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« Des tensions s’accumulent dans la société ukrainienne en raison des politiques néolibérales imposées par le gouvernement »

Oksana Dutchak membre de la rédaction de Commons
Après 2 ans de guerre, comment voyez-vous la situation en Ukraine ?
Après deux ans de guerre, la situation est à la fois la même et différente. La guerre continue, mais il y a des changements dus au contexte – tant interne qu'externe. Tous ces changements étaient prévisibles dès le début dans un scénario très probable d'une guerre prolongée (ce qui ne veut pas dire que beaucoup, moi y compris, n'espéraient pas des scénarios plus positifs mais moins probables).
Nous avons été témoins des diverses tensions qui s'accumulent dans la société ukrainienne – la plupart d'entre elles sont causées par les politiques néolibérales prévisibles, imposées par le gouvernement sous prétexte de temps de guerre. Utilisant la justification des difficultés économiques et l'idéologie du capitalisme de « libre marché », au lieu de soutenir les droits sociaux universels, endommagés par la crise économique, le gouvernement défend les intérêts des entreprises au détriment des droits des travailleurs, du soutien social de l'existant et des nouveaux groupes défavorisés émergents. Ces mesures vont totalement à l'encontre de la logique de toutes les politiques centralisées et (dans une certaine mesure) à orientation sociale relativement efficace, mises en œuvre ailleurs pendant des guerres.
En raison de ces politiques, qui sont la continuation idéologique des années précédentes, la mobilisation générale des efforts de la population et l'unité relative de la société ukrainienne sont en constante érosion. Après les premiers mois de mobilisation pour défendre leurs communautés, de nombreuses personnes hésitent désormais (et certaines s'y opposent) à l'idée de risquer leur vie. Il y a de nombreuses raisons à cela, par exemple la relative localisation de la menace russe, l'attente irréaliste d'une « victoire » rapide (promue par une partie de l'establishment politique et certains faiseurs d'opinion dominants) et la déception qui en résulte, et de nombreuses contradictions d'intérêts et les situations et les choix des individus dans le chaos structuré d'une guerre prolongée. Cependant, le sentiment d'injustice joue un rôle prépondérant. D'un côté, il y a le sentiment d'injustice par rapport au processus de mobilisation, où les questions de la richesse et/ou de la corruption conduisent à mobiliser majoritairement (mais pas exclusivement) des classes populaires, ce qui va à l'encontre de l'image idéale de la « guerre populaire » à laquelle participe toute la société. Et de plus quelques cas d'injustice au sein de l'armée s'ajoutent à cela. D'un autre côté, l'absence d'une réalité et de perspectives d'avenir relativement attractives et socialement justes joue un rôle important dans les choix individuels de toutes sortes.
Bien sûr, cela ne signifie pas que l'ensemble de la société a décidé de s'abstenir de lutter contre l'agression russe, bien au contraire : la plupart comprennent les sombres perspectives qu'imposeraient une occupation ou un conflit gelé, qui pourraient s'intensifier avec les efforts renouvelés [de la Russie]. Alors que la majorité s'oppose à de nombreuses actions du gouvernement et peut même le détester (une attitude traditionnelle dans la réalité politique de l'Ukraine depuis des décennies), l'opposition à l'invasion russe et la méfiance à l'égard de tout éventuel accord de « paix » avec le gouvernement russe (qui a violé et continue de violer tout, depuis les accords bilatéraux jusqu'au droit international et au droit international humanitaire) sont plus fortes et il est très peu probable que cette situation change à l'avenir. Cependant, une vision socialement juste des politiques menées pendant la guerre et de la reconstruction d'après-guerre est une condition préalable pour canaliser les luttes individuelles pour la survie vers un effort conscient de lutte communautaire et sociale – contre l'invasion, pour la justice socio-économique.
Le contexte externe a également changé régulièrement. Il y a eu de nouvelles escalades dans différentes parties du globe, qui sont, comme l'invasion russe, des symptômes supplémentaires de la périphérie « en feu » provoquée par le déclin de l'hégémonie et qui résulte d'une nouvelle course à la lutte pour les « sphères d'influence », ainsi dans des conflits régionaux et internationaux tant pour l'hégémonie régionale que mondiale. Ces escalades, ainsi que certains échecs majeurs de la diplomatie ukrainienne (par exemple, la rhétorique sur la « civilisation », qui aliène, en fait, les gens au-delà du monde occidental) et les tendances populistes de droite dans de nombreux pays, ont un impact négatif sur le soutien international à la société ukrainienne.
À la lumière de cette dynamique, il est extrêmement important de développer intérieurement et de soutenir extérieurement le mouvement ouvrier et les autres forces progressistes en Ukraine. Il est également important pour le mouvement progressiste ukrainien d'établir des liens et des solidarités mutuelles avec les luttes de libération, les mouvements ouvriers et autres luttes progressistes dans d'autres parties du monde. Je ne crois pas qu'il soit possible d'inverser la vague de la renaissance impérialiste et néocoloniale mondiale ou du populisme de droite dans un avenir proche. Mais nous devons développer une infrastructure de gauche pour les luttes à venir. Nous sommes arrivés à cette sombre étape sans y être préparés et nous devons faire de notre mieux pour éviter qu'un tel scénario ne se reproduise à l'avenir.
Quelle est la situation de Commons et quels sont vos projets ?
Nous continuons à travailler malgré toutes ces circonstances, y compris la plus douloureuse : la perte d'un éminent économiste, notre rédacteur en chef et ami Oleksandr Kravchuk, la perte d'un éminent gonzo-anthropologue, notre auteur et ami Evheny Osievsky et quelques autres amis, collègues, camarades, dont certains ont été tués au combat. De plus, certains de nos rédacteurs et auteurs se sont portés volontaires dans l'armée, d'autres sont très occupés par les collectes de fonds et de fournitures pour les besoins humanitaires et de soutien aux volontaires de gauche et antiautoritaires. D'autres encore sont dispersées à travers le pays et au-delà des frontières en tant que personnes déplacées à l'intérieur du pays ou réfugiées, gérant leur survie individuelle et étant ou devenant parfois des mères célibataires en raison des déplacements de population et de la guerre.
Au cours de la première année de l'invasion à grande échelle, nous avons considéré trois tâches importantes pour nous en tant que média de gauche : s'engager dans des débats de gauche sur l'invasion impérialiste russe, raconter les réalités de la guerre et son impact sur la population ukrainienne et les réfugiés ukrainiens à l'étranger, intervenir avec une perspective critique sur les politiques et réformes en cours et prévues par le gouvernement ukrainien. Au fil du temps, à la fin de 2022, nous avons estimé que la plupart des gens avaient fait leur choix et que peu pouvaient être convaincus de changer de position – même si nous sommes reconnaissants à ceux qui continuent d'intervenir dans ce débat de gauche en solidarité avec peuple ukrainien. De notre côté, nous avons résumé nos positions dans un numéro, disponible en ligne et en version imprimée (les revenus de la vente vont à Solidarity Collectives) : un recueil des textes de notre site Internet, que nous considérons comme les plus importants.
Nous avons repensé le déroulement de ces débats et trouvé la direction sur laquelle nous avons décidé de concentrer nos efforts. Nous avons estimé que trop peu de ponts directs étaient établis entre l'expérience ukrainienne et les expériences d'autres pays périphériques confrontés à des guerres, à des dépendances à l'égard de la dette, à des austérités et à des luttes contre celles-ci. C'est ainsi qu'est né le projet « Dialogues des périphéries » et une partie de nos rédacteurs le considèrent comme notre objectif principal dans un avenir proche. Bien sûr, d'autres sujets demeurent et nous continuons à écrire sur les problèmes et les luttes en Ukraine, sur l'histoire, la culture, l'écologie et sur différentes questions importantes. Nous continuons à parler de l'auto-organisation du peuple en Ukraine – soit sous forme d'initiatives bénévoles, soit sous forme de syndicats. En 2023, nous avons réussi à le faire dans une série de reportages vidéo « Regardez ça ! » et avons même réalisé un court documentaire sur le mouvement des infirmières en Ukraine.
Je dois souligner que tout cela serait impossible sans notre rédaction et nos auteurs, ainsi que sans le soutien de nombreuses organisations de gauche, d'initiatives et de personnes étrangères.
Qu'espérez-vous pour l'année 2024 ?
Il existe différents niveaux d'espoir. J'ai mes espoirs personnels. J'ai également un rêve que je partage avec la plupart des Ukrainiens : que la guerre se termine d'une manière qui soit favorable à un avenir démocratique et socialement juste en Ukraine, ou du moins d'une certaine manière qui n'empêche pas de fortes luttes pour un tel avenir. Mes espoirs personnels et mes rêves généraux sont bien sûr liés. À l'été 2023, je suis revenue d'Allemagne à Kyiv, que je considère comme ma ville depuis déjà quelques années et je ne veux plus aller nulle part. Je ne suis pas naïve et je comprends que notre rêve d'une fin favorable de la guerre en 2024 n'est probablement qu'un rêve. Mais il faut un rêve pour fonder ses espoirs dessus.
Quant à Commons/Spilne, nous espérons poursuivre notre travail, écrire et raconter ce qui est important pour nous et être utile aux luttes progressistes en Ukraine. Nous espérons poursuivre les Dialogues des périphéries, pour informer les lecteurs ukrainiens sur les contextes, les problèmes et les luttes dans d'autres pays ; établir des liens et une compréhension avec des personnes vivant dans d'autres réalités périphériques, dans l'espoir de contribuer à la solidarité mutuelle dans les luttes progressistes.
Oksana Dutchak membre de la rédaction de Commons
3 février 2024
Propos recueillis par Patrick Le Tréhondat
1 Voir « Commons : un intellectuel collectif de gauche ukrainien »
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/05/16/commons-un-intellectuel-collectif-de-gauche-ukrainien/
Illustration : https://commons.com.ua/en/

Mouvement social (Sotsialnyi Rukh - Ukraine) : De l’Ukraine à la Palestine - L’occupation est un crime

La guerre dans la bande de Gaza dure depuis plus de deux mois.
Le Mouvement Social (Ukraine) s'engage pour une paix juste au Proche-Orient, pour laquelle il est nécessaire d'éliminer l'oppression structurelle des Palestiniens et la violence systématique à l'encontre de la population civile. Notre organisation condamne l'attaque sanglante menée le 7 octobre 2023 contre la population civile dans le cadre de l'attaque du mouvement islamiste militarisé Hamas contre Israël. Les massacres brutaux de femmes des kibboutzim, de travailleurs étrangers, de Bédouins et d'autres civils, qui ont coûté la vie à plus d'un millier de personnes, ainsi que l'enlèvement de civils en tant qu'otages, ne peuvent avoir aucune justification.
Cependant, nous condamnons l'opération "Glaive de fer" lancée par le gouvernement d'extrême droite de Netanyahou en réponse à l'attaque du 7 octobre, ainsi que les crimes de guerre commis dans le cadre de cette opération. Les actions de l'armée israélienne dans la bande de Gaza sont punitives à l'égard de l'ensemble de sa population, dont près de la moitié sont des enfants. Israël a imposé un siège total à la bande de Gaza, qui fait l'objet d'un blocus illégal israélo-égyptien depuis 2007, empêchant l'approvisionnement en eau, en électricité, en nourriture et en médicaments des plus de 2 millions d'habitants de Gaza, transformant la bande de Gaza en "la plus grande prison à ciel ouvert du monde".
Selon diverses données fournies par des organisations internationales, quelques semaines après cette opération, jusqu'à 18 000 civils, dont 7 800 enfants, ont été tués et 50 000 autres personnes ont été blessées ; 85 % des quelque 2 millions d'habitants de la bande de Gaza ont été contraints de fuir leur domicile. Plus de 200 travailleurs médicaux et plus de 100 employés de l'ONU figurent parmi les morts. Les Nations unies confirment qu'au moins la moitié de la population de Gaza est réduite à la famine. Il semble inacceptable de justifier l'imposition d'une catastrophe humanitaire et la terreur d'une puissante machine militaire contre la population civile sous le prétexte d'une "guerre contre le terrorisme", comme l'ont fait les Russes en Ichkérie/Tchétchénie ou les Américains en Irak.
La prochaine opération militaire d'Israël dans la bande de Gaza est tout le contraire d'une résolution efficace du conflit. Cette politique dure depuis des décennies, depuis que l'État d'Israël, après une confrontation avec les pays arabes voisins, renforcée par les politiques coloniales britanniques, a déplacé des centaines de milliers de Palestiniens de leur terre, après quoi des millions de leurs descendants ont été condamnés à fuir (événements connus sous le nom de Nakba - "catastrophe" en arabe). Les autorités israéliennes continuent d'ignorer les nombreuses résolutions de l'ONU, dont la dernière, adoptée le 27 octobre par 120 des 193 États membres de l'Assemblée générale, appelait à un cessez-le-feu. Les rapports des Nations unies et des organisations de défense des droits de l'homme ont à maintes reprises comparé la ségrégation des Palestiniens pratiquée par Israël au régime d'apartheid d'Afrique du Sud.
Les colons israéliens, dont beaucoup sont des fanatiques militants, poursuivent leur politique de colonisation et de violence à l'encontre de la population palestinienne de Cisjordanie avec la connivence des autorités israéliennes, qui humilient, détiennent arbitrairement et tuent quotidiennement des hommes, des femmes et des enfants palestiniens. Avant même les événements de cette année, selon les calculs de l'organisation israélienne de défense des droits de l'homme Bezelem, les Israéliens ont tué plus de 10 000 Palestiniens et Palestiniennes depuis 2000.
En outre, la règle générale est la disproportion de la violence de la part d'Israël, avec laquelle il répond même à des manifestations exclusivement pacifiques. Par exemple, lors de la répression de la [Grande Marche du Retour] des Palestiniens vers le mur qui bloque Gaza, les forces de sécurité israéliennes ont tué 195 Palestiniens, dont 41 mineurs [en un an depuis mars 2018] (données du Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU). Et en ce qui concerne le nombre de Palestiniens tués en Cisjordanie, 2023 est devenue une année record depuis que l'ONU tient des statistiques (et ce, depuis octobre, lorsque les forces de sécurité israéliennes ont tué plus d'une centaine de personnes dans cette partie de la Palestine, qui ne compte aucune base du Hamas). La réaction indifférente de la communauté mondiale, qui s'est contentée d'exprimer sa "profonde inquiétude", a renforcé le désespoir des habitants de la région quant à la possibilité de résoudre le conflit par des moyens pacifiques, ce que les forces fondamentalistes utilisent.
L'actuel gouvernement Netanyahou, lui aussi rempli de réactionnaires et de fanatiques religieux qui déshumanisent ouvertement les Palestiniens et appellent à leur meurtre et à leur génocide, est allé encore plus loin que ses prédécesseurs. À un moment donné, Israël lui-même a joué un rôle non négligeable en supplantant la résistance à l'occupation, principalement laïque et non violente, des Palestiniens à l'époque de la première Intifada, par une variété plus à droite, plus violente et plus fondamentaliste. Netanyahou et ses fonctionnaires ont admis avoir encouragé les réactionnaires et les fanatiques religieux du Hamas, parce que cela a affaibli l'Autorité palestinienne, introduit une discorde supplémentaire dans la condition des Palestiniens et saboté les perspectives de construction d'un État souverain pour eux.
Cette politique imprudente n'a pas changé, même après que les services de renseignement égyptiens, mais aussi israéliens, ainsi que des militaires en activité ou à la retraite, aient mis en garde contre une éventuelle escalade résultant du blocus et de la politique coloniale. Ainsi, l'ancien chef de la marine israélienne et des services secrets Shabak, Ami Ayalon, a averti que "lorsque les Palestiniens nous voient détruire leurs maisons, la peur, la frustration et la haine augmentent. Ce sont ces raisons qui poussent les gens vers les organisations terroristes".
Netanyahou, comme d'autres conservateurs, a constamment utilisé la rhétorique de la "défense contre les menaces" pour justifier ses attaques contre les libertés démocratiques et la poursuite du renforcement de l'appareil de sécurité, qui n'a toutefois pas empêché les attaques du Hamas depuis Gaza, mais qui s'est plutôt préoccupé de terroriser les Palestiniens en Cisjordanie. Après tout, la spirale sans fin de la violence n'a pas amélioré et n'améliorera pas la sécurité de quiconque, à l'exception des forces conservatrices et nationalistes extrêmes. Une telle atmosphère a déjà conduit à la Knesset et au gouvernement les plus à droite de l'histoire d'Israël. Et la guerre actuelle a fourni une indulgence au cabinet Netanyahu contre lequel des manifestations de masse se sont poursuivies pendant la majeure partie de l'année 2023 (de manière caractéristique, un sondage réalisé à la veille de l'escalade a montré que la majorité de la population de Gaza ne faisait pas confiance au mouvement Hamas, qui, il y a plus d'une décennie et demie, après un conflit civil avec le Fatah, a mis en place un gouvernement autoritaire à parti unique dans la région).
Dans le même temps, le courant dominant des deux principaux partis du principal mécène d'Israël - les États-Unis - s'est montré immédiatement prêt à apporter un soutien militaire et diplomatique inconditionnel à la quasi-totalité des actions du gouvernement israélien. Ici, tant le contraste avec les hésitations concernant les livraisons d'armes à l'Ukraine que le désir des cercles les plus réactionnaires de la classe dirigeante américaine - l'aile droite du Parti républicain - de financer le nettoyage ethnique et les aventures du gouvernement Netanyahou aux dépens de la privation de l'aide aux Ukrainiens sont notables. En cela, les Trumpistes sont semblables à beaucoup d'autres forces d'extrême droite en Occident : comptant de nombreux antisémites dans leurs rangs, ces partis protègent en même temps la capacité des forces de sécurité israéliennes et russes à tuer en toute impunité des habitants de la Palestine et de l'Ukraine.
Qui plus est, Washington a lui-même contribué à la montée actuelle des tensions, en soutenant exclusivement depuis l'administration Trump l'empiètement d'Israël sur Jérusalem en tant que capitale. Aujourd'hui, les États-Unis opposent leur veto aux initiatives du Conseil de sécurité de l'ONU, telles que la proposition brésilienne de corridors humanitaires ou la dernière résolution sur le cessez-le-feu du 8 décembre, qui a été votée par 13 des 15 membres du Conseil de sécurité de l'ONU. Comme dans le cas de l'invasion russe de l'Ukraine, cela prouve une fois de plus que les membres permanents de l'ONU devraient être privés de leur droit de veto qui paralyse la capacité de la communauté internationale à mettre fin au carnage.
L'agression massive de la Russie contre l'Ukraine a accru le climat de tension internationale et d'impunité, permettant l'escalade d'une série de conflits qui mettent des communautés entières au bord de la survie, comme cela s'est déjà produit avec la population arménienne du Haut-Karabakh à la suite des actions agressives du régime d'Aliyev en septembre de cette année. Le cycle actuel de confrontation au Moyen-Orient est du même ordre et a entraîné des tendances inquiétantes dans le reste du monde, en particulier une montée en flèche de l'antisémitisme et de l'islamophobie (jusqu'à des tentatives de pogroms juifs, comme dans le Caucase du Nord contrôlé par la Russie de Poutine, des attaques armées contre des Palestiniens comme les étudiants du Vermont, ou le meurtre de personnes comme le garçon palestinien à Chicago ou la fusillade par la police de touristes juifs et d'un guide local en Égypte).
Malheureusement, la réaction des autorités ukrainiennes révèle également une approche extrêmement partiale et unilatérale : condamnant à juste titre les attaques contre les civils en Israël et honorant les morts, elle préfère en même temps ignorer les civils morts en Palestine. Bien que la diplomatie ukrainienne aux Nations unies ait toujours condamné l'occupation illégale des terres palestiniennes et les autres violations commises par Israël dans presque tous les cas, les autorités ukrainiennes adoptent une position ambivalente sur l'occupation russe et fournissent les derniers précédents à suivre. Au lieu de cela, la rhétorique honteuse de diabolisation des Palestiniens, les déclarant tous, des nourrissons aux personnes âgées, comme des "terroristes", prévaut dans les médias ukrainiens.
Oui, il faut être conscient que pour de nombreux "amis" autoproclamés de la Palestine, qu'il s'agisse de partenaires et de sponsors bien connus du Hamas, comme les autorités autoritaires du Qatar, de la Turquie, de l'Iran, de l'Arabie saoudite ou de la Russie (qui a entretenu des relations amicales avec le gouvernement Netanyahou et le Hamas), la tragédie du peuple palestinien n'est qu'une monnaie d'échange. Mais réduire les Palestiniens à des "mandataires de Téhéran et du Kremlin" dans l'espace d'information national est une caricature aussi analphabète et scandaleuse que la justification par "mandataire" de l'agression russe contre l'Ukraine.
C'est plutôt en Ukraine qu'il faut comprendre la souffrance du peuple palestinien : là aussi, l'occupation par un État qui possède des armes nucléaires et une supériorité dans les forces armées se poursuit, au mépris des résolutions de l'ONU et du droit international, en niant les droits à la subjectivité et à la résistance. La tragédie que nous vivons actuellement devrait aiguiser notre sensibilité aux expériences humaines similaires dans tous les coins du monde. La lettre ukrainienne de solidarité avec le peuple palestinien, publiée sur la plateforme du site web du magazine "Spilne", témoigne de ces voix alternatives à la voix officielle, qui affirment le droit universel à l'autodétermination et à la résistance à l'occupation.
Dans son poème, l'écrivaine arabe Hiba Kamal Abu Nada demande : "Comme vous êtes seuls, notre solitude, quand ils gagnent leurs guerres", quand "votre terre est vendue aux enchères et que le monde est un marché libre... C'est l'âge de l'ignorance, quand personne n'intercédera pour nous". La poétesse de 32 ans est devenue l'une des milliers de victimes civiles des frappes aériennes israéliennes de cette année. Le devoir du monde est de ne pas laisser les opprimés seuls, surtout lorsqu'ils sont menacés d'extermination physique. De ne pas supporter les bombes et les roquettes qui volent sur leurs têtes. Ni en Ukraine, ni en Palestine.
C'est pourquoi le "Mouvement social" appelle à un cessez-le-feu immédiat et à l'admission de l'aide humanitaire dans la région, et exprime également son soutien au peuple palestinien dans son désir légitime d'une paix juste et durable.
First published at Sotsialnyi Rukh. 31 janvier 2024
https://ukraine-solidarity.eu/manifestomembers/get-involved/news-and-analysis/news-and-analyses/social-movement-ukraine-from-ukraine-to-palestine-occupation-is-a-crime
First published at Sotsialnyi Rukh.
(Traduction : Deepl.com)
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Ukraine : 2 ans de guerre, un point de vue féministe ukrainien

Après 2 ans de guerre, comment voyez-vous la situation en Ukraine ?
Au cours des deux dernières années, la société ukrainienne a connu des changements spectaculaires dans son mode de vie et ses visions. Cette transformation est également évidente parmi les militantes féministes et les femmes* en général.
La guerre a suscité un débat sur la question de savoir si les mouvements féministes devaient être clairement antimilitaristes. À une époque où les Ukrainiens sont confrontés à la menace d'anéantissement physique, la position antimilitariste de certaines féministes occidentales apparaît comme un privilège, aveugle aux menaces et aux dangers réels auxquels les femmes ukrainiennes sont confrontées quotidiennement. Les féministes ukrainiennes ont adopté un message clé en ces temps difficiles : l'Ukraine a besoin d'armes. Elle a besoin d'armes défensives, comme des systèmes de défense aérienne pour protéger son ciel des attaques constantes de missiles russes qui dévastent les villes ukrainiennes et tuent des civils, ainsi que d'armes offensives pour reprendre les territoires occupés à l'agresseur.
La guerre a touché tout le monde en Ukraine. Alors que certaines régions semblent « normales » et exemptes d'hostilités directes, les attaques à la roquette et les menaces constantes de la Russie persistent. Presque tout le monde a un proche qui sert dans l'armée ou a perdu quelqu'un au cours de ces années. Les Ukrainiens sont contraints de surmonter les traumatismes personnels et collectifs, l'incertitude quant à l'avenir, les menaces militaires quotidiennes et les difficultés quotidiennes tout en faisant preuve de résilience et en appelant au soutien et à l'assistance internationaux.
Malheureusement, au cours des deux dernières années, l'intérêt général pour l'Ukraine a décliné, alors que les défis auxquels est confrontée la société ukrainienne n'ont pas diminué. Ces défis continuent d'exister ou évoluent vers de nouvelles formes. Les problèmes vont de la réponse aux besoins de milliers de personnes déplacées des villes de première ligne à la manière de fournir de l'électricité aux villes pendant les bombardements des infrastructures énergétiques. Les Ukrainiens doivent constamment faire preuve de flexibilité, de créativité et de résilience pour faire face aux nouveaux défis posés par la guerre.
Les féministes, comme tous les Ukrainiens, ont été contraintes de s'adapter aux nouveaux rôles et aux nouveaux défis provoqués par la guerre à grande échelle. De nombreuses féministes servent dans l'armée ou se portent volontaires pour répondre aux besoins des premières lignes. Les organisations féministes en Ukraine poursuivent leur travail, répondant désormais également aux besoins nés de la guerre, comme l'aide aux personnes déplacées à l'intérieur du pays et la résolution d'autres défis. Les besoins des femmes dans la société ukrainienne ont considérablement augmenté. L'insécurité économique et sociale augmente, parallèlement aux pertes d'emplois. De nombreuses femmes ont perdu leur maison et leur emploi et se sont retrouvées seules face à la situation lorsque leurs maris ont été mobilisés au front.
L'Ukraine n'a toujours pas de voix reconnue dans de nombreuses discussions internationales. Elle est souvent privée de moyens d'agir par la communauté internationale et elle est considérée comme une zone d'influence pour l'OTAN ou la Russie. Les Ukrainiens doivent se battre non seulement pour leur survie physique, mais aussi pour le droit de se représenter eux-mêmes et de défendre leurs intérêts, en préservant continuellement leur liberté d'action. Ces questions concernent également les féministes ukrainiennes, qui doivent non seulement penser à leur survie et apporter leur aide dans le pays, mais aussi faire face aux malentendus et aux attitudes parfois paternalistes des féministes occidentales.
Cependant, des changements positifs ont également eu lieu pour la société féministe ukrainienne. En juin 2022, le gouvernement ukrainien a ratifié la Convention d'Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique. C'était l'une des principales revendications des féministes ukrainiennes depuis plusieurs années et une étape vers une plus grande intégration de l'Ukraine dans l'UE. De plus, les femmes soldates ukrainiennes défendent activement leurs droits dans l'armée, ce qui a entraîné des changements dans l'organisation militaire et des adaptations pour mieux répondre aux besoins des femmes. La perception du féminisme en Ukraine est en train de changer. La société commencent à ne plus le considérer à travers des stéréotypes sur les femmes militantes. Une représentation collective des femmes militaires activistes, des militantes qui ouvrent des refuges et aident à résoudre des problèmes humanitaires et de femmes bénévoles, entre autres apparaît. Ce changement contribue à créer de nouveaux liens avec les partenaires et à changer la perception globale du féminisme.
Quelle est la situation de votre association et de vos projets ?
Avec le début de l'invasion russe à grande échelle, l'Atelier féministe été contraint d'élargir son champ d'activités. La guerre à grande échelle a non seulement amplifié les problèmes sociaux existants, mais a également créé de nouveaux défis, qui nous ont poussés à mettre en œuvre de nouvelles orientations. Notre équipe a ouvert Réponse à la crise, dont la tâche principale est d'aider les femmes* et les enfants touchés par la guerre. L'un des publics cibles est celui des personnes déplacées à l'intérieur du pays. Nous avons vu que les personnes contraintes de quitter leur foyer avaient besoin de sécurité, de soutien, de communication, de loisirs, de réalisation de soi et de développement. Ces besoins sont fondamentaux et essentiels à la vie humaine. C'est pourquoi nous avons créé des refuges – des espaces sûrs qui contribuent à renforcer la confiance dans la communauté, à accroître la cohésion sociale et à impliquer les personnes déplacées dans la vie communautaire. Depuis leur création, les refuges accueillent 80 personnes, certaines avec leurs animaux de compagnie (trois chats, deux rats, deux chiens). Au départ, nous avons créé trois refuges, et aujourd'hui l'un d'eux fonctionne toujours activement. Nous avons rapidement réalisé que les femmes et les enfants touchés par la guerre avaient non seulement besoin d'un logement, mais également d'un soutien complexe pour surmonter leurs expériences traumatisantes et vivre pleinement leur vie. Nous apportons également une assistance individuelle pour résoudre les problèmes quotidiens rencontrés par les résidents du refuge. Un autre aspect important de notre soutien a été l'organisation de groupes pour les enfants de femmes déplacées à l'intérieur du pays, un programme d'aide aux femmes âgées à faible revenu, des cours d'alphabétisation numérique et un soutien psychologique à la communauté. Et cette liste n'est pas complète.
Malgré les efforts actifs de notre organisation pour faire face aux défis d'une invasion à grande échelle, de nouveaux défis entraînent des dépenses imprévues, par exemple l'achat de générateurs pour faire fonctionner le bureau pendant les attaques contre les infrastructures énergétiques du pays. La recherche de financement pour nos activités existantes et nouvelles n'est pas de plus en plus facile. L'imprévisibilité et la complexité de la planification de nos activités, la difficulté de répondre aux demandes des partenaires occidentaux lors d'une invasion à grande échelle et l'épuisement général contribuent tous à faire de la collecte de fonds un défi supplémentaire.
Qu'espérez-vous pour l'année 2024 ?
L'espoir est un privilège que nous ne pouvons nous permettre lors d'une invasion à grande échelle. Il y a des actions et un soutien concrets dont nous avons besoin et que nous réclamons. En tant qu'organisations féministes ukrainiennes œuvrant pour défendre les droits humains et aider les femmes* à surmonter les conséquences du conflit armé, nous possédons une compréhension approfondie du contexte et des besoins actuels de notre public, ainsi que des meilleurs moyens de fournir cette assistance. Sans soutien financier, informationnel et humanitaire , nous ne pourrons pas travailler systématiquement et créer du changement. Nous n'espérons pas seulement que l'Atelier Féministe poursuive ses activités et dispose de suffisamment de ressources financières et humaines : nous nous battons constamment pour cela. Nous en avons également assez d'être exclues des discussions sur les moyens possibles d'aider les femmes ukrainiennes. Cette année est cruciale pour nous afin de faire entendre la voix des féministes ukrainiennes sur les plateformes internationales, en défendant leurs besoins et en réclamant leur droit de parole dans les discussions mondiales. En général, nous voulons simplement survivre en 2024, dans tous les sens du terme. Et comme tous les Ukrainiens, nous croyons dans notre objectif principal et luttons chaque jour pour l'atteindre : la victoire de l'Ukraine et la fin de l'agression russe.
1er févier 2024
Propos recueillis par Patrick Le Tréhondat
1 Voir La parole à L'atelier féministe
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2022/07/13/la-parole-a-latelier-feministe-feministytchna-maisternia
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En Indonésie, l’âge d’or du nickel est terminé

L'exploitation du nickel en Indonésie, premier producteur mondial, a provoqué de nombreux dégâts : dépendance économique à la Chine, saccage de l'environnement, accidents mortels… Or depuis la chute drastique de son prix en 2023, due à une nouvelle génération de batteries à base de lithium et d'indium, l'appétit mondial pour ce minerai s'est calmé. Exposant l'archipel à de graves difficultés financières.
Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Un ouvrier place du minerai de nickel dans le haut-fourneau de l'usine de Vale Indonesia, dans la province de Sulawesi du sud, en Indonésie, en mars 2023. Photo Basri Marzuki / Nurphoto / AFP.
En 2020, Jakarta avait annoncé “l'âge d'or de l'Indonésie” en 2045 et interdit l'exportation de minerai de nickel brut afin de développer des industries de batteries électriques dans l'archipel. À l'époque déjà, certains économistes estimaient que “cette ‘fièvre du nickel' n'était pas durable, car elle n'entraînait pas l'effet multiplicateur attendu et rendait l'Indonésie vulnérable au choc économique chinois”, rappelle sur son site BBC News Indonesia.
La conjoncture actuelle semble leur donner raison. Les prix mondiaux du nickel se sont effondrés de plus de 40 % en 2023. Selon les données du ministère de l'Énergie et des Ressources minérales indonésien, citées par Koran Tempo, “sa valeur est passée de 27 482 dollars [environ 25 300 euros] par tonne sèche en janvier 2023 à 16 383 dollars [environ 15 090 euros] en janvier 2024”.
Surproduction mondiale
La Banque mondiale estime que cette tendance se poursuivra cette année. Une des causes de cet effondrement est la surproduction. L'Indonésie, en tant que plus grand producteur de minerai de nickel, a contribué à augmenter les stocks mondiaux. “Selon l'International Nickel Study Group, l'excédent pourrait atteindre 223 000 tonnes en 2023”, précise Koran Tempo.

Économiste et directeur exécutif du Centre d'études économiques et juridiques indonésien (Celios), Bhima Yudhistira apporte des explications à BBC News Indonesia sur ce phénomène de “ruée vers le nickel” :
- “De nombreuses entreprises chinoises se sont précipitées en Indonésie, et, en effet, la porte du secteur s'est ouverte après que le gouvernement a interdit l'exportation de minerai de nickel brut. Les investissements ont donc augmenté de manière assez brusque.”
Le groupe chinois qui domine le secteur est le producteur d'acier inoxydable Tsingshan Holding Group, qui est arrivé en Indonésie le 3 octobre 2013, lors de la visite du président Xi Jinping, pour construire la zone industrielle de Morowali, dans le centre de Sulawesi. Cela s'inscrivait dans le cadre de l'initiative de la Belt and Road Initiative (BRI), les nouvelles routes de la soie chinoises, lancée par le dirigeant chinois à peine un mois plus tôt. En dix ans, le site de Morowali s'est développé sur 4 000 hectares, attirant 20,9 milliards de dollars d'investissement.
Ralentissement économique chinois
Mais, en 2022, la croissance économique de la Chine a ralenti à 3 %, contre 8,4 % en 2021. Même si ce chiffre a atteint 5,2 % en 2023, la Banque mondiale prévoit que la croissance de la Chine ne sera que d'environ 4 % au cours des deux prochaines années.
“De plus, la Chine est confrontée à une crise immobilière. De ce fait, ses activités d'investissement à l'étranger sont entravées, et cela ébranle la dépendance de Jakarta à ces investissements”, a déclaré à BBC News Indonesia Mohammad Faisal, économiste et directeur exécutif du Centre de réforme de l'économie (Core).
Coordinateur du Mining Advocacy Network, Melky Nahar accuse le président Joko Widodo d'avoir déroulé le “tapis rouge” aux investissements chinois sans prêter attention aux nombreux problèmes sur le terrain, notamment les conflits fonciers, les problèmes de santé et les dommages environnementaux, explique-t-il à BBC News Indonesia. “La fièvre du nickel a fait perdre la tête au gouvernement.”
Selon une analyse des ONG Satya Bumi et Walhi, les opérations d'extraction de nickel en Indonésie ont entraîné une déforestation qui s'élève à 78 948 hectares depuis 2014. L'objectif officiel de Jakarta en matière de développement de l'industrie du nickel était d'encourager l'utilisation de véhicules électriques pour lutter contre le dérèglement climatique.
Dégâts environnementaux et sociaux
“En réalité, ces industries ont contribué à l'aggravation du réchauffement climatique, à l'augmentation de la pollution de l'air et à la perte de la biodiversité”, écrivent Satya Bumi et Walhi dans leur rapport “Neo-Extractivism in Indonesia's Nickel Epicenter”, publié en octobre 2023.
BBC News Indonesia rappelle aussi la violation de la protection des travailleurs, notamment après l'explosion de l'un des fours d'une fonderie de la zone industrielle de Morowali, le 24 décembre 2023. L'accident a tué au moins 21 personnes et en a blessé 38 autres.
Désormais, les industriels s'intéressent davantage aux batteries à base de lithium ou de lithium-fer-phosphate (LFP), qui ont l'avantage d'être moins chères que celles en nickel. “Et plus récemment, souligne Kompas, les ingénieurs de l'université Cornell ont créé une nouvelle batterie utilisant de l'indium, un métal mou, actuellement très utilisé pour les écrans tactiles et les panneaux solaires.” Une innovation qui permettrait de recharger une batterie de voiture en moins de cinq minutes.
Ce qui fait dire au militant écologiste Melky Nahar, dans BBC News Indonesia : “Ainsi, je pense que 2045 ne sera pas l'‘âge d'or' de l'Indonésie mais son ‘âge de mort'.”
Courrier international
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Au Pakistan, l’intelligence artificielle bouscule la campagne des législatives

À l'approche des élections générales du 8 février, les partis politiques investissent le champ des possibles ouvert par l'arrivée des dernières techniques d'intelligence artificielle. Mais la perception de ces contenus par les électeurs reste la grande inconnue de cette campagne “dématérialisée”, souligne cette analyse publiée dans “Dawn”, le quotidien pakistanais de référence.
Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Dessin d'Arcadio paru dans la Prensa libre, San Jose (Costa Rica). Article paru à l'origine dans Dawn.
C'est une nouvelle règle du jeu dans l'univers de la politique à l'ère numérique : un flot continu de contenus générés artificiellement caractérise désormais les campagnes électorales, avec l'essor d'outils gratuits, comme le clonage des voix ou l'édition d'images.
Au Pakistan, les dernières législatives [en 2018] témoignaient déjà d'une sophistication croissante des campagnes numériques : création de faux comptes, bombardements coordonnés de hashtags, applis mobiles personnalisées, organisation de grands événements à partir des réseaux sociaux… Et, en février 2024, le pays va vivre sa plus grande élection dématérialisée. Les partis politiques sont naturellement tentés de franchir un nouveau cap avec l'intelligence artificielle [IA].
“On s'est servis de l'IA pour créer des contenus de campagne pour le retour de [l'ex-Premier ministre] Nawaz Sharif [après ses quatre ans d'exil à Londres], en octobre dernier”, explique Muzakir Ijaz, un consultant chargé de la stratégie numérique de la Ligue musulmane du Pakistan-Nawaz [LMP-N, droite].
“L'IA permet de générer des contenus visuels, mais elle a encore du mal à intégrer l'ourdou [la langue officielle du Pakistan], ce qui limite l'usage qu'on peut en faire”, poursuit le spécialiste, qui, précise-t-il, a recruté trente professionnels du numérique pour la campagne de la LMP-N.
Effritement de la confiance
Pour ce genre d'équipe, l'IA revêt un intérêt financier certain, en leur évitant de faire appel à de coûteux experts pour analyser les données et lancer des campagnes personnalisées. Mais les dérives potentielles n'en sont pas moins inquiétantes.
L'année dernière, une vidéo contrefaite d'Imran Khan [Premier ministre de 2018 à 2022] le montrait les yeux fermés, faisant naître la crainte de mauvais traitements qu'il aurait subis alors qu'il était maintenu en prison. Ce clip de vingt-six secondes avait été posté sur X, où il a été partagé plus de 500 fois. Les vérifications de l'AFP ont permis d'établir que les auteurs de la vidéo avaient simplement appliqué un filtre donnant l'illusion qu'Imran Khan avait les yeux fermés.
“Les partis politiques se servent de l'IA pour influencer plus spécifiquement les électeurs qui maîtrisent mal l'outil numérique ou qui ne sont pas politisés”, indique Nighat Dad, qui dirige une ONG, la Fondation pour les droits numériques :
- “Comment feront-ils la distinction entre un contenu authentique et un contenu ‘synthétique' ? L'utilisation de l'IA peut entraîner un effritement de la confiance du public dans l'authenticité de l'information qu'il consomme.”
“Heureusement, on voit encore la différence entre la réalité et les contenus générés par l'IA, tempère Jibran Ilyas, responsable des réseaux sociaux au sein du Mouvement du Pakistan pour la justice [PTI, le parti d'Imran Khan]. On a dû tester 36 versions différentes en ourdou avant d'atteindre un niveau de précision de 65 % dans la diction. Les gens voient bien que ce n'est pas vrai.”
Considérations éthiques
Jibran Ilyas soutient que le PTI fait un usage réfléchi de l'IA et a clairement annoncé la couleur lors d'un meeting audio d'Imran Khan, prévenant les auditeurs que “sa voix [était] générée par l'intelligence artificielle, et le texte rédigé sur la base de ses notes”.
- “On expérimente en ce moment diverses manières d'utiliser l'IA tout en tenant compte des considérations éthiques. On diffusera peut-être un autre discours [contrefait] d'Imran Khan la veille de l'élection.”
Le parti, poursuit le spécialiste, se focalisera surtout sur TikTok à l'approche du jour J, au vu de la popularité du réseau social chez les jeunes et dans les zones rurales. Il faut dire que le nombre d'internautes a explosé au Pakistan depuis les dernières législatives, passant de 58 millions en 2018 à 129 millions aujourd'hui.
Or une étude récente sur la perception de la désinformation chez les étudiants de l'enseignement supérieur révèle que 63 % des jeunes interrogés estiment être exposés de façon quotidienne à la désinformation sur Internet. Et quasiment la même proportion (62 %) pense que celle-ci représente une menace pour la démocratie et les élections.
“La valeur de la vérité s'effrite clairement, regrette Amber Rahim Shamsi, la directrice du Centre d'excellence journalistique [à Karachi, dans le sud du pays]. On a organisé des ateliers d'initiation au numérique dans 13 universités regroupant 800 étudiants pakistanais. Parmi eux, beaucoup n'étaient toujours pas capables de faire la différence entre les faits et la propagande.”
Amber Shamsi et son équipe viennent de lancer un outil de fact-checking non partisan, iVerify, dont le but est de faire progresser l'information impartiale et indépendante dans le paysage journalistique du pays. “Depuis 2018, les médias ont fait des progrès sur la vérification des faits. Pour autant, aucun des étudiants avec lesquels nous nous sommes entretenus n'était conscient des efforts consentis dans ce sens. Il y a encore beaucoup à faire.”
Ramsha Jahangir
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Evergrande en liquidation : la peur d’un effet domino pour l’immobilier en Chine

Un tribunal de Hong Kong a ordonné le 29 janvier la mise en liquidation du géant de l'immobilier chinois Evergrande. L'annonce a plongé des milliers de créanciers dans l'incertitude sur la possibilité pour eux de retrouver leur argent. Elle symbolise la déroute de l'immobilier dans une Chine déjà en plein marasme économique inquiétant.
Tiré de The asialyst.
Fondé en 1996, Evergrande (恒大集团, Hengda en chinois) avait tiré parti de l'urbanisation accélérée du pays pour s'imposer. Symbole de la crise immobilière chinoise, le promoteur est endetté de quelque 328 milliards de dollars. Il avait échoué à présenter un plan de restructuration convaincant. C'en était trop pour ses créanciers internationaux qui, l'an dernier, avaient déposé une requête en liquidation contre le groupe devant ce tribunal hongkongais. La procédure a traîné en longueur car les parties tentaient de négocier un accord.
« [Considérant] l'absence évidente de progrès de la part de l'entreprise dans la présentation d'un plan de restructuration viable […], j'estime qu'il est approprié que le tribunal rende un jugement de liquidation de l'entreprise, et c'est ce que j'ordonne », a déclaré la juge Linda Chan. « La décision de justice d'aujourd'hui est contraire à notre intention première […]. C'est extrêmement regrettable », a réagi le directeur général d'Evergrande, Shawn Siu, au média économique chinois 21st Century Business Herald.
Après l'ajournement de la séance du matin, Fergus Saurin, un avocat représentant un groupe de créanciers, a déclaré aux journalistes qu'Evergrande n'avait pas « engagé le dialogue » avec eux. « Il y a eu des velléités de dialogue à la dernière minute qui n'ont abouti à rien, a-t-il affirmé. L'entreprise ne peut s'en prendre qu'à elle-même pour avoir été liquidée. »
Si les conséquences administratives restent floues, les conséquences économiques sont d'ores et déjà visibles. Après l'annonce de la mise en liquidation, l'action d'Evergrande a dévissé de plus de 20 % à la Bourse de Hong Kong, qui a suspendu la cotation du titre. Cette dernière a également suspendu la cotation de la filiale de véhicules électriques du groupe, Evergrande NEV. L'action du groupe avait connu une première suspension en septembre à la Bourse de Hong Kong, au lendemain d'une information de la presse selon laquelle son patron se trouvait en résidence surveillée après avoir été interpellé au début du mois.
Défaut de paiement et faillite américaine
La dégringolade d'Evergrande, en défaut de paiement pour la première fois en 2021 et déclaré en faillite aux États-Unis, avait été étroitement suivie par les autorités chinoises, le groupe étant un pilier de l'économie du pays. Le secteur de la construction et de l'immobilier représente en effet plus d'un quart du PIB chinois. Durant des décennies, les nouveaux logements en Chine étaient payés avant même leur construction par les propriétaires, et les groupes finançaient leurs nouveaux chantiers à crédit. Mais l'endettement massif du secteur était perçu ces dernières années par le pouvoir comme un risque majeur pour l'économie et le système financier du pays.
Pékin avait progressivement durci à partir de 2020 les conditions d'accès au crédit des promoteurs immobiliers. Conséquence : les sources de financement de groupes déjà endettés se sont taries. Le gouvernement avait plusieurs fois annoncé des mesures pour tenter de sauver son secteur immobilier, en vain. En décembre, selon les chiffres officiels, soixante grandes villes chinoises ont de nouveau enregistré une baisse des prix de l'immobilier sur un mois. Evergrande, qui emploie 200 000 personnes, était la plus grande société immobilière de Chine et régnait sur un secteur qui a explosé quand l'immobilier est devenu le fondement de la richesse croissante d'une classe moyenne en plein essor.
Mais les difficultés financières d'Evergrande ont entraîné l'arrêt de chantiers, tandis que des propriétaires lésés se sont retrouvés avec des logements inachevés sur fond de ralentissement économique et de baisse des prix. Incapable de rembourser les intérêts de ses emprunts, Evergrande a fait défaut sur des paiements en décembre 2021. En août, le groupe s'est déclaré en faillite aux États-Unis, une mesure destinée à protéger ses actifs américains.
Un créancier, Top Shine Global, avait déposé une requête en liquidation à Hong Kong contre China Evergrande Group en 2022 et l'affaire avait alors traîné pendant que les parties tentaient de négocier un accord. Lors d'une audience en octobre, le taux de recouvrement des créanciers d'Evergrande avait été estimé à moins de 3 %. La juge doit nommer un liquidateur pour les actifs d'Evergrande dont le siège est à Hong Kong. Elle a précisé que cette décision signifierait que le patron du groupe Xu Jiayin (aussi connu sous son nom cantonais Hui Ka Yan) ne contrôlait plus l'entreprise.
Pas de crise financière « à la Lehman Brothers » ?
Le groupe avait à la fin juin une ardoise colossale estimée à 328 milliards de dollars, selon les chiffres les plus récents de l'entreprise. Il affiche 236,6 milliards de dollars d'actifs en Chine continentale et ailleurs. Certains d'entre eux ont déjà été vendus ces derniers mois pour obtenir des liquidités, pour un montant d'environ 7 milliards de dollars à fin novembre, selon les médias chinois. Mais on ne sait pas encore dans quelle mesure les actifs de l'entreprise pourront être récupérés par ses créanciers à l'étranger.
Étant donné que le jugement de mise en liquidation a été pris à Hong Kong, toute saisie des actifs de l'entreprise sur le continent pourrait nécessiter une décision judiciaire distincte dans ce pays. « Les tribunaux [du continent] peuvent refuser de reconnaître ou d'assister les liquidateurs de Hong Kong, a indiqué Jonathan Leitch, du cabinet d'avocats Hogan Lovells. Comme la grande majorité des actifs se trouvent [en Chine continentale], les liquidateurs devront examiner si ces actifs auront une quelconque valeur une fois que les créanciers prioritaires auront été satisfaits. » Pour Zerlina Zeng, analyste crédit chez Creditsights Singapore, citée par l'agence Bloomberg, il est permis de « douter que les créanciers à l'étranger reçoivent des montants substantiels de recouvrement grâce au jugement de liquidation ».
La Chine avait lancé plusieurs séries de sauvetages de son secteur immobilier en péril. Pékin avait annoncé la semaine dernière que ses banques avaient accordé près de 10 000 milliards de yuans (1 400 milliards de dollars) de prêts au secteur l'année dernière. Mais les autorités n'ont pas réussi à empêcher les ventes des biens immobiliers et les prix de continuer à baisser dans de nombreuses villes.
L'État chinois devrait veiller à ce que la décision ne fasse pas boule de neige, estiment les analystes. Il « gérera probablement cette liquidation de manière à ne pas provoquer d'effet de contagion majeur à d'autres secteurs de l'économie », prévoit Shane Oliver, économiste en chef de la société de services financiers AMP. « Pour ceux qui lisent avec anxiété les gros titres d'aujourd'hui […] et s'affolent : la chute d'Evergrande en 2021 n'a pas conduit en Chine à un moment similaire à [la crise financière déclenchée par] Lehman Brothers et la désintégration de sa coquille déjà morte en 2024 ne l'y mènera pas non plus », tempère le cabinet d'analyse China Beige Book dans un message sur X, ex-Twitter.
La descente aux enfers du promoteur chinois depuis 2021 illustre la face cachée d'une spéculation effrénée partagée tant par des investisseurs publics que par des milliers de Chinois, parmi lesquels de nombreuses personnes âgées qui espéraient ainsi préparer leur retraite et qui se retrouvent aujourd'hui flouées et désespérées.
La grande question qui se pose désormais est la possible contagion aux autres promoteurs immobiliers. Certains d'entre eux sont aussi en grande difficulté financière et proches de la faillite. « La mise en liquidation d'Evergrande pourrait accélérer le processus de négociation d'autre promoteurs pour la restructuration de leur dette », souligne John Lam, chef de la China and Hong Kong Property Research dans une note à ses clients. « Les créances sont distribuées de millions de façons différentes à travers l'ensemble du marché financier chinois, rappelle quant à lui Leland Miller, directeur général de la société d'analyse financière China Beige Book, cité par Reuters. La Chine possède un système financier non commercial, ce qui veut dire qu'il n'y aura pas de crise du type de Lehman. »
Quelles conséquences sur les actifs en Chine ?
Il reste que la confiance dans le secteur immobilier chinois est désormais durablement bousculée. Les dommages subis par les investisseurs sont en effet considérables. « La grande question [que se posent] les investisseurs est qu'ils ne savent rien de ce qui se passera avec les logements invendus », avertit Thomas Rupf, chef économiste pour les investissements en Asie de la VP Bank, cité par l'agence de presse britannique.
Par ailleurs, comment et quels seront les actifs qui seront vendus ? Le tribunal de Hong Kong a nommé le 29 janvier la société de consultants Alvarez & Marsal (A&M) liquidateur officiel d'Evergrande. Sa première mission sera d'étudier avec l'administration du promoteur quelles pourraient être « les propositions de restructuration viables », explique Tiffany Wong, l'une des responsables de A&M, citée le 30 janvier par le Nikkei Asia. « Notre priorité est de voir combien d'activités pourraient être conservées, restructurées et demeurer opérationnelles. »
Le jour de l'annonce à Hong Kong, Le directeur général d'Evergrande Xiao En, aussi connu sous le nom de Shawn Siu, a déclaré au média chinois Caijing que cette mise en liquidation n'empêcherait pas la poursuite des opérations du groupe en Chine et à l'étranger, tout en assurant que les constructions de logements en cours seraient toutes menées à bien. Mais la taille et la complexité d'Evergrande sont telles que sa liquidation pourrait prendre des années. Résoudre la question de la dette du groupe sera à elle seule « un processus très long et ardu », prévient Karl Choi, chef de la China property research de la Bank of America Securities.
Une autre question sera la manière dont la liquidation prononcée à Hong Kong sera mise en œuvre par les autorités de Pékin. En effet, la grande majorité des actifs d'Evergrande se trouvent sur le continent chinois où le système judiciaire est très différent de celui de Hong Kong. Quel sera également l'impact à venir de la liquidation du géant de l'immobilier sur les autres promoteurs ? « Le fait qu'Evergrande a maintenant été mis en liquidation constitue un précédent pour les créanciers étrangers qui recherchent une décision de justice pour la liquidation de promoteurs chinois dont les dettes cumulées qui dépassent 100 milliards de dollars arrivent à échéance cette année », remarque Brock Silvers, directeur général de Kaiyuan Capital, une société de courtage privée basée à Hong Kong.
Mais la seule complexité des problèmes d'Evergrande suscite des doutes sur la suite. « Avec la liquidation d'Evergrande, nous entrons dans des eaux inconnues », craint Kher Sheng Lee, un avocat de Hong Kong, directeur général de l'Asia Pacific et responsable à l'Alternative Investment Management Association, cité par le média japonais. Un liquidateur pourrait prendre le contrôle d'une partie des actifs à l'étranger, mais les conséquences [en Chine] sont tout sauf claires. Ce sera un processus compliqué qui prendra des années et qui laisse de nombreuses questions sans réponse. »
Il reste que l'effondrement de ce géant de l'immobilier, qui assure vouloir poursuivre ses activités en Chine, pourrait avoir des répercussions sur l'économie du pays. Cette décision de justice, prise dans la région chinoise semi-autonome de Hong Kong, peut-elle se concrétiser en Chine continentale, où le groupe est basé ? Non, assure la direction du géant immobilier. Shawn Siu l'affirme : dans la mesure où la filiale hongkongaise est indépendante des activités du groupe en Chine, il fera donc « tout son possible pour sauvegarder la stabilité de ses activités et opérations nationales ». Mais rien n'est moins sûr. Pour Lance Jiang, partenaire en restructuration au sein du cabinet d'avocats Ashurst, cité par Bloomberg, « le marché va être très attentif à ce que les liquidateurs désignés pourront faire et surtout à la question de savoir s'ils seront reconnus par l'une des trois cours suprêmes de Chine ».
Et pour cause : Hong Kong et la Chine continentale ont signé un accord en 2021, permettant la réciprocité des décisions de justice prises dans le territoire, notamment concernant les affaires commerciales. « Sans cette reconnaissance, les liquidateurs n'auront que peu de pouvoirs sur les actifs détenus [par Evergrande] en Chine continentale », insiste Lance Jiang.
C'est en Chine que se trouvent 90 % de ces actifs. Pour tenter de remettre en marche les chantiers alors que des centaines de particuliers attendent toujours que l'appartement qu'ils ont acheté soit terminé, le gouvernement chinois a mis la pression sur les acteurs du BTP, explique le New York Times. « Les gens vont surveiller si oui ou non les droits des créanciers sont respectés », estime Dan Anderson, de la firme Freshfields Bruckhaus Deringer, auprès du Financial Times. « Cela aura des implications à long terme pour l'investissement en Chine », ajoute-t-il, alors que Pékin a toujours besoin des investissements étrangers, déjà mis à mal par les tensions diplomatiques avec Washington.
« Je doute que les créanciers à l'étranger reçoivent un montant de recouvrement substantiel » de cette liquidation, juge pour sa part Zerlina Zeng, analyste crédit chez Creditsights Singapore, citée par l'agence Bloomberg. Si « l'impact macroéconomique peut être contenu », les investisseurs du monde entier surveillent « un effet boule de neige » susceptible de miner durablement leur confiance en Pékin, prévient Gary Ng, économiste chez Natixis SA, interrogé aussi par Bloomberg.
Les inconnues de la justice chinoise
La liquidation prononcée d'Evergrande intervient dans un contexte déjà très tendu ces derniers mois pour le secteur de l'immobilier chinois. Un autre géant local, Country Garden, s'est retrouvé lui aussi en défaut de paiement fin octobre, tandis qu'un troisième grand promoteur, Sunac, a dû trouver un accord pour une restructuration de sa dette.
Selon Shane Oliver, analyste de la société de services financiers AMP, cité par l'AFP, la décision de la justice hongkongaise est « une nouvelle étape » dans la crise de l'immobilier en Chine. Dans un secteur qui ne parvient pas à sortir la tête de l'eau depuis 2021, « la liquidation d'Evergrande est un signe que la Chine est prête à prendre des mesures radicales pour percer la bulle immobilière », analyse un autre spécialiste, Andrew Collier, d'Orient Capital Research, cité par CNN. C'est une bonne chose pour l'économie à long terme. Mais à court terme, ce sera très difficile. »
« Personne ne croit que la situation économique va s'améliorer » après cette liquidation, avertit Garcia Herrero, chef économiste pour l'Asie-Pacifique de la banque d'investissement Natixis, cité par le Washington Post. Evergrande démontre aux investisseurs étrangers combien il est risqué d'investir dans des entités chinoises à Hong Kong. Ceci était clair déjà avant, mais avec cette liquidation qui ne permet aucun accès aux avoir, ce sera d'autant plus clair maintenant. »
En décembre, les principales villes de Chine ont de nouveau enregistré une baisse des prix de l'immobilier sur un mois, selon les chiffres officiels, et ce malgré de nombreux plans des autorités visant à soutenir le secteur. Sur les 70 villes qui composent l'indicateur officiel de référence, 62 étaient ainsi concernées, contre 33 en janvier 2023, signe de la dégradation de la situation. Au total, les banques chinoises ont accordé l'an dernier pour près de 10 000 milliards de yuans (1 186 milliards de dollars) de prêts au secteur immobilier, selon des données récentes fournies par les autorités du pays.
La faillite spectaculaire d'Evergrande a ruiné les économies de milliers de petits épargnants. Mais elle signe en même temps la fin de l'argent facile en Chine. Un signe aussi de la fin probable d'une ère de prospérité dans ce pays désormais englué dans une crise économique inédite depuis plus de quarante ans. Cette mise en liquidation a pour contexte la fin du miracle économique chinois et de l'hypercroissance que la Chine a connu pendant presque quarante ans. L'immobilier en Chine a généré une dette publique et privée colossale qui se chiffre en milliers de milliards de dollars. Une bulle qui menace depuis longtemps d'éclater.
Reste que la liquidation d'Evergrande est l'une des conséquences d'une spéculation déclenchée par la hausse considérable du prix des terrains qui avait généré une vague de constructions démesurée. Aujourd'hui, les logements vides sont tellement nombreux dans le pays qu'ils pourraient héberger des centaines de millions de personnes, avait récemment indiqué un responsable chinois du secteur.
Plus de 90 % des actifs du géant sont situés sur le continent. Or, compte tenu du système légal en Chine, la liquidation peut être entravée aussi longtemps que le voudront les autorités de Pékin. Les tribunaux chinois étant tous contrôlés par le Parti communiste, c'est lui qui décidera seul de l'agenda. Or le moment de la décision n'est pas encore venu, car la Chine commémore à partir du 10 février le Nouvel an lunaire, une fête pendant laquelle des centaines de millions de Chinois retournent dans leurs villes et villages d'origine.
L'impact de cette tragédie sera particulièrement rude pour les travailleurs migrants car le secteur de la construction employait quelque 50 millions de Chinois dont beaucoup se retrouvent aujourd'hui au chômage. « Le contrôle gouvernemental exercé sur le bâtiment peut augmenter encore les doutes et entraver la confiance des consommateurs puisque personne ne peut croire les chiffres, estime mardi James Palmer, rédacteur en chef adjoint de Foreign Policy. Quel que soit le sort d'Evergrande, les investisseurs peuvent entendre les cloches sonner la fin de partie. »
Avec le naufrage d'Evergrande, c'est l'image et le lustre de la Chine dans le monde qui s'effritent encore davantage. Une Chine dont la toute-puissance longtemps incontestée est aujourd'hui remise en cause dans les milieux économiques et financiers en Occident, à l'heure où nombreux sont les investisseurs qui font leurs valises au profit d'autres pays plus sûrs tels que le Vietnam, la Malaisie ou surtout l'Inde.
Par Pierre-Antoine Donnet
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« Du fleuve à la mer » la lutte de la Palestine pour le partage de la terre, contre la stratégie de rejet d’Israël

Le slogan « Du fleuve à la mer », brandi lors de manifestations propalestiniennes dans le monde entier, a fait l'objet d'un grand nombre de critiques ignares. Dans les commentaires des médias et les débats télévisés, le slogan est critiqué comme un appel à la « destruction d'Israël », une preuve que les Palestinien·nes ne veulent pas la paix et rejettent tout compromis avec Israël, ou même, de manière plus tranchée, un appel au « génocide », pour « repousser les juifs à la mer ».
16 janvier 2024 | tiré d'Inprecor numéro 716 - janvier 2024
16 JANVIER 2024 PAR MICHAEL KARADJIS
Michael Karadjis, militant australien, discute de la revendication « du fleuve à la mer », et en défend la légitimité, ainsi que de l'immense recul qu'a constitué, à l'inverse, la demande d'un État palestinien indépendant, objectif qui a correspondu, de fait, à la constitution de bantoustans et à la situation actuelle.
La seule Palestinienne du Congrès américain, Rashida Tlaib, a été condamnée, lors d'un vote, par la majorité des législateurs américains pour avoir utilisé ce slogan, alors qu'ils encouragent et facilitent activement un véritable génocide contre les Palestinien·nes, comme Tlaib l'avait affirmé auparavant (1). La motion de censure a qualifié la phrase d'« appel génocidaire à la violence pour détruire l'État d'Israël et son peuple afin de le remplacer par un État palestinien s'étendant du Jourdain à la mer Méditerranée ». Mme Tlaib a réagi avec éloquence à cette calomnie honteuse.
De même, l'éditorialiste australienne de droite Peta Credlin a affirmé à tort dans le Daily Telegraph du 12 novembre que « des dizaines de milliers d'Australiens ont défilé en faveur de ce qui équivaudrait à un nouvel Holocauste, à la destruction d'Israël et à l'expulsion de millions de juifs “du fleuve à la mer” ».
« Du fleuve à la mer » fait référence à l'ensemble de la région historique de la Palestine, c'est-à-dire du Jourdain à l'est jusqu'à la mer Méditerranée à l'ouest. Toute cette zone est actuellement gouvernée par Israël, en trois parties : Israël (dans les frontières d'avant 1967), la Cisjordanie palestinienne occupée, et Gaza devenue un camp de concentration pour les Palestiniens, assiégé et soumis au blocus, actuellement réduite en cendres par les bombardements.
En d'autres termes, à l'heure actuelle, l'État d'Israël, qui est un État du peuple juif (selon la « Déclaration d'indépendance », les Lois fondamentales et la loi sur l'État-nation), règne « du fleuve à la mer » en tant qu'État d'apartheid, comme le disent Amnesty International, Human Rights Watch, l'organisation israélienne de défense des droits humains B'Tselem et même d'anciens ambassadeurs israéliens dans l'Afrique du Sud de l'apartheid. En outre, l'idée qu'Israël doit régner partout, du fleuve à la mer, et n'autoriser aucun mini-État palestinien, est inscrite dans la charte du parti d'extrême droite Likoud du Premier ministre Benjamin Netanyahou (2) et de tous les autres partis de la droite israélienne dominante.
La première question est donc la suivante : les personnes qui critiquent le slogan lorsqu'il est brandi par des Palestinien·nes condamnent-elles également le racisme inhérent à la domination israélienne partout « du fleuve à la mer », et reconnaissent-elles que le génocide progressif à long terme contre le peuple palestinien est effectivement pratiqué dans cette région depuis 75 ans, et que ce n'est pas un simple slogan ?
La deuxième question est la suivante : étant donné que le peuple palestinien est autochtone dans toute cette région située entre le fleuve et la mer et qu'il vit toujours, malgré les efforts d'Israël, dans toutes les parties de cette région, pourquoi être offensé par un slogan qui demande que les Palestinien·nes vivant partout entre le fleuve et la mer soient « libres » ? Est-ce que ces offensés croient que les Palestiniens ne devraient être libres que dans certaines parties de la Palestine, et esclaves dans d'autres ? Où bien recommandent-ils que les Palestinien·nes ne soient pas libres ?
Est-il vraiment génocidaire ou difficile de concevoir que, dans n'importe quelle partie de la Palestine, les Palestiniens ne doivent pas continuer à être privés de liberté, occupés, dépossédés, enfermés dans des bantoustans, quotidiennement humiliés, affamés, tués en toute impunité et, tous les deux ans, massacrés en grand nombre et ensevelis sous les décombres ?
Ceux qui pensent que pour que les Palestinien·nes soient libres partout, il faut que les juifs soient « jetés à la mer » devraient à la fois lire le programme à long terme du mouvement de libération palestinien et élargir leur horizon politique et leur imagination.
En même temps, si quelqu'un pense simplement que la liberté des Palestinien·nes partout dans le monde signifie « la destruction d'Israël », il lui faut définir ce qu'il entend par « Israël » et ce qui, dans Israël, pourrait être « détruit » par la liberté des Palestinien·nes. Parce que, dans un sens, c'est vrai, la liberté pour les Palestinien·nes du fleuve à la mer, et l'égalité des droits pour tou·tes les habitants – juifs, chrétien·nes, musulman·es, athé·es, Israélien·nes et Palestinien·nes – « détruirait » effectivement un État sectaire fondé explicitement sur la suprématie juive.
Lorsque les Sud-Africains noirs se sont battus pour la liberté en Afrique du Sud, ils et elles n'ont pas spécifié qu'ils ne devaient être libres que dans certains bantoustans définis par les autorités de l'apartheid. Leur victoire pour la liberté des Noirs sur l'ensemble du territoire a effectivement conduit à la « destruction » de l'État suprématiste blanc de l'apartheid en Afrique du Sud, et à l'instauration de droits politiques égaux pour tous ; elle n'a pas nécessité le « génocide » des Sud-Africains blancs en les « poussant à la mer ».
Le contexte du débat
On me répondra que ce n'est qu'un idéal, et que la réalité, c'est que lorsque les Palestiniens brandissent ce slogan, cela signifie qu'ils veulent « vraiment » la Palestine seulement pour eux. « Où iraient les Israéliens ? » J'entends souvent cette question de la part de ceux qui ne connaissent pas bien l'histoire du dernier demi-siècle. Et même si certains admettent que les dirigeants israéliens sont « tout aussi mauvais », cela n'a pas d'importance ; qu'il soit utilisé par des Israélienes de droite ou par des combattants de la liberté palestinienne, le slogan rejette le Saint-Graal de la « solution à deux États », qui serait « la seule solution possible ».
À ce propos, voici quelques éléments qui seront développés plus loin :
• La réalité c'est que ce sont les Palestinien·nes qui ont toujours réclamé un État démocratique égal partout « du fleuve à la mer », depuis les années 1960, et que ce sont les dirigeants israéliens, toutes tendances politiques confondues, qui l'ont toujours rejeté.
• La « solution à deux États » – c'est-à-dire une division de la région « du fleuve à la mer » entre « Israël » avec 78 % du territoire et « la Palestine » avec 22 %, alors que les populations qui y vivent sont à peu près en nombre égal aujourd'hui, sans compter les millions de réfugiés de la Nakba de 1948 – constitue une solution tellement éloignée de la justice que je ne vois pas pourquoi il faudrait l'expliquer ; et pourtant, malgré cela...
• …ce sont les dirigeants palestiniens qui ont accepté depuis longtemps le scénario des deux États, sous une forme ou une autre depuis les années 1970, que ce soit comme un tremplin vers la solution optimale ou comme une « solution » en soi, tandis qu'Israël l'a toujours rejeté et s'est activement employé à en détruire toute possibilité.
• Car même s'il s'agit d'une proposition manifestement injuste pour la Palestine, si elle est combinée au droit de retour des réfugiés palestiniens sur les 78 % de terres « israéliennes » et à l'égalité totale pour les Palestiniens qui y résident (ils sont actuellement des citoyens de seconde zone), elle pourrait encore constituer une version modifiée de la liberté palestinienne « du fleuve à la mer ». Et tout État souverain de la population autochtone portant le nom de Palestine (par opposition à une série de bantoustans semi-autonomes), même sur une petite superficie, menace toujours politiquement l'idée que la terre appartient à Israël.
Nous devons également nous rappeler qu'il n'y a pas d'égalité dans toute cette discussion : les Palestiniens sont le peuple autochtone de toute la Palestine ; Israël existe en raison de la dépossession coloniale du peuple palestinien depuis 1948. Les Palestiniens ne devraient pas être continuellement contraints d'« accepter » le « droit à l'existence » d'Israël (leur colonisateur) comme condition à la liberté palestinienne ou même comme condition à la simple ouverture d'une discussion sur la possibilité d'un mini-État palestinien impuissant ; c'est plutôt la puissance colonisatrice qui devrait être amenée à reconnaître la souveraineté du peuple palestinien en Palestine.
Dans le plan de partage de la Palestine établi par les Nations unies en 1947, le tiers de la population, qui était alors constitué d'immigrants juifs (aux côtés d'une petite population juive autochtone), s'est vu attribuer 56 % des terres ; la majorité des deux tiers, palestinienne, s'est vu attribuer 43 % ; les Palestiniens ont donc naturellement rejeté cette proposition scandaleuse. Il convient de noter qu'en 1946, les gouvernements arabes avaient proposé un plan alternatif : un État démocratique unitaire « dans lequel tous les citoyens seraient représentés et se verraient garantir la jouissance des droits civils et politiques » et où les juifs auraient « une position permanente et sûre dans le pays avec une pleine participation à sa vie politique sur un pied d'égalité absolue avec les arabes » (3).
Israël a réagi en 1948 par la Nakba, la catastrophe, qui s'est traduite par un nettoyage ethnique massif, une série de massacres et d'expulsions horribles et la destruction de 400 villes. Au cours de cette période, le nouvel État d'Israël a étendu son autorité à 78 % de la Palestine, tandis que sur les 22 % restants, la Cisjordanie est passée sous contrôle jordanien et la bande de Gaza sous contrôle égyptien. Les 750 000 Palestiniens victimes du nettoyage ethnique n'ont jamais été autorisés à rentrer chez eux, malgré la résolution 194 des Nations unies de 1948 (4) qui l'exigeait ; eux et leurs descendants sont aujourd'hui près de dix fois plus nombreux.
Programme du Fatah (1969) : « Pour une Palestine démocratique et laïque », pour les chrétiens, les musulmans et les juifs
Après avoir attaqué tous ses voisins en 1967 et s'être emparé de la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et de Gaza (ainsi que du Sinaï égyptien et du Golan syrien), Israël a créé une nouvelle situation en réunissant toute la Palestine historique sous un seul gouvernement – un gouvernement non représentatif.
Face à cette situation, le Fatah de Yasser Arafat, devenu la faction dominante au sein de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), a présenté en janvier 1969 le programme historique palestinien « pour une Palestine progressiste, démocratique et laïque dans laquelle les chrétiens, les musulmans et les juifs pratiqueront leur culte, travailleront, vivront en paix et jouiront de droits égaux » (5). Ce programme a été adopté par le 5e Conseil national palestinien (CNP) en février 1969, qui visait « une société démocratique indépendante en Palestine pour tous les Palestiniens, musulmans, chrétiens et juifs ». Ces formulations concernaient l'ensemble de la Palestine « du fleuve à la mer ». Elles s'opposaient au programme sioniste de suprématie juive israélienne du fleuve à la mer.
Puis, en mai 1969, une autre organisation majeure de l'OLP, le Front démocratique pour la libération de la Palestine, propose une version légèrement différente : « le démantèlement de l'entité sioniste et l'établissement d'un État palestinien populaire et démocratique dans lequel arabes et juifs vivraient ensemble sans discrimination » (6), c'est-à-dire du fleuve à la mer, en mettant l'accent sur les deux groupes nationaux plutôt que sur les trois religions. Quel que soit le point de vue, il s'agit d'une solution profondément démocratique.
C'est le programme historique des Palestinien·nes, auquel ils n'ont jamais renoncé ; il n'est pas récent, il date de plus d'un demi-siècle. La calomnie selon laquelle les Palestinien·nes veulent « pousser les Juifs à la mer » n'a tout simplement aucun rapport avec quoi que ce soit. Essayez de ne pas la répéter, à moins que vous ne vouliez passer pour un ignorant.
Compte tenu de l'occupation militaire israélienne brutale, la lutte armée pour parvenir à cette Palestine démocratique et laïque était le recours naturel de la résistance palestinienne, comme cela a toujours été le cas dans les luttes anticoloniales, et c'est un droit reconnu par les Nations unies.
Toutefois, dans son discours devant l'Assemblée générale des Nations unies en 1974 (7), le chef de l'OLP, Yasser Arafat, a proposé le « rameau d'olivier » comme alternative au « fusil » pour réaliser cette vision, en proposant à la population juive israélienne de marcher ensemble sur le chemin de la paix :
Pourquoi ne pas rêver et espérer ? Car la révolution n'est-elle pas la concrétisation des rêves et des espoirs ? Travaillons donc ensemble pour que mon rêve se réalise, pour que je revienne avec mon peuple sortant de l'exil, en Palestine, pour vivre avec ce combattant juif de la liberté et ses partenaires, avec ce prêtre arabe et ses frères, dans un État démocratique où chrétiens, juifs et musulmans vivent dans la justice, l'égalité et la fraternité.
Rappelons que les juifs d'Europe et des États-Unis sont connus pour mener les luttes pour la laïcité et la séparation de l'Église et de l'État. Ils ont également lutté contre les discriminations fondées sur la religion. Comment peuvent-ils alors refuser ce paradigme humain pour la Terre sainte ? Comment peuvent-ils continuer à soutenir la politique nationale la plus fanatique, la plus discriminatoire et la plus verrouillée ?
En ma qualité officielle de président de l'OLP et de dirigeant de la révolution palestinienne, je proclame devant vous que lorsque nous parlons de nos espoirs communs pour la Palestine de demain, nous incluons dans notre perspective tous les juifs qui vivent actuellement en Palestine et qui choisissent de vivre avec nous dans la paix et sans discrimination.
En ma qualité officielle de président de l'OLP et de dirigeant de la révolution palestinienne, j'appelle les juifs à se détourner un à un des promesses illusoires que leur font l'idéologie sioniste et les dirigeants israéliens. Ils offrent aux juifs un bain de sang perpétuel, une guerre sans fin et un esclavage permanent.
Nous leur offrons la solution la plus généreuse pour que nous puissions vivre ensemble dans le cadre d'une paix juste dans notre Palestine démocratique.
Il a terminé ce discours dans le style de Martin Luther King en annonçant : « Aujourd'hui, je suis venu avec un rameau d'olivier et un fusil de combattant de la liberté. Ne laissez pas le rameau d'olivier tomber de ma main. Je le répète : ne laissez pas le rameau d'olivier tomber de ma main ».
Les origines de la stratégie du mini-État palestinien
Mais, bien sûr, le pouvoir étant ce qu'il est dans le monde impérialiste d'aujourd'hui, les opprimés apprennent parfois qu'un certain degré de pragmatisme est nécessaire, qu'il soit juste ou non. Israël et les États-Unis ont rejeté l'idée d'un État démocratique avec des droits égaux pour tous les peuples d'Israël/Palestine ; et il était difficile de convaincre la majorité des juifs israéliens, qui étaient privilégiés avec un État ethno-suprématiste pour eux-mêmes dans 80 % de la Palestine, de le partager avec le peuple palestinien sur une base démocratique, comme le proposait l'OLP.
En conséquence, nous avons assisté à l'émergence du concept d'un mini-État palestinien établi dans toute partie de la Palestine qui pourrait être libérée en premier. Cette évolution a été annoncée par le FDLP qui, en juillet 1971, a appelé à la mise en place d'un « point d'appui fiable et libéré dans les territoires occupés qui assurerait la continuité de la révolution palestinienne ». Le « programme en 10 points » de l'OLP, accepté lors de la 12e réunion du Conseil national palestinien (CNP) en juin 1974 (8), continuait à rejeter la résolution 242 des Nations unies (signée par l'Égypte, la Jordanie et la Syrie) qui traitait la question palestinienne seulement comme un problème de réfugiés plutôt que comme une question d'autodétermination nationale. Toutefois, certaines formulations commençaient à laisser entendre qu'un mini-État pourrait être accepté dans une partie de la Palestine comme une étape dans la lutte engagée.
En particulier, le point 2 est libellé comme suit : « L'Organisation de libération de la Palestine emploiera tous les moyens, et en premier lieu la lutte armée, pour libérer le territoire palestinien et établir l'autorité nationale indépendante et combattante du peuple sur chaque partie du territoire palestinien libéré. Cela nécessitera de nouveaux changements dans le rapport de forces en faveur de notre peuple et de sa lutte. »
Le point 3 soulignait que l'OLP rejetterait tout accord qui l'obligerait à reconnaître Israël ou à renoncer au droit au retour des réfugiés palestiniens ou à leur droit à l'autodétermination ; et le point 4 soulignait que « tout pas vers la libération est un pas vers la réalisation de la stratégie de l'Organisation de libération consistant à établir l'État palestinien démocratique spécifié dans les résolutions des précédents Conseils nationaux palestiniens », c'est-à-dire une Palestine démocratique et laïque, du fleuve à la mer.
Cependant, comme le point 2 indiquait que la lutte serait menée par « tous les moyens », même si la lutte armée était alors considérée comme « première et principale », il y avait matière à faire de nombreux accords. L'idée d'établir une autorité palestinienne sur toute partie de la Palestine pouvant être libérée en premier était généralement comprise comme se référant aux 22 % de la Palestine nouvellement occupés par Israël en 1967, c'est-à-dire la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et Gaza. Il était clair que la lutte armée était nécessaire pour en finir avec l'occupation israélienne illégale de ces territoires ; tandis que l'implication selon laquelle d'autres formes de lutte pourraient être utilisées a été comprise comme signifiant que, si une autorité palestinienne était établie dans les territoires de 1967, alors la lutte en cours pour la démocratisation des 78 % d'« Israël de 1948 », et pour le droit au retour des réfugié·es palestiniens, victimes du nettoyage ethnique de 1948, dans toute la Palestine, pourrait prendre la voie de la résistance civile et politique, des négociations, de la lutte diplomatique, sur une plus longue période. Ainsi, bien qu'une « paix » totale avec Israël, une « reconnaissance » d'Israël, soit hors de question, une trêve à long terme pourrait être établie.
Bien que tout cela ne soit qu'implicite dans le programme de 1974, la formulation était nécessairement un compromis entre les différentes organisations de l'OLP. En pratique, l'organisation dominante d'Arafat, le Fatah, et les organisations de l'OLP qui lui étaient alliées (par exemple, à l'époque, le FDLP) l'interprétaient de la manière la plus large à la fin des années 1970 (tandis qu'un « front du refus » composé d'organisations de l'OLP plus radicales et opposées à tout compromis se formait également). Le FDLP a de nouveau été le pionnier du changement en 1975 en appelant à « un État-nation palestinien pleinement souverain sous la direction de l'OLP » dans les territoires occupés, associé au droit au retour des réfugiés dans toutes les parties de la Palestine. Le 13e CNP de 1977 a renforcé « l'autorité de combat » du 12e CNP, les Palestinien·nes établissant « leur propre État national indépendant sur leur sol national ». En outre, le CNP a souligné « l'importance de la connexion et de la coordination avec les forces progressistes et démocratiques juives à l'intérieur et à l'extérieur de la patrie occupée, qui luttent contre le sionisme ».
L'OLP et « la solution à deux États »
Mais si même l'aile la plus « modérée » de l'OLP avait encore ses lignes rouges très strictes (droit au retour, le mini-État n'est qu'une étape vers la libération totale et donc aucune reconnaissance d'« Israël »), peu de temps après, l'orientation du mini-État a été reprise par les États arabes, l'Union soviétique et ses alliés et, plus tard, par les pays d'Europe occidentale, et s'est durcie pour devenir « la solution » à deux États, qui impliquait une situation permanente. Dans cette optique, si Israël permettait la création d'un État palestinien dans les 22 % de la Palestine considérés légalement comme des « territoires occupés », cela devrait conduire à une reconnaissance mutuelle entre ce grand Israël et la petite Palestine, et le droit au retour des réfugié·es en Israël lui-même a été progressivement réduit – soit au retour de « certains » et à une « compensation » pour d'autres, soit à une suppression pure et simple. Cette « solution à deux États » à grande échelle peut en effet être considérée comme un abandon de la liberté palestinienne « du fleuve à la mer ».
Entre ces deux positions, la direction de l'OLP-Fatah savait qu'elle devait manœuvrer sur le plan diplomatique. Sa position était essentiellement la suivante : si la lutte armée et diplomatique palestinienne pouvait établir un mini-État laïque et démocratique tout en obtenant le droit au retour des réfugié·es dans l'État d'Israël, et si une lutte civile au sein d'Israël pour mettre fin à l'État ethnocratique et raciste et le remplacer par un État laïque et démocratique aboutissait, il ne servirait à rien d'avoir deux États démocratiques et laïques, de sorte qu'ils finiraient peut-être par n'en former qu'un seul ; le retour des réfugié·es en Israël et « l'égalité pour les arabes palestinien·nes en Israël » conduiraient « finalement à une résolution ultime de la question nationale palestinienne par l'établissement d'un seul État unifié et démocratique sur toute la terre de Palestine, où l'égalité prévaudra entre tous les citoyens indépendamment de leurs origines ethniques, religieuses ou nationales, y compris l'égalité entre les sexes ». La coexistence des deux États avec une trêve dans le cadre d'une lutte citoyenne pour la démocratie pourrait même être une étape nécessaire pour conquérir la classe ouvrière israélienne et la sortir de la paranoïa sur laquelle se fonde l'idéologie sioniste.
Rétrospectivement, de nombreux libéraux affirment que l'acceptation progressive par l'OLP d'une sorte de scénario à deux États a constitué un abandon bienvenu de l'idée « du fleuve à la mer », de sorte que si quelqu'un brandit ce slogan aujourd'hui, c'est qu'il s'agit d'un extrémiste visant à « anéantir Israël », etc. Mais de nombreux critiques de gauche, y compris au sein de l'OLP, y ont vu une capitulation et un rejet de la perspective de libération du fleuve à la mer. Toutefois, si l'on considère les choses de la manière décrite ci-dessus, l'acceptation progressive par l'OLP d'une phase de transition vers deux États n'était pas un abandon de la liberté palestinienne « du fleuve à la mer » ; l'élément essentiel est le maintien du droit au retour des réfugié·es de 1948.
En janvier 1976, une résolution (9) a été présentée au Conseil de sécurité des Nations unies (10) par un certain nombre d'États du Sud demandant la création d'un État palestinien indépendant dans les territoires occupés après le retrait israélien et la reconnaissance de « tous les États de la région ». L'OLP a exprimé son soutien à cette motion, à laquelle les États-Unis ont opposé leur veto (la France a soutenu la résolution tandis que le Royaume-Uni s'est abstenu). De même, l'OLP a accueilli favorablement la résolution 35/207 de l'Assemblée générale des Nations unies en 1980 (11), qui, outre les appels annuels au retrait total d'Israël des territoires occupés en 1967 et au retour des réfugié·es, ajoutait un soutien pour le peuple palestinien à « l'établissement de son État indépendant en Palestine ». L'OLP a également exprimé son soutien à des propositions similaires faites par le dirigeant soviétique Leonid Brejnev (12) en 1981, selon lesquelles le retrait israélien et l'établissement d'un mini-État palestinien devraient aboutir à « la sauvegarde du droit de tous les États de la région à la sécurité, à l'existence indépendante et au développement, à la fin de l'état de guerre et à l'établissement de la paix entre les États arabes et Israël ». Ces formulations ont laissé les 78 % de la Palestine à Israël (même si la lutte non militaire pour la démocratie et le retour des réfugié·es se poursuivra). Donc, cette concession majeure ressemble encore moins à l'idée de « jeter les juifs à la mer ».
Bien entendu, Israël a toujours refusé de se retirer des territoires occupés et a rejeté tout État palestinien, ne serait-ce que sur un mètre carré de la Palestine. Depuis les années 1970, il a progressivement rempli la Cisjordanie de « colons » (israélien·nes) fanatiques, armés et religieux, qui volent de grandes surfaces des terres palestiniennes et assassinent en toute impunité, ce qui témoigne de la revendication maximaliste d'Israël sur l'ensemble de la Palestine. Ainsi, l'État d'Israël désigne la Cisjordanie par le nom de « Judée-Samarie », nom donné à ces régions il y a des milliers d'années. En 1980, Israël a commis un acte de banditisme international en annexant officiellement (au lieu de simplement « occuper ») la Jérusalem-Est palestinienne, dont il s'était emparé illégalement en 1967 (il a également annexé le plateau du Golan en 1981, qui est un territoire syrien souverain).
Et depuis lors, Israël a été pleinement soutenu par les États-Unis dans cette position de refus absolu, alors même que la plupart des États de l'UE ont progressivement adopté une position de deux États. Israël et les États-Unis ont rejeté ensemble toute négociation avec l'OLP, qui avait été reconnue par tous les États arabes (et par l'Assemblée générale de l'ONU) comme le « représentant unique et légitime » du peuple palestinien. Alors qu'aucun pays au monde n'a reconnu l'annexion de Jérusalem-Est par Israël, ni comme nouvelle « capitale » d'Israël, l'administration Trump aux États-Unis a finalement fait sienne cette décision hautement illégale en 2017, et l'actuelle administration Biden n'a pas annulé cette violation flagrante du droit international.
Pour résumer : depuis la fin des années 1970, Israël et les États-Unis sont les États rejetant ce qui est devenu le consensus international, voté à une écrasante majorité par l'Assemblée générale des Nations unies chaque année, à savoir la création d'un État palestinien souverain avec Jérusalem pour capitale sur 22 % du territoire palestinien – comme si le fait de permettre au peuple autochtone d'avoir un État sur seulement un cinquième de son territoire constituait une concession généreuse aux Palestinien·nes !
Le plan de paix de Fès et la déclaration d'indépendance palestinienne
En 1982, à la suite de la guerre horriblement meurtrière menée pendant trois mois par Israël contre les Palestinien·nes au Liban, le 12e sommet de la Ligue arabe s'est tenu au Maroc, à Fès, et a proposé le plan de paix de Fès (13), pour un État palestinien en Cisjordanie et à Gaza avec Jérusalem-Est comme capitale, en échange d'une reconnaissance arabe implicite d'Israël dans ses frontières légales (c'est-à-dire 78 % de la Palestine), la déclaration incluant « des garanties de paix entre tous les États de la région, y compris l'État palestinien indépendant ». Elle revendique les « droits nationaux inaliénables et imprescriptibles » des Palestinien·nes sans appeler explicitement au retour, mais ajoute un appel à « l'indemnisation de ceux qui ne désirent pas revenir », ce qui implique que celles et ceux qui le désirent doivent être autorisés à le faire. L'OLP et tous les États arabes, à l'exception de la Libye de Kadhafi, ont signé ce plan.
Bien entendu, cette proposition a été rejetée par Israël et les États-Unis, et Israël a concrétisée ce rejet en organisant et en facilitant aussitôt le massacre de 3 000 réfugié·es palestinien·nes à Sabra-Chatila, au Liban, par l'intermédiaire du groupe d'extrême droite la Phalange libanaise (le massacre a été dirigé par Elie Hobeika, qui a ensuite pris la tête de l'aile pro-Assad de la Phalange).
La déclaration d'indépendance palestinienne (rédigée par le poète palestinien Mahmoud Darwish) a été proclamée par Yasser Arafat le 15 novembre 1988 à Alger (14), à l'issue de la 19e réunion du Conseil national palestinien (CNP) qui avait adopté cette déclaration à une écrasante majorité. De manière significative, la déclaration cite la résolution 181 des Nations unies de 1947, qui avait initialement partagé la Palestine en un État juif à 56 % et un État arabe à 43 %, reconnaissant ainsi implicitement Israël. Dans les conditions actuelles, une revendication de 43 % de la Palestine (y compris le droit au retour dans le reste du territoire) serait une solution bien plus juste que les 22 %, compte tenu du nombre respectif d'Israélien·nes et de Palestinien·nes entre le fleuve et la mer ; dans la pratique, cependant, cela signifie une tentative plus énergique d'obtenir une souveraineté palestinienne reconnue sur les 22 % considérés comme « occupés ». Fait notable, dans l'esprit de 1969, la déclaration fait référence à la Palestine comme étant la « terre des trois religions monothéistes ».
À l'Assemblée générale des Nations unies, la déclaration d'indépendance palestinienne a été reconnue (15) par l'écrasante majorité des États membres, seuls deux d'entre eux ayant voté contre : les États-Unis et Israël.
C'était une époque pleine d'espoir : fin 1987, la première Intifada palestinienne avait éclaté ; des milliers de jeunes Palestinien·nes avaient affronté les forces d'occupation israéliennes en Cisjordanie et à Gaza avec des pierres, mais sans armes à feu ; Israël avait bien sûr réagi par des massacres. Le monde commençait à voir différemment Israël et la Palestine. Cependant, deux événements historiques mondiaux – l'effondrement du bloc de l'Est et de l'URSS en 1989-1991, ainsi que l'invasion du Koweït par l'Irak et la guerre menée par les États-Unis pour le vaincre en 1991 – ont eu des répercussions catastrophiques pour la Palestine, pour des raisons qui dépassent le cadre de cet essai.
Les fatidiques accords d'Oslo
Le résultat a été la poursuite de l'adaptation, malgré la déclaration audacieuse de 1988. En 1993, la direction de l'OLP/Fatah a accepté le processus d'Oslo, impliquant la reconnaissance d'Israël en échange d'une autorité palestinienne impuissante sur une fraction seulement des territoires occupés, dont Israël a retiré ses troupes (mais pas son contrôle global). Bien entendu, cela supposait qu'il ne s'agissait que de la première étape et qu'elle serait suivie de négociations avec Israël et les États-Unis sur les frontières définitives, le statut de Jérusalem, la question des réfugié·es et ainsi de suite, dans l'espoir qu'Israël se retire progressivement d'une partie de plus en plus importante de la Palestine. En d'autres termes, la position officielle de l'OLP restait celle d'un État palestinien sur la totalité des 22 %, mais, quelle que soit la manière dont on l'envisage, c'était une nouvelle concession majeure en ce qui concerne la reconnaissance d'Israël, basée entièrement sur la confiance.
Alors que tous les soutiens initiaux de l'OLP au scénario des deux États incluaient le droit au retour des réfugié·es dans l'ensemble de la Palestine/Israël – ce qui n'était donc pas nécessairement en contradiction avec l'expression « du fleuve à la mer » – Oslo peut être décrit comme la première fois où les dirigeants de l'OLP/Fatah ont effectivement renoncé à ce droit. Bien sûr, ils ont continué à insister sur le fait qu'il s'agissait de leur politique, mais en reconnaissant Israël alors que la question des réfugié·es était simplement reléguée à de futurs pourparlers sur le « statut final », ils s'en remettaient effectivement à la bonne volonté d'Israël sur une question qu'Israël avait toujours rejetée.
Par conséquent, ceux qui prétendent aujourd'hui que l'OLP a abandonné « du fleuve à la mer » avec la « solution » à deux États, et qu'il ne s'agit aujourd'hui que d'un slogan « extrémiste » ou « du Hamas », glorifient en tant que « modèle de paix » la capitulation totale d'Oslo. Il est important de noter qu'Oslo n'a pas seulement été rejeté par toutes les autres composantes de l'OLP, mais qu'il a également été rejeté au sein du Fatah, même par ses dirigeants. Il ne fait aucun doute que l'opinion ultra-majoritaire au sein du mouvement de libération palestinien dans son ensemble rejette la capitulation d'Oslo et continue de considérer que la Palestine s'étend du fleuve à la mer, quelle que soit la forme qu'elle prendra.
Bien entendu, comme beaucoup l'avaient prédit, Israël en a profité pleinement, refusant même de discuter des questions du statut final et remplissant la Cisjordanie et Jérusalem de centaines de milliers de colons israéliens illégaux (environ 700 000 aujourd'hui) qui ont volé la moitié du territoire et vivent comme des rois autour des bantoustans palestiniens séparés et enfermés, où « l'Autorité » palestinienne n'a aucune autorité réelle, tandis que la population palestinienne n'a aucun droit dans un Israël d'apartheid, et est constamment dépossédée, expulsée, humiliée aux points de contrôle et tuée en toute impunité.
C'est cette trahison israélienne totale et absolue des fausses promesses d'Oslo qui a conduit directement au déclenchement de la deuxième Intifada, beaucoup plus violente, en 2000, et à la montée en puissance du Hamas, une formation « islamiste » radicale extérieure à l'OLP dont l'idéologie et les actions (initialement ses attentats suicides) allaient éroder le message de paix et de coexistence que l'OLP avançait depuis 1969 – au profit du régime israélien qui s'en est servi comme d'une excuse ultra-hypocrite pour proclamer qu'il n'a pas de « partenaire pour la paix » en Palestine !
La mascarade de « l'offre généreuse » de 2000
Un incident important doit être abordé ici : l'affirmation souvent faite par les sionistes et leurs partisans selon laquelle l'OLP s'est vu offrir « 95 % » de ce qu'elle voulait par le président américain Clinton et le Premier ministre israélien Ehud Barak en 2000, mais qu'Arafat s'est « désisté » de cette « offre généreuse » et a, au contraire, déclenché la seconde Intifada.
La première question est de savoir si Arafat avait le droit d'accepter « 95 % » de ce qui n'était que 22 % de la Palestine, alors que la moitié de la population de la région était désormais palestinienne et – comme l'a clairement affirmé Barak – sans droit de retour pour les millions de réfugié·es de la Nakba de 1948. Il est certain que, par souci d'équité, tout compromis territorial aurait dû venir de la partie qui possède 78 % de la Palestine nettoyée ethniquement.
Deuxièmement, le chiffre de 95 % n'inclut pas Jérusalem-Est, la mer Morte, la vallée du Jourdain ou les colonies israéliennes, ce qui signifie qu'il s'agit plutôt de 70 % des territoires occupés, soit environ 15 % de la Palestine.
Troisièmement, l'omission, par le régime d'occupation illégale, de Jérusalem-Est, partie palestinienne, annexée est cruciale. Israël a proclamé que cette ville était sa capitale éternelle « indivise », rejetant toute division ou même tout partage de Jérusalem-Est (l'idée de faire de Jérusalem-Est la capitale partagée de deux États a été évoquée dans de nombreuses propositions de paix). Pour quiconque s'est renseigné sur la situation au-delà du niveau superficiel, ou s'est rendu sur place, il est clair que Jérusalem-Est n'est pas facultative pour un État palestinien, c'est le cœur géographique, économique et culturel de la Cisjordanie ; tous les chemins mènent à Jérusalem. Omettre Jérusalem signifie simplement bantoustaniser. En outre, Jérusalem-Est annexée a été étendue par Israël à quelque 70 kilomètres carrés, avec les colonies israéliennes qui enserrent la ville, elles aussi considérées comme hors de Palestine.
En fait, comme l'explique Naseer Aruri, professeur émérite de sciences politiques à l'université du Massachusetts, « le mythe de “l'offre généreuse” consistait en quatre enclaves, coupées en deux par des colonies illégalement construites et des routes de contournement réservées aux juifs, qui auraient empêché les Palestinien·nes d'établir un État viable, indépendant et d'un seul tenant dans la région située entre le Jourdain et la mer Méditerranée ». (16) Bien que les quatre cantons (nord de la Cisjordanie, centre de la Cisjordanie, sud de la Cisjordanie et Gaza) aient pu être qualifiés d'« État », les exigences d'un État-nation faisaient cruellement défaut. Il s'agirait d'un État sans souveraineté, sans continuité géographique et sans contrôle de ses frontières, de son espace aérien et de ses ressources économiques et hydriques. En fait, il aurait consisté en 64 groupes d'îles au milieu d'Israël – un « État » existant à l'intérieur d'Israël, mais pas à côté d'Israël.
Il est clair que Clinton et Barak visaient le rejet par les Palestinien·nes de cette « offre » effroyable.
Le plan de paix arabe
Le plan de paix arabe de 2002, lancé par l'Arabie saoudite et approuvé par l'ensemble de la Ligue arabe, y compris l'OLP, reprenait pour l'essentiel le plan de Fès, mais cette fois-ci en explicitant la reconnaissance d'Israël et en déclarant que le conflit israélo-arabe serait « terminé » si Israël se retirait des territoires qu'il a occupés en 1967 (y compris les hauteurs du Golan syrien) et autorisait la création d'un État palestinien avec Jérusalem-Est pour capitale. En ce qui concerne les réfugié·es, il se contente d'appeler à « une solution juste au problème des réfugiés palestiniens, à convenir conformément à la résolution 194 de l'Assemblée générale des Nations unies ». (17)
Bien entendu, cette proposition a été rejetée par Israël et les États-Unis.
Il est donc clair que, des décennies plus tard, Israël et les États-Unis sont toujours les États qui rejettent toute solution démocratique, alors que les dirigeants palestiniens visent toujours officiellement la liberté des Palestinien·nes, du fleuve à la mer, de la manière la plus conciliante possible. Dans la pratique, la situation est bien pire, car l'Autorité palestinienne dirigée par le Fatah s'est transformée, sous Oslo, en un instrument de l'occupation israélienne dans les bantoustans qu'elle est habilitée à gérer, en lançant des mesures de répression « sécuritaires » à l'encontre des militant·es palestinien·nes les plus combatifs.
Le Hamas
Mais qu'en est-il du Hamas ? Le Hamas – Mouvement de résistance islamique – vise certainement une « Palestine islamique » et est donc également une force rejetant toute solution démocratique. Une force née de la colonisation, de la dépossession et de la brutalité israélienne et de l'attitude conciliatrice de l'Autorité palestinienne, mais néanmoins une force de rejet de la solution démocratique d'une manière qui menace la population juive israélienne. Sa rhétorique et ses actions initiales, ainsi que sa charte, le suggèrent certainement.
Bien que cette question mérite un article à part entière, il est important de noter dans ce contexte que le Hamas n'est pas la première organisation de résistance sur la planète à avoir démarré « extrémiste » avant de s'adapter à la réalité. Notamment, lorsque le plan de paix arabe a été présenté au sommet suivant de la Ligue arabe à Riyad en 2007, et à nouveau approuvé par tous les États, le Hamas, qui avait été élu à la tête de l'Autorité palestinienne, s'est abstenu mais n'a pas voté contre (Israël l'a à nouveau rejeté).
Ce vote n'est pas un fait isolé. Le Hamas a renoncé aux attentats suicides en 2003, puis, de manière plus décisive en 2005, il a battu le Fatah lors des élections nationales pour l'Autorité palestinienne de 2006 et a présenté les fameuses propositions de Hudna (cessez-le-feu). Fondamentalement, la Hudna est la même chose que la proposition de deux États, mais avec un cessez-le-feu à long terme remplaçant une paix totale avec reconnaissance (18). Le Hamas a déclaré que la lutte armée était nécessaire pour libérer la Cisjordanie et Gaza, mais que si un mini-État palestinien y était établi avec Jérusalem pour capitale, le Hamas instaurerait un cessez-le-feu de dix ans avec Israël, qui pourrait être étendu à des décennies si Israël maintenait la paix, pendant lesquelles la lutte civile se poursuivrait pour la liberté des Palestinien·nes (y compris le retour) en Israël. Cela allait de pair avec les déclarations des principaux dirigeants du Hamas selon lesquelles leur lutte était dirigée contre le sionisme et l'occupation, et non contre les juifs, qu'ils ne voulaient pas « jeter à la mer », ce qui a ensuite été intégré dans leur nouveau programme politique (19). Même la question de la reconnaissance d'Israël a été déclarée « décision du peuple palestinien » dans le projet de programme gouvernemental du Hamas en 2006 (20).
Mais c'était un problème pour les dirigeants israéliens. Le Hamas n'était utile à Israël qu'en tant que pôle « extrémiste » pouvant justifier la poursuite du rejet israélien (21). Un Hamas plus pragmatique constituait un problème désastreux pour Israël. Israël était tellement terrifié par la paix qu'il a assassiné le médiateur du Hamas, Ahmed Jabari, juste après que celui-ci eut reçu le projet d'accord de trêve permanente avec Israël, qui comprenait des mécanismes de maintien du cessez-le-feu (22), qu'il avait négocié avec le médiateur israélien Gershon Baskin. La réaction à plus grande échelle d'Israël a été d'enfermer Gaza, où le Hamas dominait, dans un blocus terrestre, maritime et aérien de 16 ans, qui a réduit Gaza à des conditions que les Nations unies ont qualifiées « d'invivables » (23), tout en bombardant régulièrement ce ghetto, fermé et extrêmement dense, pour le réduire en cendres et en tuant des milliers de civils. Tout cela visait, entre autres, à faire régresser politiquement le Hamas pour en faire ce que les dirigeants israéliens extrémistes préféraient appeler un « partenaire de guerre ». Un objectif apparemment atteint. Et à maintenir la division de la Palestine de 1967 entre Gaza, gouvernée par le Hamas, et la Cisjordanie, gouvernée par la pathétique Autorité palestinienne. Cette situation cauchemardesque a également facilité la mise en place d'un régime interne plus répressif dirigé par le Hamas à Gaza.
Les conséquences de cette réduction de Gaza à un camp de concentration sous bombardements ont été mises en évidence par la violence effroyable qui a explosé dans le sud d'Israël le 7 octobre 2023, ce qui a permis à Israël de tenter de mettre en œuvre son véritable programme à long terme : le nettoyage ethnique complet de Gaza et de la Cisjordanie et la réalisation du programme du Likoud de suprématisme israélien du fleuve à la mer. Était-ce inévitable ?
Gaza, la centralité du retour des réfugié·es et le tournant de la Marche du retour
Le célèbre mouvement de la « Marche du retour » à Gaza en 2018-2019 a probablement marqué un tournant. Pour comprendre cela, il est important de revenir sur la question clé du droit au retour des réfugié·es palestinien·nes. Est-ce que peut-être les Palestinien·nes « en demandent trop » en espérant avoir le droit de retourner dans la Palestine de 1948 (Israël) ainsi qu'un État souverain dans 22 % de la Palestine ? En fait, le chiffre minuscule de 22 % ne peut se justifier que si le droit au retour est inclus. C'est surtout cela qui autorise à accepter l'accord sur les deux États dans le contexte de la liberté des Palestinien·nes du fleuve à la mer (il y a aussi la question de la citoyenneté de seconde classe des 20 % de Palestinien·nes à l'intérieur de l'Israël de 1948).
Et c'est Gaza qui met cela le plus en évidence. Même si nous devions, pour les besoins de l'argumentation, accepter l'abrogation de la résolution 194 des Nations unies ainsi que celle sur les droits humains élémentaires (selon lesquels le droit au retour des réfugié·es n'est pas négociable), même si nous devions ignorer les millions de réfugié·es palestinien·nes au Liban, en Syrie, en Jordanie et ailleurs, la question ne peut être ignorée à Gaza, où elle est essentielle pour comprendre le désastre.
Parler d'un État palestinien en Cisjordanie « et dans la bande de Gaza » représente un déséquilibre flagrant. La Cisjordanie a une superficie de 5 860 km² et la bande de Gaza de 360 km² ; Gaza ne représente donc qu'environ 6 % des territoires occupés. Pourtant, il y a quelque 3 millions de Palestinien·nes en Cisjordanie et 2,3 millions à Gaza. Si l'on inclut Jérusalem-Est, on peut dire que la Cisjordanie a une certaine viabilité en tant que partie d'un État indépendant, ce qui n'est pas le cas de la « bande » de Gaza.
Cela n'est pas dû à un quelconque accident, mais au fait que 80 % des « Gazaouis » ne sont pas des « Gazaouis » : ce sont des réfugiés et leurs descendants qui ont été expulsés de ce qui est devenu Israël en 1948 (24). Les villes et les villages d'où ils et elles ont été expulsés sont en grande partie ceux qui se trouvent de l'autre côté de la « frontière », au nord et à l'est de Gaza (en fait, la plupart d'entre eux se trouvaient à l'intérieur des frontières de « l'État arabe » proposé en 1947, avant qu'Israël ne viole ces frontières). C'est le cas de ceux qui ont été attaqués le 7 octobre. Les Palestiniens de Gaza considèrent les colonies israéliennes implantées dans ces régions comme étant des occupations illégales de leurs terres volées. Je ne fais pas cette remarque pour justifier l'horrible violence de ce jour-là, mais c'est certainement l'une des causes de cette fureur, lorsque les personnes expulsées de ces régions se sont échappées du camp de concentration.
Quoi que l'on pense de ce jour fatidique – qui, à mon avis, a été un désastre total pour le peuple palestinien, quelle que soit l'euphorie initiale de « briser le mur de la prison » – il souligne certainement le fait que le retour des réfugiés n'est pas un élément supplémentaire à la solution de la question palestinienne, mais une composante essentielle de celle-ci, à moins que l'État palestinien soit composé d'environ 50 % du territoire.
Et c'est là qu'intervient la Marche du retour. En 2018-2019, des milliers de Palestinien·nes ont marché, sans armes à la main, contre le mur qui sépare leur prison de leurs terres à l'intérieur d'Israël. Ces manifestations de masse entièrement pacifiques se sont poursuivies pendant un an, dans le but de dire au monde et au peuple israélien que « nous sommes toujours là ». La réponse du régime sioniste a été de tirer pour tuer et mutiler : 266 Palestinien·nes ont été massacrés, dont 50 enfants, et plus de 30 000 ont été blessés, dont 3 000 enfants (25). Selon l'ONU, « en 2020, on estime que 10 400 personnes souffriront de graves problèmes de santé mentale liés aux manifestations de la Grande marche du retour, et que près de 42 000 personnes auront des problèmes légers à modérés. Ces chiffres incluent plus de 22 500 enfants » (26). Il est stupéfiant que cet épisode massif de terrorisme sioniste ait été ignoré.
Il s'agissait presque certainement d'un point de non-retour.
La souveraineté indigène en Australie « d'un océan à l'autre ».
« Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre » exprime ainsi le point de vue selon lequel la « Palestine » existe dans toutes les parties de la Palestine ; la souveraineté de la population autochtone ne peut pas être simplement abolie. Quels que soient les accords « étatiques » conclus de manière temporaire ou même permanente, une « frontière » enfermant deux millions de réfugié·es palestinien·nes dans la « bande » ou « l'enclave » de Gaza (c'est-à-dire un ghetto) n'est pas une frontière pour la Palestine. La Palestine vit à Gaza, en Cisjordanie, à Jérusalem, en Israël (Palestine de 1948) et dans la diaspora, dans le cadre du droit au retour, principalement en Israël.
Cela abolit-il le droit de la nation israélienne, qui, malgré ses origines violentes, existe également aujourd'hui (d'autant plus que la majorité de la population est née après 1948) ? Eh bien, pas selon la position de l'OLP depuis 1969, ni selon aucun des accords internationaux que la Palestine a toujours signés, comme cela a été bien démontré ci-dessus. Mais il y a aussi une autre façon de voir les choses, lorsque l'on considère les luttes des peuples indigènes dans d'autres États coloniaux.
Je prendrai l'exemple de l'Australie où je vis. Tout comme la colonisation sioniste de la Palestine était fondée sur le mythe selon lequel la Palestine était « une terre sans peuple pour un peuple sans terre », la colonisation britannique de l'Australie était fondée sur le mythe de la « terra nullius », c'est-à-dire d'une terre vide, n'appartenant à personne (doctrine finalement mise à mal par l'arrêté de la Haute Cour de Mabo en 1993).
Les Premières nations aborigènes d'Australie se considèrent comme « souveraines » sur l'ensemble du territoire australien. La plupart des Australiens de gauche et progressistes – et même une grande partie de l'opinion libérale dominante – acceptent ce concept comme signifiant que « la souveraineté n'a jamais été cédée », comme nous le déclarons dans Acknowledgements to Country (Reconnaissance au pays), et que le lien des Premières nations avec leur terre concerne toutes les parties de leur terre, indépendamment de ceux qui y vivent aujourd'hui et des formations politiques qui y existent. À l'exception des réactionnaires véritablement obscurantistes, personne ne croit sérieusement que la reconnaissance de la souveraineté des Aborigènes signifie qu'ils ont l'intention de « pousser les Australiens non indigènes à la mer ».
Non pas que l'Australie blanche soit particulièrement éclairée : lors du récent référendum, 60 % des Australien·nes ont voté contre une proposition des nations aborigènes visant à établir dans la Constitution une « voix » indigène purement consultative au parlement, afin de représenter partiellement leur souveraineté. Quoi qu'il en soit, la lutte se poursuit, les Premières nations faisant pression pour obtenir mieux que la « voix », rejetée et sans envergure, à savoir un traité entre les Premières nations souveraines et la nation australienne souveraine issue de la colonisation. De nombreux Australiens aborigènes se sont également opposés à la « voix » pour la raison opposée à celle de la plupart des électeurs blancs : parce qu'il s'agissait d'une proposition extrêmement faible alors qu'ils souhaitent un traité garantissant une représentation plus sérieuse et l'autodétermination en ce qui concerne leurs propres affaires.
Le dialogue national des Premières nations qui s'est tenu à Uluru, dans le centre de l'Australie, en 2017, et qui a appelé au processus « Voix-Vérité-Traité », a posé la question de la souveraineté de cette manière dans sa fameuse « Déclaration du cœur » :
Nos tribus aborigènes et insulaires du détroit de Torrès ont été les premières nations souveraines du continent australien et de ses îles adjacentes, qu'elles possédaient selon leurs propres lois et coutumes. […] Cette souveraineté est une notion spirituelle : le lien ancestral entre la terre, ou « mère nature », et les peuples aborigènes et insulaires du détroit de Torrès qui en sont nés, y restent attachés et doivent un jour y retourner pour s'unir à leurs ancêtres. Ce lien est à la base de la propriété du sol, ou mieux, de la souveraineté. Elle n'a jamais été cédée ni éteinte et coexiste avec la souveraineté de la Couronne. (27)
Pour celles et ceux qui lisent cela de l'extérieur de l'Australie : la souveraineté de « la Couronne », c'est ainsi que l'Australie blanche coloniale désigne l'État australien actuel, qui est toujours, malgré 122 ans d'indépendance, officiellement sous le grotesque vestige féodal d'un pays situé à l'autre bout du monde. La souveraineté des Premières nations « coexiste » avec celle de « la Couronne » partout en Australie, d'un océan à l'autre ; leur souveraineté n'existe pas seulement dans certaines régions largement arides où elles ont remporté des luttes pour les droits fonciers ou dans certaines régions à forte concentration d'Aborigènes.
La Déclaration du cœur d'Uluru se termine ainsi : « Nous vous invitons à participer avec nous au mouvement du peuple australien pour un avenir meilleur. »
La déclaration de Yasser Arafat à l'ONU en 1974 comprend également ce qui suit : « Nous leur offrons [aux Juifs israéliens] la solution la plus généreuse, afin que nous puissions vivre ensemble dans le cadre d'une paix juste dans notre Palestine démocratique. »
D'un océan à l'autre ; du fleuve à la mer.
Michael Karadjis, enseignant en sciences sociales à l'Université de Sydney, est membre de Syria Solidarity Australia.
Cet article a été publié d'abord en anglais sous le titre « “From the River to the Sea” : Palestine's historic struggle to share the land versus Israeli rejectionism » par le blog Their Anti-impérialism and Ours, puis repris par la revue australienne en ligne Links.
Traduit de l'anglais par JM.
Notes
1) « Rashida Tlaib Posts Video Accusing Biden of Supporting ‘Genocide' », New York Times, 3 novembre 2023.
2) « The Hateful Likud Charter Calls for Destruction of Any Palestinian State », Jonathan Weiler, Informed comment, 8 avril 2014.
3) Palestine : The solution – The Arabs proposals and the case on which they rest, The Arab Office, Wardman Partk, Washington, D. C., April 1947. The Arab Office de Washington était alors sponsorisé par les gouvernements des États arabes (Égypte, Irak, Liban, Arabie saoudite, Syrie, Transjordanie et Yémen) et enregistré auprès du Département de Justice des États-Unis. Disponible en PDF.
4) https://www.unrwa.org/content/resolution-194
5) Address by the Al-Fateh Delegation to the Second International Conference in Support of the Arab Peoples, Le Caire, janvier 1996.
6) Présentation du FDLP, par Maher Charif, historien palestinien marxiste.
7) https://al-bab.com/documents-section/speech-yasser-arafat-1974#sthash.aThCyhr3.dpbs
8) 10 Point Program of the PLO (1974), Political Program Adopted at the 12th Session of the Palestine National Council, Cairo, 8 June 1974.
9) S/11940.
10) Palestine question core of conflict – Vetoed draft resolution.
11) Résolution 35/207.
12) « The question of Palestine », Nations unies, 1991.
13) « Déclaration finale », 9 septembre 1982.
14) « Palestinian Declaration of Independence », 18 novembre 1988.
15) Résolution 43/177, 15 décembre 1988.
16) « Palestine : The reality of Israel's “generous offer” », entretien de Naseer Aruri avec Anthony Arnove, 24 avril 2002, Socialist Worker.
17) « Plan de paix » de la Ligue arabe, 27 mars 2002.
18) « Hamas touts 10-year ceasefire to break deadlock over Israel », Ewen MacAskill et Harriet Sherwood, 1er novembre 2006, The Guardian.
19) « We will not sell our people or principles for foreign aid », Khalid Mish'al, 1er février 2006, The Guardian, « We Do Not Wish to Throw Them Into the Sea », 26 février 2006, et « Khaled Meshaal : Struggle is against Israel, not Jews », 6 mai 2017, Al Jazeera.
20) Projet de programme gouvernemental du Hamas, 12 mars 2006.
21) L'auteur utilise ici le terme « rejectionism », comme dans le titre initial de l'article.
22) « Israeli Peace Activist : Hamas Leader Jabari Killed Amid Talks on Long-term Truce », Nir Hasson, 15 novembre 2012, Haaretz.
23) « Gaza “invivable”, rapporteur spécial de l'ONU pour la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés à la troisième commission – communiqué de presse (extraits) », 24 octobre 2018.
24) « Where we work », Unrwa, août 2023, « Gaza's Untold Story : From Displacement to Death », infographie, 17 septembre 2015, Al Mezan.
25) « Gaza's Great March of Return protests explained », Huthifa Fayyad, 30 mars 2019, Al Jazeera.
26) « Two Years On : People Injured and Traumatized During the “Great March of Return” are Still Struggling », ONU, 6 avril 2020.
27) « Uluru statement from the heart ».
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Jusqu’à quand Israël pourra-t-il défier le monde ?

Suite à l'offensive de l'armée israélienne, en janvier 2024 plus de 20 000 Palestiniens de Gaza étaient déjà tués, principalement des femmes et des enfants. Trois fois plus étaient blessés. Certains experts qualifient cela de génocide, d'autres de massacre. Deux millions de personnes ont été déplacées, bien plus que durant toute l'histoire du déplacement des Palestiniens depuis le début de l'installation sioniste au tournant du XXème siècle. Comme Israël s'en prend aux hôpitaux et aux infrastructures civiles, les maladies infectieuses et la famine menacent de faire encore plus de victimes.
Tiré de Pressenza.
Plusieurs soldats israéliens eux-mêmes auraient été d'ailleurs infectés lors des opérations au sol et l'un d'eux est mort. Le général de réserve Giora Eiland suggère de tabler sur l'arme des épidémies imminentes plutôt que de mettre en danger la vie des soldats israéliens dans une affrontement réel. Les bombardements violents de Gaza ont démodernisé la zone et l'ont ramenée à l'âge de pierre : hôpitaux, écoles, centrales électriques sont réduits en ruines. Ce qui s'y déroule semble sans précédent. Tout comme le nombre des victimes.
Pourtant, la tragédie qui s'y déroule suit l'ancien scénario du projet sioniste, un projet européen à plus d'un titre, enraciné dans les nationalismes ethniques d'Europe de l'Est et d'Europe centrale. Selon celui-ci, les nations doivent vivre dans leur environnement « naturel » et ceux qui n'appartiennent pas à l'ethnie titulaire sont tout au plus tolérés. Un journaliste irakien écrivait, en 1945, que l'objectif des sionistes était « d'expulser les Britanniques et les Arabes de Palestine afin qu'elle devienne un pur État sioniste. (…) Le terrorisme [était ainsi] le seul moyen qui pouvait permettre aux aspirations sionistes d'aboutir. » De manière significative, le journaliste ne considérait pas l'État futur comme juif mais comme sioniste. Il devait savoir que les juifs de pays autres que ceux d'Europe et de colonisation européenne constituaient une part minuscule du mouvement sioniste.
Le sionisme est également européen en ce qu'il s'agit du plus récent projet d'occupation coloniale. L'Association de Colonisation Juive de la Palestine était une des agences consacrées à transformer la Palestine multiethnique et multiconfessionnelle en « foyer juif ». Le Jewish Colonial Trust, prédécesseur de la Banque Léumi, aujourd'hui la plus grande banque d'Israël, finançait le développement économique lié à l'établissement sioniste en Palestine. Selon le mode d'action colonial habituel, les premiers colons sionistes étaient désireux d'établir une colonie séparée plutôt que de s'intégrer dans la société palestinienne existante.
Le sionisme n'est pas seulement le cas le plus récent de colonialisme de peuplement. Israël est unique en ce sens que, contrairement à l'Algérie ou au Kenya, il n'est pas peuplé de migrants venant de la métropole coloniale. Mais cette distinction importe peu pour les Palestiniens autochtones qui, comme dans de nombreuses autres situations, sont déplacés, dépossédés et massacrés par les colons. Le déplacement est mis en œuvre non seulement à Gaza, où il est massif et sans discrimination, mais aussi en Cisjordanie où il est plus ciblé.
Pour parvenir à ses objectifs, le sionisme a dû compter sur les grandes puissances, l'Empire britannique, l'Union soviétique, la France et, de nos jours, les États-Unis. Les sionistes, visant la réussite de leur projet, ont été pragmatiques et idéologiquement souples. Ils ont bénéficié du soutien de l'Internationale Socialiste pendant la majeure partie du XXème siècle puis sont devenus les favoris des suprématistes blancs et de l'extrême droite.
Le sionisme est une réponse de type nationaliste à la discrimination et à la violence anti-juives en Europe. Il considère l'antisémitisme comme endémique et irréductible, rejetant explicitement la viabilité à long terme de la vie juive partout sauf au sein de « l'État juif » en Palestine. Le génocide nazi en Europe a renforcé cette conviction et a offert une légitimité au projet colonial naissant alors que de tels projets échouaient partout ailleurs. Le projet sioniste, ignorant l'opposition des Palestiniens et des Arabes, a simplement exporté la « question juive » de l'Europe en Palestine.
Les Palestiniens ont progressivement compris que le projet sioniste les priverait de leur terre et ont entamé une résistance. C'est pourquoi les premiers colons sionistes, pour la plupart originaires de l'Empire russe, ont formé des milices pour combattre la population locale. Ils ont perfectionné leur expérience terroriste acquise pendant la révolution de 1905 avec des mesures de contre-insurrection coloniales apprises de la vaste expérience des Britanniques. Établi contre la volonté du monde arabe tout entier, y compris des Palestiniens locaux, l'État d'Israël doit vivre par l'épée. L'armée et la police ont travaillé dur pour parvenir à ce que les Britanniques appelaient la « pacification des indigènes » et maintenir les Palestiniens sous contrôle. Leur tâche a consisté à conquérir autant de terres que possible et de faire en sorte que le moins de Palestiniens y demeure.
De nombreux Gazaouis avaient été expulsés de la zone même qui a subi l'attaque du Hamas en octobre. Ce sont pour la plupart des réfugiés ou des descendants de réfugiés de ce qui est maintenant l'État d'Israël. La forte densité de la population dans une zone close, que certains appellent « la plus grande prison à ciel ouvert », les rend particulièrement vulnérables. Lorsqu'Israël n'a pas apprécié l'élection du Hamas en 2006, il a assiégé Gaza limitant l'accès à la nourriture, aux médicaments, au travail, etc. Les responsables israéliens admettaient ouvertement qu'ils mettaient les Gazaouis « au régime » tout en ayant à « tondre la pelouse » de temps en temps en soumettant les Gazaouis à une « pacification » violente.
Les seize années de siège ont intensifié la colère, la frustration et le désespoir, et conduit à l'attaque du Hamas de 2023. En réponse, Israël a utilisé des drones, des missiles et des avions pour continuer ce qui avait été commencé auparavant avec des fusils et des mitrailleuses. Le taux de mortalité a augmenté, mais l'objectif de terroriser les Palestiniens pour les soumettre est resté le même. Le nom de l'assaut actuel sur Gaza, « Épées de Fer », reflète bien le choix séculaire des sionistes de vivre par l'épée plutôt que de coexister avec les Palestiniens sur un pied d'égalité. Ein berera, « nous n'avons pas le choix », l'excuse israélienne courante pour déclencher la violence, est donc trompeuse.
Impunité et impuissance
Israël a bénéficié d'un degré élevé d'impunité et des dizaines de résolutions de l'ONU ont tout simplement été ignorées. Une seule fois, dans le sillage de la guerre de Suez de 1956, Israël a été contraint de renoncer à la conquête territoriale. Cela s'est produit sous une menace venant à la fois des États-Unis et de l'Union soviétique. Depuis lors, Israël s'appuie sur un soutien diplomatique et militaire ferme des États-Unis, qui est devenu plus effronté avec l'avènement du moment unipolaire de l'Amérique après la dissolution de l'Union soviétique. Ce soutien se manifeste maintenant par la fourniture de munitions américaines pour la guerre à Gaza, la présence de navires de la marine américaine protégeant Israël d'autrui et les vetos des États-Unis au Conseil de sécurité. Israël et les États-Unis vont de pair. L'Europe, bien qu'étant plus critique envers Israël sur le plan rhétorique, n'en suit pas moins de près la ligne américaine, comme elle le fait dans le conflit en Ukraine. Dans les deux cas, les chancelleries européennes semblent avoir abdiqué leur indépendance et, éventuellement, leur capacité d'action.
L'impunité d'Israël reflète également l'impuissance du reste du monde. Alors que les gouvernements musulmans et arabes dénoncent et protestent contre l'assaut d'Israël sur Gaza, aucun n'a imposé ou même proposé de sanctions économiques et encore moins militaires. Moins d'une douzaine de pays ont suspendu les relations diplomatiques ou retiré leur personnel diplomatique d'Israël. Aucun n'a coupé les ponts. La Russie et la Chine, ainsi que la plupart de ceux du Sud global, expriment leur consternation face aux victimes civiles à Gaza, mais se limitent à des déclarations.
Les réactions occidentales manifestent deux poids, deux mesures. Des sanctions économiques drastiques imposées à la Russie contrastent avec l'approvisionnement généreux en armes et, au mieux, des appels verbaux à la modération en réponse aux actions israéliennes à Gaza. En quelques mois, Tsahal a dépassé le record de presque deux ans de la Russie en Ukraine en ce qui concerne le volume d'explosifs largués, le nombre de personnes tuées et blessées, et la proportion civils/militaires parmi les victimes. Les sermons occidentaux sur l'inclusion et la démocratie sont peu susceptibles de peser lourd dans le reste du monde. Les vies palestiniennes ne comptent pas vraiment pour les gouvernements occidentaux.
La nonchalance des réactions vis-à-vis des massacres à Gaza contraste avec l'indignation qu'ils provoquent dans la population d'une grande partie du monde. D'énormes manifestations appellent les gouvernements à mettre un terme à la violence. En réponse, la plupart des gouvernements occidentaux n'ont rien trouvé de mieux que de renforcer les mesures visant à restreindre la liberté d'expression. L'opposition au sionisme a été assimilée à de l'antisémitisme ; le Congrès américain a même entériné officiellement l'équivalence entre l'antisionisme et l'antisémitisme en décembre 2023. Des accusations d'antisémitisme sont portées à l'encontre d'étudiants, souvent juifs, qui organisent des manifestations propalestiniennes. Les débats télévisés sur ce qui constitue « l'antisémitisme génocidaire » dans les campus universitaires d'élite détournent l'attention de ce qui ressemble à un véritable génocide à Gaza. L'antisémitisme sert de Wunderwaffe à Israël, son arme de distraction massive.
Des manifestations propalestiniennes ont été interdites dans plusieurs capitales européennes où le boycott commercial ou culturel d'Israël a été rendu illégal. Cette pression de la classe dirigeante, y compris les tribunaux, la police, les entreprises médiatiques, les employeurs et les administrations universitaires, crée un puissant sentiment de frustration dans la population. Peu après avoir attaqué Gaza en 2009, et malgré de vives critiques sur son traitement des Palestiniens, Israël a été accepté à l'unanimité dans l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), composée d'environ 30 pays qui se vantent de structures de gouvernance démocratiques. L'ancien Premier ministre canadien Stephen Harper, alors encore en fonction, a placé la solidarité avec Israël au-dessus des intérêts du Canada au point de prétendre que son gouvernement soutiendrait Israël « quel qu'en soit le coût ».
Le soutien à Israël, qui tend à augmenter en fonction du revenu, s'est transformée en une question de classe. Il sert de rappel supplémentaire de l'éloignement croissant entre les dirigeants et les dirigés, le fameux un pour cent et le reste du monde. Reste à voir si la frustration populaire face à l'hypocrisie des gouvernements dans leur soutien à la guerre à Gaza pourra un jour entraîner un changement politique qui menacerait l'impunité d'Israël.
Israël est un État sans frontières. En termes géographiques, il s'est étendu par la conquête militaire ou par la colonisation. Le mouvement sioniste et les gouvernements israéliens successifs se sont donné beaucoup de mal pour ne jamais définir les limites qu'ils envisagent pour leur État. Les services secrets israéliens et l'armée ne tiennent aucun compte des frontières, frappant des cibles dans les pays voisins et ailleurs à leur guise. Ce caractère sans frontières se manifeste également dans la prétention d'Israël d'appartenir aux Juifs du monde entier plutôt qu'à ses citoyens. Cela conduit à la transformation ouverte des organisations juives en agents israéliens. C'est particulièrement évident aux États-Unis. Des agents à peine secrets israéliens, tels que l'AIPAC, assurent les intérêts d'Israël dans les élections américaines à tous les niveaux, des conseils scolaires à la Maison Blanche. Israël a même joué le pouvoir législatif contre l'exécutif à Washington. Pourtant, cette ingérence politique flagrante attire beaucoup moins de critiques dans les médias grand public que les ingérences supposées de la Chine ou de la Russie. Israël intervient également dans les affaires intérieures d'autres pays.
Conflit entre les valeurs juives et sionistes
Le sionisme a suscité la controverse au sein des juifs dès son origine. Le premier congrès sioniste en 1897 a dû être déplacé de l'Allemagne en Suisse parce que les organisations juives allemandes s'opposaient à la tenue d'un événement sioniste dans leur pays. L'argument sioniste selon lequel la patrie des juifs n'est pas le pays où ils ont vécu pendant des siècles et pour lequel beaucoup ont versé leur sang lors des guerres, mais une terre d'Asie occidentale. Pour beaucoup de juifs, ce message n'est pas sans entretenir une ressemblance déconcertante avec celui des antisémites qui sont indignés par leur intégration sociale.
Initialement irréligieux, le sionisme détourne la terminologie religieuse à des fins politiques. Ainsi, ‘am Israel, « le peuple d'Israël », défini par sa relation à la Torah, est considéré comme se référant à une ethnie ou une nationalité dans la terminologie sioniste. Ce qui a incité l'éminent rabbin européen Jechiel Weinberg (1884-1966) à souligner que « la nationalité juive est différente de celle de toutes les nations en ce sens qu'elle est uniquement spirituelle et que sa spiritualité n'est rien d'autre que la Torah. […] À cet égard, nous sommes différents de toutes les autres nations, et quiconque ne le reconnaît pas, nie le principe fondamental du judaïsme. »
Une autre raison de l'opposition juive au sionisme est morale et religieuse. Bien que les prières pour le retour en Terre Sainte fassent partie du rituel judaïque quotidien, celui-ci n'est pas un objectif politique et encore moins militaire. De plus, le Talmud énonce des interdictions spécifiques de tout mouvement de masse vers la Palestine avant les temps messianiques, même « avec l'accord des nations ». C'est pourquoi le projet sioniste avec son addiction à la violence armée continue de répugner à de nombreux juifs et leur cause même de l'embarras voire du dégoût.
Certes, le Pentateuque et plusieurs des livres des Prophètes, tels que Josué et les Juges, regorgent d'images violentes. Mais loin de glorifier la guerre, la tradition juive voit dans l'allégeance à Dieu, et non dans la prouesse militaire, la principale raison des victoires mentionnées dans la Bible. La tradition juive abhorre la violence et réinterprète les épisodes de guerre, nombreux dans la Bible hébraïque, dans une optique pacifiste. La tradition privilégie clairement le compromis et l'accommodement. Albert Einstein faisait partie des humanistes juifs qui ont dénoncé le Beitar, le mouvement de jeunesse paramilitaire sioniste, aujourd'hui affilié au Likoud au pouvoir. Il le considérait comme « aussi dangereux pour notre jeunesse que l'hitlérisme pour la jeunesse allemande ».
Le sionisme rejette vigoureusement cette tradition « exilique », qu'il considère comme « la consolation des faibles ». Des générations d'Israéliens ont été élevées dans les valeurs du courage martial, fières de servir dans l'armée. Les sionistes se réfèrent régulièrement à leur État comme à une continuation de l'histoire biblique. L'idée du Grand Israël est enracinée dans la lecture littérale du Pentateuque. Le sionisme exige un engagement total et tolère peu d'opposition ou de critique. La passion de l'engagement sioniste a conduit à l'assassinat d'opposants, a dressé des pères contre leurs fils, divisant les familles et les communautés juives. L'historien Eli Barnavi, ancien ambassadeur israélien à Paris, avertit que « le rêve d'un “Troisième Royaume d'Israël” ne pourrait conduire qu'au totalitarisme ». En effet, de nombreux dirigeants communautaires juifs, indifférents au spectre de la « double loyauté », insistent pour que l'allégeance à l'État d'Israël prévale sur toutes les autres, y compris l'allégeance envers leur propre pays.
Les sionistes, qu'ils soient en Israël ou ailleurs, ont longtemps prétendu être « l'avant-garde du peuple juif » et le sionisme remplace le judaïsme pour pas mal de juifs. Leur identité, initialement religieuse, est devenue politique : ils sont les soutiens et les patriotes d'Israël, « mon pays, à tort ou à raison », plutôt que des adhérents du judaïsme.
La jeunesse d'Israël apparaît comme une exception parmi les pays riches. À chaque génération, les Israéliens deviennent plus combatifs et anti-arabes. Alors que, dans d'autres pays, les jeunes juifs sont généralement moins conservateurs que leurs parents et embrassent des idées de justice sociale et politique, les jeunes juifs israéliens défient cette tendance. L'éducation israélienne inculque des valeurs martiales et la croyance que, si l'État d'Israël avait existé avant la Seconde Guerre mondiale, le génocide nazi n'aurait jamais eu lieu. Ce qui maintient l'unité fragile de la majorité non-arabe est la peur : une mentalité d'assiégés qui se donne le plus souvent l'image de soi d'une victime vertueuse déterminée à empêcher la répétition du génocide nazi. La mémoire de cette tragédie européenne est devenue un outil de mobilisation des juifs en faveur de la cause sioniste. Son utilité politique est encore fort loin d'être épuisée.
L'utilisation du génocide pour favoriser le patriotisme israélien n'a jamais cessé depuis le début des années 1960. Après un spectacle aérien en Pologne en 2008, trois chasseurs F-15 israéliens portant l'Étoile de David et pilotés par des descendants de survivants du génocide ont survolé l'ancien camp d'extermination nazi tandis que deux cents soldats israéliens observaient le survol depuis le camp de la mort de Birkenau adjacent à Auschwitz. Les remarques de l'un des pilotes israéliens soulignaient la confiance dans les forces armées : « C'est une victoire pour nous. Il y a soixante ans, nous n'avions rien. Pas de pays, pas d'armée, rien. »
Les écoles publiques promeuvent le modèle du combattant contre « les Arabes » (le mot « Palestinien » est généralement évité), glorifient le service militaire le transformant en une aspiration et un rite de passage à l'âge adulte. Les politologues israéliens ont souligné que la religion civique ne fournit pas de réponses aux questions de sens ultime, tout en obligeant ses pratiquants à accepter le sacrifice ultime. L'espace civique en Israël est associé avant tout à la « mort pour la patrie Il n'est donc pas surprenant que le Hamas et, par extension, tous les Gazaouis, soient souvent qualifiés de nazis.
Ailleurs dans le monde, l'attaque du Hamas a également galvanisé l'engagement sioniste sous le slogan « Solidaires avec Israël ! ». Des efforts massifs et organisés sont déployés pour combattre la guerre de l'information. Les responsables israéliens comptent sur un réseau de puissants soutiens, y compris des dirigeants de sociétés de haute technologie, qui veillent à ce qu'Internet amplifie les voix pro-israéliennes et étouffe ou annule le discours propalestinien. La censure conduit à l'autocensure, car les prises de position propalestiniennes entravent les recherches d'emploi et menacent les carrières des militants.
Cependant, contrairement aux Israéliens, les juifs de la diaspora sont de moins en moins attachés au nationalisme juif à chaque génération. Un nombre croissant de jeunes juifs refusent d'être associés à Israël et choisissent de soutenir les Palestiniens. Le massacre systématique des Palestiniens à Gaza assisté par l'IA a gonflé leurs rangs, en particulier en Amérique du Nord. Les manifestations les plus spectaculaires contre la férocité d'Israël ont été organisées par des organisations juives, telles que Not in My Name et Jewish Voice for Peace aux États-Unis, Voix juives indépendantes au Canada et Union juive française pour la paix en France. Des intellectuels juifs de premier plan dénoncent Israël et figurent parmi les opposants les plus constants au sionisme.
Bien que de manière incongrue, ces juifs sont accusés d'antisémitisme. Plus incongrument encore, la même accusation est lancée contre les ultra-orthodoxes antisionistes. Alors que la prétention d'Israël à être l'État de tous les juifs les expose à la disgrâce et au danger, de nombreux juifs qui soutiennent les Palestiniens réhabilitent le judaïsme aux yeux du monde.
L'option Samson
Depuis ses débuts, les critiques du sionisme ont insisté sur le fait que l'État sioniste deviendrait un piège mortel pour les colonisateurs comme pour les colonisés. Dans le sillage de la tragédie en cours déclenchée par l'attaque du Hamas, ces mots d'un activiste ultra-orthodoxe prononcés il y a des décennies semblent prémonitoires :
« Seul un dogmatisme aveugle pourrait présenter Israël comme quelque chose de positif pour le peuple juif. Établi comme un soi-disant refuge, il a infailliblement été l'endroit le plus dangereux sur la surface de la terre pour un juif. Il a été la cause de dizaines de milliers de morts juives … il a laissé dans son sillage une traînée de veuves en deuil, d'orphelins et d'amis… Et n'oublions pas qu'à ce bilan de la souffrance physique des juifs, doit être ajouté celui du peuple palestinien, une nation condamnée à l'indigence, à la persécution, à la vie sans abri, au désespoir accablant et trop souvent à une mort prématurée. »
Le sort des colonisés est, bien sûr, incomparablement plus tragique que celui du colonisateur. Les citoyens palestiniens d'Israël font face à une discrimination systémique tandis que leurs frères et sœurs en Cisjordanie sont soumis à la répression à la fois de l'armée israélienne et de leurs sous-traitants de l'Autorité palestinienne. La détention arbitraire sans procès, la dépossession, les barrages routiers, les routes ségréguées, les perquisitions à domicile sans mandat et des morts de plus en plus fréquentes aux mains des soldats et des colons armés sont devenus routiniers en Cisjordanie. Les Palestiniens de Gaza, même avant l'opération « Épées de Fer », vivaient isolés sur un petit territoire, avec un accès à la nourriture et aux médicaments strictement rationné par Israël. Même les manifestations pacifiques étaient accueillies par des tirs mortels de soldats israéliens de l'autre côté de la barrière. Le travail était rare et il n'y avait aucune perspective d'avenir. La cocotte-minute était prête à exploser, ce qui a fini par se produire le 7 octobre 2023.
Depuis lors, des milliers de Gazaouis ont été tués et blessés par l'une des machines de guerre les plus sophistiquées au monde. Avec pour conséquence une montée de la colère et de la haine parmi les Palestiniens, à la fois à Gaza et en Cisjordanie. Les Israéliens se trouvent dans un cercle vicieux : l'insécurité chronique inévitable dans une colonie de peuplement renforce le postulat sioniste qu'un juif doit compter sur la force pour survivre, ce qui à son tour provoque l'hostilité et crée l'insécurité.
Il y a plus de deux décennies, David Grossman, l'un des auteurs israéliens les plus connus, s'adressait au Premier ministre de l'époque, Ariel Sharon, connu pour sa bellicosité :
« Nous commençons à nous demander si, pour atteindre vos objectifs, vous avez pris la décision stratégique de déplacer le champ de bataille non pas sur le territoire ennemi, comme il est habituel, mais dans une dimension complètement différente de la réalité – dans le domaine de l'absurdité totale, dans le domaine de l'auto-anéantissement total, où nous n'obtiendrons rien, et eux non plus. Un gros zéro… »
Des voix critiques, à l'intérieur et surtout à l'extérieur de l'État d'Israël, appellent les Israéliens à reconnaître que « l'expérience sioniste a été une erreur tragique. Plus tôt elle sera mise au repos, mieux ce sera pour toute l'humanité. » En pratique, cela signifierait garantir l'égalité pour tous les habitants entre le Jourdain et la Méditerranée et transformer l'ethnocratie existante en un État de tous ses citoyens. Cependant, la société israélienne est conditionnée à voir dans de tels appels une menace existentielle et un rejet du « droit d'Israël à exister ».
La logique coloniale de peuplement radicalise la société et la conduit vers un nettoyage ethnique voire un génocide. Aucun gouvernement israélien ne serait capable d'évacuer des centaines de milliers de colons pour libérer de l'espace pour un État palestinien en Cisjordanie ; les chances d'abandonner la suprématie sioniste sur l'ensemble du territoire sont encore plus faibles. Seule une forte pression internationale pourrait amener Israël à envisager une telle réforme.
Plus probablement, cependant, l'État israélien résistera à une telle pression et menacera de recourir à l'Option Samson, c'est-à-dire une attaque nucléaire contre les pays menaçant le « droit d'Israël à exister ». Dans ce pire des scénarios, Israël serait anéanti, mais ceux qui le mettent sous pression subiraient également d'énormes pertes. De toute évidence, aucun pays au monde ne prendra le risque d'une attaque nucléaire pour libérer les Palestiniens.
La pression viendra plus probablement du public, mais ce seront les communautés juives locales, presque toutes associées dans l'esprit du public à Israël, qui en feront vraisemblablement les frais. Alors que ces juifs, même les plus sionistes, n'ont jamais influencé les politiques d'Israël envers les Arabes, ils sont devenus des boucs émissaires faciles pour les méfaits d'Israël.
Les politiciens américains semblent être d'accord. Le président Trump a fait référence à Israël comme « votre État » en s'adressant à un public juif aux États-Unis. Le président Biden a déclaré que « sans Israël, aucun juif n'est en sécurité nulle part ». Les dirigeants israéliens apprécient de telles assimilations entre judaïsme et sionisme, entre juifs et Israéliens. Ces confusions renforcent le sionisme, alimentent l'antisémitisme et poussent les juifs à émigrer en Israël. C'est une perspective bienvenue pour le pays, que ces nouveaux Israéliens renforceront avec leurs ressources intellectuelles, entrepreneuriales et financières, ainsi qu'en fournissant plus de soldats pour Tsahal.
Malgré l'opprobre et les dénonciations publiques, l'Etat sioniste semble immunisé contre la pression du reste du monde. Le mépris israélien pour le droit international, les Nations Unies et, a fortiori, les arguments moraux est proverbiale. « Ce qui compte, c'est ce que font les juifs, pas ce que disent les gentils », était la boutade préférée de Ben-Gourion. Ses successeurs, beaucoup plus radicaux que le père fondateur d'Israël, veilleront à ce que la tragédie de Gaza ne conduise à aucun compromis avec les Palestiniens. L'opiniondominante israélienne ignore, voire se moque, des plaidoyers bien intentionnés des sionistes libéraux, une espèce en voie de disparition, pour « sauver Israël de lui-même ». Aussi improbable que cela puisse paraître aujourd'hui, seuls les changements au sein de la société israélienne peuvent ébranler l'hubris habituelle. En attendant, Israël continuera de défier le monde.
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Du blocus de Leningrad au siège de Gaza : la mentalité colonialiste

Le 27 janvier il y a 80 ans, les gens dans la rue s'étreignaient et pleuraient de joie. Ils célébraient la fin d'un siège de près de 900 jours que les forces soviétiques venaient de lever après des batailles féroces. Exactement un an plus tard, l'Armée rouge libérait Auschwitz. Aujourd'hui encore, en se promenant dans la principale avenue de Saint-Pétersbourg (le nom d'origine rendu à Leningrad), la perspective Nevski, on remarque un panneau bleu peint sur un mur pendant le siège : « Citoyens ! Ce côté de la rue est plus dangereux pendant les bombardements ».
Tiré de Pressenza.
Le blocus a été mis en œuvre par les forces terrestres et navales de l'Allemagne, de la Finlande, de l'Italie, de l'Espagne et de la Norvège. La ville fut assiégée trois mois et demi après le début de la guerre déclenchée le 22 juin 1941 par une coalition encore plus grande de l'Europe réunie sous la croix gammée. Sous la direction de l'Allemagne, des soldats de douze pays ont combattu en URSS : Roumanie, Italie, Finlande, Hongrie, Slovaquie, Croatie,
Espagne, Belgique, Pays-Bas, France, Danemark et Norvège. Deux millions d'entre eux sont partis en guerre contre l'Union soviétique en tant que volontaires.
La guerre contre l'URSS est très différente de celle que l'Allemagne avait menée en Europe occidentale. Il s'agissait d'une guerre d'anéantissement (Vernichtungskrieg). Le Troisième Reich voulait un espace vital à l'Est (Lebensraum im Osten), mais il n'avait pas besoin des gens qui y vivaient. En fait, la guerre contre l'Union soviétique était une guerre coloniale.
Considérés comme des sous-hommes (Untermenschen) les Soviétiques étaient destinés à être liquidés, affamés ou réduits en esclavage. Leurs terres devaient être colonisées par des « Aryens ». Pour exprimer son point de vue en termes raciaux familiers aux Européens, Hitler qualifiait la population soviétique d' »Asiatiques ».
Des millions de civils soviétiques – Slaves, Juifs, Tsiganes (Roms) et autres – ont été systématiquement mis à mort. L'ampleur dépasse le génocide que l'Allemagne avait commis dans le sud-ouest de l'Afrique (l'actuelle Namibie) de 1904-1908 en massacrant tout aussi systématiquement des tribus locales Namas et Hereros. Bien sûr, l'Allemagne n'était pas une exception : les autres puissances coloniales européennes n'étaient pas en reste.
Les envahisseurs nazis ont résumé leurs objectifs avec clarté : Après la défaite de la Russie soviétique, il ne peut y avoir aucun intérêt à ce que ce grand centre urbain continue d'exister. […] Après l'encerclement de la ville, les demandes de négociations en vue d'une reddition seront rejetées, car nous ne pouvons et ne devons pas résoudre le problème de la réinstallation et de l'alimentation de la population. Dans cette guerre pour notre existence même, nous ne pouvons avoir aucun intérêt à conserver ne serait-ce qu'une partie de cette très importante population urbaine.
La dernière ligne de chemin de fer reliant la ville au reste de l'Union soviétique est coupée le 30 août 1941, et une semaine plus tard, la dernière route est bloquée . La ville est encerclée, les réserves de nourriture et de carburant se tarissent et un hiver rigoureux s'installe. Le peu que le gouvernement soviétique réussit à livrer à Leningrad est strictement rationné. À un moment donné, la ration quotidienne a été réduite à 125 grammes de pain fabriqué avec autant de sciure de bois que de farine. Ceux qui n'ont même pas eu cette ration ont été forcés de manger des chats, des chiens, de la colle à papier peint, et il y a eu quelques cas de cannibalisme. Les cadavres jonchaient les rues, car les gens mouraient de faim, de maladie, de froid et des bombardements.
British Movietone Video : “Siege of Leningrad – 1944" | Movietone Moment
Leningrad, une ville de 3,4 millions d'habitants, a perdu plus d'un tiers de sa population. Il s'agit de la plus grande perte de vies humaines dans une ville moderne. L'ancienne capitale impériale, célèbre pour ses magnifiques palais, ses jardins élégants et ses panoramas à couper le souffle, a été méthodiquement bombardée et pilonnée. Plus de 10 000 bâtiments ont été détruits ou endommagés. Cette opération s'inscrit dans la volonté de démoderniser l'Union soviétique, la faire sortir de la modernité. Leningrad devait être anéantie précisément parce qu'elle était un grand centre de science et d'ingénierie, qu'elle abritait des écrivains et des danseurs de ballet, qu'elle était le siège d'universités et de musées d'art célèbres. Rien ne devait survivre dans les plans nazis.
Hélas, ni les sièges ni les guerres coloniales n'ont pris fin en 1945. La Grande-Bretagne, la France et le Pays-Bas ont mené des guerres brutales dans leurs colonies tentant de « pacifier les indigènes ». Le racisme était officiel aux Etats-Unis, un autre allié de l'URSS dans la lutte contre le nazisme. Douze ans après la guerre, il a fallu la 101e division aéroportée américaine pour déségréguer une école à Little Rock, dans l'Arkansas. Les valeurs de tolérance qu'articule actuellement l'Occident sont récentes et fragiles. Le racisme explicite n'est plus acceptable, mais implicitement il reste bien présent.
Les vies humaines n'ont pas la même valeur, ni dans nos médias, ni dans nos politiques étrangères. La mort de trois soldats américains tués en Jordanie il y a quelques jours attire plus l'attention des médias que celle de centaines de Palestiniens tués tous les jours. Des sanctions sévères sont imposées à l'Iran pour son programme d'enrichissement nucléaire civil, alors qu'aucune n'est imposée à Israël pour son arsenal nucléaire militaire. Les puissances occidentales continuent de fournir des armes et un soutien politique à Israël qui impose un siège à Gaza, où la population civile est non seulement bombardée et pilonnée, mais aussi délibérément affamée et laissée mourir de maladies. Yoav Galant, ministre israélien de la défense, a été très clair lorsqu'il a déclaré : « J'ai ordonné un siège complet de la bande de Gaza. Il n'y aura pas d'électricité, pas de nourriture, pas de carburant, tout est fermé ».
La Cour internationale de justice (CIJ) a trouvé plausible qu'Israël commet un génocide des Palestiniens de Gaza. Or, sans surprise, Washington, qui continue de fournir à Israël les munitions, trouve que les accusations de génocide à l'encontre d'Israël étaient « sans fondement ». Londres, un autre fournisseur d'armes à Israël, les considère « complètement injustifiées ». Les Pays-Bas livrent à Israël des pièces pour les avions F-35 utilisés contre Gaza. Ayant autorisé, en vue de l'exportation vers Israël, une dizaine de millions d'euros pour la fabrication de « bombes, torpilles, roquettes, missiles, autres dispositifs et charges explosifs », Paris appelle la CIJ à bien vérifier s'il existe de la part d'Israël l'intention génocidaire.
Il s'avère que ce sont ces mêmes pays au lourd passé raciste et colonialiste qui sont complices actifs de la violence ayant causé la mort de près de 27 000 Palestiniens, dont 18 000 femmes et enfants. L'Allemagne qui a commis deux génocides racistes au vingtième siècle intervient à la CIJ en tant que tiers en faveur d'Israël. Elle rejette « avec véhémence » l'accusation contre Israël et décuple ses exportations d'armes vers ce pays.
Par surcroît, ces mêmes pays occidentaux viennent de suspendre le financement de l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient. Cette décision a été prise à la demande d´Israël qui milite depuis longtemps pour l'abolition de cette agence essentielle à la survie même des Palestiniens. En se basant sur les allégations de ses services de renseignement, Israël a accusé quelques employés de l'agence, qui en a plus de treize mille à Gaza, de collusion avec le Hamas. Ce coup est porté alors que les Palestiniens font face à une catastrophe humanitaire frôlant le génocide.
Ayant acquiescé à la colonisation israélienne de la Palestine occupée, ces pays à l'expérience coloniale récente appuient activement cette guerre de « pacification des indigènes » à Gaza.
La commémoration du siège de Leningrad sur le fond de la tragédie de Gaza montre que l'accusation que le poète martiniquais Aimé Césaire a lancé à l'Européen en 1955 reste toujours actuelle : “Ce qu'il ne pardonne pas à Hitler, ce n'est pas le crime en soi, le crime contre l'homme, ce n'est pas l´humiliation de l'homme en soi, c'est le crime contre l'homme blanc, c'est l'humiliation de l'homme blanc, et d'avoir appliqué à l'Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu'ici que les Arabes d´Algérie, les coolies de l´Inde et les nègres d´Afrique.”
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Offensive contre Gaza. Premières fractures en Israël

Presque quatre mois après le début d'un assaut tous azimuts qui s'est peu à peu transformé en guerre génocidaire, l'échec militaire de l'État hébreu est flagrant, incapable d'accomplir aucun des objectifs annoncés. Une impasse qui nourrit l'impopularité croissante du premier ministre Benyamin Nétanyahou et suscite la fronde au sein de son cabinet de guerre.
Tiré d'Orient XXI.
Les premières fractures apparaissent au grand jour en Israël, non seulement sur la manière dont son offensive est menée à Gaza, mais aussi sur la nécessité de la poursuivre. Elles se manifestent jusqu'à l'intérieur du cabinet de guerre mis en place par le premier ministre, Benyamin Nétanyahou. De notoriété publique, l'ambiance en son sein est glaciale. La principale dissension porte sur le sort des otages civils et des soldats détenus par le Hamas depuis le 7 octobre à Gaza. Elle oppose Nétanyahou et ses soutiens à deux ex-chefs d'Etat-major, Benny Gantz et Gadi Eisenkot. Pour les premiers, la « libération des otages » ne peut advenir qu'une fois la « victoire » assurée, c'est-à-dire l'« éradication » du Hamas. Pour les seconds, comme l'a déclaré Eisenkot sur la chaîne de télévision numéro 12, aucune victoire n'est envisageable sans une libération préalable des otages. Traduction : sans passer par une négociation avec le Hamas qui, pour les restituer, exige un cessez-le-feu durable et la libération de tous les Palestiniens détenus en Israël – ce que Nétanyahou récuse.
Le 18 janvier, en conférence de presse, le général Eisenkot a déjà « reconnu que les dirigeants israéliens ne disent pas toute la vérité sur la guerre. Il a refusé de répondre à une question quant à sa confiance en Nétanyahou et promu le sujet d'une rapide libération des otages, même si le prix est élevé. Enfin, il a proposé [la tenue] d'élections dans quelques mois » (1). En d'autres termes, une stratégie inverse à celle prônée par Nétanyahou, avec en prime son éviction de la scène politique une fois la guerre terminée. On comprend que l'ambiance soit frisquette. Le thermomètre est encore descendu de plusieurs degrés le 22 janvier, après la mort de 21 soldats israéliens (tous des réservistes entre 25 et 40 ans) dans une attaque à la roquette de miliciens du Hamas. Survenue après trois mois et demi d'une guerre où Israël dispose d'un avantage militaire démesuré, cette attaque dans le camp de réfugiés palestiniens de Maghazi, à 600 mètres seulement de la frontière israélienne, a accentué le sentiment d'échec qui domine les Juifs israéliens depuis le 7 octobre, malgré les communiqués de victoire quotidiens de l'armée. Elle a également ramené à la lumière une question récurrente en dépit des réticences : cette guerre est-elle « ingagnable » ?
Aucun objectif atteint
Brusquement, quelques données sont venues battre en brèche l'idée jusque-là largement dominante en Israël d'en finir une fois pour toutes avec le Hamas. Comment se fait-il qu'après plus de trois mois de bombardements aériens inouïs sur Gaza qui ont fait jusque-là près de 27 000 morts, le déplacement de près de 2 millions de personnes, une destruction tout aussi gigantesque des infrastructures et de l'habitat des Gazaouis, le Hamas soit encore en mesure de porter des coups aussi durs ? Des langues se délient.
On apprend que le « plan » initial de l'armée israélienne prévoyait un « contrôle opérationnel » total des trois grandes villes de la bande (Gaza city, Khan Younès et Rafah) avant la fin décembre. Le délai est dépassé d'un mois et l'objectif n'est pas atteint. On apprend aussi que le réseau de tunnels des forces armées du Hamas était beaucoup plus étendu qu'on ne le croyait, et que s'en emparer via des opérations terrestres provoquerait beaucoup plus de victimes que prévu. Surtout, le Wall Street Journal révèle que seuls 20 % des tunnels auraient été détruits en plus de trois mois.
Autre révélation : pour des motifs économiques, l'armée doit se défaire d'une partie importante de ses réservistes engagés à Gaza. Enfin, 117 jours après le carnage dans les kibboutz, le chef politique du Hamas à Gaza, Yahya Sinwar, et les deux chefs de sa branche armée, Mohammed Deif et Marwan Issa, sont toujours introuvables.
Dénoncer les « capitulards » et les « ennemis du peuple »
Le paradoxe est que celui qui mène la bataille pour sortir rapidement de la guerre et éviter un enlisement, en négociant une restitution des otages civils et des soldats israéliens captifs, soit précisément celui qui a « inventé » la doctrine militaire ayant conduit Israël aux crimes terribles commis à Gaza. Gadi Eisenkot est en effet l'ex-chef d'Etat-major qui a conçu la doctrine Dahiya (2) selon laquelle, dans les « guerres asymétriques » entre un État et un ennemi non-étatique, le seul moyen de vaincre consiste à imposer aux populations civiles qui abritent les « terroristes » le pire sort possible. Cette vision a été officiellement insérée en 2008 dans l'arsenal stratégique de l'armée israélienne.
Est-ce parce qu'il vient de perdre un fils de 25 ans et un neveu qui en avait 23, tous deux engagés à Gaza ? Toujours est-il que le général Eisenkot appelle aujourd'hui à négocier a minima une trêve avec le Hamas. Soudain, Chuck Freilich, un ancien numéro deux du Conseil de sécurité israélien, baisse la garde : « Il ne semble pas, déclare-t-il, que nous soyons en état d'atteindre nos objectifs » (3). Expert du King's College de Londres, Andreas Krieg estime qu'Israël est militairement « dans une impasse » (4).
Ce sentiment de l'échec, si peu familier, si insupportable pour une grande partie des Juifs israéliens, a aussi des conséquences internes. Les membres de l'extrême droite coloniale, alliés de Nétanyahou, se raidissent. Jusqu'ici, c'était les partisans d'une négociation avec le Hamas qu'ils dénonçaient comme des « capitulards ». Désormais, les familles de soldats morts à Gaza qui se joignent aux manifestants pour négocier une sortie de crise font eux aussi office d'« ennemis du peuple ». Les directives du gouvernement sont de « réprimer d'une main de fer » les voix israéliennes qui s'élèvent contre cette guerre. Celles-ci restent marginales, mais leurs manifestations vont croissant, tout comme croît la désillusion dans l'opinion publique.
« Le roi d'Israël » veut gagner du temps
Nétanyahou tente de rétablir son autorité en jouant sur le temps. Jusqu'ici, il n'y parvient pas. La presse fait état de contestation au sein de son gouvernement. Haaretz cite les confidences (anonymes) d'un de ses membres.
- Cette guerre n'a ni objectif ni avenir, ce n'est qu'un moyen pour Nétanyahou de repousser le moment de s'attaquer à la question de sa responsabilité. (…) Dans chaque réunion (gouvernementale), il répète que la guerre va durer longtemps. Je pense qu'il sait lui-même que la probabilité est faible qu'il parvienne à atteindre ses objectifs. Il cherche juste à gagner du temps. […] Quant à abattre le Hamas, les succès réalisés au nord de la bande de Gaza sont déjà en train de s'éroder.
La guerre n'est pas encore finie que, sans attendre les commissions d'enquête qui suivront et le mettront forcément en position difficile, le « roi d'Israël » du dernier quart de siècle réunirait seulement 16 % des électeurs autour de son nom, selon un récent sondage. Quant à son parti, le Likoud qui jouit d'une majorité relative au parlement avec 32 sièges sur 120, il tomberait à 16 seulement si des élections avaient lieu demain. La seule stratégie de Nétanyahou, estime Mairav Zonszein, analyste israélienne de l'International Crisis Group, c'est « la guerre sans fin » (5). Mais cette stratégie bénéficie davantage à la droite coloniale radicale, plus conséquente que lui sur ce plan. Résultat : Nétanyahou apparait prisonnier de ses alliés, et mu davantage par ses intérêts personnels que par le bien public.
Pour Nétanyahou, la menace tient d'abord dans la possibilité d'un « lâchage » par Joe Biden. Ce risque-là paraît peu crédible, si l'on se fie à l'attitude du président américain depuis le début de cette guerre. Mais la position de ce dernier s'érode de jour en jour dans son propre camp. Le 18 janvier, 60 élus démocrates – soit un tiers de leurs représentants à la Chambre - se déclaraient dans une lettre au secrétaire d'État Antony Blinken « très préoccupés par la rhétorique extrémiste de certains responsables israéliens », en particulier leurs appels à l'épuration ethnique des Gazaouis. Jamais pétition anti-israélienne n'a réuni un tel nombre d'élus au parti démocrate, historiquement favorable à Tel Aviv. De plus, la réaction du premier ministre israélien à l'appel public du président états-unien d'ouvrir la voie vers un État palestinien une fois la guerre terminée a rendu furieux les membres démocrates du Congrès. « Jamais, avait répondu le premier ministre israélien, je ne ferai de compromis sur le contrôle total de la sécurité entre le Jourdain et la mer. »
Le 19 juillet, un sondage montrait que les trois-quarts des démocrates âgés entre 18 et 29 ans étaient hostiles au soutien inconditionnel de la Maison Blanche à Israël. Bref, si l'on n'entrevoit pas encore de fossé entre Israël et les États-Unis, la faille s'approfondit au sein du parti présidentiel, et Biden a besoin d'un succès politique spectaculaire pour être réélu. Une rumeur tenace aux États-Unis veut que le président Biden ait soutenu la guerre israélienne telle qu'elle a été menée précisément dans l'idée de parvenir, après son achèvement, à un accord politique entre Israéliens et Palestiniens pouvant mener à la « solution à deux États ». Y croira qui veut. En attendant, une cour californienne a jugé recevable une plainte déposée par le Centre pour les droits constitutionnels, une importante association juridique américaine qui accuse Joe Biden, son secrétaire d'État Antony Blinken et son secrétaire à la défense Lloyd Austin de « complicité de génocide ».
Une cour « partiale » et « antisémite »
Mais le choc le plus important en Israël est celui qui a suivi, le 26 janvier, l'ordonnance de la Cour internationale de justice (CIJ) concernant la plainte de l'Afrique du Sud qualifiant de « génocide » la guerre menée à Gaza par Israël. Quoique la Cour n'ait pas exigé l'arrêt des combats, ce que Nétanyahou a immédiatement utilisé pour clamer victoire, le verdict n'a été perçu comme un succès par personne d'autre en Israël. Ceux qui ont fait l'effort de lire la décision ont compris que la cessation des combats de facto s'y inscrivait en creux. Comme l'a dit Naledi Pandor, le ministre sud-africain des affaires étrangères : « Comment fournir de l'aide et de l'eau sans cessez-le-feu ? Si vous lisez la décision de la Cour, elle signifie qu'un cessez-le-feu doit être prononcé ». Sans surprise, l'extrême droite mais aussi nombre d'autres commentateurs ont immédiatement vilipendé une cour « partiale », décrétée « antisémite ».
Surtout, en exigeant de l'État juif de « tout faire pour prévenir un génocide », la Cour suggère soit qu'un début d'action en ce sens est déjà enclenché, soit qu'un génocide à venir est une réalité potentielle. Son argument le plus fort sur l'intentionnalité d'un génocide consiste en une longue liste de propos tenus publiquement par divers dirigeants israéliens, politiques ou militaires, qui profèrent des souhaits ou des intentions sans conteste génocidaires. Le lendemain de l'adoption de l'ordonnance, un porte-parole a déclaré que « l'armée israélienne, après l'arrêt de la CIJ, allait renforcer la surveillance des vidéos et des publications dans lesquels on entend des appels à l'établissement de colonies dans la bande de Gaza, et des propos incitant à la violence contre les Palestiniens ».
Mais le 29 janvier, la droite israélienne organisait dans une salle de 3000 places à Jérusalem une « Conférence pour la victoire d'Israël ». C'était clairement une réponse à l'ordonnance de la CIJ. Le « transfert » des Palestiniens hors Gaza en a été le thème principal. Un avocat, Aviad Visoli, a plaidé qu' « une Nakba 2 est entièrement justifiée par les lois de la guerre ». Père d'un soldat détenu par le Hamas, le colon Eliahou Libman a lancé : « Ceux qui ne sont pas tués doivent être expulsés, il n'y a pas d'innocents ». Plus modéré, le ministre de la police, Itamar Ben Gvir a prôné une « émigration volontaire » des Gazaouis. Quinze membres de l'actuel gouvernement Nétanyahou issus de l'extrême-droite, du Likoud et même – une nouveauté – au parti religieux orthodoxe Unité de la Torah étaient à la tribune.
Diable ! Si on ne peut plus maintenant montrer sa joie en chantant et en dansant sur les gravats des maisons et au milieu des corps déchiquetés et enfouis des civils palestiniens, que les officiers de cette même armée avaient présentés comme autant d'« animaux humains », c'est à ne plus rien y comprendre, s'interroge le brave petit soldat israélien jusqu'ici convaincu d'être dans son bon droit.
Notes
1- « Amos Harel : « For Netanyahou, avoiding decisions on Gaza and Lebanon is the game plan », Haaretz, 21 janvier 2024.
2- Littéralement « banlieue » en arabe, en référence à la banlieue sud de Beyrouth, fief du Hezbollah.
3- Chuck Freilich, « We in Israel are far more dependent on the U. S. than we ever knew », Haaretz Podcast, 23 janvier 2024.
4- Ronen Bergman & Patrick Kingsley, « In strategic bind, Israel Weighs Freeing hostages against destroying Hamas », New York Times, 28 janvier 2024.
5- « Netanyahu under pressure over Israel troop losses, hostages », AFP, 23 janvier 2024.

Cisjordanie-témoignages. « Barbarie ordinaire et impunité »

En Cisjordanie les agressions des colons et de l'armée se suivent et se ressemblent, lorsqu'elles ne convergent pas. Elles relèvent des mêmes scénarios : intimidations, enlèvements, coups et blessures, fabrication de preuves à charge, pillages et destructions. Cet enfer de tous les jours n'est pas le fait de quelques individus, c'est le lot « ordinaire » d'une guerre coloniale menée depuis des décennies.
Tiré de A l'Encontre
25 janvier 2024
Par Ezra Nahmad
Khalet A-Dabe', 8 décembre 2023. (Villages Group)
Pour ce qui touche à la terreur dans le mont Hébron, au sud de la Cisjordanie, les témoignages d'une association israélienne, The Villages Group, sont précieux. Ses membres visitent les villages du mont Hébron pour maintenir des liens d'amitié et de solidarité, et fournir une aide matérielle. Voici des extraits de leurs comptes rendus. Des témoignages d'exactions qui se sont multipliées depuis le 7 octobre.
Enlèvements. Décembre 2023
Un jeune de 17 ans a été enlevé samedi vers midi à son domicile d'Umm Al Kheir. Les soldats de la « police des frontières » l'ont chargé dans une Isuzu blanche, les yeux bandés, les mains menottées derrière le dos, et sont repartis. Pourquoi ont-ils fait ça ? Simplement parce qu'il est palestinien. Sa famille a passé de longues heures à s'inquiéter, sans nouvelles. Nous [The Villages Group] avons tout essayé pour savoir où il se trouvait et avons interpellé notre avocat, Riham – en vain.
Cette disparition ressemble à d'autres cas récents. Dimanche matin, après vingt heures d'incertitude, ce jeune a été libéré. On ne lui a rien donné à boire ni à manger pendant son enlèvement. […] Nous comprenons maintenant pourquoi nous ne pouvions pas le localiser : il ne s'agissait pas d'une arrestation officielle, mais d'un acte de sadisme délibéré à l'initiative de quelques soldats.
Nous connaissions ce garçon depuis des années, ainsi que ses frères et sœurs, car nous avons aidé la plupart d'entre eux à poursuivre leurs études. « Aujourd'hui, disent-ils, la plupart des écoles sont fermées à cause du harcèlement des colons et des soldats. Les enseignants n'ont pas été payés parce que les partis d'extrême droite qui contrôlent le gouvernement israélien n'ont pas donné à l'Autorité palestinienne les fonds [obtenus via les taxes sur les travailleurs palestiniens dans les entreprises israéliennes] qui lui reviennent. »
J'ai reçu un appel de Y. Son village a été investi le matin – comme c'est le cas quotidiennement – par deux colons avec un quad ; ils ont photographié de près les villageois et leurs enfants. Peu de temps après, cinq colons en uniforme ont débarqué dans une camionnette. De la direction opposée, des soldats réguliers sont arrivés à pied. On ne sait pas qui avait pris l'initiative du rassemblement. Les premiers étaient grossiers et violents, les soldats étaient un peu plus posés, mais ils laissaient faire.
Deux jeunes villageois ont été battus, enchaînés ; les yeux bandés, ils ont été emmenés dans la camionnette vers une destination inconnue. L'un a été descendu du véhicule et laissé quelque part, et l'autre a été conduit dans la soirée au commissariat de police, meurtri, accusé d'avoir frappé un soldat (mensonge). Aussi ridicules que soient les accusations, dès que les colons déposent une plainte, elle est enregistrée comme procédure « légale » officielle, et nous ne pouvons rien faire. Les avocats ne peuvent pas non plus être d'une grande aide dans de tels cas. Les colons savent qu'il s'agit là d'une autre forme de harcèlement et de torture.
Vandalisme et pillage à Khalet A-Dabe', 8 décembre 2023
Les habitants de Khalet A-Dabe' vivaient dans des grottes jusqu'à ce qu'ils commencent à construire des maisons afin d'améliorer leur qualité de vie. J. a également construit une maison, mais elle a été démolie par l'armée. J. a reconstruit, les autorités ont encore démoli, et ainsi cinq fois. Après la dernière démolition, J. rénove la grotte mais reçoit les invités dans une tente dressée sur les décombres. Depuis que la guerre a éclaté, le harcèlement des colons s'est accru, alors J. a commencé à dormir dans la tente tandis que sa femme et ses cinq enfants dormaient dans la grotte.
Le 8 décembre à l'aube, dit-il, « plusieurs soldats sont entrés dans la tente, ont dit qu'ils venaient chercher des armes. Ils se sont bien comportés, ont fait leurs recherches et sont partis. Mais ensuite les colons sont arrivés. Depuis le début de la guerre, ils portent des uniformes et des armes militaires, ils ressemblent à des soldats. Mais ils étaient masqués. Avec eux, c'était différent, il y a eu des injures grossières – “fils de pute [répété en hébreu et en arabe], tu es le Hamas” –, et ils ont pointé leurs armes sur nos visages. Ils ont encore fouillé, tout renversé, détruit les projecteurs, démonté une partie de la clôture […]. Ils allaient de maison en maison et saccageaient tout. Dans la partie principale du village, ils ont forcé tous les habitants à se réunir dans une seule maison. Ils ont emmené mon cousin S. aux latrines et l'ont battu là-bas.
Au bout d'un moment, un colon est arrivé avec un cartable contenant de vieilles munitions. Ils ont continué à le battre pour qu'il avoue que cela lui appartenait, mais ce n'était pas le cas. Il a été emmené par les soldats, enchaîné et les yeux bandés, pour un trajet de plusieurs heures, avant d'aboutir au commissariat de Kiryat Arba (la colonie proche de Hébron). Les soldats ont continué à faire preuve de cruauté, notamment en éteignant des cigarettes sur ses bras. » Il est probable que les colons eux-mêmes aient apporté le sac avec les munitions. Mais la libération immédiate de S. atteste que la police s'est rendu compte qu'il s'agissait là d'une tromperie des colons.
Les dégâts matériels les plus graves ont été commis dans la petite école dans laquelle étudient dix enfants du village – de la 1re à la 4e année. Les colons se sont déchaînés là-bas et ont détruit tout ce qu'ils pouvaient, ils ont cassé les armoires et les portes et vandalisé les livres et les cahiers. Les écoles sont une cible privilégiée. Au cours de leur « perquisition », les vandales ont cassé des téléviseurs et des ustensiles de cuisine, volé des outils de travail, un marteau-piqueur et un générateur, ainsi que de l'argent, de l'or et des bijoux. « Qu'est-ce que cela a à voir avec une fouille d'armes ? », demande J.
Les actes de terreur coloniale en Cisjordanie sont attestés par de nombreux articles publiés dans la plupart des organes de presse internationaux. Des centaines d'agressions ont été répertoriées ces derniers mois. Pourtant, la complicité des colons, de l'armée et du système judiciaire, établie depuis de longues années, est souvent brouillée, ignorée. L'impunité et l'omerta équivalent à une caution. Israël recourt toujours à l'inversion des accusations, en fabriquant le cas échéant de fausses preuves. Les falsifications sont facilitées par les outils technologiques. Ces pratiques criminelles, accompagnées de meurtres quelquefois, se situent dans la continuité des stratégies engagées à la création de l'État d'Israël, mais les actes de barbarie ont augmenté ces derniers mois.
Raids de l'armée
Il faut ajouter à cette barbarie quotidienne les raids de l'armée. Jénine (nord de la Cisjordanie) ou Tulkarem (nord-ouest) ont été les cibles d'incursions militaires ou de bombardements par des drones. Le 12 décembre, l'armée a tué douze Palestiniens à Jénine. Mais elle a aussi volé et pillé dans la grande tradition des armées coloniales. Après le départ des soldats, un épicier faisait, devant une journaliste du Monde, l'inventaire de ce qui avait été volé : « Regardez, ce sont les restes des graines de tournesol qu'ils ont prises. Ils ont mangé et bu des articles de ma boutique. »
À la mi-janvier, l'armée a mené à Tulkarem une opération meurtrière dite « antiterroriste » de trente-cinq heures. Les témoins ont fait état de destructions des rues et des voitures par des bulldozers militaires. Depuis le 7 octobre, 360 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie par l'armée ou par les colons [1]. De l'avis de tous les observateurs, l'arbitraire colonial sous toutes ses formes ne fait que renforcer l'influence du Hamas. (Article publié sur le site de Politis le 24 janvier 2024)
[1] La tragédie quotidienne se prolonge à Gaza. Le 24 janvier un porte-parole de l'UNRWA a indiqué que des centaines de personnes réfugiées dans l'un de ses centres de formation – devenu un lieu de refuge – à Khan Younès ont essuyé des tirs israéliens nourris. Le bâtiment a pris feu, de nombreuses personnes n'ont pu s'échapper, au moins 9 personnes ont été tuées et les blessé·e·s se comptent par dizaines.
Le 25 janvier, le ministère de la Santé de Gaza déclare qu'une attaque a été menée contre des personnes affamées qui faisaient la queue pour obtenir une aide humanitaire dans le nord de la ville de Gaza, ravagée par la guerre. « L'occupation israélienne a commis un nouveau massacre contre des “bouches affamées” qui attendaient de l'aide », a déclaré Ashraf al-Qudra sur Telegram. L'attaque s'est produite au rond-point du Koweït, dans la ville de Gaza, et a fait au moins 20 morts et 150 blessés. Le nombre de morts est susceptible d'augmenter car des dizaines de personnes ont été grièvement blessées. Les victimes sont soignées à l'hôpital al-Shifa, qui est à court de fournitures médicales et ne dispose que de quelques médecins, a indiqué Ashraf al-Qudra. (Réd.)
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« Le sionisme est aussi destructeur que l’islam politique »

Photographe, Olivier Baudoin a réalisé de nombreux séjours en Palestine, dont il a tiré un livre, Au-dessus du niveau de l'amer. Il revient pour nous sur la riche culture de cette région invisibilisée, et sur un conflit selon lui « simple à comprendre : c'est la lutte des classes. Il y a un oppresseur, et un oppressé. Un riche, un pauvre ».
Tiré du blogue de l'auteur.
Un soir du mois de novembre, je retrouve Olivier, la voix douce, la barbe en bataille, à une terrasse du Vieux-Nice. Il était en Palestine lors de l'attaque du Hamas, le 7 octobre, et a donc récemment été rapatrié -mais pas par la France, dont il dénonce la gestion incompétente, si ce n'est inexistante, de ses ressortissants. Sa compagne étant Belge, c'est ce pays qui les aidera finalement à rentrer, le 15 octobre. Auparavant, Olivier a réalisé de nombreux séjours là-bas, à partir de 2010, notamment avec la compagnie, ou pour des ateliers photo avec des jeunes du camp de réfugiés d'Aïda, ou encore pour son projet de livre.
Son vin blanc et ma bière commandés, il commence, directement, à me parler de ce qui est selon lui au cœur du conflit : la lutte des classes. « Ce n'est pas la grille de lecture qu'on applique généralement à ce conflit, et on a tort ».

« Je suis allé là-bas pour la première fois il y a 13 ans. Je suis tombé des nues de ce que je voyais. J'ai été élevé dans une famille communiste d'un côté, chrétienne de l'autre, donc dans des sentiments humanistes. Je partais donc initialement dans une vision d'équilibre entre la nécessité de protéger les Juifs de ce qu'on -nous, les Européens- leur a fait subir, et le fait que des gens, des Arabes, vivent là-bas, et doivent avoir une place. La bonne conscience occidentale, disons, la volonté que tout le monde aille bien ». Mais quand il est arrivé à Bethléem, en Cisjordanie, il a « très rapidement pris conscience de la dissymétrie. Ce n'était pas ça qui se jouait. J'ai compris, en 48 heures, qu'il y avait un occupant, et un occupé. Un oppresseur, et un oppressé. Un riche, et un pauvre. La lutte des classes, quoi ». Ce qui nous rappelle à ce que l'écrivain afro-américain Ta-Nehisi Coates a déclaré de retour de Palestine : « J'ai immédiatement compris ce qui se passait là-bas ». Un peuple objectivement, et aux yeux du monde, privé de tous ses droits fondamentaux. Il en concluait : « C'est en fait assez familier pour ceux d'entre nous qui connaissent l'histoire afro-américaine ».
Le conflit israélo-palestinien, une guerre ethnique ?
Je lui évoque l'ethnicisation qui est souvent faite du conflit. Dans les médias, on parle d'une guerre de religion, d'une guerre des « races ». C'est faux, tempère-t-il. « Je ne dis pas qu'il n'y a pas d'antisémites là-bas, mais il n'y en a pas plus qu'ici... Voire moins. L'antisémitisme, je le ressens plus -en non-Juif, hein- chez nous. Et n'oublions pas l'inéquité profonde à la racine de tout ça : une zone très riche culturellement, à bien des égards, mais maintenue sous contrôle constant par une autre ».
Il décrit son ressenti de ce qu'il appelle « l'humeur sociale » en Palestine, une société selon lui « anarcho-disciplinée » (rires). « On a tendance à n'y pas aimer les ordres, les doctrines, et en même temps, on y est très protecteur. Quand tu arrives en Palestine, tu es forcément le bienvenu, on va te prendre en charge. Et ils ont fait ça avec les premiers Juifs qui sont arrivés d'Europe ; ils les ont accueillis, car cela fait partie de leur norme sociale ». Le monde Israélien, lui, est une société « totalement identique à la notre. Donc si tu ne restes que là bas, tu peux garder cette idée fantasmée d'une Palestine hostile ».
Il narre une anecdote. « L'autre jour, je parlais avec un ami, Juif et proche de la politique de Netanyahu, qui m'a affirmé, à moi ayant vécu en Palestine, lui n'y ayant jamais foutu les pieds, que si un Juif rentre en Cisjordanie, il est mort. C'est faux. Quand je suis allé pour la première fois en Palestine, c'est un Juif qui m'y a amené. Il se cachait pas, cela faisait des années qu'il travaillait là bas avec les Palestiniens. Que tu sois Juif, ils s'en caguent [s'en foutent, NDLR] ». Il conclut : « C'est la position de l'État d'Israël qui a mis les Juifs en insécurité, et a créé des tensions ». Rony Brauman ne dit d'ailleurs pas autre chose, quand il déclare : « Israël est l'endroit où les juifs sont le plus en danger au monde, et met en danger les juifs du monde ».
Selon lui la Palestine est tolérante, multiconfessionnelle. On le dit peu, mais Hebron, Bethléem ou Ramala, villes à grosse majorité musulmane, sont dirigées par des maires Chrétiens. « Ils votent pour des chrétiens -et aussi pour des femmes, puisque le maire précédent de Bethléem était une mairesse ». Une tolérance certes remise en question par les extrémistes du Hamas, dont l'arrivée au pouvoir, nous le savons maintenant, a été poussée par Netanyahu -qui préférait des religieux plutôt que des marxistes, tels ceux l'Organisation de libération de la Palestine.
La religion ne saurait être un projet politique
Car c'est bien là le nœud du problème : ce terrible mélange entre la politique et la religion. « L'islam politique est dangereux. Et la France, comme beaucoup d'autres pays, notamment à dominante musulmane, en sait quelque chose ». Mais, ajoute-t-il, « c'est quoi, le sionisme ? C'est un projet politique religieux. Il est tout aussi dangereux que l'islam radical. Mais ça n'est jamais présenté comme ça ; on en arrive même à ce que critiquer le sionisme soit considéré comme antisémite. C'est une absurdité totale ».
Il poursuit : « Le besoin pour les Juifs de se sentir en paix quelque part est évidemment légitimes, et les conséquence de l'antisémitisme historique sont une dette que nous n'avons toujours pas réglée ». Il évoque le « péché originel » occidental : « Avec le plan de partage de 1947, on a botté en touche, et on balancé des Juifs là-bas, les laissant se démerder. Soyons clairs : on les a spoliés, et loin de réparer ça, on les a ensuite envoyés spolier une autre terre ». Où s'est ensuite développé, avec le temps, une société de type occidental. « Quand je suis à Tel-Aviv, j'ai l'impression d'être à Nice. Toi et moi pourrions être là-bas, avoir la même conversation à propos de ton journal anar' critique du pouvoir, de Netanyahu… C'est ça Israël, j'y suis comme un poisson dans l'eau, et c'est quand je rentre en Palestine que je change de monde ».
Une différence qui vient nourrir le discours de l'extrême-droite sur Israël comme base avancée de l'occident face à une fantasmatique « horde arabe ». « Le projet sioniste est en train de créer un conflit international. C'est quoi ce bordel ? » Alors même que, selon lui, la motivation première de ce conflit n'est pas religieuse. « A part que les gens s'aiment et que tout le monde soit heureux, il n'y a normalement aucun projet politique dans le judaïsme ».
Des solutions ? (non.)
Mais que faire ? Croit-il, par exemple, à la solution d'un État binational -un et seul même État pour deux peuples, avec les mêmes droits ? « Mon humanisme dirait oui, mais en l'état des choses ça n'est pas faisable. Comment imaginer une solution à un État avec une population qui a été oppressée par l'autre pendant 75 ans ? » Avec notamment des prisonniers politiques qui sont en fait des otages, arrêtés et incarcérés des années, sans aucun jugement, des meurtres, des humiliations, de la torture… (1) Selon Olivier, la solution à un État, « c'est l'aboutissement. Mais ça ne se fera pas tant qu'il y aura le projet sioniste. Beaucoup de Palestiniens sont prêts à vivre en harmonie avec les Israéliens, et vice-versa, et celles et ceux que je connais en sont tout à fait capables, mais ça n'est pas pour tout de suite. Le peuple palestinien doit panser ses plaies. Il faudra du temps ».
Pour le moment hélas, pour Israël, « le projet, c'est d'éliminer les Palestiniens. Soit en les tuant, soit en les déportant. Et ce qui se passe aujourd'hui en Cisjordanie, je le vis par des amis qui y sont à la campagne, et qui ne sortent que tous les 15 jours par peur de se faire tuer par les colons. Les attaques s'intensifient, car le projet est d'installer le plus de colonies Israéliennes possible, cantonnant les palestiniens dans les villes, dans des îlots séparés, et sans autonomie alimentaire, car sans campagne, et donc totalement dépendant d'Israël pour se nourrir ». Le summum de l'oppression capitaliste militarisée.
Ce qui peut faire basculer les choses, « c'est que la diplomatie occidentale change ». Mais l'occident est-il prêt, sachant qu'Israël « est le pays parfait pour entretenir la discorde dans la péninsule arabique, et qu'on a toujours trouvé plein de prétexte pour foutre le bordel là-bas » ? « Je commence à bien connaître les sociétés arabes. Elles sont créatives, cultivées. Mais le problème est que l'Occident n'a aucun intérêt à ce que cet espace soit autonome, structuré -car c'est un véritable contre-pouvoir. C'est une zone bien trop riche à bien des égards, et pas que financièrement, pour la laisser en paix et la laisser s'organiser ».
Le déni de l'oppression
Lors de l'horrible attaque de la Rave-Party de Super-Nova, le 7 octobre, à la frontière entre Palestine et Israël, au-delà du choc, une question s'est posée : comment était-il envisageable, pour ces jeunes gens, de festoyer ainsi à deux pas d'un immense camp de prisonniers à ciel ouvert, où les violences sont quotidiennes ? Olivier, lui, ne s'en étonne pas. « En 2011, je suis allé dans un village en Cisjordanie où un mur sépare depuis 15 ans les habitations et les cultures. Chaque semaine, une manifestation avait lieu. Je m'y suis rendu, avec des amis Israéliens. Charges, lacrymos… Une grande violence. Et une demi-heure plus tard, tu es à Tel-Aviv, ville bio, baba-cool, écolo, et ce, à deux pas d'affrontements constants… C'est insupportable ».
Le déni est le moteur premier de l'oppression du peuple palestinien par le peuple israélien, malgré son grand progressisme sur beaucoup d'autres sujets. « Ils sont progressistes, oui, mais ils sont vachement bien et ils ont pas envie de partir. Voilà. Et quand ils réalisent ce qu'ils se passe, ce qui est le cas de beaucoup de mes potes israéliens qui militent contre la colonisation, ils se cassent. C'est intenable pour eux ».
Peut-être l'avenir viendra-t-il des jeunes générations ? Comme l'a déclaré Tal Mitnick, 18 ans, Israélien objecteur de conscience : « Le changement interviendra lorsque nous reconnaîtrons les souffrances endurées par le peuple palestinien [...] et le fait qu'elles sont le résultat de la politique israélienne. Cette reconnaissance doit s'accompagner de justice, et de l'édification d'une infrastructure politique basée sur la paix, la liberté et l'égalité. Je ne veux pas participer à la poursuite de cette oppression et de ce bain de sang » (2).
Par Mačko Dràgàn
Un article tiré de notre dernier numéro (#46), consacré aux luttes antiracistes. Nous mettons chaque mois une partie de notre contenu en accès libre, mais pour tout lire, et nous soutenir, abonnez-vous !
Notes
(1) Lire notamment sur Mediapart : « J'ai subi l'électricité » : les Palestiniens faits prisonniers à Gaza témoignent de tortures et d'humiliations, Gwenaelle Lenoir, 21/12/23.
A voir
Le Sel de la mer (ملح هذا البحر, Milh hadha al-bahr), un film dramatique palestinien de Annemarie Jacir (2008)
Une jeune américaine d'origine Palestinienne revient sur les terres qui ont été spoliées à sa famille en 1948.

Déclaration de La Via Campesina sur la décision historique de la CIJ concernant le génocide à Gaza

La Cour internationale de justice (CIJ) a rendu aujourd'hui un arrêt historique en réponse à une requête du gouvernement sud-africain, marquant ainsi une étape importante dans la quête de justice et de responsabilité.
Tiré de Entre les lignes et les mots
photo Serge d'Ignascio
L'arrêt enquête sur les allégations de génocide commis par l'occupation israélienne contre les Palestinien·ne·s de la bande de Gaza pendant la guerre en cours, qui a tragiquement fait plus de 26 000 victimes palestiniennes, dont plus de 64 000 blessé·e·s et des milliers de disparu·e·s, en majorité des femmes et des enfants.
La Via Campesina se félicite de cette décision cruciale de la CIJ, qu'elle considère comme une victoire historique pour les droits du peuple palestinien et comme un premier pas crucial vers la responsabilisation de l'occupation israélienne pour ses crimes persistants et son évitement de la punition. Les ordres contraignants de la CIJ demandent à l'occupation israélienne de garantir l'accès de la population palestinienne à l'aide humanitaire, de prévenir les actes relevant du génocide, de prévenir et de punir l'incitation directe et publique à commettre un génocide, de prendre des mesures efficaces pour empêcher la destruction des preuves liées aux allégations de génocide, et de rendre compte des mesures prises pour mettre en œuvre les ordres de la Cour dans un délai d'un mois.
Bien que nous ayons espéré, à La Via Campesina, que la Cour rende une décision de cessez-le-feu immédiat comme mesure minimale pour sauver la vie de milliers de Palestinien·ne·s qui continuent d'être victimes de cette guerre, comme cela a été le cas lors de la guerre russo-ukrainienne, nous reconnaissons l'importance du rôle joué par la Cour dans la mise en œuvre de cette décision. Cette décision, qui soumet pour la première fois l'occupation israélienne à une responsabilité juridique, est une étape essentielle pour isoler l'État occupant en tant qu'État accusé d'avoir commis un génocide. Il est nécessaire que les États qui soutiennent l'occupation israélienne, en particulier ceux qui lui fournissent des armes, cessent de la soutenir, car elle contrevient à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.
Nous continuons de croire que cette décision de la CIJ est une première étape dans la responsabilisation de l'occupation pour ses crimes odieux et l'utilisation sans précédent de la famine comme arme dans sa guerre contre les civil·e·s à Gaza. Plus de deux millions de Palestinien·ne·s souffrent de la faim en raison de l'utilisation par l'occupation de tactiques d'affamation. La Via Campesina reste ferme dans son engagement à soutenir le peuple palestinien dans sa lutte pour la justice et son droit à vivre dans la dignité.
Cette décision nous donne de l'espoir, car elle montre que la justice peut triompher de l'oppression.
La Via Campesina est unie et continue à lutter pour une liberté durable et le respect de la Palestine et de son peuple.
La Via Campesina est résolument solidaire et se fait l'écho de l'appel à la liberté et à la dignité durables pour la Palestine et son peuple.
Mondialisons la lutte, mondialisons l'espoir
Bagnolet : 26 janvier 2024
Via-info-fr@viacampesina.org
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USA : Le syndicat de l’automobile appelle à préparer une grève générale tout en soutenant Biden

Le syndicat United Auto Workers (UAW) illustre à la fois les problèmes et les possibilités du monde du travail. La semaine dernière, son président Shawn Fain a soutenu la candidature du démocrate Joe Biden à l'élection présidentielle, tout en appelant à organiser une grève générale.
Hebdo L'Anticapitaliste - 693 (01/02/2024)
Par Dan La Botz
traduction Henri Wilno
Crédit Photo
Wikimedia Commons
En 2023, après l'inculpation et la condamnation pour corruption de l'ancienne direction de l'UAW, Shawn Fain et un groupe de réformateurs ont été élus à la tête du syndicat. Fain et son groupe ont alors mené le syndicat dans une grève nationale remarquable contre les trois grands constructeurs automobiles américains. Comme je l'ai écrit à l'époque : « L'UAW a mené une grève de 45 jours contre les trois grands constructeurs automobiles américains — Ford, Stellantis et General Motors — avant de négocier un contrat en octobre et d'obtenir non seulement d'importantes augmentations de salaire et l'élimination des échelons, mais aussi d'empiéter sur le contrôle des entreprises sur leurs usines et sur l'industrie. Cela faisait des décennies que les États-Unis n'avaient pas vu un syndicat mener une telle grève de travailleurs industriels ».
Vers un syndicat lutte des classes
Aujourd'hui, Shawn Fain a appelé les syndicats américains à organiser une grève générale… en mai 2028. S'exprimant lors de la conférence politique nationale de l'UAW, il a déclaré : « Nous voulons une grève générale. Nous voulons que tout le monde débraye, comme cela se fait dans d'autres pays ». Bien qu'il y ait eu quelques grandes vagues de grèves, comme celles de 1919, des années 1930, de 1946 et de 1970, et quelques grèves générales à l'échelle d'une industrie ou d'une ville, il n'y a jamais eu de grève générale à l'échelle nationale. Pour parvenir à une telle grève, Fain a appelé les syndicats à fixer la date d'expiration de leurs contrats collectifs à mai 2028, comme l'a fait l'UAW.
Un tel appel sera difficile à concrétiser. La loi Taft-Hartley de 1947 a interdit les grèves de soutien, les grèves de solidarité et les grèves générales, et depuis les années 1970 et jusqu'à ces dernières années, les grèves ont considérablement diminué aux États-Unis. Les dirigeants syndicaux ont hésité à remettre en cause le statu quo et, jusqu'à présent, les travailleurEs n'ont pas eu la conscience, l'organisation et la combativité nécessaires pour le faire. Il est clair que l'appel de Fain à une grève dans quatre ans est une tentative d'attirer l'attention des travailleurEs et d'orienter la classe ouvrière vers une politique de lutte de classe.
Dans le même temps, Fain a annoncé que l'UAW, qui compte près d'un million de membres (400 000 actifEs et 500 000 retraitéEs), soutiendra Biden à la présidence, qualifiant son rival Donald Trump de « briseur de grève » opposé à « tout ce que nous défendons ». Le président Biden avait rejoint les travailleurEs de l'UAW sur un piquet de grève l'année dernière, une première pour un président américain. Pourtant, un sondage interne de l'UAW réalisé l'été dernier a montré que 30 % des membres soutenaient Biden, 30 % soutenaient Trump et 40 % étaient indépendants. Lors des dernières élections présidentielles, environ 60 % des membres ont voté pour le parti démocrate. L'annonce de Fain vise à unifier les membres derrière Biden.
Le besoin d'un parti des travailleurEs
Les deux annonces de Fain révèlent les possibilités et les problèmes des travailleurEs. D'une part, une partie réduite mais significative de l'UAW et de la classe ouvrière en général est désormais prête à s'engager dans la lutte des classes. Mais l'orientation politique de la masse des travailleurEs est plus problématique. La direction de l'UAW a décidé de soutenir Biden, le candidat d'un parti capitaliste. Certains membres de l'UAW refusent cette position en raison du soutien de Biden à la guerre génocidaire d'Israël contre la Palestine. Un nombre encore plus important de membres de l'UAW soutient Trump et sa politique raciste, misogyne, pro-business et autoritaire. Et la classe ouvrière elle-même n'a pas de force politique indépendante.
Les États-Unis n'ont pas eu de parti ouvrier important — parti du travail, socialiste ou communiste — depuis les années 1910. Et la création d'un tel parti n'a pas rencontré beaucoup de soutien depuis les années 1930. Bien que sa création ne soit pas à l'ordre du jour pour le moment, le besoin d'un tel parti de travailleurEs est clair, mais il devra être créé en luttant contre la bureaucratie ouvrière et le Parti démocrate. Les obstacles sont donc clairs eux aussi.
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Malgré la famine qui menace à Gaza, les États-Unis suspendent leur financement

Malgré la famine qui menace à Gaza, les États-Unis suspendent leur financement à l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés.es de Palestine dans le Proche-Orient (UNRAW en Anglais) Après qu'Israël ait déclaré que 12 de ses employés.es aient participé à l'attaque du 7 octobre
Tiré de Democracy Now
Traduction Alexandra Cyr
Note : comme la plupart des médias francophones utilisent le sigle Anglais pour cette organisation, j'ai décidé d'en faire autant dans ce texte qui s'en trouve allégé. A.C.
A.G. : (…) Les autorités palestiniennes et les groupes de défense des droits humains dénoncent la décision des États-Unis et d'au moins 12 autres pays (dont le Canada n.d.t.) de suspendre temporairement leur financement à l'UNRWA après qu'Israël eut accusé 12 de ses employés.es d'avoir participé à l'attaque du 7 octobre. Neuf de ces personnes ont été remerciées et l'UNRWA déclare que deux des accusés.es sont décédés.es.
L'UNRWA est un de plus important employeur de Gaza avec 13,000 employés.es. Il aide la majorité des habitants.es de l'enclave soit environ 2millions 300 mille personnes. Cette agence est visée par Israël depuis longtemps. Depuis le début de la guerre à Gaza, 150 de ses employés.es ont été tués.es.
Francesca Albanese, la rapporteure spéciale des Nations Unies pour les Territoires palestiniens occupés, a écrit sur les réseaux sociaux : « Le lendemain du jugement de la Cour internationale de justice qui conclut qu'il était plausible qu'Israël commette un génocide à Gaza, certains États ont décidé de ne plus financer l'UNRWA imposant ainsi un châtiment collectif à des millions de Palestiniens.nes au pire moment. Agissant ainsi, ils violent probablement leurs propres obligations envers la Convention contre le génocide ».
Pendant ce temps, le chef de l'Office, M. Philippe Lazzarini, condamne le gel des fonds à un moment où la famine menace à Gaza. Il a déclaré : « La population palestinienne de Gaza ne mérite pas un châtiment collectif en plus. Cela nous entache tous et toutes ». Et le Secrétaire général des Nations Unies, M. António Guterres a exhorté les pays donateurs à continuer de financer l'UNRWA.
Pour creuser cet enjeu, nous rejoignons à Oslo en Norvège, Jan Egeland. Il est le secrétaire général du Conseil norvégien pour les réfugiés.es. La Norvège participe toujours au financement de l'UNRWA.
Merci beaucoup Yan d'être avec nous. Pour commencer, pouvez-vous réagir à cette coupure de financement alors qu'entre autre, Gaza est sous les bombardements et au bord de la famine ?
Jan Egeland : Oui. C'est la pire réaction à ces allégations voulant qu'une douzaine d'employés.es sur les 13,000 de l'UNRWA aient trahi nos principes humanitaires de neutralité, d'indépendance et aient participé à l'horrible attaque contre Israël. L'UNRWA a immédiatement répondu en remerciant ces personnes comme vous l'avez dit et demande maintenant une enquête indépendante. Ce que ces donateurs ont fait, les États-Unis, le Royaume uni, l'Allemagne, l'Italie, la Finlande, Les Pays Bas, l'Australie et quelques autres, c'est de retirer l'aide aux enfants de Gaza, au femmes de Gaza, à ceux et celles qui sont totalement innocents.es là-bas. C'est la pire décision possible au moment où la population est coincée sous les bombardements. Ne punissons pas tant d'innocents.es pour la conduite de quelques uns.es qui ont mal agit semble-t-il.
A.G. : Il va devenir intéressant de voir si Israël va divulguer des preuves pour que les Nations Unies puissent enquêter sur cette affaire. Car beaucoup de ces pays ont immédiatement suspendu leur fourniture d'armes. Je veux vous lire un clip d'un ancien haut fonctionnaire israélien, Noga Arbell. Il écrit : « Nous ne pourrons pas gagner cette guerre sans détruire l'Unrwa et cette destruction doit commencer immédiatement ». Le Premier ministre Netanyahu a déclaré que l'UNRWA ne sera plus à Gaza après la guerre. Qu'en dites-vous Jan Egeland ? Et parlez-nous, puisque vous êtes à la tête d'un grand groupe humanitaire, de l'importance de l'UNRWA parmi tous les autres groupes et sans parler des gens sur le terrain.
J.E. : L'UNWRA est absolument essentiel. En effet je dirige le Conseil norvégien pour les réfugiés.es, nous sommes une grand groupe humanitaire (et nous agissons) partout dans le monde. Nous sommes présents partout où il y a des conflits pour aider les déplacés.es et les réfugiés.es. Nous avons été à Gaza au cours des deux dernières décennies. Nous avons été financés par les États-Unis, 40 autres pays donateurs et des agences internationales partout dans le monde.
À Gaza, il faut reconnaitre qu'avec tous les autres groupes nous n'approchons même pas ce que l'UNRWA représente pour la population. L'organisation a été la réponse à la création d'Israël et la guerre de 1948 qui a déplacé une grande partie de la population originelle de la Palestine vers Gaza, la Cisjordanie et dans d'autres endroits. Depuis lors, il n'y a pas eu de traité politique de paix. Et c'est parce que la communauté internationale n'a pas réussi à forcer les deux parties, les Israéliens et les Palestiniens, à résoudre le conflit. Cela aboutit à ce que des groupes humanitaires, d'abord et avant tout, l'UNRWA prennent cette population en charge.
Donc, affaiblir et amoindrir l'UNRWA sous prétexte qu'il serait un groupe extrémiste comme le gouvernement israélien le dit, revient à dire : « Nous allons punir les femmes et les enfants, les innocents.es pour ce que des extrémistes ont fait alors que sévit la pire agitation et un conflit sans fin, que nous ne voulons pas en ce moment tenter d'avoir des discussions pour parler de notre avenir ». C'est condamnable.
Et les donateurs internationaux doivent maintenir leurs liens avec les organisations humanitaires comme la Norvège le fait. La Norvège est un donateur important, il donne plus per capita aux Palestiniens.nes que n'importe quel autre donateur. Nous continuons à financer l'UNRWA et nous lui disons : « C'est bien que vous ayez remercié (ces personnes), mis fin à leurs contrats et c'est bien aussi d'initier une enquête. (Avec ses conclusions) nous aviserons sur ce que nous devrons faire à l'avenir ».
A.G. : Avez-vous des preuves de ce qu'avance Israël ? Est-ce qu'il en a présenté ?
J.E. : Pour ce que j'en sais, ni l'UNRWA ni l'ONU et ses enquêteurs n'ont rien reçu. J'espère qu'ils en recevront pour qu'ils puissent faire une investigation en profondeur ; ce sont de sérieuses accusations. J'ai lu quelque chose à leur sujet dans le New York Times. Si c'est vrai, ils ont trahi tous nos principes de neutralité, d'impartialité et autre. C'est très important pour nous ; nous sommes des humanitaires désarmés.es là où le feu fait rage partout dans le monde.
Mais, il est clair que qui que ce soit qui travaille au Proche Orient ne peut garantir qu'il n'y aura pas quelqu'un.e dans ses rangs à avoir des engagements secrets. Les Palestiniens.nes ne peuvent faire cela ? Les Israéliens.nes ne peuvent faire cela ? Pourtant nous connaissons plusieurs Israéliens.nes qui ont fait de très mauvaises choses à Gaza même tirer sur des gens portant le drapeau blanc. Ils ont même tiré sur leurs propres compatriotes portant ce drapeau blanc. Leurs colons sont organisés, des organisations de type mafieuses qui déplacent femmes et enfants en Cisjordanie. Plusieurs d'entre eux sont recrutés par les Forces armées. Ils devraient être en prison mais sont dans les Forces armées. Personne ne peut garantir qu'il n'y y aura pas de problèmes. Donc il faut une enquête et que des réponses soient en place chaque fois que cela arrive. Mais ne coupez pas l'aide aux gens qui sont en grand besoin. C'est la pire réponse.
A.G. : Jan Egeland, merci d'avoir été avec nous. (…)
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Pourquoi de nombreux Noirs se détournent de Biden à propos de la Palestine

25 janvier 2024 | tiré d'Inprecor.org
https://inprecor.fr/node/3798
Le président Joe Biden est en difficulté auprès des jeunes électeurs afro-américains. Son soutien inconditionnel au sionisme et le soutien militaire américain à la guerre horrible menée par l'État israélien contre le peuple palestinien à Gaza et en Cisjordanie occupée sont à l'origine d'une opposition croissante.
Biden refuse de dire à l'État d'Israël de mettre fin à sa guerre génocidaire à Gaza. Il répète tous les mensonges du régime israélien.
Pour de nombreux jeunes Noirs qui pensent que le Parti démocrate tient leur soutien pour acquis, sa politique étrangère de guerre et d'édification d'un empire est le signe que l'on ne peut pas non plus compter sur Biden pour lutter contre le racisme dans son pays. Certains resteront chez eux ou voteront pour des candidats indépendants - ou même pour Trump comme un moindre mal lors de l'élection présidentielle de 2024.
Pendant ce temps, les démocrates conservateurs se sont associés au lobby pro-israélien pour cibler les élus de leur propre parti qui appellent à un cessez-le-feu permanent et à une aide humanitaire. La cible numéro un est la députée de Détroit, Rashida Tlaib, la seule Américaine d'origine palestinienne jamais élue au Congrès.
Des voix s'expriment sur la lutte commune
De nombreux organes d'information grand public rendent compte de cette évolution des points de vue. Un article de l'Associated Press du 17 décembre en est un exemple :
« Cydney Wallace, une militante de la communauté juive noire, ne s'est jamais sentie obligée de se rendre en Israël, bien que “l'année prochaine à Jérusalem” soit un refrain constant dans sa synagogue de Chicago.
« Cette femme de 39 ans a déclaré qu'elle avait beaucoup à faire chez elle, où elle donne fréquemment des conférences sur la lutte contre le sentiment antinoir dans la communauté juive américaine et sur le démantèlement de la suprématie de la race blanche aux États-Unis.
« Je sais pour quoi je me bats », a-t-elle déclaré.
« Tout a changé lorsqu'elle s'est rendue en Israël et en Cisjordanie à l'invitation d'un organisateur communautaire palestinien américain du quartier sud de Chicago, en compagnie de deux douzaines d'autres Noirs américains et de dirigeants religieux musulmans, juifs et chrétiens. »
Le voyage s'est brusquement terminé en raison de l'attaque du Hamas à l'intérieur d'Israël le 7 octobre.
Mais le voyage a eu un impact important sur les opinions de Wallace. Pour elle, et pour un nombre croissant de Noirs américains, la lutte des Palestiniens est le reflet de leur propre combat pour l'égalité raciale et les droits civiques. L'essor récent des mouvements de protestation contre les brutalités policières et la structure de la suprématie blanche et du racisme institutionnel qui sévit dans presque tous les domaines de la vie a rapproché les militants noirs et palestiniens autour d'une cause commune.
Une défiance croissante
Demetrius Briscoe avait voté pour Joe Biden en 2020, mais le senior de Bowie State University, une université historiquement noire du Maryland, hésite à soutenir le président l'année prochaine.
Demetrius Briscoe a déclaré à USA Today qu'il « ne pense pas que beaucoup de ses pairs voteront pour Joe Biden parce qu'il n'a pas exigé de cessez-le-feu ».
« Il est en train d'entacher sa présidence d'une tache qui, à mon avis, ne sera pas facile à effacer, a déclaré M. Briscoe, ajoutant que si les démocrates appellent à un cessez-le-feu, cela pourrait sauver le parti démocrate d'une vague de jeunes qui ne voteraient pas pour eux ».
Lors d'un rassemblement pour le cessez-le-feu en octobre à l'université Howard, Delaney Leonard, une étudiante de 19 ans qui a participé à l'organisation du rassemblement, a fait remarquer qu'elle n'avait pas l'intention de voter pour Biden. Elle ne pense pas être la seule.
« Cela va certainement jouer un rôle dans la décision de vote des gens », a déclaré Mme Leonard.
Keesha Middlemass, professeur agrégé de sciences politiques à l'université Howard, note que "les jeunes voient enfin l'impact de la machine de guerre américaine". Ils sont profondément préoccupés par la loyauté aveugle de Joe Biden à l'égard d'Israël, sans aucune considération pour le droit à l'existence des Palestiniens.
Solidarité et soutien mutuel
Khadirah Muhammad, senior en dernière année à l'université d'État de Géorgie, se souvient d'avoir vu sur les médias sociaux les peintures murales de Black Lives Matter à Gaza et d'avoir regardé les Palestiniens manifester lors des manifestations de George Floyd en 2020. Pour elle, il s'agit de symboles de solidarité.
« Je pense qu'il est nécessaire de s'exprimer lorsque les choses ne vont pas », a déclaré Muhammad, âgée de 22 ans, qui a participé à un rassemblement propalestinien sur le campus en octobre. « C'est vraiment déchirant. »
Selon Michael R. Fischbach, professeur d'histoire au Randolph-Macon College et auteur de Black Power and Palestine Transnational Countries of Color, si de nombreux chefs religieux, étudiants et militants juifs ont soutenu Martin Luther King Jr et le mouvement des droits civiques, le soutien à Israël s'est transformé dans les années 1960 avec l'aile Black Power de la lutte pour la liberté des Noirs.
Identification et action
Fischbach ne s'étonne pas que les jeunes Afro-Américains éprouvent de l'empathie pour les Palestiniens. Plusieurs facteurs les rapprochent, notamment un sentiment de parenté au sein de cette « communauté mondiale fermée », une opposition à ce qu'ils considèrent comme un colonialisme de peuplement et des expériences communes de vie dans des communautés ségréguées.
Il a souligné que « beaucoup de jeunes, notamment de couleur dans ce pays, peuvent instinctivement s'identifier aux Palestiniens parce que cela ressemble, encore une fois, à l'expérience qu'ils vivent chez eux ».
Depuis des décennies, des segments de la communauté afro-américaine ont exprimé leur soutien à la Palestine. Ce soutien s'accroît aujourd'hui, en particulier chez les jeunes Afro-Américains. Les sondages révèlent aujourd'hui que les Noirs sont plus critiques à l'égard de la politique américaine au Moyen-Orient.
Selon le Crowds Counting Consortium, une initiative du Nonviolent Action Lab de l'université de Harvard, 2 357 manifestations, rassemblements, veillées et autres actions propalestiniennes ont eu lieu aux États-Unis entre le 7 octobre et le 10 décembre.
Les sondages reflètent les sentiments
Parmi celles-ci, 652, soit près de 28 %, se sont déroulées sur des campus universitaires. (Le consortium a recensé 450 actions pro-israéliennes au cours de la même période).
Un sondage réalisé en novembre par GenForward, géré par l'université de Chicago, a révélé que 63 % des électeurs noirs prévoyaient de voter pour Biden en 2024, contre 17 % qui ont déclaré qu'ils voteraient pour Trump s'il était désigné. En 2020, M. Biden a remporté 92 % des suffrages des électeurs noirs contre 8 % pour Trump. Malgré le fort soutien dont bénéficie M. Biden, cette désaffection croissante menace sa réélection.
Dans le même sondage, 16 % des électeurs noirs ont déclaré être plus favorables aux Palestiniens qu'aux Israéliens dans le conflit, contre 13 % des électeurs noirs qui ont déclaré être plus favorables aux Israéliens. Trente-neuf pour cent des électeurs noirs ont déclaré avoir de la sympathie pour les deux groupes ; 32 % ont dit ne pas savoir.
Muhammad, qui a déjà voté pour des démocrates dans le passé, a déclaré qu'elle ne se sentait pas obligée de soutenir les démocrates, qu'elle a qualifiés de « faibles ».
« Non pas que je veuille revoir une présidence de Donald Trump », a-t-elle déclaré. « Mais honnêtement, une présidence de Joe Biden, je ne me vois pas voter pour ».
Muhammad a déclaré qu'elle envisageait d'autres solutions. "J'aime voter avec intégrité", a-t-elle déclaré.
Malcolm X à Gaza
Son inquiétude rappelle les propos tenus par Malcolm X en 1964, après la création de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP). (L'OLP était une réponse au déplacement et à la dépossession des Palestiniens à la suite de la création d'Israël en 1948. L'OLP avait pour but de représenter le peuple palestinien dans son désir d'autodétermination et de rechercher l'unité arabe. Elle recherchait également l'unité arabe).
Malcolm X s'est rendu à Gaza en 1964, alors qu'il s'agissait encore d'un territoire égyptien (dont Israël s'est emparé après la guerre des six jours de 1967). Il a écrit et publié dans la Gazette égyptienne l'essai décisif « Zionist Logic » (la logique sioniste).
Fervent opposant au colonialisme et à l'exploitation sous ses diverses formes, Malcolm X a critiqué la manière dont le judaïsme, le sionisme et le colonialisme se mêlaient pour perpétuer un dangereux précédent, en expliquant :
« Si la revendication “religieuse” de l'État d'Israël n'a pas été respectée, elle a été rejetée : Si la revendication "religieuse" des sionistes est vraie, à savoir qu'ils devaient être conduits vers la terre promise par leur messie, et que l'occupation actuelle de la Palestine arabe par Israël est l'accomplissement de cette prophétie, où est leur messie dont les prophètes ont dit qu'il aurait le mérite de les y conduire ? C'est Ralph Bunche [médiateur des Nations unies] qui a “négocié” la prise de possession de la Palestine occupée par les sionistes ! Ralph Bunche est-il le messie du sionisme ? Si Ralph Bunche n'est pas leur messie, et que leur messie n'est pas encore venu, alors que font-ils en Palestine avant leur messie ?
« Les sionistes avaient-ils le droit légal ou moral d'envahir la Palestine arabe, de déraciner les citoyens arabes de leurs maisons et de s'emparer de tous les biens arabes sur la seule base de l'affirmation “religieuse” que leurs ancêtres vivaient là il y a des milliers d'années ? Il y a seulement mille ans, les Maures vivaient en Espagne. Cela donnerait-il aux Maures d'aujourd'hui le droit légal et moral d'envahir la péninsule ibérique, de chasser les citoyens espagnols et de fonder une nouvelle nation marocaine... là où se trouvait l'Espagne, comme les sionistes européens l'ont fait pour nos frères et sœurs arabes en Palestine ?
« En bref, l'argument des sionistes pour justifier l'occupation actuelle de la Palestine arabe par Israël n'a aucune base intelligente ou légale dans l'histoire... pas même dans leur propre religion. Où est leur Messie ? »
L'exigence de Mandela
Trois décennies plus tard, Nelson Mandela, leader révolutionnaire sud-africain et premier président d'une Afrique du Sud libre, a déclaré dans un discours prononcé en 1997 à l'occasion de la Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien ce qui résonne encore aujourd'hui chez une grande majorité de personnes du Sud :
« Nous savons trop bien que notre liberté [en tant que Sud-Africains] est incomplète sans la liberté des Palestiniens ».
L'intensité du soutien à la Palestine ne fait que se renforcer parmi les jeunes Afro-Américains.
Publié dans Against the Current en décembre 2023.
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Quelles hypocrisie, immoralité et même sadisme !
Dès qu'Israël allègue que douze membres de l'UNRWA auraient participé dans l'attaque menée par le Hamas le 7 octobre, Washington suspend immédiatement son financement de cette organisation humanitaire de l'ONU. Et le Canada, ainsi que plusieurs autres pays, emboitent le pas.
Ovide Bastien, auteur de Chili : le coup divin, Éditions du Jour, 1974
Cette allégation apparait le 26 janvier. Le jour même, assez étrangement, où la Cour internationale de justice rend public son jugement, on ne peut plus dévastateur, pour Israël.
L'accusation de génocide que l'Afrique du Sud porte contre Israël est recevable, affirme la Cour. La preuve présentée démontre clairement que c'est possible qu'Israël soit en train de commettre un génocide.
• La Cour énumère en détail les nombreuses déclarations où de leaders israéliens incitent au génocide.
• Elle montre comment le grand nombre de morts et de blessés à Gaza ainsi que la destruction massive d'infrastructure reflètent ces déclarations.
• Elle annonce qu'elle déclenche une enquête et somme Israël de s'abstenir de détruire toute preuve pouvant servir à celle-ci.
• Elle demande à Israël de punir tout leader tenant de futurs propos génocidaires et de s'abstenir de toute action future ayant un caractère génocidaire.
• Elle demande à Israël de mettre immédiatement fin à son blocage de l'aide humanitaire à Gaza.
• Elle somme Israël de faire rapport à la Cour d'ici un mois au sujet du respect de ces mesures.
En apprenant que Washington, mon pays le Canada, ainsi que plusieurs autres pays suspendent leur financement de l'UNRWA, je suis estomaqué.
Comment se fait-il qu'Israël sorte soudainement de son chapeau, en ce moment précis, cette petite bombe médiatique ?
Et pourquoi cet empressement de suspendre le financement de la seule organisation ayant une capacité réelle de venir en aide à une population plongée dans une catastrophe humanitaire incommensurable ?
Remonte en moi, comme un volcan en éruption, une grande émotion de colère et de révolte...
La même que je ressentais au Chili en septembre 1973 lorsqu'Augusto Pinochet renversait le gouvernement de Salvador Allende et écrasait dans le sang, la torture, et les camps de concentration de milliers d'adeptes de l'Unité populaire.
Pinochet décrivait sa prise de pouvoir brutale comme une œuvre sacrée, une intervention divine. Comme Israël aujourd'hui, il cherchait à contrôler le récit, surtout dans les médias. L'exécution sommaire de personnes résistant à son putsch était présentée dans les médias comme l'action de militaires se défendant contre de simples délinquants et terroristes.
La douleur de millions de Chiliens et Chiliennes était énorme. Le coup d'État produisait 3 000 morts... Au moins 40 000 personnes furent soumises à la torture. Entendre, au jour le jour, la description des méthodes de torture utilisées m'était insupportable...
Profondément ému et bouleversé, je tentais de faire entrer dans diverses ambassades des personnes cherchant désespérément à échapper à la terreur. Et je collaborais avec de nombreux journalistes, qui arrivaient à Santiago, afin que le monde sache ce qui se passait au Chili.
Je n'oublierai jamais la fois que l'ambassadeur canadien à Santiago, Andrew Ross, refusait de nous ouvrir la porte.
J'étais avec un médecin chilien, qui occupait un haut poste dans le gouvernement de Salvador Allende, sa femme, et leur nouveau-né de six mois. Nous avions beau expliquer à M. Ross que ce médecin risquait emprisonnement, torture, et même exécution, et le supplier de faire preuve d'un peu d'humanité, il n'y avait rien à faire.
« Les gens ne s'énervent pour rien. Le gouvernement ne fait que sévir contre les malfaiteurs », insistait-il, en refusant de donner refuge à cette famille.
Cette froideur et hypocrisie devant autant de souffrance humaine me scandalisaient et me révoltaient.
Notre ambassadeur canadien, je le savais, appuyait le coup d'État et s'en réjouissait. Comme d'ailleurs Washington qui avait tout fait, financièrement et diplomatiquement, et ce, depuis longtemps, pour assurer son succès. La CIA offrait même aux militaires chiliens des instructions au sujet des méthodes de torture les plus efficaces.
Lorsque nous écoutions la radio internationale de Washington, Voice of America, ce poste ne faisait que répéter comme un perroquet la version que diffusait quotidiennement les militaires chiliens. Une version incroyablement falsifiée des faits.
Mes amis étatsuniens me racontaient que lorsque certains d'entre eux se présentaient à l'ambassade des États-Unis à Santiago, on leur disait, pour calmer leur désarroi et peur, « Take a bufferin ! »
Lorsque l'Afrique du Sud, décembre dernier, accusait Israël de génocide et demandait à la Cour internationale de justice d'adopter des mesures provisoires, le président Joe Biden et son secrétaire d'État Antony Blinken firent immédiatement une déclaration en conférence de presse. Cette accusation « ne repose sur aucune base factuelle », ont-ils affirmé.
Et le président israélien Benjamin Nétanyahou a fait de même.
« Nous vivons dans un monde à l'envers », affirma-t-il. « C'est le Hamas terroriste qui commet un génocide contre le peuple juif ».
Le jour même où la Cour internationale de justice rend son jugement discréditant complètement, et Washington et Israël, apparaît soudainement, comme par magie, cette allégation au sujet de douze employés de l'UNRWA. Washington suspend immédiatement son financement à cette organisation, et, dans l'espace de quelques minutes, ce qui fait la une dans les journaux des principales puissances occidentales, ce n'est plus l'arrêt de la Cour internationale de justice, mais l'affaire UNRWA et la suspension immédiate du financement de cette organisation, d'abord par les États-Unis et bientôt par toute une série de pays, dont le Canada !
La très réputé BBC, par exemple, consacre huit minutes à présenter les allégations non prouvées d'Israël au sujet de douze employés de l'UNRWA et beaucoup moins de minutes à présenter l'arrêt tout à fait historique de la Cour internationale de justice. La chaîne de télévision CNN, rapporte le Guardian du 5 février, est confrontée à une levée de boucliers de la part de son propre personnel en raison de politiques éditoriales qui ont conduit à une régurgitation de la propagande israélienne et à la censure des points de vue palestiniens dans la couverture de la guerre à Gaza.
Pourquoi le Canada refuse-t-il d'appuyer, comme l'ont fait plusieurs autres pays, l'arrêt de la Cour internationale de justice ? Pourquoi accorde-t-il spontanément crédibilité, par ailleurs, aux allégations non-prouvées d'Israël ? Des allégations possiblement fondées sur des confessions obtenues de prisonniers palestiniens soumis à la torture, ou sur des textos et courriels inventés de toute pièce ? Des allégations, en plus, faites par un pays fort connu pour sa maltraitance des prisonniers palestiniens, incluant la torture, et pour sa production d'affirmations fausses, surtout en temps de guerre, qui s'effondrent par la suite ?
Quelles hypocrisie, immoralité, et même sadisme que de couper les vivres à l'UNRWA ! La principale agence onusienne fournissant de l'aide humanitaire à 6 millions de Palestiniens et qui a 13 000 employés à Gaza, cette bande pas plus grande que la moitié de la ville de New York, et qui se trouve en plein milieu d'une catastrophe humanitaire qui arrache le cœur ?
On peut difficilement se réjouir du fait que le Canada, après avoir suspendu son financement de l'UNRWA, décide d'accorder $40 millions à d'autres organisations qui viennent en aide aux Gazaouis.
« Il est inacceptable de suspendre le financement humanitaire en pleine crise de la seule organisation capable de fournir un soutien humanitaire efficace à ceux qui en ont besoin, » affirme la députée libérale à la Chambre des communes Salma Zahid. « Ternir l'ensemble de l'UNRWA à cause d'allégations concernant quelques employés équivaut à une punition collective des Palestiniens. »
Aussi encourageant que cela puisse paraître, on peut difficilement se réjouir non plus du fait que Joe Biden décide, le 1 février, d'imposer des sanctions aux colons israéliens accusés d'actes violents en Cisjordanie et que le Canada songe à imiter ce geste.
On doit se rappeler que Washington n'a jamais remis en question la légalité des colonies juives dans les territoires occupés. Ni le système d'apartheid imposé depuis fort longtemps à de millions de Palestiniens dans ces territoires. Depuis 1973, Washington offre à Israël un soutien sans équivoque, utilisant au moins 53 fois son droit de véto à l'ONU pour rejeter des résolutions – pourtant toujours acceptées par une écrasante majorité de pays - condamnant la violence contre les manifestants palestiniens et les colonies israéliennes illégales en Cisjordanie occupée. Sous le gouvernement d'extrême droite de Nétanyahou, et surtout depuis les attaques du Hamas du 7 octobre, cette violence en Cisjordanie n'a fait qu'augmenter. Le bureau humanitaire de l'ONU recensait 494 attaques jusqu'au 31 janvier, attaques souvent faites avec la complicité grossière des militaires israéliens, lors desquels 1 000 Palestiniens furent expulsés de leurs maisons et leur terre.
À cause des nombreuses colonies illégales, les terres palestiniennes de Cisjordanie se trouvent présentement découpées en 165 enclaves distinctes.
Comment, dans un tel contexte, penser à la création d'un État palestinien viable et d'un seul tenant ?
Joe Biden impose des sanctions à certains colons israéliens, mais pas aux principaux auteurs intellectuels de leur violence, les ministres israéliens Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich. Il n'impose pas de sanctions à Benjamin Nétanyahou. Ni aux généraux qui larguent des bombes de 2 000 lb, gracieuseté de Washington, à Gaza. Il ne s'engage pas à ne point utiliser son veto à une possible résolution du Conseil de sécurité pressant Israël de se conformer aux mesures provisoires de la Cour internationale de justice afin d'éviter de contribuer à un génocide plausible.
Lorsque je vois Joe Biden demander au Congrès d'approuver une aide de $17 milliards pour Israël, sans exiger que cette aide soit conditionnelle au respect des droits fondamentaux du peuple palestinien... Lorsque je l'entends, dans une conférence de presse où il apparaît envahi d'émotion, s'apitoyer sur le sort des 130 otages toujours détenus par le Hamas à Gaza, en omettant d'exprimer si ce n'est qu'un iota de compassion au sujet des 27 000 Gazaouis tués - la plupart enfants et femmes, des 66 000 blessés, des 25 000 enfants devenus orphelins et des centaines de milliers traumatisés à vie, des dix enfants par jour qui se font amputer un membre sans être anesthésiés, de la démolition par bombe de 70% de l'infrastructure à Gaza, du déplacement forcé de 85% de la population, d'une catastrophe humanitaire d'épidémie et de famine...
Lorsque je vois tout cela, c'est comme si je me retrouvais encore une fois devant Andrew Ross en septembre 1973 au Chili, avec le médecin chilien, Roberto Bellemare et sa famille. J'entends notre ambassadeur dire à Roberto :
« Ta peur d'être détenu, torturé, et peut-être exécuté n'a aucune base factuelle. It is meritless ! »
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