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France. La bataille de Sainte-Soline
Une nouvelle étape a été franchie dans la répression des mouvements écologistes, alors que les mobilisations contre les réservoirs d'eau artificiels et les autres infrastructures écocidaires battent leur plein en France.
Le 25 mars dernier, plusieurs milliers de personnes manifestent dans la commune de Sainte-Soline, dans l'ouest de la France, contre le développement croissant de « mégabassines », d'immenses réservoirs d'eau artificiels puisant dans les nappes phréatiques pour l'irrigation agricole. La manifestation s'inscrit dans un contexte plus général de luttes contre l'accaparement des terres et des réserves en eau par une minorité d'entreprises privées favorisant une agriculture productiviste et mortifère pour les écosystèmes et le climat.
No bassaran !
L'important cortège (entre 25 000 et 30 000 personnes selon les organisateurs, 8 000 selon les autorités) rassemble un public composite : syndicalistes paysans et militant·es écologistes, activistes locaux, néoruraux et périurbains, jeunes diplômé·es et retraité·es, primomanifestant·es et zadistes expérimenté·es… À l'appel de plusieurs collectifs, dont les Soulèvements de la Terre, Bassines Non Merci, et la Confédération Paysanne, toutes et tous convergent pour occuper pacifiquement les terrains vagues pressentis pour accueillir le projet de mégabassines. Les manifestant·es ont conscience que cette occupation est illégale, que leur manifestation a été interdite par la préfecture et qu'ils seront accueilli·es par un large dispositif policier. Après tout, c'est précisément l'inertie chronique des autorités françaises face aux mouvements sociaux et syndicaux qui les a poussé·es à réinvestir des tactiques d'action directe jugées plus radicales telles que la désobéissance civile, le sabotage ou l'occupation. Mais peu de militant·es se seraient douté·es qu'ils et elles allaient faire face à une telle violence d'État.
En effet, les terrains vagues de Sainte-Soline et ses alentours vont être le théâtre d'un déploiement massif et disproportionné des forces de l'ordre. Plus de 3200 gendarmes et policiers à pied ou motorisés, plusieurs hélicoptères, blindés et canons à eau ; contrôles routiers et d'identités massifs ; constitution d'un fortin de véhicules encerclant le chantier. Très vite, les hostilités sont initiées par les forces de l'ordre qui sont équipées d'armes classées matériel de guerre comme le tristement célèbre lanceur de balle de défense (LBD) ou divers types de grenades lacrymogènes et assourdissantes, dont certaines projettent leurs fragments lors de la détonation. En deux heures, c'est plus de 5 000 grenades lacrymogènes, 40 dispositifs déflagrants et 81 tirs de LBD qui s'abattent de manière injustifiée et indiscriminée sur les manifestant·es. Le but est clair : l'occupation ne doit pas avoir lieu, quoi qu'il en coûte. Bilan de l'affrontement : plus de 200 blessé·es du côté des manifestant·es, dont 40 dans un état grave et 1 dans le coma. Du côté des forces de l'ordre, le bilan officiel est de 47 blessé·es, la plupart en raison d'acouphènes, et deux hospitalisations. Les journalistes révèleront par la suite que les autorités vont volontairement entraver l'arrivée des secours sur place.
Haro sur les écologistes
Cette débauche de violence n'est pas le fruit du hasard. L'activisme environnemental est devenu l'un des nombreux épouvantails du gouvernement et de la droite française en général. En effet, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a continuellement cherché à discréditer les activistes écologistes, en les assimilant à des délinquant·es, voire à des écoterroristes (une qualification qui n'existe pourtant pas dans le droit pénal français). Ce lexique a aussi été utilisé par les forces de l'ordre, ainsi qu'une partie des médias, qui ont régulièrement qualifié les actions des manifestant·es comme relevant d'un « activisme violent », de la « gauche radicale », de « l'ultra-gauche », des « black-blocs », ou encore d'un « totalitarisme vert ». Cette rhétorique de criminalisation a servi à délégitimer les idées et les actions des militant·es et des organisations civiles afin de justifier le recours à des moyens juridiques et policiers exceptionnels, que ce soit avant, pendant ou après la manifestation de Sainte-Soline.
Ainsi, de nombreux militant·es et élu·es écologistes ou de gauche affirment avoir été surveillé·es de manière illégale par les services de renseignement et de police via des écoutes administratives, des balises de géolocalisation sous leurs voitures, des logiciels informatiques ou des produits de marquage codés. Après les évènements de Sainte-Soline, le ministre Darmanin s'est également empressé d'annoncer la création d'une « cellule anti-ZAD [1] » pour que « l'autorité réclamée par les Français » soit restaurée. Cela n'est pas sans rappeler la surveillance qu'avaient déjà subie les militant·es contre les pesticides et les abattoirs industriels à travers la cellule Demeter, une cellule spéciale de la gendarmerie créée en 2019 afin d'empêcher les actes « délictueux » visant le monde agricole pour des raisons « idéologiques ».
L'assimilation des manifestant·es écologistes à des criminel·les permet aussi de s'arroger le monopole de la communication. Dans une logique par laquelle « on ne discute pas avec les terroristes », aucune place n'a été laissée pour permettre un véritable dialogue. Le gouvernement s'est senti libre d'imposer sa lecture des évènements dans les grands médias français (dont on rappellera que 90 % d'entre eux sont détenus par une dizaine de milliardaires).
Les intimidations contre le milieu associatif constituent une autre forme de la répression en cours. Le ministre Darmanin et la première ministre, Elizabeth Borne, ont ainsi menacé de couper les subventions publiques à la Ligue des Droits de l'Homme (LDH), dont les membres ont documenté les évènements de Sainte-Soline. D'autres collectifs se sont vu exclure de divers processus de concertations publiques. Autant d'exemples qui montrent comment le gouvernement cherche à mettre à l'écart ses opposants du champ démocratique. Mais le coup de force qui a suscité le plus de réactions est sans aucun doute la dissolution par décret gouvernemental des Soulèvements de la Terre (SLT), la coalition de collectifs locaux, ruraux, et syndicaux à l'origine de la manifestation de Sainte-Soline.
La décision, prise le 21 juin, s'est accompagnée de deux vagues d'arrestations de militant·es écologistes, avec le soutien de la sous-direction antiterroriste. Le principal argument du ministère de l'Intérieur pour justifier la dissolution : les SLT se seraient rendus coupables de « provocation à des agissements violents », de « destruction d'infrastructures », de « sabotages », de « prises à partie » contre les forces de l'ordre, ou encore de diffuser des instructions inspirées par les groupes « black blocs » pour « ne pas être identifiés ou localisables ». Les membres des SLT sont aussi accusé·es de fonder leurs actions « sur les idées véhiculées par les théoriciens prônant l'action directe et justifiant les actions extrêmes allant jusqu'à la confrontation avec les forces de l'ordre » [2]. Si les SLT assument une partie des dommages matériels causés (qu'ils préfèrent considérer comme étant des « désarmements » contre la destruction massive du vivant), la sévérité du gouvernement demeure incompréhensible et déclenche une vague de soutien au sein des milieux de gauche et écologistes, en France et ailleurs. Le 11 août, le Conseil d'État suspend en référé la dissolution. Un jugement provisoire trouvera son issue lors d'une nouvelle audience cet automne.
Un glissement autoritaire général
La répression de Sainte-Soline s'inscrit dans une tendance plus large de délégitimation et de criminalisation des mouvements sociaux par les autorités françaises. Que ce soit lors des rassemblements écologistes, des manifestations contre la réforme des retraites, du mouvement des Gilets Jaunes ou des révoltes populaires des banlieues, une certaine routine s'est installée. Interdictions de manifester, répression policière et judiciaire, explosion du nombre de blessé·es et de mutilé·es, surenchère réactionnaire dans les grands médias… Depuis 2017, les assauts répétés contre les libertés d'expression, de participation, de réunion ou d'association inquiètent de nombreux expert·es, organisations et institutions, que ce soit en France ou à l'étranger. De la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH), à Amnistie internationale en passant par les Nations Unies, le constat est le même : l'espace de la société civile et politique française se réduit comme peau de chagrin.
Les pouvoirs nécessaires pour mener une telle offensive ont été graduellement obtenus à travers à une série de réformes liberticides et sécuritaires mises en place sous les mandats de Macron et de ses prédécesseurs comme la loi « anticasseurs », la loi « sécurité globale » ou la loi « séparatisme » pour ne citer que les plus récentes. Il s'agit d'un véritable continuum répressif, dont une grande partie a été initialement dirigée contre les communautés noires et arabes, musulmanes, ou migrantes. La force de la répression actuelle ne peut être comprise sans évoquer la banalisation des discours racistes d'extrême droite. Il n'est ainsi pas anodin que la rhétorique outrancière utilisée par le gouvernement pour diaboliser les oppositions de gauche (comme « terrorisme intellectuel de l'extrême gauche », « islamo-gauchisme » ou « ensauvagement ») ait conservé une forte connotation raciste.
À l'abri au Canada ?
Les évènements politiques qui secouent la France peuvent nous sembler lointains outre-Atlantique. Pourtant, ils pourraient fournir de précieux éléments de réflexion sur le présent et l'avenir des mouvements sociaux au Québec et au Canada. Si l'on entend par répression l'ensemble des efforts visant à supprimer la contestation, l'image souvent véhiculée d'un pays paisible et consensuel s'étiole rapidement.
L'activisme environnemental est un cas d'école en la matière. Le soutien massif apporté par les pouvoirs publics au modèle extractiviste a donné naissance à un vaste dispositif de lois visant à protéger les « infrastructures critiques », à collecter des données sur les activistes et à les criminaliser. Les grands médias ont également été très efficaces pour promouvoir les agendas des entreprises d'extraction de ressources et des industries polluantes, décourageant ainsi l'opposition potentielle et marginalisant les voix alternatives. À noter que la répression au Canada ne se limite pas à des mesures préventives comme le montre la violence historique et systémique exercée par les forces de l'ordre contre les mouvements de défense des territoires autochtones. Bien qu'il ne soit pas autant visible aux yeux du grand public, le Canada et le Québec sont aussi dotés d'un puissant arsenal répressif qui n'attend que d'être mobilisé. Tout comme en France, nous ne sommes jamais à l'abri d'un affaissement prompt et brutal des libertés publiques.
Mais surtout, le cas français montre comment les discours et les lois utilisés pour stigmatiser une population particulière peuvent être vite employés contre d'autres groupes. Que ce soit aujourd'hui ou demain, les mesures sécuritaires, liberticides et réactionnaires constituent une menace pour l'ensemble des forces progressistes et des communautés marginalisées. Ce constat nous invite à faire preuve de solidarité et de vigilance dans un contexte de plus en plus marqué par les discours réactionnaires, les campagnes contre le « wokisme » et les sorties racistes et xénophobes de la classe politique.
[1] ZAD réfère à « Zone à défendre »
[2] Le ministère de l'Intérieur faisait ici référence au livre Comment saboter un pipeline, écrit par le militant suédois Andreas Malm et couramment vendu en librairie.
Photos : Sainte-Soline, 23 mars 2023. (Crédit : Mehdi Juan) ; Sainte-Soline, 23 octobre 2023. (Crédit : Choupette).

Colombie. Entre la violence et l’espoir
Plusieurs analystes ont expliqué la persistance de la violence en Colombie par des manifestations de criminalité individuelle. Il faut toutefois, même si cela est complexe, tenter de comprendre la violence autrement pour rendre compte de sa persistance dans le temps et l'espace.
De nombreuses générations ont vécu dans ces circonstances, depuis le moment de notre naissance en tant que république en 1810 par la main du libérateur Simon Bolivar et son rêve d'une Amérique unie. À cette époque, il est évident que les guerres menées par les Espagnols ont été guidées par des intérêts individuels qui s'opposaient à ce rêve.
Une clarification nécessaire
Il est important de garder à l'esprit que les différents actes de violence en Colombie ont été si nombreux et d'une telle ampleur qu'il n'est pas possible de les traiter dans leur ensemble. Les facteurs qui ont déclenché ces conflits sont multiples. Les victimes ne peuvent pas être entièrement comptabilisées.
Le sociologue colombien Orlando Fals Borda a avancé plusieurs hypothèses sur les raisons de cette violence. Certaines d'entre elles sont liées à une série de luttes régionales, d'autres à des causes structurelles telles que la pauvreté et les inégalités sociales. Une troisième hypothèse concerne les idéologies politiques en jeu. Une autre analyse s'intéresse au manque de légitimité de l'État et à l'exercice du monopole de la force [1].

Par ailleurs, de l'État colombien et son appareil militaire et paramilitaire aux groupes de paysans armés en passant par les diverses guérillas insurgées ou les groupes criminels en général, de nombreux acteurs violents ont été impliqués. Chacun d'entre eux a contribué à ces conflits.
Les origines de la violence
Le contexte actuel trouve ses racines dans les évènements connus sous le nom de « La Violencia » qui se sont produits entre 1946 et 1963. Un cap est franchi le 9 avril 1948, avec l'assassinat du dirigeant du Parti libéral Jorge Eliécer Gaitan. Cet épisode décisif pour l'histoire de la Colombie marque la naissance des groupes d'autodéfense paysans. Ces derniers vont engendrer des guérillas proches du Parti libéral qui constituaient alors la réponse armée aux groupes paramilitaires liés au Parti conservateur.
La période de violence s'est approfondie avec la barbarie vécue dans les campagnes, où la mise à mort par empalement des hommes, des femmes et des enfants est devenue chose courante. Cela a entraîné de grands déplacements des communautés paysannes qui ont été contraintes d'occuper de nouvelles terres pour leurs cultures, ce qui a déclenché diverses confrontations avec les propriétaires terriens.
Il convient de mentionner que les oligarques ont accepté de mettre fin à la guerre entre les conservateurs et les libéraux par la construction du Front national, qui était un pacte entre les deux partis pour écarter le général dictateur Gustavo Rojas Pinilla du pouvoir et « arrêter l'effusion de sang ». Cependant, le Front national a fermé les portes du pouvoir politique à certains groupes sociaux, dont les groupes paysans, les communautés autochtones et la population à gauche politiquement, en assurant l'alternance du pouvoir entre libéraux et conservateurs tous les quatre ans. Les problèmes dans les campagnes se sont poursuivis, les paysans n'ayant pas de terres à cultiver et la misère dans les villes continuant de croître. En conséquence, certaines guérillas libérales ont refusé la paix proposée par le gouvernement et ont continué d'affronter l'État.
Parallèlement à l'augmentation du déséquilibre dans la distribution des terres, la répression exercée par l'État s'est accrue. Plusieurs groupes émergent face à cette situation. En 1967, les guérillas révolutionnaires des FARC-EP [2], de l'EPL [3], et de l'ELN [4], tous d'orientation marxiste-léniniste, apparaissent. En 1970, le M-19 nait en réponse à la fraude électorale qui a profité au conservateur Misael Pastrana. D'une autre perspective, le mouvement indigène Quintín Lame nait à son tour en 1981.
De difficiles accords de paix
Bien que l'histoire de la Colombie ait été marquée par la violence, il est important de mentionner que la société civile – les communautés paysannes, les syndicats, les peuples autochtones, les femmes, les afrodescendant·es, les étudiant·es et les communautés locales – a toujours recherché la paix.
Les années 1980 ont été caractérisées par le travail de diverses communautés pour cesser les hostilités entre les différents groupes armés, y compris l'armée nationale. C'est pourquoi, en 1984, une table de négociation a été ouverte entre le gouvernement de Belisario Betancur et la guérilla des FARC-EP à Uribe-Meta. Elle avait pour but d'obtenir un cessez-le-feu bilatéral et de négocier une solution politique au conflit social et armé.
L'un des éléments les plus importants qui ont été discutés concernait la nécessité d'élargir la démocratie et de faire participer les secteurs de la société qui avaient été historiquement marginalisés par les politiques du Front national. Ainsi est né le parti La Unión Patriótica-UP. Son objectif était de consolider un accord de paix qui permettrait la participation politique de la guérilla et d'autres secteurs populaires et alternatifs.

L'UP était composée d'un grand nombre de personnes avec et sans affiliation politique. Elle comprenait des membres des FARC et du Parti communiste colombien, des syndicalistes, des organisations paysannes, communautaires et étudiantes, et même des libéraux et conservateurs ayant des positions démocratiques.
Cependant, il n'a pas fallu longtemps pour que la violence contre l'UP commence. Dès le premier instant de sa consolidation, des milliers de militant·es ont été assassiné·es, torturé·es et contraint·es de fuir le pays. Le nombre de victimes de ce génocide a été estimé à 6000 personnes. Il convient de mentionner l'assassinat de deux candidats à la présidence : Jaime Pardo Leal et Bernardo Jaramillo. L'extermination de l'Unión Patriótica signifiait la perte de son statut juridique et donc la perte de son action politique. D'ailleurs, ce n'est pas seulement l'UP qui a été victime de la répression de l'État et de son appareil paramilitaire, mais aussi d'autres coalitions comme le mouvement syndical et populaire A Luchar.
Ces massacres faisaient partie d'un plan d'extermination systématique contre le parti politique. Ils et elles ont été exécuté·es avec la participation d'agents de l'État et du secteur paramilitaire, et avec la complaisance des autorités. Dans ce contexte, les FARC-EP ont considéré qu'il n'y avait pas de conditions politiques favorables pour continuer le processus de paix et ont repris les armes.
Malgré la répression et la persécution politique, le peuple colombien n'a pas renoncé à son rêve de vivre en paix, et, en 1990, la paix a été signée avec le M-19, une partie de l'EPL, le Mouvement Quintín Lame et une faction de l'ELN. Cependant, la violence s'est fait à nouveau sentir le 8 mars de la même année lorsque le candidat présidentiel du M-19, Carlos Pizarro, a été assassiné. En 1991, la nouvelle constitution néolibérale est promulguée, laissant derrière elle de nombreux éléments démocratiques qui avaient été acquis.
Les années 1990 ont été caractérisées par une violence intense dans le pays où les oligarques ont travaillé avec les trafiquants de drogues et les paramilitaires, faisant des milliers de mort·es, de disparu·es, de torturé·es et de déplacé·es.
Malgré ce climat politique, de nombreuses organisations, partis de gauche et secteurs démocratiques ont continué à travailler pour la paix. À la fin de la décennie, une table de négociation a été créée entre le gouvernement d'Andrés Pastrana et la guérilla des FARC-EP à El Caguán. Malheureusement, elle a échoué en raison de l'aggravation du conflit et du renforcement du paramilitarisme.
Après la rupture de la table des négociations, le conflit s'est aggravé avec l'arrivée d'Álvaro Uribe et sa politique de « sécurité démocratique ». Celle-ci se concentrait prétendument sur l'élimination militaire de l'insurrection, tout en renforçant la répression contre les organisations sociales, les défenseur·euses des droits humains et les militant·es de gauche. Durant cette période sombre, 6 402 exécutions extrajudiciaires ont été dénombrées à ce jour. Le plus souvent, il s'agissait de civil·es déguisé·es en guérillero·as et tué·es par l'armée pour obtenir des prix et des promotions.
Des années plus tard, en 2012, l'UP a de nouveau été légalement autorisée à fonctionner. La même année, l'État colombien a accepté une certaine responsabilité dans le génocide. Et en novembre 2016, la guérilla des FARC et le gouvernement de Juan Manuel Santos ont signé l'Accord final pour la fin du conflit et la construction d'une paix stable et durable.
Le dénouement de ce long conflit rend manifeste la nécessité de mettre fin aux violences, de distribuer plus équitablement les terres, de mettre en place un système de justice, de vérité, de réparation et de non-répétition des erreurs passées.
Un moment historique
La Colombie a une longue histoire de violence qui a laissé des blessures profondes, dont la plupart ne sont toujours pas cicatrisées. Mais en même temps, elle a une histoire de résistance et de résilience. Ses principaux acteurs et actrices ont contribué à une politique démocratique, à la mémoire historique, à l'art et à la transformation sociale. La lutte pour la paix à partir du principe moral de justice sociale a été un but décisif pour la construction de la démocratie dans le pays.
À chaque épisode de violence, les communautés ont appris à affronter les scénarios les plus douloureux. Il n'est pas possible de parler de la violence en Colombie sans parler des actions collectives qui visent toujours à construire et transmettre la mémoire collective. Les luttes historiques pour la terre, les revendications des communautés historiquement marginalisées comme les communautés autochtones, afrodescendantes, paysannes et ouvrières, la signature de l'accord de paix et le soulèvement de millions de jeunes en 2021 ont créé les conditions sociopolitiques nécessaires pour qu'une coalition des forces alternatives et de gauche arrive au pouvoir en juin 2022. C'est une première dans l'histoire de la Colombie.
Cette coalition s'est engagée à vérifier certains des besoins des populations vulnérables. Six mois après l'arrivée au pouvoir du gouvernement de Gustavo Petro, ancien guérillero du M-19, une série de réformes ont été mises en place, comme la protection de l'Amazonie, la réforme agraire, la loi de paix totale, le rétablissement des relations avec le Venezuela et la reprise des négociations avec l'ELN [5].
Mais ni la paix ni la justice sociale ne viendront du gouvernement seul. Les mouvements sociaux et les partis de gauche en sont conscients et travaillent chaque jour pour éviter d'être victimes d'un nouveau conflit ou d'être instrumentalisés par les institutions.
Tant les mouvements que les partis travaillent à mettre un terme définitif à un système oppressif, extractiviste, raciste, criminel et patriarcal qui a fait de la Colombie sa véritable forteresse économique. C'est pourquoi notre slogan restera le suivant : « Ils peuvent couper une fleur, mais ils ne mettront pas fin au printemps. »
[1] Centro Nacional de Memoria Histórica, ¡Basta Ya ! Colombia : memorias de guerra y dignidad. Resumen, Bogotá, CNMH, 2013, page 13. ; German Guzman Campos, Orlando Fals Borda, Eduardo Umana Luna, La violencia en Colombia Tomo 1, Bogotá, Taurus, 2005, page 15.
[2] Forces armées révolutionnaires de la Colombie-Armée populaire.
[3] Armée populaire de libération.
[4] Armée populaire de libération nationale.
[5] INFOBAE, Colombia/ Estos son los 50 logros que destacó Gustavo Petro en sus primeros 100 días de gobierno, www.infobae.com/america/colombia/2022/11/15/estos-son-los-50-logros-que-destaco-gustavo-petro-en-sus-primeros-100-dias-de-gobierno/
Jessica Ramos et Ronald Arias sont militant·es de l'Unión Patriótica (parti politique colombien)
Photos : Unión Patriótica

Le Canada continue d’encourager l’impunité de ses entreprises

Le gouvernement canadien est passé maître dans l'art de faire semblant d'agir pour encadrer les activités de ses entreprises à l'étranger. La nouvelle loi sur le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d'approvisionnement, adoptée en mai 2023, ne fait pas exception à la règle.
Depuis des décennies, des entreprises transnationales canadiennes – et des entreprises minières en particulier – sont la cible de nombreuses allégations de violations des droits humains et de dommages environnementaux à travers le monde : meurtres, torture, viols, travail forcé, détention arbitraire, intimidation, déplacements de populations, pollution des sources d'eau potable, etc. Les cas sont trop nombreux pour être recensés ici, mais on peut penser notamment à Barrick Gold en Papouasie–Nouvelle-Guinée, à Goldcorp Inc. au Guatemala et, dans le secteur du textile, à la tragédie de l'effondrement en 2013 du Rana Plaza au Bangladesh, où Loblaws (Joe Fresh) s'approvisionnait, notamment.
Encore aujourd'hui, de nombreuses entreprises canadiennes continuent de violer les droits humains des populations et de saccager l'environnement dont les communautés dépendent pour leur survie – tout cela afin de s'enrichir en toute impunité. Les communautés et les travailleur·euses qui subissent ces préjudices n'ont souvent pas accès à des voies de recours ou à des mesures de réparation, tandis que les défenseur·euses des droits humains et de l'environnement qui dénoncent les comportements des entreprises, souvent issu·es de communautés autochtones, sont fréquemment victimes de violences, d'intimidation, de criminalisation ou d'assassinats. Sous de beaux discours, le gouvernement canadien donne plus d'importance aux profits des compagnies canadiennes à l'étranger qu'au respect des droits humains, ce qui se reflète par exemple dans le rôle de promotion de l'industrie canadienne joué par les ambassades.
Que fait le Canada ?
Le gouvernement canadien est bien au courant des graves accusations qui pèsent contre certaines entreprises canadiennes qui opèrent à l'étranger. Des rapports indépendants publiés en 2005 et en 2007 soulignaient déjà qu'il existe un problème lié à l'impunité dont jouissent les multinationales canadiennes, notamment les minières. Ces rapports affirmaient que le gouvernement canadien devrait renoncer à son approche volontaire face à la responsabilité sociale des entreprises et qu'un poste d'ombudsman indépendant devrait être mis sur pied. L'ombudsman aurait pour mandat de donner des conseils, d'effectuer des enquêtes et de produire des rapports.
Presque 20 ans plus tard, nous attendons toujours que le Canada se dote de mécanismes efficaces et contraignants pour encadrer les activités des entreprises transnationales canadiennes et offrir un accès à la justice aux communautés affectées. D'une part, le Canada continue de compter sur la bonne volonté des entreprises – même si des années d'expérience démontrent clairement que cette approche ne fonctionne pas. D'autre part, il a mis sur pied au fil des années plusieurs mécanismes qui se sont avérés inefficaces, comme le poste de conseillère en responsabilité sociale des entreprises et le bureau de l'ombudsman canadien pour la responsabilité des entreprises. En fait, il leur manquait les éléments essentiels pour faire leur travail : une indépendance par rapport au gouvernement et des pouvoirs d'enquête pour obliger les entreprises à témoigner ou à produire des documents. En plus d'être inefficaces, ces mécanismes peuvent aussi s'avérer dangereux pour les communautés affectées, car les personnes qui portent plainte contre les entreprises risquent d'être prises pour cibles par la suite.
Des apparences trompeuses
En mai 2023, les parlementaires canadiens ont adopté le projet de loi S-211, la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d'approvisionnement. Avec un titre comme celui-là, il est bien difficile d'être contre, mais quand on y regarde de plus près, cette loi est sans substance.
Dans les faits, la loi obligera désormais certaines entreprises à publier un rapport annuel sur les mesures qu'elles ont prises, le cas échéant, pour prévenir et réduire le risque de travail forcé ou de travail des enfants dans leurs chaînes d'approvisionnement. Mais attention : elle n'obligera pas les entreprises à prendre des mesures pour contrer l'existence de travail forcé ou de travail des enfants. Elle les obligera seulement à produire un rapport disant si elles ont pris des mesures… ou non !
De plus, même si le travail forcé et le travail des enfants sont évidemment des enjeux importants, les activités des entreprises transnationales peuvent aussi violer de nombreux autres droits humains. L'approche préconisée ne tient pas compte du principe internationalement reconnu selon lequel les droits humains sont indivisibles et interdépendants.
La loi ne permettra pas non plus aux personnes lésées par les entreprises canadiennes, leurs filiales ou leurs fournisseurs, d'obtenir réparation pour les abus qu'elles ont subis, par exemple en portant plainte devant les tribunaux canadiens. En résumé, cette loi donne l'impression que le gouvernement prend des mesures concrètes en faveur des droits humains, alors que ce n'est pas le cas.
Un échec ailleurs
Certains pays, dont le Royaume-Uni et l'Australie, ont adopté des lois similaires au projet de loi S-211. Résultat ? Selon des études, elles n'ont donné lieu qu'à la publication de rapports superficiels par les entreprises et n'ont pas entraîné d'améliorations significatives des pratiques des entreprises en vue d'éliminer l'esclavage moderne. Bref, ces lois se sont avérées inefficaces et ont bloqué les progrès vers l'adoption de lois efficaces.
D'autres pays ont adopté ou sont en voie d'adopter des lois sur le devoir de diligence des entreprises en matière de droits humains et d'environnement qui visent véritablement à assurer la prévention des abus et la reddition de compte des entreprises. C'est le cas de la France, par exemple, qui a adopté en 2017 une Loi sur le devoir de vigilance. Même chose pour l'Allemagne, qui a adopté une loi obligeant les entreprises à effectuer des analyses de risques régulières, à mettre en place des mesures préventives ainsi qu'un mécanisme pour recevoir les plaintes. La Belgique, les Pays-Bas, l'Autriche et même le parlement européen étudient présentement la possibilité d'adopter des lois similaires.
Des solutions existent… ne manque que la volonté politique
Heureusement, le projet de loi S-211 n'a pas été adopté à l'unanimité au parlement canadien. C'est dire que plusieurs député·es comprennent qu'au-delà des apparences, cette loi ne permettra pas de véritablement lutter contre l'impunité des entreprises et qu'il faudra une autre loi pour y parvenir. La bonne nouvelle, c'est qu'un modèle existe déjà et qu'il pourrait être utilisé par le gouvernement. En effet, le Réseau canadien pour la reddition de compte des entreprises (RCRCE) a publié en 2021 un projet de loi modèle qui fournit aux législateur·rices une voie à suivre pour enchâsser dans le droit canadien l'obligation qui incombe aux entreprises de respecter les droits humains et l'environnement [1].
L'adoption d'un projet de loi sur le devoir de diligence et l'octroi de véritables pouvoirs d'enquête à l'ombudsman canadien sur la responsabilité des entreprises démontreraient un réel engagement de la part du Canada à prioriser les droits humains et l'environnement par rapport aux profits des entreprises. Les solutions existent. Elles sont connues. Ne manque maintenant que la volonté politique d'agir en faveur du bien commun.
[1] RCRCE, « Législation en matière de droits de la personne pour les entreprises ». En ligne : cnca-rcrce.ca/fr/campagnes/lois-dh-entreprises/
Denis Côté est analyste des politiques à l'Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI).Amélie Nguyen est coordonnatrice du Centre international de solidarité ouvrière (CISO). Aidan Gilchrist-Blackwood est coordonnateur du Réseau canadien sur la reddition de compte des entreprises (RCRCE).
Illustration : Ramon Vitesse

Entrevue : Cinéma sous les étoiles et Funambules Média

Cinéma sous les étoiles, organisé par Funambules Média, est un festival de documentaires sociaux qui se tient dans les parcs et quartiers de Montréal. Dans le cadre de leur 14e édition, Cinéma sous les étoiles propose près de 45 projections à 15 endroits à Montréal. Propos recueillis par Samuel-Élie Lesage.
À bâbord ! : En quelques mots, comment décrivez-vous Cinéma sous les étoiles ?
Hubert Sabino-Brunette : Cinéma sous les étoiles (CslE) vise à faire rayonner le documentaire social et politique en dehors des salles et à apporter ce type de film à de nouveaux auditoires. De plus, le parc, comme lieu de projection, permet des rencontres nouvelles et de diffuser dans un cadre ludique et agréable.
Romane Lamoureux-Brochu : Chaque projection est aussi suivie d'une discussion avec le réalisateur ou la réalisatrice du documentaire, sinon avec un·e expert·e du sujet abordé. Chaque documentaire offre une perspective unique et personnelle, celle du réalisateur ou de la réalisatrice, et nous désirons qu'il suscite la discussion et la réflexion, d'où le fait que le parc est un lieu idéal pour tenir ces projections.
H. S.-B. : Il s'agit aussi d'un lieu qui permet de diffuser de nouveaux talents et qui se démarque des plateformes existantes pour diffuser et soutenir la relève. Notamment, nous organisons à chaque année un concours de court-métrages. Ce concours permet de présenter le court-métrage comme une pratique artistique propre.
ÀB ! : Qu'est-ce qui motive la tenue de Cinéma sous les étoiles ?
H. S.-B. : Notre volonté première est de trouver des films qui ne seraient pas diffusés autrement ou qui sont difficilement accessibles au Québec. CslE s'inscrit ainsi dans un réseau avec d'autres organismes alternatifs de diffusion, comme Cinema Politica ou encore les Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM), qui visent à montrer ce qui se passe à l'extérieur du Québec et sous un angle nouveau. Au Québec, la diffusion du documentaire est difficile et nous cherchons à le rendre plus accessible pour différents publics.
R. L.-B. : Une autre motivation est de créer des rencontres entre les réalisateur·rices et le public, et de susciter l'intérêt pour le documentaire. Aussi, nous cherchons constamment de nouveaux partenaires pour améliorer la diffusion. Par exemple, cette année, nous avons organisé une semaine thématique portant sur l'environnement. À cela s'ajoute une collaboration avec la Biosphère pour la projection de quatre documentaires autour de la thématique de l'eau, ainsi qu'un documentaire plus familial sur la vie animalière des potagers, en collaboration avec Espace pour la vie.
ÀB ! : Hubert, tu as mentionné que la diffusion du documentaire au Québec est difficile. Pourquoi ?
H. S.-B. : Il y a de moins en moins de diffusion de documentaires dans les grandes salles de projection. Le documentaire est surtout diffusé dans quelques salles indépendantes de Montréal, mais c'est à peu près tout. La plateforme en ligne Tënk fait aussi un bon travail. Sinon, c'est très difficile pour les régions, malgré des initiatives enthousiasmantes ! CslE diffuse les documentaires québécois après leur vie en salle et s'inscrit donc en complémentarité avec les salles qui diffusent du documentaire. Si le documentaire en ligne est bien écouté, les grandes plateformes comme Netflix imposent souvent leur narratif et leur esthétique. CslE essaie donc de faire rayonner un documentaire différent, en octroyant notamment une grande place au documentaire d'auteur.
ÀB ! : Quelles orientations guident la programmation d'une édition de Cinéma sous les étoiles ?
H. S.-B. : Premièrement, nous visons à mettre de l'avant le plus possible des œuvres locales (environ 30-40% de la programmation), puis on cherche à équilibrer les sujets pour couvrir le plus d'enjeux possibles. On cherche de plus à choisir des films mettant en valeur des communautés distinctes des nôtres. Finalement, on cherche à programmer des films internationaux, bien que ce soit parfois plus complexe à cause des coûts élevés des droits de diffusion.
R. L.-B. : Aussi, les invité·es sont à considérer ! On cherche avant tout à inviter le ou la cinéaste, ou du moins une personne qui a participé à la réalisation du film, sinon (et surtout pour les films internationaux), des experts ou expertes sur le sujet. La discussion sur le film est tout aussi importante que la projection.
ÀB ! : Et comment les lieux de projection sont-ils choisis ?
R. L.-B. : Certains des lieux sont devenus des piliers, comme le parc Laurier, où CslE a commencé, ou les parcs Molson ou des Faubourgs. On cherche des lieux qui permettront une belle diffusion, où se réapproprier pour apprendre et discuter se prêtera bien. On cherche aussi à rejoindre des milieux nouveaux et différents publics. Finalement, il faut bien entendu trouver des endroits accessibles et assez grands pour accueillir parfois plus d'une centaine de personnes !
Une fois le lieu déterminé avec les arrondissements, on choisit le film qui y sera projeté. Après 13 ans, nous savons mieux quel parc va attirer quel public.
H. S.-B. : Nous cherchons constamment à construire et porter plus loin CslE. Un rêve a été réalisé cette année en diffusant dans le quartier chinois Big Fight in Chinatown, un documentaire sur la gentrification des différents chinatowns des villes occidentales. Ç'a été l'un des plus beaux moments de la présente édition.
R. L.-B. : La pandémie a ralenti ce volet, mais nous avons organisé par le passé des projections à l'extérieur de Montréal. C'est quelque chose que nous désirons reprendre.
ÀB ! : J'aimerais vous entendre un peu plus sur le parc et sa signification comme lieu de diffusion.
R. L.-B. : Le parc, c'est un lieu de rassemblement, familial, accessible et convivial, synonyme en quelque sorte de ce que CslE désire être. Nous rendons ludique et agréable la diffusion du documentaire social, nous créons des lieux de rassemblements et de discussion. C'est donc aussi un espace public qu'on se réapproprie pour apprendre et qu'on inscrit dans l'actualité. Alors imaginons : un documentaire peut avoir la réputation d'être barbant ou trop complexe. Mais si c'est projeté dans un parc ? Ça rend le film plus intéressant et plus surprenant aussi ! Autrement dit, le parc démocratise le documentaire.
H. S.-B. : L'été, le parc devient aussi l'extension de la maison. C'est un lieu de socialisation et de rencontre, et on veut amener la culture du documentaire là.
Et le parc est aussi un lieu d'évènements imprévisibles ! C'est aussi le parc qui vient au documentaire. Des gens promènent leurs chiens et des gens qui ne viennent pas à la projection se joignent… Le parc rend publique la diffusion.
ÀB ! : Comment travaillez-vous pour que Cinéma sous les étoiles poursuivent sa mission ? Comment s'assurer de rejoindre différentes personnes et différentes communautés ?
R. L.-B. : C'est une question qu'on se pose constamment pour chaque édition. Pour la suite, notre priorité est de sortir de Montréal pour la prochaine édition. Les régions ont également des enjeux spécifiques et il nous faut penser la programmation de films qui y seront bien reçus avec des organismes locaux.
H. S.-B. : Nous essayons de rejoindre différentes communautés en choisissant des films distincts et en projetant dans des lieux nouveaux. On veut porter divers messages et diverses œuvres à différents publics. C'est aussi la même logique qui anime la recherche de partenariat !
ÀB ! : Pour finir, pour cette quatorzième édition, y a-t-il une projection dont vous êtes fiers et fières ?
R. L.-B. : La semaine de l'environnement propose une programmation variée avec beaucoup d'angles différents, avec des discussions qu'on s'attend être riches et intéressantes.
H. S.-B. : Durant cette semaine, le film Paradis est projeté en première québécoise. Le film suit une communauté Iakoute en Sibérie combattant les feux de forêt de 2021 et abandonnée par l'État russe. Il y a une troublante correspondance entre ce film et les feux de forêt qui ont frappé le Québec cet été.
Le film d'ouverture de cette édition a été aussi un grand moment, où nous avons projeté Mon pays imaginaire du grand Patricio Guzman en première devant plus de 450 personnes, qui relate les récents manifestations sociales du Chili. Et finalement, la projection de Le mythe de la femme noire, d'Ayana O'Shun, a attiré près de 900 personnes ! C'est un record de participation !
QU'EST−CE QUE FUNAMBULES MÉDIAS ?
Funambules Médias est une une coopérative de travail fondée à Montréal en 2008 par des documentaristes actif·ves dans la production vidéo, la formation et la diffusion de cinéma documentaire. Elle réunit des cinéastes qui souhaitent soutenir la production et la diffusion de films. Elle vient aussi en aide aux organismes partageant les mêmes valeurs sociales de justice et d'inclusion. Elle offre enfin de la formation, notamment en éducation et en réalisation.
Illustration : Elisabeth Doyon
Un projet de règlement de Toronto menace le droit de manifester
CDPQ : plus de 27 milliards $ dans 76 entreprises complices de l’occupation et du génocide en Palestine

Déclaration de Bea Bruske, présidente du Congrès du travail du Canada, au sujet des résultats de l’élection fédérale

Félicitations au Premier ministre Mark Carney pour sa victoire électorale hier soir. Les Canadiens et Canadiennes aux opinions politiques diverses ont livré un message clair : ils rejettent les politiques conservatrices à l'américaine de Pierre Poilievre. Ils ont choisi de défendre les valeurs qui nous définissent - des services publics solides comme les soins de santé, des emplois syndicaux stables et la conviction que les voisins prennent soin les uns des autres.
Maintenant, les Canadiens attendent de ce nouveau gouvernement qu'il agisse de toute urgence.
Les Canadiens comptent sur le Premier ministre Carney pour agir rapidement. L'heure n'est plus aux hésitations.
Nous assistons déjà à des pertes d'emplois dans tous les secteurs et un trop grand nombre de travailleuses et travailleurs sont laissés pour compte par un régime d'assurance-emploi désuet qui a besoin d'une réforme urgente. Les gens s'attendent à des investissements dans les soins de santé publics, dans le logement abordable et dans les services sur lesquels les familles comptent. Ils veulent un gouvernement qui réduira notre dépendance vis-à-vis des États-Unis, renforcera les industries nationales et créera de bons emplois syndicaux dans toutes les régions du pays, tout en respectant clairement les valeurs canadiennes.
Les coupures ne nous mèneront pas sur le chemin de la prospérité. Le moment est venu de bâtir - en investissant dans les gens et dans les systèmes publics qui les soutiennent.
Les syndicats du Canada, qui représentent plus de 3 millions de travailleurs et travailleuses, sont prêts à travailler avec le gouvernement pour réaliser de réels progrès. Nous savons qu'en travaillant ensemble, nous pouvons relever les défis de demain et bâtir une économie plus juste et plus résiliente qui fonctionne pour tous, ce qui comprend :
• Offrir des soins de santé publics, dont l'accès à un médecin ou à une infirmière praticienne pour chaque personne au Canada et élargir le régime public universel d'assurance-médicaments ;
• Réduire le coût de la vie en empêchant les entreprises de hausser excessivement les prix et en augmentant les salaires ;
• Investir dans les services publics sur lesquels les familles comptent ;
• Lutter contre la crise du logement en construisant des logements qui sont vraiment abordables ;
• Créer de bons emplois syndicaux en investissant dans les infrastructures sociales et physiques, l'énergie propre et la fabrication intérieure.
Mais soyons clairs : la menace des États-Unis n'est en aucun cas exclue. La volatilité économique, l'escalade des pressions commerciales et l'imprévisibilité croissante des marchés américains nuisent déjà aux investissements et à la confiance des entreprises ici au pays. Les industries et les travailleurs canadiens en ressentent les effets. Le Canada ne peut pas se contenter de rester les bras croisés. Ce dont nous avons besoin maintenant, c'est d'une réponse vigoureuse et ambitieuse - à la hauteur de la situation et avec l'ampleur et la gravité qu'elle requiert.
C'est un moment critique pour le Canada. Les choix qui seront faits dans les semaines à venir façonneront notre économie, nos collectivités et notre avenir pour des générations.
Les syndicats du Canada sont prêts à agir - avec urgence et détermination et en partenariat - pour s'assurer que le gouvernement offre le pays sûr, inclusif et prospère pour lequel les Canadiens ont voté.

Sid Ryan : Cette élection a été un désastre pour le NPD et les syndicats

Le résultat de l'élection fédérale a été un désastre pour le NPD, mais aussi une catastrophe pour l'ensemble du mouvement syndical. Il y a quelque chose de profondément défaillant dans le message que les syndicats transmettent à leurs membres. En ce jour, les sonnettes d'alarme devraient résonner au Congrès du travail du Canada et dans toutes les autres fédérations syndicales du pays.
30 avril 2025 | Canadian Dimension
https://canadiandimension.com/articles/view/sid-ryan-this-election-was-a-disaster-for-the-ndp-and-unions
Comment expliquer que les conservateurs aient remporté tous les sièges dans le corridor Hamilton-Windsor — le cœur industriel du pays ?
Manifestement, soit les syndiqués n'écoutent plus du tout leurs dirigeants syndicaux, à tous les niveaux du mouvement, soit les syndicats ont perdu la capacité de communiquer efficacement avec leur propre base.
Le NPD, de son côté, a eu tort de croire qu'il suffisait de s'adresser à une poignée de leaders syndicaux pour obtenir un succès électoral. Les conservateurs leur ont damé le pion en parlant le langage des travailleurs et en allant à leur rencontre sur leurs lieux de travail. Ce virage dans la stratégie conservatrice a commencé sous Erin O'Toole, s'est poursuivi avec Doug Ford et a été amplifié par Pierre Poilievre. Le mouvement syndical et le NPD n'ont rien fait, ou presque, pour contrer cette évolution.
En pleine campagne électorale, les Conservateurs ont publié une déclaration de politique indiquant clairement leur intention de mettre fin à la formule Rand et d'introduire des lois sur le droit au travail au Canada. De manière stupéfiante, le CTC (Congrès du travail du Canada) est resté pratiquement muet face à cette menace existentielle. C'était une occasion en or pour le mouvement syndical organisé de s'impliquer directement dans l'élection, mais il a raté le coche. La seule façon pour les conservateurs de faire une razzia dans le corridor Hamilton-Windsor, c'était que des métallos, des ouvriers de l'automobile, des enseignants, des travailleurs de la construction et des employés du secteur public votent massivement pour leurs candidats. Rappelons que cela s'est produit alors que les emplois dans l'automobile et la sidérurgie étaient menacés par les tarifs imposés par Donald Trump, et au moment même où Poilievre laissait entendre qu'il sabrerait massivement dans les services publics et les postes.
En 2014, lorsque le chef conservateur Tim Hudak a proféré des menaces similaires en Ontario, la Fédération du travail de l'Ontario avait mobilisé les syndiqués à travers la province et joué un rôle majeur dans sa défaite.
Les 54 syndicats membres du CTC doivent se remettre sérieusement en question et se demander comment un parti politique de droite peut aujourd'hui exercer plus d'influence sur leurs membres qu'eux-mêmes. À l'heure actuelle, le mouvement syndical ressemble davantage à une simple agence de perception de cotisations sans idéologie politique. Il est impératif que l'organisation se ressaisisse. Elle ne peut continuer à fonctionner avec une base divisée entre le NPD, les libéraux, les conservateurs et le Bloc québécois. La voix de 3,4 millions de syndiqués et de leurs familles a honteusement été absente de cette élection.
Quant au NPD, le message est clair : soit il retourne à ses racines, celles de la Fédération du Commonwealth coopératif (FCC), et à sa raison d'être — représenter les intérêts des travailleurs et de leurs familles —, soit il plie bagage et rejoint les libéraux.
De plus, les bureaucrates centristes qui détiennent le pouvoir au sein du parti depuis deux décennies doivent être écartés et le parti reconstruit de fond en comble.
Dans les années 1960, la FCC et le CTC avaient uni leurs forces pour former un nouveau parti politique : le NPD. Les deux organisations doivent aujourd'hui retrouver cet esprit de combat pour redevenir une force politique. Sinon, elles dépériront et sombreront dans l'insignifiance et l'oubli.
Sid Ryan est l'ancien président de la Fédération du travail de l'Ontario.
Un an de gouvernance du CPT en Haïti : cortège de cadavres et expansion du banditisme
TikTok, tarifs douaniers et « fabriqué en Chine »
La campagne de boycott bloque un bâtiment d’Amazon Web Services
L’AQOCI, au cœur d’un dialogue pour repenser la coopération internationale
Blocage de Postes Canada à Montréal
Des militants et des travailleurs d’Amazon occupent le siège d’Hydro-Québec
Grande manifestation pour le Jour de la Terre à Québec
Le 22 avril 2025, des centaines de manifestant-es ont entouré l'Assemblée nationale à Québec dans le cadre du Jour de la Terre. Ce rassemblement, initié par la Coalition régionale justice climatique et sociale, a été tenu pour attirer l'attention sur les défis environnementaux et sociaux et pour dénoncer l'irresponsabilité et l'inaction du gouvernement de la CAQ face à la crise climatique. Presse-toi à gauche présente ici les interventions des représentant-es de différents secteurs de la société (syndicats, organisations féministes, de jeunes, ...) . Ces interventions ont précédé la mise en place d'une chaîne humaine qui a entourné parlement pour signifier la volonté d'arrêter symboliquement un gouvernement écocidaire.
Des travailleurs de Vancouver observent le Jour de deuil sans leurs employeurs

Le Sommet de la santé et de la sécurité du travail des 15 et 16 avril 2025 : un moment clé dans une mobilisation unitaire et élargie !

Le Sommet sur la santé et la sécurité du travail 2025 s'est tenu les 15 et 16 avril au Centre des congrès de Québec, rassemblant plus de 1 500 participant.e.s issus des milieux syndicaux et communautaires, en particulier des organisations de défense de non-syndiqués. Cet événement d'envergure a été organisé conjointement par les quatre grandes centrales syndicales du Québec — la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), la Confédération des syndicats nationaux (CSN), la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) et la Centrale des syndicats démocratiques (CSD) — en collaboration avec l'Union des travailleuses et travailleurs accidentés ou malades (UTTAM).
L'objectif principal du sommet était de dresser un bilan critique des récentes réformes législatives, notamment la Loi « modernisant » le régime de santé et de sécurité du travail (le Projet de loi 59, devenu la Loi 27), qui a profondément modifié la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) et la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP). Au-delà du bilan, il s'agissait de renforcer et élargir la mobilisation commune aux groupes de femmes, de travailleurs accidentés, de non- syndiqués et de tous les syndicats, laquelle avait permis de limiter les reculs en indemnisation et augmenter les gains en prévention, tout au long des débats sur le PL59, de sa publication à l'automne 2020 à son adoption à l'automne 2021. On se rappellera que tous les partis d'opposition ont voté contre, et que toutes les organisations syndicales et populaires s'y sont opposées.
On le sait, la supposée « modernisation » a en fait consisté à échanger des reculs pour les travailleuses et travailleurs accidentés ou malades du travail et une réduction des coûts pour les employeurs, contre certaines avancées quant aux obligations de ces derniers en matière de prévention, et des outils pour la représentation des travailleur.euse.s, en particulier les « représentant.e.s en santé et en sécurité », disposant d'heures de libération pour agir auprès et pour leurs collègues, aussi en prévention. C'est cette dernière mesure qui constitue le principal gain des travailleur.euse.s, et en particulier des femmes, largement exclues jusque là de son application comme de celle du « programme de prévention », du « programme de santé » (des obligations de l'employeur d'identifier et d'éliminer sinon de contrôler les risques de manière systématique) et du « comité de santé et de sécurité du travail ». Cet événement est unique à plusieurs égards, et certainement important pour l'ensemble des travailleur.euse.s, alors que les risques ne font que s'accentuer avec l'intensification du travail et la précarisation de l'emploi.
Unique et important d'abord parce qu'il s'agit d'un événement intersyndical et communautaire, au-delà d'une simple manifestation où chacun reste dans son contingent, et parce que les difficultés des non-syndiqués à faire usage de leurs droits y ont été discutées tant en plénière que dans des ateliers : y étaient entre autres présents des militant.e.s de l'Union des travailleurs et travailleuses accidentés ou malades (parmi les organisateurs), d'autres organismes ou associations de défense des accidentés, du Réseau d'aide aux travailleuses et travailleurs migrants agricoles (RATTMAQ) et du Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (CTTI). Les enjeux pour les travailleurs précaires et vulnérabilisés par leur statut d'emploi (travailleur.euse.s étrangers temporaires, travailleur.euse.s d'agence, etc.) ont été examinés. Ce fut l'occasion de réaffirmer la nécessité d'un soutien pour les non-syndiqués, autant pour l'exercice de leurs droits en matière d'indemnisation que de représentation en prévention.
Important aussi parce que les enjeux touchant particulièrement les femmes au travail, du fait de la nature des emplois qu'elles occupent, étaient bien visibles et largement reconnus par les participant.e.s., alors qu'ils sont en grande partie invisibilisés dans les statistiques de lésions indemnisées par la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Les troubles musculosquelettiques et les lésions psychologiques sont en effet difficiles à faire reconnaître, et les accidents du travail et maladies professionnelles indemnisés par la CNESST ne représentent ainsi que la pointe de l'iceberg. La mobilisation autour du PL59 initial avait mis en évidence cette sous-estimation et mené au retrait de la répartition initiale des secteurs d'activité économique par niveaux de risque, qui reproduisait cette invisibilisation. En effet, le « niveau de risque » est le mécanisme introduit pour déterminer le nombre d'heures de libération pour les représentant.e.s des travailleur.euse.s en SST. Le gouvernement n'ayant pas voulu trancher au moment de l'adoption de la LMRSST, on s'est donc retrouvé avec un « régime intérimaire » laissant les comités réglementaires paritaires de la CNESST trancher, ce qui devait être fait avant l'automne 2024, sinon le gouvernement trancherait. On verra la suite plus bas.
Événement important également parce qu'il a été l'occasion de discuter de stratégies communes et de mobilisation. On a constaté que les quelques gains obtenus par la mobilisation unitaire et élargie, autour du PL59, dépassaient largement ce que les syndicats représentés au Conseil d'administration de la CNESST avaient pu gagner dans les débats à huis clos des comités réglementaires, ou encore au Conseil consultatif du travail et de la main-d'œuvre. Le rôle joué par le gouvernement, comme employeur dans les secteurs de l'administration publique, de la santé et de l'éducation, a été identifié : c'est bien ce qui avait freiné, en 1985, l'application à tous les secteurs des dispositions de la LSST, dont celles qui fournissaient des outils aux travailleur.euse.s pour faire entendre leur voix. Or, c'est encore ce qui se produit aujourd'hui en 2025 : quelques jours après le Sommet, le gouvernement de la CAQ a publié le Projet de loi 101 qui, s'il est adopté tel quel, exclura de grands pans des secteurs de la santé et de l'éducation de l'application du régime permanent, les conservant à un niveau de risque faible. Or, cela ne correspond pas à l'évaluation combinant des données lésionnelles et d'enquêtes populationnelles sur l'exposition aux risques. Les sous-secteurs de la santé se trouvaient en fait, dans le projet de Règlement sur les mécanismes de prévention et de participation, au niveau de risque « élevé » (4), classement que le gouvernement veut contourner avec le PL101. En effet, par exemple, l'Enquête québécoise sur la santé de la population 2020-2021 [1] montre que les femmes du secteur de l'enseignement ou du milieu de la santé sont plus nombreuses en proportion à faire face à une charge detravail importante et à se sentir peu reconnues au travail, une combinaison associée à des problèmes de santé psychique comme physique, en plus de l'exposition grandissante à la violence.
Enfin, toute une séance plénière a été consacrée à l'action collective et à la mobilisation, dans une approche inspirée de Labor Notes, appliquée à la santé et la sécurité du travail. Si la santé ne doit pas se marchander (contre du salaire ou des emplois, par exemple), les gains passent certainement par la proximité avec les collègues et la construction d'un rapport de force collectif, parfois lors de la négociation collective (comme l'ont fait les employés des hôtels pour réduire le nombre de chambres à nettoyer par jour). Des ateliers ont d'ailleurs fourni des exemples de telles mobilisations, dans les secteurs public et privé. Comme cela a été dit au Sommet, la santé et la sécurité sont une aspiration démocratique fondamentale, et à ce titre, un vecteur de mobilisation essentiel mais encore sous-estimé. Espérons que le Sommet contribuera à lui donner l'élan unitaire si nécessaire et à faire reconnaître le rôle central que pourrait jouer l'aspiration à un travail qui ne tue pas, ne blesse pas et ne rend pas malade, à la revitalisation du syndicalisme et de l'action collective autonome des travailleur.euse.s.

L’écologie politique du pape et les appels à sortir des énergies fossiles (1, 2, 3)

Nous republions trois billets de Jean Gadrey sur l'encyclique du pape François sur les changements climatiques. Ces billets permettent de bien apprécier le position du pape François sur cet enjeu essentiel. Ce texte a d'abord été publié sur Presse-toi à gauche en 2015. Il est tiré du blog de Jean Gadrey. (PTAG)
Les mauvaises nouvelles sur l'état et sur l'avenir du climat et de « la planète » se succèdent régulièrement, mais je les ai reportées à un billet ultérieur, car autant les « grands décideurs » semblent pour l'instant d'une faiblesse coupable, complice, ou criminelle, autant les choses bougent du côté de la société civile, laquelle vient de recevoir un puissant renfort avec l'encyclique du pape François (version intégrale ici en cliquant sur l'icône)).
Dans ce billet et dans les deux suivants je présente des extraits très brièvement commentés de CET ECRIT A MON SENS HISTORIQUE, y compris pour le non croyant et militant d'une écologie sociale radicale que je suis. J'y ai en effet trouvé beaucoup d'autres motifs d'accord que ce que j'ai lu jusqu'ici dans la presse, qui en a fait une lecture trop souvent édulcorante.
Dans ce premier billet, il ne s'agira que du chapitre 1, qui contient un diagnostic sans complaisance, remarquablement clair, argumenté sur une base scientifique, mais également socialement « engagé, à la fois de l'état de délabrement de la « maison commune », des risques d'effondrement, et des responsabilités humaines, mais pas de tous les humains… Les passages en majuscules sont de moi.
PREMIERS EXTRAITS : POLLUTIONS, CLIMAT, EAU
« La terre, notre maison commune, semble se transformer toujours davantage en un immense dépotoir. »
« Le climat est un bien commun, de tous et pour tous… BEAUCOUP DE CEUX QUI DETIENNENT PLUS DE RESSOURCES ET DE POUVOIR ECONOMIQUE OU POLITIQUE SEMBLENT SURTOUT S'EVERTUER A MASQUER LES PROBLEMES ou à occulter les symptômes, en essayant seulement de réduire certains impacts négatifs du changement climatique. Mais beaucoup de symptômes indiquent que ces effets ne cesseront pas d'empirer si nous maintenons les modèles actuels de production et de consommation. (p. 10-11) ».
Il faut réduire les émissions en « remplaçant l'utilisation de combustibles fossiles et en accroissant des sources d'énergie renouvelable ». (p. 11)
Commentaire personnel : le pape ne préconise pas le nucléaire comme voie de sortie…
La question de l'eau est traitée pages 11-12. Avec en particulier ceci : « Tandis que la qualité de l'eau disponible se détériore constamment, il y a une tendance croissante, à certains endroits, à privatiser cette ressource limitée, TRANSFORMEE EN MARCHANDISE SUJETTE AUX LOIS DU MARCHE. En réalité, l'accès à l'eau potable et sûre est un droit humain primordial, fondamental et universel, parce qu'il détermine la survie des personnes, et par conséquent il est une condition pour l'exercice des autres droits humains. »
LA BIODIVERSITE ET LE CERCLE VICIEUX DES INTERVENTIONS SUPPOSEES REPARER LES DOMMAGES
Vient ensuite le thème de « la perte de biodiversité », dont toutes les grandes dimensions sont traitées avec précision. Extraits : « il ne suffit pas de penser aux différentes espèces seulement comme à d'éventuelles « ressources » exploitables, en oubliant qu'elles ont UNE VALEUR EN ELLES-MEMES ».
« Les constants désastres provoqués par l'être humain appellent une nouvelle intervention de sa part, si bien que l'activité humaine devient omniprésente, avec tous les risques que cela implique. Il se crée en général un cercle vicieux où l'intervention de l'être humain pour résoudre une difficulté, bien des fois, aggrave encore plus la situation… en regardant le monde, nous remarquons que CE NIVEAU D'INTERVENTION HUMAINE, FREQUEMMENT AU SERVICE DES FINANCES ET DU CONSUMERISME, fait que la terre où nous vivons devient en réalité moins riche et moins belle, toujours plus limitée et plus grise, tandis qu'en même temps le développement de la technologie et des offres de consommation continue de progresser sans limite. Il semble ainsi que nous prétendions SUBSTITUER à une beauté, irremplaçable et irrécupérable, une autre créée par nous.
« On ne peut pas non plus ignorer les énormes intérêts économiques internationaux qui, sous prétexte de les sauvegarder, peuvent porter atteinte aux souverainetés nationales. De fait, il existe « des propositions d'internationalisation de l'Amazonie, qui servent uniquement des INTERETS ECONOMIQUES DES CORPORATIONS TRANSNATIONALES ».
INEGALITE PLANETAIRE (ECOLOGIE SOCIALE) ET DEMOGRAPHIE
« Aujourd'hui, nous ne pouvons pas nous empêcher de reconnaître qu'une vraie approche écologique se transforme toujours en une approche sociale, qui doit INTEGRER LA JUSTICE DANS LES DISCUSSIONS SUR L'ENVIRONNEMENT, pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres ».
« Accuser l'augmentation de la population et non le consumérisme extrême et sélectif de certains est une façon de ne pas affronter les problèmes. On prétend légitimer ainsi le modèle de distribution actuel où UNE MINORITE SE CROIT LE DROIT DE CONSOMMER DANS UNE PROPORTION QU'IL SERAIT IMPOSSIBLE DE GENERALISER, parce que la planète ne pourrait même pas contenir les déchets d'une telle consommation. En outre, nous savons qu'on gaspille approximativement un tiers des aliments qui sont produits, et « que lorsque l'on jette de la nourriture, c'est comme si l'on volait la nourriture à la table du pauvre ».
LA DETTE ECOLOGIQUE ET LA RESPONSABILITE DES MULTINATIONALES
Remarquable reprise ici des thèmes de la dette écologique (voir ce billet : La dette écologique du Nord vis-à-vis du Sud) et de la justice environnementale.
« Il y a, en effet, une vraie « DETTE ECOLOGIQUE », particulièrement entre le Nord et le Sud, liée à des déséquilibres commerciaux, avec des conséquences dans le domaine écologique, et liée aussi à l'utilisation disproportionnée des ressources naturelles, historiquement pratiquée par certains pays. Les exportations de diverses matières premières pour satisfaire les marchés du Nord industrialisé ont causé des dommages locaux, comme la pollution par le mercure dans l'exploitation de l'or ou par le dioxyde de soufre dans l'exploitation du cuivre.
Il faut spécialement tenir compte de l'utilisation de l'espace environnemental de toute la planète, quand il s'agit de stocker les déchets gazeux qui se sont accumulés durant deux siècles et ont généré une situation qui affecte actuellement tous les pays du monde. Le réchauffement causé par l'énorme consommation de certains pays riches a des répercussions sur les régions les plus pauvres de la terre, spécialement en Afrique, où l'augmentation de la température jointe à la sécheresse fait des ravages au détriment du rendement des cultures. »
Ce qui suit est un terrible réquisitoire contre les multinationales :
« À cela, s'ajoutent les dégâts causés par l'exportation vers les pays en développement des déchets solides ainsi que de liquides toxiques, et par l'activité polluante d'entreprises qui s'autorisent dans les pays moins développés ce qu'elles ne peuvent dans les pays qui leur apportent le capital : « Nous constatons que souvent les entreprises qui agissent ainsi sont des multinationales, qui font ici ce qu'on ne leur permet pas dans des pays développés ou du dénommé premier monde. Généralement, en cessant leurs activités et en se retirant, elles laissent de grands passifs humains et environnementaux tels que le chômage, des populations sans vie, l'épuisement de certaines réserves naturelles, la déforestation, l'appauvrissement de l'agriculture et de l'élevage local, des cratères, des coteaux triturés, des fleuves contaminés et quelques œuvres sociales qu'on ne peut plus maintenir »
« La terre des pauvres du Sud est riche et peu polluée, mais L'ACCES A LA PROPRIETE DES BIENS ET AUX RESSOURCES POUR SATISFAIRE LES BESOINS VITAUX LEUR EST INTERDIT PAR UN SYSTEME DE RELATIONS COMMERCIALES ET DE PROPRIETE STRUCTURELLEMENT PERVERS. Il faut que les pays développés contribuent à solder cette dette, en limitant de manière significative la consommation de l'énergie non renouvelable et en apportant des ressources aux pays qui ont le plus de besoins, pour soutenir des politiques et des programmes de développement durable »
Commentaire : il serait bon que la pape se prononce sur les APE (accords dits de « partenariat économique » entre l'Europe et l'Afrique, voir ce billet) car j'ai peu de doute sur le fait qu'il ne pourrait que les condamner sévèrement.
LA FAIBLESSE DES REACTIONS POLITIQUES
Dans les dernières citations de ce chapitre, on ne trouve pas les termes de « capitalisme financier ». Mais vous en reconnaitrez aisément les traits caractéristiques.
« La faiblesse de la réaction politique internationale est frappante. LA SOUMISSION DE LA POLITIQUE A LA TECHNOLOGIE ET AUX FINANCES se révèle dans l'échec des Sommets mondiaux sur l'environnement. Il y a trop d'intérêts particuliers, et très facilement l'intérêt économique arrive à prévaloir sur le bien commun et à manipuler l'information pour ne pas voir affectés ses projets. En ce sens, le Document d'Aparecida réclame que « dans les interventions sur les ressources naturelles ne prédominent pas les intérêts des groupes économiques qui ravagent déraisonnablement les sources de la vie ».
Commentaire : c'est bien pour cela qu'il faut condamner vigoureusement l'invitation faite à des multinationales « qui ravagent » l'environnement de soutenir la COP 21, et de s'en prévaloir dans leur communication, ce qui a déjà commencé. Voir ce billet : « Conférence sur le climat (COP 21) : la France déroule le tapis rouge pour les multinationales les plus polluantes ! ».
« Pendant ce temps, LES POUVOIRS ECONOMIQUES CONTINUENT DE JUSTIFIER LE SYSTEME MONDIAL ACTUEL, OU PRIMENT UNE SPECULATION ET UNE RECHERCHE DU REVENU FINANCIER QUI TENDENT A IGNORER TOUT CONTEXTE, DE MEME QUE LES EFFETS SUR LA DIGNITE HUMAINE ET SUR L'ENVIRONNEMENT ».
« Une plus grande attention est requise de la part de la politique pour prévenir et pour s'attaquer aux causes qui peuvent provoquer de nouveaux conflits. Mais C'EST LE POUVOIR LIE AUX SECTEURS FINANCIERS QUI RESISTE LE PLUS A CET EFFORT… Pourquoi veut-on préserver aujourd'hui un pouvoir qui laissera dans l'histoire le souvenir de son incapacité à intervenir quand il était urgent et nécessaire de le faire ? »
« L'espérance nous invite à reconnaître qu'il y a toujours une voie de sortie, que nous pouvons toujours repréciser le cap, que nous pouvons toujours faire quelque chose pour résoudre les problèmes. Cependant, DES SYMPTOMES D'UN POINT DE RUPTURE SEMBLENT S'OBSERVER, à cause de la rapidité des changements et de la dégradation, qui se manifestent tant dans des catastrophes naturelles régionales que dans des crises sociales ou même financières, étant donné que les problèmes du monde ne peuvent pas être analysés ni s'expliquer de façon isolée.
Certaines régions sont déjà particulièrement en danger et, indépendamment de toute prévision catastrophiste, IL EST CERTAIN QUE L'ACTUEL SYSTEME MONDIAL EST INSOUTENABLE DE DIVERS POINTS DE VUE, PARCE QUE NOUS AVONS CESSE DE PENSER AUX FINS DE L'ACTION HUMAINE ».
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L'écologie politique du pape et les appels à sortir des énergies fossiles (2)
Je poursuis dans la sélection de passages à mon sens particulièrement importants, souvent percutants, de cette encyclique historique. Les intertitres sont de moi. Petite histoire : selon Fox News, chaîne ultraconservatrice, ce pape est « l'homme le plus dangereux de la planète ». Un « sacré » compliment !
CHAPITRE 2 : EXTRAITS, SUR LES DROITS FONDAMENTAUX, LA PROPRIETE PRIVEE ET LES BIENS COMMUNS
« Quand on propose une vision de la nature uniquement comme objet de profit et d'intérêt, cela a aussi de sérieuses conséquences sur la société… Toute approche écologique doit incorporer une perspective sociale qui prenne en compte les droits fondamentaux des plus défavorisés. LE PRINCIPE DE SUBORDINATION DE LA PROPRIETE PRIVEE A LA DESTINATION UNIVERSELLE DES BIENS et, par conséquent, le droit universel à leur usage, est une « règle d'or » du comportement social, et « le premier principe de tout l'ordre éthico-social ».
« Tout paysan a le droit naturel de posséder un lot de terre raisonnable, où il puisse établir sa demeure, travailler pour la subsistance de sa famille et avoir la sécurité de l'existence. Ce droit doit être garanti pour que son exercice ne soit pas illusoire mais réel. Cela signifie que, en plus du titre de propriété, le paysan doit compter sur les moyens d'éducation technique, sur des crédits, des assurances et la commercialisation ».
« L'environnement est un bien collectif, patrimoine de toute l'humanité, sous la responsabilité de tous… Les évêques de Nouvelle Zélande se sont demandés ce que le commandement « tu ne tueras pas » signifie quand « vingt pour cent de la population mondiale consomment les ressources de telle manière qu'ils volent aux nations pauvres, et aux futures générations, ce dont elles ont besoin pour survivre »
CHAPITRE 3 : EXTRAITS SUR LA TECHNOSCIENCE, LE PRODUCTIVISME, LA CROISSANCE ILLIMITEE ET LA CULTURE ECOLOGIQUE
« La technoscience, bien orientée, non seulement peut produire des choses réellement précieuses pour améliorer la qualité de vie de l'être humain, depuis les objets usuels pour la maison jusqu'aux grands moyens de transport, ponts, édifices, lieux publics, mais encore est capable de produire du beau et de « projeter » dans le domaine de la beauté l'être humain immergé dans le monde matériel ».
Mais nous ne pouvons pas ignorer que l'énergie nucléaire, la biotechnologie, l'informatique, la connaissance de notre propre ADN et d'autres capacités que nous avons acquises, nous donnent un terrible pouvoir. Mieux, elles donnent à ceux qui ont la connaissance, et surtout le pouvoir économique d'en faire usage, UNE EMPRISE IMPRESSIONNANTE SUR L'ENSEMBLE DE L'HUMANITE et sur le monde entier.
L'intervention humaine sur la nature s'est toujours vérifiée, mais longtemps elle a eu comme caractéristique d'accompagner, de se plier aux possibilités qu'offrent les choses elles-mêmes… Maintenant, en revanche, ce qui intéresse c'est d'extraire tout ce qui est possible des choses par l'imposition de la main de l'être humain, qui tend à ignorer ou à oublier la réalité même de ce qu'il a devant lui… DE LA, ON EN VIENT FACILEMENT A L'IDEE D'UNE CROISSANCE INFINIE OU ILLIMITEE, qui a enthousiasmé beaucoup d'économistes, de financiers et de technologues. Cela suppose le mensonge de la disponibilité infinie des biens de la planète, qui conduit à la « presser » jusqu'aux limites et même au-delà des limites.
De fait, la technique a un penchant pour chercher à tout englober dans sa logique de fer, et l'homme qui possède la technique « sait que, en dernière analyse, CE QUI EST EN JEU DANS LA TECHNIQUE, CE N'EST NI L'UTILITE, NI LE BIEN-ETRE, MAIS LA DOMINATION : une domination au sens le plus extrême de ce terme ».
« … Le marché ne garantit pas en soi le développement humain intégral ni l'inclusion sociale. En attendant, nous avons un « surdéveloppement, où consommation et gaspillage vont de pair, ce qui contraste de façon inacceptable avec des situations permanentes de misère déshumanisante ».
« LA CULTURE ECOLOGIQUE ne peut pas se réduire à une série de réponses urgentes et partielles aux problèmes qui sont en train d'apparaître par rapport à la dégradation de l'environnement, à l'épuisement des réserves naturelles et à la pollution. Elle DEVRAIT ETRE UN REGARD DIFFERENT, UNE PENSEE, UNE POLITIQUE, UN PROGRAMME EDUCATIF, UN STYLE DE VIE ET UNE SPIRITUALITE QUI CONSTITUERAIENT UNE RESISTANCE FACE A L'AVANCEE DU PARADIGME TECHNOCRATIQUE… Chercher seulement un remède technique à chaque problème environnemental qui surgit, c'est isoler des choses qui sont entrelacées dans la réalité, et c'est se cacher les vraies et plus profondes questions du système mondial. »
« LA LIBERATION PAR RAPPORT AU PARADIGME TECHNOCRATIQUE REGNANT a lieu, de fait, en certaines occasions, par exemple, quand des communautés de petits producteurs optent pour des systèmes de production moins polluants, en soutenant un mode de vie, de bonheur et de cohabitation non consumériste ; ou bien quand la technique est orientée prioritairement pour résoudre les problèmes concrets des autres, avec la passion de les aider à vivre avec plus de dignité et moins de souffrances ».
Remarque (Jean Gadrey) : pour être honnête, je vous livre aussi cette citation qui ne peut susciter de ma part le même enthousiasme que la quasi totalité de l'encyclique :
« Puisque tout est lié, la défense de la nature n'est pas compatible non plus avec la justification de l'avortement ».
LA NECESSITE DE PRESERVER LE TRAVAIL ET LA PETITE PAYSANNERIE
« Dans n'importe quelle approche d'une écologie intégrale qui n'exclue pas l'être humain, il est indispensable d'incorporer la valeur du travail… dans la réalité sociale mondiale actuelle, au-delà des intérêts limités des entreprises et d'une rationalité économique discutable, il est nécessaire que « l'on continue à se donner comme objectif prioritaire L'ACCES AU TRAVAIL… POUR TOUS ».
« Les économies d'échelle, spécialement dans le secteur agricole, finissent par forcer les petits agriculteurs à vendre leurs terres ou à abandonner leurs cultures traditionnelles… Les autorités ont le droit et la responsabilité de prendre des mesures de soutien clair et ferme aux petits producteurs et à la variété de la production. Pour qu'il y ait une liberté économique dont tous puissent effectivement bénéficier, il peut parfois être nécessaire de mettre des limites à ceux qui ont plus de moyens et de pouvoir financier ».
LA CRITIQUE DES OGM
« Il est difficile d'émettre un jugement général sur les développements de transgéniques (OMG), végétaux ou animaux, à des fins médicales ou agropastorales…
Même en l'absence de preuves irréfutables du préjudice que pourraient causer les céréales transgéniques aux êtres humains, et même si, dans certaines régions, leur utilisation est à l'origine d'une croissance économique qui a aidé à résoudre des problèmes, il y a des difficultés importantes qui ne doivent pas être relativisées. En de nombreux endroits, suite à l'introduction de ces cultures, on constate une concentration des terres productives entre les mains d'un petit nombre, due à « la disparition progressive des petits producteurs, qui, en conséquence de la perte de terres exploitables, se sont vus obligés de se retirer de la production directe ». Les plus fragiles deviennent des travailleurs précaires, et beaucoup d'employés ruraux finissent par migrer dans de misérables implantations urbaines. L'EXTENSION DE LA SURFACE DE CES CULTURES DETRUIT LE RESEAU COMPLEXE DES ECOSYSTEMES, diminue la diversité productive, et compromet le présent ainsi que l'avenir des économies régionales. Dans plusieurs pays, on perçoit une tendance au développement des oligopoles dans la production de grains et d'autres produits nécessaires à leur culture, et la dépendance s'aggrave encore avec la production de grains stériles qui finirait par obliger les paysans à en acheter aux entreprises productrices ».
CHAPITRE 4 : UNE ECOLOGIE INTEGRALE « QUI A CLAIREMENT DES DIMENSIONS HUMAINES ET SOCIALES »
« Il est fondamental de chercher des solutions intégrales qui prennent en compte les interactions des systèmes naturels entre eux et avec les systèmes sociaux. Il n'y a pas deux crises séparées, l'une environnementale et l'autre sociale, mais une seule et complexe crise socio-environnementale ».
« Il y a, avec le patrimoine naturel, un patrimoine historique, artistique et culturel, également menacé. Il fait partie de l'identité commune d'un lieu ».
« Il est indispensable d'accorder une attention spéciale aux COMMUNAUTES ABORIGENES et à leurs traditions culturelles. Elles ne constituent pas une simple minorité parmi d'autres, mais elles doivent devenir les principaux interlocuteurs, surtout lorsqu'on développe les grands projets qui affectent leurs espaces. En effet, la terre n'est pas pour ces communautés un bien économique, mais un don de Dieu et des ancêtres qui y reposent, un espace sacré avec lequel elles ont besoin d'interagir pour soutenir leur identité et leurs valeurs. Quand elles restent sur leurs territoires, ce sont précisément elles qui les préservent le mieux. Cependant, en diverses parties du monde, elles font l'objet de pressions pour abandonner leurs terres afin de les laisser libres pour des projets d'extraction ainsi que pour des projets agricoles et de la pêche, qui ne prêtent pas attention à la dégradation de la nature et de la culture ».
L'écologie politique du pape et les appels à sortir des énergies fossiles (3)
Ce troisième billet de la série est consacré aux deux derniers chapitres (5 et 6) de l'encyclique. Je rappelle que les intertitres sont de moi, mais pour le reste, je ne vois pas de différence notable, sur le fond, entre les citations de ce billet et les analyses d'Attac, des Amis de la Terre, du CCFD, des objecteurs de croissance, ou celles que je propose régulièrement sur ce blog ou encore dans mon livre récent (avec Aurore Lalucq) « Faut-il donner un prix à la nature ? » !
Le chapitre 5 propose « quelques lignes d'orientation ». Extraits :
« Pour affronter les problèmes de fond qui ne peuvent pas être résolus par les actions de pays isolés, un consensus mondial devient indispensable ».
« Nous savons que la technologie reposant sur les combustibles fossiles très polluants – surtout le charbon, mais aussi le pétrole et, dans une moindre mesure, le gaz – a besoin d'être remplacée, progressivement et sans retard ».
« La Conférence des Nations unies sur le développement durable, dénommée Rio + 20, a émis UN LONG ET INEFFICACE DOCUMENT FINAL. Les négociations internationales ne peuvent pas avancer de manière significative en raison de la position des pays qui mettent leurs intérêts nationaux au-dessus du bien commun général ».
« Il reste vrai qu'il y a des RESPONSABILITES COMMUNES MAIS DIFFERENCIEES, simplement parce que… les pays qui ont bénéficié d'un degré élevé d'industrialisation, au prix d'une énorme émission de gaz à effet de serre, ont une plus grande responsabilité dans l'apport de la solution aux problèmes qu'ils ont causés ».
DESOLE POUR JEAN TIROLE, MAIS LES MARCHES DE DROITS A POLLUER NE SONT NI JUSTES NI A LA HAUTEUR
« La stratégie d'achat et de vente de « crédits de carbone » peut donner lieu à une nouvelle forme de spéculation, et cela ne servirait pas à réduire l'émission globale des gaz polluants. Ce système semble être une solution rapide et facile, sous l'apparence d'un certain engagement pour l'environnement, mais qui n'implique, en aucune manière, de changement radical à la hauteur des circonstances. Au contraire, il peut devenir un expédient qui permet de soutenir la surconsommation de certains pays et secteurs ».
« Les pays pauvres doivent avoir comme priorité l'éradication de la misère et le développement social de leurs habitants, bien qu'ils doivent analyser le niveau de consommation scandaleux de certains secteurs privilégiés de leur population et contrôler la corruption. Il est vrai aussi qu'ils doivent développer des formes moins polluantes de production d'énergie, mais pour cela ILS DOIVENT POUVOIR COMPTER SUR L'AIDE DES PAYS QUI ONT CONNU UNE FORTE CROISSANCE AU PRIX DE LA POLLUTION ACTUELLE DE LA PLANETE.
Le XXIe siècle… est le théâtre d'un affaiblissement du pouvoir des États nationaux, surtout parce que LA DIMENSION ECONOMIQUE ET FINANCIERE, DE CARACTERE TRANSNATIONAL, TEND A PREDOMINER SUR LA POLITIQUE. Dans ce contexte, la maturation d'institutions internationales devient indispensable, qui doivent être plus fortes et efficacement organisées, avec des autorités désignées équitablement par accord entre les gouvernements nationaux, ET DOTEES DE POUVOIR POUR SANCTIONNER ».
POLITIQUES NATIONALES ET LOCALES, SOCIETE CIVILE ET DEMOCRATIE
« Face à la possibilité d'une utilisation irresponsable des capacités humaines, PLANIFIER, COORDONNER, VEILLER, ET SANCTIONNER sont des fonctions impératives de chaque État ».
« En certains lieux, se développent des coopératives pour l'exploitation d'énergies renouvelables, qui permettent l'autosuffisance locale, et même la vente des excédents. Ce simple exemple montre que L'INSTANCE LOCALE PEUT FAIRE LA DIFFERENCE alors que l'ordre mondial existant se révèle incapable de prendre ses responsabilités. En effet, on peut à ce niveau susciter une plus grande responsabilité, un fort sentiment communautaire, une capacité spéciale de protection et une créativité plus généreuse, un amour profond pour sa terre ; là aussi, on pense à ce qu'on laisse aux enfants et aux petits-enfants ».
« La société, à travers des organismes non gouvernementaux et des associations intermédiaires, doit obliger les gouvernements à développer des normes, des procédures et des contrôles plus rigoureux. SI LES CITOYENS NE CONTROLENT PAS LE POUVOIR POLITIQUE – national, régional et municipal – un contrôle des dommages sur l'environnement n'est pas possible non plus ».
« Il faut cesser de penser en termes d'« interventions » sur l'environnement, pour élaborer des politiques conçues et discutées par toutes les parties intéressées ».
L'ECONOMIE, LA FINANCE, LE MARCHE ET L'ECOLOGIE
« La politique ne doit pas se soumettre à l'économie et celle-ci ne doit pas se soumettre aux diktats ni au paradigme d'efficacité de la technocratie… Sauver les banques à tout prix, en en faisant payer le prix à la population, sans la ferme décision de revoir et de réformer le système dans son ensemble, réaffirme UNE EMPRISE ABSOLUE DES FINANCES QUI N'A PAS D'AVENIR ET QUI POURRA SEULEMENT GENERER DE NOUVELLES CRISES après une longue, coûteuse et apparente guérison. La crise financière de 2007-2008 était une occasion pour le développement d'une nouvelle économie plus attentive aux principes éthiques, et pour une nouvelle régulation de l'activité financière spéculative et de la richesse fictive. Mais il n'y a pas eu de réaction qui aurait conduit à repenser les critères obsolètes qui continuent à régir le monde ».
« Dans ce contexte, il faut toujours se rappeler que « LA PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT NE PEUT PAS ETRE ASSUREE UNIQUEMENT EN FONCTION DU CALCUL FINANCIER DES COUTS ET DES BENEFICES. L'environnement fait partie de ces biens que les mécanismes du marché ne sont pas en mesure de défendre ou de promouvoir de façon adéquate ». Une fois de plus, il faut éviter une conception magique du marché qui fait penser que les problèmes se résoudront tout seuls par l'accroissement des bénéfices des entreprises ou des individus. Est-il réaliste d'espérer que celui qui a l'obsession du bénéfice maximum s'attarde à penser aux effets environnementaux qu'il laissera aux prochaines générations ? »
« De plus, quand on parle de biodiversité, on la conçoit au mieux comme une réserve de ressources économiques qui pourrait être exploitée, mais ON NE PREND PAS EN COMPTE SERIEUSEMENT, ENTRE AUTRES, LA VALEUR REELLE DES CHOSES, leur signification pour les personnes et les cultures, les intérêts et les nécessités des pauvres ».
UNE « CERTAINE DECROISSANCE » POUR LES PAYS RICHES
« De toute manière, si dans certains cas le développement durable entraînera de nouvelles formes de croissance, dans d'autres cas, face à l'accroissement vorace et irresponsable produit durant de nombreuses décennies, IL FAUDRA PENSER AUSSI A MARQUER UNE PAUSE EN METTANT CERTAINES LIMITES RAISONNABLES, VOIRE A RETOURNER EN ARRIERE AVANT QU'IL NE SOIT TROP TARD. Nous savons que le comportement de ceux qui consomment et détruisent toujours davantage n'est pas soutenable, tandis que d'autres ne peuvent pas vivre conformément à leur dignité humaine.
C'est pourquoi L'HEURE EST VENUE D'ACCEPTER UNE CERTAINE DECROISSANCE DANS QUELQUES PARTIES DU MONDE, METTANT A DISPOSITION DES RESSOURCES POUR UNE SAINE CROISSANCE EN D'AUTRES PARTIES ».
LA CROISSANCE DURABLE COMME TROMPERIE TECHNOCRATIQUE
« Il s'agit simplement de redéfinir le progrès. Un développement technologique et économique qui ne laisse pas un monde meilleur et une qualité de vie intégralement supérieure ne peut pas être considéré comme un progrès. D'autre part, la qualité réelle de vie des personnes diminue souvent – à cause de la détérioration de l'environnement, de la mauvaise qualité des produits alimentaires eux-mêmes ou de l'épuisement de certaines ressources – dans un contexte de croissance économique. Dans ce cadre, le discours de LA CROISSANCE DURABLE DEVIENT SOUVENT UN MOYEN DE DISTRACTION et de justification qui enferme les valeurs du discours écologique dans la logique des finances et de la technocratie ; LA RESPONSABILITE SOCIALE ET ENVIRONNEMENTALE DES ENTREPRISES SE REDUIT D'ORDINAIRE A UNE SERIE D'ACTIONS DE MARKETING ET D'IMAGE.
QUAND LA QUETE DU PROFIT FAIT DES DEGATS NON PAYES PAR LES ENTREPRISES
« Le principe de la maximisation du gain… est une distorsion conceptuelle de l'économie : si la production augmente, il importe peu que cela se fasse au prix des ressources futures ou de la santé de l'environnement ; si l'exploitation d'une forêt fait augmenter la production, personne ne mesure dans ce calcul la perte qu'implique la désertification du territoire, le dommage causé à la biodiversité ou l'augmentation de la pollution. Cela veut dire que les entreprises obtiennent des profits en calculant et en payant une part infime des coûts ».
Je vais m'en tenir là dans cette sélection de citations qui a pu vous sembler longue mais qui m'a demandé en réalité un effort de réduction tant on trouve du grain à moudre dans ce texte. J'ai laissé de côté les messages religieux, nombreux, documentés, mais qui ne sont pas de mon ressort. Je ne doute pas qu'ils parleront aux croyants, ajoutant peut-être de la force politique aux messages, analyses et propositions du pape.
Je consacrerai le prochain billet, au-delà de cette encyclique, mais en accord avec elle, aux mouvements citoyens appelant à sortir des énergies fossiles. Tel pourrait bien être l'axe principal, même s'il n'est pas le seul, des mobilisations pour le climat en 2015 et sans doute ensuite.
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Tribune internationale d’intellectuels contre la criminalisation des solidarités avec les Palestiniens.
Paris. Mercredi, 23 avril 2025. Je reçois cette tribune contre la criminalisation des solidarités avec les palestiniens, signée par un millier d'intellectuels, de tous pays, dernières consciences vives et créatives de ce monde en perdition, où le colonialisme sioniste exerce le génocide à grande échelle sous blanc-seing des puissances occidentales.
François Burgat, soixante-dix-sept-ans, chercheur à l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman, directeur de recherche émérite au Centre national de recherche scientifique, islamologue connu et reconnu mondialement, doit comparaître, le 24 avril 2025, devant le tribunal d'Aix-en-Provence pour apologie du terrorisme. Un procès politique. La gouvernance technocratique, engoncée dans l'ignorantisme, ne connaît ni ses travaux ni ses ouvrages. Il est reproché à François Burgat de soutenir, depuis longtemps, que la violence islamique est la conséquence d'une histoire coloniale dont fait partie la création de l'entité sioniste en 1948. Une logique infernale dénoncée par Louis Massignon en son temps. L'islamologue est victime de l'amalgame, savamment entretenu, entre sionisme, idéologie colonialiste, raciste, ségrégationniste, et sémitisme, filiation originelle des juifs et des arabes. Toute condamnation des pratiques génocidaires de la gouvernance israélienne est jugée antisémite. François Burgat ne peut être jugé que sur ses livres, références irréfutables des recherches sur le monde arabe et musulman. L'Islamisme en face, éditions La Découverte, 1995, l'Islamisme à l'heure d'Al-Qaida, éditions La découverte, 2005, Comprendre l'Islam politique, une trajectoire de recherche sur l'altérité islamiste, éditions La Découverte, 2026, entre autres.
«
Tandis que Donald Trump s'attaque aux étudiants propalestiniens de Columbia, dix-huit militants de Palestine Action croupissent dans les prisons britanniques dans l'attente de leur procès. Des universitaires sont licenciés en Amérique et en Europe pour leurs positions éthiques, y compris en Suisse. La nouvelle coalition gouvernante en Allemagne durcit son offensive répressive. En France, le collectif Palestine Vaincra est dissous. Des manifestations sont interdites. Le 18 juin 2025, seront jugés deux membres de Révolution Permanente, dont son porte-parole Anasse Kazib, pour apologie du terrorisme.
En avril 2024, les deux activistes ont été convoqués par la police antiterroriste au même titre que l'avocate Rima Hassan, députée européenne, la présidente du groupe La France Insoumise à l'Assemblée nationale Mathilde Panot, et d'autres personnalités. Le recours aux dispositions antiterroristes se banalise dès qu'il s'agit de la cause palestinienne. Entrée dans le code pénal en 2014 au nom de la lutte contre le djihadisme, cette loi permet de condamner des opinions politiques à des peines de prison.
Depuis octobre 2023, cette législation contestée par la Cour européenne des droits de l'homme, et par d'anciens juges comme Marc Trévidic, est actionnée pour réprimer les intellectuels comme François Burgat, étudiants, les syndicalistes comme Jean-Paul Delescaut, les étudiants, les élus locaux qui tiennent un discours différent de la rhétorique gouvernementale. Cette politique pénale s'accompagne d'une véritable persécution qui va jusqu'à la menace dé déchéance de nationalité. Poursuivre le porte-parole d'une organisation nationale est sans précédent. Si cette procédure débouche sur une condamnation, personne, opposant politique ou intellectuel critique, ne sera à l'abri de fichage fantaisiste et de poursuite arbitraire. Le combat contre l'oppression du peuple palestinien est indissociable de la lutte conte la criminalisation des propalestiniens ».
La liste des signataires est impressionnante. La philosophe et mythique combattante pour les droits civiques Angela Davis. Les philosophes Alain Brossat, Alex Callinicos, Antonino Infranca, Alexis Cukier, Christiane Vollaire, Etienne Balibar, Isabelle Garo, Jules Falquet, Lorenzo Menoud, Mathieu Renault, Nancy Fraser, Philippe Nabonnand, Stathis Kouvélakis. Les sociologues Ana Loustaunau, Alain Bihr, Alejandra Oberti, Antonio Carlos Mazzeo, Charles Post, Eric Fassin, Fabio Mascaro Querido, Jesus Ranieri, Kevin Anderson, Laura Meyer, Laurence de Cock, Marcello Musto, Marcelo Langieri, Marnix Dressen-Vagne, Michael Löwy, Miguel Angel Contreras, Nathanael James, Ricardo Antunes, Roberto Ayala, Roland Pfefferkorn. Les anthropologues Léo Manac'h, Théo Milin, Jean-Baptiste Thomas. Les historiens Alain Ruscio, Alessandro Stella, Anita Prestes, Armelle Mabon, David McNally, Elise Voguet, Frédéric Delarue, Frédéric Lordon, Juan Pablo Muñoz, Julien Théry, Laurent Cesari, Ludivine Bantigny, Luiz Bernardo Pericas, Marcel van der Linden, Massimo Modonesi, Sergio Grez, Tariq Ali. Les économistes Bernard Friot, Catherine Samary, Mireille Bruyère, Sofia Manzano, Stefano Palombarini. Les écrivains André Bernold, Andréas Malm, Alain Damasio, Annie Ernaux, Anton Jäger, Denis Robert, Doug Henwood, Eric Vuillard, Françoise Beaune, Françoise Bégaudeau, Jean-Claude Leroy, Joe Allen, Manuel Sandoval, Maria Lucia Barroco, Mona Aljalis, Norman Finkelstein, Richard Seymour, Serge Quadruppani. Les cinéastes Ariane Labed, Catherine Libert, Cédric Durand, Eyal Sivan, Franssou Prenant, Ken Loach, Miguel Valverde, Richard Sanchez Jaillita. Nkosi Zwelivelile Mandela, petit-fils de Nelson Mandela, ambassadeur du Globale Call to Retourn to Palestine, Appel mondial au retour des réfugiés en Palestine. Un nombre important d'universitaires. Les universités, sanctuaires de plus en plus désacralisés, dérégulés, privatisés, derniers refuges de l'indignation, de la protestation, de la rébellion. Les dinosaures des luttes contre la guerre du Vietnam, les vieux soixante-huitards rescapés du libertarianisme, se mobilisent. J'apporte ma griffe. Dans cette bataille, chaque goutte d'encre compte.
Mustapha Saha
Sociologue, poète, artiste peintre
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La joie comme acte de résistance dans un monde qui brûle

Vietnam, le 30 avril 1975 - Il y a 50 ans, une victoire historique, mais à quel prix…

L'indépendance du Vietnam a été proclamée une première fois en août 1945, et nous pourrions bientôt fêter son 80e anniversaire. De Gaulle en a décidé autrement, envoyant un corps expéditionnaire reconquérir sa colonie perdue. L'Indochine a dû subir deux dévastatrices guerres impériales successives, française, puis étatsunienne. Washington a mobilisé tous les moyens à sa disposition pour briser la révolution vietnamienne, certain qu'il l'emporterait – et a été vaincu. L'image est entrée dans l'histoire : le personnel de l'ambassade US à Saïgon exfiltré par hélicoptère. Le 30 avril 1975.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
26 avril 2025
Au moment où ont été signés les accords de Genève, en 1954, avec le gouvernement français de Pierre Mendès-France, le Vietminh était en position stratégique gagnante, les forces françaises ayant été décisivement défaites. Néanmoins, ces accords d'armistices lui ont été particulièrement défavorables. Ce sont les « grands frères » russe et chinois qui lui ont imposé l'abandon d'une grande partie de ses exigences. Il a dû replier ses troupes dans une « zone de regroupement temporaire » au nord du pays, alors que le régime de Saïgon était libre de redéployer son armée au sud.
Une élection devait se tenir sur l'ensemble du territoire, qui aurait vu le triomphe du gouvernement Hô Chi Minh. Bien entendu, elle n'eut pas lieu. Les Etats-Unis et le régime saïgonnais n'avaient même pas signé les accords, se gardant ostensiblement les mains libres. A leurs yeux, la division du pays devait devenir permanente, voire permettre une contre-offensive militaire pour renverser la République démocratique du Vietnam (RDVN). Le gouvernement Mendès-France a passé le relais à Washington en toute connaissance de cause.
Les accords de Genève sont l'un des exemples classiques d'armistices qui débouche sur une division territoriale permanente lourde de tensions purulentes (voir le cas de la péninsule coréenne, devenu un « point chaud » nucléaire) ou sur une nouvelle guerre, bien pire encore que la précédente (dans le cas du Vietnam, précisément).
Dans l'immédiat, le régime saïgonnais profita du repli des forces armées révolutionnaires pour lancer une campagne d'élimination des cadres du mouvement de libération au Sud et s'attaquer à leur base de masse, notamment dans la paysannerie et des tribus montagnardes des Hauts plateaux.
Stopper la dynamique révolutionnaire en Asie du Sud-Est
Les enjeux dépassaient la seule péninsule indochinoise. Washington voulait porter un coup d'arrêt à la dynamique révolutionnaire en Asie du Sud-Est. Il visait par l'ouest la Chine qui s'était déjà retrouvée menacée à l'est, lors de la guerre de Corée (1950-1953) et cherchait à consolider la suprématie mondiale de l'impérialisme US. La seconde guerre du Vietnam devait exemplifier la toute-puissance étatsunienne. L'affrontement au Vietnam est ainsi devenu le point nodal de la situation mondiale où se nouaient les rapports de forces entre révolution et contre-révolution d'une part, ainsi qu'entre blocs ¬dits occidental (Etats-Unis, Europe de l'Ouest, Japon…) et oriental (Chine-URSS).
Bien que bénéficiant d'une base sociale assurée, notamment, par les catholiques venus du Nord, le régime (corrompu et dictatorial) de Saïgon a déçu les attentes de Washington qui a dû s'engager toujours plus avant dans le conflit, jusqu'à mener une guerre totale, sur tous les terrains, d'une ampleur sans équivalent : envoi de centaines de milliers de soldats (les GIs, jusqu'à 550.000 hommes sur le terrain), bombardements en tapis de la République démocratique du Vietnam, contre-réforme agraire au Sud, épanchements massifs de défoliants (l'agent orange, toxique) sur les zones boisées, développement des technologies militaires pour débusquer les combattant.es caché.es dans les tunnels ou repérer les déplacements nocturnes de troupes…
Durant la Seconde guerre d'Indochine, toute la puissance économique et technologique des Etats-Unis a été mobilisée, déversée sur le Vietnam, un pays du tiers-monde de taille moyenne. Cependant, Moscou et Pékin se savaient dans la ligne de mire US, une aide militaire conséquente lui est parvenue, via le frontière chinoise, même durant la Révolution culturelle. Cette aide, aussi importante fût-elle, restait néanmoins qualitativement mesurée. Les armements les plus sophistiqués, qui auraient notamment permis de sécuriser le ciel du Nord-Vietnam, n'ont pas été fournis. Les « grands frères » ne voulaient pas une défaite de la RDVN, qui les aurait menacés, mais voulaient-ils la victoire ou la croyaient-ils possible ?
De l'offensive du Têt en 1968 à la chute de Saïgon
Le conflit a gagné une dimension internationale majeure, tant dans ledit tiers-monde que dans les citadelles impérialistes. Pour les révolutions russes ou chinoises, la solidarité est devenue pleinement d'actualité après la victoire. Pour la révolution vietnamienne (ou algérienne), elle a constitué un élément clé d'une stratégie en perpétuelle adaptation, qui a fini par conduire à la victoire.
La direction vietnamienne a compris l'importance de ce nouveau terrain d'action et le mouvement de libération national s'y est beaucoup investi, tant sur le plan diplomatique que celui de la solidarité militante. Avec beaucoup de savoir-faire, sollicitant tout le spectre politique solidaire. C'était l'une des caractéristiques de sa stratégie d'ensemble.
De quelque région du monde qu'elle s'exprime, la solidarité avait son importance, mais, bien évidemment, dans cette partition, un rôle particulier revenait au mouvement antiguerre des Etats-Unis.
D'aucuns en ont conclu que c'est le mouvement antiguerre qui avait défait Washington, en vue de défendre des thèses « pacifistes » sur l'inutilité de la lutte armée. Anachronisme trompeur. Pendant longtemps, la bourgeoisie étatsunienne a soutenu l'effort de guerre, ainsi que la majorité des scientifiques, chercheurs et ingénieurs appelés à fournir l'armée les technologies dont elle avait besoin. Les usines d'armement tournaient à plein. Les résistances à la guerre se sont certes considérablement renforcées durant la seconde moitié des années 1960, notamment dans la jeunesse. Cependant, pour que la contestation change décisivement de dimension, il a fallu que les pertes militaires deviennent trop lourdes, que le coût économique du conflit devienne trop grand, que la « légitimité » de l'impérialisme US dans le monde soit trop atteinte, que les mouvements d'anciens combattants se renforcent et que la crise politique éclate en 1972 avec le scandale du Watergate, forçant la démission de Richard Nixon.
Pour forcer des pourparlers ouvrant une fenêtre politique favorable à la victoire, après l'offensive du Têt en 1968 (défaite militaire, victoire politique et diplomatique), le mouvement de libération vietnamien a imposé une négociation en face-à-face : la RDVN (République démocratique du Vietnam) et le GRP (Gouvernement révolutionnaire provisoire) au sud d'un côté, les États-Unis et le régime de Saïgon de l'autre, excluant cette fois la présence des grandes puissances « amies » (Moscou, Pékin). Les négociations de Paris se sont ouvertes et se sont enlisées. Cependant, désireux de se désengager progressivement pour répondre à la crise intérieure, Washington a entamé la politique de « vietnamisation », retirant progressivement ses forces armées tout en tentant de consolider le régime saïgonnais. La signature à l'arrachée des accords de Paris, le 27 janvier 1973, a sanctionné le retrait des GIs. Deux ans plus tard, en 1975, l'offensive finale a été lancée, l'armée saïgonnaise s'effondrant. La guerre se termine alors enfin, presque sans combats. Comme un constat.
Trois décennies de guerre
Victoire historique d'une immense portée, mais pour laquelle le peuple vietnamien et les forces de libération ont payé un prix terriblement lourd. Trois décennies de guerre ont épuisé la société, écrasé le pluralisme politique, décimé les cadres implantés au sud, marqué en profondeur les organisations qui ont survécu à l'épreuve (à commencer par le PCV). Le Vietnam s'est libéré, la révolution l'a emporté, mais sous un régime autoritaire. Faute d'avoir été suffisamment soutenue en temps et en heure en 1945, en 1954, en 1968… « Soldat de toute première ligne », le peuple vietnamien a porté un combat dont les luttes populaires dans le monde — celles de ma génération —, ont, oh combien, bénéficié. Le prix payé a été lourd. Il mérite qu'on le soutienne encore aujourd'hui, y compris quand il est réprimé par son propre gouvernement.
Sévèrement défait, Washington n'a eu de cesse de se venger. Il a imposé l'isolement du Vietnam une décennie durant, avec, cette fois, le soutien chinois. A l'heure du grand schisme entre l'URSS et la Chine, Moscou devenait aux yeux de Pékin « l'ennemi principal ». Même si l'aide sino-soviétique (intéressée) avait été d'une très grande importance pour l'effort de guerre vietnamien, l'indépendance d'Hanoï était peu appréciée du régime pékinois. Dans un nouveau contexte géopolitique, le Vietnam s'est rapproché de la Russie, avant de devenir la victime directe des renversements d'alliances internationales, quand les USA et la Chine ont conjointement soutenu les Khmers rouges (!) dans une nouvelle guerre d'Indochine, en 1979. La realpolitik a alors atteint un de ses sommets.
Le Cambodge plongé dans le chaos
La « piste Ho Chi Minh » qui permettait de faire parvenir des armes aux combattants du sud passait en partie par le Laos et l'est du Cambodge, qui, sous l'égide du prince Norodom Sihanouk, n'avait pas été significativement impliqué dans la première guerre d'Indochine. Tout en affirmant sa neutralité, le prince tolérait la présence vietnamienne.
En bombardant massivement le Cambodge et en soutenant le coup d'Etat sanglant de Lon Nol (1969-1970), les Etats-Unis ont précipité dans la guerre et le chaos un royaume qui n'était préparé ni socialement ni politiquement à une « guerre du peuple » ; mais ils ont créé une situation de vide dont les Khmers rouges ont bénéficié. Le 30 avril 1975, ces derniers ont conquis la capitale. Dans la foulée, ils ont intégralement vidé la ville de sa population, en prévision de bombardements US, disaient-ils alors. Cependant, ils envoyaient sur les routes d'un exile intérieur des personnes hospitalisées qui ne pouvait survire à cette épreuve. La réalité est rapidement apparue. Les déporté.es ont été dispersé.es dans le pays, sans espoir de retour. Phnom Penh est devenu une ville Khmer rouge où opérait un centre de tortures soigneusement administré, chaque « interrogatoire » étant archivé.
Que se passait -il ? C'est à ce moment que nous avons réalisé à quel point nous ne savions quasiment rien de ce mouvement composite. Une aile des Khmers rouges avait collaboré pendant la guerre avec les Vietnamiens, de part et d'autre de la frontière. Elle a été victime de purges secrètes permettant à la fraction Pol Pot d'assoir son pouvoir. Il s'agissait d'un courant violemment ethnonationaliste, raciste, notamment antivietnamien. Sa base sociale ? Des tribus montagnardes du nord (la garde prétorienne de Pol Pot) et… l'armée dont il prend le contrôle. Les Khmers rouges ont été qualifiés de communistes radicaux (?) et de maoïstes, mais ils ont tout fait à l'inverse. De retour dans les centres urbain, le PCC s'est empressé de reconstituer une assise ouvrière (créant un statut particulier accordé aux ouvriers des entreprises d'Etat). Il a effectué une véritable réforme agraire et a pris des mesures emblématiques pour les femmes du peuple. Le tout, certes, en consolidant son monopole du pouvoir et son contrôle politique sur la société.
Une révolution cambodgienne n'aurait évidemment pas été le calque de ses consœurs chinoise ou vietnamienne. Mais de quelle révolution parle-t-on ? Paysanne, alors que les Khmers rouges mettent la paysannerie au travail forcé ? Ouvrière, sans aucune implantation, ne serait-ce que semi-prolétarienne ? Bourgeoise, alors qu'ils abolissent la monnaie ? Et comment définir cet Etat ? Par défaut, il a été qualifié dans bon nombre de milieux à gauche d'Etat ouvrier. Pour ma part, en 1985, j'avais avancé la formule d'une « fausse couche » d'un Etat ouvrier à naître. Un débat très alambiqué, c'est le moins que l'on puisse dire.
Et d'ailleurs, de quel Etat parle-t-on ? Dans quelle mesure existe-t-il ? Il est au mieux embryonnaire. Surtout, il n'a pas la base sociale sur laquelle il pourrait se construire. Une armée de paysans s'est coupée de la paysannerie. Devant un tel cas limite, mieux vaut ne pas se précipiter à brandir des concepts. L'histoire « inégale et combinée » de la Seconde guerre d'Indochine a provoqué au Cambodge l'émergence d'une situation chroniquement instable où une armée a mis la population en coupe réglée pour restaurer la grandeur d'antan du royaume, quitte à faire creuser un immense réseau de canaux… sans ingénieurs pour le penser (les intellectuels étant particulièrement visés par le nouveau pouvoir, ayant à sa tête une poignée d'intellectuels).
L'ordre khmer rouge s'est simplement effondré avec l'intervention militaire vietnamienne de décembre 1978-janvier 1979. L'une des raisons qui ont décidé Hanoi à agir était le sort fait aux populations vietnamiennes du Cambodge, menacées de génocide, à l'instar d'autres minorités. Cependant, cette intervention a été vécue par la majorité de la population comme une libération. Toutes et tous les déporté.es ont commencé à rentrer chez eux, spontanément. Le Vietnam a retiré ses troupes (les dernières quittent le pays en 1989), après avoir installé un gouvernement « ami » (mais pas client, comme la suite de l'histoire l'a montré).
Le pouvoir khmer rouge était irrémédiablement instable. Aurait-il pu se consolider à l'ouest et gagner un contenu social avec l'aide de l'armée, des trafiquants et des gangs thaïlandais ? Dans une telle hypothèse, il serait devenu bourgeois. Politique fiction.
La perspective qui aurait donné une chance progressiste à une révolution cambodgienne aurait été de l'inscrire dans une solidarité indochinoise, avec le Laos et le Vietnam. Un pan du mouvement khmer rouge y était peut être favorable. Le risque de se voir dominé par Hanoi était réel, mais rien ne pouvait être aussi terrible que ce qui s'est passé – des centaines de milliers de victimes – et qui a provoqué un profond trauma historique dont l'empreinte marque encore, insidieusement, le Cambodge d'aujourd'hui.
La Fédération socialiste des Etats indochinois n'a pas vu le jour. Ils étaient nombreux à ne pas le vouloir : Pol Pot, Pékin, Washington, l'ONU et Sihanouk qui s'est laissé instrumentaliser par la Chine et les Etats-Unis en donnant un vernis de légalité internationale à la sale guerre de 1979.
La guerre sino-vietnamienne
Les Khmers rouges polpotiens revendiquaient des droits historiques sur le delta du Mékong et avaient multiplié des incursions meurtrières en territoire vietnamien, avant qu'Hanoi ne décide de l'invasion de 1978.
En réponse au renversement du régime khmer rouge par Hanoi, la Chine a décidé d'une « expédition punitive » en février-mars 1979. Elle a duré un mois. La frontière, longue de 750 kilomètres, est pour l'essentiel montagneuse. L'armée chinoise a mené une attaque frontale à l'assaut des cols, appuyée par un barrage d'artillerie et des chars. Elle est arrivée à pénétrer en territoire vietnamien, mais l'opération s'est soldée par un double échec.
Un échec militaire, d'abord. La désorganisation de l'armée chinoise et ses défaillances (dans le renseignement ou la coordination du commandement) a surpris. Elle misait sur le fait qu'une grande partie des forces régulières vietnamiennes étaient au Cambodge, mais les milices locales se sont révélées capables de contrer l'offensive déclenchée par Pékin. La mise en évidence de ces incuries a ouvert une crise au sein de la direction du PCC. La modernisation en profondeur de ses conceptions et de son appareil militaire restait à faire.
Echec stratégique aussi. Hanoi n'a pas replié de troupes du Cambodge pour renforcer ses défenses au Nord-Vietnam. Pas de trêve pour les protégés khmers rouges de Pékin.
Le conflit sino-soviétique
La crise sino-khméro-vietnamienne représente l'un des points culminants du conflit sino-soviétique, sanctionnant aussi un spectaculaire retournement d'alliances internationales.
Les rapports entre Pékin et Moscou ont toujours été lourds de suspicions et tensions. La révolution chinoise s'était imposée (de même qu'au Vietnam) à l'encontre du partage des zones d'influence négocié entre les Etats-Unis et l'URSS à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Staline avait enjoint Mao de ne pas renverser le régime de Tchang Kai-check. Il voulait préserver son contrôle sans partage sur le mouvement communiste international. Enfin, question particulièrement litigieuse, il refusait à la Chine l'accession à l'arme nucléaire.
La Chine a fait les frais de la politique de coexistence pacifique préconisée par Nikita Khrouchtchev, qui soutint l'Inde lors du conflit sino-indien de 1962, dans la chaîne himalayenne. Il mit brutalement un terme à l'assistance technique assurée à l'économie chinoise. Le rapprochement entre Moscou et Washington se fit clairement aux dépens des Chinois. La rupture est définitivement consommée en 1969, avec les guerres frontalières sino-soviétiques.
Le schisme dudit « camp socialiste » a donné la main à Washington, libre de jouer l'un contre l'autre. En 1971, Henry Kissinger s'est secrètement rendu en Chine pour préparer la venue de Richard Nixon à Pékin, en 1972 – qui, dans la foulée, se rendra de nouveau à Moscou aussi.
Les conséquences délétères du conflit interbureaucratique sino-soviétique se sont fait sentir dans le monde entier. La victoire vietnamienne de 1975 ouvrait néanmoins une fenêtre d'opportunité, Washington n'étant alors plus en mesure d'intervenir militairement massivement à l'étranger. La crise sino-indochinoise de 1978-1979 annonce, pour sa part, le changement de période des années 1980 qui a vu ma génération militante défaite dans les « trois secteurs de la révolution mondiale » (tiers-monde, pays de l'Est, pays impérialistes).
Guerre et révolution (brèves notes complémentaires)
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l'occupant japonais a détruit l'administration française, avant d'être lui-même défait sur le théâtre des opérations du Pacifique. Le Vietminh profite de ce bref « moment favorable », qu'il avait anticipé, pour déclarer l'indépendance. Il agit très rapidement et garde l'initiative politique, mais dans une situation fragile. Ses capacités militaires sont faibles et son autorité contestée, surtout de la part de sectes religieuses et de mouvements nationalistes anticommunistes.
Révolution sociale et réforme agraire
Avec l'accord de la Chine de Tchang Kaï-chek, le corps expéditionnaire français a bombardé le port d'Haiphong au nord du Vietnam en 1946. C'est ainsi qu'a commencé la première guerre du Vietnam. Les offres de négociations d'Hô Chi Minh ont été rejetées. Comme en témoigne un discours de Vo Nguyen Giap, à son retour de Paris, cette éventualité avait été prise en compte par la direction du Parti communiste vietnamien.
Vu le rapport des forces militaires, cette guerre a pris la forme d'une guerre révolutionnaire prolongée. Elle mobilise dans ce cadre la paysannerie. Le patriotisme ne suffit pas. L'appel à la réforme agraire s'avère indispensable. Dorénavant, libération nationale et révolution sociale sont imbriquées. Ce sera le socle permettant d'inscrire la résistance dans la longue durée.
Il y a des « modèles » stratégiques. Cependant, une stratégie doit prendre en compte l'évolution de la situation, les réactions de la force ennemie, le résultat des phases précédentes de la lutte... Dans la réalité, une stratégie concrète évolue et combine souvent des éléments qui appartiennent à des « modèles » différents. Les Vietnamiens n'ont cessé d'adapter leur stratégie.
Une stratégie combine des formes de luttes de nature différente. L'adaptabilité stratégique, c'est aussi savoir arrêter la lutte armée quand elle ne répond plus à une nécessité.
Une décision difficile
Après 1954, la relance de la résistance armée contre le régime saïgonnais a tardé. Cette décision, progressivement mise en œuvre dans la seconde moitié des années 1950, de la reprise de la lutte armée n'a pas dû être facile à prendre, sachant que cette fois, ce seront les Etats-Unis qui entreront en lice. Mais quelle était l'alternative ? Accepter a minima la division du pays ad vitam æternam, comme en Corée. Abandonner sans soutien les réseaux militants et les bases sociales du mouvement de libération au Sud, face à une dictature sans scrupule aucun. Laisser l'initiative à Washington, s'il décidait de s'attaquer à la République démocratique du Vietnam.
La perspective de l'émancipation sociale et démocratique
Quand des secteurs sociaux significatifs entrent en résistance armée, c'est que la violence des pouvoirs établis était insupportable. La guerre populaire ouvre (potentiellement) une dynamique d'émancipation sociale, qui risque cependant de s'épuiser quand elle dure longtemps. En Asie, où des conflits n'ont jamais cessé, la question posée n'est pas seulement historique. Des réponses concrètes doivent alors sans cesse être apportées à un double problème : comment éviter que des groupes armés ne dégénèrent (cela arrive…) ? Comment défendre concrètement, la liberté démocratique de décision et les droits des communautés populaires ou montagnardes que les combattant.es sont censés protéger ? Nous bénéficions d'expériences très riches en la matière, notamment avec nos camarades de Mindanao, au sud de l'archipel philippin.
En Birmanie, quand la junte militaire s'est emparée il y a quatre ans de l'entièreté du pouvoir, on peut dire que le pays (quasi) entier est entré en désobéissance civique, non violente. La junte aurait pu être renversée, pour peu que la « communauté internationale » lui apporte son soutien en temps et en heure. Ce ne fut pas le cas, une fois encore. Et la répression a fini par forcer la résistance dans la plaine centrale à rejoindre la lutte armée portée, notamment, par des minorités ethniques. Là encore, il ne s'est pas s'agit d'un choix a priori, mais d'une obligation.
Pierre Rousset
P.-S.
• Version longue, considérablement développée, a été mise en ligne le 26 avril 2025.
La première version, courte, était parue dans l'Hebdo L'Anticapitaliste - 751 (24/04/2025). Publié le Mercredi 23 avril 2025
https://lanticapitaliste.org/arguments/international/dun-colonialisme-lautre
https://lanticapitaliste.org/arguments/international/guerre-et-revolution
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1er mai 2025 – Journée internationale des travailleuses et travailleurs

Les mesures d'austérité fragilisent notre société, affectant en premier lieu les populations les plus vulnérables. Sous prétexte de rationalisation budgétaire, nos gouvernements procèdent à des coupes systématiques dans les services publics essentiels, affaiblissant ainsi le filet social et accentuant les inégalités.
Depuis plusieurs mois, le gouvernement du Québec a fait le choix politique de l'austérité. La mise à jour économique de novembre dernier a confirmé que la province allait bel et bien être plongée dans un cycle de compressions budgétaires affectant ainsi directement la grande majorité de la population.
Pourtant, il n'y a pas si longtemps, ce même gouvernement caquiste avait préféré appliquer des baisses d'impôts et distribuer des chèques de centaines de dollars plutôt qu'investir dans les services publics et des programmes sociaux qui profitent à toutes et à tous.
Si le gouvernement a fait le choix de l'austérité, ce n'est certainement pas celui des travailleur-se-s. C'est un film dans lequel le Québec a déjà joué et dont les grands gagnants sont les mêmes qui votent ces mêmes mesures d'austérité : les riches.
À ce contexte provincial s'ajoute évidemment l'élection fédérale qui pointe à l'horizon. Quel sera le parti qui prendra le pouvoir et quelles seront ses grandes orientations ? Impossible également de passer sous silence la grande incertitude dans laquelle Donald Trump plonge le monde entier, y compris nous.
Pour cette édition de la Journée internationale des travailleuses et travailleurs, le message est sans équivoque : Toujours debout contre l'austérité.
– L'austérité et l'atteinte aux droits
– L'austérité et la fragilité des travailleur-se-s à statut précaire
– L'austérité et l'effritement des filets de protection sociale
– L'austérité et la dégradation des services publics
Activités
De nombreuses activités se tiendront aux quatre coins du Québec. Consulter la liste ci-dessous pour connaître les activités dans votre région. Des mises à jour sont apportées fréquemment.
Abitibi-Témiscamingue - Nord-du-Québec
Saguenay - Lac-St-Jean - Chibougamau-Chapais
Matériel à télécharger
Affiches pour la région de Montréal
Affiches nationales (avec espace blanc en bas)

Le Canada vote... pour plus de pétrole

Candidats au poste de Premier ministre du Canada lors des élections fédérales du 28 avril, le libéral Mark Carney et le conservateur Pierre Poilievre rivalisent d'arguments en faveur des énergies fossiles.
Tiré de Reporterre.
Le Canada se réchauffe deux fois plus vite que le reste de la planète, mais visiblement, les deux principaux candidats au poste de Premier ministre n'ont pas reçu le mémo. Dans leurs programmes, le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, et celui du Pari libéral, Mark Carney — chef du gouvernement depuis la démission de Justin Trudeau le 14 mars — misent davantage sur l'extraction d'énergies fossiles que sur l'environnement pour le futur du pays. Les électeurs trancheront entre ces deux projets lors des élections fédérales, lundi 28 avril.
Le Canada est le quatrième producteur de pétrole brut au monde et sa production était en hausse de plus de 4 % en 2024, avec près de 300 millions de mètres cubes produits.
Pierre Poilievre, le « Trump du Nord »
Le second candidat dans les intentions de vote, Pierre Poilievre, a fait du pétrole un socle de son programme électoral. Les conservateurs veulent accélérer l'autorisation des nouveaux projets pétroliers pour qu'ils soient validés en moins de six mois, comptent supprimer le plafond d'émissions de gaz à effet de serre (jugé « destructeur d'emplois »), ainsi que le volet industriel de la taxe carbone, qui impose le principe du pollueur-payeur aux grandes industries du pays. Le message conservateur, nimbé de patriotisme économique, se résume ainsi, sur leur site internet : exploiter les ressources « afin que nous puissions être forts et autonomes, voler de nos propres ailes et tenir tête aux Américains ».
Ce programme n'est pas une surprise. Pierre Poilievre, que beaucoup qualifient de « Trump du Nord », est né à Calgary (Alberta), berceau de l'industrie pétrolière dans le pays, et les provinces qui vivent de l'or noir lui sont acquises. Les effets de ses politiques s'annoncent dévastateurs.
D'après le site spécialisé Carbon Brief, une victoire des conservateurs pourrait causer l'émission de près de 800 millions de tonnes de CO2 supplémentaires au cours de la prochaine décennie, soit l'ensemble des émissions annuelles du Royaume-Uni et de la France réunis. La facture est estimée à 150 milliards d'euros de dommages climatiques.
Mark Carney, l'ex-champion du climat converti au pétrole
Ne comptez pas sur son principal concurrent, Mark Carney, qui le devance d'une courte tête dans les sondages, pour sortir le Canada de sa dépendance à l'or noir. Dans son programme, qui insiste pourtant sur « le potentiel illimité » du pays en matière d'énergie propre et abordable, il prône « une extraction des minéraux et des métaux » accélérée et « le renforcement de la production de pétrole et de gaz », considérés comme « l'épine dorsale » de la richesse canadienne. Objectif : « construire l'économie la plus forte du G7 » sans perdre de vue « l'impact [...] sur nos enfants et nos petits-enfants ». Un grand écart climatique réservé aux professionnels, à ne pas tenter à la maison.

Mark Carney justifie, lui aussi, ce penchant pour le tout-fossile en raison de la relation, désormais conflictuelle, avec les États-Unis. Ceux-ci dépendent du pétrole canadien, bien que Donald Trump n'ait de cesse de répéter qu'ils n'ont besoin de rien en provenance de leur voisin du nord. Face à cette situation, Carney assure que les oléoducs sont devenus des « enjeux de sécurité nationale », car si le Canada finit par ne plus pouvoir exporter de pétrole aux États-Unis, il en faudra d'autres pour amener les énergies fossiles de l'ouest du pays, où elles sont principalement produites, vers l'est, pour exporter ces combustibles outre-Atlantique.
Avant de remplacer Justin Trudeau à la tête du pays, l'ex-gouverneur de la Banque d'Angleterre (2013-2020) véhiculait pourtant une image de champion du climat. Il a notamment été l'envoyé spécial sur le financement de l'action climatique aux Nations Unies et était considéré comme un apôtre de la « finance verte », qui favorise l'investissement des banques dans la transition énergétique.
- « Tout politicien qui veut gérer le Canada doit devenir propétrole s'il veut gagner »
Mais dès son élection au titre de chef du Parti libéral, le 9 mars, sa première décision, pour se dissocier de son prédécesseur Justin Trudeau, a été de supprimer la taxe carbone pour les consommateurs. Celle-ci, qui représentait 0,17 dollar canadien (0,11 euro) par litre d'essence acheté à la pompe (mais n'était pas payée dans toutes les provinces), était vivement critiquée par Pierre Poilievre. Elle était aussi perçue par certains comme un symbole de la déconnexion du Parti libéral sur la question du coût de la vie et contribuait à l'impopularité des libéraux dans l'Ouest.
Lors des élections de 2021, l'environnement faisait partie des principales priorités des électeurs et les partis s'étaient entendus, cette même année, pour voter une loi visant à rendre le pays neutre en carbone en 2050. La guerre commerciale en cours entre le Canada et les États-Unis et les envies de Donald Trump d'absorber le Canada ont-elles empêché que l'environnement ne s'impose comme un thème majeur de la campagne cette fois-ci ?
Le contexte a en effet changé, estime Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la chaire de gestion de l'énergie de HEC Montréal, mais l'apathie climatique était déjà bien perceptible auparavant. « Il y a des gens qui ne sont pas repoussés par le concept d'action climatique, mais qui ne veulent pas réellement agir, dans les faits, constate-t-il. On l'observe dans l'opposition à la taxe carbone lancée par Justin Trudeau, particulièrement dans l'ouest du pays. »

Et comment faut-il comprendre la mue de Mark Carney en amoureux du pétrole ? Est-ce simplement pour s'assurer de ne pas perdre trop de voix dans l'ouest du pays, avant un retour à la raison climatique une fois élu ? « Tout politicien qui veut gérer le Canada doit devenir propétrole s'il veut gagner. Mais s'il est honnête sur son ambition de faire du Canada un pays neutre en carbone, Mark Carney ne peut compter uniquement sur la captation de carbone, sur laquelle il insiste beaucoup : il faut réduire drastiquement les émissions de CO2 », dit Pierre-Olivier Pineau.
Le Canada a promis de faire baisser ses émissions de gaz à effet de serre de 40 à 45 % sous le niveau de 2005 d'ici 2030. Pour l'instant, il est loin du compte : elles n'ont baissé que de 8,5 %. Et quel que soit le vainqueur, lundi 28 avril au soir, il ne faut pas s'attendre à voir la courbe plonger.

Jour de la Terre 2025 : prise de parole

Si vous êtes toustes réunis ici aujourd'hui, c'est que le sort de notre terre vous préoccupe. Une préoccupation qui habite certaines personnes plus que d'autres, MAIS pas assez les pensées de notre premier ministre semble-t-il !
Mais nous, on la porte cette responsabilité, cette charge mentale qui nous pousse à agir. Agir au quotidien et dénoncer ici aujourd'hui l'inaction d'une élite politique et capitaliste qui ne la vit pas, cette charge mentale, l'écoanxiété des jeunes, l'inquiétude des mères, la charge mentale verte.
Cette charge mentale verte est fortement liée à la subsistance et à la gestion du foyer : manger sainement sans se ruiner, limiter ses déchets, limiter les contaminants et produits toxiques, acheter en vrac, préparer des repas bio, faire soi-même les produits ménagers, magasiner dans les friperies…vous me voyez venir : cette charge est principalement portée par les femmes.
Les rôles sociaux leur attribuent déjà la planification et l'organisation, et là on ajoute la charge morale d'être garantes de la conduite écoresponsable des ménages.
Il faut bien comprendre que le problème ce n'est pas la charge mentale verte, c'est sa non-reconnaissance, sa non-valorisation, le non-choix de la porter et le non-partage équitable qui représente une surcharge pour les femmes.
Il faut en finir avec des solutions qui font porter le fardeau aux femmes de transformer leurs comportements et leurs habitudes, ou qui impliquent le travail d'autres femmes dans des positions vulnérabilisées.
Notre avenir est collectif, donc cette charge doit l'être et ce sont nos gouvernements qui doivent agir ! On en a marre de se faire présenter la destruction des écosystèmes, la pollution et les impacts sur notre santé comme des dommages collatéraux obligés. On veut une société basée sur les valeurs féministes qui place l'économie au service du vivant !
On a le droit de vivre dans un environnement sain et respectueux des humains, des communautés et de la biodiversité ; et il est temps que nos ambitions soient entendues et répondues collectivement.
Aujourd'hui, nous sommes des centaines à montrer notre rapport de force, mais le 18 octobre, en solidarité avec les femmes du monde entier qui subissent les effets de la crise climatique de façon disproportionnée, sous serons des milliers dans la rue, devant ce même parlement, pour la Marche mondiale des femmes. Des milliers pour dénoncer le capitalisme responsable de la crise climatique et de l'effondrement de la biodiversité au détriment de la santé et de la vie des populations et celles des prochaines générations.
Merci d'être nombreux et nombreuses aujourd'hui et je vous invite à venir en grand nombre le 18 octobre, pour la Marche mondiale des femmes, car nous marcherons pour le droit de vivre dans un environnement sain et respectueux des humains, des communautés et de la biodiversité.
Nous marcherons pour affirmer que notre solidarité est plus forte que jamais.
Nous sommes en lutte pour transformer le monde, il en a urgemment besoin.
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24 avril, journée de solidarité féministe contre les entreprises transnationales

Le 24 avril, les féministes du Québec se mobilisent pour la journée de solidarité féministe contre les entreprises transnationales, en réponse à l'appel de la Marche mondiale des femmes. Cette journée commémore l'effondrement du Rana Plaza au Bangladesh en 2013, qui a tué plus de 1 100 personnes, principalement des femmes. Elle vise à dénoncer l'exploitation du travail des femmes et la destruction de l'environnement. Cette année, des actions décentralisées ont lieu partout sur le territoire. Pour soutenir ces actions, la CQMMF a publié divers outils, dont des vignettes sur l'industrie du textile, un tract de sensibilisation et une déclaration.
Déclaration
Le 24 avril 2013, l'effondrement du Rana Plaza au Bangladesh a tué plus de 1 100 personnes, majoritairement des femmes, en a blessé des milliers d'autres et mis en lumière les conditions de travail inhumaines imposées par les grandes entreprises transnationales. Cette tragédie nous rappelle que les femmes subissent de plein fouet les effets d'un modèle économique archaïque qui place le profit au-dessus de toute considération humaine et de l'environnement. Ce système engendre des violences systémiques : exploitation de la main-d'œuvre, destruction des écosystèmes, violation des droits fondamentaux.
Chaque 24 avril, la Journée de solidarité féministe contre les entreprises transnationales est l'occasion de dénoncer ces injustices, en mémoire des personnes décédées au Rana Plaza.
Au Québec, les militantes de la Coordination du Québec de la Marche mondiale des femmes (CQMMF) rappellent que ces violences perdurent, sous diverses formes : conditions de travail précaires, accaparement des ressources, pollution des territoires — particulièrement ceux des communautés autochtones — et absence de reddition de comptes des grandes entreprises.
Les femmes sont en première ligne des crises environnementales en subissant les conséquences de manière disproportionnée. C'est pourquoi notre féminisme est résolument écologique. Nous exigeons un environnement sain, une justice climatique et sociale, ainsi qu'une transition juste qui respecte les droits de toutes et de tous, sans laisser personne derrière.
Dans le contexte actuel de campagne électorale fédérale, nous lançons un appel urgent à toutes et tous : où sont les engagements en matière de justice environnementale et sociale ? Alors que la planète vit une crise climatique sans précédent, les enjeux environnementaux sont relégués aux marges du débat, noyés dans les discours sur les baisses de taxes, l'inflation, les tarifs et surtout d'une relance économique qui oblitère les mises en garde scientifiques sur l'exploitation de nos ressources et qui, à terme, exacerbera les crises sociales et environnementales.
Une relance économique où la tarification du carbone recule, avec son abolition envisagée pour les consommateurs, et même la possibilité d'éliminer le prix du carbone pour l'industrie, favorisant ainsi les grands pollueurs. Une relance économique où les projets pétroliers et gaziers refont surface. Une relance économique où les cibles climatiques sont floues ou carrément absentes, et où l'on semble refuser de reconnaître, consciemment ou inconsciemment, la responsabilité humaine dans les changements climatiques, et ce, allant jusqu'à proposer le retrait du Canada de l'Accord de Paris.
Nous exigeons que nos choix d'une société respectueuse et nos valeurs féministes soient pris au sérieux et que l'on cesse la promotion d'un développement économique qui exploite le travail des femmes et l'environnement. Cela implique de dire non à l'exploration et l'exploitation pétrolière et gazière sur le territoire québécois. Cela implique aussi de mettre fin aux subventions des énergies fossiles, encore défendu directement ou indirectement par l'inaction. Cela implique de penser à l'avenir avec un projet et une vision de société digne pour les prochaines générations.
Et cette lutte prendra la rue. Le 18 octobre prochain, lors de la 6e action de la Marche mondiale des femmes 2025, des milliers de féministes marcheront dans les rues de Québec -et partout dans le monde- pour dénoncer tous les enjeux qui touchent les femmes : le droit des femmes de vivre en paix et en sécurité, l'accès aux services publics gratuits et de qualité, le droit de décider pour nous-mêmes, un revenu décent et des conditions de travail sécuritaires, un environnement sain.
À toutes les électrices et tous les électeurs : interrogez les partis, lisez leurs plateformes, posez des questions. Refusez le silence. Notre avenir, et celui de nos enfants en dépend.
Et à toutes les femmes du monde qui luttent encore pour leur dignité et leurs droits : vous n'êtes pas seules.
En solidarité,
Julie Antoine, Coalition féministe contre la violence envers les femmes et porte-parole de la Marche mondiale des femmes 2025 au Québec
Emilia Castro du Regroupement des groupes de femmes de la Capitale-Nationale et porte-parole de la Marche mondiale des femmes 2025 au Québec
Pénélope Guay, Maison communautaire Missinak et porte-parole de la Marche mondiale des femmes 2025 au Québec
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Les États généraux du syndicalisme : Entrevue avec Éric Gringras, président de la CSQ

Après avoir connu deux décennies de vaches maigres, le mouvement syndical québécois semble reprendre de la vigueur, depuis la pandémie. La victoire du Front commun de 2023, qui a réussi à obtenir une convention collective décente, est probablement le meilleur exemple de ce retour en force.
Dans la foulée de ce grand mouvement, plusieurs mobilisations à plus petite échelle ont aussi portées fruit, avec des ententes de principe avantageuses adoptées au municipal, au provincial, ainsi que dans le secteur privé, surtout dans les domaines de la construction et de l'hôtellerie.
Mais des nuages s'accumulent à l'horizon. Plusieurs membres de la fonction publique et parapublique demeurent sans contrat de travail.
Et si la CAQ est légèrement moins pingre que Parti libéral de Philippe Couillard, qui n'aurait jamais accepté la hausse salariale de 17,4% obtenue par le Front commun, son antisyndicalisme primaire s'exprime avec encore plus d'agressivité.
Alors que son prédécesseur, connu pour sa froideur comptable, agissait avec plus de retenue, François Legault affiche ouvertement son arrogance de gros boss d'entreprise et tente de supprimer toutes les instances démocratiques au sein de l'État. C'est ainsi qu'il a aboli les commissions scolaires (loi 40), saboté la CNESST (loi 59) et accéléré la centralisation en santé, ainsi qu'en éducation (lois 15/23). Son ministre du Travail cherche maintenant à limiter le droit de grève avec le projet de loi 89.
Face à cette attitude altière du gouvernement, les syndicats proposent un exercice axé sur le dialogue et la coopération, pour continuer d'alimenter l'élan positif amorcé depuis quelques années dans le monde du travail. C'est ainsi qu'ont débuté les états généraux sur le syndicalisme, auxquels toutes les grandes organisations sont conviées. Je m'entretiens avec Éric Gingras, président de la CSQ, sur sa participation à cet évènement historique.
Côté politique, la montée de l'extrême droite était beaucoup moins prononcée, il y a à peine dix ans, il faut le prendre en compte. On a senti un vent de positivisme par rapport à nos actions pendant le Front commun, mais il risque d'y avoir une réaction politique hostile.
23 avril 2025 | tiré de la lettre de l'Aut'journal
Pour retrouver les documents des États généraux du syndicalisme : https://syndicalisme.com
Orian Dorais : En commençant, Éric, est-ce que c'est la CSQ qui a convoqué ces états généraux ?
Éric Gingras : L'organisation d'états généraux est une tradition bien ancrée dans l'histoire des quatre grandes centrales, depuis maints congrès. Cette fois-ci, il faut donner à César ce qui est à César et souligner que la FTQ a amorcé l'exercice.
Mais dans le passé, nous avons parfois pris cette initiative, la CSN aussi, tout dépendant des éditions. Maintenant que le processus est entamé, toutes les organisations sont très actives pour favoriser le bon déroulement des activités, qui vont s'étaler sur un an et demi.
O. D. : Et quels sont les objectifs de la CSQ durant tous ces mois de délibérations ?
É. G. : Les neuf associations syndicales (CSQ, FTQ, CSN, CSD, APTS, FIQ, FAE, SPGQ, SFPQ) qui participent ont les mêmes objectifs et nous nous sommes entendus sur un protocole. On veut arriver avec des propositions tangibles pour renforcer le syndicalisme, pas juste avec des grandes déclarations de principes.
Tout va être sur la table : notre rapport aux membres, aux gouvernements, à la société civile, notre approche des communications, notre culture organisationnelle, les relations de travail et notre vision de la démocratie syndicale. J'ai pas besoin de vous dire que le monde du travail change à grande vitesse, avec les nouvelles technologies et le numérique, qui prend toujours plus de place.
O. D. : À ce propos, est-ce que vous allez aborder le projet de loi 89 pendant les états généraux ?
É. G. : C'est certain. La CSQ, la FTQ et la CSN se sont coordonnées pour déposer des mémoires sur le PL89, en commission parlementaire. Tous arrivaient à la même conclusion : le texte proposé n'est pas nécessaire et risque fortement d'être déclaré inconstitutionnel, car il est contraire à l'arrêt Saskatchewan de la Cour suprême du Canada, qui protège le droit de grève au pays.
Le ministre Boulet veut se donner les pouvoirs d'encadrer ce droit, en s'arrogeant l'autorité de mettre fin aux conflits de travail qui menaceraient les « services minimums » à la population.
Nous avons consulté des spécialistes ressources humaines, des experts en relations industrielles qui enseignent à l'université, et ils s'accordent pour dire que le projet de loi ratisse beaucoup trop large. Sa définition des services nécessaires est à ce point vague que le gouvernement peut, au final, intervenir dans une majorité des négos.
On reconnait qu'il faut protéger les services essentiels, mais ces derniers sont définis par l'Organisation mondiale du Travail. Est-ce que Jean Boulet en connait plus que l'ONU ? Il semble le croire, car il veut redéfinir et élargir les critères de ce qui compte comme un service essentiel.
Le gouvernement prétend que sa loi va passer le test des tribunaux, parce qu'il se base sur l'article 107 du code du travail fédéral, celui qui a permis de forcer un retour au travail à Postes Canada. Sauf que cet article de loi est aussi attaqué en justice et les experts pensent qu'il va tomber ! La loi 89 va le suivre de près et la CAQ ne peut pas l'ignorer.
La CSQ ne proposera pas d'amendements à une législation que nous jugeons illégitime, nous demandons au ministre de la retirer. Nous craignons qu'elle soit adoptée unilatéralement par le gouvernement, sans dialogue social. Le cas échéant, nous allons l'attaquer immédiatement, mais, pendant des années de procédures judiciaires, les syndicats ne pourront plus lutter à armes égales. On y voit un peu la vengeance de la CAQ sur le secteur public, après les succès du Front commun.
O. D. : Malgré ces vents contraires, est-ce que vous abordez les états généraux avec confiance ?
É. G. : Oui, quand même. On ne sait pas ce que l'avenir nous réserve, avec la CAQ au provincial, ni ce qui nous attendrait avec un Pierre Poilièvre au fédéral, ou même avec Mark Carney, dont on ne connaissait que le nom au déclenchement des élections.
Plus que jamais, il faut se reposer sur la solidarité intersyndicale, qui est très forte. Ça fait 25 ans que je m'implique dans différentes instances, dont quatre ans comme président de la CSQ, et je peux dire que le lien fort qui unit nos différentes associations fait chaud au cœur. On continue la lutte.
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L’aggiornamento raté du pape François

Jorge Mario Bergoglio, connu durant ses dernières années sous le nom de Pape François, est décédé. Il fait partie du rituel social, dans le contexte d'un décès, de rendre un hommage débridé à la personne, sincèrement ou hypocritement, ou de la dénigrer par rancœur. Dans le cas d'une personnalité devenue rien moins que le pape à l'ère de la polarisation, le clivage qui organisera son hommage sera le binôme fascisme ∕progressisme.
Tiré de Viento Sur
23 avril 2025
Brais Fernandez
Cependant, au-delà de l'étouffement provoqué par l'hyperpolitique, une brève réflexion est possible sous un autre angle. Le pape François a été nommé pontife dans un contexte de crise historique pour l'Église catholique. Bien qu'elle ait conservé de grandes propriétés et des concordats avec de multiples États, la crise de l'Église a des racines sociales et politiques profondes. Convertie en Occident en un front de sectes réactionnaires de riches, fondée davantage sur l'« ascription par distinction » que sur l'adhésion à une foi militante ou à une éthique chrétienne, l'influence hégémonique de l'Église n'a cessé de décliner.
Le pouvoir idéologique de l'Église en tant qu'institution provenait de sa capacité à se structurer comme institution particulière. Si les partis ouvriers et les syndicats fonctionnaient, avec toutes leurs limites, comme un embryon prométhéen d'un nouvel État à venir, l'Église fonctionnait comme un para-État complémentaire, capable de contenir toutes les classes, bien que dirigé par une caste réactionnaire. Mais sans comprendre ce caractère de contenant multi-classes, on ne peut comprendre ni sa fonction de domination, ni les fissures émancipatrices qui l'ont traversée au cours du XXe siècle. Sa capacité à générer du consensus reposait sur une combinaison de coercition dans la sphère morale et d'habitudes de vie dans les classes populaires, capables d'établir un lien politique.
Ces contradictions de classe qui traversent l'Église au cours du XXe siècle se sont exprimées très tôt - le bolchevisme blanc en Italie dans les années 1920, l'opposition de certains secteurs catholiques populaires au fascisme malgré la complicité et la passivité des dirigeants, l'expérience des prêtres ouvriers - et ont enfin explosé dans le feu de la vague révolutionnaire des années 1960, autour de la bataille soulevée par la théologie de la libération, qui cherchait à renouveler le christianisme et à se lier à la volonté de liberté des classes ouvrières et populaires.
Ce mouvement exceptionnellement chaleureux, riche et créatif a été écrasé par une alliance entre la hiérarchie de l'Église, dirigée par un anticommuniste militant nommé Karol Wojtyła, et les oligarchies réactionnaires locales. La restauration de l'ordre ancien dans l'Église a été célébrée comme une grande victoire pour les secteurs conservateurs, mais elle a eu des effets inattendus. Loin de restaurer l'ancien pouvoir de l'Église, elle a accéléré la dissolution des liens entre l'Église et les classes subalternes ; le rôle de l'Église a été progressivement réduit, remplacé par d'autres appareils idéologiques plus adaptés à la logique culturelle du capitalisme tardif. Le paradoxe est que, malgré les illusions du libéralisme progressiste, le déclin du catholicisme ne s'est pas accompagné de la disparition de la religion en tant que facteur politique : limitée à l'Occident, la montée de l'évangélisme a été le contrepoint inattendu de ce processus.
Dans une certaine mesure, l'élection d'un pape jésuite, argentin, philopéroniste, au discours nettement progressiste, a constitué une tentative de réponse à ce déclin. Cependant, cette tentative a été tardive et à contre-courant, discordante avec l'époque. Non pas tant parce que ses critiques du capitalisme, du bellicisme, ses appels à l'environnementalisme ou sa défense des migrants sont déplacés - au contraire, ils n'ont peut-être jamais été aussi pertinents - mais parce que le facteur décisif de tout processus de transformation réside dans la capacité à transformer les idées en force sociale. En ce sens, comme nous l'avons expliqué plus haut, la montée d'un pape comme François est intervenue après la liquidation du grand courant révolutionnaire qui a traversé le christianisme au cours du XXe siècle : la théologie de la libération.
La meilleure réflexion que j'ai entendue au sujet du pape a peut-être été formulée par un théologien de la libération dans un hommage à Gustavo Gutiérrez : « Le pape n'est pas l'un d'entre nous, mais il ne serait pas possible sans nous ». Cette phrase contient une revendication de l'héritage des vaincus, une reconnaissance tardive de l'exemple militant et révolutionnaire des milliers de chrétiens qui ont lutté pour fusionner avec les travailleurs et convertir le « peuple de Dieu » en un sujet actif de transformation sociale et politique, en l'insérant dans un vaste processus de changement en direction du socialisme. Mais elle exprime également la réalité selon laquelle, malgré la générosité avec laquelle il a été accueilli par des secteurs encore liés à la théologie de la libération, le pape François n'est pas apparu comme le point culminant d'un processus vivant, comme une victoire des secteurs chrétiens de base qui luttent pour l'émancipation.
Il est plutôt apparu comme l'aboutissement tardif d'un processus tragique d'aggiornamento, écouté avec sympathie par de nombreux secteurs de la société lassés du néo-fascisme, mais sans réelle possibilité d'impulser un processus de transformation. Il est difficile de savoir si le Pape a vécu ce processus consciemment, s'il s'est contenté d'apparaître comme une voix particulière dans un écosystème stérile, ou s'il s'est senti frustré par l'absence de corrélation entre ses discours et un mouvement réel.
Il s'agit sans doute d'une leçon politique classique : il n'est pas possible de réformer quoi que ce soit en profondeur sans faire de révolutions ; et il est évident que les papes n'en font pas et n'en feront pas. Il est toujours bon pour les marxistes de relire de temps en temps Le rôle de l'individu dans l'histoire, de ce bourru russe qui fut d'abord le professeur de Lénine, puis son ennemi politique intime : Gueorgui Plekhanov.
Cela dit, le pape n'a pas non plus réussi à rétablir les liens entre l'Église et les classes populaires. Comme le raconte Peter Brown dans son incroyable Through the Eye of a Needle - peut-être le livre le plus gramscien jamais écrit sans citer Gramsci - le pouvoir social et politique du christianisme dans la Rome antique s'est établi sur une double opération. D'une part, l'incorporation des pauvres exclus de la citoyenneté dans le peuple par le biais de sa structuration morale et matérielle autour de l'Église. D'autre part, une partie des riches voyait dans l'Église un moyen de construire un lien spirituel qui les projetait au-delà de ce monde, y déposant une partie de leur fortune comme un investissement pour accéder à l'autre rive.
Si c'est sur cette opération que l'Église a construit son pouvoir hégémonique, le pape François a échoué là où saint Ambroise a triomphé. Les classes populaires exclues se lancent dans d'autres aventures religieuses comme l'évangélisation ; les vrais riches ont depuis longtemps décidé que l'on peut accéder à Dieu sans intermédiaire en accumulant des sommes d'argent obscènes qu'ils n'ont pas l'intention de partager avec qui que ce soit.
Nous ne savons pas aujourd'hui qui sera élu pape. L'intérêt que cet événement suscitera ces jours-ci ne correspondra pas à l'importance décisive qu'il aura sur le déroulement effectif de l'histoire. L'héritage du pape François, qu'il soit loué ou vilipendé, sera avant tout discursif : ce qu'il a dit ou n'a pas dit sera évalué plus que ce qu'il a fait. Si le pape François a pu souligner, de manière très large et diffuse, que le mal sur terre est un produit systémique du capitalisme, la pratique émancipatrice du christianisme de libération ne s'est pas encore rétablie.
Le mot aggiornamento est un terme italien qui signifie littéralement "mise à jour" ou "adaptation au jour présent".
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Shoah. « À quoi penserai-je quand retentira la sirène »

Chaque année, le 27e jour du mois de Nissan, Israël commémore le Jour de la Shoah. Pendant une minute une sirène retentit et tout s'arrête dans le pays. À l'occasion de cette journée, Gideon Levy, membre de la direction du journal israélien Haaretz, a écrit sur sa colère concernant la guerre contre Gaza dans une chronique parue le 23 avril 2025, veille de la commémoration. Nous la publions ici.
Tiré d'Orient XXI.
Israël ne commet pas une Shoah contre le peuple palestinien. Pourtant, ces 19 derniers mois, il s'en est rapproché à une vitesse effrayante. Cela doit être dit, et avec encore plus d'insistance aujourd'hui.
Comme chaque année, je me tiendrai au garde-à-vous lorsque la sirène retentira, et mes pensées erreront. Elles passeront du souvenir de mes grands-parents, Sophie et Hugo, dont j'ai vu les noms gravés sur le mur commémoratif du vieux cimetière juif de Prague, aux images de Gaza, qui ne me quitteront plus.
Depuis mon enfance, j'ai toujours imaginé un grand incendie consumant tout pendant la sirène. Avant la guerre à Gaza, j'imaginais des juifs y brûler. Cette année, je reverrai aussi les bébés brûlés vifs la semaine dernière dans leur tente servant d'abri à Khan Younès, et avec eux les milliers d'enfants, de femmes et d'hommes qu'Israël a tués sans pitié.
L'exécution de quinze secouristes palestiniens
Comment peut-on rester au garde-à-vous aujourd'hui sans penser à l'horrible enquête de Yaniv Kubovich sur l'exécution de 15 secouristes palestiniens par des soldats israéliens, qui les ont abattus de sang-froid avant de détruire leurs ambulances et d'enterrer leurs corps dans le sable (1) ? Sans penser à l'habitant de Sinjil, en Cisjordanie, dont les maisons ont été incendiées par des colons, après quoi des soldats sont venus lui lancer des gaz lacrymogènes jusqu'à ce qu'il succombe à une crise cardiaque, comme l'a rapporté Hagar Shezaf mercredi [22 avril] (2). Sans penser à la communauté pastorale d'Umm al-Khair, dans les collines au sud d'Hébron, et aux pogroms incessants que ces paisibles habitants subissent de la part de l'armée et des colons, qui ont uni leurs forces pour les expulser de leurs terres ?
Comment ne pas penser à l'article courageux et choquant de la chercheuse Orit Kamir [Haaretz, version hébraïque, 22 avril] sur les Israéliens qui restent indifférents face à cette guerre, ce qui, selon elle, invalide leur droit de se plaindre des Allemands qui ont agi de la même manière, et être d'accord avec chaque mot qu'elle a écrit ? Ou à l'article non moins choquant de l'historien de la Shoah Daniel Blatman sur les enfants de Gaza et les enfants de l'Holocauste [Haaretz, version hébraïque, 23 avril] ? Il écrit que le jour où les combats ont repris à Gaza restera gravé comme une infamie dans l'histoire des juifs. On ne peut qu'espérer que ce sera bien le cas. Blatman écrit :
- J'étudie l'Holocauste depuis 40 ans. J'ai lu d'innombrables témoignages sur le pire de tous les génocides, perpétrés contre le peuple juif et d'autres victimes. Cependant, la réalité, celle des récits de massacres commis par l'État juif, par leur ressemblance effrayante, me rappelle les témoignages des archives de Yad Vashem ; cette réalité était impensable, même dans mes pires cauchemars.
Il ne s'agit pas là d'une comparaison avec l'Holocauste, mais d'un terrible avertissement quant à la direction que prennent les événements. Ne pas y penser aujourd'hui revient à trahir la mémoire de la Shoah et de ses victimes. Ne pas penser à Gaza aujourd'hui revient à renoncer à sa propre humanité et à profaner la mémoire de l'Holocauste. C'est un signal d'alarme quant à ce qui est à venir.
En Israël, on a tendance à prétendre que le 7 octobre est la pire catastrophe qui ait frappé le peuple juif depuis la Shoah. Il s'agit, bien sûr, d'une comparaison perverse qui dévalorise la mémoire de la Shoah. Il n'y a aucune similitude entre l'attentat meurtrier et unique du 7 octobre et la Shoah. Mais ce qui a suivi évoque bel et bien son souvenir. Il n'y a pas d'Auschwitz ni de Treblinka à Gaza, mais il y a des camps de concentration. Il y a aussi la famine, la soif, le déplacement des personnes d'un endroit à l'autre comme du bétail et un blocus sur les médicaments.
« C'est un bain de sang, pas un combat »
Ce n'est pas encore la Shoah, mais l'un de ses éléments fondateurs est en place depuis longtemps : la déshumanisation des victimes, qui s'était installée chez les nazis, frappe désormais de plein fouet en Israël. Depuis la reprise de la guerre [le 23 mars 2025], 1 600 Palestiniens ont été tués à Gaza. C'est un bain de sang, pas un combat. Il se déroule non loin de chez nous, perpétré par les meilleurs de nos fils. Il advient dans le silence et l'indifférence nauséabonde de la plupart des Israéliens.
Ariel Rubinstein, économiste et lauréat du Prix Israël (3), a publié un article profond et inspirant [dans Haaretz en version hébraïque, le 22 avril], dans lequel il explique pourquoi il ne se tiendra pas au garde-à-vous cette année pour la minute de commémoration. Moi, je me tiendrai debout et je penserai à mes grands-parents, mais surtout à Gaza.
Notes
1- Yaniv Kubovich, « Killing of Gaza Aid Workers : IDF Troops Fired Indiscriminately for Over Three Minutes, Some at Point-blank Range » Haaretz, 23 avril 2025.
2- Hagar Shezaf, « Palestinian Dies of Heart Attack After Settlers Burn Home, Soldiers Fire Tear Gaz at Him », Haaretz, 22 avril 2025.
3- NDLR. Prix décerné chaque année par l'État d'Israël à des personnalités israéliennes ou à des organisations ayant marqué l'année d'un point de vue artistique, culturel ou scientifique. Ariel Rubinstein l'a reçu en 2002.
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Le pays des non-libres ? Les attaques contre les étrangers au cœur de l’offensive trumpiste

Comme le montre le sort de Mahmoud Khalil, emprisonné aux États-Unis pour son activisme en faveur des droits des Palestinien·nes, la démocratie dans la première puissance mondiale risque de mourir dans l'obscurité des centres de détention.
Le philosophe Alberto Toscanomontre que, prolongeant une longue tradition de répression politique et de restriction des droits, les attaques actuelles contre les étrangers constituent la pointe la plus acérée de l'offensive contre les libertés publiques mise en œuvre par l'administration Trump.
A noter que l'expression « pays des non-libres » fait référence à l'hymne national des États-Unis dans lequel est évoqué « the land of the free » (« le pays des libres »).
23 avril 2025 | tiré de contretemps.eu
« Qui a le droit d'avoir des droits ? »
Telle est la question urgente posée par Mahmoud Khalil, le jeune diplômé de l'université de Columbia saisi chez lui le 8 mars, dans la lettre ouverte émouvante qu'il a dictée dix jours plus tard depuis un centre de détention des services de l'immigration et des douanes en Louisiane. Dans cette lettre, Khalil affirme son identité de « prisonnier politique » palestinien ainsi que sa solidarité avec tous ceux qui ont été jetés dans les limbes punitifs de la machine de détention et d'expulsion de l'administration Trump.
Depuis le début des campements universitaires, il était clair que des personnes comme Khalil – des étudiants internationaux engagés dans l'activisme universitaire pour la Palestine – n'auraient aucun droit à la liberté d'expression, de réunion ou de mouvement que le gouvernement américain doit respecter, et qu'ils deviendraient la cible d'une répression étatique accrue. Le programme de Trump, adopté par le Comité national républicain l'année dernière, comprenait l'un des 20 points suivants : « Expulser les radicaux pro-Hamas et rendre nos campus universitaires à nouveau sûrs et patriotiques ».
Le cas de Khalil – où son rôle de négociateur pour le mouvement de solidarité avec la Palestine de Columbia a été présenté comme un risque pour la sécurité nationale qui justifie la révocation de sa carte verte – aux côtés d'autres cas de déportation politique, comme ceux de Badar Khan Suri, Rasha Alawieh, Momodou Taal, Yunseo Chung et maintenant Rumeysa Ozturk, emmenés par des agents masqués dans une rue de Somerville, Massachusetts, le 26 mars 2025, est choquant, mais il ne devrait pas être surprenant. C'est un symptôme clair de l'usage de plus en plus autoritaire du droit migratoire par le pouvoir exécutif.
Il s'agit notamment de l'enlèvement et de l'expulsion, le mois dernier, de plus de 200 membres présumés de gangs vers les camps de prisonniers dystopiques du Salvador, en dépit du fait que nombre de ces expulsés n'ont pas de casier judiciaire et que certains se sont déjà avérés être des cas d'erreur d'identité. Les renvois profondément irréguliers, dans lesquels les personnes n'ont pas été informées de l'endroit où elles étaient envoyées, ni de la possibilité de déposer des recours en habeas corpus, ont conduit la juge Patricia Millett de la Cour d'appel fédérale des États-Unis pour le district de Columbia, à observer le 24 mars que « les nazis étaient mieux traités en vertu de l'Alien Enemies Act » – la loi de 1798 que l'administration de Trump a utilisée comme modèle juridique.
Nous pouvons également considérer ce que la journaliste Masha Gessen a judicieusement appelé la « dénationalisation » des citoyens transgenres – le refus de délivrer des passeports avec le marqueur de genre « X » ou de reconnaître l'identité de genre post-transition des individus, même si elle a été légalement modifiée – envoyant le message que « les personnes transgenres sont une menace pour la nation ».
L'administration Trump tire parti de dispositions légales qui facilitent depuis longtemps la persécution des ressortissants étrangers, y compris des résidents permanents, en raison de leur discours politique. Mais elle signale également son intention d'ignorer les contestations juridiques de ces actions, en s'appuyant sur la « doctrine de la toute-puissance exécutive » – la croyance contestée mais répandue selon laquelle la politique d'immigration de l'exécutif est largement à l'abri du contrôle judiciaire – pour revendiquer une suprématie incontrôlée.
Les dimensions profondément autoritaires de cette vision ont été mises en évidence par Sebastian Gorka, directeur principal de la lutte contre le terrorisme de Trump, qui a déclaré la semaine dernière : « Il n'y a qu'une personne […] qui a le droit de décider qui peut être en Amérique, qui sont les étrangers, qui sont les étrangers qui sont autorisés à entrer dans la nation, et qui nous pouvons empêcher d'entrer […] et cet homme, c'est Donald Trump ».
La lutte contre la solidarité palestinienne a une longue histoire aux États-Unis. Comme le Center for Constitutional Rights et Palestine Legal l'ont détaillé dans un rapport fondamental, le terme « terrorisme » a fait son entrée dans la législation fédérale en 1969, dans le but de restreindre l'aide fournie par l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient (UNRWA). La première loi américaine sur l'immigration à citer le « terrorisme » comme motif d'exclusion et d'expulsion visait également la défense de la cause politique palestinienne, en stipulant qu'« un étranger qui est un officier, un fonctionnaire, un représentant ou un porte-parole de l'Organisation de Libération de la Palestine est considéré […] comme étant engagé dans une activité terroriste ».
Mais il ne faut pas non plus sous-estimer les héritages du maccarthysme et de la chasse aux sorcières anticommuniste. L'ordonnance du ministère de la sécurité intérieure exposant les raisons pour lesquelles Khalil est « sujet à l'expulsion » invoque comme fondement juridique une section de la loi sur l'immigration et la nationalité qui permet au ministre des Affaires étrangères d'expulser tout ressortissant étranger dont il estime que la présence continue a « des conséquences négatives potentiellement graves pour la politique étrangère des États-Unis ».
Cette disposition remonte à la loi McCarran-Walter de 1952, qui prévoyait l'« exclusion idéologique » des étrangers jugés politiquement subversifs – ce qui signifiait principalement les communistes. Mais, comme l'a récemment noté l'historien Joshua Zeitz, cette loi était également motivée par l'antisémitisme du sénateur démocrate du Nevada Pat McCarran (1876-1954), comme en témoigne l'enracinement, dans cette législation, des systèmes de quotas préexistants qui désavantageaient les migrants juifs d'Europe de l'Est, souvent soupçonnés de sympathies marxistes.
La loi McCarran-Walter a également servi de précédent clair au cas de Khalil : celui de l'affaire d'expulsion de 1987 contre les « Huit de L.A. » – huit immigrés (dont la majorité étaient des étudiants palestiniens), parmi lesquels deux résidents permanents, accusés de soutenir le Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP), identifié comme une organisation prônant le « communisme mondial ». Les procureurs du gouvernement américain ont finalement abandonné l'affaire en 2007.
L'imbrication du racisme anti-palestinien, de l'islamophobie et des héritages de l'anticommunisme est profonde. Lorsque la Cour suprême a validé le « Muslim Ban » de Trump en 2017, elle a soutenu que l'exclusion de ressortissants étrangers relevait d'un “attribut souverain fondamental exercé par les branches politiques du gouvernement, en grande partie à l'abri d'un contrôle judiciaire”. Elle s'est explicitement appuyée sur un précédent : l'arrêt de 1972 Kleindienst v. Mandel de la Cour suprême des États-Unis, qui avait confirmé la décision de l'administration Nixon de refuser l'entrée sur le territoire à l'intellectuel trotskyste belge Ernest Mandel.
Il convient également de rappeler que, bien qu'il n'ait pas encore pris de décret à ce sujet, Donald Trump a promis pendant sa campagne d'invoquer une autre disposition de la loi sur l'immigration et la nationalité pour « ordonner à mon gouvernement de refuser l'entrée à tous les communistes et à tous les marxistes », en accord avec sa devise chauvine selon laquelle « ceux qui viennent profiter de notre pays doivent aimer notre pays ».
Dans son ouvrage important sur l'histoire des exclusions et expulsions idéologiques, Threat of Dissent, la chercheuse Julia Rose Kraut observe que les lois étatsuniennes sur l'immigration trahissent « une peur sous-jacente et perpétuelle de la subversion interne et externe… ainsi que la perception des étrangers comme source de subversion, responsables de l'instigation de la dissidence et de l'importation d'idéologies radicales ». Cette politique de la peur est alimentée par deux courants profondément liés du nativisme américain : l'anti-radicalisme et le racisme.
Pour voir comment cela fonctionne aujourd'hui, il suffit de considérer la rhétorique utilisée dans une fiche d'information officielle publiée en janvier par la Maison-Blanche, exposant son intention de « combattre l'antisémitisme » en « annulant les visas d'étudiants de tous les sympathisants du Hamas sur les campus universitaires, qui ont été infestés par le radicalisme comme jamais auparavant ».
Après l'enlèvement administratif de Khalil et la menace de son expulsion, l'analyste américano-palestinien Yousef Munayyer a averti que « la Palestine est le canari dans la mine de charbon » de « l'autoritarisme et de la répression » aux États-Unis. Et en effet, la question de la Palestine joue un rôle essentiel dans le projet de l'extrême droite de mettre au pas l'enseignement supérieur – un projet qui rencontre, jusqu'ici, un inquiétant succès, comme le montre clairement l'abdication de la liberté académique par l'Université Columbia.
Mais l'animosité anti-palestinienne est également un ingrédient politique important dans un régime d'expulsion dans lequel la désignation de « terrorisme » peut être étendue indéfiniment. C'est la leçon brutale des déportations du mois dernier vers le Salvador, alors que l'administration Trump a d'abord mis dans le même sac les gangs vénézuéliens et le gouvernement de Nicolás Maduro afin de déclarer les premiers comme entité terroriste, puis a utilisé cette désignation pour justifier son contrat sans précédent avec le président salvadorien d'extrême droite Nayib Bukele pour emprisonner les personnes expulsées par les États-Unis dans l'énorme « Centre de confinement du terrorisme » (Cecot) du Salvador, sans procédure légale ni procès.
Ce sinistre « accord » a déjà été contesté en justice – un recours que l'administration Trump aurait illégalement ignoré, et qui a presque immédiatement conduit à des signalements selon lesquels certaines personnes expulsées avaient disparu dans ces camps salvadoriens, sur la base de simples « preuves » comme des tatouages mal identifiés.
Les lois sur l'immigration et la nationalité ont toujours été un pilier central des politiques fascistes. En 1941, le théoricien du droit Ernst Fraenkel (1898-1975) identifiait le fascisme allemand comme générant un « double État » avec deux systèmes de justice et de droits : un « État normatif » pour les citoyens « aryens » et un « État de prérogative » pour tous les autres, considérés comme inférieurs ou étrangers. En 1926, le régime de Mussolini adopta une loi retirant la citoyenneté aux critiques antifascistes en exil, estimant que l'on pouvait être dénationalisé simplement pour avoir porté atteinte aux intérêts ou au prestige de l'Italie, « même si l'acte en question ne constitue pas un crime ».
On retrouve un écho sinistre de cette logique dans l'affaire Khalil, dont la détention n'est liée à une quelconque infraction légale (bien que son stage passé non rémunéré à l'UNRWA soit maintenant utilisé pour l'accuser d'avoir fraudé pour obtenir sa carte verte). Si le pouvoir de prérogative plénière de Trump est interprété aussi largement que le propose Sebastian Gorka, les droits des étrangers aux États-Unis, en particulier la liberté d'expression, deviendront lettre morte. Un tel développement reviendrait également à annuler de fait l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire de l'expulsion en 1945 du militant syndical australien Harry Bridges, selon lequel « la liberté d'expression et de la presse est accordée aux étrangers résidant dans ce pays ».
Le fait que certains agents des frontières interprètent déjà l'autorité exécutive de Trump comme absolue et les droits des ressortissants étrangers comme inexistants, ressort clairement de l'affaire très médiatisée du scientifique français du CNRS, spécialiste de l'espace, expulsé de l'aéroport de Houston le lendemain de l'arrestation de Khalil, au motif extrêmement mince que ses messages téléphoniques privés « reflétaient la haine envers Trump et pouvaient être qualifiés de terrorisme ».
La participation zélée des agents de l'État et de particuliers dans l'anticipation et l'exécution des volontés de l'exécutif a toujours été essentielle au succès des politiques autoritaires. Alors que nous tentons de répondre à la question de Khalil — et de lutter contre les visions nationalistes, racistes et excluantes de “qui a le droit d'avoir des droits” — nous ne devons jamais perdre de vue ceux qui rendent possible l'exercice liberticide du pouvoir de prérogative, qu'il s'agisse des petits fonctionnaires appliquant les décrets autoritaires ou des élites capitalistes soutenant la répression de la contestation.
La persécution de Khalil, comme l'explique l'universitaire Nadia Abu El-Haj, a été rendue possible par un large éventail de personnages comprenant les professeurs et les étudiants de Columbia qui ont explicitement poussé à son expulsion, les activistes et les donateurs sionistes qui ont répandu des mensonges sur le mouvement du campement, les membres de la faculté d'un groupe de travail du campus qui ont confondu l'antisionisme avec l'antisémitisme ; et, peut-être surtout, les dirigeants de l'université qui ont ignoré les appels au soutien de Khalil et qui ont depuis rapidement cédé, avec zèle, à la liste des exigences de l'administration Trump.
Sans cette complicité généralisée dans la persécution de la dissidence, par des individus et des institutions, la capacité de l'administration Trump à rejeter sa liste d'ennemis, qui ne cesse de s'allonger, dans un espace de non-droit serait bien plus faible.
La semaine dernière, certaines organisations savantes ont pris cette leçon à cœur, puisque l'Association des études du Moyen-Orient et l'Association américaine des professeurs d'université ont intenté une action en justice contre l'administration Trump, arguant , selon les termes de Vincent Brown, professeur à Harvard, que « l'enlèvement, la mise en cage et la déportation d'étudiants non citoyens pour des motifs idéologiques menacent l'objectif et la fonction de l'université, car la poursuite du savoir ne peut pas prospérer dans un climat de peur et de répression. »
Ou, comme nous le rappelle la lettre de Khalil, « les étudiants, les militants et les élus doivent s'unir pour défendre le droit de manifester pour la Palestine. Ce ne sont pas seulement nos voix qui sont en jeu, mais les libertés civiles fondamentales de tous ».
*
Alberto Toscano enseigne à la School of Communications de l'Université Simon Fraser et codirige le Centre for Philosophy and Critical Theory de Goldsmiths, Université de Londres. Il a récemment publié Late Fascism : Race, Capitalism and the Politics of Crisis(Verso), Terms of Disorder : Keywords for an Interregnum (Seagull) et Fanaticism : On the Uses of an Idea (Verso, 2010 ; 2017, 2e éd.). Il a également traduit les travaux d'Antonio Negri, d'Alain Badiou, de Franco Fortini et de Furio Jesi.
Publié sur le site In These Times. Traduit de l'anglais pour Contretemps par Christian Dubucq.
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Québec solidaire fait une campagne politique à la mode du Réseau militant intersyndical

Un responsable du Réseau militant intersyndical (RMI) de Québec solidaire est resté complètement éberlué par le « coup de théâtre », selon lui, qui s'est produit au dernier Conseil national de Québec solidaire du début avril, précisément le dimanche à 14h, quand « la direction du parti [a laissé] passer une résolution proposée par le Réseau militant intersyndical et appuyé par les associations de Viau et NDG qui prône le lancement d'une campagne publique contre le vent de droite. »
Voici le libellé essentiel de cette proposition :
Nous proposons
• que Québec solidaire appuie résolument par une campagne publique, tant au parlement que dans la rue, les mobilisations sociales en cours et favorise leur convergence dans un front uni des luttes contre l'antisyndicalisme, notamment du projet de loi 89, l'austérité et l'extrême droite.
• que le lancement d'une telle campagne publique contre le vent de droite est la meilleure façon de mobiliser nos membres, d'activer nos structures régionales et locales et d'accroitre notre appui populaire.
Cette proposition était complétée de trois résolutions d'urgence appuyant les campagnes syndicales contre Amazon et le projet de loi 89, provenant du RMI, et la grève en cours des CPE. La résolution pour la campagne fut « fortement soutenue par la très grande majorité des intervenants au micro [et] adoptée avec une substantielle majorité. » Le scénario se répéta pour les trois résolutions d'urgence « alors que la direction nationale approuv[ait] tacitement ces résolutions ».
D'analyser le militant du RMI : « [c]'est toute une volte-face pour une direction nationale qui affirmait jusqu'à tout récemment, contre vent et marée, que la seule issue aux multiples crises internes et à la dégringolade du parti dans les sondages se trouvait dans le pragmatisme politique et le recentrage programmatique. » De s'interroger l'analyste : « Mais est-ce un virage stratégique qui s'amorce ou simplement un changement de rhétorique » ? Puis de remarquer : « Depuis une quinzaine d'années, les porte-parole du parti tenaient toujours une conférence de presse à l'issue des instances nationales. Ce n'est point le cas cette fois-ci, alors qu'il n'y a même pas eu un simple communiqué de presse. De plus, rien n'a été annoncé à l'interne… » Il ne lui restait plus à conclure que le RMI s'était auto-piégé par une proposition de campagne politique qui n'engageait à rien sauf à corroborer ce que la direction du parti accomplissait déjà.
L'art de défoncer des portes ouvertes pour dérouler le tapis rouge à la direction
Le parti avait mobilisé un cortège tant pour la manifestation du 8 mars contre le trumpisme organisée par les Mères au front face au consulat des ÉU à Montréal puis il mobilisa de la même façon pour la manifestation citoyenne « Résistons aux menaces de Donald Trump » du début mai sans compter la conférence avec JeanLuc Mélanchon dénonçant l'extrême-droite. Quant à Amazon, bien avant l'annonce de la fermeture antisyndicale de ses centres de distribution au [Québec, « Québec solidaire a en juin 2023] déposé une pétition comportant plus de 7100 signatures qui réclame une enquête sur les conditions de travail dans les entrepôts Amazon. »
Puis il a mobilisé un cortège à l'occasion de la manifestation de février amorçant la campagne syndicale tout en déposant « une motion pour demander au gouvernement de ne plus octroyer de fonds publics supplémentaires à Amazon, une motion refusée par le gouvernement. » Immédiatement dénoncé par la députation Solidaire comme « une vengeance contre la grève du secteur public l'année passée », pendant que le mouvement syndical organisait une semaine de mobilisation contre le projet de loi 89, Québec solidaire arrachait au ministre Boulet l'engagement « de ne pas utiliser son dangereux projet de loi 89 pour briser la grève des travailleuses et travailleurs des CPE […] un premier recul de ce gouvernement… ».
Ajoutons la mobilisation d'uncortège contre Stablex et pour les CPE et pour le Jour de la terre. C'est à peine si on arrive à suivre. Par ses lettres aux membres, la direction du parti les invite à une série de zooms pour « actualiser son programme » et à joindre les nouveaux comités d'action politique (CAP). La résolution du RMI de campagne politique apparaît bien mièvre vis-à-vis ce concret flux d'activités mobilisatrices des membres tant externes qu'internes. Évidemment qu'au CN du début avril, la direction du parti a accueilli à bras ouverts ce défonçage de portes ouvertes afin de lui dérouler un tapis rouge ! Ce genre de résolutions que le CN a adopté à forte majorité sans opposition de la direction et de la députation leur rend service et dessert la cause de la gauche du parti tout en semant la confusion chez ses sympathisant-e-s. Cette résolution n'engage à rien de concret parce qu'elle ne comporte aucun élément de plan d'action. Ainsi elle dore la pilule à la direction qui peut s'en réclamer car le parti non seulement appuie déjà ces luttes mais a aussi appelé des mobilisations pour elles.
Par exemple, on aurait pu, minimalement, requérir de toutes les organisations du parti qui délèguent au CN de tenir une assemblée générale de leurs membres à propos de cette campagne pour proposer des plans d'action locaux en plus de contribuer à un plan d'action national à synthétiser lors du CN de juin prochain. On aurait pu réclamer que cette campagne occupe une place importante à l'école du parti en mai. On aurait pu demander que l'intervention de la porte-parole à l'assemblée publique avec Mélanchon porte sur cette campagne… ce qu'elle a faite et aurait fait de toute façon puisque que le front uni contre la droite et contre ses manifestations concrètes par la CAQ devient une évidence surtout pour un parti se réclamant « des travailleuses et des travailleurs ». Au niveau des revendications, à part Amazon et le PL89, il aurait fallu souligner la lutte féministe-syndical pour « le soin et le lien » et absolument l'incroyable charge islamophobe et antinoire de la CAQ, cautionnée par Carney, sous prétexte de fondamentalisme dans quelques écoles et de fuites éperdues d'Haïtien-ne-s se sauvant du trumpisme.
L'alternative disparaît derrière le train-train des réformes sociales-libérales
La gauche du parti, ou partie d'entre elle, ne semble pas avoir compris que Québec solidaire est un parti de centre-gauche qui fait relativement bien son travail. Ce n'est pas là que le bât blesse. Le problème crucial c'est que le parti des travailleurs et travailleuses ne leur présente aucun projet de société alternatif autre qu'une suite de réformes qu'on pourrait qualifier de sociales-libérales. Même celles-ci sont devenues nébuleuses avec la disparition réellement existante de son programme élaboré sur une dizaine d'années et de sa dernière plate-forme électorale, documents qu'on recherchera en vain sur le site web du parti… et même sur la « centrale » réservée aux membres. On leur a substitué une douzaine de revendications en quatre thèmes (onglet « Nos propositions »), toutes des réformes souhaitables en autant qu'elles soient précises — signalons la pauvreté du volet dit « vert » la disparition de l'indépendance — mais aucunement un projet de société.
Étant donné que la contradiction cruciale du XXIe siècle est celle écologique centrée sur les questions du climat et de la biodiversité, on reste sidéré de constater le silence Solidaire à propos de la filière batterie autour de Northvolt, de la promotion des autos solos électriques et du plan hydro-québécois de hausser de 50% la production d'électricité. Sauf à demander un BAPE et un peu plus de transport public hors seul et dispendieux, QS s'est enligné corps et âme derrière la CAQ. L'épine dorsale de la stratégie de développement socio-économique des partis néolibéraux et de celui social-libéral en devient la même à peu de choses près, soit le capitalisme vert avec son extractivisme minier mais aussi celui des hydrocarbures qui reste indispensable à l'orgie énergétique en découlant.
Où est l'horizon de la société du soin et du lien portée par la « grève sociale »
Comme l'urgence climatique, que l'on prétend oublier en ces temps de guerres tant militaires que tarifaires, nécessitera alors de réduite le carbone atmosphérique à coups de géo-ingénierie à subventionner massivement, les services publics et programmes sociaux sont condamnés à une austérité permanente qui sera imposée à coups de matraques et pire encore. Ne demandez pas à Québec solidaire de promouvoir un projet de société du soin et du lien à base de décroissance matérielle libéré du fardeau de la dette des ménages et de l'obsolescence programmée de la consommation de masse. Le culte de l'auto solo et du bungalow reste sacré bien que ces rêves fabriquées par la propagande capitaliste, appelée publicité, deviennent inaccessibles tout en créant moult frustrations.
C'est cette peur de l'alternative qui explique la démocratie tronquée de la direction Solidaire envers ses membres. On multiplie les forums mais on les encadre de présentations qui laissent peu de place à la libération de la parole des membres. Il suffit de prendre le temps d'examiner le déroulement de cette nouveauté qu'est « l'école solidaire 2025 » pour s'en apercevoir : la parole des membres y sera cadenassée par une longue liste de conférencier-ère-s et de présentateur-trices-s. On comprend qu'un parti qui a si peur de son ombre se contente de campagne politique bien délimitée se satisfaisant de queues de cortège dans les manifestations syndicales et de discours du dimanche quand on fait un « meeting » avec un maître en la matière. Alors qu'il faudrait proposer la construction d'un front anti-néofasciste ciblant CAQ et Conservateurs tout en critiquant les Libéraux qui leur mordent la queue et dont la « grève sociale » — cette grève politique à la québécoise — serait l'horizon.
Marc Bonhomme, 25 avril 2025
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca
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