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A propos de la dernière livraison de Michel Goya qui porte sur l’incursion ukrainienne dans l’oblast de Koursk (1).
Michel Goya, s'appuyant sur le modèle tactique des Egyptiens en 1973 établissant une tête de pont sur le canal de Suez face à Israël, penche pour envisager cette opération comme relevant d'une "occupation territoriale limitée" créant une ligne de front à tenir. Limitée pour pouvoir être "défendable opérationnellement" en évitant d'être prise à revers, en particulier sur les flancs.
Août 2024
(1) https://lavoiedelepee.blogspot.com/2024/08/des-coups-et-des-douleurs.html
L'enjeu pour les Ukrainiens, selon lui, est surtout de ne pas trop s'aventurer vers le nord car, en lien avec le risque précité de s'exposer aux attaques russes, il leur faudrait mobiliser trop de troupes pour un gain stratégique trop faible :
"En stratégie comme dans beaucoup d'autres choses, il faut savoir où s'arrête ce qui suffit. Avancer par exemple jusqu'à Koursk, une cinquantaine de kilomètres au-delà de la ligne de contact actuelle, nécessiterait d'augmenter encore le nombre de brigades engagées afin de maintenir une densité minimale de force. Il ne faudrait pas se contenter en effet d'une flèche en direction de la capitale de la province, mais bien d'avoir une poche suffisamment large pour écarter les menaces d'attaque de flanc ou simplement les frappes sur un axe logistique unique. Il faudrait deux fois plus de brigades qu'actuellement déployées pour tenir cette zone, ce qui paraît difficile lorsqu'on combat déjà en flux tendus, pour finalement arriver devant une ville de plus de 400 000 habitants dont la saisie demanderait sans doute encore plus de forces et de temps. Tout cela nécessiterait également le déplacement en Russie de tout l'échelon d'appui d'artillerie et de défense sol-air avec les contraintes qui cela implique."
En clair "La plupart des gains stratégiques ont déjà été obtenus et contrôler 4 000 ou 6 000 km2 au lieu des 2 000 qui peuvent être espérés à court terme ne les multiplierait pas par deux ou trois."
Une opération militaire pour des gains stratégiques "d'abord" politiques
Michel Goya, pourtant spécialiste reconnu des questions proprement militaires, ne cède pas, pour autant, au mirage de mesurer l'action ukrainienne à Koursk prioritairement en termes militaires : "Les gains stratégiques, écrit-il, sont déjà considérables et d'abord politiques."
Elle prend en effet Poutine au piège de ne pas vouloir jouer à 100 % la carte d'une guerre, dont, significativement, il ne veut pas dire le nom, qui l'obligerait, vu la résistance des Ukrainiens, à une mobilisation générale de la population. Laquelle mobilisation générale serait grosse précisément de risques politiques vis-à-vis d'une population, celle des zones les plus urbaines et développées du pays (les "épargnés de la guerre" dit l'auteur), restant...l'arme au pied tant que ce ne sont que des populations parmi les plus pauvres qui payent le prix du sang d'une "opération spéciale" terriblement dévoreuse de chair à canon : "Vladimir Poutine a finalement montré qu'il avait finalement plus peur des réactions internes à une mobilisation guerrière que des Ukrainiens."
Cette phrase résume à merveille le poids du politique, en dynamique interne à la Russie, qui surdétermine, pour Michel Goya, la dynamique militaire de la guerre en Ukraine dont Poutine souhaite profondément qu'elle ne rencontre pas, pour s'articuler avec elle, ladite dynamique interne. Rencontre qui est l'un des objectifs parmi les plus prioritaires pour les Ukrainiens qui donne sa signification à l'incursion de Koursk. Incursion appelée donc à transmuter en stabilisation des gains territoriaux dont il faut rappeler qu'en ce 29 août, les 1300 km2 conquis, pour près de 100 localités prises, en 23 jours sont supérieurs aux km2 occupés dans le Donbass par les Russes...depuis le début de l'année.
Michel Goya insiste sur cet aspect politique de la relation sur le fil existant entre Poutine et sa population dans la fraction qu'il ne veut pas voir percutée par les conséquences de la guerre. Cette guerre dont, au demeurant tout montre qu'il peine à donner l'impression qu'elle est la grande épopée qu'il claironne et qui ne réjouit que ses fans à l'international au degré d'intelligence politique particulièrement bas pour cause d'imprégnation propagandiste bien trop avancée. A ce propos, on ne peut que constater que constater comment le flot d'envolées patriotiques que le Kremlin déverse pour justifier une guerre qui n'en est pas une fait flop pour créer un minimum d'exaltation dans le pays. La totale dépossession politique de la population par l'Etat dictatorial se paye, par-delà des effets de surface médiatiques, d'une scission entre celle-ci et ledit Etat contrecarrant toute velléité d'engagement populaire massif et consentant, pour y mourir, dans le front ukrainien. Pire pour défendre la patrie de l'intrusion "terroriste" du pays en cours à Koursk : "Comme le soulignait la sociologue Anna Colin-Lebedev, le contraste avec la réaction de la population ukrainienne aux attaques russes en Crimée et dans le Donbass en 2014-2015 est saisissant. On n'assiste pas par exemple à la formation spontanée de bataillons d'autodéfense à la frontière avec l'Ukraine, la faute à une longue stérilisation politique et un transfert complet et admis de l'emploi de la force aux services de l'État. "
C'est toute cette profonde dimension politique, que les pro-russes du monde ne souhaitent pas voir mis en évidence, qui est pour Michel Goya probablement "l'enseignement majeur de cette opération" de Koursk.
L'Ukraine a forcé la main de ses alliés contre les lignes rouges, le feu vert
L'autre aspect important de ce qu'a mis en oeuvre l'Ukraine à Koursk est le coup de force par lequel celle-ci a franchi ce qui est probablement et paradoxalement la seule vraie "ligne rouge" dans cette guerre. Paradoxalement parce qu'elle est celle dont les alliés font profiter les Russes aux dépens des Ukrainiens : à savoir l'interdiction de leur laisser le feu vert pour viser les sites sur sol russe où Poutine tient bien au chaud ses armes de destruction massive de l'Ukraine. Eh bien, c'est exactement cette ligne rouge qui a volé en éclat à Koursk, les Ukrainiens s'étant ouvertement affranchis pour l'occasion du veto de ces bien curieusement autolimitateurs alliés-limitateurs du potentiel de défense de l'agressé qu'ils soutiennent "pleinement", disent-ils !
"Cet emploi [d'armes et d'équipements alliés] n'a pas, comme c'était prévisible, provoqué la foudre russe sur le territoire des pays fournisseurs, et ceux-ci sont obligés de suivre. On n'imagine pas en effet de se ridiculiser en demandant le retour immédiat des véhicules Marder allemands ou Stryker américain, voire VAB français, sur le sol ukrainien ou d'interdire d'utiliser les lance-roquettes HIMARS ou les bombes AASM après leur démonstration d'efficacité contre les forces ennemies sur le sol russe. C'est une autre évolution considérable qui peut, en liaison avec la décision américaine de fournir également des missiles air-sol à longue portée, peut doper la campagne de frappes ukrainienne."
Michel Goya se permet, au passage, de faire ce rappel cinglant : "Au regard de cette impuissance russe de matamore, on ne peut au passage n'avoir que des regrets sur la faiblesse de notre attitude face à la Russie depuis des années et particulièrement juste avant la guerre en 2022. On ne parlait que de « dialogue » comme attitude possible face à la Russie dans nos documents, affublé parfois de « ferme », mais timidement parce qu'on avait supprimé tous les moyens qui permettaient de l'être. Nous avons cru la Russie forte et nous nous savions faibles, nous avons donc été lâches et longtemps encore après que la guerre a commencé. Pour paraphraser Péguy, nous avons expliqué que nous voulions conserver nos mains pures pour cacher que nous n'avions plus de mains.".
En conclusion de ces lignes de présentation de certains points forts de l'analyse de l'auteur, je renvoie, à l'analyse qui y est faite de l'atout que représentent les frappes en profondeur par drones par lesquelles les Ukrainiens profitent de l'incurie défensive des Russes. Lesquels, "nouvelle source d'étonnement", "n'ont toujours pas bétonné leurs bases aériennes et beaucoup d'autres objectifs sensibles sur leurs arrières."
On gagnera aussi à s'arrêter à la qualification de « guerre de corsaires » par laquelle les Ukrainiens "évitent autant que possible d'attaquer sur le front difficile du Donbass pour privilégier partout ailleurs les raids ou parfois les conquêtes terrestres et les frappes". A Koursk donc mais aussi ailleurs. Par où l'on peut déduire que cet évitement du frontal fixateur de moyens, au demeurant asymétriques, au profit d'opérations coups de poing ici et là participerait, autre paradoxe dans la série des paradoxes de cette guerre, de la volonté de créer les conditions militaro-diplomatiques pour que le politique, qui est au coeur de cette « guerre de corsaires » à la façon ukraino-kourskienne, pèse de tout son poids pour aider à neutraliser tout ou, au moins, partiellement de manière consistante, ce que les Russes auront conquis laborieusement et à grands frais de chair à canon, de destructions territoriales et de matériels dans le Donbass comme dans le reste des territoires occupés, Crimée comprise.
Il reste que, toujours selon notre analyste, cette « guerre de corsaires », si elle vise à créer du rapport de force militaire-diplomatique, qu'on comprend nécessaire à la stratégie actuelle de Zélensky de promouvoir à l'international un plan de paix, ne saurait se dispenser de créer les conditions d'un affaiblissement proprement militaire des Russes : "La guerre de corsaires à l'ukrainienne a de beaux jours devant elle, multipliant les coups afin d'user l'adversaire et de remonter le moral de tous à coups de communiqués de victoires. Pour autant, pour gagner vraiment une guerre il faut livrer des batailles et planter des drapeaux sur des villes et on attend les Ukrainiens surtout dans le Donbass." J'ajouterai qu'on attendra avec les Ukrainiens, dans le Donbass et plus, que l'effet Koursk parvienne à provoquer le déblocage nécessaire du côté des alliés pour qu'enfin ils se décident, au vu de la prouesse ukrainienne dans cet oblast russe, à donner les moyens de casser décisivement les meurtriers outils militaires russes dans la profondeur.
Antoine
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« Le Hezbollah et l’Iran sont face à un véritable défi »
« La véritable décision est à Téhéran » et « franchir un certain seuil dans la riposte c'est risquer un embrasement général, une véritable guerre non-seulement contre Israël mais aussi contre les États-Unis », estime Gilbert Achcar, professeur en relations internationales, sur France 24 le 4 août 2024.
18 août 2024 |tiré du site d'Inprecor
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En Cisjordanie, Israël continue de mépriser ouvertement le droit international
Ce 28 août à une heure du matin, Israël a lancé une opération militaire de très grande ampleur en Cisjordanie occupée, honteusement appelé « Camp d'été ». Une opération menée sous couverture aérienne complète, la police des frontières et les forces spéciales. Avec de plus en plus d'arrogance, Israël franchit toutes les lignes rouges les unes après les autres sans la moindre réaction de ses alliés
Tiré du blogue de l'auteur.
Alors qu'Israël poursuit implacablement le génocide à Gaza depuis bientôt 11 mois, ce 28 août à une heure du matin, Israël a lancé une opération militaire de très grande ampleur en Cisjordanie occupée, honteusement appelé « Camp d'été ». Une opération menée sous couverture aérienne complète, qui implique le Shin Beit (service de sécurité intérieure israélien), la police des frontières et les forces spéciales. Selon les médias israéliens, cette nouvelle « campagne d'éradication » devrait mobiliser des milliers de soldats et durer plusieurs jours. Elle est d'une ampleur inégalée depuis la répression de la seconde Intifada de 2000 à 2004.
Cette offensive est lancée alors que le 19 juillet, la Cour internationale de justice a statué que l'occupation par Israël du territoire palestinien est illégale et qu'elle doit cesser le plus rapidement possible. Depuis le 19 juillet, aucun des alliés et soutiens inconditionnels d'Israël (dont la France et l'Union européenne) n'a manifesté la moindre intention de mettre fin à l'impunité d'Israël et de le contraindre de mettre fin à cette occupation illégale. Le message a été reçu cinq sur cinq par Israël : un feu vert pour aller au-delà de l'occupation et concrétiser l'annexion de facto de la Cisjordanie.
Les chefs militaires israéliens ont informé les Palestiniens que « les portes de l'enfer étaient ouvertes ». Le ministre israélien des Affaires étrangères a déclaré qu'il s'agissait d'une guerre totale, et qu'Israël doit faire en Cisjordanie ce qu'il fait à Gaza : transférer temporairement la population des lieux ciblés. Les Palestiniens savent depuis 76 ans ce que veut dire un déplacement prétendument temporaire : il s'agit d'un nettoyage ethnique sans retour possible.
En quelques heures, cinq gouvernorats (dont ceux de Naplouse, Jénine, Tubas et Tulkarem) et la moitié de la Cisjordanie étaient sous le coup de l'invasion militaire : au moins douze Palestiniens avaient été assassinés (dix-sept 24 heures après), victimes de bombardements aériens sur leurs maisons ou véhicules, ou de tireurs d'élite.
Cibles prioritaires : les camps de réfugiés où la résistance à l'occupation est particulièrement active. En quelques heures ce sont les camps de Balata et New Askar à Naplouse mais surtout de Jénine, de Nour Shams à Tulkarem et de Al-Far'a à Tubas qui ont subi les attaques les plus violentes avec des assassinats ciblés, la destruction des infrastructures des camps, arrestation et interrogatoires de masse, fouilles des maisons, blocage des hôpitaux et des centres de soins, détention des personnels médicaux, rupture des communications du Croissant rouge, appel aux habitants à quitter leurs maisons.
Il est clair que dans l'esprit du gouvernement israélien, le génocide en cours depuis le 7 octobre à Gaza ne se limitera pas à la bande de Gaza. Israël ne fait pas la guerre au Hamas, il fait la guerre à tout le peuple palestinien. Il est clair qu'il s'agit ici du prélude à une opération beaucoup plus vaste dont l'objectif est l'annexion définitive de la Cisjordanie.
En s'en prenant prioritairement aux foyers de résistance que sont les camps de réfugiés, c'est une tentative de soumission de la Cisjordanie que vise Israël. C'est mal connaître la détermination du peuple palestinien qui n'aura de cesse de faire valoir son droit à l'autodétermination.
Rappelons que la Cisjordanie est un territoire occupé et qu'Israël, puissance occupante, en vertu de la quatrième convention de Genève doit assurer la sécurité de la population qu'elle occupe. Au lieu de cela, elle y impose un régime d'apartheid, y opère un nettoyage ethnique constant, des destructions massives et colonise toujours plus de terres. Rappelons également que la population palestinienne, vivant sous occupation militaire, a le droit de résister à cette occupation comme elle l'entend, dans le cadre du droit international.
Avec de plus en plus d'arrogance, Israël franchit toutes les lignes rouges les unes après les autres sans la moindre réaction de ses alliés. Les pays occidentaux portent une énorme responsabilité : par leur silence et leur inaction, par leur refus de sanctionner Israël, ils se rendent de fait complices des crimes de guerre israéliens, des crimes contre l'humanité, et de non prévention de génocide, ainsi que de l'occupation illégale de la Palestine. Il faut d'urgence contraindre cet État au respect du droit et apporter protection au peuple palestinien.
Le Bureau National de l'AFPS, le 29 août 2024
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Entre famine et épidémies, comment Israël accentue la crise humanitaire à Gaza
Au bout de dix mois d'une opération militaire et de frappes sur Gaza, l'ONU a dû suspendre pour la première fois ses activités, lundi 26 août, devant les ordres d'évacuation systématique émis par les forces israéliennes. Face aux cas de malnutrition, de famine et d'épidémies qui explosent, un cessez-le-feu immédiat est impératif.
Proposé par André Cloutier
Par Vadim Kamenka <https://www.humanite.fr/auteur/vadi...> , L'Humanité, France, le 27août 2024
www.humanite.fr/monde/aide-humanitaire/entre-famine-et-epidemies-comment-israel-accentue-la-crise-humanitaire-a-gaza <http://www.humanite.fr/monde/aide-h...>
Après dix mois de frappes israéliennes et d'opération militaire, les habitants de la bande de Gaza ont assisté à une suspension des opérations humanitaires de l'ONU, lundi soir. C'est la première fois depuis le 7 octobre que les Nations unies doivent s'y résoudre. Leur poste à Deir el-Balah, dans le centre du territoire, a été décrété « zone dangereuse de combats » par les forces israéliennes, entraînant l'évacuation de l'ensemble de leur personnel, des travailleurs humanitaires et des ONG.
« Cette décision remet en cause tout un centre humanitaire qui avait été mis en place à Deir el-Balah à la suite de l'évacuation de Rafah (sud) en mai dernier, et elle a un impact considérable sur notre capacité à fournir un soutien et des services essentiels », a déploré l'Ocha (bureau des affaires humanitaires de l'ONU).
*95 % de la population en insécurité alimentaire*
Près de 250 000 personnes sur les presque un million que compte actuellement la cité ont déjà fui vers l'ouest. Selon l'ONU, les 1,9 million de déplacés internes sur les 2,4 millions de Gazaouis tentent de se réfugier dans les 11 % du territoire échappant à toute évacuation forcée. Seize ordres israéliens ont déjà été lancés depuis le début du mois d'août.
Seules les équipes de l'Unrwa ( l'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens ), qui sont déjà présentes dans les campements, peuvent encore aider un peu les civils. Mais cette aide représente « une demi-goutte d'eau dans l'océan », a dénoncé Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général de l'ONU, face au désastre humanitaire et sanitaire. 95 % de la population est en insécurité alimentaire aiguë. 70 % des infrastructures ont été détruites. Plus de 40 000 Palestiniens ont été tués, dont la majorité sont des femmes et des mineurs.
*Le risque d'une épidémie de polio*
Le seul moyen de répondre de manière globale aux besoins humanitaires et de protection est d'instaurer un cessez-le-feu immédiat et durable. D'autres problèmes sanitaires sont également soulevés par Handicap International. L'ONG alerte sur le risque d'épidémie de polio dans l'enclave palestinienne, qui ne dispose plus que de 1 400 lits d'hôpital pour 2,1 millions de personnes. Si l'infection vise principalement les enfants de moins de 5 ans, elle touche toute personne non vaccinée.
L'organisation pointe dans la réapparition de la poliomyélite « le résultat de la paralysie du secteur de la santé, de la destruction systématique par Israël des infrastructures d'approvisionnement en eau et d'assainissement, aggravée par les restrictions imposées aux réparations et à l'accès aux approvisionnements ».
Pour les enfants, le stress de cette épidémie, qui s'ajoute à tout ce qu'ils ont déjà vécu, ne manquera pas d'exacerber les troubles mentaux existants, note également Handicap. De leur côté, l'OMS et l'Unicef réclament une pause humanitaire afin de permettre la tenue de deux séries de campagnes de vaccination pour 640 000 enfants de moins de 10 ans.
À ces atrocités s'ajoute une enquête publiée ce mardi par Amnesty International, qui révèle deux nouveaux crimes de guerre commis par les forces israéliennes en mai sur Rafah. Une première frappe a visé, le 26 mai, le « camp de la paix koweïtien » pour personnes déplacées à Tal al-Sultan, dans l'ouest de la ville, faisant au moins 36 morts et des centaines de blessés, principalement des civils. Une autre, le 28 mai, dans le quartier d'Al-Mawasi, pourtant désigné par Tel-Aviv comme faisant partie de la « zone humanitaire », a tué 23 civils, dont 12 enfants, sept femmes et quatre hommes.
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En tant qu’ancien soldat de l’armée israélienne et historien du génocide, j’ai été profondément troublé par ma récente visite en Israël
Cet été, des étudiants d'extrême droite ont protesté contre l'une de mes conférences. Leur rhétorique rappelait certains des moments les plus sombres de l'histoire du XXe siècle et recoupait de manière choquante les opinions de la majorité israélienne.
Tiré du quotidien The Guardian (en anglais). Traduction française par l'Association France Palestine Solidarité. Photo : © UNICEF/UNI580047/El Baba
Le 19 juin 2024, je devais donner une conférence à l'Université Ben-Gourion du Néguev (BGU) à Be'er Sheva, en Israël. Ma conférence faisait partie d'un événement sur les manifestations universitaires mondiales contre Israël, et j'avais prévu d'aborder la guerre à Gaza et, plus généralement, la question de savoir si les manifestations étaient des expressions sincères d'indignation ou si elles étaient motivées par l'antisémitisme, comme certains l'ont prétendu. Mais les choses ne se sont pas déroulées comme prévu.
Lorsque je suis arrivé à l'entrée de l'amphithéâtre, j'ai vu un groupe d'étudiants se rassembler. Il s'est rapidement avéré qu'ils n'étaient pas là pour assister à l'événement, mais pour protester contre celui-ci. Les étudiants avaient été convoqués, semble-t-il, par un message WhatsApp diffusé la veille, qui signalait la conférence et appelait à l'action : "Nous ne le permettrons pas ! Jusqu'à quand allons-nous nous trahir nous-mêmes ?!?!?!?!!"Le message poursuivait en alléguant que j'avais signé une pétition décrivant Israël comme un "régime d'apartheid" (en fait, la pétition faisait référence à un régime d'apartheid en Cisjordanie). J'étais aussi "accusé" d'avoir écrit un article pour le New York Times, en novembre 2023, dans lequel je déclarais que, bien que les déclarations des dirigeants israéliens suggéraient une intention génocidaire, il était encore temps d'empêcher Israël de perpétrer un génocide. Sur ce point, j'étais coupable.
L'organisateur de l'événement, l'éminent géographe Oren Yiftachel, était critiqué de la même maniéré. Parmi ses crimes, avoir été directeur de l'organisation "antisioniste" B'Tselem, une ONG de défense des droits de l'homme respectée dans le monde entier.Alors que les participants à la table ronde et une poignée de professeurs, pour la plupart âgés, pénétraient dans la salle, les agents de sécurité empêchèrent les étudiants protestataires d'entrer. Mais ils ne les ont pas empêchés de garder la porte de l'amphithéâtre ouverte, de lancer des slogans dans un porte-voix et de frapper de toutes leurs forces sur les murs.
Après plus d'une heure de perturbations, nous avons convenu que la meilleure solution serait peut-être de demander aux étudiants protestataires de se joindre à nous pour une conversation, à condition qu'ils cessent de perturber la conférence. Un bon nombre de ces militants ont fini par entrer et, pendant les deux heures qui ont suivi, nous nous sommes assis et avons discuté. Il s'est avéré que la plupart de ces jeunes hommes et femmes venaient de rentrer du service de réserve, au cours duquel ils avaient été déployés dans la bande de Gaza.Cela n'a pas été un échange de vues amical ou "positif", mais il était révélateur. Ces étudiants n'étaient pas nécessairement représentatifs du corps étudiant en Israël dans son ensemble.
C'étaient des militaient d'organisations d'extrême droite. Mais a bien des égards, ce qu'ils disaient reflétait un sentiment beaucoup plus répandu dans le pays.
Je ne m'étais pas rendu en Israël depuis juin 2023, et lors de cette récente visite, j'ai trouvé un pays différent de celui que j'avais connu. Bien que j'aie travaillé à l'étranger pendant de nombreuses années, c'est en Israël que je suis né et que j'ai grandi. C'est là que mes parents ont vécu et sont enterrés ; c'est là que mon fils a fondé sa propre famille et que vivent la plupart de mes amis les plus anciens et les meilleurs. Connaissant le pays de l'intérieur et ayant suivi les événements encore plus attentivement que d'habitude depuis le 7 octobre, je n'ai pas été entièrement surpris par ce que j'ai rencontré à mon retour, mais c'était tout de même profondément troublant.
Pour réfléchir sur ces questions, je ne peux que m'appuyer sur mon parcours personnel et professionnel. J'ai servi dans les forces de défense israéliennes (FDI) pendant quatre ans, y compris lors de la guerre du Kippour de 1973 et d'affectations en Cisjordanie, dans le nord du Sinaï et à Gaza, et j'ai terminé mon service en tant que commandant de compagnie d'infanterie. Pendant mon séjour à Gaza, j'ai vu de mes yeux la pauvreté et le désespoir des réfugiés palestiniens essayant de survivre dans des quartiers encombrés et décrépits. Je me souviens comme si c'était hier avoir patrouillé dans les rues silencieuses et sans ombre de la ville égyptienne d'Arīsh - qui était alors occupée par Israël -, transpercé par les regards de la population craintive et rancunière qui nous observait depuis leurs fenêtres fermées. Pour la première fois, j'ai compris ce que signifiait occuper un autre peuple.
Le service militaire est obligatoire pour les Israéliens juifs à partir de 18 ans - bien qu'il y ait quelques exceptions - mais, ensuite, vous pouvez encore être appelé à servir à nouveau dans les FDI, pour des tâches d'entraînement ou opérationnelles, ou en cas d'urgence comme une guerre. Lorsque j'ai été appelé en 1976, j'étais étudiant à l'université de Tel Aviv. Lors de ce premier déploiement en tant qu'officier de réserve, j'ai été gravement blessé dans un accident d'entraînement, ainsi qu'une vingtaine de mes soldats. Les FDI ont dissimulé les circonstances de cet événement, causé par la négligence du commandant de la base d'entraînement. J'ai passé la majeure partie de ce premier semestre à l'hôpital de Be'er Sheva, mais j'ai repris mes études et obtenu mon diplôme en 1979 avec une spécialisation en histoire.
Ces expériences personnelles m'ont amené à m'intéresser d'autant plus à une question qui me préoccupait depuis longtemps : qu'est-ce qui motive les soldats à se battre ? Dans les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, de nombreux sociologues américains ont soutenu que les soldats se battaient avant tout les uns pour les autres, plutôt que pour un objectif idéologique plus important. Mais cela ne correspondait pas tout à fait à ce que j'avais vécu en tant que soldat : nous étions convaincus que nous étions là pour une cause plus vaste qui dépassait notre propre groupe de copains. A l'époque où j'ai obtenu mon diplôme de premier cycle, j'ai également commencé à me demander si, au nom de cette cause, les soldats pouvaient être amenés à agir d'une manière qu'autrement ils jugeraient répréhensible.
Considérant le cas le plus extrême, j'ai écrit ma thèse de doctorat à Oxford, publiée plus tard sous forme de livre, sur l'endoctrinement nazi de l'armée allemande et les crimes qu'elle a perpétrés sur le front de l'Est au cours de la Seconde Guerre mondiale. Ce que j'ai découvert allait à l'encontre de la manière dont les Allemands des années 1980 comprenaient leur passé. Ils préféraient penser que l'armée avait mené une guerre "décente", même si la Gestapo et les SS avaient perpétré un génocide "dans son dos". Il a fallu de nombreuses années aux Allemands pour réaliser à quel point leurs propres pères et grands-pères avaient été complices de l'Holocauste et du massacre de nombreux autres groupes en Europe de l'Est et en Union soviétique.
Lorsque la première intifada palestinienne, ou soulèvement, a éclaté à la fin de 1987, j'enseignais à l'université de Tel-Aviv. J'ai été consterné par les instructions données par Yitzhak Rabin, alors ministre de la défense, aux FDI de "casser les bras et les jambes" des jeunes Palestiniens qui lançaient des pierres sur des troupes lourdement armées. Je lui ai écrit une lettre pour l'avertir que, sur la base de mes recherches sur l'endoctrinement des forces armées de l'Allemagne nazie, je craignais que, sous sa direction, les FDI ne s'engagent sur une voie également glissante.
Comme mes recherches l'avaient montré, avant même leur conscription, les jeunes Allemands avaient intériorisé des éléments fondamentaux de l'idéologie nazie, en particulier l'idée que les masses slaves sous-humaines, dirigées par d'insidieux Juifs bolcheviques, menaçaient l'Allemagne et le reste du monde civilisé de destruction, et que l'Allemagne avait donc le droit et le devoir de se créer un "espace vital" à l'est et de décimer ou de réduire en esclavage la population de cette région. Cette vision du monde a ensuite été inculquée aux troupes, de sorte qu'au moment de marcher sur l'Union soviétique, elles perçoivent leurs ennemis à travers ce prisme. La résistance acharnée de l'Armée rouge n'a fait que confirmer la nécessité de détruire totalement les soldats aussi bien que les civils soviétiques, et plus particulièrement les Juifs, considérés comme les principaux instigateurs du bolchevisme. Plus elles détruisaient, plus les troupes allemandes craignaient la vengeance à laquelle elles pouvaient s'attendre si leurs ennemis l'emportaient. Le résultat fut le massacre de près de 30 millions de soldats et de citoyens soviétiques.
À mon grand étonnement, quelques jours après lui avoir écrit, j'ai reçu une réponse d'une ligne de Rabin, me reprochant d'avoir osé comparer les FDI à l'armée allemande. Cela m'a donné l'occasion de lui écrire une lettre plus détaillée, expliquant mes recherches et mon inquiétude quant à l'utilisation des FDI comme outil d'oppression contre des civils occupés non armés. Rabin a répondu une nouvelle fois, avec la même déclaration : "Comment osez-vous comparer les FDI à la Werhrmacht ? Mais rétrospectivement, je crois que cet échange a révélé quelque chose sur son parcours intellectuel ultérieur. En effet, comme nous le savons par son engagement ultérieur dans le processus de paix d'Oslo, aussi imparfait soit-il, il a fini par reconnaître qu'à long terme Israël ne pouvait pas supporter le prix militaire, politique et moral de l'occupation.
Depuis 1989, j'enseigne aux États-Unis. J'ai beaucoup écrit sur la guerre, le génocide, le nazisme, l'antisémitisme et l'Holocauste, cherchant à comprendre les liens entre le massacre industriel des soldats pendant la Première Guerre mondiale et l'extermination des populations civiles par le régime hitlérien. Entre autres projets, j'ai passé de nombreuses années à étudier la transformation de la ville natale de ma mère - Buchach en Pologne (aujourd'hui en Ukraine) - d'une communauté de coexistence interethnique en une communauté où, sous l'occupation nazie, les Gentils se sont retournée contre leurs voisins Juifs. Si les Allemands sont entrés dans la ville dans le but exprès d'assassiner ses Juifs, la rapidité et l'efficacité du massacre ont été grandement facilitées par la collaboration locale. Ces habitants étaient motivés par des ressentiments et des haines préexistants qui peuvent être attribués à la montée de l'ethno nationalisme au cours des décennies précédentes et à l'idée très répandue selon laquelle les Juifs n'appartenaient pas aux nouveaux États nations créés après la première guerre mondiale.
Dans les mois qui ont suivi le 7 octobre, ce que j'ai appris au cours de ma vie et de ma carrière est devenu plus douloureusement pertinent que jamais. Comme beaucoup d'autres, j'ai trouvé ces derniers mois émotionnellement et intellectuellement éprouvants. Comme beaucoup d'autres, des membres de ma propre famille et de celle de mes amis ont également été directement touchés par la violence. Le chagrin ne manque pas, quel que soit l'endroit où l'on se trouve.
L'attaque du Hamas du 7 octobre a été un choc terrible pour la société israélienne, dont elle n'a pas encore commencé à se remettre. C'était la première fois qu'Israël perdait le contrôle d'une partie de son territoire pendant une période prolongée, avec les FDI incapables d'empêcher le massacre de plus de 1 200 personnes - dont beaucoup ont été tuées de la manière la plus cruelle que l'on puisse imaginer - et la prise de bien plus de 200 otages, parmi lesquels de nombreux enfants. Le sentiment d'abandon par l'État et d'insécurité permanente - avec des dizaines de milliers de citoyens israéliens toujours déplacés de leurs maisons le long de la bande de Gaza et de la frontière libanaise - est profond.
Aujourd'hui, dans une grande partie de l'opinion publique israélienne, y compris chez les opposants au gouvernement, deux sentiments dominent.
Le premier est un mélange de rage et de peur, un désir de rétablir la sécurité à tout prix et une méfiance totale à l'égard des solutions politiques, des négociations et de la réconciliation. Le théoricien militaire Carl von Clausewitz notait que la guerre était le prolongement de la politique par d'autres moyens, et avertissait que sans objectif politique défini, elle conduirait à une destruction sans limite. Le sentiment qui prévaut actuellement en Israël menace également de faire de la guerre sa propre fin. Dans cette optique, la politique est un obstacle à la réalisation des objectifs plutôt qu'un moyen de limiter la destruction. C'est une vision qui ne peut que conduire à l'auto-anéantissement.
Le deuxième sentiment dominant - ou plutôt l'absence de sentiment - est le revers du premier. Il s'agit de l'incapacité totale de la société israélienne aujourd'hui à ressentir une quelconque empathie pour la population de Gaza. La majorité, semble-t-il, ne veut même pas savoir ce qui se passe à Gaza, et ce désir se reflète dans la couverture télévisée. Ces jours-ci, les informations télévisées israéliennes commencent généralement par des reportages sur les funérailles des soldats, invariablement décrits comme des héros, tombés dans les combats à Gaza, suivis par des estimations du nombre de combattants du Hamas qui ont été "liquidés". Les références aux morts de civils palestiniens sont rares et normalement présentées comme faisant partie de la propagande ennemie ou comme une cause de pression internationale malvenue. Face à tant de morts, ce silence assourdissant apparaît aujourd'hui comme une forme de vengeance.
Bien sûr, le public israélien s'est habitué depuis longtemps à l'occupation brutale qui a caractérisé le pays pendant 57 des 76 années de son existence. Mais l'ampleur des actes perpétrés actuellement à Gaza par les FDI est sans précédent, tout comme l'indifférence totale de la plupart des Israéliens à l'égard de ce qui est fait en leur nom. En 1982, des centaines de milliers d'Israéliens ont protesté contre le massacre de la population palestinienne dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila, à l'ouest de Beyrouth, par les milices chrétiennes maronites, avec l'aide des FDI. Aujourd'hui, une telle réaction est inconcevable. La façon dont le regard des gens devient vitreux dès que l'on évoque les souffrances des civils palestiniens et la mort de milliers d'enfants, de femmes et de personnes âgées est profondément troublante.
En rencontrant mes amis en Israël cette fois-ci, j'ai souvent eu l'impression qu'ils avaient peur que je perturbe leur chagrin et que, n'habitant pas le pays, je ne pouvais pas comprendre leur douleur, leur anxiété, leur perplexité et leur impuissance. Toute suggestion selon laquelle le fait de vivre dans le pays les avait anesthésiés face à la douleur des autres - douleur qui, après tout, était infligée en leur nom - n'entraînait qu'un mur de silence, un repli sur soi ou un changement rapide de sujet. L'impression que j'ai eue était constante : nous n'avons pas de place dans nos cœurs, nous n'avons pas de place dans nos pensées, nous ne voulons pas parler de ce que nos propres soldats, nos enfants ou petits-enfants, nos frères et sœurs, font en ce moment même à Gaza, ni qu'on nous le montre. Nous devons nous concentrer sur nous-mêmes, sur nos traumatismes, nos peurs et nos colères.
Dans une interview réalisée le 7 mars 2024, l'écrivain, agriculteur et scientifique Zeev Smilansky a exprimé ce sentiment d'une manière que j'ai trouvée choquante, précisément parce qu'elle venait de lui. Je connais Smilansky depuis plus d'un demi-siècle, et il est le fils du célèbre auteur israélien S Yizhar, dont la nouvelle Khirbet Khizeh de 1949 a été le tout premier texte de la littérature israélienne à affronter l'injustice de la Nakba, l'expulsion de 750 000 Palestiniens de ce qui est devenu l'État d'Israël en 1948. Parlant de son propre fils, Offer, qui vit à Bruxelles, Smilansky a commenté :
« Offer dit que pour lui, chaque enfant est un enfant, qu'il soit à Gaza ou ici. Je ne pense pas comme lui. Nos enfants ici sont plus importants pour moi. Il y a une catastrophe humanitaire choquante là-bas, je le comprends, mais mon cœur est bloqué et rempli de nos enfants et de nos otages... Il n'y a pas de place dans mon cœur pour les enfants de Gaza, si choquant et terrifiant que ce soit et bien que je sache que la guerre n'est pas la solution.
J'écoute Maoz Inon, qui a perdu ses deux parents [assassinés par le Hamas le 7 octobre] ... et qui parle avec tant de beauté et de persuasion de la nécessité de regarder vers l'avenir, d'apporter de l'espoir et de vouloir la paix, parce que les guerres ne mèneront à rien, et je suis d'accord avec lui. Je suis d'accord avec lui, mais je ne peux pas trouver la force dans mon cœur, malgré tous mes penchants de gauche et mon amour pour l'humanité, je ne peux pas... Ce n'est pas seulement le Hamas, ce sont tous les habitants de Gaza qui sont d'accord pour tuer des enfants juifs, pour dire que c'est une bonne cause... Avec l'Allemagne, il y a eu une réconciliation, mais ils se sont excusés et ont payé des réparations, et que va-t-il se passer ici ? Nous aussi, nous avons fait des choses terribles, mais rien de comparable à ce qui s'est passé ici le 7 octobre. Il sera nécessaire de se réconcilier, mais nous avons besoin d'une certaine distance. »
C'était un sentiment omniprésent chez de nombreux amis et connaissances libéraux et de gauche avec lesquels j'ai parlé en Israël. Il était, bien sûr, très différent de ce que les politiciens de droite et les figures médiatiques ont dit depuis le 7 octobre. Beaucoup de mes amis reconnaissent l'injustice de l'occupation et, comme l'a dit Smilansky, professent un "amour pour l'humanité". Mais en ce moment, dans ces circonstances, ce n'est pas sur cela qu'ils sont concentrés. Au contraire, ils estiment que dans la lutte entre la justice et l'existence, c'est l'existence qui doit l'emporter, et dans la lutte entre une cause juste et une autre - celle des Israéliens et celle des Palestiniens - c'est notre propre cause qui doit triompher, quel qu'en soit le prix. À ceux qui doutent de ce choix extrême, l'Holocauste est présenté comme l'alternative, bien qu'il soit totalement sans rapport avec le moment présent.
Ce sentiment n'est pas apparu soudainement le 7 octobre. Ses racines sont bien plus profondes.
Le 30 avril 1956, Moshe Dayan, alors chef d'état-major des FDI, prononçait un bref discours qui devait devenir l'un des plus célèbres de l'histoire d'Israël. Il s'adressait aux amis du défunt lors des funérailles de Ro'i Rothberg, un jeune agent de sécurité du tout nouveau kibboutz Nahal Oz, créé par les FDI en 1951 et devenu une communauté civile deux ans plus tard. Le kibboutz était situé à quelques centaines de mètres de la frontière avec la bande de Gaza, face au quartier palestinien de Shuja'iyya.
Rothberg avait été tué la veille et son corps avait été traîné de l'autre côté de la frontière et mutilé, avant d'être rendu aux Israéliens avec l'aide des Nations unies. Le discours de Dayan est devenu une déclaration emblématique, utilisée à la fois par la droite et la gauche politiques jusqu'à ce jour :
« Hier matin, Ro'i a été assassiné. Ebloui par le calme du matin, il n'a pas vu ceux qui l'attendaient en embuscade au bord du sillon. Ne jetons pas aujourd'hui l'opprobre sur les assassins. Pourquoi leur reprocher la haine brûlante qu'ils nous vouent ? Depuis huit ans, ils vivent dans les camps de réfugiés de Gaza, alors que sous leurs yeux, nous avons transformé en notre propriété la terre et les villages dans lesquels eux et leurs ancêtres avaient vécu.
Nous ne devrions pas rechercher le sang de Ro'i sur les arabes de Gaza, mais sur nous-mêmes. Comment avons-nous pu fermer les yeux et n'avoir pas franchement affronté notre destin, pas affronté la mission de notre génération dans toute sa cruauté ? Avons-nous oublié que ce groupe de garçons, qui vit à Nahal Oz, porte sur ses épaules les lourdes portes de Gaza, de l'autre côté desquelles se pressent des centaines de milliers d'yeux et de mains qui prient pour un moment de faiblesse de notre part, afin de pouvoir nous mettre en pièces - l'avons-nous oublié ?
Nous sommes la génération de la colonisation ; sans un casque d'acier et la bouche du canon, nous ne pourrons pas planter un arbre ni construire une maison. Nos enfants n'auront pas de vie si nous ne creusons pas des abris, et sans fils barbelés et mitrailleuses, nous ne pourrons pas paver des routes et creuser des puits. Des millions de Juifs qui ont été exterminés parce qu'ils n'avaient pas de terre nous regardent depuis les cendres de l'histoire d'Israël et nous ordonnent de nous installer et de ressusciter une terre pour notre peuple. Mais au-delà du sillon frontalier se lèvent un océan de haine et un ardent désir de vengeance, attendant le moment où le calme émoussera notre réactivité, le jour où nous écouterons les ambassadeurs de l'hypocrisie conspiratrice, qui nous appellent à déposer les armes...
Ne refusons pas de voir la haine qui accompagne et remplit la vie de centaines de milliers d'Arabes qui vivent autour de nous et attendent le moment où ils pourront atteindre notre sang. Ne détournons pas les yeux de peur que nos mains ne s'affaiblissent. Tel est le destin de notre génération. C'est le choix de notre vie : être prêts, armés, forts, et durs. Car si l'épée tombe de notre poing, nos vies seront fauchées. »
Le lendemain, Dayan enregistra son discours pour la radio israélienne. Mais quelque chose manquait. Disparue la référence aux réfugiés qui regardent les Juifs cultiver les terres dont ils ont été expulsés et qui ne devraient pas être blâmés pour leur haine envers leurs dépossesseurs. Bien qu'il ait prononcé ces lignes lors des funérailles et qu'il les ait ensuite écrites, Dayan a choisi de les omettre dans la version enregistrée. Lui aussi avait connu cette terre avant 1948. Il se souvenait des villages et des villes palestiniens qui avaient été détruits pour faire place aux colons juifs. Il comprenait parfaitement la rage des réfugiés de l'autre côté de la barrière. Mais il croyait aussi fermement au droit et à la nécessité urgente d'une implantation juive et de la création d'un État. Dans la lutte entre s'occuper de l'injustice et s'approprier la terre, il a choisi son camp, sachant que cela condamnait son peuple à dépendre à jamais du fusil. Dayan savait également ce que l'opinion publique israélienne pouvait accepter. C'était en raison de son ambivalence quant à la culpabilité et à la responsabilité concernant l'injustice et la violence, et de sa vision déterministe et tragique de l'histoire, que les deux versions de son discours ont fini par plaire à des orientations politiques très différentes.
Des décennies plus tard, après de nombreuses autres guerres et des rivières de sang, Dayan intitula son dernier livre « Shall the Sword Devour Forever ? » (L'épée dévorera-t-elle à jamais ?) Publié en 1981, ce livre détaillait son rôle dans la conclusion d'un accord de paix avec l'Égypte deux ans plus tôt. Il avait enfin compris la vérité de la deuxième partie du verset biblique dont il a tiré le titre de son livre : " Ne sais-tu pas qu'il y aura de l'amertume à la fin des fins ?".
Mais dans son discours de 1956, avec ses références au port des lourdes portes de Gaza et aux Palestiniens qui attendent un moment de faiblesse, Dayan faisait allusion à l'histoire biblique de Samson. Comme ses auditeurs s'en souviendraient sans doute, Samson l'Israélite, dont la force surhumaine provenait de ses longs cheveux, avait l'habitude de rendre visite à des prostituées à Gaza. Les Philistins, qui le considéraient comme leur ennemi mortel, espéraient lui tendre une embuscade contre les portes verrouillées de la ville. Mais Samson souleva simplement les portes sur ses épaules et partit libre. Ce n'est que lorsque sa maîtresse Dalila le trompa et lui coupa les cheveux que les Philistins purent le capturer et l'emprisonner, le rendant encore plus impuissant en lui crevant les yeux (comme l'auraient fait les Gazaouis qui ont mutilé Ro'i). Mais dans un dernier acte de bravoure, alors que ses geôliers se moquent de lui, Samson appelle Dieu à l'aide, saisit les piliers du temple vers lequel on l'avait conduit, et le fait s'effondrer sur la foule joyeuse qui l'entoure en criant : "Que je meure avec les Philistins !".
Ces portes de Gaza sont profondément ancrées dans l'imaginaire sioniste israélien, un symbole du fossé qui nous sépare, nous et les "barbares". Dans le cas de Ro'i, Dayan affirmait "l'aspiration à la paix lui a bouché les oreilles et il n'a pas entendu la voix du meurtre qui attendait en embuscade. Les portes de Gaza ont pesé trop lourd sur ses épaules et l'ont fait tomber".
Le 8 octobre 2023, le président Isaac Herzog s'est adressé au public israélien en citant la dernière ligne du discours de Dayan : "C'est le destin de notre génération. C'est le choix de notre vie : être prêts, armés, forts et durs. Car si l'épée tombe de notre poing, nos vies seront fauchées". La veille, 67 ans après la mort de Ro'i, des militants du Hamas avaient assassiné 15 résidents du kibboutz Nahal Oz et pris huit otages. Depuis l'invasion israélienne de Gaza en représailles, le quartier palestinien de Shuja'iyya, qui fait face au kibboutz, et où vivaient 100 000 personnes, a été vidé de sa population et transformé en un vaste tas de décombres.
L'une des rares tentatives littéraires d'exposer la logique sinistre des guerres d'Israël est l'extraordinaire poème de 1971 d'Anadad Eldan, Samson déchirant ses vêtements, dans lequel cet ancien héros hébreu entre et sort de Gaza avec fracas, ne laissant que désolation sur ses traces. J'ai découvert ce poème grâce à l'excellent essai en hébreu d'Arie Dubnov, « The Gates of Gaza » (Les portes de Gaza ), publié en janvier 2024. Samson, le héros, le prophète, le vainqueur de l'ennemi éternel de la nation, est transformé en son ange de la mort, une mort que, comme on s'en souvient, il finit par s'infliger à lui-même dans une action suicidaire grandiose qui a résonné à travers les générations jusqu'à aujourd'hui.
« Lorsque je me suis rendu
à Gaza, j'ai rencontré
Samson qui sortait en déchirant ses vêtements
sur son visage égratigné coulaient des rivières
et les maisons s'inclinaient pour le laisser
passer
ses douleurs déracinaient les arbres et se prenaient dans les
enchevêtrement
des racines. Dans les racines se trouvaient des mèches de ses
cheveux.
Sa tête brillait comme un crâne de pierre
et ses pas hésitants faisaient monter mes larmes.
Samson marchait en traînant un soleil fatigué
les vitres brisées et les chaînes dans la mer de Gaza
se sont noyées. J'ai entendu comment
la terre gémissait sous ses pas,
comment il l'a étripée. Les chaussures
de Samson crissaient quand il marchait. »
Né en Pologne en 1924 sous le nom d'Avraham Bleiberg, Eldan est arrivé enfant en Palestine, a participé à la guerre de 1948 et s'est installé en 1960 dans le kibboutz Be'eri, à environ 4 km de la bande de Gaza. Le 7 octobre 2023, Eldan, âgé de 99 ans, et sa femme ont survécu au massacre d'une centaine d'habitants du kibboutz, lorsque les activistes qui sont entrés dans leur maison les ont inexplicablement épargnés.
Après le 7 octobre, dans le sillage de la survie miraculeuse de cet obscur poète, une autre de ses œuvres a été largement diffusée sur les médias israéliens. Car il semblait qu'Eldan, chroniqueur de longue date du chagrin et de la douleur engendrés par l'oppression et l'injustice, avait prédit la catastrophe qui s'est abattue sur sa maison. En 2016, il avait publié un recueil de poèmes intitulé « Six the Hour of Dawn » (Six heures, l'heure de l'aube). C'est à cette heure-là que l'attaque du Hamas a commencée. Le livre contient le poème poignant « On the Walls of Be'eri » (Sur les murs de Be'eri) , qui pleure la mort de sa fille des suites d'une maladie (en hébreu, le nom du kibboutz signifie également "mon puits").
Dans le sillage du 7 octobre, le poème semble sinistrement annoncer la destruction et transmettre une certaine vision du sionisme, qui trouve son origine dans la catastrophe et le désespoir de la diaspora, amenant la nation sur une terre maudite où les enfants sont enterrés par leurs parents, tout en gardant l'espoir d'une aube nouvelle et porteuse d'espoir :
" Sur les murs de Be'eri, j'ai écrit son histoire
des origines et des profondeurs effilochée par le froid
quand ils ont lu ce qui se passait dans la douleur et que ses lumières
sont tombées dans la brume et l'obscurité de la nuit et un hurlement a engendré une
prière, car ses enfants sont tombés et une porte est fermée
pour la grâce du ciel, ils respirent la désolation et le chagrin
qui consolera les parents inconsolables, car une malédiction
murmure qu'il n'y aura ni rosée ni pluie, vous pouvez pleurer si vous en êtes capables.
il y a un temps où l'obscurité gronde mais il y a l'aube et l'éclat "
Comme l'éloge funèbre de Dayan pour Ro'i, Sur les murs de Be'eri a une signification différente selon les personnes. Faut-il y voir une complainte pour la destruction d'un kibboutz beau et innocent dans le désert, ou un cri de douleur face à l'interminable vendetta sanglante entre les deux peuples de cette terre ? Le poète ne nous a en pas donné le sens, comme c'est le cas pour les poètes. Après tout, il a écrit ce texte il y a des années, en pleurant sa fille bien-aimée. Mais compte tenu de ses nombreuses années de travail silencieux, précis et virulent, il ne semble pas fantaisiste de penser que ce poème était un appel à la réconciliation et à la coexistence, plutôt qu'à de nouveaux cycles d'effusion de sang et de vengeance.
Il se trouve que j'ai un lien personnel avec le kibboutz de Be'eri. C'est là que ma belle-fille a grandi, et mon voyage en Israël en juin était principalement destiné à rendre visite aux jumeaux - mes petits-enfants - qu'elle a mis au monde en janvier 2024. Le kibboutz, cependant, avait été abandonné. Mon fils, ma belle-fille et leurs enfants avaient emménagé dans un appartement vacant à proximité, avec une famille de survivants - des parents proches, dont le père est toujours retenu en otage - ce qui constituait une combinaison inimaginable de vie nouvelle et de chagrin inconsolable au sein d'un même foyer.
Outre voir ma famille, j'étais aussi venu en Israël pour rencontrer des amis. J'espérais comprendre ce qui s'était passé dans le pays depuis le début de la guerre. La conférence avortée à la BGU ne figurait pas en tête de mon agenda. Mais une fois arrivé à l'amphithéâtre en ce jour de mi-juin, j'ai rapidement compris que cette situation explosive pouvait également fournir des indices pour comprendre la mentalité d'une jeune génération d'étudiants et de soldats.
Après nous être assis et avoir commencé à parler, il m'est apparu clairement que les étudiants voulaient être entendus, et que personne, peut-être même leurs propres professeurs et administrateurs d'université, n'était intéressé à les écouter. Ma présence et leur connaissance vague de mes critiques à l'égard de la guerre ont déclenché chez eux le besoin de m'expliquer, mais peut-être aussi de s'expliquer à eux-mêmes, ce dans quoi ils s'étaient engagés en tant que soldats et en tant que citoyens.
Une jeune femme, récemment revenue d'un long service militaire à Gaza, est montée sur scène et a parlé avec force des amis qu'elle avait perdus, de la nature diabolique du Hamas et du fait qu'elle et ses camarades se sacrifiaient pour assurer la sécurité future du pays. Profondément bouleversée, elle s'est mise à pleurer au milieu de son discours et s'est retirée. Un jeune homme, calme, clair et précis, a rejeté ma suggestion selon laquelle la critique des politiques israéliennes n'était pas nécessairement motivée par l'antisémitisme. Il s'est ensuite lancé dans un bref survol de l'histoire du sionisme en tant que réponse à l'antisémitisme et en tant que voie politique qu'aucun Gentil n'avait le droit de refuser. Bien qu'ils aient été contrariés par mes opinions et agités par leurs propres expériences récentes à Gaza, les opinions exprimées par les étudiants n'avaient rien d'exceptionnel. Elles reflétaient des pans bien plus larges de l'opinion publique en Israël.
Sachant que j'avais dans le passé mis en garde contre le génocide, les étudiants étaient particulièrement désireux de me montrer qu'ils étaient humains, qu'ils n'étaient pas des meurtriers. Ils n'avaient aucun doute sur le fait que les FDI étaient, en fait, l'armée la plus morale au monde. Mais ils étaient également convaincus que les dommages causés aux personnes et aux bâtiments de Gaza étaient totalement justifiés, que tout était la faute du fait que le Hamas les utilisait comme boucliers humains.
Ils m'ont montré des photos de leurs téléphones prouvant qu'ils s'étaient comportés de manière admirable avec les enfants, ont nié qu'il y avait de la faim à Gaza, ont insisté sur le fait que la destruction systématique des écoles, des universités, des hôpitaux, des bâtiments publics, des résidences et des infrastructures était nécessaire et justifiable. Ils considèraient toute critique des politiques israéliennes par d'autres pays et par les Nations unies comme tout simplement antisémite.
Contrairement à la majorité des Israéliens, ces jeunes avaient vu de leurs propres yeux la destruction de Gaza. Il m'a semblé qu'ils avaient non seulement intériorisé un point de vue particulier devenu courant en Israël - à savoir que la destruction de Gaza en tant que telle était une réponse légitime au 7 octobre - mais qu'ils avaient également développé un mode de pensée que j'avais observé il y a de nombreuses années en étudiant le comportement, la vision du monde et la perception de soi des soldats de l'armée allemande pendant la Seconde Guerre mondiale. Ayant intériorisé certaines conceptions de l'ennemi - les bolcheviks comme des Untermenschen, le Hamas comme des animaux humains - et de la population en général comme moins qu'humaine et ne méritant pas de droits, les soldats qui observent ou commettent des atrocités ont tendance à les attribuer non pas à leur propre armée, ni à eux-mêmes, mais à l'ennemi.
Des milliers d'enfants ont été tués ? C'est la faute de l'ennemi. Nos propres enfants ont été tués ? C'est certainement la faute de l'ennemi. Si le Hamas commet un massacre dans un kibboutz, ce sont des nazis. Si nous larguons des bombes de 2 000 livres sur des abris de réfugiés et que nous tuons des centaines de civils, c'est la faute du Hamas qui s'est caché près de ces abris. Après ce qu'ils nous ont fait, nous n'avons pas d'autre choix que de les déraciner. Après ce que nous leur avons fait, nous ne pouvons qu'imaginer ce qu'ils nous feraient si nous ne les détruisions pas. Nous n'avons tout simplement pas le choix.
À la mi-juillet 1941, quelques semaines après le lancement par l'Allemagne de ce que Hitler avait proclamé être une "guerre d'anéantissement" contre l'Union soviétique, un sous-officier allemand a écrit à son pays depuis le front de l'Est :
" Le peuple allemand a une grande dette envers notre Führer, car si ces bêtes, qui sont nos ennemis ici, étaient venues en Allemagne, il y aurait eu des meurtres tels que le monde n'en n'a jamais vus auparavant... Ce que nous avons vu... frise l'incroyable... Et quand on lit Der Stürmer [un journal nazi] et qu'on regarde les photos, ce n'est qu'une faible illustration de ce que nous voyons ici et des crimes commis ici par les Juifs" .
Un tract de propagande de l'armée publié en juin 1941 brosse un portrait tout aussi cauchemardesque des officiers politiques de l'Armée rouge, que de nombreux soldats ont rapidement perçu comme le reflet de la réalité :
" Quiconque a jamais regardé le visage d'un commissaire rouge sait à quoi ressemblent les bolcheviks. Ici, pas besoin d'expressions théoriques. Nous insulterions les animaux si nous décrivions ces hommes, pour la plupart juifs, comme des bêtes. Ils sont l'incarnation de la haine satanique et démente contre l'ensemble de la noble humanité... [Ils] auraient mis fin à toute vie digne de ce nom si cette éruption n'avait pas été endiguée au dernier moment. "
Deux jours après l'attaque du Hamas, le ministre de la défense Yoav Gallant a déclaré : "Nous combattons des animaux humains et nous devons agir en conséquence", ajoutant plus tard qu'Israël "détruirait un quartier après l'autre à Gaza". L'ancien premier ministre Naftali Bennett a confirmé : "Nous combattons des nazis". Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a exhorté les Israéliens à "se souvenir de ce qu'Amalek vous a fait", faisant allusion à l'appel biblique à exterminer les "hommes et les femmes, les enfants et les nourrissons" d'Amalek. Lors d'une interview à la radio, il a déclaré à propos du Hamas : "Je ne les appelle pas des animaux humains parce que ce serait insultant pour les animaux". Le vice-président de la Knesset, Nissim Vaturi, a écrit sur X que l'objectif d'Israël devrait être "d'effacer la bande de Gaza de la surface de la Terre". À la télévision israélienne, il a déclaré : "Il n'y a pas de personnes non impliquées... nous devons aller là-bas et tuer, tuer, tuer. Nous devons les tuer avant qu'ils ne nous tuent". Le ministre des finances, Bezalel Smotrich, a souligné dans un discours : "Le travail doit être achevé... Destruction totale. Effacez le souvenir d'Amalek de dessous les cieux". Avi Dichter, ministre de l'agriculture et ancien chef du service de renseignement Shin Bet, a parlé de "dérouler la Nakba de Gaza".
Un vétéran militaire israélien de 95 ans, dont le discours de motivation aux troupes des FDI qui se préparaient à l'invasion de Gaza les a exhortées à "effacer leur mémoire, leurs familles, mères et enfants", s'est vu remettre un certificat d'honneur par le président israélien Herzog pour avoir "donné un merveilleux exemple à des générations de soldats". Il n'est pas étonnant que d'innombrables messages aient été postés sur les réseaux sociaux par des soldats des FDI à Gaza, appelant à "tuer les Arabes", "brûler leurs mères" et "raser" Gaza. Aucune mesure disciplinaire n'a été prise par leurs commandants.
C'est la logique de la violence sans fin, une logique qui permet de détruire des populations entières et de se sentir totalement justifié à le faire. C'est une logique de victime - nous devons les tuer avant qu'ils ne nous tuent, comme ils l'ont fait auparavant - et rien ne donne plus de pouvoir à la violence qu'un sentiment légitime d'être une victime. Regardez ce qui nous est arrivé en 1918, disaient les soldats allemands en 1942, rappelant le mythe propagandiste du "coup de poignard dans le dos", qui attribuait la défaite catastrophique de l'Allemagne lors de la première guerre mondiale à la trahison des juifs et des communistes. « Regardez ce qui nous est arrivé pendant l'Holocauste, lorsque nous avons cru que d'autres viendraient à notre secour » s, disent les troupes des FDI en 2024, s'autorisant ainsi une destruction aveugle fondée sur une fausse analogie entre le Hamas et les nazis.
Les jeunes hommes et femmes avec qui j'ai parlé ce jour-là étaient remplis de rage, non pas tant contre moi - ils se sont un peu calmés lorsque j'ai mentionné mon propre service militaire - mais parce que, je pense, ils se sentaient trahis par tous ceux qui les entouraient. Trahis par les médias, qu'ils percevaient comme trop critiques, par les hauts gradés qu'ils jugeaient trop indulgents à l'égard des Palestiniens, par les hommes politiques qui n'avaient pas su prévenir le fiasco du 7 octobre, par l'incapacité des FDI à remporter une "victoire totale", par les intellectuels et la gauche qui les critiquaient injustement, par le gouvernement américain qui n'avait pas livré assez de munitions assez rapidement, et par tous ces hommes politiques européens hypocrites et ces étudiants antisémites qui protestaient contre leurs actions à Gaza. Ils semblaient craintifs, peu sûrs d'eux et désorientés, et certains d'entre eux souffraient probablement aussi du syndrome de stress post-traumatique (SSPT).
Je leur ai raconté comment, en 1930, les nazis avaient démocratiquement pris le contrôle de l'association des étudiants allemands. Les étudiants de l'époque se sentaient trahis par la perte de la première guerre mondiale, la perte d'opportunités due à la crise économique et la perte de terres et de prestige à la suite de l'humiliant traité de paix de Versailles. Ils voulaient que l'Allemagne redevienne grande, et Hitler semblait en mesure de tenir cette promesse. Les ennemis intérieurs de l'Allemagne ont été écartés, son économie a prospéré, les autres nations ont recommencé à la craindre, puis elle est entrée en guerre, a conquis l'Europe et assassiné des millions de personnes.
Finalement, le pays a été complètement détruit. Je me suis demandé à haute voix si les quelques étudiants allemands qui avaient survécu à ces 15 années regrettaient leur décision de 1930 de soutenir le nazisme. Mais je ne pense pas que les jeunes hommes et femmes de la BGU aient compris les implications de ce que je leur ai raconté.
Les étudiants étaient à la fois effrayants et effrayés, et leur peur les rendait d'autant plus agressifs. Ce niveau de menace, ainsi qu'un certain degré de recouvrement des opinions, semble avoir suscité la crainte et l'obséquiosité envers leurs supérieurs, professeurs et administrateurs, qui ont montré une grande réticence à les sanctionner d'aucune manière. En même temps, une multitude de médias et de politiciens ont acclamé ces anges de la destruction, les qualifiant de héros juste avant de les enterrer et de tourner le dos à leurs familles endeuillées. Les soldats tombés au combat sont morts pour une bonne cause, dit-on aux familles. Mais personne ne prend le temps d'expliquer ce qu'est réellement cette cause, au-delà de la simple survie à travers toujours plus de violence.
Et donc, je me suis aussi senti désolé pour ces étudiants, qui n'étaient pas conscients de la façon dont ils avaient été manipulés. Mais j'ai quitté cette réunion plein d'inquiétude et de mauvais pressentiments.
Alors que je rentrais aux États-Unis à la fin du mois de juin, j'ai réfléchi à ce que j'avais vécu au cours de ces deux semaines désordonnées et troublantes. J'ai pris conscience du lien profond qui m'unissait au pays que j'avais quitté. Il ne s'agit pas seulement de ma relation avec ma famille et mes amis israéliens, mais aussi de la teneur particulière de la culture et de la société israéliennes, qui se caractérise par l'absence de distance ou de déférence. Cela peut être réconfortant et révélateur ; on peut, presque instantanément, se retrouver dans des conversations intenses, voire intimes, avec d'autres personnes dans la rue, dans un café, dans un bar.
Cependant, ce même aspect de la vie israélienne peut aussi être infiniment frustrant, car il y a si peu de respect pour les convenances sociales. Il existe presque un culte de la sincérité, une obligation de dire ce que l'on pense, quel que soit l'interlocuteur ou l'offense que cela peut causer. Cette attente commune crée à la fois un sentiment de solidarité et des limites à ne pas franchir. Lorsque vous êtes avec nous, nous sommes tous de la même famille. Si vous vous retournez contre nous ou si vous êtes de l'autre côté du fossé national, vous êtes exclu et vous pouvez vous attendre à ce que nous nous en prenions à vous.
C'est peut-être aussi la raison pour laquelle, cette fois-ci, pour la première fois, j'ai appréhendé de me rendre en Israël et pour laquelle une partie de moi était heureuse de partir. Le pays avait changé de manière visible et subtile, ce qui aurait pu élever une barrière entre moi, en tant qu'observateur de l'extérieur, et ceux qui sont restés une partie organique du pays.
Mais une autre partie de mon appréhension était liée au fait que ma vision de ce qui se passait à Gaza avait changé. Le 10 novembre 2023, j'ai écrit dans le New York Times : "En tant qu'historien du génocide, je pense qu'il n'y a aucune preuve qu'un génocide se déroule actuellement à Gaza, même s'il est très probable que des crimes de guerre, voire des crimes contre l'humanité, s'y produisent. [...] L'histoire nous apprend qu'il est crucial d'alerter sur les risques de génocide avant qu'ils ne se produisent, plutôt que de les condamner tardivement une fois qu'ils ont eu lieu. Je pense que nous avons encore du temps pour le faire".
Je ne le crois plus. Au moment où je me suis rendu en Israël, je m'étais convaincu qu'au moins depuis l'attaque des FDI à Rafah le 6 mai 2024, il n'était plus possible de nier qu'Israël était engagé dans des crimes de guerre systématiques, des crimes contre l'humanité et des actions génocidaires. Ce n'était pas seulement que cette attaque contre la dernière concentration de Gazaouis - dont la plupart déjà déplacés à plusieurs reprises par les FDI, qui les repoussaient à nouveau dans une soi-disant zone de sécurité - témoignait d'un mépris total pour les normes humanitaires. Elle indiquait aussi clairement que l'objectif ultime de toute cette entreprise, depuis le tout début, était de rendre toute la bande de Gaza inhabitable et d'affaiblir sa population à un point tel qu'elle s'éteindrait ou chercherait par tous les moyens possibles à fuir le territoire. En d'autres termes, la rhétorique des dirigeants israéliens depuis le 7 octobre se traduisait désormais dans la réalité, à savoir, comme le dit la Convention des Nations unies sur le génocide de 1948, qu'Israël agit "dans l'intention de détruire, en tout ou en partie", la population palestinienne de Gaza "en tant que telle, en la tuant, en lui infligeant des blessures graves ou en lui imposant des conditions d'existence qui visent à entraîner sa destruction".
Depuis mon retour, j'essaie de replacer mes expériences dans un contexte plus large. La réalité sur le terrain est si dévastatrice et l'avenir semble si sombre que je me suis laissé aller à une histoire contre-factuelle et à des spéculations pleines d'espoir sur un avenir différent. Je me demande ce qui se serait passé si l'État d'Israël nouvellement créé avait respecté son engagement d'adopter une constitution basée sur sa déclaration d'indépendance. Cette même déclaration qui affirmait qu'Israël "sera fondé sur la liberté, la justice et la paix, comme l'ont envisagé les prophètes d'Israël ; il assurera l'égalité complète des droits sociaux et politiques à tous ses habitants, sans distinction de religion, de race ou de sexe ; il garantira la liberté de religion, de conscience, de langue, d'éducation et de culture ; il sauvegardera les Lieux saints de toutes les religions ; et il sera fidèle aux principes de la Charte des Nations unies".
Quel aurait été l'effet d'une telle constitution sur la nature de l'État ? Comment aurait-elle tempéré la transformation du sionisme d'une idéologie qui cherchait à libérer les Juifs de la déchéance de l'exil et de la discrimination et à les mettre sur un pied d'égalité avec les autres nations du monde, en une idéologie étatique d'ethnonationalisme, d'oppression des autres, d'expansionnisme et d'apartheid ? Pendant les quelques années d'espoir du processus de paix d'Oslo, les gens en Israël ont commencé à parler de faire de ce pays un "État de tous ses citoyens", juifs et palestiniens confondus. L'assassinat du premier ministre Rabin en 1995 a mis fin à ce rêve. Israël pourra-t-il un jour se débarrasser des aspects violents, exclusifs, militants et de plus en plus racistes de sa vision, telle qu'elle est aujourd'hui adoptée par un si grand nombre de ses citoyens juifs ? Pourra-t-il un jour se réimaginer tel que ses fondateurs l'avaient si éloquemment imaginé - comme une nation fondée sur la liberté, la justice et la paix ?
Il est difficile de se laisser aller à de tels fantasmes en ce moment. Mais c'est peut-être précisément en raison du nadir dans lequel les Israéliens, et plus encore les Palestiniens, se trouvent aujourd'hui, et de la trajectoire de destruction régionale sur laquelle leurs dirigeants les ont placés, que je prie pour que d'autres voix s'élèvent enfin. Car, pour reprendre les mots du poète Eldan, "il y a un temps où l'obscurité gronde, mais il y a l'aube et l'éclat".
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Comprendre l’objectif final de Netanyahou dans la guerre contre Gaza
La véritable raison pour laquelle Netanyahu refuse de mettre fin à la guerre génocidaire contre Gaza est que ses intérêts politiques à court terme se sont parfaitement alignés sur l'objectif à long terme du sionisme – le nettoyage ethnique de la Palestine.
Tiré de France Palestine Solidarité. Article publié à l"origine dans Mondoweiss. Photo : Le parlement israélien adopte une résolution contre un Etat palestinien, 18 juillet 2024 © Quds News Network.
On a beaucoup parlé des intérêts politiques « étroits » qui poussent Benjamin Netanyahu à vouloir à tout prix une « victoire totale » à Gaza, ce qui signifie en pratique qu'il faut poursuivre le génocide et le nettoyage ethnique tout en essayant d'éradiquer la résistance.
Ce sont les opposants politiques de Benjamin Netanyahu qui ont le plus mis en avant cette version des faits. Un choix aléatoire de pratiquement n'importe quel article de Haaretz aujourd'hui en donnera un certain nombre d'exemples. Ce qui est faux, c'est que l'intérêt d'Israël à poursuivre la guerre est loin d'être étroit.
En fait, s'il est clair que Netanyahu a un intérêt politique à court terme à poursuivre le génocide de Gaza, c'est la combinaison de ces intérêts immédiats avec les objectifs à long terme du mouvement sioniste – le nettoyage ethnique de la Palestine – qui a conduit à une confluence historique unique : les intérêts politiques de Netanyahu sont désormais alignés sur l'impératif colonial du sionisme.
Les opposants politiques de Netanyahou, dont beaucoup appellent à un cessez-le-feu à Gaza, soulignent que son destin politique est actuellement entre les mains de ses alliés messianiques fascistes, Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir, qui ont menacé à plusieurs reprises de se retirer du gouvernement de coalition de Netanyahu dans l'éventualité d'un cessez-le-feu.
Cela provoquerait l'effondrement de son gouvernement, ouvrirait la voie à de nouvelles élections et rendrait Netanyahu responsable d'avoir permis au Hamas de renforcer son pouvoir pendant toutes ces années dans le cadre de sa soit-disant stratégie d'enracinement des divisions politiques palestiniennes, sans parler de l'échec enduré le 7 octobre.
Les adversaires de Netanyahu voudraient nous faire croire que ses machinations sont uniquement motivées par les illusions autoritaires d'un despote intransigeant – et qu'il est prêt à pousser Israël dans ses derniers retranchements pour y parvenir. Par exemple, le général de division Yitzhak Brik a affirmé de manière hystérique que « si la guerre d'usure contre le Hamas et le Hezbollah se poursuit, Israël s'effondrera en l'espace d'un an au maximum ».
Cette critique comporte des éléments de vérité, mais elle est également malhonnête. Si les adversaires de M. Netanyahou étaient à sa place, ils auraient également voulu « résoudre » la « question de Gaza », une réalisation du délire sioniste de conquérir toute la Palestine et d'éliminer les autochtones.
La différence réside dans les contraintes auxquelles sont confrontés les opposants de Netanyahu pour réaliser cet objectif ; ils réclament maintenant avec véhémence un accord de cessez-le-feu parce qu'ils pensent que la signature d'un accord, même s'il permet au Hamas de maintenir une présence à Gaza, permettra de ramener les captifs, qui font partie de la base sociale que représentent les opposants de Netanyahu.
Plus important encore, s'ils appellent à la conclusion d'un accord à ce stade de la guerre, c'est parce qu'ils savent que cela provoquera l'éclatement de la coalition de leur adversaire. L'opportunisme politique est à l'origine de leurs prescriptions politiques tout autant que les considérations stratégiques concernant la capacité d'Israël à faire face à une guerre sur plusieurs fronts.
Netanyahu, quant à lui, se trouve dans une position historiquement unique. La structure actuelle des facteurs le pousse à poursuivre la guerre à tout prix, même si cela signifie abandonner les captifs à leur sort. La raison en est que, pour la première fois dans l'histoire récente du sionisme, les motivations politiques de l'actuel dirigeant de l'État juif font d'une stratégie de guerre continue la seule ligne de conduite logique.
Même l'établissement d'une présence administrative palestinienne de type Vichy à Gaza n'est pas acceptable pour Smotrich et Ben-Gvir, et ils continueront à brandir la menace de la dissolution du gouvernement contre toute mesure de conciliation.
En traçant cette voie maximaliste, Netanyahu joue avec le feu, car une guerre plus large avec le Hezbollah pourrait entraîner Israël dans un bourbier qui n'offrirait guère plus que la possibilité d'une victoire à la Pyrrhus. Mais, selon lui, cette guerre représente également une opportunité.
Depuis des décennies, Netanyahu pense qu'une guerre majeure pourrait fournir à Israël la couverture nécessaire pour procéder à l'expulsion massive des Palestiniens, non seulement à Gaza, mais aussi en Cisjordanie et à l'intérieur des frontières d'Israël de 1948. L'historien britannique Max Hastings lui aurait expliqué cette idée précise en 1977.
Au début de la guerre actuelle, Netanyahu a activement tenté de pousser les Palestiniens hors de Gaza avant de se heurter au refus de l'Égypte de jouer le jeu. Pendant ce temps, Ben-Gvir et Smotrich, ainsi que le mouvement de colonisation, ont accéléré l'expansion des colonies et soutenu la violence des colons en Cisjordanie, nettoyant ethniquement au moins 20 communautés bédouines sous le couvert de la guerre.
Les détracteurs de Netanyahu ne le considèrent pas comme un idéologue comme Smotrich et Ben-Gvir – et ils ont peut-être raison – mais cela est sans incidence. Même s'il a certainement exprimé son attachement à l'idéal sioniste de conquête territoriale totale, le fait est qu'aujourd'hui, même si le fait de pousser à la « victoire totale » risque d'entraîner une guerre qui nuira à son État, il n'a pas d'autre choix compte tenu de l'équilibre actuel des pouvoirs au sein de la politique israélienne.
C'est ainsi que la guerre génocidaire d'Israël est devenue la guerre de nécessité de Netanyahu.
Netanyahu espère y parvenir en entraînant les États-Unis dans une guerre avec l'Iran, assurant ainsi la position d'Israël en tant qu'unique puissance régionale au Moyen-Orient. C'est un scénario qu'il préconise depuis des décennies, y compris devant une commission du Congrès en 2002, où il avait également exhorté les États-Unis à envahir l'Irak.
Dangers et opportunités
Mais les choses ont changé depuis. L'Iran n'est pas une puissance militaire mineure, pas plus que le Liban. L'Iran et le Hezbollah ont accumulé suffisamment de forces au cours des dernières années pour renforcer la dissuasion à l'égard d'Israël, garantissant ainsi que toute guerre régionale serait destructrice non seulement pour eux, mais aussi pour Israël.
C'est pourquoi Netanyahu espère que les États-Unis seront contraints d'intervenir et de se ranger du côté d'Israël.
L'armée et l'économie israéliennes ne sont pas non plus prêtes pour une guerre majeure après dix mois de pertes.
Au début du mois de juillet, l'armée israélienne a déclaré qu'elle souffrait d'une pénurie de chars en raison du grand nombre de ceux qui ont été endommagés et mis hors service pendant la guerre, tandis que le ministère israélien de la guerre a déclaré que quelque 10 000 soldats et officiers avaient été blessés et que 1000 soldats continuaient à participer à des programmes de rééducation chaque mois.
Cette pénurie de personnel militaire a conduit Israël à adopter une loi obligeant les Haredim orthodoxes à s'enrôler pour le service, annulant ainsi une exemption qui durait depuis 76 ans.
Sur le plan économique, la note de crédit d'Israël a été abaissée par l'agence Fitch à « Perspectives négatives » au début du mois d'août en raison de la guerre. Dans l'ensemble, il semble que l'économie israélienne soit confrontée à une situation catastrophique.
Netanyahu a décidé qu'il était prêt à supporter ce coût, contre la volonté de ses opposants politiques nationaux et les désirs du gouvernement américain, simplement parce qu'il n'y a pas d'alternative pour lui. Le soutien illimité des États-Unis en dépit d'un comportement aussi jusqu'au-boutiste n'a fait qu'enhardir Netanyahou.
Netanyahu a ordonné l'assassinat de Fouad Shukur à Beyrouth et d'Ismail Haniyeh à Téhéran après son discours au Congrès, où il n'a reçu que des ovations.
À la suite de ces assassinats et des menaces de ripostes, les États-Unis ont renforcé leurs forces au Moyen-Orient afin de se préparer à défendre Israël contre d'éventuelles représailles.
Dans le même temps, les États-Unis se sont empressés d'essayer de contenir la situation en proposant un nouvel accord. Celui-ci comprenait de nouvelles conditions avancées par Netanyahu, qui ont servi à relever la barre de ce qui était considéré comme un accord acceptable [par la résistance], contre l'avis des négociateurs israéliens eux-mêmes.
Pourtant, les États-Unis n'ont fait que pointer du doigt le Hamas, affirmant que la balle était dans son camp.
Netanyahu a obtenu tout ce dont il avait besoin de la part des États-Unis à chaque étape du processus, ce qui lui a permis de poursuivre sa dangereuse stratégie sans qu'aucun reproche ne lui soit adressé.
Il espère que son pari sera payant en apportant une « solution finale » à la « question de Gaza » et en devenant ainsi un héros national sioniste.
Mais même si cela représente l'opportunité d'arracher un succès historique pour le projet sioniste, cela ouvre également la possibilité qu'Israël subisse un revers historique qui pourrait ouvrir une nouvelle ère de résistance pour les peuples autochtones de la région.
Traduction : Chronique de Palestine
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A quand un Nuremberg pour Israël ?
Crimes contre l'humanité, crimes de guerre, génocide. Les dirigeants israéliens récoltent les titres de l'horreur au point qu'ils sont désormais considérés comme des pestiférés. Exception faite des Etats-Unis, aucun pays n'accepte de les recevoir.
Tiré d'El-Watan.
Ils ont commencé dès 1948 par le massacre de Deir Yassin, du nom de cette localité palestinienne dont les habitants ont été massacrés par les terroristes de l'Irgoun, l'organisation dirigée alors par Menahem Begin, et les rares survivants ayant échappé à la mort par miracle ont été contraints de fuir, laissant tous leurs biens sur place. Depuis, les massacres collectifs de Palestiniens sont devenus une culture de l'horreur chez le nouveau occupant qui a remplacé les Anglais et qui perdure jusqu'à ce jour.
Et pourtant ! Les juifs, eux, sont les rescapés des camps de concentration nazis, six millions d'entre eux ont péri dans les fours crématoires, victimes du plus grand massacre collectif de l'histoire de l'humanité, devenu un exemple cité régulièrement dans l'espoir que l'horreur ne se répète pas.
Malheureusement, même les victimes d'hier sont devenues les bourreaux d'aujourd'hui. Et ils ne s'en émeuvent pas. Au contraire. Un mélange de messianisme, de nationalisme d'un autre temps, les a rendus aveugles au point d'être imperméables à la souffrance d'autrui et que faire couler le sang est devenu chez eux une seconde nature. Semer la mort et la destruction est considéré par leurs fanatiques comme une mission divine.
Ces dernières semaines, ils ont donné à la guerre un visage encore plus violent. Après la destruction des hôpitaux, ensuite des écoles à Ghaza, les Israéliens se sont livrés à des exterminations de masse de femmes et d'enfants.
La polio, qui a été éradiquée de l'enclave il y a de cela 25 ans, revient en force. Plus sinistres et plus cruels encore, ils empêchent l'entrée du vaccin à Ghaza. Cela « se fera dans plusieurs semaines », disent les Américains, qui croient en une promesse d'Israël. Si cela est vrai, les autorités d'occupation auront tout le temps de voir l'épidémie s'étendre et emporter plusieurs milliers d'enfants.
Le génocide prend des dimensions multiformes. La communauté internationale est tétanisée face à ce crime de grande envergure. Le ministre des Affaires étrangères de l'Union européenne, Josep Borrell, qui paraît très sensible à la douleur du peuple palestinien, promet de préparer une liste de dirigeants israéliens pour des sanctions, sans préciser leur nature. Il n'est jamais trop tard pour bien faire.
Ce n'est pas la première fois que le monde est confronté à une situation aussi dramatique. La planète a connu les horreurs de la Seconde Guerre mondiale.
A la fin du conflit, a été créé le fameux tribunal de Nuremberg pour juger les dignitaires nazis responsables des exterminations de masse dans les territoires européens. Depuis, le monde a décidé de ne plus laisser faire et de punir les coupables où qu'ils se trouvent.
La promesse n'a pas été totalement tenue. Mais il y a eu quand même des procès retentissants, comme celui du Serbe Milosevic à La Haye pour le massacre des populations musulmanes de Bosnie. Il y a même eu un mandat d'arrêt international contre le président russe, Vladimir Poutine, et contre un autre dirigeant européen. Mais le plus gros des affaires a surtout ciblé une quinzaine de dirigeants africains, ce qui a fait dire à certains qu'il y a là deux poids deux mesures.
Le cas le plus médiatisé a été celui de Omar El Béchir, le dictateur soudanais, un criminel qui a surtout détruit son pays et préparé le terrain à la guerre civile qui dure encore. Il avait lâché des milices arabes, dites djihadistes, contre les tribus africaines du Darfour. Le massacre qui s'en suivit est encore dans toutes les mémoires.
Le mandat d'arrêt international contre lui est toujours en vigueur, et lui croupit actuellement dans les geôles. On peut rappeler également le cas de Laurent Gbagbo, président de la Côte d'Ivoire, qui a préféré plonger le pays dans la guerre civile que de reconnaître une défaite par les urnes. Jugé à La Haye, il a été libéré après quelques années de détention. La liste est longue.
Malheureusement, les crimes perpétrés par les dirigeants israéliens dépassent l'imagination. Aucun dirigeant du monde, aucune organisation internationale n'a prononcé, même du bout des lèvres, l'idée de poursuites judiciaires contre eux.
On va voir ce que donnera l'initiative de M. Borrell. S'il réussit à seulement la présenter. Malheureusement, il y a de quoi être pessimiste quand on sait que les Etats-Unis veillent au grain. Ils empêcheront par tous les moyens un procès de leurs protégés, Netanyahu et Gallant par exemple.
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La bataille pour documenter la violence des colons israéliens à Masafer Yatta
A Masafer Yatta, des groupes de jeunes se sont donné pour mission d'archiver la violence des colons israéliens visant à les déplacer, mais ils en paient le prix fort.
Tiré de France Palestine Solidarité. Article publié à l'origine dans The new arab. Photo : Les colons israéliens mènent des raids à Masafer Yatta, 10 août 2024 © Mohammad Hureini.
Alaa Hathleen, un habitant de 25 ans de la Cisjordanie occupée, a vécu toute sa vie dans le village d'Umm el Khair à Masafer Yatta, à quelques mètres seulement d'une colonie israélienne.
Ayant grandi dans une communauté palestinienne à qui tout était refusé, il a vu dès son plus jeune âge que "les colons ont tout, tous les jours".
"Notre village est le théâtre d'agressions et de violations quotidiennes de la part des colons et doit faire face à l'absence de tout ce qui est essentiel, comme l'eau et l'électricité. Et littéralement, à quelques mètres de là, des colons vivent dans des maisons rénovées, équipées d'eau et d'électricité, et jouissent de la liberté de mouvement", explique à The New Arab le jeune homme, qui exerce la profession de guérisseur naturel.
Les 25 villages qui composent Masafer Yatta, une communauté bédouine située juste à l'extérieur d'Hébron, sont victimes de la violence des colons depuis au moins les années 1980. C'est à cette époque qu'un tribunal israélien a déclaré ses terres pastorales inhabitées et les a désignées comme zone de tir pour les exercices militaires.
En mai 2020, un autre tribunal israélien a confirmé cette décision et a ordonné l'évacuation de la communauté. En raison des exercices, les habitants décrivent des balles qui sifflent à travers leurs tentes, des mines terrestres plantées dans leur sol et des chars qui encerclent leurs maisons.
Pour Hathleen et sa cohorte de jeunes créateurs de contenu en ligne, il n'y a pas grand-chose à faire si ce n'est documenter du mieux qu'ils peuvent la tragédie qui se déroule, et ils disent qu'ils en ont payé le prix fort.
Depuis le 7 octobre, plusieurs groupes de jeunes en ont fait leur mission, risquant leur vie pour attirer l'attention de la communauté internationale - et éventuellement des sanctions, espèrent-ils - sur ceux qui tentent de les déplacer violemment.
Leurs efforts s'inscrivent dans un contexte où les contenus pro-palestiniens en ligne sont censurés, où les journalistes sur le terrain sont pris pour cible par Israël et où des lois sont imposées pour empêcher les médias de couvrir les violations commises à l'encontre des Palestiniens.
"Je ne me contente pas de prendre des photos ou de documenter ce qui se passe pour montrer qui a raison et qui a tort. Je documente les crimes et le manque de pitié d'une occupation qui ne comprend pas les droits humains et ne considère pas les Palestiniens comme des êtres humains", a déclaré Hathleen.
Alors que des colonies israéliennes ont poussé tout autour d'eux, la communauté semi-nomade de Hathleen n'a pas le droit de construire sur ses propres terres. Ceux dont les maisons ont été démolies vivent dans des tentes minables ou des grottes sombres et exiguës. La plupart d'entre eux vivent modestement de l'agriculture et de l'élevage, tout en luttant contre les colons en maraude qui volent périodiquement leurs récoltes et leur bétail.
Selon les habitants, la situation a pris une tournure plus sanglante après le 7 octobre. C'est à cette date que les colons, soutenus par l'armée israélienne, ont commencé à détruire des maisons au bulldozer, à incendier des pans entiers de terres agricoles et, dans certains cas, à assassiner ceux qui se mettaient en travers de leur chemin.
Les infrastructures essentielles n'ont pas été épargnées : quatre écoles ont été réduites en ruines, ainsi qu'un centre médical de fortune, selon Hathleen.
Après le 7 octobre, le ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a distribué des fusils semi-automatiques et d'autres armes aux civils, ce qui a été perçu comme un moyen de jeter de l'huile sur le feu et de donner le feu vert aux assauts des colons. Hathleen s'est sentie encore plus obligée de documenter les atrocités.
Mais ses publications en ligne lui ont valu de sérieuses menaces. Lorsqu'un officier de l'armée a vu Hathleen poster sur les réseaux sociaux, il l'a menacé de lui "couper la langue". Une autre fois, lorsqu'il a publié un message montrant un colon confisquant un âne, on lui a dit qu'il serait "tué ou finirait comme l'âne" s'il recommençait.
Hathleen affirme que sa famille est même prise pour cible en raison de son activisme. En novembre dernier, son frère a été battu jusqu'au coma par des colons qui avaient trouvé des photos d'enfants gazaouis sur son téléphone.
Youth of Sumud
Mohamed Houreini, 25 ans, fait partie d'un groupe appelé Youth of Sumud. Ils se décrivent comme un groupe de Palestiniens du sud d'Hébron "engagés dans une résistance populaire pacifique comme choix stratégique pour mettre fin à l'occupation israélienne". Sur Facebook, ils publient des photos de colons et de soldats israéliens faisant équipe pour démolir des puits et raser des maisons.
Le groupe documente soigneusement les violations commises par les colons, en recueillant des témoignages à l'aide de notes, de vidéos et de photos avant de télécharger le contenu sur les réseaux sociaux ou de l'envoyer à des groupes de défense des droits et à des organisations médiatiques.
Après que les colons ont saccagé des grottes occupées par des bédouins, ils se précipitent pour les réparer. Pour être proactifs, ils organisent des manifestations et des sit-in dans les zones vulnérables aux attaques des colons.
"Les forces d'occupation israéliennes attaquent le village de Jawaya avec des bulldozers, combien de Palestiniens seront déplacés ?" Une autre photo montre des champs d'oliviers et de figuiers incendiés.
Le travail de M. Houreini a coûté cher. "En raison de ma présence sur les réseaux sociaux et de ma documentation sur les événements qui se déroulent à Masafer Yatta, j'ai été arrêté 11 fois et soumis à des passages à tabac, à la torture et à des interrogatoires", a déclaré M. Houreini.
Dans certains cas, la documentation de M. Houreini a porté ses fruits. Récemment, le père de Houreini, également militant, a été accusé d'avoir attaqué un colon. L'accusation a été abandonnée après que Houreini a filmé l'attaque, prouvant qu'il s'agissait de légitime défense.
D'autres groupes, comme B'Tselem, ont méticuleusement répertorié les violences commises par les colons, allant même jusqu'à créer une base de données consultable des incidents violents.
Mais même la meilleure documentation ne peut pas tout faire. Les activistes en ligne affirment que leur travail doit déboucher sur des sanctions à l'encontre des colons. Jusqu'à présent, Washington a imposé des sanctions limitées aux colons israéliens qui commettent des actes de violence en Cisjordanie, mais ces punitions relativement mineures n'ont guère contribué à décourager leurs assauts.
Les journalistes locaux ont également joué un rôle essentiel en documentant les déplacements. Et ce, bien que la Palestine soit le "pays le plus dangereux du monde" pour les journalistes, selon Reporters sans frontières, qui a déposé de nombreuses plaintes auprès de la Cour pénale internationale, accusant Israël de commettre des crimes de guerre à l'encontre des journalistes.
En Cisjordanie, 76 journalistes palestiniens ont été arrêtés et une cinquantaine d'entre eux croupissent encore derrière les barreaux, selon le dernier décompte du Syndicat des journalistes palestiniens (PJS). Ces chiffres s'ajoutent à la centaine de journalistes tués à Gaza.
Omid Shihada, 37 ans, correspondant de la chaîne de télévision Al-Araby en Cisjordanie, fait partie des nombreux journalistes palestiniens qui documentent les violences commises par les colons.
M. Shihada explique qu'il a été frappé par l'obsession des colons à brûler tout ce qui se trouve sur leur passage. Il décrit des colons organisant des attaques de nuit à grande échelle, transportant des matériaux inflammables dans leurs poches pour mettre le feu à tout ce qu'ils rencontrent.
"Ils brûlent des maisons avec des gens à l'intérieur. Ils brûlent des cultures agricoles. Ils brûlent des véhicules", explique M. Shihada.
Malgré tout, Shihada affirme que les efforts pour archiver ce qui se passe doivent se poursuivre.
"Je n'abandonnerai pas", dit Shihada. "Nous sommes la génération qui changera l'état d'esprit de notre communauté locale d'abord, puis de la communauté internationale."
Traduction : AFPS
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Face aux vols de maisons par les colons, la résistance populaire se mobilise à Al-Makhrour
Depuis la fin du mois de juillet 2024, des groupes de colons ont chassé la famille Kisiya de son foyer dans le village d'Al-Makhrour à Beit Jala. Cette expulsion, qui marque une nouvelle étape de la colonisation de la région de Bethléem, a pu se dérouler grâce au soutien de l'armée israélienne, qui a chassé les dizaines d'activistes et de militantes issu.es des mouvements de solidarités israéliens et internationaux et des habitant.es avec une forte mobilisation des Palestiniens chrétiens de la région.
Tiré de France Palestine Solidarité.
La famille Kisiya, victime de cette énième éviction bénéficie d'une décision juridique israélienne en sa faveur, que les autorités israéliennes refusent de respecter. Depuis déjà quatre semaines, la famille Kisiya se bat et se mobilise aux côtés de dizaines de militantes. Un campement solidaire y a été implanté afin de continuer à revendiquer les droits de la famille Kisiya. Le campement a même été rejoint par des activistes des villages de Masafer Yatta, où les habitant.es subissent quotidiennement des attaques de colons.
Le 24 aout 2024, le campement a été attaqué par les colons installés sur le terrain de la famille Kisiya. L'attaque a pu être repoussé et l'arrivée des trouves israéliennes a provoqué la retraite des colons qui sont retournés se retrancher dans la maison qu'ils occupent.
Suite à cette attaque, Alice Kisiya a été arrêtée par les soldats israéliens puis relâchée deux jours plus tard. Depuis, le campement solidaire a reçu la visite de nombreuses organisations et personnalités locales et internationales, comme le Pasteur de Bethléem, Munther Isaac ou le Consul Général de France à Jérusalem.
Sources : WAFA / Mistaclim / Free Jerusalem / Combatants For Peace / Voices Against War / Good Shepherd Collective / Jalal-AK / Ihab Hassan / Alice Kisiya / Xavier Abu Eid / Alice Level / Pasteur Munther Isaac / Yasser Okbi /Sources Locales
Photo : Mosab Shawer
Alice Kisiya faisant face à l'un des colons ayant attaqué le campement qui fait face à la maison de la famille Kisiya.
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Elections (Etats-Unis) : J.D. Vance, colistier de Donald Trump, et le nouveau visage de la droite américaine
Le colistier de Donald Trump est la figure de proue des nationaux-conservateurs, une mouvance dont la vision du monde diffère nettement de celle traditionnellement promue par le Parti républicain.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
23 août 2024
Par Gabriel Solans
Le choix de J.D. Vance en tant que colistier de Donald Trump à l'élection présidentielle a suscité une attaque en règle en provenance du camp démocrateà l'égard du sénateur de l'Ohio, surtout connu jusqu'ici pour son essai à succès Hillbilly Elegy, livre de mémoires publié en 2016 où il revient sur sa famille modeste rongée par les fléaux de l'Amérique rurale blanche des Appalaches. L'ouvrage, à la tonalité conservatrice (par exemple, il attribue l'essentiel de la responsabilité pour leur triste sort aux Hillbillies eux-mêmes, présentés comme peu enclins à avoir une véritable éthique du travail), est devenu un bestseller et a été adapté en film.
Bien qu'il n'apporte pas d'idées neuves et n'a que peu de productions écrites à son actif, Vance, 39 ans, devenu sénateur de l'Ohio en 2023, occupe une place de choix au sein des réseaux qui forment une nouvelle élite conservatrice au sein du Parti républicain et autour de celui-ci.
Steve Bannon – le fameux ancien conseiller de Trump vu par certains comme son éminence grise, ex-patron du site de droite radicale Breitbart News et figure centrale de la « nouvelle droite » américaine, qui vient de commencer à purger une peine de prison ferme pour son rôle dans l'insurrection du 6 janvier 2021 – voit en Vance « the St. Paul to Trump's Jesus », le converti zélé devenu un apôtre. Qui est le putatif futur vice-président des États-Unis et qu'est-ce que le « post-libéralisme » dont il se réclame ?
Une figure de proue des « nationaux-conservateurs »
S'il y a un élément évident, c'est que la nomination de J.D. Vance approfondit la rupture de Donald Trump avec l'establishment historique du Parti républicain pour forger de manière définitive un conservatisme de style plus populiste, anti-immigration et nativiste, critiquant la mondialisation et rompant avec les héritages néolibéral en économie et néo-conservateur en politique étrangère.
On assiste, avec l'alliance entre Trump et Vance, à la destruction du fusionnisme, synthèse idéologique et électorale entre libertariens économiques et conservateurs sociétaux née en 1955 avec la National Review de William Buckley et qui constituait la base du Parti républicain depuis lors.
Vance est considéré comme la figure de proue en politique du mouvement des NatCons, les « nationaux-conservateurs », créé par l'intellectuel israélo-américain Yoram Hazony après la parution de son essai de 2018 intitulé The virtue of nationalism, élu livre conservateur de l'année en 2019.
Ce courant organise chaque année une grande conférence rassemblant des intellectuels occidentaux intitulée NatCons (la première ayant eu lieu en 2019) et mise sur pied par l'Edmund Burke Foundation, think tank dirigé par Yoram Hazony. Il a pour particularité d'être très ouvert aux penseurs et acteurs politiques du Vieux continent, créant des échanges intellectuels transatlantiques entre nationaux-conservateurs européens et américains.
Les intellectuels et hommes politiques illibéraux d'Europe servent ainsi d'inspiration aux conservateurs étatsuniens pour repenser la démocratie libérale étatsunienne et créer un ordre « postlibéral », ce qui constitue une rupture majeure. Les nationaux-conservateurs sont très admiratifs de Viktor Orban. Lui-même, son conseiller Balazs Orban, mais aussi Tucker Carlson ou Giorgia Meloni furent des orateurs de marque de la conférence des Natcons. Le gouverneur de Floride Ron DeSantis, qui a déclaré la guerre au « wokisme », fut la star de l'édition de septembre 2022 de ce rassemblement, qui allait se tenir en 2023 à Londres, accueillant notamment la très anti-immigrationSuella Braverman, Home Secretary en 2022 et 2023.
Toutes ces personnalités font partie de cercles poursuivant la « révolution » de Trump dans le rapport au monde de la droite américaine, avec notamment le think tank Claremont Institute situé en Californie. La chercheuse Maya Kandel a étudié la façon dont cette galaxie cherche à « théoriser à rebours » le trumpisme, c'est-à-dire donner une forme idéologique intellectualisée aux instincts de Donald Trump.
À la dernière conférence des NatCons en date, en juillet 2024, peu avant la tentative d'assassinat qui allait viser Trump, l'un des orateurs stars a été le conseiller immigration de Trump durant sa présidence Stephen Miller. Lors de cette édition, J.D. Vance a clamé porter un nationalisme basé sur « la terre natale, pas sur des idées », assumant un tournant nativiste et « anti-cosmopolite ».
Vance, converti au catholicisme en 2019, est également proche des intellectuels catholiques de la « post-liberal right » (un terme pouvant être synonyme de droite illibérale), notamment de Patrick Deneen, avec qui il a partagé une conférence en 2023, et de Rod Dreher, autre converti au catholicisme (aujourd'hui immigré en Hongrie, séduit par Orban).
Patrick Deneen a publié un essai au titre explicite, Regime change, où il appelle à remplacer l'ensemble des élites libérales du pays. Comptant notamment dans ses rangs Adrien Vermeule, professeur de droit constitutionnel à Harvard, cette galaxie d'intellectuels catholiques considère l'Amérique en faillite, condamnée du fait même de la formation intellectuelle des Pères Fondateurs et de l'héritage des Lumières. Vermeule va jusqu'à souhaiter la mise en place d'une théocratie catholique.
Une politique étrangère « jacksonienne » anti-interventionniste
Mais c'est la politique étrangère qui aurait servi d'élément déclencheur à la conversion de J.D. Vance au trumpisme.
Début 2023, il a publié dans le Wall Street Journal un texte d'opinion en faveur de Trump alors que Ron DeSantis semblait, à ce moment-là, mieux placé pour décrocher l'investiture républicaine. La principale raison de ce ralliement à l'ex-président était l'isolationnisme prôné par celui-ci.
Sur la politique étrangère, Vance est dans la droite ligne des « Natcons » ainsi que du Claremont Institute, formé par des dissidents des néo-conservateurs qui refusaient l'idéalisme wilsonien en politique étrangère.
La Chine est perçue par cette mouvance, adepte d'une perspective dite « réaliste » des relations internationales, comme le seul ennemi des États-Unis, car le seul pouvant le menacer directement. Pour Trump comme pour les NatCons, les États-Unis doivent porter leurs efforts vers l'Asie et, par conséquent, se désengager de l'Europe – une politique dans la lignée du « pivot vers l'Asie » initié par Barack Obama.
Cet ensemble idéologique peut être qualifié de « jacksonien » selon la typologie établie par Walter Russell Mead des quatre types de politique étrangère aux États-Unis. Ce terme renvoie à la politique conduite par le président Andrew Jackson (1829-1837) considéré comme un modèle par Donald Trump. Le jacksonisme serait moins un repli sur soi qu'une défense musclée des intérêts directs étatsuniens, sans idéalisme et uniquement sur la base d'enjeux de puissance.
Sénateur depuis 2022, Vance s'est distingué en étant le chef de file au Sénat des Républicains souhaitant réduire l'aide à l'Ukraine, exhortant les Européens à accroître leur propre engagement.
Début 2022, peu après le début de l'invasion, devant la Heritage Foundation, il déclarait ne pas se sentir concerné par ce qui pourrait advenir de l'Ukraine et qualifiait la Chine de seul « real enemy » des États-Unis. J.D. Vance est évidemment favorable à l'aide à Israël et a accusé Biden d'avoir ralenti la victoire sur le Hamas.Son isolationnisme ne semble pas s'appliquer à Israël, tant pour des raisons religieuses que parce que, selon lui, l'alliance avec l'État hébreu serait profitable à l'Amérique, notamment pour la coopération technologique.
Des liens avec la mouvance NRx ou « droite tech »
Le parcours de Vance nous éclaire aussi sur les réseaux de la mouvance NRx, ou « néo-réactionnaire », terme généralement traduit en français par « droite tech ».
Ce courant est apparu dans les années 2000 au sein d'une fraction des élites de la Silicon Valley convaincues par les écrits du blogueur Curtis Yarvin (ou Mencius Moldbug sous pseudonyme). Vance a cité son projet consistant à pousser le spoil system (système permettant à tout nouveau président de remplacer un certain nombre de postes dans l'administration) jusqu'aux employés d'échelon moyen, quitte à aller à l'encontre de la Cour suprême. Yarvin est en effet à l'origine de l'expression aux accents libertariens RAGE (« Retire All Government Employees »). Selon sa formule, « Cthulhu only swims left », le monstre tentaculaire de Lovecraft symbolisant l'excès d'État qui pour lui conduirait structurellement à une politique de gauche.
Elon Musk et Peter Thielsont des soutiens de ce courant aux contours flous représenté par quelques auteurs. Ils ont en commun d'être très critiques de la démocratie libérale et de prôner un retour de l'ordre (parfois jusqu'à la monarchie), et parlent à l'occasion de différences biologiques entre groupes humains et d'inégalités naturelles. Pour eux, l'association historique entre la démocratie et le libéralisme économique est une erreur créatrice d'« entropie » (de désordre) et qui doit être corrigée pour que l'Occident soit sauvé. Toutefois, si pour les illibéraux classiques il faut refonder la démocratie en mettant au ban le libéralisme, pour la mouvance NRx il faut sauver le libéralisme de la démocratie par un régime autoritaire, ce qui semble paradoxal.
Comment ces deux visions peuvent-elles coexister ? Curtis Yarvin considère que la démocratie n'a de sens que pour faire élire celui qui mettra fin à celle-ciet espère que Trump effectuera ce travail, ou à tout le moins rapprochera le pays de cet objectif. En attendant, les réseaux se soudent pour préparer l'alternance et le nouveau stade du Parti républicain. C'est le milliardaire Peter Thiel, un des grands mécènes (et essayiste) de cette mouvance, soutien aussi de Trump, qui finance les conférences Natcons ainsi que les campagnes électorales de plusieurs sénateurs trumpistes (dont J.D. Vance, à qui il donna 15 millions de dollars, ou encore Josh Hawley notamment). C'est un membre éminent de la « Mafia PayPal » où l'on retrouve également Elon Musk.
En 2016, Vance a rejoint sa société de capital-risque, Mithril Capital Management. Thiel a permis le rapprochement de Vance avec Trump, lui qui avait auparavant compté parmi les « Never Trump ».
La Heritage Foundation, think tank conservateur historique datant de l'ère Reagan, a publié un très long texte de 900 pages intitulé sobrement Project 2025 qui donne des indices sur ce qui est souhaité par tous ces groupes. Trop radical dans ses appels à un tournant autoritaire de l'exécutif américain, il a été désavoué par Donald Trump alors que les critiques commençaient à pleuvoir. J.D. Vance, lui, semble totalement s'y retrouver…
Gabriel Solans, Doctorant en civilisation américaine, Université Paris Cité
< !—> The Conversation
P.-S.
• : The Conversation. Publié : 23 août 2024, 19:49 CEST
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l'article original.
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Des groupes de défense des droits des Latinos exhortent le ministère de la Justice à enquêter sur le procureur général du Texas pour avoir perquisitionné les domiciles des dirigeants de LULAC
Le procureur général républicain du Texas, Ken Paxton, est accusé d'utiliser son bureau pour réprimer les électeurs latinos de la League of United Latin American Citizens LULAC) - Ligue des citoyens latino-américains unis, le plus ancien groupe de défense des droits civiques des Latinos du pays, demande au ministère de la Justice d'enquêter sur Paxton à la suite d'une série de descentes de police aux domiciles de membres de LULAC, de législateurs de l'État et d'autres dirigeants communautaires dans la région de San Antonio la semaine dernière.
28 août 2024 | tiré du site de Democracy now !
https://www.democracynow.org/2024/8/28/texas_voter_suppression_ken_paxton
AMY GOODMAN : C'est Democracy Now !, democracynow.org, Le rapport sur la guerre et la paix. Je suis Amy Goodman, avec Juan González. Nous nous tournons maintenant vers le Texas, où le procureur général républicain Ken Paxton soulève des inquiétudes quant à la suppression des électeurs en ciblant le plus ancien groupe de défense des droits civiques latino-américains du pays, LULAC, la Ligue des citoyens latino-américains unis. LULAC a d'abord été fondée pour lutter contre la discrimination à l'égard des citoyens d'origine mexicaine au Texas. Il répond à une série de perquisitions aux domiciles de membres de LULAC, de législateurs de l'État et d'autres dirigeants latinos dans la région de San Antonio la semaine dernière.
S'adressant aux médias lundi, Lidia Martinez, une bénévole de longue date de LULAC, âgée de 87 ans, a décrit comment des agents armés sont arrivés à son domicile à 6 heures du matin avec un mandat pour saisir des appareils électroniques, un prélèvement d'ADN, alors qu'ils recueillaient des preuves de collecte de votes présumés et de fraude concernant l'identité.
LIDIA MARTINEZ : J'étais en chemise de nuit, et j'ai cru que c'était mon voisin d'à côté. Et je suis allé à la porte, et neuf officiers du bureau du procureur général sont entrés. Et ils avaient un mandat de perquisition, et ils m'ont dit qu'ils étaient là parce que j'avais déposé une plainte selon laquelle les personnes âgées ne recevaient pas leurs bulletins de vote par correspondance. Et j'ai dit : « Oui, je l'ai fait. » Et il a dit : « Avez-vous les noms ? » Et j'ai dit : « J'ai quelques noms. » Et ils sont entrés, et j'ai dit : « Puis-je m'habiller ? » Ils ne m'ont pas laissé faire.
Ils m'ont fait asseoir et ils ont commencé à fouiller toute ma maison – mon débarras, mon garage, ma cuisine, tout. Et après deux heures d'interrogatoire, ils m'ont emmené dehors devant tous mes voisins et tous les officiers autour de moi et... pendant une demi-heure pendant qu'ils fouillaient le salon où j'étais assis. Et au bout d'une demi-heure, ils m'ont laissé rentrer dans la maison, et ils ont continué à me poser des questions et à me poser des questions sur les membres de LULAC, en particulier. Et je leur ai dit : « Pourquoi faites-vous tous cela ? » Et il a dit : « Parce qu'il y a eu fraude. »
AMY GOODMAN : LULAC demande au ministère de la Justice d'enquêter sur le procureur général du Texas, Ken Paxton, sur les raids. Cela survient alors que ProPublica et The Texas Tribune rapportent que Paxton a également utilisé la loi sur la protection des consommateurs plus d'une douzaine de fois pour enquêter sur une série d'organisations ou de groupes principalement dirigés par des Latinos qui offrent de la nourriture et un abri aux migrant-e-s et aux demandeurs d'asile le long de la frontière. Paxton a également tenté de faire taire le groupe de défense des droits civiques FIEL à Houston, affirmant qu'il se livrait à des campagnes électorales, mais un juge a récemment rejeté ses efforts.
Tout cela survient alors que les procureurs ont accepté en mars d'abandonner les accusations de fraude en valeurs mobilières contre Paxton lui-même, ce qui lui a permis d'éviter d'être jugé s'il effectuait cent heures de travaux d'intérêt général. Ceci est distinct des allégations de corruption plus récentes auxquelles Paxton a été confronté et qui ont conduit à son procès en destitution l'année dernière, dans lequel il a été acquitté par le Sénat du Texas contrôlé par les républicains.
Pour en savoir plus, nous nous rendons à Houston, où nous sommes rejoints par Cesar Espinosa, directeur exécutif de FIEL, qui est l'acronyme espagnol de Familles d'immigrants et d'étudiants en lutte. Et à Miami, en Floride, nous sommes rejoints par Juan Proaño, PDG de LULAC, le plus grand et le plus ancien groupe de défense des droits civiques latinos aux États-Unis.
Juan, commençons par vous. Expliquez ce qui s'est passé la semaine dernière au Texas.
JUAN PROAÑO : Eh bien, bonjour, Amy. Merci de m'avoir invité.
Comme vous l'avez dit, vous savez, mardi dernier, à notre connaissance, plus de 12 mandats de perquisition ont été présentés à des dirigeants latinos, des membres de LULAC à San Antonio. Dans le cas de Lidia, comme vous venez de le décrire, huit policiers armés sont arrivés. Mais dans un autre cas, Manuel Medina, près de 40 officiers, armés d'AK-47, d'équipement SWAT, sont entrés chez lui à 6 heures du matin. Sa fille dormait sur le canapé du rez-de-chaussée, pensant que quelqu'un entrait par effraction dans la maison. Il était à l'étage avec sa femme et ses autres filles. Ils descendirent. Et ils ont été détenus, interrogés pendant plus de sept heures.
JUAN GONZÁLEZ : Et, Juan Proaño, qu'est-ce que cela vous apprend sur les efforts des responsables du Texas pour intimider les électeurs latinos ?
JUAN PROAÑO : Eh bien, je veux dire, vous savez, c'est omniprésent. Vous savez, nous avons évidemment fait beaucoup de recherches ici. Et cela n'a pas commencé la semaine dernière. Vous savez, cette enquête sur l'intégrité des élections a commencé il y a plus de deux ans, essentiellement, à ce stade, elle a également été renvoyée par un autre procureur de district républicain sans aucune preuve.
En juin, nous avons vu qu'ils ont poursuivi l'archidiocèse de Rio Grande Valley, Sœur Norma Pimentel, qui fournit aux migrants des services qui se trouvent légalement dans ce pays. Puis, le mois dernier, nous avons vu Annunciation House, qui fournit des services aux réfugiés, ainsi que FIEL, et nous avons également vu 12 autres organismes sans but lucratif qui sont passés par le même processus de perquisition et de saisie.
Du moins, d'après ce que nous avons entendu des tribunaux, c'est inconstitutionnel. En effet, le droit de la responsabilité délictuelle qu'il utilise pour, essentiellement, poursuivre des organisations à but non lucratif parce qu'elles fournissent des services aux immigrants est vraiment une discrimination flagrante.
Vous savez, nous nous attendions à ce qu'il s'en prenne à LULAC et le poursuive en justice, mais, certainement, nous avons été très surpris quand il a commencé à s'en prendre aux dirigeants latinos et aux membres réels de LULAC. Sur les 12 que nous connaissons, quatre sont membres de LULAC, trois d'entre elles sont des femmes octogénaires. Et on leur a dit de ne parler à personne après la perquisition et la saisie. Ils ont pris leurs téléphones portables. Ils ont pris leurs ordinateurs. Ils ont pris des documents. Dans le cas de Lidia, ils ont pris son calendrier, où elle conserve essentiellement tous ses rendez-vous chez le médecin, ses contacts personnels, des informations sur ses médicaments sur ordonnance. Et elle venait d'aller chez le médecin la veille et a dû y retourner pour obtenir son ordonnance. Elle s'est donc retrouvée sans aucun appareil de communication pour communiquer avec sa famille, et a dû littéralement quitter sa maison pour se rendre chez un autre membre de LULAC pour obtenir de l'aide.
AMY GOODMAN : Pouvez-vous nous parler du moment où cela s'est produit, Juan Proaño ? Pour la première fois dans l'histoire de LULAC, créé en 1929, le PAC Adelante de LULAC, le comité d'action politique, a soutenu Harris et Walz, a soutenu Kamala Harris pour être présidente. Pensez-vous qu'il y a un lien direct ? Et expliquez les différentes composantes de votre organisation.
JUAN PROAÑO : Sûr. Et merci, Amy, pour cette question. Ainsi, LULAC, pour revenir à votre question, a été fondée en 1929 à Corpus Christi. C'est l'entité que tout le monde connaît effectivement et à laquelle tout le monde se réfère communément, essentiellement, sous le nom de LULAC. Nous avons plus de 535 conseils à travers le pays. Chacun de ces conseils est constitué en société. Ils portent en fait le nom et le sceau LULAC. Nous avons plus de 240 000 membres dans les 50 États, et nous avons en fait ces 535 conseils dans 33 États et 207 villes. Nous sommes donc la plus grande organisation latino-américaine du pays.
(...)
JUAN GONZÁLEZ : Et, Juan, je voulais vous poser une question distincte également liée aux élections. Lundi, le gouverneur du Texas, Greg Abbott, a annoncé que l'État avait retiré plus d'un million de noms des listes électorales du Texas. Aujourd'hui, les purges sont courantes dans de nombreux États, mais c'est un grand nombre, et cela arrive évidemment si près des élections.
JUAN PROAÑO : oui. Je veux dire, écoutez, nous l'avons vraiment vu. Il est sorti vers 17h00. Vous savez, nous avons commencé notre campagne de plaidoyer jeudi soir. Il nous a littéralement fallu deux jours pour obtenir des informations sur le cas de Lidia et pour commencer à rassembler tous les faits pertinents à cette affaire.
Vraiment, c'est sa forme de déviation, n'est-ce pas ? C'est son effort pour dire en gros : « Écoutez, vous savez, nous avons un million de personnes qui sont sur nos listes électorales et que nous sommes en train de radier. » En fait, j'ai passé en revue ces chiffres. Plus de 467 000 d'entre eux, essentiellement, sont décédés, n'est-ce pas ? Environ 400 000 autres sont, en fait, ce qu'on appelle en mode suspendu, mais seulement 6 500 d'entre eux sont en fait ce qui est classé, en fait, comme des non-citoyens. Vous parlez donc de 0,0065 %. Moins de 1 % d'entre eux sont en fait des non-citoyens. Et seulement 1 900, soit 1/1000e de pour cent de ce million, ont réellement un historique de vote. Mais dire qu'il y a une fraude électorale systémique et une base d'électeurs dans l'État du Texas est absolument faux.
AMY GOODMAN : Juan Proaño, dans une minute, nous voulons vous interroger sur l'étude de LULAC sur le Projet 2025. Mais nous voulons faire venir Cesar Espinosa, le directeur exécutif de FIEL, - Familles d'immigrants et étudiants en lutte. César, pouvez-vous commencer par parler de ce qui s'est passé dans votre nouveau bureau, votre ancien a été détruit par un ouragan, de la tenue d'un procès contre vous par le procureur général, qui fait lui-même l'objet d'une enquête et a subi un procès en destitution, qui effectue maintenant des travaux d'intérêt général, mais il fait aussi cela ?
CESAR ESPINOSA : Eh bien, donc, malheureusement, nous avons perdu notre bureau. FIEL est ici à Houston depuis 17 ans. Et au cours des 17 dernières années, nous avons aidé de nombreux Houstoniens, quel que soit leur statut d'immigration, à se remettre de catastrophes naturelles. Donc, quelques jours seulement après le passage de l'ouragan ou un jour après le passage de l'ouragan, Beryl a frappé — excusez-moi —, je parlais à ma famille du fait que j'étais prête à retourner là-bas, prête à servir notre communauté, à servir les gens et à aider les gens à se à reprendre pied.
Malheureusement, ce n'était pas le cas. Nous avons été frappés par deux tempêtes : la première, la tempête physique de Beryl, et puis, deuxièmement, le premier jour où nous avons emménagé dans notre nouveau bâtiment, nous avons été confrontés à un procès de l'État du Texas, ce qui nous a vraiment pris au dépourvu.
AMY GOODMAN : Et que dit ce procès ? Pour quoi avez-vous été poursuivi en justice ?
CESAR ESPINOSA : Ce procès affirmait que nous faisions campagne électorale par une série de messages sur les réseaux sociaux qui ont été interprétés par le procureur général du Texas comme plaidant en faveur d'un certain parti ou de certaines questions. Mais en fin de compte, notre institution et notre travail sont basés sur l'éducation de la communauté, l'autonomisation de la communauté et l'intégration complète des membres de la communauté de tous les horizons dans la société américaine.
JUAN GONZÁLEZ : Et le procès était – le juge du comté de Harris, R.K. Sandill, a nié les efforts de Paxton ? Pourriez-vous nous parler de ce que le juge a dit ?
CESAR ESPINOSA : Eh bien, à la fin de la journée, le juge, Sandill, a déclaré que le procureur général Ken Paxton n'avait pas qualité pour agir dans cette affaire, qu'il allait trop loin. Et à la fin de la journée, l'affaire a été classée sans suite. Mais cela envoie, vraiment, des alarmes dans tout l'État du Texas à de nombreuses organisations qui essaient d'aider notre communauté qu'elles pourraient également être ciblées.
JUAN GONZÁLEZ : Et quel type de soutien avez-vous reçu à travers le Texas à la suite de cette attaque du procureur général ?
CESAR ESPINOSA : Eh bien, nous sommes vraiment submergés par l'appui de la communauté que nous avons reçu, par l'ampleur du soutien en ligne, par le nombre de personnes qui se manifestent et disent que le procureur général est allé trop loin. Vous savez, je dis toujours à ma femme de ne jamais lire les commentaires dans les articles ou des choses comme ça, mais moi-même, j'y suis allé et j'ai lu. Et ce que j'ai lu et ce que j'ai compris de tous les articles, de tout ce qui a été publié, c'est le fait que des gens de tous les horizons, de tous les côtés de l'échiquier politique, ont le sentiment que ce procureur général va beaucoup trop loin.
Et puis, dans la foulée de cela, nous entendons parler de ce que traverse LULAC. Et ce n'est qu'une chose après l'autre après l'autre. Ensuite, ils ont contesté le programme de libération conditionnelle sur place. Donc, il y a tellement de choses qu'ils font pour essayer de priver les Latinos de leurs droits, d'essayer de désillusionner les Latinos pour qu'ils ne participent pas aux élections, c'est vraiment comme si nous nageions à contre-courant ici dans l'État du Texas.
AMY GOODMAN : Alors, Juan Proaño, alors que nous écoutons ce qui est arrivé à Cesar Espinosa et que vous décrivez les raids contre vos membres, y compris à la maison d'un bénévole de LULAC âgé de 87 ans et bénévole depuis 35 ans, pouvez-vous parler de ce que vous exigez du ministère de la Justice, d'un examen de ces raids au Texas et de la façon dont les actions de Paxton s'intègrent dans l'évolution de la politique et de la démographie du Texas ?
JUAN PROAÑO : Donc, vous savez, avant tout, nous sommes solidaires de César et de FIEL. Ils font un travail absolument incroyable. Et en ce qui concerne Lidia, non seulement elle a 87 ans, Amy, mais elle est grand-mère, elle est arrière-grand-mère. Ses cinq frères ont en fait servi dans l'armée. L'un de ses frères a été tué pendant la guerre du Vietnam et a reçu la Silver Star. Ce sont des citoyens américains des États-Unis, n'est-ce pas ? Et donc, vous savez, pour nous, cela dépasse vraiment les bornes, en ce qui concerne ce que sont ces actions.
Nous avons communiqué avec le ministère de la Justice. Nous avons en fait envoyé une lettre demandant une enquête sur ces tactiques de suppression des droits des électeurs actuellement en cours au Texas. Nous continuerons à rester forts et nous organisons nos alliés, tant dans la communauté afro-américaine que dans la communauté latino-américaine. Nous allons tenir bon, et nous allons nous battre.
JUAN GONZÁLEZ : Et, Juan Proaño, pourriez-vous également parler du nouveau rapport de LULAC, « The Battle Ahead : Latino Civil Rights vs. Project 2025 » ?
JUAN PROAÑO : Bien sûr, Juan. Et je m'excuse. Il y a une partie à laquelle je n'ai pas répondu pour Amy, un peu à propos de la démographie. Ainsi, dans le dernier rapport du recensement américain publié par le Bureau du recensement, ils ont signalé l'existence de 12,1 millions de Latinos dans l'État du Texas. Pour la première fois, n'est-ce pas ? – et vraiment depuis un certain temps maintenant, les Latinos sont en fait plus nombreux que les Blancs non hispaniques, qui sont 12 millions, d'accord ? Ainsi, si l'on tient compte non seulement de la population latino-américaine de l'État du Texas, mais aussi de la population afro-américaine et asiatique, et même si l'on tient compte de deux races ou plus, la communauté minoritaire du Texas s'élève maintenant à plus de 60 %. Le Texas est et a été un État comptant une majorité formée par les minorités.. Et donc, ce grand changement démographique que vous voyez, vous savez, est répandu. Et donc, nous voyons cela, effectivement, comme des tactiques pour que les républicains restent réellement aux commandes du gouvernement au Texas. La démographie change. Ils ne vont pas pouvoir changer cela de sitôt. Et ils vont devoir s'en occuper tôt ou tard.
En ce qui concerne le Projet 2025, LULAC a publié il y a quelques semaines le premier et le seul rapport que je vois qui analyse le Projet 2025 à travers une lentille latino. De toute évidence, cela a été très largement rapporté tout au long de l'histoire. C'était évidemment très répandu dans le programme de la Convention nationale démocrate. À Chicago, nous étions là pour écouter la vice-président Harris et Walz parler de cela.
Vous savez, j'étais très inquiet, choqué, quand j'ai regardé la Convention nationale républicaine ce mardi-là et ils sont sortis avec des pancartes « déportation de masse ». Vous savez, quelqu'un y a pensé. Quelqu'un a conçu ces panneaux. Ils leur ont ordonné. Ils les ont imprimés. Ils les ont distribués à des milliers de personnes dans ce centre de congrès.
Ce n'est qu'une partie de ce qui se trouve dans le Projet 2025. Vous savez, ils parlent, en fait, de programmes qui visent effectivement les commmunautés minoitaires. Lle ministère de l'Éducation, également, veut limiter différents types de visas qui permettent d'accéder à la citoyenneté dans ce pays. C'est systémique.. Cela aurait un impact non seulement sur les communautés latino-américaines, mais aussi sur d'autres communautés d'immigrants et de minorités à travers le pays. Et pas seulement les communautés minoritaires, cela aurait un impact sur un nombre important de Blancs non hispaniques, car cela recoupe également tous les facteurs socio-économiques.
AMY GOODMAN : Nous tenons à vous remercier tous les deux d'être avec nous. Juan Proaño est PDG de LULAC. Il nous parlait de Miami, en Floride. Et Cesar Espinosa est directeur exécutif de FIEL à Houston, Families of Immigrants and Students in the Struggle.
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L’intelligence artificielle et la fonction publique : clarification des enjeux

L’arrivée de l’intelligence artificielle (IA) générative auprès du public ces dernières années a augmenté la tenue de discours polarisants où elle est parfois présentée comme un risque existentiel ou comme une technologie révolutionnaire. Or, il y a un écart flagrant entre ce type de discours et l’usage actuel de l’IA au sein de la fonction publique, voire en général. Loin d’une superintelligence, les applications actuelles sur les sites Web gouvernementaux prennent plutôt la forme de « robots conversationnels », d’algorithmes de détection de fraudes, d’automatisation de la prestation de services ou encore d’assistance au diagnostic médical[1]. Loin d’une révolution sociale, l’IA perpétue plutôt le statu quo, c’est-à-dire la marginalisation et la discrimination de certaines populations selon des critères de genre, de religion, d’ethnicité ou de classe socioéconomique.
En déployant ces algorithmes dans l’appareil administratif, l’État cherche à accroitre la productivité, à diminuer les coûts et à améliorer la qualité des services fournis, tout en réduisant les biais et en personnalisant les services. Cependant, l’intégration de l’IA dans l’administration publique québécoise demeure pour le moment limitée et peu transparente. Les gains envisagés avec l’aide de l’IA, quant à eux, s’articulent principalement du côté de la répartition du temps des fonctionnaires, en concentrant leur travail sur des tâches plus « humaines » et moins « mécaniques ». Toutefois, l’automatisation ne se limite pas à une simple redistribution du temps de travail, mais met en œuvre plutôt une transformation substantielle des responsabilités et des dynamiques du travail[2]. Les conceptrices et concepteurs des fonctionnalités des algorithmes occupent une place de plus en plus importante tandis que les autres employé·es se voient davantage relégués à des rôles de soutien, par exemple, en nettoyant les données entrantes ou en vérifiant les données sortantes[3]. En ce sens, bien loin d’affranchir les travailleuses et travailleurs des tâches fastidieuses, l’IA ancre davantage l’aspect répétitif du travail administratif. Cette transition s’inscrit dans une restructuration plus vaste des relations socioéconomiques du « capital algorithmique », où l’accumulation, le contrôle et la valorisation des données massives reconfigurent les dynamiques de pouvoir et les rapports sociaux vers une nouvelle économie politique[4].
Dans un tel contexte, il y a un véritable risque de tomber dans un « solutionnisme technologique[5] » qui réduit des problèmes sociaux et politiques complexes, comme le décrochage scolaire ou l’engorgement du système de santé, à des enjeux pouvant se régler à l’aide d’une application ou d’une technologie. Alors que les écoles publiques sont en piètre état, qu’une pénurie de professeur·es et une précarité généralisée persistent, le gouvernement se réjouit du potentiel de l’IA pour personnaliser l’apprentissage et repérer les élèves à risque de décrochage en temps réel, et il y investit plusieurs millions[6]. Ce genre de discours n’est pas sans conséquence. Il reflète la réorientation des valeurs ainsi que celle des fonds publics vers une « économie de la promesse[7] » profondément spéculative dont les retombées économiques sont principalement captées par les entreprises du secteur privé[8].
Outre ce premier piège, plusieurs enjeux découlent directement de l’adoption de l’IA dans les différentes sphères de la fonction publique, soit l’opacité des outils de prise de décision, l’aggravation des inégalités sociales et l’absence d’imputabilité.
L’enjeu de l’opacité
Pour des raisons techniques, les processus décisionnels algorithmiques sont difficiles, voire impossibles à établir. Cette opacité constitue, en quelque sorte, un problème dès le départ : comment évaluer qu’une « boite noire » se conforme aux normes et principes d’équité exigés de la fonction publique ? Comment garantir une reddition de comptes ? En ce sens, des enjeux légaux et techniques découlent de l’utilisation de l’IA et entrainent déjà des conséquences importantes.
L’opacité des outils décisionnels automatisés est problématique lorsque leur fonctionnement, voire leur usage, sont sous le sceau du secret commercial ou d’autres barrières légales à l’accès à l’information. Le développement de technologies d’IA par le personnel de l’administration publique est rarement envisagé en raison des coûts initiaux élevés et du manque d’expertise technique. C’est donc largement par appels d’offres ou par l’acquisition de systèmes clés en main que les divers ordres de gouvernement et les municipalités « modernisent » leurs opérations. L’approvisionnement en outils algorithmiques dont le fonctionnement est protégé par le secret commercial est maintenant devenu pratique courante[9]. Pourtant, l’incapacité de présenter le raisonnement derrière une décision générée par un algorithme pose des problèmes de conformité aux cadres normatifs de non-discrimination et d’imputabilité. Certains y voient la source d’une crise de la légitimité du rapport entre le gouvernement et les citoyens et citoyennes[10].
Dans le système judiciaire américain, les applications de l’IA soulèvent des questions sur le droit à un procès juste et équitable. Les juges utilisent couramment des outils algorithmiques pour appuyer leur verdict, mais ils le font à l’aveugle, en quelque sorte. Le logiciel intitulé COMPAS est peut-être le plus connu de ces outils. La Cour suprême du Wisconsin, dans State v. Loomis[11], a statué que l’utilisation de COMPAS sans en divulguer le fonctionnement ni aux juges ni aux appelants n’enfreignait pas le droit à un procès juste et équitable. À l’inverse, dans Michael T. v. Crouch[12], le tribunal a jugé que l’absence de standards vérifiables pour l’allocation de prestations médicales générées automatiquement par des algorithmes représentait de sérieux risques pour le droit à un procès juste et équitable. Ainsi, les personnes affectées ont vu leurs prestations médicales réinstaurées après avoir été coupées subitement par un algorithme dont aucun moyen ne permettait d’établir comment il calculait les indemnités.
De même, les Pays-Bas ont suspendu en 2020 le système de détection de fraudes SyRI dans les prestations sociales parce qu’il contrevenait aux droits de la personne. Les personnes touchées, toutes issues de quartiers défavorisés, n’étaient pas informées du fait que leur profil fiscal avait été trié et jugé frauduleux uniquement par un algorithme. Le fonctionnement de l’outil, quant à lui, était opaque et invérifiable autant pour le tribunal que pour le public[13]. Pour cette raison, l’utilisation de SyRI a été déclarée contraire à la loi. Le gouvernement australien a de son côté déployé Robodebt, un système automatisé de détection de fraudes. Banni en 2019, cet algorithme avait causé des dommages affectant, cette fois-ci, des centaines de milliers de prestataires qui se trouvaient contraints à contester des dettes qui leur avaient été attribuées par erreur[14].
Les administrations publiques canadienne et québécoise utilisent également ce type d’outils. À l’échelle fédérale, un système automatise le tri des demandes de permis de travail et fait progresser celles qui sont admissibles, tandis que les autres demeurent sous la responsabilité des agents de l’immigration[15]. Au Québec, l’utilisation du Système de soutien à la pratique (SSP) comme serveur mandataire soulève des préoccupations qui se sont accentuées en réaction aux « incohérences » produites par l’outil dans un dossier où un enfant a perdu la vie[16]. Ce système prédit la sévérité du risque que court un enfant dans son milieu à partir d’un formulaire de questions à choix multiples. Dans son rapport, Me Géhane Kamel insiste sur le fait que les évaluations générées par le SSP « ne doivent pas se substituer au jugement professionnel des intervenants ». Elle souligne d’ailleurs l’importance du contexte dans lequel se découlent des événements : pénurie de main-d’œuvre, budgets « faméliques » et charge de travail démesurée[17].
L’opacité des outils algorithmiques de prise de décision utilisés par des juges, des administrateurs et d’autres employé·es de l’État est un thème récurrent dans la littérature qui se penche sur l’intégration de l’IA à l’administration publique. Le besoin de transparence à cet égard est évident ; la loi et les directives administratives peuvent jouer ce rôle.
Dans l’État de Washington, le corps législatif a déjà reconnu cette problématique. Déposé en 2019 et désormais sous révision par le Sénat, le projet de loi SB 5356, 2023-2024[18], interdit les clauses de non-divulgation et autres obstacles à la transparence dans les contrats d’acquisition de systèmes décisionnels algorithmiques. En outre, tous les systèmes acquis ou développés au sein de la fonction publique doivent être inventoriés. L’inventaire enregistre des informations sur les données, l’objectif, la capacité générale du système, ses impacts et ses limitations, les évaluations de biais potentiels et les facteurs déterminant son déploiement (où, quand, et comment). Ce genre de descriptif doit être clair pour les utilisateurs et utilisatrices indépendamment de leur capacité à connaitre le langage du code.
Outre les obstacles légaux, les applications de l’IA peuvent être opaques aussi pour des raisons techniques. Même avec le code source, auditer un algorithme et expliquer son fonctionnement constituent des tâches laborieuses pour les experts, surtout en ce qui concerne l’apprentissage automatique, car il présente divers degrés d’opacité[19]. Si Robodebt était problématique, c’est en partie parce que l’outil était trop simple pour une tâche nécessitant beaucoup de nuance[20]. En revanche, une complexité accrue, bien que parfois préférable, compromet la capacité d’interprétation du fonctionnement d’un système. Cette tension, désignée comme l’enjeu de l’« explicabilité », est complexifiée par l’évolution d’un système au fil du temps. À titre d’exemple, un outil de priorisation des ressources municipales entre divers quartiers tel le logiciel MVA[21] doit tenir compte du phénomène d’embourgeoisement observé avec le temps. Afin d’éviter qu’il soit désuet ou pire, nuisible, il faut effectuer une mise à jour périodique des critères décisionnels encodés dans l’outil, ce qui complique l’encadrement par audits externes[22]. Il en va de même sur le plan géographique, où la non-prise en compte des différences socioculturelles peut entrainer des conséquences néfastes[23].
Au vu de ces limites, des mesures de transparence doivent surtout éclaircir le contexte sociotechnique dans lequel ces systèmes sont conçus, déployés et entretenus. Contrairement aux détails techniques, cette information est connue du grand public et permet des échanges démocratiques sur des cas d’utilisation appropriée et inappropriée d’outils algorithmiques. Après tout, ces débats sont essentiels puisque les concepteurs de systèmes doivent parfois trouver un compromis entre des objectifs contradictoires tels que l’équité et l’efficacité[24].
L’enjeu de la discrimination et de l’injustice
Les spécialistes des données sont sollicités pour traduire la prise de décisions administratives en problèmes d’optimisation. L’évaluation de la vulnérabilité d’une personne en situation d’itinérance avec l’outil VI-SPDAT[25], par exemple, se réduit à une prédiction à partir de données telles que le nombre d’hospitalisations, la prescription de médicaments et l’identité de genre. L’« art » du métier consiste à trouver et à accumuler les données dotées du plus grand potentiel prédictif, mais celles-ci comportent également un potentiel discriminatoire. Depuis quelques années, un nombre grandissant d’ouvrages documente et critique les formes de discrimination et d’injustice diffusées par les applications émergentes de l’IA[26].
Aux États-Unis, les communautés qui ont été historiquement davantage surveillées sont aujourd’hui victimes de profilage par des systèmes algorithmiques entrainés à partir de données reflétant le racisme systémique de l’histoire criminelle. Dans un tel contexte, les effets discriminatoires ne sont pas une conséquence du dysfonctionnement de l’algorithme, mais plutôt un reflet d’inégalités enracinées dans les rapports sociaux. Même certaines caractéristiques absentes telles que le sexe, l’âge, l’ethnicité, la religion peuvent être inférés par l’algorithme de façon insidieuse à partir de données comme le code postal, l’emploi ou le prénom[27]. En ce sens, la proposition selon laquelle les algorithmes sont plus neutres et objectifs que les humains est insoutenable puisque les données utilisées par un algorithme sont elles-mêmes biaisées.
En outre, des effets discriminatoires peuvent naitre de l’accumulation de données déséquilibrées. Lorsque l’ensemble des données d’entrainement représente de façon disproportionnée certains groupes à cause d’un manque d’entrées ou d’un surplus, le modèle reproduira ces biais. Par exemple, certains systèmes de reconnaissance faciale actuellement utilisés par la police sont moins précis pour identifier les personnes racisées, car leurs visages sont insuffisamment représentés dans l’ensemble des données et, de ce fait, ils dévient de la norme du visage blanc[28]. Porcha Woodruff et Rendal Reid, détenus à tort par la police sous prétexte d’avoir été identifiés par un système de reconnaissance faciale, sont deux cas d’une liste de plus en plus longue de personnes profilées à tort par le biais de ces technologies[29].
De même, une collection d’outils d’évaluation du risque de récidive, conçus par et pour les personnes blanches, sont employés dans le cas de détenus autochtones au Canada. Dans Ewert c. Canada, la Cour suprême du Canada a statué que le Service correctionnel du Canada (SCC) :
n’avait pas pris les mesures raisonnables appropriées pour s’assurer que ses outils produisaient des résultats exacts et complets à l’égard des détenus autochtones […] Le SCC savait que les outils suscitaient des craintes, mais il a continué à s’en servir malgré tout[30].
Ainsi, les effets discriminatoires de l’IA se réalisent autant par l’exclusion des personnes racisées de l’ensemble des données que par leur inclusion.
L’enjeu de l’imputabilité
Afin de prévenir le déploiement d’algorithmes opaques et discriminatoires, l’encadrement responsable de l’IA ne peut pas se limiter aux déclarations de valeurs et de principes qui, outre le scepticisme à propos de leur efficacité, effectuent une sorte de « lavage éthique ». Les mécanismes d’imputabilité traditionnels, où une action répréhensible est attribuée à son auteur ou son autrice, sont défaillants lorsque des systèmes algorithmiques sont en cause. En ce qui concerne la fonction publique, il faut se tourner vers le droit administratif.
D’abord, les décisions administratives sont jugées selon leur raisonnabilité. Il s’agit de la norme de contrôle appliquée par défaut pour évaluer la validité d’une décision prise par une institution publique[31]. C’est, en quelque sorte, le cœur des mécanismes de protection du citoyen et de la citoyenne. À l’inverse, une décision est jugée déraisonnable s’il y a un « manque de logique interne dans le raisonnement » ou encore un « manque de justification[32] ». Toutefois, comme l’illustre Michael T. v. Crouch, présenter une explication du procédé logique d’un algorithme s’avère parfois impossible[33].
Les outils algorithmiques utilisés en soutien à la décision, quant à eux, complexifient le problème d’imputabilité. State v. Loomis démontre que malgré le besoin de systèmes dont le fonctionnement est intelligible, on peut contourner ceux-ci lorsqu’ils produisent des recommandations plutôt que des décisions. Outre les biais cognitifs relatifs à la fiabilité des algorithmes, ces derniers « réduisent le sentiment de contrôle, de responsabilité et d’agentivité morale chez les opérateurs humains[34] ». Les mécanismes d’imputabilité actuels attribuent le blâme aux personnes et non aux outils d’aide à la décision sans tenir compte des nouvelles dynamiques de pouvoir dans les environnements humain-IA. Or, le pouvoir décisionnel des fonctionnaires peut s’avérer négligeable, en particulier dans un contexte de prise de décision rapide, de manque de formation et de charge de travail démesurée[35]. Ainsi, tel que le souligne Wagner, « les gens ne peuvent pas être blâmés ou tenus responsables uniquement de leur pouvoir discrétionnaire : celui des systèmes techniques doit aussi être pris en compte[36] ». Dans les environnements humain-IA, des mécanismes de justice réparatrice doivent problématiser les dynamiques du travail, en dégager les enjeux et prescrire un changement des pratiques institutionnelles plutôt que d’attribuer le blâme et les sanctions aux individus.
Pour ce faire, l’encadrement des algorithmes doit s’effectuer sur plusieurs plans : à l’échelle de l’instrument, certes, mais également à l’échelle du contexte sociotechnique et de la société[37]. Les premières tentatives visant à assurer une utilisation responsable des algorithmes étaient axées sur la transparence des outils algorithmiques, ce qui est parfois irréalisable et jamais suffisant[38]. On doit établir des normes éthiques et des règles claires pour pallier les limites inhérentes à ces technologies, en commençant par une évaluation de la nécessité et des impacts d’un système d’IA pour une tâche donnée. Le corps législatif, quant à lui, doit mettre l’accent sur la création de nouveaux droits et obligations[39] en matière d’approvisionnement (interdiction de clauses de non-divulgation), de documentation ou encore le droit à une explication, le droit à un examen humain et la divulgation publique des objectifs, des risques et des répercussions de ces systèmes. De plus, les applications à haut risque, comme le SSP décrit précédemment, devraient se conformer à des normes plus strictes, s’accompagner de dossiers plus détaillés, être soumises à des examens plus fréquents et à des conséquences plus importantes en cas de négligence ou d’évitement.
Face à ces enjeux, le grand public joue un rôle clé dans le développement des applications de l’IA. Les pressions du public et les actions judiciaires collectives ont largement permis de retirer et de restreindre des systèmes opaques et discriminatoires tels que COMPAS, SyRI, Robodebt et d’autres. L’intégration des applications de l’IA s’inscrit dans la longue histoire de la technocratisation de l’État, où les techniques scientifiques sont valorisées au détriment de l’autonomisation des personnes et des qualités humaines qui sont pourtant essentielles à l’administration des services de soutien social. Devant les promesses du gouvernement québécois, on doit instaurer davantage d’espaces de discussions et de débats démocratiques sur la transition numérique des pouvoirs publics. Autrement, ces technologies continueront à opprimer plutôt qu’à rendre autonome.
Par Jérémi Léveillé, bachelier en arts libéraux et en informatique
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- Jenna Burrell, « How the machine “thinks” : understanding opacity in machine learning algorithms », Big Data & Society, vol. 3, n° 1, 2016 ; Joshua A. Kroll, Joanna Huey, Solon Barocas, Edward W. Felten, Joel R. Reidenberg, David G. Robinson, Harlan Yu, « Accountable algorithms », University of Pennsylvania Law Review, vol. 165, n° 3, 2017, p. 633-706. ↑
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- Ibid., p. 16. Notre traduction. ↑
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- Ananny et Crawford, op. cit., p. 985. ↑
- Veale et Brass, op. cit. ↑
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Contre vents et marées : liens avec un proche incarcéré

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Contre vents et marées : liens avec un proche incarcéré
Sophie Maury, directrice générale de Relais Famille La réinsertion sociale est au cœur de la Loi sur le système correctionnel du Québec1. Elle est à la fois l’un des mandats des services correctionnels (article 3) mais également l’un des principes généraux guidant ses actions (article 1). Divers programmes et services sont utilisés pour remplir ce mandat, notamment des droits de visites, des droits d’appel ou encore des permissions de sortie, avec pour objectif de maintenir les liens familiaux et sociaux de la personne incarcérée. Ainsi, sur papier, les services correctionnels québécois témoignent de l’importance de l’entourage dans la réhabilitation sociale de la personne incarcérée. Dans les faits pourtant, il en est tout autrement. Les familles parcourent un long chemin semé d’embûches pour maintenir les liens avec leur proche incarcéré. Mais malgré tout, face à un système carcéral inflexible, elles se tiennent debout, avancent et gardent espoir. [caption id="attachment_20175" align="alignright" width="450"]
Crédit : Guillaume Ouellet[/caption]
Avoir un proche incarcéré et vouloir maintenir les liens avec celui-ci, c’est se livrer à un véritable parcours du com- battant. C’est voir sa vie voler en éclats et n’avoir plus aucun repère ni contrôle. C’est ressentir honte et culpabilité tout en étant jugé et étiqueté.
Du jour au lendemain, vous êtes confrontés à un système qui vous est inconnu et qui ne va pas vous épargner. Vous êtes face à un rouleau compresseur qui n’a pas – ne prend pas – le temps de vous familiariser avec ses codes et son langage. Vous devez tout apprendre, et vite. Et même si vous connaissez le système, les règles peuvent changer sans préavis ni explications.
« Avant on avait droit à deux entrées par année [pour les vêtements] maintenant c’est une. J’ai aucune idée pourquoi. Et ça, c’est à Bordeaux car à Rivière-des- Prairies (RDP) c’est resté deux. » – Mère 1
Vous allez vivre ce qu’on appelle « l’expérience carcérale élargie 2». Cela signifie que la sentence de la personne incarcérée s’étend au-delà des murs de la prison pour venir affecter la vie entière de sa famille. Même s’il n’a commis aucun acte répréhensible, l’entourage subit lui aussi, en quelque sorte, une privation de liberté. Le prix à payer pour les familles est élevé, aussi bien sur le plan émotionnel que sur le plan physique ou financier.« […] On continue à tous les jours de s’occuper de nos affaires, de la maison, notre travail… on doit en plus s’occuper de leurs affaires… Je veux bien mais je manque de souffle… » – Conjointe 1
La voix des familles des personnes incarcérées n’est pas vraiment entendue. Elle est, de toute façon, rarement écoutée. Souvent, ces familles ne veulent pas prendre la parole pour exprimer les difficultés qu’elles traversent. Non seulement elles s’inquiètent des répercussions – réelles ou non – que cela pourrait avoir sur leur proche incarcéré (interdit de visite, temps en isolement…) mais elles ne savent pas non plus vers qui se tourner pour dénoncer des atteintes à leurs droits et à ceux de leur proche à l’intérieur.« Je veux les aider les pauvres… être leur voix… je sais pas comment m’y prendre… […] Qu’est-ce que je peux faire ??? » – Conjointe 1
Aussi, beaucoup de familles ne dévoilent pas l’incarcération de leur proche à leur entourage, la plupart du temps par peur du jugement. Elles ne veulent donc pas témoigner à visage découvert. Finalement, dans le cas où il y a une victime, elles ne souhaitent pas se mettre de l’avant et dénoncer leur situation par respect pour cette dernière et pour sa famille. Alors, même si elles sont considérées comme des victimes collatérales, elles se taisent, elles s’isolent et subissent jour après jour le dénigrement du système carcéral et de la société. Lorsqu’une personne est incarcérée, les obstacles au maintien des liens familiaux sont nombreux et surviennent à toutes les étapes de la détention. Le premier grand obstacle à se dresser sur ce chemin sinueux est l’obtention d’un droit de visite. Il faut tout d’abord que votre proche détenu vous inscrive sur sa liste de visiteurs avant d’être autorisé par la personne responsable de l’établissement. Cette étape peut prendre plusieurs jours voire plusieurs semaines et l’attente est très difficile à vivre.« J’ai aucune information. Quand je téléphone [à l’établissement] pour savoir [quand je recevrai l’autorisation], on ne me dit rien. » – Mère 2
Une fois l’autorisation reçue, la personne doit prendre rendez-vous pour pouvoir visiter son proche. Là encore, les témoi- gnages démontrent la complexité de cette étape :« J’ai appelé 1 063 fois en une journée avant d’avoir quelqu’un au bout de la ligne… 1 063 fois… ça fait pas de sens. » – Mère 1
« Nous avons eu confirmation vendredi que j’étais enfin sur sa liste comme sa conjointe… mais dix jours après toujours pas réussi à avoir un rendez- vous avec, malgré les innombra- bles courriels, appel, demandes en- voyées… » – Conjointe 1
L’obtention d’une visite tient presque du miracle. Miracle qui, malheureusement, est de courte durée. En effet, depuis la COVID-19, les familles rapportent qu’il est de plus en plus fréquent que leur visite soit annulée soit quelques heures après la confirmation de celle-ci, le jour même de la visite ou bien lorsque ces dernières sont déjà devant les portes de l’établissement. Le manque de personnel est l’explication première utilisée par les services correctionnels pour justifier de telles situations.Même s’il n’a commis aucun acte répréhensible, l’entourage subit lui aussi, en quelque sorte, une privation de liberté. Le prix à payer pour les familles est élevé, aussi bien sur le plan émotionnel que sur le plan physique ou financier.Cette pénurie de main d’œuvre est également invoquée lorsque le moment est venu pour les familles de remettre les effets personnels à leur proche ou lorsque les personnes incarcérées veulent appeler leurs proches à l’extérieur. Ainsi, il peut se passer plus de trois semaines avant que des familles puissent déposer des vêtements et autres objets, et ces dernières peuvent être plusieurs jours sans nouvelles de leur proche gardé en isolement cellulaire.
« Le service correctionnel du Québec se sert de l’excuse de la Covid pour enlever certains droits. Avant certaines choses étaient autorisées, maintenant ça ne l’est plus. Les livres sont maintenant interdits à Bordeaux, sans aucune raison ; même les livres à couvertures souples. Avant je pouvais déposer dix cédéroms, aujourd’hui je n’ai plus le droit qu’à cinq. » – Mère 1
Au-delà de ces changements qui ne font pas de sens pour les familles, chaque centre de détention a ses propres règles. Cela alourdit d’autant plus le fardeau pour l’entourage.« À Bordeaux on n’a plus le droit de [vêtements] blancs et verts. À RDP c’est le beige qui est interdit et à Sorel il ne faut pas de haut noir. Quand ton proche est transféré, ben tu dois tout racheter. Je suis écœurée de lui acheter du linge. » – Mère 1
Maintenir les liens avec une personne incarcérée demande donc de réels sacri- fices pour les familles. Que ce soit en ce qui concerne le temps nécessaire pour faire toutes les démarches, ou bien sur le plan financier, le tribut est lourd. Ceci entraîne des conséquences directes sur leur santé physique et mentale en plus d’avoir un impact important sur leurs propres liens sociaux.« Mes amies ne comprennent pas pourquoi je suis encore à acheter du linge pour lui. Elles me disent d’arrêter. Elles ne comprennent pas. » – Mère 1
L’entraide entre les familles de personnes incarcérées est alors salvatrice et le partage d’expériences est une bouffée d’oxygène. Les proches s’aident à comprendre le fonctionnement carcéral et se prodiguent des conseils mutuels pour passer au travers de cette douloureuse épreuve.« Lors de ma visite, une petite madame de 80 ans apportait les effets personnels de son fils. Le garde refusait presque tout sans rien lui expliquer. La pauvre madame ne comprenait pas ce qu’il fallait faire. Je suis allée la voir pour lui expliquer les choses. » – Mère 1
« Me sentant très seule, isolée de mes ami-e-s et de ma famille élargie, j’ai beaucoup apprécié les échanges avec [les autres familles]. » – Mère 3
Acculées de tous les côtés, désemparées devant l’énorme machine qu’est l’insti- tution carcérale, les familles demandent simplement un peu de considération et de respect. Elles ont choisi de rester là pour leur fille ou leur fils, leur conjoint-e, leur père ou leur mère ou autre ami-e. Envers et contre toutes et tous, elles se battent pour garder la tête haute, malgré les affronts et injustices subies. Elles incarnent l’espoir : l’espoir de la sortie, l’espoir de reprendre une vie de famille, l’espoir de la réinsertion sociale de leur proche. C’est là une des grandes incohérences de l’institution carcérale : d’un côté elle fait porter une partie de la responsabilité de la réinsertion sociale aux familles et de l’autre elle invisibilise leur vécu et porte atteinte à leurs droits. Il est temps que ça change.- En ligne : https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/s-1
- C. Touraut, La famille à l’épreuve de la prison, Paris, Presses universitaires de France, 2012.
L’article Contre vents et marées : liens avec un proche incarcéré est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.
Un été comme ça...
Le caribou ou le canari dans la mine
À l’Hôtel de ville de Montréal, le crucifix remplacé par un hidjab !
Plusieurs journées de grève surprise pour les travailleurs des hôtels

Comprendre la crise au Venezuela de Maduro
Pour tenter de comprendre ce qui se joue en 2024 au Venezuela de Nicolas Maduro, et pour en juger en toute connaissance de cause, il ne suffit pas de s'arrêter aux résultats des dernières élections de juillet et à la façon dont ils ont été, selon bien des probabilités, maquillés. [1] Il ne suffit pas non plus de prendre en compte la seule hostilité agressive des USA vis-à-vis de la révolution bolivarienne initiée par Hugo Chavez, ou encore de rappeler la saignée migratoire que le Venezuela a connue dans le sillage de difficultés économiques grandissantes. [2] Il ne suffit pas aussi d'évoquer l'apparente dérive autoritaire qu'il a parrainée depuis 2015 tout comme les manœuvres frauduleuses qu'il aurait entérinées pour coûte que coûte se maintenir au pouvoir.
Certes, tous ces éléments sont à prendre en compte, notamment pour dégager de possibles voies de sortie de crise au sein d'un pays déchiré par des rhétoriques de droite et de gauche fortement exacerbées. Mais ils ne sont pas suffisants. Pour parvenir à mettre les choses en perspective, il faut en même temps resituer le cas Maduro dans l'histoire et le prolongement de cette révolution bolivarienne dont il continue à se prétendre l'héritier.
Ne l'oublions pas : vouloir constituer des sociétés égalitaires dont les acteurs premiers sont les classes populaires et les mouvements sociaux en lutte, c'est là un objectif de gauche tout à la fois noble et exigeant, à fortiori dans le Sud global où les rapports de domination sont plus marqués et où le rôle de l'impérialisme américain ne trompe personne.
Or c'est précisément depuis cette perspective de gauche qu'Hugo Chavez a voulu se faire connaître, quand il a été élu en 1998 comme président du Venezuela. C'est la raison pour laquelle, au début des années 2000, la révolution bolivarienne au Venezuela a résonné —en Amérique latine, mais pas seulement !— comme étant l'expression d'un renouveau, d'une espérance, la possibilité pour la gauche latino-américaine de commencer à sortir de son attentisme, de s'extraire d'attitudes purement défensives ; repliée qu'elle avait été jusqu'à présent —dans le sillage de périodes dictatoriales ou de guerres de basse intensité particulièrement traumatisantes— sur la défense des libertés individuelles et de garanties démocratiques élémentaires.
Avec sa nouvelle constitution, ses « missions », son idée d'un socialisme du 21ième siècle, ses projets de conseils communaux, ses liens sud/sud plus égalitaires établis à travers l'Alba, [3] elle a pu enthousiasmer et faire rêver d'autant plus qu'elle paraissait appartenir à un mouvement plus vaste qu'elle-même. Car elle faisait écho au renouveau impulsé par le zapatisme mexicain du sous-commandant Marcos, ou encore paraissait se combiner au développement du mouvement altermondialiste (notamment lors des grands forums sociaux de Porto Alegre), et même un peu plus tard à l'arrivée en Équateur du gouvernement « citoyen » de Rafaël Correa comme à celle en Bolivie du gouvernement « indigène » d'Évo Morales. Une vague qui rappelait à tous et toutes, à l'encontre du néolibéralisme conquérant, qu'« un autre monde est possible »
Aussi est-ce depuis l'ensemble de cette dynamique historique que l'on peut —quand on se réclame des idéaux de la gauche— tout à la fois apprécier l'ampleur des dérives entérinées par Maduro, et découvrir les manières les plus efficaces de s'y opposer et de les dépasser. À l'instar de tout autre régime politique, celui que dirige Nicolas Maduro est le fruit d'un processus façonné par des choix d'ordre politique qui, au fil des bifurcations et alternatives qu'ils font apparaître, ne cessent de faire évoluer et transformer les rapports de force en vigueur.
Mais pour en découvrir les moments décisifs, encore faut-il pouvoir revenir à l'histoire !
1) Flash-back sur la « révolution bolivarienne »
La révolution bolivarienne [4] va commencer à se faire connaître comme telle au Venezuela, à travers l'élection d'une assemblée constituante donnant naissance dès la fin 1999 à une nouvelle constitution plus démocratique et participative que la précédente. Mais surtout, elle va se faire connaître à travers la reprise de contrôle par le gouvernement des ressources pétrolières de la PDVSA ; entreprise nationale qui fonctionnait en toute opacité et sans rendre aucun compte à son ministère de tutelle, le ministère de l'énergie et des mines. C'est ce qui provoque la première crise ouverte avec le gouvernement d'Hugo Chavez et qui débouche sur le coup d'État raté de 2002 puis sur la grève pétrolière de 2002-2003. Si la droite, le patronat et la principale centrale syndicale de travailleurs du Venezuela –appuyés en sous-main par les USA— tentent à ce moment-là de renverser Chavez, c'est avant tout en raison de la mise en application de la loi organique sur les hydrocarbures qui cherchait à tarir la source principale de corruption et d'enrichissement des élites économiques politiques et syndicales du pays. En cela, la rupture du chavisme avec le patronat et les élites du Venezuela consacre avant tout une remise en cause du fameux pacte de Punto Fijo qui existait depuis 1958 et permettait aux forces et partis qui se partageaient le pouvoir de se répartir les fruits de la rente pétrolière par le biais de la corruption et d'une association tout à fait opaque entre le monde des affaires, des personnalités politiques, des hauts fonctionnaires et des dirigeants syndicaux.
Mais malgré cette alliance anti-Chávez, le coup d'État échoue grâce, autant au soutien de certains secteurs des forces armées que de la réaction massive et rapide de larges pans des classes populaires. Les putschistes sont chassés, et Chávez comprenant que son pouvoir ne tient que grâce à cet appui populaire, lance les missions, vastes et dynamiques programmes de lutte contre la pauvreté, ancrés dans les quartiers et se substituant aux services publics défaillants, notamment dans la santé, l'éducation, le logement et la culture. Ainsi, malgré la crise économique consécutive au coup d'État et à la grève pétrolière, malgré la hausse vertigineuse du chômage et de la pauvreté qu'elle engendre, Chávez gagne le référendum révocatoire de 2004 initié par l'opposition puis est réélu triomphalement en 2006 avec 62,8% des voix.
Il y a sans doute une autre raison qui, outre les alliances anti-impérialistes qu'il ravive autour de la création de l'Alba, peut expliquer la crispation des relations qui se sont développées entre le chavisme et les élites vénézuéliennes. Il s'agit de la nature même du néolibéralisme, mode de régulation devenu si dominant en Amérique latine au tournant du millénaire, qu'il a fini par prendre un tour particulièrement dogmatique, ne tolérant aucune violation à ses règles économiques qu'il présente comme « naturelles » et indépassables, faisant dès lors du keynésianisme un ennemi à abattre coûte que coûte. Ainsi peut-on dire que ce n'est pas tant le degré de radicalité du programme de Chávez qui provoque la colère étasunienne et celle des élites économiques mondiales, que le fait même de rendre possible un horizon différent de celui qui est imposé par le « totalitarisme néolibéral ». Dès lors, la simple redistribution des richesses, comme au Venezuela via la rente pétrolière, devient un véritable... casus beli.
2) Des avancées mais aussi des inflexions
Il reste que rapidement le pouvoir chaviste va se trouver confronter à deux épreuves de taille qui vont provoquer une inflexion à la dynamique populaire qui s'était jusqu'à présent constituée dans son sillage. La première tient au fait qu'il va perdre, en 2007 et pour la première fois un vote par référendum ; celui-ci touchant à des réformes constitutionnelles visant à lui permettre de se représenter aux élections présidentielles suivantes. Mais au lieu de prendre en compte les insatisfactions qu'un tel rejet supposait –y compris dans son propre camp—, il va accentuer le mouvement de concentration du pouvoir qui commençait à se développer autour de lui, notamment à l'occasion de la création du Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV) lorsqu'il en a fait un parti gouvernemental strictement aux ordres. Il va aussi s'employer à instrumentaliser plus directement les mouvements sociaux d'origine populaire, en particulier à l'occasion de la scission opérée par les chavistes au sein du mouvement syndical pour créer une nouvelle centrale totalement inféodée au pouvoir, la centrale socialiste bolivarienne des travailleurs de la ville, de la terre et de la mer (CSBT).
La deuxième inflexion qui va avoir lieu tient aux suites de la crise économique mondiale de 2008. Sous le coup de la crise financière, plusieurs banques vénézuéliennes font faillite. Au sein du gouvernement et parmi les économistes pro-chavistes, de nombreuses voix s'élèvent pour réclamer la nationalisation du secteur bancaire et la création d'un pôle financier public. Mais le gouvernement Chavez s'y refuse, se contentant de sauver les banques en faillite. Plus grave, pour tenter de réguler cette crise qui affecte aussi la monnaie nationale, le gouvernement va réintroduire un système de parités multiples entre le bolivar et le dollar ; système qui avait déjà été utilisé au Venezuela dans les années 1980 et 1990 et était considéré comme une des causes de l'accélération de la corruption. L'entérinement de tels choix très politiques va néanmoins entrainer, dans le contexte d'alors, des conséquences majeures.
La principale est le renforcement progressif d'une « bolibourgeoisie », terme regroupant tous ceux qui ont « fait fortune » en s'adossant au pouvoir politique et en profitant d'une rente de situation, qu'ils soient entrepreneurs, militaires ou membres des administrations ou du parti au pouvoir. Cette couche sociale va s'enrichir très rapidement notamment grâce à la spéculation sur le dollar permise par la nouvelle organisation du système monétaire. Cet argent accumulé sera investi dans des entreprises diverses, d'abord commerciales et de transport, puis dans des entreprises productives, notamment liées à l'exploitation du sous-sol. Cette couche sociale nouvellement enrichie entre en concurrence avec la « bourgeoisie historique » qui, n'ayant plus le monopole de la redistribution de la rente pétrolière, se trouve désormais moins bien placée pour tirer profit de pratiques spéculatives. En même temps, elle va s'opposer aussi aux revendications populaires en voyant d'un très mauvais œil les revendications d'autogestion portées par les travailleurs, ou les velléités de contrôle des comptes des entreprises publiques exigés par les syndicats.
Cette concentration du pouvoir gouvernemental autour de la personne d'Hugo Chavez ainsi que cette naissance d'une « bolibourgeoisie » sont les deux éléments qui vont affaiblir l'élan populaire des premières années, tout comme vider de leur contenu les réformes touchant à la mise en place des conseils communaux, renforçant au passage toutes les contradictions qui taraudaient le cours de la révolution bolivarienne. Au point de conduire à une étrange schizophrénie qui deviendra d'ailleurs la marque par excellence de Nicolas Maduro quand en 2013 il succédera à Chavez atteint alors d'un grave cancer ; une schizophrénie grandissante entre la proclamation de volontés radicales, anti-impérialistes et socialistes, et la mise en application de choix économiques et politiques en tous points inverses, néolibéraux et propres au capitalisme extractiviste.
À la veille de sa mort, en 2012, Chávez lui-même dresse un bilan sévère et lucide de l'évolution du pays dans son texte El Golpe de Timón. Il propose un cours nouveau et appelle à lutter contre la corruption et la bureaucratisation tout en relançant le développement de conseils communaux, l'autogestion dans les entreprises et le développement du coopérativisme.
Il reste que toutes ces recommandations ne seront pas suivies par Nicolas Maduro. Au contraire les ministres de Chávez qui avaient travaillé sur ces réflexions critiques, sont rapidement exclus de son gouvernement puis, pour certains, du PSUV. Et, on va le voir, il s'enferrera de plus en plus dans cette schizophrénie perverse et sans issue.
3) Avec Nicolas Maduro : des politiques économiques pro-business
On s'est donc avec Nicolas Maduro, de plus en plus éloigné des idéaux et élans premiers de la révolution bolivarienne. Et pour en comprendre la portée, il n'y a rien de mieux que de passer en revue, quelques-unes des politiques qu'il a mises en place à partir de son arrivée à la présidence en 2013, en n'omettant pas de rappeler néanmoins le cadre préexistant dans lequel elles se sont déployées.
En effet, comme le fait remarquer l'économiste de gauche Manuel Sutherland, « On observe que la politique économique bolivarienne n'a rien à voir avec un changement révolutionnaire anticapitaliste ni avec aucune métamorphose des relations sociales de production. Le processus bolivarien a été plutôt une variante des politiques économiques qui dérivent de ce que l'on appelle le « rentisme pétrolier » [5].
Il ne faut pas oublier que le rentisme pétrolier a été le moteur du changement social au Venezuela, mais avec toutes les limites qu'un tel système emporte avec lui. Car si la rente des hydrocarbures a pu financer les missions sociales, la lutte contre la pauvreté, la création des universités bolivariennes, le développement de liens diplomatiques fructueux à travers l'Alba, etc., il n'y a pas eu parallèlement d'investissements substantiels permettant au Venezuela de développer sa propre production et ainsi de desserrer ses liens de dépendance avec les puissances étrangères, alors que les importations de produits manufacturés et alimentaires se sont maintenues à un rythme soutenu pour répondre à la demande intérieure grandissante. Rien d'étonnant dans cette situation à ce que les effets économiques et sociaux du blocus décrété par les USA en 2019 aient pu être à ce point catastrophiques pour la population. Et qui plus est, dans un contexte où la chute des prix du pétrole amorcée depuis 2014 avait déjà sapé les fondements d'une économie s'appuyant quasi exclusivement sur les avantages procurés par la rente pétrolière.
Ces facteurs ont d'autant plus joué que depuis 2014, le gouvernement maduriste a accéléré la politique rentiste et extractiviste ainsi que l'ouverture accrue aux capitaux privés, nationaux et étrangers. On peut penser à ce propos à la loi de novembre 2014 portant sur la création des Zones Économiques Spéciales (ZES) qui permettent d'exploiter les ressources du sous-sol ou forestières en abrogeant des droits sociaux des travailleurs mais aussi les droits liés à la préservation de la nature et des peuples indigènes. La plus emblématique est celle de l'Arc Minier de l'Orénoque dont la surface équivaut à celle du Portugal. Or, toutes ces zones, sortes de concessions livrées aux entreprises, connaissent une hausse vertigineuse des trafics, une montée en puissance des groupes armés et une dégradation des conditions de vie des populations locales.
On peut penser aussi à la loi du 28 décembre 2017 touchant à la protection des investissements étrangers qui fera dire à nombre de soutiens du chavisme qu'elle exprime la victoire du lobby néolibéral au sein du pouvoir [6]. Pour preuve les articles de loi qui permettent aux investisseurs de rapatrier leurs profits sans délai, d'être exonérés d'impôts, de voir sécuriser leurs investissements, etc.
On peut penser enfin à la loi anti blocus publiée en octobre 2020. Avec elle, ce sont désormais les entreprises publiques qui sont ciblées en permettant l'entrée de capitaux privés dans des sphères qui leur étaient réservés. Elle permet aussi de déroger aux normes légales, y compris constitutionnelles et instaure le secret total dans les décisions concernant le secteur public. Est-ce un hasard si seules les organisations et personnalités de gauche indépendante du PSUV ont critiqué et manifesté contre cette loi, provoquant même des remous au sein de la coalition gouvernementale en contraignant le Parti communiste vénézuélien (PCV) et Patrie pour tous (PPT) à prendre leurs distances avec Maduro ? [7]
Mais il y a plus symptomatique encore avec cette loi anti-blocus : depuis 2020, la restitution d'entreprises et de terres autrefois confisquées sous Chávez est devenue possible. A preuve l'emblématique centre commercial Sambil La Candeleria à Caracas qui a été restitué en 2022 aux premiers propriétaires après 14 ans d'expropriation !
Dans les campagnes, la loi anti-blocus a permis aussi à Maduro de privatiser de nombreuses terres, remises à des investisseurs venant d'Amérique latine ou des pays du Golfe. En 2022 c'est un millions d'hectares qui ont ainsi été louées à l'Iran pour développer des cultures intensives d'exportation. Des projets similaires sont en cours avec la Chine, l'Inde, l'Arabie Saoudite, etc, en sachant que ce type de projet exige l'expulsion des paysans qui s'y trouvent, et que dans la plupart des cas il y a des oppositions de la part de ces derniers qui s'affrontent aux forces de sécurité, comme dans les Etats de Barinas, Mérida, Guárico, etc.
Cette évolution « pro-business » du madurisme va se trouver confirmer lors du vote de la nouvelle loi du 30 juin 2022 sur le Zones Economiques Spéciales (ZES)... adoptée –soit dit en passant— avec le soutien de la droite, puisqu'elle « favorisera l'émergence de nouveaux entrepreneurs », comme l'a exprimé Luis Eduardo Martínez, député du parti d'opposition Action Démocratique.
En somme dès sa première élection, Maduro va accélérer le virage pro-business de la révolution bolivarienne. Plus encore, pour sceller plus solidement ses rapports avec l'armée, il va peu à peu pousser les officiers supérieurs à créer des entreprises et à prendre la direction de nombreuses entreprises dans tous les domaines. Surtout il va les encourager à créer la Compañia Anónima Militar de Industrias Minera, Petrolífera y de Gas, la CAMIMPEG, entreprise d'exploitation minière crée en 2016 et dont les profits comme l'orientation reste entièrement sous leur seul contrôle.
4) Avec Nicolas Maduro : des politiques antisociales
Il faut rappeler cependant que derrière ces choix économiques se vivent de véritables drames sociaux et humains. La crise économique qui a facilité la victoire de la droite en 2015 aux élections législatives [8], s'est répercutée jusque dans les secteurs qui pouvaient être favorables au madurisme. Trop souvent les adeptes de Maduro, notamment à l'étranger, oublient que les secteurs populaires se sont souvent mobilisés contre le régime pour réclamer des augmentations de salaire ou le simple respect des conventions collectives.
Le premier soulèvement indépendant à l'encontre du régime Maduro a eu lieu le 30 juillet 2017 dans le quartier 23 de Enero, bastion historique du chavisme, où la population est descendue dans les rues pour contester l'élection à l'Assemblée Nationale Constituante du candidat officiel alors que les votes s'étaient majoritairement portés sur un candidat de gauche dissident.
Depuis dix ans la répression accrue des mouvements sociaux, notamment durant les grèves, aurait dû alerter les secteurs de gauche qui cherchent à défendre Maduro. Au Venezuela, on ne compte plus les militants arrêtés, emprisonnés, les grèves jugées illégales dans les entreprises privées et publiques et les restrictions des droits.
Il faut d'ailleurs mettre en parallèle les lois protégeant et favorisant l'enrichissement des investisseurs (y compris étrangers), aux lois antisociales qui ont été parallèlement mises en œuvre par le gouvernement Maduro. C'est un réel choix de classe. Outre la législation sur les Zones Économiques Spéciales (ZES), il y a eu cette mesure phare contenue dans la circulaire 2792 du 11 octobre 2018 publiée par le Ministère du Pouvoir Populaire pour le Processus Social. Elle interdit la discussion autour des conventions collectives et demande de réviser les conquêtes salariales établies dans le secteur public et nationalisé. Avec la directive d'Onapre (Oficina Nacional de Presupuesto – Office National du Budget) de mars 2022 qui élargit ce dispositif, on réalise qu'il s'agit d'un véritable retour en arrière notamment en violant l'article 89 de la Constitution de 1999 qui stipule que « Aucune loi ne pourra établir des dispositions qui altèrent, l'intangibilité et la progressivité des droits et acquis des travailleurs ».
D'ailleurs les réactions populaires ont été massives avec des dizaines de milliers de travailleurs qui, en 2022, sont descendus dans les rues des différentes villes du pays, malgré l'absence remarquée de la CBST (centrale syndicale majoritaire, liée au pouvoir). Selon les travailleurs eux-mêmes, les salaires peuvent être amputés jusqu'à 70% de leur montant, annulant du coup toutes les conquêtes sociales antérieures ! Rien d'étonnant à ce que le nombre de conflits sociaux ait explosé avec 3 942 conflits recensés durant le premier semestre 2022 dont 1642 autour de la seule question des droits des salariés.
Mais outre la question de la restriction des droits sociaux, les conséquences induites par ces directives du pouvoir ont des conséquences graves sur les salaires déjà rongés par l'inflation. C'est ce qui explique le maintien d'un haut niveau de conflictualité sociale. Par exemple, en janvier 2023 ont éclaté de nombreuses grèves dans tout le pays autour de la question salariale. L'entreprise publique de métallurgie la Sidor a fait grève en juin et juillet 2023, et ses travailleurs ont été rejoints par d'autres secteurs. A Caracas et dans tout le pays, ce sont les enseignants qui ont mobilisé autour du slogan « nous ne voulons pas des bons, nous voulons des salaires dignes » avec des travailleurs de la santé et de l'administration, et le 23 janvier 2023 des milliers de manifestants ont parcouru les rues de Caracas, et cela sans aucun soutien de la droite. Seul le PCV et les organisations de la gauche non chavistes ont soutenu ce mouvement, autre preuve que le mécontentement de la population ne se réduit pas à un complot de la droite fomenté avec les USA.
L'Observatoire de la Conflictualité Sociale rapporte que la plupart des conflits sociaux portent principalement sur les augmentations de salaire, le respect des conventions collectives et le droit au logement. Ce n'est pas un hasard non plus si le plus grand nombre de conflits (294 sur 2 383) ont lieu dans l'État de Bolivar, État où se situe la plus grosse partie de la Zone Économique Spéciale (ZES) de l'Arc Minier de l'Orénoque, dénoncée à de multiples reprises comme une zone de non-droit pour ses travailleurs et ses habitants.
C'est cette attaque frontale contre les travailleurs qui a permis, malgré la répression très présente, l'émergence d'une plateforme de lutte appelée « l'Autre Campagne », regroupant une bonne vingtaine d'organisations politiques, syndicales et de droits humains, ainsi que des dizaines de militants et intellectuels. À l'instar de nombreux autres collectifs de travailleurs et de quartier, elle s'est créée comme un mouvement de défense des droits des travailleurs, appelant à la lutte sociale et cela quel, quel que soit le vainqueur de l'élection présidentielle du 28 juillet.
Mais si on peut noter que, loin des déclarations officielles du discours chaviste, la question sociale n'est pas mieux traitée au Venezuela que dans d'autres pays capitalistes, une caractéristique de ce régime est néanmoins d'adopter un point de vue non progressiste, voire réactionnaire sur les questions des droits des femmes ou des personnes LGBTQ+.
En ce qui concerne ces dernières, la Constitution interdit toute discrimination à leur égard (article 21) et plusieurs lois mentionnent le principe de la non-discrimination pour orientation sexuelle comme par exemple dans l'article 4 de la Loi Organique du Pouvoir Populaire de 2010, mais néanmoins sans que les moyens d'éviter ces discriminations soient mis en place et cela, malgré les recommandations de 2015 de la Commission Interaméricaine des droits de l'Homme. Dans ce contexte, il n'y a rien d'étonnant à ce que, ostracisés dans le pays et non protégés, deux dirigeants de cette communauté aient pu être tout récemment (le 10 août 2024), agressés par des forces de répression. Ces vives réactions à l'encontre de la communauté LGBTQ+ sont à mettre en parallèle avec la lenteur des évolutions légales ayant cours au Venezuela concernant le mariage pour tous ou l'autorisation de l'adoption pour des couples homosexuels. En effet, depuis 2008, si la Cour Suprême de Justice a établi l'égalité des droits pour les couples homosexuels, ce principe n'a pas encore été validé par l'Assemblée nationale.
Quant aux droits des femmes, le code pénal de 2000 (donc publié sous Chávez) interdit et punit l'avortement sauf en cas de risque de décès pour la femme. Cette législation est la plus rétrograde d'Amérique du Sud avec celle du Paraguay. Pourtant de nombreuses associations féministes et de LGBTQI ont poussé pendant des années le gouvernement à faire évoluer la législation, comme en 2018 où elles ont manifesté en ce sens devant l'Assemblée nationale constituante (ANC), mais en vain.
Quant aux moyens de contraception ils ont quasiment disparu du pays, et autant comme conséquence du blocus que du caractère frileux des autorités concernant les droits des femmes [9]. Il faudra enfin attendre 2007 puis le 14 août 2014 (remplacée par la loi du 16 décembre 2021) pour que soit publiée une loi organique rappelant « le droit des femmes à une vie sans violence » mais toujours... sans les moyens nécessaires à son application.
Aussi si l'on peut dire qu'il y a eu au Venezuela certaines avancées sur les droits des femmes et des personnes LGBTQ+, il faut noter qu'elles ont été bien moindre que celles obtenues dans d'autres pays dans le sillage des mobilisations sociales ayant secoué l'Amérique latine depuis une vingtaine d'années.
5) Avec Nicolas Maduro : toujours moins de droits démocratiques
Devant cette fronde sociale qui secoue sa propre base électorale, le gouvernement va utiliser deux outils majeurs pour tenter de la mater.
Le premier outil renvoie à la « loi sur la haine », votée le 8 novembre 2017. Suffisamment vague pour que toutes les interprétations soient possibles les peines encourues sous son égide peuvent aller jusqu'à 20 ans de prison. Les médias en sont la cible première, de même que les organisations de droits humains. Mais cette loi est aussi appliquée contre des grévistes, avec bien souvent la complicité des patrons des entreprises concernées. Récemment en août 2024, à la PDVSA il y a eu des dizaines de licenciements de travailleurs qui avaient osé afficher publiquement leur soutien à l'opposition, à la télévision ou dans le métro de Caracas. Les syndicats ont alerté de cette situation et condamné ces licenciements.
Le deuxième outil renvoie à la « loi contre le fascisme, le néofascisme et les expressions similaires », votée en première lecture le 2 avril 2024, et permettant la légalisation de la répression de toute contestation. Avec des articles où le fascisme est assimilé au dénigrement de la démocratie, de ses institutions et des valeurs républicaines, il est désormais question dans l'article 12 d'interdire réunions et manifestations, partis et organisations sociales qui promeuvent le fascisme. La suppression des droits et garanties constitutionnelles vise les organisations mais son article 28 prévoit aussi la fermeture de médias visés par cette loi. Dans un pays où le président nomme fascisme toute contestation, en particulier depuis les élections présidentielles du 28 juillet, cette loi permet dans les faits de museler toute opposition. [10]
Il est intéressant à ce propos de regarder comment la gauche politique a été une des cibles privilégiées des politiques répressives du régime maduriste. On le sait : afin d'empêcher les partis d'opposition de présenter des candidatures alternatives et de leur interdire d'exister comme partis critiques, le Tribunal Suprême de Justice a contesté, par des jugements successifs, particulièrement en 2020, les directions élues des partis politiques d'opposition vénézuéliens. Cela a concerné la plupart des partis, notamment à gauche le Mouvement Électoral Populaire (MEP), Patrie pour tous (PPT) et Tupamaro. Puis ce fut au tour du PCV (Parti Communiste du Venezuela) de connaître le même sort en 2023. La suite logique de ces jugements ce sont les scissions qu'ont connues ces partis d'opposition, entraînés à se configurer en deux groupes opposés : celui décidé par les militants et celui imposé par le Tribunal Suprême de Justice (TSJ.). Ce qui a permis à une partie de « l'opposition » « réformée par le TSJ » de participer aux processus électoraux, notamment lors des dernières élections législatives de 2020 et régionales de 2021. Pour les élections présidentielles de 2024, les secteurs des partis politiques de droite ad-hoc se sont répartis derrière plusieurs candidats, divisant plus encore les forces de l'opposition. Quant au PCV historique, interdit de candidature, il a choisi de participer à la campagne électorale en s'alignant derrière le candidat officiel, Enrique Marquez.
6) Quelles interrogations à gauche ?
L'expérience de la révolution bolivarienne ne peut qu'interroger la gauche, toutes tendances confondues. Car elle renvoie à une tentative politique de transformation sociale de gauche qui, à son heure, a soulevé d'immenses espoirs, et surtout se situait dans le sillage de toutes ces volontés d'émancipation sociales et politiques qui ne cessent de hanter l'Amérique latine depuis des décennies. On doit donc pouvoir s'y attarder avec attention, pour en tirer toutes les leçons possibles.
En ce sens, une bonne partie de la gauche pro Maduro oublie que les régimes peuvent évoluer, se transformer, comme l'histoire nous l'a montré depuis la révolution russe de 1917. Les afficionados du madurisme ne font aucune lecture dynamique du Venezuela. Ils appuient Maduro en se fondant sur une fausse identification entre le régime actuel et l'engouement populaire provoqué par la mise en place des missions, notamment entre 2003 et 2006. C'est ne pas comprendre que le régime a changé, et que les choix politiques d'hier comme ceux d'aujourd'hui, ont modifié et continuent à modifier en profondeur la nature même de ce processus.
Cette cécité est facilitée par la réduction de la crise actuelle à un simple conflit géopolitique, oubliant les transformations profondes des rapports de classe au sein du Venezuela. On oublie ainsi que –dans les faits— l'actuel bloc social au pouvoir sous l'égide de Nicolas Maduro représente d'abord les intérêts de la bolibourgeoisie, avec son lot de corruption et d'autoritarisme. C'est passer aussi sous silence que la gauche chaviste a été largement exclue des arcanes du pouvoir politique depuis plus de dix ans.
Autrement, comment s'étonner que dès le soir des élections et juste après les déclarations officielles proclamant la victoire de Maduro, les premières manifestations qui ont eu lieu, ont été celles lancées dans les quartiers populaires, notamment à Catia, bastion chaviste situé dans l'est de Caracas et cela, avant même la déclaration du candidat de droite dénonçant la fraude électorale ?
On ne doit pas oublier aussi que la gauche non maduriste a été frappée par la répression, dans les entreprises mais aussi sur le terrain directement politique. S'il n'est pas étonnant que les médias occidentaux défendent exclusivement la droite vénézuélienne, il est malheureux que la gauche pro-Maduro ait la mémoire sélective et adopte cette vision tronquée des choses, réduisant l'opposition à Maduro, à celle qui promeut des valeurs de droite. Si on ne peut nier que les États-Unis et l'Union-Européenne ont choisi de soutenir l'opposition de droite à l'encontre de Maduro, on ne peut pas nier non plus que Maduro a choisi l'appareil d'État, ses tribunaux, son armée et ses forces de répression, contre la gauche et les revendications populaires dont elle cherche à se faire l'écho.
La question qu'il reste donc à se poser, c'est de savoir pourquoi une partie de la gauche internationale ne se positionne qu'en fonction des déclarations officielles des dirigeants, sans tenir compte de la réalité sociale et politique « en bas » ?
La raison fondamentale tient à l'absence de réflexion approfondie menée par une grande partie de la gauche « progressiste » sur la différence essentielle existant entre d'une part gagner des élections et accéder au pouvoir gouvernemental, et d'autre part mettre en place les bases d'un réel pouvoir populaire, d'un pouvoir participatif et démocratique issu du peuple. C'est oublier que les institutions politiques, y compris l'institution parlementaire, restent dans leur forme même –parce que conçues sur le mode d'une expertise et d'un professionnalisme rétifs à toute perspective sociale— des outils tendant à exclure les classes populaires de l'exercice de la politique. C'est cette réflexion qui devrait animer les analystes de gauche et les conduire à se demander pourquoi le pouvoir chaviste puis maduriste n'a-t-il pas remis en cause le pouvoir des classes bourgeoises au pouvoir ?
Or le régime bolivarien, malgré quelques avancées dans la constitution de 1999, a repris le gros des codes institutionnels de la démocratie bourgeoise. Il y a eu quelques tentatives de les dépasser en créant les conseils communaux. Mais cela ne résultait pas d'une réflexion stratégique sur la création d'un nouveau pouvoir véritablement alternatif, ces conseils ne disposant pas du pouvoir de légiférer et ne décidant pas du budget qui leur revenait. Cette création découlait avant tout d'une volonté de l'exécutif de contourner les conseils municipaux de droite et de maintenir un tissu militant au plus près du terrain.
Il faut le rappeler aussi : le régime chaviste n'a jamais remis en cause les règles de propriété et le pouvoir économique de la bourgeoisie vénézuélienne. Il suffit de se rappeler qu'à la mort de Chavez en 2013, le secteur privé avait conservé le même poids majoritaire qu'avant son accession au pouvoir en 1998. Quant au nouveau Code du Travail édicté en 2012, il a maintenu l'essentiel des règles du pouvoir au sein des entreprises ce qui a permis, le moment venu, au pouvoir patronal de violer allègrement les conventions collectives, obligeant les travailleurs à lutter, à se mettre en grève pour obtenir parfois le simple respect de la loi.
7) Qu'en est-il des élections présidentielles ?
Depuis 1998 et jusqu'en 2015, les observateurs internationaux, en particulier la Fondation Carter, ont considéré qu'il n'y avait pas eu d'irrégularités dans les processus électoraux au Venezuela. L'organisation des élections avec une double comptabilisation, dans les bureaux de vote et à l'échelle nationale, partagée entre les différents candidats permettait de relever les anomalies éventuelles. Ce système a été jugé comme un des plus fiables au monde.
Depuis le 30 juillet 2017, lors de l'élection à l'Assemblée Nationale Constituante (ANC), de nombreuses irrégularités ont été détectées, y compris par la fondation Carter mais rarement au point d'inverser les résultats en jeu, en partie en raison de la politique de boycott menée par la droite pendant de nombreuses élections après 2015. [11]
Après les élections législatives de 2015, on peut dire cependant qu'il y a une rupture avec la période précédente en ce qui concerne le respect des droits démocratiques. Le pouvoir a contourné la nouvelle Assemblée Nationale en créant en 2017 et de toute pièce une Assemblée Nationale Constituante qui n'a eu de constituante que le nom, puisque son travail a consisté dans les faits à voter des lois proposées par l'exécutif. Cette manœuvre a mis en évidence que pour Nicolas Maduro il était hors de question à cette occasion de respecter la volonté populaire et qu'il était prêt à prendre toutes les mesures possibles pour conserver l'entièreté du pouvoir.
Quand tout est fait pour empêcher les oppositions de s'exprimer et de présenter les candidats de leur choix, il n'est pas étonnant qu'au minimum s'impose un soupçon sur la loyauté du processus électoral. On comprendra donc aisément qu'aux élections de juillet 2024 toutes les oppositions, de droite comme de gauche, aient pu réclamer la transparence et la publication des résultats ainsi que la loi l'y oblige.
Dans ce climat de répression comme de crise économique fortement accentuée par le blocus, la droite a surfé sur le mécontentement réel de la population qui a vu s'effondrer les salaires réels, flamber les prix, chuter l'offre de logements, etc. Bien qu'ultralibérale, la véritable dirigeante de l'opposition Maria Corina Machado, a été prudente dans son programme électoral, reprenant même quelques revendications sociales qui –il est vrai— étaient masquées par sa dénonciation de « la dictature maduriste » et de la corruption ainsi que par la nouvelle orientation économique qu'elle prônait.
Pourtant la droite vénézuélienne n'a pas de légitimité particulière en matière de promotion des droits démocratiques. N'est-ce pas elle qui a été derrière le coup d'État raté de 2002, les boycotts d'élections, les tentatives de coup d'État et de déstabilisation orchestrées par Juan Guaido en 2019, l'instrumentalisation de groupes paramilitaires colombiens agissant au Venezuela ? Ce ne sont donc pas ces coups d'éclat qui expliquent les votes qu'elle a engrangés. C'est avant tout la dérive autoritaire du régime maduriste qui pousse ceux et celles aspirant à un régime plus démocratique, vers le soutien direct ou indirect à l'opposition majoritairement de droite. Avec en toile de fond, le fait que l'opposition de gauche a été laminée par Maduro et ne bénéficie pas des soutiens matériels qui font à l'inverse toute la force de la droite. On retrouve malheureusement ces ralliements autour de la droite, dans des ONG qui défendent les droits humains, chez de nombreux intellectuels, voire même chez d'anciens ministres de Chávez.
C'est pour cela que la création d'un pôle regroupant les forces de gauche, indépendant du pouvoir et de la droite est indispensable. Un premier pas a été réalisé avec la création du FREDEPO (Front Démocratique Populaire) début août 2024. Une course de vitesse est désormais lancée entre la nécessaire recomposition politique à gauche au Venezuela et la dérive autoritaire du pouvoir qui s'accélère pour contester à la droite la légitimité de représenter le peuple vénézuélien.
En conclusion
Ces quelques éléments de mise en perspective visent essentiellement à participer à la discussion sur la portée de la révolution bolivarienne, en tentant d'aller au-delà des faux-semblants et des débats superficiels, en tentant aussi de replacer l'ensemble de ces questions dans une perspective historique, dans cette longue marche de la gauche latino-américaine pour parvenir à faire naître des sociétés plus égalitaires et émancipées de toutes les tutelles économiques, politiques, culturelles qui pèsent sur elles.
En ce sens ce texte se permet de remettre en cause de manière privilégiée les approches campistes de gauche qui traditionnellement sont très présentes en Amérique latine et dont l'influence provient pour une bonne part du rôle géopolitique de premier plan que joue l'impérialisme américain dans ce sous-continent. Il questionne cependant aussi les courants de gauche qui, tout en mettant en évidence avec raison l'importance des luttes féministes, antiracistes et décoloniales, tendent à oublier que ces dernières ne peuvent s'approfondir qu'en reprenant à leur compte une stratégie politique globalisante questionnant en même temps la toute-puissance du capitalisme néolibéral contemporain. C'est sur cette dimension que nous avons voulu mettre l'accent dans ce texte.
Derrière la question des caractéristiques et de l'avenir du régime de Nicolas Maduro, il n'y a pas seulement celle de son autoritarisme, ou encore celle de ses manœuvres excluantes et anti-démocratiques, ou même celle du rôle déstabilisateur des USA qui l'aurait conduit –peu ou prou— à agir ainsi. Il y a beaucoup plus. Il y a la question de la portée et de l'avenir des projets socio-politiques égalitaires portés par la gauche en ce premier quart du 21ème siècle.
C'est là une raison de plus pour s'attarder avec attention sur leurs avancées, mais aussi sur leur inflexions et dérives, en ne craignant pas d'essayer de montrer là où le bât blesse, là où il aurait été possible de prendre une autre direction, là où l'on a erré, là où les rêves d'émancipation ont même fini par prendre la forme de caricatures autoritaires et cauchemardesques. N'est-ce pas ainsi qu'on pourra redonner sa force et sa dignité aux projets d'émancipation égalitaire de la gauche ? En Amérique latine bien sûr, mais pas seulement, partout au monde !
Patrick Guillaudat
Pierre Mouterde
Auteurs de : Hugo Chavez et la révolution bolivarienne, Promesses et défis d'un processus de changement social, Montréal, M éditeurs, 2012 ; Les couleurs de la révolution, la gauche à l'épreuve du pouvoir : Venezuela, Équateur, Bolivie, Un bilan à travers l'histoire, Paris, Syllepse, 2022.
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[1] Voir pour plus de détails, le sous-chapitre 7 de cet article où l'on s'arrête sur les caractéristiques du système électoral vénézuélien. En ce qui concerne les élections présidentielles du 28 juillet 2024, il y a tout lieu de penser —vu la traditionnelle fiabilité de ce système s'appuyant sur deux modes de re-comptage et le refus du gouvernement Maduro d'en fournir toutes les données à sa disposition— que les assertions de l'opposition concernant l'existence d'une fraude manifeste soient justifiées.
[2] Initiée en 2012, la phase critique de cet exode migratoire se situe en 2015. En 2019, l'on compte déjà plus de 4,5 millions de réfugiés. En 2024, le chiffre avancé le plus courant est de 7 millions.
[3] Alba : Alternativa Bolivariana para America, ou l'Alternative bolivarienne pour l'Amérique (Alba) est le non donné à série d'accords économiques, culturels et politiques passés, à l'instigation du Venezuela bolivarien, entre pays latino-américains sur une base plus égalitaire et cherchant à contrecarrer la zone le libre-échange des Amériques proposée par les USA et organisée selon les principes excluant du néolibéralisme.
[4] Terme choisi pour désigner le processus engagé suite à l'élection de Chávez à la présidence en 1998. Il renvoie bien sûr au personnage historique de Bolivar, symbolisant à sa manière les volontés révolutionnaires de luttes et d'indépendance d'une Amérique latine enfin unie.
[5] Manuel Sutherland, « La ruina de Venezuela no se debe al “socialismo” ni a la “revolución” », Nueva Sociedad, n° 274, mars-avril 2018.
[6] Luis Britto Garcia, « (…) dans le secret le plus absolu, un lobby néolibéral prépare dans la Constituante une loi Terminator de promotion et de protection des investissements, ou d'investissement étranger direct, pour octroyer à des entreprises particulières d'autres pays plus de privilèges qu'aux Vénézuélien•nes et nous ruiner » Voir sa tribune publiée par le quotidien Ultimas Noticias du 19 novembre 2017
[7] L'ancien ministre de Chávez, Victor Alvarez dans une interview du 25 octobre 2020 à la revue Tal Cual compare cette loi aux décisions prises par Boris Eltsine en Russie pour liquider et vendre les entreprises et biens publics de l'ex-URSS.
[8] Le 6 décembre 2015, la MUD (Table d'Unité Démocratique, opposition de droite) gagne les élections législatives avec 65,27% des voix et 109 députés, le PSUV (Parti Socialiste Uni du Venezuela, gouvernemental) ne recueille que 32,93% des voix et 55 députés sur les 167 que compte l'Assemblée Nationale. Pour contourner cette défaite, Maduro va créer de toute pièce une Assemblée Nationale Constituante, dont l'élection en 2017 est boycottée par la droite.
[9] Voire l'affaire Vanessa Rosales, militante pour la défense des droits sexuels à Merida, qui a été poursuivie et incarcérée le 12 octobre 2020 pour avoir fourni conseils et médicaments à une adolescente et qui voulait avorter, victime d'un viol. Malgré la mobilisation de nombreuses associations, Vanessa Rosales a été assignée à résidence en 2021.A la même époque, le violeur, pourtant sous mandat d'arrêt était toujours en liberté.
[10] Déjà, avant l'adoption de cette loi, la vice-présidente Delcy Rodriguez annonçait le 25 mars 2024 que la loi visera en priorité les personnes impliquées dans les manifestations de 2014, 2015 et 2017, les secteurs liés à l'Assemblée Nationale de 2015, ainsi que les secteurs liés au gouvernement des USA. Citation reprise dans une publication de l'ONG PROVEA du 4 avril 2024 Venezuela frente al espejo del fascismo : perspectivas de derechos humanos sobre el proyecto “Ley contra el fascismo, neofascismo y expresiones similares”. Elle confirmera cette position devant l'Assemblée Nationale le 2 avril 2024 en présentant le projet de loi.
[11] L'entreprise Smartmatic qui était chargée des machines à voter et du décompte électronique a stoppé son contrat avec le gouvernement vénézuélien après avoir découvert que le CNE avait ajouté un millions de voix au décompte réel de participation lors de cette élection à l'ANC le 30 juillet 2017. Depuis, cette entreprise a été remplacée par Ex-Clé - dont le dirigeant est lié à Delcy Rodriguez - entreprise spécialisée dans la numérisation des données d'état civil des vénézuélien.nes, les services de migration, et dont plusieurs dirigeants ont été … membres du CNE.

Immigration : Un programme restreint, une large colère
Dans une entrevue à CBC et Reuters, Marc Miller a annoncé en plein milieu de l'été, lorsqu'il est difficile de mobiliser largement pour protester, une nouvelle affligeante ? : le gouvernement libéral recule devant la montée des discours anti-immigrants et devrait examiner un programme de régularisation a minima, qui ne concernera que les travailleurs et travailleuses des secteurs de la santé et de la construction.
8 août 2024 | tiré du site du Centre des travavailleurs et travailleuses immigrants (IWC-CTI)
Encore faut-il attendre le projet qui sera déposé par Marc Miller au Conseil des ministres pour connaître comment sont définis ces secteurs d'activité, si, par exemple, le travail de soin aux domiciles des particuliers est inclus – ce qui est le cas quand on travaille pour le secteur parapublic de la Santé et des services sociaux et que l'on se rend à domicile. On verra aussi comment sont délimités les travailleurs et travailleuses éligibles ? : par exemple, faudra-t-il amener des preuves délivrées par un employeur ? Ou une auto-attestation suffira-t-elle ?
Bien des choses restent dans l'inconnu. Il serait quand même question que ces travailleuses et travailleurs aient accès à la résidence permanente – il est vrai que les pénuries de main d'œuvre dans ces secteurs sont là pour durer et que c'est l'un des principaux motifs pour y lancer un programme de régularisation, hélas, au lieu de s'engager dans la voie du respect des droits fondamentaux des personnes vivant au Canada, comme ce pays en a le devoir en regard des lois et conventions internationales.
Dans une lettre ouverte adressée à Justin Trudeau et à son ministre de l'Immigration Marc Miller, et publiée dans Le Devoir et les sept quotidiens régionaux de la Coop de l'info le 8 mai 2024, la Campagne québécoise pour la régularisation des personnes sans statut migratoire rappelait que l'objectif d'un programme de régularisation « ?ne peut se réduire à combler à court-terme des pénuries de main-d'œuvre. Il s'agit de mettre sans délai un terme aux conditions de misère, de harcèlement et de surexploitation dans lesquelles se débattent nombre de personnes sans papiers. Le programme doit assurer une vie décente à ces centaines de milliers de personnes qui sont intégrées à la société et qui aspirent à y contribuer pleinement à titre de citoyennes et de citoyens libres d'exercer leurs droits ? ».
Et lors de la conférence de presse qui s'est tenue le 25 mai 2024, quelques jours avant ce désastreux Conseil des ministres fédéraux qui a vu une partie d'entre eux refuser un programme de régularisation complet et inclusif, Imene, du comité des femmes du CTTI, soulignait ? : « ? Ne pas régulariser ces personnes qui ont perdu leur statut le plus souvent à cause des failles des politiques d'immigration, ou trier parmi elles celles qui seront régularisées, ne fera que les enfoncer encore plus profondément dans la peur et les abus. Nous ne pouvons le tolérer ? ».
Même s'il n'est pas envisageable de refuser purement et simplement le programme restreint qui risque d'être proposé, il est clair que notre mobilisation va continuer, avec tous les nombreux alliés que cette campagne pour les droits des personnes migrantes et immigrantes continue de rassembler très largement. C'est d'autant plus nécessaire qu'il s'agit aussi de s'opposer à la montée du racisme et de la xénophobie et des discours faisant des demandeuses et demandeurs d'asile et des travailleurs et travailleuses temporaires les boucs-émissaires de la crise de l'accès au logement social et abordable, et à des services publics de qualité. À peine deux ans après la fin de la pandémie, les personnes migrantes et immigrantes sont montrées du doigt alors que loin d'être les facteurs d'une crise quelconque, elles font partie des principales victimes et sont toujours aussi « ?essentielles ? » pour faire tourner ces services et nombre de secteurs d'activité. Nous avons raison d'être en colère !
Prochain rendez-vous le 14 septembre lors du week-end de mobilisation organisé par le FRAPRU pour dénoncer la confusion faite entre crise du logement et immigration. Tout au long de l'automne, nous mènerons une large campagne de sensibilisation et de mobilisation pour élargir le projet de programme de régularisation qui devrait être annoncé et pour combattre le racisme et la xénophobie sous toutes leurs formes. Et surtout, pour faire valoir que les droits des personnes migrantes et immigrantes ne sont pas négociables dans une société de justice sociale ?!
Restez à l'affût, d'autres initiatives seront prises et communiquées.
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Diriger par sondage est un exercice contreproductif
Le 18 août dernier, Québec solidaire procédait à un sondage adressé aux membres et aux personnes sympathisantes. Un exercice qui va à l'inverse du débat politique et d'une solidarité militante.
27 août 2024
À priori on se demande ce qui justifie la production d'un sondage identique qui s'adresse aux membres et aux sympathisantEs. On convient que même si les moyens de communication sont différents avec les personnes sympathisantes, on doit toujours prioriser les rencontres collectives. Demander aux associations de contacter les personnes sympathisantes pour discuter de l'avenir de QS est beaucoup plus positif parce que cela favorise la construction des associations locales, essentielles pour la vie et la croissance de QS.
En ce qui concerne les membres, nous avons déjà des structures de participation décisionnelles que sont les associations locales et régionales, les commissions thématiques, les réseaux militants, les collectifs. Autant de structures qui permettent de discuter collectivement et d'enrichir la politisation par le partage d'idées.
Dans cette optique ce type de sondage adressé aux membres va à contre sens du débat démocratique parce qu'il fonctionne avec une méthode de morcellement des militants et militantes, et va à l'inverse du débat politique commun et d'une solidarité militante. Particulièrement pour les progressistes, le rassemblement dans les débats est essentiel. Nous sommes inondés de propagande médiatique de plus en plus à droite et conservatrice ; pour contrer ce discours dominant, il faut se rassembler et discuter collectivement.
Le sondage de la direction de QS produit l'effet contraire et ressemble beaucoup plus à une consultation dirigée qui nous éloigne de la démocratie militante dont nous avons besoin, particulièrement pour faire face au discours de droite qui prend de plus en plus de place dans la société. Pour y faire face nous avons besoin de solidarité militante, certainement pas de morcellement.
Dans un article publié dans CAIRN INFO en 2003, sous le titre « Les sondages orientent plus qu'ils ne consultent » l'auteur expliquait que les sondages jouent un rôle politique : loin de cerner « l'opinion » des individus, ils contribuent à l'orienter. Les sondages donnent une mesure de « l'opinion » biaisée dans un sens conforme aux désirs de leurs commanditaires, d'abord parce qu'ils ne posent que certaines questions, ensuite parce que la formulation de ces dernières influe sur les réponses. La question, par exemple, peut être tronquée. Une autre technique consiste à multiplier les questions pour marginaliser celles qui sont essentielles. [1]
C'est ce qu'on peut constater dans le sondage qui nous a été soumis. On met côte à côte les revendications de justice sociale, économiques, féministes et humanitaires avec l'indépendance du Québec.
Le sondage de QS pose la question avec choix multiples. Quel enjeu politique est le plus important pour vous en ce moment ?
L'Éducation, l'égalité des genres, l'environnement et la lutte aux changements climatiques, le logement, la hausse du coût de la vie et l'économie, l'inclusion et la lutte au racisme, l'indépendance du Québec, la santé et les services sociaux, l'immigration et l'intégration des nouveaux arrivants, la langue française et la culture. Je préfère ne pas répondre.
Est-ce une volonté de neutraliser le combat pour un changement de société ? La méthodologie du sondage, en plaçant l'indépendance comme un élément parmi d'autres, le suggère, comme l'explique l'article de CAIRN INFO. L'indépendance, essentielle pour réaliser le changement social que nous revendiquons, ne peut être un élément parmi d'autres, elle est centrale dans le combat que nous menons, comme l'indique notre programme :
"En ayant la pleine maîtrise de toutes ses politiques économiques, c'est-à-dire les politiques budgétaires, fiscales, commerciales, monétaires et douanières, un Québec souverain disposera des pouvoirs requis pour mettre en œuvre un projet de société égalitaire, féministe, écologiste et solidaire. Il pourra refuser la domination économique et le pillage des ressources naturelles."
Pour bien ancrer le clou, le sondage pose les mêmes questions sous trois autres angles différents.
* Comment appréciez vous le travail du gouvernement dans la gestion des enjeux suivants ?
* Sur lequel des enjeux suivants aimeriez vous que Québec solidaire soit plus actif ?
* Parmi les enjeux suivants, lequel vous motiverait le plus à vous mobiliser ( ex. participer à une manifestation, prendre la parole sur les médias sociaux) ?
On nous demande enfin si on a une bonne, plutôt une mauvaise opinion ou si on ne connait pas…
Gabriel Nadeau-Dubois, porte-parole de Québec solidaire, Christine Labrie, Manon Massé. Dans ce cas la réponse est obligatoire. La même question est posée pour Paul St-Pierre Plamondon, François Legault, Pierre Poilievre et Justin Trudeau. On nous demande enfin pour quel parti on a voté en 2022, pour lequel on voterait maintenant, et si on est membre de QS.
Un parti politique de gauche, qui vise à changer cette société mercantile et injuste doit absolument se baser sur la mobilisation et les actions collectives. Cet exercice de sondage va à l'inverse en centralisant le pouvoir.
Le récent Conseil national à Saguenay a démontré le dérapage démocratique de la direction qui a transformé un rapport de la tournée des régions en déclaration programmatique. Nous devons nous reprendre en main, la démocratie étant essentielle pour des débats sains et surtout pour construire un rapport de force face aux discours de droite.
André Frappier
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[1] CAIRN INFO Le rôle politique des sondages, Retour sur la réforme des retraites de 2003, par Antoine Rémond - Comment les sondages fabriquent l'opinion ?

Le climat justifie une politique industrielle contre le peuple travailleur
La filière batterie entraînant le « Plan d'action 2035 » d'Hydro-Québec et encadrée par la loi 69 « pour moderniser les lois entourant l'énergie » est de facto non seulement le cœur de la politique industrielle du Québec mais l'épine dorsale de sa politique de développement économique pour la première moitié du XXIe siècle. Comble de l'absurdité, Québec n'associe aucun objectif global ou sectoriel ni échéancier de diminution des gaz à effet de serre (GES) au développement de la filière batterie malgré un investissement à terme de 30 milliards $ !
Cette filière intègre plus que jamais le Québec, tout comme le Canada qui combine la même stratégie avec la croissance de la production du gaz et du pétrole, dans le plan de mach des ÉU. L'objectif primordial étatsunien, loin de la lutte climatique, est de damer le pion à la Chine pour le contrôle du marché mondial dont la dominante génératrice de plus-value extra devient l'extractivisme vert. Non pas que cet extractivisme se substituera à celui des hydrocarbures mais qu'il s'y superposera comme au XXe siècle le pétrole s'est mondialement superposé au charbon. D'ailleurs les ÉU ne sont-ils pas devenus les premiers producteurs de pétrole
et de gaz avec le Canada qui court derrière eux ? Raison de plus pour la gauche de donner toute son importance au développement de la filière batterie et de ses suites, le plan d'action 2035 d'Hydro-Québec et le projet de loi 69 qui sera au menu de l'Assemblée nationale cet automne.
Ce sont les États-Unisdu président démocrate Joe Biden qui ont lancé la course aux plus offrants avec des centaines de milliards en subventions et des règles d'achat local afin, entre autres, de développer l'énergie verte et de promouvoir le secteur technologique américain tout en bloquant la Chine. Convaincus par cette approche, ou ne voulant simplement pas voir leurs propres entreprises désavantagées ou incitées à déménager aux États-Unis, plusieurs gouvernements, y compris au Canada, ont déployé à leur tour des politiques similaires.
Le gouvernement du Québec a emprunté la même voie pour aider à la mise en place de sa nouvelle filière batterie. Son ministre de l'Économie, Pierre Fitzgibbon, a qualifié, le mois dernier, de « naïfs » ceux qui pensent que des projets d'usines de batteries, comme ceux de Ford et de GM-Posco dans la nouvelle « Vallée de la transition énergétique », ou de cellules de batteries, comme celui de Northvolt en Montérégie, pouvaient se réaliser sans un accompagnement politique et financier des pouvoirs publics. « S'il n'y avait aucune subvention du gouvernement, il y aurait zéro dans la filière batterie au Canada. Ça serait aux États-Unis. »
L'analyste économique principal de Radio-Canada chante les louanges de la filière batterie :
Bien plus structurant qu'une cimenterie ou qu'un projet d'exploration pétrolière à l'île d'Anticosti, le projet que Northvolt vient d'annoncer sur la Rive-Sud de Montréal place le Québec parmi les grands développeurs de la filière batterie du monde. L'investissement public, souvent critiqué, est absolument nécessaire. Si on veut être un acteur de premier plan dans ce secteur, il faut impérativement et rapidement injecter des milliards de dollars.
Mais, comme l'expliquait Paolo Cerruti [PDG de Northvolt], c'est très difficile d'aller à zéro. Aujourd'hui, une batterie moyenne produite en Asie nécessite à peu près 100 kilogrammes de CO2 en émissions de la mine jusqu'au produit fini pour chaque kilowattheure de batterie produite. […] Ce que l'on fait chez Northvolt en Suède, et qu'on a l'intention de répliquer ici au Canada, c'est 50 kilogrammes de CO2 grâce à notre travail sur la chaîne d'approvisionnement et sur l'énergie, à la décarbonation de nos processus de production. Donc, on est déjà à la moitié. D'ici 2030, l'objectif est de descendre à 10 kilogrammes pour chaque kilowattheure de batterie produite.
Donc, choisir le Québec est en complète harmonie avec la vision de Northvolt. Le lithium est produit au Québec, par Nemaska et Sayona notamment, et non pas à l'autre bout du monde, où le respect des travailleurs et de l'environnement soulève généralement de grandes préoccupations.
De plus, la cathode, composante importante dans la chaîne de production vers la cellule de batterie, est aussi fabriquée ici, avec des investissements annoncés récemment chez Ford,GM et BASF au Québec. Encore une fois, Northvolt peut compter sur une production locale et éviter de dépendre des fournisseurs asiatiques.
L'entreprise compte aussi sur le recyclage des composantes et des métaux. En fait, grâce à une filière intégrée de la batterie au Québec, développée par les gouvernements du Canada et du Québec, Northvolt trouve exactement le modèle d'affaires qu'elle recherche.
En misant sur une filière batterie de premier plan, le gouvernement Legault pourrait mettre en place une grande industrie québécoise, avec une expertise québécoise, pour électrifier ses transports et ses procédés industriels, à partir d'énergies renouvelables.
En écoutant les critiques qui s'émeuvent des milliards injectés par l'État dans cette filière, le Québec serait condamné à dépendre du reste du monde pour espérer améliorer son bilan énergétique. Le choix qui est fait aujourd'hui, avec Northvolt et d'autres entreprises dans la filière batterie, est un investissement qui pourrait être névralgique pour le Québec, comme l'a été la nationalisation de l'hydroélectricité dans les années 60.
Le principal analyste politique de la Chaîne de l'État canadien y voit un grand dessein s'articulant en trois volets économico-politiques :
Se prémunir contre les futurs Trump
L'avenir de l'industrie automobile étant électrique, toutes les composantes qui traverseront la frontière chaque jour de part et d'autre seront autant d'arguments pour garder ce robinet économique ouvert. Parce que les usines de batteries de GM, Ford, Stellantis et autres Northvolt vont également alimenter les sites de fabrication aux États-Unis. Si le gouvernement américain ne souhaite plus que ses entreprises achètent les feuilles de cuivre de Solus Advanced Materials, à Granby, pour construire leurs batteries, l'autre usine la plus proche est en Chine !
La révolution à la maison
La petite révolution de la bagnole électrique sera graduellement rattrapée par celle de la maison de plus en plus autonome sur le plan énergétique. Le solaire et l'éolien sont de belles sources d'énergies renouvelables, mais elles sont intermittentes et pas toujours disponibles au moment où les consommateurs en ont besoin. Dans quoi sera stockée cette énergie en attendant le bon moment ? Dans de puissantes batteries.
Des emplois de cols bleus SVP !
Le troisième aspect sous-estimé de la naissance de la filière batterie est son apport au retour en force du secteur manufacturier en Amérique du Nord. La game a changé quand Joe Biden a décidé de reconstruire le secteur manufacturier américain, a affirmé le ministre François-Philippe Champagne. Or, sur le plan politique, les dernières années ont montré que les électeurs de la classe ouvrière sont les plus en colère, désabusés et sceptiques par rapport à leur place dans la société. Cette classe ouvrière a contribué à la progression du phénomène Donald Trump aux États-Unis, à la poussée du Brexit au Royaume-Uni, et même au convoi de la liberté à Ottawa en février 2022.
Un conjoncture en panne dépendante d'une petite transnationale européenne
On constate qu'à moins que la gauche veuille avaler cette amère pilule enrobée d'une dose dopante de sucre, elle doit se lever tôt d'autant plus que la filière batterie semble faire saliver les syndicats de cols bleus comme Unifor. La conjoncture économique se présente comme son premier allié objectif. Northvolt, le bateau-amiral de la filière, est une très petite transnationale suédoise centrée d'abord sur l'Europe au financement très fragile dans une conjoncture certes à terme prometteuse mais la réalité du moment présent est un ralentissement de la croissance des ventes de véhicules électriques. Il est bien possible que ce ralentissement soit plus que conjoncturel. Faut-il se surprendre que Northvolt ait freiné son développement sans compter que son usine québécoise n'est pas sa priorité ?
Alain Dubuc, professeur associé à HEC Montréal et membre de l'Institut du Québec, a affirmé à l'émission Le 15-18 diffusée sur ICI Première que ce revirement est une douche froide en soulignant que l'annonce de Northvolt suscite une certaine crainte du fait qu'elle montre une hiérarchie de ses usines. Selon lui, après l'usine de Suède, celle d'Allemagne est classée en deuxième position en raison de sa proximité géographique. Par conséquent, l'usine québécoise se place de toute évidence en troisième position.
Dans ce dossier, le professeur Dubuc retient le fait que le gouvernement de François Legault a un peu passé sous silence les risques liés à une entreprise balbutiante, qualifiant la présentation du projet d'enflure verbale. Pour lui, c'est très mauvais pour l'image du gouvernement qui a misé sur ce projet. Le groupe suédois réfute par ailleurs avoir voulu se développer trop vite, au détriment de la sécurité. La police suédoise enquête sur un éventuel lien entre trois décès de personnes qui étaient employées sur le premier site du fabricant de batteries.
En plus de la mauvaise conjoncture et un financement difficile, elle « perd un contrat de près de 3G$ de BMW » faute de livraison à temps car son usine suédoise, la seule en production, tarde à produire à plein rendement. On peut penser que Northvolt ne se risquera pas de s'inscrire en bourse de sitôt, elle qui voulait le faire en 2024.
Projets « mis sur pause » et annulés dans la « Vallée de la transition énergétique »
Du côté des transnationales s'installant dans la « Vallée de la transition énergétique », essentiellement dans le parc industriel de Bécancour, si la construction de l'usine de cathodes de GM avec la sud-coréenne Posco semble aller bon train, il n'en va pas de même pour celle de Ford avec la sud-coréenne EcoPro-BM qui s'est mise en pause technique pour une deuxième fois au début août. Cette « pause » pourrait être plus longue quand on sait que « [l]e constructeur américain Ford a annoncé jeudi le décalage de deux ans du lancement de ses nouveaux modèles de VUS électriques devant être fabriqués au Canada, arguant vouloir profiter des dernières avancées en matière de batteries. Ces véhicules devaient arriver sur le marché en 2025, mais le groupe a décidé, selon un communiqué, de « reprogrammer » leur lancement à 2027. »
Si en amont, la transnationale brésilienne Valle a débuté la construction de son usine de traitement de nickel pour approvisionner GM-Posco, la transnationale allemande BASF a abandonné son projet d'usine de cathodes tout comme la sudcoréenne Volta Energy a interrompu en juillet la construction de son usine de feuilles de cuivre pour batteries à Granby. Pour tout dire, « [à] la Société du parc industriel de Bécancour, on observe qu'un bon nombre de grands constructeurs automobiles sont venus faire leur tour sans décider de s'implanter, à l'exception de Ford et de GM-POSCO… » Malgré que la japonaise Honda ait décidé de construire en Ontario son usine de fabrication de batteries à côté de son usine d'assemblage de véhicules, Québec ne désespère pas que l'entreprise construise à Bécancour son usine de cathodes quitte à lui céder son investissement dans la minière Nemaska Lithium.
Même la moyenne entreprise québécoise Lion électrique qui transforme des camions et autobus scolaires à l'énergie électrique doit congédier des centaines de ses employés apparemment faute de subvention fédérale qui n'est pas au rendezvous malgré le soutien de Québec à ce rare fleuron national au sein de la filière batterie. D'autres projets plus fantaisistes, comme celui de TES Canada, ne sont sans doute pas viables.
Des mines de lithium au nord et de graphite au sud fleurtant avec la banqueroute
Si la mauvaise conjoncture ébranle la petite transnationale suédoise et compromet les projets des transnationales étatsuniennes et de leurs partenaires sudcoréennes, elle met en cause l'existence même des minières du lithium et du graphite. « L'exploration minière visant des gisements de graphite, de lithium et de terres rares a atteint un sommet au Québec en 2022, selon un rapport de l'Institut de la statistique du Québec » quoique que l'or y demeure la reine de l'exploitation minière. Le lithium domine dont les gisements en Abitibi mais surtout ceux en territoire crie (L'Eeyou Istchee). « Il y a actuellement près de 400 projets d'exploration minière dans la région de l'Eeyou Istchee, le territoire traditionnel des Cris de la Baie-James, où vivent environ 20 000 Cris répartis dans neuf communautés. Chisasibi est la plus grande. »
Source : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2014095/mines-metaux-lithium-winsome-valdor
N'empêche que la nouvelle conjoncture a passé par là. « Les prix de plusieurs minéraux critiques et stratégiques — notamment produits au Québec — affichent des reculs importants sur les marchés depuis le début de 2023, dont le lithium, le nickel et le graphite. » « Les mineurs occidentaux font pression pour que les prix des métaux augmentent afin d'écarter les rivaux chinois » qui produisent la majorité de ces métaux.
Sayona
La mine North American Lithium près de Val-d'Or, au Québec (anciennement la mine Québec Lithium), a atteint la production commerciale au début de 2018 et expédiait du concentré de spodumène à des raffineries en Chine pour le transformer en carbonate de lithium. Face à la brusque chute des prix des produits à base de lithium et du concentré de spodumène plus tard dans l'année, North American Lithium a suspendu sa production en 2019 et s'est placée sous la protection de la loi sur les faillites. Elle a été rachetée par Sayona Québec dans le cadre d'une coentreprise de Sayona Mining (Australie) et Piedmont Lithium (ÉtatsUnis) en 2021. La mine a commencé une production limitée de concentré de lithium en mars 2023, visant une production commerciale complète au troisième trimestre de 2023. Les nouveaux propriétaires prévoient également de construire une raffinerie d'hydroxyde de lithium ou de carbonate de lithium.
L'action de Sayona Mining, une compagnie australienne derrière plusieurs projets de mines de lithium au Québec, a perdu près de 30 % de sa valeur jeudi. Cette chute survient après que le principal actionnaire de la compagnie, Piedmont Lithium, a mis en vente la totalité de ses actions dans l'entreprise. Elle se départit ainsi d'actions d'une valeur d'environ 52 millions de dollars canadiens. Par voie de communiqué, Piedmont Lithium a indiqué prendre cette décision pour « maintenir un bilan prudent ».
Depuis un an, la valeur de l'action de Sayona Mining s'est effondrée de 78 %. La filiale québécoise de Sayona Mining avait annoncé une restructuration un mois auparavant, dans le cadre d'une baisse mondiale du prix du lithium. Quinze employés ont été mis à la porte. Piedmont Lithium avait également annoncé au début février une réduction de 27 % de son personnel afin de contrôler ses dépenses. […]
Sayona détient aussi 60 % du projet Moblan et 100 % du projet de Lac-Albert, sur le territoire d'Eeyou Istchee Baie-James. La Coalition Québec meilleure mine, qui s'oppose au projet Authier puisqu'il est situé à proximité d'un esker en AbitibiTémiscamingue, a tenu à réagir par écrit aux événements boursiers de jeudi. « Cette méchante débarque prouve une fois de plus qu'il n'y a aucun risque à prendre avec une compagnie aussi fragile et volatile financièrement », a commenté le regroupement citoyen.
Cours boursier de Sayona le 15/08/24 : https://money.tmx.com/fr/quote/SYAXF:US
Nemaska
Le projet de Nemaska Lithium était prometteur. D'abord sauvé de la faillite sur le dos des petits investisseurs par Investissement Québec, il comptait sur Ford pour acheter sa production :
Après plusieurs années d'exploration et de construction, Nemaska Lithium a produit son premier concentré de spodumène à la mine de Whabouchi, au Québec, au début de 2017. L'entreprise a suspendu sa production en 2019, et la mine a été mise en état d'entretien et de maintenance. Après avoir demandé la protection de la loi sur les faillites, Nemaska a été rachetée par le groupe Pallinghurst [ enregistrée dans le paradis fiscal de l'île de Guernesey] en partenariat avec le gouvernement du Québec et s'est libérée de la protection contre les créanciers en 2020. L'entreprise prévoit redémarrer la mine et construire une raffinerie d'hydroxyde de lithium à Bécancour (Québec). Avant le démarrage de la production d'hydroxyde de lithium à l'usine Nemaska de Bécancour, au Québec, la société fournira à Ford du concentré de spodumène provenant de sa mine Whabouchi. Les travaux de construction de l'usine de conversion d'hydroxyde de lithium sont prévus pour 2023.
[L'entreprise] s'est placée sous la protection de la loi de la faillite avant d'être en partie rachetée par Investissement Québec au terme d'une aventure qui aura fait perdre des économies importantes à des dizaines de milliers de petits investisseurs. Mais Nemaska, c'est avant tout une communauté crie qui s'est construit un village isolé au cœur de la forêt boréale, à plus de 1500 kilomètres de Montréal,
Une mine de lithium dans laquelle le gouvernement du Québec a investi des sommes colossales doit entrer en production dans une communauté crie de la région Eeyou Istchee Baie-James, au nord du Québec, en 2025. Mais à Nemaska, où les installations de la mine sont en chantier, le projet divise la communauté et, selon deux anciens chefs, il n'a jamais reçu l'approbation de la population.
Nouveau Monde Graphite (NMG)
Si on se fie au cours boursier, ce n'est pas plus reluisant du côté de Nouveau Monde Graphite, le seul projet en développement côté graphite, même les ententes une fois signées, une partie du financement assurée… et un tarif préférentiel pour l'électricité sans compter la collaboration involontaire de la Chine :
La Municipalité de Saint-Michel-des-Saints et Nouveau Monde Graphite inc. (« Nouveau Monde » ou « NMG ») (TSXV ; OTCQX : NMGRF ; Francfort : NM9) cristallisent leur partenariat de développement social, économique et environnemental en signant une entente de collaboration et de partage des bénéfices dans le cadre du projet minier Matawinie.
À travers cette nouvelle entente, qui couvrira toute la durée d'exploitation commerciale de la mine, Nouveau Monde versera jusqu'à 2 % de ses flux monétaires nets après impôts à la Municipalité afin de rehausser les bénéfices et réinvestissements dans la communauté. Un versement anticipé de 400 000 $ par année précédant la période d'exploitation de la mine permettra à la Municipalité de préparer et mettre à niveau, au besoin, ses infrastructures.
Nouveau Monde versera également 1 % de ses flux monétaires nets après impôts au Fonds communauté d'avenir qui servira de catalyseur pour des projets structurants à portée sociale, économique et environnementale en HauteMatawinie.
NMG a conclu une entente cadre avec le Conseil des Attikamek de Manawan et le Conseil de la nation Attikamek en 2018 et une entente de pré-développement en 2019. Des discussions actives sont en cours pour finaliser une entente sur les répercussions et avantages.
General Motors et de Panasonic s'engagent à investir 275 millions supplémentaires, soit 125 millions pour GM et 159 millions pour Panasonic, a fait savoir Nouveau Monde Graphite. Les deux ententes d'approvisionnement représentent 85 % de la production de matériau d'anode prévue à Bécancour. La production est destinée aux usines de General Motors et de Panasonic aux États-Unis, a précisé Eric Desaulniers.
Les premières livraisons de la future usine sont prévues au début de 2027. Nouveau Monde Graphite espère pouvoir finaliser le financement de son projet d'ici la fin de l'année et commencer les travaux de construction en 2025. Nouveau Monde Graphite traitera à Bécancour le graphite extrait de sa mine de Saint-Michel-desSaints pour le transformer en matériau d'anode pour les batteries lithium-ion. L'entreprise a l'ambition d'électrifier complètement ses activités. Elle a obtenu du gouvernement du Québec un tarif d'électricité inférieur au tarif industriel ordinaire d'Hydro-Québec pour 77 mégawatts. La Chine a donné un coup de pouce à Nouveau Monde Graphite en limitant ses exportations de graphite, dont la demande est en augmentation dans le monde.
Le cours de NMG le 15/08/24 : https://www.zonebourse.com/cours/action/NOUVEAU-MONDE-GRAPHITE-IN-34837526/
Ça n'empêche pas NMG de rêver en grand :
Les projets miniers liés à la production de batteries attirent de plus en plus les investisseurs sur la Côte-Nord. Du côté de l'entreprise Nouveau Monde Graphite, la production ciblée au gisement du lac Guéret est maintenant d'environ 500 000 tonnes de concentré de graphite par an. Quant à la société Northern Graphite, elle étudie des sites pour la construction d'une usine de matériaux d'anodes pour batteries à Baie-Comeau. L'entreprise Nouveau Monde Graphite veut multiplier par presque dix fois la production annuelle de graphite avec le projet Uatnan, dont le gisement est situé au lac Guéret, à 285 kilomètres au nord de Baie-Comeau.
En 2017, les Innus de Pessamit avaient conclu une entente de coopération avec Mason Graphite puisque la mine se trouve sur le territoire ancestral de cette Première Nation. À nos yeux, il faut recommencer cette entente. Avec la communauté innue [de Pessamit], c'est un peu une page blanche. Ce n'est pas du tout le même projet. On parle d'un projet d'une ampleur dix fois plus grande, ajoute Éric Desaulniers [PDG de NMG]. Mardi, le Conseil des Innus de Pessamit n'a pas répondu aux demandes d'entrevue de Radio-Canada à ce sujet.
Et puis viendraient les mines de terres rares qui « se trouvent en très faible densité dans la roche. Pour cette raison, la production tend à produire beaucoup de déchets comparativement à l'exploitation d'autres minéraux à teneur plus élevée, selon l'analyste minier d'Eau Secours, Émile Cloutier-Brassard. »
Une filière basée sur les transnationales d'ailleurs aux dépens des PME d'ici
Cette conjoncture défavorable donnerait-elle raison à la critique de la Banque Nationale, la banque des PME, vis-à-vis la Banque de Montréal (BMO), celle des transnationales ?
Le Québec doit saisir les occasions économiques que lui procure son électricité avant d'être rattrapé, soutient le président de la BMO au Québec, Grégoire Baillargeon. Contrairement au grand patron de la Banque Nationale, le banquier voit d'un œil beaucoup plus favorable les milliards de dollars de soutien gouvernemental à la filière batterie.
En septembre 2023, Laurent Ferreira, PDG de la Banque Nationale, a vivement critiqué les milliards de dollars de subventions accordées à la filière batterie au Canada, déplorant l'attrait des entreprises étrangères au détriment du soutien aux entreprises nationales. Il a souligné que ces subventions principalement profitent aux actionnaires étrangers, ne contribuant pas suffisamment à l'économie canadienne.
De commenter le professeur Laurin de l'UQTR :
Le professeur d'économie à l'Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) Frédéric Laurin croit quant à lui que le projet va bel et bien se réaliser. Il croit toutefois que la filière batterie n'est pas nécessairement la meilleure option économique pour la région. On performe très bien économiquement actuellement et tout ça repose sur des entreprises locales qui se sont vraiment bien défendues ces dernières années et qui ont des expertises dans toutes sortes de domaines, dit-il. Selon lui, le danger c'est de mettre tous les œufs dans le même panier et de laisser de côté la diversité économique.
Ça va tuer notre base entrepreneuriale québécoise formée de PME et en particulier ici dans la région en Mauricie, au Centre-du-Québec, on est, les deux régions qui se sont le plus améliorées économiquement dans les cinq dernières années. Et ça, ce sont les PME qui ont porté cette croissance-là et donc on va tirer de l'emploi dans nos PME qui ont fait bonne figure ces dernières années… Maintenant, on est sorti de la dévitalisation économique pour revenir dans un vieux modèle de développement économique basé sur de grandes entreprises.
Les PME seraient d'autant plus lésées que « [l]e gouvernement n'a pas imposé de contenu québécois à la filière batterie. Rien n'oblige Northvolt, GM ou Ford à s'approvisionner au Québec en matières premières et en services. »
De traitement de faveur à la pollution garantie de l'eau et de l'air… sans norme
Si la conjoncture est mauvaise, le bilan environnemental de la filière batterie est désastreux. Le navire-amiral, Northvolt, a eu droit a un traitement de faveur :
L'entreprise suédoise assure qu'elle y fabriquera des batteries électriques dont l'empreinte carbone sera pratiquement nulle. Quelque 3000 emplois seront créés. Et la province se positionne comme un meneur de la filière batterie. L'ombre au tableau : le projet, dont le site, grand comme 318 terrains de football, se situera entre Saint-Basile-le-Grand et McMasterville, ne coche pas les critères pour être automatiquement soumis au processus d'évaluation du BAPE. Le règlement qui établit si la méga-usine devrait être assujettie au processus a été modifié quelques mois avant l'annonce. Le seuil déterminant de la fabrication de cathodes est passé de 50 000 à 60 000 tonnes, alors que le projet de Northvolt en prévoit 56 000.
Québec a éclipsé la recommandation des fonctionnaires. Le ministre Benoit Charette n'a pas écouté son ministère qui souhaitait un BAPE pour l'usine d'assemblage. Northvolt : Québec a retiré des arguments scientifiques de son analyse L'an dernier, le ministère de l'Environnement justifiait par la science le refus d'un projet sur le même site.
Pourtant les potentiels dégâts environnementaux se sont pas banals :
Des documents publiés en Suède détaillent les impacts environnementaux de la giga-usine de batteries suédoise qui est semblable à celle construite au Québec. Northvolt promet que les rejets dans l'air et dans l'eau seront limités, sous les normes en vigueur. Mais certaines normes n'existent pas encore chez nous.
Dans l'air, l'usine suédoise émet notamment du nickel, du cobalt, du lithium et de l'ammonium. Ce seront effectivement les mêmes produits au Québec, confirme Northvolt […] Dans l'eau, l'usine suédoise rejette du nickel, du cobalt et du lithium, entre autres. Au Québec, il n'existe actuellement aucune norme qui encadre le niveau acceptable de ces substances dans l'eau potable.
Le lithium, c'est psychoactif, ça a un effet sur le cerveau, les gens bipolaires prennent du lithium, rappelle Maryse Bouchard, spécialiste de l'exposition aux contaminants de l'environnement, à l'Institut national de la recherche scientifique (INRS). Le lithium a des effets sur la santé mentale à des concentrations assez faibles, ajoute Benoit Barbeau, professeur spécialisé en traitement de l'eau potable à Polytechnique Montréal.
Northvolt compte demander au premier trimestre 2025 l'autorisation pour les prélèvements et les rejets d'eau auprès du ministère de l'Environnement du Québec et de Pêches et Océans Canada. C'est seulement à ce moment-là que l'on connaîtra avec précision les quantités de contaminants qui seront rejetées dans l'air et dans l'eau de la rivière Richelieu. L'analyse du projet étape par étape plutôt que de façon globale, par le BAPE, agace Patrick Bonin, de Greenpeace Canada, qui rappelle que les gouvernements investissent des milliards dans Northvolt avant même que ce projet soit évalué.
Pour sa part, le président de l'Ordre des chimistes du Québec, Michel Alsayegh, s'est déclaré préoccupé par le manque de transparence et d'encadrement du projet, évoquant notamment le pompage et le rejet d'eau dans la rivière Richelieu ainsi que la gestion des matières dangereuses inhérentes aux activités de fabrication des batteries lithium-ion.
Une dissidence posant des objections de fond mais qui ne mobilise pas en masse
La critique virulente des Kanien'kehá:ka(Mohawks), dans le cadre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, vise particulièrement dans le mille :
Projet Northvolt : « Ils vendent l'environnement », dénonce un élu de Kahnawà:ke « Ils vendent l'environnement, ils vendent les zones humides ». L'affirmation de Ross Kakwirakeron Montour, tasénhaienhs (chef) à Kahnawà:ke, est aussi forte que l'opposition du conseil de bande de la communauté au projet Northvolt. À tour de rôle, Équiterre, Nature Québec et le Comité d'action citoyenne Projet Northvolt ont de nouveau fait part de leur méfiance quant à cet imposant projet en Montérégie.
Il y a une tendance du gouvernement à soustraire des projets à une évaluation environnementale et à affaiblir le BAPE […]. Cela mine la confiance du public et ne respecte pas les droits des peuples autochtones, a souligné Alice-Anne Simard, directrice générale de Nature Québec, lors d'un point de presse à Montréal, lundi. La société Northvolt est venue nous voir et s'est adressée au conseil de manière plutôt informelle. Ils ont simplement dit : "nous sommes là", a-t-il rapporté.
C'est entre autres ce qui a motivé l'administration de la communauté à lancer une poursuite contre le géant suédois en janvier. M. Montour a rappelé que le Canada s'est pourtant engagé à mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones qui met justement l'accent sur le consentement libre et éclairé des Autochtones.
L'élu de Kahnawà:ke a aussi souligné que le gouvernement de François Legault refuse toujours d'implanter ces principes au Québec et qu'il refuse de nous reconnaître notre droit à l'autodétermination. L'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité une motion en 2019 visant à reconnaître les principes et à s'engager à négocier la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
Or, une telle motion n'est pas contraignante et le premier ministre avait déclaré l'année suivante que son gouvernement refuserait de mettre en œuvre intégralement la Déclaration en invoquant l'intégrité du territoire québécois et l'économie de la province.
Pour expliquer pourquoi les Kanien'kehá:ka (Mohawks) se sentent concernés par un projet qui devrait se faire à McMasterville et Saint-Basile-le-Grand, à environ 50 km de Kahnawà:ke, M. Montour a rappelé la responsabilité qui incombe à sa nation. Nous faisons partie de cet environnement et nous devons prendre en compte l'impact de nos décisions. C'est ma responsabilité, ma responsabilité de gardien de l'environnement, et c'est mon plus grand droit.
Le bulldozage de la CAQ pour imposer Northvolt à l'encontre d'une opposition encore incapable d'une mobilisation de masse malgré maintes pétitions et rassemblements a incité une minorité (anarchiste) à lui substituer du sabotage comme des tapis à clousposés sur le chantier de l'usine ou des « objets incendiaires » tout en remettant en question le bien-fondé de l'usine :
Des internautes anonymes qui affirment être à l'origine des cinq « objets incendiaires » déposés le 5 mai sur le site de la future usine de Northvolt en Montérégie ont expliqué leurs gestes dans une publication non signée sur une page web anarchiste. Ils disent avoir mené cette action […] dans le but d'endommager les machines et de réduire la capacité du projet à se poursuivre, car ils estiment que l'entreprise suédoise, qui se présente comme un acteur de la transition verte, en est plutôt la pierre tombale.
Selon les auteurs, l'électrification des transports et le virage vers les véhicules électriques qui bénéficieront des batteries produites sur le site sont de fausses solutions, alors que le véritable problème réside dans l'expansion du parc automobile et l'appétit insatiable du Canada pour les ressources naturelles. Une exploitation des ressources, comme le lithium, qui se fait sur des territoires autochtones non cédés et qui empoisonne les écosystèmes entiers…
Une opposition politique officielle menée en bateau ou qui tergiverse
Quant aux édiles locaux, ils ont approuvé sans savoir :
Les maires de McMasterville et de Saint-Basile-le-Grand ont appuyé et défendu le projet de Northvolt, alors qu'ils ignoraient les impacts environnementaux, selon une lettre obtenue par Radio-Canada grâce à la Loi sur l'accès aux documents. « Nous sommes consternés par votre absence et votre mutisme », ont-ils écrit au ministre de l'Environnement, Benoit Charette, en quête d'informations pour rassurer leurs citoyens. […]
Pendant que les maires cherchaient des réponses et que le ministère ne les donnait pas, les médias démontraient les impacts du projetsur les milieux humides, les boisés, les espèces fauniques ainsi que la rivière Richelieu.
De leur côté, les partis politiques de l'opposition ont beau multiplié les critiques mais ne remettent pas en question le projet Northvolt :
Les partis politiques d'opposition remettent en question l'ampleur des subventions allouées, suggérant que l'argent devrait être consacré aux petites et moyennes entreprises locales. Certains leaders politiques, tels que Joël Arseneau du Parti québécois et Gabriel Nadeau-Dubois de Québec solidaire, doutent de la rentabilité du projet et mettent en avant les préoccupations liées à la pénurie de main-d'œuvre et à l'impact environnemental potentiel de l'usine.
Québec solidaire a eu beau promettre en janvier que « [l]'environnement sera une priorité parlementaire de Québec solidaire », il s'est satisfait de demander un droit d'initiative pour initier un BAPE sans exiger ni la démocratisation de sa direction et des commissions d'enquête ni l'obligation d'appliquer ses recommandations ni la tenue d'un BAPE générique sur « l'avenir énergétique du Québec » comme l'a demandé le Front commun pour la transition énergétique au début 2023… et même les Libéraux provinciaux sur la filière batterie en mars dernier. Avec le PQ et des représentants du mouvement environnemental, Québec solidaire s'est contenté de présenter en novembre 2023 un « Manifeste pour un avenir énergétique juste et viable » vague à souhait, sans revendications précises, chiffrées au besoin, et sans échéancier, qui devrait donner lieu à un débat public à la formule non précisée. Comme il fallait s'y attendre, ce manifeste de beaux principes et de généralités est tombé dans l'oubli.
Concrètement, il semble que les Solidaires se satisfassent de demander la comparution de Northvolt devant un comité de l'Assemblée nationale et « de dévoiler [leurs] documents cachés ». Côté mines, Québec solidaire se réjouit que la CAQ désormais exige un BAPE« pour tout nouveau projet de mine au Québec » et mettent certaines limites au free mining sans l'interdire, ce qu'il déplore, et sans être plus exigeant en termes de redevances et d'encadrement des claims pour protéger l'environnement et les territoires municipalisés. Somme toute, « [l]e développement de la filière des batteries est important pour l'économie du Québec, mais il faut faire les choses dans le respect de l'environnement et des communautés locales ».
La catastrophe annoncée pour la forêt boréale de la « Grande Alliance »
Ces mines ont pourtant un potentiel écologique et social dévastateur :
Les forêts boréales canadiennes sont parmi les plus importants puits de carbone de la planète et, selon l'Institut climatique du Canada, elles séquestrent environ 28 milliards de tonnes de carbone, soit l'équivalent de 40 fois les émissions annuelles de gaz à effet de serre au pays. Une partie significative de la forêt boréale québécoise était jusqu'à présent épargnée par les activités industrielles, mais la situation pourrait changer, car ce territoire nordique contient d'importantes quantités de minéraux critiques et stratégiques, comme le lithium, qui suscitent la convoitise des industries minières.
« En milieu boréal, la forêt se décompose très lentement, plus lentement qu'en milieu tropical, et donc, on a une accumulation importante de carbone qui reste dans les sols formés de matière organique morte. Et comme la forêt boréale a une superficie immense, elle joue un rôle majeur à l'échelle mondiale dans la séquestration du carbone », résume Xavier Cavard, membre du Centre d'études de la forêt et titulaire de la Chaire de recherche UQAT-MFFP sur la gestion du carbone forestier.
L'hécatombe de la forêt boréal risque d'être facilité par la « Grande Alliance », accord du gouvernement québécois avec le Grand Conseil des Cris qui s'intègre comme un gant dans le Plan Nord initié par les Libéraux de Jean Charest et maintenu par la CAQ :
« La Grande Alliance », un protocole d'entente signé en 2020 entre le gouvernement du Québec et la nation crie, prévoit un réseau ferroviaire d'environ 700 kilomètres, la construction de centaines de kilomètres de nouvelles routes et de lignes électriques et la création d'un port en eau profonde, dans la forêt boréale, afin de permettre aux minières d'avoir accès aux minéraux critiques.
Le militant écologiste et président de l'Action boréale Henri Jacob demande aux promoteurs de La Grande Alliance, formée par des délégués de la nation crie et du gouvernement québécois, d'éviter de « faire les mêmes erreurs qu'en Abitibi », où l'industrie minière a exploité la forêt boréale « sans se soucier des prochaines générations » et pris « possession de 40 % du sol ».
« Ce qui s'est passé en Abitibi depuis le début des années 1930 », il faut « en tirer des leçons », car « ce qu'on voit aujourd'hui, c'est des parcs à résidus miniers, ce qu'on appelle la slam, le résidu qui va souvent dans les cours d'eau avec des métaux lourds et avec d'autres produits chimiques et d'autres matières. Cela fait en sorte que, souvent, l'environnement est vraiment dégradé de façon importante. Dans certains cas, c'est irréversible », dénonce l'écologiste, en ajoutant « qu'il faut faire du développement minier de façon plus intelligente ».
« L'exploitation des minéraux stratégiques pour faire des batteries, des véhicules électriques, en théorie ça paraît bien. Mais quand on vante les vertus d'une auto électrique qui se promène sans tuyau d'échappement, donc sans émettre de CO2, on oublie de dire que, pour la construire, il faudra exploiter des mines, que ce soit en Abitibi, ou plus au nord, des mines qui, elles, génèrent énormément de CO2 durant l'exploitation. Et après l'exploitation, il ne reste plus de biodiversité sur le site minier. »
Heureusement, « [u]n volet du protocole d'entente prévoit la création d'un système d'air protégée qui vise 30 % de leur territoire d'ici 2030. Les Cris vont donc déterminer ce qu'ils veulent protéger pour leur chasse et pour le patrimoine culturel. » Qu'adviendra-t-il du 70% restant ?
La résistance active d'Heather House…
« Depuis 1975, la Nation Crie a signé plus de 75 ententes et conventions entre les gouvernements provincial et fédéral et provincial [dont] 7 accords-clefs ». On ne peut que se réjouir que la Nation Crie se soit affirmée et consolidée en gouvernement Crie depuis le coup de tonnerre du jugement Malouf de 1973 qui a consacré son existence institutionnelle. Le revers de la médaille, cependant, en fut l'accentuation de sa division en classes sociales, à l'image atténuée de la société blanche, avec ses affairistes aux commandes. Heureusement, comme dans la société blanche, il faut compter sur la dissidence dont une grande partie des traditionnalistes mais pas seulement :
Alors qu'elle était enceinte, en novembre 2020, Heather House a entamé une grève de la faim, pour s'opposer à « La Grande Alliance », un protocole d'entente signé entre le gouvernement du Québec et le Grand Conseil des Cris.
« Comme beaucoup de gens de la communauté, j'ai appris l'existence de La Grande Alliance le jour de la signature du protocole » et « ensuite, ils ont promis un an de consultation, mais il ne s'est rien produit dans les mois suivant la signature. La COVID est arrivée et le confinement a débuté une semaine après l'annonce », proteste Heather House.
Elle a écrit une lettre ouverte sur les médias sociaux, adressée aux gouvernements cri et québécois, et amorcé une grève de la faim, qui aura duré deux semaines. « Aux jeunes, à notre peuple, souvenez-vous de nos grands-parents, de nos arrièregrands-parents et des ancêtres avant nous. Ils ont survécu, à peine. Nous sommes les produits de leur traumatisme, nous sommes leur voix quand ils ne pouvaient pas parler. C'est l'heure de dire non », peut-on lire dans la lettre qui a été partagée des centaines de fois.
Mais son geste d'éclat n'a pas été suffisant pour convaincre le Grand Chef de la nation crie de l'époque, Abel Bosum, de lui accorder une rencontre, comme elle le réclamait.
Les craintes d'Heather House sont partagées par le propriétaire du Retro Daze Cafe, Roger Orr, un ancien travailleur social. Les Cris « ne sont pas des mineurs ! » s'exclame l'homme d'une cinquantaine d'années au crâne tatoué et à la voix imposante à La Presse canadienne en expliquant que « nos ancêtres n'ont jamais creusé de trou pour faire des mines, ils ne détruisaient pas le territoire. Quand on détruit l'environnement, on se détruit soi-même ».
…pour Roger Orr et Heather House, les consultations publiques et les études de faisabilité auraient dû précéder la signature d'un protocole d'entente avec le gouvernement du Québec, et non l'inverse. […]
… et celle passive des maîtres de trappe
La camionnette de Freddy s'arrête au kilomètre 58 de la route EM1, sur le territoire de la communauté des Cris d'Eastmain, au nord de Nemaska. C'est à cet endroit que Corporation Éléments Critiques compte assécher et vider deux lacs après avoir fait don des poissons à la communauté [!!!], pour construire une mine de lithium et de tantale à ciel ouvert, qui permettrait de produire environ 4500 tonnes de minerai par jour pendant 17 ans.
La mine sera construite directement sur le territoire de chasse traditionnel du maître de trappe Ernie Moses. « Je suis triste, mais il n'y a pas grand-chose que je puisse faire contre ce projet », se désole-t-il lorsque La Presse canadienne le rencontre près de l'un des lacs qui seront asséchés.
L'Eeyou Istchee est divisé en 300 aires de trappe familiales, chacune d'elles est suffisamment grande pour subvenir aux besoins alimentaires d'une famille élargie et chacune de ces aires de trappe traditionnelle est sous la responsabilité d'un maître de trappe, appelé « tallyman », comme Ernie Moses.
Les projets d'exploration minière, tous métaux confondus, ont plus que doublé dans les quinze dernières années dans l'Eeyou Istchee, passant de 174 en 2004, à près de 400 en 2021.
Les projets de Corporation Éléments Critiques et de Nemaska Lithium ont reçu l'aval des autorités fédérales, provinciales et des conseils de bande cris de la région. À Eastmain, une communauté située à environ 20 heures de route au nord de Montréal, La Presse canadienne a rencontré le chef du conseil de bande, Kenneth Cheezo, qui appuie le développement minier. Le projet de Corporation Éléments Critiques est situé sur les terres traditionnelles de sa communauté.
« C'est nouveau pour nous, c'est la première fois qu'une mine ouvrira sur le territoire, explique le chef Cheezo. L'entreprise est venue dans la communauté, dans nos écoles, afin de parler aux jeunes des emplois qui seront créés, et on ne parle pas seulement de petits salariés, il y a des possibilités d'emplois dans l'ingénierie, les ressources humaines et plusieurs postes de cadres. »
Le chef de la Nation crie d'Eastmain, Kenneth Cheezo, se dit certain, en se basant sur les réunions avec les représentants de Corporation Éléments Critiques, que l'extraction se fera de façon à réduire les impacts sur l'environnement. Toutefois, il admet que de trouver le juste équilibre entre le mode de vie traditionnel, la protection de l'environnement et le développement économique est un exercice périlleux.
« C'est très difficile, parce que la terre est tellement sacrée pour nous, alors c'est pénible d'en donner un morceau, même si c'est juste un morceau de roche. »
Le combat des chefs et le danger pour les femmes
Le dilemme de la communauté d'Eastmain est aussi celui de la communauté de Nemaska :
Lorsque l'on fait remarquer à Thomas Jolly [chef de Nemaska de 2015 à 2019] que le gouvernement compte sur le lithium qui sera extrait des terres traditionnelles cries pour lutter contre les changements climatiques, après une longue hésitation, il réagit en posant ces deux questions : « Qui est responsable » de la crise climatique ? » et « Est-ce à nous [les Cris] de payer et souffrir pour ce qu'ils ont fait ? »
Selon M. Jolly, la mine de Nemaska Lithium qui s'apprête à ouvrir et dont Investissement Québec est l'actionnaire à 50 % n'a jamais reçu l'approbation de la population. La décision du conseil de bande d'accepter le projet de Nemaska Lithium a été prise « derrière des portes closes », selon sa version des faits. L'entente entre le promoteur et le conseil de bande pour construire une mine sur le territoire a été ratifiée en 2014.
Dans les mois qui ont suivi la ratification de l'entente avec Nemaska Lithium, tous les membres du conseil de bande ont perdu leurs élections, à l'exception de Thomas Jolly. « Était-ce une façon de les punir ? » demande La Presse canadienne. « Je suppose », répond Thomas Jolly.
En entrevue avec La Presse canadienne, [Laurence Gagnon, porte-parole du Conseil de bande] indique que la raison pour laquelle le conseil de bande de Nemaska a accepté ce projet, « c'est à 100 % pour les bénéfices économiques ». Elle précise qu'il est prévu que la communauté reçoive des redevances chaque année : « On parle de plusieurs millions de dollars sur trente ans pour la communauté. » Cette somme « retourne à nos citoyens pour [qu'ils aient] de meilleures infrastructures, de meilleurs services ».
Cerise sur le gâteau, « CLEC a aussi modifié son projet en y ajoutant la construction d'un camp de 500 travailleurs à 4 kilomètres du site, soit 250 chambres temporaires et 250 permanentes. » Si j'étais une femme crie résidant dans les parages, je m'inquiéterais. La voisinage d'hommes esseulés et de femmes pauvres et racisées aboutit habituellement à une situation de prostitution et de violence.
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