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Le logement n’est pas une marchandise

L'an dernier, dans son éditorial de juin 2021, le collectif d'À bâbord ! s'insurgeait contre la déplorable situation du logement. Notre éditorial décriait le manque de volonté politique pour s'attaquer de front à cette crise majeure dont les impacts sont considérables. Un an plus tard, force est de constater que la situation s'est lourdement détériorée et qu'il faut de nouveau s'indigner devant la réalité du logement au Québec et l'attentisme du gouvernement.
En une année, l'insalubrité a gagné du terrain, le prix des loyers s'est accru de manière abusive et la pénurie de logements accessibles ne s'est pas résorbée. Toutes les régions du Québec sont perturbées par cette crise et affichent parfois un taux de vacance voisin de 0 %.
De plus, le manque criant de logements sociaux force les personnes et les familles les plus vulnérables à demeurer dans le marché privé. Après des années à sous-financer Accèslogis, principal programme de développement public de logements sociaux, le gouvernement actuel de la CAQ a fait le choix de se concentrer sur le logement dit abordable, allant jusqu'à ouvrir la porte au financement de développeurs privés. Après des décennies de partenariat public-privé, il aurait dû savoir que laisser un droit fondamental dans les mains du marché privé ne fait jamais bon ménage avec les conditions de vie des collectivités. Or, ces logements dits abordables seront loin de répondre aux besoins criants des ménages locataires les plus vulnérables, pour qui un logement, serait-il légèrement en dessous de la valeur marchande, est carrément inaccessible. Transférer les maigres fonds qui servaient à bâtir du logement social aux promoteurs immobiliers qui ont provoqué cette crise et en ont profité serait proprement scandaleux.
Tout cela se passe dans un contexte d'inflation économique dans lequel les hausses de loyers se superposent à l'augmentation des coûts de l'alimentation et du transport. De plus en plus de ménages locataires doivent allouer la moitié de leurs revenus au seul logement. Cela génère des fins de mois plutôt maigres et nombreuses sont les conséquences : d'un point de vue individuel, le quotidien devient ardu ; d'un point de vue social, les communautés s'étiolent, entraînant un délitement du tissu social. Avoir un toit sur sa tête et la capacité de le payer garantit à chacun·e l'accès aux services, par exemple à l'eau ou à la scolarisation, mais assure aussi un accès aux ressources communautaires et un ancrage dans la collectivité. Un logement stable conditionne en effet notre attachement à notre territoire, ce qui pousse en retour à s'y impliquer au sens large : porter les sacs d'une voisine que nous connaissons depuis 15 ans, faire du bénévolat dans l'organisme du coin, lutter pour une cause touchant directement notre milieu de vie. Sans une stabilité sur le plan du logement, l'engagement dans nos collectivités est grandement affaibli, voire inexistant. Cette crise du logement menace donc directement la vitalité et la solidarité dans les quartiers et les communautés.
Il est temps de considérer le logement comme un droit et non comme une marchandise. Il est urgent de briser la primauté du droit du propriétaire sur le droit fondamental à pouvoir vivre dignement. Il fallait déjà lutter énergiquement pour assurer un semblant d'équité dans nos sociétés lorsque la situation économique était stable et la planète toujours viable. Dans le contexte de crise économique et écologique qui nous attend, une stabilité en matière de logement compte parmi les meilleures stratégies pour parer aux chocs. À quand un réel engagement pour socialiser la majorité du parc immobilier au Québec ? En attendant, un contrôle immédiat des loyers est requis pour faire face aux offensives des propriétaires immobiliers privés ainsi qu'aux chamboulements qui nous attendent dans les prochaines années.

Pierre Beaudet. Un rebelle visionnaire

Pierre Beaudet a été la principale force motrice derrière le mouvement de solidarité internationale au Québec et, plus tard, l'un des acteurs clés du mouvement au niveau mondial.
À preuve, le rôle qu'il a joué dans la lutte anti-apartheid. À mes débuts à ses côtés, en 1984, il poursuivait un objectif clair et ambitieux : développer le mouvement contre l'apartheid sud-africain au Québec, joindre nos forces à celles du Canada anglais et enfin, amener le gouvernement fédéral à modifier sa politique vis-à-vis l'Afrique du Sud et les pays voisins. Ce qui fut fait, avant que Mandela ne soit libéré en 1990.
Comme le dit notre camarade sud-africain Dan O'Meara, Pierre était le plus grand analyste et stratège du mouvement anti-apartheid au Canada. Il savait expliquer clairement les conflits les plus complexes, les mécanismes néocoloniaux d'exploitation et de domination, mais aussi les possibilités réelles de s'en libérer.
Il était également doué pour convaincre et mobiliser un large éventail d'acteur·trices autour de revendications et d'actions communes. Ainsi, nous sommes plusieurs à avoir appris de lui à militer dans un esprit de concertation, sans sectarisme ni centralisme, avec les syndicats, les communautés noires, le mouvement étudiant, les groupes de femmes, les organisations religieuses, les centres de solidarité, les organismes de coopération, les député·es, etc. Ainsi fut transformée, pas à pas, la politique étrangère et commerciale du Canada, sous un gouvernement conservateur !
Pierre était le visionnaire d'un autre monde, mais aussi un être extraordinairement inventif pour tracer le chemin afin de s'y rendre. Des défis financiers et des tensions énormes surgissaient entre les composantes du mouvement. Contre vents et marées, il continuait à avancer, tout en pestant après les timoré·es. Doté d'une capacité de travail hors du commun, il n'était pas toujours facile à côtoyer au quotidien, mais pour les internationalistes, la côte était raide, alors que les grands joueurs du business de « l'aide au développement » avaient, eux, le vent en poupe !
Rebelle créatif, il sortait donc de sa manche un nouveau projet après l'autre, tel un magicien. Toujours dans l'esprit de tisser des liens entre les réseaux visant la transformation sociale, il choisissait les interlocuteur·trices avec soin : syndicats indépendants, féministes africaines, leaders étudiants, chefs religieux, mouvements communautaire et coopératif, etc.
Cela n'était pas toujours vu d'un bon œil par nombre d'organisations canadiennes qui auraient bien voulu qu'on se contente de relayer la ligne officielle des mouvements de libération. Or, Pierre savait déjà ce que d'autres n'admettraient que trop tard : sans la vigilance et la pression des mouvements sociaux, toute organisation politique peut être corrompue ou cooptée une fois au pouvoir. Audacieux et indépendant, mais toujours fin stratège, il organisait donc aussi des rencontres avec les leaders politiques. C'est par ce savant dosage tactique que des changements peuvent survenir, a-t-il démontré.
Pierre était un être brillant, créatif et très persévérant. Il avait certes ses moments de découragement, mais il n'abandonnait jamais. Il disait : « Quand vous vous battez, vous n'êtes pas certain de gagner. Mais si vous ne le faites pas, vous êtes sûr de perdre. »
Photo : montreal1970 (Wikimedia Commons)

Dix ans à se battre contre les radios-poubelles

La coalition Sortons les radios-poubelles souffle ses dix bougies ! Apparu dans le contexte de la grève étudiante, notre groupe clandestin n'a jamais cessé de mener la vie dure aux populistes de la radio à Québec. Ce faisant, nous avons appris beaucoup.
Depuis le début, la coalition montre, à l'aide d'exemples précis, de citations et d'extraits audio, l'influence de la radio-poubelle sur les enjeux sociaux locaux et invite la population à porter plainte auprès de diverses instances.
Risques importants
En publiant nos premiers articles en 2012, on a très vite senti la chaleur. En 2013, deux individus sont poursuivis par RNC Media, propriétaire de Radio X, pour avoir osé critiquer publiquement cette station sur Facebook. L'un d'eux, Jean-François Jacob, perd son emploi chez Desjardins Assurances après un simple coup de fil de Patrice Demers, patron de CHOI. Il sera traîné dans la boue par les animateurs, et des fanatiques de Radio X iront lancer des projectiles dans la fenêtre de son domicile. Il quittera Québec le lendemain pour ne jamais revenir. La poursuite se réglera à l'amiable et Radio X ne sera jamais blâmée pour quoi que ce soit.
Cet épisode va cimenter notre détermination à protéger notre anonymat.
En 2019, Jean-François Fillion annonce en ondes et sur les réseaux sociaux qu'il offre 1000 $ de prime pour avoir des infos sur nous, et en juin 2021, RNC média fait une gentille injonction « juste pour avoir notre identité de rien du tout et pas du tout pour nous intimider ».
C'est important de rappeler tout ça, parce qu'il y a encore des gens, dont des journalistes, qui banalisent les risques que courent les personnes qui critiquent la radio-poubelle.
Vie et mort des radios-poubelles
Des stations peuvent commencer à faire de la radio-poubelle ou cesser d'en faire. Quand Sortons les radio-poubelles a commencé son travail, il y avait deux radios-à-problèmes à Québec : Radio X (Jeff Fillion, Dominic Maurais, etc.) et le FM٩٣ (Sylvain Bouchard, Stephan Dupont, etc.).
Puis, lorsque de brillants esprits montréalais chez Bell ont eu l'idée, en 2014, de sortir Jeff Fillion de sa webradio de sous-sol pour lui confier le micro de NRJ (!) et sa propre émission de télé (!), le marché s'emballe et on se retrouve avec quatre radios-poubelles sur les bras : Radio X, FM93, BLVD et NRJ, toutes inspirées par la trash radio étatsunienne. Du jamais vu en 20 ans.
Dire que plusieurs croyaient la radio-poubelle morte.
C'est à ce moment que l'ex-ministre Nathalie Normandeau, personne la plus citée dans le rapport de la Commission Charbonneau, commence sa carrière à la radio en coanimant une émission avec Éric Duhaime au FM93. Duhaime venait de mettre fin à un flop éphémère de Radio X à Montréal. En 2016, Normandeau ira chez BLVD. André Arthur, le « roi des ondes », fera un bref retour au micro de 2016 à 2018, d'abord à Radio X, puis chez BLVD. Congédié par Bell en 2016, Jeff Fillion se retrouvera chez Radio X peu après.
Finalement, le marché (merci la main invisible !) reprend ses droits. André Arthur est congédié de BLVD en 2018, Normandeau quitte son poste d'animatrice à cette même station en 2019, tandis que le FM93 s'assainit avec le départ d'Éric Duhaime et de Pierre Mailloux et un changement de ton chez Sylvain Bouchard.
Remarquez le système de porte tournante qui envoie des animateur·trices rejoindre d'autres stations. Malgré des changements apparents, on entend toujours les mêmes voix.
Tout ça pour dire qu'aujourd'hui, il ne reste plus qu'une seule radio, toujours la même, sous notre veille : Radio X.
Initiatives citoyennes
Deux mouvements anti-radio-poubelle sont dignes de mention :
Pour des ondes radiophoniques saines
En 2015, 85 organismes de la région de Québec signent la déclaration Pour des ondes radiophoniques saines. La lettre condamne le « discours haineux et discriminatoire » à la radio. Toute une opération, considérant les intérêts divergents des signataires.
Entre un organisme de défense des droits du centre-ville et une Maison des jeunes de Stoneham, en banlieue boisée, l'intérêt commun a néanmoins fait son chemin.
Sylvain Bouchard réplique aussitôt par une attaque en règle contre Centraide, qui finance plusieurs des groupes signataires. L'expérience n'ira pas plus loin. Qui veut être tenu responsable d'avoir mis en péril le financement, et donc l'existence même, de son organisme ?
Liberté d'oppression
En 2021, un groupe de personnalités publiques lance Liberté d'oppression, une initiative pour s'opposer à la haine propagée sur les médias traditionnels (radios ou journaux). En une semaine, le groupe récolte 10 000 signatures.
Une initiative bottom-up et une autre top-down. On ne pourra pas dire que tout n'a pas été essayé pour arrêter la radio-poubelle.
Reconnaissance
En 2015, l'ex-journaliste, professeure à l'Université Laval et ex-candidate péquiste Dominique Payette publie un rapport sur le climat de peur entretenu par la radio-poubelle. C'est l'occasion d'une belle libération de la parole, qu'elle paiera chèrement. Elle sera piétinée sans ménagement par des membres sa propre famille politique, Agnès Maltais et le chef du Parti Québécois de l'époque lui-même, Pierre-Karl Péladeau. Courageuse et déterminée, Mme Payette répliquera avec un livre sur la radio intitulé Les brutes et la punaise qui est dédicacé à la Coalition. Une formidable reconnaissance.
En 2022, l'ex-directeur de l'info à Radio-Canada Alain Saulnier cosigne une lettre d'appui à la Coalition. La lettre déplore l'intimidation de RNC Media ayant conduit à la fermeture de la page Facebook de la Coalition. Notre travail est aussi cité dans l'essai La collision des récits de Philippe de Grosbois.
Ces appuis sont à la fois fort inattendus et précieux.
En dix ans, il y a une sorte de crescendo de la reconnaissance et des appuis. Au début de notre présence sur Twitter, on prêchait vraiment dans le désert. Puis, petit à petit, beaucoup d'allié·es nous ont rejoints au point qu'aujourd'hui, plusieurs personnes critiquent ouvertement la radio-poubelle de la même façon. Ça, c'est super.
Dans les médias
Nombre de médias, de journalistes, et d'expert·es nous suivent avec discrétion. Plusieurs journalistes nous observent un peu de loin, comme une bête curieuse. Certains utilisent les extraits audio que nous avons récupérés, sans nous citer. Pourtant, ils sont bien contents de retrouver, par exemple, cette fameuse citation d'Éric Duhaime à propos de la tête de porc ensanglantée jetée devant une mosquée, quelques semaines avant l'attentat. « Une bonne blague », selon lui.
Eh, on ne va pas se plaindre : le but, c'est que ces archives circulent !
Il y a aussi des journalistes qui préfèrent se taire. Beaucoup trop de journalistes locaux font comme si la radio-poubelle n'existait pas.
À l'inverse, Karine Gagnon a tout notre respect, elle qui non seulement se tape le harcèlement de Jeff Fillion, mais qui s'est aussi mérité une poursuite après avoir traité Éric Duhaime de conspirationniste. Une vraie tough. Chapeau.
Il ne suffit pas de dénoncer
Au début, on croyait qu'il suffisait de dénoncer et de faire circuler les propos inacceptables pour que le château de cartes s'écroule. Ce qu'on a vite réalisé, c'est que les gens s'accommodent très bien de ce flot de haine.
Lorsqu'en 2014, l'animateur Carl Monette parle d'abattre d'« une balle dans le front » ou de gazer certaines catégories de criminels, il ne suscite pas la moindre réaction d'indignation chez des gens ayant pourtant comme profession d'être perpétuellement outrés.
Est-ce que la radio est trop violente ou est-ce que c'est nous qui sommes trop sensibles ?
Prenez Bernard Drainville. Il dégage une aura de bon père de famille rassurant. Mais quand on prend le temps de l'écouter, on se rend bien compte qu'il tient des propos frôlant l'extrémisme. La violence est tamisée.
Les propos de Duhaime sur la tête de porc ensanglantée n'ont suscité aucune réaction au moment où ils ont été prononcés. C'est seulement après l'attentat contre la mosquée de Québec que ça s'est mis à tourner. Ça a pris 6 morts et 19 blessés.
Si Radio X est toujours là après 25 ans, c'est qu'elle sait très bien où se situe la limite de la fenêtre d'Overton, ce qui passe et ce qui ne passe pas, politiquement. Elle s'y cantonne et engrange les profits. Les animateurs, et surtout les propriétaires, ne sont pas des idiots.
Mais les temps changent. Avant la pandémie, aucun·e politicien·ne n'osait critiquer la radio-poubelle. Aujourd'hui, il y a Catherine Dorion, Jackie Smith, Claude Villeneuve. Il y a une volonté de briser l'omerta.
Et qui l'aurait cru, nous avons eu un beau cadeau pour notre dixième anniversaire : Jeff Fillion annonce quitter Radio X pour retourner se planquer dans sa webradio de sous-sol ! Merci, merci, c'est trop !
Illustration : Ramon Vitesse

La fine frontière entre investigation et complotisme

Quand quitte-t-on le questionnement légitime sur les rouages du pouvoir pour verser dans la recherche disjonctée d'un ordre occulte gouvernant secrètement nos existences ?
La distinction est plus complexe à opérer qu'il n'y paraît, parce que la logique investigatrice et la logique complotiste ont de nombreux points en commun. Les conspirationnistes ne sont pas les seul·es à « faire leurs recherches » : les journalistes et les scientifiques le font aussi. Dans tous ces cas, on travaille à partir d'informations ou de données parfois intrigantes, voire déroutantes, auxquelles on cherche à donner un sens.
Les apparentes similitudes entre science, journalisme et complotisme sont d'autant plus troublantes lorsque ces regards se penchent sur le pouvoir ainsi que les lieux et procédés à travers lesquels il s'exerce. Cette investigation est généralement motivée par le désir de mettre en lumière des mécanismes et processus déterminants, mais qui échappent aux regards peu attentifs. Toutes ces démarches sont animées par un idéal : celui de dépasser les évidences trompeuses, de faire avancer la connaissance et d'informer la population, dans l'espoir que celle-ci prenne de meilleures décisions.
Malgré ces ressemblances frappantes, il est possible d'établir des distinctions entre une investigation rationnelle et une quête fabulatrice. Le discours dominant à l'heure actuelle insiste beaucoup sur l'importance de certaines qualités individuelles pour ce faire (comme le dit la populaire formation sur les médias, il faut prendre « ٣٠ secondes avant d'y croire » : vérifier la source d'une information, évaluer sa crédibilité, ou autrement dit... faire ses recherches !). Il est vrai qu'un esprit investigateur posé sait non seulement douter des évidences apparentes, mais dispose aussi de la capacité d'accepter des faits venant contredire ses intuitions et valeurs. Tout cela suppose humilité et capacité d'adaptation.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la recherche d'information et de connaissances est aussi une démarche collective. Même les personnes dotées de la plus grande ouverture et des capacités analytiques les plus poussées ont leurs angles morts ; c'est pourquoi des balises institutionnelles sont également essentielles. En d'autres termes, ce qui amène des individus à déraper vers le complotisme, ce n'est pas forcément le manque d'éducation, la paresse ou de faibles facultés cognitives, mais souvent le manque de garde-fous collectifs venant jeter un éclairage critique sur les réflexions individuelles, comme la rétroaction des pair·es, par exemple.
Ce retour critique ne doit pas être confondu avec le fan club que des intervenant·es peuvent développer, et qui peut au contraire les mener dans une voie aux conclusions de plus en plus fantasmagoriques. À cet égard, il est frappant de constater que plusieurs leaders complotistes contemporain·es sont issu·es d'une certaine culture du vedettariat. On y trouve notamment des artistes dont la carrière semble sur le déclin, mais aussi des influenceur·euses qui sont d'abord intervenu·es dans d'autres domaines (la croissance personnelle, la comptabilité, etc.). On peut donc supposer que la recherche d'attention, de validation et de revenus par la performance prend le dessus sur la quête plus posée de la vérité, d'autant plus que l'expérience médiatique a permis de développer des habiletés supplémentaires pour sortir du lot.
Médias sociaux et médias traditionnels
Le renforcement par les fans est présent tant dans les médias dits traditionnels que sociaux, mais ces derniers instaurent une dynamique passablement inédite, notamment parce qu'elle donne à un nombre inédit de personnes l'opportunité de cultiver un public de fidèles. Dans un écosystème médiatique où la distinction entre émetteurs et récepteurs s'embrouille, il devient même plus difficile de départager qui propage et qui ingère la thèse complotiste. Un exemple particulièrement fort – et tragique – de ce phénomène est celui de Bernard Lachance. Chanteur ayant brièvement percé aux États-Unis, Lachance a adhéré à des thèses conspirationnistes sur les pharmaceutiques après avoir attrapé le VIH. Encouragé à refuser sa médication par des « thérapeutes » charlatans, il a développé un auditoire important sur YouTube avant de décéder de la maladie en mai 2021 (son compte YouTube a depuis été supprimé).
Le cas de Lachance, à la fois manipulé et manipulateur, illustre bien le concept de propaganda feedback loop, ou boucle de rétroaction propagandiste, développé par Yochai Benkler, Robert Faris et Hal Roberts (référence en encadré). Selon ces chercheurs, une communauté médiatique et politique glisse dans une réalité alternative par la contribution de plusieurs acteur·trices : politicien·nes de droite dure, médias démagogues et auditoire/électorat ont tou·tes un rôle actif. Ils et elles entretiennent la boucle et se renforcent mutuellement dans leurs convictions délirantes.
Au-delà des médias sociaux, il est clair que les balises institutionnelles que se sont données les milieux scientifique et journalistique limitent grandement ces risques de dérapage. Cependant, ces digues ne sont pas à toute épreuve. Des effets de conformisme de groupe peuvent se développer si de nombreux membres du milieu partagent les mêmes biais en raison de leurs origines sociales et économiques, par exemple. Aussi, et plus spécifiquement dans le cas du journalisme, puisque les médias d'information sont davantage intégrés à une logique capitaliste d'accaparement de l'attention, cela peut inciter à assouplir les normes et à accélérer les procédures de contre-vérification au profit d'une logique sensationnaliste. C'est ainsi que Christian Rioux et Mathieu Bock-Côté peuvent sans problème développer leurs thèses complotistes sur le péril islamiste ou le grand remplacement sans être sérieusement embêtés, puisqu'ils génèrent des clics (et donc, des revenus) pour les médias qui les emploient.
Autrement dit, il serait trop simple et trop confortable de distinguer l'investigation du complotisme en se disant : si on est journaliste, scientifique ou universitaire, on est dans l'investigation ; et si on est youtubeur ou militante, on est à risque de complotisme.
Le complotisme centriste, ce grand oublié
De la même manière, il n'est pas satisfaisant de se représenter le complotisme comme un phénomène qui germe uniquement aux extrêmes (de gauche ou de droite). Selon le lieu commun actuellement en vogue, notre époque est caractérisée par la polarisation. Ce mot-valise extrêmement vague sous-entend que le centre politique serait le gardien de la modération, du pragmatisme et de la rationalité, et que le conspirationnisme serait le problème de marges radicalisées, promues de manière disproportionnée par les algorithmes des médias sociaux.
Le concept de polarisation tend à suggérer que le centre ne pourrait jamais être radicalisé ou déraper vers le complotisme. Pourtant, plusieurs exemples nous montrent que les choses ne sont pas si simples. Il y a à l'heure actuelle plusieurs complotismes socialement acceptables, mis de l'avant tant par des médias dits respectables que par des acteur·trices politiques majeur·es. Suite à l'élection de Donald Trump en 2016, plusieurs médias ont entretenu l'idée non seulement que la Russie était intervenue dans la campagne présidentielle (ce qui est avéré, bien que les sommes investies sur les médias sociaux semblent plutôt minimes), mais aussi que Vladimir Poutine contrôlait Trump comme une marionnette. En effet, des médias d'envergure laissaient entendre que Poutine avait en sa possession un pee tape : en 2013, Trump alors en visite à Moscou, aurait demandé à deux femmes d'uriner sur le lit d'une chambre d'hôtel où les Obama avaient déjà dormi. Tout cela aurait été filmé par les services secrets russes, permettant à Poutine de contrôler Trump. L'animatrice vedette de MSNBC Rachel Maddow y a consacré un segment de 12 minutes, sans jamais offrir de preuve tangible (référence en encadré).
Plus près de nous, la longue saison de la chasse au « wokisme » me semble un autre cas exemplaire. Une large part du discours ambiant sur cette question peut se résumer ainsi : nos institutions (particulièrement l'université et les médias), qui tentent d'offrir des débats rationnels et ouverts sur tous les sujets, sont menacées par des militant·es nourri·es par des thèses liberticides états-uniennes et non occidentales et qui ont réussi à berner, voire intimider des gestionnaires complaisant·es. Des cas anecdotiques ou exagérés (une manifestation devient une tentative d'annulation, par exemple) issus de revendications de personnes racisées sont transformés en menace à la bonne marche de l'idéal civilisationnel occidental. La fameuse thèse complotiste selon laquelle « on ne peut plus rien dire » suggère que plusieurs sphères de la société sont sous l'emprise d'une gauche dévoyée et autoritaire, ce qui menace notre identité et nos valeurs. En France, on ne mâche pas ses mots et on parle ouvertement d'islamogauchisme, terrible écho à la paranoïa contre le judéobolchévisme dans les années 1930. Pourtant, cette lecture fantasmée de la réalité n'est appuyée sur à peu près aucune étude sérieuse.
La croisade anti-woke a d'ailleurs plusieurs similitudes frappantes avec la « crise des accommodements raisonnables » que le Québec a connue en 2006 et 2007. Dans les deux cas, on a présumé que des personnes de pouvoir (dans ce cas-ci, le système de justice) avaient contribué à pervertir nos institutions en se laissant manipuler par les arguments sournois de cette minorité présumée étrangère. Toutes les cases du classique complotisme réactionnaire peuvent être cochées, mais non seulement cette thèse est rarement fact-checkée de façon sérieuse, elle n'est à peu près jamais nommée comme conspirationniste. Elle fait partie du débat public raisonnable et raisonné.
Conspirationnisme ou critique du système ?
On peut aussi déconstruire cette idée selon laquelle un complotisme malsain émerge nécessairement des extrêmes en observant les tractations que les forces de gauche tentent pour leur part d'exposer. Si des délires conspirationnistes d'extrême gauche sont certes possibles (et présents dans les mouvances contemporaines, quoique de manière très minoritaire), les principaux complots que la gauche contemporaine cherche à éclairer ne sont pas farfelus, mais documentés par un travail considérable d'investigation. Pensons par exemple à la place des grandes entreprises dans les négociations opaques d'accords de libre-échange ou aux brevets concédés aux pharmaceutiques qui empêchent la majorité de la planète d'être pleinement vaccinée contre la COVID-19. En toute rigueur, il s'agit ici davantage de logiques structurelles que de complots tissés par des individus malveillants, mais la gauche, même « extrême » ou radicale, mène bel et bien un travail d'investigation de décisions que les élites politiques et économiques prennent à l'abri des regards, décisions qui nuisent indéniablement au bien-être de la majorité.
On voit bien en quoi l'obsession centriste pour la polarisation est néfaste pour la critique de gauche : la critique structurelle de l'exploitation et de la domination y apparait équivalente aux thèses loufoques cachant mal leur intolérance ou leur haine. Par exemple, les railleries à l'égard du Deep State, cet État profond qui gouvernerait les États-Unis selon les adeptes de QAnon, écartent du même coup les critiques de la surveillance étatique de citoyen·nes par la National Security Agency et ses alliés. Pourtant, ces analyses et revendications reposent notamment sur la solide documentation fournie par le lanceur d'alerte Edward Snowden.
Par conséquent, si on souhaite départager l'investigation légitime du conspirationnisme parano, il importe de faire preuve de beaucoup plus de minutie et de nuances que ce qui prédomine dans les débats publics contemporains. Ces distinctions dépendent aussi de rapports de classe et de logiques de pouvoir. Rapports de classe, parce que les thèses complotistes qui font l'objet d'enquêtes sont rarement celles propagées par les personnes disposant d'un fort capital culturel et symbolique. Et logiques de pouvoir, parce que le discrédit ou l'indifférence à l'endroit d'une thèse complotiste permet aussi d'écarter l'idée que les puissants n'ont pas notre intérêt à cœur et de laisser entendre que le système fonctionne bien tel qu'il est.
* * *
Pour aller plus loin
Sur le travail « d'investigation » des platistes : Daniel J. Clark, Behind the Curve, Delta-v Productions, 2018, 95 minutes.
Yochai Benkler, Robert Faris et Hal Roberts, Network Propaganda. Manipulation, Disinformation and Radicalization in American Politics, New York, Oxford University Press, 2018.
Brigitte Noël et Emmanuel Marchand, « Derniers jours de Bernard Lachance : de l'eau salée pour soigner l'ex-chanteur », Radio-Canada.ca, 2 juin 2021. Disponible en ligne.
MSNBC, « Prostitutes, Hidden Hotel Camera's : Familiar Putin Tools », YouTube, 18 janvier 2017.
Maryse Potvin, Crise des accommodements raisonnables. Une fiction médiatique ?, Outremont, Athéna éditions, 2008.
Valentin Denis, « L'agitation de la chimère “wokisme” ou l'empêchement du débat », AOC media, 27 novembre 2021. Disponible en ligne.
Illustration : Elisabeth Doyon

Projet de loi 2 : les corps trans contre l’État

La reconnaissance identitaire est un des points centraux des militances trans et non binaires contemporaines. Rien de surprenant quand on sait le temps que nous mettons chaque jour à négocier nos identités avec les institutions et les personnes cis [1]. Mais la récente lutte contre le projet de loi n°2 nous enseigne les limites d'une approche minoritaire et nous invite à remettre le corps au centre de notre projet politique.
Le 28 janvier 2021, le juge Gregory Moore de la Cour supérieure du Québec invalidait l'article 71 du Code civil du Québec – qui détermine les conditions du changement de mention de sexe à l'état civil – et certaines dispositions s'y rapportant. Des mois plus tard, en réponse à ce jugement, Simon Jolin-Barrette présentait son projet de loi no 2, soulevant l'ire des militant·es trans, non-binaires et intersexes.
Le juge Moore s'en prenait notamment aux restrictions imposées aux personnes mineures ou non citoyennes et à l'impossibilité pour les personnes non binaires d'être identifiées autrement que comme « masculin » ou « féminin » au registre de l'état civil, ou comme « père » et « mère » sur l'acte de naissance de leur enfant. Estimant qu'il était peu à propos de rayer complètement l'article de loi, il a laissé le soin au législateur de corriger ces aspects discriminatoires. Il a accordé le reste de l'année civile au gouvernement pour présenter son projet de loi.
Si le gouvernement a rapidement annoncé faire appel de la portion du jugement concernant les mineur·es, il a tardé à présenter une pièce législative pour répondre aux discriminations reprochées. Ce n'est que le 21 octobre dernier que Simon Jolin-Barette a présenté son projet de loi de plus de 110 pages. Il contenait la réponse du gouvernement au jugement Moore, intégrée à une ambitieuse réforme du droit de la famille.
Malgré les prétentions du ministre de la Justice, il est difficile de voir un lien direct entre ce texte et celui du jugement de la Cour supérieure. Ce qui en théorie ne devait être qu'une formalité s'est transformé en attaque frontale contre la communauté trans et les personnes intersex(ué)es [2]. Avec appréhension, les communautés trans, non binaire et intersexe ont constaté un retour brutal à la politique génitaliste de l'État, abandonnée depuis la mise à jour du Code civil en 2015. En effet, un des points majeurs du projet de loi 2 est de restaurer de façon intégrale le texte de l'article 71 tel qu'il a existé entre 2004 et 2015 en exigeant « des traitements médicaux et des interventions chirurgicales impliquant une modification structurale [des] organes sexuels et destinés à changer [les] caractères sexuels apparents de façon permanente » pour autoriser un changement de la mention de sexe.
La construction juridique d'une minorité
Le régime de changement de la mention de sexe à l'état civil hérite de la Loi sur le changement de nom et d'autres qualités de l'état civil, en vigueur de 1978 à 1994, et qui a par la suite été intégrée au Code civil à travers l'article 71. Cet article est demeuré presque inchangé jusqu'en 2015 (hormis le retrait de l'exclusion des personnes mariées avec la légalisation du mariage entre conjoint·es de même sexe en 2004). Sous ce régime, l'existence des personnes trans est conditionnelle à la légitimité de leur condition médicale, attestée par des spécialistes et résolue par « l'opération », qui leur permet de réintégrer la binarité sexuelle prévue dans la loi. Évidemment, nombre de personnes trans ne pouvaient se prévaloir des dispositions prévues à l'article 71, comme les travailleuses du sexe, les personnes non binaires ou ne désirant simplement pas transitionner médicalement [3].
Depuis 2015, c'est plutôt ce que Florence Ashley nomme le « modèle minoritaire » qui prévaut. Lae bioéthicien·ne et juriste indique avec justesse que ce régime vient marquer les personnes trans comme minorité et leur accorde des protections basées sur leur identité. Ainsi, dans le Code civil, c'est l'auto-identification qui forme le critère central de la légitimité d'une demande de changement de mention de sexe. De façon analogue, la Charte québécoise des droits et libertés de la personne a été amendée en 2016 pour inclure l'identité et la présentation de genre comme motifs interdits de discrimination. Il va sans dire que cette protection n'a pas été adoptée pour protéger les femmes cis de la discrimination à l'embauche, puisqu'elles étaient déjà protégées par le motif du sexe. Cet écart de traitement fait apparaître les personnes trans et non binaires dans la loi comme minorité définie par son identité de genre. Les personnes cis, elles, ne sont pas spécifiées et existent toujours à travers la notion de sexe. Elles sont apparemment dénuées de genre.
Le projet de loi 2, dans sa mouture initiale, poussait cette logique encore plus loin. Pour justifier le retour de l'exigence de chirurgie pour le changement de la mention de sexe, le gouvernement prévoyait la création d'une mention de genre distincte. Ainsi, un·e enfant se serait fait attribuer un sexe à la naissance, mais aurait pu substituer cette mention par une mention de genre plus tard dans sa vie selon l'évolution de son identité.
Ensuite, l'État reconnaissait aussi légalement l'existence des personnes intersex(ué)es en assignant aux enfants dont la configuration génitale ne se conforme pas au modèle sexuel binaire la mention « indéterminé ». Dans le projet de loi 2, l'identité de genre était utilisée comme levier pour renforcer un modèle sexuel binaire, auquel les corps intersexués apparaissent comme une gênante exception. En attribuant la mention « indéterminé », l'État se gardait de remettre en cause la binarité sexuelle et donnait à ces personnes (ou plus souvent à leurs parents) la charge de déterminer si elles possédaient un « sexe » ou un « genre » en recourant respectivement à une chirurgie ou à l'attribution d'une mention de genre [4]. Sous ce régime, toutes les personnes intersex(ué)es devenaient de facto trans.
Si ces dispositions ont été abandonnées par le gouvernement à travers des amendements substantiels au projet de loi 2, la distinction entre sexe et identité de genre demeure. Le Code civil spécifiera désormais que la mention de sexe ne représente toujours que le sexe assigné à la naissance ou l'identité de genre. Concrètement, cela signifie que les documents de l'état civil indiqueront toujours « sexe », mais si le document a été modifié après la naissance, cette mention désignera plutôt l'identité de genre de la personne.
Le corps d'abord
Quelques semaines seulement après le dépôt du projet de loi, le ministre Jolin-Barrette avait promis de présenter des amendements au texte lors de l'étude détaillée. À bien des égards, le projet de loi était devenu gênant pour le gouvernement face à la réponse d'opposition unanime du mouvement LGBTQIA2S+, confirmée lors des audiences publiques tenues du 30 novembre au 3 décembre dernier.
Après plusieurs décennies à défendre une stratégie politique principalement identitaire qui supportait le modèle juridique minoritaire, les militant·es se sont trouvé·es devant un choix tactique surprenant. Devant la Commission des institutions, les intervenant·es du milieu se sont succédé·es pour défendre la mention de sexe telle qu'elle existe actuellement. Plutôt qu'un changement de cap, cette stratégie témoigne d'un consensus croissant à l'effet que la distinction entre un genre social et un sexe biologique est sans fondement scientifique et qu'elle est potentiellement nuisible pour les membres de la communauté.
Pour les personnes intersexuées en particulier, la violence sexiste s'inscrit dans le corps et c'est de cette posture qu'émerge l'identité intersexe. Pour reprendre les termes utilisés par Janick Bastien-Charlebois lors de ces consultations, « intersexe ne renvoie pas à l'identité de genre, mais à une expérience d'invalidation du corps sexué de naissance ». Cette perspective est cruciale pour comprendre comment nos pratiques militantes ne peuvent se limiter à des revendications identitaires sans porter préjudice à notre sécurité et à notre intégrité corporelle.
La reconnaissance et la valorisation des identités est évidemment importante pour les minorités sexuelles et de genre, mais elle ne peut prendre toute la place. L'expérience trans aussi renvoie à l'invalidation du corps sexué. Pour les personnes intersex(ué)es, ce corps est nié sur la base de ce qu'il est / est devenu, pour les personnes trans sur ce qu'il est / a été. Par exemple, quand les personnes intersexes militent contre les mutilations génitales, les spécialistes leur opposent le taux de satisfaction élevé aux interventions médicales non consenties. Quand ce sont les personnes trans qui militent pour l'accès à des soins transaffirmatifs, les médecins évoquent le potentiel regret des interventions désirées, malgré des taux de satisfaction élevés. Ces réalités ne doivent pas être réduites l'une à l'autre, mais elles engagent de puissants mécanismes médicaux et légaux analogues.
Pour un mouvement transféministe
Replacer le corps au centre des préoccupations du mouvement trans permet non seulement de tisser des solidarités avec le mouvement intersexe, mais également avec les mouvements antiraciste, féministe, anticapacitiste et décolonial. En fait, ces préoccupations prises dans leur ensemble doivent être centrales si l'on veut tenir compte de la complexité et de la diversité de nos communautés. Après tout, ce n'est peut-être pas un hasard si le premier manifeste transféministe a été écrit par une travailleuse du sexe racisée, intersexe et handicapée.
Il y a lieu de se demander ce que le jugement Moore aura apporté aux personnes trans, non binaires et intersexes après sept ans de procédures judiciaires. Il est encore difficile d'en évaluer les impacts, mais il est certain qu'il aura offert une opportunité sans précédent à un gouvernement populiste et conservateur de se faire du capital politique à notre dépend.
Avoir une approche transféministe aujourd'hui demande d'être résolument intersectionnel·le. Cela demande de lutter pour la sécurité et l'intégrité des personnes trans dans tous les aspects de nos vies. Nos considérations doivent s'étendre de la décriminalisation du travail du sexe à l'abolition de la police, en passant par la restitution des territoires autochtones et la construction de logements sociaux, parce que nous sommes de tous ces horizons et que de ces luttes émergent de meilleures perspectives pour toutes les personnes trans et non binaires. La lutte contre le projet de loi 2 nous démontre que nous ne pouvons plus attendre l'avancée inexorable du progrès et que nous devons prendre le contrôle de notre agenda politique.
Notre statut de minorité protège nos identités. Mais nos corps, eux, sont toujours menacés.
Pour aller plus loin
Florence Ashley, « L'in/visibilité constitutive du sujet trans : l'exemple québécois », Canadian Journal of Law and Society / Revue Canadienne Droit et Société, 2020, vol. 35, n°2 p. 317-340
Janik Bastien-Charlebois, « Femmes intersexes : sujet politique extrême du féminisme », Recherches féministes, 2014, vol 27, n°1, p. 237-255
Emi Koyama, The Transfeminist Manifesto, 2001. Disponible en ligne.
[1] Forme inclusive de cisgenre/cissexuel. Analogue à trans, personne non trans.
[2] J'emprunte cet usage à Janick Bastien-Charlebois, professeure de sociologie à l'UQAM, afin d'inclure les personnes intersexuées (possédant des caractéristiques sexuelles non réductibles aux normes binaires) et les personnes intersexes, ces dernières adoptant une posture identitaire affirmative.
[3] Dr. Pierre Assalian, psychiatre et chef de l'unité des dysfonctions sexuelles de l'Hôpital général de Montréal, affirmait en juillet 1998, dans une entrevue pour La Presse, qu'il refusait de traiter « les homosexuels efféminés, les travestis, les hermaphrodites, les psychotiques convaincus qu'ils sont dans un corps différent, les prostitués, etc. » Le cas de Micheline Montreuil est aussi particulièrement parlant. En 2002, cette dernière n'a obtenu de la Cour d'appel que l'ajout de son prénom choisi entre ses deux prénoms masculins donnés à la naissance, après plus de trois ans de procédure judiciaire. Le changement de mention de sexe lui a été refusé parce qu'elle ne désirait pas de chirurgie génitale. Elle est systématiquement mégenrée tout au long de la procédure judiciaire.
[4] Il est important de mentionner que la binarité sexuelle est déjà imposée sur les personnes intersexes par la médecine à travers des chirurgies assimilables à de la mutilation génitale. Selon des informations obtenues par Manon Massé sous la loi sur l'accès à l'information, la RAMQ a remboursé, entre le 1er janvier 2015 et le 31 janvier 2020, 1385 chirurgies génitales effectuées sur des mineur·es de moins de 14 ans, soit avant l'âge de consentement médical.
Judith Lefebvre est libraire et militante transféministe.
Photo : Ted Eytan (CC BY-SA 2.0)

Avortement. Un droit encore à défendre

Pour répondre aux difficultés d'accès aux services en santé sexuelle, particulièrement pour l'avortement, le programme les Passeuses mise sur l'éducation pour développer l'autonomie corporelle des femmes. Propos recueillis par Mat Michaud.
À bâbord ! : Qu'est-ce qui a mené à la création des Passeuses ?
Marie-Eve Blanchard : C'est un besoin d'agir ! À la suite d'expériences personnelles et professionnelles, ma collègue Mélina Castonguay, qui est sage-femme, et moi-même avions l'impression que les soins en avortement avaient été laissés dans l'oubli, comme si à force de nous battre collectivement pour le droit à l'avortement, nous avions perdu de vue l'expérience des personnes qui se trouvent au cœur de ce processus médical. Nous nous sommes demandé : les personnes qui ont recours à l'avortement, les entendons-nous ? Les espaces de prise de parole étant rares, il nous fallait aller vers elleux.
Lorsqu'on s'intéresse aux femmes et aux personnes qui ont interrompu une grossesse et qu'on leur pose des questions concernant les soins reçus, une extrême solitude se dégage de leurs récits. Comment se fait-il que nous avortions encore seul·es aujourd'hui ? Comment se fait-il que le tabou et la honte se fraient un chemin jusqu'à l'intérieur des murs où ont lieu les avortements ? Sans surprise, il y a des lacunes structurelles, organisationnelles, systémiques, culturelles, etc. Ça peut donner le vertige ! Pour le dire simplement, des notions qui gagnent de plus en plus de terrain dans le domaine de l'accouchement mériteraient d'être davantage intégrées en avortement. On peut penser au droit d'être accompagné·e dans la salle d'intervention par un·e proche, ou encore au principe de choix éclairé, le fait de prendre une décision en ayant reçu des explications complètes relatives aux interventions ou aux actes médicaux proposés.
ÀB ! : Quelles sont vos activités en lien avec l'accès à l'interruption de grossesse ?
M.-E. B. : Notre mission est de déconstruire les préjugés et de démocratiser les informations qui concernent autant le droit à l'avortement que les méthodes et leur déroulement. Nous nous y prenons en formant des professionnel·les de divers horizons en vue de l'accompagnement à l'interruption de grossesse (IG). Nous dirigeons ensuite les femmes et les personnes enceintes qui font appel à ce service d'accompagnement vers les doulas (ou accompagnant·es) que nous avons certifié·es.
ÀB ! : Qu'est-ce qui distingue les régions éloignées des centres urbains lorsqu'il est question d'accès à l'IG ?
M.-E. B. : Lorsqu'on consulte la carte interactive des quelque 50 points de services en avortement au Québec sur le site internet de la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN), on s'aperçoit qu'ils sont concentrés en très grande majorité dans le sud de la province. Au Québec, on se félicite du nombre de points
d'accès qui existent : à elle seule, la province offre la moitié de tous les services d'avortement du pays. Mais ces services, sont-ils accessibles à tous·tes ? Non. Des régions entières ne sont pas desservies !
Et parmi les services disponibles, plusieurs offrent l'avortement une ou deux journées par semaine seulement. Un processus d'avortement demande habituellement de deux à cinq rendez-vous et le délai d'attente pour obtenir le premier varie d'une à trois semaines, selon les périodes de l'année et les cliniques. Le processus d'obtention d'un service d'avortement m'apparaît plus compliqué en région qu'à Montréal, Québec ou Sherbrooke. Rappelons qu'environ 40 % des personnes qui demandent un service d'avortement ont déjà au moins un enfant. Celles-ci pourraient avoir à réorganiser le retour à l'école de leur enfant, avoir à préparer en plus des collations ou repas, etc. Ça complexifie significativement l'accès.
Un autre écueil observé – soulevé dans un rapport de l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) –, c'est le manque de formation des professionnel·les de la santé et des services sociaux qui travaillent dans d'autres secteurs que celui de l'interruption de grossesse, mais qui doivent par exemple diriger des personnes enceintes vers des ressources spécialisées ou donner des informations concernant les services d'avortement de leur région. À cause d'un manque de connaissances, il arrive que des informations fausses ou erronées soient transmises. Cela peut entraîner de graves conséquences, par exemple en prolongeant inutilement le délai pour obtenir une interruption de grossesse ou, pire, en dirigeant sans le savoir la personne vers une ressource anti-choix.
Au Canada, l'avortement est un droit du premier au troisième trimestre de grossesse. Au Québec, nous nous sommes organisé·es pour garantir ces soins durant toute la grossesse. Avec les Passeuses, nous avons formé des infirmières qui étaient étonnées d'apprendre qu'il n'y avait aucune limite quant au nombre de semaines de grossesse pour avorter. Elles ne l'avaient jamais appris ! Les informations sont connues par celleux qui travaillent en avortement et en défense du droit à l'avortement ou par les universitaires qui s'intéressent au sujet.
ÀB ! : Quelles seraient les solutions pour améliorer l'accès à l'avortement ?
M.-E. B. : Il faudrait que le Québec déploie à la grandeur de son territoire l'accès au soin d'avortement médicamenteux, aussi connu sous le nom de « pilule abortive », mais le déploiement de cette méthode, autorisée par Santé Canada, est freiné par le Collège des médecins du Québec qui impose ses règles.
Au Canada, pendant la pandémie, des consultations médicales se sont faites par télémédecine plutôt qu'en cabinet. L'avortement n'a pas échappé à cette réorganisation, fort heureusement ! Or, une étude réalisée par des chercheuses de l'Université de la Colombie-Britannique a révélé qu'au cours des deux dernières années, l'accès à l'avortement a augmenté partout au Canada, sauf au Québec. L'étude pointe du doigt le Collège des médecins, qui n'a pas daigné revoir ses règles pendant la pandémie, ce qui aurait été nécessaire pour permettre l'avortement médicamenteux prescrit par télémédecine.
Des données probantes nombreuses et récentes attestent de la sécurité et de l'efficacité de la pilule abortive lorsqu'elle est offerte par télémédecine. Des provinces canadiennes le font, ainsi que d'autres pays comme la France, l'Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis. Ce qui ressort d'études portant sur la pilule abortive, c'est que cette méthode accroît l'accès à l'avortement et réduit le délai d'attente pour obtenir le service. Les grossesses sont interrompues plus précocement. Alors que le Québec se targue d'être la province championne en matière d'accessibilité, là, on est en train de manquer un gros bateau.
Les règles qui freinent ce déploiement et qui sont maintenues en place par le Collège des médecins ne s'appuient sur aucune donnée probante. Plusieurs expert·es dénoncent ça. Ces règles seraient-elles idéologiques ? J'en ai bien peur.
L'écart d'accès à l'avortement entre les diverses régions du Québec creuse les inégalités entre les personnes enceintes elles-mêmes. Le Collège des médecins a un fort rôle à jouer. En maintenant son statu quo, il prive un grand nombre de personnes d'une option qui pourrait venir diminuer les embûches dans leur parcours d'interruption de grossesse. C'est du paternalisme médical !
Marie-Eve Blanchard est cofondatrice des Passeuses.
Photo : Haru__q (CC BY-SA 2.0)
13 syndicats québécois demandent à Trudeau d’annuler la suspension du financement à l’UNRWA
Entente adoptée et bilan incertain pour le Front commun
Le contrat racial

Le numéro 27 de la publication "Soutien à l’Ukraine résistante" est disponible pour un téléchargement gratuit

Les éditions Syllepse ont publié le numéro 27 des cahiers de "Soutien à l'Ukraine résistante" en téléchargement gratuit. Suivez le lien pour vous procurer votre exemplaire.
Vous y retrouverai notamment les textes suivants :
Déclaration du RESU : Un triste anniversaire
Un appel de la Confédération des syndicats libres d'Ukraine
Un texte du comité français du RESU : Soutenir plus que jamais la résistance populaire armée et non armée en Ukraine
Un texte commun de la plupart des centrales syndicales de France : Pour une paix juste et durable : solidarité avec la résistance des travailleuses et des travailleurs ukrainiens
Un texte d'Hanna Perekhoda : Ukraine an III
Et plusieurs autres.
Pour télécharger le cahiers 27 des Brigades éditoriales de solidarité

Gaza : le syndicat des professeur.es de l’UQAM (SPUQ) interpelle sa direction et la CSN

Il est exceptionnel que des organisations syndicales de « base » se prononcent sur des questions de politique étrangère et plus encore sur des conflits armés.
C'est parfois le cas relève un spécialiste du syndicalisme étatsunien, Dan La Botz, quand ces questions deviennent un enjeu localement, « quand elles ont un impact direct sur l'emploi » ou sur le financement des services publics.
C'est avec ces éléments historiques en tête qu'il convient de mentionner deux résolutions provenant de la « base » syndicale au Québec. La première est une résolution de l'exécutif du Syndicat des travailleuses(eurs) des centres de la petite enfance de Montréal (STCPEML-CSN) adoptée le 28 novembre 2023 qui demande un cessez-le-feu immédiat et appuie des activités d'éducation populaire sur l'occupation et la colonisation de la Palestine , notamment.
La seconde résolution a été adoptée à l'unanimité le 16 février 2024 par le Conseil syndical du Syndicat des professeurs et des professeures de l'Université du Québec à Montréal (SPUQ-UQAM). Les délégué.es des 1 200 membres affirment notamment leur solidarité avec les syndicats et les organisations de la société civile tant en Palestine qu'en Israël qui sont en faveur d'un cessez-le feu immédiat et dénoncent la prolifération de propos et gestes racistes, antisémites, antipalestiniens, islamophobes.
Au-delà de ces déclarations, le Conseil syndical interpelle directement le Conseil d'administration, la Fondation et les responsables des fonds de pension (des retraites) de l'UQAM et leur demande de procéder à « un examen de leurs engagements et placements financiers pour s'assurer qu'ils ne contribuent pas au soutien d'entreprises et d'activités économiques directement liées à la poursuite des hostilités à Gaza ».
Le Conseil syndical demande également à la CSN, la Centrale syndicale qui représente plus de 320 000 travailleurs et travailleuses, « de solliciter et de coordonner des dons de la part de ses organisations membres en vue d'une contribution commune au fonds d'urgence de l'Organisation internationale du travail pour les personnes travailleuses à Gaza ».
Enfin, le Conseil syndical dénonce les autorisations de ventes d'armes à Israël par le Gouvernement canadien et demande « à la CSN de s'impliquer énergiquement dans le mouvement de dénonciation de ces autorisations ».
Cette dernière résolution syndicale a été adoptée le jour même où la Cour internationale de justice notait « que les évènements intervenus tout récemment dans la bande de Gaza, et en particulier à Rafah, “entraineraient une aggravation exponentielle de ce qui est d'ores et déjà̀ un cauchemar humanitaire aux conséquences régionales insondables” ». La CIJ estimait également que la situation exigeait « la mise en œuvre immédiate et effective des mesures conservatoires indiquées par la Cour dans son ordonnance du 26 janvier 2024 » et rappelait que « l'État d'Israël demeure pleinement tenu de s'acquitter des obligations lui incombant au titre de la convention sur le génocide ».
D'autres syndicats "de base" ont peut être adopté des résolutions sur le sujet. Nous n'en savons rien. On ne sait pas non plus le suivi qui sera fait de ces résolutions. Mais, compte tenu du silence quasi-absolu du patronat, des gestionnaires de fonds de pension et des centrales syndicales depuis le 7 octobre 2024, ces deux résolutions de la « base syndicale » nous semblaient mériter d'être rappelées.
Camille Popinot
Illustration : CISO, https://www.ciso.qc.ca

Les fils (des batteries) se touchent !!!

Rien ne sert de se précipiter dans le vide de l'ignorance et de faire comme si de rien n'était. Même un enfant sait tout ça depuis qu'il a lu Les habits neufs de l'empereur ; celui qui parade flambant nu comme s'il était vêtu des atours les plus fins. Legault, Guilbeault et combien d'autres persistent et signent tandis que des filous tels Northvolt leur ont affirmé que seuls les gens intelligents avaient la capacité de percevoir une telle étoffe miracle !
Le mirage de la batterie électrique (je me rappelle encore les Cent tours de Cent tours où le sorcier en guenilles, en actionnant le commutateur, croyait faire apparaitre la lumière !) constitue une somptueuse arnaque pour faire avaler l'auto solo (elle se répand comme une trainée de poudre à grandeur de notre pauvre planète d'individualistes acharnés) qui, à elle seule nous mène, « librement » droit dans le mur. Ça suffit de tergiverser et de nous jouer des mécanismes qui évoquent le trombone à coulisse ou le nez de Pinocchio. Un chat est bel et bien un chat et Northvolt une crosse monumentale… Plus ça coûte cher plus on devrait comprendre qu'on nous prend pour des imbéciles et envoyer les filous – politiciens et valets du capital – dans l'espace sidéral plutôt que de les suivre encore dans des histoires emberlificotées, aveuglé par des autoroutes stupidement élargies ou les énièmes liens du troisième type.
C'est trop clair : Northvolt ne crée que de l'esbroufe et nous dénude avec emphase en commençant pas un bon coup de déforestation pour le « progrès ». Il faut cesser de jouer à l'expert en se réappropriant les simples additions et soustractions pour que la lumière réapparaisse, de jouer à cache-cache avec le BAPE qui, trop souvent, sert à cautionner l'inacceptable en faisant promettre d'acheter du carbone ou de planter des chicots en contrepartie. Non, il faut cesser de mentir – on ne peut pas tout acheter. Écœurer de se faire asservir – tirons sur la plogue et, redémarrons massivement un transport en commun autre que des tartes à la crème (euh… REM) !
Ramon Vitesse, Biblio vélo
Image : Pixabay
Toujours dénoncé par les groupes communautaires, syndicats et comités logement

Des immigrants et des papillons

« Des immigrants et des papillons, est un documentaire de 52 minutes abordant en toute liberté, une question brûlante d'actualité : celle de l'immigration au Québec, mais au fil d'une passionnante conversation, menée à multiples voix entre gens d'ici et nouveaux arrivants, et touchant aux difficiles défis d'un vivre ensemble qui serait co-construit autant par les uns que par les autres.
Le projet, fruit d'une collaboration étroite entre le réalisateur et producteur audio-visuel Rodrigo Rodriguez, et le sociologue et essayiste, Pierre Mouterde — tous deux immigrants, mais l'un arrivé au Québec en 2011 et l'autre en 1973— a pris forme en décembre 2021 et a pu être finalisé en novembre 2023. » (Site de Rodrigo Rodriguez)
Entrevue avec Pierre Mouterde et Rodrigo Rodriguez sur leur film
Le film fait parler dans un premier temps, les personnes immigrantes sur les politiques des gouvernements canadien et québécois et sur leur vécu dans la société québécoise. Dans un deuxième temps, des personnes représentant la société d'accueil nous livrent leurs réflexions sur la société québécoise comme société d'accueil : ouverture, fermeture, xénophobie… Le film vise à permettre une prise de parole citoyenne sur la réalité de l'immigration dans la société québécoise.

Comment être véritablement allié ?
Déclaration bilan de clôture du FSM 2024 par le comité d’organisation népalais

Ce qui se joue à travers le voile des Iraniennes
Ce qui se joue à travers le voile des Iraniennes
Retour à la table des matières Droits et libertés, automne 2023 / hiver 2024
Yalda Machouf Khadir, Avocate et militante iranienne Le 6 octobre dernier Nargess Mohammadi, militante féministe iranienne, se voyait octroyer le prix Nobel de la paix pour son combat en faveur des droits humains et contre l’oppression des femmes en Iran. Puis ce fut le tour de Jîna (Mahsa) Amini et le mouvement Femme, Vie, Liberté de recevoir le Prix Sakharov, soulignant leur contribution à la lutte pour la défense des droits de la personne et des libertés fondamentales. Si cette double distinction est l’expression d’un soutien important de la part de la communauté internationale, cette dernière peine toujours à sortir du symbolisme et à offrir une aide concrète à la population iranienne. Le voile des Iraniennes et leur revendication au droit à l’autodétermination de leur corps ont été le point focal de cette révolution inachevée : le voile imposé a embrasé la poudrière iranienne, et femmes et filles sont devenues les porte étendards du mouvement de contestation. Mais lorsque les femmes prennent les rues et brûlent leur voile, symbole de la ségrégation de genre et pilier de la théocratie iranienne, c’est l’ensemble du système politique en place qu’elles défient. Les revendications du mouvement porté par le slogan Jîn Jian Azadi (Femme, Vie, Liberté) dépassent ainsi largement cette question. Il s’agit d’un mouvement d’émancipation qui s’inscrit dans un cycle de soulèvements que connaît l’Iran depuis 2009 et qui porte en lui des revendications multiples, dont la liberté politique, la justice sociale et environnementale, la laïcisation et la démocratisation de l’État, ainsi que la pleine reconnaissance des minorités ethniques et de genres.Brutalité de la violence étatique
Le mouvement Femme, Vie, Liberté a donné lieu à une unité historique au sein de la société civile iranienne, notamment entre les courants féministes, ouvriers et les groupes de défense des droits des minorités ethniques. Une coalition de vingt organisations féministes, syndicales et de la société civile iranienne publiait ainsi, dès février 2023, une déclaration commune visant à jeter les bases d’un nouveau contrat social fondé sur douze principes minimaux, commençant par la libération inconditionnelle immédiate de tou-te-s les prisonnier-ière-s politiques et l’imputabilité des responsables de la répression étatique actuelle et passée1. C’est ainsi qu’en l’espace de quatre mois, 165 villes des quatre coins du pays ont été le théâtre de mobilisations massives, réunissant des manifestant-e-s de tous âges et de toutes conditions sociales. La réponse du gouvernement iranien face à l’embrasement du pays a été des plus brutales. Selon le Human Rights Activists News Agency, organe de presse d’une organisation indépendante de défense des droits de la personne opérant depuis l’Iran, cette répression féroce a fait en quatre mois plus de 530 morts et conduit à 19 763 arrestations, dont celle de 181 enfants2. Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de la personne en Iran, Javaid Rehman, décrivait dans son rapport rendu public en février 2023 une situation très alarmante faisant notamment état de torture et de mauvais traitements, y compris des violences sexuelles, à l’endroit des manifestant-e-s, d’emploi illégal de la force létale et d’exécutions d’enfants3. Face à la brutalité de la violence étatique, le mouvement de contestation qui défiait ouvertement le pouvoir dans la rue, a battu en retraite. Reste à voir si ce repli tactique lui permettra de trouver de nouvelles façons de se déployer. Car si dans les faits aucun changement structurel ne s’est encore opéré en Iran, la dynamique sociale a irrémédiablement changé et paraît nettement favorable aux Iraniennes qui s’octroient plus de libertés en dépit de toutes les tentatives du pouvoir religieux d’imposer des restrictions par de nombreuses mesures de rétorsion et de répression.Crise persistante
Mais plus important encore, la crise sociale et économique qui a instigué ce mouvement est loin d’être résolue et atteint des sommets inégalés. Un taux d’inflation vertigineux frisant les 50 %4, couplé à un taux de chômage de 11 % en 2022 — le taux de chômage chez les femmes étant supérieur de 7 points de pourcentage à celui des hommes5, accentuant ainsi la fracture sexuelle systémique — rend le quotidien des Iranien-ne-s insoutenable. Tout cela s’inscrit sur fond de corruption endémique et de dévastation environnementale qui sévit d’autant plus fort que le pouvoir est dopé par la rente des ressources premières. La théocratie iranienne qui a longtemps bénéficié d’un appui populaire reposant sur la ferveur religieuse doit, face au déclin de sa base historique, compenser par un clientélisme politique de plus en plus marqué. La vision extractiviste des ressources environnementales du pays, couplée à la nécessité de l’État de financer un appareil de répression coûteux, accentue la crise environnementale à laquelle l’Iran fait face. De plus, la construction intensive de barrages et le détournement des ressources hydrauliques du pays pour alimenter ses industries agricoles et pétrolières dévastent champs et campagnes, en plus de causer des pénuries d’eau importantes au pays. L’assèchement des lacs, rivières et marais perturbe l’ensemble de l’écosystème et représente aujourd’hui une dimension particulièrement aiguë de cette crise environnementale. La pollution urbaine est également une préoccupation importante, alors que l’Iran affiche parmi les pires indices de qualité de l’air au monde6. Nulle surprise de voir l’environnement comme terrain de mobilisation de la contestation du pouvoir. L’horizon n’est guère plus positif sur le plan social. De nouvelles dispositions législatives visant à contraindre le port du voile sont à l’étude. Elles prévoient de nouvelles formes de surveillance dans l’espace virtuel, un durcissement des sanctions en cas de non-respect du port du voile, un élargissement des mesures pénales aux entreprises, en plus d’encourager la délation au sein de la population7. La répression se fait aussi sentir au sein de l’appareil judiciaire. Le 17 octobre dernier, l’avocat de la famille de Jîna Amini, Saleh Nibakht, se voyait infliger un an de détention pour propagande contre l’État8. Moins d’une semaine plus tard, le 23 octobre, Niloofar Hamedi et Elahe Mohammadi, les deux journalistes ayant couvert la mort en détention de Jîna Amini recevaient des peines respectives de 13 et 12 ans de détention au terme de procès iniques où on leur reprochait d’avoir « collaboré avec un état ennemi, à savoir les États-Unis », de « rassemblement et collusion contre la sécurité nationale » et d’avoir fait de la « propagande contre l’État »9.Intensification de la peine de mort
On observe également depuis le début du mouvement une intensification du recours à la peine de mort par le système judiciaire. Les contestataires, inculpés pour des infractions vagues et imprécises comme moharabe (inimitié avec Dieu) et efsad-e fil-arz (corruption sur Terre), en sont une cible évidente10. Les plus grandes victimes de cette pratique proscrite par le droit international restent cependant les personnes condamnées pour des infractions liées au trafic de stupéfiants, des personnes provenant majoritairement de minorités ethniques cibles de discriminations systémiques et de communautés défavorisées sur le plan socioéconomique. Selon le plus récent recensement d’Amnistie internationale, au moins 282 personnes ont été exécutées en Iran en 2023, tous crimes confondus11. Au lendemain du décès de la jeune Armita Garavand, cette adolescente de 17 ans décédée le 29 octobre dans des circonstances qui rappellent douloureusement celui de Jîna Mahsa Amini, force est de constater que la marche vers la révolution politique et sociale initiée par les Iranien-ne-s sera plus longue qu’anticipé. Malgré les contrecoups et le fort prix payé par les opposant-e-s du régime, la population iranienne est déterminée à la mener à terme. Il peut sembler périlleux d’articuler son soutien à la lutte des Iranien-ne-s dans un contexte politique marqué par une montée du nationalisme identitaire et de l’islamophobie. C’est sans doute ce qui explique le manque d’enthousiasme des courants féministes québécois face à ce mouvement qui l’est pourtant résolument, tant par ses revendications que par sa forme. Pour sortir de cette impasse et tisser des liens de solidarité, il faut comprendre la multiplicité des revendications du mouvement Femme, Vie, Liberté et se rappeler que le voile n’est que le symbole de la structure politique que l’on cherche à renverser. Quelques pistes d’actions ont été dégagées par les initiatives de luttes qui ont pris origine dans la diaspora iranienne en appui au mouvement, dont le Collectif Femme Vie Liberté de Montréal :- Isoler le gouvernement iranien et le priver de ses liquidités : depuis octobre 2022, le gouvernement canadien s’est mis à la tâche en amendant les dispositions réglementaires régissant les sanctions économiques imposées au pays, pour élargir son champ d’application à des entités et personnes ayant participé à des violations graves et systémiques des droits de la personne en Iran12.
- Empêcher l’établissement au Canada et ailleurs des membres de l’appareil d’État iranien, de même que des oligarques iraniens et de toutes les personnes responsables de violations de droits de la personne en
- Contribuer à traduire en justice les auteurs de ces violations en appliquant le principe de compétence universelle13.
- Aider les Iranien-ne-s fuyant la persécution politique à trouver un refuge durable, notamment par la mise en place de programmes spéciaux de parrainage.
- Le Club Mediapart, Femme, Vie, Liberté ! Les organisations indépendantes syndicales et civiles, 20 février 2023. En ligne : https://blogs.mediapart.fr/patricio-paris/blog/200223/iran-femme-vie-liberte-les-organisations-independantes-syndicales-et-civiles
- Human Rights Activists News Agency, Iran Nationwide Protests after 157 Days: a Preliminary Summary of the Mass Releases, 21 février 2023. En ligne : https://www.en-hrana.org/iran-nationwide-protests-after-157-days-a-preliminary-summary-of-the-mass-releases/
- Javaid Rehman, Situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran – Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran, 7 février 2023. En ligne : https://www.ohchr.org/fr/documents/country-reports/ahrc5267-situation-human-rights-islamic-republic-iran-report-special
- International Monetary Fund, Country Data – Islamic Republic of Iran, octobre 2023. En ligne : https://www.imf.org/en/Countries/IRN#
- Groupe Banque mondiale, Data – Chômage, femmes (% de la population active féminine) (estimation modélisée OIT) - Iran, Islamic et Chômage, hommes (% de la population active masculine) (estimation modélisée OIT) - Iran, Islamic Rep. En ligne : https://donnees.banquemondiale.org/pays/iran-republique-islamique-d
- IQAir, 2022 World Air Quality Report - Region & City 5 Ranking, 47 pages.
- Al Jazeera Media Network, Iran’s parliament approves ‘hijab bill’; harsh punishments for violations, 20 septembre 2023. En ligne: https://www.aljazeera.com/news/2023/9/20/irans-parliament-approves-hijab-bill-harsh-punishments-for-violations
- Center for Human Rights in Iran, Blind Human Rights Lawyer Disappears in Iran, 19 octobre 2023. En ligne : https://iranhumanrights.org/2023/10/blind-human-rights-lawyer-disappears-in-iran/
- Human Rights Activists News Agency, Journalists Niloofar Hamedi and Elahe Mohammadi Sentenced to a Combined 25 Years in Prison, 23 octobre 2023. En ligne : https://www.en-hrana.org/journalists-niloofar-hamedi-and-elahe-mohammadi-sentenced-to-a-combined-25-years-in-prison/
- Javaid Rehman, op.é cit., p.15.
- Amnesty International, Frénésie d’exécutions dans les prisons pour des infractions liées aux stupéfiants : les chiffres ont quasiment triplé cette année, 2 juin 2023. En ligne : https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2023/06/iran-prisons-turned-into-killing-fields-as-drug-related-executions-almost-triple-this-year/
- Règlement sur les mesures économiques spéciales visant l’Iran, DORS/2010-165, art. 2, par a.1).
- En ligne : https://www.amnesty.fr/focus/competence-universelle
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Quel respect des droits humains avec l’identité numérique ?
Quel respect des droits humains avec l’identité numérique?
Retour à la table des matières Droits et libertés, automne 2023 / hiver 2024
Anne Pineau, Membre du comité Surveillance des populations, intelligence artificielle et droits humains Selon une enquête réalisée par l’Académie de la transformation numérique (Université Laval) « moins de la moitié des internautes québécois connaissent les concepts d’identité numérique (44 %) et de portefeuille numérique gouvernemental (45 %)1 ». Et seulement 40 % des adultes internautes affichent de l’intérêt « pour installer une carte d’identité numérique sur leur téléphone intelligent ». Malgré ce désintérêt ou cette méconnaissance, le ministre de la Cybersécurité et du Numérique, Éric Caire, avance à marche forcée dans son projet d’identité numérique (IN).Manque de transparence
Il y a un an, le 24 octobre 2022, les commissaires à la protection de la vie privée de tout le Canada publiaient une résolution concernant les systèmes d’identité numérique2. Elle énonce les exigences que devraient respecter les gouvernements en la matière3. Au Québec, la Commission d’accès à l’information, signataire de la résolution commune, précisait dans un communiqué que « le gouvernement doit faire preuve de transparence à toutes les étapes de la réalisation du projet d’identité numérique en sollicitant la participation citoyenne par des consultations élargies, comme l’ont fait certaines provinces »4. Or, force est de constater que le projet de Service québécois d’identifiant numérique (SQIN) se développe actuellement sans débat, et qu’à plusieurs égards, il ne respecte pas les exigences de la résolution : éventuelle utilisation de la biométrie, manque de consultation, absence d’encadrement légal précis.Service québécois d’identité numérique (SQIN)
Un mémoire déposé au Conseil des ministres sur le SQIN en décembre 20215 apporte certaines informations : la « solution d’affaires » vise l’élaboration d’un document d’identité numérique gouvernemental faisant autorité auprès des tiers (public ou privé). Cette identité serait supportée par un portefeuille numérique (application mobile) permet tant de conserver des cartes, permis et attestations d’identité diverses. Une vérification d’identité « bonifiée » par l’utilisation potentielle de la biométrie, par exemple la reconnaissance faciale, est prévue. Le système aurait un registre doté d’un processus de vérification d’identité de toutes les personnes résidant au Québec.En trois volets
Le Service d’authentification gouverne mentale (SAG), l’étape 1 du projet SQIN, est une « solution d’authentification » qui permettra aux individus d’accéder en ligne à des services gouvernementaux et de consulter à distance leurs dossiers personnels (santé, SAAQ, Revenu Québec etc.). Comme le mentionne le mémoire au Conseil des ministres, le SAG « met en place les fondements d’une identité numérique » pour les fins gouvernementales. Ce service a été inauguré dans le cadre de la transformation numérique de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), avec les résultats discutables que l’on sait. L’étape 2 du SQIN vise l’authentification des entreprises faisant affaire avec le gouvernement. L’étape 3 concerne l’ajout d’un portefeuille numérique, c’est-à-dire un « document d’identité numérique gouvernementale, sur un support numérique, faisant autorité et sur lequel peuvent se fier les tiers dans le cadre de programmes, de services ou d’autres activités ». Le mémoire précise que « les consommateurs de l’identité numérique disposeront d’un moyen simple, fiable et légalement reconnu de valider l’identité d’un résident du Québec avec lequel ils souhaitent faire affaire […] ». Pour mettre au point ce volet « des entreprises couvrant plusieurs domaines d’affaires (finances, télécommunications, assurances) ont été consultées » dans le but « de recueillir ou valider les besoins qui font partie intégrante de la solution proposée ». Le portefeuille s’articule donc autour des besoins des entreprises. Cette dernière phase du projet SQIN est prévue pour 2025. Le projet SQIN, dans son ensemble, soulève de nombreuses questions.Respect des droits humains et encadrement légal
L’élaboration d’un identifiant numérique fiable et sécuritaire doit d’abord respecter le droit à la vie privée et les autres droits humains.Le système ne devrait pas permettre la surveillance et aucun détournement de finalités ne doit être possible, ce qui implique l’adoption d’un cadre légal robuste et précis, allant bien au-delà des lois générales de protection des renseignements personnels. Or, aucune loi particulière n’encadre le SQIN. Les commissaires à la vie privée indiquent pourtant que les nombreuses conditions qu’ils posent à l’établissement d’un tel système d’IN devraient « être intégrées à un cadre législatif applicable à la création et à la gestion des identités numériques », et assorti d’interdictions, de sanctions et de recours. Le SQIN devrait aussi faire l’objet d’une évaluation et d’une surveillance par un organisme indépendant.
Sécurité et conception des systèmes : une forte dépendance au privé
Les questions de sécurité et de confidentialité des données sont cruciales. En cas de panne, de piratage ou d’attaques par rançongiciels du système d’identifiants, on peut craindre une paralysie des services gouvernementaux. Et qu’en sera-t-il en cas de vol d’identité ? Les appréhensions sont d’autant plus importantes que le gouvernement peine à recruter des experts en cybersécurité, ce qui l’amène à dépendre fortement du secteur privé. La proportion de sous traitants en informatique au sein du gouvernement atteignait 34,3 % en 20226, en forte hausse. L’utilisation de ressources externes augmente les coûts de même que les risques sur le plan de la confidentialité (plus de joueurs extérieurs). Le recours aux géants américains du Web, tels que Google, Amazon et Microsoft, pour l’hébergement des données ajoute aux inquiétudes, le Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act (Cloud Act) permettant aux autorités américaines d’accéder aux données hébergées (en infonuagique) par un fournisseur américain, peu importe où elles sont stockées7.Biométrie
Selon ce que le ministre Caire a maintes fois indiqué aux médias, l’identifiant pourrait être activé par reconnaissance faciale mais au choix de l’utilisatrice ou de l’utilisateur8. Il a aussi laissé entendre que les photos du permis de conduire ou de la carte d’assurance maladie pourraient éventuellement être utilisées9. Plus récemment, dans le cadre de l’étude des crédits budgétaires de son ministère, le ministre déclarait qu’une consultation aurait lieu sur cette question : « Mais, pour la reconnaissance faciale, dans le SQIN, ce que je vous avais dit et ce que je vous redis, c’est qu’il y aura consultation publique. Mais, si on veut amener notre service d’identité à ce qu’on appelle un niveau trois, donc c’est un niveau supérieur au niveau de la sécurité, c’est le genre d’élément (…) qu’on devra déployer, donc, l’identification par la biométrie. Et, si on ne souhaite pas ça, évidemment, si les citoyen-ne-s ne souhaitent pas aller là, bien, on n’ira pas10 ». Fonder un système d’identifiant gouvernemental sur l’utilisation de la biométrie mènerait à une banalisation insidieuse de cette technologie très invasive. Et ce même si son usage demeurait facultatif. Le critère retenu par les commissaires à la vie privée dans leur résolution n’est pas celui de la volonté mais de la nécessité11. Quant à l’argument de la sécurité, les commissaires à la vie privée notent dans un autre document : « Il ne suffit pas de s’appuyer sur des objectifs généraux de sécurité publique pour justifier l’utilisation d’une technologie aussi intrusive que la reconnaissance faciale12 ». L’usage de la biométrie semble se répandre au sein du gouvernement québécois. En 2020, la Sûreté du Québec concluait un contrat avec la société Idemia pour une « solution d’empreintes digitales et de reconnaissance faciale en mode infonuagique privé ». En 2022, la SAAQ annonçait adopter elle aussi cette technologie, apparemment pour « faire le ménage » de sa banque de photos13. Si le chaos généré par la transition numérique de l’organisme a mené la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, à suspendre ce projet, tout indique qu’il ne s’agit que d’une pause14. L’extension projetée de cette technologie à l’identifiant numérique démontre l’insouciance du gouvernement quant aux risques que fait planer cette technologie sur la vie privée et la démocratie. Comme le signalent encore les commissaires à la vie privée : « Si elle est utilisée de manière inappropriée, la technologie de reconnaissance faciale peut donc avoir des effets durables et sérieux sur la vie privée et sur d’autres droits fondamentaux. Cela inclut des préjudices subis par certaines personnes dont les renseignements personnels peuvent être recueillis, utilisés ou communiqués, mais aussi des préjudices pour les groupes et les communautés et des préjudices sociétaux plus généraux qui découlent de la plus grande capacité des autorités à surveiller les espaces physiques et numériques dans lesquels les citoyen-ne-s interagissent. Il peut être difficile de limiter cette plus grande capacité de surveillance une fois qu’elle est enclenchée15 ».Fracture numérique
Comment, enfin, garantir que l’identifiant numérique n’accentuera pas la fracture numérique d’une partie de la population ? Que le passage au gouvernement en ligne ne sera pas l’occasion de coupes sévères dans les services téléphoniques ou en personne ? Que les exclu-e-s du numérique ne seront pas laissés pour compte dans l’accès aux services gouvernementaux. Cet écart est déjà très préoccupant comme le signale le Protecteur du citoyen dans son dernier rapport : « (…) il existe un véritable fossé entre, d’une part, les services mis en ligne et, d’autre part, les personnes qui éprouvent des problèmes d’accès à ces modes de communication16 ».Ailleurs dans le monde
La course à l’identifiant numérique dépasse les frontières québécoises. Le ministre Caire collabore depuis quelques années avec le fédéral et les provinces de l’Ontario et de la Colombie-Britannique pour assurer l’interopérabilité (compatibilité) des services d’IN de chaque gouvernement17. En France, une application gouvernementale (France Identité Numérique) a été lancée en septembre 2023. Le gouvernement vise une généralisation de l’IN (80 % d’utilisateurs) en 2027. L’IN n’est toutefois pas obligatoire et, fait important, l’État, devant la grogne et des avis défavorables de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, l’équivalent de la CAI pour le Québec, a dû renoncer à l’utilisation de la reconnaissance faciale18. Une IN européenne est aussi en cours d’élaboration. En février 2017, la Banque Mondiale, et d’autres entités, publiaient les Principes généraux sur l’identification pour un développement durable : vers l’ère numérique19. L’objectif officiel : offrir une forme légale d’identification permet tant l’accès aux services publics, aux programmes sociaux et au marché en ligne. À cela s’ajoute une initiative de la Banque mondiale (ID4D) pour fournir une gamme complète de soutiens financiers et techniques aux niveaux national et régional en Afrique. Mais l’IN ne crée, en soi, aucun droit et l’accès à des programmes sociaux peut demeurer bien théorique, même avec un tel outil. Dans ce contexte, l’IN s’avère surtout un catalyseur de l’économie numérique, une identité « transactionnelle » comme la décrit le Center for Human Rights & Global Justice dans un texte de juin 2022. L’organisme reproche aussi à la Banque Mondiale de soutenir des projets d’IN fondés sur la biométrie. « La Banque prend soin de préciser que les données biométriques ne sont pas exigées. Mais en insistant autant sur leurs avantages dans toute sa documentation, l’initiative ID4D a contribué à normaliser l’utilisation extensive de la biométrie dans les systèmes d’identification numérique20 ». [Traduction libre] Coïncidence ? Secure Identity Alliance (SIA), qui compte parmi ses membres les principales entreprises de biométrie, endosse les Principes généraux sur l’identification établis par la Banque Mondiale.Conclusion
L’identité numérique soulève nombre d’enjeux de droits humains : vie privée, protection des données, anonymat, surveillance, cybersécurité, inégalités, démocratie, relation des citoyen-ne-s avec l’État, accès aux programmes sociaux, etc. Autant de défis qui justifient amplement la tenue d’un débat public, démocratique et éclairé sur l’ensemble du projet d’identifiant numérique, comme le réclament de nombreux experts et organisations, dont la Ligue des droits et libertés.- Académie de la transformation numérique. Les services gouvernementaux en ligne et l’identité numérique (2021). 27 avril 2022. En ligne : https://transformation-numerique.ulaval.ca/enquetes-et-mesures/netendances/les-services-gouvernementaux-en-ligne-et-lidentite-numerique-2021
- Assurer le droit à la vie privée et la transparence dans l’écosystème d’identité numérique au CanadaRésolution des commissaires à la protection de la vie privée fédéral, provinciaux et territoriaux et des ombudsmans qui assument une fonction de surveillance dans le domaine. En ligne : https://www.priv.gc.ca/fr/a-propos-du-commissariat/ce-que-nous-faisons/collaboration-avec-les-provinces-et-les-territoires/resolutions-conjointes-avec-les-provinces-et-territoires/res_220921_02
- Notamment : participation volontaire des individus; contrôle des personnes sur leurs renseignements; ne pas utiliser de données biométriques sauf nécessité; le système ne devrait pas permettre le traçage ni créer de bases de données centralisées; transparence et encadrement légal du système d’IN incluant des droits de recours pour les citoyen-ne-s.
- En ligne : https://www.cai.gouv.qc.ca/identite-numerique-canada-organismes-de-surveillance-demandent-aux-gouvernements-dassurer-le-droit-a-la-vie-privee-et-la-transparence-dans-leurs-projets-et-systemes
- En ligne : https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/gouvernement/MCE/dossiers-soumis-conseil-ministres/2021-0227_memoire.pdf
- Nicolas Lachance, Une transformation numérique sans expertise et sans effectifs pour Éric Caire, Journal de Montréal, 25 avril 2023. En ligne : https://www.journaldemontreal.com/2023/04/25/une-transformation-numerique-sans-expertise-et-sans-effectifs-pour-eric-caire
- Rousseau, La souveraineté numérique en agroalimentaire au Canada et au Québec, CIRANO, 16 février 2021. En ligne : https://cirano.qc.ca/files/publications/2021PE-03.pdf
- Nicolas Lachance, Identité numérique des Québécois: la reconnaissance faciale ne sera pas obligatoire, Journal de Québec, 25 février 2022. En ligne : https://www.journaldequebec.com/2022/02/25/identite-numerique-des-quebecois-la-reconnaissance-faciale-ne-sera-pas-obligatoire
- Stéphane Rolland, La Presse canadienne, Des documents financiers seront-ils associés à nos futures identités numériques au Québec?, Le Devoir, 7 janvier 2022. En ligne : https://www.ledevoir.com/politique/quebec/658875/des-documents-financiers-seront-ils-associes-a-nos-futures-identites-numeriques-au-quebec?
- Journal des débats de la Commission des finances publiques, Vol. 47 N° 21, Étude des crédits budgétaires du ministère de la Cybersécurité et du Numérique, 26 avril 2023. En ligne : https://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/cfp-43-1/journal-debats/CFP-230426.html
- « La collecte ou l’utilisation de renseignements particulièrement intimes, sensibles et permanents, comme les données biométriques, ne devraient être envisagées que s’il est démontré que d’autres moyens moins intrusifs ne permettent pas d’atteindre l’objectif poursuivi; »
- Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, Document d’orientation sur la protection de la vie privée à l’intention des services de police relativement au recours à la reconnaissance faciale, mai 2022, 62.
- Nicolas Lachance, Après ses ratés informatiques, la SAAQ se lance dans la reconnaissance faciale, Journal de Québec, 4 avril 2023. En ligne : https://www.journaldequebec.com/2023/04/04/la-saaq-utilisera-la-reconnaissance-faciale-pour-prevenir-les-fraudes
- Nicolas Lachance, Reconnaissance faciale à la SAAQ: Guilbault demande la suspension du projet, Journal de Québec, 4 avril 2023. En ligne : https://www.journaldequebec.com/2023/04/04/reconnaissance-faciale-a-la-saaq-guilbault-demande-la-suspension-du-projet
- Document d’orientation sur la protection de la vie privée à l’intention des services de police relativement au recours à la reconnaissance faciale. Précité. par. 14
- Rapport annuel 2022-2023, page 13. En ligne : https://protecteurducitoyen.qc.ca/sites/default/files/2023-09/rapport_annuel-2022-2023-protecteur-citoyen.pdf
- En ligne : https://www.newswire.ca/fr/news-releases/avancees-importantes-en-matiere-d-identite-numerique-pour-le-quebec-rencontre-des-ministres-federal-provinciaux-et-territoriaux-sur-la-confiance-numerique-et-la-cybersecurite-869739478.html
- Louis Adam, France Identité numérique veut faire oublier ZDNET, 2 mai 2022.En ligne : https://www.zdnet.fr/actualites/france-identite-numerique-veut-faire-oublier-alicem-39941353.htm
- En ligne : https://thedocs.worldbank.org/en/doc/423151517850357901-0190022018/original/webFrenchID4DIdentificationPrinciples.pdf
- Center for Human Rights and Global Justice, NYU School of Law, Paving a Digital Road to Hell? A Primer on the Role of the World Bank and Global Networks in Promoting Digital ID, juin 2022. En ligne : https://chrgj.org/wp-content/uploads/2022/06/Report_Paving-a-Digital-Road-to-Hell.pdf
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Grand rassemblement pour soutenir les professionnelles en soin

Le 16 mars prochain, nous nous retrouverons à Québec pour le plus grand rassemblement de professionnelles en soins de la FIQ en soutien à la négociation nationale.
Venez manifester parce qu'il faut que ça bouge à la table de négo. Rappelons au gouvernement du Québec que nous sommes toujours en négociation et que les professionnelles en soins ont droit à une convention collective négociée qui répond à leurs attentes.
La manifestation sera suivie d'une prestation musicale.
Pour permettre à toutes de participer à l'activité, les familles de nos membres sont les bienvenues.
Quoi : « Faut que ça bouge » – Grand rassemblement FIQ
Quand : 16 mars 2024 à 12 h (midi)
Lieu de rencontre pour la manifestation : Musée national des beaux-arts du Québec (Plaines)
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Négociation dans les secteurs public et parapublic : La conférence de presse du 18 février 2024 du premier ministre François Legault

Que retenir de cette conférence de presse du premier ministre François Legault tenue le 18 février 2024 concernant le dénouement des négociations avec le Front commun CSN-CSQ-FTQ-APTS et avec la FSE-CSQ et la FAE en éducation (niveaux élémentaire et secondaire) ?
Peu et vraiment peu sinon que pour lui il y a une chose qui prime à ses yeux : les chiffres (4000 postes d'aide à la classe et la création de 5000 postes d'enseignant.es) et l'argent (un salaire de départ de 65 000$ pouvant aller, avec l'ancienneté, jusqu'à 109,000$ ; des augmentations salariales de 18% à 27%). Le chef de la CAQ revient encore une fois à la charge avec sa vision comptable de la négociation. Le coût des ententes en éducation (FSE-CSQ et FAE) et avec le Front commun (CSN, CSQ, FTQ et APTS), sera semble-t-il élevé et c'est dans le budget des prochaines années que cela sera constaté. Par conséquent, le retour à l'équilibre budgétaire devra même être reporté de quelques années.
Nous verrons donc, en mars prochain, à combien s'élève la facture totale de ce qui a été conclu et entériné jusqu'à maintenant par les salarié.es syndiqué.es du Front commun intersyndical et de la FAE. Lors du dévoilement du grand chiffre, il y a une chose qu'il faudra avoir en tête, c'est quand même le gouvernement caquiste qui a décidé de se priver de 7 milliards de revenus par année en baissant les impôts de certains contribuables.
Les personnes qui oeuvrent dans les secteurs public et parapublic savent que ce ne sont pas les 650 000 salarié.es syndiqué.es (dont environ 75% sont des femmes) qui ont toutes et tous un revenu décent en lien avec leur travail. Plusieurs salarié.es syndiqué.es de ces deux secteurs déterminants pour notre qualité de vie en société vivotent avec une fraction de salaire et occupent un poste à temps partiel souvent non permanent.
La plus récente ronde de négociation a pu régler certains problèmes en éducation au niveau de l'aide à la classe, il y aura également l'ouverture de postes menant à la permanence, mais l'acceptation des ententes de principes négociées à la FAE et à la FSE-CSQ s'élève entre 50 et 60% selon les fédérations syndicales. À ce moment-ci, de tels résultats n'augurent rien de bon pour la suite des choses.
Il se peut que la ronde de négociation 2022-2023 (qui n'est toujours pas terminée avec le SFPQ, le SPGQ et la FIQ) apparaisse dans l'histoire comme la ronde d'un règlement négocié qui aura généré, en éducation élémentaire et secondaire, le nombre le plus élevé d'insatisfactions. C'est d'une tristesse affligeante quand on connaît l'importance de ce secteur pour l'avenir des jeunes et de la société.
À suivre…
Yvan Perrier
18 février 2024
19h45
yvan_perrier@hotmail.com
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Deux porte parole ou un chef à QS ?

QS révise ses statuts en ce moment. Un vaste sondage auprès des membres a été lancé. Évidemment la question du chef ou de deux porte parole est revenu à l'avant scène des discussion. Le Devoir en rapportant la nouvelle a aussi fait citation des propos de monsieur Thibodeau qui résume bien un courant de pensée dans Qs.
Membre de Québec solidaire, Jimmy Thibodeau voit d'un bon oeil l'idée de faire d'un des porte-parole solidaires un « chef ». « Ça ne nous empêche pas de considérer les porte-parole comme des porte-parole. Même si on donne le chapeau de chef à un des deux, ça ne va pas nécessairement affecter ses fonctions », a-t-il affirmé en entrevue avec Le Devoir, lundi. M. Thibodeau, qui est membre du collectif Option nationale de QS, évoque les « bénéfices financiers » d'une telle décision. « Si on veut être plus proches du pouvoir que ça, à un moment donné, à Québec solidaire, il va falloir être plus pragmatiques à ce niveau-là », a-t-il indiqué, tout en convenant qu'il « y a un discours ambiant chez Québec solidaire [où] on a toujours peur de mettre de l'avant un porte-parole plus que l'autre ». Québec solidaire pourrait tenir « des courses à la chefferie » ( Le Devoir François Carabin à Québec Correspondant parlementaire 13 février 2024 Québec) https://www.ledevoir.com/politique/quebec/807094/politique-quebecoise-qs-pourrait-tenir-courses-chefferie
Gabriel Nadeau Dubois a lui même mentionné que depuis la création de QS, le parti s'est transformé, la conjoncture a changé et la structure doit aussi être révisée.
Mais qu'en est-il du vrai débat ?
Un chef ou deux porte -parole
D'abord mentionnons que la création de deux porte parole : un homme et une femme a été permis une transformation de l'image public d'un parti politique et permis par extension de transformer l'image public de bien des groupes communautaires qui ont adopté eux aussi la création de deux porte parole.
Pourquoi transformer l'image publique ? Parce qu'il fallait le faire. Les femmes représente 50% de l'humanité mais sont encore peu visibles en politique malgré les progrès en parité et en partage de pouvoir. C'était vrai en 2006 à la création de Qs et c'est toujours vrai en 2024. Ce ne sont donc pas des questions financières, des préoccupations électorales qui ont amené les membres de Qs a élire deux porte parole : un homme et une femme. C'est une question féministe de représentation égale des femmes. Qs se définit comme un parti féministe : cela faisait partie de ses valeurs fondamentales et pour l'illustrer le porte parolat en était le moyen le plus efficace.
Ce qu'illustre la citation de monsieur Thibodeau c'est que la question féministe ne traverse pas l'ensemble des membres du parti. Il reste beaucoup de formation à faire pour convaincre les membres des effets combinés du patriarcat et du capitalisme sur les femmes.
Pourquoi un chef ?
Revenir avec la conception du chef c'est revenir à se fondre dans le moule de la politique traditionnelle. C'est vouloir une seule représentation du pouvoir à travers une personne qui domine la scène politique. Le meilleur exemple à l'heure actuel du chef c'est monsieur Legault. Est-ce cela que les membres de Qs veulent comme image public.
Un chef, et je dit bien un chef parce que nous sommes encore dans une société patriarcale qui a de la misère à accepter l'égalité de représentation politique des femmes, c'est déléguer le pouvoir en une seule personne qui dirige, qui domine. C'est le père du patriarcat.
Alors que ce débat revienne à Qs pose la place du féminisme dans l'image publique de Qs mais pose surtout le pouvoir dans Qs. Et comme dirait monsieur Lisée « Qui est le chef à QS » poser la question c'est y répondre.
Un chef à Qs symboliserait une réelle défaite du féministe à l'intérieur des rangs et aussi une régression dans la scème politique québécoise.
Même si Qs a grandi, que la conjoncture a changé et que la question financière est importante, la question du féministe n'a pas été réglée dans la société québécoise. Au delà d'une vision patriarcale, électoraliste et financière, l'égalité des femmes en politique demeure un combat essentiel à mener.
En espérant que les militantes féministes de Qs vont être capable de s'opposer à cette vague de recentrage de QS et qu'elles vont avoir l'appui nécessaire des groupes féministes parce que cela a un impact sur l'ensemble des luttes des femmes.
Il reste du chemin à faire
ginette lewis
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Gaza-Rafah. « Une horreur indescriptible ». Mais l’aide militaire à Israël continue

Nous publions ci-dessous une traduction française de la déclaration de Martin Griffiths, secrétaire général adjoint aux Affaires humanitaires et coordinateur des secours d'urgence à l'ONU (OCHA), faite le 13 février à propos de l'opération militaire israélienne à Rafah.
Tiré de A l'Encontre
14 février 2024
Par la rédaction de A l'Encontre
Ibrahim Hasouna, seul survivant de sa famille, se tient au milieu des débris de sa maison bombardée à Rafah le 12 février. Il a perdu huit membres de sa famille, dont trois enfants.
En forme d'introduction, il nous semble utile – en fait indispensable – de citer un article de Baudouin Loos du grand quotidien belge Le Soir du 13 février. Ce dernier, à propos de la mise en garde, plus que justifiée, de Martin Griffiths, pose une question essentielle : « Et que fait le monde ? Il exprime son « inquiétude » ! Prévient qu'une telle offensive entraînerait « une catastrophe humanitaire indescriptible », comme l'a dit l'Européen Josep Borrell. Estime qu'il y a « beaucoup d'innocents qui meurent de faim, beaucoup d'innocents qui sont en difficulté, et il faut que cela cesse », selon les mots de Joe Biden himself [voir sur ce site l'article ayant trait au soutien militaire renouvelé, appuyé par les démocrates du Sénat, au gouvernement Netanyahou] Les leviers existent : cesser de livrer des munitions à l'Etat hébreu, comme le suggère le même Josep Borrell. Comme l'écrit dans une tribune publiée par le journal Haaretz l'intellectuel palestinien israélien Odeh Bisharat, “pendant qu'ils émettent des avertissements et versent des larmes de crocodile, ces mêmes dirigeants continuent de fournir à Israël des armes, de l'argent et un soutien diplomatique”. » (Réd. A l'Encontre )
***
Martin Griffiths, 13 février 2024
« Le scénario que nous redoutons depuis longtemps se déroule à une vitesse alarmante.
Plus de la moitié de la population de Gaza – bien plus d'un million de personnes – est entassée à Rafah, regardant la mort en face : ils n'ont pas grand-chose à manger, n'ont pratiquement pas accès aux soins médicaux, n'ont nulle part où dormir, nulle part où aller en toute sécurité [1].
Comme l'ensemble de la population de Gaza, ils sont victimes d'une offensive d'une intensité, d'une brutalité et d'une ampleur inégalées.
Selon le ministère de la Santé, plus de 28 000 personnes – principalement des femmes et des enfants – ont été tuées dans la bande de Gaza.
Pendant plus de quatre mois, les travailleurs humanitaires ont fait l'impossible pour aider les personnes dans le besoin, malgré les risques qu'ils encouraient et les traumatismes qu'ils subissaient.
Mais le dévouement et la bonne volonté ne suffisent pas à maintenir des millions de personnes en vie, à les nourrir et à les protéger, alors que les bombes tombent et que l'aide humanitaire est étouffée.
A cela s'ajoutent le désespoir généralisé, l'effondrement de l'ordre public et la suppression du financement de l'UNRWA [2].
Les conséquences sont que les travailleurs humanitaires sont la cible de tirs, de menaces, d'attaques et de meurtres [3]. Cela fait des semaines que je dis que notre réponse humanitaire est en lambeaux.
Aujourd'hui, je tire à nouveau la sonnette d'alarme : les opérations militaires à Rafah pourraient conduire à un massacre à Gaza [4]. Elles pourraient aussi laisser une opération humanitaire déjà fragile à l'article de la mort. Nous ne disposons pas des garanties de sécurité, de l'aide et du personnel nécessaires pour maintenir cette opération à flot.
La communauté internationale a mis en garde contre les conséquences dangereuses d'une invasion terrestre à Rafah. Le gouvernement israélien ne peut pas continuer à ignorer ces appels.
L'histoire ne sera pas tendre. Cette guerre doit cesser. »
[1] L'annonce du « massacre » en voie de « réalisation » à Rafah fait parfois oublier la trajectoire de centaines de milliers de Gazaouis depuis octobre 2023. Tareq S. Hajjaj, sur le site Mondoweiss, le 13 février, rapporte les paroles d'Ibrahim Barda', père de six enfants qui a fui la ville de Gaza avec sa famille, s'est réfugié à l'hôpital européen situé entre Khan Younès et Rafah : « J'ai passé toute la guerre à me déplacer d'un endroit à l'autre. J'ai monté ma tente pour la démonter peu de temps après, laissant mes enfants nus dans le froid jusqu'à ce que nous trouvions un nouvel endroit où nous abriter. J'ai écouté tous les ordres de l'armée israélienne, et nous nous dirigions toujours vers la dernière “zone de sécurité” désignée par l'armée. Et maintenant, nous sommes près de Rafah [à Khan Younès], et si l'armée nous ordonne d'aller au sud, à Rafah et qu'elle nous envahit, je ne sais pas où nous pourrons aller ensuite. Il n'y a plus d'endroit où aller à Gaza. La seule option que nous ayons est de continuer à être encerclé par la mort. » (Réd.)
[2] Nous reviendrons sur l'opération politique du gouvernement israélien, qui n'est pas nouvelle, de frapper l'UNRWA. Le 30 janvier 2024, Le Monde consacrait un premier article à cette question, soulignant : « L'extrême droite rêve de faire fermer l'UNRWA. Or ses arguments ont acquis un droit de cité inédit en Israël depuis le 7 octobre 2023. L'agence y est désormais assimilée au Qatar, accusé par Benyamin Nétanyahou d'avoir soutenu et financé le Hamas. Le premier ministre tâche ainsi d'éluder ses propres responsabilités, après avoir lui-même encouragé l'émirat à fournir à Gaza une aide financière directe, afin d'y maintenir un calme trompeur. Depuis trois mois, la patronne d'un lobby parlementaire pour une réforme de l'UNRWA, Sharren Haskel (droite), a voyagé à Bruxelles et dans des capitales européennes pour convaincre les donateurs de cesser de financer l'agence. »
Selon Luis Lema (Le Temps, 23 novembre 2023), un travail similaire de lobby a été effectué dans les sphères politiques helvétiques par la juriste Anne Herzberg, qui travaille pour NGO Monitor. Elle a aussi œuvré à ce que les « bailleurs occidentaux » coupent des fonds à des ONG palestiniennes. (Réd.)
[3] Outre les médecins, infirmiers et employés des structures humanitaires, les journalistes palestiniens sont ciblés par les militaires israéliens, pour tenter de faire taire les voix qui offrent une autre approche et image de la situation à Gaza que celle des journalistes « embedded » (embarqués) dans des chars israéliens. Reporters sans frontières indique qu'en « quatre mois de conflit, le journalisme palestinien a été décimé jour après jour, par les forces armées israéliennes, en toute impunité : plus de 84 journalistes ont été tués ». Reporters sans frontières a déposé un appel au Conseil de sécurité de l'ONU, « afin qu'il fasse appliquer, en urgence, sa résolution 2222 (2015) sur la protection des journalistes ». Selon le Committee to Protect Journalists, le 14 février, 85 journalistes et travailleurs des médias ont été tués, 16 blessés, 4 disparus et 25 arrêtés. (Réd.)
[4] Dans un entretien téléphonique avec le quotidien Libération, en date du 14 février, Pascal Hundt, responsable du CICR (Comité international de la Croix-Rouge) dans la bande de Gaza, s'alarme d'une « horreur indescriptible » dans la bande de Gaza. A la question « Quelles pourraient être les conséquences d'une offensive militaire israélienne à Rafah ? », il répond : « Ce serait un carnage. On a vu l'opération de sauvetage de deux otages dimanche, certains avancent un bilan de 70 morts. Il s'agissait d'une opération ciblée. Imaginez une offensive massive, dans une zone aussi densément peuplée, avec des gens qui ne peuvent pas fuir dans un endroit considéré comme sûr avec un accès aux services essentiels, que ce soit la nourriture ou des hôpitaux. Ce serait un désastre qui s'ajouterait à la crise actuelle. Tout le monde connaît l'horreur absolument indescriptible de la situation à Gaza. Je n'ai plus de superlatifs pour la décrire. » (Réd.)
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Porte-parole ou chef, loin d’un choix anodin, une conception de la souveraineté populaire dans le parti et dans le pays

L'existence de porte-parole est-elle vraiment dépassée ? Nous reprenons ici un article publié par Presse-toi à gauche ! en 2017 qui expliquait pourquoi Québec solidaire a remis en question l'élection d'un chef ou d'une cheffe.
21 mars 2017 / Presse-toi à gauche
L'élection de co-porte-parole à Québec solidaire n'est pas assujetti à la loi électorale. Un co-porte-parole ne n'est pas un chef opine Alexandra Reny au nom du Directeur général des élections du Québec (DGEQ). Pour la ministre responsable de la Réforme des institutions démocratiques, Rita de Santi, Québec solidaire joue sur les mots et elle affirme qu'en jouant sur les mots Québec solidaire s'autorise à déroger à la loi électorale et elle envisage de modifier la Loi afin de clarifier cette situation. Il y a bien un enjeu juridique formel à cette affaire. Mais, au-delà de ce type d'enjeu, il y a des fondements politiques à ce rapport à nos porte-parole qui méritent d'être explicités, car ils sont importants.
Le statut de chef dans les partis politiques dominants
Dans les partis politiques de la classe dominante, le chef (ou beaucoup plus rarement la cheffe) règne en maître. Philippe Couillard a le contrôle absolu de son parti. Les oppositions et divergences doivent se murmurer dans le secret de rencontres à huis clos où il a le pouvoir de trancher et de conclure les débats. Jean Charest avait la main haute sur son parti. Comme chef du Parti libéral du Québec (PLQ), il a obtenu l'appui de 97,2 pour cent des délégué-e-s libéraux dans un vote de confiance. On se souviendra que Bernard Landry avait cru bon de démissionner en 2005 suite à un vote de confiance qui avait tout de même atteint les 76%.
Pauline Marois avait obtenu un vote de confiance de 93,08% au 16e congrès du PQ en 2011, ce qui n'avait pas empêché dans la même année le PQ de rentrer en crise. En fait, le chef d'un parti, une fois élu, dans le cadre d'institutions de type britannique est le futur chef de gouvernement, le premier ministre. Comme premier ministre, il concentre tous les pouvoirs. Il est le boss. Il représente le souverain. [1]
Le vote de confiance et souveraineté royale !
Le chef politique dans notre système politique dirige le parti. Il impose son pouvoir. Il peut s'associer ou se dissocier du programme adopté par les militant-e-s. Tel est le sens du vote de confiance. Ce vote de confiance est une cérémonie qui consacre la souveraineté du chef dans son parti. Et cette souveraineté est au-dessus de la démocratie dans le parti. Le pouvoir du chef, c'est le pouvoir de défaire ce que les membres du parti ont construit ! Ce vote est le renoncement en dernière instance du pouvoir des membres sur les orientations du parti.
C'est ainsi qu'André Boisclair s'est permis de mettre côté le programme adopté de juin 2005 et d'imposer sa feuille de route provinciale élaborée dans les officines du chef. Mieux encore, Pauline Marois faisait du rejet de pans entiers du programme adopté en 2005 par l'ensemble des membres, la condition de son acceptation du poste de cheffe du Parti québécois. Elle n'a d'ailleurs pas entendu un congrès du parti pour rejeter ce programme. Elle a conclu l'opération dans un Conseil national. Jean-François Lisée est arrivé à la chefferie avec son programme et le report du référendum à 2022 est maintenant devenu le point central du discours péquiste. Les décisions du prochain congrès sur les propositions de son chef seront perçues comme un vote pour le programme défendu par le chef du parti… Un rejet signifierait un vote de censure induisant une spirale de crise dans le parti. Ce rapport au parti est la traduction à ce niveau du rapport du Premier ministre à son gouvernement.
Au parlement ou au gouvernement, toujours au-dessus du parti !
Et quand, il devient un parti de gouvernement, le Premier ministre et les ministres s'autonomisent de leur parti jusqu'aux prochaines élections. C'est ce qui explique toutes ces résolutions adoptées par les congrès restent lettres mortes et qu'une politique néolibérale est menée une fois au pouvoir par un parti qui prétend haut et fort, surtout durant les périodes électorales, défendre l'État social. N'est-ce pas l'histoire du Parti québécois ?
La base militante du Parti se transforme alors en instrument docile des parlementaires et se dégrade jusqu'à l'état de base sans pouvoir qui trotte derrière le chef ou la cheffe comme simple faire-valoir. Cette base, victime de sa confiance aveugle, n'a pas la force de faire triompher sa volonté.
La position de Québec solidaire sur les porte-parole s'appuie sur une tout autre logique !
Comme parti de gauche, QS s'appuie sur les couches subalternes de la société. Ses couches constituent la vaste majorité de la population. Son action est de défendre becs et ongles les intérêts de la majorité populaire. Il cherche et prend les moyens pour lui redonner cette parole que les couches dominantes n'ont eu de cesse de lui enlever. Mais cela n'est possible pour un parti que dans la mesure, où un fonctionnement radicalement démocratique s'y est généralisé. C'est pourquoi une compréhension profonde des conditions de l'entrée dans l'action politique de ces couches subalternes est une condition indispensable de la remise en question de leur assujettissement et de l'efficacité du politique pour remettre en question les bases idéologiques et sociales du pouvoir dominant.
Pour QS, l'opposition entre les chefs et une majorité suiviste se doit d'être abolie. Le rapport entre la base du parti et la direction est renversé. Les porte-parole condensent et expriment les aspirations des membres. Leur influence dans le parti est directement proportionnelle à cette capacité d'assumer ce rôle. Autrement dit, le prestige et l'influence des porte-parole n'augmentent que dans la mesure où ils détruisent les fondements de tout suivisme. Leur prestige augmente dans la mesure où ils ne se prétendent plus des chef-fes au-dessus des membres, mais d'où ils cherchent à faire de l'ensemble des militantes et militants qui constitue le parti, la direction de ce parti. Cette transformation de la base militante en collectif agissant capable d'une pratique réflexive partagée est un processus dialectique et continu, car un parti de gauche recrute de façon ininterrompue des éléments nouveaux. C'est pourquoi la formation est si essentielle dans un parti qui fonde son fonctionnement sur une véritable démocratie participative. La direction d'un tel parti doit refléter la réalité de genre (le caractère essentiel de la parité hommes/femmes), générationnelle (place faite aux jeunes), sociale (la présence des différents secteurs sociaux) et politiques (la reconnaissance du pluralisme politique dans le parti) pour créer les conditions d'une direction coordonnant le travail de la base d'un tel parti. Le résultat des débats peut devenir des synthèses d'expériences diversifiées vécues par les différentes composantes du parti…
C'est pourquoi un gouvernement solidaire qui voudra travailler à l'expression réelle de la souveraineté populaire exigera une rupture avec le primo-ministérialisme et proposera dans le cadre d'une assemblée constituante, la mise en place d'institutions qui donneront au parlement des pouvoirs décisionnels sur une série de questions stratégiques et instaureront divers mécanismes de démocratie directe et participative qui viseront à éviter la consolidation d'une oligarchie politique pouvant encore une fois s'approprier la souveraineté politique à ses propres fins.
[1] André Larocque dresse la liste de ses pouvoirs : “Le premier ministre du Québec est le chef de son parti, chef du gouvernement, chef du parlement, chef de l'administration. Sa décision est finale au Conseil des ministres. Il convoque, proroge et dissout l'Assemblée nationale comme il l'entend. Dans un cadre limité de cinq ans, il fixe la date des élections générales à sa discrétion, il détermine la date des élections complémentaires. Il nomme et révoque les ministres et les sous-ministres, le secrétaire général du gouvernement, le leader, le whip et le secrétaire général de l'Assemblée nationale. Il nomme les juges des cours du Québec, le directeur de la Sûreté du Québec et chef de la police de Montréal, les dirigeants des sociétés d'État (Hydro-Québec) et les dirigeants d'un large horizon d'offices, de commissions, de comités de tous genres dont la Société des Alcools, la Régie de l'assurance maladie, la Société de l'assurance automobile, la Caisse de dépôt et placement, etc. Il “propose”, mais en vérité nomme puis qu'il contrôle la majorité de l'Assemblée, le Directeur général des élections, le Protecteur du citoyen, le Vérificateur général, le président de la Commission d'accès aux documents des organismes publics. Il prépare et livre le discours inaugural (politique d ‘ensemble du gouvernement), approuve le discours du budget, détermine l'agenda gouvernemental, préside le Comité ministériel des priorités, approuve toute déclaration ministérielle majeure, répond en priorité aux questions à l'Assemblée nationale, approuve tout projet de loi, toute réglementation. Il procède par décret, contrôle l'octroi de tout contrat d'importance et détermine l'organisation de l'administration publique. » Et il conclut : “Bref, le système parlementaire est bien mal nommé. Nous vivons en réalité dans un système que l'on devrait qualifier de “premier-ministériel”. (André Larocque, Au pouvoir citoyen, mettre fin à l'usurpation des partis politiques, Éditions BLG, 2006, pp. 50-51)

Les élu.es de la gauche québécoise et le droit à l’autodétermination... des ukrainien.nes : un appel à la solidarité

Le 24 février 2024 marque le triste anniversaire de l'invasion à grande échelle de l'Ukraine par l'armée Russe de Vladimir Poutine. Deux ans plus tard, le silence de la classe politique québécoise est toujours aussi assourdissant et affligeant. C'est tout particulièrement le cas du silence de ceux et celles qui se revendiquent de gauche, indépendantistes ou souverainistes et qui proclament haut et fort leur droit à l'autodétermination.
En deux ans, Québec solidaire a déposé deux motions à l'Assemblée nationale. Dans la première, adoptée en février 2022, les députés s'inquiètent « de la remontée du conflit armé en Ukraine », affirment leur « solidarité avec le peuple ukrainien » et expriment leur souhait « d'une résolution pacifique basée sur la négociation et le respect du droit international ». Dans la seconde, du 23 février 2023, l'Assemblée nationale réaffirme le droit inaliénable du peuple ukrainien à son intégrité territoriale », déclare « l'agression armée de l'Ukraine par la Russie comme défiant les lois internationales », « dénonce les actes à caractère génocidaire commis contre le peuple ukrainien qui ont été rapportés par les médias », « souhaite la bienvenue au Québec à toutes les Ukrainiennes et à tous les Ukrainiens temporairement déplacés, tout en demandant aux gouvernements du Québec et du Canada de [faire tout] en leur pouvoir pour faciliter leur arrivée au pays » et enfin, « salue la résistance héroïque du peuple ukrainien et le courage du mouvement d'opposition à la guerre en Russie ».
Ces deux motions ont été adoptées à l'unanimité à l'Assemblée nationale. De fait, elles n'engageaient les signataires à rien ou presque. Elles n'exigent ni le retrait inconditionnel de la Russie du territoire ni un soutien militaire ou humanitaire. Et le seul engagement concret, soit celui de tout faire pour faciliter l'arriver au pays des ukrainien.nes qui le souhaitent, a été remis en cause à peine un an plus tard par les auteur.es de la motion. En effet, Québec solidaire, à la suite de la Coalition avenir Québec, le parti au pouvoir, et des souverainistes du Parti Québécois, dénonce aujourd'hui l'afflux des migrants temporaires, des demandeuses et des demandeurs d'asile. Tant et si bien qu'aujourd'hui, les réfugié.es "bienvenu.es" il y a à peine deux ans, vivent quotidiennement avec la crainte d'être finalement expulsé.es.
À part ces deux motions, on cherchera en vain sur le site internet de Québec solidaire des communiqués ou des prises de positions en solidarité avec la défense de l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Le site contient en revanche de nombreux communiqués sur la nouvelle campagne du parti pour un « projet indépendantiste » ou l'autonomie du Québec. À l'exception d'un communiqué de presse en date de février 2022, on est obligé de faire le même constat sur le site internet des souverainistes du Parti Québécois.
Au moment d'écrire ce texte, on ne sait pas encore si Québec solidaire déposera une nouvelle motion à l'Assemblée nationale, le 24 février 2024. Mais en attendant, si des élu.es Québécois.es de gauche et attaché.es au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes souhaitent appuyer un peu plus concrètement le droit à l'autodétermination des ukrainien.nes, ils et elles sont invité.es à signer cet appel d'élu.es qui réclame le retrait inconditionnel des troupes russes et le droit de l'Ukraine à recevoir les armes nécessaires pour imposer ce retrait.
Camille Popinot
Illustration : Oleksandr Shatokhin, Guilty, 2022, Poutine sera reconnu coupable de ses crimes. https://salledepresse.uqam.ca/communiques-de-presse/ukraine-lart-de-se-defendre-le-centre-de-design-de-luqam-presente-une-exposition-dillustrations-antiguerre-en-trois-volets/

Français, anglais, immigration

Le français au Québec est-il menacé par l'immigration ? Est-ce que le déclin de la langue française est relié à l'afflux d'immigrantꞏes, temporaires ou permanentꞏes, régulièrꞏes, réfugiéꞏes ou clandestinꞏes ? En tout cas, l'immigration est constamment reliée à cette question dans d'innombrables déclarations politiques, chroniques et commentaires.
Pour mieux comprendre ce qui se passe ici au Québec, on ferait bien d'ouvrir les yeux sur ce qui se passe dans notre « niche écologique culturelle ».
Élisabeth Germain, 2024-02-19
La réalité est que l'innovation, en Occident, se fait en anglais. Si elle naît dans une autre langue, elle est traduite en anglais pour circuler. L'anglais est la langue de l'enrichissement économique, des avancées technologiques, du tourisme, de la diffusion artistique, de la diplomatie internationale et plus encore. La puissance dominante en Occident, ce sont les États-Unis d'Amérique (dont le nom lui-même est une appropriation abusive). La France, foyer du français, se traduit elle-même en anglais, à l'intérieur comme à l'extérieur, et elle a fait de l'anglais sa langue de prestige. Les titres de livres, les marques de vêtements, le nom des écoles, les mots pour désigner les nouvelles technologies, tout cela et plus encore s'anglicise de plus en plus.
Il ne s'agit pas d'énumérer des exemples, mais de faire voir un courant : l'anglais a colonisé l'Occident, colonisé les affaires occidentales, colonisé les esprits occidentaux. C'est à cela que le Québec est confronté, et nos dynamiques particulières s'inscrivent dans ce courant suprarégional. Il ne sert à rien d'accuser nos immigrantꞏes : les courants migratoires mondiaux eux-mêmes s'effectuent en anglais. Lorsqu'un autre langue réussit à s'imposer devant l'anglais, c'est l'arabe ou le mandarin, tandis que le français arrive derrière l'hindi ou l'espagnol. Le français n'est plus porteur des dynamiques mondiales.
Si je suis unilingue francophone au Québec – ou en France - et que j'utilise un ordinateur en français, je dois apprendre un tas de choses en anglais, car c'est la langue d'accueil d'une majorité de sites, c'est la langue des transactions commerciales et des livraisons de produits achetés, c'est même la langue des réponses aux demandes de dépannage informatique. Les objets que nous achetons sont censés comporter des instructions en français, lesquelles sont souvent incompréhensibles si on ne va pas comparer avec l'anglais. Une grande proportion des publications sont traduites de l'anglais – en sciences, c'est évident, en littérature c'est flagrant. Les termes anglais, et plus encore le contexte culturel anglophone, s'imposent à travers ces traductions et nous amènent à notre insu à penser en anglais.
Alors oui, préservons le français, préservons notre capacité à nous épanouir collectivement et personnellement dans la culture qui nous porte. Mais sachons que ce faisant, nous résistons à une dynamique de colonisation qui dépasse largement la langue d'usage, car elle se déploie dans toutes les sphères de la vie collective. Sachons qu'elle n'est pas spécifique au Québec ni portée principalement par les personnes immigrantes. Elle est globale.
Nous ne pouvons pas simplement préserver notre langue : comme pour la crise écologique, ce sont les bases familières de notre habitation terrienne qui se modifient. Comme pour la crise écologique, cette dynamique est permise par notre consentement à une expansion économique féroce, fondée sur la marchandisation et l'exploitation. Fermer les yeux, réduire le phénomène, se contenter de le freiner ou s'imaginer que nous pouvons y échapper, sont des échappatoires nuisibles. Comme pour l'inévitable crise écologique, prenons conscience et assumons que nos façons de vivre et nos perspectives doivent changer en profondeur.
Conjuguer est un maître-mot : la réalité culturelle est d'ordre écologique, elle existe dans l'interdépendance avec les réalités qui coexistent dans le même environnement. Métissage, croisements, adaptation, mutations sont nécessaires à la persistance. Nous avons à inventer, comme et avec une multitude de peuples, des dynamiques de transition culturelle, sociale et économique pour assumer la diversité et favoriser un bien vivre pour l'humanité. Cela commence à l'échelle de notre communauté territoriale québécoise concrète, toute diversité incluse.
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Les travailleurs étrangers temporaires ou l’esclavage moderne

La question de l'immigration temporaire est sur toutes les lèvres depuis décembre 2023, alors que Statistique Canada nous apprenait qu'il y a plus d'un demi-million d'immigrants temporaires au Québec. Dans l'ensemble du Canada, le nombre s'établit à 2,5 millions de personnes en situation d'immigration temporaire, réparties selon trois catégories : travailleurs étrangers, étudiants internationaux et demandeurs d'asile.
14 février 2024 |tiré de l'Aut'journal
https://lautjournal.info/20240214/les-travailleurs-etrangers-temporaires-ou-lesclavage-moderne
Des établissements d'enseignement, surtout les collèges privés non subventionnés, de même que certaines compagnies, comme Amazon ou Dollarama, contribuent à cette situation ou, du moins, en profitent beaucoup. Ces organisations à but lucratif ont en commun d'exploiter sans vergogne les populations issues de l'immigration temporaire, qui comptent parmi les plus précaires de notre société.
En éducation, on se rappellera des écoles Matrix qui, par des stratagèmes méprisables, leurraient des jeunes gens d'origine indienne et leur faisaient payer jusqu'à 25 000 $ pour des Attestations d'études collégiales (AEC) de piètre qualité. Du côté des entreprises, un rapport du syndicat des Métallos révèle une explosion du recours au PTET (Programme des Travailleurs Étrangers Temporaires). Le nombre d'individus participant à ce programme est ainsi passé de 7 180, en 2017, à 59 000, en 2023. Pour Dominic Lemieux, directeur québécois des Métallos, cette situation est troublante. Je discute avec lui pour en apprendre davantage.
Orian Dorais : Vous avez signé une lettre ouverte dénonçant un « recours débridé » au PTET et un « détournement » du programme dans des termes assez durs. Pouvez-vous préciser quelles dérives vous dénoncez ?
Dominic Lemieux : Dans les dernières années, le recours au PTET s'est multiplié par huit, ce qui amène certains risques. Le système des contrats fermés du PTET est particulièrement problématique, parce qu'il attache les signataires à une seule entreprise. Autrement dit, quelqu'un qui est sous un contrat fermé pourrait voir un meilleur emploi dans une shop juste en face de son lieu de travail, mais n'aurait pas le droit d'y postuler.
C'est quand la dernière fois qu'au Canada des gens étaient liés de force à un lieu de travail, sans pouvoir légalement aller travailler ailleurs ? À l'époque de l'esclavage. En fait, un rapporteur spécial de l'ONU a dénoncé ce système-là, en parlant d'esclavagisme moderne. On abordait les dérives du PTET, en voici une assez grave.
Il faut aussi souligner que ce programme-là ne permet que très rarement l'accès à l'immigration permanente. À la limite, celles et ceux qui occupent des métiers plus spécialisés arrivent parfois à rester, mais pour des corps de métiers comme journalier, conducteur de chariot élévateur ou préposé au nettoyage, il n'y a pratiquement aucun moyen d'accéder à la citoyenneté canadienne.
Imaginez, on parle d'immigrants et d'immigrantes temporaires qui vont habiter dans nos régions, qui travaillent dans nos usines et qui forment des relations amicales ou amoureuses avec le monde d'ici… mais le programme ne leur permet pas de rester. Même après plusieurs mois. Aussi, l'incitatif d'apprendre le français est moins présent si la personne sait qu'elle ne va rester que trois ans, maximum.
À vrai dire, on observe qu'une immigration plus prospère ou plus spécialisée va systématiquement avoir un accès plus facile à la citoyenneté que les gens du PTET, ce qui est discriminatoire. Le programme fait maintenant en sorte que des gens viennent ici pour une longue période et finissent par s'attacher à leur milieu, mais sans pouvoir y rester… alors que, justement, le Québec a besoin d'attirer du monde dans ses régions. Quand on voit une multiplication des situations comme ce que je viens de vous décrire, on peut dire que le PTET a été détourné de ses objectifs initiaux, qui visaient à combler temporairement des besoins de personnel précis.
Des solutions permanentes à la pénurie de main-d'œuvre
O.D. : Les employeurs vont souvent plaider la pénurie de main-d'œuvre pour justifier leur recours massif et prolongé à ce programme…
D.L. : La pénurie de main-d'œuvre, c'est pas une légende ; là, on est bien conscients que ça existe. Mais si cette pénurie risque de devenir un problème permanent, faudrait peut-être lui trouver des solutions permanentes… comme permettre aux employés du PTET d'avoir accès à la résidence permanente ! Pour qu'ils puissent rester dans leurs communautés – en région – et y contribuer avec leur travail. Et si la pénurie de main-d'œuvre diminue dans les prochaines années, à cause d'un éventuel ralentissement économique, alors il faudra cesser d'abuser du PTET.
Encore un mot sur la fameuse pénurie, je vous donne l'exemple de la fonderie Laperle, à Saint-Ours. Il y a quelques temps, les patrons là-bas voulaient recruter à l'étranger, en prétextant qu'ils ne trouvaient personne pour travailler dans la région. Le syndicat a insisté pour que la fonderie offre des salaires bonifiés avant de se tourner vers l'international. C'était en milieu de convention collective, nous n'étions pas en mobilisation pour le renouvellement des ententes, mais nous avons réussi à négocier une amélioration majeure de la paie. Comme par hasard, les postes ont été comblés. Dans certains cas, ce n'est pas tant un problème de pénurie, mais un problème de conditions offertes.
Réinstaurer des seuils
O.D. : Quelles réformes votre syndicat propose-t-il au programme ?
D.L. : Aujourd'hui, si des entreprises veulent utiliser le PTET, ça passe comme une lettre à la poste. Il y a environ 300 catégories d'emploi qui peuvent se qualifier. Avant, il y avait des seuils à respecter, par exemple une usine ne pouvait pas compter plus que 10 à 20% de main-d'œuvre internationale. Les entreprises devaient effectuer des tentatives de recrutement local et démontrer la pénurie de personnel. Et le syndicat devait donner son accord. Toutes ces mesures sont maintenant suspendues et nous demandons leur rétablissement.
On demande aussi que l'employeur fournisse des efforts de francisation. D'abord, il existe des programmes gouvernementaux qui couvrent une partie des coûts de francisation, donc ce ne serait pas une grosse dépense pour les entreprises. Ensuite, quand quelqu'un manipule du matériel potentiellement dangereux et que les instructions sont en français, ce serait bien que la personne en question puisse les lire. Ça devient un enjeu de sécurité.
Des histoires d'horreur
O. D. : D'après ce que vous avez pu observer, dans quelles conditions vivent les immigrants temporaires sur un visa de travail ?
D.L. : On a déjà parlé des contrats fermés et de la quasi-impossibilité d'accéder à la citoyenneté, mais il faut aussi dénoncer la précarité que cause le PTET. Les gens qui sont ici avec ce programme ont droit à une valise de 22,5 kg pour deux, trois ans, ce que les Québécois amènent normalement pour une semaine de vacances. Les travailleurs et travailleuses vivent avec la peur constante de se faire dire de ramasser leur valise et de se faire mettre dans l'avion vers leur pays d'origine, quasiment avec un timbre sur le front.
J'ai entendu des histoires d'horreur. Par exemple, deux journaliers qui se parlent pendant leur quart devant un superviseur. Le superviseur s'étend les bras et se met à imiter un avion, pour leur signifier d'arrêter, sinon ils se font retourner. C'est humiliant et si c'est pas une menace, ça !
Une fois, j'ai enttendu parler d'un employé qui s'était fait escorter de son milieu de travail par deux agents de sécurité qui l'ont forcé à faire ses bagages. Ils allaient l'emmener à l'aéroport. Le syndicat a été informé et il a carrément fallu appeler la police pour dénoncer un enlèvement ! Heureusement, on a réussi à régler le problème avant que ça finisse en expulsion. Mais la peur reste.
C'est certain que le syndicat protège les employés du PTET et que la convention s'applique également à tout le monde. Mais si les gens ont peur, ils ont moins de chance de pouvoir refuser de faire des heures supplémentaires ou de dénoncer des situations dangereuses. On assiste à une augmentation massive des cas de blessures au travail chez les immigrantes et immigrants temporaires. Maintenant, il faut qu'on se pose la question : va-t-on accepter, comme société, de voir des gens dans des situations comme ça ?

S’imposent l’arrêt des exportations d’armes et financer l’UNRWA

On ne dénoncera jamais assez l'odiosité du gouvernement canadien qui a hésité et tardé à réclamer un cessez-le-feu au fascisant gouvernement sioniste concernant sa terriblement asymétrique guerre génocidaire contre le peuple palestinien, et pas seulement contre la Bande de Gaza. Il faut dire que le gouvernement québécois a fait pire en tardant davantage et en persistant à ouvrir un bureau du Québec en Israël.
N'empêche que le gouvernement Trudeau a maintenu son soutien stratégique à Israël, tête de pont de l'impérialisme occidental pour le contrôle du Moyen-Orient, puits intarissable de pétrole bon marché et plus important carrefour géostratégique mondial, en continuant à lui exporter de l'armement. C'est ce que dénonce une coalition de la société civile canadienne et quelque peu québécoise d'ONG et d'églises mais non celle catholique (https://oxfam.qc.ca/lettre-ouverte-transferts-armes-israel/).
Là où cependant le gouvernement canadien a dépassé les bornes de l'odiosité et de servilité vis-à-vis l'impérialisme étatsunien est sa suspension précipitée de son financement de l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). Pourtant l'ONU a congédié ces personnes et a mis en branle le mécanisme d'examen prévu pour de tels cas. L'Office est le premier organisme humanitaire pour les personnes réfugiées de Gaza et d'ailleurs dans cette région. Elle est irremplaçable pour ces millions de personnes et est devenue indispensable car « les conséquences sur place de ces coupes budgétaires vont à l'encontre des mesures provisoires émises le vendredi 26 janvier par la Cour internationale de justice. »
Le prétexte en est qu'Israël accuse une douzaine des 13 000 personnes, sur 30 000 au total, employées de l'UNRWA dans la Bande de Gaza d'avoir participé à l'audacieuse percée du mur faisant de cette Bande une prison à ciel ouvert régulièrement bombardée, et à la prise des postes militaire adjacents dont plusieurs militaires israéliens ont été faits prisonniers. Rappelons que la lutte armée des peuples opprimés est conforme au droit international. Malheureusement l'organisation politico-militaire Hamas, réactionnaire et fondamentaliste administrant la Bande de Gaza, a planifié ou a laissé faire un massacre vengeur de plusieurs centaines personnes civiles et peut-être de soldats désarmés sans compter la prise d'otages civils. C'est là une imitation à petite échelle des crimes à grand déploiement de l'armée sioniste depuis la Nakba (catastrophe) du nettoyage ethnique de 1948. Comme la guerre génocidaire israélienne, ce crime de guerre du Hamas mérite un examen de la Cour internationale de justice. On ne dira jamais assez comment cette bavure du Hamas a donné un prétexte en or au gouvernement israélien pour sa guerre vengeresse et sans quartiers.
Devant ce scandale de non financement par les grandes puissance occidentales dont le Canada, six grands syndicats canadiens (SCFP, STTP, AFPC, Unifor, Métallos, NUPGE) représentant plus de deux millions de personnes salariées ont exigé du gouvernement canadien qu'ils annulent cette décision inhumaine pour ne pas dire barbare (https://scfp.ca/des-syndicats-reclament-le-retablissement-du-financement-lunrwa). Certes, cet appel inclut de facto plusieurs syndicats de la FTQ mais aucun des autres centrales québécoises. La CSN a bien appuyé une déclaration du CISO pour un cessez-lefeu dès octobre 2023 mais est demeuré silencieuse depuis lors. Quant aux autres centrales, sauf erreur c'est motus et bouche cousue. Il est vrai que la lutte du secteur public a été accaparante. Mais n'est-ce pas là une excuse facile ?
Marc Bonhomme, 18 février 2024
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

Une catastrophe annoncée

En représailles à l'attentat du Hamas du 7 octobre 2023, le gouvernement israélien s'est lancé dans une opération militaire de grande envergure dans la bande de Gaza, en plus de soumettre ce territoire à un blocus total qui fait suite à un blocus partiel qui prévaut depuis 2006.
photo Serge d'Ignazio
En décembre 2023, l'Afrique du Sud a ouvert une procédure devant la Cour internationale de justice (CIJ) contre Israël concernant un génocide en cours dans la bande de Gaza et demandant à la Cour de prendre des mesures conservatoires (l'équivalent d'une injonction provisoire) étant donné l'urgence, tout en lui demandant de se prononcer sur le fond de l'enjeu.
Le jugement de la CIJ
Le 26 janvier dernier, la Cour a rendu un jugement mi-figue mi-raisin concernant ces mesures conservatoires. Cependant, elle n'a pas reconnu valides les arguments de la partie israélienne et s'est déclarée compétente pour instruire cette cause.
Parmi les aspects positifs de ce jugement, mentionnons que la Cour a reconnu le très grand nombre de personnes mortes et blessées, la destruction d'habitations et le déplacement forcé de la population palestinienne de Gaza (ce qui est prohibé par la Convention sur les génocides). Elle a également rappelé et fait siennes les observations du secrétaire général adjoint de l'ONU, de l'OMS et du commissaire général de l'UNRWA. Elle note également les propos déshumanisants de hauts responsables israéliens. De plus, elle accorde une plausibilité prima facie aux allégations de l'Afrique du Sud, à savoir que nous sommes devant un génocide. Elle reconnaît également le risque de détérioration de la situation d'ici à ce qu'elle rende un jugement sur le fond et admet qu'il y a une situation d'urgence. La Cour demande également à Israël de rendre disponibles les services de base et l'aide humanitaire et lui demande de faire un rapport sur les mesures prises dans un délai d'un mois.
Ces faits ne sont pas nouveaux. L'intérêt du jugement de la CIJ est de les faire attester par le droit international. Cependant, et là nous passons à l'aspect plus négatif de ce jugement, la Cour n'a pas appelé Israël à cesser immédiatement ses activités militaires dans la bande de Gaza, ce qui lui donne un délai supplémentaire d'un mois pour poursuivre ses exactions, ce dont elle ne se prive pas si l'on se fie à ce qui est rapporté par les médias. Le juge ad hoc israélien a même voté contre les mesures, tirées directement de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, demandant à Israël de s'abstenir de tels actes. À quoi s'attendre fin février puisque, dans leur plaidoyer, les représentant.es de l'État d'Israël ont nié l'ampleur des dommages infligés à la population civile et se sont même targués de permettre l'aide humanitaire à Gaza. De plus, la Cour qui avait le pouvoir d'en appeler à la communauté internationale, a laissé Israël seul juge de ce qu'il convient de faire.
Les réactions d'Israël et de ses alliés
Quelle a été la réponse du gouvernement israélien depuis ce jugement ? D'abord, de dénoncer la participation de 12 employé.es de l'UNRWA aux attentats du 7 octobre (ce qui représente moins de 0,1% du personnel de l'UNRWA en Palestine). Ensuite de demander la démission du responsable de l'UNWRA. Enfin, de planifier une attaque contre Rafah où s'est réfugiée la majorité de la population palestinienne de Gaza. Sans parler du climat de terreur et des violences que font subir les colons aux populations palestiniennes de Cisjordanie et de Jérusalem-Est, le tout avec la complicité de l'armée israélienne. Sans parler, également, des manifestations récurrentes de l'extrême-droite israélienne pour empêcher l'aide humanitaire de transiter par le point de passage de Kerem Shalom.
Dans la foulée des « révélations » israéliennes concernant la participation de certains employé.es de l'UNRWA aux attentats du 7 octobre, plusieurs gouvernements occidentaux, dont le gouvernement canadien, n'ont rien trouvé de mieux à faire que d'annoncer la suspension de leur financement à l'UNRWA. Or, il s'avère que l'UNRWA gère, depuis 1948, les camps de réfugié.es (les personnes déplacées par la première Nakba et leur descendance), s'occupe de l'éducation et du système de santé et constitue la principale organisation humanitaire en territoire palestinien. Suspendre l'aide financière à l'UNRWA, c'est éventuellement se rendre complice du génocide israélien à Gaza et dans les autres territoires palestiniens occupés.
De plus, le Canada poursuit (et même intensifie) son commerce d'armement avec Israël. Dans le cas présent, cela signifie donner les moyens au gouvernement israélien de poursuivre son œuvre génocidaire. Or, selon la Convention internationale pour la prévention et la répression du crime de génocide, tous les États signataires (dont le Canada) doivent s'abstenir de contribuer directement ou indirectement à la commission d'un tel crime.
Que pouvons-nous faire ?
Évidemment, la première chose à faire, c'est de participer aux manifestations hebdomadaires organisées par la communauté palestinienne dans les principales villes canadiennes. Mais il y a actuellement plusieurs campagnes qui pourraient éventuellement changer la donne.
La première concerne l'annulation de l'implantation d'un bureau commercial à Tel Aviv. Le gouvernement québécois a suspendu l'ouverture de ce bureau du fait de la guerre actuelle, mais il ne l'a pas annulé. Nous devons faire savoir haut et fort au gouvernement québécois qu'il n'est pas question d'accroître nos liens commerciaux avec un État génocidaire. Au contraire, il faudrait les annuler et revoir l'entente Québec-Israël.
La deuxième concerne le rétablissement du financement à l'UNRWA. C'est actuellement la seule organisation humanitaire encore présente sur l'ensemble du territoire de Gaza et la seule en mesure de coordonner l'aide humanitaire si jamais celle-ci se rend. De plus, elle joue un rôle de premier plan en dans les autres territoires palestiniens occupés par Israël et dans les camps de réfugié.es palestinien.nes au Liban, en Syrie et en Jordanie. CJPMO a lancé une pétition à cet effet.
La troisième est la cessation de tout commerce d'armes avec l'État d'Israël. Il est insensé de soutenir militairement un gouvernement qui fait fi des règles à respecter lors d'affrontements armés. Plus encore, selon la Convention pour la prévention et la punition du crime de génocide, tous les États signataires sont tenus de faire tout en leur possible pour prévenir le crime de génocide. Contrairement à ses obligations ionternationales, le Canada alimente la machine génocidaire. Là encore CJPMO a lancé une pétition en ligne à cet effet.
En ces moments tragiques, nous devons manifester de toutes les façons notre soutien au peuple palestinien. Nous ne pouvons pas détourné le regard et dire que nous n'en savions rien : tous les jours des images atroces nous parviennent de Gaza occupée, ceux et celles qui nous les envoient risquant leur vie pour que le monde cesse de les ignorer.
Diane Lamoureux
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