Derniers articles

HANDS OFF ! En France aussi. Éditorial du 09 avril 2025.

La situation française comme la situation mondiale est sous le choc de la guerre commerciale et du krach boursier, qui se développe, ce mercredi, en krach obligataire pour les États-Unis, où affaiblissement et violence impérialiste du trumpisme se combinent.
9 avril 2025 | tiré du site aplutsoc
https://aplutsoc.org/2025/04/09/hands-off-en-france-aussi-editorial-du-09-avril-2025/
Nous devons insister sur un fait central : il y a eu nettement plus de trois millions de manifestants aux États-Unis samedi 5 avril, jusqu'à 6 millions disent certaines sources ; dans tout le pays ce fut un premier déferlement contre Trump, Musk, Vance, leur politique et leurs méthodes de gangsters qu'ils sont. La courbe de la situation sociale nord-américaine va vers l'affrontement alors même que les peuples ukrainien et palestinien sont menacés dans leur existence et que les peuples d'Europe sentent qu'ils vont devoir, comme c'est déjà le cas dans les Balkans, intervenir sur la scène de l'histoire.
A cette aune, la faiblesse et l'atonie des manifestations ou « journées d'action » les plus récentes en France semblent faire cruellement contraste. Mais elles s'expliquent par cette situation même. Un appel clair ou bien la réalisation par en bas d'un affrontement clair, visant à la fois l'Axe fasciste mondial Trump/Poutine et l'exécutif Macron / Bayrou / Retailleau, verrait une vraie dynamique, une vraie mobilisation. Il faut donc y travailler.
Dimanche dernier, la victoire politique, par effet du vide et/ou de la division à gauche, est revenue à Attal. Mais la relance des dépenses militaires « sans hausser les impôts » et pas du tout pour aider immédiatement et urgemment l'Ukraine, les attaques à l'évidence influencées par un Musk pour un « choc de simplification » contre les organismes publics, et même l'apologie par Attal de son « choc des savoirs » – qu'avait soutenu le RN ! – en réalité très mal en point, montrent à l'évidence que le « macronisme » de la V° République ne nous protégera pas de l'Axe fasciste, pas plus que la Commission européenne de Mme Van Der Leyen.
Il faut reconstituer la mobilisation indépendante par en bas qui avait porté le Nouveau Front Populaire, empêché le gouvernement Macron-Bardella, et réalisé la grève du 5 décembre 2024 dans l'enseignement public. De quoi y-a-t' il besoin pour cela ? De quoi a besoin le combat contre les obstacles de la division ?
Avant tout d'une désignation frontale de l'ennemi mondial : l'Axe fasciste Trump/Poutine, et de l'explication que cet Axe ne sera pas vaincu par les gouvernants européens actuels mais par la mobilisation des peuples, comme le peuple américain lui-même nous l'a montré avec puissance en commençant à entrer en mouvement samedi dernier !
La condamnation de Mme Le Pen et de sa bande, victoire judiciaire et démocratique contre le RN et contre les mœurs de la V° République, est et doit être un point d'appui, et le sera si la lutte contre le RN, pour la défense de la démocratie, est reliée clairement à la lutte contre l'Axe fasciste Trump/Poutine, et réciproquement.
Manifester dès dimanche à Paris contre le RN, comme y a appelé Marine Tondelier, n'était pas en soi une mauvaise idée, bien au contraire. Mais la division, qui a fait ses dégâts jusque dans le rassemblement lui-même, division liée au manque de clarté dans la désignation de l'adversaire, a radicalement affaibli la riposte nécessaire.
Nous voulons la démocratie, contre la V° République et l'exécutif antidémocratique
Macron/Bayrou/Retailleau. La démocratie passe par une assemblée constituante et par la prééminence du pouvoir législatif sur l'exécutif, et du politique sur l'économie, donc par une assemblée de députés mandatés, dotés d'un vrai pouvoir et pleinement responsables et donc révocables en fonction de leur mandat selon des modalités à déterminer, et par des assemblées locales ayant pleinement pouvoir d'auto-administration, et par des conseils gérant la production et la distribution. Elle exclut présidentialisme et plébiscites, qu'ils soient « révocatoires » ou non.
Mais un tel régime démocratique ne peut perdurer que par la garantie des droits et des institutions constituant la démocratie radicale en République – République sociale, démocratique et laïque : une justice indépendante c'est-à-dire ne dépendant que des lois et d'une jurisprudence transparente et objet de débat, une fonction publique aux statuts garantis, une laïcité institutionnelle dans l'État et dans l'école, et, couronnant le tout et permis par ces dispositions, la garantie des droits humains, sociaux et environnementaux fondamentaux.
Toute l'histoire du XX° siècle oblige les partisans de la démocratie radicale, celle des constituantes imposées par en bas et des premiers soviets, à se faire les défenseurs des normes juridiques et à reprendre tout l'acquis historique du droit.
La responsabilité des élus en fait donc, pleinement et dans l'égalité des droits, des justiciables. Ce principe central est précisément celui que remettent en cause centralement les Trump, Poutine, Netanyahou, Erdogan, Milei, Bolsonaro …
Toute ambiguïté, telle que cultivée par un J.L. Mélenchon, sur ces questions démocratiques, affaiblit le combat pour la démocratie et donne matière et prétexte à la division.
Le combat pour le droit et le combat contre l'Axe fasciste Trump/Poutine, le combat contre le RN et contre la V° République en France, se rejoignent étroitement. Les dissocier, c'est y renoncer.
C'est pourquoi, après le ratage de ce dimanche, Aplutsoc appelle à appuyer les rassemblements et manifestations de samedi prochain 12 avril, lancés par diverses organisations dans un « appel de la société civile pour la défense de l'État de droit », dont la Ligue des Droits de l'Homme, la CGT, la FSU, Solidaires, l'Union Étudiante, l'UNEF, le Collectif National pour les Droits des Femmes, le RAAR, Golem … dans lesquels et pour lesquels la bataille pour l'unité sur des bases claires va à nouveau se dérouler et pourra remporter plus d'une victoire locale et dans tout le pays, condition pour de vraies mobilisations.
Les prochaines luttes sociales et bien entendu le 1° mai ont besoin d'une telle perspective.
De la même façon, un regroupement tel que le RESU (Réseau Européen de Solidarité avec l'Ukraine) qui a encore réalisé un travail d'information, de mobilisation et de liens unitaires considérable au regard de ses forces militantes pour la manifestation de samedi dernier 5 avril, ne peut pas se tenir pour satisfait de l'état actuel de la solidarité avec le peuple ukrainien. En fait, la signature par l'intersyndicale (sauf FO) d'un appel à cette manifestation, combinée à la quasi-absence ou la totale absence de la plupart des organisations syndicales dans la manifestation elle-même, est à présent un problème : un appel unitaire ne saurait être un alibi pour faire croire que l'on agit. Cette manifestation, combative mais réduite, fut suivie du rassemblement de solidarité avec les manifestations aux États-Unis : il est évident que les deux auraient pu et dû se regrouper.
Car la défense du peuple ukrainien et l'exigence qu'on lui envoie des armes, tout de suite, pour repousser l'impérialisme russe dont Trump est le complice, constitue la pointe avancée, dans la lutte des classes en France, de ce combat pour dégager la voie à la lutte frontale contre l'Axe fasciste Trump/Poutine et rouvrir les vannes de la lutte sociale et démocratique dans ce pays. Un regroupement tel que le RESU aurait donc par exemple toute sa place dans les manifestations contre le RN et pour l'indépendance de la justice, sortant de son cadre habituel et portant, dans la vie et les combats directs « nationaux », l'exigence de cet affrontement.
De Washington à Moscou en passant par Paris :
Hands off !
Bas les pattes, Trump/Poutine/Le Pen !
Indépendance de la justice et jugement des tyrans et des corrompus partout !
Le 09/04/2025.
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

À Bruxelles, une conférence militante et internationaliste en solidarité avec l’Ukraine

Nous publions le compte rendu de la conférence Solidarité avec l'Ukraine écrit par Dick Nichols(1), correspondant européen de GreenLeft (Gauche verte) qui a participé à l'organisation de la conférence Solidarité avec l'Ukraine.
Tiré de Gauche anticapitaliste
10 avril 2025
Posted by Dick Nichols
La conférence Solidarité avec l'Ukraine, qui s'est tenue à Bruxelles du 26 au 27 mars, a rassemblé environ 200 militantEs d'une vingtaine de pays, en soutien aux droits nationaux et sociaux du peuple ukrainien.
Ce rassemblement était organisé par le Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine (ENSU) et les Campagnes de solidarité avec l'Ukraine (USC) d'Angleterre, du Pays de Galles et d'Écosse . Il visait à renforcer la solidarité entre les peuples, alors que la menace d'une partition et d'un pillage de l'Ukraine par les gouvernements de Vladimir Poutine et de Donald Trump se fait de plus en plus grande.
La conférence s'est également déroulée dans le contexte du conflit actuel entre les mouvements syndicaux, féministes, environnementaux, de défense des droits civiques et politiques progressistes d'Ukraine et les politiques intérieures néolibérales du gouvernement de Volodymyr Zelensky.
Le choix de Bruxelles comme ville hôte a été déterminé par la nécessité de renforcer le dialogue et la collaboration entre les nombreux mouvements sociaux ukrainiens, les groupes de solidarité avec l'Ukraine et les députés européens (MPE- membres du Parlement européen) et nationaux des formations de gauche, vertes, sociales-démocrates et progressistes en faveur de l'indépendance nationale.
Ces parlementaires — notamment l'ancienne ministre finlandaise de l'Éducation Li Andersson(Alliance de gauche) et Jonas Sjöstedt (ancien dirigeant du Parti de gauche suédois) — ont pris la parole lors d'un événement organisé le 26 mars au Parlement européen par le groupe de gauche au PE (« Solidarité avec l'Ukraine : reconstruction et société civile ») et lors de la conférence Solidarité avec l'Ukraine elle-même.
Dans son discours au Parlement européen, Sjöstedt a souligné le caractère à double face de la solidarité progressiste : « La guerre en Ukraine ne fait pas seulement rage en première ligne. Les combats menés par les défenseurs des droits des travailleurs, les militants pour le climat et les militants des droits des femmes façonnent et continueront de façonner l'avenir de l'Ukraine. Nous devons être solidaires de ces mouvements, surtout en temps de guerre, et nous continuerons de le faire. »
« Nous devons continuer à défendre les droits des travailleurs lors de l'élaboration de nouveaux codes du travail en Ukraine, nous devons lutter pour les professionnels de la santé qui travaillent dans des conditions encore plus difficiles, et nous devons continuer à impulser le changement pour mettre un terme à la flotte fantôme russe écologiquement désastreuse [de pétroliers rouillés]. »
Tanya Vyhovsky
L'intervention d'autres éluEs a ouvert la voie à d'autres sujets clés de discussion lors de la conférence. Tanya Vyhovsky, sénatrice progressiste-démocrate du Vermont, en est un exemple frappant : elle a abordé de front la menace de Trump contre l'Ukraine.
« Ce n'est pas une situation normale, et malheureusement, la grande majorité des démocrates agissent comme si c'était le cas… le programme Musk-Trump est un programme fasciste et le programme Musk-Trump-Poutine est un programme fasciste mondial. »
Elle a ajouté : « Il est important pour moi personnellement [en tant qu'Ukraino-Américaine] que la guerre en Ukraine se termine par une paix véritable. Cela signifie pas d'occupation, pas d'annexion de territoire ; cela signifie que les troupes russes rentrent chez elles. Cela ne signifie pas prendre le peuple ukrainien en otage pour des ressources. »
Résister au programme Trump-Poutine ne se limitait pas à défendre les droits des UkrainienNEs : « Ceux /celles qui pensent que ce programme ne les menace pas se trompent ; il nous menace touTEs. Il menace notre société et notre climat. »
Pour Vyhovsky, la seule réponse possible est de « construire un réseau mondial de solidarité. Les oligarques, les milliardaires et (à vrai dire) les mafieux qui ont pris le contrôle du gouvernement américain ont des connexions dans le monde entier […]. Ils ont pour projet de se partager le monde, en le considérant à travers le prisme du capital, comme s'il s'agissait uniquement d'actifs. »
« Nous devons mettre un terme à cela. Et nous le pouvons, en développant la solidarité internationale de la classe ouvrière et en nous rappelant que nous sommes liés. Ce qui arrive à l'Ukraine nous concerne tous. »
Li Andersson
L'euro-députée finlandaise Li Andersson a mené le débat sur une politique de défense progressiste : comment fournir simultanément à l'Ukraine les armes dont elle a besoin pour expulser l'envahisseur russe et pour la défense des pays menacés par les ambitions de Poutine, tout en n'adhérant pas à la logique militariste du plan de 800 milliards d'euros de la Commission européenne pour les « dépenses de défense », récemment lancé sous couvert de « soutien à l'Ukraine ».
Un point clé soulevé par Andersson était la nécessité d'une politique de défense progressiste qui rejette les objectifs de dépenses de défense fixés en proportion du produit intérieur brut : « Je pense vraiment que fixer un tel objectif est une façon absurde de mesurer les capacités de défense. Les dépenses de défense ne devraient pas être fondées sur des objectifs abstraits, mais sur les besoins et les priorités. »
Il y a eu, par exemple, des moments où la Finlande a dû acheter de nouveaux avions. Dans ce cas, les dépenses de défense augmentent. Une fois l'investissement réalisé, cependant, elles peuvent et doivent être réduites, même en dessous de l'objectif de 2 % fixé par l'OTAN.
La séance plénière sur le thème « Quelle paix ? » a vu les interventions de l'eurodéputé vert français Mounir Satouri(président de la sous-commission des droits de l'homme du Parlement européen) et du député danois de l'Alliance rouge-verte Søren Søndergaard. Tous deux se sont concentrés sur les conditions nécessaires pour qu'un règlement juste de la guerre contre l'Ukraine puisse au moins être envisagé.
Pour Søndergaard, une paix juste était impensable sans la défaite de l'invasion de Poutine et l'implication de l'Ukraine dans les négociations sur son propre avenir : quels que soient les accords de cessez-le-feu que l'Ukraine pourrait être obligée d'accepter dans l'intervalle, le soutien militaire des pays de l'UE devrait être maintenu et augmenté si l'administration Trump réduisait ou même mettait fin à son soutien à l'Ukraine.
Des militantEs ukrainienNEs inspiréEs par la solidarité
La conférence a été marquée par la participation de dirigeantEs et d'activistes du mouvement social ukrainien, le deuxième plus grand contingent présent après les Belges locaux.
Les interventions comme celles de l'avocat du travail Vitaliy Dudin (activiste du Mouvement social ukrainien de gauche), Oksana Slobodiana (leader du syndicat des travailleurs de la santé Be Like Us), le leader des travailleurs du bâtiment Vasyl Andreiev (vice-président de la Fédération des syndicats d'Ukraine, majoritaire) et Yuri Levchenko (leader du Pouvoir populaire, initiative pour construire un parti ukrainien du travail), ont fait ressortir avec force les souffrances et les sacrifices impliqués dans la résistance à l'invasion russe.
Ce fardeau repose en grande partie sur les épaules des travailleurEs ukrainienNEs.
L'importance de la solidarité de la classe ouvrière et des syndicats avec le mouvement ouvrier ukrainien a été le fil rouge de la conférence et a fait l'objet d'une attention particulière lors d'une session qui a réuni Sacha Ismail, responsable de liaison syndicale de l'USC (Angleterre et Pays de Galles), Cati Llibre(vice-présidente de l'Union générale des travailleurs de Catalogne) et Félix Roux de la confédération syndicale radicale française Solidaires.
Le thème le plus abordé ensuite était celui de la lutte féministe en Ukraine et le rôle des femmes dans la reconstruction du pays. Yvanna Vynna, de l'organisation féministe Bilkis, a présenté de manière mémorablele rôle de son organisation, qui soutient simultanément l'effort de défense et la lutte pour les droits des femmes.
La lutte continue pour la défense des libertés civiles, notamment dans les territoires occupés, a été traitée par Mykhailo Romanov, représentant du Groupe de protection des droits de l'homme de Kharkiv, et Bernard Dréano, président du Centre d'initiatives et d'études sur la solidarité internationale, basé en France, et initiateur de la pétition People First (exigeant la libération de tous les captifs résultant de l'invasion russe).
Un message important a été transmis lors d'un atelier par des opposants russes exilés à la guerre de Poutine. Maria Menshikova, correspondante du magazine interdit Doxa, Dmitrii Kovalev (Gauche pour une paix sans annexions)et Viktoria (représentante de la Résistance féministe anti-guerre) ont touTEs souligné que toute victoire de « l'opération militaire spéciale » de Poutine serait une défaite pour le mouvement pour les droits démocratiques en Russie même.
Le succès de la conférence s'est mesuré à l'aune de la réaction des participantEs ukrainienNEs. Lors de la séance publique de clôture, Oksana Dutchak, rédactrice en chef de la revue ukrainienne Commons, a comparé son humeur avant et après l'événement : sombre avant, compte tenu des manœuvres de Trump et Poutine visant à « réparer » l'Ukraine à son insu, et inspirée après par la vague de solidarité suscitée lors de la conférence.
La solidarité compte. Après Bruxelles, il s'agit de la renforcer et de mieux la coordonner. Un outil pour y parvenir serale projet de Déclaration de Bruxelles, qui sera adopté dans sa version définitive lors d'une prochaine téléconférence et bientôt ouvert à la discussion et aux amendements.
Traduction de l'anglais par Deepl revue par Catherine Samary.
Compte rendu initialement publié le 10 avril sur le site de l'Anticapitaliste
Note
1. https://www.greenleft.org.au/content/brussels-conference-lifts-ukraine-solidarity-higher-plane
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

La riposte contre l’assaut MAGA

Depuis que Trump est revenu au pouvoir et qu'il a fait appel à l'oligarque milliardaire Elon Musk et à son équipe de hackers pour mener une opération de démantèlement de nombreux programmes et organes du gouvernement fédéral, le président et son équipe ont lancé une offensive tous azimuts, avec pour but de désorienter l'opposition par un tir de barrage de déclarations scandaleuses, de décrets illégaux, de licenciement de milliers de travailleurs du gouvernement fédéral et de coupes dans le financement des services.
Mercredi 2 avril 2025 / DE : East Bay Syndicalists Group
Source : Publication originale de Z. À diffuser sans restriction.
Traduction Johan Wallengren
Le régime en place poursuit une stratégie conçue pour étourdir, désorienter et submerger les médias et l'opposition en attaquant massivement sur tous les fronts (les maîtres mots sont « flood the zone », pour la surcharge d'information souvent contradictoire, et « shock and awe » pour le choc et la sidération produits par une attaque concentrée). Terroriser jusqu'à la paralysie sous un feu nourri de menaces et de tactiques d'intimidation, tel est le modus operandi. Dans ces conditions, il importe plus que jamais d'insister sur le fait que nous avons le pouvoir de contre-attaquer, à condition de nous organiser et de nous mobiliser de manière à pouvoir réagir collectivement.
Dans la structure constitutionnelle américaine, le Congrès a le pouvoir d'allouer des fonds, d'adopter des lois et de créer des agences et des conseils administratifs indépendants et une fois que cette autorité a statué, un président ou les membres de son cabinet ne peuvent pas simplement fermer des agences ni rediriger des financements comme bon leur semble. Ce serait illégal. Déjà,la loi de 1974 sur le contrôle des saisies (Impoundment Control Act)exige du président qu'il dépense chaque cent que le Congrès a affecté à un objectif donné. Dans une récente mise en gardeadressée à Trump, la sénatrice républicaine Susan Collins a eu ces mots : « Tout comme le président ne dispose pas d'un droit de veto direct, il n'a pas la possibilité de choisir les dépenses d'urgence qu'il souhaite engager ». Et cela vaut pour toutes les dépenses que le Congrès affecte à un objectif particulier.
Mais Trump rejette ces dispositions de la Constitution. « Je suis la loi », s'est-il permis de déclarer. L'administration Trump doit maintenant faire face à un nombre considérable de poursuites judiciaires. Les seules poursuites pour licenciement abusif sont susceptibles de coûter de nombreux millions de dollars aux contribuables. Comme l'a dit un avocat spécialisé dans le droit du travail : « Ces licenciements effectués sans suivre ce que dicte la loi auront pour conséquence que des milliers d'employés fédéraux mis à pied pourront réclamer des arriérés de salaire, des intérêts, des avantages sociaux et des frais d'avocat. Lorsque la facture arrivera, elle sera monumentale ».
Les violations de la loi sont une caractéristique intentionnelle du régime MAGA – il s'agit d'une tentative de faire sauter les garde-fous de la constitution américaine – en vue d'établir un pouvoir présidentiel unitaire et autocratique. Comme la constitution américaine n'est pas des plus démocratiques et que le président se trouve en position de décideur en chef, le danger a toujours été là en latence. Trump a sans doute anticipé les contestations juridiques qui percolent actuellement dans les tribunaux. Un juge fédéral a ordonné la réintégration de milliers d'employés fédéraux dans une cause portée devant la justice par le syndicat des employés fédéraux, l'American Federation of Government Employees. Un autre tribunal a ordonné la réintégration du personnel d'autres organes gouvernementaux dans le cadre d'un procès intenté par les gouvernements des États. Trump a fait appel de cette décision, mais a dû accepter de réembaucher 25 000 personnes qui avaient été licenciées. L'administration MAGA espère pouvoir faire sauter des garde-fous constitutionnels établis de longue date avec l'aide des valets politiques de droite à la Cour suprême et de la veule majorité républicaine au Congrès.
L'intimidation est une autre tactique MAGA. Reuters a rapporté que plusieurs juges fédéraux de la région de Washington avaient reçu des pizzas envoyées anonymement à leur domicile. La police a interprété ces gestes comme « une forme d'intimidation destinée à faire comprendre que l'adresse d'une cible est connue. » Le régime Trump est également en position d'exiger du congrès républicain, qui est à sa botte, d'entériner ses décisions.
Elon et ses rats musqués prétendent débusquer « corruption, fraude et gaspillage ». Or, Trump a illégalement licencié leschiens de garde indépendants chargés de véritablement faire avec minutie la chasse « à la corruption, à la fraude et au gaspillage ». Au fil des ans, le Congrès a mis en place divers conseils administratifs dont les mandats peuvent déborder des quatre années des mandats présidentiels, le but visé étant de protéger leur indépendance. Le Conseil national des relations du travail (National Labor Relations Board, NLRB), par exemple, peut offrir une certaine protection aux travailleurs, comme la réintégration s'ils sont mis à la porte pour avoir « parlé syndicat ». Or, Trump a illégalement licencié un membre du NLRB et nommé à sa place un hacker antisyndical. Trump a également émis un décret illégalprivant de nombreux employés fédéraux de droits syndicaux ou de négociations collectives. Selon Labor Notes, « les premières estimations indiquent que cette mesure concerne 700 000 à 1 million de travailleurs fédéraux, notamment au sein de l'Administration des anciens combattants (U.S. Department of Veterans Affairs, VA) et dans les départements de la défense, de l'énergie, de l'État, de l'intérieur, de la justice, du Trésor, de la santé et des services sociaux, et même de l'agriculture. » Cette attaque n'est pas sans rappeler le coup de force de Reagan contre le syndicat des contrôleurs aériens en 1981. Pour l'instant, Trump ne s'en est pas pris aux syndicats de la poste. Or, le demi-million de travailleurs postaux constitue la plus grande force de travail syndiquée du gouvernement fédéral.
L'opération de démolition de Trump/Musk a également visé le Conseil de protection financière des consommateurs (Consumer Financial Protection Board), qui a veillé à restituer des millions de dollars à des personnes qui s'étaient vu imposer des frais bancaires illégaux ou avaient été victimes d'autres escroqueries de la part d'entreprises. Un juge est intervenu pour bloquer l'opération, mais Trump fait appel de ces décisions judiciaires. Trump s'est aussi emparé illégalement de la poste en limogeant le conseil d'administration de l'US Postal Service.
Les licenciements ont déjà des effets néfastes. Le nouveau patron placé par Trump à la tête de la VA, Doug Collins, prévoit supprimer 80 000 emplois au sein de l'administration des vétérans. Parmi les mille premiers employés de la VAqui ont perdu leur emploi se trouvaient « des employés travaillant sur les traitements pour les vétérans atteints de cancer, ayant des problèmes respiratoires, vivant avec des membres manquants ou souffrant d'une addiction aux opioïdes ». Le ministère de l'Agriculture a été contraint de réembaucher 6 000 employés qui avaient été démis de leurs fonctions, principalement des agents d'entretien des forêts du Service des forêts (Forest Service), après qu'un organisme public défendant les droits des fonctionnaires américains,le Merit Systems Protection Board, a ordonné leur réintégration. Parallèlement, Leland Dudek – le nouveau patron de la sécurité sociale (Social Security Administration, SSA) désigné par Trump – prévoit licencierla moitié des 60 000 employés de cette administration et fermer de nombreux bureaux de sécurité sociale. Il sera donc très difficile pour les personnes qui viennent de partir à la retraite de s'acquitter des formalités pour recevoir leurs paiements ; les temps d'attente dans les bureaux de la sécurité sociale deviendront insupportables. Le sous-financement des services est utilisé par les administrations de droite pour diminuer le soutien du public et préparer le terrain à la privatisation. Or, la privatisation de la sécurité sociale est un objectif de Wall Street depuis des décennies.
Une autre mesure illégale est le décret de Trumpqui exigerait une pièce d'identité avec photo conforme aux normes dites « Real ID » pour pouvoir voter. L'obtention d'une telle pièce d'identité nécessite des documents que certains ne possèdent pas, ainsi qu'un déplacement au bureau des immatriculations (Department of Motor Vehicles, DMV), ce qui peut s'avérer coûteux pour des personnes démunies. Cela constituerait une violation de l'amendement constitutionnel interdisant l'imposition d'une taxe de vote. Le décret est illégal, car ce sont les États qui déterminent les conditions d'admission au vote. Comme d'autres mesures de suppression des votes, il s'agit d'une tentative d'enracinement du pouvoir républicain. Les républicains ont également présenté au Congrès la loi SAVE (Safeguard American Voter Eligibility), qui pourrait priver des millions de personnes de leur droit de vote faute de pouvoir accomplir les formalités exigées.
Les diatribes contre l'« État profond » masquent des attaques contre les services publics
En tant qu'anarcho-syndicalistes, nous sommes opposés à l'État bureaucratique à hiérarchie descendante, en premier lieu lorsqu'il devient un instrument d'oppression des travailleurs – par la subordination de ceux-ci à sa hiérarchie managériale descendante. Mais nous ne sommes pas opposés aux services publics ; au contraire, nous voulons qu'ils soient étendus – comme l'éducation gratuite pour les étudiants à tous les niveaux, les soins de santé universels gratuits pour tous et l'avortement gratuit sur demande. Dans notre vision des choses, les hôpitaux, les cliniques et les usines de médicaments du pays seraient autogérés par le biais d'un organisme démocratique contrôlé par les travailleurs, et non par une bureaucratie managériale à hiérarchie descendante. Nous envisageons que les services postaux soient également gérés par une organisation du personnel démocratique et contrôlée par les travailleurs. De façon générale, nous sommes favorables à une réorganisation de l'ensemble de l'économie sur la base de l'autogestion des travailleurs – avec une prise de décision distribuée intégrée dans une fédération sociale, en remplacement des grandes sociétés et de l'État bureaucratique à hiérarchie descendante.
La mouvance MAGA a tout un discours sur un supposé « État profond » opérant dans l'ombre, mais son objectif est une attaque directe contre les services publics fournis par le gouvernement fédéral – de la « pension du peuple » (sécurité sociale) aux services médicaux fournis par l'AV ou le programme d'assurance-maladie Medicaid, en passant par les aides financières aux étudiants. Les personnes limogées, loin d'appartenir à quelque centre décisionnel insaisissable, sont les travailleurs censés faire le travail et fournir les services publics auxquels les Américains sont censés pouvoir s'attendre.
Depuis plus d'un siècle, le personnel politique qui dirige le gouvernement fédéral joue le rôle de médiateur entre les revendications de la classe moyenne et de la classe ouvrière, d'une part, et l'oligarchie capitaliste qui est le pouvoir dominant dans ce pays, d'autre part. Les personnes qui dirigent l'État doivent être en mesure de gouverner ; réduire le niveau d'agitation sociale et les mouvements de masse rend leur travail moins difficile à exécuter. Ainsi, la sécurité sociale, le salaire minimum légal, les protections juridiques minimales offertes en vue de permettre des recours sur le lieu de travail et une syndicalisation des travailleurs en vertu de la loi nationale sur les relations de travail (National Labor Relations Act) sont autant de concessions obtenues grâce à la rébellion massive de la classe ouvrière – vagues de grèves de masse, luttes contre les expulsions et ainsi de suite – au cours des années 1930. Une vague massive de grèves pendant la Première Guerre mondiale pour réclamer la journée de travail de huit heures a permis de rallier le gouvernement à la cause. Les mouvements sociaux, les grèves sauvages et les rébellions urbaines des années 1960-1970 ont permis d'ajouter de nouveaux programmes fédéraux en guise de concessions aux mouvements sociaux de l'époque – tels que les lois sur les droits civiques, Medicare, les lois sur la pureté de l'air et de l'eau et la création de l'Agence pour la protection de l'environnement (Environmental Protection Agency) et de l'Administration de la sécurité et de la santé au travail (Safety and Health Administration). Les diverses « minorités militantes » de la gauche radicale qui ont fait bouger les choses ont joué un rôle important dans l'éducation et l'organisation populaires.
Mais ces dernières années, le mouvement syndical s'est essoufflé. Malgré les efforts prometteurs déployés par les travailleurs au bas de l'échelle pour créer des syndicats, seuls 6 % des travailleurs du secteur privé sont syndiqués. En ajoutant les syndiqués du secteur public, on arrive à un chiffre de 10 % de l'ensemble des salariés.
La gauche radicale aux États-Unis est également très affaiblie. L'autoritarisme et les échecs du socialisme d'État au 20e siècle ont eu tendance à saper le soutien au socialisme, même si certaines factions de la gauche s'accrochent aux idées obsolètes de cette époque.
Une frange de capitalistes américains, avec leurs think tanks et leurs partisans des médias sociaux, considèrent la faiblesse actuelle de la gauche et du mouvement ouvrier comme une opportunité – une opportunité pour un assaut politique majeur contre tous les programmes du gouvernement fédéral résultant des concessions accumulées aux époques précédentes de luttes ouvrières et de mouvements de masse.
Une convergence de courants d'extrême droite
Au cours des dernières décennies, une faction de l'oligarchie américaine a progressivement contribué à financer un mouvement d'extrême droite de masse qui s'est mué en MAGA. Bien que ce mouvement diffère du fascisme classique des années 1920 et 1930, il présente un certain nombre de similitudes frappantes avec celui-ci.
Dans les décennies qui ont précédé la Seconde Guerre mondiale, le fascisme était un mouvement de masse voué à écraser le mouvement socialiste en expansion et le mouvement ouvrier en voie de radicalisation, qui étaient perçus comme une grave menace pour le système capitaliste. La menace néo-fasciste MAGA actuelle diffère de cette forme antérieure de fascisme en ce sens qu'il n'existe pas aujourd'hui de mouvement socialiste fort ou de militantisme ouvrier puissant qui puisse représenter une menace immédiate pour le capitalisme.
Mais il y a des similitudes : Par exemple, le recours à l'intimidation et aux menaces de poursuites à l'encontre des « ennemis » perçus et la confiance dans le potentiel d'action violente des groupes d'autodéfense. Selon des sondages récents, 11 % des adultes aux États-Unis jugent légitimes les attaques extraconstitutionnelles violentes contre des ennemis politiques présumés. Ce même sondage a révélé que 14 % des personnes interrogées soutiennent la violence armée extraconstitutionnelle et sont donc même favorables aux grâces accordées aux personnes condamnées pour violence lors de l'attaque du 6 janvier 2021 contre le Capitole des États-Unis. En outre, 14 % d'entre eux sont également en faveur du fait que Trump passe outre la constitution américaine existante en refusant de reconnaître l'autorité des tribunaux ou l'État de droit, définissant ainsi la présidence comme un pouvoir autocratique. Ce sont là des vues explicitement fascistes.
Tout comme le mouvement MAGA a été financé par des secteurs du capital privé de diverses manières, les mouvements fascistes antérieurs ont souvent bénéficié d'un financement initial ou d'un soutien de la part d'éléments de l'élite capitaliste. La classe des petites entreprises représente le principal groupe d'électeurs de masse du mouvement MAGA, comme cela était également le cas pour les mouvements fascistes classiques.
Le mouvement MAGA fait souvent des allégations absurdes en prétendant que le régime réglementaire modéré mis en œuvre par le parti démocrate est « socialiste » ou « communiste ». Pourquoi ? Pour l'expliquer, il faut examiner les tendances idéologiques qui ont convergé dans le mouvement MAGA. L'opposition extrémiste à l'utilisation du gouvernement comme moyen de protéger la société en réglementant les activités destructrices du capital ou en fournissant des systèmes de prestations sociales a une longue histoire aux États-Unis. Le mot liberal (libéral) est initialement apparu aux États-Unis en tant que terme politique pour désigner une nouvelle faction du parti républicain dans les années 1870. Les « libéraux » critiquaient les gouvernements républicains du Sud, dirigés par des Noirs, qui tentaient de fournir des terres et des services (comme des écoles) à la population noire récemment libérée. Les libéraux s'opposaient à toute action gouvernementale visant à fournir des prestations publiques ou à toute loi visant à réglementer le travail, comme les lois sur la journée de huit heures ou le travail des enfants. L'un des partisans les plus connus de cette position est William Graham Sumner, professeur à Yale, qui a acquis une large audience grâce à ses écrits populaires. Sumner s'opposait à toute aide sociale en faveur des personnes qu'il jugeait « faibles » ou « inférieures » – les pauvres, la classe ouvrière, les Noirs, les femmes. Pour Sumner, la concurrence vue comme une lutte à mort (« dog eat dog ») du capitalisme de laissez-faire était « l'ordre naturel » dans lequel la « lutte pour l'existence » devait se déployer.
Cette forme extrême de libéralisme de laissez-faire concernait une faction minoritaire du parti républicain dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Dans les années 1960, Murray Rothbard et d'autres ont décidé de remettre cette ancienne forme de libéralisme au goût du jour et de la désigner comme libertarienne (« libertarian »). C'est de ce mode de pensée que découle l'affirmation MAGA selon laquelle les systèmes de prestations publiques et la réglementation du capitalisme sont « socialistes » ou « communistes ». Pour certains républicains, seul le laisser-faire, la « lutte de tous contre tous », est le « vrai » capitalisme. Cette opposition extrémiste à toute réglementation gouvernementale séduit une grande partie de la classe des petites entreprises qui craignent le poids des réglementations gouvernementales et détestent les syndicats. Mais certains éléments de l'oligarchie capitaliste ont également considéré les systèmes de prestations élargies et les réglementations environnementales des années 1960 et 1970 comme une « attaque contre le système de la libre entreprise » – ce dont fait foi le célèbre mémo de Lewis Powell en 1971, alors qu'il était l'un des dirigeants de la Chambre de commerce.
Dans la forme extrême du « libertarianisme », comme l'« anarcho-capitalisme » de Rothbard, il était proposé de supprimer la démocratie et de privatiser les fonctions de l'État, comme la propriété directe de la police et des tribunaux par l'oligarchie capitaliste. Cette fusion du pouvoir privé et public rend cette idéologie néo-féodale. Une caractéristique qui différencie le capitalisme du 19e siècle de la société féodale qui l'a précédé est fait qu'il y ait à part un domaine public géré par un gouvernement « démocratique » et régi par des libertés civiles.
La philosophie néo-fasciste des « lumières obscures » (dark enlightment) de Curtis Yarvin, élaborée au début des années 2000, est une évolution issue de ce milieu « anarcho-capitaliste » – particulièrement présent dans l'environnement techno-capitaliste californien. Yarvin considère l'évolution libérale vers l'État régulateur comme l'« échec » de l'humanisme des Lumières et du libéralisme. Ingénieur en logiciel et philosophe pour le PDG milliardaire de Palantir Peter Thiel, Yarvin propose de supprimer la démocratie et de réorganiser le monde en un univers néo-féodal et multipolaire d'autocraties contrôlées directement par l'oligarchie et dirigées par des autocrates de type PDG. Dans son plaidoyer en faveur de la « science de la race », il est aussi explicitement raciste.
Le soutien financier de Peter Thiel a joué un rôle important dans la carrière politique de JD Vance. Vance et Musk sont tous deux des adeptes de l'idéologie de Yarvin. L'opération de démolition de Musk au sein du gouvernement fédéral peut être considérée comme une tentative de mettre en œuvre le plan RAGE (Retire All Governmental Employees) de Yarvin visant à mettre à pied tous les employés gouvernementaux. Dans d'autres déclarations, Musk a admis que DOGE n'avait pas pour but d'économiser de l'argent mais de « détruire une base de pouvoir pour le libéralisme ».
Pete Hegseth a son engagement idéologique dans la peau, comme le montrent ses tatouages nationalistes chrétiens. Les nationalistes chrétiens soutiennent le projet 2025, qui prévoit également le licenciement d'un grand nombre de fonctionnaires. C'est là que l'on constate la convergence de diverses idéologies d'extrême droite. Comme mis de l'avant dans un article récent sur un site de la droite religeuse américaine, le nationalisme chrétien est « la notion anti-démocratique selon laquelle l'Amérique est une nation par et pour les chrétiens exclusivement. Le nationalisme chrétien est une idéologie qui contribue à la pratique de la droite religieuse consistant à contourner les lois et les réglementations visant à protéger une démocratie pluraliste, telles que les protections contre la discrimination envers les personnes LGBTQI+, les femmes et les minorités religieuses. L'idéologie patriarcale de la droite religieuse est à la base de la guerre contre l'avortement.
Le mouvement MAGA diffère du fascisme des années précédant la Seconde Guerre mondiale par sa volonté de contrôle direct du pouvoir d'État par des éléments de l'oligarchie capitaliste. Non seulement le régime parachute l'homme le plus riche du monde pour « faire exploser l'État administratif », mais le cabinet Trump compte 13 milliardaires. Cela correspond davantage à l'idéologie « anarcho-capitaliste » enracinée dans l'ère du capitalisme des barons voleurs de l'âge d'or de la fin des années 1800.
Il n'en demeure pas moins que la stigmatisation de minorités (on pense notamment à l'acharnement obsessionnel contre les personnes transgenres), les attaques contre les immigrants, le racisme et la misogynie (à peine voilés) du mouvement MAGA sont similaires au fascisme classique, tout comme les méthodes d'intimidation et les menaces de poursuites de l'État contre les « ennemis » politiques. La suppression des termes « justice climatique » et « DEI » (diversité, équité et inclusion) des sites web fédéraux est une forme de novlangue à la Orwell.
Les États-Unis ont été fondés sur une idéologie de suprématie blanche qui justifiait l'asservissement des populations africaines et l'accaparement des terres par la spoliation des communautés autochtones. Cette idéologie a profondément marqué les esprits de la population blanche des États-Unis. Du mouvement abolitionniste du 19e siècle au mouvement pour la liberté des Noirs des années 1960, les pratiques racistes systémiques ont été combattues sur une longue période.
Cependant, les progrès réalisés en ce qui concerne l'amélioration des opportunités pour les groupes non blancs aux États-Unis – en matière d'embauche, de prêts bancaires ou d'éducation – ont été mal perçus par une fraction non négligeable de la population blanche, et le mouvement MAGA attire ces personnes. De nombreux partisans MAGA décrivent ces efforts comme du « racisme contre les Blancs ». L'embauche d'une femme ou d'une personne de couleur noire peut être délégitimée parce qu'on lui attribue une « origine DEI ». Le racisme est également implicite dans la haine des systèmes de prestations publiques qui pourraient bénéficier à « ces gens-là » (les groupes méprisés par le noyau dur MAGA). L'idéologie suprématiste blanche était explicite dans le récent décret de Trump attaquant le complexe muséal Smithsonian Institution de Washington. Trump s'en est particulièrement pris à une exposition intitulée The Shape of Power : Stories of Race and American Sculpture (La forme du pouvoir : histoires de race et de sculpture américaine) et en particulier à cette phrase : « La race est une invention humaine ». Trump aurait en particulier déclaré que cette exposition « promeut l'idée que la race n'est pas une réalité biologique mais une construction sociale ». Pour lui, mettre le doigt sur la réalité du racisme, du sexisme ou d'autres formes d'oppression serait errer par « révisionnisme historique », selon ses propres mots. À n'en point douter, la race est une invention. L'élite coloniale en Amérique du Nord a conçu l'idée d'une division entre « race blanche » et « race noire » à la fin du 17e siècle pour justifier la mise en place d'un système d'esclavage à vie réservé aux personnes d'ascendance africaine. Or, les organisations professionnelles de biologie et d'anthropologie se sont prononcées sur la question de la race, considérant que ce concept repose sur une pseudo-science, la notion de race biologique n'ayant aucun fondement empirique. Il s'agit d'un mythe créé pour servir les intérêts des colonisateurs et des propriétaires de plantations exploitant des esclaves.
Le ministère de la défense, sous la direction de Pete Hegseth, dans le cadre de sa croisade anti-DEI, a pris l'initiative de supprimer des milliers de pages de texte et d'images de femmes, de Navajos, d'Américains d'origine japonaise et de militaires noirs des sites web du gouvernement (certaines de ces pages ont été rétablies sous la pression de l'indignation populaire). Le secrétaire de presse du Pentagone,John Ullyot, a déclaré ce qui suit à NBC News : « La notion d'IED est morte au Département de la Défense (Defense Department). L'idéologie discriminatoire de l'équité est une forme de marxisme culturel « woke » qui n'a pas sa place dans notre armée. Elle divise la force, érode la cohésion de l'unité et interfère avec la mission principale de combat de nos forces ». Le « marxisme culturel » est une théorie du complot néo-fasciste antisémite qui considère qu'un petit groupe d'intellectuels marxistes (l'École de Francfort) est en quelque sorte responsable des soulèvements urbains, des luttes pour les droits civiques et des mouvements sociaux des années 1960. Pour ce qui est de « diviser la force », c'est ce que font le racisme et la misogynie.
Bien que le mouvement MAGA qui s'est aggloméré autour de Trump présente des caractéristiques néo-fascistes, le régime Trump opère toujours – plus ou moins – dans le cadre de la structure gouvernementale américaine héritée du passé et n'a pas complètement mis en œuvre une autocratie gouvernementale fasciste. De fait, nous constatons une certaine résistance de la part des juges et des gouvernements des États et des collectivités locales. Et des manifestations de rue anti-MAGA ont lieu dans tout le pays.
L'attaque MAGA contre la transition écologique
La lutte contre le réchauffement climatique est essentielle pour veiller à ce qu'une planète vivable soit léguée aux générations futures. Le réchauffement climatique se nourrit des combustibles fossiles que nous brûlons. À mesure que la pollution due aux combustibles fossiles cuit la planète, les vagues de chaleur et tempêtes meurtrières se feront de plus en plus fréquentes et puissantes, et le niveau des mers s'élèvera. L'un des objectifs généraux visé par le mouvement pour la justice climatique est de parvenir à des émissions de dioxyde de carbone nettes nulles d'ici à 2050. Mais le secrétaire à l'énergie de Trump, Chris White, juge que le « Net Zero 2050 » est un « objectif sinistre ». Quant à Trump, il a qualifié le réchauffement climatique de « canular ».
L'industrie des combustibles fossiles et ses think tanks généreusement dotés constituent un autre fil conducteur de l'idéologie néo-fasciste contemporaine. De fait, l'extrême droite s'attaque au consensus scientifique qui fournit des informations sur l'urgence que constitue le problème du réchauffement climatique. De plus, elle soutient l'objectif de l'industrie des combustibles fossiles de continuer à tirer profit de la production d'émissions qui font cuire la planète. Et ce n'est pas là une position exclusivement MAGA. Le parti néo-fasciste Alternativ für Deutschland, en Allemagne, se chauffe du même bois.
L'administration Trump s'est engagée dans une virulente offensive d'envergure contre le mouvement opposé à la pollution par les combustibles fossiles et en faveur de la transition verte. Le régime MAGA voit au licenciement de milliers d'employés chargés de surveiller l'évolution de la pollution et de collecter des données pour l'Agence de protection de l'environnement (Environmental Protection Agency, EPA), l'Administration nationale océanique et atmosphérique (National Oceanic and Atmospheric Administration), ainsi que d'autres organes gouvernementaux. Selon un rapport récent, les abolitions de postes prévues à l'EPA élimineront le bureau de recherche scientifique et pourraient « supprimer les emplois de plus de 1 000 scientifiques et autres employés contribuant à fournir les bases scientifiques des règles protégeant la santé humaine et les écosystèmes contre les polluants environnementaux ». Seraient visés plus d'un millier de chimistes, de biologistes, de toxicologues et d'autres scientifiques, soit 75 % du personnel du programme de recherche.
La loi sur la réduction de l'inflation (Inflation Reduction Act, IRA) a constitué un premier pas imparfait sur la voie d'une transition verte, sur le chemin vers la substitution des énergies renouvelables aux combustibles fossiles. Ces jours-ci, le régime Trump cherche par des moyens illégaux à empêcher que des subventions soient distribuées dans le cadre de l'IRA pour financer des programmes prévoyant des aides pour les installations solaires dans des communautés à faible revenu et le remplacement des systèmes de chauffage au gaz par des pompes à chaleur. Du Maine à l'Alaska, des projets visant à réduire les émissions de dioxyde de carbone des flottes de pêche grâce à des systèmes de réfrigération plus efficaces se voient désormais privés du financement qui leur avait été promis. Le régime MAGA a également retiré les États-Unisd'un fonds international destiné à indemniser les pays les plus pauvres pour les dommages causés par le réchauffement climatique.
Le régime MAGA a également pris des mesures pour éliminer les chargeurs de véhicules électriques sur les lieux des bâtiments gouvernementaux. Comble de la folie, le FBI a gelé le compte bancaire d'Habitat for Humanity (Habitat pour l'humanité), l'accusant, ainsi que plusieurs autres institutions telles que la DC Green Bank (banque verte de Washington), de « conspiration visant à frauder le gouvernement » en obtenant des subventions dans le cadre de l'IRA. Le raisonnement est que si Habitat for Humanity souhaite utiliser les fonds distribués pour améliorer l'efficacité des habitations ou installer des panneaux solaires ou des pompes à chaleur, il s'agit d'une « fraude », eu égard à l'a priori que le réchauffement climatique serait un « canular ». Ces poursuites du FBI seront probablement rejetées par les tribunaux. La juge fédérale Tanya Chutkan a déjà exigé des preuves de fraude ou d'illégalité. Mais en attendant, les organismes visés devront dépenser de l'argent en frais de justice ; il s'agit donc d'une forme d'intimidation.
La Pax Americana dynamitée
Depuis la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis – puissance impérialiste dominante au plan mondial– ont régné comme un hégémon. Dans l'histoire antérieure, les empires se construisaient par la conquête militaire, le colonialisme et les barrières commerciales mercantilistes ayant pour fonction de conserver le butin impérial pour soi en en privant les autres pays.
Mais les États-Unis ont créé un nouveau type d'impérialisme. Durant les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, l'élite capitaliste américaine et sa nomenklatura n'ont pas ménagé leurs efforts pour conclure des pactes commerciaux et des alliances militaires afin d'intégrer les autres élites capitalistes dans un système supervisé par les États-Unis. Les États-Unis ont également construit une marine très puissante et un vaste réseau de bases militaires dans le monde entier. L'OTAN, en tant qu'alliance, a servi à sécuriser le capitalisme d'Europe occidentale en le faisant bénéficier de la protection militaire américaine. Cela a permis aux pays capitalistes européens de dépenser moins d'argent pour développer leur force militaire. Du fait que les puissances européennes et d'autres pays achetaient des équipements militaires construits aux États-Unis, les coûts des nouveaux systèmes d'armement étaient répartis entre plusieurs pays et les États-Unis y ont beaucoup gagné, créant ainsi une énorme industrie nationale de l'armement. Cela aurait été beaucoup plus coûteux pour les États-Unis s'ils avaient dû faire cavalier seul.
Une caractéristique étrange du régime MAGA est la façon dont il fait voler en éclats la Pax Americana. Une faction de l'oligarchie américaine semble être arrivée à la conclusion que c'est « trop cher ». Ils ne se rendent pas compte que la richesse et le pouvoir du régime capitaliste américain depuis la Seconde Guerre mondiale ont été construits sur l'agrégat de ce réseau complexe d'alliances militaires et de relations commerciales. Ils envisagent un retour à une ère antérieure où le chacun pour soi régnait parmi les puissances impérialistes. Les pressions MAGA exercées pour que les États-Unis fassent cavalier seul semblent refléter à la fois la crise du capitalisme mondialiste américain et la mentalité insulaire de « l'Amérique d'abord » (America First), ainsi que la vision de Curtis Yarvin d'un monde multipolaire d'autocraties contrôlées directement par l'oligarchie locale.
L'attaque du régime MAGA contre la Pax Americana prend diverses formes – de l'utilisation mafieuse par Trump des menaces de tarifs douaniers comme arme d'intimidation et de l'instrumentalisation de ceux-ci pour battre en brèche les relations avec les principaux partenaires commerciaux des États-Unis (Canada, Mexique et Europe) aux menaces de conquêtes impérialistes du Groenland et du canal de Panama, en passant par la destruction des programmes d'aide humanitaire de l'USAID, le discours de retrait de l'OTAN, la fin à la participation à la défense de l'Europe et la volonté de Trump d'abandonner l'Ukraine à la conquête impérialiste de Poutine.
En tant qu'anarcho-syndicalistes, nous sommes des opposants à l'impérialisme américain. Nous proposons plutôt un internationalisme de solidarité transfrontalière de la classe ouvrière. C'est pourquoi nous nous joignons aux syndicats, socialistes et anarchistes ukrainiens pour soutenir la résistance militaire de l'Ukraine face à la quête impérialiste de Poutine visant à conquérir ce pays. Nous suivons en cela l'exemple du militant anarchiste Errico Malatesta qui a soutenu la résistance arabe à la conquête par l'Italie de la Libye en 1911.
L'USAID a été une forme relativement peu coûteuse du « soft power » américain qui a permis d'acheter le soutien d'organisations et de pays par le biais de ses programmes d'assistance médicale et alimentaire. La gauche radicale a longtemps critiqué la façon dont l'USAID a été utilisée pour soutenir des groupes antisocialistes et des syndicats de droite. Mais la destruction des programmes d'assistance médicale et alimentaire de l'USAID par la bande de démolisseurs de Musk a des conséquences destructrices pour les pauvres dans les camps de réfugiés et ailleurs. L'annulation de 5 000 contrats avec des organisations à but non lucratif luttant contre le SIDA en Afrique signifie que des personnes séropositives n'auront plus accès à des médicaments rétroviraux empêchant la maladie de se développer. Des gens vont mourir à la suite de l'arrêt soudain de l'aide médicale et alimentaire.
L'éclatement du système d'alliances et des relations commerciales établies sera très destructeur pour les États-Unis. L'industrie américaine de l'armement perdra de nombreux contrats lucratifs. Le Portugal a récemment annulé ses achats d'avions de chasse F-35, par exemple, ce qui entraînera des licenciements. Les mesures de rétorsion et les boycotts de consommateurs, que ce soit au Canada ou en Europe, entraîneront une baisse des échanges commerciaux et les droits de douane imposés par Trump feront augmenter les prix. Les droits de douane sont payés par les importateurs américains, qui en répercuteront les coûts. Les droits de douane élevés sur les importations de l'industrie automobile en provenance du Mexique et du Canada entraîneront une hausse considérable des prix des voitures.
Les républicains vont affirmer que l'augmentation des prix des importations stimulera la production américaine. L'idée est qu'un prix plus élevé pour les produits importés les rend moins compétitifs par rapport aux produits fabriqués aux États-Unis. Mais les installations de production sont un investissement coûteux qui ne peut être rentable qu'à long terme. Les droits de douane peuvent être facilement supprimés à l'avenir et n'offrent donc pas aux investisseurs de garantie suffisante pour faire des investissements massifs.
Le licenciement de milliers d'employés fédéraux contribuera à réduire la demande des consommateurs. Si l'on ajoute à cela la perte de contrats militaires et l'inflation due aux droits de douane, une récession est très probable.
Se mobiliser pour une riposte efficace
Trump et son équipe ont poursuivi une stratégie de choc et de sidération (« shock and awe ») caractérisée par un flux constant d'attaques ciblant de nombreux groupes différents – de la rafle illégale d'immigrants légaux titulaires d'une carte verte à l'interdiction illégale de droits syndicaux pour les travailleurs fédéraux, en passant par le licenciement de milliers de ces travailleurs, la propagande anti-DEI visant à reconstruire la suprématie blanche, les attaques contre les personnes trans, les assauts contre les soins de santé pour les anciens combattants, l'interdiction de l'avortement et le fait de semer la peur parmi des millions d'Américains relativement à leur accès à la sécurité sociale ou au financement des soins de santé. Cette stratégie de raz-de-marée (« flood the zone ») est conçue pour exploiter les divisions sociales et désorienter l'opposition potentielle.
Mais cette stratégie présente un risque majeur pour le régime MAGA. Tomber à bras raccourcis sur autant de groupes en même temps revient à les inciter à se regrouper, à bâtir des coalitions et à en appeler à la solidarité de chacun pour créer un front de résistance plus large susceptible de prendre de l'ampleur. Avec les licenciements massifs de travailleurs fédéraux et l'anéantissement de leurs droits syndicaux légaux, cette démonstration de pouvoir par ce régime autoritaire contrôlé par des milliardaires constitue également une menace pour l'ensemble de la classe ouvrière, et ce de diverses manières.
Une stratégie pour construire une contre-attaque efficace nécessite des efforts d'organisation et d'éducation populaire, pour gagner la « bataille des idées » et contrer la machine médiatique de droite. La propagande MAGA prétend que son camp se bat pour la « liberté ». À préciser que l'objectif visé est de maximiser la « liberté » des capitalistes de traiter leurs travailleurs comme ils l'entendent, de polluer en toute impunité et de piller le trésor fédéral pour leur propre enrichissement. Or, cela signifie une attaque contre notre liberté – la liberté dans le milieu de travail, la liberté d'organisation, la liberté de dissidence.
Un élément utile de la stratégie tirée de l'expérience des organisateurs syndicaux est l'idée de montée en puissance. On entend par là qu'on ne peut pas s'attendre à ce que la résistance atteigne une intensité maximale dès départ, mais que nous nous efforçons de stimuler le potentiel d'intervention et de perturbation en vue d'une mobilisation progressive. Nous voyons déjà les signes d'une opposition croissante. Des groupes se sont formés et sont descendus dans la rue partout au pays, comme on l'a vu avec le mouvement Indivisible (indivisible.org), parmi d'autres. Des rassemblements sont organisés devant les concessionnaires Tesla et des appels au boycott de cette marque sont lancés. Il y a également eu des débrayages d'étudiants et des actes de résistance communautaire aux raids des forces policières de l'autorité de l'immigration et des douanes (Immigration and Customs Enforcement, ICE).
Par la suite, il s'agira de constituer des coalitions réunissant un plus grand nombre de groupes pour élaborer un programme commun répondant à leurs diverses préoccupations. Les personnes LGBT, les travailleurs du gouvernement fédéral, les défenseurs de l'environnement préoccupés par le réchauffement climatique, les communautés d'immigrés et d'autres groupes ont intérêt à être des acteurs de la riposte.
Une fois que les gens commencent à participer à des manifestations ou à des réunions, ils ont à cœur de trouver des modes d'action des plus efficaces. Faire les premiers pas dans cette direction peut les aider à dépasser la peur que le régime MAGA tente d'instiller pour faire taire les gens.
Dans une stratégie d'escalade, l'idée est d'utiliser des tactiques plus faciles ou moins effrayantes pour initialement galvaniser les gens et vaincre la passivité ou la peur. L'étape suivante consiste à passer à des formes de perturbation, telles que l'occupation de bureaux pour interrompre les activités courantes, l'occupation d'un concessionnaire Tesla ou un débrayage d'une journée.
C'est en créant de la perturbation que la classe ouvrière commence à exercer son pouvoir potentiel. Le pouvoir ultime de la classe ouvrière réside dans sa capacité à faire fermer des lieux de travail – en rendant inopérants les organismes gouvernementaux ou en empêchant les bénéfices de remplir les caisses des entreprises. Les mouvements de grève atteignent leur plein potentiel lorsqu'ils prennent la forme d'une grève générale, les travailleurs ayant construit des réseaux intersyndicaux et intersectoriels sur lesquels prendre appui pour affirmer le pouvoir de la classe ouvrière à l'échelle de la société. Avec un régime très répressif au pouvoir, les fonctionnaires au sommet de l'échelle de rémunération sont susceptibles de craindre toute action perturbatrice qui violerait les dispositions contractuelles ou menacerait directement l'État. La solution à ce problème réside dans l'organisation de la base et la création de comités et de réseaux indépendants des plus hauts représentants syndicaux. Dans une situation où les dirigeants des syndicats fédéraux sont déjà terrorisés par le régime Trump, les travailleurs fédéraux construisent déjà des réseaux intersyndicaux, comme le réseau informel de syndicalistes Federal Unionist Network. Un autre exemple de ce type d'organisation est l'union des travailleurs du secteur ferroviaire Railroad Workers United, qui a vu le jour à la suite de la capitulation des hauts responsables des syndicats de métier des chemins de fer. Une grève générale nationale exercerait une énorme pression en retour sur le régime MAGA. Il est probable qu'un mouvement de ce type devrait provenir de l'organisation et de la motivation de la base.
Un autre élément essentiel de la stratégie à déployer est la vision ou l'objectif – pour motiver les troupes en les poussant dans une certaine direction. Le régime Trump est sans précédent dans l'histoire américaine à bien des égards, mais il profite des points faibles d'une constitution américaine qui trahit son âge et dont les républicains exploitent depuis des années les faiblesses. Étant donné que le mouvement MAGA veut « faire exploser l'État administratif », piétiner la constitution et détruire un siècle de concessions obtenues par la lutte de la classe ouvrière, il ne sera pas facile de remettre en place les pièces du casse-tête.
L'émergence d'une faction de l'oligarchie soutenant le programme « explosif » du régime MAGA et le projet de pillage de l'État constituent en eux-mêmes un symptôme d'un capitalisme en crise. La vision d'avenir doit dépasser les limites héritées du cadre capitaliste américain. En tant que syndicalistes verts, notre programme appelle à une accélération rapide du programme de transition verte – arrêt de l'extraction des combustibles fossiles, fermeture progressive des raffineries de pétrole, remplacement du plastique pétrolier par d'autres substances et développement d'une économie verte décarbonée articulée autour des énergies renouvelables. Et tout cela avec des aides à la « transition juste » pour maintenir les revenus, les soins de santé et les garanties de retraite pour les travailleurs démis.
Nous envisageons également l'autogestion – le contrôle direct du processus de travail – des travailleurs, comme ceux des usines fabriquant des poêles électriques, des pompes à chaleur, des panneaux solaires, des autobus et des camions de livraison alimentés par des batteries pour l'économie verte. Notre objectif est d'obtenir un changement fondamental pour évoluer vers une société construite autour de l'autogestion démocratique – où les gens auraient leur mot à dire au sujet des décisions qui les concernent.
Plutôt qu'un État bureaucratique à hiérarchie descendante, nous proposons comme base d'une économie verte l'autogestion par les travailleurs au niveau des secteurs d'activité. Ainsi, nous envisageons que l'industrie pharmaceutique et le secteur des soins de santé soient gérés par une organisation démocratique du personnel opérant à l'échelle de la société – dirigée par les gens qui font le travail. Avec des soins de santé universels et gratuits financés par la société, les progrès en matière de santé publique pourraient être considérables.
Nous proposons que les secteurs de la communication – tels que ceux des services postaux et des télécommunications – soient gérés par une organisation industrielle contrôlée par les travailleurs, sans propriété capitaliste ni bureaucratie managériale descendante surplombant les travailleurs. Pour que le transport de marchandises sur de longues distances repose sur des bases écologiques saines, nous sommes d'accord avec lacampagne « Public Rail Now », qui prône la propriété publique du réseau ferroviaire. Mais nous proposons que le contrôle des chemins de fer soit assuré par des organisations industrielles régionales démocratiquement autogérées par les cheminots. Avec l'électrification des chemins de fer et une politique industrielle favorisant le rail (y compris les camions sur wagons plats) pour le transport de marchandises sur de longues distances, l'industrie du fret est susceptible de fonctionner avec une réduction considérable des émissions de gaz à effet de serre.
Les points de vue exprimés ici ne comprennent que certains des éléments de la vision nécessaire pour concrétiser la transformation sociale voulue.
******
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Elon Musk risque de s’enrichir encore plus alors que Trump soutient un budget de 1000 milliards de dollars pour le Pentagone

Alors que les agences fédérales sont confrontées à des coupes sombres et sont contraintes de supprimer des services essentiels, le président Trump a annoncé qu'il chercherait à obtenir un budget de 1 000 milliards de dollars pour le Pentagone, un chiffre record qui marquerait le niveau le plus élevé des dépenses de défense des États-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale. William Hartung, chercheur principal au Quincy Institute for Responsible Statecraft, qualifie le budget promis de « complètement inutile » et affirme que « les fabricants d'armes seraient presque les seuls bénéficiaires ». M. Hartung évoque également l'influence politique croissante des startups de la Silicon Valley spécialisées dans les technologies de défense, notamment Palantir d'Alex Karp et SpaceX d'Elon Musk.
https://www.democracynow.org/2025/4/9/william_hartung
9 avril 2025
Alors que de nombreuses agences fédérales sont confrontées à des coupes paralysantes et sont contraintes de réduire les services essentiels, le président Trump a annoncé qu'il demanderait un budget de 1 billion de dollars pour le Pentagone. Il a fait ce commentaire alors qu'il s'adressait aux journalistes aux côtés du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu.
PRÉSIDENT DONALD TRUMP : Nous avons également, essentiellement, approuvé un budget, qui est dans l'installation – vous aimerez l'entendre – d'un billion de dollars, 1 billion. Et personne n'a jamais rien vu de tel. Nous devons construire notre armée. Et nous sommes très soucieux des coûts, mais l'armée est quelque chose que nous devons construire.
AMY GOODMAN : Nous sommes maintenant rejoints par William Hartung, chercheur principal au Quincy Institute for Responsible Statecraft. Son nouvel article pour Forbes s'intitule « L'Amérique a-t-elle vraiment besoin d'un budget de 1000 milliards de dollars du Pentagone ? » Il est également co-auteur du livre à paraître, The Trillion Dollar War Machine, qui sortira plus tard cette année.
Alors, Bill Hartung, répondez à votre propre question : le Pentagone a-t-il vraiment besoin d'un budget de 1000 milliards de dollars ? Parlez de ce qui se passe ici, en tant que DOGE, alors que l'administration Trump découpe et coupe en dés, supprime et élimine d'autres agences.
WILLIAM HARTUNG : Eh bien, la question « Avons-nous besoin d'un billion ? » est une question une sorte de question molle, parce que la réponse est absolument non. Nous dépensons déjà trop.
Et cela dément vraiment l'idée qu'il s'agit d'efficacité. Ils ont presque éliminé l'Agence pour le développement international, éliminé le Ministère de l'Éducation, supprimé les Centers for Disease Control, s'en prenant à Medicaid, réduisant le personnel de l'Administration de la sécurité sociale.
S'ils sont axés sur l'efficacité, tout d'abord, ils ne pourraient pas le faire du jour au lendemain. Ils devraient étudier ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Donc, en gros, ils déciment notre gouvernement civil, qui fournit des services nécessaires ici et à l'étranger, et ils récompensent les entrepreneurs du Pentagone, y compris Elon Musk, qui a un pouvoir sans précédent. Vous savez, les militaristes de la Silicon Valley n'ont même pas besoin de faire pression sur cette administration, parce qu'ils sont intégrés en elle. JD Vance a été formé par Peter Thiel, le militaire de la Silicon Valley. Vous avez Musk. Vous avez des gens répartis dans ces différentes agences.
Il y avait un peu d'espoir à cause de la rhétorique de Trump. Il a dit : « Eh bien, si nous pouvions, vous savez, nous réchauffer avec la Chine et la Russie, nous pourrions réduire le budget militaire de moitié. Vous savez, les armes nucléaires coûtent trop cher. J'étais à peu près sûr que c'était juste une sorte d'os pour ceux de sa base, dont certains en ont marre des guerres sans fin, ne font pas confiance à ces entreprises. Mais je ne m'attendais pas à ce qu'il l'accepte vraiment. Et c'est effectivement le cas. Et il va – il parle de construire un « Golden Dome », qui est un peu semblable au bouclier antimissile impénétrable de Reagan dans Star Wars, ce que presque tous les scientifiques disent qu'il n'est pas possible de faire. C'est donc un gros gâchis pour les anciennes sociétés, comme Lockheed Martin, et les nouvelles sociétés, comme Anduril et Palantir.
Et puis, bien sûr, ce nouvel avion de chasse, qu'il a décidé d'appeler le F-47 parce qu'il est le 47e président. Je veux dire, autant mettre son nom sur le côté. Rien n'indique que cela va fonctionner. Andrew Cockburn, un analyste de longue date, a écrit un article à ce sujet.
Donc, en même temps, ils disent, vous savez, ils vont préserver chaque centime, le dépenser judicieusement, ils mettent de l'argent dans ces nouveaux gâchis. Bien sûr, ils n'ont jamais passé un audit. Ils ont payé beaucoup plus cher qu'ils n'auraient dû pour les pièces de rechange. Ils se sont débarrassés des inspecteurs généraux indépendants qui pourraient vérifier s'il y a de la corruption.
Il s'agit donc vraiment d'un effort pour militariser notre société, ce contre quoi Eisenhower a mis en garde, que nous ne voulions pas que l'Amérique devienne un État de garnison. Et pour se débarrasser du sida, vous savez, le visage de l'Amérique au monde maintenant va être presque entièrement militaire. Bien que l'AID ait eu ses problèmes, elle a également fourni de l'eau potable, de la nourriture, des services de prévention du SIDA et du VIH, ce qui a aidé des millions de personnes dans le monde.
Donc, je pense que c'est vraiment mauvais pour l'influence de l'Amérique dans le monde. C'est mauvais pour un grand nombre de gens. Les entrepreneurs en armement seront presque les seuls bénéficiaires. Et, bien sûr, ce sera le budget le plus élevé du Pentagone depuis la Seconde Guerre mondiale, donc plus élevé que le pic de la Corée et du Vietnam, plus élevé que le pic des guerres d'Afghanistan et d'Irak. Et c'est complètement inutile, et cela va en fait nous rendre moins sûrs.
JUAN GONZÁLEZ : Et, Bill, vous avez écrit d'autres articles mettant en doute le fait que le budget officiel du Ministère de la Défense soit en fait beaucoup plus important, peut-être deux fois plus important que le budget militaire des États-Unis. Pourriez-vous nous parler de cet écart entre le budget officiel et les dépenses réelles des États-Unis ?
WILLIAM HARTUNG : Oui. Eh bien, ce n'est pas seulement le budget du Pentagone qui a un but militaire ou qui est le résultat d'une politique étrangère militarisée. Vous savez, les ogives nucléaires sont fabriquées par le Ministère de l'Énergie. Une partie de notre aide militaire se trouve dans le budget des Affaires internationales au lieu du budget du Pentagone. Bien sûr, l'administration des anciens combattants s'est multipliée pour s'occuper des vétérans d'Irak et d'Afghanistan, dont des centaines de milliers ont des blessures physiques, un SSPT et ainsi de suite. Et puis, vous savez, une partie de nos intérêts sur la dette est attribuable à nos énormes dépenses militaires, et ces intérêts vont bientôt être plus élevés que ceux de presque toutes les autres agences gouvernementales.
Donc, que vous soyez préoccupé par la responsabilité fiscale ou les services de base, ce n'est tout simplement pas la voie à suivre. Et la raison en est ce genre de stratégie de couverture mondiale, que nous avons besoin de 750 bases militaires, de 11 porte-avions, essentiellement de bases aériennes flottantes, de plus d'armes nucléaires.
Nous avons besoin d'une stratégie différente. Vous savez, cette idée de durcir le ton et de faire la paix par la force a été un désastre au cours de ce siècle, si vous regardez les résultats des guerres en Irak et en Afghanistan, qui étaient censées être gagnées grâce à une technologie supérieure, mais ensuite, parce que l'opposition connaissait le terrain local, la culture locale, a mis au point des contre-mesures bon marché comme des engins explosifs improvisés. Toute la technologie du monde n'allait pas gagner ces guerres. Donc, l'idée que nous allons adopter la même approche contre un grand pays puissant comme la Chine pourrait être une recette pour un désastre. Les principaux arguments sur ce front viennent des militaristes de la Silicon Valley, comme Peter Thiel, Palmer Luckey et ainsi de suite, ...
JUAN GONZÁLEZ : Oui, Bill, je voulais vous poser une question à ce sujet en particulier. Vous avez récemment écrit pour Monthly Review une critique d'un livre d'Alex Karp, le PDG de Palantir. Et vous dites là-bas – à propos de ces militaristes de la Silicon Valley, vous dites : « Tous sont convaincus qu'à un moment donné, à l'avenir, en supplantant les fabricants d'armes de la vieille école comme Lockheed Martin et Northrop Grumman, ils inaugureront un âge d'or de la primauté mondiale américaine fondée sur une technologie toujours meilleure. » Pouvez-vous nous parler de cette montée des militaristes de la Silicon Valley ?
WILLIAM HARTUNG : Bien sûr. À l'origine, j'ai écrit cela pour TomDispatch, qui permet aux gens d'écrire ce genre de choses, ce qui n'est pas facile à faire nulle part.
Mais Karp a un livre, et c'est essentiellement un peu comme, vous savez, l'idéologie du XIXe siècle avec la technologie du XXIe siècle. Il dit que l'Amérique s'est égarée, que nous ne croyons pas au concept de l'Occident, que nous ne sommes pas patriotes et que nous avons besoin d'une mission nationale unificatrice. Son idée de cette mission est un nouveau projet Manhattan pour militariser l'intelligence artificielle. Pour moi, c'est une vision assez appauvrie de ce que devrait être notre mission en tant que nation. Vous savez, notre mission est censée être la tolérance, la démocratie, la prospérité, la diversité – toutes les choses qui sont attaquées en ce moment. C'est donc complètement à l'envers.
Et le truc, c'est que, vous savez, Palantir, par exemple, a été l'une des rares entreprises à encourager la guerre contre Gaza. Une partie de leur technologie a été utilisée pour le ciblage. Karp a décidé de tenir la réunion du conseil d'administration en Israël pendant la guerre de Gaza. Et ils pensent aussi – vous savez, une fois que nous maîtriserons l'IA, nous serons en mesure de battre la Chine dans une guerre, et ainsi de suite.
C'est donc une race différente. Vous savez, le patron de Lockheed Martin, il financera des groupes de réflexion qui font, vous savez, un cas sympathique, mais il n'est pas avec un porte-voix qui dit : « Dominons le monde », parce qu'il a l'impression que c'est une mauvaise image pour quelqu'un qui profite de cela, alors que ces gens de la Silicon Valley sont sans vergogne. Ils pensent vraiment qu'ils sont nos sauveurs, qu'ils peuvent faire les choses mieux que le gouvernement. Et ils ont des idées folles, comme Peter Thiel qui fait des recherches sur la façon de vivre éternellement, et Elon Musk qui veut la colonisation massive de l'espace, et Palmer Luckey qui est essentiellement un joueur qui a décidé de fabriquer des armes. Ce ne sont pas ces personnes que vous voulez voir façonner votre politique étrangère. Je veux dire, s'ils avaient un projet qui valait la peine pour la défense, achetez le produit. Ils devraient être des vendeurs. Ils ne devraient pas essayer de façonner notre politique, notre vision du monde, notre gouvernement. Et ils ne devraient pas être autorisés à le faire.
AMY GOODMAN : Bill Hartung, pouvez-vous nous en dire plus sur Elon Musk et ses conflits d'intérêts alors qu'il s'en prend à ces autres agences ? Ce n'est pas seulement qu'ils augmentent, et Hegseth a annoncé ce budget de 1000 milliards de dollars du Pentagone. C'est qu'Elon Musk a des contrats de plusieurs millions de dollars avec le Pentagone. Si vous pouviez discuter de cela, et aussi du fait que le Pentagone cite à plusieurs reprises la Chine comme son principal adversaire ? Maintenant, il y a une guerre commerciale qui se profile. Comment voyez-vous cela se dérouler ?
WILLIAM HARTUNG : Eh bien, Musk a plus de pouvoir que l'ensemble du Cabinet réuni. Il est presque co-président. Et il possède une [entreprise], SpaceX, qui va faire une version de Starlink pour l'armée, qui lance beaucoup de nos satellites militaires. Il a un nouveau produit appelé le Starship, qui sera censé être capable de mettre plus de charge utile dans l'espace que n'importe quelle autre arme. Et le Pentagone considère cela comme un moyen de battre la Chine dans la course à l'espace. Ses contrats avec le Pentagone ne feront donc que croître. Et il pourrait bien se déplacer, essayer de transférer de l'argent vers ses alliés de la Silicon Valley. Il a détruit le F-35, ce qui est raisonnable, mais il a dit : « Remplaçons-le par des drones sans pilote. »
C'est donc une situation sans précédent que d'oindre un milliardaire non élu pour avoir ce genre de pouvoir, et surtout depuis le Pentagone – il a, vous savez, un conflit d'intérêts très évident. Je n'ai jamais rien vu de tel. Je veux dire, ces gens vérifiaient les gens pendant la transition pour savoir qui pouvait travailler au Pentagone. Et, bien sûr, Musk – ils ont en quelque sorte fait croire qu'il s'agissait d'un conseil, mais ils sont en fait, en gros, en train de démanteler le gouvernement, de licencier des scientifiques et des experts dont nous avons besoin pour des choses comme la lutte contre les pandémies. Il est donc en conflit d'intérêts ambulant.
AMY GOODMAN : Bill, pour être très clair, je veux me corriger. J'ai dit « des millions de dollars ». L'US Space Force a annoncé vendredi qu'elle attribuerait des contrats à SpaceX - SpaceX est la société d'Elon Musk, une société privée - elle attribuerait à SpaceX des contrats d'une valeur d'environ 5,9 milliards de dollars, 6 milliards de dollars.
WILLIAM HARTUNG : Oui, et il ne fera que croître à l'avenir. En fait, Bloomberg a dit qu'il s'agissait en quelque sorte de l'entrepreneur d'armement des années à venir. Reste à savoir s'ils peuvent, vous savez, surpasser Lockheed Martin, qui reçoit 40 ou 50 milliards de dollars par an.
Mais il va y avoir une bataille. Vous savez, la Silicon Valley est ancrée dans le pouvoir exécutif. Lockheed Martin a une énorme influence au Congrès parce qu'ils ont des installations dans la plupart des États, ils embauchent d'anciens fonctionnaires pour faire pression en leur faveur, ils financent des groupes de réflexion, ils siègent à des commissions gouvernementales qui élaborent des politiques. Il s'agit donc soit d'un choc des titans, soit, comme cela arrive souvent, ils vont simplement pousser le budget assez haut pour financer les deux. Et donc...
AMY GOODMAN : Nous n'avons que 30 secondes. Pourriez-vous répondre sur la Chine ?
WILLIAM HARTUNG : Oui, eh bien, la Chine est le cadeau qui continue de donner. Exagérer la menace de la Chine est un moyen de financer ces entreprises. Je veux dire, fondamentalement, à Washington, si nous disons « Chine », vous savez, c'est un autre milliard de dollars fourni aux entrepreneurs d'armes. En fait, nous devrions trouver des accommodements avec la Chine, et non nous préparer à une guerre avec elle.
AMY GOODMAN : Nous allons en rester là, et je tiens à vous remercier infiniment de vous être joint à nous, Bill Hartung, chercheur principal au Quincy Institute for Responsible Statecraft.
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Du « jour de la libération » au chaos : Trump suspend la plupart des tarifs douaniers tout en intensifiant la guerre commerciale avec la Chine

Le président Trump a annoncé une pause de 90 jours sur les nouveaux droits de douane pour la plupart des pays et une forte augmentation des droits de douane sur la Chine. Le taux de droits de douane de 125 % appliqué à la Chine fait suite aux représailles de cette dernière dans le cadre de l'escalade de la guerre commerciale entre les deux plus grandes économies du monde. Pour la plupart des autres pays, les droits de douane de 10 % restent en vigueur, mais les droits de douane plus élevés ont été suspendus quelques heures seulement après leur entrée en vigueur, ce qui a provoqué une remontée des marchés boursiers mondiaux après un plongeon historique.
https://www.democracynow.org/2025/4/10/tariffs_trade_war_china_markets
10 avril 2025
Nous nous entretenons avec deux économistes, Nancy Qian et Joseph Stiglitz, sur le « chaos » de la semaine écoulée depuis que M. Trump a dévoilé son plan tarifaire le 2 avril, qu'il a qualifié de « jour de la libération ». Il n'y a « aucune théorie économique derrière ce qu'il fait », déclare Stiglitz. Il qualifie M. Trump de « tyran de cour d'école » qui bouleverse les marchés internationaux sur la base d'une compréhension erronée du rôle des déficits commerciaux et de la possibilité de réintroduire l'industrie manufacturière dans l'économie américaine. « Nous n'avons jamais rien vu de tel auparavant », déclare M. Qian, qui ajoute que la Chine semble se préparer à la guerre commerciale de longue haleine que M. Trump vient de déclencher.
NERMEEN SHAIKH : Les marchés boursiers mondiaux ont bondi mercredi après que le président Trump a annoncé une pause de 90 jours sur les nouveaux tarifs douaniers radicaux pour la plupart des pays, tout en intensifiant la guerre commerciale des États-Unis avec la Chine. M. Trump a porté les droits de douane sur la Chine à 125 % après que la Chine a augmenté les droits de douane sur les produits américains à 84 % à la suite des premières augmentations de droits de douane de l'administration Trump. La Chine a également pris d'autres mesures de rétorsion, notamment de nouvelles restrictions sur les exportations de terres rares vers les États-Unis.
En ce qui concerne la majeure partie du reste du monde, des droits de douane de 10 % restent en place, mais les droits de douane plus importants ont été suspendus quelques heures à peine après leur entrée en vigueur. Les marchés boursiers mondiaux se sont effondrés depuis que M. Trump a annoncé les nouveaux tarifs le 2 avril, à l'occasion de ce qu'il a appelé le « jour de la libération ».
AMY GOODMAN : L'administration Trump a donné des explications contradictoires sur les raisons de son revirement. Le secrétaire au Trésor Scott Bessent a déclaré que c'était la « stratégie de Trump depuis le début », mais Trump lui-même a ouvertement admis qu'il était préoccupé par l'effondrement du marché obligataire américain.
PRÉSIDENT DONALD TRUMP : Le marché obligataire est très délicat. Je l'ai observé. Mais si vous le regardez maintenant, c'est - c'est magnifique. Le marché obligataire est magnifique en ce moment. Mais j'ai vu hier soir que les gens commençaient à se sentir un peu mal à l'aise. Je pense que tout avait - eh bien, le grand mouvement n'était pas ce que j'ai fait aujourd'hui. Le grand mouvement, c'est ce que j'ai fait le jour de la libération.
NERMEEN SHAIKH : Mercredi, le S&P 500 a grimpé de 9,5 % et le Nasdaq de plus de 12 %, après que M. Trump a annoncé la pause tarifaire dans un message publié sur Truth Social juste avant 13h30. Plus tôt dans la journée, M. Trump avait écrit, je cite : « C'EST LE MOMENT D'ACHETER ! DJT ».
Le sénateur démocrate Adam Schiff demande maintenant au Congrès de déterminer si l'administration Trump s'est livrée à un délit d'initié ou à une manipulation du marché. Bloomberg rapporte que les personnes les plus riches du monde ont ajouté 304 milliards de dollars à leur valeur nette combinée mercredi, le gain le plus important en une journée dans l'histoire de l'indice Bloomberg Billionaires.
AMY GOODMAN : Nous sommes rejoints par deux invités. Nancy Qian est avec nous depuis Rome, en Italie. Elle est professeur d'économie à l'université Northwestern, codirectrice du Global Poverty Research Lab de l'université Northwestern et directrice fondatrice du China Econ Lab. Son dernier article pour Project Syndicate s'intitule « Americans Can't Win from Trump's Trade War » (Les Américains ne peuvent pas gagner à la guerre commerciale de Trump).
Joseph Stiglitz est avec nous en studio ici à New York, économiste lauréat du prix Nobel, professeur à l'université de Columbia, ancien président du Conseil des conseillers économiques. Le professeur Stiglitz est également l'économiste en chef de l'Institut Roosevelt. Son dernier livre, The Road to Freedom : Economics and the Good Society.
Nous vous souhaitons à tous deux la bienvenue à Democracy Now ! Professeur Stiglitz, commençons par vous. Il s'agit d'une réponse globale à ces montagnes russes. Et si quelqu'un a des doutes sur le fait que le tollé mondial est important et que les protestations dans le monde entier font une différence, comme ce qui s'est passé ce week-end, eh bien, il suffit de regarder ce qui s'est passé hier. Pouvez-vous nous parler de votre réponse, Professeur Stiglitz ?
JOSEPH STIGLITZ : C'est le chaos total. Et l'une des choses que nous savons, c'est que le chaos est mauvais pour le marché. Mais les dégâts sont déjà durables. Vous savez, au cours des 80 dernières années, nous avons essayé de créer un monde sans frontières. Au moins, les frontières avaient moins d'importance. Tout à coup, les frontières sont plus importantes. Et il ne s'agit pas seulement des frontières avec ceux que vous n'aimez pas. Il s'agit de frontières avec nos meilleurs amis, au Canada. Nous vivons donc dans un monde nouveau où chaque pays doit se poser une question qu'il ne s'est jamais posée auparavant : Quelle est l'étendue de notre souveraineté économique nationale ? Que se passera-t-il si un fou d'un autre pays - des États-Unis, par exemple - augmente soudainement les droits de douane de 20 %, 10 %, 20 %, 50 %, 100 % ? Il n'y a donc aucune fiabilité dans nos relations, qu'elles soient amicales ou non.
Ce qui est également clair, c'est que Trump n'a aucune théorie économique derrière ce qu'il fait. Et je pense que c'est ce qui est le plus inquiétant, à la fois pour moi en tant qu'économiste et pour ceux qui sont de l'autre côté dans les négociations. J'ai parlé à certains d'entre eux et ils m'ont dit : « Nous ne savons pas comment négocier, parce que l'autre partie n'est pas un négociateur normal ». Normalement, l'autre partie sait ce qu'elle veut. Il existe une théorie sur le fonctionnement du commerce. Ce n'est pas le cas ici. Le monde est différent.
Laissez-moi vous donner un exemple. Trump pense que les déficits commerciaux en eux-mêmes, et en particulier les déficits commerciaux dans le domaine des biens, reflètent le fait que quelqu'un nous traite de manière injuste. Il part en quelque sorte du principe que nous sommes meilleurs que les autres pays et que les gens devraient donc nous acheter plus de marchandises que nous n'en achetons à eux. C'est absurde. L'ampleur du déficit commercial multilatéral est simplement déterminée par la disparité entre l'épargne globale, d'une part, et - l'épargne nationale et l'investissement national global, d'autre part. Et si l'épargne diminue, le déficit sera plus important. Or, sa proposition d'une forte réduction d'impôts, non financée, est en fait une diminution de l'épargne nationale, ce qui aura pour effet d'accroître le déficit commercial multilatéral.
Ensuite, il y a la microéconomie. Il fait une grande différence entre les biens et les services. Mais nous sommes au XXIe siècle, pas en 1950. Les services constituent la majeure partie de notre économie. La production de biens, l'industrie manufacturière, représente 9 %, 10 %. Quels sont les principaux secteurs de services ? Le tourisme, l'éducation, la santé. Que fait-il à ces secteurs ? Regardez ce qu'il a fait ces dernières semaines. Il a dévasté notre système éducatif. La façon dont ses agents des frontières et de l'immigration ont traité ceux qui voulaient entrer dans notre pays avec des passeports et des visas valides a découragé le tourisme. Il s'acharne donc à nuire aux principales industries exportatrices de l'Amérique, le tourisme et l'éducation. Il ne fait qu'empirer les choses, au niveau microéconomique et au niveau macroéconomique.
NERMEEN SHAIKH : Avant de donner la parole au professeur Nancy Qian, je voulais vous demander - vous avez dit tout à l'heure que le chaos est mauvais pour le marché. C'est indiscutable. Mais comment expliquez-vous - les gens sont absolument perplexes- c'est aussi ce que nous avons dit dans l'introduction. Comment se fait-il qu'au moment où Trump a déclaré une pause sur ces droits de douane, les marchés se sont envolés ? Et pas seulement en flèche, je veux dire, pour le plus grand gain journalier depuis 2008, le S&P. Comment cela s'explique-t-il ?
JOSEPH STIGLITZ : Eh bien, n'oubliez pas que le marché avait énormément baissé, presque en territoire baissier, au cours des deux jours précédents.
NERMEEN SHAIKH : Oui.
JOSEPH STIGLITZ : Il y a parfois beaucoup d'exubérance irrationnelle sur le marché. Je pense qu'ils ont fait une erreur. Et la raison pour laquelle je pense qu'il y a une erreur est que l'importance du commerce avec la Chine, à bien des égards, est bien plus grande que le commerce avec l'Europe, et que nous dépendons énormément des biens en provenance de Chine. Nous achetons des voitures en Europe. Si nous n'avons pas de voitures européennes, nous souffrons un peu, mais ce n'est pas grave. Si nous n'avons pas les ingrédients qui entrent dans la composition d'un grand nombre de nos produits, ou si ces ingrédients voient leur prix doubler, c'est une grande perturbation. Je m'attends donc à ce que ces droits de douane énormes et sans précédent - permettez-moi d'insister sur le terme « sans précédent » - imposés à la Chine, ainsi que les représailles de la Chine, y compris les restrictions imposées aux exportations de minéraux et de terres rares dont nous avons besoin pour notre production, provoquent une très grande perturbation.
NERMEEN SHAIKH : Professeur Nancy Qian, pourriez-vous nous parler de l'ampleur de ces droits de douane et nous dire quel sera, selon vous, l'impact sur l'économie chinoise et sur l'économie américaine de ces droits de douane de 125 % imposés par les États-Unis à la Chine et de 84 % imposés par la Chine aux États-Unis ?
NANCY QIAN : Comme l'a dit le professeur Stiglitz, ces tarifs douaniers sont sans précédent. Ils sont si élevés qu'il est vraiment difficile pour nous de calibrer exactement le coût pour tout le monde, sauf que nous savons qu'il sera énorme. Vous savez, nous voyons déjà des contrats annulés entre des fournisseurs chinois et des importateurs américains. Des relations d'affaires qui ont pris des décennies à se construire sont maintenant interrompues, parce que ces droits de douane sont si élevés que personne ne peut être rentable, ne peut rester en activité et continuer à importer.
Et, vous savez, le problème avec les tarifs douaniers, c'est que si vous les augmentez un peu, peut-être que les gens pourront encaisser le coup. Par « les gens », j'entends les entreprises, les exportateurs et les importateurs. Mais si vous les augmentez beaucoup et qu'ils ne peuvent pas atteindre leurs objectifs, alors ils doivent tout simplement arrêter. Et nous n'avons jamais rien vu de tel auparavant.
Qu'est-ce que cela signifie pour les États-Unis si nous ne pouvons pas obtenir de pièces détachées en Chine ? Et qu'est-ce que cela signifie pour la Chine si elle doit fermer des usines, des usines qui font vivre des familles, vous savez, et des enfants, qui dépendaient de ces emplois à l'exportation ? Je pense donc que le coût pour les deux économies sera colossal. Nous en verrons un peu les effets à court terme. Et si cela continue, nous verrons les choses s'aggraver au fil du temps.
AMY GOODMAN : Permettez-moi de vous interroger, professeur Qian, sur les commentaires du secrétaire au Trésor, M. Bessent, lorsqu'il a déclaré que tout cela avait été planifié. La question est, bien sûr, de savoir si les délits d'initiés étaient planifiés : Les délits d'initiés étaient-ils planifiés ? Trump s'est vanté hier de la plus forte hausse du marché boursier que le pays ait jamais connue. Et, bien sûr, la question est de savoir comment ces milliardaires et, peut-être - je ne peux pas le dire, je le sais - je ne le sais pas - que Trump lui-même a profité hier de la hausse, en achetant tôt ? Mais le commentaire de Bessent, « On pourrait même dire que [Trump] a poussé la Chine », et ils se sont montrés le « mauvais acteur » qu'ils sont. Votre commentaire, Professeur Qian ? Je crois que nous venons de perdre le professeur Qian à Rome, en Italie, alors nous allons poser la question au professeur Stiglitz.
JOSEPH STIGLITZ : Eh bien, je ne pense pas qu'ils aient anticipé ce type de réponse. Le langage qu'ils ont utilisé était celui d'une brute de cour d'école. Ils ont dit : « Ils ne nous ont pas montré de respect ». Et, bien sûr, la Chine a estimé que les États-Unis avaient enfreint le droit économique international. Nous disposons d'un cadre international, l'OMC, qui est censé déterminer comment les pays définissent leur politique commerciale. Et nous avons tout simplement jeté à la poubelle l'ensemble de cet accord, dans la rédaction duquel nous avons joué un rôle clé. L'argument selon lequel « Oh, il ne m'a pas montré de respect » est le genre de langage que l'on entend de la part des brutes. Je ne pense pas que nous nous attendions à ce qu'ils réagissent de la sorte.
J'étais en Chine il y a environ deux semaines, et il était très clair qu'ils étaient prêts pour un autre round, parce qu'ils avaient vu à quel point Trump était erratique. Et il existe une asymétrie fondamentale que Trump et son équipe n'ont, à mon avis, pas bien comprise. Cette asymétrie réside dans le fait que la Chine connaîtra un déficit de la demande globale en raison de la perte de ses exportations. Il est possible de réorienter cette demande vers la production intérieure. C'est ce qu'elle essaie de faire depuis un certain nombre d'années, et c'est ce qui va se produire. Il est beaucoup plus difficile de modifier l'offre. Je pense donc que nous sommes dans une situation plus difficile que la Chine.
AMY GOODMAN : Le professeur Qian est de retour parmi nous. Professeur Qian, ce commentaire du secrétaire au Trésor selon lequel tout cela était planifié et que Trump a réussi à aiguillonner la Chine pour qu'elle se montre comme le mauvais acteur qu'elle est ? Et le commentaire de Vance la veille, faisant référence aux « paysans chinois » ?
NANCY QIAN : Il est vraiment difficile de croire que tout cela ait été planifié comme une stratégie pour atteindre la Chine, vous savez, pour un tas de raisons différentes. Tout d'abord, la relation conflictuelle unique entre la Chine et les États-Unis est bien connue et dure depuis la première guerre commerciale. Il n'y a donc pas vraiment de nouvelles informations à apprendre.
Deuxièmement, les Chinois et les Américains ont négocié, et les Chinois ont montré qu'ils étaient prêts à négocier et qu'ils ne souhaitaient pas de guerre commerciale. C'est ce que l'on constate, par exemple, dans les négociations sur l'accord TikTok. Sous l'administration Biden, il a été demandé à TikTok de se séparer de ses propriétaires chinois, ByteDance. À l'époque, le gouvernement chinois a dit : « Pas question, nous ne laisserons jamais ByteDance vendre TikTok à des Américains. » Mais ensuite, sous l'administration Trump, ce que nous avons vu, c'est que les négociations ont avancé assez rapidement. Et deux jours avant que cela ne devienne officiel, les États-Unis ont augmenté les droits de douane sur la Chine de 34 % supplémentaires. Cela ne ressemble donc pas à une stratégie bien planifiée.
Une autre façon de poser la question est de dire : « Qu'est-ce que le gouvernement américain a obtenu aujourd'hui qu'il n'aurait pas pu obtenir sans augmenter les droits de douane pour le monde entier ? » N'est-ce pas ? Qu'a-t-il obtenu en augmentant les droits de douane pour les îles où il n'y a que des pingouins ? Quel était l'intérêt de cette mesure ? Est-ce que cela nous a appris quelque chose sur la puissance américaine ou sur la Chine ? Et la réponse doit être non.
AMY GOODMAN : Il y a un dessin animé qui circule : « Ils sont d'abord venus pour les chats. Puis ils sont venus pour les pingouins. » Nermeen ?
NERMEEN SHAIKH : Je voulais vous interroger sur les implications plus larges d'une réduction massive des échanges entre les États-Unis et la Chine. L'Organisation mondiale du commerce a déclaré mercredi que cette escalade tarifaire pourrait réduire de 80 % les échanges de marchandises entre les deux pays, alors que le commerce entre la Chine et les États-Unis représente 3 % du commerce mondial, de l'ensemble du commerce mondial. Qu'est-ce que cela signifie ? Quelles en seraient les retombées sur d'autres pays, aux économies beaucoup plus modestes ? Et, professeur Stiglitz, vous avez dit que les États-Unis avaient enfreint le droit économique international. Bernie Sanders a publié hier une déclaration disant que ce qu'il a fait est en fait inconstitutionnel, que M. Trump n'a pas le pouvoir d'imposer les tarifs douaniers qu'il a imposés. Pourriez-vous commenter ces deux points ?
JOSEPH STIGLITZ : Permettez-moi de commencer par souligner qu'il y aura un effet économique important sur les États-Unis, parce que le temps nécessaire pour ramener la fabrication aux États-Unis, même si cela réussissait, n'est pas de trois mois, ni même d'un an, mais de deux ans. J'ai parlé à des entreprises qui ont envisagé de ramener la fabrication aux États-Unis. Elles disent : « Nous n'avons pas la logistique. Nous n'avons pas les chaînes d'approvisionnement dont vous avez besoin pour ramener une fabrication complexe. » Et la fabrication moderne est robotisée. Ainsi, même si nous ramenions l'industrie manufacturière, il n'y aurait pas beaucoup d'emplois. La réalité, c'est que son idée de nous ramener aux années 1950 n'arrivera jamais, jamais.
Mais que se passera-t-il entre-temps ? Nous ne serons pas en mesure d'obtenir les biens dont les Américains ont besoin. Nous avons vu ce qui s'est passé lorsque les chaînes d'approvisionnement ont été interrompues après la pandémie et après l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Les prix ont grimpé, certains produits plus que d'autres. C'est le monde dans lequel nous allons nous retrouver. Cela affectera, bien sûr, non seulement les États-Unis, mais aussi tous les autres pays. Si la Fed agit comme elle le fait habituellement lorsque les prix augmentent, en augmentant les taux d'intérêt, nous allons retomber dans la stagflation.
AMY GOODMAN : Qui a l'oreille de Trump ? Je veux dire, vous avez le chuchoteur du commerce, Peter Navarro - n'est-ce pas ? qui était, vous le savez, le principal responsable du commerce économique dans la première administration, qui est ensuite allé en prison, qui est maintenant sorti, et qui cite continuellement l'économiste « Ron Vara » pour expliquer pourquoi il est important de faire du commerce - d'imposer des droits de douane. Il s'avère que Ron Vara n'est qu'une anagramme de Navarro. Il n'existe même pas. Cela ne s'invente pas. Et maintenant, bien sûr, Donald Trump a appelé les journalistes pendant des années sous le nom de « John Barron », c'est donc très similaire, et il s'agit également d'une personne fictive. En fait, c'était Donald Trump. Alors, qui le conseille ? Et qu'en est-il du fait que des gens comme Elon Musk se sont joints à la broligarchie, aux autres milliardaires, contre ce qu'il faisait, ont attaqué Navarro sans relâche, le traitant de « crétin » et de « sac de briques », mais ont dit que c'était une insulte aux briques ?
JOSEPH STIGLITZ : Eh bien, je veux dire qu'il ne semble écouter personne. À bien des égards, Trump donne une mauvaise réputation au protectionnisme. On peut dire que des politiques soigneusement élaborées peuvent aider à construire des industries particulières. Mais...
AMY GOODMAN : Le président de l'UAW, Shawn Fain, avance cet argument.
JOSEPH STIGLITZ : Oui, dans certaines industries. Il faut que ce soit fait sur mesure. C'est plus important pour les pays en développement que pour les pays développés. Nous n'en avons pas autant besoin qu'un pays pauvre en développement. Il est parfois possible d'utiliser des politiques commerciales soigneusement élaborées pour y parvenir. Mais ses politiques générales, ses attaques contre le Canada, ses attaques contre les pingouins, n'ont absolument aucun sens.
Et ce qu'il ramène, c'est la préoccupation que nous avons, que les économistes politiques ont depuis très longtemps : Il pourrait s'agir d'une source de corruption. Lorsque vous négociez de manière non transparente, des pots-de-vin sont versés. Vous dites : « Enlevez mon tarif et je vous donnerai de l'argent, soit directement à vous, soit dans les coffres de votre campagne ». Nous retournons donc dans un monde non transparent, où, par exemple, les milliardaires de la technologie peuvent contribuer à façonner la politique technologique mondiale dans le cadre du commerce international, au détriment du monde entier. Il l'a déjà fait. Il a fait tout un plat de la modification par l'UE de ses lois visant à créer une concurrence dans la sphère technologique, à garantir la sécurité de l'IA et des médias sociaux, ainsi que la modération des contenus. Il s'est attaqué à ces lois fondamentales. Et tout cela va se passer en secret et avec beaucoup de choses sales.
AMY GOODMAN : Et il se vante, comme il l'a fait l'autre soir, « J'ai tous ces pays qui embrassent mon … » - je ne le dirai pas, mais ça rime avec « tutu ». Nermeen ?
NERMEEN SHAIKH : Et juste avant de conclure, Professeur Qian, si vous pouviez nous donner une idée : Que se passe-t-il en Chine ? Qu'entendez-vous sur la façon dont les industries chinoises se préparent à l'avenir ?
NANCY QIAN : En Chine, les voix sont étonnamment calmes. Vous savez, le gouvernement essaie de trouver un équilibre entre la préparation de la population aux difficultés économiques à venir et la mise en place d'un état d'esprit de solidarité. Vous savez, ils rejettent la faute - évidemment, ils rejettent tout - ces hausses de tarifs sur l'administration Trump et le gouvernement américain. Et les gens trouvent cela convaincant dans ce cas.
En même temps, ils essaient aussi de ne pas attiser trop le nationalisme. Ils ont donc pris soin de censurer l'ampleur des hausses tarifaires imposées par les États-Unis. Et, vous savez, mon interprétation de ce qui se passe est qu'ils créent un espace pour pouvoir se sortir de cette situation - n'est-ce pas ? - afin d'avoir un moyen de sauver la face pour négocier et sortir de cette guerre commerciale si l'occasion se présente. En attendant, les banquiers centraux, les industries, tout le monde se prépare à une longue et profonde guerre commerciale.
AMY GOODMAN : Je tiens à vous remercier, Nancy Qian, de nous avoir rejoints, professeur d'économie à l'université Northwestern de Chicago, mais qui nous a rejoint depuis Rome, en Italie, et Joseph Stiglitz, économiste lauréat du prix Nobel et professeur à l'université Columbia.
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

« Combattre l’oligarchie » : Bernie Sanders vent debout contre Trump et Musk

Nebraska, Colorado, Arizona, Nevada... le ténor de la gauche progressiste attire le peuple anti-Trump, sonné par le manque de résistance politique face au milliardaire républicain. À 83 ans, Bernie Sanders refuse de se retirer de la scène politique. Le sénateur du Vermont, figure emblématique de la gauche américaine, a rassemblé plusieurs dizaines de milliers de personnes ce samedi à Los Angeles, affirmant son rôle de principal opposant audible face au retour de Donald Trump.
Tiré d'El Watan.
S'adressant à la foule, Sanders a salué la mobilisation en affirmant qu'il s'agissait du plus grand rassemblement qu'il ait connu, dépassant même ceux de ses campagnes présidentielles de 2016 et 2020. Il a ironisé en déclarant que cette affluence devait rendre nerveux Donald Trump et Elon Musk, déclenchant l'enthousiasme du public.
Depuis deux mois, l'élu indépendant mène une tournée intitulée « Combattre l'oligarchie » à travers plusieurs États comme le Nebraska, le Colorado, l'Arizona et le Nevada. Partout, il attire un public anti-Trump en quête de figures politiques combatives, dans un contexte où la résistance face au milliardaire républicain semble s'essouffler. À Los Angeles, le rassemblement a rempli le parc Gloria Molina, avec la participation du chanteur engagé Neil Young, qui a lancé le slogan « Reprenez l'Amérique ! » sur fond de guitare électrique.
La foule, inquiète face aux menaces sur les droits sociaux, les coupes annoncées dans les programmes fédéraux, ou encore la remise en cause du droit du sol, exprime une colère croissante. Elon Musk, désormais chargé par Donald Trump de réduire drastiquement les dépenses de l'État, cristallise une grande partie de ces critiques.
Pour beaucoup, Bernie Sanders incarne désormais la voix lucide d'une contestation sociale ancienne mais toujours actuelle. Il a dénoncé la mainmise d'une élite ultra-riche sur la vie économique et politique du pays, affirmant que l'administration Trump conduisait les États-Unis vers une forme d'autoritarisme.
L'objectif de cette tournée n'est pas électoral pour le sénateur, qui ne brigue pas la présidence pour 2028. Il espère cependant encourager l'émergence de nouveaux candidats indépendants, porteurs d'un projet politique ancré dans la solidarité de classe plutôt que dans les logiques partisanes. Aux côtés de lui, Alexandria Ocasio-Cortez incarne cette nouvelle génération progressiste. L'élue de 35 ans a insisté sur l'universalité du mouvement, appelant à dépasser les divisions identitaires pour construire une lutte collective face aux inégalités.
Intervention de Bernie Sanders lors du festival Coachella Valley Music and Arts. Ce festival a lieu chaque année en Californie et est connu pour ses programmations variées (pop, rock, hip-hop, électro…).
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

La « lettre à Columbia » de Mahmoud Khalil depuis sa prison

Dans une lettre cinglante rédigée depuis le centre de détention de l'ICE (United States Immigration and Customs Enforcement) où il est retenu en Louisiane, Mahmoud Khalil fustige le rôle de l'université de Columbia dans son enlèvement et dans le ciblage d'autres étudiants militants par l'administration Trump.
Par Mahmoud Khalil, 6 avril 2025
9 avril 2025 | Légende : Manifestation au parc Thomas Paine à New York, contre la détention de Mahmoud Khalil, militant palestinien et étudiant à Columbia, le 10 mars 2025. (Photo : Wikimedia Commons)
https://agencemediapalestine.fr/blog/2025/04/09/la-lettre-a-columbia-de-mahmoud-khalil-depuis-sa-prison/
À Columbia – une institution qui a préparé le terrain pour mon enlèvement – et à ses étudiant·e·s, qui ne doivent pas renoncer à leur responsabilité de résister à la répression,
Depuis mon enlèvement le 8 mars, l'intimidation et le kidnapping d'élèves internationaux qui défendent la Palestine n'ont fait que s'accélérer. Le 9 mars, Yunseo Chung a saisi la justice et demandé une ordonnance du tribunal pour empêcher les services de l'immigration et des douanes des États-Unis de la garder en détention en raison de ses activités militantes. Le 11 mars, Ranjani Srinivasan a choisi de traverser la frontière pour se rendre au Canada, persuadée que Columbia était prête à la livrer à l'ICE. Passées les portes de Columbia, Leqaa Kordia, Badar Khan Suri et Rümeysa Öztürk ont tous été embarqués et arrêtés par l'État. Cette situation me rappelle étrangement le moment où j'ai fui la brutalité du régime de Bachar al-Assad en Syrie pour chercher refuge au Liban.
Le mode opératoire utilisé par le gouvernement fédéral pour nous cibler, moi et mes pairs, est un prolongement direct du manuel de répression de Columbia pour ce qui concerne la Palestine.
Pendant les 18 mois qui ont suivi le début de la campagne génocidaire à Gaza, Columbia a non seulement refusé de reconnaître les vies sacrifiées des Palestiniens au nom du colonialisme de peuplement sioniste, mais elle a aussi activement repris le langage destiné à justifier les massacres. Vous avez reçu d'innombrables courriels de l'ancienne présidente de l'université Minouche Shafik, de l'ancienne présidente par intérim de l'université Katrina Armstrong et des doyens de vos écoles qui ont fabriqué une panique collective à propos de l'antisémitisme, sans mentionner une seule fois les dizaines de milliers de Palestiniens et Palestiniennes assassiné·e·s sous des bombes fabriquées avec vos dollars.
Columbia a supprimé toute forme de contestation étudiante au nom de la lutte contre l'antisémitisme.
L'an dernier, Columbia a remis au Congrès les dossiers disciplinaires des étudiants et a créé le groupe de travail contre l'antisémitisme (Task Force on Antisemitism) qui a largement qualifié le sentiment anti-israélien de discours de haine pour museler les protestations.
Au début du mandat de Katrina Armstrong, Columbia a créé le Bureau de l'équité institutionnelle (Office of Institutional Equity), qui confère aux membres de l'administration supérieure un contrôle unilatéral sur « l'examen et l'arbitrage de tous les rapports de discrimination et de harcèlement discriminatoire à Columbia », réduisant ainsi le pouvoir du Conseil judiciaire de l'université, un groupe d'étudiants, de professeurs et de membres du personnel, dont le rôle est d'entendre « toutes les accusations de violation » des règles de conduite de l'université. Alors qu'il est censé superviser les cas de violations des titres VI, VII et IX, le Bureau de l'OIE est devenu un mécanisme permettant de persécuter les étudiants pro-palestiniens sans aucune procédure régulière. Le contenu de cette lettre, aussi absurde que cela puisse paraître, pourrait lui-même être signalé à l'OIE.
Le mouvement pour la liberté et la justice palestinienne à Columbia et à travers les États-Unis a toujours été orienté sur l'aide à la communauté. Des centaines d'entre vous ont rejoint le campement au printemps dernier. Vous êtes nombreux et nombreuses à continuer de vous impliquer dans le mouvement. Ensemble, vous avez organisé un fonds d'aide mutuelle pour les familles de Gaza grâce à des ventes de pâtisseries et des campagnes de financement. Vous avez créé des espaces d'étude, des cercles de lecture et une solidarité entre les mouvements sociaux.
Ce mouvement est toujours parti des bases. Il a été mené par des étudiants, souvent plus jeunes que moi, qui ont risqué leur carrière, leurs diplômes et leur avenir pour exiger le boycott, le désinvestissement et les sanctions (BDS). Quiconque a déjà milité dans le mouvement sait que les affirmations selon lesquelles ses objectifs et son but sont ancrés dans l'antisémitisme ne sont que pure invention.
Par une ironie cruelle, les étudiants qui médiatisent des préoccupations factices de sécurité concernant l'antisémitisme sont les mêmes qui se présentent régulièrement à vos événements en quête de provocation, et qui en repartent déçus. Certains de vos camarades de classe administrent en collaboration avec l'université de Columbia des plateformes de doxxing, communiquent nos noms à des sites web et à des groupes comme Canary Mission et Betar, et mettent une cible sur nos existences. Alors qu'ils sont confortablement assis derrière leurs écrans, leurs actions ont des conséquences très concrètes pour le reste d'entre nous. Si je suis privé de mon enfant dans les premiers instants de sa vie, c'est en partie à cause de ces étudiants.
Au regard du programme de double diplôme de Columbia avec l'université de Tel Aviv, je ne peux m'empêcher de penser que si j'étais en Palestine, certains de ces mêmes étudiants et étudiantes m'arrêteraient aux checkpoints, feraient des descentes dans mon université, piloteraient les drones qui surveillent ma communauté, ou tueraient mes voisins dans leurs maisons. Pendant que des étudiants construisaient la solidarité à Columbia, d'autres étudiants pro-israéliens participaient au génocide en tant que personnel militaire sur leurs vacances scolaires, pour ensuite revenir sur le campus et revendiquer le statut de victime dans la salle de classe.
Ces étudiants qui nous ont diffamés et attaqués ont également bénéficié du soutien de l'université et du gouvernement fédéral. Incapables de créer un mouvement soutenu par leurs pairs, ces étudiants ont plutôt rencontré des membres de la droite du Congrès pour faire pression sur Columbia afin qu'elle prenne des mesures de répression. Abandonnant tout prétexte de neutralité, la vice-présidente de l'université Angela Olinto et Katrina Armstrong ont également rencontré le ministre israélien de l'éducation. Ensemble, les deux coalitions ont fait peser le poids du gouvernement fédéral sur les étudiants.
Je vous pose la question : qui est réellement menacé ici ?
Aux étudiants qui restent indifférents au mépris de Columbia pour la vie humaine et à sa volonté de négliger la sécurité des étudiants : Alors que la pression du gouvernement fédéral s'intensifie, sachez que votre neutralité sur la Palestine ne vous protégera pas. Lorsque le moment sera venu pour le gouvernement fédéral de s'attaquer à d'autres causes, ce seront vos noms que Columbia offrira sur un plateau d'argent, ce seront vos appels qui resteront lettre morte, ce seront vos nobles causes qui seront entravées.
La seule préoccupation de cette institution a toujours été la vitalité de sa situation financière, et non la protection des étudiants juifs. Telle est la raison pour laquelle Columbia n'était que trop heureuse d'adopter un programme progressiste superficiel tout en continuant à ignorer la Palestine, et telle est la raison pour laquelle elle se retournera bientôt contre vous aussi.
Tout récemment, cela s'est manifesté par l'affectation d'agents de la sécurité publique à l'arrestation d'étudiants, la présence d'agents de la police de New York et du ministère de la sécurité intérieure sur le campus et aux alentours, l'utilisation croissante des technologies de surveillance et les interventions maccarthystes et racistes à l'encontre des centres de recherche sur le Moyen-Orient, l'Asie du Sud et l'Afrique. L'institution de Columbia a systématiquement vidé de leur substance toutes les valeurs qu'elle prétend défendre afin de mieux endosser le rôle de bras armé de l'État.
S'il restait encore une illusion, elle a volé en éclats la semaine dernière lorsque le conseil d'administration a opéré une manœuvre historique en prenant le contrôle direct de la présidence de l'université. Faisant fi de tout intermédiaire, le conseil d'administration a nommé une autre administratrice, Claire Shipman, à la tête de l'institution. Qui peut encore prétendre que Columbia demeure un établissement d'enseignement et non un « Vichy sur l'Hudson » ?
Face au mouvement de désinvestissement qu'ils n'ont pu écraser, vos administrateurs ont choisi de mettre le feu à l'institution qui leur a été confiée. Il incombe à chacun d'entre vous de reprendre possession de l'Université et de rejoindre le mouvement étudiant pour poursuivre le travail de l'année écoulée.
Aux membres de la faculté de Columbia qui se félicitent de leurs convictions progressistes mais se limitent à des déclarations performatives : que faudra-t-il de plus pour que vous résistiez à la destruction de votre université ? Vos positions académiques valent-elles plus que la vie de vos étudiants et l'intégrité de votre travail ?
Dans son dernier message adressé au monde qui l'a trahi, le très apprécié journaliste palestinien Hossam Shabat a déclaré : « J'ai fait tout cela parce que je crois en la cause palestinienne. Je crois que cette terre est la nôtre, et mourir en la défendant et en servant son peuple a été le plus grand honneur de ma vie ».
De même, nous pensons que c'est le plus grand honneur de notre vie que de lutter pour la cause palestinienne. Le mouvement étudiant continuera à porter haut le flambeau d'une Palestine libre.
L'histoire nous donnera raison. Ceux qui se seront contentés d'attendre sur la touche : votre silence restera à jamais gravé dans les mémoires.
Traduction : JC pour l'Agence Média Palestine
Source : Mondoweiss
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

États-Unis : Les scientifiques universitaires muselé.es s’exilent

Les universités aux quatre coins des États-Unis entament une lente chute libre, après les multiples coupes dans le budget de l'État, et l'abolition du département de l'Éducation (DOE), par le président Donald Trump. Depuis le 20 janvier, le milieu scientifique américain s'est vu privé d'un montant de plus de dix milliards de dollars américains.
8 avril 2025 | tiré du Journal des alternatives | Photo : Manifestation Stand for Science, en mars 2025 @ crédit photo Geoff Livingston via Flickr
https://alter.quebec/etats-unis-les-scientifiques-universitaires-musele-es-sexilent/
Dans la foulée de cette guerre idéologique qui affecte désormais l'éducation, le magazine Nature a recensé les réponses de 1650 chercheuses et chercheurs de différentes universités. Ce sondage visait à savoir combien souhaitent quitter le pays pour s'établir ailleurs. 75 % ont évoqué ce désir, un chiffre représentatif du danger pour ces professionnel.les de communiquer les résultats de leurs recherches sans crainte de représailles.
Une voix cruciale menacée
1900 signataires ont également rédigé une lettre ouverte au peuple des États-Unis afin de dénoncer ces diminutions de budget et cette censure. Rappelons qu'au début du mois de mars, l'administration Trump a dévoilé une liste de 400 mots officiels ou non interdits d'utilisation tant que le président républicain sera à la tête du pouvoir. Des mots comme « pollution », « femme », « Noirs », « inégalité » ou encore « LGBTQ » sont désormais bannis et ne peuvent pas être écrits dans des documents officiels ou de recherche au pays.
Parmi ces réductions, l'institut national de la santé (NIH) et son budget de 47 milliards, a enregistré une perte de près de 9 % en subventions de recherches, dont certaines sur le VIH. L'université Harvard, accusée de ne pas combattre l'antisémitisme sur son campus, pourrait afficher un manque à gagner ou déficit estimé à près de neuf milliards, si l'enquête en cours à ce sujet la reconnaît coupable.
Au pays, ce sont plus de 1,2 million de personnes qui assurent l'avenir de la science, au public comme au privé.
À l'université Johns Hopkins, ce sont 2200 postes abolis, et 800 millions de dollars évaporés pour la recherche. Ces compressions sont dues au démantèlement de l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID).
L'Europe et le Canada, nouvelles terres d'accueil
C'est alors que ces deux endroits du monde entrent en jeu, maintenant plus que jamais rapprochés par la polarisation politique des États-Unis. Certaines universités ont décidé d'agir comme refuge pour ces scientifiques qui voient les fonds de leurs études supprimés. Elles proposent des emplois et des subventions afin de leur donner une voix, et la possibilité de poursuivre, en sécurité, leurs recherches.
C'est le cas, notamment, de deux universités françaises ; l'université Aix-Marseille et l'université Paris-Saclay. La première, la plus importante en France, est réputée pour ses programmes de sciences. Son projet Safe Place For Science a permis d'amasser plus de cent candidatures, à l'issue desquelles seulement une quinzaine seront sélectionnés.
Aix-Marseille Université est habituée à faire preuve d'une telle hospitalité. En septembre 2022, son administration a lancé le programme PAUSE, acronyme de « Programme d'accueil en urgence des scientifiques exilés ». Cette initiative vise à accueillir des spécialistes de pays en situation de conflit politique. Depuis, 25 d'entre eux, provenant de l'Ukraine, de la Palestine, du Yémen et de l'Afghanistan y ont trouvé refuge et ont pu continuer leurs travaux de recherche.
La seconde, quant à elle, s'est engagée à financer, au moyen de bourses, des séjours entre quatre mois et un an à des spécialistes des États-Unis. Mais cette idée ne constitue pas la première initiative mise en place par l'établissement parisien pour soutenir le travail scientifique. Grâce au programme « Make Our Planet Great Again », visant à soutenir la recherche sur le climat. Lors du premier mandat de Donald Trump, en 2017, c'est une dizaine de nouvelles têtes qui ont joint leurs connaissances pendant un an.
Au Canada, la Chaire d'excellence en recherche du gouvernement a déjà mis en place son processus de compétition. Son programme, dont la prochaine cohorte sera lancée en 2026, offrira des subventions atteignant un million de dollars par an, pendant huit ans, pour attirer les meilleurs savant.es internationaux. Une telle mesure illustre clairement l'ambition du Canada de devenir un refuge pour une science libre, en opposition marquée à la politique actuelle de Washington.
Par ailleurs, l'Université de Toronto a déjà engagé quelques chercheur.es de l'Université Yale, au Connecticut, pour leur donner un second souffle.
Des décisions à Québec qui n'aident pas !
Au Québec, l'Université de Montréal commence, sous la direction de Frédéric Bouchard, doyen de la faculté des Arts et des Sciences, à trouver certaines figures de référence susceptibles de vouloir quitter les États-Unis. À l'Université Laval, on cherche du financement pour faciliter leur arrivée. Ces procédures rencontreront, en revanche, un obstacle de taille.
En février dernier, le gouvernement Legault a rectifié sa liste de professions admissibles au traitement simplifié d'immigration, supprimant ainsi 189 postes. Et les professeur.es et chargé.es de cours universitaires n'y figurent plus, ce qui pourrait rendre la tâche plus laborieuse pour engager ces spécialistes.
L'Université Concordia a déploré cette action en précisant que la province se place désormais dans une position défavorable pour recevoir ces spécialistes étrangers. Avec ces restrictions, c'est la diversité professionnelle universitaire qui est mise en danger.
L'effritement de cette liberté de recherche et d'expression est devenu une si grande menace, que la fuite des têtes pensantes américaines ne peut plus être perçue comme une hypothèse. C'est une onde de choc qui résonne au-delà des frontières états-uniennes.
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Gaza : Israël intensifie publiquement le massacre de journalistes palestiniens, en l’absence totale de responsabilité internationale

Euro-Med Monitor condamne fermement l'attaque directe et délibérée d'Israël contre une tente abritant des journalistes palestiniens à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, à l'aube aujourd'hui (lundi 7 avril). L'attaque a tué deux personnes, dont un journaliste, et en a blessé neuf autres, ce qui en fait un crime flagrant et intentionnel perpétré par Israël en pleine connaissance de ses conséquences.
Tiré de Association France Palestine Solidarité
10 avril 2025
Par Euro-Med Human Rights Monitor
L'équipe de terrain d'Euro-Med Monitor a documenté le meurtre de Helmi Al-Faqaawi, un correspondant de Palestine Today News Agency, et de Youssef Al-Khazandar, un civil qui assistait le groupe de journalistes, lors de l'attaque. Neuf autres journalistes ont été blessés, dont le photojournaliste Hassan Islayeh, lors de l'attaque israélienne directe et non provoquée contre la tente des journalistes près de l'hôpital Nasser à Khan Younis. Le bombardement a mis le feu à certains des journalistes alors qu'ils étaient encore en vie, dans une scène horrible qui souligne le ciblage systématique par Israël des journalistes palestiniens dans la bande de Gaza.
Au lendemain de l'attaque, l'armée israélienne a publié une déclaration dans laquelle elle admettait avoir pris pour cible la tente des journalistes, affirmant que Hassan Islayeh était la cible visée. Sans fournir aucune preuve, l'armée a prétendu que Hassan Islayeh était affilié à une faction palestinienne et qu'il opérait sous le couvert du journalisme par l'intermédiaire de sa société de presse.
La déclaration accuse également Islayeh d'avoir documenté et filmé les événements du 7 octobre 2023, lorsque des factions palestiniennes ont lancé des attaques contre des sites militaires israéliens situés à la frontière de la bande de Gaza, et fait référence à ses activités sur les réseaux sociaux pour justifier la frappe. Islayeh a souvent été la cible de campagnes d'incitation israéliennes, en particulier de la part des médias israéliens, en raison de son travail journalistique et de sa documentation sur les violations des droits de humains commises par Israël dans la bande de Gaza.
Cet incident s'inscrit dans le cadre d'une campagne plus vaste et délibérée des forces israéliennes visant à supprimer les reportages indépendants sur la bande de Gaza en ciblant ceux qui documentent et exposent la réalité sur le terrain, en particulier dans le contexte du génocide en cours. L'absence flagrante de mécanismes internationaux de responsabilisation ou de conséquences juridiques a encouragé les forces israéliennes à continuer à commettre ces crimes en toute impunité, faisant de la bande de Gaza la zone la plus meurtrière au monde pour les journalistes.
« Brûler vif un journaliste à Gaza ne vise pas à faire taire la vérité », a déclaré Lima Bustami, directrice du département juridique d'Euro-Med Monitor. « Israël s'appuie déjà sur une force bien plus grande : l'indifférence du monde à l'égard de la vérité ». Lima Bustami a expliqué que le ciblage systématique des journalistes palestiniens par Israël envoie également un message qui fait froid dans le dos : « Votre vérité ne signifie rien. Nous pouvons vous tuer la caméra à la main, et personne ne vous sauvera. »
M. Bustami a poursuivi en décrivant les crimes commis par Israël contre les journalistes palestiniens comme « une démonstration de puissance [et] une déclaration d'impunité en action ».
Les affirmations d'Israël concernant le ciblage du journaliste Islayeh, même si elles sont hypothétiquement valables, ne justifient en rien sa tentative de le tuer. Les journalistes sont protégés par le droit international humanitaire, notamment par le protocole additionnel I de 1977 aux conventions de Genève, qui stipule clairement que les civils - y compris les journalistes exerçant leurs fonctions professionnelles dans des zones de conflit - ne perdent pas leur protection juridique simplement parce qu'ils font des reportages dans des zones de guerre ou qu'ils transmettent des informations depuis les lignes de front.
Même un journaliste classé comme correspondant de guerre ne constitue pas une cible légitime s'il ne participe pas directement aux hostilités, ce qu'Israël n'a ni prouvé ni fourni de preuves crédibles dans le cas d'Islayeh. Ainsi, le ciblage d'Islayeh constitue une violation flagrante des lois des conflits armés et un crime international à part entière, justifiant une responsabilité juridique et des poursuites.
Le ciblage délibéré des journalistes palestiniens par Israël est l'un des principaux objectifs de son génocide. En témoigne la série de crimes horribles commis par Israël contre des journalistes dans la bande de Gaza depuis le début, le 7 octobre 2023, de son génocide contre les Palestiniens de l'enclave assiégée. À ce jour, 211 journalistes ont été tués et des dizaines d'autres ont été blessés ou arrêtés. Ces attaques s'accompagnent de campagnes d'incitation systématiques et de politiques visant à priver les journalistes de leur statut professionnel - une tentative délibérée de justifier leur ciblage illégal et de réduire au silence la voix de la vérité dans la bande de Gaza.
Dans le cadre de la vaste campagne génocidaire qu'il mène dans la bande de Gaza, Israël a tué au moins 15 journalistes palestiniens depuis le début de cette année.
Ces crimes contre les journalistes font partie intégrante de la politique délibérée d'Israël visant à faire taire les voix des victimes palestiniennes et à empêcher la documentation des atrocités commises contre la population civile dans la bande de Gaza.
Le massacre des journalistes palestiniens par Israël est systématique et généralisé. Il les a pris pour cible alors qu'ils étaient sur le terrain, vêtus de gilets de presse clairement identifiés, à l'intérieur de leurs bureaux de presse, dans les tentes de journalistes installées près des hôpitaux pour faciliter la couverture, et même dans leurs maisons avec leurs familles, lorsque des bâtiments entiers ont été bombardés et se sont effondrés sur eux.
Israël doit être tenu pleinement responsable de ces graves violations, qui constituent une infraction flagrante au droit international et une contradiction flagrante avec ses obligations de protéger les journalistes et de défendre la liberté de la presse en exposant la vérité et en révélant le génocide en cours dans la bande de Gaza.
Les attaques susmentionnées constituent des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, ainsi qu'un élément du génocide commis dans la bande de Gaza ; elles s'inscrivent dans le cadre d'une série de violations visant à éliminer le peuple palestinien physiquement, psychologiquement et historiquement.
Le ciblage des journalistes et la tentative d'effacer les preuves du génocide sont au cœur de la campagne génocidaire d'Israël. Les crimes d'Israël ne se limitent pas aux massacres de civils, mais s'étendent à l'élimination des témoins qui peuvent transmettre et documenter les crimes grâce à leurs outils et à leurs témoignages. Les attaques contre les journalistes et les efforts de documentation, ainsi que le silence des voix indépendantes, ne sont pas seulement des violations graves du droit international, mais aussi des éléments essentiels du crime de génocide, qui vise à oblitérer l'existence, la voix et la mémoire du groupe ciblé.
En outre, l'absence de documentation prive les victimes de la reconnaissance de leurs droits et sape les efforts déployés pour demander des comptes, ce qui permet de continuer à perpétrer des crimes en toute impunité et renforce la politique bien établie d'Israël consistant à échapper à la justice pour les atrocités qu'il commet dans la bande de Gaza.
Depuis le début du génocide, Israël a systématiquement interdit aux journalistes et aux représentants des médias internationaux d'accéder à la bande de Gaza, à l'exception de quelques personnes intégrées aux forces militaires israéliennes. Ces personnes ont été autorisées à pénétrer dans l'enclave sous des conditions strictes qui limitent leurs déplacements, et n'ont été autorisées à faire des reportages que dans les zones approuvées par l'armée israélienne. Ces restrictions visent à isoler la bande de Gaza du monde extérieur et à occulter la vérité sur les crimes israéliens commis contre les civils palestiniens, contribuant ainsi à effacer les preuves et à dissimuler le génocide en cours.
Il y a quelques jours, le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a indiqué qu'Israël était responsable d'environ 70 % des assassinats de journalistes dans le monde en 2024, ce qui représente le bilan le plus élevé pour un seul pays au cours d'une année donnée depuis que le comité a commencé à documenter de tels incidents il y a près de trente ans.
La politique d'impunité dont jouit Israël en l'absence de mécanismes internationaux efficaces pour le tenir responsable des crimes qu'il commet contre les journalistes palestiniens lui permet de poursuivre ses crimes, y compris les violations de la liberté de la presse et du droit d'accès à l'information.
En conséquence, une enquête internationale exhaustive doit être ouverte sur les violations et les crimes que l'armée d'occupation israélienne a commis, et continue de commettre, à l'encontre des journalistes palestiniens dans la bande de Gaza. Des actions immédiates sont nécessaires pour que tous les auteurs répondent de leurs actes, dédommagent les victimes et fassent pression sur Israël pour qu'il cesse de cibler directement les journalistes et de les tuer délibérément, afin de garantir la protection de leur travail et de leur permettre de mener à bien leur mission, qui est de rapporter la vérité. Les journalistes internationaux et les équipes des agences de presse devraient également être autorisés à entrer et à travailler dans la bande de Gaza sans restrictions ni conditions, et leur sécurité devrait être assurée.
Tous les pays, individuellement et collectivement, doivent assumer leurs responsabilités légales et agir de toute urgence pour arrêter le génocide dans la bande de Gaza sous toutes ses formes, et prendre toutes les mesures pratiques pour protéger les civils palestiniens qui s'y trouvent. Euro-Med Monitor souligne la nécessité d'assurer le respect par Israël du droit international et des décisions de la Cour internationale de justice, et de garantir la responsabilité des crimes commis contre les Palestiniens. En outre, les mandats d'arrêt émis par la Cour pénale internationale à l'encontre du Premier ministre et du ministre de la Défense israéliens doivent être mis en œuvre dans les plus brefs délais, et la Cour doit être autorisée à les traduire devant la justice internationale.
La communauté internationale doit imposer immédiatement des sanctions économiques, diplomatiques et militaires à Israël en raison de ses violations graves et systématiques du droit international. Ces sanctions devraient inclure l'interdiction d'exporter des armes vers Israël, l'achat d'armes auprès d'Israël, l'arrêt de toute forme de soutien et de coopération politique, financière et militaire, le gel des avoirs financiers des responsables de crimes contre les Palestiniens et l'imposition d'interdictions de voyager à leur encontre, ainsi que la suspension de tous les privilèges commerciaux et accords bilatéraux qui accordent à Israël des avantages économiques qui lui permettent de continuer à commettre le génocide contre les Palestiniens.
Traduction : AFPS
Photo : Le journaliste Ahmed Mansour engouffré par les flammes dans la frappe israélienne sur une tente de journalistes à Khan Younis © Réseaux sociaux
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Journalistes, nous nous déclarons solidaires de nos collègues de Gaza

Les principales organisations de défense des journalistes et de la liberté de la presse françaises appellent la profession à se rassembler, mercredi 16 avril, à 18 heures, devant les marches de l'Opéra Bastille, en soutien à leurs confrères et consœurs de l'enclave palestinienne.
Tiré du blogue de l'auteur.
Ce n'est pas courant pour un journaliste d'écrire son testament à l'âge de 23 ans. C'est pourtant ce qu'a fait Hossam Shabat, correspondant de la chaîne qatarie Al Jazeera Moubasher dans la bande de Gaza. Le jeune homme, conscient que les bombardements israéliens sur le territoire palestinien ont drastiquement réduit l'espérance de vie des membres de sa profession, a composé un court texte, à publier s'il devait lui arriver malheur. Ces mots ont finalement été postés sur les réseaux sociaux lundi 24 mars.
« Si vous lisez ceci, cela signifie que j'ai été tué », commence le message dans lequel le reporter d'Al Jazeera évoque ses nuits à dormir sur le trottoir, la faim qui n'a jamais cessé de le tenailler et son combat pour « documenter les horreurs minute par minute ». « Je vais enfin pouvoir me reposer, quelque chose que je n'ai pas pu faire durant les dix-huit mois passés », conclut le reporter palestinien, tué par un tir de drone israélien sur la voiture dans laquelle il circulait, à Beit Lahia, dans le nord de Gaza. Un véhicule qui portait le sigle « TV » et le logo d'Al Jazeera.
En un an et demi de guerre dans l'enclave côtière, les opérations israéliennes ont causé la mort de près de 200 professionnels des médias palestiniens, selon les organisations internationales de défense des journalistes tels Reporters sans frontières (RSF), le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) et la Fédération internationale des journalistes (FIJ), en lien avec le Palestinian Journalists Syndicate (PJS).
Dans l'histoire de notre profession, tous conflits confondus, c'est une hécatombe d'une magnitude jamais vue, comme le démontre une récente étude de l'université américaine Brown.
Au moins une quarantaine de ces journalistes, à l'instar de Hossam Shabat, ont été tués stylo, micro ou caméra à la main. C'est le cas de Saed Abu Nabhan, 25 ans, caméraman de la chaîne Al Ghad, abattu par un sniper dans le camp de réfugié·es de Nuseirat, le 10 janvier 2025. Et de Mohamed Balousha, 38 ans, correspondant de la chaîne émirienne Al Mashhad, tué par un drone le 14 décembre, alors qu'il travaillait dans un quartier de Gaza-Ville.
Des cas soigneusement documentés par les organisations précitées. Tous ces confrères et consœurs portaient un casque et un gilet pare-balle floqué du mot « PRESS », les identifiant clairement comme des professionnels des médias.
Certains avaient reçu des menaces téléphoniques de responsables militaires israéliens ou bien avaient été désignés comme des membres de groupes armées gazaouis par le porte-parole de l'armée, sans que celui-ci fournisse de preuves crédibles à l'appui de ces accusations. Autant d'éléments qui incitent à penser qu'ils ont été délibérément visés par l'armée israélienne. D'autres de nos collègues de Gaza sont morts dans le bombardement de leur domicile ou de la tente où ils s'étaient réfugiés avec leurs familles, comme des dizaines de milliers d'autres Palestiniens.
C'est le cas de Wafa al-Udaini, fondatrice du collectif de journalistes 16-Octobre, tuée dans une frappe sur la ville de Deir Al-Balah, le 30 septembre 2024, avec son mari et leurs deux enfants. Et d'Ahmed Fatima, une figure de la Maison de la presse de Gaza, une ONG soutenue par des bailleurs européens, qui formait une nouvelle génération de journalistes. Le 13 novembre 2023, un missile a frappé l'étage de l'immeuble où il résidait avec son épouse et leur fils de 6 ans, à Gaza-Ville. Les parents ont réchappé à l'explosion mais l'enfant a été blessé au visage. Ahmed Fatima l'a pris dans ses bras et s'est précipité dans la rue, pour l'amener à l'hôpital. À peine avait-il parcouru cinquante mètres qu'un second missile s'abattait à proximité de lui et le tuait.
Six jours plus tard, le 19 novembre, le fondateur et directeur de la Maison de la presse, Bilal Jadallah, mourrait à son tour dans le tir d'un char israélien sur son véhicule. D'autres ont survécu, mais dans quelles conditions ? Le journaliste reporter d'images Fadi al-Wahidi, 25 ans, est paraplégique depuis qu'une balle lui a sectionné la moelle épinière, le 9 octobre 2024, alors qu'il filmait un énième déplacement forcé de civils, comme l'a rapporté le média d'investigation Forbidden Stories. Wael al-Dahdouh, célèbre correspondant d'Al Jazeera à Gaza, a quant à lui appris la mort de sa femme et de deux de ses enfants dans un bombardement, en plein direct, le 25 octobre 2023.
Pour les journalistes palestiniens, « couvrir » la mort d'un collègue ou d'un proche fait désormais partie d'une macabre routine. Nous déplorons également la mort des quatre journalistes israéliens qui ont péri dans l'attaque terroriste menée par le Hamas le 7 octobre 2023, ainsi que celle de neuf confrères libanais et d'une consœur syrienne lors de frappes israéliennes.
Mais l'urgence est aujourd'hui à Gaza. Pour tous les défenseurs des droits humains, un constat s'impose : l'armée israélienne cherche à imposer un black-out médiatique sur Gaza, à réduire au silence, autant que possible, les témoins des crimes de guerre commis par ses troupes, au moment où un nombre croissant d'ONG internationales et d'instances onusiennes les qualifient d'actes génocidaires.
Cette volonté de faire obstacle à l'information se traduit également par le refus du gouvernement israélien de laisser la presse étrangère pénétrer dans la bande de Gaza. N'oublions pas la situation en Cisjordanie occupée, où l'on commémorera, dans quelques jours, les trois ans de la mort de Shireen Abu Akleh. La correspondante vedette d'Al Jazeera a été abattue à Jénine, le 11 mai 2022, par un soldat israélien, qui n'a eu aucun compte à rendre pour son crime.
L'agression par des colons, le 24 mars dernier, de Hamdan Ballal, coréalisateur du documentaire oscarisé No Other Land, qui a été ensuite arrêté par des soldats dans l'ambulance qui l'emmenait se faire soigner, témoigne de la violence à laquelle s'exposent ceux qui tentent de raconter la réalité de l'occupation israélienne. Elle révèle aussi l'impunité offerte quasi systématiquement à ceux qui cherchent à les faire taire.
En tant que journalistes, viscéralement attachés à la liberté d'informer, il est de notre devoir de dénoncer cette politique, de manifester notre solidarité avec nos collègues palestiniens et de réclamer, encore et toujours, le droit d'entrer dans Gaza. Si nous demandons cela, ce n'est pas parce que nous estimons que la couverture de Gaza est incomplète en l'absence de journalistes occidentaux. C'est pour relayer et protéger, par notre présence, nos confrères et consœurs palestiniens qui font preuve d'un courage inouï, en nous faisant parvenir les images et les témoignages de la tragédie incommensurable actuellement en cours à Gaza.
Un rassemblement est prévu mercredi 16 avril, à 18 heures, devant les escaliers de l'Opéra Bastille, à Paris, autour des mots d'ordre suivants : « Gaza Stop au massacre des journalistes palestiniens », « Halte à l'impunité des auteurs de ces crimes », « Ouverture immédiate de ce territoire à la presse internationale ».
Liste des signataires
Les syndicats de journalistes SNJ, SNJ-CGT et CFDT-Journalistes, Reporters sans frontières, le prix Albert-Londres, la Fédération internationale des journalistes, le collectif Reporters solidaires, la commission journalistes de la Scam ; les sociétés de journalistes et les rédactions des médias suivants : AFP, Arrêt sur images, Arte, BFMTV, Blast, Capital, Challenges, Le Courrier de l'Atlas, Courrier international, Le Figaro, France 2, France 3 rédaction nationale, France 24, FranceInfo TV et franceinfo.fr, L'Humanité, L'Informé, Konbini, LCI, Libération, M6, Mediapart, Le Monde, Le Nouvel Observateur, Orient XXI, Politis, Le Parisien, Premières Lignes TV, Radio France, Radio France Internationale, RMC, Saphirnews, Sept à huit, 60 millions de consommateurs, Télérama, TF1, La Tribune, TV5 Monde, L'Usine nouvelle, La Vie.
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Les Turcs debouts face à l’arrestation d’İmamoğlu, rival d’Erdoğan

La scène politique turque est secouée par l'incarcération, le 23 mars 2025, d'Ekrem İmamoğlu, figure de proue de l'opposition et maire d'Istanbul depuis 2019. Cette arrestation, survenant dans un contexte de vives tensions et le jour même des primaires du Parti républicain du peuple (CHP), principal parti d'opposition, a déclenché une vague de colère populaire.
Tiré de : La chronique de Recherches internationales
L'incarcération du maire est intervenue après l'invalidation controversée de son diplôme par l'Université d'Istanbul. Malgré un important dispositif policier, des milliers de Turcs se sont rassemblés quotidiennement du 19 au 25 mars devant la municipalité métropolitaine d'İstanbul en réaction à l'arrestation d'İmamoğlu et d'autres maires. En moins de dix jours, un nombre alarmant de personnes ont été mises en garde à vue (1 879), 301 étudiants ont été incarcérés et des décisions de contrôle judiciaire ont été prononcées pour 468 citoyens, selon les données de la préfecture d'İstanbul.
Dans un contexte économique national extrêmement fragile, exacerbant le mécontentement populaire, le CHP réclame des élections anticipées depuis janvier. Le candidat de l'opposition, İmamoğlu, a obtenu 15 millions de voix lors des primaires. Néanmoins, l'annulation de son diplôme menace sa candidature officielle à la prochaine élection présidentielle.
Accusations sans preuves contre l'opposition
Accusés de « corruption », İmamoğlu et d'autres hauts responsables municipaux d'Istanbul ont été incarcérés sur la seule base de témoignages anonymes, sans preuves concrètes, physiques et documentables, contrairement aux arrêts de la Cour constitutionnelle turque et de la Cour européenne des droits de l'homme. De plus, l'avocat du maire d'İstanbul a également été arrêté, une décision constituant une violation du droit à un procès équitable. Ces événements renforcent l'opinion largement majoritaire dans le pays selon laquelle le processus est illégal et purement politique, orchestré par le régime pour éliminer un opposant de taille.
Parmi les détenus figurent le Secrétaire général adjoint de la mairie d'İstanbul, Mahir Polat, ainsi que le maire du district (mairie d'arrondissement) stambouliote de Şişli, Resul Emre Şahan, tous deux inculpés de « terrorisme ». Les charges contre ces responsables de la municipalité métropolitaine reposent sur la stratégie électorale nommée le « consensus urbain » du Parti de l'égalité et de la démocratie des peuples (DEM), parti du mouvement politique kurde. Cette stratégie consiste à soutenir les candidats du CHP dans certaines circonscriptions des provinces occidentales. Autrement dit, les maires du CHP sont accusés pour avoir bénéficié du soutien d'un autre parti politique légal.
D'un point de vue politique, ces accusations de terrorisme contre le CHP sont particulièrement paradoxales puisqu'elles interviennent dans un contexte inédit de rapprochement entre le DEM et le gouvernement lui-même. Le bloc islamo-nationaliste au pouvoir cherche à attirer le DEM dans son camp, tout en marginalisant le CHP. Depuis octobre 2024, Devlet Bahçeli, chef du Parti d'action nationaliste (MHP) et partenaire incontournable du président Erdoğan, a demandé à plusieurs reprises la libération d'Abdullah Öcalan, fondateur du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), organisation considérée comme terroriste par la Turquie, l'Union européenne et les États-Unis. Ayant salué les déclarations de cessez-le-feu faites par Öcalan et les dirigeants actuels du PKK, Bahçeli est désormais en dialogue avec le DEM, parti qu'il accusait jusqu'alors de « trahison » et de « terrorisme » en raison de ses liens supposés avec le PKK. Le parquet général d'İstanbul affirme ainsi que le soutien électoral urbain au CHP visait à accroître l'influence du PKK, alors que la proximité entre le DEM et le gouvernement ne fait l'objet d'aucune enquête, soulevant de sérieuses questions quant à l'impartialité de la justice turque.
À la place Saraçhane, l'esprit de Gezi resurgit
L'arrestation d'Ekrem İmamoğlu, maire d'une métropole de plus de 16 millions d'habitants, a provoqué la colère de millions de Turcs. Près de 110 000 personnes ont participé au premier rassemblement spontané quelques heures après l'invalidation du diplôme d'İmamoğlu. Quatre jours plus tard, un million de protestataires se sont réunis rien qu'à İstanbul. Les jours suivants, des milliers de citoyens ont également manifesté dans d'autres villes, notamment à Ankara, İzmir, Rize et Trabzon (ville natale du maire d'İstanbul).
Ces démonstrations de rue ont rassemblé les différentes composantes de l'opposition politico-sociale en Turquie contre l'arbitraire du régime Erdoğan, de son parti AKP et de son allié MHP. Outre le CHP, les drapeaux de diverses organisations d'inspiration marxiste (telles que le Parti de la liberté sociale, le Parti du travail et sa branche jeunesse, les Maisons du Peuple, le Parti des travailleurs de Turquie, les Collectifs d'étudiants, le Parti communiste de Turquie, le Parti de la gauche ainsi que le Parti de la libération du peuple) étaient visibles à Saraçhane, la place où se trouve la mairie d'İstanbul. Parallèlement, des nationalistes, notamment de jeunes sympathisants d'Ümit Özdağ, chef emprisonné du parti laïc et ultranationaliste « Zafer (victoire) », étaient également présents. Cette convergence pacifique d'idéologies a ravivé le souvenir des manifestations du parc Gezi en 2013, un mouvement social sans précédent, symbole de la lutte contre l'autoritarisme.
Au-delà de la libération d'İmamoğlu et des autres maires, d'autres revendications politiques ont animé les manifestations d'İstanbul. Les manifestants ont brandi les images de Mustafa Kemal Atatürk, fondateur de la République turque, et ont repris des slogans et des hymnes de l'époque kémaliste, aujourd'hui devenus des symboles de la contestation populaire. La laïcité est apparue comme une cause ardemment défendue par les protestataires contre le régime AKP, perçu par les citoyens opposants comme une menace à ce principe fondamental de la République, avec des slogans tels que « la Turquie est laïque, et elle restera laïque. » Les slogans classiques de la tradition socialiste turque, tels que « épaule contre épaule contre le fascisme », ou encore celui utilisé par İmamoğlu, « il n'y a pas de salut individuel, soit tous ensemble, soit aucun de nous », ont également résonné sur la place Saraçhane.
Le CHP à l'écoute de la contestation sociale
Malgré des similitudes, une distinction importante marque les manifestations actuelles par rapport au mouvement de Gezi, qui était un soulèvement social spontané et sans leadership centralisé. Aujourd'hui, le CHP joue un rôle actif dans la mobilisation des masses. Le parti, souvent critiqué par le passé pour sa passivité face aux actions du gouvernement, a pris l'initiative en mettant en place des « bureaux de vote solidaires », permettant aux non-membres du CHP de participer à la primaire du 23 mars, où environ 15 000 personnes ont voté pour İmamoğlu. Du 19 au 25 mars, le leader du CHP, Özgür Özel, s'est adressé au public à Saraçhane chaque soir. Bien que parfois critiqué par des groupes de jeunes non organisés ou des socialistes pour une approche jugée inactive, il a écouté les revendications citoyennes. Son appel au boycott des chaînes de télévision n'ayant pas couvert les manifestations et des entreprises pro-gouvernementales a ainsi rencontré un écho significatif dans la société, aboutissant au lancement d'un boycott global de la consommation le 2 avril. Alarmé, le parquet général a brièvement détenu onze personnes ayant appelé au boycott. Des boycotts organisés sur les réseaux sociaux, principalement menés par la génération Z, devraient se poursuivre chaque semaine.
Le 25 mars, le CHP a annoncé qu'il n'appellerait pas à de nouvelles manifestations à Saraçhane. Cependant, les jeunes, acteurs essentiels de l'opposition sociale, expriment leur volonté de rester mobilisés malgré la violence policière croissante. La journée du 29 mars, le CHP a organisé un grand rassemblement sur la place Maltepe d'İstanbul, rassemblant des centaines de milliers de citoyens, y compris des électeurs du DEM, témoignant d'une certaine unité - pour l'instant - de l'opposition sociale.
La capacité du CHP à maintenir et à unir un groupe aussi diversifié idéologiquement sera cruciale. Il apparaît essentiel de construire un discours politique axé sur la défense du suffrage universel et de la souveraineté nationale, des acquis démocratiques non négociables pour le peuple turc, actuellement mis à mal par un régime autoritaire. L'avenir démocratique de la Turquie et la place du CHP dépendront de la capacité à maintenir cette mobilisation et à développer des formes de résistance efficaces face à l'arbitraire.
Cette chronique est réalisée en partenariat rédactionnel avec la revue Recherches internationales à laquelle collaborent de nombreux universitaires ou chercheurs et qui a pour champ d'analyse les grandes questions qui bouleversent le monde aujourd'hui, les enjeux de la mondialisation, les luttes de solidarité qui se nouent et apparaissent de plus en plus indissociables de ce qui se passe dans chaque pays.
Site : http://www.recherches-internationales.fr/
******
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Dans le sud de la Syrie, une nouvelle occupation israélienne violente se dessine

Les forces israéliennes ont avancé de plusieurs kilomètres en territoire syrien, confisquant des terres et des maisons, tuant des agriculteurs et cherchant à diviser la population diversifiée de la région.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière. Source - +972 Magazine Jeudi 10 avril 2025
Alors qu'il reprend ses opérations militaires dans la bande de Gaza, Israël a étendu ses incursions terrestres dans le sud de la Syrie ces dernières semaines, tout en lançant des frappes aériennes dans tout le pays, de Lattaquié et Homs aux zones rurales autour de Damas. Lors d'une opérationn majeure le 25 mars, les forces israéliennes ont pilonné Koya, un petit village de la vallée du Yarmouk dans le gouvernorat de Deraa, faisant au moins six morts.
« [Les troupes israéliennes] ont commencé à tirer sur les paysans dès qu'ils les ont vus », a déclaré Nadia Aboud, une journaliste de 28 ans originaire de la ville voisine de Deraa, à +972, relatant les témoignages des habitant.e.s du village. « Les paysans, qui gardent des armes pour protéger leurs terres, ont riposté. » La situation a rapidement dégénéré en un affrontement plus important, l'armée israélienne ayant lancé au moins une frappe aérienne sur le village. « Deux des [fermiers] ont été tués sur le coup. Lorsque d'autres se sont précipités pour les aider, les combats se sont intensifiés. »
Bien qu'Aboud ait souligné que « la population de Deraa veut la paix et que l'accord de désengagement syro-israélien de 1974 soit respecté », elle a prévenu que la résistance continuerait. « Si Koya est attaquée à nouveau, ils la défendront jusqu'au dernier homme. »
L'attaque de Koya a été l'une des plus meurtrières depuis l'invasion de la Syrie par Israël il y a environ quatre mois. Le 8 décembre, quelques heures seulement après l'effondrement du régime de l'ancien président syrien Bachar Al-Assad, les forces israéliennes ont rapidement pris le contrôle des postes de contrôle abandonnés sur les sommets, occupant ainsi le territoire en violation de l'accord de 1974.
Depuis lors, les avions de combat israéliens ont effectué des vols quasi quotidiens et frappé les anciens sites militaires du régime d'Assad, soit 600 opérations au cours des huit premiers jours. Pendant ce temps, les troupes au sol ont avancé de 19 kilomètres en territoire syrien, établissant au moins neuf bases militaires et étendant les réseaux routiers et autres infrastructures de communication.
Le haut commandement israélien justifie ses bombardements en les présentant comme nécessaires pour empêcher que les stocks d'armes ne tombent entre les mains du nouveau gouvernement de Damas, dirigé par le président par intérim Ahmed al-Charaa. Pourtant, al-Charaa n'a montré aucun signe de volonté de conflit avec Israël, concentrant son attention sur la reconstruction de la Syrie et faisant pression pour lever les sanctions internationales, tandis que l'influence de l'Iran en Syrie a été systématiquement affaiblie par le départ d'Assad. Et sur le terrain, souvent à proximité d'anciens avant-postes militaires, il reste une poignée de villages, où vivent des milliers de Syrien.ne.s qui subissent de plein fouet la brutalité de la nouvelle occupation militaire d'Israël.

Diviser pour mieux régner
À Rasm al-Rawadi, un petit village près de Quneitra dans la zone tampon démilitarisée entre la Syrie et Israël, les habitants se sont réveillés le 8 décembre au son des coups de feu et des bombardements aériens. « À 11 heures, les soldats [israéliens] ont enfoncé les portes des maisons pour tout vérifier à l'intérieur », a raconté Ali al-Ahmad, un ancien du village âgé de 65 ans. « Pendant que l'armée israélienne fouillait les maisons et en détruisait certaines, de nombreuses familles ont été placées dans une école. » Au cours des quatre derniers mois, le village est resté sous contrôle israélien et près de 350 personnes ont été contraintes de quitter leurs maisons, qui ont été réquisitionnées, selon al-Ahmad, à des fins militaires.
Bien que le Premier ministre Benjamin Netanyahou ait initialement présenté l'incursion israélienne dans le sud de la Syrie comme « temporaire », la présence militaire toujours plus importante d'Israël suggère le contraire. Plus récemment, le ministre de la Défense, Israel Katz, a affirmé qu'Israël était prêt à rester dans le pays pour une durée indéterminée.
Mohammed Fayyad, avocat et militant des droits de l'homme, a été battu et détenu par les forces israéliennes en janvier alors qu'il suivait leurs opérations dans le village de Hamidye. En plus de ces violences, il a expliqué à +972 dans son bureau de Quneitra que des responsables militaires israéliens « pénètrent dans les villages à bord de véhicules civils blancs pour collecter des données, et mènent des enquêtes statistiques sous prétexte d'offrir une aide humanitaire ». Il a également affirmé qu'ils ont proposé de payer les habitants « au moins 75 dollars par jour pour qu'ils participent à la construction des installations de la base ».
« Après nous avoir tout pris, ils nous offrent de la nourriture, des médicaments, de l'électricité et du travail », a expliqué Fayyad. « Leur but est de susciter la division et la séparation d'avec la nouvelle administration. » Mais jusqu'à présent, a-t-il noté, les villageois ont rejeté ces offres et « refusent toute ingérence diviseuse dans les affaires de la Syrie ».
Le 24 février, après un mois de calme relatif, les familles de Quneitra et de Deraa ont vécu une nuit sous les bombardements israéliens. Le lendemain, ils ont été réveillés par l'entrée dans le village des chars et des pick-up armés qui entraient dans leurs villages. L'attaque a eu lieu juste après la première Conférence de dialogue national en Syrie, où des dirigeants politiques et religieux de toutes les communautés s'étaient réunis pour discuter de l'avenir du pays.

« Nous venons de terminer une guerre, mais nous n'avons aucun problème à en commencer une autre avec Israël pour défendre notre pays », a déclaré à +972 Omar Hanoun, 47 ans, chez lui dans le village d'Al-Rafeed, près de Quneitra. Hanoun a été l'un des organisateurs d'une manifestation civile le 25 février contre l'incursion militaire israélienne, alors que les soldats avançaient sur le village depuis le mont Pérès, qui est resté sous contrôle israélien depuis l'occupation du Golan lors de la guerre de 1967.
Selon Omar Hanoun et d'autres habitants interrogés par +972, le comportement des soldats israéliens a suivi un schéma similaire dans de nombreux villages de la région. « Ils ont détruit des arbres centenaires et tiré sur tous ceux qui s'approchaient », a-t-il déclaré, décrivant l'arrivée de l'armée israélienne à Al Asbah, un petit village près d'Al-Rafeed. « Ils ont même tué deux jeunes hommes à moto qui avaient un fusil de chasse avec eux, ce qui est normal dans cette région pour protéger le bétail. »
Bader Safi, enseignant à l'école locale de Kodana, un village situé à la frontière du Golan occupé, a déclaré à +972 que des dizaines de soldats israéliens avaient confisqué les terres des habitants et effectuaient régulièrement des patrouilles dans la ville avec des chiens. « Je n'arrive plus à compter le nombre de fois où ils sont entrés dans notre village », a-t-il déclaré. « Un voisin et ami à moi, dont les terres ont été saisies [par les soldats], vit dans ma maison. Il pleure tous les jours parce qu'il a tout perdu. »
Cheikh Abu Nasr, 70 ans, d'Al-Rafeed, a déclaré que lorsque l'armée israélienne a envahi le pays, la population locale s'est opposée aux ordres de rester chez elle. « Nous considérons que c'est notre terre. Nous y avons planté des vignes et des figuiers. Nous ne reconnaissons pas l'État occupant », a-t-il déclaré, ajoutant que les forces du nouveau gouvernement syrien ne sont jamais venues au village pour offrir leur aide. « Nous sommes seuls, mais nous resterons ici sur nos terres, même si quelqu'un d'autre prend le contrôle. »

Exploiter les Druzes
Une autre tactique qu'Israël utilise pour justifier son occupation consiste à revendiquer le soutien des Druzes du sud de la Syrie, la troisième minorité religieuse du pays, qui représente environ 3 % de la population. En s'appuyant sur la loyauté des Druzes israéliens, qui servent en nombre dans ses forces armées, Israël a cherché à présenter sa présence comme étant approuvée par la population locale.
Le 1er mars, Netanyahou et Katz ont ordonné aux forces de l'armée israélienne de se préparer à défendre Jaramana, un village druze du sud de la Syrie. « Nous ne permettrons pas au régime islamique extrémiste de Syrie de nuire aux Druzes », a déclaré Katz, à la suite d'informations faisant état d'affrontements dans la banlieue de Damas. « Si le régime attaque les Druzes à Jaramana, nous réagirons. »
Autrefois petit quartier de la périphérie de Damas, Jaramana abrite aujourd'hui plus d'un million de Syriens des classes populaires. Selon K. Aboulhosn, un étudiant en art de 25 ans, Jaramana est désormais une « ville multiethnique et multiconfessionnelle », dont la population a augmenté pendant la guerre civile lorsqu'elle est devenue un « refuge pour les personnes déplacées d'autres quartiers de Damas en raison de son calme relatif ».
À l'extérieur, les deux escarmouches à Jaramana qui ont déclenché la réaction israélienne — l'une à l'hôpital Al-Mujtahed et l'autre au poste de contrôle de Jaramana — semblaient être un différend entre le personnel de sécurité local et les forces du nouveau gouvernement syrien dirigé par Ahmad al-Charaa. Mais selon Makram Oubaid, avocat du Comité d'action civile de Jaramana, il s'agissait en fait de « deux affrontements sans rapport entre eux, de nature privée » qui ont dégénéré en un conflit de plus grande ampleur. Les incidents ont finalement abouti à un accord permettant aux forces de Hayat Tahrir al-Sham (HTC), qui, selon Oubaid, « n'intervenaient que pour arrêter les combats et rétablir l'ordre », d'établir un bureau et de partager les responsabilités en matière de sécurité dans le village avec la population druze locale.

Quelle que soit la nature des affrontements, pour le gouvernement israélien, la situation représentait une excellente occasion d'instrumentaliser la population druze pour asseoir davantage son influence sur la Syrie. Une semaine avant l'incident de Jaramana, Netanyahou avait annoncé que son pays ne tolérerait « aucune menace contre la communauté druze du sud de la Syrie ».
Aujourd'hui, alors que les divers groupes religieux et ethniques de Syrie négocient leur fragile coexistence après la chute d'Assad, l'invasion d'Israël menace de briser cet équilibre délicat. « L'intervention d'Israël creuse le fossé entre les Druzes et les autres communautés syriennes », a déclaré à +972 Farid Ayach, professeur d'arts visuels de 32 ans, depuis son appartement de Jaramana. « Cela génère également des troubles dans les pays voisins, ce qui favorise [également] les intérêts d'Israël. »
Pour l'instant, tout indique que l'armée israélienne ne se retirera pas des zones qu'elle occupe dans le sud de la Syrie. En effet, de nombreux signes laissent présager une nouvelle escalade, alors qu'Israël continue de renforcer ses positions et de s'emparer de territoires supplémentaires. Cependant, à la suite des attaques de février à Quneitra et Deraa, la population locale s'est de plus en plus impliquée dans la résistance à l'offensive israélienne.
Des manifestations contre l'invasion ont eu lieu dans divers quartiers de Damas, ainsi qu'à Deraa, Khan Arnabeh, Soueïda et dans plusieurs villes et villages de Quneitra. Même la communauté druze a rejeté les offres d'aide humanitaire et s'est mobilisée en signe de défiance. Lorsque le ministre de la Défense Katz s'est engagé à « aider » les Druzes de Jaramana, les milices druzes de Suwayda ont mobilisé leurs troupes pour se diriger vers Damas, déterminées à défendre leur communauté face à la prétendue mission de sauvetage d'Israël.
« Le sud de la Syrie [conservera] sa dignité », a affirmé Fayyad, avocat et militant des droits de l'homme. « Nous avons des principes clairs : nous ne voulons pas répéter les événements de 1967 ni abandonner nos maisons et nos terres. »
Tareq al-Salameh
Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepLpro
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Israël. Yaïr Nétanyahou, le fou du roi à la droite du père

Actualisation. Le fils aîné du premier ministre israélien a défrayé la chronique le 12 avril 2025 en insultant le président Emmanuel Macron sur X suite à sa déclaration en faveur de la reconnaissance d'un État palestinien. Militant proclamé du suprémacisme identitaire juif, Yaïr Nétanhyahou est adulé par le camp colonial. Portrait d'un « influenceur » auprès duquel Éric Zemmour paraîtrait pâlichon.
Tiré d'Orient XXI.
Vous avez aimé Bension Nétanyahou, le grand-père, historien adhérent au sionisme d'extrême droite le plus radical, admirateur affiché de Benito Mussolini dans les années 1920 et, déjà à l'époque, grand pourfendeur des musulmans, ces « barbares ». L'écrivain américain Joshua Cohen en a fait le principal personnage, abject et drolatique, d'un roman qui lui a valu le prix Pulitzer aux États-Unis (Les Nétanyahou, Grasset, 2022).
Vous avez adulé le fils, Benyamin, recordman de longévité à la tête du gouvernement israélien, chantre du « Grand Israël » aujourd'hui aux abois pour des vétilles : trois poursuites judiciaires et des centaines de milliers d'opposant·es dans les rues huant son nom. Vous allez adorer Yaïr, troisième du nom de la dynastie, fils aîné du précédent, suprémaciste juif revendiqué, ici ou là surnommé « Yaïr le dingo » mais en qui d'aucuns voient l'étoile montante de la politique israélienne.
« Mon pote, tu dois être très gentil avec moi »
On est à l'été 2015. Yaïr et son pote Kobi sortent éméchés d'une boîte de strip-tease de Tel-Aviv. Les deux compères envisagent d'aller voir des prostituées. Kobi propose un endroit. Yaïr refuse de payer le taxi. Kobi insiste, son copain lui doit déjà pas mal d'argent. Mais Yaïr, comme sa maman, est connu pour considérer que tout lui est dû. Alors, il dégaine : « Mon pote, tu dois être très gentil avec moi. Mon père a arrangé pour le tien un deal à 20 milliards de dollars. Tu ne vas pas pleurnicher pour 400 shekels [100 euros] que je te dois, espèce de fils de pute. »
Le problème, c'est que Kobi est le fils du milliardaire Ori Maïmon, principal investisseur israélien dans l'exploitation des champs gaziers découverts alors en Méditerranée. L'autre problème, c'est que l'altercation a été enregistrée. Par qui ? Le chauffeur, peut-être. Car trois ans plus tard, une chaîne de télévision israélienne diffuse l'enregistrement.
Les suites seront un peu désagréables pour le fils comme pour le père Nétanyahou, qui parlera de « deux jeunes gens qui plaisantaient ». Mais elles seront vite oubliées et Yaïr, depuis, a vu sa cote d'amour croître sans cesse en Israël dans les milieux suprémacistes juifs.
Aujourd'hui, ses « followers » sur Twitter sont plus de 170 000, son podcast, The Yair Netanyahu Show, est un must. Yaïr anime chaque vendredi une émission sur la chaîne radiophonique Galei Israël, sise dans une colonie en territoire occupé palestinien. On y profère des propos d'un racisme que quelqu'un comme Éric Zemmour rêverait de pouvoir prononcer impunément.
Ce qui séduit ses auditeurs ? D'abord, son franc-parler. Comme Donald Trump, Yaïr Nétanyahou mêle provocations et infox dans un langage dénué de freins. Semaine après semaine, il y conchie ses cibles préférées : les Arabes, l'islam, les intellos et artistes progressistes, et plus simplement tous ceux qui émettent la moindre critique envers son père.
L'espoir « que les gauchistes mourront tous du Covid »
En juillet 2020, l'agence Associated Press notait qu'en un mois, il avait appelé à [expulser de Tel-Aviv les « minorités » (comprendre : les Palestinien·nes), repris la thèse conspirationniste voulant que Barack Obama soit né au Kenya, demandé à une journaliste israélienne qui lui déplaisait si elle avait couché pour obtenir son poste, traité la police enquêtant sur les soupçons de corruption de son père de « Gestapo » et de « Stasi ». Un journaliste israélien a ainsi défini son credo fin mars dans le quotidien israélien Haaretz (1) :
- Offrir une réponse simple à chaque problème. Les immigrés ? On les expulse. Les terroristes ? On les électrocute. Le terrorisme ? On l'éradique. L'Iran ? On le bombarde. La Cour suprême ? On la rend au peuple. Un ministre de la défense dit que la législation qu'on veut faire voter menace la sécurité du pays ? On le vire !
Depuis une dizaine d'années, la liste des frasques et la quantité « des thèses conspirationnistes, absurdités et mensonges » énoncés par cet homme âgé aujourd'hui de 31 ans est ahurissante. En 2019, il accuse Martin Indyk, ex-ambassadeur américain dans son pays, de vouloir « détruire Israël ». En 2020, il accuse les manifestantes et manifestants hostiles à son père d'être « financés par des fonds européens, par Soros, le pédophile Epstein et Ehoud Barak » (2).
La même année, il est traité en guest star en Allemagne par l'Alternative pour l'Allemagne (AfD), le parti d'extrême droite qui accueille en son sein les néonazis. En 2021, il clame qu'il « espère que les gauchistes mourront tous du Covid ».
L'inversion du sens des mots
Depuis que son père a de nouveau remporté les élections législatives en Israël, en novembre 2022, et installé peu après un gouvernement insérant en majesté l'extrême droite coloniale en son sein, le « dingo » semble avoir basculé dans une attitude plus libérée que jamais de toute contrainte — comme, en parallèle, y succombe aussi la fraction de l'opinion israélienne qui soutient l'alliance de l'extrême droite et des partis religieux. Comme si leur accession au pouvoir avait libéré les miasmes les plus nauséabonds et les propensions à la brutalité les plus viles de la société israélienne.
Dès lors, le nouveau gouvernement installé, Yaïr dit dans une interview (3) que les procureurs et les policiers chargés des enquêtes sur son père sont « des traîtres », ajoutant qu'en Israël la loi « punit la trahison de la peine de mort ». Il oublie au passage que cette loi israélienne n'est valable que pour la haute trahison en temps de guerre. Réaction du papa : « Bien que chacun ait le droit d'exprimer son opinion, je ne suis pas d'accord avec ces propos »…
Le 18 mars 2023, dénonçant les défilés grandissants en Israël contre le projet de loi soumettant la Cour suprême au pouvoir exécutif que Nétanyahou entend faire voter, Yaïr compare les manifestant·es aux SA, les sections d'assaut mises en place par Hitler en Allemagne. Sur Twitter, il accuse aussi l'actuel Département d'État américain d'« être derrière les manifestations pour renverser Nétanyahou, afin de parvenir à un accord avec les Iraniens ». Sa source ? Breibart News, le site de la « droite alternative » américaine. Et qui est derrière ce complot ? Le financier George Soros, bien sûr.
Ces attaques contre le magnat juif et les références aux nazis pour qualifier ses opposants ne sont pas de simples aberrations. Comme chez Trump, l'utilisation systématique de l'inversion du sens est constitutive chez Yaïr. Ainsi en va-t-il de l'accusation de « nazisme », d'agir en « kapo », SS ou SA… portée à tort et à travers pour qualifier — ou plutôt disqualifier — tout opposant. En 2020 par exemple, Nétanyahou le troisième, qui abhorre toute idée de collectivité, assimile les kibboutz à « l'Allemagne nazie ».
Quand on déteste des gens, on les traite de nazis, c'est la règle. The Daily Stormer, site internet néonazi américain, traitera en 2017 Yaïr Nétanyahou de « frère absolu » (4). La recette est connue : plus c'est gros, mieux ça marche. C'est pourquoi Yaïr, en mars 2023, peut aussi tweeter au sujet des manifestants contre son père qu'ils « ne sont pas des protestataires. Ni des anarchistes. Ce sont des terroristes ». Nazi, terroriste, tout ça c'est pareil ; ça ne sert qu'à calomnier l'adversaire.
« Trouve-toi un mari arabe et fous-nous la paix »
Qui s'étonnera que Nétanyahou le Troisième soit un habitué des prétoires ? Souvent attaqué en diffamation, il attaque plus souvent encore le premier ses adversaires. Procédurier compulsif, il part du principe qu'il gagne dans tous les cas. S'il l'emporte, justice est faite. S'il perd, c'est bien que l'État profond est pourri. Un exemple parmi d'autres. Ex-députée travailliste devenue écologiste, Stav Shaffir le traite de raciste et de « harceleur ». Il l'attaque en diffamation. Au procès, il prétend qu'elle s'est elle-même acoquinée au « pédophile Epstein » et termine sa diatribe en lui lançant : « Trouve-toi un mari arabe, convertis-toi à l'islam et fous-nous la paix » (5). Il perd son procès, évidemment, mais il gagne parmi les siens.
En Israël, un pays où les sondages ont régulièrement montré que la population juive était favorable à Donald Trump à 70 %, voire 75 %, cette attitude choque moins qu'elle ne convainc. Dès lors, en janvier 2023, à l'invitation de l'« illibéral » président Viktor Orbán, il participe à une conférence à Budapest au cours de laquelle il explique que « critiquer George Soros n'est pas antisémite » devant un parterre de personnalités hongroises qui ont fait du régent Horthy, maître de la Hongrie de 1920 à 1944 qui instaura des lois anti-juives avant même que l'Allemagne nazie n'en adopte, leur idole historique.
Yaïr Nétanyahou, devenu un influenceur à succès, entretient les meilleures relations avec des représentants patentés de la droite alternative, nouveau nom de l'extrême droite identitaire occidentale. A-t-il des ambitions politiques ? La réponse n'est pas évidente. Ambitieux, Yaïr l'est. Politique, c'est moins clair. Ce qui est certain, c'est qu'il a toujours vécu dans une ambiance protectrice où il était prince. Il n'avait que 4 ans lorsque son père, Benyamin, a pris pour la première fois la tête du gouvernement avant, plus tard, de régner quatorze années durant sur le pays. Entre une mère, Sara, qui a montré à satiété qu'elle concevait le service de l'État comme la mise de l'État à son service, et un père acclamé par ses partisans comme « Bibi, roi d'Israël », pas besoin d'être fin psychologue pour imaginer pourquoi Yaïr Nétanyahou se comporte depuis toujours comme ces enfants-rois qui se sentent tout-puissants et n'admettent aucune contrainte. Il n'est pas seul en ce cas. Ainsi se perçoivent aussi ces colons idéologiques fanatiques qui multiplient les menées pogromistes contre les Palestinien·nes avec le même sentiment d'impunité légitime.
Une influence discutée
Pour autant, l'influence réelle de Yaïr sur son père n'est pas claire. Divers commentateurs israéliens pensent que Nétanyahou garde la main et se sert de son fils pour tester les frontières de l'admissible aux yeux de l'opinion. Au contraire, Ben Caspit, biographe de Benyamin Nétanyahou, estime que sa femme et son fils « donnent complètement le ton » et sont les plus influents conseillers du maître.
On raconte, par exemple, que lorsque le soldat Elor Azaria, en 2016, avait assassiné de sang-froid un jeune Palestinien déjà blessé et gisant dans son sang, et que, l'acte ayant été filmé, il était difficile à l'armée de ne pas sanctionner le soldat, Nétanyahou avait d'abord acquiescé. Mais quelques heures plus tard, il tournait casaque. Yaïr lui aurait montré les « milliers de réactions outrées » de jeunes Israélien·nes sur les réseaux sociaux, et le chef du gouvernement aurait alors couru rencontrer chez eux les parents du soldat incarcéré.
Quant à Nir Hefetz, ancien conseiller de Nétanyahou père devenu dans les procès en cours « témoin de l'État » (c'est-à-dire collaborateur de l'accusation en contrepartie de l'abandon des poursuites à son égard), il pense que Yaïr joue un rôle très important dans les décisions politiques de son géniteur. Nétanyahou père aurait, assure-t-il, repoussé un déplacement en Inde en 2017 parce que son fils aurait violemment manifesté son courroux de ne pas être invité dans la délégation israélienne.
Beaucoup, en Israël, estiment que l'influence de Yaïr a commencé de s'imposer au Likoud, le premier parti du pays, comme une alternative possible à son père lorsque ce dernier a connu des difficultés aux quatre scrutins législatifs successifs menés à partir d'avril 2019. « On adorerait pouvoir ne pas tenir compte [de Nétanyahou fils], comme si ce gosse difficile était juste un embarras pour son père. Mais la vérité est que sa grande influence est désormais démontrée », disait dès 2020 Raviv Drucker, un enquêteur respecté de la télévision israélienne (et honni des Nétanyahou).
Yaïr a cependant un handicap. La puissance du père semble décliner. Pas seulement parce que l'extrême droite radicale le tient en otage. Mais parce que son image semble lentement s'éroder. Le 10 avril, il donnait une conférence de presse. Interrogé sur le rôle de son fils, il a déclaré : « Yaïr n'a aucune influence. C'est une personne indépendante, avec ses propres opinions. »
L'ancien premier ministre Naftali Bennett s'est précipité à la radio pour déclarer : « Nétanyahou est un irresponsable. On aurait presque cru entendre Yaïr Nétanyahou. » Ce qui n'était pas une flatterie. Quant à Avigdor Lieberman, qui fut son ministre de la défense, il a eu ce commentaire sur Galei Tsahal, la radio militaire : « Nétanyahou ne prend plus aucune décision. Il ne fait qu'exécuter les ordres de son fils. » (6). Vrai, faux ou entre les deux, cela ne sent pas très bon, ni pour le papa, ni pour le fils.
Notes
1- « Yair Netanyahu's Weekly Radio Show : A Window Into the pro-Bibi Israeli Right's Bubble of Conspiracies ».
2- Yaïr hait l'Union européenne ; George Soros est un juif américain, magnat de la finance et progressiste, cible préférée de l'extrême droite américaine ; Jeffrey Epstein était un milliardaire qui organisait des orgies et s'est suicidé en 2019 ; Ehoud Barak est un ex-premier ministre travailliste israélien.
3- « Indictment of Netanyahu for corruption - an act of treason, son says », Ynet, 25 décembre 2022.
4- Daniel Estrin, « Netanyahu's Son Yair Stirs Up Controversy With Anti-Semitic Cartoon », 11 septembre 2017.
5- « Israeli Court Rules MK's Claim That Yair Netanyahu Is ‘Racist' Not Libelous », Haaretz, 30 mars 2023.
6- Amir Tibon, « Israel's 'Yair Netanyahu Problem' : The PM's Alter Ego Sowing Internal Strife and Tensions With Washington », Haaretz, 11 avril 2023.
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Gaza : « Plus qu’un être humain ne peut supporter »

Le rapport de la Commission indépendante de l'ONU* sur les crimes sexuels et reproductifs commis par Israël à l'encontre des Palestiniens, confirme ce que nous savions déjà : l'État sioniste utilise systématiquement et massivement la violence sexuelle contre les femmes, les hommes, les filles et les garçons palestiniens !
Tiré du site du CADTM.
Mais le rapport nous dit aussi autre chose : ces crimes sexuels et reproductifs commis par Israël font partie intégrante du plan génocidaire de l'État sioniste, au même titre que les bombardements constants et le meurtre de dizaines de milliers de civils, la destruction systématique de toutes les infrastructures de leur vie quotidienne et les déplacements massifs et répétés de la population de Gaza.
Ce n'est pas donc un hasard si ce rapport fait référence à la famine organisée par Israël qui touche la population de Gaza, en soulignant que *« l'utilisation de la famine comme méthode de guerre, a eu des effets sur tous les aspects de la reproduction * ». C'est-à-dire, sur tous les aspects de ce qui constitue le problème majeur -et toujours non résolu - du projet sioniste : la persistance des femmes palestiniennes à donner naissance à de petits Palestiniens !
Parlons donc, de cette famine programmée, bien organisée et toujours en application contre les Palestiniens de Gaza, qui vient compléter le projet génocidaire du gouvernement Netanyahou. Un projet qui ressemble comme deux gouttes d'eau à celui mis en œuvre dans l'Union soviétique d'alors par l'Allemagne nazie, qui a exterminé au moins 7 millions de militaires et civils russes, ukrainiens, biélorusses et Juifs Soviétiques, au moyen de la famine organisée. Et la principale raison pour laquelle la famine nazie de l'époque et la famine sioniste actuelle sont si semblables est que toutes deux ont servi et servent encore un projet commun assumé et déclaré publiquement : l'extermination de la population indigène afin de vider, d'annexer et de coloniser ses territoires avec leurs propres colons !
Alors, n'oublions pas qu'au moment même où on lit ces lignes, tout un peuple, pas si loin de Crète, meurt lentement de faim et de soif, privé de médicaments, de médecins et d'hôpitaux, tout en étant la cible d'exercices de tirs à munitions réelles de l'armée israélienne visant les tentes de réfugiés et les interminables ruines de Gaza qui n'ont rien à envier à celles de Dresde ou de Berlin en 1945. N'oublions pas…
*Le recours systématique par Israël à la violence sexuelle et procréative, et à d'autres formes de violence fondée sur le genre depuis le mois d'octobre*
*GENÈVE* – Un nouveau rapport
<https://www.ohchr.org/sites/default...> publié aujourd'hui par la Commission internationale indépendante* chargée d'enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, indique qu'Israël a eu de plus en plus recours à la violence sexuelle et procréative, ainsi qu'à d'autres formes de violence fondée sur le genre contre le peuple palestinien, dans le cadre d'un effort généralisé pour affaiblir les droits de la population à l'autodétermination. Le rapport montre également qu'Israël a commis des actes génocidaires en détruisant systématiquement les infrastructures de santé sexuelle et procréative.
Le rapport fait état d'un large éventail de violations perpétrées contre des femmes, des hommes, des filles et des garçons palestiniens dans l'ensemble du Territoire palestinien occupé depuis le 7 octobre 2023, qui constituent une part majeure des mauvais traitements infligés aux Palestiniens et s'inscrivent dans le cadre de l'occupation illégale et de la persécution des Palestiniens en tant que groupe.
« Les preuves recueillies par la Commission révèlent une augmentation déplorable de la violence sexuelle et de genre », a déclaré Navi Pillay, présidente de la Commission. « Nous ne pouvons que conclure qu'Israël a utilisé la violence sexuelle et fondée sur le genre contre les Palestiniens pour les terroriser et maintenir un système d'oppression qui porte atteinte à leur droit à l'autodétermination. »
La publication du rapport s'est accompagnée de deux jours d'audiences publiques à Genève les 11 et 12 mars, au cours desquels la Commission a entendu des victimes et des témoins de violences sexuelles et liées à la santé procréative, des membres du personnel médical leur ayant fourni des soins, ainsi que des représentants de la société civile, des universitaires, des avocats et des experts médicaux.
Le rapport révèle que les violences sexuelles et fondées sur le genre, dont la fréquence et la gravité ont augmenté, sont perpétrées dans l'ensemble du Territoire palestinien occupé et constituent une stratégie de guerre permettant à Israël de dominer et de détruire le peuple palestinien.
Des formes spécifiques de violence sexuelle et fondée sur le genre, notamment la nudité ou des mises à nu forcées en public, le harcèlement sexuel, dont les menaces de viol, ainsi que les agressions sexuelles, font partie des modes opératoires standards des forces de sécurité israéliennes à l'égard des Palestiniens.
Selon le rapport, d'autres formes de violence sexuelle et fondée sur le genre, notamment des viols et des actes de violence ciblant les organes génitaux, ont été commises soit sur ordre explicite, soit avec l'encouragement implicite des hauts responsables civils et militaires d'Israël.
Un climat d'impunité existe également en ce qui concerne les crimes sexuels et fondés sur le genre commis par les colons israéliens en Cisjordanie, dans le but de susciter la peur chez la communauté palestinienne et de l'expulser.
« Les déclarations et actions des dirigeants israéliens visant à exonérer leurs responsabilités et le manque d'efficacité du système judiciaire militaire pour poursuivre les affaires et condamner les auteurs envoient un message clair aux membres des forces de sécurité israéliennes : ils peuvent continuer à commettre de tels actes sans craindre d'être tenus responsables », a déclaré Navi Pillay. « Dans ce contexte, l'établissement des responsabilités par la Cour pénale internationale et les tribunaux nationaux, en vertu de leur droit interne ou de leur compétence universelle, est essentiel pour que l'état de droit soit respecté et que les victimes obtiennent justice.
La Commission a constaté que les forces israéliennes ont systématiquement détruit les installations de soins de santé sexuelle et procréative dans toute la bande de Gaza. Elles ont simultanément imposé un siège et bloqué l'aide humanitaire, notamment la fourniture des médicaments et du matériel nécessaires pour garantir le bon déroulement des grossesses, des accouchements et des soins post-partum et néonatals. Ces actes portent atteinte aux droits en matière de procréation et à l'autonomie des femmes et des filles, ainsi qu'à leur droit à la vie, à la santé, à fonder une famille, à la dignité humaine, à l'intégrité physique et mentale, à l'absence de torture et d'autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, à l'autodétermination et au principe de non-discrimination.
Des femmes et des filles sont mortes de complications liées à la grossesse et à l'accouchement en raison des conditions imposées par les autorités israéliennes, qui leur ont refusé l'accès aux soins de santé procréative, des actes qui relèvent du crime contre l'humanité par extermination.
La Commission a constaté que les autorités israéliennes ont détruit en partie la capacité de reproduction des Palestiniens de Gaza en tant que groupe par la destruction systématique des soins de santé sexuelle et procréative, ce qui correspond à deux catégories d'actes génocidaires dans le statut de Rome et la Convention sur le génocide, notamment le fait de soumettre intentionnellement la population palestinienne à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique et d'imposer des mesures visant à empêcher les naissances.
« Le ciblage des établissements liés à la santé procréative, notamment par des attaques directes contre les maternités et la principale clinique de fertilité in vitro de Gaza, ainsi que l'utilisation de la famine comme méthode de guerre, ont eu des effets sur tous les aspects de la reproduction », a déclaré Navi Pillay. « Ces violations ont causé non seulement de graves souffrances et préjudices physiques et mentaux immédiats aux femmes et aux filles, mais aussi des effets irréversibles à long terme sur la santé mentale et les perspectives de reproduction et de fécondité des Palestiniens en tant que groupe.
La Commission a constaté une augmentation de la mortalité féminine à Gaza, qui s'est produite à une échelle sans précédent en raison de la stratégie israélienne consistant à cibler délibérément des bâtiments résidentiels et à utiliser des explosifs lourds dans des zones densément peuplées. La Commission a également recensé des cas dans lesquels des femmes et des filles de tous âges, y compris des patientes en maternité, ont été prises pour cible. Ces actes constituent le crime contre l'humanité de meurtre et le crime de guerre d'homicide volontaire.
**Contexte : Le 27 mai 2021, le Conseil des droits de l'homme des Nations unies a chargé la Commission d'« enquêter, dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, sur toutes les allégations de violations du droit international humanitaire et sur toutes les allégations de violations et d'abus du droit international relatif aux droits de l'homme qui ont précédé et suivi le 13 avril 2021 ». La résolution A/HRC/RES/S-30/1 demandait en outre à la Commission d'enquête « d'enquêter sur toutes les causes profondes des tensions récurrentes, de l'instabilité et de la prolongation du conflit, y compris la discrimination et la répression systématiques fondées sur l'identité nationale, ethnique, raciale ou religieuse ». La Commission d'enquête a été chargée de faire rapport au Conseil des droits de l'homme et à l'Assemblée générale chaque année à partir de juin 2022 et de septembre 2022, respectivement.*
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

La solitude de la Palestine est une solitude fertile

Malgré l'isolement international et l'abandon de la part d'une grande partie du monde face à sa cause juste, la Palestine chante, crée, éduque, sème, résiste… et inspire. Elle inspire des luttes aux quatre coins du globe. Aujourd'hui, la Palestine est pour les peuples en révolte ce que fut le Che Guevara dans les années soixante : un symbole universel de dignité, de fermeté et d'espoir.
Photo Serge d'Ignazio
Oui, les gouvernements les plus puissants de la planète ont abandonné la Palestine, mais pas les peuples. Ce sont les citoyens qui ont fait preuve d'empathie, de solidarité et de conscience. Leurs gouvernements, eux, se sont agenouillés. Par peur de s'opposer à l'impérialisme nord-américain, ils ont choisi la soumission, devenant des sujets dociles de l'empereur du moment à la Maison-Blanche. Jamais ils n'ont osé défendre leurs propres peuples face aux abus de Washington ; ils ont préféré s'aligner sur ces intérêts, même au prix des souffrances de leurs concitoyens.
L'Europe, ces dernières années, nous a offert de nombreux exemples de cette indignité. En septembre 2022, les gazoducs Nord Stream — qui transportaient du gaz de la Russie vers l'Allemagne — ont été sabotés. Aujourd'hui, nous savons, grâce aux déclarations du secrétaire au Trésor américain, Scott Bessent, lors de son entretien avec Tucker Carlson le 7 avril, que des commandos américains ont été impliqués dans cette opération. Ces gazoducs devaient fournir une énergie bon marché à l'Europe sans passer par l'Ukraine, ce qui était inacceptable pour Washington, qui voyait là une menace pour ses milliards de dollars d'intérêts.
Après ce sabotage, l'Europe s'est vue contrainte d'acheter du gaz aux États-Unis à un prix bien plus élevé, acceptant les règles imposées par la puissance nord-américaine. Cette reddition énergétique, sous la présidence de Joe Biden à l'époque, a laissé l'Europe à nu, vulnérable… et ses citoyens entre les mains d'élites politiques lâches et soumises.
Que peut-on attendre d'une Europe qui se soumet au jeu sale des États-Unis, tout en embrassant son allié Netanyahou, malgré le génocide perpétré à Gaza ? Les Palestiniens subissent dans leur chair ce moment historique sombre, où les grandes figures capables de s'élever face à l'injustice et à l'impérialisme brillent par leur absence.
Il y a un an, alors que nous attendions à Istanbul pour embarquer à destination de Gaza sur un bateau qui visait à briser le blocus — bateau finalement bloqué par le gouvernement turc —, je me souvenais d'une image forte : celle de François Mitterrand, en 1992, brisant le siège de Sarajevo et invitant les organisations humanitaires à le suivre. Son geste n'a duré que six heures, mais ce furent six heures sans bombes, six heures de répit pour une ville assiégée. Et surtout, ce fut un geste marquant, un repère moral. Une action qui nous rappelle ce que l'on est en droit d'attendre des dirigeants du monde face à l'horreur.
Pourquoi Sarajevo et pas Gaza ?
Il pourrait y avoir mille réponses, toutes valables selon le point de vue. Mais pour moi, une seule tient : la lâcheté. Une lâcheté généralisée, normalisée, chez les sociétés et leurs dirigeants. Une lâcheté qui envoie un message terrible aux générations futures : n'attendez rien de nous, car nous ne faisons pas partie de la société que nous représentons.
Si des millions de personnes risquent leurs carrières, leurs emplois, leur confort, leur avenir pour défendre la Palestine, le minimum qu'on puisse exiger de nos gouvernants est qu'ils se placent en première ligne de la dénonciation et de l'action. Car ce qui se passe à Gaza est inacceptable au regard de toute conscience humaine.
La Palestine ne souffre pas seulement d'une solitude narrative. Elle souffre d'une censure. Présenter les Palestiniens comme un "problème" au lieu de les reconnaître comme un peuple injustement opprimé transforme ceux qui propagent cette narration en complices d'un génocide. Voler leur voix aux Palestiniens, c'est exactement ce que faisaient tous les régimes infâmes de l'Histoire : le franquisme en Espagne, le nazisme en Allemagne, le fascisme en Italie.
Mais ce qui se passe aujourd'hui est peut-être pire. Car autrefois, les exilés espagnols, allemands ou italiens pouvaient s'informer à travers la presse étrangère sur les atrocités commises dans leurs pays. Aujourd'hui, le récit antipalestinien est quasi universel. Quelques rares et courageuses exceptions subsistent, notamment dans le monde arabe et en Amérique latine. Mais elles sont minoritaires.
Celui qui ne craint pas les processus de déshumanisation en cours ne connaît pas l'histoire qui nous précède en tant qu'espèce. Et de ceux-là, il faut se méfier. Car ce sont les premiers qui, fièrement, tueront. Tout comme ils sont déjà aujourd'hui les premiers à tuer des êtres humains ailleurs sur notre planète.
Manuel Tapial
Membre du Conseil d'Administration de Palestine Vivra
******
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

De corridor en corridor, le morcellement territorial de la bande de Gaza est en marche

Dans le sillage de la vaste offensive menée par Tsahal dans l'enclave palestinienne depuis près d'un mois, l'État hébreu cherche à découper Gaza en cinq zones en vue de d'une domination militaire plus ferme, voire d'une annexion et d'une colonisation de la bande à plus long terme, révèlent les derniers mouvements militaires sur le terrain.
Tiré de Courrier international. Légende de la photo : La guerre à Gaza en 3 cartes. Source Ocha, LiveUAMA, Institute for the Study of war, BBC, ECFR, EU, ENOSAT, Financial Time.
Démolitions massives, fortifications militaires, construction de nouveaux corridors : le plan d'expulsion de la population palestinienne et de fragmentation de la bande de Gaza en vue d'une éventuelle annexion et d'une colonisation du territoire n'est plus une vue de l'esprit ni un projet lointain. Désormais affiché sans complexe par des ministres israéliens et bénéficiant du soutien américain, ce plan s'est notamment accéléré depuis la rupture du cessez-le-feu et la relance de la guerre il y a un mois.
Mais déjà en 2024, quelques mois avant le cessez-le-feu, entré en vigueur en janvier 2025, l'armée israélienne avait commencé à consolider sa présence au niveau des deux principaux couloirs en place dans l'enclave, révélait une investigation du New York Times fondée sur des images satellitaires : celui de Netzarim (séparant le nord du sud de l'enclave) et celui de Philadelphie (séparant l'Égypte de la bande de Gaza).
Mefalsim en toute discrétion
Durant le dernier trimestre de 2024, Tsahal avait aussi pavé des routes pour la construction d'un nouveau couloir dans le nord de l'enclave, à la lisière du camp de Jabaliya, alors en proie à une vaste opération militaire, lancée en octobre. Ce troisième corridor, qui porte le nom de Mefalsim, et dont l'émergence a été révélée en décembre dernier par quelques médias et think tanks seulement, dont The Washington Post et le Conseil européen pour les relations internationales (ECFR), vise à isoler la ville de Gaza du reste de la partie septentrionale de l'enclave.

Le projet de démembrement de la bande de Gaza a survécu au cessez-le-feu (de janvier à mars 2025), l'armée israélienne ayant seulement ouvert le corridor de Netzarim pour permettre le retour de plus de 500 000 Palestiniens dans le nord de l'enclave, mais refusant de retirer ses troupes du corridor de Philadelphie, tel que stipulé par l'accord conclu le 15 janvier avec le Hamas.
Deux nouveaux projets de corridors
Et depuis la relance de la guerre, le gouvernement de Benyamin Nétanyahou semble plus que jamais déterminé à aller de l'avant et à accélérer la mise en œuvre de son plan de “départ volontaire”, de concert avec celui du président américain Donald Trump consistant à relocaliser les Gazaouis dans d'autres pays et à faire de l'enclave la “Riviera du Moyen-Orient”, déplorent certains médias.
Tsahal a en effet récemment commencé à construire un nouveau couloir, baptisé “Morag” (du nom d'une ancienne colonie israélienne à Gaza, démantelée en 2005), séparant la ville de Rafah de celle de Khan Younès, dans le sud de l'enclave. “Les mouvements de chars et de bulldozers militaires ne cessent pas” dans le secteur, rapporte le média libanais Daraj, selon lequel ce quatrième corridor rendra, par ailleurs, “inutilisable l'une des zones agricoles les plus importantes” du territoire.
“Contrôle permanent”
Enfin, l'armée israélienne “prépare le terrain” pour ériger un dernier corridor séparant la ville centrale de Deir Al-Balah de celle, plus au sud, de Khan Younès, selon l'ECFR. Cela n'est pas sans rappeler un plan de fragmentation territoriale mis en place par Israël au début des années 1970, baptisé “Five fingers” (“Cinq doigts”, en anglais), indique Middle East Eye.
Il s'agit d'“un plan visant à s'emparer de la plus grande partie possible du territoire […], qui entraverait tout futur règlement politique”, ajoute Daraj.
Pour la journaliste israélienne Dahlia Scheindlin, Gaza pourrait ainsi évoluer à l'identique de la Cisjordanie, découpée dans les années 1990 en trois zones et grignotée depuis par une colonisation galopante. L'objectif est un “contrôle permanent” des Territoires palestiniens, en vue d'empêcher toute possibilité concrète de création d'un État palestinien, affirme-t-elle dans Ha'Aretz.
Courrier international
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre
Coupures budgétaires
Pourquoi le trumpisme est un fascisme
Blainville livré à Stablex par la CAQ, des citoyens se mobilisent chaque matin
Trumpenstein et le totalitarisme : quand le loup et la pulsion de mort sont les gardiens de la bergerie
Un expert critique la croisade antivol menée par des milliardaires de C.-B.
Génocide au Soudan : les reflets d’un passé violent à l’horizon
Le SPVM terrorise un rassemblement de deuil pour Abisay Cruz
Les bases universelles d’une didactique de la gestion des déchets
Gestion des déchets : entre civisme et responsabilité collective
Les racines du génocide à Gaza : la Palestine au cœur d’enjeux géopolitiques complexes
Le veganisme
La Ville de Montréal démolit son propre mobilier urbain
Le Mexique reconnaît la Palestine : Un geste de solidarité historique
Haïti : Déclaration sur la présence au Québec de Smith Augustin, membre du Conseil présidentiel de transition (CPT)
gauche.media
Gauche.media est un fil en continu des publications paraissant sur les sites des médias membres du Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG). Le Regroupement rassemble des publications écrites, imprimées ou numériques, qui partagent une même sensibilité politique progressiste. Il vise à encourager les contacts entre les médias de gauche en offrant un lieu de discussion, de partage et de mise en commun de nos pratiques.