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Pouvoir oublier

Le documentaire Pouvoir oublier relate l'insurrection ouvrière de 1972 à Sept-Îles. Son titre polysémique veut repenser les chemins de la mémoire.
Homère, dans L'Odyssée, raconte l'arrivée d'Ulysse sur l'île des Lotophages, où on consomme le lotos, une plante qui a la particularité de faire oublier aux personnes qui en mangent qui elles sont et d'où elles viennent. Sur cette île de l'oubli, on vit loin des souffrances de la vie mais sans responsabilité, sans objectif à accomplir, dans le plaisir continuel. C'est pourquoi Ulysse doit ramener par la force ceux de ses compagnons qui souhaitent rester sur l'île. Ainsi vont la civilisation et le progrès : il faut lutter contre la tentation de l'oubli en entretenant la mémoire historique, en lui donnant un sens, une direction générale, sans quoi, pas moyen de se projeter dans l'avenir – comme Ulysse qui doit garder la mémoire et ne jamais s'arrêter, s'il espère accomplir son projet de rentrer à Ithaque.
Mais rentrer à Ithaque ou ailleurs, c'est encore donner le dernier mot au passé, à la tradition, au mythe d'une identité nationale qu'on pourrait retrouver pure et intacte au bout du voyage. Protéger la mémoire contre l'oubli, c'est aussi conserver le passé, et le défendre contre l'irruption du nouveau. Pour Nietzsche, qui prend à revers la conception d'Ulysse, l'oubli peut au contraire avoir une fonction positive : il s'agirait d'un « pouvoir actif, une faculté d'enrayer » le lourd poids du passé toujours ressassé, puisqu'on doit de temps en temps « fermer les portes et les fenêtres de la conscience pour qu'il y ait de nouveau de la place pour les choses nouvelles ».
Oublier pour mieux se souvenir
Le titre de notre film peut se comprendre comme un désir de prendre à rebours un récit collectif consensuel, en allant chercher ses failles dans les discours dominants. Paradoxalement, oublier le récit dominant, c'est par la même occasion mieux redécouvrir ce qui, dans notre mémoire commune, est passé sous silence, diminué, réduit à l'anecdotique, ce qui pourrait brusquer le fil continu et lisse d'une histoire renvoyant à la seule action d'illustres personnages. Ce qui est passé sous silence, dans les récits historiques mythifiés, c'est l'évènement lui-même, l'ouverture vers un monde nouveau qu'il a brièvement représenté. L'énergie créatrice de nouveau, celle qui est apparue — pour aussitôt disparaître — au cœur de l'événement, ne se retrouve pas dans les récits historiques qui se servent de la connaissance du passé pour interdire tout changement dans le présent.
Oublier, donc, ne veut pas forcément dire se condamner à répéter aveuglément le passé, comme on le pense trop souvent. Oublier, c'est aussi se donner la possibilité de commencer quelque chose de nouveau. Et tous ces récits historiques qui considèrent d'emblée les illustres personnages (à savoir les élu·es et les chef·fes) comme mandataires de masses sans visage, il faut savoir les oublier, pour retrouver l'énergie démocratique à l'œuvre dans l'événement. Car, écrivait Borduas dans le Refus global : « Il est naïf et malsain de considérer les hommes et les choses de l'histoire dans l'angle amplificateur de la renommée qui leur prête des qualités inaccessibles à l'homme présent. »
Un nouveau récit
Au récit mythique de la Révolution tranquille, cristallisé dans sa devise « je me souviens », nous opposons la revendication de pouvoir oublier. Pouvoir oublier ce qui fige l'histoire et la transforme en butin culturel. Pouvoir oublier ce qui bloque l'énergie du commencement, celle qui s'est manifestée lorsque quelques militant·es de Sept-Îles ont pensé un instant qu'ils et elles pourraient tout changer, mais que leurs rêves et leurs luttes se sont fracassés sur le mur du réalisme des crises économiques successives, de la répression des grèves et des désillusions politiques.
Nous aurions alors pu conjuguer le titre autrement, soit Pouvoir oublié, pour mettre l'emphase sur cette mobilisation populaire exceptionnelle et cette force collective qui détonne avec notre époque si cynique en comparaison. C'est cette volonté de casser le système et de mettre en branle un véritable pouvoir ouvrier que les protagonistes d'autrefois préfèrent aujourd'hui éponger de leur mémoire, tant leurs idées de jeunesse leur paraissent aujourd'hui naïves et démodées – mais aussi parce que l'histoire, cette machine cruelle, leur rappelle leurs trop nombreuses défaites.
Pouvoir oublier, documentaire de Pierre-Luc Junet et David Simard, Bunbury Films, 2022, 90 minutes.

Mai 1972. Insurrection ouvrière à Sept-Îles

En avril 1972, la plus grande grève ouvrière de l'histoire du Québec mobilise jusqu'à 200 000 syndiqué·es et paralyse la province. Après dix jours de débrayage, le gouvernement libéral de Robert Bourassa impose le retour au travail par une loi spéciale, tout en emprisonnant les chefs syndicaux. La réaction des travailleur·euses ne se fait pas attendre et les actions « illégales » se multiplient en mai, dont « l'insurrection ouvrière de Sept-Îles » reste un symbole à ce jour.
Au Québec, les années 1960 sont associées au développement de l'État-providence, mais aussi à la remise en cause de l'économie capitaliste. À la fin de la décennie, les grandes centrales syndicales [1] se montrent insatisfaites du programme social-démocrate provincial et désirent lutter pour de meilleures conditions de travail dans un horizon socialiste. Ces positions radicales s'expriment dans des textes tels que Ne comptons que sur nos propres moyens (CSN, 1971) et L'État, rouage de notre exploitation (FTQ, 1971). Dans ce contexte, l'idée d'un Front commun intersyndical fait son chemin, notamment pour unifier les luttes dans le secteur public et parapublic.
L'offensive ouvrière de 1972
Alors que les conflits de travail se multiplient au début des années 1970, les grands syndicats doivent affronter un nouvel adversaire : le gouvernement libéral de Robert Bourassa (premier ministre du Québec de 1970 à 1976, puis de 1985 à 1994). La question des salaires en particulier pose problème : entre l'intransigeance du gouvernement et les réclamations syndicales – qui se veulent une simple prémisse à des changements structurels plus profonds –, le conflit devient inéluctable. En janvier 1972, afin d'augmenter leur rapport de force, la CSN, la FTQ et la CEQ s'allient dans un Front commun. Leur principale réclamation : un salaire minimum de 100 $ par semaine pour tous·tes les employé·es du secteur public. Le gouvernement maintient son refus et une grève générale illimitée est déclenchée le 11 avril 1972, qui voit débrayer plus de 200 000 personnes.

Avant même le début de la grève, le gouvernement obtient des injonctions afin de limiter les possibilités d'interruption du travail. Il renchérit le 21 avril en promulguant une loi spéciale, le Bill 19, qui interdit la poursuite de la grève et lui permet d'imposer des conventions collectives dans le secteur public et parapublic si aucune entente n'est trouvée avant le 1er juin. De lourdes sanctions sont également prévues en cas de désobéissance. Les directions syndicales décident alors de suspendre le débrayage et de retourner négocier. Revanchard, le gouvernement poursuit les chefs syndicaux qui avaient appelé à ne pas respecter les injonctions d'avril : le 8 mai, Marcel Pepin (CSN), Louis Laberge (FTQ) et Yvon Charbonneau (CEQ) sont condamnés à un an de prison. Cette provocation enflamme le mouvement ouvrier, qui réagit par de très nombreuses grèves impromptues dans le secteur public comme privé, paralysant la province entre le 11 et le 14 mai. C'est dans ce cadre qu'a lieu « l'insurrection ouvrière de Sept-Îles ».
La révolte de Sept-Îles
En avril, la grève générale ébranle Sept-Îles comme le reste de la province : la ville, en partie bloquée, vit au rythme des réunions du comité de grève, en cherchant à inscrire son combat dans une perspective politique plus large, à travers notamment Le Piochon, journal des grévistes. Les travailleur·euses de la ville votent pour la poursuite du débrayage malgré le Bill 19 et sont déçu·es de la décision des directions syndicales d'arrêter la grève le 21 avril. Iels continuent donc leurs moyens de pression jusqu'à ce qu'une nouvelle grève soit déclenchée en réaction à l'enfermement des leaders syndicaux. Le 9 mai en fin de journée, les travailleurs de la construction (affiliés à la FTQ) ferment le chantier « Mille 3 » et manifestent devant le Palais de justice pour dénoncer le sort des chefs des centrales. Plus de 300 personnes se réunissent dans une ambiance tumultueuse : la rue principale est bloquée et des vitres volent en éclat, mais la police n'ose pas intervenir. Une seconde manifestation a lieu le même soir à l'initiative des travailleur·euses du secteur public, noyau dur de la grève d'avril : cette fois la police attaque, blesse plusieurs personnes et procède à dix arrestations.

Le lendemain matin, les « gars de la construction » reprennent l'initiative. Ils commencent par fermer les chantiers, puis bloquent les lieux de travail des ouvrier·ères du secteur public, facilitant grandement la reprise de leur débrayage. Le mouvement est suivi par les employé·es de la municipalité. Surtout, les deux entrées de la 138 – seule route donnant accès à la ville – sont condamnées par des camions, des barrages renforcés par des tranchées durant la journée. Les mineurs choisissent d'intégrer le mouvement de grève, rejoints par les « métallos » de toute la Côte-Nord. À 10 h se tient une grande assemblée à l'aréna, où plus de 800 travailleur·euses décident de fermer tous les commerces non essentiels de Sept-Îles. Vers midi, un groupe de syndiqué·es occupe le poste de radio de CKCN, prenant le contrôle des ondes : il n'est plus diffusé que des textes et communiqués syndicaux, ainsi que des chansons québécoises et françaises. En après-midi, une foule entoure le Palais de justice, protégé par la quarantaine de policiers que compte la municipalité. La bataille commence : pierres et cocktails Molotov contre gaz lacrymogènes. La victoire des manifestant·es est rapide et vers 16 h, les policiers cessent le combat et s'enferment dans le Palais de justice. On proclame alors la ville « sous le contrôle des travailleurs ».
Malheureusement, l'euphorie est de courte durée. Vers 17 h, un antisyndicaliste ivre décide de foncer dans la foule avec sa voiture, blessant une quarantaine de personnes et tuant un ouvrier, Hermann St-Gelais. Le meurtrier est remis aux policiers séquestrés alors que l'hôpital est réouvert pour soigner les blessé·es. Le lendemain, à l'aréna, une assemblée populaire d'environ 4000 personnes élit un comité de coordination. Le comité entre en négociation avec les autorités municipales qui acceptent d'envoyer un télégramme à Robert Bourassa lui demandant d'abroger le Bill 19 et de libérer les chefs syndicaux, de laisser le poste de CKCN à la disposition des travailleur·euses et d'exiger la fermeture de tous les commerces non essentiels de Sept-Îles. Mais le rapport de force s'inverse rapidement entre les autorités et les grévistes : les barrages ont été levés, la police locale – appuyée par la Sûreté du Québec – reprend peu à peu le contrôle de la ville et les travailleur·euses ne peuvent se réunir à l'aréna le 14 mai. Dans l'impossibilité d'agir, les ouvrier·ères reprennent le travail entre le 15 et le 18 mai, dans le désarroi et l'amertume. Alors que les grévistes de Sept-Îles ont été les premier·ères à relancer le débrayage en mai, iels sont aussi les dernier·ères à capituler.

À la suite de la défaite du mouvement autonome de mai, le Front commun se désagrège peu à peu, avec des scissions au sein même des centrales syndicales. Le gouvernement Bourassa, par la répression et la division, a repris le contrôle des évènements et impose, à l'été et à l'automne 1972, une série de conventions négociées par secteur, affrontant dorénavant un ennemi désuni. Malgré cela, le Front commun de 1972 et en particulier les actions « illégales » de mai n'auront pas été en vain : c'est au courant de cette même décennie que les conflits de travail seront les plus nombreux et les plus offensifs au Québec, autant dans le secteur public que dans le secteur privé. L'exemple de Sept-Îles aura aussi ouvert un nouvel horizon pour les travailleur·euses d'ici : la possibilité d'occuper et d'autogérer sa ville.
[1] Notamment la Confédération des syndicats nationaux (CSN), la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) et la Centrale de l'enseignement du Québec (CEQ).
Alexis Lafleur-Paiement est membre du collectif Archives révolutionnaires (https://archivesrevolutionnaires.com).
Photos : Archives Canada

Archives révolutionnaires. Des leçons du passé pour la nouvelle génération militante

Archives révolutionnaires est le premier centre d'archives au Québec à se donner le devoir de couvrir systématiquement les mouvements de gauche radicale. Communisme, indépendantisme, marxisme-léninisme, anarchisme, luttes autochtones, féminisme, socialisme, etc. : le collectif porte attention à toute l'extrême gauche québécoise.
François Saillant n'avait jamais vu d'exemplaire de Révolution québécoise avant tout récemment. Cette revue indépendantiste révolutionnaire, lancée par Pierre Vallières et Charles Gagnon juste avant qu'ils rejoignent le Front de libération du Québec, n'a publié que huit numéros entre 1964 et 1965, mais a contribué à diffuser l'idée d'un Québec libre et socialiste.
En découvrant le collectif Archives révolutionnaires, François Saillant, militant septuagénaire, a redécouvert ce pan d'histoire militante. Pouvoir se plonger dans des documents, parfois rares, d'anciens groupes militants est une richesse que le collectif souhaite offrir à la communauté.
Archives révolutionnaires a fait son nid dans le Bâtiment 7, situé dans le quartier de Pointe-Saint-Charles, à Montréal . C'est au deuxième étage de ce centre communautaire autogéré et aux côtés d'ateliers d'arts, d'une épicerie à but non lucratif, de la brasserie artisanale les Sans-Taverne, de la salle de soins thérapeutiques ainsi que de plusieurs locaux à diverses fonctions que se situe la bibliothèque dont s'occupe Archives révolutionnaires.
Depuis 2017, les trois membres du groupe, avec l'aide occasionnelle d'une dizaine de leurs camarades, accumulent la documentation liée aux mouvements révolutionnaires québécois. Même des documents datant du 19e siècle peuvent être trouvés dans leur collection s'élargissant de semaine en semaine. Ils et elles collectionnent notamment les revues, les journaux, les affiches, les pamphlets, les brochures et tout support physique intéressant. Ils et elles possèdent même quelques vinyles produits par des organisations militantes.
Le passé au service du présent
Les membres du collectif, des militant·es dans la fin vingtaine, désirent surtout offrir des outils pratiques et théoriques aux groupes militants actuels. « Les gens arrivent avec l'intuition que le système capitaliste ou social ne fonctionne pas, mais ils ne sont pas outillés stratégiquement et tactiquement pour répondre à ce problème », explique Alexis Lafleur-Paiement, cofondateur d'Archives révolutionnaires. « On le voit dans le mouvement étudiant. À chaque trois ans, les gens doivent réapprendre à faire de la mobilisation, à faire du piquetage, à faire une grève, etc. », ajoute-t-il.
L'idée de s'inspirer du passé pour bâtir les luttes actuelles n'est pas nouvelle. Mélissa Miller, cofondatrice du collectif, a trouvé les traces d'une idée similaire dans un manifeste de la revue Parti Pris. Déjà dans les années 60, des acteurs des luttes de l'époque estimaient que, pour créer un parti socialiste révolutionnaire fort, la mise sur pied d'un centre d'archives et de recherche était une étape primordiale. Avec leur camarade Samuel Provost, Mélissa Miller et Alexis Lafleur-Paiement mettent ainsi la main à la pâte pour voir leur projet s'épanouir à la hauteur de leurs ambitions. Tou·tes trois étudiant·es, ils et elles consacrent plusieurs heures par semaine aux Archives révolutionnaires en plus de leurs études, le tout, sans toucher un sou.
Contribuer aux luttes actuelles
François Saillant, membre fondateur de Québec Solidaire, accorde lui aussi une importance capitale à ce « devoir de mémoire ». Reconnu pour ses quatre décennies à la coordination du FRAPRU et pour les luttes qu'il a menées pour l'accès au logement abordable, il s'est aussi impliqué longtemps dans des groupes et des revues marxistes-léninistes et de gauche radicale dès les années 70. « C'est important de toujours faire les choses en lien, en référence ou en opposition à ce qui s'est vécu auparavant », dit-il.
Il a aussi fait don d'une partie de son propre fonds d'archives à Archives révolutionnaires. Il a permis au groupe de compléter certaines collections de revues en donnant les numéros manquants de Révolte et d'Unité prolétarienne, ainsi que les bulletins mensuels et brochures du regroupement de solidarité avec les Autochtones dont il faisait partie. « Qu'ils puissent mettre à la disposition des gens ces textes, brochures et journaux, qui sont souvent absolument introuvables, je trouvais que c'était important de le faire », mentionne le militant au long parcours.
Les dons d'archives sont d'ailleurs les entrées principales du collectif. Des contributions comme celle-là ne sont donc pas rares dans l'histoire d'Archives révolutionnaires. « Les gens sont très heureux de nous rencontrer, de nous raconter leurs histoires, de nous donner des documents, de savoir qu'on va non seulement les préserver, mais aussi les mettre en valeur », explique Alexis Lafleur-Paiement. Selon lui, cette capacité au don de soi est un avantage de participer à un projet mené par et pour les milieux de gauche radicale, où la camaraderie est très forte.
Une activité en expansion
La demeure d'Archives révolutionnaires, lieu de transition vers un local plus spacieux du Bâtiment 7, n'abrite pas toute la documentation du collectif. Sur les 3000 livres théoriques et historiques que détient le groupe, les documents qu'il rend accessibles à tou·tes occupent, pour le moment, deux larges bibliothèques. On y retrouve des auteur·trices plus classiques dans l'une et des plus contemporain·es dans l'autre. Cinq boîtes et un imposant classeur rouge regroupent aussi une fraction des archives. Dans leur future salle, l'équipe d'Archives révolutionnaires pourra conserver et exhiber ses 100 mètres linéaires de documentation. Pour l'instant, de nombreuses boîtes et cartables s'entassent encore chez les membres du groupe.
Sur le divan en velours turquoise ou autour de la massive table en bois, les visiteur·euses peuvent confortablement venir se plonger dans un livre, discuter ou travailler. Les membres du collectif ne se limitent pas seulement à un travail archivistique rigoureux. Dans le but d'informer, le collectif a ajouté à ses activités l'écriture d'articles contextuels, publiés sur leur site web, présentant et expliquant le contenu de leur documentation. Ils et elles se promènent d'ailleurs régulièrement dans Montréal et à travers le Québec pour faire des présentations thématiques et pour aller à la rencontre d'autres groupes militants.
Par leurs activités, les membres d'Archives révolutionnaires essaient aussi d'encourager les différents groupes à lier leurs luttes et à s'inscrire dans un réseau de gauche radicale plus large. « J'ai l'impression que la raison pour laquelle on numérise les archives, c'est que les mouvements d'extrême gauche ne sont pas assez forts et qu'il n'y a pas assez de passation réelle des expériences », révèle Mélissa Miller. La mise en ligne est donc devenue un outil efficace pour diffuser les documents historiques à grande échelle.
Reconstruire la gauche radicale
Le collectif qualifie les années 80 de période d'effondrement. Alors que frappait la relance néolibérale, les mouvements de gauche radicale ont perdu bien des plumes, expliquent les membres d'Archives révolutionnaires. Les bastions marxistes-léninistes et socialistes ont peu à peu disparu. « Maintenant, on a des groupes d'affinités, des amis qui vont faire des petits trucs ensemble, souvent bénévoles », décrit Alexis Lafleur-Paiement. Même si ce vide a laissé place à une émergence plus importante de groupes anarchistes, les repères traditionnels ont été laissés de côté. Les réseaux communistes et anarchistes québécois actuels comptent quelques centaines de personnes, estime-t-il.
Les années 50 à 70, au contraire, étaient marquées par un foisonnement de groupes militants. Les partis et mouvements communistes regroupaient des milliers de membres partout au pays. « Ces groupes avaient une organisation, des institutions, des lieux loués ou achetés, des salariés, etc. », énumère le cofondateur d'Archives révolutionnaires. Le partage et la transmission de connaissances et d'archives se concrétisaient facilement au sein même des organisations.
Archives révolutionnaires veut donc pallier cette rupture dans la passation des savoirs. Les militant·es peuvent nourrir leur esprit révolutionnaire en parcourant les pages jaunies des revues de l'époque, aux titres évocateurs comme La Masse, Québec libre, Pouvoir ouvrier, et bien d'autres.
Photo : Bibliothèque commune du Bâtiment 7 où les Archives révolutionnaires ont mis à disposition une partie de leur collection (Mélissa Miller, Archives révolutionnaires).
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Congrès et semaine d’action | PRAGUE | 20 – 26 MAI 2024 | « Ensemble contre les guerres capitalistes et la paix capitaliste »
Video | ‘Gaza is An Image of the Future’ – War and surveillance AI technologies used by Israel against Palestinians
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OCCIDENT : FIN DE L’HÉGÉMONIE ? MÉLENCHON, VENTURA, BULARD, BILLION
03 février 2024 | © LHB pour LVSL
Le mardi 30 janvier, Le Vent Se Lève et l'Institut La Boétie vous invitent à une grande conférence avec Jean-Luc Mélenchon, Christophe Ventura, Martine Bulard et Didier Billion.
Le déclenchement de deux conflits régionaux, aux retentissements et répercussions mondiales, avec l'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022, et l'opération israélienne à Gaza suite aux attaques du 7 octobre, ont rendu visibles les changements immenses qui ont déjà eu lieu dans l'ordre international.
Pour une majorité du monde, l'alignement sur les États-Unis et leurs alliés n'est plus du tout une évidence. Ce grand glissement s'observe aussi à travers d'autres phénomènes de relations internationales, au-delà même des conflits armés : rivalité commerciale, scientifique, industrielle entre la Chine et les États-Unis ; élargissement des BRICS et volonté déclarée de leur part de dédollariser les échanges ; dynamiques démographiques contraires entre continents etc.
À l'occasion du la publication du livre de Christophe Ventura et Didier Billion, chercheurs en relations internationales, « Désoccidentalisation : repenser l'ordre du monde », le département de relations internationales de l'Institut La Boétie, en partenariat avec le média indépendant Le Vent Se Lève, organise une conférence intitulée « La désoccidentalisation du monde est-elle une bonne nouvelle ? ».
Cette discussion fera intervenir les deux co-auteurs du livre, ainsi que Martine Bulard, journaliste au Monde Diplomatique spécialiste de géopolitique, et Jean-Luc Mélenchon, co-président de l'Institut La Boétie et militant engagé de longue date pour une diplomatie altermondialiste.
Lors de leur échange, ces intervenants présenteront leurs thèses sur le déclin relatif des États-Unis d'Amérique, la montée en puissance de la Chine et de l'Asie, et les conséquences de ces dynamiques pour la paix du monde, le droit international, la bifurcation écologique ou la place de la France.

Les géants du fossile s’enfoncent dans le tout-pétrole

Les grands groupes pétroliers occidentaux ont tiré un trait sur leurs engagements de lutte contre les dérèglements climatiques. Tous n'affichent plus qu'un objectif : produire toujours plus de pétrole et engranger toujours plus d'argent. Comme l'exigent leurs actionnaires.
7 février 2024 | tiré d'Europe solidaires sans frontières | Photo : Le stand de TotalEnergies lors de l'Exposition internationale du pétrole d'Abou Dhabi en octobre 2023. © Photo Ali Haider / EFE / EPA via MaxPPP
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article69727
Bien sûr, cela n'a pas la même flamboyance qu'en 2022. Mais dans cet environnement morose, où l'activité économique mondiale patine, elles ont toutes les raisons de se féliciter de leurs résultats. Sur l'ensemble de l'année 2023, les cinq plus grandes compagnies pétrolières occidentales (Exxon, Chevron, Shell, BP, TotalEnergies) ont réalisé 113,3 milliards de dollars (105,2 milliards d'euros) de profits.
Comparé aux 180,5 milliards de dollars enregistrés l'année précédente, cela fait certes un peu pâle figure. Mais la crise énergétique s'est dissipée. Les cours du pétrole, qui avaient flambé à plus de 120 dollars le baril, sont redescendus tout au long de 2023 autour 70-80 dollars. Ceux du gaz ont été divisés par quatre, après les tensions extrêmes de 2021-2022, amplifiées par la guerre d'Ukraine. Tous affichent une baisse des profits qu'ils génèrent de 40 % à 50 % d'une année sur l'autre.
TotalEnergies ne fait pas exception. Officiellement, le groupe pétrolier est le seul à voir ses résultats progresser cette année : ils passent de 19 à 21,4 milliards de dollars entre 2022 et 2023. Ses profits de l'an dernier avaient cependant été sérieusement rabotés : ils étaient de plus de 36 milliards de dollars avant que le groupe n'inscrive une série de provisions et de dépréciations d'actifs, notamment après l'abandon de ses activités en Russie.
Cette chute à l'unisson des profits des majors pétrolières vient conforter la thèse de ceux qui défendaient une taxe sur les superprofits des compagnies pétrolières l'an dernier : elles ont bien bénéficié d'un effet d'aubaine lié à des circonstances hors norme qui n'avaient rien à voir avec leurs performances intrinsèques. Cette année, elles n'ont plus rien à craindre en matière de taxation supplémentaire : la question d'un prélèvement sur les superprofits a été enterrée depuis longtemps.
Un nouveau record pour les rachats d'actions
Loin d'être affectées par ces baisses, les majors pétrolières y voient au contraire un signe d'encouragement : leurs profits de 2023 sont supérieurs de 40 % à ceux de 2021. Pour TotalEnergies, c'est la meilleure performance de son histoire ; pour Exxon, la deuxième.
Toutes y décèlent la confirmation du bien-fondé des changements de stratégie qu'ils ont adoptés au cours des deux dernières années. Passés un peu inaperçus, ces revirements se déclinent chez toutes de la même manière : renforcement des activités pétrolières et gazières, abandon des engagements en faveur de la lutte contre les dérèglements climatiques, diminution des investissements et des immobilisations trop gourmandes en capitaux, augmentation des rendements. En un mot, tout ce que leur demandent leurs actionnaires.
« Les grandes sociétés pétrolières démontrent qu'elles peuvent tenir leurs promesses, même quand les prix baissent », s'enthousiasme le chroniqueur énergie de Bloomberg. Les majors pétrolières ne pouvaient avoir plus d'encouragements.
Parmi les cinq plus grandes compagnies pétrolières occidentales, TotalEnergies est la seule à avoir augmenté ses profits entre 2022 et 2023. © Infographie Mediapart

Habituées jusque-là à dominer Wall Street, Exxon et Chevron vivent très mal leur relégation derrière les géants du numérique et de la high-tech. Pour doper leurs cours, elles usent de l'arme désormais favorite des grands groupes : les rachats d'actions. Leurs concurrentes européennes n'ont eu aucun mal à se laisser convaincre de les imiter. Année après année, les sommes dépensées pour rémunérer les actionnaires atteignent de nouveaux sommets.
Mais 2023 marque un record toutes catégories : les cinq majors ont reversé plus de 90 milliards de dollars, dont plus de 60 milliards sous forme de rachats d'actions, à leurs actionnaires. Les unes et les autres se sont engagées à faire encore mieux cette année.
Cette politique se révèle des plus payantes. Les majors pétrolières, qui redoutaient dans les années 2018-2019 de se voir exclues des marchés des capitaux avec l'instauration de normes ESG (environnement, social et gouvernance) en cours d'adoption par les institutions internationales et les financiers, ne nourrissent plus aucune crainte : attirés par la manne pétrolière, les investisseurs reviennent au galop. Même la finance verte, qui se voulait exemplaire en matière de lutte contre les dérèglements climatiques, a passé la marche arrière. Les gérants de ces fonds « verts » achètent en masse ces valeurs pétrolières parce qu'elles offrent des rendements imbattables.
En marche arrière sur les renouvelables
Ce soutien explicite des marchés financiers encourage les groupes pétroliers à abandonner leurs discours précédents : plus question d'être les champions des énergies renouvelables, de contribuer par tous les moyens à l'instauration d'une économie décarbonée et de renoncer au pétrole et au gaz.
Très en pointe dans la promotion d'une stratégie bas carbone, BP a fait untête-à-queue spectaculaire en 2023. Lors de la présentation de ses résultats, son président, Bernard Looney, avait alors annoncé une révision drastique des ambitions du groupe dans ce domaine. Au lieu de 40 % de baisse de ses émissions en 2030, il ne prévoyait qu'une diminution de 25 % à cette date, l'objectif initial étant reporté à 2050.
Le changement de cap a été encore plus brutal que prévu. Déjà contesté pour ses résultats médiocres, Bernard Looney a dû démissionner en septembre dernier pour n'avoir pas révélé toutes ses relations « personnelles » dans l'entreprise. Son successeur, Murray Auchincloss, n'a été confirmé que fin janvier. Entre-temps, le groupe pétrolier britannique a décidé de pousser les feux dans le pétrole et le gaz et d'oublier nombre de projets dans les énergies renouvelables.
Le mouvement est général. Estimant que les prix de rachat garantis par les gouvernements ne sont pas suffisamment élevés pour des projets de champs d'éoliennes ou de parcs solaires, les majors ont renoncé à participer à de nombreux appels d'offres voire se sont retirées des projets déjà lancés. Tout cela n'est pas assez rentable, selon eux.
Dans le souci d'améliorer les performances de Shell, son directeur général Wael Sawan, en poste depuis un an, a annoncé son intention de vendre des actifs et de réduire ses investissements – pourtant déjà assez faibles – dans les solutions bas carbone. Il prévoit de supprimer des centaines d'emplois dans ces activités.
La direction d'Exxon, qui n'a jamais été favorable à toute transition énergétique, ne fait même plus d'effort pour cacher ses positions. À l'exception de la capture du CO2 et de l'hydrogène, dernières lubies des financiers, elle n' a pas de grand projet dans le domaine. Ne se sentant plus contraint par les discours ambiants, le groupe pétrolier a même décidé de montrer les dents face à toute contestation écologique : il vient d'engager des actions judiciaires contre deux fonds activistes qui contestaient son absence de politique environnementale, bien que ceux-ci aient renoncé à leur pétition.
Le pétrole, leur « raison d'être »
À ce stade, il n'y a plus que TotalEnergies qui revendique encore sa volonté de vouloir se développer dans les énergies renouvelables. Le groupe a toujours l'ambition d'atteindre les 100 gigawatts (GW) de puissance installée dans la production d'électricité renouvelable d'ici à 2030. Même si le pétrolier français semble faire bande à part sur le sujet, il se retrouve cependant en parfait accord sur l'essentiel avec ses concurrents : le pétrole et le gaz sont plus jamais les fondements de leur activité, leur « raison d'être ». C'est de là que les uns et les autres tirent tout leur argent.
Les groupes s'enfoncent dans la politique la plus court-termiste qui soit : produire le plus de pétrole possible, en dégageant le plus d'argent possible, sans se soucier de l'avenir.
Les cinq majors ont là aussi changé d'approche sur le sujet : ces activités doivent consommer beaucoup moins de capitaux qu'auparavant, être plus rapidement rentables. Ces nouvelles exigences les amènent à reconsidérer leurs engagements, à nettoyer leur portefeuille, à céder les actifs risqués.
En janvier, Shell a ainsi a annoncé la vente pour 1,3 milliard de dollars de ses activités d'extraction pétrolière au Nigéria, un pays où le groupe travaille depuis des années. Ce dernier prévoit de ne conserver que son exploration offshore jugée moins risquée et moins contestée par les populations. De la même manière, Chevron se dit prêt à vendre des actifs dans l'Alberta (Canada), pas assez rentables.
La grande fusion entre pétrole traditionnel et pétrole de schiste
Pour les groupes pétroliers américains, cette révision des activités pétrolières s'inscrit dans ce qui pourrait s'apparenter à un certain isolationnisme. 2023 a marqué en effet un changement majeur dans le monde pétrolier américain : la fusion entre les activités pétrolières traditionnelles et celles issues du pétrole et du gaz de schiste.
Pendant près de quinze ans, les grandes majors pétrolières ont regardé avec une certaine condescendance le développement de ces petites unités pétrolières et gazières travaillant par fracturation de la roche sur tout le territoire américain. L'accélération de ces productions – qui ont permis aux États-Unis de se hisser à nouveau aux premiers rangs des producteurs pétroliers mondiaux et d'assurer l'indépendance énergétique du pays, sur fond de crise énergétique – a convaincu les majors pétrolières qu'il n'était plus temps de les ignorer.
En octobre, Exxon a racheté la société texane Pioneer Natural Resources pour 59,5 milliards de dollars. C'est la première grande OPA dans le pétrole de schiste. La fusion des deux groupes devrait permettre d'atteindre une production de 2 millions de barils de pétrole de schiste par jour en 2027. Chevron, qui a l'ambition de produire près de 1 million de barils par jour de pétrole de schiste au Texas, serait le prochain candidat pour racheter d'autres de ces producteurs, à en croire certains traders.
Indifférents au contexte international, les groupes pétroliers américains pourraient produire plus de 11 millions de barils par jour cette année, selon les prévisions. Cette politique de production intensive vient heurter de plein fouet celle de l'Arabie saoudite et de l'Opep, qui cherchent, dans cette période de moindre demande, à maintenir des cours élevés en diminuant leur production.
Tant que les majors pétrolières réussiront à dégager des marges plantureuses même avec des prix moyens, elles pourront poursuivre dans cette voie. Mais si leur rentabilité se dégrade, tout s'arrêtera. Car l'important, ce n'est ni le climat ni la préservation de la planète, c'est la satisfaction des actionnaires.
Martine Orange
P.-S.
• MEDIAPART. 7 février 2024 à 20h47 :
https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/070224/les-geants-du-fossile-s-enfoncent-dans-le-tout-petrole
Les articles de Martine Orange sur Mediapart :
https://www.mediapart.fr/biographie/martine-orange
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Solidaires contre la loi 21

Le 7 février, le ministre Jean-François Roberge a annoncé que son gouvernement va déposer un projet de loi en vue de prolonger d'une autre période de cinq ans la clause dérogatoire qui protège la Loi sur la laïcité de l'État (loi 21) des contestations judiciaires. Plus spécifiquement, il s'agit de la clause concernant la charte canadienne, celle qui vise la charte québécoise n'ayant pas besoin d'être renouvelée périodiquement.
12 février 2024 | Photo : Québec solidaire vote contre la Loi 21 à l'Assemblée nationale
En faisant cette annonce, le ministre affirme vouloir “préserver la paix sociale”. Autrement dit, il invite les personnes qui ont perdu des droits il y a bientôt cinq ans avec l'adoption de cette loi à accepter d'être des citoyennes et des citoyens de seconde zone pour faire plaisir aux gens qui veulent préserver leur droit à exercer une forme de discrimination contre les minorité religieuses visibles. Rappelons que la loi interdit aux personnes qui portent des signes d'appartenance religieuse de pratiquer un bon nombre de professions (enseignante, gardienne de prison, procureure de la couronne, policière). Sont particulièrement visées les femmes musulmanes qui portent le hijab, mais aussi les hommes portant la kippa juive ou le turban sikh.
Le ministre et son gouvernement espèrent aussi que ceux et celles qui ont toujours rejeté les aspects discriminatoires de la loi vont abandonner leur opposition. Mais cette loi constitue une rupture avec le principe de l'égalité des droits, sans précédent depuis l'adoption de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne en 1976. Québec solidaire s'est prononcé clairement contre cette loi, notamment par le vote de ses dix personnes députées, qui avaient alors brandi des drapeaux du Québec au salon bleu, en signe de protestation contre cette attaque contre les valeurs démocratiques fondamentales inscrites dans un texte quasi-constitutionnel. La députation libérale avait aussi voté contre l'adoption du projet de loi 21, tandis que les députés péquistes votaient avec le gouvernement. Il y a donc, parmi les quatre partis présents à l'Assemblée nationale, deux qui sont pour ces aspects de la loi et deux qui sont contre. On est donc loin du prétendu consensus dont se réclame le gouvernement.
Hésitations parlementaires
En réponse à l'annonce du ministre, le député solidaire responsable du dossier, Alexandre Leduc, a réitéré une idée qui avait déjà été évoquée à certains moments mais jamais adoptée formellement dans une instance du parti. L'idée en question est qu'on pourrait s'opposer à la clause dérogatoire portant sur la charte québécoise, mais appuyer celle qui vise la charte canadienne. La logique étant que le Québec n'a jamais consenti à la constitution de 1982 et rejette donc, par principe, l'application de cette constitution à la contestation des lois adoptées par l'Assemblée nationale.
Cette idée ne repose sur aucun argument légal sur le fond, les deux chartes affirmant les mêmes principes dans ce cas particulier. Elle est également inapplicable étant donné que la clause dérogatoire portant sur la charte québécoise n'est pas affectée par le projet de loi. Elle ne constitue pas non plus une bonne idée sur le plan politique parce qu'elle donne l'impression que Québec solidaire n'appuie pas la lutte des personnes qui subissent de la discrimination en raison de cette loi et crée une ambiguité quant à son positionnement. Autrement dit, ça pourrait donner l'impression qu'on se rallie à cette loi cinq ans plus tard et faire oublier que nous avions voté contre.
Si on peut comprendre la logique indépendantiste de la chose, il s'agit d'un argument très abstrait qui est difficilement conciliable avec notre devoir de solidarité avec les personnes ciblées directement ou indirectement par la loi. Cette solidarité doit inclure un appui pour la lutte de ces personnes en vue de rétablir leurs droits, incluant par la contestation de la loi devant les tribunaux. Les clauses dérogatoires en béton comprises dans la loi constituent en fait un aveu implicite du caractère discriminatoire de la loi de la part du gouvernement. Le jugement Blanchard de 2021 a fait ressortir à quel point les clauses dérogatoires ont une portée qui va bien au-delà des enjeux posés par la loi 21 et que sans de telles clauses, les articles portant sur les signes religieux seraient déclarés contraires aux chartes et invalidés.
La lutte se poursuit
On attend d'ailleurs d'un jour à l'autre un jugement de la cour d'appel suite à la contestation du jugement Blanchard par le gouvernement du Québec. Le juge avait invalidé l'application de la loi aux personnes députées et permis une dérogation aux commissions scolaires anglophones, en raison de l'article constitutionnel assurant la gouvernance autonome de leurs institutions scolaires. L'application de ce jugement est suspendue en attendant la décision de la cour d'appel, laquelle sera certainement contestée par une des parties et donc renvoyée à la Cour suprême.
Un enjeu majeur dans ce débat juridique est justement à savoir s'il devrait y avoir des limites à l'utilisation de la clause dérogatoire. Cette question avait été soulevée l'an dernier quand le gouvernement de l'Ontario avait déposé un projet de loi visant à briser une grève de travailleuses et travailleurs de l'éducation, en utilisant la clause dérogatoire. Le gouvernement Ford avait fait marche arrière devant le tollé de protestation qui avait même inclus des menaces de mobilisation de la part du mouvement syndical québécois.
Le rejet de l'utilisation de clauses dérogatoires dans le cas de cette loi ne constitue pas une opposition de principe à l'utilisation de telles clauses, qui peuvent être justifiées dans certaines circonstances. Les partisans de la Loi 21 rappellent souvent que la Charte de la langue française (loi 101) aurait été grandement affaiblie si le Québec n'avait pas évoqué la clause dérogatoire à certains moments pour la soustraire aux jugements de la Cour suprême. Mais il se trouve que la loi 21 fait précisément le contraire de la loi 101. La loi 101 vise à protéger une minorité culturelle (les francophones du Canada) contre l'assimilation linguistique dans la majorité anglophone, tandis que la loi 21 tente de forcer l'assimilation de minorités (religieuses) aux pratiques vestimentaires majoritaires. Autrement dit, la première lutte contre l'oppression tandis que l'autre renforce une forme d'oppression.(1)
Aussi, une lutte qui conteste une loi ou une politique du Québec en vertu de la constitution canadienne n'est pas automatiquement une attaque contre le Québec en général, contrairement à ce que ne manqueront pas d'affirmer les faiseurs d'opinion de l'empire Québecor. Prenons en exemple la victoire récente de la Nation atikamekw d'Opitciwan, en Mauricie, pour son autonomie en matière de protection des enfants. Elle s'est appuyée sur une loi fédérale et la constitution canadienne. Manon Massé, l'ambassadrice solidaire auprès des peuples autochtones, ne s'est pas gênée pour approuver ce jugement par solidarité avec la lutte des premiers peuples pour leur autodétermination.
Enfin, Québec solidaire doit éviter toute ambiguïté dans son positionnement sur ce type de question pour des raisons stratégiques. Les dommages causés à la cause de l'indépendance du Québec par le Parti québécois depuis son virage identitaire - notamment avec la Charte des valeurs québécoises de 2013 et son appui indéfectible pour la loi 21 de la CAQ - ne peuvent être réparés que par la promotion, par Québec solidaire, d'un projet indépendantiste rassembleur incluant la défense des droits de la personne et des minorités. Le lancement cette semaine d'une campagne de QS pour l'indépendance arrive à point. Cette campagne insiste d'ailleurs sur le caractère rassembleur et inclusif de notre projet politique. Les interventions de notre députation sur la loi 21 ne devraient pas laisser l'ombre d'un doute sur la solidité des principes qui sous-tendent notre vision de l'indépendance.
(1) Certains membres de la communauté anglo-québécoise sont également dans l'erreur quand ils font des parallèles entre les deux lois. Les communautés anglophones du Québec ne constituent pas un groupe opprimé. Au contraire, il s'agit d'une minorité dominante et privilégiée historiquement qui a résisté avec acharnement à la perte de certains de ses privilèges en s'opposant aux lois linguistiques. Si des anglophones du Québec subissent de la discrimination ou de l'oppression, ce n'est pas en raison de leur langue mais sur la base d'autres facteurs comme leur appartenance à un groupe racisé.
Le comité de coordination élargi de QS Hull vient d'adopter cette résolution.
SVP, faire suivre dans vos réseaux. Le caucus et le CCN vont en discuter cette semaine et même si leur décision s'avérait assez bonne, le débat va continuer sur les rapports de QS avec le nationalisme identitaire et le souverainisme abstrait.
Attendu que…
La Loi sur la laïcité de l'État (loi 21), adoptée en juin 2019, constitue une rupture avec le principe de l'égalité des droits, sans précédent depuis l'adoption de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne en 1976. Cette loi légalise en effet une forme particulière de discrimination fondée sur la visibilité de l'appartenance religieuse, dans certains domaines d'activité dont l'enseignement, le Droit et la sécurité publique. Elle va donc à l'encontre de la liberté de religion et de conscience, du droit au travail et du droit à l'égalité. C'est pourquoi Québec solidaire s'est prononcé clairement contre cette loi, notamment par le vote de ses personnes députées.
Le premier devoir d'un parti comme Québec solidaire face à cette loi en est un de solidarité avec les personnes qui ont perdu des droits lors de son adoption. Notre parti appuie la lutte de ces personnes pour rétablir leurs droits, incluant par la contestation de la loi devant les tribunaux. Des clauses dérogatoires ont été incluses dans la loi 21 en vue précisément de la protéger contre des contestations judiciaires, ce qui constitue un aveu implicite du caractère discriminatoire de la loi de la part du gouvernement.
Le rejet de l'utilisation de clauses dérogatoires dans le cas de cette loi ne constitue pas une opposition de principe à l'utilisation de telles clauses, qui peuvent être justifiées dans certaines circonstances, comme pour protéger la Charte de la langue française.
L'idée de s'opposer à la clause dérogatoire concernant la Charte québécoise des droits et libertés mais pas à celle qui vise la Charte canadienne ne repose sur aucun principe légal, les deux chartes affirmant les mêmes droits dans ce cas particulier. Elle ne constitue pas non plus une bonne idée sur le plan politique parce qu'elle donne l'impression que Québec solidaire n'appuie pas la lutte des personnes qui subissent de la discrimination en raison de cette loi et crée une ambiguité quant à son positionnement.
Les dommages causés à la cause de l'indépendance du Québec par le Parti québécois depuis son virage identitaire - notamment avec la Charte des valeurs québécoises de 2013 et son appui indéfectible pour la loi 21 de la CAQ - ne peuvent être réparés que par la promotion, par Québec solidaire, d'un projet indépendantiste rassembleur incluant la défense des droits de la personne et des minorités.
Que Québec solidaire, notamment par la voix de son caucus, prenne position clairement et publiquement contre le renouvellement de la clause dérogatoire s'appliquant à la Loi sur la laïcité de l'État (loi 21) et affirme sa solidarité avec les personnes qui subissent de la discrimination depuis cinq ans à cause de cette loi.
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Négociation dans les secteurs public et parapublic : Premiers éléments en vue d’un bilan (sous la forme d’une entrevue avec L’Étoile du Nord)

Tant et aussi longtemps que la rémunération des salarié.es syndiqué.es des secteurs public et parapublic ne sera pas déterminée à partir de critères fondés sur l'équité et la justice, tant et aussi longtemps que les salarié.es syndiqué.es n'auront pas droit à une rémunération qui leur permet de vivre dignement, tant et aussi longtemps que ces salarié.es devront s'éreinter au travail, la lutte de ces personnes salariées qui se dévouent pour la collectivité va nécessairement devoir être appuyée par la population et aucun moyen de pression - y compris la grève partielle ou générale et illimitée – n'est à écarter.
É du N : 1- Quels sont les principaux gains obtenus par le Front commun dans cette entente de principe ?
YP Minimalement, une première année qui accorde une hausse de salaire de 6% plus une protection partielle face à l'inflation de 1% par année pour chacune des trois dernières années de la convention collective. Il s'agit certes d'une clause de protection partielle face à l'inflation, mais il s'agit quand même d'une première, toujours en lien avec l'inflation, depuis l'entente de la ronde de négociation de 2010 et une première généreuse hausse salariale paramétrique depuis 1979. Je précise ici que je n'ai pas eu la chance de lire l'entente de principe paraphée par les parties négociantes. Pour répondre à votre question, je m'en remets par conséquent au communiqué émis par le Front commun CSN-CSQ-FTQ-APTS le 7 janvier 2024. Au chapitre des gains, il y en a un qui porte sur les vacances (une cinquième semaine après 15 ans de service ou 19 ans d'ancienneté, selon les conventions collectives). Les salarié.es syndiqué.es des secteurs public et parapublic ont obtenu une amélioration au régime de retraite (RREGOP) concernant la retraite progressive qui peut s'échelonner jusqu'à sept ans, au lieu de cinq ans et une possibilité de participer - lire cotiser - au régime jusqu'à 71 ans au lieu de 69 ans comme c'est le cas actuellement. Il y aurait également dans l'entente de principe des améliorations au régime des droits parentaux ; une bonification des cotisations de l'employeur pour l'assurance maladie ; une bonification de la prime de rétention et d'attraction pour les ouvriers spécialisés et l'intégration de deux titres d'emplois supplémentaires dans cette catégorie (les ébénistes-menuisiers et les mécaniciens de machine frigorifique) et finalement une majoration salariale de 10% pour les psychologues et d'autres bonifications salariales (avancement accéléré dans les échelons ou encore diverses primes pour certain.es syndiqué.es) dans les ententes sectorielles en santé et en éducation. Ce sont là les grands gains qui ont été diffusés par le Front commun.
Je me permets de déborder de votre question pour porter à votre connaissance qu'il y a un fait qui mérite d'être signalé et qui correspond selon moi à une « perte ». J'ai en tête ici la durée de la convention collective qui a été conclue entre les parties. Il s'agit d'un contrat de travail qui s'échelonne sur cinq ans (du mois d'avril 2023 au mois de mars 2028). C'était une demande du gouvernement du Québec qui aime bien les conventions collectives de cinq ans depuis l'époque où Jean Charest était premier ministre. Je précise que le régime de négociation toujours en vigueur dans les secteurs public et parapublic prévoit un contrat de travail d'une durée de trois ans, c'est ce que demandait le Front commun. Selon moi, la nouvelle convention collective de cinq ans équivaut à un recul par rapport au dernier contrat de travail qui était effectif d'avril 2020 à mars 2023. C'est en vertu d'une disposition du Code du travail (art 111.1) qu'il est permis de conclure un contrat de travail de cinq ans dans les secteurs public et parapublic. Un tel contrat de longue durée est très avantageux pour l'État, cela lui donne de la prévisibilité sur le plan budgétaire. Les organisations syndicales y trouvent également leur compte, mais n'insistons pas ici.
É du N : 2- Comment ont-ils réussi à arracher ces gains au gouvernement ?
YP Probablement en raison de la pénurie de main-d'œuvre tellement présente sur le marché du travail en ce moment. De fait, le gouvernement se retrouve dans une situation où il doit attirer du personnel et où il doit également maintenir en poste son personnel expérimenté. Pour assurer une continuité et une certaine qualité de services, le gouvernement Legault devait trouver une façon de donner plus d'argent et offrir de meilleures conditions de travail à certains groupes d'employé.es. C'est ce qu'il fallait comprendre par la célèbre déclaration du premier ministre François Legault, à savoir : « Elle est finie l'époque de la Labatt bleue pour tout le monde » (cité de mémoire ici) ; il faut alors y lire : elle est révolue l'époque de la même augmentation salariale pour tout le monde. De plus, le gouvernement ne pouvait plus continuer à aligner sa politique de rémunération dans les limites des prévisions de l'inflation établies par la Banque du Canada pour les cinq prochaines années. À ce sujet, le ministère des Finances du Québec a, en pleine négociation, réajusté à la hausse ses propres prévisions de l'inflation. Du côté du gouvernement du Québec cette prévision du taux d'inflation s'élevait, aux dernières nouvelles, à 18%, alors que du côté de la prévision de la Banque du Canada elle est inférieure à ce pourcentage. La pénurie de main-d'œuvre et l'impérieuse nécessité d'attirer au travail ou de préserver en poste des personnes compétentes, qualifiées ou expérimentées, voilà un peu pourquoi les augmentations négociées et consenties ont été supérieures au plafond arbitraire fixé par l' État patron à 2% par année depuis au moins le début des années quatre-vingt-dix du siècle dernier. L'entente conclue entre les parties comporte une augmentation salariale paramétrique totale de 17,4% sur cinq ans (6% en 2023, 2,8% en 2024, 2,6% en 2025, 2,5% en 2026 et 3,5% en 2027) à laquelle il y a la possibilité d'y ajouter jusqu'à 3% pour les trois dernières années (en raison de 1% par année selon le taux annuel de l'inflation). Ce ne sera pas avant la fin du mois de mars 2028 que nous serons en mesure de dire si le pourcentage négocié s'est avéré réellement avantageux ou non pour les salarié.es syndiqué.es des secteurs public et parapublic.
É du N : 3- L'entente de principe du Front commun risque-t-elle d'avoir un impact sur les autres négociations à venir (cols bleus, construction, secteur privé) ?
YP Je ne veux pas vous décevoir, mais jusqu'à maintenant - et ce probablement depuis la ronde des décrets de 1982-1983 - les augmentations de salaire négociées ou imposées unilatéralement (c'est-à-dire décrétées) dans les secteurs public et parapublic au Québec ont plutôt été inférieures à ce qui a été négocié dans les autres secteurs économiques syndiqués (sauf erreur de ma part, ce constat est vrai pour les entreprises syndiquées de 200 employé.es et plus). L'augmentation négociée pour l'année 2023-2024, 6%, est à la hauteur de l'inflation. Elle peut servir de référence là où la négociation n'a pas encore été conclue ou là où on est en présence d'une clause « remorque » avec les secteurs public et parapublic. Quoi qu'il en soit, il faut mentionner ici que c'est depuis 1979 que le Front commun n'est plus considéré comme une « locomotive » qui a un effet d'entraînement positif pour les salarié.es des autres secteurs de la vie économique.
É du N : 4- Comment cette entente de principe se mesure-t-elle face à celles des derniers Front communs ?
YP Comme mentionné à une question précédente, cette entente de principe permet, pour les cinq années d'application de la convention collective, des augmentations salariales supérieures au dogme de 2% d'augmentation par année qui a été appliqué rigoureusement par l'État patron du Québec depuis au moins 1993 (à une exception près en 1999). Il s'agit donc indéniablement d'une entente de principe qui figure parmi les plus avantageuses, sur le plan de la rémunération, pour les salarié.es syndiqué.es, depuis 1979. En 1979, le gouvernement du Québec a décidé de réduire la portée de la clause d'indexation de ses salairé.es syndiqué.es. En 1982-1983, il a poursuivi son œuvre de réduction des salaires en imposant une compression salariale drastique à la hauteur de 19,5% pour une période de trois mois le tout accompagné d'un gel de salaire pour la première année d'application du décret ( décret tenant lieu de convention collective selon l'État patron). Lors de cette ronde de négociation, le gouvernement du Québec, a également bouleversé, en modifiant unilatéralement à son avantage, le financement du régime de retraite. De 1993 à aujourd'hui il faut rappeler que les salarié.es syndiqué.es des secteurs public et parapublic du Québec ont connu des années de compression salariale de moins 1% (1993-1994 et 1994-1995), de gel salarial (soit 0% d'augmentation en 2004, 2005 et 2015), de réduction de 6% sur les coûts de main-d'œuvre (pour la période allant de 1996 à 1999). Il faut par contre mentionner que durant ces longues et interminables années d'augmentations salaires rachitiques pour certain.es salarié.es syndiqué.es il y a quand même eu le règlement de l'équité salariale qui a été favorable à certaines catégories d'emploi principalement à prédominance féminine, le règlement sur la relativité salariale et le réajustement des échelles de salaires en 2019. Mais ces divers règlements, intéressants pour une partie (ou la totalité) des effectifs, ne correspondent pas à des augmentations salariales au sens classique du terme. L'entente de principe conclue le 28 décembre dernier évite pour les membres du Front commun et les autres salarié.es syndiqué.es à qui elle s'appliquera une compression salariale, un gel de salaire ou, pour certaines années, une augmentation inférieure à l'inflation. Mais elle ne permet pas la pleine indexation, comme c'était le cas dans les années soixante-dix (de 1971 à 1979) ni non plus le fameux rattrapage réclamé par le Front commun. À première vue, l'entente de décembre 2023 se mesure avantageusement aux ententes négociées ou unilatéralement imposées de 1979 à mars 2023.
Pour ce qui est du concept de « Front commun », je suis d'avis qu'il s'agit là d'un concept qui a été un peu trop galvaudé et que certaines personnes l'ont appliqué à des rondes de négociation où nous étions en présence d'un Front commun de façade ou d'un Front commun sans véritable consistance ou ancrage à la base (une sorte d'alliance au sommet plus ou moins formelle, plus ou moins coordonnée). Deux ex-présidents de grandes centrales syndicales m'ont précisé dans le cadre de certains de mes travaux qu'il n'y avait eu qu'un seul Front commun, soit celui de 1971-1972. L'appellation a continué à être utilisée. Quoi qu'il en soit, Front commun ou non, les rondes de négociation dans les secteurs public et parapublic des années 1990 à 2022 ont donné des résultats peu emballants [1] . Pour ce qui est de la présente ronde de négociation, elle comporte des aspects intéressants, mais pour ce qui est de l'item des salaires, ce ne sera qu'en mars 2028 qu'il sera possible de conclure définitivement à ce sujet.
É du N : 5- Le résultat des ententes risque-t-il d'avoir un effet positif ou négatif sur les mobilisations à venir dans le secteur public (réforme Dubé, réforme Drainville) ?
YP Je ne dispose d'aucune boule de cristal. Il m'est donc impossible de répondre avec précision ou exactitude à votre question. Je ne peux ici qu'exprimer un souhait personnel : tout doit être mis en œuvre, au niveau des grandes organisations syndicales, pour contrer ces deux réformes centralisatrices. En revanche, le gouvernement a dans ses mains des outils pour diviser les personnes syndiquées et en plus, il dispose d'atouts, que je ne préciserai pas, pour atteindre ses objectifs en totalité ou en partie. Dans le but que la négociation du Front commun ait un effet de fléchissement de certaines orientations gouvernementales, il est nécessaire à mes yeux que les salarié.es syndiqués.es doivent cesser de se comporter en « passager clandestin » [2] dans la vie sociale et politique . Il y a belle lurette que les organisations syndicales ne sont pas parvenues à mobiliser massivement – comme cela a été le cas lors de certaines décennies précédentes - leurs troupes sur des enjeux extérieurs à la convention collective. Tristement, nous devons constater que nous vivons dans une société au sein de laquelle prime l'individualisme, c'est-à-dire l'atomisation des personnes. Nous assistons à une véritable démobilisation des syndiqué.e.s sur certains enjeux de société majeurs. L'atomisation s'accompagne de la fin de l'absorption de l'individualité par le collectif. Pas facile pour le mouvement syndical d'intéresser leurs membres aux réformes (ou plus précisément aux « contre-réformes ») Dubé et Drainville.
Le syndicalisme, comme projet mobilisateur permanent, est un objectif difficile à atteindre sur des enjeux qui vont au-delà des conditions de travail et qui portent sur des enjeux sociétaux. Une ou un syndiqué.e ne voit pas toujours en quoi certaines réformes ou contre-réformes sont susceptibles de s'avérer éventuellement nuisibles à ses intérêts. Le « citoyen syndiqué » ayant une capacité d'agir à titre d'agent de changement et qui se mobilise en fonction des intérêts du plus grand nombre est hélas quelque chose qui existe à l'état de projet, beaucoup trop abstrait, qui se déploie en plus, sur un chemin parsemé d'embûches et de retours constants à la case départ. Les organisations syndicales ne sont pas des organisations d'opposition et de mobilisation qui peuvent toujours compter sur une participation active et permanente de leurs membres. La force du nombre des organisations syndicales est parfois une simple donnée quantitative ou statistique et non pas une donnée militante capable d'être mise à contribution en vue d'orienter le changement social ou politique.
É du N : 6- Serait-il envisageable de reproduire une telle mobilisation lors de la prochaine ronde de négociation dans la fonction publique ?
YP Là aussi je n'ai aucune boule de cristal et j'ajoute qu'en matière d'avenir la futurologie est une science tellement imprécise. Tout ce que je peux m'autoriser à dire, en réponse à votre question, consiste en ceci : je ne souscris pas au point de vue défaitiste ou négatif d'un ex-leader syndical qui a affirmé récemment à la radio publique de Radio-Canada (sur les ondes d'ICI Première) que la grève est un moyen de pression « brûlé » pour les 30 prochaines années en éducation. La mobilisation a été remarquable en santé et en éducation lors de la présente ronde de négociation. Elle a certes été différente des grèves qui ont eu cours dans les secteurs public et parapublic en 1972 et en 1983. La grève s'est déroulée du côté du Front commun de manière graduelle et dans le respect des services essentiels. Alors, la grève de 10 jours des 420 000 membres du Front commun, la grève générale illimitée - qui a durée 22 jours - des 66 500 membres de la FAE, les arrêts de travail des infirmières et des infirmiers et j'en passe… la totalité de ces arrêts de travail a permis minimalement de mettre sur la place publique les conditions de travail et de rémunération des 650 000 salarié.es syndiqué.es des secteurs public et parapublic qui sont à 75% de femmes. Ces personnes oeuvrent dans des services qui sont déterminants et fondamentaux pour notre qualité de vie en société. Puisqu'il en est ainsi, ces salarié.es syndiqué.es méritent des conditions de travail qui assurent la qualité des services offerts à la population le tout accompagné d'une rémunération à la hauteur de leur prestation de travail ainsi que des conditions de travail qui respectent leur rythme de travail. Il n'y a pas que les 125 députés de l'Assemblée nationale qui devraient avoir droit au Québec à une hausse de leur rémunération de 30%, à savoir des augmentations supérieures à celles négociées pour les salarié.es syndiqué.es des secteurs public et parapublic. Les salarié.es syndiqué.es de ces deux secteurs doivent être assurés.es d'obtenir un jour la pleine indexation de leur salaire ainsi qu'un rattrapage face aux autres salarié.es syndiqué.es des services publics (fédéral, municipal et universitaire ). La présente ronde de négociation nous a démontré, à plusieurs reprises, que l'opinion publique appuyait les revendications des salariés.es syndiqués. Plusieurs députés.es de l'opposition sont même allé.es appuyer les grévistes sur les lignes de piquetage. Le gouvernement Legault était certes conforté dans ses positions par certains éditorialistes, mais en bout de piste, il s'est retrouvé isolé. La position qu'il défendait était insoutenable. Voilà pourquoi il a dû une nouvelle fois réviser son offre salariale à la hausse. Ce n'est qu'à la présentation du prochain budget du Québec que nous saurons combien coûte au Trésor public l'entente avec le Front commun. Qu'en sera-t-il la prochaine fois en regard de la mobilisation des syndiqué.es et de l'opinion publique ? Pour être franc, je l'ignore et nous l'ignorons tous. Quoi qu'il en soit, l'époque des conditions de travail déplorables et de la rémunération médiocre dans les secteurs public et parapublic devrait être derrière nous comme l'a si bien précisé la juge Abella (dissidente) dans une célèbre décision, rendue en 2015 par la Cour suprême du Canada. Voici ce qu'elle a écrit à ce sujet :
[65]
[…] [l]es employés du secteur public ne devraient pas être tenus de subventionner la collectivité ou le secteur d'activité dans lequel ils travaillent en acceptant des salaires et des conditions de travail médiocres. [. . .] [t]out compte fait, si la collectivité a besoin d'un service public et l'exige, ses membres doivent assumer ce qu'il en coûte nécessairement pour offrir des salaires justes et équitables et ne pas s'attendre à ce que les employés subventionnent le service en acceptant des salaires médiocres. S'il est nécessaire d'économiser pour atténuer le fardeau fiscal, il faudrait le faire en réduisant certains éléments du service offert, plutôt qu'en réduisant les salaires et les conditions de travail.
[…]
La juge Abella
Robert Meredith et Brian Roach v. Procureur général du Canada. [2015] 1 RCS, p. 65.
Tant et aussi longtemps que la rémunération des salarié.es syndiqué.es des secteurs public et parapublic ne sera pas déterminée à partir de critères fondés sur l'équité et la justice, tant et aussi longtemps que les salarié.es syndiqué.es n'auront pas droit à une rémunération qui leur permet de vivre dignement, tant et aussi longtemps que ces salarié.es devront s'éreinter au travail, la lutte de ces personnes salariées qui se dévouent pour la collectivité va nécessairement devoir être appuyée par la population et aucun moyen de pression - y compris la grève partielle ou générale et illimitée – n'est à écarter. Le mouvement syndical sera-t-il en mesure de rééditer une mobilisation d'envergure comme celle que nous avons vue depuis le mois de septembre dernier ? Tout dépend s'il parvient à éviter le repli sur des positions « isolationnistes » et s'il a en sa possession des ressources financières (« L'argent est le nerf de la guerre » dixit Lénine [3]) pour livrer un combat à la hauteur de l'adversaire qu'il affronte lors de ces négociations, et j'ai nommé l'État patron qui est parfois un État législateur qui n'aime pas perdre. Avec ce genre d'employeur, qui correspond selon Thomas Hobbes à un Léviathan, c'est-à-dire à un monstre froid, rien n'est véritablement acquis, rien n'est jamais donné une bonne fois pour toutes. Mais qui l'a véritablement compris ? Face à ce grand mauvais perdant, plusieurs personnes ou trop de personnes aiment bien se bercer et se berner dans leurs illusions en regard de son potentiel revanchard.
Yvan Perrier
7 février 2024
23h30
[1] Voir à ce sujet les deux articles suivants : https://www.pressegauche.org/Des-conditions-salariales-sous-pressions-depuis-35-ans ; et https://www.pressegauche.org/D-une-illusion-al-autre . Consulté le 7 février 2024.
[2] Par « passager clandestin » il faut comprendre une personne ou un groupe de personnes qui bénéficient ou qui vont bénéficier d'un avantage résultant d'un effort collectif sans y participer ou en y participant peu.
[3] Cette célèbre citation est présente dans de nombreux ouvrages. On la retrouve apparemment au départ dans le livre de Thucydide Histoire de la guerre du Péloponnèse, (1966, Tome II, Éditions GF-Flammarion, p. 106) : " [...] l'argent ; c'est le nerf de la guerre, comme de toute entreprise."
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Après quatre mois de guerre génocidaire israélienne

Quatre mois se sont écoulés depuis l'opération « Déluge d'Al-Aqsa » et le début de la guerre génocidaire sioniste qui l'a suivie. La Nakba de 1948 est désormais dépassée sous le rapport de l'intensité du désastre et de l'horreur. Considérons les faits présentés par le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à un logement convenable, dans un article remarquable publié par le New York Times le 29 janvier : Israël a largué sur la bande de Gaza l'équivalent en explosifs de deux bombes atomiques du type de celle qui a été larguée par les États-Unis sur Hiroshima en 1945.
Tiré de Inprecor 717 - février 2024
6 février 2024
Par Gilbert Achcar
Tanks israéliens dans la bande de Gaza le 31 octobre. © IDF Spokesperson's Unit, CC BY-SA 3.0
Ce bombardement massif a entraîné à ce jour la destruction d'environ 70 % des bâtiments de l'ensemble de l'enclave et 85 % de ceux de sa moitié nord. En conséquence, 70 000 habitations ont été complètement détruites et 290 000 habitations l'ont été partiellement. Si l'on ajoute à cela la destruction des infrastructures de services tels que l'eau et l'électricité, du système de santé, y compris les hôpitaux, ainsi que du réseau éducatif (écoles et universités), des sites culturels et religieux et des bâtiments historiques, le résultat est l'éradication presque totale de la Gaza palestinienne. Cela est semblable à la suppression de la plupart des traces de vie palestinienne par la destruction d'environ 400 villes et villages sur les 78 % de la terre de Palestine entre le fleuve et la mer saisis par l'État sioniste en 1948.
Le rapporteur de l'ONU a proposé d'ajouter un nouveau crime à la liste des crimes contre l'humanité, un crime qu'il a proposé d'appeler « domicide ». Il a cité des situations du siècle présent auxquelles peut s'appliquer ce concept : Grozny en Tchétchénie, complètement détruite par l'armée russe de Vladimir Poutine au tournant du siècle ; Alep en Syrie, détruite par l'armée russe alliée aux forces iraniennes et à celles du régime Assad en 2016 ; et Marioupol en Ukraine, détruite par l'armée russe au cours premiers mois de l'invasion russe de l'Ukraine en 2022. Il faut ajouter à cette liste la ville irakienne de Falloujah, dont la majeure partie a été détruite par l'armée américaine en 2004 lors de la deuxième année de son occupation de l'Irak, ainsi que Mossoul en Irak et Raqqa en Syrie, toutes deux détruites par les forces américaines et leurs alliés lors de la guerre contre l'État islamique en 2017.
Le « domicide » de Gaza diffère cependant de tous ces cas en ce qu'il n'a pas touché une seule ville, mais toute l'enclave avec toutes ses villes – une zone bien plus vaste que celle de chacune des villes susmentionnées. Le « domicide » de Gaza s'est accompagné d'un génocide contre sa population. Pas seulement par le meurtre d'une proportion élevée de celle-ci : environ 27 000 à l'heure où ces lignes sont écrites, soit plus de 1 % de la population totale, selon les chiffres fournis par le ministère de la Santé de Gaza – chiffres qui ne tiennent pas compte du nombre de personnes qui meurent en raison des conditions sanitaires catastrophiques créées par l'agression, aggravées par les restrictions imposées par Israël à l'accès de l'aide humanitaire à la bande de Gaza. Ces conditions exposent une grande partie des blessés palestiniens, qui sont environ 70 000, à la mort ou à des séquelles permanentes qui auraient pu être évitées si les traitements nécessaires avaient été disponibles. Il en va de même pour le nombre de personnes souffrant de maladies naturelles qui ne reçoivent plus les médicaments nécessaires à leur survie et dont le nombre n'est pas disponible.
Ajoutez à tout cela qu'environ deux millions de personnes, soit 85 % de la population de la bande de Gaza, ont été déplacées de leur domicile vers la ville de Rafah et autres zones adjacentes à la frontière égyptienne. Même si l'agression cessait soudainement aujourd'hui et que les personnes déplacées étaient autorisées à aller où elles le souhaitent dans la bande de Gaza, la grande majorité d'entre elles seraient contraintes de rester dans leur abri actuel en raison de la destruction de leurs demeures. De plus, l'armée sioniste s'apprête maintenant à compléter son occupation de la bande de Gaza en envahissant Rafah, aggravant ainsi inévitablement la situation des déplacés, même si elle les oblige à se déplacer encore une fois, vers une autre zone du sud de la bande de Gaza, afin de les placer sous son contrôle et de les détacher de ce qui reste des institutions que le Hamas a dominées depuis qu'il a pris le contrôle de l'enclave en 2007.
Il s'agit bien d'une immense catastrophe qui dépasse en intensité et en horreur la Nakba de 1948, une nouvelle Nakba dont l'impact politique sur l'histoire de la région, voire du monde, ne sera pas moindre que celui de la première Nakba, comme l'avenir ne manquera pas de le prouver. Face à cette scène d'horreur, le bavardage de l'administration américaine et des autres gouvernements préoccupés par les conséquences de cette nouvelle Nakba, ou plutôt leur radotage sur une « solution » à la question palestinienne, évoque une extension du statut de la zone A de la Cisjordanie à la bande de Gaza, en remettant celle-ci sous la tutelle de l'Autorité palestinienne qui est elle-même sous le contrôle direct d'Israël, outre le déploiement continu des forces d'occupation dans la majeure partie de la Cisjordanie (zones B et C) et leur intervention militaire à volonté dans la zone A. Appeler « État » une telle entité croupion qui jouirait en réalité de moins de souveraineté que les bantoustans d'Afrique du Sud à l'époque de l'apartheid, n'est rien d'autre qu'une misérable tentative de dissimuler la responsabilité de Washington, avec la plupart des États européens, dans l'encouragement prodigué à la guerre génocidaire sioniste et dans son soutien militaire – car Israël n'aurait certainement pas été en mesure de faire tout ce qui est décrit ci-dessus sans le soutien militaire des États-Unis.
Traduit à partir de la version anglaise de l'original arabe publié dans Al-Quds al-Arabi le 6 février 2024, postée à l'origine sur le blog de l'auteur.
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La démarche d’accession à l’indépendance

J'ai le plaisir de vous inviter au prochain débat du MQI. Nos invités, militants de trois partis indépendantistes interviendront à titre personnel. André est militant de QS et ancien co-porte-parole de ce parti. Daniel est militant du PQ et candidat de ce parti en 2018 et 2022. Martine est cheffe de Climat Québec et candidate de ce parti en 2022.
Un débat qui promet !
Gilbert Paquette
CONVERGENCES POUR LE PAYS
Avec ce second rendez-vous du MQI, le 24 février en 2024, nous entreprenons une série de rencontres pour rapprocher tous les indépendantistes quelle que soit leur allégeance partisane ou leurs opinions sur des questions politiques particulières. On ne pourra réunir une majorité de citoyens favorables à l'indépendance sans une convergence entre tous les indépendantistes centrée sur l'objectif de faire du Québec un pays.
LA DÉMARCHE VERS L'INDÉPENDANCE
Le mouvement indépendantiste est actuellement dans une période euphorique. Donné pour mort il n'y a pas si longtemps, le PQ se situe au premier rang dans les intentions de vote. Il doit sa résurrection à la remise à l'avant scène de l'indépendance mais aussi à la déconfiture de la CAQ. Par ailleurs QS est bien implanté à Montréal et se situe au premier rang des intentions de vote de la jeune génération, pendant que Climat Québec cherche à s'implanter en ralliant les écologistes à la cause indépendantiste. Il y a des indépendantistes dans tous les partis et aucun parti ne rejoint actuellement tous les électeurs prêt à voter OUI. Le mouvement indépendantiste actuel est très différent de celui de 1995, mais l'indépendance recueille le même niveau d'appui qu'en 1994.
Dans la période actuelle, tout est possible d'ici 2026, le pire comme le meilleur. Le pire serait un retour au passé d'un parti indépendantiste qui prend le pouvoir et s'enfonce dans la gouvernance provincialiste en trouvant toutes les raisons possibles pour retarder la démarche vers le pays. Le meilleur que nous voulons : l'élection d'une majorité de députés indépendantistes faisant coalition pour réaliser l'indépendance.
Un PQ conséquent avec son option devra imposer l'indépendance comme LA question de l'urne de la prochaine élection, de concert avec les autres partis et les mouvements indépendantistes de la société civile. Ainsi, la diversité actuelle que certains qualifient de faiblesse deviendra une force, celle d'un mouvement indépendantiste polyvalent pouvant rejoindre toutes les couches de la population pour faire du Québec un pays.
NOS PANÉLISTES
Nos panélistes militent dans trois partis indépendantistes différents. Ils participeront à un débat ouvert sur les options des partis quand à la démarche nécessaire pour réaliser l'indépendance du Québec. Le 24 février, ils interviendront à titre personnel, sans mandat des instances de leurs partis respectifs.
ANDRÉ FRAPPIER

D'abord militant syndical au Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) ainsi qu'à la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), il s'est impliqué en politique avec Québec solidaire, lors de la fondation du parti, en 2006. Il a été candidat de ce parti aux élections de 2007, de 2008, 2012 et 2014. En 2012, il a succédé à Amir Khadir comme président co-porte-parole de QS et il a participé au États généraux de la souveraineté. Co-auteur du Printemps des carrés rouges publié en 2013, il fait partie du comité de rédaction de Presse-toi à gauche et de Canadian Dimension.
DANIEL MICHELIN

Formé en criminologie et en administration publique, il a été attaché politique au cabinet de Véronique Hivon puis au bureau de comté de la député de Joliette de 2012 à 2017. Il a aussi occupé la même fonction auprès de l'ex-députée de Marguerite-D'Youville, Monique Richard. En 2018 et 2022, il a été candidat du Parti québécois dans la circonscription de Montarville. Actuellement, il coordonne les instances du Parti québécois dans six circonscriptions de la Montérégie.
MARTINE OUELLET

Ingénieure de formation, Martine Ouellet a fait carrière à HydroQuébec. Avant son entrée en polique, elle milite dans le mouvement écologique Eau Secours. De 2010 à 2019, elle est députée de Vachon pour le Parti québécois et ministre des Ressources naturelles dans le Gouvernment Marois. Elle est par la suite candidate à la direction du PQ à deux reprises. En 2017-2018 elle est cheffe du Bloc québécois. En mai 2021, elle crée son propre parti écologiste et indépendantiste, Climat Québec.
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Construire un pays qui nous ressemble

Nous sommes nombreux et nombreuses à ne pas nous reconnaître dans le Québec de François Legault. Depuis trop longtemps, aucun grand projet rassembleur ne semble se réaliser. Il est de plus en plus tentant de se laisser tomber dans le cynisme.

TÉLÉCHARGER LE MATÉRIEL DE LA CAMPAGNE
ON MÉRITE Mieux
À Québec solidaire, nous portons une vision ambitieuse, celle d'un nouveau Québec : un pays basé sur la solidarité et la justice sociale qui va rapprocher le pouvoir du monde. En prenant en charge notre destinée, nous pouvons construire un Québec où tout le monde vit dans la dignité, et où la protection de notre territoire et de notre environnement est au cœur de toutes les politiques.
L'indépendance pour nous, c'est plus qu'un changement de passeport : c'est un projet de société. On veut transformer le Québec, pour bâtir ensemble un pays plus juste, plus vert, un pays libre.
ON A BESOIN D'ESPOIR
L'indépendance du Québec, c'est l'occasion de fonder un nouveau Québec avec comme valeurs la protection de la nature et la construction d'une société plus résiliente.
Alors que le Canada fait le choix d'encourager chaque année le développement du secteur pétrolier et gazier, nous au Québec, sommes libres de faire d'autres choix. Ce que nous proposons à Québec solidaire, c'est de bâtir ensemble un pays qui tourne le dos à l'industrie pétrolière et gazière du Canada pour se tourner vers l'avenir : la transition écologique. Pourquoi l'indépendance ? Parce qu'elle nous donne les leviers nécessaires pour protéger notre environnement.
En tant que nation souveraine, nous pouvons mettre en place des politiques environnementales ambitieuses, investir dans les énergies renouvelables et prendre des mesures significatives pour lutter contre les changements climatiques. Tout ça, sans demander la permission à un gouvernement pro-pétrole à Ottawa. Face à la crise climatique, le plus grand défi de notre époque, nous voulons un Québec qui protège son environnement et rejoigne le club des pays les plus verts au monde.
Tout indique qu'un Québec pays aura une influence écologiste plus grande sur le Canada qu'un Québec province. Il ne faut pas sous-estimer l'effet persuasif puissant d'un pays voisin modèle qui, par exemple, produit la quasi-totalité de son électricité à partir de ressources renouvelables. Aux tables de négociation internationales, par ailleurs, le Québec discutera d'égal à égal avec le Canada, et pourra utiliser l'ensemble des leviers dont dispose un pays pour faire pression sur Ottawa.
Enfin, d'un point de vue géopolitique, notre souveraineté nous garantirait un total contrôle sur les droits de passage commerciaux autant sur notre sol que sur le fleuve Saint-Laurent, ce qui nous permettra de nuire grandement à certaines exportations polluantes au Canada, incluant en premier lieu le pétrole sale des sables bitumineux albertains.
LE QUÉBEC T'APPARTIENT
Québec solidaire veut bâtir un pays qui fait une place à tout le monde. Peu importe où vous habitez sur le territoire du Québec, peu importe vos origines ou celles de vos parents, vous êtes ici chez vous.
Nous voulons réaliser l'indépendance pour améliorer la qualité de vie du peuple québécois. C'est ce peuple, dans toute sa diversité, qui forme la nation québécoise. Le Nouveau Québec, c'est celui qui incarne un nationalisme ouvert, moderne et rassembleur.
Nous pouvons nous inspirer de nombreux et nombreuses indépendantistes, comme Pierre Bourgault, Gérald Godin ou Pauline Julien, qui ont, à travers l'histoire du Québec, incarné un discours progressiste et inclusif. D'hier à aujourd'hui, des gens se sonts rassemblés pour assurer un avenir à notre culture et aux gens qui la font, à notre notre langue et aux gens qui la parlent.
C'est pour cela que Québec solidaire prône une démarche participative et démocratique pour réaliser l'indépendance, qui implique toute la population québécoise : l'Assemblée constituante. C'est comme ça qu'on construit une nation forte et fière, capable d'ouvrir les bras.
ÉCRIVONS ENSEMBLE LA CONSTITUTION D'UN NOUVEAU QUÉBEC
L'indépendance ne se fera pas par la seule volonté d'un parti ou d'un chef. Nous croyons que l'indépendance se fera par la mobilisation et l'engagement de la population québécoise.
Pour réaliser l'indépendance, Québec solidaire propose de convoquer une assemblée constituante. Il s'agit d'une grande instance démocratique, composée de citoyennes et de citoyens élus au suffrage universel, issus de partout sur le territoire du Québec, qui aura pour mandat de sillonner le Québec pour rédiger la constitution de notre nouveau pays.
Dans un second temps, cette constitution de pays du Québec serait soumise au vote de tous les citoyens et citoyennes lors d'un référendum. Notre approche est différente de celle des autres formations politiques : nous croyons que les Québécois et Québécoises doivent non seulement se prononcer sur l'indépendance, mais sur les grandes valeurs et les lois fondamentales qui guideront ce nouveau pays du Québec. Au lieu de repousser le projet de société après un référendum, nous voulons le mettre au cœur de la décision démocratique de fonder un pays.
À Québec solidaire, nous souhaitons que les peuples autochtones soient représentés et consultés dans cette assemblée constituante. Les peuples autochtones sont les premiers occupants du territoire québécois et ils ont des droits ancestraux qui doivent être respectés. Il faut remettre en question le colonialisme qui existe ici, comme partout au Canada. Pour faire du Québec un pays, nous devons nous engager ensemble à travailler de nation à nations avec les peuples autochtones, dans un esprit de dialogue, de coopération et de solidarité.
Certains pays illustrent efficacement ce qu'une nouvelle constitution nous permettrait d'accomplir en ce sens. En 2009, la Bolivie a notablement réécrit sa constitution pour intégrer la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, permettre à différents territoires autochtones de s'auto-gouverner, définir l'État bolivien comme “plurinational” et reconnaître un grand nombre de langues autochtones comme langues officielles du pays.
En savoir plus sur la constituante
L'Assemblée constituante est un processus flexible qui ajoute une dimension démocratique à tout projet de future Constitution. À travers l'histoire, cette démarche a été utilisée de différentes manières, que ce soit pour réviser la Constitution d'un pays existant ou pour créer la première Constitution d'un nouveau pays, avant ou après sa déclaration d'indépendance. L'Inde est un exemple de pays qui a créé une telle Assemblée (décembre 1946) avant d'obtenir formellement son indépendance du Royaume-Uni (juin 1947). La fin des travaux de l'Assemblée (novembre 1949) précède également la proclamation de la République de l'Inde en janvier 1950.
Plus récemment, l'Équateur, qui s'est doté d'une nouvelle Constitution en 2008, représente une très belle réussite du processus d'Assemblée constituante. Non seulement la création de l'Assemblée a-t-elle été entérinée par référendum à 81,7%, mais l'adoption référendaire subséquente a aussi été un succès, le Oui l'ayant facilement emporté avec 63,93% du vote. La Constitution nouvellement instaurée fut la première au monde à accorder des droits aux écosystèmes eux-mêmes.
1 Élire un gouvernement solidaire
Québec solidaire doit remporter les élections et former le gouvernement.
2 Écrire un projet de constitution du Québec
Nous convoquerons dans le premier mandat d'un gouvernement solidaire une assemblée représentative de la société qui ira à la rencontre de la population pour rédiger la constitution d'un nouveau pays du Québec.
3 Un référendum pour fonder un nouveau pays
La constitution rédigée par l'assemblée constituante sera soumise à un référendum populaire pour être adoptée, dans ce premier mandat. Si le référendum est approuvé, le Québec deviendra un pays indépendant.
4 Le Québec déclare son indépendance
Les visions de Ruba, Émilise et Gabriel
Vision de Ruba
En tant que Québécoise d'origine palestinienne, je comprends et ressens ce que c'est d'être déraciné, de voir sa langue et sa culture menacées. Comme des milliers d'enfants de la loi 101, les Québécois m'ont appris à aimer le français et la culture d'ici. Je veux que ça continue et c'est de plus en plus difficile dans un Québec qui n'est pas un pays.
Faire l'indépendance c'est aussi refuser le statu quo et vouloir transformer notre société. Depuis la fondation de Québec solidaire, l'indépendance est indissociable de notre projet politique. C'est simple, il est impossible de réaliser notre programme sans réaliser l'indépendance du Québec.
J'ai deux nations, mais pas de pays. Je veux mon pays du Québec. Vive l'indépendance !
Ruba Ghazal
Vision d'Émilise
L'indépendance du Québec, c'est la clé de voûte pour agir sur tous les fronts qui nous sont chers : justice sociale, environnement, autodétermination. Nous avons besoin de retrouver du pouvoir sur nos vies. Retrouver du pouvoir à l'échelle de nos communautés et de nos régions. Pour retrouver du sens dans chacune de nos actions, de nos décisions et de notre développement. Pour y arriver, il faudra déconcentrer et décentraliser le pouvoir et le rapprocher du monde.
On ne fera pas un pays pour les patrons des multinationales, mais pour qu'il appartienne au peuple. Il faut se réapproprier tous nos leviers pour faire mûrir une agriculture qui va nous nourrir ; pour protéger nos richesses naturelles des intérêts étrangers ; pour développer notre résilience collective dans un système qui est de plus en plus difficile à vivre ; pour semer du peuple à la grandeur du territoire et mieux prendre soin des communautés qui l'habitent fièrement ; pour célébrer notre langue et faire fleurir notre culture riche et vivante.
Émilise Lessard-Terrien
Vision de Gabriel
Pour changer les choses pour vrai au Québec, il faut changer notre système politique. On a besoin d'une nouvelle constitution qui va redonner le pouvoir au peuple, affirmer les droits de tout le monde et protéger notre environnement. Construire un nouveau pays, ça sert à construire un nouvel avenir et à améliorer la vie des gens. C'est ça pour moi l'indépendance : le plus beau et le plus grand des projets de changement.
Qu'on soit né ici ou né ailleurs et peu importe la langue qu'on parle à la maison, c'est un projet qui nous unit parce qu'il nous propulse vers un avenir meilleur, ensemble. Le Québec est plein de potentiel et l'indépendance, c'est se donner les moyens de le réaliser. Il n'y a rien de plus beau qu'un peuple qui se tient debout, ensemble, malgré ses différences. Je pense qu'on mérite ça au Québec.
Gabriel Nadeau-Dubois
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Immigration : « bouc émissaire » de la crise du logement

Certain·es estiment que l'augmentation de l'immigration au pays est responsable de la crise du logement, mais des expertes n'en sont pas si convaincues.
6 février 2024 | tiré de pivot.quebec
HTTPS ://PIVOT.QUEBEC/2024/02/06/IMMIGRATION-BOUC-EMISSAIRE-DE-LA-CRISE-DU-LOGEMENT/ ?VGO_EE=US1KPIILYUA1BADWGZ1D%2BW8VD7EZX675CUZQOFZ2BANK%3ATEWRLOJXEMPWHYK068W87PIXUFJFWHO4
Ces deux dernières semaines, bon nombre de politiciens se sont emballés sur un certain lien de causalité entre la hausse de l'immigration, surtout temporaire, et la crise du logement, allant même jusqu'à établir certaines directives visant à freiner l'immigration. Cependant, des expertes en matière d'habitation et d'immigration démentent cette relation de cause à effet et identifient plutôt certaines actions des gouvernements comme les principales causes.
« Blâmer les personnes qui se retrouvent les grandes victimes de cette crise du logement causée par un manque de politiques sociales, pour moi, c'est vraiment honteux », dénonce Geneviève Vande Wiele Nobert, chercheuse à l'Observatoire des inégalités raciales au Québec et autrice du billet « Logement et immigration : attention aux raccourcis » publié par l'institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS).
Une étude de la Banque Nationale, publiée le 15 janvier, a ouvert le bal de l'emballement public, affirmant la causalité entre immigration et crise du logement et qualifiant la situation de « piège démographique » pouvant se révéler néfaste pour le niveau de vie de la population.
Le 17 janvier, le premier ministre François Legault a demandé, dans une lettre adressée à son homologue fédéral Justin Trudeau, de freiner l'afflux de demandeur·euses d'asile et l'immigration temporaire (étudiant·es et travailleur·euses) au Québec. Il donnait comme principale raison l'impact de ces arrivées sur la crise du logement actuelle, mais aussi sur les services publics.
Du côté fédéral, le ministre de l'Immigration, Marc Miller, a annoncé le 22 janvier vouloir établir un plafond temporaire du nombre d'étudiant·es étranger·es : en conséquence, le nombre de personnes qui recevront un permis d'étude cette année sera de 35 % inférieur à 2023.
Cela est d'ailleurs dans la continuité de la volonté de Justin Trudeau, qui a affirmé quelques jours plus tôt qu'il voulait toujours porter à 500 000 le nombre annuel d'immigrant·es, tout en reprenant le « contrôle » sur l'immigration temporaire. Il a dénoncé à son tour l'impact supposé de ces personnes sur la crise du logement dans tout le pays.
Marc Miller avait aussi ouvert la porte, en décembre dernier, au retour de l'exigence de visa pour les Mexicain·es qui souhaitent entrer au pays, une obligation qui avait été abolie en 2016 par le gouvernement Trudeau.
Que représente vraiment l'immigration ?
Il est vrai que le Québec fait face à un accroissement démographique qui est principalement lié à la hausse de l'immigration internationale permanente et temporaire, mais il reste bien inférieur à d'autres provinces.
La province a gagné 149 900 personnes en 2022, un record depuis 50 ans. Là-dessus, l'immigration internationale représente la forte majorité du total, avec une croissance de 149 500 personnes (compensée par des migrations entre les provinces représentant une baisse de 3100 personnes), tandis que la différence entre les naissances et les décès n'a fait monter la population que de 2300 personnes, selon le Bilan démographique du Québec, publié par l'Institut de la statistique (ISQ).
Cela dit, le taux d'accroissement général de la population du Québec s'établit à 1,7 % en 2022, comparativement à 3,0 % dans le reste du Canada.
Et surtout, en 2022, les nouveaux et nouvelles immigrant·es permanent·es ne représentaient que 0,8 % de la population totale du Québec, et la croissance du nombre de résident·es temporaires, 1,1 %, souligne Geneviève Vande Wiele Nobert dans sa récente analyse.
Selon elle, il est difficile de présumer que cette faible proportion affecte significativement la crise du logement. « Les personnes immigrantes ne représentent qu'une petite partie de la nouvelle demande pour des logements », résume-t-elle dans son billet.
L'immigration temporaire, ciblée plus particulièrement par les politiciens, augmente effectivement d'année en année au Québec depuis 2016 (sans inclure les deux années de la pandémie). L'année 2023 a été historique pour la province : le nombre de résident·es non permanent·es a augmenté de 167 000, soit un bond de 46 % comparé à 2022, selon les données de Statistique Canada.
Cela dit, la hausse de ces immigrant·es temporaires en 2023 ne représentait encore que 1,9 % de la population du Québec, comparable à la moyenne canadienne (2 %).
L'immigration temporaire, un « choix politique »
Pour Geneviève Vande Wiele Nobert, le gouvernement Legault se victimise injustement lorsqu'il se dit inquiet d'un trop grand nombre d'immigrant·es temporaires.
Globalement, les résident·es temporaires ont en effet représenté la majorité de l'accroissement démographique lié à l'immigration : en 2022, leur nombre a crû de 86 700, alors qu'on a accueilli 68 700 immigrant·es permanent·es. Les demandeur·euses d'asile représentaient un tiers des résident·es non permanent·es, les étudiant·es, 20 %, tandis que la plus grande part était de loin celle des travailleurs étrangers temporaires (44 %), selon le Bilan démographique.
Mais cela, en particulier le grand nombre de travailleur·euses temporaires, est un choix que le gouvernement provincial a fait et doit assumer, selon Geneviève Vande Wiele Nobert. « Le Québec a choisi d'assumer une politique d'immigration plus temporaire que permanente, c'est un choix politique », dit la chercheuse.
Avant tout un problème d'abordabilité, pas de rareté
De plus, s'il y avait réellement un lien criant entre immigration et crise du logement, la pénurie de logements se montrerait plus sévère dans les villes où se concentrent les personnes immigrantes, explique la chercheuse Geneviève Vande Wiele Nobert. Or, ce n'est pas le cas.
Par exemple, alors que Montréal accueillait 80 % des personnes migrantes récentes du Québec en 2021, son taux de logements inoccupés (2 %) était pourtant supérieur à la moyenne provinciale (1,7 %) en 2022, selon des données de Statistique Canada.
En comparaison, Drummondville accueillait 0,5 % des immigrant·es, mais avait un taux d'inoccupation de 0,4 %. La situation est comparable à Saguenay, Trois-Rivières ou Sherbrooke, notamment.
Cette tendance était toujours d'actualité en 2023, selon le plus récent rapport de la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL).
Pour la SCHL, cela serait attribuable en grande partie à la hausse de nouveaux et nouvelles arrivant·es, ce qui est démenti par les groupes de défense des locataires. Selon eux, les très faibles taux d'inoccupation s'expliquent plutôt par la forte présence de locations Airbnb, le manque de résidence pour personnes âgées, les nombreuses résidences secondaires en région ou le manque de logement social.
Par ailleurs, l'étude de la Banque Nationale qui a lancé les débats sur l'immigration et le logement notait aussi une hausse disproportionnée de la croissance démographique comparativement aux mises en chantier d'habitation. Le problème serait donc que face à l'accroissement de la population mené par l'immigration, on manquerait de nouveaux appartements.
« On nous dit que quand on aura inondé le marché de nouveaux logements, les prix vont descendre. Pour l'instant, ce qu'on constate, c'est bien le contraire. »
Véronique Laflamme, FRAPRU
Mais la construction de nouveaux logements est-elle vraiment la réponse aux difficultés des locataires ?
En tout cas, à Montréal, « le taux d'inoccupation des appartements construits au cours des trois dernières années était plus élevé (4,2 %) que pour l'ensemble du marché », soulignait le rapport de la SCHL en 2022. Le rapport explique qu'une des raisons principales est le prix trop élevé de ces nouvelles habitations.
« On nous présente la mise en chantier comme la solution, on nous dit que quand on aura inondé le marché de nouveaux logements, les prix vont descendre. Pour l'instant, ce qu'on constate, c'est bien le contraire », exprime Véronique Laflamme, porte-parole du Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU).
Dans son plus récent rapport sur 2023, la SCHL notait aussi qu'à Montréal, le taux d'inoccupation est particulièrement faible quand on regarde les logements aux loyers les plus bas. Par exemple, seulement environ 1 % des logements se louant moins de 1 075 $ étaient vacants à la fin de l'année dernière.
Ainsi, même si la rareté des logements a un impact sur la crise, le vrai problème serait l'abordabilité des loyers, selon Véronique Laflamme.
Elle rappelle qu'entre 2021 et 2022, le loyer moyen avait augmenté de 8,9 % au Québec, et de 25 % depuis 2018, selon un rapport du FRAPRU basé sur le dernier recensement de Statistique Canada.
Le dernier état de la situation par la SCHL a confirmé que les loyers avaient encore bondi de 7,4 % au Québec entre 2022 et 2023.
La responsabilité du gouvernement
Selon Véronique Laflamme, pour faire face à cette crise des loyers, il faudrait prioriser la part du logement social dans le parc locatif, pour la doubler.
Or, récemment, pour la première fois, la part du logement social dans le marché a diminué, passant de 11,2 % à 10,1 % entre 2016 et 2021, selon une analyse du FRAPRU basée sur les chiffres de Statistique Canada. En ce moment, 40 000 ménages locataires sont sur liste d'attente pour un loyer modique, selon la porte-parole.
C'est que depuis les années 1990, le gouvernement fédéral s'est désengagé du financement de nouveaux logements sociaux. Depuis, le provincial a pris le relais pour maintenir la part de logements sociaux, mais sans jamais investir à la même hauteur qu'avant.
« Les politiques gouvernementales sont la cause de cette crise. »
Véronique Laflamme
Le gouvernement Legault peine à livrer les 16 000 logements qu'il a promis en 2018 à partir d'annonces qui avaient été faites par les gouvernements antérieurs, déplore Véronique Laflamme.
Ainsi, selon Geneviève Vande Wiele Nobert et Véronique Laflamme, les décisions politiques de ces dernières décennies sont les principales causes de la crise du logement.
« Ça fait des années que cette crise du logement se prépare. Les politiques gouvernementales sont la cause de cette crise. Si le gouvernement fédéral avait continué à financer le logement social à la même hauteur qu'il le faisait dans les années 1980, on aurait plus de 80 000 logements sociaux supplémentaires », résume la porte-parole du FRAPRU.
Victimes pointées du doigt
Bien que la hausse de l'immigration puisse faire légèrement pression sur la rareté des logements, pour les expertes, les nouveaux et nouvelles arrivant·es sont avant tout les victimes de cette crise.
« Les nouveaux immigrants sont ceux qui souffrent le plus de la crise du logement. Ce sont ceux qui se retrouvent le plus dans des logements délabrés et qui sont les plus sensibles à se faire abuser par les propriétaires », explique Véronique Laflamme.
Les demandeurs d'asile et les réfugié·es se retrouvent beaucoup plus en situation d'itinérance que d'autres groupes, selon la spécialiste en habitation.
En réponse à la lettre du premier ministre Legault envoyée à Justin Trudeau, le gouvernement fédéral a annoncé mercredi dernier que Québec recevra 100 millions $ de plus pour héberger temporairement les demandeur·euses d'asile afin d'éviter une situation d'itinérance.
Pour la porte-parole du FRAPRU, le gouvernement fait jouer un rôle de bouc émissaire aux immigrant·es, afin de trouver des coupables pour ses propres échecs. « On a l'impression qu'on a fait sortir l'immigration du chapeau en début d'année pour faire oublier les mauvaises décisions des derniers mois, surtout pour faire oublier la grogne face au projet de loi 31 », déplore Véronique Laflamme.
« Les immigrants deviennent les boucs émissaires sur le dos de qui on peut mettre tous nos problèmes sociaux. »
Geneviève Vande Wiele Nobert, chercheuse
De plus, pour Geneviève Vande Wiele Nobert, le gouvernement a un discours racialement chargé, même s'il ne veut pas se l'avouer. « On sait de qui on parle quand on parle de “trop d'immigration”. On ne parle pas du Français du Plateau Mont-Royal », dénonce-t-elle.
En 2022, les Français·es étaient classé·es au premier rang des nouveaux et nouvelles arrivant·es au Québec représentant 16 % de la population immigrante. Vient ensuite la Chine avec 9,9 % puis l'Algérie, l'Haïti et la Tunisie (entre 5 et 5,5 %). Ces statistiques mettent en évidence la valorisation des nouveaux arrivants francophones dans la sélection de l'immigration québécoise.
« Les immigrants deviennent les boucs émissaires sur le dos de qui on peut mettre tous nos problèmes sociaux. On l'a vu à l'époque avec l'emploi, maintenant c'est avec l'immigration », conclut la chercheuse.
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Des groupes de citoyens demandent à la Cour fédérale de réviser la décision d’autoriser un dépôt de déchets radioactifs en surface près de la rivière des Outaouais.

(Ottawa, le 8 février 2024) – Concerned Citizens of Renfrew County and Area, le Ralliement contre la pollution radioactive et le Regroupement pour la surveillance du nucléaire ont demandé hier la révision judiciaire d'une décision de la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN). Celle-ci a récemment autorisé la construction d'une installation géante de gestion des déchets radioactifs près de la surface (IGDPS), tout près de la rivière des Outaouais à 180 km d'Ottawa.
Les trois groupes reprochent à la Commission de sûreté nucléaire d'avoir autorisé cette décharge radioactive sans considérer plusieurs éléments essentiels :
• Les doses de rayonnement annoncées par le promoteur de cette installation dépasseront certaines limites prescrites par la réglementation canadienne et les normes internationales ;
• Le promoteur, les Laboratoires Nucléaires Canadiens (LNC), n'a pas fourni suffisamment de renseignements sur les déchets qui seront placés dans cette installation, si bien que son dossier de sûreté n'est pas fiable ;
• Un document-clé soumis par les LNC, intitulé Les critères d'acceptation des déchets, inclut une section de dérogation qui permettra de placer dans cette IGDPS des déchets plus dangereux que ne le permettent les critères d'acceptation officiels. Cette possibilité de dérogation rend illusoire toute garantie de sécurité ;
• Les processus prévus ne permettront pas de garantir que les déchets placés dans l'IGDPS sont conformes aux critères d'acceptation ;
• Les LNC ont omis de fournir des informations sur plusieurs autres projets voisins dont les impacts environnementaux s'ajoutent à ceux des déchets placés dans l'IGDPS ;
• Les LNC ont proposé comme mesure d'atténuation* d'installer un pipeline de déversement vers le lac Perch voisin, ce qui augmentera les rejets de tritium radioactif dans la rivière des Outaouais plutôt que de les diminuer ;
• L'habitat et les abris de plusieurs espèces protégées seront détruits par la préparation du site et la construction de l'IGDPS.
Selon cette demande de contestation judiciaire présentée à la Cour fédérale le 7 février, la décision de la CCSN est aussi déraisonnable parce que la Commission n'a pas émis de permis pour préparer l'emplacement et n'a pas procédé à l'évaluation nécessaire avant cette préparation de l'emplacement.
« À notre avis, la Commission commet une grave erreur en autorisant cette installation géante de gestion des déchets radioactifs à un kilomètre de la rivière des Outaouais », a déclaré Lynn Jones, de Concerned Citizens of Renfrew County and Area. « L'IGDPS durera à peine 550 ans alors qu'une grande partie des déchets qui y seront placés resteront dangereux et radioactifs pendant des milliers d'années. »
Les demandeurs sont représentés par Nicholas Pope de Hameed Law. Ils demandent une ordonnance qui obligera la CCSN à réévaluer sa décision de modifier le permis pour permettre la construction de l'IGDPS.
*Les mesures d'atténuation ont pour but d'éliminer, réduire ou contrôler un effet négatif du projet.
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Pour QS... Dans les tempêtes qui s’annoncent, garder à l’oeil la boussole de l’indépendance

Québec solidaire est-il à la croisée des chemins, au point de devoir revoir impérativement ses rapports avec ses frères ennemis péquistes, comme s'interroge Balint Demers (voir Les solidaires à la croisée des chemins) ? Ou au contraire doit-il persévérer et éviter à tout prix un tel scénario, synonyme au bout du compte de cul de sac politique, ainsi que le défend André Frappier (voir Le scénario proposé par le texte Solidaires à la croisée des chemins mènerait QS à l'impasse) ? Telle est, à travers ces deux points de vue opposés, l'alternative qui nous est présentée dans les pages de Presse-toi à gauche. Mais n'y aurait-il pas une autre voie à emprunter qui montrerait comment, dans les tempêtes sociales et politiques qui s'annoncent, la lutte pour l'indépendance pourrait nous servir d'indispensable boussole.
Le texte de Balint Demers a en effet le mérite de nous obliger à prendre du recul, en cernant quelques- unes des raisons qui, dans le cycle politique actuel, expliqueraient la remontée dans les sondages du Parti québécois et rendraient compte du regain de prestige que Paul Saint Pierre Plamondon a connu vis-à-vis de Québec solidaire et de son porte-parole masculin, Gabriel Nadeau Dubois. En ce sens Balint Demers a raison de rappeler que pendant que QS occultait « son indépendantisme », adoptait — comme il le dit « les idées de la gauche libérale états-unienne » et se focalisait sur un « électorat jeune et urbain », le PQ de son côté paraissait revenir « avec éclat à ses fondamentaux (...) l'indépendantisme et la social-démocratie », (...) tout en alliant « propositions tranchantes et rhétorique modérée sur des questions comme l'environnement, la démondialisation, l'immigration massive, la laïcité et les inquiétudes suscitée par le numérique » J'insiste ici : le mot « paraissait » n'est pas dans le texte de Balint Demers, je l'ai expressément rajouté, car on rencontre là une première difficulté : l'histoire nous a trop appris qu'il y a eu, bien souvent pour le PQ, un abîme entre ce qu'il prétendait faire (le dire de ses babines) et ce qu'il faisait effectivement (le pas de ses bottines). D'autant plus si on se souvient que, mise à part une courte période (1968-1976), « ses fondamentaux » (ainsi que les dénomme Balint Demers) ont plutôt été ceux de la souveraineté- association et du social-libéralisme (dès 1983), loin en tout état de cause des exigences de l'indépendance et d'une authentique social-démocratie.
Mais faire ces nuances ne veut pas dire pour autant que Balint Demers ne touche pas à quelque chose de fondamentalement juste : l'importance récurrente pour le peuple du Québec —et par conséquent pour tout parti de gauche du Québec— de la question nationale, et avec elle des luttes et aspirations pour la souveraineté et l'indépendance. Et cela, y compris dans une période socio-politique difficile comme la nôtre où il reste si ardu de rassembler activement de larges secteurs de la population autour d'une cause sociale commune. L'indépendance ne continue-t-elle pas, selon divers sondages, à rallier autour de 30 à 35% de la population ; ce qui à une époque de fragmentation manifeste des forces progressistes est loin d'être négligeable ?
Le contexte socio-politique empoisonné d'aujourd'hui
Car c'est d'abord à ce constat qu'il faut s'arrêter : depuis 20 ans (2003), et si on excepte dans le sillage du printemps Érable de 2012 le court passage au gouvernement de Pauline Marois du PQ (2012-2014) —passage teinté de néolibéralisme et de nationalisme identitaire— le Québec a été gouverné par des partis ouvertement de droite ou clairement néo-libéraux et peu ou prou fédéralistes : ceux du Parti libéral de Jean Charest (2003-2012), puis celui de Philippe Couillard (2014-2018), ceux enfin de la CAQ de François Legault (2018/2022, puis 2023/2026). Avec, en l'absence d'une gauche forte, toutes les conséquences funestes que ces politiques ont fini par produire sur la société québécoise ! Qu'il suffise de penser, comme exemple par excellence, à l'état de délabrement actuel du système de santé publique, ou encore en termes culturels aux difficultés grandissantes que connaît le français pour s'imposer comme langue officielle !
Au Canada, des constats similaires pourraient être faits, puisqu'on assiste à cette même et lente montée des forces de droite ou d'extrême droite, mâtinée cependant à l'encontre des années conservatrices de Harper (2006-2015), par les politiques plus libérales des gouvernements Trudeau (2015/2019- 2019/2023), fortement questionnées cependant aujourd'hui par la remontée en force dans les sondages du conservateur Pierre Poilièvre,
Il se profile donc –en synthonie avec ce qui se passe partout ailleurs (Europe, USA, Asie, Amérique latine, etc).— des dangers socio-politiques majeurs (incarnées par la victoire possible et surréaliste de Donald Trump aux prochaines élections présidentielles des USA !) qui exigeraient de la part de la gauche, des stratégies susceptibles d'être à la hauteur de tels défis. Quelle boussole dès lors pourrait- elle se donner au Québec ?
Les échecs de la gauche On le sait, au Québec comme ailleurs, les mouvements sociaux et les partis politiques de gauche n'ont pas manqué de rappeler comment ces politiques de droite récurrentes –distillant sexisme, racisme et idées conservatrices— était dangereuses en termes d'acquis sociaux, de démocratie ou de préservation de l'environnement, et les uns et les autres n'ont pas arrêté de les dénoncer haut et fort. Mais il faut le reconnaître, sans grand succès jusqu'à présent, plutôt même sur le mode de l'échec : comme si elle n'arrivait pas à mettre le doigt sur sur les sources profondes de cette remontée de la droite et de l'extrême droite, ni non plus sur ces caractéristiques principales, et encore moins sur les remèdes qu'on devrait y apporter.
Et à ce propos il y a peut-être un phénomène auquel on n'a pas assez prêté attention : fruit d'une multitudes de crises combinées (économiques, sociales, politique, culturelles, sanitaires, technologiques, géopolitiques, etc.), stimulées et exacerbées par les logiques du marché capitaliste néolibéral globalisé, cette montée de la droite et de droites extrêmes est portée par « un air du temps » où, comme l'écrit Roger Martelli [1] dominent l'incertitude, l'inquiétude et le ressentiment, la peur d'un monde instable, de rapports de force incertains, de sociétés disloquées et violentes où les hordes du « eux » menacent en permanence les équilibres vertueux du « nous ».
En fait c'est en jouant systématiquement sur des sentiments collectifs diffus, faits d'insécurité, de désorientation, d'exaspération et de cynisme et renvoyant à la dangerosité du monde actuel, que la droite a gagné ces dernières années du terrain sur la gauche. Et c'est en présentant un projet politique rassurant à ce sujet — par exemple en désignant à la vindicte publique des bouc-émissaires faciles comme les immigrants, en réaffirmant l'importance de l'identité nationale ou encore celle de pouvoir contrôler ses frontières en établissant des murs— que la droite et l'extrême droite ont pu se tailler la place qu'elles occupent d'ores et déjà aujourd'hui sur la scène politique du Canada comme du Québec.
Se porter à la hauteur des peurs et exaspérations d'aujourd'hui
Et si la gauche voulait reprendre le dessus sur la droite, redevenir une force de proposition déterminante pour l'avenir, elle devrait nécessairement prendre en compte les données de ce contexte ainsi que l'importance décisive de ces sentiments d'angoisse collective. Mais évidemment point pour céder à leur sirènes, ou les exacerber plus encore (comme tend à le faire trop souvent Paul Saint Pierre Plamondon ces derniers temps !).
Mais au contraire pour faire écho et répondre à ces exaspérations et désorientations qu'expriment de larges secteurs de la population du Québec, en les prenant à bras le corps et en leur offrant le débouché rassurant d'un projet politique global, positif et mobilisateur, centré dans le cas du Québec, sur la marche à l'indépendance et susceptible ainsi de canaliser positivement tant de forces vives en déshérences (ce que jusqu'à présent QS n'a pas osé le faire, notamment au moment de la pandémie !).
Il s'agit donc de la proposition d'un projet politique global qui, comme le rappelle l'historien français Patrick Boucheron [2] après la tuerie de Charlie Hebdo en France, viserait à « s'aérer ensemble », c'est-à- dire à transmuer cette peur collective diffuse poussant au repli sur soi et à la défense identitaire, en une énergie transformatrice et positive, une énergie citoyenne susceptible de s'attaquer aux sources véritables de nos malaises et mal-être contemporains : les inégalités socio-économiques et malaises culturels générés par le capitalisme historique.
On pourrait aussi présenter cette proposition comme un projet qui, comme le dit Roger Martelli, ferait entendre « le grand récit d'une société rassemblée et apaisée par l'égalité, le respect de chacune et de chacun, la citoyenneté, la solidarité et la sobriété ». En somme il s'agirait de se mettre plus en phase avec les mal-êtres et exaspérations souterraines qui taraudent la société québécoise et particulièrement ses classes subalternes et populaires, tout en mettant résolument de l'avant, un grand récit politique émancipateur, le projet d'une marche mobilisatrice et participative vers l'indépendance.
Telle pourrait être une des idées clef qui aujourd'hui pourrait stimuler les forces indépendantistes et les aider à s'orienter en ces temps difficiles ainsi qu'à reprendre le dessus sur la droite. Au-delà des rêves de souveraineté et « d'être maitre chez nous » que le projet d'indépendance a suscités dans les années 1960-1970-1980 ; au-delà de la volonté de reconquérir le droit à l'auto-détermination de tout un peuple à l'encontre d'un fédéralisme canadien structuré autour des intérêts économiques des lobbies miniers et pétroliers de l'axe Calgary/Toronto ; au-delà de la nécessité de disposer de ses propres leviers politiques pour accoucher en Amérique du Nord d'une société culturellement francophone, mais foncièrement plus égalitaire et plus respectueuse de ses premiers habitants autochtones, comme de ses nouveaux arrivants et des territoires qu'elle occupe, il faudrait aussi pouvoir ré-apprendre à faire concrètement communauté politique autour d'un projet de pays égalitaire que l'on co-construirait ensemble. Et cela, en nous aidant du même coup à faire barrage au Québec à la montée si inquiétante de la droite et de l'extrême-droite.
De nouveaux rapports avec le PQ ?
Mais dire cela nous impose, comme l'évoque Balint Demers, d'oser faire évoluer nos rapports avec le PQ de Paul Saint Pierre Plamondon. Plus qu'un frère ennemi, il devrait être dorénavant considéré, certes comme un adversaire politique coriace, mais en même temps comme un adversaire particulier avec lequel nous partageons le rêve d'un pays à construire, et d'un pays qui ne pourra advenir que si on devient capable de remobiliser avec l'aide de multiples forces, un vaste mouvement social et politique autour d'une nouvelle marche à l'indépendance.
Évidemment un tel projet appelle à des échanges, à des débats « confrontationnels », à ce qu'on pourrait appeler une bataille pour l'hégémonie, notamment sur la façon dont on peut concrètement concevoir cette indépendance (le projet de société qu'elle porte, etc.) et la mettre en marche (le rôle d'une constituante, de la démocratie participative, de la mobilisation citoyenne et extra-parlementaire, etc.), en faisant apparaître tout ce qui peut nous opposer, mais aussi tout ce à travers quoi -par le débat et des expériences de luttes communes— on peut éventuellement finir par se rejoindre (ce sur quoi QS a été particulièrement silencieux).
Un tel projet appelle aussi évidemment, et en tout premier lieu, à des campagnes de mobilisations sociales élargies de manière à remettre en mouvement l'ensemble de la société civile d'en bas du Québec (ce que le PQ a bien souvent eu tendance à oublier). Il appelle enfin à discuter —au moment opportun et en fonction de perspectives stratégiques favorables à un tel projet — d'un agenda politique et électoral, et bien sûr (-oh sacrilège !—) des alliances conjoncturelles possibles, mais toujours dans la perspective de ce qui peut concrètement relancer la mobilisation sociale, faire avancer ce projet de marche vers l'indépendance, le remettre définitivement en mouvement.
En ce sens plus qu'à la boussole d'un souverainisme de gauche -comme le conseille Balint Demers, par trop enfermé dans une analyse purement électoraliste des rapports de force entre QS et le PQ— c'est à celle d'un indépendantisme (liée à celle de l'avénement d'une république sociale) auquel QS devrait se référer à l'avenir, en s'y tenant coûte que coûte ! Ne serait-ce que pour faire échec à, et contrebalancer toutes les tentations auxquelles le PQ— de par le poids ses propres traditions historiques— pourraient si facilement succomber.
Et dans ce sens, c'est à une véritable bataille dans laquelle QS s'engagerait s'il décidait d'embrasser sans faux-fuyant le projet stratégique de l'indépendance et de sa république sociale. Une bataille de tous les instants qu'il aurait à mener, bien sûr contre la droite, l'extrême-droite aux velléités fascisantes et les fédéralistes de tous genres, mais aussi contre les penchants nationalistes identitaires, les tendances néolibérales ou social-libérales du PQ.
Il n'en demeure pas moins qu'adopter une telle orientation change tout, car il devient possible ainsi d'imaginer remettre en mouvement quelques-unes des plaques tectoniques de la politique québécoise, enserrées depuis plus de 20 ans dans des orientations clairement figées à droite, et auxquelles viennent se heurter en vain des oppositions fragmentées et toujours impuissantes.
Et ici plutôt que de craindre ou d'appréhender les risques d'une telle stratégie (comme le fait le texte d'André Frappier), des risques évidents, mais qui, si nous les affrontons avec la lucidité et tous les moyens dont nous disposons, nous ouvrent en même temps à la possibilité de redonner force et vie, non seulement à la cause indépendantiste, mais aussi à un mouvement social et politique susceptible enfin de mettre un holà à la montée de la droite et de l'extrême droite.
Le pari n'en vaut-il pas la chandelle ?
Pierre Mouterde
Sociologue, essayiste
Québec le 12 février 2024

Quand Amazon fait peur au monde…

On avait entendu parler des pratiques déloyales d'Amazon à l'endroit des travailleuses et des travailleurs ailleurs dans le monde. On ne peut tolérer qu'Amazon se comporte de la même façon au Québec.
La présentation de la preuve s'étant conclue ce matin, les plaidoiries finales ont été lancées, cet après-midi à Montréal, dans le cadre d'une plainte déposée par la CSN contre la multinationale Amazon pour ingérence et entrave à la campagne de syndicalisation qui y est menée. Le juge Henrik Ellefsen prendra par la suite la cause en délibéré.
À compter de mai 2023, fait valoir la CSN dans sa plainte au Tribunal administratif du travail, il est devenu impossible pour le personnel du centre de distribution YUL2 d'Amazon de prendre une pause, de manger son repas ou d'aller aux toilettes sans être bombardé de messages de l'employeur : « Protégez votre signature : une carte syndicale est un document juridique », indiquent ceux-ci.
« Protégez votre signature : vous n'avez pas à fournir vos renseignements personnels », clament d'autres affiches. « Parlez à vos dirigeants pour en savoir plus », enjoignait la direction à ses travailleuses et ses travailleurs… alors qu'une campagne de syndicalisation était activement menée. « Vous avez le droit de ne pas signer une carte », précisaient de nombreuses affichettes.
« Bien sûr qu'Amazon tente de faire peur au monde ! », plaide la présidente de la CSN, Caroline Senneville. « Quel est l'intérêt d'ajouter des icônes d'empreintes digitales sur leurs affiches ? Quel est l'objectif en martelant sur chacune d'elles : “Protégez votre signature, protégez votre signature”, quand le Code du travail prévoit justement que c'est en faisant signer des cartes de membre qu'on met sur pied un syndicat au Québec ? »
Pour Caroline Senneville, il est clair qu'Amazon tente d'effrayer des employé-es, dont la très grande majorité est issue de l'immigration.
« Parmi les employé-es d'Amazon, on compte des réfugié-es politiques, des immigrantes et des immigrants à statut précaire, dont plusieurs parviennent à peine à comprendre le français, encore moins le cadre légal qui prévaut au Québec et qui prévoit justement la protection des travailleuses et des travailleurs qui désirent se syndiquer », souligne la présidente de la CSN.
« On avait entendu parler des pratiques déloyales d'Amazon à l'endroit des travailleuses et des travailleurs ailleurs dans le monde. On ne peut tolérer qu'Amazon se comporte de la même façon au Québec, alors que nos lois interdisent justement ces tentatives d'intimidation à l'endroit des salarié-es », conclut la dirigeante syndicale.
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