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1er mai : Les centrales rencontrent le premier ministre du Québec

Les leaders syndicaux de la FTQ, de la CSQ, de la CSN et de la CSD ont rencontré le premier ministre du Québec et le ministre du Travail dans le cadre de la traditionnelle rencontre du 1er mai, Journée internationale des travailleuses et travailleurs.
Le dossier du projet de loi no 89 sur le droit de grève a fait l'objet de l'ensemble des discussions. Les leaders syndicaux ont rappelé que ce projet de loi remet en question le droit de grève et est une attaque sans précédent contre les travailleurs et travailleuses ! Les leaders syndicaux sont déçus par le manque d'écoute du premier ministre et le ministre du Travail qui rejettent tout dialogue social.
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Comptes rendus de lecture du mardi 6 mai 2025


Manifeste du Parti communiste
Karl Marx et Friedrich Engels
Traduit de l'allemand
Ça m'a toujours déçu qu'on ne nous parle jamais dans nos cours et livres d'histoire de véritables grands moments de notre histoire commune comme le Printemps des peuples, la Première internationale – de son vrai nom l'Association internationale des travailleurs – ou encore la Commune de Paris. Peut-être ce grand déchaînement d'idées nous aurait-il trop permis à nous et à nos pères et mères de rêver d'un monde meilleur ? Ce débat, pourtant si important entre les communistes de Karl Marx, favorables à la gestion centralisée et à la création de partis politiques, et les libertaires anti-autoritaires et anti-politiques réunis autour de Mikhaïl Bakounine, serait fort éclairant, encore et surtout de nos jours. Le « Manifeste du Parti communiste » est un court manifeste qui établi les bases de la pensée communiste, avec les germes d'une dictature du prolétariat comme phase transitoire dans la lutte contre la bourgeoisie... Sa lecture est formatrice. Je ne saurais trop, dans la même veine, vous recommander la lecture des libertaires pour bien connaître l'autre option, l'option libertaire, toujours possible de nos jours, qui s'offrait aussi alors aux travailleurs et aux sans-voix.
Extrait :
L'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire des luttes de classes.

Le canard de bois
Louis Caron
« Le canard de bois » est un très beau roman et de loin le meilleur des trois de la trilogie de Louis Caron « Les fils de la liberté ». C'est sans doute aussi le plus émouvant qu'on ait jamais écrit sur les événements de 1837. L'histoire raconte la vie de plusieurs personnages du village de Port Saint-François dans les mois précédant la Rébellion de 1837. Hyacinthe Bellerose, le villageois insoumis, Marie-Moitié, son amante métisse, le notaire Plessis, bourgeois canadien fidèle aux autorités coloniales, le major Hubert, député du Parti des Patriotes, le marchand anglais Smith, l'abbé Mailloux, qui condamne la révolte, et le seigneur Cantlie réagissent à ce soulèvement populaire qui sera durement réprimé. Caron insiste dans ses descriptions sur les conditions de vie misérables des paysans canadiens et sur la mainmise des nobles et des commerçants britanniques sur la colonie. Un de nos très bons romans historiques.
Extrait :
Un bleu de fin de jour. La neige commençait à se tasser au pied de bouleaux. Bruno Bellerose finissait de couper des repousses sur le tracé d'un chemin qui n'avait pas servi depuis plusieurs années. C'était sur la concession des McBride, à une heure de marche du camp, à six heures de camion du plus haut relais de la forêt, à quatre heures d'autobus ensuite de La Tuque, la ville la plus au nord, puis à deux heures de train de Trois-Rivières, d'où il fallait encore prendre le Jean-Nicolet, un bon petit bateau blanc, pour traverser le fleuve jusqu'au Port Saint-François, après quoi il restait encore une bonne demi-heure de marche pour arriver à la maison du père, si jamais il vous prenait l'envie de rentrer chez vous.

J'avoue que j'ai vécu
Pablo Neruda
Traduit de l'espagnol
Cette autobiographie a été publiée en 1974, un an après la mort du poète. Parfois drôle et souvent touchante, elle est éclairante sur cette période de l'histoire qui s'étend du début du siècle aux années 1970. J'ai vraiment beaucoup aimé.
En voici un extrait :
Je veux vivre dans un pays où il n'y ait pas d'excommuniés. Je veux vivre dans un monde où les êtres soient seulement humains, sans autres titres que celui-ci, sans être obsédés par une règle, par un mot, par une étiquette. Je veux qu'on puisse entrer dans toutes les églises, dans toutes les imprimeries. Je veux qu'on n'attende plus jamais personne à la porte d'un hôtel de ville pour l'arrêter, pour l'expulser. Je veux que tous entrent et sortent en souriant de la mairie. Je ne veux plus que quiconque fuie en gondole, que quiconque soit poursuivi par des motos. Je veux que l'immense majorité, la seule majorité : tout le monde, puisse parler, lire, écouter, s'épanouir.
Comme si nous étions déjà libres
David Graeber
Traduit de l'anglais
Un autre bon bouquin publié chez Lux sur lequel il y aurait beaucoup à dire. David Graeber sait remettre les choses en perspective et les faits à leur place. Il soutient ici que seule une « véritable démocratie » – basée sur des principes d'égalité, de participation citoyenne et de recherche du consensus – peut nous permettre de jeter les bases de la société juste et équitable que nous souhaitons. Il s'agirait, pour y arriver, de faire comme si nous étions déjà libres.
Un extrait :
La démocratie n'est pas une invention de la Grèce antique. Le terme démocratie a été inventé dans la Grèce antique, je le concède, mais par des gens qui n'aimaient guère le concept. Et la démocratie comme telle n'a jamais été 'inventée'. Pas plus qu'elle n'émane d''une quelconque tradition intellectuelle. Elle n'est pas même une forme de gouvernement. Essentiellement, elle repose sur l'idée que les humains sont fondamentalement égaux et devraient pouvoir prendre leurs propres affaires en main, d'une façon égalitaire, et par les moyens qu'ils jugent les plus appropriés.
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Une histoire du cinéma soudanais : l’art comme résistance politique (1/2)

Dans cette série de deux articles, nous explorons comment le cinéma soudanais a tenté de résister à des décennies de dictature et de violences d'Etat visant à détruire, à travers l'art, l'identité même du pays. Dans ce premier volet, Abeer et Anan Abdulla retracent l'histoire du cinéma soudanais, qu'elles définissent comme un « artivisme », au croisement de l'art et de l'activisme politique.
Tiré du blogue de l'auteur.
Anan et Abeer Abdulla sont des cinéastes soudanaises et des militantes des droits humains qui s'intéressent à la politique et au changement social à travers leur travail artistique. Elles ont commencé leur carrière d'« artivisme » au début de la révolution soudanaise en 2018 et ont été contraintes de demander l'asile en France en 2022. Leur dernier court-métrage « Survivante » évoque le trauma de la jeunesse soudanaise qui a vécu la révolution, puis la guerre et l'exil. Ce texte est issu d'une présentation qu'elles ont faites lors de la journée d'étude « Cinéma soudanais : défis et résiliences » organisée par le groupe de recherche Arts, Médias, Exils (AME) (IRCAV/Sorbonne Nouvelle)[1] le vendredi 28 mars 2025 à Paris.
Qu'est-ce que l'artivisme ?
L'artivisme associe « art » et « activisme », en utilisant la créativité pour susciter des changements sociaux et politiques. Il s'agit de faire de l'art, qu'il soit visuel, musical, performant ou numérique, pour sensibiliser aux droits humains, à l'égalité des sexes et à la justice sociale afin de créer un changement significatif dans la société.
Contexte historique du cinéma soudanais
L'histoire du cinéma soudanais commence avec la période coloniale. La première projection cinématographique de l'histoire du Soudan a eu lieu en 1912. Le film était un documentaire britannique sur l'ouverture de la ligne de chemin de fer entre El Obeid et Khartoum, qui a été projeté à El Obeid.
Le cinéma est né au Soudan comme un outil de propagande coloniale. Le colonialisme britannique a introduit le cinéma au Soudan grâce à son intérêt pour la documentation des événements politiques, sociaux et militaires. L'objectif des colons britanniques était de documenter ce qu'ils présentaient comme leurs « glorieuses réussites » au Soudan. Une unité appelée "Travelling Cinema Section", une camionnette mobile équipée d'un projecteur, a été créée pour projeter des films dans les zones rurales et les petites villes, afin de diffuser des informations sur le pouvoir royal anglais et de promouvoir l'influence britannique.

En 1935, le « Coliseum Cinema » a été construit à Khartoum, l'une des premières salles de cinéma au Soudan. À l'époque, il n'était pas ouvert au public, mais plutôt réservé à l'élite coloniale et soudanaise. D'autres cinémas ont été créés par la suite dans la capitale, tels que « Halfaya » et « Blue Nile », qui ont permis d'introduire le cinéma à la population soudanaise. A l'époque, les Soudanais·es qui s'asseyaient dans les fauteuils du public regardaient uniquement des films étrangers : ils et elles ne voyaient donc le Soudan et le monde qu'à travers les yeux des étranger·es.
Cette situation a perduré jusqu'en 1949, date de la création de la « Sudan Film Unit » ou « SFU », comme nous aimons l'appeler, qui a constitué un véritable tournant.
La première génération de cinéastes soudanais
Au début des années 1950 est apparue la première génération de cinéastes soudanais, c'est-à-dire les premiers Soudanais à s'être approprié le cinéma pour parler des enjeux du Soudan.
La « Sudan Film Unit » a été fondée pour couvrir l'actualité et produire de courts documentaires au service de la colonisation britannique, à l'aide d'une caméra 16mm. Mais les cinéastes Kamal Mohamed Ibrahim et Gadalla Gubara, qui ont rejoint l'unité, se sont approprié la structure pour produire un véritable cinéma soudanais, en écrivant leurs propres scénarios et en produisant leurs propres films. En 1960, La SFU avait ainsi déjà produit plus de cinquante films, la plupart réalisés par Gadalla Gubara.

Grâce aux efforts de Kamal Ibrahim, la section de cinéma itinérante créé par les britannique a été réappropriée par les Soudanais·es, avec pour nouvel objectif de rendre le cinéma accessible à toute la population en organisant des projections dans les zones rurales. Cette première initiative s'inscrit dans un mouvement d'art populaire et engagé pour la société soudanaise. Kamal Mohamed Ibrahim a ainsi écrit aux gouvernements locaux pour les informer de la création du département cinématographique et leur demander de fournir des propositions spécifiques pour produire des courts métrages liés à leurs régions, afin de représenter toute la diversité régionale du Soudan.

Certains réalisateurs de l'époque ont réalisé des courts métrages, des documentaires ou des films d'enregistrement. À l'époque, le cinéma était utilisé pour sensibiliser l'opinion publique sur des faits de société : par exemple, le film « Al-Mankub », sorti en 1952, a permis d'attirer l'attention sur l'épidémie de tuberculose qui se propageait à cette période. La SFU a ainsi joué un rôle-clé dans les campagnes de santé contre les épidémies et dans l'éducation agricole, en documentant la culture du coton et en mettant l'accent la lutte contre les parasites. Ces films ont été très efficaces pour sensibiliser les citoyen·nes à des questions de santé publique et de sécurité au travail.
L'Unité disposait également d'un « Département Oral », dont les membres étaient chargés d'expliquer les films projetés dans les camionnettes de cinéma itinérantes au public qui ne savait pas lire.
La deuxième génération de cinéastes soudanais
À cette époque, l'industrie cinématographique ne bénéficiait d'aucun soutien gouvernemental ou institutionnel. Ce manque de soutien, paradoxalement, a entraîné l'essor des films indépendants :
– En 1970, le premier long métrage soudanais « Amal Wa Ahlam » ("L'espoir et les rêves"), produit par Ibrahim Malasi, a été l'un des premiers films indépendants ;
– L'un des grands réalisateurs de cette génération est Tayeb Mahdi, dont les messages artivistes sont illustrés dans des films comme « Aldarih » (1977), qui traite de l'illusion des croyances religieuses et du contrôle qu'elles exercent ;
– L'une des productions les plus connues de cette génération est le film de Hussein Mamoun Sharif « Aintizae Alkahrman » (1975), qui raconte l'histoire de la ville abandonnée de Sawakin ;
– On peut citer également « Arbae maraat lil'atfali » (1983), sur l'éducation des enfants handicapés au Soudan ;
– Ou encore « Almahata » (1989), qui traite du système capitaliste et de son impact sur les communautés pauvres.

En 1969, Wesal Musa Hassan est considérée comme la première femme cinéaste, non seulement au Soudan mais dans tout le Moyen-Orient. A 18 ans, elle rejoint la "Sudan Film Unit" et travaille sur plusieurs films en tant que camerawoman.

Au cours des années 1980, les politiques du gouvernement du dictateur Jaafar Nimeiry n'ont pas soutenu le cinéma, mais ont au contraire imposé une censure stricte sur les films, mise en œuvre par le ministère des affaires religieuses.
En avril 1989, les cinéastes les plus influents de l'époque, comme Ibrahim Shaddad, Tayeb Mahdi et Manar Al-Hilu ont réussi à créer le « Sudanese Film Group », qui visait à sensibiliser la population à la culture, aux questions de société et à la politique. Le réalisateur Suleiman Mohamed Ibrahim, à la tête du Sudanese Film Group, a déclaré : « L'avenir du cinéma soudanais dépend de la liberté d'expression ». Ces réalisateurs mobilisaient explicitement la caméra comme un outil pour résister à la dictature.

Malheureusement, alors que le cinéma soudanais était en plein développement, le coup d'État du dictateur Omar El-Béshir a mis un frein brutal à cet essor, contrôlant fermement toutes les productions médiatiques et artistiques et arrêtant toutes les personnes soupçonnées d'être des opposant·es politiques.
La troisième génération d'artistes cinématographiques soudanais
Cette troisième génération - la génération actuelle - s'est formée sous le régime des Frères musulmans dans un contexte de suppression de libertés, ce qui a contraint de nombreux cinéastes à produire leurs œuvres en secret.
Malgré la répression très forte, de nombreuses formes de création résistance ont perduré, comme la « Sudan Film Factory », une plateforme de culture cinématographique indépendante, qui rassemble les créateurs soudanais pour renforcer leur capacité de production. Plusieurs films ont réussi à être produits malgré la dictature :
« Nyerkuk » (2016) du réalisateur Mohamed Kordofani, qui parle de la vie d'un enfant des rues ;
« Beats of the Antonov » (2014) de Hajooj Kuka, qui documente le conflit entre le Soudan et les Forces de Soutien Rapide dans les régions du Nil Bleu et des Monts Nouba, en mettant en lumière le rôle de la musique pour aider les communautés affectées à résister culturellement et spirituellement face au conflit en cours.

“L'artivisime” en temps de conflit
Lorsque la révolution a eu lieu en 2018, toutes les formes d'art et d'activisme ont connu un essor spectaculaire, qui s'est traduit par des œuvres d'une immense diversité : les graffitis sur les murs, les poèmes politiques, la musique révolutionnaire... Une nouvelle filmographie a également émergé, permettant de transmettre des histoires de Soudanais·es qui n'avaient pas pu être racontées au cours des 30 dernières années de dictature. Pour la première fois, les cinéastes soudanais·es n'avaient plus besoin de se cacher, et étaient fièr·es de se présenter comme artistes. Quelques exemples de films produits pendant la révolution :
« A Tour in the Republic of Love » (2020) réalisé par Mohamed Kordofani, sur le sit-in devant le siège du commandement général des forces armées pendant la révolution ;
« Khartoum Offside » (2019), un documentaire de la réalisatrice Marwa Zein sur les débuts du club de football féminin à Khartoum.

Lorsque la guerre a commencé le 15 avril 2023, le rôle des artistes soudanais·es a changé. Il est maintenant de notre devoir, en tant qu'artistes et activistes, de documenter et de mettre en lumière le conflit en cours. Nous utilisons la photographie et l'art visuel pour montrer l'impact catastrophique de la guerre et représenter notre identité soudanaise de manière créative. Notre objectif est de s'assurer que le monde sache que notre guerre n'a pas été oubliée de la communauté internationale, mais intentionnellement ignorée. Grâce à notre art, nous rendons impossible le fait d'ignorer nos souffrances. Notre rôle est aussi d'humaniser les victimes de la guerre, montrer les vies des êtres humains derrière les chiffres. Deux exemples nous semblent très inspirants :
Nas Shagala est une campagne d'impact social de la jeunesse soudanaise qui vise à documenter les histoires et les luttes du peuple soudanais pendant la guerre par le biais de films documentaires ;
Ayin Network est un groupe de journalistes activistes, qui couvre les événements dans les zones du Soudan rendues les plus inaccessibles à cause du conflit, notamment au Darfour et dans les montagnes Nouba, difficiles d'accès pour les autres médias. Ils réalisent majoritairement des reportages, mais ont également produit quelques films documentaires.

Conclusion
L'histoire du cinéma au Soudan nous montre que depuis ses débuts, le cinéma soudanais s'est toujours constitué comme un « artivisme », un art né et développé dans le conflit qui a toujours été mobilisé comme outil de résistance. A cause de la particularité de l'histoire soudanaise traversée par les guerres, les révolutions et les dictatures, il est impossible de dissocier la politique de la vie quotidienne. Ainsi, tous les films soudanais parlent du contexte politique, que ce soit de manière explicite ou de manière subtile. Depuis la première génération qui a travaillé pour le changement à partir de l'échelle locale, la deuxième génération qui a lancé l'industrie cinématographique indépendante et la troisième génération qui a travaillé dans des circonstances misérables et dans la clandestinité, le cinéma soudanais a continué et continuera de lutter pour transmettre les histoires qui n'ont pas été racontées.
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Par Abeer et Anan Abdulla
Traduction : Equipe de Sudfa
[1] Pour en savoir plus sur ce programme de recherche : https://ircav.fr/event/cycle-de-films-et-journee-detudes-cinema-soudanais-defis-et-resiliences/
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Le cas Trump : Portrait d’un imposteur

Un portrait saisissant de Donald Trump autour de trois grands pôles : mensonge, narcissisme et destructivité.
Qui est Donald Trump ? Qu'est-ce qui motive la quête du pouvoir de cet homme que sa propre nièce, psychologue clinicienne, a décrit comme le plus dangereux du monde, et son proche conseiller comme un Hitler américain ? S'appuyant sur une abondante documentation et sa participation à un rallye trumpiste, Alain Roy offre un portrait saisissant et inquiétant du playboy ayant dilapidé l'immense fortune dont il a hérité de son père.
Contrairement à l'image d'homme d'affaires à succès qu'il a voulu projeter tout au long de sa vie et que la téléréalité est venue cristalliser, Trump a fait faillite à maintes reprises. Objet de risée de la part des élites, il s'est fabriqué une identité de « gagnant » pour cacher ses failles et sa honte, jusqu'à se hisser à la tête de la Maison-Blanche. Mais que se passe-t-il lorsque le réel se confronte aux mensonges de l'imposteur ? Jusqu'où peuvent aller sa rage et ses désirs de vengeance ? Dans un contexte où s'agite autour de lui une extrême droite triomphante et décomplexée, ses penchants agressifs et transgressifs forment un cocktail explosif.
À travers les prismes du mensonge, de la faille narcissique et de la dangerosité, Alain Roy plonge au cœur de la psyché de Donald Trump afin de cerner la nature de cette figure politique à la fois grotesque et malfaisante, qui force le monde entier à jouer dans un très mauvais film.
Parution Canada 2025
Parution Europe 2025
Prix 24,00 $/16,00 €
Pages 222
ISBN 9782898570452
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Santé planétaire : Prescriptions médicales pour un environnement sain

Une médecin tire la sonnette d'alarme pour recadrer la crise climatique comme un enjeu de santé.
Claudel Pétrin-Desrosiers
Préface de Dre Joanne Liu
Postface de Jérôme Dupras
« L'un des sentiments que j'ai appris à détester le plus, comme médecin, c'est de savoir que je ne peux pas offrir au patient devant moi ce qui ferait réellement une différence pour lui : un environnement sain. » Voilà le constat qui s'impose à la Dre Claudel Pétrin-Desrosiers lorsqu'elle pratique dans certains quartiers défavorisés de Montréal. Et cette limite de la médecine clinique lui rappelle constamment les défis posés par la triple crise écologique actuelle que sont les changements climatiques, la pollution atmosphérique et le déclin de la biodiversité.
Avec fougue et rigueur, la Dre Pétrin-Desrosiers défend l'approche de la santé planétaire, une démarche scientifique transdisciplinaire selon laquelle notre santé est indissociable de celle des écosystèmes et du monde vivant. Après avoir exposé les conséquences de la crise écologique sur la santé humaine (chaleur extrême, inondations, feux de forêt, mauvaise qualité de l'air, allergies, infections, insécurité alimentaire, écoémotions, déplacements migratoires et instabilité géopolitique), elle défend l'idée que la communication sur ces enjeux mériterait d'être recadrée comme un enjeu de santé – une valeur que tout le monde partage. Selon elle, c'est la meilleure façon de provoquer les changements de société qui s'imposent. Verdissement urbain, exposition à la nature, réduction de notre dépendance aux énergies fossiles, transports actifs et communs, modification de nos régimes alimentaires… Les solutions qu'elle préconise nous libèrent en plus d'une vision strictement curative et individualiste de la santé.
En fait, l'approche de la santé planétaire reprend une idée toute simple : celle de vivre en harmonie avec la nature. Comme le souligne la Dre Joanne Liu dans la préface, « ce livre est un excellent vaccin contre le “climatoscepticisme” et contre notre apathie face à la triple crise écologique ».
Parution Canada 2025
Prix 25,00 $
Pages 224
ISBN 9782898570643
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Combattre la gentrification : Témoignage d’une ex-conseillère municipale

Le témoignage qu'offre Sophie Thiébaut dans Combattre la gentrification est d'abord celui d'une ancienne élue de la politique municipale, conseillère dans le Sud-Ouest de Montréal pendant plus d'une décennie. Forte de cette expérience, l'autrice dresse un bilan nuancé mais sans concession du travail politique de « proximité ». Elle raconte également les débuts de Projet Montréal, son évolution de petit parti politique d'opposition à parti au pouvoir en 2017, ainsi que la transformation de la question du logement au sein de la formation politique.
Combattre la gentrification, c'est ensuite et surtout le récit d'une « citoyenne ordinaire » qui, comme des milliers d'autres locataires, subit les impacts destructeurs de la gentrification. Quartier par quartier, projet par projet, Sophie Thiébaut évoque les mutations radicales qui ont affecté les secteurs longeant le canal Lachine et qui, dans certains cas, ont pu être ralenties, voire bloquées par l'action populaire. C'est pourquoi l'autrice en appelle à des mobilisations collectives pour préserver nos quartiers de la spéculation immobilière.
Parution : Mai 2025
Prix :
Pages :
Format : 4,5 x 6,75 pouces
ISBN : 978-2-924924-48-8
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Mobilisation : Organiser la lutte des classes en milieu de travail

De 1971 à 1975, la revue Mobilisation a joué un rôle structurant dans la recomposition de la gauche québécoise. Désireuse de rompre avec un militantisme qu'elle juge désorganisé, l'équipe de la revue cherche à combler la distance idéologique et culturelle qui la sépare des travailleur·ses.
Si Mobilisation publie des textes d'analyse politique et des articles de fond sur les enjeux internationaux, l'originalité de sa contribution réside dans sa réflexion sur les différentes stratégies de liaison entre les intellectuel·le·s et le mouvement ouvrier et, plus particulièrement, dans ses bilans pratiques sur l'implantation dans les lieux de travail.
Au fil de leurs expériences dans les usines et les hôpitaux, les militant·e·s de Mobilisation ont élaboré une approche singulière de l'implantation, centrée sur la création de comités de travailleurs, et ont ainsi contribué à démocratiser – voire à radicaliser – les luttes ouvrières de l'époque.
Cinquante ans après la parution de son dernier numéro, à l'heure où la combativité du mouvement syndical souffre de la bureaucratisation des grandes centrales, cette anthologie des réflexions stratégiques de Mobilisation éclaire les possibilités et les défis de la jonction entre les militant·es de gauche et les travailleur·euses du Québec.
Textes choisis et présentés par Guillaume Tremblay-Boily, auteur d'une thèse de doctorat sur l'implantation marxiste-léniniste.
En librairie dès juin 2025
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Lutter contre l’effacement : les archives soudanaises face à la guerre (2/2)

Dans cette série de deux articles, nous explorons comment le cinéma soudanais a tenté de résister à des décennies de dictature et de violences d'Etat visant à détruire, à travers l'art, l'identité même du pays. Face à cet effacement, des artistes, militant·es et archivistes, comme la réalisatrice Sara Suliman, se battent pour conserver les traces de l'histoire du Soudan et lutter contre l'oubli.
Tiré du blogue de l'auteur.
"Sudan's forgotten films" - Les films oubliés du Soudan
Fin mars, nous sommes plusieurs de l'équipe de Sudfa à nous être rendu·es à la rencontre « Cinéma soudanais : défis et résiliences » organisée par le groupe de recherche Arts, Médias, Exils (AME) (IRCAV/Sorbonne Nouvelle)[1] à Paris.
Un des premiers films projetés était « Sudan's Forgotten Films » de Suhaib Gasmelbari (2014). Il nous plonge dans le quotidien de deux archivistes : Awad et Benjamin. Ces deux hommes âgés, figures historiques du cinéma soudanais, se battent pour sauver les archives cinématographiques du pays.
« Le Soudan a parmi les plus nombreuses archives de cinéma en Afrique », affirme l'un d'entre eux. Mais cette collection inestimable a souffert de décennies de négligence : stockée dans de mauvaises conditions, elle a subi les dégradations du temps. Dans le film, on voit les deux vieillards écrire de façon répétée au gouvernement pour demander des outils adaptés, comme un système de refroidissement, et le supplier de recruter des ouvriers pour les aider à transporter les nombreux cartons.

Mais le gouvernement d'Omar El-Béshir fait la sourde oreille. Entièrement dévoués à sauver ces archives, les deux hommes travaillent sans relâche, bénévolement, achetant eux-mêmes le rouleau de scotch pour réparer les bandes abîmées. A eux seuls, ils sont les gardiens de plus de 13 000 films, dont une grande partie n'ont jamais été visionnée. Les deux vieux amis tiraient la force de leur combat dans cette croyance inébranlable, exprimée par Awad dans le documentaire : « Il ne faut pas qu'on perde ces films, parce qu'il faut que les enfants du Soudan connaisse leur histoire. Quand tu n'as pas d'histoire, tu n'es personne ».
Le visionnage de « Sudan's Forgotten Films » a ouvert des discussions sur le devenir des archives cinématographiques soudanaises qui se sont poursuivies durant toute la rencontre. Ce film très émouvant rappelle les dommages inestimables causés par la dictature d'Omar El Béshir, resté plus de 30 ans au pouvoir, sur l'art et la culture au Soudan. Il nous rappelle aussi que la violence du régime, si elle a pu prendre des formes de répression brutale, a également pu opérer de manière plus silencieuse, à travers l'abandon du soutien aux artistes et archivistes et la négligence du patrimoine culturel du pays.
Sara Suliman, réalisatrice, mobilise les archives dans son travail de cinéaste. Elle témoigne des nombreuses barrières que l'administration d'El Béshir a placées sur son chemin pour l'empêcher d'avoir accès aux archives visuelles, et de l'état de dégradation dans lequel elle a trouvé les cartons qui contenaient des photographies et des bandes vidéographiques d'une valeur exceptionnelle :
« Ils étaient couverts de poussière, et très abîmés par la saleté », décrit-elle avec colère. « Le Soudan était sous une dictature militaire pendant 30 ans, qui a détruit l'art, opprimé les artistes de toutes les disciplines, et particulièrement les cinéastes. Parce que l'art, c'est du pouvoir, et ils le savent. Il y a des générations extraordinaires, avec une grande créativité, qui ont été réprimées. Les histoires étaient là, les idées étaient là, mais tout était réprimé. Les artistes soudanais ont beaucoup plus de choses à mettre en avant. »
La révolution de 2018 : filmer la liberté, retrouver les traces de l'histoire soudanaise
Dans une interview à Sudfa, Sara Suliman raconte le tournant qu'a constitué la révolution de 2018 : « Puis la révolution est arrivée, et a ouvert un moment de liberté. Il n'a pas duré, mais c'était comme prendre une respiration. Quand tu as connu la liberté, c'est difficile qu'on te la reprenne. »
Quand la révolution est arrivée, elle tournait son film Heroic Bodies (2022) : « Je filmais le "Zar" c'est une pratique religieuse considérée comme superstitieuse par le gouvernement soudanais (…) qui utilisait la religion comme prétexte pour opprimer la population. Pendant ces 30 ans ils ont interdit le "Zar", c'est un rituel pendant lequel les femmes dansent avec des percussions très fortes, pour faire ressortir les esprits mauvais en exauçant certaines de leurs demandes. Cette pratique était interdite, mais après la révolution, pendant une année de liberté avant que le coup d'État qui a repris le pouvoir aux civils, les femmes ont pu le pratiquer, et j'ai pu le filmer. Dans cet extrait de film, on peut voir les femmes danser, reprendre place dans l'espace, créer un espace safe. On a commencé cette fête à 10 heures du matin et jusqu'à 7 heures du soir ça continuait encore ! C'est cette liberté que les artistes et les personnes créatives ont trouvé pendant la révolution. C'est pourquoi tant de choses se sont passées cette année-là, plein de films sont sortis, plein d'idées se sont développées. »

Elle explore dans son travail l'intersection des multiples formes de violences (physique, politique, structurelle) auxquelles sont soumises les femmes soudanaises, mais aussi la manière dont les femmes utilisent leurs corps pour résister, et la transmission de ces luttes à travers les différentes générations de femmes. Pour elle, l'accès aux archives est également un enjeu féministe : « Nous, les femmes soudanaises, nous avons besoin qu'on nous garantisse l'accès à l'information. C'est notre droit. Il faut des lois fortes qui soient mises en place pour nous garantir ce droit à connaître notre histoire. »
Grâce au combat de quelques cinéastes soudanais·es, des projets de numérisation ont vu le jour à la fin de la dictature d'Omar El Béshir, financés par des universités étrangères (Durham Université et King's College), à travers des projets comme le site internet « Sudan Memory ». Mais ces projets, portés par des institutions étrangères, posent aussi la question de la colonialité dans la gestion des archives du Soudan.
Rashid Saïd, ancien ministre de la Culture pendant le gouvernement de transition suite à la révolution (2019-2021), et présent lors de la rencontre à Paris, affirme que des projets de numérisation des archives ont avancé pendant cette période avec plus de 100 000 photographies qui ont pu être numérisées et mises en ligne sur un cloud. « Le gouvernement de transition avait voulu faire une loi pour développer le cinéma. On a projeté le film "Sudan Offside" à Khartoum », déclare l'ancien ministre. « On avait fait un comité avec les anciens cinéastes, les nouveaux, la société civile… Mais le coup d'Etat militaire a mis fin à tous ces projets.

Détruire les archives, détruire l'identité nationale
Le coup d'État militaire de 2021, puis la guerre qui a éclaté le 15 avril 2023, ont porté brutalement atteinte à la préservation de ces archives. La tragédie est évoquée par de multiples participant·es à la rencontre : malgré les projets de numérisation qui avaient été mis en place, malheureusement, le gouvernement soudanais n'a jamais donné son autorisation pour que les disques durs sortent du pays. Les disques durs sont donc restés sur place, aux archives nationales à Omdurman.
En plus des nombreuses destructions de bâtiments provoquées par les combats, depuis le début de la guerre, les Forces de Soutien Rapide (milice paramilitaire, autrefois alliée de l'armée soudanaise, qui affronte aujourd'hui l'armée) ont procédé méthodiquement au pillage et à la destruction de tous les espaces culturels. Ces dernières semaines, suite à la reprise de la capitale, Khartoum, par l'armée soudanaise, les Soudanais·es du monde entier ont constaté avec effroi que l'intégralité du musée national avait été pillé, ne laissant que quatre statues à l'intérieur. Les œuvres volées dans les musées, qui sont les rares témoignages de l'histoire du Soudan, ont été revendues sur Internet par les mercenaires, afin de financer la guerre ou pour leur enrichissement personnel.

Dans l'assemblée, tout le monde se demande ce qui a bien pu arriver aux archives nationales, mais les participant·es ne sont pas optimistes. « Si elles sont dans le même état que celui dans lequel on a retrouvé le siège national de la télévision… » murmure une des participantes soudanaises, faisant référence à la destruction de ce bâtiment occupé par les Forces de Soutien Rapide (RSF) depuis le début de la guerre. Les acteurs de la guerre, en s'attaquant au patrimoine culturel et mémoriel du Soudan, ont mené une attaque brutale contre l'identité du pays.
Repenser le travail des cinéastes en temps de guerre
Pour Sarah Suliman, les archives jouent un rôle central dans la résistance de la population soudanaise face à la guerre : « La guerre nous a fait prendre conscience de l'importance des archives et l'importance de la documentation. Dans cette guerre, les RSF détruisent les musées, détruisent les archives nationales, détruisent les archives télévisées du ministère de la culture et de l'information… On a l'impression que c'est une guerre contre l'identité. Être menacé·es de perdre notre identité, qui nous sommes, est une question essentielle pour nous. C'est pourquoi il faut que l'on contre-attaque. Nous avons une diversité extraordinaire, une histoire extraordinaire, nous ne pouvons pas perdre cela. Nous devons nous défendre et les empêcher de nous effacer de l'univers. »

Cette question est venue également transformer le travail des artistes soudanais·es : « La plupart d'entre nous, maintenant, nous essayons de sauver ce qui reste – c'est pourquoi j'étais heureuse de découvrir ce film aujourd'hui – parce que c'est de la documentation de l'histoire, d'une histoire précieuse. Parce que la mémoire est tout. C'est tout ce qui compte. C'est infiniment précieux », affirme Sara Suliman. « Comme nous faisons face à une crise d'identité, parce que nous sommes en train de perdre notre identité, il faut que nous travaillions là-dessus. Ça nous pousse à nous focaliser, dans notre travail, sur la question culturelle, et nous rappelle l'importance de documenter. Même si on fait de la fiction, ça doit être à propos du Soudan, et de tous les détails de notre identité. Parce que même si c'est de la fiction, c'est aussi de la documentation. »
Ainsi, lutter contre la disparition des archives, c'est lutter contre l'effacement de l'histoire et de la culture soudanaise. Mais comment protéger ces archives de la destruction quand on est exilé·e, loin de son pays ? Comment la population locale peut-elle se soucier du sort des archives, alors qu'elle est confrontée à la famine et à des questions de survie immédiate ? Pour les exilé·es soudanais·es présent·es lors de la rencontre, à travers cette lutte pour conserver la mémoire du pays, c'est toute la question de la transmission des connaissances et de la culture soudanaise pour les générations futures qui est en jeu.
Par Equipe de Sudfa
[1] La rencontre a eu lieu qui avait lieu du 27 au 30 mars 2025 à Paris. Pour en savoir plus sur ce programme de recherche : https://ircav.fr/event/cycle-de-films-et-journee-detudes-cinema-soudanais-defis-et-resiliences/
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Elinor Hammarskjöld, la conseillère juridique de l’ONU, rappelle à Israël son obligation d’acheminer l’aide humanitaire à Gaza
Devant la Cour internationale de justice (CIJ), à La Haye, la secrétaire générale adjointe aux affaires juridiques de l'ONU, Elinor Hammarskjöld, a rappelé les obligations d'Israël en vertu du droit international : celle de permettre et de faciliter l'acheminement de l'aide humanitaire à la population gazaouie.
Tiré de l'Humanité
https://www.humanite.fr/monde/bande-de-gaza/elinor-hammarskjold-la-conseillere-juridique-de-lonu-rappelle-a-israel-son-obligation-dacheminer-laide-humanitaire-a-gaza
Publié le 28 avril 2025
Antoine Portoles
À Gaza, le nouveau blocus humanitaire orchestré par le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou entre ce mardi 29 avril dans son 59e jour. La veille, la secrétaire générale adjointe aux affaires juridiques de l'ONU, Elinor Hammarskjöld, a plaidé devant la Cour internationale de justice (CIJ), à La Haye (Pays-Bas), dans le cadre une semaine d'audiences consacrées aux obligations humanitaires d'Israël envers le peuple palestinien.
L'État d'Israël, en tant que puissance occupante, a une responsabilité claire en vertu du droit international : celle de permettre et de faciliter l'acheminement de l'aide humanitaire à la population gazaouie. « Ces obligations impliquent d'autoriser et d'aider toutes les entités compétentes des Nations Unies à mener leurs activités au profit de la population locale », a affirmé Elino Hammarskjold au siège de la plus haute juridiction onusienne, à La Haye.
Aux côtés de l'arrière-petite-fille d'un ancien premier ministre suédois, le représentant de Palestine auprès des organisations internationales, Ammar Hijazi, a notamment affirmé que ce blocage systématique était utilisé telle une « arme de guerre » dans la bande de Gaza. À l'issue de ces audiences, les juges prononceront un avis juridique sur ce qui incombe à la puissance coloniale vis-à-vis des agences onusiennes et de tous ceux engagés dans la fourniture de l'aide humanitaire.
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30 avril 2004 : Haïti sous tutelle, la souveraineté bradée
Il y a 21 ans, jour pour jour, le 30 avril 2004, le Conseil de sécurité des Nations Unies adoptait à l'unanimité la résolution 1542, entérinant la création de la MINUSTAH (Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti). Cette mission, présentée comme une solution de paix, marquait en réalité le début d'un long cycle d'ingérence internationale, d'occupation déguisée et de dérives qui ont durablement affaibli l'État haïtien.
Une souveraineté suspendue
La résolution 1542 faisait suite au renversement, le 29 février 2004, du président constitutionnel Jean-Bertrand Aristide. Ce coup d'État, cautionné par des puissances étrangères, a ouvert la voie à une mise sous tutelle complète du pays, sous prétexte de stabilisation. Les forces onusiennes, arrivées sur le sol haïtien avec l'étiquette du maintien de la paix, se sont progressivement imposées comme des acteurs de premier plan dans les affaires internes du pays, reléguant les institutions nationales au rang de figurants.
Une mission controversée
Pendant plus d'une décennie, la MINUSTAH a été synonyme de bavures, de violences sexuelles, de violations des droits humains, et surtout d'un désastre sanitaire majeur : l'introduction du choléra, qui a fait des dizaines de milliers de morts. Ce triste épisode reste un stigmate indélébile dans la mémoire collective haïtienne, révélateur du mépris dont ont souvent fait preuve certaines puissances à l'égard du peuple haïtien.
Une leçon ignorée
Vingt-et-un ans plus tard, les blessures sont encore ouvertes. Pire, l'histoire semble se répéter. Alors que le pays traverse une crise sans précédent, des voix s'élèvent de nouveau pour appeler à une intervention internationale. Mais peut-on réellement reconstruire un pays sans respecter sa souveraineté ? Peut-on restaurer la paix sans justice, ni mémoire ?
En guise d'avertissement
Le 30 avril 2004 doit rester une date d'alerte, un moment de lucidité pour rappeler que toute prétendue stabilisation imposée de l'extérieur finit par créer plus de fractures que d'unité. Haïti n'a jamais manqué de ressources humaines ni de volonté populaire : ce qui lui a manqué, c'est qu'on la laisse respirer, décider, reconstruire par elle-même et pour elle-même.
À ceux qui parlent aujourd'hui de solutions, souvenez-vous du 30 avril 2004. Ne répétez pas les erreurs d'hier.
Smith PRINVIL
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Haïti : La jeunesse prend la rue, la révolte s’organise
Port-au-Prince, 3 mai 2025 – En Haïti, le désespoir n'est plus silencieux. Il gronde. Il s'organise. Il se transforme en appel à l'action. À la veille d'une grande mobilisation citoyenne prévue pour ce dimanche 4 mai, deux figures de la jeunesse haïtienne se dressent contre le système : Stevenson Telfort, alias Atros, chanteur du groupe Rockfanm, et Madame Francesse Baptismé, porte-voix du Mouvement Jeunesse Debout.
Ils lancent ensemble un cri d'alarme, un appel au réveil citoyen, face à ce qu'ils qualifient de « dérives graves du gouvernement », de dévoyage de la jeunesse, et d'une instabilité généralisée qui gangrène le pays. Selon eux, trop c'est trop. Le peuple ne peut plus rester spectateur d'un effondrement qui menace sa dignité et son avenir.
Depuis des années, la gouvernance haïtienne s'enlise dans le mépris des plus jeunes. Le chômage endémique, la fuite des cerveaux, la montée des gangs, l'effondrement des institutions éducatives et sanitaires, tout cela compose un quotidien intenable pour une majorité de la population, dont plus de 60 % a moins de 30 ans.
Mais que fait l'État ? Il s'enferme dans ses privilèges, s'accroche à ses routines bureaucratiques, multiplie les démonstrations de pouvoir sans vision. Pendant que des milliers de jeunes risquent leur vie en mer ou croupissent sans perspectives dans les quartiers populaires, les élites vivent dans une autre réalité, coupée du peuple, aveugle aux cris de détresse qui montent des rues.
C'est à cette rupture brutale qu'Atros et Francesse Baptismé veulent répondre. Leur appel dépasse les clivages partisans. Il vise à replacer la jeunesse au cœur de la nation. « Il n'y a pas d'avenir sans jeunesse », martèle la militante. « Et il n'y a pas de citoyenneté sans justice sociale, sans éducation, sans inclusion », ajoute le chanteur, connu pour ses textes politiquement tranchants.
La marche prévue ce dimanche n'est pas une simple démonstration de force. C'est un acte de foi. Une résistance. Une proposition. Celle d'un pays qui veut se relever à travers ceux qu'il tente d'étouffer.
“Nous ne marcherons pas pour demander, nous marcherons pour affirmer”, disent-ils. Car cette mobilisation vise à dénoncer un mode de gouvernance instauré sans la jeunesse, contre la jeunesse, mais aussi à proposer une autre voie : celle de la solidarité, de la justice et de la responsabilité collective.
Ce 4 mai, Port-au-Prince pourrait redevenir ce qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être : une ville debout. Un peuple debout. Une jeunesse debout.
Smith PRINVIL
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"La pensée Wittig : une introduction"

Natacha Chetcuti-Osorovitz vous présente son ouvrage "La pensée Wittig : une introduction", co-écrit avec Sara Garbagnoli, aux éditions Payot.
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1er mai : une mobilisation imposante à Paris et partout en France.

Arrachée non sans peine, la journée de lutte du 1er mai 2025 ne se limite, désormais, pas à la célébration des conquêtes sociales, leur revendication, mais à l'extériorisation d'une indignation collective permanente contre le système capitaliste, le génocide et le racisme. Plus de 300.000 personnes dont 100.000 à Paris ont battu le pavé.
De Paris, Omar HADDADOU
L'Intersyndicale a sorti la grosse artillerie, en ce 1er Mai, ! Les revendications étant nombreuses, elles requièrent un second souffle. Dans une France terrassée par une dette publique abyssale (plus de 3 Milliards d'euros), l'exécutif se complait dans sa politique extérieure conquérante et élogieuse vis-à-vis du patronat, tournant le dos au peuple. Aussi sont ils relégués au second plan, le génocide à Gaza, le racisme, le pouvoir d'achat, la retraite à 60 ans, les impôts, les conditions de travail, les licenciements, etc.
La Journée Internationale des Travailleurs (es), ce jeudi, à Paris a été un moment de « flagellation » et d'injures à l'égard du parti socialiste (PS) d'Olivier Faure. La formation, rappelons-le- s'est tirée une balle après que son leader a rallié la Macronie avec reptation. D'où la prise à partie en ce 1er mai, Boulevard de l'Hôpital, du Député Jérôme Guedj (exfiltré) et ses collègues par les militants antifascistes et les Black-Blocs, proférant des insultes : « Collabos ! Fachos ! Cassez-vous ! ».
Hormis cet incident, 270 cortèges (300.000 personnes) se sont ébranlés dont celui de Paris et ses 100.000 manifestants, entre Place d'Italie et celle de Nation. Des banderoles, des pancartes, et dans la foulée du cortège, une multitude des tags. Au sein de la procession, on peut lire :
« Les racistes, ça dégage ! Taxer les riches ! Non au racisme ! Stop génocide à Gaza ! L'argent pour les salaires, pas pour les guerres ! L'argent pour les pensions, pas pour les marchands de canons ! Des sous pour les grands parents pas pour l'OTAN ! Mettre au pas le grand Capital, faire revivre la République sociale ! Elle n'est pas terminée la Révolution française, Macron, Macron, souviens-toi Louis seize ! »
Dans ce système de rapacité capitaliste où 1% de la population contrôle plus de 25% de la richesse nationale, les profits des entreprises, selon une source syndicale, explosent. La guerre en Ukraine et le génocide en Palestine constituent une opportunité singulière pour l'industrie française de l'armement. Thales et Dassault Aviation ont vu leurs commandes exploser. En adoptant la Loi Programmation Militaire (2024-2030), le gouvernement a gonflé le budget pour ce secteur dans un contexte de tensions savamment entretenu. Au moment où la Santé et l'Education accusent des coupes budgétaires criantes, une somme déroutante de 413 milliards d'euros est consacrée à l'armement. En vertu de « l'effort de guerre », Macron a opté pour la paupérisation de la masse populaire au profit d'une poignée de puissants magnats de la Finance.
La tribune frappée du slogan « Pour la Paix, contre la guerre sociale », Mélenchon, chef de file de La France Insoumise (LFI), tonne : « Le 1er Mai est un rassemblement politique où s'exprime l'Unité des Travailleurs (ses) de la classe ouvrière. Le travail dont nous parlons est celui qui dispute au capital sa part de richesse ! »
Le Ton coléreux, la gestuelle à l'avenant, il poursuit : « quoi qu'il arrive, nous continuerons cette bataille pour les 8 heures de travail, pour la semaine des 35 heures, et pour la retraite à 60 ans qui demeure l'objectif et la valeur qui nous ont été volés ».
Rebondissant sur l'ancrage de la haine envers la communauté musulmane, Mélenchon fulmine : « Oui, j'ai dit Islamophobie, c'est-à-dire une chose qui tue. C'est de la folie ! Une folie qui va au bout du racisme ! »
Et De s'égosiller avec autant de rage : « La guerre est toujours le fléau qui foudroie les mêmes. Les peuples manifestent leur refus de la guerre et leur envie de vivre. Vivre ! Vivre ! Comme on voudrait vivre et survivre à Gaza, en dépit du génocide ! Que tous les Gazaouis (es)sachent que notre coueur est avec eux. Que l'horreur nous serre la gorge ! »
De la grève générale du 1er mai 1886, insufflée par les Anarchistes au pays de l'oncle Sam, à la Résistance du peuple palestinien, un seul combat : déconstruire le mythe de la domination et sa puissance de feu, par la Solidarité !
O.H








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Impérialisme, guerre, Trump : Claude Serfati analyse le CHAOS MONDIAL
19 avril 2025 | tiré du site de Révolution permanente
https://www.youtube.com/watch?v=eFnnZ2y0_r4
Le 4 avril dernier, quelques jours après l'annonce par Trump de son offensive douanière, RP recevait Claude Serfati. L'économiste marxiste, spécialiste de l'industrie de l'armement et de l'impérialisme français, revient sur la situation internationale, le rôle de l'armée dans la Ve République ou encore le consensus militariste en France.

Hausse sans précédent des dépenses militaires mondiales avec un bond en Europe et au Moyen-Orient

Tiré de A l'Encontre
28 avril 2025
Par le Stockholm International Peace Research Institute (Sipri)
(Stockholm, 28 avril 2025) – Les dépenses militaires mondiales ont atteint 2 718 milliards de dollars en 2024, soit une augmentation de 9,4 % en termes réels par rapport à 2023. La plus forte hausse annuelle jamais enregistrée depuis au moins la fin de la guerre froide. Les dépenses militaires ont augmenté dans toutes les régions du monde, avec une hausse particulièrement rapide en Europe et au Moyen-Orient. Les cinq plus grands dépensiers – États-Unis, Chine, Russie, Allemagne et Inde – concentrent 60 % du total mondial, avec des dépenses combinées s'élevant à 1 635 milliards de dollars, selon de nouvelles données publiées aujourd'hui par le Stockholm International Peace Research Institute (Sipri).
Plus forte hausse des dépenses militaires mondiales depuis la fin de la guerre froide
Les dépenses militaires mondiales ont atteint 2 718 milliards de dollars en 2024, soit la dixième année consécutive de hausse. Les 15 plus grands dépensiers au monde ont tous augmenté leurs dépenses militaires en 2024. Le fardeau militaire mondial, c'est-à-dire la part du produit intérieur brut (PIB) mondial consacrée aux dépenses militaires, a atteint 2,5 % cette même année.
« Plus de 100 pays à travers le monde ont augmenté leurs dépenses militaires en 2024. Alors que les gouvernements accordent de plus en plus la priorité à la sécurité militaire, souvent au détriment d'autres secteurs budgétaires, les compromis qui en découlent pourraient avoir un impact socio-économique significatif dans les années à venir », souligne Xiao Liang, chercheur au programme Dépenses militaires et production d'armement du Sipri.
L'augmentation des dépenses européennes fait grimper le total mondial
Les dépenses militaires en Europe (Russie incluse) ont augmenté de 17 % pour atteindre 693 milliards de dollars et sont le principal facteur de la hausse au niveau mondial en 2024. Alors que la guerre en Ukraine entrait dans sa troisième année, les dépenses militaires ont continué d'augmenter sur tout le continent, poussant les dépenses militaires européennes au-delà du niveau enregistré à la fin de la guerre froide. Tous les pays européens ont augmenté leurs dépenses militaires en 2024, à l'exception de Malte.
Les dépenses militaires de la Russie ont atteint environ 149 milliards de dollars en 2024, soit une augmentation de 38 % par rapport à 2023 et le double du niveau de 2015. Cela représente 7,1 % du PIB russe et 19 % de l'ensemble des dépenses publiques russes. Les dépenses militaires totales de l'Ukraine ont augmenté de 2,9 % pour atteindre 64,7 milliards de dollars, soit l'équivalent de 43 % des dépenses de la Russie. Avec 34 % du PIB, l'Ukraine enregistrait le fardeau militaire le plus lourd de tous les pays en 2024.
« La Russie a une fois de plus considérablement augmenté ses dépenses militaires, creusant ainsi l'écart budgétaire avec l'Ukraine », précise Diego Lopes da Silva, chercheur principal au programme Dépenses militaires et production d'armement du Sipri. « L'Ukraine consacre actuellement la totalité de ses recettes fiscales à son armée. Dans un contexte budgétaire aussi serré, il lui sera difficile de continuer à augmenter ses dépenses militaires. »
Plusieurs pays d'Europe centrale et occidentale ont enregistré une hausse sans précédent de leurs dépenses militaires en 2024, suite à la mise en œuvre de nouveaux engagements budgétaires et de plans d'approvisionnement à grande échelle. Les dépenses militaires de l'Allemagne ont augmenté de 28 % pour atteindre 88,5 milliards de dollars, ce qui en fait le plus grand dépensier d'Europe centrale et occidentale et le quatrième au monde.
Les dépenses militaires de la Pologne ont augmenté de 31 % pour atteindre 38,0 milliards de dollars en 2024, ce qui représente 4,2 % du PIB polonais.
« Pour la première fois depuis la réunification, l'Allemagne est devenue le premier pays d'Europe occidentale à dépenser le plus pour ses forces armées, grâce au fonds spécial de défense de 100 milliards d'euros annoncé en 2022 », déclare Lorenzo Scarazzato, chercheur au programme Dépenses militaires et production d'armement du Sipri. « Les dernières politiques adoptées en Allemagne et dans de nombreux autres pays européens augurent de l'entrée de l'Europe dans une période de dépenses militaires élevées et croissantes, qui devrait se poursuivre dans un avenir prévisible. »
Les dépenses d'un nombre record de membres de l'Otan atteignent 2 % du PIB
Tous les membres de l'Otan ont augmenté leurs dépenses militaires en 2024. Le total de leurs dépenses s'élève à 1 506 milliards de dollars, soit 55 % des dépenses militaires mondiales. Sur les 32 membres de l'Otan, 18 ont consacré au moins 2,0 % de leur PIB à leurs forces armées, selon la méthodologie du Sipri *, contre 11 en 2023. C'est la part la plus élevée depuis l'adoption par l'OTAN en 2014 de la directive sur les dépenses de défense.
Les dépenses militaires des États-Unis ont augmenté de 5,7 % pour atteindre 997 milliards de dollars, soit 66 % des dépenses totales de l'Otan et 37 % des dépenses militaires mondiales en 2024. Une part importante du budget américain est consacrée à la modernisation des capacités militaires et de l'arsenal nucléaire afin de maintenir un avantage stratégique sur la Russie et la Chine.
Les membres européens de l'Otan ont dépensé 454 milliards de dollars, soit 30 % du total des dépenses de l'alliance.
« L'augmentation rapide des dépenses des membres européens de l'Otan est principalement due à la persistance de la menace russe et aux inquiétudes concernant un éventuel désengagement américain au sein de l'alliance », précise Jade Guiberteau Ricard, assistante de recherche au programme Dépenses militaires et production d'armement du Sipri. « Il est important de souligner qu'une simple hausse des dépenses ne se traduira pas nécessairement par une augmentation significative des capacités militaires ou par une indépendance vis-à-vis des États-Unis. Ce sont des tâches bien plus complexes. »
Bond des dépenses militaires au Moyen-Orient
Les dépenses militaires au Moyen-Orient s'élèvent à environ 243 milliards de dollars en 2024, soit une augmentation de 15 % par rapport à 2023 et de 19 % par rapport à 2015.
Les dépenses militaires d'Israël ont bondi de 65 % pour atteindre 46,5 milliards de dollars en 2024 – la plus forte augmentation annuelle depuis la guerre des Six Jours en 1967 – tandis que le pays poursuivait sa guerre à Gaza et intensifiait le conflit avec le Hezbollah au sud du Liban. Son fardeau militaire a atteint 8,8 % du PIB, le deuxième plus élevé au monde. Les dépenses militaires du Liban ont augmenté de 58 % en 2024 pour atteindre 635 millions de dollars, après plusieurs années de baisse des dépenses en raison de la crise économique et politique.
« Contrairement au pronostic attendu selon lequel de nombreux pays du Moyen-Orient augmenteraient leurs dépenses militaires en 2024, les hausses majeures ne se sont limitées qu'à Israël et au Liban », précise Zubaida Karim, assistante de recherche au programme Dépenses militaires et production d'armement du Sipri. « Ailleurs, les pays n'ont pas augmenté leurs dépenses de manière significative en réponse à la guerre à Gaza ou en ont été empêchés par des contraintes économiques. »
Les dépenses militaires de l'Iran ont diminué de 10 % en termes réels pour atteindre 7,9 milliards de dollars en 2024, et ce malgré son implication dans des conflits et son soutien à des intermédiaires régionaux. L'impact des sanctions sur l'Iran a fortement limité sa capacité à augmenter ses dépenses.
La Chine et ses voisins poursuivent leur renforcement militaire
La Chine, deuxième plus grand dépensier militaire au monde, a augmenté ses dépenses de 7 %, pour atteindre environ 314 milliards de dollars, marquant ainsi trois décennies d'augmentations consécutives. La Chine représente 50 % de toutes les dépenses militaires en Asie-Océanie, investissant dans la modernisation continue de son armée et dans le renforcement de ses capacités en matière de cyberguerre et d'arsenal nucléaire.
Les dépenses militaires du Japon ont augmenté de 21 % pour atteindre 55,3 milliards de dollars en 2024, soit la plus forte hausse annuelle depuis 1952. Son fardeau militaire a atteint 1,4 % du PIB, son niveau le plus élevé depuis 1958. Les dépenses militaires de l'Inde, cinquième plus grand dépensier au monde, ont augmenté de 1,6 % pour atteindre 86,1 milliards de dollars. Les dépenses de Taïwan ont augmenté de 1,8 % en 2024, s'élevant à 16,5 milliards de dollars.
« Les principaux dépensiers dans la région Asie-Pacifique investissent de plus en plus dans les capacités militaires avancées », souligne Nan Tian, directeur du programme Dépenses militaires et production d'armement du Sipri. « Avec plusieurs conflits non résolus et des tensions croissantes, ces investissements risquent d'entraîner la région dans une dangereuse spirale de course aux armements. »
Autres évolutions notables
. En 2024, le Royaume-Uni a augmenté ses dépenses militaires de 2,8 % pour atteindre 81,8 milliards de dollars, ce qui en fait le sixième pays le plus dépensier au monde. Les dépenses militaires de la France ont augmenté de 6,1 % pour atteindre 64,7 milliards de dollars, c'est le neuvième pays le plus dépensier.
. La Suède a augmenté ses dépenses militaires de 34 % en 2024, pour atteindre 12 milliards de dollars. Au cours de sa première année d'adhésion à l'Otan, le fardeau militaire de la Suède a atteint 2 % du PIB.
. L'Arabie saoudite est le plus grand dépensier du Moyen-Orient en 2024 et le septième au monde. Ses dépenses militaires ont connu une modeste augmentation de 1,5 %, atteignant environ 80,3 milliards de dollars, mais toujours inférieures de 20 % à celles de 2015, année où les revenus pétroliers du pays avaient atteint leur pic.
. Les dépenses militaires du Myanmar ont bondi de 66 % en 2024 pour atteindre environ 5 milliards de dollars, soit le taux de croissance le plus élevé en Asie-Océanie, tandis que les conflits internes s'intensifiaient.
. Les dépenses militaires du Mexique ont augmenté de 39 %, pour atteindre 16,7 milliards de dollars en 2024, afin de financer principalement le renforcement de la Garde nationale et de la marine qui participent à la réponse militarisée du gouvernement au crime organisé.
. Les dépenses militaires en Afrique ont atteint 52,1 milliards de dollars en 2024, soit une augmentation de 3 % par rapport à 2023 et de 11 % par rapport à 2015.
Traduction française : Aziza Riahi, Observatoire des armements
Note du SIPRI :
Toutes les variations en pourcentage sont exprimées en termes réels (prix constants de 2023).
Les dépenses militaires incluent toutes les dépenses publiques pour les forces armées et les activités militaires, y compris les salaires et les avantages sociaux, les frais de fonctionnement, les achats de matériel militaire et d'armes, les infrastructures militaires, la recherche et développement, l'administration centrale, le commandement et le soutien.
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Journée internationale de la liberté de presse – Un réveil politique nécessaire

En ces temps incertains, où les fausses nouvelles et la désinformation sont propulsées par les géants du numérique, qui n'ont d'autre but que de faire du profit, s'assurer que nos médias d'information aient les moyens de faire leur travail est fondamental, particulièrement pour des sociétés où le droit de parole de toutes et tous est une valeur cardinale.
En cette journée symbolique, la Fédération nationale des communications et de la culture (FNCC–CSN) souligne le travail accompli par les journalistes et par les organisations de l'information ; travail essentiel pour la santé démocratique partout à travers le monde.
« En ces temps incertains, où les fausses nouvelles et la désinformation sont propulsées par les géants du numérique, qui n'ont d'autre but que de faire du profit, s'assurer que nos médias d'information aient les moyens de faire leur travail est fondamental, particulièrement pour des sociétés où le droit de parole de toutes et tous est une valeur cardinale », déclare Annick Charette, présidente.
Mme Charette rappelle la situation préoccupante des Coopératives de l'information indépendante, la CN2i, qui regroupe six quotidiens régionaux et qui doit procéder à une nouvelle restructuration afin d'optimiser son fonctionnement. « Les compressions annoncées cette semaine s'ajoutent à toutes celles annoncées dans la dernière année dans le domaine, tant en presse écrite qu'en télévision et en radio. Pourtant l'information locale est au cœur de la vitalité des communautés régionales. À quand le réveil politique ? », continue Mme Charette.
Protéger les médias c'est aussi leur donner les moyens d'exister. « C'est reconnaitre leur importance et protéger les gens qui y travaillent. Les gouvernements de tous paliers doivent prendre fait et acte pour maintenir la diversité des voix et protéger l'information partout au pays en s'impliquant dans le maintien des médias locaux et nationaux. La FNCC a lancé en 2024 la campagne “L'information, un bien public”, qui met de l'avant des solutions structurantes à la crise des médias d'information. Nous invitons les dirigeants à les mettre en œuvre », termine la présidente.
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En 100 jours, Trump a plongé les États-Unis dans une dystopie climatique

En 100 jours à la Maison Blanche, Donald Trump a démantelé des décennies de politique climatique et muselé les contre-pouvoirs. « Sa révolution commence à peine », prévient un politologue.
Tiré de Reporterre
1er mai 2025
Par Emmanuel CLévenot
Le 19 novembre 2024, la mégafusée Starship du milliardaire Elon Musk décollait dans le ciel texan. Une nouvelle étape de la conquête spatiale de Mars, aux premières loges de laquelle jubilait Donald Trump. À deux mois de son investiture à la tête des États-Unis, le tribun crachait déjà son ambition débridée aux yeux de tous. Seulement, l'opération échoua et l'engin spatial s'est écrasé dans le golfe du Mexique. Aurait-il dû y déceler un signe prémonitoire ?
Cinq mois plus tard, la scène semble s'être muée en allégorie. D'après le New York Times, jamais aucun président étasunien n'avait affiché une cote de popularité aussi basse que le Républicain au centième jour de son mandat. Aucun… excepté lui, en 2017, lors de son premier mandat. Peu importe. L'homme de 78 ans est prêt.
« Donald Trump a retenu les erreurs du passé, dit à Reporterre le politologue franco-étasunien Romuald Sciora. Cette fois-ci, il a une colonne vertébrale politique solide. Il est devenu l'incarnation de l'ultradroite. » Et son projet est limpide : mener une contre-révolution blanche, patriarcale et climatodénialiste.
L'ancienne star de téléréalité avait promis un retour fracassant. Il a tenu parole. Le 20 janvier, jour de son entrée à la Maison Blanche, il paraphait 26 décrets sous une pluie de flashs. Parmi eux, le retrait de l'Accord de Paris et l'abandon d'une série de mesures écologiques prises sous l'administration de Joe Biden. Des interdictions des forages pétroliers, elles aussi, sont passées à la trappe. « Nous allons forer, bébé, forer », répétait à tue-tête le nouveau locataire du bureau ovale.
« Inonder la zone de merde »
Trois mois se sont écoulés depuis cette arrivée en fanfare. Le détricotage des politiques climatiques continue à la vitesse de l'éclair, avec déjà plus de 130 décrets signés. Un record absolu, enrobé d'un storytelling parfaitement huilé. « Trump est un showman, explique le chercheur associé à l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). Sa signature à peine griffonnée, il jette les stylos à ses fans dans une ambiance pareille à celle des concerts d'Elvis Presley. »
Ce funeste théâtre camoufle toutefois une stratégie calibrée. Ancien conseiller du président, et auteur d'un salut nazi en février, Steve Bannon l'a résumée en cinq mots : « Inonder la zone de merde. » En d'autres termes, asphyxier les contre-pouvoirs par une quantité démentielle de mesures.
Pour Trump, « celui qui sauve sa patrie ne viole aucune loi »
Et ça fonctionne. Les Démocrates, de Joe Biden à Barack Obama, se murent — hormis Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez — dans un silence assourdissant. Le Congrès, où domine le rouge républicain, obéit au doigt et à l'œil. Et les juges fédéraux ont beau réagir, Donald Trump les nargue en citant Napoléon : « Celui qui sauve sa patrie ne viole aucune loi. »
Aussi vif soit-il aujourd'hui, l'écho médiatique international pourrait finir par s'émousser. Académiciens, intellectuels et citoyens du pays semblent en état de sidération. « Voyons les choses comme elles sont, dit Romuald Sciora. Début avril, 500 000 personnes ont défilé dans la rue pour crier leur désaccord à Donald Trump. Elles étaient plus de 17 millions, en 2020, pour le mouvement Black Lives Matter », qui dénonçait le racisme envers les Noirs.
Saccager la politique climatique
Le champ libre, Donald Trump poursuit inlassablement son travail de sape à l'encontre du climat. Et les pays les plus précaires en pâtissent. Le 7 mars, les États-Unis ont quitté le Fonds sur les pertes et dommages, un mécanisme établi deux ans plus tôt, lors de la COP28 à Dubaï, pour dédommager les nations du Sud au lendemain de catastrophes météorologiques. Le Républicain a aussi jeté aux oubliettes les promesses faites à l'Afrique du Sud, l'Indonésie et au Vietnam de les aider à sortir des fossiles.
Le 12 mars, une poignée d'heures lui a suffi à saccager 31 réglementations écologiques. À tour de bras, le tribun a assoupli ou supprimé les normes encadrant les centrales à charbon ou encore les émissions de mercure. Le périmètre de la loi interdisant de déverser des polluants dans les eaux navigables du pays a été également bouleversé. Et l'octroi de 20 milliards de dollars (environ 18 milliards d'euros) de subventions destinées à la lutte contre la crise climatique a été sucré.
Les océans n'ont pas été épargnés par la folie trumpienne. Un sanctuaire marin de la taille du Pérou, parsemé d'atolls coralliens et refuge de baleines menacées d'extinction, a été livré aux griffes de la pêche commerciale. D'autres pourraient suivre. D'un trait de plume, Donald Trump a par ailleurs enterré dix ans de négociations internationales, en autorisant l'exploitation minière des grands fonds marins. « Un précédent extrêmement inquiétant », a déploré auprès de Reporterre François Chartier, de Greenpeace, le 24 avril.
Dans l'avalanche de décrets, certains apparaissent plus farfelus. Pour « prendre soin de [ses] beaux cheveux », le président étasunien a libéralisé le débit des pommeaux de douche. Les pailles en plastique ont aussi fait leur retour dans le pays à sa demande. « Ça peut sembler absurde depuis l'Europe, mais les États-Unis sont une show-nation, précise le politologue de l'Iris. Trump a gagné l'élection après s'être affiché en vendant des frites chez McDonald's et en conduisant un camion-poubelle. Dans un pays où prime l'individualisme, ça marche bien plus que de défendre la lutte contre le changement climatique. »
« Erreur 404 »
En 100 jours aux manettes, le milliardaire new-yorkais a également lancé une croisade antiscience. Des subventions aux prestigieuses universités Harvard et Columbia ont été gelées. Sous peine de perdre leurs financements, les chercheurs ont dû bannir 120 mots de leurs travaux, dont « climat » et « femme ».
Le 10 mars, la scientifique en chef de la Nasa, Katherine Calvin, a été licenciée. Il lui avait été interdit, un peu plus tôt, de participer à une conférence du Giec… dont elle est pourtant l'une des présidentes. La chasse aux sorcières a condamné plus de 880 employés de la NOAA, illustre agence menant notamment des recherches sur les ouragans. Tous ont été mis à la porte dans le cadre de « l'optimisation des effectifs » pilotée par Elon Musk. Plus de 1 000 autres pourraient suivre.
Des étudiants et des chercheurs de UCLA lors d'une manifestation contre les coupes budgétaires de l'administration Trump dans la recherche, la santé et l'enseignement supérieur, à Los Angeles, le 8 avril 2025. © Robyn Beck / AFP
Avant eux, la campagne de licenciements massifs avait déjà atteint les agents des parcs nationaux ou encore ceux assurant la sûreté nucléaire et la protection des côtes. L'Observatoire hawaïen du Mauna Loa, mesurant le CO2 dans l'atmosphère depuis 1958, est aussi sur la sellette. Les données de tous ces services sont pourtant primordiales pour prévoir des scénarios climatiques.
Face à cette purge, la communauté scientifique s'alarme. « C'est l'héritage des Lumières qui est menacé, a déclaré au journal Le Monde la climatologue française Valérie Masson-Delmotte. C'est sans précédent dans un pays démocratique, en dehors de périodes fascistes. » Les pages dédiées à l'écologie sur les sites gouvernementaux arborent d'ailleurs déjà de provocantes « Erreur 404 ».
Le début d'une révolution
En tous points du planisphère, les diplomates sont, eux aussi, en apnée. Les visées expansionnistes de Donald Trump menacent le canal du Panama, le Canada, le Groenland et la bande de Gaza — où le Républicain a déclaré vouloir bâtir « la Côte d'Azur du Moyen-Orient ». Même la toponymie vacille, le golfe du Mexique ayant été rebaptisé « golfe d'Amérique » sur Google Maps. Sans parler de la guerre commerciale lancée contre la Chine notamment, avec des droits de douane de 145 %.
Le cap des 100 jours pourra-t-il arrêter ce basculement dystopique ? Non, rétorque Romuald Sciora : « La révolution trumpienne commence à peine. La guerre contre les minorités et le climat également. » Le chercheur franco-étasunien affirme que le bruit court déjà à Washington que les élections de mi-mandat en 2026 sont en danger : « Elles ne seront pas annulées, mais pourraient être contrôlées par Trump. »
« Ce n'est pas une dérive illibérale, c'est un début de confiscation de la démocratie, dénonçait le 4 mars le sénateur français Claude Malhuret. Rappelons-nous qu'il n'a fallu que 1 mois, 3 semaines et 2 jours pour mettre à bas la République de Weimar [en Allemagne]. »
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Mettre en place des politiques de protection sociale adéquates est essentiel pour l’égalité entre hommes et femmes

Le document de travail de l'OIT met en évidence l'impact d'une protection sociale bien conçue et de politiques intégrées sur l'amélioration de l'égalité entre hommes et femmes.
Tiré de Entre les lignes et les mots
GENÈVE (OIT Infos) – Dans sa nouvelle publication, Mettre la protection sociale au service de l'égalité entre hommes et femmes : A quoi cela ressemble-t-il ? Comment y parvenir ?,l'Organisation internationale du Travail (OIT) souligne que la conception de politiques tenant compte de l'égalité entre hommes et femmes et la coordination entre la protection sociale et d'autres politiques sont essentielles pour lutter contre les inégalités structurelles et garantir l'accès effectif des femmes aux prestations et services de protection sociale.
Présenté lors d'une table ronde en ligne jeudi dernier, le document adopte une approche fondée sur le cycle de vie et souligne que chaque étape nécessite une attention particulière aux risques et besoins spécifiques liés au genre lors de la mise en œuvre des régimes de protection sociale.
La publication de l'OIT montre également que les inégalités entre hommes et femmes dans la couverture légale et effective de la protection sociale et d'adéquation des prestations demeurent importantes. Au niveau mondial, seule une femme sur deux (50,1 pour cent, contre 54,6 pour cent des hommes) est couverte par une forme de protection sociale, tandis que l'autre moitié en demeure toujours exclue. On observe la même inégalité pour la couverture légale globale. Une proportion nettement plus faible de femmes – 28,2 pour cent au niveau mondial – bénéficie d'une couverture légal complète, soit 11,1 points de pourcentage de moins que les hommes, dont 39,3 pour cent sont couverts. Ces écarts de couverture sont d'autant plus préoccupants dans un contexte marqué par multiples crises et défis, tels que la crise climatique, les conflits et les pandémies, qui touchent de manière disproportionnée les femmes et les filles et risquent d'exacerber les inégalités de genre déjà existantes.
Au cours de la discussion, Shahra Razavi, Directrice du Département de la Protection sociale universelle à l'OIT et modératrice de la table ronde, a prononcé le discours d'ouverture et présenté les principales conclusions de l'étude avec Christina Behrendt, Chef de Unité de Politiques sociales du même Département. « Les politiques de protection sociale doivent placer l'égalité entre hommes et femmes au centre de leurs préoccupations si elles veulent agir en faveur des femmes. Pendant trop longtemps, l'égalité de genre a été synonyme de prestations de maternité et de programmes d'assistance sociale. Cette approche ne tient pas compte de l'ensemble des risques liés au cycle de vie et des obstacles structurels auxquels les femmes sont confrontées, comme le chômage ou le fait d'avoir de jeunes enfants dans leur foyer en l'absence d'un partenaire », a expliqué Shahra Razavi.
La mise en place de systèmes de protection sociale tenant compte de la dimension de genre nécessite des approches politiques intégrées, car les systèmes de protection sociale ne peuvent que partiellement atténuer les inégalités générées par la discrimination sur le marché du travail, dans l'accès à la formation professionnelle ou aux actifs, et par les politiques fiscales qui ne créent pas d'espace budgétaire pour investir dans la protection sociale. « Bien que la durabilité des politiques budgétaires soit importante, il existe une contradiction : la politique budgétaire conduit souvent à des coupes dans la protection sociale et les services, qui sont pourtant essentiels pour préserver les objectifs de développement que la consolidation budgétaire est censée protéger en premier », a déclaré James Heintz, professeur d'économie à l'Université du Massachusetts.
S'appuyant sur les expériences de différents pays, ainsi que sur les normes et principes internationaux de sécurité sociale, le document propose des voies prometteuses pour renforcer la protection sociale pour les femmes dans diverses situations économiques et d'emploi, étapes du cycle de vie et types de famille. Offrant une voie sûre pour sortir de la pauvreté et une base pour un niveau de vie décent, la protection sociale renforce les capacités et l'action des femmes. La réalisation de ce potentiel dépend de la création de synergies puissantes : entre la protection sociale et la protection du travail ; entre les transferts et les services, et entre la protection sociale et les autres politiques, en particulier du soin, de l'emploi, de la formalisation et les politiques fiscales.
« Ce dont les travailleuses de l'économie informelle ont besoin, ce sont des approches intégrées. La protection sociale doit faire partie d'un système intégré visant à améliorer leurs moyens de subsistance et revenus, et, en fin de compte, à apporter des changements économiques structurels », a souligné Laura Alfers, coordinatrice internationale de WIEGO.
Deepta Chopra, professeure-chercheuse à l'Institute of Development Studies de l'Université du Sussex, a conclu « Nous devons réfléchir au fait que la pauvreté ne concerne pas uniquement les revenus, mais aussi les apports – comme la charge de temps qui pèse sur les femmes, par exemple. Ces programmes doivent aller au-delà de la simple aide financière. Si l'on parle d'approches fondées sur les droits, il faut dépasser la vision des femmes uniquement comme mères, voire comme travailleuses, pour les reconnaître pleinement en tant que citoyennes. »
Lisez l'intégralité du document de travailici.
Accédez à l'enregistrement de l'événement : ici.
Getting social protection policies right is key for gender equality
https://www.ilo.org/resource/news/getting-social-protection-policies-right-key-gender-equality
Lograr políticas de protección social adecuadas, clave para la igualdad de género
https://www.ilo.org/es/resource/news/lograr-politicas-de-proteccion-social-adecuadas-clave-para-la-igualdad-de
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Reconstruire l’Ukraine, où les droits syndicaux seront respectés

À l'invitation de l'organisation syndicale française Solidaires, deux représentantes du syndicat du personnel soignant ukrainien Soyez comme nous sommes étaient à Paris pour le 1er mai 2025 et ont participé à la manifestation syndicale. Nous publions la déclaration de Antonina Shatsylo membre de Soyez comme nous sommes lors d'une conférence organisée par Solidaires le 30 avril en présence de syndicaliste argentin, espagnol et italien.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Chers amis,
Je m'appelle Antonina Shatsylo et c'est un honneur et un privilège pour moi d'être ici aujourd'hui à Paris pour Solidaires afin de présenter notre jeune syndicat médical indépendant, le Mouvement médical #БудьЯкМи : Soyez comme nous sommes.
Soyez comme nous sommes a vu le jour avant la guerre en Ukraine. En 2019, avec d'autres professionnels de santé, nous avons créé un mouvement qui n'avait alors aucun équivalent dans notre pays. Depuis, nous défendons les droits des professionnels de santé et luttons pour des salaires décents et des conditions de travail dignes. Lorsque nous ne parvenions pas à résoudre les problèmes de manière pacifique, nous organisions des manifestations (actuellement, en raison de l'état d'urgence, elles sont interdites par la loi). Notre objectif principal est d'améliorer les conditions de travail et la formation des professionnels de santé. Pour cela, nous utilisons tous les moyens à notre disposition, dans le respect de la loi bien sûr.
Soyez comme nous sommes est une organisation non gouvernementale à but non lucratif légalement enregistrée. Dans notre travail, nous sommes guidés par des statuts approuvés. La majorité des membres de notre organisation sont des femmes.
Nos principales stratégies sont les suivantes : créer un réseau d'organisations non gouvernementales et de syndicats professionnels, développer une structure dans chaque région d'Ukraine, sensibiliser la population aux droits des travailleurs de la santé. Nous organisons également un travail médiatique et des actions de protestation pour promouvoir des lois qui devraient améliorer la prestation des soins médicaux et les conditions de travail. Par exemple, nous avons exigé l'adoption d'une loi sur la responsabilité en matière de harcèlement moral et physique au travail. Nous défendons également l'égalité des sexes sur le lieu de travail, dans l'éducation et dans la vie quotidienne. Parallèlement, nous mettons en place un réseau de coopération avec d'autres organisations qui ont des activités et des principes similaires, notamment celles qui défendent l'égalité des sexes. Nous organisons des séminaires éducatifs sur la protection des droits du travail pour les équipes d'infirmières dans différentes villes d'Ukraine, au cours desquels elles développent leurs compétences en matière de leadership et acquièrent des compétences en matière d'organisation. Sur la base de conflits de travail concrets dans chaque équipe, nous élaborons un plan d'action pour les résoudre. La priorité de ce plan est la protection des droits des infirmières. Nous organisons également des rencontres entre les équipes et un psychologue afin d'aider les femmes à gérer leur état émotionnel dans le contexte de la guerre.
Notre organisation milite pour un monde sans violence, pour l'égalité des droits et l'égalité des sexes, pour la création d'unions de femmes, en particulier dans le domaine médical, où le travail des femmes doit être respecté et bien rémunéré. Étant donné que les femmes ont, en plus de leur travail, la charge des enfants, des personnes malades, des personnes âgées et des tâches ménagères, nous voulons que ces responsabilités soient réparties équitablement entre tous les membres de la société et de la famille.
Notre organisation fonctionne selon des principes démocratiques. Avant de prendre une décision, nous la soumettons à un débat public au sein du groupe. Nous étudions également en détail les problèmes que nos membres nous soumettent, nous en discutons, tirons des conclusions et cherchons des solutions. Le poste de président de notre organisation est renouvelable. La conférence peut changer le conseil d'administration par un vote. Nous menons régulièrement des sondages publics auprès de nos membres, au cours desquels nous leur demandons d'évaluer nos activités.
Au fil du temps, nous sommes devenus une communauté de 85 000 personnes. Notre organisation a été créée sans aucun soutien de l'État ou des partis politiques. Et nous soutenons la création de syndicats dans toute l'Ukraine. Nous avons organisé les premières manifestations dans plusieurs villes à l'hiver 2019. Nous réclamions une augmentation des salaires des travailleurs de la santé, une augmentation des dépenses de santé en général, et que nos voix, celles des travailleurs de la santé, soient entendues dans toute réforme du système de santé en Ukraine.
Nous avons réitéré ces manifestations en 2020 et 2021 et avons obtenu des avancées : la réintégration des infirmières licenciées illégalement et le paiement des salaires dus dans plusieurs établissements.
Avant même la guerre en Ukraine, une réforme du système de santé avait été mise en place. Depuis lors, des établissements médicaux ferment leurs portes, les hôpitaux sont optimisés, c'est-à-dire fusionnés. Cela a de graves répercussions sur les professionnels de santé, qui perdent leur emploi. Ce processus s'est poursuivi pendant la guerre. La situation s'est considérablement détériorée : de nombreux établissements médicaux ont fermé leurs portes, notamment à la suite de bombardements et de tirs d'artillerie.
La perte d'emploi, l'occupation, les migrations massives, les réductions d'effectifs ne sont pas les seuls problèmes auxquels nous sommes actuellement confrontés. Les économies réalisées par les autorités locales sur le financement, les salaires des infirmières et autres personnels médicaux conduisent à l'appauvrissement d'une partie de la population dont nous défendons les droits.
La guerre qui a éclaté le 24 février 2022 a causé encore plus de problèmes non seulement pour les professionnels de santé, mais aussi pour l'ensemble de la population ukrainienne. Des dizaines de milliers de personnes ont perdu la vie. Des millions ont été contraintes de fuir vers les pays voisins et plus de 6 millions d'Ukrainiens sont devenus des personnes déplacées à l'intérieur du pays. Des villes et des villages ont été détruits. Nos hôpitaux et nos installations énergétiques sont devenus la cible de l'ennemi.
Nous avons compris que dans cette situation, nous ne pourrions pas nous en sortir sans l'aide de partenaires internationaux. C'est pourquoi nous avons convenu avec nos partenaires allemands de l'organisation Medico International d'un projet commun pour venir en aide aux Ukrainiens victimes de la guerre. Grâce à cette coopération, nous avons pu fournir un logement temporaire à plus de 40 familles avec des enfants en bas âge et des parents retraités. Près de 400 familles en situation très difficile ont reçu de l'aide sous forme de produits alimentaires et d'articles d'hygiène. Nous avons également la possibilité d'offrir un soutien psychologique et juridique. Et, ce qui est très important, nous aidons les médecins à se faire soigner. En effet, certaines personnes ont complètement perdu tout espoir de guérison. Grâce à ce projet, elles ont retrouvé la santé et peuvent à nouveau travailler et mener une vie normale.
Malheureusement, notre projet a pris fin le 31 décembre 2023. C'est pourquoi nous recherchons activement des organisations internationales avec lesquelles nous pourrons coopérer et continuer à aider les médecins et les Ukrainiens en particulier.
Nous nous souvenons de chacun de nos frères et sœurs, y compris des nombreux travailleurs de la santé qui ont perdu la vie en défendant notre pays ou qui ont été tués par les bombes et les missiles que la Russie continue de lancer sur nos communautés.
Tout au long de cette horreur, notre réponse s'est fondée sur un principe compréhensible pour tous les participants à cette réunion : le principe de solidarité.
Les syndicats ukrainiens se sont également mobilisés pour fournir une aide humanitaire, en fournissant de la nourriture, des logements, des médicaments et d'autres articles de première nécessité aux personnes déplacées, en réparant des bâtiments et en apportant un soutien psychologique et autre aux familles. Nous avons ressenti le soutien du mouvement syndical international, qui a fait preuve de solidarité en accueillant des Ukrainiens dans leurs pays et en apportant soutien et conseils à ceux qui ont été contraints de fuir.
Nous attendons la fin de la guerre et voulons de toutes nos forces et par tous les moyens rapprocher la victoire. Nous croyons que nous parviendrons à reconstruire l'Ukraine, où les droits syndicaux seront respectés dans tous les secteurs et où les travailleurs recevront un salaire décent et bénéficieront de conditions de travail équitables.
Ce ne sera pas facile. Mais vous avez vu notre force et notre dévouement pendant la guerre.
Paris, 30 avril 2025
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La longue attente de justice : Les travailleuses domestiques d’Indonésie luttent pour une protection juridique

Depuis 21 ans, le Réseau national de plaidoyer pour les travailleuses domestiques (JALA PRT) se bat pour la ratification du projet de loi sur la protection des travailleuses domestiques (RUU PPRT). Ce projet de loi, qui stagne à la Chambre des représentants indonésienne (DPR) depuis 20 ans, est devenu un symbole de la longue attente de justice des travailleuses domestiques.
Tiré de Entre les ligneset les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/05/04/la-longue-attente-de-justice-les-travailleuses-domestiques-dindonesie-luttent-pour-une-protection-juridique/?jetpack_skip_subscription_popup
Le projet de loi RUU PPRT a été soumis pour la première fois pendant la période 2004-2009 de la Chambre des représentants et a été proposé à nouveau durant chaque mandat parlementaire suivant. En juin 2020, la Commission législative de la Chambre des représentants (Baleg) a réussi à finaliser les discussions sur le projet de loi. Pourtant, jusqu'à ce jour, sa promulgation a été reportée à maintes reprises.
Cette situation de limbe législatif affecte environ 10 millions de travailleuses domestiques en Indonésie et à l'étranger, les laissant sans protection juridique adéquate. Selon le Jakarta Post, environ 4,5 millions de travailleuses domestiques opèrent uniquement en Indonésie, dont au moins 90 pour cent sont des femmes et une proportion significative est mineure.
Un appel à la Saint-Valentin
Le 14 février 2025, coïncidant avec la Saint-Valentin, la Coalition civile pour la loi sur la protection des travailleuses domestiques a tenu une conférence de presse à la Commission nationale sur la violence contre les femmes à Jakarta-Centre. La réunion a rassemblé des représentants d'institutions religieuses et d'organisations de la société civile pour faire pression en faveur de la ratification du projet de loi.
Les leaders religieux ont présenté un front uni lors de la conférence de presse. R.D. Marthen L.P. Jenarut, représentant la Conférence des évêques indonésiens, a exprimé son soutien total à la ratification du projet de loi sur la protection des travailleuses domestiques, notant que les travailleuses domestiques constituent un groupe vulnérable à la manipulation, aux traitements arbitraires et à l'exploitation.
« L'Église catholique indonésienne se tient toujours aux côtés de tous pour montrer sa solidarité sur des questions comme celle-ci, car les principes de l'enseignement catholique indonésien se réfèrent toujours à plusieurs valeurs fondamentales. La première est que chaque activité et question doit adhérer à des principes qui défendent la dignité humaine, la justice, la solidarité et le bien-être, » a ajouté le Père Marthen.
De même, le Révérend Ethika S., représentant la Communion des Églises en Indonésie (PGI), a souligné que le fondement de leur croyance est que chaque être humain est une créature noble créée par Dieu. « Ce que nous appelons homo imago dei, 'les humains sont l'image noble de Dieu'. Certainement, les humains en question incluent nos frères et sœurs qui travaillent comme travailleuses domestiques »
Les organisations islamiques ont également exprimé leur soutien. Dr Ummu Salamah de PP Aisyiyah a cité un hadith : « 'Donnez aux travailleurs leur salaire avant que leur sueur ne sèche.' (Rapporté par Ibn Majah). Aisyiyah croit que l'injustice envers les travailleuses domestiques est une forme d'oppression structurelle qui doit être éliminée par des politiques favorisant les groupes vulnérables. »
Nur Achmad, responsable d'un pesantren (école coranique) à Bogor et également membre de l'Assemblée du Congrès des femmes oulémas indonésiennes (KUPI), a proclamé que l'Islam affirme que l'humanité doit être valorisée, faisant référence à des versets du Coran qui parlent de dignité et de traitement équitable des travailleurs.
« Les travailleurs, quel que soit le type de travail qu'ils font, y compris les travailleuses domestiques, exercent des professions nobles qui doivent recevoir de l'appréciation, des garanties de sécurité, des garanties de bien-être et des garanties de protection » a déclaré Achmad.
Obstacles politiques
La réticence politique découle des préoccupations concernant la formalisation du travail domestique. Les législateurs – dont presque tous emploient plusieurs travailleuses domestiques hésitent à adopter une législation qui les obligerait à payer un salaire minimum, à fournir des avantages sociaux, des heures supplémentaires et des indemnités de départ. Ils craignent de perdre des votes des classes moyennes urbaines. Environ 12% des ménages urbains comprennent des travailleuses domestiques.
La Journée nationale des travailleuses domestiques, établie en 2007, commémore le cas tragique de Sunarsih, une travailleuse domestique enfant de 14 ans décédée en 2001 après avoir subi de graves violences. Elle était victime de trafic forcé à Surabaya et a souffert de multiples formes d'abus.
Comme l'a souligné Ajeng Pangesti de Perempuan Mahardhika, le concept de « famille » est souvent exploité pour justifier des salaires plus bas, des heures de travail illimitées et pour dissimuler la violence commise contre les travailleuses domestiques.
Alors que l'administration Prabowo-Gibran achève ses 100 premiers jours au pouvoir, les organisations de la société civile soulignent l'absence de réponse sérieuse à la violence continue et aux féminicides. Le gouvernement semble préoccupé par l'expansion de l'huile de palme, l'efficacité budgétaire et le programme de repas nutritifs gratuits, qui, selon les critiques, ne répond pas aux conditions vulnérables des travailleuses domestiques.
Le groupe féministe de gauche Perempuan Mahardhika est convaincu que les travailleuses domestiques, soutenues par une coalition croissante d'organisations de la société civile et de défense des droits humains, restent déterminées à poursuivre leur lutte jusqu'à ce que la justice qu'elles attendent depuis longtemps soit réalisée. Leur persévérance témoigne de l'espoir durable que, finalement, la valeur du travail de soins sera reconnue et que leurs droits fondamentaux en tant que travailleuses seront inscrits dans la loi.
Mark Johnson
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74749
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Le droit de se soustraire un travail dangereux est encore refusé à un trop grand nombre de personnes

Le droit de refuser une tâche dangereuse sans crainte de représailles est inscrit dans la Convention 155 de l'OIT. Pourtant, dans certaines des industries les plus dangereuses du monde, comme l'exploitation minière et la démolition des navires, ce droit est encore loin d'être une réalité.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Cette année, le 28 avril, Journée mondiale de la santé et sécurité au travail, IndustriALL réaffirme que la santé et la sécurité des travailleurs ne peuvent être laissées aux mains des employeurs ; les travailleurs et travailleuses doivent être en mesure d'assurer leur sécurité par le biais de comités conjoints de santé et de sécurité et en exerçant leur droit de refuser une tâche qu'ils savent dangereuse.
Le groupe santé et sécurité d'IndustriALL se concentre sur les secteurs où la sécurité est trop souvent sacrifiée au profit, comme celui des matières premières critiques et de la démolition des navires. Dans ces secteurs, les travailleurs et travailleuses risquent leur vie tous les jours mais s'exprimer sur la sécurité peut signifier perdre son gagne-pain.
La démolition des navires est souvent considérée comme le métier le plus dangereux au monde. Les risques sont extrêmes ; il y a un manque de formation et les travailleurs sont exposées à des produits toxiques, à des chutes de tôles d'acier et des blessures mortelles ne surviennent que trop souvent. Après une longue campagne menée par IndustriALL et ses affiliés, la Convention de Hong Kong pour un recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires a été ratifiée et entrera en vigueur en juin de cette année.
L'entrée en vigueur de cette convention devrait améliorer la sécurité. Mais de graves lacunes subsistent. L'Inde a proposé une législation nationale pour transposer la convention dans son droit national. Elle ne comporte aucune référence au droit de refuser une tâche dangereuse, malgré l'intention de la convention d'ainsi protéger les travailleurs et travailleuses.
« Si elle est correctement mise en œuvre, la Convention de Hong Kong a le pouvoir de transformer la démolition des navires en un secteur beaucoup plus sûr. Mais nous nous interrogeons sur la volonté politique et la capacité des autorités des pays concerné par la démolition des navires à s'opposer au pouvoir des employeurs. Les syndicats doivent être reconnus comme des partenaires clés. La Convention est une approche descendante. Elle doit être complétée par une approche ascendante, menée par les travailleurs, afin de garantir la sécurité sur les chantiers »
a indiqué Walton Pantland, Directeur d'IndustriALL pour la construction navale et la démolition des navires.
Il en va de même dans le secteur minier, en particulier pour l'extraction des minéraux bruts essentiels qui alimentent la transition verte. La demande de cobalt, de lithium, de nickel et d'autres matériaux monte en flèche, mais les rapports d'accidents, d'effondrements et d'exposition chronique à la poussière et aux produits chimiques augmentent également. Une Transition juste inclut le droit des travailleurs et travailleuses à refuser un travail dangereux ; sans protections solides, le coût humain risque d'être dévastateur.
Glen Mpufane, Directeur d'IndustriALL pour l'exploitation minière et la santé et la sécurité au travail, a déclaré :
« le droit de refuser une tâche dangereuse n'est pas un privilège, c'est un droit fondamental, reconnu par l'OIT et soutenu par le droit international. Du côté d'IndustriALL, nous continuerons à nous battre pour des lendemains meilleurs en mettant l'accent sur l'évaluation des risques et sur une approche de la santé et de la sécurité au travail centrée sur les droits de l'homme. »
Le 28 avril est également connu comme étant la Journée internationale de commémoration des travailleuses et des travailleurs morts ou blessés au travail. Nous nous souvenons des morts et luttons pour les vivants et nous renouvelons notre engagement dans la lutte pour des lieux de travail plus sûrs. Cette année, il s'agit également de faire face à des menaces nouvelles et émergentes. IndustriALL soutient l'appel de la CSI à une action urgente pour préserver la vie et les droits des travailleurs et travailleuses à l'ère de la numérisation et de l'intelligence artificielle (IA).
Alors que l'IA est de plus en plus déployée sur les lieux de travail, elle n'est pas toujours utilisée pour soutenir les travailleurs et travailleuses, mais pour les surveiller, les contrôler et même les exploiter. Bien que l'IA puisse être pilotée par des données, son impact est profondément humain et risque d'aggraver les déséquilibres de pouvoir existants. Protéger les droits des travailleurs et travailleuses à l'ère de l'IA signifie garantir la transparence, la responsabilité et que la sécurité et la dignité ne soient pas sacrifiées au nom de l'efficacité.
La CSI lance un appel en faveur :
* de la pleine participation des syndicats à la conception et au déploiement de l'IA sur le lieu de travail
* de technologies transparentes, centrées sur l'humain, qui respectent les droits et la sécurité
* d'une convention contraignante de l'OIT concernant le travail sur plateforme pour protéger tous les travailleurs et travailleuses de l'économie numérique
« L'intelligence artificielle n'appartient pas à un futur lointain ; elle façonne déjà le présent. La question est de savoir si les travailleurs et travailleuses auront leur mot à dire sur la manière dont elle façonne leur avenir. »
a déclaré Kan Matsuzaki, Secrétaire général adjoint d'IndustriALL.
The right to refuse unsafe work is still denied to too many
https://www.industriall-union.org/the-right-to-refuse-unsafe-work-is-still-denied-to-too-many
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Menaces russes contre la Lituanie – perspectives du monde de travail

Le syndicaliste et militant Jurgis Valiukevičius s'entretient avec Simon Pirani sur les nouveaux mouvements ouvriers en Lituanie, l'émigration et l'immigration, et sur la façon dont la sympathie pour la résistance ukrainienne a ouvert un espace de discussions sur les significations du nationalisme et de l'anti-impérialisme
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/30/menaces-russes-contre-la-lituanie-perspectives-du-monde-de-travail/
Simon : Parlez-nous du mouvement ouvrier en Lituanie. Quelles sont ses forces et ses faiblesses ? Quelle forme prend-il (syndicats ? organisations sur le lieu de travail ? etc.). Y a-t-il des liens entre le mouvement ouvrier et d'autres mouvements sociaux ?
Jurgis : Le mouvement ouvrier en Lituanie a été faible, mais nous avons observé quelques tendances positives au cours des 10 dernières années : il y a eu davantage de grèves et un peu plus de militantisme.
Le taux de syndicalisation a été faible : environ 8 à 10% de la main-d'œuvre sont membres de syndicats. Depuis les transformations économiques qui ont été mises en œuvre après que la Lituanie a obtenu son indépendance de l'Union soviétique en 1990, l'adhésion aux syndicats a régulièrement diminué. La plupart des usines ont fermé, et il n'y avait plus de grands sites industriels où l'activité syndicale traditionnelle pouvait avoir lieu.
Dans l'Union soviétique, les syndicats avaient tendance à fonctionner comme des prestataires de services sociaux, distribuant des aides sociales telles que le logement et les vacances. Lorsqu'il y avait des problèmes concernant les droits des travailleurs, ils avaient l'habitude d'adresser des plaintes à la branche du Parti communiste de leur lieu de travail, ou de résoudre les problèmes directement avec les directeurs d'usine par le biais de documents et de négociations officielles.
Une fois que le contrôle étatique du processus de production a disparu, il n'y avait plus de fonctionnaire auprès duquel les représentants syndicaux pouvaient se plaindre, ce qui a laissé les syndicats sans défense. En même temps, la plupart des dirigeants syndicaux n'étaient pas dotés de compétences d'organisation. Et la nouvelle classe d'affaires qui émergeait à cette époque était issue de groupes obscurs de type mafieux ayant des liens avec le gouvernement central.
J'ai précédemment publié (en anglais) des récits de résistance ouvrière qui ont eu lieu à cette époque. Les travailleurs gardaient leurs usines pour éviter qu'elles ne soient démantelées par les nouveaux propriétaires jusqu'à ce qu'ils reçoivent une compensation pour les salaires impayés. Dans les cas les plus radicaux, les gens faisaient des grèves de la faim.
Arrêter la production n'a pas beaucoup de sens si votre usine fait faillite. Donc, la seule façon de forcer une sorte de réconciliation était d'utiliser sa propre vie comme dernier recours de défense de biens précieux.
On pourrait dire que les travailleurs ont réussi à exercer une certaine pression politique sur les responsables gouvernementaux pour qu'ils interviennent. Vers 2001, le gouvernement a créé un fonds de faillite, à partir duquel les travailleurs pouvaient s'attendre à récupérer une partie de leurs salaires si leur entreprise devenait financièrement insolvable. Cependant, la plupart de ces luttes étaient plutôt des réactions au processus de privatisation et n'ont pas produit d'expériences positives de pouvoir collectif. La plupart des personnes qui ont participé à ces luttes ont ressenti une désillusion face à l'activité politique et sociale. L'effet sur les gens a été un désengagement supplémentaire des organisations de masse telles que les syndicats ou les partis politiques.
Et qu'en est-il des temps plus récents ?
Au cours de la dernière décennie, l'adhésion syndicale s'est stabilisée, et de nouvelles initiatives syndicales ont été lancées, qui tentent d'organiser les travailleurs précaires, ainsi que de chercher des liens avec le mouvement de gauche plus large et les organisations non gouvernementales (ONG).
Les plus militants sont les enseignants. Ils ont fait grève une fois tous les quatre ans. Ils organisent également des actions de protestation plus orientées vers le public qui stimulent le discours public et popularisent les idées sur la grève. En 2019, ils ont occupé le ministère de l'éducation pendant un mois. Les enseignants dormaient dans le ministère en attendant les négociations collectives.
En 2023, ils ont organisé une marche de grève : les enseignants ont fait un « pèlerinage » depuis tous les coins de la Lituanie, marchant à pied et visitant l'école de chaque petite ville. Toutes ces actions ont aidé ce syndicat particulier d'enseignants, le Syndicat des employés de l'éducation lituanienne, à se développer. Beaucoup de ses bastions se trouvent dans les zones rurales.
En 2019, un nouveau syndicat, G1PS ou Syndicat du travail du Premier mai, a été créé. C'est le syndicat que je représente et pour lequel je travaille. L'organisation a été créée après des protestations réussies contre la libéralisation du code du travail en 2018. Ce syndicat s'est organisé dans les secteurs des services, de la culture et de l'informatique, ainsi que pour certains travailleurs des plateformes de vente (par exemple, Uber ou Bolt).
Bien que ce syndicat soit assez jeune et peu nombreux, il a un modèle différent : chaque travailleur peut devenir membre quelle que soit sa profession. Il fournit des consultations gratuites sur les questions de travail. En cinq ans, il a créé six branches – certaines sont basées sur des lieux de travail uniques et d'autres sont orientées vers des secteurs, comme les coursiers de plateformes.
En général, les principaux obstacles à la construction d'un mouvement ouvrier plus militant et actif ne sont pas seulement économiques et idéologiques, mais aussi juridiques. La loi lituanienne sur les grèves est l'une des plus restrictives d'Europe. Elle force les travailleurs à entrer en négociations avant d'acquérir légalement le droit de grève. Il peut falloir jusqu'à deux ans pour passer par les négociations, et le syndicat ne peut pas changer ses revendications pendant ce temps. En conséquence, la plupart des négociations se terminent sans grands résultats, et les grèves sont rares.
Actuellement, les syndicats demandent que la loi sur les grèves soit libéralisée, et on s'attend à ce que le prochain gouvernement mette cette question à l'ordre du jour.
Qu'en est-il de l'économie lituanienne ? Si j'ai bien compris, ces dernières années, elle a été largement intégrée à l'UE, et le commerce avec la Russie a été réduit. Comment ces changements ont-ils affecté les travailleurs ?
L'économie lituanienne a été complètement transformée au cours des 30 dernières années. D'une économie dominée par l'industrie légère à l'époque soviétique, elle se compose maintenant principalement de petites et moyennes entreprises dans le secteur des services, de l'informatique, de la logistique et des marchés financiers.
Les deux hommes les plus riches de Lituanie sont le propriétaire de la chaîne de magasins Maxima et le propriétaire de Girteka, une entreprise de logistique. Ces deux secteurs économiques profitent des conditions de travail précaires – dans les magasins, les femmes constituent la majorité des travailleurs, et dans la logistique, les migrants dominent la main-d'œuvre des chauffeurs.
À part cela, la Lituanie possède un grand secteur agricole : la principale exportation est le grain. Bien qu'il y ait quelques sites industriels, ce sont pour la plupart des reliques post-soviétiques qui ont survécu à la transition des années 1990. Chaque grande ville a sa propre « zone économique libre », ce qui est typique d'un pays d'Europe de l'Est essayant d'attirer des capitaux étrangers.
Notre marché financier est entièrement dominé par les banques scandinaves. Nous n'avons pas de banque nationale. Il existe une institution portant ce nom, mais elle ne fournit que des analyses et quelques propositions politiques pour le gouvernement.
La trajectoire de l'économie a été orientée vers l'intégration aux marchés de l'UE. La guerre en Ukraine et les sanctions économiques qui ont suivi l'attaque russe ont encore plus orienté les entreprises vers les marchés de l'UE. La situation géopolitique a, d'une part, ralenti les investissements directs étrangers. D'autre part, le gouvernement tente d'attirer l'industrie militaire – des accords ont été conclus avec des entreprises industrielles allemandes et ukrainiennes pour ouvrir de nouvelles usines en Lituanie.
Avec la désindustrialisation, la classe ouvrière s'est féminisée et déqualifiée. Si vous demandiez aujourd'hui aux travailleuses des supermarchés leur histoire personnelle, beaucoup de ces femmes avaient auparavant travaillé dans une usine avec une qualification plus élevée. Elles ont perdu leur emploi dans les années 1990 et n'ont pas pu trouver quelque chose qui correspondrait à leur éducation. Puis elles ont trouvé du travail dans les magasins et supermarchés qui ont surgi au début des années 2000.
De plus, il y a eu une émigration à grande échelle, vers l'Irlande, le Royaume-Uni, l'Allemagne et les États-Unis. Au cours des trois dernières années, le niveau de migration s'est stabilisé, et il y a plus de personnes qui viennent en Lituanie que de personnes qui partent. Cependant, la plupart des immigrants ne sont pas des locaux qui reviennent, mais des Ukrainiens, des Biélorusses et des Russes qui arrivent pour la première fois.
La classe ouvrière est devenue plus mixte et stratifiée par nationalités et par statut juridique. Les effectifs des secteurs de la construction et de la logistique, ainsi que des plateformes de vente, sont dominés par les migrants à l'heure actuelle, ce qui crée des tensions et stimule les tendances politiques nationalistes.
J'ai plusieurs questions sur la guerre en Ukraine et l'attitude des Lituaniens à ce sujet. Tout d'abord, puis-je vous demander à propos des réfugiés. Je crois qu'il y a maintenant un nombre substantiel de réfugiés d'Ukraine, de Russie et de Biélorussie en Lituanie. Comment sont-ils traités par le gouvernement ? Comment est leur vie en Lituanie ? Comment les Lituaniens ont-ils réagi à leur arrivée ?
La position officielle du gouvernement a été que les migrants de ces pays ne sont pas les mêmes et que nous ne pouvons pas appliquer les mêmes règles à tout le monde. On pourrait dire que les Ukrainiens ont jusqu'à présent l'accès le plus facile. Pourtant, comme le gouvernement ukrainien essaie de récupérer ses hommes pour servir dans l'armée, les positions du gouvernement lituanien ont quelque peu changé – on parle davantage de la nécessité de ramener les Ukrainiens pour défendre leur pays. Cela créerait toutefois un gros problème pour les entreprises, car les Ukrainiens constituent désormais un segment important de la main-d'œuvre.
La diaspora biélorusse est très importante, mais moins visible. Il y a une longue histoire commune entre les Biélorusses et les Lituaniens. Nous avons une université biélorusse à Vilnius qui a déménagé ici après que [le président biélorusse Alyaksandr] Loukachenko l'a interdite à Minsk. Et la principale organisation d'opposition biélorusse dirigée par Sviatlana Tsikhanouskaya a son bureau à Vilnius. Mais les Biélorusses sont traités de manière ambivalente – en raison des protestations de 2020, ils ont d'abord été soutenus et aimés, mais une fois que la guerre a commencé en Ukraine, ils ont été regardés avec plus de suspicion.
Il est vrai qu'en Lituanie, il y a beaucoup d'agents secrets du Kremlin et de Loukachenko. Et pourtant, pour les gens ordinaires, la suspicion se traduit principalement par des problèmes pour obtenir l'asile ou des documents. Il y a des cas horribles de Biélorusses politiquement actifs renvoyés en Biélorussie, directement entre les mains du KGB [police de sécurité], simplement parce qu'ils ont travaillé dans une entreprise d'État il y a des années.
Vous avez commenté dans votre article pour Posle.Media la façon dont les forces de l'establishment et libérales en Lituanie trouvent souvent commode d'utiliser les Russes ordinaires comme cible de préjugés, et/ou ont prétendu que les Russes ordinaires sont responsables de la brutalité du gouvernement russe. Vous avez également dit que, depuis l'invasion totale de l'Ukraine par la Russie, cela a changé. Pouvez-vous nous donner une mise à jour ?
Je pense qu'en termes d'idéologies, les divisions sont faites par nos élites politiques entre « civilisation contre brutalité ». Comme nous nous alignons sur la partie « civilisée » du monde – au sens le plus large, l'« Occident » – nous avons tendance à dépeindre l'autre côté comme désespérément bestial et non démocratique. Il y a une envie constante de dépeindre la société russe comme brutale et bestiale – cela nous fait sentir plus européens et démocratiques.
De plus, je crois qu'une grande partie du soutien de notre élite politique à l'Ukraine ne provient pas de positions anti-impérialistes, mais se manifeste plutôt comme une haine implicite envers la Russie en tant que pays. Il y a un message répétitif dans les médias selon lequel les Ukrainiens se battent dans notre guerre contre la Russie.
C'est fondamentalement le discours dominant dans tous les médias et la vie politique. Mais les opinions au sein de la population sont plutôt plus mitigées.
Nous venons d'avoir des élections parlementaires dimanche (27 octobre). Les gagnants officieux de ces élections sont un parti qui est arrivé en troisième position – un parti marginal de droite dirigé par un parlementaire de longue date, [Remigijus Žemaitaitis,] qui est devenu célèbre parce qu'il a été accusé d'antisémitisme. Il a certainement fait des déclarations antisémites au parlement, avant le 7 octobre [2023, attaque contre Israël par le Hamas], c'est vrai. Mais plus tard, les accusations d'antisémitisme et un processus de destitution contre lui ont fait de lui une figure « anti-establishment ». Il a parfaitement exploité ce sentiment, mobilisant des votes « protestataires » – une sorte d'édition lituanienne de style Trump.
On peut aussi entendre plus de scepticisme envers les Ukrainiens et le soutien à l'Ukraine. Cependant, les partis qui ont tenté d'exploiter ce sentiment n'ont pas obtenu de vote majeur aux élections parlementaires. En fait, le principal politicien qui défendait des positions pro-Kremlin vient d'annoncer qu'il met fin à sa carrière politique : il n'a pas réussi à obtenir un siège au parlement.
Plus tôt, au printemps de cette année, nous avons eu une élection présidentielle dans laquelle un candidat, qui exprimait une certaine nostalgie pour l'Union soviétique, a obtenu environ 50 000 votes dans toute la Lituanie. Il a obtenu le pourcentage le plus élevé dans les régions où les minorités russes et polonaises sont prédominantes. Les médias ont pris cela comme une preuve que nous avons « une menace russe » dans notre propre pays – bien que ce candidat ait été, je pense, le seul à avoir réussi à traduire ses dépliants et à visiter ces régions pendant sa campagne.
Qu'en est-il de l'accord récemment conclu entre la Lituanie, la Pologne et l'Ukraine, selon lequel les hommes ukrainiens éligibles à la conscription devraient être renvoyés en Ukraine ? Le contexte, comme vous le savez, est les difficultés que l'Ukraine rencontre dans la guerre contre la Russie, sans enrôler plus de personnes dans l'armée. Y a-t-il eu une réaction à cela en Lituanie ?
Cet accord n'a pas été transformé en loi – je pense que les intérêts économiques ont arrêté la mise en œuvre de cette politique. Comme je l'ai mentionné précédemment, la classe ouvrière ukrainienne est bien intégrée dans la main-d'œuvre et des secteurs entiers cesseraient de fonctionner si un jour tous les hommes étaient renvoyés en Ukraine.
Cependant, certains partis politiques visent à mettre en œuvre de telles politiques. Cela prend forme dans des mesures « non officielles ». Par exemple, il y a beaucoup d'Ukrainiens dont les passeports expirent – et une fois que votre passeport expire, votre visa n'est plus valable non plus. Et si vous allez au département lituanien de l'immigration, ils vous diront que vous devez aller en Ukraine pour obtenir votre passeport. Ce que cela signifie, c'est que vous ne reviendrez jamais d'Ukraine : si vous êtes apte pour l'armée, vous serez enrôlé.
Je connais de plus en plus de personnes qui se demandent quoi faire. Un grand nombre de migrants pourraient tomber dans cette zone grise, et vivre sans documents ou décider de rejoindre l'armée.
Pour aider les gens en Europe occidentale à comprendre, pourriez-vous dire quelque chose de plus général sur l'attitude des Lituaniens face à l'agression russe en Ukraine et ailleurs, et face à l'évolution politique du régime de Poutine vers la dictature ces dernières années ? J'expliquerai ma question de cette façon. Il y a quelques mois, j'ai rencontré un vieux camarade et ami, militant socialiste de longue date. Il m'a critiqué pour avoir écrit des articles, dans lesquels je disais que les Ukrainiens avaient le droit de se défendre, les armes à la main, contre l'agression russe. Il a dit : « Tu risques de soutenir l'OTAN ». J'ai dit que je croyais que l'impérialisme russe, et non l'OTAN, était la cause première de la guerre en Ukraine.
Et j'ai ajouté (à peu près) : « Les gens dans les États baltes, et ailleurs en Europe de l'Est, voient le monde très différemment des gens qui vivent au Mexique, et ailleurs en Amérique centrale. La puissance impérialiste qui les inquiète n'est pas la même. Je parie qu'après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, les travailleurs des États baltes ont poussé un soupir de soulagement que leurs gouvernements aient rejoint l'OTAN. »
Après cela, j'ai lu dans votre article dans Posle que l'adhésion à l'OTAN a en effet un taux d'approbation très élevé parmi les Lituaniens. Veuillez commenter.
Oui, votre commentaire est tout à fait juste. Pour nous, la critique anti-impérialiste signifie que non seulement les États-Unis ou « l'Occident », mais aussi d'autres, peuvent être des puissances impériales. Cette idée simple semble être très difficile à comprendre pour une partie de la gauche dans les pays occidentaux. Et je comprends – pour beaucoup de gens en Lituanie, il est assez difficile de saisir l'idée que la Russie n'est pas la seule à avoir des intérêts impériaux.
Pourtant, d'une manière étrange, la gauche occidentale maintient la même vision occidentalo-centrée, même lorsqu'il s'agit de critiquer le colonialisme et l'impérialisme. Je pense que ce ne devrait pas être ainsi : nous devrions apprendre à écouter et à respecter nos histoires et positions respectives, même si cela contredit nos théories. C'est l'une des tristes maladies du dogmatisme de la gauche – essayer d'adapter le monde à la théorie. Je pense que cela devrait être l'inverse, ou qu'il devrait y avoir une sorte d'interaction entre les deux.
L'histoire de nos pays a été façonnée par l'empire russe plus que par les pays occidentaux. Il y a seulement 30 ans que nous avons commencé à fonctionner comme des États indépendants. J'ai lu beaucoup de critiques sur les États-nations et le nationalisme, et je vois de nombreux problèmes dans nos pays avec les idées nationalistes. Cependant, à mon avis, la différence entre la plupart des pays occidentaux et les pays d'Europe de l'Est est que l'Occident n'a jamais été occupé par d'autres pays à l'époque moderne.
Vous avez eu le fascisme, des révolutions et quelques dictatures – mais c'était toujours votre propre histoire. Pour nos sociétés, la peur d'être occupées par un autre pays est plus réelle. Donc quand Poutine affirme que les frontières actuelles en Europe de l'Est ne sont pas légitimes et qu'elles devraient être changées – c'est un signe clair de danger pour nous.
Je pense que le nationalisme devrait également être critiqué en le plaçant dans ce contexte historique et géographique. Il y a cette idée que les sociétés d'Europe de l'Est sont plus nationalistes. En Italie, j'ai même entendu des opinions négatives sur les Ukrainiens, qu'ils sont trop nationalistes, parce qu'ils apportent les drapeaux de leur pays aux manifestations. Il semble que ceux qui expriment de telles opinions ne peuvent pas comprendre différents contextes et histoires : il peut y avoir une grande différence entre une personne apportant un drapeau italien à une manifestation en Italie, et une personne apportant un drapeau ukrainien.
Les sociétés d'Europe de l'Est ont vécu sous des occupations la plupart du temps, et, tristement, mais le nationalisme est l'un des outils les plus faciles de mobilisation contre de telles puissances. Je dis cela non pour proposer que nous devrions tous embrasser le nationalisme, mais seulement pour comprendre que vous ne pouvez pas tout mesurer selon une seule histoire. Cela détruit simplement toute possibilité de dialogue et de solidarité.
J'aimerais aussi que vous partagiez, pour les lecteurs d'Europe occidentale, vos réflexions sur l'histoire lituanienne. Beaucoup de gens ici oublient que la Lituanie a passé tout le XIXe siècle comme colonie russe, tout comme de nombreux pays ont passé de longues périodes comme colonies britanniques. Comment les gens en Lituanie voient-ils cela maintenant ?
Oui, depuis 1795, les territoires que nous appelons maintenant Lituanie étaient sous l'empire russe jusqu'en 1918. De plus, le servage n'a été formellement arrêté qu'en 1861, cependant, les paysans n'ont pas reçu la terre (ce qui a provoqué plusieurs soulèvements). Et puis à nouveau de 1945 à 1990, nous faisions partie de l'Union soviétique.
En parlant de cette histoire, je dois dire que, malheureusement, cette expérience historique d'occupations ne se traduit pas facilement par une compréhension plus large des différentes colonisations. Notre programme scolaire et les idées générales sur l'histoire voient toujours « notre expérience » comme quelque peu exceptionnelle. Peut-être est-ce inévitable pour un si petit pays – de toujours se fixer sur l'histoire de son propre pays. Cependant, en termes de recherche de solidarité, il y a un certain potentiel pour chercher des connexions avec d'autres expériences de colonisation.
Il y a bien sûr une grande différence parmi les Lituaniens concernant le racisme. Et probablement que les croyances racistes sont celles qui bloquent toute sorte de compréhension plus globale des colonisations et de l'impérialisme.
Qu'en est-il de l'Union soviétique ? Dans nos discussions au sein du mouvement ouvrier dans les pays occidentaux, il me semble que la position « campiste » de ceux qui s'opposent au droit de l'Ukraine de résister à l'agression russe est fondamentalement une continuation de ceux qui voyaient l'Union soviétique comme l'épitome de l'anti-impérialisme. Les racines de cela sont des idées politiques que, dans les années 1970 et 80, nous appelions staliniennes. Je me souviens avoir eu des discussions avec des membres du Parti communiste au Royaume-Uni, à l'époque, qui défendaient le pacte Molotov-Ribbentrop comme ayant été nécessaire, pour la défense de l'Union soviétique. Comment tout cela est-il vu en Lituanie, par votre génération ?
Ma génération est celle qui est née après la fin de l'Union soviétique, et notre opinion sur ce système a été façonnée davantage par la propagande d'État que par une expérience réelle. En termes les plus généraux, l'Union soviétique est maintenue en vie comme une « histoire d'horreur », qui devrait vous pousser à croire qu'aujourd'hui vous vivez dans une société vraiment égale et libre – ce qui est des conneries de propagande.
Je dirais que, selon l'âge, on pourrait diviser la population lituanienne grossièrement en trois groupes. J'ai déjà mentionné mon groupe : des personnes pour qui l'expérience soviétique est moins importante dans leur parcours politique. Ce sont des personnes qui ont tendance à s'aligner sur les « valeurs européennes » – droits de l'homme, mouvement LGBTQ, etc.
Puis il y a les personnes qui ont grandi en Union soviétique, mais qui ont participé aux protestations et ont vécu le mouvement d'indépendance de la fin des années 1980 et du début des années 1990. La plupart de ces personnes ont tendance à être très sceptiques à l'égard de toute politique de gauche, et sont partisanes du côté conservateur. Et bien qu'il ne s'agisse pas d'une strate monolithique, je pense que ce groupe est souvent mobilisé principalement par des histoires du genre « si vous élisez telle ou telle personne, les temps soviétiques pourraient revenir ». Cette rhétorique est utilisée par les partis conservateurs et a généralement aussi des connotations classistes – l'idée que la démocratie est menacée par les pauvres, ce qu'on appelle l'homo sovieticus (ceux qui ont été laissés pour compte).
Et enfin, il y a une génération qui a vécu la majeure partie de sa vie en Union soviétique. Cette génération est en train de disparaître. Bien qu'ils aient survécu à des périodes très horribles de guerre et de déportations sous Staline, ils ont également vu la croissance des villes, l'industrialisation de l'agriculture, et aussi une sorte de libéralisation de la vie sous Khrouchtchev et Gorbatchev. Ils ont vécu toute la modernisation de l'État qui a été réalisée à l'époque soviétique.
C'est aussi la génération qui a été la plus désillusionnée par les réformes et les changements qui ont eu lieu après l'indépendance. Peut-être que leurs pensions ont été réduites, peut-être qu'ils ont perdu leur emploi et n'ont pas pu changer de profession parce qu'ils avaient déjà la cinquantaine avancée. De plus, pour la plupart d'entre eux, les usines, les entreprises et les centres culturels qui les entouraient, ou qui avaient même été construits de leurs propres mains, ont été détruits par la privatisation.
Ils sont pleins de colère et d'incrédulité envers le système actuel, ce qui se traduit facilement par une nostalgie des temps soviétiques. Cependant, je crois que cette nostalgie ne devrait pas être lue comme un soutien direct au système soviétique, mais comme une désillusion face au système actuel.
Dans quelle mesure y a-t-il un soutien actif et une solidarité avec la lutte de l'Ukraine contre la Russie en Lituanie ? Comment cela s'exprime-t-il (par exemple, des volontaires qui vont se battre, une aide aux organisations de la société civile, d'autres actions) ?
Il y a quelques organisations de bénévoles solides qui ont été créées après le début de la guerre en 2014, et qui ont grandi avec l'escalade actuelle. À l'heure actuelle, le soutien est à un niveau plus bas. Et il y a un processus de désaccord sur la quantité de soutien que nous pouvons donner. Et pourtant, la société lituanienne est toujours très positive quant au soutien à l'Ukraine, car cela est considéré comme un élément crucial pour notre propre sécurité nationale.
Il y a une idée selon laquelle si l'Ukraine tombe, nous serions les prochains. Je ne suis pas sûr qu'il y ait des raisons réelles pour cette peur, et je crois aussi que la droite l'utilise pour mobiliser le soutien à son programme politique. Cependant, je ne peux pas dire qu'une telle menace est impossible. Spécifiquement, si le gouvernement américain change sa politique concernant l'Ukraine, alors notre situation pourrait devenir sérieuse assez rapidement.
L'assaut israélien sur Gaza au cours de la dernière année a galvanisé des millions de personnes, y compris des socialistes, en Europe occidentale. Il y a eu d'importantes manifestations contre la fourniture d'armes à Israël par les puissances occidentales. À Londres, un groupe d'entre nous a participé à certaines de ces manifestations avec des banderoles et des affiches disant : « De l'Ukraine à la Palestine, l'occupation est un crime », et en essayant de souligner le fait que les Ukrainiens, comme les Palestiniens, ont le droit de résister à l'agression. Nous avons rencontré beaucoup de sympathie de la part des autres manifestants. Comment ces questions apparaissent-elles, de votre point de vue ?
Comme je l'ai mentionné précédemment, le soutien envers la Palestine a été très limité, mais avec quelques changements positifs récemment.
Le principal obstacle au soutien n'est pas que la population ne comprend pas la situation en Palestine, ou au Liban. Le problème est qu'Israël a des liens très forts avec les institutions lituaniennes, et cela peut affecter la position de l'élite politique. Et donc, la Lituanie a voté contre tout type de soutien à la Palestine à l'ONU. De plus, les médias présentent le génocide comme un conflit entre Israël « civilisé » et le Hamas « terroriste ». De cette façon, ils essaient d'aligner le génocide israélien avec la résistance ukrainienne contre la Russie : c'est un alignement très erroné et stupide.
Après tout, tant de choses dépendent des États-Unis. Parmi l'élite politique, la principale crainte concernant l'expression d'un soutien à la Palestine est que cela pourrait inciter les États-Unis à affaiblir leur soutien à la Lituanie. Vous pouvez voir que la même logique fonctionne avec l'Ukraine, qui vote également contre la Palestine à l'ONU.
Malgré tout cela, il y a eu des protestations contre l'agression israélienne, organisées par des militants locaux avec des communautés migrantes. Elles ont été beaucoup plus petites que celles qui ont été organisées pour soutenir l'Ukraine. Cependant, je vois qu'il y a un peu plus d'espace pour discuter de la question palestinienne et il y a plus de personnes qui sont prêtes à écouter.
J'espère qu'à l'avenir, il y aura plus de politiciens qui auront le courage de dénoncer le génocide qui a été perpétré par le gouvernement israélien et les mouvements de droite en Israël.
Merci d'avoir pris le temps de répondre à mes questions en détail.
Jurgis Valiukevičius
Simon Pirani
People and Nature
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https://peopleandnature.wordpress.com/2024/10/29/lithuania-for-us-the-fear-of-being-occupied-is-more-real/
Traduit pour l'ESSF par Adam Novak
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74536

« Les femmes kurdes transforment la société, elles ne se contentent pas de lutter »

Écrivaine libanaise, Nelly Jazra a déclaré au micro de l'ANF que le mouvement des femmes kurdes allait au-delà de la lutte armée en confrontant les normes de genre et en transformant la société.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Au Moyen-Orient, les femmes mènent une lutte à plusieurs niveaux. Elles résistent non seulement aux inégalités entre les sexes, mais aussi à la répression politique, à la domination culturelle et aux politiques coloniales.
À travers un vaste territoire s'étendant de l'Algérie à la Palestine, de l'Iran au Kurdistan, les femmes continuent de lutter pour leurs droits dans de nombreux domaines, notamment l'éducation, la représentation politique, la liberté vestimentaire et la résistance armée. Elles sont devenues porteuses d'un profond désir de liberté, exprimé dans le slogan « Jin, jiyan, azadî » (Femme, vie, liberté). Nelly Jazra, chercheuse, étudie ces luttes au niveau universitaire.
Nelly Jazra, universitaire libanaise travaillant à la Commission européenne, examine de près les mouvements de résistance des femmes au Moyen-Orient dans son livre récemment publié « La Lutte des Femmes », en s'intéressant plus particulièrement au rôle des femmes kurdes au Rojava. Elle s'est entretenue avec ANF sur le passé, le présent et l'avenir de ce combat.
Votre récent livre, « La Lutte des Femmes », vient de paraître. Vous y explorez les mouvements de femmes dans différents pays. Comment ce travail a-t-il débuté ?
Je suis originaire du Liban. Je suis née à Beyrouth et j'ai passé la majeure partie de ma vie au Moyen-Orient. Je connais donc très bien les enjeux de la région. Plus tard, j'ai déménagé en Europe pour travailler à la Commission européenne.
Mais j'ai continué à suivre l'évolution politique au Moyen-Orient, en particulier les luttes des femmes dans ces pays. Avec l'émergence de l'État islamique et les changements qui en ont résulté, je me suis montrée de plus en plus curieuse de l'impact de ces transformations politiques sur la vie des femmes.
Avant d'aborder les récents mouvements féministes, j'aimerais aborder le combat historique des femmes au Moyen-Orient. Ce combat est souvent resté dans l'ombre, et on a souvent l'impression qu'il n'a jamais existé. Est-ce vrai ?
Absolument pas. Bien sûr, on ne peut pas dire que toutes les femmes aient participé à ce combat. Mais dans de nombreux cas, lorsque leurs droits sont menacés ou qu'elles sont exclues de la vie publique, elles agissent. Cela est devenu particulièrement visible avec la montée des mouvements extrémistes, notamment de Daech, dans des pays comme la Syrie et l'Irak. Cela a également affecté d'autres pays où des forces extrémistes similaires étaient présentes.
Ces mouvements tentaient d'imposer aux femmes des règles qu'elles refusaient. En conséquence, les femmes se sont soulevées et ont commencé à résister. Bien sûr, on ne peut pas dire que toutes les femmes s'y soient opposées, car certaines se sont ralliées à ces groupes et ont adhéré à leur idéologie, mais elles constituaient une petite minorité.
La majorité des femmes s'opposent à la réduction de leurs droits.
On sait que les femmes ont joué un rôle actif durant la période anticoloniale au Moyen-Orient. Quel rôle ont-elles joué à cette époque ? Y a-t-il eu des mouvements féministes ?
Oui, il y en a eu. Les premiers mouvements de femmes remontent à l'époque du mandat français, au début du XXe siècle. À cette époque, les femmes d'Égypte, du Liban et de Syrie ont commencé à se mobiliser. L'une des premières mesures symboliques qu'elles ont prises pour affirmer leur présence dans la vie publique a été de retirer leur foulard.
Plus tard, elles ont commencé à formuler des revendications, à s'organiser en groupes et à appeler à la participation à différents niveaux. Dans les années 1950, les femmes de nombreux pays du Moyen-Orient ont obtenu le droit de vote. Dans certains cas, cela s'est même produit plus tôt que dans certains pays occidentaux. Elles ont également revendiqué des droits essentiels tels que le droit au travail, le droit à l'éducation, les droits relatifs à leurs enfants et l'accès à certaines professions.
Bien sûr, cela n'a pas été facile. Après l'indépendance, certains pays ont facilité l'accès des femmes à ces droits. Par exemple, au Liban, il existait une certaine liberté dans l'éducation et la vie professionnelle. Mais dans d'autres pays, c'est beaucoup plus difficile.
Dans votre livre, vous mentionnez que les femmes kurdes ont pris les armes pendant la guerre civile pour défendre leurs droits. Pourriez-vous développer ce point ?
Oui. La lutte des femmes kurdes n'est pas récente. Elle remonte bien plus loin, car le peuple kurde dans son ensemble n'a jamais été officiellement reconnu. Lors de la division administrative du Moyen-Orient, les Kurdes ont été répartis entre plusieurs pays, comme la Turquie, l'Irak, l'Iran et la Syrie.
En conséquence, ils n'ont jamais pu s'unir en tant que peuple et établir un État indépendant. Par exemple, après le génocide, les Arméniens ont fondé l'Arménie et obtenu un État. En revanche, les Kurdes n'ont pas été reconnus. Cela est dû en grande partie aux événements survenus en Turquie après la Première Guerre mondiale.
C'est pourquoi la lutte kurde a été longue et continue, et les femmes y ont toujours pris part. Elles ont été reconnues sur un pied d'égalité avec les hommes, ce qui leur a permis d'accéder à l'éducation, de porter les armes et de combattre dans les mêmes conditions que les hommes. La lutte s'est intensifiée lorsque des groupes religieux radicaux sont apparus dans les régions kurdes et ont tenté d'imposer leurs propres lois.
Cette période fut bien plus mouvementée et dure. C'est sur ce point que je me concentre le plus dans mon livre. Les femmes se sont organisées et ont lutté pour leurs droits.
Comment cette forme de résistance des femmes kurdes s'inscrit-elle dans le contexte plus large des luttes féministes au Moyen-Orient ?
Les femmes kurdes ont donné un exemple marquant. Leur lutte ne consistait pas seulement à prendre les armes pour défendre leur peuple, mais aussi à affirmer leur existence en tant que femmes. Bien sûr, je ne peux pas dire que cela s'applique à toutes les femmes. Nous vivons encore dans des systèmes patriarcaux et la domination masculine reste très forte. Cependant, à travers ces soulèvements, les femmes ont voulu être reconnues non seulement comme des combattantes, mais aussi comme des femmes. Elles voulaient participer à la société et partager le pouvoir.
Dans votre livre, vous soulignez que les outils de résistance des femmes varient selon les pays du Moyen-Orient. Quelles formes de résistance avez-vous observées dans les pays étudiés ?
Oui, la situation dans ces pays est très différente. Au Liban, par exemple, les mouvements sont principalement organisés par des structures civiles.
Hormis les périodes de guerre civile, les mouvements de femmes ont rarement pris la forme d'une résistance armée. Les structures qui revendiquent des droits sont principalement des organisations de la société civile. Ces organisations œuvrent sur des questions telles que la lutte contre les violences faites aux femmes, la promotion de leur participation politique et la lutte pour le droit de garde des enfants. En effet, au Liban, le statut personnel des femmes et des hommes n'est pas régi par le droit civil, mais par le droit confessionnel. Chaque secte ou groupe confessionnel possède son propre cadre juridique. Ces cadres étant généralement façonnés par les autorités religieuses, les femmes sont souvent désavantagées. Telle est la situation au Liban.
En Syrie, les femmes ont obtenu des droits au début du régime Baas. Ces droits ont ensuite été quelque peu négligés, mais ils étaient déjà établis dès le début.
Une situation similaire s'est produite en Irak. Cependant, avec l'évolution de la structure sociale et l'instauration de régimes autoritaires ou dictatoriaux, les droits des femmes ont commencé à reculer. Cela les a poussées à s'organiser. Mais s'organiser n'était pas chose aisée, car la liberté d'expression y était extrêmement limitée et l'espace de liberté très restreint. Les femmes ont donc peiné à former des organisations. Elles y sont néanmoins parvenues. La représentation politique, en revanche, était beaucoup plus difficile.
Parmi les Kurdes, je crois que les femmes sont davantage reconnues. Leur présence est plus forte, tant au niveau de la gouvernance que de la direction de la société.
Le mouvement des femmes kurdes, notamment au Rojava, prône une démocratie radicale. Qu'est-ce que cela signifie concrètement pour les femmes dans leur vie quotidienne ?
Comme je l'ai mentionné précédemment, cela ne s'applique pas à la majorité des femmes, car beaucoup vivent encore dans des sociétés rurales fortement patriarcales. Cependant, des mouvements féministes pionniers au sein de la société aspirent au changement, cherchent à instaurer de nouvelles règles, revendiquent plus de liberté et d'autonomie et souhaitent organiser leur propre vie de femme. Ces femmes ne veulent pas rester uniquement dépendantes des structures familiales ou communautaires. Dans nombre de ces régions, les systèmes tribaux sont encore très forts, ce qui rend la situation encore plus difficile pour les femmes. La famille élargie et les réseaux tribaux jouent un rôle central dans la vie quotidienne. Malgré cela, au fil du temps, les femmes ont réussi à revendiquer leur propre espace.
Comment les idées du leader du peuple kurde Abdullah Öcalan ont-elles influencé la position des femmes dans les projets politiques kurdes ?
Je crois que certaines orientations politiques ont grandement bénéficié aux femmes. Lorsque leurs droits et leur rôle dans la société sont reconnus, il leur devient beaucoup plus facile de progresser dans leurs luttes.
Il ne s'agit pas seulement de résistance armée. La résistance civile joue également un rôle important, et il est essentiel de reconnaître la présence des femmes à tous les niveaux de la société, tant au niveau local que régional. En particulier, il reste encore beaucoup à faire au niveau local pour améliorer la situation des femmes en milieu rural.
Je m'intéresse principalement à la manière dont les femmes ont rejoint les luttes armées, et comment elles l'ont fait en réponse à une menace spécifique : les mouvements extrémistes qui cherchaient à les refouler dans les ténèbres du Moyen Âge. Ces idéologies et structures fondamentalistes cherchaient à confiner les femmes au foyer et à les réduire à un rôle défini uniquement par la reproduction, les excluant ainsi de la vie sociale.
Les femmes kurdes ont rejeté cette idéologie réactionnaire. Elles ont riposté non seulement par les armes, mais aussi en prônant une transformation sociale, tentant de changer les mentalités par leur résistance.
Le slogan « Jin, jiyan, azadî » est devenu très populaire ces dernières années. Il a trouvé un écho mondial, notamment après l'assassinat de Jina Amini en Iran. Que souhaiteriez-vous dire sur la résistance des femmes en Iran ?
Certes, la situation des femmes en Iran est extrêmement difficile, mais elles font preuve d'un courage incroyable. Elles sont descendues dans la rue en pleine répression.
L'assassinat de Jina Amini a déclenché un puissant mouvement qui a bénéficié d'un large soutien de la part d'une grande partie de la société. Ce soulèvement est également le résultat d'un régime qui réprime les femmes, les empêche de s'exprimer librement et les contraint à porter le foulard. En Iran, le foulard est un symbole. Il représente l'obéissance et la répression.
Lorsque les femmes retirent leur foulard, cela devient une forme de rébellion. C'était également le cas au début du XXe siècle au Moyen-Orient, notamment en Syrie, en Irak et en Égypte, ou même à l'époque ottomane. Retirer le foulard a longtemps été un symbole de résistance à la soumission et à la domination.
Aujourd'hui, bien que le port du foulard reste obligatoire, les femmes l'ont enlevé et ont dû faire face à une répression sévère. Cette répression brutale a affaibli les manifestations, mais ne les a pas arrêtées. Les femmes continuent de se battre et tentent de faire changer les choses. Mais ce n'est pas facile, car le régime actuel s'est construit sur de nombreuses années et repose sur des fondations très solides. Leur combat est extrêmement difficile, et je leur souhaite beaucoup de courage.
Peut-on dire que les liens entre les mouvements de femmes du Moyen-Orient et ceux d'Occident se sont renforcés ? Existe-t-il vraiment un tel lien ?
Absolument. La lutte des femmes est universelle. La lutte des femmes au Moyen-Orient n'est pas fondamentalement différente de celle des femmes occidentales. Les objectifs sont communs. Même si les problèmes ne sont pas exactement les mêmes, le combat pour les droits est le même.
Partout, les femmes réclament la reconnaissance de leur existence, l'acceptation de leur place dans la société et l'assurance de leur participation sur un pied d'égalité, que ce soit dans la vie professionnelle, politique ou ailleurs. C'est pourquoi je crois que le combat est le même. Il a fallu beaucoup de temps aux femmes pour obtenir des droits en Occident. Au Moyen-Orient, cela prendra peut-être plus longtemps, mais on peut dire que le mouvement se poursuit et progresse, même lentement. On ne peut pas dire qu'il progresse toujours, car les situations peuvent varier. Mais d'un point de vue historique, on peut dire qu'il y a eu des progrès.
Sur le champ de bataille, on constate souvent que les forces d'occupation ciblent délibérément les femmes en priorité, comme au Kurdistan, en Palestine ou en Syrie. Ce ciblage des femmes est-il une stratégie consciente ?
Oui, car affaiblir une société, c'est affaiblir ses femmes et leurs droits. Que font les groupes fondamentalistes radicaux lorsqu'ils arrivent au pouvoir ? Prenons l'exemple des talibans. Ils interdisent aux filles d'aller à l'école, empêchent les femmes de travailler, imposent le port du voile, forcent les mariages d'enfants et empêchent les femmes de quitter leur domicile.
S'attaquer aux femmes revient à faire reculer la société tout entière. Lorsqu'elles sont prises pour cible, le visage de la société change radicalement. Elle cesse de progresser et commence à régresser. Une société équilibrée et progressiste, où chacun peut s'épanouir, n'est possible que si les femmes occupent la place qu'elles méritent. Les femmes jouent un rôle majeur dans l'éducation des enfants et dans la formation des nouvelles générations. Les hommes aussi, bien sûr, mais la contribution des femmes est essentielle. C'est pourquoi la reconnaissance des droits des femmes est vitale pour l'avenir de toute société.
Comme vous le savez, après la chute du régime d'Assad, le groupe djihadiste Hay'at Tahrir al-Sham (HTS/HTC) a pris le contrôle de certaines régions de Syrie. Quelle menace cela représente-t-il pour les femmes syriennes ?
En Syrie, les politiques envers les femmes restent floues et l'incertitude générale persiste dans le pays. Je crois qu'il n'existe toujours pas d'approche claire et cohérente en matière de droits des femmes.
Le pouvoir en place semble disposé à reconnaître les droits des femmes, mais la pression exercée par l'idéologie djihadiste est toujours très présente, et nous ne pouvons l'ignorer. Cette pression persiste. Des contradictions existent également au sein même du pouvoir. Certaines personnes ont exprimé des opinions défavorables aux droits des femmes, tandis que le leader, Ahmed Al-Sharaa (Al-Jolani), semble promouvoir l'idée de construire une société plus progressiste où les femmes pourront jouir de leurs droits. J'espère que des progrès significatifs seront réalisés dans ce sens à l'avenir.
Les droits acquis par les femmes au Rojava peuvent-ils servir d'exemple pour l'avenir des femmes syriennes ?
Oui, je le crois, notamment en ce qui concerne la façon dont les femmes kurdes ont obtenu des droits grâce à la lutte civile, en résistant à l'oppression et en imposant l'obéissance. À cet égard, leurs efforts peuvent servir d'exemple.
Qui est Nelly Jazra ?
Nelly Jazra est une chercheuse et auteure libanaise spécialisée dans les droits des femmes et les dynamiques politiques au Moyen-Orient et dans les pays méditerranéens. Titulaire d'un doctorat en économie, elle travaille comme experte sur divers projets de la Commission européenne.
Nelly Jazra s'intéresse particulièrement aux droits civiques et au rôle des femmes dans la vie politique dans les pays arabes. Elle examine également de manière critique les politiques européennes en matière de genre au Moyen-Orient.
Les œuvres sélectionnées du Dr Nelly Jazra comprennent :
Combats des Femmes
Les Mouvements Sociaux : Liban-Irak-Algérie
Femmes dans les printemps arabes
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Droits et liberté : Les femmes sous les talibans

« Je les ai suppliés, ma fille était en train de mourir » : les règles des talibans en matière d'escorte masculine tuent les mères et les bébés.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/08/droits-et-liberte-les-femmes-sous-les-talibans-autre-texte/?jetpack_skip_subscription_popup
Selon des expert·es, l'obligation pour les femmes d'être accompagnées d'un homme en public bloque l'accès aux soins de santé et contribue à l'augmentation des taux de mortalité.
C'est au milieu de la nuit que Zarin Gul a réalisé que sa fille Nasrin devait se rendre à l'hôpital le plus rapidement possible. Le mari de sa fille était parti travailler en Iran et les deux femmes étaient seules avec les sept enfants de Nasrin lorsque celle-ci, très enceinte de son huitième enfant, a commencé à ressentir de fortes douleurs.
Gul a aidé Nasrin à monter dans un pousse-pousse et elles sont parties dans la nuit. Tenant la main de sa fille tandis que le pousse-pousse cahotait sur le chemin de terre, Gul dit avoir prié pour qu'elles ne rencontrent pas de poste de contrôle taliban.
« Je n'arrêtais pas de penser : si seulement le mari de Nasrin était là. Si seulement je pouvais soulager la douleur de ma fille », dit-elle. Ses prières n'ont pas été exaucées. La petite lampe du pousse-pousse a été repérée par des combattants talibans qui leur ont fait signe de s'arrêter et ont exigé de savoir où elles allaient.
Alors que Gul, effrayée, expliquait que sa fille était malade et avait besoin de soins médicaux urgents, ils ont demandé pourquoi les femmes voyageaient sans escorte masculine, ou mahram. Bien que Gul ait expliqué que le mari de Nasrin travaillait à l'étranger, les combattants ont refusé de les laisser passer et de poursuivre leur voyage jusqu'à l'hôpital.
« Je les ai suppliés, leur disant que ma fille était mourante. Je les ai suppliés de me laisser passer », raconte Gul. « Mais ils ont continué à refuser. En désespoir de cause, j'ai menti et j'ai dit que le conducteur du pousse-pousse était mon neveu et notre tuteur. Ce n'est qu'à ce moment-là qu'ils nous ont laissé passer ».
Lorsqu'ils sont arrivés à l'hôpital, il était trop tard. Le bébé de Nasrin était déjà mort dans son ventre et son utérus s'était édchiér. Les médecins ont dit que Nasrin devait être transférée dans un autre hôpital. Gul a donc aidé sa fille à monter dans un autre rickshaw et elles sont reparties en direction d'un hôpital public situé à une heure de route. En chemin, elles ont été arrêtées à deux autres points de contrôle talibans, et à chaque fois détenues pendant de longues périodes parce qu'elles voyageaient seules.
Elles ont finalement atteint l'hôpital, mais Nasrin n'avait pas survécue au voyage. « Les médecins nous ont dit qu'en raison des saignements excessifs et de la déchirure de l'utérus, le bébé et la mère étaient mort·es », raconte Gul. « Nous les avons enterré·es côte à côte.
The Guardian et Zan Times, une agence de presse afghane, ont interrogé des dizaines de femmes et de professionnel·les de la santé dans plusieurs provinces afghanes. Leurs témoignages dressent le tableau d'un système de santé maternelle et infantile dangereusement compromis et érodé par les politiques draconiennes des talibans à l'égard des femmes.
Leur refus de laisser les femmes se rendre à l'hôpital sans être accompagnées, combiné à l'augmentation du nombre de mariages précoces, à un accès insuffisant aux soins de santé, à des routes peu sûres et à une négligence culturelle de la santé des femmes, contribuera inévitablement à l'augmentation du nombre de décès maternels en Afghanistan, selon les agences de l'ONU.
Même avant l'arrivée au pouvoir des talibans, l'Afghanistan affichait un taux de mortalité maternelle trois fois supérieur à la moyenne mondiale, selon les derniers chiffres officiels de la Banque mondiale datant de 2020.
Les expert·es préviennent que la santé maternelle risque de se détériorer davantage, ce qui est aggravé par la décision des talibans, en décembre 2024, de fermer toutes les formations médicales aux femmes, y compris aux futures sages-femmes.
Selon un rapport de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), 24 mères et 167 nourrissons meurent déjà chaque jour en Afghanistan de causes évitables. On estime que plus de 20 000 villages du pays sont dépourvus de services de santé de base, ce qui affecte 14 millions de personnes.
Un récent rapport d'ONU Femmes estime que d'ici 2026, le risque pour une femme de mourir en couches aura augmenté de 50%.
Le personnel hospitalier des provinces afghanes a rapporté que des femmes ont toujours été empêchées d'accéder aux soins de santé maternelle parce qu'elles n'étaient pas accompagnées d'un homme.
La plupart arrivent dans un état critique, et certaines meurent simplement parce qu'elles ont été amenées trop tard
Un professionnel de la santé de l'hôpital régional Mirwais à Kandahar explique que l'hôpital reçoit des patientes de toute la province de Kandahar, mais aussi des provinces voisines.
« La plupart d'entre elles arrivent dans un état critique et certaines meurent simplement parce qu'elles ont été amenées trop tard. « Certains bébés meurent dans le ventre de leur mère, tandis que d'autres décèdent quelques minutes après leur naissance. Selon le personnel, l'hôpital a enregistré au moins 800 décès maternels et plus de 1 000 décès de nouveau-nés l'année dernière.
« Une jeune femme est arrivée à l'hôpital après avoir accouché dans un taxi », raconte Samina, une sage-femme travaillant dans un hôpital public de Kandahar. « Son bébé était mort en chemin par manque d'oxygène ». Lorsque je lui ai demandé pourquoi elle n'était pas venue plus tôt à l'hôpital, elle m'a répondu : « J'ai dû attendre que mon mari revienne du travail. Je n'avais pas d'autre tuteur masculin ».
Deux femmes ont déclaré au Guardian qu'elles avaient fait une fausse couche parce qu'elles n'avaient pas eu accès aux soins. Une personne interrogée a signalé le décès d'un membre de sa famille pendant l'accouchement.
« Ma sœur est morte hier pendant l'accouchement », raconte Pashtana*, 35 ans, de la province de Kandahar. « Son mari n'était pas à la maison lorsqu'elle a commencé le travail, et elle ne pouvait pas aller seule chez le médecin. »
Pashtana a déclaré que si sa sœur s'était rendue seule à la clinique, « elle n'aurait pas été soignée parce qu'elle n'avait pas de mahram ».
Plusieurs femmes ont déclaré au Guardian qu'elles s'étaient vu refuser des traitements et des ordonnances en l'absence d'un tuteur masculin ou parce qu'elles n'avaient pas la permission d'en avoir un.
« Je ne peux pas voir les médecins ou obtenir des médicaments si je ne suis pas accompagnée de mon fils ou de mon petit-fils », explique Qandi Gul*, une femme de 50 ans qui s'est rendue dans une clinique pour un examen ophtalmologique.
Une femme médecin de la province orientale de Nangarhar déclare : « Depuis la prise du pouvoir par les talibans, les femmes ne vont pas chez le médecin, sauf si la maladie se développe au point d'être insupportable ».
« L'une des raisons est liée aux difficultés financières, mais parfois aussi au fait que les hommes de la famille sont négligents et n'amènent pas la femme chez le médecin plus tôt. Et comme elles ne peuvent pas se déplacer seules, leur état s'aggrave », explique-t-elle.
D'ores et déjà, la pénurie croissante de professionnel·les de la santé et de sages-femmes qualifiées met gravement en danger la vie des femmes et des enfants, en particulier dans les zones rurales où l'on trouve peu de médecin·es qualifié·es.
Les médecin·es interrogés·e par le Guardian ont estimé que « plus de la moitié » de leurs collègues féminines avaient quitté leur emploi, en particulier dans les petites villes et les villages.
« La plupart de mes collègues ont quitté l'Afghanistan, ce qui a gravement affecté le secteur des soins de santé dans le pays », a déclaré le Dr Sima*, qui a choisi de rester avec son mari, également médecin. « Nous sommes toustes deux spécialistes et nous avons réalisé que nous ne pourrions pas faire ce travail à l'étranger ; nous sommes donc resté·es pour servir le pays ».
Une sage-femme de la province de Takhar affirme que les fonctionnaires du ministère taliban chargé de la propagation de la vertu et de la prévention du vice harcèlent et humilient constamment le personnel médical féminin. « Nous faisons de notre mieux pour faire notre travail, mais la pression est insupportable. Beaucoup d'entre nous ont envie de démissionner. Parfois, ils nous insultent en prétendant que nos vêtements sont ‘non islamiques'. »
« Un jour, notre service des urgences a été submergé de patientes. Cette section est réservée aux femmes et les hommes n'y sont pas admis. Mais les talibans ont fait irruption et ont emmené trois infirmières, sous prétexte que leur uniforme n'était pas approprié. Ils leur ont fait signer un engagement à porter des vêtements plus longs avant de les laisser partir. Même dans des situations d'urgence vitale, au lieu de nous laisser soigner les patient·es, ils nous arrêtent à cause de nos vêtements ».
* Les noms ont été modifiés pour protéger l'identité des personnes interrogées et de certains rédacteurs et rédactrices. Une version de cet article a été publiée par Zan Times.
Sana Atif, Freshta Ghani, Ruchi Kumar and Zuhal Ahad
https://www.theguardian.com/global-development/2025/apr/03/i-begged-them-my-daughter-was-dying-how-taliban-male-escort-rules-are-killing-mothers-and-babies
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
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Drone Didi : autonomisation des femmes ou renforcement des inégalités ?

En Inde rurale, où les femmes représentent plus d'un tiers de la main-d'œuvre agricole, une nouvelle initiative est en train de prendre son envol. Le programme Namo Drone Didi, lancé par le gouvernement indien, vise à former 15 000 femmes issues de groupes d'entraide pour qu'elles deviennent pilotes de drones dans le cadre de tâches agricoles telles que la surveillance des cultures, l'épandage de produits agrochimiques et les semailles.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/04/larticulation-des-femmes-decvc-envoie-une-lettre-ouverte-a-hansen-sur-la-position-des-femmes-dans-la-vision-pour-lagriculture-et-lalimentation-autre-texte/?jetpack_skip_subscription_popup
Ce programme, qui s'inscrit dans un effort plus large visant à renforcer l'autonomie économique des femmes rurales, a été salué comme une initiative prometteuse. Mais pour des femmes comme Anita Patel, petite agricultrice de Varanasi, dans l'Uttar Pradesh, la réalité est plus complexe.
« Je suis une petite agricultrice qui doit subvenir aux besoins de sa famille », explique Anita. « Lorsque mon mari est tombé malade, j'ai dû trouver un travail qui me permettait de m'occuper de lui et de nos enfants tout en continuant à gérer notre ferme. Devenir Drone Didi m'a semblé être une bonne opportunité. »
Anita est l'une des premières femmes à participer à ce programme, soutenu par le groupe Mahindra, Garuda Aerospace et l'IFFCO (Coopérative indienne d'engrais agricoles). Grâce à une formation de 10 jours dispensée à l'Institut national de formation professionnelle d'Hyderabad, Anita a appris à piloter des drones, une compétence qu'elle utilise désormais pour pulvériser des biopesticides dans sa propre ferme biologique et des produits agrochimiques dans les fermes voisines.
« Utiliser le drone, c'est mieux que de porter chaque jour 10 litres de pesticides sur mon dos », explique-t-elle. « Mais ce n'est pas facile. La batterie ne dure que 30 minutes et je n'ai pas reçu les batteries supplémentaires promises par le gouvernement. »
Un programme plein de promesses et d'embûches
Le programme Namo Drone Didi s'inscrit dans le cadre d'une initiative plus vaste visant à moderniser le secteur agricole indien, qui emploie près de la moitié de la population active du pays. Les femmes, souvent payées 25% de moins que leurs homologues masculins, assument une part disproportionnée des travaux agricoles. Le programme vise à remédier à ce déséquilibre en offrant aux femmes de nouvelles compétences et de nouvelles possibilités de revenus.
« L'idée est de réduire la charge physique pesant sur les femmes tout en augmentant leurs revenus », explique Gargie Mangulkar, représentante de MAKAAM, un forum national pour les droits des agricultrices. « Mais il y a d'importants défis à relever, qui vont des limites technologiques au risque accru d'endettement. »
Le programme offre une subvention de 80% sur le coût des drones, avec la possibilité de contracter des prêts via le Fonds d'infrastructure agricole pour couvrir les 20% restants. Cependant, l'accès à l'électricité, nécessaire pour recharger les batteries des drones, reste un obstacle majeur dans les zones rurales.
« Dans l'Inde rurale, l'approvisionnement électrique n'est pas fiable », explique Gargie. « En l'absence d'infrastructures adéquates, ces drones pourraient devenir un fardeau plutôt qu'un avantage. »
Les liens troubles avec les multinationales
Le programme Namo Drone Didi est étroitement lié aux intérêts des grandes entreprises. Garuda Aerospace, une startup basée à Chennai, fabrique le Kisan Drone, le principal outil utilisé dans le cadre du programme. De son côté, l'IFFCO et d'autres producteurs d'engrais proposent des formations et des incitations, notamment des scooters électriques gratuits pour les « Drone Didis » enregistrées.
« Ce programme est une contradiction en soi », explique Gargie. « D'un côté, le gouvernement promeut l'agriculture naturelle. De l'autre, il s'associe à des géants de l'agrochimie pour diffuser des pesticides. »
Anita, qui pratique l'agriculture biologique sur ses propres terres, voit bien les deux aspects. « J'utilise des biopesticides dans ma ferme, mais lorsque je suis engagée pour pulvériser dans d'autres fermes, j'utilise les produits chimiques qu'ils me fournissent », explique-t-elle. « C'est un travail et j'ai besoin de ce revenu. »
Si le programme Namo Drone Didi a peut potentiellement autonomiser les femmes rurales, les opposants mettent en garde contre le fait qu'il pourrait également renforcer les inégalités existantes. La transition vers une agriculture numérique, facilitée par des initiatives comme celle-ci, pourrait affaiblir les pratiques agricoles traditionnelles et accroître le contrôle des entreprises sur les petits producteurs et productrices.
« Les drones collectent des données détaillées sur l'utilisation et la productivité des terres », explique Gargie. « Ces données pourraient être exploitées par les entreprises pour dicter les pratiques agricoles, donner la priorité aux profits, voire identifier et acheter les terres les plus productives. »
Pour Anita, le programme lui a offert une bouée de sauvetage, mais il n'est pas sans poser de problèmes. « Je gagne environ 600 roupies (7 dollars des États-Unis) par jour, mais je dois encore faire deux ou trois autres petits boulots pour subvenir aux besoins de ma famille », confie-t-elle. « J'espère que le gouvernement tiendra ses promesses, notamment en ce qui concerne les batteries supplémentaires. Sans elles, il est difficile de joindre les deux bouts. »
Un appel à des alternatives durables
Tandis que le programme Namo Drone Didi s'étend, des organisations comme MAKAAM plaident pour des solutions plus durables. « Les femmes rurales ont besoin de meilleures alternatives », affirme Gargie. « Nous formons les femmes à l'agroécologie, en relançant des pratiques traditionnelles à la fois durables et émancipatrices. Nous avons commencé avec 50 femmes, et, aujourd'hui, environ 300 femmes rurales pratiquent l'agroécologie. »
Pour l'instant, Anita garde espoir. « Ce programme m'a permis de subvenir aux besoins de ma famille tout en restant près de chez moi », dit-elle. « Mais nous avons besoin de plus de soutien : des salaires plus équitables et un meilleur accès aux ressources. Ce n'est qu'à ces conditions que nous pourrons vraiment nous en sortir. »
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Quand des adolescentes résistent

Dans des situations extrêmes, la résistance surgit là où l'attend le moins, dans les pays où la condition des femmes est particulièrement oppressante et le soutien des hommes fait défaut. Et pourtant, un bon nombre d'adolescentes en Afghanistan et en RDC ont trouvé des façons de lutter, certes à une échelle modeste, mais significative.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/29/quand-des-adolescentes-resistent/?jetpack_skip_subscription_popup
S'il fallait cartographier l'enfer, deux de ses pôles se trouveraient en Afghanistan et en République démocratique du Congo (RDC) respectivement et occuperaient la place centrale de la Géhenne réservée aux êtres humains nés de sexe féminin.
A prime abord, les deux pays, montagnes et désert d'un côté, tropiques et forêt vierge de l'autre, n'ont rien en commun. Si ce n'est l'extrême pauvreté des populations gouvernées de part et d'autre par une kleptocratie corrompue, les uns au nom d'une religion dévoyée, les autres, derrière un simulacre de démocratie. Et, à l'est de la RDC et en Afghanistan entier, on retrouve la plus abjecte chosification des femmes.
Dans cette partie du Congo qui regorge des minéraux les plus précieux, le viol sert à la captation des richesses, au pillage organisé des villages et des mines. Le corps des femmes est le champ de bataille suprême où s'affrontent toutes les convoitises- peu importe l'âge, du bébé de quelques mois à l'aïeule, pourvu qu'il y ait un vagin à déchirer, à taillader, à brûler. Comme si le principe de la féminité physique était à anéantir.
Les commanditaires rwandais de ces massacres à échelle gigantesque ont donné carte blanche à ces miliciens les M.23 abrutis par le sang, ivres de violence. C'est à partir de Kigali que tout s'organise avec la connivence cachée d'alliés à Kinshasa, sans la moindre entrave, sans la moindre réaction de la part des instances internationales pourtant habilitées à juger les crimes contre l'humanité. Et cela pour deux raisons principales. Les mines congolaises fournissent la planète en matières premières nécessaires pour notre technologie au quotidien, ordinateurs, téléphones dits intelligents- mais totalement dépourvus de réflexion morale. Repenser la technologie en fonction des conséquences humaines ? Impensable, d'autant que les victimes ne sont, majoritairement « que » des femmes.
Idem pour l'Afghanistan où s'est mis en place un apartheid de genre unique au monde : la moitié de la population, celle née de sexe féminin, est interdite de toute forme d'éducation au-delà d'un niveau primaire rudimentaire, interdite d'accéder à des services de santé, quitte à accoucher dans la rue devant une maternité où on leur refuse l'entrée si elles ne sont pas accompagnées d'un mahram, un proche parent masculin.
Certes quelques groupes occidentaux , s'en émeuvent ça et là, signent des pétitions, font montre de leur indignation. Ce sont souvent des soixantehuitardes plutôt que des jeunes militantes encartées qui se murent dans un silence politiquement correct, comme si mettre en cause le plus féroce des régimes islamistes (et tous les autres qui s'en inspirent) pouvait être taxé d'islamophobie. Et les gouvernements occidentaux (Russie comprise) Turquie et leurs sympathisants européens, eux, se montrent de plus en plus prêts à négocier avec les Talibans, comme si la montée partout des droites extrêmes et de la religion politisée suscitait une sorte de fatalisme qui acquiescerait le pire.
Mais en dépit du silence assourdissant de l'Occident, les adolescentes de l'Afghanistan et de la RDC se rebiffent. Voici deux exemples des plus parlants. A Bukavu dans un quartier pauvre, tous les samedis quand il n'y a pas école, depuis plus de dix ans, on range les tables et les bancs d'une salle de classe pour des cours de self-défense hebdomadaires destinés à des filles scolarisées de 6 à 18 ans. Quand les M23 sont venus occuper la villeen février dernier, les habitants étaient terrorisés par les agressions, les batailles en pleine rue, les vols à main armée. Mais au bout de 10 jours, ces petites guerrières en herbe, Pépé Macumu, leur vénérable prof et karateka chevronné, sans oublier l'infatigable Semy [1] qui les encadre ont décidé vaillamment de reprendre les cours – même si des cadavres jonchent les rues.
Bien entendu, leurs efforts peuvent paraître dérisoires en face de la brutalité des miliciens armés jusqu'aux dents, mais ces très jeunes filles auront toujours la dignité pour elles, le sentiment de leur propre valeur en tant que femmes. Dans ce microcosme urbain, la priorité a été donnée à la volonté de résister, de dire ‘non'. C'est le « no pasarán » des adolescentes congolaises.
Leur exemple inspire, puisque leDr Mukwege , prix Nobel de la Paix a voulu que de pareils cours aient lieu dans sa clinique, la fameuse clinique Panzi située également à Bukavu, où sont opérées les victimes de viols les plus brutaux.
A des milliers de kilomètres, en Afghanistan, leurs contemporaines résistent d'une autre façon : en étudiant. Emmurées chez elles par les Talibans, interdites de sortir, de chanter, de parler tout haut, elles ont été gommées, comme leurs aînées, de l'espace public, de la rue, des transports, en bref de la vie. Un pays sans femmes visibles où la moitié de la population est réduite à sa faculté domestique comme du bétail, labeur et reproduction.
Il existe des zones tribales pachtounes où les propriétaires tatouaient de la même façon « leurs » femmes et leurs vaches. La différence, c'est que cette pratique a été élevée au stade de dogme religieux par le régime taliban et s'exerce non pas directement sur le corps, mais par l'abolition de toute forme de droit et d'autonomie. Le corps féminin, voilé, entravé, naît marqué.
Mais ces jeunes filles se rebiffent. Des écoles secrètes se sont ouvertes partout dans le pays, gérées le plus souvent par des étudiantes qui avaient été en fin de cursus universitaire avant que toutes les facultés ne leur soient fermées. L'offre est variable, ce sont souvent des cours de tout genre, en fonction de que les enseignantes peuvent offrir. Pour celles qui peuvent se le permettre, des cours en ligne, parfois donnés à partir de l'étranger : encore faut-il pouvoir s'assurer d'une connexion internet et des moyens pour la payer, ainsi qu'une tablette et un téléphone.
Plus rarement, à l'instar de la scolarité mise en place par deux associations en France [2] qui travaillent ensemble, le programme scolaire entier, collège et lycée est proposé. Ici des adolescentes se rendent dans des classes secrètes, prenant des risques inouïs, pour apprendre, pour étudier, pour imaginer un avenir qui leur appartiendrait. Leurs jeunes enseignantes partagent ces risques dans une lutte certes inégale, contre le monolithe islamiste bien armé, bardé de technologie de surveillance. Mais ce que les Talibans ignorent, c'est que c'est ici que se forme la génération des femmes instruites qui les remplacera un jour si elles reçoivent le soutien qu'elles méritent
Au Congo, en Afghanistan, ces adolescentes luttent pour demeurer le sujet de leur propre histoire et non l'objet de celles de volontés (masculines hélas) arbitraires. Sans même se rendre compte de leur héroïsme, elles font partie des rarissimes résistantes de notre époque. A nous qui observons aussi mollement la montée de régimes autoritaires, voire totalitaires d'en tirer une leçon.
Pour tout renseignement sur le self-défense en RDC ou la scolarité secrète en Afghanistan, contacter : info@femaid.org
[1] Femaid (www.femaid.org)et Nayestane (www.nayestane.org)
[2] Association Afia-Fev, Bukavu
Carol Mann
Sociologue spécialisée dans la problématique du genre et conflits armés, activiste, chercheuse associée au LEGS (Paris 8), directrice de ‘FemAid'et ‘Women in War'.
https://blogs.mediapart.fr/carol-mann/blog/210425/quand-des-adolescentes-resistent-0
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Les enfants volés de l’Ukraine : Un appel à l’action

Dans l'ombre de la guerre, une crise humanitaire dévastatrice se déroule en Ukraine, ciblant les plus vulnérables de la nation. Depuis l'invasion russe, les enfants ukrainiens sont au centre d'une stratégie génocidaire calculée visant à détruire l'avenir de l'Ukraine en tant que nation.
25 avril 2025 | tiré du site entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/25/les-enfants-voles-de-lukraine-un-appel-a-laction/#more-93270
L'enlèvement et le déplacement forcés d'enfants ukrainiens appellent à une solidarité mondiale urgente pour identifier, localiser et sauver de la captivité russe les enfants ukrainiens qui ont été volés.
L'ampleur de la crise
Les chiffres racontent une histoire effrayante. Depuis le début de la guerre en 2014 et son escalade avec l'invasion totale de la Russie en 2022, on estime que 1,6 million d'enfants ukrainiens ont été touchés. Ce chiffre stupéfiant représente environ 20% de la population enfantine du pays. Ces enfants se sont vu voler leur vie, arrachés à leur foyer et à leur famille, dépouillés de leur identité et soumis à des traumatismes inimaginables.
Au cours des premiers mois de l'invasion, les autorités ukrainiennes ont recensé 19 546 cas d'enfants enlevés de force. Toutefois, l'ampleur réelle de la crise pourrait être bien plus importante. Le strict black-out de la Russie sur l'information dans les territoires occupés a rendu presque impossible la vérification du nombre exact d'enfants qui ont été transférés de force ou de leur situation actuelle.
Les responsables russes ont donné des indications troublantes sur l'ampleur des enlèvements. Selon les déclarations, plus de 700 000 enfants ukrainiens ont été transférés en Russie, ce qui dépasse de loin les estimations précédentes. Nombre de ces enfants sont désormais confrontés à une sombre réalité : endoctrinement, abus et même entraînement militaire forcé.
Privés d'identité et de citoyenneté
Beaucoup de ces enfants ont perdu leurs parents à cause de la guerre, ce qui les rend vulnérables et les prive de tout soutien. N'ayant pas accès aux recours juridiques prévus par le droit ukrainien ou international, ils sont pris au piège dans des circonstances désastreuses. Leur citoyenneté, leur identité et leurs liens familiaux sont systématiquement effacés, ce qui les laisse isolés et sans défense.
Les méthodes d'exploitation
Les crimes commis à l'encontre de ces enfants sont délibérés et multiformes. Ils visent à les dépouiller de leur héritage ukrainien et à les assimiler à la société russe. Ces atrocités se manifestent de plusieurs manières :
– L'endoctrinement et le nettoyage ethnique : Le régime russe a remanié le système éducatif dans les territoires occupés afin de rééduquer les enfants ukrainiens par la peur et la pression. En réécrivant l'histoire, en remplaçant les livres ukrainiens par des ouvrages russes et en niant l'existence de l'Ukraine, il vise à effacer l'identité nationale des enfants. Cette destruction culturelle systématique est la pierre angulaire de leur stratégie.
– Militarisation : Les garçons ukrainiens, dès l'âge de 12 ans, sont envoyés de force dans des académies militaires russes. Même dans les écoles des territoires occupés, des cours spécialisés les endoctrinent dans le système militaire russe. Contre leur gré, ces enfants sont formés pour devenir de futurs soldats, prêts à se battre contre leur propre patrie.
– Adoption forcée : De nombreux enfants sont placés dans des orphelinats russes ou adoptés de force par des familles russes. Cette coupure avec leurs racines ukrainiennes garantit que leur lien avec leur héritage est définitivement rompu.
– Traite et exploitation des êtres humains : Lorsque les noms et les dates de naissance des enfants sont modifiés, il devient pratiquement impossible de les retrouver. Cela les rend vulnérables à la traite des êtres humains en Russie, où des preuves indiquent des cas d'exploitation sexuelle, d'abus et de travail forcé.
Une violation manifeste du droit international
Les actions de la Russie ne sont pas seulement moralement répréhensibles, elles constituent également une violation flagrante du droit humanitaire international. Les conventions de Genève interdisent explicitement le transfert forcé ou la déportation de civils des territoires occupés. Des articles spécifiques traitent des droits des enfants, soulignant le besoin de soins appropriés, d'éducation et de réunification familiale, autant d'éléments qui sont systématiquement refusés.
Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) qualifie ces actes de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre. La déportation forcée, en particulier lorsqu'elle s'inscrit dans le cadre d'une attaque systématique contre une population civile, répond aux critères de ces crimes graves. En ciblant les enfants, l'avenir même de l'Ukraine, la campagne russe témoigne d'une intention génocidaire, visant à effacer l'identité culturelle d'une nation et à saper sa souveraineté.

La stratégie cruelle derrière les enlèvements
L'enlèvement et l'assimilation forcée des enfants ukrainiens font partie d'une stratégie délibérée et sinistre. L'objectif de la Russie est d'effacer la culture ukrainienne en coupant les liens des enfants avec leur héritage, leur langue et leur famille. Pour ce faire, elle recourt à l'endoctrinement, à la militarisation et même à l'adoption forcée.
Le coût humain
Derrière ces chiffres stupéfiants se cachent des histoires individuelles de déchirement et de résilience. Beaucoup de ces enfants ont perdu leurs parents à cause de la guerre, ce qui les prive de tout recours légal et de tout moyen de s'échapper. Ils subissent des violences physiques et psychologiques, et certains risquent d'être victimes de la traite ou de l'exploitation.
Les conséquences psychologiques sont incommensurables. Les enfants qui sont endoctrinés dans la société russe sont confrontés à une crise d'identité qui peut prendre des années, voire des générations, à guérir. Ils sont non seulement privés de leur famille et de leur culture, mais aussi du sentiment de sécurité et d'appartenance que tout enfant mérite.
Pourquoi il faut y mettre un terme
L'enlèvement d'enfants ukrainiens par la Russie n'est pas seulement une crise humanitaire, c'est une stratégie aux implications considérables. En ciblant la prochaine génération d'Ukrainien·nes, la Russie cherche à affaiblir la résistance du pays et à compromettre son avenir en tant que nation souveraine.
Les motivations démographiques qui sous-tendent cette campagne ne peuvent être ignorées. La baisse du taux de natalité en Russie et le vieillissement de la population ont créé un besoin désespéré de jeunes. En déplaçant de force les enfants ukrainiens, la Russie tente de résoudre sa propre crise démographique aux dépens de l'avenir de l'Ukraine.
Cette stratégie rappelle étrangement les pratiques coloniales, où les enfants étaient arrachés à leur culture d'origine et assimilés aux sociétés dominantes. L'histoire nous a montré l'impact dévastateur à long terme de telles actions sur les individus et les communautés.
Se mobiliser pour la solidarité
Une action décisive est nécessaire pour ramener les enfants ukrainiens volés chez eux et garantir leur sécurité et leur bien-être.
Réunir les enfants ukrainiens volés avec leurs familles est plus qu'une mission humanitaire : c'est un combat pour la justice, la préservation de la culture et l'avenir de l'Ukraine en tant que nation.
Les enfants ukrainiens ne peuvent pas attendre. Il est temps d'agir.
À l'occasion de la Journée internationale de l'enfance, une marche pour les enfants d'Ukraine a été organisée à Londres pour réclamer la liberté des enfants enlevés par la Russie et la liberté de l'Ukraine face à l'occupation.
Lancée par Ukraine Solidarity Campaign, Campaign for Ukraine, Vsesvit et d'autres organisations ukrainiennes, conjointement avec les syndicats nationaux GMB, ASLEF, NUM et PCS, cette marche est un appel à l'action lancé au mouvement syndical et à l'ensemble de la société civile pour qu'ils prennent clairement position en faveur de la justice pour les enfants victimes de l'impérialisme et du fascisme russes.
Christopher Ford, secrétaire de la campagne de solidarité avec l'Ukraine
https://ukrainesolidaritycampaign.org/2025/04/21/ukraines-stolen-children-a-call-to-action/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
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Une Ukraine démocratique et socialiste, et le droit à l’autodétermination pour toutes les nationalités opprimées

L'impérialisme russe est l'agresseur. Nous condamnons sans équivoque l'agression russe contre l'Ukraine.
26 avril 2025 | tiré du site entre les ligne entre les mots.
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/26/une-ukraine-democratique-et-socialiste-et-le-droit-a-lautodetermination-pour-toutes-les-nationalites-opprimees/#more-92909
Au-delà de toutes les discussions sur le caractère d'extrême droite du régime ukrainien, sur ses relations avec les néo-nazis ou avec l'OTAN, il existe certaines vérités fondamentales. L'Ukraine a été une nation opprimée sous la Russie tsariste, qui niait la spécificité de la langue et de la culture ukrainiennes. Même après la Révolution de février, les démocrates bourgeois ukrainiens avaient trouvé peu de soutien à Petrograd de la part du gouvernement provisoire russe. C'est le Parti bolchevique qui a inscrit le slogan du droit de toutes les nations opprimées à l'autodétermination. Ils ont accepté ce principe pour la Finlande, ainsi que pour l'Ukraine. Même lors des discussions de Brest-Litovsk, la délégation bolchevique de la Russie soviétique a reconnu le droit de l'Ukraine à l'autodétermination, tout en insistant sur le fait que les régimes fantoches mis en place par une puissance impérialiste n'étaient pas l'expression d'une véritable autodétermination.
En ce sens, Vladimir Poutine, qui cherche à étendre le pouvoir et l'autorité de l'impérialisme russe, a absolument raison de souligner que l'Ukraine moderne a été créée par Lénine et les bolcheviks. Cela a toutefois été nié par les répressions de l'ère stalinienne, la violence exercée contre les Tatars de Crimée, la terrible famine et les politiques assimilationnistes staliniennes en général.
Comme l'a clairement indiqué Poutine dans son discours, « Il est logique que la Terreur rouge et un glissement rapide vers la dictature de Staline, la domination de l'idéologie communiste et le monopole du Parti communiste sur le pouvoir, la nationalisation et l'économie planifiée – tout cela a transformé les principes de gouvernement formellement déclarés mais inefficaces en une simple déclaration. En réalité, les Républiques de l'Union n'avaient aucun droit souverain, aucun. » Il a toutefois regretté que « C'est vraiment dommage que les fondements fondamentaux et formellement juridiques de notre État n'aient pas été rapidement nettoyés [par Staline] des fantasmes odieux et utopiques [de Lénine] inspirés par la révolution, qui sont absolument destructeurs pour tout État normal. »
Poutine ne considère pas le conflit avec l'Ukraine comme un conflit international. Il veut faire revivre les ambitions impériales de la Russie, et l'Ukraine y occupe une place majeure. En tant que deuxième plus grande république de l'ex-URSS, elle occupait un espace considérable. L'impérialisme russe a été créé à partir de l'ancienne bureaucratie stalinienne. Vladimir Poutine, avec ses références d'ex-KGB, résume parfaitement cette transition. La Russie a connu une transition douloureuse vers le capitalisme et a donc émergé comme un impérialisme plus faible que celui des États-Unis. Mais c'est néanmoins un impérialisme.
L'ancienne Union soviétique s'est désintégrée et, bien que Moscou veuille affirmer son hégémonie partout, elle a été contrainte de procéder par petites étapes, car d'autres puissances impérialistes, ainsi que les ambitions nationales des nations autrefois dominées, constituent des obstacles. Néanmoins, Poutine a été implacable dans sa marche, tant sur le plan intérieur qu'international.
En Russie, les voix de l'opposition ont été étouffées, les médias sont contrôlés par l'État, et Poutine et ses acolytes exercent une autorité présidentielle ininterrompue depuis une génération. Sur le plan international, en 2008, pour empêcher la Géorgie d'adhérer à l'OTAN, Poutine (qui dirigeait alors depuis le bureau du Premier ministre derrière Dmitri Medvedev) a envahi son territoire. Une justification ténue a été invoquée en citant le soutien à la sécession des provinces d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud, que Poutine a encouragées à revendiquer leur indépendance. En 2014, craignant que la Russie ne se retrouve encerclée si l'Ukraine rejoignait l'OTAN, Poutine a envahi et pris le contrôle de la Crimée. Ce faisant, il a violé l'accord de Budapest de 1994, dans lequel l'Ukraine renonçait au troisième plus grand arsenal nucléaire en échange d'assurances de sécurité inscrites dans un traité garantissant que son intégrité territoriale et sa souveraineté seraient pleinement respectées par les puissances étrangères, notamment la Russie. L'Ukraine espérait expressément prévenir les interventions militaires illégales.
Poutine est également intervenu militairement la même année dans les régions de Donetsk et de Louhansk, dans l'est de l'Ukraine, encourageant les groupes séparatistes à déclarer leur indépendance. Contrairement à la Crimée, où les Russes ethniques sont légèrement majoritaires, dans la région orientale du Donbass, la majorité est constituée d'Ukrainiens russophones, tandis que les Russes ethniques représentent environ 40% de la population de la région. Dans les deux cas, la Géorgie et l'Ukraine, Poutine pensait que les États-Unis étaient trop faibles pour l'affronter. En 2008, les États-Unis étaient enlisés dans la crise irakienne qu'ils avaient eux-mêmes brutalement provoquée, et en 2014, après avoir reconnu leur échec à atteindre tous leurs objectifs, ils ont retiré presque toutes leurs troupes d'Irak, se retrouvant avec une résurgence partielle de la paralysie militaire de l'après-guerre du Vietnam. Le fait que les États-Unis se soient finalement retirés d'Afghanistan en abandonnant leur gouvernement fantoche et n'aient guère fait plus que d'exprimer leur mécontentement face à l'envoi de troupes russes au Kazakhstan en janvier de cette année pour soutenir le régime autoritaire a bien pu figurer dans les calculs de Poutine.
L'Ukraine post-soviétique : un régime oligarchique
Compte tenu de la récente agression de la Russie, pourquoi en sommes-nous arrivés au point de cette nouvelle invasion à grande échelle ? Après tout, la guerre de 2014-15 sur le Donbass a entraîné la mort de milliers de personnes. Plus de 150 000 personnes ont été chassées de leur foyer. Pour commencer une analyse des développements récents, nous devons revenir aux manifestations de Maïdan en 2014. À leur tour, pour les comprendre, nous devons remonter aux fondements de l'Ukraine indépendante, à la montée de l'oligarchie, ainsi qu'à la faiblesse de l'économie ukrainienne malgré son extraordinaire richesse en ressources, qui agit comme un aimant pour les intérêts impérialistes concurrents.
La constitution ukrainienne de 1996, approuvée sous la présidence de Koutchma, a donné au président plus de pouvoirs qu'au parlement, mais pas dans la même mesure qu'en Russie : il s'agissait d'une république présidentielle-parlementaire, plutôt que d'une république purement présidentielle. Cela a également été un facteur très important dans l'évolution du système politique. Les élections présidentielles n'étaient pas des concours où le gagnant prenait tout, comme dans de nombreux autres pays ex-soviétiques.
Avec l'aide de l'État, des personnalités comme Rinat Akhmetov, Ihor Kolomoïsky, Viktor Pintchouk et Viktor Ianoukovitch ont acquis d'anciennes industries soviétiques à des prix bradés, puis ont réalisé d'énormes fortunes, non pas tant en investissant ou en modernisant, mais en les utilisant pour faire de l'argent rapidement, en transférant leurs capitaux à Chypre ou dans d'autres paradis fiscaux. Pendant de nombreuses années, Leonid Koutchma et son Premier ministre, Viktor Ianoukovitch, ont également réussi à maintenir un équilibre sur la question de l'intégration dans la sphère économique européenne ou russe, sans se tourner de manière décisive ni vers l'Ouest ni vers l'Est. Cela a protégé les oligarques ukrainiens, les empêchant d'être engloutis par des concurrents russes ou européens plus puissants. Il convient également de souligner que les oligarques ont pu jouer un rôle différent dans le système politique de celui de leurs homologues russes : ici, l'État a été incapable de les dominer et de les exclure de la participation comme l'a fait Poutine.
Le résultat final des manifestations à grande échelle de 2004, baptisées « Révolution orange », n'a vu aucun changement structurel, mais seulement un simple changement d'élites oligarchiques. Les troubles ont éclaté en raison de manipulations illégales, de corruption et de fraudes électorales (auxquelles la Commission électorale centrale a participé) en faveur de Ianoukovitch contre l'autre principal candidat, Viktor Iouchtchenko, lors du second tour de l'élection présidentielle de cette année-là. La Cour suprême ukrainienne a statué en faveur d'un nouveau vote, remporté par Iouchtchenko, ancien Premier ministre entre 1999 et 2001. Le président Koutchma ne pouvait légalement pas se représenter au-delà des deux mandats qu'il avait déjà effectués. De toute façon, sa réputation et sa crédibilité avaient été fatalement entachées par un scandale majeur antérieur, lorsque des preuves irréfutables ont révélé qu'il avait ordonné l'enlèvement d'un journaliste. En 2004, des amendements constitutionnels ont été adoptés par le Parlement pour équilibrer le système vers une présidence plus parlementaire. Comme la fonction de président avait désormais moins d'importance, Koutchma a accepté de cesser de soutenir Ianoukovitch.
Après sa victoire, le discours nationaliste anticommuniste de Iouchtchenko n'a pas pu empêcher sa popularité de s'effondrer, enlisé comme il l'était dans la corruption avec des oligarques favorisés. Il était également uniquement préoccupé par des manipulations politiques – dissolution du Parlement, révocation des membres de la Cour constitutionnelle pour imposer sa volonté – plutôt que par les difficultés d'une économie profondément instable. Celle-ci dépendait des fluctuations des recettes d'exportation et des investissements, les prix des métaux baissant, les niveaux d'inflation augmentant et le taux de croissance chutant de 12% en 2004 à 3% en 2005. Avec l'avènement de la Grande Récession et la chute de la croissance à 0,1% en 2008 et à -2,9% en 2009. Iouchtchenko a été évincé lors des élections de 2010, arrivant en cinquième position avec seulement 5,45% des voix. Aujourd'hui encore, le revenu par habitant de l'Ukraine est inférieur à ce qu'il était en 1991, tandis que sa population est passée de 50 millions à l'époque à 41 millions aujourd'hui.
Élu président en 2010, Ianoukovitch a tenté de revenir à la constitution de 1996. Cela signifiait également que la moitié des députés de la Rada (le parlement ukrainien) seraient élus dans des circonscriptions au scrutin uninominal à un tour, et l'autre moitié à partir de listes de partis. En plus de tenter de monopoliser le pouvoir politique, Ianoukovitch a essayé de concentrer le pouvoir financier et économique autour de sa propre équipe, en particulier sa famille. Le résultat a été une énorme corruption personnalisée ainsi que l'aliénation et la dissidence d'une multitude d'autres oligarques.
L'annonce faite par Ianoukovitch le 21 novembre 2013 qu'il suspendrait les négociations sur l'accord d'association avec l'UE a été le déclencheur initial des manifestations qui ont finalement conduit à sa chute. Pourtant, ce destin n'était pas préétabli. L'Ukraine était assez également divisée, environ 40% étant en faveur de la signature de l'accord d'association et 40% soutenant un accord avec l'Union douanière eurasienne dirigée par la Russie. Ainsi, lorsque les manifestations ont commencé, il ne s'agissait définitivement pas d'une révolte populaire à l'échelle nationale.
Pourquoi cela importerait-il tant, que ce soit pour l'UE ou pour la Russie ? Cela peut s'expliquer lorsque nous examinons l'économie ukrainienne. C'est le deuxième plus grand pays d'Europe par sa superficie et il compte plus de 40 millions d'habitants, soit 6 millions de plus que la Pologne.
* L'Ukraine se classe comme :
1re en Europe pour les réserves prouvées récupérables de minerais d'uranium ; 2e en Europe et 10e au monde en termes de réserves de minerai de titane ; 2e au monde en termes de réserves explorées de minerais de manganèse (2,3 milliards de tonnes, soit 12% des réserves mondiales) ; 2es plus grandes réserves de minerai de fer au monde (30 milliards de tonnes) ; 2e en Europe en termes de réserves de minerai de mercure ; 3e en Europe (13e au monde) pour les réserves de gaz de schiste (22 billions de mètres cubes) 4e au monde par la valeur totale des ressources naturelles ; 7e au monde pour les réserves de charbon (33,9 milliards de tonnes)
* L'Ukraine est un important pays agricole. Elle se classe comme :
1re en Europe en termes de superficie de terres arables ; 3e au monde par la superficie de terre noire (25 % du volume mondial) ; 1re au monde pour les exportations de tournesol et d'huile de tournesol ; 2e au monde dans la production d'orge et 4e pour les exportations d'orge ; 3e plus grand producteur et 4e plus grand exportateur de maïs au monde ; 4e plus grand producteur de pommes de terre au monde ; 5e plus grand producteur de seigle au monde ; 5e au monde dans la production apicole (75 000 tonnes) ; 8e au monde pour les exportations de blé ; 9e au monde dans la production d'œufs de poule ; 16e au monde pour les exportations de fromage.
* L'Ukraine est un important pays industrialisé
:
1re en Europe dans la production d'ammoniac ; 2e système de gazoducs d'Europe et 4e au monde ; 3e plus grande en Europe et 8e au monde en termes de capacité installée de centrales nucléaires ; 3e en Europe et 11e au monde en termes de longueur du réseau ferroviaire (21 700 km) ; 3e au monde (après les États-Unis et la France) dans la production de localisateurs et d'équipements de localisation ; 3e plus grand exportateur de fer au monde 4e plus grand exportateur de turbines pour centrales nucléaires au monde ; 4e fabricant mondial de lance-roquettes ; 4e place au monde dans les exportations d'argile 4e au monde pour les exportations de titane 8e au monde pour les exportations de minerais et de concentrés ; 9e au monde pour les exportations de produits de l'industrie de la défense ; 10e plus grand producteur d'acier au monde (32,4 millions de tonnes).
Au-delà de toute revendication d'autodétermination ou d'État tampon, il devrait maintenant être clair pourquoi les deux blocs impérialistes voulaient l'Ukraine. Et l'UE, avec son offre « simplement » économique, était dangereuse pour une Russie encore incapable de rivaliser industriellement avec l'Occident et qui considère l'expansion de son économie d'exportation déjà basée sur l'extraction comme sa meilleure voie à suivre.
L'Euromaïdan et après
Au début, le mouvement Euromaïdan de novembre 2013 à février 2014 était principalement composé de Kiéviens de la classe moyenne et d'étudiants, qui étaient principalement motivés par une idéologie européenne. Il y avait également une forte composante nationaliste anti-russe. En fait, toute idée d'une Ukraine construite sur une base nationaliste plutôt que démocratique devrait intégrer un certain degré d'anti-russisme. Les manifestations de Maïdan ont posé le choix entre l'accord d'association avec l'UE et l'Union douanière dirigée par la Russie en des termes très tranchés, presque civilisationnels : l'Ukraine est-elle avec l'Europe ou avec la Russie ? Va-t-elle s'aligner sur Poutine, Loukachenko (Biélorussie) et Nazarbaïev (Kazakhstan) ou n'avoir rien à voir avec eux ?
Cependant, indépendamment de cela, les manifestations de Maïdan étaient dès le début des mouvements de grande ampleur. Les toutes premières manifestations ont rassemblé 50 000 personnes ou plus à Kiev. Le 30 novembre, il y a eu une répression du mouvement. Les chaînes de télévision, appartenant aux oligarques qui soutenaient Ianoukovitch, ont soudainement montré la répression sous un mauvais jour. La manifestation tenue à Kiev le 1er décembre a été énorme, avec jusqu'à 200 000 personnes présentes. Le mouvement s'est également étendu géographiquement : il y avait des Maïdans dans presque toutes les villes. Il y avait une présence considérable d'extrême droite, qui comprenait des néo-fascistes, mais les manifestations étaient loin d'être uniquement néo-fascistes. En réalité, seule une infime minorité des manifestants présents aux rassemblements étaient d'extrême droite. Cependant, ils ont agi de manière unie et ont réussi à intégrer leurs slogans.
Après cette explosion initiale, il y a eu une intensification et une propagation. À partir de la mi-janvier, les manifestations semblaient entrer dans une troisième phase. Les négociations entre le gouvernement et l'opposition se sont poursuivies alors même que la violence s'intensifiait, jusqu'à l'éviction de Ianoukovitch le 22 février 2014. Le tournant majeur a peut-être été les tirs de tireurs d'élite sur les manifestants dans le centre de Kiev les 18, 19 et 20 février. Il y a eu un autre développement important le 18 février dans l'ouest de l'Ukraine, où les manifestants ont commencé à attaquer des postes de police et à piller leurs arsenaux, s'emparant d'armes en grande quantité. Cela s'est produit à Lviv, à Ternopil, à Ivano-Frankivsk et dans de nombreuses autres régions.
Cette évolution a radicalement changé la situation. La police anti-émeute était prête à disperser les manifestants lorsque ces derniers étaient armés de bâtons, de pierres et de cocktails Molotov, mais ils n'étaient pas prêts à mourir pour Ianoukovitch. Après le 18 février, les parties occidentales de l'Ukraine étaient sous le contrôle des manifestants, qui occupaient les bâtiments administratifs, les postes de police et les sièges des services de sécurité. Dans certains endroits, la police a tiré sur les manifestants, mais dans de nombreuses régions, elle est partie sans offrir beaucoup de résistance.
Le gouvernement Ianoukovitch est tombé fin février. Poutine, et une partie de la gauche qui voit en Poutine son rêve de résistance continue à « l'impérialisme » (identifié uniquement avec les États-Unis ou l'Occident), ont affirmé à plusieurs reprises que ce qui s'est passé était un coup d'État fasciste. Un « coup d'État » suggère une conspiration planifiée et organisée pour prendre le pouvoir, ce qui était loin d'être le cas. De plus, l'extrême droite n'était qu'une composante du gouvernement qui est arrivé au pouvoir. Enfin, l'hypothèse selon laquelle l'extrême droite était un outil de l'impérialisme américain ignore les dynamiques internes et traite tous les conflits nationaux dans une version de gauche des théories géostratégiques qui se concentrent, à un degré déraisonnable, uniquement sur les rivalités des grandes puissances.
Quoi qu'il en soit, l'annexion russe de la Crimée a donné d'énormes avantages au nouveau gouvernement, puisqu'il a gagné beaucoup de légitimité et a pu reléguer les questions sociales au second plan, en mettant l'accent sur « l'unité nationale » contre l'agression étrangère.
Craignant un mouvement social et politique russe comme Maïdan, Poutine a décrit le régime post-Ianoukovitch à Kiev comme dominé par des fascistes anti-russes, déformant la réalité afin de légitimer son annexion de la Crimée et le soi-disant besoin de « protéger » les populations russophones. Alors que les « Ukrainiens » étaient souvent identifiés aux « fascistes », la « guerre hybride » instrumentalisée par Moscou dans l'est de l'Ukraine pour déstabiliser le virage du pays vers les institutions occidentales a transformé la vie politique en Ukraine. Elle a eu pour effet d'accroître la haine et la rhétorique hystérique de vengeance qui a été utilisée par les élites dirigeantes dans tout le pays comme excuse pour leur politique antisociale. Les secteurs de la gauche qui voient dans Maïdan une conspiration américaine/OTAN étiquettent ainsi effectivement tous les Ukrainiens comme fascistes et les russophones comme progressistes. En fait, ce qui s'est passé depuis 2015 est très différent. Certes, Volodymyr Zelensky n'est pas un radical et n'avait pas de programme positif. Mais le triomphe électoral de ce comédien de télévision reflétait un moment où les Ukrainiens tentaient de rejeter l'oligarchie. Avec 73% des voix, il a remporté une victoire écrasante. En fait, cependant, il y a eu simplement une reconfiguration des oligarques.
Le rétablissement du statut de la culture et de la langue ukrainiennes fait inévitablement partie du projet de souveraineté et d'identité nationale pour des raisons historiques et géopolitiques actuelles. D'une certaine manière, l'agression de la Russie et les fréquentes remarques du Kremlin sur l'Ukraine en tant que non-pays et non-culture ont également contribué à promouvoir une dangereuse binarité d'opposition supposément inéluctable entre le nationalisme ukrainien et le nationalisme russe dans un pays où presque tout le monde peut lire et comprendre le russe, où 70% de la population, y compris un grand nombre d'Ukrainiens, peuvent également le parler, et où l'ukrainien est la langue de l'État tandis que le russe domine le marché des biens et produits culturels. Leur séparation complète est impossible en raison de leur entrelacement historique intime, et l'avenir de la langue ukrainienne et de la culture qui lui est liée doit être construit sur ses propres termes, en embrassant la multi-ethnicité et le multiculturalisme de la nation.
Nous devons également considérer que la République populaire de Donetsk et la République populaire de Lougansk, les régimes soutenus par la Russie, ont montré une hostilité claire envers tout multiculturalisme. L'un des premiers actes des Russes en Crimée et dans le Donbass a été de remplacer les panneaux multilingues par des panneaux uniquement en russe. L'Ukraine, au moins, dispose d'un système où la langue minoritaire doit être officiellement soutenue dans une municipalité si le nombre de locuteurs dépasse un certain niveau (10%) ; et il y a d'autres langues comme le hongrois, le roumain, le polonais, le tatar.
Rétablir une langue et une culture qui ont été historiquement réprimées est important et nécessaire, mais cela exige également un équilibre vis-à-vis du russe et des expressions culturelles connexes. Mais Porochenko, le président avant Zelensky, voulait aller au-delà en poussant une ligne anti-russe plus agressive. Cependant, l'inverse est également vrai. Ceux qui veulent blâmer les Ukrainiens pour l'invasion de Poutine doivent se rappeler à nouveau sa propre position. Dans son discours présidentiel aux citoyens russes le 21 février, les préparant à l'invasion, il a déclaré : « Je tiens à souligner à nouveau que l'Ukraine n'est pas seulement un pays voisin pour nous. C'est une partie inaliénable de notre propre histoire, culture et espace spirituel. »
De telles diatribes ont été typiques. Selon Poutine, Lénine, avec son principe du « droit à l'autodétermination », est le véritable coupable.
Ou comme le dit Poutine : « Du point de vue du destin historique de la Russie et de ses peuples, les principes léninistes de construction de l'État se sont avérés être non seulement une erreur, c'était, comme on dit, bien pire qu'une erreur. »
Encore une fois, ce sont « les directives sévères de Lénine sur le Donbass qui a littéralement été contraint à entrer en Ukraine », mais l'histoire a maintenant pris sa revanche car « 'les descendants reconnaissants' ont démoli les monuments à Lénine en Ukraine. C'est ce qu'ils appellent la décommunisation. »
Poutine promet de terminer le travail : « Vous voulez la décommunisation ? Eh bien, cela nous convient parfaitement. Mais il n'est pas nécessaire, comme on dit, de s'arrêter à mi-chemin. Nous sommes prêts à vous montrer ce que signifie une véritable décommunisation pour l'Ukraine. »
Même s'ils dénoncent l'invasion de Poutine, les idéologues occidentaux antisocialistes ont toutes les raisons de se réjouir de cette diatribe anticommuniste et de cette mise en accusation de Lénine et de ce qu'il représentait. Mais ceux de la gauche qui soutiennent Poutine vont-ils repenser leur position ?
Les États-Unis, l'UE et l'OTAN : rivalité inter-impérialiste
Il ne fait aucun doute que les États-Unis sont l'impérialisme le plus important et le plus puissant au niveau mondial. Ils détiennent le pire bilan en matière de soutien aux dictatures brutales à l'étranger et d'interventions militaires inacceptables dans d'autres pays. Ils détiennent le record d'être directement et indirectement responsables de la mort de civils, un bilan global depuis la Seconde Guerre mondiale qui dépasse facilement plusieurs millions.
Mais cela n'excuse pas le comportement d'autres pays, grands, moyens ou petits, qui cherchent à établir et à étendre leur hégémonie et leur domination régionales ou mondiales. Ces autres puissances comprennent plusieurs alliés occidentaux des États-Unis et des organismes comme l'OTAN, mais aussi des pays comme Israël, la Turquie, l'Inde, le Pakistan et, bien sûr, la Russie et la Chine. Il ne fait aucun doute qu'il y a et qu'il peut y avoir d'autres entrées dans ce large club de puissances impérialistes et aspirantes impérialistes. Les justifications avancées pour un tel expansionnisme consistent invariablement à citer les exigences de la « sécurité nationale » et la nécessité de « réagir » contre d'autres coupables désignés. La gauche internationale doit veiller à ne pas tomber dans la politique de défense du « moindre mal » présumé ou même à nier ou à diminuer son caractère impérialiste. Nous devons éviter de succomber à « l'anti-impérialisme des imbéciles ». Dans le cas de la Russie, il ne devrait y avoir aucune raison de confusion.
Explorons cette question de la relation de la Russie avec les États-Unis et l'OTAN depuis l'éclatement de l'Union soviétique. L'OTAN n'a, à nos yeux, jamais eu de justification, c'est pourquoi nous nous opposons à son existence, point final. Cependant, même selon la logique de la guerre froide qu'elle avait avancée, elle aurait dû être supprimée une fois le Pacte de Varsovie terminé.
En fait, bien sûr, l'OTAN dirigée par les États-Unis non seulement ne s'est pas dissoute. Non seulement elle a rompu ses promesses de ne pas s'étendre davantage, mais elle l'a délibérément fait pour étendre sa portée aussi près que possible des frontières de la Russie. Bien sûr, nous nous y opposons et nous condamnons cela parce que cela signifie saper la recherche mondiale d'une plus grande paix et justice, subordonner les pays plus petits et plus faibles, approfondir les alliances de classe dirigeante et permettre une plus grande exploitation des masses laborieuses ordinaires de leurs propres pays et d'autres pays. Nous ne devrions pas non plus être surpris que les membres de ce club impérialiste cherchent partout à intimider leurs voisins et à étendre leur puissance et leur domination autant que possible.
De Eltsine à Poutine, les dirigeants russes ont constamment parlé de leurs « besoins légitimes de sécurité ». « Besoins » est toujours un mot plus efficace à utiliser que « ambitions », qui ne s'accorderait pas si bien avec le terme « légitime ». Après l'éclatement de l'Union soviétique, la Russie est devenue, militairement et nucléairement, la deuxième puissance mondiale. Est-ce que quelqu'un dans son bon sens pense que les États-Unis ou l'OTAN vont ou veulent risquer de l'envahir territorialement ? Mais comme tous les impérialistes et aspirants impérialistes, la Russie veut également établir et consolider sa propre « sphère d'influence », un euphémisme pour déguiser le projet réel. Comme toute puissance impériale, ce projet équivaut à dominer autant que possible cette région désignée dont les frontières sont toujours ouvertes à l'expansion.
Malgré l'expansion des États-Unis et de l'OTAN, il est absurde de penser que les actions de la Russie dans son « étranger proche » ou plus loin sont sérieusement motivées par la crainte que « sa sécurité soit profondément menacée ». Ses actions ne sont pas une simple « réaction » ou autodéfense. En effet, le résultat le plus probable de ce que la Russie a fait sera le renforcement de l'engagement envers l'OTAN et l'expansion possible (certains diraient maintenant probable) de l'adhésion à l'OTAN en Europe, ainsi qu'un stimulus plus fort pour les pays de la région Asie-Pacifique à s'aligner et à se rapprocher des États-Unis et de ses structures d'alliance.
Nous devons catégoriquement nous opposer à tous les impérialismes. Lorsqu'il s'agit de répartir le blâme mondial et historique pour les iniquités de l'impérialisme, la part du lion revient évidemment aux États-Unis et à leurs alliés. Mais cette vérité ne doit pas être utilisée pour rationaliser les iniquités et le comportement d'autres impérialistes. Poutine n'a pas simplement envoyé des troupes sous l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) dominée par la Russie au Kazakhstan en tant que « réaction » à l'Occident ou comme une « contrainte » découlant de ses « besoins légitimes de sécurité ». Il l'a fait pour stabiliser un régime autoritaire brutal pro-russe réprimant son propre peuple.
Deux autres brefs commentaires doivent être faits ici. Nous avons vu l'hypocrisie à un niveau sans précédent, à la fois concernant la résistance ukrainienne et concernant les réfugiés, par l'UE et les médias occidentaux. Ce sont des pays et des médias qui ont toujours condamné la résistance palestinienne comme du terrorisme, mais ils sont aujourd'hui tous favorables à la résistance civile contre les Russes. Nous considérons leur « soutien » aux Ukrainiens comme hypocrite, lié aux intérêts des classes dirigeantes des puissances occidentales, et pas le moins du monde motivé par une préoccupation sincère pour les droits démocratiques. Il en va de même pour l'hypocrisie des médias et des États concernant l'accueil des réfugiés ukrainiens, car elle provient de pays qui ont été brutaux envers les réfugiés d'Afrique du Nord dans un passé récent. Twitter, qui a bloqué des comptes pour le financement participatif de Cuba (sur des questions non militaires), autorise le financement participatif pour l'aide militaire aux Ukrainiens. Cela montre les liens clairs entre des agences apparemment indépendantes et les puissances impérialistes occidentales.
Réactions indiennes – le régime et la grande gauche parlementaire
Quelle a été la réponse à l'invasion de l'Ukraine en Inde ? Honteusement mais comme on pouvait s'y attendre, le gouvernement Hindutva de Modi exprime son inquiétude mais pas de condamnation même s'il a une relation stratégique de facto avec les États-Unis. Contrairement à la Hongrie, dirigée par le leader d'extrême droite Orban, qui a accepté opportunément les sanctions de l'UE, la position de l'Inde est plus proche de celle du Brésil en ce qu'elle préfère suivre une ligne « neutre » en marchant sur la pointe des pieds. Modi veut maintenir la Russie satisfaite en raison de supposées exigences diplomatiques et militaires. Une plus grande sécurité pour l'Inde ne signifie pas que les régimes indiens devraient réduire significativement les dépenses militaires pour aider à éradiquer la pauvreté, ou résoudre le différend frontalier avec la Chine par des concessions mutuelles, ou chercher à promouvoir la paix en Asie du Sud. Il faut plutôt l'interpréter comme signifiant que nous devons acquérir de plus en plus de puissance militaire, non seulement pour protéger les frontières, mais pour projeter la puissance en Asie du Sud et au-delà, comme tout aspirant hégémon régional devrait le faire.
New Delhi affirme que sa priorité est maintenant d'évacuer les citoyens indiens d'Ukraine. Nous soutenons pleinement cette démarche. Mais le refus du gouvernement de condamner l'invasion rend plus difficile l'obtention du soutien moral et politique vital de la part du peuple et du gouvernement ukrainiens, affectant négativement la rapidité et l'efficacité de l'évacuation et mettant davantage en danger la vie des citoyens indiens. En ce qui concerne l'invasion, les partis d'opposition bourgeois sont soit silencieux, soit, dans le cas du parti du Congrès, sa position officielle n'est pas différente de celle du gouvernement. Pas de surprises ici.
Quant aux principaux partis de gauche, le Parti communiste indien (marxiste) ou PCM ne va pas au-delà de qualifier l'action russe de « regrettable » et, avec le Parti communiste indien (PCI), joue sur l'air que le véritable coupable est les États-Unis et l'OTAN, auxquels la Russie a réagi. Il en était de même, du moins initialement, pour le Parti des travailleurs au Brésil. Il n'y a pas une once d'analyse de classe dans les déclarations de ces partis qui prétendent être marxistes. Mais en Inde, aucun de ces partis n'a encore déclaré publiquement que la Russie (ou la Chine) sont des pays capitalistes, et encore moins qu'ils sont des puissances impérialistes. Ils refusent cette analyse même si Poutine, la classe dirigeante là-bas et le public russe n'ont aucune illusion sur le fait que le leur est autre chose qu'un pays capitaliste, et qui a manifestement tort sur le plan économique et politique. Combien de temps les partis de la gauche traditionnelle indienne continueront-ils à se mettre la tête dans le sable ?
Kunal Chattopadhyay
Achin Vanaik
The Radical
SPECIAL UKRAINE VOLUME
MARCH 2025
Réimpression de Spectre, USA, mars 2022
Traduit pour l'ESSF par Adam Novak
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74535
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Belgique : Vers la chute de l’Arizona, construire l’alternative dans et par les luttes

Nous sommes entrés dans une phase extrêmement dangereuse du capitalisme mondial : face à des perspectives de vie qui se dégradent de jour en jour pour une grande partie de la population mondiale, le mécontentement grandit, mais ne se traduit pas (encore) en une mobilisation large et organisée pour un projet de société alternative. Alors que les classes dominantes recourent à des méthodes de plus en plus violentes pour sauvegarder leur pouvoir et leurs privilèges, des forces d'extrême-droite prolifèrent en jouant sur l'incertitude, la peur, et les divisions renforcées par les politiques et l'idéologie néolibérales des dernières décennies. En Belgique, les nouveaux gouvernements organisent une attaque générale qui vise non seulement à se débarrasser des grandes conquêtes sociales, mais aussi et surtout à faire basculer durablement le rapport de force entre les classes sociales. Il s'agit d'une tentative de casser les outils de solidarité et de résistance de la classe travailleuse dans son ensemble.
Belgique : Vers la chute de l'Arizona, construire l'alternative dans et par les luttes
29 avril 2025 | tiré du site Inprecor.org |Photo : grève de l'enseignement à Bruxelles le mardi 8 avril. Crédit : Gauche anticapitaliste / CC BY-NC-SA 4.0
https://inprecor.fr/node/4707
Note : Le « plan Arizona » (ou « majorité Arizona ») est un terme utilisé en Belgique pour désigner une coalition gouvernementale spécifique, rassemblant les partis suivants : de droite et de centre droite. L'expression est apparue il y a cinq ans dans le débat médiatique et fait référence aux couleurs du drapeau de l'État américain : bleu, rouge, orange.
Pour autant, rien n'est encore inscrit dans le marbre. L'issue de cette nouvelle période dépendra avant tout de la capacité des mouvements sociaux et syndicaux à se mobiliser avec force et dans la durée, avec un objectif clair : la chute du gouvernement, seul moyen de stopper la casse sociale et de commencer le combat pour des alternatives sociales et solidaires. Pour y arriver, la résistance doit être la plus large et unitaire possible, s'appuyant sur une démocratie de la base au sommet.
Offensive globale et violente du capital
Ce nouveau gouvernement et les attaques à venir s'inscrivent dans une tendance mondiale à l'extrême-droitisation, intimement liée à la crise multidimensionnelle du capitalisme : une instabilité socio-économique profonde et une crise écologique sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Depuis la crise financière et économique de 2008, ni les politiques néolibérales, ni les politiques keynésiennes de relance, ni un amalgame des deux, n'ont réussi à stabiliser la situation économique et sociale. Bien au contraire : la pandémie du Covid, les effets du dérèglement climatique, la sous-performance des plus grandes économies, les inégalités croissantes de revenus et de richesses, l'aggravation de l'endettement public et privé, et les poussées d'inflation mettent en péril les conditions de vie -voire la vie même- d'une part toujours plus grande de la population mondiale. En même temps, malgré les nouveaux débouchés créés par le capitalisme vert et les multiples cadeaux fournis au grand capital dans le cadre des « politiques industrielles », ces différentes crises tendent à miner les sources stables de profits et d'accumulation.
Outre les délires de la spéculation et des bulles financières, les classes dominantes ne savent trouver d'autre réponse à ces contradictions qu'une offensive générale contre les droits démocratiques et sociaux : à la fois comme tentative d'accroître le taux d'exploitation et ainsi le taux de profit, et comme moyen de supprimer tout germe de révolte contre un système en perte de légitimité. Face au rejet de la démocratie libérale (marquée par une absence de démocratie économique, et démocratie politique limitée aux élections, laissant les gouvernements libres d'agir sans rendre de compte entre les scrutins) par une grande partie de l'électorat, le néolibéralisme se réinvente sous une nouvelle forme : fusionnée avec une idéologie et des politiques d'extrême-droite, en s'appuyant sur tout ce qui peut semer la division au sein de la classe travailleuse. Dans la même lignée, on observe un glissement généralisé vers des régimes autoritaires, une concurrence internationale et des tensions géopolitiques qui s'aiguisent, et l'accroissement des affrontements violents. Si la mondialisation néolibérale s'est accompagnée de la multiplication de foyers de « guerres pour les ressources » (les mal nommées « nouvelle guerres », résultats des offensives antisociales et austéritaires pilotées notamment par le FMI à l'encontre des ex-colonies) nous assistons en effet ces dernières années à une accélération de la violence armée à travers l'accroissement de l'échelle des conflits. L'invasion russe de l'Ukraine en 2022 a ainsi marqué un tournant, avec le retour de la guerre de haute intensité sur le territoire européen, qui faisait elle-même suite à l'annexion de la Crimée et la guerre de « basse intensité » menée par Poutine dans le Donbass depuis 2014. Avec le génocide à Gaza, soutenu ouvertement par les États soi-disant défenseurs des droits humains, le niveau de barbarie a atteint un autre sommet. Il s'agit d'un point de bascule : fini le récit de l'État de droit et son corollaire le droit international ; place à l'arbitraire politique à la Trump, au service d'un projet de société du chacun pour soi, où tout ce qui ne rapporte pas au capital – qu'il s'agisse de la nature ou de vies humaines – ne vaut plus rien.
Les classes dominantes ne savent trouver d'autre réponse à ces contradictions qu'une offensive générale contre les droits démocratiques et sociaux : à la fois comme tentative d'accroître le taux d'exploitation et ainsi le taux de profit, et comme moyen de supprimer tout germe de révolte contre un système en perte de légitimité.
« Il n'y a pas d'alternative »
En Belgique, cette tendance se traduit de façon limpide dans le programme du nouveau gouvernement : l'Arizona prévoit une vague de mesures antisociales, sexistes et racistes d'une ampleur inégalée depuis des décennies. 22 milliards d'économies sur les travailleur·euses avec ou sans emploi, avec ou sans papiers, et une minable petite taxe sur les plus-values pour tenter de faire passer la pilule1.
L'austérité se fera donc avant tout sous forme d'une réduction des dépenses sociales : autour de 9 milliards d'économies dans la sécurité sociale à elle seule. Avec des possibilités d'économies supplémentaires comme gage au cas où les hypothétiques « effets de retour » de plusieurs milliards ne seraient pas atteints2). Au niveau écologique tout reste très vague : il s'agit de poursuivre les politiques du capitalisme vert sans trop se soucier du « vert » dans les engagements, si ce n'est que pour justifier des choix politiques dangereux tels que la continuation et le développement du nucléaire.
Par ailleurs, ce discours s'appuie sur une logique technocratique, qui projette les questions économiques et budgétaires en dehors du champ de la discussion démocratique. Qu'il s'agisse de la « nécessité de rendre notre économie compétitive » ou des règles budgétaires européennes qui sont à nouveau imposées après une « pause » de trois ans, l'argument de la « contrainte extérieure » est habilement manipulé pour justifier la casse sociale. Tout comme d'autres discours dans le même style : « avec le vieillissement, on ne pourra plus financer notre sécurité sociale si on ne serre pas la vis maintenant » ; « il faut réduire la différence de revenu entre “ceux qui travaillent” et les “assistés” » ; « l'Arizona ou le chaos » ; ou encore « ça va faire mal » mais « il n'y a pas d'alternative », selon le mot d'ordre néolibéral depuis Thatcher. Un argument repris volontiers par les dirigeants des Engagés et de Vooruit, qui tentent de faire accepter le programme réactionnaire de l'Arizona en prétendant, notamment auprès des dirigeant·es des syndicats et des mutualités, que « sans eux, c'eut été (encore) pire ».
L'hypocrisie de ce dogmatisme austéritaire apparaît au grand jour avec le grand plan européen de 800 milliards d'investissement pour le réarmement de l'Union. Ne nous y trompons pas : il ne s'agit pas pour nous d'opposer dépenses de défense et investissement dans les besoins sociaux et environnementaux, opposition qui ne vaut qu'au sein du logiciel néolibéral et qui aveugle malheureusement une large partie de la gauche. Au contraire, nous avons plaidé pour une politique de sécurité indépendante et anticapitaliste, qui articule la nécessité d'une défense (y compris militaire) face au danger (néo)fasciste avec des investissements dans les services sociaux, une politique qui soit au service de la solidarité politique et matérielle avec le peuple ukrainien, et de la défense des intérêts de notre classe face à l'extrême droite. Le plan ReArm Europe est une mauvaise et dangereuse réponse à un vrai problème. Il a néanmoins le mérite d'illustrer que des moyens existent et que leur utilisation est un choix politique.
Le but de telles menaces mensongères est toujours le même : démotiver au maximum la résistance sociale qui gronde. La Fédération des entreprises de Belgique (FEB) accuse déjà les syndicats de provoquer avec leurs actions des dégâts économiques qui « ne feront qu'alimenter les vagues de restructurations et de faillites », quand celles-ci sont en réalité la conséquence de l'essoufflement du régime d'accumulation néolibéral. Bouchez pour sa part, le représentant le plus direct de la bourgeoisie radicalisée, s'est dit prêt à l'affrontement et même à devoir en payer l'addition électorale en 2029, du moment que l'offensive antisociale soit menée.
Briser la résistance : de la concertation les mains liées à la répression généralisée
La veille de la première grande action syndicale après la formation du gouvernement, le 13 février, Bart De Wever a rencontré le Groupe des Dix – instance suprême de concertation entre représentants des syndicats et des fédérations patronales. Selon le journal l'Écho, il voulait les écouter et les assurer « de sa volonté de soutenir le dialogue social ». Si on creuse un peu le programme de l'Arizona, toutefois, l'objectif réel saute aux yeux : mettre les syndicats et toute autre organisation du mouvement social hors-jeu, en les privant de budgets, en réprimant leurs militant·es, en les exposant à des sanctions graves, en leur faisant donc avaler pieds et poings liés les politiques antisociales. Le dernier exemple en date de cette inflexibilité est le recalage par la N-VA du premier accord conclu entre syndicats et patronat sur les prépensions au sein du G10 : un accord très minime, qui consistait seulement à maintenir le système des RCC jusqu'au 30 juin prochain, avec un impact budgétaire limité (10 millions d'euros), mais qui était insupportable pour le parti du Premier ministre. La rigidité des nationalistes flamands a surpris au point que même le patron de la FEB a invité la N-VA à faire preuve de davantage de souplesse, sous peine d'illustrer l'absence de marge de négociation entre les partenaires sociaux et de souffler sur les braises de la contestation3.
Ainsi, les mesures de « flexibilisation » du travail (travail de nuit et le dimanche, heures supplémentaires sans sursalaire ou récupération, flexi-jobs…) seront introduites sans besoin de consulter les syndicats. On tente de revenir aux négociations' individuelles entre travailleur·euse et patron, où le rapport de force est évidemment biaisé à cent pour cent en faveur du dernier. Le projet de loi sur la possible interdiction aux « casseurs » de manifester est remis sur la table. Les syndicats pourront en outre être tenus responsables des grèves qui se feraient sans respecter les règles de préavis. En même temps, le financement fédéral d'Unia, institution qui lutte contre les discriminations et pour l'égalité des chances, sera réduit d'un quart. Et ce ne sont que quelques exemples. La politique migratoire, basée sur la criminalisation des migrant·es, l'enfermement, l'expulsion et l'externalisation, piétine les droits humains et exacerbe toutes les formes de racisme. Pour mettre de telles politiques en pratique le plus « efficacement » possible, le gouvernement compte déployer des technologies avancées sans égards pour la protection de la vie privée, telles que la « reconnaissance faciale pour la détection des condamnés et des suspects ».
Si on creuse un peu le programme de l'Arizona, toutefois, l'objectif réel saute aux yeux : mettre les syndicats et toute autre organisation du mouvement social hors-jeu, en les privant de budgets, en réprimant leurs militant·es, en les exposant à des sanctions graves, en leur faisant donc avaler pieds et poings liés les politiques antisociales
En somme, pas besoin d'un gouvernement fasciste pour préparer le terrain d'un État autoritaire et répressif. On ne peut sous-estimer les risques d'une telle tendance : si le recours systématique à la répression par un appareil d'État montre en même temps sa fragilité, il peut aussi briser durablement les possibilités de s'organiser collectivement. Et entretemps, de nombreuses vies humaines sont en jeu.
L'urgence immédiate : résistance unitaire jusqu'à la chute du gouvernement
En Belgique, comme en Europe et ailleurs, la gauche au sens large est sur la défensive. Des coalitions de droite conservatrice qui intègrent ou s'appuient sur des forces d'extrême-droite sont formées et peuvent avoir du succès auprès de la classe travailleuse. Dans certains cas (Italie, Hongrie, Pays-Bas…) l'extrême-droite est déjà la première force au pouvoir. Il s'agit d'une situation plus qu'inquiétante, avec des enjeux énormes pour les sociétés humaines et notre planète. Dans ce contexte, les priorités de la Gauche anticapitaliste sont claires : combattre la résignation de la classe travailleuse et la convaincre qu'il faut se révolter contre l'Arizona et qu'une victoire est possible ; s'impliquer dans la construction d'un mouvement large, un front commun social articulé autour des syndicats qui regroupe toutes les organisations de gauche et progressistes, les syndicats, les organisations féministes, anti-racistes, LGBTI, anti-impérialistes, antifascistes, les collectifs militants et le monde associatif, pour mener la bataille contre ces forces réactionnaires4 ; et articuler ces deux tâches à la mise en avant d'un projet de société écosocialiste alternatif, élément de réponse déterminant face à la question du pouvoir politique qui se posera tôt au tard.
Des partis comme Vooruit ou les Engagés, en rentrant dans le gouvernement Arizona, ont choisi leur camp. On ne peut compter sur eux pour empêcher la casse sociale ; tout au plus pourront-ils obtenir des miettes pour adoucir ou ralentir quelque peu le processus douloureux. S'il reste important de maintenir un dialogue avec des militant·es de base de ces partis qui se désillusionneraient petit à petit, la stratégie de « mettre la pression » sur leurs directions pour grappiller quelques miettes n'est qu'une perte de temps, même si ces partis seront vraisemblablement les premiers maillons à céder dans une situation de plus grande conflictualité sociale, et donc dans cette perspective une pression maximale doit être maintenue à leur égard. De même, on ne peut s'appuyer sur l'opposition parlementaire de PS et Écolo qui ont participé activement au précédent gouvernement avec ses attaques contre les travailleur·euses et les migrant·es, même si ces partis ne sont pas la cible principale et peuvent être des alliés contre l'extrême-droite à certaines occasions. Le PTB est désormais un parti incontournable de la gauche parlementaire, le seul qui garde une certaine crédibilité dans une perspective de rupture. Pourtant, il continue de faire obstacle aux conditions nécessaires à la concrétisation d'une telle dynamique. Malgré une position globalement renforcée et le bulldozer qui se dresse en face, le parti continue à surfer sur des mots d'ordre opportunistes et insuffisants pour opérer une réelle rupture avec les politiques néolibérales. De plus, le parti continue de se poser comme l'unique prolongement politique possible pour les mouvements sociaux et syndicaux, appelant par exemple à se ranger derrière son programme en marchant le 27 avril « contre la casse sociale et pour la paix ». Les mandats parlementaires du PTB seraient bien plus utiles s'ils étaient mis au service de la construction d'un large front de résistance qui dépasse les intérêts du parti.
Le PTB est désormais un parti incontournable de la gauche parlementaire, le seul qui garde une certaine crédibilité dans une perspective de rupture. Pourtant, il continue de faire obstacle aux conditions nécessaires à la concrétisation d'une dynamique de front large de résistance.
Le seul moyen d'arrêter ces politiques régressives, c'est de mener le combat pour la chute du gouvernement. Pour y arriver, des manifestations annuelles ou des actions de désobéissance civile ponctuelles, aussi radicales et importantes soient-elles, ne suffiront pas. Une contre-offensive générale pour stopper le gouvernement implique de se mobiliser massivement, sur les lieux de travail et d'étude et dans la rue, autour d'un véritable plan d'actions combatif au finish.
Les syndicats, en tant que plus grand mouvement social organisé de la classe travailleuse en Belgique, ont un rôle central à jouer dans ce processus. Pour le moment, ils se veulent malheureusement rassurants envers le patronat et n'assument pas la nécessité de renverser le gouvernement. Pourtant, syndicats et mutualités sont eux-mêmes directement attaqué·es : les syndicats vont perdre des affilié·es sans emploi et seront visés par la répression, les mutualités se retrouvent contraintes d'appliquer les exigences du gouvernement fédéral en accélérant le retour des malades au travail sous peine de sanctions financières. Plus que jamais, l'alternative pour ces « corps intermédiaires », c'est soit de se faire balayer par une bourgeoisie radicalisée, soit la rébellion ! Le temps des illusions sur la « concertation sociale » doit prendre fin. Les syndicats ont la capacité d'organiser une grande campagne d'explication vers l'ensemble de la classe travailleuse du programme de démolition sociale de l'Arizona, et d'élaborer en parallèle un plan d'actions radical pour stopper la coalition. A condition que leurs directions rompent clairement avec la logique des « amis politiques » (social-démocratie et démocratie chrétienne) et les liens organiques avec des partis comme Vooruit ou le CD&V. Et à condition que les militant·es et délégué·es arrivent à instaurer une dynamique partant de la base qui permettra de dépasser les réticences et obstructions au sommet : des assemblées de travailleur·euses et des comités de grève, pour pouvoir débattre et décider ensemble des actions menées, et reconduire les grèves quand la dynamique est bonne. La nécessité de mobiliser largement et de dépasser l'inertie des grandes structures est l'occasion de développer des formes d'auto-organisation et d'autogestion, un pouvoir démocratique alternatif.
Un gouvernement de rupture anti-néolibéral est indispensable pour arrêter le carnage social et écologique. Pour défaire la stratégie des droites, nous aurons besoin de coaliser très largement les secteurs de la classe travailleuse et de ne laisser personne de côté. Seul un front commun social centré sur les syndicats pourra élaborer et imposer par l'action un réel programme de rupture qui unit et mobilise : un programme radicalement solidaire, écologique, démocratique qui inclut la défense des droits des femmes, des personnes racisées et exilées, et des personnes LGBTI+.
Les organisations de gauche et progressistes, dont la Gauche anticapitaliste, doivent mobiliser tou·te·s leurs membres et sympathisant·es en ce sens et participer au travail de terrain d'information et de ralliement.
Seul un front commun social centré sur les syndicats pourra élaborer et imposer par l'action un réel programme de rupture qui unit et mobilise : un programme radicalement solidaire, écologique, démocratique qui inclut la défense des droits des femmes, des personnes racisées et exilées, et des personnes LGBTI+.
Des lueurs d'espoir pour un autre horizon
Si la lutte actuelle est avant tout défensive, on ne peut découpler le combat contre ce gouvernement de la question de l'alternative programmatique.
L'extrême droite et les éléments néolibéraux radicalisés qui ont aujourd'hui l'initiative prospèrent sur une crise de l'alternative. Malgré un capitalisme de plus en plus agressif et destructeur, l'horizon de son dépassement semble lointain. Face à cette désillusion et dans le cadre d'une désintégration progressive des espaces de solidarité par le néolibéralisme, les réflexes immédiats pour la majorité de la population peuvent être le repli sur soi ou la tentative de sauvegarde d'une position sociale au détriment d'autres plus précarisés, autant de dispositions qui alimentent le ressentiment et les divisions au sein de notre classe, nourrissant le projet de l'extrême droite. Pour s'assurer de la victoire contre les forces (néo)fascistes et les néolibéraux qui leur pavent la voie, c'est avec les conditions de leur émergence qu'il faut rompre.
Les défis comme les dangers sont immenses, et rien ne garantit que la lutte sera victorieuse dans les années à venir. Mais des signes d'espoir sont là. Il s'agit de chercher les brèches qui se dessinent et d'aider à les ouvrir. 100 000 personnes ont manifesté à Bruxelles ce 13 février avant même que l'Arizona n'ait commencé à mettre en place ses politiques. L'inquiétude est largement partagée, et la colère gronde partout. Des initiatives radicales et unitaires telles que Commune Colère se mettent en place dans différentes villes. Sous pression de leurs bases, les deux principaux syndicats (FGTB et CSC) ont organisé une grève interprofessionnelle de 24 heures le 31 mars, qui a été correctement suivie, mais qui a aussi mis en lumière les limites actuelles du rapport de force en termes de mobilisation et de perspectives. Outre les multiples mobilisations du mois d'avril (grèves tournantes des cheminot·es, des enseignant·es, luttes paysannes, manifestation contre le centre fermé de Vottem), la ligne de mire du mouvement contre l'Arizona est désormais la journée d'actions nationales le 29 avril, également couverte par un préavis intersectoriel. Si la dynamique combative se maintient, ces actions ne seront que le début. Plus on est nombreux·se à participer, à s'organiser, à discuter de stratégie et d'alternatives, plus on a des chances de radicaliser et de structurer le mouvement, vers la grève générale prolongée et une pression sociale et économique maximale. Une victoire contre ce gouvernement est indispensable non seulement pour redonner l'espoir à tous·tes les exploité·es et opprimé·es qui résistent, mais aussi pour poser les jalons d'une offensive plus radicale.
La lutte qu'il faut mener aujourd'hui ne peut faire l'économie d'un programme positif qui assume la nécessité de rompre avec le capitalisme : il ne s'agit pas seulement de faire reculer la droite et l'extrême droite, de conserver les conquis sociaux ou encore de revenir à une période fantasmée où le partage de la valeur entre capital et travail aurait été plus équitable, mais bien de poser la question du dépassement du capitalisme au profit d'une autre société. Une question d'autant plus importante que la catastrophe écologique nous oblige aujourd'hui à l'urgence si on veut conserver l'habitabilité de la planète pour tous et toutes.
Pour ne pas être un horizon lointain et utopique, cette société doit se nourrir des revendications présentes : les grèves des cheminot·es, aujourd'hui, qui posent la question de l'importance des transports publics dans le cadre d'une transition écosocialiste, les mobilisations des travailleur·euses du non-marchand (la santé, la culture, les écoles, le monde associatif, les CPAS, la petite enfance, …) qui se battent pour de meilleures conditions de travail et mettent en lumière l'importance du travail du soin, sont autant de pistes qui contredisent la logique prédatrice du capital et posent les bases d'un autre rapport au monde et aux autres. De telles revendications, pour gagner en force, doivent cependant pouvoir s'articuler autour d'un projet de société alternative, un projet auquel doivent pouvoir contribuer les mouvements sociaux, les associations, les collectifs de quartier, etc.
Surtout, un tel programme doit assumer la traduction politique de ces aspirations. Cela ne signifie pas se limiter à une extension parlementaire aux revendications selon une logique de plaidoyer, mais au contraire rompre la division artificielle entre social et politique. Si un tel programme de rupture veut voir le jour, il faudra outrepasser le carcan étriqué du seul champ institutionnel, en poussant le mouvement social à assumer le rapport de force, par l'amplification des mobilisations, des luttes, des grèves, qui déplacent les lieux de décisions. En creux, cela signifie en effet poser la question du pouvoir. Sur les lieux de travail, d'étude, dans la rue : il s'agit de reprendre le contrôle de nos vies, d'agir collectivement en faveur d'une autre société, seule manière de travailler à la mise en œuvre d'une société écosocialiste et radicalement démocratique.
Si un tel programme de rupture veut voir le jour, il faudra outrepasser le carcan étriqué du seul champ institutionnel, en poussant le mouvement social à assumer le rapport de force, par l'amplification des mobilisations, des luttes, des grèves, qui déplacent les lieux de décisions. En creux, cela signifie en effet poser la question du pouvoir.
Publié le 17 avril 2025 par la Gauche anticapitaliste.
1Ajoutons que cette taxe est l'objet de débats au sein même de la coalition, avec un MR qui cherche à tout pris à en réduire la portée, pourtant déjà très minime (500 millions dans un budget de 22 milliards). Un nouvel exemple que même les mesures les moins injustes de l'accord de gouvernement (le “trophée” de Vooruit) sont insupportables pour la droite en position de force au sein de la majorité.
2« L'accord de ne pas augmenter la pression fiscale lors de contrôles budgétaires implique qu'on se retournera à chaque fois vers de nouvelles économies. Même si côté gauche, on remarque que la nuance que la pression fiscale ne peut pas augmenter en proportion du PIB laisse néanmoins une marge pour de nouveaux revenus. »Source : TIJD (traduction propre).
3Depuis l'accord a finalement été validé par le gouvernement. Voir L'Écho.
4On peut penser de façon non exhaustive aux syndicats (FGTB & CSC), la Gauche anticapitaliste, le PTB, le PSL, le réseau Ades, la Coordination antifasciste de Belgique, Commune Colère, les Collectifs 8 mars et toutes les organisations progressistes, féministes, anti-racistes, LGBTI+…
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« Il n’y a pas eu d’attaque extérieure, la panne est le produit de la cupidité des grandes compagnies d’électricité »

« Le problème, ce ne sont pas les énergies renouvelables, celui qui dit cela ne dit pas la vérité », souligne Antonio Turiel au début de l'interview accordée à NAIZ, au lendemain de la plus grande panne mondiale de l'histoire de l'État espagnol et du Portugal.
Le docteur en physique et expert en énergie, chercheur au CSIC, souligne que la clé est de stabiliser le système dans lequel convergent aujourd'hui de grandes quantités d'énergie photovoltaïque et éolienne. Il rappelle que c'est un problème que l'Allemagne connaît également et que l'année dernière, elle a failli provoquer une panne d'électricité massive en Espagne à cinq reprises.
Sans craindre d'être un verset lâche dans le discours public, il pointe du doigt les grandes entreprises énergétiques, leur « cupidité » et le manque d'investissements et de mécanismes de prévention.
30 avril 2025 | tiré de Viento sur
« Il n'y a pas eu d'attaque extérieure, la panne est le produit de la cupidité des grandes compagnies d'électricité »
Vous avez dit dans une autre interview que la coupure est le produit d'une production d'énergie photovoltaïque trop importante qui réagit mal à l'évolution de la demande. Qu'est-ce que cela signifie ?
C'est un problème de technologie. Les systèmes énergétiques classiques sont basés sur un système de tours de turbines lourdes pesant des milliers de tonnes, qui ont l'avantage d'être régulées par les changements de la demande, car la force à laquelle la turbine tourne peut augmenter ou diminuer la quantité d'électricité. C'est un mécanisme automatique, mais cela ne se produit pas avec le photovoltaïque car il ne produit pas de courant alternatif, il ne produit pas d'onde, mais une source continue. Vous avez besoin d'un appareil appelé onduleur, qui génère du courant synthétique, mais il a un problème, c'est qu'il répond très mal aux changements de la demande. Il lui est donc très difficile de suivre l'évolution de la demande sur le réseau.
Dans des conditions normales, le photovoltaïque est minoritaire et les systèmes inertiels sont responsables de la gestion des variations de la demande, mais dans ce cas précis, 60 % de la production à l'époque était photovoltaïque et 14 % éolienne. Et il n'y a pas eu de systèmes de stabilisation parce qu'il n'y a pas eu d'investissement.
Ce problème peut-il être résolu avec un plus grand nombre de ces investisseurs ?
Voyons, les investisseurs doivent toujours être là, même si ce n'est pas obligatoire. Si le réseau est en charge de la stabilisation, eh bien, quand le photovoltaïque est minoritaire, c'est le cas. Mais si c'est la source majoritaire, il faut qu'elle soit en charge [de stabiliser] une autre, l'investisseur ne suffit pas. Vous avez besoin d'un stabilisateur, qui est une sorte de batterie, qui, lorsqu'il reste de l'énergie, l'accumule et quand elle ne le fait pas, elle l'enlève. Normalement, les stabilisateurs doivent être mis dans une certaine quantité de puissance, par plante d'environ 50 mégawatts.
Donc, d'après ce que j'entends de vous, ce problème n'est pas nouveau.
Ce problème dure depuis des années, ce n'est pas nouveau ! Ce problème de stabilisation dure depuis des années maintenant et en fait, il existe un rapport très intéressant de l'organisme de régulation de l'énergie de l'UE, un super-régulateur qui coordonne tout le monde, qui explique le cas de ce qui s'est passé le 8 janvier 2021, lorsqu'il y a eu un problème similaire à celui du 28 avril et qui a presque détruit tout le réseau européen. C'est un incident qui a été analysé en détail et il a été constaté que le problème était l'inflexibilité pour changer la demande. Depuis lors, la nouvelle réglementation a forcé de nouveaux systèmes à proposer des caractéristiques de stabilisation plus exigeantes. Il s'agit d'une réglementation européenne.
Pourquoi est-il si certain que c'est ce qui s'est passé et non, comme certains le croient, une possible attaque extérieure ?
J'ai discuté avec des ingénieurs espagnols et nous pensons tous qu'il y a clairement un problème de stabilité. À partir de 12 heures [lundi midi], le problème de l'instabilité commence, il commence à y avoir des problèmes de changement de fréquence dans le signal actuel. Je vais vous donner un exemple : imaginez que vous avez un poteau que le vent pousse et va l'arracher, c'est une indication qu'il va aller au sol. Eh bien, c'est la même chose, les oscillations devenaient de plus en plus grandes et à la fin c'est ce qui s'est passé.
Alors, aurait-il pu être évité ?
Bien sûr ! L'année dernière, l'Espagne a été contrainte d'arrêter l'industrie à cinq reprises pour éviter que quelque chose comme celui d'hier ne se produise, par le biais du système de réponse active à la demande (SRAD), qui, avec un préavis de 15 minutes, peut informer les grandes industries qu'elles vont arrêter leur approvisionnement. Et ils acceptent en échange de recevoir de l'énergie moins chère. C'était une nouvelle, c'était publié. En fait, je me souviens que l'un des titres était « L'Espagne a failli faire le black-out ».
Certains blâmeront le photovoltaïque et les énergies renouvelables.
Le problème avec le photovoltaïque, c'est que ceux qui le produisent ont toujours intérêt à le vendre. Ils ont des contrats qui leur garantissent un prix garanti de 40 euros ou peu importe par mégawatt, et on a produit trop pour cela. Cela vient du fait de ne pas savoir s'arrêter, de voir qu'il y a tellement de demande et ainsi générer une stabilité croissante. Il y a eu un excès de cupidité et cela génère des instabilités et les systèmes commencent à échouer. Les câbles sont surchargés, déconnectés et une déconnexion en cascade se produit.
Pourquoi la disparition de 15 gigawatts en cinq secondes a-t-elle été mentionnée par Sánchez ?
Lorsque les 15 gigawatts disparaissent, c'est que les systèmes de protection sont activés. Sinon, tous les câbles auraient commencé à fondre. Imaginez une étincelle avec des puissances de gigawatt, ce seraient des puissances de foudre. Et les centrales nucléaires ont été automatiquement fermées, à cause de la situation très dangereuse qui existait. En fait, il devait y avoir des câbles dénudés et carbonisés, j'en suis sûr.
Comment ça ?
Il est sûrement arrivé qu'un câble à haute tension ait été transformé en phosphatine, mais ils ne voudront pas que cela soit connu car l'image n'est pas très bonne, cela donnerait une très mauvaise image. Mais je suis sûr que c'est arrivé.
Si vous étiez ministre de l'Énergie, que recommanderiez-vous à Sánchez pour que cela ne se reproduise plus ?
Eh bien, il faut prier [rires] et forcer les entreprises à mettre en place des systèmes de stabilisation. Ce que Sánchez a dit ce mardi, c'est à ce sujet, il met l'accent là où il devrait l'être. Il y a un enjeu qui n'a pas été investi mais aussi si l'usine à cycle combiné gaz avait été prête à prendre le relais, les problèmes auraient été moins importants. Ils les ont fait arrêter, et c'est une responsabilité criminelle.
Qui ?
Iberdrola, Endesa, Naturgy... Les grandes entreprises énergétiques sont celles qui contrôlent les centrales à gaz à cycle combiné. Une centrale thermique conventionnelle brûle du combustible pour produire de la chaleur, mais dans une centrale à cycle combiné, le système est différent ; C'est le gaz de combustion lui-même qui est utilisé, que vous réinjectez dans le système pour déplacer les pales. Cette force supplémentaire du gaz donne une puissance supplémentaire et de meilleures performances. Les centrales à gaz à cycle combiné ont environ deux fois les performances des autres, et en plus des meilleures performances, elles sont plus rapides, car c'est le gaz lui-même que vous déplacez et vous le faites réagir beaucoup plus rapidement. Ils sont utilisés pour stabiliser le système.
Cela dit, au moment de la panne, les centrales à cycle combiné ne représentaient que 8 % de l'ensemble du système et le lendemain, elles en représentent 40 %.
Et pourquoi ?
Parce que le gaz est plus cher, et que le système de tarification vous oblige à choisir d'abord les technologies les moins chères. Cela mettait le système lui-même en danger. Je comprends que vous utilisiez de l'énergie renouvelable, mais ce qui est logique, c'est que vous avez des centrales à cycle combiné en réserve. Mais leur entretien coûte beaucoup d'argent.
Pensez-vous que Sánchez sait tout cela ?
Je pense. Je sais que Teresa Ribera le sait.
Le dis-le-t-elle parce qu'elle connaît ou a des gens en commun avec elle ?
Pour une raison quelconque... Je sais que Ribera le sait. Et si elle le sait, la troisième vice-présidente (et ministre de la Transition écologique) le sait. Les déclarations de Sánchez indiquent qu'il comprend la nature du problème et que ce sont les grandes entreprises énergétiques qui nous ont conduits au black-out. Mais ils ont beaucoup de pouvoir. Et vous pouvez le voir dans les médias... Il y a de l'intérêt à ce que cette question ne soit pas très bien comprise.
Excluez-vous alors que ce soit le produit d'un sabotage ?
Oui. La réalité est beaucoup plus prosaïque, elle est plus minable, elle est plus misérable ; C'est la cupidité. Il est illusoire de penser à une attaque. De manière réaliste, à court terme, nous devons parier sur le fait qu'il y aura des centres de secours toujours prêts. Après ce qui s'est passé, je ne pense pas que cela puisse se reproduire à court terme parce qu'ils vont tirer le gaz, ce qu'ils font déjà. Les batteries sont très chères, extraordinairement chères, ce ne sont pas celles d'un téléphone portable, ce sont des monstres, des tonnes de lithium. Et tout attendre des centrales à cycle combiné, parce que c'est difficile parce qu'elles émettent du CO2 et que nous sommes censés l'éliminer. C'est difficile.
29/4/2025
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