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Réparer le tissu social
Le Centre de services de justice réparatrice (CSJR) a été fondé le 11 septembre 2001. Quelles sont ses particularités et comment se déploie-t-il ? Propos recueillis par Isabelle Bouchard.
À bâbord ! : Qu'est-ce qui a donné naissance au CSJR ?
Estelle Drouvin : Dans les années 1990, l'aumônier de prison David Shantz se questionnait : « Comment faire pour réparer sachant que je ne dispose que d'une moitié de l'histoire, celle de la personne incarcérée ? ». S'inspirant des bons résultats d'une démarche réparatrice en Ontario, l'aumônier a eu l'idée de la transférer auprès de personnes détenues en sécurité médium. À l'époque, mettre en contact des personnes détenues avec leurs victimes directes était trop avant-gardiste. C'est pourquoi Shantz a eu l'idée de faire rencontrer, sur une base volontaire, des personnes détenues et des personnes qui ont été victimes de crimes semblables, avec des citoyen·nes qui s'engagent à leurs côtés dans le processus. Même si aujourd'hui, il y a des démarches de justice réparatrice qui placent en relation le duo « victime et agresseur réel·les », nous, nous avons choisi de poursuivre en rencontres indirectes, car des rencontres directes ne sont pas toujours possibles. C'est la mission du Centre.
Thérèse de Villette, qui a participé à des rencontres entre détenu·es et victimes avec David Shantz, a souhaité que cette démarche soit mieux connue à l'extérieur des pénitenciers. Aujourd'hui, le CSJR organise des rencontres de justice réparatrice à la fois dans les pénitenciers, et en dehors des murs (avec des ex-détenu·es).
ÀB ! : Une des raisons d'être du Centre est de « réparer la toile humaine dans sa dimension collective ». Qu'est-ce que cela signifie ?
E. D. : Les crimes ont un caractère social. Ils entraînent des conséquences sur l'entourage proche, évidemment, mais aussi sur l'ensemble du tissu social. Ainsi, pour le CSJR, la justice réparatrice, c'est l'idée de regarder les conséquences d'un crime dans toutes ses dimensions. Et ne l'oublions pas, il y a aussi des causes collectives à certaines violences (discriminations multiples, racisme, colonialisme, cléricalisme, patriarcat…). C'est pourquoi nous avons réalisé des projets pilotes qui abordent cette dimension collective (des agressions sexuelles par exemple, ou des relations entre personnes issues des communautés autochtones et allochtones). Pour nous, le vivre-ensemble passe par un tissu social sain. Lorsque de la violence ou des abus sont commis, c'est comme si on créait des trous dans la toile de confiance humaine. L'adoption de comportements de méfiance et de peur agrandit ces trous. C'est pourquoi, derrière notre vison de la justice réparatrice, il y a l'idée de réparer la toile dans sa dimension collective. Après tout, lorsqu'une personne ayant commis ou ayant subi une agression se remet debout de manière ajustée, c'est la communauté en entier qui en bénéficie !
ÀB ! : Quels sont les services offerts par votre Centre ?
E. D. : Nous offrons trois principaux services. ll y a les rencontres de justice réparatrice, lesquelles se divisent en deux types. Il y a le « face à face », qui ouvre le dialogue entre une personne détenue (ou ex-détenue) et une personne victime (ayant porté plainte ou non) d'un crime ou d'une violence apparentée. À ces personnes s'ajoutent deux personnes animatrices et un·e citoyen·ne. Puis, il y des rencontres de justice réparatrice, qui se déroulent en groupe en présence de douze personnes : quatre victimes, quatre personnes ayant été reconnues coupables ou ayant causé des torts, deux citoyen·nes et deux personnes animatrices.
Depuis 2016, nous organisons aussi des ateliers de guérison des mémoires grâce à notre partenariat avec l'Institut Healing of Memories en Afrique du Sud. Ces ateliers ont été créés dans ce pays à la suite de la Commission vérité et réconciliation. Ils permettaient la rencontre entre des personnes blanches et noires qui acceptaient de parler de leur histoire et d'écouter l'histoire de l'autre. Au Québec, il y a aussi des blessures historiques, entre francophones et anglophones ou entre Autochtones et Allochtones. C'est pourquoi il nous est apparu important de se former à cette démarche. Ces ateliers de 24 personnes, offerts deux fois par an durant une fin de semaine, ouvrent la possibilité d'explorer et de reconnaître les blessures émotionnelles que portent les personnes participantes sur les plans individuel et collectif.
Le troisième volet de nos services vise la sensibilisation auprès du grand public. À ce chapitre, le Centre est l'initiateur de toute une série d'activités, il est aussi présent dans des cours de cégep et d'université. Des personnes qui ont participé à nos démarches acceptent souvent de témoigner de leur expérience.
ÀB ! : Quelles sont les attentes des participant·es ?
E. D. : Le but des rencontres est tout simple : ouvrir un espace sécuritaire de dialogue. On souhaite que les gens se sentent assez en confiance pour s'ouvrir sur ce qui peut être profondément blessé ou honteux en eux. Les motivations sont variées. Certaines personnes espèrent être apaisées, dans le sens de diminuer leur peur, leur anxiété ou leur colère. Pour d'autres, iels souhaitent tourner une page de leur histoire. D'autres viennent avec des objectifs de justice sociale et veulent notamment contribuer à la non-récidive en cherchant à faire comprendre aux détenu·es les conséquences de leurs actes. Parfois, les personnes responsables de torts souhaitent montrer qu'iels ont changé ou qu'iels peuvent participer à la réparation des traumas.
ÀB ! : Quels liens établir entre art et justice réparatrice ?
E. D. : L'association avec l'art a été naturelle. À l'origine, il y avait beaucoup de personnes qui venaient pour des cas d'inceste. Dans ces situations, le dessin pour libérer la parole est tout indiqué. Même si les personnes qui participent sont adultes, elles ont été blessées alors qu'elles étaient enfants, et leur enfant intérieur n'a pas toujours les mots pour faire le récit de ce qu'il a vécu. Le dessin permet aussi à l'inconscient de s'exprimer. Le CSJR utilise des activités de créativité autant dans les rencontres de justice réparatrice que lors des ateliers de guérison des mémoires. On a aussi remarqué qu'une quantité de personnes qui sortent de nos activités se mettent à créer (dessins, photo, dance, etc.) comme si en reléguant le passé au passé, elles avaient désormais de la place pour du nouveau. C'est le signe d'une transformation intérieure, ça donne beaucoup d'espérance.
Estelle Drouvin est directrice des services du CSJR.
Illustration : Ramon Vitesse
Justice réparatrice et privilège de la blanchité
Après 17 ans passés en prison, Jon Romano, un homme blanc auteur de tir dans une école en 2004 ayant blessé un professeur, bénéficie aujourd'hui d'une certaine notoriété sur TikTok, où il partage sa quête de rédemption. Ce dernier utilise activement ses plateformes pour dénoncer la violence armée et plaider en faveur d'un contrôle accru. Dans l'une de ses vidéos les plus populaires, il discute de l'importance de la santé mentale et suggère que si les enseignant·es étaient plus attentif·ves aux besoins de leurs élèves, certaines tragédies pourraient être évitées. Il exprime aussi régulièrement ses profonds regrets d'avoir commis un acte de violence et souhaite désormais apporter son aide à la communauté. Bien que je trouve qu'il établit un lien un peu hâtif entre la santé mentale et la violence, ce qui m'a vraiment marquée, c'est qu'il soit présenté comme un exemple de justice restaurative.
L'approche coloniale de la justice punitive
Lorsqu'on évoque la justice réparatrice comme une alternative, c'est parce que d'autres voies sont possibles, mais surtout nécessaires. Le système actuel est défaillant et s'empire avec les générations. La justice punitive se focalise sur l'infraction elle-même. Elle opère sur la notion que les coupables ont perturbé l'harmonie sociale et méritent une sanction. Les besoins de la victime ou de sa communauté sont relégués au second plan. Ce dont iels ont besoin n'a que peu de conséquences. L'important est de punir, l'important est de contrôler, l'important est de rétablir l'ordre – et vient la question : de quel ordre parle-t-on ? Dans les faits, la justice punitive perpétue avant tout un système profondément inégalitaire.
Dans les contextes coloniaux comme le nôtre, la justice punitive, et tout particulièrement son bras armé, le système carcéral, ont été et sont toujours utilisés comme outils de contrôle des populations autochtones et des populations racisées, notamment les populations noires. Par exemple, selon Statistique Canada, les communautés autochtones représentent seulement 3 % de la population adulte du pays, pourtant entre 2015 et 2016, iels comptaient pour 26 % des admissions en prison. Cette disproportion ne s'explique pas par des taux de criminalité plus élevés, mais est le résultat de politiques pénales discriminatoires, de pratiques policières ciblées et de préjugés systémiques, entre autres. Ainsi, une littérature abondante existe pour dénoncer le système de justice pénale, incluant le système carcéral et ses abondants manquements, comme la surpopulation chronique des prisons qui entraîne des conditions de vie inhumaines pour les personnes en détention.
Par ailleurs, le système ne punit pas uniquement les personnes ayant commis les fautes, mais également leur famille et, par extension, leur communauté (par la séparation forcée, les effets sur la santé mentale des détenu·es comme de leur famille, les coûts liés aux visites de proches emprisonné·es, etc.). Une victimisation supplémentaire se produit du fait des violences qui occurrent dans la prison, mais également en raison de la stigmatisation à vie et des mesures discriminantes pour les personnes ayant un casier judiciaire. Tout cela et plus encore est dénoncé par la justice réparatrice qui vise à restaurer l'harmonie entre la victime, l'auteur·e du crime et la communauté. Contrairement à la justice punitive, les besoins des personnes qui ont été affecté·es par les crimes sont au cœur de l'approche. Aussi, cela nécessite que la ou les personnes victimisées, la communauté et le, la ou les responsables travaillent conjointement à rétablir une harmonie. L'agentivité des personnes concernées est centrale à cette approche, contrairement à la justice punitive qui les en prive.
Repenser la justice au-delà de la cage
Dans ce contexte, je repose la question : la visibilité actuelle de Jon Romaro, son usage des plateformes et les gains qui en découlent s'inscrivent-ils dans une application pratique de justice réparatrice ? La réponse est complexe, mais la conclusion reste la même : non. En réalité, il s'agit plutôt d'un exemple concret du détournement de l'approche alternative qui est mis en évidence d'autant plus aisément dans le contexte de la justice transformatrice.
La justice transformatrice va au-delà de la justice réparatrice et prend en compte les causes profondes qui ont mené à la faute. Elle interroge les racines structurelles et se détache donc de l'individu pour tenir également le système responsable. C'est une vision plus large et une approche plus holistique. C'est aussi une réponse directe à notre société actuelle dont les structures de pouvoir ont historiquement été utilisées pour asseoir et maintenir la suprématie blanche. La justice transformatrice, tout comme la justice réparatrice, repose d'ailleurs sur des approches issues directement des communautés autochtones à travers le monde. Ainsi, notre système actuel mène certaines communautés à être criminalisées plus que d'autres. C'est aussi un système au sein duquel le privilège de la blanchité se manifeste, même parmi ses fautif·ves reconnu·es.
Maintien du statu quo
Au contraire, la justice transformatrice interroge le système : qui en bénéficie ? Comment en est-on arrivé là ? Comment changer les choses ? Comment, en tant que société, échouons-nous à protéger les individus ? Qui condamnons-nous par rapport à qui ? La justice transformatrice, dans le cas de Jon Romano, c'est prendre en compte que la majorité des cas de tirs et meurtres de masse dans les écoles sont perpétrés par de jeunes hommes blancs, quand les populations racisées sont les plus à risque de subir l'exclusion scolaire, la surveillance policière, les discriminations et l'association au crime. La justice transformatrice nous oblige à prendre en compte qui a le plus de chance d'être toujours en vie après une attaque armée dans une école et l'intervention de la police. Jon serait-il encore en vie s'il avait été un homme noir ? La justice transformatrice, c'est prendre en compte que dans le contexte d'une absence de législation efficace des armes à feu, il n'y a pas de justice possible. C'est aussi prendre en compte quelle parole, quel parcours, quel discours sera plus entendu, célébré et applaudi sur les réseaux sociaux par rapport à qui. C'est interroger pourquoi un homme blanc devient un exemple de justice réparatrice, et peut, de manière très concrète, notamment financière, en bénéficier par rapport à d'autres ? À maintes reprises, on a pu voir de quelle manière il est bien plus aisé pour des personnes blanches de bénéficier de leurs crimes. Netflix regorge de séries et de documentaires basés sur leur histoire. S'interroger sur la justice réparatrice et transformatrice en lien avec le cas de Jon Romano, c'est comprendre toutes les ramifications du système, ne pas se montrer conciliant·e.

Justice réparatrice par et pour les communautés noires
L'idée derrière Justice hoodistique est née en 2019 lors du forum social de l'organisme Hoodstock. L'objectif était d'apporter une solution aux problèmes du profilage racial, du racisme systémique, et de la surreprésentation des personnes noires dans le système de justice québécois. Aujourd'hui, quatre ans plus tard, Justice hoodistique entame sa deuxième année d'activité à titre de projet-pilote de justice réparatrice par et pour les personnes noires vivant au nord-est de l'île de Montréal.
L'idée derrière Justice hoodistique est née en 2019 lors du forum social de l'organisme Hoodstock. L'objectif était d'apporter une solution aux problèmes du profilage racial, du racisme systémique, et de la surreprésentation des personnes noires dans le système de justice québécois. Aujourd'hui, quatre ans plus tard, Justice hoodistique entame sa deuxième année d'activité à titre de projet-pilote de justice réparatrice par et pour les personnes noires vivant au nord-est de l'île de Montréal.
Ce projet-pilote s'intègre dans le programme de mesure de rechange général (PMRG) du ministère de la Justice du Québec, qui a pour principal but la réparation des torts causés aux victimes. Comme indiqué par le ministère, le programme permet « aux adultes accusés de certaines infractions criminelles, la possibilité d'assumer la responsabilité de leurs actes et de régler le conflit qui les oppose à la justice autrement qu'en étant assujettis aux procédures judiciaires usuelles prévues par le Code criminel ». Ce programme de déjudiciarisation, si complété, permet aux participant·es de voir leurs accusations rejetées.
Justice hoodistique met de l'avant une approche holistique, multidisciplinaire et intersectionnelle. Ici prime une vision dans laquelle l'être humain est considéré dans toute sa complexité, et non pas seulement à travers le prisme punitif de la criminalité et de la victimisation. Qu'elles soient envers la collectivité ou envers la victime, la réparation du tort et la reconstruction de soi sont au cœur du projet-pilote. Le projet s'adresse aux personnes noires âgées de 18 à 64 ans qui résident soit à Montréal-Nord ou dans les arrondissements de l'Est de l'Île de Montréal (Villeray—Saint-Michel—Parc-Extension, Ahuntsic, Saint-Léonard, Anjou et Rivière-des-Prairies—Pointes-aux-Trembles). Il s'adresse plus précisément aux personnes noires ayant commis une infraction admissible dans le cadre du PMRG et qui sont à risque d'avoir un casier judiciaire ou des condamnations additionnelles. Pour prendre part au programme, il est demandé que la personne reconnaisse les faits à l'origine de l'infraction et qu'elle ait la volonté de participer au projet de Justice hoodistique.
Les objectifs derrière ce projet sont multiples. Nous cherchons d'abord à nous interroger sur les causes sous-jacentes de la criminalité chez les personnes noires, de même que réduire la surreprésentation des personnes noires dans le système de justice pénale. Il nous incombe également d'offrir un espace de réflexion pour la personne accusée et la victime afin de les appuyer dans leurs processus de guérison. Justice hoodistique tend à encourager la réintégration des personnes accusées à une participation sociale positive pour elles et les communautés. À travers les cercles hoodistiques, le projet-pilote vient favoriser l'implication de la personne accusée, de la victime et de leur cercle social respectif aux décisions prises à leur égard. Les ateliers afrocentriques qui sont le noyau de ce projet permettent de reconnecter les communautés noires à leurs cultures d'origine et cet esprit est maintenu par Justice hoodistique en offrant des mesures ainsi que des services culturellement adaptés. Le projet-pilote tend à augmenter l'accessibilité à la justice pour les personnes noires et il donne accès à des ressources pour que la personne accusée, la personne victime et leurs familles puissent régler la situation.
Une première au Canada
S'inspirant du programme de mesure de rechange pour les adultes autochtones et du programme de justice réparatrice de la Nouvelle-Écosse, la Justice hoodistique serait cependant une première au Canada puisqu'elle aborde la réparation du tissu social selon les spécificités culturelles et traditionnelles des communautés noires.
L'intervenant·e sociojudiciaire ainsi que le·la professionnel·le faisant les suivis psychosociaux rencontrent la personne admissible afin de lui expliquer le processus et de se familiariser avec ses besoins et ses attentes. Par la suite, la personne participe à deux retraites de guérison lors desquelles elle suit des ateliers afrocentriques.
Suite à ce processus de réflexion, la personne admissible détermine quelle mesure elle devra prendre pour réparer les torts causés avec l'aide de son cercle social, le cercle hoodistique. La mesure peut prendre la forme d'une médiation avec la victime, de service et de dédommagement à la collectivité, d'une mesure de sensibilisation, mais également de suivis psychosociaux individuels et familiaux, ou encore du mentorat et de l'accompagnement scolaire.
Lorsque la victime veut s'impliquer, le processus est le même à l'exception des retraites. La victime détermine le type de réparation souhaitée avec l'aide de son cercle hoodistique et s'ensuit une rencontre avec la personne accusée. Depuis le lancement officiel de Justice hoodistique, l'ensemble des participant·es ont complété leur mesure et nous en sommes à la septième cohorte (celles-ci peuvent dénombrer jusqu'à cinq personnes).
Un projet à pérenniser
Nous remarquons qu'il n'y a pas beaucoup de personnes noires qui sont représentées dans le PMRG, bien qu'il y ait une surreprésentation connue de personnes noires dans le système judiciaire. Nous gagnerons à avoir des données claires sur le pourcentage de personnes noires qui sont dirigées vers des programmes de déjudiciarisation comparativement à celles qui sont judiciarisées. L'hypothèse principale de l'équipe de Justice hoodistique suppose la surreprésentation des personnes noires dans le système de justice pénale, mais une sous-représentation de ces dernières au sein des programmes de déjudiciarisation. Il nous est pourtant impossible de prouver cela, étant donné que les données nécessaires ne sont pas récoltées. C'est l'un des points mis de l'avant dans le rapport de recherche Justice hoodistique : à l'intersection de la justice réparatrice et transformative par et pour les communautés noires : « [I]l est difficile de prouver la sous-représentation des adolescent·es noir·es dans les programmes de sanctions extrajudiciaires. Pourtant, l'hypothèse est là. Cette impression que les jeunes noir·es sont plus souvent orienté·es vers les mesures judiciaires et ont moins accès aux mesures réparatrices serait à valider par des statistiques ethnoraciales que les organismes publics et parapublics ne colligent pas. » [1]
Un second enjeu important est la pérennisation du projet-pilote. Malgré les résultats favorables du projet-pilote, le financement de l'Agence de la santé publique du Canada se termine à la fin mars 2024. Nous devons donc trouver un nouveau financement pour permettre la survie de Justice hoodistique.
QUI EST HOODSTOCK ?
Hoodstock est un organisme à but non lucratif né en 2009 à Montréal-Nord après la mort de Fredy Alberto Villanueva, un jeune de 18 ans d'origine hondurienne abattu par un policier du Service de police de la ville de Montréal (SPVM). Cet événement tragique a mené un collectif de résident·es à présenter cinq revendications aux autorités locales, dont l'une d'elles consistait à mettre fin aux pratiques abusives de la police. La mission de Hoodstock est de générer des espaces de dialogues, des initiatives mobilisatrices pour éliminer les inégalités systémiques et développer des communautés solidaires, inclusives, sécuritaires et dynamiques.
[1] Chanel Gignac, Dominique Bernier et Nancy Zagbayou. Justice hoodistique : à l'intersection de la justice réparatrice et transformative par et pour les communautés : rapport de recherche. Montréal : Service aux collectivités de l'Université du Québec à Montréal, 2023, p. 20.
Nancy Zagbayou est chargée de projet à Hoodstock.
Illustration : Ramon Vitesse

Responsabilité, guérison et transformation
Au cours d'une décennie de vie collective et d'organisation anarchiste, abolitionniste, féministe et queer, Geneviève Parisien, Charlotte Sansfaçon-Lévesque et moi-même avons été impliqué·es dans ce qu'on appelle couramment des « processus de justice transformatrice » en réponse aux violences sexuelles et conjugales. Inspiré·es par ces expériences, nous avons entrepris de développer un modèle de processus de responsabilité, de guérison et de transformation, actuellement en cours d'élaboration sous forme de livre. Notre objectif est de fournir des outils basés sur nos succès, nos échecs et nos recherches sur le sujet afin de contribuer aux réflexions existantes sur la justice transformatrice.
Aspects pratiques
Nous avons identifié quatre types de participant·es que l'on retrouve dans tout processus de justice transformatrice : la personne qui a vécu la violence et son cercle de soutien, celle qui a commis la violence et son cercle de son soutien ; des membres de la communauté où la violence s'est produite ; et les personnes qui accompagnent et facilitent le processus de responsabilité, de guérison et de transformation.
Les processus de justice transformatrice doivent être amorcés une fois que la situation de violence a cessé. Bien sûr, il est possible que la mise en place d'un processus se fasse dans le même élan que les mesures prises pour faire cesser la violence. Il se peut aussi que des démarches informelles de responsabilisation et de guérison aient déjà été entamées à travers des discussions et des actions concrètes. Lorsqu'un processus formel s'impose, il est souvent amorcé par les personnes directement impliquées dans la situation de violence ou par leurs proches.
Nos expériences personnelles nous ont fait comprendre l'importance de sortir de l'urgence lorsqu'on met en place un processus de justice transformatrice. Il est crucial de prendre le temps de bien réfléchir à la démarche à prendre, même si l'on sent que les comportements et les croyances qui ont mené à la situation de violence auraient dû changer hier. L'urgence nous déconnecte souvent du présent et de nos capacités émotionnelles et relationnelles, et nous fait faire des erreurs qui peuvent miner la confiance dans le processus.
Avant d'entamer un processus, il faut d'abord s'assurer qu'on fait bel et bien face à une situation de violence. Par exemple, il se peut qu'une personne affirme vivre de la violence, et qu'il n'y ait pas de bris de consentement, de torts ou de dommages causés, mais qu'elle soit plutôt déclenchée à cause de traumatismes, ou encore que la situation relève d'un conflit particulièrement envenimé ayant une charge émotionnelle très négative, mais qu'il soit difficile d'identifier des actes précis de violence. On suggère d'aller consulter des sources fiables offrant des définitions de violence (émotionnelle, physique, psychologique, sexuelle, économique, etc.) et d'identifier les comportements et les dynamiques qui relèvent véritablement de la violence. La personne qui facilite le processus a la responsabilité particulière de recevoir les témoignages des personnes impliquées, voire de témoins, et de comprendre la situation dans toute sa complexité pour s'assurer qu'il s'agit bel et bien d'une situation de violence.
Le processus implique l'élaboration d'un calendrier à durée déterminée : quelques mois, un an, voire deux, en fonction des besoins et des objectifs ciblés. Il implique aussi de déterminer les modalités de communication : qui parle à qui, par quels moyens, à quelle fréquence, et pour communiquer quel genre d'informations ? Il peut aussi être nécessaire de discuter de la manière dont les espaces seront navigués (ceux où on coexiste, ceux où on se croise, ceux qu'on ne partage pas), et de ce qu'on décide de communiquer aux membres de la communauté à l'extérieur du processus.
Les personnes touchées par une situation de violence peuvent prendre part à différents degrés aux processus de transformation, de guérison et de responsabilité. Dans ce contexte, une clé de la réussite d'un processus réside dans la capacité à définir des objectifs réalistes pour soutenir la trajectoire de tous les participant·es. Parmi les objectifs possibles : trouver un nouvel appartement ou un emploi stable, s'engager dans une activité régulière qui soutient la connexion avec son corps et ses émotions, consulter un·e thérapeute spécialisé·e en traumatismes ou en violences pendant un nombre de séances donné, participer à des discussions thématiques liées à l'oppression raciale ou genrée, tenir un journal des activités en lien avec le processus, etc. Chaque personne impliquée dans le processus est responsable de participer à l'élaboration des objectifs, de même qu'à l'élaboration de l'échéancier pour atteindre ces objectifs, en fonction de ses capacités et de ses besoins, tout en tenant en compte ceux des autres.
La création d'un processus de justice formel demande beaucoup d'énergie à toutes les personnes impliquées et n'est pas nécessairement le moyen indiqué pour se responsabiliser dans toutes les situations de violence et d'abus. Par exemple, il n'est peut-être pas nécessaire, dans le cas où les personnes impliquées sont capables de se parler, d'arriver à des ententes ou de chercher du soutien afin de changer les conditions qui ont mené à la violence. C'est lorsque les pratiques informelles ne suffisent pas qu'un processus structuré permet de fournir aux différent·es participant·es un soutien tangible et un contexte de responsabilité plus explicite, grâce aux rôles de soutien et à la facilitation qui s'engagent à faire le suivi, à soutenir les différentes démarches entreprises et à aider à atteindre les objectifs ciblés.
Principes directeurs
Il est important de comprendre que les chemins de transformation et de guérison de chaque personne ne sont pas linéaires et ne peuvent pas être forcés, bien qu'on puisse les soutenir et les encourager. Cela implique une certaine capacité à laisser aller, tout en étant capable de continuer à se soucier des gens et de leur devenir. Évidemment, cela n'implique pas d'accepter la persistance de la violence, et on doit toujours faire notre possible pour la faire cesser.
La personne responsable de la violence doit accomplir trois étapes essentielles : reconnaître ses gestes et les conséquences de ceux-ci, offrir des excuses, des réparations ou des compensations aux personnes l'ayant vécue et/ou à la communauté impactée, et amorcer une démarche de guérison et de transformation de ses comportements, de ses attitudes et des croyances à la source de la violence.
Pour être authentique, la prise de responsabilité ne doit pas être imposée de l'extérieur, mais bien être une démarche volontaire. Sa richesse est intimement liée à la capacité d'une personne d'honorer son besoin d'intégrité par rapport à ses valeurs et à ses actions. La prise de responsabilité doit donc non seulement être quelque chose qu'on fait par rapport aux autres, en prenant acte des conséquences de nos gestes, mais d'abord et avant tout face à soi-même.
D'un autre côté, le processus doit également aspirer à soutenir la capacité de la personne ayant subi la violence à prendre en main sa propre guérison et sa responsabilité face à elle-même. Notons que son cheminement de guérison peut ne pas correspondre au calendrier prévu du processus et peut prendre des années en raison des blessures et des traumatismes vécus. Si une personne qui a vécu de la violence résiste à s'engager dans certaines démarches, on ne doit pas la forcer. Dans ce genre de cas, on continue simplement à lui offrir un environnement qui soutient sa capacité à guérir et à continuer de se transformer à son rythme. Bien sûr, la guérison ne doit pas dépendre de la capacité de la personne qui a commis la violence à assumer ses actes. De même, la volonté de la personne responsable doit persister, peu importe l'attitude de la personne ayant subi la violence, car sa responsabilisation demeure cruciale tant pour elle-même que pour le reste de la communauté.
Le processus décrit revêt une double fonction : préventive et réparatrice. Il contribue à renouer les liens au sein de la communauté, à restaurer la confiance, sans nécessairement chercher à ramener les relations à leur état antérieur. En dernière instance, les processus de justice transformatrice ne doivent pas se limiter à remplacer les procès et les peines prononcées par les tribunaux. Ils doivent être envisagés dans un cadre plus vaste de pratiques et de valeurs axées sur l'autonomisation des individus et des communautés. Nous invitons chacun·e à poursuivre l'expérimentation des pratiques de responsabilité et de justice transformatrice, en soutien à la destitution et à l'abolition de l'État colonial canadien, de la police et des prisons, et pour bâtir des communautés autonomes et responsables.
Will V. Bourgeois, militant·e et thérapeute somatique.
Illustration : Ramon Vitesse
Dans une université de C‑B, une concierge meurt surchargée de travail

Les ruses de la réaction
Au fil de ses défaites et de ses retours, la réaction affine ses stratégies et pose un défi de décodage qui en dupe plusieurs.
Selon le Dictionnaire de l'Académie française, le fait de prôner le rétablissement d'un régime aboli et de s'opposer au progrès social et à l'évolution des mœurs forme le noyau idéologique de la réaction. Rattachée depuis le 18e siècle aux anti-Lumières et à la contre-révolution, elle n'est pas une mouvance modérée qui accompagne le siècle, mais un refus de l'égalité des droits doublé d'un combat contre toute volonté de concrétiser ce principe par des revendications sociales.
Les réactionnaires sont tout d'abord d'excellents faussaires. L'enjolivement de l'Ancien Régime et la définition du progrès comme une « nouvelle religion » caractérisent leur manipulation de l'histoire. L'instrumentalisation des conquêtes sociales, qui sont vidées de leur portée, définit aussi leur manipulation des mots : la démocratie se mute en plébiscite, la laïcité en loi du contrôle et le féminisme en révolution déjà achevée. L'abandon du lexique d'antan au profit de formes au goût du jour marque enfin leur manipulation de la réalité : l'inégalité ne concerne plus tant les « races » que les « cultures » tout en servant la même essentialisation de groupes nécessairement inférieurs et ennemis.
Aujourd'hui, ces faussaires se considèrent comme des dissident·es. Lorsqu'on les prend au mot, par sympathie ou par paresse, leur posture de « contestataires » devient un outil de marketing qui fait mouche. Mais lorsqu'on use de sens critique, tel que nous y invite Philippe Bernier Arcand, il est aisé de déconstruire cette « tentative d'inverser les rôles de la victime et du bourreau pour que la figure du rebelle change de camp [1] ». En effet, cette inversion des rapports de force n'a d'autre but que de maquiller les dominé·es en dominant·es. C'est pourquoi la référence à la « tyrannie des minorités » est toujours brandie afin de consacrer une suprématie majoritaire faussement posée en victime. De la même manière, l'antiracisme essuie une fin de non-recevoir puisqu'il s'agirait d'un « racisme anti-blanc ».
De la conservation à la réaction
La tradition conservatrice a pourtant promu des politiques plus mesurées : le parti conservateur du Canada a lutté contre l'Apartheid sud-africain et la démocratie chrétienne en Europe a soutenu la construction de l'État-providence. Que s'est-il passé ? Selon Natascha Strobl, il n'y a rien de surprenant dans le retour de la réaction, car les rapports du conservatisme avec l'État social (à sa gauche) et la tentation fasciste (à sa droite) sont aussi mobiles que précaires. Les tendances extrémistes au sein de ce qu'elle appelle le « conservatisme radicalisé [2] » se sont graduellement fortifiées et ont résolu d'employer tous les moyens possibles (du mensonge au complotisme) sur le front de la guerre culturelle lancée contre la démocratie libérale.
Afin de rendre cette offensive plus digeste, certains esprits naïfs voient dans ce printemps des populismes une occasion d'affirmer des « valeurs républicaines et citoyennes » qui soient « aveugle aux différences ». Pour Jean-Fabien Spitz, cette tentative de subsumer les inégalités économiques par la référence à une République qui renonce d'emblée aux leviers de l'égalisation et à la lutte contre les dominations est devenue « l'étendard du parti de l'ordre contre les mouvements qui aspirent à l'émancipation ». En sus de l'extrême centre et du néolibéralisme en crise de légitimité, les ruses de la réaction innervent aussi ce « discours pseudo-républicain [qui] s'emploie en réalité à nier les inégalités et les discriminations pour ne pas avoir à les combattre [3] ».
[1] Philippe Bernier Arcand, Faux rebelles, Montréal, Poètes de brousse, 2022.
[2] Natascha Strobl, « The radicalisation of Austrian conservatism », International Politics and Society, 15 octobre 2021. En ligne : tinyurl.com/ybj487w4
[3] Jean-Fabien Spitz, La République ? Quelles valeurs ?, Paris, Gallimard, 2022.
Jean-Pierre Couture est professeur à l'École d'études politiques de l'Université d'Ottawa.
Illustration : Alex Fatta

Nation-anxiété
2022 a vu la publication de trois essais écrits par de jeunes intellectuels ouvertement conservateurs et nationalistes. Si ces trois textes sont caractérisés par la peur anxieuse de voir la nation québécoise disparaître, les lire révèle en fait la nullité absolue de leur idée de nation, de l'usage stratégique de cette notion, et des visées éminemment autoritaires des auteurs.
La nation qui n'allait pas de soi, d'Alexis Tétreault ; La pensée woke, de David Santarossa ; Le schisme identitaire, d'Étienne-Alexandre Beauregard : lire ces trois livres bout à bout consiste en une expérience pénible témoignant du pourrissement de l'intelligentsia québécoise. Car la mesquinerie y règne. On ne s'étonnera pas d'y lire, sous la plume de Beauregard, que le nationalisme s'oppose à l'éthique du care, en ce que cette dernière refuse le « Soi et l'universel » propre au nationalisme (p. 50-51). Feignons notre surprise quand Santarossa défend que la pensée woke soit aveugle à la réalité québécoise au point où elle perdrait de vue que les Québécois·es, eux aussi, « sont des autochtones » (p. 66). Soulignons ce brillant tour de passe-passe révisionniste où Tétreault explique que la crise du code de vie d'Hérouxville consiste en fait en une « dénonciation […] rustique du modèle canadien » (p. 223).
On peut se questionner quant à la possibilité même d'un dialogue face à de tels producteurs de discours réactionnaires. Mais il ne s'agit pas ici de dialoguer avec ces textes, ni même de les réfuter. Plutôt, les lire ensemble, même si chacun envisage différemment le concept de nation [1], révèle qu'ils sont tous trois de la même trempe.
Un concept de nation qui n'allait pas de soi
La nation québécoise, d'expression française, habitant l'Amérique du Nord depuis la colonisation française, et laïque, possèderait un droit à l'existence puisqu'elle refléterait une « majorité ». Cette nation serait toutefois niée par la volonté belliqueuse du Canada anglophone, multiculturaliste et « postnationaliste », et les démarches sournoises de l'idéologie woke, véritable cinquième colonne récusant tout référent national au nom de la défense des identités.
Que le Québec forme une société distincte, que cette société puisse s'incarner dans un État souverain et puisse aspirer à cet égard au titre de nation, sont des thèses tout à fait défendables.
Là où on s'indigne, c'est au niveau de la méthode. Dans ces essais pour lesquels le concept de nation joue un rôle si important, ce concept n'est jamais présenté. On cherchera en vain des statistiques, des données ou des sondages sur des sujets aussi cruciaux que la démographie, l'identité politique ou l'immigration, mais on ne trouvera qu'une référence à une notion de nation posée d'avance, tenue pour acquise dès le début. Tétreault évoquera au mieux vouloir « monter la garde » de « l'âme » du Québec (p. 11), tandis que Beauregard défendra fermement le « lien sacré entre État et nation » (p. 112). Quant à Santarossa, bien que son essai ne porte pas directement sur la nation québécoise, celui-ci dénoncera toutefois que le wokisme ne reconnaît pas ce fait « allant de soi », soit que le peuple québécois est « une nation minoritaire enracinée en cette terre, avec sa langue et culture, sur cette terre qu'elle occupe depuis le dix-septième siècle » (p. 65) [2].
Déployer de la sorte un tel concept sans jamais prendre la peine d'expliciter à quoi il réfère nous oblige à l'accepter comme allant de soi : « la nation », ses prétentions, sa situation. La « nation » implique déjà la lutte contre sa « vulnérabilité », pour ne pas dire son état de « guerre culturelle » : accepter de suivre le chemin de nos auteurs, c'est déjà accepter cet état de siège contre la « majorité ». Beauregard peut ainsi se permettre de réécrire l'histoire du Québec pour l'articuler comme une « guerre culturelle » depuis la Conquête de 1760 : méthodologiquement, on soulignera cet effort grossier de révision historique.
Cette stratégie est malhonnête, pour ne pas dire enrageante. Elle polarise à outrance en imposant l'existence périlleuse de la nation québécoise, au-delà de tout dialogue critique. Défendre l'inverse nous pose en effet en position de fossoyeur du Québec, donc d'ennemi. Il s'agit autrement dit d'un faux dilemme. Mais en s'y attardant, on découvre qu'il ne s'agit pas seulement d'accepter la nation telle que décrite par Tétreault, Santarossa ou Beauregard. Il faut s'y soumettre.
Le fétiche de l'autorité
Tétreault écrit que, sous la menace multiculturaliste, « La référence [nationale] devient l'objet de la négociation, alors que dans la société de la démocratie nationale, elle était sa condition » (p. 203). Deux visions de la collectivité s'affronteraient : une où ses membres délibèrent sur la référence culturelle qui les lie, l'autre où l'acceptation de ce référent est la condition à l'intégration à la communauté.
Répétons : pour s'identifier à la communauté et y participer, la condition préalable est d'accepter « la référence culturelle » qui définit la nation. La nation promeut ses propres normes auxquelles il faudrait obéir (« c'est comme ça qu'on vit », disait le premier ministre [3]). La nation n'est pas seulement le sentiment partagé par plusieurs personnes vivant sur un même territoire, partageant une même langue et liées à une même histoire, elle est avant tout le nom donné à un projet politique éminemment conservateur faisant de sa propre survie sa justification. Ainsi, Tétreault peut défendre l'ignoble loi 21 de la laïcité comme une « tentative de consolidation d'un modèle québécois ancré dans la tradition politico-culturelle de la majorité » (p. 228). Promouvoir la nation québécoise, c'est accepter cette loi, avec tout ce qu'elle comporte de discrimination, mais ce serait aussi le triomphe d'un Québec passant de la vulnérabilité à la « normalité » (p. 235). Brillant !
Il est fascinant de voir comment nos auteurs défendent que le premier réflexe de la « majorité » consisterait à déployer sa force pour asseoir son règne. Nos trois jeunes lumières fétichisent de la sorte le pouvoir d'une majorité à travers l'État et l'autorité de ce dernier à laquelle il faudrait se soumettre. En dehors de cette autorité, point de salut pour l'avenir du Québec. Beauregard est, cela dit, le plus explicite à cet égard quand il défend que la nation commande une « éthique de la loyauté » héritée de la Révolution tranquille (p. 33), que le mode de scrutin actuel uninominal à tour est préférable à un mode plus proportionnel, car davantage au diapason de « l'unité nationale » (p. 245), ou que François Legault doive littéralement entretenir une « scission » entre le programme de la CAQ et les autres organisations de la société (médias, groupes de pression) afin de continuer à incarner le « gros bon sens » du Québec des banlieues (p. 153) – et ainsi ne devoir rendre de comptes à personne [4].
De surcroît, la nation n'exige pas soumission seulement parce qu'elle est et qu'elle s'inscrit dans une histoire commune, mais aussi parce qu'elle sauvegarde la possibilité même de la démocratie. Essentiellement, nos lurons mettent ensemble nation québécoise et délibération civile contre la dissolution sociale promue par l'alliance du Canada multiculturaliste et du postmodernisme. Tétreault déplore la perte de la « citoyenneté abstraite » où tous seraient égaux (p. 200), mais nous rassure que la loi 21 est le produit de la délibération démocratique québécoise (p. 217). Dans une veine similaire, Beauregard jumelle « héritage de loyauté, universalité et affirmation nationale » (p. 272).
C'est à Santarossa qu'il revient toutefois d'éclairer pleinement ce maillage entre nation et raison. Santarossa écrit que le wokisme serait une « attaque en règle contre tous les fondements des sociétés occidentales » (p. 102). Par cette phrase, il sous-entend la supériorité des sociétés occidentales sur la base qu'on y pratique la délibération rationnelle et raisonnable : tous sont égaux au sein du dialogue. En effet, nous rappelle heureusement Santarossa, ce sont les pays occidentaux les premiers qui ont aboli l'esclavage, brillante démonstration qu'il n'y a pas d'autres « civilisations qui sont allées plus loin dans la lutte contre le racisme » (p. 81-82). Une telle position sur la supériorité politique des États occidentaux est pratique, car elle fait de la sauvegarde de l'ordre politique libéral existant son critère pour séparer bien autoritairement ce qui est recevable de ce qui ne l'est pas. Bien entendu, la nation québécoise fait partie de ces sociétés évoluées, et en dénoncer les injustices, par exemple le racisme systémique, serait s'en prendre à la nation québécoise et aux régimes politiques existants. Ce serait déraisonnable. Ainsi, Santarossa peut rejeter le phénomène du racisme systémique parce qu'il nierait notre « humanité commune » (p. 60), et écrire du même souffle que l'intégration des personnes migrantes à leur société d'accueil consiste pour celles-ci en un « devoir moral » en raison du « cadeau » qu'on leur fait en les accueillant (p. 52). Raisonnablement, la nation québécoise peut imposer son conformisme aux populations migrantes : critiquer cela reviendrait à nier le droit d'existence de la nation québécoise.
Dialectique ou décadence
Penser de la sorte est proprement décadent. La décadence se manifeste dans le fait que Tétreault, Santarossa ou Beauregard sont non seulement rigoureusement incapables d'apprécier les lignes de force objectives qui structurent les rapports sociaux, mais qu'ils proposent des solutions superficielles servant à les voiler. C'est là que s'inscrit le caractère conservateur de leur projet : imposer la nation comme salut social au détriment de toute autre perspective, et par cela fixer le statu quo de l'ordre social existant. Un statu quo où eux, bien entendu, ne s'en tirent pas trop mal, mais où d'autres continuent de souffrir.
La décadence ne doit pas toutefois être comprise comme une faute intellectuelle individuelle, mais comme le symptôme de contradictions sociales structurantes. Là est l'intérêt de lire ces trois essais : non pas comme de simples idées lancées en l'air, mais comme l'expression d'un ordre social réagissant à sa propre décomposition. Il suffit de regarder l'actualité économique et environnementale pour se convaincre de la nécessité de changements sociaux radicaux. En ce sens, la décadence de nos jeunes intellectuels est proprement scandaleuse.
La force de la pensée critique et de l'engagement politique militant aura été de dépasser la superficialité du conservatisme et de révéler comment la société est organisée de telle sorte à perpétuer l'exploitation et la domination.
En un mot, c'est la pensée dialectique qui ici se retrouve étranglée au profit de la propagande. La pensée dialectique est spécifiquement ce qui permet de relier l'individu à la société. En étant sensible à l'opposition qui unit ces deux composantes, elle explique comment nous sommes avant tout le produit de notre milieu : il s'agit du soubassement logique d'idées comme patriarcat, racisme systémique ou aliénation du travail. La propagande, elle, propose une pseudo-solution – la dérive autoritaire nationaliste – à un problème réel – la société québécoise incapable d'être à la hauteur de ses promesses. Et elle est décadente, car volontairement sourde aux hurlements de ce qui tente de se montrer.
Lire Tétreault, Santarossa et Beauregard nous apprend la valeur d'une pensée intelligente, d'un engagement réel. À eux, nous ne leur répondrons que par le mépris et le dégoût. Mais pour nous, voyons-y les exemples de ce qu'il ne faut pas faire. Il y a toute une société à (re)bâtir et plein de gens brillants qui préfèreront construire ensemble la société de demain plutôt que de se faire imposer celle d'hier.
OUVRAGES RECENSÉS
Alexis Tétreault, La nation qui n'allait pas de soi : la mythologie politique de la vulnérabilité du Québec, Montréal, VLB, 2022, 256 p.
David Santarossa, La pensée woke : analyse critique d'une idéologie, Montréal, Liber, 2022, 184 p.
Étienne-Alexandre Beauregard, Le schisme identitaire, Montréal, Boréal, 2022, 282 p.
[1] Le livre La nation qui n'allait pas de soi consiste en une enquête historique sur la manière dont des figures intellectuelles québécoises ont compris et déployé le concept de nation. La pensée woke dénonce le wokisme au nom du dialogue rationnel, mais à peu près tous les exemples sont de nature nationaliste. Le schisme identitaire expose comment la nation québécoise est présentement menacée par différentes tendances politiques.
[2] Bien entendu, aucune mention des revendications des Premières Nations ne se retrouve dans la logorrhée de nos paladins du Québec.
[3] Par un heureux hasard, c'est aussi le titre du récent essai de Francine Pelletier sur le nationalisme identitaire et conservateur.
[4] Il est inquiétant que Beauregard ait été – et semble encore – à l'emploi de la CAQ.
Illustration : Alex Fatta
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Réflexions et propositions sur le Cahier de propositions de Québec solidaire
Le 8 septembre, les membres de Québec solidaire recevaient une version actualisée du Programme de Québec solidaire et un Cahier propositions. Ce dernier doit faire l'objet de discussions dans les associations du parti. Les propositions pourront être amendées et la date limite de ces amendements est le 8 octobre prochain. Le 23 octobre, le cahier de synthèse des propositions et des amendements sera à son tour disponible. C'est ce dernier qui sera soumis au congrès du parti qui doit se tenir les 7, 8 et 9 novembre prochain. Dans le cadre de la discussion sur l'actualisation du programme de Québec solidaire, ce texte présente des remarques tant sur l'analyse de la situation et des propositions qui visent à répondre à cette situation dans une option d'émancipation politique et sociale. Nous abordons ici proposition par proposition les Blocs 1 et 2 du Cahier de propositions qui correspondent au premier chapitre du programme intitulé Créer une économie verte et solidaire.
L'ébauche du programme actualisé se limite à une « vision politique » et une « philosophie gouvernementale générale » au détriment d'analyses concrètes de la situation actuelle, de revendications précises et d'une stratégie de lutte permettant d'amorcer un processus de transformation sociale. Cette posture a) évite d'évaluer les rapports de forces sociaux et le rôle des mouvements sociaux comme acteurs des transformations sociales ; b) neutralise le programme en le réduisant à des politiques gouvernementales d'un éventuel gouvernement solidaire, empêchant ce programme d'outiller le parti pour les luttes concrètes extra-parlementaires ; c) déconnecte le projet de société de ses conditions de possibilité en négligeant d'élaborer des stratégies précises.
Le programme doit redevenir un outil stratégique complet, intégrant analyse, propositions et stratégies concrètes de transformation sociale, articulées aux luttes présentes. Il s'agit de proposer un programme qui dépasse l'approche centrée uniquement sur l'éventuelle gestion d'un gouvernement de Québec solidaire, et d'esquisser un programme d'action articulé aux luttes sociales et au processus constituant produit par ces luttes. L'exercice proposé ne vise qu'à identifier les amendements et ajouts au programme en partant du Cahier de propositions.
Bloc 1 : Économie et transition socioécologique – Éclairer le rôle de l'économie dans la transition
Résumé des propositions soumises à la discussion
1.1 Les objectifs de l'économie solidaire.
Québec solidaire vise une économie décarbonée en 2050. Un gouvernement de Québec solidaire appliquera dans un premier temps un plan de transition énergétique visant l'élimination des hydrocarbures dans la production et la consommation d'énergie. Un gouvernement de Québec solidaire se dotera de nouveaux outils de planification et d'orientation économique pour améliorer le bien-être collectif et assurer le respect des droits de toutes et tous.
Critiques
Si on peut se questionner sur ce que signifie l'expression du dépassement à terme du capitalisme. Parler d'un système plus juste, inclusif et viable, c'est flou à souhait. On a ici une bonne illustration de ce que l'on entend par la réduction du programme à une vision politique. En fait, dans cette approche, l'analyse de la situation économique et politique est escamotée, les classes sociales, leurs intérêts divergents et les rapports de force entre ces dernières sont invisibilisés. On verra que cela demeure une constante dans l'ensemble du texte de l'ébauche.
Le mode de production capitaliste conduit à une prédation qui détruit systématiquement des forêts et des espèces animales, terrestres et marines.
Cette seule priorité d'une économie décarbonée pour 2050 ne se distingue en aucune façon de celle avancée par les autres partis politiques au Canada et au Québec. Aucune cible pour 2030 ; aucune reprise des propositions du GIEC et des groupes écologistes en termes de cible. On se contente de généralités sur l'accélération de la transition socioécologique sans en définir le contenu.
Amendements et ajouts
Il faut définir des objectifs intermédiaires pour l'atteinte des objectifs de réduction des gaz à effet de serre et reprendre les objectifs avancés par les groupes écologistes.
Mais un frein significatif à la catastrophe climatique et la perte de la biodiversité ne peut être construit que par l'élimination de la poursuite d'une croissance sans entrave favorisant l'accumulation capitaliste. Il faut défendre une décroissance véritable en donnant la priorité à l'économie d'énergie, l'économie des ressources naturelles et la protection de la biodiversité. Cela passe par :
• la production de biens répondants aux besoins sociaux et non à une consommation débridée stimulée par la publicité ;
• la priorité donnée aux travaux qui vise l'économie d'énergie, comme la construction et la réparation de logements et d'édifices sobres en consommation d'énergie ;
• l'arrêt de l'obsolescence planifiée des produits et la facilitation des réparations ;
• la relocalisation au plus près des usagers et usagère des productions pour éviter les transports aériens et maritimes sur de grandes distances de marchandises coûteuses en énergie ;
• une planification démocratique et citoyenne de ce qui doit être produit rompant avec la seule poursuite de profits.
Défendre la biodiversité exigera :
• le passage d'une agriculture industrielle à une agriculture biologique qui évite la surfertilisation, l'usage de pesticides, et sa réorientation vers la production de protéines végétales au lieu de protéines animales ;
• la sortie d'une agriculture centrée sur la production carnée en mettant fin aux élevages industriels ;
• la fin de la déforestation par l'exploitation privée des forêts et une gestion qui tend à diminuer la variabilité des espèces d'arbres sur un territoire ;
• L'arrêt d'une pêche industrielle qui détruit les ressources halieutiques.
Arguments pour l'ajout
Pour ce qui est de l'objectif de la décarbonation pour 2050, un horizon aussi éloigné ne permet pas de fixer des objectifs de lutte immédiats pour les mouvements sociaux et de soutenir les objectifs des groupes et mouvements écologistes.
Pour ce qui est de la décroissance et de la lutte contre l'effondrement de la biodiversité, cela ne peut être le seul résultat d'une action gouvernementale à venir. Il faut mettre de l'avant des revendications qui peuvent être reprises par les mouvements sociaux. La lutte contre la production des biens sociaux et des dépenses ostentatoires sont des combats qui doivent être livrés maintenant. Cela est aussi vrai de la lutte contre l'obsolescence planifiée et pour la réparabilité des produits menée par des mouvements de consommateur-ices, les syndicats, les groupes écologistes.
Pour ce qui est de la lutte contre l'effondrement de la biodiversité, on ne peut se contenter de parler d'aires protégées, c'est tout le rapport à la nature qui doit être transformé et cela implique une rupture avec la logique de croissance infinie pour la recherche de profits.
Résumé des propositions soumises à la discussion
1.2 (1.2.1) Diversifier les modèles économiques
Il faut que la logique de l'accumulation des profits cesse pour laisser plus d'espace à l'économie sociale. L'économie doit revenir entre les mains des communautés québécoises.
Critiques
Ces propositions sont des abstractions. La propriété privée des moyens de production et d'échange par les monopoles qui sont souvent des multinationales étrangères et les grandes banques doit être remise en question, car ce sont les acteurs majeurs du système économique qui déterminent la logique d'évolution qui conduit à la prédation et à la destruction de la nature.
Amendements et ajout
L'économie ne peut revenir entre les mains de la majorité populaire sans la socialisation des grandes entreprises des secteurs stratégiques de l'économie. Cette socialisation passe par la nationalisation, puis la démocratisation de ces entreprises pour donner le contrôle aux travailleurs, aux travailleuses, et aux citoyen-nes.
Arguments en faveur des amendements et ajouts
On ne peut en reste à des formulations qui ne permettent pas à la majorité populaire et aux mouvements sociaux d'agir concrètement dans le sens des objectifs visés.
Résumé des propositions soumises à la discussion
1.3 (1.2.1) Diversifier les modèles économiques
On propose trois critères pour une nationalisation : 1. son caractère stratégique ; 2. la grande quantité de capital nécessaire ; 3. la démonstration de l'échec du secteur privé.
Critiques
Si on peut nationaliser sans démocratiser (soit étatiser), on ne peut socialiser les secteurs économiques appartenant au grand capital sans nationaliser (les banques, les grandes entreprises d'exploitations minières, forestières ou les grandes industries de transformation et de transport). Elles doivent devenir du domaine public si on veut pouvoir opérer dans ces dernières une démocratisation véritable donnant le pouvoir aux travailleuses, aux travailleurs et aux citoyen-nes.
Si le critère 1 pour la nationalisation peut être à considérer, le critère 2 montre que la proposition ne considère pas la nationalisation sans compensation et la démocratisation qui devrait s'ensuivre ; le critère 3 de l'échec du secteur privé équivaut ni plus ni moins à faire prévaloir la recherche du profit sur les besoins sociaux.
Amendements et ajouts
La socialisation des grandes entreprises et des banques passe par leur nationalisation et la démocratisation de leur fonctionnement.
Les critères 2 et 3 sur la nationalisation doivent être biffés.
Arguments en faveur des amendements et ajouts
La démocratie économique ne peut être réalisée si une minorité possédante continue d'avoir le contrôle des choix d'investissement et de mobilisation de l'argent, alors que cette minorité se constitue en force à de blocage de la transition écologique et sociale, comme la conclusion de ce chapitre du programme révisé le reconnaît.
Résumé des propositions soumises à la discussion
Participation des travailleuses et travailleurs à la transition socioécologique
1.4 (1.2.3) Protection et participation des travailleuses et des travailleurs dans la transition socioécologique
Un gouvernement de Québec solidaire applique le principe de Zéro perte d'emploi net à l'intérieur de chaque région. Il assurera la diversification des économies locales. Il favorisera des investissements dans les secteurs peu polluants et la requalification de la main-d'œuvre. Un gouvernement de Québec solidaire encouragera la participation des travailleuses et des travailleurs dans la gestion des impacts de la transition écologique.
Critiques
Quelle sera la politique d'investissement d'un gouvernement solidaire pour diversifier l'économie d'une région ? Comment et avec quels moyens un gouvernement solidaire investira-t-il dans les secteurs peu polluants ? Comment les travailleuses et les travailleurs seront-ils impliqués dans les choix gouvernementaux ?
Encourager la participation dans la gestion des impacts est pour le moins timide ; la question est celle d'assurer non seulement la participation, mais aussi la prépondérance des travailleurs et travailleuses.
Amendements et ajouts
Pour Québec solidaire, cela passera par la proposition de créer des conseils régionaux de planification démocratique, où siégeront côte à côte des élu-es, des syndicats, des collectifs écologistes et des associations citoyennes et communautaires. Ces conseils doivent être ouverts, transparents et redevables devant la population. Les grandes orientations économiques, énergétiques et sociales doivent être débattues publiquement et tranchées collectivement. Les assemblées citoyennes locales, les budgets participatifs et le droit de référendum sur les projets destructeurs sont des outils indispensables pour briser l'opacité du pouvoir et donner une voix directe au peuple.
Québec solidaire soutiendra que les travailleuses et travailleurs doivent occuper une place centrale dans ce processus. Eux seuls connaissent la réalité des emplois, les conditions de travail et les besoins de reconversion. Ils doivent avoir un droit de regard sur chaque projet régional, notamment dans les secteurs stratégiques, comme l'énergie, le transport, la forêt, l'agriculture ou l'industrie.
Enfin, pour éviter que ce processus ne soit confisqué par les institutions, il faut mettre en place des observatoires citoyens et syndicaux chargés de surveiller la mise en œuvre des décisions et de forcer les autorités à rendre des comptes régulièrement. Les bilans doivent être publics, débattus et rectifiés collectivement.
Arguments en faveur des amendements et ajouts
La protection des travailleuses et des travailleurs ne peut se contenter d'un encouragement à la participation. Cette protection ne peut être assurée que par un processus de démocratisation économique qui ne doit pas s'arrêter à la porte des entreprises ou des institutions publiques.
Résumé des propositions soumises à la discussion
Soutien aux municipalités dans la transition écologique
1.5 (1.2.4) Soutenir les municipalités dans la transition écologique
Un gouvernement solidaire soutiendra adéquatement les municipalités dans la mise en œuvre de la transition socioécologique. Il donnera aux régions les moyens d'organiser leur développement économique et la socialisation. Un gouvernement solidaire confiera à de nouveaux conseils régionaux la planification de la transition socioécologique.
Critiques
Le soutien adéquat, cela ne signifie rien de précis. Le moyen d'organiser la mise en œuvre de la transition n'est pas non plus définie. Il s'ensuit que l'on en reste à un discours sans ancrage dans le réel.
Amendements et ajouts
Il faudra assurer le transfert du budget de l'État vers les municipalités, instaurer la mise en place de budgets participatifs et instaurer un fond de solidarité inter municipalités.
Arguments en faveur de l'Amendement
Les propositions avancées ne sont pas uniquement conditionnées à une éventuelle prise du pouvoir par Québec solidaire. Elles peuvent favoriser les mobilisations citoyennes pour remettre en cause le contrôle bureaucratique et étatique de l'état sur les municipalités tel que le prévoit la loi actuelle.
Résumé des propositions soumises à la discussion
Encadrer le commerce le libre échange et le financement
1.6 (1.2.5) Encadrer le commerce, le libre-échange et le financement
Un gouvernement de Québec solidaire imposera des obligations environnementales, sociales et de gouvernance renforcée pour les entreprises québécoises à l'étranger. Les organismes publics devront respecter les mêmes normes.
Critiques
La question du commerce et du libre-échange ne saurait concerner que les seuls investissements étrangers des entreprises québécoises. Ce qui est en jeu avec la finance, c'est la capacité de financer les investissements publics permettant une véritable transition socioécologique.
Amendements et ajouts
Il est nécessaire de dénoncer les traités qui portent atteinte à la souveraineté démocratique et aux droits sociaux et environnementaux, notamment l' Accord Canada–États-Unis–Mexique, l'Accord économique et commercial global, et le Partenariat transpacifique global. Il faut exclure explicitement les services publics et la culture des clauses de libéralisation et d'investissement, et abolir les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États, qui favorisent injustement les multinationales au détriment des intérêts collectifs.
Pour encadrer les entreprises québécoises à l'étranger, une loi sur la responsabilité extraterritoriale doit être adoptée, obligeant les entreprises et investisseurs publics québécois à respecter des normes rigoureuses en matière environnementale, sociale et de gouvernance (ESG).
Pour refonder nos rapports à la finance mondiale, il convient d'instaurer une taxe sur les transactions financières (TTF) ainsi que sur les profits bancaires, d'interdire toute relation avec des paradis fiscaux officiellement reconnus et d'imposer la transparence bancaire, notamment par la levée du secret bancaire. Par ailleurs, les produits financiers spéculatifs nuisibles doivent être interdits afin de réduire les risques systémiques et la financiarisation de l'économie.
Québec solidaire doit appeler à la socialisation des banques et des assurances.
Bloc 2 : Habitation, énergie, ressources naturelles et travail
Habitation
Résumé des propositions soumises à la discussion
2.1 (1.3.1.2) Réguler et bâtir habitations et logements (2,3,4,5) Un gouvernement de Québec solidaire s'attaquera frontalement aux spéculateurs, élargira et durcira l'éventail des sanctions. Les projets publics et privés de construction et de rénovation devront obéir à des normes écologiques. Les projets immobiliers devront répondre aux besoins de proximité des services publics afin de résoudre les problèmes liés à l'étalement urbain. Le secteur privé devra consacrer un pourcentage minimal des nouvelles habitations aux logements sociaux. Les Cégeps et universités devront offrir des lieux de résidences à prix modiques. Un gouvernement solidaire renforcera de manière drastique le rôle de l'État dans la construction et la gestion du parc public de logements. Il protégera le parc locatif et l'accès à la propriété individuelle et collective. Il prendra des mesures pour éviter que des personnes consacrent plus que 30% de leur revenu à leur loyer.
Critiques
Les propositions concernant l'habitation sont précises et répondent aux problématiques en matière d'habitation. Il reste qu'elles s'inscrivent essentiellement dans la conception du programme où tout n'est que le résultat de l'action d'un éventuel gouvernement de Québec solidaire.
Amendements et ajouts
Les actions citoyennes sont essentielles pour renforcer les droits et remettre les décisions entre les mains des collectivités. Québec solidaire soutiendra les initiatives visant la mise en place d'assemblées citoyennes régionales qui pourront encadrer les grands projets et permettre une véritable planification citoyenne de la gestion des milieux de vie. Les communautés devront bénéficier d'un droit d'achat préférentiel lors des ventes de terrains ou d'immeubles stratégiques. Les actions citoyennes et de différents mouvements sociaux aideront à garantir l'inclusion systématique des Premiers Peuples dans tous les processus décisionnels liés au territoire. Des Conseils d'aménagement territoriaux régionaux seront mis en place, composés d'élu-es, de citoyen-nes, d'organismes locaux, d'organisations syndicales et communautaires ainsi que de représentant-es autochtones pour élaborer démocratiquement des plans d'aménagement régionaux.
Énergie :
2.2.(1.3.2) Pour la conservation de notre eau et de notre énergie
Résumé des propositions soumises à la discussion
Québec solidaire s'oppose à la construction de tout nouveau pipeline. La collectivité, ce qui inclus les salarié-es et citoyen-nes et les Premières nations, doivent établir démocratiquement la stratégie de l'État Québécois. Il est urgent de lancer un vaste chantier pour accroître la production d'énergies renouvelables et non polluantes – solaire, géothermique et éolienne. Un gouvernement de Québec solidaire donnera les pleins pouvoirs d'étude et de recommandations au BAPE avant tout nouveau projet de développement hydroélectrique. Il stoppera les projets de développement énergétique qui ne sont pas responsables et durables sur le plan écologique. Il instaurera un programme d'efficacité énergétique comprenant la réduction d'énergie dans les milieux domestiques, du secteur public et des transports, la rénovation écologique des bâtiments et le resserrement des normes…
Critiques
Ici encore, les revendications et actions proposées par le projet de programme se limitent à décrire l'intervention gouvernementale. Les acteurs et actrices et les mobilisations qu'ils ou elles pourraient entreprendre pour transformer maintenant la situation ne sont pas envisagés… Il faut ajouter cette dimension.
Amendements et ajouts
Québec solidaire soutiendra la mise en place d'une planification écologique et démocratique qui réponde de manière résiliente aux besoins énergétiques de la population aux échelles locales, régionales et nationales, et qui donne un rôle primordial et décisionnel aux travailleuses et travailleurs concerné-es dans la gestion des ressources énergétiques. Il soutiendra les municipalités dans le développement et la gestion des microréseaux intelligents énergétiques adaptés à leurs besoins et se mobilisera avec les militant-es écologises pour refuser la relance de la filière nucléaire, y compris l'exploitation de l'uranium.
Arguments en faveur des ajouts
Ces ajouts visent à enrichir le programme au niveau de la démocratisation et la socialisation de ces propositions dans une démarche basée sur les mobilisations citoyennes et de différents acteurs sociaux.
Ressources naturelles
2.3 (1.3.5.2) Pour des pêcheries à l'échelle humaine.
Résumé des propositions soumises à la discussion
Un gouvernement de Québec solidaire inclura le milieu des pêcheries dans sa stratégie agroalimentaire afin de diminuer notre dépendance aux marchés internationaux, garantira la traçabilité, créera des chaînes d'approvisionnement locales, commercialisera les produits locaux partout au Québec et développera une aquaculture durable. Un gouvernement de Québec solidaire soutiendra la concertation élargie des actrices et acteurs de l'industrie des pêches en incluant les peuples autochtones et en respectant les droits ancestraux. Il repensera aussi le modèle actuel d'attribution des permis et quotas pour favoriser les pêcheurs et pêcheuses ancrées dans nos communautés.
Critiques
Les revendications et actions proposées par le projet de programme se limitent à décrire l'intervention gouvernementale. Les acteurs et actrices et les mobilisations qu'ils pourraient entreprendre pour transformer maintenant la situation ne sont pas envisagés… Il faudrait ajouter cette dimension.
Amendements et ajouts
Québec solidaire soutiendra les revendications et les moyens d'action des pêcheurs et pêcheuses du Québec qui visent à assurer la viabilité économique de leur métier et la protection durable des ressources halieutiques. Cela passe par des luttes (manifestations, grève de pêches, pressions politiques sur les autorités) pour un accès équitable aux quotas de pêche, en s'opposant à leur concentration entre les mains de grandes compagnies ou d'investisseurs financiers.
Québec solidaire contribue à favoriser des alliances avec ces travailleurs et travailleuses pour améliorer leur rapport de force.
Québec solidaire appuiera la collaboration des artisan-es avec les communautés autochtones et les chercheur-euses, ainsi que les expérimentations locales de quotas collectifs autogérés, afin de mieux équilibrer exploitation et préservation. et soutiendra les initiatives des pêcheur-euses pour la protection des stocks halieutiques et leur implication dans des partenariats scientifiques pour assurer un suivi régulier des stocks.
Québec solidaire joindra sa voix à leurs revendications et à leurs actions en alliances avec les organisations environnementales pour la protection des habitats marins menacés par la pollution, le chalutage de fond et la destruction des écosystèmes.
Arguments en faveur des ajouts
On ne peut concevoir le passage à des pêcheries à l'échelle humaine en excluant les acteurs et les actrices de cette industrie, en ne disant rien sur leurs revendications actuelles et sur leurs actions et sur la nécessité pour Québec solidaire de s'impliquer en soutien avec les luttes pour leur reprise de contrôle sur les pêcheries, la protection des ressources halieutiques et la protection des milieux marins.
2.4 (1.3.5.3) Pour des mines et des forets gérées responsablement (3)
2.5 (1.3.5.3) Pour des mines et des forêts gérées responsablement(4)
2.5 (1.3.5.3) Pour des mines et des forêts gérées responsablement (6)
Résumé des propositions soumises à la discussion
Un gouvernement de Québec solidaire placera l'industrie minière sous une étroite surveillance, en nationalisant au besoin certains minéraux stratégiques. Il élaborera une nouvelle loi sur les mines suivant une consultation populaire. Il mettra en place un système de redevance pour les entreprises exploitant les ressources naturelles afin d'encourager l'utilisation de ressources renouvelables en s'assurant que les ressources soient équitablement réparties – entre les régions, les Premières Nations et l'État québécois. Il garantira que la restauration complète des sites miniers soit assumée par les entreprises minières..
Un gouvernement de Québec solidaire adoptera une stratégie de gestion durable et d'adaptation de la foresterie aux changements climatiques, en collaboration avec les communautés touchées, particulièrement les Premières Nations et les Inuit, l'industrie et les travailleurs et travailleuses.
Un gouvernement de Québec solidaire en coopération avec les Premières Nations et les Inuit renouvellera le secteur forestier en surveillant et évaluant en continu les entreprises publiques et privées ou coopératives à partir de critères socio-économiques. Il élaborera des politiques publiques favorisant une plus grande utilisation de produits du bois provenant d'une exploitation durable.
Critiques
Il faut préciser ce que fera Québec solidaire comme parti, d'ici à ce qu'il soit au pouvoir.
Amendements et ajouts
Québec solidaire soutiendra les actions citoyennes pour la démocratisation de la gestion des ressources naturelles et leur appropriation collective.
Québec solidaire encouragera la création et l'animation d'assemblées citoyennes dans les régions ressources afin de débattre de la gestion locale des mines et des forêts. Il favorisera des initiatives de consultation populaires, comme des référendums citoyens sur des projets contestés. Il défendra non seulement la nationalisation des ressources stratégiques, mais plaidera en faveur de leur socialisation ou la coopérativisation et soutiendra des campagnes publiques en faveur de la socialisation des entreprises exploitant des minéraux stratégiques et des grandes entreprises forestières.
Il soutiendra les luttes autochtones pour la protection du territoire par sa présence sur le terrain, ainsi qu'un appui juridique et médiatique.
Québec solidaire appuiera la mise en place d'institutions du pouvoir populaire, comme la création de comités de veille citoyenne sur les processus de consultation et d'évaluation environnementale. Il appuiera la mise en place de commissions de vigilance citoyenne semblables à des « sentinelles écologiques » qui pourraient documenter les atteintes au territoire. Québec solidaire favorisera enfin la création de tables de solidarité autochtone-allochtones locales pour favoriser le dialogue et la mise en œuvre concrète d'une cogestion territoriale démocratique.
Arguments en faveur des ajouts
Cet ajout, vise à enrichir le programme afin qu'il ne les limite pas à une description d'une éventuelle politique gouvernementale. Il s'agit ici encore d'ancrer le programme, et par le fait même Québec solidaire, comme acteur des luttes qui se mènent actuellement et qui visent à renforcer le pouvoir populaire.
Droit des travailleuses et des travailleurs
2.7 (1.4.2) Pour la syndicalisation des milieux de travail sains (1)
Résumé des propositions soumises à la discussion
Un gouvernement de Québec solidaire reverra le rapport de force entre employeurs et salarié-es et améliorera leurs conditions de vie. Il prendra les mesures nécessaires pour que les travailleurs et les travailleuses puissent se syndiquer et exercer leurs droits syndicaux. Il inscrira le droit de grève dans la Charte des droits et libertés de la personne et interdira les lockout. Il révisera en profondeur la loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Il veillera à leur respect pour protéger l'ensemble des travailleuses et travailleurs, incluant les temporaires.
Critiques
Ce sont là des revendications justes pour améliorer les conditions de travail, de vie et d'organisations des travailleuses et des travailleurs, mais ces transformations sont reportées à une éventuelle prise de pouvoir par Québec solidaire. Pourtant, face à l'offensive néolibérale et la montée de l'extrême droite et le tournant autoritaire et antisyndical des gouvernements, il y a des tâches pour un parti politique qui ne peut être remis à plus tard. Le programme de Québec solidaire ne peut passer sous silence les tâches qui découlent de cette situation. Le programme du parti doit donc préciser le travail qui doit être fait maintenant pour contribuer à renforcer le rapport de force en sa faveur et pour contrer l'offensive du patronat et des gouvernements à son service.
Amendements et ajouts
Le mouvement syndical québécois est confronté à une offensive patronale et gouvernementale sans précédent, il doit répondre à des défis majeurs : restriction des droits syndicaux, précarisation du travail, privatisation des services publics, explosion des inégalités et crise écologique. La fragmentation du salariat – marquée par la multiplication des emplois temporaires, de l'économie de plateforme et du travail ubérisé – rend l'organisation collective plus difficile, tandis que l'austérité et les PPP grugent nos services essentiels.
Face à ces défis, le mouvement syndical québécois revendique des hausses salariales substantielles, indexées au coût de la vie et la pleine reconnaissance des droits syndicaux dans tous les secteurs. Il exige un réinvestissement massif dans la santé, l'éducation et les services sociaux, ainsi que la construction de logements sociaux accessibles. Dans le contexte de la crise climatique, il met de l'avant la nécessité d'une transition juste : reconvertir les emplois polluants en emplois verts et socialement utiles, développer massivement le transport collectif et reprendre démocratiquement le contrôle des secteurs stratégiques, comme l'énergie, les mines ou le numérique.
Québec solidaire doit soutenir activement les luttes du mouvement syndical pour ces revendications et les défendre sur toutes les tribunes. Cela implique de renforcer la mobilisation de son secteur de travailleurs et travailleuses syndiqués afin de favoriser la mobilisation de l'ensemble de ses membres et de son soutien populaire dans ces combats.
Québec solidaire doit contribuer à construire des alliances solides entre le mouvement syndical et différents secteurs de la société (mouvement étudiant, mouvement féministe, mouvement écologique, mouvement communautaire, mouvement anti-raciste et autochtone), afin de créer un véritable front populaire dans lequel le mouvement syndical est appelé à jouer un rôle essentiel.
Arguments en faveur des ajouts
Si une gestion gouvernementale de gauche apporterait un renforcement essentiel à la défense des droits des travailleuses et des travailleurs, le soutien à la défense de ces droits ne sauraient être reporté à l'éventuelle prise du pouvoir par Québec solidaire. C'est pourquoi il faut que le programme décrive les buts et les formes de l'implication de Québec solidaire dans ce combat.
Intelligence artificielle
2.8 Pour une utilisation responsable de l'intelligence artificielle et des nouvelles technologies
Résumé des propositions soumises à la discussion
Un gouvernement de Québec solidaire instaurera un cadre réglementaire concernant les technologies basées sur les principes de transparence, de transition socioécologique, de respect de l'identité et de la culture québécoise et de respect de la propriété intellectuelle et des droits d'auteurs. Il créera un filet de sécurité pour les travailleurs et travailleuses touchées par l'automatisation. Il exigera une étude d'impact éthique et sociale pour tout déploiement de l'intelligence artificielle dans les services publics. Il s'assurera que la mise en place d'infrastructures numériques se fasse de façon écoresponsable.
Critiques
Ici comme ailleurs, ce sont des propositions importantes, mais elles remettent l'initiative à un éventuel gouvernement de Québec solidaire et à son pouvoir de gestion. Pourtant des acteurs et actrices (syndicats, écologistes, pacifistes, scientifiques) agissent déjà sur le terrain pour contrer les effets négatifs que provoquent déjà la généralisation de l'IA sous l'initiative des grands patrons de la Silicon Valley. Il est donc important que QS se mobilise en alliance avec ces acteurs et actrices pour participer aux combats en cours. Le programme du parti doit refléter cette volonté.
Amendements et ajouts
Face à la généralisation de l'intelligence artificielle (IA) dans les milieux de travail, d'étude et de vie quotidienne, différents acteurs sociaux formulent actuellement des revendications et mettent en œuvre des moyens d'action pour en encadrer l'usage et en réduire les effets négatifs. Québec solidaire doivent soutenir les actions des syndicats qui exigent que l'automatisation ne soit pas synonyme de licenciements massifs et qui demandent que l'introduction de l'IA permette la réduction collective du temps de travail sans perte de salaire.
Québec solidaire soutiendra les revendications des salarié-es qui dénoncent l'utilisation de l'IA visant à renforcer leur surveillance ou à dégrader leur dignité au travail. Québec solidaire se joindra aux campagnes publiques des syndicats visant à dénoncer la surveillance algorithmique ou les suppressions de postes. Québec soutiendra les luttes pour l'imposition de normes communes pour protéger les salarié-es.
Québec solidaire sera partie prenante des actions des militant-es écologistes, qui soulignent l'empreinte écologique et matérielle de l'IA et dénoncent la consommation colossale d'énergie des centres de données et l'extraction de métaux rares nécessaires à son déploiement. QS défendra avec les organisations environnementales les choix technologiques des citoyens-nes et les communautés. QS participera aux campagnes de sensibilisation et aux actions militantes des écologistes pour bloquer l'arbitraire des dirigeants de la tech.
Québec solidaire reprendra à son compte les critiques des scientifiques qui revendiquent un accès public aux codes et aux bases de données, ainsi qu'une évaluation indépendante des impacts sociaux et environnementaux de l'IA. Ils exigent que certaines applications soient interdites, notamment les armes autonomes, les systèmes de notation sociale ou les dispositifs de manipulation politique de masse.
Québec solidaire s'impliquera dans les combats pour refuser que l'IA soit abandonnée au seul pouvoir des grandes entreprises et des gouvernements et pour la soumettre à un contrôle démocratique, transparent et citoyen.
Arguments en faveur des ajouts
En amont d'une éventuelle gestion gouvernementale par Québec solidaire de l'intelligence artificielle, le programme de Québec solidaire, comme parti des urnes et de la rue, doit baliser l'intervention du parti autour de ces enjeux.
Conclusion : les réels enjeux du débat programmatique à Québec solidaire
Le débat sur le programme à Québec solidaire a pour une grande part été présenté comme ayant pour objectif de le rendre plus pédagogique et accessible pour la majorité de la population. En fait, l'ébauche du programme met de côté les engagements politiques liés aux mouvements sociaux et présente essentiellement les politiques d'un éventuel gouvernement de Québec solidaire.
L'enjeu de ce débat est donc, essentiellement, soit de définir le programme comme un plan de gestion d'un gouvernement en attente (ce qui nous est proposé dans le Cahier de propositions), soit comme celui d'un parti des urnes et de la rue qui avance, bien sûr, les orientations d'un gouvernement solidaire, mais qui propose surtout des mesures articulées aux luttes en cours afin d'enraciner le parti dans les mouvements sociaux et de faire du programme un outil de lutte s'adressant à la majorité populaire et à ses organisations : syndicats, groupes féministes, écologistes, étudiants, communautaires et autochtones.
Le programme devient alors une boussole pour la mobilisation et la construction du pouvoir populaire. Les amendements et ajouts proposés ne sont que des pistes pour réinscrire dans le programme une véritable démarche d'un parti des urnes et de la rue.
Je suis « pauvre conne »
Des groupes dénoncent un projet de loi 33 « carcéral » de Doug Ford
Un balado de ¾ d’heure sur l’emprise au Québec-Canada de la plus grande papetière mondiale et championne du pillage écologique en Indonésie
Frédérik Grégoire, sur la base de recherches exhaustives et documentées, a élaboré un balado de trois quarts d'heure sur l'entreprise Asia Paper and Paper (APP) – Paper Excellence – Domtar – Resolu, propriété privée d'une seule personne et plus grande papetière mondiale. On y apprend qu'après avoir qu'après pillé la forêt indonésienne pour ses plantations, drainé des tourbières et, last but not least, anéantit des villages par la violence, le meurtre et le feu, cet oligopole, depuis le début des années 2000, a mis la main sur les deux plus grandes papetières du Canada, Domtar, puis du Québec, Resolu, en 2023. Après avoir contribué à l'épuisement des forêts de la Colombie britannique, dont le nombre de scieries a diminué de 40% en 20 ans, Domtar alias Paper Excellence alias APP s'attaque aux forêts du Québec. Après avoir refusé de comparaître devant un comité parlementaire fédéral, le propriétaire a sollicité une rencontre avec le Premier ministre Legault. Le lien avec le projet de loi 97 crève l'écran. Cette loi, entre autres, supprime les tables locales, où l'industrie forestière est un acteur, pesant faut-il le dire, parmi d'autres pour remettre la gestion des forêts à l'industrie forestière.
Envoi par Marc Bonhomme, 9 septembre 2025
Qui est Jackson Wijaya ? Quels sont ses antécédents de violation de droits humains et de destruction environnementale en Indonésie ? Avec le projet de loi 97, la CAQ aide-t-elle cet homme à vider les forêts du Québec sous le prétexte de protéger des emplois ?
1 : Pétition à l'endroit de François Legault et Terry Duguid : https://chng.it/NB8JCxNv9h
2 : Lettre de Nature Québec à l'endroit de Maïté Blanchette-Vézina : https://naturequebec.org/campagnes/de...
3 : Document sources : https://docs.google.com/document/d/1Z...
4 : Consultation particulière avec l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (1 :10 à 28 :40) : • Les Premières Nations face au PL 97 : Une ...
5 : Consultation particulière avec Nature Québec (4 :27 :55 à 4 :53 :00) : • Les Premières Nations face au PL 97 : Une ...
6 : Entrevue de QUB avec Maïté Blanchette-Vézina : • Échange CORSÉ : la ministre Maïté Blanchett...
7 : Consultation particulière avec le Conseil de l'Industrie Forestière du Québec (1 :57 :55 à 2 :41 :40) : • PL 97 : L'avenir de la foresterie québécoi...
8 : Mon Patreon, si tu as envie de me verser 5$ : https://www.patreon.com/posts/grace-t...
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L’écosocialisme est incontournable, bon marché, solidaire, emballant
En quelques lignes, dans sa série de deux articles publiés par le site À l'Encontre et repris par ESSF et Presse-toi-à-gauche, Robert Lochhead brosse un tableau percutant de l'état du monde tout en soulignant pourquoi l'essentiel, la crise climatique, est perdue de vue :
Depuis 1990, toute la politique du réchauffement climatique n'a-t-elle donc été qu'un théâtre hypocrite ?
L'objectif de Paris en 2015, c'était de ne pas dépasser en 2100, 1,5ºC-2ºC de plus qu'en 1850. Or aujourd'hui, nous avons déjà atteint 1,5ºC de plus et le monde continue à brûler toujours plus de combustibles fossiles. À ce rythme, nous allons vers 3ºC voire 4ºC de plus en 2100. Soit un monde invivable pour les milliards d'êtres humains les plus vulnérables.
L'ambiance est plombée par l'extermination des Palestiniens à Gaza, la récente guerre d'Israël et des États-Unis contre l'Iran, et la poursuite de l'offensive russe contre l'Ukraine, et les progrès partout de l'extrême-droite, qui est négationniste du réchauffement climatique.
La faim, la misère, les guerres, l'oppression, l'exploitation avec ses bas salaires et la précarité, ainsi que les distractions des médias, masquent le problème aux yeux des larges masses que les gouvernements ne se préoccupent d'ailleurs pas d'éclairer et alerter.
Tout le bla-bla-bla des COP, de dire Greta Thunberg, depuis plus de trente ans, soit depuis la conférence internationale sur le climat à Rio de Janeiro en 1992, a abouti à ce que « [d]e 1990 à 2021, la part à la production mondiale primaire d'énergie des combustibles fossiles a, certes, baissé de 81,36% à 80,34% grâce au développement des énergies renouvelables. Mais leur quantité absolue a presque doublé… » Côté génération d'électricité, « le solaire et l'éolien [en] représentent aujourd'hui 10%. » Pourquoi ce quasi-boycott de la prise en main climatique ? D'expliquer Robert Lochhead :
Globalement, le coût de remplacement de l'infrastructure fossile et nucléaire existante est d'au moins 15 à 20 trillions [mille milliards] de dollars. […] Les capitalistes des fossiles ne défendent pas seulement leurs profits mais surtout la rentabilité de leurs gigantesques capitaux fixes pas encore amortis et résultant d'investissements réalisés relativement récemment partout dans le monde. Probablement que beaucoup de décideurs du monde se rassurent en pensant que le progrès scientifique va apporter dans dix ou vingt ans des solutions insoupçonnées aujourd'hui qui ne perturberont pas la marche du business et permettront même de faire des bonnes affaires. Et, si possible, faire payer la facture aux salariés-consommateurs, par le jeu des prix protégeant les profits, ce qui ne cesse de discréditer la lutte contre le changement climatique aux yeux des couches les plus pauvres de la population, ce que l'extrême-droite exploite malicieusement.
Le mythe de la gratuité des énergies dites renouvelables ignorant les coûts fixes
À cette explication lapidaire mais en plein dans le mil, l'auteur en ajoute cependant une autre : « …la baisse des prix des énergies renouvelables diminue la rentabilité des capitaux qui s'y placent pour les vendre. Une fois que les panneaux solaires sont vendus et installés, le soleil est gratuit alors que les combustibles fossiles doivent être achetés tous les jours. Seuls les combustibles fossiles offrent des bénéfices à deux chiffres. » Ce point apparaît exact mais il est finalement incorrect. Les énergies solaire et éolienne sont certes plus qu'abondantes, partout et apparemment gratuites mais elles sont aussi diffuses (non concentrées comme celles fossiles) et intermittentes. En découle que par kWh elles requièrent beaucoup plus de matériaux et d'espace que les hydrocarbures y compris pour les fermes de batteries ou autres technologies d'entreposage.
On objectera fort à propos que les énergies solaire et éolienne étant partout, elles n'ont pas besoin de coûteux systèmes de transport (pipelines, chemins de fer, bateaux, ports) en autant que leur production soit décentralisée. Sauf pour le solaire auto-produit, il faut quand même un réseau électrique adaptée au grand nombre de sources de captation et au caractère variable de celle-ci, ce qui n'est pas bon marché. Somme toute, si les énergies solaire et éolienne ont un coût variable nul, leur coût fixe dû aux équipements gargantuesques pour les capter et les stocker est loin de l'être. À bien y penser, les hydrocarbures sont eux aussi gratuits sous forme brute. Ils sont aussi un cadeau de la nature. Leurs coûts résident dans leur extraction, leur raffinage pour le pétrole, et surtout leur transport tandis que les coûts des énergies solaire et éolien résident dans leur captationtransformation, une forme d'extraction, et leur transport.
La rente des fossiles soutenue par les ÉU les avantage malgré un coût supérieur
Dans les deux cas, le prix rentabilise les coûts fixes non seulement en fonction du profit moyen de l'économie globale mais aussi de la rente propre à l'extraction des ressources naturelles. La rente des hydrocarbures est surtout fonction de la difficulté de l'extraction mais aussi de la distance du transport. La rente des productions éolienne et solaire est fonction du degré d'ensoleillement ou de l'intensité-régularité du vent de la localisation des équipements de captation et aussi du transport. La différence entre les deux systèmes est que celui des hydrocarbures est mature. En termes de la loi du développement capitaliste menant à la centralisation-concentration il est sous l'emprise d'oligopoles géants, privés et étatiques, opérant mondialement. Le système des énergies renouvelables est en développement, quoique certaines entreprises émergent. Donc ce dernier reste fortement concurrentiel comme en témoignent les difficultés de l'industrie des panneaux solaires en Chine et même celle éolienne sous attaque trumpienne.
Il en découle que le secteur des hydrocarbures paraît plus rentable que celui solaire-éolien bien que le coût moyen par kWh de l'énergie solaire-éolienne est depuis peu moins élevé en général que celui des hydrocarbures. Ce facteur économique se combine à un facteur politique. Dans l'affrontement des deux superpuissances pour l'hégémonie mondiale, la plus puissante a opté toutes voiles déployées pour les hydrocarbures au point de menacer la rentabilité du secteur éolien par ses annulations de projet. La Chine, quant à elle, a opté pour le solaireéolien au point de mettre en cause la rentabilité du solaire par son généreux soutien à ce secteur.
Attention ici au terme chargé idéologiquement de « renouvelable ». Les réserves de charbon peuvent encore durer plus d'un siècle, et la technologie du fracking a repoussé les réserves pétrolières et gazières prouvées à un demi-siècle dans chaque cas. Cependant, les sites les moins chers pour l'extraction des hydrocarbures ont été épuisés depuis longtemps quoique les dictatures du MoyenOrient, en connivence avec les grandes pétrolières, les égrainent à petit feu pour maximiser leurs rentes. Quant au solaire-éolien, les meilleurs sites abondent encore non seulement ceux les plus ensoleillés ou venteux mais ceux à proximité des réseaux de transport et des importantes clientèles. Ce facteur rentier y est pour beaucoup afin d'expliquer le récent coût inférieur des énergies dites renouvelables.
Les énergies solaire-éolienne amplifient et se superposent aux énergies fossiles
Les énergies renouvelables charrient leur lot de pollution et d'épuisement des ressources y compris pour les émanations de GES et la destruction des habitats. Comme les énergies fossiles, elles ne remettent pas en question la domination du système de transport par le véhicule solo, celui électrique se substituant celui à essence, et de ce fait la domination de l'habitat humain par la « villa unifamiliale » pour employer la juste expression de Robert Lochhead. En résulte dans les deux cas un étalement urbain à la circulation congestionnée dévoreur énergivore de ciment, d'acier et d'asphalte sans compter les espaces naturels et agricoles et emprisonnant le peuple-travailleur dans le piège de la dette hypothécaire et automobile.
La fabrication des véhicules individuels électriques, en particulier des batteries, est aussi très polluante et énergivore et par là émettrice de GES puisque 80% de l'énergie mondiale est encore fossile comme le rappelle fort à propos Robert Lochhead. Même l'exception hydroélectrique québécoise n'y échappe pas totalement puisque les mines nordiques loin du réseau électrique doivent recourir à l'énergie fossile. Non seulement le tout-électrique dit renouvelable ne se détache pas des énergies fossiles mais tant leur recours à davantage de matériaux par kWh produit, l'onéreux objectif de la substitution des fossiles par les dite renouvelables et la complexité technologique des panneaux, éoliennes et batteries exigent une expansion géométrique des mines à ciel ouvert, nécessitées par la très basse densité dans la croûte terrestre de ces minéraux et terres rares, avec leurs ravages connus environnementaux et sociaux. Finalement les énergies dites renouvelables loin de se substituer aux énergies fossiles s'y superposent comme au XXe siècle le pétrole et le gaz n'ont pas remplacé le charbon mais s'y sont ajoutés tout en le laissant croître et de beaucoup.
L'auteur oublie la croissance inhérente au capitalisme vert à soutenir par la gauche !
On touche ici à la croissance inhérente au capitalisme du simple fait de l'accumulation du capital cherchant à se valoriser pour ne pas périr. Mais l'auteur n'aborde pas le débat sur la décroissance car « [i]l n'existe aujourd'hui aucun rapport de forces social pour un écosocialisme même si c'est la solution véritable. Cela n'imposerait rien de moins qu'abolir le capitalisme. » D'office Robert Lochhead accepte donc par défaut l'inévitable paradigme de la croissance. Plutôt « il faut proposer à un mouvement social des objectifs prioritaires, à court et moyen terme, qui soient le ferment d'une lutte à long terme plus globale. Des objectifs qui soient repris par un mouvement social comme un pont entre la situation actuelle et la nécessaire transition ces prochaines années vers des objectifs de transformation à grande échelle plus vastes si le mouvement social se renforce. » Concrètement, il s'agit de « l'idée d'un plan Marshall » soit un capitalisme vert passant de petits projets, qui en ce moment pullulent, à de grands projets qui font une différence.
De dire l'auteur, « [j]e paraphrase le Programme de Transition de Léon Trotsky de 1938 » du moins il s'en inspire. Est-ce que l'actuel capitalisme vert des petits projets peut mener à celui des grands projets comme antichambre de la rupture écosocialiste ? That is the question. L'auteur prend la peine de chiffrer ce saut vers les grands projets :
[Selon Cédric Durand] Dans son dernier rapport sur l'énergie, Bloomberg (New Energy Outlook 2021) estime qu'une économie mondiale en croissance nécessitera un niveau d'investissement dans l'approvisionnement et les infrastructures énergétiques compris entre 92 000 et 173 000 milliards de dollars au cours des trente prochaines années. L'investissement annuel devra plus que doubler, passant d'environ 1700 milliards de dollars par an aujourd'hui à une moyenne comprise entre 3100 et 5800 milliards de dollars par année. »
L'auteur montre que de telles sommes sont déjà disponibles chaque année mais que le grand capital les oriente essentiellement vers le statu quo des hydrocarbures :
De COP en COP, ce sont 1300 milliards $ qui ont été promis aux pays dits en développement pour chaque année dès 2035. Une grande partie seront des prêts, qui vont augmenter leur dette, et le reste devrait être des investissements privés. Cela reste vague. [16] Ce sont des promesses. Pour le moment, même les 100 milliards par année promis pour le Fonds vert pour le Climat, destiné à être géré par la Banque mondiale, n'ont pas été versés par les pays riches. Entretemps, durant l'année 2021-2022, les compagnies pétrolières et gazières ont fait 4000 milliards $ de bénéfices.
Comment y arriver ?
Il faudrait exiger des conférences internationales des pays disposés à agir efficacement et qui constituent une masse suffisante pour avoir un effet notable sur la planète, ce qui est appelé diplomatiquement « union of the willing. » Par exemple, l'Union européenne plus le Canada, l'Australie et la Nouvelle Zélande, soit des pays où une pression populaire, une force démocratique, peut s'exercer sur les gouvernements. Plus la Chine, si elle réalise ses promesses de mesures efficaces contre le réchauffement climatique.
Robert Lochhead propose une poussée mobilisatrice au sein des pays du vieil impérialisme qui jusqu'ici reste fidèle à l'application des normes de la démocratie parlementaire, même virant à droite toute, sur fond d'une économie néolibérale se durcissant. Faute, selon ces critères, de pouvoir inclure les ÉU trumpiens et ainsi pouvoir prétendre à une masse critique, il inclut la Chine, à la fois championne des énergies fossiles et renouvelables, se situant cependant aux antipodes de toute démocratie quelle qu'elle soit. Probablement que l'auteur s'en remet à la logique de la compétition entre les deux superpuissances eu égard aux formes d'énergie.
Une transition à la Trotski consolidant le capitalisme vert contre l'écosocialisme !
Est-ce là une logique de transition à la Trotski créant les « conditions gagnantes » d'une rupture écosocialiste ? Qui dit rupture écosocialiste dit décroissance matérielle et croissance des services aux personnes, à commencer par ceux publics tendant à la gratuité parce que financés par la socialisation de la Finance et par la fiscalité progressive. Il y a les services publics existants à approfondir pour annuler les coupes qui les ont charcutés au point de leur faire mauvaise réputation, et ceux à élargir pour répondre à des besoins essentiels tels les transports, le logement social, l'énergie et l'alimentation de base, l'accès aux lacs et rivières… Il s'agit aussi d'un enjeu qualitatif et non seulement quantitatif. Le principe de décroissance matérielle commande de substituer le transport actif et en commun au véhicule privé, le logement collectif entouré de services de proximité, de jardins communautaires et parcs accessibles à pied à la place de la villa unifamiliale dans des banlieues motorisées, des aliments végétariens et frais remplaçant viandes et aliments ultratransformés, des vêtements originaux qui durent remplaçant ceux prêts-à-porter-prêts-à-jeter, des produit électroménagers et électroniques durables et réparables.
Rien à voir donc avec la société de consommation de masse qui répond de travers
ou pas du tout aux besoins essentiels parce qu'elle est le corollaire de l'accumulation capitaliste. L'écosocialisme, au contraire, récuse la logique capitaliste de la compétition de toustes contre toustes visant l'accumulation matérielle illimitée et aboutissant au militarisme pour lui substituer une société du soin et du lien axé sur le développement des personnes et sur leur solidarité pour ne laisser personne derrière. Une société écosocialiste ne vise donc pas à produire pour produire mais à produire pour reproduire une société de plus en plus riche socialement que ce soit dans le domaine des sciences, des arts, de l'organisation solidaire. Il n'est pas étonnant que l'écosocialisme converge avec l'écoféminisme axé aussi sur le soin et le lien pour la reproduction sociale et sur le buen vivir autochtone axé sur la reproduction de la terre-mère étant entendu que l'un est nécessaire à l'autre et vice-versa.
Le passage des « petits projets » aux « grands projets » prépare-t-il la rupture écosocialiste ? Ce passage s'accomplissant dans le cadre du capitalisme, il déboucherait sur de grandes réformes propres au croissanciste capitalisme vert. L'image qui vient en tête est l'actuel modèle chinois étendu au moins aux grands pays riches sauf aux ÉU nous dit l'auteur. On peut imaginer au mieux une course entre énergies dites renouvelables et celles fossiles que gagneraient à terme, mais quand, les premières. Mais comme les lourds investissements massifs dans les équipements pour les énergies renouvelables, en croissance continuelle, nécessitent le recours aux énergies fossiles pour un bon bout de temps, les énergies fossiles continueront de croître même si elles deviendront relativement moins importantes que celles renouvelables.
« Grands projets » vers le « basculement catastrophique de la civilisation humaine »
La vitesse de croisière de ce réformisme vert n'est pas suffisante pour respecter les plafonds prudents de hausse de la température fixés par le GIEC avant que se déclenchent les rétroactions dues aux points de bascule (fonte des glaciers, permafrost…) qui provoqueront « un basculement catastrophique de la civilisation humaine » comme l'auteur le dit et le montre. Il faudra donc, en parallèle, pour reprendre des parties de sous-titres de l'auteur, « [c]apturer le CO2… », utiliser des « technologies à émissions négatives » comme « la BECCS, bioénergie avec capture et séquestration du carbone » et « [r]efroidir l'atmosphère… » c'est-à-dire des technologies d'apprentis-sorciers extrêmement coûteuses et non technologiquement abouties. Toutefois, l'auteur pense que ces « grands projets » pourront s'en dispenser car il oublie l'impératif de la croissance. Les conséquences en seront autant de lucratives occasions d'investissement par le grand capital. Mais comme ces gargantuesques projets ne participent pas à la reproduction de la société, en particulier à celle de la force de travail, sauf en creux, ils exigeront un soutien étatique massif lequel imposera, impose déjà, une austérité permanente.
On peut gager que s'enfoncer dans cette voie provoquera d'immenses clash de luttes sociales ce qui contraindra le capitalisme néolibéral à se muer en régime néofasciste… lequel pourrait se muer en écofascisme par nécessité de survie de l'humanité pour que le capitalisme survive.
On constate que l'on se situe aux antipodes de l'antichambre de l'écosocialisme. Le passage des « petits projets » aux « grands projets » n'a rien à voir avec un programme de transition trotskyste mais tout à voir avec un cul-de-sac réformiste. Cyniquement, on pourrait invoquer la politique du pire en se disant que le cul-desac du capitalisme vert poussé à bout pourrait tout autant provoquer une révolution écosocialiste que l'écofascisme. C'est oublier que la politique du pire mène au pire car elle repose sur une fausse solution, le capitalisme vert, trompeuse, démoralisante et démobilisante. Est-ce à dire qu'étant donné le rapport de forces, l'écosocialisme est inatteignable comme le dit l'auteur ? D'autant plus que l'alliance avec le capitalisme « progressiste » afin de faire débloquer la lutte pour le capitalisme vert contre les tenants du capitalisme fossile est une illusion étant donné que le croissancisme capitaliste ne mène pas au remplacement de celui des hydrocarbures mais à leur imbrication l'un dans l'autre ce qui mène aux gargantuesques et ubuesques « technologies à émissions négatives ». L'erreur de fond de Robert Lochhead est, en ignorant le croissancisme inhérent au capitalisme, d'avoir pensé que les « grands projets » permettraient de substituer les énergies dites renouvelables à celles fossiles.
L'écosocialisme s'impose de soi et s'éclaircira par la lutte pour les réformes
N'en reste pas moins, objecterait l'auteur, que se pose le réalisme de la lutte écosocialiste. Le premier atout de l'écosocialisme c'est sa nécessité une fois levé l'obstacle de la pseudo-solution du capitalisme vert. Comme le synthétise l'auteur, cité au début de ce texte, le monde capitaliste est en train de sombrer dans l'enfer de la terre-étuve. Aveuglé par le soutien du génocide du peuple palestinien, ce monde renie l'abc des droits humains au prix de sa militarisation. Obnubilé par l'attraction des milliardaires se détachant de la réalité quotidienne, ce monde abandonne à sa misère et à ses inégalités le peuple-travailleur dont il stimule la haine de soi en le divisant contre lui-même par l'instrumentalisation de ses superficielles différences de sexe, de genre, de race et d'ethnies. Le deuxième atout en est la faisabilité technologique et financière par rapport au capitalisme vert. L'écosocialisme est technologiquement mature même s'il pourrait bénéficier d'inventivité technologique à sa mesure — science et technologie ne sont pas neutres — par exemple pour la bio-agriculture. Il est relativement bon marché : par exemple du logement social écoénergétique pour tout le monde dans un habitat débarrassé de l'auto solo par rapport à des banlieues tentaculaires de villas unifamiliales. Si l'expropriation du capital financier, la tête pensante du capitalisme, est indispensable, c'est davantage pour parer aux folies des grands projets inutiles à la rentabilité forcée que pour financer les projets écosocialistes.
Last but not least, l'écosocialisme est une société de bonheur maximisant temps libre et solidarité : le travail socialement nécessaire est avant tout axé sur le soin et le lien écoféministe pendant que l'effondrement de la production matérielle de masse dégage pour soi et pour les autres ce précieux temps hors travail obligatoire. C'est à se demander pourquoi la lutte pour l'écosocialisme ne soulève pas l'enthousiasme. Cette faille montre à quel point l'échec du socialisme du XXe siècle, en fait sa terrible déformation, a troublé les esprits au point de rendre la fin du monde plus plausible que la fin du capitalisme. Pour s'encourager, la lutte pour des réformes spécifiques retrouve toute sa place, par exemple « [r]emplacer tout le chauffage des bâtiments au mazout et au gaz naturel par du chauffage électrique [tout en les éco-énergisant], par une campagne volontariste sur 10 ans […] électrifier rapidement camions et bus qui sont relativement moins nombreux et appartiennent pour la plupart à des entreprises importantes qui en ont les moyens [et non subventionner l'achat de véhicules électriques perpétuant le capitalisme vert], annuler la dette des pays sub-sahariens.
C'est dans la lutte pour ce genre de réformes, même si elles sont loin de s'attaquer aux contradictions du capitalisme vert, que le peuple-travailleur pourra reconstruire son unité combative et retrouver son élan révolutionnaire d'il y a un siècle tout en approfondissant chemin faisant sa compréhension des tromperies du capitalisme vert. Et cette lutte est une authentique lutte de classe comme le montre le tableau d'Oxfam reproduit par l'auteur : la consommation des 10% les plus riches est responsable 50% de l'effet de serre contre 10% pour le 50% le plus pauvre. Reste ce milieu ambivalent (40% responsable de 40%), majoritaire dans les pays du vieil impérialisme, qui doive se brancher. Secouons nos puces, camardes.
Marc Bonhomme, 7 septembre 2025
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

La lutte du syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, un enjeu pour tout le mouvement ouvrier
Le syndicat des travailleurs et travailleuses des postes fait face à un vent contraire venant de deux sources qui se combinent. Le refus de négocier de Poste Canada qui s'en tient qu'aux reculs et l'offensive antisyndicale du gouvernement Carney et ses comparses du monde patronal.
Les employéEs du Port de Montréal et de Colombie Britannique avaient été obligés de retourner au travail en novembre 2024 ainsi que les employéEs ferroviaires en août en envoyant les parties en arbitrage exécutoire forçant les employés à retourner au travail.
La même situation s'était reproduite avec les employéEs de Postes Canada en décembre mais cette-vois-ci le ministre n'a pas imposé l'arbitrage, mais a créé une commission d'enquête sur les relations de travail, qui devait remettre son rapport le 22 mai 2025. Dirigée par William Kaplan, médiateur et arbitre ce dernier a émis ses recommandations le 15 mai.
Selon le syndicat, ce rapport penche fortement en faveur des positions et des recommandations de Postes Canada. "Nous sommes fondamentalement en désaccord avec la majeure partie de ses recommandations et contestons certains des renseignements sur lesquels elles sont fondées. Nous nous sommes également opposés au processus de la Commission dans son ensemble, mais nous étions d'avis que nous nous devions d'y participer afin de donner une voix aux travailleurs et travailleuses des postes". Le rapport présente également trois situations possibles après le 22 mai. Il est important de noter que les recommandations du commissaire Kaplan ne seront pas nécessairement mises en œuvre ; il revient à la ministre Patty Hadju de décider si elle donnera suite au rapport ou non.
À la fin mai, le STTP avait demandé un arbitrage exécutoire afin de mettre fin au refus de négocier de Poste Canada. Ce dernier avait rejeté cavalièrement cette proposition, affirmant vouloir rétablir la stabilité du système postal et soutenait que l'arbitrage serait long. [1]
Le 30 mai, Postes Canada demandait à la nouvelle ministre de l'Emploi et de la Famille, Patty Hajdu, d'obliger les membres STTP à voter directement sur l'offre "finale" de la société d'État. En vertu de l'article 108.1 du Code canadien du travail (CCT), le ministre a le pouvoir de court-circuiter les représentants syndicaux et d'obliger les membres à voter directement sur l'offre de l'employeur. Si une majorité simple des travailleurs et travailleuses votaient en faveur de l'offre de Postes Canada, une nouvelle convention collective aurait été imposée, mettant fin à la capacité du syndicat de négocier. [2]. C'est une première en termes d'offensive antisyndicale.
Postes Canada a mis toutes les énergies pour mettre le syndicat de côté
Selon les dirigeants syndicaux Renaud Viel et Yanick Scott respectivement président de la section locale de Montréal et directeur national, la direction de Postes Canada a mis toutes les énergies possibles afin de convaincre les membres de voter en faveur. Ils ont multiplié les courriels et les contacts directs aux employéEs utilisant même les modules téléphoniques internes des facteurs et factrices pour leur texter des messages les incitant à voter en faveur. Le syndicat a fait campagne contre et a rencontré le plus de membres possible, mais n'avait certainement pas les mêmes ressources que la direction de Postes Canada.
De tout temps c'est le syndicat qui réunit les membres dans des assemblées où il explique les enjeux avant de procéder à un vote pour l'acceptation ou non de la convention collective négociée.
Malgré ce vote imposé, 70% des membres ont refusé la proposition patronale. Au total 80% des membres ont voté, soit environ 40 000 membres. Cela a confirmé la détermination des membres du syndicat à poursuivre la lutte.
Le STTP a remis des offres le 20 août, les rencontres ont été reportées par la direction de Poste Canada et aucune rencontre n'est prévue à ce jour. Pendant ce temps, Postes Canada coupe les postes vacants, ce qui correspond à environ 10% des effectifs. Cela provoque des réaffectations et des mouvements de personnel.
Les conditions de travail découragent beaucoup d'employéEs qui quittent, il y a donc un gros taux de roulement et plus de nouveaux et nouvelles employéEs, qui se retrouvent toujours à l'échelon de salaire le plus bas. Le syndicat revendique donc une réduction des 7 échelons de salaire qui existent depuis la convention collective de 2013.
Les perspectives de la direction de Poste Canada demeurent en majorité dans ce qui est en baisse et dans certains cas disparaitre, il n'y a pas d'emphase sur les colis. Elle veut plus de Temps Partiel, flexibles, de fin de semaine. En fait Poste Canada veut des TP partout et considère ces items non négociables. Pour ces raisons, le STTP a demandé l'arbitrage.
La mauvaise gestion de Postes Canada explique ses difficultés financières
Postes Canada impute ses difficultés financières principalement à la grève du STTP en 2024, la baisse des volumes de la poste-lettres et augmentation de remise et la baisse des volumes de colis, et des recettes qui en découlent, en raison de la concurrence.
Selon la présidente nationale du STTP Jan Simpson, la situation financière de Postes Canada découle des décisions de sa haute direction. La société d'État dépense sans compter, ses dépenses autres qu'en main-d'œuvre grimpent en flèche. Ses états financiers indiquent que, de 2017 à 2023, ses dépenses non salariales ont augmenté de plus d'un milliard $ par année, soit une hausse de 56,5 %. Au cours de la même période, les salaires n'ont augmenté que de 14,1 %. Par ailleurs, de mai 2023 jusqu'à au moins mai 2025, Postes Canada est exemptée de cotisations au régime de retraite. Ce ne sont pas les salaires et les avantages sociaux qui sont en cause, mais bien la mauvaise gestion et les dépenses excessives de Postes Canada. La véritable question à se poser est la suivante : où va tout l'argent que dépense Postes Canada ?
À l'origine, le plan quinquennal de Postes Canada allouait quatre milliards $ pour la mise à niveau des infrastructures afin de répondre à l'explosion du nombre de colis durant la pandémie. Or, lorsque la croissance du nombre de colis a fléchi, Postes Canada a continué de dépenser.
En somme, quatre milliards $ dépensés en cinq ans équivaut à 800 millions $ par année, d'où la perte financière de 748 millions $ pour l'exercice 2023. [3]
Contrer l'offensive anti ouvrière
Poste Canada manipule l'opinion publique et prend prétexte de la pression à la baisse qu'impose le secteur privé sur les conditions de travail des travailleurs et travailleuses du secteur public. La majorité des compagnies privées de livraison de colis donnent la livraison en sous-traitance, soustrayant ainsi les travailleurs et travailleuses aux règles du code du travail et à des conditions de travail décentes. Ce qui donne prétexte à Poste Canada de faire pression sur ses employéEs pour abaisser les salaires et les conditions de travail.
La législation concernant la livraison de colis doit être modifiée pour devenir similaire à celle de la Poste-lettre, afin d'offrir un service universel. Cela ouvrirait la porte à l'obtention de conditions de travail équitables pour l'ensemble des travailleurs et travailleuses. Les compagnies privées y trouveraient ainsi moins d'intérêt, ce qui permettrait au service postal public de reprendre ce marché.
Cette situation renforcerait le mouvement syndical et permettrait d'élargir la portée de conditions de travail décentes et mieux rémunérées à une plus grande partie de la population. On comprend que le gouvernement canadien a un tout autre agenda, Carney nous l'a bien démontré.
Le PDG du Business Council, Goldy Hyder, a obtenu une rencontre en face à face avec le premier ministre Mark Carney quelques jours à peine après son élection. Par l'intermédiaire du Business Council, le Canada des grandes entreprises a formulé son cahier de doléances sans détour : accélérer l'extraction des ressources, réduire les impôts pour les géants du numérique et les riches, démanteler les services publics et injecter des fonds massifs dans l'industrie de l'armement. [4]
Le STTP est à l'avant-garde de la lutte ouvrière dans l'état canadien, Carney et les grandes entreprises l'ont bien compris. À nous maintenant de construire la solidarité, la lutte du STTP c'est la lutte de tout le mouvement ouvrier !
André Frappier
[1] Postes Canada rejette la demande d'arbitrage exécutoire du syndicat Radio-Canada.https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2169117/postes-canada-rejet-proposition-syndicat-arbitrage-executoire#:~:text=Postes%20Canada%20affirme%20que%20ses,les%20n%C3%A9gociations%20avec%20le%20syndicat.&text=Postes%20Canada%20a%20rejet%C3%A9%20la,travail%20%C3%A0%20un%20arbitrage%20ex%C3%A9cutoire.
[2] The Maple https://canadiandimension.com/articles/view/under-mark-carney-capitals-leading-lobby-group-is-back-in-the-drivers-seat
[3] Communiqué STTP 16 Août 2024 2023-2027/123 No. 23
[4] Sous Mark Carney, le principal groupe de pression du capital reprend le volant DE : Nicolas Barry-Shaw. https://canadiandimension.com/articles/view/under-mark-carney-capitals-leading-lobby-group-is-back-in-the-drivers-seat

L’Association des résidents et résidentes de Buckingham rencontre les représentants d’Enbridge et dénonce les incohérences du tracé retenu pour le projet de conduite d’hydrogène
Gatineau, le 8 septembre 2025 – L'Association des résidents et résidentes de Buckingham (ARB) a rencontré, vendredi le 5 septembre, les représentants d'Enbridge afin de discuter du projet de conduite à 100 % d'hydrogène dont le tracé retenu traverse les secteurs résidentiels de Buckingham et Masson-Angers. Edmond Leclerc, conseiller municipal du secteur Buckingham était présent à la rencontre à titre d'observateur. Malgré l'invitation envoyée au Service de la
sécurité publique de Gatineau, aucun représentant ne s'est présenté.
La conduite à haute pression serait enfouie dans les rues résidentielles, longeant notamment une école, des services de garde, des résidences pour aînés ainsi que trois zones à risque de glissements de terrain. Malgré les assurances de l'entreprise, l'ARB a mis en lumière plusieurs incohérences dans la façon dont Enbridge présente son projet :
• Sécurité mise au second plan : Enbridge a reconnu que la zone d'impact d'un incident pourrait s'étendre sur « quelques dizaines de mètres », ce qui comprend des maisons et bâtiments publics longeant le tracé. Malgré cela, l'entreprise semble avoir retenu la solution la plus opportune pour l'entreprise : utiliser les emprises municipales existantes le long de la rue Georges et de la 148, sans étude transparente des corridors alternatifs plus sûrs comme les lignes d'Hydro-Québec ou l'autoroute 50. Il nous semble que ce choix s'explique par la pression d'avancer rapidement ce projet stratégique pour l'industrie face à l'utilisation prometteuse de l'hydrogène. Mais derrière cette justification, un fait demeure : la sécurité des citoyens n'a pas été le premier critère.
• Normes minimales seulement : Enbridge promet de respecter les normes en vigueur, dont la CSA Z662, qui renvoie à la sécurité des réseaux de canalisations de pétrole et de gaz. Ces normes servent d'exigences minimales, et non de meilleures pratiques. Pour un premier projet de ce type au monde, se limiter au strict minimum n'est pas acceptable.
• Tracés alternatifs peu ou pas étudiés : Les corridors d'Hydro-Québec et l'autoroute 50 n'ont jamais été sérieusement étudiés par Enbridge suite aux demandes d'accès à l'information effectuées par l'ARB auprès d'Hydro-Québec.
• Enbridge affirme que son projet n'est pas assujetti à l'article 31.1 de la Loi sur la qualité de l'environnement. En effet, le tracé a été calibré à 3 999 kPa, soit juste en dessous du seuil de 4 000 kPa qui déclenche automatiquement un examen du BAPE. Toutefois, l'article 31.1.1 de la même loi accorde au ministre de l'Environnement un pouvoir
discrétionnaire par lequel le projet peut être soumis à une évaluation complète si le ministre juge qu'il présente des risques majeurs ou soulève une forte inquiétude citoyenne.
L'ARB demande :
• Qu'un examen complet par le BAPE soit effectué sans délai ;
• Que le projet soit reconnu et traité comme une conduite de transmission, avec toutes les normes de sécurités qui s'y appliquent ;
• Qu'Enbridge étudie et privilégie un tracé plus sécuritaire, éloigné des secteurs résidentiels.
Le 16 septembre prochain, la séance du conseil de ville se tiendra à Buckingham, à laquelle le conseil municipal se prononcera sur l'avis de proposition d'une résolution pour que la Ville de Gatineau demande officiellement au gouvernement du Québec d'assujettir le projet d'hydrogénoduc d'Enbridge à une évaluation environnementale complète incluant la tenue d'audiences publiques par le BAPE.
« Nous sommes pour une transition énergétique acceptable et sécuritaire. Si Enbridge veut faire du Québec un pionnier en transport d'hydrogène, cela doit se faire avec transparence et selon des normes dignes d'un premier projet de ce type, et non en banalisant les risques et les particularités de l'hydrogène. Le vrai choix sécuritaire, c'est d'éviter d'enfouir la conduite dans les rues au cœur de nos quartiers » - Nicole Robitaille-Carrière, présidente de l'ARB
À propos de l'ARB
L'Association des résidents et résidentes de Buckingham est un organisme à but non lucratif et un regroupement citoyen indépendant voué à informer les résidents face aux projets et enjeux locaux. Elle agit pour protéger la santé, la sécurité et la qualité de vie de la communauté.
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ARB - Association des résidents et résidentes de Buckingham
Une question de sécurité / A Safety Review - Projet H2 à Gatineau.
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La libération de la Palestine : un combat anticolonial et antifasciste
Dans ce nouvel épisode de son podcast « Minuit dans le siècle » (produit pour Spectre et disponible sur toutes les plateformes d'écoute), Ugo Palheta reçoit Omar Alsoumi, militant franco-palestinien et l'un des principaux animateurs de l'organisation Urgence Palestine. Centrale dans l'organisation des mobilisations en solidarité avec Gaza et la Palestine au cours des deux dernières années, Urgence Palestine est menacée de dissolution par le gouvernement actuel.
6 septembre 2025 | tiré de contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/liberation-palestine-combat-anticolonial-antifasciste-alsoumi-podcast/
Omar Alsoumi évoque son parcours et revient sur la trajectoire des mouvements de solidarité avec la Palestine au cours des vingt-cinq dernières années en France, revenant sur l'importance de faire place aux récits palestiniens, de Palestiniens qui résistent et combattent, loin de l'image paternaliste de « victimes parfaites » (Mohammed El-Kurd).
Il souligne ce que représente le combat pour la libération de la Palestine pour des millions de personnes à l'échelle globale, en particulier dans un pays comme la France marquée à la fois par la vigueur du racisme colonial (islamophobie) et par une forte immigration postcoloniale, la portée à la fois singulière et universelle de ce combat, sa dimension matérielle, géostratégique, mais aussi spirituelle. Nous discutons enfin du lien indissociable entre fascisme et colonialisme, mais aussi des menaces auxquelles fait face Urgence Palestine dans un contexte de fascisation de l'ordre capitaliste-néolibéral, particulièrement marqué en France.
Enregistrement le 17 juin 2025. Mixage : Aurélien Thome.
Crédit photo : Photothèque Rouge /Martin Noda / Hans Lucas

Uni.es contre le projet de loi C2 (Loi visant une sécurité rigoureuse à la frontière)
Le 3 juin dernier, le gouvernement déposait le projet de loi C-2, le « Stronger Border Act ». Une loi omnibus qui s'attaque de front aux droits fondamentaux : restriction de l'asile, extension de la surveillance et du partage de données, modification d'une dizaine de lois (immigration, sécurité publique, criminalité, douanes, renseignement, communications, finances, surveillance côtière).
En collaboration avec le Front "Uni.es contre le projet de loi C2", nous avons produit cette capsule qui explique concrètement ce que contiennent ces mesures, leurs impacts sur les personnes migrantes et demandeuses d'asile, et pourquoi il est urgent de se mobiliser pour exiger le retrait de C-2.
Avec la participation de Laurence Guénette (Ligue des Droits et Libertés), Sylvie St-Amand (Fédération des femmes du Québec), Amel Zaazaa (L'Observatoire pour la justice migrante), Harrold Babon (Clinique pour la justice migrante), Marisa Berry Mendes (Amnistie internationale Canada Francophone), Melissa Claisse (Collectif Bienvenue - Welcome Collective) et François Loza Rodriguez (TCRI).
À voir et à partager largement.
Cette vidéo a été produite par l'Observatoire pour la justice migrante.
Le 3 juin dernier, le gouvernement déposait le projet de loi C-2, le « Stronger Border Act ». Une loi omnibus qui s'attaque de fronts aux droits …

La peau familière
Parution le 5 août 2025 au Québec
Parution le 5 septembre 2025 en Europe
Louise Dupré est une grande poète, romancière et dramaturge québécoise, une voix incontournable de la littérature féministe. Ses premiers recueils de poésie en prose, publiés au Remue-ménage dans les années 1980 et pour la plupart épuisés, sont ici réunis en un seul volume.
« une rumeur de fin, prématurée, violente, comme dans un mauvais film, et les yeux de ma fille collés à la télévision, une rumeur de mort, je la vois, réellement, et les yeux de ma mère qui s'achèvent sur le drame. je griffonne malgré tout ma passion, cela fait sens, cette douloureuse évidence, cela tient d'une éthique peut-être, quelque chose comme
NE PAS ACCEPTER D'ALLER À SA PERTE. »
Si La peau familière aborde la vie de tous les jours – et souvent ses horreurs –, de la guerre au quotidien de la ménagère, Chambres se consacre à ce lieu du féminin par excellence, non sans rappeler la « chambre à soi », qui est aussi un lieu d'enfermement. Dans Bonheur, plus rien n'échappe au souvenir.
Ces trois premiers recueils de Louise Dupré sont constitués de suites poétiques en prose, composés d'une trame narrative, de fragments de mêmes scènes, telle une série de photographies. Les mots s'y font dialogue intime, flux de conscience. La poésie sensorielle trace le parcours de voix, de bruits, de lieux, de vies.
En ressortent les thématiques de l'ensemble de l'œuvre de Dupré : le corps, les injustices, l'absence, la mort. Et, bien sûr, les femmes.
Poète, romancière, dramaturge et essayiste, LOUISE DUPRÉ a publié une trentaine de titres, qui lui ont valu de nombreux prix et distinctions. Elle collabore régulièrement avec des artistes de différentes disciplines. Elle est membre de l'Académie des lettres du Québec, de l'Ordre du Canada et du Parlement des écrivaines francophones.
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Devenir Lean - Quand la gestion transforme la santé | Livre à paraître le 20 août | Société de performance, système de santé, bilan
Soigner des patients comme on fabrique des voitures ? Il y a 14 ans, on nous disait que la méthode de gestion Lean (ou Toyota) allait résoudre les problèmes du système de santé. Quel bilan tirer de cette expérience ? Alors que le ministre Dubé vante sa réforme (qui emprunte au Lean sans le revendiquer) et demande aux médecins d'être plus « performants », allons-nous rejouer dans le même film ? Bienvenue dans la société de performance !
L'essai Devenir Lean - Quand la gestion transforme la santé, de l'anthropologue Dani Tardif, paraîtra en librairie le 20 août prochain.
À propos du livre
En 2011, le système de santé du Québec a été chamboulé par l'instauration d'un plan national visant à le réorganiser selon la philosophie du Lean Management, une méthode de gestion inspirée par Toyota. « Le Lean est la solution aux problèmes de performance dans le réseau de la santé », affirmait l'ex-ministre de la Santé du Québec, Yves Bolduc. Selon lui, ce changement allait permettre de gagner 30 % de productivité et d'efficience en diminuant la bureaucratie et en éliminant les tâches et délais inutiles. Quatorze ans plus tard, où en sommes-nous ?
À l'heure où le ministre Dubé vante sa nouvelle réforme (qui emprunte au Lean sans le revendiquer officiellement) et demande aux médecins d'être plus performants, Dani Tardif nous propose un tout autre récit de la transformation culturelle ayant eu lieu dans certains établissements du réseau de la santé. Se butant aux limites de la condition humaine, le Lean Management, cet ethos de l'amélioration continue, a entraîné des conséquences individuelles et collectives tragiques, sans atteindre ses objectifs.
Au-delà de l'étude de cas, l'anthropologue démontre également que cette méthode de gestion a participé à créer une nouvelle culture dont l'intention n'est plus seulement d'appliquer le Lean dans la sphère du travail, mais de devenir Lean au quotidien. En effet, si le modèle capitaliste nous demande de toujours faire plus en réinvestissant le capital dans une quête perpétuelle de plus-value, le Lean nous demande de toujours faire mieux : « Je m'inquiète lorsque le Kaizen et l'amélioration continue se transforment en philosophie de vie. Quelle détresse infinie lorsqu'on se rend compte qu'il est impossible que notre "moi" devienne toujours de plus en plus performant ! » Elle révèle ainsi un des rouages de la proverbiale société de performance.
Disséminée par ses disciples depuis des années, l'utopie managériale du Lean est dorénavant invisible parce qu'implantée un peu partout dans les secteurs public et privé. Produisant une transformation culturelle qui déborde du monde du travail, elle participe à la managérialisation de la société. Et vous, êtes-vous devenus Lean ?
À propos de l'auteurice
Détentrice d'une maîtrise en anthropologie sociale et culturelle de l'Université Concordia et d'un certificat en création littéraire de l'Université du Québec à Montréal, Dani Tardif est un·e artiste multidisciplinaire queer et non binaire.
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Quand ton corps devient le seul moyen de protestation
Kaveh Boveiri
La personne dans la photo s'appelle Stéphane Chalmeau.
Il était candidat au doctorat et chargé de cours.
« J'ai arrêté mon doctorat, parce que je voulais quitter l'académie ». Il quitte ainsi une vie financièrement prometteuse et choisit une autre piste.
Depuis le 8 août, il met sa possession la plus précieuse comme le seul moyen efficace de la protestation contre le génocide actuel à Gaza. « Deux premiers jours, j'ai été en grève de la faim et de la soif. Dès aujourd'hui, je suis en grève de la faim ». Il reste pendant cette période en face de La Place des Fleurs-de-Macadam sur la rue Mont-Royal.
Je lui demande sa permission pour que nous prenions une photo. « Avec plaisir ! », il nous dit modestement. « Tu viens me joindre dans la photo ? » il me demande amicalement. « Non ! Cette détermination unique, c'est tout le tien », je lui réponds.
En faisant du vélo quelques minutes plus tard, je m'entends dire à mon amie photographe : « Si je n'avais pas de reflux… ». Je me trouve hyper-égoïste, en essayant de trouver une justification pour être inactif.
Pour certains camarades d'entre nous qui cherchent un cas exemplaire de la solidarité absolue, le cas de Stéphane est une illustration impeccable. Sa décision est d'arrêter sa grève après 4 jours. Le moment où tu lis ce texte, il a fort probablement arrêté sa grève — pas son message.
P.S. Stéphane arrête sa grève de la faim le lundi 11 août à 21 h 10. Il y a sur une petite boite renversée, qui joue le rôle de sa table, deux boites de bluets et une boite de pêches. Dans sa main, il a un melon d'eau. Il le regarde comme s'il est une nourriture céleste, le coupe soigneusement et invite sept personnes autour de lui à manger avec lui.
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Le sanglot de l’homme blanc
C'est la formule qui me vient à l'esprit lorsque je réfléchis sur le refus de la Ville de Québec de permettre l'étude d'ossements découverts sur la rue Saint-Anselme dans le quartier Saint-Roch et qui remonteraient à la bataille des Hauteurs d'Abraham. Ces ossements contiendraient des restes de guerriers hurons, alliés des Franco-Canadiens contre les Britanniques. Cette expression vient de Pascal Bruckner dont l'essai portant ce titre a été publié en 1983. Pour résumer sommairement le contenu du livre, l'auteur y pointe la culpabilité et la haine de soi qui inhiberaient depuis un bon bout de temps beaucoup d'Occidentaux par rapport aux sociétés de ce qu'on appelle le Tiers-Monde. Je ne l'ai pas lu, mais des résumés. Il me semble s'appliquer fort bien au cas du veto opposé par l'administration municipale de la Vieille Capitale à l'étude scientifique de ces ossements dont la provenance est assez incertaine. Il fait suite à l'opposition du chef des Hurons de la réserve de Wendake Pierre Picard, située dans la banlieue nord de Québec à tout examen scientifique de ces restes au nom du respect des croyances indiennes, perçu comme une intrusion susceptible de troubler l'esprit des ancêtres.
Depuis déjà plusieurs années, une tendance se confirme en archéologie, préhistoire et paléontologie : dans les cas de découverte d'ossements anciens, qu'ils soient trouvés sur le territoire d'une collectivité autochtone ou même loin de celui-ci, devant les réticences « d'intégristes » appartenant à cette collectivité qui tiennent à éviter toute étude scientifique de ces restes au nom du respect de leurs croyances, les autorités « blanches » ont tendance à céder, donc à renoncer à une approche rationnelle et historique en matière de recherche archéologique.
Pourtant, l'identité des restes de la rue Saint-Anselme est incertaine. On présume qu'ils proviennent de participants autochtones et « blancs » à la bataille de 1759. Si la Ville ne revient pas sur sa décision (sans doute adoptée pour éviter l'accusation de racisme à l'endroit des Hurons), elle demeurera mystérieuse. La science y perdra beaucoup. Les croyances traditionnelles huronnes sont tout à fait légitimes et respectables, mais doit-on pour autant renoncer à l'étude des squelettes afin de ne pas heurter les convictions religieuses d'un groupe de citoyens et de citoyennes, ou du moins d'une partie d'entre eux ?
On doit rappeler que les Hurons de Wendake ne peuvent prétendre au droit de premiers occupants de l'endroit où ils vivent. En effet, leurs ancêtres y sont arrivés en provenance de la baie Georgienne (le long du lac Huron en Ontario) en 1648-1649, fuyant les Iroquois avec lesquels ils étaient en guerre, vu qu'ils avaient forgé une alliance avec les Français. On dispose d'archives le prouvant. Il faut souligner aussi que les guerriers hurons n'étaient pas les seuls auxiliaires autochtones présents à Québec durant le siège de 1759. Le réseau des alliances indiennes mis sur pied par les Franco-Canadiens s'étendait loin sur le continent. Des guerriers de nations habitant ce qui est aujourd'hui le Midwest américain épaulaient l'armée française, pas seulement des Hurons. J'ignore s'il existe des réserves dans cette région et si oui, ce que penseraient les descendants des auxiliaires présents à Québec en 1759 de la démarche de monsieur Picard de refuser l'examen des ossements de la rue Saint-Anselme. La question se pose. Et les compatriotes de monsieur Picard sont-ils tous d'accord avec lui ? Il y a beaucoup d'incertitudes dans cette histoire.
Une mauvaise conscience taraude de nos jours plusieurs Blancs quant au traitement qu'ont subi les Amérindiens en Amérique du Nord. Ils ont été, comme on sait, les grandes victimes de la colonisation britannique, puis américaine et dans une moindre mesure. française. Les Premières Nations sont aujourd'hui enclavées dans des réserves où elles bénéficient quand même d'une certaine autonomie. C'est facile de laisser éclater le sanglot de l'homme blanc lorsque l'autre est vaincu et dépouillé de son territoire...
On peut penser par exemple, à un exemple représentatif qui illustre ce sentiment de culpabilité : le film (très émouvant au demeurant) « Danse avec les loups » » de Kevin Costner sorti en 1990. Le contraste est frappant avec le passé, où on présentait dans les livres d'histoire, les romans, à la télévision et au cinéma les Amérindiens comme des barbares sanguinaires et primitifs. Les mouvements indianistes ont profité de ce sentiment de honte pour réhabiliter leurs ancêtres, à juste titre. Certains militants ont même rejeté le christianisme enseigné autrefois par les missionnaires pour renouer avec la religion ancestrale, du moins ce qui en subsiste. Tout ce processus intellectuel et politique s'est édifié pour l'essentiel sur la notion de respect des croyances traditionnelles propres aux peuples amérindiens.
On comprend ce mouvement de « retour aux sources » religieuses dont la légitimité ne peut être remise en cause. Mais il est permis de se demander s'il ne va pas trop loin dans certains cas en bloquant toute étude scientifique de squelettes et d'objets anciens. Dans le cas de la rue Saint-Anselme, celle-ci se trouve loin du territoire de la réserve de Wendake et on ignore la « nationalité » des gens dont on a retrouvé les restes. Seule une étude détaillée et rigoureuse permettrait d'y voir clair. L'opposition de Pierre Picard et de ses adjoints, de même que la reculade de la Ville privent l'ensemble des Québécois et des Québécoises d'informations importantes sur le déroulement d'un épisode capital de leur histoire. En étudiant minutieusement les ossements mis au jour, on récolterait ainsi de précieux renseignements sur le mode de vie de ces gens, leur régime alimentaire, leur état de santé, les circonstances précises de leur mort, etc.
Si une telle reculade s'est produite à Québec, elle peut aussi bien avoir lieu ailleurs. Par exemple, en cas de découverte de squelettes amérindiens à Saint-Constant ou à Longueuil, céderait-on à l'opposition prévisible des Mohawks de Kahnawake afin de ne pas blesser leur « sensibilité culturelle » ?
Devrait-on en définitive renoncer à l'étude des traces matérielles de l'histoire amérindienne du Québec (et d'ailleurs au Canada) au nom du respect de convictions religieuses autochtones dont on n'est même pas certains qu'elles font encore l'unanimité chez ces gens ? Après tout, on n'est plus dans la période coloniale et leurs sociétés ont évolué, tout comme la nôtre. Cette capitulation entraînerait alors un sérieux recul des connaissances scientifiques sur le passé.
Ces dernières et le respect des cultures autochtones ne se contredisent pas, mais se complètent plutôt. Bien connaître son histoire constitue l'occasion pour une collectivité de mieux se comprendre elle-même et aussi, surtout peut-être, de mieux s'entendre avec ses voisines.
Si certaines croyances autochtones et autres peuvent sembler loufoques à des esprits critiques, il faut aussi admettre que la science n'a pas réponse à tout, et surtout pas au destin ultime de l'homme. À mesure qu'elle progresse, on s'aperçoit (en fait, les scientifiques le savent depuis longtemps) que toujours plus de choses demeurent à découvrir et que des connaissances qu'on tenait pour acquises doivent être modifiées, ou même parfois abandonnées. La science n'est pas un absolu, les scientifiques en ont conscience depuis longtemps (du moins les plus lucides d'entre eux), mais un phénomène culturel ; tout comme la religion mais avec le souci de comprendre rationnellement l'homme et l'Univers aussi objectivement que possible.
Jean-François Delisle
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Comptes rendus de lecture du mardi 9 septembre 2025
Pour une gauche à gauche
Pierre Dubuc
Pierre Dubuc est directeur et rédacteur en chef de l'aut'journal, un mensuel progressiste et indépendantiste que j'apprécie beaucoup. Sa pensée politique et sociale vaut d'être connue. Dans « Pour une gauche à gauche », publié en 2011, mais qui se révèle toujours éclairant à la lumière des événement en cours, Pierre Dubuc y critique les propositions sociales et linguistiques de Jean-François Lisée comme conseiller des chefs du Parti Québécois, essayiste, analyste et blogueur. L'auteur nous y explique qu'au cours des dernières années, Lisée a popularisé le concept de « gauche efficace », inventé par son mentor François Legault. Au programme de cette « gauche efficace » explique-t-il, on trouve la privatisation partielle d'Hydro-Québec, le remplacement des taxes progressives, la paie au mérite pour les enseignants, la transformation d'organisations syndicales du secteur public en coopératives de production et une réécriture majeure de notre politique linguistique au détriment du français comme langue officielle et commune.
Extrait :
Quand Mme Marois a pris la direction du Parti Québécois, elle a déclaré qu'elle voulait « renouveler la social-démocratie » et, pour bien signaler à quelle enseigne elle logeait, elle a déclaré qu' « il fallait créer la richesse, avant de la partager ». L'expression est en effet connue. Elle a été la bannière du « New Labour » de Tony Blair. Puis, plus tard, pour être sûre d'être bien comprise sur le sens de la démarche, la chef du Parti Québécois a précisé qu,elle faisait référence à « l'enrichissement individuel » des Québécois. En réplique À cette dernière déclaration, le SPQ Libre a fait paraître dans Le Devoir un texte intitulé « S'enrichir durablement, c'est s'enrichir collectivement ». La publication de ce texte a valu au SPQ Libre d'être expulsé du Parti Québécois.
Le monde qui pourrait être
Bertrand Russell
Traduit de l'anglais
Bertrand Russell est l'un des grands intellectuels du siècle dernier. Ce livre au titre plein de regrets et d'espoir m'a vraiment beaucoup plu. Russell y dresse l'historique des premières doctrines socialistes et anarchistes. Il nous y livre aussi sa pensée sur les grandes questions de société que sont le travail, les salaires, le syndicalisme, la liberté et ses limites inévitables, les relations internationales, les sciences et les arts. Un livre éclairant qui nous permet encore aujourd'hui de garder l'espoir d'un avenir meilleur.
Extrait :
L'anarchiste, aux yeux de l'homme de la rue, est un personnage qui jette des bombes et commet toutes sortes de crimes, soit parce qu'il est plus ou moins fou, soit parce qu'il dissimule sous le couvert d'opinions politiques extrêmes ses tendances criminelles. Il est évident que cette image est à tout point de vue insuffisante. Il y a des anarchistes qui croient à la vertu des bombes, mais nombreux sont ceux qui n'y croient point. On peut trouver des hommes de toutes nuances d'opinion qui sont pour la projection de bombes si l'occasion est appropriée : par exemple, les hommes qui lancèrent la bombe à Sarajevo, origine de la guerre actuelle, n'étaient pas des anarchistes mais des nationalistes. Ces anarchistes, partisans des machines infernales, ne sont pas différents en ce domaine du reste de leurs concitoyens, exception faite de cette infime minorité qui adopte l'attitude tolstoïenne de la non-violence. Les anarchistes, tout comme les socialistes, admettent en général la théorie de la lutte des classes, et s'ils se servent de bombes, c'est dans le même esprit que le gouvernement qui utilise les siennes à des fins guerrières : mais pour chaque bombe fabriquée par un anarchiste les gouvernements en fabriquent des millions, et pour chaque homme tué par la violence anarchiste, des millions sont tués par la violence des États. Nous pouvons donc écarter de notre réflexion cette question de la violence, qui prend une si grande importance dans l'imagination populaire, puisqu'elle n'est ni essentielle ni particulière à ceux qui font profession d'anarchisme.
Déraison
Horacio Castellanos Moya
Traduit de l'espagnol
Un journaliste plutôt paranoïaque se retrouve au Guatemala après avoir insulté le président de son pays. Il s'y voit charger de réviser les mille cent feuillets d'un rapport sur le génocide perpétré par l'armée contre les Indiens. C'est un travail accablant, qui va tranquillement beaucoup l'affecter psychologiquement. Le roman est écrit dans un style vivant, souvent drôle, mais toujours très réaliste, qui nous ramène historiquement en arrière, depuis le renversement du gouvernement progressiste de Jacobo Árbenz Guzmán par le gouvernement américain et la mise en place et le maintien par ce dernier des dures et cruelles dictatures qui procéderont pendant plusieurs décennies à des tueries de masse et au génocide des Indiens. Une belle découverte !
Extrait :
En effet, dans mon courrier se trouvait un message du compadre Toto, que j'ai tout de suite ouvert avec mon plus bel enthousiasme, et qui n'était pas une lettre mais plutôt une sorte de télégramme qui disait : « Hier à midi monseigneur a présenté le rapport dans la cathédrale avec tambours et trompettes ; on l'a assassiné pendant la nuit dans la maison paroissiale, on lui a bousillé la tête avec une brique. Tout le monde se chie dessus. Dis merci d'être parti ».
Le coup de lune
Georges Simenon
Un autre très bon roman de Georges Simenon. Il se déroule avec réalisme à Libreville, au Gabon, dans l'entre-deux-guerres. Il constitue de ce fait, sans que ce soit le sujet du livre, un témoignage et une remarquable critique du colonialisme. Un jeune homme, Joseph Timar, poussé par son puissant oncle, est nommé dans une concession de bois dans la grande forêt du Gabon, alors colonie française. Il s'installe à l'Hôtel Central dans la ville encore peu peuplée. Rien n'est comme il l'avait prévu. Puis survient le drame…
Extrait :
L'entretien dura un quart d'heure. On ne dit pas un mot du nègre tué, ni de l'enquête. Une fois de plus, avant le déjeuner, Timar avait la tête alourdie par l'alcool et il trouva cet état agréable, car ses pensées avaient un flottement qui rendait insensibles les angles désagréables.
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APPEL : L’Ukraine doit recevoir tout ce dont elle a besoin pour obtenir une paix juste !
Adressé à la Commission européenne et aux gouvernements des États membres de l'Union européenne, de Norvège et du Royaume-Uni
Le problème
Après les « sommets » du président américain Trump avec Poutine (15 août) et les dirigeants européens (18 août), l'Ukraine est confrontée à la perspective effrayante d'un accord de « paix » injuste qui récompense l'agresseur russe.
S'il est imposé à l'Ukraine, cet accord légitimera :
- L'occupation violente par la Russie d'un cinquième du territoire ukrainien et le transfert à la Russie de territoires et de populations actuellement sous administration ukrainienne
- La destruction des villes, des écoles, des hôpitaux, des infrastructures, de l'environnement et du patrimoine de l'Ukraine
- Le meurtre de dizaines de milliers de citoyens ukrainiens et l'enlèvement de milliers d'enfants ukrainiens, et
- La russification génocidaire des territoires occupés, ainsi qu'une multitude d'autres crimes de guerre.
Cela fera également peser la responsabilité de mettre fin à la guerre non pas sur l'agresseur, la Russie, mais sur l'Ukraine, sa victime, alors même que le régime de Poutine intensifie ses bombardements sur les villes et les infrastructures ukrainiennes.
Nous, soussignés, appelons donc l'Union européenne, les gouvernements de ses États membres et du Royaume-Uni à apporter un soutien total et inconditionnel à l'Ukraine en prenant immédiatement les mesures suivantes :
- Armement complet et rapide de l'Ukraine, en partie grâce à l'interdiction d'armer les États agresseurs tels qu'Israël et l'Arabie saoudite.
- Aide à l'Ukraine pour développer sa propre industrie de défense et trouver des fournisseurs fiables, autres que les États-Unis, pour les équipements qu'elle ne peut toujours pas fabriquer.
- Annuler (et pas seulement suspendre) le remboursement de la dette extérieure de l'État ukrainien.
- Transférer les avoirs russes gelés à l'Ukraine.
- Renforcer les sanctions contre le régime de Poutine et les oligarques qui le soutiennent, en particulier dans les secteurs bancaire et immobilier.
- Raccourcir le calendrier de l'Union européenne pour éliminer sa dépendance à l'égard des exportations de combustibles fossiles russes et imposer des sanctions sévères aux entreprises qui participent à ce commerce.
- Renforcer les efforts européens et mondiaux pour le retour en toute sécurité de tous les enfants ukrainiens kidnappés, pour la libération et le retour en toute sécurité de tous les prisonniers civils ukrainiens et pour l'échange des prisonniers de guerre.
- Poursuivre rigoureusement les crimes de guerre russes.
- Soutenir les mouvements anti-guerre russes et les militants anti-guerre emprisonnés en Fédération de Russie et dans les territoires occupés.
PRINCIPAUX SIGNATAIRES
Tanya Vyhovsky, sénatrice du Parti progressiste du Vermont, Sénat de l'État du Vermont (États-Unis)
Christopher Ford, secrétaire, Campagne de solidarité avec l'Ukraine (Angleterre et Pays de Galles)
Peter Cooper, secrétaire, Campagne de solidarité avec l'Ukraine Écosse
Julie Ward, ancienne députée européenne, Parti travailliste (Royaume-Uni)
Graham Campbell, conseiller municipal de Glasgow pour le Parti national écossais (Écosse)
Simon Pirani, professeur honoraire, Université de Durham (Royaume-Uni)
Bernard Dreano, président du Centre d'études et d'initiatives de solidarité internationale (France)
Carmen Claudin, chercheuse senior, Institut des affaires internationales de Barcelone (Espagne)
Szymon Martys, coordinateur par intérim, Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine (Pologne)
Alfons Bech, coordinateur syndical, Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine (Espagne)
Howie Hawkins, Réseau de solidarité avec l'Ukraine (États-Unis)
Sacha Ismail, responsable des relations syndicales, Campagne de solidarité avec l'Ukraine (Angleterre et Pays de Galles)
Maryann Abbs, militante pour la solidarité avec l'Ukraine et la justice climatique (Canada)
Serhiy Kasianov, membre du conseil d'administration, Organisation des anciens élèves de Harvard Aerospace and Defense, Association professionnelle du gouvernement ukrainien
Dr James Doughney, professeur émérite, Université Victoria, Melbourne (Australie)
Thomas Weyts, coordinateur, Comité belge du Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine
David Acosta Guillerm, conseiller municipal, Gràcia, Barcelone, pour Barcelona en Comú (Espagne)
Oksana Kozlova, maître de conférences, École de traduction et d'interprétation, Université libre de Bruxelles, Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine (Belgique)
John Andersson, coordinateur, Ukraine-Solidarity (Suède)
John Meehan, coordinateur, Gauche irlandais avec l'Ukraine
Serhiy Onyshchenko, père, Ukrainien, ingénieur chez Exalate (Belgique)
Carme Sansa Albert, acteur catalan (Espagne)
Frank Fourneau, Fonds de soutien à l'Ukraine et Heart4Ukraine (Belgique)
Daniel Tanuro, écrivain écosocialiste et membre de la Quatrième Internationale (Belgique)
Christian Zeller, professeur de géographie économique, rédacteur en chef, emanzipation - Zeitschrift für ökosozialistische Strategie (Autriche).
Gauche anticapitaliste / SAP-Antikapitalisten (Belgique)
Nouveau Parti Anticapitaliste (France)
Voir cette déclaration du RESU sur les négociations de « paix ».
PETITION lancée par le Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine (ENSU).
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European Network for Solidarity with Ukraine Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine
Lanceur de pétition
Network of national groups building solidarity with the Ukrainian people in their struggle against invasion by the Putin regime of the Russian Federation

Faut-il vraiment mourir pour exister ?
Voici un texte que je vous propose pour publication. Il a été écrit par Marie-Claude Tadros-Giguère, juste avant sa mort, le 23 août dernier, à l'âge de 89 ans. Cette femme a grandi à Jaffa et a dû fuir lors de la création de l'État d'Israël en 1948. Elle a été au cœur du mouvement de solidarité entre le Québec et la Palestine depuis les années 1970 jusqu'à aujourd'hui.
Le texte de Marie-Claude Tadros Giguère nous a été envoyé par Sébastien Bouchard.
Je n'aurais jamais cru quitter ce monde au moment où mon pays d'adoption allait enfin reconnaître mon foyer d'origine. Mais voilà qu'une violente tumeur met fin à mes jours. Je termine ma vie alitée, amaigrie et sans force, sordide coïncidence avec l'agonie de mon peuple.
Je ne serai plus des vôtres quand la prochaine Assemblée générale des Nations Unies s'ouvrira. Tout l'Occident, à part les États-Unis, se joindra alors aux 148 pays qui ont déjà reconnu la justesse de notre projet national. Avant que le premier ministre Carney ne fasse sa déclaration à l'ONU, je tenais à partager avec vous l'étonnante saga qui m'a menée jusqu'ici, chez vous, et qui reflète bien les soubresauts perpétuels qui secouent le Proche-Orient depuis le début du siècle dernier. Car c'est ici que j'ai entrepris mon combat en 1969, peu après mon arrivée, pour faire reconnaître le droit des Palestiniens à leur foyer. À l'heure de l'effroyable carnage de Gaza déjà décimé par la famine et du spectaculaire projet de colonisation « E1 » que vient d'approuver la Knesset, le rêve de deux États, palestinien et israélien, s'est envolé en fumée. Alors dites-moi : de simples proclamations sur la Palestine suffisent-elles pour changer le cours de l'histoire et dicter la paix ? Ou servent-elles plutôt d'exutoire pour se dédouaner de 77 années d'indifférence ?
Voici ce qu'aurait pu devenir la Palestine au sortir de la Première Guerre mondiale, sur les promesses de Lawrence d'Arabie : un peuple libéré des empires ottoman et britannique, où Juifs et Arabes auraient pu créer un pays cosmopolite, où coulent le lait et le miel qui caractérisaient toute la côte levantine.
Je suis née en 1936 dans le quartier d'Al-Ajami, à Jaffa, à dix minutes au sud de Tel- Aviv. C'est là que mon grand-père maternel, Alfred Roch, un Palestinien diplômé en génie agricole en France, avait aménagé une orangeraie. Du port de Jaffa, il exportait ses savoureuses oranges vers l'Europe à bord des navires danois de la Maersk. Ce furent d'ailleurs les émissaires de cette entreprise qui m'accueillirent plus tard à Montréal.
Alfred avait épousé Olinda Baldensperger, ma précieuse grand-mère, à qui j'aimais me confier durant mon adolescence. Née elle aussi à Jaffa, elle descendait d'une famille alsacienne installée en Palestine dès 1848. C'est de cette lignée que me vient mon prénom francophone, qui suscite souvent l'étonnement. Rien de très arabe, direz-vous, pourtant, je parlais et lisais couramment le mashriqi ammiya, ce dialecte arabe qui rrrroule les ‘r' typiques de toute la région.
Il y a près d'un siècle, mon grand-père Alfred participa aux premières négociations palestiniennes avec les Britanniques. Après avoir été conseiller municipal à Jaffa, il rejoignit la Révolte arabe contre l'Empire ottoman en 1916. Mal lui en prit : il fut exilé en Anatolie avant de pouvoir revenir à son orangeraie, puis se faire élire au premier Congrès national palestinien de Jérusalem en 1928. Mais rien n'y fit. Les dés étaient pipés : les Britanniques avaient pris parti pour un foyer national juif avant même de prendre le relais colonial ottoman, sans considération pour le peuple qui y vivait.
Mon autre grand-mère, Sofia Feinberg, était née la même année qu'Alfred Roch, en 1882. Elle venait d'une famille juive d'Odessa qui avait fui les persécutions en Russie. Elle fit ainsi partie de la première grande vague d'immigration juive, ou aliyah, en Palestine. Avant la Première Guerre mondiale, Sofia fit la rencontre de mon grand-père, Théodore Tadros, un Grec orthodoxe de Jérusalem. Et comme leurs deux familles renièrent la mixité de leur mariage, Théodore et Sofia durent s'exiler en Égypte, où Sofia se convertit au christianisme.
J'étais une drôle de Sémite, un reflet du méli-mélo culturel et religieux du Levant d'alors. Car on oublie souvent que les Palestiniens sont autant sémites que les Juifs sépharades d'Israël, davantage même que les Ashkénazes venus d'Europe, qui sont devenus l'élite dirigeante du jeune État juif. D'où l'ironie de nous faire accuser d'être antisémites lorsqu'on critique Israël.
Mon père Michel, qui avait grandi en Égypte, est revenu en Palestine où il devint dentiste. C'est là qu'il a rencontré ma mère, Paulette Roch. J'achevais une enfance paisible, entourée de trois de mes jeunes frères (un quatrième naîtra à Amman), dans les odeurs de l'orangeraie, lorsque tout chavira en 1948. J'avais douze ans. Sept cent mille d'entre nous durent fuir le pays sous les tirs israéliens. Ce jour funeste devint Al- Nakba, « la catastrophe », un exode sans retour possible.
Mon père nous a alors conduits en urgence à Amman, en Transjordanie, tandis que mon grand-père Tadros organisait notre établissement à Alexandrie. C'est là que j'ai poursuivi mes études, avant de prendre la route vers Montréal en 1965.
J'y ai rencontré mon mari, Luc Giguère, un économiste au siège du Mouvement Desjardins à Lévis. Avec lui, je découvre le Québec, son histoire et sa culture. Je connaissais déjà Félix Leclerc, que j'écoutais en boucle sur notre gramophone familial en Égypte. Entrainée par mon mari, j'ai également plongé dans la politique québécoise.
Et c'est lors d'une assemblée du Mouvement Souveraineté-Association en 1968 que j'ai tendu la main à René Lévesque et me suis présentée comme Palestinienne. Le dialogue s'est ouvert. Plus tard, avec Michel Chartrand, il témoignera de son appui à la création d'un État palestinien au congrès de la Fédération canado-arabe à Montréal. Tous deux prendront aussi part, avec moi, à une table ronde à l'Université Laval.
En 1969, j'ai participé avec un groupe d'universitaires de Montréal à la première grande semaine d'information sur la Palestine, qui en dura deux finalement. Des conférences furent présentées dans les cégeps naissants, les universités et les assemblées syndicales ici et là au Québec. Ce fut l'éclosion d'un mouvement d'information durable qui distingua le Québec du reste du pays. Quand le Parti québécois devint membre observateur de l'Internationale socialiste après son élection en 1976, l'Organisation de libération de la Palestine fit de même et délégua un représentant à son congrès.
Au même moment, j'aidais nombre de journalistes, dont Pierre Nadeau et Clément Trudel, à se familiariser avec la cause palestinienne. J'accompagnais en Cisjordanie des délégations comme celle dont faisait partie, en 1986, le président de la CSN Gérald Larose, accompagné du comédien Daniel Gadoua, de Michel Duchesne du cégep Montmorency et de la grande Monique Fitz-Bach, alors membre du Bureau national de la Centrale de l'enseignement du Québec.
En 1972, nous avons créé le Comité Québec-Palestine. Mais ce n'était pas sans risques, ni aberration. Les locaux de la Fédération canado-arabe furent truffés de micros de la GRC, tandis que la police fédérale dépêchait un agent pour me mettre en garde contre tout « acte délictueux » lors de la visite de Jean-Paul II à Québec, en 1984.
À Ottawa, j'ai rencontré plusieurs députés et ministres, y compris Mitchell Sharp, qui dirigea plusieurs ministères. Peine perdue. Malgré toutes ses opérations de paix et l'envoi de casques bleus à travers le monde, le Canada s'est contenté de contribuer à l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient (UNRWA), un organisme que les Israéliens viennent de bannir tant à Gaza qu'en Cisjordanie.
Avant de fermer les yeux, je ne demande qu'une faveur aux Québécois, mes alliés, mes amis : celle de poursuivre leurs revendications pour une justice pleine et entière au Proche-Orient, et pour la reconnaissance d'un foyer pour le peuple palestinien. Reste à savoir si pareil projet paraît plus réalisable aujourd'hui que celui d'un État laïc, binational, regroupant Juifs et Palestiniens, qui marquerait enfin l'histoire de l'humanité.
Marie-Claude Tadros Giguère, Québec 2025

Guy Rocher (1924-2025) : Un phare s’éteint
Guy Rocher est incontestablement un grand sociologue qui mérite d'être qualifié de monument de la pensée sociologique. Tout au long de sa vie adulte, il a mis son expertise scientifique et ses qualités professionnelles au profit de la société québécoise.
Il a incontestablement été un chef de file de sa génération et un intellectuel influent durant la période allant de la Révolution tranquille jusqu'à tout récemment. Dans ses nombreuses prises de position, Guy Rocher prônait l'égalité des chances, la justice sociale et l'égalité entre les sexes ou les genres. Il a adhéré à un certain nombre de grandes causes comme la laïcité, la défense et la promotion de la langue française, l'accès à l'éducation pour le plus grand nombre par le biais de la gratuité scolaire et du salaire étudiant et, last but not least, l'indépendance du Québec. Nul doute que l'implication de cet homme dans nos grands débats de société, de la fin des années cinquante jusqu'à aujourd'hui, a été profitable à une frange importante de la population d'ici. Dans les prochaines lignes, je veux vous parler du sociologue que j'ai lu et de l'acteur social qui m'a interpellé. On me permettra d'esquisser, à grands traits, des éléments de sa vie et de m'étendre un peu plus longuement sur d'autres aspects étroitement associés au changement social de la province. De plus, je présenterai quelques points forts de sa démarche théorique en sociologie.
De 1924 jsqu'au début des années cinquante
Guy Rocher a vu le jour le 20 avril 1924. Après de brillantes études classiques, il s'engage à temps plein au sein de la Jeunesse étudiante catholique (JEC). Il effectue, quelques années plus tard, un retour aux études qui le mènera de l'Université Laval à la prestigieuse Université Harvard où il obtiendra un philosophiæ doctor (Ph. D.) en sociologie. C'est grâce à une bourse d'études du Père Lévesque - qui a d'abord sollicité un prêt auprès de Jean Marchand, Secrétaire général de la Confédération des travailleurs catholiques canadiens (l'ancêtre de la CSN) - que Guy Rocher a été en mesure d'acquitter ses frais de scolarité américains qui étaient, même à cette époque, exorbitants.
Guy Rocher a grandi et évolué dans un Québec tantôt frappé d'immobilisme - « L'ancienne société traditionnelle, cléricale, repliée sur elle-même » - et tantôt pleinement engagé sur la voie de la mutation et de la modernisation de certaines de ses institutions politiques, sociales et culturelles - « une société postindustrielle, laïque, appartenant de plus en plus à la civilisation nord-américaine ».
Authentique « sociologue citoyen », il n'a jamais craint, dans ses analyses, de porter un regard critique sur la réalité sociale. Sa pratique sociologique a été marquée par un va-et-vient presque incessant entre, d'une part, la pratique de l'action et, d'autre part, la pratique de l'interprétation. Cette dynamique, entre ces deux pratiques, a débouché sur une soif de comprendre et d'expliquer l'énigme du changement social tout en participant à la transformation de la réalité sociale. La célèbre triade du chanoine Cardijn - fondateur des mouvements d'Action catholique -, c'est-à-dire « voir, juger, agir », aura eu l'heureux effet d'inspirer le jeune Rocher sur le plan de la méthode à appliquer dans l'observation et la nécessaire intervention transformatrice du social. Mais, les quatre années passées - de 1943 à 1947 - en tant que dirigeant permanent de la JEC, si riches soient-elles, lui font réaliser « la pauvreté » de son « appareil intellectuel » pour interpréter « le milieu social et l'énigme de ses transformations ». La découverte de la sociologie sera alors déterminante dans la suite de sa carrière.
Guy Rocher connaît certes un parcours scolaire atypique. Après des études classiques ininterrompues qui le mènent à l'obtention d'une licence en droit, son association à la JEC l'amène à militer bénévolement sur diverses questions qui touchent la société québécoise, alors que deux hommes auront une influence majeure dans sa destinée : le père Georges-Henri Lévesque et bien entendu Paul Gérin-Lajoie. Pourquoi ces deux personnes ? D'une part, comme mentionnée plus haut, c'est le père Lévesque qui a parrainé Guy Rocher dans ses démarches d'inscription à l‘Université Harvard et, d'autre part, Paul Gérin-Lajoie en fera un commissaire chargé de formuler des recommandations porteuses d'avenir en matière d'éducation pour la province de Québec - et j'ai nommé la célèbre Commission Parent, nous y reviendrons.
De retour à l'université, vers la fin des années quarante, Guy Rocher se familiarise avec les grandes théories interprétatives sociologiques qui ont pour auteurs : Comte, Marx, Weber, Durkheim et Parsons. Il prend connaissance également des résultats des recherches empiriques des sociologues rattachés à l'École de Chicago. Une « muraille » se dresse toutefois entre ces deux approches qui lui semblent aux antipodes l'une par rapport à l'autre. Aucun accord « entre la théorie » et « les recherches empiriques » ne lui apparaît envisageable. C'est la lecture de l'ouvrage d'Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique (1835), qui donne l'occasion à Guy Rocher de faire le lien entre les grandes théories sociologiques et la réalité empirique, ce qui sous-entend le passage de la pratique sociale à l'interprétation du changement.
Pour l'essentiel, la nature des propos de Tocqueville, lui permet ce « premier regard sur une société en mutation ». Autrement dit, ce livre l'amène à saisir comment un processus de mutation sociale peut se trouver orienté dans la voie de « l'implantation d'une démocratie ». C'est d'ailleurs le même livre d'A. de Tocqueville qui rend possible à Guy Rocher « (d')entrer dans les arcanes de la sociologie théorique de Talcott Parsons ». Une lecture plus « attentive » de ce dernier lui fait découvrir qu'il y a là « une théorie sociologique de la société démocratique face aux sociétés totalitaires fascistes et communistes ». Mais, cette approche théorique parsonnienne ne lui apporte pas l'essentiel de la méthode qu'il réclame pour mieux comprendre la dynamique du changement social.
Les années cinquante
Au début des années cinquante, son expulsion de l'Université Laval, d'abord à cause de son implication dans la campagne d'appui aux grévistes d'Asbestos ; ensuite sa pratique de la sociologie, alors qu'il observe durant cette décennie les membres des groupes dominants - le clergé et le pouvoir politique - réfractaires au changement ; puis enfin, son implication dans les années soixante qui lui procurent « l'intense sentiment d'assister et de participer à une mutation sociale, politique et culturelle », tout ceci amène Guy Rocher à réaliser qu'il porte en lui les marques indélébiles de son « temps historique ». Il réalise donc qu'il est complètement imperméable à toute forme de déterminisme et constate aussi, qu'il n'y a « pas d'évolution nécessaire ni irréversible. ». Refusant les dogmes « qu'ils soient religieux, politiques ou autres », sa perception du changement lui sera suggérée par le mot suivant : « contingent ». Est contingent « ce qui peut se produire ou non ». Rocher nous confie que ses pratiques théorique et orientée vers la réforme sociale découlent d'une approche qui nous ramène toujours à sa lecture d'Alexis de Tocqueville, c'est-à-dire qu'il ne peut y avoir dans les sociétés démocratiques que des « changement(s) raisonné(s) ». Il devient donc clair pour Guy Rocher que la dynamique du changement social ne réside pas dans de supposées « lois de l'histoire », bien plutôt dans cette force mobilisatrice qui accompagne des acteurs sociaux suffisamment motivés pour s'engager dans la voie du changement social désiré. Pour le théoricien qu'est Guy Rocher, il ne peut y avoir qu'une sociologie : celle qui crée des outils pour comprendre le changement social. Il en est ainsi, parce que « (l)e changement social, inhérent à la société, à la vie sociale, à tout ce qui est vivant, sera une source indéfinie de nouveaux défis ». La tâche du sociologue consiste justement à « comprendre ce qui change, comment les sociétés se transforment et d'expliquer pourquoi le changement, dans sa « contingence », est allé, va ou peut-être ira dans telle direction plutôt que telle autre.
Des années cinquante jusqu'aux années 2010
Une fois son doctorat en poche, il est embauché comme professeur de sociologie, d'abord à l'Université Laval et ensuite à l'Université de Montréal. Le professeur Guy Rocher est aussi connu pour sa contribution au sein de la Commission royale d'enquête sur l'enseignement dans la province de Québec, mieux connue sous le nom de Commission Parent. C'est cette commission qui allait proposer la démocratisation du système d'éducation au Québec et la création des centres d'éducation générale et professionnelle – les fameux cégeps, nous y reviendrons. Lors de la crise d'Octobre 1970, il décide de rompre certaines amitiés avec des libéraux fédéraux. Il passe alors du nationalisme canadien à celui québécois. Rappelons qu'il a été sous-ministre au développement culturel de 1977 à 1979 et sous-ministre au développement social de 1981 à 1983 au sein de gouvernements péquistes. Il a joué un rôle très important dans la rédaction de la Charte de la langue française au Québec (la loi 101). Des années quatre-vingt jusqu'à tout récemment, il exerce le rôle de professeur-chercheur au Centre de recherche en droit public de la Faculté de droit. Il prend sa retraite en 2010, à l'âge de 86 ans, et quelques mois plus tard, on lui décerne le titre de professeur émérite.
La sociologie du changement social
Le moins que l'on puisse dire, au sujet de Guy Rocher, c'est qu'il correspond à un sociologue au parcours long et également exceptionnel par la multitude de ses points d'intérêts. Nommons ici les objets de recherche suivants : les rapports entre l'Église et l'État ; l'évolution des théories sociologiques de l'action sociale ; les aspirations scolaires des jeunes Québécois ; la question linguistique ; la sociologie du droit ; l'éthique dans le domaine de la pratique médicale ; la sociologie des réformes, etc. Certains de ses ouvrages ont été traduits dans de nombreuses langues. La grande qualité de ses travaux scientifiques en sociologie en fait incontestablement un modèle pour plusieurs. Attardons-nous un peu sur sa vision du changement social, de la sociologie du droit et de la sociologie des forces hostiles au social-réformisme.
Le changement social occupe une place de choix dans la démarche analytique de Guy Rocher. De manière plus précise, ce sont les processus qui rendent possible le changement qui l'ont grandement intéressé. Dans ses Entretiens avec François Rocher, il explique pour quelles raisons il opte pour une sociologie des réformes - et non des révolutions - pour comprendre l'évolution et les transformations des sociétés occidentales au XXe siècle en général : « [N]ous vivons dans une période historique, en Occident, où il n'y a pas eu d'importantes révolutions. La dernière, bien sûr, c'est la révolution bolchevique de 1917. […] Cela veut dire que les changements planifiés se sont faits davantage par des réformes que par des révolutions, depuis un siècle environ. Pourquoi ? […] En général, les révolutions ont pu se produire parce que l'État faiblissait, n'était plus en mesure de résoudre les problèmes ni d'assurer le contrôle. Dans les sociétés occidentales d'aujourd'hui, nous vivons avec des États qui sont relativement forts, qui sont établis et dont la légitimité n'est généralement pas contestée. Et cela, parce que ce sont des États de droit, basés sur la rationalité juridique […]. Ce genre d'État de droit se prête à des réformes plutôt qu'à des révolutions. »
Guy Rocher déplore que les sociologues actifs durant les années mille neuf cent soixante et soixante-dix ne se soient pas intéressés davantage à la sociologie des réformes. Ces derniers semblaient préférer les luttes révolutionnaires comme authentique vecteur du changement social ou de la transformation sociale. N'allons pas croire cependant que Guy Rocher mésestime l'apport de Marx en regard du développement de la pensée en Occident. À Georges Khal, il dira : « Le marxisme a certainement contribué […] à la pensée du XIXe et du XXe siècles. Avec le freudisme ou la psychanalyse, le marxisme fut une des grandes révolutions intellectuelles, sociales et culturelles de la pensée occidentale moderne. Il a donné à la philosophie et à la pensée politique des bases beaucoup plus solides et beaucoup plus ancrées dans la réalité. Le grand mérite de la pensée de Marx, […] c'est d'avoir jeté un éclairage nouveau sur les relations entre la pensée, la culture et la vie matérielle, d'avoir renversé les perspectives du vieil idéalisme et mis en valeur le rôle des conditions matérielles de vie, des rapports de travail et de la technologie dans l'histoire humaine. » Rocher indiquera aussi : « Je suis ouvert à la pensée de Marx et d'Engels, mais pas à celle de Lénine ». Il reprochera à ce dernier, avec raison d'ailleurs, d'avoir instauré « un État et une société totalitaires ».
La sociologie du droit
Constatant que le pouvoir politique s'exprime, pour l'essentiel, à travers des lois, des règlements et des normes écrites qui concourent, à l'occasion, à réformer la société, Guy Rocher y va de sa contribution au développement d'une théorie sociologique du droit. C'est à l'aide des concepts de pluralisme juridique, d'ordres juridiques, d'internormativité, d'efficacité et surtout d'effectivité qu'il théorise le droit. Au sujet de ces deux derniers concepts, il énonce ce qui suit : « L'efficacité, c'est la façon dont le droit a des effets qui correspondent à l'intention de celui qui le fait, qu'il s'agisse du législateur, d'un tribunal ou de contractants. Par ailleurs, il y a ce que j'appelle l'effectivité : ce sont les effets qui n'étaient pas prévus, ou des effets à très long terme. » Il y a pour lui deux moments dans le droit : d'abord, celui où « l'on crée le droit » et ensuite, celui « où on l'applique ». Le concept d'effectivité est nécessaire pour comprendre comment le droit évolue. Il porte à notre attention la position que « [l]es juristes ont beaucoup d'imagination, soit pour inventer du nouveau droit, soit pour faire dire à des lois ou des règlements ce qu'on n'avait pas pensé qu'ils allaient vouloir dire ». Le droit est « le bras de l'État » qui se prête à des « dérives ». Guy Rocher nous incite donc à rester vigilants face au droit. Celui-ci peut être sans effets réels ou se transformer en son contraire.
La sociologie des forces hostiles au social-réformisme
La vie sociale ne nous confronte pas à un changement linéaire. À l'heure où l'idéologie néolibérale triomphe et où les acquis sociaux issus de la période keynésienne sont frontalement remis en question par les gouvernements de droite qui dirigent les pays avancés, il importe de créer une nouvelle branche de la sociologie. La preuve est faite, les partis politiques qui un jour ont prôné le changement progressiste se sont permutés en forces d'inertie. L'esprit réformiste qui habitait jadis le Parti libéral s'est volatilisé. Idem pour le Parti québécois. Dans la foulée des travaux de Guy Rocher, il faut penser maintenant à une sociologie de ces forces d'inertie – des forces de résistance, comme les a appelées le sociologue – hostiles au social-réformisme. Nous devons aussi travailler à l'expansion d'une « grille d'analyse à la fois systématique et critique du droit », ainsi qu'à mettre au point une sociologie… des sociétés animales. Invité par la prestigieuse revue Commentaire à indiquer des avenues futures de recherche pour la sociologie, Guy Rocher y est allé en effet d'une étonnante réponse qui illustre à merveille que même nonagénaire il était capable d'adopter un point de vue original. Il se disait d'avis que « la sociologie ne s'est pas encore souciée de l'immense champ de recherche des sociétés animales, des plus petites aux plus grandes, des terrestres et des maritimes. La collaboration entre la sociologie et les savants de la faune est encore à venir ». C'est peut-être là, au sein de certaines sociétés animales, qu'il est possible de trouver la clef des rapports de coopération au lieu des rapports de combat et de compétition qui caractérisent les sociétés humaines.
Une écriture accessible
Guy Rocher est un brillant scientifique. Il est un des rares à pouvoir communiquer avec clarté dans une langue accessible au plus grand nombre. Son style d'écriture s'oppose au langage hermétique de trop nombreux sociologues nébuleux. L'étude portant sur les aspirations scolaires - l'étude du groupe ASOPE dont il était un membre important - nous en a appris beaucoup sur les raisons expliquant pourquoi certains jeunes abandonnaient l'école. Dans certains cas, la raison principale résidait dans le fait que le personnel de l'école et certains parents demandaient à leurs enfants : « Que vas-tu faire à la fin de tes études ? ». La fin des études correspondait ici au secondaire 5. Les résultats de cette recherche nous ont permis de comprendre que la réponse à certains faits sociaux ne résidait pas uniquement dans un cadre théorique élaboré au XIXe siècle ou dans les écrits d'universitaires localisés dans la tour d'ivoire des institutions prestigieuses. Guy Rocher n'adhère pas au déterminisme à la manière d'Émile Durkheim. Il est d'avis que la découverte sociologique est à la fois le résultat d'une intervention de la société sur elle-même et implique également de reconstruire le tout dans les gestes et les paroles des individus concernés par le phénomène à l'étude. Inspiré en cela par Max Weber, Guy Rocher a pratiqué le constructivisme sociologique bien avant que celui-ci soit de mise dans la recherche actuelle.
En écoutant ou en lisant Guy Rocher, nous nous retrouvons avec un scientifique qui tient des discours ou qui rédige des textes invitant à douter des théories doctrinales. Sa démarche nous incite fortement à analyser et à nuancer ce qui mérite de l'être. La pensée de Guy Rocher s'éloigne d'un manichéisme simpliste ou des oppositions élémentaires et souvent binaires.
L'acteur social
Comme mentionné plus tôt, Guy Rocher a été un membre très actif de la Commission royale d'enquête sur l'enseignement dans la province de Québec. C'est elle qui a osé proposer rien de moins que la démocratisation de l'éducation - à travers la création d'un ministère portant le même nom -, la laïcisation des institutions d'enseignement, l'égalité des chances entre les sexes et les groupes linguistiques, l'accessibilité du plus grand nombre, l'élargissement de la gratuité à tous les niveaux, la régionalisation de certains services, la création d'une université d'État, etc.. Les travaux de cette commission ont obligé les membres de la classe dirigeante à effectuer une panoplie de réformes qui ont été porteuses de mutations sociales profitables aux femmes et aux personnes issues de familles modestes. Ce sont maintenant plus de 2 millions de personnes qui ont fréquenté un établissement scolaire postsecondaire au Québec, soit autour d'une personne adulte sur quatre ; ce qui s'avère considérable pour une société qui affichait le taux de scolarisation le moins élevé en Amérique du Nord en 1961.
C'est grâce aux travaux des membres de la Commission Parent et aux audacieuses propositions de réformes contenues dans leur rapport qu'il y a eu, durant les années soixante, la création d'une kyrielle de nouvelles institutions scolaires au Québec – telles que les polyvalentes, les cégeps et aussi le réseau de l'Université du Québec. En bref, la création de plusieurs dizaines d'établissements d'enseignement susceptibles de permettre au plus grand nombre de développer leurs aspirations scolaires et de pouvoir poursuivre leurs études en s'endettant le moins possible.
Guy Rocher a donc osé rêver l'amélioration de la population du Québec grâce à l'instruction, ce qui supposait un système d'éducation public, accessible et gratuit de la prématernelle jusqu'à l'université. Mais Guy Rocher c'est plus qu'un ex-membre de la Commission Parent, c'est aussi un grand intellectuel inspirant et, comme il le confiait à sa fille Anne-Marie, « un battant ».
Durant certaines grèves de ses collègues universitaires, il n'a d'ailleurs pas hésité à prendre parti en leur faveur. Tout en étant attaché à l'Université de Montréal, il a demandé en 2009 à la ministre de l'Éducation de l'époque, madame Michelle Courchesne, de financer adéquatement l'UQAM. Que dire de ses interventions lors des grèves des professeurEs de l'Université Laval et de l'Université du Québec à Montréal en 1976-1977 ? À cette époque, il a été un sous-ministre du développement culturel qui n'a pas eu peur d'ouvrir la porte de son bureau aux présidents de syndicats, alors que le ministre de l'Éducation préférait de son côté entendre le seul point de vue des recteurs de ces universités désertées pendant plus de 15 semaines.
Guy Rocher et la curiosité
Lors d'une intervention au Collège Montmorency, Guy Rocher a déclaré qu'il existait deux sources d'accès au bonheur : la curiosité et l'adhésion à une cause susceptible de modifier l'organisation de la vie dans la Cité. C'est en effet l'étonnement ou la curiosité, si vous préférez, qui le conduit depuis fort longtemps dans la voie de la résolution de l'énigme du changement social. Sans la curiosité, il n'y a pas, selon lui, de connaissances susceptibles de nous permettre de comprendre le monde ou ses phénomènes concrets et de trouver des voies qui mènent à la résolution du changement raisonné. Pourquoi les filles et les garçons n'ont-ils pas accès aux mêmes programmes de formation scolaire et universitaire ? Pourquoi les francophones, les autochtones, les allophones subissent-elles et subissent-ils des discriminations face aux anglophones ? La quête du savoir ou de la connaissance chez Guy Rocher puise incontestablement dans une forme de stupeur devant le monde tel qu'il se présentait ou se dresse devant lui. C'est la persistance de son étonnement, tout au long de sa longue vie d'adulte, qui lui a permis de continuer à interroger d'une manière franche et authentique le monde dans lequel nous sommes et retrouvons à la fois des personnes voulant le garder intact et d'autres contribuant à le refaçonner.
Devant la vie de Guy Rocher, Sénèque aurait probablement modifié certains passages de son livre intitulé Sur la brièveté de la vie.
Un homme actif au sein de sa société jusqu'à quasiment son dernier souffle
Guy Rocher a été sollicité jusqu'à ses toutes dernières années de sa vie pour donner son avis sur certains enjeux majeurs de notre avenir collectif. Jusqu'à tout récemment, il a rédigé des mémoires et fait des présentations à l'Assemblée nationale. Il nous a montré qu'il était possible d'intervenir, même en tant que nonagénaire et jeune centenaire, dans les débats avec intelligence et passion. Il nous a démontré en plus que la vie peut être heureuse pour celles et ceux qui savent jouir pleinement de leurs ressources personnelles. Pour lui, il importait de toujours rester curieuses et curieux devant la réalité, et d'adhérer à un certain nombre de causes à défendre.
Homme du XXe et du premier quart du XXIe siècle, Guy Rocher fait partie des personnages d'envergure qui ont façonné notre existence collective lui qui en a été un acteur majeur durant au moins 75 années de sa longue vie.
Une vie qui a contribué à changer – en partie - le monde
Personnellement, quand je regarde la vie de Guy Rocher, je retiens la perspective d'analyser, dans le cadre d'une démarche rigoureuse et originale, notre monde en vue de le changer en fonction des intérêts du plus grand nombre. Guy Rocher est pour moi un sociologue et un citoyen qui s'est mis au service des membres de la société en nous suggérant fortement d'envisager la nécessité de s'enrôler socialement et politiquement, d'abord en observant notre monde, ensuite en identifiant les injustices et finalement en s'engageant dans la voie du changement afin de combattre les discriminations intolérables entre les sexes, les oppressions inqualifiables entre les groupes ethniques et culturels ainsi que les exclusions inacceptables des groupes minoritaires ou exploités.
Pour conclure
De tout ce qui précède, deux mots minimalement me viennent en tête : générosité et inspiration. Le professeur Guy Rocher a été un être profondément généreux. Il a beaucoup donné aux autres et a longtemps été disponible pour continuer à donner. Il a démontré qu'une personne, même centenaire, pouvait entreprendre avec passion ce qu'elle avait le goût de faire. Contrairement à ce que suggère Sénèque, Guy Rocher a été la preuve que même à un âge avancé il n'est pas nécessaire de se retirer de la scène publique. Incontestablement, il y a beaucoup de lui dans ce que nous sommes. Son enseignement et ses travaux ont été une source d'inspiration pour de nombreuses personnes qui ont décidé d'inscrire leurs recherches dans le sillage de sa démarche originale.
Guy Rocher n'est plus. Sa voix s'est éteinte et ses yeux sont maintenant fermés à tout jamais. Il nous reste par contre ses voies analytiques et son regard sociologique pour continuer à observer et à analyser le monde dans lequel nous sommes en vue de le transformer au bénéfice du plus grand nombre. Nous pouvons certes poursuivre son œuvre dans ce que j'appelle : « La voie de ses regards… »
Yvan Perrier
Professeur de science politique
Cégep du Vieux Montréal
3 septembre 2025
16h30
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Sources :
Duchesne, Pierre. 2019. Guy Rocher : Voir – Juger – Agir. Tome I (1924-1963) ; Montréal : Québec / Amérique, 458 p..
Duchesne, Pierre. 2021. Guy Rocher : Le sociologue du Québec. Tome II (1963-2021). Montréal : Québec / Amérique, 618 p..
Kahl, Georges. 1989. Guy Rocher : Entre les rêves et l'histoire. Entretiens avec Georges Khal. Montréal : VLB éditeur, 232 p..
Lemay, Violaine et Karim Benyekhleh. 2014. Guy Rocher : Le savant et le politique. Montréal : Presses de l'Université de Montréal, 243 p..
Rocher, Anne-Marie. 2002. Guy Rocher : Un sociologue militant. VHS. Productions Testa et le Centre de Banff.
Rocher, François. 2010. Guy Rocher : Entretiens. Montréal : Boréal, 243 p..
Saint-Pierre, Céline et Jean-Philippe Warren (dir.). 2006. Sociologie et société québécoise : Présences de Guy Rocher. Montréal : Les Presses de l'Université de Montréal, 319 p. ;

Le potentiel radical inexploré du NPD
L'historien Ian McKay discute du défi du NPD face au libéralisme canadien et à sa propre dérive centriste, et de ce qu'il pourrait faire pour saisir son potentiel transformateur
5 septembre 2025 | tiré du site The Breach media
La course à la direction du Nouveau Parti démocratique (NPD) a officiellement été lancée cette semaine. Après avoir subi une défaite écrasante aux élections d'avril, le NPD a perdu son statut de parti et a été réduit à seulement sept député·e·s, son chef Jagmeet Singh démissionnant immédiatement.
Quelle est la prochaine étape pour le parti ? Quelles leçons son histoire offre-t-elle ? Sa dérive centriste des dernières décennies est-elle irréversible ? Ou bien possède-t-il, comme l'avance l'historien Ian McKay, une « possibilité radicale » encore non réalisée ?
D'ici la fin mars 2026, lorsque la course à la direction se conclura, nous aurons peut-être quelques réponses.
McKay, professeur émérite à l'Université McMaster, est l'un des historiens de gauche les plus incisifs du Canada. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont Rebels, Reds, Radicals : Rethinking Canada's Left History, Radical Ambition : The New Left in Toronto, et Warrior Nation : Rebranding Canada in an Age of Anxiety.
Martin Lukacs s'est entretenu avec McKay pour The Breach Show, et l'entrevue a été complétée par une correspondance par courriel.
The Breach (Martin Lukacs) : Donnez-nous un aperçu général du terrain politique canadien auquel un parti comme le NPD est confronté, que vous analysez depuis longtemps comme « l'ordre libéral » résilient du pays.
Ian McKay : Ma position est que le Canada est un ordre libéral. Par là, je ne veux pas seulement dire que les partis libéraux sont, depuis les années 1840, nos seuls partis fédéraux au pouvoir (même si cela en dit déjà long). Je veux dire que l'idéologie libérale, pénétrée par les valeurs capitalistes, façonne de nombreux détails de nos vies.
Le mot « libéral » est bien sûr contesté. Aux États-Unis, depuis les années 1930, il a été confusément appliqué à toute personne cherchant une version plus humaine du capitalisme. En Europe, il conserve davantage son sens originel de philosophie politique où l'individu est la fin ultime. Historiquement, le Canada s'est rapproché de ce second sens. Dans les deux versions, toutefois, les liens entre capitalisme et libéralisme sont évidents.
Nous, Canadiens, grandissons généralement avec un idéal « d'individualisme possessif », terme forgé par l'économiste politique C.B. Macpherson. Notre estime de nous-mêmes est liée à la quantité de biens que nous accumulons et au prestige social qui l'accompagne. Cet imaginaire idéologique façonne autant les petits détails de nos vies que le cadre global de notre politique. Nous sommes très matérialistes, dans un sens grossier d'accumulation toujours croissante. Nous considérons la propriété—surtout la nôtre—comme sacrée. Nous nous disons que c'est la juste récompense de notre dur labeur. Et nous faisons généralement abstraction de toutes les façons dont l'État et l'ordre social ont rendu possible pour certains d'entre nous de devenir de tels « individus autonomes », ainsi que de toutes les raisons structurelles (comme le colonialisme) qui empêchent d'autres de le faire.
Ainsi, toute suggestion d'interférer avec les « droits de propriété »—et ici les guillemets sont essentiels—suscite une résistance farouche, même si, au fond, nous réalisons que, à l'ère du capitalisme d'entreprise, l'idée que le travail acharné mène à la sécurité et à la prospérité est dépassée. Aujourd'hui, on peut travailler dur toute sa vie et ne jamais gagner autant qu'un ploutocrate en un après-midi. Et ce ploutocrate a souvent bénéficié d'un avantage initial grâce à l'héritage, aux bonnes écoles et aux bonnes connexions.
Ou, comme dirait Antonio Gramsci, l'individualisme possessif est hégémonique. Nos relations entre nous et avec la nature en viennent à paraître immuables. Même si, à un certain niveau, vous désapprouvez cet individualisme acquisitif—pour des raisons religieuses ou philosophiques—vous n'avez pratiquement pas d'autre choix que de vous y conformer dans votre vie quotidienne.
Mais voici le problème. Ce système d'hypothèses sociales, ce culte de l'accumulation de biens, ce régime de prestige et de pouvoir, et les rapports sociaux capitalistes qu'il incarne, mènent l'humanité à un effondrement civilisationnel. Ainsi, comme l'a dit prudemment Macpherson et comme l'a affirmé Gramsci, nos notions de propriété, de liberté et d'individualisme doivent être repensées, jusque dans nos présupposés les plus fondamentaux sur le monde social. La tâche de toute gauche sérieuse, et de tout parti véritablement de gauche, n'est pas d'accepter le statu quo, le capitalisme et l'ordre libéral, mais de les critiquer, les contester et les remplacer.
The Breach : Dans l'introduction d'une excellente anthologie sur le CCF-NPD intitulée Party of Conscience, vous décrivez le NPD comme représentant, au mieux, « une possibilité radicale partiellement réalisée » qui a atténué cet individualisme débridé dont vous parlez. Mais il a aussi souvent succombé à une révolution passive libérale où toutes les tendances véritablement démocratiques et radicales sont réduites au plus petit dénominateur électoral commun et absorbées par un Parti libéral toujours adaptable. Pouvez-vous expliquer les façons dont il a atténué cet individualisme débridé et celles dont il y a succombé ?
Ian McKay : Les grandes réalisations du mouvement de gauche au XX ? siècle—j'entends par là les sociaux-démocrates, les communistes et les mouvements sociaux égalitaires en général, unis par leur volonté de dépasser les rapports sociaux capitalistes—sont : les syndicats industriels, la santé publique, l'éducation publique, l'assurance-maladie, certaines mesures de sécurité sociale, la reconnaissance et la défense des droits des nations opprimées, l'écosocialisme, et l'égalité des genres et des sexualités. Toutes ces avancées ne devraient ni être dénigrées ni minimisées.
Mais à cause de la puissance durable de l'individualisme possessif et du capitalisme, chacune de ces avancées a été, avec le temps, intégrée et rendue relativement inoffensive par l'ordre libéral dominant. Prenons le cas du mouvement ouvrier. Des gens—y compris une légion de communistes de base et de socialistes radicaux—se sont battus, et certains sont morts, pour les syndicats au Canada. Comme historien du travail, je pense ici aux mineurs de charbon, mais il y en a bien d'autres. Ces luttes ont changé les choses. Les enfants de huit ans ne descendent plus dans les mines, des mesures de sécurité industrielle existent, et les travailleurs harcelés par leur patron peuvent faire appel à un représentant syndical. Avec le temps, les libéraux—farouchement et logiquement anti-syndicaux au départ, car les syndicats portaient directement atteinte aux « droits de propriété »—ont fini par accepter le syndicalisme, sous peine de voir l'ordre capitaliste sombrer dans le chaos. Les syndicats sont ainsi devenus de plus en plus respectables légalement. Nous n'attendons plus que des mitrailleuses soient pointées sur les grévistes—du moins pas au Canada, et pas en 2025.
Mais l'ordre libéral a exigé un prix pour ces avancées. Les syndicats sont devenus intensément légalistes. Aujourd'hui, il faut un avocat pour naviguer à travers les subtilités d'une convention collective moyenne. Les grèves existent toujours, mais contrairement aux grands moments de lutte systémique du passé ouvrier—les grandes grèves en Nouvelle-Écosse de 1909-1911 et 1921-25, la grève générale de Winnipeg en 1919, les luttes du CIO de 1937 à 1946, les luttes du Front commun au Québec dans les années 1970—elles tendent à être plus localisées et limitées. Elles portent rarement des revendications remettant en cause le système. Les syndicats défendent de plus en plus leurs intérêts corporatifs étroits sous un régime de « légalité industrielle ».
Un autre exemple de révolution passive est le système de santé public canadien, fruit en grande partie du CCF en Saskatchewan, qui a jeté les bases du régime pancanadien que nous connaissons aujourd'hui. Ce fut un défi énorme à l'individualisme possessif. Il signifiait que des individus « autonomes » ne pouvaient plus s'enrichir sur le dos des malades, des personnes fragiles et âgées. Il avait une portée universelle. Aujourd'hui, comparé aux États-Unis, un infarctus ou un diagnostic de cancer ne vous mènera (généralement) pas à la faillite au Canada. Si les socialistes n'avaient pas lutté âprement pour cette conquête de 1944 à 1962, traités de fanatiques délirants avides de priver les individus de leurs droits et libertés, les libéraux étant à la pointe de l'attaque, aucun de ces acquis ne ferait partie de la vie canadienne.
Mais regardez comment la santé publique universelle a été minée de l'intérieur par les intérêts corporatifs et l'individualisme. Les compagnies pharmaceutiques, les médecins et administrateurs grassement rémunérés, les hôpitaux fonctionnant comme des entreprises—ce qui semblait à beaucoup de socialistes être la conquête d'un droit humain fondamental a été progressivement affaibli par des libéraux prêchant la concurrence et pratiquant l'austérité. La pandémie récente a révélé, par exemple, à quel point les conservateurs acquisitifs et affairistes, dont une belle brochette de ténors conservateurs ontariens, ont remodelé les conditions de vie des personnes âgées, qui ont souffert et sont mortes en masse au Canada parce que les concepts égalitaires de soins universels de santé et aux aînés n'ont jamais vraiment été concrétisés.
De cette manière, et bien d'autres encore, l'ordre libéral absorbe, à petites doses homéopathiques, des éléments de l'égalitarisme socialiste. Mais une fois digérés, on ne reconnaît plus vraiment ce qui, à l'origine, constituait un défi radical à l'individualisme possessif. Ces acquis sont, pour ainsi dire, modifiés au point de devenir méconnaissables. Voilà, selon moi, la logique d'une révolution passive libérale. Et c'est la logique des deux grands partis libéraux du Canada—les Conservateurs (qui étaient il y a un siècle les Libéraux-Conservateurs) et les Libéraux (anciens Réformistes)—les seuls partis qui ont gouverné au niveau fédéral.
Regardez notre récente élection fédérale de 2025. Le NPD a subi une défaite historique—6,3 % du vote populaire, perdant son statut de parti officiel, son pire résultat de mémoire d'homme. Pourquoi ? Essentiellement parce que les partisans du NPD ont déserté en masse pour rejoindre le Parti libéral, vu comme un rempart contre Poilievre et l'extrême droite. Résultat : un Parti libéral pro-entreprises dirigé par un banquier central élu grâce aux votes de millions d'électeurs de gauche. C'est comme si l'ancienne boutade du premier ministre Mackenzie King (ce maître libéral des arts de la révolution passive), selon laquelle les CCF-NPDistes n'étaient que des « libéraux pressés » et non engagés dans la construction d'un nouvel ordre social, se voyait confirmée. Difficile de déceler, dans la dernière campagne électorale du NPD, la moindre remise en cause de l'ordre dominant. J'y vois la démonstration que les élites du NPD sont devenues elles-mêmes des partisanes de l'ordre libéral établi—et les socialistes démocratiques restés au sein du parti en ont payé le prix fort.
Le libéralisme, au sens large, érige l'individualisme possessif en religion séculière. Nous vivons dans une société où, à grande comme à petite échelle, l'individualisme possessif est omniprésent. C'est l'un des schémas les plus persistants de l'histoire politique canadienne. Le prix à payer pour ignorer cette réalité, ou y souscrire implicitement, c'est de perdre la raison d'être fondamentale du NPD. Voilà la leçon de 2025.
Il me semble que cette question de savoir comment l'ordre libéral, au sens large, doit être contesté remonte à la fondation même de la CCF. On considère généralement, dans l'histoire dominante, que la CCF a toujours été composée de sociaux-démocrates guidés principalement par des intellectuels de la classe moyenne, de tempérament modéré, qui fuyaient le radicalisme. Mais des travaux historiques récents ont révisé cette histoire des origines pour inclure des militants socialistes issus de la classe ouvrière et d'inspiration marxiste, qui ont tenté de créer un mouvement ancré dans des principes socialistes, tout en cherchant à obtenir un large soutien. Pouvez-vous en parler ?
Ian McKay : James Naylor, dans son livre The Fate of Labour Socialism, a vraiment, à mon sens, fait un travail brillant en montrant à quel point cette vision dominante de la CCF est limitée. Bien sûr, cette vision rend compte d'une partie de l'histoire du parti — les professeurs d'université issus de la classe moyenne, certains partisans modérés de l'Évangile social chrétien, tout un éventail de réformateurs sérieux de la classe moyenne. Mais ce qu'elle omet, comme le montre Naylor, c'est la force persistante d'un socialisme ouvrier défendant une alternative post-capitaliste. Comme le souligne Naylor, le Regina Manifesto, déclaration fondatrice de la CCF en 1933, reflète en grande partie l'influence des réformateurs de la classe moyenne sur le parti.
J'ai personnellement un faible pour ce Manifeste — il n'existe pas beaucoup d'autres manifestes socialistes dans le monde qui insistent sur la nécessité de passages à niveau ferroviaires, et son côté terre-à-terre et pragmatique reflète la volonté de répondre à des problèmes immédiats. Nous voulons acheminer nos récoltes vers le marché, bon sang ! Mais regardez la conclusion du Manifeste, qui déclare que nous ne nous reposerons pas tant que le capitalisme n'aura pas été éradiqué. Cela semble en décalage avec le reste du texte. Comme Naylor l'explique très bien, cela révèle en réalité la tension qui traversait le parti. Les socialistes ouvriers étaient trop faibles à Regina — voyager jusque-là leur coûtait cher, entre autres — pour imposer l'orientation de l'ensemble du Manifeste. Mais ils étaient assez forts pour exiger cette phrase finale percutante. Elle reflétait leur conviction (et la mienne) que le capitalisme, en tant que système, est cruel, irrationnel et qu'il appelle à être dépassé. Il existait — et il continua d'exister — un noyau de radicalisme au sein de la CCF que les récits dominants ont tendance à balayer sous le tapis ou à présenter comme l'œuvre d'excentriques inadaptés.
Comment analyseriez-vous l'évolution du parti dans les années 1940 et 1950 ?
Ian McKay : Les années 1940 furent une décennie charnière. Les communistes, qui constituaient une force puissante dans les années 1920 et 1930 — bien plus démocratique et enracinée à la base qu'on ne s'en souvient généralement — perdirent la lutte pour l'hégémonie à gauche, en partie, ironiquement, parce que la CCF avait appris d'eux de nombreuses techniques d'organisation et les avait dépassés sur leur gauche. Globalement, je pense que la CCF fut prise en main par une direction très issue de la classe moyenne dans les années 1940. Grâce à un excellent livre de J.F. Conway, The Prairie Populist : George Hara Williams and the Untold Story of the CCF, nous comprenons beaucoup mieux comment une partie des militants de la CCF, qui imaginaient un parti contestant les rapports de propriété capitalistes dans les campagnes, furent écartés par une direction plus centriste. Sous M.J. Coldwell, puis Tommy Douglas, le parti se rapprocha de plus en plus de positions libérales de gauche et recruta surtout dans les classes moyennes. Il s'engagea fortement dans la Guerre froide, y compris en soutenant la guerre de Corée, en partie pour affaiblir les communistes.
Mais même en dehors de ces lignées socialistes ouvrières marginalisées, il subsistait encore des éclats de socialisme affirmé. Make This Your Canada, publié en 1943 par Frank Scott et David Lewis — ce dernier étant une figure partagée entre le socialisme ouvrier et la Ligue pour la reconstruction sociale, plus bourgeoise, et qui fournit une direction intellectuelle à cette prise en main par la classe moyenne — imaginait un Canada gouverné par une planification socialiste. Incroyablement, ce n'est pas Occupy Wall Street qui inventa l'expression « les 99 % contre le 1 % », mais bien Scott et Lewis. Le livre se vendit à des dizaines de milliers d'exemplaires et fut un best-seller de son époque, étudié par les militants de la CCF à travers tout le pays.
Ian McKay : Oui, Make This Your Canada est un livre vraiment surprenant pour ceux qui adhèrent à l'idée que la CCF n'aurait été qu'un mouvement modéré, désintéressé de toute remise en cause du capitalisme, car l'hypothèse de base qui traverse le livre est que l'État doit gérer l'industrie.
On peut imaginer des exceptions où l'État ne s'en chargerait pas, mais l'essentiel de Make This Your Canada repose sur un État parlementaire socialiste efficace. Les auteurs rendaient hommage aux « labeurs titanesques » de Marx, et on les voit encore plaider pour un Canada socialiste dans lequel la propriété publique serait la norme. C'est sur la base de cette déclaration programmatique que la CCF obtint de bons résultats au milieu des années 1940. Le message résonnait bien, en particulier auprès des soldats — un sondage montra que la CCF devançait à la fois les libéraux et les conservateurs. C'est un livre frappant pour qui croit au récit dominant sur la CCF.
Dix ans plus tard, ce message socialiste avait été largement étouffé dans le parti.
Pourquoi ? D'abord, à cause d'une vaste campagne de peur après la Seconde Guerre mondiale, menée par les partis libéraux, soutenus par un bataillon de capitalistes influents, qui convainquirent de nombreux électeurs qu'un vote socialiste équivalait à un « suicide social » (pour reprendre le titre d'un de leurs pamphlets les plus célèbres et diffusés). Selon eux, si vous votiez pour la CCF, tout allait changer : vous ne pourriez plus prier dans vos églises, les familles seraient détruites, les femmes maltraitées par les praticiens de santé publique, l'Armée rouge occuperait Ottawa — et ainsi de suite. Cette propagande porta ses fruits, et on en retrouve encore aujourd'hui des échos dans les discours de la droite. La Guerre froide réduisit un mouvement communiste autrefois influent à un noyau pro-soviétique résiduel. De plus, le niveau de vie s'éleva pour beaucoup dans les années 1950 et début 1960.
À bien des égards, la CCF et son successeur, le NPD, sont devenus, dans les années 1950 et jusque dans les années 1960, une sorte de parti keynésien de gauche libérale. Le sens commun de l'époque était que la gestion keynésienne de la demande avait résolu les contradictions de l'économie capitaliste. Tous les discours sur le socialisme, la classe ouvrière et la propriété publique — toutes les notions de remplacement systémique du capitalisme — en vinrent à être considérés comme des antiquités du passé.
Dans ce contexte, le succès du gouvernement de la CCF de la Saskatchewan à mettre en place l'assurance-maladie, malgré les nombreux défauts de ce régime — surtout sur les questions autochtones et environnementales — fut exceptionnel, le produit de certains dirigeants qui firent de l'accès égal aux soins de santé une question de principe. Un Parti libéral fédéral en difficulté emprunta cette idée socialiste, l'édulcora et la revendiqua comme sienne. Avec le temps, bien sûr, les libéraux la trahirent à maintes reprises, le Parti libéral contemporain menant même la plus brutale attaque contre elle au milieu des années 1990.
Dans l'ensemble, il y eut un glissement marqué du parti vers la gestion du capitalisme, et non son renversement. La Déclaration de principes de Winnipeg ne dit presque rien sur la classe ou le conflit de classes. Les premiers pas vers le Nouveau Parti démocratique déroulèrent le tapis de bienvenue à tous les « Canadiens d'esprit libéral ».
Je pense donc qu'à la fin des années 1960, le NPD était un parti plutôt modéré. Ed Schreyer arriva au pouvoir au Manitoba comme premier ministre élu sous la bannière du NPD. Son gouvernement mit en place l'assurance automobile publique, qui resta une revendication constante du NPD des années 1960 aux années 1990 (symptôme du profond libéralisme du NPD de Bob Rae qui, après avoir fait campagne élection après élection sur cette base, abandonna même ce principe central). Dans l'ensemble, toutefois, le gouvernement Schreyer fut très modéré, et Schreyer lui-même reçut sa grande récompense des libéraux — la fonction de gouverneur général.
Nous voilà donc dans les années 1960, période de turbulences et de guerres impériales brutales, de nouvelles mouvances de gauche en effervescence, et de la contestation la plus connue de l'orientation du NPD : le Waffle. Parlez-moi de la façon dont vous percevez cela, avec plusieurs décennies de recul.
Ian McKay : Par souci de transparence, je devrais dire qu'au lycée, j'étais un membre mineur du Waffle, j'ai assisté au congrès de 1971 et milité pour Jim Laxer, le candidat du Waffle à la direction, qui força David Lewis jusqu'au quatrième tour de scrutin. Je garde encore de la sympathie pour ce mouvement. J'admirais Mel Watkins, l'autre dirigeant en vue du Waffle, et je suis devenu ami avec John Smart, figure clé en Ontario et (assez ironiquement) mon étudiant diplômé. Je ne suis pas un commentateur neutre. Un « Canada socialiste indépendant », slogan central du Waffle, est une idée que je défendrais encore aujourd'hui. Je n'ai joué aucun rôle important dans le mouvement, mais je l'ai vu — et je le vois toujours — positivement.
Comme historien de la gauche, cependant, je pense aussi qu'il est important d'évaluer les mouvements de gauche, y compris — peut-être surtout — ceux que nous favorisons, à la fois avec sympathie et avec réalisme. Dans ce cas, j'ai de la sympathie pour la façon dont le Waffle a capté une part de l'élan radical de la Nouvelle Gauche, que Peter Graham et moi, dans notre livre Radical Ambition : The New Left in Toronto, décrivons comme centré sur des principes tels que l'autogestion, la libération nationale et la communauté — et comment, un temps, il a réussi à faire percer l'idée d'un Canada socialiste indépendant à travers le blocus imposé par les médias libéraux canadiens contre les idées radicales.
Mais je suis aussi critique. Prenons le Manifeste du Waffle, débattu à Winnipeg à la fin des années 1960. Consultez-le en ligne, et vous verrez qu'il est rédigé de manière rigide, rempli de slogans, avec un anti-américanisme superficiel se substituant à une analyse du capitalisme mondial. Quand je l'ai relu récemment, je me suis dit : Vraiment ? C'est le mieux que nous pouvions faire ? Il n'y a rien sur les peuples autochtones, l'antiracisme, les femmes, les luttes LGBTQ+. Même sur le Québec, où le Waffle allait plus tard faire un travail important, le Manifeste semble prisonnier d'un modèle de « deux nations » hérité des libéraux et des conservateurs.
Ce qu'on oublie facilement, c'est que le Manifeste faisait partie d'un processus — et pas la partie la plus importante, à mon avis. La CBC a réalisé un documentaire fascinant sur la réunion fondatrice du Waffle, qui nous présente certaines de ses figures les plus importantes. Cela m'a révélé à quel point le document fut un travail bâclé, conçu pour frapper les esprits lors d'un congrès du NPD. Mais cela a aussi biaisé notre perception globale du mouvement, en donnant l'impression d'un cercle d'universitaires masculins complotant dans le salon torontois de Gerald Caplan. En réalité, le Waffle s'avéra bien plus ambitieux, inclusif et impressionnant que ne le laissent croire le Manifeste et ce documentaire. Il y eut de nombreux « mouvements Waffle » à travers le pays.
Par exemple, on pourrait croire — en voyant le documentaire et en lisant certains écrits — que le Waffle fut une affaire exclusivement masculine. Mais les femmes du Waffle furent une force avec laquelle il fallait compter. Elles menèrent de nombreuses campagnes, autour du droit à l'avortement et de l'égalité salariale. Elles défièrent les mouvements syndicaux rétrogrades et les NPD provinciaux sur la question des droits des femmes. Elles imposèrent l'idéal de la parité des sexes dans les principaux comités du parti, une proposition extrêmement contestée en 1971 et qui devint une pratique acceptée par le parti dès la décennie suivante. Le féminisme socialiste acquit au Canada une force supérieure à celle de bien d'autres régions du monde, avec des résultats durables.
De même, le silence du Manifeste du Waffle sur les enjeux autochtones ne doit pas être vu comme représentatif du mouvement. En Saskatchewan, les militants du Waffle mirent l'accent sur les droits autochtones, et Mel Watkins joua un rôle clé pour faire connaître la résistance autochtone au pipeline de la vallée du Mackenzie.
L'impression donnée par certains écrits est que le Waffle fut un phénomène éphémère centré en Ontario, sans réelle portée. La nouvelle historiographie suggère le contraire (et j'aimerais ici saluer une thèse de David Blocker à l'Université Western et les travaux de Roberta Lexier à l'Université Mount Royal, deux grandes contributions à la recherche). Elle montre que les expériences du Waffle variaient selon les régions. En Ontario, les militants du Waffle furent expulsés en 1972 à la demande de la direction du parti, inquiète des menaces venant des syndicats « internationaux » (c'est-à-dire basés aux États-Unis) dont le parti dépendait financièrement. Le Waffle avait commencé à s'implanter dans les mouvements ouvriers de certains endroits — Hamilton, Toronto, Sudbury, et même ma ville natale, Sarnia — ce qui agaça visiblement plusieurs figures syndicales puissantes.
Mais Blocker montre surtout qu'à travers le pays, les expériences furent diverses. Si, en Ontario, les militants du Waffle voulaient rester dans le parti et résistèrent à leur expulsion, au Manitoba et en Saskatchewan, ils s'éloignèrent du NPD dominant et ne se considéraient pas comme liés organiquement à lui. En Colombie-Britannique, selon Blocker, les militants du Waffle entrèrent tout simplement dans le parti et ne furent pas expulsés. Au Nouveau-Brunswick, le parti provincial passa sous le contrôle d'une direction liée au Waffle, ce qui alarma tellement le NPD fédéral qu'il reconstitua inconstitutionnellement le parti provincial d'en haut. Au Québec, l'insistance des militants du Waffle sur l'autodétermination créa des liens avec l'aile gauche du Parti québécois, et il n'est pas exagéré de dire que la position actuelle du parti sur le droit du Québec à tracer sa propre voie dans (ou hors de) la Confédération s'appuie sur des positions du Waffle des années 1970.
En somme, le récit établi — selon lequel l'expulsion du Waffle en Ontario en 1972 marqua la fin de son histoire — paraît de moins en moins convaincant. Le mouvement fut plus complexe et plus significatif à long terme qu'on ne l'avait d'abord imaginé.
Et certains enjeux de l'époque, comme la montée d'un nationalisme de gauche en réaction à l'impérialisme américain, semblent aujourd'hui revenir sur le devant de la scène.
Oui, et je pense que cela nous dit deux choses : d'abord, à quel point il est important de saisir cette histoire de façon précise et détaillée. Ensuite, à quel point le NPD a changé à partir des années 1990. Avant cela, le NPD mettait beaucoup l'accent sur l'indépendance canadienne, notamment en luttant pour un nouveau type de politique énergétique. Une chose que Blocker souligne, et que j'ai été stupéfait de découvrir, est que le NPD de l'Ontario avait officiellement approuvé lors d'un congrès la nationalisation d'Imperial Oil, une revendication du Waffle.
Je ne savais pas cela !
Ian McKay : Moi non plus, je ne le savais pas, avant de le découvrir dans son travail. L'évaporation de ce principe fondamental de la gauche — à savoir que nous contestons la propriété des grandes entreprises et la politique qui l'accompagne — aide à expliquer la parodie actuelle d'un premier ministre conservateur en Ontario et de l'ancien gouverneur de la Banque d'Angleterre à Ottawa se faisant passer pour le « Capitaine Canada ». Leurs partis respectifs ont défendu depuis des décennies l'intégration économique continentale capitaliste. Nous récoltons maintenant les fruits de leurs politiques. Le NPD devrait élaborer un mouvement de résistance populaire contre la prise de contrôle du Canada et dénoncer l'hypocrisie flagrante des partis libéraux dont les politiques nous ont conduits à notre situation actuelle de dépendance abjecte vis-à-vis de l'Empire américain.
Tu as déjà évoqué l'un des gouvernements provinciaux néo-démocrates des années 1970. Mais il semble vraiment que dans les années 1990, le NPD ait été confronté à un déclin de la capacité fiscale de l'État, à une rupture de ses liens avec la classe ouvrière, amorçant ainsi ce qui allait s'accélérer en une capitulation plus complète au néolibéralisme. Les conséquences furent nombreuses, mais au cours des années 2000, Brad Lavigne, l'un des principaux conseillers de Jack Layton puis brièvement de Mulcair, décrivait le parti comme ayant abandonné « les grands projets pour de petites choses faisables ».
Ian McKay : L'exemple classique ici est le gouvernement Bob Rae. Il est arrivé au pouvoir avec une majorité en 1990 (avec seulement environ 37 % des voix). Ils ont remporté le pouvoir sur un programme traditionnel du NPD — assurance automobile publique, etc. Ils ont instauré certaines bonnes mesures, comme une loi anti-briseurs de grève. Mais dès le tout début, ils ont été confrontés à une catastrophe économique : un Ontarien sur dix sans emploi, l'effondrement des grandes industries, et une dette provinciale qui inquiétait Wall Street. Après avoir expérimenté des approches keynésiennes de gauche, que les grands médias torontois ont fustigées, le gouvernement s'est tourné vers l'austérité. Il n'a pas réussi à maintenir son alliance avec le mouvement syndical et a même piétiné les droits de négociation collective.
En essence, il est passé de la social-démocratie au néolibéralisme. The Left in Power de Steven High, qui vient de paraître chez Between the Lines, offre une interprétation subtile et puissante de ce moment. Il va bien au-delà du Rae-bashing pour explorer les dilemmes structurels de son gouvernement, qui comptait à la fois quelques socialistes honnêtes et la cohorte habituelle d'opportunistes et de renégats.
Ce débâcle était un signe des temps. Partout au Canada, les néo-démocrates, même ceux officiellement opposés aux nouvelles orthodoxies néolibérales, en sont venus à les adopter eux-mêmes. En Saskatchewan, le régime a même supprimé de nombreux hôpitaux ruraux, ce qui a grandement contribué à miner son soutien dans les campagnes. En Alberta, le gouvernement néo-démocrate s'est adapté plutôt que de remettre en cause radicalement une économie fondée sur les combustibles fossiles, complice du changement climatique mondial. Les gouvernements néo-démocrates du Manitoba et de la Saskatchewan ont mis en place des programmes d'austérité néolibérale semblables à ceux imposés par les régimes conservateurs et libéraux ailleurs. Le gouvernement néo-démocrate de Darryl Dexter en Nouvelle-Écosse, obsédé par le déficit et limité à un seul mandat, s'est conformé essentiellement à ce modèle.
Pour un partisan constant d'un Canada socialiste indépendant, ces compromis étaient décourageants. Ils révélaient les limites d'un socialisme parlementaire dépendant du capitalisme. Dans tant de cas, les gouvernements néo-démocrates se débattaient d'urgence en urgence — et il n'y avait pas, et il n'y a toujours pas, d'analyse globale sur la manière de répondre aux crises récurrentes du capitalisme d'une façon qui aille au-delà de l'atténuation de leurs conséquences. Steven High a une belle formule à propos de la « brume du pragmatisme ». Et une fois la brume dissipée, ce sont toujours les mêmes classes possédantes qui dirigent, comme elles l'ont toujours fait. Pas étonnant que tant de jeunes, condamnés à des vies de précarité permanente, aient si peu de foi dans le parti. Ils sentent bien que toutes les belles paroles ne changeront pas vraiment les réalités de leur existence.
Je soulignerais aussi le début de l'émergence d'un nouveau type d'opérateur néo-démocrate dans cette même décennie. Un professionnel hautement spécialisé de la politique qui, parfois en travaillant dans des firmes privées à but lucratif comme celles qui se sont formées au Manitoba au milieu des années 1990, est devenu membre d'une plus large coterie de consultants, spécialistes en communication et agences de publicité servant de tapis roulant à la politique néolibérale blairiste de la troisième voie. Leur paradigme est recyclé encore et encore dans toutes les campagnes provinciales et fédérales subséquentes du NPD.
Ian McKay : C'est un très bon point. On pourrait dire : « de Tommy Douglas au télémarketing ». Je pense qu'une fois que le NPD commence à se voir comme un parti qui joue simplement le même jeu que les autres, il veut naturellement gagner ce jeu. Comment y parvenir ? Eh bien, on engage des experts qui organisent des groupes de discussion, adaptent les publicités et élaborent des stratégies persuasives sur les réseaux sociaux — et ainsi de suite. Au bout du compte, le parti ne se distingue plus vraiment des autres partis.
Rae et Mulcair sont tous deux des symptômes de ce tournant loin d'une véritable alternative de gauche. J'ai presque apprécié Mulcair dans son rôle d'imitation de Perry Mason à la Chambre des communes, mais quelqu'un se souvient-il maintenant des scandales qu'il dénonçait si obsessionnellement ? Peut-on citer un discours de Jagmeet Singh qui remet en cause le système ? Ces figures ont été absorbées sans douleur par le système — un reflet du schéma persistant de la révolution passive libérale. L'histoire du CCF-NPD compte une longue liste de telles figures, exemples individuels de la révolution passive en action.
J'ajouterais que ceux qui se trouvent à la gauche de ce consensus néolibéral portent une certaine responsabilité dans cette situation désastreuse. Les intellectuels de gauche depuis les années 1980 — en économie politique, histoire, sociologie, études culturelles, théorie féministe — ont produit un travail important (puisque j'en fais partie, je suppose que je suis bien placé pour le penser). Mais, en partie à cause de la disparition du Waffle, en partie à cause de leurs façons de parler souvent obscures, ils ne parviennent généralement pas à atteindre les masses de travailleurs.
L'attaque actuelle contre le « marxisme culturel » est menée par des gens qui ont inventé un croquemitaine sur la base d'une absence totale de compréhension de la tradition qu'ils diffament. Mais leur message toxique trouve un écho parce que, dans une large mesure, les marxistes ont passé les quarante dernières années à se parler entre eux. Ils s'expriment souvent dans un langage qui dit en gros : « Nous ne sommes pas comme vous. »
La gauche a perdu sa capacité à parler aux gens ordinaires. Elle doit la retrouver. Et je ne parle pas de cette façon simplifiée de propagande néo-démocrate — « les gens comptent davantage, nous nous battons pour vous », etc. J'appellerais tout cela des formulations sans cerveau. Je parle de réellement comprendre où en sont les travailleurs aujourd'hui, de vraiment le saisir et de ne pas leur parler de haut.
Le résultat d'un NPD accommodant envers le néolibéralisme et d'une gauche inefficace est un sentiment généralisé que personne dans la politique fédérale n'est vraiment capable de faire une quelconque différence. Ayant abandonné les principes fondamentaux qui sous-tendaient le CCF et que le Waffle avait ravivés, les néo-démocrates traditionnels peinent à expliquer pourquoi les gens devraient voter pour eux et non pour les libéraux. Pourquoi s'attarder auprès de personnes qui ne savent pas qui elles sont et qui, au bout du compte, semblent tout à fait disposées à passer chez les libéraux chaque fois que cela leur convient ? La tragédie est qu'un tel conformisme ne nous aide pas à changer les dynamiques d'un système qui nous pousse tous vers une catastrophe multidimensionnelle — une « crise organique » de l'ordre établi, pour citer Gramsci. Cela nous détourne du travail de compréhension et de maîtrise de cette crise.
Parlez un peu de ce qu'est l'héritage, même dans l'histoire de la CCF et du NPD, en ce qui concerne ce travail intellectuel et culturel. Parce que je pense que vous avez vous-même souligné qu'à différentes époques — avec le socialisme ouvrier des années 1930, avec la pensée oppositionnelle des années 1960 qui a mené au Waffle, avec les féministes socialistes des années 1980 — il y a eu des moments d'effervescence intellectuelle. Qu'est-il advenu de tout cela ?
Ian McKay : L'un des grands mérites d'une lecture sérieuse, non polémique et réaliste de l'histoire de la gauche est qu'elle montre que, confrontés à leurs propres crises déchirantes du capitalisme, les militants de gauche au Canada ont souvent créé de puissants mouvements anticapitalistes. Au plus fort de la Grande Dépression et de la guerre froide, ils ont persévéré. Ils méritent d'être respectés comme nos ancêtres collectifs.
énération après génération, les militants de gauche au Canada nous ont légué de précieuses ressources de pensée et de lutte. Il est facile de sous-estimer la première génération des années 1890-1920, dont beaucoup concevaient le socialisme comme une science évolutive de la transformation et se considéraient comme des révolutionnaires. Ils ont fondé des revues, produit des livres et aidé à organiser des grèves massives. La deuxième vague de socialistes a été fortement influencée par la Révolution russe — et tous n'étaient pas membres du Parti communiste, loin de là. La troisième, incarnée par la CCF, s'est attachée à transformer les États canadiens existants et à les développer comme instruments de réorganisation de la société. La quatrième et la cinquième — la Nouvelle Gauche et les nouveaux mouvements sociaux — ont travaillé à partir des idées de libération sociale et personnelle face aux contraintes de la société capitaliste.
Puis est arrivé le néolibéralisme. Et le néolibéralisme n'est pas seulement une technique d'économie politique : c'est en réalité une philosophie totalisante et envahissante de la vie — un individualisme possessif dopé aux stéroïdes. Lorsqu'il a commencé à s'imposer au Canada, en grande partie à l'instigation des partis libéral et conservateur, mais ironiquement aussi avec l'aide de gouvernements provinciaux néo-démocrates, il est devenu difficile d'imaginer une gauche cohérente et théoriquement ambitieuse. Nous ne repartons pas de zéro — toutes ces générations passées de militants ont beaucoup à nous enseigner — mais nous devons imaginer une nouvelle formation de gauche au Canada, capable de défier le néolibéralisme tant sur le plan national que mondial.
C'est difficile, étant donné la puissance du néolibéralisme — qui est en essence un programme cohérent et systématique de démobilisation puis de destruction du mouvement ouvrier et de la gauche. Le système a cette capacité de normaliser ce qui ne l'est pas : une planète à l'agonie, une ploutocratie gavée face à des travailleurs réduits à des vies de misère, et même un génocide en cours défendu au nom de « l'Occident ». Pas besoin d'être marxiste — même si ça aide — pour voir que ces phénomènes étroitement liés constituent tous une menace directe, non seulement pour les travailleurs du monde entier, mais pour la civilisation humaine dans son ensemble. La prochaine formation de gauche devra placer cette menace au cœur de sa politique.
D'un autre côté, on a l'impression qu'aujourd'hui, plus que jamais dans ma propre vie, il existe une tendance culturelle contre-hégémonique et un appétit pour une pensée audacieuse et radicale, anti-corporatiste et anti-néolibérale. Mais il semble que le parti, le NPD, dans son état actuel, n'ait absolument aucune volonté de s'y engager, de l'alimenter, de l'éduquer.
Ian McKay : En effet. Dans son état actuel, le NPD ne fait presque aucun travail sérieux pour analyser le système social ou pour transformer la vision du monde de ses membres. Contrairement à l'époque où la CCF organisait des groupes d'étude consacrés à l'analyse socio-économique, où l'on s'attendait des communistes à étudier sans cesse, ou encore à l'époque où Make This Your Canada exposait avec finesse une politique très différente, le NPD actuel réagit passivement aux crises de l'ordre néolibéral.
Bien sûr, la rhétorique est encore parfois là — les gens avant les profits, mettre la communauté en premier, défendre les familles de travailleurs, etc. Mais si la rhétorique n'est pas suivie d'un travail acharné d'analyse et d'action, elle ne résonne pas. Le parti fait très peu d'éducation. Je n'arrive pas à me souvenir de la dernière fois où j'ai eu l'impression qu'on me présentait un message cohérent du NPD allant au-delà d'une propagande simpliste.
Le parti ne mène pas non plus beaucoup de travail éducatif entre les élections (il y a certaines exceptions notables, comme les campagnes provinciales inspirées du NPD en Nouvelle-Écosse sur la crise du logement). Il n'a aucune présence intellectuelle dans la société civile — pas un seul quotidien reflétant une perspective contre-hégémonique. Ainsi, non seulement il lui manque une vision socialiste cohérente, mais il lui manque aussi le sens qu'il faut transformer la société civile pour obtenir un changement politique durable.
Rien de tout cela ne relève du pessimisme ou du fatalisme. Toutes ces tendances peuvent être combattues. Les formations de gauche passées l'ont fait. C'est un élément encourageant que l'on retrouve dans l'histoire de la gauche.
Au plus fort de la Dépression, alors que des gens étaient abattus pour avoir été au chômage, on a en réalité créé une opposition socialiste efficace et militante. Même chose dans les années 1960 : face au Vietnam, face à toutes les énormités de l'ordre capitaliste libéral, les gens ont massivement répondu et fait une différence significative. Il n'y a aucune raison que cela ne puisse pas se reproduire. Nous devons simplement réapprendre à le faire, encore une fois, en prêtant attention de manière réaliste à notre contexte spécifique et à la manière dont il peut être transformé, dans un exercice que Gramsci appelait la « reconnaissance ».
Quelque chose que vous avez dit avant l'enregistrement m'a frappé : il y avait en réalité beaucoup plus de place pour le débat et la dissidence, même, par exemple, à l'époque où le Waffle était actif, puis en voie d'être purgé, dans les années 1970.
Ian McKay : C'est exact. Il se passait beaucoup de choses dans ce moment du Waffle qui laissent penser que les dirigeants du parti étaient disposés à écouter et à prendre au sérieux sa critique. Par exemple, Stephen Lewis lisait avec une certaine sympathie le Waffle Manifesto avant de devenir le principal adversaire du mouvement. Ed Broadbent était proche du mouvement avant de s'en distancer (et comme je le lui ai rappelé dans une entrevue peu de temps avant sa mort, son professeur Macpherson, à l'Université de Toronto, lui avait sévèrement enjoint de retrouver son anticapitalisme). On avait le sentiment qu'un débat honnête sur les fondamentaux au sein du parti pouvait être une bonne chose.
Je ne retrouve plus cette impression aujourd'hui. Ce que je ressens du parti, c'est une tendance assez autoritaire à faire taire les dissidents potentiels. On pense à Sarah Jama, à Hamilton, expulsée parce qu'elle a été, sur la question de Gaza, une antifasciste prématurée. Ou aux divers candidats du NPD choisis par leurs associations de circonscription et ensuite rejetés par la direction. Il y a dans le parti un autoritarisme inquiétant qui permet aux dirigeants de réprimer les dissidents au lieu de les écouter. Dans un parti véritablement démocratique, on permet aux gens d'être en désaccord avec la ligne du parti et on en débat. On a des discussions franches et claires. Homogénéiser le parti, lui imposer une règle verticale et descendante, c'est le contraire de la démocratie.
À quoi attribuez-vous cela ? Car j'ai souvent souligné que des partis de droite, comme le Parti conservateur, entretiennent souvent une relation plus saine avec leur propre aile droite, en les utilisant comme chevaux de Troie pour déplacer les limites du débat acceptable. Alors que, du côté de la gauche, on trouve une orientation très différente. Est-ce une sorte de résidu du complexe de guerre froide du NPD ?
Ian McKay : Oui, en partie. Et un autre facteur de l'anti-intellectualisme de gauche a été le désintérêt de nombreux théoriciens de gauche pour s'engager avec les gens sur des questions qui comptent directement pour eux, dans un langage qu'ils peuvent comprendre. La montée du néolibéralisme a eu un effet extrêmement fragmentant sur une gauche déjà hétérogène.
Je pense que c'est aussi, et là je suis un peu autocritique, un aspect durable de la culture de gauche, depuis le XIXe siècle en réalité, où si je discute avec vous et que nous ne sommes pas d'accord, je vous déclare essentiellement ennemi, persona non grata, vous devez être expulsé du mouvement, votre nom traîné dans la boue. On voit cela tout au long des polémiques de Marx contre ses adversaires : Anti-Dühring. Mais qui se souvient de Dühring, franchement ? Personne ne s'en rappelle, alors que tout le monde se rappelle du Manifeste… qui fait 400 pages. La gauche a hérité de cette tendance, accentuée par beaucoup des nouveaux mouvements sociaux dans les années 1970. Je pense que c'est très contre-productif.
Les militants de gauche, souvent, à mon expérience, pensent que les gens devraient penser exactement comme eux. Ou ils imaginent que, s'ils accrochent une affiche avec la faucille et le marteau dans la cafétéria universitaire ou qu'ils utilisent certaines déclarations comme « nous, le peuple », ils parlent réellement au nom du peuple. Or, c'était le dilemme tragique classique des partis d'avant-garde dans les années 1970.
Ils se déclaraient « partis révolutionnaires ouvriers », ou quelque variante de ce nom, mais en réalité, il y avait très peu d'ouvriers dans ces partis. Et les gens de la classe ouvrière les ignoraient simplement. Ils ne comprenaient pas leur langage. Ils ne saisissaient pas leurs références historiques. Tout cela leur paraissait étrange et étranger.
Donc oui, la guerre froide est pour beaucoup là-dedans. Mais il y a aussi un certain élément d'autoritarisme de gauche, cette culture de l'anathème. Et dans les deux cas, il faut aller au-delà. Il faut développer de nouvelles façons de se parler qui ne soient pas de cet ordre. Pas seulement parce que c'est discourtois, mais aussi parce que cela rebute les gens.
Il me semble qu'aux meilleurs moments du parti, peut-être pas organisationnellement, mais dans certaines campagnes, les formations CCF/NPD ont su élaborer des critiques très efficaces du système économique et mener des campagnes percutantes. Je pense à la campagne de David Lewis en 1972, où il a ciblé de façon célèbre les « corporate welfare bums » (les parasites de l'aide corporative).
Ian McKay : Bon point. David Lewis, nourri dans les traditions marxistes juives, n'a jamais perdu le sens qu'un message central de la gauche devait être de dévoiler et de résister aux irrationalités du capitalisme. Bien qu'ardent combattant dans les campagnes de la guerre froide contre les communistes, je pense qu'il n'a jamais perdu ce sentiment sous-jacent que le capitalisme devait être combattu et dépassé. Sa campagne de 1972 s'est attachée à éduquer les gens sur la corruption du système, avec des entreprises se gavent à la mangeoire publique. Chaque jour, il y avait une nouvelle révélation sur le festin corporatif de l'État. Les médias ont largement relayé son message radical. La campagne n'était pas parfaite. Même le slogan central reprenait l'idée de « welfare bums », un reste du libéralisme traditionnel. Mais elle était encore bien meilleure que beaucoup des campagnes qui ont suivi, avec leurs mots creux et sucrés sur la justice et l'égalité.
Alors, avec votre « chapeau d'historien », quel conseil donneriez-vous à une formation émergente qui imagine que le NPD pourrait réaliser une partie de ce potentiel radical jamais concrétisé ?
Ian McKay : D'abord, je recommanderais de développer une conscience solide de ce que, depuis plus d'un siècle, la gauche canadienne a accompli contre des obstacles énormes. Il est facile de se laisser submerger par la crise organique actuelle de l'ordre capitaliste et d'oublier qu'elle se poursuit depuis longtemps. Les militants de gauche de l'époque de la Dépression, qu'ils soient communistes ou socialistes, confrontés à des droitiers prompts à tirer et à des conditions plus sombres que celles que la plupart d'entre nous ne connaîtront jamais, ont réalisé des prouesses étonnantes de résistance et de renouveau culturel, allant de la Marche sur Ottawa au théâtre d'agit-prop jusqu'aux premiers balbutiements du féminisme socialiste. Les militants de la Nouvelle Gauche, face à l'obscénité de la guerre du Vietnam et aux autorités complices, furent tout aussi impressionnants à leur manière. Le féminisme socialiste et la libération homosexuelle qui se sont développés au sein de la Nouvelle Gauche ont transformé les rapports de genre au Canada. Ces formations successives de la gauche ont fait une grande différence. La prochaine gauche peut en faire autant.
Ensuite, j'examinerais de près comment les expériences dans des contextes similaires à celui du Canada se sont déroulées. Syriza en Grèce, Podemos en Espagne, La France Insoumise, l'ascension et la chute de Jeremy Corbyn, le phénomène Bernie Sanders aux États-Unis, les expériences socialistes en Colombie, au Brésil et au Chili : toutes méritent une étude attentive. On ne peut pas simplement importer des modèles d'ailleurs dans le contexte canadien, mais on peut en tirer beaucoup d'enseignements. Elles peuvent servir à la fois d'avertissements et d'exemples inspirants.
Troisièmement, je travaillerais à développer des mouvements sociaux et culturels qui « entourent » le parti avec des militants véritablement engagés dans l'analyse et le dépassement du capitalisme. C'est une leçon que je tirerais du féminisme socialiste et de l'écologisme radical — deux courants qui ont acquis une influence significative en dehors du parti et auxquels celui-ci a dû répondre. Les féministes socialistes nous offrent un exemple de la manière de combiner l'activisme extra-parlementaire avec le travail à l'intérieur du parti — un thème favori, d'ailleurs, du Waffle, qui n'a jamais été seulement un mouvement centré sur le NPD et qui a souvent poussé pour un parti capable de mener des luttes au niveau communautaire.
Quatrièmement, je développerais et affinerais la critique de la propriété et du complexe culturel de « l'individualisme possessif ». Cela impliquerait de montrer, dans un langage terre-à-terre à la manière du CCF, à quel point il a été désastreux de traiter les droits de propriété comme des absolus. Bien sûr, les libéraux, comme ils l'ont fait dans leurs croisades passées contre les droits syndicaux, l'assurance-maladie, une politique étrangère indépendante, etc., lanceront le cri que les socialistes veulent dépouiller les gens ordinaires de leur logement et de leur voiture. En tant que croyants fidèles à l'ordre établi, c'est leur rôle idéologique. Mais le nôtre est de souligner à quel point la société qu'ils défendent si ardemment est autodestructrice, irrationnelle et cruelle. L'enjeu est l'éradication de la propriété capitaliste et des rapports sociaux qui l'accompagnent, et non la confiscation des petites possessions qui protègent les gens ordinaires des ravages du marché. Entre libéraux et socialistes, il existe une rivière de feu. Il n'existe pas de « bloc progressiste » qui unirait les deux.
Et cinquièmement, pour revenir au point de départ de notre conversation, il s'agit d'avoir une analyse du libéralisme et une alternative à celui-ci. Depuis au moins les années 1920, les processus de révolution passive libérale ont aspiré de nombreux militants de gauche à imaginer que les libéraux (et, dans bien des cas, le Parti libéral) sont nos amis. Depuis un siècle, cette confusion a été désastreuse pour la gauche — comme l'a montré de manière si douloureuse la récente élection. Nos deux partis dominants, ainsi que leurs homologues pseudo-populistes, doivent être contestés radicalement — tant sur leurs principes sous-jacents que sur leurs pratiques. Se rapprocher des libéraux, c'est la mort pour la gauche. Ils ne sont pas nos amis.
Beaucoup des nouveaux mouvements sociaux apparus depuis les années 1970 ont été des exemples admirables de telles critiques efficaces. Ils se sont appuyés sur les idées de la nouvelle gauche des années 1960 et 1970 en matière d'autonomisation des communautés, de soulèvement des groupes opprimés et de revendication d'un avenir meilleur. Mais je pense que ce qui manquait à beaucoup de militants de la nouvelle gauche des années 1960, et qui manque aussi à beaucoup de militants actuels, c'est la nécessité d'un mécanisme de coordination, d'un organe général permettant de mettre en dialogue ces divers mouvements sociaux afin qu'ils créent quelque chose de plus grand qu'eux-mêmes. Seul un tel corps cohérent peut tirer des leçons des expériences passées et chercher à les transmettre à une population plus large. On a encore besoin d'un parti, malgré tous les problèmes inévitables qu'il comporte. Un parti dans lequel les gens peuvent véritablement confronter leurs divergences et élaborer un programme. Peut-être que ce parti pourrait même être un NPD fondamentalement transformé.
Merci d'avoir trouvé une lueur d'espoir pratique et de possibilité dans une histoire qui n'a pas toujours été porteuse d'espoir. Merci pour votre temps, Ian.
Ian McKay : Avec plaisir.
gauche.media
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