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Violence conjugale : Le ministre doit aider les victimes à sortir de l’enfer

6 février 2024, par Sophie Ferguson, Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) — , ,
Et si dix jours de congé payés pouvaient faire la différence entre la vie et la mort ? Dix jours pour fuir la violence et reprendre son souffle, c'est vraiment un minimum. (…)

Et si dix jours de congé payés pouvaient faire la différence entre la vie et la mort ? Dix jours pour fuir la violence et reprendre son souffle, c'est vraiment un minimum. Pourtant, le ministre du Travail Jean Boulet n'a pas jugé bon d'inclure cette porte de sortie aux travailleuses et travailleurs victimes de violence conjugale dans le projet de loi 42 visant à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuelle en milieu de travail.

Se libérer de l'emprise d'un partenaire violent est souvent loin d'être simple pour une victime. Très souvent, l'agresseur contrôle pratiquement tous les aspects de sa vie, rendant sa fuite d'autant plus difficile. Le milieu de travail est parfois le seul espace qui reste à la victime pour réussir à s'en sortir et l'employeur a le devoir de l'aider à y parvenir.
La revendication des dix jours de congé payés pour les victimes de violence conjugale n'est pas nouvelle. Il y a près de deux ans, une pétition en ce sens a été déposée à l'Assemblée nationale et le ministre n'y avait pas non plus donné suite. Il a maintenant l'occasion de corriger le tir. Le gouvernement fédéral et la majorité des autres provinces offrent des congés semblables aux victimes de violence conjugale. Le Québec est dernier de classe au pays sur cette question.

Parmi les autres mesures pour aider les victimes de violence, il aurait été opportun d'inclure dans le projet de loi la mise en place de formations de sentinelles en milieu de travail pour soutenir les victimes de la violence conjugale, familiale et sexuelle. Une initiative semblable d'Unifor dans les milieux de travail de ses membres s'est révélée très positive. Il y aurait lieu de s'en inspirer.

Mieux soutenir les victimes

Il y a plusieurs mesures intéressantes dans le projet de loi 42, comme la formation obligatoire pour les arbitres de grief, la réduction de la portée des clauses d'amnistie dans les conventions collectives et l'ajout de précision à la Politique de prévention et de prise en charge des situations de harcèlement psychologique.

D'autres éléments du projet de loi mériteraient toutefois d'être modifiés afin de mieux soutenir les victimes de harcèlement et de violence à caractère sexuel en milieu de travail. Le harcèlement ou l'agression perpétré par un collègue (personne de confiance) ou un patron (personne en autorité) de la victime devrait, par exemple, être considéré comme étant survenu à l'occasion du travail, jusqu'à preuve du contraire. Se faire tripoter par son patron dans un party de bureau n'est pas plus acceptable que lors d'une réunion !

Les délais de prescription pour un recours, variables d'un recours à l'autre, devraient aussi être harmonisés pour réduire la confusion et faciliter la vie des victimes.
Le projet de loi 42 est une bonne chose, mais le ministre devrait saisir l'opportunité et aller encore plus loin.

Sophie Ferguson
Deuxième vice-présidente
Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec

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L’ASPQ lance un nouveau livre collaboratif sur la réduction de la maladie

6 février 2024, par Association pour la santé publique du Québec (ASPQ) — , , ,
Montréal, 1er février 2024 – Alors que les urgences débordent, et que le Québec peine à répondre à la demande en soins des Québécois·es, l'Association pour la santé publique du (…)

Montréal, 1er février 2024 – Alors que les urgences débordent, et que le Québec peine à répondre à la demande en soins des Québécois·es, l'Association pour la santé publique du Québec (ASPQ) et une diversité d'actrices et acteurs des milieux de la santé publique, de la recherche et du communautaire joignent leurs savoirs scientifiques et expérientiels dans un livre collaboratif, intitulé le Livre de la réduction de la maladie au Québec (https://aspq.org/app/uploads/2024/01/2024-livrereductionmaladie-aspq-vf.pdf) . Ce livre a pour objectif de dresser un bilan des causes évitables de maladie au Québec, et d'offrir des solutions radicales pour agir en amont des centres de soins et bâtir un véritable système de santé.

Réduire la maladie : une entreprise urgente et réalisable

Le Québec a du mal à répondre dans un délai raisonnable, et ce depuis plusieurs années, à la demande en soins de sa population. Et l'avenir ne s'annonce pas plus heureux. Notre système de santé est confronté à des défis contemporains qui causent une augmentation de la maladie à gérer : vieillissement de la population, mode de vie, changements climatiques, inégalités socio-économiques, etc.

Les indicateurs sont au rouge : accès difficile à un médecin de famille, listes d'attente préoccupantes, lits manquants, épuisement et pénurie de personnel, recours au temps supplémentaire, grèves inédites dans le secteur, etc. Si la gestion de la maladie accapare aujourd'hui la plus grande part du budget québécois, soit un montant d'un milliard de dollars par semaine, et que celui-ci est en augmentation, combien de temps avons-nous avant de voir le système s'écrouler ? Jusqu'à quel point la gestion de la maladie va-t-elle prendre une place démesurée dans notre société ?

« Moins de maladies, c'est moins de coûts pour la société, moins de souffrances inutiles et c'est aussi un meilleur accompagnement des patient·es qui ont besoin de soins en libérant de l'espace occupée par des maladies évitables. Intensifier la prévention dans divers secteurs est indispensable à un réseau plus humain, performant et résilient », rappelle Thomas Bastien, directeur général de l'ASPQ

Bientôt, si on ne freine pas les dépenses liées à la gestion de la maladie, on devra amputer d'autres secteurs et projets importants pour la population. « On peut diminuer le besoin et la dépense en soins tout en continuant d'offrir de bons services en investissant davantage dans la prévention et la promotion de la santé. Il faut agir davantage sur les causes évitables des maladies », explique M. Bastien.

Un livre porteur de solutions

« Il est urgent d'entamer une transition pour opérer un système au service de la réduction de la maladie. Notre livre constitue les premières pages de cette histoire essentielle. Il est le socle d'un Plan santé 2.0 qui complète la première partie sur la qualité de l'expérience patient·e dans le système de soins. Il accompagne le réseau de la gestion de la maladie et ses partenaires vers un véritable système de santé, » ajoute M. Bastien.

Un plan santé 2.0 requiert :

1. Une reconnaissance de la réduction de la maladie comme l'un des piliers d'un réseau de la santé et des services sociaux plus efficace et plus humain, et de la nécessité d'adopter cette approche pour la réussite et la pérennité de la transformation en vue ;

2. L'élaboration d'un plan d'action sur la réduction de la maladie au cœur du système – un Plan santé 2.0 intégrant la réduction de la maladie aux autres actions proposées par le gouvernement dans le Plan initial ;

3. Des investissements en réduction de la maladie dans des poches budgétaires déjà connues du gouvernement, ayant pour cible la promotion de la santé.

Ce livre s'adresse aux décideuses et décideurs de tous les paliers politiques et les invite à gouverner la santé globale des Québécoises et Québécois et non la maladie. Toutes les personnes susceptibles d'influencer les différents milieux de vie où évolue la population sont aussi appelées à contribuer à cette ambition de mettre en place un véritable système de santé au Québec.

Citations

« Les maladies du cœur et l'AVC sont deux des principales causes de décès au pays, et près de 80 % des affections précoces peuvent être évités grâce à des comportements sains. La prévention des maladies du cœur et de l'AVC commence donc par la connaissance des facteurs de risque. L'adoption d'une approche de réduction de la maladie, incluant l'accès à un environnement sain, est donc primordiale pour aider les différents systèmes de santé, » Marc-André Parenteau – Conseiller principal, Affaires gouvernementales et défense des intérêts, Québec, à Cœur + AVC.

« Les données disponibles nous révèlent que chaque dollar investi en prévention et en promotion de saines habitudes de vie permet d'économiser 5,60 $ sur les dépenses en soins de santé. Et si on ajoute à cela l'accompagnement de professionnel·les qualifié·es, pour faciliter la mise en place et l'adhésion au plan, on obtient de bien meilleurs résultats ! Par exemple, si le réseau développait un « réflexe kinésiologie », on pourrait davantage réduire le fléau de la sédentarité de manière durable et ce serait tou·te·s les citoyen·es qui en bénéficieraient ainsi que le portefeuille collectif, » Valérie Lucia – Directrice générale de la Fédération des kinésiologues du Québec.

« Le Livre de la réduction de la maladie orchestré brillamment par l'ASPQ nous rappelle l'incontournable nécessité d'agir en amont de la maladie et de viser l'élimination des iniquités de santé, le principal obstacle à une société saine. Cet ouvrage ne peut se faire qu'en impliquant tous les secteurs de la société tant en recherche, dans la pratique que dans la prise de décision, et pas uniquement notre système de soin. Ce n'est qu'à la condition d'un tel travail collectif que nous pourrons parvenir à des milieux de vie sains et justes pour tous les vivants. » – Johanne Saint-Charles, Directrice de l'Institut Santé et Société.


À propos du Livre

L'élaboration du Livre de la réduction de la maladie a été rendue possible grâce à la contribution de l'ASPQ, de l'Université du Québec à Montréal (UQAM), du Conseil québécois sur le tabac et la santé (CQTS), du Réseau francophone international pour la promotion de la santé (REFIPS), de Cœur + AVC, du Réseau canadien pour l'usage approprié des médicaments et la déprescription, de L'Anonyme, du Regroupement intersectoriel en santé de l'Université du Québec (RISUQ), du Réseau québécois de recherche sur le sommeil, du Réseau d'action pour la santé durable du Québec (RASDQ), de la Fédération des kinésiologues du Québec, de l'Université de Sherbrooke, de la Société canadienne du cancer, Data Lama, du Collectif Vital, de l'Institut Santé et Société, de l'Université du Québec à Montréal, du Groupe Entreprises en santé, de l'Observatoire québécois des inégalités, et du Mouvement pour l'autonomie dans l'enfantement.

À propos de l'Association pour la santé publique du Québec (ASPQ)

L'ASPQ regroupe citoyens et partenaires pour faire de la santé durable, par la prévention, une priorité. L'ASPQ soutient le développement social et économique par la promotion d'une conception durable de la santé et du bien-être. La santé durable s'appuie sur une vision à long terme qui, tout en fournissant des soins à tous, s'assure aussi de les garder en santé par la prévention. www.aspq.org.

Association pour la santé publique du Québec

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L’Ukraine abandonne discrètement le néolibéralisme

6 février 2024, par Luke Cooper — ,
Avec la déception de la contre-offensive 2023 et le passage à une guerre d'usure brutale, l'humeur s'est assombrie dans l'espace d'information pro-ukrainien. L'isolement (…)

Avec la déception de la contre-offensive 2023 et le passage à une guerre d'usure brutale, l'humeur s'est assombrie dans l'espace d'information pro-ukrainien. L'isolement dramatique de l'Occident face à la guerre israélienne à Gaza remet en question la position de l'Ukraine dans le tribunal de l'opinion publique mondiale. Alors que ses principaux alliés sont accusés d'une hypocrisie stupéfiante et que l'attention mondiale se porte sur la crise du Moyen-Orient, les opposants au soutien de la guerre d'autodéfense de l'Ukraine ont senti l'opportunité d'arrêter, ou du moins de retarder, le flux d'aide militaire et financière.

Dans ce contexte, l'Ukraine a repensé sa stratégie pour le "front intérieur", c'est-à-dire la manière d'organiser son économie nationale pour maximiser les ressources disponibles pour l'effort de guerre. Certains de ces changements sont si spectaculaires qu'ils s'apparentent à une révolution discrète de la doctrine. Ironiquement, pour un gouvernement dont le président se définit comme un "libertaire économique", Kiev supervise aujourd'hui l'expansion la plus importante du rôle économique de l'État depuis l'indépendance.

Origines du "tournant"

Lors de la conférence de Londres sur le redressement de l'Ukraine (URC) en juin 2023, des signes de cette remise en question étaient déjà perceptibles, mais ils semblaient timides et incohérents, manquant surtout d'un soutien uniforme au sein du gouvernement. En effet, les représentants ukrainiens semblaient souvent présenter des propositions contradictoires. Certaines étaient lourdement chargées d'archétypes néolibéraux, promettant aux investisseurs de nouveaux cycles de déréglementation du marché du travail, même si cela allait à l'encontre des normes minimales requises pour l'adhésion à l'Union européenne, ainsi qu'un environnement fiscal très faible, avec de grandes dépenses promises dans les infrastructures et l'énergie, censées être financées par la croissance qui en résulterait.

D'autres discours, en revanche, ont été beaucoup plus circonspects, soulignant le long chemin de la reconstruction et la priorité urgente de calibrer l'économie aux besoins de la lutte contre la guerre. Serhiy Marchenko, le ministre ukrainien des finances, a fait une intervention particulièrement remarquée, à contre-courant de certains de ses collègues. Il a plaidé en faveur d'une stratégie de développement qui donne explicitement la priorité aux besoins économiques de l'Ukraine en temps de guerre. Traditionnellement, nous étions ouverts à toute forme d'argent. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Si vous voulez investir en Ukraine, vous devez accepter les priorités de l'Ukraine", a-t-il déclaré.

Alors que la stratégie industrielle et les politiques préférentielles à l'égard des producteurs nationaux étaient autrefois taboues, elles sont aujourd'hui considérées comme vitales pour la résistance de l'Ukraine en temps de guerre.

Depuis, la politique ukrainienne laisse entrevoir une victoire de ces "sensibles" à Kiev. Les propositions de Rostyslav Shurma, chef adjoint du cabinet du président, visant à réduire les impôts sur les sociétés, les revenus et la TVA à un taux unique de 10 % pendant la guerre, ont disparu pour de bon, semble-t-il. Au lieu de cela, la stratégie nationale ukrainienne en matière de recettes pour 2024-2030 présente un plan visant à améliorer la collecte des impôts et à supprimer les nombreuses échappatoires introduites ces dernières années. Il s'agira notamment de revenir à un barème progressif de l'impôt sur le revenu, d'abolir le faux système largement utilisé du "travail indépendant" qui permet aux travailleurs salariés d'accéder à des taux ultra-faibles commençant à seulement 2 %, d'introduire un impôt sur les bénéfices des sociétés et de prendre des mesures visant à garantir le respect total des nouvelles règles mondiales en matière d'impôt minimum sur les sociétés.

Ces mesures reflètent les réformes institutionnelles introduites historiquement par les États en guerre pour centraliser et rationaliser les efforts de collecte des recettes (le système britannique d'imposition des salaires sur le lieu de travail - "Pay As You Earn" - a, par exemple, été introduit en 1944). Mais la stratégie en matière de recettes contient également des critiques intéressantes de ce que l'on pourrait appeler les "excès de libéralisation" du développement de l'Ukraine depuis la Révolution de la Dignité. Elle décrit comment le "système fiscal simplifié" avec des taux très bas pour les "entrepreneurs" (interprété d'une manière très large qui pourrait potentiellement inclure tout citoyen ukrainien payant des impôts) a non seulement facilité l'évasion des riches, mais a également permis la contrebande de produits de contrefaçon, en raison de l'absence de toute exigence de tenue de registres appropriés, et a normalisé l'absence de relations de travail correctes dans un certain nombre de secteurs.

Le développement de l'économie de guerre ukrainienne

Cette réforme fiscale s'est accompagnée d'une évolution plus large vers un "interventionnisme" économique. La fiction selon laquelle les marchés pourraient fonctionner en temps de guerre a été largement abandonnée. Alors que la stratégie industrielle et les politiques préférentielles à l'égard des producteurs nationaux étaient autrefois taboues, elles sont désormais considérées comme vitales pour la résistance de l'Ukraine en temps de guerre. Les représentants du gouvernement ukrainien se sont régulièrement engagés à soutenir l'"internalisation" de la reprise en donnant la priorité à l'industrie nationale - une politique qui, si elle est contestée juridiquement auprès de l'UE ou de l'OMC, pourrait obliger Kiev à déclarer une exception à ses engagements internationaux pour des raisons de sécurité nationale.

L'état d'esprit a également changé chez les partisans du gouvernement et les personnes influentes de la société civile. Les militants anti-corruption qui, par le passé, avaient tendance à considérer la libéralisation du marché comme une voie vers une gouvernance transparente, actualisent radicalement leurs prescriptions et leurs propositions, en s'inspirant des leçons tirées de la seconde guerre mondiale. Dans l'une de ces interventions, la très respectée militante anti-corruption Daria Kaleniuk évoque les "démocrates de la nouvelle donne" et le travail de Harry Hopkins, proche confident du président Roosevelt pendant la guerre, qui préconise l'élaboration d'un "livre de la victoire" établissant une correspondance entre les besoins militaires et les ressources et actifs productifs de l'économie.

De tous les changements en cours à Kiev, le plus encourageant est sans doute l'approche holistique que les ministres du gouvernement ukrainien adoptent à l'égard du développement à long terme de l'Ukraine. Tetyana Berezhna, vice-ministre de l'économie de l'Ukraine, a approuvé, par exemple, un rapport de l'Organisation internationale du travail de décembre 2023 qui montrait que le taux de croissance cible de 7 % du PIB de l'Ukraine serait très difficile à atteindre sans une politique qui s'attaque à l'écart de rémunération entre les hommes et les femmes et aux obstacles à la participation des femmes sur le marché du travail. En ce sens, le succès des efforts déployés par l'Ukraine pour améliorer la capacité de production de l'économie après la guerre dépendra en fin de compte de l'augmentation des revenus et du bien-être social de l'ensemble de la population.

L'Ukraine a dépensé plus pour la défense en 2023 que l'ensemble de ses dépenses publiques en 2021.

L'explication simple de l'abandon discret du néolibéralisme par l'Ukraine est l'augmentation insatiable des dépenses militaires combinée à l'impact des risques liés à la guerre sur l'activité du marché.L'ensemble de ces facteurs a conduit à une économie dominée par l'État. Le Centre de stratégie économique a provisoirement estimé que les dépenses militaires représenteront 30 % du PIB en 2023. L'Ukraine a dépensé plus pour la défense en 2023 que l'ensemble de ses dépenses gouvernementales en 2021.

En raison de la nature du complexe militaro-industriel, où l'intervention efficace de l'État implique une planification stratégique des prix, de la structure organisationnelle et des investissements, l'expansion radicale des dépenses militaires de l'Ukraine est nécessairement en train de remodeler le modèle économique du pays.

Il est toutefois intéressant de noter que ce système est loin d'être entièrement "étatiste". La résistance ukrainienne utilise efficacement des technologies numériques peu coûteuses et facilement reproductibles, ainsi que des réseaux de production décentrés.Come Back Alive, par exemple, la plateforme numérique de collecte de fonds, qui dispose d'une licence pour importer des articles militaires et à double usage, intervient activement en tant qu'investisseur dans le processus de production. Cette combinaison d'organismes publics, privés et à but non lucratif semble créer un écosystème qui soutient l'innovation et l'adaptabilité dans la course technologique pour la supériorité sur la ligne de front.

Malgré ces progrès impressionnants, l'Ukraine reste très dépendante de l'aide financière extérieure. Même si les alliés fournissent l'ensemble des financements promis, les Ukrainiens resteront largement distancés par la Russie en 2024. Le gouvernement devra gérer avec soin ses liens extérieurs complexes et défendre vigoureusement ses intérêts dans une certaine tension avec les institutions mondiales, le cas échéant. Le Fonds monétaire international (FMI), par exemple, a joué un rôle important en poussant l'Ukraine à s'éloigner des politiques fiscales libertaires, mais il a fait part de son opposition à une stratégie d'internalisation préférentielle.Le processus d'adhésion à l'Union européenne est également mal conçu pour répondre aux besoins de l'Ukraine, le processus d'intégration du marché unique risquant d'exposer un pays en guerre à des "règles du jeu équitables" qui ne le sont manifestement pas du point de vue ukrainien.

Il ne sera pas facile pour Kiev de naviguer dans cet environnement stratégique complexe. Mais malgré l'horreur effroyable de la guerre russe et la multitude de crises en cascade au niveau mondial, l'Ukraine a franchi un cap. Dans cette lutte entre David et Goliath, David pourrait bien remporter une victoire improbable.

Luke Cooper, 31 janvier 2024

Texte repris du site : https://ukraine-solidarity.eu/manifestomembers/get-involved/news-and-analysis/news-and-analyses/ukraine-is-quietly-abandoning-neoliberalism

Traduit avec Deepl.com

Illustration reprise du site : https://www.algerie-eco.com/2017/01/15/planification-economie-de-marche-pr-a-lamiri/

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Quand l’Occident cloue le cercueil israélien du peuple palestinien !

6 février 2024, par Yorgos Mitralias — ,
D'abord les faits : L'UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) fait vivre près de 4 millions de réfugiés (…)

D'abord les faits : L'UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) fait vivre près de 4 millions de réfugiés palestiniens, gérant leurs écoles et leurs hôpitaux, tout en leur fournissant de l'eau potable et de la nourriture. Rien qu'à Gaza, l'UNRWA emploie 13 000 personnes. Israël accuse 12 d'entre eux d'être impliqués dans l'attaque du Hamas du 7 octobre. La direction de l'UNRWA licencie 9 d'entre eux, et un dixième est décédé. Immédiatement après, 11 pays occidentaux annoncent qu'ils cessent de financer l'UNRWA, ce qui signifie la fin automatique de l'UNRWA et peut-être des réfugiés palestiniens eux-mêmes, puisque ces 11 pays sont les principaux bailleurs de fonds de l'organisation des Nations Unies qui a – en fait – maintenu en vie des générations de réfugiés palestiniens depuis 1949…

Les mots sont évidemment superflus pour commenter cette décision monstrueuse des 11 grands et moyens pays occidentaux, alors que le génocide du peuple palestinien bat son plein. La brutalité de cette décision devient encore plus monstrueuse quand on sait que la plupart de ces 11 pays – et les plus riches d'eux – ont un passé génocidaire incroyablement « riche ». Et le pire, c'est qu'au moins certains d'entre eux « trouvent difficile », voire refusent de le reconnaître et même de s'excuser auprès de leurs victimes !

Nous ne reviendrons pas sur le cas du Japon, dont les autorités, Premier ministre en tête, rendent encore hommage, une fois par an, à leurs compatriotes criminels de guerre qui ont commis ce qui ressemble comme deux gouttes d'eau à un génocide du peuple chinois dans les années 1930 ! Mais nous dirons encore quelques mots sur les cas très instructifs mais aussi odieux de deux autres de ces 11 pays si « vertueux », les pays européens beaucoup plus proches de nous, que sont la Suisse et l'Allemagne. Car le lien entre le passé coupable de cette dernière et le génocide de Gaza a été évoqué publiquement à l'initiative du président de la Namibie, donc du pays qui a été la victime de la – chronologiquement – première opération génocidaire allemande.

Réagissant à ce qu'il a qualifié de décision « choquante » de l'Allemagne de cesser de financer l'UNRWA et de soutenir Israël dans l'affaire qui l'oppose à l'Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice de La Haye, le président namibien Hage Geingob a dénoncé « l'incapacité de l'Allemagne à tirer les leçons de sa cruelle histoire » et a ajouté : « L'Allemagne ne peut pas moralement exprimer son engagement envers la Convention des Nations unies contre le génocide, y compris l'expiation du génocide en Namibie, tout en soutenant l'équivalent d'un holocauste et d'un génocide à Gaza ».

Et voici de quoi il s'agit : « Entre 1904 et 1908, environ 80% du peuple herero et 50% du peuple nama vivant sur le territoire de l'actuelle Namibie ont été exterminés par les forces du Deuxième Reich, soit environ 65 000 Herero et 10 000 Nama… ce crime de l'histoire coloniale africaine est aujourd'hui considéré comme le premier génocide du XXe siècle ». Ce n'est peut-être pas un hasard si la citation ci-dessus, comme la plupart des autres informations sur ce « premier génocide du XXe siècle », est tirée du… Memorial de la SHOAH, l'extraordinaire « musée et centre de documentation » de Paris consacré à l'Holocauste du peuple juif par le Troisième Reich nazi. Mais nous continuons : le 2 octobre 1904, le chef du corps expéditionnaire allemand, le général Lothar von Trotha, signa un « ordre d'extermination » (Vernichtungsbefehl) ordonnant : « Tous les Herero doivent quitter le pays. S'ils ne le font pas, je les forcerai à partir avec mes grosses pièces d'artillerie, les canons. Tout Herero trouvé sur le sol allemand… armé ou non armé, avec ou sans animaux, sera exécuté. Je n'accepte ni femmes ni enfants. Ils doivent partir ou mourir. Telle est ma décision pour le peuple Herero » [1].

Et c'est ce qui s'est passé. Mais pas seulement par les balles et les obus, mais aussi par la faim et la soif dans le désert du Kalahari où les survivants ont été poussés. Et aussi par l'enfermement dans des camps de travail forcé et d'extermination où ils sont morts comme des mouches. Si tout cela vous rappelle quelque chose qui s'est passé 35-40 ans plus tard, vous avez raison Et pas seulement parce que le premier gouverneur colonial allemand de la région des Herreros et des Nama s'appelait Göring, et qu'il était… le père du futur maréchal nazi et commandant en second d'Hitler, Hermann Göring. Mais surtout parce que certains des génocidaires de 1904 ont vécu assez longtemps pour jouer un rôle de premier plan dans l'holocauste de la nation juive 30 ans plus tard. Comme, par exemple, Franz Ritter von Epp, bras droit de l'abominable von Trotha et eminence du parti nazi, qui a noyé dans le sang le soulèvement de Spartacus de Rosa Luxemburg et exterminé les Juifs et les Roms de Bavière alors qu'il en était le dirigeant suprême…

Le pire, dans le cas de l'Allemagne, n'est cependant pas tout cela. C'est que ce n'est qu'en 2021, 100 ans plus tard (!), que l'Allemagne s'est autorisée à reconnaître son crime et à s'excuser officiellement ! Et que, malgré les pressions de la Namibie et des descendants des victimes de son génocide, ce n'est qu'en 2011 que l'Allemagne leur a rendu … les crânes de leurs ancêtres, sur lesquels les anthropologues racistes de Berlin, dirigés par le tristement célèbre Eugen Fischer, mentor et professeur du bourreau d'Auschwitz Josef Mengele, ont fait leurs « études » pseudo-scientifiques !

Mais venons-en à la Suisse, dont le ministre des affaires étrangères a justifié sa décision de supprimer le financement de l'UNRWA par le fait que « La Suisse a une tolérance zéro pour tout soutien au terrorisme et tout appel à la haine ou incitation à la violence ». Tout serait bien si son pays faisait effectivement ce qu'il proclame. Mais le problème est que depuis la Première Guerre mondiale, la Suisse a fait et continue de faire exactement le contraire : elle se distingue par son soutien aux terroristes et aux incitateurs à la haine et à la violence. Et surtout au plus grand d'entre eux, à Hitler, à son régime et à sa guerre !

En réalité, la Suisse des grands banquiers et des marchands d'armes a servi le régime nazi comme aucun autre pays. De quelle manière ? D'abord comme receleur du IIIe Reich, en faisant ce que même l'Espagne de Franco et le Portugal de Salazar ont refusé de faire : elle a accepté de mettre dans ses banques, et de « blanchir », l'or des banques centrales des pays conquis, mais aussi des particuliers – principalement juifs – qui avait été pillé et volé par l'Allemagne nazie ! Et elle l'a fait parce qu'elle est devenue non seulement le véritable coffre-fort du régime nazi, mais aussi le principal financier de sa guerre ! Et de quelle manière ? En « échangeant » l'or volé contre des francs suisses, la seule monnaie convertible que l'Allemagne pouvait se procurer à l'époque, pour acheter les matières premières (pétrole, caoutchouc, etc.) dont elle avait besoin pour lancer et poursuivre sa guerre !

Mais examinons la culpabilité de la Suisse depuis le début. C'est Hitler lui-même qui a garanti la fameuse « neutralité » suisse pour la simple raison qu'une Suisse conquise par l'armée allemande (comme il était prévu à l'origine) ne pouvait pas avoir sa propre monnaie convertible pour répondre aux besoins du régime nazi. Des besoins absolument vitaux puisque ses caisses étaient vides en 1939 en raison du coût astronomique de ses préparatifs de guerre, qui n'avaient été que partiellement couverts par l'or de l'Autriche intégrée au Reich, repoussant d'un an seulement la faillite de l'économie allemande. Et c'est pour toutes ces raisons qu'il est aujourd'hui communément admis par les historiens les plus autorisés que sans la Suisse et ses « services », la Seconde Guerre mondiale serait terminée au moins deux ans plus tôt, d'autant plus c'est en fait l'industrie de guerre suisse qui a équipé la Wehrmacht dans une mesure considérable au cours des deux dernières années de la guerre, alors que les usines allemandes étaient impitoyablement bombardées et réduites à l'état de ruines. D'ailleurs, il est à noter que l'industrie de guerre Bührle-Oerlikon de M. Bührle (la plus grande fortune de Suisse) a livré ses dernières armes à tir rapide à la Wehrmacht quelques jours avant la fin de la guerre, en avril 1945 !

Mais, ce n'est pas seulement que les autorités suisses et leurs banquiers ont même accepté sans états d'âme… 120 kg d'or provenant de dents en or retirées des déporté·es dans les couloirs de la mort des différents camps d'extermination. C'est aussi qu'elles connaissaient très bien, très tôt et même « de première main » les crimes nazis sans précédent puisqu'elles avaient envoyé des équipes de médecins et d'infirmières suisses sur le front de l'Est pour soigner les blessés de la Wehrmacht, et ce sont ces médecins qui ont vu de leurs propres yeux et informé leurs compatriotes des meurtres de masse de dizaines de milliers de civils juifs soviétiques ! Et elles l'ont fait tout a fait consciemment parce que les dirigeants suisses eux-mêmes étaient des antisémites convaincus, ce qui est prouvé par de nombreux documents officiels comme par exemple celui des négociations avec les autorités nazies sur le « contrôle des voyageurs » lequel révèle que ce ne sont pas les nazis allemands mais les vertueux « libéraux » suisses qui ont invente et proposé, en 1939, aux Allemands (qui ont accepté) l'infâme tampon avec la lettre J (comme dans Jude, Jew, Juif) qui « ornait » les passeports des juifs d'Allemagne. Et ils ont fait ça pour… les distinguer des autres voyageurs allemands afin qu'ils ne soient pas acceptés comme réfugiés politiques en Suisse ! [2]

Mais comme dans le cas de l'Allemagne, le pire est que la Suisse officielle a tout fait dans le demi-siècle qui a suivi, pour couvrir et dissimuler sa culpabilité, calomniant voire détruisant ceux qui cherchaient la vérité ou en étaient eux-mêmes les témoins oculaires. Comme, par exemple, le courageux Paul Grüninger, chef de la police du canton de Saint-Gall, qui a délivré de fausses cartes d'identité et de faux papiers à des Juifs persécutés, sauvant littéralement 3 600 d'entre eux. D'ailleurs, c'est parce que Paul Grüninger a défié les ordres et n'a pas fait ce que la Suisse officielle a fait, c'est-à-dire refuser l'asile à des dizaines de milliers de Juifs ou même en livrer plusieurs à la Gestapo, que Paul Grüninger a été jugé, condamné, privé de sa pension, et qu'il est mort pauvre et traité de « traître à la patrie » en 1972. Détail éloquent : sa condamnation n'a été… « annulée » qu'en 1995 !

Nous nous arrêtons ici sans aborder la question toujours brûlante (en 2024 !) des milliers de dépôts juifs de l'entre-deux-guerres « dormants » dans les banques suisses, pour la restitution desquels les banquiers suisses exigent souvent la présentation des reçus (!) que les déposants juifs auraient dû emporter avec eux dans les chambres à gaz des différents camps d'extermination Vraiment, quel degré d'arrogance, d'hypocrisie et de cynisme faut-il au ministre suisse des affaires étrangères pour oser déclarer que « La Suisse a une tolérance zéro pour tout soutien au terrorisme et tout appel à la haine ou incitation à la violence » ? Tout comme l'Allemagne, la Suisse de « ceux d'en haut » ne semble pas vouloir tirer les leçons de son histoire récente. Et c'est pourquoi elle renverse la morale et fait du péché une vertu, afin de rester toujours fermement aux côtés de ses capitalistes et des génocidaires qui font ses affaires, remplaçant simplement son antisémitisme traditionnel par son islamophobie actuelle…

Yorgos Mitralias
3 février 2024
Publication reprise de : https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/02/03/les-cas-tres-instructifs-de-lallemagne-et-de-la-suisse/

Notes
[1] Nous recommandons l'« histoire illustrée » suivante, réalisée par l'artiste et journaliste canadien Danylo Hawaleshka, et intitulée « Israël, Gaza, l'Allemagne et le génocide en Namibie »
https://www.aljazeera.com/gallery/2024/1/23/israel-gaza-germany-and-the-genocide-in-namibia
[2] Pour tout cela et bien plus encore, voir le documentaire « L'honneur perdu de la Suisse », d'abord interdit (1997) par les autorités suisses, puis « libéré » après une décision de la Cour européenne des droits de l'homme à laquelle ses auteurs ont fait appel
https://www.rts.ch/play/tv/histoire-vivante/video/lhonneur-perdu-de-la-suisse?urn=urn:rts:video:8036475

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Du fleuve à la mer ? Discussion de la question judéo-palestinienne.

6 février 2024, par Vincent Presumey — , ,
Le numéro de janvier 2024 de la revue Inprecor, publiée sous la responsabilité du Bureau exécutif de la IV° Internationale, titre sur la Palestine avec le mot d'ordre : « Du (…)

Le numéro de janvier 2024 de la revue Inprecor, publiée sous la responsabilité du Bureau exécutif de la IV° Internationale, titre sur la Palestine avec le mot d'ordre : « Du fleuve à la mer, Palestine libre et démocratique », et son article principal, de Michael Karadjis, militant australien aux analyses souvent pertinentes et engagé dans la solidarité avec les peuples syrien ou ukrainien, est un plaidoyer argumenté en faveur de ce mot d'ordre, plaidoyer que je voudrais discuter et, très largement, contester. Non par souci polémique mais parce que la question est importante et que l'analyse critique de cet article permet de la traiter assez précisément.

Sommaire du texte

Non aux intimidations préalables à toute discussion !
Comment l'OLP a failli.
Hamas et OLP.
Le niveau d'analyse doit être international si l'on veut y comprendre quelque chose.
On ne saurait ignorer la question antisémite !
Le 7 octobre.
Quels sont les mots d'ordre efficaces ?
La revendication des deux États laïcs et démocratiques.
Deux pierres de touche.
Le droit des réfugiés palestiniens.
Digression européenne.
Le droit judéo-palestinien à exister et la notion de refuge national.
Digression australienne.
Pour conclure : la question judéo-palestinienne, pivot des rechutes campistes.

Lire le texte complet au format PDF

Le chapitre de conclusion du texte

Pour conclure : la question judéo-palestinienne, pivot des rechutes campistes.

Les campistes, disions-nous. L'invasion de toute l'Ukraine par l'impérialisme russe le 24 février 2022 a enclenché un processus d'éloignements et de regroupements (trop lent à mon goût !) dans la gauche internationaliste, dissociant les internationalistes véritables des campistes pour qui tout pays capitaliste adversaire des États-Unis mérite soutien. Mais la provocation pogromiste du Hamas le 7 octobre 2023, ouvrant un moment de réaction au niveau mondial, a constitué le pivot, la borne pouvant porter un coup d'arrêt aux évolutions vers l'internationalisme réel.

Le fait que des analystes excellents de la guerre impérialiste russe, tel que Michael Karadjis, puissent se livrer à une « analyse » totalement dépourvue de la moindre continuité avec la compréhension de la situation mondiale suite au 24 février 2022, totalement dégagée de toute donnée internationale réelle en dehors de la répétition du rôle traditionnellement attribué à Washington, montre bien ce rôle de croche-pied que joue la question judéo-palestinienne à l'encontre de la construction d'un internationalisme, et donc d'une Internationale, réels et efficaces.

C'est que l'ampleur, et le caractère semi-conscient voire inconscient, des représentations fantasmatiques, des mythes et des formes de fétichisme dans tout ce qui se rattache à cette question, exigent de toute tentative d'analyse qu'elles se dégagent de ces passions et les regardent en face, froidement. Les imprécations amalgamant quiconque doute à des ignorants d'extrême-droite, par lesquelles M. Karadjis inaugure son article, sont caractéristiques : les militants doivent être tenus par des fétiches, par des peurs, par des formules rituelles, sitôt qu'il est touché à la question judéo-palestinienne. Le premier devoir de tout révolutionnaire conscient est ici de traquer les fétiches.

Pour ce faire, il faut sans cesse envisager la situation dans sa globalité, en faisant intervenir la lutte des opprimés comme facteur central de fond, et le rôle de toutes les puissances impérialistes et régionales, et en situant les faits dans leur contexte réel du moment présent et pas dans une histoire éternelle de terre promise et/ou volée.

Nous avons mondialement affaire à la multipolarité impérialiste. Elle constitue à la fois un désordre et un système de domination. Les États-Unis en font partie : il n'y a pas à choisir entre elle et eux. Ils sont l'acteur le plus puissant de ce désordre multipolaire. Dire qu'il faut faire attention à ne pas faire du « campisme dans l'autre sens », sous-entendu pro-américain, pro-occidental ou pro « sioniste », traduit la non prise en compte du fait que la multipolarité est la forme actuelle de la totalité du système impérialiste mondial. Aux États-Unis, Trump en a été et en est à nouveau le héraut, mais Biden lui-même a évacué l'Afghanistan et a proposé le taxi de l'évacuation à Zelenski. Le choix pour les partisans de l'émancipation n'est pas de pencher côté « BRICS » ou côté « Occident » ou d'osciller tantôt d'un côté tantôt de l'autre en se gardant de trop pencher. Si l'on se fonde sur le combat des exploités et des opprimés, et sur une méthode d'analyse partant de la globalité de l'affrontement social, alors on combat l'ensemble de la multipolarité impérialiste.

Cela conduit à envisager la situation à son échelle réelle, et à saisir l'unité de Gaza et de l'Ukraine et l'unité des ennemis de l'immense majorité : Netanyahou et Poutine, grâce au Hamas et avec l'aide de Biden qui bloque un cessez-le-feu, ouvrent la route à Trump et à la pire réaction !

VP, le 23/01/2024.

Source : https://aplutsoc.org/2024/01/28/du-fleuve-a-la-mer-discussion-de-la-question-judeo-palestinienne-par-vincent-presumey/

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Selon la Banque mondiale, les « pays en développement » sont pris au piège d’une nouvelle crise de la dette : Comment l’expliquer ?

6 février 2024, par Éric Toussaint — , ,
Le dernier rapport de la Banque mondiale sur les dettes des « pays en développement », publié le 13 décembre 2023 [1] , révèle une réalité alarmante : en 2022, l'ensemble des (…)

Le dernier rapport de la Banque mondiale sur les dettes des « pays en développement », publié le 13 décembre 2023 [1] , révèle une réalité alarmante : en 2022, l'ensemble des pays en développement ont dépensé un montant record de 443,5 milliards de dollars pour assurer le paiement de leur dette publique extérieure. Pour cette même année 2022, les 75 pays à bas revenus qui ont accès aux crédits de l'Association internationale de développement (IDA), l'institution de la Banque mondiale qui octroie des crédits aux pays les plus pauvres, ont payé à leurs créanciers un montant record de 88,9 milliards de dollars. La dette externe totale de ces 75 pays a atteint un montant record de 1 100 milliards de dollars, soit plus du double du niveau de 2012. Selon le communiqué de la Banque mondiale, entre 2012 et 2022, ces pays ont vu leur dette extérieure augmenter de 134 %, un taux supérieur à celui de l'augmentation de leur revenu national brut (RNB), qui a été de 53 %.

Comité pour l'annulation des dettes illégitimes (CADTM)
18 décembre 2023

Par Eric Toussaint

Illustration : Diego Rivera, El hombre controlador del universo, reproduction de Gumr51, WikimediaCommons, CC, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Libro_Los_Viejos_Abuelos_Foto_68.png

Sommaire

. Comment expliquer l'actuelle crise de la dette qui affecte les maillons les plus faibles de (...)

. À partir des années 2020, l'engrenage vers une nouvelle grande crise de la dette

La BM ajoute : « La flambée des taux d'intérêt a accentué les vulnérabilités liées à la dette dans tous les pays en développement. Rien qu'au cours des trois dernières années, on a compté 18 défauts de paiement souverains dans dix pays en développement, soit plus que le nombre enregistré au cours des deux décennies précédentes. À l'heure actuelle, environ 60 % des pays à faible revenu sont exposés à un risque élevé de surendettement ou sont déjà dans cette situation. »

La Banque mondiale, en conséquence, tire la sonnette d'alarme : une nouvelle crise de la dette a démarré. Des sommes énormes sont dépensées pour rembourser les créanciers et cela au détriment de la satisfaction des besoins grandissants de centaines de millions de personnes qui ont un besoin vital d'aide. Rappelons que, selon un autre rapport de la Banque mondiale cité par le Financial Times [2] , entre 2019 et 2022, plus de 95 millions de personnes supplémentaires sont tombées dans l'extrême pauvreté.

La Banque mondiale reconnaît que les prêteurs privés ont commencé en 2022 à fermer le robinet des crédits aux PED tout en pressant au maximum le citron pour obtenir le plus de remboursements. En effet, selon la BM, les nouveaux crédits octroyés par les prêteurs privés aux pouvoirs publics des pays en développement ont chuté de 23 %, ayant été ramenés à 371 milliards de dollars, soit leur plus bas niveau en dix ans. Par contre, ces mêmes créanciers privés ont récolté 556 milliards de dollars sous forme de remboursement. Cela signifie qu'en 2022, ils ont perçu 185 milliards de dollars de plus en remboursements que ce qu'ils en ont décaissé en prêts. Toujours selon la Banque mondiale, c'est la première fois depuis 2015 que les créanciers privés recevaient plus de fonds qu'ils n'en injectaient dans les pays en développement.

La Banque mondiale n'explique pas comment on en est arrivé là car cela impliquerait de remettre en cause le modèle et le système économique dont elle fait la promotion et qu'elle considère comme étant la seule option possible. Cela l'obligerait également à pointer clairement la culpabilité des banques centrales d'Amérique du Nord et d'Europe occidentale, et donc des autorités des principales puissances occidentales qui dominent tant la Banque mondiale que le FMI.

Comment expliquer l'actuelle crise de la dette qui affecte les maillons les plus faibles de l'économie capitaliste mondiale ?

"C'est la première fois depuis 2015 que les créanciers privés recevaient plus de fonds qu'ils n'en injectaient dans les pays en développement"

Pour comprendre la crise actuelle, il faut revenir sur ce qui s'est passé au cours des 15 dernières années.

À partir de 2010-2012, la réduction progressive des taux d'intérêt au Nord a réduit le coût de la dette au Sud. Les banques centrales des pays les plus industrialisés ont procédé à une baisse des taux d'intérêt en les amenant à 0%. Cette politique visait à maintenir à flot les marchés financiers en particulier et les grandes entreprises privées en général. Il s'agissait également de rendre la dette publique du Nord plus facilement gérable et refinançable. Cette politique de taux très bas pratiquée par les grandes puissances capitalistes a encouragé le financement des dépenses par la dette et a produit une très forte augmentation des dettes tant publiques que privées au Nord comme au Sud de la planète. Elle a entraîné une baisse du coût du refinancement pour les pays en développement. Ce financement à bas coût, combiné à l'afflux de capitaux du Nord à la recherche de meilleurs rendements face aux taux d'intérêt bas au Nord, et à des recettes d'exportation élevées (car le prix des matières premières exportées du Sud vers le Nord restait élevé), ont donné aux gouvernements des pays en développement, y compris les plus pauvres, une dangereuse impression de sécurité. Des pays pauvres d'Afrique subsaharienne qui n'avaient jamais eu l'occasion d'imprimer et de vendre des titres de leurs dettes souveraines sur les marchés financiers internationaux ont pu facilement trouver acquéreurs pour leurs titres de dette. Les fonds d'investissements et les banques du Nord ont acheté les titres du Sud car ils offraient un meilleur rendement que les titres du Trésor américain, que les titres japonais, allemands, français ou d'autres pays européens, tous proches de 0% ou ne dépassant pas 2 à 3%.

Sans difficulté, des pays pauvres ont émis et ont vendu des titres de leur dette externe sur les marchés internationaux. Le Rwanda est un cas emblématique. Alors qu'il est un des pays les plus pauvres de la planète et qu'il a été marqué par le génocide de 1994, il a pu pour la première fois de son existence émettre des titres de sa dette souveraine et les vendre à Wall Street. Cela a été le cas en 2013, en 2019, en 2020 et en 2021. De même pour le Sénégal qui a pu émettre 6 emprunts internationaux entre 2009 et 2021, au cours des années 2009, 2011, 2014, 2017, 2018 et 2021. L' Éthiopie, pays également très pauvre a pu émettre un emprunt international en 2014. Le Bénin y a eu accès plus récemment et a émis 3 emprunts sur les marchés internationaux en 2019, 2020 et 2021. La Côte d'Ivoire, sortie d'une situation de guerre civile il y a à peine quelques années, a également émis des titres chaque année de 2014 à 2021, alors qu'elle fait également partie des pays pauvres très endettés. On peut également mentionner les emprunts du Kenya (2014, 2018, 2019, 2021), de la Zambie (2012, 2014, 2015), du Ghana (2013 à 2016, 2018 à 2021), du Gabon (2007, 2013, 2015, 2017, 2020, 2021), du Nigeria (2011, 2013, 2014, 2017, 2018, 2021, 2022), de l'Angola (2015, 2018, 2019, 2022) et du Cameroun (2014, 2015, 2021). Du jamais vu au cours des 60 dernières années. Cela témoigne d'une situation internationale qui était tout à fait particulière : les investisseurs financiers du Nord disposaient d'énormément de liquidités et face à des taux d'intérêt très bas dans leur région, ils étaient à l'affût de rendements intéressants. Le Sénégal, la Zambie et le Rwanda promettaient un rendement de 6 à 8 % sur leurs titres : du coup, ils attiraient des sociétés financières qui cherchaient à placer provisoirement leurs liquidités même si les risques étaient élevés. Les gouvernements des pays pauvres sont devenus euphoriques et ont tenté de faire croire à leur population que le bonheur était au coin de la rue, alors que la situation pouvait dramatiquement se retourner. La presse internationale a parlé d'afro optimisme succédant à l'afro pessimisme [3]. Les dirigeants africains se sont vantés de leur succes story, attribuée à leur capacité à s'adapter à la mondialisation néolibérale, à l'ouverture des marchés. La Banque mondiale, le FMI et la Banque africaine de développement (BAfD) les ont félicités. Or, ces gouvernants ont accumulé des dettes de manière tout à fait exagérée sans consulter les citoyen·nes de leur pays. Quand les banques centrales ont décidé, à partir de 2022, d'augmenter les taux d'intérêt, la situation financière s'est brutalement détériorée

À partir des années 2020, l'engrenage vers une nouvelle grande crise de la dette

La combinaison de la pandémie, des effets de la guerre en Ukraine, de l'inflation et des hausses de taux d'intérêt des banques centrales des pays les plus industrialisés a déclenché une nouvelle crise de la dette dans l'ensemble des pays du Sud. Depuis 2020 et surtout 2022, nous sommes dans une nouvelle conjoncture, une nouvelle crise de la dette aux proportions énormes qui a été causée par quatre chocs pour le capitalisme mondial. Ce sont tous des chocs exogènes aux pays les plus pauvres. Tout d'abord, la pandémie de coronavirus, qui a provoqué des décès massifs dans le monde entier, des confinements généralisés, des ruptures de chaînes d'approvisionnement…

Deuxièmement, la crise économique aggravée par la pandémie. Celle-ci a sapé les économies des pays en développement, de l'Amérique latine à l'Asie en passant par l'Afrique. Des pays comme le Sri Lanka et Cuba, qui avaient adopté une stratégie économique basée sur le tourisme, ont été particulièrement touchés par l'arrêt des transports aériens.

L'interaction de ces deux chocs a jeté les bases de la nouvelle crise de la dette souveraine. Au moment même où les États ont dû augmenter leurs dépenses publiques pour faire face à la pandémie, leurs économies sont entrées en récession, tarissant les recettes fiscales. En conséquence, la dette souveraine a explosé.

Le troisième choc a été l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022. Elle a immédiatement déclenché des hausses spéculatives massives des prix des céréales comme le blé. On peut parler de hausse spéculative parce que pendant les premiers mois de la guerre, les stocks de céréales de l'Ukraine et de la Russie n'ont pas diminué. Or les prix des céréales ont littéralement flambé. Ensuite, les exportations ont été interrompues, ce qui a eu pour effet d'étouffer les approvisionnements et de faire grimper les prix encore davantage, jusqu'à ce qu'un accord soit orchestré pour permettre la reprise des expéditions. Accord remis en cause depuis fin juillet 2023. Il y a également eu une flambée des prix des engrais chimiques ainsi que du pétrole et du gaz.

Les prix ont grimpé dans le monde entier, en particulier dans les pays qui importaient la majeure partie de leurs denrées alimentaires, les engrais et les combustibles. Dans les pays d'Asie et d'Afrique, l'inflation a pesé lourdement sur les populations, déjà appauvries par la récession. Un très grand nombre de personne n'ont pas pu faire face à l'augmentation du prix des denrées alimentaires et des combustibles.

Le quatrième choc et certainement le plus important a été la décision unilatérale de la Réserve fédérale américaine, de la Banque centrale européenne et de la Banque d'Angleterre de relever leurs taux d'intérêt. Aux États-Unis, la Fed a relevé ses taux de près de 0 à plus de 5 %, la Banque d'Angleterre et du Canada ont fait de même tandis que la Banque centrale européenne les a portés à 4,5 %.

Ces hausses ont eu un effet dévastateur sur les pays du Sud. Des pays comme la Zambie et le Ghana, qui étaient considérés comme des succes story, sont entrés en suspension de paiement. Les fonds d'investissement, qui avaient acheté des obligations souveraines dans ces pays, se sont rendu compte que la hausse des taux d'intérêt dans le Nord signifiait qu'ils pouvaient obtenir un taux de rendement plus élevé en achetant de telles obligations aux États-Unis, en Europe et en Grande-Bretagne. Nous avons donc assisté à un rapatriement des capitaux financiers du Sud vers le Nord.

Pire encore, les fonds d'investissement ont dit aux États du Sud que s'ils voulaient refinancer leur dette, ils devraient payer des taux d'intérêt de 9 à 15 %, et dans certains cas jusqu'à 26% (comme dans le cas de la Zambie ou de l'Égypte [4]), faute de quoi les fonds n'achèteraient pas leurs obligations. Si les pays n'ont eu d'autre choix que d'accepter, nombre d'entre eux n'ont aucun moyen d'effectuer leurs paiements à des taux aussi élevés. Il en résulte une nouvelle crise de la dette souveraine.

"Entre 2008 et 2023, le fossé entre pays en développement et pays développés a encore augmenté contrairement à la mission confiées aux institutions de Bretton Woods et aux soi-disant bienfaits du capitalisme".

La Banque mondiale ne nie pas le rôle très négatif de la flambée des taux d'intérêt mais elle se garde bien de pointer du doigt la responsabilité des dirigeant·es des banques centrales des puissances qui dominent les deux institutions de Bretton Woods.

La Banque mondiale ne recommande pas aux gouvernements des pays endettés de se protéger en déclarant une suspension coordonnée des paiements de la dette. Or, selon le droit international, ils en ont parfaitement le droit. En effet, ils peuvent évoquer le changement fondamental de circonstances provoqué par les chocs externes provenant du Nord, en particulier la décision unilatérale des banques centrales d'Amérique du Nord et d'Europe occidentale d'augmenter radicalement les taux d'intérêt.

En cas de changement fondamental de circonstances et de chocs externes, il n'y a pas d'obligation de poursuivre l'exécution d'un contrat d'emprunt et de continuer à rembourser la dette.

Par ailleurs, la Banque mondiale n'assume pas non plus ses responsabilités. C'est elle qui ,avec le FMI, a encouragé les pays aujourd'hui endettés à contracter un maximum de nouveaux emprunts et à ouvrir au maximum leurs économies, ce qui les a fragilisés par rapport aux chocs externes qui viennent de se succéder en trois ans.

Si on prend une perspective longue et qu'on fait un bilan de l'action de la Banque mondiale et du FMI qui sont nés il y a bientôt 80 ans, en 1944, on ne peut que constater l'échec complet de ces deux institutions multilatérales qui étaient censées permettre un solide développement et le plein emploi. On trouve d'ailleurs dans un important rapport présenté par le FMI en 2023 un aveu d'échec accablant. En effet, dans le World Economic Outlook d'avril 2023, le FMI affirme qu'il faudra 130 ans pour que les pays en développement réduisent de moitié le fossé qui sépare leur revenu par tête d'habitant de celui des pays développés. 130 ans pour réduire de moitié ce qui sépare le revenu per capita des pays en développement de celui des pays riches ! Cela a un moment où l'humanité est confrontée dans l'immédiat à des menaces à plus courte échéance pour son existence, à cause de la crise écologique qui a pris des proportions extrêmes. Mais le comble, c'est que dans le World Economic Outlook d'avril 2008, le FMI affirmait qu'il faudrait 80 ans pour réduire le fossé en question. La conclusion est simple : entre 2008 et 2023, le fossé entre pays en développement et pays développés a encore augmenté contrairement à la mission confiées aux institutions de Bretton Woods et aux soi-disant bienfaits du capitalisme.

Il faut également citer les politiques d'ajustement structurel qui ont mené à la privatisation des systèmes de santé aux Suds, et à une plus grande dépendance de ces pays aux céréales, intrants et autres produits importés. Ces politiques matraquées depuis plus de 40 ans ont complètement désarmé les pays des Suds pour faire face aux chocs extérieurs tels que la pandémie de Covid-19 ou la hausse mondiale du prix des céréales et des taux d'intérêt.

Il y a deux siècles, au début de la révolution industrielle capitaliste, la différence de revenu per capita entre pays appelés aujourd'hui en développement et pays développés était très faible. Le capitalisme victorieux aujourd'hui à l'échelle de la planète a augmenté comme jamais dans le passé le fossé entre nations. Sans parler du fossé au sein de chaque nation qu'elle soit du Sud ou du Nord entre le 1% le plus riche et les 50% d'en bas.

Il est grand temps de dissoudre la Banque mondiale et le FMI et de construire une autre architecture internationale respectueuse des droits humains et de la Nature. Il est grand temps de se débarrasser du système capitaliste et de réaliser une révolution écosocialiste, internationaliste, féministe,…

Notes

[1] Source : https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2023/12/13/developing-countries-paid-record-443-5-billion-on-public-debt-in-2022 |
Rapport complet est disponible ici : https://www.worldbank.org/en/programs/debt-statistics/idr/products

[2] Martin Wolf, “The global economy holds up yet limps on”, 11 October 2023.

[3] CADTM, « Afrique, le piège de la dette et comment en sortir », décembre 2022, https://www.cadtm.org/Afrique-le-piege-de-la-dette-et-comment-en-sortir.

[4] L'évolution des rendements des titres souverains à 10 ans est disponible ici : http://www.worldgovernmentbonds.com/country/puertorico/ On y voit que le rendement (yield) sur les titres à 10 ans de la Zambie et de l'Égypte atteint 26%, celui de la Turquie atteint 25%, celui du Kenya 18,5%, celui du Pakistan et de l'Ouganda, 16%.

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François Chesnais : une contribution incontournable à l’analyse du capitalisme

6 février 2024, par Marc Humbert — ,
Marc Humbert rend hommage à l'économiste marxiste François Chesnais, disparu en octobre 2022, en rappelant sa contribution à la compréhension de la place de la technologie dans (…)

Marc Humbert rend hommage à l'économiste marxiste François Chesnais, disparu en octobre 2022, en rappelant sa contribution à la compréhension de la place de la technologie dans l'économie capitaliste et en revenant sur son analyse de l'évolution des forces productives.

Tiré de la revue Contretemps
30 janvier 2024

Par Marc Humbert

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François Chesnais, au cours d'une certaine période de son activité professionnelle, a cherché, entre autres, à approfondir la compréhension de la manière dont le capitalisme poursuivait le développement des forces productives. Je l'ai fréquenté professionnellement à cette époque où il était économiste à l'OCDE et qui va pour moi de la fin des années soixante-dix au milieu des années quatre-vingt-dix.

J'ai souhaité lui rendre hommage en rappelant sa contribution à certaines réflexions qui ont fait évoluer l'opinion de nombre d'économistes à cette époque. Dans ce cadre, il a bien décrypté le jeu des firmes multinationales, appuyé par les États dominants, dans la mondialisation de l'industrie et de l'économie mondiale. L'un de ses partenaires dans ces réflexions en a dressé un bilan historique long, voyant là « Comment l'Occident s'est enrichi 1] », un titre ironique paraphrasant celui du célèbre ouvrage sur la Richesse des Nations, d'Adam Smith, le père de l'économie libérale.

Mon propos comprend deux sections, une première rappelle la contribution de François Chesnais à l'appréciation du rôle de la technologie dans l'économie, ceci dans le cadre de l'apparition d'une nouvelle approche hétérodoxe de la théorie économique standard. La seconde tend à montrer que même après la fin de cette période qui semblait marquer un désintérêt pour les réalités industrielles, François Chesnais lui accordait encore toute son importance. Il s'interrogeait ainsi récemment pour savoir si cette fois le développement des forces productives avaient effectivement rencontré des limites infranchissables.

I. Conceptions du rôle de la technologie dans l'évolution de l'économie

A)Les apories des théories économiques disponibles sur la question de la technologie

La théorie économique standard de l'équilibre économique général suppose que l'ensemble de tout ce qui est matériel et immatériel destiné à satisfaire la consommation, la demande solvable des populations, est mis à leur disposition par le libre fonctionnement des marchés.

C'est ce fonctionnement qui assure une allocation optimale des ressources et offre à ces populations, à l'économie dans son ensemble, de se trouver dans une situation pareto-optimale, impossible à dépasser. La production de biens, de services, de services producteurs se fait dans un état donné de la technologie, on ne voit même pas apparaître la catégorie firme ou entreprise ; le texte de Coase de 1937 qui montrait que la firme est la négation du rôle des marchés ne sera exhumé par des semi-hétérodoxes que bien plus tard sous l'influence de Williamson en 1975. La théorie standard est une microéconomie sans acteurs concrets, mais modélisée selon le souci de chaque avatar de maximiser sa satisfaction, son bénéfice, à la moindre peine, au coût le plus bas possible, sans aucune autre considération. Avatar qui a été appelé homo economicus [2].

Après la crise de 1929, les libéraux thuriféraires du capitalisme ont été secoués par l'interventionnisme du New Deal qui a évité l'effondrement ou/et la révolte sociale. Les économistes vont devoir s'adapter. Un interventionnisme raisonné des politiques a besoin d'indicateurs et c'est ainsi que va naître la comptabilité nationale. Elle sera aussi bien utile pour que les idées de macroéconomie portées par la théorie générale de Keynes [3] publiée en 1936 puissent devenir des pratiques nationales de politique économique après 1945.

Les idées Keynésiennes ont été hybridées par des économistes qui les ont transformées en une recette de stop and go ou de fine tuning par les dépenses publiques ou le déficit budgétaire : si la demande globale est excessive et provoque l'inflation, un coup de frein est donné, tant pis pour le chômage qu'il peut provoquer. Vice versa, si la demande est insuffisante, les dépenses publiques pourront augmenter et relancer la machine et l'emploi. Toutefois cela n'était pas suffisant pour les responsables politiques qui, après 1945, ne voulaient pas seulement éviter les crises, mais surtout faire croître le PIB dont on allait vérifier désormais chaque année le taux de croissance.

C'est lui qui va permettre de faire espérer aux masses une amélioration de leur niveau de vie et garantir ainsi leur adhésion au système libéral c'est-à-dire éviter qu'elles ne soient tentées par l'expérience communiste, en particulier celle qui avait cours à l'Est de l'Europe où régnait disait-on la pénurie. C'est aussi ce type de promesse faite par le président américain Truman [4] en 1949 qui va assurer que les pays nouvellement indépendants et tous les autres encore non industriels, bref le Tiers-Monde, attendent sagement leur tour comme les y incite Rostow [5] en 1960 et demeurent au sein du « monde libre ». Ils ont été accompagnés dans leur attente par la communauté internationale qui a lancé la première décennie du développement en 1962 [6]. En l'absence répétée de toute réussite, cette première décennie a été suivie d'une série d'autres décennies et on est encore loin d'aboutir selon cette voie. Beaucoup de pays non occidentaux se sentent plus qu'impatients d'autant plus que pour raison écologique on leur demande de modérer leurs projets.

Mais comment mettre les économies sur un sentier de croissance ? Il n'y avait pas encore en 1945 de théorie de la croissance et les économistes patentés se sont alors mis au travail. Notamment des keynésiens plus ou moins dissidents des néoclassiques libéraux qui vont pondre l'objet attendu. C'est Robert Solow qui prend le leadership en 1956 avec une théorie macroéconomique de la croissance [7]. Ce qu'on y appelle technologie, est un rapport entre les quantités de Capital K et les quantités de travail L mises en œuvre selon une certaine fonction de production macroéconomique pour donner comme résultat notre PIB.

Quand en 1962 Denison s'aventure à tester ce modèle sur les données concrètes de la croissance américaine entre 1929 et 1957, il s'aperçoit que l'évolution des quantités de capital et de travail employées n'explique que moins de 50% de la croissance américaine. Il essaie toutes les idées astucieuses possibles pour gonfler « avec du supposé progrès – technique – » les quantités de facteurs mais il lui reste encore un « résidu » de 20% de croissance inexpliquée [8]. En France des économètres macroéconomistes de renom se coltinent le même exercice et montrent en 1972, malgré des raffinements sophistiqués, qu'il reste 50% de la croissance française entre 1951 et 1959 qui ne peut être expliqué [9].

Pour les mêmes raisons de la non prise en considération directe de ce qu'on soupçonne être le progrès technologique, on ne peut expliquer les différentiels de croissance entre les économies nationales (Denison 1967) [10]. Si on regarde du côté de Marx, ses disciples n'étaient guère mieux équipés. Certes Marx a la vision que ce sont les changements technologiques – l'évolution des forces productives- qui ont fait évoluer le social. Bien que ces changements ne soient pas explicités et expliqués ils sont tenus pour déterminants. Les forces productives à l'évidence, malgré les contradictions croissantes attendues, n'avaient pas encore atteint leur stade ultime quand Lénine a voulu coupler la technologie capitaliste (l'électrification) aux soviets pour construire le socialisme. Pas plus en 1945. Ce stade ultime ne semble pas encore atteint aujourd'hui.

Plus benoîtement et objectivement, on peut remarquer que L'URSS, après un rattrapage (aidé après 1945 par un brain-drain des ingénieurs allemands) s'est retrouvée dans les années soixante à la traîne des changements technologiques accélérés dans les pays capitalistes keynésiens, hormis dans le militaire. Il n'y avait pas vraiment de pénuries à l'Est, mais le niveau de bien-être matériel offert aux masses, comparé à celui dont bénéficiaient en moyenne celles de l'Ouest, présentait un différentiel qui a mécontenté la masse ouvrière soviétique au moins autant que la quasi absence de libertés individuelles.

Les rapports sociaux caractéristiques de la domination bourgeoise d'après la révolution industrielle selon Marx, ne permettent pas d'expliquer de façon satisfaisante, à mon sens, ni le rythme ni le contenu de la révolution industrielle encore moins la manière dont se poursuivent ces changements technologiques. Le modèle de reproduction élargie de l'accumulation en deux sections dont une productrice de biens d'équipement ne nous renseigne guère sur la dynamique technologique.

L'élévation de la composition organique du capital ne dit rien sur ce que sont les machines et le capital constant – et ce qu'elles sont, ou sur ce que sont certains de leurs éléments qui jouent ou non un rôle crucial, de même rien sur les qualifications variées des travailleurs et leur organisation selon des modalités différentes de celles employées pour les travailleurs manuels. Certes la plupart des adeptes de cette vision scientificisée s'efforcent de concocter ce qui manque et cela permet à leurs yeux de rendre compatible la poursuite des changements technologiques et la théorie de Marx. Mais leurs résultats n'ont pas convaincu grand monde en dehors du cercle étroit de leurs fidèles.

En France l'école de la régulation, inspirée de marxisme et de keynésianisme, donne sa version de l'explication des crises avec une théorie des formes institutionnelles qui elle aussi n'a que faire de se pencher sur la manière dont sont produites et changent les technologies. En 1986, dans la synthèse qu'il dresse de dix ans de travaux collectifs, Robert Boyer [11], que François Chesnais et moi-même avons fréquenté et apprécié, écrit que c'est peut-être une voie parallèle que de s'en préoccuper. Sur les cent-trente pages de son ouvrage en forme de bilan, dix lignes évoquent parmi des projets qu'il dit similaires à la théorie de la régulation ceux « des spécialistes du changement technique qui sont à la recherche d'un modèle évolutionniste (R.R. Nelson, S.G. Winter) permettant de cerner simultanément changement technique et mutation dans les formes institutionnelles (G. Dosi, L. Orsenigo, G. Silverberg) ». Pour que certains contributeurs de la théorie de la régulation commencent à traiter de ces questions technologiques, il a fallu attendre le colloque de Barcelone en 1988. Là sera organisée une session intitulée « Les enjeux sociaux de la technologie » – à la quelle ma contribution [12] a été diversement appréciée (mais publiée par la revue Tiers-Monde en 1989).

De fait ce qu'on appelle le « capitalisme » ne s'est pas encore effondré. C'était pourtant ce que prédisaient de nombreux marxistes au début des années 1970. Mais, cinquante ans plus tard, le capitalisme parait n'avoir jamais été aussi puissant. La crise de 2008 a réveillé l'espoir mais il a été déçu jusqu'à aujourd'hui. Toutefois, certains pensent que le capitalisme va très mal – et François Chesnais était de ceux-là – et qu'une reprise technologique serait cette fois peu assurée – François Chesnais était plus que dubitatif – et d'autres sont certains qu'une nouvelle crise plus importante est inévitable et va amplifier le déclin du capitalisme le rapprochant de son écroulement.

C'est bien possible. Personnellement je veux bien y croire car je suis fondamentalement opposé à la logique capitaliste. Mais il me semble que l'issue dramatique qui menace une grande partie de l'humanité pour les années 2070 c'est plus l'in-habitabilité de la Terre. Certes pour des raisons d'évolution des conditions écologiques dont est évidemment responsable l'évolution du capitalisme concret et l'oligarchie qui l'a pilotée, et qui la pilote encore à son profit. J'y reviendrai avec ce que j'en ai lu de François. Mais tout d'abord rappelons que si le capitalisme ne s'est pas effondré c'est en bonne partie en raison de son moteur technologique ce sur quoi François Chesnais m'était apparu tout à fait d'accord.

B) Les courants de pensée économique se saisissant de la question de la technologie

François Chesnais a fréquenté et travaillé avec les trois principaux leaders qui ont fait avancer la réflexion économique sur la question de la technologie. Il s'agit des regrettés Christopher Freeman, et Nathan Rosenberg – qui ont été au moins proches du marxisme à une certaine époque- ainsi que de Richard Nelson [13].

(i) Christopher Freeman

Christopher Freeman est un britannique (disparu en 2010 à l'âge de 88 ans) qui a consacré à temps plein sa vie d'économiste aux questions de la technologie à partir de la création en 1966 du Science Policy Research Unit de l'université du Sussex dont il a été le premier directeur fondateur. Il constitue une équipe avec laquelle il explore la création de nouvelles technologies dans tous les secteurs et dans de nombreux pays. Il accueille des doctorants de divers pays d'Europe (en particulier d'Italie) et d'Amérique Latine. Il publie seul et en collaboration, de nombreux articles, rapports, ouvrages.

Avec Giovanni Dosi, venu d'Italie, sera forgé le concept de paradigme technologique (1982) et l'hypothèse qu'est survenue dans l'industrie une innovation radicale avec l'invention des semi-conducteurs qui a provoqué une sorte de révolution diffusant peu à peu dans tous les secteurs d'activité [14]. Avec Carlotta Perez [15], venue du Venezuela (et qui fut un temps son épouse), il s'attache à développer l'idée des cycles longs héritée de Kondratiev [16] et interprétés par Schumpeter [17]. Le SPRU est visité également par Luc Soete qui fondera ensuite un centre un peu similaire à Maastricht.

De retour d'un séjour au Japon, Christopher Freeman se persuade qu'il faut concevoir que chaque pays organise de fait son système d'innovation et publie en 1987 un ouvrage en ce sens [18]. En 1988, avec Richard Nelson, Gerald Silberberg et Luc Soete, Freeman publie une somme collective sur l'introduction du changement technique dans la théorie économique et commande un chapitre à François Chesnais qu'il a fréquenté à l'OCDE [19]. Un autre familier du SPRU, Bengt-Åke Lunvall, un Suédois implanté à l'université de Aalborg au Danemark, s'empare du concept de système national d'innovation et sort en 1992 un ouvrage collectif auquel sera associé François Chesnais qui là encore publie un chapitre [20].

Parmi de nombreux chercheurs du monde entier qui ont été accueillis ou/et formés au SPRU et qui sont devenus des contributeurs notoires aux travaux sur le fonctionnement et le rôle de la technologie il faut nommer Helena Lastres et José Cassiolato. En raison de l'importance internationale de leurs contributions et aussi parce qu'ils y ont associé François Chesnais jusqu'à sa disparition.

Ces deux Brésiliens ont établi en 1997, dans leur université fédérale de Rio de Janeiro, à l'Institut d'économie industrielle, un réseau interdisciplinaire de recherche, inspiré en particulier du concept de système d'innovation. Il s'intitule Redesist, ce qui signifie « Réseau de Recherche sur les arrangements locaux d'innovation et de production » Ce réseau a fêté ses 20 ans d'existence en 2017 [21] et poursuit sa dynamique. Il s'est développé avec des groupes participant répartis dans 27 universités de tout le Brésil et des groupes dans la plupart des pays d'Amérique Latine et des accords avec des groupes et des chercheurs individuels dans le monde, dont François Chesnais et moi-même. Ce réseau a organisé un grand nombre de colloques internationaux, et a réalisé un grand nombre de rapports pour soutenir des politiques de développement. Il a publié un très grand nombre d'études, d'analyses théoriques d'articles dans des revues scientifiques, coordonnant des ouvrages en portugais et en anglais.

En 2003 ils ont accueilli le premier colloque international d'un réseau plus vaste encore dont ils ont été les animateurs en assurant son secrétariat pendant de longues années. Il s'agit de GLOBELICS. Un réseau mondial (GLOBE) sur les systèmes d'apprentissage, d'innovation et de formation des capacités (Learning, Innovation, Competence Building) co-fondé par Bengt-Åke Lundvall et Luc Soete, préalablement cités [22]. Ces thèmes ont été considérés comme au cœur des questions du développement économique et le réseau a organisé des colloques mondiaux dans tous les continents et continue à le faire. Leur 20ème colloque aura lieu en octobre 2023 à Kérala en Inde [23] sur la transformation des économies du Sud global liée à des innovations entraînées par l'essor des connaissances.

José Cassiolato et Helena Lastres se sont assurés la collaboration de François Chesnais qu'ils ont fait intervenir très souvent dans des colloques et journées qu'ils ont organisés depuis 1997 et l'ont fréquemment publié et encore au cours de ces dernières années [24]. Ils lui ont permis également, en l'invitant régulièrement au Brésil d'y continuer ainsi ses relations de travail et de militance. Enfin, et ceci n'est pas le moins de leurs soutiens aux travaux de recherche de François Chesnais, ils ont organisé un hommage à son intention pour ses 80 ans, ce qui s'est concrétisé sous la forme d'un ouvrage collectif publié en 2014. Ils y ont accueilli un texte de Catherine Sauviat sa compagne et complice de nombreux travaux. Elle y présente (en anglais) ce qu'elle connait du parcours intellectuel de François Chesnais [25]. Les différents chapitres (en portugais) de l'ouvrage d'hommage présentent chacun un aspect de l'apport de la pensée de François au Brésil et aux chercheurs Brésiliens sur les questions du développement et de la mondialisation.

(ii) Nathan Rosenberg

Nathan Rosenberg (disparu en 2015 dans sa quatre-vingt-huitième année) était américain. Professeur d'histoire économique (à Stanford à partir de 1974), il s'est intéressé à comprendre comment la technologie s'est développée et a forgé le monde occidental. Un premier ouvrage [26] publié en 1976 qui met cette question en perspective a été très remarqué, tandis qu'un second [27] sorti en 1982 porte un titre provocateur. « Inside the black box ».

Pour la plupart des économistes de toutes obédiences, il y a des lois du système économique, mais celles-ci n'expliquent pas par le menu la production de puissance, la production de ce changement ou de ce progrès technique qui booste la machine. Personne (ou presque) ne se risque à soulever le capot, la machine est une boîte noire. Il sera invité en 1991, lors du grand colloque organisé pour les 25 ans du SPRU, à prononcer le discours inaugural [28]. Un colloque qui a réuni tous ceux qui avaient rejoint ce champ de travail depuis plus ou moins longtemps, comme François Chesnais qui appréciait beaucoup l'approche historique de Nathan Rosenberg. Je m'y trouvais aussi bien sûr.

(iii) Richard Nelson

Richard Nelson (né en 1930 – 93 ans), après s'être intéressé à l'économie de la recherche scientifique de base avec un article remarqué [29] en 1959, a voulu comprendre plus complétement le processus d'innovation, c'est-à-dire au sens de Rosenberg, soulever le capot.

Dès 1962 ses recherches se sont orientées dans cette direction [30]. Il publie en 1977 dans la revue du SPRU, avec son collègue Sidney Winter, un article [31] sur la manière de chercher une théorie pertinente de l'innovation. Dans la foulée ils publient en 1982 un ouvrage qui fera date en fondant les bases de ce qui sera dit une théorie économique évolutionnaire [32].

Il s'est emparé lui aussi du concept de système national d'innovation et publie en 1993 un ouvrage avec une mise en regard des systèmes de différents pays. Il a confié à François Chesnais le chapitre sur le système français d'innovation [33]. L'introduction de l'ouvrage est co-signé par Nelson et Rosenberg. Rosenberg signe le chapitre sur le système d'innovation des Etats-Unis avec David Mowery qui a été son étudiant. Bengt-Åke Lunvall co-signe un autre chapitre.

C) La relation a-typique de François Chesnais avec Schumpeter

Ce que je viens de rappeler montre l'existence d'une communauté de chercheurs derrière lesquels planent l'ombre de Schumpeter. C'est une communauté scientifique au sein de laquelle François Chesnais occupe une place à l'importance reconnue. Au moins depuis les années quatre-vingt jusqu'au milieu des années quatre-vingt-dix. Si cette communauté continue de fonctionner sur ce champ, François Chesnais s'en est éloigné quelque peu après 1995.

Mais auparavant et après une quinzaine d'années intenses en débats, colloques, publications – j'aurai moi aussi le plaisir de publier François dans l'ouvrage collectif que j'ai sorti en 1992 chez l'éditeur clé qui avait accompagné cette communauté, Frances Pinter [34] – François réalise un maître ouvrage dans le cadre de la Direction de la Science de la Technologie et de l'Industrie où il était à la manœuvre.

C'est lui qui fut la cheville ouvrière du Programme Technologie/ Economie lancé en 1988 avec un programme approuvé par les Ministres des pays membres en 1991. Une revue a été lancée, mais surtout il en est sorti un ouvrage publié [35] en 1992. Comme rarement dans les publications de ce type par l'OCDE, juste avant la signature du secrétaire général de l'institution est indiqué « François Chesnais a assuré la coordination générale et l'établissement du texte définitif ».

François a pu y insister sur tous les thèmes qui lui paraissaient essentiels, les questions d'investissement et de formation des compétences humaines, la complétion du marché mondial et les firmes multinationales, l'oligopolisation et les réseaux d'alliances entre firmes géantes, la compétitivité structurelle, les questions d'industrialisation tardive et les problèmes de l'environnement.

Mais il faut noter que dans la longue bibliographie de cet ouvrage ne figurent ni Marx ni le Schumpeter de 1911, de la théorie de l'évolution économique [36] ou celui sur les cycles [37] de 1939. Pourtant se trouve référencé le livre qui fera la renommée publique de Schumpeter et publié en 1942 sous le titre de « Capitalisme Socialisme et Démocratie [38] ».

Schumpeter lui-même soulignait qu'il était un des rares économistes avec Marx et les marxistes à s'intéresser aux crises, à l'investissement ou l'accumulation du capital et aux grandes firmes et aux oligopoles. Mais si pour Marx le capitaliste bourgeois était l'homme aux écus qui précipitait la survenue des crises économiques, pour Schumpeter c'était l'entrepreneur qui se saisissait et provoquait des innovations et sortait l'économie des situations de crises.

Bien des marxistes et même des Keynésiens régulationnistes orthodoxes ou dissidents négligent Schumpeter. C'est par exemple le cas de notre ami Bernard Billaudot qui a cherché à repenser l'économie et à décrire l'ordre économique moderne [39]. Il dit s'être plongé dans une relecture approfondie de tout ce qui comptait à ses yeux parmi des économistes, des historiens, des philosophes, des sociologues des politistes dont il mentionne une liste très longue. Schumpeter ne semble pas présenter d'intérêt à ses yeux, car il ne le mentionne à aucun moment au cours de son texte long de 1000 pages.

François Chesnais, quant à lui, ne l'a pas négligé. Tout en regrettant encore récemment (en 2019) [40], « le désintérêt des économistes marxistes pour la technologie, marqué aujourd'hui par la quasi-absence de travaux économiques sur l'informatisation et l'automatisation ». Certes et c'est aussi ma position, il ne trouve aucune raison pour supposer que les cycles à la Kondratieff pourraient s'imposer de manière externe et déterministe au fonctionnement de nos économies [41]. Mais Schumpeter et Marx sont à peu près d'accord avec ce que soulignait François dans un article [42]de 1967 « la loi de développement des forces productives propre au système capitaliste est celle d'un développement potentiellement illimité de ces forces ».

Pour Schumpeter, le capitalisme est le lieu où souffle un ouragan permanent de destruction créatrice [43]. Si la contradiction marxiste est supposée mener à une destruction, elle est aussi supposée être bientôt définitive, et non pas créatrice. Pourtant Schumpeter rejoint Marx sur l'issue finale, le capitalisme finira par s'effondrer.

François Chesnais n'emploie guère Marx dans ses travaux sur la technologie au sein de cette communauté de recherche, mais il n'hésite pas pour autant à le faire à l'occasion pour rappeler qu'il y a selon lui au-delà des comportements des firmes et autres acteurs, les déterminants du processus historique du développement capitaliste.

Ainsi il écrit p. 498 in Dosi et al. (1988) [44] : “ tandis que les FMN sont manifestement des agents actifs dans le processus d'internationalisation et même des architectes de certains aspects de ce processus, et qu'elles doivent en conséquence être analysées pour elles-mêmes, elles sont cependant dépendantes d'un ensemble global de facteurs sur lesquels elles n'ont en fait peu ou pas de prise et qui tous ont leur source dans les mécanismes de base qui emmènent le processus historique du développement capitaliste. L'un de ces mécanismes est le développement (de manière contradictoire, antagonique et inégale) des forces de production, parmi lesquels la science et la technologie jouent un rôle qui devient de plus en plus central ».

Je suis obligé de remarquer que cela revient à dire que le déterminisme historique laisse attendre la fin du capitalisme et s'accompagne de quelques degrés de liberté qui permet de reporter cette fin. Et que François Chesnais en deçà du déterminisme historique s'intéressait à la manière dont les firmes, les entrepreneurs s'employaient à s'emparer de ce que lui, considérait, de facto, comme de simples degrés de liberté. Mais il s'intéressait aussi au degré de liberté (?) des Etats. Bref la technologie en elle-même ne suffit pas pour sortir de crise (sauver le capitalisme ?), retrouver un cycle ascendant, il faut des entrepreneurs et des institutions, des conditions socioéconomiques.

C'était Ergas qui avait souligné, en amont de l'idée de système national d'innovation, l'importance des politiques technologiques [45]. On pourrait dire qu'à certains égards François Chesnais était proche d'une sorte de keynésianisme technologiste. Quand il se demande dans un texte publié en 2016 pour ses amis Brésiliens, si le capitalisme va à nouveau s'en sortir par la technologie, il pense que le hic se trouve dans le fait que les tendances actuelles laissent prévoir que le chômage devrait se développer massivement [46]. Comme il l'y rappelle, des études documentées l'avaient affirmé déjà en 2013. Mais dix ans plus tard, en 2023, le fait est, qu'en Europe et aux Etats-Unis, il n'est pas plus important qu'en 2008, il est même plus bas aux Etats-Unis, en revanche la « qualité » et le « niveau de rémunération » des emplois semblent s'être dégradés. L'armée de réserve tarde à se constituer. Pourtant au vu de l'évolution tendancielle de l'accumulation et des taux de profits, François Chesnais, en 2022, écrivait que le capitalisme mondial était dans l'impasse [47].

II. Adieu à l'industrie ?

A) La financialisation

A partir du milieu des années 1990, François Chesnais a été happé par les questions de la financiarisation mondialisée du Capital. Mes relations avec lui se sont espacées. Bien sûr il a cependant, en 2002, soutenu le réseau de chercheurs que j'ai lancé depuis la CEPAL à Santiago du Chili : PEKEA (Political and Ethical Knowledge in Economic Activities) pour construire une approche politique et éthique des activités économiques. Un réseau mondial qui a regroupé jusque 1 000 chercheurs et militants pour moitié économistes et d'autres sciences sociales, dans une cinquantaine de pays. Il l'approuvait lui qui considérait qu'il n'y avait pas de raison que l'économie ne soit pas une science sociale comme une autre.

Il a quitté en quelque sorte le champ où nous travaillions ensemble, tout en m'informant qu'il y reviendrait. C'est le sens de la dédicace qu'il m'a écrite– comme il m'a donné et dédicacé La technologie et l'économie et bien d'autres de ses ouvrages- sur l'exemplaire qu'il m'a confié de son ouvrage collectif de 1996 La mondialisation financière- Genèse, coût et enjeux. On peut y lire ce qui suit [48] : « nous sortons de l'économie industrielle pour mieux pouvoir y revenir après avoir un peu mieux compris l'environnement financier des firmes et l'identité des forces et des acteurs qui pèsent même sur les groupes les plus puissants ».

A vrai dire il en est resté apparemment assez loin même s'il a lui-même affirmé dans un entretien révélé récemment mais donné à Contretemps en 2014 [49] :

« dans mes travaux récents j'essaie de corriger l'impression que certains ont pu avoir que, comme Aglietta, je donnais la primauté à la finance. Je suis vraiment revenu à l'internationalisation de la production et à la configuration des groupes industriels actuels, donc aux chaînes de valeur. »

C'est effectivement ce qu'il a fait dans son dernier grand ouvrage [50], en anglais, publié un peu après, en 2016. Il y montre bien que les banques ne dominent pas les grands groupes industriels, lesquels en revanche, interviennent sur les marchés financiers et restent les acteurs dynamiques de la mise en compétition planétaire acharné des salariés et des nations du monde. Certes l'imbrication des unes et des autres est bien réelle.

Mais tout n'est pas là pour comprendre la crise, cette crise de 2007-2008. Il ne faut pas en rester selon lui à des analyses maniant les variables usuelles du raisonnement. Cette crise dont on n'est pas encore sorti, pourrait être finale parce que le capitalisme aurait touché des limites infranchissables. C'est ce qu'il soutient dans la conclusion de l'ouvrage de 2016 que je viens de citer.

B) Le capitalocène

Dans l'ouvrage qu'il avait publié en 1992 pour l'OCDE, François Chesnais avait consacré un chapitre entier aux questions environnementales qui y sont prises très au sérieux. Toutefois, François Chesnais, et moi-même, n'avons pris conscience que plus tardivement de la rupture quasi paradigmatique que signifiaient les alertes données de manière toujours plus forte depuis 1972 (Rapport Meadows et Sommet des Nations Unies à Stockholm) et les observations scientifiques de plus en plus alarmantes. Pour moi cette prise de conscience était quasi explicite lors du colloque PEKEA de Bangkok en 2004. Je ne sais quand exactement cela fut le cas pour François mais il écrivait déjà en 2008 que la crise climatique allait se combiner avec la crise du capital [51]. Et c'est dans cette suite qu'il en est arrivé, apparemment à partir de 2010 – à adopter et intégrer dans ses analyses le concept d'Anthropocène – signifiant que l'espèce humaine est responsable de l'entrée dans une nouvelle ère géologique.

Quand il écrit en février 2012 un texte fondé sur son intervention pour le colloque de 2011 organisé au Brésil par l'équipe de José Cassiolato, il indique [52] qu'il ajoute une section à ce qu'il avait présenté lors du colloque pour expliquer que la combinaison de la crise climatique à la crise économique, financière et sociale exige une « rupture copernicienne ». Il situe l'origine de la situation dans la rupture épistémique provoquée par l'essor du capitalisme aux XVIe et XVIIe siècle– essor dans lequel Marx aurait déjà perçu que pourrait surgir la menace présente aujourd'hui. Il adopte la qualification de l'entrée dans l'Anthropocène comment faisant suite à l'Holocène pour caractériser ce qui est la situation présente.

Pour en sortir il est nécessaire selon François Chesnais d'entreprendre une nouvelle rupture épistémique et des mutations institutionnelles et organisationnelles radicales. Il adoptera quelques années plus tard le concept de Capitalocène [53] proposé par Jason Moore et c'est une version renouvelée [54] du texte de 2012 (que je viens de citer) qu'il donne à nos amis Brésiliens. Dans cet ouvrage qui s'interroge sur le futur du développement, il donne comme titre à son chapitre une affirmation qui peut me servir pour m'essayer à quelques mots de conclusion sur cet hommage à François Chesnais à travers la relation de mon compagnonnage intellectuel avec lui. Après avoir étudié toutes ces années les changements en cours dans l'industrie voilà, écrit-il, qu'arrive le temps de « l'entrée dans une période historique totalement nouvelle ».

Si un véritable retour à l'industrie lui – nous – a été presque impossible, c'est en raison « du changement climatique et de l'épuisement de ressources naturelles vitales [qui, comme l'affirme Ernest Mande [55] font que] « la lutte pour une issue socialiste prend l'importance d'une lutte pour la survie même de la civilisation humaine et de la race humaine ».

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Marc Humbert est professeur émérite d'économie politique, Université de Rennes.

Notes

[1] Nathan Rosenberg and L.E. Birdzell (1986) How the West grew rich, Nexw York, Basic Books, traduction française Nathan Rosenberg and L.E. Birdzell (1988) Comment l'Occident s'est enrichi, Paris, Fayard. Les auteurs montrent comment, selon eux, au cours de l'histoire, en Occident, le capitalisme économique a remplacé les pouvoirs politiques et religieux pour piloter le devenir des sociétés.

[2] Ronald Coase (1937) “The Nature of the Firm”, Economica, New series, vol. 4, N°16, p. 386-405. Oliver Williamson (1975) Market and Hierarchies : Analysis and Antitrust Implications : A Study in the Economics of Internal Organization, New York, The Free Press.

[3] John Maynard Keynes (1936) The General Theory of Employment, Interest and Money London, Macmillan.

[4] Le texte du discours à la nation de Harry Truman est disponible en ligne (dernière visite le 21 novembre 2020) ; https://www.presidency.ucsb.edu/documents/inaugural-address-4 .

[5] A la suite d'un article publié en 1959 : Walt Whitman Rostow (1959) “The stages of Economic Growth” The Economic History Review, Vol 12, n°1, p. 1-16. Il en sortira un ouvrage au sous-titre explicite et qui deviendra un best-seller mondial : Walt Whitman Rostow (1960) The stages of economic growth, a non-communist manifesto, Cambridge, Cambridge University Press.

[6] Voir p.vi, in U Thant (1962) The United Nations Development Decade – Proposals for action, Report of the Secretary General, New York, United Nations. Department of Economic and Social Affairs.

[7] Robert Solow (1956), “A contribution to the Theory of Economic Growth”, The Quarterly Journal of Economics, Vol 70, n°1, February, p. 65-94.

[8] Edward F. Denison (1962) The Sources of Economic Growth in the United States and the Alternatives before Us, New York, Committee for Economic Development.

[9] Jean-Jacques Carré, Paul Dubois, Edmond Malinvaud (1972) La Croissance française : un essai d'analyse économique causale de l'après-guerre, Paris, Le Seuil.

[10] Edward F. Denison (1967) Why Growth Rates Differ, Wahsington D.C., Brookings.

[11] Robert Boyer (1986) La théorie de la régulation- une analyse critique, Paris, La Découverte.

[12] Marc Humbert (1989) « Les régulations sociales face au système industriel mondial », Revue Tiers-Monde, T. XXX, n° 120, octobre-décembre, p. 823-846. Version réduite et révisée de la Communication au colloque La théorie de la régulation : bilan et perspective, session Enjeux sociaux de la technologie, Barcelone, 16-18 juin 1988, 30 pages.

[13] Ce qui suit n'est pas une présentation de la pensée de, et de tout ce qu'ont fait, ces trois contributeurs à la formation de ce courant économique hétérodoxe. Je n'en dis que le minimum pour les « situer » pour ceux qui ignorent ce courant et par ailleurs pour rappeler ce qui, à ma connaissance, témoigne de l'interaction de François Chesnais avec eux et faisant de lui un contributeur essentiel de ce courant.

[14] Christopher Freeman (1982) The Economics of Industrial Innovation, London, Pinter. Giovanni Dosi (1982) “Technological paradigms and technological trajectories. A suggested interpretation of the determinants and directions of technical change”, Research Policy, Vol 11 ; Issue 3, June, p. 147-162.

[15] Carlota Perez (1983) » Structural change and the assimilation of new technologies in the economic and social system « , Futures, vol. 15, no. 5, pp. 357-375 et Carlota Perez (1985) » Micro-electronics, Long Waves and World Structural Change « , World Development, vol. 13, no. 3, pp. 441-463.

[16] Nikolaï Kondratiev a conçu cette idée par ses observations statistiques au début des années 1920, son article en russe de 1925 a été partiellement traduit en 1926 en allemand dans Archiv fur Sozialwissenschaft und Sozialpolitik ce qui l'a fait connaître et permettra sa publication complète en anglais : Nikolaï Kondratiev (1935) « The Long Wave in Economic Life », Review of Economics and Statistics, n°17, p. 105-115.

[17] Joseph Schumpeter (1939) Business Cycles : A Theoretical, Historical, and Statistical Analysis of the Capitalist Process, New York and London, McGraw-Hill.

[18] Christopher Freeman (1987) Technology Policy and economic Performance : Lessons from Japan, London, Pinter.

[19] Giovanni Dosi, Christopher Freeman, Richard Nelson, Gerald Silverberg and Luc Soete (1988) Technical Change and Economic Theory, London, Pinter. François Chesnais y a écrit le chapitre 23 : “Multinational entreprises and the international diffusion of technology » p. 496-527.

[20] Bengt-Åke Lunvall (1992) National Systems of Innovation – Towards a Theory of Innovation and Interactive Learning, London, Pinter. François Chesnais y a écrit le chapitre 13 “National Systems of Innovation, Foreign Direct Investment and the Operations of Multinational Enterprises” p. 265- 295.

[21] Marcelo de Matos, José Cassiolato, Helena Lastres, Cristina Lemos, Marina Szapiro (org.) (2017) Arranjos Produtivos Locais, Referencial, experiências e politícas em 20 anos de Redesist (Arrangements productifs locaux, Référentiel, expériences et politiques en 20 années de Redesist), Rio de Janeiro, E-papers.

[22] Freeman a été un acteur important de ce réseau mondial et Nelson (voir ci-après) l'est encore.

[23] Voir https://www.conftool.org/globelics2023/register.php

[24] Voir par exemple : Helena Lastres, José Cassiolato, Gabriela Laplane et Fernando Sarti (Org.) (2016) O Fururo do Desenvolvimento – Ensaios em homenagem a Luciano Coutinho (Le futur du développement- Essais en hommage à Luciano Coutinho, professeur d'économie politique, directeur de la Banque nationale de développement du Brésil), Campinas, UJNICAMP. Francois Chesnais y a écrit (p. 38 – 57) le chapitre intitulé “ The entry in a totally new historical period ».

Ou encore : José Cassiolato, Maria Gabriela Podcameni, Maria Clara Soares (org.) (2015) Sustentabilidade sociambiental em um contexto de crise (soutenabilité socio envrionnementale dans un contexte de crise), Rio de Janeiro, Epapers. François Chesnais y a écrit p. 39 – 63 « Uma interpretação sobre a situação econômica mundial seguida por consideracções sobre a crise ambiental (Une interprétation de la situation économique mondiale suivie de considérations sur la crise environnementale »).

[25] José Eduardo Cassiolato, Marcelo Pessoa de Matos, Helena M. M. Lastres (2014) Desenvolvimento e mundialização O Brasil e o pensamento de François Chesnais (Développement et mondialisation, Le Brésil et la pensée de François Chesnais, Rio, E-Papers. Catherine Sauviat y a écrit p. 29-36 “ Some notes on what I know about François's intellectual trajectory”.

[26] Nathan Rosenberg (1976) Perspectives on Technology, Cambridge, Cambridge University Press.

[27] Nathan Rosenberg (1982) Inside the Black Box :Technology and Economy, Cambridge, Cambridge University Press.

[28] Nathan Rosenberg (1991) “Critical Issues in Science Policy Research” [Opening Address to the SPRU 25th Anniversary Conference], Science and Public Policy, Vol 18, n°6, p. 335-346.

[29] Richard Nelson (1959) “The simple economics of basic scientific research”, Journal of Political Economy, n°67, p. 297–306.

[30] Richard Nelson (ed.) (1962) The Rate and Direction of Inventive Activity : Economic and Social Factors, NBER Special Conference Series, Princeton, Princeton University Press.

[31] Richard Nelson et Sidney G. Winter (1977), “In search of a useful theory of innovation”, Research Policy vol.6, n°1, p.36–76.

[32] Richard Nelson and Sidney G. Winter (1982) An Evolutionary Theory of Economic Change, Cambridge, Harvard University Press.

[33] Richard Nelson (ed) (1993) National Innovation Systems- A Comparative Analysis, Oxford, Oxford University Press. François Chesnais y a écrit “The French National System of Innovation”, p. 192-229.

[34] Marc Humbert (ed.) (1993) The Impact of Globalisation on Europe's Firms and Industries, London, Pinter, François Chesnais y a écrit “Globalization, world oligopoly and some of their implication”, p. 12- 21.

[35] François Chesnais (coord.) (1992) La technologie et l'économie – les relations déterminantes, Paris, OCDE. Il avait aussi poussé à la création en 1986 d'une revue STI Science Technologie et Industrie publiée en français et en anglais (elle a disparu en tant que revue en 1994) voir François Chesnais (1986) « Science Technologie et Compétitivité » Revue STI n° 1, Automne.

[36] Schumpeter a écrit en 1911 Theorie der wirtschaftlichen Entwicklung, eine Untersuchung über Unternehmergewinn, Kapital, Kredit, Zins und den Konjunkturzyklus.( Théorie de l'évolution économique. Recherche sur le profit, le crédit, l'intérêt et les cycles) publié à Berlin en 1912 par Duncker et Humblot.

[37] Ouvrage déjà cité (Joseph Schumpeter,1939, op.cit.). Il n'y a pas un mot sur les cycles longs et sur les soixante-quatre que compte l'ouvrage il n'y a pas un seul encadré sur le sujet malgré le succès de cette référence parmi les économistes du courant néo-technologique et néo-schumpétérien, surtout après la publication de Christopher Freeman (1984) Long Waves in the World Economy, London, Pinter, ouvrage qui lui figure cependant en bibliographie.

[38] Joseph Schumpeter (1942) Capitalism Socialism and Democracy, New York, Harpers and Brothers.

[39] Bernard Billaudot (2022) Économie – Passé, présent, avenir, Paris, Classiques Garnier. Schumpeter ne figure pas dans l'index des Auteurs. Voir mon commentaire de son ouvrage : Marc Humbert (2023) « Etudier l'ordre économique moderne avec Bernard Billaudot » L'Economie Politique, n° 98, Mai, p. 104-112.

[40] Dans François Chesnais (2019) « Capitalisme, théorie des ondes longues et technologie contemporaine », Contretemps, Décembre, Il a noté que les ondes longues à la Kondratiev avaient été cependant en premier reprises par des marxistes comme Mandel l'avait revendiqué dans un ouvrage publié en 1980 (Ernst Mandel (1980) Long Waves of Capitalist Development, A Marxist Interpretation, Cambridge, Cambridge University Press) mais que seuls les néo-schumpétériens en ont fait usage.

[41] François Chesnais (1982) “Schumpeterian recovery and the Schumpeterian Perspective – Some Unsettled Issues and Alternative Interpretation” in Herbert Giersch (Ed.), Emerging Technologies : Consequences for Economic Growth, Structural Change and Employment, Tübingen J.C.B. Mohr.

[42] François Chesnais (1967) « La contradiction entre les forces productives et les rapports sociaux de production et ses traits spécifiques dans le cadre du système capitaliste », La Vérité, p 12- 22. La citation tirée de la page 17.

[43] Schumpeter introduit ce concept « d'ouragan de destruction créatrice » dans l'édition de 1950 de Capitalisme Socialisme et Démocratie.

[44] Je traduis ici ce passage qui a été écrit en anglais et où les italiques sont de l'auteur : « while MNEs are obviously active agents in the process of internationalization and even architects of some aspects of the process, and must consequently be analysed in their own right, they are, nonetheless, responding to an overall set of factors over which they have in fact little or no control and which all stem from the basic mechanisms driving the historical process of capitalist development. One of these mechanisms is the development (in a contradictory, antagonixtice and unequal manner) of the forces of production, among which science and technology play an increasingly quite central role”.

[45] Voir par exemple Henri Ergas (1984) “ Why Do Some Countries Innovate More Than Others” CEPS Paper, n°5, Centre for European Policies Studies, Bruxelles. Et encore : Henri Ergas (1987) “Does Technology Policy Matter” in B.R. Guile and H. Brooks eds, Technology and Global Industry, Washington National Academy Press.

[46] Entraînant une insuffisance de la demande ou dit autrement une crise de réalisation, voir p. 45 in Francois Chesnais (2016) “The entry in a totally new historical period » in Helena Lastres et al., op. cit..

[47] François Chesnais (2022) « De la stagnation à la régression ? Le capitalisme mondial dans l'impasse », Contretemps, Janvier.

[48] Note manuscrite à mon intention et de la part du collectif par François Chesnais sur l'exemplaire qu'il m'a donné de François Chesnais (Coord.) (1996) La mondialisation financière- Genèse, coût et enjeux, Paris, Syros.

[49] Entretien publié en janvier 2023 par la Revue en ligne Contretemps qui le livre comme un inédit de François Chesnais (2023) « François Chesnais, théoricien de la mondialisation du capital et de la finance », janvier.

[50] François Chesnais (2016) Finance Capital Today. Corporations and Banks in the Lasting Global Slump, Leiden and Boston, Brill.

[51] François Chesnais (2008) « La crise climatique va se combiner avec la crise du capital » Inprecor n°541-542, septembre-octobre.

[52] Il donne cette indication p. 39 dans son texte qui a été publié (p. 39-63) en 2015 in José Cassiolato et al., (2015) Sustentabilidade etc., op.cit.

[53] Il cite un article de Jason Moore (2014) où le concept avait tout d'abord été avancé et l'ouvrage de 2015 : Jason Moore (2015) Capitalism in the Web of Life, Ecology and the Accumulation of Capital, London, Verso.

[54] Ce texte déjà cité se trouve dans Francois Chesnais “ The entry in a totally new historical period ». (p. 38 – 57) in Helena Lastres et al. (2016) O Futuro do Desenvolvimento etc., op.cit.

[55] Je cite François Chesnais dans Chesnais (2019, op.cit.) au moment où il reprend une partie d'une citation un peu plus longue de Mandel, très éclairante et qui est la suivante, tirée de l'introduction de Mandel à l'édition anglaise du livre III du Capital :« La barbarie, comme résultat possible de l'effondrement du système, est aujourd'hui une perspective beaucoup plus concrète et précise qu'elle ne l'était dans les années vingt et trente. Même les horreurs d'Auschwitz et d'Hiroshima apparaîtront légères par rapport aux horreurs avec lesquelles une dégradation continue du système confrontera l'humanité. Dans ces circonstances, la lutte pour une issue socialiste prend l'importance d'une lutte pour la survie même de la civilisation humaine et de la race humaine. » Mandel, Introduction au livre III du Capital, Penguin, Londres, 1981, pp. 87-89. Traduction de François Chesnais.

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Médias. Les grèves se multiplient dans les journaux américains

6 février 2024, par Courrier international — , ,
Après les journalistes de la presse nationale, comme le “Los Angeles Times”, ou des magazines du groupe Condé Nast, c'est au tour de ceux de la presse régionale américaine de (…)

Après les journalistes de la presse nationale, comme le “Los Angeles Times”, ou des magazines du groupe Condé Nast, c'est au tour de ceux de la presse régionale américaine de se mettre en grève pour dénoncer les coupes claires dans leurs budgets et leurs effectifs, et exiger des hausses de salaires.

01 février 2024 | tiré du Courrier international
https://www.courrierinternational.com/article/medias-les-greves-se-multiplient-dans-les-journaux-americains

Des quotidiens américains en vente dans un kiosque du quartier de Soho, à Manhattan, le 23 janvier 2024.Des quotidiens américains en vente dans un kiosque du quartier de Soho, à Manhattan, le 23 janvier 2024. AHMED GABER/THE NEW YORK TIMES
C'est peu dire que la presse américaine se porte mal. La semaine dernière, c'est l'annonce d'un vaste plan social au sein du plus grand quotidien de la côte ouest américaine, le Los Angeles Times, qui faisait les gros titres.

Cette semaine, c'est au tour des journalistes de la presse régionale de se mettre en grève, et en particulier “ceux des titres appartenant au groupe Tribune Publishing, racheté en 2021 par le fonds spéculatif Alden Global Capital”, rapporte The Washington Post, qui suit de près les mouvements sociaux en cours dans les médias américains et dont la rédaction a été ébranlée par une grève de vingt-quatre heures au début du mois de décembre 2023 ainsi que par de nombreux départs de journalistes.

LIRE AUSSI : Médias. Ces milliardaires qui voulaient sauver la presse américaine, mais perdent des fortunes

Débrayage dans sept rédactions

Ce jeudi 1er février, “les employés de sept rédactions, dont celle du Chicago Tribune, du Orlando Sentinel et du Virginian-Pilot vont débrayer pour protester contre le refus de leur accorder des hausses de salaire indexées sur l'augmentation du coût de la vie et en raison des menaces qui pèsent sur leurs plans d'épargne-retraite par capitalisation”.

Cette mobilisation intervient alors que les rédactions du groupe Tribune Publishing ont connu ces dernières années d'importantes hémorragies de personnel, précise le quotidien de la capitale fédérale américaine. Ainsi, au Chicago Tribune, le nombre de reporters a été divisé par plus de deux depuis 2019, tandis qu'au Orlando Sentinel “la rédaction autrefois composée de 55 journalistes et photographes ne compte désormais plus que 32 salariés syndiqués”.

Vagues de licenciements

Les médias américains ont été confrontés à de nombreux défis ces dernières années, rappelle le Washington Post. Ils ont notamment dû affronter “la baisse de leurs revenus publicitaires, une chute du nombre de leurs abonnés, ainsi que des vagues successives de licenciements”.

Au Los Angeles Times, c'est 115 journalistes qui ont été licenciés la semaine dernière, soit plus de 20 % des effectifs de la rédaction. Le Washington Post, lui, a traversé à la fin de l'année dernière un plan de départs volontaires qui a concerné quelque 240 salariés, soit une réduction de 10 % de ses effectifs.

Et “les médias appartenant au groupe Tribune Publishing ont été encore davantage décimés”, depuis le rachat par Alden Global Capital, souligne le Washington Post. Ce qui vaut à ce fonds spéculatif d'être surnommé la “grande faucheuse des journaux”.

Courrier international

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La menace climatique est sous-estimée, faute de financements scientifiques

6 février 2024, par Vincent Lucchese — ,
La recherche sur les conséquences climatiques de la fonte des terres gelées du pergélisol, potentiellement dévastatrices, patine, faute de financements suffisants. 29 (…)

La recherche sur les conséquences climatiques de la fonte des terres gelées du pergélisol, potentiellement dévastatrices, patine, faute de financements suffisants.

29 jnavier 2024 | tiré de Reporterre.net
https://reporterre.net/La-menace-climatique-est-sous-estimee-faute-de-financements-scientifiques

Dessin Erwann Richard

Le péril climatique planétaire est peut-être encore plus menaçant qu'on le pensait jusqu'alors. Ou peut-être pas. Pour en être sûr, il y a urgence à améliorer les modèles climatiques pour en résorber les plus grosses lacunes. Mais ce défi patine, faute de financements adéquats. C'est le message qu'ont asséné dans la revue Nature Climat Change, le 18 janvier, une douzaine de chercheurs étasuniens et européens.

Ce qui focalise leurs inquiétudes : le pergélisol. Aussi appelé permafrost, ce terme désigne les terres gelées en permanence. Elles contiennent énormément de matière organique, qui libère de fortes quantités de carbone dans l'atmosphère, à mesure que le changement climatique provoque leur dégel.

Une bombe climatique difficile à évaluer

« De nombreuses études de terrain et de laboratoire ont fourni des résultats solides montrant que les émissions de gaz à effet de serre issues du pergélisol étaient en train d'accélérer », alerte Christina Schädel, chercheuse au Woodwell Climate Research Center, aux États-Unis, et autrice principale de l'article.

Ce dernier rappelle les chiffres vertigineux qui sont en jeu : le pergélisol contiendrait environ deux fois plus de carbone que l'on en trouve actuellement dans l'atmosphère. Et la région arctique se réchauffe extrêmement vite, quatre fois plus rapidement que la moyenne mondiale. L'ennui, c'est que les chercheurs ont énormément de mal à anticiper à quelle vitesse ces territoires complexes pourraient relâcher leur carbone. Les estimations vont de 22 milliards à 524 milliards de tonnes de CO2 qui pourraient passer du pergélisol vers l'atmosphère d'ici la fin du siècle.

À mettre en parallèle avec le budget carbone qu'il nous reste : pour espérer limiter le réchauffement global à 1,5°C, il ne faudrait pas émettre plus de 275 milliards de tonnes de CO2, selon le Global Carbon Project. La large incertitude planant sur la quantité d'émissions à venir via le pergélisol est donc très problématique : selon le chiffre retenu, on passe de moins d'un dixième à près du double de ce budget.

« L'urgence absolue » de meilleurs modèles

La communauté scientifique a bien conscience de cet enjeu, puisqu'elle identifie le pergélisol comme l'une des importantes boucles de rétroaction climatique, qui pourraient accélérer le réchauffement : plus il fait chaud, plus ces terres dégèlent et envoient dans l'atmosphère des gaz à effet de serre, qui accentuent le réchauffement, donc le dégel... et ainsi de suite.

Le dernier rapport du Giec prend d'ailleurs en compte les émissions liées au pergélisol dans ses estimations du budget carbone restant, mais souligne que de grandes incertitudes persistent sur la quantité et la temporalité du relâchement de ce carbone. Surtout, notent les chercheurs dans Nature Climate Change, ces estimations se fondent sur des études solides, mais le carbone du pergélisol est très peu intégré aux modèles globaux, qu'on appelle les modèles du système Terre (ou Earth System Models, ESM).

Le risque est donc de sous-estimer les interactions et rétroactions liées à ces émissions possibles à l'échelle planétaire. D'où « l'urgence absolue », selon eux, d'améliorer les modèles. Or, cette mission prioritaire se trouve entravée par un manque de moyens et par la manière même dont la science est financée. La plupart des grands projets le sont sur la base de contrats de trois ans, ce qui laisse trop peu de temps aux chercheurs pour se former, développer et améliorer des ESM avant de devoir partir vers de nouveaux projets, expliquent-ils.

« Les chercheurs doivent aller chercher des bouts de financements ici et là, ce qui ralentit considérablement le travail »

Une plainte qui rejoint celle des nombreux directeurs de laboratoires de recherche français, qui dénoncent la précarisation de leur travail et l'absence de postes pérennes. « Nous avons des programmes de recherche européens sur cinq ans ou des programmes et équipements prioritaires de recherche qui se développent maintenant sur dix ans, mais la majorité des chercheurs doit tout de même travailler sur des programmes de trois ou quatre ans », confirme Philippe Bousquet, directeur du laboratoire des sciences du climat et de l'environnement à l'université Paris-Saclay.

« Aux États-Unis, ils sont davantage habitués à cette précarité des financements. Que même eux en aient marre, c'est un vrai signal qu'on atteint une limite », ajoute-t-il. Ce que nous confirme également Christina Schädel : « Pour le moment, on n'a pas les financements nécessaires pour répondre à tous les besoins. Les chercheurs doivent aller chercher des bouts de financements ici et là, ce qui ralentit considérablement le travail ».

« Nous avons besoin de projets de recherche plus longs pour pouvoir récolter des données et améliorer les modèles sur le long terme. Avoir des financements plus consistants pour les chercheurs leur permettrait de se concentrer sur leur recherche au lieu de courir après les dollars pour tenter de survivre quelques années de plus », soupire Christina Schädel.

« Il faut environ 10 millions de dollars par modèle »

Développer et améliorer des ESM mobilise en outre de nombreuses compétences et une multitude de domaines de recherches. Il faut des modélisateurs compétents, les ressources informatiques adéquates et l'expertise scientifique. Autant d'éléments qui existent déjà, mais qui nécessitent de trouver plusieurs millions de dollars pour pouvoir embaucher ces chercheurs et leur donner les moyens de développer des modèles, écrivent les auteurs de l'article. « Il faut environ 10 millions de dollars par modèle », compte Christina Schädel.

La fonte du pergélisol peut entraîner des glissements de terrain. Flickr / CC0 1.0 Deed / US Geological Survey

Les moyens nécessaires sont à la hauteur de la complexité de l'objet d'étude. Le pergélisol est constitué de terrains très hétérogènes, difficiles à modéliser. La plupart des modèles actuels prévoient par exemple que les terres s'assèchent après la fonte des glaces qu'ils contiennent, en contradiction avec les observations qui montrent par endroit la survenue d'inondations, voire l'apparition de nouveaux lacs après un dégel. À cette variété de situations s'ajoutent des changements abrupts. La fonte entraîne une érosion, voire des affaissements de terrains, qui ont pour effet d'augmenter de 40 % les émissions de carbone de ce pergélisol, indique l'étude publiée dans Nature Climat Change.

Un sujet majeur pour le prochain rapport du Giec

La structure du pergélisol, la mosaïque de lacs, failles, terrains accidentés, joue sur le gaz qui sort et sur le destin du changement climatique. La plus fine modélisation de ces phénomènes est notamment cruciale pour comprendre en quelle proportion la matière organique de ces sols va se libérer sous forme de CO2 ou de méthane (CH4), gaz au pouvoir réchauffant sur un siècle vingt-huit fois plus important que le CO2.

« On avance pas à pas. Les premiers modèles climatiques, dans les années 1970, représentaient juste l'atmosphère et l'océan, qui était réduit à une sorte de mare profonde. Puis, on a ajouté les surfaces continentales, la végétation… Il manque encore le pergélisol, qui est un sujet majeur pour le prochain rapport du Giec », complète Philippe Bousquet.

De nombreux autres défis attendent d'ici là les modélisateurs. La manière dont les plantes vont davantage pousser avec le dégel du pergélisol ou l'impact des mégafeux sur cette végétation et ces sols font partie des problèmes à ajouter à la liste des interrogations.

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L’extraction de matières premières augmentera de 60 % d’ici à 2060, selon un rapport des Nations unies

6 février 2024, par The Guardian — ,
L'extraction mondiale de matières premières devrait augmenter de 60 % d'ici à 2060, avec des conséquences désastreuses pour le climat et l'environnement, selon une analyse (…)

L'extraction mondiale de matières premières devrait augmenter de 60 % d'ici à 2060, avec des conséquences désastreuses pour le climat et l'environnement, selon une analyse inédite des Nations unies dont le Guardian a eu connaissance.

Larges extraits de cet article du Guardian.

L'extraction des ressources naturelles a augmenté de près de 400 % depuis 1970 en raison de l'industrialisation, de l'urbanisation et de la croissance démographique, selon une présentation du rapport quinquennal Global Resource Outlook des Nations unies faite aux ministres de l'UE la semaine dernière.

L'exploitation des ressources naturelles de la Terre est déjà responsable de 60 % des effets du réchauffement climatique (NDLR, je souligne), y compris le changement d'affectation des sols, de 40 % des effets de la pollution atmosphérique et de plus de 90 % du stress hydrique mondial et de la perte de biodiversité liée aux terres, indique le rapport, qui doit être publié en février.

[…]

Le rapport donne la priorité aux mesures d'équité et de bien-être humain plutôt qu'à la seule croissance du PIB et propose des mesures visant à réduire la demande globale plutôt que de se contenter d'augmenter la production "verte".

Les véhicules électriques, par exemple, utilisent près de 10 fois plus de "matières premières essentielles" que les voitures classiques, et pour parvenir à des émissions nettes nulles dans les transports d'ici 2050, il faudrait multiplier par six l'extraction de minéraux essentiels en l'espace de 15 ans.

L'augmentation du travail à distance, l'amélioration des services locaux et les options de transport à faible émission de carbone telles que les vélos et les trains pourraient être aussi efficaces que l'augmentation de la production de véhicules pour répondre aux besoins de mobilité des personnes, avec des incidences environnementales moins néfastes, selon le rapport.

"La décarbonisation sans découpler la croissance économique et le bien-être de l'utilisation des ressources et des impacts environnementaux n'est pas une réponse convaincante et l'accent actuellement mis sur l'assainissement de l'offre doit être complété par des mesures du côté de la demande ", a déclaré M. Potočnik.

Une grande partie de la crise du logement en Europe pourrait être résolue en faisant un meilleur usage des logements vides, des espaces sous-utilisés et d'une vie plus axée sur la communauté, plutôt qu'en construisant davantage de maisons sur des terrains vierges, selon le document.

Ce type d'"efficacité systémique des ressources" pourrait accroître l'équité et réduire les émissions de gaz à effet de serre de plus de 80 % d'ici à 2060, par rapport aux niveaux actuels. Selon le rapport, les besoins en matériaux et en énergie pour la mobilité pourraient être réduits de plus de 40 % et ceux pour la construction d'environ 30 %.

[…]

Les initiés affirment que l'UE est le groupe de pays développés le plus susceptible de soutenir une telle politique, les États-Unis, le Japon, l'Australie et le Canada étant tous opposés à un tel objectif.

En moyenne, l'empreinte matérielle annuelle des Européens est de 15 tonnes par personne, la Finlande arrivant en tête avec 46 tonnes par habitant et les Pays-Bas en queue de peloton avec 7 tonnes par habitant.

La Finlande produit également le plus de déchets par personne dans l'UE (20 993 kg), tandis que la Croatie en produit le moins (1 483 kg). En 2020, l'empreinte de déchets du citoyen européen moyen était de 4 815 kg.

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L’industrie des combustibles fossiles était au courant du danger climatique dès 1954

6 février 2024, par Olivier Milman — ,
31 janvier 2024 | tiré du site alencontre.org https://alencontre.org/ecologie/lindustrie-des-combustibles-fossiles-etait-au-courant-du-danger-climatique-des-1954.html (…)

31 janvier 2024 | tiré du site alencontre.org
https://alencontre.org/ecologie/lindustrie-des-combustibles-fossiles-etait-au-courant-du-danger-climatique-des-1954.html

L'industrie des combustibles fossiles a financé certaines des recherches les plus fondamentales sur le climat dès 1954, selon des documents récemment mis au jour, notamment les premières recherches de Charles Keeling, célèbre pour la « courbe de Keeling » qui a permis de suivre la progression des niveaux de dioxyde de carbone sur la Terre.

Les documents révèlent qu'une coalition d'intérêts pétroliers et automobiles a versé 13 814 dollars (environ 158 000 dollars en valeur actuelle) en décembre 1954 pour financer les premiers travaux de Charles Keeling sur la mesure des niveaux de CO2 dans l'ouest des Etats-Unis.

Charles Keeling a ensuite établi la mesure continue du CO2 mondial depuis l'observatoire de Mauna Loa, à Hawaï. Cette « courbe de Keeling » (voir graphique ci-dessous) a permis de suivre l'augmentation constante du carbone atmosphérique à l'origine de la crise climatique. Elle a été saluée comme l'un des travaux scientifiques les plus importants des temps modernes.

Les compagnies de combustibles fossiles ont soutenu un groupe, connu sous le nom de Air Pollution Foundation, qui a octroyé des fonds à Charles Keeling pour mesurer le CO2 dans le cadre d'un effort conjoint de recherche sur le smog [brouillard grisâtre urbain lié au mélange de particules fines et d'ozone] qui, à l'époque, sévissait régulièrement à Los Angeles. Ces travaux sont antérieurs à tous les travaux de recherche sur le climat financés par des compagnies pétrolières.

Dans la requête de recherche pour le financement – découverte par Rebecca John, chercheuse au Climate Investigations Center, et publiée par le site web sur le climat DeSmog – le directeur de recherche de Charles Keeling, Samuel Epstein, mentionnait une nouvelle analyse des isotopes du carbone qui pourrait identifier les « changements dans l'atmosphère » causés par la combustion du charbon et du pétrole.

« Les possibles conséquences d'un changement de la concentration de CO2 dans l'atmosphère sur le climat, sur les taux de photosynthèse [des plantes] et sur les niveaux de compensation avec le carbonate des océans pourraient finalement s'avérer d'une importance considérable pour la civilisation », a précisé en novembre 1954 Samuel Epstein, chercheur au California Institute of Technology (Caltech), à la Air Pollution Foundation.

Selon les experts, ces documents montrent que l'industrie des combustibles fossiles a été étroitement associée à la création de la science moderne du climat, ainsi qu'à ses mises en garde contre les graves conséquences du changement climatique. Par la suite, elle a rejeté publiquement cette science pendant des décennies et financé des initiatives continues visant à retarder l'adoption de mesures pour lutter contre la crise climatique.

« Ces documents contiennent la preuve irréfutable qu'en 1954 au plus tard l'industrie des combustibles fossiles savait que ses activités pouvaient perturber le climat de la Terre à une échelle significative pour la civilisation humaine », a déclaré Geoffrey Supran, expert en désinformation historique sur le climat à l'Université de Miami. « Ces résultats confirment de manière saisissante que les grandes sociétés pétrolières ont suivi de près la science climatique universitaire pendant 70 ans – soit deux fois plus que ma vie – et rappellent qu'elles continuent de le faire à ce jour. Ce suivi rend ridicule le déni par l'industrie pétrolière, des décennies plus tard, de la science climatique fondamentale. »

Des enquêtes antérieures portant sur des documents publics et privés ont révélé que les grandes compagnies pétrolières ont passé des décennies à mener leurs propres recherches sur les conséquences de la combustion de leurs hydrocarbures, souvent avec une précision surprenante. Une étude réalisée l'année dernière a révélé que les scientifiques d'Exxon avaient fait des prévisions d'une précision « époustouflante » sur le réchauffement de la planète dans les années 1970 et 1980 .

Les documents récemment découverts montrent maintenant que l'industrie connaissait l'impact potentiel du CO2 sur le climat dès 1954 grâce, notamment, aux travaux de Charles Keeling, un chercheur de Caltech alors âgé de 26 ans qui effectuait un travail de recherche en mesurant les niveaux de CO2 en Californie et dans les eaux de l'océan Pacifique. Rien n'indique que le financement de ces recherches par les compagnies du pétrole et du gaz ait faussé ses résultats de quelque manière que ce soit.

Les résultats de ces travaux allaient conduire le scientifique américain à mener d'autres expériences sur le volcan Mauna Loa, à Hawaï, qui allaient permettre de dresser un état des lieux permanent de la composition du dioxyde de carbone, qui augmente dangereusement dans le monde.

Charles Keeling est décédé en 2005, mais ses travaux fondamentaux sont toujours d'actualité. Actuellement, la teneur en CO2 de l'atmosphère terrestre est de 422 parties par million, soit près d'un tiers de plus que lors de la première mesure effectuée en 1958, et un bond de 50% par rapport aux niveaux préindustriels.

Ce relevé essentiel du principal gaz qui retient la chaleur et qui a poussé les températures mondiales à des niveaux jamais atteints par la civilisation humaine est né, en partie, grâce au soutien de l'Air Pollution Foundation.

Au total, 18 entreprises automobiles, dont Ford, Chrysler et General Motors, ont alloué des fonds à la fondation. D'autres entités, dont des banques et des secteurs du négoce, ont également contribué au financement.

Par ailleurs, une note de 1959 identifie l'American Petroleum Institute (API), le principal organisme de lobbying du pétrole et du gaz aux Etats-Unis, et la Western Oil and Gas Association, aujourd'hui connue sous le nom de Western States Petroleum Association, comme des « contributeurs majeurs au financement de l'Air Pollution Foundation (APF) ». On ne sait pas exactement quand l'API a commencé à financer l'APF, mais elle avait un représentant au sein d'un comité de recherche dès la mi-1955.

Une communication de politique générale de l'Air Pollution Foundation datant de 1955 qualifie le problème de la pollution atmosphérique, causée par les émissions des voitures, des camions et des installations industrielles, de « l'un des plus graves auxquels sont confrontées les zones urbaines de Californie et d'ailleurs ». Elle précise que le problème sera traité par « une recherche diligente et honnête des faits, par une action sage et efficace ».

Les documents mis au jour proviennent des archives de Caltech, des archives nationales américaines, de l'Université de Californie à San Diego et de journaux de Los Angeles des années 1950, et représentent ce qui pourrait être le premier cas où l'industrie des combustibles fossiles est informée des conséquences potentiellement désastreuses de son modèle d'affaires.

Selon Carroll Muffett, directeur général du Center for International Environmental Law, l'industrie pétrolière et gazière s'est d'abord intéressée à la recherche sur le smog et d'autres polluants atmosphériques directs avant de s'intéresser aux effets du changement climatique.

« On en revient toujours à l'industrie pétrolière et gazière, qui était omniprésente dans ce milieu », a-t-il déclaré. « L'industrie n'était pas seulement au courant, mais profondément consciente des implications potentielles de ses produits sur le climat depuis près de 70 ans. »

Selon Carroll Muffett, ces documents donnent un nouvel élan aux efforts déployés dans diverses juridictions pour tenir les entreprises pétrolières et gazières légalement responsables des dommages causés par la crise climatique. « Ces documents parlent d'émissions de CO2 ayant des implications planétaires, ce qui signifie que cette industrie a compris très tôt que la combustion de combustibles fossiles avait des conséquences à l'échelle planétaire. Il existe des preuves accablantes que l'industrie pétrolière et gazière a trompé le public et les régulateurs sur les risques climatiques de leurs activités pendant 70 ans. Il est irresponsable de leur faire confiance pour faire partie des solutions. Nous sommes désormais entrés dans une ère de contrôle et d'exigence de rendre des comptes. »

L'API et Ralph Keeling, le fils de Charles Keeling qui est également scientifique, ont été contactés pour commenter les documents mais n'ont pas répondu. (Article publié par The Guardian le 30 janvier 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)

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Ukraine : « Notre syndicat protège les travailleurs sous la loi martiale »

6 février 2024, par Volodymyr Kozelsky — , ,
Depuis l'agression armée de la Fédération de Russie contre l'Ukraine, « Ukrzaliznytsia » (Chemins de fer ukrainiens), en tant qu'entreprise d'infrastructure essentielle, assure (…)

Depuis l'agression armée de la Fédération de Russie contre l'Ukraine, « Ukrzaliznytsia » (Chemins de fer ukrainiens), en tant qu'entreprise d'infrastructure essentielle, assure le transport des passagers et des marchandises 24 heures sur 24. Les employés des chemins de fer contribuent à la capacité de défense de l'État par leur travail héroïque pendant les hostilités et les bombardements.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Avant la guerre, le syndicat VPZU, ainsi que d'autres organisations syndicales opérant dans le secteur ferroviaire ukrainien, négociait constamment avec l'administration d'« Ukrzaliznytsia » pour améliorer les conditions de travail des cheminots et augmenter leurs salaires. En outre, afin de réglementer la protection juridique et sociale des droits du travail des membres du syndicat, les organes élus du VPZU ont formulé des propositions d'actes réglementaires, qui ont ensuite été soumises aux comités compétents du Conseil suprême de l'Ukraine.

La VPZU est membre de l'organe représentatif conjoint des syndicats opérant à « Ukrzaliznytsia » en vue de la signature d'une nouvelle (première) convention collective pour l'entreprise, mais actuellement, en raison de la loi martiale dans le pays, les activités de cet organe ont été suspendues.

De 2014 à 2024, pendant l'agression armée russe, les relations avec un certain nombre d'organisations syndicales de la VPZU dans les régions de Luhansk, Donetsk et Zaporizhzhia et dans la République autonome de Crimée ont été rompues.

Notre syndicat est une organisation indépendante à but non lucratif qui rassemble des citoyens ayant des intérêts communs dans le cadre de leurs activités professionnelles. La VPZU a le statut d'une organisation publique/syndicale à l'échelle de l'Ukraine, organisée sur une base territoriale.

Les unités organisationnelles du syndicat sont les suivantes :
– Les organisations syndicales de base sont des associations volontaires de membres de syndicats qui travaillent dans la même entreprise ;
– les organisations syndicales locales et régionales ;
– les organisations syndicales de base dans les entreprises ferroviaires, les institutions et les organisations avec des subdivisions structurelles distinctes des chemins de fer ;
– les syndicats des entreprises, institutions ou organisations des secteurs du transport, de la construction et du métro ;
– les syndicats de base dans les entreprises, les institutions et les autres secteurs concernés.

La VPZU a confirmé sa représentativité au niveau sectoriel conformément à l'article 5 de la loi ukrainienne sur le dialogue social en Ukraine.

En outre, la VPZU comprend les employés de la société municipale Kyivpastrans (employés du dépôt de trolleybus et du parc d'autobus) à Kyiv, de la société municipale « Zhytomyr Tram et Trolleybus » à Zhytomyr, du « City trolleybus » à Kryvyi Rih, à Kamianske (région de Dnipropetrovsk), de la société municipale « Kharkiv Metro » à Kharkiv, où les travailleurs sont représentés par les organisations syndicales de la VPZU.

La VPZU est une organisation membre de la Confédération des syndicats libres d'Ukraine (KVPU) et coopère par solidarité avec le Syndicat indépendant des mineurs d'Ukraine (IMU), le Syndicat libre de l'éducation et de la science d'Ukraine (VPONU), le Syndicat libre des travailleurs de la santé d'Ukraine (VPMU), et le Syndicat libre des entrepreneurs [petits vendeurs de rue – ndlr] d'Ukraine (VPUU) et d'autres organisations de la confédération KVPU. Cette coopération prend la forme de :

* l'échange d'informations sur l'application de méthodes innovantes
* protection des droits des membres des syndicats en matière d'emploi ;
* des activités syndicales communes pour défendre les droits des membres
* syndicats dont les droits ont été violés par leurs employeurs respectifs ;
* des appels conjoints aux autorités publiques et aux médias sur les relations de travail en Ukraine.

Depuis le 24 février 2022, les organisations syndicales de la VPZU fonctionnent sous la loi martiale, assurant la protection juridique et publique des droits fondamentaux des travailleurs conformément à la législation ukrainienne en vigueur.

La VPZU fournit une assistance humanitaire permanente aux membres du syndicat ou aux citoyens touchés par la loi martiale et la guerre. Les organisations syndicales de la VPZU fournissent également de l'aide aux militaires, notamment de la nourriture, des vêtements chauds, diverses munitions militaires, etc.

C'est actuellement la tâche principale de la VPZU.

À cet égard, la VPZU souhaiterait qu'il soit possible de recevoir toute forme d'aide du mouvement ouvrier international, en fonction de ses ressources et de son budget, pour l'établissement de relations qui pourraient être construites à l'avenir.

Volodymyr Kozelsky, président du syndicat libre des chemins de fer ukrainiens, 12 janvier 2024

https://laboursolidarity.org/fr/europe/n/3021/notre-syndicat-protege-les-travailleurs-sous-la-loi-martiale

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Droit d’asile : enfin la reconnaissance du groupe social des femmes !

La Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) vient de reconnaître, dans un arrêt du 16 janvier 2024, que la violence à l'encontre des femmes fondée sur le genre est une (…)

La Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) vient de reconnaître, dans un arrêt du 16 janvier 2024, que la violence à l'encontre des femmes fondée sur le genre est une forme de persécution pouvant donner lieu en tant que telle à une protection. Il s'agit d'un pas important dans la reconnaissance du caractère structurel des violences faites aux femmes et de leurs droits à être protégées.

Tiré de Entre les lignes et les mots

À l'origine de cet arrêt de la CJUE, une ressortissante turque d'origine kurde, de confession musulmane et divorcée, explique avoir été mariée de force par sa famille, battue et menacée par son époux. Craignant pour sa vie si elle devait retourner en Turquie, elle a demandé l'asile en Bulgarie. Le juge bulgare, saisi de l'affaire, a décidé de poser des questions à la Cour de justice.

La Cour opère une grande avancée pour les femmes qui demandent l'asile. Selon elle, les textes européens doivent être interprétés dans le respect des conventions internationales relatives à la lutte contre les violences faites aux femmes telles que la convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (dite « CEDEF ») et la « Convention d'Istanbul ».

Or, la Convention d'Istanbul stipule que la violence à l'égard des femmes fondée sur le genre doit être reconnue comme une forme de persécution permettant l'octroi du statut de réfugié. La Cour relève par ailleurs que le fait d'être de sexe féminin constitue une caractéristique innée et que « il y a lieu de relever, en particulier, que le fait pour des femmes de s'être soustraites à un mariage forcé ou, pour des femmes mariées, d'avoir quitté leurs foyers, peut être considéré comme une « histoire commune qui ne peut être modifiée ».

La Cour indique par ailleurs que les femmes, dans leur ensemble, peuvent être regardées comme appartenant à un groupe social selon la Convention de Genève et bénéficier du statut de réfugié lorsqu'elles sont persécutées en raison de leur genre. C'est le cas si, dans leur pays d'origine, elles sont exposées, en raison de leur sexe, à des violences physiques ou psychologiques, y compris des violences sexuelles et domestiques. Jusqu'à présent, les femmes devaient démontrer appartenir à des groupes sociaux créés par la jurisprudence en France (personnes victimes de la traite des êtres humains, fillettes et jeunes filles risquant l'excision, personnes persécutées du fait de leur orientation sexuelle ou identité de genre, etc.)

Avec cette nouvelle analyse de la CJUE, les femmes victimes de violences et risquant le féminicide ou d'autres formes de violences devraient pouvoir prétendre à l'octroi d'une protection du seul fait d'être une femme, même en l'absence d'autre motif de persécution.

Les instances de l'asile doivent dès maintenant se saisir de cette décision pour accorder une protection aux femmes qui subissent des actes de persécution y compris des pratiques discriminatoires systématiques. Cette décision pourrait également permettre une harmonisation des protections accordées au niveau européen aux femmes victimes de persécutions parce qu'elles sont des femmes. Nos associations resteront particulièrement vigilantes sur l'interprétation qui sera faite de cet arrêt en France et veilleront au respect des droits et l'amélioration de la protection des femmes exilées.

1er février 2024

Signataires :
Les associations du réseau ADFEM (Actions et droit des femmes exilées et migrantes [1])
ARDHIS (Association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et trans à l'immigration et au séjour)
Centre Primo Levi
GAS (Groupe accueil et solidarité)

[1] La Cimade, Comede (Comité pour la santé des exilés), FASTI (Fédération des associations de solidarité avec tou·te·s les immigré·e·s), Femmes de la Terre, Fédération nationale des CIDFF, FNSF (Fédération nationale solidarité femmes), GISTI (Groupe d'information et de soutien des immigré·e·s), LFID (Ligue des femmes iraniennes pour la démocratie), RAJFIRE (Réseau pour l'autonomie des femmes immigrées et réfugiées)

http://www.gisti.org/spip.php?article7171
https://www.lacimade.org/presse/droit-dasile-enfin-la-reconnaissance-du-groupe-social-des-femmes/

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Oui à l’inscription du droit à l’IVG dans la constitution mais de façon réellement protectrice !

6 février 2024, par collectif « Avortement Europe : les femmes décident » — , ,
Le 24 janvier prochain le projet de loi constitutionnelle « relatif à la liberté de recourir à une interruption volontaire de grossesse » doit passer en première lecture à (…)

Le 24 janvier prochain le projet de loi constitutionnelle « relatif à la liberté de recourir à une interruption volontaire de grossesse » doit passer en première lecture à l'Assemblée nationale.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/01/26/oui-a-linscription-du-droit-a-livg-dans-la-constitution-mais-de-facon-reellement-protectrice/

Les féministes demandent depuis bien longtemps l'inscription du droit à l'IVG dans la Constitution française et, en sus, dans la Charte européenne des droits fondamentaux. Nous nous féliciterons de cette inscription. Après les attaques contre le droit à l'IVG dans de nombreux pays, elle doit établir une protection de ce droit qui peut s'avérer très fragile dans certaines circonstances politiques.

Qu'en est-il de la protection qui nous est proposée au travers du texte gouvernemental ?

Le texte qui sera soumis au vote des deux chambres et du congrès, reprenant à quatre mots près le texte voté au Sénat le 1er février 2023, stipule : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté garantie à la femme d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. » Nous dénonçons depuis longtemps le glissement sémantique partant de l'inscription d'un droit dans la Constitution vers l'exercice de la liberté déterminée par la loi, même si l'avis du Conseil d'Etat en date du 16 décembre dernier considère que « la consécration d'un droit à recourir à l'interruption volontaire de grossesse n'aurait pas une portée différente de la proclamation d'une liberté ».

Bien plus, ce futur alinéa 14 de l'article 34 de la Constitution (qui explicite ce qui relève de la loi) énonce qu'il y aura obligatoirement une loi sur le droit à l'avortement mais il ne garantit pas ce que sera le contenu de cette loi. Les régressions du droit à l'IVG par modification de la loi ou de textes réglementaires seront possibles, les moyens pour l'application de ce droit pourront être restreints. Un déremboursement ou une diminution des délais serait par exemple plausible par le biais d'une loi ordinaire.

La formulation de l'Assemblée nationale votée le 24 novembre 2022 édictait : « La loi garantit l'effectivité et l'égal accès au droit à l'interruption volontaire de grossesse. »

Elle nous semble bien plus protectrice et surtout elle aurait été placée à l'article 66 de la Constitution (qui protège les libertés individuelles contre l'arbitraire), dont elle aurait constitué l'alinéa 2, ce qui l'aurait située au même niveau que l'interdiction de la peine de mort. Le droit à l'avortement est un droit fondamental. Les droits des femmes sont fondamentaux pour toute démocratie.

Le contexte politique actuel est marqué par une très forte poussée de l'extrême droite en France et à l'international. Plusieurs événements récents concernant le droit à l'avortement nous alertent.

La loi Gaillot du 2 mars 2022, « visant à renforcer le droit à l'avortement », élargit les compétences des sages femmes à la pratique des IVG instrumentales en établissements de santé, favorisant ainsi l'accès aux soins et le choix des femmes aux différentes techniques. Mais le décret d'application, publié au JO le 17 décembre 2023 (près de deux ans après !), vient contredire la loi car les conditions faites aux sages-femmes, imposant la présence de quatre médecins, leur interdit quasiment tout pratique et pourrait remettre en question celle des médecins en centres de santé et même dans certains établissements hospitaliers.

Le 5 janvier 2024, l'ancienne éphémère ministre de la Santé par intérim, Agnès Firmin Le Bodo, visitait l'institut Jérôme Lejeune, lié à la fondation Jérôme Lejeune, fer de lance, entre autres, du combat contre le droit à l'avortement. Elle allait jusqu'à les féliciter pour leur action.

Dernier événement : lors de sa conférence de presse du 16 janvier 2024, le président Macron annonce sa volonté que son gouvernement mène une politique nataliste.

Ces événements sont de très mauvais signaux pour la défense du droit à l'avortement et pour les droits des femmes en général.

En outre, la nomination de Catherine Vautrin, manifestante contre le mariage homosexuel avec la manif pour tous, opposante en 2017 au vote du délit d'entrave numérique à l'IVG, au ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités n'est pas pour nous rassurer.

Nous serons très vigilantes et continuerons à nous mobiliser pour toutes les solidarités. Nous refusons ces dérives anti démocratiques alignées sur l'extrême droite.

A la veille des élections européennes, l'inscription protectrice du droit à l'avortement et son effectivité dans la Constitution française et dans la Charte européenne des droits fondamentaux doit rester une priorité pour les droits des femmes.

Le collectif Avortement en Europe, les femmes décident
Paris, le 24 janvier 2024
https://www.ldh-france.org/oui-a-linscription-du-droit-a-livg-dans-la-constitution-mais-de-facon-reellement-protectrice/

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Adriana Vieira : « Les solutions à la crise climatique sont dans les territoires »

6 février 2024, par Adriana Vieira, Bianca Pessoa — , ,
Une militante de la MMF au Brésil parle de l'exploitation capitaliste de la nature et des solutions féministes à la crise climatique Tiré de Capiré (…)

Une militante de la MMF au Brésil parle de l'exploitation capitaliste de la nature et des solutions féministes à la crise climatique

Tiré de Capiré
https://capiremov.org/fr/entrevue/adriana-vieira-les-solutions-a-la-crise-climatique-sont-dans-les-territoires/
17/01/2024 |
Interview réalisée par Bianca Pessoa

Adriana Vieira est membre de la Marche Mondiale des Femmes à Rio Grande do Norte, au Brésil. Elle a commencé son activisme dans la communauté rurale où elle vivait, dans la ville de Baraúna, en participant aux activités du Conseil communautaire : « J'ai commencé à participer à un groupe de jeunes qui organisaient la bibliothèque de l'école et, plus tard, à participer à l'union rurale. À partir du travail au syndicat, nous avons commencé à participer à la commission des femmes. C'était au moment de la mobilisation pour la première action internationale de la Marche en 2000. » Adriana a participé à toutes les actions depuis lors : « ma trajectoire de lutte est bien mélangée à celle de la Marche Mondiale des Femmes ».

Au cours de l'interview, Adriana parle de l'exploitation capitaliste de la nature, des impacts de cette exploitation sur la vie des femmes et des nombreuses stratégies des femmes pour défendre leurs territoires et leur biodiversité. Vous pouvez écouter l'interview dans son intégralité en portugais ci-dessous :

Comment voyez-vous la crise climatique au Brésil aujourd'hui, compte tenu des revers des six dernières années de coup d'État et de gouvernements d'extrême droite ? Que faut-il pour changer la relation prédatrice avec la nature ?

En fait, ce que nous voyons, ce sont des nomenclatures — « crise climatique », « crise environnementale », « urgence climatique » — pour quelque chose que nous devrions donner d'autres noms : exploitation du capitalisme, exploitation de la nature et exploitation de la vie et des biens communs. En d'autres termes, il est beaucoup plus compréhensible de comprendre ce que signifie cette crise climatique. Cela a à voir avec une crise du capitalisme, qui a besoin de profiter davantage, il a donc besoin de créer des noms et même de créer les crises elles-mêmes.

Au Brésil, au cours des six dernières années, il y a eu une très grande cession de la nature, avec une privatisation des biens communs, qu'il s'agisse de la forêt, de l'eau — y compris celles qui sont souterraines — et des services d'eau et d'énergie. L'énergie solaire et éolienne est considérée comme une énergie propre, renouvelable et écologique, mais si nous allons la considérer du point de vue de la vie des personnes qui se trouvent sur les territoires où elles sont déployées, ce n'est rien de tel. Certaines installations représentent la mort de la biodiversité locale. C'est aussi une destruction de la culture et des connaissances, car il y a une expulsion des populations de ces lieux, y compris avec beaucoup de militarisation. Les gens ne peuvent pas se déplacer librement, ils ne peuvent pas élever des poulets, ils ne peuvent pas élever des moutons. Il y a une très grande destruction dans l'environnement, en particulier dans les environs où ces énergies peintes en vert sont installées.

D'autres problèmes liés au climat sont, par exemple, la création de parcs de conservation, qui perturbent souvent aussi la vie locale. Pendant longtemps, les populations traditionnelles, autochtones, quilombola, riveraines et agricoles familiales ont pris soin de la nature. Même avec la destruction impulsée par le capitalisme, la nature n'est maintenue telle qu'elle est maintenue que parce qu'il y a un très grand soin apporté par ces populations. Elles prennent soin du sol quand elles vont chercher les graines, s'inquiétant de ne pas les prendre toutes, laissant un peu de graines car la forêt a besoin de rajeunir, elle a besoin de renaître. Lorsqu'elles vont chercher le miel des abeilles, les femmes n'emportent pas tout, car elles considèrent que les abeilles ont besoin de se nourrir, et qu'il est important pour elles de perpétuer la biodiversité locale — y compris, à certains endroits, de replanter des plantes que l'énergie éolienne a détruit. Dans certaines plantations de caatinga, les femmes replantent pour que les abeilles puissent polliniser et augmenter la production de miel. Il ne s'agit pas seulement de nourrir les femmes, d'obtenir le miel pour soi-même, mais de garder les abeilles en vie.

Qu'ont enseigné les femmes populaires des mouvements et des territoires sur la coexistence avec la nature et la nécessité d'une transition juste ?

Récemment, nous sommes allées faire une activité dans un groupe de femmes apicultrices, là-bas à Baraúna, qui est ma ville, et nous avons commencé à parler de l'histoire des femmes et des groupes, et aussi de l'histoire des abeilles. Nous avons vu qu'il y a une très grande analogie entre la lutte et la vie des femmes et la vie des abeilles. L'un des compagnes dit que nous sommes comme des abeilles : si l'on dérange une, on dérange toutes. Dans cette analogie, il y a aussi un antagonisme qui est complémentaire, car les abeilles n'aiment pas le bruit, le « vacarme » les rend désorganisées au travail, car elles ont leur propre langage. Les abeilles ont donc besoin de silence pour travailler et maintenir la biodiversité. Nous, les femmes, d'un autre côté, avons besoin de bruit et d'agitation pour que la vie continue, pour nous garder en vie. Nous, les femmes, devons toujours être alertes, toujours bruyantes, toujours faire entendre notre voix.

Nous faisons partie de cette biodiversité et, par conséquent, il est très important que nous restions en vie, protégées de la violence patriarcale et aussi de la violence du capitalisme, qui nous expulse, nous tue, nous impose une charge de travail domestique si importante qu'elle gâche notre santé et raccourcit notre vie.

La nature a la capacité de nous apprendre, que ce soit des abeilles, que ce soit d'une plante, le temps qui se ferme, le soleil qui se lève plus tôt. Il y a aussi la capacité que nous, les femmes, développons en observant la nature et en apprenant d'elle. Cet apprentissage crée une possibilité de prendre soin de la nature, car la nature et la biodiversité prennent soin de nous.

Il existe plusieurs initiatives institutionnelles internationales qui promeuvent de fausses solutions pour le climat et garantissent le protagonisme des grandes entreprises. Comment faire face à cette situation ? Si ce n'est pas de cette façon, alors de quelle manière ?

Nous, dans les mouvements, ne tomberons pas dans cette erreur de croire que les solutions sont dans les grandes entreprises. Il est de notre devoir de faire comprendre à la société que la solution à cette crise climatique ne réside pas dans les grandes entreprises, l'agro-industrie ou le capitalisme. Nous voyons des catastrophes majeures liées à la présence de ces entreprises dans divers endroits : à Brumadinho, à Alagoas, dans le nord-est avec l'énergie éolienne. Les grandes entreprises détruisent parce qu'elles n'habitent pas sur place, elles ne s'inquiètent pas si elles ne vont pas bien respirer, si le bruit de la tour éolienne va vous déranger quand vous allez dormir, ou si la lumière ne va pas vous permettre de vous concentrer.

Les solutions se trouvent en fait dans les territoires, soit avec les femmes qui y produisent du miel à Baraúna, à Mossoró, soit avec les femmes qui organisent les cuisines communautaires – ce qui implique toute la question du jardin communautaire, de la plantation de l'agriculture familiale pour se nourrir, tout en socialisant le travail de soin. Pour nous à la Marche Mondiale des Femmes, la solution est de se concentrer sur les territoires.

Avec quels agendas et stratégies féministes devrions-nous entrer dans 2024 ? Comment pouvons-nous renforcer le féminisme populaire, la justice environnementale et la souveraineté alimentaire dans notre région et dans le monde ?

Nous devons examiner ce que nous avons construit sur la Marche des Margaridas au cours des deux dernières années. Nous avons construit un excellent processus à partir des territoires. Les femmes se sont penchées sur leurs territoires, réalisant ce que signifie vivre sans violence, ce que signifie avoir la souveraineté alimentaire — qu'il ne s'agit pas seulement de sécurité alimentaire, ce n'est pas seulement le droit de manger, mais c'est même le droit de choisir quoi manger et le droit de choisir de manger sans poison. Si nous regardons quel est le programme de la Marche des Margaridas, nous avons un bon indicatif non seulement pour 2024, mais à long terme. Nous discutons de la souveraineté alimentaire, de la protection des territoires contre les énergies renouvelables, de l'exploitation minière, de l'imposition de crédits carbone qui finissent par installer des parcs de conservation qui sont des musées d'arbres pour l'appropriation du carbone. Les femmes ont les réponses qu'elles ont elles-mêmes construites et discutées dans les 27 États du Brésil.

Ce programme indique également des reproductions possibles de ces idées et inspirations dans le monde. Nous avons, par exemple, une production plus proche de chez nous, non pas parce que les femmes doivent s'occuper du travail domestique et en même temps de la production, mais parce que beaucoup n'ont pas de terre à planter sans être autour de la maison. Cette politique d'arrière-cours productives ici au Brésil est une bonne politique à mettre en œuvre dans d'autres endroits où il n'y a pas une grande étendue de terres. Il y a aussi le programme de semences créoles, dont nous nous occupons pour qu'elles s'adaptent au sol et restent vivantes tout au long des cultures.

D'un point de vue économique, certaines initiatives d'approvisionnement des gouvernements locaux qui favorisent l'agroécologie et qui privilégient l'agriculture familiale peuvent être une bonne inspiration pour d'autres endroits dans le monde. Partout, les gouvernements doivent acheter, et il y a de l'agriculture familiale et de l'agroécologie partout aussi. Relier cette demande du gouvernement à ce qui est fait depuis les territoires est un bon programme, qui construit la possibilité d'une bonne vie, de la durabilité de la vie à partir de l'alimentation et de l'agroécologie, et qui doit également être lié au débat sur la protection des femmes contre la violence du capital et du patriarcat.

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Faisons du sexisme de l’histoire ancienne

Pour la journée nationale officielle contre le sexisme, le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) publie son 6ème rapport annuel sur l'état du sexisme en (…)

Pour la journée nationale officielle contre le sexisme, le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) publie son 6ème rapport annuel sur l'état du sexisme en France et lance une nouvelle campagne de sensibilisation : « Faisons du sexisme de l'histoire ancienne ».

Tiré de Entre les lignes et les mots

70% des femmes estiment ne pas avoir reçu le même traitement que leurs frères dans la vie de famille, près de la moitié des 25-34 ans pense que c'est également le cas à l'école et 92% des vidéos pour enfants contiennent des stéréotypes genrés.

Parallèlement à la publication du rapport annuel, le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes lance une nouvelle campagne de sensibilisation : « Faisons du sexisme de l'histoire ancienne ».

L'objectif est de sensibiliser l'opinion publique et les pouvoirs publics à la nécessité de lutter contre le sexisme.

Télécharger le rapport 2024 :rapport-hce

https://amicaledunid.org/actualites/le-haut-conseil-a-legalite-entre-les-femmes-et-les-hommes-hce-publie-son-6eme-rapport-annuel-sur-letat-du-sexisme-en-france/

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Les démocraties à l’épreuve de l’intelligence artificielle

6 février 2024, par Claire Carrard — ,
Chaque semaine, “Courrier international” explique ses choix éditoriaux. Près de 3,7 milliards de personnes sont appelées aux urnes cette année. Dans ce numéro, nous revenons (…)

Chaque semaine, “Courrier international” explique ses choix éditoriaux. Près de 3,7 milliards de personnes sont appelées aux urnes cette année. Dans ce numéro, nous revenons sur les risques qui pèsent sur les élections organisées partout dans le monde en 2024. Vidéos truquées, images manipulées, faux enregistrements… Les deepfakes sont désormais accessibles à tous et pourraient déstabiliser les régimes démocratiques en influençant les votes, s'inquiète la presse étrangère.

32 janvier 2024 | tiré du Courrier international

Un faux enregistrement de Joe Biden appelant les électeurs à ne pas aller voter lors de la primaire du New Hampshire le 23 janvier aux États-Unis ; l'ex-dictateur Suharto ressuscité le temps d'une vidéo pour appeler à voter pour son parti, le Golkar, lors des élections générales du 14 février en Indonésie ; un ministre indien en exercice appelant à voter contre le gouvernement, là encore dans une vidéo contrefaite…

En 2024, la liste des tentatives de manipulation de l'opinion risque de s'allonger chaque jour un peu plus. Près de la moitié de la population mondiale est en effet appelée à voter, soit 3,7 milliards de personnes dans 70 pays, selon le décompte du magazine Foreign Policy, parmi lesquels le plus peuplé (l'Inde), le plus grand bloc commercial (l'Union européenne), le plus grand pays musulman (l'Indonésie), le plus grand pays hispanophone (le Mexique) et la plus grande puissance du monde (les États-Unis).

En 2016, année du Brexit et de l'élection de Donald Trump aux États-Unis, il avait déjà été fortement question de désinformation et d'influence des réseaux sociaux (avec les fermes de trolls russes, notamment) dans les campagnes électorales. Cette fois, les possibilités de manipulation sont démultipliées en raison du développement accéléré de l'intelligence artificielle générative, explique le Financial Times dans l'article qui ouvre notre dossier.

Lire aussi : Élections. IA et désinformation, le cocktail explosif à l'assaut de nos démocraties

“Jusqu'à cette année, les répercussions de l'IA sur les élections suscitaient des inquiétudes exagérées. Mais à présent les choses s'emballent à une vitesse que ¬personne n'aurait imaginée”, explique un expert au quotidien britannique. Pour son article, très complet, Hannah Murphy a interrogé de nombreux experts – en intelligence artificielle, en désinformation –, des responsables d'ONG…, et ses conclusions font frémir.

Pourquoi ? Parce que la manipulation est désormais à la portée de tous. “L'avènement de l'IA générative, écrit la journaliste, avec ses outils multimodaux qui mêlent texte, image, audio et vidéo, change radicalement la donne : il est aujourd'hui à la portée du premier venu, ou presque, de créer de faux contenus et de les faire passer pour vrais.”

Lire aussi : Élections. Au Danemark, un parti politique entièrement piloté par une intelligence artificielle

Et cela alors que les contre-feux technologiques, éthiques et juridiques sont loin d'être au point. En décembre, l'Union européenne avait pourtant marqué les esprits dans sa volonté d'encadrer l'intelligence artificielle : le Parlement européen et le Conseil de l'UE étaient parvenus à s'accorder sur l'AI Act, un texte jugé par The Washington Post comme “le plus ambitieux du monde”.

Vendredi 2 février, les pays membres de l'UE doivent se prononcer sur la ratification du texte. Mais tout porte à croire qu'elle sera retardée, et son application pas envisagée avant 2026. Un constat d'impuissance, selon The New York Times, pour qui “les législateurs et les autorités de régulation à Bruxelles, à Washington et ailleurs sont en train de perdre la bataille pour réglementer l'IA”, car ils ne parviennent pas à suivre l'évolution rapide de la technologie.

Lire aussi : Régulation. L'Europe fait sa loi pour tenter d'exister dans le domaine de l'IA

Les plateformes sociales sont elles aussi dépassées Sous pression, et sommés par les autorités de mettre en place des garde-fous pour lutter contre les deepfakes, Facebook, YouTube, TikTok, X (anciennement Twitter) et consorts “sont souvent moins bien armés que lors des précédentes grandes élections”, explique encore le Financial Times, notamment pour des raisons économiques (avec des réductions des coûts un peu partout dans les équipes chargées de la sécurité et de la modération). Mais pas seulement. Aujourd'hui, “la vérification des contenus et la lutte contre la désinformation se politisent”. Alimentant encore la défiance des citoyens envers les institutions.

À la veille d'une année électorale particulièrement chargée, il nous paraissait important d'apporter un éclairage sur des pratiques que l'on risque de retrouver dans les mois à venir et qui pourraient largement influencer les résultats, brouillant un peu plus le jeu démocratique. “Il existe une lueur d'espoir, veut pourtant croire Hannah Murphy : cette crise pourrait pousser les électeurs à se détourner des réseaux sociaux pour, de nouveau, aller chercher leurs informations auprès des institutions traditionnelles.”

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Procédure lancée par l’Afrique du Sud contre Israël : un appel à se libérer de l’Occident impérial

6 février 2024, par Tony Karon — , , ,
L'Afrique du Sud ne conteste pas seulement la guerre génocidaire menée par Israël contre les Palestinien·nes de Gaza ; elle tente de briser l'emprise de l'hégémonie (…)

L'Afrique du Sud ne conteste pas seulement la guerre génocidaire menée par Israël contre les Palestinien·nes de Gaza ; elle tente de briser l'emprise de l'hégémonie états-unienne. C'est ce que montre Tony Karon dans un article d'abord publié en anglais par The Nation.

17 janvier 2024 | tiré de contretemps.eu

Malheureusement pour les Palestinien·nes qui souffrent depuis longtemps, la « nécessité » de la violence organisée au service du massacre de civil·es par milliers est une affaire de point de vue. Et Israël fait le pari que sa guerre contre Gaza est conforme à ce qui est jugé acceptable dans les coulisses du pouvoir de l'Occident impérial, où des termes comme « dommages collatéraux » aseptisent la version actuelle des massacres de l'ère coloniale de personnes de couleur dans le cadre de campagnes de « pacification ».

La brutalité « nécessaire » est un principe séculaire dans la poursuite et le maintien du pouvoir occidental, qu'il s'agisse de colonisateurs européens, de colons américains décimant les populations autochtones, de l'armée états-unienne anéantissant les Vietnamiens, d'Afghans ou d'Irakiens contraints de se plier à la volonté de Washington, ou de la secrétaire d'État de l'époque, Condoleezza Rice, disant au Liban de se résigner à la mort et à la destruction massives provoquées par l'invasion israélienne de 2006 alors présentée comme « affres de la mise au monde d'un nouveau Moyen-Orient ».

L'idéologue patenté de la puissance occidentale, Samuel P. Huntington, théoricien du « choc des civilisations » ne dit pas autre chose, d'ailleurs :

« L'Occident ne doit pas sa conquête du monde à la supériorité de ses idées, de ses valeurs ou de sa religion (à laquelle peu de membres d'autres civilisations ont été convertis), mais plutôt à sa supériorité dans l'application de la violence organisée. C'est un fait que les Occidentaux oublient souvent ; les non-Occidentaux, eux, jamais. »

Vladimir Ze'ev Jabotinsky, fondateur du mouvement sioniste révisionniste, mouvement devenu hégémonique dans la politique israélienne pendant la majeure partie des cinq dernières décennies [depuis l'accession au pouvoir de Menahem Beging et du Likoud en 1977], semblait bien conscient de l'argument avancé par Huntington un demi-siècle plus tard. L'influent pamphlet de Jabotinsky de 1923, Le mur de fer, était un appel aux armes dépourvu de toute sensiblerie, adressé à ceux qui visaient l'édification et la perpétuation d'un État ethnique juif en Palestine :

« Nous cherchons à coloniser un pays contre la volonté de sa population, en d'autres termes, par la force. Voilà la racine dont proviennent toutes sortes d'incidences néfastes avec une inévitabilité axiomatique ».

La violence qu'Israël déchaîne est du même type que celle qui a fait de l'Occident la force dominante du système international. Et c'est l'ancrage d'Israël dans un ordre colonial occidental qui est utilisé pour justifier la sauvagerie qui s'abat sur Gaza. La violence, regrettable mais nécessaire pour défendre les frontières de la « civilisation » contre la « barbarie », est un vieux principe des puissances occidentales. Et c'est en vertu de ce principe qu'Israël exige un soutien à sa campagne à Gaza.

Selon le New York Times, au cours d'échanges diplomatiques et dans des déclarations publiques, les responsables israéliens « ont cité les actions militaires occidentales passées en zones urbaines, depuis la Seconde Guerre mondiale jusqu'aux guerres contre le terrorisme qui ont suivi le 11 septembre… pour aider à justifier une campagne contre le Hamas qui coûte la vie à des milliers de Palestiniens ».

Mais l'accusation de génocide portée par l'Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice (CIJ) dans l'espoir de mettre un terme à l'opération militaire d'Israël rappelle l'observation de Huntington selon laquelle les non-Occidentaux n'ont jamais oublié comment l'Occident a été créé et ne sont pas non plus disposés à accepter ses prérogatives. De nombreux pays du Sud voient dans la violence d'Israël un écho de leur propre brutalisation et humiliation historiques aux mains de la puissance occidentale.

L'Afrique du Sud ne se contente pas d'affronter Israël ; elle met en cause, de fait, les États-Unis, principal soutien d'Israël, qui bloquent agressivement toute tentative d'obliger Israël à rendre des comptes au regard du droit international. En saisissant la CIJ, l'Afrique du Sud dit au monde qu'on ne peut pas faire confiance aux États-Unis et à leurs alliés pour mettre un terme à la campagne génocidaire d'Israël.

Le régime d'apartheid de l'Afrique du Sud a été l'âme sœur idéologique et l'allié le plus proche d'Israël ; l'Afrique du Sud post-apartheid honore désormais l'obligation morale énoncée par Nelson Mandela, de ne pas trouver le repos tant que la Palestine ne sera pas libre. Son action implique également l'héritage de la responsabilité morale de conduire la société civile mondiale à agir contre l'apartheid, responsabilité qui découle de sa propre expérience de lutte soutenue par la solidarité internationale.

Les millions de personnes qui défilent dans les rues du monde entier nous disent qu'une grande partie de la société civile est aux côtés des Palestiniens. Pourtant, la plupart des gouvernements qui ne soutiennent pas directement les agissements criminels d'Israël n'ont pas agi. Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi. Israël bombarde et affame les civils, détruisant délibérément leurs moyens de survie. Et il agit avec la certitude inébranlable que les munitions états-uniennes qu'il largue sur les mères et les enfants de Gaza continueront d'affluer tandis que Washington assurera une couverture politique. L'Afrique du Sud a tenté de briser la passivité imposée par les États-Unis, offrant un exemple d'action indépendante du Sud pour mettre fin aux crimes de guerre approuvés par l'Occident.

Lorsque Mandela, libéré de prison en 1990, a été mis en cause aux États-Unis pour ses relations avec Yasser Arafat, leader de l'Organisation de libération de la Palestine, il a poliment mais fermement fait comprendre à l'establishment américain que « vos ennemis ne sont pas nos ennemis », principe de non-alignement que ses héritiers poursuivent aujourd'hui.

Bien sûr, il y a toujours eu des limites à la capacité des gouvernements du Tiers monde à s'opposer aux États-Unis et à l'Europe, la principale étant le rôle central joué par les marchés financiers mondiaux contrôlés par l'Occident dans la capacité de ces gouvernements à gouverner. L'économie mondiale grotesquement inégale créée par le pillage colonial de l'Occident a été maintenue, après la décolonisation politique, sous la forme de relations codifiées de propriété privée qui ont essentiellement donné aux États-Unis et à l'Europe un droit de veto sur l'indépendance politique des anciennes colonies. Aujourd'hui encore, nous constatons que l'Égypte subit des pressions pour accueillir des dizaines de milliers de réfugiés palestiniens victimes du nettoyage ethnique de Gaza, en échange de l'annulation de 160 milliards de dollars de sa dette nationale.

Malgré sa position subordonnée dans le système financier mondial, l'Afrique du Sud a commencé à résister aux exigences géopolitiques des États-Unis, en refusant notamment, de concert avec la plupart des pays du Sud, de prendre le parti de l'OTAN dans la guerre en Ukraine. Cela peut refléter le déclin de la puissance étatsunienne par rapport aux autres et l'indépendance économique croissante des puissances moyennes. Mais l'action de l'Afrique du Sud devant la CIJ constitue un nouveau défi géopolitique pour les États-Unis. Parce qu'en accusant Israël de génocide, inévitablement, même si de manière implicite, ce sont les États-Unis que l'on accuse de complicité.

Le corollaire de la remarque de Huntington sur la mémoire non-occidentale renvoie aussi à une histoire de moments de violence organisée par des peuples non occidentaux dont les succès contre des puissances occidentales prétendument invincibles ont parfois inspiré une résistance dans l'ensemble du Sud. Pankaj Mishra a mis en lumière ce type de dynamique dans l'impact de la défaite infligée par le Japon à la Russie impériale en 1905 sur des intellectuels allant de Sun Yat-Sen à Jawaharlal Nehru, en passant par Mustafa Kemal Ataturk et W.E.B. Du Bois : « Ils ont tous tiré la même leçon de la victoire du Japon : les hommes blancs, conquérants du monde, n'étaient plus invincibles ».

Un frisson d'inspiration comparable a parcouru l'ensemble du Sud lorsque les révolutionnaires vietnamiens ont vaincu l'armée coloniale française à Dien Bien Phu en 1954. Et de nouveau lorsqu'ils ont vaincu les États-Unis qui avaient remplacé la France. Ou encore lorsque des révolutionnaires cubains ont éjecté un dictateur soutenu par les États-Unis et repoussé les tentatives de restauration de l'ancien régime.

La génération sud-africaine qui a mené le soulèvement de Soweto en 1976 contre le gouvernement de l'apartheid a été enhardie par le spectacle, quelques mois plus tôt, de l'armée prétendument invincible de Pretoria contrainte de battre en retraite de l'Angola par les forces cubaines et celles du MPLA [Mouvement pour la Libération de l'Angola]. La victoire du Hezbollah en 1999, après 15 ans de guérilla pour forcer le retrait d'Israël du Sud-Liban, de la même manière, a été source d'inspiration pour les Palestiniens et leurs voisins. Et ainsi de suite.

Beaucoup noteront que si Israël a pulvérisé une grande partie de Gaza et continue de tuer des centaines de civils chaque jour, il ne parvient pas à détruire la capacité de combat du Hamas. « Le scepticisme grandit quant à la capacité d'Israël à démanteler le Hamas », a averti le New York Times. Loin de marginaliser le Hamas, les actions d'Israël ont rendu le mouvement plus populaire que jamais parmi les Palestiniens et dans toute la région arabe, tout en affaiblissant les dirigeants alignés sur Israël et les États-Unis.

Le militant de la société civile palestinienne Fadi Quran a récemment affirmé que l'offensive d'Israël diminuait en fait son image « dissuasive » : « Nous avons constaté un changement radical dans la perception moyenne de l'armée israélienne dans la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord. Auparavant, elle était considérée comme une force sophistiquée et dissuasive avec laquelle il fallait compter, et dont la suprématie était inébranlable », écrit-il. « Aujourd'hui, elle est perçue comme extrêmement faible et fragile. Plus précisément, la perspective actuelle est qu'elle serait facilement vaincue si elle ne bénéficiait pas du soutien illimité des États-Unis.

La dépendance d'Israël à l'égard des bombardements aériens et du pilonnage des centres urbains est perçue comme la tactique la plus lâche d'une armée qui a peur du face à face avec une milice qui est dix fois moins nombreuse qu'elle, qui dispose d'un pour cent de ses ressources et qui est assiégée depuis dix-sept ans. Les incursions terrestres d'Israël se font à travers des chars fortifiés après des bombardements aériens et d'artillerie massifs, mais sans parvenir à tenir efficacement ses positions ».

Les tactiques israéliennes de punition collective ainsi que l'ampleur et la nature de la violence que les puissances occidentales sont prêtes à tolérer contre un peuple captif et colonisé à Gaza rappellent également aux anciens peuples colonisés et à leurs descendants comment l'Occident a été créé.

Israël s'attend à être compris dans les capitales occidentales en raison des traditions de « violence nécessaire » de la domination impériale occidentale, ce qui laisse entendre qu'il pourrait être antisémite de refuser à Israël le droit de se comporter, au début du 21e siècle, comme l'ont fait les puissances européennes et les États-Unis aux 19e et 20e siècles.

Il convient ici de rappeler une observation de feu l'historien britannique Tony Judt sur les conséquences de l'arrivée tardive d'Israël dans le jeu de la colonisation :

« En bref, le problème d'Israël n'est pas, comme on le laisse parfois entendre, qu'il s'agit d'une « enclave » européenne dans le monde arabe, mais plutôt qu'il est arrivé trop tard. Il a importé un projet séparatiste caractéristique de la fin du19e siècle dans un monde qui a évolué, un monde de droits individuels, de frontières ouvertes et de droit international. L'idée même d'un « État juif » – un État dans lequel les Juifs et la religion juive jouissent de privilèges exclusifs dont les citoyens non juifs sont à jamais exclus – est enracinée dans un autre temps et un autre lieu. En bref, Israël est un anachronisme ».

L'historien Adam Tooze, dans sa chronique au Financial Times, ajoute quant à lui :

« Les Israéliens sont le dernier groupe d'Européens (en majorité) à se lancer dans l'accaparement de terres non-européennes, justifiée dans leur mission par la théologie, la revendication d'une supériorité civilisationnelle et le nationalisme. Bien sûr, les accaparements de terres se poursuivent partout dans le monde, tout le temps. Mais, à l'heure actuelle, le projet israélien s'affirme comme version particulièrement cohérente et assumée d'idéologie de colonialisme de peuplement « classique » ».

Israël mène donc une guerre coloniale classique de pacification d'une population autochtone qui résiste à la colonisation, au moment même où une grande partie de la population mondiale présente la facture de siècles de violence et d'asservissement occidentaux, et demande justice et la réorganisation des rapports de force au niveau mondial. La défense de la Palestine est devenue l'emblème de cette lutte globale pour un autre gouvernement des affaires du monde.

Gaza a mis à nu l'hypocrisie fondamentale de « l'ordre international fondé sur des règles » de Biden – un système hypocrite qui légitime et permet la violence contre les Palestiniens colonisés et les violations systématiques du droit international par Israël. La campagne militaire d'Israël et son système d'apartheid peuvent être tolérés par les puissances occidentales, mais ils sont intolérables pour les citoyens du Sud.

Dans sa période de domination unipolaire de l'après-guerre froide, Washington a exigé le contrôle exclusif du dossier israélo-palestinien contre la communauté internationale. Le résultat a été un « processus de paix » dans lequel Israël a étendu et approfondi sans relâche son occupation d'apartheid, tandis que les responsables américains ont fermé toute discussion sur la limitation d'Israël en entonnant des mantras vides d'une « solution à deux États » qui pourrait être mise en péril si Israël était contraint de se conformer au droit international. Ce moment est révolu.

Par le biais de la procédure engagée devant la CIJ, l'Afrique du Sud envoie un message selon lequel accepter le leadership des États-Unis sur les affaires mondiales signifie accepter le massacre de dizaines de milliers de Palestiniens et le nettoyage ethnique de centaines de milliers d'autres.

Les États-Unis s'opposent agressivement à des initiatives telles que la plainte déposée par l'Afrique du Sud devant la CIJ, tout comme ils opposent systématiquement leur veto à tout effort du Conseil de sécurité des Nations unies visant à limiter les violations systématiques du droit international par Israël. L'action en justice de l'Afrique du Sud rompt l'emprise de l'hégémonie américaine qui paralyse une grande partie de la communauté mondiale et l'empêche de prendre des mesures pour demander des comptes aux génocidaires. C'est un appel au Sud pour qu'il défie les limites à la participation internationale fixées par Washington. Si les pays du Sud veulent que le bain de sang et le nettoyage ethnique cessent, ils ne peuvent pas compter sur le complice américain d'Israël pour y parvenir.

L'occasion pour déclencher ce défi géopolitique peut être l'urgence cataclysmique de mettre fin aux crimes d'Israël, mais qu'elle réussisse ou non, l'affaire de la CIJ peut marquer un nouveau chapitre dans la remise en cause de l'hégémonie américaine et d'un monde géré selon des règles qui légitiment les crimes de guerre commis par les États-Unis ou leurs alliés.

Argentine. Les classes populaires engagent une première mobilisation nationale face aux macro-diktats du gouvernement Milei

6 février 2024, par Fabian Kovacic — , ,
Lorsque les centaines de milliers de personnes – selon les estimations des organisateurs de la grève – sont arrivées en colonne sur la Plaza de los Dos Congresos (Buenos Aires) (…)

Lorsque les centaines de milliers de personnes – selon les estimations des organisateurs de la grève – sont arrivées en colonne sur la Plaza de los Dos Congresos (Buenos Aires) mercredi 24 janvier à midi pour protester contre la loi dite Omnibus, les député·e·s pro-gouvernement Milei avaient déjà obtenu, aux premières heures de la matinée, un feu vert pour traiter le projet de méga-décret [intégrant plus de 600 mesures dans tous les secteurs].

27 janvier 2024 | tiré du site alencontre.org
https://alencontre.org/ameriques/amelat/argentine/argentine-les-classes-populaires-engagent-une-premiere-mobilisation-nationale-face-aux-macro-diktats-du-gouvernement-milei.html

Appelée par la CGT (Confederación General del Trabajo de la República Argentina), la Central de Trabajadores de la Argentina (CTA) et l'Unión de Trabajadores de la Economía Popular, et soutenue par des organisations sociales, culturelles et de défense des droits de l'homme, des partis de gauche et le parti péroniste Unión por la Patria (UP), la grève nationale a rassemblé 400 000 personnes dans les rues de la seule ville de Buenos Aires. La mobilisation s'est développée dans toutes les capitales provinciales et a même été soutenue et répercutée par des organisations sociales et syndicales d'autres pays, qui ont manifesté devant les ambassades argentines contre le projet de loi « Omnibus ».

La décision majoritaire obtenue aux premières heures de la matinée de mercredi, lors de la session plénière, conjointe, des trois commissions de l'assemblée : Legislación General, Asuntos Constitucionales et Presupuesto (budget), obtenait 55 voix, dont 21 en désaccord partiel. Ont levé la main en faveur de l'examen de la loi « Omnibus » 18 élu·e·s de La Libertad Avanza (Milei), 17 du PRO-Propuesta Republicana (Mauricio Macri), huit de l'Union Civique Radicale-UCR, sept de Innovación Federal et Hacemos Coalición Federal – deux groupes parlementaires qui comprennent des Macristas dissidents, des péronistes dissidents et la Coalición Cívica d'Elisa Carrió [députée depuis 1995, d'abord sous la bannière de l'UCR et depuis 2009 de la Coalition civique, après avoir été liée à divers partis] –, et une voix du député Agustín Fernández, de l'UP-Union por la Patria. Après le vote, Agustín Fernández a annoncé que lui et deux autres députés UP [Gladys del Valle Medina et Elia Fernández de Mansilla] de la provice de Tucumán [située dans le nord-ouest] quittaient le banc de la majorité péroniste pour créer le bloc Independencia, à la demande du gouverneur de Tucumán, Osvaldo Jaldo. Une perte importante pour le péronisme, qui vient de perdre le gouvernement.

Il reste maintenant à débattre en séance plénière de la Chambre des députés à partir de mardi 30 janvier. A la Casa Rosada [présidence], on spécule sur le fait que deux séances marathon, jusqu'aux petites heures du matin, suffiront à transformer en loi le nouveau credo libertarien composé de 664 articles. A priori, les votes semblent favorables au parti au pouvoir, qui vient de former une sorte de coalition parlementaire sur laquelle il peut s'appuyer [Libertad Avanza dispose de 35 députés sur 257 et de 7 sénateurs sur 72, ce qui exige des accords pour coalition].

Aux 400 000 personnes mobilisées dans la capitale, la CGT estime en ajouter un million dans des villes comme Córdoba, Santa Fe, Rosario, La Rioja, Mendoza, San Juan, San Miguel de Tucumán, Paraná, Viedma, Bariloche, Río Gallegos, Neuquén, Salta, Posadas et Resistencia, entre autres. Bien que les chiffres soient difficiles à vérifier, les images de la télévision et des médias sociaux ont révélé la dimension du mécontentement à l'égard du projet de loi « Omnibus » dans ces villes du pays. [1]

Alors que le porte-parole du gouvernement, Manuel Adorni, et la ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich [qui avait réuni 23,81% des suffrages à l'élection présidentielle sur la liste Juntos por el Cambio et qui a rallié Milei pour le 2etour], ont minimisé l'ampleur de la grève nationale, les principaux dirigeants syndicaux, tels que Pablo Moyano et Héctor Daer, tous deux de la CGT, ont considéré la mobilisation comme « un triomphe » et ont demandé aux élus nationaux « de ne pas se laisser influencer lors du vote à l'Assemblée » et de « respecter la volonté du peuple qui a voté pour eux ».

Depuis le retour de la démocratie [en 1983], 43 grèves nationales ont eu lieu, mais celle du mercredi 24 janvier est devenue l'épreuve de force la plus rapidement engagée pour un gouvernement élu, puisqu'elle n'a eu lieu que 44 jours après son entrée en fonction. Il est également vrai qu'aucun des présidents précédents n'a osé proposer des changements aussi radicaux aux deux Chambres, au point que des juges fédéraux [l'instance compte 28 juges] ont déjà accepté des requêtes contre la possible inconstitutionnalité d'une douzaine d'articles du projet de loi. Même les Nations unies ont demandé à participer au débat sur la loi « Omnibus » par l'intermédiaire du représentant régional du Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, Jan Jarab. L'organisme international est particulièrement préoccupé par les articles relatifs à la Sécurité [initialement, Bullrich a cherché à interdire tout rassemblement de plus de trois personnes, pour l'heure c'est un échec], qui, selon Jan Jarab, restreignent le droit à la dissidence et à la protestation.

La marche de mercredi 24 janvier a rassemblé des acteurs syndicaux et sociaux, qui ont déjà commencé à travailler sur de nouveaux articles de loi et des projets alternatifs à proposer au Parlement. Cependant, la balle est maintenant dans le camp des députés. Ils subissent une pression de la part des gouverneurs provinciaux, qui négocient dans l'urgence avec le ministre de l'Economie [Luis Caputo] pour obtenir de nouveaux fonds pour leurs administrations [Milei a menacé de couper tous les fonds fédéraux aux administrations des provinces]. Il y a là un test décisif pour le péronisme dans l'opposition. (Article publié par l'hebdomadaire uruguayen Brecha le 26 janvier 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)


[1] Selon le compte rendu du site La Izquierda Diario, lié au PTS, le 24 janvier a été marqué par des grèves et des débrayages, d'une part, dans le secteur de la santé, préparés par de nombreux débats en assemblée, et, d'autre part, dans des aéroports, des fabriques automobiles (Toyota, Ford), dans des fabriques de pneus (Pirelli, Bridgestone), des raffineries, des complexes sidérurgiques (Campana, Villa Constitución), des compagnies de transport liées à l'exportation de la production agricole.

Le mardi 30 janvier, quand commencera le débat sur la loi « Omnibus », va se poser l'exigence d'une mobilisation pour prolonger le signal du 24. Il y a là un test pour les appareils de la CGT et de la CTA, parmi d'autres. (Réd.)

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La suspension de la Présidentielle signe la mort du modèle démocratique sénégalais

6 février 2024, par Nicolas Beau — , ,
C'est un véritable séisme politique au Sénégal. Pour la première fois depuis 1963, et l'élection de Léopold Sédar Senghor, le Sénégal reporte la Présidentielle. Le scrutin (…)

C'est un véritable séisme politique au Sénégal. Pour la première fois depuis 1963, et l'élection de Léopold Sédar Senghor, le Sénégal reporte la Présidentielle. Le scrutin devait avoir lieu le 25 février, mais le président Macky Sall a pris la parole samedi 3 février à quelques heures de l'ouverture officielle de la campagne, pour annoncer l'abrogation du décret sur la convocation du corps électoral, une décision sur laquelle les députés doivent se pencher ce lundi matin dans un climat tendu.

Tiré de MondAfrique.

Plusieurs candidats importants comme Karim Wade, le fils de l'ancien président, ont été écartés de la compétition présidentielle par le Conseil Constitutionnel. Les députés ont voté l'ouverture d'une enquête parlementaire. Un choc pour les moins de 30 ans, qui représentent 75% de la population du Sénégal. Dès dimanche, ces jeunes qui ont affronté les forces de l'orre réclament massivement un changement radical de politique et le départ du gouvernement au pouvoir.

Le spectre d'une crise politique sans précédent plane sur le Sénégal. La volonté de Macky Sall d'imposer à tout prix son dauphin Amadou Ba comme successeur, les divisions entre les clans qui se partagent le pouvoir et l'instrumentalisation de la justice pour neutraliser les principaux opposants qui prétendaient se présenter a précipité le processus électoral sénégalais dans une impasse totale dont témoignent les heurts qui ont ei lieu, dèsce dimanche 4 février, à Dakar.

Rien n'est réglé par cette décision du président sénégalais de suspendre l'élection Présidentielle du 25 février. Tout peut encore arriver, et probablement le pire. Contraint et forcé par l'État profond sécuritaire de son propre pays de ne pas briguer un troisième mandat, le président sénégalais Macky Sall avait annoncé en juillet 2023 qu'il ne serait pas candidat. Ce retrait de la compétition présidentielle, dicté par le contexte de grandes violences et de vives tensions politiques, avait été accueilli par un ouf de soulagement tant au Sénégal qu'à l'étranger.

« La vitrine de la démocratie » d'Afrique francophone avait-elle sauvé son image ? Le spectre d'une crise socio-politique qui aurait faire entrer le pays dans le désordre était-il conjuré ? On voulait le croire. Mais hélas, tout porte désormais à penser que le Sénégal privé d'élections pourrait basculer dans une zone de profondes turbulences.

Un dauphin mal aimé

Dans l'euphorie de l'annonce de sa renonciation au troisième mandat, la coalition présidentielle Beno Bokk Yakar ( BBY en wolof, « l'Espoir en partage en français) s'en était remise à Macky Sall pour le charger de choisir le candidat le plus apte à lui succéder, entretenir son héritage et poursuivre son œuvre. Le piège s'est ainsi refermé sur le camp présidentiel. Dans la plus grande opacité, Macky Sall a sorti de son chapeau son Premier ministre Amadou Ba dont personne ne conteste ni au Sénégal ni à l'étranger les qualités de grand commis de l'Etat, un homme de dossiers qui a travaillé pendant une trentaine d'années dans l'administration des impôts.

Pour admirable qu'il soit ce profil-là, il ne suffit pas pour réussir en politique au Sénégal, à fortiori gravir les dernières marches du palais présidentiel. Amadou Ba n'est pas un « tueur », il n'a pas la réputation d'un « cogneur », comme ses prédécesseurs Abdoulaye Wade et Macky Sall, mais celle d'un homme de consensus qui cherche à arrondir les angles.

Et pour ne rien arranger à son sort, il n'est pas un grand tribun qui adore les bains de foules. Résultat, les débuts trop timides de la pré-campagne du dauphin désigné de Macky font douter le camp présidentiel. Plusieurs figures emblématiques des 12 années de règne du président sortant ont déjà préféré prendre le large et seront candidats contre celui choisi par leur ancien mentor. Jusqu'ici fidèle parmi les fidèles de Macky Sall, son ancien ministre de l'Intérieur Aly Ngouille Ndiaye, considéré naguère comme l'homme des basses œuvres du régime, sera candidat dissident de la coalition au pouvoir. Dans le doute sur la chance d'Amadou Ba à garantir la victoire, l'ancien Premier ministre (2014-2019) de Macky Sall et ancien Secrétaire général de la présidence de la République, Mohamed Boun Abdallah Dionne jouera lui aussi sa partition lors du scrutin du 25 février. Outre les « ennemis intérieurs », le dauphin de Macky devra affronter d'autres prétendants encore plus sérieux au fauteuil présidentiel tels que l'ancien Premier ministre Idriss Seck, arrivé deuxième en 2019, Karim Wade, fils de l'ancien président Abdoulaye, attendu à Dakar dans les prochains jours après, huit années d'exil au Qatar.

La France piégée

En pleine controverse sur la tenue de la présidentielle sénégalaise qui s'annonce très incertaine, Paris a choisi de dérouler le tapis rouge à la fin de l'année 2023 à Amadou Ba dans le cadre d'un séminaire gouvernemental franco-sénégalais. Le symbole d'un Premier ministre sénégalais-candidat posant tout sourire aux côtés de son homologue français Elisabeth Borne n'est pas inaperçu. Ce voyage, qui serait passé inaperçu hors contexte pré-électoral, a été perçu comme un adoubement d'Amadou Ba voire une ingérence française.

Les thèses de l'adoubement et de l'ingérence sont d'autant plus convaincantes que le président français Emmanuel Macron avait nommé en novembre 2023 son homologue sénégalais Macky, alors qu'il n'a pas encore quitté ses fonctions, envoyé spécial pour le Pacte de Paris sur les Peuples et la Planète (4P). L'opposant sénégalais Habib Sy du parti « Espoir et modernité » n'est pas allé du dos de la cuillère pour « fustiger une France qui n'a toujours rien compris » aux subtilités de la vie politique de ses anciennes colonies africaines. Même si on peut considérer que Paris n'a pas mesuré la confusion entre les agendas d'Amadou Ba Premier ministre et Amadou Ba candidat à la présidentielle, la réception en grandes pompes de celui-ci à Paris dans le contexte actuel au Sénégal est une démarche à tout le moins imprudente.

Cette posture est, en tout cas, la preuve que Paris n'a pas tiré les leçons des violences politiques qui ont secoué le Sénégal en mars 2021 et juin 2023. Dix des quatorze magasins du groupe français Auchan avaient, à cette époque, été pillés à Dakar par des émeutiers qui s'en étaient également pris aux stations-service Total et aux boutiques Orange.

La France d'Emmanuel Macron en recevant si chaleureusement le dauphin désigné mais peu charismatique, Amadou Ba, est une erreur supplémentaire de la diplomatie française en Afrique.

L'armée en embuscade

Si le président sortant a réussi à imposer sans grands remous son Premier ministre à sa coalition, tout indiquait qu'il pourrait en être autrement auprès des électeurs sénégalais. Comme si son bilan seul ne suffisait pas à faire élire son dauphin, Macky a cherché à lui baliser la route de la victoire en « « neutralisant » Ousmane Sonko, son opposant le plus en vue du moment. Il a ainsi fait dissoudre en juillet 2023 sa formation politique le Parti des patriotes du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité (PASTEF).

Contre toute attente, le président sortant a limogé en novembre 2023 les 12 membres de la Commission électorale nationale autonome (CENA) et porté à sa tête Abdoulaye Sylla, un inspecteur général d'Etat à la retraite, qu'il espère plus malléable que le président remercié Doudou Ndir.

Malgré deux décisions de justice rendues par le tribunal de Ziguinchor en octobre 2023 et celui de Dakar en décembre 2023, la direction générale des élections (DGE), qui relève du ministère de l'Intérieur, refuse toujours de réintégrer Ousmane Sonko dans les listes électorales. Cette volonté de forcer le destin présidentiel de son dauphin est un pari risqué et incertain pour Macky Sall. Les violences politiques de mars 2021 avaient éclaté lors de l'inculpation d'Ousmane Sonko pour une affaire de viol présumé. Celles de juin 2023 s'étaient produites après la condamnation de ce dernier à deux de prison pour « corruption de jeunesse », après l'abandon des charges pour viol, ont fait au moins 20 morts.

Dans le contexte d'une Afrique de l'Ouest frappée par une vague de coups d'Etat militaires et au regard du niveau inédit de tensions politiques dans le pays, les yeux étaient rivés sur l'armée sénégalaise. Appelée en renfort des forces de sécurité intérieure (police, gendarmerie) très largement débordées, l'armée a eu la prudence de n'a pas trop s'avancer dans la confrontation entre Macky et ses adversaires, acceptant seulement de déployer quelques blindés de l'armée de terre dans les rues de Dakar. Les scènes montrant des manifestants fraternisant avec des soldats aux pieds des blindés, largement diffusés sur les réseaux sociaux, ont finalement alerté le pouvoir. Méfiant, le président sénégalais avait alors remanié la hiérarchie militaire en précipitant le départ du chef d'état-major Cheikh Wade, dont le commandement n'était pas encore terminé, et son remplacement par le général Mbaye Cissé, qui n'est autre que le chef d'état-major particulier de Macky Sall.

Rien n'indique, toutefois, que cette reprise en main de la hiérarchie militaire suffise à servir d'assurance-vie à Macky Sall, si demain il devait persister dans sa volonté de contourner la volonté populaire.

A trop vouloir garantir ses arrières, Macky Sall faisait le pari hautement risqué de quitter le pouvoir sans crise post-électorale. Cette tentative est pour l'instant vouée à l'échec et entraine le pays vers l'inconnu.

Nicolas Beau

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Retrait de trois pays sahéliens de la Cédéao : « Une tension à court terme » (Expert)

6 février 2024, par Lassaad Ben Ahmed, Ndongo Samba Sylla — , , , ,
L'annonce de retrait, sans délai, du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la communauté économique des Etats de l'Afrique de l'ouest (Cédéao) a suscité de nombreuses réactions, (…)

L'annonce de retrait, sans délai, du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la communauté économique des Etats de l'Afrique de l'ouest (Cédéao) a suscité de nombreuses réactions, entre appréciation, regrets et inquiétudes. Mise à part leur appartenance à cette Communauté sous-régionale, ces trois pays partagent plusieurs points communs. Ce sont d'abord des pays voisins appartenant à la bande sahélo-saharienne de l'Afrique, anciennes colonies françaises utilisant jusqu'à aujourd'hui le franc CFA, dépendant du Trésor français, pays pauvres et, enfin, ils ont tous eu des changements de dirigeants par des coups d'Etat et subissent, en conséquence, des sanctions de la Cédéao.

Tiré d'Europe solidaire sans frontière. Article paru à l'origine sur Anadolu Agency.

Aussi, leur retrait de la Cédéao intervient suite à des tensions avec la France et des intentions explicites de chercher de nouveaux partenariats. De nombreuses questions se posent, du coup, sur la portée, les avantages et les incidences de ce retrait, questions que nous avons évoquées avec Ndongo Samba Sylla, économiste sénégalais, qui a bien voulu apporter des éclaircissements à l'occasion d'un entretien accordé à Anadolu. Interview.

- On aimerait d'abord avoir une idée sur le poids économique du Burkina Faso, du Mali et du Niger dans la Cédéao.

Ces trois pays ne sont pas des géants économiques. Ce sont les pays les plus pauvres, les plus appauvris, de l'espace Uemoa (Union économique et monétaire ouest-africaine) si on met de côté la Guinée-Bissau. Mais ils ont une population importante. En 2022, ils représentaient 71,5 millions d'habitants, soit la moitié de celle des huit pays de l'Uemoa. Par rapport à la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'ouest (Cédéao) qui compte 400 millions d'habitants, ces pays représentent une bonne proportion. Ce sont aussi des géants en termes de superficie, avec 2,8 millions de kilomètres carrés.

- En termes d'incidences, par leur retrait, qu'est-ce qu'ils gagnent et qu'est-ce qu'ils perdent ?

Je pense que c'est une tension à court terme et qui va se résoudre petit à petit. Parce que les trois pays de l'Alliance des Etats du Sahel (AES) ont besoin de l'intégration africaine. Ce sont des pays enclavés. Et quand on regarde leurs balances de paiements, ces pays souffrent énormément des coûts de transports élevés. C'est-à-dire, avec le même budget, des pays côtiers, comme le Sénégal, la Côte d'Ivoire et le Bénin, achètent beaucoup plus de biens à l'extérieur que ces pays enclavés. Donc, ces pays ne peuvent pas aspirer à un développement économique véritable sans une forme d'intégration qui leur donne un accès à la mer.

Actuellement, il y a une tension, parce que ces pays ne rejettent pas l'intégration économique en tant que telle, mais ils remettent en question l'agenda impérialiste de la Cédéao. Impérialiste, parce que la Cédéao, ce n'est pas une communauté politique, c'est une communauté économique.

En décidant de sanctions, les membres de la Cédéao veulent se donner des attributs sur le plan sécuritaire et aussi des attributs d'un point de vue constitutionnel en disant : Voici les normes de gouvernement. Si vous ne les respectez pas, nous, nous nous donnons le droit de sanctionner. Et quand nous sanctionnons, c'est parce que la France le veut bien. Or les pays du Sahel disent : Nous ne sommes pas contre l'intégration économique, mais quand vous utilisez les instruments de l'intégration pour sanctionner les peuples sous la dictée des puissances impérialistes, ça, nous ne l'acceptons pas.

- Les trois pays ayant décidé de se retirer déplorent l'influence de puissances étrangères sur les décisions de la Cédéao. Qu'en pensez-vous ?

C'est la réalité. L'ingérence de la France est flagrante. Pourquoi ? Quand il y a eu des sanctions en janvier 2022 contre le Mali et la Guinée, la Cédéao a dit : Nous allons sanctionner ces pays parce qu'il y a des putschs. Toutefois, il y a des sanctions qu'on ne peut pas mettre en place contre un pays qui a sa propre monnaie. Parce que quand un pays a sa propre monnaie, vous ne pouvez pas demander à la Banque centrale de ce pays de couper l'accès du gouvernement à ses propres comptes.

Dans le cas de la Guinée, par exemple, ce type de sanctions financières a été impossible à mettre en œuvre parce que la Guinée a sa propre monnaie et si le gouverneur de la Banque centrale voulait appliquer ces sanctions, il serait mis en prison ou licencié. Mais dans le cas des pays CFA, au Mali, en 2022, et actuellement au Niger, la banque centrale a coupé l'accès du gouvernement à ses propres comptes et les a privé de la possibilité de se refinancer sur le marché financier de l'UMOA. La France avait utilisé les mêmes procédés en 2011 contre la Côte d'Ivoire pour mettre la pression sur Laurent Gbagbo. Et tout ça est totalement illégal.

Aucun texte dans le cadre de l'U(E)MOA ne prévoit et ne permet la mise en œuvre de telles sanctions. La BCEAO [Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'ouest, NDLR] a violé ses propres statuts en permettant leur mise en œuvre. D'ailleurs, pourquoi la BCEAO qui n'a aucun lien légal avec la Cédéao devrait accepter de lui obéir, surtout qu'elle est aussi supposée être indépendante de ses huit Etats membres ? Dans la plupart des pays du monde, les banques centrales sont supposées indépendantes des pouvoirs politiques d'une certaine manière. Là, cette banque centrale dit : Moi je vais appliquer les mesures prises par la Cédéao, une entité avec laquelle je n'ai aucun lien légal.

Ce type de sanctions financières portent indubitablement la marque du néocolonialisme français. C'est-à-dire qu'à chaque fois qu'un gouvernement africain qui utilise le CFA a un problème avec la France, la France peut utiliser le CFA pour l'asphyxier financièrement, avec le consentement de ses alliés africains.

Par ailleurs, il existe une Convention des Nations Unies sur les peuples sans littoral. Cette convention dit qu'il faut généralement éviter tout ce qui est embargo commercial contre les pays qui n'ont pas accès à la mer.

Dans le cas du système CFA, la Cour de justice de l'Uemoa avait ordonné en mars 2022 la suspension des sanctions contre le Mali. Les pays de l'Uemoa ne se sont exécutés qu'en juillet 2002.

Quand certains expriment leur opposition aux coups d'État militaires, c'est un point de vue compréhensible et légitime. Pour autant, cela n'autorise pas à prendre et à mettre en œuvre des sanctions illégales et cruelles. On ne combat pas l'illégalité par une autre illégalité. C'est ce que la Cédéao et l'Uemoa ont fait et continuent de faire vis-à-vis des pays de l'AES.

- Admettons que le retrait est consommé, la Cédéao serait-elle affaiblie en conséquence ?

A mon avis, le terme retrait, c'est trop dire. Pourquoi ? Parce que le retrait ne sera effectif que dans un an, selon les textes. En plus, les négociations vont se poursuivre. Ces trois pays vont négocier une sortie qui préserve leurs intérêts économiques. Ils sont conscients de leur vulnérabilité en tant que pays enclavés qui font face à un contexte sécuritaire très difficile. Pour autant, ils ne veulent plus être sous le coup des sanctions impérialistes de la Cédéao.

Par exemple, je pense qu'aucun de ces États n'a intérêt à dire : Nous voulons avoir des systèmes de visa pour les déplacements au sein de la région. Nous voulons mettre en place des barrières commerciales, etc. Car tous les pays de l'Afrique de l'ouest ont besoin d'un cadre d'intégration économique. La question qu'il faudrait régler est la suivante : est-ce qu'il est légitime que les gouvernements qui, généralement, sont arrivés au pouvoir via des méthodes et des élections frauduleuses, peuvent se permettre de sanctionner leurs voisins, pour plaire à des pays étrangers ?

Il faut noter également que la zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) annonçait déjà l'obsolescence, d'un point de vue économique et commercial, d'unions douanières régionales comme la Cédéao. Autrement dit, les pays de l'AES, dans le cadre de la Zlecaf, pourraient bel et bien se retirer de la Cédéao sans avoir à remettre en question les accords commerciaux avec leurs voisins et le reste du continent.

- Avec le retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger, il est désormais question que ces pays créent leur propre monnaie. Est-ce faisable d'abord ? Est-ce judicieux ? Où est-ce que cela peut mener ?

Je vais répondre : Oui, oui, aux deux questions. Je pense que ces pays vont en toute logique sortir du franc CFA. Pourquoi ? Parce que le franc CFA est une épée de Damoclès pour les pays qui l'utilisent et qui sont en froid avec la France. Actuellement, le Niger est asphyxié financièrement par des sanctions dont la mise en œuvre a été rendue possible par son appartenance à l'Uemoa, une zone monétaire sous la tutelle du Trésor français. Après avoir décidé de chasser les troupes françaises, il ne serait pas cohérent de la part de ces trois pays de rester longtemps dans l'Uemoa, surtout que l'appartenance à cette zone ne leur a apporté aucun bénéfice économique tangible sur le long terme. Selon les données de la Banque mondiale, le Niger en 2022 avait un revenu réel par habitant inférieur de 37 % au meilleur niveau qu'il avait obtenu en 1965.

Ces pays vont certainement se donner le temps pour préparer leur sortie, mais d'un point de vue légal c'est très simple. Il faut lire le Traité de l'Union monétaire ouest africaine – à distinguer de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa)-, créé en 1962. Ce traité indique dans son article 36 que tout Etat qui veut sortir de l'Union monétaire peut le faire dans un délai de six mois. Et si cet Etat veut sortir beaucoup plus tôt, c'est également possible. Donc du point de vue légal, rien ne s'oppose à ce que ces pays sortent. Maintenant, ils vont se donner toutes les garanties pour que le processus soit bien géré.

Créer sa propre monnaie n'est pas quelque chose de compliqué. Tous les pays peuvent le faire. En Afrique tous les pays ont leur propre monnaie, sauf les 14 qui utilisent le CFA qui est contrôlé par le Trésor français. La question est plutôt : comment faire pour que, lorsque la nouvelle monnaie est lancée, elle marche, elle inspire confiance et elle ne fasse pas l'objet de sabotage ?

En matière de sabotage, il y a eu des précédents. En 1960, quand la Guinée, devenue indépendante deux ans plus tôt, a lancé sa nouvelle monnaie, les services secrets français, ont inondé le pays de faux billets de banque pour détruire le système monétaire. C'est l'Opération « Persil ». De même, en 1962, quand le Mali, sous Modibo Keita, est sorti de la zone franc pendant cinq ans, le Sénégal et la Côte d'Ivoire, sous la dictée de la France, ont mis en place des barrières douanières en guise de représailles. Mais ces exemples de sabotage sont intervenus dans le contexte de la Guerre froide. Nous sommes de nos jours dans un monde multipolaire. Si certains pays veulent sanctionner, d'autres puissances sont là qui s'intéressent à l'Afrique et qui sont prêtes à proposer des partenariats plus équilibrés. Dans le cas d'un pays comme le Sénégal, son destin économique est lié à celui du Mali et des pays voisins. Les pays de l'AES et la Guinée achètent plus de 60 % des exportations sénégalaises à destination du continent africain. S'il en est ainsi, c'est parce que nous sommes pour le Mali son principal point d'accès à la mer. Toute sanction de notre part est une « auto-sanction ».

- Pour conclure, quelles perspectives ce retrait pourrait avoir ?

Pour moi c'est une crise. Et toute crise est une opportunité de changement. Cette crise peut être résolue d'une manière positive. Pour cela, il faut se rendre compte qu'elle a été l'un des corollaires de l'attitude de la Cédéao et de certains de ses dirigeants (...). La légitimité populaire de la Cédéao est au plus bas (...). La Cédéao et la plupart des dirigeants ont perdu les peuples. C'est, là, une trame de fond en Afrique de l'Ouest. L'intégration régionale s'est essoufflée. Elle a besoin de fondements plus solides et plus durables. Elle doit être au service des peuples et du panafricanisme. Un aggiornamento en matière d'intégration régionale est nécessaire et urgent. C'est le message que les pays de l'AES et leurs peuples ont envoyé. Espérons qu'il sera bien entendu.

(*) Les opinions exprimées dans cet entretien n'engagent que leur auteur et ne reflètent pas forcément la ligne éditoriale de l'Agence Anadolu.

Lassaad Ben Ahmed

Ndongo Samba Sylla

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Au Soudan, les comités de résistance luttent malgré la guerre

6 février 2024, par Sudfa — , ,
Depuis le début de la guerre au Soudan, les comités de résistance, organisations autogérées de la société civile soudanaise et fers de lance du mouvement révolutionnaire, font (…)

Depuis le début de la guerre au Soudan, les comités de résistance, organisations autogérées de la société civile soudanaise et fers de lance du mouvement révolutionnaire, font l'objet d'une violente répression. Pris en étau entre les deux forces armées qui s'affrontent, ils multiplient initiatives de solidarité locale et poursuivent leur combat pour construire un gouvernement civil démocratique.

Tiré du blogue de l'auteur.

Les comités de résistance, parfois aussi connus sous le nom de « comités de quartier », ont vu le jour lors des mobilisations massives de 2013 contre la dictature d'Omar El-Béchir. Rassemblant des citoyen·ne·s de tous les âges et de tous les milieux sociaux, ces groupes auto-organisés par quartier mettent en œuvre une solidarité au niveau local face aux défaillances de l'Etat soudanais, organisent une protection civile face à la répression, et mobilisent la population lors des manifestations. Lors de la révolution de 2018, qui a provoqué la chute du dictateur El-Béchir, et des mobilisations contre le coup d'Etat militaire en 2021, les comités de résistance sont devenus les fers de lance des manifestations soudanaises. Ils sont la véritable voix de la révolution, capables de mobiliser des millions de personnes, à l'inverse des partis politiques civils mis en avant par les médias internationaux (comme les Forces de La Liberté et du Changement), largement discrédités auprès des Soudanais·e·s. Les comités de résistance s'organisent par la base, au niveau local, et se coordonnent au niveau des métropoles ou des régions. Leur mode d'organisation décentralisé, sans porte-paroles et sans chefs, leur permet de représenter égalitairement l'ensemble du territoire soudanais et garantit le fonctionnement démocratique du mouvement révolutionnaire.

Manifestations contre la guerre, solidarité locale et collecte d'informations sur le terrain

L'éclatement de la guerre au Soudan, le 15 avril 2023, a provoqué un choc dans tous le pays, bouleversant l'activité des comités de résistance. Pendant les premières semaines de la guerre, la fuite massive des Soudanais·e·s vers les zones épargnées par les conflits ou à l'étranger a rendu difficile toute organisation collective. La terreur provoquée par les bombardements et les affrontements, obligeant les gens à rester confinés chez eux, ont également mis un coup d'arrêt brutal aux mobilisations, ainsi que les coupures constantes d'électricité empêchant les communications.

Cependant, dans les régions épargnées par les combats, les comités de résistance de Port Soudan, Wad Madani, et Kassala, ont rapidement organisé des rassemblements pour protester contre la guerre. Ils ont manifesté leur rejet des deux parties combattantes, autant l'armée soudanaise, qui a mis un terme à la révolution civile par un coup d'Etat et a commis des crimes de masse en réprimant les mobilisations, que de la milice RSF, coupables de génocide. Ils appellent à la paix immédiate et à un gouvernement intégralement composé de civils pour poursuivre la construction démocratique souhaitée par les Soudanais·e·s.

Dans les villes au cœur des affrontements, les comités ont participé au mouvement spontané de solidarité entre les habitant·e·s, tentant de reconstruire les villes, hôpitaux et écoles après les bombardements, de nettoyer les rues, de venir en aide aux plus démuni·es. Dans le grand Khartoum, ils ont également construit des barricades pour empêcher les RSF d'entrer dans les quartiers et de piller les maisons, tuer et violer les habitant·e·s, et d'établir des bases militaires dans les maisons vides.

Dans les zones de combat, les comités de résistance font un travail précieux de collecte d'informations sur le terrain. Ce travail permet de contrer la propagande de l'armée et des RSF, en alertant les médias internationaux des violations de droits commises par les deux forces armées qui les nient : les massacres, les viols des femmes, les arrestations massives contre des opposant·e·s présumé·e·s… Notamment, lors de la prise de la ville de Wad Madani en décembre 2023 par les RSF, qui déclaraient officiellement n'avoir pas commis de violence contre la population, ils ont lutté contre cette propagande en dénombrant les exactions commises sur les réseaux sociaux. Ils ont été les premiers à dénoncer le génocide à Al-Geneina qui a commencé en mai 2023. Ils ont également montré que dans de nombreuses villes, c'est le retrait de l'armée et son refus de protéger les citoyen·ne·s qui a permis aux RSF de massacrer la population, accusant les deux camps d'être responsables de la mort des civils.

Une violente campagne de répression et de désinformation

Dans tout le pays, les comités de résistance sont ciblés par une campagne de répression et de désinformation de la part des deux forces armées, visant à attaquer leur crédibilité auprès de la population. L'armée soudanaise les accuse de collaboration avec les forces de soutien rapide (RSF), qui les accusent de leur côté de collaborer avec l'armée soudanaise. Ces allégations fausses, constamment déniées par les comités de résistance dans leurs communiqués, les placent dans une position délicate, pris en étau entre deux forces antagonistes.

Ce discours permet également aux forces armées de justifier leur répression féroce contre les militant·e·s des comités de résistance. Chaque semaine, les comités des différentes villes publient des avis de disparition ou des appels à la libération de leurs membres détenus par l'armée ou les RSF. Par exemple, le 08 novembre 2023, le comité du quartier d'Al-Fatihab (à Omdurman) a signalé l'arrestation d'un de ses membres, Khaled Al-Zubair, qui travaillait aux urgences médicales. Il a été arrêté son domicile par les services de renseignements militaires, qui ont refusé de communiquer son lieu de détention et son état de santé. Le comité dénonce : « [une] attaque flagrante contre les travailleurs et les bénévoles du secteur humanitaire [qui] intervient à un moment où tout le monde tente de briser le siège imposé au quartier d'Al-Fatihab et de tout mettre en œuvre pour atténuer ses effets sur les citoyens ». Ils exigent sa libération immédiate ainsi que la fin du siège militaire de la ville, demandant « que les forces armées cessent de s'en prendre aux travailleurs du secteur bénévole et humanitaire ».

Les attaques se multiplient également sur les réseaux sociaux, où les forces armées répandent les « fake news » et piratent les comptes Facebook des comités de résistance. Le 22 juin 2023, par exemple, une fausse déclaration de la coordination des comités de résistance de Khartoum appelait les citoyen·ne·s à prendre les armes pour affronter les RSF. Dans un communiqué, les comités de résistance de Khartoum ont dénoncé cette « déclaration fabriquée » et ont rappelé leur position pour une paix radicale, qui passe par un refus de la prise des armes et la poursuite de la contestation civile.

« La prise des armes par les manifestant·e·s dans les cortèges pacifiques (…) constitue actuellement une menace directe pour la vie des citoyen·ne·s, compte tenu de l'effondrement de la sécurité dans l'État de Khartoum, et nous ne participerons en aucun cas à cette situation. Les comités de résistance refusent d'appeler les civils à l'armement de quelque camp que ce soit et d'inciter les citoyens à affronter des forces ayant recours à des armes lourdes. Ces forces n'hésitent pas à cibler les personnes innocentes qui se réfugient dans leurs maisons, à les violenter et à les tuer. Nous affirmons notre position claire en faveur du droit des citoyen·ne·s à la vie et à la sécurité. »

Tout récemment, le 09 janvier 2024, le gouverneur Mohamed El-Badawi, allié des putschistes militaires, a prononcé l'interdiction des comités de résistance dans tout l'état du Nil ainsi que des partis politiques civils. Les comités de résistance de Khartoum estiment que : « cette décision n'est rien d'autre qu'une tentative du groupe au pouvoir de supprimer les libertés et monopoliser l'activité politique. Nous ne voyons dans cette étape qu'une tentative des restes de l'ancien régime de revenir au pouvoir et d'exploiter le chaos sécuritaire provoqué par la guerre incendiaire qu'ils ont déclenchée pour liquider les comités de résistance et la révolution. »

Le comité de résistance d'Imtidad Chambat Al-Aradi (dans la ville de Bahri) rappelle quant à lui que : « il n'existe aucune force sur terre capable d'interdire les activités des comités de résistance et des révolutionnaires. Nous sommes le peuple qui agit pour lui-même. Au contraire, c'est à nous de décider qui nous voulons interdire, qui nous volons déraciner, et de renverser tous ceux qui se mettent en travers de notre chemin, avec les personnes formidables qui nous composent. Personne ne peut dissoudre des comités qui œuvrent pour le changement, le service public, et l'organisation locale, à l'exception d'autres comités de jeunes résistant·e·s délégués par notre puissant peuple. »

La poursuite du travail de construction démocratique

Malgré cette violente répression, les comités de résistance ont continué avec détermination leur travail de construction démocratique à l'échelle nationale, déjà commencé en 2022 avec la publication d'une proposition de constitution civile, la « Charte pour l'établissement du pouvoir du peuple ». Le 25 octobre 2023, lors d'une assemblée générale, les membres de différents comités ont validé une « vision pour mettre fin à la guerre, restaurer le chemin de la révolution et instaurer le pouvoir du peuple ».

La préparation de ce document a fait l'objet de discussions en visioconférence, toujours annoncées publiquement sur les pages Facebook des comités, et où tou·te·s les citoyen·ne·s civil·e·s étaient bienvenu·e·s. Cette « vision » propose un plan d'action pour sortir de la guerre, reposant sur un travail médiatique et public d'information, une collaboration avec les syndicats, secteurs professionnels, chefs religieux, et mouvements armés qui combattent l'armée régulière et les RSF. Le document appelle à mettre en œuvre « des solutions internationales (…) et à renforcer les solutions internes basées sur la volonté du mouvement de masse et tous les secteurs du peuple soudanais qui aspirent à la paix, la liberté, la justice et la démocratie, et désirent mettre fin à la guerre et s'attaquer aux racines de la crise nationale globale ». Suite à la publication de ce document, des réunions ont eu lieu avec les syndicats le 27 octobre pour construire un front civil démocratique contre la guerre, et instaurer un conseil législatif civil mettant en œuvre la « Charte pour l'établissement du pouvoir du peuple ».

Ainsi, en dépit du chaos de la guerre et de la propagande des forces armées, les comités de résistance n'ont pas cessé leurs activités, et leur organisation politique a repris progressivement de l'ampleur au cours des derniers mois. Alors que les partis politiques civils traditionnels ont signé un accord avec les RSF, le 3 janvier dernier, au cas où ceux-ci gagneraient la guerre, les comités de résistance ont dénoncé cette collaboration avec des « génocidaires ». Ils maintiennent toujours une position radicale de rejet de la guerre et de refus d'alliance avec l'armée comme avec les RSF.

Les comités de résistance continuent d'incarner une troisième voie, résolument pacifique, qui se situe dans la continuité de la révolution soudanaise. Ils rappellent que : « Nous, les comités de résistance, prenons nos décisions en fonction des intérêts de la nation et des intérêts de notre peuple, nous savons donc quand devenir la lumière et quand devenir le feu. Notre ennemi n'est qu'un, à savoir la milice terroriste Janjaweed (RSF) et les Kizan [partisans de l'ancien régime d'Omar El-Béchir] qui les ont créés, et ce sont les deux faces d'une même médaille. » (Déclaration du comité du quartier d'Imtidad Chambat Al-Aradi à Bahri).

Poursuivant les demandes de justice, de liberté et d'égalité, et de mise en œuvre d'un gouvernement civil, ils encouragent les citoyen·ne·s qui se mobilisent quotidiennement pour reconstruire les villes détruites par les combats et pour promouvoir une culture de la paix.

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La suppression du financement de l’UNRWA est un autre acte de génocide odieux

6 février 2024, par Jewish voice for peace — , , ,
La pression internationale, populaire et juridique, continue de s'intensifier pour qu'Israël mette fin au génocide des Palestinien·nes. Mais les gouvernements israélien et (…)

La pression internationale, populaire et juridique, continue de s'intensifier pour qu'Israël mette fin au génocide des Palestinien·nes. Mais les gouvernements israélien et américain cherchent à détourner l'attention de l'exigence de responsabilité et continuent de massacrer les Palestinien·nes par tous les moyens nécessaires.

Vendredi, la Cour internationale de justice a estimé que l'Afrique du Sud avait présenté des arguments plausibles pour démontrer qu'Israël commettait un génocide contre les Palestiniens.·ne Elle a exigé du gouvernement israélien qu'il fasse tout ce qui est en son pouvoir pour éviter les actes de génocide et qu'il permette l'entrée immédiate de l'aide humanitaire à Gaza.

Quelques heures plus tard, l'administration Biden a annoncé qu'elle réduisait le financement de l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). L'Allemagne, le Canada, le Royaume-Uni et plus d'une douzaine d'autres pays occidentaux ont rapidement emboîté le pas.

L'UNRWA détient l'intégralité du mandat des Nations unies en matière d'aide aux réfugiés palestiniens et est actuellement le principal fournisseur d'aide humanitaire à Gaza. La position de l'agence est d'autant plus cruciale que le siège actuel de Gaza par Israël empêche de nombreuses autres agences d'aide de franchir la frontière.

Plus de 700 000 personnes à Gaza sont actuellement confrontées à des maladies mortelles, qui peuvent être traitées grâce à l'aide médicale. Les 2,3 millions d'habitant·es de Gaza, dont plus de la moitié sont des enfants, risquent de mourir de faim. Ces menaces se répercutent en cascade : par exemple, l'absence d'eau potable et d'aide médicale entraînera des niveaux critiques de décès évitables dus à la diarrhée et aux maladies d'origine hydrique.

En conséquence, l'Organisation mondiale de la santé a déclaré que davantage de Palestinien·nes pourraient mourir de faim et de maladie que celles et ceux qui ont été tué·es par la guerre jusqu'à présent, marquant ainsi une nouvelle étape du génocide israélien, mené avec le soutien des États-Unis et des nations occidentales.

Les accusations douteuses contre l'UNRWA
En procédant à ces coupes soudaines, les États-Unis et plus d'une douzaine d'autres pays occidentaux ont cité les allégations de l'armée israélienne selon lesquelles 13 employés de l'UNRWA auraient participé aux attaques du Hamas du octobre. Ces allégations ont été rendues publiques vendredi, alors que les médias devaient couvrir deux affaires judiciaires distinctes accusant Israël de génocide et les États-Unis de complicité. Les accusations portées contre l'UNRWA posent plusieurs problèmes.

Le gouvernement israélien cherche à saper l'UNRWA depuis des décennies, l'accusant récemment de « perpétuer le problème des réfugiéƒes » – en d'autres termes, de maintenir les Palestinien·nes en vie.

L'État israélien a une longue tradition d'allégations mensongères pour détourner l'attention des médias des crimes qu'il commet à l'encontre des Palestinien·nes.

Aucune des preuves retenues contre les 13 employés de l'UNRWA n'a été rendue publique. L'armée israélienne a déjà modifié son récit sur la façon dont elle a obtenu ses preuves pour les allégations les plus récentes contre les 13 employés. Et CNN a rapporté que les allégations sont jusqu'à présent sans fondement.

Les accusations portées contre 13 employés de l'UNRWA, soit 0,0004% de l'effectif total de l'organisation, ne constituent pas une mise en accusation de l'ensemble de l'organisation au point d'entraîner une réduction immédiate de son financement. En revanche, au moins 153 employé·es de l'UNRWA ont été tué·es à Gaza par l'armée israélienne au cours des derniers mois – un crime de guerre auquel le gouvernement américain n'a pas encore réagi.

L'administration Biden refuse même de poser des conditions sur les milliards de dollars d'armes et d'aide à l'État et à l'armée israéliens, malgré des montagnes de preuves devant les tribunaux internationaux qu'Israël commet un génocide.

Le châtiment collectif des Palestinien·nes est un crime de guerre
L'UNRWA ne dispose pas de réserves financières. Il souffre d'un sous-financement chronique depuis des années et est soumis à d'énormes pressions depuis que les bombardements israéliens ont déplacé la quasi-totalité de la population de Gaza. Si les États-Unis et d'autres pays refusent de rétablir leur financement, le budget de l'UNRWA pourrait être épuisé dès le mois prochain, ce qui exposerait des millions de Palestinien·nes à un grave danger de mort dû à la maladie et à la famine.

La suppression de cette aide vitale équivaut à une punition collective à l'encontre des Palestiniens·ne, ce qui constitue un crime de guerre. Elle souligne également l'hypocrisie de l'administration Biden. Depuis le mois d'octobre, elle se dit préoccupée par la situation humanitaire à Gaza, tout en continuant à financer la campagne militaire israélienne qui est à l'origine de ces conditions de dévastation.

À l'heure actuelle, l'UNRWA est le principal obstacle à la famine et aux maladies mortelles pour plus d'un million de personnes. La suppression de son financement par les États-Unis est exactement ce à quoi ressemble la complicité dans un génocide.

http://www.jewishvoiceforpeace.org/2024/01/31/defunding-unrwa-is-genocide/

Traduit et mis en ligne en français sur
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/02/02/arretez-la-famine-a-gaza-et-autres-textes/#more-78963

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Les perspectives de l’impérialisme russe

6 février 2024, par Ilya Boudraitskis — , ,
La guerre de l'impérialisme russe en Ukraine ne montre aucun signe d'arrêt. Cet été et cet automne, nous avons assisté à deux offensives, la première de l'Ukraine visant à (…)

La guerre de l'impérialisme russe en Ukraine ne montre aucun signe d'arrêt. Cet été et cet automne, nous avons assisté à deux offensives, la première de l'Ukraine visant à libérer ses territoires occupés, et une contre-offensive de la Russie pour s'emparer de plus de territoires, qui se poursuit encore aujourd'hui.

Tiré de Inprecor 716 - janvier 2024
31 janvier 2024

Par Ilya Budraitskis

Émission Ligne directe avec Vladimir Poutine en 2021. © Kremlin.ru, CC BY 4.0

Moscou a récemment lancé une attaque massive à la roquette contre l'Ukraine, visant des civils et des infrastructures à la veille du Nouvel An. La ville frontalière russe de Belgorod est devenue la cible de missiles de représailles. La Russie dispose d'un demi-million de soldats sur la ligne de front pour défendre son occupation et en aura besoin de plus pour l'offensive complète qui pourrait commencer au printemps.

Vladimir Poutine et la classe dirigeante russe sont déterminés à poursuivre cette guerre jusqu'au bout. M. Poutine l'a clairement indiqué lors de sa séance annuelle de questions-réponses « Ligne directe avec Vladimir Poutine », le 14 décembre, au cours de laquelle il a répondu pendant plusieurs heures à des questions soigneusement sélectionnées posées par le public.

Il a déclaré que l'objectif de la soi-disant opération militaire spéciale restait la soi-disant dénazification et démilitarisation de l'Ukraine. Cela signifie qu'il a l'intention de poursuivre la guerre jusqu'à ce qu'il parvienne à un changement de régime en Ukraine et à la transformation de l'Ukraine en une semi-colonie russe.

Pour ce faire, son régime tente de stabiliser la société russe, d'attiser le conflit politique avec les États-Unis et les pays de l'OTAN, de légitimer son pouvoir par l'élection présidentielle de mars et de mobiliser les troupes russes en vue d'une nouvelle offensive au printemps.

Stabilisation de la société russe

Le régime s'est engagé dans une campagne intense pour stabiliser la société russe après la tentative de coup d'État menée par Evgeniy Prigozhin et son groupe Wagner l'été dernier. Poutine a surmonté ce grand vis-à-vis de son pouvoir en combinant la carotte et le bâton.

Il a proposé des accords pour que les mercenaires de Wagner reviennent dans le giron du régime. Quelques généraux de l'armée proches de Wagner ont été arrêtés. En ce qui concerne Prigozhin lui-même, Poutine l'a fait tuer en août lors d'une attaque à la roquette qui a fait exploser l'avion du seigneur de la guerre non loin de Moscou.

Il a ensuite démantelé le groupe Wagner lui-même, en intégrant certaines parties au ministère russe de la Défense et en permettant que d'autres soient conservées par le fils de Prigozhin ainsi que par d'autres sociétés militaires privées.

La pérennité de ces entreprises pourrait poser un problème au régime, surtout si la guerre tourne mal. Cela pourrait conduire à des dissensions entre l'État et les entreprises sur la stratégie et les tactiques militaires, ce qui pourrait à nouveau déstabiliser le régime.

Par ailleurs, le coup d'État de Prigozhin a montré l'existence d'une dissidence cachée parmi les responsables de l'armée. Mais pour l'instant, la stratégie de cooptation et de répression de Poutine a permis de surmonter la crise provoquée par Prigozhin.

Poutine a également réussi à stabiliser l'économie, du moins pour l'instant. Le régime de sanctions de l'Occident n'a pas endommagé l'économie russe autant que prévu. Le régime et les entreprises du pays ont trouvé divers moyens de contourner les sanctions.

Ils ont accru leurs échanges commerciaux et leurs investissements par l'intermédiaire d'États neutres tels que les pays d'Asie centrale, la Turquie, les Émirats arabes et bien d'autres encore, en particulier dans le Sud. Ces pays ont résisté à la pression américaine pour se conformer au régime de sanctions.

En outre, les compagnies pétrolières d'État russes ont conclu de nouveaux accords d'exportation avec de nombreux pays, notamment la Chine, ce qui a également permis de maintenir l'économie à flot. Les sanctions n'ont donc pas plongé l'économie russe dans la crise et n'ont pas empêché l'État de poursuivre la guerre en Ukraine.

Malgré la résistance de l'économie russe, celle-ci est confrontée à de nombreux problèmes. Par exemple, l'inflation augmente et pose de sérieuses difficultés économiques à la plupart des Russes ordinaires.

La Banque centrale russe a réagi en augmentant les taux d'intérêt afin de maîtriser l'inflation. Mais cela pourrait à son tour entraîner un ralentissement de l'économie, une augmentation du chômage et un nouveau coup dur pour la classe ouvrière.

Pour maintenir son hégémonie sur la population, Poutine s'est tourné vers la répression et l'idéologie néo-fasciste. Il a réprimé la quasi-totalité des dissidents de gauche, en particulier les militants anti-guerre.

Dans le même temps, il a tenté d'obtenir l'assentiment de la population en s'appuyant sur le nationalisme ethnique russe et en diabolisant tous les groupes qui le menacent. Par exemple, il a afficrmé que les migrants musulmans d'Asie centrale en Russie menaçaient l'équilibre ethnique du pays.

Le chef de l'Église orthodoxe russe, le patriarche Kirill, a surpassé Poutine en matière d'islamophobie. Dans un récent discours qui aurait pu être prononcé par Trump ou Enoch Powell, il a mis en garde contre la menace civilisationnelle posée par les musulman·es et les migrant·es en général.

Si le régime et l'Église utilisent ce nationalisme ethnique pour consolider leur base, cela pourrait se retourner contre eux. Ce sectarisme pourrait susciter des dissensions parmi les quelque 15 millions de citoyens musulmans du pays, qui représentent 10 % de la population.

Poutine a également lancé une intense campagne visant à faire respecter les valeurs familiales dites traditionnelles. Il a pris pour cible les féministes et les personnes LGBTQ, qu'il considère comme des menaces pour la société russe.

Le régime est sur le point d'imposer une interdiction totale du droit à l'avortement, après l'avoir récemment interdit dans les cliniques privées. Il a également annoncé l'interdiction totale des groupes, des événements et même des boîtes de nuit LGBTQ.

À ce stade, Poutine a réussi à stabiliser la société russe par la répression et ces campagnes idéologiques.

Conquérir l'Ukraine

Sur la base de cette stabilité, il veut intensifier la guerre en Ukraine. Son objectif immédiat est de s'emparer du reste de la région du Donbas, qui revêt une importance symbolique dans l'imaginaire impérial de Poutine et dans ses justifications de la guerre.

L'offensive qui aura probablement lieu a printemps se déroulera par étapes. L'objectif est de prendre Kharkiv, la deuxième ville d'Ukraine, et d'établir un nouveau front au niveau de la rivière Dnipro.

Le plan pourrait consister à diviser l'Ukraine en deux parties. D'une part, la Russie annexerait tout le territoire situé à l'est du Dniepr. Ensuite, elle tenterait de faire du reste du pays à l'ouest du fleuve un État neutre « dénazifié », c'est-à-dire dépendant de la Russie.

Mais il ne s'agirait là que d'un objectif temporaire. L'État russe reste déterminé à étendre son empire au reste de l'espace post-soviétique.

Attiser les conflits au sein des États-Unis et de l'OTAN

Poutine mise sur la montée de la droite aux États-Unis et dans l'OTAN pour saper leur opposition à son expansionnisme impérial. Lors de la séance de questions-réponses, Poutine a également souligné que l'Occident était très divisé sur l'aide à l'Ukraine.

Il a notamment cité le conflit entre les Républicains et l'administration Biden au sujet du programme d'aide proposé au pays. Il a clairement indiqué qu'il se réjouirait d'une victoire des Républicains, en particulier de Trump, à l'élection présidentielle américaine, car la nouvelle administration réduirait probablement, voire arrêterait, tout soutien à l'Ukraine et se retirerait même de l'OTAN.

Il courtise également l'extrême droite dans les autres pays de l'OTAN. Il attise les tensions avec la Finlande, nouveau membre du pacte. Suivant l'exemple du président biélorusse Loukachenko, Poutine a accueilli des migrants d'Irak, d'Afghanistan, de Libye et d'autres pays, puis les a encouragés à entrer dans l'Union européenne par la frontière finlandaise.

Il agit ainsi afin de provoquer une crise pour le courant politique dominant et d'alimenter la croissance de l'extrême droite anti-migrants en Finlande et dans l'Union européenne en général.

Il espère que leur croissance et leur succès affaibliront l'OTAN de l'intérieur. Ainsi, les médias officiels russes ont célébré la récente victoire de l'homme politique d'extrême droite Geert Wilders aux élections néerlandaises, qui s'est présenté sur un programme islamophobe et anti-migrants.

Enfin, Poutine tente d'exploiter la guerre brutale d'Israël à Gaza à son avantage contre les États-Unis et leurs alliés de l'OTAN, qui ont armé et soutenu Israël. Officiellement, la Russie appelle à une solution à deux États, soutient un cessez-le-feu et l'aide humanitaire de l'ONU.

Bien sûr, tout cela est hypocrite. La Russie est engagée dans le même type de guerre d'annexion en Ukraine qu'Israël à Gaza. Et, en coulisses, Poutine entretient des relations politiques, diplomatiques et économiques avec Israël.

Mais il exploite néanmoins l'horrible guerre d'Israël pour se réhabiliter, en particulier dans le Sud, et affaiblir les États-Unis et l'OTAN. Il espère que cela lui donnera plus d'espace pour poursuivre ses propres ambitions impérialistes en Ukraine et dans le reste de l'Europe de l'Est et de l'Asie centrale.

Mobilisation et appel d'air pour l'offensive de printemps

L'engagement de Poutine dans ce projet l'obligera à imposer une plus grande mobilisation des troupes et éventuellement un appel sous les drapeaux. Il devra recruter des centaines de milliers de personnes pour renforcer l'armée et mener à bien de nouvelles conquêtes. Cela pourrait poser de gros problèmes politiques à Poutine.

Il ne fera rien de tout cela avant l'élection présidentielle russe de mars. Lui et le reste de l'État veulent maintenir un climat positif dans la société russe jusqu'à cette date.

Après les élections, il est très probable qu'ils augmenteront la mobilisation vers le front. À l'heure actuelle, seuls 40 % environ des soldats russes en Ukraine sont des professionnels, le reste étant constitué de « volontaires », c'est-à-dire de personnes ordinaires qui se sont enrôlées dans l'armée pour mieux gagner leur vie.

Les soldats gagnent beaucoup plus que les travailleurs ordinaires. Le salaire moyen officiel est d'environ 600 dollars, mais la plupart des gens gagnent environ 300 dollars par mois. Dans l'armée, en revanche, les soldats peuvent gagner entre 2 000 et 3 000 dollars par mois.

Pour des millions de Russes, en particulier dans les villes industrielles de province, l'armée est donc un moyen d'échapper à la pauvreté. C'est ce qui explique le succès de l'enrôlement de soi-disant volontaires.

En réalité, il s'agit d'un recrutement dirigé vers les pauvres. Mais le gouvernement s'en sert pour redistribuer les richesses et créer un large secteur de la population qui bénéficie de la guerre. Bien sûr, beaucoup l'ont payé cher, perdant leur santé mentale, leurs membres et leur vie.

La situation des appelés est et sera totalement différente. Ils ne sont pas très bien payés et, contrairement aux soldats professionnels, leur durée de service n'est pas limitée.

L'appel sous les drapeaux a donc déjà suscité des protestations, en particulier de la part des familles et des proches des personnes astreintes au service militaire. Ils ont organisé des pétitions et ont même envoyé des centaines de questions à l'événement « Ligne directe » de Poutine. Bien entendu, toutes ces questions ont été évacuées et ne lui ont pas été posées.

Cela montre qu'il y a un terrain pour une opposition à tout nouveau projet. Elle prendra probablement la forme d'une protestation spontanée et auto-organisée. Cela ouvrirait la voie à la création d'un mouvement anti-guerre en Russie.

Des élections truquées pour légitimer le régime

Mais tout cela ne se produira qu'après la prochaine élection présidentielle. Bien entendu, il ne s'agira pas d'une véritable élection. Il n'y aura pas de véritable campagne ni de débat et le résultat est préétabli. Poutine gagnera.

Mais l'élection est néanmoins importante pour lui afin de donner à son pouvoir un semblant de légitimité et de démontrer le soutien populaire à son égard et à l'égard de sa guerre. Les médias du Kremlin prédisent déjà les meilleurs résultats de toute sa carrière politique.

On estime qu'environ 70 % des électeurs se rendront aux urnes et que 80 % d'entre eux voteront probablement pour Poutine. Bien entendu, il ne faut pas se fier à ces chiffres ni aux résultats des élections.

L'ensemble du processus repose sur la suppression de la véritable opposition et sur l'exclusion et l'emprisonnement de dissidents tels qu'Alexey Navalny. Bien sûr, des candidats soigneusement sélectionnés seront autorisés à se présenter pour donner une apparence de démocratie.

Le vote lui-même se déroulera sur trois jours, en personne et par voie électronique. Ces deux modes de scrutin seront fortement contrôlés par l'État, sans aucune surveillance de la part d'observateurs indépendants.

Tous les réseaux de surveillance des élections ont été détruits. Par exemple, cet été, le plus grand réseau appelé The Voice a été interdit et l'un de ses principaux organisateurs a été jeté en prison.

Ces élections sont donc le contraire d'élections libres, ouvertes et équitables. En fait, elles sont un moyen pour l'État de contraindre la population à l'obéissance politique.

La plupart des personnes employées dans le secteur public et les entreprises d'État seront contraintes au vote électronique sur leur lieu de travail. Si vous votez de cette manière, toutes vos données personnelles sont accessibles à l'État.

Ainsi, les autorités de l'État et les patrons pourront surveiller les votes et « corriger » le résultat si nécessaire. Néanmoins, les électeurs auront l'illusion de pouvoir choisir.

D'autres candidats, soigneusement sélectionnés, seront autorisés à se présenter, issus de partis de la pseudo-opposition loyale, comme le Parti communiste. Tous les candidats autorisés à se présenter ont des positions agressives et favorables à la guerre.

Aucun candidat ou parti véritablement anti-guerre ne sera autorisé à se présenter. Ils ne posent donc aucun défi à Poutine et n'expriment aucun sentiment anti-guerre. Ils se présenteront les uns contre les autres, divisant ainsi les 20 % de voix qui n'iront pas à Poutine.

L'opposition russe, qui est soit clandestine, soit en exil, débat de la manière d'aborder l'élection. Les partisans de M. Navalny ont déjà appelé à voter pour n'importe quel candidat autre que Poutine.

Ce n'est pas une mauvaise stratégie. Elle offre au moins aux gens, qui sont très atomisés et effrayés, une chance d'exprimer leur opposition, même de façon déformée.

Résister à la guerre et à la fascisation

Les gens ont toutes les raisons de craindre le régime. Il a écrasé toute expression publique de désaccord sur la guerre et l'a repoussée dans la clandestinité. Il a fait de même avec tous les groupes d'activistes, quels qu'ils soient.

Cela fait partie de la fascisation du régime. Il ne s'agit pas d'une simple propagande, mais d'une tentative d'imposer une forme brutale de dictature et de changer la société de manière fondamentale. L'interdiction des LGBT et les restrictions au droit à l'avortement, l'hystérie anti-migrants et la censure stricte contre toute critique du régime visent à homogénéiser la société et à transformer la Russie en une « civilisation d'État » fermée.

Dans ces conditions, la tâche de la gauche internationale reste l'opposition à l'impérialisme de Poutine, la solidarité avec la résistance ukrainienne, l'opposition à l'impérialisme occidental et le soutien aux luttes par en bas en Russie contre le régime néo-fasciste de Poutine.
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Manifestations des agriculteurs : la FNSEA dépassée ?

6 février 2024, par William Bouchardon — , ,
« Agriculteurs en colère », « on marche sur la tête », « on veut nourrir, pas mourir », « on est sur la paille »… Cet automne, les banderoles de ce type se sont multipliées (…)

« Agriculteurs en colère », « on marche sur la tête », « on veut nourrir, pas mourir », « on est sur la paille »… Cet automne, les banderoles de ce type se sont multipliées dans la France rurale, notamment aux abords des axes routiers. Depuis quelques jours, les actions des agriculteurs se sont intensifiées et le gouvernement craint un embrasement général.

Photo d'entête et article tirés de NPA 29

Photo montage de Serge D'ignazio
https://www.flickr.com/photos/119524765@N06/albums/72177720314482487/

Les racines de la colère sont en effet profondes : incapacité à vivre de leur travail, exaspération face à la bureaucratie, rejet des accords de libre-échange et parfois aussi opposition aux normes environnementales jugées trop contraignantes. Si la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs, défenseurs de l'agro-industrie, tentent de canaliser le mouvement, celui-ci semble leur échapper. Une occasion de pointer enfin l'hypocrisie de ces syndicats, qui prétendent défendre les agriculteurs en les enfermant dans un modèle en échec.

Durant l'automne, les habitants des campagnes françaises ont vu les panneaux d'entrée de commune être retournés et les banderoles de détresse des agriculteurs se multiplier. Dans les préfectures et sous-préfectures rurales, le monde agricole déployait son répertoire d'action habituel : manif en tracteurs, déversement de fumier devant les bâtiments officiels, actions « caddies gratuits » ou lancers d'œufs sur les supermarchés accusés de faire de trop grosses marges…

Pourtant, les médias nationaux ont peu couvert ces manifestations. Si l'actualité nationale et internationale était alors chargée, le fait que Paris n'était touché par aucune manifestation, doublé d'un certain mépris pour les « bouseux » des campagnes, expliquent sans doute aussi en partie ce désintérêt médiatique.
De la colère à la révolte

Désormais, le mouvement fait la une des médias. L'intensification des actions, avec le blocage d'axes routiers et autoroutiers, d'abord dans le Sud-Ouest puis dans toute la France, et la multiplication des actions spectaculaires y est sans doute pour quelque chose. Ces modes d'action, qui rappellent ceux des gilets jaunes, inquiètent de plus en plus le pouvoir. Alors que certaines figures de la contestation menacent de boycotter le salon de l'Agriculture et qu'un blocage de Paris est désormais annoncé, la tension est montée d'un cran.

La crainte du gouvernement de voir les blocages de grande ampleur observés en Allemagne, aux Pays-Bas, en Roumanie et en Espagne être imités en France est en train de prendre forme. Il tente donc de contenir l'incendie en envoyant ministres et préfets à la rencontre des agriculteurs, mais ne parvient pour l'instant pas à convaincre.

L'empressement du gouvernement à négocier tranche avec l'approche habituelle des macronistes vis-à-vis des mouvements sociaux, qui consiste à les caricaturer et à les réprimer. Une démarche surprenante, alors que les actions des agriculteurs prennent parfois un tournant violent, comme lors de lancers de projectiles contre des policiers à Saint-Brieuc le 6 décembre dernier ou l'explosion d'un bâtiment – vide – de la DREAL à Carcassonne revendiquée par le Comité d'Action Viticole le 19 janvier. Le déversement massif de fumier et de déchets agricoles sur les préfectures est quant à lui généralisé.

Alors que les médias s'empressent habituellement de dénoncer le moindre feu de poubelle ou des barricades érigées avec des trottinettes, ils se montrent cette fois-ci bien plus conciliants. Le double décès dans l'Ariège, où une agricultrice et sa fille présentes sur un barrage ont été percutés par une voiture, aurait également pu servir d'argument au gouvernement pour demander la levée des blocages. Gérald Darmanin demande au contraire « une grande modération » aux forces de l'ordre, qui ne doivent être utilisées « qu'en dernier recours »

Pourquoi le mouvement n'est pas réprimé (pour l'instant)

Si ce traitement peut surprendre, il se comprend à l'aune de plusieurs facteurs : l'image des agriculteurs dans l'opinion, les spécificités de ce groupe social et la symbiose entre la FNSEA et le gouvernement.

D'abord, incarnant une France rurale travailleuse et dont l'utilité sociale est évidente, les agriculteurs bénéficient d'une forte sympathie dans l'opinion. Un sondage réalisé le 23 janvier chiffre d'ailleurs le niveau de soutien au mouvement actuel à 82%, soit 10 points de plus que les gilets jaunes au début de leur mobilisation. De même, bien que le nombre d'exploitants agricoles ait fortement diminué au cours des dernières décennies et se situe désormais autour de 400.000 personnes, le vote de cette profession reste fortement convoité par tout le spectre politique, ne serait-ce que pour ne pas apparaître comme des urbains déconnectés du reste du pays.

Les agriculteurs forment un groupe social difficile à réprimer.

Ensuite, les agriculteurs forment un groupe social difficile à réprimer. Lorsque les manifestations ont lieu à la campagne, il est fréquent que les gendarmes et les agriculteurs se connaissent, ce qui incite moins les forces de l'ordre à les affronter. Les combats seraient d'ailleurs compliqués : la taille imposante des tracteurs et le fait que leurs cabines soient difficiles à atteindre protègent les agriculteurs d'une potentielle répression. Enfin, beaucoup d'agriculteurs sont également chasseurs et donc armés.

Enfin, le pouvoir est en très bons termes avec les deux syndicats agricoles majoritaires. La Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles (FNSEA) et le mouvement des Jeunes Agriculteurs, alliés dans presque tous les départements, ont obtenu ensemble 55% des voix aux élections des chambres d'agriculture en 2019.

Leur vision productiviste et tournée vers l'export s'accorde en effet pleinement avec celle des macronistes, qui souhaitent une agriculture toujours plus mécanisée, robotisée et digitalisée pour augmenter la productivité. Le soutien de la présidente de la FNSEA à Emmanuel Macron lors de la première réforme des retraites en 2019 et la création de la cellule Demeter, une unité de renseignement de la gendarmerie destinée à la traque des militants écologistes opposés à l'agro-industrie, en témoignent. Ainsi, lorsque la FNSEA et les JA appellent à la mobilisation des agriculteurs, ce n'est que pour mieux renforcer leur position de négociation avec le gouvernement.

Les racines de la colère

C'est bien dans cette perspective que les deux syndicats ont initié les mobilisations de l'automne. Leur objectif principal était d'arracher des concessions à l'Etat dans la future Loi d'Orientation de l'Agriculture, de nouveau reportée suite aux mobilisations, et à l'Union européenne, sur le Green Deal et la loi de restauration de la nature. En filigrane, la FNSEA et les JA ont aussi en tête les élections de 2025 dans les chambres d'agriculture. En démontrant leur capacité à peser dans le rapport de force avec les responsables politiques, ils espéraient renforcer encore leur pouvoir sur le monde agricole. Si cette stratégie a plutôt fonctionné à la fin 2023, le mouvement actuel semble toutefois leur échapper. Il faut dire que les agriculteurs ne manquent pas de raisons pour se mobiliser.

Alors que les prix de l'alimentation ont bondi depuis deux ans, cette manne n'a pas « ruisselé » jusqu'aux agriculteurs.

Tous font le même constat : il est extrêmement difficile, même en travaillant sans relâche tous les jours, de vivre de leur travail. Alors que les prix de l'alimentation ont bondi depuis deux ans, cette manne n'a pas « ruisselé » jusqu'à eux et reste captée par les négociants qui spéculent sur les prix agricoles, les industriels et la grande distribution : entre fin 2021 et le deuxième trimestre 2023, la marge brute de l'industrie agroalimentaire est passée de 28 à 48% !

Pendant ce temps, beaucoup d'agriculteurs vendent leur production à perte. C'est notamment le cas du lait, dont la filière, dominée par quelques gros acteurs comme Lactalis, refuse de communiquer ses taux de marge. Le racket s'organise aussi en amont, avec quelques gros fournisseurs de produits phytosanitaires, d'engrais, de semences ou de matériel agricole. Ceux-ci ont fortement augmenté leurs prix dernièrement, certes pour des raisons exogènes comme la guerre en Ukraine, mais aussi par pure rapacité.

Pour survivre, les agriculteurs sont donc sous perfusion constante de subventions. Aides à l'investissement, aides aux revenus de la Politique Agricole Commune (PAC) en fonction du nombre d'hectares cultivées ou de la taille du cheptel, aide à la conversion et au maintien en bio, aide à l'entretien des bocages… Il en existe pour à peu près tout. Encore faut-il pouvoir remplir une montagne de formulaires pour en bénéficier et espérer que l'administration parvienne à les traiter dans les temps. Or, des années d'austérité et de complexification des procédures ont rendu la bureaucratie incapable d'assurer ses fonctions. En réalité, les plus gros agriculteurs sont souvent les seuls à capter les aides. On comprend alors pourquoi les bâtiments administratifs sont particulièrement visés par les contestataires.

Alors que l'équation économique est déjà intenable pour les petits agriculteurs, une nouvelle vague de libre-échange est en train de déferler sur eux. Après la concurrence espagnole sur les fruits et légumes ou celle des éleveurs allemands et polonais sur le porc, ils vont devoir faire face à celle de la Nouvelle-Zélande, avec laquelle l'Union européenne vient de signer un accord de libre-échange.

En pleine urgence écologique, l'importation de viande et de lait de moutons de l'autre bout de la planète était sans aucun doute la priorité. L'UE finalise également les démarches pour supprimer les barrières douanières avec le Mercosur, le grand marché commun sud-américain. Face aux fermes-usines du Brésil ou de l'Argentine, qui exploitent le soja ou les bœufs sur des surfaces immenses, il est pourtant clair que l'agriculture française, excepté les filières haut de gamme, ne pourra pas faire face.

Le fait que ces pays utilisent des antibiotiques, des hormones de croissance, des pesticides et toutes sortes de produits interdits en Europe est vaguement reconnu par la Commission européenne, qui met en avant des « clauses miroirs » dans l'accord, mais sans aucune précision sur le fond. Enfin, l'UE ne cesse d'accélérer le processus d'adhésion de l'Ukraine, dont les produits agricoles qui ont envahi les marchés d'Europe centrale et ont déjà conduit à la ruine d'agriculteurs polonais et hongrois.

Les agriculteurs sont-ils vraiment anti-écolos ?

Pourtant, si ces motifs de colère sont extrêmement partagés par les agriculteurs, ils ne constituent pas le cœur des revendications de la FNSEA et des Jeunes Agriculteurs. Les deux syndicats focalisent plutôt leur opposition sur des mesures tournées vers la transition du secteur à des modes de production plus écologiques. Ils ont notamment dénoncé la hausse d'une taxe sur les pesticides et d'une redevance sur l'eau utilisée pour l'irrigation. Visant à financer le Plan eau du gouvernement et à réduire l'épandage de pesticides afin de préserver cette ressource de plus en plus rare, ces deux taxes ont été abandonnées dès décembre.

La fin progressive de l'exonération fiscale sur le gazole non routier, carburant des engins agricoles, a elle aussi été dénoncée, bien que la FNSEA soit quelque peu en difficulté sur ce terrain : dans un deal avec le gouvernement cet été, elle a accepté cette hausse en échange d'une réforme de la taxation des plus-values agricoles qui avantage les gros agriculteurs.

Au-delà des taxes, la FNSEA et les JA attaquent particulièrement de nouvelles normes environnementales européennes, comme la stratégie européenne « de la ferme à la fourchette » et le « Green Deal ». La première vise notamment à ce que 25% des surfaces agricoles utilisées soient en bio d'ici 2030, tandis que le second a déjà été largement vidé de sa substance.

Pour Arnaud Rousseau, le patron de la FNSEA, cette transition – pourtant timide – vers l'agro-écologie conduirait en effet à une « agriculture décroissante » qui serait alors incapable d'assurer les besoins alimentaires de la France. En agitant cette peur du retour de la faim, il espère faire échouer les tentatives limitées de convertir le secteur à des modes de production plus durables. Pour la FNSEA, la solution aux problèmes de productivité posés par l'épuisement des sols, le changement climatique, la multiplication des épidémies ou la crise de la biodiversité se situe uniquement dans le progrès technique, à coup de drones, de digitalisation, de méga-bassines, de robotisation ou d'organismes génétiquement modifiés (OGM).

En première ligne face aux effets du réchauffement climatique, premières victimes des pesticides et témoins de l'épuisement des terres et de la raréfaction de l'eau, nombre d'entre eux adhèrent à l'idée d'un changement de modèle.

Le mépris flagrant du syndicat majoritaire pour l'environnement n'est pourtant pas représentatif de la vision de tous les agriculteurs. En première ligne face aux effets du réchauffement climatique, premières victimes des pesticides et témoins de l'épuisement des terres et de la raréfaction de l'eau, nombre d'entre eux adhèrent à l'idée d'un changement de modèle. Mais alors que le passage au bio demande des années et que les prêts à rembourser sont souvent considérables, aucune transition n'est possible sans aide conséquente des pouvoirs publics.

Or, les aides à la transition et au maintien dans l'agriculture biologique sont notoirement insuffisantes et rarement versées à temps. Sans parler de la chute du marché du bio de 4,6% en 2022, qui s'est poursuivie pour 2023. Trop chers – en raison notamment des sur-marges pratiquées par la grande distribution – ces produits sont de plus en plus boudés par des consommateurs aux moyens érodés par l'inflation.

Au-delà du bio, les injonctions à aller vers plus d'agro-écologie ne sont pas non plus accompagnées de moyens suffisants. En témoigne par exemple la mobilisation conduite par la Confédération Paysanne et les CIVAM en Bretagne l'automne dernier pour plus de financements dédiés aux mesures agro-écologiques et climatiques (MAEC), qui encouragent les éleveurs à dédier une plus grande part de leur exploitation aux prairies, afin de préserver l'environnement. Ainsi, beaucoup d'agriculteurs souhaiteraient avoir des pratiques plus respectueuses de l'environnement – mais aussi du bien-être animal – mais n'en ont tout simplement pas les moyens.

La FNSEA, fausse alliée du monde agricole

Au lieu d'allier le nécessaire tournant écologique de l'agriculture avec des mesures permettant de le réaliser – protectionnisme et hausses des rémunérations des agriculteurs – la FNSEA et dans une moindre mesure les JA, préfèrent donc rejeter cette transition. Cela n'a rien de surprenant : bien que prétendant représenter tous les agriculteurs, la FNSEA ne défend que les plus gros d'entre eux. Les salaires des dirigeants du syndicat, dévoilés en 2020 par Mediapart, témoignent de leur déconnexion avec les paysans : le directeur général de l'époque émergeait alors à 13.400€ bruts par mois, soit plus que le ministre de l'Agriculture, tandis que l'ancienne présidente, qui ne travaillait que trois jours par semaine, touchait en un mois autant qu'un agriculteur moyen en un an !

La personnalité de l'actuel président du syndicat résume à elle seule les intérêts réellement défendus par la fédération : diplômé d'une école de commerce, Arnaud Rousseau commence sa carrière dans le négoce des matières premières, c'est-à-dire la spéculation… Il reprend ensuite l'exploitation céréalière familiale de 700 hectares, une parfaite incarnation de l'agriculture productiviste gavée de subventions de la PAC. Au-delà de sa ferme, Rousseau est également le directeur général d'un groupe de méthanisation, administrateur du groupe Saipol, leader français de la transformation de graines en huiles, président de Sofiprotéol, une société qui propose des crédits aux agriculteurs et d'une douzaine d'autres entreprises.

Surtout, il est le PDG d'Avril, un énorme groupe industriel, qui possède notamment les huiles Puget et Lesieur. En 2022, le chiffre d'affaires de ce mastodonte de l'agroalimentaire et des agrocarburants atteignait 9 milliards d'euros tandis que son résultat net a explosé de 45% ! Un groupe dont était déjà issu l'ancien président de la FNSEA, Xavier Beulin, entre 2010 et 2017.

Patron d'un groupe agro-industriel qui fait son beurre sur le dos des paysans, promoteur de l'endettement des agriculteurs et ancien trader, Arnaud Rousseau a des intérêts dans presque tous les secteurs responsables de la mort de l'agriculture française.

Patron d'un groupe agro-industriel qui fait son beurre sur le dos des paysans, promoteur de l'endettement des agriculteurs et ancien trader, Arnaud Rousseau a des intérêts dans presque tous les secteurs responsables de la mort de l'agriculture française. Il ne manquait guère que les semenciers et les vendeurs de matériel agricole et le compte y était. Aucune surprise, dès lors, à ce que la FNSEA ne se contente que de maigres communiqués contre les accords de libre-échange sans appeler à se mobiliser pour les faire échouer ou à ce qu'elle défende ardemment une PAC qui ne bénéficie qu'aux plus gros. Il en va de même avec la défense des « méga-bassines » par le syndicat majoritaire : présentées comme une solution face à la généralisation des sécheresses, ces bassins bénéficient aux plus gros agriculteurs qui refusent de changer leurs méthodes et accaparent l'eau aux plus petits pour produire des denrées souvent destinées à l'exportation.

Quel débouché au mouvement ?

Habituellement, les trahisons de la FNSEA et des JA auprès de leur base ne suscitaient guère de réaction de la part de cette dernière. Cette fois-ci, il semble cependant que leurs tentatives pour contrôler le mouvement ne prennent pas. A Toulouse, un représentant du syndicat invitant les agriculteurs à rentrer chez eux et à laisser son syndicat négocier en leur nom a été copieusement hué. En Haute-Saône, le blocage d'une usine Lactalis à l'aide de fumier et de déchets, suffisamment rare dans ce type de mouvement pour être souligné, est une action que n'aurait probablement jamais soutenue la FNSEA. Plus largement, les agriculteurs en révolte préfèrent généralement ne pas afficher leur appartenance syndicale – quand ils en ont une – et se montrent très soucieux d'échapper à toute récupération politique.

Que proposent justement les différents camps politiques ? Du côté du gouvernement, la ligne n'est pas claire et le bilan des sept dernières années au pouvoir difficile à assumer. Il est cependant probable que les macronistes finissent par conclure un accord avec la FNSEA autour d'aides d'urgences et de suppression de règles environnementales dans l'espoir de calmer la colère. Si des évolutions législatives sont nécessaires pour les appliquer, cela ne devrait pas poser de problèmes : dans leurs prises de parole, Les Républicains, alliés non-officiels du gouvernement, s'alignent totalement sur les revendications de la FNSEA.

Le Rassemblement National (RN) se montre lui plus critique du syndicat majoritaire, mais reprend la plupart de ses arguments sur le fond. Seule différence notable : la question du libre-échange, fermement combattu par l'extrême-droite. Un point qui la rapproche de la Coordination Rurale, un syndicat agricole qui se positionne depuis longtemps pour une « exception agriculturelle » dans le cadre de la mondialisation. Si Marine Le Pen et ses troupes tentent évidemment de récupérer le mouvement et ciblent directement l'Union européenne dans leurs critiques, dans le but de gonfler leur score aux élections de juin prochain, ils n'ont en revanche pratiquement rien à proposer en matière de régulation des prix, de réforme de la PAC, de revenu paysan ou sur le plan environnemental.

La gauche parviendra-t-elle à convaincre ?

Quant à la gauche, elle se trouve plus ou moins dans la même situation que la Confédération Paysanne, incarnation de ce camp politique parmi les syndicats agricoles. Bien que les manifestations des agriculteurs fassent écho à nombre d'alertes émises par la « Conf' » depuis des années (traités de libre-échange, folie de la libéralisation des marchés et de la fin des quotas de production, injustice des aides, impossibilité de verdir l'agriculture sans soutien financier, adaptation des normes aux réalités des petites fermes …), cela n'entraîne pas nécessairement un soutien aux propositions de ce syndicat. Pour la gauche, l'enjeu de cette séquence est de réparer son image auprès du monde agricole en cassant le discours autour de « l'agri-bashing » ou du bobo urbain végétarien donneur de leçons.

Prix plancher, encadrement des marges, protectionnisme, révision des aides pour les simplifier et soutenir un modèle plus écologique, révision des critères de commande publique dans les cantines pour favoriser l'agriculture française… Les propositions ne manquent pas.

De récentes interventions de députés de gauche dans les médias et à l'Assemblée nationale donnent l'espoir de rompre avec cette image. Les députés insoumis François Ruffin, Mathilde Hignet (ancienne ouvrière agricole) et Christophe Bex, ainsi que la députée écologiste Marie Pochon (fille de vignerons), ont clairement ciblé les vrais adversaires du monde agricole, à savoir les distributeurs, les industriels de l'agro-alimentaire, les fermes-usines étrangères et la FNSEA. Prix plancher, encadrement des marges, protectionnisme, révision des aides pour les simplifier et soutenir un modèle plus écologique, révision des critères de commande publique dans les cantines pour favoriser l'agriculture française…

Les propositions ne manquent pas. Rappelons d'ailleurs que la France Insoumise avait justement proposé l'instauration d'un prix plancher sur les produits agricoles le 30 novembre dernier, qui a été rejeté à seulement 6 voix. A plus long terme, l'instauration d'une Sécurité sociale de l'alimentation, qui fait petit à petit son chemin à gauche et dont les expérimentations locales se multiplient, pourrait constituer un nouveau cadre pour sortir vraiment l'agriculture du marché.

Certes, cet horizon peut paraître lointain. Bien sûr, il est probable que le mouvement actuel finisse par retomber, entre fatigue des personnes mobilisées en plein hiver sur les routes, nécessité de faire tourner les fermes pour rembourser les crédits et probable accord entre la FNSEA, les JA et le gouvernement pour calmer la foule. Le fait que ce mouvement social reste pour l'instant très sectoriel ne plaide pas non plus pour sa longévité. Toutefois, il a déjà permis de rouvrir des débats fondamentaux sur notre alimentation, la mondialisation, le travail et la répartition très inégalitaire de la valeur. En cela, il a brisé le cadre libéral dans lequel la FNSEA veut enfermer toute pensée politique du monde agricole. C'est déjà une grande victoire.

William Bouchardon 25 janvier 2024

https://lvsl.fr/manifestations

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Education nationale Malaise et discrimination à l’école publique

6 février 2024, par Omar Haddadou — , ,
Entrevue réalisée par Omar Haddadou Accusant des carences frappantes, le secteur éducatif subit de plein fouet des aménagements scandaleux. Enseignants (es) et syndicats (…)

Entrevue réalisée par Omar Haddadou

Accusant des carences frappantes, le secteur éducatif subit de plein fouet des aménagements scandaleux.

Enseignants (es) et syndicats lancent un avertissement au gouvernement, à l'heure où se déroule à Paris le deuxième acte de la mobilisation exigeant la démission de la nouvelle Ministre de l'Education nationale.

De Paris, Omar HADDADOU

Stupéfaction et colère à l'école de la République !
En vertu du fameux « Choc des Savoirs », paradigme consigné en haut lieu dans une réforme ravaudée de saupoudrage élégant, le macronisme stigmatise à souhait ! Mieux encore, on se veut procédurier fécond par l'audace incongrue d'engager un séparatisme perfide au sein d'une communauté scolaire. La mise en place de groupes de niveau au collège en est l'exemple patent. L'adaptation du rythme se fera dans la douleur. Qu'importe ! Fraîchement investie dans ses fonctions, la nouvelle ministre de l'Education nationale, Amélie Oudéa- Castéra, que d'aucuns annoncent sur la sellette, s'est empressée à en mettre pleins les yeux au chef de l'Etat, « Je poursuivrai vos actions, lance-t-elle au Premier ministre, de ce que le Président de la République a appelé le réarmement civique de notre jeunesse ». Savourez le coup d'encensoir !
Mercredi, sans sourciller, elle annonçait aux syndicats un moratoire sur la fermeture de classes préparatoires à Paris.

D'où la démission du recteur Christophe Kerrero, porteur de projet de mixité sociale. Une actualité brûlante, vous l'aurez compris, sur fond de manifestations syndicales dans la capitale.
Le tour de force, ô combien inventif, et la saillie de la Ministre, prise sous l'aile du jeune Premier ministre Gabriel Attal, attise l'indignation. Syndicats et Enseignants dénoncent, à travers les mobilisations des 1er et 6 février à Paris, sa politique de « séparer le grain de l'ivraie ». C'est-à-dire les élèves compétents de leurs camarades.

Une mesure d'une violence et aberration crasses. Des députés de la Gauche n'hésitent pas à dénoncer sa position en faveur de la caste bourgeoise parisienne.
Pour défendre l'Ecole de la République, les organisations SNES – FSU, CGT, FO Education, SGEN-CFDT) veulent inscrire leur lutte dans la durée. 130 écoles avaient fermé le 1er février. 65% des professeurs ont répondu à l'appel. Celle d'aujourd'hui marque l'ancrage de la contestation sur tout le territoire national.
Porteurs d'une mise en garde à l'attention de Matignon et rue Grenelle, Enseignants et Collectifs sont montés au créneau pour l'ouverture des négociations salariales et l'abandon dudit « Choc des Savoirs ».

Face au délitement de la mécanique de transmission du Savoir, les protestataires des places du Luxembourg et Sorbonne, lancent un appel pour un plan d'urgence portant sur l'ouverture de postes aux enseignants (es), la revalorisation des traitements, les doléances budgétaires, la satisfaction des requêtes sur les moyens matériels et humains, le soutien scolaire et psychologique ainsi que le problème des effectifs (remplacements).
L'Intersyndicale pointe, par ailleurs, du doigt la politique gouvernementale consistant à envoyer des contingents d'élèves directement en Apprentissage, quand certains députés et leaders syndicaux parlent de paupérisation de l'école.

Lycéens et collégiens espèrent une montée en puissance de la mobilisation en mars après les vacances.

Le budget de 2024 annoncé à cor et à cri par le Ministère à hauteur de 63,6 Milliards d'euros, apaisera -t-il les tensions ?

Une chose est sûre, le choix du timing de la revendication des Agriculteurs, à la veille des JO pour faire mouche auprès de l'exécutif, risque d'inspirer bien de « primo grognards ».
O.H

Photos Omar Hadadou

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La croisade de St Déni

6 février 2024, par Barbara Cardin — , ,
Bonne année à tous ! J'espère que vos fêtes se sont bien passées, ici en France l'actualité a comme toujours été étouffée sous la dinde aux marrons et noyée dans le champagne. (…)

Bonne année à tous ! J'espère que vos fêtes se sont bien passées, ici en France l'actualité a comme toujours été étouffée sous la dinde aux marrons et noyée dans le champagne. Enfin pour ceux qui peuvent encore se le permettre, de moins en moins nombreux …

Fini la guerre en Ukraine, exit le génocide des palestiniens, plus un mot sur ceux qui meurent de froid dans nos rues, il faut de la gaîté, des paillettes, des milliers d'ampoules clignotantes ! Cette année 2024 sera celle de la France car c'est l'année des Jeux Olympiques, prétexte idéal pour lancer un grand nettoyage du pays. Dehors les immigrés qui font peur, dehors les bouquinistes des quais de Seine qui font désordre, on va pouvoir augmenter tous les prix, faire exploser le marché locatif, doubler les tarifs des transports en commun ! C'est la fête !!! On pourrait même aller jusqu'à réquisitionner les logements des étudiants boursiers durant les jeux pour les louer à prix d'or aux touristes naïfs, tant qu'à faire … Où iront les étudiants ? À la soupe populaire ça ne les changera pas de leur quotidien, plusieurs milliers y vont déjà.

De nouveaux menteurs à l'Elysée

Cette rentrée a aussi été celle d'un « changement de gouvernement ». Je mets des guillemets parce que finalement peu de choses ont changé … notre ministre de l'économie ultra libéral reste le même, notre ministre de l'intérieur qui échange des logements sociaux contre des faveurs sexuelles reste le même … notre ministre de la justice jugé pour conflit d'intérêt en plein mandat reste le même... Ce qui change c'est le premier ministre, exit Elisabeth Borne, usée par ses 23 recours à l'article 49.3, et bienvenue au nouvel enfant prodige de la Macronie, Gabriel Attal.

Attal est un pur produit de l'entre soi parisien, sa vie tient sur un rayon de 6km, jamais il n'aura à mettre un pied en dehors des beaux quartiers. Père riche producteur de cinéma, mère héritière d'une longue lignée d'hommes politiques datant du 18ème siècle, il fait sa scolarité à la prestigieuse école Alsacienne puis intègre l'Institut d'études Politiques de Paris. Il entre dans la vie politique sans jamais avoir travaillé un seul jour dans sa vie, il gravit les échelons avec une rapidité déconcertante jusqu'à devenir le petit chouchou d'Emmanuel Macron, qui le nomme en 2023 ministre de l'éducation nationale alors qu'il n'a jamais été à l'école publique républicaine. À seulement 34 ans il devient le plus jeune premier ministre français.

On pourrait se dire qu'un jeune dirigeant apportera un peu de fraîcheur … ça serait mal connaître le conservatisme de nos élites parisiennes ! Attal compose un gouvernement digne de la plus coincée des droites et confirme officiellement ce que tout le monde savait déjà ; la Macronie a basculé à droite toute. Il va jusqu'à nommer Rachida Dati, Sarkosiste de la première heure et impératrice de la vulgarité, ministre de la culture !!! Rappelons que notre nouvelle ministre botoxée est mise en examen pour corruption et abus de pouvoir …
Mais le petit bijou de ce nouveau gouvernement, celle dont je veux vous parler aujourd'hui c'est Amélie Oudéa Castera. Ancienne ministre des sports, elle devient par un coup de baguette magique ministre de (accrochez vous bien...) l'Éducation Nationale, de la Jeunesse, des Sports, des Jeux Olympiques et Paralympiques (et des tondeuses à gazons et rasoirs jetables) !

Je ne sais pas vous, mais de mon point de vue l'Éducation me paraît être un sujet majeur, si ce n'est LE sujet principal qui devrait concerner les politiques publiques. Fourrer l'éducation dans un ministère du tout et du rien, sous la même responsabilité que les JO qui vont demander énormément d'investissement, cela montre bien le peu d'intérêt que nos dirigeants accordent aux générations futures.

Mais cela nous fait assez de nouvelles déprimantes, passons aux réjouissances ! Car vous allez voir qu' Amélie Oudéa Castera (AOC pour les intimes, une AOC à la française loin de son homonyme américaine) est un véritable cadeau offert aux oppositions et à la presse indépendante. Depuis sa nomination elle nous régale avec un enchaînement de gaffes que même Mister Bean n'aurait pas osé.

Le dénigrement de l'école publique

Prenons les faits chronologiquement : le 11 janvier, cette ancienne directrice du CAC 40 (elle a dirigé Axa puis Carrefour), nièce de deux de nos journalistes les plus installés, épouse de celui qui fut directeur de la Société Générale pendant la crise financière (banque à l'origine de l'affaire Kerviel et croulant sous les condamnations judiciaires) et actuel dirigeant de la très controversée entreprise pharmaceutique Sanofi … rien que ça, est nommée ministre de l'éducation (et de plein d'autres trucs …).

Une heure après sa nomination, Médiapart l'interroge sur l'école Stanislas où elle a choisi de scolariser ses trois enfants. En effet, ce qui fait tache d'huile c'est que l'école Stanislas est une prestigieuse école privée parisienne, ultra catholique, sous contrat avec l'état et recevant plus d'un millions d'euros de fonds publics. Une école privée accusée par plusieurs médias de sérieuses dérives racistes, misogynes, homophobes et dans le viseur de l'inspection. Prise de cours par ses nouvelles responsabilités, la ministre botte en touche et promets de répondre plus tard.

Le lendemain, elle fait son premier déplacement officiel, accompagnée du premier ministre, qui est aussi son prédécesseur au ministère de l'éducation, dans un collège des Yvelines. Mediapart l'attend de pied ferme, le matin même ils ont publié un article révélant les choix très réactionnaires de la ministre. Quand ils la questionnent devant les caméras, elle ne tente pas d'esquiver comme avaient l'habitude de faire ces prédécesseurs (dont la plupart mettaient eux aussi leurs rejetons dans le privé). Au contraire, elle déclare dans une prestation Actor Studio : « Vous êtes totalement dans le procès d'intention ! Je n'esquiverai pas votre question … je voudrais relever que si on commence dès le premier jour sur des attaques personnelles c'est parce que ce que j'ai pu exprimer ce matin était inattaquable sur le fond. Alors très bien ! Allons sur le champ du personnel, allons y ! »

Elle dit qu'elle va nous raconter « une histoire », celle de son aîné qui aurait commencé sa scolarisation à l'école publique, dans une école publique qu'elle cite nommément. Elle nous parle ensuite, des trémolos dans la voix, de « la frustration de ses parents qui avons vu des paquets d'heures qui n'étaient pas sérieusement remplacées. Et à un moment on en a eu marre, comme des centaines de milliers de familles qui ont fait le choix d'une solution différente. » Elle prétend que Stanislas était un choix de proximité et que « désormais nous nous assurons que nos enfants sont non seulement bien formés, avec de l'exigence dans la maîtrise des savoirs fondamentaux et qu'ils sont heureux, épanouis, qu'ils ont des amis, qu'ils se sentent en sécurité, en confiance. » Elle ajoute, comme si ça n'était pas suffisant : « Avant de stigmatiser les choix des parents d'élèves, il est important de rappeler que l'école, c'est celle de la république, et que la république travaille avec tout le monde dès lors qu'on est au rdv ».

Bon … l'équipe de communication derrière elle est en panique, le premier ministre est livide et Médiapart se frotte les mains ! La ministre de l'éducation nationale vient de critiquer sans ménagement son propre ministère, responsabilisant par là son prédécesseur, Gabriel Attal ! Mais ça va bien au delà de ça, elle suggère avec peu de subtilité que tout bon parent soucieux de l'éducation de ses enfants devrait les mettre dans le privé car dans le public ils ne sont pas heureux, pas en sécurité et mal formés !!! La privatisation de l'éducation est en marche … C'est évidemment un scandale immédiat. Les syndicats de professeurs et de parents d'élèves sont révoltés, la ministre est raillée pour son ton factice et condescendant, et notre presse indépendante ne compte pas en rester là.

Trois jours plus tard, c'est le journal Libération qui révèle le témoignage de l'ancienne institutrice des enfants de la ministre. Outrée, elle assure n'avoir jamais été absente durant la brève scolarisation du fils aîné d'AOC dans le public, qui n'a en vérité duré que six mois. Le garçon a été scolarisé en cours d'année alors qu'il n'avait pas encore l'age d'entrer en maternelle, mais ses parents ont insisté et l'école leur a fait cette faveur. Il n'était présent en classe que le matin. Selon l'institutrice, c'est le refus de le faire passer en niveau supérieur qui a motivé son retrait de l'école. AOC voulait que son fils ait une année d'avance, l'équipe enseignante estime que ça n'est pas dans l'intérêt de l'enfant, alors la ministre le retire de l'école publique pour le mettre dans une école privée qui accepte ses exigences.

Mise face à ce témoignage corroboré par les collègues et les parents d'élèves, la ministre bafouille, parle « d'éléments à coté de la vérité », dit comprendre « le ressenti » des professeurs mais maintient le fait que ce sont les heures non remplacées qui ont motivé son choix. Seulement voilà … les registres de l'école et les très nombreux témoignages de membres de l'équipe enseignante et de parents d'élèves lui donnent tort. Alors elle s'empêtre dans ses mensonges, prétendant ne pas se souvenir des dates de scolarisation de son aîné (oui oui, cette maman exemplaire qui nous dit que ses priorités sont le bien être de ses enfants ne se souvient pas de la première rentrée scolaire de son premier enfant … normal !). Les syndicats enragent, tout comme les communicants du gouvernement qui s'arrachent les cheveux, et elle est obligée de se rendre à l'école en question pour faire ses excuses. En digne macroniste elle refuse pourtant d'assumer pleinement ses mensonges et ose se victimiser, se disant « malheureuse d'avoir blessé l'équipe enseignante », mettant en avant son « expérience de maman », se plaignant de « harcèlement » de la part des médias et demandant à ce que ce chapitre « des attaques personnelles » soit clos. Culottée !!! Elle reçoit en réponse des huées virulentes et toujours plus de reproches.

Que ce soit durant ses déplacements ou à l'assemblée nationale, la ministre ne parvient pas à prendre dignement ses fonctions, et l'opposition la renomme ironiquement « la ministre de l'éducation, de la jeunesse, des sports et du mensonge. » Elle a perdu toute crédibilité avant même de se mettre au travail.

Mais la descente aux enfers d'AOC ne s'arrête pas là … Médiapart la questionne sur son choix d'école privée : le prestigieux établissement Stanislas. En effet, huit mois plus tôt, le média indépendant avait publié des révélations faisant état de cas de racisme et d'homophobie à Stanislas. Des révélations suffisamment sérieuses pour déclencher une inspection dont les conclusions (accablantes) ont été remises au ministère de l'éducation cet été. Pourtant, Mme la ministre du mensonge prétend que ce rapport n'est pas sur son bureau, et semble vouloir nous faire croire qu'il n'existe pas. Qu'à cela ne tienne, Médiapart publie ce fameux rapport. Et là … accrochez vous !

Un enseignement sectaire

Pour commencer en beauté, Stanislas ne respecte tout simplement pas la loi en imposant des cours de catéchisme à tous ses élèves de la maternelle à la classe prépa. La France est un état laïque, il est par conséquent inconcevable qu'un établissement recevant 1,3 millions d'euros de financements publics annuels puisse obliger les étudiants à suivre un enseignement religieux. Mais cela va plus loin car, selon le rapport, le contenu de ces cours est également problématique : « Certains catéchistes expriment des convictions personnelles qui outrepassent les positions de l'Église catholique, par exemple sur l'IVG en tenant des propos remettant en cause la loi, ou susceptibles d'être qualifiés pénalement sur l'homosexualité »

Il existe de nombreux témoignages d'élèves qui rapportent des propos totalement délirants proférés par des intervenants en cours de catéchèse. L'une d'elle par exemple aurait déclaré que « l'avortement était encouragé parce que les fœtus étaient utilisés pour des médicaments, le Doliprane notamment ». Un autre que « Francois Hollande était un danger pour la République puisqu'il défendait la théorie du genre ».
Je vous laisse une seconde pour imaginer le scandale si ces propos avaient été tenus dans une école musulmane !

Le rapport révèle également un discours révoltant sur l'homosexualité, comme ce que rapporte ce témoin sur un des intervenants : « Il nous a parlé de l'homosexualité comme d'une maladie, et que si l'on se sentait homosexuel, il fallait se faire soigner dans une structure religieuse au Canada, que l'homosexualité venait du fait que quand la mère enceinte trompe son mari ou que son mari trompe sa femme, le bébé ressent tout et a le cœur brisé ; il nous a parlé de sodomie également. Il nous a parlé de viol, en disant qu'il fallait pardonner au violeur et que c'était difficile. »

Ou encore cet enregistrement de l'intervenant star de Stanislas, Philippe Ariño (célèbre auteur homosexuel catholique prônant l'abstinence), dans lequel on l'entend déclarer à une classe d'adolescents : « On peut ne pas être d'accord avec ce que vivent les homo (…) la bible condamne les actes (…) les personnes homosexuelles dans le milieu se détestent. En général l'amitié est très difficile (…) ça dit quelque chose de la nature idolâtre du désir homosexuel. » Charmant …

Mais ça ne sont pas seulement les enseignements religieux qui posent problème, les programmes de Sciences et Vie de la Terre et d'Enseignement Moral et Civique ne sont pas respectés et les cours d'éducation à la sexualité (normalement obligatoires) sont remplacés par des séances « d'éducation affective ». Dénoncées par les élèves, ces séances sont non mixtes et mettent volontairement à distance la sexualité, nous dit le rapport d'inspection. À propos de l'une des dernières intervenantes un témoin déclare aux inspecteurs avoir entendu « des choses aberrantes, par exemple que les hommes ont des pulsions que les femmes n'ont pas et qu'elles doivent subir… ».

Le rapport va jusqu'à affirmer : « Le parti pris de certains professeurs de SVT de ne pas parler des infections sexuellement transmissibles (IST), les propos tenus lors des conférences d'éducation à la sexualité sur les dangers de la contraception chimique, et enfin les dérives relevées en catéchèse sont susceptibles pour la mission de porter atteinte à la santé des élèves ».

Interrogé par la presse, le directeur affirme avoir mis de l'ordre dans tout ceci … tout comme il l'avait déjà affirmé quelques années auparavant quand d'autres articles avaient déjà soulevé ces problèmes.

Au delà de ça, le personnel encadrant, notamment les préfets, sont mis en cause pour des méthodes brutales et humiliantes, particulièrement en ce qui concerne les tenues et les coiffures des jeunes filles (moins nombreuses et clairement mises à part et négligées). Le rapport parle notamment d'une jeune fille ayant subi une agression sexuelle en dehors de l'établissement. « Elle évoque un rendez-vous fixé avec ses parents au cours duquel elle a été contrainte de les informer de cette agression, “sinon ce n'était pas vrai ou sérieux”, la menace d'exclusion, les remarques humiliantes à répétition », relèvent les inspecteurs. « La pédagogie de Stan est violente. Leur but est que les élèves donnent le meilleur d'eux-mêmes, non pas en les encourageant, mais en les rabaissant »

Et le comble, Mediapart révèle que le ministre de l'éducation nationale (à l'époque notre actuel premier ministre Gabriel Attal) avait été alerté par un parent d'élève qui dénonçait l'exclusion injuste de sa fille. Les inspecteurs confirment l'intégralité de ces accusations et montrent que la direction de Stanislas a « dissimulé la vérité » et même « monté dans la précipitation » un dossier à charge pour tenter de justifier l'exclusion de la jeune fille et travestir ses motifs. Ils accusent à tort cette élève d'avoir harcelé des camarades. « Il ressort des pièces transmises que le problème posé par cette élève se situe ailleurs, dans un conflit personnel entre le préfet et elle, relayé par le censeur – directeur du lycée, en raison en réalité de ses prises de position assimilées à du militantisme(…) cette affaire témoigne de la méthode brutale employée par l'établissement pour écarter une élève brillante qui ne correspond plus à “l'esprit Stan” et qui pourrait influencer d'autres jeunes », relèvent-ils.
L'un des préfets de l'établissement reprochait à cette jeune fille de porter « un pull LGBT » et était, selon plusieurs témoignages, « familier de propos homophobes et d'insultes envers les filles qu'il ne trouve pas assez féminines ». Cette exclusion arbitraire a été décidée sans passage en conseil de discipline, sans consulter les professeurs de l'élève en question et sans aucun accompagnement pour aider l'élève à trouver un autre lycée.

A Stanislas, le sexisme est omniprésent, par exemple l'internat de classe prépa a une capacité d'accueil de 473 places pour les garçons contre 98 pour les filles. Les classes de garçons sont situées dans le bâtiment central alors que les classes mixtes et de filles sont dans un bâtiment à part, excentré de la vie du campus.

Dans un livret remis aux élèves masculins de seconde (15 ans) intitulé « Tu seras un homme », on explique aux adolescents que les hommes sont soumis à des passions violentes, c'est pourquoi les filles ne doivent pas les exciter avec des tenues provocantes. On peut également y lire que « les héroïnes n'existent pas » ! Dans l'esprit tordu des auteurs, seuls les héros peuvent exister … au premier rang de ces héros figurent je suppose les inquisiteurs de la belle époque.

Le rapport d'inspection, qui se conclut

par une bonne dizaine de recommandations pour se conformer aux lois, est clair « La mission relève sur vingt ans une préoccupation constante de l'apparence du corps féminin, qu'il faut cacher : vêtements opaques, épaules (couvertes), ventre (hauts sur le bas des hanches), cuisses (longueur des jupes et des robes), poitrine (pas de décolletés). Ce niveau de détails relève du sexisme. Il renvoie la jeune fille à une image sexuelle de son corps qui attire et perturbe les garçons. »


Les règles ne sont pas faites pour les élites

La publication de ce rapport a mis le gouvernement très mal à l'aise et il leur a fallu redoubler de langue de bois pour esquiver les questions. Non seulement notre ministre de l'éducation a mis ce rapport scandaleux au placard, mais elle a surtout fait des choix en totale contradiction avec sa mission ministérielle pour ses propres enfants. En effet, quand elle fait le choix de placer ses enfants dans des classes non mixtes, la mission de son ministère est quand à elle de « favoriser la mixité et l'égalité entre les hommes et les femmes » dans tous les établissements. C'est gênant …

Promettant qu'elle va se pencher sur l'affaire, que les révélations de Médiapart concernent des habitudes passées et que Stanislas a changé, la défense de la ministre se concentre avant tout sur ce qu'elle prétend être des attaques personnelles et met en avant le libre choix de tout parent pour l'éducation de ses enfants. Même le choix de ne pas respecter nos lois ???

Quelques jours plus tard, Mediapart, qui n'en a pas fini avec AOC, sort de nouvelles révélations dont elle se serait bien passée : l'un de ses fils a bénéficié d'un contournement de Parcoursup.

Parcoursup est une des premières et des pires réformes de Macron sur l'éducation. Le principe est catastrophique : les élèves en fin de lycée doivent formuler dix choix maximum pour leur avenir et envoyer leur dossier dans ces dix établissements via une plate-forme numérique en bug permanent (évidemment il existe certaines filières d'exception dites « sélectives » menant à des métiers plus valorisés que les autres et pour lesquels les frais de dossier sont payants … histoire de faire un premier tri …). Puis les étudiants attendent le verdict dans un stress inimaginable. Le concept fonctionnant uniquement par une plate-forme web est très vivement critiqué pour son caractère anxiogène, son opacité et surtout sa lenteur. Nous connaissons tous des étudiants qui, à une semaine de la rentrée universitaire, sont toujours sur liste d'attente et ne savent pas encore quelle filière ils pourront emprunter, quel sera leur avenir … avec tous les problèmes logistiques que cela cause, notamment au niveau des logements.

Bref, Parcoursup c'est la plaie de tous les étudiants ! Sauf des privilégiés de Stanislas qui, selon l'aveu même du gouvernement, bénéficient d'un contournement du processus. Il est évident pour tout le monde que si la fraude est tolérée pour Stanislas, elle l'est aussi pour d'autres établissements « d'élites », ceux qui mettent le mérite au dessus de tout mais refusent de jouer avec les règles de la concurrence qu'ils ont eux même imposées.

Car on ne va pas se mentir, le vrai problème ça n'est pas Stanislas en particulier, ce sont tous ces établissements privilégiés qui s'affranchissent des règles communes. Et notre ministre, aussi méprisable soit-elle, n'a fait que révéler le plus révoltant des scandales. Nous lui en sommes reconnaissants ! Louée soit sa bêtise ! Loué soit St Déni !

Selon une récente enquête PISA (confirmée par de nombreuses autres études), la France est parmi les pays de l'OCDE où les résultats scolaires sont le plus liés au milieu social. Nous sommes aussi un des pays développé qui paye le moins ses professeurs (comparé au salaire moyen national), sans parler du peu de respect auquel ils ont droit. Ces 20 dernières années la situation n'a fait que s'aggraver et, depuis le couronnement de Macron, c'est une accélération vertigineuse vers une éducation de plus en plus élitiste et un démembrement méthodique de l'enseignement public. La déchéance de notre éducation nationale n'est pas due au hasard, selon la cours des comptes les trois quart du financement de l'école privée vient des caisses de l'état, plus de 10 milliards de nos impôts qui sponsorisent l'éducation de nos chères élites, sans la moindre contrepartie, sans le moindre critère de mixité sociale en échange ! Pendant ce temps, nos écoles publiques sont délabrées, on parle de classes où il fait 10 degrés en hiver et 30 en été ; on recrute des professeurs en speed dating pour les jeter dans une administration cannibale qui les broiera en quelques mois ; on dépèce les programmes afin de s'assurer que la réussite ne puisse être conditionnée qu'à des cours privés … Il faut les comprendre, le marché de l'éducation vaut des milliers de milliards, ça fait forcément fantasmer ceux qui ne savent rêver que d'argent.

Si ça a été plutôt amusant de regarder en spectateurs la descente aux enfers de notre ministre, qui se tirait une balle dans le pied à chaque pas, force est de constater qu'elle est toujours en poste. Malgré une communication désastreuse qui revient à insulter les professionnels sous sa tutelle et à dénigrer son propre ministère, malgré des mensonges flagrants, malgré qu'elle ne puisse pas exercer ses fonctions correctement tant elle est haïe, le gouvernement et notre leader suprême continuent de la soutenir. Démontrant une fois de plus que nos élites ne sont pas soumises aux règles du commun.

Malgré des manquements à la loi avérés, malgré des attitudes homophobes et sexistes révoltantes, malgré des mensonges et des fraudes, l'école Stanislas est toujours sous contrat avec l'état. À titre de comparaison, le lycée musulman d'Avéroès a lui aussi fait l'objet d'une inspection pour des suppositions de communautarisme. Le rapport, que le préfet a refusé de communiquer à la direction du lycée, ne fait état d'aucune recommandation (contrairement à celui sur Stanislas qui se voit infliger 15 rappels aux règles). Pourtant la subvention publique du lycée a immédiatement été suspendue pour cause de danger communautariste.

Évidemment, l'intégrisme catholique qui défend les violeurs, condamne les homosexuels aux flammes de l'enfer et viole les lois républicaines ne représente aucun danger … ça n'est pas comme si nos principales chaînes de télévision étaient possédées par des ultra catholiques, pas comme si nos dirigeants étaient formés dans ses écoles avant de se distribuer entre eux tous les postes de pouvoir. Ça ça n'est pas du communautarisme, c'est de l'excellence !

Malgré tous ces scandales qui s'amoncellent, l'ambition de notre gouvernement pour l'école reste inchangée : imposer à nos jeunes le service national, l'uniforme (apparemment ça devrait gommer les inégalités … petit clin d'œil à ceux qui pensaient que le but était de les supprimer), des cours de théâtre (ben oui, notre leader suprême a toujours aimé le théâtre alors il semble logique de l'imposer à tous …) et réduire les budgets, encore et toujours. Pendant ce temps nos sénateurs s'augmentent de 700 euros mensuels et nos députés de 300 euros … ceux qui ont voté contre l'indexation des salaires s'appuient sur l'inflation pour justifier ce nouveau racket. Gonflé !

En France, ces vingt dernières années, les inégalités sociales étaient grandissantes, perceptibles, elles étaient dénoncées par certains et supposées par beaucoup. Avec l'avènement du macronisme, elles sont désormais officialisées, assumées, revendiquées dans le plus grand des mépris.

Ceux qui nous parlent de perpétrer les coutumes, de respecter la grande culture française et prônent la méritocratie tout en la contournant semblent avoir oublié que chez nous, quand le faussé des inégalités se creuse, quand les élites font sécession et que la naissance l'emporte sur les compétences, des têtes finissent toujours par tomber. Le peuple français aussi semble l'avoir oublié, mais il n'a jamais été de ceux qui courbent l'échine … Puissions nous nous remémorer nos grandes traditions avant que les dégâts soient irréversibles.

L'autrice tient à remercier Médiapart pour toutes les informations mentionnées dans l'article.

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Position et appel des Soulèvements de la terre sur le mouvement agricole en cours (+ Communiqué Confédération paysanne)

6 février 2024, par Soulèvement de la terre — , ,
Voilà une semaine que le monde agricole exprime sa colère au grand jour et en acte : celui d'un métier devenu quasiment impraticable, croulant sous la brutalité des (…)

Voilà une semaine que le monde agricole exprime sa colère au grand jour et en acte : celui d'un métier devenu quasiment impraticable, croulant sous la brutalité des dérèglements écologiques qui s'annoncent et sous des contraintes économiques, normatives, administratives et technologiques asphyxiantes.

Alors que les blocages se poursuivent un peu partout, nous soumettons quelques mises au point sur la situation depuis le mouvement des Soulèvements de la terre.

01 février 2024 | tiré du site entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/02/01/position-et-appel-des-soulevements-de-la-terre-sur-le-mouvement-agricole-en-cours/

Nous sommes un mouvement, d'habitant·es des villes et des campagnes, d'écologistes et de paysan·nes, installé·es ou en installation. Nous refusons la polarisation que certains essaient de susciter entre ces mondes. Nous avons fait de la défense de la terre et de l'eau notre point d'entrée et d'ancrage. Ce sont les outils de travail des paysans et des milieux nourriciers. Nous nous mobilisons depuis des années contre les grands projets d'artificialisation qui les ravagent, les complexes industriels qui les empoisonnent et les accaparent. Soyons clair·es, le mouvement actuel dans son hétérogénéité même, a été cette fois initié et largement porté par d'autres forces que les nôtres. Avec des objectifs affichés parfois différents, et d'autres dans lesquels nous nous retrouvons absolument. Quoi qu'il en soit, lorsque que les premiers blocages ont commencé, nous avons, depuis différents comités locaux, rejoint certains barrages et certaines actions. Nous sommes allé·es à la rencontre de paysan.nes et d'agriculteurs.rices mobilisé·es. Nous avons échangé avec nos camarades de différentes organisations paysannes pour comprendre leurs analyses de la situation. Nous nous sommes retrouvé·es nous-mêmes dans la digne colère de celles et ceux qui refusent de se résigner à leur extinction.

Nous ne pouvons que nous réjouir que la majorité des agriculteurs.rices bloquent le pays aujourd'hui. Qu'ils et elles soient représenté·es par la FNSEA et des patrons de l'agrobusiness dans les instances de négociation avec le gouvernement est consternant, à l'heure où les cadres du syndicat majoritaire sont copieusement sifflé·es sur certains blocages et où ce dernier ne peut plus retenir ses bases. De nombreuses personnes sur les barrages ne sont pas syndiquées et ne se sentent pas représentées par la FNSEA.

« Les deux tiers des entreprises agricoles n'ont pas, en termes économiques, de raison d'être. Nous sommes d'accord pour réduire le nombre d'agriculteurs »Michel Debatisse, secrétaire général de la FNSEA, 1968

Fondé après guerre, ce syndicat hégémonique a accompagné le développement du système agro-industriel depuis des décennies, en co-gestion avec l'État. C'est ce système qui met la corde au cou des paysan·nes, qui les exploitent pour nourrir ses profits et qui finalement les poussent à s'endetter pour s'agrandir afin de rester compétitif·ves ou disparaître. En 1968, Michel Debatisse, alors secrétaire général de la FNSEA avant d'en devenir le président, déclarait [1] : « Les deux tiers des entreprises agricoles n'ont pas, en termes économiques, de raison d'être. Nous sommes d'accord pour réduire le nombre d'agriculteurs ». Mission plus que réussie : le nombre de paysan.nes et de salarié.es agricoles est passé de 6,3 millions en 1946, à 750 000 au dernier recensement de 2020. Tandis que le nombre de tracteurs dans nos campagnes augmentait d'environ 1000%, le nombre de fermes chutait lui de 70% et celui des actifs agricoles de 82% : autrement dit, ce sont plus de 4 actifs sur 5 qui ont quitté le travail agricole en seulement quatre décennies, entre 1954 et 1997. Et la lente hémorragie se poursuit aujourd'hui…

Alors que la taille moyenne d'une exploitation en France en 2020 est de 69 hectares, celle d'Arnaud Rousseau, actuel dirigeant de la FNSEA, ancien courtier et négociant tout droit sorti d'une business school, s'élève à 700 hectares et il est à la tête d'une quinzaine d'entreprises, de holdings et de fermes, président du conseil d'administration du groupe industriel et financier Avril (Isio4, Lesieur, Matines, Puget, etc.), directeur général de Biogaz du Multien, une entreprise de méthanisation, administrateur de Saipol, leader français de la transformation de graines en huile, président du conseil d'administration de Sofiprotéol…

Les cadres de la FNSEA tout comme les dirigeants des plus grosses coopératives agricoles – abondamment représentés par la « Fédé » et ses satellites – se gavent [1] : le revenu moyen mensuel des dix personnes les mieux payées en 2020 au sein de la coopérative Eureden est de 11 500 €.

Les revenus moyens des agriculteurs brandis sur les plateaux et le mythe de l'unité organique du monde agricole masquent une disparité de revenus effarante et de violentes inégalités socio-économiques qui ne passent plus : les marges des petits producteurs ne cessent de s'éroder tandis que les bénéfices du complexe agro-industriel explosent.

Dans le monde, le pourcentage du prix de vente qui revient aux agriculteurs est passé de 40% en 1910 à 7% en 1997, selon l'Organisation des Nations unies pour l'agriculture et l'alimentation (FAO). De 2001 à 2022, les distributeurs et les entreprises agroalimentaires de la filière lait ont vu leur marge brute s'envoler de respectivement 188% et 64%, alors même que celle des producteurs stagne quand elle n'est pas simplement négative.

Une des raisons qui poussent le monde agricole à bloquer les autoroutes, à ouvrir des bouteilles de lait à Carrefour (Epinal-Jeuxey) ou à bloquer les usines Lactalis (Domfront, Saint-Florent-le-Vieil, etc.), à labourer un parking (Clermont-l'Hérault), à bloquer le port de la Rochelle, à vider des camions venus de l'étranger, à asperger de lisier une préfecture (Agen), à retourner un Macdo (Agens), à sortir c'est que les industriels intermédiaires de l'amont (fournisseurs, vendeurs d'agroéquipements, semenciers industriels, vendeurs d'intrants et d'aliments) et de l'aval des filières (les coopératives de collecte-distribution comme Lactalis, les industriels de la grande distribution et de l'agroalimentaire comme Leclerc) qui structurent le complexe agroindustriel les dépossèdent des produits de leur travail.

C'est ce pillage de la valeur ajoutée organisé par les filières qui explique, aujourd'hui, que sans les subventions qui jouent un rôle pervers de béquilles du système (en plus de profiter essentiellement aux plus gros) 50% des exploitant·es auraient un résultat courant avant impôts négatif : en bovins lait, la marge hors subvention qui était de 396€/ha en moyenne entre 1993 et 1997 est devenue négative à la fin des années 2010 (-16€/ha en moyenne), tandis que le nombre de paysans pris en compte par le Réseau d'information comptable agricole dans cette filière passe sur cette période de 134 000 à 74 000 [2]…

Les accords de libre échange internationaux (que dénoncent et la Confédération paysanne, et la Coordination rurale) mettent en concurrence les paysanneries du monde entier et ont accéléré ces déprédations économiques. Nous savons bien que, aujourd'hui, lorsque l'on parle de « libéralisation », de « gains de compétivité », de « modernisation » des structures, c'est que des fermes vont disparaître, que la polyculture élevage va régresser (elle ne représente plus que 11% des exploitations actuellement), ne laissant plus qu'un désert vert de monocultures industrielles menées par des exploitant-es à la tête de structures toujours plus endettées de moins en moins maîtres d'un outil de travail et d'un compte en banque qui finit par n'appartenir plus qu'à ses créanciers.

Le constat est sans appel : moins il y a de paysan·nes, moins ils et elles peuvent gagner leur vie, sauf à agrandir toujours et encore leur surface d'exploitation, en dévorant au passage les voisin·es. Dans ces conditions, ‘devenir chef d'entreprise' comme le promet la FNSEA, c'est en réalité se trouver dans la même situation qu'un chauffeur Uber qui s'est endetté jusqu'au cou pour acheter son véhicule alors qu'il dépend d'un donneur d'ordres unique pour réaliser son activité… Ajoutons à cela la brutalité du changement climatique (évènements climatiques extrêmes, sécheresses, incendies, inondations…) et les dérèglements écologiques entraînant dans leur sillage la multiplication de maladies émergentes et autres épizooties, et le métier devient presque impossible, invivable, tant l'instabilité est grande.

Si nous nous soulevons, c'est en grande partie contre les ravages de ce complexe agro-industriel, avec le vif souvenir des fermes de nos familles que nous avons vu disparaître et la conscience aiguë des abîmes de difficultés que nous rencontrons dans nos propres parcours d'installation. Ce sont ces industries et les méga-sociétés cumulardes qui les accompagnent, avalant les terres et les fermes autour d'elles, accélérant le devenir firme de la production agricole, et qui ainsi tuent à bas bruit le monde paysan. Ce sont ces industries que nous ciblons dans nos actions depuis le début de notre mouvement – et non la classe paysanne.

Si nous clamons que la liquidation sociale et économique de la paysannerie et la destruction des milieux de vie sont étroitement corrélées – les fermes disparaissant au même rythme que les oiseaux des champs et le complexe agro-industriel resserrant son emprise tandis que le réchauffement climatique s'accélère – nous ne sommes pas dupes des effet délétères d'une certaine écologie industrielle, gestionnaire et technocratique. La gestion par les normes environnementales-sanitaires de l'agriculture est à ce titre absolument ambigüe. À défaut de réellement protéger la santé des populations et des milieux de vie, elle a, derrière de belles intentions, surtout constitué un nouveau vecteur d'industrialisation des exploitations. Les investissements colossaux exigés par les mises aux normes depuis des années ont accéléré, partout, la concentration des structures, leur bureaucratisation sous contrôles permanents et la perte du sens du métier.

Nous refusons de séparer la question écologique de la question sociale, ou d'en faire une affaire de consom'acteurs citoyens responsables, de changement de pratiques individuelles ou de « transitions personnelles » : il est impossible de réclamer d'un éleveur piégé dans une filière hyperintégré qu'il bifurque et sorte d'un mode de production industriel, comme il est honteux d'exiger que des millions de personnes qui dépendent structurellement de l'aide alimentaire se mettent à « consommer bio et local ». Pas plus que nous ne voulons réduire la nécessaire écologisation du travail de la terre à une question de « réglementations » ou de « jeu de normes » : le salut ne viendra pas en renforçant l'emprise des bureaucraties sur les pratiques paysannes. Aucun changement structurel n'adviendra tant que nous ne déserrerons pas l'étau des contraintes économiques et technocratiques qui pèsent sur nos vies : et nous ne pourrons nous en libérer que par la lutte.

Si nous n'avons pas de leçons à donner aux agriculteur·rices ni de fausses promesses à leur adresser, l'expérience de nos combats aux côtés des paysan·nes — que ce soit contre des grands projets inutiles et imposés, contre les méga-bassines, ou pour se réapproprier les fruits de l'accaparement des terres – nous a offert quelques certitudes, qui guident nos paris stratégiques.

L'écologie sera paysanne et populaire ou ne sera pas. La paysannerie disparaîtra en même temps que la sécurité alimentaire des populations et nos dernières marges d'autonomie face aux complexes industriels si ne se lève pas un vaste mouvement social de reprise des terres face à leur accaparement et leur destruction. Si nous ne faisons pas sauter les verrous (traités de libre-échange, dérégulation des prix, emprise monopolistique de l'agro-alimentaire et des hypermarchés sur la consommation des ménages) qui scellent l'emprise du marché sur nos vies et l'agriculture. Si n'est pas bloquée la fuite en avant techno-solutionniste (le tryptique biotechnologies génétiques – robotisation – numérisation). Si ne sont pas neutralisés les méga-projets clés de la restructuration du modèle agro-industriel. Si nous ne trouvons pas les leviers adéquats de socialisation de l'alimentation qui permettent de sécuriser les revenus des producteurs et de garantir le droit universel à l'alimentation.

Nous croyons aussi à la fécondité et à la puissance des alliances impromptues. A l'heure où la FNSEA cherche à reprendre la main sur le mouvement – notamment en chassant de certains des points de blocage qu'elle contrôle tout ce qui ne ressemble pas à un agriculteur « syndiqué fédé » – nous croyons que le basculement peut venir de la rencontre entre les agriculteur·ices mobilisé·es et les autres franges du mouvement social et écologique qui se sont élevées ces dernières années contre les politiques économiques prédatrices du gouvernement. Le « corporatisme » a toujours fait le lit de l'impuissance paysanne. Comme la séparation d'avec les moyens de subsistance agricoles a souvent scellé la défaite des travailleur-ses.

Peut-être est-il temps de faire céder quelques murs. En continuant à renforcer certains points de blocage. En allant à la rencontre du mouvement pour celles et ceux qui n'y ont pas encore mis les pieds. En poursuivant ces prochains mois les combats communs entre habitant·es des territoires et travailleur·euses de la terre.

Les Soulèvements de la Terre – le 30 janvier 2024

[1] https://basta.media/enquete-Salaires-dirigeants-cooperatives-triskalia-coop-de-France-inegalites-agriculteurs-adherents#:~:text=11%20500%20euros%20%3A%20c'est,dans%20le%20Finist%C3%A8re%2C%20en%20Bretagne ;
https://www.latribune.fr/economie/france/mediapart-revele-les-salaires-des-dirigeants-de-la-fnsea-payes-par-les-cotisations-des-agriculteurs-840217.html
[2] Voir : Atelier paysan, Observations sur les technologies agricoles, « Une production agricole ne valorisant quasiment plus le travail »

https://lessoulevementsdelaterre.org/fr-fr/blog/mouvement-agricole-communique-soulevements

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La Confédération paysanne appelle à bloquer les centrales d'achat et à cibler les prédateurs du revenu paysan

Le discours de politique générale du Premier ministre n'a offert aucune perspective de long terme alors que des milliers d'agriculteur·trices sont toujours mobilisé·es. L'agriculture a besoin d'actes concrets, et pas d'être réduite à l'image d'Épinal du travailleur acharné : « force, fierté, effort, identité ! ». L'agriculture est d'abord une activité économique ancrée sur les territoires qui doit rémunérer le travail agricole.

Nous devons avoir la garantie de pouvoir vivre de notre travail. Or il n'y a encore aucun engagement de la part du gouvernement pour ouvrir un chantier sur l'interdiction d'achat en-dessous du prix de revient de nos produits agricoles. L'agriculture est le seul secteur où il y a structurellement de la vente à perte et la loi EGALIM ne l'empêche pas. La valeur du travail de celles et ceux qui nourrissent la population ne doit plus être la variable d'ajustement des filières alimentaires.

C'est pourquoi, la Confédération paysanne appelle à orienter les mobilisations en bloquant les lieux où s'exercent cette pression sur nos prix : centrales d'achats (plateforme logistique de la grande distribution), marchés de gros, industries agroalimentaires et autres prédateurs de la valeur.

Depuis ce matin, nous bloquons déjà des points stratégiques [1] de l'économie réelle de nos filières alimentaires pour engager un rapport de forces sur le sujet de fond : notre rémunération piétinée par cette économie libérale. D'autres actions vont démarrer dans les prochaines heures.

L'État va-t-il enfin interdire l'achat de nos produits agricoles en-dessous du prix de revient ou continuer à protéger les profits des dirigeants et actionnaires de l'agro-industrie et de la grande distribution ?

C'est la réponse première attendue pour répondre à la colère paysanne. Et nous l'exigerons à nouveau demain matin lors de notre entretien avec le Premier ministre à 10h.

Pour beaucoup de fermes, l'avenir est en jeu. Nous continuerons donc à nous battre pour des paysannes et paysans nombreux et rémunérés.

[1] Blocage de la centrale d'achat de ELeclerc SCA Ouest à Saint-Etienne de Montluc (Loire-Atlantique). Blocage depuis lundi matin de l'entrepôt logistique d'ALDI à Cavaillon (Vaucluse). Blocage du péage de Saint-Quentin Fallavier, le parc international de Chesnes, 1ère plateforme logistique de France (Isère).

30.01.2024

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De la colère des agriculteurs

6 février 2024, par Hendrik Davi — , ,
Nous faisons face à un mouvement européen de colère des agriculteurs, qui touche maintenant la France. De quoi cette colère est-elle le nom ? Quels sont les enjeux auxquels (…)

Nous faisons face à un mouvement européen de colère des agriculteurs, qui touche maintenant la France. De quoi cette colère est-elle le nom ? Quels sont les enjeux auxquels fait face l'agriculture française ? Quelles sont les solutions ? Je fais le point dans cette note de blog.

24 janvier 2024 | tiré du blogue d'Hendrik Davi

Nous faisons face à un mouvement européen de colère des agriculteurs, qui touche maintenant la France. De quoi cette colère est-elle le nom ? Quels sont les enjeux auxquels fait face l'agriculture française ? Quelles sont les solutions ? Je fais le point dans cette note de blog.

En France, la contestation s'est d'abord traduite par le retournement de panneaux routiers par des agriculteurs, pour protester contre la politique agricole de l'Union européenne. Depuis le 16 janvier, il y a des manifestations notamment en Occitanie pour des raisons multiples : crise sanitaire pour les éleveurs de bovins et retour de la grippe aviaire, viticulteurs confrontés à une surproduction et à une baisse de la consommation, sécheresses récurrentes et crainte face à la concurrence déloyale du fait de la multiplication des accords de libre-échange et des discussions concernant l'entrée de l'Ukraine dans l'UE. Hier, la mobilisation a tourné au drame avec la mort d'une agricultrice et de sa fille en Ariège.

La FNSEA critique surtout les mesures écologiques concernant les pesticides. Dans les autres pays c'est la hausse du gazole qui a déclenché le mouvement.

Mais derrière ce mouvement, il y a un vrai malaise et une vraie crise de notre modèle agricole, sur lequel nous devons nous pencher.

Le monde agricole est au croisement de trois types d'évolution et d'enjeux difficilement conciliables : une transformation du modèle familial de l'agriculture, des besoins alimentaires qui changent et une nécessaire préservation des écosystèmes. Il est nécessaire de bien comprendre ce tableau avant de proposer des solutions.

Une agriculture sans agriculteurs

Le premier constat est que l'agriculture a subi de profondes transformations qui ont fragilisé notre modèle agricole. Le nombre de chefs d'exploitations a drastiquement diminué. Ils sont aujourd'hui 400 000 et représentent 1.5% de l'emploi total contre 7.1% il y a 40 ans[1]. Le nombre d'exploitations est lui passé de 1.5 millions en 1970 à 389 000 en 2020. La population est faiblement féminisée avec 73% d'hommes et très vieillissante, plus de la moitié des exploitants ayant plus de 50 ans.

Enfin, nous avons souvent une vision monolithique du monde agricole qui masque d'immenses disparités. D'abord, les chefs d'exploitations ne sont pas les seuls travailleurs agricoles. Il y a près de 731 000 actifs (CDI, DD, contrats saisonniers) qui sont embauchés directement par les exploitants et 185 700 par l'intermédiaire de sociétés spécialisées. La colère des exploitants ne doit pas faire oublier l'immense silence des salariés, dont certains souvent étrangers sont exploités dans des conditions inadmissibles[2].

Ensuite, si 18% des ménages agricoles vivent en dessous du seuil de pauvreté avec moins de 13 000 euros par an, le patrimoine médian net (après déduction des emprunts) des agriculteurs n'a cessé de progresser atteignant 510 500 €. Si le revenu moyen, lissé sur 10 ans est de 29 500 euros, l'éventail des revenus est très large : 10% des exploitations ont un revenu négatif, alors que les revenus les plus élevés atteignent 70 000 € pour les 10% les plus riches[3]. Certaines filières comme l'élevage sont bien plus touchées par la baisse du nombre d'exploitations et des revenus plus faibles qui sont de 18 600 euros en moyenne pour l'élevage bovin, contre 50 700 pour les grandes cultures.

Mais surtout, c'est le modèle familial qui est en crise. La présence de parents ou d'enfants renforce le célibat des agriculteurs, qui est souvent mal vécu. Aujourd'hui 80% des conjoints ont une autre activité. De nombreuses exploitations ne trouvent ainsi pas de repreneurs. Même dans le cas des grandes exploitations, la succession n'est jamais simple en dépit d'un capital élevé. L'augmentation de la taille des exploitations ne permet plus aux nouvelles générations attirées par l'agriculture de s'installer en raison du cout exorbitant de la reprise des exploitations, devenues gigantesques. Il est donc urgent de repenser la taille et la nature des exploitations agricoles et de transformer en profondeur le modèle social agricole.

Une épidémie de pauvreté, d'obésité et de profits…

Nous ne devons jamais oublier le sens de la production agricole, c'est ce qui donne sens au travail des agriculteurs. Or la perte de sens dans leur travail et le relatif divorce entre les consommateurs des zones urbaines et les agriculteurs des milieux ruraux sont des composantes du malaise actuel. L'objectif de la production agricole est de produire une alimentation saine et abordable. Dans ce contexte, la société française fait face à deux enjeux majeurs, l'insécurité alimentaire d'une part et l'obésité d'autre part.

En mars 2023, la hausse des prix s'élevait à 5,7 % sur un an pour l'ensemble des produits, et à 16 % pour les produits alimentaires. Cette inflation a accru une insécurité alimentaire qui touche maintenant près de 16% des français, alors qu'ils n'étaient que 9% en 2016 à devoir sauter des repas, selon une étude du CREDOC[4]. Pire 45% des français ne mangent pas les aliments qu'ils souhaitent selon la même étude et 41% restreignent leurs dépenses d'alimentation.

L'autre facette de la crise est l'augmentation rapide du nombre de citoyens en situation d'obésité. Leur nombre est ainsi passé dans la population globale de 8,5 % en 1997 à 17 % en 2020. Cette augmentation est encore plus rapide chez les moins de 25 ans passant de 2.1% à 9.2%[5]. Cette épidémie d'obésité est notamment la conséquence d'une alimentation de plus en plus industrielle dopée par une publicité agressive, qui propose des aliments très caloriques riches en lipides et en sucres, notamment à nos enfants[6]. L'obésité est également la conséquence de la paupérisation des ménages, 25% des personnes dont les revenus mensuels sont inférieurs à 900 euros sont obèses, contre 7% de celles dont les revenus dépassent 5 300 euros[7]. Les produits ultra-transformés et les plats préparés présentent malheureusement des alternatives moins couteuses et plus adaptées lorsque ces mêmes ménages sont mal-logés, sans espace pour cuisiner ou avec des horaires décalés. Une partie de la population ne peut pas se nourrir du fait de prix trop élevés et d'autres sont addictes à la malbouffe

Cette insécurité alimentaire et cette épidémie d'obésité permettent l'enrichissement de grands groupes. L'industrialisation de la production agricole va de pair avec la captation de la valeur ajoutée par les multinationales de la transformation comme Nestlé, Danone, Lactalis et de la consommation comme Carrefour, Auchan ou Leclerc, qui accroissent la malbouffe et organisent la faible rémunération de certains agriculteurs. Le groupe Lactalis est le 10ème groupe agro-alimentaire mondial avec 28,3 milliards de chiffre d'affaires, devant Danone avec 27,7 milliards de chiffre d'affaires[8]. Le groupe Carrefour a lui pleinement profité de l'inflation avec un bénéfice net en hausse de 26% en 2022, à 1,35 milliard d'euros contre 1,07 en 2021[9].

Cette captation de valeur s'accompagne d'enrichissement personnel. Emmanuel Besnier le PDG de Lactalis est devenu la 6ème fortune de France, passant de 3 Md€ en 2007 à 13,5 Md€ en 2023[10]. La fortune de Gérard Mulliez, fondateur du groupe Auchan atteignait 22 milliards d'euros en 2022.

Comme le rapporte le MODEF, la loi EGALIM 2 n'a pas tenu ses promesses, l'inflation se poursuit alors que dans le même temps les prix agricoles sont en baisse (-31,3 % en céréales, -8,4 % en vins, -8,5 % en volailles, - 4,3% en gros bovins, - 11,2 % en œufs), quand les coûts de production sont à des niveaux très élevés.

L'agriculture est aussi percutée par des changements de pratiques alimentaires avec une baisse de la consommation de vins et de viandes bovines[11]. Un autre facteur important est la baisse des dépenses d'alimentation des ménages qui sont passés de 38% en 1950 à 18% en 2021, au détriment des communications et du logement dont la part est passée de 16% à 20%[12]. La crise immobilière et le coût du logement ont donc par ricochet évidemment un effet sur le modèle agricole.

Nous le voyons, il est très urgent de refonder globalement notre modèle économique, pour que les agriculteurs puissent vivre dignement de leur travail et les citoyens accéder à une nourriture saine et à un prix raisonnable.

Des agroécosystèmes mis en danger par notre modèle agricole

Notre modèle agricole héritée de la révolution verte initiée à la sortie de la seconde guerre mondiale a permis une augmentation historique de la production. Entre 1945 et 1995, le rendement moyen des blés français a connu près d'un demi-siècle de hausse continue, passant de 14-15 q/ha à 70 q/ha[13].

Mais cette augmentation historique de la production s'est faite au détriment de la résilience des cultures aux évènements climatiques et au prix d'une mécanisation et d'un usage croissant d'engrais et de pesticides, qui alimentent le changement climatique et l'extinction des espèces.

La France utilise toujours plus de pesticides. Leur vente s'est accrue de près de 10% entre 2009 et 2018, passant de 64 000 tonnes à 85 000 tonnes[14]. Cet usage massif des pesticides est la première cause de l'extinction massive des populations d'insectes et d'oiseaux[15]. Les pesticides sont aussi la cause du déclin des populations d'abeille. L'agriculture est aussi le second poste d'émissions de GES de la France (19 % du total national et 85 MtCO2 eq. émis en 2019) et il diminue très peu (il était de 90 MtCO2 eq en 1991). Dans un autre registre, la surpêche touche quant à elle encore 23% des volumes pêchés[16].

Il est donc urgent de diminuer drastiquement l'usage des pesticides et des engrais et d'adapter notre agriculture en favorisant les espèces, variétés et pratiques agricoles résilientes aux sécheresses et aux attaques d'insectes. Il faut donc des normes et il faut les faire respecter pour notre environnement, mais aussi pour la santé des paysans. L'expertise de l'INSERM de 2021 confirme la forte présomption de lien entre l'exposition aux pesticides et six pathologies graves : lymphomes non hodgkiniens (LNH), myélome multiple, cancer de la prostate, maladie de Parkinson, troubles cognitifs, bronchopneumopathie chronique obstructive et bronchite chronique. Il existe aussi une présomption forte de lien entre l'exposition aux pesticides de la mère pendant la grossesse ou chez l'enfant et le risque de certains cancers chez les enfants, en particulier les leucémies et les tumeurs du système nerveux central…[17]

La nécessaire bifurcation de notre modèle agricole

Comme le dit François Ruffin « les injonctions lancées aux agriculteurs sont schizophréniques.

D'un côté on leur demande de monter en gamme, de diminuer les phytosanitaires. Et de l'autre on leur demande d'être compétitifs avec les fermes-usines au Brésil et bientôt en Ukraine ! ».

Les agriculteurs doivent pouvoir vivre dignement de leur travail, nous devons tendre vers la souveraineté alimentaire, et en même temps nous devons respecter l'environnement !

Pour ça, ils doivent être protégés de la concurrence sauvage et des multinationales. Le groupe LFI-NUPES a fait un certain nombre de propositions en ce sens.

Il faut en finir avec l'augmentation des échanges internationaux, qui mettent en concurrence les agriculteurs du monde entier. Nous n'avons jamais autant importé et exporté de matières agricoles. Nous sommes par exemple importateurs de fruits et légumes. Nous avons déposé une proposition de résolution européenne, pour un moratoire sur les accords de libre-échange. Plus largement, nous demandons au gouvernement d'appliquer en urgence la clause de sauvegarde pour empêcher toute importation agricole ne respectant pas ces règles, qui mettent en danger notre santé et représentent une concurrence déloyale.

Il faut améliorer la situation sociale des salariés et des exploitants agricoles. Nous proposons de relever les retraites agricoles au niveau du SMIC revalorisé (1600€ net par mois) pour une carrière complète, y compris pour les retraités actuels. Nous devons aider au désendettement des agriculteurs, en créant une caisse de défaisance pour reprendre la dette agricole de celles et ceux qui s'engagent au travers d'un contrat de transition à passer au 100 % bio.

Il faut améliorer la situation des agriculteurs. Nous proposons de mettre en place un mécanisme d'entraide et de remplacement afin de reconnaître le droit à des congés.

Il faut accroitre les débouchés locaux en appliquant des critères locaux à la commande publique, par exemple en s'approvisionnant à 100% en produits bio et locaux dans les cantines scolaires. C'est la meilleure façon de lutter contre l'épidémie d'obésité. Nous proposons aussi d'augmenter le SMIC, tous les salaires, les retraites, et les minimas sociaux pour permettre à tous de se fournir en produits locaux et de qualité. De meilleurs salaires, c'est plus de débouchés pour nos paysans. C'est la meilleure façon de lutter contre l'insécurité alimentaire.

Il faut redistribuer la valeur ajoutée captée par l'industrie aux agriculteurs. Nous redéposons notre proposition de loi pour des prix planchers rémunérateurs pour les agriculteurs. Nous devons nous attaquer aux profits des multinationales qui enrichissent indument leurs actionnaires.

Enfin, pour bifurquer de modèle agricole, il faut changer de modèle européen. La concurrence libre et non faussée ne doit plus être l'alpha et l'oméga de nos politiques. Nous demandons la refonte du Plan stratégique national de la PAC avec des aides à l'actif plutôt qu'à l'hectare, le doublement des aides aux petites et moyennes exploitations, le triplement des mesures agroenvironnementales et climatiques et des aides à l'installation, et le doublement des aides à la conversion à l'agriculture biologique…

Pour bifurquer de modèle agricole, nous devrons créer au moins 300 000 nouveaux emplois agricoles, ce qui nécessite de mieux subventionner l'enseignement technique agricole et éviter que les programmes ne soient dictés par les grands groupes.

Il est urgent de mettre en œuvre ces solutions pour sauver à la fois nos agriculteurs et nos agroécosystèmes.

Notes

[1] Hervieu, Bertrand, et François Purseigle. Une agriculture sans agriculteurs : La révolution indicible. Paris : Les Presses de Sciences Po, 2022.

[2] https://www.laprovence.com/article/region/42790245401193/ouvriers-agricoles-exploites-a-malemort-du-comtat-lemployeur-place-sous-controle-judiciaire

[3] https://www.cairn.info/revue-economie-rurale-2021-4-page-57.htm

[4] https://www.credoc.fr/publications/en-forte-hausse-la-precarite-alimentaire-sajoute-a-dautres-fragilites

[5] https://presse.inserm.fr/obesite-et-surpoids-pres-dun-francais-sur-deux-concerne-etat-des-lieux-prevention-et-solutions-therapeutiques/66542/

[6] L'autre phénomène majeur est le manque d'activité physique qui est favorisé par le rôle croissant des écrans et du numérique.

[7] https://www.lemonde.fr/sante/article/2012/10/16/obesite-un-facteur-social-de-plus-en-plus-marque_1775992_1651302.html#:~:text=La%20progression%20de%20l%27obésité,dans%20la%20prévalence%20du%20surpoids.

[8] https://www.lsa-conso.fr/croissance-record-pour-lactalis-en-2022,435549

[9] https://www.capital.fr/entreprises-marches/carrefour-ses-ventes-ont-augmente-de-16-en-2022-son-benefice-grimpe-de-26-1460264

[10] https://www.challenges.fr/classements/fortune/emmanuel-besnier-et-sa-famille_26542

[11] https://www.franceagrimer.fr/content/download/71709/document/SYN-VIA-Conso%20viande%20Fce2022.pdf

[12] https://www.economie.gouv.fr/facileco/50-ans-consommation#

[13] https://www.academie-agriculture.fr/publications/encyclopedie/reperes/0102r02-evolution-du-rendement-moyen-annuel-du-ble-france-entiere

[14] https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/media/5399/download?inline

[15] https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2216573120

[16] https://www.ifremer.fr/fr/actualites/bilan-2022-en-france-hexagonale-la-moitie-des-volumes-de-poissons-peches-provient-de

[17] https://www.inserm.fr/expertise-collective/pesticides-et-sante-nouvelles-donnees-2021/

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En Grèce, malgré les menaces, le mouvement étudiant se renforce !

6 février 2024, par Andreas Sartzekis — , ,
Le mouvement des étudiantEs mais aussi des personnels des universités contre le projet obsessionnel de la droite grecque de créer des facs privées (voir l'Anticapitaliste du 18 (…)

Le mouvement des étudiantEs mais aussi des personnels des universités contre le projet obsessionnel de la droite grecque de créer des facs privées (voir l'Anticapitaliste du 18 janvier) semble avoir pris au dépourvu le gouvernement de Mitsotakis qui s'illusionne après sa victoire électorale de juin sur sa capacité à faire passer toutes ses mesures désastreuses contre le camp des travailleurEs et des jeunes.

Tiré de Gauche anticapitaliste
4 février 2024

Par Andreas Sartzekis

Ses réactions, après trois semaines de très grosses mobilisations, prouvent avant tout sa peur des mauvaises idées que le mouvement pourrait donner à toute une série de secteurs – des mobilisations paysannes ont commencé, et les paysans de la région de Larissa, sinistrée après les inondations de l'automne, ont eu droit aux charges des Mat [l'équivalent des CRS].

Disqualification et répression du mouvement

La réaction du gouvernement est de deux ordres. D'abord, il tente de faire passer la mobilisation pour un mouvement minoritaire et violent. Quitte à faire s'embrouiller ses piliers : pour la manif du 18 janvier à Athènes, la police indiquait 5 000 manifestantEs, mais la chaîne de télé Skaï, chien de garde de la droite, osait n'en voir qu'à peine 1 000 ! Du coup, la police a pris les devants pour la manif du 25, en annonçant pour Athènes 1 000 manifestantEs pour un cortège bien plus gros que les deux semaines précédentes : au moins 8 000 dans la rue ! Ces derniers jours, les journaux de la droite titrent sur les « Assemblées générales de la terreur » ou sur les « Occupations par quelques-uns » opposées aux « Examens voulus par la majorité ».

Ensuite, le gouvernement lance le chantage aux examens qui de fait s'inscrit dans une ligne répressive croissante : le ministre de l'Éducation veut contourner le mouvement d'occupations en obligeant les directions des universités à organiser les examens semestriels, si nécessaire en distanciel (ce qui avait été catastrophique pendant la période de la pandémie !). Et comme bien sûr un certain nombre d'administrations rechignent (elles savent elles aussi le danger de la création de facs privées), les menaces sur des baisses de financement sont proférées.

Face à cela, les présidents d'université viennent d'affirmer que les examens doivent être passés « d'une manière ou d'une autre », mais la réponse sur cette passation, qui n'est pas une mince question dans une période de chômage jeune restant très fort, viendra certainement des équipes enseignantes et des AG. En dernier lieu, la répression vise avant tout les jeunes : présence policière suffocante, intervention policière ou judiciaire contre telle ou telle occupation, et même convocation à la police de collégienNEs dénoncéEs par leur directrice pour participation à l'occupation de leur collège en Crète. Sans oublier les agressions fascistes : une lycéenne membre de l'organisation des jeunes de nos camarades de NAR a été agressée au Pirée, ce qui a entraîné une manif de riposte antifasciste.

Une mobilisation qui fragilise le « gouvernement des 41% »

Début janvier, le porte-parole du gouvernement affirmait que le projet de loi « Université libre » (!!) serait déposé pour être voté fin janvier. En cette fin janvier, le gouvernement n'a toujours pas déposé ce projet, ce qui est déjà une première victoire. Cela tient sûrement à deux raisons. Tout d'abord, même si depuis deux ans, la droite a pu avancer dans son projet de privatisation/marchandisation, elle bute sur l'obstacle de l'article 16 de la Constitution, qui est formel : l'enseignement supérieur est public et gratuit. Elle tente donc de le contourner en s'appuyant sur un autre article, mais personne n'est dupe, et plus le gouvernement qui voulait passer en force tarde à déposer son projet, plus la fragilité constitutionnelle de son bricolage sera connue et risque de faire désordre. Le porte-parole parle désormais de fin février pour le vote, et la mobilisation, dont les manifs athéniennes s'achèvent de manière spectaculaire devant le parlement, vise à empêcher le dépôt du projet.

L'autre raison renvoie à une évidente difficulté de Mitsotakis dans la période. Montré du doigt y compris au sein des instances européennes pour ses atteintes aux droits (scandales des écoutes, attaques contre la liberté de la presse, comme vient de l'illustrer un procès mené par son neveu, ex-numéro 2 du gouvernement, contre le journal Efimerida ton Syntakton et d'autres médias), il a besoin, sur fond de mécontentement croissant contre la vie chère (en un an, la bouteille d'huile d'olive, base de la cuisine grecque, a plus que doublé son prix), de soigner sa prétention à se faire passer pour moderniste libéral.

L'un de ses actuels projets, annoncé lors de sa campagne électorale, est de faire voter le mariage homosexuel. Or, la droite grecque, liée très fortement à une église orthodoxe (religion d'État) très réactionnaire, se divise, avec une fronde interne très forte – le tiers de ses députéEs ne voteraient pas une telle loi – et on assiste à des coups tordus étonnants. Alors que l'un des ministres issus de l'extrême droite, Voridis, ex-dirigeant des jeunesses de la junte militaire (1967-74) a fait savoir qu'il ne voterait pas un tel droit, un autre ministre d'extrême droite, Georgiadis, connu pour avoir publié des textes bêtes et odieux contre l'homosexualité, tente quant à lui de convaincre la partie réticente de la droite de voter le projet… Mitsotakis pensait peut-être faire passer son projet de facs privées comme un élément de sa politique « moderniste », mais vu la grave tension que provoque ces jours-ci le projet de mariage homosexuel, il est peut-être plus prudent pour lui d'attendre un tout petit peu pour éviter l'extension à une grave crise politique. Même si la gauche reste non crédible dans les sondages, ce sont 58 % des sondéEs qui se déclarent aujourd'hui mécontents de la politique de ce gouvernement…

Consolidation du mouvement

Les étudiantEs en sont bien conscientEs : la situation est difficile, face à un gouvernement disposant de tous les moyens pour salir et réprimer le mouvement, et d'autant plus dangereux qu'il se sait actuellement en difficulté. Mais fort de mobilisations répétées depuis 2019, fort aussi de l'affaiblissement de la droite étudiante (qui était première aux élections étudiantes jusqu'à peu), le mouvement s'est bien préparé à s'opposer à un projet de loi qui rendrait encore plus fragiles le droit et les possibilités de poursuivre des études.

Même chose du côté des personnels enseignants et administratifs : dans la manif athénienne du 25 janvier, ils et elles étaient plusieurs centaines dans la rue, renforcés par l'arrêt de travail déposé par les deux fédérations du primaire et du secondaire, DOE et OLME. Les enseignantEs du supérieur multiplient d'ailleurs les réunions et textes d'information sur ce que signifierait pour la Grèce l'introduction des universités privées. Et dans le secondaire, ce sont non seulement les enseignantEs mais aussi les élèves qui se mobilisent, et contre le projet de loi universitaire, et contre l'état déplorable et dangereux de nombreux établissements publics. Le 25, ils et elles étaient en nombre à Athènes, dans un cortège très décidé et très animé !

Ce qui fait la force de la mobilisation actuelle, ce sont trois éléments : d'abord, la participation aux AG. Prin, le journal de NAR, donnait des chiffres : dans de nombreux endroits, on a eu des AG de 600 à 900 étudiantEs. Et ce n'est pas la « terreur » dénoncée par la presse de droite qui y règne, mais la volonté de s'informer et de décider. Même la droite vient parfois y participer, ce qui se conclut par un rejet de ses propositions. Mais l'autre atout du mouvement, dans la grande tradition des mobilisations jeunes en Grèce, ce sont les occupations : ce sont bien plus de la moitié des départements universitaires qui sont aujourd'hui occupés, et dans ce contexte, le chantage aux examens perd en efficacité face à la priorité : « Non à la dévalorisation de nos diplômes, gratuité des études ! Les étudiantEs ne sont pas des clientEs ! ». Et bien sûr, les trois journées nationales de manifestations ont été des temps forts, d'autant qu'à côté des grandes manifs à Athènes, Salonique ou Patras, les étudiantEs sont descenduEs dans la rue dans toute une série de villes moyennes dotées de départements universitaires. Enfin, même s'il y a des obstacles, la tendance est à la coordination du mouvement, gage d'efficacité.

La prochaine journée nationale de mobilisation aura lieu ce jeudi 1er février, a priori sous les mêmes formes. Étendre le mouvement, peut-être déjà à toute l'Éducation (nouvelle tentative de la droite d'imposer aux enseignantEs du primaire et du secondaire des évaluations sanctions), lier cette lutte à d'autres secteurs, font partie des discussions sur la suite de cette lutte difficile mais massive et porteuse d'espoirs sur la dynamique qu'elle contribue à créer.

Solidarité avec la mobilisation des étudiantEs contre la marchandisation de l'éducation !

*

Article initialement publié sur l'Anticapitaliste, le 1er février 2024.

Image : Manifestant·e·s contre le nouveau projet de loi du gouvernement sur l'éducation défilant jusqu'au Parlement grec à Athènes le 9 juin. (source : 902.gr)

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