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« No other land » reçoit l’Oscar du meilleur documentaire

Le film palestino-israélien « No other land », qui relate la violence des colons et les démolitions par Israël de maisons palestiniennes en Cisjordanie occupée, a reçu hier la récompense du meilleur documentaire lors de la cérémonie des Oscars.
Tiré d'Agence médias Palestine.

« Il ya deux mois je suis devenu père, et j'espère que ma fille ne vivra pas la même vie que moi, à craindre la violence des colons, les démolitions et les déplacements forcés que ma communauté, Masafer Yatta, subit tous les jours sous l'occupation israélienne. No other land reflète la dure réalité que nous subissons depuis des décennies et face à laquelle nous résistons, tandis que nous appelons à la fin la guerre, à la fin des injustices, à la fin du nettoyage ethnique des Palestiniens. »
C'est avec ces mots que Basel Araj a reçu hier l'oscar du meilleur documentaire pour son film « No other land », qui fait le récit de la rencontre entre Basel lui-même, avocat et réalisateur qui documente l'occupation et la destruction de son propre village en Cisjordanie, et le journaliste israélien Yuval, qui tente de le soutenir dans son combat. Entre méfiance, colère et camaraderie naît une alliance impossible et un film déchirant, qui ouvre à la fois blessures et dialogue. Le film, sorti en salle en France en novembre dernier, avait été célébré dans de nombreux festivals et reçu le prix du meilleur documentaire à la Berlinale de 2024.
Après le discours de Basel Araj, son co-réalisateur Yuval Abraham prend la parole : « Quand je regarde Basel, je vois mon frère, mais nous ne sommes pas égaux. Nous vivons dans un régime où je suis libre, sous des lois civiles, et Basel est sous des lois militaires qui détruisent sa vie et qu'il ne peut pas contrôler. Il y a un autre chemin, une solution politique sans suprématie ethnique, avec des droits nationaux pour nos deux peuples. Et je dois dire, puisque je suis ici, que les politiques étrangères de ce pays participent au blocage de ce chemin. Ne voyez-vous pas que nous sommes mêlés ? Que mon peuple ne peut être en sécurité que si le peuple de Baser est libre et en sécurité ? Il y a un autre chemin. C'est le seul chemin. »
Cette nouvelle récompense intervient dans un contexte nouveau, alors que le village où se situe le film est sous le coup de violentes attaques israéliennes, et sous la menace d'un déplacements forcé de population sans précédent, dans le cadre de l'intensification des opérations militaires israéliennes en Cisjordanie. Amnesty International publiait la semaine dernière un communiqué appelant la communauté internationale à faire cesser l'impunité d'Israël :
« L'impunité bien ancrée pour les violences commises par des colons et l'inaction de longue date de la communauté internationale s'agissant de stopper l'expansion des colonies israéliennes illégales ou de mettre fin à l'occupation israélienne facilitent le transfert illégal de villageois·e·s palestiniens, ce qui constitue un crime de guerre. Au lieu de continuer de permettre l'accaparement des terres par Israël, ce qui a des conséquences dévastatrices pour les Palestinien·ne·s, les dirigeant·e·s du monde doivent faire pression sur Israël pour qu'il mette fin à l'occupation illégale et démantèle le système d'apartheid à leur encontre », a déclaré Erika Guevara Rosas, directrice générale des recherches, du travail de plaidoyer, des politiques et des campagnes à Amnesty International.
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Alger et la gauche française contre le zèle haineux de Retailleau !

Humiliés par Trump, désillusionnés par la débâcle au Sahel, c'est du côté d'Alger que certains Politiques français vont chercher des représailles. Endossant son costume de « Ministre potentat » anti Immigration, Retailleau pousse vers une crise diplomatique !
De Paris, Omar HADDADOU
Trouver un angle d'attaque pour torpiller la Diplomatie algérienne, les accords de 1968 et dans la foulée, le coup de gueule de la Gauche française !
Sans crier gare, une information a fuité au plus haut niveau. Elle est d'airain ! Impitoyable, revancharde à souhait, Signée d'une main de fer « retaillenne ».
Le quotidien français la Tribune a tous les droits de se gargariser du scoop. Le 2 mars 2025, le journal publie une note secrète du ministère de l'Intérieur revendiquant l'obligation « d'engager un rapport de force avec les autorités algériennes ».
La porosité a permis de dévoiler une note de 3 pages des services de l'Intérieur, préparés en amont par le Comité interministériel de Contrôle de l'Immigration (26 février à Matignon), exposant « la stratégie », selon la même source, pour tordre le bras à Alger à travers des restrictions massives de visas, en priorité à l'égard de l'élite politique, économique et militaire du pays. Ainsi que les contrôles renforcés des liaisons maritimes et la convocation des consuls généraux algériens. Résolu à croiser le fer avec Alger, Bruno Retailleau, galvanisé par le chef du gouvernement Bayrou et sa fameuse saillie « sentiment de submersion migratoire », juge les accords franco-algériens « datés et déséquilibrés ».
Une surenchère sur fond d'une crise sans précédent permettant à Olivier Faure, Premier secrétaire du Parti socialiste, de se rattraper sur ce terrain : « Il ne suffit pas de montrer ses bras musclés. Il faut faire aussi de la Diplomatie ! »
Hier, lundi, dans un entretien accordé à un journal à obédience droite, le Ministre français assume l'ordre d'expulsion de l'épouse de l'Ambassadeur d'Algérie au Mali, en guise de mesure de rétorsion.
En escale à Paris, munie d'un passeport diplomatique, elle devait rejoindre son mari à Bamako.
Ministre de l'Intérieur depuis le 21 septembre 2024 dans le gouvernement de Michel Barnier, puis François Bayrou, Bruno Retailleau se plait à siffler les prolongations de la colonisation par ses provocations et édits dignes de la traite négrière. Mais l'Algérie - soutenue par la Gauche française - reste une Nation de Révolutionnaires qui n'agrée point la vassalité, telle une République bananière ensommeillée par la musique et le bon pinard.
En quête de médiatisation, le locataire de la Place Beauvau verse avec une obsession démente dans la flagellation verbale, là où certains appellent à l'apaisement : « Ce que fait la France vis-à-vis de l'Algérie est une faute rare et historique ! » s'indigne Eric Coquerel de la France Insoumise.
Les injonctions de Paris renvoient à la l'époque coloniale de « Bouchkara* » où toute insubordination à l'ordre établi est passible d'une mesure punitive !
Macron était à deux doigts de mettre l'Afrique et ses ressources minières et humaines dans sa poche. L'ambition d'étendre sa zone d'influence impérialiste a, hélas ! tourné à la débâcle. Cette faillite expansionniste est imputée à l'Algérie et la Russie qui ont scellé un partenariat économique et stratégique à long terme. D'où les mesures de rétorsion du chef de l'Etat français et ses ministres contre l'Algérie, se cristallisant par moult provocations.
Suscitant un applaudissement à tout rompre devant le Parlement marocain, le 29 octobre 2024, Macron signe et persiste : « Le présent et l'avenir du Sahara occidental s'inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine ».
Le Président passe à la vitesse supérieure dans l'escalade. Sept mois après sa visite au Royaume, Il donne quitus à sa Ministre de la Culture Rachida Dati pour se rendre au Sahara occidental, territoire au statut non défini, revendiqué depuis 50 ans par les Indépendantistes sahraouis (es). Le 17 février 2025, Dati se fringue de la tenue traditionnelle féminine sahraouie et déclare in situ que son périple « est une visite historique ». La riposte du Ministère des affaires étrangères est cinglante : « Cette visite est d'une gravité à plus d'un titre ! ».
La fronde contre l'Algérie s'est cristallisée par conglomérat viscéralement xénophobe, nostalgique d'une Algérie française dont sont membres actifs les Retailleau, Gérard Larcher (Président du Sénat), Edouard Philippe et nombre d'expatriés à la plume ordurière !
Le Conseil d'Etat algérien a annoncé ce mercredi la suspension immédiate de ses relations avec le Sénat français, y compris le protocole de coopération parlementaire, signé entre les deux chambres le 8 septembre 2015.
L'acharnement de Retailleau suinte à cent lieues le racisme dans une République entraînée par la déroute européenne !
O.H
* BUCHKARA : Indicateur cagoulé utilisé par l'armée française pendant la guerre d'Algérie.
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Israël détruit de vastes zones de Jénine, les habitants craignant une épuration comme à Gaza

Israël détruit un grand nombre de maisons à Jénine, semblant répéter les tactiques de nettoyage ethnique qu'il a employées dans le nord de la bande de Gaza.
Tiré de France Palestine Solidarité. Publié à l'origine par The New Arab. Photo : Les tanks israéliens envahissent Jénine pour la première fois depuis 2000, le 23 février 2025 © Quds News Network
Les bulldozers israéliens ont démoli mardi de vastes zones du camp de réfugiés de Jénine, aujourd'hui pratiquement vide, et semblent creuser de larges routes à travers ses ruelles, reprenant les tactiques déjà employées à Gaza, alors que les troupes se préparent à un séjour de longue durée.
Au moins 40 000 Palestiniens ont quitté leurs maisons à Jénine et dans la ville voisine de Tulkarem, dans le nord de la Cisjordanie, depuis qu'Israël a commencé son opération, un jour seulement après avoir conclu un accord de cessez-le-feu à Gaza, au terme de 15 mois de guerre.
« Jénine est une répétition de ce qui s'est passé à Jabalia », a déclaré à Reuters Basheer Matahen, porte-parole de la municipalité de Jénine, en référence au camp de réfugiés du nord de la bande de Gaza qui a été évacué par l'armée israélienne après des semaines de combats acharnés. « Le camp est devenu inhabitable. »
Il a précisé qu'au moins 12 bulldozers étaient à l'œuvre pour démolir les maisons et les infrastructures du camp, qui était autrefois une commune surpeuplée abritant les descendants des Palestiniens qui ont subi un nettoyage ethnique lors de la guerre de 1948, la « Nakba » ou catastrophe qui a marqué la création de l'État d'Israël.
Un peloton de chars a également été déployé par Israël, qui est entré dimanche dans la ville par l'entrée ouest du camp de Jénine, selon l'agence de presse palestinienne WAFA. L'armée israélienne a annoncé que le peloton provenait de la 188e brigade blindée.
Selon Matahen, des équipes d'ingénieurs de l'armée ont pu être vues en train de préparer un séjour de longue durée, en apportant des réservoirs d'eau et des générateurs dans une zone spéciale de près d'un hectare.
Aucun commentaire n'était disponible dans l'immédiat de la part de l'armée israélienne, mais dimanche, le ministre de la défense Israël Katz a ordonné aux troupes de se préparer à un « séjour prolongé », déclarant que les camps avaient été nettoyés « pour l'année à venir » et que les résidents ne seraient pas autorisés à y retourner.
L'opération menée pendant un mois dans le nord de la Cisjordanie est l'une des plus importantes depuis le soulèvement de la deuxième Intifada par les Palestiniens il y a plus de 20 ans. Elle implique plusieurs brigades de soldats israéliens soutenus par des drones, des hélicoptères et, pour la première fois depuis des décennies, par des chars de combat lourds.
« On assiste à une évacuation massive et continue de la population, principalement dans les deux camps de réfugiés de Nur Shams, près de Tulkarm, et de Jénine », a déclaré à Reuters Michael Milshtein, un ancien responsable du renseignement militaire qui dirige le Forum d'études palestiniennes au Centre Moshe Dayan pour les études sur le Moyen-Orient et l'Afrique.
« Je ne sais pas quelle est la stratégie générale, mais il ne fait aucun doute qu'une telle démarche n'a jamais été entreprise dans le passé.
Israël a lancé l'opération en affirmant qu'il avait l'intention de s'attaquer aux « groupes militants soutenus par l'Iran ».
Mais au fil des semaines, il est apparu clairement que la véritable intention était de déplacer la population palestinienne de façon permanente et à grande échelle en détruisant les maisons et en rendant leur séjour impossible.
« Israël veut effacer les camps et la mémoire des camps, moralement et financièrement, il veut effacer le nom des réfugiés de la mémoire du peuple », a déclaré Hassan al-Katib, 85 ans, qui vivait dans le camp de Jénine avec 20 enfants et petits-enfants avant d'abandonner sa maison et tous ses biens au cours de l'opération israélienne.
Israël a déjà fait campagne pour saper l'UNWRA, la principale agence de secours palestinienne, en l'interdisant de quitter son ancien siège à Jérusalem-Est et en lui ordonnant de cesser ses activités à Jénine.
De nombreux Palestiniens y voient un écho de l'appel du président américain Donald Trump en faveur d'un nettoyage ethnique des Palestiniens de Gaza pour faire place à un projet immobilier américain, appel qui a été approuvé par le cabinet du Premier ministre Benjamin Netanyahu.
Nabil Abu Rudeineh, porte-parole du président palestinien Mahmoud Abbas, a déclaré que l'opération menée dans le nord de la Cisjordanie semblait répéter les tactiques utilisées à Gaza, où les troupes israéliennes déplaçaient systématiquement des milliers de Palestiniens lorsqu'ils se déplaçaient dans l'enclave.
« Nous demandons à l'administration américaine de contraindre l'État d'occupation à mettre immédiatement fin à l'agression qu'il mène contre les villes de Cisjordanie », a-t-il déclaré.
Traduction : AFPS
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Les empires qui contrôlent les médias américains se soumettent à Donald Trump

Le 10 mars dernier, George Stephanopoulos, chef d'antenne de la chaîne américaine ABC, mentionne en ondes, à plusieurs reprises, que l'ex-président Donald Trump avait été « trouvé coupable de viol » dans la cause civile que lui avait intenté la journaliste et auteure Jean Carroll. Techniquement, c'était faux : le jury avait conclu que Trump avait « abusé sexuellement » de la plaignante et qu'il l'avait ensuite diffamée, mais avait rejeté l'accusation de « viol ». Trump s'est donc empressé de poursuivre ABC et son animateur vedette, les accusant de comportement malicieux pour porter atteinte à sa réputation.
26 février 2025 | tiré de l'Aut'journal
Avait-il des chances de gagner sa poursuite ? Peut-être. Mais un juge avait déjà statué, en août 2023, dans le cadre d'une contre-poursuite intentée par Trump contre Mme Carroll, que le politicien l'avait bel et bien violée, au sens où ce mot est généralement compris, même si cela ne rencontrait pas la définition extrêmement étroite de la législation new-yorkaise. C'est sur ce second jugement que portait la défense d'ABC.
Et si les termes utilisés par Stephanopoulos étaient techniquement erronés, encore aurait-il fallu que Trump démontre qu'il avait subi des dommages. Pas évident, quand on considère que cela ne l'a pas empêché d'être élu ! L'animateur et le réseau auraient du reste bénéficié, devant le tribunal, d'une solide jurisprudence fondée sur le premier amendement de la Constitution américaine sur la liberté de la presse.
Mais alors qu'ABC avait annoncé son intention de se défendre bec et ongles dans cette affaire, on apprenait le 15 décembre dernier que le réseau avait accepté, dans une entente hors cours, de verser 15 millions de dollars à la future fondation présidentielle de Donald Trump et à son musée, en plus d'un million pour ses frais légaux, et de publier des excuses sur son site Web.
L'empire Disney
Que s'est-il passé entretemps pour que ABC change ainsi d'idée ? Poser la question, c'est y répondre. L'ex-président, reconnu abuseur sexuel un an plus tôt, puis trouvé coupable de crimes par une cour de New-York à l'automne… a été malgré tout réélu président en novembre. Or, Disney Corporation, qui possède le réseau ABC, c'est aussi un empire industriel dont le chiffre d'affaires atteignait 89 milliards $ en 2023.
Disney possède des réseaux de télé (ESPN et ABC), des parcs d'amusement partout sur la planète et vend pour les milliards de produits dérivés. Elle possède aussi des studios de création comme Pixar, Marvel et Lucasfilm, en plus d'offrir des services directs à des clients dans des secteurs comme l'intelligence artificielle et la réalité virtuelle.
Disons que pour cet empire, verser 16 millions de dollars aux bonnes œuvres du nouveau président, c'était des pinottes. Bien moins cher en tout cas que si elle l'avait eu comme ennemi direct pour les quatre prochaines années.
Un dangereux précédent
Cette entente a créé un dangereux précédent face à M. Trump dont les poursuites antérieures contre CNN, le New York Times et le Washington Post avaient été rejetées. Désormais, il peut brandir une preuve, politique sinon légale, quand il dénonce la malveillance de la presse à son égard.
Le précédent a déjà fait des petits. Meta, l'entreprise de Mark Zukerberg derrière Facebook, faisait aussi face à une poursuite, nettement plus frivole que l'affaire Stephanopoulos. Trump affirmait que Meta avait conspiré avec les Démocrates en suspendant son compte, après l'assaut contre le Capitole, le 6 janvier 2021, et que c'était une violation de son droit de parole.
Aucune chance d'avoir gain de cause dans ce cas : la Cour suprême a déjà tranché cette question en statuant que le droit pour les plateformes de sélectionner les contenus diffusés était protégé par le premier amendement.
Mais le 29 janvier, Meta a tout de même accepté de verser 25 millions de dollars à Donald Trump pour mettre fin à cette poursuite. Aucune raison officielle n'a été transmise. Était-ce nécessaire ? Zukerberg a aussi donné un million $ pour financer l'inauguration présidentielle du 20 janvier et il a dîné deux fois à Mar-a-Lago, la résidence privée de Trump, pour le convaincre de mettre au pas les pays européens et le Canada, qui veulent taxer les géants américains du Web.
Après ABC et Meta, autour de CBS
Or voici qu'on apprend, début février, que Paramount, un autre empire du divertissement qui possède le réseau CBS, est en train de négocier à son tour avec le président Trump dans une autre poursuite tout aussi ridicule. L'émission phare du réseau, Sixty Minutes a présenté en octobre une longue entrevue avec Kamala Harris. Un premier extrait avait été diffusé pour annoncer l'émission. Mais dans la version complète, le court extrait ne se retrouvait pas. Donald Trump y a vu la preuve qu'on a « édité » le contenu pour avantager la candidate démocrate à ses dépens, et réclame 10 millions de dollars en dommages. Peu importe que ce genre de travail d'édition ait toujours existé en télévision, sauf dans les (très rares) émissions en direct.
Rappelons, pour l'histoire, que CBS a acquis sa réputation d'excellence journalistique en bonne partie grâce à l'attitude de Edward R. Murrow, le journaliste qui a courageusement dénoncé les abus du sénateur Joseph McCarthy dans sa lutte contre des centaines de scientifiques, de fonctionnaires, d'artistes qu'on accusait de sympathies pour les communistes, après la dernière guerre. Que retiendra-t-on de la légende de CBS, si le réseau s'incline cette fois devant Trump ?
Mais ici encore, la logique économique est claire. Paramount vient d'annoncer sa fusion avec Skydance, le producteur derrière plusieurs gros succès d'Hollywood (Top Gun, Mission Impossible, Transformers, etc.) et qui œuvre aussi dans les jeux vidéo et les nouveaux médias. Il lui faut maintenant obtenir l'appui de la FCC, l'organisme qui régit le secteur des communications. Ça serait bien triste que le président y mette son véto !
Ce qu'illustre cette saga (qui ne fait que commencer, hélas), c'est le risque de confier la gestion des médias d'information à des entreprises qui ont d'autres intérêts financiers, et pour lesquels l'information n'est qu'un marché comme un autre. Déjà, avant les dernières élections américaines, Le Washington Post (une propriété de Jeff Bezos, le fondateur d'Amazon) et le Los Angeles Times (propriété de Patrick Soon-Shiong, aussi actionnaire de contrôle des Lakers, un homme qui a fait fortune dans les biotechnologies, notamment en mettant en marché un traitement anticancer hors de prix qu'il a ensuite réussi imposer à bien des hôpitaux) ont tous deux interdit à leur équipe éditoriale de prendre position pour Kamala Harris.
Au moment où Pierre Poilièvre annonce qu'il va « fermer » Radio-Canada, et qu'il mettra fin aux programmes de soutien aux médias qui se sont donné une structure d'organisme sans but lucratif, cette aplaventrisme des grands empires médiatiques américains devant le pouvoir devrait nous servir de mise en garde !
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La capitalisation capte la rente mondiale pendant que les travailleurs… travaillent

À l'approche de l'ouverture des négociations voulues par le premier ministre entre les syndicats et le patronat au sujet du financement des retraites , on voit déjà quelles seront les pierres d'achoppement.
Tiré du blogue de l'auteur.
À l'approche de l'ouverture des négociations voulues par le premier ministre entre les syndicats et le patronat au sujet du financement des retraites[1], on voit déjà quelles seront les pierres d'achoppement. Le patronat a fait savoir qu'il s'opposerait à l'augmentation du taux de cotisations vieillesse et qu'il fallait introduire « une dose » ou un « pilier » de capitalisation pour compléter le système de retraites par répartition[2]. Cette proposition fut théorisée par la Banque mondiale dans les années 1990 à l'aube de la mondialisation néolibérale, reprise en chœur par tous les chantres du capitalisme financier, et ânonnée quotidiennement dans beaucoup de médias. Elle n'a d'autre sens que celui de favoriser une captation d'une part de la rente financière à l'échelle mondiale. Et elle montre la vacuité de la pensée économique libérale.
La retraite par capitalisation reste soumise aux mêmes contraintes démographiques que celle par répartition. Parce que ce sont toujours les actifs qui font vivre les inactifs. Au moment de la liquidation des contrats, la compagnie d'assurances ou le fonds de pension doivent trouver de nouveaux contractants pour pouvoir verser les pensions. En un mot, seul le travail ajoute de la valeur à partager, le capital est en soi stérile. Merci Marx d'avoir dégonflé la baudruche du capital fictif. Et merci Keynes d'avoir démontré que tout capital doit être « porté » et que sa liquidité pour tout le monde en même temps est impossible. L'épargne retraite et l'assurance-vie ne changent en rien cette règle : on ne finance jamais sa propre retraite car il n'y a pas de congélateur de revenus pour le futur[3].
La capitalisation est condamnée à subir les soubresauts de la finance ; des centaines de milliers d'Américains ont connu cela après la crise des subprimes de 2007. Il n'y a plus aujourd'hui aux États-Unis de système par capitalisation à prestations définies mais seulement des systèmes à cotisations définies. Ainsi, toute visibilité sur les pensions à venir est obscurcie.
Introduire la capitalisation pour « sauver » la répartition obligerait la génération des salariés actuels à payer deux fois pendant le temps de la transition entre les deux systèmes : pour assurer la retraite des anciens et pour abonder le fonds de capitalisation. Absurde et incohérent avec la volonté du patronat de diminuer les prélèvements obligatoires car les primes versées aux fonds de pension ou aux compagnies d'assurances s'ajouteraient aux cotisations.
Le rapport que vient de remettre la Cour des comptes à la demande du premier ministre ne dit pas grand-chose de la capitalisation, sauf ceci qui est loin d'être anodin : « Même s'ils sont limités, ces dispositifs [de capitalisation ou de plans d'épargne retraite] sont coûteux pour les finances publiques. En effet, les cotisations à ces régimes bénéficient de réductions de cotisations sociales et de déduction de revenu imposable, pour un coût estimé à 1,8 Md€ par an. »[4]
La capitalisation, en fin de compte, est une machine à accroître les inégalités puisque, pour capitaliser, il faut détenir du capital, et pour en détenir, il faut disposer de revenus élevés. Pire, à l'ère où le capital s'est mondialisé et où les placements financiers se font là où la main-d'œuvre est devenue très productive mais reste peu chère, la retraite par capitalisation vise à accaparer une part plus grande de la valeur ajoutée mondiale au profit de rentiers, petits et grands. Le vieux rêve du capital est de transformer les travailleurs en minuscules capitalistes. L'impérialisme a toujours consisté à s'approprier des produits primaires ou des matières premières à vil prix et aussi des revenus tirés de l'exploitation de la force de travail du monde entier. La généralisation de la retraite par capitalisation donnerait à cette dernière une nouvelle dimension. Avec une « dose », la capitalisation serait de l'impérialisme, certes en sourdine, mais tellement pernicieux.
Pour terminer, posons une question un peu iconoclaste : si le capital est aussi fécond de valeur ajoutée que le prétendent les pourfendeurs de la retraite par répartition, tout en jurant vouloir la sauver, pourquoi ne proposent-ils pas de faire tourner les machines, les robots et même l'argent plus vite, plutôt que d'allonger sans cesse la durée du travail ?
Notes
[1] Ce texte a été publié sur le site des Économistes atterrés ; et en partie par Politis, n° 1851, 26 février 2025, sous le titre « La capitalisation ou l'impérialisme en sourdine ».
[2] Voir notamment l'entretien de Patrick Martin, « Je suis pessimiste sur l'issue des discussions », Le Monde, 28 février 2025 ; Propos recueillis par Bertrand Bissuel et Aline Leclerc.
[3] Jean-Marie Harribey, « Répartition ou capitalisation : on ne finance jamais sa propre retraite, Le Monde, 3 novembre 1998, ; et « Retraites : l'éternel retour des erreurs passées, Note pour les Économistes atterrés, févier 2025.
[4] Cour des comptes, « Situation financière et perspectives du système de retraites », février 2025, p. 29, urlr.me/bwc2Mm.
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La nuit tombe sur la souveraineté alimentaire mexicaine

Chaque vendredi pendant plusieurs mois, nous publierons un article qui se trouve dans le nouvel AVP « Dette et souveraineté alimentaire ». Au programme ce vendredi, un article de Veronica Carrillo Ortega, membre de la Promotora Nacional por la Suspensión del Pago de la Deuda Pública (México).
21 février 2025 | Tiré du site du CADTM | Photo : Diego Delso, CC, Wikimedia Commons, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Gulf_of_Mexico_sunset.jpg
Pour commander l'AVP, c'estici.
Grâce au triomphe de la Révolution mexicaine de 1910-1917, le peuple mexicain s'est doté d'un État qui a nationalisé et fondé un secteur agricole puissant. Malheureusement, ces acquis ont été anéantis par les politiques néolibérales imposées dès 1982 , notamment au nom du remboursement de la dette. Aujourd'hui, la répartition des terres reste largement inégale. Pourtant, le droit à la terre est essentiel à la réalisation de plusieurs droits humains, tels que le droit à un niveau de vie décent ou le droit à l'alimentation.
Verónica Carrillo Ortega, Présidente de la centrale indépendante des ouvrier·es et des paysan·es de l'État de Veracruz et membre de l'Initiative nationale de suspension du remboursement de la dette publique du Mexique
Au Mexique, avec la Révolution verte, nous avons commencé à utiliser des engrais à base de résidus acides, entrainant l'acidification de 62 millions d'hectares et provoquant ainsi des maladies, la chute de la valeur nutritionnelle des aliments et une baisse de la production. Aujourd'hui, quatre entreprises, Bayer, BASF, Syngenta et Corteva, commercialisent 50 % des semences et contrôlent le marché des pesticides. 18 % des coûts de production sont consacrés aux semences, 22 % aux engrais et 21 % aux pesticides. Autrement dit, 61 % des coûts de production finissent dans les poches des transnationales. Alors à qui sert la production alimentaire ? L'économie mexicaine est totalement dépendante des économies étasunienne et canadienne et le nouvel accord commercial nord-américain profite à ces derniers et représente une nouvelle forme de pillage.
"61 % des coûts de production finissent dans les poches des transnationales"
Au niveau national, 70 % de nos sols sont actuellement appauvris en matière organique. Nous observons une augmentation des importations venant concurrencer directement les paysan·es mexicain·es. 60 % des céréales que nous consommons sont importés, érodant ainsi notre capacité de production et détruisant la base de notre tissu social. En parallèle, un nombre important et croissant d'agriculteur·ices sont évincé·es du marché en raison du faible prix des importations et du coût élevé des intrants, principalement des engrais.
Il est important de noter que le Mexique est le pays berceau du maïs, la céréale la plus produite dans le monde. Jusqu'en 1993, à la veille de la signature de l'ALENA (accord de libre-échange nord-américain), le pays était autosuffisant en production de maïs. Dès 1996, il importait des États-Unis 40 % de la demande intérieure.
Avec des milliers de variétés de maïs, chacune adaptée à un environnement spécifique et un usage précis, le Mexique constitue un véritable réservoir de biodiversité offrant des outils d'adaptation à nombre de défis écologiques. La disparition de la petite paysannerie, garante de la sauvegarde de cette richesse, met lourdement en péril un patrimoine utile pour la population mexicaine et mondiale.
Quelle réponse apporter à cela ? La souveraineté alimentaire !
Le défi consiste à récupérer les sols pour produire des aliments sains, à haute valeur biologique, des aliments de haute qualité, exempts d'agrotoxines et en suffisance pour lutter contre la pauvreté et la faim. Récupérer les sols, aussi, pour assainir les aquifères, créer des emplois décents dans les campagnes et réduire les inégalités entre l'agriculture paysanne et l'agriculture intensive. Car la pauvreté, et donc l'effort désespéré d'obtenir quelque chose d'un sol déjà fatigué, est aussi vecteur de destruction de l'environnement. Inversement, seul un sol sain permet de lutter contre la pauvreté.
" Le coût financier de la dette extérieure du Mexique (intérêts et commissions) équivaut à plus du double du budget de l'ensemble des programmes sociaux"
Nous devons prioriser une agriculture qui intègre les connaissances des paysan·nes, qui combine les savoirs modernes au profit de l'agroécologie, faisant de la durabilité notre nouveau mode de vie. Les systèmes de production basés sur les principes de l'agroécologie sont biodiversifiés, résilients, efficaces sur le plan énergétique, socialement justes et contribuent à la base d'une stratégie énergétique et de production fortement liée à la souveraineté alimentaire .
Notre méthodologie, intégrant une perspective de genre, pour faire face à la crise climatique et permettre la montée de la souveraineté alimentaire, s'articule autour de quatre axes :
- Écologique, nous devons accroître la biodiversité pour restaurer les sols, incorporer des minéraux ;
- Social, rétablir l'enseignement agricole ;
- Économique, les campagnes ont besoin d'investissements, de subventions et de crédits pour se redresser et ajouter de la valeur ;
- Technologique, l'intégration d'une équipe d'intellectuel·les, de scientifiques et d'universitaires pour concevoir le système agroalimentaire mexicain.
Ces quatre axes visent à restaurer l'autosuffisance alimentaire locale, à conserver et régénérer l'agrobiodiversité, à produire des aliments sains avec peu d'intrants et à renforcer les organisations paysannes.
Il est aujourd'hui impératif que le gouvernement alloue des ressources suffisantes à l'agriculture. Une façon d'obtenir des ressources est d'arrêter de payer la dette extérieure, dont une partie est illégitime , et d'allouer ces ressources à l'investissement productif et aux dépenses sociales. Le coût financier de la dette extérieure du Mexique (intérêts et commissions) représente plus du double du budget de l'ensemble des programmes sociaux. L'annulation d'une partie de la dette permettrait de s'attaquer de front à la pauvreté, d'améliorer le niveau de vie de la classe paysanne et, bien sûr, de parvenir à la souveraineté et à la sécurité alimentaire. Elle permettrait de reconquérir en partie la souveraineté économique nécessaire à la mise en place de politiques d'autosuffisance. Les niveaux de malnutrition seraient également réduits grâce à l'assistance technique du gouvernement, couplée à des formations mises en œuvre par les paysans et paysannes sur l'autogestion, sur les différents modes de production, ainsi que sur des modèles et régimes alimentaires permettant de répondre correctement aux besoins du corps.
"Une façon d'obtenir des ressources est de ne pas payer la dette extérieure et d'allouer ces ressources à l'investissement productif et aux dépenses sociales"
La réactivation et la transformation des systèmes de production ruraux ne seront pas possibles sans un plan national comprenant des principes agroécologiques et élaboré conjointement entre les trois niveaux de gouvernement et une représentation des centres agraires. Cette réactivation doit s'accompagner d'une justice sociale, c'est-à-dire que les bénéfices de la production ou de la croissance doivent être partagés équitablement entre le capital et le travail. Il est aujourd'hui urgent de se pencher sur le sort réservé aux campagnes, sans quoi davantage de personnes basculeront dans la pauvreté, et la souveraineté et la sécurité alimentaires des peuples seront lourdement compromises.
Une majorité de la population semble avoir oublié qu'aucune ville ne peut garantir la vie. La vie vient de la campagne, du sol qui produit la nourriture. Si notre terre nourricière sombre, l'humanité sombre.
Auteur.e
Veronica Carrillo Ortega
Promotora Nacional por la Suspensión del Pago de la Deuda Pública (México)
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Crise climatique - 23 décembre 2084

Bonjour. L'hiver commence et nous avons ici, au Groenland, une agréable température hivernale qui ne dépasse pas les 40°. Hélas, ce n'est pas le cas ailleurs sur la planète…
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
23 décembre 2024
Par Michael Löwy
Les rédacteurs de la Gazette du Groenland m'ont demandé de faire un bref récit des dramatiques événements qui ont eu lieu au cours de ce siècle, un récit destiné aux nouvelles générations nées ici, qui n'ont pas connu cette histoire. Je peux le faire parce que, né en 2002, je suis un des plus anciens survivants de la GCC, la Grande Catastrophe Climatique.
Pendant ma jeunesse, au cours des années 2020 et 2030, il était encore possible d'éviter la GCC. Mais il aurait fallu pour cela prendre des mesures urgentes et radicales, comme l'arrêt immédiat de l'exploitation des énergies fossiles, un autre modèle d'agriculture, une décroissance substantielle de la production, l'abandon du consumérisme, etc. Il s'est avéré impossible de prendre de telles mesures sans expropriation des banques et grandes entreprises, une planification démocratique, bref, la rupture avec le système capitaliste. Mais on aurait pu commencer une transition écologique minimale, comme premier pas dans la direction d'un changement global. Une minorité substantielle de la population – au Nord, des jeunes, des écologistes, des syndicalistes ; au Sud, des indigènes et des paysans ; et un peu partout, des femmes – s'est mobilisée pour des causes socio-écologiques. Mais une bonne partie de la population restait prisonnière de l'aliénation fétichiste de la marchandise ou du chantage à l'emploi des capitalistes. Le pire fut que, dans beaucoup de pays, au fur et à mesure que la crise écologique s'aggravait, le racisme anti-migrants a favorisé l'élection de gouvernements ouvertement écocides, négationnistes, de type néo-fasciste. Dans d'autres pays, on avait des gouvernements « raisonnables » qui reconnaissaient la nécessité d'éviter une augmentation de la température de plus de 1,5°, mais ils n'ont pris aucune des mesures urgentes nécessaires. Ils proposaient des politiques totalement inefficaces, comme le « marché de droits d'émission » ou les « mécanismes de compensation », ou alors des fausses solutions techniques. L'oligarchie fossile, composée des grandes entreprises non seulement du pétrole, du charbon et du gaz, mais aussi de l'industrie automobile, chimique, plastique, ainsi que des banques partenaires, était immensément puissante et a réussi à bloquer toute avancée sérieuse. À partir de 2040, la fenêtre d'opportunité s'est fermée et le changement climatique est devenu incontrôlable.
On a assisté, progressivement, de 2050 à 2080, à la disparition des forêts, dévorées par des incendies de plus en plus monstrueux. Parallèlement, les rivières ont séché et l'eau potable s'est faite de plus en plus rare. La désertification a gagné les terres – malgré les précipitations violentes et les inondations meurtrières – tandis que les villes du littoral étaient submergées par l'élévation du niveau de la mer (résultat de la fusion des calottes polaires). Mais le pire fut l'élévation de la température, atteignant progressivement 50° et plus, rendant ainsi des pays entiers, et par la suite, des continents, inhabitables. Cela aurait pu être encore pire : si la production – et donc les émissions – ne s'était pas effondrée à partir de 2050, c'est la totalité de la planète qui aurait été impropre à la vie humaine.
Comme vous savez sans doute, les survivants se sont réfugiés dans les pôles : les habitants du Nord ici, au Groenland, et ceux du Sud dans l'Antarctique. Les scientifiques calculent que, dans quelques siècles, les gaz à effet de serre dans l'atmosphère seront considérablement réduits et la température de la planète reviendra peu à peu à son niveau de l'Holocène. Nous pouvons nous consoler avec cette prévision optimiste, mais personnellement, je ne peux accepter que tant d'êtres humains de ma génération soient disparus, victimes des terreurs de la GCC.
La catastrophe n'était pas inévitable. Mais nos avertissements n'ont pas été entendus. Nous, les scientifiques du GIEC et les partisans d'une écologie anti-systémique (écosocialisme, écologie sociale, communisme de la décroissance, etc.), avons joué les Cassandre. Or, comme l'on sait depuis la guerre de Troie, on n'aime pas les Cassandres : leurs discours alarmistes sont impopulaires. Cela dit, nous avons sans doute fait des erreurs : nous n'avons pas su trouver les arguments, le langage, les propositions capables de convaincre les majorités. Nous avons perdu la bataille. Espérons que dans quelques siècles, l'humanité pourra à nouveau habiter l'ensemble de la planète Terre, avec un mode de vie plus harmonieux, fondé sur la solidarité entre les humains et sur le respect de la Mère-Terre.
Michael Löwy
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Aux États-Unis, un procès d’ampleur menace Greenpeace de faillite

Un procès contre Greenpeace s'ouvre le 24 février aux États-Unis. L'ONG est notamment accusée d'avoir organisé les manifestations contre un oléoduc géant. Elle dénonce une procédure-bâillon, qui pourrait entraîner sa faillite.
Tiré de Reporterre
25 février 2025
Par Edward Maille
Atlanta (États-Unis), correspondance
Greenpeace a survécu à de nombreux procès, mais celui-ci menace de mettre fin à ses activités aux États-Unis. L'organisation de protection de l'environnement est poursuivie [1] par Energy Transfer dans un procès qui s'ouvre le 24 février et pour cinq semaines à Mandan, dans le Dakota du Nord. L'entreprise d'énergies fossiles l'accuse de diffamation et d'avoir orchestré en 2016 et 2017 des actions qu'elle juge illégales, lors des manifestations contre la construction du Dakota Access Pipeline. Greenpeace risque au moins 300 millions de dollars (287 millions d'euros) de dommages et intérêts. Il s'agit, selon l'ONG, de la « plus grande menace à laquelle [son] organisation ait jamais fait face ».
Entre 2016 et 2017, des dizaines de milliers de manifestants s'étaient réunis dans le Dakota du Nord pour s'opposer à l'oléoduc. Sur plus de 1 800 km, le pipeline, opérationnel depuis 2017, transporte du pétrole brut du Dakota du Nord jusqu'à l'Illinois. Plus de 300 tribus des Premières Nations étaient venues soutenir les Sioux de Standing Rock, la sixième plus grande réserve des États-Unis, où passe le pipeline. Ces derniers craignaient que le projet contamine leurs réserves d'eau et voyaient l'infrastructure énergétique comme une atteinte à leur souveraineté.
Durant les nombreuses manifestations, les forces de sécurité publiques et privées ont arrêté au moins 150 personnes, jeté des bombes lacrymogènes et lâché des chiens sur les opposants. Des centaines de manifestants ont été blessés.
Energy Transfer, responsable de la construction et de son fonctionnement, avait déjà porté plainte contre Greenpeace en 2017 pour crime organisé, mais un juge fédéral avait estimé que les faits n'étaient pas établis. En 2019, le groupe énergétique s'est tourné vers un tribunal qui dépend de la législation du Dakota du Nord, un État pro-énergies fossiles.
Des tribus des Premières Nations manifestant contre l'oléoduc dans le Dakota du Nord, le 4 septembre 2016. © Robyn Beck / AFP
L'entreprise accuse Greenpeace d'avoir organisé les manifestations, dont certaines jugées violentes, et le sabotage de parties de l'oléoduc, retardant ainsi le chantier. L'ONG dément, et affirme sur son site internet avoir mis en place certains ateliers de formation « non violentes », mais « en aucun cas [avoir] dirigé le mouvement d'opposition de Standing Rock ». Elle nie aussi les accusations de diffamation, précisant ne pas être à l'origine des propos sur les risques du projet de pipeline.
Elle l'assure : une défaite au procès « entraînerait la faillite de Greenpeace aux États-Unis ». L'ONG précise avoir déjà dépensé plusieurs millions de dollars dans sa défense.
« Le temps de l'impunité est fini »
Le procès, qui soulève la question du droit de manifester, est qualifié par Greenpeace de « procédure-bâillon », avec l'objectif de les intimider. Aux États-Unis, cette pratique est interdite dans 35 États, mais pas dans le Dakota du Nord, selon Reporters Committee for Freedom of the Press.
« Ce procès pourrait créer un précédent dangereux, où n'importe quel manifestant pourrait être tenu pour responsable des actions d'autres personnes lors d'une manifestation, y compris d'inconnus. Cela menace notre droit d'être solidaires les uns envers les autres », dit Kristin Casper, conseillère juridique générale pour Greenpeace International.
Afin de dénoncer cette « procédure-bâillon », Greenpeace International a poursuivi Energy Transfer le 11 février auprès d'une cour néerlandaise, où se trouvent ses locaux. Cette action juridique s'appuie sur une directive européenne de 2024 qui interdit les procédures-bâillons (les pays de l'Union européenne ont jusqu'à 2026 pour l'inscrire dans leur loi). Greenpeace International espère ainsi envoyer « un message puissant aux entreprises tyranniques pour leur dire que le temps de l'impunité est fini », dit Kristin Casper. Le groupe Energy Transfer, lui, se défend de toute atteinte à la liberté d'expression.
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RDC : 90 % des victimes des abus sexuels liés au conflit sont des femmes et des filles

Des expertes indépendantes de l'ONU ont exprimé lundi leur grave préoccupation concernant l'ampleur des violences sexuelles liées au conflit dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC), dont 94% des victimes sont des femmes et des filles.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/02/27/rdc-90-des-victimes-des-abus-sexuels-lies-au-conflit-sont-des-femmes-et-des-filles/
Ces expertes du Comité des Nations Unies pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) se sont dites alarmées par le conflit en cours dans les provinces orientales de l'Ituri, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu et par la persistance des violences sexuelles liées au conflit qui, depuis des décennies, sont devenues une « caractéristique épouvantable » du conflit dans cette région.
Selon le Comité, les violences sexuelles liées au conflit sont souvent utilisées comme arme de guerre, en particulier par les groupes armés non étatiques, mais aussi par les forces armées et les forces de police congolaises.
Dans ses conclusions et observations finales, le Comité note que les violences sexuelles liées aux conflits ont lieu dans différents contextes, tels que les opérations militaires, les contextes humanitaires, y compris les camps et les déplacements ou lors de tâches quotidiennes.
Des violences ancrées dans le patriarcat
Dans l'est de la RDC, l'avancée des rebelles du M23 a également engendré une « nouvelle augmentation des violences sexuelles liées au conflit ».
Le rapport est notamment revenu sur le viol de 165 femmes détenues lors d'une évasion de la prison de Muzenze par des prisonniers masculins, dont la majorité a ensuite été tuée dans un incendie, dont les circonstances ne sont toujours pas claires.
Plus largement, ces violences, souvent utilisées comme une arme de guerre, sont ancrées « dans le patriarcat et les stéréotypes sexistes, pour punir les groupes rivaux et inspirer la peur aux civils ».
Ces violences incluent le viol, le viol collectif, le viol de masse, l'esclavage sexuel, la grossesse forcée, le mariage d'enfants, le mariage forcé et la prostitution forcée.
« Tous ces actes constitueraient souvent des violations du droit humanitaire et des droits de l'homme et s'apparenteraient souvent à des crimes internationaux, y compris des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité ».
Le Comité a exhorté l'État partie à adopter une stratégie globale pour éliminer les violences sexuelles et lui a demandé de travailler avec des partenaires internationaux pour prévenir et punir les violences sexuelles liées au conflit.
Reddition des comptes
Pour la première fois, le Comité a également formulé des recommandations à la communauté internationale dans ses observations finales, notamment en soutenant une résolution pacifique du conflit, en veillant à ce que les auteurs de violences sexuelles liées au conflit rendent compte de leurs actes et en fournissant un soutien financier et technique pour protéger les femmes et les filles contre les violences sexuelles liées au conflit.
Le rapport fait état de l'existence de plus de 200 groupes armés dans l'ensemble de la RDC, dont plus de 100 rien que dans l'est du pays, qui commettent de nombreuses violations des droits humains, en plus des violences sexuelles liées au conflit.
Il s'agit notamment de meurtres et de massacres, de disparitions forcées, de détentions arbitraires et d'actes de torture, qui s'apparentent souvent à des crimes contre l'humanité et à des crimes de guerre.
« Dans plusieurs cas, ces violations ont également été commises par des acteurs étatiques », ont souligné les expertes indépendantes du CEDAW.
https://news.un.org/fr/story/2025/02/1153381
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Les coûts sociaux et économiques de la prostitution et des autres formes d’exploitation sexuelle

Ce rapport présente des arguments sociaux et économiques en faveur de l'introduction de l'approche du modèle nordique dans la politique et la législation relatives à la prostitution au Royaume-Uni, ainsi que d'autres interventions visant à mettre fin à l'impunité des tiers qui encouragent l'exploitation sexuelle des femmes, des enfants et d'autres personnes marginalisées et en tirent profit.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Acheter une version imprimée du rapport
Le Royaume-Uni dépense d'énormes sommes d'argent public pour tenter – et échouer – à résoudre des problèmes sociaux massifs qui menacent le tissu même de notre société. Des problèmes tels que la grande criminalité organisée (GCO), l'augmentation du nombre d'enfants pris en charge, l'augmentation rapide des taux de violence masculine à l'encontre des femmes et des filles, le phénomène croissant des incels [NdT – voir textes proposés en annexe], des hommes qui, selon les termes de Keir Starmer, « se retranchent dans des vies parallèles ». M. Starmer a tenu ces propos dans le discours qu'il a prononcé après la condamnation d'Axel Rudakubana pour le meurtre de trois fillettes et la mutilation de plusieurs autres, ainsi que de leur institutrice. M. Starmer a poursuivi en évoquant le sentiment croissant que les règles non écrites qui nous unissent tous ont récemment été déchirées.
Dans le présent document, nous soutenons que l'un des principaux facteurs à l'origine de toutes ces questions et d'autres encore est la montée en puissance de la pornographie, de la webcamisation, des OnlyFans, des maisons closes et des salons de massage, des clubs de lap dance, des sites web qui présentent des catalogues de femmes, chacune étant apparemment prête, voire désespérée, à ce que les hommes la commandent comme s'il s'agissait d'une pizza. En d'autres termes, le « travail du sexe ». Une industrie colossale et puissante qui sert les femmes et les filles aux hommes et aux garçons comme des objets à reluquer, à masturber, sur lesquels on peut déverser ses frustrations.
Ce document plaide en faveur d'une approche radicalement nouvelle ; de la fin des euphémismes inutiles, tels que le « travail sexuel » ; de la fin du traitement des femmes comme des citoyennes de seconde zone ; de la fin de la complaisance envers les lobbyistes de l'industrie du sexe ; et surtout de la fin de l'omerta, le code du silence et de l'extrême loyauté envers l'avantage systématique des hommes aux dépens des femmes et des jeunes filles, qui conduit à notre refus culturel de voir ce qui nous crève les yeux.
https://nordicmodelnow.org/2025/02/11/the-social-economic-costs-of-prostitution/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
NdT – Annexe : Incels
L'ennemi ultime, c'est la femme – incursion dans le monde terrifiant des « incels »
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2022/12/01/lennemi-ultime-cest-la-femme-incursion-dans-le-monde-terrifiant-des-incels/
Julie Bindel : Dans le monde tordu du mouvement des « incels »
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2021/03/22/dans-le-monde-tordu-du-mouvement-des-incels/
TURQUIE. Montée en puissance de l'idéologie Incel « alimentée par les politiques gouvernementales misogynes »
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/11/09/turquie-montee-en-puissance-de-lideologie-incel-alimentee-par-les-politiques-gouvernementales-misogynes/
« De la haine à l'état brut » : ce pour quoi le mouvement des « InCel » cible et terrorise les femmes
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2018/05/12/%E2%80%89de-la-haine-a-letat-brut%E2%80%89-ce-pour-quoi-le-mouvement-des-%E2%80%89incel%E2%80%89-cible-et-terrorise-les-femmes/
La tentation réactionnaire des incels
https://laviedesidees.fr/La-tentation-reactionnaire-des-incels
Les incels : le mouvement grandit en France
https://www.lesnouvellesnews.fr/les-incels-le-mouvement-grandit-en-france/
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Cinq mythes sur le mariage des enfants

Près d'une jeune femme sur cinq dans le monde s'est mariée alors qu'elle était encore enfant, selon l'agence des Nations Unies pour la santé reproductive et sexuelle. L'UNFPA exhorte les pays à dire « Non, je ne le veux pas » au mariage des enfants, une pratique illégale presque universellement condamnée, qui reste pourtant répandue à travers le globe.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/03/03/cinq-mythes-sur-le-mariage-des-enfants/?jetpack_skip_subscription_popup
« J'ai été mariée à 14 ans et j'ai perdu mon premier enfant à 16 ans pendant la grossesse », témoigne Ranu Chakma. Bien qu'il soit illégal et que cela constitue une violation des droits humains, le mariage des enfants est courant dans son village de Teknaf Upazila, sur la côte sud du Bangladesh.
Ces violations se produisent alors que de nombreux pays interdisent cette pratique néfaste, à l'instar de la Colombie, où une loi est entrée en vigueur au début du mois.
Voici cinq idées reçues sur le mariage des enfants.
Mythe 1 : Le mariage des enfants est toujours illégal
Le mariage d'enfants est interdit par de nombreux accords internationaux, qu'il s'agisse de la Convention relative aux droits de l'enfant, de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes ou du programme d'action de la Conférence internationale sur la population et le développement de 1994.
Pourtant, 640 millions de femmes et de filles dans le monde ont été mariées quand elles étaient enfants, et de nouveaux mariages d'enfants ont lieu chaque jour.
Comment cela est-il possible ?
De nombreux pays interdisent en principe le mariage des enfants, mais définissent l'âge autorisé du mariage comme étant autre que 18 ans ou autorisent des exceptions avec le consentement des parents ou en vertu du droit religieux ou coutumier. Dans de nombreux cas, ces mariages, et les mariages en général, ne sont pas enregistrés légalement, ce qui rend difficile l'application de la loi.
Pour lutter contre le mariage des enfants, il faut plus que des lois : il faut repenser la façon dont la société valorise les filles.
Des programmes tels que Taalim-i-Naubalighan, à Bihar, en Inde, où deux enfants sur cinq se marient avant l'âge de 18 ans, ont un impact. Ces programmes encouragent les jeunes à réfléchir à des sujets tels que les rôles des hommes et des femmes et les droits humains.
« C'est pourquoi j'ai pu aider ma sœur », affirme Altamash, un étudiant dont la sœur voulait éviter le mariage et poursuivre ses études. « Quand j'ai compris son désir et comment cela l'aiderait, j'ai défendu sa cause auprès de mon père. Elle va maintenant terminer ses études et je suis très fier d'elle ».
Mythe 2 : Le mariage d'enfants est parfois nécessaire
Le mariage d'enfants reste répandu en partie parce qu'il est considéré comme une solution à d'autres problèmes.
Dans les crises humanitaires, les taux de mariage d'enfants augmentent souvent. Les parents pensent que le mariage assurera l'avenir de leur fille en faisant d'un mari le responsable de son soutien économique et de sa protection contre la violence.
Le mariage d'enfants est considéré comme une solution qui préservera l'honneur d'une fille et de sa famille après – ou dans certains cas avant – qu'elle ne tombe enceinte. Dans les pays en développement, la majorité des naissances chez les adolescentes ont lieu dans le cadre du mariage.
Pourtant, le mariage des enfants n'est pas une véritable solution à ces problèmes. Le mariage d'enfants lui-même conduit les filles à subir des niveaux élevés de violence sexuelle, physique et émotionnelle de la part de leurs partenaires intimes. La grossesse est dangereuse pour les filles. Les complications liées à la grossesse et à l'accouchement sont l'une des principales causes de décès chez les adolescentes. Les filles mariées et les mères adolescentes sont souvent contraintes d'abandonner l'école, ce qui compromet leurs perspectives d'avenir.
À Madagascar, Nicolette, âgée de16 ans, était tellement habituée à voir ses camarades de classe disparaître de l'école après s'être mariées et être tombées enceintes, qu'elle n'a jamais pensé à remettre en question cette pratique. Jusqu'à ce qu'elle assiste à une séance de sensibilisation soutenue par l'UNFPA.
« Je ne savais pas que nous pouvions être victimes de mariages d'enfants », se rappelle-t-elle. Aujourd'hui, elle veut que toutes les filles de sa communauté le sachent : « Tout le monde a le droit de réaliser ses ambitions, et le mariage est un choix ».
Mythe 3 : Ce problème est en voie de disparition
Le mariage d'enfants peut sembler comme un problème du passé ou de régions reculées, mais il reste en fait une menace sérieuse pour les filles du monde entier.
Si les taux de mariage d'enfants diminuent lentement dans le monde, les pays où ces taux sont les plus élevés sont aussi ceux où la croissance démographique est la plus forte, ce qui signifie que le nombre absolu de mariages d'enfants devrait augmenter.
Le problème est mondial. Le plus grand nombre d'enfants mariés vit dans la région Asie-Pacifique. Le taux de mariage d'enfants le plus élevé est observé en Afrique subsaharienne. L'absence de progrès en Amérique latine et dans les Caraïbes signifie que cette région devrait arrivée en deuxième position en termes de prévalence de mariages d'enfants, d'ici à 2030.
Mais le problème ne se limite pas aux pays en développement. Il existe également dans des pays comme le Royaume-Uni et les États-Unis.
« On m'a présenté quelqu'un le matin et on m'a forcée à l'épouser le soir même », explique Sara Tasneem, se souvenant de son mariage, d'abord une union spirituelle informelle à l'âge de 15 ans, puis légalement à l'âge de 16 ans. « Je suis tombée enceinte tout de suite, et nous nous sommes mariés légalement à Reno, dans le Nevada, où il suffisait d'une autorisation signée par mon père ».
Pour changer cette situation, il faut accélérer les actions visant à mettre fin aux mariages d'enfants, notamment en responsabilisant les filles.
« J'avais 13 ans lorsque mon père m'a donnée en mariage à un cousin », raconte Hadiza, 16 ans, au Niger. Heureusement, elle a eu accès à un espace sûr grâce à un programme pour la jeunesse soutenu par l'UNFPA. « J'ai parlé à un mentor de l'espace protégé qui, avec l'aide du chef de quartier, a négocié avec mes parents pour qu'ils reportent le mariage ».
Aujourd'hui, Hadiza est apprentie chez un tailleur et acquiert les compétences nécessaires pour devenir économiquement autonome. « Dans trois ans, j'envisage de me marier avec l'homme que j'aime », dit-elle.
Mythe 4 : Il s'agit d'une question culturelle ou religieuse
Le mariage des enfants est parfois présenté à tort comme une pratique imposée par la religion ou la culture. Or, aucune tradition religieuse majeure n'impose le mariage d'enfants.
En fait, les chefs culturels et religieux du monde entier adoptent souvent une position ferme contre le mariage des enfants, en particulier lorsqu'on leur fournit des preuves des conséquences de cette pratique.
« Nous avons toujours enseigné aux jeunes que, tant sur le plan religieux que légal, ce n'est pas conseillé », affirme Shirkhan Chobanov, l'imam de la mosquée Jumah à Tbilissi, en Géorgie. « Nous expliquons à ces jeunes gens qu'ils doivent accomplir d'autres tâches, principalement en ce qui concerne leur éducation, avant de songer à fonder une famille ».
L'UNFPA travaille avec des chefs religieux du monde entier qui s'efforcent de mettre fin au mariage des enfants, notamment des prêtres, des moines, des religieuses et des imams.
« Nous constatons de très bons résultats en ce qui concerne la lutte contre le mariage des enfants », affirme Gebreegziabher Tiku, un prêtre éthiopien.
Mythe 5 : Cela n'arrive qu'aux filles
Bien que la grande majorité des mariages d'enfants concernent des filles, les garçons peuvent également être mariés.
Selon les données de 2019, 115 millions de garçons et d'hommes à travers le monde ont été mariés avant l'âge de 18 ans. Ces unions sont également liées à une paternité précoce, à une éducation limitée et à des opportunités réduites dans la vie.
Toutefois, les filles sont touchées de manière disproportionnée par cette pratique. Environ une jeune femme sur cinq âgée de 20 à 24 ans s'est mariée avant son 18e anniversaire, contre un jeune homme sur 30. Les taux de mariage d'enfants pour les garçons sont très faibles, même dans les pays où le mariage d'enfants pour les filles est relativement élevé.
Les programmes d'autonomisation des jeunes permettent d'informer tous les adolescents sur leurs droits fondamentaux au Nicaragua, pays qui affiche l'un des taux les plus élevés de mariages d'enfants parmi les garçons.
Quel que soit le sexe de l'enfant concerné ou le pays dans lequel l'union a lieu, le mariage d'enfants est une pratique néfaste qui nécessite de s'attaquer à un ensemble commun de causes profondes. Il s'agit notamment de l'inégalité économique, de l'accès limité aux services et aux informations en matière de santé sexuelle et génésique et de facteurs tels que les conflits. L'une des principales causes profondes – l'inégalité entre les hommes et les femmes – doit faire l'objet d'une attention urgente et renouvelée.
« Si nous avons aboli le mariage des enfants, nous n'avons pas aboli la masculinité prédatrice », souligne Gabrielle Hosein, Directrice de l'Institut d'études sur le genre et le développement à l'université des Antilles, à Trinité-et-Tobago.
Pour Kevin Liverpool, militant au sein de l'association CariMAN, les hommes et les garçons ont un rôle essentiel à jouer.
« Il est important de sensibiliser ces groupes, ces individus, à ce qu'est le féminisme, aux raisons pour lesquelles l'égalité des sexes est importante pour les femmes, mais aussi pour les hommes et pour l'ensemble de la société ».
https://news.un.org/fr/story/2025/03/1153416
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Quand les violences sexuelles remplacent les bombes !

Les premières victimes d'une guerre sont les civils, on compte plus de femmes et d'enfants morts que de militaires dans les conflits actuels. Leur statut social, déjà vulnérable, s'accentue lors d'une guerre. À Beijing en 1995, la quatrième conférence mondiale sur les femmes adopte Le Programme d'action qui déclare les conséquences des conflits armés sur les femmes comme « un domaine critique requérant une action de la part des gouvernements et de la communauté internationale ». Lors d'un conflit armé, leurs droits sont mis en périls.
Tiré de Alter québec
https://alter.quebec/quand-les-violences-sexuelles-remplacent-les-bombes/
Photo : Des femmes au camp de réfugiés de Farchana au Tchad @ Yann Graf via flickr
Emma Soares, article publié dans Le Polémique, le journal étudiant en Sciences politiques et Études internationales de l'Université de Montréal.
Les Soudanaises témoignent
Au Soudan, la guerre en cours depuis plus d'un an menace les populations civiles, les femmes sont souvent laissées avec le choix de partir ou redouter les violences des paramilitaires. Dans le centre du pays, plusieurs femmes se sont enlevées la vie après avoir été violées par des soldats des Forces de soutien rapide, déjà accusés de crimes sévères dans un rapport de l'ONU. Les femmes soudanaises préfèrent se suicider plutôt que de subir les violences sexuelles qu'elles encourent par les militaires.
Un groupe de défense des droits humains situé sur place assure à la BBC « être en contact avec des femmes qui envisagent de se suicider, car elles craignent d'être agressées sexuellement ». Le droit international punit les violences sexuelles envers les femmes, mais comment les prévenir dans le contexte chaotique de la guerre ? Lorsque les camps de réfugié.es sont presque démuni.es de moyens pour protéger les femmes et sensibiliser aux violences sexuelles, quand trop de victimes craignent de dénoncer ces actes ou quand la justice manque lorsqu'elles le font ? L'historienne française Raphaëlle Branche aborde ces obstacles comme « une invisibilité organisée par les auteurs, qui détiennent fréquemment en temps de guerre les appareils policier et judiciaire ».
En octobre, une Soudanaise partage un témoignage bouleversant à la BBC où elle affirme « J'ai laissé les combattants me violer pour protéger mes filles ». Originaire de la région de Dar es — Salaam, contrôlée par le RSF, elle fait partie d'un groupe de femmes interrogées par la correspondante de la chaîne britannique. Leurs récits décrivent la brutalité des violences subies au cours de cette guerre. Parmi elles, une voix s'élève et brise le silence : « Il y a tellement de femmes qui ont été violées, mais elles n'en parlent pas […] Quelle différence cela ferait-il ? » ces femmes expriment peu d'espoir d'obtenir justice contre les hommes qui ont commis ces actes contre elles. Leurs témoignages espèrent alerter la communauté internationale pour obtenir justice pour ces femmes, vulnérables en temps de guerre et souvent seules accompagnées d'enfants.
En conflit armé, les violences envers les femmes peuvent être utilisées comme arme de guerre, un moyen de soumettre la population par la peur et la violence. Une « méthode de guerre » quand elle est organisée par une autorité politico-militaire de manière stratégique afin d'humilier, d'assouvir ou de chasser une population. Cela tend à rendre les groupes sociaux déjà discriminés à l'instar des femmes et des filles, d'avantages vulnérables.
Le haut-commissariat des droits de l'Homme des Nations Unies alerte sur une recrudescence de la violence fondée sur le genre dans les zones de conflit. On observe une instrumentalisation des violences sexuelles où le viol systémique devient une « tactique de guerre » d'avantage courante et plusieurs facteurs aggravent ce phénomène.
Le contexte politique du pays
La fin d'un conflit où les institutions sont érodées comme l'état de droit, les structures sociales, politiques et économiques
La normalisation de la violence, surtout basée sur le genre : La traite d'être humain, particulièrement celle des femmes pour l'esclavage sexuel lié à un niveau de violence et de militarisme élevé.
Plusieurs facteurs préexistants de la condition des femmes sont exacerbés par un conflit ou une guerre
Les femmes sont les plus touchées par le manque de biens essentiels comme les produits hygiéniques, les soins de santé liés aux grossesses ou aux enfants en bas âge, souvent obligées d'assurer la charge domestique.
La violence envers les femmes pendant un conflit armé constitue un crime reconnu dans le droit international depuis l'adoption, en 1949, de la quatrième convention de Genève sur la protection des civiles lors d'un conflit armé. Les violences sexuelles qui se perpétuent contre les femmes lors d'un conflit peuvent constituer des crimes de guerre, mais à ce jour, combien ont obtenu justice par ce recours ?
Une lutte historique
Diana H. Russel et Jill Radford ont été des pionnières dans l'étude des violences sexuelles envers les femmes. Leur livre, intitulé « The Politics of Woman Killing », aborde les mécanismes des violences sexuelles et leur instrumentalisation. Un chapitre dédié au « terrorisme sexiste contre les femmes » écrit avec Jane Caputi, décrie le fémicide comme un « continuum de terreur anti-féminine ». Cette première théorisation du concept inclue un large spectre de violences physiques et sexuelles dont la torture, l'esclavage sexuel, la stérilisation forcée et même la maternité forcée.
À l'époque, l'ouvrage a particulièrement raisonné en Amérique centrale. Au Guatemala, un groupe de femmes autochtones ont obtenu justice contre cinq anciens paramilitaires pour les viols commis à leur encontre lors de la guerre civile dans les années 1980. Ces femmes Achi ont été violées à plusieurs reprises par des membres des patrouilles d'autodéfense civile, attaquées dans leur village de Rabinal et dans un poste militaire. Pendant la guerre civile, de nombreuses femmes autochtones ont subi des violences sexuelles par des militaires.
En 2016, un premier groupe de femmes autochtones avaient déjà poursuivi des militaires en justice pour les avoir réduits à la condition d'esclaves sexuelles. Ces condamnations représentent des avancées historiques en matière de droit des femmes. Il est essentiel de se rappeler qu'ils ne sont pas acquis, mais conquis, les femmes mènent un combat perpétuel pour les préserver et la guerre les fait souvent reculer. Ces actes de violences extrêmes laissent des cicatrices profondes dans le tissu social des communautés et portent directement atteinte à leur humanité. Leur rendre justice est un premier pas vers la réaffirmation de leurs droits intrinsèques.
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Prise de Goma par le M23, et après ?

Fin janvier, le mouvement rebelle M23, soutenu par le Rwanda, s'est emparé de la ville de Goma, dans l'est du Congo-Kinshasa. Un conflit dont les enjeux ne sont pas nécessairement ceux mis en avant par les protagonistes. Et que la communauté internationale ne semble pas prête à stopper…
Tiré du site de la revue Contretemps.
Goma, capitale de la province du Nord-Kivu, à l'est de la République démocratique du Congo (RDC), est tombée fin janvier aux mains du M23, et ce malgré la présence des Casques bleus de la mission des Nations Unies (Monusco) qui ont participé à la défense de la ville. On compte, selon les ONG présentes, au moins 3000 morts et au moins autant de blessés, dont une majorité de civils.
Cet épisode vient endeuiller une région déjà profondément martyrisée par trois décennies de conflits, de pillages et de terribles exactions commises par divers groupes et forces armées. Avant cet assaut, on comptait déjà entre 700 000 et 1 million de personnes déplacées dans des camps de réfugiés autour de Goma du fait de la reprise des hostilités, impliquant le M23 à partir de novembre 2021. Les dirigeants de ce groupe armé sont issus d'une précédente rébellion, le CNDP, les deux étant soutenus par le Rwanda. Ils ont été brièvement intégrés à l'armée congolaise après un accord de paix signé en 2009, dont ils ont dénoncé la mauvaise application en 2012 en lançant le Mouvement du 23 mars (M23). Militairement vaincu fin 2013, le M23 a refait surface en 2021.
Les renforts de la puissante armée rwandaise et la fourniture de matériel militaire de pointe lui ont rapidement permis de s'imposer comme le principal groupe armé de la région, qui en compte plus d'une centaine. Un soutien du Rwanda documenté par plusieurs rapports de l'ONU. En 2024, le nombre des militaires rwandais aurait même dépassé celui des combattants du M23 et les experts onusiens considèrent qu'ils exercent de facto « le contrôle et la direction » des opérations, se rendant complice à ce titre des violations des droits humains – bombardements indiscriminés, viols, exécutions, tortures, recrutement forcés…
Des justifications critiquables
M23 et Rwanda justifient leur action par la défense de la communauté tutsie du Nord-Kivu. Mais les motifs qu'ils avancent doivent être distinguées de motivations plus profondes et pas nécessairement exprimées publiquement.
En effet, si la stigmatisation des Tutsis du Congo est une réalité historique indéniable et la question de leur accès à la propriété foncière un problème non résolu, ces injustices semblent surtout faire figure de prétexte. La résurgence du M23 n'est pas précédée par une recrudescence particulière des violences dans sa zone. Au contraire, c'est la reprise de la guerre et le soutien militaire du Rwanda qui ont eu pour effet de raviver dramatiquement le racisme et les persécutions contre les Tutsis, notent plusieurs chercheurs[1]. La communauté tutsie n'a pas non plus été épargnée par le M23 en matière de recrutements forcés, y compris d'enfants, dans les camps de réfugiés.
Le président rwandais Paul Kagame continue officiellement de nier la présence de ses militaires sur le sol congolais… tout en conditionnant leur retrait à la neutralisation préalable des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Cette milice, formée en 2000 par des génocidaires rwandais en exil, perpétue l'idéologie du génocide de 1994 et nourrit des projets de reconquête du Rwanda où elle mène sporadiquement attaques et assassinats. Sa neutralisation est une exigence légitime du Rwanda, mais lorsque le président congolais Félix Tshisekedi a cherché à donner des gages à la communauté internationale sur ce point, il a échoué à imposer cette ligne à ses officiers[2].
Dans l'argumentaire du Rwanda, la collaboration des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) avec les FDLR justifie donc l'action du M23. Mais là encore la chronologie est inversée : avant 2021, le groupe parait affaibli et incapable de déstabiliser le Rwanda, selon les déclarations mêmes du ministre rwandais de la Défense de l'époque[3]. C'est pour faire face à la montée en puissance du M23 que les FARDC ont réactivé leurs liens avec les FDLR, les aidant à se renforcer pour les utiliser comme supplétifs au combat[4].
Une guerre pour le pillage ?
Le contrôle des mines artisanales ou semi-industrielles, le prélèvement de taxes et la maîtrise des voies d'exportation illégale des minerais vers les pays voisins (Rwanda, Ouganda et Burundi) constituent un carburant incontestable des principaux conflits à l'est du Congo, mais pas nécessairement leur cause première. Celui impliquant le M23 ne fait pas exception.
Ses conquêtes territoriales lui ont permis de se financer et de faire converger davantage de flux illicites en direction du Rwanda. Ceux-ci n'avaient toutefois pas attendu l'offensive du M23 pour exister. Certains caciques congolais y trouvaient leur compte et les trafics ont même donné lieu à des collaborations opportunistes et contre-nature entre une milice alliée des FARDC et le M23. Les exportations rwandaises de Coltan sont par exemple passées de 100 à 200 tonnes par mois entre 2022 et 2023.
Un phénomène encore accru après la prise de contrôle de la mine de Rubaya par le M23 en avril 2024, mine qui produirait de 20 à 30 % du coltan mondial. On a alors assisté selon l'ONU à « la plus grande contamination jamais enregistrée à ce jour des chaînes d'approvisionnement en minerais dans la région des Grands Lacs ». La « contamination » désigne le camouflage de l'origine réelle des produits exportés dont la traçabilité doit théoriquement être assurée pour interdire l'exploitation des « minerais de sang »[5].
Une question également sécuritaire
Si la résurgence du M23 a renforcé la captation des ressources congolaises par le Rwanda, celle-ci préexistait largement. La chronologie des relations entre les pouvoirs congolais, rwandais, mais aussi ougandais et burundais, amènent ainsi certains analystes à relativiser le poids des enjeux miniers au regard des questions sécuritaires, même si ces deux aspects sont étroitement imbriqués.
Le début du premier mandat de Tshisekedi, élu en 2018, avait été marqué par une phase de rapprochement militaire et économique avec le Rwanda. Les forces rwandaises avaient été autorisées à mener des opérations ciblées au Congo pour éliminer le chef des FDLR et celui d'une faction dissidente. Le président Tshisekedi avait également accordé à une société rwandaise le droit de raffiner l'or d'un important gisement congolais.
La lune de miel a duré jusqu'à la mi-2021, mais semble avoir été progressivement compromise par le rapprochement de la RDC avec deux autres voisins : l'Ouganda et le Burundi. Après des attentats commis en novembre 2021 sur son sol, l'Ouganda a pu déployer plusieurs milliers de soldats en RDC pour lutter contre le groupe Allied Democratic Forces (ADF), affilié à l'État islamique. Des accords économiques étaient également conclus entre les deux pays au détriment des intérêts rwandais. Simultanément, le Burundi a déployé son armée au Sud-Kivu contre un groupe rebelle burundais. C'est vraisemblablement cette double projection de forces hostiles à proximité de sa frontière qui a été perçue par le Rwanda comme une menace sécuritaire autant qu'économique, et l'a conduit à soutenir le retour du M23[6].
Un conflit régional
Comme cela est fréquemment rappelé, ce conflit est de fait un conflit régional et les risques d'embrasement sont réels. En 2022, pour faire face à l'agression rwandaise, la RDC a adhéré à la Communauté d'Afrique de l'Est (EAC) et a sollicité une aide militaire. Une force s'est déployée, majoritairement composée de soldats kényans, que Tshisekedi a congédiée l'année suivante, l'accusant d'inaction, voire de complicité avec le Rwanda et le M23. Seuls les soldats burundais sont restés (ils seraient aujourd'hui 10 000 à participer à la défense du Sud-Kivu contre la progression du M23).
Le pouvoir congolais s'est alors tourné vers la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC) qui a, à son tour, envoyé une force de maintien de la paix (SAMIDRDC), composée principalement de soldats sud-africains. Lors de la prise de Goma, treize d'entre eux ont perdu la vie, et le ton est alors monté entre le président sud-africain Cyril Ramaphosa et son homologue rwandais. Le premier a qualifié les forces rwandaises de « milices », et Paul Kagame a exigé le départ de la SAMIDRDC, qualifiée de force belligérante, avec laquelle il n'a pas exclu une « confrontation ».
L'Ouganda, dont les relations avec Kinshasa et avec le M23 sont ambivalentes, a également renforcé sa présence militaire sous couvert de lutte contre les ADF. Quant au Burundi, qui a toujours été très hostile au régime rwandais (les milices du parti au pouvoir sont coutumières des exactions anti-tutsies), son président Évariste Ndayishimiye a accusé le Rwanda de « préparer quelque chose » contre son pays, assurant qu'il n'allait pas « se laisser faire ». Tshisekedi cherche par ailleurs à obtenir un soutien militaire supplémentaire de la Tanzanie, de la Namibie et du Zimbabwe. Une configuration qui, si elle dégénérait, ne serait pas sans rappeler la deuxième guerre du Congo, la « guerre mondiale africaine », de 1998 à 2003.
Pas de blanc-seing pour Tshisekedi
Dénoncer la violation de l'intégrité territoriale congolaise par le Rwanda, sa participation au pillage des minerais et sa complicité dans les violations des droits humains qui sont commis ne signifie pas pour autant donner quitus au régime Tshisekedi, qui porte également une lourde responsabilité dans la dégradation de la situation sécuritaire à l'Est. Tout d'abord, dénoncent les militants anti-corruption congolais, son régime a reproduit les pratiques du régime Kabila en matière de prédation. Il a aussi renoncé à réformer les lois minières favorables aux multinationales étrangères et dictées par les institutions financières internationales.
Il s'est ainsi privé des moyens de restaurer une véritable administration à l'est du pays ou d'engager une réforme pour remédier à la faiblesse chronique de l'armée nationale, gangrenée par la corruption et la désorganisation. Il a préféré s'appuyer sur deux sociétés militaires privées : Congo Protection, dirigée par un Roumain passé par la Légion étrangère française, et Agemira, dirigée par des anciens militaires français.
Il a surtout encouragé la constitution d'une coalition de groupes miliciens anti-M23 parmi lesquels on trouve les FDLR déjà mentionnés, mais également la mouvance dite des « wazalendo » (les patriotes), qui ont multiplié les exactions et contribué à souffler sur les braises de la haine ethnique. Réduire, comme le fait Tshisekedi, la crise de l'est de la RDC à l'agression rwandaise est un moyen commode pour camoufler un bilan politique et militaire particulièrement décrié par son opposition et la société civile.
Que veut vraiment le M23 ?
Après la prise de Goma, des interrogations demeurent sur la stratégie et les objectifs du M23 et de son parrain rwandais. « Goma ne peut pas être une fin en soi », a révélé l'ambassadeur itinérant du Rwanda, Vincent Karega, et la trêve unilatérale décrétée au lendemain de la prise de Goma par le M23 n'a pas empêché ce dernier de poursuivre sa progression en direction de Bukavu, la capitale du Sud-Kivu.
Le porte-parole de l'Alliance fleuve Congo (AFC), l'aile « politique » du M23 récemment constituée sous la direction de Corneille Nangaa, un transfuge du régime Tshisekedi, a quant à lui déclaré vouloir renverser le président congolais. Il paraît désormais certain qu'il ne s'agit pas seulement de permettre au M23 d'accéder à la table des négociations, exigence rwandaise jusque-là refusée par Tshisekedi, ou même d'obtenir une réintégration au sein de l'armée nationale. Le M23 ne se contente pas de prendre le contrôle des richesses des zones conquises, il y nomme des administrations parallèles.
Selon certaines hypothèses, il pourrait s'agir de faire officialiser ce contrôle administratif sur les territoires du Kivu, permettant ainsi au Rwanda de se constituer une zone tampon à sa frontière, dirigée par un allié[7]. En cas de refus, le Rwanda tentera-t-il de rééditer le scénario de 1996, lorsqu'il avait, avec l'Ouganda, provoqué la chute de Mobutu et porté Kabila (père) au pouvoir ? Et quelle marge de manœuvre lui laisseraient alors les pays voisins et la « communauté internationale » ?
Impunité
Voilà les questions qui doivent vraisemblablement agiter le président congolais aujourd'hui tant le soutien diplomatique dont il bénéficie paraît fragile. Si les pays de la SADC ont exprimé leur « soutien indéfectible » à Kinshasa, l'EAC s'est contentée de l'inviter à ouvrir le dialogue avec le M23. Le sommet commun EAC-SADC qui a suivi n'a débouché que sur un appel à un cessez-le-feu. Union africaine, ONU, USA ou même Chine ont condamné, plus ou moins fermement, l'agression du Rwanda, sans toujours le nommer explicitement.
Mais le point commun de toutes ces déclarations est l'absence de toute mesure concrète pour les appuyer, contrairement à ce qui s'était produit en 2012, après la première occupation de la ville de Goma par le M23. Les pressions et les menaces internationales avaient alors contraint Rwanda et M23 à battre rapidement en retraite. Les autorités congolaises dénoncent une politique du deux poids deux mesures, au regard des réactions suscitées par l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Plusieurs centaines de Congolais s'en sont pris aux ambassades française, américaine et belge.
La Belgique, en froid avec le Rwanda, est pourtant le seul pays européen à défendre ouvertement l'adoption de mesures de rétorsion. Plusieurs leviers sont possibles, mais deux mesures paraissent indispensables compte tenu de la situation : la suspension de la coopération militaire et un embargo sur les minerais en provenance du Rwanda.
La réaction de l'Union européenne (UE) était particulièrement attendue sur ces deux points, en raison de l'aide qu'elle fournit à l'armée rwandaise : dans le cadre de la Facilité européenne pour la Paix (FEP), 20 millions d'euros (et un deuxième versement équivalent est prévu) ont été versés à l'armée rwandaise pour soutenir son action au Mozambique. Elle s'y est déployée en étroite concertation avec la France pour tenter d'y sécuriser le gigantesque projet d'exploitation de gaz naturel liquéfié de TotalEnergies et Exxon Mobil, menacé par une insurrection djihadiste.
De plus, la signature d'un protocole d'accord sur les matières premières critiques entre l'Europe et le Rwanda en février 2024 a été considéré comme un véritable appel au crime en RDC. L'UE se refuse aujourd'hui à le remettre en cause, au prétexte qu'il s'agirait d'un outil pour lutter contre le trafic illégal de minerais. Le Rwanda est par ailleurs un pays au dynamisme économique attrayant pour les investisseurs et il est l'un des tout premiers contributeurs aux missions de maintien de la paix de l'ONU. Il est considéré comme un partenaire plus stable et fiable que la RDC, et la Commission européenne rechigne à se brouiller avec lui.
Gesticulations françaises
L'attentisme européen s'expliquerait aussi par la volonté de ne pas compromettre la tentative de médiation entreprise par un pays qui s'oppose à toute forme de sanction, au motif que cela desservirait la reprise du dialogue entre belligérants : la France. La diplomatie française a elle aussi condamné « l'offensive menée par le M23, soutenu par lesforces armées rwandaises », mais freine des quatre fers l'adoption de mesures contraignantes. Elle s'est efforcée au cours des mois précédents de rééquilibrer progressivement sa position et reconnaît désormais l'agression rwandaise contre la RDC. Mais les couacs diplomatiques n'ont pas cessé pour autant (au dernier sommet de la Francophonie par exemple) et il faut croire que la balance continue de pencher du côté du Rwanda, pour différentes raisons.
Le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot s'est rendu le 29 janvier à Kinshasa, puis à Kigali. Emmanuel Macron s'est entretenu par téléphone avec tous les chefs d'État africains de la région, et a tenté de mettre sur pied une improbable équipe de médiateurs. Il a également essayé, en vain, de faire venir à Paris les présidents rwandais et congolais pour un mini-sommet. À ce jour, ces efforts s'apparentent surtout aux gesticulations, dont le président français est coutumier sur la scène internationale. Et l'on peut craindre que le temps qui passe en l'absence de pressions laisse davantage l'espace à l'aggravation de la guerre qu'à une solution de paix.
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Pourquoi la France soutient-elle le Rwanda ?
En 2021, le Mozambique a sollicité un partenaire inattendu pour tenter d'endiguer la progression d'une insurrection djihadiste dans la région du Cabo Delgado qui mettait en péril le gigantesque projet d'exploitation de gaz naturel de TotalEnergies et Exxon Mobil. L'armée rwandaise a été perçue, notamment en Afrique du Sud, comme un sous-traitant au service des intérêts français sur le sol africain.
Il ne fait aucun doute que l'intervention du Rwanda répond à des intérêts propres. Mais l'affirmation de Paul Kagame, qui a assuré que ses troupes n'étaient pas là pour « protéger des projets privés », est peu crédible. Selon The Mail & Guardian, c'est la France qui aurait soufflé l'idée au président mozambicain. Ce que les autorités françaises nient : « La France n'a donné aucun feu vert, orange ou rouge pour cette intervention », assure une source élyséenne. « En revanche, dans toutes les conversations entre MM. Macron et Kagame, la question du Mozambique a été évoquée. A chaque fois, les Rwandais nous ont tenus au courant de l'état de leurs discussions avec le Mozambique[8] ». Des journalistes et des chercheurs considèrent que la France a au minimum favorisé cette solution.
Interrogé par un parlementaire le 21 mars 2024, Jean-Claude Mallet, directeur des affaires publiques de TotalEnergies, a quant à lui réfuté toute action de son entreprise pour réclamer une action militaire française ou favoriser celle du Rwanda :
- « La seule chose que nous ayons vraiment essayé de dire, c'est : attention, l'armée mozambicaine ne tient pas la route, pour des raisons historiques. Si nous avons peut-être exercé une influence, c'est en disant : il serait bon que l'Union européenne puisse développer des actions de coopération. Mais c'était un avis. À cet égard, nous ne prenons aucune décision. »
Après la mission de formation militaire EUTM-Mozambique, à l'initiative de la France, l'Union européenne a accordé un soutien de 20 millions d'euros aux troupes rwandaises au Mozambique, via le mécanisme de Facilité européenne pour la paix (FEP). L'attribution d'une deuxième enveloppe de 20 millions a fait longtemps débat au sein de l'Union européenne, en raison de l'action de l'armée rwandaise en RDC. La France et le Portugal qui y étaient favorables ont finalement eu gain de cause.
Rapprochement diplomatique, convergence d'intérêts
Cette convergence d'intérêts pourrait surprendre ceux qui n'ont pas suivi le processus de rapprochement entre la France et le Rwanda commencé sous Nicolas Sarkozy et poursuivi par Emmanuel Macron. La normalisation diplomatique s'est concrétisée avec la nomination, après six ans de vacance du poste, d'un nouvel ambassadeur français à Kigali en juin 2021.
Le déploiement de forces rwandaises au Mozambique a également coïncidé avec la reprise de la coopération sécuritaire, rompue depuis que le Front patriotique rwandais avait chassé le gouvernement génocidaire soutenu par la France en juillet 1994. Un attaché de Défense a été affecté à l'ambassade de France à Kigali en août 2021. Puis, en mars 2022, une délégation rwandaise comprenant le chef d'état-major, le chef des services de renseignement militaire et le chef des opérations et de la formation, a été reçue à Paris par le chef d'état-major français des armées.
C'est ensuite le patron de la Direction du renseignement militaire (DRM) française qui était attendu à Kigali fin novembre. Par ailleurs, l'intervention au Mozambique n'était pas la première intervention rwandaise accueillie favorablement par l'Élysée. En décembre 2020, le Rwanda avait déjà envoyé des troupes en Centrafrique, pour défendre le régime de Faustin-Archange Touadéra contre plusieurs groupes armés. La France, dont l'influence dans le pays commençait à décliner, avait vu d'un bon œil la présence de ce nouvel allié pour contrebalancer l'ascendance russe du groupe Wagner.
Équilibrisme français
Le président de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi a dénoncé le soutien européen apporté à l'action rwandaise au Mozambique. En visite officielle en France fin avril 2024, il affirmait avoir mis en garde Emmanuel Macron : « Une mise au point s'imposerait si nous nous rendions compte que les contingents rwandais envoyés au Mozambique et assistés par l'État français étaient ensuite dirigés pour nous faire la guerre en RDC. Cela provoquerait un risque de crise diplomatique évident avec Paris. »
La France tentait depuis plusieurs mois d'adopter une position diplomatique plus équilibrée entre la RDC et le Rwanda. En février 2023, pour la première fois, un communiqué de la diplomatie française a « condamn[é] la poursuite des offensives du M23 avec le soutien du Rwanda, et la présence des forces rwandaises sur le territoire congolais », et appelé « les forces armées de RDC [à] cesser toute collaboration avec les FDLR, mouvement issu des milices ayant commis le génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994 ».
Mais le président Macron a longtemps rechigné à réaffirmer publiquement cette position, même à l'occasion de sa visite officielle en RDC en mars 2023, où il s'était permis de faire publiquement la leçon à son homologue congolais sur la gestion de la crise sécuritaire. Surtout, en vertu d'un rôle de médiateur qu'il entend jouer, Macron se refuse à franchir le pas d'une demande de sanctions internationales contre le Rwanda, réclamées par Tshisekedi. C'est toujours le cas après la prise du contrôle de Goma et Bukavu par le M23 et le Rwanda.
La mise en balance des intérêts français liés à la RDC et ceux liés au Rwanda explique sans doute la position française. Une coopération militaire institutionnelle, mais aussi portée par des acteurs privés de la sécurité, existe entre la France et la RDC, mais « pour l'instant, cette aide française est globalement limitée et discrète ». Les intérêts économiques français se développent en RDC, mais restent également modestes.
Aux yeux des responsables français, le marché potentiel et l'importance des richesses naturelles du pays nécessitent que l'on n'insulte pas l'avenir, mais la volonté de ne pas compromettre le rapprochement diplomatique opéré ces dernières années avec le Rwanda en tentant de tourner la page des accusations de complicité de génocide portées contre Paris, la perspective d'en faire un allié militaire en Afrique et l'importance des investissements immédiats au Mozambique l'emportent aujourd'hui.
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Article écrit pour Billets d'Afrique n°345, mars 2025 et reproduit avec l'aimable autorisation de l'association Survie.
Notes
[1] Voir aussi : « Est de la RDC : le M23 a ressurgi pour des raisons extérieures et non après de violences anti-Tutsi, pointe un rapport », publié sur RFI.fr le 6 août 2024.
[2] Voir aussi : « RDC : l'ONU épingle le double-jeu du gouverneur du Nord-Kivu » publié sur Afrikarabia.com le 16 janvier 2025.
[3] Voir aussi : Christophe Châtelot, « Est de la RDC : les Forces démocratiques de libération du Rwanda, la menace fantôme », Le Monde du 29 avril 2024.
[4] Voir aussi : Romain Gras, « RDC : Que reste-il des FDLR dans l'Est ? », publié sur Jeune Afrique.com, le 6 janvier 2025.
[5] Voir aussi : Marie Toulemonde, « RDC-Rwanda : la mine de coltan de Rubaya au cœur du financement du M23 », publié sur Jeune Afrique.com le 17 janvier 2025.
[6] Voir aussi : « Rwanda-RD Congo. La guerre des récits », publié sur Afrique XXI.info le 21 août 2024.
[7] Voir aussi : Kristof Titeca, « RD Congo-Rwanda. Une guerre aux racines multiples », publié sur Afrique XXI.info, le 28 janvier 2025.
[8] Laure Broulard (Kigali, correspondance) et Pierre Lepidi, « Un an après la visite d'Emmanuel Macron, “la confiance s'est installée” entre la France et le Rwanda », Le Monde , 27 mai 2022.
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M23, Rwanda et RD Congo, une longue et tumultueuse histoire

Chasse aux génocidaires, minerais convoités, minorité tutsie discriminée par Kinshasa… La guerre qui se déroule dans l'est de la RD Congo n'est pas la première. Bien souvent, l'ombre de Kigali plane, pour des motifs qui n'ont pas cessé de s'imbriquer depuis trente ans.
Tiré d'Afrique XXI.
Goma (est de la RD Congo), le 13 février. Dans le quartier populaire de Tumya, la foule se presse autour du corps d'un jeune homme. Ses dreadlocks sont imbibées de sang. Au milieu du carrefour le plus proche, un autre garçon gît les bras croisés, abattu à bout portant par une patrouille de ceux que l'on appelle, sans doute ironiquement, les « libérateurs ». Ces militaires sans insigne, très bien armés, au visage fermé, multiplient les rondes. Peut-être y a-t-il eu méprise ? Le jeune homme aux bras croisés portait des pièces d'uniforme militaire mais n'était pas un soldat : il tournait un clip avec le chanteur Idengo Delcat, la première victime aux dreadlocks.
Idengo Delcat était connu, sinon recherché : quelques jours plus tôt, profitant d'un incendie, il avait réussi à s'échapper de la prison de Munzenze, où il était détenu pour avoir traité de « zoba » (idiot) le chef de l'État congolais, Félix Tshisekedi. Auparavant, il avait dû quitter Beni, dans le « grand Nord », après avoir dénoncé les milices islamistes Allied Democratic Forces (ADF). À Goma, il se préparait à chanter que les combattants de l'Alliance Fleuve Congo (AFC), le M23, qui tiennent aujourd'hui la ville, ont un objectif commun avec les ADF, à savoir démanteler le pays. Dans le Nord-Kivu, comme à Beni, celui qui se présentait comme un « chanteur révolutionnaire » incitait ses compatriotes à la résistance. Autour du corps sans vie, la famille se tord les mains, les amis nous interpellent, « Idengo était un exemple pour nous ». Ils promettent de poursuivre son combat.
Depuis Goma, la longue marche du M23 s'est poursuivie vers Bukavu (sud du lac Kivu), Uvira et plus loin encore. Les combattants formés par l'armée rwandaise poursuivent désormais leur descente vers le lac Tanganyika, contrôlant déjà la rive du lac Kivu et se dirigeant vers le Maniéma, et sans doute vers le Katanga. Dans la province du cuivre, ils ne rencontreront sans doute guère de résistance car la population reproche aux habitants du Kasaï (centre du pays), proches du chef de l'État, d'avoir accaparé les carrés miniers. De plus, les Katangais demeurent fidèles à l'ancien gouverneur Moïse Katumbi, voire à l'ancien président Joseph Kabila, des enfants du pays.
Appuyés par l'armée rwandaise, les combattants du M23 ne sont pas des novices : être passé à l'offensive au moment où le monde avait les yeux tournés vers l'accession au pouvoir de Donald Trump n'est sûrement pas le fruit du hasard.
Les enfants des collines du Masisi
Longue est l'histoire de ces Tutsis originaires des collines du Nord-Kivu : leurs ancêtres y ont été amenés par les colonisateurs belges dans les années 1930. Ils y ont retrouvé des populations qui s'exprimaient déjà en kinyarwanda et respectaient le « mwami », l'autorité rwandaise traditionnelle destituée par les Belges. Depuis les années 1960, la nationalité congolaise, puis zaïroise, de ces « rwandophones » parfois jalousés pour leur réussite économique et leur entregent, a été successivement accordée, contestée, ou retirée. Cette situation a donné l'occasion à des milices d'autres ethnies de s'emparer de leurs terres lors de la « guerre du Masisi » de 1993, qui a déplacé 300 000 personnes, dont 60 000 se sont réfugiées au Rwanda.
D'aucuns, souvent des jeunes sans emploi, ont rejoint en Ouganda le Front patriotique rwandais (FPR), composé de réfugiés rwandais. Ils ont participé à la guerre contre le régime de Juvénal Habyarimana dans les années 1990. Après le génocide des Tutsis du Rwanda, en 1994, le FPR de Paul Kagame a pris le pouvoir. L'arrivée massive des réfugiés hutus rwandais dans l'est de la RD Congo, puis les guerres du Congo (1996-1997, 1998-2002, suivies des révoltes de Laurent Nkunda et Bosco Ntaganda au cours des années 2000) ont obligé les Tutsis du Nord-Kivu à fuir à leur tour, au Rwanda. À Kigali, on cite le chiffre de 100 000 réfugiés qui souhaiteraient regagner leurs terres.
Le 23 mars 2009 sont conclus des accords pour qu'ils puissent, enfin, retourner au pays. La promesse n'a pas été tenue car Joseph Kabila ne voyait pas comment les réinstaller sur des terres qui, entre-temps, avaient été occupées par d'autres, dont des réfugiés hutus arrivés en 1994. D'où le nom du Mouvement du « 23 » mars, M23.
De la main tendue de Tshisekedi à la rupture
En 2018, au terme d'une élection controversée, Félix Tshisekedi succède à Joseph Kabila. Il est désigné vainqueur par le président de la Commission électorale indépendante, un certain Corneille Nangaa, qui reconnaît ensuite qu'il n'a pas porté au pouvoir le véritable gagnant. Corneille Nangaa est aujourd'hui le leader politique de l'AFC et assure vouloir conquérir Kinshasa.
Dans un premier temps, le fils de l'« éternel opposant » Étienne Tshisekedi (1932-2017) décide de tendre la main au voisin Kagame. À Kigali, il se recueille longuement devant le mémorial du génocide et, surtout, il conclut plusieurs accords : la compagnie Rwandair est autorisée à desservir la RD Congo, l'exploitation conjointe de l'or du Sud-Kivu est prévue, et une raffinerie est construite à Bukavu. Il est aussi convenu – une nouvelle fois – de désarmer les FDLR, ces rebelles hutus se proclamant « Forces démocratiques pour la libération du Rwanda ». Cette milice a été grossie par l'apport des descendants des réfugiés hutus de 1994 et enrichie par l'exploitation des mines de coltan du Sud-Kivu, grâce à la terreur exercée sur les civils congolais et le viol de leurs femmes.
La réalité n'a pas tardé à saper la bonne volonté du nouveau président congolais : le voisin Kagame se révèle gourmand, l'Ouganda se montre jaloux des accords conclus avec le voisin rwandais – un ami certes, mais aussi un rival. Surtout, le meilleur adversaire de Félix Tshisekedi se trouve être… lui-même.
Liaisons dangereuses avec l'ancien régime rwandais
L'ancien de Bruxelles (où il a vécu une grande partie de sa vie) est demeuré fidèle à ses amis de jeunesse. Il les a fait venir pour le seconder et on les appelle ironiquement les « 32-2 » (en référence au préfixe international téléphonique de la Belgique et à celui, local, de Bruxelles). Ils sont rémunérés grassement, sans lien avec leurs compétences réelles. De plus, d'autres liaisons « bruxelloises » se sont révélées plus dangereuses : Kia Mandungu, fils de Mandungu Bula Nyati, ancien gouverneur du temps de Mobutu, est nommé conseiller spécial du chef de l'État. Il ouvre à Félix Tshisekedi la porte des Émirats, où il a passé dix années de sa vie, et des contrats sont signés.
Kia Mandungu est aussi un ami de Jean-Pierre Habyarimana, le fils du président rwandais tué dans un attentat contre son avion le 7 avril 1994, évènement qui a servi de prétexte aux extrémistes hutus pour lancer l'extermination finale. Kia Mandungu se trouve ainsi en relation avec l'ancien « establishment » hutu – notamment composé de génocidaires – réfugié en Europe et en Afrique. On peut imaginer que Kagame, ancien maître espion, a eu vent des amitiés sulfureuses de son nouvel allié et qu'il a pu redouter une « résurrection » des adversaires hutus.
Parallèlement, Tshisekedi invite à Kinshasa une délégation du M23 qui va séjourner plus d'un an dans un hôtel de la capitale. Il s'agissait moins de négocier le retour au pays de leurs familles que de les transformer en une sorte de « brigade spéciale » chargée de la protection personnelle d'un chef de l'État qui redoutait toujours Joseph Kabila et ses réseaux au sein de l'armée. Après une vaine attente, les cadres du M23 ont fini par quitter Kinshasa pour rejoindre leurs camps en Ouganda et se tenir prêts pour de prochains développements.
Préparer le retour des réfugiés
Car la rupture entre Kigali et Kinshasa n'a pas tardé : non seulement Kagame a été informé de la présence de « génocidaires » à la « Cour » de Kinshasa mais, en plus, son nouvel allié lui fait des infidélités : il a confié à l'Ouganda la construction d'une route reliant le Sud-Kivu à la frontière ougandaise, contournant ainsi les voies d'acheminement des minerais passant par le Rwanda.
Sortis des camps en Ouganda et remobilisés par Kigali en 2021, les hommes du M23 se sont donc emparés de la ville de Bunagana, sur la frontière ougandaise, dans l'indifférence générale. Ils ont ensuite conquis des zones plus vastes dans le Nord-Kivu, et plus précisément dans les collines du Masisi. Ils ont préparé l'éventuel retour des réfugiés toujours hébergés par le Rwanda. Si les combattants du M23 sont dirigés par Sultani Makenga, un ancien lieutenant de Laurent Nkunda, des politiques ont aussi fait leur apparition, tels que Bertrand Bisimwa, porte-parole du mouvement.
Pendant trois ans, les immenses camps de réfugiés établis autour de Goma n'ont intéressé que les humanitaires. Des milliers de civils ont pourtant été placés en première ligne lors des offensives successives qui ont fait de nombreuses victimes.
La guerre, un argument électoral
Durant la campagne électorale de 2023, les Congolais ont découvert un président transformé. Soucieux de faire oublier son faible bilan économique et le favoritisme d'un régime qui faisait la part belle aux Kasaïens, Tshisekedi a mis en avant d'incontestables préoccupations sociales : la gratuité de l'enseignement primaire et de l'accès aux hôpitaux pour les femmes enceintes, des travaux de voirie dans une capitale paralysée par les embouteillages.
Ces débuts de réalisations sociales et quelques grands projets n'ont cependant pas occulté la profonde corruption du régime : les seules dépenses d'une classe politique surpayée engloutissent plus de 60 % du budget de l'État (le salaire d'un député étant passé de 20 000 à 30 000 dollars par mois, environ 28 635 euros). L'organisation des élections de 2023 a été calamiteuse, marquée par de nombreuses fraudes – comment oublier les machines à voter placées dans la demeure même des députés avant de rejoindre les bureaux de vote ?
Pourtant, la victoire de Tshisekedi a été acceptée sur le plan international mais aussi dans le pays : moins grâce à la vérité des chiffres que parce que le chef de l'État sortant, orateur habile, a su réveiller la fibre patriotique de ses compatriotes. Tout au long de la campagne, il a multiplié les discours belliqueux, menaçant Kagame « à la moindre escarmouche » de porter la guerre sur le territoire du petit Rwanda.
Un patriotisme instrumentalisé
Les effectifs de l'armée ont été gonflés, Kinshasa a eu recours à des instructeurs roumains, à des conseillers français, à des mercenaires de tout acabit, payés jusqu'à 10 000 dollars par mois alors que les simples soldats ne voyaient pas la couleur de leur solde : cette dernière était dérobée par les généraux et réexpédiée dans la capitale (ce que l'on appelle l'« opération Retour »).
En outre, des jeunes « wazalendo » (« enfants du pays ») ont été recrutés dans les villages du Kivu, parmi les chômeurs et les délinquants, mais aussi – nous en avons rencontré – parmi des étudiants désireux de défendre leur pays et qui ont démontré que la fibre patriotique des jeunes Congolais demeure une réalité. Durant des mois, ce patriotisme a été aussi nourri par une propagande antirwandaise encouragée en haut lieu : Tshisekedi a reçu le gratin des intellectuels révisionnistes (comme Charles Onana) tandis que Kagame fourbissait ses armes. Ce durcissement du régime s'est accompagné d'une méfiance envers les éventuels rivaux politiques, qu'il s'agisse de Moïse Katumbi, ou de Joseph Kabila, qui a préféré s'exiler pour des raisons de sécurité.
Cette unité apparente derrière le chef de l'État a cependant été brisée par un autre projet : désireux de se maintenir au pouvoir, le président et ses compatriotes du Kasaï ont avancé l'idée d'une réforme constitutionnelle ouvrant la porte à un troisième mandat non prévu par la Constitution. Mis à part les proches de Tshisekedi, sa famille, ses courtisans et les ressortissants du Kasaï eux-mêmes, longtemps tenus à l'écart par Mobutu, l'opinion s'est montrée largement défavorable à ce projet. Les Congolais, instruits par de longues années de dictature mobutiste, demeurent attachés à la légalité.
Le stratège et ses amis de Davos
Tshisekedi a peut-être aussi sous-estimé son voisin. S'il a dû quitter prématurément son écolage à l'académie de Fort Leavenworth, aux États-Unis, Paul Kagame est reconnu comme l'un des meilleurs stratèges du continent africain. Il a participé aux guerres d'Ouganda aux côtés de Yoweri Museveni dans les années 1980 et a été chargé de la sécurité des régions soumises. Il a remplacé au pied levé, à la tête du FPR, son ami Fred Rwigyema, mort au combat en 1990. Pendant plusieurs années, il a affronté l'armée d'Habyarimana avant d'être confronté à la contre-offensive de l'opération française Turquoise (22 juin-21 août 1994), maquillée en action humanitaire. Il finit par stopper le génocide des Tutsis en juillet 1994. Puis il réussit à pacifier et à reconstruire le Rwanda détruit, avec le concours de la diaspora massivement rentrée au pays et désireuse de combler le vide – 1 million de morts – laissé par le génocide.
Depuis le lendemain du crime de masse, cet homme de fer et de feu, qui remet en cause régulièrement les frontières et pratique de fait l'expansion vers l'ouest, considère l'est de la RD Congo comme un « glacis sécuritaire » où il se donne le droit de faire barrage aux « forces génocidaires » hutues sans cesse poursuivies et sans cesse reconstituées.
Il a mené la guerre au Congo à trois reprises et par rebelles interposés, désireux à la fois de créer une « zone de sécurité » et de tirer profit des immenses ressources des provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, exploitées sans états d'âme avec la protection de ses amis de Davos. Ces derniers sont d'ailleurs habilement courtisés et séduits par la perspective d'approvisionnement sûr en matières stratégiques, quel qu'en soit le coût humain.
Trahi par son orgueil
La protection des Tutsis congolais par milices interposées est son leitmotiv, la sécurité du Rwanda son obsession, la séduction des « grands » de ce monde sa méthode, grâce à ce mélange de services rendus (à la France d'Emmanuel Macron entre autres, au Mozambique, mais surtout aux États-Unis) et d'efficacité, principalement dans les missions des Nations unies.
Dans cette guerre-là, une fois passés les succès initiaux, Paul Kagame risque cependant d'être trahi par les erreurs de jugement qu'entraîne l'orgueil : il défie l'Union africaine et des puissances comme l'Afrique du Sud et l'Angola dont les dirigeants (João Lourenço à Luanda, Cyril Ramaphosa à Pretoria) ont participé aux luttes de libération. Il pourrait finir par déranger un pragmatique comme Donald Trump, peu touché par la mémoire du génocide et qui préférera peut-être accéder au tout (la RD Congo) plutôt qu'à la partie (le Rwanda).
Il ne faut pas oublier non plus la résistance des Congolais, même si elle mettra du temps à s'organiser. Au début des années 1960, après la disparition de Patrice Lumumba, les jacqueries qui ont éclaté dans l'Est et dans le centre du pays ont été les plus vastes révoltes paysannes africaines. Mais le long règne de Mobutu en a occulté le souvenir.
Ainsi, si Idengo Delcat a été abattu à Goma, ses chansons de résistance font déjà le tour du pays.
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Afrique du Sud. Renverser la haine et combattre l’effet Trump

Parti pris · Le crime de Stilfontein, où des centaines de mineurs artisanaux ont été affamés par la police sud-africaine, entre août 2024 et janvier, a de nouveau mis en lumière la politique xénophobe de l'État sud-africain. Ces ouvriers illégaux, désespérés au point d'accepter des conditions de travail abominables, viennent souvent de pays limitrophes, comme le Mozambique, avec lesquels l'Afrique du Sud entretient des relations asymétriques.
Tiré de afriquexxi
26 février 2025
Par Patrick Bond
Cette image montre un carrefour routier en extérieur. À gauche, un panneau marron avec un symbole de police indique "SAPS Khuma", suggérant la présence d'un poste de police local. À droite, un panneau vert montre deux flèches directionnelles : une vers "Vermaasdrift" et l'autre vers "Stilfontein". L'environnement est caractérisé par une végétation verte et dense, avec quelques arbres en arrière-plan et un ciel nuageux, créant une atmosphère calme et naturelle. Le sol est asphalté, donnant l'impression d'une route peu fréquentée.
Des centaines de mineurs ont été affamés par la police à Stilfontein, en Afrique du Sud.
© Willem Cronje / Alamy
Cet article a initialement été publié le 30 janvier en anglais dans le Global Labour Column.
Traduit de l'anglais par Michael Pauron
Pendant plusieurs mois, entre août 2024 et janvier, des centaines de mineurs du secteur informel, dans le centre de l'Afrique du Sud, ont été affamés par l'État, ce qui a choqué le pays et le monde entier. Seule une centaine de corps ont été découverts dans la mine de Stilfontein, à proximité des équipements de sauvetage, alors que beaucoup d'autres se trouvent encore dans les profondeurs des mines d'or.
Ces cadavres marquent un point bas dans une lutte des classes explicite déguisée par une xénophobie rampante qui plaira à Donald Trump. La perspective d'une visite de ce dernier à Johannesburg en novembre, lorsque le président Cyril Ramaphosa accueillera le sommet des dirigeants du G20, est ironique. Dans un discours prononcé en novembre 2024 lors du G20 de Rio de Janeiro, Cyril Ramaphosa s'est insurgé contre « l'utilisation de la faim comme arme de guerre, comme nous le voyons actuellement dans certaines parties du monde, notamment à Gaza et au Soudan ».
Pourtant, quelques jours auparavant, le ministre à la Présidence auquel Ramaphosa fait souvent appel pour expliquer au public la politique de l'État, Khumbudzo Ntshavheni, avait justifié plusieurs semaines d'oppression policière contre les mineurs de Stilfontein en les qualifiant de « criminels » et en proclamant que la police devait « les faire sortir ». Au moment de cette déclaration, cela faisait déjà trois mois que les mineurs étaient privés de nourriture, d'eau et de médicaments vitaux – par exemple, des antirétroviraux renforçant le système immunitaire pour les travailleurs vivant avec le VIH.
Lorsque plus de 1 800 mineurs de Stilfontein ont refait surface, ils ont été arrêtés. La grande majorité d'entre eux sont des immigrés des pays voisins, travaillant dans des conditions infernales. Les travailleurs survivants, affamés pendant des semaines, avaient fini par se livrer à l'anthropophagie sur leurs camarades décédés et par manger des insectes.
La moitié des réserves d'or de la planète
À environ deux heures de route au sud-ouest de Johannesburg, d'anciennes mines d'or établies dans les années 1940-1960 s'étendent sur tout le paysage. Leur profondeur de 2,8 kilomètres – voire 4 kilomètres pour la mine de Carletonville, à mi-chemin entre Stilfontein et Johannesburg – atteint le filon le plus prolifique du monde. En effet, l'or du Reef, découvert au milieu des années 1880, représentait à son apogée la moitié des réserves d'or historiques de la planète.
Mais à côté de l'or, du diamant, du charbon, du platine, du manganèse, du minerai de fer et des autres filons miniers épuisés qui ont fait la réputation de l'Afrique du Sud, on trouve les rebuts de la dégradation capitaliste : plus de 6 000 mines n'ont jamais été correctement fermées. Considérées comme épuisées par l'exploitation minière formelle, nombre d'entre elles sont aujourd'hui nettoyées par des mineurs artisanaux désespérés. Des résidus subsistent – par exemple, dans les colonnes qui soutiennent des toits vieux de plus d'un siècle, ou dans les raclures le long des parois des tunnels – qui sont tous d'une dangerosité exceptionnelle. Écrivant sur les conditions de travail à Stilfontein, le journaliste du Sunday Times Isaac Mahlangu a décrit :
Une hiérarchie souterraine dans laquelle ceux qui creusaient et exploitaient les mines aux niveaux les plus bas étaient principalement des étrangers, la majorité d'entre eux venant du Mozambique. Très peu de Sud-Africains faisaient ce travail. Ceux qui travaillaient à des niveaux supérieurs étaient des tireurs de corde ou s'occupaient du traitement de l'or. La poussière d'or était la principale monnaie d'échange pour l'achat de marchandises dans le magasin situé au niveau 10, dans les profondeurs du site.
Un sac de 5 kilos de farine de maïs coûte 5 000 rands, soit vingt-cinq fois son prix en surface. Un ouvrier lui a dit : « Un bouchon de Colgate [dentifrice] rempli d'or vaut 3 000 rands [environ 156 euros] sous terre, mais le magasin ne rend pas la monnaie. »
« Ils doivent mourir comme des rats »
Des témoignages continuent d'émerger sur la manière dont la police et les administrateurs responsables de Stilfontein Gold Mining (qui avaient abandonné le site depuis longtemps) ont contribué à cette tuerie. Bien que le capitalisme soit responsable de l'extrême irresponsabilité environnementale, sociale et économique dans tout le Reef, de nombreuses personnes en Afrique du Sud ont été poussées à faire des remarques xénophobes et inhumaines. Elles ont été encouragées par des populistes de droite très en vue qui ont surfé sur l'effet Trump.
Alors que la pression montait pour sauver la vie des mineurs, la ministre adjointe de la Police, Shela Polly Boshielo, a déclaré : « Nous créons un précédent en disant que les gens peuvent descendre sous terre, s'adonner à l'exploitation minière illégale, obtenir tout l'argent et tout le reste, et que [le gouvernement viendra] ensuite les sauver... Nous n'avons même pas affaire à des Sud-Africains qui essaient de gagner leur vie. Ce n'est pas le cas. [Ces personnes] sont dans l'illégalité.{} »
Le vice-président de l'Alliance patriotique, Kenny Kunene, a tenu des propos encore plus virulents : « Je n'ai aucune sympathie pour ceux qui sont morts en volant les richesses de notre pays... Je n'ai absolument aucune sympathie. Il faut qu'ils meurent tous comme des rats sous terre. Ils n'ont qu'à brûler en enfer. » Un thème récurrent est que les mineurs artisanaux volent la société, comme l'a laissé entendre un autre homme politique, le président d'ActionSA et ancien maire de Johannesburg, Herman Mashaba, qui a déclaré : « Personnellement, je n'ai aucune sympathie pour la criminalité. »
« L'aboutissement sanglant de politiques perfides »
À la mi-janvier également, le ministre des Ressources minières et pétrolières, Gwede Mantashe, a annoncé ne pas être d'accord avec des militants locaux qui proposaient la régularisation de l'exploitation minière artisanale, ce qui pour lui revenait à demander que son ministère « accorde des licences aux Mozambicains, aux Zimbabwéens et aux ressortissants du Lesotho pour voler de l'or. C'est une activité criminelle. C'est une attaque contre [l']économie [sud-africaine] commise par des ressortissants étrangers pour l'essentiel ». Mantashe a tenté de chiffrer ce « vol » : « L'exploitation minière illégale est une guerre contre l'économie... Ce sont des criminels qui attaquent l'économie. Le commerce illicite de métaux précieux est estimé en 2024 à environ 60 milliards de rands [312 millions d'euros], une perte pour l'économie du pays. »
Il existe trois réponses possibles aux xénophobes. La première fait appel aux valeurs humanistes de base de l'« ubuntu » (« nous sommes ce que nous sommes grâce aux autres »). Le soutien syndical le plus actif est celui de Mametlwe Sebei, président du Syndicat sud-africain des travailleurs des industries générales, qui est également avocat spécialisé dans les droits humains. Alors que deux ministres du gouvernement (Mantashe et le ministre de la police) visitaient Stilfontein à la mi-janvier, Sebei a déclaré lors d'une réunion de la communauté non loin des puits de mine :
Ces ministres sont ici sur la scène du crime. Des centaines de mineurs sont morts sous terre dans ce qui ne peut être que l'aboutissement sanglant de leurs pratiques policières perfides, planifiées et exécutées avec l'approbation des plus hautes sphères de l'État, y pris le Cabinet (1).
La communauté a refusé de rencontrer les ministres, qui ont dû se retirer honteusement.
Une deuxième réponse consiste à souligner qu'en comparaison avec l'orpaillage pratiqué avec des moyens artisanaux, il existe une fuite massive de richesses minières opérée par les sociétés minières multinationales, qui est loin d'être compensée par un réinvestissement dans l'économie, la société et les infrastructures.
« Notre pays est pillé par l'Afrique du Sud »
Troisièmement, la plus-value qui alimente le capitalisme sud-africain est le fruit du travail d'ouvriers immigrés depuis au moins 150 ans, et ces pays souffrent eux-mêmes d'une « malédiction » des ressources du fait des entreprises de Johannesburg. Comme l'explique Solomon Mondlane, de la Coalition de l'alliance démocratique (opposition) du Mozambique et candidat malheureux à la dernière élection présidentielle : « 50 % de notre gaz au Mozambique va en Afrique du Sud. 80 % de notre électricité au Mozambique est destinée à l'Afrique du Sud. Et elle l'achète moins cher qu'elle coûte ici au Mozambique, où nous payons le double pour ce qui est produit dans notre pays. Et ils nous disent qu'on les envahit, alors qu'en réalité notre pays est pillé par l'Afrique du Sud. »
Le dirigeant syndical sud-africain le plus connu, Zwelinzima Vavi, de la Fédération sud-africaine des syndicats, est d'accord :
L'Afrique du Sud est souvent accusée d'être un sous-impérialiste et de jouer ce rôle vis-à-vis de ses voisins et du reste du continent africain. Nos filles et nos fils [qui servent dans l'armée sud-africaine] ont été envoyés dans les régions septentrionales du Mozambique pour mener une guerre pour le compte de multinationales [TotalEnergies, ExxonMobil, ENI, BP, etc.] qui font la queue pour exploiter les énormes gisements de gaz au Cabo Delgado. Et ils y sont allés, bien sûr, avec des instructions claires de la France. Le président français, si vous vous en souvenez, est venu à l'improviste à l'Union Buildings (2) [en mai 2021] pour faire pression sur l'Afrique du Sud afin qu'elle déploie des soldats pour surveiller les vastes gisements de gaz dans les régions septentrionales du Mozambique.
Le président français, Emmanuel Macron, et son homologue sud-africain, Cyril Ramaphosa, à Johannesburg, le 28 mai 2021.
© GovernmentZA/Flickr
Vavi poursuit :
C'est ce qui me rend malade – quand les gens disent : « Ils volent nos mines, ils volent notre or. » Attendez, de quoi parlez-vous ? De quel or s'agit-il ? Comment avez-vous bénéficié, en tant que Sud-Africain noir, de cet or que vous voulez protéger ? Et comment célébrer la mort de 78 personnes « qui volent notre or et qui sont des ressortissants étrangers illégaux » ? Les Mozambicains ne viennent pas en Afrique du Sud par choix. ils ne traversent pas le parc Kruger à la recherche d'un portefeuille alors que lorsqu'ils sont dévorés par les lions, les léopards et les hyènes, il est impossible de retrouver des cadavres entiers... Si vous deviez passer quatre ou cinq jours par semaine avec vos enfants qui pleurent, assis, impuissants, ne sachant que faire ? C'est le désespoir qui les pousse. Le fait que la plupart des personnes secourues dans ces mines – les “zama zamas” – soient originaires du Mozambique n'est pas une coïncidence. C'est parce que la révolution a échoué là-bas, comme elle est en train d'échouer ici en Afrique du Sud.
Renforcer les liens entre les communautés
Les propres échecs de Ramaphosa sont indiscutables : ancien dirigeant du Syndicat national des mineurs, son investissement majeur dans l'entreprise britannique Lonmin en 2012 l'a conduit à traiter la grève des mineurs de Marikanade « crime ignoble » dans des courriels qu'il a rédigés 24 heures avant que la police massacre 34 opérateurs de foreuses de platine qui réclamaient un salaire de 1 000 dollars (956 euros) par mois. Ramaphosa était membre du conseil d'administration de Lonmin et avait par ailleurs conseillé à l'entreprise de continuer à utiliser des flux financiers illicites offshore.
À l'avenir, nous devons reconstruire la solidarité sud-africaine avec ceux qui luttent au Mozambique – une solidarité qui avait motivé les manifestations d'étudiants en 1976, peu de temps après que les nationalistes de gauche avaient battu les brutaux colons portugais, ce qui a conduit à l'indépendance. Cette solidarité est aujourd'hui nécessaire pour renforcer les liens entre les communautés et les travailleurs, d'autant plus que de nouvelles voix « rebelles » s'élèvent contre les nationalistes désormais corrompus. C'est l'agenda que sont en train de forger les mineurs artisanaux eux-mêmes, soutenus par la General Industries Workers Union of South Africa (Giwusa), la South African Federation of Trade Unions (Saftu), la Mining Affected Communities United in Action (Macua) et des avocats progressistes.
Alors qu'ils réclament une commission d'enquête sur les centaines de morts de Stilfontein, une partie du travail consiste à renverser psychologiquement la haine qui règne au sein de l'État et de la société. Cela est nécessaire pour que le « vol » des richesses minières souveraines soit mieux compris – et pour que l'internationalisme remplace la xénophobie.
Notes
1. Le Cabinet est le niveau le plus élevé de l'exécutif sud-africain. Il est composé du président, du vice-président et des ministres.
2. Le siège de la présidence.
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Aide, dépendance et guerre idéologique

L'aide étrangère n'a jamais été simplement une question d'assistance : elle impose un contrôle politique, économique et social, maintenant les pays bénéficiaires dans un cycle de dépendance.
Tiré d'Afrique en lutte.
Donald Trump a provoqué une onde de choc dans le monde entier dès sa première semaine de présidence. Parmi tous les décrets qu'il a signés, tant au niveau national qu'international, le plus important est sans doute celui qui a gelé tous les programmes d'aide étrangère des États-Unis pendant 90 jours, le temps que son administration réexamine leur adéquation avec ses objectifs politiques. Ce décret, signé le premier jour de son mandat, a également été accompagné d'autres décrets préjudiciables à l'équité et aux résultats en matière de santé mondiale, comme le retrait des États-Unis de l'Organisation mondiale de la santé et le rétablissement de la politique de Mexico, également connue sous le nom de « règle du bâillon mondial » . Plus dévastateur encore, le gel de l'aide étrangère américaine s'est également appliqué au Plan d'urgence du président pour la lutte contre le sida (PEPFAR) et à tous les programmes de l'USAID, qui jouent un rôle déterminant dans la lutte contre le VIH depuis plus de deux décennies.
Le gel de l'aide étrangère et l'ordre de cessation des travaux envoyé par le secrétaire d'État américain Marco Rubio quelques jours plus tard ont déclenché une réaction en chaîne d'incertitude et d'inquiétude dans le monde entier, y compris ici en Afrique du Sud, où certaines organisations à but non lucratif financées par l'aide américaine ont annoncé qu'elles cesseraient leurs activités pour se conformer. Au cours des derniers jours de cette période périlleuse, Rubio a signé une dérogation partielle pour « l'aide humanitaire vitale », qui s'applique à la poursuite des « médicaments antirétroviraux et des traitements pour prévenir la transmission du VIH de la mère à l'enfant », a rapporté Devex . Mais les inquiétudes continuent de planer alors que de nombreuses organisations à but non lucratif locales attendent une communication officielle de Washington avant de reprendre leurs services. Beaucoup n'avaient pas conscience de l'ampleur de l'aide et de l'influence que les programmes PEPFAR et USAID avaient dans notre lutte locale contre le VIH jusqu'au décret exécutif de Trump. Environ 44 % des allocations du PEPFAR (équivalant à environ 3,1 milliards de dollars) en 2020 ont été versées aux ONG sud-africaines, selon la Fondation pour la recherche sur le sida (amFAR) .
Mais comment en sommes-nous arrivés là ?
La dépendance de l'Afrique du Sud à l'aide étrangère pour la santé n'est pas un accident, c'est une conséquence de l'histoire. Le système de santé publique du pays a été délibérément sous-financé et fragmenté sous le colonialisme et l'apartheid , ce qui a laissé de profondes inégalités structurelles. Même après l'apartheid, il reste difficile de combler ces lacunes. Dans ce vide, l'aide étrangère est devenue la solution. Des programmes comme le PEPFAR et l'USAID sont intervenus pour financer des interventions massives contre le VIH. Cette dynamique transforme ce qui devrait être un partenariat en une relation hiérarchique dans laquelle les pays donateurs détiennent le pouvoir et permettent au soft power idéologique et politique de faire son apparition. L'aide étrangère américaine n'est pas seulement une question d'altruisme, c'est aussi une question d'influence. L'aide est une forme de soft power qui fait avancer les intérêts politiques, idéologiques et économiques des États-Unis.
Le PEPFAR a été créé en 2003 sous la présidence de George W. Bush en réponse à la crise mondiale du VIH, en particulier en Afrique. Des dirigeants démocrates, dont Barbara Lee et le Congressional Black Caucus , milit depuis plusieurs années en faveur d'un programme mondial de lutte contre le VIH et, grâce à l'administration Bush, ils sont parvenus à trouver un terrain d'entente qui a reçu un soutien bipartisan et qui est devenu le PEPFAR. Il s'agit de l'engagement le plus important jamais pris par un seul pays pour lutter contre une maladie au niveau international. Initialement financé à hauteur de 15 milliards de dollars sur cinq ans , le PEPFAR visait à fournir un traitement antirétroviral, des services de prévention du VIH et des soins aux personnes touchées par l'épidémie. Cependant, dès sa création, le PEPFAR était lié à des valeurs conservatrices et évangéliques qui limitaient l'utilisation des fonds. Cela incluait le financement de programmes exclusivement axés sur l'abstinence et la limitation du soutien à des services complets de santé sexuelle et reproductive.
Le soutien bipartisan du PEPFAR reposait sur les exigences républicaines selon lesquelles ses programmes devaient refléter une morale fondée sur la foi. Ce compromis a entraîné d'importantes restrictions sur la manière dont les fonds pouvaient être utilisés. Par exemple, la première législation du PEPFAR imposait qu'un tiers de tous les fonds de prévention soit alloué à des programmes « d'abstinence et de fidélité », davantage motivés par une idéologie religieuse que par des preuves scientifiques.
L'un des exemples les plus flagrants de coercition idéologique par le biais de l'aide est la règle du bâillon mondial , qui interdit aux organisations recevant des fonds américains de fournir, de discuter ou de défendre des services d'avortement. Connue officiellement sous le nom de politique de Mexico, elle a été introduite pour la première fois en 1984 par le président Ronald Reagan. Elle empêche les organisations étrangères qui reçoivent des fonds du gouvernement américain de fournir, de discuter ou de défendre des services d'avortement, même si ces services sont financés par des sources non américaines. Cette politique a été abrogée et rétablie à plusieurs reprises en fonction du parti politique au pouvoir aux États-Unis. Les administrations républicaines ont historiquement appliqué la règle, tandis que les administrations démocrates l'ont abrogée. Cette politique a eu un effet dissuasif sur les organisations de santé mondiale, obligeant nombre d'entre elles à choisir entre recevoir des fonds ou fournir des services de santé reproductive essentiels. Les ONG sud-africaines qui dépendent du financement du PEPFAR ont dû composer avec ces restrictions, choisissant souvent entre la survie financière et la fourniture de services complets.
En 2019, j'ai rendu compte d'une enquête de l'amFAR auprès d'un tiers des 247 organisations mondiales de lutte contre le VIH financées par le PEPFAR et de la manière dont elles avaient modifié leurs services en raison de cette politique. L'étude a révélé qu'environ un tiers des changements apportés par les ONG n'étaient pas liés à l'avortement. La règle du bâillon a entraîné une réduction des services essentiels liés au VIH, notamment les tests, le dépistage du cancer du col de l'utérus et les soins de santé aux adolescents. L'un des principaux problèmes était la mise en œuvre excessive de la règle, les organisations – craignant la perte de financement – l'appliquant plus strictement que nécessaire. L'ambiguïté de la politique était intentionnelle, créant un effet dissuasif qui limitait les services de santé reproductive même au-delà de ce qui était obligatoire. Ce flou stratégique a permis au gouvernement américain d'influencer indirectement le respect des règles par la peur et l'incertitude. Bien que la loi libérale sur l'avortement en Afrique du Sud ait laissé une certaine marge de manœuvre aux organisations pour proposer des services d'orientation vers des services d'avortement, la politique est restée restrictive. Les ONG craignaient de perdre le financement américain, près d'un tiers des organisations interrogées déclarant que 90 % de leur budget dépendait des fonds américains pour la santé mondiale. Cette dépendance financière a forcé les organisations à choisir entre la conformité et la survie, ce qui a eu de graves répercussions sur les pays à forte prévalence du VIH.
Les groupes marginalisés, notamment les jeunes femmes et les communautés LGBTQ+, ont été (et seront encore) touchés de manière disproportionnée. La nouvelle version de la règle du bâillon de Trump a également fracturé la société civile, isolant les organisations qui continuaient de défendre les droits reproductifs. L'étude a rejeté les allégations selon lesquelles la politique n'avait pas eu d'impact sur les organisations financées par le PEPFAR, révélant une suppression généralisée des informations sur la santé et la défense des droits sexuels.
Il n'est pas surprenant que l'idéologie évangélique chrétienne ait joué un rôle dans la définition de la politique américaine sur l'avortement, mais son éthique morale plus large a également influencé l'approche du PEPFAR sur d'autres questions, notamment le travail du sexe. Le PEPFAR comprend un engagement contre la prostitution , une politique qui vise à faire taire les défenseurs des travailleurs du sexe en s'opposant au travail du sexe et en exigeant que les organisations financées par le PEPFAR n'utilisent pas les fonds pour promouvoir ou défendre la dépénalisation du travail du sexe. Non seulement cette clause confond le travail du sexe avec la traite des êtres humains – une tactique bien documentée utilisée par les conservateurs chrétiens – mais elle a forcé de nombreuses organisations de lutte contre le VIH à rompre leurs liens avec les groupes de défense des travailleurs du sexe, malgré le rôle bien documenté du travail du sexe dans la transmission du VIH .
Ces politiques illustrent la manière dont l'aide étrangère porte atteinte à la souveraineté nationale en matière de santé en dictant à quelles organisations les services peuvent être rendus et de quelle manière. Les structures de l'aide étrangère entretiennent une dynamique néocoloniale de contrôle des donateurs et de conformité des bénéficiaires. Lorsque les donateurs définissent l'ordre du jour, les bénéficiaires sont soumis à des pressions pour se conformer, sous peine de perdre des ressources vitales. Cependant, cette influence s'étend au-delà de la santé publique. Les États-Unis ont utilisé l'aide pour exercer un plus grand effet de levier politique, façonnant les paysages de la société civile dans les pays bénéficiaires. Les organisations évangéliques ont bénéficié de manière disproportionnée du financement du PEPFAR au cours de ses premières années, ce qui a permis leur expansion et renforcé les normes sociales conservatrices.
L'histoire du PEPFAR nous montre à quel point l'aide étrangère, même si elle est bénéfique, peut être utilisée comme un instrument de contrôle. Si les donateurs ne peuvent pas dicter explicitement les choix politiques, ils exercent une pression par le biais d'exigences de financement, d'obligations de rapport et de critères de performance. L'impact à long terme est un environnement politique contraint dans lequel les priorités nationales sont façonnées non pas par les besoins locaux mais par les intérêts stratégiques des gouvernements étrangers.
Mais il y a un fil conducteur dans cette histoire et dans les actions de l'administration Trump depuis le 20 janvier : le gel de l'aide étrangère et le rétablissement de la règle du bâillon mondial ne sont pas seulement politiques. Il ne s'agit pas seulement de Trump qui promeut un programme « America First ». Cela fait partie d'un projet plus vaste : la promotion et l'expansion des croyances évangéliques de droite. Il s'agit de faire progresser l'idéologie nationaliste chrétienne évangélique de droite. Trump n'a pas seulement réduit le financement de la santé mondiale de diverses manières, il a également réduit le financement des programmes LGBTQI, des initiatives DEI et des services de santé reproductive. Ces coupes budgétaires sont des outils pour renforcer les valeurs chrétiennes conservatrices à travers le monde.
La promotion d'une vision du monde évangélique-chrétienne nationaliste plus large vise à positionner les États-Unis comme le protecteur divin de la famille traditionnelle et des valeurs bibliques. Elle s'aligne sur les interprétations évangéliques de droite des prophéties bibliques, sur l'idée de l'exceptionnalisme américain et sur la croyance selon laquelle les États-Unis sont la nation élue de Dieu. C'est une façon d'ancrer une vision du monde qui va au-delà de l'aide internationale dans la guerre idéologique. Et nous devons la voir pour ce qu'elle est. Il s'agit de récompenser ceux qui soutiennent le christianisme conservateur, en particulier le conservatisme évangélique, et de punir ceux qui ne le font pas. Le message est clair : les pays qui s'alignent sur les valeurs chrétiennes conservatrices seront récompensés ; ceux qui ont des politiques sociales progressistes seront punis.
À propos de l'auteur
Pontsho Pilane est une écrivaine féministe, experte en communication et auteure de « Pouvoir et foi : comment les églises évangéliques façonnent silencieusement notre démocratie ».
Source : https://africasacountry.com
Traduction automatique de l'anglais
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Trump II : Plus qu’un simple changement de ton ou de style

Le style d'exercice du pouvoir que Trump II met en place, depuis son retour au Bureau ovale de la Maison-Blanche, en frappe de stupeur plusieurs, et ce, toutes catégories confondues, dans la population et à travers le monde. De plus, le chef de la capitale fédérale des USA accompagne souvent ses décisions de paroles tranchantes ou de propos brutaux mettant à jour des traits de caractère inquiétants pour la sécurité et la paix.
À première vue, il est facile de statuer, en raison de déclarations à l'emporte-pièce, fausses, volontairement mensongères et trompeuses de Trump II, en plus de vociférations vocales, de mots durs et de signes ou de gestes explicites, sur l'état d'une personne autoritaire habitée par un esprit revanchard. Et ce n'est pas nécessairement faux. On peut y retrouver également, toujours dans ses déclarations fracassantes et déstabilisantes, les affirmations d'un chef d'État qui l'identifie à sa personne et qui se prend — presque ou totalement — pour Louis XIV qui disait ceci : « L'État c'est moi », sinon pour Louis XVI qui précisait en ces termes : « C'est légal parce que je le veux ». En jouant un peu plus encore dans les formules de monarques plus lointains, toujours à l'époque de l'Ancien Régime, apparaissent d'autres déclamations, exprimées dans toute leur suprême splendeur ou leur royale volonté, notamment « Car ainsi nous plaît-il être fait » (Charles VI), « Car ainsi le voulons et nous plaît être fait » (Louis XI) ou encore « Car tel est notre plaisir » (Charles VIII, François Ier et Louis XIV)1.
Pour ce qui est du ton et des paroles farfelues qui accompagnent l'exercice du pouvoir, passons à autre chose et revenons à notre énigmatique Trump II. Demandons-nous si ce à quoi nous assistons avec ce deuxième mandat présidentiel consiste seulement en un simple changement de ton avec ses prédécesseurs qui ont occupé le Bureau ovale ou s'il ne faut pas plutôt voir dans certaines de ses déclarations étonnantes et tonitruantes des signes d'une rupture dans l'époque actuelle ? Sous-entendu : assistons-nous, en ce moment, à Washington, à une nouvelle lecture des rapports de force à l'échelle internationale qui entraînerait des changements dans les alliances politiques à nouer avec un pays, la Russie, d'où en contrepartie d'anciennes alliances à jeter aux orties avec les pays partenaires que sont le Canada, le Mexique, l'Europe de l'Ouest et certains pays, — récemment traités en alliés — de l'Europe de l'Est ?
De fait, il se passe des choses qui peuvent avoir des conséquences importantes en ce moment annonçant un changement d'ère ou d'époque et comportant des ruptures significatives rendant caduques les « annonciations farfelues » d'un certain historien américain contemporain de l'université Harvard — Francis Fukuyama pour ne pas le nommer — pronostiquant pompeusement, au lendemain de l'effondrement des régimes communistes d'Europe de l'Est, « la fin de l'histoire ». Nous y reviendrons d'ailleurs plus loin. Pour le moment, faisons un retour rapide sur ce qui peut bien expliquer la nouvelle perception des rapports de force à l'échelle mondiale entre les trois grands qui peuvent aspirer à se définir comme totius orbis dominatoris, c'est-à-dire le souverain du monde entier : et nous avons nommé les USA, la Russie et la République populaire de Chine (l'Inde figurant, pour l'instant, comme éventuel rival à ce trio ou à cette troïka dont la capacité de destruction et d'anéantissement ne saurait faire aucun doute).
L'histoire universelle — et par conséquent récente — est une immense marmite
L'histoire universelle est une immense marmite dans laquelle on peut trouver mille et une choses qui nous rapprochent ou nous éloignent du passé. Dans cette casserole, bouillonnante parfois, s'est déroulé un moment particulier qui nous semble intéressant à faire remonter à la surface et qui s'est produit environ quatre décennies après la célèbre prise de Constantinople par les Turcs en 1453. Il s'agit de la découverte d'une nouvelle voie de navigation qui a eu un immense impact, à l'époque, sur le système politique international et, par surcroît, du fameux voyage que Christophe Colomb entreprit en 1492. La trouvaille d'une route maritime océanique conduisant vers un nouveau continent habité allait avoir de multiples répercussions non seulement au niveau de la représentation de la Terre, mais aussi dans la place qu'occuperaient, à partir de ce moment, trois grands royaumes qui vont se métamorphoser par la suite en États-nations coloniaux, affirmant tour à tour leur suprématie, et ce pour les cinq prochains siècles ; rien de moins. Car la « découverte » de ces terres habitées, qui allaient être appelées Amérique du Sud, Amérique centrale et Amérique du Nord, va permettre d'enrichir certains royaumes colonisateurs européens qui vont littéralement piller, entre autres choses, l'or, l'argent et le cuivre de ces terres du Nouveau Monde. Bref, des métaux précieux qui vont contribuer à la relance économique de ces royaumes à la croissance poussive — à l'époque —, en y ajoutant le cuivre, aussi précieux et stratégique pour la fabrication d'armes de guerre et la conduite de conflits armés.
L'Espagne, la France et l'Angleterre allaient devenir à tour de rôle, entre le XVe et le XXe siècle, les principaux acteurs de l'expansionnisme ouest-européen, et ces trois grands empires n'hésiteront pas à se poser comme le centre du Monde (dont deux sur lesquels le soleil ne se couchait jamais : l'Espagne et l'Angleterre). La domination planétaire par ces empires est maintenant derrière nous, et ce depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Durant cette période pluriséculaire, la Russie passera de pays « arriéré » lointain et sans intérêt, à une terre débordante de ressources stratégiques suscitant des envies d'espace à conquérir pour notamment les troupes de Napoléon et d'Hitler. Mais pour la nouvelle nation qui a pris forme dans la foulée de la révolution américaine de 1776, s'imposera son leadership durant la Deuxième Guerre mondiale.
Le système politique international de 1945 à aujourd'hui
En 1945, nous assistons à la création de l'ONU, à la conclusion des Accords de Bretton Woods et à la création du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Des ententes et des institutions, fortement prescrites par les USA, servent à garantir la paix mondiale ainsi qu'un modèle de développement correspondant à l'ordre libéral et démocratique. Il s'agit donc d'un modèle voulu par les forces du « monde libre », par opposition aux pays du bloc de l'Est, soit les pays identifiés comme appartenant au « Rideau de fer ». Avec leurs alliés de l'ouest européen et du Japon, les USA vont promouvoir et personnifier ce modèle. En revanche, la Pax americana en fera voir de toutes les couleurs à certains peuples habitant les pays nouvellement indépendants et affranchis de leurs liens coloniaux avec les puissances de l'Europe de l'Ouest. Leur développement allait maintenant être complètement assujetti aux besoins économiques et capitalistiques de l'Oncle SAM. Car il correspondait au « développement du sous-développement », c'est-à-dire à la production d'une monoculture dans les pays identifiés au tiers-monde, ce qui ne fera pas l'unanimité. En effet, deux forces de résistance importantes et imposantes s'élèveront sur le chemin : l'URSS d'abord et la République populaire de Chine ensuite.
La présence de deux trublions dans le système politique international de 1947 à aujourd'hui
De 1947 à 1991, ce sont les tensions est-ouest, en lien avec la Guerre froide, qui ont caractérisé la polarisation à l'échelle internationale. En 1949, il y a eu la Révolution chinoise et, affinités idéologiques obligent, la naissance d'une alliance fragile — et peu prometteuse pour l'avenir de l'humanité — entre la République populaire de Chine et l'URSS. Car, d'une part, les relations économiques et diplomatiques entre la Chine dite communiste et les pays de l'Ouest seront gelées, jusqu'à leur normalisation au début des années soixante-dix. Mais d'autre part, l'alliance sino-soviétique sera rompue vers la fin des années cinquante, et ce jusqu'aux années quatre-vingt et pour cause. En 1989, se produit la chute du mur de Berlin et la naissance d'une illusion sécuritaire en Europe de l'Ouest. Illusion effectivement qui sera renforcée deux années plus tard avec l'implosion de l'Empire soviétique. Puis en 1991, l'URSS va s'effondrer et l'ours russe mettra quelques décennies avant de reprendre du poil de la bête. Si Vladimir Poutine, durant la présidence de Bill Clinton, n'en menait pas large, l'exploitation intensive des ressources naturelles que sont le gaz et le pétrole sur les terres nordiques de la Russie vont permettre au nouveau tsar Poutine — qui a joué de stratagèmes pour rester au pouvoir malgré certaines dispositions constitutionnelles qui devaient l'en empêcher — d'approvisionner les économies capitalistes ouest-européennes de ces énergies essentielles à leurs économies. Dès lors, des sommes d'argent massives qui engraissent le trésor du Kremlin, permettant un rééquipement militaire nucléaire, un redressement du service de défense et, dans la même foulée, l'adoption d'une politique agressive de conquête territoriale ramenant le rêve expansionniste de la Russie sous Catherine II.
L'Europe de l'Ouest dans tout ça ?
Le lendemain de la Deuxième Guerre mondiale a eu pour effet de rendre l'Europe de l'Ouest complètement vulnérable et dépendante des USA. Son redressement économique a été tributaire du Plan Marshall. Pour ce qui est de sa défense territoriale face à l'URSS et dans le contexte de la Guerre froide, les pays de l'Europe de l'Ouest étaient complètement intégrés, pour ne pas dire inféodés, à l'OTAN, une organisation internationale conçue, contrôlée et dirigée par les USA. L'Europe de l'Ouest se retrouvant dès lors dans une situation pour n'être, dans un premier temps, qu'un vaste marché dans lequel les USA pouvaient déverser leurs produits finis et, dans un deuxième temps, que des territoires aux pouvoirs stratégiques et militaires diminués.
Il faudra attendre en 1992 avant que l'Union politique européenne (UE) et une monnaie commune (l'Euro) voient le jour. Le traité de Maastricht prévoit de fait une politique étrangère et de sécurité commune. Sauf que dans les faits, les 27 États membres de l'UE n'ont jusqu'à maintenant toujours pas été en mesure de mettre en commun leur politique militaire et de défense stratégique hors du cadre de l'OTAN.
Chose certaine, les volontés expansionnistes et belliqueuses de Poutine, sans négliger certains éléments de politique étrangère stratégique de Trump II, sont à coup sûr en train de changer la donne. Cette conjoncture provoque la multiplication des rencontres au sommet de l'UE, où la question surgie à l'ordre du jour est la suivante : que faire devant cet imprévisible président américain qui envoie des signes à l'effet qu'il veut larguer et abandonner les alliés européens à eux-mêmes devant les visées belliqueuses de Poutine ?
Nouvelle donne à l'échelle internationale et sur les plans intérieur et extérieur aux USA
Notre intention n'est pas de présenter ici un condensé de l'histoire mondiale post-1945. Mentionnons tout de même que de 1945 à aujourd'hui il y a eu un certain nombre de changements et de bouleversements qui ont donné lieu à une reconfiguration des rapports de force à l'échelle mondiale, le tout accompagné d'une redéfinition de la division internationale du travail.
Bref, il y a eu un certain nombre de changements économiques, idéologiques, politiques et militaires majeurs. À l'ouest, le Welfare State a cédé le pas à un État de type néolibéral au sein duquel les mesures sociales et progressistes, faisant la promotion de l'égalité des chances, ont été remises frontalement en question. L'intégration de la République populaire de Chine à la fois dans le système politique international et dans l'économie-monde a eu pour effet de faire de ce pays la manufacture mondiale qui affichera sous peu le plus fort PIB. Pour ce qui est de sa puissance militaire, elle est devenue indubitablement redoutable. L'Empire du Milieu peut compter sur un bassin de population d'un milliard d'êtres humains et dispose de la puissance atomique ainsi que d'un dispositif militaire nucléaire ultra sophistiqué. Les quatre modernisations prônées par Deng Xiaoping auront, par conséquent, été très profitables à ce pays qui, sous Mao Tsé-Toung, voulait tout au plus se poser en tant que leader des pays non alignés.
Depuis quelques années, la Chine commence à concurrencer sérieusement les USA et elle se taille une place un peu partout sur la planète en général, ainsi qu'auprès de pays du continent africain en particulier. Ce constat se répercute maintenant, entre autres choses, sur le résultat des votes à l'Assemblée générale de l'ONU.
En définitive, du lendemain de la Deuxième Guerre mondiale à l'effondrement de l'Empire soviétique au début des années quatre-vingt-dix du siècle dernier, le monde n'a jamais cessé de changer d'assise, parfois lentement et parfois brusquement. Et résultat : nous sommes encore loin de la fin de l'histoire contrairement à la prévision fantaisiste de Fukuyama empruntée, en partie, à Hegel.
Chose certaine, la Chine talonne les USA au niveau de son PIB. En plus, ces derniers ont une économie qui dépend de la production manufacturière chinoise et sa balance commerciale est largement déficitaire avec ses principaux partenaires économiques que sont la Chine, l'Europe de l'Ouest, le Mexique et le Canada. La dette américaine est colossale et son principal banquier a aussi pour nom la Chine. Pendant ce temps, la Russie bombe du torse et effectue un rapprochement en direction de cette dernière, qui partage une idéologie comparable.
Puis le nouveau monarque élu des USA annonce vouloir rétablir la situation à son avantage. Il envisage un expansionnisme territorial (le Canada et le Groenland sont dans sa mire, tantôt à la blague, tantôt sur un ton menaçant), dont l'annonce a eu pour effet de prendre de court et d'étonner tout le monde. Trump II veut se lancer dans une guerre commerciale et annonce l'imposition éventuelle de tarifs douaniers pouvant aller jusqu'à 25 % sur les produits importés sur son territoire. N'en restant pas là, pour réduire la taille de l'appareil gouvernemental américain, il confie à un non-élu, Elon Musk — qui se retrouve en conflit d'intérêts —, la direction d'un supposé Département (parallèle) de l'efficacité gouvernementale qui a pour fondement légal la seule et simple volonté unilatérale du président Trump. Celui-ci a pour mandat de tronçonner les agences fédérales et de sabrer dans leurs effectifs de fonctionnaires, y compris dans les départements gouvernementaux.
Plus encore, dans le rayon des annonces saugrenues qui s'inscrivent dans un changement d'époque dans la politique intérieure américaine, on nous annonce maintenant que les accréditations à la salle de presse de la Maison-Blanche feront dorénavant l'objet d'une nouvelle sélection. Celles-ci seront accordées également à des réseaux sociaux présents sur le NET qui diffusent des informations vantant les idées — érigées en des vérités incontestables — et les politiques de Donald Trump. Doit-on y voir un souhait de propagande ? Retenons ceci :
«
Si toutes les sources d'information sont contrôlées par une autorité unique, il ne s'agit plus simplement de persuader le public de préférer une autre à une autre. Là, le propagandiste habile dispose du pouvoir de modeler l'esprit, de diriger les idées dans un sens déterminé, influence à laquelle même les hommes les plus intelligents et les plus indépendants ne peuvent pas échapper à la longue, s'ils sont privés d'une façon permanente de toute autre source d'information
» (Hayek, 2013[1946], p. 164).
Si Hayek parlait ici de cette inclination des dirigeants totalitaires à imposer leur mythe idéologique, la nouveauté ici est que le totalitarisme prend une tournure farouchement de droite. En plus, la présidence américaine n'empêche point la population d'être informée ailleurs, mais contrôlera les images, les messages et les idées qui seront diffusés à partir de sources exclusives. En restreignant l'accès à quelques médias bien triés, elle empêche aux autres de recevoir l'information en direct, ce qui nuit à leur capacité de critique. Ainsi, la stratégie consiste à les discriminer pour inciter les gens à se tourner vers les médias approuvés qui se voient attribuer, par défaut, une plus grande légitimité pour interpréter le message reçu. Et c'est à ce niveau que l'homme intelligent fera face à un dilemme : acquiescer ou non à ce qui est communiqué par les médias exclus, mais aussi les médias inclus. En contrôlant l'information et en détournant la vérité, l'astuce consiste aussi à démontrer la façon de pouvoir accepter ces alternatives proposées. Il y a alors redéfinition du bien et du mal, y compris des valeurs afférentes :
«
La meilleure façon de faire admettre aux hommes l'authenticité des valeurs qu'on leur propose, c'est de les convaincre de leur identité avec celles qu'ils avaient, du moins les meilleurs d'entre eux, toujours appréciées, sans toutefois les avoir auparavant parfaitement comprises ou reconnues. On persuade le peuple de troquer ses anciens dieux contre de nouveaux, en lui faisant croire que les nouveaux dieux lui avaient été révélés depuis toujours par son instinct naturel, mais qu'il en avait que confusément senti la présence. La technique la plus efficace pour arriver à cette fin consiste à employer des termes anciens en leur prêtant un sens nouveau » (Hayek, 2013[1946], p. 167).
Et la présidence américaine l'exprime par le MAGA, porté sur la tête — voire une casquette — comme une couronne sur laquelle tous les sujets peuvent y lire ce message mythique leur étant destiné pour l'avenir. Mais l'intrusion du web dans les outils de propagande suppose également le moyen des algorithmes, visant à multiplier les messages et à s'introduire insidieusement dans les écrans de la population américaine (et d'ailleurs). Le subliminal s'immisce tout autant, afin de renforcer la transformation des mentalités.
Par ailleurs, la réserve de Fort Knox fera l'objet d'une visite par Donald Trump et Elon Musk, question de faciliter possiblement le passage d'une réserve fondée sur l'or à une autre qui repose sur l'accumulation de cryptomonnaie. La déréglementation tant espérée par les idéologues de l'ultradroite néoconservatrice des années quatre-vingt semble être au poste de commande dans ce pays où la classe dirigeante donne des signes qu'elle entend cette fois-ci réussir dans sa volonté de faire « table rase » d'un certain passé.
Le passage du détroit de Béring et son impact sur la géopolitique et les alliances stratégiques mondiales…
Et pendant ce temps le réchauffement climatique poursuit son œuvre. Ce qui était jadis une réserve de neiges éternelles rendant impossible la navigation est en train de fondre à une vitesse plus accélérée qu'ailleurs sur la planète bleue. La preuve en est, l'étroit passage du détroit de Béring est maintenant accessible six mois par année et peut faciliter le déplacement de marchandises en provenance des USA, de la Russie et de la Chine vers des marchés autrement plus éloignés, lorsque transportés et déplacés de par le monde via le canal de Panama, le canal de Suez et le détroit de Malacca.
À la hauteur du passage le plus étroit du détroit de Béring, il n'y a que 85 kilomètres qui séparent la Russie des USA. Pour ce qui est de la distance entre les îles Diomède, c'est-à-dire entre la Grande (qui appartient à la Russie) et la Petite (aux USA), on calcule à peine trois kilomètres.
Qualifié durant la guerre froide de « Rideau de glace », le détroit de Béring est incontestablement un passage stratégique, puisque rejoignant deux océans, soit l'Arctique et le Pacifique. Il va sans dire que cet endroit comporte des bases militaires importantes pour les deux protagonistes qui ont polarisé le monde tout au long du XXe siècle (d'abord, la rivalité entre le système communiste versus le système capitaliste et ensuite, l'affrontement entre le bloc de l'Est versus le bloc de l'Ouest).
Quelques données montrent hors de tout doute qu'il y aura un déplacement majeur du transport maritime au cours des prochaines décennies. Que ce soit entre Shanghai et Rotterdam ou entre Seattle et l'Europe, une réduction de la navigation d'environ 4 000 à 5 000 km pour rejoindre les différents ports constitue un avantage économique indéniable. Par contre, les routes maritimes qui transitent par les canaux de Suez et de Panama seront moins fréquentées. Mais cela ne leur enlève en rien leur rôle stratégique dans les échanges, soit avec les pays du sud, soit avec le Moyen-Orient.
Cela dit, une route transpolaire pourrait même voir le jour et avoir pour effet de réduire les distances de transport entre la Russie et la Chine. Celle-ci, présente dans l'océan Arctique, pourrait avoir un impact aussi majeur que celle qui a vu le jour à la fin du XVe siècle avec la première expédition de Christophe Colomb. Pourquoi ? Parce que cette voie maritime arctique placerait la Russie au cœur des échanges commerciaux mondiaux et permettrait une intensification de ses liens avec son principal client en gaz et en pétrole, c'est-à-dire la Chine. Ainsi, par cette ouverture, leur position géographique les avantage par rapport aux USA… confrontés à la présence du Canada.
Pour le moment, le nombre de navires qui transitent annuellement par le détroit de Béring (50 environ) ne fait pas le poids face au canal de Panama (15 000), au canal de Suez (17 000) et au détroit de Malacca (80 000)2. Mais dans un monde où même les glaces éternelles ont un caractère précaire et fondent à vue d'oeil, il va falloir regarder la carte du monde non pas à plat sur un mur, mais à partir du cercle polaire dans toute son étendue…
Mais à l'approche du véritable jeu de bras de fer sur l'accaparement de la voie de l'arctique, s'annonce aussi le jeu d'équilibre entre la sécurité et la liberté. Car vouloir contrôler des trajectoires, c'est aussi imposer des limites à la liberté des échanges. Autrement dit, confronter une logique de monopoles à la libre concurrence, ce qui peut engendrer des tensions et des conflits. Car le contrôle suppose une sécurité économique qui, si nous extrapolons certaines notions de Friedrich A. Hayek (2013[1946]) de façon à les transposer à l'échelle internationale, peut servir à avantager certains joueurs au détriment d'autres, voire à créer de l'insécurité pouvant être synonyme d'instabilité.
À la fonte des glaces semblent s'ajouter maintenant un fossé et des divergences de vues entre les pays occidentaux. La prévision de Fukuyama est donc loin d'être confirmée. Elle donne lieu à une réfutation de la part du pays qui semblait avoir triomphé et réussi à imposer le passage de la bipolarité à l'unipolarité.
La nouvelle alliance politique aux USA : changement de ton ou changement d'ère ?
Trump II est à la tête d'une alliance politique qui vise à mettre en œuvre une contre-révolution républicaine et libertarienne qui a pour objectif la liquidation du système politique international issue de la Deuxième Guerre mondiale, la rupture des alliances internationales entre les USA et les partenaires du monde « libre », la déréglementation, la baisse des impôts, l'imposition de tarifs douaniers, la conduite d'une politique réactionnaire en regard des droits des femmes, l'expulsion de certains immigrants, le promotion des entreprises liées à la haute technologie, les nouvelles agences d'information en provenance des réseaux sociaux qui adhèrent à la « vérité » présidentielle, la mise de l'avant d'un nationalisme autoritaire et étroit, un populisme qui l'amène à identifier l'État à lui-même et un patriotisme exacerbé et ainsi de suite, ainsi de suite…
Décidément, nous n'assistons pas seulement à un changement de ton dans la conduite de la politique américaine, mais aussi possiblement à un changement d'ère. Une ère viciée sur le plan de la promotion des droits démocratiques et de l'accès à l'information, mais aussi une remise en question des alliances internationales qui se feront davantage entre têtes dirigeantes, et ce au mépris des institutions politiques gouvernementales prévues dans la constitution américaine. L'ambition, la richesse, le pouvoir constituent des pulsions caractéristiques de la nature humaine, mais amplifiées entre les mains d'un dirigeant qui s'appuie seulement sur lui-même. Un tyran attire un autre tyran, les visées personnelles sont extrapolées à l'échelle nationale, toujours en vantant des valeurs partagées par les populations. Mais cette ère de tyrannie diffère de la précédente, dans la mesure où, comme déjà dit, le totalitarisme s'est transformé en une montée de l'extrême droite libertarienne, axée sur la richesse, le pouvoir et la destruction de l'État en vue de l'avènement du tyran-État, à savoir dans un paradoxal retour vers l'histoire.
Sur la thèse de Fukuyama au sujet de la fin de l'histoire…
La thèse de Francis Fukuyama au sujet de la fin de l'histoire est d'un simplisme désarmant. Elle consiste en ceci : le professeur de l'université Harvard prétend qu'avec la victoire du système de gouvernement des démocraties libérales sur des idéologies rivales comme le fascisme et le communisme, la démocratie libérale constitue rien de moins que « le point final de l'évolution idéologique de l'humanité ».
Fukuyama a volontairement ignoré dans l'élaboration de sa thèse que les mouvements idéologiques de l'histoire peuvent s'inscrire tantôt dans les voies du progrès et tantôt dans les avenues des reculs. Il vaut la peine de se demander en vertu de quelle loi historique la nature humaine se serait-elle à ce point métamorphosée que tous les dirigeants politiques auraient un jour renoncer à la concurrence idéologique et politique, à la pratique du conflit, à la soif de puissance, aux comportements irrationnels et qu'elles et qu'ils auraient accepté subitement d'adhérer à un régime politique uniforme.
La lacune principale du raisonnement de Fukuyama réside dans sa conviction de la prévisibilité de l'histoire et de la permanence du moment présent. En matière d'avenir, affirmons-le avec force, rien n'est prévisible. Les tendances actuelles ne sont pas éternelles. À partir du moment où il est établi que l'histoire relève du domaine de la contingence, des changements imprévisibles et inattendus peuvent se produire. Les nombreuses erreurs de pronostic de la marche « irréversible de l'histoire » nous invitent plutôt à nous méfier des prévisions dans le champ de la pratique historique. Nous sommes d'avis que nous nous retrouvons toujours dans un mouvement historique qui s'alimente à la dynamique du changement et des conflits, et les théories pour rendre compte de ce mouvement dynamique sont en décalage sur la réalité. Voilà pourquoi il faut toujours se méfier des théories simplistes, même de celles venant des supposées sommités intellectuelles.
Pour conclure
Trump II veut s'afficher et s'imposer comme le « maître du monde » capable d'imposer une division entre la Russie et la Chine et il pense être en mesure de réaliser le tout seul, sans l'appui des pays alliés de la période post-Deuxième Guerre mondiale… C'est, selon nous, un pari qui comporte beaucoup de risques en raison de cette possible et éventuelle reconfiguration de la carte du transport maritime arctique. La Russie voudra-t-elle revivre une rupture dans ses relations diplomatiques et dans ses échanges commerciaux comme cela a été le cas durant l'ère de Lénine, de Staline et les années cinquante jusqu'aux années quatre-vingt-dix ? Voilà l'une des questions incontournables qui découlent des changements récemment observés dans les alliances politiques à l'échelle internationale. Interrogation à laquelle s'ajoute inévitablement celle-ci : la Chine et la Russie voudront-elles se priver du plaisir de participer et de contribuer à l'effondrement du « Tigre de papier » qu'est l'empire américain ? Cela serait étonnant.
Décidément, l'histoire est une immense marmite dans laquelle nous ne cessons de retrouver les mêmes ingrédients qui tantôt nous font vivre une période de paix provisoire et tantôt des tensions pouvant mener à une ou des conflits militaires ouverts. Ce sont donc résolument les quantités des ingrédients des différentes recettes qui changent. Pour ce qui est du reste, constatons que plus ça change, plus c'est pareil. Parce que malheureusement la mémoire — même collective — est une faculté qui oublie. Mais aussi parce que les instincts primaires de la nature humaine, pour ne pas nommer les passions, dépassent souvent la raison. Et parce que finalement il faut peut-être reconnaître cette assertion d'Yves Lacoste, selon laquelle « la géographie, ça sert, d'abord, à faire la guerre », alors que des aspirations économiques et de puissance servent à la cause ; on revient alors aux passions auxquelles une raison est donnée.
Guylain Bernier
Yvan Perrier
28 février et 1er mars 2025
18h20
Références
Cordelier, Serge (dir.). 2002. Le dictionnaire historique et géopolitique du 20e siècle. Paris : La découverte, 768 p.
Fukuyama, Francis. 1992. La fin de l'histoire et le dernier homme. Paris : Flammarion, 451 p.
Hauser, Henri et Augustin Renaudet. 1946. Les débuts de l'âge moderne. Paris : Presses Universitaires de France, 654 p.
Hayek, Friedrich A. 2013. La route de la servitude [1946] (6e éd.). Paris : Presses Universitaires de France, 260 p.
Hocq, Christian. 2014. Dictionnaire d'histoire politique du XXe siècle. Paris : Ellipses poche, 1052 p.
Inglebert, Hervé. 2014. Le monde, l'histoire : Essai sur les histoires universelles. Paris : Presses Universitaires de France, 1237 p.
Mourre, Michel. 2006. Le petit Mourre : Dictionnaire d'Histoire universelle. Paris : Bordas, 1563 p.
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Jordanie – Égypte. Quand la chaîne Al-Jazira allume le feu

La couverture ambiguë faite par la chaîne qatarie Al-Jazira de la rencontre, le 11 février 2025, entre le roi Abdallah II de Jordanie et le président étatsunien Donald Trump, a provoqué de nombreuses réactions de colère dans le royaume hachémite et une montée de tensions avec une partie de l'opinion publique égyptienne, révélant la permanence de vieilles rancœurs passées.
Tiré d'Orient XXI.
Si le contexte de la guerre génocidaire à Gaza a creusé un fossé entre les populations des pays arabes et les gouvernements occidentaux, il a également réactivé des rancœurs passées entre pays arabes. La couverture pour le moins maladroite par Al-Jazira de la rencontre entre le roi Abdallah II de Jordanie et le président étatsunien Donald Trump l'a bien montré. Moins de dix jours après son investiture pour un second mandat, ce dernier a présenté son projet de nettoyage ethnique par la déportation des habitants de Gaza vers l'Égypte et la Jordanie. Les ministres des affaires étrangères de l'Égypte, de la Jordanie, des Émirats arabes unis, de l'Arabie saoudite, du Qatar, un représentant de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) et le secrétaire général de la Ligue arabe y ont réagi dans un communiqué en date du 1er février 2025. Ils y refusaient catégoriquement « l'idée de déporter les Palestiniens de leur terre sous quelque circonstance que ce soit. »
Le Caire et Amman étant concernés en première ligne, une coordination égypto-jordanienne s'est traduite par la visite du prince héritier jordanien Hussein chez le président égyptien Abdelfattah Al-Sissi, le 16 février 2025. Le communiqué du palais royal jordanien qui s'en est suivi a souligné la nécessité de reconstruire la bande de Gaza « sans déporter le peuple palestinien frère ».
Suite au communiqué conjoint du 1er février, la Maison Blanche a invité le roi jordanien ainsi que le président égyptien à Washington. Si le palais royal a répondu présent, l'Égypte a fini par refuser l'invitation après la rencontre du président étatsunien et du roi Abdallah II, le 11 février.
Des « alertes » décontextualisées
Durant la rencontre avec le président étatsunien, en présence de la presse, le souverain jordanien a exprimé sa confiance en la capacité de Trump d'« instaurer la paix au Proche-Orient ». Cependant, il a évité de répondre aux attentes des États-Unis concernant l'accueil d'une partie des Palestiniens déportés. Lorsque Trump a fini par poser lui-même la question au roi, celui-ci a rappelé que toute décision s'appuiera sur un plan arabe commun avec l'Égypte et l'Arabie saoudite.
La chaîne qatarie Al-Jazira n'a pas retransmis cette rencontre en direct, mais en a rendu compte au fur et à mesure, à travers des bandeaux signalant les titres urgents. Voici la liste des alertes dans l'ordre où elles ont été diffusées :
- Trump : « Ce qui sera proposé sera extraordinaire pour les Palestiniens. Je connais bien le domaine immobilier et je pense que les Palestiniens apprécieront ce qu'on leur proposera. »
- Le roi de Jordanie : « Nous discuterons en Arabie saoudite comment travailler avec les États-Unis sur Gaza. Il y aura des réactions internationales. »
- Le roi de Jordanie : « Ce que nous pouvons faire immédiatement, c'est accueillir 2 000 enfants malades de Gaza. Nous attendons que l'Égypte présente de son côté un plan. »
- Le roi de Jordanie concernant l'accueil de Palestiniens : « Il faut prendre en compte la manière de faire cela de sorte à servir les intérêts de tous. »
- Le roi de Jordanie concernant la disponibilité d'une terre où les Palestiniens pourraient s'installer : « Je dois faire ce qui est dans l'intérêt de mon pays. »
Sorties de leur contexte, ces citations, émanant de dépêches de l'agence Reuters, ont donné l'impression que le roi Abdallah II acceptait le plan de Trump, et qu'il comptait accueillir les Palestiniens en Jordanie.
Or, à aucun moment, le roi n'a émis le moindre consentement quant à ce plan. Il a seulement déclaré que tout ce que son pays pouvait faire dans l'immédiat, c'était d'accueillir 2 000 enfants gazaouis atteints de cancer ou dont l'état de santé était particulièrement dégradé. Une initiative que le président étatsunien a qualifiée de « belle » en affirmant qu'il venait d'en apprendre l'existence. Ensuite, Abdallah II n'a pas parlé de la troisième minute de la conférence de presse à la huitième minute. Il n'a repris la parole que lorsqu'un journaliste lui a demandé son avis sur le souhait des États-Unis de contrôler Gaza. Évitant de répondre directement à la question, il a plutôt réaffirmé qu'il fallait attendre que l'Égypte présente son plan et ne pas précipiter les choses.
Lorsque le journaliste a de nouveau demandé au roi si des terres jordaniennes seraient allouées pour accueillir les Gazaouis, celui-ci a répondu qu'il devait penser en priorité à l'intérêt de son pays. Il a ajouté que le président étatsunien appréciait la décision jordanienne d'accueillir les 2 000 enfants. Cette dernière proposition s'est avérée bien pratique pour permettre au souverain jordanien de ne pas se prononcer sur des plans futurs ni de consentir au projet des États-Unis.
Vague de colère à Amman et au Caire
Comme dans le reste du monde arabe, la chaîne Al-Jazira est l'une des chaînes d'information continue les plus suivies en Jordanie. Elle l'est d'autant plus depuis le 7 octobre, grâce à sa couverture de la guerre génocidaire à Gaza rendue possible par un large réseau de correspondants dans la bande de Gaza et en Cisjordanie.
Mais la manière dont elle a rendu compte de la rencontre entre les dirigeants jordanien et étatsunien a mis le feu aux poudres en Jordanie. Certains étaient en colère, pensant que le roi avait consenti à « vendre Gaza » et « trahir la cause [palestinienne] ». D'autres en voulaient à la chaîne qatarie, l'accusant de « ternir l'image de la Jordanie » et de son roi en « diffusant de fausses informations ». Enfin, les soutiens du gouvernement jordanien ont rappelé que les intérêts de la Jordanie passaient avant tout.
Dans la même soirée, le ministre jordanien des affaires étrangères Ahmed Safadi est intervenu sur plusieurs chaînes de la télévision pour clarifier les déclarations du roi et lever le quiproquo. Il a souligné que le roi n'a, à aucun moment, émis d'accord sur le plan de Trump de déporter les habitants de Gaza.
Mais les réactions ne se sont pas limitées à la Jordanie. Les réseaux sociaux égyptiens se sont enflammés à leur tour, accusant le roi d'avoir « vendu » Gaza. Ils reprochaient aussi à la Jordanie de se mettre en retrait pour laisser l'Égypte assumer toute la responsabilité, jugeant par ailleurs la présence et les déclarations d'Abdallah II « plutôt faibles ». Des internautes ont même mobilisé l'histoire, rappelant comment la famille royale hachémite s'est retrouvée à la tête du royaume, ou encore les critiques acerbes du président Gamal Abdel Nasser à l'encontre du défunt roi Hussein, père de Abdallah II (1). Une bataille s'est enclenchée sur les réseaux sociaux entre Égyptiens et Jordaniens. Ces derniers défendaient la position du roi, arguant que ce dernier avait su éviter les pièges qui lui avaient été tendus par Washington. Ils sont allés jusqu'à accuser les Frères musulmans, qui jouissent depuis septembre 2024 d'une majorité relative au Parlement, d'alimenter ces critiques.
Intervention de la Maison Blanche
Voulant calmer le jeu, la porte-parole de la Maison Blanche Karoline Leavitt a tenu une conférence de presse le lendemain. Elle a confirmé que le roi Abdallah II a formellement refusé la proposition de président Trump, ce qui a mis fin à tout débat autour de la déportation des Palestiniens. Quelques heures après ces déclarations, la Maison Blanche a publié un message d'une quarantaine de secondes remerciant le roi Abdallah II et son peuple, suite à sa visite.
Le secrétaire d'État aux affaires étrangères Marco Rubio a déclaré deux jours plus tard que « pour le moment, le seul plan — bien qu'il ne plaise pas [aux pays arabes] — est celui proposé par Trump. S'ils ont une meilleure proposition, il est temps de la présenter. » Une proposition jordano-égyptienne, ainsi que la visite de Sissi à Washington, est prévue dans la foulée du sommet urgent de la Ligue arabe, qui se tiendra le 4 mars, convoqué par le prince héritier saoudien Mohamed Ben Salmane.
Rubio a également déclaré : « Tous ces pays accordent une grande attention aux Palestiniens, mais aucun d'entre eux ne veut les accueillir, et, historiquement, aucun d'eux n'a rien fait pour Gaza. » Ainsi, le responsable de la politique étrangère étatsunien ne semble pas au courant qu'une grande partie du peuple jordanien est d'origine palestinienne ni que la Syrie et le Liban accueillent déjà, depuis plusieurs décennies, des réfugiés palestiniens.
À cause de cette polémique, des voix ont appelé sur les réseaux sociaux en Jordanie à boycotter Al-Jazira. Ce n'est pas la première fois que la chaîne qatarie fait l'objet de tels appels. Au-delà de l'actualité extrêmement tendue, les conséquences de sa couverture décontextualisée montrent la permanence de vieilles rancœurs arabes, que seul peut contrebalancer l'attachement des populations arabes à la question palestinienne.
Notes
1- NDLR. Les deux dirigeants entretenaient des relations assez exécrables, Nasser accusant le roi jordanien d'être l'allié de l'impérialisme britannique, tandis que Hussein se sentait menacé par le panarabisme prôné par Nasser. Il arrivait alors souvent à ce dernier de traiter le monarque de tous les noms d'oiseaux lors de ses discours.
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Palestine, la censure frappe fort

Sur Instagram, chaque publication est une arme de mobilisation ou une cible de censure. Une image, un mot, un hashtag peuvent éveiller des millions de consciences ou disparaître en un instant. Pour les militant.es pro-Palestine, la plateforme est un terrain de lutte où chaque publication est un acte de résistance, chaque bannissement une tentative de les faire taire. Samar Alkhdour, en première ligne de cette bataille numérique, raconte comment son combat solitaire est devenu un mouvement collectif, malgré la répression orchestrée par les géants du web.
Tiré d'alter.quebec
Militantisme digital
À l'ère du numérique, le militantisme s'impose sur les réseaux sociaux, redéfinissant la défense des causes sociales. Publications virales, mots-dièse percutants, pétitions en ligne, chaque action peut exploser en un instant. Portée par une génération de « webmilitantisme » engagé et réactif, cette dynamique fait des plateformes numériques des leviers essentiels de sensibilisation et de mobilisation. Néanmoins, leur combat n'est pas sans contraintes.
Dans le contexte du génocide palestinien, ces activistes sont à la fois des armes de résistance, mais peuvent aussi être manipulé.es à des fins de désinformation. Les entreprises technologiques jouent désormais un rôle actif dans l'exclusion des voix palestiniennes, amplifiant ainsi l'effort systématique pour les réduire au silence. Utilisée pour détourner l'attention, semer la confusion et atténuer l'indignation publique, l'action de résistance numérique est devenue une cible et un terrain propre à la propagation de fausses informations.
L'exemple le plus marquant reste la rumeur des « 40 bébés décapités ». Relayée sans la moindre preuve par des médias influents comme CNN, des responsables politiques et même par le président Biden, elle fut discrètement démentie.
De plus, cette désinformation a des conséquences par ses incitations à la haine. Wadea Al-Fayoume, un enfant palestino-américain de six ans, a été poignardé à 26 reprises. Il fut reconnu que ce crime fut nourri par un climat d'hostilités, attisé par la couverture médiatique occidentale depuis le 7 octobre, en particulier par les discours incendiaires relayés sur les ondes des radios conservatrices.
Le combat de Samar Alkhdour : à armes inégales et à géométrie variable
Face au révisionnisme historique qui tente de déformer les faits, les mouvements pro-Palestine redoublent de créativité pour faire entendre la vérité. Samar Alkhdour en est une. Mère montréalaise d'origine palestinienne, elle mène ce combat avec une intensité particulière. Sa fille, Jana, s'est éteinte à Gaza, affaiblie par une grave malnutrition, et ce dans l'attente d'une décision d'Ottawa. Un drame qui renforce encore sa détermination.

Militante passionnée, elle allie activisme numérique et action sur le terrain, pour dénoncer la censure systématique et la désinformation qui entourent la cause palestinienne, déterminée à briser le silence imposé par les grandes plateformes et les médias dominants.
Elle témoigne des restrictions croissantes qu'elle subit sur Instagram, où elle a été bannie des directs et empêchée de collaborer avec d'autres comptes. Meta supprime aussi certaines de ses publications éphémères (Stories) sans avertissement, une censure accentuée par des biais algorithmiques qui ciblent disproportionnellement les contenus pro-Palestine. Comme l'a illustré l'erreur de traduction de Meta en octobre 2023, où le mot « terroriste » a été ajouté à des profils mentionnant « Palestinien » et « Alhamdulillah ».
Ces entraves illustrent les difficultés grandissantes auxquelles sont confrontés les mouvements militants sur les réseaux sociaux, où l'usage de certains mots jugés « sensibles » ou « antisémites » entraîne une censure automatique. « Plus je publie sur la Palestine, plus le bannissement furtif s'intensifie », déplore-t-elle, soulignant l'impact direct de ces restrictions sur la diffusion de l'information. Imposant alors une asymétrie entre le discours dominant et les voix dissidentes.
Cette potentielle censure pousse les militantes et militants à s'adapter pour poursuivre leur engagement dans la lutte numérique contre Israël. S'efforçant de trouver des failles aux interdictions répétées de diffusion directe sur Instagram, Samar mise désormais sur d'autres formats, comme les Reels et les publications classiques.
Elle sollicite également des pages et des proches disposant d'une large audience pour relayer son contenu. Récemment, elle a découvert qu'en « remixant » un Reel, elle pouvait le publier sur son compte sans qu'il soit bloqué, une astuce qui lui permet de contourner l'interdiction de collaboration imposée par la plateforme.
Le virtuel rallume la flamme de l'action
Malgré ces obstacles, Samar affirme que les réseaux sociaux restent tout de même un outil incontournable. Offrant une audience sans limites, Instagram joue un rôle essentiel dans la diffusion d'informations en temps réel. Son sit-in (pour dénoncer l'inaction du gouvernement canadien concernant l'accueil des personnes réfugiées palestiniennes) n'aurait jamais été entendu sans les réseaux sociaux, confie-t-elle. « Ce qui était un acte solitaire est devenu un mouvement collectif. »
Cette influence grandissante est la raison même de ce muselage et elle a un prix : la désensibilisation du public. C'est pour cette raison que les deux formes de militantisme, numérique et physique, sont essentielles et complémentaires. L'un nourrit l'autre et les maintient en mouvement.
Le défi actuel réside dans le fait que l'engagement militant cesse dès qu'on quitte le réseau social. À elles seules, les campagnes en ligne peinent à influencer les décisions politiques ou économiques, mais lorsqu'elles s'articulent avec des actions sur le terrain, leur portée s'amplifie. Pour celles et ceux qui ne peuvent pas manifester physiquement, les réseaux sociaux restent souvent le seul moyen de soutenir la cause palestinienne et de faire entendre leur voix.
Soutenez Samar et sa famille : contribuez à sa campagne de socio-financement sur GoFundMe
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Les antinomies de la guerre russo-ukrainienne et ses défis pour la théorie féministe

Lorsque l'invasion à grande échelle de l'Ukraine par la Russie a commencé le 24 février 2022, les féministes de différentes parties du monde n'ont pas gardé le silence : elles ont immédiatement condamné l'agression russe et déclaré leur solidarité avec l'Ukraine.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Il y a eu à la fois des déclarations individuelles et des manifestes collectifs signés par des centaines de militantes et de chercheuses féministes. Ces déclarations ont été suivies par de nombreuses actions collectives anti-guerre, des piquets de grève et des conférences internationales en soutien à l'Ukraine et aux féministes ukrainiennes, auxquelles ont participé des féministes du monde entier. Les féministes transnationales sont devenues une partie importante du mouvement de bénévoles en soutien aux émigrants des régions menacées d'Ukraine. Et en regardant rétrospectivement les événements du printemps 2022, nous pouvons dire qu'une mobilisation féministe anti-militariste véritablement massive a eu lieu.
Pourtant, au sein de cette mobilisation féministe internationale, des désaccords considérables sont rapidement apparus entre les féministes de différentes parties du monde, et surtout entre les féministes ukrainiennes et d'Europe de l'Est d'une part, et un certain nombre de féministes d'Europe occidentale et d'autres pays occidentaux d'autre part. Ces désaccords portaient sur la manière d'arrêter la guerre russo-ukrainienne et sur les stratégies de résistance au militarisme appropriées et efficaces pour les féministes aujourd'hui.
Les questions les plus contestées dans la communauté féministe internationale étaient (a) les stratégies féministes de résistance non-violente à la violence militariste et (b) les critiques féministes du complexe militaro-industriel occidental et des politiques militaristes correspondantes de l'OTAN. Lorsque le « Manifeste de la Résistance Féministe Contre la Guerre » a été publié en mars 2022, les auteures ont déclaré qu'elles « condamnent profondément l'invasion militaire menée par le régime de Poutine en Ukraine », mais ont en même temps condamné le rôle de l'OTAN dans le conflit, qui, selon les auteures, « est co-responsable de la situation créée par son expansionnisme mondial et son discours sécuritaire militariste » et donc elles « rejettent les décisions qui impliquent d'ajouter plus d'armes au conflit et d'augmenter les budgets de guerre » [1].
Peu après, un groupe de féministes ukrainiennes associées à la ressource socialiste ukrainienne Commons a vu dans cette position une manifestation de pacifisme abstrait et une ignorance du contexte politique et culturel ukrainien, accusant les auteures et les signataires du « Manifeste de la Résistance Féministe Contre la Guerre » de « nier aux femmes ukrainiennes ce droit à la résistance, qui constitue un acte fondamental d'autodéfense des opprimés » et de montrer une attention insuffisante « aux voix de celles directement touchées par l'agression impérialiste »[2].
Comme l'a écrit Tamara Zlobina, l'organisatrice de la ressource féministe ukrainienne « Gender in Detail » à propos du manifeste susmentionné et de déclarations similaires : « Aucune des 'sœurs' n'a pensé à consulter les féministes ukrainiennes lors de la rédaction de ces appels (et là où les Ukrainiennes ont accidentellement lu ces textes avant leur publication et les ont critiqués, leurs voix ont été simplement ignorées) » [3].
Certaines féministes occidentales qui ont adopté une position pacifiste concernant la guerre russo-ukrainienne ont exigé l'arrêt de la fourniture d'armes à l'Ukraine. Cette position a été condamnée par plusieurs chercheuses féministes d'Ukraine et d'Europe de l'Est comme « occidentalisée » ou une sorte de « westplaining » analogiquement au mansplaining [4]. En fait, certaines féministes ukrainiennes et d'Europe de l'Est caractérisent même ce « westplaining » comme colonial et une forme d'impérialisme épistémique, c'est-à-dire « l'hubris de croire que ce que l'on sait ou étudie d'un point de vue privilégié, comme au sein de l'académie anglophone, peut être exporté en bloc vers des contextes dont on ne sait peu ou rien » [5].
La plupart des féministes ukrainiennes sont également en profond désaccord avec la critique féministe occidentale de l'idéologie et de la politique du nationalisme comme patriarcal, misogyne et militariste. Plus précisément, les féministes ukrainiennes soutiennent qu'une telle évaluation critique de l'idéologie et du nationalisme n'est vraie que pour l'idéologie et le nationalisme des pays colonialistes et leur « nationalisme impérial », mais qu'elle ne convient pas au nationalisme des peuples colonisés qui s'appuient sur la politique du nationalisme dans leur juste lutte pour leur indépendance nationale et qui ont donc le droit d'affirmer leur « nationalisme émancipateur » [6].
Comme l'a écrit Anna Dovgopol, militante féministe ukrainienne et coordinatrice du programme Genre au Bureau de Kiev de la Fondation Heinrich Boell, en réponse aux appels à une solidarité féministe non pas nationaliste mais transnationale avec les féministes ukrainiennes : « Il est temps pour l'Occident d'enlever sa blouse blanche et d'écouter le 'monde en développement'. Et de prendre le temps de réfléchir pourquoi eux, en tant qu'Occidentaux, ont le privilège de dénoncer le nationalisme » [7].
Cela dit, les féministes ukrainiennes, y compris celles qui se positionnaient comme pacifistes, ont conclu qu'il est nécessaire de repenser le concept de militarisme dans le contexte du besoin de l'Ukraine d'une résistance armée contre l'agression russe [8]. Le féminisme ukrainien aujourd'hui, avec sa réévaluation du militarisme, est défini comme ce que « les femmes font dans l'armée ukrainienne » [9] lorsque votre pays est confronté à une guerre comprise dans le sens d'une guerre existentielle ou totale.
La notion de guerre totale signifie que le conflit s'étend également à la sphère de la culture. C'est pourquoi les féministes ukrainiennes refusent en règle générale de coopérer avec les féministes et les représentants culturels des « pays agresseurs » (Russie et Biélorussie) et refusent de participer aux réunions et actions communes, même si elles sont organisées pour soutenir l'Ukraine et que tous leurs participants sont des dissidents de leurs régimes autoritaires [10]. En fait, de nombreuses féministes ukrainiennes considèrent toute déclaration publique des féministes russes sur la situation en Ukraine, même celles condamnant l'agression russe en Ukraine et exprimant leur soutien aux opprimés, comme inacceptable, car leur discours est le discours des oppresseurs et « dilue les voix ukrainiennes, les rendant vagues et incompréhensibles » [11].
Comme il s'est avéré, de nombreuses féministes occidentales n'avaient pas anticipé une critique aussi acerbe et une compréhension aussi nationalement marquée de l'anti-militarisme et de la solidarité féministe. En fait, une réunion en ligne « Solidarité Féministe Transnationale avec les Féministes Ukrainiennes » organisée par Judith Butler, Sabine Hark et moi-même le 9 mai 2022 a mis en lumière un certain nombre de désaccords significatifs entre les féministes transnationales dans le contexte de la guerre russo-ukrainienne, notamment : (a) des désaccords dus à la division Est-Ouest, menés par des participantes représentant l'Europe centrale et orientale ; (b) des désaccords entre une éthique féministe de non-violence et des arguments féministes en défense des discours et pratiques de violence et de vengeance des femmes ; et (c) des désaccords entre transnationalisme et nationalisme [12]. Comme le déclare Hark, cette guerre « remet en question les certitudes féministes, pacifistes et de gauche » et exige de se reposer la question « qu'est-ce que la solidarité transnationale, féministe et réparatrice en temps de guerre ? » Et elle demande ensuite, « si le pacifisme a manifestement échoué, cela signifie-t-il que la solidarité devrait maintenant être militariste ? Et orientée nationalement ? » [13].
La Philosophie Occidentale sur les Antinomies de la Guerre Russo-Ukrainienne
Les désaccords au sein des études féministes esquissés ci-dessus ressemblent à ce que le regretté Jacques Derrida appelait une situation d'indécidabilité, où aucun choix rationnel et éthique n'est possible ou où le choix n'est possible que sous la forme d'un choix forcé paradoxal. L'indécidabilité dans le contexte de la guerre russo-ukrainienne ne se limitait pas aux seules chercheuses féministes. Certains philosophes politiques contemporains qui réfléchissaient à l'invasion à grande échelle de l'Ukraine par la Russie ont également formulé leurs déclarations sur la guerre en termes d'antinomies indécidables, que l'on peut appeler les antinomies de la guerre.
Jürgen Habermas, par exemple, a formulé ainsi la situation d'antinomies indécidables à laquelle la civilisation occidentale était confrontée à la lumière de l'invasion à grande échelle de l'Ukraine par la Russie :
L'Ukraine ne doit pas perdre. Cela est dû au fait que « si les alliés abandonnaient simplement l'Ukraine à son sort, ce ne serait pas seulement un scandale d'un point de vue politico-moral, ce serait aussi contraire aux intérêts de l'Occident » [14].
Poutine ne doit pas perdre. Poutine ne peut pas être acculé, car alors il pourra lancer une frappe nucléaire non seulement sur l'Ukraine mais aussi sur les pays de l'OTAN. Par conséquent, la défaite de Poutine signifie une guerre nucléaire mondiale et la mort de toute l'humanité [15].
De même, et de manière quelque peu surprenante, le critique constant d'Habermas, Slavoj Zizek, croyait que la guerre russo-ukrainienne impliquait la terreur de l'indécidabilité ou un choix forcé :
Nous sommes confrontés à un choix impossible : si nous faisons des compromis pour maintenir la paix, nous alimentons l'expansionnisme russe, que seule une « démilitarisation » de toute l'Europe satisfera. Mais si nous approuvons une confrontation totale, nous courons le risque élevé de précipiter une nouvelle guerre mondiale [16].
Ainsi, selon Habermas et Zizek, la situation politique de la guerre russo-ukrainienne s'apparente à une impasse indécidable, comme les antinomies de Kant. Mais les philosophes contemporains, contrairement à Kant, n'ont pas abandonné face à ces antinomies et ont continué à proposer diverses options pour surmonter les indécidabilités de la guerre russo-ukrainienne.
Parmi eux se trouve le célèbre critique du militarisme et pacifiste Noam Chomsky, qui pense que les Ukrainiens et le reste du monde devraient accepter les exigences de Poutine, puisque « nous avons stupidement manqué l'occasion d'influencer Poutine en temps de paix » et, en réprimant leurs sentiments d'indignation envers le criminel de guerre Poutine, se résigner à la triste réalité que c'est le seul moyen d'éviter la Troisième Guerre mondiale [17]. Bien que cette évaluation puisse sembler extrême, la position de Chomsky est en fait proche de celle d'Habermas, qui propose une stratégie plus sophistiquée pour confronter le régime de Poutine, qu'il appelle une « approche équilibrée éclairée et [qui implique] une pesée des risques » [18].
Selon Habermas, c'est précisément la stratégie que poursuit le chancelier allemand Olaf Scholz lorsqu'il insiste sur un exercice d'équilibre politiquement justifié entre la défaite de l'Ukraine et l'escalade d'un conflit limité en Troisième Guerre mondiale : l'Ukraine ne doit pas perdre, mais nous devons soigneusement peser chaque étape du soutien militaire, pour empêcher Poutine d'agir comme si l'Allemagne et d'autres pays de l'OTAN étaient officiellement entrés en guerre [19]. Dans ses publications ultérieures, Habermas continue de développer cette idée, proposant de chercher une solution à l'antinomie de la guerre en Ukraine via des négociations qui permettraient de trouver un compromis qui sauvera la face des deux côtés malgré leurs exigences diamétralement opposées [20]. Est-ce cette stratégie de négociation et de règlement que les féministes préconisant les stratégies de non-violence devraient rechercher ?
Les féministes ukrainiennes de gauche associées à la ressource socialiste Commons sont plus attirées par la position d'Etienne Balibar qui, contrairement à la position prudente et compromettante d'Habermas, choisit une stratégie plus ouverte et courageuse. Balibar n'a aucune illusion sur la perspective de pacifier Poutine par la négociation. « On peut être plus pessimiste sur les perspectives futures : on peut dire que les chances d'éviter une catastrophe sont minces » [21]. Ainsi, le devoir de l'intellectuel, selon Balibar, est de prendre une position sans équivoque dans cette situation tragique d'indécidabilité, qui porte la menace d'une guerre nucléaire mondiale et de la destruction de l'humanité. Et Balibar fait effectivement un choix politique sans équivoque : « Je dirai que la guerre des Ukrainiens contre l'invasion russe est juste, au sens le plus fort de ce mot. … Je ne me sens pas enthousiaste, mais je fais mon choix : contre Poutine » [22]
Comme Balibar, Žižek estime que le devoir de tout intellectuel aujourd'hui est de soutenir inconditionnellement la résistance du peuple ukrainien à l'invasion de Poutine et d'abandonner toute politique de « compréhension » et d'« apaisement » de l'agresseur [23]. Cet apaisement, pour Žižek, prend même une forme financière dans la mesure où l'Occident continue de vivre selon les lois du marché capitaliste, apportant chaque jour des revenus colossaux à l'État russe par la vente de pétrole et de gaz [24].
Afin de ralentir la catastrophe mondiale imminente tout en soutenant simultanément l'Ukraine, Žižek estime que les gouvernements occidentaux doivent : (a) abandonner les politiques de « dialogue équilibré » avec Poutine proposées par Habermas, car une prudence excessive ne peut qu'encourager l'agresseur (il ne faut pas avoir peur de franchir la ligne où Poutine « se mettrait en colère » et plutôt montrer à Poutine ses propres lignes rouges claires) ; (b) cesser immédiatement de faire des affaires avec la Russie de Poutine et arrêter de s'appuyer sur les mécanismes du marché pour s'engager directement dans l'organisation de ses propres approvisionnements énergétiques ; et (c) renforcer l'alliance de l'OTAN [25].
Ainsi, on peut affirmer que les positions des philosophes radicaux de gauche, tels que Balibar et Žižek, dans l'évaluation de la situation en Ukraine coïncident avec la position des féministes ukrainiennes qui estiment que la seule façon juste et efficace de résister à l'agression russe est de soutenir la guerre défensive de l'Ukraine avec des armes occidentales. Pourtant, Balibar et Žižek semblent plus proches des féministes transnationales dans la mesure où ils ne sont pas enclins à identifier tous les citoyens russes au régime de Poutine et où ils estiment qu'une véritable victoire ukrainienne n'est possible que sur la base de la construction de larges alliances anti-Poutine, y compris des alliances avec les représentants de toutes les forces opposées à Poutine en Russie et en Biélorussie.
Le fait qu'en Ukraine les politiciens aient abandonné la stratégie des larges alliances anti-Poutine, s'appuyant exclusivement sur leurs alliés occidentaux et réprimant la gauche dans leur pays, est, selon Žižek, fondamentalement erroné et devient le facteur décisif qui fait qu'aujourd'hui, plus de deux ans après le début de l'invasion russe, la résistance ukrainienne à la dictature de Poutine est plus éloignée d'une conclusion victorieuse [26]. De plus, selon Žižek, le pari sur le nationalisme et le rejet de la solidarité avec tous les opposants à la dictature de Poutine, y compris les dissidents russes, peut conduire au fait qu'après la fin de la guerre, l'Ukraine pourrait se retrouver dans une dépendance coloniale encore plus grande vis-à-vis des sociétés occidentales, et, par conséquent, même si l'Ukraine gagne la guerre, ce ne serait pas le peuple ukrainien, mais la clique nationale des oligarques qui pourrait être victorieuse [27].
Leçons féministes de la guerre russo-ukrainienne
Malgré les divisions entre les théoriciennes féministes et les antinomies de la guerre discutées ci-dessus, le point de vue dominant de la théorie et de la pratique féministes concernant la guerre a été et reste l'anti-militarisme. Cynthia Enloe, dans son livre Feminist Lessons of War (2023) [28], dédié aux féministes ukrainiennes, conclut que l'expérience de la guerre ukrainienne réaffirme cette conviction, même si cette conviction soulève des questions sur la compatibilité de la position anti-militariste féministe avec les demandes des féministes ukrainiennes pour la fourniture d'artillerie occidentale [29].
Contrairement au pacifisme, qui insiste sur l'inadmissibilité de la guerre comme moyen de solutions politiques, l'anti-militarisme féministe met l'accent sur la critique du postulat militariste clausewitzien ascendant de l'omnipotence et de l'irrésistibilité des forces de la violence en politique. La position clausewitzienne est contestée par les théoriciennes féministes de l'éthique de la non-violence, en particulier par Judith Butler, qui, dans sa critique féministe de la violence, soutient que les forces de la non-violence peuvent être plus efficaces et efficientes dans la résolution des questions politiques que les forces de la violence et de la guerre.
Concernant la guerre russo-ukrainienne, Butler déclare que face à l'agression de Poutine contre l'Ukraine, la communauté féministe internationale doit soutenir inconditionnellement l'autodéfense ukrainienne et espérer qu'elle réussisse [30]. Mais l'acceptation totale de la logique de la violence comme logique du développement historique est, selon Butler, une impasse pour la civilisation humaine, puisque la force motrice de toute guerre est la pulsion de mort freudienne, dont le but est la destruction des liens sociaux et de la coopération, que recherche le masculinisme militariste. Étant donné ce « but » non déclaré de la guerre, argumente Butler, « [m]ême la soi-disant 'guerre juste' court le risque d'une destructivité qui dépasse ses objectifs déclarés, son but délibéré » [31].
L'idée de la guerre comme expression de notre pulsion de mort se révèle le plus clairement dans le phénomène de la guerre d'extermination, c'est-à-dire des conflits de haute intensité, dont l'effet principal est l'élimination massive de la population de son adversaire, mais aussi de la sienne propre, tant militaire/mobilisée que civile. Selon Balibar [32], les guerres russo-ukrainienne et israélo-palestinienne ont aujourd'hui atteint le niveau des guerres d'extermination, et elles se qualifient d'ethnocide (en Ukraine) et de génocide (à Gaza) [33]. Lorsque les adversaires sont identifiés comme des « ennemis absolus » qui ne peuvent être que combattus et détruits, les guerres russo-ukrainienne et israélo-palestinienne se transforment, comme l'affirme Balibar, en « conflits sans solution diplomatique dans un avenir prévisible laissant la porte ouverte à diverses formes d'escalade » [34], où le désir passionné de détruire son ennemi ne peut être réalisé que par la capacité de tous les participants au conflit à accepter la décimation de leur jeunesse [35]. Par conséquent, dans la condition de la guerre d'extermination en cours, les dirigeants ukrainiens doivent prendre des décisions politiques dans une situation d'indécidabilité radicale lorsque (a) il est impossible d'arrêter de se battre en raison d'un désir très passionné d'accomplir un acte juste de représailles contre l'ennemi, qui menace d'ethnocide de la nation ukrainienne et lorsque (b) il est simultanément impossible de continuer à se battre, puisque la poursuite de la guerre menace la décimation des futures générations d'Ukrainiens.
Cependant, si au niveau des relations diplomatiques la guerre d'extermination est vue comme un conflit sans solution, comme l'affirme Balibar, alors au niveau de l'idéologie il semble qu'une telle solution existe, et qu'elle est la seule possible, celle qui est désirée par toutes les parties belligérantes, et qui est présentée comme complète, finale et salutaire. Cette décision est la Victoire, un événement qui, dès qu'il se produira – et, comme les peuples en guerre se le font dire par leurs dirigeants, il arrivera assez tôt – mettra immédiatement fin à l'état d'indécidabilité, qui devient de plus en plus insupportable pour tous les participants au conflit. Mais cette Victoire rédemptrice à venir ne nous est pas donnée en cadeau. Tout comme la Paix tant attendue, elle ne doit pas seulement être méritée, mais acquise, conquise. La Victoire est le signifiant maître vide dans lequel nos désirs collectifs, nos passions et nos espoirs sont investis aujourd'hui. Dans la situation de guerre en cours, elle est devenue l'objet d'une lutte hégémonique intense et sans compromis entre diverses parties et idéologies qui cherchent à la remplir de leur propre contenu politique.
Quelle image de la Victoire gagne l'hégémonie au milieu de la guerre russo-ukrainienne en cours ?
Si nous restons au niveau du discours des médias de masse, il semble évident que la version nationaliste de la Victoire gagne l'hégémonie, ce qui assure une mobilisation de masse et une longue chaîne d'équivalences qui surmontent les différences de classe, de race, de genre, d'âge et autres. Un élément clé de la version nationaliste de la Victoire est l'identification de la subjectivité victorieuse avec l'État-nation : la nation est au-dessus de tout, et tout individu ou groupe social qui ne contribue pas à l'affirmation de soi de la nation est défini comme un « agent étranger », « collaborateur », « organisation indésirable », et ainsi de suite. La victoire dans la guerre des nationalismes signifie : (a) l'humiliation totale et la désintégration de l'ennemi de l'État-nation ; et (b) la montée et le renforcement sans fin du pouvoir de son propre État-nation, qui doit être revivifié et renouvelé à la suite de la guerre [36]. Ici, les nationalistes de tous les pays en guerre sont en accord complet et en solidarité internationale complète. Aussi, dans l'image nationaliste universelle du monde, la Victoire est décrite comme l'achèvement du temps historique profane et la transition vers un temps messianique de nouveaux commencements et la naissance d'une super-nation complètement nouvelle.
Cette version de la Victoire est contestée principalement par les opposants traditionnels des nationalistes : les marxistes et les anarchistes. Ils estiment que dans une guerre de nationalismes concurrents, la victoire, comme triomphe d'une force politique sur une autre, est en principe impossible. Leur argument est basé sur une thèse concernant la relation symbiotique entre l'État et la guerre, qui forme l'une des forces ontologiques constitutives du capitalisme. Comme l'affirment Eric Alliez et Maurizio Lazzarato dans leur étude Wars and Capital : « La guerre fait partie intégrante de la machine Capital-État au même titre que la production, le travail, le racisme et le sexisme » [37].
Du point de vue marxiste, tant que l'État capitaliste existe, la guerre est permanente – y compris sous forme de « paix » – comme une guerre civile mondiale menée parmi les populations et contre la population. Lorsque la guerre capitaliste permanente passe de non sanglante à sanglante, elle change simplement de forme ; dans ce cas, il ne peut être question d'autre victoire que de la victoire du capital mondial. Et l'État assure cette victoire du capital à l'aide d'appareils idéologiques.
Dans la guerre totale moderne, les deux côtés se battent du côté du capital. Par conséquent, l'opposition démocratie-autocratie est fausse, selon Lazzarato : « La confrontation entre les États-Unis et la Russie qui est la toile de fond de cette guerre n'est pas entre une démocratie et une autocratie mais entre des oligarchies économiques qui se ressemblent sous de nombreux aspects, en particulier en tant qu'oligarchies rentières » [38].
Les guerres qui ne font pas partie de la guerre totale du capital contre la population – c'est-à-dire les guerres anti-capitalistes – incluent, selon Alliez et Lazzarato, les guerres révolutionnaires menées contre l'impérialisme occidental (par exemple, la guerre révolutionnaire en Haïti au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, et aujourd'hui les mouvements de guérilla anti-coloniaux en Afrique et en Amérique latine). Par conséquent, l'opposition politique correcte, du point de vue marxiste, est entre révolution et contre-révolution. Chaque guerre en cours doit être évaluée selon les critères suivants : Contre qui la guerre est-elle menée ? Quelle subjugation/domination renforce-t-elle ?
Quant aux féministes, elles sont souvent critiques et méfiantes vis-à-vis des théories et des stratégies politiques des marxistes et des anarchistes. Mais quand il s'agit de la question de la guerre, la position féministe est plus proche de la position des marxistes que des nationalistes. La version nationaliste de la victoire comme résolution de l'impasse d'une guerre d'extermination est rejetée par les féministes, premièrement, parce que le nationalisme est systématiquement associé dans la théorie féministe au patriarcat et à la misogynie, qui sont incarnés dans les pratiques de double exploitation des femmes : à la fois dans la réalité socio-politique et comme figures symboliques [39]. Comme le note Gayatri Spivak, « la femme est l'instrument le plus primitif du nationalisme », qu'il s'agisse du nationalisme du colonisateur ou de la nation colonisée, des oppresseurs ou des subalternes, coïncidant dans l'attitude envers l'instrumentalisation des sujets féminins [40].
Deuxièmement, le nationalisme, du point de vue de la théorie féministe, n'est pas une politique émancipatrice, mais anti-émancipatrice, appartenant au registre de la régression comme mécanisme inadéquat de gestion de crise, tel que défini par Rahel Jaegi, qui ne résout pas les contradictions sociales, mais ne fait que les exacerber et les intensifier, comme dans le cas d'un tel mode de régression qu'est le ressentiment, qui ne satisfait pas le désir de vengeance, mais ne fait que renforcer le sentiment de rester non vengé et donc dépendant d'un autre [41]. Le nationalisme, comme l'écrit Nacira Guenif, agissant sous les slogans de la libération nationale établit en fait « [l]a prééminence des puissants sur le peuple, … dirigée par un pouvoir militaire qui n'a jamais hésité à écraser son peuple, en particulier sa jeunesse. Le nationalisme était une plaie, c'était la raison même pour laquelle ce pays [son Algérie natale] et son peuple ne pourraient jamais être libres et souverains » [42].
Suivre la voie du nationalisme signifie, du point de vue de la critique féministe, accepter les politiques de régression et de ressentiment, qui sont activement utilisées par les dirigeants de la Fédération de Russie aujourd'hui, soulignant leurs « griefs » et « revendications » envers les pays occidentaux, et auxquelles s'oppose l'idée d'une guerre émancipatrice pour la démocratie contre la dictature de l'autoritarisme, que l'Ukraine mène aujourd'hui, selon les politiciens et philosophes politiques libéraux démocrates. Contrer efficacement le nationalisme de ressentiment russe signifie, d'un point de vue féministe, choisir des stratégies non pas nationalistes, mais de solidarité transnationale ou selon la formule créée par Helene Petrovsky « la solidarité comme pratique de l'être-en-commun » [43] : comme (a) une solidarité non hiérarchique et inclusive de type démocratique et (b) émancipatrice, fondée sur l'idée d'une résistance sans ressentiment à l'agression et à la violence militaire.
Cette stratégie féministe antimilitariste de résistance aux atrocités de l'agression russe, en tant que stratégie de résistance sans ressentiment et fidèle aux idées de la démocratie, peut sembler irréaliste et utopique dans le contexte de la guerre d'extermination en cours en Ukraine, comme l'admettent les partisans de l'éthique féministe de la non-violence [44]. Mais seule une stratégie de ce type permettra, selon eux, la préservation de la démocratie en Ukraine, qui serait la principale victoire ukrainienne dans cette guerre. Une stratégie féministe antimilitariste de résistance permettrait également une mobilisation populaire véritablement massive contre l'agression de Poutine, contrairement à la mobilisation nationaliste actuelle, qui est une mobilisation limitée, qui permet seulement d'intensifier le conflit en une guerre d'extermination mais ne fournit pas la mobilisation politique de masse nécessaire pour protéger la démocratie et résister à une agression autoritaire militaire à grande échelle.
Irina Zherebkina
The Philosophical Salon
https://thephilosophicalsalon.com/the-antinomies-of-the-russia-ukraine-war-and-its-challenges-to-feminist-theory/
Traduit par AN pour ESSF.
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article73691
[1] ‘Feminist Resistance Against War. A Manifesto', in Spectre, March 17, 2022. Retrieved from
https://spectrejournal.com/feminist-resistance-against-war/
[2] ‘Right to Resist. A Feminist Manifesto', in Commons, July 7, 2022. Retrieved from
https://commons.com.ua/en/right-resist-feminist-manifesto/
[3] Tamara Zlobina, ‘The problem of feminist international politics. A view from Ukraine', in Global Dialogue, May 9, 2022. Retrieved from
https://globaldialogue.online/ally-en/2022/fas-voices_ukkrain_ok-the-problem-of-feminist-international-politics-a-view-from-ukraine/
[4] Janet E. Johnson, ‘How Russia's war in Ukraine can change gender studies', in Frontiers in Sociology. November 30, 2023.
[5] Olga Burlyuk, ‘On Russia's war against Ukraine and epistemic imperialism', IPW Lecture, The University of Vienna, Austria, October 7, 2022.
https://politikwissenschaft.univie.ac.at/details/news/ipw-lecture-on-russias-war-against-ukraine-and-epistemic-imperialism/
[6] Teresa Hendl, ‘Towards accounting for Russian imperialism and building meaningful transnational feminist solidarity with Ukraine', in Gender Studies, 26, 2022, p. 79.
[7] Anna Dovgopol Facebook, June 19, 2022. Retrieved from
https://www.facebook.com/anna.dovgopol.5/
[8] Olga Sasunkevich, ‘Affective Dialogue : Building Transnational Feminist Solidarity in Times of War', in Signs (49), 2024, p. 371.
[9] Oksana Zabuzhko, ‘Pro feminism, rusistiky, stosunky z Pol'sheu ta imperialism', in Ukraїner Q YouTube channel, February 17, 2024, 1:59:12
https://www.youtube.com/watch?v=S–4oklQiQE
[10] ‘Feminism, War, Solidarity', Editorial, Gender Studies, 26, 2022, p. 6.
[11] Olena Huseinova, ‘Why I'm Not Attending Prima Vista', in Prima Vista, 2023.
https://kirjandusfestival.tartu.ee/en/unfortunately-the-writer-in-residence-of-tartu-city-of-literature-residency-programme-olena-huseinova-will-not-be-performing-at-prima-vista/
[12] ‘Feminism, War, Solidarity', Editorial, in Gender Studies, 26, 2022, p. 5-6.
[13] Sabine Hark, ‘Wars as Commons. Scattered Notes on Solidarity', in Gender Studies, 26 (2022), p. 16.
[14] Jurgen Habermas, ‘War and Indignation. The West's Red Line Dilemma', in Reset Dialogues on Civilizations, May 6. 2022. Retrieved from
https://www.resetdoc.org/story/jurgen-habermas-war-indignation-west-red-line-dilemma/
[15] Ibid.
[16] Slavoj Žižek, ‘From Cold War to Hot Peace', in Project Syndicate, March 25, 2022. Retrieved from
https://www.project-syndicate.org/onpoint/hot-peace-putins-war-as-clash-of-civilization-by-slavoj-zizek-2022-03
[17] Noam Chomsky, ‘US Military Escalation Against Russia Would Have No Victors', in Truthout, March 1, 2022. Retrieved from
https://truthout.org/articles/noam-chomsky-us-military-escalation-against-russia-would-have-no-victors/
[18] Jurgen Habermas, ‘War and Indignation. The West's Red Line Dilemma', in Reset Dialogues on Civilizations, May 62022. Retrieved from
[19] Ibid.
[20]Jurgen Habermas, ‘A Plea for Negotiations', in Süddeutsche Zeitung, February 14, 2023
https://www.sueddeutsche.de/projekte/artikel/kultur/juergen-habermas-ukraine-sz-negotiations-e480179/?reduced=true
[21] Etienne Balibar, ‘In the War : Nationalism, Imperialism, Cosmopolitics', in Commons, June 29, 2022. Retrieved from
https://commons.com.ua/en/etienne-balibar-on-russo-ukrainian-war/
[22] Ibid.
[23] Slavoj Žižek, ‘From Cold War to Hot Peace', in Project Syndicate, March 25, 2022.
[24] Ibid.
[25] Ibid.
[26] Slavoj Žižek, ‘What the left gets wrong about Gaza and “decolonisation”', in The New Statesmen, December 20, 2023
https://www.newstatesman.com/world/middle-east/2023/12/israel-gaza-palestine-peace
[27] Slavoj Žižek, ‘The Axis of Denial', in Project Syndicate, June 29, 2023. Retrieved from
https://www.project-syndicate.org/commentary/left-right-populist-alliance-against-ukraine-by-slavoj-zizek-2023-06
[28] Cynthia Enloe, Twelve Feminist Lessons of War (London : Footnote, 2023).
[29] Ibid, p. 160.
[30] Judith Butler, ‘We fight against social domination, not against men and their anatomy', April, 30, 2022. Retrieved from
https://newsrnd.com/news/2022-04-30-judith-butler–%22we-fight-against-social-domination–not-against-men-and-their-anatomy%22.ByL4VV5rc.html
[31] Judith Butler. The Force of Nonviolence : an Ethico-Political Bind (London, New York : Verso, 2020), p. 78.
[32] Etienne Balibar, ‘Palestine, Ukraine and other wars of extermination : the local and the global', in Bisan Lectures Series, December 13, 2023. Retrieved from
https://aurdip.org/en/bisan-lecture-series-etienne-balibar-palestine-ukraine-and-other-wars-of-extermination-the-local-and-the-global/
[33] Ibid.
[34] Ibid.
[35] Ibid.
[36] Zillah Eisenstein, Hatreds : Racialized and Sexualized Conflicts in the 21st Century (New York, London : Routledge 1996), p. 27-29.
[37] Éric Alliez and Maurizio Lazzarato, Wars and Capital, trans. Ames Hodges, Semiotext(e), 2016, p. 15-16.
[38] Maurizio Lazzarato, ‘The War in Ukraine', in The Invisible Armada., July 8, 2022. Retrieved from
https://invisiblearmada.ncku.edu.tw/articles/the-war-in-ukraine
[39] Nira Yuval-Davis, Gender and Nation, London : Sage, 1997, p. 19.
[40] Gayatri Chakravorty Spivak, ‘Nationalism and the Imagination', Lectora, 15, 2009, p. 35-36.
[41] Rahel Jaeggi, ‘Modes of Regression. The Case of Ressentiment', in Critical Times, 5 (3) 2022, p. 35.
[42] Nacira Guenif, ‘Building Feminist Coalitions beyond Nationalism : A “Minority Report” from France', in Gender Studies, 26, 2022, p. 116.
[43] Helene Petrovsky, “Expressing and Conceptualizing Solidarity”, in Gender Studies, 26, 2022, p. 97.
[44]Judith Butler, ‘I am hopeful that the Russian army will lay down its arms', in Culture, April 24, 2022
https://en.ara.cat/culture/am-hopeful-that-the-russian-army-will-lay-down-its-arms_128_4353851.html
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« Guerre en Ukraine : trois ans après »

L'économiste Michael Roberts analyse le futur des économies russes et ukrainiennes, trois ans après le début de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, et alors que Zelensky se prépare à signer un accord avec Trump.
26 février 2025 | tiré de Révolution permanente
https://www.revolutionpermanente.fr/Guerre-en-Ukraine-trois-ans-apre%CC%80s-par-Michael-Roberts
Ukraine : une catastrophe humaine
Aujourd'hui marque la fin de la troisième année de la guerre entre l'Ukraine et la Russie. Après trois ans de conflit, l'invasion de l'Ukraine par la Russie a causé des pertes considérables au peuple et à l'économie ukrainiens. Il existe différentes estimations du nombre de victimes civiles et militaires ukrainiennes (décès et blessures) : 46 000 civils et peut-être 500 000 soldats. Les pertes militaires russes sont à peu près les mêmes. Des millions de personnes ont fui à l'étranger et des millions d'autres ont dû fuir leurs foyers. Une évaluation confidentielle ukrainienne réalisée plus tôt en 2024, et rapportée par le Wall Street Journal (WSJ), a estimé les pertes des troupes ukrainiennes à 80 000 tués et 400 000 blessés. Selon les chiffres du gouvernement, au cours du premier semestre 2024, le nombre de personnes décédées en Ukraine a été trois fois supérieur à celui des naissances, a rapporté le WSJ. L'année dernière, les pertes ukrainiennes ont été cinq fois plus élevées que celles de la Russie, Kiev perdant au moins 50 000 militaires par mois.
Le PIB de l'Ukraine a baissé de 25 % et 7,1 millions d'Ukrainiens supplémentaires vivent désormais dans la pauvreté.

Par ailleurs, les retards scolaires des enfants ukrainiens sont particulièrement préoccupants : l'Ukraine se retrouvera avec une main-d'œuvre de moins bonne qualité en raison des perturbations du processus d'apprentissage causées par la guerre (et auparavant par le Covid). Ces pertes sont estimées à environ 90 milliards de dollars, soit presque autant que les pertes en capital fixe [1] à ce jour. Des études ont montré que vivre une guerre durant les cinq premières années de la vie d'une personne équivaut à une baisse d'environ 10 % des scores de sa santé mentale à l'âge de 60-70 ans. Le problème ne se limite pas aux victimes de guerre et à l'économie, mais aussi aux dommages à long terme causés aux Ukrainiens qui n'ont pas pu fuir.
Malgré la guerre, une légère reprise économique a été observée l'année dernière. Les exportations d'énergie ont bondi. Les ports ukrainiens de la mer Noire sont toujours en activité. Les échanges commerciaux se font vers l'ouest le long du Danube et, dans une moindre mesure, par train. Parallèlement, l'agriculture a amorcé une reprise. En revanche, la production de fer et d'acier reste encore très en-dessous de son niveau d'avant-guerre, passant de 1,5 million de tonnes par mois à seulement 0,6 million de tonnes par mois.

L'Ukraine manque cruellement de personnes valides pour produire ou pour aller à la guerre. Si le taux de chômage de l'Ukraine est redescendu à 16,8 % en janvier 2025 après un pic de 24,53% en 2022 [2], cela ne résout pas le problème de la pénurie de main d'œuvre. En effet, les personnes qualifiées ont quitté le pays et d'autres ont été mobilisés dans les forces armées. La situation est si mauvaise qu'il a été question de mobiliser les 18-25 ans [3] – actuellement exemptés – mais cette mesure est très impopulaire et réduirait encore davantage l'emploi civil.
L'Ukraine est encore totalement dépendante du soutien de l'Occident. Elle a besoin d'au moins 40 milliards de dollars par an pour maintenir ses services publics, subvenir aux besoins de sa population et maintenir la production. D'un côté, elle compte sur l'UE pour toutes ses dépenses publiques, et de l'autre, elle dépend des États-Unis pour son financement militaire - une « division du travail » pure et simple. En outre, le FMI et la Banque mondiale ont proposé une aide monétaire, mais pour l'obtenir, l'Ukraine doit démontrer sa « viabilité », c'est-à-dire qu'elle doit être capable à un moment donné de rembourser ses emprunts. Ainsi, si les prêts bilatéraux des États-Unis et des pays de l'UE (il s'agit principalement de prêts et non d'une aide directe) ne se concrétisent pas, le FMI ne pourra pas prolonger son programme de prêt.
Ce qui nous ramène à cette question : qu'adviendra-t-il de l'économie ukrainienne, si et quand la guerre avec la Russie prendra fin ? Selon les dernières estimations de la Banque mondiale, l'Ukraine aura besoin de 486 milliards de dollars au cours des dix prochaines années pour se redresser et se reconstruire, en supposant que la guerre prenne fin cette année. C'est près de trois fois son PIB actuel. Les dommages directs causés par la guerre ont actuellement atteint près de 152 milliards de dollars, avec environ 2 millions de logements - soit environ 10 % du parc immobilier total de l'Ukraine - endommagés ou détruits, ainsi que 8 400 km d'autoroutes, de routes nationales et autres routes, et près de 300 ponts. Environ 5,9 millions d'Ukrainiens sont demeurés à l'extérieur du pays, et les personnes déplacées à l'intérieur du pays étaient environ 3,7 millions.
Ce qui reste des ressources de l'Ukraine (celles qui n'ont pas été annexées par la Russie) a été vendu à des entreprises occidentales. Au total, 28 % des terres arables de l'Ukraine appartiennent désormais à un mélange d'oligarques ukrainiens, de sociétés européennes et nord-américaines, ainsi qu'au fonds souverain d'Arabie saoudite. Nestlé a investi 46 millions de dollars dans une nouvelle usine, dans la région de Volhynie, tandis que le géant allemand des médicaments et des pesticides, Bayer, prévoit d'investir 60 millions d'euros dans la production de semences de maïs dans la région centrale de Jitomir. MHP, la plus grande entreprise avicole d'Ukraine, appartient à un ancien conseiller du président ukrainien Porochenko. MHP a été le bénéficiaire de plus d'un cinquième de tous les prêts de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) au cours des deux dernières années. MHP emploie 28 000 personnes et contrôle environ 360 000 hectares de terres en Ukraine, une superficie plus grande que le Luxembourg.
Le gouvernement ukrainien s'est engagé à mettre en place une économie de « libre marché » pour l'après-guerre, qui inclurait de nouvelles vagues de déréglementation du marché du travail, en deçà même des normes minimales de l'UE en matière de travail (c'est-à-dire des conditions de travail proches de l'esclavage), ainsi que des réductions drastiques des impôts sur les sociétés et sur le revenu, parallèlement à la privatisation complète des actifs restants de l'État. Cependant, les pressions d'une économie de guerre ont contraint le gouvernement à mettre ces politiques de côté (pour le moment), les impératifs militaires étant prioritaires.
L'objectif du gouvernement ukrainien, de l'UE, du gouvernement américain, des agences multilatérales et des institutions financières américaines, désormais chargées de lever des fonds et de les allouer à la reconstruction, est de restaurer l'économie ukrainienne sous la forme d'une zone économique spéciale, avec des fonds publics pour couvrir les pertes potentielles du capital privé. L'Ukraine sera également libérée des syndicats, des régimes fiscaux et des réglementations sévères pour les entreprises et de tout autre obstacle majeur aux investissements rentables du capital occidental, en alliance avec les anciens oligarques ukrainiens.
Selon des sources ukrainiennes, le coût de la restauration des infrastructures (financement de l'effort de guerre : munitions, armes, etc. ; pertes de logements, d'immeubles commerciaux, indemnités pour décès et blessures, coûts de réinstallation, aides au revenu, etc.) et des pertes de revenus actuels et futurs atteindra 1 000 milliards de dollars, soit six années du PIB annuel précédent de l'Ukraine. Cela représente environ 2,0 % du PIB annuel de l'UE ou 1,5 % du PIB du G7 pendant six ans. D'ici la fin de cette décennie, même si la reconstruction se déroule bien, et en supposant que toutes les ressources de l'Ukraine d'avant-guerre soient restaurées (c'est-à-dire que l'industrie et les minéraux de l'est de l'Ukraine soient entre les mains de la Russie), l'économie serait encore inférieure de 15 % à son niveau d'avant-guerre. Dans le cas contraire, la reprise sera encore plus longue.
Russie : l'économie de guerre
L'invasion de l'Ukraine par la Russie au début de l'année 2022 pour prendre le contrôle des quatre provinces russophones du Donbass, dans l'est de l'Ukraine, a ironiquement donné un coup de fouet à l'économie russe. En 2023, la croissance du PIB réel était de 3,6 % et de plus de 3 % en 2024. L'économie de guerre de la Russie tient bon.

Au cours des trois dernières années de guerre, la Russie a réussi à échapper aux sanctions, tout en investissant près d'un tiers de son budget dans la défense. Elle a également pu accroître ses échanges commerciaux avec la Chine et vendre son pétrole à de nouveaux marchés, en utilisant en grande partie une flotte fantôme de pétroliers pour contourner le plafonnement des prix. Les pays occidentaux espéraient voir réduire les réserves de guerre du pays. La moitié de son pétrole et de ses produits pétroliers ont été exportés vers la Chine en 2023. Elle est devenue le premier fournisseur de pétrole de la Chine. Les importations chinoises en Russie ont bondi de plus de 60 % depuis le début de la guerre, car le pays a été en mesure de fournir à la Russie un flux constant de marchandises, notamment des voitures et des appareils électroniques, comblant ainsi le manque des importations de marchandises occidentales perdues. Le commerce entre la Russie et la Chine a atteint 240 milliards de dollars en 2023, soit une augmentation de plus de 64 % depuis 2021, avant la guerre.
Cependant, la guerre a intensifié une grave pénurie de main-d'œuvre. Comme l'Ukraine, la Russie manque désormais cruellement de personnel, mais pour des raisons différentes. Même avant la guerre, la main-d'œuvre russe diminuait pour des raisons démographiques naturelles. Puis, au début de la guerre en 2022, environ trois quarts de million de travailleurs russes et étrangers, dont une partie de la classe moyenne des secteurs de l'informatique, de la finance et de la gestion, ont quitté le pays. Pendant ce temps, l'armée russe recrute des dizaines de milliers d'hommes en âge de travailler. Entre 10 000 et 30 000 travailleurs rejoignent l'armée chaque mois, soit environ 0,5 % de l'offre totale. Cela a profité aux travailleurs russes qui ne font pas partie des forces armées, car les cadres sont réticents à licencier qui que ce soit.
Les salaires ont connu une hausse à deux chiffres, tandis que la pauvreté et le chômage ont atteint des niveaux historiquement bas. Pour les personnes les moins bien rémunérées du pays, les salaires ont augmenté plus rapidement au cours des trois derniers trimestres que pour tout autre segment de la société, avec un taux de croissance annuel d'environ 20 %. Le gouvernement a dépensé massivement dans l'aide sociale aux familles, l'augmentation des retraites, les subventions hypothécaires et l'indemnisation des proches des militaires.

Mais l'inflation s'est emballée et le rouble s'est fortement déprécié par rapport au dollar, ce qui a contraint la Banque centrale russe à relever son taux d'intérêt à plus de 20 %.

Une économie de guerre signifie que l'État intervient et même outrepasse la prise de décision du secteur capitaliste pour l'effort de guerre national. L'investissement public remplace l'investissement privé. Ironiquement, dans le cas de la Russie, cela a été accéléré par le retrait des entreprises occidentales des marchés russes et par les sanctions. L'État russe a repris des entités étrangères et/ou les a revendues à des capitalistes russes engagés dans l'effort de guerre.
Les dépenses en nouvelles constructions, en équipements de haute technologie et en nouveaux kits ont atteint leur plus haut niveau en 12 ans, soit 14 400 milliards de roubles (136,4 milliards de dollars), soit une augmentation de 10 % par rapport à l'année précédente. Selon le Centre d'analyse macroéconomique et de prévision à court terme basé à Moscou, le taux de croissance des investissements a dépassé le taux de croissance du PIB avec une marge plus importante qu'au cours des 15 dernières années.
Les principales destinations de ces investissements vont dans la « substitution des importations », les infrastructures vers l'est et la production militaire. L'ingénierie mécanique, qui comprend la fabrication de produits métalliques finis (armes), d'ordinateurs, d'optique et d'électronique, ainsi que d'équipements électriques, est l'un des secteurs d'investissement qui connaît la croissance la plus rapide.
De nombreux économistes occidentaux prévoient un effondrement de l'économie russe, comme ils le disent depuis trois ans. La pénurie aiguë de main-d'œuvre, l'inflation persistante et croissante causée par la flambée des dépenses militaires et le durcissement constant des sanctions entraîneront, selon eux, une crise économique qui forcera Moscou à abandonner ses objectifs en Ukraine et mettra fin à la guerre, avec des conditions plus acceptables pour Kiev et ses alliés.
De nombreux analystes ont attribué ces signes de surchauffe à l'augmentation des dépenses liées à la guerre en Ukraine, en soulignant que les dépenses militaires ont atteint un niveau record, qui devrait dépasser 7 % du PIB en 2024. Alors que les dépenses de défense devraient augmenter de près de 25 % cette année, représentant environ 40 % des dépenses du gouvernement fédéral, certains ont évoqué la possibilité que la Russie sombre dans la « stagflation », combinant une inflation élevée avec une croissance faible, voire nulle.
Mais malgré la guerre la plus intense en Europe depuis 1945, Moscou a réussi à la financer avec des déficits budgétaires modestes, compris entre 1,5 et 2,9 % du PIB depuis 2022. Par conséquent, le Kremlin n'a pratiquement pas eu besoin d'emprunter pour financer la guerre. Les recettes fiscales générées par l'activité intérieure ont grimpé en flèche depuis le début de la guerre. Avec environ 15 % du PIB, la Russie a le plus faible ratio dette publique/PIB des économies du G20. Ainsi, bien qu'elle soit coupée de la plupart des sources de capitaux extérieures, la Russie reste plus que capable de financer les investissements intérieurs et les dépenses publiques avec ses propres ressources.
Au cours des deux dernières années, la Russie a enregistré un excédent de sa balance courante d'environ 2,5 % du PIB. Tant que la Russie pourra continuer à exporter de grandes quantités de pétrole, cela ne devrait pas changer. Les recettes pétrolières et gazières de la Russie ont bondi de 26 % l'année dernière pour atteindre 108 milliards de dollars, alors même que la production quotidienne de pétrole et de condensats de gaz a diminué de 2,8 % en 2024, selon des responsables du gouvernement russe cités par Reuters. Bien qu'elle soit restée le pays le plus sanctionné au monde en 2024, la Russie a exporté cette année-là un volume record de 33,6 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié (GNL), soit une augmentation de 4 % par rapport à l'année précédente.
L'Institute of International Finance (IIF) prévoit une baisse de rentabilité budgétaire du prix du pétrole russe (le montant nécessaire pour équilibrer les dépenses budgétaires) à 77 dollars le baril d'ici 2025, soutenue par une reprise des recettes pétrolières et gazières. Dans le même temps, le prix du pétrole extérieur d'équilibre (le prix nécessaire pour équilibrer le compte courant extérieur), à 41 dollars le baril, est le deuxième plus bas parmi les principaux exportateurs d'hydrocarbures. Cela signifie que le prix actuel du pétrole de l'Oural dépasse largement ces seuils d'équilibre.

Mais aucun de ces investissements dans l'économie de guerre ne soutiendra la croissance de la productivité à long terme de la Russie. L'économie de guerre de la Russie reviendra à l'accumulation capitaliste lorsque la guerre prendra fin. L'économie russe reste fondamentalement liée aux ressources naturelles. Elle repose sur l'extraction plutôt que sur la fabrication. La production de guerre est fondamentalement improductive pour l'accumulation de capital à long terme. La Russie reste technologiquement arriérée et dépendante des importations de haute technologie. Même avec des mesures de relance budgétaire massives, elle ne peut pas encore produire de technologies adaptées à un marché d'exportation compétitif au-delà des armes et de l'énergie nucléaire, les premières étant déjà autorisées et les secondes sur le point de l'être. La Russie n'est pas un acteur important, dans aucune des technologies de pointe, de l'intelligence artificielle à la biotechnologie.
Le creux démographique, la baisse de la qualité de l'enseignement universitaire et la rupture des liens avec les écoles internationales, ainsi que la « fuite des cerveaux », exacerbent ces problèmes. Le fossé technologique va probablement se creuser, la Russie comptant de plus en plus sur les importations chinoises et la rétro-ingénierie (copie). La croissance potentielle du PIB réel de la Russie ne dépasse probablement pas 1,5 % par an, car la croissance est limitée par le vieillissement et la diminution de la population, ainsi que par la faiblesse des taux d'investissement et de productivité.
L'économie de guerre russe est bien placée pour poursuivre la guerre pendant plusieurs années encore si nécessaire. En revanche, lorsque la guerre sera terminée, Poutine pourrait être confronté à un effondrement important de la production et de l'emploi. Le message sous-jacent est que la faiblesse de l'investissement, de la productivité et de la rentabilité du capital russe, même en excluant les sanctions, signifie que la Russie restera faible économiquement pendant le reste de cette décennie.
La paix
Le président Trump a déclaré qu'il cherchait un accord de paix par le biais de négociations directes avec la Russie. Cela signifierait la fin du soutien financier et militaire des États-Unis à l'Ukraine. Les dirigeants ukrainiens actuels s'opposent à tout accord qui impliquerait la perte de territoire et à tout veto sur une future adhésion à l'OTAN. Les dirigeants européens ont déclaré qu'ils soutiendraient l'Ukraine et continueraient à financer la guerre et à fournir un soutien militaire.
Trump veut récupérer ce que le gouvernement américain a dépensé jusqu'à présent pour l'Ukraine, ainsi que des garanties pour les dépenses futures destinées à reconstruire l'économie. Il s'est plaint des énormes transferts de fonds vers l'Ukraine, et accuse le gouvernement ukrainien d'avoir dissimulé la manière dont ils ont été dépensés. Mais c'est de la désinformation : la majorité des fonds que les États-Unis ont alloués à l'Ukraine sont restés chez eux pour financer la base industrielle de défense nationale et reconstituer les stocks américains. Les fabricants d'armes américains font d'énormes profits grâce à cette guerre.

Aujourd'hui, Trump exige que l'Ukraine cède plus de 50 % de ses droits miniers sur les terres rares aux États-Unis en échange de la livraison des 500 milliards de dollars nécessaires à la reconstruction d'après-guerre. Trump : « Je veux qu'ils nous donnent quelque chose en échange de tout l'argent que nous avons investi et je vais essayer de faire en sorte que la guerre se termine et que toutes ces morts cessent. Nous demanderons des terres rares et du pétrole, tout ce que nous pourrons obtenir. » Comme l'a déclaré le sénateur américain Lindsey Graham : « Cette guerre est une question d'argent... Le pays le plus riche de toute l'Europe en minéraux de terres rares est l'Ukraine, pour une valeur de deux à sept mille milliards de dollars... Donald Trump va chercher à conclure un accord pour récupérer notre argent, pour nous enrichir avec des minéraux rares... » Le problème est qu'environ la moitié de ces gisements (d'une valeur de quelque 10 à 12 000 milliards de dollars) se trouvent dans des zones contrôlées par la Russie.
Toutcela n'est autre qu'un indice supplémentaire que les actifs ukrainiens risquent d'être morcelés par les puissances occidentales. Le mois dernier, le président ukrainien Zelensky a signé une nouvelle loi élargissant la privatisation des banques publiques du pays. Elle fait suite à l'annonce par le gouvernement ukrainien, en juillet, de son programme de « privatisation à grande échelle 2024 » qui vise à attirer les investissements étrangers dans le pays et à lever des fonds pour le budget national ukrainien en difficulté. Parmi les actifs importants figurent actuellement le plus grand producteur de minerai de titane du pays, un important producteur de produits en béton et une usine d'extraction et de traitement. L'Ukraine envisageait de privatiser les quelque 3 500 entreprises publiques du pays dans le cadre d'une loi de 2018, qui stipulait que les citoyens et les entreprises étrangers pouvaient en devenir propriétaires. Des centaines d'entreprises de plus petite taille sont actuellement en cours de privatisation, ce qui a permis de générer des revenus de 9,6 milliards d'UAH (181 millions de livres sterling) au cours des deux dernières années.
Cela implique un sous-programme de sept ans appelé SOERA (State-owned enterprises reform activity in Ukraine), financé par l'USAID avec le ministère britannique des Affaires étrangères comme partenaire secondaire. SOERA vise à « faire progresser la privatisation de certaines entreprises publiques et à développer un modèle de gestion stratégique pour les entreprises publiques qui restent la propriété de l'État ».
Les capitaux britanniques se frottent également les mains. Des documents récemment publiés par le ministère britannique des Affaires étrangères ont indiqué que la guerre offrait « des opportunités » à l'Ukraine pour mettre en œuvre « des réformes extrêmement importantes ». « Le Royaume-Uni espère que la reconstruction de l'Ukraine profitera aux entreprises britanniques », observe un rapport sur l'aide britannique à l'Ukraine publié en début d'année par l'organisme de surveillance de l'aide, l'ICAI.
L'invasion de Poutine a poussé le peuple ukrainien dans les bras d'un gouvernement pro-libre marché et anti-travail, ce qui permettra aux capitaux occidentaux de s'emparer des actifs ukrainiens, et à exploiter les travailleurs de ce pays. C'était peut-être inévitable : des oligarques pro-russes et pro-occidentaux avant la guerre, aux capitaux occidentaux après.
La guerre n'a pas seulement détruit l'Ukraine ; elle a aussi sérieusement affaibli l'économie européenne, les coûts de production ayant explosé avec la perte des importations d'énergie bon marché en provenance de Russie. Mais il semble que les dirigeants européens veulent poursuivre la guerre même si Trump se retire. Ils se démènent désespérément pour trouver des fonds à cette fin et pour fournir une aide militaire accrue au gouvernement ukrainien assiégé. Certains dirigeants proposent d'envoyer des troupes en Ukraine. Donc « la guerre et non la paix ».
Tout aussi mauvaise est la décision de l'OTAN et des principaux dirigeants européens de doubler les dépenses de défense d'environ 1,9 % du PIB en moyenne d'ici la fin de la décennie, soi-disant pour résister aux attaques russes imminentes si Poutine obtient une paix gagnante cette année. Cette mesure est ridiculement justifiée par le fait que les dépenses de « défense » « seraient pour le plus grand bénéfice de tous » (Bronwen Maddox, directrice de Chatham House, le « think-tank » des relations internationales, qui présente principalement les points de vue de l'État militaire britannique). Maddox a conclu que : « le Royaume-Uni pourrait devoir emprunter davantage pour financer les dépenses de défense dont il a si urgemment besoin. Au cours de l'année prochaine et au-delà, les politiciens devront se préparer à récupérer de l'argent en réduisant les prestations de maladie, les retraites et les soins de santé... En fin de compte, les politiciens devront persuader les électeurs de renoncer à certains de leurs avantages pour financer la défense. » Le chef du parti vainqueur aux élections allemandes nous adresse le même message.
Cela entraînera un détournement massif des investissements des services publics et des prestations sociales, qui font cruellement défaut, ainsi que des investissements technologiques vers la production d'armes improductive et destructrice.
Notes
[1] Notion qui n'est pas utilisé dans la version originale = renvoie à du capital « perdu » qui sert à faire à faire fructifier le capital entrant.
[2] Etude de Statista, « Taux de chômage en Ukraine de 2012 à 2028 », 23/01/2025
[3] Blog DDT21 : L'Ukraine et ses déserteurs. Partie II : Guerre et révolution ? https://dndf.org/?p=21701
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Pour la liberté de l’Ukraine, pour une internationale antifasciste !

Le 24 février 2025, l'Ukraine est entrée dans sa quatrième année de résistance face à l'agression à grande échelle de la Russie.
Hebdo L'Anticapitaliste - 743 (27/02/2025)
https://lanticapitaliste.org/actualite/international/pour-la-liberte-de-lukraine-pour-une-internationale-antifasciste
Au cours des trois années écoulées, l'aide provenant des États-Unis et de l'UE a permis de bloquer l'offensive du Kremlin, mais a été insuffisante pour faire reculer l'armée russe.
On dénombre plus d'un million de victimes militaires (pour les forces russes, il s'agit principalement des populations racisées des régions périphériques) et civiles (ces dernières presque exclusivement du côté ukrainien). Auxquelles s'ajoute le déplacement forcé d'un quart de la population ukrainienne.
Poutine a entièrement remodelé l'économie autour de son objectif expansionniste : le budget militaire russe augmente sans cesse (43 % des dépenses publiques en 2025) au détriment des services publics. Dans l'économie de guerre, le capital des oligarques s'est concentré dans l'industrie militaire et l'extraction fossile, qui sont au cœur de la croissance économique du pays. Dès lors, rien ne laisse envisager que les négociations « pour la paix » que veut imposer Washington entraînent la fin de l'expansionnisme militaire russe, car « la Russie est devenue dépendante de la dépense militaire » 1.
Trump allié de Poutine face à la Chine
L'action de Trump accélère la redéfinition des alliances inter-impérialistes au détriment du droit à l'autodétermination du peuple ukrainien. Car aux yeux de Trump, la Russie est un potentiel point d'appui dans sa guerre d'hégémonie avec la Chine. Après avoir ouvert les négociations avec l'agresseur en excluant l'agressé, Trump a entièrement épousé la propagande poutinienne, en attribuant à l'Ukraine la responsabilité de la guerre et en déniant la volonté de la majorité de la population de préserver un pays indépendant et libre de l'impérialisme russe. La violence du chantage de Trump est manifeste : il demande à l'Ukraine de rembourser 500 milliards de dollars pour l'aide étatsunienne et de céder aux États-Unis le droit d'exploitation des ressources minières et des terres rares, et menace de restreindre l'accès de l'armée ukrainienne au système de communication Starlink, nécessaire pour se défendre des drones et de l'artillerie russes. Alors que le gouvernement ukrainien refuse de céder sans obtenir en contrepartie des garanties de sécurité, Poutine n'a pas tardé à proposer à Trump un accord pour l'exploitation des terres rares russes et des territoires ukrainiens occupés…
Les impérialismes russe, israélien et étatsunien s'unissent
N'en déplaise aux campistes qui ne voient dans l'agression de l'Ukraine qu'une guerre inter-impérialiste par procuration, l'alliance inter-impérialiste USA-Russie s'est renforcée lors du vote le 24 février 2025 d'une motion de l'ONU pour une paix juste et durable : les États-Unis s'y sont opposés aux côtés de la Russie, du Bélarus, de la Hongrie, du Nicaragua et d'Israël, en affichant explicitement une convergence d'intérêts. Les impérialismes russe, israélien et étatsunien ne se combattent pas : ils s'unissent contre le droit international et le droit d'autodétermination des peuples.
Réaffirmer le droit à l'autodétermination des peuples
Tandis que les gouvernements européens — et le capital dopé aux matières premières russes —peinent à résoudre leurs intérêts contradictoires vis-à-vis de la Russie poutinienne, la solidarité populaire avec la résistance ukrainienne ne doit pas fléchir : le 24 février, les manifestations ont été nombreuses contre l'axe Trump-Poutine, pour le droit des peuples à choisir leur présent et leur avenir, et pour défendre les espaces d'action et de contestation contre les impérialismes néofascistes — en Ukraine et au-delà.
La lutte de résistance ukrainienne est une lutte pour le droit d'existence et d'autodétermination du peuple ukrainien et de tous les peuples attaqués par les impérialismes meurtriers : aux côtés des UkrainienNEs comme des PalestinienNEs, soutenons la résistance contre l'offensive néofasciste internationale. Vive la résistance ukrainienne, vive l'antifascisme !
Gin et Elias Vola
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Gauches : l’union ou les défaites

Le Parti socialiste a pris une décision lourde de conséquences en choisissant de ne pas censurer le gouvernement dirigé par François Bayrou. Cette position permet la poursuite et l'aggravation des politiques anti-écologiques, antisociales et liberticides, des politiques qui étouffent les collectivités locales et les services publics.
22 février 2025 | tiré du site de la gauche écosocialiste
La « non censure » n'a pas affaibli les macronistes, la droite et l'extrême-droite. Elle a attisé les divergences au sein du Nouveau Front Populaire fragilisant l'unité nécessaire pour proposer une alternative crédible.
Cependant, les réactions exprimées par les dirigeants de la France insoumise, par Manuel Bompard évoquant une « rupture durable » du NFP ou Jean-Luc Mélenchon appelant à « tourner la page d'une relation toxique avec le PS », nous semblent disproportionnées et irresponsables.
L'escalade dans la confrontation au sein du NFP est pain béni pour la droite et l'extrême droite. La division de la gauche rend en effet par exemple plus aisée la conservation de villes comme Toulouse ou la conquête de villes comme Marseille par la droite lors des prochaines municipales. L'affaiblissement de la gauche est une opportunité pour ceux qui veulent en profiter : des rumeurs de dissolution de l'Assemblée nationale pour le mois de juillet refont évidemment surface, rendant envisageable la formation d'une majorité réactionnaire, voire pire. En effet, combien de députés de gauche seraient en capacité de conserver leur siège en cas d'effacement définitif du NFP ? Sans compter que cette situation ouvre également un boulevard vers l'Élysée pour Marine Le Pen.
Il est temps de dire stop. Si elles ne veulent pas disparaître, les forces de gauche doivent reconstruire leur union autour d'un programme de rupture, un programme mobilisateur, porteur d'espoir. Un programme du type de celui du NFP, adapté à chaque échéance de lutte sociale ou lors d'échéances électorales. Un programme visant une amélioration concrète de la vie quotidienne des gens. Pour y parvenir, il est essentiel de renouer le dialogue, de renoncer aux invectives et aux excommunications.
Alors que l'ombre menaçante de l'extrême droite s'étend, s'abandonner aux divisions constituerait une faute historique. Comme le disait Aragon : « Quand les blés sont sous la grêle, Fou qui fait le délicat, Fou qui songe à ses querelles, Au cœur du commun combat. »
Nous appelons les dirigeant·es de tous les partis de gauche à se ressaisir et invitons les millions de partisans du Nouveau Front Populaire, qui se sont massivement mobilisés lors des élections législatives, à faire entendre leur aspiration à l'unité et leur volonté de barrer la route aux fascistes.
Hendrik Davi, Myriam Martin
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Les émirats rejettent enfin le plan de Trump pour Ghaza : Mohammed Ben Zayed désavoue son ambassadeur à Washington

Le sommet consacré à l'avenir de la bande de Ghaza qui devait s'ouvrir ce jeudi à Riyad, en Arabie Saoudite, a été reporté à demain, selon l'AFP.
Tiré de El Watan-dz
20 février 2025
Par Mustapha Benfodil
Ce sommet qui avait pour principal ordre du jour de répondre au plan du président américain, Donald Trump, pour Ghaza, devait ne réunir initialement que l'Arabie Saoudite, l'Egypte, la Jordanie, les Emirats arabes unis (EAU) et l'Autorité palestinienne. Finalement, il va être « élargi aux six pays du Golfe », affirme l'AFP qui dit tenir l'information de deux diplomates arabes. « Un responsable saoudien a indiqué sous le couvert de l'anonymat que "le mini-sommet arabe" aurait lieu le "21 février" et non le 20 comme prévu initialement, précisant qu'il "réunira les dirigeants des six Etats du Conseil de coopération du Golfe (CCG), ainsi que l'Egypte et la Jordanie, pour examiner les alternatives arabes aux projets de Trump pour Ghaza », indique l'agence française. Un autre diplomate arabe a soufflé à l'AFP qu'« un pays du Golfe influent a exprimé son mécontentement après avoir été exclu du sommet de Riyad, ce qui a poussé les organisateurs à inclure l'ensemble des pays du Golfe ». Cette source n'a pas précisé de quel pays il s'agissait.
Fin de la tournée de Marco Rubio
A retenir, par ailleurs, la position exprimée par les Emirats arabes unis qui ont officiellement informé, hier, le chef de la diplomatie américaine, Marco Rubio, de leur rejet du plan de Trump. Le président des Etats-Unis avait proposé, rappelle-t-on, de placer la bande de Ghaza sous contrôle américain et de la vider de ses habitants en transférant 2,4 millions de Palestiniens vers l'Egypte et la Jordanie principalement. Selon l'agence de presse émiratie (WAM), « Cheikh Mohammed Ben Zayed Al Nahyan, président des Emirats arabes unis, a reçu hier le secrétaire d'Etat américain Marco Rubio ».
Les discussions ont porté, entre autres, sur « l'évolution de la situation au Moyen-Orient, en particulier dans les territoires palestiniens occupés, et sur les efforts déployés pour résoudre la crise dans la bande de Ghaza et ses répercussions sur la paix, la stabilité et la sécurité régionales », explique l'agence émiratie. Et de préciser dans la foulée que Mohammed Ben Zayed « a souligné la position ferme des Emirats arabes unis, qui rejettent toute tentative de déplacer le peuple palestinien de sa terre ». MBZ a fait savoir, en outre, à son hôte que « la reconstruction de Ghaza doit être liée à une voie menant à une paix globale et durable fondée sur la "solution des deux Etats" qui est la clé de la stabilité dans la région ».
La position officielle formulée par le chef de l'Etat émirati vient ainsi contredire celle énoncée par l'ambassadeur des Emirats à Washington, Youssef Al Otaïba il y a quelques jours, où il disait qu'il ne voyait pas d'alternative à la solution douteuse proposée par Trump, synonyme de deuxième Nakba. Il avait fait cette déclaration lors du Sommet mondial des gouvernements qui s'est tenu le 12 février à Dubaï. « Lorsqu'on lui a demandé si les Émirats arabes unis (EAU) travaillaient sur un plan alternatif à la proposition de M. Trump, M. Al Otaiba a répondu : "Je ne vois pas d'alternative à ce qui est proposé. Je n'en vois vraiment pas. Donc si quelqu'un en a une, nous sommes heureux d'en discuter, nous sommes heureux de l'explorer. Mais elle n'a pas encore fait surface », rapporte l'agence Anadolu.
Al Sissi et Pédro Sanchez contre le plan de Trump
Abou Dhabi constituait la dernière étape de la tournée du secrétaire d'Etat américain au Moyen-Orient. M. Rubio est arrivé, hier matin, aux Emirats en provenance de l'Arabie Saoudite où il avait pris part à la réunion entre les délégations américaine et russe pour préparer un prochain sommet entre Trump
et Poutine.
Lors de son séjour à Riyad, Marco Rubio a rencontré lundi le prince héritier Mohammed Ben Salmane. Au cours de cet entretien, il a souligné « l'importance d'un accord pour Ghaza qui contribue à la sécurité régionale », relève un communiqué du département d'Etat. A l'entame de sa visite dimanche, M. Rubio s'était rendu à Jérusalem où il avait réitéré le soutien inconditionnel des Etats-Unis à Israël. A noter par ailleurs que le président égyptien, Abdel Fattah Al Sissi, en visite officielle en Espagne, a réaffirmé hier, avec le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez, leur rejet total du plan souhaité par Donald Trump. Al Sissi a lu une déclaration où il insisté sur « la nécessité de la reconstruction de Ghaza sans déplacement forcé – je le répète : sans déplacement forcé – du peuple palestinien de sa terre, à laquelle il s'accroche, et de sa patrie, qu'il ne consent pas à abandonner », rapporte l'AFP.
Fervent défenseur de la cause palestinienne, Pedro Sánchez a exprimé à son tour « le refus catégorique de l'Espagne et de son gouvernement (de donner leur approbation) au projet de transférer la population palestinienne en dehors de la bande de Ghaza ». Le Premier ministre espagnol a dit « soutenir, bien évidemment », la proposition égyptienne de reconstruction de la bande de Ghaza sans expulser sa population. Cette proposition fera l'objet d'un sommet extraordinaire de la Ligue arabe qui devait initialement se tenir le 27 février, au Caire, et qui a été reporté au 4 mars. Mustapha Benfodil

Ghaza : La Palestine appelle à protéger l'UNRWA
Le ministère palestinien des Affaires étrangères a vivement condamné l'invasion, mardi, par les forces d'occupation sionistes des écoles de l'Office des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) à El Qods-Est occupée, appelant la communauté internationale à prendre des mesures « dissuasives » à l'encontre de l'occupant, afin d'assurer la protection de l'agence onusienne. « Les agressions de l'armée d'occupation sioniste contre les étudiants et le personnel éducatif, et la fermeture des écoles affiliées à l'UNRWA constituent une violation flagrante de l'immunité et des privilèges dont jouissent les Nations unies et ses institutions, et une grave atteinte au droit international et aux résolutions onusiennes, qui affirment clairement qu'El Qods fait partie intégrante du territoire palestinien occupé depuis 1967 et est la capitale de l'Etat de Palestine », a souligné la diplomatie palestinienne dans un communiqué repris hier par des médias palestiniens. « Ces actes faisant partie des tentatives de l'occupation visant à effacer la question palestinienne, annuler le droit au retour des réfugiés et éliminer la condition de réfugié, conformément à ses objectifs coloniaux et expansionnistes, doivent être sévèrement sanctionnés par la communauté internationale », a insisté le ministère. Il a affirmé, à ce sujet, que « l'Etat palestinien ne lâchera jamais prise et continuera à se battre par tous les moyens diplomatiques, afin de contraindre l'occupant sioniste à mettre un terme à sa folie et à sa défiance à la légitimité internationale ». Le porte-parole de l'ONU, Stéphane Dujarric, a, pour rappel, fustigé l'attaque menée par les forces d'occupation sionistes contre des écoles de l'UNRWA, notant que les installations onusiennes « sont inviolables, et cette spécificité doit être prise en compte en permanence ».
Plus de 1100 mosquées détruites ou endommagées
L'entité sioniste a détruit ou endommagé 1109 mosquées dans la bande de Ghaza lors du génocide commis par son armée entre le 7 octobre 2023 et le 19 janvier dernier, a indiqué le ministère palestinien des Affaires religieuses. Le ministère a détaillé, dans un rapport, que « 275 mosquées avaient été partiellement ou gravement endommagées et 834 autres complètement détruites, en plus de la destruction de trois églises de la ville de Ghaza ». Le département a ajouté qu'« au moins 315 responsables et employés de mosquées avaient été tués et 27 autres arrêtés par les forces d'occupation ». Le rapport indique également que les soldats sionistes « ont détruit 643 biens appartenant à des institutions religieuses, pris pour cible 30 institutions juridiques et 30 bâtiments administratifs, dont le siège principal du ministère et le siège de la Radio du Saint Coran ». Le ministère a annoncé, à l'occasion de la publication du rapport, le lancement d'une « Coalition des minarets » pour la reconstruction des mosquées et des institutions religieuses dans la bande de Ghaza. Cette coalition regroupe des chefs d'institutions religieuses et caritatives et d'autres personnalités religieuses de plus de 30 pays.
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Sous prétexte de vouloir protéger les Druzes : Netanyahu menace d’une intervention militaire en Syrie

Le Premier ministre israélien se sert de récents incidents qui se sont produits dans une ville druze appelée Jaramana, située aux portes de Damas, pour menacer d'intervenir en Syrie pour soi-disant « protéger les druzes ». Depuis l'effondrement du régime alaouite le 8 décembre 2024, Israël n'a de cesse de multiplier les agressions militaires contre la Syrie, au mépris du droit international.
Tiré d'El Watan.
Ces derniers jours, l'armée israélienne a mené de nombreuses frappes au sud de Damas suivies d'incursions terrestres, près de Deraa, Quneitra et Al Soueida. Dans un article recensant les dernières opérations militaires israéliennes en Syrie, aljazeera.net relève : « Depuis la chute du président Bachar Al Assad, les forces d'occupation israéliennes ont effectué plusieurs incursions dans le sud de la Syrie, atteignant de nombreux points importants, notamment Jabal Al Sheikh, Jabatha Al Khashab et Tallul Al Hamar dans le gouvernorat de Quneitra, en plus du bataillon de mortiers près de la ville d'Abdeen, dans la campagne occidentale de Deraa, où les forces israéliennes ont établi des postes militaires et y sont toujours stationnées. »
L'article poursuit : « Des postes avancés ont également été le théâtre d'incursions des forces d'occupation pendant des heures avant de se retirer, comme la zone du bassin du Yarmouk à l'ouest de Deraa, où les troupes israéliennes ont atteint les villes de Koya, Jamlah, Ma'ariyah et Abdeen. »
Le 25 février, au soir, quatre frappes israéliennes ont touché un site militaire à Kisweh, dans la province de Damas. Ces raids aériens ont fait deux morts, selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH). La même source a fait état en outre d'une autre série de frappes sionistes contre un site militaire dans la campagne de Deraa, au sud du pays. « Des avions israéliens ont mené quatre frappes sur le quartier général d'une unité militaire au sud-ouest de Damas.
Simultanément, une autre frappe israélienne a touché une position militaire dans la province de Deraa », précise l'OSDH. L'offensive aérienne menée dans la campagne de Deraa a touché plusieurs positions, spécialement au niveau des collines de Tell Al Hara qui surplombent le Golan occupé et le nord d'Israël.
Israël veut « démilitariser le sud de la Syrie »
Selon aljazeera.net, l'armée israélienne a effectué de nouvelles incursions terrestres suite à ses frappes aériennes contre des cibles militaires à Kisweh. « Mercredi soir (le 26 février, ndlr), les forces d'occupation israéliennes ont fait une incursion en territoire syrien. Elles sont arrivées par voie terrestre, à bord de dizaines de véhicules militaires, dans la ville d'Al Bakkar, dans la campagne occidentale de Deraa, et sont entrées dans une caserne militaire appartenant à l'ancienne armée syrienne, connue sous le nom de caserne Al Majahid, dont les bâtiments ont été dynamités.
Dans le même temps, des véhicules blindés ont pénétré dans la ville de Jaba, dans la campagne centrale de la province de Quneitra, et ont atteint la ville d'Ain Al Bayda, dans le nord de la province, où ils ont détruit au bulldozer des arbres dans les environs avant de se retirer en direction du Golan occupé. »
Pour justifier ses agissements belliqueux, l'entité sioniste a prétexté avoir « attaqué des cibles militaires dans le sud de la Syrie, y compris des quartiers généraux et des installations contenant des armes », indique la BBC. Un communiqué du bureau de Netanyahu a justifié cette offensive en disant que « la présence de forces militaires dans la partie sud de la Syrie constitue une menace pour Israël ».
Le dimanche 23 février, le Premier ministre israélien a mis le feu aux poudres en déclarant que « le sud de la Syrie devait être complètement démilitarisé ». « Nous n'autoriserons pas les forces de l'organisation HTS (Hayat Tahrir Al Sham) ou de la nouvelle armée syrienne à entrer dans la zone au sud de Damas », a-t-il affirmé. « Nous exigeons la démilitarisation complète du sud de la Syrie, y compris les provinces de Quneitra, Deraa et Soueida », a insisté le boucher de Ghaza.
Par ailleurs, Netanyahu s'est servi de récents incidents qui se sont produits dans une ville druze appelée Jaramana, située aux portes de Damas, pour menacer d'une intervention militaire en Syrie pour soi-disant « protéger les druzes ».
Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme, ce samedi 1er mars et premier jour de Ramadhan, il y a eu des affrontements armés dans cette ville à majorité druze et chrétienne (gouvernorat de Rif Dimashq). Ces incidents ont fait un mort. « Au moins une personne a été tuée et environ 9 autres ont été blessées dans la ville de Jaramana après que des affrontements aient éclaté entre des habitants de la ville et des membres de la Sécurité intérieure », explique l'OSDH.
« Si le régime s'en prend aux druzes, il en subira les conséquences »
Le ministre israélien de la Défense, Israël Katz, a aussitôt réagi, dans un communiqué diffusé samedi soir, en s'attaquant avec véhémence au nouveau régime syrien qu'il qualifie d'« islamiste radical » et de « terroriste ». « Si le régime s'en prend aux druzes, il en subira les conséquences de notre part. Nous avons ordonné à Tsahal de se préparer et de transmettre un avertissement ferme et clair : si le régime porte atteinte aux druzes, nous lui porteront atteinte. » Ce sont les termes du communiqué officiel cité par l'AFP. Netanyahu et Israël Katz soutiennent que la ville de Jaramana « est actuellement attaquée par les forces du régime syrien ».
Sur le terrain, la situation est autrement plus complexe, et plusieurs personnalités druzes ont appelé au calme en soulignant leur attachement à la Syrie et en insistant sur les bonnes relations que les druzes entretiennent avec les nouvelles autorités. Hier, la situation semblait apaisée. « La ville de Jaramana est revenue au calme après les événements d'hier et d'aujourd'hui (samedi et dimanche, ndlr) », assure l'OSDH. L'ONG fait état d'un « retrait de toutes les factions locales de Jaramana après que les sages de la région aient appelé à l'arrêt des affrontements ».
A noter par ailleurs que plusieurs manifestations populaires ont eu lieu en Syrie ces derniers jours, notamment dans les provinces du Sud, dénonçant les violations israéliennes répétées de l'intégrité territoriale syrienne. Il convient de rappeler aussi que la Conférence de dialogue national, qui s'est tenue le 25 février à Damas, a vivement condamné les incursions sionistes ainsi que les velléités d'invasion israéliennes ciblant le territoire syrien.
Abdallah II : « Reconstruire Ghaza sans déplacer la population »
Le roi de Jordanie, Abdallah II, a réitéré la nécessité de reconstruire la bande de Ghaza sans déplacer sa population, mettant l'accent sur l'urgence de consolider le cessez-le-feu en vigueur. Au cours d'un appel téléphonique samedi soir avec le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, le roi Abdallah II « a souligné la nécessité de reconstruire la bande de Ghaza sans déplacer ses habitants, de consolider le cessez-le-feu en vigueur et d'intensifier les efforts internationaux en matière de réponse humanitaire », a indiqué la Cour royale jordanienne dans un communiqué.
Le roi Abdallah II a réitéré, à la même occasion, l'impératif de mettre un terme à l'escalade dangereuse des agressions sionistes en Cisjordanie occupée, soulignant « l'importance d'un travail sérieux et efficace, pour trouver un horizon politique permettant de parvenir à une paix juste et globale ». Samedi, le porte-parole du SG de l'ONU, Stéphane Dujarric, a mis en garde contre une éventuelle reprise de l'agression sioniste dans la bande de Ghaza, affirmant que cela serait « catastrophique ».
Ghaza : Obligations de l'entité sioniste L'OCI présente des observations écrites à la CIJ
Le secrétariat général de l'Organisation de la coopération islamique (OCI) a présenté des observations écrites à la Cour internationale de justice (CIJ) concernant l'avis consultatif de l'ONU sur les obligations de l'entité sioniste vis-à-vis des activités des Nations unies, d'autres organisations internationales et d'Etats tiers dans les territoires palestiniens occupés.
Dans un communiqué repris samedi par l'agence de presse Wafa, l'OCI « a souligné l'importance de ces efforts juridiques pour faire face aux mesures de l'entité sioniste, la puissance occupante, et à ses lois empêchant l'Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens(UNRWA) de mener ses activités dans les territoires palestiniens occupés depuis le 30 janvier dernier ». L'organisation islamique a, à ce sujet, renouvelé son « soutien indéfectible à l'UNRWA qui a été créée sur décision de l'Assemblée générale des Nations unies, pour servir les réfugiés palestiniens jusqu'à ce qu'une solution juste et permanente soit trouvée à leur cause ».
A rappeler que la CIJ avait fait savoir, début février, qu'elle avait autorisé l'OCI à émettre des remarques quant au respect de l'entité sioniste de ses obligations dans les territoires palestiniens. Le 19 décembre 2023, l'AG de l'ONU avait adopté une résolution demandant un avis consultatif à la CIJ sur les obligations de l'entité sioniste, en tant que puissance occupante, concernant la présence et les activités de l'ONU, y compris de ses agences et organes, d'autres organisations internationales et Etats tiers."
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Le chef de la milice kurde du PKK en Turquie demande à ses partisans de déposer les armes

Les combats entre la Turquie et le Parti des travailleurs du Kurdistan, considéré comme une organisation terroriste par les États-Unis et l'UE, ont commencé en 1984 et ont fait environ 40 000 morts. La Turquie, en suspens sur une éventuelle fin du conflit avec le PKK après quatre décennies de combats.
Photo et article tirées de NPA 29
Abdullah Öcalan, leader du Parti des travailleurs du Kurdistan – déclaré organisation terroriste par l'UE, les États-Unis et la Turquie – a appelé à déposer les armes depuis la prison où il est emprisonné depuis 26 ans.
Dans une lettre adressée au parti politique pro-kurde DEM (Parti de l'égalité et de la démocratie), Öcalan a déclaré qu'il assumait la « responsabilité historique » de cet appel et a demandé à tous les groupes de faire de même et au PKK de se dissoudre.
Le DEM a rendu visite au leader en prison ce jeudi et lui a ensuite transmis son message. Le parti pro-kurde a formé un groupe de contact connu sous le nom de Délégation Imrali (du nom de l'île où Öcalan est emprisonné) et a rendu visite à trois reprises au fondateur du PKK, un événement rare en 26 ans d'isolement.
La dernière visite à Imrali remonte à presque quatre ans. Öcalan a fondé le PKK en 1978 avec une base séparatiste marxiste-léniniste et en 1984, le groupe a commencé une lutte armée contre le gouvernement turc pour créer un État kurde.
Öcalan est en prison depuis 1999 et le conflit entre les forces de sécurité turques et le PKK a fait environ 40 000 morts en quatre décennies. Dans les années 1990, le PKK a modifié son objectif en faveur d'une plus grande autonomie du peuple kurde au sein de la Turquie et a défini son idéologie comme un « confédéralisme démocratique ».
Les négociations entre Öcalan et la Turquie ont débuté l'année dernière et l'un des premiers signes publics a été la déclaration du leader ultranationaliste Devlet Bahceli. Le président du Parti du mouvement nationaliste (MHP), dans un virage à 180 degrés, a invité le fondateur du PKK à s'adresser au Parlement turc pour annoncer le démantèlement de l'organisation et ouvrir la possibilité de sa libération après plus de 25 ans de prison. .
« L'appel lancé par M. Devlet Bahceli, ainsi que la volonté exprimée par le président [Recep Tayyip Erdogan] et les réponses positives d'autres partis politiques, ont créé un environnement dans lequel j'appelle à déposer les armes », a expliqué Öcalan dans sa lettre. .
De même, il salue tous ceux qui « croient à la coexistence » et qui attendent cet appel, sur lequel des spéculations circulent depuis des semaines. « Les deux précédents dialogues d'Ankara avec le PKK (2009-2011 et 2013-2015) ont lamentablement échoué, entraînant de nouvelles violences et érodant la popularité du président. Cette fois, Erdogan s'est montré plus calculateur lorsqu'il s'agit de publier des mises à jour sur la diplomatie du PKK », a récemment noté l'analyste Soner Cagaptay, chercheur sur la Turquie au groupe de réflexion du Washington Institute et auteur de plusieurs livres sur Erdogan. .
Öcalan n'a pas officiellement dirigé le PKK depuis des décennies, mais il est considéré comme le principal dirigeant de l'organisation et ses dirigeants ont déclaré publiquement qu'ils écouteraient les messages d'Öcalan et agiraient en conséquence. .
La Turquie, en suspens sur une éventuelle fin du conflit avec le PKK après quatre décennies de combats Pourtant, les experts ont exprimé des doutes quant à la concrétisation de son message. « Certains anciens dirigeants soupçonnent peut-être que la Turquie ne fera pas de concessions similaires à l'assignation à résidence proposée à Öcalan. .
En fait, certains craignent probablement d'être tués par l'Organisation nationale de renseignement turque (MIT), même si on leur promet une amnistie à court terme en exil. « Des commandants plus âgés pourraient également s'opposer à la dissolution complète ou immédiate du PKK sans atteindre aucun de leurs objectifs initiaux, un résultat qui pourrait suggérer qu'ils ont gâché leur vie en vain », affirme Cagaptay.
Javier Biosca Azcoiti 27 février 2025
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Gaza. Le Hamas à la croisée des chemins

Malgré ses divers courants, le Hamas a réussi à traverser près de quatre décennies sans connaître de divisions dans ses rangs. Mais la destruction de Gaza après le 7 octobre et les pertes importantes qu'il a subies rebattent les cartes, que ce soit entre le courant religieux et militaire, ou bien entre l'aile basée dans Gaza et celles des dirigeants de l'extérieur.
Tiré d'Orient XXI.
L'évolution de la situation sur la scène palestinienne rend l'analyse de l'actualité et des perspectives particulièrement difficile. Ce constat est partagé par le Hamas, qui se trouve aujourd'hui tiraillé entre deux aspirations : celle du retour des Frères musulmans et du projet turc dans la région, au vu de l'évolution de la situation en Syrie ; ou la poursuite — non sans difficulté — du projet de « l'axe de résistance » — que le mouvement a rejoint à nouveau après une période de froid avec l'Iran (1) Si cet axe s'effondre complètement, le Hamas perdra alors sa capacité à poursuivre la lutte armée… s'il n'envisage pas déjà d'abandonner cette option.
Ce conflit interne rappelle le débat entre la branche palestinienne des Frères musulmans et Fethi Chikaki, fondateur de l'Organisation du Jihad islamique palestinien au début et au milieu des années 1980. Craignant la concurrence de ce dernier, le Hamas voit le jour avec le choix de la lutte armée dès sa création en 1987, pour devenir ainsi la dernière faction palestinienne à prendre les armes face à Israël. En moins d'un quart de siècle, il est devenu l'organisation la plus puissante à affronter Israël, jusqu'à mener une opération sans précédent dans l'histoire du conflit israélo-palestinien, voire israélo-arabe.
Deux courants internes concurrents
Plusieurs obstacles se dressent devant le choix d'abandonner la lutte armée, dont l'expérience du Fatah n'est pas la moindre, celui-ci s'étant beaucoup affaibli en optant pour cette voie. L'Autorité palestinienne (AP) — dont il est la composante principale — s'est alors transformée en une sorte d'agent de sécurité d'Israël et des États-Unis, voire en agent militaire aujourd'hui, comme le montre la double opération menée depuis le 5 décembre 2024 contre les différents groupes de résistance, dans le nord de la Cisjordanie occupée.
Le courant de Yahya Sinouar, cerveau de l'opération du 7 octobre, au sein du Hamas, essentiellement présent dans la bande de Gaza, représente également un obstacle à l'idée d'abandonner les armes. Ses idéologues et ses partisans se trouvent dans les nombreux rouages contrôlant les activités du Hamas dans les territoires palestiniens, à l'étranger, ainsi que dans les prisons. Ils sont toutefois moins présents en Cisjordanie, où les membres de l'organisation sont plus enclins à suivre le courant de Khaled Mechaal, chef du bureau politique entre 1996 et 2017.
Or, pour comprendre le Hamas, il faut sortir du narratif classique qui oppose le courant turco-qatari au courant Iran-Hezbollah, car la réalité interne est bien plus complexe. Et le 7 octobre ainsi que la guerre destructrice menée par Israël sur Gaza n'ont fait qu'ajouter à la complexité de la situation, après les changements majeurs, survenus au sein du mouvement après 2017.
Un des changements essentiels a vu le jour à la suite du conflit entre le courant de prédication (da'wa), dont les partisans sont aujourd'hui désignés au sein du mouvement comme des « pragmatiques », et le courant militaire, que ses adhérents appellent le « courant radical ». Les anciennes figures de la da'wa ont durement concurrencé Yahya Sinouar lors des élections internes de 2021. Ce dernier ne l'a emporté qu'avec grande difficulté.
Les partisans de la da'wa se trouvent principalement dans le travail institutionnel. Suivant l'exemple des Frères musulmans, ils mettent l'accent sur l'étude théologique et l'éducation religieuse. Quant au courant militaire, il peut être décrit comme une version palestinienne et actualisée des Frères musulmans. Imprégné par la littérature de la gauche palestinienne et de celle de l'« Axe de résistance », il place la Palestine et sa libération au centre de ses luttes.
Si l'aile militaire a fini par l'emporter ces dernières années, la destruction de Gaza après le 7 octobre et les pertes importantes au sein de la structure du Hamas ont tout remis en question. Dès lors, le courant de la da'wa a demandé qu'un bilan soit fait de l'expérience du mouvement jusque-là, et que des voies de survie soient envisagées pour le futur proche. Or, les idées émises par le président étatsunien Donald Trump ne leur laissent aucune marge de manœuvre. Une plaisanterie circulant chez certains cadres du Hamas dit que même si Khaled Mechaal, Moussa Abou Marzouk (numéro 2 du Hamas et son chef du bureau des relations internationales) et Izzat Al-Richek (chef du bureau des relations arabes et islamiques du Hamas) faisaient leur pèlerinage à la Maison Blanche en en faisant 700 fois le tour (2), Washington ne leur ferait aucune place dans les solutions politiques, encore moins depuis que le Hamas est taxé de « daéchien » et de « nazi ». Une boutade, certes, mais qui dit quelque chose de la réalité.
Le poids géographique
L'autre changement essentiel qu'a connu le Hamas après 2017 est celui relatif aux origines géographiques et régionales de son commandement. Celles-ci restent, pour les Palestiniens, déterminantes dans le choix des partenaires de vie ou d'affaires, et jusqu'à la direction politique. L'importance des origines n'est d'ailleurs pas spécifique au Hamas, mais touche toutes les factions palestiniennes. Ces dernières années, le conflit interne s'est intensifié autour du transfert du pouvoir des mains des dirigeants originaires de Cisjordanie ou de la diaspora vers celles des Gazaouis, après qu'Ismaïl Haniyeh est devenu le chef du bureau politique du Hamas et Yahya Sinouar, chef du mouvement à Gaza.
Or, selon des sources internes au Hamas basées à Gaza, Yahya Sinouar a œuvré, durant les trois dernières années précédant le 7 octobre, à faire sortir de la bande un grand nombre de cadres du mouvement, afin de briser le monopole décisionnel détenu par les anciens cadres. Ces Gazaouis représentent encore à ce jour un bloc parallèle qui empêche le Hamas de céder aux volontés d'un certain nombre de partenaires arabes. À la tête de ce groupe figure le dirigeant Khalil Al-Hayya, désigné dans le dernier communiqué du mouvement comme « le chef du Hamas à Gaza », après avoir été chargé d'affaires et adjoint du dirigeant de Gaza. Ces cadres gazaouis sont également présents dans des secteurs stratégiques, comme la sécurité, l'informatique et les finances.
Ces dernières années, la discussion a porté dans l'entourage de Sinouar sur la prise de décision centrale, qui devrait émaner depuis le bureau de Gaza au vu de son poids numérique. Il est aussi celui qui paie le plus lourd tribut en termes de combats et de siège. L'on pourrait souligner alors que Moussa Abou Marzouk, bien que gazaoui, est un partisan de Khaled Mechaal et ne fait pas partie du courant Sinouar. C'est vrai, à ceci près qu'Abou Marzouk a quitté Gaza depuis des décennies. Mais, en regardant de près les nominations et les changements de porte-paroles et de représentants du Hamas à l'étranger depuis 2017, l'enjeu des origines géographiques et régionales des uns et des autres apparaît comme évident. L'on constate alors le nombre de dirigeants gazaouis qui ont remplacé, au sein des comités de travail extérieurs, ceux issus de Cisjordanie et de la diaspora.
Lorsqu'en 2004, Israël assassine le cheikh Ahmed Yassin, et ensuite Abdelaziz al-Rantissi, la décision est prise de déplacer le bureau politique à l'étranger afin d'en protéger les dirigeants. Depuis, et jusqu'à l'élection de Haniyeh et Sinouar à la tête du bureau politique (2021), la prise de décision et le financement sont restés aux mains de Mechaal, jusqu'à l'avènement de la révolution syrienne, soutenue par le Hamas. Ce positionnement a mis de l'eau dans le gaz dans les relations du Hamas avec l'« axe de résistance », et a forcé Mechaal à quitter Damas.
Qui prend les décisions aujourd'hui ?
Selon des sources au sein du Hamas et basées à l'étranger, le mouvement est dirigé aujourd'hui par un comité de cinq membres qui sont le président du Conseil consultatif du Hamas, Mohamed Darwich Ismaël, également président du comité ; Khalil al-Hayya du bureau de Gaza, qui est l'ancien adjoint de Yahya Sinouar ; Zaher Jabarine du bureau de Cisjordanie, et ancien adjoint de Saleh al-Arouri (3) ; de Khaled Mechaal du bureau extérieur et vice-président du Hamas ; et enfin Moussa Abou Marzouk, responsable des relations internationales.
Cette nouvelle composition reste toutefois très fragile à cause des divergences de ses membres : le président du Conseil, Mohamed Darwich Ismaël, reste pour sa part à équidistance de l'Iran et de la Turquie ; Abou Marzouk s'aligne quant à lui sur le courant turco-qatari représenté par Mechaal, dont il devient le bras droit en Turquie. Quant à Al-Hayya et Jabarine, ils représentent l'ancien courant Sinouar-Arouri.
Pour l'heure, le Hamas se concentre davantage sur la question des otages et sur l'idée d'une sortie de guerre. Il repousse à plus tard les questions liées à son commandement, que ce soit au niveau interne palestinien (sous l'égide de Houssam Badrane), au niveau arabe (sous la direction d'Oussama Hamdane) ou au niveau des relations internationales, avec Moussa Abou Marzouk.
La période d'après-guerre devrait connaître une polarisation entre deux lignes. La première est celle de l'« axe de résistance », que Sinouar représentait, en adéquation avec les attentes du conseil militaire et la vision du bureau politique. Cette ligne s'étend à tous les pays de l'« Axe de résistance » ainsi qu'à tous ceux qui peuvent fournir le Hamas en armes.
La deuxième ligne est celle du courant turco-qatari, représenté par Mechaal et par Abou Marzouk, et qui s'aligne avec celle du Quartet pour le Moyen-Orient (4). Suivant les trois principes-cadres posés par le Quartet — le rejet de l'usage de la violence, la reconnaissance de l'État d'Israël et l'acceptation des précédents accords — pour aboutir à la création d'un État palestinien sur la base des frontières de 1967, le Hamas parachèvera son intégration au sein du système posé à la fois par la Ligue arabe et les États-Unis. Mais Mechaal et son courant concèdent ignorer encore les conséquences des changements régionaux ou internationaux avec la présidence de Trump et la prise du pouvoir d'Ahmed Al-Charaa en Syrie.
Quel rôle pour la Turquie ?
Les Turcs travaillent également de leur côté à l'institutionnalisation du mouvement et à la naturalisation ou l'octroi de permis de résidence permanente à ses cadres non militaires. Ankara tente également de convaincre le Hamas de la nécessité de cette étape pour ériger un État palestinien, ou du moins, pour que le mouvement ne disparaisse pas. Pour ce faire, ils l'intégreront de manière à ce qu'il soit sous leur contrôle, pour ensuite l'exploiter comme moyen de pression dans divers dossiers régionaux. Certains dirigeants du Hamas s'attendent même à ce que l'Iran accepte cette démarche, car Téhéran souhaite réduire la pression considérable qui pèse sur elle tout en assurant la survie du mouvement. Cependant, une partie importante du mouvement reste sceptique quant au programme turc et pourrait se tourner vers Téhéran, particulièrement ceux qui croient que la question palestinienne ne peut être résolue politiquement et que la solution réside dans le maintien de la résistance.
Mais que se passerait-il si le régime venait à changer en Turquie ? Et d'ailleurs, que pourrait obtenir Ankara pour les Palestiniens ? Un État ? Et sous quelle forme ? La guerre sur Gaza a été un exemple parfait des limites de la marge de manœuvre réelle des Turcs : ils n'ont réussi ni à mettre fin à la guerre ni à obtenir un accord de trêve. Pire, Ankara n'a même pas complètement suspendu les canaux commerciaux et les lignes d'approvisionnement maritime avec Israël, en raison de la présence sur son territoire de plusieurs entreprises privées israéliennes spécialisées dans la production et l'extraction de l'eau et dans le transport de nourriture et de gaz. De même qu'il existe une coopération turque avec des entreprises internationales d'exploitation minière et de gaz, dont les propriétaires ont des partenaires israéliens.
En réalité, une grande partie du Hamas de l'intérieur de Gaza, particulièrement ceux qui se méfient des Turcs, refuse l'adoption d'un nouveau programme politique et l'abandon des armes. Pour eux, cela va à l'encontre de la raison d'être de l'organisation en tant que mouvement de résistance. Les partisans de ce courant considèrent que la survie du Hamas repose sur le choix des armes, et qu'il ne faut pas trop compter sur ce qu'offrent les pays du Golfe ou même les États-Unis. Certes, il y a un certain ressentiment à l'encontre de l'« axe de résistance », mais ces partisans ne voient aucun avenir pour la résistance palestinienne sans les États qui la soutiennent militairement.
Cependant, avec la mort de Sinouar, ces voix commencent à s'estomper, laissant place à une volonté de préserver ce qu'il reste du mouvement et de sa base populaire. L'autre partie de ce courant envisage de se tourner plutôt vers l'Iran et le Yémen pour renforcer leurs positions, tout en maintenant une présence du Hamas en Turquie ainsi qu'au Qatar, sous couvert politique. Cette stratégie vise également à poursuivre les activités dans des « terrains prometteurs » comme l'Indonésie et la Malaisie.
Globalement, le Hamas se considère comme étant dans une phase extrêmement difficile qui pourrait le pousser à d'énormes concessions, qu'il ne souhaite pas accorder au Fatah, à l'heure où la question de l'intégration de l'arsenal du Hamas au sein de l'appareil sécuritaire de l'AP se pose dans certains cercles. Cependant, il pourrait être contraint d'en faire quelques-unes en fonction de l'évolution des événements, et de ce que Trump pourrait faire ou imposer aux pays arabes, y compris ceux qui ont normalisé leurs relations avec Israël, ou qui sont sur le point de le faire.
Les chances de survie
Entre-temps, on ne se bouscule pas pour la présidence du bureau politique. Après l'assassinat de Haniyeh, les rumeurs plaçaient Mechaal en favori, mais le poste est finalement allé à Sinouar. Depuis l'assassinat de celui-ci, plus personne dans le Hamas ne parle de la présidence. Selon une source de l'intérieur de l'organisation :
- Chacun sait que ce n'est pas tant un siège de présidence qu'un siège d'exécution. L'assassinat peut survenir à tout moment. Les tensions internes empêchent également la nomination d'un président, car l'ouverture d'un tel dossier risquerait de diviser le mouvement en deux parties ou plus.
Ce qui nous amène à un réel questionnement : comment le Hamas a-t-il pu être le seul organisme palestinien à ne pas avoir connu de scissions de toute son histoire, à l'inverse de toutes les autres organisations, qu'elles soient laïques, de gauche ou même islamistes ? Certaines figures ont quitté le mouvement pour se réfugier chez d'autres organisations, d'autres sont restées inactives ; aucune n'a formé un autre mouvement.
Réponse : à cause des élections, qui tombent d'ailleurs cette année, et qui ne pourront probablement pas se tenir au vu de la situation à Gaza comme en Cisjordanie. Ce scrutin à deux tours qui a lieu tous les quatre ans a toujours été le meilleur moyen d'apaiser les tensions internes au sein de l'organisation, tout en prévenant la dissidence. Il permet également à chaque courant de mettre en avant sa force et la justesse de sa lecture politique. Raison pour laquelle tout le monde cherche à éviter tout conflit autour de la présidence du bureau avant la date prévue des élections, afin que les voix et, ensuite, les parrainages soient les éléments décisifs.
Un dirigeant du Hamas commente :
- L'« axe de résistance » traverse sa période la plus difficile, et il y a un fort mécontentement quant à la gestion de la guerre contre Israël. Mais cette option reste moins risquée que celle de s'orienter complètement vers l'autre voie, celle du compromis. La Turquie agira selon ses intérêts sous protection américano-israélienne… Ce que nous craignons le plus, c'est la guerre interne au sein du Hamas et le conflit entre ses deux courants.
Il conclut :
- Il faut donner la liberté à l'action politique et aux espaces dans lesquels Mechaal, les Turcs et d'autres évolueront, mais sans toucher à une seule balle de notre arsenal, car cela signifierait notre mort à tous.
Notes
1- NDLR. Ce froid était dû au choix fait par le Hamas de s'opposer au régime de Bachar Al-Assad au moment de la révolution syrienne.
2- NDLR. Référence au pèlerinage de la Mecque durant lequel les fidèles font sept fois le tour de la Kaaba.
3- NDLR. Un des fondateurs des Brigades Al-Qassam et ancien vice-président du bureau politique de Hamas. Assassiné à Beyrouth le 2 janvier 2024.
4- NDLR. Comité international fondé à Madrid en 2002, dans le sillage de la seconde intifada, et formé par les États-Unis, la Russie, l'Union européenne et l'ONU, censé œuvrer comme médiateurs dans le « processus de paix » israélo-palestinien.
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“Guerre de la faim” : tollé contre la décision d’Israël de bloquer les aides vers Gaza

La décision du gouvernement de Benyamin Nétanyahou de bloquer l'entrée des aides humanitaires dans l'enclave palestinienne a suscité une vague de réactions dans le monde arabe et à l'international, et exacerbé les craintes d'une relance de la guerre.
Tiré du Courrier international. Légende de la photo : Des enfants palestiniens se rassemblent pour recevoir de la nourriture préparée par une association caritative à Khan Younès, dans le sud de la Bande de Gaza, le 3 mars 2025. Photo : Hatem Khaled/Reuters.
“Israël impose un siège à Gaza et déclare la guerre de la faim”, titre ce lundi 3 mars le quotidien panarabe Al-Quds Al-Arabi, alors que les réactions dans le monde arabe et à l'international pleuvent depuis l'annonce par Israël, la veille, de la fermeture des postes-frontières par lesquels est acheminée l'aide humanitaire dans la bande de Gaza.
Cette décision, qui a surpris aussi bien les Palestiniens que les Israéliens, vise à exercer une pression sur le Hamas, afin de le contraindre à accepter une proposition américaine d'extension jusqu'au 19 avril de la première phase de l'accord de cessez-le-feu, arrivée à terme début mars.
De son côté, le mouvement palestinien réclame l'enclenchement immédiat de la deuxième phase, conformément au calendrier initialement défini, stipulant la libération des otages restants, des négociations sur un arrêt permanent des hostilités et le retrait total des troupes israéliennes de Gaza.
“Punition collective”
“L'utilisation de l'aide [humanitaire] comme moyen de coercition et de punition collective constitue une violation flagrante du droit international, encore plus au regard de la situation humanitaire à Gaza”, a ainsi réagi l'Arabie saoudite, rapporte le quotidien Asharq Al-Awsat, alors que le Qatar et l'Égypte, deux médiateurs clés impliqués dans les négociations entre Israël et le Hamas, ont condamné à l'unisson la décision israélienne.
Le Caire a dénoncé une “violation flagrante” de l'accord, et accusé Israël d'utiliser la famine comme “arme contre le peuple palestinien”.
Au niveau international, l'Union européenne (UE) a appelé à une reprise rapide des négociations ainsi qu'à l'“accès complet […] et sans entrave à l'aide humanitaire des Palestiniens”, alors que plus de 90 % des Gazaouis vivent dans des conditions extrêmes, rapporte le journal saoudien.
La semaine dernière, sept nourrissons sont morts à Gaza d'hypothermie, alors que le Proche-Orient était touché par une vague de froid, rappelle le site Electronic Intifada.
Vers une relance de la guerre ?
L'Organisation des nations unies ainsi que plusieurs ONG internationales, dont Oxfam et Médecins sans frontières (MSF), ont également condamné la décision israélienne, dénonçant l'usage de l'aide humanitaire comme “monnaie d'échange et outil de guerre”.
Mais au-delà des condamnations, “l'inquiétude grandit quant à une reprise des combats”, constate The New York Times, et quant au sort de centaines de milliers de Palestiniens vivant toujours à Gaza et à celui des 54 otages détenus encore par le Hamas.
Benyamin Nétanyahou semble en effet privilégier l'option martiale, d'autant que sa survie politique reste tributaire de ses alliés d'extrême droite, notamment de son ministre des Finances, Bezalel Smotrich, qui a menacé en janvier de démissionner si la guerre ne reprenait pas.
“Alors que le cessez-le-feu vacille, le Hamas et Israël opèrent sur deux fronts, l'un diplomatique, l'autre militaire”, chacun se préparant à l'éventualité d'une relance du conflit, met ainsi en garde le journal américain.
“Les otages d'abord”
Entre-temps, la panique s'est emparée des familles des otages dès l'annonce, dimanche 2 mars, du blocage des aides acheminées vers Gaza, rapporte la presse israélienne. Une crainte exacerbée par les menaces du Hamas, qui a affirmé qu'Israël devra “assumer les conséquences” de sa décision, qualifiée de “coup d'État”, contre l'accord de trêve conclu le 19 janvier.
Dans un article, le site The Times of Israel a interrogé certains de ces proches, qui appellent unanimement à la mise en œuvre de la deuxième phase de l'accord.
Parmi eux, Lishay Miran-Lavi, mère de deux petites filles, est toujours dans l'attente du retour de son mari, Omri Miran, détenu à Gaza depuis octobre 2023. “Les otages immédiatement, le Hamas ensuite”, affirme-t-elle sur un ton insistant. “Quand pourrai-je me lever le matin et répondre aux questions de mes filles sur le jour et l'heure auxquels leur père rentrera à la maison ?” demande la jeune mère, citée par le média.
Sa crainte, comme celle d'autres proches, est que cela se fasse aux dépens des otages. C'est aussi l'inquiétude de certains journalistes, dont Amos Harel, dans Ha'Aretz. Si le conflit reprend, dit-il, “certains [otages] risquent d'être condamnés à un séjour prolongé dans les tunnels du Hamas, et d'autres seraient sacrifiés”.
Les craintes sont également vives, côté palestinien, d'un nouvel épisode meurtrier après quinze mois d'une guerre dévastatrice, ayant fait plus de 60 000 morts et déplacé près de 2 millions de personnes. “Assez de guerres… !” lance ainsi Abou Mohammed El-Basyouni, un habitant de la ville de Gaza, cité par le journal palestinien Al-Ayyam. “Nous sommes aussi un peuple, et nous avons le droit de vivre.”
Courrier international
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Un nombre record de 60 avant-postes illégaux installés en Cisjordanie en 2024, selon un groupe israélien de défense des droits

Sous le couvert de la guerre génocidaire contre Gaza, 60 avant-postes illégaux ont été installés en Cisjordanie occupée pour la seule année 2024, a révélé hier une organisation israélienne qui surveille la politique foncière israélienne dans le territoire palestinien occupé.
Tiré de France Palestine Solidarité.
24 février 2025
Kerem Navot a déclaré que 284 avant-postes ont été établis depuis 1997, et que « plus d'un cinquième » l'ont été au cours de la seule année 2024.
« Contrairement au passé, lorsque les gouvernements israéliens cherchaient encore à projeter une image de respect de l'État de droit en évacuant un nombre symbolique d'avant-postes, le gouvernement actuel a ordonné à l'armée et à l'administration civile de ne procéder à aucune évacuation », a ajouté le rapport.
Bien que les nouveaux avant-postes soient illégaux, le PDG de Navot, Dror Atkes, a déclaré : « La plupart d'entre eux disposent déjà d'infrastructures, y compris d'une connexion au réseau d'adduction d'eau israélien. C'est très simple : ils tirent les tuyaux des anciennes colonies. En ce qui concerne l'électricité, certains d'entre eux disposent de générateurs et de panneaux solaires, mais d'autres ont déjà réussi à tirer des lignes électriques à partir d'anciennes colonies. »
« Beaucoup de nouveaux avant-postes comptent peu de colons, parfois moins de dix. Cependant, ils s'emparent de vastes zones et y établissent des infrastructures, dans le but de permettre l'arrivée d'un plus grand nombre de colons à l'avenir », prévient le rapport.
D'autres sont présentés par les colons comme des extensions ou de nouveaux quartiers de colonies illégales existantes, dont Israël a unilatéralement légalisé l'établissement, ce qui n'est pas reconnu par le droit international.
Navot a averti que « c'est ainsi qu'ils étendent sans cesse la zone où les colons circulent librement et pas les Palestiniens, créant progressivement une zone contiguë de colonisation dans une grande partie de la Cisjordanie ».
Selon de nombreux rapports et témoignages de résidents palestiniens, de militants, de journalistes et même de colons, bon nombre des nouveaux avant-postes ont été établis en s'emparant de terres agricoles et de pâturages palestiniens, en prenant violemment possession de leurs terres, en déracinant leurs arbres, en bloquant les routes qu'ils empruntent et en érigeant des clôtures qui bloquent l'accès à leurs champs.
Selon un rapport du Bureau des affaires humanitaires des Nations unies, entre octobre 2023 et novembre de l'année dernière, 1 757 Palestiniens ont été expulsés de leur domicile en Cisjordanie occupée - certains par les forces d'occupation, en raison d'une construction sans permis israélien, et d'autres par des colons dans le but d'établir et d'étendre des avant-postes. Il s'agit de la plus grande expulsion de Palestiniens en Cisjordanie depuis la Naksa en 1967.
Traduction : AFPS
Photo : Construction d'une colonie israélienne à Givat Hatamar, Cisjordanie, 2017 © Ronan Shenav
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