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France - Médias : Attac France porte plainte contre "Le Figaro"

Dans un article publié le 22 novembre 2024, Le Figaro a qualifié Attac d'association « /communautariste/ » qui serait « /liée aux Frères musulmans/ ». Malgré plusieurs adresses au journal, l'article n'a pas été corrigé [1 <#nb1>]. Cette double affirmation grotesque et mensongère, digne du site parodique Le Gorafi, atteint gravement à la réputation de notre association. *C'est pourquoi Attac a déposé plainte pour diffamation.
Ce genre d'amalgame aux relents islamophobes est irresponsable. En ces temps de montée des idées d'extrême droite, Le Figaro contribue à attiser un climat de défiance vis-à-vis des organisations progressistes en général, et d'Attac en particulier. Cette initiative n'est pas anodine alors même que le terme « d'islamogauchisme » est brandi jusqu'à l'Assemblée nationale pour discréditer l'opposition.
Elle s'ajoute à d'autres tentatives de disqualification des mouvements sociaux et écologistes. Gérald Darmanin avait déjà qualifié d'éco-terroristes les manifestant·es contre la méga-bassine de Sainte-Soline. Attac avait même été convoquée devant une Commission d'enquête sur les « groupuscules auteurs de violences ».
Ces attaques impliquent l'augmentation de certaines dépenses (frais d'avocat, conseil juridique, paiement d'amendes). Vous pouvez nous aider financièrement à y faire face. Vous le savez, nos ressources reposent sur les adhésions et les dons : tous les soutiens, petits et grands, sont les bienvenus !
Il nous paraît important que la justice soit saisie afin de ne pas laisser ces méthodes de désinformation et de stigmatisation se propager et devenir banales. Il est désolant de voir qu'un quotidien comme Le Figaro foule au pied la déontologie journalistique la plus élémentaire, contribuant ainsi à fausser le débat public.
Nous ne laisserons rien passer dans notre combat pour un monde plus juste et solidaire !
Lou Chesné, Vincent Drezet, Youlie Yamamoto, porte-paroles d'Attac
Note de bas de page
[1 <#nh1>] « La France insoumise et les islamistes : l'histoire secrète d'une alliance politique » <http://adherez.attac.org/civicrm/ma...> , /Le Figaro/, 22/11/2024
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Vers un (dés)ordre impérial d’un nouveau type

À peine plus d'un mois s'est écoulé depuis l'investiture de Donald Trump à la présidence des États-Unis, avec le techno-oligarque Musk à ses côtés, et la liste des initiatives et mesures que le tandem à la tête de la première puissance mondiale est prêt à mettre en œuvre est déjà très longue. Chacune d'entre elles témoigne de leur ferme volonté de transformer en un nouveau « sens commun » – comme ils le définissent eux-mêmes – un paradigme ultralibéral sur le plan économique, autoritaire sur le plan politique et réactionnaire sur le plan culturel, au service de leur projet MAGA, c'est-à-dire de leur ferme volonté de freiner radicalement le déclin impérial que leur pays subit depuis longtemps.
Tiré de Inprecor
11 mars 2025
Par Jaime Pastor
Diverses analyses et critiques ont déjà été publiées dans Viento Sur et d'autres publications alternatives sur la signification du début de cette nouvelle présidence à la Maison Blanche. Dans cet article, je me concentrerai sur les implications des mesures annoncées, principalement sur le plan géopolitique : à commencer par ses prétentions à s'emparer du Groenland, du Canada et du canal de Panama, pour continuer par le réaffirmation de son soutien total à Netanyahou dans la politique génocidaire qu'il mène contre le peuple palestinien et, bien sûr, par sa dédiabolisation de Poutine et sa disposition à reconnaître les territoires occupés par la Russie en Ukraine (en échange, bien sûr, de la mainmise sur une partie substantielle des terres rares…).
De toute évidence, cette stratégie est au service d'un projet néo-impérialiste qui vise à étendre son arrière-cour, à vassaliser l'Europe, à rechercher la détente avec la Russie et à s'assurer le contrôle du Moyen-Orient afin de pouvoir se concentrer sur la région indo-asiatique et, surtout, sur la concurrence géostratégique avec la Chine. Tout cela dans le cadre d'une guerre technologique, commerciale et extractiviste à l'échelle mondiale, au nom de la nécessité de faire passer la protection des Américains WASP [blancs, anglo-saxons et protestants] et de leur mode de vie impérial, désormais remis en question, avant le reste du monde. La faisabilité de l'ensemble de ce projet, en particulier au regard de ses effets sur l'économie et la société nord-américaines, mais aussi face aux résistances qui commencent à se manifester sur de nombreux fronts, n'est pas encore établie.
Malgré la confusion que cette volte-face a pu susciter sur la scène internationale, il n'est pas difficile de comprendre qu'elle s'inscrit dans un contexte général de crises de plus en plus imbriquées - dont la crise écologique est l'expression la plus extrême - et, en conséquence, de l'entrée dans un jeu à somme nulle de plus en plus compétitif dans la lutte pour les ressources dans « un monde où les élites croient que le gâteau ne peut plus grossir. À partir de là, en l'absence d'un modèle alternatif, la seule façon de préserver ou d'améliorer sa position devient la prédation. C'est l'ère dans laquelle nous entrons », conclut Arnaud Orain.
Super-oligarchie, changement de régime et nouvelle redistribution coloniale
Une nouvelle ère où la « super-oligarchie de la finance et du contrôle des communications » (Louça, 2025) entend combiner son pouvoir sur le marché avec le contrôle direct du pouvoir étatique, Elon Musk étant l'expression suprême de sa volonté d'imposer ses intérêts à l'échelle internationale.
Un bond en avant qui cherche à s'appuyer sur l'alliance avec les gouvernements et les forces politiques qui opèrent déjà sous l'impulsion de l'Internationale réactionnaire pour, comme l'a exprimé J. D. Vance lors du sommet de Munich, promouvoir un véritable « changement de régime » dans les pays où survivent encore des formes de démocratie libérale héritées du consensus antifasciste issu de la Seconde Guerre mondiale.
Ainsi, bien qu'il soit encore trop tôt pour considérer que ce programme atteindra ses principaux objectifs, il semble évident que nous passons d'un interrègne au début d'une autre phase dans laquelle la reconfiguration de l'ordre impérial par les États-Unis cherche à se présenter comme un modèle pour stabiliser et généraliser un nouveau mode de gestion, de construction de l'hégémonie et de gouvernance politique : celui des autoritarismes réactionnaires (Urbán, 2024) ou des autocraties électorales (Forti, 2025), qui aspirent à créer les meilleures conditions possibles pour trouver une issue à l'impasse déjà séculaire qui caractérise le capitalisme mondial. Cette issue implique évidemment d'imposer la logique de l'accumulation au détriment de nombreuses conquêtes sociales et politiques, remportées grâce aux mouvements d'en bas, et des limites biophysiques de la planète.
C'est pourquoi la volonté de Trump de remodeler l'ordre géopolitique en faveur des intérêts de MAGA doit être considérée comme la réponse à la fin de la mondialisation heureuse – dont la Chine a été la grande bénéficiaire – par le biais d'un ethnonationalisme protectionniste et oligarchique qui, à son tour, est en train de faire son chemin parmi les grandes puissances d'un côté comme de l'autre. Dans le cas des États-Unis, cela les amène maintenant à remettre radicalement en question la politique étrangère déployée depuis la chute du bloc soviétique par les présidents successifs des États-Unis, en particulier en ce qui concerne les relations avec l'ancien ennemi de l'Est, afin de redéfinir leur empire.
Car, comme le fait remarquer Romaric Godin (2025) : « Il s'agit maintenant de construire un véritable empire, avec un réseau de vassaux qui viendront consommer ses produits, en particulier ses biens technologiques, son pétrole ou son gaz liquéfié (…) ce qui est en jeu aujourd'hui pour une partie du capitalisme américain, c'est d'éviter la compétition, c'est-à-dire d'éviter un grand marché transatlantique et transpacifique comme à l'époque néolibérale, au profit d'un empire : un centre et des périphéries où chacun a un rôle à jouer dans sa relation avec le centre. »
Dans ce cadre, le rapprochement avec la Russie réactionnaire et nostalgique de son ancien Empire, dont témoigne sans équivoque ce récent vote commun au Conseil de sécurité de l'ONU sur le « conflit » en Ukraine, est la démonstration la plus évidente du changement radical auquel nous assistons et dans lequel les deux grandes puissances s'accordent à respecter mutuellement l'usage de la bonne vieille politique de la force dans leurs sphères d'influence respectives. Cela se reflète également dans leur contribution commune à la crise de légitimité ultime de l'ONU et de tant d'autres institutions internationales (comme l'UNRWA, l'UNESCO, l'OMS…) qui existent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ; ou, plus grave encore, dans le rejet des pourtant fort modérés Accords de Paris sur le changement climatique.
C'est par-dessus cette vieille construction internationale que passe la volonté de pratiquer une diplomatie qualifiée à tort de « transactionnelle » (alors qu'elle est en réalité subordonnée au business as usual) par le biais de négociations bilatérales avec les différentes puissances, comme nous le voyons également avec la guerre commerciale. Et, avec elle, la poursuite de la guerre culturelle mondiale sur le plan politico-idéologique à travers le discours trumpiste (Camargo, 2025), repris par l'Internationale réactionnaire. Cette dernière est désormais considérée comme le seul allié fiable pour défendre ce « qu'ils considèrent comme les valeurs les plus fondamentales » (c'est-à-dire le suprémacisme blanc et chrétien, la famille patriarcale et l'islamophobie), menacées par « l'immigration massive » et la complicité du progressisme, comme l'a dénoncé le vice-président Mike Pence dans son discours déjà évoqué lors de la Conférence de Munich sur la sécurité.
Et l'Union européenne ?
Au milieu de ce changement radical de scénario, l'Union européenne apparaît comme un bloc régional en déclin et de plus en plus divisé entre, d'une part, le choix de s'aligner sur le shérif de Washington, comme le fait déjà Orban depuis la Hongrie, et, d'autre part, la recherche d'une « autonomie stratégique » sur les plans géopolitique, énergétique, économique, technologique et de défense, comme le propose le rapport Draghi. Ceux qui défendent cette dernière option, faisant de nécessité vertu, semblent désormais prêts à accorder une priorité absolue non seulement aux crédits militaires pour leur réarmement – avec même la France de Macron qui propose déjà de partager son parapluie nucléaire –, mais même à une plus grande dérégulation économique au nom de la compétitivité, ouvrant ainsi la porte à un virage libertarien jusque dans les hautes sphères de l'UE (1). Sur cette voie, il semble bien évident que la démocratie, l'inégalité sous toutes ses formes et le réchauffement climatique en subiront les effets, ce qui ne fera qu'accroître le sentiment d'insécurité face à l'avenir au sein des classes populaires et aggraver leurs divisions internes.
Le choix de renforcer une économie de guerre ne trouve aucune justification, car, comme l'a dénoncé Mariana Mortagua, « les pays de l'UE réunis ont plus de militaires en activité que les États-Unis et la Russie, et la somme de leurs budgets de défense est plus élevée que celle de la Russie et plus proche de celle de la Chine ». À cela s'ajoute que, si l'UE a montré sa volonté de continuer à soutenir l'Ukraine face à l'invasion illégitime dont elle est victime de la part de la Russie, cette attitude contraste avec sa complicité permanente avec l'État colonial d'Israël dans le génocide qu'il commet contre le peuple palestinien et le refus de son droit légitime à l'autodétermination. Ce sont donc les intérêts géopolitiques dans un cas comme dans l'autre, et non la défense de la démocratie contre l'autoritarisme ou l'illibéralisme, qui se cachent derrière la pratique du double standard de la part de l'UE, comme l'a dénoncé très justement l'historien Ilan Pappé récemment (2). Même le projet scandaleux annoncé par Trump et Musk de transformer Gaza en un « paradis touristique » n'a pas suscité une condamnation unanime de la part de l'UE.
C'est pourquoi il ne faut pas à nouveau faire l'erreur d'idéaliser une Europe du bien-être et des valeurs démocratiques alors que chaque jour qui passe nous sommes témoins de l'évolution de partis institutionnels et de leur adaptation à l'agenda de l'extrême droite dans sa politique sécuritaire et raciste, comme nous le constatons avec sa politique migratoire et la réduction croissante des droits et libertés fondamentaux.
Et la gauche ?
Dans ce contexte général, la gauche européenne est confrontée à d'énormes défis qui l'obligent plus que jamais à faire face à la reconfiguration en cours de l'ancien ordre impérial. Le rejet des nouveaux pactes inter-impérialistes que Trump et Poutine tentent de mettre en place devrait s'accompagner d'une ferme opposition à une UE qui ne cherche qu'à freiner son déclin en tant que bloc impérialiste en revendiquant une meilleure place dans le nouveau partage colonial.
Sans perdre de vue l'énorme faiblesse de la gauche anticapitaliste, il est urgent de rassembler nos forces dans le cadre des nouvelles résistances qui se mettent en place dans différents pays pour défendre et étendre nos droits et contre-pouvoirs. Sur cette voie, il s'agira d'être capables de construire des fronts socio-politiques unitaires tant pour la lutte commune contre les différents impérialismes que pour répondre à la menace que représentent les autoritarismes réactionnaires en plein essor dans nos propres pays. Ces initiatives devraient favoriser le dépassement du cadre de subordination à la politique du moindre mal qui caractérise les différentes versions du néolibéralisme progressiste, car il a été amplement démontré que ces politiques n'ont pas permis de s'attaquer à la racine des facteurs structurels qui ont facilité l'essor actuel de la réaction (3).
Il s'agit donc de reformuler une stratégie intersectionnelle, contre-hégémonique et écosocialiste, étroitement liée à la lutte pour la dissolution de l'OTAN et à la solidarité avec tous les peuples agressés dans la défense de leur droit à décider de leur propre avenir, face à toute ingérence ou prédation coloniale de leurs ressources, que ce soit à Gaza ou en Ukraine. Dans ce sens, face à la possibilité d'un traité de paix en Ukraine conclu entre Trump et Poutine, il ne faudra pas renoncer à exiger - avec la gauche résistante en Ukraine et l'opposition anti-guerre en Russie - le retrait immédiat des forces russes du territoire occupé, l'annulation inconditionnelle de la dette contractée depuis le début de la guerre (Toussaint, 2025) et la mise en place d'un plan de reconstruction écologiquement et socialement juste.
Face à toutes les sortes de campisme ou de repli national-étatique, nous avons devant nous la difficile double tâche de continuer à défendre une Europe démilitarisée de l'Atlantique à l'Oural, en lien étroit avec la recherche d'une sécurité globale et pluridimensionnelle - qui est apparue comme une nécessité existentielle lors de la dernière crise pandémique - en opposition à la conception de la sécurité aujourd'hui dominante, militariste à l'extérieur et punitive à l'intérieur de nos propres pays.
Jaime Pastor
Traduit pourESSFpar Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepLpro. Source : Viento Sur 1er mars 2025
Références
Camargo, Laura (2024) Trumpismo discursivo. Origen y expansión del discurso de la ola reaccionaria global. Madrid : Verbum.
Forti, Steven (2024) Democracias en extinción. Madrid : Akal.
Godin, Romaric (2025) « Un capitalisme en crise, prédateur et autoritaire », Inprecor.
Louça, Francisco (2025) « ¿Quién es el enemigo ? La superoligarquía », Viento Sur, 19/02.
Toussaint, Eric (2025) « La dette : un instrument de pression et de pillage entre les mains des créanciers », CDTM.
Urbán, Miguel (2024) Trumpismos. Neoliberales y autoritarios. Barcelone : Verso.
1. En réalité, c'est déjà en train de se produire : https://legrandcontinent.eu/es/2025/02/16/desregulacion-en-lugar-de-deuda-comun-el-giro-libertario-de-la-comision-von-der-leyen-sobre-el-informe-draghi/ et https://www.mediapart. fr/journal/international/260225/ue-la-commission-saborde-son-propre-agenda-vert
2. « C'est la grande hypocrisie européenne : soutenir la résistance de l'Ukraine tout en qualifiant de terrorisme la résistance de la Palestine », el diario.es, 25/02/25.
3. Cela s'applique également à la variante socio-libérale, clairement en déclin, comme nous avons pu le constater lors des récentes élections en Allemagne, où une nouvelle coalition gouvernementale avec la démocratie chrétienne est annoncée, ce qui pourrait aggraver sa crise. Pour le cas espagnol, je me réfère à mon article « 41e Congrès du PSOE : le resserrement des rangs autour du leader n'arrête pas la droite », à paraître dans Inprecor n°730.
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Trump II : L’incarnation d’un Idéal-type (au sens wébérien du terme) de la quintessence abjecte et grotesque. Deuxième partie (2 de 3)

Cet effritement des perspectives progressistes a eu pour effet de créer un vide politique alimenté toujours par l'impression que les institutions de la démocratie représentative ne correspondaient qu'à des scènes formelles habitées par des spécialistes qui font quotidiennement la preuve de leur incapacité à esquisser un avenir vraisemblable. Un vide politique qui se nourrit d'un scepticisme envers un jeu politique qui ne vaut pas la peine d'être joué complètement.
Photo : Cette illustration de Donald Trump a été réalisée par Asier Sanz. Il s'agit d'un assemblage-collage qui joue sur la paréidolie, c'est-à-dire cette tendance instinctive qui existe chez l'humain et qui consiste à voir ou à reconnaître des formes familières dans des paysages, des nuages ou des images vagues. https://asiersanz.com. Consulté le 8 mars 2025.
Les illusions de la démocratie libérale
Il y a probablement eu un trop grand nombre de personnes qui ont cru (et qui continuent à croire) naïvement ou en toute sincérité dans les mensonges de la démocratie libérale qui s'est mise en place dans les pays occidentaux au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale.
Expliquons-nous.
Commençons par mentionner que le XXe siècle a été un siècle de grands tumultes sur la scène politique et économique. Il y a eu les deux grands conflits mondiaux (1914-1918 et 1939-1945) et plusieurs crises économiques (1929 à 1939 ; 1957-1958 ; 1960-1961 ; 1970 ; 1974-1975 ; 1982-1983 ; les nombreux et fréquents ralentissements économiques des années quatre-vingt-dix qui ont été accompagnés d'une longue et interminable crise des finances publiques1). Durant la première moitié du XXe siècle, il y a eu une exacerbation des contradictions politiques et l'arrivée de partis politiques autoritaires, dans les années vingt et trente, en Italie (le fascisme) et en Allemagne (le nazisme). Il s'est produit dans certains pays européens des soulèvements ouvriers majeurs (en Autriche [Vienne la rouge], en Allemagne [la révolte spartakiste de Berlin en 1919], en Italie [occupation des usines et mise en place des conseils ouvriers en 1920], en Angleterre [la grève générale de 1926], etc.) ainsi que des révolutions prolétariennes (en Russie en 1917 et en Hongrie en 1919) annonciatrices, sur le plan du discours idéologique, de l'émancipation de l'humanité qui s'est accompagnée en URSS du Goulag et, par les membres de la nomenklatura au pouvoir, d'une lutte à finir avec la dissidence.
Au sein des pays industrialisés de l'Europe de l'Ouest, de l'Amérique du Nord et du Japon, la vie politique va connaître, dès le lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, de grandes mutations. Nous allons assister à l'émergence d'une démocratie libérale qu'on peut qualifier de pluraliste et de représentative. Les pays occidentaux vont entrer dans l'ère de la politique-spectacle2, alors que la vie politique va se professionnaliser et les partis politiques vont traiter l'électorat comme une clientèle à séduire. Mais la joute politique que se livrent dès lors les partis se déroule dans la logique de l'alternance gouvernementale, sans véritable alternative politique. Les citoyennes et les citoyens constatent qu'entre les grands partis traditionnels, c'est « bonnet blanc, blanc bonnet ». Ceci va avoir pour effet de contribuer grandement à développer le cynisme et l'indifférence d'une frange importante de la population envers les affaires publiques. Certes, le droit de vote, dans les démocraties occidentales, va devenir universel et être accordé aux citoyennes et aux citoyens de 18 ans et plus. Pour ce qui est de l'exercice du pouvoir, la vaste majorité n'aura pas voix au chapitre.
Bref, le modèle de la démocratie libérale représentative et pluraliste qui prend forme et qui se répand dans les pays capitalistes développés, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, s'accompagne d'une universalisation du droit de vote et de la transformation des partis politiques en organisations permanentes au sein desquelles nous retrouvons principalement des professionnelLEs de la politique. Ces deux phénomènes ont pour effet de brouiller les cartes de la représentation politique. Plus la politique se massifie et moins le peuple est souverain. Certains auteurs (Robert Michels et Moisei Ostrogorski3) ont conclu à l'impossibilité pratique d'un gouvernement par le peuple. Au mieux, le peuple peut choisir, via une élection, des représentantEs appeléEs à gouverner en son nom. Mais l'idée d'un marché libre ou libéral occasionne des difficultés. Ce qui oblige les gouvernements à envisager des règles ou des mesures pour tenter de limiter les crises économiques et les déficits commerciaux. De là est apparu le planisme, qui sert donc à planifier les budgets étatiques, les visées du marché, en plus d'orienter les politiques de façon à assurer une protection nationale — ce qui nous éloigne du marché libre.
La professionnalisation de la vie politique et parlementaire entraîne la disparition, dans le processus démocratique, de celles et ceux qui comprennent le moins la vie politique. Ceci permet aux dirigeantEs du gouvernement et des partis politiques de diriger avec le moins d'entraves possible. Le rôle du peuple se limite strictement à voter et non pas à être partie prenante du processus décisionnel.
La démocratie libérale pluraliste et représentative correspond tout au plus à une simple procédure : une méthode de sélection du personnel spécialisé dans l'art du gouvernement. La scène politique, lors d'une élection, prend la forme d'un marché dominé par les grands partis politiques en compétition pour obtenir le plus grand nombre de voix. À l'ère de la démocratie représentative pluraliste, les partis politiques traditionnels sont à la recherche des votes de la majorité silencieuse. Pour obtenir des voix, ils font des promesses mirobolantes qu'ils savent qu'ils ne pourront tenir. En politique comme dans le monde de la publicité, c'est le règne du look, du paraître et de la séduction qui l'emporte. Voilà pourquoi nous avançons que la vie politique, dans ce que nous appelons les démocraties libérales occidentales, s'est métamorphosée, à travers le temps, en politique-spectacle. Cette politique fonctionne au simulacre, à l'illusion et aux gros mensonges. La lutte entre les protagonistes et porte-parole des partis politiques s'est exacerbée avec le temps. Elle va devenir, à partir de la crise de la fin des années soixante-dix du siècle dernier, plus clivante et davantage polarisée. Attardons-nous sur quelques-unes des grandes mutations du dernier quart de siècle à aujourd'hui.
Sur les grandes mutations du dernier quart du XXe siècle jusqu'à aujourd'hui
Du milieu des années soixante-dix jusqu'à aujourd'hui, nous avons assisté, dans les pays capitalistes occidentaux et les démocraties libérales, à une transformation progressive du capitalisme et du pouvoir politique. Nous avons été à partir de ce moment et jusqu'à tout récemment confrontés à des institutions qui ont permis une nouvelle forme d'autorégulation du marché mondial. Les dirigeants politiques et les acteurs privés de la Commission trilatérale — organisation créée en 1973 — ont jeté les bases de nouvelles règles de l'économie de marché dans les supposées « ingouvernables démocraties ». La classe politique, pour sa part, a adopté les règles du jeu souhaitées par les barons du capitalisme oeuvrant sur la scène mondiale. Ces nouvelles règles, qui ont été par la suite sanctionnées dans le cadre de traités dits de libre-échange et de règlements adoptés par l'Organisation mondiale du commerce et de Grands sommets des chefs (G-5, G-7, G-8, G-20 et des Sommets de Seattle en 1999 et de Québec en 2002, etc.), n'ont pas été sans conséquences économiques, sociales et politiques majeures pour la majorité de la population.
L'érosion de l'État-nation et régression de la démocratie
Les nouvelles règles du jeu issues de ces organisations à caractère économique et de ces sommets entre dirigeants politiques ont eu pour effet d'éroder certains pouvoirs de l'État. Le pouvoir politique s'est montré incapable de maîtriser la dynamique de la vie économique. Constatons-le : les organisations qui, en dernière analyse, exercent le contrôle du marché mondial sont de nature technobureaucratique et les représentantEs des grandes entreprises ont un accès direct aux décideurEUSEs de ces organisations. Nous avons toutes et tous été à même de constater que jusqu'à tout récemment, le développement du marché mondial a découlé d'une stratégie politique qui a été définie dans des institutions comme le Fonds monétaire international (le FMI), la Banque mondiale, le G7, l'accord de libre-échange nord-américain, etc.. L'État-nation a cessé de faire le poids devant ces institutions politiques internationales réunissant une simple poignée de dirigeantEs des pays les plus développés de trois continents. Nous avons assisté, au cours des cinquante dernières années, soit de 1975 à aujourd'hui, à une véritable régression démocratique qui a profité principalement aux grands acteurs de la mondialisation (les administrateurs des entreprises transnationales, les banquiers de Wall Street, les membres des groupes sélects en provenance de la Silicon Valley : GAFA(M) et NATU4).
Il importe d'ajouter que le primat du marché mondial qui entraîne l'érosion des pouvoirs de l'État national a également eu pour effet d'encourager, à partir du début des années quatre-vingt du siècle dernier, le démantèlement du Welfare State. La nouvelle figure étatique qui s'est mise en place à l'heure du néolibéralisme ou du rétrolibéralisme est maintenant attaquée frontalement par Trump II et Musk (l'agence DOGE). Des années quatre-vingt jusqu'à aujourd'hui, il a été surtout question de privatisations, de dérèglementations, d'ouverture aux capitaux étrangers. Maintenant, aux USA et ailleurs dans certains pays, une contre-révolution réactionnaire est en cours. Une contre-révolution inspirée par les super chefs autoritaires que sont les Trump (USA), Milei (Argentine), Meloni (Italie) et Orban (Hongrie). Or, il importe ici de mettre un mot sur ce qui a accompagné la néo-libéralisation occidentale, c'est-à-dire un néoconservatisme favorable à un État autoritaire. Philip Allmendinger (2002, p. 102) mentionne d'ailleurs ceci : « Les libéraux ont besoin d'un État fort pour contenir la dissidence et surveiller le marché. Les conservateurs ont besoin du potentiel de richesse matérielle offert par le marché afin de justifier un État plus autoritaire5 ». Ainsi, les USA actuels poursuivent dans cette lignée débutée par les Thatcher et Reagan de ce monde.
La transformation de la société
La vaste majorité — pour ne pas dire la quasi-totalité — des sociologues s'entendent sur le constat que nous ne vivons plus dans la société industrielle qui s'est développée à partir du milieu du XIXe siècle. Pour saisir les transformations survenues progressivement depuis la Deuxième Guerre mondiale, certains utilisent le concept de société post-industrielle, d'autres ont proposé celui de société de l'information (c'est-à-dire Hytech). Dans une société de ce type, les organisations de la classe ouvrière ont soit été démantelées, soit rendues illégales. Certaines ont été transformées en véritable caricature électoraliste — pensons ici à l'euro communisme — ou bureaucratisées et rigidement encadrées par un dispositif juridique qui restreint la portée des revendications syndicales et salariales dans un cadre limité et routinier. Dans le monde complexe d'aujourd'hui, il ne semble plus y avoir, à gauche, d'acteurs centraux capables de formuler un projet de société mobilisateur et utopique. La lutte pour le progrès social, jadis fondée sur l'utopie socialiste, est remplacée aujourd'hui par des luttes pour la reconnaissance de droits particuliers (les droits à la non-discrimination et les droits à l'égalité). Peut-être est-ce en raison des dérives communistes perçues et de la montée du totalitarisme vantant d'ailleurs des visées socialistes. Peu importe, à l'heure actuelle, il s'agit ici de constater l'impossibilité de la gauche à dégager, comme au XIXe et une partie du XXe siècle, de grandes solidarités d'inspiration progressiste visant la transformation sociale. C'est plutôt, plus récemment, à droite et chez les ultra-droitistes que l'utopie contre-révolutionnaire s'est enracinée et développée. Toujours dans cette idée de la liberté, dont le néolibéralisme semble incapable de lui donner sa véritable valeur.
La gauche socialiste, la sociale-démocratie, le syndicalisme révolutionnaire ou le syndicalisme de combat sont maintenant des forces sociales et politiques quasi absentes ou complètement absentes de l'arène sociale et de la scène politique partisane. Comment interpréter ce phénomène ? Minimalement, de deux façons : on peut, dans une perspective tautologique, le considérer comme le syndrome de l'absence d'un véritable projet politique de transformation sociale ; on peut aussi considérer ce vide comme l'expression ou le résultat d'une transformation majeure du champ politique lui-même.
Sur les transformations du champ politique dans les démocraties libérales occidentales
Pour résumer en quelques mots autour de cette transformation de la forme et du contenu de l'action politique, disons que nous avons assisté à une remise en question frontale par les forces rétrolibérales — c'est-à-dire néolibérales et maintenant ultralibérales — du modèle politique qui s'est imposé un peu partout en Occident au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale : le modèle de la démocratie sociale ou le modèle de la démocratie représentative parlementaire associée au Welfare State.
Ce modèle de démocratie sociale représentative parlementaire correspondait grosso modo aux caractéristiques suivantes :
• La scène politique est réputée être le lieu où les membres d'une société ont la possibilité de définir leur avenir à travers une dynamique de conflit.
• L'État est la figure centrale du pouvoir : sa conquête est l'enjeu fondamental de l'action politique.
• Les institutions représentatives (parlementaires) sont le théâtre où se répercutent les conflits et les oppositions relativement au changement social et politique.
• Le processus électoral est un mode d'accès privilégié à la compétition politique pour l'exercice du pouvoir d'État.
• Les groupes d'intérêts sont au cœur des pratiques de pression et de mobilisation qui expriment les revendications et les aspirations des groupes identifiés à la société civile.
• Les partis sont les agents centraux de la lutte pour le pouvoir d'État.
Dans la foulée des réformes engendrées par les exigences de la mondialisation néolibérale, c'est ce modèle politique qui a fait l'objet d'un processus d'effritement et de dépassement. Mais, n'allons pas trop vite. Du lendemain de la Deuxième Guerre jusqu'à la crise des années soixante-dix et quatre-vingt, l'action partisane politique s'est fondée sur le culte du changement. En règle générale, la quasi-totalité des partis politiques partageait la volonté de croire et de faire croire qu'ils étaient porteurs d'un projet crédible et distinct de transformation sociale et que leur action s'inscrivait dans une lutte pour le changement visant plus d'égalité.
Or, ce modèle politique construit sur la valorisation du changement est entré en crise dès lors que le projet de transformation de la société, centré sur les idéaux d'égalité sociale, a commencé à être remis en question. En effet, quelque part à partir du tournant des années soixante-dix, les thématiques du changement et du progrès social s'amenuisent. Le socialisme n'apparaît plus comme cet avenir pensable annoncé par les figures de proue du marxisme et du socialisme démocratique. On observe en même temps que les grandes réformes économiques, sociales et culturelles ont sombré dans la routine bureaucratique. Les promesses d'une participation effective des citoyennes et des citoyens à la vie collective ne sont pas réalisées. Et cela n'est pas surprenant, car exiger l'égalité suppose une plus grande intervention de l'État dans tous les rouages de l'activité du travail, en particulier. Autrement dit, il s'agit d'imposer des règles, de bureaucratiser en quelque sorte l'accès et le développement de cette activité. Plus de droits pour les uns équivaut à plus de contraintes pour les autres, d'où une perte de liberté. Cette perception suppose aussi une forme de discrimination, dans le sens où le transfert de la richesse vers l'aide aux autres reviendrait à faire des travailleuses et des travailleurs des pourvoyeuses et des pourvoyeurs au maintien de personnes qui profiteraient alors du système dit « égalitaire ».
Ici et là, des voix se sont élevées pour commencer à s'attaquer à la notion même de progrès social en dénonçant les effets destructeurs du productivisme — pensons ici au rapport intitulé Halte à la croissance —, pendant que d'autres voix ont décidé de remettre en question certaines politiques associées à « l'État-providence ». Avec la crise des années soixante-dix et quatre-vingt, nous avons assisté, à gauche, à la perte de l'espoir de transformer le monde, alors que les visions de l'avenir sont devenues de plus en plus pessimistes. Contrairement aux promesses d'une croissance continue et ininterrompue, le futur désormais allait prendre l'allure de la régression sociale, de l'austérité, du chômage et de la précarisation du travail.
Cet effritement des perspectives progressistes a eu pour effet de créer un vide politique alimenté toujours par l'impression que les institutions de la démocratie représentative ne correspondaient qu'à des scènes formelles habitées par des spécialistes qui font quotidiennement la preuve de leur incapacité à esquisser un avenir vraisemblable. Un vide politique qui se nourrit d'un scepticisme envers un jeu politique qui ne vaut pas la peine d'être joué complètement. Ce scepticisme a pris tantôt la forme d'un absentéisme lors des élections ; tantôt s'est-il manifesté, à gauche, par une chute du militantisme politique et un désinvestissement des groupes d'action collective. Justement parce que les visées communes ne sont point valorisées par ce système, parce que l'individualisme domine. Le néolibéralisme considère l'individu comme un être d'échange et non comme un être social. Ainsi, tout mouvement de revendications axé sur le collectif — militantisme, mouvement social et syndicalisme — est dépeint comme un acte improductif, irrationnel, voire même exercé par des individus chialeurs et frustrés de ne pas avoir autant de succès que les autres.
Notes
1. Mentionnons ici qu'il y a eu ensuite les crises de 2008 et celle qui a accompagné la pandémie en 2020.
2. Schwartzenberg, Roger-Gérard. 1992. L'État spectacle. Paris : Garnier-Flammarion, 318 p.
3.Michels, Robert. 2009. Les partis politiques. Bruxelles : Éditions de l'Université de Bruxelles, 271 p. ; Ostrogorski, Moisie. 1993. La démocratie et les partis politiques. Paris : Fayard, 768 p
4. Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft, Netflix, Air BNB, Tesla et Uber.
5.Traduction libre de : « Liberals need a strong state to contait dissent and police the market. Conservatives need the potential for material wealth offered through the market to justify a more authoritarian state » (Allmendinger, Philip. 2002. Planning Theory. Houdmills and New York : Palgrave, p. 102).
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RDC : le combat pour les droits humains de Caritas Bukavu en temps de guerre

Une entrevue avec Damas, le chef d'antenne de l'ONG congolaise par Charlie Wittendal, correspondant en stage au journal et chargé de communication pour le FSMI.
Tiré du Journal des alternatives.
Dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC), les violences sexuelles sont utilisées comme armes de guerre, dévastant des communautés entières. Dans ce conflit reconnu comme le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre mondiale, avec plus de six millions de morts, des millions de déplacés et plus d'un million de femmes victimes de violences, celles-ci et leurs filles sont particulièrement vulnérables.
Un conflit aux racines profondes
Si ce conflit est complexe et multifactoriel, marqué par le génocide rwandais de 1994, des tensions ethniques et l'implication d'une multitude de groupes armés, l'économie de guerre s'est transformée en économie de prédation des ressources naturelles.
Le chercheur et spécialiste en conflits armés, Nicolas Hubert, a expliqué que les groupes armés et les forces régulières contrôlent l'exploitation minière dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu, y compris la province de l'Ituri, riches en ressources naturelles. Ces « minerais de sang » qui y sont extraits circulent avec des chaînes d'approvisionnement internationales impliquant de grandes entreprises comme Apple et Google. Les minerais extraits illégalement sont exportés vers des marchés internationaux sous des étiquettes trompeuses avec des impacts sociaux et économiques dévastateurs pour les populations locales.
Actualités dans la région du Nord-Kivu
Depuis janvier 2025, les combats se sont intensifiés dans les provinces du Nord et Sud-Kivu opposant les forces Gouvernementales de la RDC et les rebelles du M23. Le M23 a pris la ville de Goma, capitale du nord Kivu, entre le 24 et le 27 janvier, suivi par la ville voisine de Bukavu, province du Sud Kivu, le 16 février. Des combats causant des déplacements massifs de civils, des meurtres et des violences sexuelles. Simplement au cours de la semaine du 27 janvier au 2 février 2025, l'Unicef remarque que le nombre de victimes de viol accueillies au sein des 42 structures de santé a quintuplé, dont parmi elles, 30 % étaient des enfants. Entre le 26 janvier et le 7 février, L'ONU estime près de 3 000 personnes tuées et 2 900 blessées. Face à ces violences des rebelles, il est urgent d'agir.
Damas est le chef d'antenne de Caritas Bukavu depuis 2018, une ONG humanitaire qui œuvre dans cette région. Il témoigne de cette réalité. « On ne sait plus sur quel pied danser. Nous sommes enfermé.es dans nos maisons, muselé.es, incapables de travailler », confie-t-il. Les activités humanitaires sont paralysées, les autorités ont fui et les membres de la société civile doivent se cacher pour survivre. « Nous plaidons pour la démocratie, la liberté d'expression, mais même notre sécurité est en danger. »
Caritas Bukavu
Caritas Bukavu s'engage pour la paix et la défense des droits humains en soutenant les survivantes de violences sexuelles, en assistant les personnes déplacées et en menant des actions de cohésion sociale et de plaidoyer local. L'organisation sensibilise sur l'égalité des genres, l'éducation pour les enfants et la protection de l'environnement, tout en répondant aux urgences avec des distributions de vivres et une aide financière.
Grâce à des partenariats tels que la Caritas Espagne, la Caritas Belgique ou le fonds de Nations Unies pour la Démocratie, elle renforce l'autonomisation des femmes et leur participation à des instances décisionnelles. Elle procure des programmes de mentorat, la création d'activités génératrices de revenus, et une assistance psychosociale et socio-économique pour les survivantes.
Violences faites aux femmes comme arme de guerre
Les femmes sont particulièrement vulnérables dans les régions de conflit. Le viol est utilisé comme arme de guerre : certaines sont agressées devant leurs familles, qui sont ensuite massacrées. D'autres sont capturées en fuyant, violées, mutilées, et abandonnées. Ces violences servent à semer la terreur : elles facilitent la prise de contrôle des territoires, provoquent des déplacements massifs et détruisent le tissu social. Les victimes contractent des infections, sans accès aux soins, leurs maisons sont détruites, leurs biens pillés. Damas raconte : « C'est plus que la guerre. Ils retirent les organes, laissent les survivantes traumatisées, sans aucun soutien ». La réparation judiciaire est inexistante, les bourreaux ont été libérés en cascade pendant la guerre : toutes les prisons sont vides et d'autres incendiées par les rebelles et les forces gouvernementales.
Pourtant, face à cette horreur, des initiatives existent. Le Dr Mukwege et son hôpital offrent des soins médicaux, psychologiques, et un soutien juridique aux survivantes. Caritas Bukavu organise des centres d'écoute, distribue des biens essentiels, et propose des programmes de réinsertion. Ces efforts se font en coordination avec des agences comme l'UNICEF et l'OMS, malgré les risques.
Responsabilité internationale
Ce conflit est aussi une responsabilité internationale : l'exploitation illégale des ressources congolaises finance ces atrocités, au bénéfice de multinationales occidentales et asiatiques. Il est impératif d'interpeller les gouvernements et les entreprises pour qu'ils cessent de soutenir, directement ou indirectement, ce cycle de violence. Les groupes humanitaires appellent le Conseil des droits de l'homme et le Conseil de sécurité de l'ONU à ouvrir un couloir humanitaire sûr, malgré l'entrave des groupes armés. Ils exigent que les responsables des violences soient jugés, que l'exploitation illégale des ressources cesse, et que les populations reçoivent une protection immédiate. Il est urgent d'agir pour soulager les souffrances des victimes de ce conflit.
L'ONG Caritas Bukavu est inscrite comme entité au Forum social mondial des intersections et compte organiser une activité.
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710 millions de fonds publics gaspillés

En Tunisie, un procès aussi politique que kafkaïen

L'ouverture du procès de complot présumé contre la sûreté de l'État a débuté à Tunis mardi 4 mars 2025 en l'absence des principaux détenus politiques. Reporté au 11 avril, sa première audience a été l'occasion pour les familles des détenus et leurs avocats de rappeler toutes les incohérences de cette affaire.
Tiré d'Afrique XXI.
Je pense que depuis les procès des assassinats politiques de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi (1), nous n'avons pas connu d'affaire en justice d'une telle envergure après la révolution. Surtout qu'avant, la couleur politique [des accusés] était clairement identifiée : les islamistes, la gauche, les syndicalistes… Là, on a un peu de tout, y compris Bernard-Henri Lévy.
L'avocat et ancien juge Ahmed Souab ironise en sortant du tribunal de première instance de Tunis, et rappelle au passage la longue liste des accusés improbables de ce procès. Comme une centaine de ses confrères de la défense dans l'affaire dite du complot contre la sûreté de l'État, il s'est exprimé devant le juge, sans prendre de pincettes.
- Nous étions entassés les uns sur les autres dans une salle trop petite, à suffoquer, devant un écran d'où les principaux prévenus étaient absents. Pour moi, c'est digne d'un hammam, pas d'une salle de tribunal. Nous ne pouvons pas parler d'un procès équitable dans de telles conditions.
Les accusés absents
Ce mardi 4 mars, les plaidoiries des avocats dans une salle comble — la fameuse salle d'audience numéro 6, réservée aux présumés terroristes, les accusés étant jugés sur la base de la loi antiterroriste et du code pénal — portent plus sur la forme que sur le fond pour cette affaire hautement politique. Une position assumée de la défense qui refuse de commencer le procès sans la présence des détenus. Ces derniers sont restés dans leur cellule, refusant l'ordre de comparaître par visioconférence — une mesure héritée de la période Covid-19 et qui a été ici ordonnée par la justice pour motif de « danger ».
Sur l'écran, seulement deux prévenus : Saïd Ferjani, cadre du parti islamiste Ennahdha, emprisonné dans le cadre d'une autre affaire, celle de la société Instalingo (Lire l'encadré ci-dessous), et Hattab Slama, directeur commercial et grand inconnu de cette affaire dite du complot. La justice lui reproche d'avoir garé sa voiture dans le parking de la maison de l'un des accusés et détenus politiques, Khayem Turki, aux côtés de véhicules de diplomates étrangers en visite alors chez ce dernier. Les deux prisonniers sont restés silencieux, résignés, écoutant les avocats de la défense face à un juge stoïque qui les a laissés s'exprimer pendant les cinq heures du procès.
Pour la défense, même si cette première audience était décevante, symboliquement, elle a porté ses fruits : « Nous voulions surtout montrer à l'opinion publique locale et internationale ce qui se passe avec ce procès. L'objectif n'est pas vraiment de convaincre le juge, mais plutôt de dénoncer les conditions dans lesquelles se déroulent un tel procès », explique Dalila Ben Mbarek Msaddek, avocate et sœur de Jaouhar Ben Mbarek, autre détenu.
Les familles et les avocats attendaient depuis plus de deux ans ce moment, d'où la déception de ne pas voir les accusés présents physiquement. L'année dernière, lorsque Jaouhar Ben Mbarek avait été entendu par le juge dans une autre affaire, il avait comparu physiquement, malgré sa grève de la faim et il avait pu s'exprimer devant le juge. « C'est ce que la justice redoute, que les prisonniers s'expriment dans la salle d'audience. On les réduit donc au silence », explique Haifa Chebbi, avocate et nièce de Issam Chebbi, président du parti Al Joumhouri et également emprisonné. « Cinquante ans en arrière, lors des procès politiques de la gauche sous Bourguiba, tous avaient pris la parole face au juge », renchérit Rabâa Ben Achour, universitaire venue soutenir les familles à l'extérieur du tribunal.
Un dossier vide
L'affaire compte en tout 40 accusés. Certains d'entre eux comparaissaient librement, comme Ahmed Nejib Chebbi, ancien candidat à la présidentielle et membre de la coalition d'opposition à Kaïs Saïed, le Front du salut, ou encore Chaïma Issa, ancienne détenue politique également membre de cette coalition. Une grande partie des accusés, dont l'ancien président de l'instance électorale, Kamel Jendoubi, et la militante féministe et ancienne députée, Bochra Belhaj Hmida, vivent en exil à l'étranger. Six figures politiques de l'opposition sont emprisonnées depuis février 2023 : Khayam Turki, homme politique, Abdelhamid Jelassi, ancien membre du parti islamiste Ennahda, Ghazi Chaouachi ancien député et secrétaire général du parti de gauche Le Courant démocratique, Issam Chebbi leader du parti Al Joumhouri, Ridha Belhaj, avocat, ancien ministre et membre du parti Nidaa Tounes et Jaouhar Ben Mbarek, constitutionnaliste. Ils avaient tous préparé des plaidoiries en amont de l'audience et remis des lettres à leurs familles pour les lire à la presse. On lit dans celle de Jaouhar Ben Mbarek :
- Notre procès ne pourra donc avoir lieu que si nous assistons à l'audience, et que les portes de la salle d'audience sont ouvertes à tous les Tunisiens. Nous n'accepterons pas que ce procès se déroule dans des salles obscures et dans un secret honteux… Nous n'accepterons jamais…
Outre la liste farfelue des accusés, les noms de l'ancien ambassadeur de France, André Parant, et celui de l'Italie, Fabrizio Saggio, actuel conseiller diplomatique de Georgia Meloni et coordinateur du Plan Mattei qui définit la nouvelle politique africaine du pays, ainsi qu'une officielle américaine ont également été mêlés à ce dossier, sans qu'il n'y soit donné aucune suite. Dalila Ben Mbarek Msaddek insiste :
- L'une de nos demandes préliminaires à la tenue d'un procès équitable était que la justice les auditionne. Nous avons nous-mêmes essayé d'écrire aux ambassades citées pour leur demander leur témoignage, mais nous n'avons pas eu de réponse.
Les révélations du dossier d'instruction montre l'aspect bancal de l'enquête qui repose exclusivement sur les témoignages de trois anonymes, surnommés X, XX et XXX, recueillis qui plus est après l'arrestation des accusés. Les demandes d'une confrontation avec les accusés ont là aussi été rejetées. Pire, le juge d'instruction en charge de l'affaire a finalement quitté le pays peu après la publication du rapport d'instruction, dans des circonstances mystérieuses.
« Une situation alarmante »
Le jour J, la justice tente de calmer le jeu. À l'entrée de la salle d'audience, les policiers sont affables et enregistrent les noms des journalistes, tout en les laissant rentrer. Interdiction cependant de filmer et d'enregistrer sans l'autorisation de la cour, comme dans la majorité des procès en Tunisie, ce qui n'a toutefois pas empêché des enregistrements vidéos et audio de filtrer.
Des représentations de chancelleries étrangères étaient présentes, dont la France, l'Allemagne, la Belgique, le Canada, la République tchèque, l'Espagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Suède, le Haut-Commissariat des droits de l'Homme de l'ONU (OHCHR), ainsi qu'une délégation de l'Union européenne. Ce procès est également scruté de près par les ONG de défense des droits humains qui ont manifesté devant le tribunal, aux côtés d'associations locales et des familles, et qui étaient aussi présentes dans la salle. L'ONG Human Rights Watch a ainsi dénoncé l'absence des détenus dans un communiqué appelant à leur libération immédiate :
- La pratique des procès à distance est par essence abusive, puisqu'elle porte atteinte au droit des détenus à être présentés physiquement devant un juge afin qu'il puisse évaluer leur état de santé ainsi que la légalité et les conditions de leur détention.
Car ce procès, en plus d'autres pratiques liberticides, vaut en effet à la Tunisie d'être de plus en plus visée pour ses « persécutions d'opposants politiques » selon les mots du communiqué de la Commission des droits de l'homme de l'ONU, publié le 18 février 2025, et dénonçant une « situation alarmante » en Tunisie. Le ministère des affaires étrangères a répondu une semaine plus tard via sa page Facebook, se déclarant « stupéfait » des critiques de l'ONU et insistant sur le fait que la Tunisie « n'a pas besoin de souligner son attachement aux valeurs des droits de l'homme ». Quant aux détenus, ils auraient été arrêtés, toujours selon le ministère, « pour des crimes de droit public qui n'ont aucun lien avec leur activité partisane, politique ou médiatique, ou avec l'exercice de la liberté d'opinion et d'expression ».
Malgré la présence des chancelleries étrangères, aucune réaction européenne n'a été enregistrée à ce procès. Lors d'une conférence organisée notamment autour des accusés en exil à Paris, le lundi 3 mars, dans les locaux de la Ligue des droits de l'Homme (LDH), Anne Savinel-Barras la présidente d'Amnesty France, a rappelé que « ces détentions sont arbitraires aux yeux du droit international » mais que, pour l'Europe, « la seule question qui importe avec la Tunisie, c'est l'obsession migratoire. Tout est conditionné à cela ». Si certains députés européens ont à plusieurs reprises élevé la voix contre la dérive autoritaire en Tunisie, réclamant de revoir certains soutiens financiers au regard du traitement des opposants politiques et des exilés subsahariens, aucune action concrète n'a été engagée par la Commission européenne qui, au contraire, multiplie les déclarations sur le durcissement de sa politique migratoire, en collaboration avec Tunis. Par ailleurs, l'Italie s'est plusieurs fois félicitée de la baisse des arrivées de migrants irréguliers sur les côtes italiennes entre 2024 et 2025 au départ de la Tunisie. De leur côté, les autorités tunisiennes ont annoncé que, depuis 2023, le nombre d'exilés arrivés en Italie via la Tunisie a baissé de 80 %. L'Agence Frontex parle d'une baisse de 38 % des franchissements irréguliers des frontières européennes en 2024, une chute due à la réduction de 59 % des départs depuis la Tunisie et la Libye.
« Un régime qui ne plie pas »
Aujourd'hui, la majorité des prisonniers, même ceux dont les familles étaient jusque-là discrètes, sortent de leur silence. C'est le cas de Ghalia Eltaïef, fille de Kamel Eltaïef, homme d'affaires influent, jadis proche de l'ancien dictateur Zine El-Abidine Ben Ali, emprisonné dans le cadre de cette affaire du complot. Dans la foulée de l'audience de mardi, elle a publié sur Facebook une partie du rapport d'instruction concernant son père et a dénoncé l'absence de preuves tangibles qui pourraient l'incriminer. « L'objectif est clair : règlement de comptes politiques et diffamation des opposants à travers des dossiers montés de toutes pièces, et une instrumentalisation de la justice à des fins illégitimes », écrit-elle.
La prochaine audience est prévue pour le 11 avril 2025, « des délais normaux » selon Haifa Chebbi, qui ne s'attend de toute façon pas à un procès long mais à des peines lourdes « pour donner l'exemple », ajoute-t-elle, pessimiste. Parmi les accusés, plusieurs risquent la peine capitale, sous moratoire en Tunisie. Pour la société civile qui peine à se mobiliser autour de l'affaire, seulement une centaine de personnes étaient présentes devant le tribunal mardi. « Il n'y a pas de desserrement possible », estime Rabaa Ben Achour. « Nous n'avons pas vu une seule lueur de compromis dans le bras de fer que nous avons avec le régime de Kaïs Saïed depuis trois ans. C'est un régime qui ne plie pas », conclue-t-elle.
Outre ce procès politique, sans doute l'un des plus connus et des plus attendus, il existe une quinzaine d'autres affaires dites de « complot » qui sont également en attente de procès. Cela sans compter les nombreux activistes, journalistes et militants de la société civile emprisonnés sous le coup du décret 54, qui punit la diffusion de fausses nouvelles et qui est principalement utilisé pour museler la liberté d'expression selon les ONGs de défense des droits humains, ou pour « blanchiment d'argent ». Aujourd'hui, les associations de défense des libertés recensent entre 70 et 80 prisonniers politiques ou d'opinion.
Le dernier procès en date est celui de l'affaire Instalingo — une entreprise spécialisée dans la création de contenus web et dont les chefs et employés ont été accusés d'avoir voulu déstabiliser le gouvernement en répandant de fausses informations. Il a donné lieu à des peines de réclusion criminelle qui vont de 5 à 54 ans de prison, et ce à l'encontre des 38 inculpés, dont plusieurs membres du parti islamiste Ennahda. Son président, Rached Ghannouchi, 83 ans, a par exemple écopé de 22 ans de prison. Après ce verdict qui a donné le ton sur la sévérité des peines encourues, la justice tunisienne a libéré la militante des droits humains et ancienne présidente de l'Instance vérité et dignité, en charge après la révolution de 2011 de la justice transitionnelle, Sihem Ben Sedrine, ainsi que le journaliste Mohamed Boughalleb. Un desserrement ponctuel qui, pour nombre de militants de droits humains, servirait à justifier les lourdes condamnations.
Notes
1- NDLR. Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi ont été assassinés en 2013. Le premier a été tué devant chez lui le 6 février 2013, et ce premier assassinat politique post-révolution a provoqué un séisme dans le pays. Après sa mort, il est devenu le martyr de la gauche. Moins de six mois plus tard, le 25 juillet, Mohamed Brahmi, leader du Courant populaire (nationaliste arabe) est assassiné à son tour. Un sit-in s'organise alors devant l'Assemblée nationale constituante pendant tout le mois d'août 2013, et le pays traverse une crise politique sans précédent qui débouchera sur la formation d'un gouvernement d'union nationale.
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Vers la fin de la paix au Soudan du sud ?

Ces dernières semaines, les tensions ont repris entre les milices partisanes du vice-président nuer Riek Machar et l'armée régulière du président dinka Salva Kiir. Le premier a accusé le second d'avoir attaqué ses troupes dans la région de Ulang (Est). En réplique, le 7 mars, l'une de ses milices a pris d'assaut un hélicoptère des Nations unies à Nasir (Est), avec à son bord douze soldats, dont un proche du président Salva Kiir, le général David Majur Dak. Tous les passagers ont péri.
Tiré d'Afrique XXI.
Ces dernières semaines ont également été marquées par l'arrestation de ministres et de hauts responsables proches de Riek Machar.
L'accord de paix signé en 2018 risque d'éclater. Deux ans après l'obtention de son indépendance en 2011, le Soudan du Sud avait sombré dans une guerre civile meurtrière, qui a fait au moins 400 000 morts et plus de 4 millions de déplacés.
L'accord de paix prévoyait l'organisation d'élections démocratiques et la fusion des deux armées au sein des Forces unifiées nécessaires (NUF). Mais sept ans après, les élections ont été continuellement repoussées, et les NUF n'ont jamais vu le jour. La reprise des affrontements ravive ainsi de vieilles querelles communautaires et politiques.
Déployée depuis 2011, l'opération des Nations unies au Soudan du Sud (Unmiss) s'inquiète dans un communiqué publié le 7 mars : « La mission appelle tous les acteurs à s'abstenir de nouvelles violences et les dirigeants du pays à intervenir d'urgence pour résoudre les tensions par le dialogue et garantir que la situation sécuritaire à Nasir, et plus largement, ne se détériore pas. » De son côté, International Crisis Group s'alarme sur l'avenir du plus jeune pays du monde : « Le Soudan du Sud est au bord d'une nouvelle guerre totale. »
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Le Maroc, pierre angulaire de la politique de Trump en Afrique et en Europe

La nouvelle administration américaine a envoyé un message codé au Maroc. L'aide publique au développement et les actions de l'USAID en particulier voient le Maroc traité comme la plupart des autres pays de la planète. Mais la coopération militaire n'est en rien interrompue et se voit au contraire accélérée.
Tiré de MondAfrique.
Plusieurs facteurs expliquent cet investissement en équipements et formation pour la guerre alors que les Etats-Unis ont freiné leur appui à l'Ukraine et aux alliés européens de l'OTAN.
En premier lieu le nouveau président américain est un vieil ami de la maison royale chérifienne. Donald Trump, désormais surnommé Trump II se voit dynastique comme son ancien ami Feu Hassan II roi du Maroc qui accueillait en 1992 le jeune américain qui deviendra 33 ans après le 47° Président des États–Unis d'Amérique. Ainsi dès le 5 mars 2025, le Général d'Armée Michael Langley, Commandant du Commandement américain pour l'Afrique US AFRICOM s'est déplacé au Maroc pour célébrer un événement spécial dans la zone sud de la méditerranée. La cérémonie s'est tenue à la 1ère Base aérienne des Forces Royales Air (BAFRA) à Salé non loin de Rabat, la capitale ; là où s'est opérée la livraison officielle du premier lot composé de 6 hélicoptères d'attaque Apache AH-64E sur une commande de 36 appareils. La chargée d'Affaires de l'Ambassade des États-Unis au Maroc, Aimée Cutrona se trouvait aux cotés de Michael Langley qui a souligné l'impact de cette livraison sur la structure de défense du Maroc. « Avec l'acquisition de ces hélicoptères « Apache », le Maroc fait un grand bond en avant en termes de capacités, renforçant ainsi sa sécurité et sa position stratégique dans la région », a-t-il déclaré, rappelant le rôle clé de Rabat en tant qu'important allié non-membre de l'OTAN des États-Unis.
Les médias espagnols (voir EL INDEPIENDENTE du 06/03 et LA RAZON du07/03) proches de l'armée espagnole et des milieux conservateurs, ont vite marqué le coup considérant qu'il s'agit là d'un défi stratégique pour l'Espagne car l'acquisition des Apache AH-64E par le Maroc souligne le « talon d'Achille » de l'Espagne qui est celui de son déficit d'hélicoptères.
Pour sa part, le Général de Corps d'Armée Mohammed Berrid, Inspecteur Général des Forces Armées Royales et Commandant de la Zone Sud, a préparé d'avance sa réponse à toutes les critiques en soulignant le jour de la cérémonie tenue à Salé que « La livraison officielle du premier lot d'hélicoptères d'attaque Apache AH-64 marque une avancée majeure dans le renforcement du partenariat stratégique et de la coopération militaire solide entre le Royaume du Maroc et les États-Unis d'Amérique ». Pour tranquilliser les inquiétudes éventuelles et clarifier la primauté de la coopération esprits malveillants, il ajoute que l'acquisition de ces hélicoptères est une « nouvelle pierre ajoutée à l'édifice de nos relations solides et profondément enracinées ».
L'Africom à Kenitra
De plus, le 1 février 2025, le journal espagnol LA RAZON a révélait que les États-Unis, dans le cadre du renforcement des relations avec le Maroc sous la présidence de Donald Trump, le commandement de l'AFRICOM, de Stuttgart, en Allemagne, pourrait être transféré dans la ville de Kénitra, au Maroc.
Les militaires américains ont en tous cas étudié la question sur le terrain. À l'époque, il était question de la base de Rota, en Espagne, mais cette possibilité a perdu de son attrait avec la nouvelle administration américaine.
Rappelons que Le Maroc accueille régulièrement des exercices militaires conjoints, tels que « African Lion », l'une des plus importantes manœuvres militaires du continent, sous la houlette des armées américaines et marocaines co-organisatrices.
Le siège de la zone Sud des Forces Armées Royales ( FAR) du Maroc à Agadir a abrité du 24 au 28 février la réunion finale de planification de la 21ème édition de l'exercice militaire « African Lion 2025 », prévue du 12 au 23 mai, se déroulera à Agadir, Tan-Tan, Tiznit, Kénitra, Benguerir et Tifnit.
Une pointure comme ambassadeur américain
Par ailleurs, le magazine Politico, bien informé tient que John Peter Pham serait candidat pour devenir le prochain envoyé des États-Unis en Afrique de la nouvelle administration du président Donald Trump. Si la nomination de l'ambassadeur M. John Peter Pham au poste stratégique de Secrétaire d'État adjoint pour l'Afrique, se confirmait, elle pourrait marquer un tournant géopolitique dans l'approche américaine, non seulement du dossier africain, mais également celui du flanc sud de l'Europe. M. Pham est connu pour sa connaissance approfondie de cet espace à risques multiples et pour son soutien indéfectible au Maroc.
Le samedi 8 mars 2025, Donald Trump a annoncé, sur son réseau social privilégié, Truth Social, la nomination de Mr. Duke Buchan III au poste d'ambassadeur des États-Unis auprès du Royaume du Maroc. C'est une personnalité d'une loyauté remarquable à Trump, président des finances du comité national républicain, ambassadeur des États-Unis en Espagne et en Andorre, entre 2017 et 2021, qui va observer minutieusement l'attitude du Sud européen envers le pays africain le plus proche.
Est-ce un simple hasard ou une opération diplomatico-politique américaine qui aligne en ce début d'année tant d'éléments où le Maroc rivalise avec l'Europe et s'affirme comme la partenaire stratégique d'un retour de Washington dans cette partie du monde qui jouxte Méditerranée, Atlantique et bande sahélo-saharienne.
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Pression internationale contre les états-unis : l’appel se renforce pour levée du blocus contre cuba et son exclusion de la liste des états commanditaires du terrorisme

La récente déclaration du Groupe des Amis en Défense de la Charte de l'ONU devant le Conseil des droits humains à Genève a ravivé le débat sur l'impact du blocus économique, commercial et financier que les États-Unis imposent à Cuba. Dans une déclaration percutante, les 20 pays membres du Groupe ont exigé la levée immédiate de cette mesure coercitive ainsi que l'exclusion de l'île de la liste unilatérale des présumés États commanditaires du terrorisme.
Photo PCF.fr
Un blocus économique aux conséquences graves
Le vice-ministre des Relations extérieures de Cuba, Carlos Fernández de Cossío, dénonce régulièrement le caractère agressif de la politique américaine envers son pays. Dans une récente entrevue accordée à Prensa Latina, le diplomate a rappelé que la « politique étrangère mise en œuvre par le gouvernement des États-Unis est agressive. On reconnaît ouvertement que le but est d'exercer une pression économique sans relâche sur Cuba ». Fernández de Cossío a également mis en garde contre de possibles nouvelles mesures coercitives, soulignant que le blocus non seulement empêche Cuba d'accéder à financement et marchés internationaux, mais qu'il a aussi un impact direct et fort négatif sur la vie quotidienne des Cubains et Cubaines.
L'inclusion de Cuba sur la liste des États commanditaires du terrorisme : une décision arbitraire
L'un des points les plus controversés reste l'inscription de Cuba sur la liste des États commanditaires du terrorisme. Cette désignation, dépourvue de fondements objectifs, a été largement rejetée par la communauté internationale.
Le Groupe des Amis en Défense de la Charte de l'ONU a qualifié cette mesure d' « injustifiée et arbitraire », soulignant qu'elle répond davantage à une stratégie de pression politique qu'à des faits vérifiables. La déclaration a été faite lors d'un dialogue avec le Rapporteur spécial sur la défense des droits humains dans la lutte contre le terrorisme.
On ne peut ignorer le rôle historique joué par Cuba dans la médiation des conflits en Colombie et son appui au processus de paix. L'île a joué un rôle clé en tant que garant dans les négociations avec différents groupes armés et en facilitant le dialogue entre les parties en conflit. Son engagement en faveur de la stabilité régionale et de la résolution pacifique des différends est largement reconnu sur la scène internationale.
C'est pourquoi la Colombie insiste tant pour la levée du blocus américain contre Cuba et son retrait de la liste controversée des États commanditaires du terrorisme.
La rencontre récente à Bogotá entre le vice-ministre des Affaires multilatérales de Colombie, Mauricio Jaramillo, et l'ambassadeur de Cuba, Javier Caamaño Cairo, renforce la coopération diplomatique croissante entre les deux pays. Lors de cette réunion, les deux responsables ont souligné l'importance stratégique des Caraïbes dans la politique étrangère colombienne et réaffirmé leur engagement en faveur du multilatéralisme.
Un soutien international ferme et grandissant
La déclaration du Groupe des Amis en Défense de la Charte de l'ONU a été appuyée par plusieurs rapporteurs et experts indépendants de l'ONU, qui ont documenté les effets dévastateurs de ces restrictions sur les droits humains à Cuba.
Cet appel vient s'ajouter aux 32 résolutions adoptées par l'Assemblée générale de l'ONU au cours des dernières décennies, où la majorité des États membres ont systématiquement voté contre le blocus. la scène internationale.
L'impact énorme du blocus sur la vie quotidienne des Cubains et Cubaines
Les sanctions imposées par Washington ont restreint l'accès de Cuba à fournitures médicales, denrées alimentaires et technologie, affectant gravement des secteurs clé de l'économie comme la santé et l'éducation.
Malgré ces défis, le gouvernement cubain a réaffirmé sa volonté d'établir une relation respectueuse et constructive avec les États-Unis, fondée sur la reconnaissance mutuelle de la souveraineté et du droit international.
Un appel à la communauté internationale
Alors que de plus en plus de pays rejoignent cet appel, la légitimité de la demande cubaine se renforce et l'isolement des États-Unis sur cette question devient de plus en plus évident.
Seul l'avenir dira si la pression internationale pourra influer sur la politique américaine. En attendant, le peuple cubain continue de résister aux effets d'un blocus économique largement condamné et qualifié par des experts en droits humains de violation des principes fondamentaux du droit international.
Voici la déclaration émise par le Groupe d'Amis en Défense de la Charte des Nations Unies :
Algérie, Bélarus, Bolivie, Chine, République populaire démocratique de Corée, Cuba, Érythrée, Guinée équatoriale, Iran, Laos, Mali, Nicaragua, Palestine, Russie, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Syrie, Ouganda, Venezuela et Zimbabwe.
1. Le Groupe d'Amis en Défense de la Charte des Nations Unies exprime sa condamnation ferme de la réinsertion injustifiée de Cuba dans la « Liste des États supposément commanditaires du terrorisme », une liste arbitraire, illégale et unilatérale établie par le Département d'État des États-Unis.
2. Cette action inacceptable confirme le discrédit et le manque de transparence de cette liste, et démontre l'intention d'intensifier l'assiège économique criminel contre Cuba afin de compliquer ses opérations financières et commerciales et provoquer davantage de pénuries au sein du peuple cubain.
3. L'inclusion injuste de Cuba dans cette liste renforce l'impact négatif du blocus économique, commercial et financier criminel sur la réalisation des droits humains du peuple cubain.
4. Le Groupe rappelle les appels répétés adressés au gouvernement des États-Unis par plusieurs titulaires de mandats de procédures spéciales, de nombreux États, des organisations internationales, la société civile et d'autres acteurs, afin de retirer Cuba de la liste et de lever le blocus.
5. Le Groupe rejette fermement la manipulation politique de la lutte contre le terrorisme.
6. Le Groupe réaffirme sa solidarité indéfectible avec le peuple et le gouvernement cubains, et presse le gouvernement des États-Unis de mettre fin immédiatement et sans condition au blocus, de respecter les 32 résolutions adoptées à cet égard par l'Assemblée générale de l'ONU, et d'exclure Cuba de la liste des États supposément commanditaires du terrorisme.
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Le labyrinthe brésilien

La politique étrangère de la troisième administration de Lula est marquée par trois priorités qui s'entrecroisent : l'intégration régionale, la refonte des équilibres géopolitiques mondiaux et la recherche de nouveaux partenaires économiques. Or, face à une situation mondiale plus confuse et plus tendue, le Brésil se retrouve aujourd'hui avec un poids politique et économique amoindri - y compris au sein des BRICS, un bloc qui subit l'influence croissante de la Chine.
9 décembre 2024 |Source : Nueva Sociedad ; Novembre - Décembre 2024 |Traduction : Adrien Sainty
article_une Gouvernement Lula 2023-2026 Les traductions d'Autres Brésils
https://www.autresbresils.net/Le-labyrinthe-bresilien
Le défi est de contribuer à construire une politique de non-alignement actif pour l'Amérique latine, à équidistance de Washington et de Beijing, en défendant les droits humains, la dénucléarisation et la protection de l'environnement.
Luiz Inácio Lula da Silva est retourné en Bolivie le mardi 9 juillet 2024, 15 ans après sa dernière visite lors de son second mandat présidentiel. Pendant toutes ces années, aucun autre président brésilien n'avait mis les pieds dans ce pays andin, qui partage plus de 3 400 kilomètres de frontières avec le Brésil et qui est son principal fournisseur de gaz naturel. Lula était là pour manifester sa solidarité avec le président progressiste Luis Arce, qui avait échappé à une tentative de coup d'État militaire quelques jours plus tôt, pour annoncer de nouveaux investissements brésiliens dans le secteur de l'énergie et du gaz ainsi que pour célébrer l'un des rares résultats concrets de la politique étrangère de son troisième gouvernement : l'entrée de la Bolivie en tant que membre à part entière du Mercosul, le marché commun du Sud affaibli. Le week-end précédent, Javier Milei, le président argentin d'extrême droite, a snobé la réunion des chefs d'État du Mercosul célébrant l'entrée de la Bolivie et a préféré assister à la réunion de la Conférence d'action politique conservatrice (CPAC) à Balneário Camboriú, dans le sud du Brésil, en compagnie de l'ancien président Jair Bolsonaro.
« Le bon fonctionnement du Mercosul, qui a désormais le plaisir d'accueillir la Bolivie comme membre à part entière, contribue à notre prospérité commune », a déclaré Lula. Le président brésilien a également annoncé qu'il avait invité la Bolivie à participer au sommet des chefs d'État du G20, les 20 plus grandes économies du monde, qui se tiendra en novembre 2024 à Rio de Janeiro, afin de se joindre à l'initiative du Brésil - qui assure la présidence tournante du groupe - pour lutter contre la faim et la pauvreté. « Le président Arce a exprimé l'intérêt de la Bolivie à rejoindre les BRICS (...) le Brésil considère l'inclusion de la Bolivie et d'autres pays de notre région comme très positive. » a ajouté Lula.
Le retour de Lula en Bolivie est un symbole révélateur. Comme lors de ses deux premiers mandats (2003-2010), la politique étrangère de sa troisième administration est marquée par trois priorités étroitement liées : le processus d'intégration régionale latino-américaine, la rediscussion des équilibres géopolitiques et des institutions de gouvernance mondiale, et la recherche de nouveaux partenaires économiques et d'investissements internationaux. Cependant, la situation mondiale est aujourd'hui beaucoup plus confuse et tendue, tandis que le poids politique et économique du Brésil a diminué - y compris au sein des BRICS, le bloc créé avec la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud.
Le 20 mars 2003, au tout début du premier gouvernement Lula, une coalition militaire dirigée par les États-Unis envahit l'Irak dans le but de déposer le dictateur Saddam Hussein et de mettre en place un gouvernement allié. Le prétexte de l'invasion était la présence supposée d'« armes de destruction massive » dans le pays, avec lesquelles le régime d'Hussein pouvait menacer l'Occident. Il s'agissait d'un mensonge sans fondement que l'administration néo-conservatrice du président de l'époque, George W. Bush, a propagé auprès des ministères des affaires étrangères et des médias du monde entier. Outre les États-Unis, 40 pays ont envoyé des troupes en Irak. Il s'agissait d'une opération militaire non-sanctionnée par le Conseil de sécurité des Nations unies, donc illégale et illégitime, qui s'est terminée de manière mélancolique près de 20 ans plus tard. Après avoir détruit l'armée irakienne et abattu Hussein, les États-Unis ont été incapables de gérer le chaos qu'ils avaient créé ; les troupes ont été progressivement retirées jusqu'à ce que les dernières unités militaires cessent leurs opérations de combat en décembre 2021. Quatre mois plus tôt, les troupes américaines avaient également dû quitter précipitamment l'Afghanistan, sous la pression des attaques des talibans.
Le troisième mandat de Lula, qui a débuté en janvier 2023, a commencé dans l'ombre d'un autre conflit déclenché unilatéralement et illégalement par une puissance nucléaire : le 24 février 2022, les troupes russes ont envahi l'Ukraine et annexé la région de Donbas. L'Ukraine a réussi à résister à l'attaque initiale de la Russie et a commencé à recevoir d'énormes quantités d'aides militaires (des États-Unis et de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord, l'OTAN) et d'aides économiques (de l'Union européenne, du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale) ; près de deux ans et demi plus tard, le conflit s'est transformé en une guerre par procuration menée par les États-Unis et leurs alliés contre la Russie et ses alliés. Pendant ce temps, l'Ukraine continue d'être détruite et les civils et les soldats meurent par milliers, en attendant que l'équilibre sur le terrain impose un quelconque accord de paix. Outre les innombrables victimes et les destructions matérielles, l'agression de la Russie contre l'Ukraine a aussi accéléré le remodelage déjà en cours des équilibres géopolitiques mondiaux. En 2003, les États-Unis étaient la puissance hégémonique incontestée dans un monde essentiellement unipolaire. Vingt ans plus tard, la Chine est le premier partenaire commercial de la majeure partie de la planète, avec un PIB nominal supérieur à celui des États-Unis, et les deux puissances se disputent la suprématie économique et diplomatique mondiale - une offensive qui a été particulièrement réussie en Amérique du Sud et en Afrique. Cette nouvelle multipolarité a été explicitée par les votes de l'Assemblée générale de l'ONU, la plus démocratique des instances onusiennes, où tous les pays sont représentés et où il n'y a pas de droit de veto (mais dont les résolutions, contrairement à celles du Conseil de sécurité, n'ont pas de pouvoir contraignant). Entre le 2 mars 2022 et le 24 février 2023, l'Assemblée générale a voté différentes résolutions sur la guerre en Ukraine, qui ont eu des résultats similaires : entre 141 et 143 pays ont condamné l'invasion, entre cinq et sept ont voté contre les résolutions (outre la Russie elle-même, la Biélorussie, l'Érythrée, la Corée du Nord, la Syrie et le Mali), et entre 32 et 35 se sont abstenus ; plus d'une quinzaine de pays ont choisi de ne pas prendre part aux votes. La majorité des abstentions s'est concentrée en Asie - à commencer par la Chine, l'Inde et le Pakistan - et en Afrique. En Amérique latine, les pays qui se sont abstenus ou n'ont pas participé au vote depuis le premier tour sont ceux qui entretiennent les liens économiques, militaires et idéologiques les plus étroits avec le régime de Vladimir Poutine : la Bolivie, le Venezuela, Cuba et le Nicaragua. Les pressions des Etats-Unis et de leurs alliés occidentaux pour isoler diplomatiquement la Russie se sont définitivement effondrées après le début des représailles israéliennes contre la population palestinienne de Gaza, suivant les attaques du Hamas le 7 octobre 2023. Le soutien inconditionnel à Israël, malgré les dizaines de milliers de victimes civiles et les innombrables crimes de guerre commis par Israël, est perçu par les pays du Sud comme une démonstration de l'hypocrisie et du double standard des puissances occidentales, qui ne défendent les droits humains et le droit international que lorsque cela sert leurs intérêts géopolitiques. Cette contradiction est apparue clairement dans les réactions aux demandes d'emprisonnement pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité émises par la Cour pénale internationale (CPI) à l'encontre de Poutine (en mars 2023) et du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu (en mai 2024 [demande déposée en mai par l'Afrique du Sud, mandat d'arrêt émis en novembre 2024, ndlr]). Dans le premier cas, la décision du procureur général de la CPI, Karim Khan, a été célébrée par l'administration américaine (il s'agit d'une « décision justifiée », selon le président Joe Biden) et critiquée par la Russie (une mesure « scandaleuse et inacceptable », selon le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov).
Dans le second cas, le président Biden a qualifié la décision de la CPI de « scandaleuse » et a assuré qu'elle « garantira qu'Israël dispose de tout ce dont il a besoin pour se défendre contre le Hamas et tous ses ennemis ». Tous les pays de l'UE adhèrent à la CPI, contrairement aux Etats-Unis, à Israël, à la Russie, à la Chine et à l'Inde. Néanmoins, à quelques exceptions près, les pays européens ont adopté des positions similaires à celles de Washington, soutenant le mandat d'arrêt contre Poutine et critiquant ou exprimant des réserves sur l'action contre Netanyahu. La mesure judiciaire contre Poutine a créé une situation diplomatiquement délicate pour le Brésil et l'Afrique du Sud, les deux seuls membres des BRICS originels qui adhèrent à la CPI et qui, au fil des décennies, ont généralement ratifié toutes les conventions des Nations unies sur les droits de l'Homme. Le gouvernement de Pretoria a dû faire des gestes discrets auprès de Moscou pour s'assurer que Poutine ne participe pas à la réunion des chefs d'État des BRICS organisée en Afrique du Sud en août 2023, évitant ainsi de devoir enfreindre ses obligations envers la CPI, c'est-à-dire l'exécution du mandat d'arrêt international contre le dirigeant russe (la Russie était représentée par le ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov). Au Brésil, le ministre des Affaires étrangères Mauro Vieira a fait une déclaration ambiguë sur le sujet, tandis que Lula a même discuté de l'autorité de la CPI et de l'adhésion du Brésil à l'organisation. « Si je suis président du Brésil et qu'il [Poutine] se rend au Brésil, il n'y a aucune raison qu'il soit arrêté, il ne sera pas arrêté », a déclaré Lula lors d'un voyage à New Delhi en septembre 2023. Deux jours plus tard, il a fait marche arrière, déclarant qu'il appartiendrait aux tribunaux brésiliens de décider de l'éventuelle arrestation de M. Poutine. Il a ajouté : « Je veux vraiment étudier la question de la Cour pénale internationale (...) Je ne dis pas que je vais quitter la Cour. Je veux juste savoir pourquoi les États-Unis ne sont pas signataires, pourquoi l'Inde n'est pas signataire, pourquoi la Chine et la Russie ne sont pas signataires et pourquoi le Brésil est signataire ». Le Brésil a officiellement adhéré au Statut de Rome, qui a donné naissance à la CPI, en septembre 2002, sous l'administration de Fernando Henrique Cardoso, quelques semaines avant que Lula ne remporte sa première élection présidentielle. Officiellement, Poutine est toujours invité à participer au prochain sommet des chefs d'État du G20, qui aura lieu en novembre 2024 à Rio de Janeiro - le Brésil assure cette année la présidence tournante du groupe. Selon les médias brésiliens, le gouvernement tente de trouver un moyen légal de permettre au dirigeant russe de venir sans courir le risque qu'un juge ordonne son arrestation. À la mi-juillet, le Kremlin n'avait pas confirmé la présence de M. Poutine à la réunion.
Au cours des 18 premiers mois de son nouveau mandat présidentiel, Lula a utilisé des tons beaucoup plus acides que par le passé pour critiquer la politique internationale des puissances occidentales, les asymétries du pouvoir mondial, la « paralysie » du Conseil de sécurité des Nations unies et la « représentation inégale et faussée au conseil d'administration du FMI et de la Banque mondiale ». Au même moment, l'articulation autour des BRICS, avec un programme élargi, a acquis une plus grande importance que lors de ses deux premiers mandats. « Les BRICS ne sont plus seulement une réunion de grands pays », a déclaré Lula lorsqu'il a rencontré un groupe d'hommes d'affaires boliviens lors de son voyage en juillet 2024. « Les BRICS représentent désormais le Sud mondial ».
Un équilibre difficile à trouver entre l'intégration régionale et un vote de confiance pour les BRICS+
Depuis que la plupart des pays d'Amérique latine sont devenus indépendants au début du XIXe siècle, ils sont restés dans la zone d'influence des États-Unis, qui ont exercé leur pouvoir par un mélange de diplomatie, de force brute (économique et, le cas échéant, militaire) et d'hégémonie culturelle. Alors que le Mexique et l'Amérique centrale, pour des raisons géographiques et historiques, continuent de pointer leur boussole presque exclusivement vers les États-Unis, l'Amérique du Sud a entamé, depuis le début du XXIe siècle, un processus de diversification de ses échanges commerciaux et de sa politique internationale. Cette nouvelle phase a commencé avec l'élection, entre 1998 et 2006, de dirigeants de gauche ou progressistes dans les principaux pays de la région. En 2005, un front mené par Lula (Brésil), Nestor Kirchner (Argentine) et Hugo Chávez (Venezuela) a définitivement rejeté la proposition américaine de créer une Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA), qui aurait étendu au continent le carcan économique accepté par le Mexique lors de la signature de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) en 1994. Les résultats de ce choix n'ont pas tardé à se faire sentir. Entre 2000 et 2020, les échanges commerciaux de la Chine avec l'Amérique latine et les Caraïbes ont été multipliés par 26 et, selon le Forum économique mondial, ils devraient doubler d'ici 2035 pour atteindre plus de 700 milliards de dollars américains. En 2022, les importations et exportations entre la Chine et l'Amérique centrale et du Sud (c'est-à-dire sans le Mexique) s'élevaient à 351 milliards de dollars, soit 54 milliards de dollars de plus que les flux commerciaux avec les États-Unis. Cependant, la Chine importe essentiellement des matières premières agricoles et minérales d'Amérique latine et exporte des produits industriels manufacturés : le même cercle vicieux qui condamne la région à un développement faible et fragile depuis des décennies. D'un point de vue diplomatique, le rejet de l'ALCA a également marqué le début d'une période de grande effervescence, avec la création de deux nouvelles organisations intergouvernementales : l'Union des nations sud-américaines (UNASUR), composée de 12 pays sud-américains (2008), et la Communauté des États latino-américains et caribéens (CELAC), avec la participation de 33 pays (2010). Ces deux initiatives ont été menées par le Brésil sous la présidence de Lula et réalisées grâce aux actions habiles de ses deux stratèges en politique internationale, le ministre des Affaires étrangères Celso Amorim et le conseiller spécial Marco Aurélio Garcia. Lula s'est également efforcé de relancer le Mercosul et d'augmenter le nombre de pays participants. Tous les efforts visant à approfondir l'intégration régionale ont toutefois implosé à la suite de la crise politique au Brésil (le coup d'État parlementaire contre la présidente Dilma Rousseff en 2016 et l'élection du candidat d'extrême droite Jair Bolsonaro en 2018) et de l'arrivée au pouvoir de présidents conservateurs en Argentine, au Paraguay, au Pérou et au Chili. L'Unasur a cessé de fonctionner en 2018 et les autres entités régionales ont été mises en veille. Depuis le début de son troisième mandat, le 1er janvier 2023, Lula et son gouvernement ont tenté de relancer l'Unasur, en vain. Après une première réunion à Brasilia, à laquelle ont participé 11 présidents de pays sud-américains, le 30 mai 2023, il a été impossible d'organiser une deuxième réunion. Non seulement il y a des présidents de droite de différentes convictions dans plusieurs pays de la région (Argentine, Uruguay, Paraguay, Équateur et Pérou), mais même dans le camp progressiste, il n'y a pas de consensus sur la façon de gérer la crise politique au Venezuela ou la guerre en Ukraine. A l'Itamaraty [ministère des Affaires étrangères du Brésil, ndlr], on admet que, pour l'instant, les conditions ne sont pas réunies pour réactiver l'Unasur ou créer une nouvelle organisation similaire. Lula ne cache pas sa frustration face à cette situation. « Nous n'avons jamais été aussi éloignés les uns des autres que maintenant. Nous devons prendre la responsabilité de décider quelle Amérique du Sud nous voulons et quelle intégration nous voulons », a déclaré le président brésilien lors d'un voyage d'État en Colombie en avril 2024.
Malgré ses nombreuses limites et son déficit structurel de légitimité, le seul organisme régional qui continue de fonctionner sans interruption à ce jour est l'Organisation des États américains (OEA), créée en 1948 et basée à Washington, une organisation historiquement soumise aux États-Unis et à leurs intérêts stratégiques. La CELAC, qui est pertinente parce qu'elle rassemble tous les pays d'Amérique latine, est un forum dont le niveau d'institutionnalisation et d'influence politique est faible. L'Amérique latine et les Caraïbes ont une vieille tradition multilatéraliste, dans laquelle les conflits entre États ont été résolus presque exclusivement par la diplomatie et non par les armes. Une douzaine de pays de la région ont participé à la création de la Société des Nations en 1920, et 20 pays figuraient parmi les 51 nations fondatrices de l'ONU en 1945. Cependant, malgré la rhétorique usée de la grande patrie, l'intégration latino-américaine reste une chimère. Il est décourageant de constater que, dans un laps de temps beaucoup plus court et dans des conditions politiques beaucoup plus complexes, les institutions régionales africaines ont fait beaucoup plus de progrès. L'Union africaine (UA), qui compte 53 pays membres, a été créée en 2001 sur les bases de l'Organisation de l'unité africaine (OUA), fondée au plus fort du processus de décolonisation, en 1963. En un peu plus de vingt ans, l'UA est devenue un acteur politique reconnu, influent et actif en Afrique, et de plus en plus indépendant des influences des anciennes puissances coloniales.
Durant les premiers mandats de Lula, le Brésil a été impliqué dans le processus de création du groupe BRICS. Le nom (initialement sans « S ») a été créé en 2001 par un analyste de Goldman Sachs, Jim O'Neill, pour désigner les principales économies émergentes (Brésil, Russie, Inde et Chine). Le groupe s'est réuni officiellement pour la première fois en marge de l'Assemblée générale des Nations unies de 2006 à New York. Le premier sommet des BRIC a eu lieu en 2009 en Russie. Deux ans plus tard, lors du troisième sommet à Sanya (Chine), l'Afrique du Sud a rejoint le bloc, ajoutant le « S » (pour « South Africa ») à l'acronyme. Le successeur de Lula, Dilma Rousseff, a cependant montré peu d'intérêt et encore moins d'aptitudes pour la politique internationale, et le Brésil a cessé de jouer un rôle de premier plan au sein du groupe. La participation du Brésil est devenue un simple protocole sous les gouvernements de Michel Temer, après le coup d'État parlementaire contre la présidente Rousseff, et de Bolsonaro. Au cours de ces années, les BRICS ont continué à organiser des sommets annuels sans coordination politique ou diplomatique significative, à l'exception de la création de la Nouvelle banque de développement (NDB) en 2015, basée à Shanghai.
Progressivement, le bloc est devenu un élément supplémentaire de l'expansion de la zone d'influence de la Chine. Lors du sommet de Johannesburg en août 2023, les Chinois ont imposé la création des BRICS+, avec l'entrée de cinq nouveaux pays membres : Égypte, Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Éthiopie et Iran. L'initiative a été très mal accueillie par le Brésil, qui craignait à juste titre la dilution de son pouvoir politique dans le bloc élargi. En contrepartie, le Brésil a également exigé l'admission d'un pays allié, l'Argentine, qui a renoué depuis 2019 avec un gouvernement progressiste. « Les Chinois ne nous ont pas laissé le choix. Le seul moyen d'empêcher l'élargissement aurait été que le Brésil se sépare, et nous ne pouvions pas le faire », explique un diplomate brésilien qui a participé aux négociations tendues et qui a demandé à ne pas être identifié. « Lorsque Lula est revenu à la présidence, nous avons retrouvé les terres rasées, plus rien ne fonctionnait au sein du gouvernement, y compris à l'Itamaraty. Les Chinois ont pu profiter de ce vide ». Trois mois après la réunion, le candidat d'extrême droite Javier Milei a été élu président de l'Argentine, et le pays a ensuite annoncé qu'il ne rejoindrait pas les BRICS+. Pour Lula et le Brésil, il s'agit d'une sévère défaite diplomatique.
Sur le papier, les BRICS+ constituent un bloc encore plus puissant économiquement que le G7, le groupe des pays occidentaux les plus riches (États-Unis, Canada, France, Allemagne, Italie, Japon et Royaume-Uni). En utilisant les données les plus récentes de la Banque mondiale, l'économiste de l'Université de Columbia Jeffrey Sachs a calculé que les BRICS+, qui représentent 45 % de la population mondiale, sont aujourd'hui responsables de 35,2 % de la production mondiale, contre 29,3 % pour le G7. Il y a trente ans, en 1994, le G7 était responsable de 45,3 % de la production mondiale, contre seulement 18,9 % pour les dix pays BRICS+. Les choses ont changé, écrit Sachs : « Les nouvelles données mettent en évidence le passage d'une économie mondiale dirigée par les États-Unis à une économie mondiale multipolaire, une réalité que les stratèges américains n'ont jusqu'à présent pas réussi à reconnaître, accepter ou admettre ».
Les implications futures pour le Brésil et l'Amérique latine de ce déplacement du centre de gravité sont difficiles à évaluer précisément. Avec l'élargissement des BRICS+, les pays membres ayant des systèmes politiques démocratiques et des élections multipartites compétitives (Afrique du Sud, Brésil et Inde) se retrouvent nettement en minorité : trois sur dix. Tous les nouveaux membres, ainsi que la Russie et la Chine, partagent un mépris systématique pour les droits humains. Par ailleurs, on observe clairement une dilution du poids économique – et donc politique – du Brésil dans ce nouveau monde multipolaire. Au sein des BRICS+, comme le rappelle l'inventeur du nom du bloc Jim O'Neill, le Brésil et la Russie représentent approximativement la même part du PIB mondial qu'en 2001, et l'Afrique du Sud n'est même plus la plus grande économie d'Afrique (elle a été dépassée par le Nigeria).
D'un point de vue économique, la Chine et l'Inde sont les principaux acteurs du bloc, bien qu'en forte concurrence l'une avec l'autre et ayant des objectifs stratégiques divergents dans la plupart des cas (avec un différend frontalier qui a déjà conduit par le passé à un conflit armé).
Malgré l'éclat et la reconnaissance personnelle de Lula sur la scène internationale, le Brésil d'aujourd'hui est l'ombre de la puissance économique et diplomatique qu'il était devenu entre 2003 et 2010. Selon les données du FMI, le PIB brésilien est passé de 2,46 trillions de dollars en 2012 à 1,83 trillion en 2022, et sa part dans les biens et services produits dans le monde a chuté de 3,27 % à 1,76 %. En d'autres termes, une baisse de 46 %. La contraction brutale de l'économie brésilienne a également réduit le poids global de l'Amérique latine. Bien que la région concentre 8 % de la population mondiale, elle ne représentait que 5,26 % du PIB mondial en 2022, contre 7,95 % en 2012, soit une diminution de 33,85 % en dix ans. En 2023, l'année du retour de Lula à la présidence, le PIB du Brésil a augmenté de 1,6 % et celui de la région de 2,3 %.
Lors du sommet de Johannesburg, le Brésil a proposé la création d'un groupe de travail pour étudier l'adoption d'une monnaie alternative au dollar pour les échanges commerciaux entre les membres des BRICS+. Cependant, la déclaration finale n'a fait aucune mention de la création d'une monnaie commune pour le bloc, ni d'étapes concrètes vers la dédollarisation du commerce international, une idée soutenue publiquement par Lula et Poutine, qui permettrait à la Russie de réduire l'impact des sanctions internationales imposées par les États-Unis et l'Union européenne après l'invasion de l'Ukraine. Un an plus tard, la dédollarisation reste une aspiration rhétorique. Même les prêts de la NDB (Nouvelle Banque de Développement) continuent d'être effectués en dollars et en euros, et seulement marginalement en renminbis chinois. La « banque du Sud global », comme Lula l'a surnommée avec un certain excès d'enthousiasme, n'est pour l'instant qu'une opération relativement modeste, avec seulement huit membres (en plus des BRICS originaux, l'Égypte, le Bangladesh et les Émirats arabes unis), qui, en neuf ans d'activité, ont approuvé des prêts pour 96 projets différents – principalement dans les domaines des infrastructures et des transports – pour un montant total de 32,8 milliards de dollars. En comparaison, la Banque interaméricaine de développement (BID), créée en 1959 et basée à Washington, compte 739 projets en cours en Amérique latine, pour un total de 58 milliards de dollars. Le Brésil exerce la présidence tournante de la NDB pour la période 2020-2025. Sous le gouvernement Bolsonaro, le président de la banque était un économiste néolibéral, Marcos Troyjo, remplacé après l'investiture de Lula : l'ancienne présidente brésilienne Dilma Rousseff a été nommée à la tête de la banque en mars 2023 et y restera jusqu'en juillet 2025.
Malgré son poids économique indéniable, le bloc BRICS+ ne dispose pas d'une stratégie géopolitique claire ou unifiée. Son influence au sein des Nations Unies et du système multilatéral est également limitée par les faibles ressources mises à disposition par les pays membres. Dans la déclaration conjointe des ministres des Affaires étrangères des BRICS+ signée le 10 juin 2024, par exemple, une grande attention est portée à « l'escalade sans précédent de la violence dans la bande de Gaza à la suite de l'opération militaire israélienne », avec des « résultats humanitaires catastrophiques », et à la nécessité de « la mise en œuvre effective de la résolution 2728 du Conseil de sécurité de l'ONU pour un cessez-le-feu immédiat, durable et soutenable ». Parallèlement, les contributions financières des BRICS+ à l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient (UNRWA), qui soutient la population palestinienne à Gaza et dans toute la région, restent symboliques.
Le Brésil fait également partie du G20, le groupe des plus grandes économies mondiales, et exerce la présidence tournante de l'entité en 2024. L'une des initiatives les plus emblématiques défendues par la présidence brésilienne a été la création d'un impôt minimum sur la fortune des quelque 3 000 milliardaires (en dollars) dans le monde, qui contrôlent aujourd'hui environ 13 % du PIB mondial. Selon les calculs de l'économiste français Gabriel Zucman, à qui le gouvernement brésilien a demandé une étude technique pour soutenir cette proposition, cette taxe pourrait générer entre 200 et 250 milliards de dollars par an, une fois mise en œuvre. Alors que des pays du G7 comme la France et (avec des réserves) les États-Unis ont exprimé leur soutien à la proposition, le seul pays des BRICS+ à l'avoir adoptée est l'Afrique du Sud. La Chine, l'Inde, la Russie et l'Arabie saoudite, au moment de la rédaction de cet article, sont restées silencieuses.
Ayant provisoirement perdu le pari de l'intégration sud-américaine, le Brésil cherche à trouver un point d'équilibre entre le Sud global, les États-Unis et les démocraties européennes, menacées par l'essor de l'extrême droite.
« Dans le cas du Brésil, nous jouons sur deux fronts : l'alliance avec les sociaux-démocrates dans le monde et l'alliance avec les pays en développement, comme les BRICS », explique Celso Amorim, le grand stratège international du gouvernement Lula. « C'est un monde compliqué. Nous avons une organisation du pouvoir très complexe. Les menaces et les conflits ouverts sont là. En Ukraine, les superpuissances s'affrontent. Parallèlement, le conflit israélo-palestinien absorbe tout et bouleverse les politiques internes des pays. »
Amérique latine, multipolarité et non-alignement actif
Le prochain sommet des chefs d'État des BRICS+ se tiendra à Kazan, en Russie, à la fin octobre 2024. Pour le régime de Poutine, ce sera une occasion importante de montrer au monde que le pays n'est pas isolé, malgré l'invasion de l'Ukraine et les sanctions occidentales. Selon l'ancien président russe et actuel vice-président du Conseil de sécurité du pays, Dmitri Medvedev, « des dizaines de pays » aspirent à rejoindre les BRICS+, une réponse aux efforts de l'Occident pour « préserver les règles en vigueur jusqu'à présent (...), maintenir leur prédominance et continuer à tirer profit des ressources matérielles, naturelles et humaines (...) ainsi qu'à dicter leurs conditions au monde entier ». Bien que le discours de Medvedev, teinté d'anticolonialisme, soit en contradiction évidente avec les pratiques de la Russie consistant à recourir à la force pour résoudre des différends politiques ou diplomatiques, cette rhétorique semble toucher des perceptions profondes dans le Sud global.
La Chine et la Russie se retrouvent souvent alignées dans leur critique de l'ordre international dirigé par les États-Unis sur des questions de paix et de sécurité. Elles partagent une opposition farouche à tout type de supervision internationale (considérée comme une ingérence) sur des thèmes qu'elles considèrent comme internes avec en premier lieu le respect des droits humains. Cependant, il existe une différence notable entre les stratégies des deux pays.
La Chine ne conteste pas la norme de l'intangibilité des frontières territoriales suite à une agression militaire (bien qu'à ses yeux, cette norme ne s'applique pas à Taiwan). Mais au Conseil des droits de l'Homme de l'ONU, la Chine vote systématiquement contre toute résolution visant à surveiller ou condamner des abus, s'opposant même au concept de pression internationale. Comme l'a écrit Kenneth Roth, ancien directeur exécutif de Human Rights Watch, « selon Beijing, le Conseil devrait se limiter à un forum de discussions générales entre gouvernements, dans le respect des interprétations souveraines de chacun sur les droits humains ».
La Chine défend une vision où les droits humains se résument à l'amélioration des conditions de vie et à la croissance économique. Dans sa position officielle : « Les intérêts du peuple sont l'origine et la finalité des droits humains. Renforcer le sentiment de bonheur, de sécurité et de satisfaction des citoyens est l'objectif ultime des droits humains et de la gouvernance nationale. (...) Nous nous opposons à l'utilisation des droits humains comme prétexte pour interférer dans les affaires internes d'autres pays. »
À l'inverse, la Russie, avec son économie affaiblie, mise sur une rhétorique valorisant les « valeurs traditionnelles » de famille, patrie et religion, tout en attaquant le cosmopolitisme et la tolérance des élites occidentales. Ce discours résonne chez de nombreux leaders autoritaires d'extrême droite dans le monde, de Donald Trump à Jair Bolsonaro, de Recep Erdoğan à Viktor Orbán.
Tandis que la Chine investit dans un soft power global pour concurrencer les États-Unis, l'appareil de propagande russe se concentre sur les failles de l'Occident, niant ou déformant les faits nuisibles à l'image de la Russie.
L'Amérique latine : un rôle à réinventer
Dans la compétition pour la primauté mondiale entre la Chine et les États-Unis, l'Amérique latine reste spectatrice. Pour devenir un acteur de poids, la région devra transformer son modèle de développement, misant sur une réindustrialisation durable et des politiques de réduction des inégalités. Ni le Brésil ni le Mexique ne peuvent rivaliser seuls sur la scène mondiale.
L'intégration régionale devrait évoluer de la rhétorique vers la construction d'institutions solides et indépendantes, tout en impliquant la société civile. Des entités futures ne doivent pas dépendre des cycles électoraux nationaux, comme cela a été le cas pour l'UNASUR.
Pour le Brésil, avec ses capacités intermédiaires et sa tradition diplomatique, l'implication dans des formes variées de coopération internationale est essentielle. Rejeter la logique d'une nouvelle Guerre froide, où il faudrait choisir un camp, sera crucial. Dans ce cadre, les BRICS+ peuvent n'être qu'un outil parmi d'autres. L'Amérique latine devrait viser une politique de non-alignement actif, équidistante de Washington et Pékin, tout en renforçant ses relations avec l'Afrique et l'Asie centrale.
Comme le suggèrent Carlos Fortín, Jorge Heine et Carlos Ominami, ce non-alignement devra être proactif et élargir les opportunités au-delà du cadre occidental.
Conclusion
L'Amérique latine reste profondément ancrée dans les valeurs de la démocratie libérale et la lutte pour les droits humains. Malgré les défis posés par les inégalités, le racisme et la violence étatique, les mécanismes internationaux de défense des droits humains ont été essentiels à ses progrès. Aujourd'hui, face à l'influence croissante de la Chine et à l'autoritarisme multipolaire, il est impératif de reconstruire un multilatéralisme plus équitable.
L'investissement dans des institutions régionales et internationales devient vital, en formant de nouvelles coalitions pour promouvoir des agendas économiques, environnementaux et humains.
Voir en ligne : Article original en portugais
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Résolution Ukraine - 18ème Congrès mondial de la Quatrième Internationale

Le 18e Congrès mondial de la Quatrième Internationale s'est tenu en Belgique du 23 au 28 février. La discussion, très large, a porté sur la situation internationale sous tous ses aspects, de la polycrise structurelle dans ses dimensions environnementale, économique, sociale et politique aux mouvements de résistance, en passant par la nécessité de construire et de renforcer notre propre Internationale. Un point particulier du débat a été la manière dont nous, marxistes révolutionnaires internationalistes, exprimons notre opposition à l'invasion russe de l'Ukraine et notre solidarité avec la résistance du peuple ukrainien à cette invasion, aux politiques néolibérales du gouvernement Zelensky et à la militarisation néolibérale...
Nous publions ici la résolution présentée par la majorité du CI sortant, approuvée par le congrès par 95 voix pour, 23 contre, 3 abstentions et 5 non-votes, et la résolution alternative présentée par un certain nombre de délégations rejetée par 31 voix pour, 80 contre, 9 abstentions.
18e Congrès Mondial - 2025
https://fourth.international/fr/congres-mondiaux/874/europe/673
En février 2022, Poutine a lancé une invasion à grande échelle de l'Ukraine dans le but de transformer le pays en satellite russe. Cette tentative a déjà fait des centaines de milliers de morts et de blessés. Mais le régime de Moscou se caractérise depuis longtemps par une idéologie impérialiste expansionniste grand-russe, qui considère que les superpuissances ont le droit d'étendre leur zone d'influence par tous les moyens possibles, en remettant en cause les normes établies du droit international et en légitimant une nouvelle ère de redistribution impérialiste. Ainsi, pour le Kremlin, l'augmentation quotidienne du coût humain de cette agression n'est pas une raison pour y mettre fin, et une nouvelle intensification est nécessaire pour terroriser le peuple ukrainien et l'obliger à se soumettre.
Ce qui devait être une « opération militaire spéciale » visant à faire tomber le gouvernement de Kiev en quelques jours s'est transformé en un enlisement de trois ans dans une guerre à grande échelle. Cette évolution était inattendue non seulement pour Poutine, mais aussi pour les puissances occidentales - Biden a même proposé d'aider Zelensky à être exfiltré. C'est précisément la détermination et la résilience de la résistance ukrainienne qui a déjoué les plans de Poutine jusqu'à aujourd'hui.
L'invasion de l'Ukraine n'était pas seulement une tentative de réaffirmer le rôle de la Russie dans la compétition capitaliste, mais aussi une tentative délibérée de renforcer le contrôle sur la société russe et d'écraser toute dissidence. Des militants anti-guerre ont été poursuivis et condamnés à de longues peines de prison sur la base d'accusations forgées de toutes pièces. Des organisations socialistes, comme celle de nos camarades du Mouvement socialiste russe, ont été contraintes de se dissoudre et leurs membres ont dû fuir. Si les féministes continuent à se mobiliser, elles le font sous une pression constante, avec des menaces d'emprisonnement pour avoir ne serait-ce que prononcé le mot « guerre ».
En tant qu'internationalistes, nous défendons le droit à l'autodétermination de l'Ukraine et son droit à résister à l'invasion. Les mouvements populaires font partie intégrante de cette résistance et mènent une lutte sur deux fronts : contre les occupants et contre le gouvernement Zelensky. Dans cette lutte inégale, nous sommes solidaires des autres forces progressistes du pays. Nous exhortons toute la gauche internationaliste à développer une solidarité politique et matérielle avec les syndicalistes, les féministes et les militant·es des organisations sociales et démocratiques en Ukraine. Comme la Quatrième Internationale le fait depuis le début de l'agression dans le cadre du « Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine » (ENSU/RESU) et avec l'organisation de gauche ukrainienne, Sotsialnyi Rukh.
Une fois de plus, nous soulignons que nous ne nous faisons aucune illusion sur la nature du régime ukrainien. Son gouvernement est de droite et néolibéral, n'hésitant pas à mobiliser la peur pour rester au pouvoir. Il tient autant à satisfaire les capitalistes nationaux qu'à rassurer les puissances occidentales sur sa capacité à s'adapter à leurs exigences. Ses politiques antisociales et antidémocratiques sont contre-productives en termes de défense de l'Ukraine, car elles s'opposent aux besoins de ses classes laborieuses, provoquent leur ressentiment, sapent la confiance sociale et, en conséquence, le gouvernement recourt à des mesures de plus en plus autoritaires. Il est donc d'autant plus important de se tenir aux côtés des travailleurs et travailleuses ukrainien·nes et de leurs organisations. Nous ne pouvons pas les abandonner alors qu'ils et elles ont désespérément besoin de solidarité, d'autant que notre vision de l'émancipation est celle d'une lutte par en bas, où le peuple se soulève pour lutter en toute indépendance du pouvoir et des grandes puissances.
L'attaque de l'Ukraine par la Russie s'inscrit dans la crise globale du capitalisme, des tensions inter-impérialistes croissantes, de la montée de l'extrême droite et du militarisme. Le régime russe est intervenu en Ukraine, en Arménie, en Géorgie et au Kazakhstan, a soutenu le régime réactionnaire de Bashar El Assad et s'implique de plus en plus en Afrique. Les États-Unis manœuvrent en Amérique du Sud, en Asie-Pacifique, en Europe et en Afrique, arment en permanence Israël en soutenant toutes ses agressions. La France, quant à elle, tente de se maintenir en Afrique et réprime les indépendantistes kanaks. Sans compter que la guerre d'agression de Poutine a revitalisé l'OTAN, auparavant déclarée « en mort cérébrale » et qu'elle a permis aux grandes puissances occidentales de la renforcer et de l'élargir.
En invoquant l'invasion russe, les gouvernements occidentaux font semblant d'être impuissants à soutenir ceux qui sont frappés par l'inflation et l'augmentation des coûts de l'énergie, sapant ainsi tacitement la solidarité à laquelle ils appellent. Entre-temps, les forces de droite s'en prennent de plus en plus aux réfugié·es ukrainien·nes ou les opposent à d'autres migrant·es.
Évidemment, le soutien que les États-Unis et les gouvernements occidentaux apportent à l'Ukraine n'est pas fondé sur un point de vue anticolonial, puisqu'ils permettent, notamment, au colonialisme israélien de se développer sans entrave. Les puissances impérialistes occidentales utilisent la guerre pour tenter d'affaiblir leur rival russe en même temps qu'elles utilisent le besoin d'aide de l'Ukraine pour imposer leur propre mainmise sur le pays. Cependant, ce n'est pas une raison pour que le peuple ukrainien, dans le besoin, qui mérite tous les moyens nécessaires pour se défendre, refuse ces moyens ou que nous fassions obstacle à cette aide.
Il appartient maintenant à la gauche de se mobiliser et d'exiger que le soutien au peuple ukrainien soit accordé sans condition, au lieu d'être lié à la mise en œuvre et à l'approfondissement des mesures néolibérales. C'est pourquoi nous demandons l'annulation immédiate et totale de la dette ukrainienne, le respect du droit du travail, aux études et le maintien des services publics, l'expropriation des grands capitalistes et la lutte contre la corruption pour aider le peuple ukrainien et s'opposer au pouvoir impérialiste.
L'augmentation mondiale des dépenses d'armement montre que nous devons plus que jamais faire campagne contre les programmes insensés de réarmement stratégique mutuel, notamment nucléaire, contre le commerce des armes, très souvent orienté vers les dictatures, et pour un contrôle démocratique (nationalisation) de l'industrie de l'armement - tout en soutenant le droit des peuples colonisés à se défendre, y compris par les armes.
Au moment où nous écrivons ces lignes, la Russie lance de nouvelles attaques. La destruction de villes entières, d'infrastructures et d'écosystèmes sert à imposer l'emprise de l'impérialisme grand-russe, tout comme l'enlèvement et la déportation d'enfants, la destruction de la culture ukrainienne et la suppression des libertés dans les zones occupées. Poutine ne cache pas ses exigences pour punir l'Ukraine de son entêtement : reconnaissance des acquisitions territoriales illégales, remplacement du gouvernement « illégitime et nazi » de Zelensky, réduction drastique des forces armées ukrainiennes, non-adhésion à l'OTAN.
Il est clair qu'une partie de l'extrême droite occidentale préférerait un accord avec Poutine qui renforcerait leur programme ultra-réactionnaire commun et qui laisserait l'Ukraine impuissante et divisée, réduite à une néo-colonie de la Russie. Le gouvernement chinois apporte un soutien concret au Kremlin tout en présentant les exigences de reddition de l'Ukraine comme des propositions de négociations. Une partie des classes dirigeantes européennes et américaines pourrait également être tentée, à un moment donné, par une paix qui donnerait satisfaction à Poutine, mais qui rétablirait également les relations commerciales avec la Russie et la Chine.
Trump considère désormais que les Ukrainien·nes sont responsables de la guerre. Sa posture prédatrice et mercantiliste, exigeant le « remboursement » de l'aide passée à l'Ukraine par la saisie de 50% des ressources minières et en terres rares du pays, et d'autres privilèges à venir, est une illustration particulièrement brutale et odieuse de cette logique.
Une partie de la gauche autoproclamée anti-guerre est d'accord avec cela et est prête à laisser l'Ukraine à la merci permanente du régime russe, que ce soit par campisme anti-étatsunien ou par pacifisme. Nous pensons que toute « paix » basée sur de telles conditions et imposée contre la volonté du peuple ukrainien ne sera que le prélude à davantage d'occupation et de violence à l'avenir. Il est temps pour la gauche d'élaborer sa propre stratégie en matière de sécurité, basée sur la participation populaire et le contrôle démocratique. Cela est devenu plus crucial que jamais face aux « accords » inter-impérialistes conclus entre Trump et Poutine.
La seule solution durable à cette guerre passe par :
– la non-reconnaissance des annexions et le retrait complet des troupes russes ;
– la soumission de toutes les négociations et de tous les accords au contrôle démocratique de la population ;
– la garantie de la capacité de l'Ukraine à se défendre contre tout empiètement impérialiste futur.
Une paix durable n'est possible que si elle repose :
– sur le droit du peuple ukrainien et de ses minorités constituantes à déterminer librement leur avenir et à développer leurs cultures, indépendamment des pressions extérieures, des intérêts des oligarques, des régimes néolibéraux au pouvoir ou des idéologies d'extrême droite ;
– sur le respect des droits politiques, sociaux et du travail, y compris le droit de grève, de réunion pacifique et d'élections libres ;
– sur le droit de tous les réfugié·es et des personnes déplacées par la guerre de rentrer chez eux et elles ou de s'installer dans les pays où ils et elles résident actuellement ;
– sur le démantèlement de la dictature de Poutine et la libération de tous les prisonniers et prisonnières politique et de guerre.
Nous inscrivons notre combat contre la guerre en Ukraine et pour la défaite de la Russie dans une lutte contre le militarisme et l'impérialisme. La lutte contre la guerre et pour la solidarité internationale nécessite :
le démantèlement de tous les blocs militaires de l'OTAN, de l'OTSC et de l'AUKUS ;
l'établissement d'un système de relations internationales basé sur l'égalité de toutes les nations, le contrôle par le bas, une diplomatie ouverte et la condamnation de toutes les formes d'agression impérialiste et nationaliste ;
– l'annulation de la dette ukrainienne ;
– la création, sous le contrôle des citoyen·nes ukrainien·nes, d'un fonds pour la reconstruction, la défense et l'amélioration des conditions de vie, financé par des taxes exceptionnelles sur les bénéfices des capitalistes occidentaux qui ont fait des affaires avec leurs homologues russes et sur les bénéfices des entreprises d'armement et autres profiteurs de guerre, ainsi que par l'expropriation des fortunes des oligarques russes et ukrainiens.
28 February 2025
Résolution alternative Ukraine
Afin d'avoir une orientation solidaire utile envers les travailleurs de la région et de maintenir notre tradition d'anti-impérialisme et d'indépendance de classe, la guerre en Ukraine doit être comprise dans son contexte géopolitique et historique sur la base d'une analyse matérialiste rigoureuse des faits qui y ont conduit, afin d'éviter les caractérisations erronées et les conclusions hâtives. Sur la base de ces prémisses, l'objectif de cette résolution est de développer une orientation alternative à celle de notre courant depuis 2022.
Depuis la rédaction de cette résolution, des événements dramatiques sont venus confirmer notre analyse générale. Le 12 février, Trump a eu un entretien téléphonique avec Poutine et a annoncé que des pourparlers de paix allaient commencer. Le secrétaire d'État américain, Marco Rubio, a ensuite rencontré le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, en Arabie saoudite afin d'entamer le processus de partition de l'Ukraine. Le gouvernement ukrainien et l'UE ont tous deux été humiliés en étant exclus du processus.
Trump a incroyablement accusé Zelensky d'avoir déclenché la guerre. Il a exigé 50 % des matières premières ukrainiennes, sans même offrir de garantie de sécurité en échange. Il a refusé à plusieurs reprises de promettre la participation de l'Ukraine aux pourparlers de paix officiels qui doivent commencer. Les États-Unis, ainsi qu'Israël et la Russie, ont voté contre la condamnation de l'invasion russe en Ukraine.
C'est une image du nouvel ordre mondial envisagé par Trump - où le soi-disant « ordre international fondé sur des règles » de l'après-Seconde Guerre mondiale doit être déchiré. Trump semble être motivé par deux calculs - principalement dans le cadre d'un pivot pour se concentrer sur le rival le plus important des États-Unis, la Chine, et secondairement comme un moyen de répondre aux attentes de sa base électorale.
Si elle est conclue, ce sera une paix inter-impérialiste, tout comme l'était la guerre, ainsi qu'une lutte légitime de l'Ukraine contre l'agression, une guerre par procuration inter-impérialiste. Elle sera basée sur une importante cession de territoire à la Russie et de ressources en terres rares aux États-Unis.
Le fait qu'il soit probable que la nouvelle position de l'administration américaine ne conduise à la fin de la guerre que souligne le caractère par procuration de ce conflit. Sans le soutien actif des États-Unis, quelles que soient les préférences personnelles de Zelensky et du gouvernement, ils ne pourront pas continuer à se battre. Ils seront probablement contraints d'accepter, malgré leurs objections, une paix humiliante.
L'idée qu'en réponse à cette évolution, nous devrions exiger de l'administration Trump qu'elle continue à envoyer des armes à l'Ukraine est absurde. Cela nous alignerait sur la partie la plus belliciste de la classe capitaliste en Occident.
Au lieu de cela, tout en dénonçant le partage injuste de l'Ukraine par les États-Unis et la Russie, nous devons concentrer notre agitation sur le soutien au peuple ukrainien avec des méthodes de la classe ouvrière. Nous devons redoubler d'efforts pour obtenir l'annulation de la dette ukrainienne. Nous devons nous opposer activement aux tentatives de la Russie et des États-Unis de voler les ressources naturelles de l'Ukraine. Nous devons chercher à approfondir nos relations avec les syndicalistes, les militants de gauche et les autres Ukrainiens. Nous devons chercher à construire des mouvements contre le processus de militarisation européenne qui risque maintenant de s'accélérer davantage.
La longue dynamique de stagnation qui se prolonge depuis la Grande Récession de 2007-2008, amorcée dans les grands centres impérialistes, l'impact additionnel de la pandémie et les changements dans la corrélation internationale des forces résultant du déplacement des grands centres de production de valeur vers le Sud et l'Est, ainsi que l'épuisement de la dynamique de la financiarisation comme mécanisme de récupération des profits avec peu ou pas d'accumulation... ont ouvert deux dynamiques de base au niveau mondial :
(a) une aggravation des tensions inter-impérialistes.
b) une instabilité politique croissante résultant, en termes généraux, de l'interaction des vecteurs suivants : un renforcement de la droite radicale, une crise des forces de gestion politique et la fragmentation et l'affaiblissement global de la gauche, de la social-démocratie à la gauche révolutionnaire.
En ce qui concerne la première dynamique, il existe aujourd'hui quatre points chauds majeurs de tension inter-impérialiste (Palestine et Moyen-Orient, Ukraine et Europe de l'Est, Sahel et Afrique subsaharienne, Taïwan et Asie du Sud-Est), et deux guerres ouvertes en pleine escalade (la guerre d'Israël - avec le soutien américain et européen - contre la Palestine, le Yémen et le Liban et ses attaques contre la Syrie et, surtout, l'Iran et trois ans de guerre en Ukraine depuis son invasion par la Russie et une guerre par procuration de l'OTAN contre la Fédération de Russie). Plusieurs diplomates, analystes et activistes mettent en garde contre le risque que les escalades actuelles puissent aller dans une double direction : une convergence de conflits ouverts et le risque qu'ils puissent enflammer toutes les zones de tension, conduisant à un conflit mondial avec un risque élevé d'utilisation d'armes nucléaires.
Dans cette résolution, nous ouvrirons la focalisation dans l'espace et dans le temps pour aborder les causes, la nature et les résultats possibles de la guerre en Ukraine, tout en affirmant l'engagement anti-impérialiste, la ligne antimilitariste et la solidarité internationaliste avec les classes ouvrières ukrainiennes et russes de la Quatrième Internationale.
Ouvrir la focalisation
La tension actuelle dans le monde est liée à la tentative de l'Occident, principalement des États-Unis, d'empêcher par des moyens commerciaux, financiers, politiques et militaires le déclin de son pouvoir dans le monde. La guerre désastreuse menée par Washington depuis la fin de la guerre froide, qui a fait quelque 4 millions de morts et 40 millions de déplacés dans l'arc allant de l'Afghanistan à la Libye en passant par l'Irak et les guerres en ex-Yougoslavie, est liée à la conception néo-con, commune aux républicains et aux démocrates, de la seule domination du monde, formulée en 1992 et mise en pratique depuis lors.
La montée en puissance de la Chine, la réaction de la Russie et l'aliénation croissante du Sud, c'est-à-dire de la majorité de la population mondiale, indiquent depuis longtemps des tensions croissantes dans le monde.
La priorité américaine pour l'Europe, bien connue et documentée, était de séparer l'Allemagne de la Russie et d'empêcher l'intégration de l'Union européenne dans le conglomérat géoéconomique eurasien dont la principale force motrice est Pékin (ce concept a été clairement incorporé dans les documents adoptés par le sommet de l'OTAN à Madrid en juin 2022). La Chine est le premier partenaire commercial de l'UE. La Russie était son principal partenaire énergétique. Les États-Unis sont en train de rompre ces deux relations. Celle de la Russie est déjà acquise et la rupture ne durera au mieux que quelques décennies (l'attaque du Nord Stream en mer du Nord symbolise très bien l'enjeu). La Chine est plus difficile, mais elle progresse aussi (AUKUS, collaboration croissante entre l'OTAN et le Japon, la Corée du Sud, Taïwan, les Philippines, l'Australie, etc.) Le résultat sera, et est déjà, une subordination croissante de l'UE aux États-Unis, une récession économique sévère en Allemagne (directement impactée par la déconnexion énergétique avec la Russie et la guerre tarifaire en cours avec la Chine), une montée de l'extrême droite et l'approfondissement de la crise politique dans l'UE ouverte il y a plus d'une décennie et demie par la crise de l'euro, la crise politique et sociale en Europe méditerranéenne, le Brexit, et les politiques criminelles de répression de l'immigration.
Caractériser le conflit
A gauche, on observe une double tendance à la simplification des causes et de la nature de la guerre en Ukraine. Certains la réduisent à une lutte de libération nationale contre une invasion « non provoquée » par un régime autoritaire. Ce point de vue n'est pas très éloigné du discours initial de quelques responsables de l'OTAN et de l'UE, qui insistent pour diaboliser Poutine et le dépeindre comme un fou déterminé à reconstruire ce que Reagan appelait « l'empire du mal » soviétique et à conquérir toute l'Europe de l'Est. D'autres parlent d'un affrontement inter-impérialiste sans autre forme de procès (le discours d'une grande partie des BRICS et des formations staliniennes ou mao-staliniennes nostalgiques de l'URSS), ignorant l'invasion russe et le droit à l'autodétermination des peuples, tentant ainsi de justifier et d'excuser la décision de Poutine.
Pour caractériser correctement le conflit en cours, il est inévitable de comprendre qu'il existe une dialectique entre les deux dynamiques (oppression nationale et affrontement inter-impérialiste). Mais la dynamique de la guerre a indubitablement imposé un changement de dosage, dans la mesure où la volonté de résistance d'une majorité de la population ukrainienne au début de l'invasion de Poutine a été progressivement subordonnée aux objectifs, aux méthodes et à la direction politico-militaire des puissances qui soutiennent Kiev contre la Russie. Dans le même temps, la stagnation de la situation militaire dans le cadre d'une longue guerre d'usure a depuis lors favorisé une désaffection croissante, une aliénation et des attitudes de plus en plus hostiles à la guerre parmi des pans de plus en plus larges de la population (comme la fuite massive
des conscrits et les désertions non moins massives des soldats ukrainiens, qui ne croient pas à la promesse illusoire de la victoire).
S'il ne fait aucun doute que la Fédération de Russie est la seule responsable d'une invasion condamnable et criminelle, comme toutes les agressions impérialistes, il est manifestement faux de prétendre qu'elle n'a pas été provoquée.
Un retour en arrière empreint de colère
Il est nécessaire de rappeler quelques faits pour situer le contexte de l'invasion du 24 février 2022 :
La guerre froide n'a jamais été complètement terminée après l'effondrement de l'ex-URSS et du bloc de l'Est il y a plus de trente ans. La conversion de fractions entières des anciennes bureaucraties à l'ethno-nationalisme pour rester au pouvoir, comme c'était déjà le cas en ex-Yougoslavie, l'intervention des grandes puissances pour opérer une restauration capitaliste néolibérale et mafieuse et favoriser les affrontements à leur profit est une constante depuis les années 1990 en Europe de l'Est.
Il est impossible de comprendre le conflit actuel sans y voir le traumatisme de la décomposition de l'Union soviétique et de l'effondrement des pays de l'Est, la dialectique des conflits armés qui se sont déroulés dans le monde depuis la fin de la guerre froide (les attaques de l'OTAN contre l'ex-Yougoslavie, l'Afghanistan et la Libye ou les deux invasions américaines de l'Irak. Dans tous les cas, sauf en Afghanistan, il s'agissait d'États traditionnellement alliés à la Russie), ainsi que l'extension de l'OTAN sans et contre la Russie et l'élargissement de l'UE vers l'Europe de l'Est, aspirant à ce supermarché capitaliste, néolibéral et de plus en plus despotique des pays de l'ancienne sphère d'influence soviétique.
La base matérielle qui explique le grand antagonisme entre une OTAN hégémonisée par les États-Unis et la Russie est la nature du capitalisme politique russe qui, depuis le début des années 2000, n'est plus perméable à la pénétration des intérêts du capitalisme transnational mondialisé, et tente de garantir les intérêts de ses propres oligarchies sur la base d'un pouvoir bonapartiste autoritaire et anti-ouvrier qui cherche à sauvegarder ses zones d'influence traditionnelles et son rentiérisme extractiviste.
La réaction impérialiste et militariste de Poutine ne se comprend pas non plus sans comprendre que ce qui a éclaté en février 2022 est la conclusion d'un conflit d'influence en Ukraine entre la Russie d'une part et les Etats-Unis et l'UE d'autre part. Dans les années 1990, sous la présidence de Bill Clinton, l'Ukraine était le troisième bénéficiaire de l'aide américaine, derrière Israël et l'Égypte. Une guerre annoncée par de nombreux analystes, non pas depuis des années, mais depuis des décennies dans certains cas.
– Il est également important de rappeler que l'invasion ordonnée par Poutine en 2022 aurait été impossible s'il n'y avait pas eu une dynamique de guerre civile en Ukraine depuis 2014, initiée après le renversement de Yanukovych et l'occupation russe de la Crimée qui s'en est suivie. Cette dynamique a sans aucun doute été amplifiée et approfondie par l'intervention secrète de la Russie et le soutien militaire (nous parlons de 3 milliards de dollars d'assistance militaire entre 2014 et 2022), financier et technique des États-Unis et d'autres pays de l'OTAN à Kiev dans le conflit inter-ukrainien (pour reprendre les termes de Stephen Kotkin, « l'Ukraine n'est pas dans l'OTAN, mais l'OTAN est dans l'Ukraine »). L'absence de volonté politique de mettre en oeuvre les accords de Minsk I et Minsk II (« ils étaient destinés à gagner du temps », selon les termes d'Angela
Merkel) a également ouvert la porte à la diplomatie coercitive du Kremlin à l'automne 2021, lorsque, comme il est désormais de notoriété publique, il a exigé de l'OTAN qu'elle s'engage à ne pas y integrer l'Ukraine, ce qui a été rejeté par l'organisation militaire, pleinement consciente des conséquences d'un tel refus.
Tous les acteurs du conflit ont bafoué le droit à l'autodétermination
Si toutes les puissances impérialistes impliquées dans le conflit ukrainien invoquent, d'une manière ou d'une autre, le droit à l'autodétermination, elles l'ont toutes piétiné (il en va d'ailleurs de même avec l'« antifascisme » et l'« antinazisme » invoqués par les deux parties, alors que, comme on le sait, les gouvernements russe et ukrainien s'appuient sur des forces et des courants d'extême-droite pour stimuler le militarisme dans leurs pays respectifs).
Le néo-tzarisme de Poutine a évidemment piétiné le droit à l'autodétermination de l'Ukraine, « invention » condamnable attribuée à la malice de Lénine, même s'il organise ensuite des « référendums » peu légitimes dans des territoires comme la Crimée (même si une majorité de sa population était probablement favorable à l'annexion de 2014 en raison de l'histoire spécifique de l'enclave) ou sans aucun légitimité dans les zones qu'il occupe dans le Donbas.
Le régime nationaliste de Kiev n'a pas non plus respecté, entre 2014 et 2022, les droits culturels des russophones et leur volonté d'obtenir une autonomie politique en Ukraine (sans parler du droit à l'autodétermination des Dombas).
Mais l'impérialisme occidental n'a pas respecté l'autodétermination de Kiev, ni lorsqu'il a saboté le préaccord conclu lors des pourparlers de paix entre l'Ukraine et la Russie en Turquie en avril 2022 (parce que la guerre n'avait pas encore servi à épuiser suffisamment la Russie sur le plan militaire, comme l'affirmerait Boris Johnson), ni lorsqu'il dit à l'Ukraine quoi attaquer, quand et avec quelles armes, subordonnant totalement le processus décisionnel ukrainien à ses propres intérêts. Les gouvernements occidentaux ne se soucient pas de la ruine économique et démographique de l'Ukraine, qui a déjà perdu un tiers de sa population, toute une génération de jeunes mutilés, des centaines de milliers de morts, d'orphelins et de veuves, ainsi qu'un cinquième de son territoire national. Le seul objectif de l'impérialisme occidental a été d'épuiser la Russie.
Dynamique, implications et risques du conflit
Aucune des guerres par procuration de la guerre froide n'a été menée dans le Nord, et encore moins aux frontières (et même à l'intérieur des frontières) d'une grande puissance comme la Russie. Aujourd'hui, le débat porte sur la question de savoir s'il faut ou non attaquer une puissance nucléaire avec des armes à longue portée alors qu'il est prouvé que l'Ukraine ne peut pas gagner une guerre d'usure conventionnelle... ou bien reconnaître la réalité et les « défenseurs de l'autodétermination ukrainienne » finissent par obliger Zelensky à négocier. Pendant la guerre froide, il existait des traités de limitation des armes nucléaires. Aujourd'hui, ces traités ont été systématiquement sabotés, d'abord par les États-Unis et, plus récemment, par la Russie. Cela a conduit à un scénario probablement plus dangereux que la crise des missiles de Cuba en 1962, où la doctrine Monroe, qui interdit la présence d'intérêts, de régimes alliés ou de bases militaires d'autres grandes puissances, non pas aux frontières des États-Unis, mais dans l'ensemble du continent américain, a été appliquée.
– Il convient également de rappeler que l'enthousiasme initial des ministères des affaires étrangères occidentaux pour les perspectives ouvertes par la guerre par procuration de l'OTAN contre la Russie sur le dos de l'Ukraine a conduit nombre de leurs représentants à caresser la perspective d'un Afghanistan slave (pour reprendre l'expression d'Hilary Clinton), qui saignerait la Russie à blanc au point de forcer un changement de régime à Moscou. Biden, Von der Layen, Borrell et Stoltemberg ont répété ad nauseam que les crimes de guerre commis rendaient les négociations impossibles et qu'il fallait forcer la défaite totale de la Russie. Au regard de ce que tolerent au quotidien à Netanyahou depuis plus d'un an, l'hypocrisie de l'impérialisme occidental est proprement scandaleuse.
S'il en est ainsi depuis le début, il est de plus en plus clair que cette guerre ne peut se conclure par une victoire militaire totale de l'une ou l'autre des parties sans transformer le conflit en une guerre inter-impérialiste directe avec un risque très élevé d'utilisation d'armes nucléaires, qui, par sa nature même, ne peut évidemment être gagnée par personne. Il est donc tout à fait concluant que le fait d'alimenter le conflit avec des armes occidentales (d'abord des armes légères, puis des blindés, des bombes à fragmentation, des avions de chasse et des missiles à moyenne et longue portée) a contribué à l'escalade et à la prolongation de la guerre, à la multiplication des morts et des destructions et nous a rapprochés dangereusement d'une guerre mondiale. Le récent « plan de victoire » présenté par Zelenski dans les chancelleries occidentales est tout à fait explicite dans sa recherche de la « victoire » en engageant l'OTAN dans une guerre ouverte contre la Russie. En effet, l'un des grands dangers de cette guerre est que la dissuasion nucléaire passive s'érode et que Poutine décide de la remplacer par une dissuasion nucléaire active (c'est-à-dire l'utilisation d'une arme nucléaire tactique pour restaurer sa crédibilité), ce qui ne peut être totalement exclu (l'insistance des politiciens occidentaux sur le fait que « la menace nucléaire russe est un bluff » est très irresponsable et dangereuse, ce que pensent malheureusement aussi des gens de gauche).
Toutes les informations disponibles indiquent que la Russie est en train de gagner lentement et non sans difficulté une terrible guerre d'usure avec des pertes énormes des deux côtés, qu'elle a été capable de résister aux sanctions économiques et qu'elle a renforcé ses liens géopolitiques et géoéconomiques avec la Chine. En construisant une économie de guerre et en faisant face à l'impact des sanctions, la Russie a non seulement renforcé l'aspect répressif de son régime bonapartiste autoritaire (rappelons que Poutine est un modéré, si l'on considère que le Kremlin est rempli de personnes réclamant des frappes nucléaires sur Paris, Londres et Washington...), mais elle a été contrainte de s'engager dans un processus de réindustrialisation qui permet une croissance économique significative plutôt que l'effondrement recherché par Washington et Bruxelles. Si cette conjoncture favorable à la Russie peut très vite pâtir d'une baisse du prix du pétrole (une opération de genre de l'Arabie Saoudite pour affaiblir la Russie et l'Iran n'est pas à exclure), il semble que la guerre ait impulsé un changement structurel géopolitique et géoéconomique d'une ampleur encore inconnue.
– Des informations émergent également qui indiquent que l'Ukraine est l'auteur du sabotage du Nord Stream avec l'aide d'un ou plusieurs pays de l'OTAN dans l'action (et sans aucun doute avec l'autorisation de Washington, sinon une implication directe dans l'attaque), ce qui dissipe les accusations initiales d'une prétendue paternité russe.
Sur la militarisation de l'Europe
L'Europe de la défense, vieux projet de l'UE promu et légitimé par la guerre en Ukraine, ne traduit pas seulement sa volonté de renforcer son « hard power », notamment dans la lutte pour le contrôle des ressources en Afrique dans la logique extractiviste dominante, mais vise aussi à consolider son rôle de force vassale complémentaire des Etats-Unis dans un projet de domination impérialiste mondiale qui ne semble pas viable, compte tenu de la corrélation des forces en présence. Dans le même temps, le renforcement militaire de l'Europe est une fuite en avant qui reflète l'inquiétude générée chez ses dirigeants par la crise interne aux États-Unis.
– L'invasion poutinienne a permis à l'OTAN de s'étendre à la Finlande et à la Suède, ajoutant de nouvelles tensions avec la Russie et mettant fin à une longue histoire de neutralité pour ces pays (qui a partiellement amorti d'importantes tensions pendant la guerre froide). Tout cela à condition que la Suède accepte de faciliter l'extradition de plusieurs militants kurdes réfugiés dans le pays scandinave et que l'OTAN regarde ailleurs pendant que le régime turc d'Erdogan lance une invasion à grande échelle du Kurdistan irakien et syrien - une guerre qui, soit dit en passant, est passée totalement inaperçue dans les médias occidentaux. Comme chacun sait, l'OTAN défend aujourd'hui les valeurs démocratiques en Turquie depuis la guerre froide, tout comme elle l'a fait par le passé lorsqu'elle accueillait le Portugal de Salazar et la Grèce des colonels.
Dans ses relations avec la Russie, l'UE n'a pas de diplomatie depuis de nombreuses années. Elle a une « politique des droits de l'homme », c'est-à-dire l'utilisation politique sélective des droits de l'homme pour faire pression sur son adversaire. Elle a une politique d'image et de propagande de guerre culturelle : il suffit de voir l'abondance de russophobes auxquels elle décerne ses prix littéraires et citoyens, de la néo-con Anne Applebaum aux écrivains ukrainiens Serhij Zhadan et Andrei Kurkov, dont le principal mérite est le racisme culturel contre tout ce qui est russe, en passant par le détestable président français Emmanuel Macron, qui se vante d'envoyer des troupes françaises en Ukraine. Elle a également une politique de sanctions, qui se retourne actuellement contre elle, et enfin elle a une politique militaire. Le monde bruxellois a tout cela, mais il n'a pas de diplomatie. Des déclarations comme celle du chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, selon laquelle « la situation se décidera sur le champ de bataille », témoignent d'une logique purement militaire.
Il existe un lien structurel entre la militarisation européenne et l'intervention militaire de l'Europe et de l'OTAN en Ukraine. D'une part, la militarisation du continent est liée aux besoins mêmes de l'intervention militaire et à l'implication croissante de l'Europe dans le conflit. D'autre part, la guerre en Ukraine sert de prétexte à l'accélération et à la réintroduction d'un programme stratégique de militarisation européenne de plus grande envergure et a créé un climat politique dans lequel il est très difficile de la combattre. Il est donc contradictoire de s'opposer formellement à la militarisation de l'Europe tout en soutenant l'intervention militaire croissante et sans fin en Ukraine, alors que l'Ukraine est le principal moteur de la militarisation sur le continent.
Une guèrre catastrophique pour les peuples de l'Ukraine et la Russie
– Cette guerre a été catastrophique à tous points de vue : par le niveau de morts et de destructions (certaines estimations parlent de près d'un million de morts), par la spirale militariste et réactionnaire qu'elle a propagée parmi les grandes puissances, par l'immense destruction de ressources qu'elle entraîne dans un monde qui doit investir massivement dans la transition énergétique et les mesures urgentes de stabilisation du climat... Bref, parce qu'elle a alimenté les dynamiques de fascisation typiques des spirales ultranationalistes, tant en Russie qu'en Ukraine, mais aussi en Europe et dans le reste du monde. Alimenter la guerre actuelle et soutenir l'interventionnisme de l'OTAN conduit à une escalade sans fin qui ne fait qu'accroître la spirale de la mort et de la destruction en Ukraine, sans perspective d'issue réelle, avec le risque d'une dérive de la situation et d'une extension du conflit à des pays tiers.
La seule solution pour l'autodétermination de l'Ukraine est la négociation pour mettre fin aux hostilités, le retour à la neutralité et le renoncement à l'adhésion à l'OTAN..... Si les négociations de mars-avril 2022 n'avaient pas été sabotées, près de trois ans de guerre auraient été évités et des centaines de milliers de vies sauvées... et la position de négociation de l'Ukraine aurait été beaucoup plus favorable immédiatement après que l'assaut initial de Poutine sur Kiev ait été repoussé. Aujourd'hui, alors que même l'OTAN, par la bouche de Rutte, reconnaît que la guerre ne peut se terminer qu'à la table des négociations, après l'avoir entretenue pendant des années dans le seul but d'utiliser les Ukrainiens comme chair à canon dans sa guerre par procuration contre la Russie, les négociations seront bien plus préjudiciables pour l'Ukraine. Il n'est pas non plus exclu, comme les signes commencent à le montrer, que l'OTAN négocie dans le dos de l'Ukraine lorsque l'organisation militaire arrivera à la conclusion qu'elle n'a plus besoin de ses services. Les précédents historiques ne manquent pas et c'ètait parfaitement prévisible dès le début de la guerre.
La loi martiale imposée par le gouvernement Zelensky, qui a interdit des partis, persécuté des militants et imposé à la population une thérapie de choc ultra-libérale, lui permet également de prolonger son règne sans passer par les urnes. Son sort est lié au soutien des puissances occidentales et il n'est plus évident qu'une majorité de la population ukrainienne soit favorable à la poursuite de la guerre. Un sondage réalisé par le média ukrainien ZN en juin 2024 affirmait que 44 % de la population était favorable à des négociations de paix immédiates.
Compte tenu de la situation au Moyen-Orient et de la déclaration de Zelensky selon laquelle l'Ukraine aspire à devenir « un grand Israël avec son propre visage » et que la « sécurité » sera le principal atout (en effet, les troupes ukrainiennes ont participé à presque toutes les aventures militaires de Washington depuis les années 1990, y compris en Afghanistan et en Irak) et le thème central de l'Ukraine d'après-guerre, il est important de se rappeler que l'utilisation de la souffrance des innocents a déjà servi à légitimer la création d'États gendarmes totalement soumis aux intérêts impérialistes. Tout comme « l'industrie de l'holocauste » a servi les intérêts criminels du sionisme, il n'est pas exclu que le régime de Kiev capitalise sur les souffrances actuelles du peuple ukrainien pour légitimer la création d'un nouvel Israël en Europe de l'Est, en faisant de son antagonisme avec la Russie son principal atout économique, politique et militaire. La création de l'Etat d'Israël a également désorienté dans un premier temps de larges pans de l'opinion progressiste, a servi à laver la mauvaise conscience de l'Europe vis-à-vis du judéicide et a permis d'agiter le discours de la « seule démocratie de la région » et de la « civilisation contre la barbarie »... avec les résultats que l'on connaît quatre-vingts ans plus tard.
La guerre en Ukraine a galvanisé toute une série de tendances réactionnaires qui étaient déjà présentes dans l'Union européenne, aux États-Unis et en Russie : la montée du militarisme, l'expansion de l'OTAN, l'augmentation des budgets militaires, la reconfiguration de l'industrie militaire, elle a contribué à enterrer l'agenda écologiste, elle a favorisé l'unité nationale autour du défensisme « démocratique », de l'ethno-nationalisme et a accéléré le tournant autoritaire dans tous les pays.
En ce sens, la Quatrième Internationale s'engage à promouvoir des processus d'organisation et de lutte contre ces tendances, à nourrir et à participer aux mouvements contre la guerre, la militarisation et pour la dénucléarisation. Le nouvel internationalisme doit commencer à s'organiser contre les intérêts et les politiques de la bourgeoisie dans chaque pays. Reprendre les slogans « Guerre à la guerre » et « L'ennemi principal est dans notre pays ! » est essentiel pour que la classe ouvrière prenne conscience des dangers vers lesquels la dynamique inter-impérialiste actuelle nous conduit, et reprenne ainsi les meilleures traditions du mouvement ouvrier contre le bellicisme et le militarisme. En ce sens, la IVe Internationale propagera les revendications suivantes :
•Paix immédiate sans annexions et retrait des troupes russes.
•Démilitarisation et dénucléarisation des frontières. L'arrêt des livraisons d'armes par les pays impérialistes.
•Le droit au retour de tous les réfugiés de guerre, y compris les insoumis et les déserteurs des deux pays.
•Amnistie immédiate pour les prisonniers politiques, rétablissement du droit de manifester, de se réunir et de s'organiser et fin de la législation d'urgence tant en Russie qu'en Ukraine.
•L'accueil des insoumis, des déserteurs et des réfugiés des deux camps sans obstacles bureaucratiques et juridiques dans les pays où ils décident de s'installer, si nécessaire.
•L'expropriation des oligarques russes et ukrainiens qui ont utilisé l'ethno-nationalisme pour rester au pouvoir et envoyer les prolétaires des deux pays à l'abattoir.
•L'abolition de la dette extérieure ukrainienne et la fin de la colonisation économique et financière de l'Ukraine par le capital international, ainsi que les mesures néolibérales et anti-ouvrières du gouvernement Zelensky.
•Dissolution de tous les blocs militaires (OTAN, OTSC, AUKUS, etc.).
•Avec Droit à l'autodétermination du Dombas et la Crimée.
La Quatrième Internationale est également solidaire
• Avec la lutte contre les propres bourgeoisies en Ukraine et en Russie. Non aux accords avec l'impérialisme en Ukraine, non au projet militariste en Russie. Pour la fraternisation internationaliste et la fin du conflit, sans revanchisme et sans pillage.
• Avec les organisations sociales, syndicales et politiques dissidentes persécutées et/ou directement touchées par les effets de la guerre dans les deux pays, en particulier nos camarades du Mouvement socialiste russe et de Sotsialnyi Rukh en Ukraine.
Solidarité avec la classe ouvrière ukrainienne et russe, arrêt de la guerre et de la spirale militariste suicidaire !
28 February 2025
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Construire Die Linke après l’élection ! Par une politique de classe antifasciste et écologique, Die Linke peut devenir le parti allemande le plus fort à gauche du centre

Die Linke (La Gauche) a réalisé un retour impressionnant. Mais il est encore possible d'aller plus loin. Le parti peut devenir la force politique la plus forte à gauche du centre. Le parti a réussi grâce à une politique de classe antifasciste, une solide campagne de base, un travail médiatique incisif et un travail d'équipe extrêmement fort - mais aussi grâce aux erreurs des autres partis et à des conditions favorables. Le nouvel électorat souhaite la justice sociale, mais aussi une politique climatique et la protection de la démocratie. Si Die Linke veut continuer à gagner, il doit développer davantage sa politique de classe antifasciste et écologique et être prêt à travailler sur ses propres contradictions et faiblesses.
10 mars 2025, par GOES | tiré d'Europe solidaire sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74010
1. Le virage à droite et le retour de la gauche
L'élection fédérale a exprimé un net virage à droite de la société [1]. Dans ce contexte, Die Linke a connu une renaissance surprenante pour beaucoup. Avec près de 9 pour cent, il a fait un retour impressionnant au Bundestag. Quelques semaines auparavant, il était crédité de 3 pour cent dans les sondages. Il a construit une nouvelle coalition d'électeurs plutôt jeunes, plus qualifiés, avec une proportion supérieure à la moyenne d'employés syndiqués et de chômeurs. Après l'élection, il a même atteint entre 10 et 12 pour cent dans les premiers sondages. Et : en environ cinq mois, Die Linke a gagné près de 60 000 membres, à la fin de l'automne il comptait environ 49 000 membres, début mars plus de 110 000. Selon une enquête post-électorale de l'institut de sondage INSA, environ un tiers des électeurs se positionnent aujourd'hui à gauche du centre. Au coude à coude avec le SPD, Die Linke trouve aujourd'hui le soutien d'environ un quart de ces électeurs de gauche, les Verts encore 20 pour cent [2]. Mais comment exactement le parti a-t-il réussi ce retour ?
La renaissance de Die Linke est le résultat d'un travail acharné, des étapes décisives de renouvellement ont été préparées à partir de janvier 2023, en été 2023 le soi-disant Plan 25 a été adopté, sans lequel Die Linke ne serait pas là où il est aujourd'hui [3] - en septembre, une grande « Conférence sur l'avenir de la gauche » a eu lieu à Berlin [4]. Il est tentant de penser qu'il y aurait une seule raison pour le succès lors de l'élection fédérale. Ce n'était ni simplement la focalisation sur les questions sociales plus intensément discutée dans le parti depuis la fin de l'été 2024, ni en soi la campagne impressionnante de porte-à-porte du parti. C'est plus compliqué. Si Die Linke veut répéter son succès et même devenir encore plus fort, il est important d'examiner précisément les différents ingrédients du succès électoral, afin de renforcer ce qui est juste et d'éliminer les obstacles. À mon avis, cela était dû à une interprétation flexible d'une stratégie presque populiste de gauche, à une politique de classe antifasciste, portée par une forte campagne de base et rendue connue par une excellente campagne sur les médias sociaux. À cela s'ajoutent des circonstances favorables et des erreurs d'autres partis qui ont préparé le terrain pour Die Linke - comme l'abandon de la question sociale par les autres partis, la polarisation extrême dans la politique d'asile, le vote commun de l'Union, du BSW et du FDP avec l'AfD, mais aussi la course pratiquement sans espoir pour la chancellerie du SPD et des Verts. Cependant, Die Linke ne peut pas compter sur ces conditions cadres favorables à l'avenir.
Une analyse approfondie nous conduit non seulement à la recette du succès, mais révèle également des faiblesses que Die Linke doit aborder s'il veut continuer à réussir et à changer durablement les rapports de force vers la gauche. Il est conseillé d'examiner plus attentivement les préoccupations et les inquiétudes de ceux qui se retrouvent dans la nouvelle coalition d'électeurs. De cette façon, on peut également trouver des indications sur la manière dont Die Linke peut devenir encore plus fort. Il est aujourd'hui tout à fait réaliste qu'il devienne le principal parti à gauche du centre - un projet visant 15% est réalisable s'il développe une politique de classe antifasciste et écologique. Die Linke devrait poursuivre cet objectif stratégiquement, également pour permettre de nouvelles majorités politiques et peut-être même des possibilités d'alliance dans le pays.
J'essaierai de rendre cette idée plausible dans ce qui suit. Je commencerai par les résultats des élections, l'électorat de gauche, l'explication du succès et les motivations des électeurs de gauche. J'accorderai une attention particulière à la campagne de base (essentiellement la campagne de porte-à-porte à l'écoute), qui a été une partie très spéciale et importante de la campagne électorale. Enfin, j'aborderai certains problèmes et défis et tirerai des conclusions stratégiques et pratiques (4) qui permettraient à Die Linke de lutter pour le leadership dans l'espace politique à gauche de l'Union.
Même si Die Linke est rentré au Bundestag avec une sécurité étonnante, il faut commencer par l'évidence : ce fut le grand succès électoral de la droite, en particulier de l'AfD post-fasciste. Le centre-gauche a subi une immense défaite politique. Le SPD et les Verts avaient ensemble réuni environ 20,03 millions de voix il y a 20 ans, lorsque le gouvernement rouge-vert de l'époque a perdu la majorité en 2005. Lors de cette élection fédérale, ils n'ont recueilli que 13,91 millions de voix. Par rapport à 2021, le SPD a perdu environ 3,75 millions de voix, soit une baisse de près de 32%. 2,48 millions d'électeurs sont allés à droite, 1,76 million à l'Union, le reste à l'AfD. Les Verts s'en sont tirés relativement bien en comparaison, ils ont perdu environ 1,1 million de voix en solde net, soit une baisse d'environ 15%. Le grand vainqueur du moment est l'AfD - sur le fond, parce qu'elle a poussé les autres partis avec sa politique xénophobe, et par conséquent aussi dans les urnes. En 2021, environ 4,81 millions de personnes avaient voté pour les post-fascistes, maintenant ils étaient 10,33 millions.
Cette élection n'a pas seulement eu lieu en raison de l'échec de la politique de la coalition feu tricolore, cette rupture de la coalition représente également l'échec d'une réforme sociale et écologique modérée du capitalisme par le haut. Il n'y avait pas seulement un manque de volonté chez les parties des classes moyennes supérieures et de la bourgeoisie organisées dans le FDP. L'orientation des partis de l'Union indique également la réticence qui existe dans d'autres parties de la classe supérieure allemande. Si l'on ajoute le grand « consensus de réarmement » qui existait entre le SPD, l'Union, les Verts et le FDP, et leur manque de volonté de s'engager de manière critique avec les violations des droits de l'homme par l'armée israélienne à Gaza, cela explique pourquoi Die Linke a pu se profiler comme une alternative politique.
Dans ce contexte, la campagne électorale de Die Linke a été un grand succès. Die Linke a obtenu, si l'on inclut l'histoire antérieure du PDS, le deuxième meilleur résultat de son histoire. Si l'on prend comme base le nombre de voix absolues exprimées pour lui, le soutien n'a été plus important qu'en 2009, à l'ombre de la plus grande crise du capitalisme depuis 1929. La participation électorale dans les différentes années électorales était différente, mais les voix absolues exprimées montrent néanmoins la force du besoin qui existe pour un parti explicitement socialiste.

2. Tâche : devenir leader à gauche de l'Union
Selon les guides pertinents, la recette pour des campagnes électorales réussies est la suivante : vous avez besoin d'un parti qui apparaît uni vers l'extérieur, rayonnant ainsi de force, de stabilité et de vision ; une solidarité interne qui enthousiasme les membres et montre aux électeurs des personnes sympathiques ; un objectif clair de qui on veut mobiliser pour voter pour son propre parti ; un catalogue de revendications adapté à cet objectif, une vision d'une meilleure société et un récit de comment et pourquoi on atteindra réellement les préoccupations de ses propres partisans. Les candidats n'ont pas besoin d'être super charismatiques (Kohl, Merkel, Jeremy Corbyn, Bernie Sanders - d'autres questions ?), mais crédibles. Cela inclut également un travail de relations publiques qui pénètre parce qu'il a un fil rouge reconnaissable, et qui peut s'appuyer non seulement sur des convictions, mais aussi sur des sentiments fondamentaux [5]. Pour un parti de gauche qui ne nage pas dans l'establishment, il est également nécessaire de pouvoir s'adresser directement aux gens : comme garantie d'entrer en conversation avec eux et comme moyen de convaincre ceux qui doutent.
Die Linke a tout fait correctement - assez fou - en 2025 [6]. Mais ce n'est pas un hasard, c'est le résultat d'un travail acharné. Depuis le début de 2023, dans l'entourage des présidents Janine Wissler et Martin Schirdewan, encore dans les conditions de la scission du parti, le renouvellement du parti a été préparé, en juin 2023 « Notre Plan 25 : Retour d'une gauche forte » a été adopté. L'objectif était de clarifier le profil de contenu, d'unifier le parti, de régler les questions litigieuses de manière solidaire, de mettre davantage en avant l'utilité politique de Die Linke et d'ouvrir davantage le parti à la société et de recruter activement de nouveaux membres. Des ressources financières et humaines ont été mises à disposition, un « hub de renouvellement » a été créé au siège du parti. Dans la résolution du parti de l'été 2023, la phrase finale dit : « Nous rentrons souverainement au Bundestag. » C'est merveilleux quand un plan fonctionne. [7] Qu'il ait pu fonctionner était aussi dû au fait que des militants bénévoles lui ont donné vie, l'ont développé et l'ont rendu réel. La « Conférence sur l'avenir de la gauche », organisée par des membres à Berlin en septembre 2023, a également été importante à cet égard [8]. Des idées centrales pour le renouvellement du parti y ont été discutées - qu'est-ce qui fait partie du profil d'un parti socialiste moderne, que pouvons-nous apprendre, par exemple, des succès électoraux du KPÖ en Autriche ou du PTB en Belgique, quelle est l'importance de l'organisation et de la campagne électorale de porte-à-porte pour le parti, ou encore : comment fonctionne une politique de classe écologique ? Sous les cendres de l'ancien, quelque chose de nouveau a été créé.
La raison du succès aux élections fédérales est une interprétation flexible de la stratégie [9] consistant à mettre en avant les questions sociales, à s'adresser directement aux travailleurs et aux employés, et à faire de l'inégalité de classe un sujet offensif [10]. Cela a été discuté dans le parti sous « concentration thématique ». Dans l'interprétation flexible de cette stratégie, cependant, quelque chose d'autre est apparu : une sorte de politique de classe antifasciste que nous devrions développer davantage. Ou pour le dire autrement : la campagne électorale donne quelques indications sur le fait que et comment nous pouvons faire de notre parti un parti de gauche plus fort - avec l'objectif d'un parti populaire socialiste moderne [11].
Die Linke a réussi à construire une nouvelle coalition électorale composée de personnes plutôt jeunes, plus qualifiées, notamment d'employés et de chômeurs, qui vivent davantage à l'ouest qu'à l'est. Les questions sociales sont très importantes pour ces électeurs, mais les préoccupations concernant le climat/l'environnement et le développement de la démocratie préoccupent également une grande partie de cette coalition. Cette coalition d'électeurs est le résultat d'une campagne réussie et du choix stratégique fait par le parti. Mais c'est aussi la conséquence d'une situation politique exceptionnelle, de circonstances politiques particulières, qui ne resteront probablement pas les mêmes. Si Die Linke veut répéter son succès électoral, il doit développer sa stratégie - vers une politique de classe socialiste qui est antifasciste et écologique.
Die Linke doit faire avancer la reconstruction à l'est et à l'ouest de l'Allemagne, s'ancrer plus fortement à l'ouest et développer ses forces et renouveler ses fondements à l'est. L'ambition directrice doit être de briser la domination du SPD et des Verts dans l'espace politique du centre-gauche et de devenir lui-même leader. Les prochaines élections locales et régionales sont des étapes importantes à cet égard - même dans un certain nombre de villes d'Allemagne de l'ouest, compte tenu des résultats des élections fédérales, il n'est pas téméraire d'entrer sérieusement dans la course à la mairie. Tout cela est possible en raison de la situation politique et des lacunes politiques des deux partis concurrents d'une part, et de l'énorme afflux de membres depuis octobre/novembre 2024 d'autre part. Die Linke compte maintenant plus de 100 000 camarades - en quelques mois, un doublement. « Il s'agit en fait d'une refondation du parti : environ 60% (exactement : 59,9%) des membres de Die Linke ont rejoint depuis l'élection fédérale de 2021, plus de 50% depuis le départ de Wagenknecht. » [12] Die Linke a la possibilité de briser la domination du SPD et des Verts parmi les personnes socialement orientées et progressistes - mais cela ne peut réussir que si les obstacles politiques qui se dressent sur le chemin sont également abordés.

3. La composition sociale de l'électorat de gauche
Les partis n'ont jamais un électorat homogène, il s'agit généralement de coalitions d'électeurs de différentes classes, couches sociales ou milieux. Cela signifie toujours aussi : les électeurs de différentes couches n'ont pas nécessairement les mêmes préoccupations et intérêts, ils peuvent même parfois se contredire. La tâche d'un parti est toujours de construire une telle coalition, c'est-à-dire de faire de la politique au quotidien, dans les parlements et en public de manière à ce que les différentes préoccupations n'entrent pas en contradiction les unes avec les autres, mais obtiennent une perspective commune [13].
Die Linke, selon les données disponibles jusqu'à présent, a réussi à construire une coalition centre-bas composée de jeunes hautement qualifiés, de nombreux « employés » syndiqués et de chômeurs. D'un point de vue social (pas numérique), Die Linke est ainsi presque un parti populaire. Mais seulement presque. Les personnes d'âge moyen votent pour nous seulement dans la moyenne, les personnes âgées et les travailleurs (encore) en dessous de la moyenne.
L'électorat de gauche tend à être jeune [14]. 25% des 18-24 ans et 16% des 25-34 ans ont voté pour Die Linke, mais seulement 8% des 35-44 ans et 5% des 45-59 ans.

De plus, l'électorat de Die Linke est mieux qualifié et relativement également réparti sur les activités recensées dans les enquêtes électorales. 5% de ceux qui ont un certificat d'études secondaires ont voté pour Die Linke, 8% des diplômés du Realschule, 13% de ceux qui ont l'Abitur et 10% des diplômés universitaires.

Cela correspond à la direction du développement social : parmi les jeunes générations de 15-28 ans, environ 43% ont aujourd'hui l'Abitur et environ 31% un diplôme de Realschule. À l'inverse, cela signifie toutefois que Die Linke a obtenu de trop mauvais résultats parmi le groupe de jeunes qui ont socialement le plus de difficultés (en raison d'un diplôme d'études secondaires qui est de plus en plus dévalué). Il y a de la marge pour l'amélioration ici.
Parmi ceux qui se sont déclarés travailleurs, 8% lui ont donné leur voix, 9% des employés, 7% des indépendants, 5% des retraités et 13% des chômeurs. Parmi les membres des syndicats, Die Linke a légèrement mieux performé que la moyenne, 9,9% d'entre eux lui ont donné leur voix - moins que la moyenne de travailleurs syndiqués (7,8%), beaucoup plus que la moyenne d'employés syndiqués (parmi lesquels on pourrait supposer que se trouvent également des infirmières, du personnel de vente, etc.), ici c'était 12,3%.
À long terme, l'électorat s'est déplacé de l'est vers l'ouest de l'Allemagne. En 2002, environ 12% de toutes les voix que le PDS a pu gagner ont été exprimées en Allemagne de l'ouest (sans Berlin-Ouest). Des voix remportées en 2025, environ 70% ont été gagnées à l'ouest (sans Berlin-Ouest). En 2009, c'était environ 58%, en 2017 déjà environ 66%. On ne peut plus parler d'un parti de l'Est en 2025, même si proportionnellement plus de voix ont encore été gagnées à l'est qu'il n'y vivait proportionnellement (fin 2023, environ 15% de tous les Allemands vivaient en Allemagne de l'est, sans Berlin-Est). À Berlin, le PDS a gagné 11% de toutes ses voix en 2002, en 2025 c'était environ 9%. Le renouvellement du parti doit progresser à l'est comme à l'ouest. Les succès à l'ouest montrent : la chance d'un élargissement et d'un meilleur ancrage social de la base du parti à l'ouest est là.
Maintenant, il faut la saisir.
Que Die Linke ait pu construire une coalition électorale centre-bas, je voudrais enfin le montrer à l'aide de quelques impressions de la ville de Göttingen, que je connais le mieux. À Göttingen, nous avons gagné au total 17,6% des secondes voix et 13,5% des premières voix. Très provisoirement : grâce à divers moyens de campagne, mais surtout grâce à une campagne de porte-à-porte longue et intensive (plus de 10 000 portes sonnées), nous avons réussi à obtenir un très bon soutien non seulement des personnes plutôt académiquement qualifiées mais aussi des couches inférieures et moyennes-inférieures. Ceci est illustré ici uniquement à titre d'exemple à l'aide de quelques circonscriptions électorales. Pour éviter les malentendus : il s'agit simplement d'illustrer une tendance, pas d'une évaluation systématique [15].

Grone Süd, par exemple, est un quartier fortement marqué par l'immigration, où il y a un local de gauche depuis l'automne de l'année dernière. Le Holtenser Berg est considéré comme un quartier relativement pauvre, où l'AfD est particulièrement forte (32-34%). Par rapport à la ville, nous avons certes moins bien performé dans ces trois circonscriptions, mais comparé au niveau fédéral, nous avons quand même fait nettement mieux que la moyenne. Dans toutes les circonscriptions représentées, nous avons mené des conversations de porte-à-porte, mais seulement une fois au Holtenser Berg. En comparaison, voici les valeurs encore plus élevées des circonscriptions avec des proportions plus élevées de personnes ayant une formation académique. Dans ces circonscriptions également, nous avons mené des conversations de porte-à-porte, mais nous avons pu aborder notamment les plus jeunes aussi par notre participation aux manifestations contre la droite.

4. Momentum pour Die Linke : qu'est-ce qui explique le succès ?
Les échecs sont toujours de la responsabilité des autres, les succès en revanche toujours de soi-même. C'est une règle empirique en politique. Les fonctionnaires responsables de Die Linke seraient bien avisés de l'oublier. En fait, une série de conditions se combinent pour expliquer pourquoi Die Linke a performé relativement bien. Certaines ont à voir avec la politique quotidienne et les décisions stratégiques (erronées) d'autres partis, mais beaucoup aussi avec les bonnes décisions et orientations au sein du parti lui-même. Et peut-être devrait-on noter à ce stade : c'était une course contre le temps perdu. Le BSW a poursuivi la destruction de Die Linke depuis l'intérieur jusqu'au dernier moment possible - ce n'est qu'en janvier 2024 que Wagenknecht et compagnie ont fondé leur propre parti, les dommages d'image pour Die Linke étaient presque totaux. La politique, c'est le temps. Et jusqu'aux élections européennes en juin, il manquait des mois précieux pour être perçu différemment dans l'opinion publique, que comme un navire échoué, comme divisé et en désaccord sur plusieurs questions politiques centrales. Cela aurait pu mal tourner - exactement comme les stratèges du BSW l'avaient calculé en vue des élections européennes et régionales.
Moins il restait de temps, plus il était difficile pour Die Linke de défendre de manière crédible des positions de gauche. Néanmoins, des orientations correctes ont été prises pendant cette période. Cela incluait l'orientation vers une campagne de renouvellement et de pré-élection de longue durée, qui a été lancée dès la fin de l'été 2023, cela incluait l'ouverture ciblée vers la gauche sociale et cela incluait le « renouvellement par le bas » dans de nombreux endroits. Et cela incluait le débat stratégique sur un nouveau récit de gauche, une conduite de campagne plus ciblée, un cadrage qui évoque le populisme de gauche et la nécessité d'élire une nouvelle direction du parti - non pas parce que l'ancienne aurait fait beaucoup d'erreurs (elle a fait beaucoup de choses correctement), mais parce que le renouveau a parfois besoin de nouveaux visages. Le fait que Janine Wissler et Martin Schirdewan aient initié cette transition fait également partie des conditions du succès actuel [16]. Die Linke est donc entré dans la course en décembre 2024 sous-estimé.
L'élection fédérale a été marquée par l'échec du gouvernement (hausses de prix/pertes de salaire réel, importance persistante des loyers élevés, échec de la transition climatique, réarmement dans le cadre de la guerre en Ukraine et de la nouvelle guerre froide-chaude), la chancellerie attendue de Friedrich Merz (pas de momentum qui aurait amené les électeurs vers le SPD et les Verts) et le soutien croissant à l'AfD (lié à des événements qui ont mis en conscience le danger de la droite : plans de « remigration » début 2024, vote commun de l'Union, du FDP et du BSW avec l'AfD). Parmi les conditions particulières figure certainement l'impopularité des candidats à la chancellerie : « Aucun n'a conquis le cœur des électeurs. Au contraire, tant les anciens que les nouveaux candidats ont dû faire face à de fortes réserves contre leur personne. » [17]
Pour Die Linke, une situation favorable s'est ainsi créée, qui a pu être utilisée grâce à une interprétation flexible de la campagne électorale. La campagne elle-même prévoyait essentiellement de traiter la question sociale et la division haut-bas, et de cette manière également en marge (« Si ton village est sous l'eau, les riches montent sur leur yacht ») d'aborder la catastrophe du réchauffement terrestre (il en était de même pour la question de la guerre et de la paix) - mais de prendre position sur d'autres questions. De cette façon, le parti a été en mesure de parler du problème de tous les problèmes dans le pays, de la répartition inégale des richesses, et de tous les déséquilibres et problèmes concrets qui en découlent pour les gens. Il est important dans ce contexte : selon l'ARD-Deutschlandtrend, début janvier, 77% des personnes interrogées voyaient dans les grandes différences entre riches et pauvres le plus grand problème pour la coexistence en Allemagne - ni les Verts ni le SPD, ni le BSW n'ont repris ce sentiment profond en intensifiant leur campagne. Ce furent des erreurs stratégiques qui ont largement laissé le champ politique à Die Linke à cet égard. Le traitement de la division sociale haut-bas a été bien complété par le récit, qui a été pratiquement soutenu par la campagne de porte-à-porte et l'action sur les coûts de chauffage, que Die Linke voulait faire de la politique différemment : en écoutant, en partant des gens et de leurs préoccupations quotidiennes : « Avec le programme qui veut sérieusement s'attaquer au capital et aux super-riches pour surmonter les crises de notre temps dans le cadre d'une transformation socio-écologique, il continue d'exister une caractéristique distinctive dans l'activité politique. » [18]
Mais cela ne rendait pas encore justice au moment politique à lui seul. Ce n'est que par le momentum antifasciste et antiraciste, qui est né avec l'élection de Trump aux États-Unis, la rupture de la coalition feu tricolore, par la domination des positions anti-migration et les projets de vote de la CDU avec l'AfD, que Die Linke est devenu en plus un projet attractif. On ne devrait pas se l'imaginer comme une connexion simple et directe (un événement → conséquence politique), mais plutôt comme l'émergence d'une atmosphère qui influençait la réflexion des gens. Les événements jouent néanmoins un rôle, car en eux et par eux quelque chose peut émerger qui était déjà né auparavant. C'est à de tels événements que s'enflamment alors les passions.
L'annonce et le vote du plan en 5 points de la CDU était un tel événement. La démarche de la CDU représente à la fois l'intensification du débat sur la migration et une frayeur antifasciste. Dans les enquêtes de l'institut de sondage Insa, Die Linke est passé lentement de 3 à 4% entre le 03.01.2025 et le 30.01. Cette bonne évolution était aussi une conséquence de la conduite de campagne sociale. Mais pas seulement. Un boost n'est venu qu'avec l'intensification de la politique migratoire et la polarisation antifasciste - avec Die Linke comme pôle le plus clair d'humanité, d'internationalisme et d'antifascisme. Le 24.01., Merz avait annoncé qu'il soumettrait les projets de la CDU au vote, le 30.01. ils ont été traités au parlement. Dans le sondage réalisé entre le 31.1 et le 03.02., Die Linke a grimpé pour la première fois à 5%, puis rapidement à 6 et 6,5% [19].

Que Die Linke soit devenu attractif dans ce contexte n'a été possible que parce que le parti ne s'est pas dérobé, mais a clairement pris position - à travers un cadrage et des récits qui n'étaient pas tout à fait réussis (car improvisés), mais néanmoins efficaces. Jan van Aken a clairement affiché sa position dans les talk-shows, Heidi Reichinnek a prononcé un excellent discours. Les deux ont été repris dans les médias sociaux et la presse et ont façonné notre impact extérieur. Die Linke était - et c'était déjà le cas dans les semaines précédentes, lorsque les intensifications dans le débat sur la migration augmentaient - dans l'opinion publique non seulement LE parti social qui attaquait les milliardaires et les millionnaires, mais aussi LE parti de l'asile et pro-migration. Cela avait aussi un côté mouvement, car dans de nombreux endroits peu après le vote Merz-AfD, le parti était une voix crédible dans les protestations locales. Qu'un positionnement clair antiraciste et en faveur des droits humains était important pour le succès électoral est au moins indiqué par les taux d'approbation élevés parmi les musulmans allemands. 29 pour cent ont voté pour Die Linke, probablement en raison de la position dans le débat polarisé sur la migration et de la critique claire des violations des droits humains et du droit international par le gouvernement israélien à Gaza [20].
Les deux doivent être considérés ensemble, la politique de distribution et sociale et l'antifascisme/antiracisme. On pourrait aussi dire : la connexion d'une politique de classe antifasciste explique le succès - d'une gauche qui a défendu son internationalisme sans complexes. Dans ce contexte, il est important de souligner comment cela s'est passé. La défense de normes minimales était au premier plan. Dans cette tempête, le parti a dû se passer de son propre concept d'immigration élaboré et d'un récit politique réfléchi.
La question climatique, en revanche, a joué un rôle un peu moindre dans le succès électoral - mais elle a joué un rôle. Cela se voit déjà lorsqu'on regarde qui sont en fait les nouveaux membres de Die Linke et ce qui leur importe. Au moins pour une bonne partie des nouveaux membres, on peut dire de manière pointue : des parties de l'aile gauche du mouvement climatique et ses partisans se sont de plus en plus approprié le parti au cours des deux dernières années - de manière explosive depuis novembre 2024. Cela devrait également représenter des orientations politiques dans les couches et milieux correspondants d'où viennent au moins une grande partie des nouveaux membres. La déception des Verts au gouvernement a permis de pénétrer dans ce spectre. Ces personnes ne resteront liées à Die Linke à long terme que s'il fait aussi une politique éco-gauche. En résumé, on peut dire : à partir de début janvier, le parti a de plus en plus représenté un populisme progressiste de gauche dans la mêlée, qui était très rouge, mais qui avait aussi un effet internationaliste vers l'extérieur - et vert sur les parties politisées de la jeune génération, qui s'informent bien, qui étaient actives dans le mouvement climatique ou le soutenaient.
5. Préoccupations et inquiétudes des électeurs de gauche
Cela s'exprime également dans les préoccupations et les inquiétudes de ceux qui ont voté pour Die Linke. Interrogés sur ce qui avait été décisif pour leur vote, 51% des électeurs de gauche ont indiqué la sécurité sociale, 18% le climat + l'environnement, 9% la sécurité intérieure et 8% la préservation de la paix. Interrogés sur leurs plus grandes préoccupations personnelles, l'image était différente :
84% se préoccupaient que la démocratie et l'État de droit soient en danger ;
82% que le changement climatique détruise notre base de vie ;
72% se préoccupaient que l'influence de la Russie sur l'Europe continue d'augmenter ;
72% se préoccupaient que « nous » soyons livrés sans défense à Poutine et Trump ;
60% étaient préoccupés par les problèmes d'argent au quotidien ;
60% par les fortes hausses de prix, rendant impossible le paiement des factures.
Ces valeurs expriment, à mon avis, l'importance de la politique climatique et de la défense de la démocratie pour l'électorat de gauche - et pour les potentiels futurs partisans de Die Linke : Car pour 91% des électeurs des Verts, la politique climatique est très importante, mais aussi pour 76% des électeurs du SPD. 64% de nos électeurs estimaient qu'on n'en faisait pas assez pour la protection du climat, ce qui était le cas pour 55% des électeurs du SPD, 80% des électeurs des Verts et même 24% des électeurs du BSW.
Les inquiétudes concernant Trump et Poutine devraient également être interprétées principalement comme l'expression d'une attitude démocratique fondamentale, les deux étant des figures proéminentes de la nouvelle internationale des droites autoritaires dans l'opinion publique. Si l'attitude démocratique antifasciste fondamentale qui s'y dessine est un point d'ancrage pour Die Linke, les inquiétudes et sentiments de menace sont un défi. Car il n'existe tout simplement pas actuellement de concept de sécurité et de défense de gauche élaboré qui pourrait être considéré comme faisant partie d'une politique de détente convaincante pour notre époque, pour répondre à ces préoccupations. Il est seulement clair que la politique d'un parti de la liberté, qu'est Die Linke, « (...) ne peut pas consister à se soumettre à un prétendu 'réalisme' apologétique qui laisse les grandes puissances géopolitiques se partager des sphères d'influence entre elles au mépris du droit international et de la souveraineté populaire. » [21] Une politique de sécurité de gauche convaincante n'en découle pas encore. Ce talon d'Achille a également été reconnu par les Verts et le SPD : une bonne partie notamment des plus jeunes a voté pour Die Linke (cela vaut déjà pour beaucoup de ses nouveaux membres) malgré les positions en matière de politique de paix et étrangère qui lui sont attribuées, pas à cause de celles-ci.
6. L'importance de la campagne de base
Le populisme de gauche de la campagne électorale de gauche était rebelle et il était - et c'est important - engageant, parce que les visages du parti semblaient chaleureux, énergiques, crédibles et intelligents. Mais cela n'a été possible que parce que d'importantes décisions politiques organisationnelles avaient été prises. Cela inclut l'amélioration du travail sur les médias sociaux - on a déjà beaucoup écrit et dit sur TikTok [22], mais cela vaut pour la stratégie de communication publique dans son ensemble, dans laquelle un récit de base (Nous contre ceux d'en haut, pour les travailleurs, etc.) a été maintenu.
Au moins aussi important est le fait que dans le cadre d'une campagne de porte-à-porte, une véritable mobilisation de base a eu lieu dans de nombreux endroits. Trois choses ont été, à mon avis, décisives. Premièrement, depuis septembre, des essaims de militants électoraux d'abord petits, puis croissants, sont effectivement allés de porte en porte dans de nombreux endroits. Ils ont pu atteindre également ceux qui voulaient se détourner par frustration, qui hésitaient ou même - cela est également arrivé à plusieurs reprises au moins à Göttingen - qui voulaient en fait voter pour le BSW ou l'AfD. L'impact de cette campagne sur les résultats électoraux globaux (pour les mandats directs, c'est clair) doit encore être systématiquement évalué. Il y avait plusieurs, même grandes, associations de district où il n'y a pas eu de campagne de porte-à-porte et où pourtant de très bons résultats électoraux ont été obtenus. Un exemple de Basse-Saxe est la ville d'Oldenburg. Mais pour Göttingen, on peut dire : là où la campagne de porte-à-porte a été menée, on a réussi à obtenir de fortes augmentations de voix même dans les quartiers où vivent des personnes à faibles revenus. Deuxièmement, en raison de la campagne de base, une dynamique s'est créée au niveau local, permettant également de mieux réaliser d'autres formes de campagne active (distribution de tracts, stands d'information, fêtes électorales...). Les conversations de porte-à-porte étaient par exemple à Göttingen l'axe central de la campagne, environ 120 personnes y ont participé - à des degrés très divers. Cela a créé une atmosphère de renouveau général. Dans ce contexte, nous avons pu distribuer nos matériels d'information dans toute la ville et aussi dans certaines parties de la grande partie rurale de notre circonscription - d'après les retours de nombreux citoyens dans la conversation (certes, une base très subjective pour l'évaluer), une incitation à s'occuper de nos positions et du parti. Cela vaut expressément pour les hésitants qui se demandaient s'ils devaient voter SPD, Verts ou Linke. Et troisièmement, grâce à la campagne de base active, les nouveaux membres ont pu se voir proposer directement une occasion de participer. Il ne faut pas sous-estimer la nouvelle image que Die Linke a donnée vers l'extérieur grâce à des milliers de membres de base actifs : un parti actif qui s'intéresse vraiment aux gens et à leurs préoccupations.
De cette manière, on a réussi à gagner des électeurs tant des deux partis du centre-gauche que du spectre des non-votants. Die Linke a surtout gagné des électeurs des Verts et du SPD. Sur les 1,45 million de voix perdues par les Verts, près de la moitié est allée à Die Linke. Cela montre aussi : Die Linke a réussi en tant que parti vert de gauche. En même temps, il a perdu vers la droite : toujours 110 000 voix à l'AfD et 350 000 au BSW social-autoritaire. Certainement une partie des partants aurait souhaité une politique étrangère moins critique envers la Russie - une autre partie a probablement été attirée par le virage à droite du BSW dans la politique sociale et environnementale. Au total, l'électorat de Die Linke en 2025 après ce petit « échange » devrait également penser de manière plus progressiste sur ces questions que par le passé.
Une stratégie visant principalement à gagner des électeurs déçus des Verts n'a jamais existé dans Die Linke au cours des dernières années. Cependant, cela a été affirmé à plusieurs reprises par des critiques de la direction du parti, notamment l'année dernière - avec l'indication que cette stratégie avait échoué, que les électeurs des Verts ne pouvaient pas ou à peine être gagnés. Lors de l'élection fédérale, c'est précisément ce que Die Linke a particulièrement bien réussi à faire. Les gains de voix sont considérables. Mais c'est seulement en combinaison avec les gains du SPD et du spectre des non-votants qu'ils ont assuré le succès.
En 2025 également, il était vrai que : la participation électorale était la plus faible là où vivent les personnes à faibles revenus et à faible niveau d'éducation formelle [23]. Sur les gains que Die Linke a pu réaliser par rapport à 2021 (seules les voix gagnées sont considérées), les gains des Verts représentaient environ 41%, ceux du SPD 33%, du spectre des non-votants 17% [24]. C'est décisif pour le futur débat stratégique. Il doit s'agir de briser la domination résiduelle du SPD et des Verts dans le camp de centre-gauche, d'une part en continuant à s'adresser à leur « électorat à tendance de gauche », d'autre part en atteignant les non-votants et en abordant les préoccupations sociales des parties non fermement de droite de l'électorat de l'AfD. Pour rappel : parmi les non-votants, on trouve une proportion supérieure à la moyenne de personnes à faibles revenus, de personnes âgées et de travailleurs qui se sentent abandonnés par la politique dominante.

7. Conclusions stratégiques - Projet 15%
La nouvelle situation - probablement une nouvelle édition de la grande coalition (mais avec un partenaire junior SPD) - offre beaucoup d'espace à une opposition clairement de gauche. Cependant, les Verts se repositionneront également dans l'opposition, en s'ouvrant socialement vers la gauche - comme ils l'ont déjà fait par le passé. Et au vu des résultats des sondages, on peut s'attendre à un réarmement supplémentaire d'une ampleur ouverte (le frein à l'endettement ne devrait être ouvert que pour le secteur de la défense), malgré environ 50 milliards par an d'investissements dans les infrastructures (500 milliards de patrimoine spécial sur 10 ans), dans le meilleur des cas un statu quo social, plutôt des détériorations et un mécontentement accru dans ce qui reste des milieux électoraux sociaux-démocrates. Cela signifie également que les causes fondamentales des succès de l'AfD persisteront.
Dans ce contexte, il est important pour Die Linke de traiter ses propres faiblesses et contradictions, et de tirer des conclusions stratégiques qui lui permettent réellement de devenir la force dominante dans le spectre du centre-gauche. On n'est pas forcément dominant parce qu'on gagne le plus de voix - on peut aussi être dominant parce qu'on s'assure le plus fort soutien politique réel de la société civile active et qu'on fait des propositions dans les confrontations sociales auxquelles les autres doivent réagir. Nous sommes hégémoniques lorsque les autres portent nos idées sur leurs lèvres, ne serait-ce que pour les nier.
Face au SPD et aux Verts, une double stratégie est donc nécessaire : par une confrontation dure et une critique, Die Linke doit clairement faire valoir sa propre utilité politique (pourquoi soutenir Die Linke, pas le SPD et les Verts ?) et s'adresser à ceux qui ont déjà été politiquement abandonnés par les deux partis. À cet égard, une ligne de démarcation stratégique est nécessaire, qui est tracée clairement et distinctement. Mais cela seul serait insuffisant, car aucune perspective de mise en œuvre n'est ainsi ouverte pour ses propres propositions. Et parce que les points communs qui existent entre Die Linke, le SPD et les Verts, au moins sur le papier, sont occultés - et là où les sociaux-démocrates, les Verts et Die Linke travaillent ensemble dans des alliances, des syndicats et des conseils d'entreprise/de personnel, des mouvements ou des initiatives. La ligne de démarcation doit donc être complétée par des offres de coopération, qui sont sincèrement destinées à mettre en œuvre des améliorations concrètes.
Dans ce qui suit, je vais maintenant tirer quelques conclusions stratégiques pour esquisser le projet d'une politique de classe populiste de gauche, antifasciste et écologique, qui pourrait aider à faire de Die Linke le pôle fort dans la lutte entre partis. C'est la condition préalable pour arrêter également l'influence croissante de l'AfD parmi les travailleurs et les employés simples et pour reconquérir du terrain politique. Car une chose est également claire : si Die Linke veut changer les rapports de majorité dans le pays, il doit briser l'influence de l'AfD dans les couches à faibles revenus. Pour cela, une considération sobre des partisans de l'AfD est nécessaire, distinguant entre les racistes et xénophobes d'une part et les personnes d'autre part qui s'approprient une idéologie de bouc émissaire pour traiter des expériences sociales et politiques douloureuses, mais qui ne sont pas fermement de droite. La taille respective de ces deux parties est controversée. En tant que « gauche de classe sans complexes », Die Linke doit essayer d'atteindre ces derniers. À cet égard, il est particulièrement vrai que : cela ne sert à rien de cacher son propre internationalisme et ses propres convictions écologiques. Il s'agit plutôt d'aborder honnêtement les intérêts sociaux des électeurs de l'AfD et de les convaincre - véridiquement - que l'adversaire ne vient pas vers nous dans des canots pneumatiques, mais vole en jet privé. Pour pouvoir le faire, il est conseillé d'évaluer les expériences avec un travail politique organisateur et de soutien, par exemple dans les quartiers (voir ci-dessous) et de continuer, et en même temps de saisir un malaise politique répandu concernant le pouvoir des entreprises et des lobbies.
Die Linke comme moteur de la démocratisation : Une caractéristique politique fondamentale de notre époque est le double malaise concernant la démocratie. Par cela, j'entends d'une part la peur de la fascisation et du virage à droite, d'autre part la critique du pouvoir des lobbies et des entreprises, qui est largement répandue dans la population, en particulier aussi chez les non-votants. Un sentiment plus répandu est qu'on a été oublié par l'establishment politique. Die Linke a abordé les deux dans la campagne électorale, d'une part avec l'ambition de « vouloir faire de la politique différemment », d'autre part par la position clairement antifasciste. Ce double malaise politique concernant la démocratie peut être abordé par un populisme de gauche centré sur la démocratie : il s'agit pour nous de l'égalité et de la dignité égale de tous les citoyens et de la construction d'une véritable démocratie sociale, dans laquelle les revendications d'égalité sont également réalisées. Ce républicanisme de gauche comprend également - en tant que républicanisme économique - la promotion de l'extension de la décision démocratique commune aux affaires économiques. Un tel populisme de gauche est exigeant, car la peur de la fascisation peut renforcer la tendance chez les gens à « défendre la démocratie en soi » et à exiger l'union de tous les démocrates. Le récit démocratique de gauche doit être, à mon avis, antifasciste et républicain en ce sens, et en même temps attaquer la politique détachée dans l'intérêt de la classe des milliardaires et des millionnaires [25] - au nom de l'égalité sociale et de la liberté des employés dépendants. Le parti a besoin d'un récit élaboré. Celui-ci doit être organisé autour d'exemples quotidiens et ouvrir une vision démocratique : à quoi ressemblerait un pays plus démocratique ? Et surtout, un débat sérieux sur la stratégie antifasciste est nécessaire. La politique économique et sociale de gauche est importante, sans question. Mais l'antifascisme de gauche ne peut pas non plus être réduit à cela.
Politique pour les familles qui travaillent : C'est très bien que Die Linke soit devenu le parti des jeunes électeurs. Un parti socialiste qui ne peut pas gagner les jeunes a un problème. Il faut s'appuyer sur ces succès pour les développer. Mais c'est aussi un défi dans la mesure où les jeunes sont depuis longtemps minoritaires par rapport aux plus âgés en Allemagne. Les 18-24 ans ne comptaient que 6,15 millions de personnes fin 2023, y compris les non-citoyens. Cela ne représentait qu'environ 7% de toutes les personnes vivant en Allemagne. À titre de comparaison : rien que ceux qui avaient 82 ans ou plus représentaient 6% de la population fin 2023. Les 60-65 ans entiers 9%. Pour rappel : parmi les 35-44 ans, Die Linke n'a atteint « que » 8%, parmi les 45-59 ans 5% et parmi les 60+ 4%. Parmi les 25-34 ans, 14% ont voté pour Die Linke. C'est une très bonne situation de départ pour lutter en particulier dans le spectre des 25-45 ans pour du terrain politique. Pour y parvenir, Die Linke devrait davantage s'adresser aux « familles qui travaillent » et aborder de manière encore plus ciblée leurs préoccupations et leurs besoins. Il est tout à fait juste que Die Linke a toujours été en faveur d'une politique familiale sociale, la majorité de ses propositions (par exemple dans la politique éducative et sociale) permet aux familles de vivre mieux. Cela inclut par exemple le développement étendu d'offres de garde, d'éducation et de soutien [26]. Mais dans son travail public et dans ses récits politiques, les familles sont pratiquement absentes. Die Linke laisse ce paysage émotionnel aux conservateurs, aux sociaux-démocrates et à la droite. La raison est claire. D'une part, les familles sont aussi des lieux de contrainte et de non-liberté, d'autre part, Die Linke ne veut pas exclure d'autres modèles de vie. Mais les familles sont aussi des lieux d'amour, de travail de soin (partagé) et de reproduction, dans les bonnes familles d'esprit communautaire. Ce monde du soin est principalement le monde des 25-50 ans - et c'est à eux que Die Linke devrait s'adresser politiquement. « La politique pour les familles qui travaillent » permettrait en même temps de faire à nouveau plus fortement le lien avec des problèmes comme la pauvreté des personnes âgées, la politique des retraites et les soins : des problèmes sociaux qui sont particulièrement importants pour ceux qui ont le moins voté à gauche, pour les plus de 60 ans.
Mobilisation de classe et stratégie pour les non-votants : Plus les revenus et les niveaux d'éducation formelle sont bas, plus la participation électorale est faible. Les non-votants ne sont évidemment pas un groupe uniforme, il y a des raisons très différentes pour lesquelles les gens ne votent pas. Une raison est que des personnes qui ont en fait des revendications et des exigences de gauche ont été déçues à plusieurs reprises et ne se sentaient/sentent plus représentées. Cette démobilisation est un garant de succès pour les autres partis - d'autant plus que l'AfD réussit à motiver les non-votants de droite à voter. Die Linke a maintenant également gagné un soutien considérable de la part des non-votants. Cette stratégie pour les non-votants doit être développée afin de pouvoir gagner de manière encore plus ciblée des parties frustrées ou politiquement hésitantes, en particulier des classes ouvrières inférieures et moyennes. La large campagne de base et de porte-à-porte a montré comment le faire : aller vers les gens pour discuter, car la frustration et l'indécision politique ne peuvent être mieux abordées que par la conversation directe. Mais il faut plus. L'approche d'une « politique de gauche organisatrice » qui se cache derrière les conversations de porte-à-porte doit être davantage transmise et diffusée. Car d'une part, Die Linke ne voulait pas seulement enthousiasmer ses interlocuteurs pour qu'ils votent pour lui, mais aussi les inviter à participer. D'autre part, la conversation avec les citoyens n'était que la partie visible d'un iceberg. La partie invisible a toujours été le travail d'organisation, d'activation et de renforcement des capacités en arrière-plan, par lequel plus de personnes sont invitées et soutenues pour s'impliquer dans le travail actif du parti. En ce sens, Die Linke doit continuer à transmettre les connaissances d'organisation [27], il a besoin de milliers d'organisateurs de gauche dans le parti pour lutter encore plus efficacement pour ceux qui se sont détournés.
Il est important dans ce contexte que le parti, en tant que foyer, doit offrir à tous un lieu et aussi des possibilités de participation. Cela signifie que les campagnes de base et le travail de base doivent également inviter des personnes qui n'ont peut-être que 2 heures par mois à consacrer au parti. Die Linke a besoin d'organisateurs, il a besoin d'activistes et il a besoin d'une offre diversifiée de participation pour ceux qui ont moins de temps.
Politique de classe internationaliste : La campagne pour les élections fédérales a montré que Die Linke ne peut pas choisir les questions auxquelles il doit répondre en public. Cela n'aide pas non plus de cacher ses propres réponses ou de les atténuer. Les opposants politiques vont toujours et encore jeter les positions de Die Linke à la figure. À la télévision, dans les médias sociaux et dans la campagne électorale de rue. Cela vaut pour tous les sujets, mais surtout pour le thème de l'asile et de l'immigration. Pour Die Linke, qui veut être le parti des classes laborieuses, c'est un sujet important déjà parce qu'une grande partie de la classe ouvrière peut aujourd'hui se prévaloir de sa propre histoire d'immigration. Il y a des domaines de l'économie allemande - l'industrie de la viande est l'exemple le plus connu, mais cela vaut aussi pour des parties de la logistique d'entrepôt, des soins ou de la restauration rapide - où aujourd'hui rien ne fonctionne plus sans les migrants de travail et les réfugiés. La diabolisation des immigrants est une partie fixe et centrale des stratégies conservatrices et (post-)fascistes pour être majoritaires. La politique anti-migration va rester. On ne peut pas l'occulter, car la politique de classe socialiste doit essayer de surmonter la division de la classe ouvrière. La seule voie praticable est d'y faire face avec confiance et préparation. Cela signifie : pour gagner davantage de terrain politique, Die Linke doit systématiquement lier son récit de classe sociale à un récit « pro-migrant ». Il s'agirait d'un récit de classe multiculturel qui s'adresse aux personnes qui viennent en Allemagne et les rend visibles comme faisant partie des classes laborieuses, qui ne nie pas les défis qui naissent aussi de l'immigration, mais les aborde et présente ses propres propositions de solutions - et qui souligne son propre internationalisme et ne le cache pas timidement. Mais cela signifie aussi : la façon dont on parle de l'immigration et des personnes immigrées n'est pas indifférente - il s'agit d'un cadrage de classe multiculturel et pro-migrant ciblé, dont Die Linke ne dispose pas. Cela devrait être politiquement soutenu par ses propres propositions pour un concept d'immigration de gauche. C'est aussi crucial parce que l'immigration sur les marchés du travail sera un sujet important à l'avenir - simplement et simplement parce que les entreprises demandent une main-d'œuvre qualifiée appropriée. L'Agence fédérale pour l'emploi suppose que rien que jusqu'en 2025, 400 000 travailleurs supplémentaires de l'étranger seront nécessaires chaque année.
Politique de classe écologique : La crise climatique est une crise sociale, la question climatique a toujours été une question de classe. Son développement façonnera nos vies et nous devons tout faire pour empêcher le pire. Un changement fondamental de direction est nécessaire, même une rupture profonde dans les modes de production et de vie, pour laquelle nous devons gagner des majorités. Mais la « question climatique » est également décisive sur le plan électoral stratégique, car elle est très importante pour de grandes parties du spectre d'électeurs de centre-gauche. Les Verts dans l'opposition tenteront à nouveau de se positionner comme un parti climatique crédible - les électeurs que Die Linke a gagnés d'eux (tout de même 41 pour cent des gains purs) pourraient aussi changer à nouveau. Si le parti veut les garder et atteindre les parties de l'électorat du SPD (plus de 50 pour cent) qui pensent que la politique climatique actuelle n'est pas suffisante, il doit continuer à se profiler comme un parti climatique social. Cela inclut, outre de bons concepts, un récit climatopopuliste plus offensif, comme il figurait déjà dans la campagne électorale, mais qui doit être développé davantage : dans cette politique de classe-climat, il s'agit de la responsabilité des riches pour le financement de la conversion écologique, de mesures vraiment efficaces, de la participation démocratique des travailleurs aux décisions, et de la protection et la sécurité de toutes les personnes ordinaires.
Réponses au dilemme du gouvernement : Die Linke a profité cette fois d'une situation particulière. Il était clair que ni le SPD, ni les Verts n'avaient une chance de fournir le chancelier. Le changement vers un gouvernement dirigé par la CDU était certain. Dans cette situation, contrairement à 2021, aucun sentiment de changement social vers un autre gouvernement n'est apparu. Ainsi, il était « simple » pour Die Linke de se positionner comme opposition. Même ceux qui souhaitent un gouvernement progressiste avaient relativement facile à nous élire comme parti d'opposition. Cette situation confortable pourrait être terminée dès les prochaines élections fédérales. C'est pourquoi il faut trouver une réponse à la future question de savoir pourquoi les gens devraient voter à gauche si le parti n'est pas disponible pour un changement de gouvernement. Bref : Die Linke a besoin d'un récit radical-réformiste bien pensé qui puisse s'adresser à ceux qui veulent un meilleur gouvernement, et à ceux qui souhaitent l'opposition. Si Die Linke veut croître, il doit s'adresser à tous ceux qui, dans le doute, voteraient autrement pour ceux qui gouverneront (c'était en soi une attaque bien réfléchie des Verts dans la dernière semaine de campagne, qui n'a fonctionné que parce que les Verts avaient massivement déçu les électeurs, signalaient trop de disposition à la coalition avec l'Union et Habeck était loin des chances de devenir chancelier). Die Linke n'a pas et n'avait pas un tel récit. En 2021, par exemple, le slogan avancé qu'il œuvrerait pour des « majorités au-delà de la CDU » n'était pas une publicité pour Die Linke. « CDU hors du gouvernement » était traduit par de nombreux électeurs pour eux-mêmes comme : alors autant voter directement pour les Verts ou le SPD.
Politique de sécurité de gauche et une nouvelle politique de détente : Un grand talon d'Achille du succès électoral de la gauche est la politique étrangère. Dans une plus grande partie de la société, les préoccupations concernant les États autoritaires et agressifs se propagent - aussi parmi ceux dont les cœurs battent pour une république socialement juste et plus démocratique. Ce qui est donc crucial, ce n'est pas seulement quelles connaissances et justes perspectives les gauches ont sur la politique mondiale, mais comment elles réagissent de manière convaincante à ces préoccupations. Les valeurs d'Infratest-Dimap présentées ci-dessus illustrent le problème pour le nouvel électorat. Mais la situation n'est pas différente chez les partisans des Verts et du SPD. Le parti devra y faire face rapidement, car le SPD et les Verts attaquent exactement là. Il est également vrai, cependant : les peurs d'escalade militaire se propagent également - et à en juger par ce qu'on entend des politiciens de l'Union aux Verts, ce n'est pas sans raison.
Des dernières campagnes électorales (élections régionales 2022 et élections européennes 2024, ainsi que la campagne pour les élections fédérales), j'ai néanmoins eu la forte impression qu'une partie notable de l'électorat vote pour Die Linke malgré les réponses précédentes, pas à cause de ces réponses. Cela n'a pas besoin d'être le cas dans le nouveau monde multipolaire, où l'OTAN est également de facto remise en question par les États-Unis de Trump, et plusieurs États et blocs d'États autoritaires entrent en conflit les uns avec les autres [28]. Les réponses de politique de sécurité des autres partis sont à tout prix étroitement axées sur des réactions militaires et l'exploitation militaire future des espaces d'influence et des matières premières. C'est une politique offensive d'insécurité. La politique de sécurité de gauche doit d'abord et avant tout demander du sens de la réalité et insister pour réduire les insécurités et éviter les conflits violents, pour miser d'abord sur des solutions civiles - en partant d'une propre politique de défense coopérative qui est structurellement orientée vers la défense. Il est crucial d'élaborer sérieusement une telle politique de défense et d'adopter une attitude qui ne laisse aucun doute sur le fait que Die Linke défend la liberté et la démocratie dans un monde où les puissances impériales foulent aux pieds le droit international.
Pour les débats quotidiens, il faut d'abord de la confiance en soi : la valeur de la gauche est « qu'il y ait au moins une voix au Bundestag qui ne marche pas simplement au pas, mais qui remet en question la renaissance du militaire. Sans être naïve ou volontairement - comme les partis du Kremlin AfD et BSW - ignorer la menace réelle de l'ordre européen par la Russie de Poutine. » [29] C'est précisément pour cette raison que le parti doit travailler à un concept convaincant de politique de détente - ce n'est qu'alors qu'il pourra gagner plus de soutien pour le non au réarmement et à la militarisation. Il serait conseillé de partir tant des questions et préoccupations des gens du pays que des bouleversements dans le monde. Die Linke pourrait même être pionnier ici. Car les États-Unis sous Trump semblent vouloir laisser peu de la soi-disant « communauté de valeurs occidentale », les anciens systèmes d'alliance peuvent déjà sembler dépassés en très peu de temps, la fidélité dans les centres du SPD, du FDP et de l'Union envers Washington peut devenir une pose absurde. La tâche de la gauche serait de formuler une politique anti-impérialiste à la hauteur du temps - à laquelle doit également appartenir comment la sécurité et l'autodétermination démocratique peuvent être préservées face aux grandes puissances qui - qu'il s'agisse de l'Ukraine ou du Groenland - prétendent pouvoir déplacer les frontières. Le concept social-démocrate de politique de détente, auquel beaucoup dans la gauche aiment se référer, reposait toujours sur deux piliers. Il serait à développer davantage à partir d'une perspective socialiste de gauche. Un pilier était de miser sur la diplomatie et le « changement par le rapprochement », c'est-à-dire de réduire les tensions et de permettre des progrès démocratiques dans les pays partenaires de la politique de détente par plus d'échanges avec eux. Le deuxième pilier était l'idée d'une défense structurellement défensive. Les deux formaient une unité - et la question serait de savoir à quoi ressemblerait exactement une bonne défense aujourd'hui, sans participer à la course aux armements qui augmentera encore les tensions et les insécurités.
8. Pour conclure : le choix stratégique
Die Linke a réalisé un retour impressionnant qui a surpris de nombreux commentateurs et observateurs. Beaucoup ont négligé les orientations correctes qui avaient été prises dans le parti depuis le début de 2023. À l'été 2023, elles ont abouti au dit « Plan 25 ». Avec cela, Die Linke a commencé à travailler stratégiquement à son renouvellement. Par conséquent, il n'est pas entré dans la course à

Europe de la défense : qu’en pense la gauche ?

À cinq hommes et femmes politiques, nous avons posé la question suivante : que penser d'une défense européenne à l'heure de la montée du fascisme sur le continent et de la progression des pays gouvernés par l'extrême droite dans l'Union européenne ?
7 mars 2025 | ltiré de regards.fr
https://regards.fr/europe-de-la-defense-quen-pense-la-gauche/
Aurélien Saintoul, député LFI, membre de la commission de défense nationale et des forces armées : « Le projet de défense commune ne répond pas aux vrais problèmes »
La question de la défense est d'abord une question de souveraineté. La souveraineté étant liée au peuple, il faudrait se demander s'il existe une souveraineté populaire européenne. Bien sûr que non puisqu'il y a plusieurs peuples au sein de notre continent. Donc il y a déjà un problème de principe. Ensuite, il faut aussi se poser les questions concrètes qu'entrainerait cette « défense commune européenne » : qui pour la commander ? Quels États pourraient décider de l'engager ? Et au service de quels intérêts cette défense commune pourrait être utilisée ? Les dirigeants fascistes et assimilés n'ont évidemment pas les mêmes intérêts que les gouvernants démocrates. Il ne faut pas oublier cette constante : les fascistes ne respectent pas le droit. Pourquoi voudraient-ils mobiliser une défense européenne ? Pour lutter contre l'immigration ? Quels genres de relations envisagent ces forces fascistes avec les régimes autoritaires comme la Russie ou d'autres pays dirigés par l'extrême droite comme les Etats-Unis ? Giorgia Meloni n'a pas dit un mot après l'humiliation de Volodymyr Zelensky par Donald Trump et l'Italie a contracté avec Starlink pour 1,5 milliard d'euros…
Les annonces faites par Emmanuel Macron qui rêve de cette « défense commune européenne », c'est surtout un affichage. Il cherche à montrer qu'il fait encore des choses, il veut détourner l'opinion publique de son mandat national. C'est de la poudre aux yeux. Il dit vouloir un « réveil stratégique » au regard de la ligne politique conduite par Donald Trump sur le champ international. Mais comme la plupart de nos partenaires, la France est incapable d'agir en dehors de l'influence américaine. On a accepté de former des pilotes de chasse en partie aux États-Unis, on a du matériel de renseignement américain, on a des catapultes du Charles de Gaulle qui sont américaines, on est dépendant du pétrole américain qui est notre premier fournisseur. Et la France n'est pas le seul pays européen à connaître cette situation. Ce projet de « défense commune » ne répond pas aux vrais problèmes comme, par exemple, les capacités de production européenne qui sont à leur limite aujourd'hui. Et c'est pourquoi nous n'arrivons pas à satisfaire les demandes des Ukrainiens. Il faut donc mettre sur pied un programme de prise d'indépendance qui prendra des mois et des années. Dans quel calendrier peut-on le faire ? Et quels sont les pays européens qui voudront vraiment prendre leur essor indépendamment de la tutelle américaine ?
Ilaria Salis, eurodéputée italienne, membre de la GUE : « Il faut un contrôle collectif et démocratique des infrastructures et des ressources destinées à la défense »
Face à l'alliance qui s'est nouée entre les puissances impérialistes américaine et russe, ce qui était déjà nécessaire auparavant devient aujourd'hui une urgence. Depuis plus de deux ans maintenant, l'est du continent européen est attaqué par la Russie et ses alliés ; depuis quelques semaines, c'est le Groenland, une province danoise, qui est directement menacé par les États-Unis. Dans cette situation de montée des périls, nous ne pouvons pas céder à la logique du « deal » que Trump et ses affidés libertariens tentent d'imposer sur la scène internationale au détriment du principe d'autodétermination des peuples, comme le voudraient les partis européens d'extrême droite.
Mais nous ne devons pas non plus nous lancer dans une course aveugle aux armements qui, en l'état actuel des choses, ne ferait que nourrir une industrie militaire livrée à elle-même, et renforcer en fin de compte les logiques impérialistes déjà à l'œuvre. Il est donc temps d'imaginer à gauche et de construire d'en bas un nouvel ordre international, cohérent avec nos principes et valeurs : l'internationalisme, le multilatéralisme et la paix dans la justice. Mais cela signifie aussi œuvrer en faisant preuve d'intelligence stratégique, en étant conscients des compromis nécessaires et du caractère processuel du chemin qui peut nous mener à une paix durable.
Pour ce faire, il faut avant en premier lieu rompre le lien historique de subordination aux États-Unis et affirmer une véritable autonomie. Washington ne traite pas l'Europe comme un allié à part entière, mais comme un vassal. Rester dans l'OTAN — surtout sous la direction de Trump — signifie renoncer à sa liberté de décision et d'action, en acceptant un rôle subalterne plutôt que d'agir en tant qu'acteurs indépendants sur la scène mondiale. Nous devons pour cela prendre pour modèle des États-membres comme l'Autriche et l'Irlande, qui se sont historiquement tenus à une stricte neutralité et au refus de l'implantation de toute base étrangère sur leur territoire. Afin de conquérir notre autonomie stratégique contre les puissances impérialistes, mais aussi pour contrer les nationalismes souverainistes en Europe et les conflits continentaux qu'ils sont toujours capables de provoquer, une intégration de la défense à l'échelle communautaire est nécessaire. Cette option — comme l'existence même de toute armée — représente hélas un mal nécessaire, du moins dans la phase actuelle. La forme qu'elle doit prendre est toutefois indissociable du niveau d'intégration politique et institutionnelle que l'Europe parviendra à atteindre.
Une armée européenne à part entière serait certes la solution la plus à même d'empêcher des conflits entre États-membres ou des initiatives militaires hasardeuses en dehors du continent de la part de certains d'entre eux. Mais elle semble difficilement concevable si les quelques États-membres qui aspirent non pas à l'autonomie du continent, mais à intégrer pleinement l'alliance impérialiste USA-Russie, sont en mesure de bloquer tout processus décisif depuis l'intérieur du Conseil européen. En cela, la question rejoint une autre préoccupation : il est avant tout nécessaire d'assurer un meilleur contrôle collectif et démocratique des infrastructures et des ressources destinées à la défense, pour les soustraire aux intérêts privés et empêcher la formation d'un complexe militaro-industriel. Au niveau européen, cela doit dès maintenant passer par plus de transparence, en particulier de la part de la Commission, dont les programmes en matière de défense sont élaborés de manière particulièrement opaque, laissant craindre une forte influence du lobby de l'armement au vu des décisions prises jusque-là. À terme, cela signifie surtout une révision des traités, qui renforcerait le rôle des élus du Parlement et la responsabilité de la Commission et du Conseil devant eux.
Cyrielle Chatelain, députée, présidente du groupe Écologiste et social : « Il faut avancer avec une coalition de pays partageant les mêmes objectifs et constituant la colonne vertébrale et le moteur d'une défense européenne »
L'Europe se tient seule. Prise en étaux entre la menace Russe et le fanatisme de Donald Trump. Dans sa guerre contre l'Ukraine, Vladimir Poutine a trouvé en Donald Trump un complice idéal. En à peine un mois à la tête des États-Unis, ce dernier a trahi l'Ukraine et abandonné l'Europe. Nous sommes donc à un moment de bifurcation décisif : l'éclatement ou la coopération ; la rivalité ou la solidarité ; le repli ou le dépassement. Et disons-le clairement, la capacité des états européens à garantir séparément leur sécurité est faible, tant en terme opérationnel, économique que stratégique.
Dans ce chaos mondial, l'Europe doit s'affirmer comme une force politique, dotée d'une politique étrangère partagée et cohérente, parlant ainsi d'une seule voix au monde. Une force en capacité de garantir la sécurité de ses membres par une logique de garanties mutuelles et la construction d'une base industrielle de défense entièrement européenne, permettant l'indépendance vis-à-vis des États-Unis. Une force, qui ne sera pleinement libre et autonome que grâce à une sortie des énergies fossiles rapide, ambitieuse et partagée. S'approvisionner en gaz ou en engrais Russes ou en gaz de schiste américain présente un risque existentiel, surtout en cas de conflit mondial. Notre dépendance nous affaiblit.
Enfin, la haine du progressisme, du féminisme, de l'anti-racisme et de l'humanisme est le ciment idéologique du pacte Trump-Poutine. Une haine qu'ils propagent : ingérence Russe en Roumanie, soutien de Musk à l'extrême droite allemande et diffusion de fake news sur les réseaux sociaux. Ils s'immiscent dans la gouvernance européenne grâce à leur partenaire hongrois ou en France à l'aide du Rassemblement national. Il convient donc de ne pas être naïfs.
Au niveau européen, il ne faut pas céder au blocage de Victor Orban. Il faudra avancer avec une coalition de pays partageant les mêmes objectifs et constituant la colonne vertébrale et le moteur d'une défense européenne, en capacité de coopérer avec les pays alliés non alignés. En France, il conviendra de ne pas nous laisser piéger par la rhétorique de l'union nationale, nous contraignant à une austérité accrue, à la casse sociale, aux reculs environnementaux ou à la restriction de nos libertés et des droits des étrangers. Ce serait abandonner la bataille vitale contre l'extrême droite, qui rêve de faire de la France l'un des rouages de l'axe Poutine-Trump.
Hélène Conway-Mouret, sénatrice PS, vice-présidente de la commission des affaires étrangères et de défense, ancienne ministre déléguée aux Affaires étrangères : « Le continent européen est le dernier bloc qui, globalement, résiste encore à la montée des mouvements fascistes »
La menace qui pèse sur le continent européen est à la fois extérieure, avec l'agression par la Russie d'un certain nombre de pays, et intérieure avec les tentatives de déstabilisation de nos démocraties. La défense européenne est essentielle aujourd'hui pour nous nous donner les moyens suffisants pour défendre nos territoires, alors que de nombreux services de renseignement européens signalent la possibilité d'un conflit avec la Russie dans les cinq ans.
Dans les démocraties occidentales, les extrêmes-droites profitent du principe de liberté d'expression et jouent sur les émotions négatives de peur, d'angoisse et de haine, afin de mieux marteler leur message d'un besoin d'ordre et de discipline. Elles instrumentalisent la liberté d'expression au profit de leur propagande. À l'échelle européenne, il est important que les règlements et les directives instaurent des contrôles et des filtres pour combattre cette propagande et ces fake news comme le permet le Digital Service Act adopté en 2022 par l'Union européenne, mais aussi de renforcer les échanges d'informations pour identifier les sources d'attaques cyber et les prévenir. Pour cette raison, le démantèlement par Donald Trump la Cybersecurity and Infrastructure Security Agency en charge de la lutte contre la propagande et la désinformation a une incidence directe sur l'utilisation des réseaux sociaux par les Européens.
Les exemples des ingérences pendant les élections moldaves, roumaine fin 2024 et allemande début 2025 démontrent bien que L'Union européenne doit faire bloc pour protéger l'intégrité de ses processus démocratiques. Le continent européen est le dernier bloc qui, globalement, résiste encore à la montée des mouvements fascistes. Il est donc fondamental de les combattre, eux qui sont favorables à cette dérégulation et à ces ingérences tout en bénéficiant du soutien de l'administration Trump, comme l'a démontré le discours de JD Vance à la Munich Security Conference. Une réponse coordonnée, collective et européenne est la meilleure protection contre les ingérences étrangères, notamment en matière de cyber et d'influence des opinions publiques face à la levée de toutes les barrières et tous les filtres par les GAFAM. Protéger nos infrastructures, depuis les câbles sous-marins jusqu'à la modération des réseaux sociaux, se fera grâce à de nouveaux investissements et l'action collective de l'Union européenne, à laquelle il est important de rattacher la Grande-Bretagne. Enfin, la meilleure protection contre l'arrivée au pouvoir des extrêmes-droites est bien de revenir aux fondamentaux de la construction européenne : mobilité des personnes qui se connaissent, se côtoient, se comprennent et construisent un avenir en commun.
Vincent Boulet, responsable des relations internationales du PCF, vice-président du Parti de la Gauche Européenne : « Plutôt que d'encourager les tentations bellicistes qui entraînent les peuples vers la catastrophe, il faut porter en Europe une voix forte en faveur de la paix et du droit »
Une « défense européenne » est dangereuse, mais la sécurité européenne est nécessaire et urgente. Une défense européenne supposerait une armée commune ou, comme l'a annoncé Emmanuel Macron, une européanisation du parapluie nucléaire français. Cela est impossible tant les forces centrifuges à l'œuvre dans l'Union européenne sont grandes, entre Meloni et Orban qui font allégeance à Trump, ou le gouvernement polonais soumis au parapluie de défense américain. Une européanisation de la force nucléaire française ne se situe absolument plus dans le domaine de la dissuasion mais elle revient à prendre le risque de la confrontation nucléaire.
Quelle crédibilité ont les discours sur « l'indépendance » d'une défense européenne provenant d'un pouvoir qui n'a cessé d‘aligner notre pays sur les choix des États-Unis et a poursuivi la politique de ses prédécesseurs qui a liquidé nos industries, à commencer par nos industries de défense ? L'économie de guerre annoncée par Macron et ses appels aux sacrifices des Français dessinent une austérité aggravée, à un moment où le pouvoir d'achat est en berne et où nos services publics manquent de l'essentiel. Elle ne servira que les marchés financiers. Trump doit se féliciter. Sa politique de transfert du fardeau d'une guerre sans issue à l'Europe fonctionne pleinement. Répondre aux exigences du moment implique au contraire de mener une politique de sécurité et d'autonomie stratégique, reposant sur deux piliers.
D'abord, une initiative pour une paix juste en Ukraine. Trois ans après l'agression injustifiable du régime de Poutine contre l'Ukraine, il n'y a aucune solution militaire. C'est une solution politique et diplomatique, avec l'Ukraine, la Russie, les États européens et sous les auspices des Nations unies, qui est à l'ordre du jour, avec pour base la souveraineté et la neutralité de l'Ukraine, sur les principes de la charte des Nations unies et de l'Acte final de la conférence d'Helsinki. Cela doit mener à une conférence de sécurité collective pour l'ensemble du continent, avec la sortie et la dissolution de l'OTAN.
Ensuite, notre pays a besoin de reconstruire un pôle public de défense, au service des besoins capacitaires de sa défense nationale, en toute indépendance de l'OTAN et des États-Unis. Elle doit aller de pair avec une grande politique de renouveau industriel de la France. Plutôt que d'encourager les tentations bellicistes qui entraînent les peuples vers la catastrophe, il faut porter en Europe une voix forte en faveur de la paix et du droit.
la Rédaction
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Les rassemblements « Stand up for science » s’opposent à Trump et à Musk

Le 7 mars, dans trente villes des États-Unis, des milliers de personnes se sont jointes à des rassemblements de protestation organisés par « Stand up for science » (Debout pour la science).
Hebdo L'Anticapitaliste - 745 (13/03/2025)
Dan La Botz
traduction Henri Wilno
Elles dénonçaient les coupes budgétaires opérées par Donald Trump et Elon Musk dans de nombreuses agences gouvernementales américaines, universités et organisations à but non lucratif qui financent la recherche dans les domaines de la santé et du climat, et de nombreux autres domaines scientifiques.
Des manifestations ont eu lieu au Lincoln Monument à Washington, au centre civique de San Francisco et dans de nombreuses universités. J'ai participé à une manifestation à Washington Square à New York et j'ai rencontré des médecins et des scientifiques qui travaillent sur les vaccins, le cancer et la santé des travailleurEs. L'un d'entre eux portait une pancarte sur laquelle était écrit « Plus de science, moins de DOGE », en référence au ministère de l'efficacité gouvernementale dirigé par le milliardaire et homme de main de Trump, Elon Musk, qui a licencié des dizaines de milliers de travailleurEs.
50 000 emplois menacés
Elon Musk a licencié des centaines de travailleurEs de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) qui s'occupe de la météo et du climat, et plus d'un millier de travailleurEs des Centers for Disease Control (CDC) et des National Institutes of Health (NIH). Le CDC répond aux maladies infectieuses et aux urgences de santé publique comme le covid, tandis que les NIH financent la recherche biomédicale. Des travailleurEs de ces agences et d'autres agences scientifiques ont également été indemniséEs pour accepter de quitter leur emploi ou bien licenciéEs, d'autres subissent des pressions pour partir et certains démissionnent parce qu'ils ne voient pas d'avenir pour leur travail sous Trump.
Trump et Musk ont également réduit de dizaines de milliards de dollars les budgets des universités publiques et privées menant des recherches scientifiques et sanitaires, y compris une réduction de 400 millions de dollars du financement de la recherche à l'université de Columbia, ciblée parce qu'elle n'aurait prétendument pas protégé les étudiantEs juifs lors des manifestations propalestiniennes. Selon les estimations, ces coupes dans des dizaines d'établissements universitaires entraîneront le licenciement de près de 50 000 employéEs.
Risque vital
Un juge fédéral a forcé l'administration Trump à suspendre temporairement ses coupes dans le financement fédéral de la recherche médicale et scientifique. L'ordonnance du juge stipule ce qui suit : « Cette annonce a un impact sur des milliers de subventions existantes, totalisant des milliards de dollars dans les 50 États — un changement unilatéral au cours d'un week-end, sans tenir compte des recherches et des essais cliniques en cours. Le risque imminent d'interruption d'essais cliniques vitaux, de perturbation du développement de recherches et de traitements médicaux innovants et de fermeture d'installations de recherche, sans tenir compte des soins actuels aux patients, justifiait l'émission d'une ordonnance restrictive temporaire à l'échelle nationale pour maintenir le statu quo, jusqu'à ce que la question puisse être pleinement examinée par le tribunal ».
Antiscientifiques, antivax et loi du plus fort
Les protestations concernent principalement les réductions de financement, la fermeture de programmes et le licenciement de travailleurEs, mais il y a aussi une lutte contre la promotion antiscientifique des théories conspirationnistes par l'administration Trump.
Robert F. Kennedy Jr, aujourd'hui à la tête du ministère de la Santé et des services sociaux, est un détracteur des vaccins. Alors que l'épidémie de rougeole au Nouveau-Mexique et au Texas atteint les 200 cas, avec deux décès, un enfant et un adulte, Kennedy recommande aux gens de prendre de l'huile de foie de morue, de la vitamine A, des stéroïdes et des antibiotiques, plutôt que de préconiser des vaccinations, pourtant l'approche la plus efficace pour contrôler les épidémies de rougeole.
« La promotion de l'huile de foie de morue et des vitamines ne fait que détourner l'attention du message principal, qui est d'augmenter le taux de vaccination », a déclaré à la National Public Radio le Dr Amesh Adalja, médecin spécialiste des maladies infectieuses et chercheur principal au Johns Hopkins Center for Health Security. La rougeole est la maladie la plus contagieuse de la planète et le fait de ne pas insister sur la vaccination ne manquera pas d'entraîner de nouveaux décès. « Stand up for science » était la troisième d'une série de manifestations nationales contre Trump.
Dan La Botz
(traduction Henri Wilno)
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Aux États-Unis, des manifestations contre Tesla pour affaiblir Elon Musk

Des rassemblements sont organisés aux États-Unis devant des boutiques Tesla pour s'opposer au rôle d'Elon Musk dans la politique du pays. Les manifestants cherchent à faire mal au portefeuille de l'homme le plus riche du monde.
10 mars 2025| tiré de reporterre.net
https://reporterre.net/Aux-Etats-Unis-des-manifestations-contre-Tesla-pour-affaiblir-Elon-Musk
En sortant du parking dans leur voiture Tesla, les conducteurs ont la surprise d'être accueillis par des saluts nazis. Quelque 120 personnes sont alignées sur le bord de la route, devant un concessionnaire automobile d'Elon Musk. Ces bras tendus par les manifestants dénoncent le geste que le patron automobile a fait après l'investiture de Donald Trump, le 20 janvier dernier.
Si les soutiens d'Elon Musk ont pris sa défense en qualifiant son geste de « salut romain », « c'était bien un salut nazi », tranche Jessica Farmer, 26 ans, quand elle ne hue pas les clients qui sortent du magasin Tesla. Elle a suivi l'appel à manifester, le 8 mars à Decatur, dans la banlieue d'Atlanta aux États-Unis, contre les pouvoirs politiques d'Elon Musk et ses licenciements et coupes budgétaires dans l'administration étasunienne.
Sur le parking de Tesla, sont alignés les véhicules électriques et les Cybertruck aux airs de tank. « Notre objectif est de toucher Elon Musk là où ça fait mal : à son portefeuille, explique Jessica Farmer. Si, en étant ici, on peut faire honte aux personnes qui entrent et achètent un Cybertruck, ce sera plus difficile pour elles d'en acheter. »

La manifestation anti-Musk devant un magasin Tesla, à Decatur aux États-Unis, le 8 mars 2025. © Edward Maille / Reporterre
Ces initiatives citoyennes se sont multipliées ces derniers jours dans l'ensemble du pays, avec plus d'une centaine prévue le 8 mars et pour une semaine, selon le site Action Network. Si la grande partie des rassemblements est pacifique, des actions violentes ont eu lieu avec des cas de cocktails Molotov ou des tirs d'armes à feu contre des boutiques. Le 8 mars à New York, six personnes ont été arrêtées après être entrées à l'intérieur d'une boutique.
Lire aussi : « Musk est un fasciste notoire » : le siège de Tesla repeint en « brun nazi » à Paris
En voyant cette opposition prendre vie, Laura Gordon, 58 ans, a décidé d'organiser cette manifestation à Decatur, sa première, pour faire taire son « angoisse ». Sur sa pancarte, des menottes sont dessinées pour « insinuer qu'Elon Musk a une conduite criminelle ». « C'est un responsable politique qui n'a pas été élu, mais qui est en train de détruire la démocratie. Il va continuer tant qu'il le pourra. » L'enjeu est d'encourager les clients à « abandonner Tesla en vendant leurs voitures et leurs actions en bourse, et faire tout ce qu'ils peuvent pour affaiblir Elon Musk », dit Laura Gordon.
Sur le bord de la route, certaines pancartes invitent les automobilistes à klaxonner en soutien au mouvement. Et cela fonctionne plutôt bien. « On ne s'entend même plus parler ! se félicite Bridget LaMonica, âgée de 36 ans. À chaque fois qu'on fait entendre notre voix, cela fait une différence. Si on peut atteindre quelques personnes, c'est une réussite. »

Jessica Farmer : « Notre objectif est de toucher Elon Musk là où ça fait mal : à son portefeuille. » © Edward Maille / Reporterre
-45 % de ventes en Europe
Dans un premier temps, le monde de la finance a vu d'un bon œil la proximité d'Elon Musk avec Donald Trump. Les cours en bourse de Tesla ont atteint un record en décembre dernier. La fortune de l'homme le plus riche du monde a atteint 464 milliards de dollars (428 milliards d'euros). Mais depuis qu'il orchestre le démantèlement de l'administration étasunienne, les affaires vont mal.
Les actions de Tesla ont chuté de près de 45 % depuis décembre, et Elon Musk a perdu 121,2 milliards de dollars (112 milliards d'euros). Sa fortune — toujours la plus importante du monde — était estimée le 9 mars à 342,4 milliards de dollars (316 milliards d'euros),selon Forbes.

« Foutez le camp de nos affaires », lit-on sur cette pancarte. © Edward Maille / Reporterre
Le mouvement cherche à encourager cette dégringolade, en espérant copier l'exemple européen, où les ventes de Tesla ont baissé de 45 % en janvier par rapport à l'année précédente, avec -76 % en Allemagne et -26 % en France en février.
Devant la boutique, les manifestants continuent de chanter leurs slogans et de brandir leurs pancartes anti-Musk. Matt Hunter, 40 ans, n'avait pas attendu l'organisation du rassemblement pour tenter de faire une différence. Depuis trois semaines, il vient sur ce trottoir presque tous les jours, en posant des congés. Il a même obtenu une petite victoire : « L'autre jour, une femme nous a dit qu'elle n'en pouvait plus [d'Elon Musk] et qu'elle avait vendu sa Tesla pour une autre voiture. C'était très encourageant. »
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États-Unis : Questions sur une catastrophe visioconférence organisée par la Commission internationale d’Ensemble !

Pour résumer, les mouvements sociaux et le mouvement ouvrier existent encore aux Etats-Unis mais sont clairement sur la défensive, et les coups pleuvent.
20 février 2025 | tiré d'Europe solidaires sans frontières
Introduction :
L'analyse du trumpisme ou mouvement MAGA montre une imbrication forte de ses offensives internes aux Etats-Unis et de ses initiatives internationales : trois exemples
1. la composition du gouvernement Trump à Washington et ses premières mesures servent de modèle au rapprochement accéléré de la droite et de l'extrême droite en Europe et dans le monde ;
2. l'augmentation de 25 % des droits de douanes appliquées aux produits mexicains et canadiens décidée pour le 4 février, a été reportée au 4 mars, en partie par crainte de faire monter les prix sur le marché américain, ce qui pourrait mécontenter l'aile populaire du mouvement MAGA bien avant que le retour hypothétique aux Etats-Unis des entreprises américaines installées au Mexique, n'ait un effet sur l'emploi ;
3. l'élimination des larges résistances démocratiques aux Etats-Unis, déguisée en croisade contre le « wokisme », se répercute déjà dans l'hostilité affichée à l'égard de l'Europe, accusée par le vice président J. D. Vance, à Munich, de s'encombrer de réglementations inutiles et d'imposer au peuple ses préférences culturelles.
Je souhaite, comme mes camarades intervenants, un échange qui sera poursuivi par d'autres canaux dans les semaines qui viennent. Je commence donc par les grandes questions que la déferlante Trump nous posent en tant que militants de l'émancipation, à l'intérieur des Etats-Unis.
La première question concerne la nature du régime
On entend plusieurs sons de cloche dans la gauche américaine, du nouveau président du Parti démocrate, Ken Martin, aux éditorialistes de la revue socialiste révolutionnaire The Tempest. Pour certains le nouveau gouvernement représente simplement du capitalisme autoritaire dans la continuité de Joe Biden, avec évidemment des excès et des extrêmes. Pour d'autres, c'est une crise constitutionnelle ou même un coup d'État au ralenti. Enfin les plus sombres parlent de prise du pouvoir par le fascisme ou de régime fasciste.
Rappelons que le terme fasciste a été utilisé comme insulte sans contenu scientifique pendant la campagne électorale : par les Démocrates contre Trump, notamment par le général John Kelly. Et par une partie de l'extrême-gauche contre Joe Biden, qualifié de « Genocide Joe », en raison de son soutien à Israël qualifié de fasciste.
Ce qui nous intéresse nous, c'est de comprendre la réalité de la situation pour nous préparer aux éventualités graves. Voici quelques éléments du débat qui m'ont paru utiles :
1. Utiliser le terme fasciste, c'est d'abord dire que quelque chose de différent et de très grave est en train de se passer. C'est appeler au rassemblement dans l'action la plus large, dans une unité antifasciste à définir. Il faut l'utiliser avec prudence car il peut semer la sidération ou même l'effroi, et démobiliser. Par ailleurs, à trop crier au loup, les gens finissent par ne plus y croire.
2. Du point de vue scientifique, l'historien Robert Paxton souligne l'incohérence de l'idéologie fasciste, la différence entre le fascisme mouvement d'opposition, le fascisme arrivant au pouvoir et éliminant les contre-pouvoirs l'un après l'autre, et le fascisme provisoirement stabilisé au pouvoir.
3. Plusieurs militants soulignent l'importance dans ce parcours de la mobilisation de milices, de groupes paramilitaires violents, dans un climat de violence nourri par les admirateurs des armes à feux et les vétérans traumatisés par trente ans de guerres sauvages, et justifié par des groupes ultranationalistes, intégristes ou ultra-conservateurs plus larges.
4. Enfin, certains s'appuient sur ces textes classiques pour affirmer que le fascisme ne peut être que la réaction violente à la puissance du mouvement ouvrier et aux réformes partielles qu'il a obtenues sans être capable de les stabiliser par une avancée décisive, créant une situation de paralysie et de décomposition. C'est le modèle de la république de Weimar dans les années 1930.
Et beaucoup constatent qu'il n'y a pas eu aux Etats-Unis de telle menace révolutionnaire contre le pouvoir des capitalistes. Mais pour d'autres, conservant l'idée de peur-panique de l'élite face à la montée des contestations, l'accumulation des réformes sur l'égalité des femmes, des Africains-Américains et des Latinos, l'assurance santé Obamacare, la protection de l'environnement, s'ajoutant aux lois plus anciennes sur la reconnaissance des syndicats, les prêts au logement et à l'éducation, le tout symbolisé par l'élection du premier président noir Barack Obama, a atteint un volume suffisant pour susciter la coalescence d'une réaction violente, et déchaîner un retour de bâton historique sous la forme du mouvement MAGA.
A mon avis, nous nous trouvons dans un moment décisif de grand chamboulement des principes démocratiques, des valeurs humanistes, de la pensée rationnelle, des institutions issues du suffrage universel, des personnels des administrations, des emplois, des règles de la vie commune. Actuellement, les rapports de force peuvent évoluer très rapidement vers une défaite grave et durable, ou vers une résistance prolongée.
Cette conclusion est évidemment soumise à votre évaluation.
Un petit point sur les contradictions chez les trumpistes
On distingue très nettement des courants différents et opposés au sein du trumpisme. Le plus visible est celui qui oppose une aile populiste dirigée par Steve Bannon à une aile ploutocratiques-oligarchiquues-prédatrices dirigée par Elon Musk. Elle s'est manifestée autour de la question des visas H1B pour l'entrée des étrangers cadres supérieurs de l'industrie numérique. Elle a déjà aussi entraîné une révision à la baisse des tarifs de douane contre le Mexique et le Canada.
On peut s'attendre à de nouveaux conflits de ce genre.
J'en viens à la question des
Premiers secteurs ciblés
Ces secteurs sont les plus vulnérables, mais ils annoncent une deuxième vague de cibles, une fois les préliminaires achevés. Des arrestations ont été organisées et les personnes saisies enchaînées et reconduites vers des pays voisins, y compris vers la sinistre base de Guantanamo. Plusieurs dizaines de milliers de fonctionnaires fédéraux ont été déclarés en surnombre et sommés de démissionner ou de se voir licencier en septembre. Le Service des forêts a été démantelé pour frapper les écologistes, celui du contrôle des maladies pour plaire aux anti-vaccins. Les subventions fédérales à la recherche ont été interdites aux travaux sur le genre et la race. La citoyenneté américaine des Amérindiens a été mise en doute. La directrice du Kennedy Center, phare de la culture en Amérique, a été licenciée sans préavis.
Cibles de deuxième ligne, temporairement voilées
La thématique DEI, soit Diversité, Equité, Inclusion, est déjà une cible idéologique ce qui annonce des décrets annulant les procédures d'action affirmative. Le principe DEI a permis de réduire les discriminations frappant les Africains Américains, Américains d'origine latina, les femmes et d'autres catégories.
Le programme Héritage 2025, qui guide l'action des conseillers de Trump, prévoit également des mesures facilitant l'ouverture de mines, de forages, de pipelines, d'off-shore, dans des zones encore préservées. Il comporte aussi une réflexion sur une réforme du syndicalisme afin d'intégrer les puissants syndicats existants (automobile, dockers, camionneurs) et les tentatives de syndicalisation en cours (Amazon), dans des corporations maisons comme il en existait aux Etats-Unis dans les années 1930, sur le modèle du fascisme de Mussolini.
Comment a réagi la gauche américaine, au sens le plus large et au sens plus rigoureux
Tout le monde a remarqué le silence des grands dirigeants du Parti démocrate dans les semaines qui ont suivi l'inauguration de Trump : Joe Biden, Kamala Harris, Barack Obama, Hilary Clinton.
Dans ce silence deux voix se sont levées :
– celle de l'évêque épiscopalienne de Washington, Marianne Budde, qui a plaidé devant Trump lui-même pour la compassion à l'égard des immigrés et des LGBT.
– celle des élèves et parents des écoles de Chicago et de Los Angeles qui ont manifesté pour défendre leurs camarades sans papier.
Puis il y a eu une évolution et une différenciation des sommités démocrates, sénateurs, gouverneurs, représentants :
– une première tendance a accepté de collaborer avec Trump, au nom du fait qu'il avait été élu ;
– une deuxième tendance, qui regroupait notamment les gouverneurs démocrates de vingt-quatre Etats, a décidé d'engager, au nopm de leur Etat, des procédures judiciaires et législatives contre les mesures anti-constitutionnelles ou anti-contractuelles de Trump ;
– enfin une troisième tendance, animée par Bernie Sanders, nettement minoritaire au sein du Parti démocrate, appelle à une mobilisation massive et urgente de résistance.
Signalons que l'éditorial d'Edwy Plenel dans Mediapart, intitulé « Trump-Poutine : le pacte des oligarques », choisit de nommer Bernie Sanders comme le porteur d'une voie de résistance efficace. Le syndicat AFGE (AFL-CIO), association des employés du gouvernement fédéral, très atteint, semble se placer dans cette ligne, combinant des recours judiciaires avec la mobilisation de terrain par Journée d'action pour sauver nos services, le 19 février.
Pendant ce temps, des protestations parties d'associations plus basiques ont éclaté : notamment dans le quartier latino de Los Angeles, chez les employés du service des forêts, chez les employés fédéraux, les enseignants et infirmières. Tout ceci est accompagné d'une expression massive de déclarations anti-Trump sur les réseaux sociaux.
Pour terminer ce panorama, il faut présenter des divergences sur quelle thématique il convient d'accentuer dans la réponse aux trumpistes :
– la défense des droits des premiers secteurs attaqués : les sans-papier, LGBTQI, bénéficiaires du principe DEI, ce qui revient à mettre l'accent sur les questions de race et de genre.
Ou bien
– la thématique socio-économique, approche proposée par Bernie Sanders. Le sénateur socialiste conseille de prendre à la lettre les promesses de Trump d'améliorer les conditions de vie des gens simples, et de réclamer leur réalisation et bien plus.
Ainsi Sanders propose, outre une forte défense de la démocratie et du droit, une campagne de meetings et de protestations autour du droit à la santé, à un revenu décent, un salaire minimum fédéral de 17 dollar, les droits syndicaux garantis, des écoles de qualité pour tous, la construction massive de logements sociaux, la création d'emplois par la transition énergétique, reprise des idées du Green New Deal.
Pour résumer, les mouvements sociaux et le mouvement ouvrier existent encore aux Etats-Unis mais sont clairement sur la défensive, et les coups pleuvent.
John Barzman
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P.-S.
Etats-Unis : Questions sur une catastrophe Visio conférence organisée par la Commission internationale d'Ensemble !
20 février 2025 18 h 30
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Alors que 14 membres du congrès des associations et des groupes juifs exigent sa libération immédiate : Le sort de Mahmoud Khalil encore incertain

Quatorze membres démocrates du Congrès américain ont condamné, dans une lettre adressée au secrétaire de la Sécurité intérieure, « la violation des droits constitutionnels » de l'étudiant palestinien Mahmoud Khalil, arrêté dimanche, placé en détention par les services américains de l'immigration et des douanes et menacé d'expulsion, en raison de sa participation, il y a près d'une année, aux manifestations de solidarité des campus universitaires américains avec Ghaza.
13 mars 2025 | tiré d'El Watan | Photo : Un manifestant brandit une pancarte en soutien à l'étudiant palestinien Mahmoud Khalil
https://elwatan-dz.com/alors-que-14-membres-du-congres-des-associations-et-des-groupes-juifs-exigent-sa-liberation-immediate-le-sort-de-mahmoud-khalil-encore-incertain
Pour les signataires, « Khalil a été arrêté sans mandat judiciaire ni aucune accusation officielle » et « privé de l'accès effectif à son avocat et aux visites ». Ce qui constitue, selon les rédacteurs de la lettre, « une violation de ses droits constitutionnels ».
De ce fait, ils ont « exigé sa libération immédiate ». Lundi dernier, soit 24 heures après l'arrestation de Khalil, le président Donald Trump a écrit sur son compte X : « Conformément à mes ordres exécutifs précédemment signés, l'ICE a fièrement appréhendé et détenu Mahmoud Khalil, un étudiant étranger radical pro-Hamas sur le campus de l'université de Columbia. Il s'agit de la première arrestation d'une longue série. Nous savons qu'il y a d'autres étudiants à Columbia et dans d'autres universités du pays qui se sont engagés dans des activités pro-terroristes, antisémites et anti-américaines.
L'administration Trump ne le tolérera pas. » Des arrestations d'étudiants étrangers qui ont pris part au mouvement de solidarité avec Ghaza et qui ont participé à la révolte de la majorité des campus universitaires ont été signalées. Dans un communiqué, la député démocrate Rashida Tlaib a qualifié l'arrestation de Khalil d'« agression contre la liberté d'expression et une tentative de criminalisation de l'opposition » avant d'appeler à sa « libération immédiate ». Lui emboîtant le pas, la députée démocrate Alexandria Ocasio-Cortez a mis en garde, dans un communiqué diffusé sur la toile, contre ce qu'elle a qualifié de « précédent dangereux ».
Les accusations de « soutien au Hamas » sans aucune preuve
L'avocate de Khalil, Amy Greer, a déclaré dans un communiqué, que « l'étudiant est titulaire d'une résidence permanente, d'une carte verte et marié à une Américaine ». Elle a affirmé qu'il a été arrêté dimanche dernier, bien qu'il soit présent aux Etats-Unis en tant que résident permanent détenteur de la carte verte, qui lui a été annulée, et « marié à une américaine ». Le secrétaire d'Etat, Marco Rubio, a publié la photo de Khalil sur son compte X en écrivant : « Nous annulerons les visas des partisans du mouvement Hamas en Amérique ou leurs cartes vertes, afin qu'ils puissent être expulsés. »
La décision de s'en prendre aux militants de la cause palestinienne a été prise par le président Donald Trump, dès son investiture, à travers la signature d'un décret exécutif, portant sur la « lutte contre l'antisémitisme », qui permettra à l'administration Trump de faire la chasse aux étudiants étrangers pro-palestiniens.
Dès son arrestation, Khalil, âgé de 29 ans, diplômé d'un master en affaires internationales et publiques de l'université Columbia, qui avait servi de négociateur entre l'administration de cette université et les étudiants manifestants qui avaient installé au sein du campus des campements de soutien à Ghaza, un message a été posté sur le compte X de la Maison-Blanche dans lequel on pouvait lire : « Shalom, Mahmoud ». Khalil devait être déféré, hier fin de journée, devant le juge du tribunal fédéral de Manhattan, après que la justice, a suspendu, lundi dernier, son expulsion.
Pour Donald Trump, Khalil « soutenait le Hamas », mais dans le dossier judiciaire, aucune preuve n'a été présentée par son administration sur les faits qui lui sont reprochés. Le juge détient le pouvoir d'ordonner la libération de Khalil s'il estime que ses droits ont été violés, mais cela ne risque pas de le préserver d'une procédure d'une expulsion, du fait que l'affaire va se poursuivre devant un tribunal d'immigration.
L'arrestation de Khalil a provoqué, lundi dernier, une importante manifestation dans les rues de New York. Depuis le début de la semaine, au moins six autres étudiants ayant pris part au mouvement de soutien à Ghaza, dans les campus, ont été arrêtés.
Dans une lettre de soutien, des groupes juifs libéraux, à l'image de Jewish Voice for Peace, Bend the Arc et IfNotNow, qui ont soutenu les manifestations estudiantines en solidarité avec Ghaza, ont dénoncé, lundi dernier, l'arrestation de Mahmoud Khalil, la qualifiant de décision « autoritaire ».
Plusieurs autres groupes de juifs libéraux, rejoints par un large éventail de politiciens démocrates, ont exprimé leurs « inquiétudes » quant aux implications juridiques de la détention et de la tentative d'expulsion d'un résident légal des Etats-Unis en raison de ses activités de protestation.
Les groupes de juifs libéraux, comme J Street U, la branche universitaire du lobby libéral, ont déclaré dans un communiqué, qu'ils « n'approuvaient ni les actions ni les positions de Khalil », mais qu'ils étaient « consternés par le dangereux précédent créé par son arrestation. Notre communauté peut et doit défendre les droits constitutionnels de tous, même de ceux avec qui nous sommes en profond désaccord ».
« Trump exploite l'antisémitisme pour saper la démocratie »
Pour le Jewish Council for Public Affairs (JCPA), New York Jewish Agenda (NYJA), New Jewish Narrative et le Nexus Project, « l'administration Trump exploite les inquiétudes légitimes autour de l'antisémitisme pour saper la démocratie ». Dans un communiqué, le Nexus Project a mis en garde contre « les dérives autoritaires du gouvernement fédéral et son mépris apparent des procédures régulières, qui ne font qu'accroître l'insécurité des juifs ». De son côté, la NYJA a affirmé que « ce type d'action autoritaire est incompatible avec notre vision des droits des immigrés et d'une démocratie pluraliste ».
Il y a deux jours, la procureure générale de l'Etat de New York, Letitia James, s'est déclarée « extrêmement préoccupée par l'arrestation et la détention de Mahmoud Khalil, résident permanent légal d'origine palestinienne ». Une réaction suivie par de nombreuses autres émanant de responsables démocrates et de personnalités médiatiques. Sur la Toile, de nombreuses pétitions électroniques exigeant « la libération immédiate » de Khalil ont obtenu des milliers de signatures, alors que plus de 2 millions de militants ont signé une autre pétition dans laquelle, ils dénoncent son « arrestation et les efforts des autorités locales de New York pour l'expulser des Etats-Unis », malgré sa présence légale via sa « résidence permanente ».
Pétition qui a permis à Khalil d'arracher la suspension de l'expulsion, en attendant l'examen de la décision de son incarcération. Pour de nombreux défenseurs des droits de l'homme et de la liberté d'expression, l'administration Trump « utilise ses pouvoirs de contrôle de l'immigration pour réprimer les critiques contre Israël », présenté comme « une entité usurpatrice et néonazie sioniste ». Pour le Conseil des relations américano-islamiques, « la décision illégale du département de la Sécurité intérieure d'arrêter Khalil, uniquement en raison de son activisme pacifique contre le génocide est une attaque flagrante contre la garantie de la liberté d'expression du Premier Amendement, les lois sur
l'immigration et les conditions humanitaires des Palestiniens ». Salima Tlemçani
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La dissolution du PKK annonce-t-elle la fin de la lutte des Kurdes ?

Abdullah Öcalan, le chef historique du Parti des travailleurs du Kurdistan (Partiya Karkerên Kurdistan – PKK), a appelé à la dissolution du parti et à la fin de la lutte armée le 1er mars dernier, après plus de 40 ans d'existence. Alors qu'on en parle comme de l'Appel du siècle, plusieurs Kurdes de Turquie restent sceptiques.
Tiré du Journal des alternatives.
Cet appel ne pourra pas mettre fin à la lutte des Kurdes pour leur autodétermination. Il témoigne plutôt d'une évolution de la lutte kurde vers une forme de normalisation du parti, après toutes ces années de répression, dans un contexte politique marqué par la chute du régime de Bachar el-Assad en Syrie. La dissolution du PKK n'effacera pas son constat historique concernant le colonialisme que subit la population kurde.
Retour sur ce groupe rebelle ancré dans les luttes kurdes
Le PKK fut constitué à la fin des années 1970 et est un mouvement de libération armé de guérilla. Il est la plus importante formation armée kurde de la région. Il a su consolider son influence au sein du Kurdistan turc à travers sa riposte à la répression étatique du peuple kurde, notamment à la suite du coup d'État militaire de 1980. Bien que le mouvement ait été qualifié de groupe terroriste par l'État turc et ses alliés, ses racines marxistes et sa défense des intérêts kurdes au pays sont des éléments essentiels pour comprendre les conflits entre le PKK et l'État turc depuis des décennies.
Öcalan représente la voix unique et historique du parti qui jouit d'un culte de la personnalité. Issue de la culture autoritaire du marxisme, ses pratiques dogmatiques ont amené le parti à s'éloigner des origines socialistes du mouvement.
Origines anticolonialistes
Le PKK a émergé des milieux universitaires d'Ankara et est indissociable de son chef, Öcalan, qui a mobilisé les mouvements étudiants de la gauche radicale à travers des débats sur les bases idéologiques du parti. Il a distingué le PKK des groupes de la gauche turque de l'époque en reconnaissant le Kurdistan comme une colonie et en prônant l'autodétermination et l'anticolonialisme.
Déplaçant ensuite ses activités vers les régions rurales, le PKK a favorisé une organisation horizontale et non ethnonationaliste, intégrant des révolutionnaires d'origines autres que kurdes. Son ancrage rural s'est montré crucial pour la survie de la guérilla face à la forte présence étatique dans les villes. Les activités du PKK ont largement été et restent largement confinées aux régions rurales, malgré une certaine base moins vocale établie à l'Ouest et dans les grandes villes kurdes. L'utilité du territoire rural pour la survie de la guérilla et la forte présence de l'État ailleurs dans le pays a amené le PKK à se concentrer dans ces régions.
La violence en réponse à un traumatisme collectif
La lutte armée faisait partie du programme révolutionnaire du PKK dès sa naissance, mais la violence subséquente s'est intensifiée de manière à se rendre hors du cadre d'action initialement délimité par le parti. L'activité et la notoriété du groupe ont augmenté de façon marquante à la suite du coup d'État militaire de septembre 1980. il s'agit d'une réponse à l'agitation sociale et aux luttes armées au pays qui mettaient en péril l'autorité étatique.
La répression de l'activité politique au Kurdistan était déjà présente dans la période précédant le coup, mais l'action de l'État s'est poursuivie et s'est intensifiée de manière à cibler disproportionnément la minorité kurde au pays. Arrestations, torture, exécutions et déplacements forcés : quiconque était soupçonné.e par l'État d'une certaine affiliation politique révolutionnaire était à risque de subir ces représailles.
Ce traumatisme collectif a consolidé l'influence du PKK, qui a su canaliser la colère populaire vers la lutte armée. Utilisant les procès comme tribune et recrutant en prison, le PKK est devenu la principale force prokurde, appelant à la résistance armée.
Culte de la personnalité et déclinaisons violentes
Malgré les efforts du PKK à promouvoir les intérêts de la population kurde sur le terrain, notamment en instaurant des programmes d'éducation et certains services médicaux en milieu rural, les objectifs de développement du groupe ont fini par nuire à l'avancement de la population qu'elle défendait.
Après le coup d'État de 1980, son recrutement s'est rigidifié et hiérarchisé, n'étant plus mené sur une base volontaire. Les personnes engagées qui refusaient d'entrer au service du parti risquaient des exécutions indéterminées, touchant autant l'opposition politique que les civiles kurdes, parfois même des familles entières.
Malgré l'incertitude instaurée au sein de certains groupes kurdes à l'égard de ces actes de violence sans discernement, les rangs du PKK étaient si grands que leur influence est devenue inébranlable au Kurdistan au début des années 1990.
Le groupe possédait une composition hétérogène de membres. La doctrine d'Öcalan enseignée par les systèmes d'éducation du parti les édifiait en tant que pilier rassembleur du mouvement et comme leader suprême dictant les actions du parti. Ce processus s'est surtout mené à l'extérieur du pays, en Syrie, où Öcalan avait fui avant le coup militaire. Aussi, des rapports suggèrent qu'il aurait ordonné l'exécution de rivaux potentiels au sein du parti.
Ainsi, l'origine marxiste du parti s'est progressivement effacée au profit de l'accumulation de pouvoir et du capital social par Öcalan. Dans le contexte de l'effondrement du bloc soviétique, le délaissement de l'idéologie d'origine du PKK culmine, en 1995, par le retrait de la faucille et du marteau du drapeau du parti. À ce sujet, Öcalan explique en entrevue qu' : « il n'est pas possible pour [le PKK] d'être communiste ».
Devant les pressions exercées par l'État turc pour expulser les membres du PKK de la Syrie, Öcalan fuit le territoire en 1998 avant de se faire arrêter par les autorités turques au Kenya en 1999. Malgré son emprisonnement, il a continué d'influencer le PKK, qui a alterné entre les cessez-le-feu et les reprises du conflit.
Itérations courantes et futures des luttes kurdes
Depuis l'emprisonnement d'Öcalan, la présence du PKK a largement été poussée à se déplacer vers la Syrie et le nord de l'Irak. De nombreux cessez-le-feu ont été établis, puis brisés à répétitions, chaque camp accusant l'autre de ranimer le conflit. Les négociations entre Erdoğan et le PKK de 2012 à 2015 ont échoué, et la répression turque des mouvements kurdes et les attaques envers le PKK ont persisté.
Le Parti de l'égalité et de la démocratie des peuples (DEM), successeur du Parti démocratique des peuples (HDP), a pris le relais sur le front légal, facilitant les discussions entre Öcalan et le gouvernement turc. Mais des membres du DEM, des journalistes et des maires kurdes ont été arrêté.es sous prétexte d'affiliation terroriste ces dernières semaines.
Depuis l'appel d'Öcalan à la paix, la Turquie a intensifié ses attaques contre les membres kurdes en Syrie et en Irak, tuant 26 personnes en une semaine. La dissolution du PKK aurait pu ouvrir la voie à une lutte plus institutionnalisée, mais la répression persistante du gouvernement turc met en doute même la cessation de la lutte armée kurde.
Par ailleurs, la conjoncture politique en Syrie reste encore incertaine. Si le nouveau régime syrien veut instaurer une stabilité qui évite les affrontements entre les communautés, certains dérapages remettent en question sa capacité à assurer une certaine harmonie sociale.
Le nouveau président syrien, Ahmed Al-Charaa, a conclu lundi une entente avec les Forces démocratiques syriennes (FDS) visant à intégrer toutes les activités de ce régime autonome kurde à celles du gouvernement central. Si Al-Charaa dit vouloir unir la population syrienne avec cet accord, les groupes kurdes s'y montrent appréhensifs en raison des liens étroits établis entre la Turquie et Alep depuis la chute de Bachar el-Assad. Erdoğan accuse notamment les Unités de protection du peuple (YPG), une filière des FDS, d'être affiliées au PKK.
Une soudaine éruption d'attaques dans l'est de la Syrie plus tôt cette semaine, faisant des centaines de victimes civiles, laisse aussi croire aux groupes kurdes que la lutte armée reste nécessaire pour défendre leur territoire, malgré l'appel d'Öcalan à baisser les armes.
Le militantisme kurde, réponse à une répression historique et à un régime colonialiste, reste ancré dans une tradition de gauche à ce jour. L'image du PKK en tant que principal acteur dans ce combat s'est transformé à travers le temps, mais l'idéologie fondatrice de ce mouvement et le militantisme kurde restent vivants face à la répression.
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Syrie. Le grand désarroi des alaouites

À Tartous, la prise de pouvoir en décembre 2024 par le groupe rebelle islamiste Hayat Tahrir Al-Cham (HTC), la fuite de Bachar Al-Assad et l'émergence de milices armées font craindre aux alaouites des affrontements motivés par un désir de revanche. Une crainte confirmée avec les massacres qui ont eu lieu les 7 et 8 mars 2025 sur la côte. Sur fond d'exactions, un civil spécialisé en cybersécurité se mobilise tandis qu'un ex-officier de l'armée de l'air réclame l'amnistie. Récit.
Tiré d'Orient XXI.
Depuis la finalisation de ce récit, des affrontements opposant les forces du gouvernement provisoire et les fidèles de l'ancien régime, qui sont parvenus à s'emparer de plusieurs positions militaires, ont eu lieu. Face à cette escalade, les autorités ont déployé en urgence des milliers de combattants issus des anciennes factions rebelles et djihadistes du nord. Dès le 7 mars, le littoral est devenu un champ de bataille. S'en sont suivis les deux jours les plus sanglants depuis l'accession d'Ahmed Al-Charaa au pouvoir. Le bilan provisoire fait état de plus de 1 000 morts, dont au moins 700 civils, principalement parmi la communauté alaouite.
Dans les rues désertées de Tartous, ville portuaire de la côte ouest-syrienne, en bordure de la Méditerranée à près de 200 kilomètres au nord de Damas, minuit sonne et des tirs de kalachnikov retentissent. Rami (son prénom a été modifié) sursaute, arraché au silence, puis se plonge dans les dizaines de notifications de son téléphone. « C'est HTC… Ils veulent nous terroriser », commente-t-il, convaincu que ces tirs proviennent du groupe rebelle islamiste ayant mené l'offensive du 8 décembre qui a renversé Bachar Al-Assad. Il les qualifie de « terroristes ».
À 28 ans, ce jeune homme, diplômé en cybersécurité, formé en Russie, ne quitte pas des yeux son écran, que ce soit depuis son bureau ou cloîtré chez lui. Deux jours après la chute du régime Assad, il a créé un canal sur l'application de messagerie Telegram pour son quartier, couvrant cinq rues. « Au début, nous étions une vingtaine, maintenant nous sommes plus de six cents », explique-t-il. Une façon pour lui de « protéger la ville » en surveillant tout mouvement dans les rues adjacentes.
Une communauté en alerte
Vêtu de noir, une montre connectée au poignet, Rami reçoit quotidiennement des demandes d'adhésion de voisins désireux de rejoindre le groupe pour être alertés en cas de « danger imminent ».
« La situation n'est plus sûre pour nous, les alaouites », affirme-t-il. La minorité, dont est issu le clan Assad, est estimée à 10 % de la population syrienne. Pendant cinquante-quatre ans, ils ont été la colonne vertébrale du régime, occupant massivement des postes clés dans les services de renseignements, de sécurité, et dans l'armée, y compris des unités d'élite. Toutefois, depuis 2011, de jeunes recrues alaouites ont été déployées, en nombre significatif, en première ligne comme chair à canon du régime, souvent moins bien équipées que celles des unités plus spécialisées. Cette stratégie a exposé ces soldats à des risques élevés. Dans les villages montagneux alaouites, la population entre 20 et 30 ans a été décimée. À Tartous, on rencontre fréquemment des vétérans gravement blessés, les « gueules cassées » du régime.
- Rami observe les trois étoiles du nouveau drapeau : « Elles sont censées représenter Alep, Damas et Deir ez-Zor. Mais où sont les autres villes de la Syrie et la côte ? Ce drapeau ne représente pas tous les Syriens ».
Sur la boucle Telegram, des messages affluent. Des alertes, des vidéos, des images violentes d'exactions contre les alaouites. Impossible de distinguer les rumeurs des vérités.
Rami transmet aussi des informations à l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) sur les violences visant les alaouites. Depuis le 8 décembre, cet organisme controversé — dont la fiabilité est remise en question par certains experts du conflit syrien en raison du manque de rapports détaillés et de vérifications des informations — affirme avoir recensé 250 exécutions extrajudiciaires ciblant principalement cette communauté.
Si le nombre exact de ces crimes reste difficile à établir, deux villages alaouites isolés autour de Homs, à 90 kilomètres à l'est de Tartous, entourés de localités sunnites, ont fait l'objet de massacres perpétrés par des groupes salafistes fin janvier. Ces violences ont alimenté chez les alaouites la crainte d'une chasse aux sorcières. Plusieurs villages alentour se sont vidés de leurs habitants.
L'empreinte russe
Sur le poignet de Rami, le tatouage du mot « slava » — « gloire » en russe — se détache sous la lumière tamisée, rappelant les jours passés à Voronej en Russie, où il a étudié pendant quatre ans et où la vie ressemblait à un « film en noir et blanc ». Il aime l'humilité des Russes et voit en Vladimir Poutine un leader qui a redonné la dignité à son peuple après la chute de l'URSS. « Jusqu'à il y a deux mois, je parlais russe quotidiennement », partage-t-il. Après son retour en Syrie en 2022, il a continué à pratiquer la langue avec les militaires russes stationnés à la base navale locale, jusqu'à leur départ soudain le 9 décembre, après la chute du régime. « Ils sont tous partis ce matin-là, il n'y avait plus personne », dit-il avec une pointe de nostalgie. La veille, alors que l'aube peinait encore à éclairer le ciel et dans le plus grand secret, Bachar Al-Assad avait fui le pays en avion depuis la base aérienne russe de Hmeimim, située à Lattaquié, au nord de Tartous.
Pour la fête de la Marine russe, le 31 juillet, la corniche — la promenade qui longe le littoral de la ville portuaire — était privatisée chaque année pour une parade militaire, rendant l'accès impossible aux civils. Des drapeaux russes et syriens flottaient côte à côte, accompagnés d'immenses portraits de Poutine et Assad. « Je me souviens encore de ces scènes », raconte le jeune homme en longeant la mer. Aujourd'hui, ce qui lui rappelle ces années-là, c'est Snow, son husky sibérien aux yeux vairons, adopté il y a huit ans. Il lui reste aussi une communauté de Syriens russophones, ceux qui, comme lui, ont appris la langue en Russie.
La statue de Hafez déboulonnée
Face à lui, un immense drapeau de la révolution syrienne, installé par les nouvelles autorités, flotte au vent. Un marqueur de leur prise de pouvoir, une rupture avec l'ordre ancien. Pourtant, dans cette ville où, dans certains quartiers, les alaouites représentent 90 % de la population, il est rare de voir ce drapeau accroché aux maisons, contrairement à d'autres régions du pays. Une image qui détone. Rami observe les trois étoiles du nouveau drapeau : « Elles sont censées représenter Alep, Damas et Deir ez-Zor. Mais où sont les autres villes de la Syrie et la côte ? Ce drapeau ne représente pas tous les Syriens », lâche-t-il.
Dans sa rue, à l'opposé du reste de la Syrie où ils ont été systématiquement arrachés, trônent encore sur les lampadaires de rares portraits de Bachar Al-Assad, lunettes noires sur le nez, avec au premier plan des « martyrs », les soldats des forces loyalistes du régime tués au combat. « Ce n'est rien comparé à ce que c'était avant ; il prenait la Syrie pour son fil Instagram », observe Rami.
Il n'a jamais aimé Bachar Al-Assad, qu'il considère comme un criminel, corrompu, responsable de la pauvreté du pays. Depuis 2012, une rumeur circule dans la ville affirmant que Bachar Al-Assad ne serait pas d'origine alaouite. Rami y adhère sans hésitation. Alors lorsqu'il apprend dans les jours précédant le 8 décembre qu'une offensive est en cours pour le renverser, il est euphorique. « Je n'arrivais pas à y croire », confie-t-il encore incrédule.
À Tartous, une zone qui est restée sous contrôle du régime jusqu'au bout, les images des célébrations des deux premiers jours suivant sa chute, où une immense statue de Hafez Al-Assad, père de Bachar Al-Assad, a été déboulonnée sous les acclamations de la foule, semblent déjà lointaines. La chanson « Une, une, une, nous sommes une seule Syrie » entonnée en chœur lors des premières manifestations en signe d'unité nationale paraît elle aussi s'être dissipée avec le temps.
Seul homme de sa famille, Rami a été exempté de service militaire. « Je suis soulagé de ne pas avoir les mains salies par la guerre civile. » Parmi ses amis, certains ont payé 10 000 dollars pour éviter l'armée, d'autres se sont cachés dans leurs villages pour éviter l'enrôlement. Beaucoup, souvent les plus pauvres, n'ont eu d'autre choix que de partir combattre dans les rangs de l'Armée arabe syrienne, en butte à des désertions massives dès 2012.
Mais rapidement, lorsqu'il voit, en décembre 2024, que HTC, ex-branche syrienne d'Al-Qaida, prend le pouvoir, son excitation se transforme en peur. « Je me suis dit qu'il fallait qu'on s'organise parce qu'en tant qu'alaouites on était en danger. J'ai tout de suite vu des assassinats cibler notre communauté. »
Une sécurité chère payée
Parmi son groupe de jeunes alaouites, l'inquiétude est palpable. Clea (son nom a été modifié), 25 ans, cheveux bouclés et sweat à capuche, est membre d'un groupe de quartier vigilant. Entre deux gorgées de maté, elle exprime son désarroi : « Ils ne peuvent pas venir nous tuer comme des chiens sans qu'on réagisse. »
- « Bachar Al-Assad a tenté de transformer un soulèvement contre son régime en une guerre confessionnelle, et il n'était pas le seul. Du côté sunnite, certains ont aussi alimenté cette rhétorique. »
Contrairement à Rami, qui qualifie Bachar Al-Assad, de « criminel », « rat », et « chien », Clea prend un ton désabusé lorsqu'elle évoque la chute du régime :
- Je me fiche d'Assad. Après treize ans de guerre, je voulais juste qu'ils ne viennent pas nous tuer tous. Sous Assad, nous n'avions pas de liberté politique, mais nous pouvions vivre, boire, danser. Maintenant, ma mère ne me laisse même pas sortir après la nuit tombée.
Elle désigne son village recouvert de neige, où se trouve sa maison familiale, désertée. Désormais, « c'est trop dangereux pour moi d'y aller, c'est trop isolé », dit-elle.
Si certains alaouites, comme elle, regrettent une certaine stabilité dans le régime, d'autres rappellent que cette sécurité pour eux avait un prix. Vivant dans une bulle, loin du fracas des combats ou des bombes, beaucoup d'alaouites de Tartous ont suivi le conflit à distance sans en subir les conséquences les plus violentes, qui ont ravagé d'autres régions. Mais cette apparente protection s'accompagnait d'une autre réalité, celle d'un contrôle étroit et d'un climat de suspicion permanent. Un simple like sur Facebook sous un post anti-Assad pouvait valoir un interrogatoire musclé par les moukhabarat, les services de renseignements syriens.
« Des sunnites ont été de grands soutiens du régime »
Un médecin de 30 ans, anesthésiste à l'hôpital Al-Bassel, du nom du fils de Hafez Al-Assad qui était initialement destiné à lui succéder et qui est décédé dans un accident de voiture en 1994 — récemment renommé « hôpital national de Tartous » —, boit un maté dans un café presque vide avec Rami.
- On doit justifier pourquoi on a été silencieux sous le régime de Bachar, mais ce n'était pas seulement une affaire d'alaouites ; nous étions forcés au silence. Un gouvernement ne tient pas avec seulement 10 % de la population. Il y avait aussi des sunnites qui ont été de grands soutiens du régime.
Ce sentiment d'être injustement pris pour cible en tant qu'alaouites, perçus comme responsables des crimes de Bachar, est partagé par beaucoup.
La faute, selon lui, revient à la narration du clan Assad, qui aurait instrumentalisé les minorités pour asseoir sa légitimité. « Bachar Al-Assad a tenté de transformer un soulèvement contre son régime en une guerre confessionnelle, et il n'était pas le seul. Du côté sunnite, certains ont aussi alimenté cette rhétorique », assure-t-il. Il se souvient de la première fois, en 2011, qu'il a entendu le slogan « Les alaouites au tombeau, les chrétiens à Beyrouth » dans une manifestation à Homs. En réalité, le manifestant qui le scandait a été réprimandé par le reste de la foule. Le médecin ne s'en souvient pas.
Il évoque un autre chant qu'il dit avoir entendu en 2014 : « Avec un couteau sur le cou, nous viendrons chercher les alaouites. » Il affirme que ce slogan venait de l'icône de la révolution syrienne Abdel Basset Sarout, un chanteur originaire de Homs qui avait ensuite pris les armes, avant d'être tué en 2019.
Ces chants ont ensuite été largement exploités par la propagande gouvernementale diffusée en boucle, sur les pages Facebook et les chaînes officielles du régime. Cette narration, martelée pendant treize ans de guerre, s'est profondément ancrée dans la société alaouite.
Écrans de fumée
Le médecin raconte les dernières nouvelles de son hôpital à son ami Rami. Depuis le 8 décembre 2024, il observe à l'hôpital des licenciements massifs de personnes accusées de « percevoir un salaire sans travailler ». Cinquante pour cent du personnel non médical aurait été licencié. D'où le sentiment renforcé d'être pris pour cible. « Nous le prenons comme une mesure anti-alaouite », explique-t-il.
Après la pause-café, Rami regagne son bureau, situé dans une tour qui domine la ville. Freelance, il développe des applications et gère des sites web pour des entreprises, mais ces jours-ci, son attention est surtout accaparée par son groupe de vigilance. Assis devant plusieurs écrans, il explique : « Nous ne faisons pas confiance à HTC, et nous aimons tellement notre ville que nous nous débrouillons seuls pour la protéger. » Sur ce, grâce à des bots informatiques, Rami génère en masse des comptes sur Twitter. Il montre avec fierté un tweet devenu viral, vu plus d'un million de fois, qui montre un soldat à Tartous portant le drapeau noir de l'Organisation de l'État islamique (OEI) début décembre 2024.
Rami fait défiler la conversation Telegram sur son écran. Certains postent des alertes tandis que d'autres partagent des informations de sécurité, des vidéos, des images prises sur le vif. Il y a des rumeurs, des vérités et des exagérations. Les vidéos sont vues en boucle.
Dans un climat de rumeur, de peur et d'incertitude, chaque incident alimente un sentiment de menace. Dans la soirée du lundi 10 février, Rami reçoit une alerte sur le groupe : « Il y a deux hommes qui nous volent, ils sont de HTC. » Rapidement, la foule, alertée par la boucle Telegram, afflue sur les lieux. Les habitants s'emparent des deux individus, et les interrogent : ils affirment venir d'Idlib et appartenir à HTC, ce que les nouvelles autorités, alertées par le groupe, réfutent. Il s'agirait de deux usurpateurs. Rami n'y croit pas, impossible de vérifier.
Assad, le « traître »
Alors qu'il navigue sur X, Rami est interrompu par une silhouette familière à la porte de son bureau. Deux mois plus tôt, il était encore officier dans l'armée de l'air de Bachar Al-Assad, qu'il a servie pendant dix ans. Aujourd'hui, il se tient là, l'expression sombre mais propre sur lui : sa barbe est taillée, ses cheveux coiffés au gel. Il tient un bout de papier froissé à la main. « C'est ma demande d'amnistie. » Son nom est griffonné en noir, accompagné d'un numéro. « Je ne sors plus du quartier et ne traverse plus les checkpoints, explique-t-il. C'est trop risqué. Avec mon statut militaire non résolu, je ne suis ni civil ni soldat. »
Il dit s'être rendu pour entamer son processus de taswiya, l'amnistie annoncée par HTC pour les anciens soldats du régime. Une pratique inspirée de celle d'Assad qui avait procédé de la même manière envers d'anciens combattants en 2018. Mais depuis, plus de nouvelles. Son dossier est en suspens. Il attend. « Nous sommes des dizaines dans cette situation », affirme-t-il. Pour lui, le 8 décembre a marqué une rupture brutale. Une gueule de bois, suivie d'un silence pesant. Il semble ne pas encore avoir digéré la chute de Bachar Al-Assad. « Il nous a laissés là. Assad était au ciel pendant qu'on était au sol. » Il secoue la tête. « Il n'a même pas pris la peine de faire une déclaration ? Rien ? » Il le traite de « traître » pour avoir fui égoïstement, laissant la Syrie dans le « chaos ». En effet, alors que les rebelles de HTC et leurs alliés encerclent Damas, Bachar Al-Assad fait mine de diriger les opérations militaires, rassurant son état-major et ses proches. Il assure à ses généraux et aux services de sécurité que des contingents en provenance de Russie sont en route — un mensonge. En réalité, il prépare sa fuite. Dans la nuit du 8 décembre, il rejoint la base aérienne russe de Hmeimim, à Lattaquié, d'où il s'envole pour Moscou, retrouvant son épouse qui s'y trouve déjà. Il abandonne ses proches et ses effectifs.
Quand il évoque ses dix années dans l'armée et ce qu'il en reste, l'ancien officier désigne une poubelle au coin du bureau. « J'ai tout perdu. » Un autre abandon, celui des Russes. Il sait qu'ils sont « pragmatiques », mais il ne s'attendait pas à un tel lâchage.
Sur ce qu'il a fait dans l'armée, il reste évasif. « J'ai combattu Daech », dit-il simplement, mentionnant Homs et Alep. Il assure n'avoir jamais signé pour aller en première ligne mais y avoir été envoyé de force. Ingénieur de formation, il a tenté d'échapper au front, ce qui lui a valu sept jours de détention, puis une affectation dans le désert, chargé de défendre un barrage militaire. Vingt hommes. Une voiture piégée. Dix morts.
Le 7 décembre, il était encore en service. Lorsqu'il a vu douze blindés de HTC entrer dans Homs, le dernier verrou vers Damas, il a rendu les armes. La ville est reprise presque sans résistance. Mais aujourd'hui, il affirme, « d'un certain côté, regretter ».
Il veut partir. Quitter la Syrie. Il songe à vendre son appartement pour s'exiler en Russie. Il répète plusieurs fois son souhait : « dormir sur [ses] deux oreilles ». Mais pour partir, il lui faudrait un visa, un sésame inaccessible sans papiers civils. Il évoque des hommes à moto qui auraient brûlé des portraits de « martyrs » loyalistes. Il trouve cela « inacceptable ». Une rumeur circule : les familles de ces martyrs ne recevraient plus leurs pensions. Quant aux arrestations d'anciens officiers, il secoue la tête. « Ce n'est pas net. Les arrestations se font en mode cow-boy. Les familles ne savent même pas où sont détenus leurs proches, c'est totalement arbitraire. Il n'y a aucune communication. »
Éclosion de milices armées
À 60 kilomètres au nord de Tartous, sur la côte, à Jableh, une milice locale qui se fait appeler la Force de résistance syrienne a vu le jour. Ses membres arborent l'ancienne bannière syrienne et revendiquent des actions violentes, comme l'assassinat de deux officiers de la Direction générale de la sécurité. Impossible de déterminer leur effectif ou d'évaluer ce qui relève d'un effet d'annonce. « Beaucoup d'entre eux étaient de vrais criminels avant, assure Rami. Mais ils savent que, tôt ou tard, ils seront arrêtés par HTC. Alors ils essaient de provoquer un nouveau cycle de guerre civile. »
Une autre milice, anti-alaouite, elle, a récemment émergé sous le nom de Saraya Al-Sounna (Brigades sunnites). Ce groupe ultra radical hostile à une cohabitation avec les alaouites revendique une demi-douzaine d'attaques les ciblant. HTC a promis de les arrêter. Ils sont notamment responsables d'une attaque à Arza, dans le centre du pays, le 31 janvier 2025, faisant une dizaine de morts. Ce groupe, dont il est difficile de déterminer les effectifs, a appelé à multiplier les attaques contre les alaouites à travers le pays.
L'atmosphère est lourde. Le 1er février, au matin, un message s'affiche sur le téléphone de Rami : « Dix alaouites tués dans ce qui est décrit comme un massacre confessionnel. » L'exaction, ainsi que celles menées sur les villages d'Arza et de Fahel, Rami et ses amis la nomment le « génocide de Homs ».
Sur la corniche désertée
Les journées se succèdent à Tartous, monotones, la faute à l'hiver et à la peur, sans festivités ni sorties nocturnes. Pour se changer les idées, Rami marche le long de la corniche, à quelques pas de sa maison, dans un quartier aux ruelles modestes. Au loin, la mer gronde sous un ciel tourmenté. « La mer est énervée », observe-t-il. Le vent charrie des embruns salés jusqu'à lui. Seuls quelques touristes nationaux, inconscients du tumulte qui ronge la ville, posent devant la mer, tentant d'immortaliser un instant de légèreté sur cette plage qu'ils n'avaient pas revue depuis des années.
- Rami et la majorité de ses jeunes amis envisagent de partir. Pour l'instant, les visas ne sont pas acceptés, certains envisagent des voies illégales, mais ont peur.
Pour le reste, rares sont ceux qui traînent. La plupart sont des travailleurs qui n'ont d'autre choix que d'être là, mais qui avouent partir dès que la nuit tombe. Un vendeur de maïs grillé évoque le « manque de sécurité », un grand-père craint « les enlèvements ».
Parmi eux, Ali, 40 ans, ancien soldat blessé, vend des chocolats défraîchis. Après six ans comme réserviste dans l'armée à Homs, où il occupait des postes de contrôle, il a été blessé. En ce jour venteux, il est là pour survivre.
À proximité, un membre de HTC, en civil, fume une cigarette en regardant la mer. Il assure se sentir en sécurité et en paix, profitant du bord de mer sans avoir besoin de son arme ni de son uniforme militaire. Originaire d'Idlib, il affirme appartenir à l'Armée syrienne libre (ASL). Cette faction militaire dissidente de l'armée de Bachar Al-Assad est ralliée à la Turquie. Elle a participé à l'offensive ayant mené à la chute du despote et a intégré HTC. « Il n'y a aucun problème à Tartous, tout le monde est en sécurité », assure-t-il.
Seulement des Syriens
Le 17 février, Ahmed Al-Charaa, le nouvel homme fort du pays, effectue une visite inopinée dans plusieurs villes syriennes, dont Tartous, son premier déplacement public depuis Damas en tant que président intérimaire de la Syrie. Sur X, des images le montrent acclamé par la foule jusqu'à la nuit tombée.
Sur le groupe Telegram, les commentaires fusent : « Les alaouites suivent n'importe quel leader. On voit les mêmes dans la foule qui soutenaient Assad », « Sur les images, on dirait qu'il y a du monde, mais en réalité, c'est juste un rond-point [avec quelques] personnes », « On ne veut pas de discours, on veut des actes. »
« Vous avez un port, des champs, pourquoi y a-t-il autant de pauvreté à Tartous ? » Al-Charaa insiste sur l'unité nationale, affirmant qu'il n'y a ni sunnites ni alaouites en Syrie, seulement des Syriens, tous soumis à la même loi. Rami apprécie son discours. « C'est un bon politicien », dit-il. Il trouve aussi important qu'il soit venu sur la côte.
Rami et la majorité de ses jeunes amis envisagent de partir. Pour l'instant, les visas ne sont pas acceptés, certains envisagent des voies illégales, mais ont peur. La sœur de Rami, Soraya (son nom a été modifié), architecte de 26 ans, fait partie de ceux qui veulent quitter la ville. Elle conçoit des maisons pour des clients à Amman, mais, ici, elle ne sort plus dès la nuit tombée. « Sous Bachar, je pouvais aller partout, sortir sans crainte », dit-elle, se remémorant des jours plus sûrs, pour elle, tout en montrant ses ongles fraîchement manucurés, sa seule sortie de la journée. La politique ne l'intéresse pas. Tout ce qu'elle souhaite, c'est retrouver sa vie d'avant, sa tranquillité d'esprit. « Je déprime à rester enfermée à la maison », confie-t-elle.
Soraya est fiancée à un sunnite originaire d'Alep, installé en Norvège. « Alaouites, sunnites… ce n'est même pas un sujet », assure-t-elle. Pour la Saint-Valentin, il lui a fait livrer un énorme bouquet de roses à distance.
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Les démolitions israéliennes de maisons palestiniennes à Jérusalem atteignent un nouveau record

En 2024, Israël a détruit 181 maisons et approuvé le plus petit nombre de plans de construction palestiniens en dix ans, tout en donnant son feu vert à des milliers de logements dans les colonies.
Tiré d'Agence médias Palestine.
Ibrahim Mashahra et sa famille de six personnes sont sans abri depuis plus de deux mois maintenant, après avoir été contraints par les autorités israéliennes de détruire leur propre maison dans le quartier de Jabal Al-Mukaber à Jérusalem-Est.
La municipalité de Jérusalem et l'Unité nationale d'application de la loi menaçaient de démolir la maison de Mashahra depuis 2018 pour « construction sans permis ». En décembre 2024, il a reçu un ordre officiel de démolition, lui laissant seulement trois semaines pour quitter les lieux ou démolir lui-même la maison. Pour sauver certains des effets personnels de ses jeunes enfants, Mashahra a choisi la deuxième option. Il a quand même dû payer des amendes d'un montant total de 54 000 NIS (14 930 $).
« Je suis né ici, à Jérusalem-Est, mais je ne bénéficie pas des droits les plus élémentaires », a-t-il déclaré à +972. « La situation ici est extrêmement difficile. »
Mashahra et sa famille ne sont pas les seuls dans cette situation difficile. Alors que la campagne brutale d'Israël à Gaza a capté l'attention de la majorité de la communauté internationale, les autorités étatiques et municipales ont décidé d'augmenter les plans de construction de colonies et d'accélérer et d'intensifier les démolitions. D'innombrables familles palestiniennes à travers Jérusalem-Est ont été confrontées au même dilemme dévastateur : démolir leurs propres maisons ou regarder les autorités le faire.
Selon les données recueillies par Ir Amim, une organisation israélienne à but non lucratif qui suit les démolitions, l'année 2024 a vu un nombre record de démolitions de maisons palestiniennes à Jérusalem-Est. La plupart des 255 structures, dont 181 habitations, ont été détruites pour avoir été construites sans permis, qui est presque impossible à obtenir pour les Palestiniens. Pour éviter de lourdes sanctions, notamment de fortes amendes et même des peines d'emprisonnement, les habitants n'ont eu d'autre choix que de procéder eux-mêmes à 108 de ces démolitions.
L'année 2025 a commencé de la même manière, avec 46 démolitions et ce n'est pas fini. Fin janvier, la famille Ja'abis a été forcée de démolir son immeuble à Jabal Al-Mukaber, qui comprenait trois appartements et plusieurs commerces. Un autre triste précédent a été établi cette semaine lorsque, pour la première fois, Israël a procédé à des démolitions de maisons à Jérusalem-Est pendant le ramadan.
« Les démolitions de maisons sont au cœur de l'objectif d'Israël de contrôler le territoire et la démographie [à Jérusalem-Est] », a expliqué Aviv Tatarsky, chercheur à Ir Amim. « Il est clair que si l'on n'arrête pas Israël, les démolitions continueront de s'accélérer de jour en jour. »
En réponse à l'enquête de +972, la municipalité de Jérusalem a déclaré que « les mesures d'exécution sont généralement prises à l'encontre des bâtiments et des structures construits illégalement et qui ne peuvent être légalisés rétroactivement en raison de futurs projets pour la zone ou lorsque les propriétaires ou les responsables de la construction ne se conforment pas aux décisions de justice ». Elle a ajouté qu'il n'y avait eu « aucun changement significatif » dans le nombre de mesures d'exécution à l'encontre des « bâtiments illégaux » au cours de l'année écoulée.
Pendant ce temps, alors que les démolitions se poursuivent, le gouvernement israélien a fait avancer six nouveaux projets de colonies juives à Jérusalem-Est, ouvrant la voie à des milliers de logements. Alors qu'ils étaient auparavant bloqués en raison de préoccupations d'ordre juridique et de critiques internationales, Israël a été encouragé à les relancer et à les accélérer après l'investiture du président Donald Trump en janvier.
Expulser les Palestiniens
Les démolitions sont « indissociables de la crise du logement à Jérusalem-Est », a expliqué Sari Kronish, architecte chez Bimkom, une organisation israélienne de défense des droits de l'homme qui se concentre sur les politiques d'aménagement israéliennes. « Si les Palestiniens ne sont pas autorisés à concevoir des projets et si l'équité en matière de logement n'est pas prise en compte, cela se répercute sur cette politique dévastatrice. C'est un cercle vicieux. »
En 2024, la municipalité de Jérusalem n'a approuvé que 57 plans, soit un total de 1 000 logements, pour les Palestiniens de Jérusalem-Est, le chiffre le plus bas depuis dix ans. Parallèlement, 120 plans ont été approuvés pour les colons juifs israéliens, ce qui permettrait la construction de 11 000 logements.
Les démolitions de maisons à Jérusalem-Est sont historiquement ancrées dans des politiques de logement inéquitables qui visent à chasser les Palestiniens de la ville afin de créer et de maintenir une majorité démographique juive. Après avoir occupé et annexé illégalement Jérusalem-Est lors de la guerre de 1967, Israël a suspendu toutes les procédures d'enregistrement foncier et de zonage, ce qui a empêché la délivrance de permis de construire. Mais si les terres ne pouvaient pas être légalement exploitées, elles pouvaient être confisquées par l'État – une politique que l'État d'Israël a menée avec acharnement pour déposséder les résidents palestiniens et faciliter la construction de colonies juives.
Israël a repris les procédures d'enregistrement des terres en 2018 dans le but déclaré de « réduire les inégalités socio-économiques », mais le véritable objectif était d'affirmer la souveraineté israélienne en répertoriant toutes les terres de Jérusalem-Est occupée dans le registre foncier israélien et, par conséquent, en exigeant que ses écoles utilisent les programmes scolaires israéliens.
En 2017, la Knesset a adopté la loi Kaminitz, qui visait à criminaliser les violations en matière de construction et à intensifier l'application de la loi par une augmentation des démolitions de maisons et des amendes plus lourdes. En conséquence, de plus en plus de Palestiniens ont commencé à détruire leurs propres maisons, incapables de payer les frais de démolition élevés et choisissant d'éviter la dévastation plus importante causée par les bulldozers israéliens.
Pendant des décennies, le « protocole Mukhtar » a permis aux Palestiniens de prouver leur propriété et de soumettre des plans de construction privés à la municipalité israélienne en l'absence d'enregistrement officiel des terres. Cependant, en 2022, à la suite d'une campagne publique concertée menée par des groupes de droite, affiliés à des colons qui dénonçaient le « transfert illégal de terres à des Arabes avec des revendications fallacieuses », les autorités israéliennes ont établi de nouvelles réglementations exigeant une preuve complète de la propriété foncière – une exigence délibérément inaccessible pour les Palestiniens. Cela a entraîné un arrêt de la construction : en 2023, aucun plan sur des terrains privés qui n'avaient jamais été entièrement enregistrés n'a dépassé le stade préliminaire.
À Jabal Al-Mukaber, Mashahra a passé six ans à essayer d'organiser ses voisins pour qu'ils soumettent un plan de construction commun pour un seul lot, comme l'exigent les nouvelles réglementations qui imposent que les plans couvrent une zone géographique minimale de 10 dunams, comprenant 20 à 30 familles. Cependant, comme l'approbation dépendait d'un accord unanime entre tous les voisins, ses efforts ont finalement échoué. Un voisin ayant refusé de déménager, le plan « s'est évaporé », a déclaré Mashahra.
Cette exigence n'est qu'un des nombreux obstacles bureaucratiques auxquels les Palestiniens sont confrontés, souvent après avoir investi dans des urbanistes et des avocats coûteux. « Un plan entier peut être rejeté simplement parce que l'autorité estime qu'une seule route [dans le projet proposé] n'est pas au bon endroit », a expliqué Rawan Shalaldeh, urbaniste chez Bimkom.
Faire place aux touristes
Israël a utilisé ces processus alambiqués empêchant la construction palestinienne en invoquant des lois israéliennes plus anciennes – telles que la loi sur les biens des absents, qui permet à l'État de confisquer les biens palestiniens qu'ils ont été contraints de laisser derrière eux en 1948, et la loi sur les questions juridiques et administratives, qui permet aux Juifs de récupérer les biens appartenant à des Juifs avant 1948 – pour expulser les Palestiniens de leurs terres au profit de l'État et des colons juifs.
À Silwan, un quartier palestinien près de la vieille ville de Jérusalem, Rami Abu Shafa, éducateur spécialisé et art-thérapeute, a passé des années à essayer d'obtenir un permis de construire, mais comme beaucoup d'autres, ses efforts ont été vains. La municipalité de Jérusalem et l'Unité nationale d'application de la loi ont démoli sa maison, ainsi que celles de sa mère et de ses frères et sœurs, fin décembre 2024. Ils n'ont eu que deux semaines pour évacuer leurs affaires.
« Nous n'étions pas du tout prêts », a-t-il déclaré à +972. « Ce fut une période très, très stressante, à essayer de trouver un autre logement pour que nous puissions garder nos enfants à l'école. »
Abu Shafa doit encore payer une amende de 90 000 NIS (24 860 $) et nettoyer les débris après la démolition. « J'ai été vraiment choqué d'être victime d'une démolition », a-t-il déclaré.
La maison d'Abu Shafa a été l'une des 68 démolies à Silwan l'année dernière pour faire place à un parc touristique biblique, un projet en gestation depuis deux décennies, négocié par l'État et des groupes de colons. Auparavant bloqué en raison de la condamnation internationale, le plan s'est maintenant accéléré dans le contexte de la guerre d'Israël à Gaza.
« L'ampleur de la violence étatique israélienne est bien pire qu'auparavant », a déclaré Tatarsky d'Ir Amim. « Dans le passé, la communauté internationale intervenait, mais maintenant elle semble presque complaisante, permettant à Israël de poursuivre des actions qu'elle n'a pas pu mener pendant deux décennies. »
En réponse à l'enquête de +972, la municipalité de Jérusalem a déclaré qu'elle avait « fait avancer un plan directeur de quartier visant à lutter contre les constructions non autorisées » à Silwan, tout en restaurant la zone « à sa vocation initiale d'espace vert ouvert à l'usage du public ».
« Cette mesure coercitive vise à encourager les habitants à mettre en œuvre la solution proposée tout en tenant compte des sensibilités de la zone », indique le communiqué.
Pendant les week-ends de janvier et février, des centaines de résidents palestiniens de Jérusalem-Est, rejoints par des militants israéliens de gauche et internationaux, sont descendus dans la rue pour protester contre les démolitions à Silwan. Lors d'une manifestation, Aryeh King, maire adjoint de Jérusalem et militant d'extrême droite de premier plan, est venu remettre en personne les ordres de démolition. « Les Arabes qui ont volé les maisons des Juifs seront expulsés », a-t-il déclaré à la presse. « Avec l'aide de Dieu, un rédempteur est venu à Sion. »
Des colonies « en expansion constante »
En 2024, Israël a désigné 11 zones de Jérusalem-Est, dont Beit Safafa, Umm Lysoon, Atarot, Sheik Jarrah et Umm Tuba, pour de nouvelles colonies, avec des plans de construction de milliers de logements.
« Les colonies ne cessent de s'étendre », a déclaré Kronish de Bikom. « Il y a cette utilisation abusive continue des processus bureaucratiques afin de confisquer autant de terres que possible ou de les enregistrer au nom de colons juifs. »
À Jabal Al-Mukaber, le quartier de Mashahra, des projets sont en cours pour doubler la population de Nof Zion, une colonie juive qui abrite actuellement 90 familles. L'année dernière, la municipalité de Jérusalem a alloué 2 millions de shekels (550 000 dollars) à la construction d'un terrain de sport pour la colonie, tandis que 34 maisons palestiniennes du quartier ont été démolies. Cette année, les autorités ont approuvé l'expansion de Nof Zion dans les quartiers palestiniens environnants, ajoutant de nouvelles unités de logement et une école financée par la municipalité.
L'un des résidents les plus en vue de Nof Zion est l'activiste pro-colons Henanel Garfinkel. Fin 2024, il a été nommé chef du département du gardien des biens des absents, un organe puissant au sein du ministère israélien des Finances chargé de superviser les propriétés palestiniennes à Jérusalem-Est. Garfinkel avait auparavant facilité la vente de terrains dans le quartier de Silwan à des groupes pro-colons et affirmé que Jérusalem-Est était sous « occupation arabe ».
« Quand on croit avoir touché le fond, on continue à aller de mal en pis », a déclaré Kronish. Sous prétexte de guerre, « toutes les branches de l'État se sont mises à travailler ensemble » pour faire avancer ses objectifs à Jérusalem-Est.
La municipalité de Jérusalem a déclaré à +972 qu'elle avait investi environ 2,2 milliards de shekels (607 millions de dollars) au cours des cinq dernières années à Jérusalem-Est et qu'elle avait « fait progresser les plans de rénovation urbaine adaptés aux besoins de la population locale ».
Pour l'instant, Mashahra et sa famille à Jabal Al-Mukaber logent chez son frère, juste derrière les vestiges de leur maison détruite. Mais une fois que son frère sera rentré des États-Unis, ils devront partir. Son avenir, et celui de ses jeunes enfants, reste incertain.
« En ce moment, nous serions littéralement à la rue », dit-il. « Si vous avez la chance de trouver une maison, le loyer représente presque un salaire complet. Alors que faire ? »
Georgia Gee est une journaliste d'investigation qui couvre les questions relatives aux droits de l'homme, aux atteintes à l'environnement et à la surveillance.
Dikla Taylor-Sheinman est membre de la Shatil Social Justice Fellowship au +972 Magazine. Actuellement basée à Haïfa, elle a passé l'année dernière à Amman et les six années précédentes à Chicago.
Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine
Source : +972 Magazine
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Le génocide de Gaza : la vie des femmes en ligne de mire

À l'occasion de la Journée internationale pour les droits des femme 2025, la revue Against the current met en lumière un rapport percutant sur l'impact des seize derniers mois de génocide sur les femmes palestiniennes.
Tiré de Inprecor
14 mars 2025
Par Against The Current
Un rapport saisissant a été publié par le Centre Mezan pour les droits humains Reproductive Health Under Genocide : La lutte des femmes palestiniennes à Gaza ». Il résume la guerre de 16 mois menée par Israël contre Gaza, au cours de laquelle 50 000 femmes enceintes ont été attaquées, et détaille l'impact sur leur santé et leur vie.
Le rapport « examine attentivement l'interruption quasi-totale des soins de santé maternelle directement, provoquée par la destruction par Israël des hôpitaux, des cliniques et des pharmacies, aggravée par le manque de fournitures médicales, d'équipement et d'électricité... Les sujets abordés comprennent les effets catastrophiques de la malnutrition sur les femmes enceintes et les femmes en post-partum, l'augmentation des naissances prématurées et les défis liés à l'accouchement pendant un génocide ».
Les détails proviennent de récits de première main, d'observations d'experts, d'entretiens et « d'expériences vécues par le personnel féminin d'Al Mezan à Gaza, qui ont à la fois enduré et documenté ces conditions ».
Les récits incluent Tahani Abdel Rahman, âgée de 40 ans et mère de famille du camp de réfugiés de Jabaliya, aujourd'hui détruit, qui a connu une grossesse môlaire (une tumeur qui se développe dans l'utérus à la suite d'une grossesse non viable) entraînant une douleur intense « pire que l'accouchement » et une intervention chirurgicale à l'hôpital al-Awda « dans une pièce aux fenêtres brisées ».
Lorsque la maladie est réapparue, elle a dû subir une nouvelle intervention chirurgicale d'urgence, sans anesthésie. Malgré la chimiothérapie et faute d'accès à des suppléments nutritionnels et à une IRM dont elle avait un besoin urgent, « je souffre de vertiges, d'anémie et de faiblesse », dit-elle. « Ma santé continue de se dégrader et je ne sais pas ce que l'avenir me réserve ».
Des conditions brutales
Le rapport fait état de femmes qui accouchent dans des conditions mettant leur vie en danger, qui subissent des césariennes sans anesthésie et qui accouchent dans des tentes aménagées dépourvues « d'équipement médical essentiel, de conditions sanitaires, de produits d'hygiène et d'intimité ».
Le Dr Taghreed Al-Emawi, obstétricien et gynécologue à l'hôpital Kemal Adwan - dont le directeur Hussam Abu-Safiyeh a été enlevé par les troupes israéliennes lorsqu'elles l'ont détruit - rapporte :
« J'ai prodigué des soins médicaux à des femmes enceintes dans l'école où j'avais trouvé refuge après la destruction de ma maison », en m'appuyant « sur les quelques outils de base que j'avais réussi à emporter avec moi... De nombreuses femmes enceintes ont dû se rendre à pied au centre médical pour accoucher, car la circulation des ambulances était interdite après 19 heures. Certaines femmes ont été blessées en chemin ».
Ce qui est étonnant, c'est à la fois les conditions indescriptibles auxquelles sont confrontées les femmes dans des infrastructures médicales détruites et la détermination du personnel médical à continuer à travailler sans se soucier de son propre bien-être - une autre indication de l'incapacité d'Israël à détruire la volonté de survie d'une société.
Selon le Fonds des Nations unies pour la population, en janvier 2025, environ 46 300 femmes enceintes à Gaza souffraient de faim sévère, tandis que ONU Femmes (www.unwomen.org) estimait que 557 000 femmes étaient en situation d'insécurité alimentaire extrême.
« La malnutrition fait que de plus en plus de femmes perdent du poids pendant leur grossesse, ce qui présente de graves risques pour la santé et la survie des mères et de leurs enfants à naître. De nombreux nouveau-nés sont mis au monde avec un poids inférieur à 2,5 kilogrammes (six livres)... Ces indicateurs soulignent l'impact sévère de la malnutrition sur la santé maternelle et infantile à Gaza ».
Le rapport demande une intervention internationale pour atteindre les objectifs suivants :
– Mettre fin aux hostilités et lever le siège de Gaza, rétablir la liberté de mouvement et l'accès à l'aide humanitaire.
– Protéger les établissements de santé et veiller à ce qu'ils puissent fournir des soins sans interférence ni ciblage.
– Garantir l'accès humanitaire aux fournitures médicales et autres ressources essentielles pour les femmes et leurs nouveau-nés.
– Rétablir les services de base en matière d'électricité, de carburant et d'eau pour les hôpitaux et les cliniques.
– Faire respecter le droit international, conformément aux recommandations de la Cour internationale de justice, afin de mettre fin à l'occupation illégale du territoire palestinien par Israël.
– Développer les activités de plaidoyer et de surveillance par les organes des Nations unies et les organisations internationales afin de documenter les violations.
– Soutenir le rétablissement à long terme de l'infrastructure sanitaire de Gaza, le soutien durable aux soins maternels et reproductifs, et les programmes visant à traiter les traumatismes psychologiques auxquels les femmes de Gaza sont confrontées.
Le 7 mars 2025
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Gaza : le Hamas veut faire la preuve de l’échec de Nétanyahou

Alors que la première phase du cessez-le-feu s'achève et que les négociations pour la deuxième piétinent, le mouvement islamiste fait preuve chaque jour de son implantation sur tout le territoire de l'enclave. Et veut démontrer l'échec du premier ministre israélien, qui promettait de l'éradiquer.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
25 février 2025
Par Gwenaëlle Lenoir
Mercredi 26 février, tard dans la nuit, un nouvel échange a eu lieu : quatre dépouilles d'otages israéliens morts dans la bande de Gaza ont été remises à Israël, via le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), et 602 prisonniers palestiniens ont quitté la prison d'Ofer pour retrouver leurs proches.
Ces 602 détenus auraient dû être libérés samedi 22 février, car le mouvement islamiste avait bien procédé, ce jour-là, à la libération de six Israéliens retenus dans la bande de Gaza. L'échange était prévu dans les modalités de la première phase du cessez-le-feu défini par l'accord signé le 15 janvier entre le mouvement islamiste et l'État hébreu sous l'égide des médiateurs qataris et égyptiens. C'était le septième de la sorte.
Mais Benyamin Nétanyahou a décidé de surseoir à l'élargissement des captifs palestiniens, au désespoir des familles qui les attendaient avec impatience.
Dans un communiqué, le premier ministre israélien a justifié sa décision, qui a risqué de faire capoter le cessez-le-feu et a gonflé la colère des familles des otages encore en captivité : « Au vu des violations répétées du Hamas, notamment les cérémonies qui humilient nos otages et l'exploitation cynique de nos otages à des fins de propagande, il a été décidé de reporter la libération des terroristes prévue hier jusqu'à ce que la libération des prochains otages soit assurée, et sans les cérémonies humiliantes. »
Un épisode, notamment, a fait bondir les autorités israéliennes le 22 février : sur l'estrade où ils sont contraints de monter avant d'être remis au CICR, un des captifs israéliens, Omar Shem Tov, souriant, embrasse le front d'un des militants armés et encagoulés du Hamas qui se tient à ses côtés, puis d'un deuxième – après qu'un des cameramen du Hamas lui a parlé.
De l'art de la communication
Le jeune Israélien, qui vient de passer cinq cent cinq jours retenu dans l'enclave palestinienne, affirmera le lendemain qu'il a été contraint par ses geôliers de faire ce geste. De nombreux commentateurs dans les médias arabes, eux, y voient la preuve de la « bienveillance » avec laquelle le Hamas traite les otages et de la « gratitude » que ces derniers lui vouent pour les avoir protégés pendant la guerre. Le quotidien israélien Haaretz énumèreplusieurs de ces réactions, soulignant que, pour les commentateurs, le Hamas a, le 22 février, gagné la guerre de la communication et détruit le narratif israélien.
Également odieuse aux yeux des autorités israéliennes, la vidéo de deux otages, crâne rasé, vêtus de pulls marron, contraints d'assister, depuis une voiture près de la scène, à la libération de leurs compagnons de captivité. Eux ne sont pas sur la liste des libérables du jour. Bouleversés, ils supplient le premier ministre de respecter les modalités du cessez-le-feu pour voir leur tour arriver.
C'est une démonstration de force et un épisode d'une guerre psychologique. Les libérations se déroulent dans toute la bande de Gaza, du nord au sud, en présence d'hommes armés nombreux, censés avoir été éliminés.
Leila Seurat, chercheuse
La séquence du 22 février, septième échange depuis l'entrée en vigueur du cessez-le-feu le 19 janvier, concentre à elle seule les éléments de communication du Hamas depuis la pause dans la guerre.
« Ici comme à chaque fois, c'est une démonstration de force et un épisode d'une guerre psychologique. Les libérations se déroulent dans toute la bande de Gaza, du nord au sud, en présence d'hommes armés nombreux, censés avoir été éliminés, décrypte Leila Seurat, chercheuse au Centre arabe de recherche et d'études politiques de Paris. Celles du 22 février ont eu lieu en deux endroits. Dans le camp de Nousseirat, dans le centre de la bande de Gaza, là où un commando a tué trois cents civils palestiniens pour essayer de récupérer des otages [en juin 2024, un commando israélien a tué 274 personnes dans une opération pour libérer quatre otages – ndlr], et à Rafah, dans le sud, où les Israéliens sont restés neuf mois et ont prétendument tué tous les chefs de katiba. »
En moins d'un mois, c'est devenu un rite. Sur une estrade, une table derrière laquelle un membre du Hamas et une déléguée du CICR signent des documents l'un après l'autre. Les otages y grimpent ensuite, « certificat » à la main, entourés d'hommes en armes, encagoulés, vêtus d'uniformes noirs ou kaki, les fronts ceints de bandeaux aux couleurs de leur faction.
Les captifs s'adressent au public, quelques mots en hébreu traduits presque simultanément en arabe, puis descendent et s'engouffrent dans les véhicules du CICR. Le tout est photographié, filmé, diffusé en direct, sur les canaux du Hamas et des autres factions palestiniennes, et sur des chaînes de télévision arabes.
Hors du déroulé, le décor est important. « À chaque fois, tout est pensé en termes de communication et de symbolique. Rien n'est laissé au hasard, reprend Leila Seurat. Ainsi les grosses voitures noires, lors des premières libérations, sont des véhicules israéliens rapportés dans Gaza le 7 octobre 2023. » Certains des fusils d'assaut arborés par les militants armés sont des Tavor, qui équipent l'armée israélienne.
À une occasion au moins, on voit des enfants vêtus de sweat-shirts arborant le triangle rouge à l'envers avec lequel, sur les vidéos, les combattants palestiniens désignent leurs cibles. Les images fourmillent de détails de ce type, glorifiant la valeur militaire et nationaliste du mouvement islamiste.
Les ruines apparaissent toujours dans le cadre. Les slogans, qui célèbrent les « combattants de la liberté » sont rédigés en arabe, hébreu et anglais. Une immense bâche est tendue derrière la scène, représentant une vue de Jérusalem, avec le dôme du Rocher et la mosquée Al-Aqsa au premier plan.
Le 15 février, la libération a lieu à Khan Younès, à proximité de la maison de Yahya Sinouar, chef du Hamas tué en octobre 2024. Sur une grande bannière flanquant l'estrade, un homme de dos est assis dans un fauteuil au milieu de gravats. Tout le monde reconnaît forcément la scène filmée par un drone israélien quelques instants avant sa mort et largement diffusée, où Sinouar, gravement blessé, essaie de chasser l'engin. Sur la banderole, il regarde en direction du dôme du Rocher qui apparaît à travers le mur détruit.
Montrer sa force, être présent partout
« La communication est à destination de deux publics, l'opinion palestinienne et l'opinion israélienne, en particulier les familles des otages. Le Hamas ne vise pas du tout le public occidental, ni aux États-Unis, ni en France, ni en Europe. Ils ne se préoccupent pas des réactions là-bas qui, à leurs yeux, ne pèsent pas, analyse Nicolas Dot-Pouillard, chercheur associé à l'Institut français du Proche-Orient. Le Hamas veut dire au public palestinien : “On est en position de force, on est capables de libérer de la façon dont nous l'entendons, et pas comme Israël le souhaite.” »
À l'opinion israélienne, qui se réunit sur la « place des otages » à Tel-Aviv pour suivre les libérations en direct, le Hamas envoie deux types de messages.
« Le Jihad islamique a diffusé une vidéo montrant un otage [Alexander Tourbanov, libéré le 15 février, vidéo visible ici– ndlr] en train de pêcher sur une plage, il s'agissait de dire : “Regardez, ils sont en bonne forme physique et mentale”, reprend Nicolas Dot-Pouillard. Mais il y a aussi la vidéo des deux otages observant depuis une voiture la libération de leurs compagnons. Là, c'est vraiment pour que les familles fassent pression, à un moment où le Hamas pense que Nétanyahou veut bloquer la suite de l'accord. »
Dans les mises en scène, le mouvement islamique déploie aussi des messages politiques internes. « Il veut montrer qu'il réussit l'unité palestinienne. À chaque libération, il invite par exemple des factions du Jihad islamique, de la branche armée du Fatah, du FPLP [Front populaire de libération de la Palestine – ndlr], des comités de résistance populaire, etc. », remarque encore Nicolas Dot-Pouillard.
« Ce qui se joue à chaque fois dans ces libérations, c'est de montrer qu'il y a une forme d'union nationale avec les autres branches armées présentes sur le terrain, qui avaient d'ailleurs elles-mêmes des otages », renchérit Leila Seurat.
L'unité nationale, autrement dit aussi la réconciliation entre le mouvement islamiste et le Fatah de Mahmoud Abbas, donc l'Autorité palestinienne, serpent de mer de la politique palestinienne depuis des décennies, constitue une demande forte dans l'opinion palestinienne.
Dans le nord de Gaza, ce sont eux qui ont les bulldozers, qui sont en train de déblayer ce qu'ils peuvent, de refaire les routes, de remettre en état des pompes à eau, ou bien les puits dans des quartiers.
Rami Abou Jamous, journaliste palestinien à Gaza
Celle-ci est prise à témoin : tout le monde devra encore compter avec le Hamas. Car loin d'être réduit à néant, contrairement au but de guerre affiché par les dirigeants de l'État hébreu, Benyamin Nétanyahou en tête, il est toujours bien là. Affaibli, sans doute, mais capable de peser militairement et politiquement.
« Avant le cessez-le-feu, il y avait un discours, en partie chez les Israéliens et les Américains, dans les médias occidentaux aussi, prétendant que le Hamas était si affaibli, après l'élimination de sa direction politique et militaire (Mohammed Deïf, Yahya Sinouar et d'autres) qu'il ne fonctionnait plus que par petites cellules séparées. Ses cellules ne communiquent plus entre elles, disait-on, décrypte Nicolas Dot-Pouillard. Ce discours avait un peu changé dans les semaines précédant le cessez-le-feu, car les actions militaires restaient efficaces et meurtrières pour les soldats israéliens. »
Et puis il a été rendu caduc par ce que l'on a vu dès le cessez-le-feu annoncé. Les brigades Ezzedine al-Qassam, branche armée du Hamas, ont défilé dans toute la bande de Gaza. La police s'est redéployée dans certains lieux, après avoir été systématiquement ciblée pendant les quinze mois de guerre. Le mouvement islamiste a réussi à organiser en quelques jours la libération d'otages en coordination avec le CICR, ce qui prouve que des interlocuteurs de haut niveau existent.
« Une autre preuve de l'existence d'une direction politique relativement centralisée dans la bande de Gaza se voit dans les négociations : elles ont lieu à l'extérieur, mais le oui ou le non final à un accord est donné par la branche intérieure, par la bande de Gaza »,souligne encore Nicolas Dot-Pouillard.
Services publics
Sur le terrain, les services sociaux du Hamas sont sortis de la discrétion que les frappes ciblées israéliennes leur imposaient. « On ne voyait pas les Ezzedine al-Qassam, mais on voyait les gens de l'administration. Seulement ils ne faisaient pas grand-chose, parce qu'ils étaient ciblés, même ceux qui s'occupaient du contrôle des prix, par exemple, raconte à Mediapart, depuis Deir al-Balah où il a été déplacé, le journaliste palestinien Rami Abou Jamous, auteur du « Journal de bord de Gaza » sur le site Orient XXI. Aujourd'hui, c'est complètement différent. Dans le nord de Gaza, ce sont eux qui ont les bulldozers, qui sont en train de déblayer ce qu'ils peuvent, de refaire les routes, de remettre en état des pompes à eau, ou bien les puits dans des quartiers. »
Bien que détesté par une bonne partie de la population, qui le rend responsable de l'anéantissement de la bande de Gaza, le Hamas reprend un travail de service public.
« Ils sont en train de préparer les camps de fortune, reprend Rami Abou Jamous. Ils nettoient des terrains, montent des tentes. Une fois cela fait, ils commencent à installer les toilettes, les douches et l'infrastructure de camp de fortune. Et puis ils nomment un responsable pour chaque camp, qui connaît les besoins des habitants et gère la distribution de l'aide, si elle arrive. Ils essaient aussi de fournir du fuel, pour les générateurs et les pompes à eau, car l'eau est le problème majeur dans le nord de la bande de Gaza. »
La délivrance des certificats de naissance ou de décès a repris, et la police rend visite à ceux qui ont été dénoncés pour avoir volé pendant la guerre.
C'est une reprise en pointillé, le cessez-le-feu est plus que fragile et rien ne garantit même que la deuxième phase, qui prévoit l'arrêt officiel des hostilités et le retrait complet de l'armée israélienne, ne commence, comme prévu, le 1er mars.
Quant à l'après, le plus grand flou règne, entre les plans délirants de Donald Trump, le mantra de Benyamin Nétanyahou – « ni Hamas, ni Abbas » – qui affirme le refus du gouvernement israélien de la gestion de la bande de Gaza par le Hamas et par l'Autorité palestinienne, et le plan égyptien qui doit être présenté dans les jours qui viennent.
Pour l'instant, le Hamas s'en tient à l'accord signé avec le Fatah, colonne vertébrale de l'Autorité palestinienne, et d'autres factions palestiniennes à Pékin en juillet 2024.
« Le Hamas et le Fatah sont d'accord pour un gouvernement de technocrates sans représentation officielle du Hamas, il y aura forcément des soutiens du Hamas qui y siégeront puisque les membres de ce gouvernement devront être approuvés par les factions, explique Leila Seurat. Il va donc jouer un rôle dans l'après-Gaza, c'est-à-dire dans la reconstruction. Et il veut rester comme une force armée et une force politique, sans forcément vouloir jouer ce rôle d'administrer des services publics et de s'occuper de la gestion quotidienne, que ce soit la santé ou l'éducation. »
Le Hamas avait promis qu'il n'organiserait aucune cérémonie publique pour la remise des dépouilles des Israéliens morts en captivité mercredi soir. De fait, il a respecté sa parole. Il est trop tôt pour savoir s'il a cédé à la pression de son opinion publique, ulcérée de voir la libération des prisonniers palestiniens reportée, ou s'il a décidé de changer sa communication.
Dans ce dernier cas, le mouvement trouvera certainement un autre mode de communication pour faire étalage de sa puissance. Le Proche-Orient est terre de symboles, et ses habitants ont l'art de les utiliser.
Gwenaelle Lenoir
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Palestine : Une attaque impérialiste contre l’ensemble du Moyen-Orient

Le 18e Congrès mondial de la Quatrième Internationale s'est tenu en Belgique du 23 au 28 février. La discussion, très large, a porté sur la situation internationale sous tous ses aspects, de la polycrise structurelle dans ses dimensions environnementale, économique, sociale et politique aux mouvements de résistance, en passant par la nécessité de construire et de renforcer notre propre Internationale.
Quatrième internationale
27 février 2025
18e Congrès Mondial - 2025
© Photothèque Rouge / Martin Noda / Hans Lucas.
Une résolution a été consacrée à la Palestine. Nous publions ici la résolution approuvée par le congrès par 116 voix pour, 3 contre, et 4 non-votes.
La guerre contre la Palestine ouvre un nouveau chapitre de l'histoire. Il s'agit d'un génocide mené par Israël avec le soutien actif des États-Unis et l'appui actif ou la complicité de nombreux autres États.
Sur les 2,4 millions de Palestinien·nes de Gaza, 1,9 million, soit 86 % de la population, ont été déplacé·es à l'intérieur du pays. Sur les plus de 47 000 mort·es qui ont été identifié·es, 40 % sont des femmes et des enfants, et la réalité du carnage se situe entre 200 000 et 300 000 mort·es, soit environ 15 % de la population de Gaza. Par le siège de la population du territoire sans nourriture ni soutien et ses nombreuses autres violations du droit international, le meurtre de centaines de journalistes, de médecins, le blocage de l'aide humanitaire, Israël démontre que son objectif est de reprendre un contrôle total de la bande de Gaza. Dans le même temps, 16 communautés palestiniennes ont été déplacées de force de Cisjordanie et 1 285 Palestinien·nes avaient été déplacé·es en juillet 2024.
Il s'agit d'une attaque et d'une menace contre tous les Palestinien·nes et la majorité des habitant·es du Moyen-Orient, qui a des implications majeures à la fois pour la région dans son ensemble et sur les rapports géopolitiques mondiaux.
Une guerre génocidaire de longue durée
Les attaques israéliennes sur Liban depuis septembre 2024 représentent une nouvelle étape dans la guerre : plusieurs milliers de personnes sont tuées par des attaques aveugles et des bombardements massifs, et des dizaines de milliers de personnes fuient le sud du pays. Le 27 septembre, l'assassinat du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et de plusieurs de ses dirigeants, est venu compléter ce qui s'est avéré être une décapitation systématique de l'organisation après avoir saboté son réseau de communication.
Par la suite, l'objectif de l'attaque militaire et politique d'Israël s'est étendue de Gaza vers le sud du Liban – c'est-à-dire les régions de cet État où se trouve la base arrière du Hezbollah –, ainsi que les tentatives de réorientation de la propagande, qui présentent l'Iran comme la principale menace pour le monde soi-disant civilisé. En fait, Netanyahou mène des « incursions militaires limitées » dans cette région depuis novembre 2023.
Les actions de Biden ont révélé la profondeur de son hypocrisie : l'appel lancé le 26 septembre par les États-Unis et d'autres pays en faveur d'un cessez-le-feu de trois semaines entre l'État sioniste et le Hezbollah a rapidement laissé place à une déclaration de Biden saluant la disparition de Nasrallah, montrant clairement que son administration soutient aussi bien l'offensive israélienne au Sud-Liban qu'à Gaza. Le positionnement de « Genocide » Joe est une des causes de la défaite de Harris à l'élection présidentielle, car les Démocrates ont alors perdu le soutien d'une partie conséquente des populations racisé·es. L'arrivée de Trump a concordé avec une usure de l'armée israélienne et du pouvoir de Netanyahou, qui s'est vu imposer un échange de prisonniers dans le cadre du cessez-le-feu du 15 janvier 2025, à hauteur de 1 prisonnier israélien pour 30 palestinien·nes.
Mais le cessez-le-feu, s'il représente une pause dans l'horreur, n'a en rien freiné les volontés génocidaires des États-Unis et d'Israël : Trump a indiqué vouloir prendre possession de Gaza, la vider de sa population, en l'expulsant vers l'Égypte ou la Jordanie, tandis qu'Israël a intensifié ses attaques vers la Cisjordanie. Le ministre de la Défense israélien, Israël Katz, a déclaré :
« Nous avons déclaré la guerre au terrorisme palestinien en Cisjordanie ». « Une fois l'opération terminée, les forces de l'IDF [armée israélienne] resteront dans le camp de Jenine pour s'assurer que la terreur ne reviendra pas ».
Une guerre totale
Israël met donc en ?uvre une terreur de masse dans le cadre d'une guerre asymétrique, dans le but de réduire au silence toute dissidence politique, militante ou militaire. Cette guerre n'est pas la simple poursuite de la guerre d'apartheid et de colonisation qui dure depuis 75 ans et du nettoyage ethnique contre ceux qui habitaient la Palestine avant la création imposée de l'État d'Israël, il y a un saut qualitatif dans la volonté d'éradiquer le peuple palestinien, par la déshumanisation des Palestinien·nes et dans une logique suprémaciste, dans une trahison totale de la mémoire de la Shoah.
Le carnage actuel est aussi lié à la nature néo-fasciste du gouvernement Netanyahou. Très affaibli par des mois de protestations populaires contre son arrogance à l'égard du pouvoir judiciaire et les preuves évidentes de sa corruption, Netanyahou, qui a exploité l'extrême faiblesse de la gauche antisioniste, a saisi l'occasion de l'attaque sanglante du 7 octobre 2023 pour tenter de reprendre l'initiative et le contrôle de la situation interne. Elle poursuit la Nakba, hier en massacrant et en expulsant à Gaza, aujourd'hui en attaquant en Cisjordanie. L'objectif d'établir un Grand Israël – qui pourrait inclure le sud du Liban jusqu'au fleuve Litani –, les objectifs internes de la politique israélienne et la fuite en avant dans la guerre s'inscrivent dans la rhétorique du « choc des civilisations » mise en avant par les puissances occidentales, un discours qui correspond parfaitement à leurs besoins dans le contexte de la crise globale du système de domination impérialiste.
Netanyahou est aujourd'hui l'avant-garde de l'extrême droite mondiale, qui a mis au second plan son antisémitisme traditionnel au profit d'une offensive raciste et islamophobe globale. Nous assistons à l'émergence d'un nouvel ordre mondial dont la mission historique est de permettre des massacres de masse au profit de la domination des grandes puissances impérialistes sur le monde. L'arrivée de Trump au pouvoir permet une accélération gigantesque de ces orientations.
La répression des Palestinien·nes n'est pas due aux caprices d'un seul homme, mais à la logique des classes dirigeantes de l'État israélien, aux dépens du peuple palestinien.
Les intérêts impérialistes et les gouvernements arabes
Néanmoins, Israël n'agit pas seul. C'est la première fois depuis l'offensive contre l'Irak en 2003 que les États-Unis interviennent aussi directement. Leur soutien en armes et en dollars par millions à Israël est décisif dans la réalisation d'un massacre historique de civils. Il se développe avec le silence complice ou les protestations hypocrites des grandes puissances occidentales, les protestations tardives de la Chine ou le funambulisme de la Russie de Poutine. Les puissances impérialistes ignorent les différentes résolutions de l'ONU ou de la Cour pénale internationale, qui n'ont aucune influence sur les événements.
Quant à la plupart des gouvernements du monde arabe, leur logique de « normalisation » des relations avec Israël et d'invisibilisation de la cause palestinienne, qui prévalait avant le 7 octobre, rend pathétiques et tragiques leurs déclarations critiques sur le bombardement de Gaza, concédées sous la pression populaire. Pour des millions de personnes dans les pays arabophones et musulmans de la région, les régimes arabes sont clairement perçus comme collaborant avec Israël et les impérialistes. Cette politique les conduit, comme c'est le cas en Algérie, au Maroc, en Égypte et en Jordanie, à renforcer la répression contre leurs populations, car ils savent que toute mobilisation en solidarité avec la Palestine se transformerait inévitablement en protestation contre leurs gouvernements. Le fait qu'ils aient dénoncé le plan de Trump visant à faire de Gaza la « Côte d'azur » du Moyen-Orient s'explique par leur souci de défendre leurs propres intérêts et non par leur soutien au peuple palestinien.
La complicité de l'Autorité palestinienne avec l'État israélien est devenue de plus en plus évidente pour une grande partie de la population palestinienne.
Les bataillons pro-Assad en Syrie, le Hezbollah au Liban et les Houthis au Yémen, en rébellion contre un gouvernement contrôlé par l'Arabie Saoudite – toutes forces qui entretiennent des relations avec le régime théocratique et profondément répressif de l'Iran – prétendent agir dans l'intérêt du peuple palestinien, tout en essayant en réalité de faire progresser leurs propres intérêts. L'effondrement du régime honni de Bachar el-Assad en Syrie sont un soulagement pour des millions de Syrien·nes, mais les forces progressistes, en particulier les Kurdes et spécialement le Rojava, sont maintenant prises en étau entre l'impérialisme de la Turquie d'Erdogan et Israël.
Il s'agit donc d'une offensive coloniale et impérialiste à cibles multiples, avec une répression violente et l'encouragement de nouvelles colonies en Cisjordanie, de la disparition ou de l'exode massif des Palestinien·nes, des incursions militaires dans le sud-ouest de la Syrie, des bombardements sur les Houthis du Yémen, qui tentent de bloquer les manœuvres de la marine américaine et des navires marchands à l'entrée de la mer Rouge.
Ce que fait Israël n'est pas de l'autodéfense mais l'un des massacres les plus honteux de l'histoire récente, dénoncé à juste titre comme génocidaire par l'Afrique du Sud devant le Tribunal de La Haye. La tragédie en cours provoque des bouleversements politiques et idéologiques dans le monde entier. Il est de plus en plus difficile pour leurs alliés de défendre aussi bien les États-Unis qu'Israël.
Une solidarité sans précédent depuis plusieurs décennies
Le carnage à Gaza a un impact particulier sur la jeunesse périphérique du monde entier. Le mouvement de solidarité s'est heurté à une répression généralisée : les manifestations ont été interdites, les participants ont été réprimés et même emprisonnés. Des centaines de milliers de personnes ont manifesté, bloqué des usines d'armement et fait pression pour que les accords entre leurs pays et Israël soient rompus. Le mouvement a exercé une influence dans les milieux artistiques et le mouvement de boycott s'est répandu. Des millions de jeunes qui n'avaient pas connu les deux Intifada ont redécouvert cette lutte et se la sont appropriée. Les jeunes racisé·es des quartiers populaires, victimes de la montée de l'islamophobie, se sont identifié·es à la cause palestinienne.
Alors que les actions de soutien à cette cause sont rapidement accusées d'antisémitisme par ceux qui défendent les actions d'Israël, les jeunes humanistes juifs occidentaux ont montré une évolution de la conscience en développant une orientation non sioniste ou antisioniste, à contre-courant des réactions pro-israéliennes au 7 Octobre et organisent une mobilisation historique qui interpelle les pouvoirs en place aux États-Unis. Le mouvement a joué un rôle majeur dans le remplacement de « Joe le génocidaire » Biden par Kamala Harris.
La mobilisation est passée par plusieurs phases. Tout d'abord, dans les mois qui ont suivi le 7 octobre, il a été très difficile de faire face à la pression politique soutenant le pseudo « droit d'Israël à se défendre ». Ensuite, il y a eu de grandes mobilisations, avec un magnifique rebond lorsque les universités se sont mobilisées. Aujourd'hui, nous sommes confronté·es à une nouvelle situation avec l'extension de la guerre au Liban, qui fait suite à des attaques ciblées en Iran. La menace d'une guerre régionale est plus que jamais présente, et la fuite en avant dans la guerre que nous redoutions et annoncions semble en marche.
Il existe aussi en Israël une opposition au génocide et à la colonisation, avec un appel signé par 3600 personnalités demandant des sanctions contre Israël, des soldats refusant le service militaire, des députés du parti communiste israélien (juifs et arabes) suspendus du parlement pour avoir soutenu l'appel de l'Afrique du Sud contre le génocide à Gaza, des journalistes du quotidien Haaretz qui dénoncent les crimes israéliens à Gaza et la colonisation en Cisjordanie, des ONG comme B'Tselem qui défendent les prisonniers politiques palestiniens, etc. Certes, il s'agit d'une faible minorité, mais il faut faire connaître leur combat, étouffé par tant de propagande.
Nos actions pour la Palestine
Il est plus que jamais de notre responsabilité de construire un mouvement mondial de solidarité avec la Palestine. Ce mouvement doit être large et uni, revendiquer :
– l'arrêt des massacres et le retrait des troupes,
– la reconstruction de Gaza, par et pour les gazaouis, aux frais des puissances impérialistes, celles qui interviennent directement comme celles qui sont complices
– l'accès à l'aide humanitaire pour la population,
– la libération des prisonniers,
– l'arrêt total des déplacements et la garantie du droit.au retour des Palestinien-nes
– BDS (Boycott, désinvestissement, sanctions)
Toutes ces exigences humanitaires sont fondamentales. Pour cela, il faut multiplier les manifestations, les occupations et les boycotts, exiger la réquisition des entreprises qui collaborent au génocide, bloquer les ventes d'armes, interpeler les gouvernements pour qu'ils cessent tout lien, notamment commerciaux, et tout soutien à l'État génocidaire. Nous devons obtenir le soutien des syndicats et de la rue. Nous soutenons la formation de blocs juifs visibles en solidarité avec la Palestine. Nous visons à créer un maximum d'espace pour le débat démocratique au sein du mouvement.
Mais nous savons au fond que ce mouvement est aussi un mouvement anti-impérialiste, décolonial, anti-guerre, qu'il entre en résonnance avec la menace d'un monde chaotique où les relations entre les grandes puissances se règlent par les armes. Dans le cadre de ce mouvement, nous voulons affirmer la nécessité pour les peuples du monde, les classes populaires et les personnes racisées, de se soulever pour arracher le pouvoir aux criminels. Nous soutenons la résistance des peuples, armés ou non. Seule une mobilisation massive, notamment au Moyen-Orient, peut modifier le rapport de forces actuellement totalement déséquilibré et forcer les États et organisations à se mobiliser contre ce génocide.
Nous ne partageons pas le projet politique du Hamas ou du Hezbollah, ni leurs visions répressives et réactionnaires de la société. Cependant, étant donné le recul de la gauche dans la région et l'absence d'autres forces de résistance au colonialisme, ces organisations bénéficient d'un large soutien électoral et populaire, et sont de fait des outils de résistances reconnues, que ce soit dans la région ou par certains dans les mouvements de solidarité. Nous dénonçons la rhétorique des classes dirigeantes occidentales qui qualifient le peuple palestinien et ses organisations de « terroristes ». Pour Israël et ses alliés, le fait même de résister est une action terroriste. Pour nous, la violence des victimes découle de la violence des oppresseurs. Si nous ne soutenons pas politiquement le Hamas, nous soutenons son droit démocratique à exister, et nous exigeons le retrait du FPLP, du Hamas et du Hezbollah des listes d'organisations terroristes dressées notamment par les États-Unis et l'Union européenne.
En Palestine plus qu'ailleurs, la lutte victorieuse des exploité·es et des opprimé·es peut être la voie vers un monde plus juste. Nous réaffirmons la nécessité de démanteler l'État sioniste, en tant qu'« État pour les Juifs », et que seule une Palestine libre, démocratique, laïque et égalitaire, où tou·tes les Palestinien·nes dispersé-es pourraient retourner, et où chacun pourrait vivre, quelle que soit sa religion, dès lors qu'il accepte ce cadre décolonial, peut apporter une solution juste et pacifique aux populations de la région. Le rapport de forces nécessaire à la mise en place d'une telle solution, loin des mirages d'une Palestine limitée à des bantoustans, implique une mobilisation mondiale, et notamment régionale, pour stopper les impérialistes, les États-Unis en particulier.
Israël et les États-Unis sont isolés sur la scène internationale. La Palestine est soutenue par la majorité des classes populaires, à nous de transformer ce soutien en actions de masse !
Le 27 février 2025
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Colombie : décès d’un défenseur des droits humains et des territoires : James Gallegos

Embarquez avec nous !
Retour à la table des matières Droits et libertés, automne 2024 / hiver 2025
Embarquez avec nous !
COMITÉ MOBILITÉ DE LA TABLE DES GROUPES DE FEMMES DE MONTRÉAL
Au Québec, les femmes en situation de handicap dépendent plus des transports collectifs que les autres femmes ou encore, les hommes en situation de handicap1. Pourtant, leurs expériences sont souvent ignorées lors des réflexions sur ces services. Face à ce constat, les membres de la Table des groupes de femmes de Montréal (TGFM) ont lancé une recherche-action en 2023 pour inclure ces femmes dans les décisions sur la mobilité durable. Ce projet a engagé 10 expertes du vécu, qui ont tenu des journaux de bord, participé à des balades exploratoires et contribué à l’analyse. Plus de 150 femmes y ont aussi participé via un sondage et des groupes de discussion. La mobilité est un droit essentiel à la participation sociale des mères, travailleuses, étudiantes, proches aidantes et militantes en situation de handicap. L’article 15 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec garantit l’accès aux transports et aux lieux publics sans discrimination. Les témoignages recueillis dans le cadre de notre recherche-action soulignent que ces droits sont encore souvent bafoués, compromettant la capacité de ces femmes à se déplacer de façon autonome et sécuritaire à bord des transports collectifs. Cet article dévoile quelques enjeux clés qui sont présentés plus en détail dans notre rapport de recherche2. [caption id="attachment_20889" align="alignnone" width="458"]
Les transports collectifs
D’abord, le service de transport adapté complique considérablement la conciliation entre travail, famille et vie sociale des personnes qui en dépendent.
À Montréal, les transports collectifs comprennent d’abord le transport en commun régulier (autobus, métros, trains) qui fonctionne selon des horaires fixes et est, en principe, accessible à tout le monde. Il y a ensuite le transport adapté qui pallie les obstacles du réseau régulier en offrant, sur réservation, des véhicules, itinéraires et accompagnements adaptés aux besoins individuels des personnes ayant une incapacité qui affecte grandement leur mobilité. L’offre est complétée par les navettes qui offrent des trajets pour faciliter des déplacements ciblés (par exemple, aéroport ou traverse du fleuve). Parmi les répondant-e-s de notre sondage, 67 % jugent que le transport adapté est accessible et sécuritaire, contre seulement 28 % pour les autobus, métros et trains et 16 % pour les navettes fluviales. Dans le même ordre d’idées, 2 répondant-e-s sur 3 considèrent le transport adapté sécuritaire, et le personnel et les client-e-s bienveillant-e-s, alors que moins de la moitié évalue positivement le personnel et les client-e-s du transport en commun. Malgré cette meilleure perception du transport adapté, ce service ne parvient pas à offrir des déplacements équitables et sécuritaires.Mirages du transport adapté
D’abord, le service de transport adapté complique considérablement la conciliation entre travail, famille et vie sociale des personnes qui en dépendent. Pour ne nommer que quelques irritants logistiques, les réservations ne peuvent pas se faire à la dernière minute. L’accompagnement, crucial pour le sentiment de sécurité, est contraignant tout comme le nombre de sacs permis, ce qui complique la possibilité de faire son épicerie. En raison des retards et des jumelages, un trajet peut prendre plus de deux heures pour parcourir quelques kilomètres. L’insécurité est un problème. Les espaces d’attente sont souvent hostiles : peu de bancs, d’éclairage et d’accès à des toilettes. En hiver, la neige et le froid aggravent ces conditions. En été, les travaux et les piétonnisations compliquent l’embarquement et le débarquement. Les témoignages révèlent des comportements dangereux du personnel ou des gestes non consentis, notamment lors de l’attache de la ceinture de sécurité, ainsi que des remarques intrusives et sexistes. Des cas d’agressions physiques, sexuelles et psychologiques ont été vécus à bord des véhicules. Surtout, les expertes du vécu expriment une faible confiance envers le système de plainte en raison de l’absence de suivi et de changements constatés. Le transport adapté est précaire. Dans les dernières années, en plus des réductions de service dues aux conditions météorologiques, d’autres ont été établies en raison de la pandémie et en raison de problèmes de main-d’œuvre et de financement en août 2022. Les réductions incluent la limitation des trajets hors de l’île de Montréal, la permission exclusive des déplacements liés aux études, au travail et à la santé et la suspension des accompagnements. Ces restrictions portent atteinte au droit à la mobilité notamment de celles qui n’ont pas d’alternatives de transport.Inaccessible et non sécuritaire
[caption id="attachment_20890" align="alignright" width="237"]
Environ 1 répondant-e sur 3 considère qu’il est impossible de se déplacer de manière sécuritaire pour être parent, proche aidant-e, étudiant-e, occuper un emploi ou s’impliquer dans sa communauté.
Les expertes du vécu soulignent les retombées positives de ces aménagements et équipements qui les incitent à utiliser le réseau régulier lorsque possible. Toutefois, les ascenseurs, escaliers mécaniques et rampes d’accès sont souvent hors service, rendant certains trajets impraticables. Les mesures d’urgence ne sont pas universellement accessibles. En effet, les messages d’urgence sont communiqués uniquement à l’oral, il faut parfois évacuer à une station de métro sans ascenseur et les navettes sont rarement accessibles. Enfin, des obstacles saisonniers compliquent l’accès au réseau : des itinéraires détournés en raison de travaux ou de piétonnisation, ainsi que des risques de chute dus à une mauvaise gestion du déneigement ou des chantiers de construction. L’accessibilité ne dépend pas uniquement des infrastructures. De nombreux témoignages révèlent des manques de civisme, comme le fait de s’asseoir sur des sièges réservés ou de ne pas offrir d’aide ou de le faire de façon inadéquate (par ex., sans demander le consentement). Plusieurs ont également subi du harcèlement de rue (par ex., regards, commentaires, attouchements ou menaces envers elles, iels ou leur chien d’assistance). C’est pourquoi il est essentiel de mener des actions de sensibilisation et de formation pour changer les attitudes et comportements du personnel et de la clientèle dans les transports en commun.Des impacts profonds
[caption id="attachment_20891" align="alignright" width="228"]
Pour une mobilité durable, inclusive et sécuritaire
Pour la TGFM, cette recherche-action est un outil de défense collective des droits. Parmi les initiatives visant à faire connaître les résultats, la TGFM a conçu une exposition qui présente une série de photos évocatrices des expertes du vécu accompagnées de textes exprimant leurs revendications pour la mobilité à Montréal. Ces témoignages démontrent que les enjeux de mobilité touchent profondément le quotidien de personnes réelles. Il est urgent de repenser les pratiques, les comportements et la planification des services publics pour garantir une mobilité durable, inclusive et sécuritaire à Montréal et partout au Québec. L’exposition photo se déplacera, selon la demande, dans différents milieux et événements pour susciter ces réflexions.1 Office des personnes handicapées du Québec, Les femmes avec incapacité au Québec, un portrait statistique de leurs conditions de vie et de leur participation sociale, 2021. En ligne : https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/org/ophq/Statistiques/femmes-incapacite.pdf 2 En ligne : https://www.tgfm.org/fr/nos-publications/143 3 Article 67 de la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale. 4 S. Baillargeon, Le programme pour l’accessibilité du métro à l’arrêt, Le Devoir, 11 mai 2024. En ligne : https://www.ledevoir.com/societe/transports-urbanisme/812712/transport-commun-programme-accessibilite-metro-arret 5 A. Tessier et coll., The impact of transportation on the employment of people with disabilities: a scoping review, Transport Reviews, 2023. En ligne : https://doi.org/10.1080/01441647.2023.2229031
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Adam Smith, l’antidote ultime au capitalisme

Thierry C. Pauchant, Adam Smith, l'antidote ultime au capitalisme, Dunod, 2023, 191 pages.
En écrivant Adam Smith, l'antidote au capitalisme, Thierry C. Pauchant s'est lancé dans un exercice courageux. Il est admis depuis longtemps que Smith est l'un des fondateurs du capitalisme, et cela principalement avec son principe de la main invisible du marché, revendiqué par tous les économistes libéraux et ultralibéraux. Pour cette raison, ce philosophe est aussi considéré comme l'un des adversaires à combattre pour les progressistes.
Erreur, nous dit Thierry Pauchant, longtemps professeur à HEC Montréal, et très critique de notre système économique qui engendre d'abyssales injustices. Il faut relire Smith dans le texte, selon lui, le considérer sous un regard nouveau. Un examen minutieux de ses écrits nous permet de constater à quel point la pensée de Smith a été déformée par les penseurs de l'école néo-classique en économie. L'auteur parle même d'un « hold up intellectuel ». Les écrits de Smith ont aussi été négligés par les progressistes qui auraient intérêt à y plonger pour y découvrir de nouvelles inspirations dans la défense de leurs idées.
Pauchant démontre d'abord à quel point le concept de « main invisible du marché » occupe une place restreinte dans l'ensemble de l'œuvre du philosophe. Ces mots, « répétés trois fois, ne représentent que 0,000 004 % de ses écrits » et sont en plus utilisés dans des contextes différents. Ce sont des successeurs, notamment Friedrich Hayek, qui ont vu l'utilité de cette théorie pour les intérêts qu'ils défendent, qui l'ont mise de l'avant, alors que Pauchant en montre toute la fausseté.
L'essentiel de la démarche de l'auteur est surtout d'expliquer une réflexion sur l'économie et la société beaucoup plus complexe qu'on ne le dit trop souvent. Il situe l'une des origines de la pensée de Smith chez les stoïciens, plus précisément chez Cicéron, dont il rappelle la notion d'oikos, soit la gestion responsable de l'économie domestique, qui doit aussi se reconduire jusqu'à une gestion tout aussi responsable de l'État. La pensée de Smith est aussi profondément implantée dans le siècle des Lumières, une époque déchirée entre l'espoir et le désespoir, mais aussi enthousiasmée par une recherche scientifique multidisciplinaire que Smith a très bien intégrée.
Le visage de Smith révélé par la lecture attentive de Thierry Pauchant est celui d'un homme empathique, préoccupé par la sollicitude. Cohérent envers lui-même, il défend les services publics et la redistribution par une fiscalité progressive, et prône ainsi un clair interventionnisme de l'État, contrairement à ce qu'on lui a fait dire. Il se préoccupe du sort des travailleurs et travailleuses. Il se demande « comment une société serait-elle heureuse et florissante si la plupart des membres étaient pauvres et misérables ? » Il dénonce les compagnies par action dirigées sans la diligence qu'on porte naturellement à l'argent qui nous appartient.
Sachant qu'il doit vaincre un scepticisme relié à la réputation posthume du penseur, Pauchant s'appuie dans tout le livre sur des citations longues et nombreuses. Ce soutien systématique de Smith par lui-même rend ce livre très convaincant et le met à l'abri d'une réfutation qui ne serait pas au moins aussi solidement appuyée.
La pensée de Smith mène directement au capabilisme, une approche défendue avec passion par l'auteur. Inspirés par Smith, l'économiste indien Amartya Sen et la philosophe étasunienne Martha Nussbaum ont défendu cette approche qui cherche à rendre les personnes capables de réaliser « ce à quoi elles attribuent de la valeur ». Le capabilisme vise donc une grande émancipation de tous les individus, dans un contexte où les avancées des un·es ne se font pas aux dépens des autres. Ainsi, toustes profitent d'une meilleure éducation, d'un environnement sain, d'un système de santé accessible et efficace, d'une production culturelle stimulante, entre autres.
Pauchant donne comme exemple d'approche capabiliste les objectifs de développement durable de l'ONU — dont il admet cependant qu'ils ne sont pas parfaits. Il est important de spécifier qu'on ne parle pas ici de l'usage strictement environnementaliste qu'on a fait de ce mot, et vivement dénoncé par l'auteur. Il ne s'agit donc pas de justifier de façon perverse la croissance économique en faisant croire qu'elle puisse se faire sans dommages environnementaux, mais bien d'améliorer de façon significative la vie d'un très grand nombre de personnes en leur donnant ce qui est nécessaire pour vivre dignement.
Selon Pauchant, cette approche nécessite d'importants changements de société et est incompatible avec le capitalisme. Saisissons ainsi toute l'ironie de la chose, ce qui nous renvoie au titre de l'ouvrage : Adam Smith, selon plusieurs le grand théoricien du capitalisme, a surtout inscrit dans sa pensée ce qu'il faut pour miner le système auquel on l'associe faussement.
Il faut donc lire cet excellent essai de Thierry Pauchant, qui vient ébranler de grandes convictions, et qui a en plus le mérite de présenter ses idées avec clarté et un grand souci d'être bien compris.

Motifs raisonnables. Dix ans d’affiches politiques

Clément de Gaulejac, Motifs raisonnables. Dix ans d'affiches politiques, Écosociété, 2023, 235 pages.
Durant la grève étudiante de 2012, il est certain que vous avez croisé une affiche créée par Clément de Gaujelac, dont les satires inspirées de l'actualité ont abondamment circulé sur les différents réseaux sociaux. Certaines ont été imprimées et affichées aux murs de Montréal ou apposées sur des pancartes pendant les manifestations. Depuis, de Gaujelac a poursuivi son œuvre de mises en scène de l'actualité et des personnes politiques qui la créent. Une image valant mille mots, l'artiste réussit à rendre compte du ridicule des gens qui nous gouvernent en illustrations simples, mais poignantes de véracité.
Ce livre regroupe l'ensemble des prises de parole artistiques de Clément de Gaujelac sur l'actualité de 2012 à 2022, pas moins de 300 affiches. Grève étudiante, mais aussi gouvernement Couillard et ses coupes austères, gouvernement Harper et ses idées de grandeur nationaliste, Parti québécois et ses dérives identitaires, élection du bouffon en chef Donald Trump, crise climatique, François Legault et son gouvernement déconnecté, gestion de la pandémie de COVID, etc. L'artiste n'a pas chômé compte tenu des enjeux politiques qui se multiplient et se complexifient. Vu comme un travail d'archivage, l'ouvrage nous permet de replonger avec ironie au cœur des événements politiques marquants ayant eu lieu au Québec et au Canada depuis les dix dernières années. Chaque affiche est accolée à une description de l'événement qui y est représenté puisque celle-ci ne prend un sens que mise en relation avec l'actualité qu'elle décortique. De plus, avec humilité et transparence, l'ouvrage offre un éclairage sur la démarche de l'artiste qui souhaite avant tout se réapproprier les discours médiatiques pour remettre en scène les événements discutés à partir de sa propre subjectivité.
Ainsi, bien au-delà d'un simple retour nostalgique sur la grève étudiante de 2012, cet ouvrage retrace les décisions politiques qui ont influencé nos vies et qui continuent, dans bien des cas, à affecter notre quotidien. L'humour dans la façon dont l'artiste explique les événements et l'introspection qu'il nous livre concernant sa propre démarche nous permettent de revisiter ces événements sous un nouvel angle et apportent un peu de légèreté à une actualité qui, bien souvent, est déprimante d'inégalités et de discrimination.

Panique à l’université. Rectitude politique, wokes et autres menaces imaginaires

Francis Dupuis-Déri, Panique à l'université. Rectitude politique, wokes et autres menaces imaginaires, Lux Éditeur, 2022, 328 pages.
Vous n'en pouvez plus qu'on vous demande si votre récent cours a été annulé par une bande de vilains activistes progressistes ? Entendre Bock-Côté se plaindre encore du prétendu totalitarisme woke vous donne la nausée ?
Le récent opus de Francis Dupuis-Déri est une contribution autant jouissive à lire qu'essentielle au débat public sur la question de l'état actuel des universités. Jouissive, car l'argumentation, doublée d'un riche travail de recherche et d'une écriture incisive, frappe juste ; essentielle, car Dupuis-Déri remet les pendules à l'heure d'une manière convaincante : il n'y a pas de crise du « wokisme » au sein des universités. Non, les professeur·es ne sont pas menacé·es par de dangereux ayatollahs du progressisme, la recherche financée ne se concentre pas que dans les études culturelles, et le savoir qu'on y enseigne ne verse pas dans le dogmatisme.
Au contraire, et par le biais d'une argumentation basée sur la surenchère d'exemples, Dupuis-Déri montre que l'objectif des polémistes réactionnaires est « d'agiter l'opinion publique par une amplification du sentiment de menace qui entretient la panique morale (p. 140) ». Et agitation, il y a. L'essai de Dupuis-Déri se divise en chapitres ayant chacun pour thème une facette de la façon dont le discours réactionnaire manipule le débat public pour imposer le thème d'une guerre culturelle où l'université serait le terrain de bataille : utiliser un vocabulaire piégé et limitant la portée du débat, faire apparaître comme neuf le poncif petit-bourgeois et conservateur répété depuis plusieurs décennies de la décadence de la culture, amplifier à l'extrême la réalité pour mieux cacher la violence montante de l'extrême droite, carrément créer de faux enjeux, ou déformer la réalité en manipulant les faits. Voilà autant de stratégies discursives employées par les thuriféraires à la mode de la réaction.
Dupuis-Déri montre bien en outre comment nos nouvelles vigies dénoncent chez les « wokes » exactement leurs valeurs. Ainsi, « bien plus que les wokes, ce sont leurs détracteurs qui rêvent d'une […] société sans division fondamentale et en appellent à une “unité sociale” qui se traduirait par une identification du “peuple” à l'État-nation (p. 147). » Pour ceux qui aiment apparaître comme des icônes dandy d'une contre-critique dénonçant les scories de la gauche, Dupuis-Déri montre comment la figure de « dissident » de ces mondains très fâchés est mensongère et qu'ils discourent plutôt comme des clowns.
La très grande force de l'essai de Dupuis-Déri réside toutefois dans sa démonstration que la polémique réactionnaire et le poncif de la guerre culturelle paient. Un chapitre entier est consacré à l'industrie de l'opinion et expose les liens culturels, médiatiques et politiques entre les États-Unis, le Québec et la France. « Les flux sur le marché transnational des idées reproduisent peu ou prou la géopolitique postcoloniale, ce qui confirme l'importance des dynamiques de pouvoir et des rapports de force dans la production, la diffusion et la consommation des idées (p. 245) » : c'est tout un réseau aux branchements multiples qui se déploient et se renforcent dans l'objectif d'imposer une trame narrative conservatrice qui fait des revendications progressistes un bouc émissaire, engrangeant ainsi d'importantes richesses et rendant normales des idées nauséabondes et violentes.
L'essai de Dupuis-Déri est, au final, une lecture nécessaire pour renverser le discours culturel de la droite, et un doigt d'honneur bien senti contre cette dernière : c'est bien contre elle qu'il faudra défendre l'Université.

Anarchisme occulte

Erica Lagalisse, Anarchisme occulte, Les éditions du remue-ménage, 2022, 218 pages.
S'il a un format universitaire, particulièrement avec son entrelacs de recherches et de références citées en continu, dans le travail de Lagalisse, qu'on ne s'y trompe pas, se trouve également, ou peut-être plus encore, le fait d'une militante anarchiste. Mieux, d'une militante sagace qui se fiche des idées reçues, même reconnues anarchistes, pour ne jamais hésiter à nous entraîner dans les coulisses ou l'arrière-scène afin de décrypter d'autres types de pouvoir — entre autres le fait que les hommes y ont autrement plus d'écoute… Pour ma part, la première partie du livre, qui remonte le cours des racines souvent entrecroisées de l'anarchisme et des mouvements révolutionnaires anciens avec « l'illumination » ou, attention ça va faire mal, la « religion purifiée », m'a complètement scié. Depuis une dizaine d'années, l'autrice place au cœur de ses recherches les questions très peu glamour des « théories du complot » qui permettent de mieux comprendre les questions d'appropriation culturelle et des mécanismes mettant hors jeu ce qui, par exemple, pourrait être lié à l'enchantement ou à des savoirs traditionnels. La mise au ban des « sorcières » et de leur connaissance des plantes et d'une certaine médecine tient notamment de ce type de démystification des pouvoirs de domination imposée par les médecins. Passionnants, les travaux de Lagalisse mènent vers la réhabilitation du commérage comme prise de parole essentielle ; par-delà nos institutions révolutionnaires qui l'écartent lors de la formalisation idéologique. Remue-ménage ne dit-on pas !!!

Tout inclus

François Grisé, Tout inclus, Atelier 10, 2021. Tome 1, 122 pages ; Tome 2, 120 pages.
Il y a des pièces qui deviennent des livres avec plus d'aisance que d'autres : c'est le cas de Tout inclus, tomes 1 et 2, de François Grisé. Grâce aux sections « à propos de la pièce », « mot des dramaturges », « mot de l'auteur », postfaces et autres photos de la pièce mise en scène, on se sent habilement pris·e en charge par les éditeur·rices. La forme documentaire est d'ailleurs particulièrement propice à l'expérience de lecture : on est presque dans l'essai. À la suite d'une statistique ou de la conclusion d'un·e intervenant·e, on a tout le loisir de relire deux fois le passage du texte pour mieux le comprendre. Cependant, à ce sujet, quelque chose me titille. Le théâtre et la BD documentaires présentent-ils toujours leurs intervenant·es de la même façon ? Typiquement, le nom de l'expert·e y est énoncé, suivi de son âge et de sa profession : « (Au public) Jacques Nantel, soixante-trois ans, professeur émérite de marketing au HEC. » Loin d'être une formule fautive ou désagréable, je crains toutefois que cette pratique ne devienne rapidement éculée si elle continue d'être employée telle que telle.
Autrement, je ne saurais trop insister sur la pertinence d'aborder le devenir vieux et le devenir vieille dans une œuvre théâtrale. D'emblée, le choix du titre empreint de douce ironie − le tout inclus des résidences pour aîné·es versus celui des vacances idéalisées par beaucoup − met la table à un ton relativement irrévérencieux. L'auteur ne va pas jusqu'à traiter les élu·es en poste de criminel·les envers les personnes âgées, mais il ne mâche pas ses mots, ce qui est rassurant sur la charge critique de l'œuvre. Dans le premier tome, Grisé s'amuse davantage avec la langue que dans le deuxième : la correspondance, voire l'oxymore, entre Val-d'Or et l'âge d'or coule de source et il est particulièrement plaisant d'avoir les propos rapportés des résident·es de la RPA qui s'expriment comme le faisait mon grand-père : « C'est ben d'valeur », « Avoir de l'ouvrage », « Un foyer pour personnes âgées ». Finalement, je demeure positivement impressionnée par la mise en abime permise par le théâtre documentaire. Comme il est intéressant d'avoir accès au processus en train de se faire de l'artiste : ses écueils, ses joies, ses questions sans réponses !
Bref, on voit sans effort la plus-value que ce texte incarne en tant que livre, tout en ne manquant pas de se taper sur les doigts de ne pas s'être présenté·e au théâtre en personne quand c'était le temps ! À quand de nouvelles représentations ?
gauche.media
Gauche.media est un fil en continu des publications paraissant sur les sites des médias membres du Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG). Le Regroupement rassemble des publications écrites, imprimées ou numériques, qui partagent une même sensibilité politique progressiste. Il vise à encourager les contacts entre les médias de gauche en offrant un lieu de discussion, de partage et de mise en commun de nos pratiques.