Derniers articles

10 septembre : ce que les assemblées générales révèlent du mouvement
Mouvement nébuleux d'extrême droite, renouveau des gilets jaunes ou réunion de militants de gauche ? Depuis août, des assemblées générales préparent le mouvement de blocage du 10 septembre dans plus de 60 villes. Décryptage.
2 septembre 2025 | tiré de Basta.media
https://basta.media/10-septembre-ce-que-les-assemblees-generales-revelent-du-mouvement
Il se passe quelque chose en cette rentrée 2025. Le 28 août, 400 personnes se sont réunies dans le parc de la Villette, à Paris, pour la première assemblée générale du mouvement du 10 septembre en Île-de-France. Cette même semaine, 200 personnes se sont rassemblées à Montpellier, Grenoble, Lille… 300 à Lyon. Les villes moyennes, voire petites, ne sont pas en reste : 60 personnes à Alès, une cinquantaine au Havre, une soixantaine à Aix-en-Provence et à Lorient, ou encore une vingtaine à Souillac dans le Lot, ou à Romans-sur-Isère. Selon notre décompte, plus d'une soixantaine de villes ont déjà vu éclore des AG.
Le passage du numérique au physique n'était pourtant pas acquis pour le mouvement du 10 septembre. Lancée en plein mois de juillet par un groupuscule complotiste d'extrême droite nommé « Les Essentiels », la première action prévue à cette date n'était autre qu'un appel à « l'auto confinement généralisé ». L'objectif était flou : « reprendre le contrôle sur nos vies » et le mot d'ordre peu propice à la rencontre. Mais au fur et à mesure de l'été, à la faveur de boucles Telegram souvent intitulées « Bloquons tout » ou « Indignons-nous », la couleur politique du 10 septembre a changé.
L'appel des Essentiels a peu à peu été marginalisé. Sa chaîne Telegram peine à dépasser les 500 membres quand les boucles concurrentes « Bloquons tout » avoisinent désormais les 10 000 membres et se multiplient pour couvrir une diversité de zones géographiques. Pour le 10 septembre, l'appel à « l'auto-confinement » et à la grève de la consommation s'est globalement mué en organisation d'assemblées générales qui incitent aux blocages, aux grèves et aux manifestations.
L'objectif de court terme est désormais de s'opposer au « budget Bayrou », qui promet plus de 40 milliards d'euros d'économie en coupant dans le financement de la sécurité sociale, de la fonction publique, ou encore en supprimant deux jours de congé. Le probable départ du Premier ministre le 8 septembre, suite au vote de confiance de l'Assemblée nationale qu'il a lui-même requis, n'y change rien. « On parle d'austérité et plus de Bayrou dans les AG, mais le fond du propos n'a pas changé », explique Pierre*, impliqué dans les AG du 10 septembre à Alès.
Retour des gilets jaunes ?
« Oui, il se passe quelque chose. Il y a une impulsion, ça donne envie de s'y impliquer, mais il est bien difficile de dire ce qui va se passer le 10 septembre », confie Gaël*, militant libertaire ayant participé à l'AG de Montpellier. Pour tenter d'y voir plus clair, de nombreux observateurs comparent le 10 septembre 2025 au 17 novembre 2018, date de début du mouvement des gilets jaunes.
Tout comme ce dernier, le mouvement du 10 septembre est d'initiative citoyenne, indépendant des syndicats et des partis. La présence de militants qui se revendiquent « gilets jaunes » dans les assemblées du 10 septembre aide aussi à tracer un tel parallèle. « La première AG montpelliéraine a été organisée par les gilets jaunes d'un rond point toujours actif dans la ville », explique Gaël*.
Pourtant, les différences avec le mouvement social de 2018-2019 sont nombreuses. À commencer par les liens potentiels avec l'extrême droite. Le début du mouvement des gilets jaunes était marqué par une présence – certes marginale – de militants d'extrême droite. Elle semble cette fois cantonnée à internet. « J'ai vu surtout des militants de gauche et des syndicalistes », estime Cyril*, jeune militant qui a participé à l'AG de Saint-Denis. Gaël abonde : « Pour moi, à Montpellier, il n'y avait pas de "fachos". Par contre il y avait des primo-militants ».
À Paris, ou encore à Toulouse, la nécessité d'éloigner l'extrême droite a été clairement évoquée : « Si on voit une personne réac en AG, on discute, si c'est un militant d'extrême droite, on le dégage », peut-on lire dans un compte rendu. Les thématiques du mouvement tournent autour de la justice sociale, de la démocratie, ou de l'écologie. La question palestinienne, la lutte contre le sexisme et les LGBTphobies, la nécessité de parler aux quartiers populaires, sont aussi souvent évoquées.
« Je ne trouve pas que le parallèle avec les gilets jaunes soit bon. Mais ce n'est pas forcément une mauvaise chose. À l'époque, les revendications précises ont mis longtemps à émerger, là on gagne peut-être du temps », suggère Cyril* de Saint-Denis. D'autres sont moins optimistes. « Je ne sais pas encore à quel point le 10 septembre arrivera à sortir du cadre militant, comme a su le faire le mouvement des gilets jaunes », ajoute Pierre*, autrefois très impliqué dans la mobilisation citoyenne à Alès.
Chez les indés
La revue de presse du journalisme engagé : une sélection d'enquêtes, de récits, et d'alternatives parues dans la presse indépendante, directement dans votre boîte mail.
Mon adresse email :
Entrez votre adresse email...
En m'inscrivant j'accepte la politique de confidentialité et les conditions générales d'utilisation de Basta !
Partis de gauche et syndicats en appui
Autre différence notable avec le mouvement au gilet fluo : le rapport aux partis politiques, aux syndicats et organisations classées à gauche. S'ils étaient restés distants, voire méfiants à l'approche du 17 novembre 2018, les partis de gauche (PC, LFI, PS, EELV) et les syndicats (Solidaires et CGT) ont cette fois signifié leur soutien au mouvement du 10 septembre, avec plus ou moins d'insistance. Attac ou les Soulèvements de la terre ont fait de même. Les partis de droite et le RN se sont au contraire éloignés de ce dernier, voire l'ont condamné.
Dès le début du mois d'août, plusieurs fédérations de la CGT, comme la FNIC-CGT (industries chimiques), la CGT commerce et service, ou certaines unions départementales, comme celle du Nord, ont de leur côté appelé à une grève le 10 septembre. Ces organisations ont pour point commun de se montrer critiques de la stratégie confédérale de la CGT.
Leurs appels ont peu à peu été appuyés par diverses unions locales ou syndicats d'entreprises. Finalement, le 26 et le 27 août, la confédération CGT, qui a réuni ses fédérations et ses unions départementales, a décidé d'inclure le 10 septembre à son agenda de mobilisation du mois. Pas un appel ferme à la grève mais une incitation à « débattre avec les salariés et à construire la grève partout où c'est possible », qui montre une sympathie pour le mouvement citoyen.
Côté Solidaires, de grosses fédérations professionnelles (Sud-Rail, Sud-Industrie, Sud-PTT et Finances publiques) ont également appelé à cesser le travail ce jour-là. Le 27 août, l'union syndicale Solidaires tout entière a finalement opté pour un appel à la grève et au blocage. La Confédération paysanne s'est elle aussi jointe au mouvement.
La date du 10 septembre n'a toutefois pas été retenue par l'intersyndicale (FO, CFDT, CFE-CGC, Solidaires, CGT, CFTC et UNSA) qui lui a préféré celle du 18 septembre pour une « journée de mobilisation y compris par la grève et la manifestation ». Mais des initiatives intersyndicales de plus petite ampleur sont à l'œuvre. À l'appel du STJV, de Solidaires Informatique et de la CGT (syndicats minoritaires dans le secteur), les salariés de l'informatique, du conseil et des bureaux d'études se réuniront le 8 septembre à la Bourse du travail de Paris pour préparer la grève ensemble.
En Seine-Saint-Denis, les syndicats enseignants de la FSU, de Solidaires et de la CGT ont signé un communiqué commun pour appeler à la grève le 10. « Dans mon secteur, il est très facile de parler du 10 septembre avec les collègues », témoigne Cyril qui travaille dans la fonction publique territoriale. De même, « les syndicalistes sont aussi présents dans les AG. À Paris, ils interviennent en leur nom, parlent de la grève et de leur secteur », confirme Quentin*, néo-militant syndical à Paris.
Quelles actions ?
En attendant le 10 septembre, les actions se préparent dans les AG et les boucles Telegram. L'une d'entre elles pourrait même intervenir avant la date fatidique. « Le 8 septembre à 20h, retrouvons-nous sur la place des Terreaux pour une grande fête populaire : le pot de départ de Bayrou ! Une soirée pour créer du lien, s'amuser et s'unir avant le 10 septembre », résume un post Telegram de la chaîne Lyon Insurrection, suivie par 10 000 personnes. Cet appel à rassemblement devant les mairies s'est déjà dupliqué dans plusieurs villes.
Et le jour J ? « On a prévu un rassemblement le matin sur une des places principales de la ville. L'idée est de se rendre visible et de rassembler un maximum de gens pour décider de ce qu'on fait », détaille Pierre d'Alès. À Paris l'AG d'Île-de-France n'avait pas vocation à fixer d'action, prérogative plutôt dévolue aux AG de villes. « Les initiatives proposées différent forcément en fonction des profils des gens. Les syndicalistes parlent de grève quand d'autres évoquent des occupations de rond point ou des blocages symboliques. Pour le moment à Montpellier il semble qu'il y aura des blocages le matin, puis un rassemblement dans l'après-midi pour se compter et enfin une AG », énumère Gaël.
*Les militants interviewés dans cet article ont souhaité rester anonymes.

Chute de Bayrou : une victoire de la colère par en bas, dégageons Macron et les politiques anti-ouvrières !
La chute de Bayrou constitue une première victoire pour toutes celles et ceux qui aspirent à construire la mobilisation face aux plans du gouvernement. Alors que Macron va chercher à reprendre la main, il faut continuer à s'organiser par en bas pour le dégager et arracher nos revendications.
8 septembre 2025 | tiré du site de Révolution permanente
https://www.revolutionpermanente.fr/Chute-de-Bayrou-une-victoire-de-la-colere-par-en-bas-degageons-Macron-et-les-politiques-anti
Chute de Bayrou : une première victoire du mouvement du 10 septembre
Le baroud d'honneur de François Bayrou et ses leçons interminables sur la nécessité de réduire le déficit et la dette n'auront pas suffi. François Bayrou est tombé ce lundi soir, après avoir demandé un vote de confiance au Parlement, dans l'espoir que le RN s'abstienne. Raté. Rejeté par 364 voix, Bayrou perd le vote de confiance. La démission du Premier ministre devrait avoir lieu mardi matin, mais la chute du gouvernement devrait être fêtée dans de nombreuses villes en France dès ce soir.
Le pari perdu de Bayrou est une première victoire pour la colère ouvrière et populaire qui s'est exprimée après les annonces austéritaires du 15 juillet dernier. À la différence de Barnier, qui était tombé en premier lieu du fait de la profonde crise politique et d'une décision tactique de l'extrême-droite, cette fois c'est le rejet massif suscité par le budget 2026 et la préparation d'une mobilisation le 10 septembre qui a mis Bayrou à terre, en obligeant les partis qui le soutenaient à un revirement.
Cette première victoire démontre les potentialités de la mobilisation par en bas, et doit servir de point d'appui pour renforcer la préparation du 10 septembre, puis du 18. Car si la chute de Bayrou témoigne des fragilités du régime et de la profonde colère face à l'austérité, Macron et les classes dominantes comptent bien chercher à reprendre la situation en main.
Une crise politique XXL
La chute d'un gouvernement à la suite d'un vote de confiance est une première historique sous la Ve République. En l'espace d'un an, Bayrou est le troisième Premier ministre à être chassé de Matignon, dans le cadre d'une crise politique qui s'approfondit en continu depuis 2022. Au moment où un mouvement social pourrait se développer, cette situation met Macron et l'institution présidentielle qu'il incarne en première ligne face à la colère. De quoi faire craindre aux éditorialistes des classes dominantes une bascule dans une « crise de régime », qui mènerait à l'effondrement de la Ve République, régime qui a assuré la stabilité du capitalisme français pendant des décennies.
La France vit peut-être un moment de rupture. La crise politique n'est plus épisodique, mais structurelle : la Ve République, conçue pour stabiliser le pouvoir de l'État, est aujourd'hui paralysée. Dans ce contexte, la chute inéluctable de Bayrou agit comme un symptôme et un accélérateur. Pour la première fois depuis l'aggravation de la crise politique après la dissolution ratée de 2024, elle s'accompagne de la perspective d'un nouveau mouvement social, avec des éléments de radicalisation en dehors du contrôle des bureaucraties syndicales. Une situation qui commence à inquiéter la bourgeoisie.
Dans ce cadre, il est probable que Macron cherche à nommer rapidement un nouveau Premier ministre, en pariant sur un nouveau gouvernement du socle commun. Les noms de Darmanin, Vautrin, Retailleau ou Lecornu circulent en ce sens dans les lieux de pouvoir. D'ores et déjà, les négociations pour obtenir un accord de non-censure vont bon train. Après avoir déposé sa candidature à Matignon, le PS, rejoint par les Écologistes, se pose en roue de secours du régime en échange d'une mesure symbolique de taxation des « riches ». Du côté du RN, l'hypothèse d'un accord de non-censure pourrait également se concrétiser. Si Marine Le Pen exclut d'emblée de soutenir un gouvernement qui compterait des membres du NFP, Lecornu pourrait parvenir à arracher son soutien tacite, en reprenant des pans entiers de son programme raciste.
Un tel gouvernement du bloc central, qui répéterait l'expérience Bayrou ou Barnier, serait cependant plus fragile encore que ses prédécesseurs et devrait affronter à la fois le risque d'une censure en même temps que le mouvement en train de se construire. Ce sont ces limites qui expliquent des secteurs du régime envisagent des alternatives, comme l'idée de propulser l'extrême droite de Marine Le Pen à Matignon à l'issue de nouvelles élections législatives, formulée par Sarkozy ou Breton pour tenter de retrouver une stabilité relative. Un tel scénario impliquerait un saut bonapartiste inédit sous la Ve République, mais pourrait lui aussi s'avérer explosif.
Construire le 10 septembre, continuer le 18 pour imposer un plan alternatif aux directions syndicales
La situation et ses dangers exigent que le mouvement ouvrier ne laisse pas la crise dans les mains des classes dominantes et cherche à intervenir pour imposer une autre issue. Face aux manœuvres par en haut, il y a urgence à s'organiser et à intervenir avec nos propres méthodes, pour dégager Macron et arracher nos revendications. En ce sens, le mouvement du 10 septembre exprime ces dernières semaines une aspiration d'un secteur de l'avant-garde militante à organiser la lutte contre le gouvernement.
De nombreuses AG s'organisent dans tout le pays, comme à Nantes ou à Paris, où des points de blocage sont organisés autour des piquets de grève, tandis que des secteurs du mouvement ouvrier ont investi les assemblées générales et lient leurs grèves aux mobilisations. C'est le cas par exemple des énergéticiens, des travailleurs des transports lyonnais, des hôpitaux de Tenon et de Beaujon ou encore des travailleurs de la RATP et des cheminots du Bourget.
Ces dynamiques montrent qu'il existe une envie de se battre et qu'elle dialogue avec l'état d'esprit de secteurs du prolétariat. La journée du 10 septembre permettra de donner une idée de la capacité de ce mouvement à construire un rapport de force. Mais une chose est déjà sûre : si l'énergie militante qui commence à se déployer se dote d'une stratégie pour s'étendre et de perspectives, cette dynamique auto-organisée peut permettre d'impacter le mouvement ouvrier, et de transformer la nature du 18 septembre, contre les plans de l'intersyndicale, en en faisant un point d'appui pour l'élargissement du mouvement.
En ce sens, si les actions de blocage qui se préparent dans le cadre du mouvement du 10 septembre peuvent jouer un rôle dans la mobilisation, elles ne permettront pas à elles seules de construire un rapport de force durable à même de bloquer l'économie. À l'heure où une large partie de la population est en colère, c'est bien une grève générale politique, qui porte les aspirations de l'ensemble des secteurs ouvriers et populaires, qui peut permettre de réellement « bloquer tout » et d'arracher nos revendications.
C'est donc cette perspective que les AG doivent permettre de construire, en refusant de limiter leurs objectifs à faire tomber Macron pour imposer de nouvelles élections comme le demande la France Insoumise, et en se dotant d'un programme qui articule revendications sociales et politiques. Le refus de l'austérité et de la militarisation, l'abrogation de la réforme des retraites pour une retraite à 60 ans ou encore un financement massif des services publics prélevé sur les profits du patronat bien sûr. La démission de Macron évidemment. Mais aussi la fin de la Vème République, qui offre de multiples leviers aux classes dominantes pour tenter de sortir par le haut de la situation, en exigeant la mise en place d'une Assemblée unique, dont les députés seraient élus pour 2 ans par des assemblées locales, révocables et payés comme un·e infirmier·e.

« Je veux gouverner »
Une entrevue avec Clémentine Autain, députée à l'Assemblée nationale. Dans cette entrevue à #LaMidinale, la députée donne ses conditions pour gouverner.
3 septembre 2025 | tiré de Regards.fr
https://www.youtube.com/watch?v=7ogYbSv0yr8

Le nouveau parti de gauche britannique pourrait s’avérer dévastateur pour le Labour
Jeremy Corbyn et Zarah Sultana ont annoncé cet été la création d'un nouveau parti de gauche, qui a suscité immédiatement un énorme enthousiasme parmi toutes celles et ceux qui, en Grande-Bretagne, aspirent à une rupture avec le statu quo néolibéral, impérialiste et raciste. Le lancement réussi de cette nouvelle organisation prouve notamment que le génocide à Gaza est devenu une ligne de fracture décisive de la politique britannique : même face à la menace grandissante de l'extrême droite, le Parti travailliste de Keir Starmer, actuellement au pouvoir, ne peut plus réduire la gauche au silence.
3 septembre 2025 | tiré de contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/le-nouveau-parti-de-gauche-britannique-pourrait-saverer-devastateur-pour-le-labour/
***
Le 29 juillet 2025, Keir Starmer (1962) a annoncé que la Grande-Bretagne reconnaîtrait un État palestinien en septembre, si Israël n'acceptait pas d'abord un cessez-le-feu. L'attitude arrogante de Starmer — qui suggère que l'ancienne puissance coloniale pourrait reconnaître l'autodétermination palestinienne — n'avait d'égale que sa futilité. Alors que la Grande-Bretagne continue d'armer Israël pour la destruction de Gaza, Starmer a évité de mentionner comment un État palestinien verrait le jour ou quelles seraient ses frontières légitimes. Ce coup de pub, destiné uniquement à afficher une distance embarrassée vis-à-vis d'Israël était d'un cynisme sidérant.
Alors que certains médias de droite se moquaient de Starmer, l'accusant de céder face aux critiques des députés travaillistes, ses propos n'avaient rien d'un revirement. Il n'a présenté aucune excuse pour le rôle de son gouvernement dans l'armement d'Israël, et il n'a pas critiqué ses actions criminelles. Il s'est contenté de recourir à des formules passives et désincarnées, parlant d'un « échec catastrophique de l'aide ». En un an de pouvoir, le Labour de Starmer a clairement sous-estimé la colère de l'opinion publique face aux crimes israéliens. Sous la pression du mouvement pro-palestinien et d'un tollé médiatique tardif, il infléchit aujourd'hui son discours de façon opportuniste. Mais peu oublieront la ligne qu'il a tenue jusqu'ici.
Gaza aura sans aucun doute des répercussions sur la politique britannique. La comparaison évidente est l'invasion illégale de l'Irak en 2003. La position inflexible de Tony Blair (1953) aux côtés de George W. Bush (1946) avait déjà mêlé mensonges d'État, diabolisation des opposants et, à la fin, un vague aveu d'« erreurs » officielles. Ce bain de sang n'avait pourtant eu que des effets lents sur la politique partisane, les forces alternatives de gauche ne réussissant que des percées locales ponctuelles. Mais, à terme, la destruction de la confiance publique a fini par miner profondément le New Labour. L'héritage du mouvement anti-guerre a même joué un rôle décisif dans l'ascension de Jeremy Corbyn à la tête du Labour en 2015.
Aujourd'hui, Gaza semble devoir produire un effet bien plus immédiat. Les loyautés partisanes sont moins solides qu'en 2003, et Starmer n'a jamais bénéficié d'un mandat réellement fort. Lors des élections de juillet 2024, le Labour a certes infligé une lourde défaite aux conservateurs moribonds — raflant 411 des 650 sièges de la Chambre des communes — mais il n'a recueilli que 33,7 % des voix, sur une participation inférieure à 60 %. Depuis, ses intentions de vote ne cessent de s'effriter. Et l'annonce de la création d'un nouveau parti de gauche par Jeremy Corbyn (1949) et Zarah Sultana (1993) menace d'ouvrir une nouvelle brèche dans son électorat. L'autoritarisme obstiné du gouvernement Starmer — qu'il s'agisse d'immigration, d'allocations d'invalidité ou du traitement infligé à ses propres députés dissidents — alimente désormais une riposte organisée.
Les détails sur le nouveau parti restent flous. Lancé sous la forme d'un site web baptisé Your Party, il doit encore choisir son nom par un processus démocratique non précisé. En quelques jours seulement, 600 000 personnes se sont inscrites à sa liste de diffusion. Certes, ce ne sont pas des adhésions formelles. Mais cet engouement a tourné en dérision les moqueries des commentateurs « centristes raisonnables » qui minimisaient le projet : il révèle surtout une vérité plus profonde, à savoir qu'un très grand nombre de gens — bien plus que l'effectif total du Labour — estiment qu'un tel parti est nécessaire. Contrairement aux précédentes tentatives de créer des « partis radicaux de gauche » reposant sur de petits groupes révolutionnaires, celui-ci s'appuie d'emblée sur une large base de personnes prêtes à s'engager.
Tous les partis politiques sont des coalitions d'intérêts sociaux et d'idées. Le premier noyau de députés associés à ce nouveau parti, s'il se situe globalement à gauche, est avant tout uni par Gaza : c'est sur cette question que cinq indépendants ont réussi à se faire élire en juillet dernier, un score inhabituellement élevé au regard du système électoral britannique. La Palestine n'est en rien une « cause unique » extérieure à la politique intérieure : elle cristallise la perception qu'ont des millions de Britanniques du rôle de leur pays dans le monde, des limites du débat public et de la surveillance imposée aux musulmans. Et ce parti n'aurait jamais décollé sans Jeremy Corbyn, dont la notoriété est parmi les plus élevées de toute la classe politique britannique. Si seule une minorité l'admire, la majorité sait déjà ce qu'il incarne.
Reste une question fondamentale : à quoi ce parti veut-il vraiment servir ? Les débats en ligne se sont concentrés sur l'idée d'un pacte électoral avec les Verts, dont le prochain chef pourrait être l'écologiste Zack Polanski (1982). Mais quelle est l'ambition réelle de cette nouvelle formation ? Diriger un futur gouvernement national ? Remplacer le Labour et recréer un parti adossé aux syndicats mais avec un meilleur programme ? Ou se contenter d'un rôle permanent d'opposition, en construisant une base locale capable de renforcer le pouvoir populaire et de desserrer l'étau de Westminster ? Sans une orientation claire vers une stratégie de long terme, sans un cap défini pour parler à une base large, il sera difficile d'empêcher que les centaines de milliers de nouveaux sympathisants se dispersent au gré des désaccords.
Quand Corbyn dirigeait le Labour, il avait adopté des politiques bien plus progressistes que ses prédécesseurs. Mais jamais le parti n'a su redistribuer le pouvoir au-delà de Westminster. Son incapacité à construire des structures réellement enracinées et sa frilosité face à une politique de masse et conflictuelle — y compris sur des sujets brûlants comme le Brexit — l'ont rendu vulnérable aux assauts médiatiques et à la tentation permanente de s'y adapter ou de les apaiser. Ces dernières décennies, le Parlement s'est professionnalisé à l'extrême tandis que les structures locales du mouvement ouvrier dépérissaient. L'épisode du « corbynisme » (2015–2020) n'a pas inversé cette tendance. Certes, il affrontait une machine travailliste largement hostile. Mais cela devait être une raison d'innover, pas une excuse pour l'échec.
Beaucoup des doutes qui entourent le nouveau parti tiennent à son processus encore opaque : qui décide de la suite ? L'objectif n'est sûrement pas de recréer une structure à la Labour, dominée par des manœuvriers bureaucratiques et des spécialistes du jargon réglementaire. Mais tout l'héritage travailliste n'est pas à jeter. Ses racines syndicales, même atrophiées, lui donnent encore une base militante reliée à une large palette de sentiments ouvriers — qui ne sont pas tous de gauche. Or le Labour perd aujourd'hui ces liens avec les infirmières, les anciennes régions minières ou les zones industrielles périphériques. Et un parti aux opinions progressistes, comme les Verts, a peu de chances de les récupérer. Pour un parti qui se veut ancré dans la majorité sociale, c'est pourtant indispensable.
Peut-on recréer cela, ou mieux, d'une manière plus adaptée à ce siècle qu'au siècle dernier ? Une approche consiste à créer des institutions — clubs sociaux, centres de conseil — qui ne soient pas orientées vers des fins électorales étroites ou même vers des campagnes politiques en tant que telles. Un projet de changement collectif aura certainement du mal à « vendre » sa promesse dans une société atomisée en se contentant d'utiliser les bons messages à la télévision ou sur les réseaux sociaux. Ce parti pourrait en outre envisager de diversifier ses figures publiques, notamment en termes d'origine sociale et d'éducation : un parti dirigé non pas par des diplômés en sciences politiques, des employés d'ONG ou des personnes toujours prêtes à se mettre en avant, mais aussi par des voix aujourd'hui plus absentes de la vie politique.
Les sondages actuels suggèrent que Reform UK a de réelles chances de remporter les prochaines élections générales malgré ses propres problèmes internes. Son chef, Nigel Farage (1964), possède une autorité charismatique qui lui permet de devenir le visage d'un ensemble disparate de griefs. Corbyn, Sultana ou tout autre responsable de gauche ne pourraient jamais jouer ce rôle, et pas seulement à cause de leurs limites personnelles. Le changement socialiste vise à transformer les rapports de force dans la société : il s'appuie sur la mobilisation des gens, à la fois dans un élan d'indignation morale et dans la défense acharnée de leurs propres intérêts. Les partis de gauche ont besoin d'un noyau militant — aujourd'hui sans doute composé en majorité de personnes hautement diplômées mais en déclassement social —, mais cela ne peut pas suffire
Face à un bureaucrate impérial obtus comme Starmer, un parti de gauche a toutes les chances de rallier 10 à 15 % de l'électorat, même dans un laps de temps réduit. Cela fracturera probablement le vote travailliste — et Starmer aura peu de raisons de s'en plaindre. Les tentatives poussives d'invoquer la nécessité supérieure de l'unité contre Farage sont aussi cyniques que la « reconnaissance » tardive de la Palestine. Il y a seulement deux ans, Starmer disait à ses critiques : « Si vous n'aimez pas les changements que nous avons faits, vous pouvez partir. » Aujourd'hui, beaucoup le feront. Le Parti travailliste ne durera pas éternellement, et Starmer l'approche d'une disparition à la française ou à l'italienne. Ce qui reste incertain, c'est de savoir si un nouveau parti pourra construire quelque chose de plus solide sur ces ruines.
*
David Broder est rédacteur pour l'Europe à la revue Jacobin et historien du communisme français et italien.
Article publié initialement dans Jacobin. Traduit de l'anglais pour Contretemps par Christian Dubucq.

Allemagne : Ce qui fait bouillonner les humeurs des masses populaires
D'ici la fin de l'année, le Revenu citoyen devrait être supprimé et remplacé par une « nouvelle prestation de base ». La campagne de propagande qui accompagne la réduction des prestations sociales tourne déjà à plein régime. Ainsi, le chancelier Friedrich Merz (CDU) a récemment annoncé a récemment annoncé son intention de limiter la prise en charge des frais de logement pour les bénéficiaires de l'aide sociale de base, le président de la CSU Markus Söder veut rendre plus difficile l'accès des réfugiés ukrainiens aux prestations sociales, et la ministre fédérale de la solidarité Bärbel Bas (SPD), dans une interview avec l'hebdomadaire Stern, vient renforcer le cliché selon lequel des « structures mafieuses » de l'Est de l'Europe seraient impliquées dans la fraude sociale organisée.
19 août 2025 | tiré d'europe solidaire sans frontières``
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article76053
Les partenaires de la coalition noir-rouge commencent ainsi à mettre en œuvre ce qui avait déjà été convenu dans l'accord de coalition. Déjà, peu après les élections fédérales, lorsque les dirigeants de l'Union et du SPD sont apparus devant la presse pour présenter leur accord de coalition, il était évident que les seuls à se réjouir du résultat des négociations étaient les représentants du capital. En effet, la réponse du gouvernement fédéral à la multicrise capitaliste est une politique de classe offensive conduite d'en haut. Sous le mot d'ordre de restructuration budgétaire, les membres de la coalition, encouragés par les médias, les instituts économiques et les associations patronales, planifient la plus grande attaque contre l'État social depuis l'Agenda 2010 du gouvernement rouge-vert d'alors.
Seules les organisations patronales ont de bonnes raisons de se réjouir du résultat des négociations pour la formation de la coalition gouvernementale. Photo : Wikimedia Commons/Sandro Halank, CC BY-SA 4.0
Pendant la campagne électorale, le SPD et l'Union chrétienne-démocrate (CDU) s'étaient déjà livrés à une compétition aussi acharnée que sordide en matière de dénigrement des bénéficiaires d'aides sociales. C'est la la lutte contre les prétendus « réfractaires au travail » qui était au cœur de cette campagne. À y regarder de plus près, ils et elles n'existent que dans la tête des gens qui les dénoncent : l'Agence fédérale pour l'emploi a recensé, pour les onze premiers mois de 2023, parmi les 5,5 millions de bénéficiaires de prestations, à peine 14 000 cas où un emploi proposé a été refusé. Mais la haine des pauvres, associée à la crainte de bientôt en faire partie soi-même, a toujours fait bouillonner les humeurs du peuple allemand. La diabolisation des prétendus « réfractaires en bloc » est devenue un grand thème à succès de la campagne électorale.
Bien que ceux et celles qui triment pour le salaire minimum ou vivent d'une pension de pauvreté ne gagnent pas un euro de plus lorsque des bénéficiaires du revenu citoyen sont sanctionnés pour avoir manqué un rendez-vous, le « sentiment de justice » tant invoqué est, lui, satisfait. Le fait qu'environ 800 000 bénéficiaires du revenu citoyen soient ce que l'on appelle des « complétants », c'est-à-dire qu'ils travaillent mais gagnent si peu qu'ils doivent demander un revenu citoyen en supplément, ne joue cependant aucun rôle dans la perception publique.
Sanctions et flicage des chômeurs
Après que la coalition tricolore était déjà revenue, l'année dernière, au régime kafkaïen de sanctions de Hartz, et avait annulé les petites améliorations cosmétiques dans la législation sur la pauvreté qu'elle avait adoptées au début de la législature précédente, le revenu citoyen devrait désormais définitivement disparaître. On veut « vraiment toucher s'attaquer au cœur du système », menace le secrétaire général de la CDU Carsten Linnemann. Concrètement, cela signifie la réduction du montant du patrimoine autorisé, l'augmentation de l'éloignement « raisonnable » du lieu de travail et des sanctions et contrôles plus sévères pour soumettre les chômeurs, jusqu'aux limites de la légalité et, en cas de doute, au-delà.
Ainsi, les garanties minimales devraient être complètement supprimées si quelqu'un « n'est fondamentalement pas prêt » à accepter un travail. Si une personne refuse un travail raisonnable sans raison valable, il faudrait en conclure qu'elle n'est pas dans le besoin et – selon la logique sous-jacente – donc qu'elle n'a pas besoin des prestations de l'État. Par exemple, si une personne manque plus d'une fois un rendez-vous à l'agence pour l'emploi, elle ne recevra plus d'allocation. Au vu de l'arrêt rendu par la Cour constitutionnelle fédérale sur la garantie de ressources minimales, il s'agit là d'une violation délibérée de la Constitution. Le président du groupe parlementaire CDU, Jens Spahn, avait donc déjà appelé, pendant la campagne électorale, à une modification de la Constitution dans la mesure où « une radiation totale n'est pas couverte par la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale ».
Un autre élément central de l'offensive de classe menée tambour battant par les organisations patronales est l'attaque systématique contre les droits fondamentaux des travailleurs. La restriction du droit de grève prévue par l'Union n'a certes pas été inscrite dans l'accord de coalition, mais la loi sur le temps de travail doit être vidée de sa substance et la durée maximale quotidienne de travail de huit heures doit être remplacée par une durée maximale hebdomadaire de 48 heures. Cela signifie, si l'on tient compte des dispositions relatives aux temps de repos, qu'à l'avenir, une journée de travail de douze heures et quinze minutes sera autorisée. (Voir ak 716)
Remettre en cause les fondements des relations de travailAvec la journée de huit heures, la coalition noire-rouge s'attaque à ce qui est sans doute la plus important econquête du mouvement syndical.
Pendant des générations, la lutte pour la journée de huit heures a mobilisé le mouvement ouvrier dans le monde entier : de Melbourne à Chicago en passant par Berlin, des centaines de milliers de personnes ont régulièrement manifesté pour obtenir la limitation de la journée de travail. Même le 1er mai, jour commémoratif et férié le plus important du mouvement syndical, trouve son origine dans la lutte pour la journée de huit heures.
Arrachée lors de la révolution de novembre 1918, supprimée par les Nazis au début de la guerre et rétablie en 1945 par la Commission de contrôle alliée, elle est depuis lors considérée comme le symbole des succès du mouvement syndical et de l'intégration des travailleurs et travailleuses au sein de l'État bourgeois.
La suppression de la durée maximale quotidienne du travail ébranle les fondements des relations de travail pour l'Allemagne d'après-guerre et l'image que les syndicats ont d'eux-mêmes. Le débat sur la révision de la loi sur le temps de travail pourrait bientôt remettre encore plus de choses en question. Le capital fait par exemple pression pour supprimer le temps de repos légal d'au moins onze heures entre deux journées de travail.La loi sur le contrôle des chaînes d'approvisionnement, pour laquelle les syndicats se sont battus pendant des années, est également supprimée. Elle oblige les entreprises à respecter et à contrôler les normes minimales en matière de droits humains tout au long de la chaîne de production, ce qui, du point de vue du nouveau gouvernement fédéral, constitue apparemment une atteinte inacceptable à la liberté d'entreprise.
Les membres de la coalition se sont avant tout fixé pour objectif d'élargir l'accès du capital à la marchandise que constitue la force de travail. Pour ce faire, ils ont assoupli la loi sur le temps de travail, accordé des avantages fiscaux pour les heures supplémentaires et instauré des abattements fiscaux nettement plus avantageux pour le travail rémunéré à la retraite, sous le nom de « retraite active ». À cela s'ajoute une pression accrue sur les sans-emploi pour qu'ils et elles acceptent n'importe quel travail.
Faible riposte des syndicats
Les syndicats n'ont actuellement que peu de moyens pour contrer cette attaque frontale de la coalition noire-rouge contre les droits des salarié.e.s. Depuis des années, le nombre d'entreprises affiliées à une convention collective ne cesse de diminuer, tout comme la capacité des syndicats à faire respecter les conventions collectives. Lors des dernières négociations salariales dans la fonction publique, les syndicats n'ont pas réussi à imposer leur revendication d'un temps de travail réduit et ont dû accepter que les employé.e.s puissent désormais travailler 42 heures par semaine sur la base du volontariat.
Il faut craindre que d'autres conventions collectives ne connaissent le même sort.Il serait toutefois erroné d'interpréter l'offensive actuelle du capital comme une manifestation de force. Au contraire, le « modèle allemand » est en pleine crise. Si l'Allemagne est encore sortie victorieuse de la compétition mondiale lors de la crise financière et de la crise de la dette publique, elle ne semble pas être capable de faire face aux multiples crises actuelles.
L'évolution des relations commerciales internationales et l'aggravation des conflits commerciaux ébranlent l'économie allemande, orientée vers l'exportation. Dans le même temps, les conflits entre les différentes fractions du capital s'intensifient. Les antagonismes entre une politique budgétaire sévère et les investissements dans la modernisation de l'industrie, entre la défense des secteurs industriels traditionnels et la transformation écologique de l'économie allemande, paralysent la capacité d'action politique et aggravent la crise.Le nouveau gouvernement fédéral tente de résoudre ces contradictions à l'aide d'une stratégie de sortie de crise sur laquelle les différentes fractions du capital peuvent s'accorder et qui a déjà fait ses preuves par le passé : le transfert des coûts de la crise sur les salarié-e-s par le biais de coupes dans les dépenses sociales et la remise en cause des droits acquis dans le monde du travail.
Stefan Dietl
P.-S.
• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde
Source - Analyse und Kritik n°717, 19 août 2025 :
https://www.akweb.de/politik/schwarz-roter-angriff-aufs-buergergeld-was-die-volksseele-zum-kochen-bringt/
• Stefan Dietl travaille comme journaliste indépendant et auteur de livres sur des thèmes liés à la politique sociale et syndicale.

Déclaration présentée par le Front social (Serbie)
Le Front social a présenté une déclaration dans laquelle il s'engage à œuvrer à la résolution des problèmes systémiques qui ont provoqué la crise sociale et politique en Serbie. « Le Front social, grâce à la mise en réseau et à l'action commune des travailleurs et des travailleuses de différents secteurs, œuvrera pour que les institutions du système, usurpées par le pouvoir, soient rendues à la société et qu'elles servent le bien commun des citoyen·nes », indique la déclaration
4 septembre 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/09/04/declaration-presentee-par-le-front-social-serbie/#more-97569
« Confronté·es à une crise sociale et politique profonde qui se manifeste par la corruption institutionnelle, la pauvreté, les inégalités croissantes, la répression, la destruction des relations sociales, la vente des ressources naturelles et la destruction de l'environnement dans notre pays, nous, soussigné·es, nous sommes réuni·es autour de valeurs et d'objectifs communs afin de nous opposer à cette situation et nous nous sommes engagé·es à travailler à la résolution des problèmes systémiques qui en sont la cause », indique le préambule de la déclaration du Front social.
Qu'est-ce que le Front social ?
Le Front social n'est pas un parti politique et n'a pas l'intention de se présenter aux élections. Il est né, comme indiqué, sur la vague du mouvement de masse déclenché par les blocages étudiants, les grèves et les manifestations à travers le pays, officiellement pour la première fois le 8 mars lors de la manifestation « Rame uz rame » (Côte à côte), dont nous avons déjà parlé dans Mašina.
L'association Društveni front est composée de 16 collectifs de travailleurs/travailleuses, syndicats et communautés et associations professionnelles formelles et informelles. Rappelons que Društveni a fait sa première apparition publique lors de la manifestation du 28 juin à Belgrade.
Objectifs du Front social
La déclaration indique que les signataires souhaitent créer une confédération de collectifs ouvriers et d'associations professionnelles issus de différents secteurs, dont l'objectif sera d'œuvrer conjointement à des changements systémiques dans la société.
En outre, les objectifs du Front social sont les suivants : satisfaire les revendications des étudiant·es, satisfaire les revendications du Programme minimum concernant les différents secteurs et les questions sociales et économiques en général, mettre en place des structures démocratiques durables pour contrôler en permanence et exercer une pression sur les décideurs, garantir le droit de tous ceux et toutes celles qui vivent de leur travail à participer à la résolution des questions relatives à leur propre secteur, ainsi qu'à participer activement à la prise de décisions concernant leur communauté locale, mais aussi les questions relatives à la communauté sociale au sens large.
La déclaration précise également que le Front social repose sur les principes de la démocratie directe, de la solidarité, de l'entraide, de l'autonomie et de l'humanisme.
« Le Front social, grâce à la mise en réseau et à l'action commune des travailleurs et des travailleuses de différents secteurs, œuvrera pour que les institutions du système, usurpées par le pouvoir, soient rendues à la société et qu'elles servent le bien commun des citoyen·nes. Le document central du Front est le Programme minimum, élaboré à travers des discussions publiques et des ateliers, avec la participation de tous les secteurs concernés. Ce document identifie les causes et les conséquences de la crise dans chaque secteur et définit des lignes directrices pour la surmonter, allant de la modification de la législation à des changements systémiques plus importants et à une coopération élargie entre les secteurs. Parallèlement, le programme minimum identifie les problèmes qui font l'objet d'un consensus social général », indique la déclaration.
Organisation au sein du Front social
La déclaration souligne que les membres du Front social sont regroupé·es selon les différents secteurs auxquels elles et ils appartiennent et qu elles et ‘ils travaillent, à travers la coopération de plusieurs associations et collectifs, à la rédaction d'un programme minimum pour leurs propres secteurs.
« Outre les changements prévus dans chaque secteur individuel, le Front social s'engage également à adopter les modifications de la loi sur le travail et de la loi sur la grève, qui ont été préparées en collaboration avec les étudiant·es et cinq syndicats nationaux, ainsi que d'autres modifications législatives d'importance générale visant à créer une société plus juste », indique la déclaration.
Le Front social invite les collectifs de travailleurs et de travailleuses, les syndicats, les associations professionnelles et les communautés qui soutiennent les revendications des étudiants·e et la lutte pour des changements systémiques à rejoindre le Front social.
« Notre tâche commune est difficile, mais indispensable : construire une société juste et solidaire avec des institutions qui œuvrent pour le bien commun de tous et toutes les citoyennes », déclare le Front social.
Les signataires de la déclaration sont : Communauté des employé·es de l'enseignement préscolaire – Cercle préscolaire, PULS des écoles primaires de Belgrade, PULS des écoles secondaires de Belgrade, Écoles primaires unifiées de Zemun, Syndicat en cours de création « Jedinstvo EPS », Assemblée des travailleurs et des travailleuses de la santé de Serbie, Communauté des arts et de la culture, Syndicat des artistes musicaux, IT Serbie, Syndicat des travailleurs et des travailleuses des médias en cours de création – SMER, Syndicat du pouvoir judiciaire, Glas prosvete – Zaječar, Plénum des travailleurs et des travailleuses de l'éducation de Kraljevo, Plénum des éducateurs et des éducatrices de Knjaževo, Groupe des ingénieur·es de Serbie – Revendications des ingénieur·es et Association de l'éducation du Banat.
https://www.masina.rs/predstavljena-deklaracija-drustvenog-fronta/
Traduit par DE
Soutenez-nous !
Nous estimons qu'il est très important que le journalisme critique reste indépendant des intérêts commerciaux.
En soutenant notre travail par des dons individuels provenant de Slovaquie et de l'étranger, vous nous aidez à rester indépendants.
Tout soutien est le bienvenu !
Serbia, dichiarazione del « Fronte sociale »
https://andream94.wordpress.com/2025/09/04/serbia-dichiarazione-del-fronte-sociale/

Le syndicalisme a un problème avec la Chine, mais ce n’est pas celui que l’on pense
À la veille de l'investiture de Donald Trump, le président de l'United Auto Workers (UAW), Shawn Fain, probablement le dirigeant syndical le plus important aux États-Unis aujourd'hui, a déclaré que son syndicat était « prêt à collaborer avec Trump ». L'attitude conciliante de Fain est basée sur une politique clé de Trump : les droits de douane. Même si, à maintes reprises, les tarifs douaniers ont affecté négativement les moyens de subsistance de la classe ouvrière, Fain croit qu'ils profitent autant à la classe ouvrière américaine, mexicaine et canadienne.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/09/06/le-syndicalisme-a-un-probleme-avec-la-chine-mais-ce-nest-pas-celui-que-lon-pense/?jetpack_skip_subscription_popup
Il y a une omission frappante dans les déclarations de Fain sur les tarifs douaniers : la Chine, la cible principale de chaque série de tarifs douaniers de Trump. Cependant, dans une interview ultérieure avec The Lever, Fain a applaudi à la fois l'administration Trump et l'administration Biden pour les droits de douane sur les produits chinois, y compris l'augmentation des droits de douane que Biden a imposée l'année dernière sur les véhicules 100% électriques, pour des raisons de sécurité nationale.
Cette rhétorique s'aligne sur celle d'autres dirigeant-es syndicaux. Le président du syndicat des transports, Sean O'Brien, s'adressant aux techniciens de maintenance de United Airlines en mars, a condamné l'entreprise pour avoir « déplacé les emplois de nos membres vers la Chine communiste ». Un graphique publié par le syndicat sur les réseaux sociaux demandait : « Confieriez-vous la réparation d'avions à la Chine ? United Airlines le fait. La présidente de l'AFL-CIO, Liz Shuler, a poussé les administrations Biden et Trump à augmenter les droits de douane sur la Chine afin de limiter les « produits échangés à des conditions injustes » afin de « faire progresser la sécurité nationale et économique ».
Alors que les dirigeant-es syndicaux ont cherché à se distancer de la dernière frénésie de Trump consistant à imposer des tarifs douaniers à tous les pays, le spectre de la sinophobie hante toujours leur défense des tarifs stratégiques. La présidente de la Fédération américaine des enseignant-es, Randi Weingarten, s'est fait l'écho des propos de Fain, affirmant que les tarifs devraient être réservés à « certains pays … qui violent les droits du travail ou qui subventionnent leurs industries d'exportation ».
Le protectionnisme contre la Chine a unifié les dirigeant-es syndicaux et politiques américain-es autour de la politique économique ces dernières années. Même avant l'imposition de droits de douane allant jusqu'à 145%, la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine a radicalement remodelé l'industrie automobile mondiale, les travailleuses et travailleurs chinois de l'automobile étant les plus touché-es par les droits de douane américains. L'escalade de Trump avec la Chine ouvre plus d'espace aux politicien-nes, y compris les démocrates, pour promouvoir des politiques anti-chinoises ; un jour après l'annonce de Trump d'imposer des droits de douane de 125% à la Chine, Elissa Slotkin, sénatrice du Michigan, a présenté un projet de loi visant à interdire aux véhicules chinois d'entrer aux États-Unis : « Je me coucherai à la frontière pour empêcher les véhicules chinois d'entrer sur le marché américain. C'est le premier projet de loi que je présente au Sénat, et c'est pour une raison », a déclaré Slotkin.
En d'autres termes, la sinophobie est un élément fondamental de ce protectionnisme économique. Il définit la plate-forme politique de l'extrême droite et articule ses points communs avec le Parti démocrate.
La sinophobie de la classe ouvrière américaine a sa propre histoire. Les premières organisations syndicales nationales aux États-Unis, des Chevaliers du travail à la Fédération américaine du travail (AFL), se sont réunies pour tenter d'exclure la main-d'œuvre immigrée chinoise. Ils considéraient que celle-ci était par nature antagoniste à la loi américaine. Aujourd'hui, avec l'ascension de la Chine sur la scène mondiale et le déclin des revenus des travailleuses et travailleurs américains au cours de décennies de néolibéralisme, le raisonnement reste le même : la Chine sape subrepticement la concurrence en offrant des produits et de la main-d'œuvre bon marché, profitant ainsi aux intérêts monopolistiques. Cela constitue une menace existentielle non seulement pour les travailleuses et travailleurs syndiqué-es, mais aussi pour les fabricants nationaux. Cette fausse logique ignore le fait que les attaques contre le travail proviennent du système capitaliste lui-même. Les mesures protectionnistes des gouvernements capitalistes, telles que les tarifs douaniers ou les restrictions à l'immigration, ne pourront pas les résoudre.
Comme au XIXe siècle, le monde du travail américain a fait face aux effets néfastes du passage du capitalisme à des niveaux d'exploitation encore plus élevés, confondant le symptôme avec sa cause. En fin de compte, la sinophobie a poussé la classe ouvrière à former des alliances faustiennes avec sa classe capitaliste, plutôt que de devenir une force politique indépendante capable de perturber le capitalisme monopoliste.
Il existe une alternative, qui est de rejeter fermement le nationalisme économique et de reconnaître que l'oppression de classe mondiale sous le capitalisme est la source des maux du travail partout. Les travailleuses et travailleurs de la base de tous les syndicats peuvent se battre pour cette alternative en s'opposant au soutien de leurs dirigeant-es à la politique commerciale de Trump. Le mouvement ouvrier américain ne pourra se défendre contre l'offensive de l'extrême droite qui se développe que s'il s'engage dans une voie politique indépendante.
À la fin du 19e siècle, les travailleurs américains ont mené le mouvement pour bloquer l'immigration chinoise. Bien que les attitudes sinophobes existent dans la classe ouvrière depuis longtemps, l'exclusion chinoise ne s'est pas installée dans un mouvement politique national avant la fin des années 1860, juste au moment où le capitalisme américain commençait à se développer en pleine force. L'expansion massive du système ferroviaire après la fin de la guerre civile a jeté les bases du développement capitaliste aux États-Unis. La main-d'œuvre chinoise importée à bas prix était la principale main-d'œuvre dédiée à cette entreprise : elle était prête à travailler de longues heures et dans des conditions dangereuses pour de bas salaires. Les travailleurs américains, en particulier ceux qui se battaient pour la journée de huit heures, l'ont finalement considérée comme une menace pour leurs revendications de meilleures conditions de travail. Ces hommes de huit heures sont devenus l'épine dorsale idéologique des efforts visant à exclure la main-d'œuvre chinoise.
Ira Steward, du Boston Machinists and Ironworkers Union, était le principal leader national de la campagne en faveur de la journée de huit heures. Il a également développé une théorie extensive sur les raisons pour lesquelles les Chinois menaçaient fondamentalement les intérêts de la classe ouvrière américaine. Dans un pamphlet intitulé The Power of the Cheap Over the Dearer, Steward a affirmé que la capacité de vendre à des prix inférieurs « imprègne tout », un trait incarné avant tout par la « semi-civilisation » chinoise. Tout en reconnaissant que l'expansion des marchés capitalistes dans le monde entier contribue à amplifier « le pouvoir du moins cher », il a averti que les travailleurs chinois étaient particulièrement dangereux parce qu'ils étaient « étroits d'esprit et superstitieux, juste la condition pour inviter le despotisme grossier d'un empereur ».
Ce que Steward considérait comme la propension intrinsèque de la société chinoise à accepter des normes inférieures rendait la Chine particulièrement destructrice pour les autres nations. Steward soutenait que « les païens pauvres et ignorants des pays lointains », qui ont peu de moyens de « lever des armées », font en fait « infiniment plus de mal » aux pays les plus développés, puisque « ils peuvent travailler et le font pour des salaires inférieurs aux nôtres ».
L'analyse de Steward était partagée par de nombreux syndicalistes travaillistes (même socialistes) contemporains. Denis Kearney, l'un des dirigeants syndicaux anti-chinois les plus virulents des années 1870, a déclaré qu'« un Chinois vivra de riz et de rats. Ils dormiront cent fois dans une chambre qu'un homme blanc veut pour sa femme et sa famille. Dans un discours prononcé devant les cordonniers de Lynn, dans le Massachusetts (qui ont organisé la plus grande grève de l'histoire des États-Unis avant la guerre civile), il a lié « la question de la main-d'œuvre chinoise bon marché » à « l'intérêt des monopoles voleurs ». Cette attitude a fourni une justification idéologique à la classe ouvrière américaine pour s'allier avec ses patrons pour attaquer les travailleurs chinois par le biais d'organismes tels que l'Association non partisane anti-chinoise de Californie. L'historien Alexander Saxton observe que bien que les travailleurs et les fabricants américains aient collaboré pour lutter contre ce qu'ils considéraient comme une alliance entre les monopoleurs et les travailleurs chinois, « lorsqu'ils se sont battus, ils l'ont généralement fait contre les Chinois », et non contre les patrons.
Les associations ouvrières anti-chinoises ont prospéré précisément au moment où le capitalisme américain a commencé à se transformer en un système dominé par les monopoles. De nombreux gains de main-d'œuvre ont été éliminés à mesure que se multipliaient des paniques économiques d'une ampleur jusque-là inconnue, comme en 1873. Les conditions épouvantables de la main-d'œuvre chinoise ont été l'une des nombreuses atrocités provoquées par la croissance du capital monopoliste.
Mais pourquoi le travail chinois, en particulier, était-il perçu par la classe ouvrière américaine comme la racine de ces maux ? Le problème est que, comme le dit la critique littéraire Colleen Lye, la rhétorique du « despotisme oriental [était] utilisée à la fois par les socialistes américains et les réformateurs agraires pour expliquer le déclin du capitalisme monopoliste ». Ces syndicalistes et réformistes sociaux considéraient la Chine, selon les mots de Lye, comme un « échec paradigmatique de la société orientale dans son évolution vers le capitalisme ». Ils ont identifié à tort la société chinoise à une extension des intérêts monopolistiques, au lieu de reconnaître la situation critique qu'ils partageaient avec la classe ouvrière chinoise causée par le capital monopoliste. La sinophobie a conduit les réformistes syndicaux à diagnostiquer à tort les monopoles comme une régression du développement capitaliste, plutôt que comme le développement logique du capitalisme.
Le travail chinois était donc considéré comme un vestige d'un passé arriéré, arrêtant la marche de l'Amérique vers la modernité capitaliste et socialiste. Cette erreur d'analyse a conduit à une collaboration de classe entre les dirigeants syndicaux et les fabricants américains. Sans une bonne compréhension du capitalisme monopoliste, le mouvement ouvrier était vulnérable à d'autres tournants opportunistes lorsque les monopoles ont commencé à offrir des concessions tout en s'accrochant à leur chauvinisme. Lorsque les monopoles ont courtisé les dirigeants de l'AFL avec des avantages pour les travailleurs qualifiés blancs dans les années 1890, la bureaucratie syndicale s'est rapidement réconciliée avec eux. Au lieu de cela, les Chinois avaient encore peu à offrir pour apaiser les craintes économiques racialisées de la classe ouvrière.
Pendant la guerre froide, le mouvement ouvrier militant qui a émergé dans les années 1930 s'est démobilisé et s'est institutionnalisé au sein de l'État. Les dirigeants syndicaux tels que George Meany de l'AFL-CIO étaient souvent plus belliqueux que leurs homologues de la CIA. Pour eux, la révolution communiste chinoise de 1949 signifiait que la Chine était une fois de plus une menace économique pour le libre-échange et la classe ouvrière américaine, associée à un pouvoir politique croissant dans une nouvelle expression du despotisme oriental. Cette aversion spécifique pour la Chine était suffisamment profonde pour se manifester même pendant l'hystérie anti-japonaise des années 1980, due à la croissance de l'industrie automobile japonaise. En 1982, les deux automobilistes blancs qui ont confondu l'Américain d'origine chinoise Vincent Chin avec un Japonais et l'ont assassiné, l'ont appelé de manière péjorative chink et Chinaman.
La critique de la concurrence chinoise par les hommes pendant huit heures est redevenue pertinente pour la classe ouvrière américaine dans les années 1990, lorsque des centaines de millions de travailleurs chinois mal payés ont inondé les marchés mondiaux après le retour de l'État chinois dans l'économie mondiale. Le tournant de la Chine en faveur des réformes de marché a sauvé le capitalisme mondial d'un taux de croissance stagnant. Cette nouvelle usine du monde a contribué à raviver les conditions permettant aux capitalistes de regagner des profits. Mais aux yeux de la classe ouvrière américaine, la montée en puissance de la Chine a provoqué une autre crise pour l'industrie manufacturière nationale, déjà décimée par la désindustrialisation sous le néolibéralisme.
Une fois de plus, les ouvriers se sont trompés d'ennemi. Simplement, la main-d'œuvre chinoise n'a pas volé les opportunités d'emploi aux États-Unis. Les nouveaux emplois qui sont apparus en Chine étaient qualitativement différents. Ils ont été conçus avec des salaires bas pour s'adapter aux nouveaux besoins des régimes capitalistes et des entreprises. Cette reconfiguration est le résultat d'une collusion entre le gouvernement américain, son homologue chinois et les entreprises américaines.
En 2000, le militant anti-mondialisation de Hong Kong, Sze Pang Cheung, a fait valoir que les sanctions commerciales ne permettraient pas d'inverser cette exploitation. Ils ne feraient que renforcer la puissance des pays les plus forts. Ils créeraient deux poids, deux mesures, car les pays les plus puissants seraient responsables de l'application des sanctions, tout en étant en mesure de contourner leurs propres violations. Sze Pang Cheung préconise de découpler notre plaidoyer en faveur des normes mondiales du travail des sanctions commerciales qui servent les élites dirigeantes tout en condamnant une partie de la main-d'œuvre.
La classe ouvrière américaine aurait pu se joindre aux Chinois pour renforcer la protection mondiale du travail. Mais ces perspectives internationalistes ont été marginalisées par les perspectives nationalistes. Dans les années 2000, une alliance de travailleurs domestiques et d'industriels, représentée par des groupes tels que l'Alliance for American Manufacturing (WMA), a été le fer de lance de l'opposition à l'entrée de la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce. La résurgence du nationalisme économique a conduit la classe ouvrière américaine à attribuer à tort à la Chine la cause d'un problème alors qu'en fait, il était le résultat des machinations des élites dirigeantes du monde.
La rhétorique syndicale sur la Chine était préemptée et alignée sur ce que l'économiste d'extrême droite et actuel conseiller commercial de la Maison Blanche, Peter Navarro, dans son livre de 2011, intitulé Death by China, a appelé les « armes destructrices d'emplois » de la Chine qui, selon lui, « ont totalement brisé les principes des marchés libres et du libre-échange ». De telles mesures anti-chinoises semblaient futiles à l'époque, au plus fort du rapprochement entre les États-Unis et la Chine autour de la mondialisation, mais cette alliance interclasse contre la Chine est devenue plus productive pour la classe dirigeante lorsque les relations ont commencé à se détériorer pendant le premier mandat de Trump. La sinophobie des travailleurs américains est redevenue utile au système capitaliste dans cette nouvelle ère de transition, à la recherche de meilleures conditions pour maintenir la rentabilité. La réponse des élites dirigeantes est de reconquérir le nationalisme économique tout en perpétuant les pires excès de l'austérité néolibérale. Les droits de douane imposés par Trump cette année sont l'œuvre de Navarro, et la Chine reste sa principale cible.
Le plaidoyer des unionistes en faveur d'une augmentation des droits de douane sur la Chine s'inscrit dans ce programme nationaliste. En mars, l'AMM a été qualifiée de « soutien intellectuel externe le plus bruyant » de la politique commerciale de Trump. Le refrain commun aux dirigeant-es syndicaux américains d'aujourd'hui mêle la logique économique de Steward à l'anticommunisme de Meany, mieux représenté par l'accusation de Shuler selon laquelle le système autoritaire de la Chine impose des pratiques commerciales déloyales qui perturbent la libre concurrence. Pour ces dirigeant-es syndicaux, la menace de la Chine est également amplifiée parce que la puissance militaire et économique croissante du pays sous-tend désormais sa capacité à violer les lois commerciales, de la même manière que les États-Unis.
Alors qu'elle affirme sa propre hégémonie dans l'ordre économique mondial, la Chine impose de plus en plus ses propres critères au commerce mondial. Elle a fait pression sur les pays en développement dans son orbite pour qu'ils soutiennent ses ambitions revanchardes à Taïwan, les dissuadant de commercer avec la nation insulaire. Comme les États-Unis, la Chine a fait preuve d'une belligérance croissante en mer de Chine méridionale, violant la souveraineté de pays comme les Philippines. Mais ce comportement n'est en aucun cas unique. Sous le capitalisme, les pays capitalistes avancés sont contraints de croître et de protéger leurs marchés, et de défendre leurs sphères d'influence par des moyens militaires ou économiques.
Cependant, le fantôme de Steward est toujours là. En février, les présidents de quatre grands syndicats – le Syndicat des Métallos, la Fraternité internationale des ouvriers en électricité, la Fraternité internationale des chaudronniers et l'Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale – ont appelé Trump à imposer encore plus de droits de douane à la Chine pour sauver l'industrie américaine de la construction navale. Ils qualifient de « prédatrices » les subventions gouvernementales de la Chine à sa propre industrie de construction navale, suggérant que de telles actions faussent artificiellement la concurrence pour nuire aux travailleuses et travailleurs américains.
Cependant, les subventions de l'État pour stimuler la production font partie de toutes les économies capitalistes. D'autre part, l'administration Trump, avec ses tarifs douaniers et d'autres politiques, a bafoué de manière flagrante les accords commerciaux mondiaux à plus grande échelle. Malgré la transformation du rôle de la Chine dans l'économie mondiale, la logique de Trump et des travailleuses et travailleurs attaquant la Chine reste étonnamment cohérente avec la conviction de Steward d'il y a plus d'un siècle : la Chine peut dominer le monde en faussant la libre concurrence.
Trump a maintenant donné à ces dirigeant-es syndicaux bien plus que ce qu'ils demandaient. Mais nous ne devons pas perdre de vue le fil conducteur de cette bordée chaotique. Début avril, Navarro a explicitement déclaré que les tarifs étaient destinés à « faire pression sur d'autres pays, tels que le Cambodge, le Mexique et le Vietnam, pour qu'ils ne commercent pas avec la Chine s'ils veulent continuer à exporter vers les États-Unis ». Trump était prêt à faire une pause, à augmenter les droits de douane sur tous les pays tout en augmentant les droits de douane sur la Chine. L'objectif d'intensifier la rivalité inter-impérialiste avec la Chine conditionne les manœuvres économiques mondiales de Trump. Et la sinophobie, longtemps perfectionnée par une alliance du travail et du capital américains, a donné une forte impulsion à ce projet.
Encore une fois, la sinophobie garantit également qu'aucun mouvement ouvrier indépendant unifié n'émerge aux États-Unis qui pose un défi politique efficace au néolibéralisme. Le chauvinisme sert maintenant les intérêts d'un empire en déclin, de plus en plus intransigeant dans sa lutte pour maintenir sa puissance mondiale.
Les dangers de l'engagement du mouvement ouvrier avec l'extrême droite sont également plus grands aujourd'hui parce que l'extrême droite ne peut assurer sa force qu'en disciplinant la classe ouvrière, soit en écrasant ses organisations, soit en les intégrant. Bien que Fain ait ajouté plus tard que des tarifs douaniers larges sont « imprudents », son adhésion au nationalisme économique cède déjà beaucoup de terrain à la droite. Nous devons déterminer comment négocier avec nos adversaires en fonction de ce qui permet le mieux à la classe ouvrière de maximiser son pouvoir de négociation. Ce n'est pas le cas des politiques fondées sur la concurrence capitaliste qui nuisent aux travailleuses et travailleurs au pays et à l'étranger. Les tarifs douaniers de Trump ont déjà incité Stellantis à licencier plus de 900 travailleuses et travailleurs américains, tout en suspendant la production dans les usines canadiennes et mexicaines. General Motors augmente sa production, dans le seul but d'embaucher du personnel temporaire mal payé.
Plus dangereux encore, faire des compromis avec Trump sur les tarifs douaniers n'est pas la même chose que les syndicats négociant des accords avec les employeurs pour consolider les acquis du mouvement. Les tarifs douaniers de Trump sont indissociables d'un projet politique plus large consciemment dédié au démantèlement complet des organisations syndicales. Séparer la politique du mouvement ouvrier réduit encore plus la capacité de la classe ouvrière à se défendre contre les attaques de l'extrême droite. La direction de l'UAW se berce d'illusions en pensant que le mouvement ouvrier pourrait en tirer profit en fournissant une couverture de gauche au programme de base de l'extrême droite.
Fain promeut même l'industrie manufacturière américaine comme « la clé de la sécurité nationale », car « lorsque vous ne pouvez rien produire, vous vous exposez aux attaques de n'importe qui ». Il se souvient avec nostalgie de l'époque de la Seconde Guerre mondiale, lorsque les usines automobiles utilisaient les capacités excédentaires « pour construire des bombardiers, des chars, des jeeps… qui est devenu l'arsenal de la démocratie… pour nous défendre ». Cette affirmation était peut-être plus pertinente lorsque les États-Unis luttaient contre les nazis, mais la prononcer aujourd'hui sans nuance revient ni plus ni moins à soutenir les ambitions impériales des États-Unis.
L'argument selon lequel les nations étrangères ont éviscéré la main-d'œuvre américaine en supprimant des emplois et en abaissant leur niveau de vie fournit de puissantes munitions idéologiques à l'extrême droite. Les gens qui croient en ces mythes pourraient trouver un terrain d'entente avec le trumpisme. Il inculque aux travailleuses et travailleurs la mentalité que leurs maux sont la cause des menaces intérieures étrangères, plutôt qu'un problème systémique qu'ils partagent avec la main-d'œuvre chinoise et d'autres pays. Et le programme politique de Trump bénéficierait d'un électorat syndical aligné sur les principaux principes de son horizon idéologique.
Il existe des mesures alternatives pour que la classe ouvrière rejette à la fois le néolibéralisme et le nationalisme économique. Tobita Chow suggère que nous pourrions nous organiser autour d'« objectifs commerciaux partagés », tels qu'Apple (ou Tesla), qui ont des chaînes d'approvisionnement qui relient les deux pays et nuisent aux Américain-es et aux Chinois-es. Michael Galant recommande de proposer que le mouvement syndical exige que les organisations syndicales internationales, telles que l'Organisation internationale du travail, adoptent un salaire minimum mondial. Andrew Elrod appelle à des politiques spécifiques pour limiter les bénéfices des entreprises, telles que « l'interdiction des rachats d'actions, l'imposition des bénéfices excessifs et l'augmentation de l'impôt sur le revenu des cadres supérieurs pour forcer les entreprises à réinvestir leurs bénéfices ». De cette façon, on donne plus d'espace à la classe ouvrière du monde entier pour s'organiser, au lieu de privilégier les droits de certains par rapport à d'autres. Mais s'organiser autour de ces politiques nécessite de rompre avec tous les intérêts capitalistes et avec le bipartisme.
Le rameau d'olivier que Fain offre à Trump dans le domaine du commerce est encore plus inquiétant, car il montre une faiblesse face à l'extrême droite, même de la part de l'actuel chef syndical. Cependant, bien que Fain symbolise la résurgence des syndicats ces dernières années, son véritable pouvoir réside dans les travailleuses et travailleurs de base. Certains secteurs ouvrent la voie à un autre type de politique du travail, qui s'éloigne des desseins des élites dirigeantes américaines. Des membres de l'UAW de l'Université de Columbia et de l'Université de Californie ont fait pression sur leur syndicat pour qu'il lie la répression du travail à la complicité de leurs lieux de travail avec la vision impériale de l'Amérique à l'étranger.
Alors que Fain se met publiquement d'accord avec Trump sur la politique commerciale, des membres syndicaux de la base de Columbia sont licencié-es et kidnappé-es par l'État pour avoir dénoncé la complicité de leur lieu de travail dans le génocide des Palestinien-nes par Israël. Les luttes héroïques de ces travailleuses et travailleurs de base façonnent une politique de classe basée sur la solidarité ouvrière et l'internationalisme. Au crédit de Fain, dans son dernier discours en direct aux membres de l'UAW, il a fermement déclaré que les membres syndicaux menacés d'expulsion, des travailleuses et travailleurs universitaires manifestant contre la guerre d'Israël en Palestine aux métallurgistes envoyés arbitrairement dans les prisons salvadoriennes, partagent une lutte commune. Mais ce message est déroutant sans une position claire contre le nationalisme sous toutes ses formes.
Cette recrudescence du militantisme de base dans tous les syndicats américains en relation avec la Palestine est l'alternative positive dont nous avons besoin aux concessions des dirigeant-es syndicaux au nationalisme économique. La gauche doit continuer à défendre ses bassins et à les mobiliser pour contester la conciliation de ses dirigeant-es avec le nationalisme d'extrême droite. La sinophobie est un nœud central qui unifie aujourd'hui le système bipartite et la bureaucratie syndicale autour du nationalisme économique. Il lie le mouvement ouvrier organisé à la classe capitaliste à un moment où une rupture est nécessaire de toute urgence. Il favorise dangereusement le chauvinisme dans le monde du travail américain au lieu de lui permettre d'identifier l'oppression de classe mondiale comme la source de ses maux et la nécessité de construire des plates-formes indépendantes et des institutions politiques pour la combattre.
Notant la croissance rapide du fascisme en Allemagne en 1931, le révolutionnaire communiste Léon Trotsky a souligné que les socialistes devraient encourager les travailleurs – en particulier ceux des syndicats bureaucratiques et autres – à « tester le courage de leurs organisations et de leurs dirigeants en ce moment, où il s'agit d'une question de vie ou de mort pour la classe ouvrière ». Ce même principe s'applique aujourd'hui : les travailleurs et travailleuses doivent s'organiser contre l'engagement de nos dirigeant-es envers toutes les formes de chauvinisme afin de sauver l'avenir du mouvement ouvrier américain.
Promise Li
Promise Li est un militant socialiste originaire de Hong Kong et de Los Angeles. Il est membre du Collectif Tempest et de Solidarity et a été actif dans le travail syndical de base dans l'enseignement supérieur, la solidarité internationale et les campagnes anti-guerre, ainsi que dans la lutte des locataires de Chinatown.
https://vientosur.info/ee-uu-el-sindicalismo-tiene-un-problema-con-china-pero-no-es-el-que-crees/
https://www.thenation.com/article/economy/american-labor-anti-china-racism/
https://www.pressegauche.org/Le-syndicalisme-a-un-probleme-avec-la-Chine-mais-ce-n-est-pas-celui-que-l-on
******
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

La Chine étale sa puissance et se pose en alternative à l’Amérique
La Chine de Xi Jinping a, comme jamais, fait étalage de sa puissance mercredi 3 septembre lors du premier défilé militaire au cœur de Pékin depuis plus de cinq ans auquel ont assisté ses « amis » de même que ses alliés, anciens ou nouveaux, dont au premier chef le président russe Vladimir Poutine et le dictateur nord-coréen Kim Jong-un.
Tiré de Asialyst
4 septembre 2025
Par Pierre-Antoine Donnet
Des missiles ICBM intercontinentaux montrés place Tiananmen mercredi 3 septembre. DR.
Jamais dans l'histoire de la Chine communiste depuis son arrivée au pouvoir en 1949 un défilé militaire n'avait connu une telle ampleur place Tiananmen. Le coup d'éclat a été à la fois militaire et diplomatique puisque Xi Jinping a, en même temps, réuni à Tianjin le 31 août et le 1er septembre une brochette impressionnante de 26 chefs d'Etat pour le sommet annuel de la Shanghai Cooperation Organisation. Cette opération de séduction constitue pour la Chine une première éclatante depuis longtemps.
L'un des grands succès du sommet de Tianjin, est pour Pékin d'avoir fait venir le chef du gouvernement indien, Narendra Modi, dont c'était le premier voyage en Chine depuis sept ans. Sa présence à Tianjin illustre un rapprochement qui, bien qu'encore précaire, est autant spectaculaire qu'inattendu entre les deux géants et puissances nucléaires de l'Asie dont les relations, marquées par des différends frontaliers parfois sanglants, étaient jusque-là glaciales.
La venue de Narendra Modi est, pour partie au moins, la conséquence des tarifs douaniers massifs imposés contre toute attente à l'Inde par Donald Trump pour la punir de ses achats d'hydrocarbures à la Russie, une mesure humiliante qui a eu le don d'ulcérer le responsable indien et de saboter durablement plus de vingt-cinq années d'efforts diplomatiques constants menés par les États-Unis pour attirer dans leur sphère d'influence ce pays jaloux de son indépendance et l'éloigner d'autant de la Chine et de la Russie.
Donald Trump pousse l'Inde dans les bras de la Chine
A l'approche du défilé, le président chinois Xi Jinping, tout sourire, s'est donc employé à charmer son hôte indien en affirmant, dimanche 31 août, que les contentieux frontaliers sino-indiens ne devaient plus entraver les relations entre la Chine et l'Inde, ajoutant que ces liens, désormais rétablis, devaient s'inscrire dans une « perspective stratégique et à long terme. »
A l'occasion de cette rencontre quelque peu historique et singulière en marge du sommet de l'OCS, le maître de la Chine communiste a estimé que les deux géants asiatiques pouvaient être désormais de bons voisins afin de jouer ensemble un rôle clé dans le « Sud global, » cette région du monde qui fait pendant à l'Occident et que convoite la Chine.
Nous sommes « des partenaires plutôt que des rivaux, qui peuvent offrir des opportunités de développement les uns aux autres plutôt que des menaces, » a déclaré Xi. « La Chine et l'Inde sont deux des pays les plus civilisés […] Nous sommes les deux pays les plus peuplés du monde et faisons partie du Sud global […] Il est essentiel d'être amis, de bons voisins [pour] que le dragon et l'éléphant s'unissent, » a ajouté le président chinois, son éternel sourire énigmatique aux lèvres.
Narendra Modi, très souriant lui aussi et visiblement décontracté, lui a répondu que les deux pays avaient évolué dans « une direction positive » depuis 2024. « Nous sommes déterminés à faire progresser nos relations sur la base de la confiance mutuelle, du respect et de la sensibilité, » a-t-il ajouté.
Le Premier ministre indien a toutefois pris soin de ne pas s'afficher au côté de Vladimir Poutine et de Kim Jong-un lors du défilé militaire où il était ostensiblement absent mercredi. Mais, absent ou pas, une photo restera dans l'histoire : celle, complaisamment diffusée par la Chine, où apparaissent très détendus et côte à côte comme de bons amis Xi Jinping, Narendra Modi et Vladimir Poutine. Le symbole de cette photo est fort car, implicitement au moins, en acceptant de poser au côté de ces deux personnages, le Premier ministre indien ne craint pas de donner ainsi une caution morale à l'agresseur en Ukraine depuis le début de son « opération spéciale » le 24 février 2022 aujourd'hui qualifié de criminel de guerre par la Cour pénale Internationale.
Non moins fort de symbole est cette heure passée sans témoin et en tête à tête entre le dirigeant indien et Vladimir Poutine dans la limousine officielle toutes portes fermées de ce dernier et dont la teneur des entretiens est évidemment restée confidentielle. Rien de tel n'avait jamais eu lieu entre les deux hommes à ce jour. Or, en une heure, il peut se dire beaucoup de choses, surtout lorsqu'il n'y pas de témoin.
Kim Jong-un arrivé à Pékin à bord de son train blindé
Mardi, ce fut au tour de Kim Jong-un de rejoindre Pékin dans ce ballet diplomatique réglé au millimètre par les autorités chinoises. Parti la veille de Pyongyang, la capitale du pays le plus fermé du monde, le dictateur nord-coréen a franchi les 1 200 km jusqu'à Pékin à une vitesse moyenne de 60 km/h à bord de son train blindé personnel quasi invulnérable.
Un peu plus tard, la photo de famille a fait le tour du monde le montrant en compagnie de ses deux mentors, Xi Jinping et Vladimir Poutine, un autre symbole encore d'une Chine qui, décomplexée, entend désormais – sans le dire explicitement – être le chef de file d'un ordre mondial nouveau, aux antipodes d'une démocratie et d'un Occident détestés.
Le message du dictateur chinois aux commandes de la Chine depuis 2012 est limpide : face à une Amérique redevenue « impérialiste, » imprévisible et fauteur de guerres depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche le 20 janvier de cette année, la Chine entend devenir une alternative crédible, responsable et pacifique pour un monde plus troublé que jamais.
Comme pour impressionner encore davantage, le quotidien anglophone de Hong Kong South China Morning Post a, quelques jours avant le défilé, détaillé une panoplie conséquente de l'arsenal militaire dont dispose l'Armée populaire de libération chinoise (APL).
Parmi les armements les plus sophistiqués figurent le porte-avions Shandong jaugeant 70 000 tonnes et croisant à 31 nœuds capable de transporter 36 aéronefs dont des chasseurs J-15 et des hélicoptères de combat, le porte-avion le plus avancé chinois Fujian de 85 000 tonnes disposant d'une catapulte électromagnétique pouvant transporter plus de 40 chasseurs ainsi que des hélicoptères dont la mise en service est attendue en 2025.
Ont été opportunément présentés aussi les chasseurs J-20 de 5ème génération de 37 tonnes et atteignant Mach 2 dont plus de 200 seraient en service dans l'armée de l'air chinoise ainsi que le modèle plus avancé furtif J-35, un biréacteur encore à l'état de prototype de 28 tonnes croisant à Mach 1,8 censé rivaliser avec le célébrissime F-35 Raptor américain.
S'ajoute bien entendu l'arsenal nucléaire, dont les énormes missiles balistiques intercontinentaux ICBM DF-31 d'une portée de 8 000 à 11 000 km pouvant transporter une ogive nucléaire de un mégatonne déployés depuis 2017 – et dont la Chine disposerait de quelque 100 unités – ainsi que le tout récent et redoutable ICBM DF-41 d'une portée de 12 000 à 15 000 kilomètres atteignant Mach 25 en mesure de transporter dix ogives nucléaires et de frapper tout endroit sur le sol américain et dont la Chine posséderait 350 exemplaires, selon le Pentagone.
Un certain nombre de ces armements nouveaux ont été montrés pour la première fois en public, dont le missile intercontinental à capacité nucléaire JL-3 lancé par un sous-marin, de même que le DF-61, un missile ICBM d'une technologie plus avancée que le DF-41, ou encore le missile balistique hypersonique YJ-21 antinavire de dernière génération, le tout présenté sous les yeux de Xi Jinping debout au milieu de l'estrade officielle.
Les salutations de Donald Trump à Vladimir Poutine et Kim Jong-un
Selon les estimations des experts occidentaux, la Chine disposerait de quelque 500 missiles nucléaires mais redouble d'efforts depuis une petite décennie pour porter cet arsenal à au moins 1 000 ogives d'ici 2027, loin derrière encore la Russie et les Etats-Unis.
La portée du DF-41 lui permet théoriquement de frapper tout endroit du territoire américain et la trajectoire de ses ogives nucléaires multiples serait indétectable jusqu'au tout dernier moment. Aux missiles intercontinentaux installés dans des silos, par nature vulnérables à des frappes préventives, s'ajoutent bien sûr ceux tirés par des sous-marins nucléaires plus difficiles à repérer et d'autres encore lancés ou largués par des bombardiers à long rayon d'action.
« Beaucoup de ces nouvelles armes présentées par l'APL pourraient jouer un rôle clé dans tout conflit à venir qui inclurait Taïwan, » a souligné le South China Morning Post, le président chinois déclarant dans son discours que l'armée chinoise devait « remplir sa mission sacrée et accélérer l'édification de forces armées de classe mondiale pour protéger la souveraineté nationale et contribuer à la paix dans le monde et au développement. »
« Le monde est aujourd'hui face à la question du dialogue ou de la confrontation, la paix ou la guerre, » a-t-il ajouté, vêtu d'un costume gris, flanqué à sa droite de Vladimir Poutine et Kim Jong-un à sa gauche. « Le peuple chinois se tient du bon côté de l'histoire, » a-t-il proclamé, l'une des antiennes favorites du secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC).
Bien que non-invité à Pékin, Donald Trump a posté un message sur son site Truth Social pour prier Xi Jinping de mentionner « le soutien massif et le sang versé par les États-Unis d'Amérique pour la Chine afin de garantir sa liberté face à un envahisseur très peu amical. » Il en a profité pour transmettre « ses salutations les plus chaleureuses à Vladimir Poutine et Kim Jong-un puisque vous conspirez contre les États-Unis d'Amérique, » selon ce message cité par le South China Morning Post.
Rappelons que le même Trump s'est dit fin août désireux de rencontrer à nouveau Kim Jong-un avec qui il y a déjà eu plusieurs rencontres incongrues et sans résultat. Le 47è président américain a d'autre part à maintes reprises pris publiquement le parti de Vladimir Poutine dans le conflit armé livré par la Russie à l'Ukraine, suscitant des critiques acerbes des dirigeants occidentaux dont certains le soupçonnent de rechercher une capitulation du président ukrainien Volodymyr Zelenski.
Cette Chine décomplexée qui se pose comme le nouveau centre du monde
L'évidence aujourd'hui est celle-ci : se poser ainsi comme une alternative aux États-Unis sur la scène mondiale revient pour Pékin à, enfin, reconnaître ce que la Chine de Xi Jinping a toujours obstinément nié : sa volonté de « remplacer » les États-Unis ou, dit autrement, prendre sa place de première puissance de la planète.
Avant même l'arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2012, la Chine n'avait eu de cesse que de proclamer qu'elle n'avait pas pour ambition de « remplacer les États-Unis » sur le devant de la scène mondiale, une théorie savamment orchestrée de « l'émergence pacifique » de la Chine à laquelle ses partenaires occidentaux ont, avec une certaine naïveté, longtemps cru.
Si aujourd'hui, il peut enfin l'avouer, Xi Jinping a été considérablement aidé par son ennemi de toujours. Son homologue américain Donald Trump qui, par son inconséquence, son aventurisme et ses déclarations tragi-comiques, est pour lui un véritable cadeau tombé du ciel.
Chaque jour apporte son lot de propos hallucinants de Donald Trump qui accentue toujours un peu plus la démolition méthodique qu'il mène de l'image d'une Amérique à la fois moteur et défenseur de l'Etat de droit et de l'aide aux plus faibles dans le monde.
Une politique qui se traduit dans les faits par un naufrage en direct de l'image des États-Unis pays fondateur des valeurs du monde de l'après-guerre dont se sert habilement Xi Jinping pour présenter – avec un certain succès – aux yeux de l'opinion mondiale son pays pour ce qu'il n'est pas : une puissance de paix, de respectabilité et d'équilibre international.
Car, dans les faits, la Chine n'a en effet jamais cessé depuis 2012 de militariser à outrance la Mer de Chine du Sud, un espace maritime hautement stratégique de quelque 400 000 km2 dont Pékin revendique à tort plus de 90% de la souveraineté.
Pékin redouble en même temps de menaces militaires et de mesures coercitives envers ses voisins immédiats que sont notamment le Japon, la Corée du Sud, les Philippines et surtout Taïwan, présenté faussement comme étant une simple « province » de la Chine historique devant nécessairement, par la force si nécessaire, revenir dans le giron de la « mère-patrie » communiste.
Cette opération – pourtant grossière – de mystification, si elle ne trompe guère les gouvernements de ces pays, est en train, à force de mensonges mille fois répétés, de devenir une sorte de vérité historique auprès d'une opinion mondiale largement ignorante de l'histoire et en raison aussi, pour une bonne part, des errements catastrophiques de l'Amérique de Donald Trump depuis maintenant huit mois.
La mystification historique est à l'œuvre en direction de l'opinion publique chinoise puisque la machine de la propagande du Parti communiste chinois (PCC), dans le but d'exalter un nationalisme déjà incandescent, poursuit inlassablement son œuvre de réécriture de l'Histoire en présentant dans des films, des récits officiels et des documentaires télévisés l'armée du Parti comme celle qui a toute seule héroïquement combattu le Japon colonial jusqu'en 1945.
Pendant les décennies de la sanglante guerre sino-japonaise qui a coûté la vie à des millions de Chinois, les forces nationalistes du Guomindang de l'époque sont, elles, présentées comme défaitistes sinon collaborationnistes avec l'ennemi nippon alors que les faits historiques avérés montrent l'exact contraire.
En effet, alors que plus de 80% des généraux des forces nationalistes ont péri au combat contre le Japon, l'armée rouge communiste de Mao Zedong était, pour l'essentiel, restée terrée et cachée dans les montagnes sans combattre, le futur maître de la Chine communiste attendant le moment propice pour prendre le dessus sur son rival et ennemi le généralissime Chiang Kaï-shek dont l'armée nationaliste, exsangue, fut alors une proie facile pour l'APL.
Celui-ci dû alors trouver refuge à Taïwan avec plusieurs centaines de milliers de ses militaires et favoris en 1945 où il imposa alors un régime tyrannique qui fit des dizaines de milliers de morts au sein de la population taïwanaise pendant une période connue aujourd'hui encore sous le nom de « terreur blanche. »
Une Chine beaucoup plus agressive
Cette évolution de la Chine depuis 2012 fait dire à Jean-François Huchet, président de l'Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO), que sur le plan politique, « on observe très clairement un changement très fort […] y compris avec la disparition progressive de la société civile. »
« Sur le plan économique, nous observons également un changement de stratégie très clair, » dit-il à Asialyst. « Tout ceci s'accélère très clairement. On voit une Chine qui a beaucoup évolué avec un durcissement politique, avec l'arrêt du développement d'une société civile, un retour très fort des entreprises publiques, la mise sous cloche du secteur privé. »
Sur le plan international, « on voit une Chine qui cherche à se débarrasser de l'influence américaine sur la scène asiatique, » ajoute ce sinologue respecté pour sa mesure. « Il s'agit là d'une Chine beaucoup plus agressive et qui a des volontés hégémoniques dans un certain nombre de parties de l'Asie, très clairement. »
A l'échelle mondiale, explique-t-il encore, « c'est plutôt une Chine qui conteste l'ordre international établi, en particulier celui des États-Unis. On l'a vu encore ce week-end avec la réunion de Tianjin, où la Chine s'est posée en chef de file d'un ordre mondial […] différent de celui des Occidentaux, avec une critique très forte de la démocratie. »
« Et comme nous donnons nous-mêmes très souvent un bâton pour nous faire battre, il est sûr que du point de vue de la Chine, l'arrivée de Donald Trump pour un deuxième mandat se traduit effectivement par un tapis rouge déroulé pour la Chine dans cette stratégie qu'elle applique minutieusement, » conclut-il.
Ainsi, d'un pas de plus en plus assuré, la Chine communiste s'affranchit de tout complexe et fait mentir ces experts auto-proclamés qui s'évertuaient encore il y a peu à prédire la fin prochaine du régime communiste chinois. Ce succès indéniable aidera vraisemblablement Xi Jinping à faire taire ses opposants de la vieille garde au sein du Parti qui osent donner de la voix depuis un peu plus d'un an pour critiquer son exercice solitaire du pouvoir et ses failles.
Mais surtout, il semble peu à peu donner quelque peu raison à ceux qui, comme Kishore Mahbubani, l'ancien conseiller du Premier ministre de Singapour de l'époque Lee Kuan Yew, prédisaient il y a vingt ans déjà que la Chine allait immanquablement supplanter à terme les Etats-Unis comme le nouveau géant de la planète.
Par Pierre-Antoine Donnet
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Les ineffaçables séquelles de la double explosion dans le port de Beyrouth, 5 ans après
Le 4 août 2020, plus de 2700 tonnes de nitrate d'ammonium explosaient dans le port de Beyrouth. Cinq ans après, les plaies sont encore vives. Familles endeuillées, survivants, soignants et juristes luttent pour la vérité, la justice et la mémoire – dans un contexte d'impunité politique, de crise sociale persistante, et d'incertitudes écologiques majeures.
Tiré du Journal des alternatives.
Sur l'autoroute longeant le port de Beyrouth, deux phrases en lettres rouges fixent les regards : « Act for justice » et « Act for independence ». Face à la mer, les silos mutilés de l'explosion du 4 août 2020 tiennent encore debout, malgré les appels à leur démolition. Pour beaucoup, ils doivent rester en place comme témoins du crime d'État qu'a été cette double déflagration, la plus puissante explosion non nucléaire de l'histoire.
« Ce silo est la preuve de ce que la classe politique a fait à la population. Ils veulent le faire tomber pour faire tomber la mémoire », accuse Mariana Fodoulian, dont la sœur Gaïa a été tuée cette fin de journée là. Comme elle, des centaines de proches de victimes réclament justice et reconnaissance, mais aussi un lieu de mémoire digne des 235 morts, des 6500 blessés et des 300 000 sans-abri.
Cinq ans plus tard, l'enquête judiciaire a repris, timidement. Le juge Tarek Bitar, longtemps bloqué par des pressions politiques et des menaces, a pu relancer les auditions. Des ministres, un ancien Premier ministre et des responsables sécuritaires ont enfin été entendus, selon le ministre de la Justice Adel Nassar. L'avocat Melhem Khalaf se réjouit de la reprise de l'enquête, mais il insiste sur la douleur des familles de victimes. « Un crime impuni est un crime récompensé », tranche-t-il.
Mémoire en ruines
La bataille juridique se double d'un combat symbolique. En 2022, le gouvernement Mikati décidait de raser les silos du port, au nom de leur instabilité. Une décision combattue par les familles, des architectes et des ingénieurs. Pour Cécile Roukoz, avocate et sœur d'une victime, « pour que le Liban se reconstruise, il faut trois piliers : vérité, responsabilité, et un mémorial. Rien ne représente mieux la catastrophe que ces silos. »
Même combat pour Tatiana Hasrouty, dont le père, employé du port, est mort à son poste. Elle s'apprête à se marier cette année, sans que son père puisse l'accompagner à l'autel. « Cette année est encore plus douloureuse pour moi. »
Vies brisées, justice suspendue
L'explosion a laissé des traces physiques et psychiques profondes. Joseph Abikhalil, un rescapé franco-libanais, a survécu de justesse. Son visage reste marqué par les éclats de verre, mais c'est son esprit qui saigne encore. « Je me sentais comme un enfant, paniqué au moindre bruit », confie-t-il. Aujourd'hui encore, il poursuit une thérapie. Il a aussi porté plainte en France, accusant l'État de l'avoir abandonné. « Pourquoi ai-je payé tout ça gratuitement ? Pourquoi n'y a-t-il pas de justice ? », interroge-t-il, la voix tremblante.
Plusieurs associations et collectifs de victimes ont vu le jour. Ensemble, ils réclament non seulement des comptes, mais une reconnaissance collective du drame, dans un pays fracturé par la crise politique, la dévaluation et la défiance citoyenne.
Une catastrophe aussi environnementale
À la douleur humaine s'ajoute un brouillard écologique. Des milliers de tonnes de nitrate d'ammonium ont libéré d'énormes quantités de gaz et de poussières. Mais aucune étude systématique n'a été menée sur la pollution à long terme.
« À ce jour, on ignore la concentration des résidus chimiques », explique Zeina Dagher, professeure en sciences de l'environnement. Sans données environnementales, impossible d'évaluer l'impact réel sur la santé et les écosystèmes. Or les signaux d'alerte ne manquent pas. Des spécialistes évoquent des fumées suspectes, des bactéries produisant du gaz à haute température dans les grains stockés — autant de risques sous surveillance, mais non traités.
Mémoire, écologie, responsabilité
Pour Aimée Karam, psychologue blessée ce jour-là à l'hôpital Saint-Georges, l'enjeu est aussi collectif : « Le passé nous marque, mais il ne peut pas nous déterminer. » En aidant les victimes à se reconstruire, elle tente elle-même de guérir. Mais tant que la vérité sera empêchée, la reconstruction ne pourra être que partielle — qu'elle soit physique, mentale ou politique.
À l'approche du 4 août, la société libanaise reste confrontée à une triple impasse : judiciaire, mémorielle et environnementale. L'explosion du port de Beyrouth ne doit pas être enterrée sous les gravats. Ses causes, ses impacts et ses leçons engagent bien plus qu'un État en faillite : elles nous parlent d'injustices globales, de rapports au pouvoir et à la terre, de la dignité des vies abîmées.

Iran : Il faut sauver la vie de Sharifeh Mohammadi !
Cet été, la Cour suprême d'Iran a confirmé la condamnation à mort de la militante syndicale et défenseuse des droits des femmes Sharifeh Mohammadi pour « rébellion armée contre l'État ». Pourtant l'action de Sharifeh Mohammadi s'est toujours placée dans le cadre des lois en vigueur en Iran. Elle n'est coupable que d'avoir inlassablement défendu les droits humains, ceux des femmes ainsi que ceux des travailleuses et travailleurs.
Pendant sa détention, Sharifeh Mohammadi a été privée des droits fondamentaux des prisonnièr-es, tels que les visites et les appels téléphoniques. Pendant longtemps, elle n'a pas eu accès aux visites de sa famille et n'a pas été autorisée à les contacter par téléphone.
Elle a même été empêchée d'assister à son procès et de se défendre devant la Cour suprême. Elle fait face à un appareil judiciaire déterminé à la faire condamner pour son appartenance au Comité de coordination pour aider à former des organisations de travailleurs.
Les organisations syndicales CFDT, CGT, UNSA, Solidaires et FSU se joignent aux démarches de la Confédération syndicale internationale pour exhorter le gouvernement iranien d'annuler la condamnation à mort de Sharifeh et d'abandonner toute poursuites contre elle.
La même demande est faite concernant tous et toutes les syndicalistes et autres défenseurs/euses des droits humains détenu-es pour avoir exercé leurs droits protégés par les Conventions de l'OIT et les Pactes internationaux.
Le cas de Sharifeh Mohammadi n'est malheureusement pas isolé : au 2 septembre, plus de 863 personnes ont été exécutées depuis le 1er janvier, dont au moins 50 pour leur engagement militant.
La CFDT, la CGT, l'UNSA, Solidaires et la FSU dénoncent cette escalade effroyable et l'utilisation de la peine de mort comme outil de répression politique. Elles dénoncent les atteintes à la vie et la dignité humaine.
Depuis les bombardements de juin des armées d'Israël et des Etats-Unis, puis les menaces de reprise des affrontements, la situation sociale se dégrade de manière accélérée.
Le régime en place a profité de la guerre pour aggraver considérablement la répression contre les opposant-es en les accusant d'être des agents d'Israël ou des USA : plus de 250 exécutions ont par exemple eu lieu après les bombardements de juin, de lourdes condamnations sont prononcées chaque jour.
L'intervention militaire extérieur a réduit les espaces de contestation et le pouvoir tenter d'étouffer l'expression des mécontentements.
Annulation de la condamnation à mort de Sharifeh Mohammadi !
Libération immédiate de Sharifeh Mohammadi et de l'ensemble des défenseuses et défenseurs des droits !
Abolition de la peine de mort en Iran
Paris, le 3 septembre 2025

Un plan israélien propose d’annexer 80 % de la Cisjordanie
Le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, a publié une carte proposant d'annexer plus de 80 % de la Cisjordanie. Son approche n'est pas très éloignée de celle du reste de la classe politique israélienne, même de l'opposition « pragmatique ».
Tiré d'Agence médias Palestine
Plus de 80% de la Cisjordanie occupée deviendrait partie intégrante d'Israël, selon une nouvelle proposition d'annexion rédigée lundi par le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich.
Le ministre rigoriste a présenté une carte montrant toute la Cisjordanie comme faisant partie d'Israël, y compris Bethléem, la vallée du Jourdain et toute la campagne palestinienne, tandis que seules six villes palestiniennes — Jénine, Tulkarem, Naplouse, Jéricho, Ramallah et Hébron — étaient marquées comme des ghettos isolés. Smotrich a déclaré que si l'Autorité palestinienne (AP) s'opposait à son plan, Israël « l'éradiquerait comme il l'a fait avec le Hamas ». Smotrich a également appelé Netanyahu à mettre en œuvre sa proposition s'il souhaitait « entrer dans l'histoire comme un grand leader ».
Le jour même de la présentation de Smotrich, les forces israéliennes ont arrêté le maire d'Hébron, Tayseer Abu Sneineh. Hébron est la plus grande ville palestinienne de Cisjordanie et compte 800 000 Palestiniens. Depuis les années 1980, quelque 500 colons messianiques israéliens imposent leur présence dans la vieille ville, et Abu Sneineh est connu pour son rôle dans une cellule du Fatah qui a planifié et mené l'attaque armée contre six colons israéliens et juifs dans la vieille ville en 1980, connue localement sous le nom d'« opération Dabuya ». Après son arrestation initiale, Abu Sneineh a été libéré en 1983 dans le cadre d'un échange de prisonniers avec d'autres membres de la cellule.
L'arrestation d'Abu Sneineh est survenue quelques jours après que les médias israéliens aient rapporté que le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, envisageait la création d'un « émirat » tribal à Hébron, distinct de l'Autorité palestinienne, qui a fait surface pour la première fois dans les pages du Wall Street Journal en juillet dernier.
Les médias palestiniens locaux ont émis l'hypothèse que l'arrestation d'Abu Sneineh était peut-être un prélude à l'élimination des sources potentielles d'opposition locale à l'annexion, compte tenu notamment du passé d'Abu Sneineh et de son statut de figure nationaliste locale influente à Hébron.
Ces événements, ajoutés à plusieurs autres développements qui ont précédé la proposition de Smotrich, ont propulsé la question de l'annexion potentielle de la Cisjordanie par Israël au premier plan des priorités du gouvernement israélien et ont laissé des millions de Palestiniens de Cisjordanie dans l'incertitude quant à leur avenir.
Le contexte
Le cabinet israélien s'est réuni dimanche dernier pour la deuxième fois en deux semaines afin de discuter des options d'annexion de certaines parties de la Cisjordanie. Cette réunion a été suivie d'une rencontre entre le ministre israélien des Affaires étrangères, Gideon Saar, et le secrétaire d'État américain, Marco Rubio, au cours de laquelle M. Saar a informé M. Rubio de l'intention d'Israël d'« imposer la souveraineté israélienne » sur le territoire palestinien, selon le site d'information israélien Walla.
Dans le même temps, Israël a mené une démonstration de force contre l'Autorité palestinienne en lançant plusieurs raids sur les principales villes de Cisjordanie qui composent la zone A en vertu des accords d'Oslo, qui représentent environ 18 % de la Cisjordanie et sont censées être sous la juridiction de l'Autorité palestinienne. L'armée israélienne a lancé la plus grande opération militaire depuis des années à Ramallah la semaine dernière, occupant le centre-ville de la capitale de facto de l'Autorité palestinienne avec des centaines de soldats accompagnés d'équipes de médias israéliens pendant plus de trois heures. Le lendemain, l'armée israélienne a lancé un raid similaire à Naplouse, le deuxième centre de pouvoir le plus important de l'Autorité palestinienne.
Si Israël affirme que ses dernières mesures visant à annexer la Cisjordanie sont une réponse à l'annonce par plusieurs États européens de leur intention de reconnaître la Palestine comme un État, l'annexion de la Cisjordanie par Israël est en préparation depuis des années.
En 2019, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu s'était engagé pendant sa campagne électorale à annexer la vallée du Jourdain. La première administration Trump semble avoir empêché Israël à deux reprises, en janvier et en juin 2020, d'annoncer officiellement l'annexion.
Cependant, cette même administration Trump a annoncé en 2020 son plan « Deal of the Century » (accord du siècle), qui prévoyait l'annexion de la majeure partie de la Cisjordanie, y compris toute la vallée du Jourdain. Trump a également reconnu la souveraineté d'Israël sur les colonies illégales en Cisjordanie, sur le plateau du Golan syrien occupé et sur l'ensemble de Jérusalem en tant que capitale d'Israël. Les Palestiniens l'ont rejeté à une écrasante majorité.
Le plan d'annexion actuel d'Israël est basé sur le « plan décisif » de Smotrich de 2015, qui vise à empêcher la création d'un État palestinien et à expulser les Palestiniens en encourageant ce qu'on appelle la « migration volontaire ». Smotrich a également déclaré que les Palestiniens de Cisjordanie devraient soit se soumettre à la souveraineté israélienne, soit quitter le pays, soit « être traités » par les forces israéliennes. Après le 7 octobre, Smotrich a déclaré que l'annexion de la Cisjordanie devrait être la réponse d'Israël à l'attaque du Hamas. Il a ensuite déclaré que l'expulsion par Israël de la moitié de la population de Gaza « créerait un précédent » pour faire de même en Cisjordanie.
Attaquer l'Autorité palestinienne
Au cours des deux dernières années, Smotrich a mené une campagne d'étranglement financier contre l'Autorité palestinienne, détournant les recettes douanières palestiniennes qu'Israël perçoit pour le compte de l'Autorité palestinienne conformément aux accords d'Oslo. Smotrich a également menacé à plusieurs reprises d'interdire aux banques israéliennes de traiter avec les banques palestiniennes, et a entre-temps contraint les banques israéliennes à limiter les montants que les banques palestiniennes peuvent transférer vers les banques israéliennes.
Ces deux mesures ont plongé l'Autorité palestinienne dans une crise financière persistante, l'empêchant de verser l'intégralité des salaires mensuels des fonctionnaires, des médecins, des enseignants et du personnel de sécurité pendant des mois. Et si Smotrich parvient à interdire toutes les transactions financières entre les banques israéliennes et palestiniennes, cela entraînerait un effondrement financier total en Cisjordanie, menaçant l'existence même de l'Autorité palestinienne.
Affaiblir l'Autorité palestinienne à ce point vise à lui ôter toute utilité pour les Palestiniens et à ouvrir la voie à l'annexion. Smotrich n'est que le représentant de cette récente campagne visant à isoler et à assiéger l'Autorité palestinienne. Il fait partie des nombreux ministres israéliens essentiels à la continuité du gouvernement Netanyahu, parmi lesquels Itamar Ben-Gvir, Amichai Elyahu et Orit Strock, qui représentent tous la droite religieuse et contrôlent la majorité à la Knesset israélienne.
La Knesset prépare également depuis des années le terrain juridique pour l'annexion de la Cisjordanie. En 2018, elle a adopté la loi sur l'État-nation israélien, qui stipule que le seul droit à l'autodétermination entre le Jourdain et la Méditerranée appartient au peuple juif. En juillet de l'année dernière, la Knesset a adopté un projet de loi rejetant la création d'un État palestinien entre le fleuve et la mer, et un an plus tard, en juillet dernier, la Knesset a adopté un projet de loi permettant l'annexion de la Cisjordanie.
Le rôle des États-Unis
Le prélude à l'annexion officielle du territoire palestinien ne se limite pas aux mesures israéliennes, mais comprend également les initiatives symboliques prises jusqu'à présent par les États-Unis pour soutenir les intentions d'Israël. Alors que des États européens, dont la France, le Royaume-Uni et la Belgique, annoncent leur intention de reconnaître un État palestinien lors de l'Assemblée générale des Nations unies à la fin du mois, les États-Unis, pour leur part, ont révoqué les visas des responsables palestiniens, dont le président Mahmoud Abbas, qui devaient assister à l'Assemblée générale. Cette décision a été suivie par celle de Washington de cesser de délivrer des visas à tous les détenteurs de passeports palestiniens.
En substance, cela signifie que les États-Unis soutiennent implicitement les plans d'Israël visant à éliminer la possibilité d'un État palestinien et à étendre le contrôle d'Israël sur tous les territoires palestiniens.
Bien que le dernier plan de Smotrich ait été qualifié de « maximaliste », l'orientation générale des législateurs israéliens, même l'opposition « pragmatique » représentée par Yair Lapid et Benny Gantz, ne s'oppose pas à l'annexion de manière significative. Les principales divergences entre Israéliens ne portent pas sur l'annexion en soi, mais sur son ampleur.
Les législateurs israéliens moins « maximalistes » réclament soit l'annexion de toutes les colonies israéliennes, soit l'annexion de la zone C (qui représente plus de 60 % de la Cisjordanie), soit l'annexion de la vallée du Jourdain. Mais toutes ces versions priveraient les Palestiniens de toute continuité géographique significative, de tout contrôle sur les ressources naturelles et les frontières, ou de toute perspective de croissance démographique future. En substance, l'ensemble de la classe politique israélienne est déterminée à rendre impossible la création d'un État palestinien. C'est parmi ces différents courants politiques que les États-Unis doivent choisir celui qu'ils soutiendront.
En fin de compte, ce sont les États-Unis qui décideront si l'annexion officielle dans son ensemble ira de l'avant. Axios a cité deux responsables américains anonymes selon lesquels il était « peu probable » que Trump soutienne une telle mesure. Mais même si Washington met fin à l'annexion de jure de la Cisjordanie, il proposera très probablement une « alternative » qui consoliderait l'annexion de facto.
Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine
Source : Mondoweiss

Des mobilisations contre le génocide en Palestine déstabilisent le Tour d’Espagne
La 11ème étape de la Vuelta, le tour d'Espagne, a été neutralisée hier en raison de manifestations propalestiniennes sur le circuit. En cause : de multiples actions et appels au boycott pour protester contre la présence d'une formation israélienne parmi les équipes alignées sur cet événement sportif.
Tiré d'Agence médias Palestine.
Il ne restait plus que quelques kilomètres avant que la onzième étape de la Vuelta, un des trois grands tours du circuit professionnel international de cyclisme, ne s'achève. Mais les organisateurs n'avaient sûrement pas prévu qu'elle se terminerait de la sorte. Juste avant l'arrivée à Bilbao dans le Pays basque espagnol, des manifestants propalestiniens se sont massés près des barrières et ont tenté d'accéder à la route pour perturber l'arrivée des coureurs.
Face aux risques, les organisateurs de la course ont préféré arrêter l'étape de manière anticipée en stoppant tous les chronos à trois kilomètres de l'arrivée et en annonçant qu'il n'y aurait pas de vainqueur en ce mercredi 3 septembre.
Alerter sur le génocide et contre la présence d'une équipe israélienne
Les manifestants propalestiniens n'ont pas décidé de manifester à l'arrivée d'une étape de la Vuelta par hasard. Des appels au boycott ont commencé à circuler avant même que le tour d'Espagne ne s'élance il y a déjà bientôt deux semaines, pour alerter contre le génocide et protester contre la présence au sein des équipes au départ d'Israël Premier Tech. Cette formation israélienne comme son nom l'indique est présidée par le milliardaire israélo-canadien Sylvan Adams.
Il en est le directeur depuis plus de dix ans, et a toujours insisté sur le soft power produit par le sport pour redorer l'image d'Israël à l'international. On lui doit des propos comme le fait qu'Israël soit “un pays incompris à cause d'une couverture médiatique négative”. Pour lui, les coureurs de l'équipe sont “des ambassadeurs du pays d'Israël”. Il n'a jamais caché l'influence qu'il souhaitait à son équipe de cyclisme pour vanter les mérites d'un pays génocidaire aux amateurs de cyclisme des quatre coins du monde.
C'est pour cette raison que les manifestants propalestiniens se font entendre sur les routes de ce tour d'Espagne 2025, pour protester contre le génocide en cours et le silence également d'une grande partie des coureurs présents. Ce pic d'intensité des actions sur la onzième étape était attendu, dans une région fortement marquée par les luttes indépendantistes et alors que le gouvernement espagnol de Pedro Sanchez a marqué son soutien à la Palestine à de nombreuses reprises. Un suiveur du Tour présent a témoigné au Parisien : “On voyait depuis quelques jours de plus en plus de manifestants sur le bord des routes. C'était attendu que Bilbao soit un pic dans les protestations. La cause palestinienne y est soutenue par des partis politiques. On voyait bien que ça avait l'air organisé.”
Un tour d'Espagne 2025 marqué par les manifestations propalestiniennes
Les mobilisations de ce mercredi sur la Vuelta et l'annulation de l'étape marquent en réalité l'apogée plutôt que le début d'un mouvement de protestation qui s'est formé avant même que le tour d'Espagne ne commence. Des appels au boycott avaient déjà été lancés à cause de la présence de l'équipe Israël Premier Tech dans les rangs du peloton. Des mobilisations similaires avaient déjà eu lieu pendant le tour de France plus tôt cet été.
La première action a eu lieu lors du contre-la-montre par équipes en Catalogne mercredi 27 août, lors de la cinquième étape. Des manifestants portant des banderoles et des drapeaux palestiniens avaient tenté de bloquer la route à la formation israélienne. Une des banderoles mentionnait cette inscription en catalan : “la neutralité est une complicité, boycott Israël”. Les coureurs de l'équipe Israël Premier Tech avaient finalement été dédommagés par un retrait de quinze secondes sur leur temps final par les organisateurs du tour.
Avant-hier également, à la veille de l'étape annulée, des manifestants avaient obstrué la route en provoquant la chute d'un coureur de l'équipe Intermarché-Circus-Wanty. La seule différence avec les manifestations précédentes, c'est que celle sur la onzième étape a débouché sur une annulation de l'épreuve.
Vers un départ de l'équipe israélienne ?
La mobilisation pourrait d'ailleurs porter ses fruits car de plus en plus de coureurs réclament le départ de l'équipe Israël Premier Tech, arguant qu'il en va de leur sécurité à tous. Un argument qui est même remonté jusqu'aux plus hautes strates de l'organisation de cette course cycliste, puisque le directeur technique du tour d'Espagne Kiko Garcia a sous-entendu qu'il fallait que la formation israélienne s'en aille : “Il n'y a qu'une seule solution, et nous la connaissons tous. L'équipe israélienne elle-même a compris que la présence ici ne facilite pas la sécurité”.
Le management d'Israël Premier Tech a assuré que les coureurs de l'équipe s'aligneraient aujourd'hui au départ de la 12ème étape de la Vuelta malgré la pression des coureurs adverses et les actions à répétition des militants propalestiniens.
En soutien à ces mobilisations, la ministre espagnole de la jeunesse Sira Rego s'est exprimée hier après l'annulation de l'étape en saluant la “leçon d'humanité” donnée par la société espagnole. Elle s'est aussi fendue d'un message à destination des organisateurs de la Vuelta, les enjoignant à se demander “si les valeurs du Tour cycliste d'Espagne étaient compatibles avec la participation d'une équipe liée à un Etat qui viole le droit international, qui est en train de perpétrer un génocide.”

Pourquoi le monde laisse-t-il faire ça ? Déclare un chirurgien britannique de retour de Gaza
Honnêtement, les mots ne suffisent pas. Ces dernières semaines, notre Premier ministre et notre secrétaire aux affaires étrangères ont haussé le ton, mais rien n'a été fait. Nous avons besoin de plus que des mots. Sans actions ils sont futiles. Il faut autant d'aide et de nourriture que possible qui entrent sur le territoire. Il faut un cessez-le-feu. Notre gouvernement et celui des États-Unis doivent forcer le gouvernement israélien à mettre fin à cela.
Democraty Now, 25 juillet 2025
Traduction et organisation du texte, Alexandra Cyr
Amy Goodman : (…) nous nous intéresserons maintenant à la famine imposée à Gaza où les enfants mal nourris envahissent les hôpitaux encore en fonction. Aujourd'hui, l'hôpital pour enfants palestiniens Al-Ahli Arab à Gaza cité, a annoncé la mort de faim de Abdul Qader al-Tayoumi le 115e enfant mort de faim depuis qu'Israël a réimposé son siège sur la bande en mars dernier. Les bombardements israéliens sur Gaza ont fait 62 morts palestiniens aujourd'hui. Mardi 19 de ces décès ont eu lieu alors que ces personnes tentaient d'obtenir de l'aide alimentaire aux postes de distribution de la soit disant Fondation humanitaire pour Gaza (mise en place) par les États-Unis et Israël. Jeudi, à Rafah, des Palestiniennes déplacées ont reçu instruction de se présenter à un de ces points de distribution pour femmes seulement. Elles y ont été attaquées avec des gaz lacrymogènes et des jets de poivre rouge.
Pour en comprendre plus, nous rejoignons à Oxford en Angleterre le professeur Nick Maynard, chirurgien consultant dans les hôpitaux de l'Université d'Oxford. Il revient tout juste de Gaza où il a fait un séjour bénévole de quatre semaines à l'hôpital Nasser de Khan Younis au sud de Gaza cité. Il a fait ce genre de séjours plusieurs fois. Son plus récent article dans The Gardian est intitulé : Je suis témoin de la famine imposée délibérément aux enfants de Gaza ; pourquoi le monde laisse-t-il faire cela ?
Soyez le bienvenu professeur. Vous avez aussi dit que certains jours vous voyiez plusieurs patients tous blessés sur les mêmes parties du corps, par exemple des blessures par balles à l'aine. Pouvez-vous expliquer s.v.p.?
Pro. N. Maynard : Oui, merci de m'avoir invité. Une des grandes différences durant ce récent séjour à Gaza avec mes passages antérieurs durant cette guerre est le nombre de blessures par balles que j'ai eu à traiter. Spécialement sur de jeunes adolescents qui ont été blessés aux points de distribution de l'aide alimentaire de la soit disant Fondation humanitaire pour Gaza. Ces garçons avaient environ 11, 15, 16 ans. Ils allaient chercher de la nourriture pour leurs familles affamées. Et ce que j'ai entendu de la part de leurs familles et de d'autres victimes et bien sûr de mes collègues soignant qui sont allés à ces points de distribution est le même récit de leur part à tous et toutes. Ils y vont, c'est le chaos et ils participent à l'émeute. Alors ils et elles sont sous les tirs des soldats israéliens et des drones quadricoptères qui volent partout à Gaza en tous temps.
Et, plus dérageant encore, tous les médecins de la salle d'urgence et évidemment tous les chirurgiens.nes comme moi ont reconnu une concentration de blessures sur des points particuliers des corps selon les jours. Par exemple, certains jours les blessés arrivent avec des atteintes à la tête et au cou. Un autre jour ce sera des blessures par balles à la poitrine et un autre jour à l'abdomen et même, il y a 12 jours, nous avons eu quatre jeunes adolescents tous admis pour blessures aux testicules. Ces concentrations et ces scénarios sont frappants. Il nous paraît que cela ressemble à quelque chose comme des exercices de tirs comme une sorte de jeu qui dirait : aujourd'hui ce sont les têtes, demain les abdomens et ensuite les testicules. C'est vraiment choquant, vraiment choquant.
A.G. : Dans votre récent article, vous décrivez un nourrisson de sept mois en disant : « l'expression la peau et les os ne lui rendent pas justice ». Pouvez-vous expliciter ?
Pro. N. M. : Oui, donc, j'ai passé un certain temps dans le département de pédiatrie. Je suis un chirurgien pour adultes, mais j'ai aussi opéré des enfants. Par exemple, une fillette de onze ans qui était aux soins intensifs de pédiatrie. Je la voyais plusieurs fois par jour. Donc j'ai passé un bon bout de temps en pédiatrie. Je suis aussi allé dans le département néonatal ; j'y ai vu les exemples les plus terribles de malnutrition qu'on peut imaginer. Du genre que vous ne pourriez imaginer exister quelque part dans le monde : des nourrissons de sept mois qui ressemblent à des nouveaux nés parfois tous et toutes sous-alimentés.es. Il n'y avait pas de nourriture pour ces enfants, pratiquement pas du tout de lait maternisé pour les nourrir.
Bien sûr qu'il n'y avait pas de lait maternisé autorisé à Gaza depuis le dernier cessez-le-feu, donc pendant plusieurs mois. Des médecins américains avec qui je travaillais ont tenté d'en faire entrer. Toutes les boites qui en contenaient ont été ouvertes et le lait a été confisqué par les policiers israéliens à la frontière. C'était très ciblé puisque rien d'autre n'a été retiré des boites. Et pendant ce temps, les nouveaux nés, les nourrissons et les autres enfants aux soins intensifs souffraient tous et toutes de la faim. Il n'y avait pas assez de nourriture pour qu'ils survivent tous.
A.M. : Dr. Maynard vous avez écrit : « Chaque jour j'ai vu des patients.es se détériorer et mourir de leurs blessures. Parce qu'ils et elles sont mal nourris, la survie après la chirurgie est impossible ». Pouvez-vous nous le décrire ?
P.N. M. : Oui c'était particulièrement ….La plupart des patients que j'ai opéré étaient des adultes. La plupart étaient très sous-alimentés.es et arrivaient avec des blessures sévères d'explosions de bombes, d'éclats d'obus dans l'abdomen ou la poitrine ou encore de blessures par balles. C'étaient de sérieuses blessures pour lesquelles des chirurgies majeures étaient requises. Mais en situation normale les patients vont survivre à leurs blessures et aux chirurgies.
Mais la malnutrition est telle que les tissus ne guérissent pas. Le système immunitaire ne fonctionne plus. Ce que nous avons traité sur le foie, le pancréas, le duodénum, l'estomac et les intestins ne guérit pas correctement. Souvent ils s'effondrent causant de terribles infections dans l'organisme. Donc, très souvent ces personnes décèdent. Ainsi, le ratio de décès suite à ces blessures est bien plus élevé que ce à quoi on devrait s'attendre.
A.G. : Professeur Maynard, nous allons terminer avec le titre de votre article : Pourquoi le monde laisse-t-il faire ? Vous retournez en Grande Bretagne, La France vient tout juste d'annoncer qu'elle allait reconnaitre l'État de Palestine mettant ainsi une énorme pression sur la Grande Bretagne pour qu'elle en fasse autant. Qu'est-ce qui devrait être fait, selon vous ?
P.N.M. : Honnêtement, les mots ne suffisent pas. Ces dernières semaines, notre Premier ministre et notre secrétaire aux affaires étrangères ont haussé le ton, mais rien n'a été fait. Nous avons besoin de plus que des mots. Sans actions ils sont futiles. Il faut autant d'aide et de nourriture que possible qui entrent sur le territoire. Il faut un cessez-le-feu. Notre gouvernement et celui des États-Unis doivent forcer le gouvernement israélien à mettre fin à cela.
A.G. : Professeur Maynard, (…) nous allons mettre un lien vers votre article : « I'm witnessing the deliberate starvation of Gaza's children … why is the world letting it happen ? »
******
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Trois détenus palestiniens sur quatre sont des civils, selon l’armée israélienne elle-même
Les 6 000 Palestiniens arrêtés à Gaza et détenus dans des conditions épouvantables dans les prisons israéliennes ne sont en rien considérés, dans leur grande majorité, comme des « combattants », révèle une enquête de notre partenaire +972 Magazine réalisée avec Local Call et le « Guardian ».
Tiré d'Europe solidaire sans frontière.
Seulement un quart des Palestinien·nes capturé·es par les forces israéliennes à Gaza ont été identifié·es par l'armée comme des combattant·es. Les civils constituent la grande majorité des « combattants illégaux » détenus dans les prisons israéliennes depuis le 7-Octobre, révèle une enquête conjointe du magazine israélo-palestinien +972, du journal en hébreu Local Call et du journal britannique The Guardian, publiée le 4 septembre.
C'est ce qui ressort des chiffres obtenus à partir d'une base de données classifiée gérée par la Direction du renseignement militaire israélien (Aman, selon son acronyme hébreu), ainsi que des statistiques officielles israéliennes sur les prisons divulguées lors de procédures judiciaires. Les témoignages d'ancien·nes détenu·es palestinien·nes et de soldat·es israélien·nes ayant servi dans des centres de détention indiquent en outre qu'Israël a sciemment et massivement enlevé des civils pour les détenir pendant de longues périodes dans des conditions effroyables.
Les chiffres de détention cités par l'État israélien en mai, en réponse aux requêtes de la Haute Cour de justice, ont révélé qu'un total de 6 000 Palestinien·nes avaient été arrêté·es à Gaza au cours des dix-neuf premiers mois de la guerre et détenu·es en Israël en vertu d'une loi sur l'incarcération des « combattants illégaux » – un outil juridique qui permet à Israël d'emprisonner des personnes indéfiniment, sans inculpation ni procès, s'il existe des « motifs raisonnables » de croire qu'elles ont participé ou sont membres d'un groupe qui a participé à des « activités hostiles contre l'État d'Israël ».
Les responsables politiques, l'armée et les médias israéliens qualifient régulièrement de « terroristes » tou·tes les détenu·es palestinien·nes de Gaza, et le gouvernement n'a jamais reconnu détenir de civils. L'administration pénitentiaire israélienne (IPS) a affirmé dans des rapports publics, sans fournir de preuves, que la quasi-totalité des « combattants illégaux » détenus dans les prisons israéliennes étaient membres du Hamas ou du Jihad islamique palestinien (JIP).
Pourtant, des données obtenues mi-mai dans la base de données d'Aman, que des sources de renseignement décrivent comme la seule source fiable pour savoir qui l'armée considère comme des combattants actifs à Gaza, ont montré qu'Israël n'a arrêté que 1 450 individus appartenant aux branches militaires du Hamas et du JIP, ce qui signifie que les trois quarts des 6 000 personnes détenues n'appartenaient ni à l'un ni à l'autre.
Une base de données de plus de 47 000 noms
La base de données, dont l'existence a été récemment révélée par +972, Local Call et le Guardian, recense les noms de 47 653 Palestinien·nes que l'armée considère comme des militant·es du Hamas et du Jihad islamique palestinien (elle est régulièrement mise à jour et inclut les personnes recrutées après le 7-Octobre). À la mi-mai, Israël avait arrêté environ 950 combattants du Hamas et 500 du Jihad islamique palestinien, selon ces données.
La base de données ne contient aucune information sur les membres d'autres groupes armés à Gaza, qui, selon les rapports de l'IPS, représentent moins de 2 % des détenus « combattants illégaux ». Jusqu'à 300 Palestiniens sont par ailleurs détenus en Israël, accusés d'avoir participé aux attaques du 7-Octobre ; ils ne sont pas définis comme des « combattants illégaux » mais comme des détenus criminels, Israël affirmant disposer de suffisamment de preuves pour les poursuivre.
+972, Local Call et le Guardian ont obtenu les données chiffrées de la base de données sans les noms des personnes répertoriées ni les renseignements censés les incriminer – dont la fiabilité est elle-même remise en question par les allégations peu convaincantes portées contre des personnes comme Anas al-Sharif, le journaliste d'Al Jazeera assassiné en août.
Au cours de la guerre, en partie à cause de la forte surpopulation carcérale, Israël a libéré plus de 2 500 prisonniers qu'il avait qualifiés de « combattants illégaux », laissant entendre qu'il ne les considérait pas comme de véritables militants. 1 050 autres ont été libérés dans le cadre d'échanges de prisonniers convenus entre Israël et le Hamas.
Les groupes de défense des droits humains et les soldats israéliens ont décrit une proportion de combattants encore plus faible parmi les personnes arrêtées à Gaza que ce qui ressort des données divulguées. En décembre 2023, lorsque des photos de dizaines de Palestiniens déshabillés et enchaînés ont suscité l'indignation internationale, des officiers supérieurs ont admis auprès du journal Haaretz que « 85 à 90 % » d'entre eux n'étaient pas membres du Hamas.
- Dans de nombreux cas, l'affiliation politique à une faction palestinienne suffit à Israël pour qualifier une personne de combattante.
- - Samir Zaqout, directeur adjoint du Centre Al Mezan pour les droits humains
Le Centre Al Mezan pour les droits humains, basé à Gaza, a représenté des centaines de civils détenus dans les prisons israéliennes. Son travail « met en évidence une campagne systématique de détentions arbitraires ciblant les Palestiniens sans discrimination, quelle que soit l'infraction présumée », explique Samir Zaqout, le directeur adjoint de l'ONG.
Selon lui, « un détenu sur six ou sept au maximum pourrait avoir un lien avec le Hamas ou d'autres factions militantes, et même dans ce cas, pas nécessairement par l'intermédiaire de leurs branches militaires. Dans de nombreux cas, l'affiliation politique à une faction palestinienne suffit à Israël pour qualifier une personne de combattante ».
Les Palestinien·nes libéré·es des centres de détention militaires et des prisons de l'IPS au cours de la guerre ont témoigné de conditions de détention extrêmement difficiles, notamment de mauvais traitements et de tortures systématiques. En raison de ces pratiques, des dizaines de personnes sont mortes en détention.
Contournement des procédures régulières
Promulguée en 2002, la loi sur l'incarcération des combattants illégaux a été conçue pour permettre à Israël de détenir des personnes en temps de guerre sans avoir à les reconnaître comme des prisonniers et prisonnières de guerre, ainsi que le prévoient les Conventions de Genève. Cette loi permet également à Israël de leur refuser l'accès à un·e avocat·e pendant une période pouvant aller jusqu'à soixante-quinze jours.
Les tribunaux israéliens prolongent la détention des Palestinien·nes de manière quasi automatique, en s'appuyant sur des « preuves secrètes » lors d'audiences qui ne durent que quelques minutes. Selon les données de l'organisation israélienne de défense des droits humains HaMoked, le service israélien de détention provisoire (SIP) détient actuellement environ 2 660 Gazaouis arrêtés après le 7-Octobre comme « combattants illégaux », soit le nombre le plus élevé jamais enregistré pendant la guerre.
Des organisations juridiques estiment que des centaines d'autres sont actuellement détenus dans des centres de détention militaires israéliens, avant d'être transférés dans les prisons du SIP (selon l'armée, le nombre total de « combattants illégaux » détenus dans les prisons et les centres de détention s'élevait en mai à 2 750).
« Si Israël devait traduire tous les détenus en justice, il devrait rédiger des actes d'accusation précis et présenter des preuves à l'appui de ces allégations, précise Jessica Montell, directrice de HaMoked. Les procédures régulières peuvent être lourdes. C'est pourquoi ils ont créé la loi sur les combattants illégaux, pour contourner tout cela. »
Cette loi, ajoute Montell, a facilité la « disparition forcée de centaines, voire de milliers de personnes », détenues de fait sans aucun contrôle extérieur.
« Vider » le camp de Khan Younès
Le fait que les trois quarts des personnes détenues comme « combattants illégaux » ne soient pas considérées, dans les registres de l'armée, comme appartenant aux branches armées du Hamas ou du Jihad islamique palestinien, « sape toute justification de leur détention », réagit Tal Steiner, directrice du Comité public contre la torture en Israël, dont les requêtes contre l'incarcération de masse ont incité l'État à fournir des données sur le nombre de personnes détenues depuis le 7-Octobre.
« Dès le début de la vague d'arrestations massives à Gaza en octobre 2023,détaille-t-elle, de vives inquiétudes ont été exprimées quant au fait que de nombreuses personnes non impliquées étaient détenues sans motif, poursuit Steiner. Cette inquiétude a été confirmée lorsque nous avons appris que la moitié des personnes arrêtées au début de la guerre avaient finalement été libérées, démontrant ainsi que leur détention était injustifiée. »
Un officier de l'armée israélienne ayant mené des opérations d'arrestations massives dans le camp de réfugié·es de Khan Younès a déclaré à +972, à Local Call et au Guardian que la mission de son unité était de « vider » le camp et de forcer ses habitant·es à fuir plus au sud. Dans le cadre de cette mission, les détenu·es étaient arrêté·es en masse et emmené·es dans des installations militaires où ils et elles étaient classé·es comme « combattants illégaux ».
« Tout le monde était emmené en de longs convois, sac sur la tête, vers la côte, à Al-Mawasi, a témoigné l'officier. [Ils étaient emmenés] vers ce que nous appelions un centre d'inspection, [où] les gens étaient contrôlés. Chaque nuit, ils chargeaient un camion ouvert avec des dizaines, des centaines d'hommes, les yeux bandés, ligotés, entassés les uns sur les autres. Chaque nuit, un camion comme celui-ci partait pour Israël. »
Maintenu en détention pendant une année entière, Ahmad Muhammad ignore à ce jour pourquoi.
L'officier s'est aperçu qu'aucune distinction n'était faite « entre un terroriste entré en Israël le 7-Octobre et un employé de la régie des eaux de Khan Younès », et que les arrestations, y compris de personnes mineures, étaient effectuées de manière arbitraire. « C'est inconcevable, a-t-il déclaré. On enlève un homme, un garçon, un jeune, de sa famille, et on l'envoie en Israël pour interrogatoire. S'il revient un jour, comment pourra-t-il les retrouver ? »
Originaire du camp de réfugié·es de Khan Younès, Ahmad Muhammad, 30 ans, coiffeur, qui précise bien n'appartenir à aucune faction, raconte avoir été contraint de suivre un de ces convois avec sa femme et leurs trois enfants le 7 janvier 2024. Au poste de contrôle, l'armée a annoncé par mégaphone que les hommes devaient s'arrêter, les identifiant à la couleur de leurs vêtements. « “Chemise bleue, reviens, reviens !”, m'a crié un soldat », se souvient-il.
Lui et un groupe d'hommes ont été séparés des autres. « Nous étions arrêtés au hasard, décrit-il. Chaque fois qu'un soldat s'approchait, il nous insultait, jusqu'à ce qu'un camion arrive et qu'on soit jetés à l'intérieur, entassés les uns sur les autres, profondément humiliés. »
Emmené à la prison du Néguev, Ahmad Muhammad a été interrogé sur les attaques du 7-Octobre. Il a dit aux soldats qu'il ne savait rien, mais ils l'ont maintenu en détention pendant une année entière. À ce jour, il ignore pourquoi. « J'ai vécu des jours difficiles en prison : la maladie, le froid, la torture, l'humiliation », explique-t-il.
Ahmad Muhammad a été libéré en janvier de cette année, dans le cadre de l'accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, avec environ 2 000 autres prisonniers palestiniens, dont la moitié étaient détenus depuis le 7-Octobre en vertu de la loi sur les « combattants illégaux » et privés d'accès à un·e avocat·e ou à une procédure régulière depuis des mois.
Des patients et des médecins torturés
Plusieurs soldats ont confirmé à +972, à Local Call et au Guardian avoir été témoins de la détention massive de civils palestiniens dans des installations militaires israéliennes. Un soldat ayant servi au tristement célèbre centre de détention de Sde Teiman a rapporté qu'un complexe était surnommé « l'enclos gériatrique » car tous les détenus étaient âgés ou gravement blessés, certains étant directement sortis des hôpitaux de Gaza.
« Ils arrêtaient des masses de gens à l'hôpital indonésien [de Beit Lahiya], a-t-il témoigné. Ils amenaient des hommes en fauteuil roulant, des personnes amputées de leurs jambes ou qui ne pouvaient plus les utiliser. Je me souviens d'un homme de 75 ans, avec des moignons gravement infectés. J'ai toujours supposé que le prétexte invoqué pour arrêter les patients était qu'ils avaient peut-être vu les otages ou quelque chose comme ça. » Tous, a-t-il ajouté, étaient détenus dans « l'enclos gériatrique ».
Un autre soldat, commandant une équipe au début de la guerre, a déclaré que l'armée avait arrêté un patient septuagénaire à l'hôpital Al-Shifa de Gaza. « Il est arrivé attaché à un brancard. Il était diabétique, la jambe gangrenée et incapable de marcher. Il ne représentait aucun danger pour personne. » Cet homme a été transféré à Sde Teiman.
En plus de rassembler les civils blessés dans les hôpitaux de Gaza et de les emprisonner dans des centres de détention israéliens, Israël a arrêté des centaines de médecins qui les soignaient. Aujourd'hui, plus de 100 membres du personnel médical de Gaza sont toujours emprisonnés comme « combattants illégaux », selon l'ONG israélienne Physicians for Human Rights (PHRI, « Médecins pour les droits humains »), qui a publié en février un rapport compilant les témoignages de vingt médecins et de lanceurs d'alerte militaires décrivant des abus et des actes de torture.
- Ils nous ont enfoncé la tête dans le gravier […], nous ont sauvagement frappés à coups de matraque et nous ont électrocutés.
- - Le chef du service de chirurgie de l'hôpital indonésien de Beit Lahiya
Naji Abbas, de PHRI, a expliqué que leurs témoignages révélaient une pratique courante consistant à emprisonner des personnes pendant des mois après un simple et bref interrogatoire. Pour Abbas, cela contredit l'affirmation d'Israël selon laquelle ces détenus sont là parce qu'ils possèdent des renseignements précieux sur les otages israéliens détenus par le Hamas. Il considère leur détention comme faisant partie de l'attaque israélienne contre le système de santé de Gaza.
Dans un des témoignages recueillis par PHRI, un chirurgien de l'hôpital Nasser de Khan Younès décrit comment les soldats « s'asseyaient sur [eux], [leur] donnaient des coups de pied et [les] frappaient à coups de crosse de fusil ». Dans un autre témoignage, le chef du service de chirurgie de l'hôpital indonésien confie : « Ils nous ont enfoncé la tête dans le gravier, encore et encore, pendant quatre heures, nous ont sauvagement frappés à coups de matraque et nous ont électrocutés. »
Un troisième médecin rapporte avoir été battu jusqu'à ce que ses côtes soient brisées, tandis qu'un chirurgien de l'hôpital Al-Shifa décrit des détenus électrocutés et ajoute avoir entendu parler de prisonniers décédés des suites de ces blessures. « Sur le chemin du centre d'interrogatoire, ils m'ont dit qu'ils me couperaient les doigts parce que je suis dentiste », a témoigné un autre médecin auprès de PHRI.
Surpopulation carcérale
Les médecins qui ont témoigné auprès de PHRI étaient considérés comme des « combattants illégaux ». L'un de ces détenus, le Dr Adnan al-Bursh, chef du service d'orthopédie de l'hôpital Al-Shifa, est décédé en détention l'année dernière, après avoir été arrêté en décembre 2023. Selon sa famille, il a été torturé à mort. Un autre détenu, Iyad al-Rantisi, directeur d'un hôpital pour femmes à Gaza, est décédé l'année dernière dans un centre d'interrogatoire du Shin Bet.
De nombreux médecins palestiniens étaient emprisonnés dans le centre de détention militaire d'Anatot, selon un médecin israélien qui y travaillait. Il se souvient d'un pédiatre, menotté et les yeux bandés, qui l'avait supplié en anglais : « Nous sommes vos collègues. Pouvez-vous m'aider ? »
En juin 2024, Ronen Bar, alors directeur du Shin Bet, avait adressé une lettre au premier ministre Benyamin Nétanyahou pour l'avertir d'une crise de surpopulation carcérale : le nombre de personnes détenues dépassait les 21 000, alors que la capacité d'accueil n'était que de 14 500. Il écrivait que le traitement des prisonniers « frôlait la maltraitance », exposant les fonctionnaires de l'État à d'éventuelles poursuites pénales à l'étranger.
L'arrestation massive de médecins et d'autres civils semble aussi avoir été, au moins en partie, destinée à créer un levier pour les négociations sur les otages.
La dureté du traitement infligé aux détenu·es concorde avec les propos du ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, qui avait déclaré l'année dernière que l'une de ses principales priorités était de « durcir les conditions » des prisonnières et prisonniers palestiniens, notamment en ne leur fournissant qu'une nourriture « minimale ». De nombreux civils gazaouis arrêtés et emprisonnés par les forces israéliennes ont raconté avoir été soumis à de graves maltraitances et à la torture.
Mais l'arrestation massive de médecins et d'autres civils semble aussi avoir été, au moins en partie, destinée à créer un levier pour les négociations sur les otages. Lorsque le directeur de l'hôpital Al-Shifa, Mohammed Abu Salmiya, a été libéré l'an dernier, le député Simcha Rothman, qui préside la commission de la Constitution, du droit et de la justice de la Knesset, a déploré que sa libération n'ait pas eu lieu « en échange d'otages ». Lors de la même réunion de la commission, le député Almog Cohen a déclaré qu'Israël avait manqué l'occasion de « s'emparer d'un symbole important à Gaza » pour conclure un accord.
« Nous avons continué à libérer des gens “gratuitement”, ce qui a mis [les soldats] en colère, a regretté un soldat stationné dans un centre de détention. [Les soldats] disaient : “Ils ne rendent pas d'otages, alors pourquoi les laisser partir ?” »
Fahamiya al-Khalidi, une octogénaire en prison
Peu de cas illustrent aussi clairement la cruauté arbitraire de la politique israélienne d'incarcération de masse que celui de Fahamiya al-Khalidi, arrêtée par des soldats dans une école du quartier de Zeitoun, à Gaza, le 9 décembre 2023.
Alors âgée de 82 ans, elle souffrait de la maladie d'Alzheimer et peinait à marcher seule. L'armée israélienne l'a néanmoins emmenée au centre de détention militaire d'Anatot, avant de la transférer le lendemain à la prison de Damon, dans le nord d'Israël, où elle a été incarcérée pendant six semaines. Un document de la prison révèle qu'elle était détenue en vertu de la loi sur les « combattants illégaux », confirmant ainsi des informations initialement publiées dans Haaretz début 2024.
Au départ, l'armée israélienne avait déclaré, en réponse à notre demande de renseignements, que Fahamiya al-Khalidi avait été arrêtée « afin d'exclure son implication dans le terrorisme », avant de changer de version et d'expliquer qu'elle avait été détenue « sur la base de renseignements spécifiques la concernant personnellement », ajoutant que « compte tenu de son état actuel, la détention n'était pas appropriée et résultait d'une erreur de jugement locale et isolée ».
Un médecin militaire en poste à Anatot a déclaré à +972, à Local Call et au Guardian avoir été appelé pour soigner Fahamiya al-Khalidi après son malaise, la première nuit suivant son arrivée. « Elle est tombée et s'est blessée, probablement à cause des barbelés, a-t-il raconté. Nous lui avons recousu la main en pleine nuit. » Des photos prises par le médecin, consultées par +972, Local Call et le Guardian, confirment sa présence à Anatot au moment où al-Khalidi y était détenue.
Al-Khalidi ne se souvenait plus de son âge et pensait être toujours à Gaza – pourtant, l'armée la considérait toujours comme une combattante. « Ils disent aux soldats que cette personne est une “combattante illégale”, ce qui équivaut à une terroriste,explique le médecin. Quand al-Khalidi est arrivée, je me souviens qu'elle boitait beaucoup vers la clinique. Et elle a été classée comme combattante illégale. La façon dont cette étiquette est utilisée est insensée. »
Al-Khalidi était l'une des quarante femmes que le soldat se souvient d'avoir vues à Anatot au cours de ses deux mois passés dans ce centre. « Une femme a fait une fausse couche. Les gardiens ont dit qu'elle saignait abondamment. Une autre femme, une mère allaitante amenée sans son bébé, voulait continuer à allaiter pour préserver son lait. »
Abeer Ghaban élevait seule ses trois enfants, âgés de 10, 9 et 7 ans. Après son arrestation, ils ont été livrés à eux-mêmes.
Abeer Ghaban, 40 ans, était déjà détenue à la prison de Damon à l'arrivée d'al-Khalidi. Elle a raconté que la femme âgée semblait effrayée et que son visage et ses mains étaient enflés. Au début, al-Khalidi a à peine parlé aux autres détenues, mais peu à peu, elles ont appris qu'elle avait fui lorsque l'armée israélienne avait menacé de bombarder son immeuble, et qu'elle avait ensuite été arrêtée.
Ghaban a raconté avoir passé des semaines à s'occuper de Fahamiya al-Khalidi pendant leur incarcération commune. « Nous la nourrissions de nos propres mains, se souvient-elle. Nous lui changions ses vêtements. Elle se déplaçait en fauteuil roulant. »
À un moment donné, a expliqué Abeer Ghaban, les gardiens de prison se sont moqués d'al-Khalidi jusqu'à ce qu'elle tente de s'enfuir, percute une clôture et se blesse.
Ghaban élevait seule depuis des années ses trois enfants, âgés de 10, 9 et 7 ans. Après son arrestation par des soldats israéliens à un poste de contrôle à Gaza en décembre 2023, ils ont été livrés à eux-mêmes. Lors de son interrogatoire, Ghaban a découvert que l'armée avait confondu son mari, un agriculteur, avec un membre du Hamas portant exactement le même nom. Un soldat a reconnu cette erreur après avoir comparé des photos, mais elle a été maintenue en prison pendant six semaines supplémentaires. L'inquiétude pour ses enfants l'a rongée.
Les deux femmes ont été libérées ensemble, en janvier 2024, sans explication. Ghaban a aidé al-Khalidi à contacter ses enfants qui vivent à l'étranger, et elle a retrouvé ses propres enfants mendiant dans la rue, méconnaissables. « Ils étaient vivants mais voir dans quel état ils étaient depuis cinquante-trois jours sans moi m'a brisée », a-t-elle confié.
Une journaliste a documenté le retour d'al-Khalidi à Rafah après sa libération. Désorientée et confuse, sans famille, toujours vêtue d'un pantalon de prison gris, elle ne se souvenait plus de la durée de sa détention. Elle a dit avoir été « emmenée à l'école » et avoir vécu « beaucoup d'épreuves ».
« Israël viole le droit international qui garantit les droits fondamentaux et n'autorise l'emprisonnement de civils que s'ils représentent une menace impérieuse pour la sécurité », condamne Michael Sfard, un des principaux avocats israéliens spécialisés dans la défense des droits humains.
« Les conditions de détention des Gazaouis en Israël sont, sans l'ombre d'un doute, contraires aux dispositions de la Quatrième Convention de Genève. La législation utilisée pour les détenir constitue également une violation flagrante du droit international », dénonce-t-il, soulignant que les violences, la privation de nourriture et le refus de visites de la Croix-Rouge et de communication avec les familles sont monnaie courante.
Directeur de l'association palestinienne de défense des droits humains Adalah, basée à Haïfa, Hassan Jabareen partage cet avis. « La loi sur les “combattants illégaux” vise à faciliter la détention massive de civils et les disparitions forcées, légalisant de fait l'enlèvement de Palestiniens de Gaza, déplore-t-il. Elle prive les détenus des protections garanties par le droit international, notamment celles spécifiquement destinées aux civils, et utilise l'étiquette de “combattant illégal” pour justifier le déni systématique de leurs droits. »
Yuval Abraham (+972 Magazine)

Trump limoge des hauts fonctionnaires et prend le contrôle de plusieurs villes
Donald Trump multiplie les purges à la tête d'institutions fédérales et déploie la Garde nationale dans plusieurs villes. Ces mesures autoritaires suscitent des condamnations massives et une mobilisation populaire.
Hebdo L'Anticapitaliste - 765 (04/09/2025) | Crédit Photo : Photothèque Rouge / Martin Noda / Hans Lucas | Traduction Henri Wilno
https://lanticapitaliste.org/actualite/international/trump-limoge-des-hauts-fonctionnaires-et-prend-le-controle-de-plusieurs
Trump a mis l'été à profit pour continuer à démanteler la démocratie et avancer vers un État autoritaire et réactionnaire. Trump a limogé trois hauts fonctionnaires. Il a d'abord licencié Erika McEntarfer, commissaire du Bureau of Labor Statistics (Bureau des statistiques du travail), Lisa D. Cook, gouverneure de la Federal Reserve Bank (banque centrale américaine), et Susan Monarez, directrice des Centers for Disease Control and Prevention (Centres pour le contrôle et la prévention des maladies). Aucun autre président n'avait jamais procédé à de tels licenciements à la tête d'institutions quasi sacro-saintes, qui régulent l'économie et protègent la santé publique.
L'armée contre les mobilisations
Trump a également affirmé son pouvoir dans les rues des villes américaines. Lorsque les habitantEs de Los Angeles ont protesté contre les rafles et les arrestations menées dans le cadre de sa politique d'immigration, ce qui a conduit à des affrontements avec la police de Los Angeles, Trump a directement mobilisé la Garde nationale en juin, envoyant 2 000 gardes à Los Angeles ainsi que 700 marines et de nombreux agents de l'ICE (Service de l'immigration et des douanes). La maire de Los Angeles, Karen Bass, et le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, ont tous deux qualifié l'occupation militaire d'une partie de la ville d'inutile et d'autoritaire. Le gouverneur a intenté une action en justice devant un tribunal fédéral et obtenu une ordonnance restrictive temporaire.
À la mi-août, Trump a déclaré « l'état d'urgence criminelle » dans la capitale nationale et a pris le contrôle de la Garde nationale de Washington, DC, ainsi que du département de police de la ville. Le 8 août, Trump a envoyé des centaines de fonctionnaires fédéraux d'autres agences, telles que le Federal Bureau of Investigation (FBI), patrouiller dans les rues de Washington. Bien que la ville compte effectivement des quartiers à forte criminalité, le taux d'homicides et d'autres crimes violents est en réalité en baisse. Washington, DC étant un district fédéral et non un État, le président est constitutionnellement habilité à en prendre le contrôle. Mais il a également promis d'envoyer des agences fédérales et des troupes dans d'autres villes : Chicago, New York, Baltimore et Oakland, toutes gouvernées par des démocrates.
Résistances institutionnelles et populaires
Dans l'Illinois, le gouverneur J.B. Pritzker et le maire de Chicago, Brandon Johnson, ont tous deux condamné le projet de Trump d'envoyer des troupes, le qualifiant d'inutile et de menace pour la démocratie américaine. Quelque dix-neuf gouverneurs démocrates ont également affirmé qu'ils ne voulaient pas de troupes ni de policiers fédéraux dans leurs États. Les troupes et les agents de Trump ne contribuent guère au maintien de l'ordre, ils jettent les bases d'un potentiel coup d'État militaire.
La manifestation pacifique No Kings Day, qui s'est déroulée à travers les États-Unis le 14 juin 2025, a été la plus grande manifestation d'une journée de l'histoire du pays. En août, les manifestations ont diminué.
Le Democratic Socialists of America (DSA), la plus grande organisation socialiste du pays avec 80 000 membres, a tenu son congrès à Chicago le mois dernier. Les nombreux courants politiques de l'organisation — gauche, droite et centre — se sont disputés sur les procédures et ont adopté une résolution de soutien à la Palestine, mais il y a eu peu, voire pas, de débats sur la politique américaine et sur la manière d'arrêter Trump.
Mais l'automne approche et des mobilisations plus massives sont attendues lorsque les étudiantEs retourneront sur leurs campus et que les gens reprendront le travail. Il faudra être dans la rue par millions.
Dan La Botz, traduction Henri Wilno
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

« S’unir pour la paix » : Comment l’ONU pourrait contourner le veto américain, envoyer des Casques bleus à Gaza, bloquer les livraisons d’armes et plus encore
L'administration Trump fait face à des critiques croissantes pour avoir suspendu les visas des détenteurs de passeports palestiniens, y compris des responsables appelés à participer à l'Assemblée générale annuelle de l'ONU ce mois-ci. Lorsque les États-Unis ont refusé un visa à Yasser Arafat pour s'adresser à l'ONU en 1988, l'Assemblée générale avait été déplacée à Genève — et des appels similaires émergent aujourd'hui.
Ce geste des États-Unis est « l'indication du degré sans précédent auquel le gouvernement américain a remis les leviers de sa politique étrangère au régime israélien », affirme Craig Mokhiber, avocat international en droits humains et ancien directeur du bureau de New York du Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme. Il a démissionné en octobre 2023 pour dénoncer l'incapacité de l'ONU à répondre adéquatement aux atrocités massives en Palestine et en Israël.
Mokhiber ajoute que l'ONU pourrait faire davantage pour arrêter le génocide à Gaza. L'Assemblée générale a le pouvoir de contourner le Conseil de sécurité grâce à une résolution « S'unir pour la paix » qui pourrait forcer des « actions concrètes » à Gaza.
4 septembre 2025 | tiré de democracy now !
https://www.democracynow.org/2025/9/4/un_palestine
NERMEEN SHAIKH : L'administration Trump est confrontée à des critiques croissantes pour avoir suspendu les visas des détenteurs de passeports palestiniens, y compris pour des responsables palestiniens qui devaient participer à l'Assemblée générale annuelle de l'ONU à New York plus tard ce mois-ci. Lorsque les États-Unis ont refusé un visa à Yasser Arafat pour s'adresser à l'ONU en 1988, l'Assemblée générale avait été déplacée à Genève, en Suisse — et l'ONU fait face aujourd'hui à des appels similaires.
Cela survient alors que la Belgique annonce qu'elle reconnaîtra un État palestinien à l'Assemblée générale de l'ONU ce mois-ci, aux côtés de la France, de la Grande-Bretagne, du Canada et de l'Australie. La Belgique prévoit également d'imposer 12 sanctions à Israël, incluant l'interdiction de tous les produits issus des colonies illégales de Cisjordanie et une révision des politiques d'approvisionnement public avec les entreprises israéliennes.
AMY GOODMAN : Pour en savoir plus, nous allons à Niagara Falls, où nous rejoignons Craig Mokhiber, avocat international des droits humains, ancien directeur du bureau de New York du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, où il a travaillé plus de trois décennies comme responsable des droits humains. Il a démissionné en octobre 2023, disant que l'ONU avait échoué à répondre de manière adéquate aux atrocités de grande ampleur en Palestine et en Israël. Son nouvel article pour Mondoweiss est intitulé : « Comment l'ONU pourrait agir aujourd'hui pour mettre fin au génocide en Palestine ».
Craig, bienvenue à nouveau sur Democracy Now ! Commençons par ce refus de visas pour les détenteurs de passeports palestiniens. Parlez-nous de qui compose la délégation palestinienne et de ce que cela signifie, alors que les États occidentaux, l'un après l'autre, rejoignant plus d'une centaine d'autres, reconnaissent un État palestinien, mais que les responsables palestiniens à l'ONU ne seront pas autorisés à être présents. Cela remet-il en cause toute la notion de ce que signifie avoir des Nations Unies ?
CRAIG MOKHIBER : Eh bien, Amy, merci de m'avoir invité.
Je veux dire, d'abord, je dois dire que cette tendance au refus de visas pour les Palestiniens n'est que la dernière étape d'une tendance croissante du gouvernement américain à importer effectivement l'idéologie raciste du régime israélien dans les lois et politiques des États-Unis.
Cette politique particulière de Trump et Rubio a été déployée en trois phases : premièrement, interdire les visas pour les Palestiniens de Gaza, y compris des enfants horriblement blessés par les attaques israéliennes qui cherchaient à obtenir un traitement médical aux États-Unis — ce qui, déjà, était un acte d'une cruauté incroyable. Puis, bien sûr, il a ensuite été annoncé que l'on interdirait les visas essentiellement à tous les Palestiniens, en refusant les visas aux détenteurs de passeports palestiniens, qu'ils viennent de Gaza, de Cisjordanie ou de n'importe quel pays de la diaspora. Et maintenant, comme vous l'avez dit, il a été annoncé que l'on refuserait des visas à la délégation palestinienne auprès des Nations Unies, y compris au président palestinien Mahmoud Abbas et à 80 délégués palestiniens censés participer à l'Assemblée générale en septembre.
Je dois dire, premièrement, que cela constitue une violation directe des obligations légales des États-Unis en vertu d'un accord contraignant sur le siège de l'ONU et en vertu de la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies. Donc, cela est révélateur non seulement de l'illégalité de l'administration Trump, mais c'est aussi l'indication du degré sans précédent auquel le gouvernement américain a remis les leviers de sa politique étrangère au régime israélien. Et le résultat a été un isolement accru des États-Unis sur la scène mondiale.
Et il n'échappe à personne qui suit les Nations Unies que les États-Unis interdisent à la délégation palestinienne de participer à l'Assemblée générale précisément lors d'une session dont le point central sera la situation en Palestine : le génocide à Gaza, la reconnaissance de l'État palestinien — comme vous l'avez mentionné — par plusieurs nouvelles délégations, une conférence sur la solution à deux États et, très important, en préparation d'une action extraordinaire attendue à l'Assemblée générale lorsque l'échéance d'un an fixée par l'ONU pour que l'Israël se conforme aux demandes de la Cour internationale de justice et de l'Assemblée générale arrivera à terme en septembre, et où l'Assemblée générale devrait adopter de nouvelles mesures pour tenir le régime israélien responsable.
Cela ne fonctionnera pas. Les États-Unis, comme vous l'avez dit, ont déjà essayé cela en 1988, en interdisant à Yasser Arafat d'entrer. Le résultat fut que l'Assemblée générale s'est déplacée à Genève dans un acte de solidarité mondiale qui a davantage isolé les États-Unis à ce moment-là également. Cela ne fonctionnera pas non plus cette fois-ci. L'Assemblée générale ne se déplacera peut-être pas à Genève cette fois-ci, car ce n'est pas nécessaire. Il existe aujourd'hui des technologies modernes qui permettent la participation depuis n'importe où dans le monde. Il existe une délégation palestinienne résidant à New York. Donc, ce ne sera peut-être pas nécessaire, mais il est déjà clair que les États-Unis ont échoué, qu'ils sont davantage isolés, et que la voix palestinienne à l'ONU ne sera pas réduite au silence. Elle ne l'a pas été en 1988. Elle ne le sera pas en 2025. Et elle ne le sera pas à l'avenir.
NERMEEN SHAIKH : Eh bien, Craig, vous avez mentionné cela. Parlons-en, des options disponibles pour l'Assemblée générale des Nations Unies alors que nous approchons du 18 septembre, la date limite que vous avez mentionnée, qui correspond à l'expiration du délai fixé par l'ONU pour qu'Israël se conforme à la Cour internationale de justice sur la fin de l'occupation et la mise en œuvre des mesures provisoires. Beaucoup de gens pensent qu'avec le Conseil de sécurité paralysé par un veto américain permanent, l'ONU ne peut rien faire. Mais l'Assemblée générale a en réalité le pouvoir d'intervenir. Pouvez-vous expliquer ce qu'est la résolution « S'unir pour la paix », quand elle a été utilisée pour la dernière fois et quelle a été son efficacité ?
CRAIG MOKHIBER : Oui, c'est exact. Il existe ce mécanisme au sein de l'Assemblée générale des Nations Unies, connu sous le nom de « S'unir pour la paix ». Il est inscrit depuis longtemps dans les textes, adopté en 1950. Il a été utilisé de nombreuses fois, parfois avec un effet très concret, d'autres fois seulement de façon symbolique.
Mais il y a aujourd'hui une occasion de l'utiliser pour réellement changer la situation sur le terrain en Palestine, malgré le veto américain au Conseil de sécurité. Beaucoup trop de délégations ont pris l'habitude de se cacher derrière le veto américain en levant les bras et en disant : « Eh bien, nous avons essayé, mais les États-Unis ont opposé leur veto. » Mais « S'unir pour la paix » permet aux États membres de l'ONU, les 193, réunis en Assemblée générale, de contourner le veto américain et d'adopter des actions concrètes, comme cela a été fait, par exemple, en 1956, en mandatant la force d'urgence des Nations Unies pour se déployer dans le Sinaï en pleine crise de Suez, contre la volonté de deux membres du Conseil de sécurité, le Royaume-Uni et la France, et contre la volonté d'Israël.
On pourrait faire la même chose maintenant, en septembre, en mandatant une force de protection de l'ONU pour les populations de Gaza et, plus largement, de Palestine, spécifiquement chargée de protéger les civils, de garantir la livraison de l'aide humanitaire, de préserver les preuves des crimes de guerre israéliens et de commencer le processus de reconstruction, et surtout, de changer la structure des incitations pour Israël et ses complices dans le génocide en cours en Palestine.
D'autres mesures pourraient être adoptées dans une telle résolution — par exemple, refuser les accréditations d'Israël à l'Assemblée générale de l'ONU, comme cela avait été fait avec l'Afrique du Sud de l'apartheid ; établir un tribunal pénal pour juger les auteurs israéliens du génocide ; réactiver les mécanismes anti-apartheid pour traiter l'apartheid israélien — tout un éventail de mesures pourraient être adoptées, qui auraient une véritable portée et qui ne pourraient pas être bloquées par les États-Unis ou par aucun autre État. Et il y a des indications, d'après les précédents votes sur la Palestine, qu'une majorité des deux tiers nécessaire pour adopter ces mesures à l'Assemblée générale pourrait être atteinte. Israël n'aurait aucun droit légal de refuser ou d'entraver cela.
Et voici le dernier point important que je veux souligner là-dessus. L'année dernière seulement, la Cour internationale de justice, la plus haute juridiction au monde, a conclu qu'Israël n'a aucune souveraineté sur Gaza ou la Cisjordanie. Il n'a aucune légitimité, aucune autorité, aucun droit ni aucun statut juridique pour donner son consentement ou refuser l'intervention d'une force de protection des Palestiniens. L'État de Palestine a demandé une telle force. La société civile palestinienne, dans son ensemble, a exigé une telle force. Et il y a aujourd'hui une opportunité pour que cela se concrétise en septembre.
AMY GOODMAN : Deux questions rapides. Vous connaissez très bien le secrétaire général de l'ONU, António Guterres. Vous avez travaillé à l'ONU plus de trois décennies. Est-ce seulement lui qui empêche cela d'avancer ? Et en quoi la reconnaissance d'un État palestinien, par de plus en plus de pays, mettrait-elle fin à l'assaut contre Gaza ?
CRAIG MOKHIBER : Eh bien, ce n'est pas le secrétaire général. Il n'a en réalité aucun pouvoir ici, même s'il aurait pu faire beaucoup plus au cours des deux dernières années de ce génocide, pour utiliser la visibilité de son bureau, l'influence de sa fonction, pour, d'abord, nommer le génocide pour ce qu'il est, et aussi appeler les États à prendre le genre de mesures dont nous parlons aujourd'hui. Ces mesures ont toujours été sur la table. Elles auraient pu être mises en œuvre à n'importe quel moment de ce génocide.
Mais la beauté du mécanisme « S'unir pour la paix », c'est que le secrétaire général ne peut pas le bloquer, le Conseil de sécurité ne peut pas le bloquer, les États-Unis ne peuvent pas le bloquer. Il ne nécessite qu'une majorité des deux tiers des États membres. Il y a en ce moment un effort pour construire cette majorité, et l'espoir est que cela se concrétise.
Maintenant, vous demandez : qu'est-ce qui pourrait l'entraver ? Beaucoup de choses pourraient l'entraver. Les États-Unis ne jouent pas franc-jeu en diplomatie internationale. On peut s'attendre à ce qu'ils utilisent, agissant au nom d'Israël, toutes les carottes et tous les bâtons — surtout les bâtons — des menaces contre les délégations, pas seulement les alliés, mais aussi les délégations des pays en développement qui dépendent de l'aide étrangère, même si cette aide étrangère a déjà été largement réduite.
AMY GOODMAN : Il nous reste seulement 30 secondes, Craig.
CRAIG MOKHIBER : Donc, les menaces pourraient faire échouer cette initiative de la part des États-Unis, mais espérons que le monde est prêt à se lever et à offrir une protection. Sous les projecteurs médiatiques, chaque État devra dire s'il soutient ou non la protection d'un peuple en train de subir un génocide.
AMY GOODMAN : Et en quoi la reconnaissance de l'État palestinien mettrait-elle fin au génocide ?
CRAIG MOKHIBER : Elle ne le fera pas. C'est important, mais la plupart du monde a déjà reconnu un État palestinien. Certaines de ces choses, ces distractions autour de la reconnaissance, du discours sur la solution à deux États, au beau milieu d'un génocide qui ravage le pays, ce n'est pas le type de priorité qu'il nous faut. Ce qu'il nous faut, c'est une protection pour le peuple palestinien, et le début de leur libération, de leur liberté face à —
AMY GOODMAN : Nous devons nous arrêter là. Craig Mokhiber, avocat international des droits humains, merci beaucoup d'avoir été avec nous. Je suis Amy Goodman, avec Nermeen Shaikh.

États-Unis : les mesures brutales de Trump en matière d’immigration
LA PLUPART DES AMÉRICAINS SONT D'ACCORD avec l'idée que les immigrants ont enrichi les États-Unis, mais considèrent qu'il faut une procédure d'immigration « ordonnée ». Ils croient généralement qu'il n'est pas juste que certains aient supposément court-circuité la mythique file d'attente.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
30 août 2025
L'invasion de Los Angeles par l'ICE et les arrestations massives ont conduit à des actions de solidarité. (Promise Li)
La réalité est que, depuis que le pays a mis en place des politiques d'immigration, celles-ci ont toujours été faites pour établir des discriminations. La première, la loi d'exclusion des Chinois (1882), a interdit l'entrée des travailleurs chinois pendant une décennie et a dénié tout droit à la citoyenneté à ceux qui étaient déjà présents sur le territoire.
La dernière modification que le Congrès a réussi à faire adopter est la loi Laken Riley, promulguée à la suite d'un meurtre sauvage commis par un immigrant. Sur la base de cette affaire, l'extrême droite a obtenu le soutien des deux grands partis pour faire adopter cette loi, qui impose la détention obligatoire des immigrants, y compris des mineurs, accusés de délits de faible gravité tels que le vol à l'étalage. En outre, elle permet aux procureurs généraux des États de lancer des poursuites contre le gouvernement fédéral en cas de politiques d'immigration qu'ils jugeraient néfastes.
Cette politique agressive en matière d'immigration n'est pas seulement un problème américain, mais depuis la crise économique de 2008-2009, elle affecte tous les pays du Nord. Ici, aux États-Unis, Trump attise les passions en qualifiant les immigrants de « terroristes » et de « violeurs » venus de « pays de merde ».
Sa solution ? Mettre fin à « l'invasion » en érigeant un mur autour du pays et en expulsant tous ces « criminels ». Il a signé une série de décrets pour mettre en œuvre son plan. Stephen Miller, chef de cabinet adjoint en charge des mesures à prendre à la Maison Blanche, a travaillé en étroite collaboration avec Trump pour fixer l'objectif d'expulser un million d'immigrants par an. Il a récemment exigé que les arrestations et les expulsions atteignent une moyenne de 3 000 par jour.
Au terme des 100 premiers jours du mandat de Trump, l'administration a affirmé avoir expulsé 140 000 personnes ; les experts estiment que le chiffre réel est deux fois moins élevé. Tricia McLaughlin, secrétaire adjointe du département américain de la Sécurité intérieure (DHS) [1], a déclaré lors d'une conférence de presse le 10 juillet que le DHS avait expulsé 253 000 personnes, mais cela semble également peu probable.
En juin, l'administration a déclaré avoir procédé à 100 000 arrestations, passant de 660 arrestations quotidiennes pendant les 100 premiers jours à 2 000 par jour. Il est difficile de savoir si elle considère ce chiffre élevé comme la nouvelle moyenne.
À titre de comparaison, Obama, qui a mérité le titre de « déportateur en chef », a procédé à 3,1 millions d'expulsions au cours de ses huit années au pouvoir. Le pic a été atteint en 2012, avec une moyenne de 34 000 expulsions par mois, soit un total annuel de 407 000.
Au cours de la dernière année de l'administration Biden, 271 484 non-citoyens faisant l'objet d'une décision définitive d'expulsion ont été expulsés vers 192 pays. Avec la fermeture quasi totale de la frontière sud imposée par Trump, moins de 5 000 immigrant.e.s la traversent chaque mois. Même si toutes les personnes étaient expulsées, cela représenterait moins de 160 par jour.
Cela revient à dire que pour atteindre l'objectif fixé par cette administration, les autorités fédérales doivent expulser les personnes qui vivent et travaillent déjà ici. Si certaines sont arrivées au cours des deux dernières années, d'autres sont des résident.e.s de longue date qui ont tissé des liens : voisin.e.s, collègues et familles.
En fait, près de quatre millions de personnes ont déposé une demande d'asile et sont en attente d'une décision judiciaire. Considérées comme présentant un « faible risque », elles ont le droit de vivre et de travailler ici jusqu'à ce que leur cas soit réglé.
Alors que le nombre total de juges chargés des affaires d'immigration est plafonné à 700, l'administration a licencié 65 des 600 juges actuels. De toute évidence, la résorption de ce déficit n'est pas une priorité. Même si la majorité des demandes d'asile est rejetée, un taux d'accepptation de 44 % est sans doute trop élevé pour Stephen Miller. Les agents de l'ICE patrouillent désormais dans les couloirs des tribunaux d'immigration pour arrêter les personnes dont les dossiers ont été rejetés. Auparavant, les débouté.e.s pouvaient faire appel ; aujourd'hui, il est beaucoup plus probable qu'ils ou elles soient arrêté.e.s et envoyé.e.s dans un centre de détention.
Comment fonctionne le système d'immigration
La loi sur l'immigration et la nationalité de 1965, puis la loi sur l'immigration de 1990, réglementent l'immigration en fonction de différentes catégories, notamment le regroupement familial, l'emploi ou les considérations humanitaires.
Les droits de l'homme ont été codifiés après la Seconde Guerre mondiale et ont fait l'objet d'un document signé par les États-Unis et d'autres pays. Les réfugié.e.s [2] y sont défini.e.s comme des personnes contraintes de fuir leur pays en raison d'une crainte fondée de persécution liée à leur race, leur religion, leur nationalité, leurs opinions politiques ou leur appartenance à un groupe social particulier.
En demandant l'asile, les candidat.e.s ne devraient pas être victimes de discrimination. De fait, ils et elles bénéficient de droits, notamment l'accès aux tribunaux, au travail et à l'éducation élémentaire. Ils et elles ne doivent pas être sanctionné.e.s pour leur entrée ou leur séjour « illégal » et ne doivent en aucun cas être contraint.e.s de retourner dans des pays où ils et elles risquent d'être persécuté.e.s.
Trump ignore les protocoles internationaux afin de présenter les immigrant.e.s comme des personnes qui prennent les emplois des citoyen.ne.s américain.e.s et qui sont culturellement différentes. Il met fin au statut de protection temporaire (TPS) destiné à aider les personnes originaires de pays en proie à la guerre, à la guerre civile ou à des catastrophes naturelles.Cette disposition protégeait près d'un million de personnes originaires de 17 pays différents. Trump a déjà annulé cette disposition pour un demi-million d'Afghans, de Cubains, d'Haïtiens, de Nicaraguayens et de Vénézuéliens. Bien que son décret ait été temporairement suspendu par un tribunal, il reste une épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes.
Beaucoup de citoyen.ne.s américain.ne.s pourraient s'accorder à dire que, compte tenu de l'histoire des États-Unis, il est de leur devoir d'aider les personnes originaires de ces pays. Par exemple, les Afghan.e.s se sont vu promettre une protection contre les Talibans lorsqu'ils ont accepté de collaborer avec le gouvernement américain pendant l'occupation américaine. Compte tenu de la déstabilisation politique dans laquelle Washington a joué un rôle majeur, en plus de deux tremblements de terre dévastateurs, pourquoi le TPS devrait-il être annulé pour les Haïtien.ne.s ?Un autre programme temporaire, le dispositif DACA (Deferred Action for Childhood Arrivals), offre une protection aux personnes arrivées dans le pays lorsqu'elles étaient enfants. Les sondages d'opinion montrent qu'il bénéficie d'un large soutien, mais il fait l'objet d'une contestation juridique.
Il s'agit là de statuts temporaires, tandis que les immigrant.e.s qui obtiennent le statut de réfugié sont en passe d'obtenir un permis de séjour permanent (carte verte) et la possibilité d'acquérir la citoyenneté américaine. Pourtant, Trump a gelé ces programmes. Les personnes qui avaient déjà été acceptées ont perdu le soutien des agences de réinstallation car leurs moyens ont été supprimés. Sur les 120 000 réfugié.e.s qui avaient été sélectionnés pour être admis aux États-Unis dans le cadre du Programme américain pour l'accueil des réfugié.e.s, 10 000 avaient déjà leurs billets d'avion lorsque le décret de Trump a interdit toute nouvelle admission.
Par la suite, deux décisions de tribunaux fédéraux ont stipulé que les personnes en possession d'un billet devaient être admises. Bien que l'administration ne conteste pas ouvertement cette décision, la suspension perdure, car le gouvernement affirme avoir besoin de temps pour rétablir le programme qu'il a démantelé.
Parallèlement à la suspension des demandes d'asile et à la menace d'annulation des programmes temporaires, des résident.e.s permanent.e.s ont été arrêté.e.s et mis.e. en détention par des agents du DHS. Parmi les titulaires de cartes vertes arrêté.e.s figurent des cas bien connus tels que Mahmoud Khalil et Mohsen Mahdawi, des étudiants diplômés qui s'étaient opposés à la complicité des États-Unis dans la guerre menée par Israël contre Gaza.
Lewelyn Dixon et Max Londonio, résidents de longue date, ont également été arrêtés à l'aéroport alors qu'ils rentraient de vacances à l'étranger. Il y a plusieurs années, tous deux avaient commis des délits sans violence, purgé leur peine et refait leur vie.
Stratégie d'arrestation et d'expulsion
Pour autant que nous puissions établir la méthode privilégiée par le DHS, on trouve tout en haut de leur liste l'arrestation des immigrant.e.s lorsqu'ils se présentent à leur audience au tribunal ou à un rendez-vous de routine. Les aéroports sont également des lieux où les gens sont détenus et interrogés.
Le cas de Max Londonio, arrêté à son retour des Philippines après avoir fêté son 20e anniversaire de mariage avec sa femme, est emblématique. Titulaire d'une carte verte et père de trois enfants, il avait été condamné pour vol alors qu'il était jeune adulte. Âgé de 42 ans, arrivé aux États-Unis à l'âge de 12 ans, il a été emprisonné dans un centre de détention pendant deux mois, dont un mois en isolement cellulaire, avant d'être libéré.
Sa famille, son syndicat (l'International Association of Machinists and Aerospace Workers Local 695) ainsi que son association communautaire, Tanggol Migrante WA, ont mené campagne pour que les charges soient abandonnées.
Ils ont organisé des conférences de presse et des manifestations devant le centre de détention de Tacoma, dans l'État de Washington. On a connaissance du cas d'au moins trois autres résidents permanents arrêtés, détenus- et finalement libérés- dans cet établissement, qui est géré par la société à but lucratif CoreCivic.
Voici comment la secrétaire adjointe du Département de la Sécurité intérieure (DHS) DHS, Tricia McLaughlin, a parlé du cas de Londonios à Newsweek :
« Maximo Londono a un casier judiciaire, notamment pour vol aggravé et usage de substances illicites. En vertu de la loi fédérale sur l'immigration, les résidents permanents en situation régulière condamnés pour ce type de crimes peuvent perdre leur statut et être expulsés. Si vous êtes étranger, le fait de vous trouver aux États-Unis est un privilège, et non un droit. Lorsque vous enfreignez nos lois, ce privilège doit vous être retiré, et vous ne devriez plus vous trouver dans ce pays. »
Alors que Trump et son équipe qualifient les immigrants de criminels, il ne fait aucun doute que certains ont commis des infractions, ont été arrêtés et ont purgé leur peine. Mais pourquoi devraient-ils perdre le seul pays qu'ils aient jamais connu ? Lue Yang, 47 ans, est actuellement détenu dans un centre de détention à Baldwin, dans le Michigan. Ingénieur dans l'industrie automobile et président de la Hmong Family Association of Lansing, Yang a été arrêté par l'ICE sur son lieu de travail le 15 juillet.Ce père de six enfants est né dans un camp de réfugiés au Laos et a été amené aux États-Unis lorsqu'il était bébé. Jeune adulte, il a été arrêté pour violation de domicile et a purgé une peine de 10 mois de prison.
Bien que l'État du Michigan ait purgé son casier judiciaire, l'ICE le considère comme un criminel. Avec 15 autres personnes d'origine hmong et laotienne aux histoires similaires, il risque d'être expulsé vers le Laos où il sera probablement emprisonné en tant que dissident.
En lisant certains rapports, j'ai remarqué que les agents de l'ICE préfèrent procéder à des arrestations dans des lieux publics, souvent lorsque la personne est dans une voiture ou à pied, plutôt qu'à son domicile.
Et même lorsque l'ICE a repéré le domicile, elle préfère procéder à l'arrestation en public.
Ce fait démontre aussi l'importance de l'entraide, qui peut réduire la vulnérabilité des immigrés. À nous de voir comment nous pouvons proposer de conduire les gens au travail et les ramener chez eux, accompagner les enfants à l'école et aux activités sportives, et veiller à ce qu'il y ait de quoi manger à la maison.
Maintenant que l'ICE subit une pression croissante pour atteindre et maintenir un objectif de 3 000 arrestations par jour, d'autres agences fédérales ont été sollicitées. Il s'agit notamment des douanes et de la protection des frontières (CBP, dont la mission est de garantir la sécurité aux frontières), du Bureau des alcools, du tabac, des armes à feu et des explosifs, de la Drug Enforcement Administration, du Federal Bureau of Investigation et de la Direction générale des impôts.
La mobilisation de la Garde nationale californienne sans en référer au gouverneur et aux autorités locales montre à quel point la déportation est au cœur du programme de Trump. Pourtant, il existe une contradiction évidente entre l'arrestation de travailleurs et le bon fonctionnement du pays. L'invasion de Los Angeles par l'ICE et les arrestations massives ont donné lieu à des actions de solidarité.
Arrestations massives
Au printemps dernier, 125 travailleurs ont été arrêtés dans une usine GE Appliance à Louisville, dans le Kentucky ; puis l'ICE s'est présentée dans une usine Kraft-Heinz à Holland, dans le Michigan. Les deux entreprises ont fait état du chaos qui s'en est suivi dans leur production. À l'usine de Holland, le reste du personnel a été contraint de faire des heures supplémentaires.
Ce sont sans aucun doute les raids massifs du 6 juin et l'occupation permanente de Los Angeles qui ont spectaculairement mis en lumière la détermination de l'administration à atteindre ses objectifs en matière d'expulsion. Le premier jour, l'ICE disposait de quatre mandats et s'est rendu à trois endroits, arrêtant au total 44 personnes, dont David Huerta, président du SEIU California. Les policiers ont affirmé qu'il perturbait les arrestations.
Le même jour, l'ICE a fait une descente dans une usine de conditionnement de viande à Omaha et arrêté 70 travailleurs.Pour mener à bien la descente à Los Angeles, la présence armée de l'ICE a été soutenue par d'autres agents fédéraux et protégée par la police municipale de Los Angeles. Trump a ensuite fait appel à près de 5 000 membres de la Garde nationale de Californie et demandé au secrétaire à la Défense Pete Hegseth de mobiliser 700 Marines.
Depuis lors, des agents fédéraux masqués se sont présentés dans divers magasins Home Depot, stations de lavage, restaurants et dépôts de ferrailleurs dans des voitures banalisées. Ils ont également fait une démonstration de force en défilant avec leur équipenment lourd de manière provocante dans le parc McArthur de Los Angeles.
L'opération menée à Los Angeles a coûté plus de 134 millions de dollars au cours des soixante premiers jours. Il s'agissait d'une manœuvre visant à terroriser la communauté latino-américaine de Los Angeles, dont les origines remontent à plusieurs siècles. Mais elle visait également les communautés immigrées à travers tout le pays. Les membres de la communauté ainsi que les militant.e.s pour les droits des immigré.e.s se sont immédiatement mobilisé.e.s pour protéger leurs voisins et ont protesté contre les détentions au centre fédéral. Cette défense s'est poursuivie grâce à l'entraide et à la pose d'affiches sur les poteaux téléphoniques et dans les magasins pour informer le public de ces disparitions.
Les activistes décrivent ces arrestations comme des enlèvements perpétrés par des hommes armés et masqués.
La même résistance s'est manifestée le 10 juillet lorsque des agents du Department of Customs Enforcement, accompagnés d'hélicoptères, ont fait une descente dans deux fermes Glass House. Situées au nord de Los Angeles, ces deux fermes produisent du cannabis sous licence de l'État.À mesure que la nouvelle se répandait, environ 500 personnes se sont rassemblées sur le site de Camarillo, à la recherche d'informations sur leurs proches et pour protester contre cette descente. Les autorités, équipées de casques et de masques, ont dispersé la foule en tirant des balles en caoutchouc et en lançant des grenades lacrymogènes.
Dans sa déclaration sur cette opération, l'United Farm Workers a annoncé que plusieurs travailleurs avaient été blessés. Des citoyens américains ont été retenus pendant plusieurs heures et, avant d'être libérés, ont été contraints de supprimer de leurs téléphones les photos et les vidéos prises lors de cette intervention.
La secrétaire à la Sécurité intérieure, Kristi Noem, a réagi sur X en déclarant que cette opération était « en passe de devenir l'une des plus importantes depuis l'entrée en fonction du président Trump ». L'ICE affirme avoir arrêté 361 ouvriers agricoles, dont 14 enfants et quatre citoyens américains.Cette action a également entraîné le premier décès enregistré lors d'une opération de l'ICE. Alors qu'il se cachait, Jaime Alanis (57 ans) a fait une chute de 9 mètres depuis le toit d'une serre et a été transporté à l'hôpital. Deux jours plus tard, on lui a retiré son assistance respiratoire. Certaines petites entreprises ont déjà été contraintes de fermer. En effet, les employeurs ont besoin d'une main-d'œuvre stable. Alors que la saison des petits fruits bat son plein en Californie, la valeur des récoltes non cueillies diminue d'heure en heure. L'industrie agricole n'est pas la seule à être confrontée à une pénurie de main-d'œuvre : les secteurs de la construction et de l'hôtellerie, de la transformation de la viande et de la restauration le sont également. Malgré le nombre important de raids sur les lieux de travail, ceux-ci restent ponctuels.
Rentrez chez vous !
Même avec les 170 milliards de dollars alloués au budget des expulsions pour les quatre prochaines années, c'est l'auto-expulsion qui reste la solution clé. Tous les éléments du plan — de l'agrandissement des centres de détention au recrutement de nouveaux agents de l'ICE, en passant par l'installation de systèmes de surveillance et le refus d'accorder des prestations aux enfants issus de familles mixtes — visent à montrer aux immigrant.e.s qu'ils et elles sont pourchassé.e.s.
Les descentes massives sur les lieux de travail présentent le risque de mobiliser l'opposition, comme cela s'est produit en Californie du Sud. Du point de vue de Trump, ce sont les protestations des agriculteurs et d'autres associations professionnelles qui sont les plus préoccupantes. Les autorités estiment que plus de 40 % des personnes qui effectuent les récoltes sont « sans papiers », et probablement davantage dans l'industrie laitière. Une fois qu'une descente a lieu, on estime que 30 à 70 % de la main-d'œuvre reste chez elle. Quel que soit le statut juridique des personnes concernées, ces raids sont terrifiants pour toute personne de couleur susceptible d'être arrêtée.
Après avoir entendu les plaintes des propriétaires d'exploitations agricoles et d'hôtels, Trump a suggéré de suspendre les raids dans ces secteurs. Le 13 juin, le New York Times a rapporté que Tatum King, un haut responsable de l'ICE, avait envoyé une note aux services régionaux de l'ICE dans laquelle il demandait « à compter d'aujourd'hui, de suspendre toutes les enquêtes/opérations de contrôle sur les lieux de travail dans les secteurs de l'agriculture (y compris l'aquaculture et les usines de conditionnement de viande), de la restauration et de l'hôtellerie ».
Mais cette suspension a été de courte durée. À peine trois jours plus tard, les services de l'ICE ont été informés qu'ils pouvaient reprendre leurs activités.
Les fondements rationnels de la diffusion de la terreur
L'administration Trump dépense 3 millions de dollars en publicités pour encourager l'auto-expulsion. Le coût moyen d'une expulsion s'élevant à plus de 17 100 dollars, il est avantageux de payer le billet d'avion et d'offrir une prime de 1 000 dollars à la personne lorsqu'elle arrivera chez elle. Ils promettent également de manière mensongère que ceux qui s'auto-expulsent pourront revenir pour « vivre le rêve américain ».
La campagne d'auto-expulsion incite les gens à éviter l'humiliation. Cet argument est particulièrement efficace dans les centres de détention surpeuplés où les individus n'ont pas accès à un avocat.
Conscients qu'ils seront détenus pendant des mois dans une « boîte noire », comme les décrit le Washington Office on Latin America, certains ont choisi d'accepter ce qui est présenté comme un départ « volontaire ».
Avec la signature du One Big Beautiful Bill Act (OBBBA) de Trump, 170 milliards de dollars ont été alloués au programme d'expulsion. Il s'agit de remodeler un système déjà discriminatoire et de remettre en cause le droit légal de chaque personne à un procès équitable.
Comme l'a fait remarquer Trump, « nous ne pouvons pas accorder le bénéfice d'un procès à tout le monde, car cela prendrait, sans exagération, 200 ans ». Et dans la mesure où l'administration parvient à contourner le droit à un procès équitable, Trump aura fait un pas de plus vers la mise en place d'un État autoritaire.
Détention des immigrantsTrump a décrété que toute personne « illégale » devait être placée en « détention obligatoire », ce qui signifie qu'elle ne peut être libérée sous caution.
Au début de l'administration Trump, l'ICE pouvait détenir environ 40 000 immigrants dans divers établissements à travers le pays. Actuellement, au moins 55 000 personnes sont en détention. Certaines sont obligées de dormir sur des matelas posés à même le sol, avec 40 à 50 personnes pour chaque WC et douche.
L'accès aux soins médicaux, en particulier dans le cas de maladies chroniques, est insuffisant. Jusqu'à présent, 10 décès ont été enregistrés cette année.
Les centres de détention sont principalement gérés par GEO Group et CoreCivic, qui exploitent également des prisons privées. GEO Group, dont la direction compte une demi-douzaine d'anciens responsables de l'ICE, surveille également 185 000 autres immigrant.e.s grâce à un système de localisation GPS.
À l'époque où de nombreuses expulsions avaient lieu à la frontière, les immigrant.e.s étaient convoqué.e.s à des audiences et libéré.e.s ou expulsé.e.s relativement rapidement. Mais l'administration Trump prévoit de détenir jusqu'à 100 000 personnes à la fois et a signé neuf nouveaux contrats avec ces deux sociétés. Toutes deux ont de grands projets d'expansion, car elles engrangent des bénéfices records.
Un exemple de réaction rapide est la réaffectation par GEO Group de la prison pour mineurs qu'elle avait fermée à Baldwin, dans le Michigan, il y a trois ans. Le centre de North Lake, qui est aujourd'hui le plus grand centre de détention du Midwest avec une capacité de 1 800 lits, devrait générer un chiffre d'affaires annuel de 70 millions de dollars.
En principe, dix centres répartis dans tout le pays sont destinés au traitement des immigrants. Le plus central est situé près de l'aéroport d'Alexandria, en Louisiane. Les autorités utilisent l'établissement de 400 lits situé à proximité pour trier les immigrants et les transférer, dans un délai de 72 heures, vers l'un des huit centres de détention voisins, ou les expulser. Selon un article du New York Times du 31 juillet, environ 40 000 détenus, menottés et enchaînés, transitent par l'aéroport d'Alexandria comme s'ils étaient autant de colis Amazon. Deux autres centres très en vue méritent d'être mentionnés :
• Le tristement célèbre centre de détention Alligator Alcatraz, géré par l'État de Floride. Il accueille 900 immigrants et prévoit d'en accueillir 4 000. Comme ce centre situé dans les Everglades est géré par l'État, il a pu contourner les réglementations environnementales fédérales. Les groupes environnementaux qui ont stoppé la construction d'un grand aéroport dans cette région il y a plusieurs années contestent son aménagement en invoquant les dommages causés aux espèces menacées, les problèmes liés à l'eau et la fragilité de l'écosystème.
• Trump a évoqué la possibilité d'héberger jusqu'à 30 000 détenus à Guantánamo, à Cuba. Il a déclaré que cette installation serait un endroit idéal pour les criminels endurcis. Alligator Alcatraz et Guantánamo sont toutes deux des centres isolés qui rendront difficile la communication avec les avocats. Il sera également nécessaire d'acheminer par avion des approvisionnements, notamment de l'eau potable, pour assurer le fonctionnement de ces installations. Le coût en sera énorme.
Pour la mise sur pied de procédures de réaction à plus grande échelle
Bien que bon nombre de ces différents protocoles d'immigration aient déjà été expérimentés, les plus récents et les plus innovants incluent le rejet de la citoyenneté par droit de naissance, la tentative de contraindre des pays à accueillir des personnes qui ne possèdent pas leur nationalité (expulsion vers un pays tiers), le recours à la terreur pour forcer les personnes à retourner dans leur pays sous l'emprise de la peur, et enfin, le renvoi massif de personnes ayant des racines profondes aux États-Unis.
Toute cette liste témoigne de la nature hargneuse d'une administration désireuse de punir ceux et celles qui osent immigrer.
Pour les socialistes et les militants pour les droits des immigré.e.s, que nous travaillions dans une entreprise syndiquée ou non, dans une grande ou une petite entreprise, que notre patron soit favorable ou non à l'ICE, nous devons impulser des discussions parmi les salarié.e.s et mettre en place un dispositif pour réagir en cas d'intervention de l'ICE.
Sur de nombreux lieux de travail, des procédures ont été mises en place au cours du mandat de Barack Obama et quelques syndicats y ont ajouté des clauses contractuelles pour aider les personnes arrêtées par l'ICE. (Voir les brochures « Right to Know » publiées par le National Immigration Law Center et Arise.)
Nous avons vu que lorsque des travailleurs syndiqués sont arrêtés, leur syndicat – et souvent aussi une organisation communautaire – les défend, organise des conférences de presse et manifeste devant les centres de détention. Le travail accompli par Sheet Metal Local 100 pour demander aux syndicats de travailleurs du bâtiment de médiatiser le cas de Kilmer Abrego Garcia à l'aide de banderoles et de groupes de cortèges lors des manifestations du 1er mai a été particulièrement impressionnant. D'aucuns soulignent le caractère contradictoire de cette politique d'expulsion brutale, car les experts estiment que plus d'un million de jeunes immigrant.e.s sont nécessaires chaque année pour maintenir l'économie américaine à son niveau actuel. Du point de vue du système capitaliste, il serait préférable que le gouvernement fixe des conditions strictes liant les immigrant.e.s à un emploi et à une période déterminés. Ils et elles devraient venir pour travailler, mais leurs familles devraient rester chez elles. En réalité, en 2024, les agriculteurs ont obtenu des visas H-2A pour plus de 375 000 travailleur.euses étrangères. D'autres programmes, notamment pour les travailleur.euses hautement qualifié.e.s, portent le total à environ un million de visas de travail. Si les titulaires de visas sont licenciés ou quittent leur emploi, ils sont passibles d'expulsion. Qu'ils soient payés au salaire minimum ou à des salaires correspondant à des emplois de pointe, ces immigrant.e.s sont fondamentalement enchaîné.e.s à leur employeur.
Il est évident que de telles exigences empêchent les travailleurs de lutter pour de meilleures conditions de travail ou d'adhérer à un syndicat. Partout dans le monde, de plus en plus de travailleurs sont des immigrants qui ont peu de droits juridiques ou politiques. Le capitalisme transnational prospère grâce à ce modèle concurrentiel.Ce n'est certainement pas un système adapté aux êtres humains. Nous devons au contraire unir les travailleurs au-delà des frontières
Dianne Feeley
• Traduit pour ESSF par pierre Vandevoorde avec l'aide de Deeplpro
Against the Current No. 238, septembre-octobre 2025, Samedi 30 août 2025 :
https://againstthecurrent.org/atc238/trumps-brutal-immigration-policies/
Protocoles sur l'immigration de l'équipe Trump
• Utiliser le budget de 46,5 milliards de dollars prévu pour la construction et le renforcement du mur à la frontière sud, ainsi que pour l'installation d'un système de surveillance.
• Recruter 10 000 agents supplémentaires pour l'ICE (Immigration and Customs Enforcement) et 8 500 agents pour le service des douanes et de la protection des frontières. Réaffecter du personnel gouvernemental pour aider l'ICE à localiser, détenir et expulser les immigrants.
• Recourir à la loi sur les ennemis étrangers (Alien Enemies Act) pour éviter de devoir respecter les procédures légales.
• Supprimer le statut de protection temporaire (Temporary Protective Status).
• Exiger l'enregistrement de tous les immigrants âgés de 14 ans et plus séjournant dans le pays depuis plus de 30 jours.
• Fusionner et centraliser les données gouvernementales afin de mieux répertorier les immigrants.
• Arrêter et expulser les immigrants et les titulaires de visas étudiants qui expriment des opinions différentes de celles que le gouvernement considère comme étant dans l'intérêt national du pays.
• Assurer l'expulsion des immigrants ayant commis des infractions dans le passé, même s'ils ont purgé leur peine et que leur casier judiciaire a été effacé.
• Construire davantage de centres de détention grâce aux 45 milliards de dollars alloués dans le nouveau budget. Actuellement, l'ICE dispose de 100 centres de détention, avec 41 500 lits. Beaucoup sont gérés par des entreprises à but lucratif.
• Mettre fin à l'application de l'accord Flores qui garantit des conditions de sécurité optimales pour les enfants migrants placés en détention. Cet accord ne s'applique qu'à la frontière, ce qui signifie que les enfants peuvent être séparés de leur famille lorsque celle-ci est arrêtée ailleurs. Il est déjà utilisé lorsque les parents parviennent à éviter d'être expulsés vers un pays qu'ils considèrent comme dangereux. Leurs enfants leur sont retirés afin de les pousser à partir.
• Utiliser des droits de douane/accords pour forcer les pays du Sud à accepter les non-citoyens.• Ignorer les règles et procédures telles que la nécessité d'un mandat judiciaire pour arrêter des immigrants ou l'obligation pour les agents de s'identifier -
• Mettre fin à la pratique des espaces sanctuaires pour les immigrants.
• Mettre fin aux obligations découlant de la Déclaration des droits de l'homme des Nations unies et d'autres protocoles signés par les États-Unis pour accepter les réfugiés ou les demandeurs d'asile. Les réfugiés qui ont été contrôlés pour venir aux États-Unis n'ont pas de chance.• Mettre fin à la citoyenneté par droit de naissance :
• Élaborer une méthode pour expulser les citoyens naturalisés en invoquant la sécurité nationale.
• Réduire les prestations sociales pour les 8,25 millions d'enfants vivant dans des familles mixtes.
• Augmenter considérablement les frais et les pénalités pour toute protection humanitaire.
Against the Current No. 238, septembre-octobre 2025 :
https://againstthecurrent.org/atc238/team-trumps-immigration-protocols/
P.-S.
• Traduit pour ESSF par pierre Vandevoorde avec l'aide de Deeplpro
Notes
[1] Le département américain de la Sécurité intérieure (DHS) est chargé de l'application des lois sur l'immigration. Ses agents des douanes et de la protection des frontières (CBP) sont responsables des points d'entrée, tandis que le service américain de contrôle de l'immigration et des douanes (ICE) est chargé de contrôler les immigrants à l'intérieur du pays.
[2] Le terme « réfugié » désigne un immigrant déjà présent dans le pays, tandis qu'un « demandeur d'asile » sollicite l'entrée dans le pays.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Contre Trump le dictateur, l’histoire ne se répète pas toujours comme farce !
Tandis que Trump multiplie frénétiquement les mesures, les initiatives et les faits accomplis qui sont en train de préparer l'instauration aux Etats-Unis d'un régime authentiquement dictatorial, les dirigeants du Parti Démocrate nord-américain, les chancelleries du monde entier, suivies par les médias internationaux, ainsi que par l'écrasante majorité des « politologues » et autres experts de think tanks persistent à ne rien voir de tel. Ou plutôt, tout ce beau monde persiste à n'y voir que des actes « incompréhensibles », des « caprices » ou des « accès d'humeur » de ce président américain d'ailleurs « insondable ».
8 septembre 2025 | tiré du site du CADTM | Photo : Gage Skidmore, CC, Flickr, https://www.flickr.com/photos/gageskidmore/53066690422/in/photostream/
https://www.cadtm.org/Contre-Trump-le-dictateur-l-histoire-ne-se-repete-pas-toujours-comme-farce
Par exemple, quand Trump déploie la Garde Nationale ou même l'armée dans des grandes villes comme Los Angeles, Washington ou Chicago gouvernées par des Démocrates, l'establishment du parti Démocrate ne voit pas la tentative du président de tester les réactions de ses adversaires, ni d'accoutumer la population à la militarisation de la vie publique et à une éventuelle imposition de la loi martiale. Non, la direction des Démocrates, suivie par les médias sympathisants, Times de New York en tête, ne voient pas tout ça, mais plutôt une… « diversion » de Trump, pour éviter que l'attention du public se concentre sur le scandale Epstein qui risque de l'éclabousser !
C'est ainsi que les réactions inexistantes ou tout au plus molles de la direction du parti Démocrate, des maires Démocrates de ces villes et des médias qui leur sont proches, ne doivent ni surprendre ni étonner. Refusant d'appeler à la mobilisation générale des populations concernées pour contrer dans la rue les provocations antidémocratiques de Trump et entretenant ostensiblement l'illusion que le salut ne peut venir que des… juges, ils ne peuvent qu'encourager Trump à durcir et à élargir son offensive fasciste qui fait ouvertement fi de toute loi et de toute constitution, [1] même à un secteur aussi important et ultra névralgique comme la santé de ses compatriotes. Et ce n'est pas un hasard qu'un médecin légendaire aux Etats-Unis comme le directeur du Centre pour l'immunisation et les maladies respiratoires des CDC (Centres pour le contrôle et la prévention des maladies) Demetre Daskalakis a présenté sa démission de son poste rappelant opportunément que son grand père crétois - dont il porte le nom - est mort combattant les fascistes et dénonçant la logique eugéniste des politiques trumpiennes !
Alors, comment ne pas se rappeler d'une autre provocation fasciste cette fois, voulant aussi tester les réactions des adversaires, il y a 92 ans ? Il s'agit évidemment de la parade des nazis SA et SS devant l'énorme quartier générale du PC allemand à Berlin (appelé Karl Liebknecht Haus) le 22 janvier 1933. Une parade qui n'a provoqué la moindre réaction des communistes qui se sont contentés de demander -en vain- l'intervention de la… police, bien qu'elle était considérée la veille « impensable » et « impossible » tant par la direction du KPD qua du parti nazi.
Commentant cet événement dans son journal, Goebbels ne cachait pas sa surprise face à la « paralysie » du KPD, mais aussi son enthousiasme débordant, concluant que personne n'allait réagir contre l'ascension au pouvoir des nazis. Chose d'ailleurs faite une semaine plus tard quand Hitler est devenu chancelier et les nazis ont accédé au pouvoir sans qu'il y ait la moindre manifestation de rue ni du SPD social-démocrate ni du KPD communiste ! Quant au Karl Liebknecht Haus, les nazis l'ont occupé un mois plus tard pour en faire leur propre quartier général…
En somme, l'histoire se répète et - malheureusement - pas toujours comme farce. Comme par exemple, quand ce même Establishment Démocrate, mais aussi ses pareils de par le monde, déclarent, jour après jour, que l'avenir de Trump va se jouer aux élections de mi-mandat dans un an et que comme il y a des fortes chances pour que Trump paye cher ses « folies » antidémocratiques, il ne reste aux Démocrates qu'à tout faire pour gagner ces élections. Leur raisonnement ne manquerait pas de cohérence, s'il n'y avait pas un hic de taille : qui leur garantit qu'il y aura des élections de mi-mandat ? Ou même des élections tout court dans ces Etats-Unis de Donald Trump ? Ou tout au moins, qui leur garantit que ces elections ne seront pas trafiquées, comme le laisse présager par exemple le charcutage systématique des circonscriptions électorales ou l'exclusion massive des listes électorales des votants « indesirables », auxquels s'adonnent déjà à cœur joie les gouverneurs Républicains ?
La « naïveté » des dirigeants du parti Démocrate ou plutôt leur totale incompréhension du danger (mortel) dictatoriale et fasciste représenté par Trump et ses acolytes, leur fait croire non seulement à des mythes comme l'inébranlable « solidité de la démocratie américaine », mais aussi à entretenir des illusions sur leur capacite de …dompter finalement Trump, qui n'est d'ailleurs que chair de leur chair capitaliste. Mais, tout ça fait imperceptiblement penser à un précèdent historique qui a couté trop cher à l'humanité : celui de l'establishment politique bourgeois de droite et d'extrême droite de la République de Weimar, qui croyant « naïvement » pouvoir dompter facilement Hitler et ses nazis, n'a fait finalement que l'installer au pouvoir !
Personnage emblématique de cet establishment bourgeois allemand des années '30, Franz von Papen s'était démené pour former un gouvernement incluant Hitler, promettant qu'il lui serait facile de le « contrôler », de le « coincer » et de lui faire perdre toute popularité. C'est avec des promesses du genre « dans deux mois, nous aurons Hitler recroquevillé dans un coin », que von Papen a persuadé finalement les autres partis bourgeois et celui qui était le président de la République allemande, le vieux réactionnaire maréchal Hindenburg, de soutenir le nouveau gouvernement dont Hitler était le chancelier et von Papen le vice-chancelier. On connait la suite. Ce n'est pas Hitler mais von Papen qui a été renvoyé de ce gouvernement, lequel fut très vite dominé par les nazis.
Comme on le voit, la bourgeoisie dite libérale des Etats-Unis, est en train de commettre les mêmes erreurs que ses ancêtres allemands des années '30. S'il n'y avait qu'elle pour faire face à Trump, on pourrait être bien pessimistes pour la suite des évènements. Mais, heureusement il y a une autre Amérique, celle qui descend dans la rue contre Trump, qui affronte ses forces de répression, qui fait grève, qui manifeste sa solidarité aux Palestiniens, qui défend les migrants et qui s'inspire de l'exemple de Zohran Mamdani, [2] ce jeune ex-migrant, socialiste et musulman qui sera en novembre le prochain maire de New York, si évidemment il ne sera entretemps assassiné, emprisonné ou expulsé du pays comme promis par Trump. Avec cette autre Amérique de plus en plus mobilisée et déterminée de défendre bec et ongles ses droits, on peut être optimistes qu'on assistera bientôt à l'émergence de ce mouvement de masse de ceux d'en bas, seul capable de faire face à ce Trump voyou obscène et vulgaire, raciste et misogyne, obscurantiste, fasciste et apprenti dictateur, dont le négationnisme climatique radical et délirant suffirait largement pour faire de lui le plus grand criminel de l'histoire de l'humanité…
*Notes*
*1.* Voir *En bons fascistes, Trump et ses amis violeront droit
international et toute règle établie ! :*
<https://www.cadtm.org/En-bons-fasci...>
https://www.cadtm.org/En-bons-fascistes-Trump-et-ses-amis-violeront-droit-international-et-toute?debut_tous_articles_auteur=90
*2. Zohran Mamdani. Un jeune socialiste musulman à la tête d'un mouvement
de masse, triomphe de l'establishment Démocrate à New York ! :*
https://www.cadtm.org/Zohran-Mamdani-Un-jeune-socialiste-musulman-a-la-tete-d-un-mouvement-de-masse
******
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

À propos d’une publication contestée : une réponse d’Antoine Rabadan
Lors de notre précédente édition, nous avons reproduit un article de Volodymyr Ishchenko, « En Ukraine, le désir réel de se sacrifier pour l'État est très faible », publié sur le site Révolution permanente, en précisant que cet article ne reflétait pas nécessairement la position de Presse-toi è gauche !
L'auteur en question se présente comme « Volodymyr Ishchenko : sociologue ukrainien qui a milité et pris part dans plusieurs initiatives des milieux de gauche en Ukraine avant de déménager en Allemagne en 2019. ».
Suite à cet article un militant d'extrême gauche ukrainien a caractérisé l'auteur et ses analyses de la manière suivante :
« « Oui, je le connais. Il est fou et anti-ukrainien. Il a cette théorie, selon laquelle il y avait une Ukraine progressiste pendant l'Union soviétique, et maintenant elle est entièrement nationaliste d'extrême droite. Et à bien des égards, il blâme l'Ukraine pour l'invasion, promeut les sectaires en Ukraine, qui vénèrent littéralement Joseph Staline, et écrit comment la nostalgie pro-russe est progressiste en Ukraine. C'est fondamentalement un traître qui n'a aucune connaissance de l'Ukraine (il n'a pas été là [en Ukraine] depuis le Maïdan, même une seule fois) Il a fait des efforts considérables pour saper la gauche ukrainienne en particulier le Mouvement social. Il a eu cette idée en 2015 que les forces pro-russes sont des « capitalistes progressistes » en Ukraine qui pourraient être une grande force contre les « libéraux nationalistes » ukrainiens et a fait campagne pour se rallier à eux pour arrêter l'extrême droite et l'ukrainisation. C'est pratiquement sa grande idée. Il écrit toujours dans la même logique ».
Reprenant ces propos, Antoine Rabadan a publié sur Facebook une réponse à ceux et celles qui s'offusquent que l'Ukraine ait interdit le Parti communiste ukrainien. Nous la reproduisons ci-dessous.
Antoine Rababan
...............................
Ukraine/Russie et la question du fascisme décodée par l'analyseur que constitue la question suivante : pendant l'agression hitlérienne, fallait-il laisser libres d'agir les partis fascistes ?
Je pense utile de donner ici le texte de ma réponse, assez longue, sur FB à un camarade qui, réagissant à ma qualification de Poutine de néofasciste, a cru bon de me faire parvenir le lien vers un article de 2022 du journal communiste d'Occitanie La Marseillaise s'offusquant que l'Ukraine ait interdit le Parti Communiste Ukrainien. Sous-entendu : cette interdiction est une mesure fasciste du régime fasciste de Kyiv. Alors, si Poutine est fasciste, Zelensky l'est aussi. En réalité ce camarade que j'ai connu internationaliste convaincu sur la question catalane, a basculé, comme le montre ce qu'il met régulièrement sur FB, campiste proRusse, virulemment antiUkrainien. Illustratif de ce qu'est la gauche internationale appelant à la défaite de l'Ukraine.
...........................
CFS : une dictature neofasciste en Russie. Soit. Regardons maintenant ce qui se passe en Ukraine :
https://www.lamarseillaise.fr/international/apres-son-interdiction-les-biens-du-parti-communiste-d-ukraine-confisques-KB12570381?fbclid=IwZXh0bgNhZW0CMTAAAR0vAnDFCXDTRfSa78ZBNm1NvYA24JhQELEx7_YUbyB1YNEfqx3tXdByNH0_aem_0RNhVYbTSG1NYSU_OdK9Vw
Moi : Ta réponse est tout à fait significative de ton alignement anti ukrainien et proMoscou :
[C]oncernant le PC ukrainien, attardons-nous sur ce qu'en dit Volodymyr Ishchenko, sociologue ukrainien très critique envers Zelensky (en soi, pas de problème pour moi), surévaluant le poids actuel de l'extrême droite ukrainienne et ayant, comme le rappelle un camarade de la gauche anticapitaliste ukrainienne (Mouvement Social), un tropisme prorusse très marqué : "V Ishchenko a eu cette idée en 2015 que les forces pro-russes sont des « capitalistes progressistes » en Ukraine qui pourraient être une grande force contre les « libéraux nationalistes » ukrainiens et a fait campagne pour se rallier à eux pour arrêter l'extrême droite et l'ukrainisation".
Eh bien, pour revenir à "notre" PCU, il nous dit "Le Parti communiste ukrainien, a soutenu l'invasion russe. Le parti communiste d'Ukraine était un parti très important jusqu'à la révolution EuroMaidan. Il était le parti le plus populaire du pays dans les années 1990. Le candidat du parti communiste a obtenu 37 % des voix lors des élections présidentielles de 1999. Même à la veille de la révolution EuroMaidan, le parti communiste a obtenu
13 % des voix. Même si son soutien a diminué, il disposait d'une représentation significative au Parlement et soutenait efficacement le gouvernement de Viktor Ianoukovytch. Après EuroMaidan, il a perdu son bastion électoral dans le Donbass et en Crimée. Ils ont également été victimes de répression en raison des politiques de décommunisation, le parti a été suspendu et, en 2022, il a été définitivement interdit, tout comme une série d'autres partis dits pro-russes. Petro Symonenko, le leader du parti, qui n'a pas changé depuis 1993, depuis la création du parti, s'est enfui en Biélorussie en mars 2022. Depuis la Biélorussie, il a soutenu l'invasion russe comme une opération antifasciste contre le « régime de Kiev ». Les organisations communistes des zones occupées ont fusionné avec le Parti communiste de la Fédération de Russie et ont participé aux élections locales organisées par la Russie en 2023, entrant même dans certains conseils locaux. La même fusion s'est produite avec les syndicats officiels ukrainiens dans les zones occupées."
Ce parti est en clair un parti proRusse qui, logiquement, a soutenu l'invasion de l'Ukraine et la soutient toujours, allant jusqu'à…fusionner avec le PC russe dans les territoires ukrainiens occupés et participant à la domination terroriste que Poutine y exerce !
Alors, je te pose la question : est-il « fasciste » d'interdire un parti qui, placé sur l'orbite de Poutine, a travaillé pour que l'Ukraine soit inféodée en tant que telle à la dictature néofasciste et impérialiste dudit Poutine ? Au demeurant, faut-il se laisser aller, comme en fait tu y pousses, à reprendre le qualificatif de régime néonazi pour l'Ukraine qui est le slogan des néofascistes russes. La seule interdiction d'un parti par un régime donné ne suffit pas à décréter que ce régime est fasciste : à ce train-là, l'interdiction, par le gouvernement de la Ve République, de la Ligue Communiste en 1969 aurait été l'oeuvre du régime fasciste français. Ce type d'amalgame écrasant ce qui différencie un régime bourgeois parlementariste, parfois à tendance présidentialiste et répressif, et un régime fasciste signe une déliquescence analytique, de type sectaire-dogmatique, totalement étrangère, pour ne prendre que cet exemple mais il y en a d'autres à gauche, au marxisme révolutionnaire. Il n'est pas étonnant que, biberonné au campisme du néofascisme russe, comme on le voit dans ce que tu écris ou relaies sur FB, tu participes de cette dérive qui ne concerne pas, hélas, que toi.
Pour ta gouverne, aujourd'hui, en Ukraine, le régime est bourgeois parlementaire, antisocial et, pour partie, corrompu car n'ayant pas rompu pleinement avec l'héritage russe stalinien aujourd'hui conservé par le capitalisme mafieux poutiniste. La guerre criminelle déclenchée par Poutine ajoute à la régression, en Ukraine, des espaces politiques conquis par les luttes, toutes dévoyées qu'elles aient pu être par un légitime antistalinisme, le souvenir de l'horreur de l'Holodomor…et ce que le PCU défendait pour que l'Ukraine revienne dans le giron d'une Russie en cours de néofascisation…se réclamant de l'héritage de Staline ! Toute cette complexité contradictoire explique le passif de l'idée de gauche dans la population ukrainienne (et les lois de décommunisation) et met en évidence le mérite qui revient à la gauche anticapitaliste ukrainienne et aux syndicats ouvriers indépendants de donner l'image d'une gauche en rupture avec ces héritages stalinofascisants. Cette gauche donnant l'exemple de s'engager dans la résistance armée à l'invasion russe tout en ne ménageant pas la politique néolibérale antisociale du gouvernement ukrainien. Politique qu'elle dénonce comme affaiblissant l'engagement populaire existant dans cette résistance car sapant la base sociale de cet investissement.
De fait l'existence des luttes qui, avec l'appui de cette gauche et ce syndicalisme, se mènent en pleine guerre contre l'impérialisme néofasciste russe, est la meilleure preuve que le régime ukrainien tout bourgeois et antisocial qu'il est n'est pas fasciste. Il n'y a que le fascisme russe pour propager une telle ânerie politique, qui plus est, sous le syndrome de la paille fasciste que l'on voit dans l'œil de l'autre pour cacher la poutre néofasciste que l'on a dans son oeil !
Donc l'interdiction du PCU n'a rien à voir avec une décision fasciste, ni même avec une décision bourgeoise, elle est une décision qu'un régime ouvrier prendrait face à un parti propageant une politique stalino-fascisante, antipopulaire, antinationale, d'anéantissement des libertés permettant de développer, ce qui nous importe dans la gauche révolutionnaire et internationaliste, des luttes anticapitalistes !
Je te pose la question qui tue ( !) : pendant l'agression hitlérienne, fallait-il laisser libres d'agir les partis fascistes ?
Antoine Rabadan, 4 décembre 2024, Facebook.
La publication initiale : https://www.pressegauche.org/Volodymyr-Ishchenko-En-Ukraine-le-desir-reel-de-se-sacrifier-pour-l-Etat-est
Illustration : logo de l'organisation socialiste ukrainienne Sotsialnyi Rukh (Mouvement social), https://en.wikipedia.org/wiki/Social_Movement_(Ukraine)
J’aime les gens qui doutent1 : Entrevue avec Gaston Desjardins

EN LUTTE !, les chemins d’une organisation communiste
Au début des années 1970, la situation se dégrade un peu partout en Occident, alors que la prospérité d’après-guerre fait place au retour du chômage. Dans ce contexte, les luttes ouvrières se multiplient afin de défendre les acquis sociaux et économiques pour le plus grand nombre. En concomitance, on voit un regain des mouvements communistes qui s’appuient désormais sur la révolution chinoise pour envisager des lendemains qui chantent. Au Québec, Charles Gagnon (ancien dirigeant du FLQ) lance l’organisation EN LUTTE ! Durant une décennie, elle incarne l’engagement communiste et le dévouement à la cause du peuple.
Par Alexis Lafleur-Paiement [1]
Le Québec des années 1960 est marqué par des transformations profondes, notamment impulsées par le gouvernement libéral de Jean Lesage (1960-1966). Celles-ci incluent la déconfessionnalisation des écoles et du secteur de la santé, la nationalisation de l’électricité (1962) et la création de sociétés d’État, ainsi que le soutien à l’entrepreneuriat québécois. Mais ces mesures sont insuffisantes aux yeux d’une partie de la jeunesse qui affirme : « Nous luttons pour un État libre, laïque et socialiste. »[2] Dans le même sens, l’équipe de la revue Révolution québécoise (1964-1965) tente de concilier le marxisme et la lutte pour l’indépendance, avant que ses animateurs Pierre Vallières et Charles Gagnon se joignent au Front de libération du Québec (FLQ) pour y mener des actions armées. La période est marquée par une escalade de la violence qui conduit des attentats à la bombe à l’enlèvement de deux dignitaires par le FLQ en octobre 1970. Dans ces circonstances, le gouvernement du Canada réagit avec une intensité inattendue. La Loi sur les mesures de guerre est proclamée, le Québec est occupé par l’armée, et plus de 500 arrestations et de 3000 perquisitions sans mandat sont réalisées. La gauche québécoise sort de l’épisode grandement affaiblie.
Après le retrait des troupes canadiennes, les militant·es s’interrogent sur la voie qu’il faut prendre pour relancer la contestation. D’un côté, on rejette assez largement l’activisme et le terrorisme des années 1960 qui n’ont pas su déboucher sur la révolution, entraînant plutôt une répression brutale. D’un autre côté, la conviction qu’il est nécessaire de s’organiser à large échelle et de se doter de structures résilientes pour faire face aux aléas de la vie politique s’impose globalement. Plusieurs personnes choisissent d’investir le Parti québécois (PQ) ou les centrales syndicales, alors que d’autres préconisent la création d’une organisation révolutionnaire autonome. C’est l’idée qu’expriment les membres du Comité d’action politique de Saint-Jacques dans la brochure Pour l’organisation politique des travailleurs québécois (1971) ou encore le groupe Vaincre (1971-1972) qui publie un journal éponyme. À l’été 1972, quatre militant·es issu·es de ces deux réseaux s’associent pour rédiger un document d’unité qui est publié sous le titre Pour le parti prolétarien[3]. Le même groupe forme l’Équipe du Journal (ÉdJ) afin de produire un périodique révolutionnaire qui pourra servir de base pour la création d’une organisation.



Construire une organisation révolutionnaire
L’année 1973 est consacrée à la rencontre avec une multitude de groupes pour trouver des terrains d’entente, au lancement du journal EN LUTTE ! et à la mise sur pied du Comité de solidarité avec les luttes ouvrières (CSLO). L’Équipe du Journal adopte une position marxiste-léniniste qui s’appuie sur les théories de Marx, Lénine et Mao dans l’objectif de créer un parti révolutionnaire, de se lier avec la classe ouvrière et de diriger un mouvement capable d’instaurer le socialisme. Pour ce faire, le groupe priorise la réflexion et la diffusion idéologique, d’où la centralité du journal dans son travail. Il valorise aussi la solidarité avec les travailleur·euses revendicatif·ves ou en grève qui peuvent se montrer intéressé·es par les idées progressistes. À travers ces activités intellectuelles ou plus directement militantes, l’objectif est de rassembler une masse critique de personnes autour d’un projet révolutionnaire et de constituer un mouvement qui poursuivra le combat politique à une autre échelle. Ce but est atteint à l’automne 1974, lors du 1er Congrès du groupe EN LUTTE ! qui se constitue formellement en tant qu’organisation avec des statuts et un programme. Bien que le groupe ne rassemble qu’une soixantaine de membres, il peut compter sur leur implication dans diverses initiatives communautaires (cliniques, garderies et comptoirs alimentaires) pour approfondir ses liens avec les classes populaires. Le soutien aux grévistes qui luttent contre des multinationales à la United Aircraft (Longueuil, 1974-1975) ou à l’INCO (Sudbury, 1978-1979) permet de lier ces combats spécifiques au problème général de l’impérialisme.



Dans les années suivantes, EN LUTTE ! se consacre à plusieurs batailles. Il dénonce le Parti québécois qui, malgré son soi-disant « préjugé favorable aux travailleurs », soutient les intérêts de la bourgeoisie francophone. L’organisation marxiste rappelle aussi que « les syndicats sont en passe d’être intégrés à l’appareil d’État et d’en être réduits au statut d’organismes chargés d’appliquer les lois de l’État bourgeois, les lois passées dans les intérêts du Capital »[4]. Ces manœuvres visent à démontrer que les intérêts des travailleur·euses ne peuvent être défendus adéquatement que par une organisation faite par et pour les travailleur·euses eux-mêmes, dans le but d’instaurer le socialisme, c’est-à-dire un système où les moyens de production appartiennent en commun à l’ensemble des salarié·es. C’est ce que tente d’expliquer le journal d’EN LUTTE ! en montrant que les conflits de travail sont des symptômes d’un problème plus grave : le régime capitaliste lui-même, basé sur l’exploitation de l’humain par l’humain. Le message est bien reçu puisque l’organisation grandit pour atteindre environ 400 membres en 1979, répartis partout au Canada, sans compter plusieurs centaines de sympathisant·es. À la même époque, l’organisation gère des librairies à Vancouver, Toronto, Montréal et Québec, ainsi qu’une imprimerie. Enfin, son journal tire à plus de 6600 exemplaires par semaine[5].


Défis et ruptures
Pourtant, avec le début des années 1980, l’organisation EN LUTTE ! fait face à plusieurs défis. D’abord, sa position « d’annulation » du vote lors du référendum sur la souveraineté du Québec (mai 1980) a été accueillie assez défavorablement. Ensuite, différents groupes se sentent mal représentés dans l’organisation, notamment les personnes homosexuelles, les femmes et les ouvriers manuels qui forment des caucus pour exposer leurs récriminations. Des facteurs externes nuisent aussi au mouvement, dont la libéralisation de la Chine (qui semble confirmer l’échec du maoïsme), la répression policière qui cible les marxistes et l’imposition progressive de la chape de plomb néolibérale sur l’ensemble de la société. Malgré des discussions soutenues et l’appel à un congrès ouvert en mai 1982, le groupe n’arrive pas à surmonter les tensions internes et les pressions externes. Le 4e Congrès vote l’auto-dissolution à 187 voix contre 25, et 12 abstentions[6].



Bien que certain·es tentent de poursuivre l’expérience marxiste dans les années 1980, ce courant, à l’image des autres tendances de gauche, est alors anémique. Cette traversée du désert a contribué à obscurcir la mémoire d’EN LUTTE !, sans compter les invectives anti-marxistes de la droite qui continuent de l’accabler. Malgré tout, son expérience et celles des autres groupes révolutionnaires des années 1970 demeurent pertinentes, particulièrement à notre époque où la gauche peine à s’organiser. Il semble que les progressistes soient aujourd’hui coincés entre l’action parlementaire, le syndicalisme institutionnel et l’activisme à la pièce. Pourtant, le capitalisme frappe de plus en plus durement et risque même de nous exterminer collectivement en entretenant la crise écologique. Dans cette situation, ne faut-il pas repenser notre action et envisager sérieusement la création d’une organisation révolutionnaire solide et durable ? Bien sûr, EN LUTTE ! et les autres groupes marxistes-léninistes n’offrent pas de recette pour la révolution, mais « ils ont cherché une voie pour s’attaquer à cet ordre établi, pour l’affaiblir et finalement l’abolir »[7]. Un tel horizon peut encore nous inspirer en vue de l’instauration d’une société égalitaire.
Notes
[1] Article initialement paru dans À Bâbord !, Numéro 102, hiver 2025 (p. 12–13)
[2] « Présentation », Parti pris, no 1 (octobre 1963), page 4.
[3] La brochure est signée en nom propre par Charles Gagnon qui en est le principal rédacteur.
[4] GAGNON, Charles. Qui manipule les syndicats ?, Montréal, EN LUTTE !, 1979, page 9.
[5] Bulletin interne, no 46 (15 novembre 1981).
[6] EN LUTTE !, no 288 (22 juin 1982), page 1.
[7] GAGNON, Charles. Il était une fois… conte à l’adresse de la jeunesse de mon pays, Montréal, Lux, 2006, page 36.

Comment répondre au tweet de Kevin
Kevin aime bien se faire passer pour le vrai défenseur des vrais idéaux de gauche : la sollicitude envers les pauvres, la laïcité, la liberté d'expression et tout le tralala. Mais ne vous laissez pas berner : Kevin est un fasciste.
Il y a quelques mois, j'ai fait ce que toute personne ayant à cœur sa propre santé mentale doit faire : j'ai fermé mon compte Twitter. Mais la rhétorique toxique de l'extrême droite continue de se rendre jusqu'à moi, d'abord parce que ces types sont partout, et aussi parce que tout mon entourage me refile continuellement des captures d'écran comme celle qui suit.
La différence importante est que maintenant, je ne me pose plus la question qui me torturait sans cesse alors que j'avais encore un compte sur X : comment répondre au tweet de Kevin ? Parce que la réponse est simple : c'est impossible de répondre à Kevin ou de débattre avec lui sans participer à la diffusion et à la normalisation des idées d'extrême droite et sans dévaluer les miennes.
Pour commencer, un mot sur Kevin (et non pour Kevin : je n'ai pas envie de lui dire « envouaille continue comme t'ça », quand même). Je ne le connais pas, mais de toute évidence, il s'agit d'un pirate, auditeur de la radio Web du même nom animée par Jeff Fillion, ce qui nous laisse entendre que Kevin est un conservateur libertarien climatosceptique trumpiste homophobe, transphobe, antisyndicaliste et raciste, en plus d'être un adepte des tactiques de harcèlement – disons un fasciste, pour faire court.
En tant que fasciste, Kevin ne souhaite pas débattre quand il m'interpelle sur les médias sociaux, dans le sens où on l'entend habituellement, c'est-à-dire confronter des idées plus ou moins divergentes dans une démarche de recherche de la vérité. Ce qu'il veut, c'est m'éliminer de la place publique en raison de qui je suis, de ce que je représente à ses yeux et de la condition sociale qu'on m'a assignée.
Sa tactique est celle de tous les fascistes : la confusion et la dissimulation de son power level, c'est-à-dire de ses convictions et de ses intentions réelles. Les fascistes vont protester et nier qu'ils sont fascistes, jusqu'à ce que le climat social devienne assez pourri pour leur permettre d'assumer pleinement leur programme et leurs intentions – jusqu'au génocide, qui est la conclusion logique de leur idéologie.
Réinventer la gauche
Sur Twitter, je disposerais de 280 caractères pour répondre à Kevin. Je n'aurais que quelques mots pour rétablir les faits et lui expliquer – et à tou·tes celleux qui sont témoins de notre échange – à quel point ce qu'il vient de de dire, c'est de la querisse de marde. Et ça, c'est une mission impossible, parce que presque chaque mot qu'il a régurgité dans son tweet comporte une inexactitude, une confusion ou un mensonge.
D'abord, « la gauche ». Qui est-ce qu'il entend par ce mot ? La gauche parlementaire vaguement sociale-démocrate représentée par le NPD et QS ? Les libéraux et centristes à la Trudeau et compagnie ? Les syndicats ? Les groupes féministes et écologistes dans leurs multiples déclinaisons ? Les marxistes de tous les parfums, léninistes, staliniens, maoïstes, trotskistes ? Les anarchistes disponibles en encore plus de variétés ? Les quelques chroniqueur·euses racisé·es ou queers qui travaillent dans les médias bourgeois ? Guy A. Lepage et la clique du Plateau ? François Legault Jean-François Lisée qui se disent de gauche efficace ? Tout ce beau monde ne s'entend sur presque rien, mais Kevin s'en fout : pour lui, la gauche, c'est un bloc satanique de gens qui pensent tous la même affaire.
La plupart du temps, il utilise le mot woke pour sous-entendre qu'il y a une bonne gauche quelque part, une gauche qu'il qualifie de traditionnelle, celle qui est universelle et qui défend les pauvres et la laïcité – mais il ne se donne jamais la peine de dire qui exactement en fait partie, pour la simple raison qu'elle n'existe pas, qu'elle n'est qu'un procédé rhétorique.
Ensuite, il faudrait que je parle des pauvres dont il faut, selon Kevin, s'occuper par vertu, comme si la pauvreté était un phénomène naturel qu'il fallait soulager par grandeur d'âme. Placer le (faux) débat sur ce terrain, c'est appréhender les relations sociales comme la bourgeoisie : en présentant la charité (catho-laïque) comme unique solution à la misère capitaliste. Évidemment que la gauche n'a pas le monopole de la vertu, puisque la droite donne plein de cash à Centraide : CQFD.
Sauf qu'on sait bien que la vertu et l'amour des pauvres n'ont rien à voir là-dedans : la gauche, ça a toujours été l'action politique, sociale et économique des personnes dominées et exploitées pour leur propre libération. Même la fucking Association internationale des travailleurs le disait dans ses statuts de 1871 : « l'émancipation des travailleurs doit être l'œuvre des travailleurs eux-mêmes ». Je ne veux pas préjuger des opinions de Kevin, mais il y a fort à parier qu'il capote chaque fois qu'il y a une grève, alors pour ce qui est de de soutenir les gens qui veulent sortir de leur aliénation économique, disons qu'il n'a de leçons à donner à personne.
Et puis il y a les accusations de défendre les islamistes, les pédophiles et Big Pharma. En combien de caractères est-ce que je pourrais expliquer que personne à gauche n'appuie le terrorisme islamiste et qu'en réalité, l'anti-islamisme de Kevin est un cache-sexe pour son islamophobie et son racisme ? De combien de mots aurais-je besoin pour démonter l'homophobie et la transphobie qui se cachent derrière son insistance à éliminer toute performance de genre non hétéronormée sous prétexte de protéger l'innocence des enfants ? Comment expliquer succinctement que les gens de gauche ont tendance à être anticapitalistes et que ce n'est pas d'être à la solde d'entreprises pharmaceutiques transnationales que de porter un masque et se faire vacciner en temps de pandémie pour protéger les personnes les plus vulnérables ? Comment démontrer en moins d'une ligne que son conspirationnisme repose sur les mêmes clichés qui ont fait le succès de tous les mouvements fascistes depuis les années 1920 – le principal étant le complot juif international ? Comment faire comprendre qu'il n'y a pas de dichotomie entre les pauvres, les personnes racisées et les personnes des minorités sexuelles, que tout ce beau monde, dans une écrasante majorité des cas, fait partie du prolétariat ? Évidemment que c'est impossible, j'ai juste énoncé les problèmes et ce paragraphe contient déjà plus de 1300 caractères.
Enfin, il y a la cancel culture. Ce que Kevin laisse entendre, c'est qu'on veut le censurer parce qu'il est un dude cisgenre blanc hétéro et qu'il porte (j'en mettrais ma main au feu) une casquette de baseball laide. Il faudrait donc que je lui fasse comprendre que ce sont ses idées haineuses de fasciste qui m'insupportent et que je m'en contre-querisse qu'il ait une peau de pêche et qu'il soit fier de son pénis. Il faudrait que je lui dise que d'exprimer mon désaccord en ce qui concerne ses idées de marde, ce n'est pas de la censure, mais bien l'exercice de ma propre liberté d'expression. Sauf que Kevin, la seule liberté d'expression qui l'intéresse, c'est la sienne et ce qu'il veut, c'est que je débarrasse le plancher, que je devienne invisible. Son discours en est un d'élimination – et ce n'est qu'une ironie parmi tant d'autres qu'il appelle ça la cancel culture, parce que lorsque l'extrême droite cancelle, c'est beaucoup plus violent qu'une dénonciation publique ou une perte temporaire de contrats lucratifs.
Rétablir le cordon sanitaire
Pendant que j'expliquerais tout ça, Kevin aurait le temps de me refiler dix autres tweets remplis de mensonges toxiques du même acabit. Il aurait l'air d'être à l'attaque et moi, à la défensive. Ça lui donnerait une belle tête de vainqueur et les témoins de notre échange – pas tous, mais certain·es – se diraient sûrement : « ce Kevin, il a l'air d'un demeuré, comme ça, mais il n'a pas tout à fait tort ». Et c'est à ce moment-là que Kevin aura gagné.
Bref. Si vous êtes encore sur Twitter/X/whatever, le mieux est de ne pas répondre aux tweets de Kevin. Il veut avoir accès aux gens qui vous suivent, à vos interlocuteur·trices pour propager sa haine auprès d'elleux. Bloquez-le. Vous contribuerez ainsi à rafistoler le cordon sanitaire qui gardait les fascistes, depuis 1945, dans un néant social d'où on n'aurait jamais dû les laisser sortir.
Ensuite, parlez des fascistes, critiquez leurs mensonges et leurs stratégies confusionnistes, mais ne le faites pas avec eux.
Surtout, continuez à rêver tout haut d'un monde meilleur.
Illustration : Alex Fatta

Il n’y a pas de discours anti-réactionnaire
La vitesse à laquelle les discours réactionnaires sont diffusés a de quoi fatiguer quiconque les juge dangereux et s'échine à montrer leur errance. Mais un tel effort est vain, car aucune réponse à ces discours n'est susceptible de faire changer d'avis leurs producteurs ou celles et ceux qui y adhèrent. Voici plutôt comment critiquer un réactionnaire sans se fatiguer.
Pour critiquer ce qui est courant de nommer « la réaction », on gagnerait à la concevoir, d'une part, comme un conglomérat des personnes qui produisent des discours réactionnaires, et de l'autre, comme un groupe d'individus pour qui ces discours paraissent sensés, voire réconfortants, et autour desquels ils se réunissent (des forums 4chan à la 1 Million March 4 Children). À l'inverse, réduire ces phénomènes à « la réaction » risque de les poser sous la forme de l'unité, comme si celle-ci allait de soi, et passe sous silence que leur contenu politique et social est hétéroclite. Par exemple, le projet conservateur catholique pur et dur de retour aux valeurs et à une structure sociale d'antan ne s'assimile pas aisément au discours des nationalistes identitaires, qui expriment un fétiche de l'État, de la nation et de la langue – et encore moins avec celui des « incels » qui, convaincus de l'existence d'une hiérarchie naturelle de l'attirance sexuelle au bas de laquelle ils se situent, fantasment un monde où chaque homme se voit attribuer une femme.
Justement, l'essence de la réaction n'a rien à voir avec son contenu politique. En vérité, les discours réactionnaires sont une tentative de répondre à un besoin psychique socialement produit, celui que disparaissent l'angoisse produite par l'impuissance politique et la précarité économique, réelle ou anticipée. Le présent ordre social et économique capitaliste nous fait généralement ressentir que nous ne sommes qu'à une crise sociale « imprévue » de nous retrouver sans le sou, malgré sa promesse qu'en échange de notre temps au travail, il nous garantit la réalisation de soi. Et alors que la vie politique au sein de la démocratie représentative promet le droit universel et l'accès égalitaire aux conditions nécessaires à l'autodétermination, elle réalise cette égalité de manière abstraite et indifférente à la situation concrète des individus (par exemple, on peut seulement affirmer que l'accès égalitaire à un logement décent est réalisé si on ignore les différences de moyens économiques entre les personnes), et elle réduit l'idée de l'autodétermination, du pouvoir politique concret d'aménager son existence, à la « liberté » de choisir son poison.
De l'angoisse à l'agression
Or, les discours réactionnaires réagissent à l'angoisse sociale non pas en visant ses causes, mais en offrant plutôt un palliatif au sentiment. Ils traduisent les causes de l'impuissance politique et de la précarité en luttes culturelles et symboliques, et placent leurs producteurs, comme les individus qui s'y identifient, dans la position assurée de « défenseurs de la civilisation ». C'est bien commode : il suffit, pour que la réaction réagisse et mette en branle sa phraséologie, d'imaginer une culture menacée (toujours la sienne) et des menaces extérieures, peu importe lesquelles (l'idéologie woke dans le nouveau passeport canadien, le titre Mx d'un·e enseignant·e, etc.).
S'opère alors un renversement ironique : l'organisation sociale qui bloque la possibilité que cesse l'angoisse une fois pour toutes, transfigurée en culture menacée, est désormais perçue comme ce qui calmera l'angoisse, et qu'il faut pour cette raison défendre. Par-là, les causes réelles de cette angoisse sociale sont recouvertes d'un voile idéologique. « Non, le problème n'est pas l'organisation de la vie politique démocratique, mais bien les attaques contre celle-ci par le wokisme. » « Non, la crise du logement n'est pas une crise du logement, mais le symbole des dommages de l'immigration pour la nation québécoise. » Au bout du compte, la dernière promesse rompue est celle de la réaction elle-même : en voilant les causes réelles de l'angoisse, ou bien par plat intérêt matériel, ou bien par réflexe d'autoconservation, sa logorrhée défensive se rend inapte à l'abolir.
C'est que l'essence de la réaction est à trouver dans la pseudo-radicalité de sa réponse au besoin que cesse l'angoisse – ou, ce qui revient au même, dans sa tactique de prestidigitation qui la métamorphose en groupe culturel minoritaire menacé et qui présente le statu quo comme la seule organisation sociale raisonnable possible. La réaction ne sait pas qu'« il ne suffit pas, pour créer une contradiction historique, de se déclarer en contradiction avec le monde entier. On peut se figurer être un objet de scandale universel, parce que, par maladresse [ou par habitude commerciale et intérêt matériel], on scandalise universellement [1] », mais cela ne signifie pas qu'on critique véritablement et de manière subversive l'ordre existant.
L'unique soulagement auquel ont droit les groupes d'individus qui s'identifient aux discours réactionnaires est symbolique. En s'identifiant à l'image d'une culture collective menacée, mais néanmoins représentante de la « civilisation », ceux-ci compensent leur propre impuissance par la puissance fantasmée d'un tout plus grand qu'eux, pour lequel dévotion et sacrifice (de soi comme d'autrui) paraissent raisonnables. Faire partie de ces groupes est d'autant plus satisfaisant lorsque ceux-ci proposent des récits et schèmes interprétatifs qui prétendent « tout » dévoiler au grand jour (qu'on pense aux « grands dévoilements » de QAnon, par exemple dans le style du « Pizzagate »). En adhérant à cette logique de compensation, ils évitent la remise en question de soi et de la forme de la société qu'exigerait l'effort de nommer le mal par son nom. Plutôt, ils érigent en « cause » du mal le prochain objet auquel la réaction réagira (les immigrants allophones, les travailleurs temporaires, les écologistes, les locataires…).
Finalement, l'impuissance d'être en proie à l'angoisse est compensée en devenant soi-même le bourreau de son prochain. Qui s'identifie à de tels discours et aux groupes qu'ils agglutinent reçoit un soulagement temporaire, soit. Grand bien lui fasse : c'est tout ce qu'il a.
La praxis de façade
Mais à son opposé, une politique d'opposition à la réaction qui accepte de lutter sur ce même terrain culturel et symbolique rompt à son tour avec la promesse d'en finir avec ce sentiment et se cantonne à n'être qu'un « backlash to the backlash to the thing that's just begun [2] ». Toute politique de gauche strictement symbolique répète la même erreur et se réduit à n'être que le contrepoint de la réaction. Ni la représentation de la diversité sociale concrète dans la sphère culturelle ou politique, ni la gouvernance qui, en mode relations publiques, se confond d'excuses à chaque nouveau scandale (qu'il s'agisse de la mort d'une autochtone supervisée par un personnel soignant radicalement désensibilisé à la souffrance d'autrui ou de l'ovation d'un ex-soldat nazi aux communes), ne sont suffisantes pour répondre au besoin légitime de vivre notre vie sans être en proie à cette angoisse.
Des valeurs telles que le dialogue, l'ouverture et l'inclusion ne peuvent pas à elles seules lever le voile idéologique et psychologique que tisse la réaction et elles risquent en plus de devenir à leur tour des fétiches. Certaines activités politiques (autant l'expression sur les réseaux sociaux de bons sentiments pour les victimes du dernier conflit armé que les pratiques de consommation éthique) visent après tout moins à résoudre les conflits matériels qu'à soulager elles aussi le sentiment d'angoisse et d'impuissance sociales.
La juste pratique politique d'opposition à la réaction devra être radicale, c'est-à-dire refuser de répondre sur son terrain et, sans se poser en grand parapluie universaliste qui subsume les luttes « particulières », s'attaquer directement à ce qui se cache derrière le voile (par exemple, en retirant les appuis socio-économiques [3] à la réaction dans sa croisade défensive ; en découplant de notre conception des pratiques démocratiques l'impératif de « neutralité » médiatique qui transforme la réaction, en invité·es sur les plateaux de télévision ; ou en offrant les services et l'appui matériel que demandent les groupes sociaux marginalisés). Tant que les conditions sociales actuelles persistent, les discours réactionnaires les accompagneront comme leurs chiens de garde.
[1] Karl Marx et Friedrich Engels, La Sainte Famille ou Critique de la critique critique, Paris, Les éditions sociales, 2019, p. 173.
[2] Bo Burnham, “That Funny Feeling”, Inside, 2021.
[3] Un « appui socio-économique » ne signifie pas immédiatement un financement direct. Des plateformes telles que Meta ou X (anciennement Twitter) capitalisent grandement sur les discours réactionnaires et les laissent pulluler sous couvert de liberté d'expression. La structure même de ces discours, celle d'un tissu de stimuli psychiques excitatifs qui font boule de neige, génère du trafic, c'est-à-dire de l'échange, c'est-à-dire du profit pour ces plateformes. Dans un tel contexte, ces appuis socio-économiques, même passifs et indirects, encouragent la propagation de la réaction.
Maxime Fortin-Archambault et Gabriel Lévesque-Toupin sont candidats au doctorat en philosophie.
Illustration : Alex Fatta

Centre et réaction : un tango funeste
Les courants réactionnaires contemporains ont trouvé comment tirer profit de la crainte des centristes autour de la « montée des extrêmes » et de la « polarisation ». L'obsession pour le dialogue et le juste milieu fait le jeu de a droite dure.
En mai 2023, plus de six ans après l'élection de Donald Trump en 2016 et deux ans après la tentative de renversement de l'élection présidentielle de 2020, CNN offrait une nouvelle tribune complaisante à Trump, principal représentant du néofascisme made in the USA, dans une soirée de type « town hall » qui a rapidement dérapé. Le lendemain, suite à l'avalanche de protestations venant du public, le journaliste vedette Anderson Cooper présentait des explications en ondes : « Vous avez tout à fait le droit d'être indigné, en colère, et de ne plus jamais regarder cette chaîne. Mais pensez-vous que rester dans votre silo et écouter uniquement les personnes avec qui vous êtes d'accord va faire disparaître cette personne ? »
Cette réplique offre un magnifique éclairage sur la part de responsabilité du centre dans la montée de la réaction et de l'extrême droite au sein des sociétés occidentales.
Malaise dans la civilisation centriste
Le centre politique croit avec une dévotion sans pareille que tout peut et doit être débattu. Bien qu'iels refusent de s'affilier sciemment à quelque courant politique que ce soit (hormis une loyauté à l'égard d'une forme quelque peu vague et statique de démocratie), plusieurs journalistes de médias dominants sont viscéralement attaché·es à cet idéal. Iels font de cette mission leur identité professionnelle : les médias représenteraient l'agora incontournable et indépassable des démocraties libérales. Toutes les opinions étant par défaut considérées comme recevables, il ne resterait qu'à les exposer pour que les citoyen·nes les évaluent et fassent leur choix.
Mais les temps sont durs pour le centrisme et son libre marché des idées. Depuis la crise financière de 2008, le récit néolibéral (qui accompagnait le régime économique du même nom en le présentant comme naturel, rationnel et indépassable), est dans une déroute que rien ne semble arrêter. Le centre, avec son pragmatisme, sa modération et son obsession pour la bonne entente et le statu quo, ne convainc plus.
Cet effondrement nourrit ce que le centre appelle la montée des extrêmes. À l'ère de la lente, mais pénible agonie du néolibéralisme, la polarisation est devenue la bête noire de la bonne société intellectuelle. La conversation démocratique se porte mal, déplore-t-on. Nous ne sommes plus capables de nous parler. En perte de vitesse, les centristes se voient confronté·es à des discours qui leur sont radicalement antagonistes, mais cela ne les incite pas à revoir leurs a priori, bien au contraire.
On préfère plutôt répéter une critique maintenant convenue – même si peu appuyée empiriquement – selon laquelle les médias sociaux enfermeraient les individus dans des chambres d'écho ou des bulles filtrantes (probablement ce à quoi faisait référence Anderson Cooper en parlant de « silos »). Il revient donc aux médias d'information sérieux et responsables de faire entendre toutes les voix, même celles qui ne font pas l'affaire des pauvres citoyen·nes aveuglé·es par leurs biais cognitifs. Une tâche ingrate, mais nécessaire en démocratie, nous explique-t-on d'un air grave.
Fausses équivalences
Ce discours omniprésent, d'une fantastique autocomplaisance, est aussi extrêmement pernicieux. Le terme de polarisation évoque un phénomène symétrique et invite à déduire que les extrêmes de notre époque s'équivalent. Entre les un·es qui veulent retirer des droits et remettre en question la dignité de personnes marginalisées, et les autres qui promeuvent ces droits et défendent leur propre humanité, on nous invite à trouver un juste milieu, un terrain d'entente.
Observons par exemple comment le journaliste radio-canadien Alexis De Lancer décrivait la manifestation anti-LGBTQ et sa contre-manifestation tenues à Ottawa en septembre dernier dans le cadre de mobilisations pancanadiennes : « j'ai assisté à un triste étalage de polarisation débridée, très caractéristique de notre époque. Si les uns étaient qualifiés de fascistes transphobes, les autres étaient étiquetés de pédophiles wokes. Entre les deux anathèmes, pas de place pour la nuance : l'essence même de la polarisation » [1].
Cette mise en miroir des extrêmes, qu'elle soit intentionnelle ou pas, est omniprésente. Elle est pourtant très problématique parce que ces extrêmes ne s'équivalent pas, et ce à plusieurs niveaux.
D'abord, sur le plan du pouvoir qu'elles parviennent à mobiliser : pendant qu'une gauche radicale pousse à l'annulation d'une conférence ou à la chute d'une statue, l'extrême droite obtient l'interdiction de livres dans des États entiers ou la révision du cursus scolaire pour qu'il convienne à leur idéologie. Ensuite, sur le plan des causes défendues : pendant qu'à gauche on cherche à faire reconnaître le racisme systémique ou à avoir un climat encore viable pour la vie humaine sur la planète, à droite on s'époumone sur le burkini d'une femme musulmane ou la lecture d'un conte par une drag queen. Enfin, sur le plan de la qualité des arguments avancés : régulièrement, des débats médiatiques opposent des chercheur·es ou spécialistes défendant des thèses progressistes à des idéologues réactionnaires dont la rhétorique tend vers le complotisme.
Des politicien·nes comme François Legault ont très bien saisi cet appel de la bonne société centriste à la modération et au débat raisonné. Suite aux manifestations anti-LGBTQ, notre premier ministre se présentait en « rempart contre les extrêmes » tout en précisant « comprendre » les « parents inquiets » [2]. Legault avait d'ailleurs fait le même coup dans le débat sur la Loi sur la laïcité adoptée en 2019, en répétant que cette loi était « modérée ». « Pour éviter les extrêmes, il faut en donner un peu à la majorité », expliquait-il, ajoutant que son gouvernement « délimite le terrain » parce qu'il y a « des gens un peu racistes » qui voudraient aller plus loin [3].
En résumé, la fascination centriste pour la polarisation et les extrêmes pose triplement problème. D'abord, elle contribue à rendre socialement acceptable une droite intolérante et haineuse. Ensuite, elle invite à considérer les mouvements de gauche radicale comme équivalents à cette intolérance et cette haine. Autrement dit, alors qu'on nous invite régulièrement à faire preuve d'empathie à l'égard des âmes désœuvrées qui dérivent vers l'extrême droite, on condamne avec beaucoup moins d'hésitations ce qu'on appelle parfois « une certaine gauche » qui sombrerait dans le radicalisme et l'intransigeance. Enfin, à travers tout cela, le centre invisibilise son propre rôle et son attachement idéologique à un statu quo libéral qui fait de moins en moins consensus. De fait, la réaction de centre tend elle aussi à se radicaliser, s'accrochant désespérément à des prémisses (« le système fonctionne ») et institutions (l'État, l'économie de marché, les médias dits traditionnels) qui s'écroulent sous le poids de leurs contradictions (inégalités galopantes, services publics en décrépitude, et j'en passe). C'est pourquoi on parle parfois d'extrême centre, un terme dont certain·es se réclament même ouvertement.
[1] « Quand la polarisation torpille le dialogue », Infolettre des Décrypteurs, 23 septembre 2023.
[2] Thomas Laberge, « Identité de genre : François Legault veut être un “ rempart contre les extrêmes ” », La Presse canadienne, 21 septembre 2023. Disponible en ligne.
[3] Sophie-Hélène Lebeuf, « Laicité : “ pour éviter les extrêmes, il faut en donner un peu à la majorité ” », Radio-Canada, 18 juin 2019. Disponible en ligne.
Illustration : Alex Fatta
POUR ALLER PLUS LOIN
Éric Fassin, « La culture de l'annulation dans les médias », Le Club de Mediapart, 11 novembre 2021. Disponible en ligne : https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/111121/la-culture-de-lannulation-dans-les-medias

De la diversité libérale à la réaction anti-antiraciste
Un pilier majeur du projet réactionnaire contemporain est la dénonciation du mouvement antiraciste. Les « anti-antiracistes » s'inquiètent pour leur place dans un ordre « naturel » de plus en plus contesté. Tout cela alors même que le néolibéralisme fait d'une main des promesses creuses de représentation pour les minorités et procède de l'autre au saccage généralisé des conditions de vie. Propos recueillis par Philippe de Grosbois et Claire Ross.
À bâbord ! : Comment la réaction anti-antiraciste au Québec et au Canada a-t-elle émergé ? Quels en sont les points tournants ?
P. N.-N. : À mon avis, l'un des moments de cristallisation et de légitimation de ces discours au Québec, c'est 2007, avec la crise des accommodements raisonnables. C'est à ce moment-là que la société québécoise prend un virage quant à la question des minorités, qu'on intègre ce qui s'est produit dans le discours post-11-septembre et qu'on l'adapte aux programmes nationalistes locaux. Et on peut remercier l'Action démocratique du Québec (ADQ) : en janvier 2007, Mario Dumont publie une « lettre aux Québécois [1] » où il dit que nous sommes de culture chrétienne, que c'est ce qu'il faut défendre et que ça suffit les accusations de racisme quand on veut décider comment ça se passe chez nous. C'est majeur, parce qu'aux élections du printemps, l'ADQ passe de quatre à 41 sièges, notamment grâce à ce discours-là. Et au même moment où, dans la politique partisane, on commence à aller sur ces terrains-là, on voit naître des groupes comme la Fédération des Québécois de souche. On normalise la crainte des minorités et on voit apparaître des groupes qui portent ces idées-là avec radicalité.
Ensuite, quelque chose a aussi changé en 2020. À ce moment-là, on voit une tension créée par la récupération néolibérale du discours antiraciste et la visibilité que ça crée. C'est-à-dire qu'après l'assassinat de George Floyd, c'est devenu difficile pour plusieurs entreprises et institutions publiques de faire comme si le racisme, mais aussi l'antiracisme, n'existait pas. Elles nous ont donc assommé·es de déclarations « antiperformatives » en se déclarant antiracistes, mais sans que des changements structurels suivent. C'est une forme de démarche contre-insurrectionnelle, de pacification, qui fait en sorte de mater les discours plus radicaux. Et cette récupération crée une tension, parce que d'une part, on n'a pas les changements souhaités, mais d'autre part, on rend les minorités – raciales, culturelles et sexuelles – plus visibles et on les expose à une critique accrue. Cette tension réveille quelque chose chez beaucoup de gens qui cherchent à expliquer leurs propres malheurs, et à qui certaines élites économiques et politiques martèlent que le véritable responsable est l'élément étranger, exogène, plutôt que de mettre en cause le mode de production qui produit des inégalités.
ÀB ! : Quels sont les principaux points contre lesquels s'insurge cette forme de réaction ?
P. N.-N. : Il y a d'abord une réaction très forte à la représentation, à cette idée par exemple qu'il faut plus de minorités dans les conseils d'administration des grandes entreprises. Ça me fait rire, parce que c'est très loin de mes objectifs : je pense que ça peut apaiser ponctuellement certaines personnes, mais les changements matériels ne passent pas vraiment par la représentation.
Ensuite, la réaction s'attaque aussi à la production de savoir, en délégitimant ce qui se produit dans les universités et dans les savoirs militants. Ces forces-là doivent s'en prendre à ce qu'on appelle la science. Quand tu veux renforcer les divisions dans la société, il faut décrédibiliser l'autre. Pas par le contenu, mais par le lieu de production des savoirs qui tendent à dénoncer ces inégalités-là. D'ailleurs, c'est drôle de devoir défendre la science au nom de l'antiracisme : on avait fait un bon boulot à critiquer l'apparence d'objectivité, et puis là, on est pris à dire qu'au fond, il y a quand même de bonnes affaires qui se font dans les universités et dans le discours dit scientifique.
Enfin, il y a un repli sur les fonctions répressives de l'État. On parle beaucoup des frontières et de la police. C'est comme si tout à coup, il fallait de toute urgence revenir vers les bases qui permettent de maintenir de manière étanche les divisions dans la société.
ÀB ! : Est-ce que cette réaction, qui réagit à un pseudoantiracisme libéral et qui cherche des solutions imaginaires à d'autres problèmes réels, reste du racisme pur et simple ?
P. N.-N. : La réponse simple, c'est que oui, c'est raciste, non seulement par les sentiments virulents qui sont exprimés, mais aussi par les structures que ça renforce dans une société fondamentalement basée sur les divisions raciales. Mais aussi, cette rage d'identifier un coupable est directement liée à la dégradation des conditions matérielles d'existence. Ça ne sort pas de nulle part, ce besoin d'expliquer sa propre souffrance. C'est presque mathématique : si les promesses de la modernité ne sont pas remplies – et pire encore, on s'en éloigne – eh bien, il ne peut pas y avoir plus grande frustration collective pour beaucoup de gens. Donc oui, c'est tout à fait raciste, mais c'est entretenu par un besoin de comprendre comment la liberté qu'on pensait avoir de posséder, de jouir des bienfaits de la modernité, ne se réalise pas.
ÀB ! : Comment expliquer que les mouvements anti-antiracistes et d'autres mouvements, comme celui contre les droits des minorités sexuelles, ont tant en commun ?
P. N.-N. : Toutes ces choses-là, les questions de race, d'ethnicité, de religion, de diversité sexuelle, ce sont toutes des choses qui menacent le mensonge de la modernité, c'est-à-dire les promesses de l'humanisme pour certains, de la liberté pour certains et de l'accumulation pour certains, dans une organisation capitaliste, coloniale et hétéropatriarcale du monde. Quand des groupes sociaux montrent sur quelles exclusions, sur quelles violences cette société repose, c'est tout le projet qui est remis en cause. Donc à toutes ces voix-là qui prennent de l'ampleur, la réaction doit répondre par le même schéma.
La stratégie déployée est centrale au fascisme et au protofascisme – je n'ai aucune crainte à utiliser ces mots-là, parce que c'est ça que c'est, au fond –, c'est l'appel à la nature, à maintenir une pureté, une essence – au sens racial du terme, bien sûr, mais c'est la même chose qui anime l'opposition aux existences qui défient la prétendue nature binaire du sexe et du genre. C'est fondamental dans toute rhétorique fasciste, la nature au sens d'ordre naturel, d'immuable à protéger, d'unicité qui ne devrait pas être contaminée par des polluants. Et c'est impensable d'être contre la nature, donc quand on s'inscrit dans cette rhétorique-là, tout est permis.
ÀB ! : Que signifie cette montée de la réaction pour le mouvement antiraciste ? Quelles sont les voies de lutte ?
P. N.-N. : Jusqu'à tout récemment, les propositions ouvertement racistes n'étaient plus vraiment acceptables et notre cible, c'étaient précisément les discours libéraux post-racistes qu'il fallait déplier pour montrer que les mesures d'équité-diversité-inclusion, par exemple, ça ne changeait pas la société comme on veut la changer. Le backlash multiplie les fronts : ce n'est pas seulement contre le libéralisme qu'il faut se battre, mais aussi contre des impulsions qui n'ont aucune crainte à assumer des appels à une homogénéité raciale.
C'est peut-être choquant, mais je pense qu'il y a une utilité immense au backlash. C'est tragique de dire ça, mais le travail que le backlash accomplit est beaucoup plus efficace que celui qu'on pourrait faire nous-mêmes en essayant de convaincre les gens de la violence du système. Quand on voit le backlash, on constate de manière on ne peut plus claire la violence qu'est prêt à déployer un système pour se maintenir intact lorsqu'on essaie d'ébranler certains des piliers qui reproduisent les inégalités. Ça met en évidence des ruptures qui sont claires et donc ça devient de plus en plus difficile pour les gens qui étaient moins convaincus de ne pas comprendre où ils se situent dans ces tensions-là. Donc oui, ça complexifie les choses, mais ça les simplifie aussi dans une certaine mesure, parce que ça permet de vraiment savoir à quoi on fait face. Je ne souhaite à personne d'être l'objet de la violence raciste ou hétéropatriarcale, mais stratégiquement, on a tout intérêt à construire sur ces effets du backlash.
[1] « Une constitution québécoise pour encadrer les accommodements raisonnables », Lettre adéquiste, 17 janvier 2007. En ligne : www.bibliotheque.assnat.qc.ca/DepotNumerique_v2/AffichageFichier.aspx ?idf=8334
Philippe Néméh-Nombré est militant, sociologue et chercheur en études noires.
Illustration : Alex Fatta.

La gauche transphobe, fer de lance de l’extrême droite
Un des aspects les plus fascinants de l'extrême droite est sans doute la conscience qu'ont ses membres que leur idéologie est inacceptable. Dans les premières phases d'un backlash, il n'est pas rare de voir des gens se réclamer du groupe auquel illes s'opposent, avant de finalement déployer un discours de plus en plus transparent quant à leurs réelles intentions. C'est une stratégie qui permet non seulement de normaliser leur propos, mais aussi de placer les mouvements progressistes dans une posture défensive.
L'exemple le plus patent est sans doute la LGB Alliance, une organisation antitrans fondée en octobre 2019 par un groupe de vétérans du mouvement gai britannique. La branche canadienne de l'organisation s'est opposée en novembre 2020 à l'inclusion de l'identité de genre dans la loi interdisant les thérapies de conversion.
On retrouve aussi les diverses organisations TERF (trans exclusionary radical feminist, ou féministes radicales exclusives des femmes trans), qui ont une origine beaucoup plus ancienne, mais qui ont pris un tournant réactionnaire marqué dans les dernières années. Celles-ci sont passées d'une simple posture excluant les femmes trans des milieux féministes à une offensive généralisée contre la présence des femmes trans dans l'espace public de façon générale. Toutefois, même si leur approche est beaucoup plus militante qu'autrefois, leur appareil idéologique est resté presque inchangé depuis une cinquantaine d'années [1].
Mouvements LGB et TERF forment donc deux tendances en apparence progressistes, une récente et l'autre plus ancienne, qui convergent présentement sous l'égide d'un mouvement réactionnaire réunissant aussi l'extrême droite, des conservateurs et des fondamentalistes religieux.
Je souhaite m'attarder ici à ces mouvements internationaux pour comprendre les conditions qui ont favorisé leur émergence et leur présence en Amérique du Nord, en particulier au Québec et au Canada, ainsi que les possibles stratégies pour leur résister.
Les femmes de droite
Contrairement à ce que les épithètes données sur les réseaux sociaux peuvent laisser croire, l'idéologie TERF ne se limite pas à un vague féminisme qui résiste à « l'idéologie de genre » ni à des femmes cisgenres qui harcèlent des personnes trans en ligne. Il s'agit d'une pensée politique structurée, articulée dans la tradition du féminisme radical aux États-Unis et du féminisme matérialiste en France. Elle puise ses sources dans la pensée de Catharine MacKinnon, Adrienne Rich, Christine Delphy et Andrea Dworkin, par exemple [2].
Cette mouvance s'incarne en particulier dans le groupe Women's International Declaration (WID) – anciennement connu comme la Women's Human Rights Campaign – qui a un chapitre au Québec et qui collabore régulièrement avec une autre organisation TERF locale, Pour le droit des femmes Québec (PDF Québec) [3]. Là où WID se présente comme féministe radical, PDF Québec se dit plutôt féministe universaliste, mais cela semble avoir somme toute peu d'impact sur leurs politiques, puisque les deux organisations coordonnent souvent leurs opérations de relations publiques et trouvent leur auditoire auprès de la droite, notamment grâce au soutien de Richard Martineau et Sophie Durocher.
Ces organisations, au moins sur les questions trans, sont moins intéressées à faire avancer les intérêts des femmes cisgenres qu'à préserver la cohérence de la catégorie « femme » comme mesure de l'égalité de genre. Elles s'inquiètent bien davantage des menaces imaginaires posées par les femmes trans, qu'elles utilisent pour renforcer l'idée d'une expérience universelle de la féminité (fondée consciemment ou non sur la blancheur et l'hétérosexualité), qu'elles ne s'attardent aux violences réelles vécues par les femmes de chair et d'os. C'est d'ailleurs pourquoi leur action est somme toute limitée, se manifestant surtout dans la participation à une guerre culturelle sur les médias sociaux et à une occasionnelle intervention parlementaire pour réitérer leur position antitrans.
Les similarités entre les deux organisations s'arrêtent toutefois là, entre autres parce que PDF Québec poursuit un agenda beaucoup plus large qui inclut de limiter la liberté de religion des femmes musulmanes, d'augmenter la répression du travail du sexe et d'interdire la gestation pour autrui, notamment.
La « nouvelle homophobie »
Présenter la LGB Alliance comme un mouvement est plutôt excessif, puisque son influence est en général assez limitée, en particulier au Canada. Il y a toutefois derrière l'acronyme de cette frange en apparence marginale un puissant potentiel de déstabilisation du mouvement 2SLGBTQIA+.
Son discours se fonde sur deux axes principaux. D'une part, la « nouvelle homophobie », une notion alambiquée qui demande un investissement considérable d'attention pour en saisir les contours [4], accuse le mouvement trans d'alimenter une forme réinventée d'homophobie. D'autre part, l'Alliance LGB s'appuie sur la peur du backlash lui-même : son insistance à se mobiliser contre les personnes trans se base en grande partie sur la perception que les principales organisations de défense de droits ont abandonné les luttes pour l'égalité des minorités sexuelles au profit de l'avancement de la fameuse « idéologie de genre ». C'est cette supposée scission déjà existante du mouvement qui viendrait justifier le choix de l'Alliance non seulement de faire bande à part, mais de carrément tenir tête au mouvement LGBT.
La vieille homophobie
S'il y a bel et bien un fort backlash en cours contre l'ensemble des minorités sexuelles, c'est en raison de la brèche que les attaques contre les personnes trans ont ouverte. À la suite de l'élan initial de la vague TERF au Royaume-Uni, les mouvances conservatrices ont pris de plus en plus de place dans le débat, au point de remettre en question jusqu'à la présence de la diversité sexuelle dans le corpus scolaire.
C'est particulièrement le cas aux États-Unis, où les féministes radicales transexclusives sont, en fin de compte, restées profondément marginales et n'ont pas réussi le tour de force des Britanniques, qui ont fait de leur tendance la portion majoritaire du mouvement féministe institutionnel. Du côté américain, le mouvement des femmes conservatrices est encore fort des années Reagan où il a vu le jour et la droite ne dépend donc pas de la légitimité des féministes institutionnelles pour fonder son discours transphobe sur la défense des droits des femmes. À cela s'ajoute l'influence du mouvement autonome des femmes noires, qui se méfie beaucoup plus de celles qui se définissent comme des « féministes à la Susan B. Anthony », en référence à cette suffragette américaine qui s'était opposée au droit de vote des Noirs.
Il en résulte donc une attaque coordonnée sur les droits trans et les droits LGB de la part de la droite religieuse, très influente et efficace politiquement, notamment en Floride et dans les États républicains du Sud. La LGB Alliance recense régulièrement ces attaques sur son site Web, mais les impute à « l'idéologie de genre » plutôt qu'à la droite qui les mène.
Ce genre de désolidarisation ne devrait pas surprendre quiconque s'intéresse minimalement à l'histoire du mouvement gai en Amérique du Nord. Il a été fréquent de voir les franges les plus acceptables du mouvement condamner les déviances affichées qui menaçaient leur crédibilité au regard des institutions hétéropatriarcales. L'exemple le plus choquant est sans doute l'expulsion de la militante trans Sylvia Rivera de la New York Pride en 1973, soit quatre ans après les émeutes de Stonewall auxquelles elle avait participé. Mais on peut aussi voir des exemples autour de la crise du SIDA, ou plus récemment chez Jasmin Roy et Laurent McCutcheon, alors porte-paroles pour d'importantes organisations gaies québécoises, qui s'étaient prononcés contre l'inclusion de « queer » à la fin de l'acronyme LGBT pendant les célébrations de Fierté 2016.
Résister à l'appel de la guerre culturelle
Devant cette surprenante convergence d'intérêts entre des militant·es gai·es, des féministes et l'extrême droite, il est impératif de construire promptement une riposte pour non seulement éviter un recul de nos droits, mais également empêcher l'enracinement politique de cette étrange coalition. À mon avis, il y a deux grandes stratégies qui peuvent être déployées efficacement et à court terme. L'une est rhétorique, l'autre est politique.
Changer de cassette
Ces courants progressistes-réactionnaires se popularisent aussi rapidement parce qu'ils émergent souvent à l'écart du public général, sur des plateformes relativement obscures comme Mumsnet, un forum d'entraide pour les mères, ou 4Chan dans le cas des mouvements incels ou suprémacistes blancs.
C'est donc rapidement la caractérisation plus ou moins fantasmée de « l'idéologie de genre » développée dans ces chambres d'écho qui se trouve diffusée dans l'espace public, plutôt que l'approche du genre réellement préconisée par les organisations 2SLGBTQIA+. Ainsi, alors qu'on enseigne la simple idée que le sexe, le genre et la sexualité puissent être conceptuellement distincts, on fait face à des accusations de : 1) renforcer les normes de genre (en réduisant les femmes à des stéréotypes auxquels il suffirait de se conformer pour se considérer comme telle) ; 2) endoctriner les enfants dans l'hétérosexualité en les convaincant de transitionner plutôt que d'être homosexuel·les ; 3) faire taire les filles victimes des inévitables abus sexuels commis par les garçons inclus dans les espaces féminins ; et, de façon générale, 4) faire vivre les personnes cisgenres dans la peur de se faire qualifier de transphobes si elles désapprouvent une personne trans ou leur inclusion sans condition.
Et on ne parle même pas des attaques de la droite chrétienne ou musulmane.
Devant l'effort que demande de corriger ces représentations caricaturales, il est à mon avis souhaitable de recentrer le débat vers des enjeux d'égalité, de justice et de respect de la personne. Si nous laissons de côté les considérations identitaires et théoriques pour aborder les disparités en termes de violence et d'inégalités économiques par exemple, nous révélons l'étendue des injustices que nous vivons au quotidien.
Cela ne donne pas grand-chose de répéter ad nauseam que les femmes trans sont des femmes. Le fait que les femmes trans soient, cela devrait suffire à nous conférer le droit à l'égalité et la dignité.
Changer d'angle
Sur le plan politique, il est donc nécessaire de changer d'approche, et même de revoir certaines priorités actuelles du mouvement 2SLGBTQIA+.
La question des jeunes pose un problème unique en ce sens, puisqu'il est impératif d'éviter que ceuzes-ci soient abandonné·es à la violence des institutions comme la famille ou l'école. Pour leur éviter le pire, il vaudrait mieux à mon avis résister à la tentation de défendre à tout prix l'enseignement de l'approche identitaire du genre telle qu'elle est présentement préconisée – avec son emphase sur les normes de genre et le ressenti individuel – et plutôt s'assurer de maintenir une présence communautaire dans ces institutions (par des programmes de pair·es-aidant·es, des ressources en hébergement et en santé mentale, de l'aide mutuelle, etc.). L'éducation du public cishétéro peut certainement être utile pour limiter l'exclusion et la violence, mais ça ne peut demeurer la seule approche. Il y a un·e jeune trans sur quatre dont un membre de la famille a arrêté de lui parler ; dans les ménages à faible revenu, un·e sur dix a été mis·e à la porte en raison de son identité [5]. Ces réseaux de supports fragilisés prédisposent à plus de violence et forgent les inégalités que nous constatons sur le plan des revenus et du logement, par exemple. L'investissement excessif dans la stratégie éducative a donné une visibilité disproportionnée aux membres de nos communautés sans apporter une véritable amélioration de nos conditions matérielles d'existence. Plus encore, c'est cette visibilité qui nous expose à des violences à grande échelle de la part de groupes haineux et de l'État, et autorise les violences ordinaires au quotidien.
Nous ne pouvons évidemment pas remettre la pâte à dents dans le tube, mais il est encore temps de modifier notre stratégie pour plutôt nous concentrer sur l'amélioration de nos conditions matérielles d'existence à travers un véritable mouvement de libération. En quittant la stratégie de respectabilité héritée du mouvement assimilationniste post-SIDA pour plutôt nous concentrer sur la défense de notre dignité et la résilience de nos communautés, nous contournons les critiques qui fondent plusieurs mouvements réactionnaires, en plus d'améliorer immédiatement nos vies.
Je suis d'avis que ces deux stratégies combinées permettraient de contrecarrer ces mouvements réactionnaires à court terme, au moins dans un contexte local. Il faut résister à la tentation de les combattre avec leurs propres moyens, puisque nous ne gagnerons pas la guerre culturelle, d'une part, et que nous risquerions d'effriter les solidarités intracommunautaires, d'autre part.
Il est grand temps de quitter l'abstraction réconfortante de la théorie et de faire face à la réalité.
[1] Parmi leurs conceptions fondamentales, il y a l'idée que le corps des femmes trans ne leur appartient pas et qu'elles s'« approprient » plutôt l'idée même d'être femme, ce qui constitue ni plus ni moins un viol symbolique. Voir Janice Raymond, The Transsexual Empire, Beacon Press, 1979.
[2] Toutes ces figures féministes entretiennent une relation ambiguë quant aux femmes trans – ou au travail du sexe – sans être ouvertement transphobes, [[certaines ayant pris des postures inclusives plus récemment.
[3] Pour un portrait complet de cette organisation, voir Valérie Beauchamp, « Pour les droits de quelles femmes ? », À bâbord !, no 71, octobre-novembre 2017, p. 8-9. Disponible en ligne.
[4] Les arguments de l'organisation à ce propos sont confus et parfois contradictoires, oscillant entre, d'un côté, ce qui semble être une réponse à des accusations portées contre des personnes homosexuelles par des personnes trans en ligne (« avoir une préférence génitale est transphobe », par exemple) et, de l'autre, une représentation de la transition comme une réponse à une homophobie internalisée, comme une stratégie visant à se conformer à l'hétérosexualité plutôt que d'accepter son homosexualité (l'existence de personnes trans lesbiennes, gaies ou bisexuelles est simplement ignorée pour servir l'argument).
[5] Pour les jeunes de 14 à 24 ans, selon l'étude Trans Pulse Canada. Trans PULSE Canada. Santé et bien-être chez les jeunes trans et non binaires. 26 juin 2021. En ligne : https://transpulsecanada.ca/fr/results/rapport-sante-et-bien-etre-chez-les-jeunes-trans-et-non-binaires/
Judith Lefebvre est zinester et militante transféministe.
Illustration : Alex Fatta.

Les nouvelles tribunes du masculinisme
Différents mouvements réactionnaires que nous pensions possiblement éteints, ou du moins affaiblis, reviennent au goût du jour. Il faut se méfier des activités en ligne qui donnent un nouveau souffle à des courants idéologiques réactionnaires comme le masculinisme.
Selon Francis Dupuis-Déri, professeur de science politique à l'UQAM, il n'existe pas de consensus quant à la définition de masculinisme. Deux interprétations sont couramment utilisées : celle reliée au mouvement de défense des droits des hommes et celle employée pour parler d'un courant antiféministe qui serait le résultat d'une guerre ouverte contre les hommes. Dans ce second cas, les idées masculinistes condamnent la domination que les femmes auraient réussi à créer sur la société grâce au féminisme.
Aujourd'hui, c'est en ligne que se manifeste toute la diversité de cette idéologie. Le Web et les réseaux sociaux pullulent d'influenceurs masculinistes pour qui les femmes sont des objets purement sexuels et utilitaires.
Par exemple, l'une des revendications classiques que l'on retrouve dans ce mouvement masculiniste est le retour aux valeurs traditionnelles quant aux rôles homme/femme. Citons brièvement la sous-culture des « tradwives » (traditional wives), réaction opposée au féminisme qui prône le retour de la femme au foyer avec une soumission totale au mari. Cette mouvance se développe depuis quelques années sur les réseaux sociaux, où on retrouve des influenceuses exposant comment l'obéissance au mari est la clé d'un mariage heureux.
Pour les antiféministes numériques, les femmes sont des manipulatrices qui ont profité du mouvement féministe pour se détourner des valeurs traditionnelles et dominer les hommes – alors que chacun·e sait que la nature veut l'inverse. L'influenceur Andrew Tate, misogyne auto-proclamé, multiplie les publications pour propager sa croyance selon laquelle les femmes sont la propriété des hommes. Sa constante autopromotion en ligne concernant ses succès financiers et sexuels en a fait une sorte de modèle pour hommes en recherche d'identité. Il a été arrêté le 29 décembre 2023 pour traite d'êtres humains, viol et participation à un groupe criminel organisé voué à l'exploitation sexuelle.
Le phénomène des incels est un autre exemple marquant de phénomène masculiniste. Les « célibataires involontaires » (involuntary celibates) sont le plus souvent des jeunes hommes hétérosexuels incapables de se trouver une partenaire sexuelle. Cette culture misogyne est nourrie sur des forums en ligne où les hommes se plaignent que le jeu de la séduction a été détruit par le féminisme et la technologie. Selon eux, les applications de rencontre ont facilité l'accès des femmes à un plus grand nombre de partenaires sexuels, favorisant ainsi les hommes physiquement attirants au détriment des hommes considérés plutôt moyens sur ce plan. Les incels nourrissent ainsi un grand sentiment de rancœur envers les femmes, qui entraîne des réactions misogynes, tant en ligne que dans la vie réelle. Ils se sont malheureusement fait connaître du grand public lors d'attaques armées perpétrées par quelques-uns d'entre eux. Citons le cas tristement connu de l'attaque au camion-bélier à Toronto en 2018, qui a fait 11 mort·es (dont au moins huit femmes) et 15 blessé·es. Celle-ci a été planifiée par un célibataire involontaire avec pour objectif de poursuivre la rébellion des incels ; il s'était exprimé plusieurs fois en ligne sur le sujet. À la suite de son geste, il a été acclamé en héros par la communauté des incels.
Le Web et les réseaux sociaux agissent donc comme stratégie de visibilité pour un sentiment de frustration et une volonté de puissance. Les femmes qui rejettent leurs rôles traditionnels sont-elles vraiment la source de tous les maux, ou est-ce plutôt la recherche du buzz, la possibilité d'être célèbre en ligne et de se montrer à tout·es – que ce soit pour partager un mal-être masculin ou pour s'afficher en winner ? Les femmes seraient alors objets d'exploitation pour le sentiment de solitude et le besoin de reconnaissance des hommes. En exploitant la haine des femmes, certains d'entre eux ont atteint le statut de vedette et ont offert à d'autres un véhicule pour canaliser leur souffrance.
Illustration : Alex Fatta
Le sous-financement plonge le Manitoba dans le chaos des feux
Raviver la solidarité internationale, une caravane à la fois
Élections municipales 2025 : Un Devoir citoyen en latence, tout le long des deux rives du Saint-Laurent !
gauche.media
Gauche.media est un fil en continu des publications paraissant sur les sites des médias membres du Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG). Le Regroupement rassemble des publications écrites, imprimées ou numériques, qui partagent une même sensibilité politique progressiste. Il vise à encourager les contacts entre les médias de gauche en offrant un lieu de discussion, de partage et de mise en commun de nos pratiques.












