois avec des impératifs qui sont trop portés par les individus. Et dans la fiction, c'est soit postapocalyptique et l'humanité a échoué, soit on cherche une échappatoire. On veut refaçonner positivement la façon dont on parle de notre relation à la nature. C'est par ce lien qu'on va trouver une façon de calmer notre anxiété. C'est une urgence de créer de nouveaux récits.
ÀB ! : Quelles est votre intention avec vos créations ?
F. M. : Qu'à la fin de l'un de nos contes, une personne reparte, prenne une respiration, observe les feuilles rougir, le petit temps frette. Notre désir est d'amener une reconnaissance, une appréciation de ce qui nous entoure. Puis, on veut mettre l'accent sur la valeur, l'impact et l'apport de différents êtres de la nature d'une manière poétique plutôt qu'avec un point de vue utilitaire à partir duquel, par exemple, on dirait que les arbres peuvent nous permettre d'économiser de l'argent en réduisant l'écoulement de l'eau. On veut que les gens sortent de nos heures de conte avec un sentiment de connexion. Nourrir l'imaginaire avec ces histoires optimistes nous rend plus à même de reconnaître les initiatives positives. On comprend l'urgence actuelle, mais ça prend un ballant.
É. L. : On se représente souvent la nature comme si on en était extérieur, mais le conte peut faire en sorte que les gens s'identifient à elle. Que ce soit à propos de l'histoire de la job d'un cloporte dans une craque de ruelle ou la job d'une saison qu'on a imaginé. Si on peut se reconnaître dans ces éléments-là, je pense qu'il y a un côté amoureux de la nature qui va émerger. C'est ces petites poésies qui m'accrochent et me font embrasser les éléments autour. Un jour, on a fait un lancement lors d'une grosse tempête de neige. Le monde est arrivé en retard. C'était la folie. À la fin du spectacle, j'ai reçu des messages de gens enthousiastes de vivre la tempête. Il y a comme eu une adéquation avec les éléments qui est née des histoires racontées. C'est le résultat qui se révèle à nous après avoir raconté une histoire.
F. M. : C'est un processus par lequel on arrête d'être toujours en lutte avec la nature. Dans l'histoire de notre relation à l'environnement au Québec, la religion catholique nous a amené·es dans un rapport sacré à la nature. Une œuvre de Dieu parfaite et belle. L'humain est séparé de la nature tout en étant au-dessus d'elle. Puis, on a évolué pour être davantage dans une relation de contrôle et de lutte. Ces deux visions du monde sont en nous. On essaie de trouver d'autres façons de s'engager, de dévoiler notre interdépendance, de jouer avec la nature. On explore comment on peut établir une relation avec elle sans être dans un romantisme fini ni dans une relation de domination.
ÀB ! : Quelles sont vos inspirations ?
F. M. : Je m'inspire de notre héritage canadien-français, mais aussi des cultures grecque et romaine. Dans ces cultures, on peut fouiller et trouver des éléments féconds pour la création de contes en jouant avec leurs codes. Ensuite, la culture canadienne-française agricole a développé des rites et des relations à l'environnement qui sont fortes et riches. Je pense à ma grand-mère et sa ferme comme une influence importante.
Sinon, des éléments qu'on prend rarement le temps d'analyser sont tout aussi inspirants. Je pense par exemple aux quatre saisons pour lesquelles nous avons créé une série de contes. Les gens sont souvent en lutte contre elles. Ainsi, l'automne est souvent dur pour le moral. On a donc écrit un conte sur le mois de novembre en retournant notre apriori négatif pour voir comment, en se nourrissant de la mort, novembre crée la première neige qui est l'un des plus beaux moments de l'année.
É. L. : Mon arrière-grand-père a été mineur et bûcheron en Abitibi. Mon grand-père a été mineur et étudiant. Dans leur mode de vie, il y a quelque chose de très proche de la nature, un travail de la terre, et à la fois, une exploitation des ressources. Ce n'est pas très loin de notre génération. De cet héritage, un de nos thèmes importants est celui de la nature qui nous donne, mais qui est aussi indomptable.
ÀB ! : En ce qui concerne les contes créés par votre duo, comment les testez-vous ?
F. M. : On présente généralement un premier jet devant les groupes citoyens. Ça nous aide à placer beaucoup de choses. Quand tu te retrouves devant quelqu'un·e et que tu racontes une histoire pour la première fois, c'est là que tu réalises que, maudit que c'était pas clair ton affaire ! Le conte permet de travailler une relation, tu t'adresses à quelqu'un·e. Tant que tu n'as pas cette relation, ce n'est pas clair ton ancrage est où.
É. L. : C'est agréable de présenter ces premières versions dans un contexte de communauté qui te connaît. Il y a plus de chance qu'elle te dise ce qui ne marche pas. On se sent aussi plus à l'aise. Il y a un lien de confiance qui s'est créé.
ÀB ! : Comment se déroule votre processus de création avec les groupes citoyens ?
É. L. : Durant la dernière année, on s'est intégré dans des groupes citoyens de Rosemont—La-Petite-Patrie à travers deux projets de recherche-création et d'accompagnement de projet participatif. Le but est que ces groupes puissent définir leurs propres récits. La première année servait davantage à la création d'une programmation culturelle. On a offert des contes et il y a eu des prestations de plusieurs artistes de différentes disciplines pour mobiliser et faire connaître le projet. Pour la deuxième année, on veut permettre à ces communautés d'écrire leurs propres récits, qui s'inspireront de la forme de ceux de Conteurs à gages en s'intéressant notamment aux enjeux socioécologiques de leur quartier. Ce qui est plaisant avec les communautés avec lesquelles on tisse des liens, c'est qu'on sent qu'elles ont le goût de jouer. Notre rôle est donc de partager nos outils pour qu'elles puissent s'épanouir dans des récits qui sont bien édifiés et inspirants.
F. M. : Le processus de création dépend de ce sur quoi on écrit. Quand tu écris des contes sur un territoire, des milieux de vie ou un parc, il faut qu'il y ait un ancrage personnel ou collectif. L'objectif est de développer des outils pour créer de nouveaux récits et que les gens puissent se les approprier. Par exemple, on a vécu plusieurs expériences au parc de Gaspé avec un groupe. Il y a un moment où t'as un déclic. Tu te rends compte que tu appartiens au parc. Il vit un peu en toi et fait partie de ton imaginaire. Quand tu ressens ça, tu peux commencer à travailler parce que tu es arrivé à une véritable relation au lieu. Ensuite, les filons émergent. Dans notre cas, les personnes qui vivent près de l'endroit sont celles qui le connaissent le mieux. C'est eux et elles qui portent l'histoire. Le groupe n'a pas nécessairement tous les outils pour structurer un conte, élaborer des personnages, créer un événement déclencheur et confectionner des retournements créatifs. On est là pour explorer ça avec lui, l'accompagner en utilisant nos outils. Par exemple, le concept de « héros doux », celui de filon, celui d'ancrage. On veut aussi travailler sur les forces de chaque personne. Ensuite, ces histoires pourront être écrites, structurées, imprimées et finalement, transmises. Une ruelle verte pourra avoir son recueil de contes qui explique, par exemple, l'origine de la ruelle ou qui raconte des histoires de voisinage.
ÀB ! : Vous incorporez parfois de courts commentaires éditoriaux dans vos contes. Comment composez-vous avec cet aspect ?
É. L. : Les éléments plus éditoriaux et politiques nous aident à démarrer une idée, mais vont rapidement se décliner en des enjeux plus grands et plus profonds. Après ça, dans la relation avec le public, ces éléments peuvent revenir. Je pense à un de nos contes qui s'appelle Le printemps silencieux. Il a tout le potentiel d'aborder la crise du logement actuelle, mais il traite aussi de tensions dans la société, de fiertés, de pouvoirs et de désir d'avoir plus.
ÀB ! : Que se passe-t-il pour Conteurs à gages dans les prochains mois ?
F. M. et É. L. : À la fin de l'hiver et au début du printemps, Conteurs à gage sera en écriture. L'univers des contes de saison continue de fleurir. Notre premier conte, Automne est paru en format audio le 17 octobre. On souhaite d'ailleurs remercier les artistes audios et visuels qui travaillent avec nous. Sinon, les groupes de citoyens qu'on accompagne seront en processus d'écriture de leurs contes. Puis, un troisième univers s'ouvre l'été prochain. Ce sont les contes et légendes des boisés de Laval en association avec l'organisme Canopée. Il rassemble des habitantes de Laval qui entretiennent des relations avec les boisés. Elles nous serviront de guide pour rédiger de nouvelles histoires…
Illustration : Laurie-Anne Deschênes. Photo : Conteurs à gages du 13 octobre 2023 (Masson Village).

Auprès de la mort
Le présent article rassemble les témoignages de trois femmes âgées offrant une fenêtre sur leur expérience de vie et leurs réflexions quant aux thèmes du deuil et de la mort. Il s'agit d'une invitation à l'écoute de personnes ayant leur propre vécu, sensibilités et visions du monde. Une brève tribune pour une parole humaine intime remettant ainsi à jour l'éternelle question : « Mort, où est ta victoire ? »
Face au suicide, créer des garde-fous
Rita, gestionnaire d'un programme d'aide aux résident·es d'un complexe immobilier
Sarah [1] était une résidente à laquelle je me suis tout de suite attachée. Bipolaire, après des moments de grande euphorie, elle sombrait dans des états dépressifs qui l'ont conduite à mon bureau. Je suis alors entrée dans ses confidences sur une vie très solitaire, marquée par le décès d'une maman adorée et des relations qui n'en étaient pas avec un fils impossible à convaincre de lui laisser voir sa petite-fille, dont la mère s'opposait à toute visite d'une femme aussi « dérangeante » qu'elle.
Quant à moi, je trouvais plaisant de l'entendre parler de ses joies d'enfant apprentie-peintre parce que j'admirais ses œuvres d'adulte. Je comprenais avoir affaire à une véritable artiste, douée non seulement pour la peinture, mais aussi pour la sculpture. Elle avait une façon de se raconter là-dessus qui pouvait être très drôle. Mais tout le monde n'était pas comme moi en position d'apprécier son goût de la facétie. Avec les autres résident·es, par exemple, quand elle commençait à se confier sur ses déboires, elle n'en finissait plus. Aussi évitaient-elles-ils de la croiser dans les corridors.
L'étonnant là-dedans, c'est qu'elle avait, parallèlement, un côté misanthrope qui l'amenait à aller faire ses courses en soirée de façon à ne rencontrer personne de connaissance. De peur qu'on ne la remarque, elle m'avait bien fait comprendre qu'elle ne viendrait me voir qu'après les heures de bureau. Cette après-midi-là, quand elle est arrivée vers 16h15, j'étais très fatiguée de ma journée de travail, je ne souhaitais qu'une chose : rentrer chez moi. Mais elle insistait. Je lui ai alors répondu que, non, pas cette fois-ci, elle n'avait qu'à venir plus tôt.
Les jours suivants, alarmée de ne plus la voir passer comme d'habitude, je me fis accompagner d'un gardien de sécurité pour ouvrir sa porte. Mon inquiétude était fondée, elle gisait morte, une bouteille vide d'eau de Javel à ses côtés.
Vous décrire mon sentiment de culpabilité après cette effroyable découverte, je n'y parviendrais pas. Et puis, j'ai réfléchi et compris que je n'étais pas responsable de son choix. Alors, j'ai réagi en me lançant dans une période d'activité intense où j'allais créer deux programmes, les Appels d'amitié et la Tournée des appartements avec un·e représentant·e du SPVM, afin de détecter les besoins d'aide de personnes vulnérables ou fragilisées.
Ces programmes ont prouvé depuis qu'ils peuvent faire la différence. Là réside ma consolation.
À l'approche d'une fin de vie, se tourner vers le concret
Diane, militante, traductrice et entrepreneure
Il refuse de m'entendre parler de mort prochaine, mais ne répugne pas à aborder le sujet lui-même, et je comprends tout à fait son attitude. Peut-être parce que, depuis que je le connais, je le vois vivre dans la douleur – avec une faiblesse pulmonaire doublée d'arthrose et des hanches artificielles. Fils d'un père tuberculeux, il a vécu son enfance entouré de constantes précautions. Il en a gardé la phobie d'être touché, ce qui aurait pu me poser problème. Mais non, le lien entre nous s'est avéré sentimental d'abord et avant tout.
Il faut dire que, jeune femme, j'ai connu pendant cinq ans l'enfer d'un premier ménage violent et ce, à l'étranger puisque mon mari de l'époque et moi avons commencé notre vie commune à Paris où nous étions étudiants tous les deux. Mon désarroi d'alors m'a conduite à me tourner vers le féminisme, lequel m'a permis de comprendre l'étendue de la maltraitance envers les femmes et de militer contre.
De retour au pays, douze ans ont passé pendant lesquels j'ai vécu seule. Échaudée, je ne cherchais pas à me remarier ni ne voulais d'enfant. Mon travail de traductrice et d'enseignante à l'Université me prenait tout mon temps, au point qu'à un moment donné, j'ai eu peine à honorer tous mes contrats. Ma rencontre avec Jean-Jacques, qui œuvrait aussi en traduction, m'a tirée d'affaire. Je l'ai mis à l'essai. Avec succès : il avait un style apte à bonifier le texte le plus médiocre ! Si bien qu'ensemble, nous avons fondé une entreprise.
Et les choses se sont enchaînées. Dans la maison que j'avais achetée sur les entrefaites, bien que chacun de nous y faisait appartement à part, notre relation nous est vite devenue indispensable, car, avons-nous découvert, nous pouvions y exprimer notre colère respective contre nos enfances muselées.
Sans doute faut-il voir dans notre histoire si atypique l'explication de notre rapprochement, encore plus grand depuis l'annonce faite par une pneumologue en janvier 2023 qu'il serait dorénavant forcé de recourir à une bonbonne d'oxygène en permanence. Et me voilà devenue assistante à la prise de pilules, aux déplacements, au réglage du CO2, au tri de papiers. Maintenant, chaque jour compte, nous le passons à discuter des aménagements concrets à faire dans notre mode de vie pour améliorer cette nouvelle phase de notre histoire commune. Le meilleur et le pire se sont confondus. J'espère qu'il en sera ainsi jusqu'à la fin.
En exil, s'ouvrir aux autres
Micheline, épouse aimante
Le mari avec qui vous me voyez aujourd'hui, ce n'est plus le même homme. Atteint d'Alzheimer, il redevient un enfant, et c'est en acceptant cette nouvelle forme de relation, que je continue de lui démontrer mon amour.
Au moment de notre mariage, début des années '70, il venait de sortir de l'Université avec un Bac en électrotechnique et une mineure en enseignement. Premier dans toutes les matières, il a reçu une invitation de la Québec Cartier Mining à venir visiter Gagnon, où on lui offrait un poste bien rémunéré et une maison sur place. Nous étions jeunes, ouverts à l'aventure ; de plus, cette invitation arrivait juste à point, car je venais d'être mise à pied par mon employeur. Notre réponse fut un « oui » enthousiaste.
Cette première expérience d'exil eut ses bons et mauvais côtés, mais elle ne nous découragea pas d'aller vivre ailleurs. C'est ainsi qu'au début de la décennie '80, cinq ans après notre expérience nordique, mon mari fut approché, cette fois, par la section internationale d'Hydro-Québec pour aller enseigner sa spécialité en Afrique. Là encore, nous fûmes partants, même si, nous avertit l'Ambassade, nous aurions, une fois sur le terrain, à censurer nos lettres et à éviter de prendre des photos. C'est seulement là-bas, que, face au spectacle déstabilisant de la misère de nos voisins autochtones, nous avons réalisé qu'en ce pays, le destin était le maître.
Parce que nous nous démarquions des colons sur place par notre simplicité de manières et notre absence de préjugés, on nous a adoptés, ce qui nous a protégés. Partant en voyage, par exemple, nous fûmes avertis de ne pas passer par un certain endroit. Mais la présence d'un danger toujours à redouter, me faisait peur. Par moments, il m'arrivait même de paniquer à la pensée de rester sans possibilité de retour.
Cette période reste pourtant dans mon souvenir comme la plus vivante de mon existence. Nous étions loin de chez nous dans un pays où la mort guette, c'est vrai, mais jamais nous n'avons oublié l'accueil des Africain·es quand ils ont compris que nous n'étions pas venus pour les humilier. Avec eux-elles, qui prenaient le temps de me saluer lors de mes promenades quotidiennes, je me sentais exister comme humaine. Cette sensation, impossible de l'avoir en restant dans son cocon, alors que, sur le qui-vive, la vie apparaît toujours belle et précieuse.
[1] Prénom fictif
Geneviève Manceaux est psychopédagogue et écrivain.
Le texte fait écho à notre dossier « La mort. Territoire politique et enjeu de pouvoir » paru dans notre numéro 98 et qui abordait le sujet selon ses dimensions politiques. Dans la même veine, nous vous invitons aussi à redécouvrir le dossier « Vieillir » de notre numéro 84.
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Il n’y a pas de mémoire révolutionnaire sans illustrations
Remi, alias Rémo, est illustrateur et bédéiste engagé. Depuis 2017, il réalise du dessin militant sur différentes causes et mobilisations, comme la grève de l'UQAM de 2019 ou les luttes décoloniales. Il s'est aussi investi auprès de la revue Fêlure. À l'occasion de la sortie de sa bande dessinée autobiographique L'Enfant-Homme, publiée par le collectif d'impression et d'édition féministe indépendant La Guillotine, À bâbord ! a souhaité s'entretenir avec lui.
À bâbord ! : Peux-tu nous parler un peu de ta BD ?
Rémo : Je l'ai rédigée et dessinée en 2020, en plein dans la pandémie. C'est ma première bande dessinée complète, c'est la première fois pour moi. Le thème central, c'est les abus, les abus sexuels, les abus de pouvoir. C'est un récit qui est tiré de ma réalité. Plus jeune, j'ai vécu une situation d'abus grave avec un ami de mon père qui est devenu mon employeur. Je travaillais de manière informelle chez lui : faire du jardinage, du ménage, des petits travaux… J'y ai vécu toutes sortes de violences : psychologiques, verbales et sexuelles. Bien sûr, j'étais très peu payé, bien en dessous du salaire minimum de l'époque. Cet homme compensait mon petit salaire en me donnant de l'alcool à volonté. Très jeune, je me suis donc mis à boire beaucoup, sur mon milieu de travail, c'était en quelque sorte ma paye. Ce contexte, le fait de lier ça au travail, ça a ouvert la porte aux abus. Je le pense maintenant : il n'y a pas une grande distance à parcourir entre être le maître des actions de quelqu'un et être le maître du corps de quelqu'un.
ÀB ! : Comment as-tu représenté ce contexte difficile ?
R. : D'abord il y a la présence continue de l'alcool, mais aussi une dimension cognitive, la mémoire, l'oubli. Subir la violence c'est trop douloureux, trop traumatisant. Ta mémoire l'élimine. Tu l'oublies, même si c'est arrivé la même journée. L'alcool augmentait cet effet. On veut oublier les abus et la violence sexuelle parce que ça fait trop mal. L'alcool endommageait ma mémoire et moi, je voulais qu'elle soit endommagée.
ÀB ! : À qui s'adressent ta BD et ton récit ?
R. : Premièrement, je l'ai fait pour moi. Je suis le premier lecteur, je l'ai fait parce que j'avais besoin de la faire. C'est un moyen de ne pas oublier. Il ne me restait que des flashs. En créant le récit et en le mettant sur papier, il ne peut plus s'envoler. Après, ça s'adresse à beaucoup de gens ! C'est sûr qu'il y a une expérience difficile et il faut une certaine maturité. Ça peut s'adresser autant à des adolescent·es qu'à des adultes. Mon but avec cette publication c'est de montrer une preuve des agressions, une version du moins. Ça se peut. Moi, je l'ai vécu. Si d'autres ont le même vécu, la BD est là pour leur dire : « moi aussi j'en ai vécu, de la violence sexuelle, ça existe ». Aussi, mon vécu est celui d'une agression au masculin, d'un homme et d'un adolescent. On en parle de plus en plus des agressions sexuelles et c'est une très bonne chose. Cette œuvre peut participer à la conversation d'un point de vue masculin, mais aussi le contexte d'abus liés au travail qui est très peu discuté.
ÀB ! : Quelle est la place de la BD pour aborder des sujets aussi difficiles ?
R. : La BD a sa place parmi les arts visuels dans l'ensemble, mais je pense que BD est en expansion au Québec. Il y a de plus en plus de gens qui en lisent, adolescent·es comme adultes. Il y a beaucoup de personnes au Québec qui sont intimidées par l'écrit, pour elles, la BD est un média plus accessible, moins intimidant qu'un roman ou des essais. La BD est un moyen artistique de plus. Aussi, il y a le récit comme tel. Pour moi, c'était très sensoriel : des ambiances, des sensations, des postures corporelles. Je me voyais mal passer ça par l'écrit. Il me fallait des illustrations. Par exemple, dans ma BD, il n'y a pas de décor, c'est des fonds noirs. Ça représente le souvenir, un morceau de mémoire qui flotte dans le vide, comme un cauchemar. Je me voyais mal faire flotter l'écriture pour transmettre ce message. Aussi, le personnage de l'agresseur, il avait plusieurs formes – c'était un ami de mon père, je l'aimais aussi, donc son visage se transforme. Avec la BD, ça passe mieux, on est habitué de voir les personnages changer selon la situation : la malléabilité des formes aidait mon propos avec la force de l'illustration.
Une amie m'a déjà dit : « il n'y a pas de mémoire révolutionnaire possible sans illustration ». Ça m'a marqué, je suis d'accord. Les causes et les difficultés décrites par les gens ont besoin de symboles. L'illustration est un marqueur facile : elle pose des bornes dans la mémoire.

Sans voix : carnets de recherche sur la radicalisation et l’islamophobie
Bochra Manaï, Sans voix : carnets de recherche sur la radicalisation et l'islamophobie, Éditions du Remue-Ménage, 2022, 144 pages.
Dans le cadre de la lutte à la radicalisation, Bochra Manaï souhaite « faire émerger les récits marginalisés et amplifier les paroles absentes ». C'est donc dans un souci de « jeter les bases d'une réelle conversation transformatrice » qu'elle partage la voix des personnes principalement concernées et affectées par le phénomène de radicalisation, mais aussi celle de diverses personnes musulmanes, dont elle-même, dans un contexte national et international d'islamophobie. À travers le partage de son expérience personnelle, des entrevues et rencontres tenues au cours de son projet de doctorat, des interpellations publiques et politiques, de la triste actualité qui opère en parallèle et de la couverture médiatique qui en découle, nous sommes amené·es à découvrir toute la toile d'influences de cette problématique sociale.
En situant ce contexte social et son impact sur les communautés ou les individus, l'autrice réoriente la réflexion autour des sources de la colère ou de la rupture pouvant mener à la radicalisation plutôt que d'associer cette source à la religion, qui ne devient qu'un instrument pour la canaliser. Elle déconstruit l'idée de la radicalisation comme état et met plutôt en lumière le processus d'exclusion qui mène à cette violence. Cette exclusion découle de la création d'un Autre, généralement défini par les systèmes d'oppressions comme le patriarcat, le racisme et l'âgisme. Bochra Manaï nous invite alors à réfléchir à « ce qui se trame derrière nos dénis dès qu'il s'agit d'islamité ou de jeunesse ». Le refus de reconnaître l'islamophobie ou le racisme systémique mène à l'incapacité de saisir l'exclusion sociale, notamment sur la question de légitimité de la parole, de la reconnaissance de l'expérience ou de l'opinion, d'une réelle écoute et donc, d'une rencontre. Cet argument est étayé d'exemples concrets de tensions sociales ayant émergées des événements autour de la présence musulmane : les débats polarisants sur les accommodements raisonnables, la création de la Charte des valeurs ou l'instauration de la loi 21, par exemple.
Pour briser ce cycle, les paroles rapportées et la proximité avec les réflexions et les émotions de l'autrice permettent la rencontre avec l'humain. Manaï nous invite à porter un regard honnête, empathique et sensible sur les vies qui sont impliquées dans ces enjeux souvent réduits à l'actualité polémique et à une action politique déconnectée. L'exemple du plan d'action gouvernemental créé afin d'agir sur la radicalisation démontre l'incompréhension, sinon le refus, de reconnaître et d'agir sur les fondements de cet enjeu et ce, malgré les demandes effectuées par les communautés musulmanes lors des consultations préalables. En effet, dans ce plan, la radicalisation semble déjà uniquement tournée vers les musulman·nes, mais de plus, l'enjeu de l'islamophobie n'y est simplement pas abordé. On en vient rapidement à voir comment une supposée mobilisation politique et citoyenne contre la radicalisation a, en fait, instrumentalisé, omis ou occulté les principaux concerné·es et les racines du problème en accroissant plutôt la sécurité et la vigilance au nom du vivre-ensemble. Sans surprise, un raté.
Au fur et à mesure, on prend aussi conscience de notre propre rôle comme lecteur·rice. Dans un contexte politique et médiatique où toutes les énergies du gouvernement caquiste servent à nier le racisme systémique et l'islamophobie plutôt qu'à essayer de les comprendre, et alors que le sensationnalisme l'emporte, personne n'est à l'abri de la polarisation. Et puisque la radicalisation découle, selon Bochra Manaï, d'une rupture sociale créée par une incompréhension mutuelle, ces carnets permettent la rencontre et favorisent le regard critique et la compréhension.

Fake news - Tout sur la désinformation
Nereida Carrillo et Aberto Montt, Fake news - Tout sur la désinformation, Les 400 coups, 2023, 120 pages.
Le tandem à la source de ce livre sur les nouvelles frelatées s'avère des plus pertinents à l'heure où, tellement souvent, nous sommes englué·es dans la toile et ses méandres. L'ouvrage, tant sur le front documentaire que sur celui d'une proposition graphique percutante, vient stimuler notre curiosité naturelle en prenant soin de nous épauler à devenir plus alertes et critiques face à l'information pléthorique se trouvant sur les internets. Par exemple, le principe de vérification a quelque chose d'incontournable afin de contre-valider l'actualité. On nous y présente ainsi des méthodes de vérification utiles comme PANTERA (provenance, auteur, nouveauté, ton, éléments de preuve, réplique, agrandir). Le grand mérite de ce livre n'est pas de fournir des vérités mais de laisser des questions ouvertes ; notamment au niveau de l'élargissement des perspectives quant à l'information ou encore, pourquoi tel sujet et pas tels autres ? Journaliste, chercheuse, enseignante – et aussi animatrice du projet d'éducation aux médias Learn to Check – Nereida est acrobate sur tous ces sujets. Il en va de même pour le dessinateur Alberto Montt, dont les personnages hyperréalistes et un peu fous (son trait a des parentés avec Gary Larson et Farside Gallery) ajoutent une valeur certaine au contenu. Le Pinocchio en couverture l'illustre à merveille…

Travailler moins ne suffit pas
Julia Posca, Travailler moins ne suffit pas, Écosociété, 2023, 144 pages.
Nous rêvons tous de moins travailler. Mais étant donné la place incontournable qu'occupe le travail dans nos vies, nous nous rendons rapidement compte qu'il y a un fossé à franchir entre cette pensée et sa réalisation. On se pose les questions suivantes : est-ce possible ? Est-ce souhaitable ? Quelles en seront les conséquences ? C'est à ces questions que répond adroitement la sociologue Julia Posca dans Travailler moins ne suffit pas.
La réduction du temps de travail a été une des grandes victoires du mouvement social depuis le XIXe siècle, alors qu'un ouvrier pouvait travailler de 10 à 16 heures par jour, pour un nombre estimé à 3000 heures par année. Les progrès sont tels que la prochaine étape consisterait à passer à la semaine de quatre jours, un choix parfaitement envisageable, d'après la démonstration de Posca. Mais avec la pénurie de main-d'œuvre, sera-t-il encore possible de poursuivre dans cette direction ? L'autrice montre que cette pénurie affecte surtout les secteurs où le travail est le plus difficile et les salaires les plus bas, là où les femmes sont majoritaires : le travail du soin et les services. Dans ces cas, il faut bien plus que la semaine de quatre jours pour empêcher ces personnes d'être traitées « comme de simples ressources susceptibles d'être reléguées à tout moment au rang de vulgaire déchet. »
Moins travailler a des conséquences sur la consommation, et incidemment, sur l'environnement. Il s'agit là d'un des aspects les plus intéressants de cet essai. Le développement du capitalisme, surtout dans sa période fordiste, a associé la diminution des heures de travail à une plus grande consommation qui fait rouler l'économie. Aujourd'hui, avec le réchauffement climatique et la crise environnementale, ce modèle ne peut plus tenir. Pour résoudre ce problème, il faut changer la forme des entreprises. La surproduction, les emplois inutiles, mais valorisés, les performances boursières des grandes entreprises sont autant d'obstacles qui font que même si on arrive à une réduction des heures de travail, le monde dans lequel nous vivons sera de plus en plus fragilisé. Julia Posca propose donc de mettre fin à la course au profit, par l'économie sociale, les services publics et les organismes sans but lucratif, davantage préoccupés par la qualité de vie et la justice sociale.
L'essai de Julia Posca, concis et très pédagogique, développe une réflexion globale sur le travail. Les sujets dont on parle beaucoup, comme la pénurie de main-d'œuvre, le rêve de prendre sa retraite à quarante ans, ou les liens entre travail et consommation, sont abordés dans une large perspective qui ramène les débats à leur racine : tout, dans le fond, demeure une question d'organisation sociale, et celle qui est la nôtre n'est pas une fatalité.
Mélanie Joly et ses conflits d’intérêts visés par les postiers en grève
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COP 30 : les communautés autochtones en première ligne pour l’environnement
Des vinyles de grève au streaming militant : le retour du son collectif

Îlot de la Caserne : poursuite des expropriations sur l’Île de Hull

L’histoire du Vieux-Hull, qui constitue le centre-ville du Gatineau actuel, est celle des expropriations et des évictions. Dans les années 1960 et 1970, des rues complètes ont été rayées de la carte pour faire place à des bâtiments publics, principalement du gouvernement fédéral. Il y eut des milliers de personnes déplacées. Certains parlent de 6000 exproprié·e·s et quelque 2000 logements démolis.[1]
Aujourd’hui, la ville de Gatineau vit une crise du logement[2]. Pourtant, les démolitions continuent. Sur l’Île de Hull, un parc immobilier vieillissant et souvent mal entretenu et un gouvernement municipal à l’écoute des promoteurs se combinent pour inviter à la spéculation immobilière et à la démolition. L’embourgeoisement fait son œuvre. On expulse les citoyens et citoyennes de leur quartier et on modifie le visage « ouvrier » historique du Vieux-Hull.
L’histoire de l’Îlot de la Caserne s’avère un microcosme de cette transition. Nous remercions Anna Salter et Bill Clennett de nous avoir accordé du temps pour documenter cette histoire. Anna est à l’origine d’un projet d’histoire orale qui expose le point de vue des personnes déplacées[3] et Bill Clennett est un militant de longue date à la défense des plus démuni·e·s, notamment pour revendiquer plus de logement social.
L’histoire de l’Îlot de la Caserne se déroule en 2023 et 2024 sur l’Île de Hull, à l’ombre du pont interprovincial reliant Gatineau à Ottawa. Un promoteur immobilier montréalais, Oktodev, y propose la construction d’un immeuble de 10 étages, comprenant 298 logements, à l’angle des boulevards Maisonneuve et des Allumettières. Puisque le secteur se situe à une relative proximité de la rivière des Outaouais, il est convoité depuis longtemps par les promoteurs.
Douze terrains sont au cœur de la saga de l’Îlot de la Caserne. La moitié de ceux-ci sont habités, ce qui soulève d’importants problèmes humains. Les six autres lots sont vacants et appartiennent à la municipalité de Gatineau. Cette partie de l’histoire pose l’enjeu du passage de terrains publics à des intérêts privés.
Le projet Îlot de la Caserne fait partie d’une nouvelle vague d’expropriations et d’expulsions sur l’Île de Hull, cette fois-ci l’œuvre des forces du marché. Les démolitions récentes[4] et celles revendiquées par les promoteurs se situent dans un continuum historique. Débutant par les expropriations massives des années 1970 par les gouvernements du Canada et du Québec, le continuum se poursuit plus récemment par la déstructuration et l’embourgeoisement de ce vieux quartier ouvrier avec l’arrivée de grandes tours. Plusieurs maisons acquises par les promoteurs, vidées de leurs occupantes et occupants, sont laissées à l’abandon en attendant le pic des démolisseurs.
Dans ce contexte, le projet de l’ensemble résidentiel de l’Îlot de la Caserne n’est pas insignifiant. Il illustre bien les contradictions d’une ville où les intérêts économiques liés à son développement – et donc, forcément, aux promoteurs – passent trop souvent avant ceux des citoyens et citoyennes qui l’habitent.
Évictions, démolitions : un enjeu humain
En novembre 2023, les ménages habitant au 206 boulevard Maisonneuve et du 223 au 237 rue Champlain reçoivent une lettre les avisant de quitter les lieux avant le 31 mars 2024, quelle que soit la date d’échéance de leur bail. Signé par une entreprise de gestion immobilière, Gestion Vesta[5], cet avis d’éviction les informe aussi que les démolitions commenceront en avril 2024, soit le mois suivant leur départ.
L’avis d’éviction a l’effet d’un électrochoc sur les personnes touchées. La majorité d’entre elles vivaient dans le quartier depuis plusieurs années, certaines depuis des décennies. Conscients de la possibilité d’un développement futur de leur quartier, tous ont un bail et se croient protégés par les lois du Québec. Personne ne s’attend à un déracinement brutal.
En raison d’un manque de connaissance de leurs droits, dont les droits spécifiques aux cas de démolition[6], les locataires n’ont pas compris qu’ils avaient le droit de rester dans leur logement jusqu’à la fin de leur bail. Ils ne le savaient pas, mais ni le promoteur ni la Municipalité ne les en ont informés. Avec une meilleure connaissance de la loi, les locataires auraient pu gagner un peu de temps. Par contre, même une connaissance fine de la règlementation gatinoise n’aurait pas permis à ce groupe de locataires de savoir que, par rapport à 2021, leurs droits de locataires étaient réduits. Cela, les locataires n’auraient pu le savoir, car la Ville de Gatineau est loin d’être transparente…
Un brin d’histoire
Que s’est-il passé en 2021, soit quelque temps avant la saga de l’Îlot de la Caserne ? Le même promoteur que celui derrière le projet de l’Îlot de la Caserne présente alors le projet Éléonore dans le même quartier, soit dans l’axe des rues Marston et Notre-Dame-de-l’Île. Celui-ci s’appuie aussi sur l’éviction de plusieurs locataires et la démolition de huit bâtiments, dont six « maisons allumettes ».
Les maisons allumettesLes maisons allumettes dominent le paysage urbain de Hull depuis plus de 150 ans. Construites en bois, ces maisons revêtent une apparence particulière. D’une façade étroite, construites en hauteur, avec un toit très pentu à deux versants, elles sont historiquement alignées les unes à côté des autres. Selon certains, cet agencement leur donne l’apparence d’allumettes cordées dans leur boite. L’historienne Michelle Guitard offre une autre interprétation de l’expression « maison allumette ». À l’époque, on achetait ces immeubles sur des catalogues. Sur la couverture d’un des catalogues, on retrouvait un dessin d’allumettes, un clin d’œil à la fabrique d’allumettes d’E.B. Eddy, un grand employeur de la région au début du XXe siècle. Peu importe l’origine du nom, pendant longtemps ce sont surtout les familles ouvrières qui habitent ces maisons. Aujourd’hui, les maisons allumettes sont menacées. Depuis 2021, la Ville de Gatineau a autorisé la démolition de 31 d’entre elles sur l’Île de Hull. En janvier 2025, un moratoire empêchant les démolitions futures est adopté, le temps de faire le point sur l’avenir de ce patrimoine bâti. ![]() |
Anna Salter, citoyenne nouvellement arrivée à Gatineau, vit à proximité du projet immobilier Éléonore, proposé par Oktodev. S’appuyant sur les règlements mêmes de la municipalité, Anna et un voisin demandent à la Ville de Gatineau de tenir des audiences publiques avant que les démolitions ne s’enclenchent. Les deux intervenants estiment que le promoteur ne respecte pas la procédure inscrite dans le règlement municipal concernant les droits des locataires.
La Ville refuse la demande, prétendant que les deux intervenants ne sont pas des « parties intéressées » puisqu’ils n’habitent pas les maisons touchées. Le promoteur obtient le feu vert et les démolitions se font. La Ville réécrit même le règlement municipal pour éliminer toute référence aux droits des locataires en cas de démolition. On y revient à la fin de l’article.
Impact sur les personnes
Les douze ménages du secteur de l’Îlot de la Caserne qui ont reçu un avis d’éviction en novembre 2023 pour une démolition prévue en avril 2024 croient qu’ils n’ont que quatre mois pour quitter les lieux, trouver un nouveau logement et déménager. Aux dires de Bill Clennett, « tout cela se fait au milieu d’une crise du logement sans précédent, avec des centaines de personnes sans-abri dans les rues de Gatineau… »
Au moins l’un des locataires évincés évoque ouvertement sa peur de se retrouver dans la rue : « Dès que je reçois l’avis d’éviction, je me précipite pour trouver un nouveau logement ». L’anxiété le pousse à quitter son domicile des mois avant d’y être obligé. Premier locataire à partir, il finit par payer beaucoup plus cher que pour son logement sur la rue Champlain, et cela, pour vivre dans un appartement situé dans un sous-sol et infesté de vermine.
Tous les locataires sont dévastés à la fois par leur éviction rapide et par l’incapacité qui en résulte de trouver un logement convenable. Tous paient un loyer beaucoup plus élevé après la relocalisation que celui payé avant.
« Donc, pour être clair, ces personnes ont été expulsées par une entreprise qui n’a pris aucune responsabilité pour leur trouver un autre logement convenable. » (Anna Salter)
Bref, toutes et tous se sentent laissés pour compte et seuls pour faire face à une situation qui leur est imposée, et ce, malgré les belles paroles rassurantes de Gestion Vesta que l’on retrouve dans l’avis d’éviction : « Sachez que nous travaillerons étroitement avec vous pour vous aider à vous trouver un nouveau logement et que nous demeurons disponibles pour tout questionnement que vous avez à ce sujet ».
Dans les faits, la compagnie ne respecte les droits des locataires ni en matière d’indemnisation ni par rapport au paiement de frais de déménagement tels que déterminés par la loi. À un locataire qui demande de l’aide, le gestionnaire affirme que la relocalisation incombe à l’évincé et que c’est le problème du locataire si son nouveau logement coûte trop cher !
Un témoignage résume bien la situation de chaque ménage exproprié :
«Je ne pouvais même pas trouver un 3 ½ pour un prix similaire à Gatineau, Et certainement pas un 4 ½ comme le logement d’où je me suis fait expulser. Je suis un employé de la ville de Gatineau, mais je ne réside plus à Gatineau, je ne peux plus me le permettre. J’ai été gentrifié de la ville qui est mon employeur[7].»
Plus que des bâtiments
Le projet de l’Îlot de la Caserne démolit bien plus que six bâtiments. Il détruit un écosystème urbain complexe, à commencer par sa communauté de vie. Outre le fait que certains locataires y vivent depuis des décennies, c’est une communauté d’une diversité remarquable : économiquement (fonctionnaires fédéraux et municipaux, camionneurs, employé·e·s de Postes Canada, étudiants et étudiantes, retraité·e·s), socialement (familles monoparentales, avec enfants, couples queers, célibataires), linguistiquement (anglais et français, entre autres langues) et composée de groupes variés (autochtones, haïtiens, asiatiques, africains).
« En tant que société, nous parlons souvent d’inclusion. Cette histoire est un exemple parfait de la façon dont notre discours sur l’inclusion est trop superficiel. Comme société, nous avons littéralement jeté un microcosme de diversité dans la rue. » (Anna Salter)
En détruisant un environnement mature du centre-ville, le projet immobilier de l’Îlot de la Caserne comporte un prix écologique. Un locataire déplore les répercussions du projet sur les oiseaux et les arbres de sa cour. Le nouvel immeuble de 10 étages perturbe l’équilibre architectural du quartier. Plusieurs maisons allumettes sont rasées. Les 298 logements prévus attireront une clientèle d’une autre classe sociale qui n’est pas celle qui réside sur l’île de Hull depuis plus de 150 ans. Et, ironie du sort, la caserne de pompiers numéro 3, citée comme patrimoniale en 1991 et dont le secteur porte le nom, sera largement éclipsée par le bâtiment moderne présentement en construction.
La cession de terrains publics à des intérêts privés
Pour réaliser le projet de l’Îlot de la Caserne, le promoteur a dû acquérir une douzaine de terrains. Pendant qu’il mettait la main sur des terrains habités en procédant à l’expulsion des locataires, il a dû conclure une entente avec la Ville de Gatineau pour acquérir des terrains vacants !
Un règlement de la Ville l’oblige à faire un appel d’offres public pour toute vente ou cession de terrains municipaux, mais quelques exceptions permettent à la Ville d’outrepasser le processus d’examen public. Dans le cas de l’Îlot de la Caserne, la Municipalité s’est justement prévalue d’une exception et la cession des terrains municipaux s’est faite sans examen public.
Claude Royer, de l’Association des Résident·e·s de l’Île-de-Hull (ARIH) l’a soulevé lors d’une audition du conseil municipal de Gatineau le 28 février 2023 : « Il est publiquement apparu dès 2022 qu’Oktodev comptait acheter les terrains de la Ville pour son projet, une vente à laquelle la Ville allait acquiescer sans vraiment suivre ses propres règles de mise en vente d’actifs immobiliers[8] ».
Bill Clennett abonde dans le même sens : « La vente des six terrains municipaux au promoteur pour son projet n’était pas conforme à la politique relative aux transactions immobilières. Les autorités municipales ont changé quatre fois leur justification de la vente de ces terrains pour conclure qu’elle était conforme à la politique à cause d’une offre d’achat, offre qui n’existait pas au moment où elles ont confirmé leur intention de recommander la vente des terrains[9] ».
Bref, en pleine crise du logement et peu de temps avant que la municipalité héberge des personnes itinérantes dans des conteneurs, la Ville a contourné son propre règlement pour faciliter le passage de terrains publics à des promoteurs privés. C’est comme si les autorités municipales ne saisissaient pas la belle occasion d’utiliser ses terrains disponibles pour des fins sociales, dont la construction de logements sociaux ou coopératifs.
Conséquences de l’embourgeoisement sur le Vieux-Hull
Les paroles déjà citées d’un employé municipal évincé de son logement à cause du projet de l’Îlot de la Caserne sont éloquentes : « J’ai été gentrifié de la ville qui est mon employeur ». Le projet immobilier de l’Îlot, comme ceux de Ludger-Duvernay et Éléanore, et celui à venir sur les rues Kent et Laval près de Victoria contribuent à la modification du visage « ouvrier » de l’Île de Hull. Un tel virage est voulu par les autorités municipales. En effet, le plan d’urbanisme s’appuie simultanément sur l’embourgeoisement du centre-ville et sur l’expulsion des personnes en situation de pauvreté. Le projet de l’Îlot de la Caserne s’insère dans ce plan.
Une autre façon de « moderniser » le centre-ville consiste à reconfigurer les logements existants. Autrefois, on subdivisait une maison allumette en deux ou trois logements, multipliant ainsi le nombre de logements sur un même espace. Maintenant, l’intention de la Ville est d’encourager les professionnel·le·s et leurs familles à racheter ces logements, à en expulser les locataires, et à les utiliser ensuite comme une maison unifamiliale haut de gamme.
Une situation qui amène Bill Clennett à conclure : « Entre la démolition de logements populaires existants au profit d’immeubles plus hauts et plus chers et la rénovation d’une partie du parc immobilier restant, la Ville obtient ce qu’elle veut. Et ce n’est rien de bon pour les gens qui vivent ici depuis de nombreuses années ».
Les retombées
Le court délai entre l’avis d’éviction et le début des démolitions n’a pas facilité une mobilisation citoyenne large pour s’opposer au projet de l’Îlot de la Caserne. Vu sur un continuum entre les projets passés et ceux à venir, cela témoigne que la soif de projets immobiliers ne s’étanche pas en ce qui concerne le centre-ville de Hull.
Cependant l’Îlot de la Caserne a réveillé les gens du quartier et a sensibilisé l’Association des Résident·e·s de l’Île-de-Hull sur l’enjeu des droits des locataires. Ce réveil n’a pas permis de faire dérailler le projet, mais la suite démontre une implication accrue des citoyennes et citoyens qui font davantage de pressions auprès des élu·e·s et dans les instances municipales concernant l’enjeu des droits et celui de la disparition du patrimoine bâti.
L’histoire de l’Îlot de la Caserne illustre le peu d’information disponible pour les personnes évincées concernant leurs droits de locataires qui doivent faire face à une éviction en vue d’une démolition. Le plus choquant est que les locataires évincés lors du projet précédent étaient « protégés » par un règlement municipal qui a été réécrit subséquemment… mais ils ne le savaient pas. Bref, la Ville de Gatineau a enlevé la protection des droits des locataires dans son règlement sur les démolitions.
Pour combler le manque d’information sur les droits des locataires, l’ARIH a produit, en 2023, un dépliant qui rassemble dans un même endroit les différents règlements municipaux que les locataires doivent connaitre pour pouvoir défendre leurs droits et pour effectuer une contestation en cas d’une démolition annoncée.
L’ARIH a aussi publié un recueil, Une histoire orale de démolition et d’éviction sur l’île de Hull : le projet de l’îlot de la caserne[10], qui permet aux citoyennes et citoyens impliqués dans les évictions à l’Îlot de la Caserne de faire entendre leurs voix. L’Association a utilisé ainsi l’histoire orale comme un outil pour la justice sociale et le changement social. Pour reprendre les mots de l’historien social anglais, Paul Thompson : « L’histoire ne doit pas seulement réconforter ; cela doit offrir un défi et une compréhension qui aident au changement ».
L’Histoire orale
« J’adorerais que le livret soit lu et que son histoire rayonne. Parce que son objectif était de dire, vous savez, que les promoteurs ont gagné dans le sens où ils ont réussi à expulser prématurément les locataires et à ne donner à la majorité d’entre eux aucune compensation financière.
Mais cela ne veut pas dire qu’en tant que quartier, nous avons complètement perdu notre voix. En fait, nous avons essayé de reconquérir notre pouvoir à travers quelque chose comme cette histoire orale. Nous avons toujours une voix. » (Anna Salter)
Petite victoire
En janvier 2025, à la suite des nombreuses interventions de l’ARIH et des citoyennes et citoyens concernés, la Municipalité de Gatineau adopte des modifications significatives au règlement municipal sur les démolitions, dont des modifications en faveur des droits des locataires. Ce faisant, la Ville « répare l’erreur de 2021 », selon l’élu du district de Hull-Wright, Steve Moran.
L’erreur en question était le retrait de l’obligation pour les promoteurs eux-mêmes, ou pour leur compagnie de gestion immobilière, d’informer les locataires de leurs droits dans le cas d’une démolition. Ces droits portent sur le délai pour évincer un locataire et sur les indemnisations.
Les interventions du milieu n’ont pas forcé le promoteur à reculer sur le projet de l’Îlot de la Caserne, mais elles ont forcé les autorités municipales à revoir leurs règlements injustes. Il reste à revendiquer et à obtenir l’obligation de consulter la population si jamais une autre administration municipale tente de restreindre à nouveau les droits des locataires.
Par Vincent Greason, militant sociocommunautaire
- Cet article se base sur une entrevue effectuée en anglais avec Bill Clennett et Anna Salter le 24 janvier 2025. L’entrevue a été réalisée par Vincent Greason. ↑
- François Saillant, La situation du logement à Gatineau et son impact sur les droits humains, Montréal, Ligue des droits et libertés, 2021. ↑
- Daniel Cayley-Daoust et Anna Salter, Une histoire orale de démolition et d’éviction sur l’île de Hull : le projet de l’îlot de la caserne, Gatineau, Association des Résident·e·s de l’Île-de-Hull (ARIH), 2024. ↑
- Anne-Charlotte Carignan, « Une trentaine de démolitions de maisons allumettes autorisées depuis 2021 », Radio-Canada, 28 mars 2024. ↑
- Gestion Vesta est une compagnie gatinoise embauchée par les promoteurs montréalais principalement pour ramasser l’argent des loyers des locataires. ↑
- Le cas de l’Îlot de la Caserne met en relief la différence entre les droits des locataires évincés lors d’une « rénoviction » et ceux évincés lors d’une démolition. Les locataires faisant face à une rénoviction sont protégés par le Tribunal administratif du logement (TAL), autrefois la Régie du logement. La Loi sur l’aménagement et l’urbanisme encadre les cas de locataires en situation d’une démolition. Voir aussi : Martin Comtois, « Adieux difficiles aux maisons allumettes : des locataires plient bagage à contrecœur », Radio-Canada, 29 mars 2024. ↑
- Cayley-Daoust et Salter, 2024, op. cit., p. 23. ↑
- Cayley-Daoust et Salter, ibid., p. 59. ↑
- Ibid., p. 55. ↑
- Cayley-Daoust et Salter, 2024, op. cit. ↑
L’âme de l’île Saint-Barnabé
Salvador : les mouvements sociaux au front contre les attaques de Bukele

Insurrection judiciaire ?
C'est l'expression employée par Stephen Miller, suprémaciste blanc et actuel chef-adjoint du cabinet de Donald Trump, après qu'un juge de l'Oregon ait eu le culot de suspendre la décision d'envoyer 300 militaires de la garde nationale dans les rues de Portland.
Contrairement à cet épigone du propagandiste nazi Joseph Goebbels, le juge n'a pas réussi à voir dans les mobilisations contre la chasse aux migrant·es et l'Immigration and Customs Enforcement (ICE), un « danger de rébellion ». Il n'a pas non plus constaté que la ville était une « zone de guerre » infestée de « terroristes de l'intérieur ».
Pour la défense de Stephen Miller, on doit reconnaitre que le silence assourdissant des Démocrates et l'apathie sidérante des centrales syndicales étatsuniennes, peuvent laisser croire que les juges et le système judiciaire étatsuniens sont effectivement l'avant-garde de la résistance et les seuls capables de se soulever contre l'ordre établi, contre les atteintes aux droits des femmes, les licenciements de masse de ces « traitres » de fonctionnaires et la politique néofasciste et écocidaire de Trump, Vance, Hegseth, Bondi etc. On entend effectivement davantage parler du succès de la formule « See you in court » lancée par la gouverneure du Maine, Janet Mills, à Donald Trump en février 2025, des « revers judiciaires » de son administration en matière de droits de douane, des actions judiciaires de jeunes militant·es contre la politique pétrolière de l'administration Trump, des petits cabinets d'avocats « prêts à en découdre », que des appels à la mobilisation de l'AFL-CIO ou des Démocrates.
Certain·es pourraient avoir la même impression au Québec. L'absence d'alternative crédible à gauche et de mobilisations syndicales contribuent également à laisser croire que seuls les tribunaux sont aujourd'hui en mesure de s'opposer aux attaques systémiques du gouvernement Legault contre les services publics, les droits de la classe ouvrière, des femmes, des étrangères et des étrangers, contre l'environnement et plus récemment, contre les fonctionnaires qui se « revirent de bord » .
De fait, à chaque nouveau projet de loi liberticide, à chaque remise en cause des droits des travailleurs et des travailleuses (laïcité, PL21 ; droit de grève, PL89 ; liberté syndicale, PL993 ; Santé et sécurité au travail, PL101 etc.), à chaque nouveau scandale financier ou environnemental (Northvolt, Saaqlic, IBM, Stablex, Amazon, Fonderie Horne, Airbus etc.) Québec solidaire et les centrales syndicales ne manquent pas de s'insurger avec véhémence, dans les médias ou en commission parlementaire et d'organiser des petites manifestations. Ils clament que la « coupe est pleine », que « trop c'est trop », qu'on ne se laissera pas faire etc. Puis, le temps d'un nouveau scandale, on apprend qu'un recours judiciaire a été déposé. Et on passe au scandale suivant et au recours suivant.
Certes, les victoires judiciaires sont toujours bonnes à prendre ; que ce soit l'annulation d'une procédure d'expulsion d'un sans-papier, la suspension d'un décret qui restreint le droit à l'avortement ou, pour prendre un exemple exotique et rafraichissant car tellement inespéré, la condamnation d'un ancien président de la République française pour association de malfaiteurs. Pour toutes ces raisons, il n'est pas question ici de suggérer de déposer l'arme du droit sans combattre.
Mais faut-il pour autant délaisser le terrain de la construction de solidarités, de l'unité et de la mobilisation sociale ? En effet, comment expliquer l'effacement des Démocrates et de l'AFL-CIO lors des manifestations historiques du « No kings protests » de juin 2025 ? Comment expliquer l'effacement de Québec solidaire et la division syndicale lors de la grève historique des enseignantes, à l'automne 2023 ? Comment expliquer qu'après la plus importante attaque de ces quarante dernières années contre le droit du travail, selon les centrales syndicales elles-mêmes, il ait fallu plus de huit mois pour qu'elles appellent à une manifestation intersyndicale... le 29 novembre prochain ?
En attendant des réponses, ces éléments factuels peuvent effectivement donner l'impression que le « See you in court » s'est substitué au « On se voit à la manif » ; que l'espoir d'une insurrection judiciaire, historiquement et sociologiquement hautement improbable, s'est substitué à celui d'une insurrection socialiste, antiraciste, féministe, écologique, internationaliste qui n'a peut-être jamais été si nécessaire et urgente.
Martin Gallié, 8 octobre 2025
PS : et pour se faire une idée de Portland comme "zone de guerre", une vidéo d'une manifestation devant les bureaux de l'ICE à Portland, le 7 octobre 2025 : https://www.facebook.com/jamie.alongi.33/videos/24710589775260304/?idorvanity=959208695816460
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Le STTP et le scandale néolibéral
En 2000, Postes Canada achète 50% des actions d'Intelcom Express. Le processus a suscité la controverse, car Intelcom avait des liens avec le Parti libéral du Canada. Les critiques ont mis en doute l'équité du processus décisionnel chez Postes Canada. Les actions ont été rachetées par Intelcom Express en 2007.
2 octore 2025
Intelcom Courier Inc. était à l'époque un important donateur libéral, dont le fondateur et président-directeur général, Daniel Hudon, était également collecteur de fonds et ancien membre du comité des finances de l'aile québécoise du Parti libéral du Canada, dont le président était nul autre que… Clément Joly, père de Jean-Sébastien et Mélanie Joly (1)
André Ouellet, le PDG de Poste Canada qui avait autorisé le rachat d'Intelcom par la société d'État avait été éclaboussé en 2004 par un rapport de vérification de la firme Deloitte Touche, commandé dans la foulée du scandale des commandites, qui lui reprochera d'être « intervenu à maintes reprises dans l'attribution de contrats totalisant 35 millions » et d'avoir « demandé à ses subalternes de trouver du travail à plus de 80 personnes ». (2)
Ancien directeur financier chez Mediagrif, Jean-Sébastien Joly s'est joint à Intelcom en 2007 comme vice-président, finances et opérations, et a racheté l'entreprise à son fondateur, Daniel Hudon, en 2017, avec la participation de la Caisse de dépôt et de la Banque de développement du Canada (BDC). (3)
Avec le soutien de la CDPQ (Caisse de dépôt et placement du Québec), reconnue pour son mépris des travailleurs, le frère de la ministre Joly entame une grande expansion des activités de la compagnie. En quelques années, l'entreprise fait bâtir des centres de tri à Montréal et Toronto qui représentent des investissements de 31 millions de dollars. Durant la même période, leur nombre d'employés passe de 300 à 2500 plus 3000 « indépendants » qui sont en réalités des travailleurs précaires.
Pendant la grève de décembre 2024, Postes Canada a d'ailleurs fait appel à des briseurs de grève en ayant recours à des sous-traitants comme Purolator et Intelcom pour expédier des colis qui devaient être traités par les grévistes.
Jusqu'en 2022, aucune mesure de prévention des conflits d'intérêts n'empêche Mélanie Joly de donner un traitement préférentiel à la compagnie de son frère. Il y a trois ans, un « filtre » anti-conflits d'intérêts, administré par la sous-ministre et la cheffe de cabinet de Joly, est mis en place pour s'assurer que la ministre ne favorise pas l'entreprise de son frère. (4)
Mais ce n'est que de la poudre aux yeux, Melanie Joly n'a plus besoin de favoriser l'entreprise de son frère, c'est déjà fait. Elle et son gouvernement, en s'activant à démanteler le système postal public, visent nécessairement à avantager les compagnies privées comme Intelcom au détriment de Poste Canada.
L'acharnement du gouvernement libéral n'a rien à voir avec la supposée problématique de rentabilité. Cette offensive est de deux ordres, premièrement le transfert du service de livraison des colis vers les compagnies privées, qui font dans l'ensemble d'énormes profits, et l'affaiblissement de la combativité ouvrière. Donc des profits plus grands pour leurs amis, les dirigeants de ces compagnies et la réduction des salaires ainsi que l'affaiblissement des conditions de travail et surtout de la combativité ouvrière.
Tel est le motif du Parti Libéral de Carney en ce moment, affaiblir les syndicats, les salaires et conditions de travail pour enrichir encore plus les entreprises. Le cas d'Intelcom en est un exemple. Il n'exploite pas de véhicules de livraison puisqu'e cette compagnie le donne en sous-traitance à de petites et moyennes entreprises qui offrent ce genre de service. (5) Ce fonctionnement rend encore plus difficile la syndicalisation puisque ce sont des employéEs assujettis à contrat individuel. Au lieu de travailleurs et travailleuses syndiqués avec des conditions de travail et salariales décents, le travail est transféré vers des entreprises où les travailleurs sont atomisés et sans rapport de force.
Le gouvernement libéral ainsi que la direction de Poste Canada ont donc fabriqué un récit de crise financière qui camoufle leur véritable objectif. Pour ajouter au scandale, Poste Canada a du admettre, lors d'une période de questions avec des députés, avoir versé des millions de dollars en primes à sa haute direction au cours des deux dernières années. Si une entreprise perd de l'argent et se dirige vers la faillite, pourquoi ses dirigeants recevraient-ils des primes ? (6)
Postes Canada est actionnaire à 91 % de Purolator. Les revenus de Purolator au cours des quatre dernières années se sont élevés en moyenne à environ 2,5 milliards de dollars. Postes Canada a donc sommes toutes beaucoup d'argent, mais ce que cela signifie également c'est que si Postes Canada avait le privilège exclusif de la livraison du colis comme c'est le cas pour la poste-lettre, il serait bien au-dessus du seuil de rentabilité.
Suite à la création d'un syndicat, Amazon a fermé ses sept installations au Québec, ce qui a entrainé le licenciement d'environ 2000 personnes. Intelcom avait déjà signalé, qu'elle était prête à prendre la relève. « Nous avons une relation de longue date avec [Amazon] et nous continuerons de collaborer étroitement pour équilibrer leurs besoins de livraison au Québec », avait souligné l'entreprise dans une déclaration. Mais Intelcom n'exploite pas de véhicules de livraison, les employéEs licenciéEs ne seront donc pas repris et les emplois sont maintenus en situation précaire de sous-traitance.
Postes Canada persiste à imposer des reculs, la mobilisation s'organise
Selon le syndicat pratiquement tout ce qui figurait dans les offres patronales de mai dernier reste inchangé. Les dernières offres comportent toutefois quelques nouveaux reculs, notamment l'abolition de la sécurité d'emploi, une zone de réaménagement des effectifs de 60 km lors des réorganisations et des suppressions d'emplois directe. La présidente du syndicat Jan Simpson dénonce l'attitude de Postes Canada qui a fait attendre les membres du syndicat 45 jours pour leur présenter des offres pires que celles rejetées en août. Postes Canada savait pertinemment que les membres ne pourraient pas accepter ces nouvelles offres, elle cherche clairement à gagner du temps. (7)
Les membres du syndicat ont démontré leur détermination. Ils ont été mobilisés partout à travers le Canada. À Montréal ils ont innové en organisant conjointement une manifestation avec le Syndicat des employées d'entretien de la STCUM (CSN) également en grève. Devant une offensive patronale et gouvernementale qui s'en prend à tous les syndicats, l'organisation d'une riposte intersyndicale est une initiative qu'il faut saluer, il faut maintenant qu'elle devienne populaire. Tous les mouvements et organismes progressistes de gauche doivent maintenant emboiter le pas dans ce mouvement.
Sources :
(1) https://www.lautjournal.info/20250523/melanie-joly-amazon-et-intelcom-un-parfum-de-favoritisme-et-de-privilege
(2) Idem
(3) https://etoiledunord.media/2025/03/la-compagnie-sous-traitante-pour-amazon-au-quebec/
(4) Idem
(5) https://www.lapresse.ca/affaires/entreprises/2025-01-24/sous-traitant-d-amazon/grosse-prise-immobiliere-pour-intelcom.php#
(6) https://www.prpeak.com/sponsored/postal-workers-have-their-say-9902307
(7) https://www.sttp.ca/fr/postes-canada-ne-prend-pas-les-n%C3%A9gociations-au-s%C3%A9rieux
Un LOUPerivois dans la bergerie : Les gars, sacrament !

L’État sans la libération : la réponse de l’Europe face au génocide en Palestine
Depuis octobre 2023, l'assaut colonial d'Israël contre Gaza a produit l'une des plus grandes catastrophes de l'histoire récente — un génocide en cours rendu possible par les puissances occidentales qui soutiennent Israël, et qui se poursuit sans relâche malgré l'immense solidarité mondiale pour la Palestine.
En réponse à cette catastrophe, plusieurs États européens ont commencé à reconnaître l'État de Palestine. En septembre 2025, la France, le Royaume-Uni, la Belgique, entre autres, ont reconnu l'État palestinien. La vague récente de reconnaissances symboliques, initiée en 2024, semble désormais être la seule mesure que beaucoup de puissances européennes soient disposées à prendre face au génocide, après deux années de soutien moral, militaire et diplomatique continu au régime israélien.
Parce qu'il est impératif de faire entendre les voix palestiniennes à ce sujet, nous publions cet entretien avec trois analystes politiques du think tank palestinien al-Shabaka— Diana Buttu, Inès Abdel Razek, et la codirectrice d'al-Shabaka, Yara Hawari – initialement publiésur leur site.
Réalisé le 14 août 2025 sous la forme d'une table-ronde, cet entretien aborde les questions suivantes : pourquoi les pays européens reconnaissent aujourd'hui l'État palestinien, soit près de quarante ans après sa proclamation en 1988 ? Quels intérêts politiques motivent cette vague de reconnaissances ? Et que signifie reconnaître un État palestinien, sur le papier, tout en soutenant l'État colonial israélien ?
1 octobre 2025 | tiré de contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/palestine-etat-sans-liberation-genocide/
La reconnaissance de l'État palestinien constitue-t-elle une réelle avancée ?
Diana Buttu : Il est essentiel de replacer la vague actuelle de reconnaissances dans un contexte historique. L'effort pour obtenir la reconnaissance de l'État palestinien n'a pas commencé en 2024 comme réponse au génocide ; il remonte à 2011. À la suite de l'assaut israélien sur Gaza en 2008-2009, l'Autorité Palestinienne (AP) s'est retrouvée politiquement démunie.Avec l'effondrement du cadre de négociation basé sur la solution à deux États et sans processus de paix en vue, le président Mahmoud Abbas s'est tourné vers l'arène internationale.
Privé de stratégie viable, Abbas a lancé la campagne pour la reconnaissance avec deux objectifs : renforcer la position de l'Autorité Palestinienne — dont le rôle d'entité transitoire avait depuis longtemps expiré — et retrouver une place sur la scène politique. Désormais surtout connue pour son rôle de sous-traitant sécuritaire du régime israélien, l'AP avait un besoin urgent de légitimité. En même temps, la campagne offrait aux États européens un moyen d'éviter la confrontation avec Israël — confrontation qui aurait exigé des mesures telles que des sanctions ou des embargos.
Ce cas de figure s'est répété en 2024, lorsque l'Irlande, l'Espagne, la Norvège, la Slovénie, et plus récemment la France et le Royaume-Uni, ont accordé une reconnaissance en réponse au génocide en cours. La stratégie sert à la fois l'AP et les États européens : elle soutient une autorité discréditée tout en offrant aux puissances occidentales un moyen commode d'éviter toute responsabilité.
D'où un certain illusionnisme politique. L'idée selon laquelle la reconnaissance déclenchera une action internationale est sans fondement. Si le monde n'est pas capable d'intervenir pour arrêter un génocide, pourquoi agirait-il simplement parce qu'un État membre de l'ONU en occupe un autre ?
Inès Abdel Razek : Ce que nous voyons dans la dernière vague de reconnaissances européennes n'est pas un soutien à l'autodétermination palestinienne ; c'est une approbation politique de l'Autorité palestinienne (AP). Par exemple, la Norvège a centré sa reconnaissance sur l'AP et son infrastructure institutionnelle. Ce recadrage mine l'autodétermination palestinienne et ne satisfait même pas aux critères juridiques les plus élémentaires de l'État. Après tout, l'Autorité Palestinienne n'exerce aucun contrôlesur les frontières, l'espace aérien, les ressources naturelles ou le territoire — Israël s'en charge. La reconnaissance de la Norvège a donc été accordée à une entité politique opérant sous contrôle israélien, dépourvue tant de souveraineté que de légitimité démocratique.
Pire encore, les gestes symboliques comme la reconnaissance passent souvent pour des actes de courage moral là où il est surtout question, en réalité, d'assurer ses arrières diplomatiques. Même les lobbyistes pro-israéliens ont reconnu que de telles démarches ne changent rien à la réalité sur le terrain. Elles permettent plutôt aux États de donner l'impression d'agir tout en éludant leurs obligations légales d'imposer des sanctions à Israël.
Tout ceci reste en phase avec la stratégie globale d'Israël : détruire, déposséder, puis pousser les Palestinien·nes à négocier des miettes selon des conditions dictées par la puissance occupante. Des accords d'Oslo dans les années 1990 jusqu'aux mécanismes humanitaires actuels à Gaza, le régime israélien a constamment manœuvré pour rester maître du jeu. La reconnaissance symbolique d'un État palestinien ne fait que récompenser cette manipulation. L'indignation affichée par les responsables étatsuniens et israéliens face à la reconnaissance de l'État palestinien est, bien entendu, purement théâtrale.
Dans ce contexte, le génocide à Gaza, en guise de conséquences, a droit à des cérémonies. L'AP reste avant tout préoccupée par son image et les États occidentaux font des gestes symboliques, tandis que les Palestinien·nes restent privé·es à la fois de justice et d'État, et que se creuse le fossé entre la réalité vécue et les gesticulations internationales.
Yara Hawari : Nous devons être clairs sur ce qui est réellement reconnu lorsque des États déclarent leur soutien à « l'État de Palestine ». Loin d'être une reconnaissance de souveraineté, il s'agit avant tout d'une fiction diplomatique. Fondamentalement, elle codifie un récit de partition coloniale visant la fragmentation de la Palestine historique en enclaves géographiques et politiques.
Ce type de reconnaissance n'est pas seulement inefficace — il est dangereux. Il renforce un cadre étroit de partition qui réduit la « Palestine » à la Cisjordanie et à Gaza, et le peuple palestinien à moins de la moitié de ce que nous sommes.
Pour les États européens, la reconnaissance sert de diversion face à leur complicité. Ces déclarations ne s'accompagnent le plus souvent d'aucune sanction, d'aucun embargo sur les armes, ni d'aucun engagement concret en faveur du démantèlement de l'occupation ou l'apartheid. Elles opèrent plutôt comme des gestes symboliques dans le domaine juridique tout en protégeant Israël de toute responsabilité pour crimes de guerre et violations systémiques.
L'affirmation selon laquelle la reconnaissance donnerait accès à des forums internationaux et pourrait aider à équilibrer le terrain diplomatique est à la fois naïve et trompeuse. Les États ne sont pas égaux dans l'ordre mondial. Les États-Unis, avec leur droit de veto, s'assurent qu'Israël n'a jamais aucun compte à rendre. Et en tant que principal allié d'Israël, ils font en sorte que les Palestinien·nes ne négocieront jamais sur un pied d'égalité.
Et c'est tout le problème : nous ne sommes pas un État souverain. Nous sommes un peuple colonisé, assiégé et occupé, confronté à un génocide à Gaza. Tout engagement politique sérieux doit partir de cette réalité, et non de l'illusion d'un État qui n'existe pas. Au lieu de stopper le génocide et la famine forcée — largement facilités par ces mêmes États qui offrent une reconnaissance — on nous demande de nous concentrer sur un État chimérique que personne n'est disposé à faire advenir. Voilà une incohérence qui en dit long.
Que révèle la récente vague de reconnaissances de l'État palestinien sur la manière dont les États abordent leurs responsabilités juridiques au regard du droit international ?
Inès Abdel Razek : La plupart des gouvernements continuent d'opérer dans le cadre dépassé du soi-disant processus de paix au Moyen-Orient. Ce cadrage domine encore la façon dont la Palestine est abordée et oriente presque toutes les décisions politiques actuelles. Nous l'avons vu, par exemple, lors de la conférence sur la solution à deux États, co-parrainée par l'Arabie saoudite et la France à l'ONU, à New York, fin juillet.
Tout l'événement a été structuré autour de l'idée qu'il y a « deux parties » en conflit. Ce cadrage reste omniprésent, comme en témoignent les remarques récentes du Secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, affirmant que la seule solution viable demeure la solution à deux États, « avec Israël et la Palestine vivant côte à côte dans la paix et la sécurité ». Ce langage présente la situation comme un différend mutuel entre égaux, escamotant la réalité de l'occupation, de l'apartheid et d'une agression unilatérale.
Nul mention de colonisateur et de colonisé. Aucune reconnaissance d'un agresseur et d'un peuple assailli. Aucun constat d'occupation ou d'apartheid. Cette fausse équivalence n'est pas seulement trompeuse — c'est un piège politique dangereux.
Il faut en finir avec ce paradigme du processus de paix, et sur le terrain juridique, les choses sont déjà claires quant à l'action que les États devraient mener. La Cour internationale de justice (CIJ), dans ses avis consultatifs de 2004 et 2024, font valoir un cadre juridique de responsabilité qui offre un recours à l'impasse politique du cadre à deux États.
En effet, les avis juridiques de la CIJ placent la communauté internationale devant la responsabilité qu'elle a à agir, et non à s'en tenir au rôle de médiatrice. Pourtant, les grandes puissances continuent de s'abriter derrière leur prétendue neutralité et la fausse symétrie, protégeant Israël contre toute conséquence et éludant toute responsabilité. Tant qu'on parlera des « deux côtés », l'impunité israélienne se renforcera, et le génocide ne fera que s'aggraver.
Diana Buttu : Ce qui est particulièrement troublant, c'est que même cette reconnaissance symbolique reste piégée dans la logique des négociations bilatérales. Elle est encore enracinée dans l'idée que les Palestinien·nes doivent négocier chaque aspect de leur liberté, comme si la libération devait toujours être conditionnelle, graduelle et soumise à l'appréciation de leur colonisateur. Et nous n'arrivons pas à sortir de cette logique.
C'est précisément ainsi que l'Europe, en particulier, a cherché à s'absoudre de responsabilités plus profondes. Les gouvernements européens continuent d'agir comme s'ils étaient des observateurs neutres, comme si leurs mains étaient liées. Mais ils ne sont pas neutres. Ce sont des acteurs tiers avec des obligations contraignantes en droit international : reconnaître l'occupation pour ce qu'elle est, ne pas en favoriser la poursuite et travailler à y mettre fin. Ce sont des obligations qu'ils choisissent d'ignorer.
Yara Hawari : Je préférerais voir les États reconnaître le génocide plutôt que de reconnaître un État palestinien. En droit international, la reconnaissance d'un génocide entraîne des obligations claires : les États sont tenus de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour le prévenir et l'arrêter. Je ne me fais pas d'illusion sur le fait qu'ils rempliraient ces obligations, mais au moins le cadre juridique existe, et la pression qu'il induit est réelle.
Choisir plutôt de se focaliser sur la reconnaissance d'un État palestinien permet commodément aux États de se décharger de leurs responsabilités juridiques au titre de la Convention sur le génocide et du droit international humanitaire. On fait ainsi mine d'agir, tout en s'épargnant le fardeau qu'impliquerait tout engagement significatif.
De manière plus générale, on a investi une énergie démesurée — même parmi certains alliés et soutiens — dans la reconnaissance de l'État palestinien. Mais si nous devons continuer à nous engager dans l'arène juridique internationale, l'accent doit être mis sur la responsabilité. La responsabilité est le seul chemin viable pour arrêter les horreurs qui se déroulent à Gaza et le seul moyen d'empêcher qu'elles ne se répètent.
De plus, la reconnaissance d'un État palestinien ne dissuade en rien de nouvelles violences. Elle n'a pas la même force juridique, et n'entraîne pas les conséquences requises par la reconnaissance d'un génocide en cours — en ce moment même — à Gaza.
L'Europe utilise-t-elle la reconnaissance d'un État palestinien pour faire avancer la normalisation arabo-israélienne ?
Yara Hawari : Nous avons récemment vu émerger un nouveau récit : l'idée que la reconnaissance d'un État palestinien par des pays européens pourrait servir de passerelle à la normalisation saoudienne avec Israël. De cette façon, la reconnaissance ne concerne pas les droits ou la justice pour les Palestinien·nes, mais devient une monnaie d'échange dans le cadre plus vaste de la géopolitique régionale. L'idée est simple : plus les États européens sont nombreux à reconnaître la Palestine, plus il devient facile pour l'Arabie saoudite de justifier la normalisation de ses liens avec Israël.
C'est une logique profondément transactionnelle et un marché de dupes. Comme nous l'avons déjà dit, la reconnaissance est au mieux symbolique. Elle n'offre aucune garantie aux Palestinien·nes d'arrêt du génocide, de démantèlement de l'occupation, ou de réalisation de leurs droits inaliénables. Mais pour le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane, la reconnaissance fournit une couverture politique commode pour ce qu'il vise depuis longtemps : des relations normalisées avec Israël.
C'est ce qui rend ce moment si dangereux. L'anti-normalisation – autrefois position de principe à échelle régionale, considérant qu'Israël est un régime colonial de peuplement construit sur la dépossession des Palestinien·nes – a été presque entièrement abandonnée au niveau étatique. Un système de récompenses s'y est durablement substitué : normalisez avec Israël, et vous bénéficierez de mesures incitatives, militaires, économiques ou diplomatiques, en particulier de la part des États-Unis.
Les Accords d'Abraham ont rendu cette logique explicite ; accords transactionnels et non réalignements idéologiques. Malgré cela, les opinions publiques dans la région restent fortement attachées à laPalestine et opposées à la normalisation. Mais les gouvernements continuent d'agir en sens inverse.
Ce à quoi nous assistons à présent, c'est la reconnaissance utilisée non pas comme outil de justice, mais comme leurre politique. Les reconnaissances européennes donnent aux régimes arabes, en particulier à l'Arabie saoudite, l'excuse dont ils ont besoin pour normaliser leurs relations avec Israël, tandis que les Palestinien·nes continuent de faire face au génocide, à la famine et à l'occupation.
Diana Buttu : Ce qui est frappant à propos de la normalisation, c'est que les Israéliens, dans l'ensemble, y sont indifférents. Ce n'est même plus un sujet de débat public. Même lors des négociations de normalisation de 2020 dans le cadre des Accords d'Abraham, la chose n'eut pratiquement aucun écho dans l'opinion publique israélienne ; ni enthousiasme, ni grand débat.
Après tout, ces accords ne se sont accompagnés d'aucune interactions entre les peuples concernés eux-mêmes. A ce niveau-là, ils furent un échec. Et en termes d'avantages pour les États signataires, ils n'ont rapporté guère plus que des contrats sécuritaires et une coopération en matière de renseignement, qui étaient probablement l'objectif principal dès le départ.
En réalité, les informations concernant une éventuelle normalisation avec l'Arabie saoudite n'ont que peu de signification pour le public israélien. Cela ne les concerne tout simplement pas. Plus le prince héritier saoudien et les dirigeants européens poussent à la normalisation — désormais liée à la reconnaissance de l'État palestinien — plus l'enjeu semble déconnecté des réalités populaires.
Les sondages montrent que la majorité des Israéliens s'opposent à de telles démarches, non pas par solidarité avec les Palestinien·nes, mais parce que la normalisation ne leur apporte rien. Beaucoup d'Israéliens ne peuvent même pas citer cinq pays arabes, et encore moins exprimer un intérêt pour la région. Leur orientation culturelle et politique est tournée vers l'Europe, pas vers le monde arabe.
En fait, nous sommes face à un paradoxe étrange. Les dirigeants régionaux et occidentaux promeuvent avec empressement la reconnaissance et la normalisation, comme si ces démarches devaient apporter des changements fondamentaux, alors que sur le terrain — pour les Palestinien·nes comme pour les Israéliens — elles ne correspondent à peu près à rien. Et en particulier, pour le Premier ministre Benjamin Netanyahou et sa base, elles sont sans objet.
Et cela nous ramène au point central : la reconnaissance d'un État palestinien n'a rien à voir avec de vraies solutions ou un changement significatif. Tout ici est affaire d'image, de mise en scène donnant une impression d'effervescence, tout en ne faisait à peu près rien pour arrêter le génocide.
Inès Abdel Razek : Du point de vue des États arabes, en particulier ceux qui flirtent avec la normalisation, il devient de plus en plus difficile de justifier l'inaction. L'expansion coloniale d'Israël ne se limite pas à la Palestine. Ses forces d'occupation intensifient leurs campagnes militaires au Liban — occupant des parties du sud — tout en poursuivant leurs opérations et leur enracinement en Syrie. L'annexion du plateau du Golan a été progressivement normalisée, les frontières de l'impunité étant sans cesse repoussées. La situation est devenue de plus en plus inconfortable pour les régimes arabes et perturbatrice pour les dynamiques régionales, sans toutefois déclencher de réactions à la hauteur, à l'évidence.
Nous sommes très éloignés du type de réponses observées lors de la guerre d'octobre 1973, lorsque l'Égypte et la Syrie ont lancé une campagne militaire coordonnée pour reprendre les territoires occupés, et que les régimes arabes ont imposé un embargo pétrolier aux États-Unis et à leurs alliés en protestation contre leur soutien à Israël. Ce moment de pression collective paraît aujourd'hui un souvenir lointain. De nos jours, la volonté d'en découdre a cédé la place aux gestes symboliques et à la diplomatie d'évitement.
Pendant ce temps, Israël poursuit sa stratégie de terre brûlée, détruisant tout sur son passage, annexant des terres et poussant les Palestinien·nes au seuil de la mort. Dans ce contexte, même le plus petit geste, comme autoriser un seul camion d'aide à entrer à Gaza, est présenté comme une percée et un acte de bienveillance censé signaler une issue enfin positive. Les régimes arabes sont acquis à ce scénario.
Tout comme les anciennes formules comme la « paix économique » et la « reconstruction de Gaza » ont permis au régime israélien de mener ses campagnes militaires en sachant que les bailleurs internationaux en financeraient les conséquences, aujourd'hui, c'est la livraison de biens essentiels comme la farine et le carburant qui fait figure d'intervention stratégique.
Pourquoi la solution à deux États reste-t-elle le principal cadre d'approche pour l'autodétermination palestinienne — et que faudrait-il pour aller au-delà ?
Yara Hawari : Une partie de la réponse réside dans le fait que la direction qui porte cette stratégie — la solution à deux États, la reconnaissance et la partition — n'opère pas avec un mandat élu ou populaire. Cette direction n'a aucune légitimité réelle auprès des Palestinien·nes et ne correspond pour nous à aucune représentation démocratique valable. C'est pourquoi il est si important — surtout en ce moment — de nous demander : que signifie la souveraineté au-delà de la logique de la partition et de la fragmentation coloniale ? À quoi ressemble l'autodétermination si nous rejetons les limites de la « faisabilité » qui nous sont imposées depuis des décennies ?
On nous répète, encore et encore, que l'État palestinien et la reconnaissance internationale sont les seules voies viables. Pourtant, l'une reste perpétuellement hors de portée et l'autre n'est guère plus qu'un discours diplomatique. Ces cadres ne nous libèrent pas ; ils nous enferment, nous diminuent, et reformulent notre lutte dans des termes acceptables pour ceux qui ont intérêt à maintenir le statu quo, pas à obtenir la justice.
Bien sûr, il est difficile ne serait-ce que d'engager ces débats en plein génocide. D'une certaine manière, cela semble un privilège de débattre d'horizons politiques alors que les habitants de Gaza sont bombardés, affamés et exterminés en temps réel. Mais je pense aussi que c'est précisément ce qui rend ces débats encore plus urgents.
En tant que Palestinien·nes, c'est notre responsabilité de poser ces questions et de les adresser directement à notre soi-disant direction. Notre souveraineté ne peut, et ne doit pas, être définie par des cadres prenant pour acquis notre fragmentation. Nous devons imaginer quelque chose de plus — car ce qui est proposé n'est pas la libération. C'est l'endiguement.
Inès Abdel Razek : Nous devons aussi reconnaître que beaucoup de gouvernements occidentaux continuent de traiter Israël comme un acteur de bonne foi dans le cadre de la perspective à deux États, lui renouvelant le bénéfice du doute malgré les preuves écrasantes qu'Israël n'est digne d'aucun crédit.
En réalité, Israël continue d'être considéré comme un acteur crédible et digne de foi, alors que la tromperie est depuis longtemps une caractéristique centrale de sa stratégie diplomatique et militaire. Qu'il s'agisse de couvrir l'assassinat de la journaliste Shireen Abu Aqleh (1971-2022), de justifier le bombardement d'hôpitaux, ou d'attaquer la crédibilité de l'UNRWA, le régime israélien s'est systématiquement appuyé sur des versions des faits mensongères pour s'épargner d'avoir à rendre des compte. Cette attitude est aussi systématique que délibérée.
Pourtant, de nombreux États occidentaux prennent ces versions pour argent comptant. Ils reçoivent souvent des documents officiels israéliens en hébreu, langue que peu de fonctionnaires de leurs ministères des affaires étrangères maîtrisent, et pourtant ces notes d'information sont accueillies sans être questionnées, et sont présumées crédibles. Au-delà du parti pris politique, ces attitudes reflètent une vision du monde plus profonde, souvent racialisée : Israël est perçu comme moderne, rationnel et crédible. Les Palestiniens et les Palestiniennes, en revanche, sont perçu·es comme irrationnel·les, suspect·es ou sans intérêt.
À moins de déconstruire intégralement cette logique, rien ne changera. Tant que le régime israélien sera vu comme agissant de bonne foi, il n'y aura pas aucune obligation à rendre des comptes. Et tant que la communauté internationale ne s'attaquera pas au schéma israélien de tromperie et d'expansion coloniale, la justice pour les Palestinien·nes — et la reconnaissance de leur droit d'exister et de résister — restera hors de portée.
Diana Buttu : Je me souviens que, lors des négociations post-Oslo, nous demandions souvent : pourquoi limitons-nous notre vision de la libération à un État sur seulement 22 % de notre patrie historique — un État qui exclut la majorité des Palestinien·nes et n'offre aucune véritable perspective pour le retour ?
Et la réponse qu'on nous donnait — à l'époque comme maintenant — était que les colonies sont un cancer. C'était le mot : cancer. La logique suivait que, pour arrêter ce cancer, il nous fallait un processus — n'importe quel processus — qui puisse stopper l'expansion des colonies, ralentir la colonisation et préserver la possibilité d'un État.
Cette logique imprègne aujourd'hui le débat sur la reconnaissance. Les diplomates insistent sur le fait que reconnaître un État palestinien est urgent parce que cela pourrait aider à stopper ce cancer. La reconnaissance, affirment-ils, pourrait freiner l'annexion, tracer une ligne rouge politique, ou au moins geler l'expansion des colonies.
Mais nous savons que ce n'est pas vrai. La reconnaissance n'a pas stoppé le cancer. C'est un geste symbolique ponctuel, qui déploie du capital politique sans modifier les rapports de forces. Au final, Israël s'en tire non pas avec moins, mais au contraire avec plus de légitimité.
La direction palestinienne aurait pu choisir un autre chemin. Elle aurait pu lancer une campagne sérieuse et tenace pour mettre le régime israélien devant ses responsabilités, en réclamant des sanctions, des embargos sur les armes, et en mobilisant les mécanismes juridiques.
Oui, l'AP n'a aucune légitimité électorale, mais cela ne veut pas dire qu'elle n'a aucune capacité. La direction de l'AP aurait pu lutter pour sa survie plutôt que pour sa capitulation. Elle a préféré mettre de côté — et parfois même saboter — la quête de justice.
Voilà le cœur du problème : si, au milieu d'un génocide, la revendication politique suprême est « s'il vous plaît, reconnaissez-nous », comment prétendre revenir ensuite pour exiger des sanctions ou la justice ? Accepter la reconnaissance symbolique comme suffisante, c'est saper la crédibilité de toute exigence future de reconnaissance réelle des responsabilités.
***
Diana Buttu est une avocate palestinienne-canadienne, spécialiste du droit international et des droits humains. Elle a été conseillère juridique auprès de l'équipe de négociation de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) au début des années 2000, dans le cadre du processus de paix post-Oslo, avant de la quitter en 2005. Elle a contribué à la procédure portée devant la Cour internationale de justice contre le mur de séparation israélien, qui a abouti à l'avis consultatif de 2004. Elle a enseigné à Harvard, et a été experte invitée en résidence à Georgetown University au Qatar. Elle publie régulièrement dans The New York Times, The Guardian et Al Jazeera.
Inès Abdel Razek est diplomate et analyste politique palestinienne, directrice exécutive du Palestine Institute for Public Diplomacy (PIPD). Spécialiste des relations internationales et de la communication politique, elle a travaillé pour la délégation générale de la Palestine auprès de l'Union européenne et pour l'Union pour la Méditerranée. Diplômée de Sciences Po Paris (master en affaires publiques internationales), elle écrit sur la diplomatie publique, la solidarité internationale et les droits des Palestinien·nes. Elle publie notamment dans Le Monde diplomatique et Middle East Eye, et intervient régulièrement dans des médias internationaux.
Yara Hawari est chercheuse et analyste politique palestinienne, codirectrice d'Al-Shabaka : The Palestinian Policy Network. Elle est titulaire d'un doctorat en politique du Moyen-Orient de l'Université d'Exeter, où elle a également enseigné. Ses travaux portent sur le colonialisme de peuplement, la résistance palestinienne et les stratégies de narration politique. Elle intervient régulièrement comme commentatrice dans The Washington Post, The Independent, Al Jazeera English et Middle East Eye. Elle est aussi l'autrice de The Stone House (Hajar Press, 2021), un court roman explorant mémoire, exil et attachement à la terre.
Al-Shabaka : The Palestinian Policy Network est un think tank transnational palestinien fondé en 2009. Indépendant et à but non lucratif, il regroupe des analystes, chercheur·euses et militant·es de Palestine et de la diaspora. Sa mission est de produire des analyses critiques et accessibles afin de promouvoir la libération, l'autodétermination et la justice pour le peuple palestinien.
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Traduit de l'anglais pour Contretemps par Christian Dubucq et Thierry Labica.
Illustration : « Al-Quds » (Jérusalem), 1983. Tableau de Sliman Mansour, peintre palestinien.
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