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La vaccination réduit considérablement le risque de COVID Long

Un consensus de plus en plus large se dégage sur le fait que recevoir plusieurs doses de vaccin COVID peut réduire considérablement le risque de symptômes persistants. Une étude du JAMA a notamment constaté que la prévalence du COVID Long chez les travailleur·euses de la santé est passée de 41,8% chez les participant·es non vacciné·es à 30% chez celleux ayant reçu une seule dose, 17,4% avec deux doses et 16% avec trois doses.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/02/24/la-vaccination-reduit-considerablement-le-risque-de-covid-long/
Note de Cabrioles : en raison de l'échappement immunitaire des variants émergents et de la baisse importante de la protection vaccinale au bout de six mois, un rappel doit être fait régulièrement pour une protection optimale. Par ailleurs, bien que réduit par la vaccination le risque de COVID Long reste élevé. Défendre une prévention combinée (Vaccination + FPP2 gratuits + Assainissement de l'air intérieur) demeure un impératif.
Au moins 200 millions de personnes dans le monde ont été affectées par un COVID Long : une série de symptômes qui peuvent persister pendant des mois, voire des années, après une infection par le SARS-CoV-2, le virus qui provoque le COVID. Mais les recherches montrent que ce nombre serait probablement beaucoup plus élevé sans les vaccins.
Un consensus de plus en plus large se dégage sur le fait que recevoir plusieurs doses de vaccin COVID avant une première infection peut réduire considérablement le risque de symptômes persistants. Si les études ne s'accordent pas sur le degré exact de protection, elles montrent une tendance claire : plus vous recevez de doses avant une première infection par le COVID, moins vous risquez de contracter un COVID Long. Une méta-analyse de 24 études publiée en octobre, par exemple, montre que les personnes ayant reçu trois doses de vaccin COVID avaient 68,7% de risques en moins de développer un COVID Long par rapport à celles qui n'avaient pas été vaccinées. Alexandre Marra, chercheur médical à l'hôpital israélite Albert Einstein au Brésil et auteur principal de l'étude commente : « C'est vraiment impressionnant. Les doses de rappel font une différence pour le COVID Long ».
Il s'agit également d'une avancée bienvenue par rapport aux études précédentes, qui montraient que les vaccins offraient qu'une protection plus modeste face au COVID Long. En 2022, l'équipe de Marra avait publié une méta-analyse de six études inqiquant qu'une seule dose du vaccin COVID réduisait de 30% la probabilité d'un COVID Long. Aujourd'hui, cette protection apparait beaucoup plus importante.
Une étude publiée en novembre dans le BMJ a montré qu'une seule dose de vaccin COVID réduit le risque de COVID Long de 21%, deux doses de 59% et trois doses ou plus le réduisent de 73%. L'efficacité du vaccin augmente clairement à chaque nouvelle dose. Fredrik Nyberg, épidémiologiste à l'université de Göteborg, en Suède, l'un des coauteurs de l'étude déclare : « J'ai été surpris de constater une réaction aussi nette à chaque dose. Plus le nombre de doses présentes dans l'organisme avant la première infection est élevé, mieux c'est ». Ces résultats concordent avec ceux de plusieurs nouvelles études, qui montrent de la même manière un effet bénéfique en cascade. La méta-analyse d'octobre 2023 de Marra a montré que deux doses réduisaient la probabilité de COVID Long de 36,9% et que trois doses la réduisaient de 68,7%. Et dans une étude publiée l'année dernière dans le Journal of the American Medical Association, d'autres chercheur·euses ont constaté que la prévalence du COVID Long chez les travailleur·euses de la santé est passée de 41,8% chez les participant·es non vacciné·es à 30% chez celleux ayant reçu une seule dose, 17,4% avec deux doses et 16% avec trois doses.
Ces études ont été menées dans plusieurs pays dont les systèmes de santé, la démographie, le taux de vaccination contre le COVID et la prévalence du COVID diffèrent. Marra note donc que l'efficacité des vaccins COVID contre le COVID Long varie et ne peut être généralisée à d'autres contextes. Néanmoins, la cohérence des résultats des études est éloquente : quel que soit le contexte, de nombreuses études s'accordent à dire que les rappels offrent une protection efficace contre le COVID Long. La récente méta-analyse de Marra, par exemple, a montré que la prévalence du COVID Long dans les premières années de la pandémie était constamment supérieure à 20%. Aujourd'hui, les taux de COVID Long ont chuté, probablement grâce à une immunité accrue, à l'évolution des variants et à l'amélioration des traitements. Cependant, il existe toujours un fossé important entre les personnes non vaccinées et les personnes vaccinées. La prévalence du COVID Long est actuellement de 11% chez les personnes non vaccinées et de 5% chez celles qui ont reçu au moins deux doses de vaccin. « Il s'agit d'une différence significative pour les personnes qui ne veulent pas prendre le risque », dit-il.
La question reste de savoir pourquoi. C'est peut-être parce que ces vaccins aident à prévenir le COVID sévère lui-même, qui est un facteur de risque pour le COVID Long. Mais cela ne semble pas tout expliquer, notamment parce qu'il a également été démontré que les rappels protégeaient les personnes qui n'avaient eu qu'une infection bénigne par le COVID. Malheureusement, les mécanismes précis en jeu sont difficiles à démêler, car la cause du COVID Long elle-même est encore imprécise. L'une des possibilités est que le virus reste dans l'organisme, se cachant dans divers organes, tels que l'intestin ou le cerveau, et provoque une inflammation chronique. Une autre hypothèse est que le COVID Long est une maladie auto-immune dans laquelle la réponse immunitaire déclenchée par l'infection initiale mène une guerre prolongée contre l'organisme, provoquant des symptômes longtemps après la disparition de l'infection initiale.
Dans les deux cas, les rappels offrent un avantage, selon Akiko Iwasaki, immunologiste à l'université de Yale, qui codirige un essai clinique sur le COVID Long. En effet, les rappels renforcent les anticorps, augmentant à la fois leur nombre et leur capacité à se fixer au virus, ainsi que les cellules immunitaires T et B qui aident à combattre le virus. Grâce à ces deux éléments « les personnes qui reçoivent les injections de rappel ont une meilleure capacité à lutter contre l'infection » explique Iwasaki. Il s'agit là d'un élément clé, qui permet au rappel d'enrayer une infection croissante avant qu'elle ne devienne incontrôlable. « Plus on empêche la réplication et la propagation du virus dans l'organisme, moins le virus a de chances d'ensemencer une niche, d'établir des réservoirs ou de provoquer une inflammation excessive qui conduit à l'auto-immunité », explique-t-elle.
Bien qu'il faille du temps pour déterminer la raison exacte de l'effet protecteur des vaccins contre le COVID Long, de nombreu·ses spécialistes médicale·aux espèrent que les nouvelles études contribueront à lutter contre la diffusion de fausses informations et de désinformations sur la vaccination contre le COVID, qui a nourri la suspicion à leur égard. Mais les spécialistes notent également que si les vaccins réduisent le risque de COVID Long, ils ne l'éradiquent pas, et la protection peut s'estomper avec le temps. « Des vagues d'infections peuvent encore se produire, et la dynamique du virus, y compris l'émergence de nouveaux variants, ajoute de la complexité à la situation », explique Marra. Il est donc important de continuer à suivre les directives de santé publique pour minimiser l'impact du COVID Long, y compris le risque de symptômes persistants.
Shannon Hall
Shannon Hallest une journaliste scientifique indépendante et primée. Elle est spécialisée dans l'astronomie, la géologie et l'environnement. Elle écrit pour Scientific American, The New York Times, Nature, National Geographic et d'autres.
https://cabrioles.substack.com/p/la-vaccination-reduit-considerablement
Publication originale (03/01/2024) :
Scientific American
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26-29 février : La Via Campesina appelle à une Semaine de Mobilisation contre l’OMC

La 13e Conférence ministérielle (CM13) de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) est prévue du 26 au 29 février 2024 à Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis.
Tiré de Entre les lignes et les mots
La Via Campesina a appris que les négociations alimentaires et agricoles lors de la 13e ministérielle aborderont (i) une solution permanente à la question de la constitution de stocks publics, en suspens depuis 2013, (ii) le Mécanisme spécial de sauvegarde, une demande de longue date des pays en développement, (iii) les subventions substantielles fournies par les pays développés du Nord global à leurs agro-industries, et (iv) les subventions à la pêche industrielle ainsi que le traitement spécial et différencié demandé par les pays en développement pour protéger la pêche artisanale.
Ces questions font l'objet de discussions depuis plusieurs années, mais l'OMC a démontré à plusieurs reprises son manque de pertinence en ne tenant pas compte des demandes et des aspirations d'une grande partie des pays du Sud et des petit.e.s exploitant.e.s agricoles du monde entier. Au lieu de répondre à ces préoccupations, l'OMC n'a fait qu'engendrer et aggraver les crises de la faim dans le monde, de l'extrême pauvreté, des conflits agraires et de la crise alimentaire.
Depuis plus d'une décennie, l'incapacité de cette institution à parvenir à un consensus sur une solution durable pour les stocks alimentaires publics, malgré la présentation de propositions détaillées par plus de 80 pays en développement, illustre clairement son alignement sur les intérêts des États-Unis et d'autres pays fortement orientés vers l'exportation.
L'OMC est devenue un espace où la règle du droit prévaut, quelques pays développés déterminant le cours du commerce mondial. Malgré l'affirmation des pays du Sud, l'OMC reste bloquée dans les limbes, semblant creuser sa propre tombe.
Pour La Via Campesina, cette situation n'est pas du tout surprenante. Au cours des 30 dernières années, notre mouvement mondial n'a cessé de mettre en évidence les effets néfastes de l'OMC et le rôle qu'elle joue dans l'affaiblissement et la marginalisation des économies paysannes et rurales du monde entier. L'accord sur l'agriculture, sous couvert d'« État de droit », a été le principal outil par lequel l'OMC a imposé des réformes néolibérales à l'échelle mondiale, uniquement pour élargir l'accès au marché pour les grandes entreprises du Nord, et les entreprises agroalimentaires basées dans d'autres pays orientés vers l'exportation.
La Via Campesina s'est activement mobilisée contre l'OMC pendant trois décennies, soulignant son manque de pertinence et son éloignement des réalités vécues par les populations dans divers territoires.
Mobilisez-vous en février ! Exprimez nos contre-propositions !
Alors que la 13ème réunion ministérielle débute à Abu Dhabi le 26 février, La Via Campesina exhorte ses membres dans tous les pays à descendre dans la rue et à se mobiliser contre l'OMC, en dénonçant les politiques néfastes qu'elle a imposées au cours des trois dernières décennies. Notre lutte collective pour un commerce équitable, des prix justes pour les produits, une transition significative vers l'agroécologie paysanne et la défense de la terre, de l'eau et des forêts constitue en fin de compte une bataille contre le système économique néolibéral promu par l'OMC.
Au milieu de l'incertitude de l'Organisation mondiale du commerce, en particulier après la paralysie totale de son Organe d'appel pour le règlement des différends, des nombreux pays expriment leur frustration et se tournent de plus en plus vers des accords commerciaux bilatéraux et régionaux pour le commerce agricole. Malheureusement, ces accords reproduisent souvent le problème de l'Accord sur l'agriculture.
La Via Campesina s'oppose fermement à tous les accords de libre-échange qui mettent en péril la souveraineté alimentaire d'un pays, sapent l'autonomie et l'autosuffisance des économies locales et ont des effets négatifs sur la vie, les conditions de vie et les salaires de tou.te.s les travailleur.euse.s, y compris les travailleur.euse.s migrant.e.s et les femmes. En tant que voix mondiale des peuples de la terre, nous demandons un cadre commercial international fondé sur les principes de solidarité, de justice sociale, d'internationalisme et de souveraineté alimentaire. Nous exigeons un cadre qui s'aligne sur les garanties mentionnées dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysan.ne.s et autres personnes travaillant dans les zones rurales. Etant donné que les institutions multilatérales mondiales ne parviennent pas à établir un système commercial juste et équitable, les paysan.ne.s prennent l'initiative de formuler un tel cadre. Bien que des informations supplémentaires sur cette initiative seront partagées bientôt, La Via Campesina appelle tous les membres et alliés à descendre dans la rue pendant la semaine du 26 au 29 février 2024 et à faire entendre leurs voix.
Envoyez vos initiatives et actions à communications@viacampesina.org et partagez-les sur les réseaux sociaux en nous taggeant sur :
Instagram : @la_via_campesina_official
Facebook : @ViaCampesinaOfficiel
Twitter : @via_campesina @via_campesinaSP @viacampesinaFR
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« Lancer un grand front international contre l’extrême droite »

Au terme d'une nouvelle édition du Forum social mondial (FSM) qui s'est déroulée à Katmandou, au Népal, du 15 au 19 février, l'heure est au bilan. « Ce fut un événement très positif pour la région. Mais il faut aller de l'avant, promouvoir des initiatives concrètes dans un contexte international complexe marqué par l'offensive de l'extrême droite », estime l'historien et économiste belge Eric Toussaint. Fondateur et porte-parole du Comité pour l'abolition des dettes illégitimes (CADTM), Toussaint a participé au FSM, où son organisation a promu six activités qui ont été largement suivies. Interview.
Eric Toussaint du Comité pour l'abolition des dettes illégitimes « Lancer un grand front international contre l'extrême droite ». Echos du Forum social mondial au Népal, 15-19 février 2024
20 février | tiré du CADTM | Photo : Marche d'ouverture du Forum social mondial de Katmandou (Népal), le jeudi 15 février 2024
https://www.cadtm.org/Eric-Toussaint-du-Comite-pour-l-abolition-des-dettes-illegitimes-Lancer-un
Q : Quel bilan tirez-vous de cette nouvelle édition du Forum social mondial qui vient de s'achever ?
Positif, mais...
Éric Toussaint (ÉT) : Il a été très positif, principalement en raison de la participation de secteurs populaire très divers et parmi les plus opprimés. Je pense notamment aux Dalits, la caste des intouchables, aux peuples natifs et indigènes, historiquement marginalisés mais très organisés, aux forces syndicales, à de nombreuses féministes issues des classes populaires. La majorité était originaire du Népal et de l'Inde. Les organisateurs ont compté plus de 18 000 inscriptions (ndr de plus de 90 pays) et lors de la manifestation d'ouverture du jeudi 15, entre 12 et 15 000 participants se sont mobilisés. Dans les conférences, les ateliers et les activités culturelles, chaque jour, il y avait pas moins de 10.000 personnes. C'était une excellente décision de venir au Népal.
Cependant, le FSM en tant que tel n'a pas atteint la même représentation qu'au cours de sa première décennie d'existence, depuis sa fondation à Porto Alegre, au Brésil, en 2001. Il y avait très peu de participant-es venant d'Europe, d'Amérique latine ou d'Afrique. Bref, un bon niveau de participation régionale mais une faible présence des autres continents. Cela montre les difficultés du FSM à prendre des initiatives globales ayant un impact réel.
Il manque une dynamique internationale mobilisatrice
Q : Pensez-vous que le dernier grand rassemblement pré-pandémique pour le FSM 2019 à Salvador de Bahia, au Brésil, a été un succès ?
ET : Pas tout à fait. Si nous pensons à cette édition à Salvador de Bahia, bien qu'elle ait été bien suivie, elle était essentiellement réduite à la région du Nord-Est avec des représentations de quelques autres régions du Brésil. Malheureusement, la présence d'autres continents était faible à Salvador de Bahia.
Nous percevons aujourd'hui une réalité contradictoire. D'une part, le Forum social mondial ne constitue plus une véritable force d'attraction et de propulsion. D'autre part, c'est le seul espace mondial qui existe encore. C'est pourquoi il est encore important pour des réseaux internationaux comme le CADTM d'y participer.
Je suis convaincu que si le FSM avait une force réelle - telle que nous l'avons obtenue en février 2003 lorsque nous avons appelé à de grandes mobilisations pour la paix et contre la guerre en Irak - son pouvoir serait aujourd'hui significatif : à la fois pour faire face au génocide en Palestine et pour aider à construire un large frein à la croissance de l'extrême droite que l'on peut observer dans de nombreuses régions du monde.
Quand je dis cela, je fais référence, entre autres, à Narendra Modi en Inde, nationaliste, anti-slam et anti-musulman, violent ; à Ferdinand Marcos Junior aux Philippines, héritier non seulement de la dictature familiale mais aussi du répressif Rodrigo Duterte ; à la régression réactionnaire du régime en Tunisie, de plus en plus similaire à l'ancienne dictature de Ben Ali, avant le printemps arabe. En Europe, il y a des gouvernements extrémistes et bellicistes comme ceux de Vladimir Poutine en Russie, de Giorgia Meloni en Italie, de Viktor Orban en Hongrie et en Ukraine un gouvernement de droite néolibéral pro-OTAN. Je pense aussi aux menaces réelles de Chega, une nouvelle extrême droite au Portugal qui aspire à récolter 20 % des suffrages alors qu'elle était absente électoralement entre 1975 et il y a seulement trois ans ; la possibilité d'une victoire de Marine Le Pen en France aux prochaines présidentielles ; VOX en Espagne ; la victoire électorale du parti d'extrême droite aux Pays-Bas, l'avancée de l'AFD en Allemagne... Et sans prétendre les citer tous, en Amérique latine, des présidents comme Nayib Bukele au Salvador ou Javier Milei en Argentine, avec un programme économique et social plus radical que Pinochet lui-même dans le Chili dictatorial. Tout cela dans le contexte mondial d'une possible victoire électorale de Donald Trump aux prochaines élections présidentielles américaines. Sans oublier le gouvernement fasciste de Benjamin Netanyahu en Israël, promouvant un projet raciste, génocidaire et colonialiste.
A la recherche de meilleures propositions
Q : Si le Forum social mondial n'a pas la force d'être une force de propulsion et d'union dans une réalité mondiale que vous décrivez comme dramatique, la question est évidente : que devraient faire, selon vous, les secteurs progressistes ?
ET : Je pense que la formule d'un FSM avec seulement des mouvements sociaux et des ONG mais sans partis politiques progressistes (comme défini dans la Charte des principes de 2021) ne permet pas une lutte adéquate contre l'extrême droite. Face à la montée de l'extrême droite et des projets fascistes, il faut chercher un autre type de convergence internationale. Dans ce sens, le CADTM, avec d'autres acteurs sociaux, a contacté le PSOL (Parti Socialisme et Liberté) et le PT (Parti des Travailleurs) de Porto Alegre, berceau du Forum Social Mondial depuis 2001, pour proposer la création d'un Comité d'organisation qui convoquerait une réunion internationale en mai pour discuter de la marche à suivre, en vue d'une grande réunion dans un an. Avec une vision large pour intégrer les mouvements sociaux de toutes sortes, les féministes, les activistes pour la justice climatique, les croyants progressistes, dans la perspective de réfléchir à la meilleure façon de résister à l'extrême droite. Des acteurs importants tels que le mouvement brésilien des travailleurs sans terre (MST) pourraient y participer activement. S'ils ont réussi au Brésil à se libérer de Jair Bolsonaro avec une large politique d'alliances politiques et sociales, il est essentiel d'en tirer des leçons politiques concrètes. Le Forum social mondial pourrait continuer, mais nous sommes convaincus qu'un nouveau cadre de forces capables de se remobiliser est nécessaire.
Q : Il y a des initiatives comme l'Alliance internationale des peuples qui réfléchissent déjà dans ce sens...
ET : Bien sûr, elle devrait être impliquée et jouerait un rôle. Mais nous avons besoin d'une nouvelle initiative de front uni plus large. Nous pensons que cette première réunion pourrait être convoquée en mai 2024 à Porto Alegre, au Brésil, et il serait concevable, par exemple, d'avoir une forte présence de l'Argentine, des forces de la gauche radicale avec la gauche du péronisme, des organisations syndicales telles que la Central de Trabajadores de Argentina et même la CGT (Confederación General de Trabajadores) et les mouvements sociaux et féministes très diversifiés. Ce serait un premier pas vers une grande conférence en 2025 par exemple à Sao Paulo si l'alliance de gauche (PT, PSOL, etc.) remporte les élections municipales en 2024.
La construction de cette nouvelle initiative internationale serait large et diverse, incorporant divers courants révolutionnaires, de la 4e Internationale à la social-démocratie en passant par l'Internationale progressiste, à travers toute la gamme des sensibilités de gauche. Ainsi que des organisations et personnalités progressistes aux États-Unis (par exemple Bernie Sanders, Alexandria Ocasio-Cortez, le syndicat automobile UAW qui a remporté une victoire importante en 2023). Et des partis et mouvements de gauche d'Europe, d'Afrique, d'Asie et de la région arabe. Il s'agirait aussi d'élargir la participation à des personnalités engagées du monde culturel qui apportent leur propre contribution. Il est nécessaire de convaincre le plus grand nombre de forces possible, y compris celles qui doivent surmonter les différences et les divisions historiques, et qui comprennent et acceptent le grand défi prioritaire du moment, à savoir la lutte contre l'extrême droite. Nous savons qu'un tel appel ne sera ni simple ni facile à concrétiser : il exige une grande générosité et une forte volonté politique. La complexité du moment historique et les dangers qui pèsent sur l'humanité et la planète nous imposent d'essayer d'y arriver.
Auteur.e
Eric Toussaint Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d'ATTAC France.
Il est l'auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020,Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d'un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d'œil dans le rétroviseur. L'idéologie néolibérale des origines jusqu'à aujourd'hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
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La traite des femmes nigérianes en Europe, un « business » complexe

Nombre de femmes prostituées dans les grandes villes européennes viennent du Nigeria. Perçu comme un moyen de sortir de la misère, ce phénomène est solidement ancré dans l'État d'Edo. Mais c'est souvent un véritable enfer qui attend les « candidates », soumises à un rythme de travail effréné et à de violents châtiments, ainsi que leurs familles, piégées par l'accord passé avec les Madams.
Tiré d'Afrique XXI.
La grande majorité des femmes africaines en situation de prostitution dans les grandes villes européennes est originaire du Nigeria, et principalement de l'État d'Edo, dans le sud du pays. Cette traite transcontinentale a débuté vers la fin des années 1980, mais a surtout pris de l'ampleur au cours de la décennie 2000 puis des années 2010, marquées par l'augmentation du nombre d'arrivées d'exilé·es en Europe. Entre 2015 et 2018, les Nigérian·es étaient la troisième nationalité la plus représentée parmi les personnes ayant emprunté la voie de la Méditerranée, selon l'agence européenne Frontex. À la sur-représentation des femmes originaires de l'État d'Edo dans la prostitution de rue en France s'est alors ajoutée la présence de nombreuses mineures, parfois très jeunes, alimentant une panique morale autour de la migration illégale et de la traite.

Mobilisé à des fins de durcissement des politiques migratoires, l'argument de la traite a également été repris par les pouvoirs publics européens pour justifier un renforcement des contrôles et des barrières administratives limitant la mobilité féminine en particulier. Ces restrictions ont favorisé les réseaux de trafic tout en augmentant les risques encourus sur la route, mais elles n'ont pas permis de juguler le système d'exploitation, particulièrement rentable, qui s'est développé entre le Nigeria et l'Europe depuis une trentaine d'années.
Les nombreux phénomènes liés à la migration, plus ou moins volontaire, de jeunes femmes destinées à la prostitution en Europe sont complexes et rarement considérés dans leur profondeur historique, économique, politique et sociale.
La traite sexuelle, une pratique ancienne au Nigéria
Si, aujourd'hui, le phénomène a pris une ampleur internationale, les pratiques d'exploitation sexuelle ont commencé à se développer au niveau régional dès la période coloniale. Les historiens montrent en effet qu'au début du XXe siècle, il existe des transferts de jeunes filles originaires du sud-est du Nigeria vers d'autres régions, à l'Ouest et jusqu'au Ghana, dans le cadre d'activités de prostitution forcée, à destination notamment des hommes européens (1).
Parallèlement à ces pratiques se développe également, pendant la colonisation, le système de prêt sur gage : le pawnship. Il s'agit de la mise en gage d'une personne pour garantir le remboursement d'un prêt, cette personne devant servir le créancier jusqu'à la fin du remboursement. Des parents gagent ainsi leurs enfants pour couvrir des frais exceptionnels, tels qu'un mariage ou le paiement de l'impôt colonial (2).
Si ces phénomènes sont parfois transnationaux, ils restent conscrits à l'Afrique de l'Ouest. Ce n'est qu'à partir des années 1980 qu'on observe des mouvements transcontinentaux, d'abord en direction de l'Italie. Il est difficile d'expliquer pourquoi et comment la prostitution des femmes edos se développe dans ce pays. Toutefois, on peut lier ces formes spécifiques de mobilités féminines avec les migrations de travail des hommes en direction du secteur agricole au sud de l'Italie, qui s'intensifie dans les années 1980 et 1990 (3). Il faut également mettre ces mouvements migratoires en perspective de la situation économique et politique du Nigeria, particulièrement délétère à cette époque. L'application des programmes d'ajustement structurel à la suite du deuxième choc pétrolier de 1979 ont en effet plongé le Nigeria dans une période de récession, marquée par l'austérité économique mais aussi par l'instabilité politique, avec une succession de coups d'État et de régimes militaires entre 1983 et 1998.
Un des effets indirects de ces crises a été la féminisation des responsabilités économiques, notamment vis-à-vis de la famille, et l'élaboration, par les femmes nigérianes, de stratégies de survie individuelles et collectives, le plus souvent informelles. S'inscrivant dans ce qu'on nomme au Nigeria le « hustling » (4), la migration féminine vers l'Europe se développe comme une solution face à une situation nationale profondément dégradée. La prostitution transnationale, organisée par d'anciennes prostituées, devient alors une alternative migratoire par défaut, une « voie d'émancipation » parmi d'autres, qui ne se transforme en système d'exploitation qu'au cours de la décennie suivante.
Aux facteurs économiques et politiques favorisant ces mouvements s'ajoutent les formes genrées de violences sociales et familiales (violences domestiques, excision, mariage forcé, inceste), face auxquelles l'État nigérian n'offre aucune protection efficace – les règles religieuses et coutumières locales s'imposant souvent devant les lois fédérales – et qui jouent parfois un rôle important dans la décision de partir pour l'Europe. La pression familiale est un autre facteur déterminant, puisque la migration de leurs filles en Europe est perçue par de nombreux parents comme le seul moyen d'améliorer les conditions de vie du reste de la famille. L'activité prostitutionnelle est donc parfois considérée comme un sacrifice temporaire auquel les filles concèdent, ou qu'elles choisissent elles-mêmes de s'imposer, dans l'optique, à terme, d'une vie meilleure pour elles et pour leurs proches.
Le rôle des madams
Le centre névralgique de ce trafic se trouve à Benin City. Dans la capitale de l'État d'Edo, la traite est devenue un véritable modèle économique ; le recrutement, le transport puis l'exploitation sexuelle des jeunes femmes en Europe reposent sur des réseaux familiaux ou communautaires dont certains, bien structurés, peuvent exploiter plusieurs dizaines de femmes en même temps et générer des sommes colossales puisque chacune d'entre elles doit payer, en moyenne, entre 30 000 et 50 000 euros à ses trafiquants. Les retombées financières de ce « business » – en tout cas considéré comme tel au Nigeria – sont si importantes qu'elles ont profondément transformé le paysage économique et social de l'État.
D'une part, l'enrichissement des familles par le biais de la prostitution des filles est un des seuls outils d'ascension sociale collective disponibles (5). Celles qui sont parvenues à s'élever socialement ont réussi en devenant des Madams, c'est-à-dire en exploitant d'autres femmes à leur tour. Elles ont ensuite investi leurs gains dans des projets commerciaux ou immobiliers, symboles concrets de leur ascension, visibles de tou·tes dans la ville de Benin.
D'autre part, les normes sociales ont été redéfinies à partir des modèles de réussite que représentent les Madams, anciennes prostituées (parfois elles-mêmes victimes de traite) devenues proxénètes puis opératrices économiques et personnalités influentes dans l'État d'Edo. Elles ont ainsi contribué à façonner les imaginaires migratoires et la perception de la prostitution transnationale comme potentielle source d'enrichissement, à la fois par les jeunes femmes et par les familles. Les plus riches d'entre elles font partie de la première génération de femmes nigérianes parties en Europe au début des années 1980 pour y être prostituées. Établies en Italie, certaines sont retournées au Nigeria après avoir accumulé suffisamment de capital financier et ont été surnommées les « Italos ». Nombreuses sont celles qui, disposant de la double nationalité, font encore des allers-retours entre l'Italie et le Nigeria. Dans un contexte de durcissement continu des politiques migratoires européennes et des conditions d'obtention de visas, les Madams conservent un quasi-monopole sur les connexions avec l'Europe.
Une logique sacrificielle an sein des familles
À la fin des années 1990, les Madams de la première génération, les « Italos », deviennent des « sponsors » ; elles encouragent les filles à tenter leur chance en Europe et persuadent les parents qu'il s'agit d'un projet rentable puisqu'en « sponsorisant » leurs filles elles prennent en charge l'ensemble des coûts liés à leur voyage. Beaucoup de jeunes filles victimes de traite en Europe sont originaires des régions rurales et pauvres d'Edo State, notamment de la zone Esan, à l'Est, mais aussi des quartiers pauvres de Benin City comme Upper Sakponba ou Saint Saviour, où un grand nombre de familles reçoivent le soutien financier d'une fille, d'une mère, d'une tante ou d'une cousine basée en Europe, ce qui renforce l'argumentaire des Madams et facilite l'adhésion des parents. Certains prennent même la décision d'envoyer leur fille (ou leur nièce) sans son accord.
Lorsque la décision est prise, les relations se formalisent entre la fille « candidate » au départ, ses parents et ceux de la Madam qui va sponsoriser son voyage. Souvent, la famille de la fille et celle de la Madam se connaissent déjà ; parfois, elles ont même des liens familiaux. Lorsque les parents décident d'envoyer de très jeunes filles, de 12 ou 13 ans par exemple, celles-ci, une fois en Europe, passent sous le contrôle et la responsabilité de leur Madam, ce qui s'inscrit dans une logique de « confiage », courante en Afrique de l'Ouest, permettant la prise en charge temporaire des enfants issus de familles défavorisées (6).
En contexte edo, c'est le plus souvent la fille aînée qui part. Ce « sacrifice » de l'un des enfants de la fratrie est fréquemment le résultat d'un choix parental, imposé aux filles (en particulier pour les plus jeunes dans un contexte où on ne s'oppose pas à ses parents), mais c'est aussi, parfois, un choix auto-imposé, pour aider la famille à subvenir aux besoins des autres membres, notamment des frères et sœurs cadet·tes. L'entourage des filles, mais aussi la société, contribuent à renforcer ce sens du sacrifice, ce qui en pousse certaines à accepter les propositions des trafiquant·es. La migration « informelle » ou « illégale » de jeunes femmes vers l'Europe représente une option courante pour un grand nombre de familles pauvres, mais également pour certaines familles de la classe moyenne, qui peinent elles aussi à accéder aux services de base et aspirent également à améliorer leur niveau de vie.
Parfois, la nature de l'activité qui sera exercée en Europe est connue, parfois pas. Mais les conditions de travail, elles, ne le sont jamais. Pas plus que les cadences imposées, la rue, le froid, la violence de certains clients, l'obligation de travailler pendant les règles menstruelles ou encore le temps nécessaire à rembourser une dette dont le montant a été donné en euros et dont la démesure est ainsi passée inaperçue : la valeur du naira est très fluctuante et n'a cessé de baisser ces quinze dernières années, ce qui complique la perception de l'équivalence entre l'euro et le naira (7). Les risques liés au voyage, les accidents en mer ou dans le désert, sont plus ou moins clairement perçus, mais cela n'empêche pas la décision de s'engager – ou d'engager sa fille – dans un tel projet.
Les bénéfices générés par la prostitution sont visibles au Nigeria ; les familles s'imaginent donc pouvoir bénéficier, à court terme, d'une source de revenus potentiellement importante ou encore, à moyen terme, des investissements de leur fille au pays, comme la construction d'une maison ou l'achat d'une boutique.
Serment d'allégeance
À leur arrivée en Europe, les jeunes filles sont immédiatement placées sous l'autorité de leur Madam ou bien d'une autre femme qui agit pour le compte de la Madam. Celle-ci devient alors une figure d'autorité presque maternelle (8) et par ailleurs totalement tyrannique. Les Madams imposent en effet un rythme de travail effréné – la majorité des jeunes femmes travaillent tous les jours, quelles que soient les conditions météo et leur état de santé, du début de la soirée jusqu'au petit matin – et exigent des sommes très élevées qui sont censées couvrir le remboursement des frais de voyage mais qui représentent, en réalité, dix à quinze fois le coût effectif du trajet. À ces montants s'ajoute toute une série de frais supplémentaires, les trafiquant·es leur faisant également payer le loyer, la nourriture, les vêtements, les médicaments ainsi que certaines démarches administratives (9).
Si ces sommes ne sont pas versées, les filles s'exposent à des menaces, des châtiments, des violences physiques et morales : elles peuvent être battues ou renvoyées dans la rue jusqu'au soir. Mais elles exposent également leurs familles à des actions de représailles conduites par les proches des Madams, au Nigeria. C'est parce que le lien qui existe entre elles et leurs proxénètes ne les engage pas seules que les jeunes femmes ne peuvent s'extraire facilement de ce système d'exploitation. Un véritable contrat a été élaboré avant le départ, qui implique plusieurs protagonistes et qui est souvent scellé au cours d'un rituel très codifié. Avant le départ, la jeune fille prête un serment d'allégeance à sa Madam, dans lequel elle s'engage à suivre ses ordres et à lui rembourser une dette sans jamais en parler à qui que ce soit. Le montant en euros est énoncé à ce moment-là, sans que l'équivalent en nairas ne soit précisé.
Lors de cette cérémonie, un membre de la famille de la jeune fille – souvent sa mère ou sa tante – est présent, la Madam est là aussi – physiquement ou par téléphone – ou elle est représentée par un·e proche. Garant officiel de l'accord, un priest (investi de l'autorité d'une divinité) dirige la cérémonie et scelle un compromis qui n'engage alors pas seulement la « candidate » au départ, mais également sa famille. Le non-respect du contrat (somme partiellement ou pas remboursée, dénonciation à la police…) entraîne des répercutions mystiques de la part des divinités sollicitées que le priest énonce au cours du rituel : la maladie, l'infertilité, la folie ou la mort attendent les contrevenantes (10).
La pression des temples
En Europe, ces rituels ont fait l'objet d'une attention particulière et d'un travail de réflexion sur les conséquences, psychologiques notamment, que les serments et leur rupture pouvaient avoir sur les victimes (11). Mais ces pratiques, parfois abusivement comparées au vaudou, ont également suscité, notamment dans la presse, une certaine fascination exotisante (12), faisant passer au second plan la dimension socio-économique de ces serments. Or, comme le montre Dr. Precious Diagboya, le recours au pouvoir mystique des divinités pour sceller des contrats ou régler des contentieux est une pratique extrêmement courante dans l'État d'Edo, où elle pallie la lenteur et l'inefficacité du système judiciaire officiel, fortement corrompu. Les recouvrements de dettes contractées dans le cadre de la traite sont notamment assurés par des temples dont l'autorité religieuse est renforcée par le rôle social et politique central qu'ils occupent dans la société edo, ce qui leur permet d'agir en toute légitimité et de percevoir, au passage, 10 % des sommes récupérées (13).
Pendant la période d'exploitation sexuelle des femmes en Europe, les priest interviennent régulièrement, par téléphone notamment, en cas d'opposition ou de conflit, pour rappeler l'importance de l'engagement pris ainsi que les conséquences d'une éventuelle rupture de l'accord. Mais c'est aussi sur la famille au Nigeria que s'exerce la pression des temples, qui peuvent convoquer officiellement les parents afin qu'ils répondent des manquements de leur fille sous peine de se voir contraints de vendre leurs biens pour rembourser les sommes dues.
En mars 2018, l'Oba, monarque héritier du royaume de Benin et autorité religieuse suprême dans la région edo, a prononcé une annulation des serments prêtés dans le cadre de la traite ainsi qu'une interdiction formelle de sceller de nouveaux serments (14). Cette déclaration, très médiatisée, a effectivement permis de mettre fin à la servitude pour dette de quelques femmes contraintes à la prostitution en Europe, mais elle n'a mis fin ni au principe d'endettement ni aux rouages coercitifs de l'exploitation sexuelle. Les trafiquant·es se sont réorganisé·es, soit en délocalisant les cérémonies en dehors de la zone d'autorité de l'Oba, soit en s'appuyant sur la menace physique et les violences envers les familles pour obliger les femmes à payer. De nombreuses familles sont ainsi victimes de représailles très violentes : menace de mort, destruction des biens ou assassinats, les Madams ayant recours aux services d'Area Boys ou de Cultists (15).
Depuis quelques années, le rôle des jeunes hommes appartenant à des Cults – parfois impliqués dans des activités criminelles telles que le trafic d'armes et de stupéfiants – dans les dynamiques de traite en Europe s'est renforcé (16). D'une part en raison des liens étroits, de parenté ou conjugaux, entre Madams et Cultists, d'autre part, en conséquence de l'annulation de serments et du renforcement de la violence physique comme mode de persuasion privilégié. Toutefois, et malgré de récentes enquêtes révélant l'influence grandissante des Cults nigérians en Europe, la traite sexuelle du Nigeria vers l'Europe n'est pas passée aux mains d'une « Mafia africaine » structurée et globalisée. Ces dynamiques d'exploitation relèvent encore majoritairement de petits réseaux communautaires ou familiaux qui n'ont pas forcément de liens entre eux. Qu'elles soient le fait des Cults ou des temples, les menaces sur les familles sont néanmoins bien réelles, et de nombreux parents, se sachant en danger, demandent à leurs filles de payer les sommes réclamées, ce qui est impossible lorsque celles-ci ont fui leur Madam.
Une intégration difficile
Face aux menaces, à la pression, au sentiment de responsabilité et de culpabilité, certaines jeunes femmes décident de devenir proxénètes à leur tour. Ce choix leur apparaît comme la seule manière de retourner le système d'exploitation en leur faveur, de garantir l'enrichissement de la famille et d'obtenir une forme de reconnaissance sociale, quitte à risquer la prison.
Celles qui parviennent à s'émanciper, soit en remboursant la totalité de la dette, soit en se soustrayant au contrôle des trafiquant·es, font ensuite face à de très grandes difficultés sociales et financières. Maintenues isolées et sous l'emprise de leur Madam pendant plusieurs années, elles ont peu de connaissances sur la société d'accueil et sur leurs droits, elles ne parlent pas la langue du pays d'accueil et ont du mal à naviguer dans le système administratif. Les parcours d'intégration sont donc généralement longs et délicats. En outre, les parcours de ces femmes se déploient dans un continuum transnational, allant du Nigeria vers l'Europe en passant par le Niger, la Libye, la Méditerranée puis le sud de l'Italie, dont une des principales caractéristiques est la récurrence des violences, psychologiques comme physiques (et sexuelles en particulier). Les viols dont les filles et les femmes sont victimes sur la route, notamment en Libye (17), constituent des épisodes traumatiques qui, suivis par la prostitution forcée en Europe, entraînent des situations de polytrauma pas toujours identifiées, trop rarement prises en charge et pourtant centrales dans les processus de réparation puis d'insertion.
D'autres difficultés interviennent aussi d'un point de vue légal. Aujourd'hui, en France, les femmes nigérianes victimes de traite sexuelle représentent une part importante des demandeuses d'asile hébergées en Centre d'accueil pour les demandeurs d'asile (Cada), mais le statut de réfugiée leur est majoritairement refusé. En effet, malgré la reconnaissance par la Cour nationale du droit d'asile de l'appartenance des femmes originaires des États d'Edo et de Delta à un groupe social vulnérable à la traite (18), il leur est demandé de justifier de leur extraction du réseau. Faute de preuves suffisantes, près de 80 % d'entre elles sont déboutées du droit d'asile. L'accès au logement est par ailleurs limité par leur situation administrative, et elles sont nombreuses à être hébergées par le 115 (la plateforme d'urgence sociale en France), déménageant d'un hôtel social à un autre, y compris lorsqu'elles ont des enfants. De manière générale, la fin de l'exploitation sexuelle des femmes nigérianes est synonyme de grande précarité.
Malgré la mise en place de dispositifs spécifiques (19), les besoins restent énormes, et les réponses pérennes à des situations très complexes sont encore limitées. Pourtant, la détermination des femmes nigérianes, elle, est manifeste. D'abord dans leur capacité à surmonter les épreuves, et ensuite dans leur aptitude à se mobiliser pour faire face aux défis de l'insertion (20). Mais si l'avenir de ces femmes, de leurs enfants et de leurs familles repose en partie sur leur résilience, il dépend surtout de la volonté des sociétés d'accueil à comprendre leurs parcours, leurs histoires, et à leur offrir la possibilité de se réparer et de construire, ici, leur avenir.
Notes
1- Aderinto Saheed, « Journey to Work : Transnational Prostitution in Colonial British West Africa », Journal of the History of Sexuality 24, n° 1 (2015), 99-124
2- Laurent Fourchard, « Prêt sur gage et traite des femmes au Nigeria, fin XIXe-années 1950 », in B. Lavaud-Legendre (dir.), Prostitution nigériane. Entre rêves de migration et réalités de la traite, Karthala, 2013, p. 15-32.
3- Alessandro Cangiano, Salvatore Strozza, « Gli immigrati extracomunitari nei mercati del lavoro italiani : alcune evidenze empiriche a livello territoriale », Economia e Lavoro, vol. 39, n° 1, 2005.
4- Concept populaire au Nigeria, le « hustling » renvoie à la notion de débrouille, mais aussi de lutte pour la survie, incluant des activités légales et illégales. Le terme est souvent utilisé par les prostituées elles-mêmes, qui se qualifient plus volontiers de « hustlers » que de « sex workers ».
5- Élodie Apard, Precious Diagboya, Vanessa Simoni, « “La prostitution, ça ne tue pas !” Projets d'ascension sociale familiale dans le contexte de la traite sexuelle (Nigeria-Europe) », Politique africaine, vol. 159, n° 3, 2020, pp. 51-82.
6- Le « confiage » consiste à envoyer un enfant chez un parent ou une connaissance pour qu'il y travaille, mais aussi pour qu'il y soit socialisé ou éduqué. Voir : El Hadji Mouhamadou Fadilou Di Ba, « Le confiage : une culture et/ou un système de protection de l'enfance ? », Parentalité(s) et après ?, Érès, 2021, pp. 313-336.
7- Début 2024, le taux de change est de 1 000 nairas pour 1 euro, les sommes à cinq chiffres sont donc extrêmement courantes dans la vie quotidienne des Nigérian·es.
8- Le titre « Iya Onisan » leur est souvent attribué. En langue bini, il signifie littéralement « la mère du derrière », c'est donc une mère qui a le contrôle sur le corps des femmes et, en l'occurrence, sur leurs organes sexuels.
9- En France, profitant du fait que les filles ne parlent pas français et ne connaissent pas le système administratif, juridique ou social français, les trafiquant·es leur font par exemple payer plusieurs centaines, parfois jusqu'à un millier d'euros, les faux récits qu'elles utilisent dans le cadre des demandes d'asile.
10- Vanessa Simoni, « “I Swear an Oath”. Serments d'allégeances, coercitions et stratégies migratoires chez les femmes nigérianes de Benin City », in B. Lavaud-Legendre (dir.), Prostitution nigériane. Entre rêves de migration et réalités de la traite, Karthala, 2013, p. 33-60
11- Voir notamment : Simona Taliani, « Coercion, Fetishes and Suffering in the Daily Lives of Young Nigerian Women in Italy », Africa, vol. 82, n° 4, 2012, p. 579-608 ; Simona Taliani, « Du dilemme des filles et de leurs réserves de vie. La crise sorcellaire dans la migration nigériane », Cahiers d'études africaines, vol. 231-232, n° 3-4, 2018, pp. 737-761 ; Roberto Beneduce, « Une nouvelle bataille de vérité. Discours sorcellaires, cicatrices corporelles et régimes de crédibilité dans le droit d'asile », Cahiers d'études africaines, vol. 231-232, n° 3-4, 2018, pp. 763-792.
12- Entre autres : Mathilde Harel, « Prostituées nigérianes victimes du “juju” », Le Monde diplomatique, novembre 2018 ; Olivier Mélennec, « “Madam” et “juju” : comment les Nigérianes sont exploitées sexuellement en France », Ouest-France, juillet 2018 ; Nelly Assénat et Corrine Blotin, « Proxénétisme : rite vaudou et chantage, le gang des Nigérians jugé à Marseille », France Bleu, octobre 2021.
13- Precious Diagboya, « Oath Taking in Edo : Usages and Misappropriations of the Native Justice System », IFRA-Nigeria Working Papers Series, n° 55, 2019.
14- Élodie Apard, Éléonore Chiossone, Precious Diagboya, Bénédicte Lavaud-Legendre, Cynthia Olufade, et al. Temples et traite des êtres humains du Nigéria vers l'Europe, CNRS - COMPTRASEC UMR 5114, 2019.
15- Tandis que les Area Boys sont des jeunes gens formant, dans les grandes villes du Nigeria, des sortes de gangs très peu organisés, les Cultists sont des membres de confraternités basées sur le secret de l'appartenance et la solidarité entre les membres.
16- Le rôle des Cults dans le trafic d'êtres humains a commencé à être pris en compte, en France, après le procès des « Authentic Sisters ». Voir Sam O. Smah, « Contemporary Nigerian Cultists Groups : Demystifying the “Invisibilities” », IFRA-Nigeria Working Papers Series, n° 57, 2019.
17- Écouter la série de podcasts « True Talk about Libya Road », réalisés par les membres de l'association Mist (Mission d'intervention et de sensibilisation contre la traite).
18- Jurisprudence du 16 octobre 2019, étendue le 24 février 2020.
19- Notamment le dispositif national d'accueil et de protection des victimes de traite (Ac.Sé.), qui permet une mise à l'abri et un accompagnement, ou encore les Parcours de sortie de la prostitution (PSP), qui prévoient l'accès à un hébergement et une aide à l'insertion. Si ces dispositifs fonctionnent et permettent à de nombreuses femmes d'être aidées, les places disponibles sont limitées, de même que les moyens humains dédiés à leur mise en œuvre.
20- En 2020, des femmes nigérianes victimes de traite ont fondé, avec des travailleuses sociales françaises, leur propre association de santé communautaire, basée sur la pair-aidance.

Sénégal : Macky Sall s’accroche désespérément au Parti-État

Que le prochain scrutin présidentiel s'est transformé en un quasi-référendum opposant deux camps : celui des adeptes de la continuité néocoloniale, face à l'immense majorité du peuple, qui en souffre et le subit en victime non consentante.
Tiré d'Afrique en lutte.
Celui-ci, Macky Sall, né après les « indépendances africaines » des années 1960 et prétendant de ce fait être « mentalement décolonisé », va entamer son mandat en surfant sur la vague électoralement porteuse de la Charte de gouvernance démocratique issue des Assises Nationales. L'ayant signée a posteriori sans avoir pris part aux délibérations qui ont abouti au consensus politique le plus large jamais réalisé au Sénégal, le président fraîchement élu s'est empressé de confier au pilote desdites Assises, le patriarche Amadou Mahtar Mbow, la charge de conduire également les travaux d'une Commission Nationale de Réforme des Institutions (CNRI). Une mission dont ce nonagénaire et son équipe vont s'acquitter de façon magistrale. Tant et si bien qu'ils complèteront leur rapport final d'un avant-projet de Constitution, une manière élégante de souligner à la fois l'ampleur et l'urgence des réformes institutionnelles à opérer pour « refonder l'Etat et la société », selon les propres termes de la Charte des Assises Nationales.
Or, dès réception dudit rapport final et avant-même la cérémonie tardive de restitution, une levée de boucliers fut orchestrée dans les media par le conseiller juridique du président Sall, un certain Ismaïla Madior Fall, premier juriste local à occuper ce poste, réservé de tout temps à un maître de Requêtes au Conseil d'Etat français…, tout comme d'ailleurs celui de conseiller militaire revenait systématiquement (l'on n'ose pas dire de droit) à un Saint-Cyrien français. Il ira même jusqu'à reprocher publiquement au patriarche Mbow d'avoir outrepassé son mandat !
Quant au chef de l'Etat, il va se borner à faire le tri des recommandations de la CNRI, pour n'en retenir que celles qui convenaient à son nouveau « Plan Sénégal émergent » … Autant dire qu'il avait délibérément choisi de jeter à la poubelle l'essentiel du programme de refondation de la société et de l'Etat, proposé par les sages du pays. Précocement victime du syndrome de l'ivresse du pouvoir, il va alors renier un à un tous ses engagements antérieurs : de la réduction volontaire de la durée du septennat en cours à l'annonce d'une « gestion sobre et vertueuse » de la chose publique, ou encore le slogan « la patrie avant le parti », en passant par son pseudo-référendum
constitutionnel, frauduleux dans le fond comme dans la forme… La liste de ses manquements de tous ordres est interminable et va aller s'aggravant au cours de sa présidence pour culminer à l'approche de la fin de son second et dernier mandat.
Auparavant, il a eu à croiser sur sa route un jeune inspecteur des impôts et domaines du nom d'Ousmane Sonko. Ce dernier est non seulement un des initiateurs du premier syndicat professionnel de son corps d'origine, mais aussi et secondairement le co-fondateur d'un parti politique d'opposition du nom de Pastef (Patriotes du Sénégal pour le Travail, l'Éthique et la Fraternité). Fondé en 2014, ce parti se réclame ouvertement de l'héritage politique de Mamadou Dia, véritable père de l'indépendance formelle du Sénégal. Il n'y a point de hasard en histoire, dit-on. Il se trouve, en effet, qu'Ousmane Sonko a pris part aux travaux des Assises nationales (Commission Économie) et va signer par deux fois ladite Charte : d'abord dès 2008 en sa qualité de responsable syndical, puis à nouveau en 2018, en tant que président de Pastef et député non inscrit, unique élu de la Coalition Ndawi Askan Wi (NAW) en 2017. Un exemple sans précédent, à ma connaissance, de confirmation d'un engagement politique avec une décennie de recul. Mais surtout, un contraste éthique saisissant avec un autre signataire rendu fameux par le reniement public de sa signature !
Quoi qu'il en soit, l'adversité entre le chef du nouveau Parti-Etat, Alliance pour la République (APR) et celui qui va peu à peu s'imposer comme le leader de l'opposition patriotique et démocratique (Pastef), ira crescendo au fur et à mesure de l'amplification des succès électoraux de ce dernier, aux divers scrutins aussi bien nationaux que locaux. Depuis sa radiation arbitraire de la fonction publique (2016) jusqu'à l'invalidation arbitraire de la liste des candidats titulaires à la députation de la Coalition Yeewi Askan Wi (YAW) qu'il dirigeait (2022), en passant par la multiplication des procès en sorcellerie, sous divers prétextes aussi fallacieux les uns que les autres (viol avec armes à feu, diffamation, vol du téléphone portable d'une gendarme en civil, attentat à la sûreté de l'Etat lié à une entreprise terroriste, etc.), qui s'avèreront en fin de compte n'être qu'autant de pétards mouillés…
En effet, malgré sa séquestration prolongée à domicile, suivi de son kidnapping et de son emprisonnement, et en dépit de la dissolution autoritaire précédée de la fermeture illégale du siège national de Pastef, et surtout la campagne de terreur blanche prolongée, mais dirigée presqu'exclusivement contre les dirigeants, militants et sympathisants du Parti (plusieurs dizaines de morts par armes à feu, près de 1500 prisonniers d'opinion à travers le pays, nombreux exilés, etc.), en dépit donc de cette véritable guerre non déclarée visant à l'anéantir, le Pastef est parvenu à rester debout et à résister victorieusement aux violents assauts du pouvoir totalitaire du Président sortant. Aussi bien sur le plan politique, en le contraignant à renoncer publiquement à une troisième candidature, qu'au plan juridique en réussissant à présenter un candidat de substitution au président Sonko, illégalement écarté, en l'occurrence le Secrétaire général du Parti, Bassirou Jomaay Faye, qui l'a précédé à la prison du Cap Manuel !
C'est précisément la faillite de son perfide système de parrainage sur mesure, visant à choisir lui-même ses adversaires (et qui lui avait si bien réussi lors du scrutin présidentiel de 2019), avec une vingtaine de candidats au prochain scrutin, qui va le pousser à la faute fatale : la promulgation d'un décret illégal interrompant le processus électoral à la veille de l'ouverture de la campagne, couplée à une loi scélérate dérogatoire à la Constitution et votée nuitamment en procédure d'urgence par un parlement croupion, d'où les députés de l'opposition avaient été préalablement expulsés, suscitant stupeur, indignation et colère dans l'opinion tant intérieure qu'africaine et mondiale…
Une tentative désespérée de coup de force anticonstitutionnel, fort heureusement retoqué par un Conseil constitutionnel pour une fois compétent ! Du coup, il a recours aux manœuvres dilatoires, en appelant à un énième faux « dialogue », visant à prolonger aussi longuement que possible une soi-disant « transition » qui, conformément à la loi fondamentale en vigueur, ne l'autorise pas à présider aux cérémonies officielles de la prochaine « fête de l'indépendance », le 4 avril 2024.
Faut-il rappeler qu'en 1993, la première tentative de mise œuvre du consensus issu des travaux de la Commission Nationale de Réforme du Code électoral, présidée par feu le juge Kéba Mbaye, a entraîné sa démission fracassante de la présidence du Conseil constitutionnel au cours du scrutin présidentiel de février, tandis que l'élection des députés du mois de mai suivant s'est soldée par l'assassinat du vice-président de la même juridiction, Me Babacar Sèye, « juge des élections » ? Il importe de préciser que, dans l'intervalle séparant les deux scrutins, la majorité parlementaire mécanique du Parti-Etat PS avait unilatéralement brisé le consensus du « Code Kéba Mbaye », en retirant le droit de vote aux représentants des candidats au sein de la Commission Nationale de Recensement des Votes, désormais réduits au statut de simples observateurs, pour le réserver exclusivement aux magistrats de la Cour d'Appel de Dakar ! L'on voit que le changement unilatéral et partisan des règles du jeu en cours de partie, par l'héritier de Me Wade n'est que la perpétuation d'une vieille tradition de fraude politicienne typiquement senghorienne, même si elle est en réalité héritée de la tradition jacobine française…
Il n'en demeure pas moins que le prochain scrutin présidentiel s'est transformé en un quasi-référendum opposant deux camps : celui des partisans et bénéficiaires du vieux et calamiteux système du parti-Etat, adeptes de la continuité néocoloniale, face à l'immense majorité du peuple, qui en souffre et le subit en victime non consentante. Nos concitoyens sont dans l'attente d'une véritable alternative et non pas d'une troisième alternance trahie par des politiciens professionnels, qui ne sont ni patriotes, ni démocrates ! Tant et si bien que l'on peut prédire sans risque de se tromper que, si et seulement si le scrutin est calme et paisible, régulier et sincère, qu'un second tour est plus qu'improbable, tant le raz de marée « pastefien » en faveur de la Coalition Jomaay Président semble inéluctable…
Toutefois, il apparaît que partout en Afrique, les échéances électorales, loin d'être des moments forts de débats constructifs, de respiration et de régulation de la vie démocratique, se réduisent à des luttes pour le pouvoir personnel et s'avèrent être les principaux facteurs de crise sociale et d'instabilité institutionnelle, sinon de violence sanglante généralisée. Aussi, n'est-il pas exclu que le président sortant tente un ultime coup fourré pour sauver sa mise, en divisant les rangs du mouvement patriotique et démocratique. Une conspiration assurément vouée à l'échec, étant donné le niveau de prise de conscience des masses et surtout de la jeunesse, auxquelles l'on s'adresse désormais dans les langues africaines, (via media et réseaux sociaux) et le degré de détermination qui en résulte chez les gens.
Quoiqu'il en soit, le minuscule arbre du Sénégal ne saurait nous cacher l'immense forêt africaine… La multiplication des crises structurelles autant dans la sous-région ouest-africaine qu'à travers l'ensemble de notre continent, dans un contexte global de faillite politique, économique et morale de l'Occident impérial, dominé par des génocidaires non repentis, (esclavagistes, colonialistes anciens et nouveaux, ségrégationnistes, racistes incorrigibles et prédateurs impénitents), devraient nous convaincre de l'urgente nécessité de changer radicalement de cap.
D'autant qu'il est aujourd'hui manifeste que ceux qui craignent, depuis toujours, l'avènement de la libre expression d'un authentique suffrage universel, régulier et sincère en Afrique, forment une sainte alliance de prédateurs étrangers, désormais associés à des Africains traîtres à leur patrie et esclaves de leurs intérêts égoïstes. Cette association de malfaiteurs incorrigibles n'est guidée que par la volonté de puissance et de domination, le culte du profit et l'esprit de lucre.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, pourquoi s'étonner que la gestion dépendante et incompétente, autoritaire et corrompue, autrement dit le pouvoir personnel à la solde de l'étranger, qui a caractérisé l'évolution de la quasi-totalité des États africains, des indépendances avortées à nos jours, aient abouti à une impasse, sinon au chaos plus ou moins généralisé partout ou presque ?
Il s'agit donc à présent de savoir tirer les bonnes leçons de la riche expérience de luttes pour la survie collective, accumulée par les peuples africains du continent et de la Diaspora d'ascendance africaine directe, afin de nous donner les moyens de recouvrer la maîtrise de nos propres destinées dans des délais non prohibitifs, de concert avec les autres peuples opprimés du monde, dont il y a également beaucoup à apprendre.
Ainsi, au-delà des principes généraux de l'égale dignité de tous les êtres humains et du caractère inviolable de la vie sur terre, affirmés dès 1212 dans le Serment des Chasseurs, plus connu sous le nom de Charte du Mandé, le premier et le plus concis des « textes sacrés de la liberté », (il ne compte que sept articles, à ne pas confondre avec le faux apocryphe dit du « Kurukan Fugan » qui en compte quarante-quatre…) la leçon principale à tirer de notre expérience historique dans les Temps modernes devrait être que même si tout africain possède un terroir de naissance, forcément situé sur un territoire donné, au sein d'un quelconque pays à travers le continent-mère, il doit être évident, pour chacun et pour tous, que la nation à construire ou la patrie à défendre ne saurait être autre qu'une Afrique véritablement libre parce que, réunifiée, souveraine et démocratique sur la base du principe égalitaire absolu : non ethnique, non racial, non sexiste et non confessionnel ; et, par voie de conséquence, une Afrique non violente.
Senghor, père du système du parti-État (1/2)
Dialo Diop est membre de la Coalition Jomaay Président.
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La guerre oubliée : tirer la sonnette d’alarme pour le Darfour

Le nouveau rapport des Nations Unies sur le Darfour n'a pas encore été officiellement publié, mais il fait déjà du bruit. Avec raison ! Les lecteurs réguliers du Brief du Jour sont bien au courant de la détérioration de la situation dans cette région de l'ouest du Soudan. Nous avons mis en évidence la spirale infernale qui se déroule au Darfour, nous avons détaillé les massacres ethniques et autres atrocités, et appelé à une plus grande action internationale à de nombreuses reprises l'année dernière.
Tiré d'Afrique en lutte.
Aujourd'hui, un rapport du groupe d'experts sur le Soudan du Conseil de sécurité des Nations Unies révèle au monde davantage sur les horreurs qui se déroulent dans cette région. Ce rapport, qui n'a pas encore été publié mais qui a été largement diffusé dans les médias, constitue une lecture inquiétante.
Le rapport décrit les vagues d'attaques catastrophiques menées par les Rapid Support Forces (RSF) et leurs milices alliées dans la capitale du Darfour occidental, El Geneina. Selon le rapport de l'ONU, les RSF ont tué entre 10 000 et 15 000 personnes dans la ville et ses environs l'année dernière.
Le rapport confirme que les RSF et leurs alliés ont pris pour cible des civils de l'ethnie Massalit lors d'attaques qui « pourraient constituer des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité ». Human Rights Watch a également documenté la façon dont la RSF et les milices alliées ont perpétré des meurtres ethniques ciblés, des violences sexuelles et des actes de torture à l'encontre de civils de l'ethnie Massalit.
Ces nouvelles atrocités ont contraint plus d'un demi-million de personnes à fuir vers le Tchad, faisant maintenant partie des 10,7 millions de personnes qui ont été déracinées de leurs maisons au Soudan, principalement depuis que le conflit a éclaté en avril. Le nombre de personnes déplacées à l'intérieur du Soudan - neuf millions - est le plus élevé au monde.
Le rapport du groupe d'experts de l'ONU cite les noms des principaux membres des RSF et des milices qui ont supervisé les atrocités commises au Darfour.
Il présente également des allégations crédibles à l'encontre des Émirats arabes unis, qui auraient expédié des armes et des munitions aux RSF au Darfour, en violation de l'embargo sur les armes décrété par les Nations Unies.
Le Conseil de sécurité des Nations Unies devrait agir sur la base de ces conclusions.
Jusqu'à présent, il a condamné les exactions commises au Darfour, mais il n'a pas encore pris de mesures pour sanctionner les responsables des atrocités ni condamné explicitement les violations de son propre embargo sur les armes.
Le Conseil de sécurité devrait agir sur ces deux fronts. Il devrait ajouter les noms des auteurs de crimes graves à sa liste de sanctions générales, et suivre de près toutes les allégations liées au transferts illicites d'armes. Les autres gouvernements devraient faire de même, en utilisant le nouveau rapport de l'ONU pour prendre des mesures dans le cadre de leurs propres régimes de sanctions.
Cette mise à jour est sinistre, je sais. Les atrocités continuent au Darfour et le monde ne fait pas assez pour les arrêter. Et elles ne s'arrêteront probablement pas avant que le monde agisse.
Andrew Stroehlein, Directeur des relations médias en Europe de Human Rights Watch
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« Milei veut modifier les rapports de force en soumettant les mouvements sociaux » – Claudio Katz

Nous publions cette entrevue de Claudio Katz, économiste, chercheur et professeur à l'Université de Buenos Aires sur la politique du nouveau président d'Argentine, Javier Milei, accordée à Rébellion le 5 Février 2024.
7 février 2024 | alter québec
https://alter.quebec/milei-veut-modifier-les-rapports-de-force-en-soumettant-les-mouvements-sociaux-claudio-katz/
« Milei cherche à introduire en Argentine une réforme du travail pour précariser l'emploi et consolider un modèle néolibéral comme au Chili, au Pérou ou en Colombie ».
Rébellion : En novembre et décembre, vous avez écrit que le projet de Milei dépendait de la résistance populaire. Quelle est votre évaluation de la grève et de la mobilisation de la CGT ?
Claudio Katz : Ils ont eu un impact extraordinaire tant par leur caractère massif que par leurs répercussions politiques. La place (devant le parlement) et ses environs étaient remplis d'une affluence spontanée qui complétait la présence syndicale. C'était une protestation frappante 45 jours après le début du gouvernement, en plein milieu des vacances et par temps chaud. La marche a été organisée avec des assemblées régionales et a connu une grande participation des secteurs jeunes, communautaires et culturels. Une fois de plus, quand le mouvement ouvrier organisé intervient, sa puissance est écrasante. Il a été le protagoniste des principales batailles populaires.
La mobilisation a également eu un grand effet international…
Certainement. Des actes de solidarité ont été enregistrés devant les ambassades dans de nombreux pays européens et dans les principales capitales de l'Amérique latine. Cela a montré qu'une conscience mondiale naissante contre l'extrême droite se dessine. On commence à remarquer que si Milei l'emporte, Kast, Bolsonaro, Uribe ou Corina Machado dans notre région, et Trump, Le Pen ou Abascal dans le nord, se renforceront.
Si, au contraire, nous parvenons à arrêter Milei, la vague mondiale des réactionnaires subira sa première défaite dans les rues face à une résistance organisée. Alors que l'anarchocapitaliste cherche le soutien international du FMI, des banquiers et des grands capitalistes, la lutte des travailleurs et des travailleuses argentins suscite la solidarité par en bas, dans de nombreux coins de la planète. Cette ligne de fracture est très prometteuse.
Observez-vous l'activisme international de Milei dans son discours à Davos ?
Oui. Là-bas, il a réitéré ses éloges bien connus pour le capitalisme, mais avec le postulat absurde que ce système traverse son moment de plus grande prospérité. Il a exposé ce diagnostic insolite le même jour où un rapport sur l'inégalité illustrait ce qui s'est passé au cours des quatre dernières années. Pendant cette période, la richesse des cinq hommes les plus riches de la planète a doublé, au détriment de l'appauvrissement d'un nombre incalculable de personnes.
Dans son apologie libertaire, Milei a rejeté toute forme de régulation étatique et nié l'existence de défaillances du marché. Il vit dans un monde fantastique, ignorant que le capitalisme ne pourrait pas fonctionner une minute sans le soutien des États. Il a également relancé la présentation enfantine de l'entrepreneur comme bienfaiteur social, ignorant l'exploitation, la précarisation de l'emploi, le chômage et le parasitisme des financiers.
À ces idéalisations mythiques de l'école néolibérale autrichienne, il a ajouté deux ajouts plus conventionnels. D'une part, la critique réactionnaire du féminisme et en particulier de l'avortement pour l'exercice effectif du principe de liberté individuelle qu'il valorise tant. D'autre part, il a une nouvelle fois nié le changement climatique, au milieu des catastrophes provoquées par les sécheresses, les inondations et la fonte que nous observons quotidiennement. Il ne méconnaît pas ces évidences par ignorance, mais pour son soutien intéressé aux compagnies pétrolières. Il est aligné sur le business de la pollution pour privatiser YPF (compagnie publique de pétrole de l'Argentine), favoriser le groupe Techint et livrer les gisements de Vaca Muerta (un projet d'exploitation du Gaz de Schiste).
Mais il a également émis un avertissement exotique contre la contamination socialiste de grandes institutions occidentales…
Oui, il semblait être un lunatique dans le discours réprimandant les banquiers pour permettre l'influence socialiste dans leurs réunions. Il est absurde de supposer qu'à la Mecque mondiale du néolibéralisme et de l'entreprise libre, il existe un courant de pensée anticapitaliste. Mais comme d'habitude, Milei a déployé ces emportements parce qu'il est contrarié. Dans ce cas, son mécontentement est dû au déclin de la mondialisation et à la dévaluation conséquente du Forum de Davos.
Les personnalités éminentes du passé n'assistent plus à cette réunion. Cette défection s'aligne sur le renforcement du virage vers une intervention régulatrice des États dans les économies centrales. Les tarifs et les dépenses publiques reviennent, maintenant avec des subventions aux chaînes d'approvisionnement et des lois favorisant la fabrication locale de haute technologie. Milei est contrarié par ce virage néokeynésien qui s'éloigne de son orthodoxie globaliste. Il est un néolibéral démodé, toujours attaché au globalisme des années 90.
Mais toujours fidèle au script des États-Unis…
Bien sûr. C'est sa priorité. Il est allé à Davos pour soutenir la campagne d'agression des États-Unis contre la Chine. La nouvelle puissance asiatique a déjà atteint des niveaux de productivité supérieurs à son rival occidental dans d'innombrables segments de l'activité industrielle. C'est pourquoi il participe à ce forum avec des propositions de libre-échange, dans l'intention de promouvoir ses affaires au détriment des États-Unis. Dans sa dénonciation exotique du socialisme, Milei a soutenu le lobby anti-chinois du leader américain.
Il est tellement au service de Washington qu'il ne se soucie pas d'affecter les énormes échanges commerciaux de l'Argentine avec la Chine avec cette campagne. Il a déjà retiré le pays des BRICS, exprime des gestes de reconnaissance envers Taïwan et met en péril le principal marché des exportations. Dans cette aventure, il dépasse Bolsonaro, qui a tenté la même politique de choc avec Pékin.
Milei attend toujours, en revanche, une rétribution financière de Wall Street pour autant de soumission au Département d'État. Il ne prend pas en compte que la Chine a déjà émis plusieurs avertissements à l'Argentine. Elle exige le remboursement des prêts-swaps et a prévu qu'elle pourrait remplacer l'achat de soja et de viande par des fournisseurs du Brésil, de l'Australie ou de l'Uruguay. Tout comme avec le Conicet, Arsat, les universités publiques ou YPF (Pétrolier public argentin), Milei pourrait détruire en un mois un échange commercial avec la Chine construit au fil de plusieurs décennies.
Est-ce simplement de la soumission aux États-Unis ou une nouvelle stratégie globale de l'extrême droite ?
Les deux. Milei a une grande affinité avec Netanyahu, car ce sont les deux figures centrales du nouveau virage international de l'extrême droite. Avec leurs pratiques atroces, ils favorisent le passage du discours à l'action.
Le massacre à Gaza commandé par Netanyahu et la destruction de l'économie argentine que promeut Milei diffèrent de la gestion conventionnelle de Bolsonaro ou du premier Trump et s'alignent sur Orban et Meloni. Les deux figures réactionnaires du moment soutiennent des actions draconiennes pour réorganiser la géopolitique, suivant la contre-offensive impériale lancée par les États-Unis pour regagner des positions dans le monde.
Au Moyen-Orient, ce durcissement implique de déclencher un incendie pour bloquer la relation de la Chine avec l'Arabie saoudite et le progrès conséquent dans la dé-dollarisation de l'économie mondiale. En Amérique latine, cela suppose de reprendre avec une plus grande virulence la restauration conservatrice pour étouffer l'émergence fragile d'un nouveau cycle progressiste. Milei est une pièce de la stratégie conçue par Trump pour un nouveau mandat depuis la Maison-Blanche.
Cette ligne d'action rapproche-t-elle Milei du fascisme ?
Ce n'est pas le terme approprié pour caractériser son projet. Milei cherche à introduire en Argentine une réforme du travail pour précariser l'emploi et consolider un modèle néolibéral similaire à celui développé au Chili, au Pérou ou en Colombie. Pour atteindre cet objectif, il doit modifier les rapports de force en pliant les syndicats, les mouvements sociaux et les organisations démocratiques. C'est un objectif thatchérien, axé sur la rupture des puissantes organisations populaires du pays. Il cherche à régler un conflit social emblématique en faveur des classes dominantes, comme cela s'est produit avec la grève des mineurs anglais en 1984.
Milei est entouré de groupes fascistes, mais son projet n'est pas fasciste. Il n'a pas immédiatement l'intention de forger un régime tyrannique, avec le déploiement de la terreur contre les organisations populaires. Ce modèle réactionnaire apparaît généralement dans des conjonctures de danger révolutionnaire. Pour l'instant, le libertaire cherche à soumettre les travailleurs avec le soutien de la classe dominante et des médias.
Les puissants lui pardonnent tout pour qu'il puisse concrétiser son ajustement. Ils ne disent rien des erreurs d'un dirigeant qui dépense de l'argent public pour rénover sa résidence pour y installer ses chiens, qui perd son temps dans des débats délirants sur les réseaux sociaux avec de faux comptes, ou qui judiciarise le chauffeur qui a renversé un chien.
Les propriétaires de l'Argentine détournent le regard, attendant que leur plan de guerre contre le peuple fonctionne. Il y a beaucoup d'enjeux commerciaux au détriment de la majorité. La démolition des retraites et la vente du Fonds de garantie rouvrent, par exemple, la possibilité de réintroduire l'escroquerie des AFJP (le fonds de retraite de l'État). La restauration de l'impôt sur le revenu pour les salariés aux revenus les plus élevés finance le blanchiment et le nouveau pardon aux grands évadés fiscaux.
Mais ne génère-t-il pas d'opposition avec sa gestion erratique et imprévisible ?
Si. Chaque jour, il intervient avec une certaine improvisation, car il réagit de manière chaotique face aux échecs qu'il rencontre. Il a été très affecté par le succès de la grève et, avec sa furie habituelle, il a limogé des fonctionnaires et des ministres. Son grand projet est la remodelassions régressive du pays, à travers le Décret de Nécessité et d'Urgence et la loi omnibus (une loi qui a eu une première approbation, avec des articles comme la privatisation des actifs de l'État et la restriction des droits des manifestants). Ce sont deux initiatives anticonstitutionnelles visant à perpétrer un pillage gigantesque.
Mais il rencontre la même limite qui a obligé Bolsonaro en 2019 à négocier ses mesures avec de nombreux législateurs ou gouverneurs, en accordant des avantages en échange de votes. Dans ces négociations, la moitié de son projet a déjà été élaguée, et il le ferait approuver en général, mais en coupant complètement les initiatives spécifiques. Il bénéficie du soutien du PRO (Parti républicain), de l'UCR (Parti social-démocrate) et de la Coalition fédérale pour attaquer les droits populaires, mais ce soutien ne s'étend pas à la gestion des affaires. Il y a une différence entre l'objectif commun de détruire les syndicats et les mouvements sociaux, et la question de qui profite des privatisations et de la dérégulation.
Les entreprises qui rivalisent pour cette part du gâteau ont différents porte-parole au Congrès. C'est pourquoi la droite conventionnelle tente de limiter les pouvoirs délégués à l'Exécutif. Elle donne carte blanche pour réprimer la protestation sociale, mais cherche à s'approprier une part de la réforme fiscale en cours. Le libertaire n'arrive pas à orienter ces conflits au Parlement, et son autorité politique s'affaiblit dans l'interminable série de négociations avec la droite conciliante. S'il parvient à un accord à la Chambre des députés, il devra encore passer par la trituration du Sénat, alors que les tribunaux émettent déjà des jugements limitant son action.
Que fera Milei si ces obstacles persistent ?
Tout indique qu'il envisage une aventure référendaire. Cela pourrait être maintenant ou plus tard. Il étudie cette convocation aux urnes, sous le prétexte que le Congrès ne le laisse pas gouverner. De cette manière, il reprendrait la campagne contre la « caste » sur laquelle il a basé son succès électoral. Il imagine ce recours comme le coup d'envoi du régime politique autoritaire qu'il aspire à construire. La réforme électorale — déjà rejetée par le Congrès — soutenait ce modèle en définançant l'activité électorale et en privatisant la politique, en fragmentant la carte électorale en de nombreuses circonscriptions.
Le grand problème de Milei est l'absence d'une base politique propre. C'est là que réside la grande différence entre Milei, Bolsonaro, Trump ou Kast. Il n'a pas ce soutien et jusqu'à présent, il n'a pas pu le forger. Il n'a pas réussi à créer un mouvement réactionnaire contre la grève ni à répéter les marches de droite de l'ère Macri ou les manifestations régressives de la pandémie contre le progressisme.
Il envisage également l'option répressive que Bullrich évoque chaque jour, avec des amendes multimillionnaires aux syndicats, des restrictions au droit de réunion et des provocations contre les manifestants. La présence de la gendarmerie dans les rues s'intensifie, et Milei cherche un prétexte pour autoriser l'intervention des forces armées dans la sécurité intérieure. Dans cette optique, il a épuré le haut commandement et a placé à sa tête un homme très connecté avec le Pentagone. Mais même dans ce domaine, il n'a pas obtenu de résultats.
Le grand test est le protocole contre les barrages pour empêcher les manifestations, qui a été débordé maintes et maintes fois jusqu'à présent. Le fiasco de la police arrêtant au hasard des manifestants devant le Congrès confirme cet échec. Je pense que dans ce domaine, la dispute avec la protestation populaire active et courageuse continuera.
La situation économique ne sera-t-elle pas tout aussi déterminante ?
Sans aucun doute. Milei cherche à baisser les salaires et à appauvrir la majorité, afin de stabiliser la monnaie en réduisant l'inflation par le biais d'une récession induite. Avec la réduction des dépenses publiques, la contraction de la consommation intérieure et l'effondrement du niveau d'activité, il espère aplatir l'inflation. Cela s'est déjà produit à plusieurs reprises dans le passé.
Il s'agit de l'ajustement orthodoxe en cours, qui tend à générer une chute du PIB supérieur à celle observée l'année dernière. Milei mise sur l'organisation du front monétaire avec l'arrivée de dollars provenant de la récolte record, des exportations d'hydrocarbures et de la réduction des importations. Son objectif est de recréer, avec l'approbation du FMI, une situation similaire à celle des années 90 avec Menem. Dans ce contexte, il forgerait sa base politique de droite.
Et cette répétition est-elle réalisable ?
Nous ne le savons pas, mais rappelons que Menem a réussi à survivre au désastre inflationniste de son début prolongé et Milei commence à peine à suivre cette trajectoire. Le Riojano pouvait compter sur le justicialisme, les gouverneurs et la bureaucratie syndicale. Son émule n'a pas ce soutien, et pour continuer dans la course, il devra passer le test immédiat d'un trimestre tumultueux. S'il doit dévaluer à nouveau en mars ou avril, il fera face à une grande crise.
Cette perspective d'une nouvelle grande dévaluation du peso est déjà visible en raison de l'escalade des prix, neutralisant les effets de la mégadévaluation de décembre. De plus, le cercle vicieux de la récession qui fait chuter les recettes et accroît le déficit budgétaire est très visible, annulant tous les effets des coupes décidées par le gouvernement.
Ces incohérences intensifient les conflits entre les trois grands secteurs capitalistes du pays. Milei-Caputo est le représentant du capital financier et fait chuter l'économie pour garantir le remboursement des créanciers. Ils exploitent le peuple, mais si cette confiscation n'est pas suffisante, ils sont prêts à exiger des paiements des deux autres groupes de pouvoir. Un secteur est l'agrobusiness, qui a bénéficié grandement de la dévaluation, mais résiste maintenant à contribuer à l'impôt sur les retenues exigé par le gouvernement. L'autre segment des industriels est en phase avec la réforme du travail promise par Milei, mais est affecté par l'ouverture commerciale et la réduction des avantages fiscaux dans les provinces.
Quels sont donc les scénarios en gestation ?
Les alternatives dépendent du résultat de l'agression contre le peuple. Tous les prédécesseurs de Milei ont réussi à imposer leur agenda pendant un certain temps, sans jamais parvenir à remodeler l'économie néolibérale ni à stabiliser un gouvernement de droite. La différence entre Videla, Menem et Macri résidait dans la durée pendant laquelle ils ont réussi à préserver leurs modèles.
La dernière expérience a été la plus courte et cette brièveté pourrait se reproduire si la bataille populaire en cours remporte un succès similaire à celui de la réforme des retraites de 2017. Milei espère éviter cette frustration en haussant les enchères avec l'option de la dollarisation, et les groupes de pouvoir suivent attentivement sa gestion, évaluant s'ils continuent à le soutenir ou s'ils préparent un remplacement avec le tandem Villaroel-Macri (ancien président de droite de 2015 à 2019). Tout dépendra du résultat de la bataille sociale qui se joue dans les rues et ce qui se passe avec la loi omnibus donnera un premier indice de cette confrontation.
Remarquez-vous des changements dans la résistance populaire ?
La massivité et la diversité lors de l'acte de la CGT (confédération générale du travail) indiquent qu'il y a une certaine prise de conscience de l'intensité de la lutte en cours. De nombreux participants à cette manifestation ont souligné que « cela ne fait que commencer » et d'autres ont appelé à continuer à descendre dans les rues jusqu'à ce que Milei soit vaincu. Dans certains quartiers, les assemblées et les casseroles réapparaissent avec une certaine réminiscence de 2001, et un élément clé a été la clôture de l'acte avec le discours d'une mère de la Place de Mai. Cette centralité des droits de l'homme sera déterminante pour la bataille actuelle.
Je trouve également intéressante l'ouverture de la direction de la CGT, qui s'est réunie avec des députés du FIT (Front de Gauche et de travailleurs) et a invité la plupart des organisateurs de l'acte à la tribune. Ils ne veulent pas répéter le rejet de leurs complicités passées, de leur inaction à l'époque de Macri ou de leur aveuglement face à l'irruption des mouvements sociaux.
Quoi qu'il en soit, la continuité d'un plan de lutte reste en suspens, car il est évident qu'une grève ne suffit pas à arrêter Milei. Dans les manifestations, on demande encore et encore l'unité des travailleurs contre ceux mécontents de cette convergence. Cette consigne exprime un profond désir de redoubler la lutte, avec l'organisation syndicale à la tête d'un front qui vaincra l'austérité.
Je trouve également significative la radicalisation qui commence à se faire sentir parmi les secteurs qui espèrent occuper la rue jusqu'à la chute du gouvernement. Le cinéaste Aristarain l'a explicitement exposé. Enfin, je prêterais attention à la signification du slogan : « la Patria no se vende » (la Patrie ne se vend pas), adopté par de nombreux participants à la manifestation. Dans cette revendication, la Patrie est Arsat (entreprise publique satellitale), le Conicet (organisme dédié à la promotion de la science) et les salaires. C'est une façon de remettre en question le néolibéralisme, soulignant que « je ne me vends pas », car « je ne suis pas une marchandise ». Le sens sous-jacent est une variante du patriotisme progressiste.
En résumé, il semble que nous retournons aux crises typiques et aux dénouements vertigineux de l'Argentine…
Oui. Tout s'accélère à nouveau et commence à se jouer en plein été. L'impression initiale d'une trêve jusqu'en mars-avril s'est dissipée, car l'audace avec laquelle agit Milei est évidente. C'est sa caractéristique principale et le reste est secondaire. S'il improvise ou s'il a un plan est un élément accessoire, comparé à un comportement réactionnaire déterminé et très similaire à celui de Thatcher, Fujimori ou Yeltsin. Les puissants le soutiennent pour cette position et du côté populaire, il faut répondre avec la même résolution. La pièce est en l'air, et celui qui fera preuve de la plus grande détermination l'emportera.
Claudio Katz, économiste et chercheur du CONICET, professeur à l'UBA (Université de Buenos Aires) et membre du réseau des Économistes de Gauche (EDI).
Rébellion a publié cet article avec l'autorisation de l'auteur.
Traduction avec Deepl révisé par Mario Gil Guzman
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Haïti : un État solitaire

Haïti est solitaire. Elle est traitée avec désinvolture et mépris par les grandes puissances et la communauté internationale dès son indépendance en 1804.
Cet État rebelle-ensorcelé dans une culture du marronnage-patauge depuis deux siècles dans une sempiternelle crise multidimensionnelle. Celle-ci entre depuis bientôt trois ans dans un état de décomposition totale. Toutes les institutions nationales sont à plat depuis l'assassinat du président Jovenel Moïse le 7 juillet 2021. Le pays est livré à des bandes armées qui contrôlent plus de 80% de la capitale. Des dirigeants sans scrupules, sans aucun sens de la « Res publica » et du bien-être collectif dilapident au mépris de la misère de la population les maigres ressources du Trésor public.
Le Premier ministre Ariel Henry -qui joue également le rôle de chef d'État sans échappe présidentielle-dirige le pays depuis le 20 juillet 2021 avec l'appui de la communauté internationale particulièrement les pays membres du Gore Group-est contesté par les citoyens qui étaient dans les rues partout dans les grandes villes du pays pour réclamer sa démission le 7 février dernier.
Si la Police nationale-le bras armé du pouvoir- se montrait impuissante face aux groupes criminels qui terrorisent la population depuis près de trois ans, sa répression a été sans précédent contre ceux qui réclament le départ de l'équipe gouvernementale. Cinq agents de la Brigade de Surveillance des Aires protégés (BSAP) sont tués et entrés dans des fosses communes comme des indigents. Ce mode opératoire n'est pas différent de celui des bandits qui décapitent et brûlent les cadavres des policiers avant de les laisser à la merci des carnivores. Le régime au pouvoir a montré son vrai visage. Le neurochirurgien tyrannise et s'enferme dans un cynique froid qui fait penser au prince machiavélien. Par cette action macabre, il entendait lancer un message clair aux autres agents de la BSAP en rébellion : en cas de persistance dans cette voie, ils vont avoir le même sort que les martyrs du 7 février.
La crise haïtienne actuelle est la résultante de la politique d'exclusion socio-économique, d'apartheid social et de marginalisation des couches populaires que nos élites économiques et politiques ont mis en place depuis 1804. Haïti reste après deux siècles de vie indépendante un des pays les plus inégalitaires du monde. 60% des richesses nationales se concentrent entre les mains de moins de 5% de la population. Une minorité roule dans le luxe extravagant tandis que la grande majorité croupit dans la misère révoltante. Les crises successives de 1804 à nos jours traduisent l'échec de la mise en place de l'État moderne pour offrir des services sociaux de base à la population. En ce sens Sauveur Pierre-Etienne croit que ‘' la non-émergence de l'État moderne en Haïti est la conséquence du sous-développement et des dictatures récurrentes que le pays a connues''.
Prise en otage par les bandes armées, le pouvoir sanguinaire et la mafia financière, la population est à bout de souffle. Face à cette situation dramatique, Haïti est seule. La communauté internationale tergiverse. Certains pays dont la République dominicaine tire les ficelles. Les armes et les munitions alimentant le secteur criminel en Haïti arrivent des États-Unis en transitant par le territoire voisin. Ironiquement, Luis Abinader Corona, un anti-Haïtien farouche, se transforme en porte-parole de l'État haïtien au niveau international. À l'Organisation des États américains (OEA) comme à l'Organisation des Nations Unies (ONU), il ne cesse de crier à gorge déployée la nécessite de déployer des forces étrangères en Haïti pour faire face aux groupes armés.
Les pays membres du Core Group passent le dossier haïtien au second plan. Haïti n'est plus une priorité pour la France qui fait face au réveil de l'Afrique et au rejet des rapports de domination qu'elle établit dans le continent noir dont la plupart des pays proclament leur indépendance après la Seconde Guerre mondiale. Certains dirigeants progressistes africains ont opté pour un partenariat plus fructueux avec la Chine, l'Inde et la Russie. L'Hexagone n'est rien sans ce continent riche en ressources naturelles. Selon la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique (CEA), l'Afrique abrite 54 % des réserves mondiales de platine, 78 % de diamants, 40 % de chrome et 28 % de manganèse. « Dix-neuf des 46 pays d'Afrique subsaharienne possèdent d'importantes réserves d'hydrocarbures, de pétrole, de gaz, de charbon ou de minéraux et 13 pays explorent actuellement de nouvelles réserves ‘', relève le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) ».
L'image des États-Unis est politiquement décriée en Haïti. Après quatre interventions militaires dont trois en moins de vingt ans (1915, 1994, 2004, 2010), ils ne parviennent pas à stabiliser la formation sociale. La crise haïtienne survient à un moment où le monde fait face à des défis majeurs écrit l'ex-président dominicain Leonel Fernandez. L'administration américaine se montre plus préoccupée de la guerre russo- ukrainienne et des problèmes du Moyen-Orient qu'à ce qui se passe en Haïti.
L'Ukraine a une valeur stratégique pour Washington et le bloc occidental dans la lutte pour contenir l'hégémonie russe. Dans le Grand Échiquier (1997), Brzeziński qualifie l'Ukraine de « pivot géopolitique ». Sans elle, la Russie cesse d'être un empire eurasien. Si elle récupère le contrôle du pays, ses 38 millions d'habitants, ses ressources naturelles (houille, minerai, etc.) et son accès à la mer Noire, elle redevient un puissant État impérial, s'étendant de l'Europe à l'Asie.
La guerre au Moyen-Orient opposant le Hamas à l'Israël depuis le début d'octobre 2023 plonge l'administration américaine dans un dilemme entre cautionner les crimes contre l'humanité commis par Tsahal sous l'ordre du Premier ministre Benjamin Netanyahu et relâcher un allié certain dans cette région riche en hydrocarbures. À elle seule, l'Arabie saoudite détient le quart des réserves prouvées de la planète (262,7 milliards de barils), suivie de l'Irak (112,5 milliards), des Émirats arabes unis (97,8 milliards), du Koweït (96,5 milliards) et de l'Iran (93,1 milliards). Au total, près des deux tiers des réserves connues de pétrole se trouvent ainsi concentrées sous le sol de ces cinq pays (Le Monde Diplomatique, 2006). À l'instar de l'Ukraine, l'Israël et le Moyen-Orient tiennent une importance géopolitique et géoéconomique pour la première puissance mondiale contrairement à Haïti déjà placée dans sa sphère d'influence d'autant qu'elle ne sent pas réellement menacée par une autre puissance rivale ou un mouvement politique d'envergure au niveau interne.
Si le président dominicain fait de crise haïtienne son cheval de bataille pour les prochaines présidentielles de mai 2024, le locataire de la Maison blanche n'entend nullement s'impliquer à fond dans la crise haïtienne afin d'éviter qu'elle ait un impact non-désiré sur sa réélection le 5 novembre prochain.
Les instances internationales comme l'OEA et l'ONU gardent des souvenirs d'échec en Haïti. Le bilan de la Mission des Nations-Unies pour la stabilisation en Haïti (Misutha) est catastrophique tant au niveau politique, institutionnel, sécuritaire que sanitaire. Le choléra dont est accusé le bataillon népalais de cette mission fait plus de 10 000 victimes sans réparation.
Le Canada sans grande influence internationale et sans leadership régional se montre assez réticent face à Haïti qui est une terre de feu. Aujourd'hui, Haïti est alors seule dans le monde. Elle est oubliée par l'Humanité. Il revient aux Haïtiens de prendre en main leur destin pour libérer le pays des affres des tyrans au pouvoir afin d'établir une société plus juste en harmonie aux aspirations du plus grand nombre. Une telle bataille ne peut été gagnée sans l'engagement citoyen des élites, une volonté réelle de changement de paradigme dans les pratiques politiques et la prise de conscience des masses qui, « depuis 1843, luttent pour démocratiser le régime politique, moderniser la vie économique, socialiser l'État »
(Michel Hector)
Ce combat doit être engagé à trois niveaux :
– d'abord, une action cordonnée des élites sociales et intellectuelles pour le renversement de ce régime tyrannique au pouvoir représenté par le Dr Ariel Henry incarnant le mal absolu dans l'opinion publique ;
– ensuite, un combat politique pour transformer le pays en un État moderne capable de garantir un minimum de bien être aux masses urbaines et rurale de concert avec les élites économiques ;
– enfin, une lutte patriotique pour libérer le pays de l'ingérence étrangère tout en tant compte bien évidemment des intérêts géopolitiques des États-Unis et des voisins caribéens en particulier la République dominicaine qui aspire au rang de puissance régionale.
Pour cela, l'espace public dans le sens de Jüger Habermas doit être occupé par des hommes et des femmes intellectuellement préparés, moralement éprouvés et patriotiquement engagés dans la formation idéologique des masses. Sinon, l'on va tomber dans les pièges de changement de gouvernement sans changer l'appareil étatique, c'est-à-dire l'infrastructure juridico-politique et la superstructure comme on l'avait fait en 1843 (Boyer), en 1946 (Lescot) et plus récemment en 1986 (Duvalier) et en 2004 (Aristide). Ce qui revient à dire que la révolution s'impose mais pas celle qu'on claironne dans les médias ces derniers temps par les réactionnaires gardiens du système d'apartheid social.
Bleck Dieuseul Desroses,
Professeur d'Histoire et de Géopolitique
Port-au-Prince, 19 février 2024
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La guerre contre les peuples autochtones au Mexique

Alors qu'une réforme constitutionnelle à la Pyrrhus et limitée sur les droits des indigènes est en cours de présentation au Congrès de l'Union, bien loin de l'exhaustivité juridique proposée dans le dialogue de San Andrés, la guerre contre les peuples indigènes du Mexique se poursuit sur tout le territoire national.
19 février 2024 | tiré de Rebelión
https://rebelion.org/la-guerra-contra-los-pueblos-indigenas-3/
Le soi-disant crime organisé dévaste les espaces communautaires du Chiapas, d'Oaxaca, de Guerrero, du Michoacán, de Morelos, entre autres États assiégés par la justice, tandis que la militarisation et le militarisme vont de pair avec les déclarations présidentielles répétées de reconnaissance des forces armées, qui n'ont pas diminué la présence meurtrière des cartels dans les zones rurales et urbaines. Ainsi, l'accumulation militarisée et criminelle qui caractérise le capitalisme d'aujourd'hui est violemment imposée.
Le cas d'Ostula, dans le Michoacán, est paradigmatique. Le communiqué du 2 février de la communauté nahua de Santa María Ostula fait état d'attaques du cartel Jalisco New Generation qui, avec un commando d'au moins 50 tueurs à gages, est entré sur le territoire communal, incendiant des maisons et blessant un membre de la communauté. Grâce à l'organisation autonome, la garde communale a affronté les criminels, affirmant qu'elle continuera d' être en première ligne, garantissant la sécurité et la tranquillité de notre population, bien qu'elle souligne que le contexte ne s'est pas amélioré, mais récemment, les attaques armées de la part de ce groupe criminel contre notre garde se sont intensifiées. Et ils demandent : qu'ont fait le gouvernement du Michoacán et la Garde nationale pour garantir la justice afin que ces actes criminels ne se répètent pas ? Absolument rien ! Au contraire, le gouvernement de l'État n'a pas cessé de criminaliser notre garde communale malgré le fait que le juge du sixième district, basé à Uruapan, a ordonné aux autorités publiques de l'État de ne commettre aucun acte tendant à l'ignorer.
De même, comme l'ont signalé les médias alternatifs, les réseaux de solidarité et les organisations de défense des droits de l'homme, les attaques des paramilitaires et des cartels du crime organisé contre les communautés zapatistes et non zapatistes se sont poursuivies dans plusieurs régions de l'État du Chiapas, provoquant de multiples formes de violence et des déplacements forcés de la population (voir Camino al andar, EZLN.
EZLN
Dans le domaine de l'administration de la justice, la guerre contre les peuples se fait par la judiciarisation de la résistance contre les mégaprojets en cours. C'est le cas de la condamnation à 46 ans et six mois de prison du défenseur communautaire David Hernández à Oaxaca, pour s'être opposé à la construction d'un parc industriel du Corridor interocéanique sur les terres d'usage commun du mont El Pitayal, Puente Madera. L'Assemblée communautaire de Puente Madera et l'Assemblée des peuples indigènes de l'isthme pour la défense de la terre et du territoire (APHDTT) ont déclaré que la criminalisation d'Hernández démontre la corruption et la collusion des autorités du pouvoir judiciaire avec les groupes politiques et économiques de la région liés au crime organisé, qui sont entravés par les défenseurs du territoire et cherchent à les réduire au silence par l'emprisonnement, en les faisant disparaître ou en les assassinant. Les assemblées affirment que Hernández a été criminalisé depuis 2017, pour s'être opposé à l'imposition de la sous-station électrique de l'armée mexicaine, et qu'à ce moment-là, il a été illégalement détenu et battu par la police municipale, étant en outre victime de campagnes de diffamation et de menaces contre son intégrité physique et psychologique. Encore une fois, en 2021, pour sa représentation en tant qu'agent communautaire de Puente Madera et membre de la coordination d'Aphdtt, il a été poursuivi et persécuté par les autorités locales et étatiques, ainsi que par la Sedena, la marine et la garde nationale, faisant face à un premier procès fédéral (269/2021) tenu de façon injustifiée. Les assemblées ont exigé l'annulation de la peine et la dissidence de l'affaire pénale 446/2022, qui comprend les mandats d'arrêt contre les 17 défenseurs de Puente Madera. Ils ont également appelé les peuples, les communautés et les organisations à publier des déclarations et à mener des actions de solidarité avec Hernández Salazar (Desinformémonos, 9/2/24).
Dans le même ordre d'idées, le 9 février, une déclaration a été publiée par les prisonniers politiques de San Juan Cancuc, au Chiapas, exigeant leur libération immédiate, dans le cadre de l'audience à venir sur leur cas. Il s'agit de quatre camarades qui sont en prison depuis 20 mois avec des accusations fabriquées de toutes pièces et de faux témoins : Agustín Pérez Domínguez, Martín Pérez Domínguez, Agustín Pérez Velazco et Juan Velasco Aguilar, qui, par une simple note manuscrite, demandent au bureau du procureur indigène et au juge de les libérer, et exigent qu'ils ne soient pas laissés seuls, s'engageant à poursuivre la lutte jusqu'à ce qu'ils obtiennent leur liberté.
Dr. Gilberto López y Rivas, Professeur-Chercheur. Institut national d'anthropologie et d'histoire.
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« Sortons des accords de libre-échange, assumons le protectionnisme écologique »

Ces derniers jours, Emmanuel Macron et son gouvernement ont multiplié les effets d'annonce en réponse à la colère du monde agricole. Mise sur pause de la trajectoire de réduction de l'usage des pesticides, dérogations en tout genre, arrêt de la « surtransposition » : les propositions pleuvent mais passent à côté de l'ampleur de la transformation nécessaire. Pire, elles continuent de creuser le dangereux sillon dans lequel les libéraux, la droite et l'extrême droite se sont engagés à bride abattue : fustiger une prétendue « écologie punitive » pour éviter de s'attaquer aux causes réelles du malaise agricole. Car le problème ne vient pas des normes en elles-mêmes, mais du fait qu'elles ne sont pas les mêmes pour tout le monde.
17 février 2024 | tiré du site de La gauche écosocialiste
https://gauche-ecosocialiste.org/sortons-des-accords-de-libre-echange-assumons-le-protectionnisme-ecologique/
En effet, les agriculteurs sont soumis à une concurrence déloyale généralisée, alimentée par la multiplication des accords de libre-échange signés à la pelle par l'Union européenne. La Commission européenne a ainsi mis en place plus de 40 accords de libre-échange qui ajoutent à la compétition déjà féroce que se livrent les pays européens entre eux la concurrence supplémentaire de pays dont les conditions de production sont bien moins exigeantes.
Depuis 2017, des accordssont entrés en vigueur avec le Canada, le Japon, Singapour, le Vietnam et la Nouvelle-Zélande, tous avec le soutien d'Emmanuel Macron. Et pas plus tard que la semaine dernière, alors que la colère du monde agricole faisait rage, le groupe de la Gauche au Parlement européen, que je préside et dans lequel siègent les Insoumis, a été le seul à s'opposer à deux nouveaux accords avec le Chili et le Kenya.
Et comme si cela ne suffisait pas, des négociations sont ouvertes avec le Mexique, l'Australie, l'Inde et les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay). Sur ce dernier, le président de la République a eu beau jeu d'annoncer jeudi dernier à la tribune du Conseil européen qu'il refusait de conclure l'accord « en l'état ». Car ce report (opportunément après les élections européennes ?) fait suite à une opposition de façade qui ne dupe personne.
Il ne suffit pas de reprendre à son compte l'objectif de « souveraineté alimentaire ». Encore faut-il la faire advenir en actes. Et en la matière, les faits sont têtus : au chevet des agriculteurs le lundi, les députés européens Renaissance se font le chantre des accords de libre-échange le mardi. Qui peut pourtant raisonnablement penser qu'il est souhaitable d'importer de la Nouvelle-Zélande, à 20 000 kilomètres, de la viande, du beurre, du lait, du miel, des fruits et légumes, que nous produisons déjà localement ? Le libre-échange prétendument durable n'est qu'une chimère entretenue par les plus fervents partisans d'un système économique à bout de souffle, qui exploite les paysans et malmène terres, animaux, végétaux et rivières.
Mais cela ne s'arrête pas là. À cette concurrence mondialisée s'ajoute une concurrence aux frontières mêmes de l'Union européenne, qui a également largement ouvert son marché aux importations agricoles ukrainiennes. Résultat : les importations de poulets et d'œufs ont doublé au dernier semestre. Depuis un pays où le salaire minimum est à moins de 200 € par mois.
Il est temps de repenser globalement notre modèle : mettons un terme aux accords de libre-échange, assumons le protectionnisme écologique, et planifions la relocalisation de la production alimentaire.
Le système actuel n'est pas seulement injuste et inefficace, il est aussi intenable. Alors que les ménages subissaient une hausse de plus de 10 % des prix alimentaires en un an, les agriculteurs ont connu, eux, une baisse de 10 % de leur revenu. Aux deux extrémités de la chaîne, la précarité fait rage : en France, 1 agriculteur sur 5 vit sous le seuil de pauvreté et 1 personne sur 3 ne mange pas à sa faim.
Entre les deux, les industries agroalimentaires, les distributeurs et leurs actionnaires font bombance. Depuis 2021, les marges des entreprises agroalimentaires se sont envolées, au point d'atteindre le niveau historique de 48 %. Des grands groupes comme Danone, Lactalis ou Unilever mais aussi les enseignes de la grande distribution ont enregistré des profits considérables, alors même que leurs ventes ont parfois baissé en volumes.
Paysans et consommateurs ne peuvent continuer plus longtemps à être les vaches à lait des multinationales de l'agroalimentaire. Il est impératif d'établir des prix planchers sur les produits agricoles afin de garantir une rémunération juste et suffisante pour les paysans. Autre levier indispensable : contrôler les marges de l'industrie agroalimentaire et de la grande distribution, et bloquer les prix des biens essentiels.
Enfin, la sortie de l'ornière passe par une refonte complète de la politique agricole commune (PAC) de l'Union européenne, afin de sortir de la logique du financement à l'hectare et de rediriger les aides vers les plus petites exploitations. Ce combat pour l'agriculture est un des plus importants qui soient. Nous n'abandonnerons jamais les paysans aux griffes du marché. C'est le seul chemin à suivre. Faute de quoi, les paysans resteront encore longtemps sur la paille.
Manon Aubry, tribune aux Echos le 13 février 2024.

La LFI rejette un accord avec le NPA pour les élections européennes

Les prochaines élections européennes doivent permettre d'exprimer une colère populaire contre le macronisme et contribuer à la riposte contre le danger du RN. C'est la raison pour laquelle depuis plusieurs mois, le NPA propose qu'à cette occasion se regroupent dans une liste commune celles et ceux – courants politiques, personnalités, etc. – qui n'ont pas renoncé à lutter contre l'Europe actuelle, libérale et inégalitaire, autoritaire et raciste, pour défendre un programme porteur d'une telle ambition.
22 février 2024 | tiré d'Europe solidaire sans frontières
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article69872
Nous adressant à l'ensemble des forces de la gauche antilibérale ou anticapitaliste, nous avons rencontré à trois reprises une délégation de La France insoumise. Nous y avons discuté de la disponibilité du NPA et de la possibilité concrète de participation à une campagne commune autour de leur liste d'union populaire s'appuyant sur le programme de la Nupes.
A l'issue de ces rencontres, LFI vient de nous envoyer un courrier qui met fin à cette perspective. Enregistrant selon eux que “nos discussions ont fait émerger une série de désaccords”, LFI considère que ceux-ci leur “paraissent aujourd'hui trop importants pour garantir notre capacité commune à mener une campagne cohérente”. Nous le regrettons d'autant plus que les raisons exprimées dans le courrier de LFI ne nous semblent pas suffisantes pour justifier la fin de nos échanges.
Le premier désaccord posé dans le courrier de LFI concerne l'Ukraine. Bien que nous nous accordions pour dénoncer ensemble l'agression russe de Poutine et demander le retrait des troupes russes d'Ukraine, la demande d'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne pose une difficulté. A cette demande, LFI répond d'ores et déjà par la négative. Nous pensons qu'une telle position de refus pourrait renforcer les courants les plus réactionnaires et leurs politiques qui visent à transformer l'Europe en forteresse assiégée. De plus, ce refus ne répond pas à la demande des courants progressistes ukrainiens qui cherchent des points d'appuis dans la guerre contre Poutine. Par ailleurs, on peut aussi penser que si une liste incluant l'ensemble des forces issue de la Nupes avait vu le jour (une bataille menée pendant plusieurs mois par LFI), la position d'une telle liste sur l'adhésion de l'Ukraine à l'UE n'aurait de toute façon pas pu être celle que LFI pose aujourd'hui comme condition pour une campagne commune. Un double standard donc.
Plus globalement, LFI nous reproche de vouloir “reconstruire une gauche radicale autour de LFI et du NPA”. Quoi qu'en dit LFI, nous n'avons jamais pensé qu'une campagne européenne commune devait se résumer à un tête-à-tête entre nos deux organisations. Par contre, pour la même raison politique qui avait conduit le NPA à ne pas participer à la Nupes en mai-juin 2022, nous continuons à penser qu'il existe à gauche deux orientations contradictoires, entre des forces qui gèrent le système et une gauche de combat qui défend une rupture avec celui-ci. L'instabilité puis l'éclatement de la Nupes en ont été une des expressions, et pour le NPA, l'enjeu des prochaines élections européennes devrait être de permettre l'expression la plus large de cette gauche de rupture, qui fort heureusement dépasse les périmètres respectifs de nos organisations.
Face à la montée dramatique de l'extrême-droite, une liste regroupant la gauche de combat aurait permis d'entraîner dans cette lutte l'ensemble du mouvement social. En ne prenant pas ses responsabilités, LFI n'est pas à la hauteur des urgences de la situation. Pour sa part, le NPA continuera sa politique unitaire afin de pouvoir regrouper, dans la rue comme dans les urnes, toutes les forces de gauche qui sont prêtes à porter une rupture avec le néo-libéralisme et l'extrême-droite.
Montreuil le jeudi 22 février 2024
Nouveau Parti anticapitaliste (NPA)

Allemagne : un débat nécessaire sur l’interdiction de l’AFD et sur le type de mobilisation contre l’extrême droite

La résistance contre l'extrême droite peut prendre de nombreuses formes : manifestations, obstructions, actions directes. Mais il faut aussi agir au quotidien, dans les syndicats, les paroisses, les associations culturelles et sportives par exemple. Nombre d'entre elles ont historiquement des principes directeurs qui proscrivent par exemple le racisme.
16 février 2024 | tiré de La gauche anticapitaliste
https://www.gaucheanticapitaliste.org/allemagne-un-debat-necessaire-sur-linterdiction-de-lafd-et-sur-le-type-de-mobilisation-contre-lextreme-droite/
ALLEMAGNE : UN DÉBAT NÉCESSAIRE SUR L'INTERDICTION DE L'AFD ET SUR LE TYPE DE MOBILISATION CONTRE L'EXTRÊME DROITE
Par Gerhard Klas | 16/02/2024 | Antifascisme, International
Allemagne : Un débat nécessaire sur l'interdiction de l'AfD et sur le type de mobilisation contre l'extrême droite
« Interdire l'AfD » (Alternative für Deutschland), c'est ce que demandent de nombreux participant·e·s aux manifestations qui ont lieu depuis la publication de l'enquête d'investigation du média Correctiv sur une réunion secrète entre des politiciens de l'AfD et de la CDU (Christlich Demokratische Union Deutschlands) au nom de la dite « Union des valeurs », en compagnie de néonazis et de quelques entrepreneurs aux moyens financiers importants. Lors de la réunion de novembre 2023, il a été question d'un « programme » pour un plan de « remigration » hors d'Allemagne, concrètement de la déportation en masse de millions de personnes.
Mais ce débat sur l'interdiction n'est pas si simple. Il y a des raisons qui s'opposent à une interdiction – car la pensée fasciste ne serait pas pour autant sortie des esprits. Il est possible que certaines fractions du parti prennent le chemin de la clandestinité et soient prêtes à des actions terroristes armées. D'ailleurs, beaucoup craignent qu'une interdiction ne pousse de nouveaux membres dans les bras de l'extrême droite. Sans compter les obstacles juridiques. Mais une chose est sûre : un parti d'extrême droite au pouvoir et qui dispose d'un pouvoir exécutif, c'est-à-dire de la police, de l'armée et de l'administration en tout genre, est le plus à même de mettre ses idées en pratique. C'est pourquoi, malgré toutes les critiques, un débat sur l'interdiction est nécessaire.
LES CONCURRENTS S'OPPOSENT À UNE INTERDICTION
Il est intéressant de constater qu'en général ce sont surtout les partis qui sont directement en concurrence électorale avec l'AfD, c'est-à-dire la CDU/CSU (Christlich-Soziale Union in Bayern), le FDP (Freie Demokratische Partei) et le BSW (Alliance Sahra Wagenknecht pour la justice et la raison, qui a tenu son premier congrès le 27 janvier), qui sont contre une interdiction. Chez les Verts, le SPD (Sozialdemokratische Partei Deutschlands) et plus encore Die Linke et les forces de gauche, les partisans de l'interdiction sont nombreux.
Cela peut s'expliquer par le fait qu'un soutien à l'interdiction de la part des électeurs potentiels de l'AfD serait encore plus interprété comme une concurrence déloyale par ces concurrents que par les partis, en perte de vitesse, dits « verts-gauche ».
Et il y a bien sûr le programme de politique « migratoire » : les concurrents directs de l'AfD ne demandent certes pas l'expulsion de millions de personnes, y compris les citoyens issus de l'immigration. Mais dans les faits, ils partagent l'analyse de l'AfD. Ils affirment eux aussi que les réfugié·e·s et les immigré·e·s sont au moins partiellement responsables de la misère du marché du logement et du système de santé. Ils s'engagent ouvertement dans une concurrence raciste lorsque leur réponse aux succès de l'AfD consiste à se montrer sans cesse plus durs envers les réfugié·e·s et les immigré·e·s.
Ce narratif est aujourd'hui si puissant que même les Verts et le SPD mettent l'immigration dans le même sac que la crise climatique et la guerre. Et en conséquence, ils ont promulgué avec le FPD, en tant que coalition gouvernementale, des lois qui ne s'appellent pas « loi sur la remigration », mais qui portent le qualificatif euphémisant de « loi sur l'amélioration des retours ». Les autorités d'expulsion pourront à l'avenir, sans tenir compte de la situation particulière des personnes, arrêter sans préavis les personnes formellement tenues de quitter le territoire, les détenir encore plus longtemps et les expulser encore plus efficacement qu'auparavant vers des pays qu'elles connaissent à peine et dans lesquels elles risquent de perdre la vie.
Cela ne résout aucun problème dans notre pays. Le marché du logement et le système de santé ne sont pas en crise à cause des réfugié·e·s, mais à cause d'une marchandisation impitoyable [liquidation du secteur du logement social, entre autres] et du fait que les communes et les Länder ont été saignés à blanc depuis le début des années 1990 par une politique budgétaire et de privatisation. Les réfugié·e·s et demandeurs d'asile sont tout simplement transformés en boucs émissaires.
LUTTER CONTRE LES CAUSES D'UN « SUCCÈS »
Il est difficile d'estimer le temps qui s'écoule entre une demande d'interdiction et sa mise en vigueur. Et il y a déjà eu deux demandes d'interdiction contre le NPD (Nationaldemokratische Partei Deutschlands – rebaptisé en 2023 « Die Heimat »-La Patrie) qui ont échoué. Mais ce n'était pas à cause du fond. En 2003, il s'agissait de vices de forme. En 2017, la Cour constitutionnelle fédérale a certifié que le NPD avait des objectifs anticonstitutionnels – mais que le parti était trop insignifiant pour imposer une interdiction. Ce dernier point ne s'applique définitivement pas à l'AfD.
L'interdiction d'un parti est inefficace à moyen terme sans une mobilisation sociale contre l'extrême droite et son comportement comme son mode de pensée. Il s'agit avant tout de lutter contre les causes de leur succès.
La résistance contre l'extrême droite peut prendre de nombreuses formes : manifestations, obstructions, actions directes. Mais il faut aussi agir au quotidien, dans les syndicats, les paroisses, les associations culturelles et sportives par exemple. Nombre d'entre elles ont historiquement des principes directeurs qui proscrivent par exemple le racisme. Sur cette base, chaque association peut au moins décider librement de refuser des demandes d'adhésion lorsqu'il s'agit de membres du parti AfD ou de racistes avérés. L'Eintracht Francfort (club de football) et le Hamburger Sport-Verein (club de football et omnisports) l'ont déjà fait il y a cinq ans, pour ne citer que deux exemples. Et un boulanger n'est pas non plus obligé de vendre à tout le monde un petit pain.
Mais il ne s'agit bien sûr pas seulement de l'AfD, mais aussi de ses précurseurs. Et cela inclut tous les politiciens qui empruntent en partie leur orientation politique à l'extrême droite, qui n'ont pas de véritables réponses aux crises de notre époque et qui présentent, pour faire diversion, de tels boucs émissaires : les réfugié·e·s, les migrant·e·s, les bénéficiaires de l'allocation de citoyenneté (Bürgergeldbezieher). Ils réagissent surtout par des programmes d'expulsion et d'austérité ainsi que par le renforcement de l'armée et de la police. Ils ont provoqué une grande désorientation au sein de la population et ont créé l'espace que l'AfD a occupé au moyen d'une politique haineuse et obtuse. Il est temps qu'une gauche socialiste et écologique se forme à nouveau pour faire face à l'AfD et à ses précurseurs. Les mobilisations actuelles contre la droite pourraient lui donner un « coup de pouce ».
Article publié dans Sozialistische Zeitung, février 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre. Version en français initialement publiée le 2 février sur le site d'A l'Encontre.
Image : Manifestations contre l'AfD en Allemagne en janvier 2023. La pancarte dit : « Plus jamais ça, c'est maintenant ». Crédit photo : Alex Fremer, https://www.flickr.com/photos/alex_fremer/53481341661/.

Deux ans de guerre en Ukraine : deux ans de trop !

La guerre en Ukraine dure maintenant depuis deux ans, avec son cortège de morts (très majoritairement militaires), de réfugié·e·s, de destructions et de souffrances. C'est une guerre qui aurait pu et dû être évitée. Et c'est une guerre qu'il faudrait arrêter au plus vite, à la fois pour l'Ukraine et pour l'humanité.
Des jeux de puissances aux conséquences funestes
L'invasion de l'Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, est clairement une agression illégale. Son occupation, puis son annexion en septembre 2022 de quatre régions de l'est et du sud de l'Ukraine sont aussi illégales. Par ces actions, la Russie porte la responsabilité d'avoir accru considérablement l'échelle d'un conflit qui existait déjà : alors que la guerre civile en Ukraine avait fait environ 14 000 mortsde 2014 à 2022, il y en aurait eu plus de 200 000 dans les deux dernières années.
Cependant, l'invasion de la Russie n'a pas été une agression « non provoquée », comme le Canada et ses alliés le répètent sans cesse. La Russie avait des motifs – de grande puissance et non de légitime défense – de considérer ses intérêts menacés.D'une part, depuis plus de 20 ans, l'OTAN s'était étendue jusqu'à ses frontières, en dépit des nombreuses promesses de ne pas le faire. D'autre part, les États-Unis (É.-U.) et d'autres membres de l'OTAN, dont le Canada, se sont de plus en plus ingérés dans les affaires intérieures de l'Ukraine, immense pays voisin de la Russie où celle-ci continuait d'exercer une influence importante depuis son indépendance de l'URSS. En 2008, l'annonce de l'ouverture de l'OTAN à l'adhésion de l'Ukraine a été une « ligne rouge » à ne pas franchir pour la Russie. Puis, dans le contexte des protestations de Maïdan en 2014, les É.-U., le Royaume-Uni et le Canada y ont favorisé un coup d'État portant au pouvoir des forces hostiles à la Russie. Des régions de l'Est ukrainien (Donetsk et Lougansk) ont fait sécession, une guerre civile a éclaté, menant aux Accords de Minsk en 2015 qui devaient mettre fin à la guerre civile en accordant une large autonomie à ces régions. Mais l'Ukraine et ses alliés de l'OTAN n'ont jamais eu l'intention d'appliquer ces accords, y voyant seulement une façon de gagner du temps pour préparer la reprise des territoires sécessionnistes par la force.
Depuis deux ans, il est clair, par l'énormité de leur soutien économique et militaire à l'Ukraine et par la propagande manichéenne qu'ils orchestrent mondialement, que les É.-U. et leurs alliés de l'OTAN mènent une véritable guerre par procuration en Ukraine pour tenter d'affaiblir significativement la Russie, un de leurs grands rivaux stratégiques.
Une guerre différente de ce qu'anticipait l'Occident
La guerre en Ukraine ne s'est pas déroulée selon les plans de l'Occident. L'effondrement économique de la Russie, en raison des sanctions occidentales à son encontre, ne s'est pas produit. Après leur impact initial, bien réel, la Russie a pu trouver d'autres débouchés pour ses ressources et accroître sa production militaire. À tel point qu'en 2023, elle a augmenté ses dépenses militaires à 6 % de son PIB et a connu une croissance économique de 2,2 %. Un changement de régime en Russie, décrété comme nécessaire par l'Occident, ne s'est pas produit non plus. La rébellion de Prigojine et de son groupe Wagner, en juin 2023, n'aura été qu'un feu de paille.
Finalement, la perspective d'une armée ukrainienne, équipée et entraînée par l'Occident, qui réussirait à reprendre les territoires occupés par la Russie à la faveur d'une grande contre-offensive, ne s'est pas matérialisée non plus. Les lignes de front sont restées relativement fixes pendant des mois. Mais plusieurs analystes considèrent maintenant que la situation évolue à l'avantage de la Russie, qui dispose de beaucoup plus de troupes et de munitions. Aux dires même de l'Ukraine, son armée est actuellement dans une situation « extrêmement difficile ».
Ces échecs, combinés à des facteurs internes dont la montée de l'extrême-droite tant aux É.-U. qu'en Europe, commencent à fissurer l'édifice de l'appui total de l'Occident à la défense de l'Ukraine.
L'urgence de négocier maintenant !
Cette guerre aurait pu être évitée si les É.-U. et leurs alliés de l'OTAN n'avaient pas rejeté les négociations que réclamait la Russie avant son invasion de l'Ukraine. Et, une fois déclenchée, elle aurait pu prendre fin rapidement si les É.-U. et le Royaume-Uni n'avaient pas fait avorter les négociations de mars 2022 entre la Russie et l'Ukraine, qui semblaient prometteuses.
Quel sort connaîtra l'Ukraine si la guerre se poursuit dans des conditions qui lui sont de plus en plus défavorables sur le terrain ? Des millions de personnes qui demeureront en exil, encore plus de victimes, des infrastructures économiques et civiles de plus en plus détruites ? Et la perspective d'avoir à négocier avec la Russie dans un rapport de force encore plus déséquilibré ?
Renverser la situation en faveur de l'Ukraine exigerait des transferts de munitions beaucoup plus importants, d'armes beaucoup plus puissantes et sophistiquées, mais aussi de lui fournir des dizaines de milliers de soldats ! Un tel élargissement de la guerre pourrait nous conduire vers une collision frontale entre l'OTAN et la Russie, comportant l'énorme risque d'un affrontement qui devienne nucléaire et emporte l'humanité entière.
À poursuivre dans ce sens, c'est peu dire que l'Ukraine et le reste du monde ont beaucoup plus à perdre qu'à gagner !
Nous appelons donc à un cessez-le-feu et à des négociations immédiates recherchant à la fois une réponse mutuellement acceptable aux enjeux sécuritaires de l'Ukraine et de la Russie, ainsi que le respect de la souveraineté de l'Ukraine et des droits de ses minorités ethnoculturelles. Nous appelons aussi les États-Unis, l'OTAN et la Russie à négocier, de toute urgence, de nouveaux traités de désarmement nucléaire.
Pour le Collectif Échec à la guerre
Jean Baillargeon
Martine Eloy
Mouloud Idir-Djerroud
Raymond Legault
Suzanne Loiselle
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Deux ans de guerre : déclaration sur l’Ukraine

a) Dans le contexte de l'anniversaire de l'invasion de l'Ukraine le 24 février 2022, nous exprimons notre soutien internationaliste global et systématique au droit à l'autodétermination de l'Ukraine et au droit de résister à l'occupation et à l'oppression, comme nous l'exprimons pour tous les peuples, quel que soit l'oppresseur colonial.
Quatrième internationale
25 février 2024
Par Quatrième internationale
Copyright
National Police of Ukraine - CC BY 4.0
b) Nous affirmons notre indépendance politique vis-à-vis du gouvernement néolibéral de Zelensky. C'est pourquoi nous affirmons notre volonté de développer des liens internationalistes directs par en bas avec les luttes et les courants de gauche, féministes, LGBTQ+, sociaux et environnementaux au sein de la résistance populaire pour construire une nation libre, démocratique, pluraliste et indépendante.
c) Nous continuons donc à apporter notre soutien aux revendications exprimées par les courants politiques et syndicaux ukrainiens de gauche :
– l'arrêt immédiat des bombardements, le retrait des troupes russes d'Ukraine ;
– l'augmentation des ressources pour consolider les services publics et les protections sociales si nécessaires dans le contexte de la guerre et pour la future Ukraine indépendante et de résister aux tentatives actuelles du gouvernement néolibéral de l'Ukraine d'utiliser l'excuse de la guerre pour démanteler les services publics et détruire les protections sociales". ;
– la nécessité de supprimer toute forme d'"aide" conditionnée par des privatisations ;
– le soutien aux aides matérielles et financières qui n'augmentent pas la dette extérieure ukrainienne associé à notre soutien à la demande d'annulation de la dette existante ;
– l'orientation générale d'utiliser les fonds consacrés à la résistance et à la reconstruction de l'Ukraine pour contribuer à un projet européen social et démocratique : ce qui signifie la réduction des inégalités et donc l'opposition aux logiques de dumping fiscal et social et de " concurrence ".
– L'augmentation des salaires ukrainiens, des revenus individuels et sociaux - comme débouché de la production industrielle et agricole ukrainienne - doit être radicalement opposée à la politique dominante actuelle (qui est d'essayer d'augmenter la " compétitivité " ukrainienne pour l'exportation par la réduction des impôts et des salaires).
d) Notre soutien à la résistance armée et non armée ukrainienne contre l'invasion russe signifie également notre solidarité avec tous les citoyens de la Fédération de Russie qui refusent cette guerre et sont réprimés en raison de leur combat démocratique.
e) Nous nous opposons à la logique de la "Grande puissance russe" et à sa domination sur les pays voisins. La victoire du peuple ukrainien libre et démocratique est organiquement favorable à l'émergence d'une Fédération de Russie pluraliste, pacifique et démocratique et à l'union des peuples d'Europe. L'agression et les menaces de la Russie contre ses voisins renforcent le soutien à l'OTAN dans ces pays, la défaite de l'agression russe faciliterait la lutte contre l'OTAN. Nous nous opposons à l'utilisation de l'invasion russe de l'Ukraine comme excuse pour augmenter les budgets militaires. Nous avons toujours été et restons opposés à toute logique de blocs militaires opposés ou de zones d'influence. Nous luttons pour la dissolution des blocs militaires qui sont au service des impérialistes, tels que l'OTAN et l'alliance CSTO dirigée par la Russie. Dans notre lutte contre l'impérialisme et pour l'autodétermination de tous les peuples, nous luttons pour la défaite du projet de Poutine.
Nous réaffirmons un tel programme pour le deuxième anniversaire de l'invasion russe de l'Ukraine, aidant à combiner notre plein soutien à la résistance ukrainienne à la fois à la guerre et aux politiques néolibérales avec le soutien de nouveaux projets progressistes européens et internationaux intégrant des dimensions écosocialistes et anticapitalistes.
Déclaration du Comité international de la IVe Internationale
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« Arrêter la guerre » doit signifier « en finir avec la dictature de Poutine »

Déclaration du Mouvement socialiste russe sur les moyens de parvenir à la paix en Ukraine. Il y a deux ans aujourd'hui que Vladimir Poutine a lancé une invasion massive de l'Ukraine. Cette décision des dirigeants russes n'était pas une réponse à une menace militaire posée par l'Ukraine ou l'OTAN – il s'agissait d'une tentative d'annexion pure et simple d'un pays voisin qui, selon Poutine, ne devrait tout simplement pas exister.
Tiré de Inprecor 717 - février 2024
24 février 204
Par Mouvement socialiste russe - Sotsialnyi Rukh
Le plan initial de Poutine en Ukraine semble effectivement avoir été une « opération spéciale » de changement de régime : les troupes occuperaient rapidement les principales villes du pays, la Garde nationale russe réprimerait les manifestations « nationalistes » pendant que la majorité de la population accueillerait avec des fleurs ses « frères » russes attendus en libérateurs.
Mais au lieu de fleurs et de fanfares, l'armée russe s'est heurtée à la résistance obstinée des Ukrainiens et, au lieu de « gangs », elle a trouvé une armée entraînée et déterminée. L'« opération spéciale » s'est transformée en une véritable guerre.
La première victime de l'agression russe est l'Ukraine et son peuple. Plus de 10 000 civils ont été tué·es et plus de 18 500 blessé·es. 6,3 millions de personnes ont cherché refuge à l'étranger et 3,7 millions ont été déplacées à l'intérieur du pays. Au cours de la guerre, des centaines de milliers d'infrastructures médicales, résidentielles, éducatives et sportives ont été détruites, en même temps les écosystèmes ont été victimes d'un véritable écocide.
Les dommages causés à l'économie ukrainienne, estimés à plus de 300 milliards de dollars, affecteront le bien-être de ses citoyens pendant des années, et rendront la vie extrêmement pénible pour les plus pauvres d'entre eux.
De l'opération spéciale à la guerre d'usure
La société russe subit elle aussi une transformation douloureuse. Léon Trotski a écrit un jour que « ce n'est pas la conscience qui gouverne la guerre, mais la guerre qui gouverne la conscience ». La guerre a sa propre logique et modifie les plans humains. Au lieu de l'« opération spéciale », promise par Poutine, la Russie s'est engagée dans une guerre longue, sanglante et épuisante ; une guerre d'usure pour épuiser les ressources de l'Ukraine et forcer l'Occident à suspendre son aide. Ce scénario exige de la Russie d'énormes sacrifices auxquels ni sa population ni son économie n'étaient préparées.
Entraîné dans cette guerre d'usure, l'État de Poutine a changé de l'intérieur : il est condamné à forcer la société à accepter de tels sacrifices, notamment un nombre vertigineux de pertes en vies humaines. Cela passe par la répression politique et l'instauration d'un climat de peur.
Selon OVD Info, 1 980 personnes ont été arrêtées pour s'être opposées à la guerre depuis le début de celle-ci, et 825 d'entre elles font l'objet de poursuites pénales ; au moins un demi-million de personnes ont quitté le pays pour des raisons morales et politiques ou pour échapper à l'appel sous les drapeaux. Par ailleurs, la guerre n'est pas devenue le point de ralliement espéré, une « Seconde Guerre mondiale 2.0 » pour la plupart des Russes : les partisans idéologiques de l'agression de Poutine restent minoritaires, même s'ils sont les seuls à pouvoir exprimer leur point de vue. (1)
Les causes et la nature de la guerre
L'objectif de la guerre actuelle n'est manifestement pas de protéger la population russophone de l'Ukraine, qui est celle qui a le plus souffert aux mains des occupants, ni de contrer l'expansion occidentale, puisque le Kremlin partage une longue histoire d'enrichissement mutuel avec l'Occident.
Le véritable motif de l'invasion du Kremlin est son désir d'asseoir davantage sa domination politique, économique et militaire sur la société russe et les sociétés des autres pays post-soviétiques, à laquelle Moscou prétend avoir « historiquement droit ».
Mouvements populaires démocratiques de la dernière décennie
Dans le cadre de leur vision conspirationniste du monde, Poutine et son entourage considèrent que le Maïdan (2014) en Ukraine, les soulèvements au Belarus (2020) et au Kazakhstan (2021), et les vagues de protestations de masse en Russie même depuis 2012 font partie d'une « guerre hybride » menée contre la Russie par l'Occident.
La « lutte contre l'hégémonie occidentale » telle que la conçoit Poutine n'a rien à voir avec la résistance aux politiques d'exploitation des élites américaines et européennes sur la scène mondiale. Au contraire, le Kremlin accepte et salue les politiques occidentales qui ne sont assorties d'aucune condition éthique.
Les seules « valeurs occidentales étrangères » contre lesquelles la Russie se bat sont les droits humains, la liberté d'expression, l'égalité des sexes, le développement durable, etc. En ce sens, le poutinisme est l'avant-garde d'une internationale d'extrême droite qui menace la démocratie et les mouvements progressistes dans le monde entier. Cette internationale d'extrême droite s'articule notamment autour de Trump et ses partisans aux États-Unis, l'AfD en Allemagne, le régime d'Erdogan en Turquie, Orbán en Hongrie, et d'autres partis qui s'apprêtent à monter au pouvoir lors des prochaines élections.
L'objectif principal de cette guerre est de protéger le régime de Poutine et ses États vassaux autocratiques, comme la dictature de Loukachenko en Biélorussie, de la menace d'une révolution.
Cet objectif coïncide parfaitement avec les rêves de l'élite de reconstruire l'Empire russe, ce qui passe par l'asservissement de l'Ukraine, mais l'expansion russe ne s'arrêtera pas là.
Il s'inscrit également dans l'espoir d'un « monde multipolaire », dans lequel les dictateurs et les oligarques jouissent d'une liberté totale pour piller leurs sujets, réprimer les dissidents et diviser le monde au mépris du droit international.
C'est pourquoi, aujourd'hui, « arrêter la guerre » doit signifier « en finir avec la dictature de Poutine ». Exiger la paix, c'est exiger l'abolition des hiérarchies sociales qui sont au cœur du régime russe actuel : l'autoritarisme politique, les vastes inégalités de richesse, les normes conservatrices et patriarcales, et un modèle colonial et impérial de relations interethniques.
Lutter pour la paix ou forcer les négociations ?
2023 a été une année de guerre de tranchées pour l'Ukraine. Malgré de lourdes pertes, ni l'armée ukrainienne ni l'armée russe n'ont réussi à faire des progrès significatifs sur le champ de bataille. Cette situation a accru la lassitude face à la guerre, y compris chez les alliés de l'Ukraine.
Dans ce contexte, les idées de pourparlers de paix et d'opposition aux transferts d'armes vers la zone de conflit – exprimées à la fois par l'extrême droite et certaines forces de gauche – sont devenues de plus en plus populaires.
Bien entendu, toutes les guerres favorisent le militarisme et le nationalisme, la réduction de la protection sociale, la violation des libertés civiles et bien d'autres choses encore dans tous les pays parties au conflit. C'est vrai pour la Russie, l'Ukraine et l'Occident.
Il est également évident que toutes les guerres se terminent par des négociations, et il serait inutile de s'opposer à cette demande en principe. Mais espérer des négociations à ce stade de la guerre est naïf, tout comme la conviction que le désarmement unilatéral de la victime de l'agression apportera la paix.
Les promoteurs de ces propositions ne tiennent pas compte de l'évolution du régime de Poutine au cours des dernières années. La légitimité de Poutine est aujourd'hui celle d'un chef de guerre ; il ne peut donc pas se maintenir au pouvoir sans faire la guerre.
Il compte désormais sur le fait que l'Occident mettra fin à son soutien à l'Ukraine après les élections américaines et conclura un accord – aux conditions du Kremlin, bien entendu. Mais un tel accord (partition de l'Ukraine ? changement de régime à Kiev ? reconnaissance des « nouveaux territoires » russes ?) ne changera rien à l'attitude essentielle du poutinisme vis-à-vis de la guerre, qui est désormais son seul mode d'existence.
Le régime de Poutine ne peut plus sortir de l'état de guerre, car le seul moyen de maintenir son système est d'aggraver la situation internationale et d'intensifier la répression politique à l'intérieur de la Russie.
C'est pourquoi toute négociation avec Poutine aujourd'hui n'apporterait, au mieux, qu'un bref répit, et non une véritable paix. Une victoire de la Russie serait la preuve de la faiblesse occidentale et de sa volonté de redessiner ses sphères d'influence, surtout dans l'espace post-soviétique. La Moldavie et les États baltes pourraient être les prochaines victimes de l'agression. Une défaite du régime, en revanche, équivaudrait à son effondrement.
Seul le peuple ukrainien a le droit de décider quand et dans quelles conditions faire la paix. Tant que les Ukrainiens feront preuve d'une volonté de résistance et que le régime de Poutine ne changera rien à ses objectifs expansionnistes, toute contrainte exercée sur l'Ukraine pour l'amener à négocier reviendrait à faire un pas vers un « accord » entre impérialistes par-dessus la tête de l'Ukraine et aux dépens de son indépendance.
Cet « accord de paix » impérialiste signifierait un retour à la pratique de partition du reste du monde par les « grandes puissances », c'est-à-dire aux conditions qui ont donné naissance à la Première et à la Seconde Guerre mondiale.
Le principal obstacle à la paix n'est certainement pas le « manque de volonté de compromis » de Zelensky, ni le « fauconisme » de Biden ou de Scholz : c'est le manque de volonté de Poutine de même discuter de la désoccupation des territoires ukrainiens saisis après le 24 février 2022. Et c'est l'agresseur, et non la victime, qui doit être contraint de négocier.
Nous, Mouvement socialiste russe, pensons que dans de telles circonstances, la gauche internationale devrait exiger :
– Une paix juste pour le peuple ukrainien, y compris le retrait des troupes russes du territoire internationalement reconnu de l'Ukraine ;
– l'annulation de la dette publique de l'Ukraine ;
– une pression accrue des sanctions sur l'élite et la classe dirigeante de Poutine ;
– une pression accrue sur les différentes entreprises qui continuent à faire des affaires avec la Russie ;
– une aide humanitaire accrue aux réfugiés ukrainiens et aux exilés politiques russes, y compris ceux qui fuient la conscription ;
– une reconstruction équitable de l'Ukraine après la guerre, menée par les Ukrainiens eux-mêmes selon les principes de la justice sociale, et non par des sociétés d'investissement et des fonds spéculatifs appliquant les principes de l'austérité ;
– un soutien direct aux organisations bénévoles et syndicales de gauche en Ukraine ;
– des plates-formes permettant aux Ukrainiens et aux Russes opposés à la guerre de s'exprimer ;
– la libération des prisonniers politiques russes et la fin de la répression de l'opposition politique en Russie.
Le monde d'aujourd'hui bascule vers la droite et les politiciens choisissent de plus en plus de recourir à la discrimination et aux guerres d'agression pour résoudre leurs problèmes, qu'il s'agisse de la campagne militaire génocidaire de Netanyahou à Gaza, soutenue par l'Occident, des attaques de l'Azerbaïdjan contre le Haut-Karabakh (dont la communauté internationale est complice) ou de la rhétorique et des politiques anti-immigrés adoptées par les partis dominants en Allemagne, en Finlande, aux Pays-Bas, en France et aux États-Unis. Dans ce contexte mondial, la gauche doit combattre la montée des tendances impérialistes, militaristes et nationalistes, non pas par des efforts utopiques de construction de la paix, mais en empêchant de nouvelles flambées d'agression et en empêchant les forces fascistes sympathisantes de Poutine (Trump, l'AfD, etc.) d'accéder au pouvoir.
Stop à la guerre !
Pour la fin au poutinisme !
Liberté pour l'Ukraine !
Liberté pour les opprimés en Russie !
1. http://www.bbc.com/english/news-64764949
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Etats-Unis-Sénat. Seuls trois démocrates, dont Bernie Sanders, s’opposent à une aide militaire nouvelle de 10 milliards de dollars pour Netanyahou

Le Sénat des Etats-Unis a adopté, dans la matinée du mardi 13 février, une loi prévoyant une aide militaire supplémentaire de plus de 10 milliards de dollars pour le gouvernement israélien, qui s'apprête à lancer une invasion terrestre catastrophique contre Rafah, une ville de Gaza peuplée de plus de 1,4 million d'habitants.
Tiré de A l'Encontre
13 février 2024
Par Jake Johnson
Bernie Sanders entre au Sénat.
Les sénateurs ont approuvé le projet de loi, qui comprend également une aide militaire à l'Ukraine et à Taïwan, par un vote bipartisan écrasant de 70 à 29, seuls trois membres du groupe démocrate de la chambre haute – les sénateurs Bernie Sanders (Indépendant, Vermont), Jeff Merkley (Démocrate, Oregon) et Peter Welch (Démocrate, Vermont) – s'étant opposés à cette décision.
La proposition prévoit un financement global de 95 milliards de dollars pour les trois pays, dont 14 milliards de dollars pour Israël.
« Ce projet de loi accorde au Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou 10 milliards de dollars supplémentaires d'aide militaire sans restriction pour sa guerre effrayante contre le peuple palestinien. C'est inadmissible », a écrit Bernie Sanders sur les réseaux sociaux avant le vote de mardi. « Je voterai NON lors de l'adoption finale. »
Peter Welch et Jeff Merkley se sont également opposés au projet concernant l'aide militaire inconditionnelle à Israël, qui a reçu plus de 10 000 tonnes d'armes des Etats-Unis depuis le 7 octobre et reçoit déjà près de 4 milliards de dollars par an d'aide militaire états-unienne.
« La campagne menée par le gouvernement Netanyahou est en contradiction avec les valeurs et le droit des Etats-Unis, qui exigent des bénéficiaires de l'aide américaine qu'ils facilitent l'acheminement de l'aide humanitaire », a déclaré Jeff Merkley dans un communiqué publié lundi en fin de journée. « Bien que j'aie soutenu l'aide militaire à Israël dans le passé, et que je continue à soutenir l'aide aux systèmes défensifs comme Iron Dome (Dôme de fer) et David's Sling (Fronde de David, système antimissiles), je ne peux pas voter en faveur de l'envoi de plus de bombes et d'obus à Israël alors qu'ils les utilisent de manière indiscriminée contre les civils palestiniens. »
D'autres démocrates ont critiqué l'aide à Israël mais ont finalement voté en faveur du projet de loi.
Le sénateur Chris Van Hollen (Démocrate, Maryland) a prononcé un discours émouvant sur les conditions humanitaires désastreuses à Gaza, qu'il a qualifiées de « pur enfer ». « Les enfants de Gaza meurent aujourd'hui parce qu'on leur refuse délibérément de la nourriture. Outre l'horreur de cette nouvelle, une autre chose est vraie : il s'agit d'un crime de guerre. C'est un crime de guerre classique. Et cela fait de ceux qui l'orchestrent des criminels de guerre. »
Malgré cette déclaration, Chris Van Hollen a fait partie des membres du groupe démocrate qui ont voté en faveur du projet de loi sur l'aide.
Refus de tout amendement concernant l'UNRWA
Bernie Sanders avait proposé de retirer du projet de loi l'aide militaire offensive à Israël et de supprimer les dispositions interdisant le financement par les Etats-Unis de l'Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), dont les opérations essentielles à Gaza sont sur le point de s'effondrer totalement après que l'administration Biden et d'autres gouvernements ont coupé les fonds à la suite d'allégations israéliennes non fondées visant une douzaine d'employés de l'agence.
En plus de fournir un soutien supplémentaire aux forces armées israéliennes, le projet de loi affaiblirait le contrôle du Congrès en permettant au département d'Etat de renoncer aux exigences de notification pour le financement militaire étranger d'Israël [en vertu de la loi sur le contrôle des exportations d'armes, le président doit officiellement informer le Congrès 30 jours civils avant que l'administration puisse prendre les mesures finales pour conclure une vente de matériel militaire à l'étranger de gouvernement à gouvernement].
« A maintes reprises, j'entends le président et les membres du Congrès exprimer leur profonde inquiétude au sujet de M. Netanyahou et de la catastrophe humanitaire qu'il a provoquée à Gaza », a déclaré Bernie Sanders lundi. « Alors pourquoi soutiennent-ils l'idée de donner à Netanyahou 10 milliards de dollars supplémentaires pour poursuivre sa guerre contre le peuple palestinien ? »
Le projet de loi est maintenant soumis à la Chambre des représentants des Etats-Unis, dont le président Mike Johnson (Républicain, Louisiane) a déclaré qu'il « devra continuer à travailler selon sa propre méthode sur ces questions importantes ».
Dans une déclaration faite lundi soir, Mike Johnson s'est plaint du fait que la mesure adoptée par le Sénat ne comporte « aucune modification de la politique frontalière » [mesure pour faire obstacle aux migrants à la frontière Mexique-Etats-Unis], alors même que c'est l'opposition des républicains qui a contraint les dirigeants du Sénat à retirer du programme d'aide à l'étranger les changements légaux proposés en matière d'immigration.
Les défenseurs des droits des immigré·e·s se sont largement opposés à ces modifications, qu'ils ont qualifiées d'attaque draconienne contre le droit d'asile. (Article publié sur Common Dreams, le 13 février 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
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Un demi-milliard de dollars d’amende pour Trump... quel impact sur sa candidature ?

Les tribunaux ont infligé à l'ancien président Donald Trump deux décisions économiquement dévastatrices qui pourraient lui coûter un demi-milliard de dollars et qui portent un coup fatal à sa marque, à son image et à son ego. Comment ces décisions affecteront-elles ses ambitions présidentielles ?
Hebdo L'Anticapitaliste - 696 (22/02/2024)
Par Dan La Botz
Crédit Photo
Wikimedia Commons
Dans la décision la plus récente, un juge new-yorkais a sanctionné Trump à hauteur de 350 millions de dollars pour des déclarations commerciales frauduleuses, une somme qui, avec les intérêts, atteindra 450 millions de dollars. Il a également interdit à Trump de faire des affaires à New York pendant trois ans. Le juge a également condamné ses fils, Eric Trump et son frère Donald Trump Jr., à une amende de 4 millions de dollars chacun et leur a également interdit de faire des affaires à New York pendant deux ans. Trump doit payer l'amende dans les 30 jours ou déposer une caution pendant qu'il fait appel des décisions. Selon les estimations, Donald Trump « vaut » 2,3 milliards de dollars, dont la majeure partie est constituée de biens immobiliers, mais il dispose d'un demi-milliard de dollars de liquidités. Il ne fera donc pas faillite. Le juge a également prolongé de trois ans le mandat d'un contrôleur indépendant, un agent du tribunal au sein de l'organisation Trump, chargé de surveiller les fraudes.
Dans une décision rendue en février, les tribunaux ont accordé 83,3 millions de dollars à E. Jean Carroll, une femme qui affirme avoir été violée par Trump il y a plusieurs dizaines d'années et avait ensuite été diffamée. Trump a fait appel de cette décision.
91 chefs d'accusation contre Trump
Trump a attaqué la décision la plus récente (l'amende de 450 millions de dollars), la qualifiant d'« imposture complète et totale ». Il affirme depuis le début que le président Biden et le Parti démocrate sont à l'origine de ce qu'il appelle les attaques « politiquement motivées » dont il fait l'objet. Il a qualifié le juge d'être corrompu et a déclaré que la procureure générale de New York, Letitia James, une femme noire, qui a porté l'affaire devant les tribunaux, était une « raciste ».
Outre ces affaires civiles, Trump doit répondre de 91 autres chefs d'accusation dans le cadre de quatre procédures distinctes. Tout d'abord, à Manhattan, il est accusé d'avoir falsifié des documents commerciaux dans le cadre d'un stratagème visant à verser des pots-de-vin à des femmes qui disaient avoir eu des relations sexuelles avec lui. Ce procès s'ouvrira le 25 mars. Ensuite, en Floride, il est accusé de rétention délibérée d'informations relatives à la sécurité nationale, d'obstruction à la justice, de dissimulation de documents et de fausses déclarations. Troisièmement, en Géorgie, Trump et 18 autres personnes sont accusés de racket et de conspiration pour voler les élections de 2020. Dans cette affaire, deux des co-accusés de Trump ont accusé la procureure du comté de Fulton, Fani T. Willis, d'avoir bénéficié financièrement de l'embauche de Nathan Wage, un collègue avec lequel elle avait une liaison sexuelle, et ils demandent qu'elle soit dessaisie de l'affaire. Enfin, à Washington, DC, Trump fait également l'objet d'une procédure fédérale pour subversion électorale.
De plus, la Cour suprême fédérale examine actuellement deux affaires concernant Trump. L'une portant sur la décision de la Cour suprême du Colorado de lui retirer la possibilité d'être candidat dans cet État (dans le cadre de l'élection présidentielle) parce qu'il a incité à l'insurrection contre le gouvernement des États-Unis. Et l'autre, sur la question de savoir si, en tant qu'ancien président, il bénéficie ou non d'une immunité de poursuites.
Souscription de Trump pour les frais de justice
Comment les problèmes juridiques de Donald Trump affectent-ils sa campagne présidentielle ? Trump a profité de ses procès pour récolter des dizaines de millions de dollars afin de payer ses frais de justice, et il a immédiatement demandé à ses partisans de l'aider à financer son appel de la dernière décision rendue à son encontre.
La base de Trump, environ un tiers de tous les électeurs, lui reste fidèle. Ils sont d'accord avec lui pour dire qu'il est politiquement persécuté par une « chasse aux sorcières » du parti démocrate. Et Trump contrôle le Parti républicain, dont la quasi-totalité des éluEs, à tous les niveaux, le soutiennent dans sa candidature à la présidence. La plupart des AméricainEs (deux sur trois) pensent cependant que Trump ne devrait pas bénéficier de l'immunité. La plupart d'entre eux souhaiteraient qu'il soit jugé avant les élections. Si Trump a la mainmise sur sa base, ses problèmes juridiques font qu'il est peu probable qu'il obtienne les voix de démocrates tandis qu'il risque de perdre celles de nombreux électeurEs indépendants (qui balancent entre Républicains et Démocrates).
Traduction Henri Wilno
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« Défaillance morale » : Le représentant démocrate R. Khanna et A. Aiyash démocrate au parlement du Michigan insistent pour que J. Biden change de politique envers Gaza

Mardi, (le 20-02-2024) les États-Unis ont opposé leur véto à une résolution au Conseil de sécurité de l'ONU demandant un cessez-le-feu immédiat à Gaza. La proposition a été soutenue par 13 votes.
photo Serge D'Ignazio
Tiré de Democracy Now
traduction Alexandra Cyr
Amy Goodman : (…) Il y a donc eu un vote contre et le Royaume Uni s'est abstenu. C'est la troisième fois que les États-Unis opposent leur véto au Conseil de sécurité sur des résolutions exigeant des cessez-le-feu à Gaza. Celui-ci faisait suite à une résolution adverse des États-Unis rendue publique la veille, demandant un cessez-le-feu temporaire qui pouvait permettre la libération des otages israéliens.nes.
Les attaques israéliennes sur Gaza ont fait presque 30,000 morts au cours de quatre mois et demi. Des centaines de personnes qui manquent à l'appel sont présumément ensevelies sous les décombres. Près de 70,000 personnes ont été blessées. 80% de la population de Gaza a été déplacée pendant que la crise humanitaire persiste en s'empirant. Un quart de la population fait face à la famine.
Le soutien de l'administration Biden à la guerre contre Gaza a été beaucoup critiqué à travers le monde et dans le pays. Le Michigan, un État clé (dans la campagne à la Présidence), regroupe la plus vaste population arabe des États-Unis. Une campagne en faveur d'un vote neutre, non engagé, dans les primaires démocrates prend de l'ampleur pour protester contre la politique de soutien à Israël de la part du Président Biden.
Pour développer sur cet enjeu, nous rejoignons deux invités : Abraham Aiyash député au parlement du Michigan, leader de la majorité en chambre et second dans la hiérarchie démocrate de cet État. Il est un des nombreux représentants d'origine arabe ou musulmans qui ont rencontré le Président Biden à Dearborn la semaine dernière après avoir refusé de rencontrer sa directrice de campagne, Mme Julie Chavez Rodriguez. Il s'est aussi joint à 40 autres élus.es du Michigan dans la campagne en faveur du vote neutre lors de la prochaine primaire démocrate du 27 février courant. Et depuis Washington D.C., en route pour le Michigan, nous rejoignons le représentant démocrate Ro Khanna au Congrès. Il est le whip du Caucus progressiste démocrate et il se rend au Michigan pour rencontrer demain les leaders musulmans et arabes de l'État.
Soyez les bienvenus tous les deux. A. Aiyash, nous allons commencer avec vous. Que demandez-vous ? À titre de leader de la majorité en chambre, que demandez-vous à l'administration Biden ? Ce n'est pas dans vos habitudes de prendre de telles positions et le Parti démocrate est sujet à de lourdes pressions en ce moment. Pouvez-vous nous dire ce que vous voudriez voir arriver ?
Abraham Aiyash : Nos demandes sont assez simples. Nous ne voulons pas que notre gouvernement, notre pays, soutienne, aide, encourage quelque opération que ce soit qui tue des innocents.es, des hommes, des femmes et des enfants. Il ne nous semble pas radical que de suggérer que le pays le plus riche et le plus puissant de l'histoire du monde ne finance pas ce qui nous apparaît être un génocide, avec presque 30,000 Palestiniens.nes décédés.es à cause de missiles et de bombes israéliens financés par les États-Unis. Nous refusons que notre leadership s'engage dans cette défaillance morale et dans ces actes dégradants qui sont une atteinte à la dignité et à l'humanité du peuple palestinien. Avant tout, nous ne nous opposons à personne mais simplement, nous réaffirmons notre engagement envers l'humanité et en faveur des droits humains les plus élémentaires qui stipulent qu'il ne s'agit pas d'un concept fou que de ne pas soutenir quelque effort que ce soit qui vise à tuer des innocents.es dans le monde, spécialement au niveau de que nous avons pu observer à Gaza où plus de gens sont morts dans ce conflit qu'au cours de n'importe quelle guerre depuis la seconde guerre mondiale. C'est proprement dévastateur.
Et nous espérons qu'il s'agit de l'exercice de nos droits. Nous allons utiliser les bulletins de vote du 27 février pour montrer que nous ne supporterons pas toutes les actions qui prévoient de commettre un génocide et que nous allons nous tenir debout fermement sur cette position. Espérons que cela permettra à l'administration de changer le cours des choses d'ici l'élection de novembre prochain.
Juan Gonzalez : Je veux demander au représentant Ro Khanna … vous avez dit, par exemple, que l'ancien Président Trump était trop dangereux pour que nous ne soutenions pas le Président Biden. Que répondez-vous à ces Démocrates qui ne peuvent voter pour le Président sans mauvaise conscience au moins à ces primaires ?
Ro Khanna : D'abord, je dois dire que j'ai un immense respect pour le représentant Aiyash et je m'organise pour le voir au Michigan. Je pense que l'administration doit changer de politique envers le Proche Orient pour gagner de la crédibilité auprès des gens que nous avons perdu. Vous ne pouvez pas rencontrer les musulmans américains et la communauté arabe américaine et ensuite opposer votre véto aux Nations Unies à une résolution qui demande un cessez-le-feu et en plus demander une libération inconditionnelle des otages. C'est notre troisième véto. Cela atteint notre position morale. Cela nous choque eut égard à nos engagements en faveur des droits humains. Et la population ne croit plus que nous l'entendons et que nous allons changer de trajectoire. Elle n'a plus confiance.
Donc, j'espère que cette rencontre avec le représentant Aiyash et les autres, nous permettra d'élaborer une stratégie qui aidera à changer le cours des choses au Proche Orient que nous pourrons avoir un cessez-le-feu permanent, la libération des otages et que l'aide pourra revenir à Gaza, que nous aurons plus de paix et de justice dans cette région.
J.G. : Représentant Aiyash, je veux vous entendre à propos de la rencontre que vous eue avec les délégués.es officiels.les du gouvernement Biden plus tôt ce mois-ci à Dearborn. Que tirez-vous de ces discussions ?
A.A. : Nous avons fermement réitéré notre position. Nous voulons un cessez-le-feu permanent immédiatement. Nous voulons que l'aide soit distribuée à la population de Gaza par des entités comme l'UNRWA. Et nous voulons voir des restrictions et des conditions accrochées à l'aide envoyée à Israël. Nous envoyons un chèque en blanc, en totale obscurité, sans conditions à un pays qui a violé les droits humains, les lois internationales encore et encore.
Nous avons rappelé à l'administration qu'elle est impliquée depuis 124 jours dans ce conflit. Il se trouve que cette visite avait lieu dans un État dont l'électorat peut changer de camp (dans la prochaine élection), sans que ça ne provoque rien de plus. Nous ne les voyons pas au niveau de préoccupation qu'ont démontré nos communautés depuis des mois. Donc, nous avons réitéré notre message.
Malheureusement, quelques jours seulement après cette rencontre, nous avons vu le régime Nétanyahou exécuter une de ses pires attaques dans la région de Rafah sans que les États-Unis ne fasse les pressions nécessaires pour que ce régime cesse ses actions haineuses.
A.G. : Représentant Khanna, pensez-vous que l'administration Biden fait une erreur en opposant son véto à une résolution de plus ? Et je veux pousser un peu plus la question. Immédiatement après que l'ambassadrice américaine ait posé son véto, le Président Biden se trouvait à une activité de financement à Los Angeles. Il s'agissait de récolter de grosses sommes. Il était accompagné du milliardaire Haim Saban, qui investit dans les médias et bien connu comme un Démocrate pro israélien. Le coût du diner à ce meeting était de 3,300.00$ et pouvait aller jusqu'à 250,000$. Je tire ces informations du site Common Dreams. Que pensez-vous de cela et du Président Biden quand il répète qu'il fait d'énormes pressions sur B. Nétanyahou en privé ? Leurs actions privées ne cessent d'être contraire à un cessez-le-feu tel que présenté dans la résolution (portée au vote au Conseil de sécurité des Nations Unies) et à y opposer son véto.
R.K. : Ce fut une faute que d'opposer ce véto à la résolution des Nations Unies. Au pire ils auraient pu s'abstenir. Il y a 15 pays représentés au Conseil de sécurité. 13 ont voté en faveur de la résolution qui appelait à un cessez-le-feu permanent et la libération des otages. La résolution reflètait le sentiment non seulement dans le monde mais aussi dans la majorité de la population américaine. Nous sommes les seuls à avoir voté ainsi dans le monde entier. Cela heurte la position américaine dans le monde d'autant plus que cette administration s'est engagée à rebâtir les institutions internationales. Qu'est-ce que cela donne comme image de la crédibilité des Nations Unies si nous ne participons pas à ces institutions.
Par ailleurs j'apprécie qu'il y ait eu un peu de mouvement dans l'administration. Beaucoup d'entre nous au Congrès avons milité pour l'aide humanitaire à Gaza. La reconnaissance des vies palestiniennes et les préoccupations humanitaires sont devenues visibles. Mais maintenant, il faut passer à l'action. Il doit y avoir des conséquences claires pour B. Nétanyhou et les éléments d'extrême droite de son gouvernement. Ces gens dans ce gouvernement sont bien plus à droite que D. Trump. Il est important de la comprendre (quand il est question) de personnages comme Ben-Vir. Il faut rendre très clair à B. Nétanyahou : vous ne pouvez pas entrer dans Rafah. Notre secrétaire à la défense ne le veut pas. Notre Président ne le veut pas. Qui est-il pour défier les États-Unis d'Amérique et penser que nous allons continuer à lui fournir de l'aide militaire ? Donc, nous devons être très, très clairs sur les conséquences. Mais ce n'est pas ce qui se passe jusqu'à maintenant.
J.G. : Représentant Aiyash, en décembre vous avez commencé une grève de la faim et avez rejoint une manifestation devant la Maison blanche pour demander un cessez-le-feu. Pourquoi cet enjeu vous est-il si personnel ?
A.A. : Deux tantes de ma cheffe de cabinet ont été victimes de la Nakba. Elle me racontait l'histoire de son père et de ses deux sœurs marchant dans la vallée du Jourdain et ces deux dames sont mortes de déshydratation. Vous savez il y a de vraies souffrances et des histoires vraies derrière la déshumanisation du peuple palestinien.
Et des gens se sont soulevés partout dans notre pays pour dire qu'ils ne devraient pas se demander comment ces hommes, ces femmes et ces enfants innocents.es souffrent à cause de l'extrême-droite de ce régime que, comme l'a mentionné R. Khanna, nous finançons. Voyons les faits : la majorité des Américains.es, 80% des démocrates, sont en faveur d'un cessez-le-feu. Plus de 60% de la population est d'accord avec cela. Malgré tout, nous avons une majorité au Congrès et à la Maison blanche qui ne fait qu'ignorer la volonté populaire. C'est complètement non-américain quand vous avez des citoyens.nes qui protestent pendant des mois, qui se lèvent pour dire : « nous exigeons que notre pays mette de l'avant sa conviction morale et dise qu'aucun.e innocent.e, homme, femmes et enfant, ne soit tué.e avec des armes américaines » et que nos leaders les ignore.
Je suis reconnaissant envers les leaders comme le représentant Khanna qui bataillent fermement en faveur des droits humains et qui soutient que les Palestiniens.nes méritent autant de dignité que les Ukrainiens.nes, que les Israéliens.nes et que quiconque d'autre dans le monde. Mais nous voyons nos leaders continuer à ignorer la volonté américaine ; c'est un vrai crève-cœur. C'est un enjeu extrêmement important pour tant de gens dans notre pays parce que c'est un rappel que nous devons continuer à nous battre pour les valeurs démocratiques, les idéaux et que c'est par des gestes comme le « vote neutre » et en continuant à nous organiser et en protestant que nous travaillons en faveur de la paix dans le monde.
A.G. : Représentant R. Khanna, vous avez dit qu'il doit y avoir des conséquences pour toucher l'aide politique américaine. Pensez-vous que l'aide militaire américaine à Israël et au gouvernement Nétanyahou devrait cesser à cause de ce qu'ils font à Gaza en ce moment même ? Et, pouvez-vous nous parler de la rencontre que vous allez avoir avec Rashida Talib de la campagne « Take Back Our Power » ? Elle qui est la seule américaine d'origine palestinienne membre du Congrès.
R.K. : Alors, j'ai voté contre cette proposition d'envoi de 17 millions de dollars à Israël sans aucune restriction il y a une ou deux semaines. Et je ne pense sûrement pas que nous devrions leur fournir plus de missiles de précision qui peuvent servir à attaquer la population de Rafah. Et je ne vois pas comment on peut outre passer le Congrès, ce qui est déjà arrivé, pour fournir des armes offensives qui vont servir à conduire des attaques que notre gouvernement dit qu'elles ne devraient pas avoir lieu.
Je veux simplement dire ceci : je regarde vraiment vers l'avant et je vais rencontrer des gens comme le représentant Aiyash et d'autres personnes des communautés arabes et musulmanes américaines. Il n'est pas qu'un représentant. Il est un leader dans la Chambre du Michigan. C'est un futur gouverneur, un futur sénateur et un futur membre du Congrès. Voilà le but. La coalition du Parti démocrate moderne n'est pas de 1972, c'est une coalition qui inclut de jeunes progressistes, des musulmans.es et des arabes américains.nes, des juifs.ves américains.es et de jeunes gens. L'African Methodist Episcopal Black Church a aussi demandé un cessez-le-feu. Et nous devons nous réveiller et voir les faits car dans l'avenir le Parti démocrate va devoir exiger la justice de deux États, un État palestinien vivant aux côtés de l'État d'Israël. Et il va devoir aussi exiger des actions concrètes pour un cessez-le-feu et la reconnaissance de l'humanité des deux peuples, le palestinien et l'israélien. La rencontre avec Rashida Tlaib devrait porter sur l'électricité, l'énergie et la justice mais je suis sûr que d'autres sujets vont surgir durant ce débat public.
A.G. : Merci à vous deux.
*****
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Contre l’extradition de Julian Assange, pour le droit de savoir

Pour empêcher son transfert aux États-Unis, où il risque la prison à vie, le fondateur de WikiLeaks abat sa dernière carte en droit britannique les 20 et 21 février. Au regard de l'intérêt public majeur des informations qu'il a contribué à révéler, nous devons, en tant que journalistes et citoyens, nous dresser pour obtenir sa libération.
20 février 2024 | tiré du Europe solidaire sans frontières | Photo : L'avocate Stella Assange, femme de Julian, devant la Haute Cour de justice de Londres, le 24 janvier 2022. © Photo Daniel Leal / AFP
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article69844
« La démocratie meurt dans l'obscurité » : ce slogan aux accents d'appel à la vigilance adopté par le Washington Post en 2017 lors de la présidence de Donald Trump devrait résonner fortement aux oreilles de Joe Biden ces jours-ci. A fortiori depuis le décès, en Russie, d'Alexeï Navalny, le célèbre opposant politique à Vladimir Poutine dans une colonie pénitentiaire reculée de l'Arctique, où il purgeait une peine de 19 ans de prison.
Alors que l'ultime recours en droit britannique de Julian Assange doit être examiné, mardi 20 et mercredi 21 février, pour empêcher son extradition aux États-Unis, où il encourt une peine allant jusqu'à 175 ans de prison, il faut rappeler inlassablement que le supplice du fondateur de WikiLeaks, enfermé depuis douze années, est aussi celui d'un double principe, le droit d'informer et le droit d'être informé·e.
Ce supplice tient à la durée de la procédure judiciaire, à la lourdeur des charges retenues contre lui et à la dureté des conditions d'enfermement auxquelles il est soumis. Le piège se referme sur Julian Assange quatre ans après la création en 2006 de WikiLeaks, organisation non gouvernementale à but non lucratif dont la mission était de rendre publics, de manière anonyme et sécurisée pour leurs sources, des documents d'intérêt général n'ayant initialement pas vocation à être révélés.
La publication en 2010 d'une vidéo et de près de 400 000 rapports militaires documentant les exactions américaines en Irak et en Afghanistan fait l'effet d'un coup de tonnerre. S'y ajoute la diffusion de 251 000 dépêches diplomatiques envoyées au siège du Département d'État racontant cinquante ans de relations diplomatiques des États-Unis entretenues à travers le monde.
De quoi susciter la fureur de la Maison-Blanche : non seulement ces fuites massives révèlent les défaillances technologiques de la première puissance mondiale, incapable de protéger ses données sensibles, mais elle met aussi la lumière sur ses mensonges, ses petits arrangements et ses violations du droit international. Furieuses d'être ainsi mises à nu, les autorités américaines lancent aussitôt une enquête pour « espionnage » contre WikiLeaks et recherchent activement son fondateur, désigné comme ennemi public numéro un.
L'audience de la dernière chance
La chasse à l'homme commence. Après avoir été placé en liberté surveillée pendant deux ans au Royaume-Uni, Julian Assange se réfugie en juin 2012 à l'ambassade de l'Équateur à Londres, où il vit pendant sept ans dans un espace confiné, avant d'être incarcéré à partir d'avril 2019 en détention provisoire dans la prison de haute sécurité de Belmarsh, près de la capitale britannique.
Il est depuis lors maintenu à l'isolement dans cet établissement carcéral conçu pour abriter des terroristes et des membres de groupes liés au crime organisé. En mai de la même année, alors que Donald Trump a été élu président, la justice américaine le rattrape : il est inculpé pour « espionnage » par les États-Unis, où il risque la prison à vie.
S'ensuit une série de recours engagés pour empêcher son extradition, balayés les uns après les autres. Cet ultime appel devant la Haute Cour britannique est, autrement dit, une audience de la dernière chance pour cet homme qui a su comme personne mettre en lumière les potentialités démocratiques de la révolution numérique.
À l'issue de ces deux jours, deux cas se présentent : soit les juges l'autorisent à présenter formellement cet appel, et la bataille judiciaire se poursuit, soit ils le lui refusent, et l'épée de Damoclès tombe.
Selon son épouse Stella Assange, rien ne s'opposerait alors à son extradition immédiate. Il aurait en effet la possibilité de présenter un recours auprès de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), mais celui-ci n'étant pas suspensif, il pourrait ne pas empêcher son départ forcé vers les États-Unis. Toutefois, comme le précise Nicolas Hervieu, juriste spécialiste des libertés et enseignant à Sciences Po, la CEDH est susceptible de répondre rapidement, au moins pour demander à l'État concerné de fournir des explications et de surseoir à la mise en œuvre de l'éloignement.
Une attaque contre le droit de savoir
Mediapart, par ses engagements éditoriaux, est particulièrement sensible au combat de Julian Assange et a récemment pris l'initiative d'un appel, sous la forme d'une adresse à Joe Biden, également signé par nos confrères de Der Spiegel (Allemagne), d'Il Fatto Quotidiano (Italie) et d'InfoLibre (Espagne).
Alors que les États-Unis refusent de le reconnaître comme journaliste, nous rappelions au président américain que nous le considérions comme l'un des nôtres, dans la mesure où nous avions publié dans nos titres respectifs des enquêtes qu'il avait signées en son nom. « Au-delà du sort inique qui est fait au fondateur de WikiLeaks, cette procédure transforme le journalisme en crime et met en péril toutes celles et tous ceux qui en font profession, partout dans le monde », écrivions-nous.
Car, oui, Julian Assange a fait œuvre de journalisme en rendant publics des crimes de guerre, des affaires de corruption, des scandales diplomatiques et des opérations d'espionnage que les autorités américaines auraient préféré voir gardés secrets. Il nous revient précisément, en tant que journalistes, de révéler ce qui est nié ou caché, en premier lieu par les puissants de ce monde.
Notre mission démocratique est fondamentalement de placer les gouvernant·es face à leurs responsabilités et de rendre aux citoyen·nes ce qui leur appartient : des informations d'intérêt public leur permettant d'exercer leur droit de regard sur les décisions prises en leur nom et d'agir en fonction de ce qu'ils et elles apprennent.
Dans un texte publié dès 2006, intitulé Conspiracy as Governance, Julian Assange ne disait pas autre chose lorsqu'il affirmait que « l'injustice ne peut trouver de réponse que lorsqu'elle est révélée, car, pour que l'homme puisse agir intelligemment, il lui faut savoir ce qui se passe réellement ». Dans Menace sur nos libertés – Comment Internet nous espionne, comment résister, il déclarait aussi : « “Soyez le changement que vous souhaitez voir dans le monde” [selon la formule prêtée à Gandhi – ndlr], mais soyez aussi l'empêcheur de tourner en rond que vous souhaitez voir dans le monde. »
Parler de liberté n'a de sens qu'à condition que ce soit la liberté de dire aux autres ce qu'ils n'ont pas envie d'entendre.
George Orwell, 1945
La vérité des faits dérange, c'est peut-être même à cela qu'on la reconnaît. Et nous faisons nôtre la citation de l'écrivain George Orwell, qui, dans sa préface de 1945 à La Ferme des animaux, écrivait : « Parler de liberté n'a de sens qu'à condition que ce soit la liberté de dire aux autres ce qu'ils n'ont pas envie d'entendre. »
C'est d'ailleurs une citation de cet auteur qui ouvrait la vidéo diffusée par WikiLeaks en 2010, vue par quatre millions de personnes sur YouTube en trois jours, montrant des militaires américains, à Bagdad, tuer des journalistes après avoir confondu une caméra et une arme de guerre.
Cet extrait de La Politique et la langue anglaise disait : « Le langage politique est conçu pour rendre le mensonge crédible et le meurtre respectable, et pour donner à ce qui n'est que du vent une apparence de consistance. » À nous, journalistes, de lire entre les lignes, de démêler le vrai de la propagande et de divulguer le dessous des cartes, quel que soit son éclat.
À force de révélations, l'exercice journalistique peut ainsi se traduire par de fortes secousses. Car, oui, certaines de nos informations remettent en cause l'ordre établi et contribuent à défaire des positions infondées héritées du passé.
Cet état de fait a été consacré en 1976 dans le droit européen par l'arrêt Handyside : la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) affirme en effet que la liberté d'expression « vaut non seulement pour les informations ou les idées accueillies avec faveur, ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'État ou une fraction quelconque de la population ». « Ainsi le veulent, conclut la CEDH, le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'y a pas de société démocratique. »
La situation de Julian Assange est, à cet égard, le miroir d'un enjeu démocratique central. Face à la tentation de pouvoirs issus du vote de réduire leur légitimité à la seule élection, il est urgent de rappeler que la vitalité d'un régime démocratique dépend de son respect des contre-pouvoirs et de sa capacité d'entendre les mobilisations et les contestations.
À l'inverse, les attaques contre la liberté de la presse sont toujours le symptôme d'un étouffement des principes fondamentaux, première étape d'un virage autoritaire.
Joe Biden face au premier amendement
Joe Biden est la personne qui aujourd'hui tient le destin de Julian Assange entre ses mains. En tant que garant du premier amendement à la Constitution de son pays, qui place la liberté d'expression au sommet de l'édifice principiel américain, il devrait en tirer les conclusions qui s'imposent et le protéger plutôt que de participer à le persécuter. Alors qu'il dénonce avec véhémence la « détention arbitraire » pour « espionnage » dont est victime le journaliste américain Evan Gershkovich en Russie, il se devrait d'être cohérent avec les valeurs qu'il se fait fort de défendre.
Il pourrait aussi se souvenir qu'en 2010, l'administration dont il avait la charge, comme vice-président, aux côtés de Barack Obama s'était gardée, malgré la détestation à l'égard de Julian Assange, de l'assigner en justice, au motif que le poursuivre aurait supposé de poursuivre également les journalistes des nombreux médias internationaux qui avaient relayé les informations.
Certes, Joe Biden l'avait alors publiquement qualifié de « terroriste high-tech », mais l'administration avait néanmoins suspendu les poursuites à son égard pour ne pas contrevenir au premier amendement et ne pas entraver la liberté de la presse.
C'est en effet Donald Trump qui, après avoir adulé Julian Assange pour la publication des courriels piratés du Parti démocrate ayant potentiellement favorisé son élection en 2016, s'est retourné contre lui. Et c'est sous sa mandature que le fondateur de WikiLeaks a été directement inculpé d'« espionnage », en mai 2019, le Département de la justice décidant alors de s'appuyer sur une loi vieille de plus d'un siècle, l'Espionage Act, conçue pendant la Première Guerre mondiale.
Jusqu'à cette date, jamais ce texte visant de potentiels espions n'avait été utilisé contre des journalistes, des médias ou des diffuseurs. « La décision d'inculper Julian Assange est une escalade sans précédent de la guerre de Trump contre le journalisme. [...] Pour l'instant, il ne peut pas poursuivre les journalistes du New York Times ou du Washington Post qui publient des documents classés. Cela pourra changer si Julian Assange est condamné », s'inquiétait, à l'annonce de ce changement de doctrine, Timm Trevor, président de la Freedom of the Press Foundation.
L'extradition de Julian Assange vers les États-Unis signifierait ainsi la mise en cause de nombre de nos principes les plus précieux.
En 2022, cinq médias internationaux, The New York Times, The Guardian, Le Monde, Der Spiegel et El País, s'alarmaient à leur tour, tous ayant publié des informations de WikiLeaks de 2010. Ils rappelaient notamment que cette source documentaire exceptionnelle était encore exploitée par des journalistes et des historiens douze ans plus tard.
Ils soulignaient, dans cette tribune, avoir critiqué publiquement la publication en 2011 d'une version complète des câbles diplomatiques révélant l'identité et mettant potentiellement en péril la vie d'individus ayant fourni des informations à l'armée ou à la diplomatie américaine ; ils déclaraient aussi que certains d'entre eux restaient préoccupés par l'allégation figurant dans l'acte d'accusation américain selon laquelle Julian Assange aurait lui-même aidé à l'intrusion informatique dans une base de données classée secret-défense, ce qui est contraire à la déontologie journalistique.
Tous, toutefois, affirmaient leur solidarité « pour exprimer [leur] grande inquiétude face aux poursuites judiciaires sans fin que subit Julian Assange ». Ils demandaient au gouvernement américain d'abandonner les poursuites. « Publier n'est pas un crime », martelaient-ils.
Aujourd'hui, la défense de Julian Assange s'appuie principalement sur la dégradation de son état de santé pour refuser son extradition. La rapporteuse spéciale des Nations unies sur la torture, Alice Jill Edwards, vient encore récemment de lui apporter son soutien.
« Le risque qu'il soit placé en isolement cellulaire, en dépit de son état mental précaire, et de recevoir une peine potentiellement disproportionnée pose des questions sur la compatibilité de l'extradition de M. Assange avec les obligations du Royaume-Uni vis-à-vis du droit international », affirme-t-elle.
L'extradition de Julian Assange vers les États-Unis signifierait ainsi la mise en cause de nombre de nos principes les plus précieux, reconnus par toutes les déclarations universelles et conventions internationales, du droit de savoir à la proportionnalité des peines, en passant par le respect des droits des prisonniers et prisonnières.
Au-delà du sort du fondateur de WikiLeaks qui subit dans son corps les stigmates d'une justice d'exception, elle transformerait en potentiel·les criminel·les tou·tes les journalistes enquêtant au service de la vérité des faits.
À la suite des épreuves traversées par d'autres journalistes d'enquête et lanceurs et lanceuses d'alerte, comme Chelsea Manning, Edward Snowden, Glenn Greenwald et Rui Pinto, elle ouvrirait la voie à une offensive dévastatrice pour nos démocraties contre le droit d'informer et d'être informé·e.
Carine Fouteau
P.-S.
• MEDIAPART. 20 février 2024 à 07h39 :
https://www.mediapart.fr/journal/international/200224/contre-l-extradition-de-julian-assange-pour-le-droit-de-savoir
• Les articles de Carine Fouteau sur Mediapart :
https://www.mediapart.fr/biographie/carine-fouteau
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Les élections générales au Pakistan : résultats et contexte, l’armée et le FMI, les enjeux à venir

Les élections générales qui se sont déroulées au Pakistan le 8 février dernier se sont soldées par un vote partagé, aucun parti n'ayant obtenu de majorité claire au niveau national. Le scrutin concernait les 266 sièges de l'Assemblée nationale, ainsi que les quatre assemblées provinciales du Pendjab, du Sind, du Baloutchistan et de Khyber Pakhtunkhwa. Le taux de participation global a été de près de 48 % sur un total de 128 585 760 électeurs inscrits. Le vote a été divisé entre plusieurs partis de droite, ce qui témoigne d'un changement important dans la dynamique politique du Pakistan. Les résultats indiquent que les électeurs ont sanctionné les politiques du FMI et la répression menée par l'État, sous la direction de l'armée.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
21 février 2024
Par Pierre Rousset et Tariq Farooq
Les résultats officiels des élections législatives
Dans ce pays de 241 millions d'habitants (dont 128 millions sont inscrits sur les listes électorales), 5 121 candidats se sont présentés aux élections - dont 312 femmes - représentant pour la plupart 167 partis politiques (dont 44 « nationaux »).
Résultats pour l'Assemblée nationale
PML-N. La Ligue musulmane du Pakistan-Nawaz (Pakistan Muslim League - Nawaz, PML-N), parti de droite centriste, a bénéficié du soutien de l'establishment militaire, mais n'a pas réussi à séduire l'électorat. Elle n'a obtenu que 75 sièges, ce qui signifie néanmoins que son groupe parlementaire était le plus important par rapport à celui des autres partis reconnus, grâce au fait que le Pakistan Tehreek Insaaf d'Imran Khan n'a pas été autorisé à se présenter sous sa bannière et à participer à la campagne officielle.
Tehreek Insaaf. La Commission électorale du Pakistan a pris de nombreuses mesures pour rendre « invisible » le Pakistan Tehreek Insaaf (Mouvement pakistanais pour la justice, PTI) d'Imran Khan. Le parti n'a pas été autorisé à se présenter sous son nom et ses candidats « de facto » n'ont pas été autorisés à utiliser son symbole électoral : une batte de cricket (Imran Kahn est un ancien champion du monde de cricket !). Dans un pays où 75% de la population est analphabète, l'aspect visuel des symboles électoraux joue un rôle majeur dans l'identification des candidats. Le PTI n'a pas pu participer à la campagne officielle. Quant à Imran Kahn, il était confronté à de nombreux déboires judiciaires et à même fait l'objet de trois nouvelles condamnations pour des motifs politiques dans la semaine précédant les élections générales. Il était en détention, comme de nombreux autres dirigeants du PTI.
Malgré tous ces obstacles, le PTI a pu susciter et soutenir de nombreux candidats « indépendants » qui ont utilisé les réseaux sociaux pour se faire connaître. Ils ont connu un véritable succès. Ainsi, 102 « indépendants » ont été élus, dont la grande majorité (92) est identifiée au Tehreek Insaaf.
Le PPP. Le Parti du peuple pakistanais (PPP) de Bilawal Bhutto Zardari a remporté 54 sièges.
Les partis politiques religieux ont subi des revers lors de ces élections, seul le Jamiat Ulema-e-Islam ayant réalisé des gains notables (4 élus). Le Tehreek Labeek a obtenu 5 à 7 % des voix dans chaque circonscription (aucun élu), tandis que la campagne indépendante du Jamaat-e-Islami n'a pas produit de résultats significatifs (aucun élu).
Un mot d'explication sur la répartition globale des sièges à l'Assemblée nationale. Seuls 266 des 336 sièges sont élus au suffrage direct. Les 70 sièges restants sont « réservés » aux femmes (60 sièges) ou aux minorités non musulmanes (10 sièges). Seuls les partis reconnus peuvent bénéficier de ces réserves, au prorata de leurs résultats. Les candidats indépendants n'y ont pas droit. Les « indépendants » du PTI ont donc rejoint le Sunni Itehad Council (un parti politique sunnite enregistré) pour bénéficier des sièges réservés.
Corruption et fraude. Les élections ont été entachées d'une corruption généralisée, tous les grands partis politiques ayant dépensé des sommes exorbitantes pour acheter des voix. La vente ouverte de votes pour des sommes allant jusqu'à 5 000 roupies (18 dollars) a encore affaibli le processus démocratique. Les campagnes électorales n'ont pas abordé les questions de fond, le PTI se concentrant sur la condamnation d'Imran Khan, le PML-N se ralliant autour du slogan « Donnez le Pakistan à Nawaz » et le PPP présentant Bilawal Bhutto comme un sauveur national.
Pendant les élections, le ministère de l'intérieur a temporairement bloqué l'accès à Internet au nom du maintien de l'ordre public (des attentats avaient eu lieu les jours précédents), ce qui a empêché de nombreux électeurs des centres urbains de réserver des taxis ou d'organiser leur famille pour aller voter. Les accusations de fraude électorale sont nombreuses. 28 personnes ont été tuées ce jour-là. Pendant le décompte des voix, lorsque l'avance des candidats « indépendants » pro-PTI est devenue évidente, ledit décompte des voix a été longtemps suspendu, ce qui a alimenté les soupçons de fraude massive orchestrée par les militaires.
Nous ne pouvons donc parler que des résultats officiels du scrutin.
Les assemblées provinciales
Le PML-N a conservé sa majorité à l'assemblée du Pendjab. Le PPP a remporté une large victoire dans l'assemblée du Sindh. L'assemblée du Baloutchistan a été divisée entre plusieurs partis nationalistes et fédéraux. Au Khyber Pakhtunkhwa, les candidats « indépendants » soutenus par le PTI ont dominé.
Un double rejet du FMI et de la répression étatique
Le résultat global des élections exprime un rejet des politiques du FMI, qui ont conduit à une hausse des prix sans précédent au Pakistan. Ils représentent également un rejet clair des responsables de leur mise en œuvre, des responsables de l'inflation et des politiques répressives qui l'accompagnent, en particulier le gouvernement conservateur du Mouvement démocratique pakistanais (PDM, une coalition), arrivé au pouvoir en avril 2022.
En août 2023, un cabinet intérimaire a été nommé pour préparer les élections, qui auraient dû se tenir trois mois plus tard, en novembre. Elles ont été inconstitutionnellement retardées jusqu'en février 2024, afin de redessiner les circonscriptions électorales. L'objectif était clairement de favoriser la Ligue musulmane-N.
Plus précisément, le résultat électoral montre une forte opposition à la répression exercée contre le PTI dirigé par Imran Khan. Cette perception de la victimisation d'Imran Khan, emprisonné, a mobilisé l'électorat contre la Ligue musulmane de Mian Nawaz Sharif. Sharif a été Premier ministre à trois reprises dans le passé. Il s'est exilé au Royaume-Uni pour échapper aux poursuites judiciaires. La fin de son auto-exil, accompagnée du classement rapide de toutes les affaires judiciaires le concernant, indique clairement son retour en grâce aux yeux de l'armée. Fort de cette nouvelle collusion, l'establishment militaire a stratégiquement orchestré la campagne électorale de la Ligue musulmane. Son échec constitue donc un sérieux revers.
Cependant, le résultat des élections met également en évidence la domination des idéologies de droite, bien que le vote ait manqué de ferveur et ait été principalement une réaction aux conflits internes de la droite plutôt qu'une division claire entre la gauche et la droite. Il ne s'agissait pas d'un vote anti-establishment « de principe », la position anti-establishment du PTI s'avérant circonstancielle, temporaire et sélective dans son opposition à l'oppression exercée par l'appareil d'État (ce parti est loin de défendre toutes les victimes de la répression de l'État !)
La gauche marginalisée
Bien que la gauche ait participé dans une certaine mesure à la bataille électorale, son influence a été limitée, avec moins de 40 candidats en lice.
La gauche a souffert de la popularité du Tehreek Insaaf, la plupart des votes contre l'establishment militaire et les politiques du FMI étant allés au PTI. Les candidats de gauche, y compris ceux du parti Haqooq Khalq, du parti Awami des travailleurs (Awami Wokers' Party) et du parti Brabri, n'ont pas réussi à obtenir un soutien significatif ou des sièges. En particulier, un siège à l'Assemblée nationale détenu par le marxiste Ali Wazir lors des élections générales de 2018 a été perdu cette fois-ci.
Les candidats du parti Haqooq Khalq, Ammar Jan, ont obtenu 3 % du total des suffrages exprimés (soit 1573) dans sa circonscription, Imtiaz Alam et Muzammil ont obtenu 1 %.
Ali Wazir a été élu au parlement national de la province de Khyber Pakhtunkhwa lors des élections générales de 2018, il était le seul parlementaire marxiste siégeant à l'Assemblée nationale. Il a perdu son siège en obtenant 16 000 voix, alors que le vainqueur en a obtenu 21 000.
Malgré ce revers, des partis comme Haqooq Khalq ont promis de continuer à intensifier leur mobilisation. Le principal domaine d'action de Haqooq Khalq est l'organisation des travailleurs et des paysans. Cependant, il a décidé de poursuivre ses activités électorales. Il prévoit de présenter plus d'une centaine de candidats aux prochaines élections législatives et de participer pleinement aux différentes élections locales.
Négociations parlementaires
L'élection du prochain Premier ministre montre qu'il est trop tôt pour se réjouir. L'issue des négociations parlementaires pourrait bien tourner à l'avantage des militaires.
La PML-N de Nawaz Sharif et le PPP de Bilawal Bhutto Zardari sont parvenus à un accord pour former un gouvernement, négociant un partage du pouvoir. Ils espèrent également coopter certains des candidats soutenus par le PTI d'Imran Khan, avec un certain succès.
Nawaz Sharif ne brigue pas le poste de Premier ministre : il préfère s'effacer derrière son frère Shahbaz Sharif. Nawaz traine beaucoup de casseroles derrière lui (dont certaines sont très récentes) et choisit de ne pas trop s'exposer. Son frère a également été chef de gouvernement à plusieurs reprises, mais dans un passé plus lointain. Nawaz peut gouverner dans l'ombre.
La majorité parlementaire est fragile, ce qui n'est pas forcément pour déplaire aux militaires, qui gardent la main. Aucun Premier ministre civil n'a jamais terminé une législature au Pakistan, ce qui est également fréquent dans les régimes présidentiels (voir France), mais moins dans les régimes parlementaires.
Néolibéralisme autoritaire
Si les élections du 8 février ont été l'expression forte d'un profond mécontentement populaire, elles n'annoncent pas de changement positif dans les mesures qui seront mises en œuvre. Les frères Nawaz, le PLM-N et le gouvernement s'apprêtent à approfondir les politiques néolibérales, à poursuivre la privatisation des institutions publiques et à exploiter davantage les classes populaires au nom du remboursement de la dette.
Le gouvernement accèdera aux demandes du FMI et de la Banque mondiale (sauf lorsqu'ils demandent que les riches soient également taxés pour contribuer à réduire le poids de la dette). Il privilégiera les intérêts des entreprises au détriment du bien-être de la population. L'essor de l'agro-industrie, facilité par le PML-N et les gouvernements intérimaires, risque d'exacerber encore davantage les inégalités économiques et ne répondra pas aux besoins des petits agriculteurs.
L'augmentation du coût de la vie affecte les biens les plus essentiels pour les classes populaires, tels que les légumes, le blé, le sucre et l'électricité, qui sont devenus inabordables. Le taux d'extrême pauvreté continue d'augmenter. Les jeunes cherchent le salut dans l'émigration (pour ceux qui ont les moyens de tenter l'aventure), même dans des pays d'accueil à haut risque. Les transferts de fonds des migrants vers leurs familles ne suffisent plus à compenser la crise du coût de la vie. En toile de fond, les crises climato-écologiques et sanitaires (notamment le Covid, mais pas seulement) survenues ces dernières années au Pakistan ont considérablement fragilisé le tissu social, plongeant davantage de familles et de villages dans l'extrême pauvreté.
Cette situation catastrophique a donné lieu à d'importantes manifestations, comme en septembre 2023, contre la hausse des prix de l'électricité. Malheureusement, les conditions ne sont pas réunies aujourd'hui pour qu'elles puissent se consolider, s'installer dans la durée, se renforcer et se relier entre elles.
Il appartient aux forces de gauche de s'impliquer dans les mouvements progressistes, sociaux et de genre, pour contribuer à enclencher une dynamique positive qui permettra de renforcer les organisations en faveur de la classe ouvrière, des femmes, des petits paysans et des gens ordinaires.
Farooq Tariq, Pierre Rousset
P.-S.
• Farooq Tariq est secrétaire général du Pakistan Kissan Rabita Committee et président du Haqooq Khalq Party. Il a précédemment joué un rôle de premier plan au sein du Parti Awami des travailleurs et, avant cela, au sein du Pakistan Labour Party (Parti travailliste pakistanais).
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Pourquoi les agriculteurs indiens ont-ils relancé leur mouvement de protestation ?

Des milliers d'agriculteurs indiens convergent cette semaine vers New Delhi sur des tracteurs, tentant de relancer le mouvement de protestation de 2020-2021 qui avait bloqué les autoroutes vers la capitale pendant plus d'un an.
16 février 2024 | tiré de Sciences et Avenir | Photo : Des agriculteurs bloquent les voies ferrées lors d'une manifestation pour exiger des prix minimum pour les récoltes, dans une gare de Rajpura,le 15 février 2024 en Inde NARINDER NANU / AFP
Le Premier ministre Narendra Modi avait alors été contraint de reculer et d'abroger des lois de déréglementation des marchés agricoles. Les syndicats agricoles affirment que le gouvernement n'a depuis pas fait assez pour résoudre leurs problèmes, ce qui les a poussés à reprendre leur mouvement. Des colonnes de police anti-émeute ont jusqu'à présent freiné l'avancée des manifestants avec des tirs de gaz lacrymogènes et des barricades en béton, mais les agriculteurs ont promis de continuer leur mouvement.
Quelle est la situation du secteur agricole en Inde ?
Le secteur agricole indien est gigantesque et plongé dans de multiples difficultés. Il emploie plus de 45% de la main-d'œuvre du pays et représente 15% de son produit intérieur brut (PIB). La "Révolution verte" des années 1970 avait fait de l'Inde, alors régulièrement confrontée à des pénuries alimentaires, un important exportateur de produits alimentaires.
La taille moyenne des exploitations reste modeste : plus de 85% des agriculteurs possèdent moins de deux hectares de terre. Et moins d'un agriculteur sur cent possède plus de 10 hectares, selon une enquête du ministère de l'Agriculture de 2015-2016.
Les pénuries d'eau, les inondations et des conditions météorologiques irrégulières liées au changement climatique, ainsi que l'endettement pèsent fortement sur les agriculteurs.
Plus de 300.000 d'entre eux se sont suicidés depuis les années 1990, selon les chiffres officiels, et les agriculteurs sont nombreux à déplorer un état de détresse financière constante.
"Nous travaillons de longues heures dans les champs et nous avons encore du mal à joindre les deux bouts", a indiqué à l'AFP Sandeep Kumar, 40 ans, en première ligne de la manifestation mercredi.
Les agriculteurs indiens ont néanmoins un poids politique important en raison de leur nombre : des dizaines de milliers de personnes avaient campé dans la banlieue de Delhi lors du précédent mouvement pour exiger que le gouvernement de Narendra Modi abandonne son projet de déréglementation de l'agriculture.
Que demandent les agriculteurs ?
Les agriculteurs indiens disposent déjà de garanties de longue date obligeant le gouvernement à acheter certains produits, notamment le riz et le blé, lorsque leur prix tombe au-dessous d'un certain niveau sur le marché. La principale revendication des syndicats est d'élargir ces prix minimum de soutien à toutes les cultures pour les protéger des fluctuations du marché.
Le gouvernement Modi avait promis d'examiner cette demande après les manifestations de 2021, mais les syndicats affirment que rien n'a été fait depuis. Ils veulent également que les poursuites contre les dirigeants syndicaux datant de ces manifestations soient abandonnées et qu'une pension mensuelle de 120 dollars soit versée aux agriculteurs de plus de 60 ans.
Plusieurs autres revendications visent une plus grande protection des agriculteurs face aux fluctuations du marché : allègement des dettes, retrait de l'Inde de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et des accords de libre-échange, ainsi que l'assurance que les subventions existantes, notamment l'électricité gratuite, ne seront pas supprimées.
Quelle a été la réponse du gouvernement ?
L'Inde dépense déjà plus de 50 milliards de dollars par an en subventions aux agriculteurs, selon des documents budgétaires. Ces subventions ont parfois aggravé le manque de productivité en encourageant des cultures inadaptées aux conditions locales, comme le riz qui a épuisé les nappes phréatiques dans l'État du Pendjab.
Les subventions et les achats publics de produits agricoles ont fréquemment été des facteurs de corruption et de gaspillage. Le gouvernement a tenu cette semaine plusieurs séries de négociations avec les syndicats pour désamorcer la crise, sans succès.
Le parti de M. Modi, le BJP, affirme que l'extension du système de prix minimum est régressive et inabordable, avec un coût estimé à au moins 140 milliards de dollars supplémentaires. Le gouvernement a plutôt cherché à contenir les manifestations afin d'éviter un mouvement de grande ampleur comme celui de 2020-2021, qui avait suscité une grande sympathie dans l'opinion publique.
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Impunité et politique coloniale d’Israël

J'ai publié un long entretien dans Le Matin d'Algérie avec le politologue Ziad Majed autour de l'impunité et de la politique coloniale d'Israël. Je vous le propose.
Faris LOUNIS.
Journaliste indépendant
Entretien avec Ziad Majed
La question de l'autoritarisme au Moyen-Orient et sa normalisation, tant par les dirigeants arabes que par les occupants israéliens en Palestine, ainsi que par les élites politiques européennes et nord-américaines, constitue l'un des fléaux majeurs de notre époque, marquée par une régression démocratique alarmante.
Aujourd'hui, nous sommes tous témoins, impuissants et consternés, des scènes sombres résultant des intégrismes, à la fois politiques et religieux, qui ont engendré un nihilisme destructeur. Hier, c'était la Syrie sous le joug du boucher de Damas ; aujourd'hui, c'est le génocide en cours à Gaza, perpétré par Israël avec le soutien politique et médiatique du prétendu « monde libre » au nom de la « civilisation » et de « la guerre contre le terrorisme » – des termes désormais galvaudés selon la nationalité et les affiliations politiques.
Ziad Majed, politiste et écrivain libanais, intellectuel de gauche et fin connaisseur du dossier palestinien, est professeur et responsable du programme des études du Moyen-Orient à l'Université américaine de Paris. Il partage aujourd'hui avec Le Matin d'Algérie ses réflexions sur Gaza et la Palestine, mettant l'accent sur l'universalité du droit international, un sujet qu'il a largement développé dans ses écrits et ses interventions politiques.
Le Matin d'Algérie : Pour commencer, pouvez-vous définir la notion d'« impunité » dans le contexte des sciences politiques ?
Ziad Majed : L'impunité des gouvernements et des États peut être définie comme le phénomène par lequel des dirigeants politiques ou des entités étatiques échappent à toute forme de sanction ou de responsabilité juridique pour leurs actions, lorsqu'elles sont contraires aux lois et au droit.
Les gouvernements ou les États peuvent bénéficier de l'impunité pour diverses raisons, notamment le contrôle qu'ils exercent sur les institutions judiciaires, l'influence qu'ils exercent sur les médias ou la protection par des puissances étrangères qui limitent les possibilités de poursuites juridiques internationales. L'impunité peut ainsi conduire à des violations des droits humains, à des abus de pouvoir, à la corruption et à de nombreux autres actes répréhensibles sans que les auteurs ne soient tenus de rendre des comptes.
En ce sens, l'impunité caractérise les régimes despotiques ou ceux où les élites sont au-dessus de la loi. Elle instaure une culture politique où tout est permis pour les privilégiés à condition qu'ils soient proches du pouvoir.
Dans les relations internationales, elle permet la violation sans crainte des droits humains, du droit international humanitaire et des conventions signées par la plupart des pays pour établir des mécanismes de punition des contrevenants.
Le Matin d'Algérie : Quelle est la spécificité de ce concept dans le monde arabe ? Peut-on en retracer sa généalogie ?
Ziad Majed : Dans la majorité des cas, les États arabes sont nés entre les deux guerres mondiales et surtout après la Seconde Guerre. Leur émergence, parfois à la suite de luttes de libération ou d'indépendance, s'est déroulée parallèlement à la création de l'État d'Israël sur les terres palestiniennes, soutenu par les puissances coloniales, ainsi qu'aux tensions de la guerre froide et à la polarisation qui en a découlé.
Ces facteurs ont contribué à l'avènement de régimes souvent non élus, évoluant dans des cadres où les institutions et les constitutions ont peu de poids. Leur légitimité a ainsi reposé sur le soutien d'acteurs puissants, internes (militaires, hommes d'affaires, banquiers, etc.) ou externes (puissances étrangères). Cette configuration initiale, les guerres régionales et les bouleversements socio-économiques ont favorisé par la suite des affrontements et des coups d'État militaires dans plusieurs pays, produisant des régimes despotiques, qui ont liquidé toute diversité politique, étouffé les quelques institutions souveraines ou non-contrôlées par les autorités politiques centrales, instauré une totale impunité, et surtout instrumentalisé la cause palestinienne pour s'offrir une légitimité politique.
Dans d'autres cas, comme celui des États du Golfe, les alliances internes et externes des familles dominantes ont également servi de bouclier d'impunité. Leur position a été soutenue par le prix élevé du pétrole en tant que matière première stratégique, leur permettant de maintenir leur pouvoir sans être remis en question quant à leurs rôles et aux mécanismes de distribution, de gestion et de partage des richesses.
Au fil des générations, la majorité des habitants de la région, et malgré plusieurs soulèvements populaires et actes de résistance politiques et culturels par des dizaines de milliers de militants, ont acquis la conviction que, quelles que soient les actions de leurs régimes, ces derniers étaient à l'abri de toute reddition de comptes, et qu'il était préférable de leur obéir sans les contester, de peur de subir des représailles sans limites. Cette condition a contribué à la pérennité du despotisme, qui n'a été véritablement mis en danger que par les révolutions populaires de 2011 et 2019. Cependant, ces révolutions ont été réprimés par des contre-révolutions, maintenant ainsi la culture de l'impunité des élites au pouvoir.
Le Matin d'Algérie : Cette impunité s'applique également à Israël. Ses politiques suprémacistes et ses crimes continuent de s'intensifier, et son génocide à Gaza sont soutenus par les gouvernements actuels du « monde libre » au nom de la « guerre contre le terrorisme » et du « droit à l'autodéfense ». Comment expliquez-vous ce soutien quasi inconditionnel ?
Ziad Majed : Israël bénéficie depuis sa création après la Seconde Guerre mondiale d'une impunité face à ses multiples graves violations des droits des Palestiniens. Cette impunité trouve ses racines dans l'alliance profonde entre Israël et les pays occidentaux, une relation façonnée dès les premiers jours du projet de colonisation de la Palestine par le mouvement sioniste.
L'histoire de cette alliance remonte officiellement à la déclaration de Balfour de 1917, dans laquelle la Grande-Bretagne exprimait son soutien à l'établissement d'un "foyer national juif" en Palestine. Elle s'est poursuivie avec la partition de la Palestine en 1947, ainsi qu'à travers des événements comme la guerre tripartite de 1956, où Israël s'aligna avec la France et la Grande-Bretagne contre l'Égypte. La consolidation des liens avec les États-Unis après la guerre de 1967 a encore renforcé cette alliance, le lobby pro-israélien devenant l'un des acteurs les plus influents de la politique étrangère américaine.
Outre cette alliance stratégique, Israël s'est présentée comme une "entité occidentale" au cœur du « tiers monde », en particulier dans le « monde arabe ». En Europe, s'ajoutent à tout cela des complexes de culpabilité liés à l'histoire de l'antisémitisme et la barbarie de l'Holocauste contribuant à une attitude de soutien parfois inconditionnel envers Israël.
Malgré les nombreuses résolutions de l'ONU rejetées ou non respectées par Tel Aviv, telles que la résolution 194 reconnaissant le droit au retour des Palestiniens chassés de leurs villes et villages lors de la Nakba de 1948, et la résolution 242 appelant au retrait d'Israël des territoires occupés en 1967, ou la résolution 425 exigeant le retrait israélien du Liban Sud en 1978, ni l'Union européenne ni les États-Unis n'ont agi pour faire respecter le droit international ou pour imposer des sanctions jusqu'à son respect. Pire encore, les européens ont continué à soutenir Israël économiquement même s'ils votaient depuis les années 1990 pour une solution à deux états, et les américains ont régulièrement utilisé leur droit de veto pour bloquer les résolutions condamnant Israël, tout en l'armant et la considérant comme premier allié stratégique.
Enfin, deux éléments contemporains ont également renforcé l'impunité d'Israël. Tout d'abord, l'hostilité occidentale croissante envers l'islam au cours des dernières décennies, sous le prétexte du « terrorisme », permettant à Israël de présenter la lutte palestinienne comme du « terrorisme islamique ». Ensuite, le soutien occidental à Israël n'a que rarement suscité de crainte de réactions de la part des états arabes, en termes de pressions économiques ou diplomatiques.
En somme, l'impunité d'Israël repose sur une combinaison complexe d'alliances historiques et de dynamiques contemporaines, créant un environnement où les violations des droits humains et les crimes de l'occupation, la colonisation et l'apartheid peuvent se perpétuer sans conséquences significatives.
Le Matin d'Algérie : Certains médias occidentaux, notamment dans le secteur audiovisuel privé, comparent souvent le Hamas à Daesh et occultent le contexte dans lequel s'est déroulée l'opération du 7 octobre (tout comme le font de nombreux « intellectuels » arabes qui se situent à l'extrême droite). Que pouvez-vous nous dire sur cette comparaison et le discours dominant qui l'accompagne ?
Ziad Majed : Les médias audiovisuels occidentaux ont largement couvert l'opération du 7 octobre, mais souvent en rejetant toute contextualisation et toute analyse complexe et nécessaire. De plus, nombreux sont ceux qui ont tenté de mettre en parallèle le 7 octobre avec des tragédies telles que les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis ou ceux de novembre 2015 à Paris.
Cette approche a entraîné deux conséquences majeures.
Premièrement, elle a suscité la comparaison à laquelle vous faites référence entre le Hamas, mouvement islamiste palestinien, et des groupes comme l'État islamique (Daech), les plaçant sur le même plan dans une catégorisation simpliste et fausse car elle ignore la spécificité des contextes, des identités, des itinéraires et des objectifs. Deuxièmement, elle a relégué les enjeux politiques essentiels au second plan, occultant les droits des Palestiniens et minimisant l'impact de l'occupation israélienne ainsi que les autres violations du droit international. Le blocus imposé à Gaza depuis 2007 et ses conséquences catastrophiques sur la vie des palestiniens ont également été ignorés. En somme, cette approche a favorisé un récit teinté de préjugés, allant jusqu'à déshumaniser les palestiniens et considérer les milliers de victimes civiles à Gaza comme de simples « dommages collatéraux » dans une guerre israélienne de « légitime défense ».
Il est donc impératif de clarifier certains points. En ce qui concerne la comparaison entre le Hamas et des groupes comme Daech, il convient de noter que le Hamas est un mouvement palestinien, issu des Frères musulmans et fondé en 1987 (20 ans après le début de l'occupation israélienne de la bande de Gaza et de la Cisjordanie). Contrairement à des organisations comme Daech ou Al-Qaïda, le Hamas se concentre exclusivement sur la lutte contre Israël et n'a jamais mené d'attaques en dehors de la géographie israélo-palestinienne. De ce fait, le qualifier de mouvement "jihadiste" sans tenir compte de ce contexte politique et géographique est réducteur et biaisé.
Quant aux organisations djihadistes comme Daech, elles ne s'inscrivent ni dans la territorialité ni dans la temporalité des luttes, et adoptent un logiciel basé sur une interprétation extrémiste d'un islam de combat sur tous les territoires et sans aucune identité nationale.
Concernant le déroulement de l'opération du 7 octobre, il est clair qu'elle a visé en premier lieu l'armée israélienne, ce qui peut être perçu comme une action militaire légitime. Cependant, elle a par la suite visé des civiles et causé la mort de centaines d'entre eux, ce qui constitue une violation des Conventions de Genève et un crime de guerre selon les normes du droit international humanitaire. Cette opération s'est déroulée dans un environnement marqué par un blocus israélien criminel sur Gaza, en vigueur depuis 2007, ainsi que par quatre guerres israéliennes menées contre le secteur en 2008, 2012, 2014 et 2021, ayant entraîné la mort de milliers de civils palestiniens. De plus, elle s'est déroulée suite à une série d'escalades des violences israéliennes à l'encontre des Palestiniens en Cisjordanie et à Jérusalem-Est ainsi que par le vol des terres par les colons de plus en plus puissants et impunis. Malgré ces réalités, les États-Unis et certains pays arabes ayant récemment normalisé leurs relations avec Israël ont fait peu de cas de la question palestinienne, refusant de prendre des mesures concrètes pour contenir l'agressivité israélienne et les projets apocalyptiques de l'extrême droite au pouvoir. Cette inertie internationale a renforcé l'impunité d'Israël, exacerbant ainsi la marginalisation des Palestiniens et leur invisibilité à la veille du 7 octobre.
Le Matin d'Algérie : Que signifie la requête de l'Afrique du Sud auprès de la Cour internationale de justice, accusant Israël du crime de génocide à Gaza ? L'histoire de cet État colonial retiendra-t-elle le procès "historique" des 11 et 12 janvier 2024 ?
Ziad Majed : La plainte déposée par l'Afrique du Sud contre Israël pour "génocide à Gaza" devant la Cour internationale de justice (CIJ) et la demande conjointe de l'Afrique du Sud, de la Bolivie, du Bangladesh, de Djibouti et des Comores (rejoints par le Chili) à la Cour pénale internationale (CPI) pour enquêter sur les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité commis par Israël dans sa guerre contre les Palestiniens représentent deux développements d'une importance capitale.
Revenons sur le premier développement, l'affaire portée par l'Afrique du Sud devant la CIJ, pour souligner quelques observations illustrant la portée de cette démarche.
Premièrement, cette affaire interroge la nature même de la guerre israélienne et la barbarie qui l'accompagne, avec l'utilisation de technologies avancées pour infliger des dommages humains et matériels massifs dans une zone géographique restreinte et sous blocus, bombardée par air, terre et mer, tuant des dizaines de milliers de palestiniens et détruisant leurs villes, villages et camps. Les juristes sud-africains ont caractérisé cette guerre comme une série de violations graves de la convention sur le génocide (visant les populations civiles d'un groupe et toutes les infrastructures leur permettant de vivre), détaillant les conséquences désastreuses sur la vie-même des Gazaouis. Ils ont également prouvé la responsabilité des plus hauts dirigeants israéliens, depuis le chef de l'État jusqu'aux soldats sur le terrain, dans la planification et l'exécution des actes qualifiés de génocidaires. Cette confrontation devant la plus haute juridiction internationale a mis Israël sur le banc des accusés, l'obligeant à justifier ses crimes devant le monde entier, une situation à laquelle il n'avait jamais été confronté auparavant.
Deuxièmement, cette action judiciaire revêt une importance politique et symbolique considérable. En tant que nation ayant battu l'apartheid sous la direction de Nelson Mandela, l'Afrique du Sud incarne désormais la lutte contre le colonialisme et l'oppression.
Troisièmement, cette démarche remet en question le « monopole occidental » de la défense du droit international humanitaire. Des pays comme l'Afrique du Sud, le Brésil, la Bolivie, le Chili et d'autres appellent à l'application équitable du droit international, mettant ainsi en lumière les efforts visant à rééquilibrer le pouvoir entre les nations, et en finir avec le principe de deux poids deux mesures.
En conclusion, l'audience historique qui s'est déroulée à La Haye en janvier 2024 restera gravée dans les annales, symbolisant un moment charnière dans l'histoire du droit international et des relations internationales. L'initiative prise par l'Afrique du Sud et ses alliés pour défendre les droits des Palestiniens et poursuivre Israël en justice représente un acte de courage et de détermination en faveur de la dignité humaine. Son soutien et la bataille juridique acharnée qui va se dérouler à la CIJ et à la CPI contribueront certes à fissurer le mur de l'impunité israélienne, et ce n'est qu'un début, malgré les obstacles et les réactions hostiles...
Bibliographie sélective :
Ziad Majed, Syrie, la révolution orpheline, Arles, Sindbad / Actes Sud, 2014.
زياد ماجد، سوريا. الثورة اليتيمة، شرق الكتاب، 2014.
Subhi Hadidi, Ziad Majed, Farouk Mardam-Bey, Dans la tête de Bachar al-Assad, Arles, Solin / Actes Sud, 2018.
صبحي حديدي، زياد ماجد، فاروق مردم بيك، في رأس بشَّارْ الأسد، سولان / آكت سود، 2018.
Les analyses et écrits politiques de Ziad Majed sont également disponibles sur le site du quotidien panarabe Al-Quds al-Arabî [القدس العربي].
***
Crédit : Zakaria AbdelKafi (Paris, février 2024).
* Cet entretien a été publié pour la première fois, en deux parties (le 19 et le 20 février 2024), dans Le Matin d'Algérie.
Propos recueillis par Faris LOUNIS
Journaliste indépendant
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Le gouvernement de Netanyahu poursuit sa politique d’agression : La colonisation s’accélère en Cisjordanie

Betsalel Smotrich, ministre ultra-nationaliste israélien, a qualifié l'approbation de la construction de 3000 logements en Cisjordanie de « réponse sioniste appropriée ». Profitant du chaos causé par la guerre à Ghaza, les implantations israéliennes prolifèrent à un rythme effréné en Cisjordanie. Israël annonce la construction de milliers de logements dans les colonies de peuplement de Cisjordanie. L'annonce a été faite suite à une fusillade ayant coûté la vie à un Israélien le jeudi 22 février et blessé 11 autres personnes. Betsalel Smotrich, ministre ultra-nationaliste israélien, a qualifié l'approbation de la construction de 3000 logements en Cisjordanie de « réponse sioniste appropriée ».
Tiré d'El Watan.
La plupart de ces logements seront situés à Ma'aleh Adumim, lieu de la fusillade. Il s'agira de la plus importante opération de colonisation depuis le déclenchement de la guerre israélienne contre Ghaza.
Dans les faits, le comité en charge du dossier devrait se réunir dans les deux semaines pour avaliser la construction de 2350 unités de logement dans la colonie de Ma'aleh Adumim (à l'est de Jérusalem-Est), d'environ 300 dans la colonie de Kedar (au sud-est de Jérusalem-Est) et de 700 unités dans la colonie d'Efrat (au sud de Jérusalem), a indiqué vendredi la Société israélienne de radiodiffusion (KAN).
L'accélération de la colonisation en Cisjordanie inquiète la communauté internationale, dont les Etats-Unis, allié traditionnel d'Israël. Le secrétaire d'Etat américain, Antony Blinken, a déclaré vendredi que l'expansion des colonies israéliennes en Cisjordanie occupée est « contraire au droit international », marquant un retour à la politique américaine traditionnelle sur cette question, renversée par l'administration précédente de Donald Trump.
Pour rappel, en 2019, l'administration Trump avait soutenu « le droit d'Israël à établir des colonies en Cisjordanie », rompant ainsi avec quatre décennies de politique américaine. Blinken a ainsi exprimé le désaccord des Etats-Unis avec l'annonce par Israël de plans de construction de nouveaux logements en Cisjordanie occupée, affirmant qu'ils sapent la « réalisation d'une paix durable ».
700 000 colons
Il a ajouté que cette expansion coloniale « affaiblissait plutôt que ne renforçait la sécurité d'Israël ». Selon Peace Now, une organisation qui surveille la colonisation dans les territoires palestiniens, plus de 700 000 colons résident dans les colonies israéliennes de Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est.
La situation s'est envenimée depuis le début de la guerre à Ghaza. Les violences contre les Palestiniens en Cisjordanie ont considérablement augmenté, que ce soit de la part de l'armée d'occupation israélienne ou des colons.
Les dernières données de l'ONU révèlent que les colons ont mené 573 attaques contre les Palestiniens et leurs biens depuis le 7 octobre. La pratique sioniste consiste à démolir des maisons appartenant à des Palestiniens dans les territoires occupés, qui a également entraîné le déplacement de 830 personnes, dont 337 enfants, et 131 maisons ont été démolies depuis le 7 octobre, selon le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA).
Environ 95% des démolitions ont eu lieu dans les camps de réfugiés de Jénine, Nur Shams et Tulkarem, en Cisjordanie occupée, a précisé la source. En tout et pour tout, plus de 100 enfants sont tombés en martyrs en Cisjordanie occupée, depuis le 7 octobre 2023, a indiqué l'OCHA.
Hier, au moins 15 Palestiniens ont été arrêtés par les forces sionistes en Cisjordanie occupée, a rapporté l'agence palestinienne de presse Wafa. Les arrestations ont notamment eu lieu, dans les gouvernorats d'Al Khalil, Naplouse, Aréha, Jénine et Ramallah, selon la même source.
Les forces d'occupation israéliennes ont également pris d'assaut plusieurs villages et villes du gouvernorat de Ramallah et d'Al Bireh, et ont fermé l'entrée principale de la ville de Sinjil, au nord de Ramallah, selon l'agence Wafa.
Depuis le début de l'agression sioniste contre la Bande de Ghaza et la Cisjordanie occupée, le 7 octobre dernier, le bilan des détenus palestiniens s'est élevé à plus de 7210, selon la Commission des affaires des prisonniers et ex-prisonniers et le Club des prisonniers palestiniens.-
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L’Égypte tergiverse, sans toucher à sa relation avec Israël

Depuis le 7 octobre, l'Égypte brille par son silence sur la situation à Gaza. En plus d'une faible mobilisation de la rue et des médias, le Caire semble accepter le diktat israélien sur la limitation des entrées et des sorties des aides et des personnes par Rafah. Bien qu'une opération militaire terrestre semble se dessiner dans le sud de la bande, il y a peu de chance que le régime du président Abdel Fattah Al-Sissi monte au créneau.
Tiré d'Orient XXI.
Bien que la guerre lancée par Israël contre la bande de Gaza soit la plus violente depuis son retrait en 2005, l'Égypte - seul pays ayant des frontières avec l'enclave palestinienne - n'a pas haussé le ton dans ses déclarations, sauf lorsqu'il a été question du déplacement des Palestiniens vers le Sinaï. Ce changement a été perçu dans les milieux non officiels à l'approche du lancement d'une opération terrestre contre Rafah et de l'occupation de l'axe de Salah Al-Din – ou route de Philadelphie (1).
Depuis le début des bombardements israéliens sur la bande de Gaza, l'Égypte a maintenu la même position qu'au cours de la décennie du régime du président Abdel Fattah Al-Sissi (voir l'encadré à la fin de l'article). Ainsi, les points de passage côté égyptien ont été fermés aux personnes et aux aides. C'est ce qu'a révélé le président américain Joe Biden, affirmant que son échange avec Sissi a conduit à l'ouverture de ces points de passage, chose que le président égyptien s'est empressé de démentir. En réalité, l'aide autorisée par Israël demeure extrêmement limitée. Elle ne suffit pas pour mettre fin à la famine dans la bande de Gaza, ni pour assurer les services sanitaires de base pour les malades et venir en aide aux déplacés.
Un « médiateur neutre »
De nombreux témoignages palestiniens ont fait état de sommes mirobolantes demandées par une société considérée comme une façade de l'appareil de sécurité égyptien, afin de permettre aux Palestiniens de passer la frontière et d'échapper à l'enfer des bombardements. Le montant demandé aux Gazaouis s'élèverait aux alentours de 9 000 dollars. Ces accusations ont été rejetées par Dia' Rachwan, le chef du Service d'information de l'État, qui représente l'organe de communication officiel et des relations publiques de l'État.
Durant les années du président Hosni Moubarak, nous étions quelques milliers de personnes à préparer l'aide lors de chaque attaque israélienne contre la bande de Gaza, et à nous organiser pour accueillir les blessés dans les hôpitaux du Caire ou d'ailleurs, et permettre au public de leur rendre visite sans restriction. Malgré les critiques qui ont ciblé Moubarak concernant la relation de son régime avec les Palestiniens, la décision d'ouvrir le passage de Rafah a alors été une décision égyptienne, indépendante d'Israël.
Le général Nasr Salem, ancien chef du service de reconnaissance du renseignement militaire, explique ce changement de positions par le fait que « les États-Unis fournissent une couverture politique internationale à Israël, ce qui empêche tout pays de l'attaquer », illustrant son propos par les attaques américaines en Irak et au Yémen. Il estime ainsi que :
- L'Égypte joue un rôle de médiateur neutre car si elle prend position, Israël empêchera l'aide d'entrer à Gaza, ou rejettera la médiation égyptienne. La perte sera donc plus importante pour les Palestiniens que pour l'Égypte. C'est pourquoi le Caire accepte de ne pas pouvoir en faire davantage, car l'alternative est la guerre, autrement dit combattre les États-Unis et l'OTAN.
Pour lui, le régime égyptien ressemble à « celui qui tient l'eau dans sa main : s'il ferme le poing, il perd tout ».
Le poids des accords de Camp David
L'Égypte a clairement annoncé par l'intermédiaire du porte-parole de son ministère des affaires étrangères que les relations avec Israël étaient tendues en raison des dizaines de milliers de Palestiniens tués et blessés depuis le début de l'offensive israélienne, en plus de l'intention de Tel-Aviv d'attaquer Rafah, où s'entassent près d'un million et demi de déplacés. Ceux-ci pourraient se retrouver coincés entre l'armée israélienne et le Sinaï, ce qui les obligerait à franchir le mur séparant la bande de Gaza de l'Égypte.
L'autre aspect du différend égypto-israélien concerne la menace brandie par Israël d'une réoccupation de la route de Philadelphie, qui s'étend sur une largeur de 13,5 km de Kerem Abou Salem à la mer Méditerranée. Conformément aux accords de Camp David (1979), il ne peut y avoir qu'un armement léger dans cette zone. Une opération militaire d'envergure constituerait donc une violation des accords de paix, ce qui devrait impliquer une réponse égyptienne.
C'est le ministre des affaires étrangères Sameh Choukri qui a été le premier à réagir officiellement à ce sujet, lors d'une conférence de presse avec son homologue slovène Tanja Fajon, le 12 février 2024. Interrogé sur une éventuelle suspension par l'Égypte des accords de paix avec Israël - comme cela a été récemment évoqué dans certains médias -, il a indiqué :
- L'Égypte a maintenu les accords de paix avec Israël au cours des quarante dernières années. C'est en vertu de ces accords que les relations entre les deux pays ont été établies. Notre pays tiendra toujours ses engagements, aussi longtemps qu'ils resteront mutuels entre les deux parties. Aussi, je me garde de tout commentaire sur ce sujet.
Il a toutefois ajouté :
- Les politiques menées par Israël sur le terrain poussent vers le scénario du déplacement. Nous maintenons notre rejet total de toutes les manœuvres visant à déplacer les Palestiniens de leur territoire. Toute tentative de mise en œuvre d'un déplacement forcé et de liquider la cause palestinienne est illégale et ne sera pas acceptée.
Le général Ahmed Al-Awdi, président de la Commission de défense et de la sécurité nationale du Parlement égyptien a, pour sa part, déclaré que l'attaque contre Rafah conduirait simplement à la suspension du traité de paix entre l'Égypte et Israël, sans aucune autre réaction du côté du Caire, précisant que le Parlement ratifierait sa suspension si la question lui était soumise.
Israël « exporte ses problèmes »
Concernant cette éventualité, un ancien responsable du ministère des affaires étrangères a commenté : « Le droit international ne prévoit pas ce qu'on appelle la suspension des accords. Un accord est soit valide, soit il est annulé. Mais Israël peut accepter de geler temporairement le traité, avant de le "dégeler". »
Sur le plan juridique, l'ancien ministre adjoint des affaires étrangères chargé des questions juridiques internationales et des traités, l'ambassadeur Massoum Marzouk, confirme que :
- L'intervention militaire israélienne sur la route de Philadelphie porte atteinte au traité de paix entre l'Égypte et Israël. Dans la zone D ainsi que dans toutes les zones divisées, les obligations sont partagées. Si l'équilibre est rompu à la suite du manquement d'une partie à ses obligations, cela donne à l'autre partie le droit de se dégager complètement de ses engagements.
Le général Nasr Salem a pour sa part minimisé l'importance de la présence israélienne sur la route de Philadelphie, dès lors que cette zone ne se situe pas à l'intérieur des frontières égyptiennes. Néanmoins, il estime que pousser les Palestiniens vers l'Égypte serait considéré comme une « ligne rouge », et l'attaque contre Rafah conduirait à un « massacre ». Il affirme en outre que l'Égypte fournira de l'aide, mais que :
- la responsabilité première incombe à Israël car c'est un État occupant. Nous ne resterons pas silencieux si Israël exporte vers nous ses problèmes. D'autant plus que si elle déplace les Palestiniens, ils ne retourneront plus sur leur territoire. L'Égypte empêchera ce déplacement en renforçant le mur de séparation et en déployant plus de forces à cet endroit.
De son côté, Dia' Rachwan a affirmé lors d'un passage télévisé que l'Égypte « a les moyens de se défendre ». Il assure que le pays « ne se contentera pas de rappeler son ambassadeur s'il existe une menace sur la sécurité nationale ou un plan d'éradication de la question palestinienne ».
Des positions contradictoires
Ce qui ressort des déclarations officielles et officieuses, c'est qu'il existe deux positions différentes : l'une ferme, l'autre diplomatique. C'est ce qu'explique une source gouvernementale de haut rang, préférant garder l'anonymat :
La diffusion de messages aussi différents peut être intentionnelle, tout comme il peut y avoir une vraie divergence dans les points de vue, comme cela existe partout dans le monde. Au début de la guerre, Emmanuel Macron a appelé à la formation d'une coalition internationale pour combattre le Hamas, et aujourd'hui il réclame un cessez-le-feu. Itamar Ben Gvir a aussi fait des déclarations qui contredisent celles de Benyamin Nétanyahou.
S'il est vrai que ces divergences de discours existent dans de nombreux pays, ce n'est généralement pas le cas dans les régimes répressifs. Cela voudrait dire qu'il s'agit ici de changements de position dus à des évaluations différentes de la part des instances étatiques. À moins que ce ne soit des ballons d'essai pour voir les réactions que cela peut susciter.
On remarque cependant qu'il y a un dénominateur commun minimum dans les différentes déclarations : le refus de déplacer les Palestiniens. La divergence porte donc sur la réaction du Caire dans le cas où ce déplacement aurait lieu. Mais la source gouvernementale l'assure : « L'Égypte a des plans pour répondre à toutes les éventualités et ne les annoncera pas maintenant ».
Le poids de l'économie
Quelques doutes subsistent toutefois. Pour un ancien responsable des affaires étrangères :
- L'Égypte a des accords gaziers ainsi que des accords économiques comme le QIZ avec Israël, qui permettent à nos exportations d'entrer sur le marché américain. (2). Étant donné que certains hommes d'affaires ont des liens avec Israël, la décision ne sera pas facile. Une position ferme doit cependant être adoptée, incluant notamment des manœuvres militaires préventives pour sécuriser les couloirs et l'espace aérien. L'Égypte pourra les justifier par les déclarations belliqueuses des dirigeants israéliens exigeant la réoccupation du Sinaï.
En outre, des informations israéliennes ont affirmé que l'Égypte participait au pont terrestre censé réduire la pression sur les Israéliens, suite aux opérations militaires des Houthistes qui empêchent le passage de navires à destination d'Israël dans la mer Rouge. La société israélienne Trucknet a en effet annoncé avoir signé un accord avec la société égyptienne WWCS, appartenant à l'homme d'affaires égyptien Hicham Helmi, afin de prolonger le tracé du pont terrestre (qui va de Dubaï jusqu'à Haïfa) à travers le territoire égyptien.
D'autres éléments corroborant le manque de sérieux des pressions égyptiennes sont soulignés par Samir Alich, l'un des fondateurs du Mouvement civil démocratique (3) :
- Le régime égyptien a des liens avec Israël, comme en témoignent l'absence de réaction lors du déplacement de la capitale israélienne à Jérusalem, ainsi que le soutien affiché par Abdel Fattah Al-Sissi à « l'accord du siècle ». Il faut donc le soumettre à la pression populaire afin qu'il réagisse.
Or, les demandes d'autorisation de manifestation présentées par le Mouvement civil ont été ignorées par le régime. Outre ses relations avec Israël, « la position de l'Égypte s'explique aussi par l'appartenance du Hamas à l'organisation des Frères musulmans ».
L'ombre des Frères musulmans
Parallèlement à toutes ces déclarations, l'Égypte a commencé le lundi 12 février au matin, à construire une zone tampon confinée au nord entre le village d'Al-Massoura et un point sur la frontière internationale au sud du passage de Rafah, et au sud entre le village de Jouz Abou Raad et un point sur la frontière internationale au sud du passage de Kerem Abou Salem. Comme le rapporte la Fondation Sinaï pour les droits humains, les travaux ont démarré en présence d'officiers des services de renseignement militaire, mais aussi des membres de tribus armés affiliés à la milice Foursan Al-Haytham (4) transportés à bord de véhicules tout terrain près de la zone Goz Abou Raad, au sud de la ville de Rafah. La fondation mentionne qu'un grand nombre d'entrepreneurs locaux étaient aussi présents, ainsi que de nombreux équipements et bulldozers.
Un spécialiste du Sinaï explique que ces travaux visent à « préparer le lieu avant le début des constructions dans la zone vidée par l'armée sur 5 km à partir de la frontière avec la bande de Gaza en 2014, puis sur 10 km lors de l'opération globale Sinaï 2018. Mais ceux qui travaillent là-bas ne savent rien de tout cela ; ils nivellent les terres sans savoir pourquoi ils le font. »
Citant des sources sécuritaires égyptiennes, le Wall Street Journal a révélé que « la zone peut accueillir plus de 100 000 personnes. Elle est entourée de murs en béton, et se trouve loin de toute zone d'habitation » (5). Citant des responsables égyptiens, le journal poursuit : « Dans le cas d'un exode massif de Palestiniens de Gaza, l'Égypte cherchera à limiter le nombre de réfugiés à un niveau très inférieur à la capacité de la zone, soit idéalement entre 50 000 et 60 000 personnes. »
Ce chiffre renvoie à la proposition de « l'accord du siècle », qui stipulait que :
- Tout réfugié palestinien qui ne jouit de droits de citoyenneté dans aucun pays a trois options : soit retourner dans le nouvel État palestinien, selon les capacités disponibles, soit obtenir le droit de s'installer dans le pays où il réside sous réserve de l'approbation du pays en question, soit demander à être inclus dans le programme de répartition des réfugiés palestiniens sur les États membres de l'Organisation de la coopération islamique (OCI), entendu que chaque pays accepte d'accueillir cinq mille réfugiés chaque année sur une période de dix ans.
L'Égypte sera encouragée à accueillir un tel nombre via des aides financières qui s'élèveraient jusqu'à 9,1 milliards de dollars.
Malgré le déni officiel égyptien, le régime Sissi penchera sans doute vers l'acceptation des demandes israéliennes. Aucun président égyptien n'a interagi avec un tel degré de complicité avec les Israéliens et d'hostilité à l'égard des factions palestiniennes, comme cela a été le cas au cours de la dernière décennie. La position égyptienne face aux restrictions israéliennes sur la sortie des blessés et l'entrée de l'aide suffit à clarifier le parti pris du régime de Sissi, considéré par Benny Gantz comme un partenaire dans les discussions préalables à l'opération militaire prévue à Rafah, visant à transférer les Palestiniens « vers des lieux protégés ».
- Après le coup d'État de Sissi à l'été 2013, sa proximité avec les Israéliens est apparue très tôt, lorsqu'un drone israélien a lancé un raid dans le nord du Sinaï le 9 août 2013, tuant cinq personnes, présentées comme des djihadistes. En septembre 2013, l'ancien ministre égyptien des affaires étrangères, Nabil Fahmi, a menacé d'une éventuelle intervention militaire dans la bande de Gaza « si nous estimons que certains membres du Hamas ou d'autres parties tentent de nuire à la sécurité nationale égyptienne ». Aucune déclaration d'une telle force n'a cependant été émise face aux violations israéliennes. Le président Mohamed Morsi a par ailleurs été accusé de collaboration avec le Hamas. Les activités de ce mouvement ont été interdites en Égypte le 4 mars 2014, et il a été listé comme « organisation terroriste » en janvier 2015. La qualification de terrorisme a ensuite été retirée par décision judiciaire, mais la citoyenneté égyptienne d'un des leaders du mouvement, Mahmoud Al-Zahar, et de onze membres de sa famille a été révoquée. En avril 2017, Sissi s'est présenté aux côtés de Trump pour annoncer son plein soutien à ce qu'il a lui-même appelé « l'accord du siècle », inventant ainsi le terme. Moins de trois ans plus tard, le projet final de ces accords a émergé, incluant la création d'un État palestinien démilitarisé, ainsi que l'annexion de plus d'un tiers de la Cisjordanie et de Jérusalem par Israël. Le ministère égyptien des affaires étrangères a aussitôt appelé les parties israélienne et palestinienne à étudier les termes de cet accord. Le site indépendant Mada Masr a alors révélé, citant des responsables égyptiens, que la présidence égyptienne avait supprimé de la déclaration du ministère des affaires étrangères la phrase « l'État palestinien sur les territoires occupés de 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale ».
Notes
1- NDLR. Zone tampon entre la bande de Gaza et l'Égypte, en vertu des dispositions des accords de paix entre le Caire et Tel-Aviv.
2- NDLR. Abréviation de Qualified Industrial Zones (zones industrielles qualifiées). Il s'agit d'un accord commercial signé au Caire le 14 décembre 2004 entre l'Égypte, Israël et les États-Unis, permettant la création de zones industrielles qualifiées pour exporter des produits vers les États-Unis sans taxes douanières, à condition que chaque partie fournisse des composants locaux.
3- NDLR. Alliance politique établie en 2017 entre plusieurs partis.
4- Milice affiliée à l'union tribale du Sinaï et dirigée par l'homme d'affaires Ibrahim Al-Arjani
5- « Egypt Builds Walled Enclosure on Border as Israeli Offensive Looms », Summer Said et Jared Malsin, 15 février 2014.
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Guerre à Gaza. Israël de plus en plus isolé sur la scène internationale

L'aggravation de la crise humanitaire à Gaza soulève une vague de condamnations de l'opération militaire israélienne, tant à l'ONU que devant la Cour de justice internationale. Et fragilise jusqu'au soutien du plus indéfectible allié d'Israël que sont les États-Unis, analyse le “New York Times”.
Tiré de Courrier international. Article paru à l'origine en anglais dans le New York Times.
Quand, en 1955, David Ben Gourion, l'un des pères fondateurs d'Israël, a été prévenu qu'il s'exposerait à des représailles des Nations unies s'il mettait à exécution son projet de prendre la bande de Gaza à l'Égypte, il a affiché son mépris de l'ONU en la désignant par son acronyme hébreu, “Um-Shmum” [“le machin inutile”]. L'expression est restée pour illustrer ce penchant d'Israël à défier les instances internationales, dès lors qu'il estime ses intérêts menacés.
Près de soixante-dix ans plus tard, Israël essuie une nouvelle vague de condamnations à l'ONU, à la Cour internationale de justice (CIJ) et dans des dizaines de pays pour son opération militaire à Gaza, qui aurait fait 29 000 victimes palestiniennes, dont un grand nombre de femmes et d'enfants, et qui a réduit une grande partie du territoire à l'état de ruines.
La protection des États-Unis
Cette pression mondiale croissante a plongé le gouvernement israélien et son Premier ministre, Benjamin Nétanyahou, dans un profond isolement, bien qu'il n'ait pas encore plié, en grande partie parce qu'il bénéficie toujours du soutien de son allié le plus fidèle, les États-Unis.
Mais cette fois, l'État hébreu pourrait bien être lâché par Washington. L'administration Biden est en train de faire circuler un projet de résolution au Conseil de sécurité des Nations unies qui mettrait en garde l'armée israélienne contre une offensive terrestre à Rafah, à la frontière égyptienne, où plus d'un million de réfugiés palestiniens ont trouvé abri. “C'est un sérieux problème pour le gouvernement israélien, qui pouvait jusqu'à présent se retrancher derrière la protection des États-Unis”, souligne Martin S. Indyk, ancien ambassadeur des États-Unis en Israël.
“La réprobation de l'opinion publique internationale, d'une ampleur et d'une intensité sans précédent, s'est étendue aux États-Unis, ajoute-t-il. Les progressistes, les jeunes et les Arabes Américains du Parti démocrate sont tous furieux et reprochent vertement à M. Biden son soutien à Israël.”
Le veto américain, jusqu'à quand ?
Jusqu'à présent, le président Biden n'a pas cédé à la pression internationale ou intérieure. Le 20 février, comme à leur habitude, les États-Unis se sont à nouveau dérobés en exerçant leur droit de veto au Conseil de sécurité pour bloquer une résolution, parrainée par l'Algérie, appelant à un cessez-le-feu immédiat dans la bande de Gaza. C'est la troisième fois depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas que les États-Unis mettent leur veto à une résolution visant à forcer la main à Israël.
Depuis la création des Nations unies en 1945, trois ans avant la fondation de l'État hébreu, les États-Unis ont exercé plus de quarante fois leur droit de veto pour appuyer Israël face au Conseil de sécurité.
À l'Assemblée générale des Nations unies, où les Américains ne représentent qu'une voix parmi d'autres, les résolutions à l'endroit d'Israël sont monnaie courante. En décembre dernier, l'Assemblée a voté par 153 voix contre 10, avec 23 abstentions, en faveur d'un cessez-le-feu immédiat.
“Du point de vue des Israéliens, ces organisations sont liguées contre nous”, explique Michael B. Oren, ancien ambassadeur d'Israël aux États-Unis, en référence à l'ONU, à la CIJ et à d'autres institutions internationales. “Leur action n'a pour nous aucun impact stratégique, tactique ou opérationnel”, tient-il à préciser.
M. Oren a toutefois reconnu qu'une rupture avec les États-Unis, principal fournisseur d'armes à Israël, puissant allié politique et principal soutien international, serait une “tout autre paire de manches”.
Le tollé enfle à l'international
Alors que l'État hébreu subit de fortes pressions depuis le début de son offensive à Gaza, ces derniers temps, le tollé enfle dans les capitales étrangères.
L'illustration la plus frappante de l'isolement d'Israël vient peut-être de la Cour internationale de justice de La Haye, où les représentants de 52 pays se sont succédé à la barre, la semaine dernière, pour présenter leurs arguments dans le débat sur la légalité de “l'occupation, la colonisation et l'annexion” israéliennes des territoires palestiniens, y compris la Cisjordanie et Jérusalem-Est.
La plupart s'en sont vivement pris à Israël, l'Afrique du Sud comparant le traitement des Palestiniens par Israël à “une forme extrême d'apartheid”. [En décembre dernier], Pretoria avait déposé une première requête auprès de la haute juridiction de La Haye, accusant Israël de génocide à Gaza.
Devant la CIJ, Washington a une fois de plus volé au secours d'Israël, adjurant la Cour de ne pas ordonner le retrait inconditionnel de l'État hébreu de ces territoires. Un avocat du département d'État américain, Richard C. Visek, a fait valoir qu'une telle décision rendrait encore plus difficile un accord de paix entre Israël et les Palestiniens, car elle ne tiendrait pas compte des intérêts sécuritaires d'Israël.
Devant la CIJ, l'Amérique a élevé une voix bien solitaire. Seule la Grande-Bretagne a présenté un argument similaire.
“La vérité est tout autre”, a de son côté martelé Philippe Sands, avocat spécialiste des droits de l'homme, s'exprimant au nom des Palestiniens. “Le rôle de cette Cour est de dire le droit : d'énoncer les droits et les obligations juridiques qui permettront une solution juste à l'avenir”, a-t-il proclamé, après avoir rappelé que la Cour avait déjà confirmé le droit des Palestiniens à l'autodétermination.
Une ordonnance de la CIJ n'aurait qu'une valeur consultative, et Israël a refusé de participer à ces débats.
Israël contraint de prêter l'oreille
Mais en dépit de sa défiance à l'égard des organismes internationaux, Israël ne les ignore pas complètement : dans un premier temps, le gouvernement israélien a rejeté la plainte de l'Afrique du Sud pour génocide en la qualifiant de “méprisable et méprisante”.
Selon certaines sources, le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, avait envisagé d'envoyer Alan M. Dershowitz, l'avocat qui a défendu Donald J. Trump [lors du procès en destitution de 2020] et le financier et délinquant sexuel Jeffrey Epstein, pour plaider la cause d'Israël − un choix qui aurait transformé l'audience en cirque. Israël s'est finalement fait représenter par une équipe de juristes de haut niveau, dirigée par un éminent avocat australo-israélien, Tal Becker, qui a accusé l'Afrique du Sud d'avoir présenté une “vaste description contrefactuelle du conflit”.
Dans son verdict provisoire rendu début février, la CIJ a ordonné à Israël de prendre des mesures pour empêcher et punir toute déclaration publique incitant à commettre un génocide et pour assurer l'acheminement de l'aide humanitaire à Gaza. Elle n'a cependant pas accédé à une demande essentielle de l'Afrique du Sud : la suspension de la campagne militaire d'Israël.
Mais même vis-à-vis des Nations unies, la tentation israélienne de brocarder “Um-Shmum” a ses limites. Israël manœuvre souvent en sous-main pour torpiller ou tempérer les résolutions du Conseil de sécurité, car il sait qu'elles pourraient déboucher sur des sanctions.
En décembre 2016, de hauts responsables israéliens avaient fait pression sur Donald Trump, tout juste élu à la Maison-Blanche, pour qu'il pousse le président sortant, Barack Obama, à mettre son veto à une résolution du Conseil de sécurité condamnant la colonisation juive en Cisjordanie (les États-Unis se sont abstenus, et la résolution a été adoptée). “Ils comprennent que l'opposition mondiale doit rester purement rhétorique, commente Daniel Levy, ancien négociateur de paix israélien, et qu'il ne faut surtout pas qu'elle puisse avoir une quelconque voix au chapitre sur les coûts et les conséquences.”
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75e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme
75e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme
Retour à la table des matières Droits et libertés, automne 2023 / hiver 2024
À l’occasion du 75e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) adoptée le 10 décembre 1948, la revue Droits et libertés consacre quelques pages à la genèse de la Charte internationale des droits de l’homme et à quelques perspectives critiques des engagements des États envers les droits humains. Plus que jamais le respect, la protection et la mise en œuvre de tous les droits humains, politiques, civils, économiques, sociaux et culturels, sont des obligations auxquelles les États doivent répondre. Les militant-e-s des organisations de défense des droits au Québec, au Canada et ailleurs dans le monde, jouent un rôle essentiel pour le respect des droits humains. Ils et elles ne cessent de porter à bout de bras, au bout de leurs pancartes, de leurs porte-voix et de leurs claviers, un projet de société basé sur les droits humains et de rappeler aux gouvernements leurs obligations. Dans la foulée de l’adoption de la DUDH, des militant-e-s de la première heure qui avaient réclamé l’adoption d’une charte des droits dès les années 1950 et en 1963, ont contribué à fonder la Ligue des droits et libertés, appelée alors la Ligue des droits de l’homme. Lors de l’exposition Droits en mouvements, soulignant les 60 ans de la Ligue des droits et libertés, qui s’est tenue à l’été 2023, des commentaires de visiteur-euse-s ont été recueillis dans un espace de cocréation aménagé à l’Écomusée du fier monde. Il était important de connaître leur point de vue sur les grands enjeux de l’avenir pour les droits humains. Une sélection de ces commentaires vous sont partagés dans l'article L'avenir des droits humains. Vous aussi pouvez partager votre point de vue! Nous aimerions vous entendre à propos des grands enjeux de l’avenir pour les droits humains. Écrivez-nous !L’article 75e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.
Quand les morts nous parlent : Plaidoyer pour une éthique de conscience face à la loi
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