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Déclaration bilan de clôture du FSM 2024 par le comité d’organisation népalais

5 mars 2024, par Collectif québécois En route pour le FSM, Comité d'organisation du Népal — , ,
Marche d'ouverture du FSM 2024 à Katmandou - crédit photo - droits réservés : Luna Choquette Loranger Alors que la foule se déplaçait dans le centre de Katmandou jeudi, la (…)

Marche d'ouverture du FSM 2024 à Katmandou - crédit photo - droits réservés : Luna Choquette Loranger
Alors que la foule se déplaçait dans le centre de Katmandou jeudi, la taille du rassemblement était massive, mais c'est la diversité des participant.es qui s'est distinguée lors de la marche de solidarité de la 16e édition du Forum social mondial (FSM) 2024.

Tiré de Journal des Alternatives
https://alter.quebec/declaration-bilan-de-cloture-du-fsm-2024-par-le-comite-dorganisation-nepalais/?utm_source=Cyberimpact&utm_medium=email&utm_campaign=JdA-PA-2024-02-29
Par Collectif québécois En route pour le FSM 2024 au Népal -21 février 2024

Des vagues et des vagues de personnes venues du monde entier, la plupart en tenue traditionnelle, d'autres en vêtements indigènes, d'autres encore en vêtements de travail, d'autres en tenues décontractées ou en costumes, ont marché main dans la main au son du cri « Un autre monde est possible ». Il y avait des travailleuses et des travailleurs, la main-d'œuvre agricole et paysanne, des syndicats, des organisations de femmes, des organisations LGBTQI, des groupes indigènes, des organisations ethniques, des organisations de la société civile et des mouvements sociaux du monde entier. Cette marche et la grande cérémonie d'ouverture qui a suivi ont marqué le début du FSM 2024 à Katmandou.

Le Forum social mondial trouve son origine dans les mouvements de la société civile qui ont émergé contre la mondialisation à la fin des années 1990, ce qui a donné lieu au premier FSM à Porto Alegre, au Brésil, en 2001. Le processus d'organisation du FSM 2024 a débuté en novembre 2022, lorsque le Népal a été sélectionné comme pays d'accueil potentiel pour la 16e édition du FSM. Le processus de sélection a été mené par le Conseil international (CI) et le Forum social Asie-Pacifique (FSAP).

En mars 2023, le CI a décidé que le Népal serait le pays hôte et que Katmandou serait la ville. Cette décision a été immédiatement suivie par la mobilisation d'un conseil général, d'un comité d'organisation et de divers sous-comités au Népal, dont les membres travaillent bénévolement, tous et toutes déterminé.es à faire du FSM 2024 un succès.

Le comité d'organisation népalais (NOC) a ensuite entamé une planification minutieuse et a procédé à une mobilisation de masse dans le monde entier, ainsi qu'au lancement du site web du FSM. Les inscriptions organisationnelles et individuelles ont été mises en place, le Bhrikuti Mandap a été choisi comme lieu d'accueil et le comité d'organisation a tenu des réunions hebdomadaires pour suivre les progrès et faciliter les processus. Un programme de bénévolat a été lancé, ainsi qu'un programme d'applications. Tous les préparatifs visaient à assurer le bon déroulement du FSM 2024 à Katmandou.

Le calendrier du FSM a été finalisé après la date limite d'inscription, fin janvier. Les participant.es ont commencé à arriver en grand nombre pour le FSM et la cérémonie d'ouverture a commencé le 15 février avec le Bhrikuti Mandap rempli de personnes de tous les coins du monde, à la recherche d'espoir, d'inspiration et de solidarité.

Le FSM 2024 a vu plus de 50 000 participant.es, avec plus de 1400 organisations de six continents et 98 nations. Le Forum intercontinental de la jeunesse s'est déroulé simultanément avec 410 participant.es de plus de 30 nations. Plus de 400 activités ont été enregistrées, sous treize thèmes variés, y compris (mais sans s'y limiter) l'économie, la migration, la discrimination, le genre, la culture, la guerre et la paix, le changement climatique, les groupes indigènes, les droits humains, les mouvements sociaux, etc. La place des déclarations d'aujourd'hui a vu plus de 60 déclarations d'organisations du monde entier, s'engageant à continuer à travailler à la réalisation d'un autre monde, plus équitable et plus juste.

e FSM doit son succès à divers mouvements sociaux, institutions, organisations et individus. Nous souhaitons exprimer notre gratitude à Antonio Guterres, le Secrétaire général de l'ONU, pour son soutien et son message de solidarité. Nous remercions du fond du cœur les distinguées personnes intervenantes de notre cérémonie d'ouverture.

Nous remercions toutes les facultés, le personnel et les étudiant.es des campus Ratna Rajya, Nepal Law Campus et Balmiki Campus de l'université de Tribhuvan, ainsi que tout le personnel de Bhrikuti Mandap pour avoir mis à disposition les lieux pour le FSM 2024. Nous remercions la ville métropolitaine de Katmandou, la ville métropolitaine de Lalitpur, le bureau de l'administration du district de Katmandou, l'Office du tourisme du Népal, la police népalaise et le gouvernement du Népal pour leur soutien.
Nous remercions les forces de sécurité sur le site, les bénévoles du FSM qui nous ont donné de leur temps et de leurs efforts, la fédération des ONG du Népal qui a mis gratuitement ses bureaux à la disposition du secrétariat, la Fédération nationale des personnes handicapées du Népal qui a mis gratuitement ses bureaux à la disposition du secrétariat pendant le FSM, M. Pushpa Lal Shrestha, une personne habitant la municipalité de Budhanilkantha, qui a fourni gratuitement l'eau potable, et le Comité de gestion du Bhrikuti Mandap. Nous sommes reconnaissant.es à Phect Nepal et à l'hôpital Kathmandu Model de nous avoir fourni gratuitement un soutien médical et des ambulances pendant les cinq jours du FSM.

En outre, nous sommes reconnaissant.es aux membres de notre conseil international pour leur soutien continu, leurs suggestions et leurs efforts de collaboration, ainsi qu'au comité de facilitation Asie-Pacifique pour son soutien, ses conseils et pour avoir comblé les lacunes en matière de communication. Nous remercions les membres de la sous-commission du CNO pour leurs efforts inlassables afin de faire de cet événement un succès. Nous remercions toute la presse et le personnel des médias pour leur couverture et leur participation.

Enfin, nous remercions l'équipe du secrétariat pour ses efforts dévoués à la réussite du FSM 2024.
Enfin, nous vous remercions d'avoir participé à ce magnifique voyage et de faire partie de l'histoire et de l'héritage du FSM.

Comité d'organisation du Népal
19 février 2024

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Défendons tous les peuples contre les impérialismes, d’où qu’ils viennent !

5 mars 2024, par Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) — , , , , ,
Il y a près de deux ans, la Russie lançait une guerre d'invasion brutale contre l'Ukraine. Enchaînant les crimes de guerre, l'armée russe a massacré des civilEs et bombardé (…)

Il y a près de deux ans, la Russie lançait une guerre d'invasion brutale contre l'Ukraine. Enchaînant les crimes de guerre, l'armée russe a massacré des civilEs et bombardé massivement des villes ukrainiennes, pour tenter d'intégrer l'Ukraine dans « l'espace » dominé par la Russie…

20 février 2024 | tiré de l'Hebdo anticapitaliste
https://nouveaupartianticapitaliste.org/actualite/international/defendons-tous-les-peuples-contre-les-imperialismes-dou-quils-viennent

Soutenir la résistance populaire ukrainienne

Au-delà des millions de réfugié·es et de déplacé·es, des dizaines de milliers de victimes civiles et de soldat·es ukrainien·nes ont déjà payé le prix de cette guerre. Les annexions illégales et les crimes de guerre se multiplient : russification forcée d'enfants et des territoires occupés, pluies de missiles sur les infrastructures… La Russie de Poutine utilise quant à elle ses prisonnier·es et populations pauvres comme chair à canon.

Nous sommes totalement solidaires du peuple ukrainien. Les troupes russes doivent quitter l'ensemble du territoire ukrainien, et chaque région ukrainienne doit pouvoir faire valoir son droit démocratique à l'auto-détermination. Les sanctions économiques doivent être renforcées contre l'oligarchie au pouvoir en Russie, la dette ukrainienne doit être annulée, et le peuple ukrainien doit recevoir des aides financières et les armes pour protéger ses vies, ses infrastructures vitales et ses droits.

Nous soutenons particulièrement la gauche ukrainienne qui continue à lutter pour les droits sociaux remis en cause par le gouvernement Zelensky, sous la pression des grandes puissances occidentales. Ces politiques néolibérales, mais aussi la répression politique contre la gauche, affaiblissent la résistance populaire ukrainienne.

Combattre le régime ultra-autoritaire de Poutine

En Russie, Poutine emprisonne les opposant·es… quand il ne les assassine pas comme c'est le cas d'Alexeï Nalvany (même si nous ne partagions pas ses positions nationalistes et racistes, son soutien à l'annexion de la Crimée). Des centaines de ses partisan·nes ont été arrêté·es pour avoir osé manifester leur colère face à cet assassinat.

Notre solidarité va à celles et ceux qui, au sein de la fédération de Russie, combattent la guerre, la corruption de l'oligarchie russe qui tient les rênes du pouvoir politique et économique, et résistent au régime de plus en plus fascisant de Poutine. C'est le cas de la gauche russe, ainsi que de personnalités comme le politologue et sociologue marxiste Boris Kagarlitsky, condamné à une peine de cinq ans de prison, notamment pour avoir pris position contre la guerre en Ukraine.

De l'Ukraine à la Palestine, l'occupation est un crime

Les grandes puissances membres de l'OTAN veulent tirer de la guerre en Ukraine le plus grand profit possible et globalement préserver leur « sphères d'influence » sur le dos des peuples. Dans un contexte où la Russie et la Chine contestent l'hégémonie occidentale mais n'y opposent aucune alternative progressiste, la course aux armements et la surenchère militariste, en Ukraine comme ailleurs, sont lourdes de danger pour l'ensemble de l'humanité.

Il faut dénoncer les discours hypocrites des États-Unis ou de l'Union européenne qui prétendent défendre « la démocratie » en Ukraine contre l'occupation russe… et soutiennent l'État d'Israël dans sa politique génocidaire à Gaza. Ainsi la Cour internationale de Justice a souligné le risque de génocide à Gaza, où plus de 30 000 GazaouiEs ont été assassiné·es (dont 70% de femmes et d'enfants). Et Netanyahu annonce qu'il veut finir le travail à Rafah où 1,8 million de Palestinien·nes sont réfugié·es dans des conditions épouvantables !

Cela rend d'autant plus urgent et nécessaire de développer concrètement la solidarité : peser sur nos gouvernements pour les forcer à infléchir leur politique (notamment en manifestant le plus massivement possible), participer aux campagnes comme BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions) contre l'État d'Israël ou aux réseaux solidaires de la résistance ukrainienne, aider les populations victimes des guerres, et soutenir les forces de résistance armées et non armées.

Mardi 20 février 2024

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Panama : Stop attaques contre Suntracs

5 mars 2024, par IBB (Internationale des travailleurs du Bâtiment et du Bois) — , ,
Action conjointe avec l'IBB (Internationale des travailleurs du Bâtiment et du Bois), il concerne une fédération syndicale internationale regroupant 361 syndicats libres et (…)

Action conjointe avec l'IBB (Internationale des travailleurs du Bâtiment et du Bois), il concerne une fédération syndicale internationale regroupant 361 syndicats libres et démocratiques, représentant un total de 12 millions de travailleurs dans les secteurs de la construction, des matériaux de construction, du bois, de la sylviculture et des secteurs connexes dans 115 pays. La mission principale de l'IBB est de sauvegarder et de promouvoir les droits des travailleurs afin d'améliorer leurs conditions de travail et de vie, en affirmant que les droits syndicaux sont intrinsèquement des droits de l'homme, enracinés dans les principes d'égalité, de solidarité et de démocratie.

Tiré de Entre les lignes et les mots

L'Internationale des travailleurs du Bâtiment et du Bois (IBB) et LabourStart vous demandent instamment de vous joindre à nous pour exiger du gouvernement panaméen qu'il respecte la liberté d'association et cesse de persécuter les syndicats. SUNTRACS, le Sindicato Único Nacional de Trabajadores de la Indústria de la Construcción y Similares de Panamá, et ses dirigeants, sont objet de persécutions, de répressions et d'intimidations de la part des autorités panaméennes en raison de leur rôle de premier plan dans les manifestations qui ont fait échouer l'octroi d'une concession minière de 40 ans à la société transnationale First Quantum Minerals. La politique d'extraction aurait provoqué de graves dommages sociaux et environnementaux. En raison de ces manifestations, les syndicalistes sont accusés à tort de terrorisme.

Les dirigeants de SUNTRACS, Saúl Méndez, Secrétaire Général, Jaime Caballero, Secrétaire aux Relations Extérieures, ainsi que le dirigeant de la comarca Toribio García et l'enseignant Diógenes Sánchez sont poursuivis par le Ministère Public, accusés d'avoir commis des crimes contre la liberté et l'ordre économique au détriment de la société panaméenne. En outre, le 13 novembre, l'entreprise publique Caja de Ahorros a fermé les comptes bancaires de SUNTRACS, dans le cadre d'une action délibérée visant à entraver le droit de manifester et l'exercice de la liberté d'association, ce qui a entraîné une ingérence illégale de l'État dans la vie syndicale sur la base de fausses accusations de terrorisme.

Le syndicalisme n'est pas un crime ! Les syndicats ne devraient pas être criminalisés pour leur mobilisation en faveur de la défense des droits sociaux et environnementaux !

Nous demandons au gouvernement panaméen de mettre fin immédiatement à la persécution de SUNTRACS et de respecter la liberté d'association !

Vous pouvez nous aider ! Saisissez votre nom et votre adresse électronique et cliquez sur « Envoyer le message » au bas de cette page.

https://www.labourstartcampaigns.net/show_campaign.cgi?c=5385

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Burkina Faso : une école des mamans pour lutter contre la mortalité maternelle

5 mars 2024, par Amélie David — , ,
La sage-femme spécialisée en soins obstétricaux et gynécologiques, Agnès Hien, a fondé une « école des mamans » dans la capitale du Burkina Faso, Ouagadougou. Malgré les (…)

La sage-femme spécialisée en soins obstétricaux et gynécologiques, Agnès Hien, a fondé une « école des mamans » dans la capitale du Burkina Faso, Ouagadougou. Malgré les réticences des premières années, de plus en plus de femmes, et leurs maris, viennent s'y préparer à l'accouchement.

Tiré de Journal des Alternatives
https://alter.quebec/burkina-faso-une-ecole-des-mamans-pour-lutter-contre-la-mortalite-maternelle/?utm_source=Cyberimpact&utm_medium=email&utm_campaign=JdA-PA-2024-02-29
Par Amélie David -27 février 2024

crédit photo : Amélie David

« Allez ! On lève les jambes… » Sur une musique rythmée, un groupe de six femmes enceintes suivent avec attention les instructions d'Agnès Hien, sage-femme burkinabè. Après les cours théoriques sur la gestion des douleurs ou l'allaitement,

place à la séance de sport. « Tu es fatiguée, tu veux que bébé sorte…lance Agnès Hien à sa classe. On lève les bras et un, deux, trois… » L'école des mamans a ouvert ses portes en 2020 à Ouagadougou.

Agnès Hien a créé cette structure après être revenue d'une mission au Maroc, où elle a découvert les bienfaits de l'accompagnement des futures mamans. « Je suis sage-femme depuis 20ans et j'ai vu comment, ici au Burkina Faso, elles souffrent pendant l'accouchement ici au Burkina Faso. Depuis de nombreuses années, cela me trottait dans la tête d'améliorer leur préparation à l'accouchement », expose la sage-femme, qui a créé cette école particulière avec ses fonds personnels et l'aide de ses proches.

Une réduction de la mortalité toujours insuffisante

D'après un rapport de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS)de 2017, le niveau de mortalité maternelle au Burkina Faso est de 330décès pour 100000 naissances dans le pays. Dans une étude intitulée La lutte contre la mortalité maternelle au Burkina Faso est-elle adaptée pour réduire les trois retards ?parue dans la revue Santé publique, Issiaka Sombié explique qu'au Burkina Faso : « Le ratio de mortalité maternelle a connu une réduction passant de 727 à 371 pour 100000 naissances vivantes entre 1990 et 2015. Cette amélioration a cependant été jugée insuffisante, car n'ayant pas permis d'atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement. »

Agnès Hien a elle-même été confrontée à cette triste réalité. « Une femme est décédée en couche alors que ce décès était évitable, si seulement elle était arrivée plus tôt… », soupire-t-elle toujours la professionnelle. Dans ces cours, la professionnelle de santé sensibilise aussi ses patientes-élèves à la connaissance de leur propre corps, de leurs besoins et de leurs attentes. « Donner la vie, c'est important. Quand une personne arrive à accoucher sans problème, je suis heureuse », continue la sage-femme qui accompagne parfois ses patientes jusque dans la chambre d'hôpital.

C'est le cas de Laurette Nikiema, une élève à l'école des Mamans, qui a été assistée d'Agnès Hien pour mettre au monde son premier enfant. Pour sa deuxième grossesse, elle est revenue suivre des cours de préparation à l'accouchement. « Je viens ici pour apprendre à mieux gérer la douleur et prendre soin du bébé après…Et puis les séances de sport sont très bénéfiques…ça te fatigue dans le bon sens et, ensuite, tu es prête pour la compétition ! », déclare la jeune maman dans un rire.

Comme elle, les autres élèves aimeraient que l'approche d'Agnès Hien se démocratise et que de plus en plus de Burkinabè rejoignent les bancs de son école. « Il faut vraiment oser venir. Bien souvent, les femmes ne voient que la douleur, mais un accouchement peut se passer autrement si on est bien préparé », ajoute Elsa Kaboré, enceinte de huit mois.

Avoir les partenaires présents et aller dans les campagnes

Les débuts de l'aventure de l'école des mamans ont été difficiles. Agnès Hien attribue ça à des idées arrêtées sur la maternité et l'accouchement. « Il ne faut pas que les gens pensent que c'est juste une histoire de Blancs… » Aujourd'hui environ 200 futures mamans suivent les cours de l'école. Parfois, elles sont accompagnées par leurs partenaires. « En général, les maris financent, explique Agnès. Mais n'accompagnent pas assez, il faut changer cela. »

Autre défi à relever pour la sage-femme : celui des moyens matériels financiers pour aller dans les zones les plus reculées du Burkina Faso. Cette année, elle s'est rendue auprès des populations rurales pour donner quelques séances où des Personnes déplacées internes (PDI) ont pu participer. « Mais il faut y aller plus souvent, car c'est là qu'il y a le plus de mortalité maternelle. »

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Sénégal : Les calculs électoraux de Macky Sall

5 mars 2024, par Paul Martial — , ,
La Cour constitutionnelle vient d'infliger un cinglant démenti à Macky Sall en refusant d'avaliser la prolongation de son mandat présidentiel. Cela ne l'empêche nullement de (…)

La Cour constitutionnelle vient d'infliger un cinglant démenti à Macky Sall en refusant d'avaliser la prolongation de son mandat présidentiel. Cela ne l'empêche nullement de continuer ses manœuvres.

Tiré d'Afrique en lutte.

La famille libérale a fait taire ses divergences pour préparer un coup tordu. Le parti du président, l'Alliance pour la République (APR), et le Parti démocratique sénégalais (PDS) ont voté la mise en place d'une commission d'enquête visant deux juges du Conseil constitutionnel accusés de corruption.

Préserver le régime
En cause, l'interdiction pour Karim Wade, leader du PDS, de se présenter du fait de sa double nationalité franco-sénégalaise.

Saisissant ce prétexte, Sall avait différé les élections. Aussitôt la coalition libérale votait une loi repoussant les élections à la mi-décembre 2024 et prolongeant le mandat présidentiel. Chacun y trouvait son compte : le PDS pour tenter de remettre en selle son candidat, et le camp présidentiel pour affiner son plan électoral au vu de prévisibles résultats médiocres du Premier ministre Amadou Ba.

Leur but est de construire une coalition libérale visant au second tour à faire barrage à Bassirou Diomaye Faye, le candidat de substitution d'Ousmane Sonko. Si les deux dirigeants nationalistes sont en prison, Faye conserve son éligibilité, contrairement à Sonko, et semble être un des favoris de ce scrutin.

Manœuvres en tous genres
Au vu de leur position sur les coups d'État au Mali, au Burkina Faso et au Niger, les puissances occidentales ne pouvaient pas faire moins que de prendre leurs distances avec les manigances de Macky Sall. Certainement sensible à cette situation, la Cour constitutionnelle, dans son rendu du 15 février, déclare que le président ne peut aller au-delà de la fin de son mandat, soit le 2 avril, et enjoint les autorités à organiser les élections dans les plus brefs délais. Macky Sall a déclaré qu'il respecterait cette décision. Depuis, plus rien… ou plutôt si, l'ouverture d'un dialogue national qui s'accompagne de la libération de quelques centaines de prisonniers politiques sur plus d'un millier. Cette concertation nationale risque d'être une gageure entre celles et ceux qui souhaitent le maintien de la liste des candidats et celles et ceux qui ambitionnent la présence de Wade aux élections. Elle peut être aussi l'objet d'un marchandage, avec en ligne de mire la libération de Bassirou Faye voire d'Ousmane Sonko.

La plupart des candidats refusent ce dialogue et exigent une date pour le scrutin présidentiel. Même position pour la coalition « Aar Sunu Élection » (Protégeons notre élection) organisatrice d'une manifestation samedi dernier rassemblant des milliers de personnes. Il est clair que Macky Sall est prêt à aller jusqu'au bout pour maintenir en place ce régime. Il n'a pas hésité à réprimer dans le sang les manifestations, emprisonner les opposantEs, fermer des médias, couper internet et dissoudre le PASTEF (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité), le parti de Sonko. Il a plongé le pays dans une grave crise politique et tente de continuer dans la même voie pour protéger une élite soucieuse de son seul avenir.

Paul Martial

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Conséquences de la guerre au Soudan et de l’instabilité au Niger : El Koufra, nouveau carrefour migratoire sahélo-maghrébin

5 mars 2024, par Mourad Sellami — , , ,
Le porte-parole du Conseil municipal d'El Koufra, Abdallah Souleymane, joint au téléphone par El Watan, a déclaré que « la situation des réfugiés soudanais est confuse (…)

Le porte-parole du Conseil municipal d'El Koufra, Abdallah Souleymane, joint au téléphone par El Watan, a déclaré que « la situation des réfugiés soudanais est confuse puisqu'ils entrent en ville de manière désordonnée, ce qui empêche le Conseil municipal d'évaluer les besoins de manière rationnelle, même après avoir introduit la carte de réfugié ».

Tiré d'El Watan.

Abdallah Souleymane a déploré « l'absence de statistiques fiables concernant le nombre de réfugiés, faute d'organisme de prise en charge et en raison de l'effritement des arrivants dans les champs et les demeures délaissées entourant l'oasis d'El Koufra, en plus des nombreux départs vers Sebha, Benghazi et Tripoli ».

Le responsable municipal a toutefois avancé le chiffre de « milliers », très loin des 400 000 réfugiés annoncés par le président du programme de lutte contre la migration irrégulière, Malek Dijaoui, dont l'organisation assure que « le chiffre réel de Soudanais ayant fui leur pays vers la Libye avoisinerait le million ».

Les Soudanais ne sont plus uniquement à Sebha, El Gatroun ou El Koufra au Sud libyen où leurs nouvelles ne sont pas très médiatisées, hormis quelques vidéos à travers les réseaux sociaux. Beaucoup de Soudanais sont déjà montés au Nord et encerclent depuis plusieurs jours le siège du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) à Tripoli, pour obtenir des cartes de réfugiés leur permettant d'être pris en charge par les Nations unis.

Pour faire les 1800 kilomètres séparant El Koufra de Tripoli, ces colonnes de Soudanais ont bénéficié de complicités diverses parmi les forces sécuritaires contrôlant les axes routiers qu'ils soient à l'Est, sous le contrôle de Khalifa Haftar, ou à l'Ouest, sous le contrôle des forces du gouvernement d'Union nationale.

« Il suffit de payer pour passer. Cela est valable aussi bien pour la traversée des frontières que pour aller vers le Nord », assure-t-on sous couvert de l'anonymat. « Il y aurait même des traversées sécurisées vers l'Italie moyennant 2000 euros », ajoute la même source.

Soucis

Abdallah Souleymane déplore la situation difficile vécue par les Soudanais pour arriver à El Koufra et y survivre. « La ville soudanaise la plus proche se trouve à près de 700 kilomètres, c'est le troisième choix possible après le Tchad et l'Egypte. Certains préfèrent la Libye et les Libyens parce que les conditions matérielles sont meilleures », ajoute le porte-parole du Conseil municipal d'El Koufra. Souleymane regrette, néanmoins, les moyens limités de la commune isolée dans le désert et très éloignée des autres villes libyennes, ce qui rend davantage difficile son approvisionnement en besoins élémentaires de vie.

Le porte-parole de la commune ne cache pas non plus ses soucis sécuritaires puisque « des criminels et des terroristes peuvent filtrer parmi ces colonnes désordonnées de réfugiés et en l'absence d'un véritable contrôle à la frontière ou d'un quelconque recensement fiable à l'accueil ici ».

Il est utile de rappeler que l'oasis libyen d'El Koufra, au Sud-Est libyen, est considéré comme l'entrée africaine de la Libye et la plaque tournante nord de la migration clandestine, en opposition avec la ville nigériane d'Agadez, carrefour sud des migrants irréguliers subsahariens.

El Koufra se trouve, certes, à 1500 kilomètres au nord-est d'Agadez mais à quelques centaines de kilomètres des frontières soudanaises et tchadiennes. El Koufra se trouve donc à proximité immédiate des turbulences, puisque c'est la province soudanaise de Darfour qui la côtoie au Soudan.

Et bien que distante respectivement de 1000 et 1800 kilomètres des principales villes libyennes de Benghazi et Tripoli, l'oasis d'El Koufra est un passage obligé pour les migrants, plus que Sebha, capitale de la province Fezzan du Sud libyen et distante de plus de 900 kilomètres vers l'Ouest.

Les colonnes de rescapés de la guerre du Soudan et de migration irrégulière d'Ethiopie et d'Erythrée chutent à El Koufra, la petite localité confrontée à un défi humanitaire croissant.

Tunis
De notre correspondant Mourad Sellami

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Human Rights Watch accuse le Burkina Faso d’enlèvements d’opposants

5 mars 2024, par MondAfrique — , ,
La junte au pouvoir au Burkina Faso organise l'enlèvement d'activistes de la société civile et d'opposants politiques « dans le cadre de sa répression de la dissidence (…)

La junte au pouvoir au Burkina Faso organise l'enlèvement d'activistes de la société civile et d'opposants politiques « dans le cadre de sa répression de la dissidence pacifique » accuse Human Rights Watch dans un communiqué diffusé le 28 février.

Tiré de MondAfrique.

Depuis fin novembre 2023, précise Human Rights Watch, « des hommes non identifiés ont enlevé au moins six activistes et membres de partis d'opposition dans la capitale, Ouagadougou, dans ce qui semble constituer des disparitions forcées. »

« Les autorités burkinabè ont recours à des méthodes de plus en plus brutales pour punir et réduire au silence les personnes perçues comme des détracteurs et des opposants », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel au sein de l'ONG de défense des droits humains. « Les autorités devraient enquêter de toute urgence et de manière impartiale sur tous les enlèvements, les disparitions forcées et les conscriptions abusives, et remettre en liberté les personnes injustement détenues ».

Un mode opératoire identique
Le 20 février 2024, des hommes armés en tenues civiles ont enlevé Rasmané Zinaba, un membre du Balai Citoyen, à son domicile à Ouagadougou. « Au moins quatre hommes en armes sont venus le chercher entre 6h15 et 6h30 du matin », a affirmé un membre du Balai citoyen à Human Rights Watch. « Ils l'ont emmené à bord d'un véhicule civil ».

Le lendemain, ce fut le tour de son collègue Bassirou Badjo, enlevé au ministère des Affaires humanitaires. Ce jour-là, le Balai citoyen a publié une déclaration condamnant les enlèvements et exigeant la libération immédiate de ses membres. Les familles de ces hommes et le Balai citoyen ont porté plainte auprès de la police mais cette démarche n'a connu aucune suite.

Un peu plus tôt, dans la nuit du 24 au 25 janvier, des hommes non identifiés ont enlevé, à l'aéroport international de la capitale, Guy Hervé Kam, avocat de premier plan et coordinateur du mouvement politique Servir et non se servir (SENS). Dans les heures suivantes, le mouvement a publié un communiqué affirmant que « des hommes en civil se présentant comme des membres des services nationaux de renseignement du pays » avaient appréhendé Guy Hervé Kam et l'avaient emmené en voiture vers une destination inconnue.

Un mois plus tôt, le 24 décembre 2023 vers 18h30, Ablassé Ouédraogo, 70 ans, ancien ministre des Affaires étrangères du Burkina Faso et président du parti d'opposition Le Faso Autrement, avait également été pris à son domicile à Ouagadagou par « des individus qui se sont présentés comme étant des éléments de la police nationale ».

Avant lui, le 1er décembre, c'est Daouda Diallo, éminent défenseur des droits humains et secrétaire général du Collectif contre l'Impunité et la Stigmatisation des Communautés (CISC), qui avait été emmené de force en sortant du service des passeports du gouvernement, après y avoir rencontré des agents pour renouveler son passeport. On ignore toujours où il se trouve.

Le même sort avait été réservé le 29 novembre à Lamine Ouattara, un membre du Mouvement burkinabè des Droits de l'Homme et des Peuples (MBDHP).

La conscription forcée

Début novembre, les forces de sécurité burkinabè, s'appuyant sur une loi d'urgence de vaste portée, avaient notifié à au moins une douzaine de journalistes, d'activistes de la société civile et de membres de partis d'opposition, dont Daouda Diallo, Ablassé Ouédraogo, Rasmané Zinaba et Bassirou Badjo, qu'ils seraient enrôlés pour participer aux opérations de sécurité du gouvernement.

Le 18 février, Ablassé Ouédraogo et Daouda Diallo sont apparus dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux, en tenue de camouflage militaire, munis de fusils d'assaut kalachnikov et participant à des exercices militaires, probablement dans une zone de conflit. Human Rights Watch n'a pas été en mesure de vérifier l'authenticité de cette vidéo. Les autorités n'ont jamais fourni la moindre information à propos du lieu où se trouvent Ablassé Ouédraogo et Daouda Diallo ou à propos des autres personnes récemment enlevées.

Les autorités militaires de transition ont affirmé que les ordres de conscription émis en novembre étaient autorisés dans le cadre de la mobilisation générale décrétée le 13 avril 2023, qui s'inscrit dans un plan de reconquête des zones tombées aux mains des groupes armés islamistes, soit environ la moitié du territoire national. Ce plan vise à créer un « cadre juridique, légal à l'ensemble des actions à mettre en œuvre pour faire face » aux insurgés et il donne au Président des pouvoirs étendus pour combattre l'insurrection, notamment celui de réquisitionner des personnes et des biens et de restreindre les libertés publiques. Cependant, des organisations de la société civile nationale, des organisations de protection des médias, des syndicats et des organisations internationales de défense des droits humains ont fermement condamné le décret de mobilisation générale, arguant qu'il a été utilisé pour réduire au silence la dissidence pacifique.

« Si les gouvernements sont effectivement habilités à conscrire des membres de la population civile âgés de plus 18 ans à des fins de défense nationale, la conscription ne devrait avoir lieu que si elle a été dûment autorisée et est conforme à la loi nationale. La loi de conscription doit respecter des normes d'équité dans la répartition de la charge du service militaire. Elle doit être appliquée de manière à ce que le conscrit potentiel soit informé de la durée du service militaire et qu'il ait la possibilité de contester l'obligation de servir à ce moment-là. La conscription doit aussi être effectuée selon des normes conformes aux principes de non-discrimination et d'égalité devant la loi », martèle Human Rights Watch.

Des conscriptions illégales, selon un tribunal

Le 6 décembre, un tribunal de Ouagadougou saisi par une plainte du journaliste Issiaka Lingani et des activistes du Balai citoyen Bassirou Badjo et Rasmané Zinaba, qui avaient reçu des notifications de conscription en novembre, avait déclaré que ces conscriptions étaient illégales, violaient leurs droits à la liberté d'expression et de déplacement et constituaient un risque pour leur intégrité physique, avant d'ordonner leur suspension. Guy Hervé Kam, l'avocat enlevé en janvier, était l'un de leurs défenseurs.

Des activistes des droits humains et des journalistes ont déclaré à Human Rights Watch qu'ils évitaient de s'exprimer publiquement sur la junte de peur d'être conscrits. « Nous sommes paralysés par la peur », a déclaré un membre du SENS le 26 janvier. « Même organiser une conférence de presse, l'un de nos droits les plus fondamentaux, devient un acte héroïque ». Un défenseur des droits humains basé dans la région du Sahel a déclaré : « Un journaliste m'a appelé pour que je commente une récente attaque par des combattants islamistes armés présumés dans la ville d'Essakane. Je lui ai dit : ‘Voulez-vous que je sois conscrit ?' Exprimer votre opinion sur la situation du pays en matière de sécurité peut vous envoyer directement au front, c'est la réalité ».

« Depuis le coup d'État d'octobre 2022, la junte militaire du Burkina Faso réprime de plus en plus la dissidence pacifique et les médias, réduisant l'espace civique dans le pays. Les journalistes nationaux et internationaux, ainsi que les membres de la société civile, subissent de plus en plus d'actes de harcèlement, de menaces et d'arrestations arbitraires », écrit Human Rights Watch.

L'organisation rappelle à cette occasion que « le Burkina Faso est un État partie à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées », en vertu de laquelle « un État commet une disparition forcée lorsque les autorités gouvernementales ou leurs agents détiennent une personne tout en refusant de reconnaître la privation de liberté ou en dissimulant le sort de la personne ou le lieu où elle se trouve, ce qui la soustrait à la protection de la loi. »

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Algérie – République arabe sahraouie démocratique

5 mars 2024, par Yazid Ben Hounet — , ,
Près d'un demi-siècle d'exil, une pandémie, la reprise du conflit armé (novembre 2020)4, l'inflation des prix en Europe et en Afrique du Nord, la réduction des moyens alloués (…)

Près d'un demi-siècle d'exil, une pandémie, la reprise du conflit armé (novembre 2020)4, l'inflation des prix en Europe et en Afrique du Nord, la réduction des moyens alloués par les ONG internationales, impactent négativement les conditions de vie des Sahraouis. La vie ici est devenue encore plus pénible. Pourtant les Sahrouis conservent leur dignité et, par-dessus tout, l'espoir de libérer leur patrie.

Smara, campement de réfugiés sahraouis.

Mohamed S., assis, fixe la pièce. L‘âge, ses problèmes de tension et la lumière l'accablent. Il me parle d'une voix gracile. Il est né en 1950 à Laayoune, en territoire actuellement occupé par le Maroc. Son épouse, Maglaha, est native d'Oum Drayga, située plus au sud, à l'intérieur des terres. Tous deux ont fui leur foyer, et l'occupation, en 1975. Mohamed a rejoint le front Polisario et la famille s'est installée à Smara, le plus grand des camps réfugiés, à proximité de Tindouf (Sud-Ouest algérien). Ils habitent une petite maison en parpaings, construite juste à coté de leur tente. Près de cinquante années d'exil et de volonté de retour se retrouvent matérialisés par ces deux abris : la tente qui représente leur identité originellement nomade, leur provenance, le Sahara occidental, et la possibilité du retour. La maison, rustique, qui matérialise la fixation, et ce presque demi-siècle passé dans les camps.

« Allah yarham shuhadâ ! »1

Mohamed S. avait trois frêres. Il n'en a plus qu'un, blessé, habitant le camp de réfugiés de Laayoune. Son grand frère, Mukhtar, est mort au combat en 1977. Un autre frère, Hama, est décédé au front l'année suivante. Un oncle du côté paternel et deux du coté maternel figurent également parmi les martyrs de la famille proche. Son épouse a, elle, perdu deux frères en 1976, et un autre tout récemment en décembre 2020, lors de la reprise du conflit armé. Trois frères morts en martyrs : « Allah yarham shuhadâ ! ».

Cela fait tout juste quatre jours que je réside dans le camp de Smara. Outre les salutations d'usage – « Salam ‘alaikum » – je me rends compte que la formule que j'utilise le plus est bien celle-ci : « Allah yarham shuhadâ ! » Non pas par envie, mais c'est bien la seule qui s'impose quand j'écoute les Sahraouis me narrer leurs propres histoires. Presque toutes les personnes que je rencontre ont un ou plusieurs shahid (sg.)/shuhadâ (pl.) parmi leurs proches. Je saisi, ici, l'ampleur des sacrifices consentis par ce peuple. En raisonnance, je ne peux m'empécher de penser à ceux des Algériens.

Je les écoute. Un autre constat s'impose. Les Sahraouis savent très bien pourquoi ils luttent. Encore faut-il daigner les écouter, leur donner la parole. Pour leurs droits inaliénables, pour leurs terres, pour leur patrie, pour leur liberté et l'indépendance. Certes. Mais plus encore. Il ne s'agit pas, pour eux, de vains mots, de belles idées ou de quelconques utopies. Chaque martyr les rappelle personnellement, familialement et communautairement à leur « juste cause ».
Ici, je saisi encore davantage leurs liens profonds avec l'Algérie. On me témoigne, en tant qu'Algérien, un fort sentiment de fraternité. Non pas simplement une reconnaissance en raison du soutien que le pays leur apporte. Cela va plus loin encore. Ils connaissent très bien et s'identifient pleinement à l'histoire et aux positions du pays « au million et demi de martyrs », comme je l'ai souvent entendu ces derniers jours.

La presse francaise – qui invisibilise très souvent les Sahraouis – a ses formules. Le lecteur y apprend que le « Polisario est un mouvement indépendantiste, soutenu par l'Algérie », formule lapidaire qui rend opaque l'occupation illégale du Maroc sur le Sahara occidental2 et qui joue sur le ressenti à l'égard de l'ancienne colonie, l'Algérie. Le lecteur y apprend par contre rarement, si ce n'est jamais, que les Sahraouis ont un Etat – la République arabe sahraouie démocratique – qui plus est membre de l'Union Africaine depuis 1982.

« La République arabe sahraouie démocratique (RASD) » : mots employés sans ambage et de manière évidente par le représentant oficielle de l'Afrique du Sud, Dr. Sello Patrick Rankhumise, le 27 février 2024 en s'adressant aux autorités et aux membres de la population sahraouie, dans le camp refugié de Smara. Son discours de soutien a eu lieu à l'occasion du 48e anniversaire de la proclamation de la RASD3, en présence de Brahim Ghali, son président. L'Afrique du Sud : un autre grand pays africain, parmi les nombreux soutiens de la cause sahraouie, comme on oublie bien souvent de le préciser dans les ex-puissances coloniales.

Près d'un demi-siècle d'exil, une pandémie, la reprise du conflit armé (novembre 2020)4, l'inflation des prix en Europe et en Afrique du Nord, la réduction des moyens alloués par les ONG internationales, impactent négativement les conditions de vie des Sahraouis. La vie ici est devenue encore plus pénible5. Pourtant les Sahrouis conservent leur dignité et, par-dessus tout, l'espoir de libérer leur patrie.

En vérité, ici à Smara, je me rends compte également à quel point le peuple sahraoui soutient l'Algérie de la plus sincère des manières. Celle qui ne se monnaye pas. Moralement, spirituellement, en la rappelant à sa propre histoire, à ce quelque chose de sacré qui est le fondement de l'Algérie et de ces pays qui, comme l'Afrique du Sud et la Palestine6, savent quel est le prix de la liberté : « Allah yarham shuhadâ ! »
.
Ici, je repense encore plus régulièrement et plus intensément à ce dernier témoignage de Frantz Fanon (1961) :

« Nous ne sommes rien sur cette terre, si nous ne sommes d'abord les esclaves d'une cause : la cause des peuples, la cause de la justice et de la liberté. Et je veux que vous sachiez que même au moment où les médecins avaient désespéré, je pensais encore, oh dans le brouillard, je pensais au peuple algérien, aux peuples du Tiers-Monde et, si j'ai tenu, c'est à cause d'eux »*.

Plus que des impressions, j'ai acquis, à Smara, une certitude : l'Algérie est une nation indépendante soutenue par un peuple en lutte.

Qu'elle le demeure en n'oubliant surtout pas les Sahraouis !

Mercredi 28 février

Yazid Ben Hounet

* Lettre de Fanon envoyée peu de temps avant sa mort à son ami Roger Taïeb.

Notes
1. Littéralement : « Dieu accorde la miséricorde aux martyrs ! ».
2.Des mouvements indépendantistes pouvant en effet exister au sein de pays aux frontières légalement reconnues, dans des territoires non occupés
3. https://saharainfos.blogspot.com/2024/02/en-images-la-fete-nationale-sahraouie.html
4.https://www.thenewhumanitarian.org/news-feature/2023/02/01/Western-Sahara-Morocco-Polisario-Sahrawi-UN
5. https://saharainfos.blogspot.com/2024/02/ezza-bobih-des-milliers-de-refugies.html
6.https://lundi.am/Genocide-en-Palestine

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8M au Chili : La coordinatrice féministe classiste appelle à une journée de protestation dans tous les territoires

5 mars 2024, par La coordinatrice féministe classiste — , ,
Notre appel est de lutter l'indépendance de classe, de nous organiser dans tous les territoires, d'avancer dans la combativité, de construire des organisations féministes et (…)

Notre appel est de lutter l'indépendance de classe, de nous organiser dans tous les territoires, d'avancer dans la combativité, de construire des organisations féministes et populaires qui répondent aux besoins réels et immédiats de notre classe.

29 février 2024 | tiré de Rébellion

Ce 8 mars, nous appelons à la tenue de journées de protestation dans tous les territoires contre ce système politique et économique qui continue de rendre nos vies précaires, contre cette démocratie qui continue de sentir la dictature et la guerre ; et contre le régime patriarcal qui continue de perpétuer la violence contre nos corps, nos vies et nos communautés.

Camarades, nous sommes dans un moment politique de grande incertitude. Alors que les hommes d'affaires et les partis tentent de parvenir à un accord pour gérer la crise actuelle que nous traversons, en ne protégeant que leurs intérêts ; tandis que les féministes libérales tentent de continuer à institutionnaliser nos luttes ou de les réduire à quelques droits ; Nous avons au fond l'énorme tâche de nous retrouver et de nous retisser pour affronter ensemble ce régime de mort. C'est pourquoi, ce 8 mars, nous appelons à la désobéissance et à la rébellion, à descendre dans la rue et à déployer de manière créative différentes méthodes de lutte qui améliorent la vie des peuples et de leurs communautés, des femmes, des dissidents, des enfants et de toute la classe ouvrière.

La Journée internationale de la femme travailleuse nous oblige à regarder les conditions actuelles que nous vivons, où nous sommes toujours maintenues en esclavage dans un travail salarié avec des conditions de travail de plus en plus précaires, des salaires misérables et sans parler des garanties sociales minimales qui nous permettent de protéger notre sécurité, notre santé et notre éducation. Alors que dans le secteur privé, dans des millions de foyers, nous continuons d'être victimes d'exploitation dans le cadre du travail domestique et des soins, souvent dans des conditions de violence physique, sexuelle et économique. En tant que femmes et dissidentes, nous continuons à prendre soin du peuple, nous continuons à développer des tâches fondamentales pour que tout l'appareil productif soit possible, et il est temps d'élaborer des stratégies qui peuvent mettre fin à ces abus, confronter les patrons et proposer des alternatives pour politiser les soins et socialiser le travail domestique.

Nous dénonçons l'inefficacité de l'État en matière de protection des femmes et des dissidents, pour nous ils continuent d'être un élément perpétuel et complice de la violence qui nous harcèle, nous viole, nous tue et nous emprisonne chaque jour, ainsi que les médias, l'éducation sexiste et coloniale et les appareils répressifs. En tant que féministes autonomes et classistes, nous ne croyons qu'au pouvoir de notre organisation pour faire face à cette vague de violence, de féminicides et de crimes haineux contre la population LGTBQ+. L'État ne s'occupe pas de nous, nos camarades prennent soin de nous, et c'est pourquoi il est urgent d'élever la légitime défense. Que l'amour profond pour notre classe, pour nos filles/fils, nos mères et nos grands-mères nous pousse à descendre dans la rue et à lutter pour une vie digne, qui nous permette de nous épanouir pleinement.

L'histoire nous a montré que la seule façon d'avancer vers la conquête de notre émancipation est la lutte organisée et autonome. Nous ne sommes pas dupes des fausses histoires des puissants qui, alliés aux féministes libérales, cherchent à apaiser notre lutte, à nous rendre léthargiques avec des promesses de lois qui n'arrivent pas et si elles arrivent, ce ne sont que des patchs très éloignés des changements structurels dont nous avons besoin. Nous ne faisons pas confiance à l'État ni aux gouvernements en place, et encore moins à leur démocratie, qui, lors des honneurs qu'ils ont rendus à l'assassin de Piñera, nous a montré très clairement que la torture, les mutilations, la violence politique et sexuelle sont une partie fondamentale de ce régime. Boric et ses marionnettes serviles au pouvoir, avec leurs discours froids, maintiennent et aiguisent les lois répressives, criminalisant les protestations légitimes, emprisonnant et assassinant ceux d'entre nous qui décident de se soulever et de se rebeller contre ce système. À bas la loi anti-OPA, à bas la loi sur la gâchette !

Nous sommes solidaires des peuples d'Amérique latine et du monde qui se rebellent aujourd'hui contre la domination capitaliste, le colonialisme et l'impérialisme. Nous soulignons la lutte des peuples frères de Palestine, d'Argentine, d'Équateur, du Pérou, du Salvador, de Bolivie, qui vivent aujourd'hui les conséquences désastreuses de la cupidité et de la cruauté de ce système capitaliste, patriarcal et colonial.

Notre appel est de lutter pour notre indépendance de classe, de nous organiser dans tous les territoires, d'avancer dans la combativité, de construire des organisations féministes et populaires qui répondent aux besoins réels et immédiats de notre classe. Avançons dans l'articulation et l'union de nos luttes, dans la construction de l'autonomie populaire, pour continuer à construire des assemblées, des cordons d'économie solidaire, des réseaux d'approvisionnement, de communication et d'éducation populaire et féministe, pour continuer à lutter pour l'habitat et un logement décent, pour continuer à dénoncer le vol des AFP et à lutter pour la sécurité sociale ; continuer à défendre la terre contre l'exploitation forestière et l'extractivisme ; de continuer à construire et à lutter pour la production et la reproduction d'une vie digne pour nos peuples.

  • Que ce 8 mars soit celui de la lutte, pour soulever la protestation populaire dans tous les territoires !
  • Face à sa démocratie corrompue, meurtrière et libérale ; Ce 8 mars, organisation, unité et lutte populaire !
  • Face à la crise capitaliste, patriarcale et coloniale ; résistance féministe, ouvrière et populaire !
  • Si vous n'avez pas les moyens d'acheter du pain, vous qui travaillez, vous vous battrez !
  • S'ils s'obstinent à nous tuer, le moyen est de se rebeller !
  • Contre la double exploitation, comme la rébellion !
  • Liberté aux prisonniers politiques mapuches, à la révolte et aux subversifs ! Démilitarisation des Wallmapu maintenant !
  • Liberté immédiate pour les enfants de Katty Hurtado et Nabila Rifo !
  • Nous nous défendrions aussi !

Coordonnatrice féministe classiste

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La démonstration de force de l’extrême droite brésilienne

5 mars 2024, par Valério Arcary — , ,
La mobilisation de dimanche montre que le rapport de force social ne s'est pas inversé. Le pays reste fragmenté et l'extrême droite pèse toujours plus lourd dans la partie (…)

La mobilisation de dimanche montre que le rapport de force social ne s'est pas inversé. Le pays reste fragmenté et l'extrême droite pèse toujours plus lourd dans la partie politiquement active de la société.

Tiré de Inprecor 718 - mars 2024
28 février 2024

Par Valerio Arcary

"Se mettre en route tout de suite, c'est la moitié de l'action. Pense lentement. Agis vite". (sagesse populaire grecque).

La mobilisation du dimanche 25 février a été énorme. Soyons rigoureux, elle a été Immense. Elle a été étonnante, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. Le Bolsonarisme a fait descendre plus de 100 000 personnes très exaltées dans les rues pendant plus de trois heures, sous une chaleur étouffante. La composition sociale n'était pas surprenante : il s'agissait de la classe moyenne blanche, d'âge moyen, furieusement anticommuniste, entraînant des secteurs évangéliques populaires. Mais l'ampleur et l'ardeur l'étaient.

L'uniforme des maillots jaunes de la CBF(Confédération Brésilienne de Foot), les innombrables drapeaux israéliens, la haine de Lula, le ressentiment de la défaite électorale, l'adhésion explicite au projet de coup d'État, l'excitation suscitée par le discours émouvant de Michelle (la femme de Bolsonaro), l'adulation du chef, l'excitation suscitée par l'extrémisme de Silas Malafaia (un écrivain évangéliste brésilien, dirigeant des Assemblées de Dieu Victoire en Christ) , l'ensemble mi accablant et apocalyptique. Le moral des néo-fascistes était au beau fixe. Ils sont descendus dans la rue pour se battre. L' Avenue Paulista (av. centrale de Sao Paulo) n'était peut-être que le début d'une campagne. L'élan de ce dimanche devrait alimenter de nouvelles manifestations.

En force

Ils n'ont pas réagi lorsque Jair Bolsonaro est devenu inéligible, alors qu'il était très acculé, mais aujourd'hui ils reviennent en force. Ils ont occupé l'avenue Paulista dans la plus grande manifestation depuis le 7 septembre 2021, lorsqu'il était président. Mais dans un contexte incomparablement plus difficile : une avalanche de preuves a été recueillie par la police fédérale depuis la confession récompensée de Mauro Cid (lieutenant colonel qui était l' aide de camp de Jair Bolsonaro), confirmant son engagement dans la préparation d'un coup d'État.

La présence de quatre gouverneurs – Minas Gerais, Santa Catarina, Goiás et pas moins que Tarcísio de Freitas (gouverneur de Sao Paulo, ex ministre du gouvernement Bolsonaro) –, de plus d'une centaine de députés fédéraux, de centaines de maires, dont celui de São Paulo, ainsi que d'innombrables conseillers municipaux, montre qu'ils disposent d'un énorme soutien institutionnel. Ils se sont sentis victorieux.

Solidaires entre eux

Cette volonté de solidarité publique inconditionnelle semble étonnante, un dangereux calcul des risques, alors qu'il est probant que l'enquête sur les crimes de Jair Bolsonaro, et de son cercle de généraux quatre étoiles, a déjà recueilli des preuves irréfutables de culpabilité. Mais ils étaient tous là. Pourquoi étaient-ils là ? Parce que leur destin est indissociable de celui de Jair Bolsonaro. Tous ceux qui se sont rendus à l'Avenue Paulista, sur le terrain et sur la scène, étaient complices du coup d'État. Le cri qui les a unis est le suivant : n'arrêtez pas Jair Bolsonaro. Ne nous y trompons pas, nous l'avons bien entendu. Ils en sont sortis renforcés.

L'étau policier-légal autour de Jair Bolsonaro s'est resserré depuis l'opération de la maison d'Angra dos Reis (résidence de Bolsonaro) à la mi-janvier et, un mois plus tard, lorsqu'elle a touché les généraux, et l'extrême droite a décidé de passer à la contre-attaque. Pourquoi maintenant ? Parce qu'ils étaient convaincus qu'ils allaient réussir. Ce n'était pas seulement un appel à leur base sociale pour "prendre une photo". C'était une démonstration de force dans une situation défensive. Quels sont leurs objectifs ? Il ne veut pas être arrêté, alors il a déguisé son chantage avec la formule d'Amnistie.

Une menace de grande ampleur

Jair Bolsonaro a montré ses dents pour prouver que, si nécessaire, il sait mordre. Il a menacé la Cour suprême et le gouvernement, soutenu par la force des réseaux sociaux, de la rue et du Congrès. Il veut avoir la garantie que la légalité de son mouvement sera préservée. La pièce maîtresse de la tactique, pour ceux qui hésiteraient ou douteraient encore, c'est : la prison pour Jair Bolsonaro et les généraux putschistes (souligné par nous).

Diminuer l'impact du rassemblement de l'ultra-droite, dans la veine « négationniste » d'une partie de la gauche – qui dit que la manifestation ne « change rien » et qu'Alexandre de Moraes « ne va pas reculer » (A. de Moraes est le Président du Tribunal Supérieur Electoral du Brésil) – n'est pas qu'une superficialité. Ce n'est pas seulement une analyse biaisée des objectifs de Jair Bolsonaro. C'est un résumé de la myopie stratégique. Ce n'est jamais « tout ou rien » et « maintenant c'est tout de suite » dans la lutte sociale et politique. La lutte contre le bolsonarisme sera un processus complexe et peut-être un long processus de lutte politico-idéologique qui a une dimension internationale et dont l'issue reste incertaine.

Accumulation de forces

Sous-estimer la force sociale de choc des néo-fascistes est une erreur d'analyse et une faute tactique, car cela nous désarme pour la nécessité de construire des mobilisations de masse les 8 (Journée internationale des femmes) et 24 mars (Journée de mobilisation nationale en défense de la démocratie). Elle ne fait qu'entretenir l'hibernation actuelle du peuple de gauche et des directions majoritaires. Ne servent pas non plus les conclusions « psychologisantes » qui prétendent expliquer l'initiative de mobilisation parce que Jair Bolsonaro a « peur » d'être arrêté. Se moquer de l'ennemi est légitime, et même amusant, mais ce n'est pas sérieux. Jair Bolsonaro est un monstre avec l'« instinct » de pouvoir, mais il a encore de la force. Il est blessé, acculé, sur la défensive, mais pas moins dangereux.

Son arrestation serait une défaite, mais pas irréversible, s'il parvient à préserver l'influence de masse qu'il a conquis. La ligne du discours était une manœuvre pariant sur la possibilité d'élargir les alliances avec la droite libérale. Nous savons déjà qu'il existe une position consolidée dans des fractions de la bourgeoisie libérale, qui a défendu la troisième voie aux élections, qui dénonce Alexandre de Moraes pour les « excès » des longues peines de prison contre les « fauteurs de troubles » du 8 janvier (08/01/23, le soulèvement des manifestants à Brasilia, Place des trois pouvoirs, contre l' élection de Lula).

Amnistie, pacification politique et défense de la légitimité de l'extrême droite comme courant électoral ont été les étendards de Jair Bolsonaro dans l'Avenue Paulista. Il explore une brèche délicate. Il ne peut être condamné sans que les généraux aux quatre étoiles qui l'ont soutenu jusqu'au bout ne soient eux aussi emprisonnés. Au Brésil, les généraux putschistes n'ont jamais été jugés et condamnés.

Faire face, dans l'unité

L'ultra-droite opère un virage tactique ou un repositionnement politique depuis sa défaite électorale et, surtout, depuis l'échec du soulèvement du 8 janvier dernier. Son projet est de garantir une présence légale au "mouvement" pour assurer son droit à participer aux élections de cette année, et d'accumuler des forces pour se présenter avec Jair Bolsonaro à la présidence en 2026, comme Donald Trump est en train de le faire cette année aux États-Unis. Même s'il est arrêté, et donc qualitativement affaibli, Jair Bolsonaro veut être candidat. La manifestation obéit au calcul qu'il a la force sociale et politique d'essayer d'échapper à la prison. Jair Bolsonaro veut négocier, mais en position de force.

La situation a placé entre les mains de la gauche le défi de la lutte pour l'arrestation de Bolsonaro et des généraux putschistes. Le plus grand danger serait maintenant la division de la gauche. La gauche ne peut pas reculer sur la position « No Amnesty » sans qu'une démoralisation irréparable ne nous atteigne… Ceux qui affirment que la lutte pour l'arrestation de Jair Bolsonaro est un piège, parce son entrée en prison le rendrait « martyr », se trompent.

Un combat déterminant

La base sociale de Bolsonaro comporte plusieurs couches. Il y a un « noyau dur », environ 10 % de néofascistes dans le pays, soit quelque 15 millions de personnes, qui est inexpugnable. Mais une sympathie moins idéologique pour l'extrême droite atteint davantage : 15 %, voire 20 %. L'impact des procès érodera les sympathies de dizaines de millions de personnes, en particulier parmi les classes populaires. L'arrestation de Jair Bolsonaro ne sera pas seulement une bataille juridique. Elle ne peut reposer uniquement sur l'autorité de la Cour suprême. Il s'agira d'une campagne pour la conscience populaire. Nous ne devons jamais abandonner la partie de la classe ouvrière qui a été attirée par le bolsonarisme. La condamnation de Jair Bolsonaro et des généraux serait la plus grande victoire démocratique depuis la victoire électorale de Lula, voire depuis la fin de la dictature.

Les responsabilités de la gauche

À gauche, il faut avoir la lucidité de comprendre que le rapport de force social n'a pas changé. Le pays est toujours fragmenté, l'extrême droite a toujours plus de poids dans la partie politiquement active de la société, plus activiste sur les réseaux sociaux et aussi dans la rue. Mais le rapport de force politique a évolué favorablement du fait de la victoire de Lula aux élections. Il a évolué positivement avec la fermeté d'Alexandre de Moraes contre les putschistes. Mais rien n'est figé, et qui n'avance pas recule.

À quand remonte la dernière fois où la gauche a rassemblé autant de monde sur l'Avenue Paulista ? Le jour de la victoire de Lula en 2022 ? Le tsunami de l'éducation en 2019 ? Cela sera-t-il difficile ? La seule réponse honnête est oui. Mais le bolsonarisme ne pourra pas maintenir indéfiniment son hégémonie dans la rue et sur les réseaux. La pire des défaites, nous le savons, est la défaite sans combat. Tous les partis de gauche, les mouvements sociaux populaires des campagnes et des villes, les mouvements de femmes et de Noirs, les mouvements étudiants et culturels, les mouvements LGBT et environnementaux sont appelés à se manifester et à organiser la riposte les 8 et 24 mars.

*Valério Arcary est un professeur d'histoire de l'IFSP à la retraite. Auteur, entre autres, de Nobody said it would be easy (Boitempo). [https://amzn.to/3OWSRAc]

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Argentine. Grèves enseignantes, aéroports bloqués : une rentrée sous le signe de la mobilisation

5 mars 2024, par Julien Anchaing — , ,
Enseignants, cheminots, travailleurs des aéroports, des premiers secteurs sont entrés en bataille contre les conséquences sociales et les privatisations liées au plan (…)

Enseignants, cheminots, travailleurs des aéroports, des premiers secteurs sont entrés en bataille contre les conséquences sociales et les privatisations liées au plan d'ajustement structurel de Milei. L'extrême-gauche appelle à construire un véritable plan de bataille.

29 février 2024 | tiré de Révolution permanente | Crédit photo : Izquierda Diario
https://www.revolutionpermanente.fr/Argentine-Greves-enseignantes-aeroports-bloques-la-rentree-marquee-par-des-greves-sectorielles

Ce début de semaine de rentrée scolaire en Argentine a été marqué par plusieurs grèves importantes contre les conséquences sociales du plan d'ajustement structurel de Javier Milei. Chez les enseignants du service public, la Confédération des Travailleurs de l'Education (CTERA) a appelé ce lundi à une journée de grève dans de nombreuses provinces du pays. Les enseignants font partie d'un des secteurs les plus durement touchés par la politique austéritaire du gouvernement. Ce lundi 4 mars, une grève est aussi appelée par les différentes organisations d'enseignant qui sont réunies dans la CGT qui avait préféré ne pas suivre la journée de lundi.

Alors que plusieurs secteurs se préparent à entrer dans la bataille contre les conséquences économiques et sociales de l'austérité, les travailleurs de l'aéronautique qui s'étaient démarqués comme l'un des secteurs les plus combatifs de la grève nationale du 24 janvier dernier sont parvenus, ce mercredi, à faire annuler près de 340 vols dans tout le pays, démontrant la force des travailleurs contre les plans austéritaires et de l'union entre les plus précaires et les travailleurs titularisés. Leur bataille s'est non seulement constituée autour de la défense des salariés du secteur, mais aussi dans la lutte contre la privatisation de Aerolineas Argentinas, l'entreprise nationale de transport aérien nationalisée en 2009.

Des luttes divisées, l'extrême-gauche rappelle l'urgence d'un plan de bataille contre Milei

Les premières grèves qui touchent l'Argentine cette semaine marquent les potentialités de l'émergence d'une première avant-garde combative qui se forge dans la lutte contre le gouvernement de Javier Milei et ses plans austéritaires et de privatisation. Chez Aerolineas Argentinas, l'extrême-gauche et ses collectifs syndicaux ont particulièrement bataillé pour que la grève nationale de l'aéronautique ne soit pas seulement centrée sur la hausse des salaires face à l'inflation, mais aussi sur le rejet total de la privatisation que Milei souhaite imposer comme l'un de ses projets phares et qui bénéficierait à des entreprises comme Blackrock, intéressée par le rachat de l'entreprise.

Dans l'éducation nationale et supérieure, la discussion sur l'absence d'un plan de bataille est au cœur des enjeux alors que les différents syndicats enseignants ont appelé à des journées de mobilisation à des dates différentes. L'absence d'un plan de bataille s'explique notamment par le fait qu'une partie des directions syndicales réponde directement à sa direction kirchnériste, alors que l'ex-présidente argentine de centre-gauche s'est prononcée récemment pour une réforme du travail et de la fonction publique. Dans la Province de Buenos Aires par exemple, les salaires des enseignants viennent encore d'être négociés à la baisse avec le gouverneur de la province, Axel Kicillof, vu comme le potentiel futur candidat du péronisme pour 2027.

Du côté de l'extrême-gauche du Parti des Travailleurs Socialistes, le collectif syndical enseignant « 9 de Abril » a rappelé l'importance d'organiser au sein de chaque école, avec les familles et les élèves, des assemblées générales pour la préparation d'un plan de bataille face aux politiques austéritaires de Milei et des différents gouverneurs de province qui appliquent aujourd'hui un saut austéritaire historique.

Dans les jours et semaines à venir, Javier Milei compte relancer son plan austéritaire et préparer la négociation pour le vote, article par article, de chacune des dispositions qu'il avait prévu d'imposer lors de la présentation de la Loi Omnibus en janvier dernier. Ce vendredi 1 mars, le président argentin devrait ouvrir la rentrée parlementaire par un discours d'inauguration qui reviendra sur ses plans de guerre contre la classe ouvrière et les plus pauvres du pays. Plusieurs organisations et assemblées de quartier qui ont soutenu les grèves des enseignants et des travailleurs de l'aéronautique seront présentes ce vendredi face au Parlement pour lutter contre les plans de Milei. L'urgence est à la construction et à la consolidation des assemblées de quartier dans tout le pays afin d'unifier les secteurs qui commencent à constituer une avant-garde des luttes contre les plans austéritaires de Milei afin d'imposer un véritable plan de bataille aux directions syndicales contre le gouvernement. La bataille menée au sein des syndicats, notamment depuis les secteurs les plus précaires de la classe ouvrière comme dans la sous-traitance aéroportuaire qui ont mis au centre la lutte contre la privatisation de leur entreprise est déjà un exemple de la marche à suivre contre Milei.

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Élections aux États-Unis : un duel réactionnaire sur fond de crise du régime

5 mars 2024, par Sybil Davis — , ,
Le duel Trump-Biden est façonné par une crise du régime politique états-unien, nécessitant à la fois l'intervention du judiciaire et de la bureaucratie syndicale. La course (…)

Le duel Trump-Biden est façonné par une crise du régime politique états-unien, nécessitant à la fois l'intervention du judiciaire et de la bureaucratie syndicale. La course pour la présidence apparaît comme une lutte pour convaincre la classe ouvrière et sur quelle approche impérialiste est la meilleure pour rivaliser avec la Chine et rétablir l'hégémonie américaine. Comme à leur habitude, les Démocrates brandissent le bâton des droits démocratiques afin de rallier les électeurs mécontents.

Tiré de Révolution Permanente
26 février 2024

Par Sybil Davis

L'élection de 2024 s'annonce comme une répétition de celle de 2020, avec deux candidats incroyablement impopulaires se disputant la présidence. D'un côté, Donald Trump élimine facilement ses adversaires Républicains, avec seulement Nikki Haley encore en lice ; la base de Trump, le mouvement dit « MAGA », a pris le contrôle du Parti républicain et semble indéboulonnable, malgré les défis légaux qui planent au-dessus du candidat. D'un autre côté, le président Joe Biden est ébranlé et affaibli, faisant face non seulement à des inquiétudes généralisées concernant ses facultés mentales, mais aussi à un mouvement social pour la Palestine qui l'a surnommé « Genocide Joe ». Contrairement à 2020, la voie pour Biden de mener le mouvement aux urnes est bien plus étroite, et son statut de président en exercice plutôt que de challenger le place dans une position bien plus précaire.

Derrière cette élection se cache une crise dans le régime politique américain – un exemple de ce que le marxiste italien Antonio Gramsci a appelé la « crise organique », une crise dans laquelle les populations ne se sentent plus représentées par leurs gouvernants. Les crises organiques affaiblissent les régimes et amènent les partis politiques traditionnels à faire face à de nouveaux phénomènes politiques, tandis que les masses perdent confiance dans les partis politiques traditionnels et dans les institutions du régime. La crise organique actuelle aux États-Unis a atteint son apogée le 6 janvier 2021, après une année de crise accrue exacerbée par le COVID et le soulèvement du mouvement Black Lives Matter, puis elle s'est atténuée lorsque Biden a contenu la crise durant les premières années de son mandat. Biden, cependant, a été incapable de résoudre la crise, et, comme nous l'avions prédit au début de 2023, la crise est réapparue et joue un rôle de plus en plus important dans la politique nationale. La réémergence de Trump en est un signe.

Dans cette crise entre « représentés et représentants », où des institutions importantes du régime sont de plus en plus suspectées et perdent en légitimité, le pouvoir judiciaire et la bureaucratie syndicale jouent un rôle démesuré. Il est clair depuis un certain temps que le pouvoir judiciaire se mobilise pour arrêter – ou du moins entraver – la candidature de Trump, ce qui déstabiliserait grandement le régime si Trump revenait au pouvoir, surtout après le 6 janvier. Les diverses affaires judiciaires et inculpations contre Trump reflètent non seulement sa criminalité – quelque chose que personne qui a suivi la carrière de Trump ne peut nier – mais représentent également une tentative de retourner les masses contre Trump. Des tentatives plus osées d'interdire à Trump de se présenter aux élections – comme celles menées dans le Colorado et dans le Maine – semblent avoir outrepassé ce que permet la situation politique, et il semble de plus en plus probable que la Cour suprême ne validera pas ces exclusions du scrutin.

Dans ce sens, la crise organique et la perte de légitimité institutionnelle – y compris celle de la Cour suprême, qui a subi un sérieux revers après la décision invalidant le droit à l'avortement – à la fois alimentent et modèrent l'assaut du pouvoir judiciaire. Pour le dire autrement, la crise organique explique pourquoi nous assistons à un pouvoir judiciaire de plus en plus « bonapartiste » – agissant de manière plus explicitement politique, de sa propre initiative, sans le soutien du Congrès ou des masses – mais la crise limite également dans quelle mesure le pouvoir judiciaire peut avancer sur le terrain politique. Imaginons, par exemple, que la Cour suprême valide l'interdiction de Trump dans le Colorado. Cela déclencherait certainement une réaction intense de la part de la base de Trump et nuirait encore plus à la réputation de la justice, puisque la cour aurait simplement exclu le principal candidat du scrutin sans aucune contribution démocratique des masses.

Le pouvoir judiciaire a ses limites, mais il joue néanmoins un rôle démesuré dans la situation nationale. Cela ne se limite pas à l'offensive contre Trump. On peut également le constater dans les décisions de plus en plus politiques de la Cour suprême. L'invalidation du droit à l'avortement a été une attaque significative contre les droits démocratiques, inversant le rôle que la Cour a joué pendant une grande partie de la période néolibérale, au cours de laquelle elle avait concédé des droits démocratiques aux mouvements sociaux afin de montrer que, parce que l'État peut soutenir les opprimés, les soulèvements contre l'État sont inutiles. Mais la décision Dobbs a changé cela, révélant le rôle plus politisé du pouvoir judiciaire et sa nécessité d'agir de manière « bonapartiste », c'est-à-dire de sa propre initiative, sans le soutien des électeurs. À mesure que la crise organique s'approfondit, ce rôle politisé et bonapartiste ne fera probablement que se poursuivre.

Les bureaucraties syndicales, alliés-clé de Biden

Un autre acteur majeur de ces élections sera la bureaucratie syndicale. Comme nous l'avons écrit par ailleurs, les dernières années ont été marquées par une résurgence d'un mouvement ouvrier de plus en plus politisé. Le secteur syndical entre désormais, quoique de manière inégale, dans davantage de débats politiques, allant au-delà de la lutte pour des revendications basiques telles que des salaires plus élevés. S'appuyant sur les grèves des enseignants du début de l'ère Trump et sur l'expérience vécue par les masses avec le mouvement Black Lives Matter, les travailleurs à la base se voient de plus en plus comme étant organiquement liés à une variété de questions politiques, telles que la défense des droits démocratiques et la lutte contre les oppressions, dont les directions syndicales traditionnelles ont tenté de les dissocier. Cette nouvelle énergie dans le mouvement syndical a replacé la classe ouvrière au centre de la politique – comme on l'a notamment observé lors de la grève de l'UAW, pendant laquelle Biden et Trump ont tous deux explicitement fait du pied aux grévistes. Cela a également affecté les directions syndicales traditionnelles, les poussant à céder aux courants plus radicaux dans le cas des Teamsters et de l'UAW, et les contraignant à prendre en considération l'organisation des membres de base autour de questions politiques.

Le mouvement pour la Palestine en est un bon exemple. L'opposition massive à l'assaut d'Israël sur Gaza a contraint même les directions syndicales les plus profondément sionistes, comme celles de l'AFT et de l'AFL-CIO, à se prononcer en faveur d'un cessez-le-feu. Cela démontre que les bureaucraties syndicales ne peuvent plus agir en tant que « police de la classe ouvrière », en ignorant les demandes de leurs membres et en faisant tout leur possible pour les maintenir en ligne sans faire de concessions. Désormais, pour maintenir leur légitimité, les directions syndicales doivent politiser leurs syndicats autour de la question de la Palestine. La politisation et l'esprit de lutte croissant du mouvement ouvrier – une victoire majeure pour le phénomène de la « Génération U », observé de manière particulièrement aiguë dans des syndicats jeunes comme Starbucks Workers United – ont placé la classe ouvrière dans une position plus prépondérante. Même les médias bourgeois, qui ont l'habitude de parler simplement des classes moyennes, doivent à présent parler de la classe ouvrière. C'est le résultat direct de l'injection de militantisme par une nouvelle génération façonnée par le mouvement Black Lives Matter, une génération qui a revitalisé le mouvement ouvrier, a contribué à diriger un mouvement social pour la Palestine, et a contraint les bureaucrates syndicaux à soutenir le mouvement, même à contrecœur. Cette recrudescence de la lutte des classes a remodelé la situation politique et créé une crise pour le Parti démocrate, qu'il doit désormais contenir grâce à ses tactiques habituelles de cooptation.

Ce phénomène complète ce que les analystes politiques ont appelé le « désalignement » : la classe ouvrière ne s'identifie plus fortement au Parti démocrate. Comme nous l'avons écrit précédemment, cela crée une lutte pour le cœur et l'âme de la classe ouvrière, et les élections en sont le champ de bataille. Trump et Biden se battent explicitement pour se présenter comme les champions de la classe ouvrière et cherchent, à des degrés différents, à obtenir le soutien des syndicats.

Dans ce contexte, il est probable que les bureaucraties syndicales joueront un rôle démesuré dans la captation des travailleurs par le Parti démocrate. Puisqu'elles parviennent de moins en moins à diriger la classe ouvrière par la coercition, elles cherchent d'avantage à la diriger via des concessions idéologiques à la marge. L'UAW est un bon exemple de cela. Les dirigeants de l'UAW – notamment leur chef de file, Shawn Fain – agrémentent leurs discours de rhétorique inspirante et progressiste, publient sur les réseaux sociaux sur la continuité entre la lutte pour les droits des Noirs et l'UAW aujourd'hui, et lancent des initiatives d'organisation agressives visant à organiser les non-syndiqués. Tout cela se combine pour légitimer le leadership de l'UAW auprès des travailleurs de base, qui sont ensuite ramenés vers Biden, comme en témoigne le récent soutien de l'UAW à sa candidature.

La déclaration sur un cessez-le-feu de l'AFL-CIO est un autre exemple de ce phénomène. Malgré l'appel à un cessez-le-feu, la déclaration ressemblait en tous points aux éléments de langage de l'administration Biden. Elle a souligné la nécessité d'une solution à deux États, a dénoncé la violence « des deux côtés » et a appelé à un arrêt négocié des combats. La déclaration est donc une tentative claire d'arrêter l'hémorragie de soutiens causée par la complicité de Génocide Joe Biden à la guerre d'Israël contre Gaza. Elle prépare le terrain pour la poussée préélectorale habituelle des bureaucraties syndicales visant à mobiliser leurs membres pour soutenir le Parti démocrate. La situation, cependant, est loin d'être habituelle, et donc les directions syndicales doivent adopter une nouvelle approche, en essayant de convaincre leurs membres plutôt que de simplement les diriger.

Politique étrangère et immigration : les deux questions centrales de l'élection

Cette élection sera non seulement une bataille pour conquérir la classe ouvrière, mais aussi pour façonner la politique étrangère. Biden est devenu le porte-étendard à la fois de la guerre d'Israël contre Gaza et de la guerre en Ukraine – deux conflits assez impopulaires. À cela s'ajoute le débat, parmi les capitalistes étasuniens, sur la meilleure façon de rivaliser avec la Chine et ainsi de renverser le déclin de l'hégémonie américaine. Trump a toujours présenté une approche différente à la politique étrangère de l'establishment – favorisant une politique unilatérale avec des mesures protectionnistes et s'opposant même à l'OTAN – et il essaie d'utiliser cela pour exploiter la frustration des masses face aux constantes interventions des États-Unis dans les conflits à travers la planète. Trump et une partie des Républicains de droite avancent l'idée que la « vraie » guerre se déroule chez eux à la frontière sud et que les États-Unis ne devraient pas intervenir dans les conflits à l'étranger. Mais ce masque « anti-interventionniste » ne peut pas cacher le bilan politique de Trump en tant que président, qui rappelle qu'il était tout à fait disposé à intervenir militairement à l'étranger.

La véritable distinction entre Trump et Biden en matière de politique étrangère réside dans leur degré d'unilatéralisme. Biden préconise de s'appuyer sur des alliances internationales pour renforcer l'hégémonie des États-Unis à l'étranger et mieux rivaliser avec la Chine, tandis que Trump favorise des actions plus unilatérales qui pourraient inclure l'abandon des alliances traditionnelles – comme l'indiquent ses récentes déclarations sur l'OTAN. Les partisans de Trump sont attirés par sa politique étrangère car elle donne l'illusion d'être anti-interventionniste, et le discours America First gagne du terrain parmi ceux qui ont vu leurs conditions de vie se détériorer pendant la période néolibérale et se demandent pourquoi il y a toujours de l'argent pour les conflits à l'étranger.

L'immigration et la « sécurité des frontières » deviennent des enjeux majeurs à l'approche des élections. Trump et les Républicains s'efforcent de présenter la situation à la frontière comme une « invasion » que Biden et les démocrates n'ont pas réussi à contenir. En réalité, l'administration Biden a, de manière générale, poursuivi dans une totale continuité les politiques anti-immigration de Trump, ce qui a jeté les bases pour que les Républicains aillent encore plus loin à droite sur l'immigration. En réponse à ces attaques politiques, les Démocrates tentent de se droitiser encore d'avantage – à partir d'une position déjà très à droite – sur la question migratoire, comme l'indique le récent accord proposé au Congrès. Biden a lui-même déclaré qu'il était prêt à « fermer la frontière dès maintenant », signe supplémentaire du virage à droite du Parti démocrate sur cette question.

Un exemple frappant de la crise organique est la confrontation au Texas, où chaque gouverneur républicain, à l'exception d'un seul, s'est rangé du côté du gouverneur Greg Abbott pour résister aux tentatives du gouvernement fédéral de retirer les barbelés placés à la frontière. Trump et l'extrême droite utilisent ce conflit pour faire avancer leur position politique. À mesure que les élections se rapprochent, il semble probable que l'immigration – avec la politique étrangère et la classe ouvrière – sera l'un des axes de l'élection, alors que la campagne de Biden vire à droite dans une tentative de rivaliser avec le nationalisme explicitement anti-immigrés de Trump. La récente victoire du démocrate Tom Suozzi dans la course pour remplacer George Santos à la Chambre représente un possible modèle de la manière dont les démocrates pourraient mener une campagne de droite sur l'immigration et battre les républicains à leur propre jeu. Ce que cela signifie pour la situation politique globale, c'est que la politique en matière d'immigration évolue de plus en plus rapidement vers la droite alors que les deux partis cherchent à être « durs » sur l'immigration.

Jouer la défense des droits démocratiques et s'appuyer sur les progressistes : l'espoir des Démocrates pour novembre 2024

Si l'immigration et la politique étrangère sont les sujets vers lesquels Trump espère orienter le débat, Biden et les Démocrates espèrent recentrer la discussion sur un terrain plus solide pour eux : la protection des droits démocratiques, plus spécifiquement le droit à l'avortement. La défense des droits à l'avortement a aidé les démocrates à contenir la « vague rouge » de 2022 et à remporter certaines élections difficiles en 2023. Ils espèrent utiliser le même stratagème, comme l'indique la « tournée pour le droit à l'avortement » qui a récémment été dévoilée. Dans leurs discours, les Démocrates défendront avec véhémence les droits démocratiques – tant dans le cas spécifique de l'avortement que plus largement dans la « défense de la démocratie », dont le camp Biden parle si souvent. Ils espèrent que cela aidera à mobiliser les électeurs qui pourraient sinon rester chez eux lors des élections parce qu'ils n'aiment aucun des candidats ou s'opposent à la politique de Biden sur Israël, entre autres choses.

De 2016 à 2021, Left Voice a analysé la « guerre civile » au sein du Parti démocrate entre l'establishment et une aile progressiste de plus en plus proéminente. Dans notre analyse, nous avons cherché à souligner que l'opposition posée par les « Socialistes démocrates » du Squad était inexorablement condamnée à l'échec, étant donné leur position au sein du Parti démocrate, qui disposait de beaucoup plus de ressources et de réserves stratégiques pour les coopter dans son courant dominant. Cela est confirmé même par un simple coup d'œil à la situation politique actuelle. Après la défaite de Bernie Sanders lors des primaires démocrates de 2020, les progressistes se sont ralliés derrière Biden, et ils ont maintenu cette ligne tout au long de son mandat à la Maison Blanche. Même maintenant, alors qu'un nouveau mouvement l'accuse de génocide, des politiciens comme Alexandria Ocasio-Cortez vont sur les médias pour défendre la candidature de Biden – AOC l'a récemment qualifié de « l'un des présidents les plus efficaces de l'histoire moderne ». Dans un récent article pour le New York Times, Ezra Klein écrit que « la réalité, ces dernières années, a été que les Démocrates s'unissent et que les Républicains se désagrègent. L'establishment du Parti démocrate a tenu bon, pendant que l'establishment du Parti républicain s'est effondré ». L'establishment du Parti démocrate – qui semblait si faible après la défaite de Clinton et l'ascension du Squad – a incorporé ses contestataires dans le courant dominant, utilisant ces soi-disant socialistes comme des pions pour se connecter à l'avant-garde du mouvement et la ramener dans le giron du Parti démocrate.

Nous pouvons voir l'utilité des progressistes pour l'establishment du Parti démocrate au Michigan, un État clé pour Biden. Les électeurs de l'État, dont beaucoup sont d'origine arabe, s'opposent au soutien de Biden au génocide à Gaza. En réponse, une campagne, Vote Uncommitted, a été lancée par Our Revolution et DSA (Democratic Socialists of America), avec le soutien vocal de Rashida Tlaib, une figure clé du Squad et l'une des seules Démocrates de premier plan à avoir fortement soutenu un cessez-le-feu. La campagne exploite la colère des électeurs, et la dirige vers le Parti démocrate, encourageant les électeurs à voter lors des primaires démocratiques de l'État, mais à ne pas soutenir Biden. Cela vise à faire pression sur Biden pour qu'il change de position sur Gaza. Mais sa véritable conséquence, c'est d'encadrer le mouvement pour la Palestine afin d'en faire un simple moyen de pression sur Biden au sein du parti démocrate. Cela ramène les électeurs désillusionnés dans les primaires démocrates et ouvre la voie à Biden pour apporter de légères modifications à sa position sur Gaza tout en prétendant qu'il écoute les électeurs. Cela s'inscrit dans la ligne politique de la gauche du Parti démocrate, qui tente d'utiliser les mouvements de masse comme des campagnes de pression pour contraindre les politiciens à adopter des positions différentes sans remettre en question leur relation privilégiée avec le Parti démocrate. Bien que la campagne Vote Uncommitted soit un signe de l'opposition populaire à Biden, elle est utilisée pour coopter le mouvement pour la Palestine.

La défense des droits démocratiques par le Parti démocrate est une manœuvre politique, une mise en scène destinée à susciter un soutien. En réalité, les démocrates ont supervisé de nombreuses attaques contre les droits démocratiques fondamentaux. Ils ont dénoncé les manifestations pro-Palestine et ont contribué à ouvrir la voie à davantage d'attaques contre le mouvement. Le mandat de Biden à la Maison Blanche a vu non seulement la réduction des droits à l'avortement, mais aussi une virulente campagne anti-trans, et l'administration Biden et les Démocrates n'ont rien fait pour arrêter cela. Au contraire, ils espèrent que leurs paroles creuses inspireront les masses. Mais c'est le même cercle vicieux dans lequel le Parti démocrate nous maintient depuis des décennies. Les droits démocratiques menacés sont une aubaine pour les Démocrates, car cela rend leurs campagnes du moindre mal plus efficaces. Leur préoccupation pour la démocratie et pour nos droits sont des stratagèmes pour nous faire accepter de continuer de nous contenter d'un « moindre mal » dans l'espoir de vaincre la droite.

Nous ne pourrons pas vaincre la droite en votant lors d'une élection – il suffit de voir comment la victoire de Biden n'a pas vaincu le trumpisme. Au lieu de cela, nous devons vaincre la droite en nous organisant dans nos syndicats, sur nos lieux de travail et dans la rue pour construire un mouvement combatif. Seule cette approche peut arrêter la montée de la droite et défendre nos droits démocratiques. Plus largement, nous devons rompre le cycle du moindre mal. Nous devons construire un parti, un parti qui représente véritablement le mouvement syndical combatif, qui représente le mouvement pour la Palestine et qui représente les millions de personnes qui prennent conscience que le système capitaliste ne nous offre rien. Nous ne construirons pas ce parti en restant liés aux Démocrates, et nous ne pouvons pas le faire sans affronter les bureaucraties des syndicats et des mouvements sociaux, qui sont des alliés vitaux du Parti démocrate. Au contraire, nous construirons ce parti en nous appuyant sur nous-mêmes et en nous organisant pour affronter la droite, défendre nos droits démocratiques et construire une institution qui puisse unir toutes nos luttes.

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États-Unis - En Alabama, une nouvelle attaque réactionnaire contre les femmes

5 mars 2024, par Dan La Botz — , ,
La Cour suprême de l'État d'Alabama a statué la semaine dernière : les embryons congelés sont des personnes et il est illégal de les détruire ! Cela a créé un début de panique (…)

La Cour suprême de l'État d'Alabama a statué la semaine dernière : les embryons congelés sont des personnes et il est illégal de les détruire ! Cela a créé un début de panique et de confusion parmi les professionnels de la santé qui pratiquent la fécondation in vitro (FIV) et les femmes qui y ont recours.

Tiré de l'Anticapitaliste
26 février 2024

Par Dan La Botz

Crédit Photo
Wikimedia commons

La décision n'interdit pas la FIV mais exige que chaque embryon créé soit implanté, quelle que soit sa viabilité, et rend le processus plus coûteux, plus compliqué et plus dangereux pour les femmes. Il s'agit de la dernière attaque en date de la droite chrétienne évangélique contre les droits reproductifs des femmes, les communautés LBGT et la santé publique.

La FIV, processus par lequel les ovules d'une femme et le sperme d'un homme sont réunis dans une boîte de Petri puis implantés dans l'utérus d'une femme, est utilisée par les couples qui rencontrent des difficultés à concevoir, par les femmes qui doivent subir un traitement contre le cancer et par les couples homosexuels qui souhaitent avoir des enfants en s'adressant à une mère porteuse. Aux États-Unis, il y a environ 750 000 naissances par FIV chaque année et, depuis le début de la FIV aux États-Unis en 1978, il y a eu environ 12 millions de naissances de ce type. La décision de la Cour a conduit le système de santé de l'Université de l'Alabama à Birmingham, le plus grand hôpital de l'État, et les cliniques de fertilité à interrompre leurs travaux, tandis que des politiciens tant démocrates que républicains s'empressaient d'adopter une législation visant à protéger la FIV.

Les Républicains, Trump inclus, favorables à la FIV

Tom Parker, le juge de la Cour suprême de l'Alabama qui a approuvé la décision, est un chrétien évangélique qui cite la Bible de façon répétée. « La vie humaine ne peut être détruite à tort sans encourir la colère d'un Dieu saint », a-t-il écrit. Lui et son tribunal ont été à l'origine de nombreuses autres décisions réactionnaires et hostiles aux femmes.

Alors que Trump s'est rapidement prononcé en faveur de la FIV et a demandé à la législature de l'État d'Alabama de la protéger, son opposante Nikki Haley a déclaré : « Pour moi, les embryons sont des bébés ». La plupart des politiciens républicains, conscients que la décision de l'Alabama pourrait leur nuire lors des élections de novembre, se sont prononcés en faveur de la FIV.

L'Alabama, dont la devise est « Nous protégeons nos droits », a fait plus pour restreindre les droits reproductifs des femmes que n'importe quel autre État. Depuis que la Cour suprême, dans l'arrêt Dobbs du 22 juin 2022, a annulé l'arrêt Roe v. Wade, qui protégeait le droit des femmes à l'avortement, l'Alabama a pris des mesures pour restreindre les droits des femmes en matière de procréation. Le 24 juin 2022, l'Alabama a commencé à appliquer une interdiction totale de l'avortement, à tous les stades de la grossesse. La Constitution de l'État « reconnaît, déclare et affirme que c'est la politique publique de cet État de reconnaître et de soutenir le caractère sacré de la vie à naître et les droits des enfants à naître, y compris le droit à la vie ».

Des menaces sur la contraception

Nombreux sont ceux qui craignent que les chrétiens évangéliques ou les catholiques n'utilisent les tribunaux ou la législation pour tenter d'interdire la contraception.

L'American Society for Reproductive Medicine (Société américaine pour la médecine reproductive) a déclaré que « la Cour suprême de l'Alabama a pris une décision qui va à l'encontre de la réalité médicale et des besoins des citoyens de l'Alabama ». Planned Parenthood (le Planning familial), la plus grande et la plus importante organisation fournissant des soins de santé reproductive aux femmes, a écrit : « Nous devrions tous être en mesure de construire les familles et l'avenir que nous voulons, sans interférence de la part des tribunaux ou des politiciens. Cette décision de la Cour suprême de l'Alabama est le résultat d'années d'attaques contre la liberté de reproduction, et d'efforts pour restreindre l'accès aux soins de santé, y compris la FIV. »

L'élue à la Chambre des représentants démocrate progressiste Alexandria Ocasio-Cortez a posté sur les réseaux sociaux : « Jetez tout ce parti qui hait les femmes et leur réseau de propagande à la poubelle. Ils ont gagné une place dans la poubelle de l'histoire politique américaine. » Le sénateur Bernie Sanders a quant à lui posté : « Laissez-moi être aussi clair que possible : Les tribunaux, le gouvernement et l'Église n'ont pas à s'immiscer dans la décision très personnelle d'avoir ou non des enfants. »

Dan La Botz, traduction Henri Wilno

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Droit à l’information : Contre la raison d’État, solidarité avec Julian Assange

5 mars 2024, par Fernand Beckrich — , ,
Les 20 et 21 février la Haute Cour britannique a examiné l'ultime appel du journaliste australien, persécuté depuis 2010, et embastillé à Londres à la suite de la réponse (…)

Les 20 et 21 février la Haute Cour britannique a examiné l'ultime appel du journaliste australien, persécuté depuis 2010, et embastillé à Londres à la suite de la réponse favorable donnée à la demande d'extradition vers les États-Unis où une peine de 175 ans de prison lui est promise.

La décision n'interviendra au plus tôt qu'au mois de mars. En cas de confirmation de l'extradition, ne resterait alors qu'un dernier recours auprès de la Cour européenne des droits de l'homme.

22 février 2024 | tiré de Hebdo L'Anticapitaliste - 696 |Crédit Photo
Wikimedia commons / Alisdare Hickson
https://lanticapitaliste.org/actualite/politique/droit-linformation-contre-la-raison-detat-solidarite-avec-julian-assange

La solidarité monte

Sans doute bien tardive, bien sûr trop timide encore, mais bien réelle : des rassemblements se sont tenus dans 19 villes en France mardi 20 février, 500 personnes à Paris, 300 à Bordeaux. Des rassemblements mensuels se tiennent comme à Metz. Cette solidarité doit encore s'affirmer. Elle sera un élément déterminant. L'enjeu est d'importance : le droit à l'information comme une des pièces centrales de la démocratie. La solidarité a aussi un enjeu immédiat, c'est la vie de celui qui a créé la plateforme Wikileaks en 2006 et qui nous a ainsi permis d'accéder à des infos très reprises, pleinement confirmées et de première importance. Il faut empêcher son extradition. Il faut arracher Julian Assange de la prison et des griffes de la CIA.

Julian Assange n'est pas un espion

Né en 1971, il est un journaliste pleinement de son temps. Il a grandi avec l'informatique et avec ses compagnons altermondialistes, il a expérimenté les possibilités nouvelles offertes par la révolution numérique. La présentation de Julian Assange en espion russe est au moins aussi crédible que celle que certains médias nous ont servie à propos des Gilets jaunes qui seraient des agents de Poutine ! Le partage et la fuite massive de métadonnées rendue possible par Wikileaks est au centre des débats. Edwy Plenel, dans un « parti pris » de 2020 posait très justement la question centrale de toute l'affaire : « le secret des pouvoirs doit-il l'emporter sur le droit de savoir ? »

Le droit de savoir

L'activité de J. Assange a été déterminante pour la révélation mondiale de la réalité de la guerre en Irak, en Afghanistan, la mise sous les projecteurs de la torture à Guantanamo, la révélation documentée de disparitions et de crimes d'État. Grâce à Wikileaks, les médias du monde entier ont pu écrire de manière irréfutable sur des corruptions et des fraudes fiscales massives, sur des mensonges d'État, sur des atteintes aux libertés fondamentales. Toute son activité, non seulement n'a aucun caractère criminel mais elle est totalement légitime et indispensable dans une perspective d'émancipation.

Pour le journalisme, pour le pluralisme

La défense déterminée de J. Assange ne vaut pas approbation de la ligne éditoriale de Wikileaks : notre combat contre le néolibéralisme autoritaire, contre le néofascisme implique le pluralisme. À l'heure du néolibéralisme autoritaire, de la menace néofasciste, nous avons besoin de débats informés pour construire l'alternative écosocialiste. Parce que son extradition serait une terrible régression, nous disons : « Pleine solidarité à Julien Assange ! »

Fernand Beckrich

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Il fait sombre avant l’aube, mais le colonialisme israélien touche à sa fin

Dans ce texte, Ilan Pappé analyse la difficulté croissante de légitimation de la logique d'extermination et de déshumanisation inhérente au colonialisme de peuplement mis en (…)

Dans ce texte, Ilan Pappé analyse la difficulté croissante de légitimation de la logique d'extermination et de déshumanisation inhérente au colonialisme de peuplement mis en œuvre par le projet sioniste. Il la situe dans le cadre de la crise interne de la société israélienne et conclut à la fin de ce projet en tant qu'il s'incarne dans un État juif qui se veut à la fois démocratique et colonisateur. Mais la fin de ce projet est aussi un moment de danger maximal, qui voit se combiner une guerre génocidaire à Gaza et une escalade de violence en Cisjordanie. Face à cette catastrophe, l'auteur en appelle à l'élaboration de visions alternatives pour l'avenir de la Palestine, différentes du modèle occidental d'État-nation.

Tiré du site de la revue Contretemps.

Le sionisme comme colonialisme de peuplement

L'idée que le sionisme est un colonialisme de peuplement n'est pas nouvelle. Dans les années 1960, les universitaires palestiniens qui travaillaient à Beyrouth au centre de recherche de l'OLP avaient déjà compris que ce à quoi ils étaient confrontés en Palestine n'était pas un projet colonial classique. Ils ne considéraient pas Israël comme une simple colonie britannique ou américaine, mais comme un phénomène existant dans d'autres parties du monde, défini comme un colonialisme de peuplement.

Il est intéressant de noter que pendant 20 à 30 ans, la notion de sionisme en tant que colonialisme de peuplement a disparu du discours politique et universitaire. Elle est réapparue lorsque des universitaires d'autres régions du monde, notamment d'Afrique du Sud, d'Australie et d'Amérique du Nord, ont reconnu que le sionisme était un phénomène similaire au mouvement des Européens qui ont créé les États-Unis, le Canada, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et l'Afrique du Sud. Cette idée nous aide à mieux comprendre la nature du projet sioniste en Palestine depuis la fin du 19e siècle jusqu'à aujourd'hui, et nous donne une idée de ce à quoi il faut s'attendre à l'avenir.

Je pense que cette idée particulière des années 1990, qui reliait si clairement les actions des colons européens, en particulier dans des endroits tels que l'Amérique du Nord et l'Australie, aux actions des colons venus en Palestine à la fin du 19e siècle, a permis d'élucider clairement les intentions des colons juifs qui ont colonisé la Palestine et la nature de la résistance palestinienne locale à cette colonisation. Les colons ont suivi la logique la plus importante adoptée par les mouvements coloniaux, à savoir que pour créer une communauté coloniale réussie en dehors de l'Europe, il faut éliminer les indigènes du pays où l'on s'est installé. Cela signifie que la résistance indigène à cette logique était une lutte contre l'élimination, et pas seulement une libération. Ce point est important si l'on pense à l'opération du Hamas et aux autres opérations de résistance palestinienne depuis 1948.

Les colons eux-mêmes, comme c'est le cas de nombreux Européens venus en Amérique du Nord, en Amérique centrale ou en Australie, étaient des réfugiés et des victimes de persécutions. Certains d'entre eux étaient moins malchanceux et cherchaient simplement une vie meilleure et de meilleures opportunités. Mais la plupart d'entre eux étaient des parias en Europe et cherchaient à créer une Europe dans un autre endroit, une nouvelle Europe, au lieu de l'Europe qui ne voulait pas d'eux. Dans la plupart des cas, ils ont choisi un endroit où quelqu'un d'autre vivait déjà, les peuples indigènes. Ainsi, le noyau le plus important parmi eux était constitué par leurs dirigeants et idéologues, qui ont fourni des justifications religieuses et culturelles à la colonisation de la terre d'autrui.

On peut ajouter à cela la nécessité de s'appuyer sur un empire pour commencer la colonisation et la maintenir, même si, à l'époque, les colons se sont rebellés contre l'empire qui les avait aidés et ont exigé et obtenu l'indépendance, qu'ils ont souvent obtenue et ont ensuite renouvelé leur alliance avec l'empire. La relation anglo-sioniste qui s'est transformée en alliance anglo-israélienne en est un exemple.

L'idée que l'on peut expulser par la force les habitants du pays que l'on veut est probablement plus compréhensible – et non justifiée – dans le contexte des 16e, 17e, et 18e siècles, parce qu'elle allait de pair avec une approbation totale de l'impérialisme et du colonialisme. Elle a été alimentée par la déshumanisation commune des autres peuples non occidentaux et non européens. Si vous déshumanisez les gens, vous pouvez plus facilement les éliminer.

La particularité du sionisme en tant que mouvement colonial de peuplement est qu'il est apparu sur la scène internationale à une époque où, partout dans le monde, on commençait à s'interroger sur le droit de supprimer les peuples indigènes, d'éliminer les indigènes et les peuples autochtones, et de ne pas se préoccuper de leurs droits. Nous pouvons donc comprendre les efforts et l'énergie déployés par les sionistes et, plus tard, par l'État d'Israël pour tenter de dissimuler le véritable objectif d'un mouvement de colonisation tel que le sionisme, à savoir l'élimination de la population autochtone.

Une extermination désormais sans fard. Pourquoi ?

Mais aujourd'hui, à Gaza, ils éliminent la population autochtone sous nos yeux, alors comment se fait-il qu'ils aient presque abandonné 75 ans de tentatives de dissimuler leurs politiques d'élimination ? Pour comprendre cela, nous devons apprécier la transformation de la nature du sionisme en Palestine au fil des ans.

Aux premiers stades du projet colonial sioniste, ses dirigeants menaient leurs politiques d'élimination avec une véritable tentative de résoudre la quadrature du cercle en prétendant qu'il était possible de construire une démocratie tout en éliminant la population autochtone. Le désir d'appartenir à la communauté des nations civilisées était très fort et les dirigeants ont supposé, en particulier après l'Holocauste, que les politiques d'élimination n'excluraient pas Israël de cette association.

Pour résoudre cette quadrature du cercle, les dirigeants ont insisté sur le fait que leurs actions d'élimination contre les Palestiniens constituaient des « représailles » ou une « réponse » aux actions palestiniennes. Mais très vite, lorsque ces dirigeants ont voulu passer à des actions d'élimination plus substantielles, ils ont abandonné le faux prétexte des « représailles » et ont simplement cessé de justifier ce qu'ils faisaient.

À cet égard, il existe une corrélation entre la manière dont le nettoyage ethnique s'est déroulé en 1948 et les opérations menées par Israël à Gaza aujourd'hui. En 1948, les dirigeants ont justifié chaque massacre commis, y compris le tristement célèbre massacre de Deir Yassine le 9 avril [de cette année 1948], comme une réaction à une action palestinienne : il pouvait s'agir de jeter des pierres sur un bus ou d'attaquer une colonie juive, mais cela devait être présenté à l'intérieur et à l'extérieur comme quelque chose qui ne sort pas de nulle part, comme de l'autodéfense. C'est d'ailleurs pour cette raison que l'armée israélienne s'appelle « Forces de défense israéliennes ». Mais parce qu'il s'agit d'un projet colonial de colonisation, elle ne peut pas toujours compter sur des « représailles ».

Les forces sionistes ont commencé le nettoyage ethnique pendant la Nakba en février 1948. Pendant un mois, toutes ces opérations ont été présentées comme des représailles à l'opposition palestinienne au plan de partage de l'ONU de novembre 1947. Le 10 mars 1948, les dirigeants sionistes cessent de parler de représailles et adoptent un plan directeur pour le nettoyage ethnique de la Palestine.

De mars 1948 à la fin de 1948, le nettoyage ethnique de la Palestine qui a conduit à l'expulsion de la moitié de la population palestinienne, à la destruction de la moitié de ses villages et à la désarabisation de la plupart de ses villes, a été réalisé dans le cadre d'un plan directeur systématique et intentionnel de nettoyage ethnique. De même, après l'occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza en juin 1967, chaque fois qu'Israël a voulu changer fondamentalement la réalité ou s'engager dans une opération de nettoyage ethnique à grande échelle, il s'est passé de justification.

Nous assistons aujourd'hui à un schéma similaire. Au début, les actions ont été présentées comme des représailles à l'opération Déluge al-Aqsa, mais maintenant c'est l'offensive appelée « épée de guerre » qui vise à ramener Gaza sous le contrôle direct d'Israël, mais en nettoyant ethniquement sa population par une campagne de génocide.

La grande question est de savoir pourquoi les hommes politiques, les journalistes et les universitaires occidentaux sont tombés dans le même piège qu'en 1948. Comment peuvent-ils encore aujourd'hui adhérer à l'idée qu'Israël se défend dans la bande de Gaza ? Qu'il réagit aux actions du 7 octobre ? Ou peut-être ne tombent-ils pas dans le piège. Ils savent peut-être que ce qu'Israël fait à Gaza utilise le 7 octobre comme prétexte.

Quoi qu'il en soit, jusqu'à présent, la revendication d'un prétexte par Israël chaque fois qu'il agresse les Palestinien.ne.s a aidé cet État à maintenir le bouclier d'immunité qui lui a permis de poursuivre ses politiques criminelles sans craindre de réaction significative de la part de la communauté internationale. Le prétexte a contribué à accentuer l'image d'Israël comme faisant partie du monde démocratique et occidental, et donc à l'abri de toute condamnation et de toute sanction. Tout ce discours sur la « défense » et les « représailles » est important pour le bouclier immunitaire dont Israël bénéficie de la part des gouvernements du Nord.

Mais comme en 1948, aujourd'hui encore, Israël poursuit son opération, se passe de prétexte, et c'est à ce moment-là que même ses plus grands soutiens éprouvent des difficultés à approuver ses politiques. L'ampleur des destructions, des massacres à Gaza, du génocide, est telle que les Israéliens ont de plus en plus de mal à se persuader eux-mêmes que ce qu'ils font est en fait de l'autodéfense ou de la réaction. Il est donc possible qu'à l'avenir, de plus en plus de gens aient du mal à accepter cette explication israélienne du génocide à Gaza.

Pour la plupart des gens, il est clair que ce qu'il faut, c'est un contexte et non un prétexte. Historiquement et idéologiquement, il est très clair que le 7 octobre est utilisé comme prétexte pour achever ce que le mouvement sioniste n'a pas pu achever en 1948.

En 1948, le mouvement de colonisation sioniste a utilisé un ensemble particulier de circonstances historiques que j'ai décrites en détail dans mon livre Le nettoyage ethnique de la Palestine, afin d'expulser la moitié de la population de la Palestine. Comme je l'ai dit, au cours de ce processus, ils ont détruit la moitié des villages palestiniens, démoli la plupart des villes palestiniennes, et pourtant la moitié des Palestinien.nes sont restés à l'intérieur de la Palestine. Les Palestinien.nes qui sont devenus des réfugiés en dehors des frontières de la Palestine ont poursuivi la résistance. De ce fait, l'idéal colonial des colons d'éliminer les autochtones n'a pas été atteint et, progressivement, Israël a utilisé tout son pouvoir – de 1948 à aujourd'hui – pour poursuivre l'élimination des autochtones.

De son début à son achèvement, l'élimination de l'autochtone ne se limite pas à une opération militaire consistant à occuper un lieu, à massacrer des gens ou à les expulser. L'élimination doit être justifiée ou devenir une inertie et le moyen d'y parvenir est la déshumanisation constante de ceux que vous avez l'intention d'éliminer. On ne peut pas tuer massivement des gens ou commettre un génocide contre un autre groupe humain sans le déshumaniser. Ainsi, la déshumanisation des Palestinien.nes est un message explicite et implicite transmis aux Juifs israéliens par le biais de leur système éducatif, de leur système de socialisation dans l'armée, des médias et du discours politique. Ce message doit être transmis et maintenu si l'on veut que l'élimination soit complète.

L'échec du projet sioniste

Nous assistons donc à une nouvelle tentative particulièrement cruelle d'achever l'élimination. Et pourtant, tout n'est pas désespéré. En fait, ironiquement, cette destruction inhumaine de Gaza met en évidence l'échec du projet colonial du sionisme. Cela peut sembler absurde, car je décris un conflit entre un petit mouvement de résistance, le mouvement de libération palestinien, et un État puissant doté d'une machine militaire et d'une infrastructure idéologique qui se concentre uniquement sur la destruction du peuple autochtone de Palestine.

Ce mouvement de libération n'a pas d'alliance forte derrière lui, alors que l'État auquel il est confronté bénéficie d'une alliance puissante – des États-Unis aux multinationales, en passant par les sociétés de sécurité de l'industrie militaire, les médias et les universités mainstream. Nous parlons de quelque chose qui semble presque désespéré et déprimant parce qu'en face il y a cette immunité internationale pour les politiques d'élimination qui commencent dès les premiers stades du sionisme et se poursuivent jusqu'à aujourd'hui. Ce sera probablement le pire chapitre de la tentative israélienne de pousser les politiques d'élimination à un niveau inédit, dans un effort beaucoup plus concentré de tuer des milliers de personnes en peu de temps, comme ils n'ont jamais osé le faire auparavant.

Alors comment cela peut-il être aussi un moment d'espoir ? Tout d'abord, ce type d'entité politique, d'État, qui doit maintenir la déshumanisation des Palestiniens afin de justifier leur élimination est une base très fragile si l'on se projette dans un avenir plus lointain. Cette faiblesse structurelle était déjà apparente avant le 7 octobre et une partie de cette faiblesse réside dans le fait que si l'on exclut le projet d'élimination, il y a très peu de choses qui unissent le groupe de personnes qui se définissent comme la « nation juive » en Israël.

Si l'on exclut la nécessité de combattre et d'éliminer les Palestinien.nes, on se retrouve avec deux camps juifs en guerre, que nous avons vus s'affronter dans les rues de Tel-Aviv et de Jérusalem jusqu'au 6 octobre 2023. D'immenses manifestations ont opposé des juifs laïques, celles et ceux qui se décrivent comme tels – pour la plupart d'origine européenne – qui croient qu'il est possible de créer un État démocratique pluraliste tout en maintenant l'occupation et l'apartheid à l'égard des Palestinien.nes à l'intérieur d'Israël -, à un nouveau type de sionisme messianique qui s'est développé dans les colonies juives de Cisjordanie, ce que j'ai appelé ailleurs l'État de Judée, qui est soudainement apparu parmi nous, croyant qu'ils ont maintenant un moyen de créer une sorte de théocratie sioniste sans aucune considération pour la démocratie, et croyant que c'est la seule vision d'un futur État juif.

Il n'y a rien de commun entre ces deux visions à part une chose : les deux camps se moquent des Palestinien.nes, les deux camps croient que la survie d'Israël dépend de la poursuite des politiques d'élimination à l'égard des Palestinien.nes. Cela ne tiendra pas la route. Il va se désintégrer et imploser de l'intérieur parce qu'il est impossible, au 21e siècle, de maintenir un État et une société sur la base d'un sentiment d'appartenance commun qui fait partie d'un projet génocidaire d'élimination. Cela peut certainement fonctionner pour certain.es, mais pas pour tou.tes.

Nous en avons déjà vu les signes avant le 7 octobre, lorsque des Israélien.nes qui ont des opportunités dans d'autres parties du monde en raison de leur double nationalité, de leurs professions et de leurs capacités financières, envisagent sérieusement de délocaliser leur argent et leur personne en dehors de l'État d'Israël. Ce qui restera, c'est une société économiquement faible, dirigée par ce type de fusion entre le sionisme messianique, le racisme et les politiques d'élimination des Palestinien.nes.

Oui, au début, l'équilibre des forces est du côté de l'élimination et non des victimes de l'élimination, mais l'équilibre des forces n'est pas seulement local, il est régional et international, et plus les politiques d'élimination sont oppressives (c'est terrible à dire mais c'est vrai), moins elles peuvent être couvertes comme une « réponse » ou des « représailles » et plus elles sont perçues comme une politique de génocide brutal. Il est donc moins probable que l'immunité dont jouit Israël aujourd'hui se poursuive à l'avenir.

Je pense donc qu'en ce moment très sombre, ce que nous vivons – et c'est un moment sombre parce que l'élimination des Palestinien.nes est passée à un niveau supérieur – est sans précédent. En termes de discours employé par Israël, d'intensité et d'objectif des politiques d'élimination, il n'y a pas eu une telle période auparavant dans l'histoire, c'est une nouvelle phase de la brutalité contre les Palestinien.nes. Même la Nakba, qui a été une catastrophe inimaginable, n'est pas comparable à ce que nous voyons aujourd'hui et à ce que nous allons voir dans les prochains mois. Je pense que nous sommes dans les trois premiers mois d'une période de deux ans qui verra les pires horreurs qu'Israël puisse infliger aux Palestiniens.

Mais même dans ce moment sombre, nous devrions comprendre que les projets coloniaux qui se désintègrent utilisent toujours les pires moyens pour tenter de sauver leur projet. C'est ce qui s'est passé en Afrique du Sud et au Sud-Vietnam. Je ne dis pas cela comme un vœu pieux, ni comme un activiste politique : je le dis en tant que spécialiste d'Israël et de la Palestine, avec toute la confiance que m'inspirent mes qualifications scientifiques. Sur la base d'un examen professionnel sérieux, j'affirme que nous assistons à la fin du projet sioniste, cela ne fait aucun doute.

Ce projet historique est arrivé à son terme et c'est un terme violent – de tels projets s'effondrent généralement de manière violente. C'est donc un moment très dangereux pour les victimes de ce projet, et les victimes sont toujours les Palestinien.nes ainsi que les Juif.ve.s, parce que les Juif.ve.s sont également victimes du sionisme. Ainsi, le processus d'effondrement n'est pas seulement un moment d'espoir, c'est aussi l'aube qui se lève après l'obscurité, c'est la lumière au bout du tunnel.

Un tel effondrement produit cependant un vide. Le vide apparaît soudainement ; c'est comme un mur qui s'érode lentement en se fissurant, mais qui s'effondre en un court instant. Et il faut être prêt pour de tels effondrements, pour la disparition d'un État ou la désintégration d'un projet de colonisation. Nous avons vu ce qui s'est passé dans le monde arabe, lorsque le chaos du vide n'a pas été comblé par un projet constructif et alternatif ; dans ce cas, le chaos continue.

Une chose est claire : quiconque réfléchit à l'alternative à l'État sioniste ne doit pas chercher en Europe ou en Occident des modèles susceptibles de remplacer l'État qui s'effondre. Il existe de bien meilleurs modèles locaux, hérités du passé récent et plus lointain du Machrek (la Méditerranée orientale) et du monde arabe dans son ensemble. La longue période ottomane possède de tels modèles et héritages qui peuvent nous aider à tirer des idées du passé pour envisager l'avenir.

Ces modèles peuvent nous aider à construire un type de société très différent qui respecte les identités collectives ainsi que les droits individuels, et qui est construit à partir de zéro comme un nouveau type de modèle qui bénéficie de l'apprentissage des erreurs de la décolonisation dans de nombreuses parties du monde, y compris dans le monde arabe et en Afrique. Il faut espérer que cela créera un nouveau type d'entité politique qui aura un impact énorme et positif sur le monde arabe dans son ensemble.

*

Ilan Pappé est un historien israélien antisioniste, professeur à l'Université d'Exeter, directeur du Centre européen pour les études palestiniennes, et un soutien de la lutte de libération du peuple palestinien. Il est l'auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels Les dix légendes structurantes d'Israël (Paris, Nuits Rouges, 2022) et Le nettoyage ethnique de la Palestine (nouvelle édition à paraître en mai aux éditions La fabrique).

Ce texte a initialement été publié ici le 1er février 2024 et repris en français sur le site Znet. Traduction révisée et intertitres de Contretemps.

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Au Sri Lanka, les femmes premières victimes du FMI et de la microfinance

5 mars 2024, par Nalini Ratnarajah, Amali Wedagedara, Balasingham Skanthakumar, Maxime Perriot — , ,
Réunion annuelle du CADTM Asie du Sud Pendant la réunion annuelle du CADTM Asie du Sud, qui s'est tenue à Katmandou (Népal), les mardi 13 et mercredi 14 février 2024, Amali (…)

Réunion annuelle du CADTM Asie du Sud

Pendant la réunion annuelle du CADTM Asie du Sud, qui s'est tenue à Katmandou (Népal), les mardi 13 et mercredi 14 février 2024, Amali Wedagedara, Nalini Ratnarajah et Balasingham Skanthakumar ont analysé la situation politique, économique, sociale du Sri Lanka. Bientôt deux ans après le soulèvement populaire (Aragalaya) qui avait abouti à la fuite de l'ancien président Gotabaya Rajapaksa, le FMI et les instituts de microfinance font peser le poids de leurs choix sur les Sri-Lankaises et les minorités.

Tiré du CADTM infolettre , le 2024-03-01
https://www.cadtm.org/Au-Sri-Lanka-les-femmes-premieres-victimes-du-FMI-et-de-la-microfinance

26 février par Balasingham Skanthakumar , Amali Wedagedara , Nalini Ratnarajah , Maxime Perriot

Amali Wedagedara

Printemps 2022 : notamment à cause de chocs extérieurs comme la pandémie de Covid-19 ou l'agression de l'Ukraine par la Russie, le Sri Lanka se retrouve en manque criant de devises extérieures pour importer les produits de base. Il doit faire face à des pénuries, de pétrole notamment et fait défaut sur sa dette extérieure. Les prix des produits de premières nécessités explosent. S'ensuit une insurrection populaire exceptionnelle qui aboutit, comme précisé au-dessus, à la fuite du Président Rajapaksa, représentant d'une famille omniprésente dans les sphères de pouvoir. Il est remplacé par son ancien premier ministre, Ranil Wickremesinghe, qui, dès septembre 2022, commence à négocier avec le Fonds monétaire international le 17e accord de l'Histoire du pays. Il met également en place une répression extrême sur tout type de manifestation – il est aujourd'hui interdit de manifester de manière non statique au Sri Lanka – et sur toutes les formes d'expressions critiques sur les réseaux sociaux.

Pour obtenir les prêts d'urgence du FMI – débloqués petit à petit par tranche de 330 millions de dollars pour atteindre 3 milliards au total – il a appliqué sans broncher les conditionnalités de l'institution de Bretton Woods. Au programme, baisse des budgets de l'éducation, de la santé, attaque sur le droit du travail, baisse des subventions sur les produits de première nécessité, hausse de la TVA… La crise économique et l'inflation, qui frappaient déjà de plein fouet les classes les plus populaires du pays, ont été considérablement accentuées par le FMI. Les dépenses quotidiennes n'ont fait qu'augmenter depuis deux ans et la population est exsangue. Exemple : la population sri-lankaise est confrontée au prix de l'électricité le plus élevé de toute l'Asie du Sud. Et celui-ci continue à augmenter.

La crise de la dette publique et les conditionnalités du FMI font tache d'huile sur la dette privée, sur la dette des ménages : 54% des ménages sri-lankais sont endettés. C'est aussi eux qui supportent la restructuration de la dette intérieure. En effet, les fonds de pension sri lankais qui ont daigné restructurer une partie de la dette du Sri Lanka qu'ils possédaient se remboursent en réduisant les pensions de la population, particulièrement des plus pauvres. Comme d'habitude, le capital s'en tire à bon compte et c'est la majorité de la population, et particulièrement les classes les plus populaires, les minorités et les femmes, qui paient au prix fort et sur leurs besoins essentiels les crises de la dette publique.

Les femmes et les minorités sont les premières victimes des politiques du FMI

Nalini Ratnarajah
Les mesures du FMI ont un impact considérable sur la nutrition des femmes et sur les conditions des accouchements

Nalini Ratnarajah a montré en quoi les femmes et les minorités sont les premières à subir les politiques d'austérité dictées par le FMI.

Les baisses des budgets imposés notamment dans la santé par l'institution financière internationale affectent le système de sécurité sociale, et donc l'accès des femmes et des personnes marginalisées – qui ne peuvent pas se rendre dans les hôpitaux privés – à l'hôpital public et aux médicaments. Ces mesures touchent notamment les conditions d'accouchements des femmes, ainsi que la qualité de leur nutrition, qui est considérablement affectée.

De plus, les violences sexistes et sexuelles augmentent quand la situation économique se dégrade et que l'État se retire. La situation du foyer devient beaucoup plus compliquée et les violences patriarcales ont tendance à se faire plus nombreuses.

Précisons également que les femmes sont les premières à rembourser la dette via leur travail dans les plantations de thé, les taxes qu'elles paient, ou encore leurs envois d'argent depuis les pays du Golfe. Ces trois éléments fournissent des devises ou des revenus au gouvernement pour rembourser la dette extérieure.

Nalini Ratnarajah a également rappelé la croissance de la haine anti-musulman·es, projetée contre les Tamouls. Celle-ci est accentuée par l'influence du pouvoir indien raciste de Modi sur le Sri Lanka.

Microfinance au Sri Lanka : le capital gagne du terrain

Une nouvelle loi a tout simplement interdit les pratiques de prêts traditionnelles, permettant aux institutions de microfinance de gagner toujours plus de terrain

À l'instar des politiques promues par le Fonds monétaire international, les institutions de microfinance poussent des millions de femmes dans le surendettement. En 2018, les taux d'intérêt pratiqués par le secteur de la microfinance ont atteint jusqu'à 220%, provoquant des manifestations importantes des femmes victimes de la microfinance abusive. Celles-ci réclamaient l'annulation de leurs dettes, clamant qu'elles avaient déjà remboursé plusieurs fois compte tenu des taux d'intérêt complètement fous qu'elles ont dû payer.

Sur les 2,4 millions de personnes (dont 2,3 millions de femmes) pris dans le piège de la microfinance, plusieurs milliers ont fait défaut sur leur dette. Dans un contexte préélectoral, le gouvernement a presque encouragé ces femmes à arrêter les paiements et a compensé les pertes des institutions de microfinance avec de l'argent public. Le gouvernement a donc socialisé les pertes de ces institutions financières, comme les États européens l'ont fait avec les banques pendant la crise financière de 2008-2010.

Au moment de l'arrivée de la pandémie de Covid-19, les mobilisations des femmes victimes de microfinance abusive ont logiquement décliné. Celles-ci ont essayé de se rabattre sur des pratiques traditionnelles de prêts entre femmes – les « tontines » en français. Cette pratique réunit un groupe de femmes qui se prêtent à tour de rôle pour des projets conséquents. C'était sans compter sur l'État sri-lankais, qui, via une nouvelle loi, a tout simplement interdit ces formes de prêts !

Cette loi a rendu illégales les pratiques traditionnelles car elle a interdit à quiconque de prêter sans être enregistré·e sur un registre officiel. C'est un cadeau énorme fait au capital et aux institutions de microfinances qui gagnent encore du terrain au détriment de femmes qu'elles poussent dans le surendettement, parfois jusqu'au suicide.

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Iran : des législatives “vides de sens” snobées par les réformateurs et boudées par les électeurs

5 mars 2024, par Courrier international — , ,
Les élections prévues le vendredi 1er mars se joueront uniquement entre conservateurs, le camp réformateur ayant décidé de ne pas présenter de candidats. Un boycott à peine (…)

Les élections prévues le vendredi 1er mars se joueront uniquement entre conservateurs, le camp réformateur ayant décidé de ne pas présenter de candidats. Un boycott à peine voilé, doublé du risque d'une très faible participation, alors que le pouvoir fait déjà face à une crise de légitimité, expliquent les médias iraniens.

Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Une urne symbolique pour les élections parlementaires iraniennes dans une rue de Téhéran, le 26 février 2024. Photo Wana News Agency/Reuters

Depuis des semaines, les dirigeants du régime iranien exhortent les 61 millions d'électeurs à se rendre, le vendredi 1er mars, dans les bureaux de vote afin d'élire leurs 290 représentants au Parlement pour un nouveau mandat de quatre ans. Plongée dans une crise économique aiguë et ayant déjà connu un soulèvement populaire inédit l'an dernier à la suite de la mort de la jeune Kurde Mahsa Amini, la République islamique fait face à un enjeu crucial, d'autant que le précédent scrutin, en 2020, a été marqué par un fort recul du taux de participation. Seuls 42,6 % des électeurs avaient voté, soit le plus faible pourcentage depuis la révolution islamique, en 1979.

Selon le dernier sondage mené par le gouvernement et relayé par le quotidien Etemad, la participation définitive dans l'ensemble du pays risque de ne pas dépasser les 36 %, tandis qu'à Téhéran, la capitale, elle devrait atteindre seulement 18 %. Lancée le jeudi 22 février, la campagne électorale reste, pour le moment, très discrète.

“Il semble que même certains groupes conservateurs n'aient aucun espoir de voir un taux de participation élevé aux prochaines élections”, confie le journal.

Un désintérêt croissant

Le “manque de confiance dans les autorités”, la “corruption dans les sphères supérieures du système” politique du pays, l'“indifférence des parlementaires aux protestations”, ainsi que la “passivité des députés sur la question de l'amélioration des conditions de vie” de la population sont les principales raisons du désintérêt des Iraniens pour cette nouvelle échéance électorale, rapporte de son côté le journal Hammihan.

De nombreuses figures de l'opposition, au sein de la diaspora mais aussi en Iran, ont d'ailleurs appelé ouvertement au boycott des élections. Fait inédit, le Front des réformes, principale coalition des partis réformateurs (qui font partie de la vie politique de la République islamique ; à distinguer des partis ou formations d'opposition en exil) a déclaré qu'elle ne présentera aucun candidat à ces élections “vides de sens” et “non compétitives”.

Cité par le journal Hamdeli, le vice-président de cette coalition, Mohsen Armin, a justifié cette décision par l'absence de liberté, un espace politique de plus en plus “verrouillé” et une société “très en colère”. La “participation aux élections n'aboutira à aucun changement”, a-t-il regretté.

La défiance envers le pouvoir s'est fortement exprimée lors des manifestations sans précédent qui ont éclaté après la mort, en septembre 2022, de Mahsa Amini, une jeune femme morte après avoir été arrêtée par la police des mœurs pour port du voile inapproprié. La contestation, qui s'est répandue dans tout le pays, a été violemment réprimée par le régime iranien avant de s'éteindre. Mais le feu couve toujours sous les cendres.

“Peur de l'échec” ?

Arrivé au pouvoir en 2021, le président conservateur Ebrahim Raïssi et le camp auquel il appartient tentent de verrouiller davantage un pouvoir politique de plus en plus contesté, y compris de l'intérieur. Pour les législatives de 2024, il n'y aura “plus de compétition entre conservateurs et réformistes”, s'est réjoui, pour sa part, le journal Iran Newspaper, proche du pouvoir. Les réformateurs “ont refusé de se présenter sous prétexte que leurs candidats seraient disqualifiés”, mais “en réalité ils avaient peur de l'échec”, d'après le quotidien.

“Désormais, la principale concurrence se jouera entre les conservateurs eux-mêmes, qui participent [aux élections] avec trois listes”, indique Iran Newspaper.

L'absence de concurrence a d'ailleurs exacerbé les divisions dans le camp des conservateurs. Selon le média d'opposition Radio Farda, le noyau dur du pouvoir, composé notamment du président, Ebrahim Raïssi, et du président de l'Assemblée iranienne, Mohammad Bagher Ghalibaf, constitue le groupe le plus important, majoritaire au sein du Parlement. Les groupes proches des “mollahs traditionnels” forment deux autres listes avec la “jeunesse radicale conservatrice”, précise Radio Farda.

Vers un front d'opposition élargi ?

Le quotidien Kayhan, l'un des principaux journaux ultraconservateurs, a critiqué récemment ces jeunes, les accusant d'être au service de “projets ennemis”. Ils ont “une apparence religieuse et révolutionnaire”, mais ils “ne manquent aucune occasion de critiquer les dirigeants au pouvoir”, a écrit le journal.

Dans le camp adverse, composé essentiellement de mouvements d'opposition en exil, le boycott des élections a conduit à la “formation du plus grand alignement” entre diverses forces politiques, “des réformateurs aux opposants du régime à l'étranger”, constate Radio Farda. Un rapprochement inédit entre des groupes intégrés à la République islamique et ses contempteurs mais qui ne se traduit pas, pour l'instant, par la formation de listes communes ou mixtes.

“Ce niveau de consensus parmi un grand nombre de forces politiques” est “sans précédent” dans l'histoire de la République islamique. Désormais le régime iranien est “confronté à sa plus grande crise de légitimité”, conclut le média d'opposition.

Courrier international

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Inde : la future troisième économie mondiale bientôt aux urnes

5 mars 2024, par Olivier Guillard — , ,
À l'approche des élections générales, le Premier ministre Narendra s'avance en favori pour obtenir un troisième mandat consécutif. Il peut se prévaloir des chiffres insolents (…)

À l'approche des élections générales, le Premier ministre Narendra s'avance en favori pour obtenir un troisième mandat consécutif. Il peut se prévaloir des chiffres insolents de l'économie indienne, souligne Olivier Guillard dans cette tribune.

Tiré de The asialyst. Légende de la photo : Le Premier ministre indien Narendra Modi à la tribune du Bharat Mobility Global Expo 2024, à New Delhi, le 2 février 2024. (PTI Photo) (Source : Asian Age)

Voilà deux mois que le troisième millénaire est entré dans sa 25ème année. Un millésime 2024 particulier à maints égards à cause de ses graves crises, conflits et zones de tension, mais aussi en ce qu'il marquera du sceau de la démocratie et des scrutins délicats rien de moins que sept des 10 pays les plus peuplés du globe. 2024 – « l'année électorale ultime » selon Time Magazine, « la mère de toutes les années électorales » selon l'expression du Council on Foreign Relations. Au total, quatre milliards d'individus ventilés sur une soixantaine d'États convieront leurs électeurs à déposer leur bulletin dans l'urne. L'Asie-Pacifique a entamé tambour battant cette longue procession électorale en organisant depuis janvier quatre scrutins au Bangladesh, à Taïwan, au Pakistan et en Indonésie. D'ici deux mois, un autre acteur asiatique et non des moindres mobilisera à son tour logistique, esprit civique et appétences démocratique pour renouveler son parlement national : l'Inde.

En avril–mai, la « plus grande démocratie du monde » attirera la lumière sur un scrutin aux ordres de grandeur comptables par définition sans pareil avec 980 millions d'individus inscrits sur les listes électorales. Peu importent leur sensibilité politique ou partisane, la plupart des observateurs de ce grand rendez-vous électoral quinquennal – les 18e élections à l'Assemblée nationale ou Lok Sabha – anticipent un très probable nouveau succès de la coalition chevillée autour du Bharatiya Janata Party (BJP), le parti de l'actuel Premier ministre Narendra Modi au pouvoir depuis 2014. Cette victoire historique plus que plausible confierait à l'énergique ancien ministre-en-chef du Gujarat un troisième mandat consécutif. Une performance politique dont seul avant lui Jawaharlal Nehru (Après des victoires électorales obtenues en 1951, 1957 et 1962) pourrait se prévaloir.

En avril–mai, la « plus grande démocratie du monde » attirera la lumière sur un scrutin aux ordres de grandeur comptables par définition sans pareil avec 980 millions d'individus inscrits sur les listes électorales. Peu importent leur sensibilité politique ou partisane, la plupart des observateurs de ce grand rendez-vous électoral quinquennal – les 18e élections à l'Assemblée nationale ou Lok Sabha – anticipent un très probable nouveau succès de la coalition chevillée autour du Bharatiya Janata Party (BJP), le parti de l'actuel Premier ministre Narendra Modi au pouvoir depuis 2014. Cette victoire historique plus que plausible confierait à l'énergique ancien ministre-en-chef du Gujarat un troisième mandat consécutif. Une performance politique dont seul avant lui Jawaharlal Nehru* pourrait se prévaloir.

Fort d'une légitimité politique et d'une autorité que bien peu de monde lui dispute dans son pays, le dernier invité d'honneur des cérémonies du 14 juillet à Paris se présente devant l'électorat indien en s'appuyant sur un argument de poids : en 2024, la cinquième économie mondiale – et troisième économie d'Asie – se porte bien. Elle traverse au mieux une conjoncture internationale agitée par des ondes de choc géopolitiques allant des marges orientales de l'Europe au détroit de Taïwan, en passant par un Moyen-Orient en ébullition.

Les médias asiatiques se sont penché sur ce contexte économique opportun, jalousé par nombre d'acteurs étatiques (En 2022, seulement 3 % de croissance du PIB chinois, +2,6 % En Corée du Sud et en Thaïlande et +2,4 % à Taïwan, selon la Banque asiatique de Développement) infiniment moins bien lotis en matière de croissance économique. Les chiffres et les prévisions de croissance pour 2023 et 2024 sont parfois insolents, au regard par exemple de l'atonie générale inquiétante de la zone euro (+0,2 % de croissance du PIB en Allemagne). « Les perspectives de l'économie indienne semblent prometteuses, avec une croissance du PIB de 7 % pour l'exercice 2025, annonce fièrement The Indian Express, en s'appuyant sur les données détaillées du dernier rapport du ministère indien des Finances. Pour l'exercice en cours, l'économie indienne devrait connaître une croissance de + 7,3 %. Ce serait la troisième année consécutive que la croissance du PIB dépasserait les +7 %. » Et pour expliquer ce dynamisme économique indien, l'auteur de l'article met en avant les bénéfices d'une « bonne récolte agricole, la rentabilité soutenue de l'industrie manufacturière, la bonne résistance des services ainsi que l'amélioration attendue de la consommation des ménages et du cycle d'investissement privé ».

Cette incontestable montée en régime du géant d'Asie méridionale n'a pas uniquement profité aux comptes publics ou aux grands trusts industriels du pays. Les 1,4 milliard d'Indiens en ont également perçu des dividendes concrets dans leur vie quotidienne : l'extrême pauvreté a significativement reculé en l'espace de quelques années (Laquelle concernait environ un Indien sur six en 2015 contre désormais moins d'un sur huit), consécutivement aux transferts sociaux vers la population la plus exposée. La santé publique et l'hygiène sont davantage pris en compte par les autorités (projet « Clean India » ou mission « Swachh Bharat Abhiyan » : campagne nationale pour la construction de toilettes publics lancée en 2014), faisant notamment reculer la mortalité infantile.

La construction annuelle depuis 2018 de plus de 10 000 km de routes supplémentaires offre certes à l'économie des gains de productivité importants mais également à la population des possibilités de déplacement nouvelles (trajets plus nombreux, moins heurtés et plus courts). La part du budget dévolue au financement des grands projets d'infrastructures est passée de 0,4 % du PIB en 2014 à 1,7 % aujourd'hui.

La croissance la plus rapide parmi les grandes économie du monde

Cet enthousiasme « comptable » ne se limite pas uniquement aux frontières du pays. Quelque 6 000 km vers l'Est et quatre fuseaux horaires plus loin, dans la capitale de la désormais quatrième économie mondiale, le Japon, l'analyse panoramique des récentes performances économiques et financières indiennes est pareillement allègre. « Cette fois, la croissance économique rapide de l'Inde « a des jambes ». Les facteurs qui avaient précédemment freiné l'élan ont enfin été pris en compte », décrit le Nikkei Asia. Un constat flatteur sans appel : « La qualité des performances récentes de l'économie indienne est incontestable. Le pays a été l'économie majeure à la croissance la plus rapide en 2022 et 2023 et devrait l'être à nouveau en 2024. »

Notons que les titans industriels et autres tout puissants conglomérats indiens se portent pour certains d'entre eux à merveille. C'est notamment le cas de l'incontournable Tata Group (Compagnies aériennes, aérospatiale, conseil, production d'électricité, énergie électrique, finance, hôtellerie, technologies de l'information, commerce de détail, commerce électronique, immobilier, télécommunications, etc. Plus d'un million de salariés) dont le magazine India Today nous apprend que la capitalisation boursière atteint désormais les 365 milliards de dollars – soit 24 milliards de dollars de plus que la totalité du PIB pakistanais (341 milliards de dollars selon le FMI) (En comparaison, pour l'exercice fiscal 2022-2023, l'économie pakistanaise affiche une croissance négative (PIB -0,17 %), handicapée notamment par les inondations majeures et une dette publique plus que préoccupante).

Du reste, le regard européen sur l'insolente bonne santé de l'économie (Pourtant, on reproche à ce dynamisme économique indiscutable de ne pas créer suffisamment d'emplois pour accueillir chaque année les millions de jeunes gens arrivant sur le marché du travail) du pays de Nehru et Gandhi lors de la décennie écoulée, sous le management énergique et pro-business de Narendra Modi, est à l'aune des lectures indienne et nipponne esquissées plus haut. Depuis Davos et son incontournable World Economic Forum (WEF) (L'édition 2024 (54ème du nom) de cette grand-messe mondiale s'est tenue du 15 au 19 janvier 2024), les éloges et satisfécits pleuvent également sur les artisans de la réussite indienne. Pour son président Borge Brende, le PIB indien atteindra d'ici 5 ans le seuil symbolique des 10 000 milliards de dollars, garantissant ainsi à l'Inde le troisième rang mondial derrière les États-Unis et la Chine. « L'économie indienne est celle qui connaît la croissance la plus rapide parmi toutes les grandes économies du monde. Nous avons vu à Davos cette année que l'Inde suscitait un grand intérêt et je pense que cela va continuer […]. Quand on vient en Inde, on ressent un certain optimisme, ce qui n'est pas le cas partout dans le monde », s'enthousiasme l'ancien ministre norvégien des Affaires étrangères (Borge Brende préside le WEF depuis 2017), confiant au passage : « Le Premier ministre indien Narendra Modi est toujours le bienvenu à Davos ». Un témoignage nécessairement apprécié du côté du Panchavati, la résidence officielle du chef de gouvernement indien.

Que de chemin parcouru depuis 2014. Qui se souvient aujourd'hui qu'une douzaine d'années plus tôt – en 2013 précisément, un an avant l'arrivée aux affaires de Narendra Modi -, la très respectée banque américaine Morgan Stanley intégrait l'Inde dans le cercle peu flatteur des économies de marché émergentes vulnérables, surnommées les « cinq fragiles » du fait notamment de leur dépendance aux capitaux étrangers pour alimenter leur économie ou de l'importance du déficit de leur balance courante. Un club comprenant à cette époque le Brésil, la Turquie, l'Afrique du Sud, l'Indonésie, et donc l'Inde.

En août dernier, depuis l'emblématique Fort Rouge de New Delhi où l'on célébrait le Jour de l'Indépendance, le Premier ministre Narendra Modi promettait à ses concitoyens que leur économie intégrerait le club huppé des économies développées d'ici 2047, année qui honorerait le centenaire de l'indépendance nationale, obtenue à l'été 1947. 23 ans avant cette échéance historique autant que symbolique, les augures semblent favorables à pareille prophétie.

Propos recueillis par Olivier Guillard

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À Soueïda, les Druzes enclenchent leur propre révolution

5 mars 2024, par Mazen Ezzi — , ,
Depuis août 2023, la province de Soueïda connaît des manifestations régulières appelant au changement du régime de Bachar Al-Assad. Le mercredi 28 février, un manifestant a été (…)

Depuis août 2023, la province de Soueïda connaît des manifestations régulières appelant au changement du régime de Bachar Al-Assad. Le mercredi 28 février, un manifestant a été tué par les tirs des forces de sécurité, provoquant un déferlement de colère de la part de la population locale.

Tiré de NPA 29
Photo :Manifestation pacifique contre le régime syrien à Soueïda, le 29 septembre 2023 Sam Hariri/AFP

Ce mouvement de contestation, démarré douze ans après le soulèvement populaire qui s'est transformé en une guerre civile, étonne, surtout de la part de la communauté druze, soucieuse jusque-là de conserver sa neutralité. Le chercheur et journaliste Mazen Ezzi nous livre son point de vue sur la mobilisation en cours dans la région.

Quand Orient XXI m'a demandé d'écrire un article sur les événements qu'a connus la province de Soueïda, afin de rendre cela plus accessible à un lecteur non-arabe et non-spécialiste, j'étais vraiment heureux. J'ai toujours écrit en arabe ou en anglais, et je ne me suis jamais adressé à un lecteur francophone, alors que je vis comme réfugié à Paris depuis cinq ans.

Très vite cependant, la difficulté de la tâche m'est apparue. Comment en effet écrire un article explicatif portant sur une question proche-orientale extrêmement complexe, qui a ses propres dynamiques, sa propre histoire et son propre contexte, sans se perdre dans les détails ? Ce texte est censé répondre à une question simple : pourquoi une région syrienne limitrophe et périphérique, où vit une petite minorité ethnique, a connu en 2023 des manifestations pacifiques réclamant un changement politique ?

Pour y répondre, il faut d'abord souligner que, ce qui est surprenant dans cette contestation pacifique et populaire à Soueïda, c'est qu'elle advient douze ans après la révolution syrienne de 2011 contre un régime dictatorial en place depuis soixante ans.

La dernière décennie a connu une guerre civile qui a causé la mort de près d'un demi-million de personnes et le déplacement de six millions de réfugiés, à l'intérieur comme à l'extérieur du pays, ainsi que l'arrestation de centaines de milliers de personnes, la destruction de villes et de villages entiers, mais aussi la division du pays entre cinq armées étrangères, qui ont chacune leur base et leur zone d'influence.

Une guerre durant laquelle des crimes contre l'humanité ont été commis, des politiques de changement démographique ont été menées et, dans certains cas, des mesures de nettoyage ethnique ont été appliquées. Tout cela dans un pays marqué également par des crises globales – et non des moindres –, comme le réchauffement climatique.

Une contestation festive

Commençons par les manifestations pacifiques : celles-ci se poursuivent depuis le mois d'août dernier dans la province à majorité druze de Soueïda, dans le sud du pays. Les revendications, l'organisation, les formes et les moyens de cette contestation sont très ancrés dans l'environnement local.

Les habitants ont ainsi décidé que le moment était venu de mettre fin au règne du parti Baas, au pouvoir depuis 1963. Ses locaux qui n'ont pas été fermés à travers la province ont été récupérés par la population — puisqu'ils tombaient légalement sous le régime de la propriété publique — pour en faire des crèches, des écoles, des dispensaires ou même des centres de développement communautaire.

Les manifestants tentent de recourir à divers moyens de lutte pacifique, à travers des célébrations quotidiennes sur les grandes places des 130 villes et villages de la province. Un important mouvement féministe, enraciné localement et porté par des revendications spécifiques (égalité, nationalité, etc.), participe également à cette mobilisation. Concerts, chants, festivals, spectacles équestres et folkloriques, chants populaires ou improvisés au gré des événements… tout cela donne une dimension politique supplémentaire aux demandes des protestataires, que le régime est incapable de satisfaire.

Ces manifestations bénéficient d'un large soutien, notamment parmi de nombreux fonctionnaires et employés de l'État, historiquement loyaux au pouvoir en place, dont ils tirent profit en retour. Mais ces employés, comme les classes moyennes en général, sont désormais touchés par l'incapacité des autorités à assurer les moyens de subsistance quotidiens, comme le taux de change de la livre, le pouvoir d'achat, les salaires, le prix du carburant, la fourniture d'électricité, l'accès à l'eau potable, les infrastructures, la santé, l'éducation et le système judiciaire.

L'État est en faillite et son financement dépend principalement de l'emploi de personnes qui ne reçoivent pas de réelle compensation. Outre la poursuite du train de vie luxueux des membres du petit groupe à la tête du pays, la priorité du pouvoir est de maintenir les services de sécurité et l'armée, ainsi que sa gigantesque machine bureaucratique.

Une victoire au goût de défaite

La contestation actuelle est une réponse directe à la récente libéralisation des prix instaurée par le gouvernement. Cette décision a entraîné une nouvelle dévaluation de la livre — et du pouvoir d'achat —, accentuant la détresse de la populations face à la menace de famine, d'autant que plus de la moitié des Syriens souffrent gravement d'insécurité alimentaire.

La détérioration économique s'est accélérée depuis que le conflit armé a relativement diminué à partir de 2018, c'est-à-dire depuis la victoire militaire — aux airs de défaite politique — remportée par les forces du régime sur les rebelles autour de Damas, à Deraa et à Homs, entraînant le déplacement forcé des opposants vers le nord-ouest de la Syrie.

Cette victoire a été obtenue au prix de la destruction de villes et de régions entières, de réseaux routiers et d'électricité ainsi que des infrastructures. Un changement démographique a ciblé la population des campagnes sunnites et de certains des plus grands bidonvilles entourant Alep et Damas. Le succès militaire du régime est une victoire au goût amer, celle de la violence de l'État sur la société. Elle ne peut avoir de bénéfice sur le plan politique tant que le seul langage utilisé par le régime est celui de la force et des armes.

Les récentes manifestations — ou le soulèvement populaire comme les gens préfèrent l'appeler — constituent le point culminant d'un long mouvement de protestation qui a commencé à Soueïda en 2011. La première vague de manifestation pacifique s'est déroulée de 2011 à 2014. Elle se caractérisait par son élitisme et par le faible nombre de participants. En 2020, le mouvement s'est élargi et renforcé grâce notamment à la forte implication des jeunes, avec des campagne de protestation menées sous les slogans « Khna'touna » (« Vous nous étouffez ») et « Bedna n'ich » (« Nous voulons vivre »). Le soulèvement de 2022 était quant à lui dirigé contre les gangs de sécurité affiliés au régime et mené par des factions armées locales.

« L'union des minorités »

Soueïda fait partie des zones placées sous le contrôle fragile du régime, étant donné qu'il s'agit d'une région périphérique de la Syrie, qu'aucune route internationale ne traverse et où il n'y a pas de passage douanier bien qu'elle partage une longue frontière avec la Jordanie. Elle ne compte pas non plus de richesses ou de ressources naturelles dont le régime pourrait avoir besoin. La province est habitée par la minorité druze, qui constitue environ 3 % de la population syrienne, et sa population n'y dépasse pas le demi-million.

Depuis début 2011, le régime syrien a préféré ne pas intervenir directement à Soueïda, pour éviter les frictions avec les Druzes et s'assurer leur loyauté dans le conflit armé avec les sunnites, qui constituent 70 % de la population — le cercle décisionnel, la direction des services de sécurité et militaires, ainsi que les institutions gouvernementales les plus importantes sont quant à eux majoritairement contrôlés par les Alaouites, qui représentent seulement 12 % de la population du pays.

Face au narratif de la révolution syrienne prônant le renversement populaire du régime, celui-ci a opposé son propre récit selon lequel il existerait une alliance des minorités face à la menace extrémiste sunnite. C'est ainsi que le pouvoir a autorisé une petite marge de manœuvre aux habitants de Soueïda, comme il l'a fait — mais de manière plus large et plus systématique — dans les régions kurdes du nord-est de la Syrie.

La présence de l'armée a alors diminué au fil du temps, tout comme les interférences directes en matière de sécurité dans la vie quotidienne de la population. Ainsi, depuis la mi-2014, des groupes civils armés sont apparus à Soueïda pour protéger leurs territoires, notamment le mouvement Rijal Al-Karama (Les Hommes de la dignité), le plus important groupe d'autodéfense de la région, en plus d'un large éventail de milices loyales au pouvoir et de factions de sécurité proches du régime.

Cette faible marge de manœuvre et la présence des forces armées locales ont permis à la province d'adopter une position neutre à l'égard de la guerre depuis 2014. En ayant recours à une fatwa stipulant que toute personne tuée au combat n'aurait pas droit à la prière funéraire, les Druzes ont empêché leurs enfants de rejoindre les rangs de l'armée pour se battre ou de faire le service militaire, qui est pourtant obligatoire. D'autre part, le voisinage avec des factions armées de l'opposition actives à la frontière de la province, du côté de la campagne de Damas et de Deraa, est devenu de plus en plus difficile en raison de l'islamisation et de la radicalisation de ces factions. À plusieurs reprises, de violents affrontements ont éclaté entre elles et les groupes armés locaux.

Cette position de neutralité a eu pour effet la détérioration des relations entre le régime et Soueïda, et au fil du temps, la région s'est transformée en une espèce de grande prison que beaucoup de jeunes hommes ne pouvaient plus quitter, sous peine d'être arrêtés aux points de contrôle militaires ou aux barrages de sécurité entourant la province et d'être obligés d'effectuer leur service militaire.

De tels incidents au cours des dernières années ont provoqué des conflits et des heurts récurrents entre le régime et la communauté locale. À chaque fois qu'un jeune homme originaire de la province était arrêté dans une autre région du pays, les familles répondaient en enlevant des officiers ou des employés de l'État pour servir de monnaie d'échange. Car souvent, le seul moyen d'obtenir l'attention du régime est d'exercer une pression sur lui.

Trafic de captagon

Cette neutralité a permis à Soueïda de ne pas subir directement et militairement la guerre. En même temps, elle a amené Damas à marginaliser toujours plus cette région, en réduisant notamment les subventions publiques. Le traitement par le régime de la « question de Soueïda » s'est réduit essentiellement à la sécurité, comme cela s'est produit en septembre 2015 avec l'attentat à la bombe contre le convoi transportant cheikh Wahid Al-Bal'ous, fondateur des Hommes de la dignité. L'assassinat d'Al-Bal'ous a représenté un coup dur, quoique non fatal, porté à la première tentative locale d'organisation et d'autoprotection, destinée à garantir une neutralité totale entre les différentes parties en guerre.

L'indifférence du régime à l'égard de la province a atteint son paroxysme fin 2018, lorsque l'Organisation de l'État islamique (OEI) a attaqué les villages situés dans la partie est du pays, causant la mort de centaines de civils. Seules les factions armées locales ont pu repousser cette offensive, sans que l'armée syrienne n'intervienne. Or, la plupart des membres de l'OEI qui ont perpétré le massacre dans le désert oriental de Soueïda venaient du camp de Yarmouk, à Damas, conformément à un accord que l'organisation djihadiste avait conclu avec le régime sous parrainage russe quelques mois auparavant, pour mettre fin à la guerre ravageant le camp.

Au fil du temps, ce chaos « géré » par les forces de sécurité a mis en lumière le rôle pivot de Soueïda dans le trafic de drogue, la région étant devenue une plaque tournante pour l'acheminement du captagon vers la Jordanie et, de là, vers le Golfe Arabo-Persique. Le flou entretenu par le régime au prétexte de cette instabilité régionale a permis d'atteindre deux objectifs : ne pas fournir de services de base à la population, et justifier auprès d'Amman l'impossibilité de contrôler entièrement la frontière entre les deux pays.

En plus du trafic de captagon vers la Jordanie, la région a été inondée par la drogue, et des gangs criminels présents dans tous les domaines de l'économie de guerre ont pullulé, pratiquant les enlèvements contre rançon, les vols et le trafic de drogue et d'armes, et se livrant à de nombreux assassinats. La situation a poussé les jeunes hommes et femmes de Soueïda vers les routes de l'exil.

Dans ce contexte, il n'est guère surprenant de voir qu'au cours des récentes manifestations, la colère civile soit dirigée directement contre le régime syrien et qu'elle exige son changement à travers la mise en œuvre de la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies adoptée en décembre 2015. Celle-ci prévoit le lancement d'un processus politique en Syrie, qui passerait par un transfert pacifique du pouvoir, avec la participation du régime, à une autorité civile de transition, en vue d'établir un système démocratique pluraliste. Cependant ce processus politique est gelé et le régime refuse d'y prendre part car il implique un réel partage du pouvoir avec l'opposition.

Tentatives de division

Mais Soueïda ne figure pas sur la liste des intérêts prioritaires de Damas. Depuis le début des manifestations, aucun responsable gouvernemental, législatif, militaire, judiciaire ou sécuritaire n'en a parlé ou ne s'est rendu dans la province. Il semble plutôt qu'après deux mois de protestations le régime ait choisi d'ignorer ce qui s'y passe. Car utiliser la répression à l'encontre des Druzes saperait son narratif sur la guerre contre le terrorisme islamique radical.

Ceux-ci forment une alliance tribale qui adhère à une secte mystique et hermétique. Ils ne sont pas partisans du « djihad », ils ne versent pas dans le prosélytisme et n'ont pas de visées expansionnistes. Ce sont des paysans qui vivent dans une zone frappée par la sécheresse et le manque d'eau, et par le dérèglement climatique qui commence à affecter leur production agricole de pommes, de raisins, de cerises, d'olives et de céréales.

L'État représente un fardeau pour ces paysans, entièrement dépendants des sociétés de vente au détail liées au régime qui achètent leurs récoltes à des prix qui couvrent à peine les coûts de production. L'aide fournie par les organisations internationales est redirigée vers les partenaires du Trust syrien pour le développement (STD), une ONG dirigée par Asma Al-Assad, l'épouse du chef de l'État. Le STD travaille avec toutes les organisations étrangères autorisées à exercer dans les zones contrôlées par le pouvoir.

Le régime ne cherche pas nécessairement à mater par la force le mouvement de protestation, mais il s'efforce constamment de diviser les rangs des manifestants, de les monter les uns contre les autres, de les accuser de vouloir faire sécession et d'intelligence avec l'étranger, y compris Israël. Les autorités mobilisent également les réseaux de ceux qui ont historiquement bénéficié de ses largesses, notamment les chefs religieux et traditionnels druzes, à Soueïda, dans la campagne de Damas et à Quneitra, sur le plateau du Golan, ainsi qu'au Liban, pour affaiblir le soulèvement.

Ces accusations ne trouvent aucun écho dans la province, où il semble que les gens, malgré la faim, la fatigue et l'oppression, restent convaincus que la seule solution pour eux et pour le reste de la population est un changement politique réel et pacifique qui garantisse une transition pacifique la démocratie.

Malgré ce chemin long et difficile, les manifestants tentent de maintenir la dialogue, de réfléchir et de trouver des solutions aux difficultés quotidiennes qui les accablent. Ils aspirent à une gouvernance locale et solidaire, de bas en haut, qui fait défaut aux Syriens depuis des décennies. La communauté locale s'efforce ainsi, à travers un mouvement de protestation pacifique et sans s'appuyer sur aucun allié interne ou externe, de faire face à un régime dictatorial dirigé par une junte militaro-sécuritaire, sortie victorieuse d'une guerre civile dévastatrice.

Puis-je dire à présent que la difficulté pour moi n'a pas été tant d'écrire pour un lecteur étranger et non-spécialiste que d'expliquer les causes de ce miracle de Soueïda ?

Mazen Ezzi Traduit de l'arabe par Sarra Grira.

Journaliste et chercheur syrien, originaire de Soueïda, installé à Paris.

https://orientxxi.info/

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« Nous ne serons pas complices de la violation du droit international par Israël »

5 mars 2024, par Internationale Progressiste — , , , ,
Nous, les parlementaires signataires de cette lettre, déclarons notre engagement à mettre fin aux ventes d'armes de nos nations à l'État d'Israël. Nos bombes et nos balles ne (…)

Nous, les parlementaires signataires de cette lettre, déclarons notre engagement à mettre fin aux ventes d'armes de nos nations à l'État d'Israël. Nos bombes et nos balles ne doivent pas être utilisées pour tuer, mutiler et déposséder les Palestiniens. Mais c'est le cas : nous savons que des armes mortelles et leurs pièces détachées, fabriquées ou expédiées par nos pays, contribuent actuellement à l'assaut israélien contre la Palestine, qui a fait plus de 30 000 morts à Gaza et en Cisjordanie.

Tiré du blogue de l'auteur.

Nous ne pouvons pas attendre. À la suite de l'arrêt provisoire rendu par la Cour internationale de justice (CIJ) dans l'affaire de la Convention sur le génocide contre l'État d'Israël, l'embargo sur les armes n'est plus une nécessité morale, mais une obligation légale.

Nous ne nous rendrons pas complices des graves violations du droit international commises par Israël. La CIJ a ordonné à Israël de ne pas tuer, blesser ou « [infliger] délibérément aux [Palestiniens] des conditions d'existence visant... leur destruction physique ». Israël a refusé. Au lieu de cela, ils poursuivent l'assaut prévu sur Rafah qui, selon le secrétaire général des Nations unies, « augmentera de façon exponentielle ce qui est déjà un cauchemar humanitaire ».

Aujourd'hui, nous prenons position. Nous allons prendre des mesures immédiates et coordonnées dans nos assemblées législatives respectives pour empêcher nos pays d'armer Israël.

Signataires

Janet Rice, Parlement australien

Larissa Waters, Parlement australien

David Shoebridge, Parlement australien

Jordon Steele-John, Parlement australien

Lidia Thorpe, Parlement australien

Adam Bandt, Parlement australien

Max Chandler-Mather , Parlement australien

Elizabeth Watson-Brown, Parlement australien

Stephen Bates, Parlement australien

Sarah Hanson-Young, Parlement australien

Peter Whish-Wilson, Parlement australien

Nick McKim, Parlement australien

Mehreen Faruqi, Parlement australien

Dorinda Cox, Parlement australien

Barbara Pocock, Parlement australien

Penny Allman-Payne, Parlement australien

Peter Mertens, Parlement fédéral belge

Ludwig Vandenhove, Parlement fédéral belge

Melissa Depraetere, Parlement fédéral belge

Jos D'Haese, Belgique, Parlement flamand

Germain Mugemangango, Belgique, Parlement wallon

Nilto Tatto, Congrès national brésilien

Célia Xakriabá, Congrès national brésilien

Chico Alencar, Congrès national brésilien

Erika Hilton, Congrès national brésilien

Fernanda Melchionna, Congrès national brésilien

Guilherme Boulos, Congrès national brésilien

Glauber Braga, Congrès national brésilien

Henrique Vieira, Congrès national brésilien

Ivan Valente, Congrès national brésilien

Luciene Cavalcante, Congrès national brésilien

Luiza Erundina, Congrès national brésilien

Sâmia Bomfim, Congrès national brésilien

Talíria Petrone, Congrès national brésilien

Tarcísio Motta, Congrès national brésilien

Niki Ashton, Parlement canadien

Matthew Green, Parlement canadien

Alma Dufour, Assemblée nationale française

Nadège Abomangoli, Assemblée nationale française

Laurent Alexandre, Assemblée nationale française

Gabriel Amard, Assemblée nationale française

Ségolène Amiot, Assemblée nationale française

Farida Amrani, Assemblée nationale française

Rodrigo Arenas, Assemblée nationale française

Clémentine Autain, Assemblée nationale française

Ugo Bernalicis, Assemblée nationale française

Christophe Bex, Assemblée nationale française

Carlos Martens Bilongo, Assemblée nationale française

Manuel Bompard, Assemblée nationale française

Idir Boumertit, Assemblée nationale française

Louis Boyard, Assemblée nationale française

Aymeric Caron, Assemblée nationale française

Sylvain Carrière, Assemblée nationale française

Florian Chauche, Assemblée nationale française

Sophia Chikirou, Assemblée nationale française

Hadrien Clouet, Assemblée nationale française

Éric Coquerel, Assemblée nationale française

Alexis Corbière, Assemblée nationale française

Jean-François Coulomme, Assemblée nationale française

Catherine Couturier, Assemblée nationale française

Hendrik Davi, Assemblée nationale française

Sébastien Delogu, Assemblée nationale française

Karen Erodi, Assemblée nationale française

Martine Etienne, Assemblée nationale française

Emmanuel Fernandes, Assemblée nationale française

Sylvie Ferrer, Assemblée nationale française

Caroline Fiat, Assemblée nationale française

Perceval Gaillard, Assemblée nationale française

Raquel Garrido, Assemblée nationale française

Clémence Guetté, Assemblée nationale française

David Guiraud, Assemblée nationale française

Mathilde Hignet, Assemblée nationale française

Rachel Keke, Assemblée nationale française

Andy Kerbrat, Assemblée nationale française

Bastien LachaudFrançais, Assemblée nationale

Maxime Laisney, Assemblée nationale française

Arnaud Le Gall, Assemblée nationale française

Antoine Léaument, Assemblée nationale française

Élise Leboucher, Assemblée nationale française

Charlotte Leduc, Assemblée nationale française

Jérôme Legavre, Assemblée nationale française

Sarah Legrain, Assemblée nationale française

Murielle Lepvraud, Assemblée nationale française

Élisa Martin, Assemblée nationale française

Pascale Martin, Assemblée nationale française

William Martinet, Assemblée nationale française

Frédéric Mathieu, Assemblée nationale française

Damien Maudet, Assemblée nationale française

Marianne Maximi, Assemblée nationale française

Manon Meunier, Assemblée nationale française

Jean-Philippe Nilor, Assemblée nationale française

Danièle Obono, Assemblée nationale française

Nathalie Ozio, Assemblée nationale française

Mathilde Panot, Assemblée nationale française

René Pilato, Assemblée nationale française

François Piquemal, Assemblée nationale française

Thomas Portes, Assemblée nationale française

Loïc Prud'homme, Assemblée nationale française

Adrien Quatennens, Assemblée nationale française

Jean-Hugues Ratenon, Assemblée nationale française

Sébastien Rome, Assemblée nationale française

François Ruffin, Assemblée nationale française

Aurélien Saintoul, Assemblée nationale française

Michel Sala, Assemblée nationale française

Danielle Simonnet, Assemblée nationale française

Ersilia Soudais, Assemblée nationale française

Anne Stambach-Terrenoir, Assemblée nationale française

Andrée Taurinya, Assemblée nationale française

Matthias Tavel, Assemblée nationale française

Aurélie Trouvé, Assemblée nationale française

Paul Vannier, Assemblée nationale française

Léo Walter, Assemblée nationale française

Andrej Hunko, Bundestag allemand

Nicole Gohlke, Bundestag allemand

Bernd Riexinger, Bundestag allemand

Kathrin Vogler, Bundestag allemand

Sevim Dagdelen, Bundestag allemand

Ates Gürpinar, Bundestag allemand

Thomas Pringle, Oireachtas irlandais

Jimmy Dijk, Parlement des Pays-Bas

Sarah Dobbe, Parlement des Pays-Bas

Mariana Mortágua, Parlement portugais

Pedro Filipe Soares, Parlement portugais

José Soeiro, Parlement portugais

Joana Mortágua, Parlement portugais

Isabel Pires, Parlement portugais

Laura Castel, Cortes Generales espagnoles

Gerardo Pisarello, Cortes Generales espagnoles

Ione Belarra, Cortès générales espagnoles

Javier Sánchez, Cortès générales espagnoles

Joan Queralt Jiménez, Cortès générales espagnoles

Hèctor Sánchez Mira, Cortès générales espagnoles

Enrique Santiago, Cortès générales espagnoles

Engracia Rivera Arias, Cortès générales espagnoles

Mertxe Aizpurua, Cortès générales espagnoles

Oskar Matute, Cortès Générales espagnoles

Gorka Elejabarrieta, Cortès Générales espagnoles

Josu Estarrona, Cortès générales d'Espagne

Félix Alonso, Cortès générales espagnoles

Tesh Andala, Cortès générales espagnoles

Eloi Badia, Cortès Générales espagnoles

Rafael Cofiño, Cortès générales espagnoles

Íñigo Errejón, Cortès générales espagnoles

Esther Gil de Reboleño, Cortès générales espagnoles

Nahuel González, Cortès générales espagnoles

Txema Guijarro, Cortès générales espagnoles

Alberto Ibañez, Cortès générales d'Espagne

Manuel Lago, Cortès générales espagnoles

Alberto Ibañez , Cortès Générales espagnoles

Carlos Martín, Cortès générales espagnoles

Verónica Martínez, Cortès Générales espagnoles

Lander Martínez, Cortès Générales espagnoles

Águeda Micó, Cortès Générales espagnoles

Gala Pin, Cortes Generales espagnoles

Jorge Pueyo, Cortes Generales espagnoles

Engracia Rivera, Cortès générales espagnoles

Agustín Santos, Cortès générales espagnoles

Francisco Sierra, Cortès générales espagnoles

Juan Antonio Valero, Cortès générales espagnoles

Vicenç Vidal, Cortès générales d'Espagne

Aina Vidal, Cortès générales d'Espagne

Sevilay Çelenk , Grande Assemblée nationale de Turquie

Cengiz Çandar, Grande Assemblée nationale de Turquie

Sezgin Tanrıkulu, Grande Assemblée nationale turque

Burcugul Cubuk, Grande Assemblée nationale turque

Ozgul Saki, Grande Assemblée nationale turque

Gulistan Kılıc Kocyigit, Grande Assemblée nationale turque

Kamuran Tanhan, Grande Assemblée nationale turque

Halide Turkoglu, Grande Assemblée nationale turque

Gulcan Kacmaz Sayyigit, Grande Assemblée nationale turque

Omer Faruk Gergerlioglu, Grande Assemblée nationale turque

George Aslan, Grande Assemblée nationale turque

Adalet Kaya, Grande Assemblée nationale turque

İbrahim Akin, Grande Assemblée nationale turque

Sezai Temelli, Grande Assemblée nationale turque

Semra Gokalp Caglar, Grande Assemblée nationale turque

Jeremy Corbyn, Parlement britannique

Claudia Webbe, Parlement britannique

Jon Trickett, Parlement britannique

Zarah Sultana, Parlement britannique

Nadia Whittome, Parlement britannique

Katy Clarke, Parlement britannique

Mick Whitley, Parlement britannique

Bell Ribeiro-Addy, Parlement britannique

Sam Tarry, Parlement britannique

Colum Eastwood, Parlement britannique

Chris Stephens, Parlement britannique

John Hendy, Parlement britannique

Martyn Day, Parlement britannique

Allan Dorans, Parlement britannique

Richard Thomson, Parlement britannique

Alan Brown, Parlement britannique

Philippa Whitford, Parlement britannique

Stuart McDonald, Parlement britannique

Tommy Sheppard, Parlement britannique

John McDonnell, Parlement britannique

Kim Johnson, Parlement britannique

Beth Winter, Parlement britannique

Richard Burgon, Parlement britannique

Ian Lavery, Parlement britannique

Rachael Maskell, Parlement britannique

Christine Blower, Parlement britannique

Amy Callaghan, Parlement britannique

Apsana Begum, Parlement britannique

David Linden, Parlement britannique

Gavin Newlands, Parlement britannique

Ian Mearns, Parlement britannique

Ian Byrne, Parlement britannique

Grahame Morris, Parlement britannique

Imran Hussain, Parlement britannique

Kate Hollern, Parlement britannique

Clive Lewis, Parlement britannique

Patricia Gibson, Parlement britannique

Anne McLaughlin, Parlement britannique

Joanna Cherry , Parlement britannique

Deidre Brock, Parlement britannique

Rashida Tlaib, Congrès américain

Cori Bush, Congrès américain

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Gaza - Les méandres de la stratégie chinoise

5 mars 2024, par Martine Bulard — , ,
Quelques jours après les attaques du 7 Octobre 2023, une délégation de pays arabes se rendait à Pékin, tandis que l'envoyé spécial de celle-ci pour le Proche-Orient se lançait (…)

Quelques jours après les attaques du 7 Octobre 2023, une délégation de pays arabes se rendait à Pékin, tandis que l'envoyé spécial de celle-ci pour le Proche-Orient se lançait dans une grande tournée dans la région. Tous les regards se sont alors dirigés vers la Chine qui, depuis 1988, a reconnu l'État palestinien. Mais l'empire du Milieu veut-il vraiment intervenir ? Et en a-t-il les moyens ?

Tiré de orientxxi
26 février 2024

Par Martine Bulard

Riyad Al-Maliki (à gauche), ministre des affaires étrangères de l'Autorité palestinienne, serre la main de Ma Xinmin (à droite), directeur général du Département des traités et du droit du ministère des affaires étrangères chinois, lors d'une audience à la Cour internationale de Justice (CIJ) à La Haye, sur les conséquences juridiques de l'occupation israélienne des territoires palestiniens, le 22 février 2024.
Robin van Lonkhuijsen/ANP/AFP

Depuis qu'elle a parrainé la réconciliation spectaculaire entre l'Iran et l'Arabie Saoudite, en mars 2023, les commentateurs voient la Chine partout. Certains l'ont même imaginée prête à prendre la place des États-Unis ou, en tout cas, à endosser l'habit du faiseur de paix entre Palestiniens et Israéliens. Aujourd'hui, la déception semble à la mesure de cette attente inconsidérée. Quatre mois après le 7 octobre 2023, c'est plutôt morne plaine. Tel-Aviv bombarde, Pékin se tait. Et tout le monde se demande : mais que fait la Chine ?

« L'Occident confond l'agitation et l'action », me répond un ex-diplomate chinois à l'Unesco, qui rappelle que les dirigeants de son pays sonnent rarement les trompettes avant d'avoir atteint leur but. En l'occurrence, il faut obtenir « d'abord un cessez-le-feu durable » puis un accord sur « une feuille de route conduisant à la paix ». Vaste programme. Les bonnes relations de Pékin avec les pays arabes comme avec Israël sont censées faciliter la chose. Mais Tel-Aviv s'est déclaré « profondément déçu » des premières déclarations des dirigeants chinois.

Dès le 8 octobre 2023, un communiqué du ministère des affaires étrangères chinois pointe la gravité des évènements et appelle « les parties concernées à mettre immédiatement fin aux hostilités afin de protéger les civils et d'éviter une nouvelle détérioration de la situation » (1). Le lendemain, l'une des porte-parole, Mao Ning, se fait plus précise : « Nous nous opposons et condamnons les actes qui portent atteinte aux civils ». Sans ambiguïté, elle condamne donc les massacres mais elle ne mentionne pas le Hamas, à l'heure où le monde entier est prié de dénoncer « l'organisation terroriste ». Surtout, elle inscrit ces crimes dans le temps long de l'affrontement israélo-palestinien : « La récurrence du conflit montre, une fois de plus, que l'impasse prolongée du processus de paix ne peut pas perdurer » (2). Impardonnable.

Cette analyse rencontre pourtant celle de la plupart des pays de la région, en dehors de l'Inde et des pays asiatiques « occidentaux », tels la Corée du Sud ou le Japon qui se sont rangés derrière Israël — avec quelques nuances pour Tokyo qui a refusé de parler « d'organisation terroriste » à propos du Hamas, et n'a pas voulu « se joindre aux États-Unis, au Royaume Uni, à la France, à l'Allemagne et à l'Italie pour publier [le 9 octobre] une déclaration commune (…) promettant un soutien uni à Israël » (3). La Chine ne manque pas de souligner que, loin d'être isolée, elle se trouve en phase avec nombre des pays du Sud. En démontrent les votes au Conseil de sécurité et à l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations unies (ONU), où Washington et Tel-Aviv sont bien seuls.

Déjà Mao Zedong…

La position chinoise n'a rien d'opportuniste. Son soutien aux Palestiniens est historique, impulsé dès le début par Mao Zedong, bien qu'Israël ait été l'un des premiers États à reconnaître la République populaire de Chine, dès 1950 (contre 1964 pour la France, et 1972 pour les États-Unis). Selon les principes du non-alignement dont le pouvoir chinois est partie prenante, le Grand Timonier appuie ostensiblement tout mouvement de libération et de lutte contre la colonisation, ce qui inclut par exemple l'Égypte de Gamal Abdel Nasser. Une solidarité sans faille, certes, mais davantage politique que financière ou militaire. En 1988, Pékin reconnait l'État palestinien. Néanmoins, il n'est encore qu'un nain politique.

Depuis, son poids au Proche-Orient a singulièrement évolué, même si la Chine reste d'une très grande prudence. Mêlant habilement commerce et politique, elle instaure des relations avec les vingt-deux pays de la Ligue arabe au début des années 1990, et exige d'eux, en contrepartie, une rupture diplomatique avec Taïwan.

Dans un premier temps, elle rentre dans le maelstrom proche-oriental par la petite porte du commerce énergétique. Sa soif de pétrole et de gaz la pousse à développer des liens avec les pays du Golfe puis, plus lentement, avec l'Iran. Ces partenaires vont assurer près des deux tiers de son approvisionnement au début des années 2000. Toutefois, Pékin reste méfiant et s'attache à diversifier ses sources : ses achats énergétiques en provenance de la région ne dépassent pas actuellement 46 % du total. Dans le même temps, les entreprises chinoises s'enrichissent en vendant leurs marchandises, et les investissements commencent à décoller. Les échanges avec Israël, officiellement reconnu en 1992, connaissent eux aussi une croissance fulgurante.

La Chine est alors en pleine phase de normalisation. Dans ce monde qu'elle sait sous influence américaine — et donc intouchable —, elle préserve ce qu'elle estime être son devoir internationaliste : la défense des droits du peuple palestinien. En 1997, les dirigeants adoptent un plan de paix en quatre points qu'ils défendent à l'ONU et dans leurs rencontres bilatérales, sans toutefois en faire une priorité (4).

Une politique arabe tardive

Il faudra cependant attendre les années 2000 pour assister à un changement de stratégie diplomatique au Proche-Orient. Plusieurs éléments y poussent. La politique de tout-export et d'implantation mondiale suppose de sécuriser ses relations : rien n'est plus dangereux aux yeux de Pékin que l'instabilité. En 2002, la Chine se dote d'un envoyé spécial pour le Proche-Orient chargé de faire le tour des popotes, même s'il échappe au radar de la plupart des observateurs. Deux ans plus tard, elle crée le Forum de coopération Chine–États arabes qui comprend les vingt-deux pays de la Ligue arabe. Le Forum prend de l'importance avec le lancement des nouvelles routes de la soie qui se déclinent en plusieurs thèmes, et abordent diverses questions : économiques (avec 10 milliards de dollars d'investissements promis en 2023), politiques, géostratégiques et militaires.

Pékin est obsédé par deux menaces. Tout d'abord, les mouvements indépendantistes des Ouïghours musulmans au Xinjiang, notamment après les révoltes de 2009. La Chine compte sur la solidarité des pays arabes dans ce domaine. De plus, elle craint qu'en cas de conflit les États-Unis bloquent les goulots d'étranglement que représentent le détroit d'Ormuz, le canal de Suez et le détroit de Bab El-Mandeb. Cela explique les rapprochements avec l'Égypte, où le président Xi Jinping s'est rendu deux fois depuis son arrivée au pouvoir, ainsi que les investissements dans les infrastructures portuaires.

Israël, un partenaire sous influence

Le possible blocage américain n'est pas qu'un fantasme. En juillet 2000, sous pression des États-Unis, le gouvernement israélien annule un contrat portant sur quatre avions militaires Falcon. D'autres interdictions tomberont. Si entre 1990 et 2000, les ventes d'armes israéliennes à Pékin atteignent 323 milliards de dollars (298 milliards d'euros), elles passent à zéro en 2002, selon les données du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI). Exit celui qui figurait alors au troisième rang parmi les acheteurs d'équipements militaires israéliens. L'Inde, le voisin honni, prend sa place. Pas étonnant que Pékin ne considère pas Tel-Aviv comme un partenaire stratégique très fiable.

Les affaires étant les affaires, les entreprises chinoises publiques et privées développeront quand même leurs investissements dans les domaines alimentaires, des télécommunications et de la recherche (Huawei), de la cybersécurité et des infrastructures (tramway, port). Mais là encore, la société chinoise qui gérait une partie du nouveau port de Haïfa se retrouve marginalisée, sur intervention de Washington qui y voit un danger pour la base servant d'escale à ses sous-marins située à quelques encablures plus loin. Une fois encore, c'est un groupe indien, Adani, qui rafle la mise. De quoi conforter les doutes chinois. Car même si les deux pays sont étroitement liés commercialement, la Chine occupe la troisième place dans les échanges israéliens, derrière les États-Unis et l'Union européenne. Elle maintient donc le dialogue en tablant sur l'avenir, sans illusion. À court terme, elle ne dispose pas du moindre levier pour pousser aux négociations. Certains lui reprochent de ne pas se préoccuper du sort d'une otage sino-israélienne du 7 octobre 2023, Noa Argamani. Ils oublient que les autorités chinoises ne reconnaissent pas la double nationalité, et considèrent cette femme comme israélienne, ainsi que l'a rappelé l'ambassadeur à Tel-Aviv, se déclarant sensible au sort « de tous » les otages.

Un ancrage solide avec un minimum de publicité

En maniant habilement les relations bilatérales avec chaque gouvernement, les interventions au sein des organisations multilatérales dédiées et les échanges commerciaux, la Chine a conforté sa présence au Proche-Orient. Elle est devenue le premier partenaire commercial de l'Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et de l'Iran, à qui elle paie ses achats de pétrole en yuans et non plus en dollars. Cela en dit long à la fois sur la confiance des dirigeants arabes dans l'économie chinoise, et sur la méfiance des pétromonarchies à l'égard des États-Unis, capables à tout moment geler leurs avoirs, comme Washington l'a montré pour la Russie. Le succès est d'autant plus solide que, fidèles aux principes de non-ingérence, les dirigeants chinois veillent à ne jamais s'immiscer dans les querelles régionales (Iran contre Arabie Saoudite, Qatar et Émirats arabes unis, Houthis et Yémen-Arabie Saoudite).

Comme le résume parfaitement l'ex-premier ministre australien Kevin Rudd (5) :

Cette présence stratégique croissante a été rapide et remarquable. Une fois de plus, [sa] capacité à mettre en œuvre sa stratégie avec un minimum de publicité a été fondée sur son formidable levier économique dans chaque capitale, et sa capacité à minimiser le risque d'être prise dans le réseau complexe des tensions intrarégionales. En ne prenant pas parti, la Chine a établi, développé et maintenu des amitiés avec tous les belligérants de la région, équilibrant soigneusement ses relations avec l'Iran, les États arabes et Israël.

De fait, la Chine a multiplié contacts et discussions. Après avoir rencontré l'ambassadrice d'Israël à Pékin le 17 octobre 2023, son envoyé spécial pour le Proche-Orient Zhai Jun s'est lancé dans une valse de voyages, d'abord au Qatar où se négociait le sort d'une partie des otages du Hamas les 19 et 20 octobre, puis le jour suivant en Égypte afin de participer au Sommet du Caire pour la paix, le 24 octobre aux Émirats arabes unis, et ensuite en Jordanie et en Turquie.

Signe des temps : le 20 novembre 2023, une délégation composée de ministres des affaires étrangères de pays membres de la Ligue arabe (Arabie Saoudite, Égypte, Jordanie, Qatar, État palestinien) et de l'Organisation de la coopération islamique (Indonésie, Nigéria, Turquie), lancée dans une tournée internationale en faveur de la paix, a commencé son périple par Pékin et non par Washington ou Paris. Le lendemain, se tenait une réunion des BRICS+ (Brésil, Russie, Chine, Afrique du Sud auxquels se sont joints depuis le début de l'année, l'Éthiopie, l'Iran, les Émirats, l'Arabie saoudite) entièrement consacrée à cette guerre. Deux jours plus tard, se mettait en place un premier cessez-le-feu temporaire et un premier échange d'otages. Certains observateurs y ont alors vu une preuve de l'efficacité chinoise… C'était aller un peu vite en besogne.

Pas question de tomber dans le piège américain

Depuis rien n'a avancé. Et les dirigeants occidentaux – Américains en tête –reprochent à l'empire du Milieu de ne pas intervenir pour mettre fin aux attaques des Houthis qui ciblent les navires liés à Israël en mer Rouge. Ils l'accusent de ne pas faire pression sur l'Iran. Pékin assure de son côté avoir demandé que « cessent ces attaques » qui pénalisent ses exportations. C'est notamment le cas du géant du transport maritime Cosco qui a dû emprunter une route plus longue et donc plus coûteuse. Mais les moyens d'action de la Chine restent limités.

Il lui est surtout reproché de ne pas participer à la coalition dirigée par les États-Unis qui bombarde les positions houthis au Yémen, alors qu'en 2008, elle avait rejoint le front occidental pour lutter contre les pirates attaquant les porte-conteneurs. Mais « nous ne sommes pas les shérifs du monde, rappelle l'ancien ambassadeur, nous respectons le droit international ». En 2008, il y avait en effet un mandat de l'ONU, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Et pour cause, Washington ne pourrait obtenir de feu vert sans contraindre Israël à accepter un cessez-le-feu immédiat.

Plus fondamentalement, la Chine ne veut pas mettre le moindre orteil dans ce « bourbier », fabriqué et entretenu par les États-Unis selon elle. Ce que Wang Yi, le ministre des affaires étrangères, traduit ainsi à l'issue d'une rencontre avec ses homologues d'Arabie Saoudite, de Bahreïn, du Koweït, d'Oman, d'Iran et de Turquie, en janvier 2022 :

Le Moyen-Orient a une longue histoire, des cultures uniques et des ressources naturelles abondantes, mais la région souffre de troubles et de conflits depuis longtemps, en raison d'interventions étrangères (6).

Et d'enfoncer le clou : « Les projets de grand Moyen-Orient proposés par les États-Unis ont des conséquences désastreuses ».

Rappelant à la suite du président Xi Jinping qu'il « ne peut y avoir de sécurité dans la région sans une solution juste à la question de la Palestine », il ajoute : « Nous croyons que les peuples du Moyen-Orient sont les maitres du Moyen-Orient. Ils n'ont pas besoin d'un patriarcat ».

Selon Wang Yi,

certains politiciens et membres de l'élite américaine espèrent que [nous allons] répéter leurs erreurs et combler le « vide de pouvoir » qu'ils laissent. Mais la Chine ne tombera pas dans le piège. (…) Elle ne cherche pas à remplacer les États-Unis.

Que les États-Unis se débrouillent donc avec le chaos qu'ils ont créé ! Pour l'heure, la Chine compte les points de l'impuissance américaine et laisse le monde prendre conscience du double standard occidental dans la défense des droits humains. Reflétant l'opinion de nombre de dirigeants, le ministre jordanien des affaires étrangères Ayman Safadi a ainsi renvoyé dans les cordes le représentant du président Joe Biden en lui rétorquant : « Si un autre pays dans le monde faisait un fragment de ce qu'Israël a fait, il se verrait imposer des sanctions de tous les coins du monde » (7).
.

Toujours aussi peu habile, l'ambassadeur de Chine en France, Lu Shaye, a publié sur X (ex-Twitter) la photo des bombardements à Gaza et celle des champs cultivés du Xinjiang, comme si les massacres des uns pouvaient justifier la répression des autres.

Certes Pékin ne peut pas asseoir son autorité internationale sur la seule faillite du camp occidental. Mais elle ne peut aujourd'hui que multiplier les initiatives diplomatiques de dialogue et de rencontre, quand d'autres comme Washington disposent d'un atout infaillible pour faire céder Tel-Aviv : arrêter les livraisons d'armes.

Terrorisme et lutte armée vue par Pékin

Le représentant chinois à la Cour internationale de justice (CIJ), Ma Xinmin, a été auditionné le 22 février 2024. Il a défendu le droit des Palestiniens à un État et a fait la différence entre « terrorisme » et « lutte armée » pour l'indépendance. Ci-dessous un extrait de son intervention :

Dans la poursuite du droit à l'autodétermination, le recours à la force par le peuple palestinien pour résister à l'oppression étrangère et pour achever l'établissement d'un État indépendant est un droit inaliénable, fondé en droit international. Après la seconde guerre mondiale, divers peuples y ont eu recours pour gagner leur indépendance. De nombreuses résolutions de l'Assemblée générale des Nations unies, telle la résolution 3070 de 1973, reconnaissent « la légitimité de la lutte du peuple pour la libération de la domination coloniale et l'occupation étrangère par tous les moyens disponibles, y compris la lutte armée ». Cela se reflète également dans les conventions internationales. Par exemple, la Convention arabe pour la répression du terrorisme de 1998 affirme « le droit des peuples à combattre l'occupation et l'agression étrangères par tous les moyens, y compris la lutte armée, afin de libérer leurs territoires et de garantir leur droit à l'autodétermination et à l'indépendance ». Ainsi la lutte armée est fondée sur le droit international et se distingue des actes de terrorisme. Cette distinction est reconnue par plusieurs conventions internationales. Par exemple, l'article 3 de la Convention de l'Organisation de l'unité africaine sur la prévention et la lutte contre le terrorisme de 1999 stipule que « la lutte menée par les peuples conformément aux principes du droit international pour leur libération ou leur autodétermination, y compris la lutte armée contre le colonialisme, l'occupation, l'agression et la domination par des forces étrangères ne doit pas être considérée comme des actes terroristes ». En revanche, l'usage de la force par toute entité ou individu au nom « du droit à l'autodétermination » en dehors du contexte de domination coloniale ou d'occupation étrangère n'est pas légitime. De plus, pendant la lutte armée légitime des peuples, toutes les parties sont tenues de respecter le droit international humanitaire et, en particulier, de s'abstenir de commettre des actes de terrorisme en violation du droit international humanitaire.

Martine Bulard - Ex-rédactrice en chef du Monde diplomatique, autrice notamment de Chine-Inde, La course du dragon et de l'éléphant, (Fayard, 2008), L'Occident malade de l'Occident (avec Jack Dion, Fayard, 2009).

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Finalement, l’extrême droite israélienne obtient la guerre dont elle a toujours voulu

Conçue comme une réponse à l'attaque du Hamas du 7 octobre (2023), le conflit à Gaza est de plus en plus devenu une guerre d'élimination de tout le peuple palestinien. C'était (…)

Conçue comme une réponse à l'attaque du Hamas du 7 octobre (2023), le conflit à Gaza est de plus en plus devenu une guerre d'élimination de tout le peuple palestinien. C'était un but des fascistes locaux depuis longtemps.

James Bamford, The Nation, 26 février 2024
Traduction, Alexandra Cyr

« La prochaine balle ira directement dans ton ventre » hurle le colon de garde, en Anglais et en Hébreux ». Il vient juste de tirer avec une mitraillette Uzi à quelques fils au-dessus de nos têtes. C'était en 1990, à Kiryat Arba, une colonie illégale dans les territoires occupés. Nous tentions de filmer la maison de Robert Manning, un citoyen américain recherché aux États-Unis pour un meurtre brutal avec une bombe et suspecté d'autres tentatives de bombardement d'Arabes américains.nes.

À l'époque, je travaillais comme producteur d'investigation pour ABC News ; j'étais accompagné d'une équipe israélienne, un vidéographe et un technicien du son. Depuis des années, R. Manning se cachait et évitait les États-Unis avec l'aide active du gouvernement israélien qui l'avait même accepté dans l'armée. Quelques heures plus tôt, après avoir découvert son domicile, nous l'avions secrètement filmé alors qu'il se rendait à son auto, armé de ce qui semblait être une mitraillette Uzi et nous l'avons suivi jusqu'à une base militaire.

Cet incident qui remonte à 30 ans, a une grande pertinence aujourd'hui. En plus d'être réserviste dans l'armée israélienne il était aussi un soldat de premier rang dans la violente et raciste organisation Kach fondée par un rabbin orthodoxe américain, Meir Kahane. Même s'il a été assassiné en 1990 et que Kach a été banni par le gouvernement israélien en 1994, au fil du temps les rabbins fidèles à l'organisation appelés les Kahanistes ont sérieusement gagné en pouvoir et en force au point où ils jouent un rôle majeur dans le gouvernement israélien actuel. Ils sont même influents dans les prises de décisions qui concernent la guerre avec le Hamas. La solution prônée par le rabbin Kahane était finalement l'usage de la force pour éliminer tous les Palestiniens d'Israël proprement dit et des territoires occupés soit, exactement ce que donne à voir Gaza en ce moment au monde entier.

Selon le quotidien israélien Haaretz, « la vision kahaniste en est une où la violence et la revanche sont intrinsèquement liées à la religion juive et Israël ne mérite pas d'exister s'il n'expurge pas tous les non Juifs de son milieu. Avec cette approche d'identité ethnique d'Israël, qui est un appel clair à expulser tous les citoyens.nes arabes et les Palestiniens.nes qui résident dans les territoires occupés, ce rabbin a non seulement gagné une certaine réputation à dire ce que les autres n'osaient même pas penser mais aussi d'avoir la volonté d'agir préventivement contre les Arabes ».

En 1968, à Brooklyn, le rabbin Kahane fonde la Ligue de défense juive qui brandissait un drapeau affublé d'un poing levé contre l'étoile de David. Trois ans plus tard, il était reconnu coupable à New York de conspiration pour fabrication d'explosifs. Il a reçu une sentence suspendue de cinq ans. Il déménage en Israël cette année-là et a fait partie des fondateurs du parti politique Kach qui milite pour l'expulsion forcée de toute la population palestinienne, à laquelle il réfère avec le mot « chiens », à la fois d'Israël proprement dit et des territoires occupés. Ce parti a aussi été introduit aux États-Unis où il a été banni en 1994 au titre d'organisation étrangère terroriste. En 1984, l'appel au nettoyage ethnique violent prôné par le rabbin Kahane a reçu suffisamment de soutien populaire pour que le parti gagne un siège au parlement israélien.

Pendant ce temps, aux États-Unis, la Ligue de défense juive continuait à grandir et s'est vite transformée en une version juive du Ku Klux Klan. Elle a été à l'origine d'attaques à la bombe contre des Arabes américains.nes partout dans le pays mais, pas contre les noirs.es. Entre 1980 et 1985, le FBI a dénombré pas moins de 17 de ces attaques. Une des cibles premières fut Alex Odeh, un Palestinien né dans ce qui est maintenant la Cisjordanie occupée. À l'époque il était le directeur régional pour la Californie du sud du Comité contre la discrimination des Arabes américains, un groupe américain militant pour les droits des Palestiniens.

En octobre 1985, une bombe a été placée et a éclatée à l'entrée du siège social du Comité tuant M. Odeh au moment où il ouvrait la porte. Quelques heures plus tard, Irv Rubin, président national de la Ligue juive donnait son appréciation : « Je ne verserai pas une larme pour M. Odeh. Il a reçu ce qu'il méritait ». Le FBI s'est centré sur trois des membres éminents de la Ligue et associés de longue date au rabbin Kahane détenant en plus de lourd dossiers criminels soit, Robert Manning, Andy Green et Keith Fuchs. Dans une entrevue, un ancien agent du FBI m'a déclaré : « Le plus important était de savoir sur oui ou non le rabbin Kahane était derrière ces bombardements ». Plus tard, tous les suspects se sont enfui en Israël et malgré leur histoire violente et criminelle, ils ont pu avoir la garantie de la citoyenneté en bénéficiant de la loi sur le retour. Ils se sont installés dans des colonies dans les territoires occupés.

Malgré les enquêtes fouillées des agents déterminés du FBI les années ont passé sans aucune arrestation ou extradition. Pourtant, R. Manning et son épouse étaient aussi suspects numéro un dans un autre meurtre brutal, celui de Patricia Wikerson secrétaire d'une petite entreprise d'ordinateurs à Los Angeles. Elle a été tuée par un bombe arrivée par la poste. R. Manning avait été engagé par un autre membre de la Ligue de défense juive pour tuer le patron de Mme Wilkerson et ainsi régler un différend financier. Mme Wilkerson a été tuée par erreur par cette puissante explosion.

Dix ans plus tard, à cause du manque d'action, il était clair qu'Israël protégeait délibérément ces violents kahanistes. Un ancien membre de haut niveau du Département de la justice américain réclamant l'anonymat analysait : « Nous considérons leur réponse (celle d'Israël) fallacieuse. Nous leur disons qu'ils ont une obligation internationale, qu'ils violent une entente internationale en ne faisant rien quand on le leur demande … Ils ont eu des années pour légalement arrêter R. Manning et ils ne l'ont pas fait. Donc, tout ce qu'on peut dire c'est qu'ils n'ont absolument aucun intérêt à nous aider ».

En 1990 je suis allé en Israël pour tenter de retrouver R. Manning et l'interroger. Il semble que notre affaire ait provoqué des fortes réactions dans le pays et motivé le Département de la justice à faire plus de pression sur Israël qui a finalement extradé M. Manning. En 1994, il a été trouvé coupable pour le meurtre de Mme Wilkerson lors d'un procès à Los Angeles et a reçu une sentence de prison à vie avec une possibilité de libération conditionnelle après 30 ans.

En octobre dernier, malgré les protestations des familles Odeh et Wilkerson, R. Manning a pu bénéficier de la liberté conditionnelle après 30 ans de prison. Il devrait être libéré complètement de la prison fédérale à l'été 2024. Mais les deux autres suspects dans le meurtre de M. Odeh, dont Andy Green n'ont jamais été arrêtés et sont toujours libres.

Il a été un des associés le plus proche du rabbin Kahane, même son adjoint principal. En 1980, les deux personnages ont conspiré pour faire exploser le Dôme du rocher et ainsi tuer des centaines d'Arabes et de Palestiniens. Ce site religieux est vénéré par tous les Musulmans de par le monde, c'est le plus vieil ouvrage d'architecture islamique et il est situé aux côtés de la Mosquée Al-Aqsa le troisième lieu saint de l'Islam. Pour les Musulmans, le prophète Mohamed serait monté au ciel depuis cette mosquée. Mais, pour les Juifs, ce bout de terrain où se trouvent les deux sanctuaires est connu comme « le Mont du temple » et révéré comme le lieu où les premiers et seconds temples (juifs) étaient érigés. Le rabbin Kahane soutenait que lorsque la mosquée Al-Aqsa serait détruite avec ses dépendances, les Juifs pourraient construire le troisième temple par-dessus les gravats.

Les deux protagonistes ont été attrapés avant de commettre leur méfait et ont été condamnés à six mois de prison. Mais ce projet de destruction de la mosquée Al-Aqsa et de ce qui l'entoure est longtemps resté une obsession pour le rabbin A. Green et les fidèles du parti.

Plus tard, A. Green a changé de nom pour celui de Baruch Ben-Yoseph. Il est devenu président du mouvement d'extrême droite en faveur de l'établissement du Temple et a été rejoint par un autre Juif suprémaciste, obsédé par la destruction de la mosquée Al-Aqsa soit, Itamar Ben-Gvir. Même s'il a été condamné pour incitation à la haine et soutien à une organisation terroriste en 2007, en 2022 le Premier ministre Nétanyahou l'a nommé au puissant ministère de la sécurité nationale. Haaretz lui avait donné le titre de « successeur idéologique de l'ancien rabbin Meir Kahane ».

Ses propos ont d'ailleurs été présentés en preuve de génocide contre Israël par l'Afrique du sud, lors des audiences devant la Cour internationale de justice.

Dans le Monde, la sociologue Eva Illouz, professeure à l'Université hébraïque de Jérusalem écrit qu'il représente ce qu'on est bien obligé d'appeler le « fascisme juif ». Et elle ajoute qu'en tant qu'avocat, il a défendu des terroristes juifs et a applaudi à des opérations terroristes commises par des Juifs. Par exemple, celle de Baruch Goldstein qui avait tué 29 Palestiniens pendant leur prière à la mosquée d'Ibrahim. Il s'identifie tellement au terrorisme juif qu'il a même proposé d'abolir cette notion (pourtant reconnue par la police et le Shin Beth israéliens). Dans le Jerusalem Post, le rédacteur en chef, Yaakov Katz, le nomme « la version israélienne moderne de la suprématie blanche américaine et du fascisme européen ».

Le Times of Israël note que le parti de I. Ben-Gvir, Otzma Yehudit (Pouvoir juif), est vu comme le successeur du parti raciste Kach et de son fondateur Meir Kahane. Lors des dernières élections, le parti a fait alliance avec le parti Jewish Home-National Union de Bezalel Smotrich pour former ce que Ynetnews nomme « une dynastie de racisme et de provocation ». Peu après, B. Smotrich était nommé au puissant ministère des finances. En même temps, le petit-fils du rabbin Kahane, Meir Ettinger, est devenu le leader de Hilltop Youth, un groupe qui vit dans des postes avancés illégaux en Cisjordanie et qui attaque fréquemment brutalement des innocents.es palestiniens.nes. Récemment il a appelé à l'activation de cellules secrètes en disant : « Comme alternative à l'armée, il est possible d'activer des cellules de colons militaires armés pour perpétrer des massacres de Palestiniens.nes afin faire stopper leurs attaques ».

Le racisme et la suprématie juive s'étant répandus dans la société israélienne, la route était ouverte pour le retour du Kahanisme. En août dernier, Matan Vilnai, ancien adjoint à l'état-major de l'armée israélienne, mettait en garde : « N'importe qui peut constater que nous sommes en train de devenir un sinistre État kahaniste, raciste, religieux, radical, du Jourdain à la Méditerranée ». La semaine dernière, l'ancien Premier ministre Ehud Olmert présentait sa propre mise en garde dans Haaretz. Parlant des Kahanistes, qu'il désigne de : « Gangs de promoteurs de pogroms, (ils) ont pris le contrôle du gouvernement israélien et ont transformé son chef en serviteur. Les choses sont si désastreuses qu'on ne peut éviter de dire clairement et fortement : Nétanyahou, ça va finir dans encore plus de sang. Prenez note, vous aurez été averti ».

Selon l'académicien Idan Yaron, qui a passé plusieurs années à étudier le phénomène kahane, le leadership politique actuel en Israël n'a aucune tolérance pour qui que ce soit qui n'est pas Juif.ve : « Quiconque conteste l'approche nationale religieuse, quiconque n'est pas « un.e vrai.e Juif.ve » selon la définition du rabbin Kahane, doit être éliminé.e. Et ce n'est pas une métaphore. Le Premier ministre israélien est en train de légitimer le mouvement kahaniste et ses leaders qui sont absolument engagés envers ce rabbin et son programme. Ils ont tout fait pour perpétuer sa doctrine ».

Longtemps, B. Nétanyahou a démontré des idées similaires à celle de ce rabbin. En novembre 1989, alors qu'il était sous-ministre des affaires étrangères, il a fait un discours à l'Université Bar-Ilan. Selon le Jerusalem Post, il déplorait que : « le gouvernement n'est pas exploité politiquement des circonstances favorables pour procéder à des expulsions sur une large échelle. Politiquement les dommages auraient été minimes … Je pense qu'il y a encore des possibilités d'expulser beaucoup de monde ». Certains.nes de ses plus proches collaborateurs.trices l'ont accusé d'être un clone de Kahane. L'actuel membre du cabinet de guerre, Benny Gantz, ancien ministre de la défense, déclarait en 2019, que : « Kahane serait fier de Nétanyahou ».

Cette dangereuse renaissance du kahanisme est soutenue par les milliards de dollars des contribuables américains.es dont les politiciens du Congrès et de la Maison blanche qui espèrent ainsi, s'attirer les faveurs des lobbys des riches donnateurs.trices Juifs.ves et pro-israéliens.nes, dotent le gouvernement israélien. En mars 2022, durant sa visite en Israël l'ancien vice-président Mike Pence, a rencontré bien amicalement le disciple du rabbin Kahane, I. Ben-Gvir et le fondateur du parti Pouvoir juif, Baruch Marzel qui a servi d'homme de main au rabbin Kahane et a été son porte-parole durant une décennie. Mike Pence a déclaré à I. Ben Gvir que c'était un grand honneur que de le rencontrer et a ajouté : « Demeurez fort, nous allons être avec vous ».

Deux mois plus tard, le Président Biden autorisait le retrait de la liste des « organisations étrangères terroristes » la ramification (américaine) de Kach, Kahane Chai (vive Kahane). William Lafi Youmans, professeur associé à l'Université George Washington, prévient que : « Kach et Kahane s'étant divisés en divers groupes et partis politiques, ils continuent d'exposer, d'inspirer et d'agir violemment contre les civils.es palestiniens.nes. Au lieu de les retirer de cette liste, le Département d'État aurait dû procéder à une mise à jour et l'étendre (dans le temps) ».

En mai dernier, les violentes menaces d'expulsion des Palestiniens.nes des territoires occupés par Israël et de destruction de la mosquée Al-Aqsa ont atteint un sommet le jour israélien de Jérusalem, une fête qui marque la conquête de la ville par les troupes israéliennes en 1967. La foule marchait dans les quartiers palestiniens en scandant des slogans racistes dont : « Kahane avait raison » et « Mort aux Arabes ». I. Ben Gvir, disciple du rabbin Kahane et membre du cabinet Nétanyahou s'était joint aux manifestants.es ; pour la première fois un ministre prenait part à une telle manifestation. Le ministre des finances, Bazalel Smotrich y était aussi apparu.

Cinq mois plus tard, le 7 octobre, l'aile militaire du Hamas passait à l'attaque et tuais 1,200 Israéliens.nes, pour la majorité des femmes, des enfants et des personnes âgées. Le chef de l'aile politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh, déclarait : « L'opération inondation d'Al-Aqsa est lancée ».

La guerre dont les Kahanistes ont longtemps rêvée pour expulser ou éradiquer les Palestiniens.nes, s'emparer de leurs terres et détruire l'Esplanade des mosquées a commencé. En 1993, Andy Green alias Ben Yosef confiant disait : « Pensez à ce à quoi nous feront face quand nous bouterons les Arabes hors du Mont du temple. Nous allons devoir affronter le jihad de la totalité du monde musulman. Je suis prêt à le faire parce que je sais que c'est ce que Dieu veut ». Celui qui mène le jihad juif d'après Kahane, c'est l'ami de Ben Yosef, le ministre de la sécurité nationale, Ben-Gvir. En 2022, en réponse à un article critique dans Haaretz, il écrivait : « Vous avez clarifié que je suis dans le droit chemin et que le rabbin Kahane, que son sang soit vengé, me sourit ». Shaul Magid, un membre distingué des études juives au Collège Dartmouth et auteur d'un ouvrage portant sur le rabbin Kahane met en garde : « Ben-Gvir est de loin bien plus dangereux pour la société israélienne que Kahane ne l'a jamais été ».

L'ancien premier ministre Ehud Olmert approuve sans ambiguïté. Comme il le note dans Haaretz : « Le but ultime de cette gang (les Kahanistes) est de purger les territoires occupés de leur population palestinienne, de nettoyer l'esplanade des mosquées de ses fidèles (musulmans.nes) et d'annexer les territoires à l'État d'Israël. Le bain de sang est le moyen d'y arriver. Aussi bien le sang israélien dans le pays et dans les territoires qui sont contrôlés depuis 57 ans que le sang juif d'ailleurs dans le monde. Et aussi beaucoup de sang palestinien dans les territoires bien sûr, à Jérusalem s'il n'y a pas d'alternative et parmi les Arabes citoyens.nes d'Israël. Cet objectif ne sera pas atteint sans d'énormes bains de sang. Armageddon ».

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Au côté des Palestinien·es, la résistance continue

Un génocide est exposé en direct sur nos écrans. Les mutilations, les villes dévastées, les dizaines de milliers de morts dans des circonstances atroces, les attaques (…)

Un génocide est exposé en direct sur nos écrans. Les mutilations, les villes dévastées, les dizaines de milliers de morts dans des circonstances atroces, les attaques d'hôpitaux, les véhicules de Médecin sans frontières visés par des missiles et la suppression des subventions à l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) – tout cela caractérise la tentative de génocide en cours.

Tiré de Inprecor 718 - mars 2024
29 février 2024

Par Antoine Larrache

Manifestation à Strasbourg (France). © Photothèque Rouge

Une lutte sans pitié

Les grandes puissances impérialistes nous présentent leurs « faits alternatifs » – une méthode popularisée par Trump – selon lesquels Israël se défendrait contre une agression. Michel Warchawski utilise la métaphore selon laquelle Israël est la queue qui fait bouger le chien que sont les États-Unis, pour montrer qu'Israël possède une autonomie vis-à-vis des puissances occidentales mais est intimement lié à elles.

Celles-ci, par leur collaboration avec Israël, montrent la nature de leur domination sur le monde : elles mènent une lutte à mort contre les classes populaires, contre celles et ceux qui, par leur simple existence, nuisent à leurs intérêts économiques et politiques. Le financement, la fourniture d'armements, les investissements, le soutien politique – notamment l'islamophobie – des classes dominantes montrent l'unité entre la politique d'Israël et leurs politiques dans leur propre pays.

Il y a urgence à agir. Le gouvernement Netanyahou a fixé un ultimatum au 10 mars, début du ramadan, pour la libération des otages israélien·es, menaçant de renforcer l'attaque sur Rafah, avec la possibilité d'un approfondissement du génocide, la population étant repoussée vers l'Égypte et la mer.

Les mobilisations existent

Ces dernières semaines, 50 000 personnes ont manifesté à Londres, autant à Copenhague, 20 000 à Bruxelles, des dizaines de milliers aux États-Unis. Des collectifs militants existent – Palestine Solidarity Campaign en Grande-Bretagne, Stop Annekteringen af Palæstina au Danemark, Urgence Palestine notamment en France, etc. – et construisent la mobilisation à la base.

Des actions de boycott, dans le cadre de la campagne BDS, sont réalisées, avec efficacité, puisque McDonald's aurait vu sa croissance dans le monde limitée à 0,7 % au lieu des 5,5 % prévus, avec une baisse de fréquentation de 13 % durant 2023 aux États-Unis, attribuée notamment au boycott (1) . Les appels contre Carrefour ont permis de grands rassemblements. Puma ne renouvellera pas son partenariat avec la Fédération israélienne de football, sous la pression du boycott et des actions de saturation téléphoniques, des boîtes emails, etc.

Parfois, le désespoir gagne, comme c'est le cas lorsqu'un jeune homme s'immole par le feu aux États-Unis (2) . Mais des éléments positifs existent, avec des discussions de plus en plus régulières dans les organisations syndicales pour soutenir le peuple palestinien. En Israël même, des résistances existent, à l'image du travail réalisé par les sites +972 magazine et B'tselem et des manifestations organisées et dont nous nous faisons l'écho, même si elles sont limitées en termes numériques, pour mettre en valeur le fait que des juifs résistent au sionisme morbide, dans le monde entier.

Une rencontre internationale aura lieu les 16 et 17 mars à Barcelone pour coordonner la résistance. La construction de la mobilisation est une tâche essentielle pour la IVe Internationale et ses organisations. Comme l'avait déclaré nos camarades de la région arabe « à Gaza pourrait bien se jouer l'avenir du monde » (3) : comme l'Ukraine, la Palestine est un lieu où se mesure le désordre mondial. Les puissances impérialistes essaient de solidifier ou agrandir leur contrôle sur certaines régions, dans le cadre de la crise globale du capitalisme et du durcissement de la concurrence internationale.

Notre combat

Nous sommes dans un monde en guerre. Celle-ci s'inscrit dans la durée et tous les éléments du rapport de forces comptent pour trouver une issue.

La mobilisation en solidarité avec la Palestine, comme la résistance sur place et en Ukraine, s'inscrivent dans ce cadre. En agissant, les classes populaires s'homogénéisent. Les discussions politiques sont multiples, sur comment construire un mouvement, le front unique, et les solutions pour la Palestine.

Pour la IVe Internationale, elles commencent par le droit au retour de tou·tes les Palestinien·es sur le territoire historiquement reconnu de la Palestine, l'élimination de l'apartheid du fleuve à la mer, la lutte contre toutes les formes d'oppression, de racisme et d'exploitation dans toute la région, l'imposition de l'égalité des droits pour tous les peuples et, par conséquent, le démantèlement de l'État sioniste en tant qu'État « des Juifs ».

Nous souhaitons le développement d'un vaste mouvement révolutionnaire égalitaire de tous les peuples de Palestine dans leur lutte pour l'autodétermination. Ce qui nécessite le rejet du sionisme par le peuple juif d'Israël et sa participation à une révolution arabe porteuse d'une dynamique démocratique, laïque et socialiste.

Le 27 février 2024

1. « Le chiffre d'affaires de McDonald's en baisse après un boycott massif », Inès Bennacer, 7 février 2024, Forbes.
2. « Man Dies After Setting Himself on Fire Outside Israeli Embassy in Washington, Police Say », Aishvarya Kavi, 25 février 2024, New York Times.
3. Déclaration d'Al Mounadil-a (Maroc), de l'Organisation des Révolutionnaires socialistes (Égypte), de Mahmoud Rechidi (porte-parole du Parti socialiste des travailleurs, suspendu, Algérie) et du Groupe révolutionnaire communiste (Liban).

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Essayant de comprendre la dérive génocidaire de la société israélienne !

5 mars 2024, par Yorgos Mitralias — , ,
L'extermination méthodique du peuple palestinien a laquelle s'emploie avec succès depuis quatre mois l'armée israélienne, ne tombe pas du ciel et ne serait pas possible si la (…)

L'extermination méthodique du peuple palestinien a laquelle s'emploie avec succès depuis quatre mois l'armée israélienne, ne tombe pas du ciel et ne serait pas possible si la société israélienne ne l'approuvait pas activement et même avec enthousiasme.

Tiré de CADTM infolettre , le 2024-03-01
27 février par Yorgos Mitralias
https://www.cadtm.org/Essayant-de-comprendre-la-derive-genocidaire-de-la-societe-israelienne
Photo : Wafa (Q2915969) in contract with a local company (APAimages), CC, Wikimedia Commons, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Damage_in_Gaza_Strip_during_the_October_2023_-_29.jpg

Mais, cette actuelle ferveur exterminatrice de la société israélienne ne serait pas non plus possible si elle n'était pas le produit et l'aboutissement de la logique interne du projet constitutif de l'État hébreu, du projet sioniste ! Ce qui permettait au vieux militant anti-sioniste lucide et perspicace qu'est Michel Warschawski d'avertir déjà en 2014 qu'Israël est “un pays qui glisse vers le fascisme”. Et un an plus tard, de constater que “nous sommes passés d'une société coloniale à une société barbare. Une société potentiellement génocidaire qui devrait être bannie du concert des nations civilisées” !

Mais, Warschawski allait plus loin, et après avoir noté que “Israël est devenu l'Ouest sauvage, avec son shérif sanguinaire, Netanyahou”, il rappelait que “la seule façon d'avancer, pour les Israéliens qui rejettent la barbarie dans laquelle nous sombrons, est d'arrêter immédiatement le shérif et ses sbires. Des centaines de milliers de manifestants devraient occuper la rue”. Et désespéré, il s'écriait : “Mais où sont-ils ? Vivent-ils cachés à l'ombre de la barbarie – certes, leurs mains ne sont pas couvertes de sang, mais ils sont occupés à regarder ailleurs”. A quoi fait maintenant écho le si courageux et intègre écrivain, collaborateur du quotidien Haaretz et militant anti-occupation Gideon Levy quand il se lamente que « plusieurs de mes amis de gauche ont changé durant cette guerre, même eux. C‘est comme ça qu'on devient de plus en plus solitaire. C'est sans précédent »...

Ces lignes de Warschawski auraient pu être écrites aujourd'hui à la seule différence que la société israélienne « potentiellement génocidaire » de 2015 est désormais génocidaire au plein sens du terme. Alors, comment en est-on arrivé là ? Comment en est-on arrivé à ce que 72 % des Israéliens se déclarent opposés « à l'entrée de l'aide humanitaire dans la Bande de Gaza jusqu'à ce que les prisonniers Israéliens soient libérés » ? Et que des centaines d'autres Israéliens massés aux entrées de Gaza et brandissant des drapeaux israéliens, stoppent à plusieurs reprises les camions d'aide humanitaire à cette population palestinienne doublement et triplement réfugiée, décimée, affamée et agonisante ? En somme, comment en est-on arrivé à ce que la très grande majorité des citoyens Israéliens soutiennent et même applaudissent ce qu'est la définition même d'un génocide, l'extermination du peuple palestinien ?

Nous nous empressons d'affirmer que les Israéliens ne sont pas différents ni des Français, des Belges, des Anglais et des Américains, ni des Grecs, des Serbes,, des Turques, des Japonais, des Russes des Rwandais et de tant d'autres peuples dont l'histoire est parsemée des massacres ou même des génocides d'autres peuples. C'est d'ailleurs pourquoi les réponses données par un grand penseur (Juif) du siècle passé du nom d'Ernest Mandel, à la question « qu'est-ce qui a rendu possible l'holocauste du peuple juif », peuvent nous aider à comprendre l'actuelle dérive génocidaire des citoyens Israéliens [1].

Alors, selon Mandel, « ce qui a rendu possible l'holocauste — événement unique dans l'histoire jusqu'ici — c'est en premier lieu l'idéologie hyper‑raciste dans sa variante biologique (forme extrême du darwinisme social). Selon cette doctrine, il y aurait des « races sous‑humaines » (Untermenschen), dont l'extermination serait justifiée, voire indispensable. Pour les tenants de cette idéologie, les Juifs étaient la « vermine à exterminer », les Noirs sont des « singes », les « seuls bons Indiens sont les Indiens morts », etc. ». Voici donc pourquoi une éminence de l'actuel gouvernement Israelien comme le ministre de la défense Yoav Gallant, déclare que « les Palestiniens sont des « animaux humains ». Affirmation avec laquelle l'épouse du premier ministre Sara Netanyahou semble d'ailleurs ne pas d'être d'accord puisqu'elle écrit que comparer les Palestiniens aux animaux ...« constitue une insulte aux animaux » !

Déshumaniser l'ennemi, telle est donc selon Mandel, la précondition idéologique pour pouvoir traiter « des groupes humains déterminés de manière tellement inhumaine que le besoin d'une justification idéologique — l'idéologie de la déshumanisation — et d'une « neutralisation » de la mauvaise conscience et du sentiment de culpabilité individuelle naît presque nécessairement ». Et Mandel ajoute : » La déshumanisation systématique des Juifs aux yeux des nazis n'est pas un phénomène isolé dans l'histoire. Des phénomènes analogues ont eu lieu à l'égard des esclaves dans l'Antiquité, des sages‑femmes (« sorcières ») aux XIVe et XVIIe siècles, des Indiens d'Amérique, des Noirs soumis à la traite, etc. ».

En somme, aucune société humaine n'est pas « vaccinée » contre de telles dérives barbares et inhumaines. Ceci étant dit, qui mieux que les racistes et fascistes pur sang du gouvernement actuel d'Israël, que sont ses ministres Gvir et Smotrich, peuvent incarner cette dérive vers l'enfer génocidaire ? Leur fulgurante montée en puissance en l'espace d'une décennie, est non seulement représentative de la métamorphose subie par la société israélienne dans le même laps de temps (il y a quelques jours, le dernier bastion du vieux sionisme libéral et « de gauche » vient de tomber quand le président du mouvement des kibboutz Nir Meir a déclaré que « les kibboutz doivent rompre avec la gauche parce que c'est les colons qui ont raison » !). Elle fait aussi penser à d'autres « métamorphoses' et à d'autres « fulgurantes montées en puissance », par exemple, dans l'Allemagne de l'entre deux-guerres…

Nous voici donc arrivés au cœur du « mystère » israélien qui a fait que des politiciens marginaux et imprésentables comme Gvir et Smotrich, emprisonnés pour activités extrémistes et terroristes en 2005 et 2006, et présentés, encore il y a 10 mois par l'establishment israélien, comme « un danger pour l'État d'Israël » (Jerusalem Post), arrivent aujourd'hui non seulement à pouvoir dicter la politique de leur pays, mais aussi et surtout à exprimer et à matérialiser les vœux les plus profonds de la grande majorité de leurs compatriotes ! Encore selon Mandel « pour que de tels individus puissent rencontrer un écho parmi des millions de personnes, il faut une profonde crise sociale (nous dirions, en tant que marxistes : une profonde crise socio‑économique, une profonde crise du mode de production, et une profonde crise des structures du pouvoir). Pour que de tels individus puissent être candidats immédiats au pouvoir, voire prendre le pouvoir, il faut qu'il y ait une corrélation de forces sociales qui le permette : affaiblissement du mouvement ouvrier (et, dans une moindre mesure du libéralisme bourgeois) traditionnel ; renforcement des couches les plus agressives des classes possédantes ; désespoir des classes moyennes ; accroissement considérable du nombre des déclassés, etc. ».Et force est de constater que plusieurs sinon toutes ces préconditions mentionnées par Mandel, sont réunies dans l'Israël d'aujourd'hui…

Mais, Ernest Mandel ne s'arrête pas à ces constats. Voulant généraliser et approfondir les leçons de la barbarie nazie, il va plus loin et voit l'holocauste « comme l'expression jusqu'ici ultime des tendances destructrices présentes dans la société bourgeoise, tendances dont les racines plongent dans le colonialisme et l'impérialisme”, Et il ajoute incluant “la doctrine du racisme biologique... dans un cadre plus vaste, celui de la montée de doctrines anti-humanistes, anti-progressistes, anti-égalitaires, anti-émancipatrices, qui exaltent ouvertement la violence la plus extrême et la plus systématique à l'égard d'importants groupes humains (« l'ennemi ») et qui se répandent vers la fin du XIXe siècle ».

Alors, c'est tout à fait « normal » que le génocidaire Smotrich s'auto-définit comme « fasciste homophobe » tandis que son compère Ben Gvir, ainsi que d'autres responsables politiques et religieux Israéliens, brillent par leurs professions de foi racistes, misogynes, homophobes, anti-socialistes, climato-sceptiques et obscurantistes violents qui trahissent leur appartenance aux hautes sphères de cette Internationale Brune en pleine ascension, qui représenté actuellement une menace directe et mortelle contre l'humanité et ce qui reste de ses libertés démocratiques...

Nous terminons ce texte nécessairement court et bâclé, en nous revendiquant de ces mots d'Ernest Mandel : « cette interprétation de l'holocauste a aussi une fonction subjective. Elle est aussi utile et nécessaire du point de vue des intérêts du genre humain. Elle permet d'échapper aux risques intellectuels et moraux inhérents à la thèse opposée, selon laquelle l'holocauste échapperait à toute explication rationnelle, serait incompréhensible. Cette thèse obscurantiste constitue, dans une large mesure, un triomphe posthume de la doctrine nazie. Car si vraiment une parcelle de l'histoire est irrationnelle et totalement incompréhensible, c'est que l'humanité serait, elle aussi, irrationnelle et incompréhensible. Alors, l'empire du mal serait « en nous tous ». C'est une manière à peine indirecte, sinon hypocrite, de dire que la responsabilité n'est ni chez Hitler, ni chez les nazis, ni chez ceux qui leur ont permis de conquérir et d'exercer le pouvoir, mais qu'elle serait chez tout le monde, c'est‑à‑dire chez personne en particulier ».

Et Mandel de conclure avec ces phrases prémonitoires : « Notre interprétation de l'holocauste a aussi une fonction politique pratique. Elle permet d'échapper à l'impuissance pratique, et au sentiment d'impuissance devant les risques de répétition du phénomène. Nous disons à dessein que l'holocauste est jusqu'ici(c'est Mandel qui souligne) le sommet des crimes contre l'humanité. Mais il n'y a aucune garantie que ce sommet ne soit pas égalé, ou même dépassé, à l'avenir. Le nier a priori nous semble irrationnel et politiquement irresponsable. Comme le disait Bertolt Brecht : « Il est toujours fécond le ventre qui a accouché de ce monstre. »

Notes
[1] En français, ce texte de Mandel se trouve dans le livre de Gilbert Achcar « Le marxisme d'Ernest Mandel », ed. PUF-Actuel Marx Confrontation. Pour consulter le même texte traduit en anglais :https://internationalviewpoint.org/spip.php?article6381

Auteur.e

Yorgos Mitralias Journaliste, Giorgos Mitralias est l'un des fondateurs et animateurs du Comité grec contre la dette, membre du réseau international CADTM et de la Campagne Grecque pour l'Audit de la Dette. Membre de la Commission pour la vérité sur la dette grecque et initiateur de l'appel de soutien à cette Commission.

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Liban, le renseignement américain craint une invasion israélienne

Les autorités américaines, informés par leurs services de renseignement, redoutent qu'Israël n'envahisse le Liban à la fin du printemps ou au début de l'été, indiquent nos (…)

Les autorités américaines, informés par leurs services de renseignement, redoutent qu'Israël n'envahisse le Liban à la fin du printemps ou au début de l'été, indiquent nos confrères d' »Ici Beyrouth », si les négociations diplomatiques ne parviennent pas à éloigner le Hezbollah de la frontière nord.

Tiré de MondAfrique.

Un papier du site Ici Beyrouth

À ces informations, rapportées jeudi par la chaîne américaine CNN, s'ajoutent les déclarations d'un haut fonctionnaire de l'administration Biden, qui, toujours selon la même chaîne, a déclaré : « Nous partons du principe qu'une opération militaire israélienne aura lieu dans les prochains mois. Pas nécessairement dans les prochaines semaines, mais peut-être plus tard dans le courant du printemps. »

« Une opération militaire israélienne au Liban est tout à fait possible. » Les journalistes de CNN

En tant que médiateurs clés pour une trêve à Gaza, les États-Unis entretiennent également des discussions parallèles avec Israël et le Liban. Une éventuelle entente créerait, selon CNN qui cite des responsables américains, « une zone tampon au Liban-Sud, retardant ainsi toute intervention armée, d'après des responsables américains ».

Le haut fonctionnaire américain susmentionné a exprimé, comme rapporté par la chaîne américaine, une perspective nuancée sur les motivations israéliennes : « Je pense qu'Israël brandit cette menace dans l'espoir d'un accord négocié. Certains responsables israéliens estiment qu'il s'agit plutôt d'un effort pour créer une menace utilisable, tandis que d'autres parlent d'une nécessité militaire imminente. »

À 27 kilomètres de Beyrouth

Parallèlement, Israël intensifie ses frappes aériennes au Liban, approchant à moins de 27 kilomètres de Beyrouth, marquant ainsi la plus grande proximité depuis les événements d'octobre dernier.

Lundi, une frappe a été lancée sur le bastion du Hezbollah à Baalbeck, dans le nord-est du pays. Selon une source proche des services de renseignement américains, également citée par CNN, « il est à craindre que cette campagne aérienne s'étende bien plus loin au nord, dans les zones peuplées du Liban et qu'elle s'étende également à une composante terrestre ». Il convient de rappeler, à cet égard, que le chef d'état-major, Herzi Halevi, a déclaré, mardi, depuis la frontière nord où il s'est rendu, que le Hezbollah « doit payer un lourd tribut » pour les actions qu'il a menées depuis le 7 octobre.

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Le militant anglais pro palestinien George Galloway élu député

Militant pro palestinien radical, George Galloway, l'un des « perturbateurs politiques » les plus célèbres et controversés d'Angleterre, comme le qualifie The Times, est (…)

Militant pro palestinien radical, George Galloway, l'un des « perturbateurs politiques » les plus célèbres et controversés d'Angleterre, comme le qualifie The Times, est devenu, vendredi 1er mars, le nouveau député de Rochdale, dans le nord du pays, où 30% de la population locale est de confession musulmane.

Tiré de MondAfrique.

Avec vingt points d'avance sur son premier concurrent, il a remporté une élection législative partielle à la suite d'une campagne houleuse marquée par la guerre entre Israël et le Hamas.

George Galloway fait partie de la gauche radicale d'outre-Manche. Sept fois député, il était une figure du Labour avant d'en être évincé pour avoir critiqué la politique au Moyen-Orient de Tony Blair lors de la guerre en Irak. C'est donc sous la bannière du parti des travailleurs de Grande-Bretagne (Workers Party of Britain) qu'il s'est présenté et qu'il a battu le parti travailliste et le parti conservateur.

Une victoire « plus qu'alarmante »

« Keir Starmer, c'est pour Gaza », a clamé Galloway après sa victoire, en faisant référence au dirigeant travailliste qui a initialement refusé d'appeler à un cessez-le-feu à Gaza. « Vous avez payé et vous paierez un prix élevé pour le rôle que vous avez joué en permettant, en encourageant et en couvrant la catastrophe qui se déroule actuellement dans la bande de Gaza. »

Le Premier ministre conservateur Rishi Sunak estime que le résultat de cette élection législative partielle est « plus qu'alarmant » au cours d'un discours devant Downing Street.

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Portugal. « Nous nous battons pour une majorité afin de mettre en œuvre des mesures concrètes. »

5 mars 2024, par Ana Bacelar Begonha, Leonete Botelho, Mariana Mortágua — , ,
Mariana Mortágua – dirigeante du Bloco de Esquerda et principale candidate pour les élections législatives du 10 mars au Portugal – ne rejette pas l'idée d'entrer dans un (…)

Mariana Mortágua – dirigeante du Bloco de Esquerda et principale candidate pour les élections législatives du 10 mars au Portugal – ne rejette pas l'idée d'entrer dans un éventuel gouvernement dirigé par Pedro Nuno Santos [tête de liste pour le Parti socialiste ; en 2015, le premier ministre Antonio Costa en avait fait son secrétaire d'Etat aux Affaires parlementaires chargé du lien avec la Coalition démocratique unitaire et le Bloco de Ezquerda]. Toutefois, Mariana Mortágua estime que l'important est de parvenir à un accord sur les orientations politiques. Dans une interview accordée au quotidien Público, elle fait de la récupération intégrale du temps de service (ancienneté) des enseignants en un an [l'évolution de la carrière avec ses conséquences sur les salaires a été gelée entre 2005 et 2007 et entre 2011 et 2017 en invoquant des raisons budgétaires] l'une de ses priorités. Elle ne montre aucune volonté politique de le faire en quatre ans, comme le propose le PS. En ce qui concerne les salaires, elle affirme que « la seule façon d'augmenter le salaire moyen » est de passer par le « droit du travail ». Si l'AD (Aliança Democrática, entre Parti social-démocrate-PSD, Parti du centre démocratique-CDS et Parti populaire monarchiste-PPM) remporte les élections, elle affirme que le Bloco de Esquerda (BE) « ne soutiendra aucun gouvernement de droite ».

23 février 2024 | tiré du site la Gauche écosocialiste
https://gauche-ecosocialiste.org/portugal-nous-nous-battons-pour-une-majorite-afin-de-mettre-en-oeuvre-des-mesures-concretes/

Lors du débat avec Pedro Nuno Santos, vous avez clairement indiqué qu'un accord écrit était nécessaire pour soutenir un gouvernement PS. Disposez-vous déjà de ce document écrit ? Quelles sont les conditions minimales ?

Mariana Mortágua : Nous disons que le Portugal a besoin de solutions pour surmonter les principaux problèmes laissés par le gouvernement à majorité absolue du PS [d'Antonio Costa issu des élections anticipées de janvier 2022 ; le PS obtient alors 120 députés sur un total de 230 et 42,5% des voix ; suite à un scandale de corruption, le président de la République Marcelo Rebelo de Sousa convoque des élections anticipées pour le 10 mars]. Ces problèmes vont du logement à l'éducation en passant par la santé. Nous regardons les principaux services publics, les salaires et leur dégradation, et nous nous rendons compte que quelque chose doit changer dans la politique au Portugal.

Le BE présente des solutions pour chacun de ces problèmes. C'est autour de ces solutions que nous voulons une concertation et un accord car nous savons qu'il n'y aura pas de majorité absolue et qu'il est de la responsabilité des partis de gauche de présenter une solution qui mobilise le soutien électoral car c'est pour cela que nous nous battons : une majorité pour mettre en œuvre des mesures concrètes.

C'est ce que j'aimerais que vous précisiez, quelles sont les questions fondamentales pour le BE ?

La question de la santé est essentielle. Il y a 1,6 million de personnes sans médecin de famille parce qu'il y a une difficulté extrême à retenir les professionnels de la santé car il y a un manque d'investissement dans le SNS (Serviço Nacional de Saúde-Service national de la santé).

Cela est un diagnostic.

C'est un diagnostic et une solution parce qu'il est important de disposer d'un régime spécifique accepté par les professionnels.

Le régime de pleine disponibilité [tel que défini dans le décret du 7 novembre 2023 d'organisation du Service national de la santé et de l'organisation des unités de santé familiales] ne répond-il pas à cette question ?

Non, cela a été imposé aux professionnels. Le gouvernement de la majorité absolue a fait la guerre aux professionnels. Et pas seulement dans la santé. C'était dans l'enseignement, les huissiers… Nous devons sortir de ces impasses que la majorité absolue a laissées derrière elle. Et ce ne sera certainement pas avec les mêmes politiques que la majorité absolue, comme nous l'a dit Pedro Nuno Santos.

En 2015 [deux accords ont été signés alors par Antonio Costa, l'un avec le Bloc de gauche, l'autre avec la Coalition démocratique], vous aviez un programme concret. J'insiste pour vous demander de clarifier à propos de quelques propositions concrètes.

Ce programme spécifique de 2015 était le fruit de négociations entre le BE et le PS. Il s'agit maintenant d'une campagne électorale, au cours de laquelle chaque parti doit clarifier ce qu'il défend et ce qu'il veut faire. Le BE a la responsabilité de répondre à la question de savoir jusqu'où il est prêt à aller et quels types de majorités et d'accords il souhaite obtenir.

Nous l'avons fait en disant que nous voulions un accord. Mais celui-ci doit être structuré autour de politiques concrètes. Et ces politiques concrètes sont les mesures que nous avons présentées. Pour le logement : baisse des taux d'intérêt sur les prêts hypothécaires, baisse des loyers, contrôle de l'hébergement temporaire (Airbnb)et du sur-tourisme. Pour la santé : un régime spécifique pour retenir les professionnels [avec une augmentation de la rémunération de 40% et l'engagement de 4000 médecins et infirmières pour résoudre le problème structurel du SNS]. Pour l'éducation : la formation pédagogique des enseignants, qui arrivent maintenant dans les écoles publiques, pour mettre fin à cette controverse avec les enseignants portant sur le rétablissement de l'ancienneté. Il y a aussi des propositions portant sur les transports publics, le climat, les salaires, les retraites…

Vous avez dit que le BE avait l'obligation de dire jusqu'où il voulait aller. Souhaite-t-il entrer au gouvernement ? Avec le portefeuille du logement ?

Parler de ministères sans parler de politiques concrètes est un subterfuge utilisé par ceux qui ne veulent pas parler de politique et de solutions. Ce qui nous intéresse et ce qui intéresse le pays, c'est de savoir quelles mesures pourront être mises en place avec une majorité après le 10 mars.

Vous préconisez de récupérer le temps de service (ancienneté) des enseignant·e·s dès la première année de gouvernement. Le PS veut le faire en quatre ans. Etes-vous prêt à accepter ce délai ?

La question des enseignant·e·s est la preuve de l'arrogance de la majorité absolue. Elle a entretenu une guerre avec les enseignant·e·s, affirmant qu'il était impossible de rétablir l'ancienneté. Le jour où la majorité absolue tombe, un ministre de l'Education dit que c'était possible après tout. Il est temps de mettre fin à ce drame inutile. Des milliers d'enseignants ont pris leur retraite depuis 2018, il est donc possible de rétablir l'ancienneté des enseignants et de le faire immédiatement. N'inventons pas des problèmes là où il n'y en a pas.

Manifestez-vous la disponibilité de le faire sur une plus longue période ?

Je ne vois pas de raisons budgétaires, je ne vois pas de raisons politiques pour que cela se fasse sur une période plus longue.

Le BE a présenté les coûts découlant des principales mesures proposées. La stratégie du BE consiste à prélever de l'argent sur les ressources inutilisées et sur l'excédent budgétaire. Comment résoudre ce problème à long terme ?

Ce n'est pas un problème. Un excédent budgétaire de plusieurs milliards d'euros vient d'être présenté, alors que le solde positif que nous avons en deuxième année est de 705 millions. Nous sommes loin d'avoir utilisé toute la marge de manœuvre qui existe. Et cette marge a deux bases : la première est l'excédent budgétaire, la seconde est la marge qui a été créée lorsque le gouvernement PS a systématiquement dépassé les objectifs de rentrées qui avaient été fixés dans le budget de l'Etat. Cette marge, en deux ans seulement – soit parce qu'il y a eu des recettes imprévues qui n'ont pas été dépensées, soit parce qu'il y a eu des dépenses budgétées qui n'ont pas été faites – s'élève à 8,5 milliards d'euros.

Mais les dépenses vont augmenter, l'excédent va s'épuiser. Comment pouvons-nous supporter l'augmentation croissante de ces dépenses ?

Il n'y a aucune raison pour qu'un déficit perdure ou s'aggrave, car les calculs effectués par le BE présentent à la fois l'évaluation des dépenses, mais aussi une évaluation et des propositions de recettes qui rééquilibrent et apportent un peu de justice fiscale. [Mariana Mortágua est une économiste reconnue, et Francisco Louça est un économiste réputé.]

Donnez des exemples :

Le régime des résidents non permanents, qui restera en place pendant les dix prochaines années, représente des recettes de 1,5 milliard d'euros par an. Un impôt sur les successions de plus d'un million d'euros assurera une entrée estimée à 100 millions d'euros par an. Un impôt sur les grandes fortunes supérieures à 1,6 million d'euros apportera 150 millions d'euros par an. Et nous comptons déjà sur le fait que l'AIMI [taxe de 0,7% de la valeur de la propriété pour ceux dont le patrimoine est compris entre 600 000 euros et un million d'euros] devrait être déduit de cet impôt sur les grandes fortunes pour qu'il n'y ait pas de double imposition. Il y a donc des mesures du côté des recettes qui apportent un élément d'équilibre. Mais il ne faut pas oublier que, premièrement, ne pas faire d'investissements aujourd'hui coûtera beaucoup plus cher à l'avenir. Deuxièmement, l'investissement public est une condition de la création de richesse. Et la création de richesse est ce qui permet d'avoir des comptes publics durables.

Le BE propose de porter le salaire minimum à 900 euros en 2024 avec une augmentation de 50 euros par an. En 2028, il serait toujours inférieur au salaire minimum en Espagne. Comment débloquer la politique salariale au Portugal ?

Notre proposition est de 50 euros au-dessus de l'inflation. L'augmentation du salaire minimum a été très importante et a permis une certaine récupération du pouvoir d'achat. Mais elle crée aussi des injustices parce qu'elle « cannibalise » les différents niveaux [tendance à l'affaissement comparatif des salaires juste supérieurs au salaire minimum, car ils ne sont pas augmentés au-delà de l'inflation]. Deux questions doivent être résolues : premièrement, il faut veiller à ce que les augmentations du salaire minimum ne soient pas absorbées par l'inflation. Les salaires moyens : c'est le sujet le plus difficile parce qu'il n'y a pas de recette magique. La seule façon d'augmenter le salaire moyen est d'avoir un droit du travail qui assure un pouvoir de négociation aux travailleurs et travailleuses, aux syndicats. La négociation collective est un instrument extrêmement important à cet égard.

Le PCP est en faveur de la fin du vide contractuel lors de l'expiration d'un contrat collectif [1], le PS a proposé que cela se fasse par le biais de la croissance économique. Le BE parviendra-t-il à combler le fossé ?

Il existe d'autres mesures pour augmenter le salaire moyen. La réduction du temps de travail, l'augmentation des jours de congé, la modification des règles applicables aux travailleurs postés, une loi sur l'échelle des salaires, la lutte contre la précarité, la fausse sous-traitance, la suppression du statut es faux indépendants [ne disposant d'aucun des droits d'un salarié : congés, indemnité chômage, maladie], etc. Toutes ces mesures contribueraient à augmenter les salaires. La deuxième question est celle du modèle économique. Nous avons besoin d'une économie capable de créer des emplois qualifiés dans la transition climatique, l'efficacité énergétique, les transports, la production solaire, afin d'obtenir des qualifications plus élevées et de meilleurs salaires.

L'une des priorités du BE est de reprendre le contrôle de la REN (Redes Energéticas Nacionais) et de la CTT (Correios de Portugal). Selon vous, quelle devrait être la part de l'Etat ? 51 % ?

Dans les deux cas, le calcul sur le pourcentage de présence que nous avons effectué doit permettre une position de contrôle, c'est-à-dire une position qui donne à l'Etat actionnaire la capacité de prendre des décisions au sein de ces entreprises. Il ne s'agit pas nécessairement d'une participation de 51%. La position doit être plus importante que celle de l'actionnaire principal pour pouvoir influencer ces décisions. Et nous avons fait une estimation en tenant compte de la valeur de marché de ces entreprises, en rappelant que ces entreprises, dans la plupart des cas, ont payé aux actionnaires privés qui les ont achetées la totalité du prix d'achat en 10 ans. Elles réalisent des bénéfices qui s'autofinancent.

Pedro Nuno a déclaré que la nationalisation n'était pas à l'horizon du PS. Le BE est-il prêt à baisser pavillon ?

Nous avons listé nos priorités : elles vont de la CTT à la REN, en passant par le blocage de la privatisation de la TAP Air Portugal, qui n'a aucun sens. Ce sont des priorités pour l'économie que nous voulons, qui doit disposer des secteurs technologiques et des secteurs de pointe, et nous savons que le contrôle de l'Etat est très important pour cela.

L'une des principales propositions du BE est de réduire les taux d'intérêt sur les prêts hypothécaires de la Caixa Geral Depósitos. Combien cela coûterait-il et comment cela fonctionnerait-il ?

Cela ne coûterait rien. C'est l'avantage de la proposition du BE par rapport aux autres. La plupart des partis n'avancent aucune proposition pour réduire les taux d'intérêt et les rares qui le font mobilisent l'argent de tous les contribuables pour maintenir les prix de l'immobilier, les loyers et les taux d'intérêt à un niveau très élevé. Cela signifie qu'il y a une subvention publique pour les profits des banques parce que l'Etat dépense de l'argent pour aider les gens à rembourser leurs hypothèques, qui ont augmenté parce que les taux d'intérêt sont insoutenables et donnent aux banques des profits gigantesques.

Quelle est la formule pour rendre compatibles les règles auxquelles la Caixa est tenue et la non-décapitalisation de la banque ?

La mesure que nous proposons n'interfère pas avec les règles européennes. Toute banque qui veut avoir une politique de taux d'intérêt plus attractive peut réduire les taux d'intérêt pour gagner des parts de marché. Caixa a un ratio de capital [fonds propres] deux fois supérieur au ratio réglementaire requis. Le ratio réglementaire est de 9% et Caixa en a plus de 20%. Ses bénéfices dépassent le milliard d'euros. C'est pourquoi nous avons étudié ce qui se passerait si nous réduisions l'écart d'un, de 1,5 ou de 2 points de pourcentage. Dans aucun cas, cela ne met en péril le ratio de capital ou la capacité à générer des résultats positifs.

La Caixa est une banque entièrement publique ; elle peut et doit avoir une politique de taux d'intérêt la plus basse du marché, car cela signifie que les autres banques doivent réduire leurs taux d'intérêt et aider les gens à rembourser leurs prêts avec des réductions substantielles. Cela se fait en consommant une partie des bénéfices de la banque – personne ne parle de mettre la banque dans une situation insoutenable – sans mobiliser l'aide de l'Etat.

Vous voulez interdire la vente de logements aux non-résidents. Comment cela pourrait-il être appliqué ?

Nous sommes confrontés à une crise aux dimensions astronomiques qui appauvrit les gens et les empêche d'accéder à un droit fondamental protégé par la Constitution. Nous savons que l'un des facteurs est la demande des non-résidents, non pas pour vivre, mais pour avoir une résidence secondaire, un actif pour l'investissement immobilier et financier, ce qui est souvent favorisé par des avantages fiscaux. C'est pourquoi nous voulons interdire la vente de maisons aux non-résidents. Ces lois sont en vigueur au Danemark parce que le pays a estimé qu'il devait se protéger contre la demande de maisons de la part de citoyens allemands qui ont envahi le Danemark pour acheter des maisons, et à Malte en raison d'une invasion de citoyens russes qui sont venus à Malte pour acheter des biens immobiliers. La proposition du BE est de défendre le droit au logement au Portugal en invoquant une loi qui existe dans d'autres pays de l'Union européenne.

Si nous avons un gouvernement de droite, présenterez-vous ou voterez-vous en faveur d'une motion de censure ?

Je n'envisage pas d'autre scénario qu'une majorité qui résoudrait les principaux problèmes du pays, car c'est la seule solution qui puisse répondre aux principales préoccupations des gens. La garantie de principe que je donne est que le BE ne favorise ni ne soutient aucun gouvernement de droite.

Mais quand vous dites qu'il y aura toujours une majorité de gauche, vous admettez la motion de censure…

Non, c'est une position de principe. Pour que personne n'ait de doutes, en principe, sur ce que ferait le BE. Mais le scénario sur lequel nous travaillons et la certitude que nous avons, c'est qu'il y aura une majorité au Portugal pour résoudre les problèmes laissés par l'ex-« majorité absolue ».

Comment vous définissez-vous en trois qualificatifs ?

Tranquillité, confiance et détermination.

Entretien publié par le quotidien Publico le 20 février 2024. Traduction rédaction A l'Encontre.


[1] Le système d'expiration contractuelle implique qu'à chaque échéance, les associations d'employeurs ont la possibilité, en refusant de négocier, de faire expirer les contrats collectifs de travail afin de saper les droits qu'ils consacrent. Elles ont depuis 2003 la possibilité d'exercer un chantage sur les travailleurs et leurs syndicats en leur présentant le faux choix entre l'échéance sans nouveau contrat ou l'accord de réduction des droits. La solution passe par la suppression de ce type d'échéance et la garantie qu'un contrat ne sera remplacé que par un autre contrat librement négocié. (Réd.)

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Crise agricole, démocratie et Sécurité sociale de l’Alimentation…

5 mars 2024, par Boris Chenaud, Dominique Paturel — , ,
Même si pour l'instant cela reste essentiellement des expérimentations du côté des classes moyennes, il faut s'investir dans le fait de reprendre la main sur notre (…)

Même si pour l'instant cela reste essentiellement des expérimentations du côté des classes moyennes, il faut s'investir dans le fait de reprendre la main sur notre alimentation, chacun là où nous sommes : aller au marché, faire des groupements achats, etc et engager la bataille politique dans les arènes institutionnelles, sans aucune concession sur le projet politique.

24 février 2024 | tiré du site de Gauche écosocialiste
https://gauche-ecosocialiste.org/crise-agricole-democratie-et-securite-sociale-de-lalimentation/

Que peux-tu nous dire de la mobilisation actuelle ? D'où vient ce paradoxe de paysan·nes de moins en moins bien rémunéré·es et, en regard, une population pour qui il est de plus en plus cher de se nourrir ?

Un point d'attention important est de ne pas confondre les révoltes agricoles et les résistances paysannes comme étant un face-à-face entre rémunérations faibles et normes environnementales. Si les agriculteurs en sont là c'est bien par l'accélération libérale du libre-échange, mettant en concurrence ce qui ne peut pas l'être : tant dans les niveaux d'exigences de production respectueuses du vivant que dans les conditions sociales du travail.

Pour autant, même si toutes les normes environnementales étaient abolies, les exploitations agricoles déjà en « berne » ne seraient pas épargnées. Sans une régulation, les « petits producteurs », même qualifiés d'agro-industriels ou d'agroécologie par les écologistes, vont déposer le bilan. Il faut garantir et assurer sur la durée, des prix agricoles permettant aux agriculteurs et agricultrices une juste rémunération, pour également être certain d'engager la transformation écologique des systèmes alimentaires.

Qu'est-ce que la Sécurité sociale de l'Alimentation ?

La SSA est un projet politique porté par des collectifs, associations et organisations du mouvement social. Ce projet est basé sur le régime général de la sécurité sociale. Le financement reprend le modèle économique de la sécu, par de la cotisation sociale sur la plus-value du travail et par le conventionnement démocratique des acteurs et actrices des systèmes alimentaires. Ce conventionnement se met en place à des échelles locales dans des caisses de SSA. Le principe fondamental est un accès universel aux produits alimentaires conventionnés et donc d'instaurer un droit à l'alimentation durable (durable étant entendu à la fois continu et de qualité). Le conventionnement se fait en respectant les conditions d'une transformation des systèmes alimentaires au regard des changements climatiques. Pour soutenir cette transformation, il est prévu une allocation mensuelle de 150€ par personne, permettant ainsi d'avoir un impact sur l'offre alimentaire.

Alors que nous sommes en pleine crise agricole, en quoi revendiquer l'instauration d'une Sécurité sociale de l'Alimentation pourrait aider à trouver des solutions ?

L'objectif de ce projet de SSA est de permettre à tous ceux et toutes celles qui travaillent dans les systèmes alimentaires, de gagner leur vie correctement, que ce soit les agriculteurs ou agricultrices, les ouvriers et ouvrières agricoles, es salariéEs de l'agro-industrie, etc.

En quoi la Sécurité sociale de l'Alimentation pourrait contribuer à répondre aux besoins alimentaires de la population en quantité et en qualité ?

La France se sert de sa production agricole à l'exportation ; mais aujourd'hui il y a une stagnation de la production, une réduction massive du nombre d'agriculteurs et de la surface agricole utile, avec des pertes de parts de marché. En outre, il y a une forte, augmentation des importations et des échanges commerciaux intra Europe de plus en plus bas. C'est donc un modèle à bout de souffle dont la répercussion première est d'une part une baisse du revenu des agriculteurs pris dans ces filières et d'autre part une hausse conjuguée aux évènements internationaux et la spéculation qui s'en est suivie. La SSA rebat toutes ces cartes d'abord en soutenant la relocalisation de tout ce qui est possible, en redistribuant une partie de la valeur ajoutée par le biais de l'allocation mensuelle et une autre partie dans le soutien à l'investissement dans la transformation des systèmes alimentaires. Certes il faudra penser la coexistence des systèmes alimentaires car la relocalisation ne permettra pas de nourrir tout le monde tout le temps.

Comment cela pourrait aider à résoudre le problème de revenu des agriculteurs·trices ?

Par le fait de reconnaitre les conditions de production à leur juste valeur et de faire en sorte qu'ils et elles puissent vivre de leur travail ; d'ailleurs ceci est valable pour tous et toutes les travailleurs et travailleuses des systèmes alimentaires : les agriculteurs comme les boulangers, les salariés des abattoirs et les caissières. C'est tout l'enjeu démocratique de la démocratie alimentaire dont la signification est « reprenons la main sur nos systèmes alimentaires ». Cela passe par le fait que nous, tous et toutes, reconnections ce que nous mangeons avec les conditions de leurs productions.

De quelle façon la SSA remet-elle en cause la chaîne alimentaire actuelle ? Quand on parle de Sécurité sociale de l'Alimentation, on parle très souvent de démocratiser l'alimentation. Peux-tu préciser ? On voit que dans le problème du prix et des revenus des paysans, l'un des nœuds, voire des énormes nœuds du problème, est la distribution, notamment la grande distribution. Comment s'en affranchir ? Comment éviter le problème ? Ou comment y faire face ?

D'abord en rappelant le pouvoir énorme de la grande distribution et en comprenant que l'organisation du marché néolibéral, système économique capitaliste, transforme en marchandise tout : les produits agricoles certes mais aussi les services autour des produits agricoles ; le marketing, soutenu par une législation qui protège l'offre alimentaire telle qu'elle existe, à savoir essentiellement basée sur une production industrielle, est central dans tout ce business. Nous n'avons pas la main là-dessus et on s'imagine avoir la liberté de choix alors que nous sommes en permanence encadrés et donc soumis à cette offre. Tout le discours qui consiste à nous faire croire que nous pouvons changer la donne par nos actes d'achats individuels est un leurre : notre espace de contestation est micro et en plus il sert à l'agroalimentaire pour faire évoluer ses segments de marché et répondre aux soi-disant attentes de la population.

Une des pistes est de partir des besoins alimentaires réelles de la population par une reprise en main….. de la démocratie : s'éduquer ensemble de ce que sont ces systèmes alimentaires, choisir ensemble en connaissance de cause, prendre en compte nos besoins différents selon nos âges et nos appartenances à des groupes sociaux diversifiés. La SSA peut être le cadre pour porter ce projet de démocratie alimentaire.

Sous quelle forme le débat pour une Sécurité sociale de l'Alimentation traverse-t-il l'Europe ? À supposer que ce débat existe en dehors de la France…Est-il possible, dans une Europe néolibérale dont le dogme est la concurrence libre et non faussée, d'installer un outil comme la Sécurité sociale de l'Alimentation ?

Le débat existe en Belgique et en Suisse où par exemple le canton de Genève a voté récemment l'instauration d'un droit à l'alimentation dans sa constitution. On commence à entendre des frémissements en Allemagne et en Autriche. Il y a aussi de l'écoute en Espagne. La SSA étant basée sur le modèle du régime général de la sécu, ce projet s'appuie sur les formes de sécurité sociale existantes et donc ce n'est pas encore bien clair.

Le cadre européen actuel qui a comme règle de base le libre-échange et par conséquent des accords commerciaux planétaires ne permet pas évidemment le cadre d'une SSA dont l'objectif est de relocaliser les productions agricoles et d'assurer des moyens de vie à toute une population, notamment par de la redistribution.

Par quel bout commencer ?

Pour commencer, même si pour l'instant cela reste essentiellement des expérimentations du côté des classes moyennes, il faut s'investir dans le fait de reprendre la main sur notre alimentation, chacun là où nous sommes : aller au marché, faire des groupements achats, etc et engager la bataille politique dans les arènes institutionnelles, sans aucune concession sur le projet politique. En ce moment, la récup est de mise avec une confusion qui est celle de penser que la distribution de chèques alimentaires aux plus petits budgets ou de renforcer l'accès par l'aide alimentaire seraient des actions SSA. Bien évidemment que non puisque le principe fondamental de la SSA est un accès pour l'ensemble de la population et non des réponses spécifiques pour les pauvres. Et ce d'autant plus, que les réponses en direction des populations à petits budgets est de les diriger vers la surproduction essentiellement transformée. Alors que les besoins sont ceux de produits frais.

A PEPS, nous réfléchissons actuellement à ce que pourrait être la démocratie alimentaire à l'épreuve du communalisme. Nous soutenons un modèle confédéral de SSA, de façon à éviter d'une part une organisation verticale comme bien souvent dans les institutions aux mains des experts et d'autre part une segmentation des activités du système alimentaire comme c'est le cas aujourd'hui dans l'ensemble des collectivités publiques et de l'état. De plus, conscients aussi du postcolonialisme « ambiant » (tant dans certaines productions que dans certaines formes d'intervention dite d'éducation populaire sur ce que serait le « bon » régime alimentaire) et de l'idéologie patriarcale inhérente à l'agriculture, nous sommes attentifs aux pièges de la participation dite démocratique qui s'appuie sur les habituels réseaux déjà mobilisés sur ces questions et exclue de fait les familles à petits budgets et les femmes de manière générale. Or l'alimentation est une activité enfouie dans notre quotidien et bien souvent les tâches « alimentaires » sont le fait des femmes.

Propos recueillis par Boris Chenaud.

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La violence sexuelle n’est pas un crime de guerre caché en Ukraine

Travailler aux côtés d'enquêteurs/enquêtrices et de procureur··es sur des crimes sexuels et à caractère sexiste est une expérience horrible. Il s'agit d'écouter, de lire et (…)

Travailler aux côtés d'enquêteurs/enquêtrices et de procureur··es sur des crimes sexuels et à caractère sexiste est une expérience horrible. Il s'agit d'écouter, de lire et d'entendre des récits de souffrances inimaginables dans des détails écœurants.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/02/28/la-violence-sexuelle-nest-pas-un-crime-de-guerre-cache-en-ukraine/

Pour soutenir le travail du bureau du procureur général de l'Ukraine, des équipes mobiles de justice (EMJ) composées d'expert·es ukrainien·nes et internationaux ont été déployées dans tout le pays pour enquêter sur les crimes de guerre et les actes de violence sexuelle. Grâce à ces équipes, nous avons appris que des centaines de femmes et d'hommes, de filles et de garçons, de personnes âgées et de personnes handicapées de toute l'Ukraine sont hantés par les crimes sexuels commis à leur encontre par les forces russes.

Aux points de contrôle militaires, dans les centres de détention officiels et non officiels, chez elles et chez eux, lorsqu'elles et ils vont chercher de la nourriture ou rendre visite à des proches, ni les civil·es ni les prisonnier·es de guerre n'ont été épargné·es par les formes brutales de violence sexuelle et sexiste contre lesquelles elles et ils devraient être protégé·es en vertu des Conventions de Genève.

Une mère de deux enfants a été violée par des soldats russes et abandonnée dans les bois près d'un village occupé. Son mari n'a pu retenir ses larmes en se remémorant cette nuit, se torturant de n'avoir pu la protéger malgré son handicap. Les auteurs ont été identifiés et sont désormais recherchés en Ukraine pour crimes de guerre.

Une femme âgée – la mère d'un soldat ukrainien – a été tirée du sous-sol où elle se cachait pour échapper à un assaut de bombes et de tirs d'obus et a été victime d'abus sexuels. Elle a fourni des preuves à notre équipe d'enquêteurs/enquêtrices, nous a offert un pot de confiture de fraises maison et nous a demandé si la Cour pénale internationale demanderait des comptes à ses agresseurs. L'enquête sur cet incident est en cours ; les auteurs n'ont pas encore été identifiés.

Les forces russes ont arrêté un homme d'âge moyen après avoir occupé un territoire dans le sud de l'Ukraine. Le personnel d'un centre de détention russe a fait passer des courants électriques dans ses organes génitaux à un si grand nombre de reprises qu'il ne peut plus avoir d'enfants. L'enquête sur les auteurs de ces actes est en cours.

Si l'étendue et l'ampleur réelles de ces actes de violence n'ont pas encore été révélées, la violence sexuelle n'est pas un secret inavoué, mais fait partie intégrante du comportement des forces russes, où qu'elles se trouvent. Les enquêtes sur ces crimes sont longues, couteuses en ressources et complexes.

Les obstacles aux enquêtes sur les crimes sexuels ne se limitent pas à la guerre en Russie : ils comprennent également les traumatismes subis par les survivant·es, la stigmatisation qui entoure le sujet et les défis posés par le conflit en cours. En pratique, il n'est pas facile de se concentrer sur la collecte de preuves lorsqu'un avion de chasse russe vole si bas que votre réaction primaire est de vous cacher dans les buissons. Les témoins peuvent parfois, pour des raisons évidentes, confondre la chronologie des événements lorsqu'ils voient un missile à travers leur fenêtre au cours d'un entretien.

Les obstacles à la justice résultent moins d'un manque d'attention ou de priorité de la part des autorités ukrainiennes que de l'ampleur démesurée du problème. L'obligation de rendre des comptes peut être retardée pour cette raison, mais elle n'est en aucun cas négligée ou ignorée par les procureur·es, la police et les organisations nationales et internationales qui soutiennent la justice pour les survivant·es de violences sexuelles.

Le travail sur les crimes sexuels et sexistes nécessite des efforts ciblés et concertés et, surtout, de la diligence et du soin pour s'assurer que les survivant·es sont traité·es avec dignité et respect dans le processus de justice. Pour reprendre les termes d'un procureur ukrainien, « chaque survivant·e mérite que nous fassions de notre mieux ».

Le bureau du procureur général a sollicité et accueilli favorablement le soutien technique et l'assistance d'organismes et d'expert·es internationaux spécialisé·es dans les violences sexuelles. Une division spécialisée dans les violences sexuelles est en place depuis plus d'un an, et il existe une stratégie claire pour traiter ces cas, ainsi qu'un groupe de travail qui coordonne les efforts entre de multiples acteurs et actrices afin de garantir une réponse globale aux survivant·es.

Cependant, l'impact quantitatif de ces efforts n'est pas et ne peut pas être immédiat : 270 cas ont été identifiés, dont 173 impliquant des survivantes et 97 impliquant des survivants. Trente-neuf auteurs ont été identifiés à ce jour, tandis que les procureurs ont soumis 24 actes d'accusation aux tribunaux nationaux à ce jour.

Bien que ces chiffres puissent sembler faibles à première vue, les progrès doivent être mesurés sous de nombreuses formes. Les progrès sont mesurés par l'enthousiasme des enquêteurs/enquêtrices et des procureur·es à apprendre les normes internationales et les meilleures pratiques en matière d'enquêtes sur les crimes sexuels. Ils se mesurent à l'aune des multiples sessions de mentorat, des journées de travail de 18 heures et de l'amélioration de la qualité des entretiens qui en découle.

Les progrès se mesurent également par le fait de prendre le temps d'expliquer aux survivant·es et aux témoins leurs droits et le processus de justice et, en fin de compte, de respecter leur décision de s'engager ou non dans le processus de responsabilisation. Il se mesure également à l'évaluation de leur bien-être psychologique et au choix d'attendre si la poursuite d'une affaire risque de nuire à leur santé mentale.

Deux ans après le début de la guerre, les acteurs/actrices de l'obligation de rendre des comptes n'ont découvert que la partie émergée de l'iceberg des violences sexuelles et sexistes. Chaque cas, chaque histoire de survivant·e est unique et, avec le temps, nous savons que nous entendrons malheureusement de nombreux autres cas horribles. Avec le retrait progressif de la Russie de certaines parties de l'Ukraine et le retour des civil·es et des prisonnier·es de guerre détenu·es par la Russie, nous ne savons que trop bien que des centaines de nouveaux cas de violence sexuelle seront enregistrés.

J'espère sincèrement que les acteurs/actrices internationaux et nationaux de la responsabilisation, les organisations de la société civile, les expert·es internationaux et la communauté internationale en général seront en mesure de soutenir un plus grand nombre de survivant·es qui dénoncent ces crimes terrifiants. Et j'espère que les progrès que nous observons au sein du système national de justice pénale garantiront que la justice n'est pas seulement une aspiration mais une réalité pour toutes celles et tous ceux qui ont enduré les horreurs indicibles des crimes de guerre.

Anna Mykytenko, 23 février 2024

Anna Mykytenko est conseillère juridique principale et responsable pour l'Ukraine de Global Rights Compliance (GRC), une fondation juridique internationale spécialisée dans le droit humanitaire et pénal international. GRC codirige le groupe consultatif sur les crimes d'atrocité, une initiative lancée par les États-Unis, le Royaume-Uni et l'UE pour fournir des conseils stratégiques et une assistance opérationnelle au bureau du procureur général de l'Ukraine dans le cadre des enquêtes et des poursuites relatives aux crimes d'atrocité en Ukraine.
https://kyivindependent.com/opinion-sexual-violence-is-not-a-hidden-war-crime-in-ukraine/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

Note de l'éditeur : Les opinions exprimées dans la section d'opinion sont celles des auteurs et autrices et ne prétendent pas refléter les vues du Kyiv Independent.

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Déclaration du Mouvement socialiste russe sur les moyens de parvenir à la paix en Ukraine.

5 mars 2024, par Mouvement socialiste russe — , , ,
Il y a deux ans aujourd'hui que Vladimir Poutine a lancé une invasion massive de l'Ukraine. Cette décision des dirigeants russes n'était pas une réponse à une menace militaire (…)

Il y a deux ans aujourd'hui que Vladimir Poutine a lancé une invasion massive de l'Ukraine. Cette décision des dirigeants russes n'était pas une réponse à une menace militaire posée par l'Ukraine ou l'OTAN – il s'agissait d'une tentative d'annexion pure et simple d'un pays voisin qui, selon Poutine, ne devrait tout simplement pas exister.

24 février 2024 | tiré du site de la Gauche anticapitaliste | Photo : Manifestation contre la guerre d'agression russe contre l'Ukraine, 26 février 2022. (Markus Spiske, Pexels)
https://www.gaucheanticapitaliste.org/arreter-la-guerre-doit-signifier-en-finir-avec-la-dictature-de-poutine/

Le plan initial de Poutine en Ukraine semble effectivement avoir été une « opération spéciale » de changement de régime : les troupes occuperaient rapidement les principales villes du pays, la Garde nationale russe réprimerait les manifestations « nationalistes » pendant que la majorité de la population accueillerait avec des fleurs ses « frères » russes attendus en libérateurs. Mais au lieu de fleurs et de fanfares, l'armée russe s'est heurtée à la résistance obstinée des Ukrainiens et, au lieu de « gangs », elle a trouvé une armée entraînée et déterminée. L'« opération spéciale » s'est transformée en une véritable guerre.

La première victime de l'agression russe est l'Ukraine et son peuple. Plus de 10 000 civils ont été tué·e·s et plus de 18 500 blessé·e·s. 6,3 millions de personnes ont cherché refuge à l'étranger et 3,7 millions ont été déplacées à l'intérieur du pays. Au cours de la guerre, des centaines de milliers d'infrastructures médicales, résidentielles, éducatives et sportives ont été détruites, en même temps les écosystèmes ont été victimes d'un véritable écocide. Les dommages causés à l'économie ukrainienne, estimés à plus de 300 milliards de dollars, affecteront le bien-être de ses citoyen·ne·s pendant des années, et rendront la vie extrêmement pénible pour les plus pauvres d'entre elles/eux.

DE L'OPÉRATION SPÉCIALE À LA GUERRE D'USURE

La société russe subit elle aussi une transformation douloureuse. Léon Trotski a écrit un jour que « ce n'est pas la conscience qui gouverne la guerre, mais la guerre qui gouverne la conscience ». La guerre a sa propre logique et modifie les plans humains. Au lieu de l'« opération spéciale », promise par Poutine, la Russie s'est engagée dans une guerre longue, sanglante et épuisante ; une guerre d'usure pour épuiser les ressources de l'Ukraine et forcer l'Occident à suspendre son aide. Ce scénario exige de la Russie d'énormes sacrifices auxquels ni sa population ni son économie n'étaient préparées.

Entraîné dans cette guerre d'usure, l'État de Poutine a changé de l'intérieur : il est condamné à forcer la société à accepter de tels sacrifices, notamment un nombre vertigineux de pertes en vies humaines. Cela passe par la répression politique et l'instauration d'un climat de peur. Selon OVD Info, 1 980 personnes ont été arrêtées pour s'être opposées à la guerre depuis le début de celle-ci, et 825 d'entre elles font l'objet de poursuites pénales ; au moins un demi-million de personnes ont quitté le pays pour des raisons morales et politiques ou pour échapper à l'appel sous les drapeaux. Par ailleurs, la guerre n'est pas devenue le point de ralliement espéré, une « Seconde Guerre mondiale 2.0 » pour la plupart des Russes : les partisans idéologiques de l'agression de Poutine restent minoritaires, même s'ils sont les seuls à pouvoir exprimer leur point de vue.

LES CAUSES ET LA NATURE DE LA GUERRE

L'objectif de la guerre actuelle n'est manifestement pas de protéger la population russophone de l'Ukraine, qui est celle qui a le plus souffert aux mains des occupants, ni de contrer l'expansion occidentale, puisque le Kremlin partage une longue histoire d'enrichissement mutuel avec l'Occident. Le véritable motif de l'invasion du Kremlin est son désir d'asseoir davantage sa domination politique, économique et militaire sur la société russe et les sociétés des autres pays post-soviétiques, à laquelle Moscou prétend avoir « historiquement droit ».

MOUVEMENTS POPULAIRES DÉMOCRATIQUES DE LA DERNIÈRE DÉCENNIE

Dans le cadre de leur vision conspirationniste du monde, Poutine et son entourage considèrent que le Maïdan (2014) en Ukraine, les soulèvements au Belarus (2020) et au Kazakhstan (2021), et les vagues de protestations de masse en Russie même depuis 2012 font partie d'une « guerre hybride » menée contre la Russie par l'Occident. La « lutte contre l'hégémonie occidentale » telle que la conçoit Poutine n'a rien à voir avec la résistance aux politiques d'exploitation des élites américaines et européennes sur la scène mondiale. Au contraire, le Kremlin accepte et salue les politiques occidentales qui ne sont assorties d'aucune condition éthique.

Les seules « valeurs occidentales étrangères » contre lesquelles la Russie se bat sont les droits humains, la liberté d'expression, l'égalité des sexes, le développement durable, etc. En ce sens, le poutinisme est l'avant-garde d'une internationale d'extrême droite qui menace la démocratie et les mouvements progressistes dans le monde entier. Cette internationale d'extrême droite s'articule notamment autour de Trump et ses partisans aux États-Unis, l'AfD en Allemagne, le régime d'Erdogan en Turquie, Orbán en Hongrie, et d'autres partis qui s'apprêtent à monter au pouvoir lors des prochaines élections.

L'objectif principal de cette guerre est de protéger le régime de Poutine et ses États vassaux autocratiques, comme la dictature de Loukachenko en Biélorussie, de la menace d'une révolution. Cet objectif coïncide parfaitement avec les rêves de l'élite de reconstruire l'Empire russe, ce qui passe par l'asservissement de l'Ukraine, mais l'expansion russe ne s'arrêtera pas là. Il s'inscrit également dans l'espoir d'un « monde multipolaire », dans lequel les dictateurs et les oligarques jouissent d'une liberté totale pour piller leurs sujets, réprimer les dissidents et diviser le monde au mépris du droit international. C'est pourquoi, aujourd'hui, « arrêter la guerre » doit signifier « en finir avec la dictature de Poutine ». Exiger la paix, c'est exiger l'abolition des hiérarchies sociales qui sont au cœur du régime russe actuel : l'autoritarisme politique, les vastes inégalités de richesse, les normes conservatrices et patriarcales, et un modèle colonial et impérial de relations interethniques.

LUTTER POUR LA PAIX OU FORCER LES NÉGOCIATIONS ?

2023 a été une année de guerre de tranchées pour l'Ukraine. Malgré de lourdes pertes, ni l'armée ukrainienne ni l'armée russe n'ont réussi à faire des progrès significatifs sur le champ de bataille. Cette situation a accru la lassitude face à la guerre, y compris chez les alliés de l'Ukraine. Dans ce contexte, les idées de pourparlers de paix et d'opposition aux transferts d'armes vers la zone de conflit – exprimées à la fois par l'extrême droite et certaines forces de gauche – sont devenues de plus en plus populaires. Bien entendu, toutes les guerres favorisent le militarisme et le nationalisme, la réduction de la protection sociale, la violation des libertés civiles et bien d'autres choses encore dans tous les pays parties au conflit. C'est vrai pour la Russie, l'Ukraine et l'Occident.

Il est également évident que toutes les guerres se terminent par des négociations, et il serait inutile de s'opposer à cette demande en principe. Mais espérer des négociations à ce stade de la guerre est naïf, tout comme la conviction que le désarmement unilatéral de la victime de l'agression apportera la paix. Les promoteurs de ces propositions ne tiennent pas compte de l'évolution du régime de Poutine au cours des dernières années. La légitimité de Poutine est aujourd'hui celle d'un chef de guerre ; il ne peut donc pas se maintenir au pouvoir sans faire la guerre. Il compte désormais sur le fait que l'Occident mettra fin à son soutien à l'Ukraine après les élections américaines et conclura un accord – aux conditions du Kremlin, bien entendu. Mais un tel accord (partition de l'Ukraine ? changement de régime à Kiev ? reconnaissance des « nouveaux territoires » russes ?) ne changera rien à l'attitude essentielle du poutinisme vis-à-vis de la guerre, qui est désormais son seul mode d'existence.

Le régime de Poutine ne peut plus sortir de l'état de guerre, car le seul moyen de maintenir son système est d'aggraver la situation internationale et d'intensifier la répression politique à l'intérieur de la Russie. C'est pourquoi toute négociation avec Poutine aujourd'hui n'apporterait, au mieux, qu'un bref répit, et non une véritable paix. Une victoire de la Russie serait la preuve de la faiblesse occidentale et de sa volonté de redessiner ses sphères d'influence, surtout dans l'espace post-soviétique. La Moldavie et les États baltes pourraient être les prochaines victimes de l'agression. Une défaite du régime, en revanche, équivaudrait à son effondrement.

Seul le peuple ukrainien a le droit de décider quand et dans quelles conditions faire la paix. Tant que les Ukrainiens feront preuve d'une volonté de résistance et que le régime de Poutine ne changera rien à ses objectifs expansionnistes, toute contrainte exercée sur l'Ukraine pour l'amener à négocier reviendrait à faire un pas vers un « accord » entre impérialistes par-dessus la tête de l'Ukraine et aux dépens de son indépendance. Cet « accord de paix » impérialiste signifierait un retour à la pratique de partition du reste du monde par les « grandes puissances », c'est-à-dire aux conditions qui ont donné naissance à la Première et à la Seconde Guerre mondiale. Le principal obstacle à la paix n'est certainement pas le « manque de volonté de compromis » de Zelensky, ni le « fauconisme » de Biden ou de Scholz : c'est le manque de volonté de Poutine de même discuter de la désoccupation des territoires ukrainiens saisis après le 24 février 2022. Et c'est l'agresseur, et non la victime, qui doit être contraint de négocier.

Nous, Mouvement socialiste russe, pensons que dans de telles circonstances, la gauche internationale devrait exiger :

– Une paix juste pour le peuple ukrainien, y compris le retrait des troupes russes du territoire internationalement reconnu de l'Ukraine ;
– l'annulation de la dette publique de l'Ukraine ;
– une pression accrue des sanctions sur l'élite et la classe dirigeante de Poutine ;
– une pression accrue sur les différentes entreprises qui continuent à faire des affaires avec la Russie ;
– une aide humanitaire accrue aux réfugié·e·s ukrainien·ne·s et aux exilé·e·s politiques russes, y compris celleux qui fuient la conscription ;
– une reconstruction équitable de l'Ukraine après la guerre, menée par les Ukrainien·ne·s elleux-mêmes selon les principes de la justice sociale, et non par des sociétés d'investissement et des fonds spéculatifs appliquant les principes de l'austérité ;
– un soutien direct aux organisations bénévoles et syndicales de gauche en Ukraine ;
– des plates-formes permettant aux Ukrainien·ne·s et aux Russes opposé·e·s à la guerre de s'exprimer ;
– la libération des prisonnier·ère·s politiques russes et la fin de la répression de l'opposition politique en Russie.

Le monde d'aujourd'hui bascule vers la droite et les politiciens choisissent de plus en plus de recourir à la discrimination et aux guerres d'agression pour résoudre leurs problèmes, qu'il s'agisse de la campagne militaire génocidaire de Netanyahou à Gaza, soutenue par l'Occident, des attaques de l'Azerbaïdjan contre le Haut-Karabakh (dont la communauté internationale est complice) ou de la rhétorique et des politiques anti-immigré·e·s adoptées par les partis dominants en Allemagne, en Finlande, aux Pays-Bas, en France et aux États-Unis. Dans ce contexte mondial, la gauche doit combattre la montée des tendances impérialistes, militaristes et nationalistes, non pas par des efforts utopiques de construction de la paix, mais en empêchant de nouvelles flambées d'agression et en empêchant les forces fascistes sympathisantes de Poutine (Trump, l'AfD, etc.) d'accéder au pouvoir.

Stop à la guerre !
Pour la fin au poutinisme !
Liberté pour l'Ukraine !
Liberté pour les opprimés en Russie !

24 février 2024

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