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« Le capitalisme mondialisé est vecteur de graves pénuries » - Renaud Duterme

Les vulnérabilités se multiplient et commencent à toucher tous les secteurs. Dans Pénuries, quand tout vient à manquer (Payot), Renaud Duterme, enseignant en géographie déjà auteur du Petit manuel pour une géographie de combat (2020) et de Nos mythologies écologiques (2021), dresse l'état de la raréfaction des ressources nécessaires à nos sociétés productivistes, en tire les conséquences en ce qui concerne les énergies et nos modes de vie, tout en insistant sur le danger qu'une conjonction de toutes ces fragilités pourrait constituer.
11 février 2024 | tiré du site d'Élucid
https://elucid.media/environnement/penuries-capitalisme-mondialise-vecteur-petrole-electricite-minerais-sobriete-renaud-duterme
Laurent Ottavi (Élucid) : De récents événements comme la crise Covid, la guerre en Ukraine ou encore le blocage du canal de Suez par un porte-conteneur, ont à la fois créé et révélé les grandes fragilités de la mondialisation. Pouvez-vous en donner des exemples et en évaluer la portée ?
Renaud Duterme : Jusqu'ici, les vulnérabilités de notre temps n'ont pas encore donné lieu à des pénuries majeures, davantage à des craintes, et les perturbations ont été surmontées. Cependant, la prise de conscience demeure encore très limitée. L'impression d'un système résilient – ce qu'il est effectivement dans une certaine mesure – l'emporte, alors que les vulnérabilités se multiplient et qu'elles commencent à toucher tous les secteurs.
Le fait est que l'approche interdisciplinaire manque à beaucoup d'analyses, et a fortiori dans le débat public, où on invite par exemple un économiste pour parler d'économie et un climatologue pour évoquer le réchauffement climatique. Or, les fragilités de notre temps résultent de causes très variées, des tensions géopolitiques aux perturbations climatiques en passant par la raréfaction des ressources ou les mouvements sociaux, au point que, quel que soit le fil que l'on tire, cela perturbe tous les autres.
Plus encore que d'interdisciplinarité, nous manquons d'une approche globale et systémique. Les différentes vulnérabilités auxquelles nous faisons et ferons face sont encore plus préoccupantes une fois combinées. Elles s'alimentent les unes les autres. Le château de cartes est capable de tenir debout malgré quelques cartes en moins, mais il y a de quoi nourrir des inquiétudes quant à la solidité de l'ensemble de la structure.
Élucid : Dans votre ouvrage, vous vous étonnez de la sous-estimation dont le pétrole fait l'objet, alors que celui-ci représente le « sang de nos économies » pour reprendre l'expression de Matthieu Auzanneau. Pouvez-vous rappeler l'importance du pétrole dans notre économie et les conséquences d'une raréfaction de ses stocks ?
Renaud Duterme : Beaucoup de malentendus circulent autour du pic pétrolier. Le pétrole sera présent en sous-sol pour encore très longtemps. En revanche, depuis le premier choc dans les années 1970, la raréfaction du pétrole le rend de moins en moins disponible et de plus en plus difficile à aller chercher, ce qui coûte de plus en plus cher (même en tenant compte d'éventuelles phases de baisse, l'évolution des prix n'étant pas linéaire). Aujourd'hui, nous considérons que le prix du pétrole est relativement bas lorsqu'il se situe autour des 80 dollars le baril, alors qu'un tel prix, il y a quelques années, aurait été considéré comme très élevé. Les choses vont s'intensifier à l'avenir avec des montagnes russes sur les prix du pétrole (qui sera en baisse lorsque la contraction économique générée par des prix trop élevés fera baisser la demande) et une trajectoire générale qui sera à la hausse.
De ce fait, la raréfaction du pétrole risque donc d'avoir deux conséquences majeures. La première est une remise en cause du système de délocalisation basé sur un pétrole bas marché afin d'alimenter les porte-conteneurs, les camions, les avions, etc., qui font fonctionner la mondialisation. La seconde conséquence a bien été mise en évidence par la guerre en Ukraine. Dans un contexte d'abondance pétrolière avec des gisements rentables un peu partout, la perturbation générée chez un producteur pose peu problème, car il est toujours possible de se reporter sur un autre. Si la guerre en Ukraine, par exemple, avait eu lieu il y a une ou deux décennies, les tensions auraient sans doute été moins importantes, car on aurait pu se fournir en pétrole auprès d'autres producteurs.
Aujourd'hui, la majorité des grands producteurs de pétrole ont déjà passé leur pic de production. En cas de perturbation chez l'un d'entre eux, il devient bien plus difficile de compenser par l'achat de pétrole ailleurs. Nous nous rabattons sur les États-Unis pour le gaz et sur le Moyen-Orient pour le pétrole, mais l'actualité vient nous rappeler l'instabilité du monde et en particulier de certaines régions. Un potentiel élargissement du conflit israélo-palestinien, notamment à l'Iran, aurait d'énormes conséquences, car deux des principales sources de pétrole pour le continent européen se tariraient ou deviendraient fortement perturbées.
« L'illusion est de penser qu'on pourra continuer nos modes de vie actuels et compenser uniquement par le nucléaire. »
L'électricité est une autre carte maîtresse de l'édifice mondialisé. Quel état des lieux faites-vous quant à cette énergie et quelles sont selon vous les perspectives à moyen terme ?
C'est plus ou moins la même chose. L'électricité est seulement un vecteur énergétique, alimenté par des énergies primaires. Elle est donc sujette aux tensions géopolitiques et l'on sait par exemple que des pays comme la Belgique et l'Allemagne sont fortement dépendants du gaz pour produire de l'électricité. L'impact climatique de notre production d'électricité impose, de plus, qu'elle soit de plus en plus décarbonée si l'on veut tenir les engagements internationaux et limiter les conséquences du réchauffement climatique.
D'autre part, toutes les sources d'électricité décarbonées ont un certain nombre de contraintes climatiques ou physiques. On peut penser notamment à l'intermittence des énergies éoliennes et solaires, qui doivent être compensées soit par des centrales à gaz – ce qui renvoie à la question de la dépendance géopolitique vis-à-vis d'autres producteurs – soit par des centrales à charbon, ce qui amplifie le problème climatique, soit par les centrales nucléaires. Sur ce dernier point, la question n'est pas d'être pour ou contre le nucléaire, comme il n'est pas question d'être pour ou contre telle ou telle énergie en général, mais de l'inscrire dans un contexte de contraintes physiques et climatiques beaucoup plus large.
Le nucléaire équivaut à plus ou moins 5 % des besoins énergétiques mondiaux aujourd'hui. L'illusion est de penser qu'on pourra continuer nos modes de vie actuels et compenser uniquement par le nucléaire. Même dans un pays comme la France, un des plus nucléarisés au monde, toute une série de contraintes est déjà là : l'assèchement des cours d'eau qui a déjà provoqué l'arrêt de plusieurs centrales, le désamour de la filière chez de nombreux ingénieurs, le vieillissement des centrales (donc de plus en plus souvent en panne et de plus en plus compliquées à réparer dans un contexte où la main-d'œuvre manque), les contraintes de délais dues à la construction d'une centrale, au repérage et à la faible acceptation sociale par la population locale. La seule solution sera la sobriété, voire la décroissance, c'est-à-dire la réduction drastique de nos besoins en électricité.
Après avoir analysé la question de la pénurie à l'aune du pétrole et de l'électricité, qu'en est-il en ce qui concerne les minerais ?
Ils constituent le second pilier de nos sociétés modernes, car celles-ci dépendent de flux énergétiques et des flux de matières. Or, la totalité de ces minerais est également non renouvelable. Comme pour le pétrole, l'épuisement total et soudain des ressources est un scénario illusoire. Les gisements seront de moins en moins concentrés, donc de plus en plus rares. Les prix augmenteront fortement, car, tout comme il faut plus d'énergie pour exploiter plus d'énergie, il faut plus de minerais pour exploiter plus de minerais. Les conséquences environnementales seront aussi d'autant plus importantes pour les extraire.
Le secteur de la mine est vorace en eau alors que de nombreux gisements miniers se trouvent dans des zones à fort stress hydrique : le Chili pour le cuivre, l'Amérique du Nord, la Chine. La conjonction de problèmes, à nouveau, sur fond de contraintes diverses (énergétiques, hydriques, etc.) et de moindre concentration des minerais, risque de rendre l'exploitation de certains minerais de plus en plus compliquée. Il nous faudra faire des arbitrages. Il est de ce fait fondamental de s'interroger sur la pertinence de la numérisation croissante de la société et de l'électrification promise de l'ensemble du parc automobile.
Au regard de l'ensemble des contraintes, ne serait-il pas plus judicieux d'envisager des politiques de sobriété pour ces deux secteurs, ce qui passe notamment par un débat démocratique sur la pertinence de l'utilisation accrue du numérique dans de nombreux secteurs (enseignement, santé, agriculture, objets quotidiens, etc.) ainsi que sur la pertinence de politiques visant à réduire notre dépendance à la voiture.
« Le techno-solutionnisme, dont l'objectif premier est de créer de nouveaux marchés pour relancer la machine économique, est juste intenable. »
Votre panorama signifie un retour des limites après une surexploitation irresponsable. Vous avez souligné au début de l'entretien le manque de conscience vis-à-vis des vulnérabilités de notre temps. Comment qualifieriez-vous les mesures annoncées par les gouvernements et leurs objectifs affichés sur ces questions ?
Nous mettons clairement des rustines sur des problèmes systémiques. Le cas de la voiture électrique, qui sert à relancer un marché, est significatif, sans même parler des camions, des avions ou des porte-conteneurs si essentiels au système actuel. De manière générale, l'option mise en avant est celle du solutionnisme technologique, qui cherche surtout à créer de nouveaux marchés pour relancer la machine économique. Elle est intenable à de multiples points de vue. Elle demande des délais considérables pour remplacer les infrastructures physiques.
On ne parle pas non plus des externalités sociales des solutions que l'on avance. Depuis des années déjà, nous avons délocalisé les activités polluantes dans des pays souvent pauvres et lointains. Nous proposons aujourd'hui des mesures qui aggravent les problèmes ailleurs. Je pense à l'extraction du cobalt ou à la fabrication des batteries. Je pense aussi à ce que nous allons faire des vieilles voitures. Des voitures qui ne sont plus aux normes et sont remplacées par des voitures dites « propres », mais qui ne le sont pas tant que cela au regard du cycle de production, partiraient à l'exportation, principalement pour aller polluer l'Afrique.
Enfin, les mesures et les objectifs affichés ignorent le sujet fondamental du manque de main-d'œuvre dans de nombreux secteurs stratégiques, sans laquelle nos sociétés ne peuvent pas fonctionner. Je pense à l'agriculture, au transport routier et au domaine médical. Lesdites pénuries trouvent principalement leur cause dans le capitalisme mondialisé où l'économie prime sur tout le reste avec des emplois qui perdent leur sens, sont pris dans des logiques comptables, et où le fantasme de la dématérialisation laisse penser qu'il serait possible d'avoir des sociétés faites de cadres, d'influenceurs et d'intellectuels. En bref, une négation du rôle primordial de l'industrie, de l'agriculture et des classes populaires.
Les différentes pénuries que vous avez évoquées questionnent l'extraction, la production, l'accroissement des transports et de la consommation, le libre-échange, la division mondiale du travail, la spécialisation et les mouvements de capitaux. Est-ce la fin de la mondialisation ?
Je distingue le processus de mondialisation du projet politique de la mondialisation actuelle. En tant que géographe, je considère le premier comme un processus d'interconnexion du monde, un processus qui date de 1492 avec la découverte des Amériques. Il est amalgamé aujourd'hui avec le projet politique de la mondialisation actuelle, qui se confond avec le capitalisme mondialisé pour suggérer que la seule alternative serait le repli sur soi.
On a imposé, principalement par la force (via la colonisation puis via les programmes d'ajustement du FMI) à l'ensemble du monde, un système économique particulier dans lequel l'économie est autonome par rapport au reste de la société, et où elle finit toujours par prendre le pas sur la société. En un mot, notre mondialisation est un capitalisme mondialisé qui se trouve de plus en plus dans sa forme la plus pure. Les grandes forces du marché, que ce soient les capitaux, les marchandises matérialisées par les grandes entreprises transnationales, en tirent une grande puissance.
La démondialisation que j'appelle de mes vœux n'est pas un repli sur soi ou une remise en cause du processus d'interconnexion du monde. En revanche, elle sort de la logique de capitalisme pur avec des mesures de protectionnisme et de relocalisation, le contrôle des mouvements de capitaux et de marchandises, et l'abandon des accords de libre-échange. L'élargissement des chaînes de production et les nombreuses vulnérabilités que j'ai mentionnées seront résolus à la condition de retrouver une certaine autonomie, qui n'est pas une autarcie ou un système moyenâgeux où chaque territoire serait replié sur lui-même.
Cette autonomie pourrait tout à fait s'accorder avec des accords de coopérations avec de nombreux pays dans une optique de diminution des flux matériels. L'idée n'est pas de refaire produire chez nous des choses inutiles, mais de produire davantage chez nous des choses utiles. Dit autrement, il y a nécessité de refabriquer des principes actifs majoritairement produits en Inde et en Chine, mais aucune à relocaliser la fast fashion.
« La grande question est celle de la décroissance : s'interroger sur l'utilité des choses que l'on produit. »
Les mêmes raisons remettent-elles en cause l'objectif de la numérisation du monde ?
La numérisation de la société, la généralisation de la 5G, les voitures et les frigos intelligents et autres promesses de technologiques nécessitent beaucoup de minerais et d'énergies dans un contexte de raréfaction des ressources. Or, même si nos démocraties sont imparfaites, nos gouvernements peuvent difficilement, pour des raisons électorales, dire que l'on va construire ou rouvrir des mines (le secteur le plus écocidaire du monde !) à cause de la réticence des populations. Développer la 5G demande, de surcroît, de remplacer des milliards d'appareils électroniques encore fonctionnels et entraînerait un effet rebond, puisqu'en cas de connectivité rapide, les usages d'Internet se multiplieraient. C'est une fuite en avant qu'il nous faut arrêter avant d'atteindre les contraintes physiques.
J'ajoute à cela que la numérisation accroît la vulnérabilité de nos sociétés. Une école, un hôpital et un supermarché ne peuvent plus fonctionner désormais sans Internet. Si une coupure globale d'Internet, comme un blackout sur l'électricité, semble réservée à la science-fiction, car cela repose sur des réseaux décentralisés, les effets localisés constituent d'ores et déjà notre réalité. Dans la région où je vis en Belgique, différents hôpitaux piratés ont été bloqués pendant plusieurs semaines, au point d'engendrer des retards d'opérations. Les perturbations créées ont d'ailleurs des effets sur le long terme qui dépassent la durée du blocage. Aux États-Unis une panne Internet qui avait touché des compagnies aériennes avait de son côté entraîné l'arrêt net du trafic. Les choses risquent de s'aggraver, sur fond de tensions géopolitiques.
Au-delà de l'aspect purement physique et du volet géopolitique, nous devons enfin nous poser la question de l'utilité de cette numérisation qui n'a jamais fait l'objet d'un débat démocratique. J'ai fait l'expérience avec mes élèves et j'ai été surpris de voir leur unanimité contre la 5G, qui tenait notamment à l'argument selon lequel la numérisation rend dépendant sans rendre heureux. C'est la grande question, celle de s'interroger sur l'utilité des choses que l'on produit, donc de la décroissance.
« La raréfaction peut conduire à une gestion libérale de la pénurie avec une privatisation de ce qui peut l'être et la réservation des ressources à ceux qui en ont les moyens. »
La mondialisation, disiez-vous, est un capitalisme qui s'affirme dans sa forme chimiquement pure. Dans le contexte de raréfaction des ressources avec leurs multiples conséquences qui se renforcent les unes les autres, le capitalisme serait-il entré en phase terminale ?
J'entends dire dans certains débats que le tarissement des flux physiques et des flux de matière va faire s'effondrer le capitalisme. Je ne le pense pas, car il a une grande force pour rebondir sur les crises et les chocs qu'il provoque. Il est vrai que le capitalisme a un besoin constant de croissance et de construction de bâtiments, de nouvelles routes et requiert donc des minerais et du béton en quantité astronomique. Le géographe David Harvey avait d'ailleurs bien fait le lien entre cette urbanisation et le capitalisme.
La raréfaction de tous les éléments que je mentionne dans le livre va néanmoins se traduire selon moi par une gestion libérale de la pénurie, avec une privatisation de ce qui peut l'être et la réservation des différentes ressources à ceux qui en ont les moyens. Ces arbitrages, par conséquent, seront gérés par l'argent. C'est la continuation du capitalisme avec un marché qui pilote la pénurie. Il y a trois façons de gérer les pénuries dont j'ai parlé jusqu'ici. La première, libérale, est à l'œuvre quasiment partout. La seconde, autoritaire et qui peut s'associer avec la gestion libérale comme l'ont montré les exemples de Trump et de Bolsonaro, alloue les différentes ressources de façon purement verticale. La troisième voie, démocratique, horizontale, implique beaucoup d'efforts, beaucoup de conscientisation et des rapports de force considérables.
La plasticité du capitalisme face à ces difficultés implique encore une accentuation des inégalités et de plus en plus d'autoritarisme. Ne seraient-ce pas ces fragilités-là qui risquent de le faire s'écrouler malgré tout à terme ?
C'est une possibilité. J'observe néanmoins que la perte de légitimité potentielle du capitalisme ne pousse pas les gens à en demander la fin. La tendance est plutôt à pointer l'autre, l'étranger du doigt. L'orientation de la contestation dépendra beaucoup du positionnement de la gauche sociale, militante, politique sur les sujets de la lutte des classes, de la mondialisation, quand les pénuries s'aggraveront.
Cela lui demande une remise en cause et notamment une reconnexion avec les classes populaires, premières victimes du déclassement, qu'elle ne connaît plus, qui sentent de sa part de la condescendance ou du mépris. François Ruffin est l'une des seules personnalités en France à échapper à ce travers. La gauche a peur de se faire associer à l'extrême droite et abandonne des sujets comme le protectionnisme et les frontières, de même qu'elle laisse de côté le sujet de l'insécurité, certes accentué par les médias, mais qui va fatalement augmenter dans un contexte de pénuries.
De façon générale, les idées que vous avancez dans votre livre pour faire face à ce temps des pénuries se résument-elles à ces deux mots : démondialisation et décroissance ?
Oui, à condition une nouvelle fois d'entendre par démondialisation l'abandon de la mondialisation comme projet politique et d'associer à la décroissance la diminution des flux matériels et des flux physiques dans une perspective de justice sociale, de démocratie et de bien-être, soit exactement la définition de Thimothée Parrique (Ralentir ou périr). La décroissance, contrairement à ce que soutiennent les libéraux, n'est pas la baisse du PIB, elle est une économie déconnectée du PIB, de la gestion comptable et basée sur d'autres indicateurs.
Il est cependant fort peu probable que ce projet prenne forme. Nous sommes très loin de la démondialisation et le rapport de force n'est pas du tout en faveur des forces progressistes. Je ne suis pas défaitiste, mais je pense qu'il faut se préparer à un échec. Il y aura alors nécessité d'appliquer des comportements individuels ou collectifs à l'échelle locale visant une certaine autonomie. Face aux vulnérabilités, aux ruptures d'approvisionnement de plus en plus importantes dans tous les secteurs, il sera fondamental d'organiser les choses ici et maintenant à l'échelle des quartiers, des entreprises, des collectivités pour une vie déconnectée des grands flux physiques, de matières et d'énergie.
Je précise qu'il ne s'agit pas d'opposer la ville à une campagne idéalisée, une caractéristique de l'extrême droite. Le géographe Guillaume Faburel a fait un formidable travail sur la déconstruction de la métropolisation. La ville, qui plus est la grande ville, dépend de grands flux de matières, des va-et-vient de camions pour la nourrir et elle dispose de très peu d'autonomie. Par contre, les campagnes vivent maintenant à bien des égards de la même façon que les citadins. Quand bien même il y a des terres agricoles dans ma commune, située dans une zone rurale de Belgique, l'essentiel des biens alimentaires vient d'ailleurs. Nous sommes dépendants des mêmes flux physiques. Ceci étant dit, la campagne dispose quand même d'un petit atout qui tient à une plus forte résilience du fait d'espace de stockage, d'une plus grande proximité et de moins forte densité.
Propos recueillis par Laurent Ottavi.
Photo d'ouverture : Thx4Stock team - @Shutterstock

La Concertation pour Haïti (CPH) dénonce la menace grave d’une minière canadienne à la vie, à l’eau et à l’environnement en Haïti

Alors que les bandes armées continuent de consolider leur emprise sur Haïti et que la moitié de la population est confrontée à une famine aiguë, la Concertation pour Haïti<https://aqoci.qc.ca/la-concertation...> alerte le public sur le lancement imminent des opérations d'une mine d'or par une société canadienne. Cela représente une grave menace sur cette nation caribéenne pour de graves dommages environnementaux et une diminution de l'approvisionnement déjà précaire en eau du pays.
La société Unigold, cotée à la bourse de Toronto, devrait obtenir bientôt une licence pour exploiter la concession Candelones, également connue sous le nom de Neita Sur, située à Restauracion, dans la province de Dajabon, à la frontière d'Haïti. La concession contiendrait 2,25 millions d'onces d'or et le permis donnerait à Unigold le droit exclusif d'extraire des minéraux métalliques pendant 75 ans. En avril 2023, la demande avait été étudiée par la Direction dominicaine des mines et envoyée au Ministère de l'énergie et des mines avec une recommandation positive.
Barrick Gold a également annoncé qu'elle avait acquis 60 % des droits d'exploration pour une autre concession connue sous le nom de Neita Norte ; Unigold détient les 40 % restants.
Selon Unigold, les opérations minières nécessiteront le captage initial de l'équivalent de 28 piscines olympiques (70 000 mètres cubes) d'eau. En moyenne, il faut 500 000 litres d'eau pour extraire et laver un kilogramme d'or.
La CPH se solidarise avec les organisations locales qui ont exprimé leur inquiétude quant à la pollution des rivières Massacre et Artibonite, partagées sur l'île d'Hispaniola, par les opérations minières qui utiliseront du cyanure pour extraire le minerai d'or. Ces deux rivières sont d'importantes sources d'irrigation pour le riz et d'autres cultures essentielles à la sécurité alimentaire d'Haïti.
‘Le modèle minier extractiviste conduirait à la contamination de l'eau dont nous avons tous besoin pour vivre, en plus d'autres dommages causés à la population paysanne,' ont déclaré les jésuites de la République dominicaine et d'Haïti dans une déclaration datant de septembre 2023, et ont décrit la mine comme une "menace sérieuse".
Le 4 février dernier, un regroupement d'associations dominicaines de la région déclarait : « Nous nous opposerons à toute exploitation minière, même s'il nous faudra pour cela offrir notre sang à la Terre-mère, pour la vie des générations futures. »
Haïti est le pays le plus vulnérable aux impacts du changement climatique en Amérique latine. La plupart des Haïtiens vivant en milieu rural doivent parcourir de longues distances pour trouver de l'eau et seuls 43 % d'entre eux ont accès à l'eau potable. La déforestation liée à la pauvreté a dégradé les bassins versants et les écosystèmes.
Le CPH estime que les impacts des activités de la Unigold, une société canadienne qui bénéficie du soutien du gouvernement canadien, sont incompatibles avec les efforts des projets de développement canadiens pour protéger l'environnement, particulièrement les réserves d'eau, et réduire les impacts du changement climatique.
Elle réitère son appel au Canada, lancé dans son rapport de 2016 sur l'exploitation minière en Haïti[1], d'assurer la reddition de compte des entreprises canadiennes opérant à l'étranger et lever les entraves juridiques existantes afin de permettre aux populations lésées par l'action des minières canadiennes dans les pays hôtes d'entamer des poursuites en justice au Canada.
Texte préparé par Mary Durran, Marcela Escribano, Jean-Claude Icart et Amélie Nguyen, membres de la CPH.
Fondée en 1994, la Concertation pour Haïti (CPH) est un regroupement d'organisations de la société civile et de membres individuels du Québec qui participent au mouvement de solidarité avec le peuple haïtien. La CPH essaie, de son mieux, d'accompagner la société civile haïtienne dans sa recherche de mieux-être, en œuvrant au niveau de la promotion des droits humains et des libertés fondamentales, de la justice sociale, du développement solidaire et de la sensibilisation du public d'ici.
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L’interdiction de l’avortement au Texas nuit aux soins de santé

L'interdiction de l'avortement au Texas nuit aux soins de santé, même pour les femmes qui souhaitent être enceintes
Les lois strictes contre l'interruption de grossesse dans cet État américain limitent les soins pour les patientes atteintes de cancer et les bénéficiaires de la FIV.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/02/15/linterdiction-de-lavortement-au-texas-nuit-aux-soins-de-sante-meme-pour-les-femmes-qui-souhaitent-etre-enceintes/
En 2023, une femme est entrée dans un centre de santé de Houston en traînant une perche à perfusion. Elle souffrait d'hyperémèse gravidique, c'est-à-dire d'une forme extrême de nausées matinales. Elle vomissait constamment, ne pouvait retenir ni nourriture ni liquides et était maintenue en vie grâce à une perfusion.
« Elle était allée aux urgences tellement de fois », a expliqué le médecin Bhavik Kumar à openDemocracy, « et elle était si fragile et si maigre que les urgences l'ont renvoyée chez elle avec une perche à perfusion. Je n'avais jamais vu cela auparavant ».
La patiente a demandé un avortement, qui permet de soulager rapidement l'hyperémèse gravidique. Avant la chute de l'arrêt Roe v Wade, qui protégeait constitutionnellement le droit à l'avortement, en 2022, M. Kumar aurait pu fournir ces soins dans sa clinique ambulatoire. Mais en raison de la nouvelle interdiction quasi-totale du Texas, il n'a pas pu apporter son aide.
Lorsqu'on lui a demandé ce qu'il était advenu de la femme à la perche à perfusion, M. Kumar a répondu qu'il n'en savait rien. « Souvent, nous ne connaissons pas le résultat », a-t-il expliqué. « Une patiente peut venir dans ma clinique avec un certain nombre de problèmes, par exemple des saignements abondants et des antécédents d'hémorragie… Elle doit rentrer chez elle et attendre que son état devienne une urgence, puis se rendre aux urgences. Elles doivent alors se rendre aux urgences ».
Les données du département de la santé et des services sociaux du Texas confirment les propos de M. Kumar : 100% des avortements déclarés au Texas sont désormais pratiqués dans des hôpitaux. Avant la chute de l'arrêt Roe, ce chiffre était de 0,1%, l'écrasante majorité des avortements étant pratiqués dans des cliniques ambulatoires.
Trois lois principales réglementent l'avortement au Texas. L'« interdiction de déclencher », ainsi appelée parce qu'elle a été déclenchée par l'annulation de l'arrêt Roe v Wade par la Cour suprême, interdit presque totalement les avortements et prévoit des sanctions pénales et civiles ; une autre loi, promulguée avant l'arrêt Roe v Wade, criminalise la fourniture de soins liés à l'avortement ; et le SB8 (pour « Senate Bill 8 ») permet aux citoyens de poursuivre en justice toute personne qui aide et encourage un avortement.
Par conséquent, les femmes texanes qui souffrent d'une urgence obstétrique attendent que leur besoin d'avortement devienne une urgence, car c'est ce qu'exige l'« interdiction de déclencher ». Elle interdit l'avortement à tout moment de la grossesse, quelle qu'en soit la raison, à une exception près : l'avortement est autorisé s'il est, « dans l'exercice d'un jugement médical raisonnable », nécessaire pour sauver la vie de la mère ou éviter « un risque sérieux d'altération substantielle d'une fonction corporelle majeure ».
Le problème de cette exception est que les médecin·es ne savent pas exactement quand elle s'applique. Cette incertitude bouleverse les soins médicaux dans tout le Texas – pas seulement les soins liés à l'avortement, mais tous les soins de santé fournis aux personnes enceintes ou susceptibles de le devenir.
Selon Sonia Suter, professeure de droit à l'université George Washington, l'exception est si vague qu'elle est « pratiquement dénuée de sens », a déclaré Mme Suter à openDemocracy. « Quelle est l'ampleur du risque exigé par la loi ? « Quelle est la probabilité de préjudice ? » « Quelle doit être son imminence ? »
Selon la Cour suprême du Texas, il ne suffit pas qu'un·e médecin·e dise qu'un avortement est nécessaire selon son « jugement médical de bonne foi ». Au contraire, « le jugement médical impliqué doit répondre à une norme objective » – quoi que cela signifie.
« L'imprécision de ces lois est une caractéristique, a déclaré Mme Suter, et non un problème. Les exceptions vagues permettent à un profane de dire ‘oh, l'État se soucie des femmes'. Mais l'État s'en moque ».
Les médecin·es n'ont pas la formation juridique nécessaire pour interpréter les lois complexes sur l'avortement, et nombre d'entre elles et d'entre eux ont déclaré que les administrateurs de l'hôpital ou de la clinique ne leur donnaient pas de conseils à ce sujet. S'iels enfreignent les interdictions du Texas en matière d'avortement, iels s'exposent également à des sanctions sévères, notamment 99 ans de prison, des amendes d'au moins 100 000 dollars et la perte de leur licence médicale.
Dans ces circonstances, « la chose la plus facile à faire est de jouer la carte de la sécurité et de ne même pas mentionner l'avortement », a déclaré à openDemocracy un gynécologue qui a requis l'anonymat.
La crainte de se mettre en porte-à-faux avec la loi a conduit certains médecins texans non seulement à éviter de mentionner l'avortement, mais aussi à modifier leur façon de traiter des questions médicales telles que la FIV, les fausses couches, les grossesses extra-utérines et même la chimiothérapie.
Sarah*, une avocate qui travaille à Dallas, a vu de ses propres yeux comment les interdictions de l'avortement dans l'État peuvent affecter les soins médicaux de manière inattendue. Elle est tombée enceinte par FIV l'année dernière, et son médecin lui a déconseillé de tester ses embryons pour détecter des anomalies. Tous les tests effectués sur les embryons peuvent les endommager, lui a-t-il dit, et il ne voulait pas prendre ce risque.
Sarah a suivi les conseils de son médecin et est maintenant enceinte de quatre mois. Bien qu'elle soit enthousiaste à l'idée de devenir mère, elle s'inquiète de ce qui se passerait en cas de problème pendant sa grossesse. « Pour la première fois de ma vie, dit Sarah, je me suis dit : Je n'aime pas que l'État dans lequel je vis m'impose cette restriction. Et si je ne teste pas cet embryon, qu'il prend et qu'il y a un problème ? Je comprends que la vie est précieuse, mais je ne veux pas mettre au monde un enfant qui a plus de chances de souffrir qu'un enfant en bonne santé ».
L'expérience de Sarah n'est pas unique. Alex, qui travaille dans une organisation à but non lucratif à Houston et est enceinte de 15 semaines, a fait une fausse couche en 2019. Cette fausse couche s'est terminée par une dilatation et un curetage – une procédure qui retire le tissu fœtal de l'intérieur de l'utérus et constitue une partie standard des soins de fausse couche, essentielle pour prévenir les infections et les saignements abondants. Mais elle peut également être utilisée pour pratiquer un avortement. Alex craint de devoir quitter l'État si elle devait subir la même intervention aujourd'hui.
Elle a de bonnes raisons de s'inquiéter. « Le traitement est en grande partie le même pour une fausse couche et un avortement », a déclaré Mme Suter, « et il est vraiment très difficile de faire la distinction. Comment un médecin peut-il déterminer, lorsqu'une femme se présente avec des saignements, s'il s'agit d'un avortement auto-administré raté ou d'une fausse couche ? »
Kumar a ajouté : » »Les grossesses ectopiques peuvent également constituer une zone grise », a ajouté Kumar. Une grossesse extra-utérine se produit lorsqu'un ovule fécondé se développe en dehors de l'utérus, généralement dans une trompe de Fallope. Au fur et à mesure que la grossesse progresse, la trompe peut se rompre. Cette rupture peut provoquer une hémorragie interne importante, ce qui constitue une urgence médicale.
Bien que le Texas ait adopté une nouvelle disposition en septembre 2023 pour permettre le traitement des grossesses extra-utérines, ainsi que des fausses couches causées par la rupture prématurée des membranes, les médecin·es interrogé·es dans le cadre de cet article ont déclaré que la nouvelle loi n'était pas claire. De plus, un·e médecin·e peut toujours être accusé·e d'avoir fourni ce type de soins si quelqu'un prétend qu'iel a en fait pratiqué un avortement. Et s'elles ou il est inculpé, la loi de l'État prévoit que c'est la médecine ou le médecin lui-même – et non l'État, comme c'est généralement le cas dans les procédures pénales – qui a la charge de la preuve, ce qui signifie qu'elle ou il doit démontrer qu'iel a effectivement traité une grossesse extra-utérine ou une fausse couche.
En conséquence, a déclaré M. Kumar, « la façon dont nous gérons » les grossesses extra-utérines et les fausses couches « a vraiment changé ». Dans les deux cas, « nous devons attendre et surveiller beaucoup plus longtemps qu'auparavant et documenter la situation de manière beaucoup plus approfondie ». Cette approche est contraire aux meilleures pratiques médicales, a-t-il déclaré, car elle retarde les soins essentiels.
Même le traitement du cancer a été affecté par les interdictions d'avortement de l'État. Claire Hoppenot, gynécologue oncologue à Houston, a déclaré qu'elle avait récemment vu une femme enceinte atteinte d'un cancer du col de l'utérus. Cette femme a finalement été traitée par une procédure cervicale localisée, qui comporte un risque de fausse couche. Mme Hoppenot a déclaré qu'elle s'était interrogée : « Si elle fait une fausse couche à cause de cette intervention, cela va-t-il me poser des problèmes, même si l'intervention n'a rien à voir avec un avortement ? » En fin de compte, la grossesse de la patiente s'est déroulée sans problème, mais Mme Hoppenot a déclaré que ce genre de préoccupations concernant la loi « a changé la façon dont je parle aux patientes ».
La Cour suprême du Texas a reconnu que le personnel médical ne comprenait pas bien la portée de l'interdiction de l'avortement dans cet État. Dans un jugement daté du 11 décembre 2023 refusant des soins d'avortement à Kate Cox (une femme dont la grossesse n'était pas viable et qui a dû fuir le Texas pour se faire avorter), elle a demandé au conseil médical du Texas de clarifier exactement ce que l'exception étroite de l'interdiction signifiait en termes pratiques.
La Cour a déclaré que le conseil pouvait normalement « évaluer diverses circonstances hypothétiques, fournir les meilleures pratiques, identifier les lignes rouges, etc. », comme il l'a fait « dans d'autres contextes, tels que son Covid-19″ » À ce jour, cependant, la commission n'a pas donné d'indications sur la portée des interdictions d'avortement au Texas, et il n'y a pas de date limite pour qu'elle le fasse.
Contacté pour commenter cet article, le conseil n'a pas répondu. Le département de la santé et des services sociaux du Texas a d'abord déclaré qu'il avait « reçu [la] demande » pour cet article « et [qu'il] la traiterait ». Mais trois jours plus tard, il a répondu par écrit : « Nous n'émettons aucun commentaire sur les lois texanes relatives à l'avortement ».
Les partisans de l'interdiction au Texas affirment que le texte de la loi est déjà clair. Le sénateur Bryan Hughes, par exemple, a écrit dans une lettre adressée en août 2022 au conseil médical du Texas que « la loi texane indique clairement que la vie et les principales fonctions corporelles d'une mère doivent être protégées. Toute déviation, telle que des soins retardés pour des grossesses extra-utérines ou des fausses couches, devrait faire l'objet d'une enquête en tant que faute professionnelle potentielle ».
Même si la loi est claire pour les sénateurs de l'État, les preuves recueillies pour cet article indiquent qu'elle n'est pas claire pour les professionnel·les de la santé du Texas. Il en va de même dans d'autres États appliquant des interdictions d'avortement similaires. Par exemple, dans l'Oklahoma – qui interdit l'avortement sauf lorsqu'il est nécessaire pour préserver la vie de la mère – la plupart des hôpitaux n'ont pas pu expliquer quand et comment la décision serait prise d'interrompre une grossesse pour sauver la vie de la mère, selon une étude réalisée en 2023.
En d'autres termes, les problèmes causés par les lois floues sur l'avortement au Texas se posent également dans d'autres États américains : outre l'Oklahoma, l'Alabama, l'Arkansas, l'Idaho, l'Indiana, le Kentucky, la Louisiane, le Mississippi, le Missouri, le Dakota du Nord, le Dakota du Sud, le Tennessee et la Virginie-Occidentale interdisent largement l'avortement, sauf lorsqu'il est nécessaire pour préserver la vie et/ou la santé de la mère (et, dans certains États, en cas d'inceste ou de viol).
Le « préjudice médical global » causé par ces interdictions signifie que les femmes « doivent attendre plus longtemps pour obtenir des soins en cas d'avortement ou de fausse couche » – c'est-à-dire jusqu'à ce que leur besoin de soins soit une urgence. Les retards dans les soins entraînent « une augmentation de la morbidité et de la mortalité maternelles », a expliqué M. Kumar.
L'Amérique a déjà le taux de mortalité maternelle le plus élevé des pays riches, et les personnes de couleur – en particulier les femmes noires – sont touchées de manière disproportionnée.
Les récentes interdictions d'avortement risquent d'aggraver ces problèmes, selon M. Kumar. En d'autres termes, ces interdictions sont mauvaises pour la santé des femmes. Cela semble clair, même si beaucoup d'autres aspects de ces lois restent flous.
*Le nom a été modifié
Kendall Turner, 5 février 2024
Kendall Turner est une écrivaine indépendante et une professeure qui a été stagiaire à la Cour suprême des États-Unis et a participé à des procès concernant l'avortement au Texas et dans d'autres États.
https://www.opendemocracy.net/en/5050/texas-abortion-ban-roe-v-wade-cancer-ivf-law/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
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Mouvements féministes au Pakistan : défis et luttes

Asma Aamir écrit sur la trajectoire et les pratiques actuelles des mouvements féministes pakistanais, leurs défis et leurs voies à suivre
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/02/16/mouvements-feministes-au-pakistan-defis-et-luttes/
Je voudrais parler du Pakistan, un pays qui n'a pas d'État laïc, comme la Turquie et d'autres. Son nom officiel est la République islamique du Pakistan, et le pays est gouverné par les gouvernements fédéral et provinciaux, conformément à la Constitution de 1973. Le système judiciaire est divisé en tribunaux civils, tribunaux pénaux et tribunal de charia, qui examine les lois du pays conformément à la loi et au droit islamique.
La Cour fédérale de la Charia est la seule autorité dotée du pouvoir constitutionnel d'interdire et d'empêcher la promulgation de lois par le Parlement pakistanais lorsqu'elles sont jugées contraires aux préceptes islamiques. La cour se concentre principalement sur l'analyse des lois nouvelles ou existantes dans le pays. Si une loi viole le Coran, la Sunna ou les hadiths, le Tribunal de la Charia interdira sa promulgation.
La Constitution de 1973 garantit, dans son article 16, la liberté de réunion ; à l'article 17, la liberté d'association ; et à l'article 19, la liberté d'expression. Tout cela devrait renforcer l'exercice des droits fondamentaux par chaque citoyen, sans discrimination. L'absence de ces droits est le plus grand obstacle à la croissance d'une société. Les violations croissantes des droits humains constituent une menace ouverte pour la démocratie et le travail des défenseurs des droits humains. La Constitution garantit ces droits, mais ils ne sont pas exercés dans la vie pratique. Le viol est principalement contre les droits des femmes. Plus précisément, la liberté d'expression et de réunion des femmes et des filles est limitée. Il est nécessaire d'assurer la mise en œuvre de leurs droits dans le pays.
Pendant et après la pandémie, l'inflation a accru la pauvreté et les multiples défis sociaux, politiques et économiques du tissu social diversifié du Pakistan. La croissance démographique rapide et les impacts négatifs sur les minorités ethniques et religieuses entraînent des divisions croissantes entre les espaces urbains et ruraux et entre les grandes et les petites villes. Tous ces facteurs contribuent à la transformation continue du comportement social des masses. Le contexte de la pandémie a réduit la main-d'œuvre dans tous les secteurs économiques et causé la perte de nombreux emplois. Les travailleuses, en particulier celles de la classe ouvrière, qui travaillent dans les usines et dans le contexte domestique, ont le plus souffert. Les enseignantes ont été immédiatement démises de leurs fonctions. Et la violence à l'égard des femmes et des filles a augmenté pendant la pandémie.
« L'intolérance ethnique et religieuse est courante et des cas sont occasionnellement signalés » Asma Aamir
Le féminisme dans l'histoire pakistanaise
Face à tous ces défis, l'insécurité des minorités pakistanaises s'est accrue au fil du temps. Dans les années 1980, pendant le régime dictatorial et anti-femmes de Zia-ul-Haq, il y a eu un rétrécissement des espaces civils pour les femmes. Au cours de cette période, l'État a effectivement utilisé les forces politiques religieuses pour accéder au pouvoir. Il a réduit au silence les partis politiques, réprimé la presse et le monde universitaire par la censure et interdit les mouvements étudiants et syndicaux.
C'est à ce moment politique des années 1980 que le premier mouvement féministe, le Forum d'action des femmes, a gagné du terrain. Les femmes se sont réunies et ont renversé les ordonnances Hudud, promulguées en 1979, qui étaient discriminatoires à l'égard des femmes non musulmanes en ce qui concerne les témoignages dans les affaires de viol et de viol collectif. Ce mouvement a organisé l'événement pour protester contre la Loi des preuves (qui forçait la femme violée à présenter quatre témoins pour prouver le crime), les lois de Hudud et d'autres lois discriminatoires à l'égard des femmes. La manifestation a eu lieu sur l'avenue The Mall, à Lahore, ma ville natale. Bien qu'il s'agisse d'un acte pacifique, l'utilisation de gaz lacrymogène pour disperser la foule et arrêter des personnes n'était pas rare. Le Forum d'action des femmes a été ]– et continue d'être – une voix contre toutes sortes d'injustices, en particulier contre les femmes et les minorités. Plus tard, en 2006, les lois ont été mises à jour et n'exigent plus la présentation de quatre témoins.
Le deuxième mouvement féministe populaire du Pakistan a vu le jour en 2000, sous le nom d'Alliance contre le harcèlement sexuel [Alliance Against SexualHarassment – AASHA] et la devise pour mettre fin au harcèlement sexuel au travail. La militante et experte sur les questions de genre Fouzia Saeed, ainsi que d'autres compagnes, telles que la membre de la Marche Mondiale des Femmes Bushra Khaliq, ont engagé des personnalités importantes, telles que des femmes des mouvements populaires, des médias, des parlementaires et des partis politiques. Grâce à ces efforts, en 2010, elles ont eu la chance de faire adopter la loi sur la protection contre le harcèlement des femmes sur le lieu de travail.
Le mouvement populaire actuel, qui s'appelle Marche Aurat [La marche des femmes, en français], s'est renforcée il y a cinq ans, en 2018, avec la devise de la fin du patriarcat. La Marche Aurat est le mouvement des jeunes féministes, avec une approche plus inclusive et intergénérationnelle. Chaque année, la Marche Aurat a lieu le 8 mars, et tout au long de l'année des activités telles que des communiqués de presse, de petites manifestations et des œuvres artistiques sont également organisées.
Défis Contemporains
Les jeunes féministes sont confrontées à la mort, au viol et aux menaces d'attaque à l'acide alors qu'elles exercent leur droit constitutionnel de se réunir et leur droit à la liberté d'expression. Lever un drapeau dérange et irrite la mentalité patriarcale au Pakistan.
La structure, les pratiques et le tissu social sont contre les femmes. Le pouvoir du gouvernement est faible pour protéger les femmes. Les femmes font face à l'opposition à la maison, dans la rue et au travail, mais nous continuons à marcher dans les rues, en lien avec la Journée internationale de lutte des femmes et d'autres agendas.
Les attaques par commentaires et messages privés sur Internet ont apporté de l'insécurité aux jeunes filles. En conséquence, elles ont dû arrêter de publier du contenu sur leur participation dans les espaces publics ou ont commencé à ignorer ces commentaires, faisant face à la peur et à l'insécurité par elles-mêmes. Les médias et les tactiques néfastes de Youtubeurs ont détérioré la cause des filles et des femmes sans enquêter sur la source. Les médias imprimés et électroniques ont publié des affiches manipulées avec des images de filles et de femmes qui ont participé à des actes et à des marches, y compris la mienne.
Les réseaux sociaux affectent la sociologie et la psychologie de ce qui est communiqué, à l'aide de la technologie. Le populisme croissant expose comment la société n'est pas encore prête à donner et à offrir des droits sur le corps aux filles et aux femmes. La devise « merajismmerimarzi » (« mon corps, mon choix ») est devenue une expression osée et audacieuse utilisée par les jeunes féministes pour nier le contrôle du corps des femmes sous la forme de viol conjugal et de non-choix d'avoir des enfants. Beaucoup de gens répudient cette devise et peu l'admettent.
L'espace de divergence se réduit rapidement dans la région Asie-Pacifique. De même, les espaces civils et les mouvements de jeunes féministes au Pakistan sont également en échec.
Les menaces contre la vie des manifestantes se sont multipliées. Les femmes sont confrontées au harcèlement sur Internet, au harcèlement sexuel dans les espaces publics et à la stigmatisation, en raison des fondamentalismes, des secteurs de droite et de l'absence de laïcité. Tous ces défis se posent et demandent beaucoup à l'État et aux communautés de trouver des solutions, de considérer les femmes comme des citoyennes égales dans ce pays, de concevoir des politiques en faveur des femmes et de garantir des espaces civils pour les femmes et les filles.
Notre voie à suivre est de mobiliser et de renforcer les capacités de centaines de jeunes à construire le mouvement, sous la bannière de la Marche Mondiale des Femmes au Pakistan. Avec ce militantisme quotidien, nous continuerons à nous battre pour les droits des femmes et pour des changements structurels. C'est pourquoi nous disons que « nous résistons pour vivre, nous marchons pour transformer ».
*-*
Asma Aamir est membre de la Marche Mondiale des Femmes au Pakistan et membre suppléante du Comité international du mouvement, représentant la région Asie. Cet article est une version éditée de son discours à la 13e Rencontre internationale de la Marche Mondiale des Femmes, qui s'est tenue en octobre 2023 à Ankara, en Turquie.
Langue originale : anglais
Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves
Édition par Helena Zelic
https://capiremov.org/fr/analyse/mouvements-feministes-au-pakistan-defis-et-luttes/
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M. Seguin, ou comment de toutes jeunes filles sont punies de vouloir vivre…

La morale est très claire : il faut savoir rester à sa place, et quand on est une mignonne petite chèvre innocente et naïve, on ne peut impunément avoir le désir de gambader découvrir la montagne si belle. On est alors châtiée par « la nature », car il n'est pas dans l'ordre des choses que les mignonnes petites chèvres aient un désir de liberté.
Tiré de Entre les lignes et les mots
« La Chèvre de M. Seguin », ou comment les toutes jeunes filles sont punies de vouloir vivre par de « vieux messieurs ».
« Ah qu'elle était jolie, la petite chèvre de M. Seguin… »
Nous connaissons toutes et tous cette histoire d'Alphonse Daudet qui nous raconte comment une mignonne petite chèvre blanche finit, emportée par sa curiosité et son désir de découvrir le monde, dévorée par un loup. La morale est très claire : il faut savoir rester à sa place, et quand on est une mignonne petite chèvre innocente et naïve, on ne peut impunément avoir le désir de gambader découvrir la montagne si belle. On est alors châtiée par « la nature », car il n'est pas dans l'ordre des choses que les mignonnes petites chèvres aient un désir de liberté.
Il a toujours été évident pour moi que Daudet envoyait ici un avertissement (certes pas par bienveillance) aux jeunes filles, ces petites chèvres blanches si mignonnes, qui voulaient découvrir le monde.
En 1989, J.- Cl. Brisseau réalise Noces Blanches. Une très jeune, très gracile, très frêle et très solaire Vanessa Paradis y incarne remarquablement la jeune Mathilde (dont la caractéristique la plus forte passe totalement inaperçue vu le film mais est pourtant centrale dans l'histoire : Mathilde est une jeune surdouée de la philosophie). Vanessa Paradis, pas encore dévorée par le loup du monde malgré son énorme succès dans la chanson, crève littéralement l'écran, face à Bruno Cremer, un vieux monsieur de 60 ans en prof de philo très distingué qui « vit une histoire » (sic) avec elle. Histoire dont on comprend bien que c'est la jeune Mathilde, cette Messaline, qui la pousse, la force, finalement, c'est elle qui le dévoie.
Elle sera punie Mathilde. Un peu comme Lolita de Nabokov d'ailleurs (même si les histoires sont différentes). Enfin, c'est ce qu'on nous laisse entendre. Elle finira suicidée, donc, socialement, « punie ». Et non « victime ». Alors que c'en est bien une, de victime, « Mathilde ». Ce message là aussi il est reçu : les jeunes filles trop brillantes et trop curieuses, trop avides de vouloir « vivre leur vie », comme la chèvre de Monsieur Seguin, seront « punies ».
Qui les punit ? Les vieux messieurs bien-sûr. La société également.
Difficile de ne pas refaire ce lien en entendant Judith Godrèche, en lisant Isild Le Besco ou Vahina Giocante. Difficile aussi de ne pas repenser à Adèle Haenel et à son quasi-slam/manifeste chez Mediapart…
Ces histoires, nous sommes des milliers je pense à les avoir vécues, avec des inconnus, en étant inconnues, dans ma génération. Celle des femmes qui ont aujourd'hui cinquante ans.
A quelques exceptions, elles se ressemblent toutes, ces histoires, elles ressemblent au désastre, elles ressemblent à une mort, elles laissent le goût du sang.
On met longtemps à s'en relever (s'en relève-t-on d'ailleurs vraiment tout à fait ?).
Comment une mignonne petite chèvre se fait piéger par un vieux loup dégueulasse qui se sert de son talent, de son expérience, de sa maturité, de sa position… mais qui se sert surtout de son iridescence à elle, de son désir de vivre, de son envie de liberté, de sa curiosité pour la vie, bref, des désirs romantiques de son âge (on n'est évidemment pas sérieuse quand on a entre 14 et 17 ans), qui se sert aussi souvent, de ce décalage fréquent entre des appétits intellectuels et une maturité affective, pour s'immiscer, séduire, détourner.
On ne disait pas « détournement de mineure » pour rien, c'est parce-que précisément, pendant cette minorité-là, ces trois ans d'immense vulnérabilité, il y a, dans notre société, un piège quotidien, où il suffit à un malin d'un peu d'expérience et d'une bonne dose de saloperie pour juste, tranquillement, te détourner, comme on détourne un cours d'eau avec quelques cailloux posés au bon endroit.
Ce serait presque une métaphore que tant de détournements aient eu lieu à la faveur de tournages. On tourne, on détourne, « ça tourne » et à la fin la tête vous tourne, vous êtes perdue, vous ne savez plus où vous habitez, qui vous êtes, ni dans quelle vie vous évoluez mais en tout cas, ce n'est plus « votre vie ». Avec ces réalisateurs qui sont d'abord là, on l'a bien compris ça y est, pour réaliser, rendre réels, leurs fantasmes dégoûtants, finalement. Le cinéma ne mérite pas cela, mais le cinéma est aussi un moment de duplicité, un monde de vérité renversée, inversée.
Si nombreuses à avoir commis cette erreur fatale de vouloir découvrir la belle montagne, avec nos petits sabots, nos petites cornes luisantes ! Ah comme c'est agréable de ne plus avoir cette corde autour du cou, de pouvoir folâtrer dans le thym et le serpolet, au milieu des trèfles mauves…
C'est très facile de jeter la pierre aux parents. Bien-sûr, parfois, on se dit, « ouhla, ils sont fous eux ». Mais pour les parents qui ont essayé, à l'époque, de protéger leurs enfants, comme Monsieur Seguin avec sa chèvre ? Que pouvaient-ils faire ? Leur passer une chaîne au pied ? Retour au couvent ? Vous croyez que les prédateurs ne savent pas à qui ils s'attaquent ? Ne voient pas très vite, d'abord, la situation de vulnérabilité ? Tiens, ses parents ne sont pas sur le tournage. Tiens, personne ne me demande de comptes. Tiens, la mère est seule à devoir trimer pour élever ses enfants avec un père aux abonnés absents. Tiens la mère est déjà elle-même massacrée par le patriarcat et fait trois tentatives de suicide par an (la mère de la Mathilde de Noces Blanches…) …
Quelle aide leur apportait-on à ces parents à l'époque ? Si la mère était « célibataire », elle risquait d'abord surtout de sérieux ennuis car voyons, tout le monde le sait, « chez les gens bien » ce « genre de choses » ça n'arrive pas, clamait « la bonne société ».
C'est un gros mensonge bien-sûr. C'est juste que les idées dominantes sont les idées de la classe dominante et que « les vieux messieurs » qui raptent les jeunes filles, qui les « séduisent » comme on disait parfois pudiquement, c'est très chic à Saint-Germain-des-Près (ça fait des livres) et dégueulasse chez les ouvriers de Tourcoing. Mais je vous garantis que depuis toujours il y en a partout, dans toutes les couches de la société.
A elles, si elles avaient plus de quinze ans, on venait leur expliquer qu'elles étaient « consentantes » (c'est, je pense, le sens profond du titre du livre de Vanessa Springora. C'est cela, que l'on nous disait : tu étais consentante). Mais consentante pourquoi ? Pour « tomber amoureuse » ? Peut-être. Mais qu'est-ce-que cela signifie à cet âge ? On a brodé sur le « désir » de la Messaline, de la très jeune fille « déjà très ‘en demande' pour son âge ». Mais en demande de quoi ? Certainement pas de pratiques sexuelles, encore moins de pratiques sexuelles violentes, bestiales, dégradantes. Certainement pas d'humiliation, de « correction », de « punition », d'« exhibition »… avec ces « vieux messieurs ».
Ce dont on rêvait à seize ans, c'était de grands espaces, de rencontres, de découvertes, bref, du monde. Alors c'est vrai, cela aussi, cela arrivait. Évidemment, il y a des « portes qui s'ouvrent » et elles ne sont pas tous les jours, toutes, celles de l'armoire de Barbe Bleue. C'est aussi comme cela que l'on se fait piéger et que rapidement, on ne trouve plus « la clef »…
Évidemment on n'est pas « la maîtresse » (sic) la proie d'un homme de vingt-cinq ou trente ans votre aîné à cet âge sans en retirer un « supplément » de « connaissances ». Cela fait « partie du jeu » : on se retrouve remplie à son corps défendant, d'une vie qui n'est pas la nôtre mais la sienne et on « apprend ». Mais Pygmalion, et on le comprend trop tard, c'est d'abord et surtout un « pig* ».
Cela vous laisse d'ailleurs particulièrement abattue, amoindrie, honteuse, vous vous sentez particulièrement bête et stupide quand rétrospectivement vous comprenez, vous « ouvrez les yeux » (comme la Belle au bois dormant). Mais comment, comment a-t-on pu ne pas voir, ne pas comprendre ? On se sent encore plus comme « une chèvre », voire, comme « une dinde ». On se sent punie et donc, on se sent en faute. Car rien de tel qu'une bonne punition pour vous faire sentir coupable.
Au mieux, on parlait de « malentendu » : « Ah c'est un malentendu, elle voulait de l'amour, il voulait du sexe » ! Pardon, je n'appelle pas cela un « malentendu ». La vérité c'est « il voulait du sexe, il voulait de la domination et elle ne le savait pas ».
Il n'y a aucun consentement possible dans une telle situation. Ce n'est pas un malentendu : c'est une arnaque, c'est un piège, c'est un rapt, c'est un détournement, c'est un enlèvement. Ce qu'elle comprend, ce qu'elle peut comprendre, ce qu'elle croit, on s'en fout ou plutôt, fort bien, qu'elle continue à le croire, « le vieux monsieur » a un tout autre objectif.
La vie que vous auriez du avoir si vous n'aviez pas croisé le chemin de ce « vieux monsieur », vous ne la connaîtrez jamais. Vous ne saurez jamais, quelle aurait du être votre vie « sans cela » si au lieu d'une vieille langue avinée et déjà tannée par le vice, c'est celle d'un jeune garçon (n'idéalisons pas, pas forcément plus gentil, mais certainement moins pervers et moins vicieux en tout cas, nécessairement moins expérimenté) que vous aviez connue. Quelle aurait été votre vie sans cette collision frontale qui en une fraction de seconde a fait durablement dévier votre existence de son axe, de sa course, souvent pour un long moment ?
Votre existence est un puzzle à trous, il manque des pièces que vous ne retrouverez jamais.
Ce type d'histoire n'est pour moi qu'une énième façon de punir les femmes, à tous les âges de notre vie, de vouloir devenir des êtres, des êtres libres, des égales. Un épisode de l'éternelle guerre contre les femmes. Rencontrer un Jacquot ou un Monsieur X comparable, c'est la plupart du temps d'abord te faire casser en mille morceaux, à tous points de vue, physiquement, mentalement, sexuellement, psychologiquement… C'est d'abord une punition.
* un cochon, in english.
Elodie Tuaillon-Hibon, Avocate au Barreau de Paris
https://blogs.mediapart.fr/elodie-tuaillonhibon/blog/080224/m-seguin-ou-comment-de-toutes-jeunes-filles-sont-punies-de-vouloir-vivre
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Faut le dire si on vous oestrogêne ! Les tabous féminins

Sans chichi, les tabous auxquels les femmes doivent faire face :
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/02/14/faut-le-dire-si-on-vous-oestrogene-les-tabous-feminins/
Sans chichi, les tabous auxquels les femmes doivent faire face :
Le tabou des règles, et son lot de tabous subsidiaires : le tabou de la tache de sang, des odeurs, du bruit de la protection périodique déballée, de la visibilité des protections périodiques sous les vêtements
Le tabou du Syndrome Pré-Menstruel (SPM) : toutes les joyeusetés avant les règles que vous devez cacher
Le tabou de l'ovulation : c'est déjà une période de vulnérabilité lorsque ce n'est ni le moment ni l'homme choisi pour faire des enfants. Mais quand le président désigne les femmes comme des cibles en garantissant l'impunité aux hommes, et qu'en même temps il veut réarmer la France d'une jeunesse forte, mieux vaut planquer vos ovules féconds. En temps de guerre, le viol des femmes, en espérant qu'elles soient fécondes, est une arme, notamment pour éradiquer la descendance de l'ennemi et la faire sienne.
Le tabou de l'infertilité : toujours plus prégnant sur les femmes et qui les oblige à de nombreux rendez-vous médicaux, prises hormonales et leurs effets, à cacher à tout le monde
Le tabou des 3 premiers mois de grossesse, au cas où… ;
Le tabou des interruptions de grossesse (dont on rappelle que, si certaines sont spontanées, aucune n'est volontaire, celles dites volontaires sont toujours le résultat d'un problème de contraception ou de relation sexuelle au mieux concédée à l'aide de la pression sociale mais jamais consentie) ;
Le tabou des effets négatifs des grossesses et accouchements sur le corps et le psychisme des femmes : post-partum, dyspareunies, fuites urinaires, relâchement musculaire, prise de poids, dépression,mortalité maternelle (augmentation des décès maternelsde 17% en Europe entre 2016 et 2020) ;
Le tabou de l'allaitement et ses effets ;
Le tabou des maladies spécifiquement féminines (cancer des seins, des ovaires, du col de l'utérus, PPV, SOPK, fibrome, etc) ;
Le tabou des chirurgies des parties féminines pour tenter d'atténuer leurs problèmes : hystérectomie, ovariectomie, masectomie ;
Le tabou des sécheresses vaginales et dyspareunies (non, le vagin n'est pas un espace vide, c'est un espace fermé, pour une bonne raison) ;
Le tabou de la ménopause (pré,péri à postménopause) ;
Le tabou des fuites urinaires ;
Le tabou des violences sexistes, des violences intrafamiliales et des violences sexuelles ;
Le tabou des mutilations sexuelles (qui prouvent que ça fait bien longtemps que les hommes ont compris le rôle du clitoris dans l'orgasme féminin, n'en déplaise à Freud et au patriarcat) ;
Le tabou des relations sexuelles insatisfaisantes des femmes et de leur difficulté d'accès à l'orgasme dans les relations hétéro ;
Le tabou des poils, du gras, des rides, des cheveux blancs, des seins (trop gros, trop petits, trop tombants, mais pourtant toujours suffisamment tentants pour qu'on soit obligées de les cacher), etc.
Y'a un moment dans notre vie où on ne vous oestrogène pas ?
Vous comprenez pourquoi on commence timidement à parler de l'éventualité de concéder un pauv' congé menstruel pour règles affreusement incapacitantes Pour mieux occulter l'ensemble de ces pénibilités du quotidien et du travail, qui vont bien au-delà des seules règles incapacitantes prévues dans les 3 propositions de loi « Congés menstruels » PS et Écologistes.
Si ça ce n'est pas du cumul de pénibilités, qu'est-ce qu'il vous faut de plus ?
Je mets au défi n'importe quel homme de mener sa vie professionnelle et personnelle en supportant l'ensemble de ces tabous et leurs effets.
Le tout en situation de dissonance cognitive et d'injonctions contradictoires permanentes, qui sont des facteurs majeurs de risques psycho-sociaux (RPS) :
Une forte sexualisation du corps des femmes : les femmes ne peuvent pas montrer un bout de téton en public mais les pubs et l'art crasse peuvent exposer et humilier sans vergogne le corps des femmes(Rapport Le Sexisme dans la publicité de RAP)
Une exposition du corps des femmes bourrée d'injonctions à la beauté, au bien-être, au positivisme, et à la performance à l'égal des hommes alors que tout est réuni pour les faire échouer. Un exemple récent : Elisabeth Borne nous enjoint de mériter notre petite place : « Je veux dire à toutes les femmes, tenez bon, l'avenir vous appartient. Il reste du chemin pour que chacun (sic) ait toutes ses chances par son mérite et son talent. »
Et après, on regarde les chiffres genrés des troubles psychiques, dépressions, anxiétés, et, non seulement on s'étonne que les femmes fassent plus d'épuisements mais en prime, on vient les culpabiliser parce qu'elles sont dans un état psychique déplorable : Voyez comme vous coûtez cher et comme vous n'êtes pas assez fortes, c'est normal que vous soyez dominées.
Vous allez me dire, c'est le but, épuiser les femmes par tous les moyens pour entraver leur indépendance et préserver leur dépendance économique, donc sexuelle, au patriarcat.
Vous voulez agir ? Rejoignez le collectif informel du Congé Superflux (congesuperflux at proton.me) pour exiger :
un congé hormonal, menstruel et reproductif tout au long de la vie : c'est une pénibilité au même titre que d'autres pénibilités de métiers masculins bien mieux reconnues et qui, pour certaines, donnent lieu à des congés pénibilité.
Une évaluation des pénibilités et risques que vivent les femmes dans leur quotidien et au travail pour faire face à ces tabous et difficultés (L'article Adapter le travail aux cycles des femmes présente quelques exemples de prises de risques au travail du fait de la vie hormonale).
des mesures de prévention primaire, c'est-à-dire une suppression de l'exposition aux risques et non des mesurettes de prévention secondaire et tertiaire (qui feront l'objet d'un prochain article).
La prévention tertiaire, par exemple, c'est l'injonction à renvoyer les femmes chez le docteur. Merci, on y a pensé. Mais, soit notre état est normal, soit ce n'est pas une maladie, soit les docteurs nous collent la pression pour prendre des hormones. Ou alors, on insiste vraiment et c'est partie pour 7 à 10 ans d'errance médicale. « Errance médicale », ça veut dire en claire, suspicion permanente de la parole des femmes qui aggrave, bien entendu leur état de santé (Article sur Les discriminations de sexe et d'ethnie dans la médecine)
Annabel B – ergonome (https://blogs.mediapart.fr)
Le Courrier de la Marche Mondiale des Femmes contre les Violences et la Pauvreté – N° 427 – 4 février 2024
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Au Sénégal, Macky Sall fossoyeur de la démocratie

Incapable de gagner les prochaines élections, le président sortant tente une énième manœuvre pour s'assurer que l'opposition radicale ne remporte pas le scrutin présidentiel.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière.
Fidèle à la devise des potentats africains : « On n'organise pas une élection pour la perdre », le président de la République Macky Sall a entrepris un véritable coup constitutionnel en repoussant le scrutin à décembre 2024 à quelques heures de l'ouverture électorale officielle.
Le plan A échoue
Après la révision de la Constitution en 2016, le président Sall avait bien tenté de briguer un troisième mandat mais en vain, au vu des oppositions tant à l'intérieur du pays qu'à l'international. Il a donc désigné son dauphin, l'actuel Premier ministre Amadou Ba. Cette décision solitaire a suscité mécontentements et oppositions. Ainsi le camp présidentiel s'est divisé et affaibli avec l'apparition de candidatures dissidentes.
Bien que le président sortant ait préparé le terrain en écartant du jeu électoral son principal concurrent Ousmane Sonko, en dissolvant son parti le PASTEF (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité), en emprisonnant des dizaines d'opposantEs et en muselant la presse libre, la candidature de son protégé ne fait pas recette. Et le candidat Bassirou Diomaye Faye lui-même emprisonné, qui remplace Sonko, a des grandes chances d'emporter le scrutin.
Un véritable cauchemar pour les élites sénégalaises, car le programme du PASTEF vise à rompre les amarres avec l'ancienne puissance coloniale, se traduisant notamment par la sortie du franc CFA, la fermeture de la base militaire française et l'adoption d'une politique indépendante de l'hexagone.
Le plan B s'écroule
Devant une telle situation, bon gré mal gré, Macky Sall se doit d'intégrer dans son plan la candidature de Karim Wade, le fils de l'ancien président. Il a dû s'exiler pendant de longues années à la suite des affaires de corruption. Mais si un temps Sall et Wade s'opposaient, nécessité faisant loi, leur union contre les partisans de Sonko se scelle. Mais coup de théâtre, la presse révèle la double nationalité française et sénégalaise de Wade, entraînant l'annulation de sa candidature par le Conseil constitutionnel. Les députés de son parti contre-attaquent et exigent une commission d'enquête sur des allégations de corruption de deux juges de cette juridiction. Second coup théâtre, les députés du camp présidentiel votent pour. Ainsi, Macky Sall profite de cette situation, que ses partisans ont créée, pour parler de crise institutionnelle et repousser les élections.
Après avoir fait virer les députés de l'opposition par la gendarmerie, la majorité de l'Assemblée nationale valide la nouvelle date du scrutin au 15 décembre et le prolongement présidentiel d'autant. Soit dix mois, un délai suffisamment long pour permettre à Macky Sall de rebattre les cartes afin que les résultats électoraux soient conformes à ses desiderata. Tel un joueur annulant la partie au motif qu'il n'a plus d'atout dans son jeu ! Désormais, tout est possible y compris que la rue renverse la table.
Paul Martial
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Les pays africains les plus endettés face à la Chine

L'Afrique toute entière a vu sa dette multipliée par cinq au cours des vingt dernières années, soit 700 milliards de dollars et les prêteurs chinois représentent 12% de ce total, selon Chatham House, le London Policy Institute.
Tiré de MondAfrique.
Les États-Unis et d'autres pays occidentaux, ont fait pression sur la Chine pour lui demander de jouer le jeu de la restructuration de dettes, c'est-à-dire d'accepter de perdre de l'argent. Mais depuis deux ans, Pékin bloque le système en exigeant que les institutions financières multilatérales (Banque mondiale, FMI) soient intégrées dans les négociations sur la restructuration de la dette.
Cette demande a été rejetée par les autres pays créanciers dans la mesure ou elle bouleverse une règle vieille de plusieurs décennies : les institutions multilatérales sont exemptées de participation aux processus d'allègement de la dette, en raison de leur statut de bailleurs de fonds de dernier recours et des taux d'intérêt très bas qu'elles pratiquent.
Sauf changement d'attitude de Pékin, des millions de personnes qui résident dans des pays vulnérables quitteront la pauvreté pour plonger dans l'extrême pauvreté. Concernant la Zambie, le Sri Lanka et le Ghana, des cotes mal taillées ont été trouvées qui ne permettent pas à ces pays de souffler.
La Zambie a fait défaut en 2020 et tente de restructurer une dette de 8,4 milliards de dollars dont 6 milliards de dollars dus aux prêteurs chinois. La dette totale de la Zambie approche les 20 milliards de dollars. Faute d'accord de restructuration, la Zambie devient un paria sur les marchés financiers internationaux.
Idem pour le Ghana qui a besoin d'un prêt de 3 milliards de dollars du Fonds monétaire international, mais qui ne peut obtenir cet argent tant que Pékin bloque la restructuration d'une dette de 30 milliards de dollars, dont 2 milliards de dollars dus à la Chine. Le ministre ghanéen des Finances, Ken Ofori-Atta, a affirmé que 33 pays africains payaient en intérêts des sommes supérieures aux budgets santé et éducation de chacun de ces pays.
Un assouplissement de l'attitude chinoise sur le cas du Sri Lanka amène les observateurs à généraliser : la Chine va changer d'attitude. Mais en réalité, nul ne sait le niveau de pertes que la Chine a les moyens ou l'envie d'encaisser.
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La Centrafrique va accueillir la première base militaire russe en Afrique

Bien que jusqu'à présent la Russie se soit distinguée en tant que grande puissance militaire sans présence officielle sur le continent africain, cette situation est sur le point d'évoluer radicalement. En effet, Moscou s'apprête à rompre avec cette tradition en rejoignant le cortège des nations extra-africaines qui ont déjà implanté leurs bases sur le sol africain, souvent sans définir clairement leurs objectifs ultimes.
Tiré de Mondafrique
8 février 2024
Par Jocksy Andrew Ondo-Louemba
Un article de notre partenaire The North Africa Journal
Depuis que la Russie a commencé sa guerre contre l'Ukraine, on nous a dit que Moscou se dirigeait vers le désastre. En écho aux points de vue des gouvernements occidentaux, des groupes de réflexion et de leurs analystes, de nombreux médias nous ont dit que la Russie n'aurait pas l'endurance nécessaire pour soutenir une campagne prolongée alors que l'Occident finançait et armait l'Ukraine. Mais si les actions de la Russie en Afrique sont des indicateurs de son niveau actuel d'endurance, Moscou semble plus revigorée que jamais. Ses actions se font sentir partout sur le continent, laissant entendre que sa campagne en Ukraine ne perd pas de son élan, comme certains voudraient nous le faire croire.
La Russie rejoint le club des pays ayant des bases en Afrique
Fait intéressant, la Russie est peut-être la seule grande puissance militaire à ne pas avoir de base militaire en Afrique. Mais cela est sur le point de changer. La Russie va rejoindre une longue liste de pays non africains qui ont déjà établi des bases sur le continent, la plupart sans objectif final clair.
Rien qu'à Djibouti, nous constatons la présence de bases militaires accueillant des troupes des États-Unis, de la France, de la Chine, de l'Allemagne, de l'Espagne, de l'Italie, de la Grande-Bretagne et de la Turquie. Même le Japon a une présence à Djibouti, la seule empreinte étrangère japonaise en dehors du Japon. Ironiquement, ces troupes étrangères à Djibouti, situées exactement là où les Houthis créent toutes sortes de problèmes et perturbent le commerce maritime mondial, semblent être totalement impuissantes à empêcher les attaques des Houthis contre les navires dans le détroit de Bab el-Mandeb. Toute cette puissance de feu et pour quoi ?
Base Saoudienne à Djibouti
Voici une autre découverte amusante : l'Arabie saoudite, qui est située presque en face de Djibouti, a également une base militaire là-bas. Pourtant, la distance entre la région saoudienne d'Abha et Djibouti n'est que d'environ 450 miles. Et pourtant, les Saoudiens ont jugé important de dépenser des sommes énormes pour avoir une base de l'autre côté du détroit. Pour quoi exactement ? Plus stratégique, cependant, les Émirats arabes unis ont également une base opérationnelle avancée à l'aéroport d'Al-Khadim près de Marj en Libye. De là, nous savons que les Émirats arabes unis fournissent un soutien réel au seigneur de guerre libyen de l'est, Khalifa Haftar, dans sa guerre contre son propre peuple.
Le continent avec le plus grand nombre de troupes étrangères
De toute évidence, l'Afrique est le continent avec le plus grand nombre de troupes étrangères, et pourtant il abrite les nations les plus instables du monde. Pourquoi autant de bases ? De toute évidence, leurs missions ne semblent pas se concentrer sur la protection des routes commerciales, comme on nous l'a dit, étant donné ce que nous voyons dans le détroit de Bab el-Mandeb. Est-ce de la fierté nationale ? Une façon de montrer que les nations riches peuvent « projeter » leur influence ? Les mots clés ici sont « projeter l'influence » car comme on dit en marketing, l'image est souvent ce qui importe le plus pour construire une perception. La France avait de nombreuses bases dans le Sahel et nous avons vu comment les choses se sont terminées.
Devrions-nous donc être surpris qu'une autre puissance aussi importante que la Russie, qui travaille sans relâche pour influencer les nations non occidentales alors qu'elle mène des guerres militaires, économiques et diplomatiques avec l'Occident, veuille se joindre à la fête ? Au cours des derniers mois, il y a eu des rumeurs folles selon lesquelles la Russie s'intéressait à la construction d'une base militaire en Afrique, la première du genre. Mais alors que nous entrons dans l'année 2024, ce qui n'était que spéculation devient rapidement une réalité.
La Centrafrique, un pays instable
Une base militaire russe en République centrafricaine (RCA) est désormais plus susceptible de se concrétiser que jamais. Les autorités de Bangui ont même désigné des terrains à Berengo, à environ 80 kilomètres de la capitale Bangui, pour que les Russes y stationnent jusqu'à 10 000 soldats. La nouvelle est très importante, car comme on insiste souvent dans l'immobilier, tout dépend de « l'emplacement, l'emplacement et l'emplacement », et l'emplacement de l'Afrique centrale ne peut pas être plus central. Les troupes russes auront la capacité de surveiller ce qui se passe en Afrique de l'Ouest, à l'est, au nord et au sud à peu près à égale distance entre le nord et le sud et plus rapidement d'est en ouest.
Mais pour la Russie, la République centrafricaine (RCA) ne sera pas une promenade de santé. Le pays est parmi les nations les plus instables du monde. C'est mortel, avec des groupes politiques, régionaux et ethniques utilisant la force et la violence pour régler des comptes et des différends. Alors que la Russie voudrait utiliser la base de Bangui pour soutenir ses opérations à travers l'Afrique et même au-delà, elle devra d'abord faire face à la situation explosive et à l'instabilité totale en RCA.
Bangui le meilleur choix pour Moscou
Premièrement, pourquoi la RCA ? Le président de la RCA, Faustin-Archange Touadera, est un fervent partisan de la Russie. Sa sécurité personnelle est assurée par des officiers du groupe Wagner. Les Russes ont été critiqués dans la protection de Touadera. Il a même déclaré en juillet 2023 que « la Russie avait aidé à sauver la démocratie de la RCA et à éviter une guerre civile ». Outre le fait que la Russie ait pu facilement convaincre Touadera de stationner ses troupes là-bas, la situation géographique de la RCA en fait un emplacement idéal pour une base avec une ambition continentale. La distance entre Bangui et Johannesburg est de moins de 2 200 miles. La distance géographique (route aérienne) entre Bangui et Tripoli en Libye est d'environ 2 000 miles. La distance entre Bangui et Djibouti à l'est est de 1 757 miles. Partout, c'est encore plus proche. Ainsi, l'armée russe aura un accès rapide aux points chauds de l'Afrique et de la péninsule arabique, étant donné que les avions de chasse supersoniques peuvent voler à plus de 1 000 miles par heure. Faites le calcul !
Une base chez Bokassa
Cela fait des mois que la création d'une base militaire russe en RCA a été annoncée par diverses sources médiatiques. Le média russe Sputnik a récemment révélé que les autorités centrafricaines ont réservé un site dédié à la Russie près de Bangui. Barengo, le futur site de la base russe, est là où se trouve un aéroport international, mais le site dispose déjà d'un ensemble de casernes qui pourraient être transformées en partie de la base. C'est aussi à Berengo que se trouvait la cour de l'éphémère Empire Centrafricain crée par Jean Bedel Bokassa dit Bokassa 1er. En plus du groupe Wagner, la Russie compte environ 1 900 instructeurs en RCA, aidant l'armée et d'autres services de sécurité et protégeant le président.
Plaidant en faveur de l'accord, les autorités centrafricaines affirment que cette base bénéficiera à l'armée centrafricaine, qui devrait recevoir une formation supplémentaire de la part des instructeurs russes. En plus de la formation militaire, les autorités de Bangui comptent sur les soldats russes pour des tâches de sécurité étendues telles que « renforcer la sécurité territoriale », une expression qui signifie probablement que les soldats russes sont impliqués dans les conflits internes. Pour un pays confronté à des rébellions armées partout, les Russes devraient aider le gouvernement centrafricain à survivre et à reprendre une partie du territoire perdu aux divers groupes insurgés.
Accords militaro-sécuritaires avec l'Afrique
Outre la RCA, la forte présence de forces étrangères d'Amérique du Nord et d'Europe et de plus en plus d'Asie et même de nations du Golfe en Afrique, a incité la Russie à conclure des accords militaires et des accords de coopération sécuritaire avec de nombreux pays africains, tout en soulignant la nécessité d'établir des bases militaires sur le continent. Selon un rapport du ministère allemand des Affaires étrangères, Moscou souhaite avoir six bases militaires sur le continent, ciblant l'Égypte, l'Érythrée, Madagascar, la République centrafricaine, le Soudan et la Libye. Jusqu'à présent, la présence russe sur le continent s'est faite par le biais du groupe de mercenaires Wagner opérant en République centrafricaine, au Mali, au Soudan et en Libye.
Difficultés en perspectives
Mais à quoi la Russie est-elle confrontée en RCA ? Le nombre croissant de groupes rebelles armés en RCA a intensifié leurs attaques sur le territoire centrafricain et continue de menacer le rétablissement d'une vie politique normale dans ce pays. Des affrontements avec les forces gouvernementales ou des milices affiliées sont susceptibles d'augmenter dans les mois à venir.
Un aperçu de ces groupes rebelles nous permet de mieux évaluer les forces actives dans l'insurrection.
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En Égypte, la militarisation croissante de la justice et du maintien de l’ordre

Une nouvelle loi, promulguée début février, étend les compétences des tribunaux militaires aux “atteintes aux besoins fondamentaux” en matière alimentaire, et confère à l'armée une partie des tâches jusqu'alors réservées à la police. Le régime veut ainsi prendre les devants pour parer au risque d'une explosion sociale, estiment les médias indépendants ou étrangers.
Tiré de Courrier international.
La promulgation d'une “nouvelle loi pour la protection des infrastructures publiques” a été annoncée le 8 février par tous les journaux égyptiens, à l'instar du quotidien Al-Shorouk, qui en précise les contours.
Elle va renforcer le rôle de l'armée dans le maintien de l'ordre, et étendre la compétence des tribunaux militaires à de nouveaux domaines, purement civils.
“Mafias du marché noir”
Au nom de la sécurité nationale, c'est donc l'armée qui assurera “la sécurisation et la protection” des “infrastructures vitales” du pays, avec une liste non exhaustive allant des champs de pétrole aux “grands réseaux routiers”. Autre volet de cette loi : ce sont les tribunaux miliaires qui traiteront “les atteintes aux besoins fondamentaux de la société en matière de biens et de produits alimentaires”.
Désormais, “l'épée de la loi plane sur les mafias du marché noir”, titre le quotidien égyptien Al-Yom Al-Sabee, qui vante “les mesures sages” du gouvernement pour lutter contre les “manipulations des prix” par des malfaiteurs. Selon le journal, la nouvelle législation permettra d'alléger les difficultés économiques de la population.
C'est bien la crise économique qui explique l'adoption de cette loi, estime de son côté le journal panarabe financé par les États-Unis Al-Hurra. Pourtant, ce n'est pas pour venir en aide à la population, mais pour se prémunir contre d'éventuelles révoltes populaires que le régime en a pris l'initiative.
Un outil pour réprimer toute contestation
“L'Égypte fait face à l'une des pires crises économiques de son histoire, avec une inflation annuelle qui a atteint un niveau record de 35,2 % ”, explique le journal. Ce qui fait craindre que “les gens ne descendent dans la rue pour protester contre les hausses de prix. Le gouvernement veut pouvoir recourir aux forces armées pour y faire face.”
“Selon des milieux politiques, le recours croissant à l'armée montre que le régime a le sentiment que la colère économique pourrait être exploitée par des forces ennemies”, écrit le quotidien panarabe Al-Arab.
Le site égyptien indépendant Mada Masr dénonce pour sa part la tendance récurrente à la “militarisation de l'État”, rappelant notamment une réforme constitutionnelle de 2019 qui donne à l'armée le rôle de garant de l'ordre constitutionnel.
Il s'agit d'une “extension sans précédent de la possibilité de traduire des civils devant la justice militaire”, avec un champ d'application défini dans des termes délibérément vagues, estime encore Mada Masr.
Cette réforme est “la plus dangereuse” de toutes les réformes constitutionnelles et légales ayant conféré à l'armée des pouvoirs civils, estime un “vice-président de la Cour d'appel”, cité anonymement par Mada Masr. “Elle donne au président ou à celui qu'il mandatera la possibilité de dire ce qu'il veut pour définir un crime” et d'en dicter la peine, au détriment de la justice ordinaire.
Courrier international
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Au Chili, la terrible répression des indigènes en lutte contre l’industrie forestière

Au Chili, la terrible répression des indigènes en lutte contre l'industrie forestière
Dans une prison du sud du Chili, 4 militants politiques mapuches en lutte contre l'industrie forestière mènent depuis 3 mois une grève de la faim. Voilà longtemps que l'État criminalise les revendications de ce peuple indigène.
9 février 2024 | tiré de reporoterre.net
https://reporterre.net/Au-Chili-la-terrible-repression-des-indigenes-en-lutte-contre-l-industrie-forestiere
Concepción (Chili), reportage
Autour d'une petite table ronde, un maté circule de main en main. Les traits sont tirés et les regards graves, mais l'atmosphère, chaleureuse, aide à oublier un instant le vacarme des poids lourds. Ils vont et viennent le long de la route qui borde le centre pénitentiaire de Concepción, dans le sud du Chili. Face à la prison, sous la passerelle de béton qui enjambe l'autoroute, les familles de quatre prisonniers mapuches ont installé un modeste campement.
Pamela Pezoas, les yeux rougis par l'épuisement et l'angoisse, a attendu toute la journée du 2 février des nouvelles de son fils. Ernesto, 28 ans, a été hospitalisé en urgence le matin même, à la suite d'une décompensation cardiaque. Lui et trois de ses camarades ont été condamnés le 16 novembre 2023 à quinze ans de réclusion pour le sabotage de camions de l'industrie forestière.
Cette industrie est omniprésente sur les terres revendiquées de haute lutte par les Mapuches, première population indigène du Chili qui compte 1,7 million de personnes. Pour protester contre ce qu'ils considèrent être un jugement politique, les quatre détenus ont engagé une grève de la faim, qui dure depuis 12 semaines, déterminés à résister « jusqu'aux ultimes conséquences ».

Le centre pénitentiaire de Concepción, dans le sud du Chili. © Cristóbal Olivares / Reporterre
« Populisme pénal »
Josefa Ainardi, l'avocate des militants, l'affirme : les quatre Mapuches ont été condamnés pour leur appartenance à la Coordinación Arauco-Malleco (CAM). Ce groupe politique nationaliste mapuche organise depuis la fin des années 1990 des opérations de sabotage contre les intérêts des multinationales du bois. Selon les termes mêmes de la sentence, en l'absence de preuve formelle, la justice les a condamnés pour avoir incendié ces camions en se fondant sur un « faisceau d'indices », dont le fait d'appartenir à la CAM.
L'avocate considère que pour alourdir la peine, le délit « d'homicide frustré » (une tentative d'homicide non aboutie) a été ajouté à la condamnation. Elle dénonce cette pratique récurrente de la justice chilienne consistant « à condamner sans preuve et souvent sans crime ». Contacté, le ministère de la Justice n'a pas répondu à nos sollicitations.

En 2014, le Chili a été condamné par la Cour interaméricaine des droits de l'Homme pour avoir violé un certain nombre de droits fondamentaux lors des procédures judiciaires à l'encontre de prévenus mapuches, notamment via la mobilisation d'un arsenal juridique antiterroriste.
Pour Pablo Barnier, docteur associé au Ceri (Sciences Po), spécialiste du droit à l'autodétermination au Chili, les gouvernements de gauche comme de droite prennent « des mesures exceptionnelles pour répondre à des actes avant tout politiques ». Il est bien question, selon lui, « d'une criminalisation et d'une judiciarisation dangereuse » de la lutte pour l'autonomie des Mapuches.
Josefa Ainardi, l'avocate des militants, dénonce de son côté un « populisme pénal », qui témoigne de la criminalisation des revendications indigènes par l'État. Pour elle, « c'est une vision du monde divergente que l'on condamne avant tout ». La défense a déposé un recours devant la Cour suprême pour faire annuler le verdict au motif de l'absence de preuves. Le résultat du recours sera rendu le 9 février.
Terres ancestrales
Sur les murs de béton qui bordent le campement, des doigts errants ont peint les visages des jeunes hommes emprisonnés, les cheveux noués du bandeau traditionnel des combattants mapuches. Pamela balaie la fresque du regard : « En tant que mère, c'est douloureux. Je souhaiterais qu'il existe d'autres voies que la grève de la faim pour résoudre le problème des droits de notre peuple. » Pour s'opposer à ce qu'elle considère comme une « nouvelle colonisation » par l'industrie forestière, Pamela invoque un droit collectif à se défendre, prôné par la CAM, à travers la méthode dite du « contrôle territorial ».
Cette stratégie consiste à récupérer les terres ancestrales des Mapuches dont les titres de propriété ont été spoliés par les puissants acteurs du bois — notamment pendant la dictature de Pinochet. La population autochtone était alors exsangue depuis la conquête au XIXᵉ siècle du sud du pays par la toute nouvelle République chilienne. Ce sont plus de 3 millions d'hectares qui auraient été usurpés dans la région de l'Araucanie, dont plus 2,3 millions appartiennent aujourd'hui à l'industrie du bois. En 2019, ce sont 45,3 millions de m3 qui ont été coupés au Chili pour un secteur qui représente selon les années entre 2 et 3 % du PIB du pays.

La mère d'Esteban montre son fils, faible et attaché à son lit d'hopîtal. © Cristóbal Olivares / Reporterre
Une fois récupérées, par le sabotage, notamment, des moyens de production de l'industrie forestière, par les militants de la CAM aux latifundistes — les grands propriétaires —, les terres sont redistribuées à la communauté, ensemencées et travaillées pour vivre en autonomie. Pour Pamela, la recomposition du tissu politique et social mapuche passe par le travail de cette terre ancestrale.
Pour Pamela, les communautés Mapuche reconstituent une organisation traditionnelle de la société grâce à ce retour à leur terre ancestrale dont ils avaient été expropriés. Celle-ci a été éreintée et asséchée par les monocultures d'eucalyptus et de pin, extrêmement gourmandes en eau et polluantes. Au Chili, l'industrie forestière consomme en moyenne 59 % des ressources en eau du pays.
Dans les territoires où vivent les Mapuches, les populations sont très souvent contraintes de se faire livrer l'eau potable par camion-citerne. Par ailleurs, en remplaçant les espèces sylvestres endémiques et indigènes par la monoculture, la production de bois participe à la destruction de la biodiversité, réduisant à peau de chagrin la possibilité pour les Mapuches de récolter les plantes essentielles à leurs cérémonies.
Aspirations autonomes
Cette aspiration à l'autonomie des Mapuches, écologiste et radicalement anticapitaliste, entre en contradiction avec les intérêts de l'agro-industrie et « trouve sur son chemin la puissance de l'État », regrette Pamela.
Le 1ᵉʳ février, le président de la République, Gabriel Boric, a annoncé l'envoi de troupes supplémentaires dans les régions du sud pour soutenir des effectifs militaires toujours plus nombreux. Le territoire est soumis à l'état d'urgence depuis mai 2022, après la multiplication de coupures de routes attribuées à la CAM. Ces mesures sécuritaires viennent renforcer la nouvelle loi relative à l'usurpation des terres de novembre 2023, qui allonge les peines de prison pour l'occupation illégale et vise les communautés mapuches, de l'avis même des députés qui l'ont rédigée.
Fresia Narin, guérisseuse, travaille à tisser un lien entre médecine occidentale et ancestrale. © Cristóbal Olivares / Reporterre
Pamela Pezoas, lasse, décrit les humiliations quotidiennes de la militarisation du Wallmapu, le nom du territoire ancestral mapuche : « Le survol à basse altitude des hélicoptères de combat, les blindés qui patrouillent dans nos champs pour protéger les industriels du bois et les soldats qui se permettent des fouilles intempestives de nos maisons. »
Herbes médicinales
À 3 km de la prison se dressent les bâtiments délavés de l'hôpital de Concepción. Fresia Narin, guérisseuse, reçoit vêtue de sa blouse traditionnelle aux motifs bleu nuit. Depuis 2011, elle travaille à tisser un lien entre médecine occidentale et ancestrale. Elle est ce jour-là toute dévouée à veiller au chevet d'Ernesto, qui a rejoint son codétenu Esteban, hospitalisé quelques jours plus tôt à la suite de l'aggravation de son état de santé.
Ils sont surveillés jour et nuit par des policiers, pieds et poing liés, leur fenêtre barrée d'une grille au cas où l'envie leur prendrait de s'échapper. Fresia a convaincu les gardes de la laisser adresser aux quatre prisonniers des prières pour les accompagner dans leur lutte contre la mort.

Graffiti en soutien aux prisonniers politiques. Quatre Mapuches ont été condamnés en novembre 2023 à quinze ans de réclusion pour le sabotage de camions. © Cristóbal Olivares / Reporterre
L'administration pénitentiaire a jusque-là refusé que soit mis en place entre ses murs un espace réservé aux Mapuches, au sein duquel peuvent être organisées des cérémonies religieuses. Les familles sont interdites de visite lorsqu'elles sont vêtues des tenues d'apparat ou lorsqu'elles apportent le « lawen », une boisson à base d'herbes médicinales dont les propriétés allègent les contraintes du jeûne.
Ces vexations discriminantes entrent en porte-à-faux avec la convention 169 de l'Organisation internationale du travail (OIT) ratifiée en 2008 par le Chili et qui reconnaît des droits propres aux détenus membres des communautés indigènes.
Pour l'avocate Josefa Ainardi, la grève de la faim est l'ultime recours pour contraindre l'administration à respecter les engagements internationaux du Chili : « La situation est ubuesque, ils sont condamnés pour être Mapuches, avant qu'on leur retire cette qualité une fois en prison. »
Une veillée s'organise dans le campement sous le pont. C'est ici, parmi les mères et les compagnes des prisonniers, que se décide la suite de la mobilisation, à la lumière crue des lampadaires et des gyrophares qui zèbrent la nuit et illuminent le béton. Une nouvelle nuit de peu de sommeil se dessine.
Pamela, convaincue que les autorités peuvent mettre un terme à tout moment au supplice de son fils, laisse échapper un vœu : « Puisse cette nuit être la dernière ici. »

Nicaragua : La révolution confisquée

Révolution nicaraguayenne Sandinistes / FSLN (Nicaragua) ORTEGA Daniel Contre-révolution
La « révolution sandiniste » est le nom de la décennie révolutionnaire qui s'est déroulée au Nicaragua, à la suite du renversement de la dictature de Somoza par le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) en juillet 1979.
8 février 2024 | tiré d'Europe solidaire sans frontièresNPA (Commission Amérique latine)
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article69765
Cette révolution a permis des campagnes massives d'alphabétisation, des avancées dans les domaines de la culture et de la santé, les réformes agraires (malgré leurs contradictions) et le formidable élan démocratique qui a traversé le pays (dans la pluralité politique).
Mais la guerre « civile », ouvertement financée par les États-Unis, la dégradation de la situation économique (elle aussi largement orchestrée par les USA) ainsi que des contradictions internes à la révolution (centralisme du FSLN, pas de débat de congrès en dix ans, le nombre de morts d'appelés au service militaire) ont eu raison du souffle révolutionnaire. Et les sandinistes ont été défaits aux élections de 1990.
Retour au pouvoir de Daniel Ortega
Quatorze années plus tard, l'ancien dirigeant sandiniste Daniel Ortega a remporté les élections. Mais il ne se réclame plus de la révolution qu'à des fins de propagande. C'est dans un climat de concentration extrême du pouvoir que le Nicaragua a connu une véritable insurrection civique en 2018. Le déclencheur en a été une contre-réforme des retraites imposée par le FMI : la répression qui s'est abattue sur les retraitéEs qui manifestaient a entraîné une réponse immédiate des étudiantEs. Eux-mêmes répriméEs. C'est alors toute la société qui s'est mobilisée.
Bien au-delà de la question des retraites, la contestation s'est attaquée à la corruption et au pouvoir absolu du couple présidentiel. La population exigeait le départ d'Ortega et la restauration de l'État de droit.
Répression et combat contre la dérive dictatoriale
Au prix de plusieurs centaines de morts, de milliers d'arrestations et de centaines de milliers d'exiléEs, le pouvoir a obtenu une apparence de retour à l'ordre. Et il s'est employé, depuis l'automne 2018, à renforcer son pouvoir coercitif et à annihiler toute forme d'opposition.
Actuellement, il n'existe plus de journaux ni de médias indépendants. La prison ou l'exil sont les seuls choix proposés par la dictature d'Ortega. La prison « el Chipote », tristement célèbre sous Somoza, n'a jamais cessé d'emprisonner et de torturer. La population est surveillée par des paramilitaires. Les fonctionnaires sont obligéEs de participer aux manifestations de soutien au régime sous peine de perdre leur emploi. Ortega n'est en rien l'héritier de la révolution sandiniste : il en est le fossoyeur. Pour faire chuter la dictature, l'opposition en exil essaie de se reconstruire (y compris avec les dirigeantEs sandinistes ayant refusé la dérive dictatoriale) et en renouant les liens entre les opposantEs restés dans le pays.
Commission Amérique latine du NPA

Haïti : La nécessité de la lutte organisée

Depuis plus trois semaines, les classes populaires se mobilisent contre l'ordre de la terreur instauré dans le pays depuis 16 novembre 2018. Au cours de la journée du 7 février de cette année, des centaines de milliers de personnes ont investi les rues de plusieurs villes du pays pour demander le départ du Premier ministre de facto Ariel Henry. Cette date est emblématique parce qu'elle marque le trente-huitième anniversaire de la chute de la dictature des Duvalier.
Rappelons que la lutte pour renverser la dictature visait également à changer l'État haïtien qui, pendant plus de 200 ans, reproduit la misère, l'exclusion et l'oppression. Un État qui, depuis 1915, est totalement assujetti aux seuls intérêts de l'impérialisme étatsunien. C'est cet État, aujourd'hui en pleine décomposition, qui s'est transformé en un État-voyou, dirigé par un régime dont l'appui aux gangs criminalisés n'est plus à démontrer. Cet État, malgré sa déliquescence, est maintenu en vie grâce au soutien inconditionnel de l'impérialisme étatsunien et de l'oligarchie.
Cet État-voyou est donc nécessaire à la continuation de la domination et au pillage des ressources du pays. C'est pourquoi la répression est essentielle pour que l'impérialisme étatsunien et l'oligarchie puissent continuer à préserver leurs intérêts. Et c'est dans ce sens que l'on doit comprendre le rôle joué par les gangs aujourd'hui.
Les classes populaires sont conscientes que la montée en puissance de ces gangs criminels fédérés est objectivement liée aux intérêts de l'oligarchie et de l'impérialisme. En facilitant et finançant le développement des gangs dans les principaux centres urbains du pays, les oligarques et le gouvernement de facto souhaitent neutraliser toutes mobilisations contre la misère, l'absence de services publics, de santé, d'éducation, etc.
De jour en jour, la répression par le truchement des gangs atteint de nouveaux sommets. Pour l'année 2023, plus de 8000 personnes sont assassinées ou kidnappés. À l'aire métropolitaine de Port-au-Prince, suite aux attaques des gangs, au moins 100 000 personnes sont contraintes de fuir leur maison. Au mois de janvier 2024 uniquement, plus de 1800 personnes sont assassinées dont la moitié sont des enfants (Selon l'UNICEF).
Aujourd'hui, une évidence s'impose à nous : le gouvernement de facto restera au pouvoir aussi longtemps que ses tuteurs étrangers et de l'oligarchie lui intimeront l'ordre d'y rester. Une autre réalité nous semble également évidente : les propositions soumises par des groupes de la société civile de trouver « une solution haïtienne pacifique » à la crise ont atteint les limites objectives qui étaient inscrites dans la démarche de ces groupes dès le début. L'impérialisme n'entend négocier avec personne et n'entend faire aucun compromis touchant sa domination et ses intérêts. Et, il est important de le répéter : la forme de la domination impériale aujourd'hui exclut toutes formes de démocratie représentative formelle, d'institutions d'un État souverain et démocratique. Pour l'impérialisme, la domination doit être totale.
Mais pour qu'elle soit totale, cette domination doit s'appuyer sur une violence totale. Voilà pourquoi il est impératif que les classes populaires s'organisent pour construire une résistance totale face à cette violence. Le temps des manifestations spontanées de masse uniquement nous semble révolu.
Aujourd'hui, le temps est à la construction de la lutte organisée à court, à moyen et à long termes !
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« Pour vaincre l’extrême droite, nous avons besoin d’une gauche plus radicale ! » Alvaro Garcia Linera

Entrevue avec Alvaro Garcia Linera, ex-vice-président de la Bolivie, par Tamara Ospina Posse pour Jacobin Amérique latine.
12 février 2024 | tiré d'Alter-Québec | Photo : Álvaro García Linera, ex-vice-président bolivien, Buenos Aires, 2020. crédit photo Ariel Feldman.
https://alter.quebec/pour-vaincre-lextreme-droite-nous-avons-besoin-dune-gauche-plus-radicale/
A la suite de son voyage en Colombie pour inaugurer le cycle de réflexion « Imaginer l'avenir depuis le Sud », organisé par le ministère de la Culture de Colombie et dirigé par la philosophe Luciana Cadahia, l'ancien vice-président bolivien Álvaro García Linera a commenté le paysage politique et social que traverse l'Amérique latine en ce « temps liminal » ou interrègne que nous devrons traverser au cours des 10 ou 15 prochaines années, jusqu'à la consolidation d'un nouvel ordre mondial. 1.
Il est clair que cette obscurité instable est le moment propice à l'entrée en scène des droites ultra-droitières les plus monstrueuses qui, dans une certaine mesure, sont la conséquence des limites du progressisme. Dans cette nouvelle étape, Linera soutient que le progressisme doit miser sur une plus grande audace pour, d'une part, répondre avec responsabilité historique aux demandes profondes qui se trouvent à la base de l'adhésion populaire, et d'autre part, neutraliser les chants de sirène des nouvelles droites. Cela implique de progresser dans des réformes profondes concernant la propriété, les impôts, la justice sociale, la distribution de la richesse et la récupération des ressources communes au profit de la société. Ce n'est qu'ainsi, en commençant par résoudre les demandes économiques les plus fondamentales de la société et en avançant vers une démocratisation réelle, que l'on pourra confiner à nouveau les ultradroites dans leurs niches, soutient Linera.
Tamara Ospina Posse – TOP : Dans la région, le XXIe siècle a commencé avec une vague de gouvernements progressistes qui ont réorienté le cours de l'Amérique latine, mais cette dynamique a commencé à s'enliser après la victoire de Mauricio Macri en Argentine en 2015, ce qui a conduit beaucoup à prédire la fin du progressisme régional. Ainsi, une vague de gouvernements conservateurs a commencé, mais, à contre-courant, dans des pays comme le Brésil, le Honduras ou la Bolivie, le progressisme est revenu. Et dans d'autres pays, comme le Mexique et la Colombie, il a réussi à accéder au pouvoir pour la première fois. Comment lisez-vous cette tension actuelle entre les gouvernements populaires ou progressistes et d'autres conservateurs ou oligarchiques ?
Alvaro Garcia Linera – AGL : Ce qui caractérise l'époque historique qui va de 10 ou 15 ans en arrière jusqu'aux 10 ou 15 prochaines années est le déclin lent, angoissant et contradictoire d'un modèle d'organisation de l'économie et de légitimation du capitalisme contemporain, ainsi que l'absence d'un nouveau modèle solide et stable qui reprenne la croissance économique, la stabilité économique et la légitimation politique. C'est une longue période, nous parlons de 20 ou 30 ans, à l'intérieur de laquelle réside ce que nous avons appelé « temps liminal » — ce que Gramsci appelait « interrègne » — où se succèdent des vagues et des contre-vagues de multiples tentatives pour résoudre cette impasse. L'Amérique latine — et maintenant le monde, car l'Amérique latine a devancé ce qui s'est ensuite produit partout — a vécu une vague progressiste intense et profonde, qui n'a pas réussi à se consolider, suivie d'une contre-vague régressive conservatrice et ensuite d'une nouvelle vague progressiste. Nous verrons probablement encore au cours des 5 ou 10 prochaines années ces vagues et contre-vagues de victoires courtes et de défaites courtes, de courtes hégémonies, jusqu'à ce que le monde redéfinisse le nouveau modèle d'accumulation et de légitimation qui lui redonnera au monde et à l'Amérique latine un cycle de stabilité pour les 30 années suivantes. Tant que cela n'arrivera pas, nous assisterons à cette tourmente propre au temps liminal. Et, comme je le disais, on assiste à des vagues progressistes, à leur épuisement, à des contre-réformes conservatrices qui échouent également, à une nouvelle vague progressiste… Et chaque contre-réforme et chaque vague progressiste est différente de l'autre. Milei est différent de Macri, bien qu'il en reprenne une partie. Alberto Fernández, Gustavo Petro et Andrés Manuel López Obrador sont différents des référents de la première vague, bien qu'ils en reprennent une partie de l'héritage. Et je pense que nous continuerons à assister à une troisième vague et à une troisième contre-vague jusqu'à ce que, à un moment donné, l'ordre du monde se définisse, car cette instabilité et cette angoisse ne peuvent être perpétuelles. Au fond, comme cela s'est passé dans les années 30 et 80 du XXe siècle, ce que nous voyons est le déclin cyclique d'un régime d'accumulation économique (libéral entre 1870 et 1920, capitalisme d'État entre 1940 et 1980, néolibéral entre 1980 et 2010), le chaos que génère ce déclin historique, et la lutte pour instaurer un nouveau et durable modèle d'accumulation-domination qui reprenne la croissance économique et l'adhésion sociale.
TOP : Nous pouvons observer que la droite recommence à mettre en œuvre des pratiques que nous pensions dépassées, y compris les coups d'État, la persécution politique et les tentatives d'assassinat… Vous-même avez même été victime d'un coup d'État. Comment pensez-vous que ces pratiques continueront à évoluer ? Et comment pouvons-nous y résister à partir des projets populaires ?
AGL : Une caractéristique du temps liminal, de l'interrègne, est la divergence des élites politiques. Lorsque les choses vont bien — comme jusqu'aux années 2000 —, les élites convergent autour d'un seul modèle d'accumulation et de légitimation et tout le monde devient centriste. Les gauches elles-mêmes s'atténuent et se néolibéralisent, bien qu'il y ait toujours une gauche radicale, mais marginale, sans audience. Les droites se disputent aussi entre elles, mais seulement pour des remplacements et des ajustements circonstanciels. Lorsque tout cela entre dans son déclin historique inévitable, les divergences commencent et les droites se scindent en droites extrêmes. L'extrême droite commence à dévorer la droite modérée. Et les gauches les plus radicalisées sortent de leur marginalité et de leur insignifiance politique, commencent à acquérir de la résonance et de l'audience, à croître. Dans l'interrègne, la divergence des projets politiques est la norme, car il y a des recherches, des dissidences les unes des autres, pour résoudre la crise de l'ancien ordre, au milieu d'une société mécontente, qui ne fait plus confiance, qui ne croit plus aux anciens « dieux », aux anciennes recettes, aux anciennes propositions qui ont garanti la tolérance morale envers les gouvernants. Et donc, les extrêmes commencent à se renforcer.
C'est ce que nous verrons avec les droites. La droite centriste, qui a gouverné le continent et le monde pendant 30 ou 40 ans, n'a plus de réponses aux échecs économiques évidents du libéralisme mondial et, face aux doutes et aux angoisses des gens, une extrême droite émerge qui continue de défendre le capital, mais qui pense que les bonnes manières de l'ancien temps ne suffisent plus et qu'il faut maintenant imposer les règles du marché par la force. Cela implique de domestiquer les gens, si nécessaire à coups de bâton, pour revenir à un libre marché pur et magique, sans concessions ni ambiguïtés, car — selon eux — c'est cela qui a causé l'échec. Alors, cette extrême droite tend à se consolider et à gagner plus d'adeptes en parlant d'« autorité », de « choc de libre marché » et de « réduction de l'État ». Et s'il y a des soulèvements sociaux, il convient d'utiliser la force et la coercition, et si nécessaire le coup d'État ou le massacre, pour discipliner les dissidents qui s'opposent à ce retour moral aux « bonnes mœurs » de l'entreprise libre et de la vie civilisée : avec les femmes qui cuisinent, les hommes qui commandent, les patrons qui décident et les ouvriers qui travaillent en silence. Un autre symptôme du déclin libéral se manifeste lorsque l'on ne peut plus convaincre ni séduire et que l'on doit imposer ; ce qui signifie qu'ils sont déjà dans leur crépuscule. Mais cela ne les rend pas moins dangereux, en raison de la radicalité autoritaire de leurs impositions.
Face à cela, le progressisme et les gauches ne peuvent pas adopter une attitude condescendante, en essayant de contenter toutes les factions et tous les secteurs sociaux. Les gauches sortent de leur marginalité dans le temps liminal parce qu'elles se présentent comme une alternative populaire au désastre économique causé par le néolibéralisme entrepreneurial ; et leur fonction ne peut pas être de mettre en œuvre un néolibéralisme avec un « visage humain », « vert » ou « progressiste ». Les gens ne descendent pas dans la rue et ne votent pas pour la gauche pour décorer le néolibéralisme. Ils se mobilisent et changent radicalement leurs anciennes adhésions politiques parce qu'ils en ont marre de ce néolibéralisme, parce qu'ils veulent s'en débarrasser, car il n'a enrichi que quelques familles et quelques entreprises. Et si la gauche ne répond pas à cela, et coexiste avec un régime qui appauvrit le peuple, il est inévitable que les gens tournent radicalement leurs préférences politiques vers des issues d'extrême droite qui offrent une sortie (illusoire) au grand malaise collectif. Les gauches, si elles veulent se consolider, doivent répondre aux demandes pour lesquelles elles sont apparues et, si elles veulent vraiment vaincre les extrêmes droites, elles doivent résoudre de manière structurelle la pauvreté de la société, l'inégalité, la précarité des services, l'éducation, la santé et le logement. Et pour pouvoir réaliser cela matériellement, elles doivent être radicales dans leurs réformes sur la propriété, les impôts, la justice sociale, la distribution de la richesse, la récupération des ressources communes au profit de la société. S'arrêter à cette œuvre va alimenter la loi des crises sociales : toute attitude modérée face à la gravité de la crise encourage et alimente les extrêmes. Si les droites font cela, elles alimentent les gauches, si les gauches le font, elles alimentent les extrêmes droites.
Ainsi, la manière de vaincre les extrêmes droites, en les réduisant à un ghetto — qui continuera d'exister, mais sans irradiation sociale — réside dans l'expansion des réformes économiques et politiques qui se traduisent par des améliorations matérielles visibles et soutenues dans les conditions de vie des grandes majorités populaires de la société ; dans une plus grande démocratisation des décisions, dans une plus grande démocratisation de la richesse et de la propriété, de sorte que la contention des extrêmes droites ne soit pas simplement un discours, mais qu'elle soit appuyée par toute une série d'actions pratiques de distribution de la richesse qui résolvent les principales angoisses et demandes populaires (pauvreté, inflation, précarité, insécurité, injustice, etc.). Car, il ne faut pas oublier, que les extrêmes droites sont une réponse, pervertie, à ces angoisses. Plus vous distribuez la richesse, certes plus vous affectez les privilèges des puissants, mais eux vont devenir une minorité autour de la défense acharnée de leurs privilèges, tandis que les gauches se consolideront comme celles qui se préoccupent et résolvent les besoins de base du peuple. Mais, plus ces gauches ou progressismes se comportent de manière peureuse, timorée et ambiguë dans la résolution des principaux problèmes de la société, plus les droites extrêmes vont croître et le progressisme restera isolé dans l'impuissance de la déception. Ainsi, en ces temps, les extrêmes droites sont vaincues par plus de démocratie et par une plus grande distribution de la richesse ; pas par la modération ni par la conciliation.
TOP : Y a-t-il des éléments nouveaux dans les nouvelles droites ? Est-il correct de les appeler fascistes ou devrions-nous les nommer autrement ? Les droites mettent-elles en place un laboratoire post-démocratique pour le continent (y compris les États-Unis)
AGL : Sans aucun doute, la démocratie libérale, en tant que simple remplacement des élites qui décident pour le peuple, tend inévitablement vers des formes autoritaires. Si, à certains moments, elle a pu produire des fruits de démocratisation sociale, c'était grâce à l'impulsion d'autres formes démocratiques populaires qui se sont déployées simultanément — la forme syndicale, la forme communautaire agraire, la forme populaire de la foule urbaine. Ce sont ces actions collectives multiples et multiformes de démocratie qui ont donné à la démocratie libérale une irradiation universaliste. Cela a pu se produire, car elle était toujours dépassée et poussée de l'avant. Mais si on laisse la démocratie libérale telle quelle, en tant que simple sélection des gouvernants, elle tend inévitablement vers la concentration des décisions, vers sa conversion en ce que Schumpeter appelait la démocratie comme simple élection compétitive de ceux qui vont décider de la société, ce qui est une forme autoritaire de concentration des décisions. Et, ce monopole décisionnel par des moyens autoritaires et, le cas échéant, au-dessus même du propre processus de sélection des élites, c'est ce qui caractérise les extrêmes droites. C'est pourquoi il n'y a pas d'antagonisme entre les extrêmes droites et la démocratie libérale. Il y a collusion de fond. Les extrêmes droites peuvent coexister avec ce type de démocratisation simplement élitiste qui alimente la démocratie libérale. C'est pourquoi il n'est pas rare qu'elles arrivent au pouvoir par le biais d'élections. Mais ce que la démocratie libérale tolère marginalement et à contrecœur, et que les extrêmes droites rejettent ouvertement, ce sont d'autres formes de démocratisation, qui ont à voir avec les présences de démocraties de bas en haut (syndicats, communautés agraires, assemblées de quartier, actions collectives…). Ils s'y opposent, les rejettent et les considèrent comme un obstacle. En ce sens, les extrêmes droites actuelles sont antidémocratiques. Ils acceptent seulement d'être élus pour gouverner, mais ils rejettent d'autres formes de participation et de démocratisation de la richesse, ce qui leur semble une insulte, un affront ou un absurde qui doit être combattu avec la force de l'ordre et de la discipline coercitive.
Maintenant, est-ce du fascisme ? Difficile à décider. Il y a tout un débat académique et politique sur quel nom cela prendra et s'il vaut la peine d'évoquer les terribles actions du fascisme des années 30 et 40. Sur le plan académique, ces digressions valent peut-être la peine, mais elles ont très peu d'effet politique. En Amérique latine, les personnes de plus de 60 ans peuvent avoir des souvenirs des dictatures militaires fascistes et la définition peut avoir un effet sur elles, mais pour les nouvelles générations, parler de fascisme ne signifie pas grand-chose. Je ne m'oppose pas à ce débat, mais je ne vois pas qu'il est si utile. En fin de compte, l'adhésion ou le rejet social des positions des extrêmes droites ne viendra pas du côté des anciens symboles et images qu'ils évoquent, mais de l'efficacité à répondre aux angoisses sociales actuelles que les gauches sont impuissantes à résoudre. Peut-être que la meilleure façon de qualifier ces extrêmes droites, au-delà de l'étiquette, est de comprendre à quel type de demande elles répondent, ce qui bien sûr, sont des demandes différentes de celles des années 30 et 40, bien qu'avec certaines similitudes en raison de la crise économique dans les deux périodes. Personnellement, je préfère parler d'extrêmes droites ou de droites autoritaires ; mais si quelqu'un utilise le concept de fascisme, je ne m'y oppose pas, bien que cela ne m'enthousiasme pas non plus beaucoup.
Le problème peut survenir si, dès le départ, elles sont qualifiées de fascistes et si on met de côté la question de savoir à quel type de demande collective elles répondent ou face à quel type d'échec elles émergent. C'est pourquoi, avant d'étiqueter et d'avoir des réponses sans questions, il vaut mieux se demander quelles sont les conditions sociales de leur émergence, quel type de solutions elles proposent et, sur ces réponses, on peut alors choisir le qualificatif approprié : fasciste, néo-fasciste, autoritaire… Par exemple, est-il juste de dire que Milei est fasciste ? Peut-être, mais il faut d'abord se demander pourquoi il a gagné, avec le vote de qui, en répondant à quelles sortes d'angoisses. C'est ce qui est important. Et aussi se demander ce que vous avez fait pour que cela arrive.
Aujourd'hui, il est plus utile de se poser cette question que de lui coller une étiquette facile qui résout le problème du rejet moral, mais qui n'aide pas à comprendre la réalité ni à la transformer. Parce que si vous répondez que Milei a convoqué l'angoisse d'une société appauvrie, alors il est clair que le problème est la pauvreté. Si Milei s'est adressé à une jeunesse qui n'a pas de droits, alors il y a une génération de personnes qui n'ont pas accédé aux droits des années 50, ni des années 60, ni des années 2000. C'est là que se situe le problème que le progressisme et la gauche doivent aborder pour arrêter les extrêmes droites et le fascisme. Il faut identifier les problèmes auxquels les extrêmes droites interpellent la société, car leur croissance est aussi un symptôme de l'échec des gauches et du progressisme. Elles ne surgissent pas de nulle part, mais après que le progressisme n'a pas osé, n'a pas pu, n'a pas voulu, n'a pas vu, n'a pas compris la classe et la jeunesse précaires, n'a pas saisi la signification de la pauvreté et de l'économie au-dessus des droits d'identité. Voilà le noyau du présent. Cela ne signifie pas que l'on ne parle pas d'identité, mais que l'on hiérarchise, en comprenant que le problème fondamental est l'économie, l'inflation, l'argent qui vous échappe des poches. Et il ne faut pas oublier que l'identité elle-même a une dimension de pouvoir économique et politique, qui est-ce qui ancre la subalternité. Dans le cas de la Bolivie, par exemple, l'identité indigène a conquis sa reconnaissance en assumant le pouvoir politique, d'abord, et progressivement, le pouvoir économique au sein de la société. La relation sociale fondamentale du monde moderne est l'argent, aliénée, mais encore relation sociale fondamentale, qui vous échappe, qui dilue toutes vos croyances et loyautés. C'est là le problème à résoudre par les gauches et le progressisme. Je pense que la gauche doit apprendre de ses échecs et qu'elle doit avoir une pédagogie sur elle-même pour ensuite trouver les qualificatifs pour dénoncer ou étiqueter un phénomène politique, comme c'est le cas ici avec l'extrême droite.
TOP : Revenant aux projets populaires, quels sont les principaux défis du progressisme pour surmonter ces crises, ces échecs dont vous parliez ? Est-ce simplement parce qu'ils n'ont pas pu comprendre ou interpréter suffisamment les besoins et les demandes des citoyens que les extrêmes droites les reprennent maintenant ?
AGL : L'argent est aujourd'hui le problème économique et politique élémentaire, fondamental, classique et traditionnel du présent. En temps de crise, c'est l'économie qui commande, point final. Résolvez d'abord ce premier problème et ensuite le reste. Nous sommes dans une période historique où émergent le progressisme et les extrêmes droites, et où le centre droit classique néolibéral, traditionnel et universaliste décline. Pourquoi ? Pour l'économie.
C'est l'économie, qui occupe le centre de commande de la réalité. Le progressisme, les gauches et les propositions qui viennent du côté populaire doivent d'abord résoudre ce problème. Mais la société à laquelle l'ancienne gauche des années 50 et 60, ou le progressisme dans la première vague dans certains pays, a résolu le problème économique est différente de l'actuelle. Les gauches ont toujours travaillé sur le secteur de la classe ouvrière salariée formelle, et aujourd'hui la classe ouvrière informelle est une énigme pour le progressisme.
Le monde de l'informalité regroupé sous le concept d'« économie populaire » est un trou noir pour les gauches qui ne le connaissent pas, ne le comprennent pas et n'ont pas de propositions productives pour lui, à part de simples palliatifs d'assistance. En Amérique latine, ce secteur représente 60 % de la population. Et il ne s'agit pas d'une présence transitoire qui disparaîtra ensuite dans la formalité. Non, l'avenir social sera avec l'informalité, avec ce petit travailleur et travailleuse, petit paysan (ne), petit entrepreneur, salarié informel, traversé par des relations familiales et des liens de loyauté locaux ou régionaux très curieux, subsumé dans des instances où les relations capital-travail ne sont pas aussi transparentes que dans une entreprise formelle. Ce monde existera pour les 50 prochaines années et implique la majorité de la population latino-américaine.
Que dites-vous à ces personnes ? Comment vous souciez-vous de leur vie, de leurs revenus, de leur salaire, de leurs conditions de vie, de leur consommation ? Ces deux sujets sont la clé du progressisme et de la gauche latino-américaine contemporains : résoudre la crise économique en tenant compte de ce secteur informel qui représente la majorité de la population active d'Amérique latine. Que signifie cela ? Avec quels outils le faites-vous ?
Bien sûr, avec des expropriations, des nationalisations, la redistribution de la richesse, l'élargissement des droits, etc. Ce sont des outils, mais l'objectif est d'améliorer les conditions de vie et le tissu productif de ces 80 % de la population, syndiquée et non syndiquée, formelle et informelle, qui constituent la population populaire latino-américaine. Et aussi avec une plus grande participation de la société à la prise de décision. Les gens veulent être entendus, ils veulent participer. Le quatrième sujet est l'environnemental, une justice environnementale avec justice sociale et économique, jamais séparée ni jamais en tête.
Cet Article a été traduit par Deepl et revisé par Mario Gil. Nous remercions à la revue Jacobin — Amérique latine pour la permission de traduire et reproduire cet article.
Politologue, féministe et activiste au sein de Colombia Humana et du Centro de Pensamiento Colombia Humana – CPCH

Des élu(e)s de gauche appellent à soutenir pleinement l’Ukraine à l’occasion du deuxième anniversaire de l’invasion russe

Appel aux élu-e-s, en soutien avec l'Ukraine)
Nous vous écrivons pour vous demander d'envisager de signer l'appel "Les élu(e)s de gauche appellent à soutenir pleinement l'Ukraine à l'occasion du deuxième anniversaire de l'invasion russe"
A l'heure où l'Etat russe prépare une contre-offensive massive contre l'Ukraine et où de puissants secteurs de la droite politique, tant en Europe qu'aux Etats-Unis, font campagne pour réduire le soutien militaire à ce pays en difficulté, nous pensons qu'il est impératif que les partisans de gauche et progressistes de l'Ukraine fassent entendre leur voix.
Veuillez indiquer votre soutien à la déclaration, soit en répondant à cet e-mail, soit en cliquant sur ce lien et en ajoutant votre nom et vos coordonnées à la liste des signataires.
En vous remerciant de votre solidarité avec l'Ukraine, je vous prie d'agréer, Madame, Monsieur, l'expression de mes salutations distinguées,
Signé :
Soren Sondergaard, au nom des députés danois d'Enhedslisten
Stéfanie Prezioso, au nom des élus suisses
Représentant.es élu.es, sympathisant.es de l'Ukraine, destinataires
Chers collègues, chères collègues,
14 février 2024
En tant qu'élu(e)s de gauche actuels et anciens - membres des parlements européen et nationaux, conseillers régionaux et locaux - nous souhaitons nous adresser à nos collègues de la gauche en Europe et dans le monde. Nous vous appelons à vous mobiliser avec nous pour soutenir la résistance militaire et civile du peuple ukrainien. À cet égard, nos fonctions électives nous donnent une opportunité et une responsabilité particulières. Soutenir l'Ukraine, c'est aussi contrer la propagande néfaste de l'extrême droite qui constitue le socle du soutien de Poutine à l'échelle internationale.
Nous approchons du deuxième anniversaire de l'invasion russe de l'Ukraine. Cela signifie que l'Ukraine entre dans sa troisième année de guerre. Beaucoup d'entre nous espéraient que la guerre serait plus courte et que l'Ukraine serait rapidement victorieuse. Il est désormais clair que cette vision était trop optimiste. La Russie s'est retranchée et a construit de solides défenses. Ce qui était une guerre de mouvement en 2022 est devenu en grande partie une guerre de position en 2023.
La guerre ne concerne pas seulement les soldats qui défendent l'Ukraine. Elle concerne aussi les populations civiles qui sont victimes des bombardements russes et des attaques sur les infrastructures, notamment, pour le deuxième hiver, avec l'objectif de détruire les systèmes de chauffage.
La situation dans les zones occupées par la Russie est bien pire. Les Ukrainiens qui refusent de prendre des passeports russes sont victimes de discriminations diverses, comme le refus d'accès aux soins de santé. Ceux qui sont considérés comme les plus incorrigibles sont arrêtés et envoyés en Russie. On estime à environ 4 000 le nombre d'Ukrainiens prisonniers en Russie, sans compter les prisonniers de guerre, et détenus dans de très mauvaises conditions. Il existe également des exemples de déportation d'Ukrainiens en Russie et de leur remplacement par des colons russes - un processus inauguré en Crimée après 2014. Le plus grave est la déportation d'enfants ukrainiens vers la Russie où ils sont "adoptés" et "russifiés".
L'Ukraine a reçu beaucoup d'aide, humanitaire et financière. Une partie de cette aide provient des gouvernements et des ONG. Une partie provient des syndicats, en particulier en Europe. De nombreux syndicats ont pris des positions claires en faveur de l'Ukraine et ont établi des contacts étroits avec les syndicats ukrainiens. L'Ukraine a également reçu une aide militaire des pays de l'OTAN et d'ailleurs. Cette aide est nécessaire et continuera de l'être.
Près de deux ans après l'invasion, la position de la Russie n'a pas bougé d'un pouce. Elle réclame la totalité des territoires qu'elle a "annexés", y compris les parties qu'elle n'a pas réussi à occuper. Rien ne garantit qu'elle n'exigera pas également Kharkiv et Odessa. Et elle continue d'exiger un changement de gouvernement à Kiev. Il n'y a pas de place pour la discussion sur la base de ces exigences. La seule voie vers une paix durable est le retrait inconditionnel des troupes russes. Et l'Ukraine doit pouvoir recevoir les armes nécessaires pour imposer ce retrait.


Fétichisme olympique et folie des grandeurs

Paris. Vendredi, 9 février 2024. Pérégrination rituelle sur les quais de Seine. Discussion avec Jean-Pierre Mathias, ancien professeur de philosophie, bouquiniste depuis trente cinq ans sur le quai Conti. Bouquiniste n'est pas uniquement un métier, un gardien de la tradition médiévale de la boutique permanente dans la rue, c'est une vocation. Pour être un honnête bouquiniste, il faut avoir une culture éclectique, une insatiable curiosité intellectuelle, une prédilection pour la communication et surtout une santé à toute épreuve.
Au bord du fleuve, les éléments s'apaisent ou se déchaînent. L'hiver est toujours rude. Le vent fouette les arbres et les présentoirs. Les bourrasques malmènent les livres. Le printemps apporte les brises consolatrices. L'été attire les flâneurs et les fureteurs.
Le programme sécuritaire des Jeux Olympiques, prévoyant le déplacement des bouquinistes, draine les rumeurs et les contre-rumeurs. Mercredi 31 janvier 2024, réunion à l'Elysée pour examiner des alternatives si la cérémonie d'ouverture devait être empêchée. La Maire de Paris rêvait d'une fiesta nautique avec un million de personnes. La façade de l'Hôtel de Ville exhibe des panneaux promotionnels tapageurs, aberrants, risibles. Les Jeux camelotés comme une foire du trône. Le design et le marketing sans signification imposent leur post-vérité, leur cancel culturel. Sur les boîtes des bouquinistes de nouveaux slogans en langue anglaise, War on culture, Culture kills.
Les bouquinistes des quais de Seine, en attendant, sont ballotés entre fausses promesses et vrais menaces. Les réunions avec les autorités municipales et préfectorales, auxquelles ils se prêtent à contrecœur, exaspèrent la mésentente. Le pouvoir ne démord pas de sa volonté de déloger les bouquinistes coûte que coûte. La rencontre du lundi 15 janvier 2024 s'est soldée par un désaccord total. Vendredi 19 janvier 2024, les bouquinistes décident de saisir le tribunal administratif. Ils demandent le maintien de leurs boîtes ou, en ultime recours, une indemnisation qui compense leur manque à gagner et sauvegarde leur dignité.
Mardi, 6 février 2024. Conseil de Paris. L'intervention du représentant écologiste relève de l'accrobatie rhétorique. « Les écologistes estiment que la Ville devrait accompagner les bouquinistes dans leurs contentieux avec les instances étatiques. Nous pensons qu'il ne faut pas déplacer les boîtes. Nous sommes dans l'incertitude. Y aura-t-il finalement une cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques sur la Seine ? On se retrouverait dans une situation paradoxale si on annule l'événement à la dernière minute après avoir évacué les caisses. Nous trouvons que les questions de sécurité sont un prétexte pour se débarrasser des bouquinistes. La Ville de Paris met trop d'argent dans les Jeux Olympiques. Le financement devrait être intégralement pris en charge par le Comité d'Organisation. Par rapport aux bouquinistes et leur déplacement éventuel, comment on va financer cette opération ? » Comprenne qui pourra le soutien sans soutien. Pour Aristote, la sophistique est une sagesse superficielle, trompeuse. La sophistique élude les questions essentielles. Elle ne s'attache qu'aux effets oratoires. Elle escompte les rentabilités matérielles. Sous apparence de vérité, le mensonge sème ses nocivités.
Les Jeux olympiques bouleversent de fond en combe la vie sociale, économique, culturelle. Les compétitions sont prévues au cœur de la ville, aux abords des monuments historiques, Louvre, Pont de la Concorde, Tour Eiffel, Grand Palais… Circulations bloquées. Accès interdits. Contrôles drastiques. La navigation sur la Seine sera prohibée une semaine avant la cérémonie d'ouverture du 26 juillet 2024 et interrompue pendant les épreuves de nage. Seule la sécurité prime. Les pollutions passent sous silence. La filière céréalière redoute un été catastrophique. Le fret fluvial assure 20% des transports de marchandises. Pendant les moissons, 25 péniches sont chargées de 1 500 tonnes de grains, l'équivalent de 1 250 camions. 4 400 exploitations agricoles d'Île-de-France seront impactées. 800 000 tonnes de céréales risquent la destruction faute d'être acheminées.
Dimanche, 11 février 2024. Inauguration de la salle polyvalente, modulaire, multisports L'Arena de 8 000 places à la Porte de la Chapelle. Gadgets écologiques : récupération des eaux de pluie, toiture végétalisée, sièges en plastique recyclé. En sous-sol, une usine de production de froid permet le rafraîchissement de la salle. La machinerie sert également à chauffer les habitations du quartier. La Maire supplie les parisiens de ne pas fuir la ville. Elle déclare dans un emportement lyrique : « Cette inauguration, c'est un peu le début du commencement de la magie olympique. Paris va être magnifique. Ne partez pas pendant les Jeux. Ce serait une connerie. On va vibrer ensemble ». Tel est le niveau discursif du langage politique en vigueur. Juste avant l'arrivée de l'édile, une manifestation des sans-papiers, Pas de papiers, pas de Jeux Olympiques sur banderole. Un contrat avec la Mairie autorise l'équipementier allemand Adidas d'accoler son nom sur l'édifice pendant cinq ans. Le sport business contamine toute la société. Tout se vend. Tout se marchandise. Tout se privatise. Le patrimoine culturel, les bibliothèques, les musées, les écoles, les squares… Jamais les affaires publiques et capitalistes n'avaient fait aussi bon ménage. La Porte de la Chapelle demeure un lieu de détresse. Sous le pont traversant le boulevard Ney vivotent sans logis et toxicomanes. Un slogan tagué sur le mur rappelle : La Chapelle, porte de l'enfer. Des réfugiés ignorés par les institutions meurent de faim, de froid. Des crackers se livrent à des trafics misérables. Violences du dénuement. Les migrants affamés, épuisés, malades sont érythréens, irakiens, afghans, maliens pour la plupart. Certains sont marocains.
La folie des grandeurs bute sur la faisabilité. La jauge de spectateurs est d'ores et déjà rabaissée de 600 000 à 300 000 par le ministère de l'Intérieur. 100 000 personnes ont payé leur place sur les quais bas pour assister au spectacle fluvial, jusqu'à 2 700 pour les mieux placées. L'interrogation lancinante, la vulnérabilité des athlètes embarqués sur une centaine de bateaux face à une éventuelle attaque terroriste, revient obsessionnellement dans chaque tour de table. La gouvernance technocratique ne comprend toujours pas l'incompatibilité de la fête et de la sécurité. Les principaux dirigeants du Comité olympique sont dans le collimateur de la justice. Le Président de Paris 2024 et trois collaborateurs sont visés par des enquêtes judiciaires pour favoritisme, infractions financières, prises illégales d'intérêts, irrégularités relatives aux marchés publics, recels. Les procédures pénales s'accumulent.
Je ressors une vieille note. La folie des grandeurs est la maladie commune de tous les tyrans, à quelqu'échelle qu'ils sévissent, du despotisme municipal au césarisme mondial. L'autocrate se place d'emblée au-dessus des lois pour imposer sa seule et unique volonté. Le monde n'existe que parce qu'il s'en proclame le maître. Il accapare tous les pouvoirs. il persécute les détenteurs du savoir. Il traite ses alliés comme des corsaires, ses amis comme des adversaires. Et quand il est gavé d'omnipotence, il dégorge ses déboires sur ses derniers serviteurs, creuse sa propre tombe et, par avance, édifie un mausolée à sa gloire
Mustapha Saha
Sociologue
LUTTE DES BOUQUINISTES PARISIENS. ÉPILOGUE.
Mardi, 13 février 2024. Coup de théâtre. J'apprends l'annulation du déplacement des bouquinistes par la présidence. Une dépêche de l'AFP annonce la décision élyséenne : « Constatant qu'aucune solution consensuelle et rassurante n'a pu être identifiée avec ces acteurs, le président de la République a demandé au ministre de l'Intérieur et au préfet de police de Paris que l'ensemble des bouquinistes soient préservés, et qu'aucun d'entre eux ne soit contraint d'être déplacé ».
La presse étrangère se réjouit du rétropédalage du pouvoir. Des médias européens, américains, asiatiques ont réalisé des reportages sur place tout au long des sept mois de lutte. Le soir du simulacre du test de démontage, des télévisions japonaise et sud-coréenne étaient présentes. Le journal bavarois Süddeutsche Zeitung écrit « Bonne nouvelle. A la surprise générale, le président français décide le maintien des boîtes de bouquinistes, authentiques monuments culturels, sur leurs parapets. L'art et la manière de gagner des points de popularité à bon compte. L'opinion publique est largement acquise aux bouquinistes. Une pétition de soutien a réuni 184 000 signatures. Des voix nombreuses se sont indignées contre la liquidation de l'âme de la Seine ».
La résistance a payé. Dès juillet 2023, nous nous sommes mobilisés, avec Elisabeth, pour les bouquinistes des quais de Seine. J'ai publié une douzaine de chroniques. Je prépare un livre sur cette question sous le titre Les Bouquinistes parisiens, Ad vitam aeternam.
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Élections européennes. La place de Giorgia Meloni et de Fratelli d’Italia dans le processus de renforcement et recomposition des droites extrêmes au sein de l’UE

La crise de la démocratie se manifeste également par le malaise avec lequel les classes dirigeantes vivent les campagnes électorales. Et une aversion similaire transparaît dans les commentaires des journalistes des grands médias.
15 février 2024 | tiré du site alencontre.org | Photo : Giorgia Meloni aux côtés d'Ursula von der Leyen, Emmanuel Macron, Olaf Scholz, Viktor Orban, Charles Michel, Bruxelles, 1er février 2024.
En effet, parce que les campagnes électorales se succèdent, les scrutins politiques nationaux, puis régionaux, administratifs pour les municipalités, et maintenant les élections européennes début juin. Au cours des campagnes électorales, les forces politiques, gouvernement et opposition, droite, centre et centre-gauche, au lieu de se préoccuper de la gestion néolibérale de l'économie – de plus en plus anti-populaire et impopulaire –, sont amenées à faire des promesses électoralistes en direction du corps électoral (augmentation des retraites, baisse des impôts, financement des services publics, etc. ). Or, ces promesses, le plus souvent, ne sont pas tenues, et, lorsqu'elles le sont à la marge, enlèvent quelques ressources qui pourraient favoriser les profits des banques et des multinationales. Paradoxalement, elles font percevoir à l'électorat qu'une autre politique serait possible.
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En Italie, le vote pour le Parlement européen a toujours été considéré comme un moment mineur dans l'affrontement politique, tant en raison des pouvoirs très limités de cette assemblée que parce que la gestion complexe de l'UE a toujours été confiée à la Commission européenne, qui a toujours dépendu de l'accord entre les deux principaux groupes parlementaires, ceux du PPE (Parti populaire européen) et du PSE (Parti socialiste européen).
Cependant, la situation géopolitique internationale chaotique, le regain d'importance des « grandes puissances » (Etats-Unis, Chine et Russie) – et les tensions qui en découlent –, face auxquelles les pays de l'UE font figure de micro-puissances, et l'émergence de nouveaux regroupements transnationaux (tels que les BRICS) formatent un contexte qui redonne de l'importance au « sujet continental » créé dans l'après-guerre et désormais fondé sur le Traité de Lisbonne de 2007.
Ces dernières années, l'Union européenne, avec l'adoption du traité de Maastricht – et, plus encore, après que les référendums de 2005 en France et aux Pays-Bas ont rejeté la « Constitution européenne » – a été de plus en plus dans la ligne de mire des forces politiques « souverainistes ». En Italie, elles sont représentées par le Mouvement 5 étoiles (« ni droite ni gauche ») et surtout par l'ultra-droite de la Lega de Matteo Salvini et des Fratelli d'Italia (FdI) de Giorgia Meloni.
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Ainsi, dès le début [22 octobre 2022], le gouvernement Meloni a dû composer avec une politique qui, sans renier les polémiques rudes et démagogiques du passé, ferait jouer à la nouvelle Première ministre un rôle important et actif au sein des instances européennes. Cela dans le but déclaré d'user et de briser la domination jusqu'ici incontestée des démocrates-chrétiens, des socio-libéraux et des libéraux.
L'exploit est plutôt réussi pour Giorgia Meloni. Elle a pu présenter sa participation aux sommets de Bruxelles (et plus généralement aux sommets internationaux tels que le G7, le G8 et le G20) comme une présence influente et efficace dans la protection des « intérêts nationaux » au sein des institutions internationales.
Mais l'intérêt sans précédent des post-fascistes pour les institutions de l'UE découle avant tout de leur espoir fondé de pouvoir obtenir, lors des élections de juin 2024, des résultats qui modifieront de manière significative l'image et la politique de l'UE.
La droite, et en particulier ses franges les plus extrêmes, progresse dans presque tous les pays. Dans plusieurs Etats membres de l'UE, on peut anticiper une progression significative du nombre de députés européens partageant cette orientation politique. On sait que les listes d'extrême droite ont déjà connu une croissance significative, dont on s'attend qu'elle soit confirmée et peut-être consolidée lors des élections de juin : en France (avec le Rassemblement national de Marine Le Pen, sans compter Reconquête de Marion Maréchal et Eric Zemmour), en Allemagne (avec les néonazis de l'AfD), aux Pays-Bas (avec le PVV-Parti pour la liberté de Geert Wilders), en Autriche (avec le FPÖ-Parti de la liberté), en Suède (avec les « Démocrates »), en Belgique (avec le Vlaams Belang flamand). En Espagne, l'absence d'enjeu gouvernemental – à la différence des élections de juillet 2023 – pourrait permettre à Vox de récupérer une part significative de l'électorat qui avait voté pour le Partido Popular (PP). Au Portugal, une hausse de Chega n'est pas à sous-estimer.
Sans oublier le Hongrois Viktor Orban, dont le parti Fidesz a annoncé qu'il rejoindrait le groupe de Giorgia Meloni au prochain Parlement européen. A cela s'ajoute la taille du PiS polonais, qui a toujours été membre du groupe actuellement présidée par Meloni (Conservateurs et réformistes européens-CRE, à la tête duquel se trouvait aussi Nicola Procaccini) et qui, bien qu'ayant perdu le gouvernement national à l'automne dernier, continue d'hégémoniser plus d'un tiers du corps électoral.
Selon les sondages, les populistes « anti-UE » devraient arriver en tête dans neuf pays (Autriche, Belgique, République tchèque, France, Hongrie, Italie, Pays-Bas, Pologne et Slovaquie) et en deuxième ou troisième position dans neuf autres (Bulgarie, Estonie, Finlande, Allemagne, Lettonie, Portugal, Roumanie, Espagne et Suède).
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En Italie, le parti Fratelli d'Italia (FdI) n'a recueilli « que » 6,4% des voix aux dernières élections de 2019, élisant cinq députés. Actuellement, les sondages le créditent d'environ 30%, ce qui équivaut à 25-26 sièges. Bien sûr, il faut avoir à l'esprit qu'en parallèle l'autre parti d'extrême droite – allié mais en concurrence sourde avec Fratelli d'Italia –, la Lega de Matteo Salvini, passerait de 34,2% en 2019 (28 député·e·s) à un résultat probablement inférieur à 10% (donc 7-8 élu·e·s).
Mais il ne s'agirait pas seulement d'un déplacement de voix et de sièges parlementaires au sein du champ de l'extrême droite. Le projet de Giorgia Meloni et de son groupe CRE est beaucoup plus articulé et ambitieux que celui de Matteo Salvini et du groupe Identité et démocratie (ID) auquel il se rattache (dans lequel on retrouve, entre autres, l'AfD, le RN et le Vlaams Belang).
Le groupe ID auquel appartient la Lega (son nom le dit déjà) a toujours adopté une ligne politique identitaire et souverainiste en Italie et en Europe, une opposition « pure » mais semi-impuissante face au système. Certes, cette approche a été payante lors du dernier tour des élections européennes en 2019, mais ce résultat important n'a en rien affecté la structure de l'UE.
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Aujourd'hui, Giorgia Meloni a explicitement exprimé sa volonté d'influencer l'orientation de l'Union avec son résultat positif prévisible. Au cours de ces 16 mois de présidence du Conseil des ministres (mais elle avait déjà commencé plus tôt), elle s'est efforcée de tisser des alliances qui lui faciliteront la tâche.
Elle se targue d'avoir noué une « amitié politique » avec la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, et avec la présidente maltaise du Parlement, Roberta Metsola. Ses rencontres répétées avec Manfred Weber, le chrétien-démocrate bavarois et chef du groupe PPE à Strasbourg, sont connues.
Et surtout, elle espère profiter des retombées du glissement général vers des positions plus extrêmes du pôle traditionnel de droite, d'une droite qui a d'ailleurs largement contribué ces dernières années à « normaliser » l'extrême droite dans un échange mutuel, mettant définitivement de côté, comme un inutile vestige d'un passé désormais archivé, le « discriminant antifasciste ».
En Espagne, le PP s'est présenté lors des dernières élections de juillet comme disponible pour construire une majorité avec les néo-franquistes de Vox. En France, le parti néo-gaulliste des Républicains adopte de plus en plus le programme du RN et Macron lui-même, avec ses gouvernements, a adopté un langage raciste et islamophobe emprunté à celui de Marine Le Pen. Et la CDU (Christlich Demokratische Union) allemande, pivot du PPE, a commencé à faire des ouvertures significatives, bien que pour l'instant marginales, vers l'AfD.
Mais surtout en Italie, où l'alliance entre les « populaires » italiens, organisés dans le parti Forza Italia, et les post-fascistes alors de Gianfranco Fini et maintenant de Giorgia Meloni a été conclue il y a déjà trente ans et s'est consolidée au fil des décennies. Elle est passée de la domination incontestée du « libéral » Silvio Berlusconi à la suprématie des néo-fascistes.
Au sein des institutions européennes, l'extrême droite a jusqu'à présent été reléguée à un rôle sans importance. Dans la Commission dirigée par Ursula von der Leyen à partir de 2019, sur 27 membres, il n'y a que le Polonais Janusz Wojciechowski (PiS), commissaire à l'Agriculture, issu du groupe CRE.
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L'hypothèse d'un poids croissant de l'extrême droite dans les institutions européennes et l'appétit de pouvoir d'une extrême droite tenue à l'écart de la « salle de contrôle » depuis des décennies ont conduit à des scénarios inédits.
L'un des handicaps qui a pesé et pèse encore sur l'extrême droite est son organisation en deux « familles politiques », celles de l'ID et de CRE. Ainsi, il semble qu'un dialogue se soit ouvert entre les deux dirigeantes du RN français et de Fratelli d'Italia, Marine Le Pen et Giorgia Meloni, jusqu'alors intégrées dans deux groupes parlementaires différents et antagonistes.
La Première ministre italienne, dans sa dernière conférence de presse début janvier, avait saisi « une évolution intéressante » au sein du Rassemblement national, gratifiant Marine Le Pen de déclarations flatteuses et affichant l'objectif, d'une part, de la détacher des représentants néonazis allemands de l'Afd et, d'autre part, de l'impliquer dans le dialogue avec le PPE. Dans le même temps, la leader de la droite française avait salué les « signes de dialogue » de la première ministre italienne.
Jean-Paul Garraud, chef de groupe des parlementaires du Rassemblement national à Strasbourg, avait été très explicite dans un entretien accordé à un journal italien de référence (Il Foglio) et avait déclaré qu'« entre Giorgia et Marine il y a une similitude que l'on ne peut pas ne pas remarquer, ce sont deux dirigeantes qui parfois se sont inspirées l'une de l'autre », soulignant que la séparation actuelle de la droite européenne en deux groupes, celui de l'ID et celui de CRE, n'est pas fonctionnelle à « leur projet pour l'Europe ». Il a affirmé : « Personnellement, je n'exclus pas le fait qu'il pourrait y avoir demain des recompositions avec de nouveaux partis ou même de nouveaux groupes, portant un nouveau nom, si les chiffres nous donnent raison », tout en espérant « l'avènement d'un mouvement souverainiste européen ».
Il n'est pas simple d'interpréter le choix de Nicolas Bay, seul eurodéputé de Reconquête ! – le parti d'extrême droite français dirigé par Eric Zemmour – de rejoindre il y a quelques jours le groupe CRE dirigé par Giorgia Meloni. La décision a été communiquée à la presse par Marion Maréchal, prochaine cheffe de file de Reconquête ! aux élections européennes. Marion Maréchal a présenté ce choix en l'inscrivant dans la perspective de la création d'une « grande coalition de droite en France, sur le modèle de la coalition italienne », sans se prononcer sur l'hypothèse d'un rapprochement entre sa tante Marine et la dirigeante de Fratelli d'Italia.
Bien entendu, il est tout à fait improbable que ce rapprochement se concrétise avant le vote de juin. Les obstacles sont trop nombreux. Zemmour lui-même, qui pourrait ne pas vouloir adhérer à un projet qui, au moins en ce qui concerne la France, serait complètement hégémonisé par les amis/antagonistes du RN. Et, plus encore, Matteo Salvini qui, depuis quelque temps, s'engage de plus en plus à prendre ses distances avec la « conversion pro-européenne » de Giorgia Meloni et à se présenter comme le seul véritable représentant du « souverainisme italien ».
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Un autre obstacle est l'incapacité politique et « culturelle » de Giorgia Meloni à se dissocier des fréquentes remarques néofascistes des membres de son parti ou, plus généralement, de l'extrême droite.
L'épisode embarrassant qui s'est produit à Rome le 7 janvier, lorsqu'un millier de néofascistes (venus également d'autres pays européens) ont organisé une commémoration grotesque d'un événement sanglant qui s'est produit il y a 46 ans [la mort de trois militants d'extrême droite ; l'organisation fasciste CasaPound organise chaque année ce rassemblement], a fait grand bruit. La vidéo éloquente de cette manifestation inquiétante a rapidement fait le tour du monde, recueillant les commentaires plus ou moins sincèrement scandalisés de nombreuses personnalités politiques, y compris des représentants de divers partis de centre-droit et de droite.
Dans les jours qui ont suivi, Giorgia Meloni a choisi de ne pas s'exprimer. En effet, il n'y a pas si longtemps, elle et ses collaborateurs ont également participé à ces célébrations le bras tendu. Ces quelque mille néofascistes sont représentatifs d'un « noyau dur » beaucoup plus large de nostalgiques du régime de Mussolini qui constitue un secteur non négligeable de l'électorat melonien. Surtout, ceux-ci peuvent être utiles s'il s'agit de raviver le combat social et politique aujourd'hui passablement endormi en Italie. En outre, on peut rappeler que la Première ministre a grandi dans un environnement marqué non seulement par la nostalgie mussolinienne mais aussi par l'« anti-antifascisme », c'est-à-dire l'aversion pour une culture et pour toute initiative politique marquée par l'antifascisme.
Dès lors, pour ne déplaire à personne, ni aux potentats européens plus ou moins hypocritement encore conditionnés par l'antifascisme, ni à sa base militante, Giorgia Meloni a choisi de se taire, sachant bien que les réactions suscitées par l'épisode s'éteindraient au bout de quelques semaines. Ce qui s'est précisément produit.
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Pour animer sur le plan social la campagne électorale européenne, à l'instar de leurs collègues européens, les agriculteurs italiens sont descendus dans la rue avec une certaine force ces dernières semaines.
Matteo Salvini n'a pas manqué l'occasion de tenter de braquer les projecteurs sur ce mouvement. Il a immédiatement et sans réserve endossé les revendications du « mouvement des tracteurs », tant celles contre la politique agricole de l'UE (PAC) et son Green Deal, que celles qui critiquent le gouvernement de Rome, dont il est d'ailleurs le vice-président. En tant que ministre chargé des Infrastructures, il a fait adopter il y a quelques mois un décret renforçant les sanctions contre ceux qui « bloquent le trafic routier », pensant ainsi frapper les flash mobs des écologistes et les piquets de grève des travailleurs. Mais ces derniers jours, il a été photographié à plusieurs reprises en train de participer avec un air d'autosatisfaction à des manifestations au cours desquelles des agriculteurs ont bloqué des autoroutes et des voies rapides.
Bien que le ministre de l'économie (Giancarlo Giorgetti) soit un membre éminent de la Lega Nord, Matteo Salvini a réussi à contraindre toute la majorité de droite à continuer d'exonérer la grande majorité des agriculteurs du paiement de l'impôt sur le revenu et à annuler presque toutes les mesures visant à protéger les cultures contre l'exploitation intensive et l'abus de pesticides et de produits phyto-pharmaceutiques.
D'ailleurs, à l'heure où nous écrivons ces lignes, le dossier n'est pas clos et les différents mouvements dans lesquels les agriculteurs se sont organisés rivalisent dans la radicalité de leurs revendications et de leurs initiatives de lutte.
L'Italie compte un peu plus d'un million d'exploitations agricoles, pour la plupart des petites et très petites exploitations familiales. Or l'agriculture ne représente que 2,14% du PIB national. Jusqu'à il y a quelques décennies, les petits agriculteurs étaient divisés entre les principales familles politiques. Le syndicat lié à la gauche, la CGIL, avait également deux organisations, l'une dédiée aux salariés agricoles (les Federbraccianti) et l'autre aux petits exploitants/métayers et fermieres (les Federmezzadri). Depuis quelque temps, le monde agricole (à quelques exceptions près mais qui confirment la règle) soutient en bloc la droite et surtout l'extrême droite, notamment parce qu'il est intéressé à maintenir le chantage raciste contre les migrants, qui permet de renforcer les formes de subalternité et d'exploitation. Au moins la moitié des salariés agricoles sont des migrants, 46% selon les chiffres officiels mais qui ne tiennent pas compte du fait qu'une grande partie de ces migrants travaillent « au noir ».
Bien sûr, le malaise des agriculteurs a aussi de bonnes raisons car le laisser-faire néolibéral des dernières décennies a fait des ravages non seulement parmi le salariat, mais aussi parmi les petites et très petites exploitations qui sont de plus en plus asphyxiées par la puissante emprise de l'agro-industrie et des grandes entreprises de distribution commerciale.
Toutefois, les dirigeants des mouvements d'agriculteurs (économiquement dominants) ont préféré centrer leur lutte, tant en Italie que sur le continent, contre les mesures de protection de l'environnement et pour plus d'exonérations fiscales et plus de subventions nationales ou européennes.
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Dans la perspective du vote européen de juin prochain, la droite tente de tirer le meilleur parti des mobilisations des tracteurs et, au sein de la coalition qui gouverne l'Italie, chaque force politique essaie d'accumuler le maximum de consensus, sachant bien qu'après le vote – en Italie et à Bruxelles – s'ouvriront d'importants débats politiques et des réaménagements importants de positions de pouvoir.
Giorgia Meloni a émis l'hypothèse de se présenter comme tête de liste sur celle de son parti dans les cinq circonscriptions plurinominales qui divisent le territoire italien. [Ces cinq circonscriptions, avec un nombre de sièges différent et variable, forment un corps électoral unique.] Giorgia Meloni est bien consciente que sa présence au Parlement européen est substantiellement incompatible avec son rôle de Première ministre, mais elle sait aussi que Fratelli d'Italia, sans une forte visibilité de sa personne, ne représente pas grand-chose pour l'électorat.
Elle évalue également les raisons pour lesquelles elle pourrait se comporter différemment : le risque de déclencher un référendum sur sa personne et, également, de trop cannibaliser la base électorale résiduelle de ses alliés, la Lega et Forza Italia.
Ainsi, Elly Schlein, la jeune dirigeante du Parti démocrate, est elle aussi en train de décider si elle présentera sa candidature partout, c'est-à-dire dans les cinq circonscriptions, avec le risque de transformer le vote de juin en une sorte de référendum portant sur les deux dirigeantes.
Mais, selon tous les sondages, toutes ces « grandes manœuvres » ne parviennent pas à émouvoir ou à faire bouger les 40% d'électeurs italiens qui semblent avoir choisi de manière quasi structurelle de ne pas participer au rituel électoral.
En tout cas, malgré la faible influence institutionnelle du Parlement européen (son seul véritable moment de décision est celui de l'élection du président de la Commission), il semble que jamais le vote de juin n'ait été autant au centre des préoccupations des dirigeants et des forces politiques qu'en cette occasion. Nous savons, parce que tous les pronostics vont dans ce sens, qu'il y aura une présence plus forte de l'extrême droite. Par contre, nous ne savons pas si elle sera encore divisée en deux groupes politiques, ou si se produire une convergence, y compris avec les conflits-négociations qui marquent ces processus.
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Au fil des décennies, la composition du Parlement européen a profondément changé. En 1994, le groupe PSE était le groupe politique le plus important, avec une représentation de 35% (il n'est pas possible de comparer le nombre de députés européens, car leur nombre a augmenté au fil des ans en raison de l'adhésion d'autres Etats). Aujourd'hui, les « socialistes et démocrates » sont réduits à 20%, en raison de la diminution de leur poids dans des pays importants (Italie, France, Allemagne elle-même). Ils sont voués à connaître une nouvelle diminution, notamment en raison de leur implication dans des scandales tels que celui qui a mis en cause d'importants représentants « socialistes », comme la Grecque Eva Kaïli, une des vice-présidentes de l'Union européenne et l'Italien Antonio Panzeri, coupables d'avoir défendu contre toute évidence le caractère prétendument « démocratique » des régimes du Qatar, des Emirats arabes et du Maroc, en empochant à cette fin des pots-de-vin se chiffrant en centaines de milliers d'euros.
Le parlement qui sortira des urnes en juin verra probablement la reconfirmation du PPE comme premier parti (dans le parlement sortant, il contrôle 24% des députés, mais en 1999, il en contrôlait 37%). Mais les deux coalitions dans lesquels s'organise (encore) l'extrême droite (CRE et ID) pourraient, si les valeurs des sondages se confirment et s'ils additionnent leurs forces, constituer le groupe le plus important, pouvant influencer de manière décisive certaines politiques continentales déjà largement marquées par les forces réactionnaires, grâce également au glissement vers la droite que connaissent aussi bien le PPE que le groupe « libéral » de l'Europe du renouveau (ER), auquel appartiennent également les macroniens français.
Il va de soi que nous ne faisons pas partie des partisans du pacte entre PPE et PSE qui a dominé jusqu'à présent les institutions de l'UE. Mais nous ne sommes pas non plus partisans de l'idée néfaste du « pire est le mieux ». C'est pourquoi nous ne pouvons manquer de souligner combien la perspective que nous avons décrite constitue une hypothèse particulièrement mauvaise pour qui se préoccupe des droits démocratiques, des droits sociaux, et des mobilisations mettant en question le pouvoir déterminant des secteurs économiques et politiques qui provoquent et gèrent la catastrophe climatique et environnementale. (14 février 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)

Russie-débat. « Alexeï Navalny : la mort annoncée du principal opposant à Poutine annonce la fin de la politique en Russie »

Les informations faisant état de la mort du plus célèbre leader de l'opposition russe, Alexeï Navalny, dans un camp de prisonniers de l'Arctique sont choquantes, mais pas totalement inattendues. Sa mort souligne l'évolution politique de la Russie au cours des deux dernières décennies en mettant en relief qu'une contestation de l'intérieur n'est plus possible [1].
17 février 2024 | tiré du site alencontre.org
Alexeï Navalny a été le dernier homme politique public à poser un véritable défi au Kremlin, mais sa tentative de renverser le régime a échoué bien avant ce qui semble être sa mort « précoce » en prison [à l'âge de 47 ans].
Ses calculs irréalistes quant à l'impact de son retour en Russie en 2021 ont conduit au démantèlement des vestiges de toute opposition organisée qui n'était pas sanctionnée – et contrôlée – par l'État russe.
Alexeï Navalny a fini en prison, ses partisans ont été arrêtés ou ont fui à l'étranger. En conséquence, lorsque l'invasion de l'Ukraine a eu lieu, il y a eu très peu de manifestations de rue pour s'y opposer.
Actif dans la politique russe depuis plus de 20 ans, Alexeï Navalny s'est principalement attaché à identifier et à éradiquer la corruption de l'Etat, un problème dont la matière est presque illimitée dans la Russie moderne. Il a adopté de nouvelles méthodes pour faire connaître ses enquêtes à un public aussi large que possible, notamment l'Internet, en particulier par l'intermédiaire de sa chaîne YouTube. Certains de ses clips les plus populaires sont visionnés des dizaines de millions de fois.
Mais les enquêtes sur la corruption et les blogs n'ont pas suffi à remettre en cause la position de Poutine dans la politique russe. C'est pourquoi Alexeï Navalny s'est de plus en plus tourné vers l'action directe et les manifestations de masse dans les rues.
Il a connu son heure de gloire en 2011, lorsque les allégations de fraude généralisée lors des élections à la Douma de décembre 2011, associées à l'annonce du retour de Poutine à la présidence en septembre 2010, ont fait descendre des dizaines de milliers de manifestants dans les rues de Moscou.
Bien que les manifestations n'aient pas été organisées par Navalny, son charisme et sa rhétorique plus radicale ont fait de lui le visage le plus visible des manifestations, éclipsant des leaders de l'opposition plus établis tels que Boris Nemtsov [assassiné le 27 février 2015 sur le pont Bolchoï Moskvoretski près du Kremlin, un lieu particulièrement sécurisé]. Cependant, les manifestations de masse de 2011-2012 n'ont pas empêché la réélection de Poutine en mars 2012 et ont fini par s'éteindre [2].
Mais les manifestations ont incité le Kremlin à changer de cap et à expérimenter la possibilité pour l'opposition de se présenter aux élections. Alexeï Navalny en a été le principal bénéficiaire, étant inscrit pour les élections à la mairie de Moscou à l'été 2013. C'était la seule chance réelle de Navalny de gagner le pouvoir dans le système électoral étroitement contrôlé de la Russie.
Il a fait campagne avec enthousiasme et a obtenu un score respectable de 27% des voix. Mais cela a également montré les limites de son influence. Moscou était à l'époque l'une des villes les plus favorables à l'opposition en Russie, l'une des rares régions où Poutine avait obtenu moins de 50% lors de l'élection présidentielle de 2012.
Si l'opposition pouvait vraiment défier le Kremlin, c'était à Moscou. Mais la participation a été extrêmement faible (32%) et le maire sortant, Sergueï Sobianine, a obtenu les 51% dont il avait besoin pour éviter un second tour face à Alexeï Navalny.
Ce résultat est révélateur du problème de l'opposition : sa dépendance à l'égard des limites d'un noyau de partisans engagés dont la flamme pour le changement ne s'est pas propagée à l'ensemble de la population.
Le dernier coup de dés
Dans la Russie d'aujourd'hui, les élections sont une chose acquise, mais elles représentent également une vulnérabilité potentielle pour le Kremlin. Le Kremlin doit trouver un équilibre délicat entre le contrôle des élections et leur légitimité. Trop de contrôle, ou une fraude pure et simple, et la valeur légitimante des élections s'en trouve réduite.
Cela peut conduire à des résultats potentiellement déstabilisants, comme l'ont montré les manifestations de masse à Moscou en 2011 ou en Biélorussie en 2021, et comme cela s'est produit lors des élections ukrainiennes de 2004, qui ont conduit à la première « révolution orange ».
Alexeï Navalny l'a bien compris et a fait de sa participation à l'élection présidentielle de 2018 son principal objectif. Sa stratégie a consisté à causer suffisamment d'ennuis aux autorités à l'approche du scrutin, notamment par le biais de diverses manifestations de rue, pour les contraindre à l'autoriser à se présenter en tant que candidat officiel à ces élections.
A cette fin, il a mis en place un réseau régional de QG Navalny qui fonctionnait en parallèle avec sa principale organisation de lutte contre la corruption, la FBK (Fondation anti-corruption). Cela permettait à Alexeï Navalny d'avoir une portée nationale potentielle, contrairement à l'ancienne opposition centrée sur Moscou.
Cette stratégie n'a pas produit le résultat escompté, à savoir l'inscription d'Alexeï Navalny sur les listes électorales. Mais elle a semblé ébranler suffisamment les autorités pour qu'elles veuillent s'occuper du « problème Navalny ».
Poison et emprisonnement
En août 2020, Alexeï Navalny tombe malade lors d'un vol et, selon les médecins allemands qui l'ont soigné, il échappe à une mort quasi certaine due à un agent chimique de type Novichok.
Il rentre d'Allemagne en janvier 2021 et est immédiatement arrêté à son arrivée à Moscou. Les manifestations de masse qui ont suivi ont été inhabituelles par leur ampleur régionale, mais pas suffisantes pour défier réellement le Kremlin. Au lieu de cela, les autorités ont interdit en Russie les structures liées à Navalny et ont soit arrêté, soit forcé les personnes qui travaillaient pour elles à fuir la Russie.
Le sort d'Alexeï Navalny est devenu le principal sujet de discorde pour Moscou dans ses relations avec les gouvernements et les médias occidentaux. Alexeï Navalny a fait l'objet de contacts incontournables à haut niveau avec les autorités russes ; le conseiller à la Sécurité nationale de Joe Biden, Jake Sullivan, avait averti que la Russie subirait les conséquences de la mort d'Alexeï Navalny en prison.
Mais tout cela est devenu insignifiant après l'invasion totale de l'Ukraine à la fin du mois de février 2022. Du jour au lendemain, le sort de Navalny a semblé amoindri dans le contexte de la plus grande guerre que l'Europe ait connue depuis 1945.
Le programme de Navalny, qui consistait à susciter suffisamment de protestations internes pour renverser le régime, est devenu obsolète lorsque les nouvelles lois anti-opposition ont été appliquées et que la plupart de ses partisans les plus ardents ont fui le pays. Alexeï Navalny a tenté de rester d'actualité en défendant ses idées depuis sa prison, notamment en appelant à mettre fin à la guerre en cédant tous les territoires ukrainiens, y compris la Crimée [3], et en versant des réparations à l'Ukraine. Il n'est pas certain qu'il ait gagné des partisans en Russie, mais il a certainement séduit les exilés et les gouvernements occidentaux.
L'Occident et ses alliés ont imposé un niveau de sanctions sans précédent à la Russie et fourni à l'Ukraine le soutien militaire nécessaire pour défaire Poutine sur le champ de bataille. Il n'y a littéralement rien d'autre que l'Occident puisse faire pour punir la Russie à propos du sort de Navalny.
Le reste n'est que dictature
Alexeï Navalny était manifestement un homme politique très courageux et charismatique qui a posé le défi intérieur le plus important au régime de Poutine depuis plus d'une décennie. Il n'a jamais vraiment été proche de mettre en question le pouvoir Poutine et il a peut-être souvent surestimé le niveau de soutien dont il bénéficiait en Russie.
Avec l'annonce de sa mort « précoce » en prison, la question demeure de savoir s'il aurait pu faire plus depuis son exil à l'Ouest. Il aurait rejoint une longue liste de dirigeants de l'opposition russe, de l'ancien oligarque Mikhaïl Khodorkovski au champion d'échecs Garry Kasparov, qui n'ont pratiquement aucune influence sur ce qui se passe en Russie. Mais le refus d'Alexeï Navalny de s'engager dans cette voie, et sa conviction de sa propre importance, est précisément ce qui l'a distingué dans la politique russe.
En fin de compte, la mort d'Alexeï Navalny met un terme à l'époque où la politique était la politique en Russie. Aujourd'hui, il n'y a plus que l'autoritarisme personnel de Poutine. (Article publié sur le site anglais The Conversation le 16 février 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
Alexander Titov est maître de conférences en histoire européenne moderne, Queen's University Belfast.
[1] Dès 2020, le régime répressif s'exacerbe et se consolide suite à l'invasion militaire de l'Ukraine en février 2022. Les arrestations se multiplient et la dureté des condamnations (nombre d'années de prison, conditions d'emprisonnement, lieu de détention…) s'accentue.
En décembre 2021, l'ONG Memorial International et les organisations régionales sont déclarées devant être dissoutes. En mars 2022, des perquisitions sont opérées dans les deux bureaux de l'ONG à Moscou. Oleg Orlov, vice-président de Memorial, est, en mars 2022, poursuivi et puni pour des « actions publiques répétées visant à discréditer les formes armées défendant les intérêts de la Russie et de ses citoyens ainsi que la paix et la sécurité internationales ». En décembre 2022, Memorial et le Centre pour les libertés civiles ukrainien, ainsi que l'opposant biélorusse Ales Bialiatscki se voient attribuer le Prix Nobel. Orlov fait face actuellement à un nouveau procès avec le risque d'une condamnation très lourde. Des informations sur la répression politique en Russie peuvent être glanées sur le site de Memorial. Vladimir Kar-Mourza a été condamné en avril 2023 à 25 ans de prison, une des peines de prison les plus lourdes infligées à un opposant politique. Il est détenu dans une prison située au nord de la Sibérie. (Réd.)
[2] Anna Colin Lebedev, enseignante à l'Université de Paris Nanterre, auteure entre autres de Jamais frères ? Ukraine et Russie : une tragédie postsoviétique (Seuil, 2022), précisait sur France Culture, en date du 17 février 2024, des aspects de la trajectoire de Navalny qui complètent le descriptif d'Alexander Titov : « Avant les années 2000, avant la lutte contre la corruption, une des clés de la compréhension du personnage renvoie aux années 1990. Navalny est un enfant de l'époque post-soviétique… Son activité professionnelle durant toutes les années 1990 était celle d'entrepreneur. Un jeune entrepreneur qui a lancé des entreprises, qui ont fait faillite, certaines ont été liquidées, d'autres ont continué à vivoter. Quand on examine sa biographie des années 1990, il y a un foisonnement d'activités dans le monde des affaires qui est complètement caractéristique de la Russie de l'époque où on navigue dans des eaux très troubles, où on bidouille, où on s'arrange, où on rencontre d'ailleurs la corruption en direct. Je pense que cela détermine une connaissance de la société, une manière de saisir la société très particulière où tous les enjeux de la société sont saillants. Et c'est en tant qu'entrepreneur qu'il se lance en politique et qu'il mène comme un projet dans les affaires… La corruption, il va la pratiquer et la subir, et la combattre. Il pense que le thème de la corruption parle plus à la population que le thème de la démocratie. [Le thème sera concrétisé en termes de slogan en qualifiant, dès 2011, Russie unie, parti de Poutine, de « parti des escrocs et des voleurs », un slogan qui aura une grosse audience et illustré par des vidéos. Il y avait une certaine liberté d'expression au début des années 2010.] Navalny va évoluer concernant sa « pensée nationaliste ». En 2011-2012 il est critiqué par un secteur de l'opposition en relation avec ses affiliations passées. Il a été exclu du Parti démocratique russe unifié Iabloko sur la base d'une accusation de nationalisme. Dans les années 2000-2010 il est proche de mouvements nationalistes assez radicaux dont on trouve des membres dans les soutiens à Vladimir Poutine. Il prône alors la participation à ce qui est appelé les « marches russes », des marches nationalistes. Il a des déclarations hostiles à l'égard de migrants [d'Asie centrale]. Il semble s'être défait de ces traits nationalistes, bien que ce ne soit pas absolument clair, et sa plateforme minimale, au-delà de la corruption, est la défense de l'Etat de droit, comme préalable à tout changement politique. » (Réd.)
[3] En 2014, Navalny fait des déclarations sur l'Ukraine qui lui étaient encore reprochées dernièrement par les Ukrainiens. Il était alors favorable à l'annexion de la Crimée par la Russie. (Réd.)

États-Unis - Élections 2024, déformation et dysfonction

Dans une Amérique polarisée, pleine de colère, rongée par l'anxiété et la crise, de vastes secteurs d'un électorat fragmenté et divisé se retrouvent au moins sur ce qu'ils ne veulent pas, à savoir,une version 2024 du duel électoral entre Joe Biden et Donald Trump pour la présidentielle. À dix mois de l'échéance, cependant, et avec des évolutions encore possibles mais peu probables, c'est le spectacle auquel il faut nous attendre.
Against the Current
Revue L'Anticapitaliste n° 153 (Février 2024)
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Le président Joe Biden et sa vice-présidente, Kamala Harris, en 2022. © The White House
Cette perspective, entre les comparutions en justice de Trump et les ratés de Biden, permet de comprendre le climat général singulier, entre agitation politique et apathie. Des millions d'électeurs/trices de milieux populaires (les inconditionnels de Trump mis à part) vont devoir voter pour ceux des candidats et des partis qu'ils méprisent le moins, et non pour des programmes qu'ils apprécient.
C'est ce malaise, loin de tout enthousiasme, qui explique aussi pourquoi le candidat antivax et raciste Robert F. Kennedy Jr, cliniquement dérangé, obtient 24 % d'intentions de vote en tant qu'indépendant, ou pourquoi le sénateur démocrate de droite, Joe Manchin, envisage une campagne « sans étiquette » pour « mobiliser le centre » et pourrait décider du sort de l'élection.
Nul ne doit prendre à la légère ce qu'une seconde présidence Trump pourrait signifier, avec son personnel politique ; ses camps de déportation/concentration déjà annoncés, destinés à l'internement des demandeurs d'asile ; ses exclusions d'étudiant·es pour militantisme propalestinien ; ses attaques ciblées sur la presse ; ses licenciements en masse de personnels gouvernementaux que viendront remplacer des loyalistes du régime ; ses amnisties collectives pour les aspirants à l'insurrection du 6 janvier 2021 ; et tout le chaos que l'on peut attendre de sa politique impérialiste globale.
La campagne menée par Nikki Haley, la principale rivale de Trump ayant émergé, est soutenue (comprendre, achetée) par les frères Koch et leur publication Americans for Prosperity (comprendre, ploutocratie). Il s'agit d'une tentative de consolidation d'une option tout aussi ouvertement réactionnaire, mais plus en phase avec le néoconservatisme officiel que ne l'est la dérive criminelle de Trump et de son possible deuxième mandat. Cette candidature de Haley a de bonnes chances d'être bien accueillie par une bonne partie des classes dirigeantes capitalistes étatsuniennes. Un commentateur de droite, Nolan Finley, dans Detroit News, encourage d'ailleurs Haley à devenir la candidate « sans étiquette ».
Entre succès militants et ironie d'un échec politique
Pour ne pas tomber dans une vision trop sombre de la situation, il nous faut revenir sur les exemples positifs d'interventions sociales qui ont permis des avancées. On pense d'abord au retour des luttes du monde du travail qui ont fini par obtenir des acquis importants pour les ouvriers de l'automobile, chez UPS, et qui ont abouti à un début d'implantation syndicale chez Tesla et Amazon.
Deuxièmement, en ce moment même, on pense aux grandes manifestations en faveur du cessez-le-feu dans la guerre israélienne à Gaza et en Palestine.
Enfin, il y a le dégoût général qu'inspire l'extrémisme anti-avortement de la droite, cynique et profondément malfaisant, prêt à sacrifier la vie des femmes à la cause « pro-vie », à quoi s'ajoutent les censures contre des publications et les mesures visant à faire disparaître des électeurs des listes dans certains États.
Ces exemples montrent que les mouvements sociaux sur une base de classe ne faiblissent pas, comme le montrent aussi toute une multitude de luttes locales, dans des quartiers, autour du droit à l'avortement, de la question trans et du droit au logement, entre autres. Le fait que ces luttes ne parviennent pas à dynamiser le débat électoral au niveau national est la marque d'un système politique déformé et dysfonctionnel.
On ne se livrera pas ici à l'exercice des pronostics, ni à une analyse détaillée des sondages, ni (du moins pour l'instant) à une discussion en bonne et due forme de l'éventualité d'une candidature progressiste indépendante. Cette dernière possibilité, d'une importance capitale, devra faire l'objet d'une réflexion approfondie à l'avenir. Dans l'immédiat, nous nous intéresserons aux multiples ironies de ce début de saison électorale.
S'il y a un domaine dans lequel le gouvernement Biden-Harris devrait au moins recevoir une mention passable, voire avoir peut-être droit à quelques applaudissements, ce devrait être la santé générale de l'économie post-pandémie. Pourtant, c'est là que les sondages indiquent « une plus grande confiance dans les républicains », dont l'action est la plus caricaturalement favorable à l'enrichissement des riches, à l'appauvrissement des pauvres, aggrave les déficits tout en se prétendant fiscalement responsable.
Succès éclatant en termes de relations publiques pour la ploutocratie se présentant sous les traits d'un populisme. Les éditorialistes et le personnel du parti démocrate désespèrent manifestement de constater que la politique économique de Biden (les « Bidenomics ») ne parvient pas à obtenir l'adhésion qui devrait lui revenir. Les raisons de cette anomalie apparente, cependant, ne se limitent en rien à un simple problème de mauvaise « com ».
Il est vrai que ce gouvernement est arrivé au pouvoir avec un programme d'investissement et de reconstruction (Build Back Better) digne d'un réel intérêt, voire potentiellement porteur de transformations profondes (ce en dépit de toutes ses envolées nationalistes dirigées contre la montée en puissance de la Chine). Empruntant aux propositions de Bernie Sanders et aux partisans de la transition verte, le programme prévoyait une dépense fédérale substantielle (en matière d'infrastructures et de transition énergétique) correspondant à environ la moitié du budget annuel de défense.
Grâce au sénateur Manchin, entre autres, l'essentiel du programme fut revu à la baisse pour être réduit à ce qui allait devenir l'Inflation Reduction Act. Par exemple, la disparition progressive des aides attribuées pour faire face à la pandémie, qui virent la pauvreté infantile réduite de moitié – véritable succès face à la violence de l'inégalité de cette société ! Ainsi, dans l'État de Manchin lui-même, et selon les estimations officielles des services du recensement, le taux de pauvreté infantile en Virginie occidentale, le plus élevé du pays, est passé de 20,7 à 25 % entre 2021 et 2022.
Plus significativement encore, les dividendes mesurables de la reprise sont très majoritairement canalisés vers les secteurs de la population à hauts revenus qui en ont le moins besoin. Les personnes aux revenus moyens inférieurs et plus faibles encore, ne constatent quasiment aucune différence dans leur vie quotidienne.
L'inflation est à des niveaux bien inférieurs à son pic momentané de 8 %, mais les prix des produits de première nécessité restent bien plus élevés qu'auparavant, tandis que de leur côté, les hausses de taux d'intérêt de la Réserve fédérale, présentées comme nécessaires pour « réduire l'inflation », ont exacerbé la crise du logement qui frappe en priorité les jeunes (ainsi qu'un grand nombre de seniors aux revenus limités).
Pris dans leur globalité, ces statistiques macroéconomiques paraissent relativement bonnes à ce stade, mais pour des dizaines de millions de gens, la réalité économique quotidienne est différente. Les perspectives électorales de toute équipe au pouvoir en seraient rendues incertaines ; ce qui est vrai pour Biden en 2024 l'était pour Trump en 2020.
Ironie sans fin : question démographique
S'il devait y avoir un facteur jouant en faveur d'une marginalisation définitive du parti républicain (et tandis qu'il s'enfonce à grande vitesse dans une démence d'extrême droite), celui-ci a à voir avec le fait que sur le plan démographique les États-Unis ne seront bientôt plus un pays « blanc », et que chaque nouvelle génération est plus diverse encore que la précédente.
Ce sont précisément les jeunes africain·es-américain·es et les autres communautés immigrées non-blanches, les LGBT et les populations non-binaires, qui sont les principales cibles des idéologies suprémacistes blanches, chrétiennes nationalistes et de la droite religieuse, qui dominent entièrement le parti républicain, ainsi que le milieu fanatisé autour de Trump mais sans se limiter à lui.
Cependant, ce sont précisément ces secteurs plus jeunes, moins blancs et moins avantagés, parmi lesquels la majorité écrasante, dont sont censés bénéficier les démocrates, est en train de se réduire. Les sondages montrent que près d'un quart des africains-américains préfèrent Trump à Biden, signe remarquable de perte de confiance (quand bien même le phénomène resterait éphémère).
Que s'est-il donc passé ? Nous pensons principalement que les démocrates ont promis trop pour n'accomplir que trop peu de changements concrets, que ce soit sur le terrain de la justice raciale, de la réponse au problème de la dette étudiante, de la réforme de l'immigration, de la lutte contre le changement climatique, entre autres. Par ailleurs, le sentiment de soulagement lié à la fin du cauchemar de la (première) présidence Trump ne pouvait durer indéfiniment.
Dans une certaine mesure, l'âge comme l'apparence figée de Biden sont dissuasifs. Cela dit, sur les questions essentielles face auxquelles les démocrates voient leurs chances s'assombrir pour 2024, le problème de sénilité n'est pas tant celui de Biden que celui des politiques américaines elles-mêmes.
Le problème est particulièrement visible au regard de la guerre génocidaire en cours à Gaza. Le secteur de la jeunesse, crucial pour la base électorale démocrate, est de plus en plus solidaire de la Palestine, incapable de se reconnaître dans le soutien aveugle traditionnel du parti à Israël, et refuse désormais de se laisser duper par les gémissements sur une « solution à deux États » morte depuis des lustres. La reprise de l'offensive générale israélienne le 1er décembre dernier, en plus de la multiplication des violences meurtrières commises par les militaires et les colons, ne font qu'aggraver le dégoût profond et absolument nécessaire à l'égard de la complicité de Washington dans ce massacre.
Quant aux arabes américain·es et aux communautés palestiniennes, la fureur qu'inspire « Genocide Joe » Biden est difficile à décrire lorsque l'on n'en a pas été témoin soi-même. Les dirigeants de communautés telles que Dearborn dans le Michigan, qui avaient joué un rôle clé dans la victoire démocrate en 2020, déclarent sans ambages que « nous ne voterons plus jamais pour Biden même si l'autre candidat est pire ». Il est impossible de prédire dès à présent le choix électoral – vote ou abstention – que ce sentiment induira en novembre prochain (gardant à l'esprit que « les réalités politiques sont toujours locales »), mais les démocrates font preuve d'aveuglement volontaire s'ils en sous-estiment l'importance.
Un autre facteur qui exigera de rester vigilant concerne les flots d'argent bipartisan déversés par l'AIPAC (American Israel Public Affairs Committee) et en provenance de diverses sources à droite, pour que des représentantes progressistes propalestiniennes au Congrès telles que Rashida Tlaib (Michigan), Cori Bush (Missouri) et Ilhan Omar (Minnesota) perdent dans leur primaire. AIPAC s'est engagé à mettre 20 millions de dollars à disposition de tout candidat qui se confrontera à Tlaib. Toute complicité démocrate dans cette entreprise aurait des conséquences électorales fatales.
Crise de l'immigration
À l'évidence, la crise de l'immigration et de l'asile représente un autre souci récurrent du gouvernement Biden. Voilà un exemple éclatant de la manière dont l'impérialisme crée un problème qu'il est dans l'incapacité de résoudre. Les grands centres urbains des États-Unis et du nord du Mexique, les plus petites villes et les réseaux de solidarité ne parviennent pas à faire face au nombre des réfugié·es et des demandeurs/ses d'asile désespéré·es cherchant à passer la frontière sud et qu'il faut héberger et nourrir.
La crise des réfugié·es est intégralement le produit bipartisan de décennies de politiques destructrices dont nous avons parlé dans ces pages : des décennies de « libre échange » qui ont anéanti une grande partie des exploitations agricoles familiales du Mexique, de guerres contre-révolutionnaires génocidaires en Amérique centrale, de sanctions économiques qui ont largement contribué à l'effondrement du Venezuela et de Cuba, d'interventions catastrophiques à répétition à Haïti, et ainsi de suite.
Mais pire encore que tout le reste, il y a la folie des cinquante années de guerre américaine « contre la drogue », une parfaite réussite si l'idée était de remettre le commerce de la drogue entre les mains de cartels criminels violents tout en détruisant des vies et des villes à travers l'Amérique du nord. En plus de tout ceci, l'aggravation des effets du changement climatique réduit à néant des moyens de subsistance tels que, par exemple, les plantations de café au Honduras. Nous avons déjà eu l'occasion de dire que les calamités liées aux trajectoires de ces migrations désespérées sont d'ordre planétaire, comme le montrent les souffrances endurées en Méditerranée ainsi que la cruauté de l'Italie, de la Grande-Bretagne et d'autres gouvernements européens.
Cette crise, au niveau de la politique intérieure, érode la confiance dans la capacité du gouvernement Biden à maîtriser la situation, même si celle-ci n'est pas de sa responsabilité et même si la solution de rechange consiste dans le sadisme assumé des républicains.
Récemment adoptée au Texas, une loi permet à la police locale d'arrêter des « illégaux » présumés, avec ou sans aucun motif, et permet aux cours locales de procéder à des détentions et des expulsions. En usurpant ce qui relève clairement de la juridiction fédérale en matière d'immigration, cette loi est si manifestement anticonstitutionnelle dans son application, et si ouvertement fasciste dans ses implications, que seule la composante majoritaire de la Cour Suprémaciste Blanche de États-Unis1 serait susceptible de la valider (l'Union américaine pour les libertés civiles (ACLU) a entamé des procédures en justice avant que la loi ne prenne effet ce mois-ci).
Reste un domaine dans lequel la droite et le parti républicain paraissent déterminés à s'autodétruire. On pense en l'occurrence à leurs efforts pour mener à son terme l'interdiction et la criminalisation de l'avortement aux États-Unis. D'un État à l'autre, là où le droit à l'avortement est laissé à la décision des électeurs et des électrices, ce droit l'emporte, et nettement. Les implications effroyables d'une victoire républicaine à la Maison Blanche et au Congrès maintiendront non seulement les femmes mais aussi une grande partie de l'ensemble de l'électorat du côté des démocrates. La détermination républicaine à s'infliger des défaites dans sa croisade anti-avortement tient à la place centrale de cette question dans la « guerre culturelle » lancée contre la diffusion des thématiques du genre, de la race, du social, dans les bibliothèques, les écoles, les universités, et dans l'ensemble de la société.
Ce spectre pourrait – tout juste – permettre aux démocrates de se maintenir au pouvoir après un choix électoral en 2024 que quasiment personne ne souhaite réellement avoir à faire, la secte autour de Trump mise à part. Voilà une branche bien fragile à laquelle s'agripper, et dans tous les cas, rien sur quoi une gauche progressiste pourrait compter. La lutte pour une autre orientation doit regarder dans d'autres directions, en commençant par le retour de la combativité dans le monde du travail, en solidarité avec la Palestine, avec les migrants, et pour la justice reproductive !
Publié dans Against The Current n°228, janvier-février 2024, traduction T.M. Labica.
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États-Unis-Sénat. Seuls trois démocrates, dont Bernie Sanders, s’opposent à une aide militaire nouvelle de 10 milliards de dollars pour Netanyahou

Le Sénat des États-Unis a adopté, dans la matinée du mardi 13 février, une loi prévoyant une aide militaire supplémentaire de plus de 10 milliards de dollars pour le gouvernement israélien, qui s'apprête à lancer une invasion terrestre catastrophique contre Rafah, une ville de Gaza peuplée de plus de 1,4 million d'habitants.
Tiré de A l'Encontre
13 février 2024
Par Jake Johnson
Bernie Sanders entre au Sénat.
Les sénateurs ont approuvé le projet de loi, qui comprend également une aide militaire à l'Ukraine et à Taïwan, par un vote bipartisan écrasant de 70 à 29, seuls trois membres du groupe démocrate de la chambre haute – les sénateurs Bernie Sanders (Indépendant, Vermont), Jeff Merkley (Démocrate, Oregon) et Peter Welch (Démocrate, Vermont) – s'étant opposés à cette décision.
La proposition prévoit un financement global de 95 milliards de dollars pour les trois pays, dont 14 milliards de dollars pour Israël.
« Ce projet de loi accorde au Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou 10 milliards de dollars supplémentaires d'aide militaire sans restriction pour sa guerre effrayante contre le peuple palestinien. C'est inadmissible », a écrit Bernie Sanders sur les réseaux sociaux avant le vote de mardi. « Je voterai NON lors de l'adoption finale. »
Peter Welch et Jeff Merkley se sont également opposés au projet concernant l'aide militaire inconditionnelle à Israël, qui a reçu plus de 10 000 tonnes d'armes des Etats-Unis depuis le 7 octobre et reçoit déjà près de 4 milliards de dollars par an d'aide militaire états-unienne.
« La campagne menée par le gouvernement Netanyahou est en contradiction avec les valeurs et le droit des Etats-Unis, qui exigent des bénéficiaires de l'aide américaine qu'ils facilitent l'acheminement de l'aide humanitaire », a déclaré Jeff Merkley dans un communiqué publié lundi en fin de journée. « Bien que j'aie soutenu l'aide militaire à Israël dans le passé, et que je continue à soutenir l'aide aux systèmes défensifs comme Iron Dome (Dôme de fer) et David's Sling (Fronde de David, système antimissiles), je ne peux pas voter en faveur de l'envoi de plus de bombes et d'obus à Israël alors qu'ils les utilisent de manière indiscriminée contre les civils palestiniens. »
D'autres démocrates ont critiqué l'aide à Israël mais ont finalement voté en faveur du projet de loi.
Le sénateur Chris Van Hollen (Démocrate, Maryland) a prononcé un discours émouvant sur les conditions humanitaires désastreuses à Gaza, qu'il a qualifiées de « pur enfer ». « Les enfants de Gaza meurent aujourd'hui parce qu'on leur refuse délibérément de la nourriture. Outre l'horreur de cette nouvelle, une autre chose est vraie : il s'agit d'un crime de guerre. C'est un crime de guerre classique. Et cela fait de ceux qui l'orchestrent des criminels de guerre. »
Malgré cette déclaration, Chris Van Hollen a fait partie des membres du groupe démocrate qui ont voté en faveur du projet de loi sur l'aide.
Refus de tout amendement concernant l'UNRWA
Bernie Sanders avait proposé de retirer du projet de loi l'aide militaire offensive à Israël et de supprimer les dispositions interdisant le financement par les Etats-Unis de l'Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), dont les opérations essentielles à Gaza sont sur le point de s'effondrer totalement après que l'administration Biden et d'autres gouvernements ont coupé les fonds à la suite d'allégations israéliennes non fondées visant une douzaine d'employés de l'agence.
En plus de fournir un soutien supplémentaire aux forces armées israéliennes, le projet de loi affaiblirait le contrôle du Congrès en permettant au département d'Etat de renoncer aux exigences de notification pour le financement militaire étranger d'Israël [en vertu de la loi sur le contrôle des exportations d'armes, le président doit officiellement informer le Congrès 30 jours civils avant que l'administration puisse prendre les mesures finales pour conclure une vente de matériel militaire à l'étranger de gouvernement à gouvernement].
« A maintes reprises, j'entends le président et les membres du Congrès exprimer leur profonde inquiétude au sujet de M. Netanyahou et de la catastrophe humanitaire qu'il a provoquée à Gaza », a déclaré Bernie Sanders lundi. « Alors pourquoi soutiennent-ils l'idée de donner à Netanyahou 10 milliards de dollars supplémentaires pour poursuivre sa guerre contre le peuple palestinien ? »
Le projet de loi est maintenant soumis à la Chambre des représentants des Etats-Unis, dont le président Mike Johnson (Républicain, Louisiane) a déclaré qu'il « devra continuer à travailler selon sa propre méthode sur ces questions importantes ».
Dans une déclaration faite lundi soir, Mike Johnson s'est plaint du fait que la mesure adoptée par le Sénat ne comporte « aucune modification de la politique frontalière » [mesure pour faire obstacle aux migrants à la frontière Mexique-Etats-Unis], alors même que c'est l'opposition des républicains qui a contraint les dirigeants du Sénat à retirer du programme d'aide à l'étranger les changements légaux proposés en matière d'immigration.
Les défenseurs des droits des immigré·e·s se sont largement opposés à ces modifications, qu'ils ont qualifiées d'attaque draconienne contre le droit d'asile. (Article publié sur Common Dreams, le 13 février 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
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La gauche américaine doit s’associer aux forces progressistes du Moyen-Orient pour mettre fin à la guerre régionale

Les progressistes en Iran et aux États-Unis doivent se connecter horizontalement pour résister au militarisme alors que nos dirigeants intensifient leurs menaces.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/02/19/la-gauche-americaine-doit-sassocier-aux-forces-progressistes-du-moyen-orient-pour-mettre-fin-a-la-guerre-regionale/
Depuis l'assaut brutal du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023 et l'invasion génocidaire de Gaza par Israël, on parle beaucoup de la possibilité d'une guerre régionale au Moyen-Orient, dans le contexte d'une administration américaine qui n'est pas disposée à appeler à un cessez-le-feu immédiat.
En tant que militante féministe socialiste irano-américaine ayant des liens avec des militant·es en Iran, aux États-Unis, en Israël et en Palestine, ces événements m'ont horrifiée, tant en raison de la brutalité et de la perte de vies humaines innocentes que de l'étouffement des voix des véritables progressistes.
Il se peut qu'une guerre plus large soit à nos portes avec les frappes militaires américaines du 2 février contre les forces iraniennes et les milices soutenues par l'Iran en Irak et en Syrie, qui ont tué 39 personnes, dont des civils, et les frappes américaines du 7 février à Bagdad, qui ont tué un haut dirigeant d'une milice soutenue par l'Iran et deux de ses escortes. Les dernières frappes américaines sont une réponse à une attaque de drone menée par des milices irakiennes soutenues par l'Iran contre une base américaine en Jordanie, qui a tué trois soldats américains et en a blessé des dizaines d'autres. Le gouvernement iranien a mis en garde contre des représailles.
Les États-Unis et la Grande-Bretagne ont également lancé une nouvelle série de frappes contre les milices houthies au Yémen, en réponse aux attaques des Houthis contre des navires commerciaux et militaires en mer Rouge. Les Houthis affirment à leur tour qu'ils ont lancé leurs attaques en solidarité avec les Palestinien·nes.
Les attaques de drones et de missiles menées par l'Iran et ses milices contre des cibles américaines dans la région se poursuivent depuis plusieurs années, dans le cadre des efforts déployés par le gouvernement iranien depuis des décennies pour s'affirmer comme une puissance régionale. Le gouvernement iranien fournit une assistance militaire, logistique et autre au Hamas, aux milices chiites en Irak, aux milices houthies au Yémen, au Hezbollah au Liban et au gouvernement de Bachar Assad en Syrie.
Dans le même temps, les États-Unis fournissent à Israël une aide militaire de 3,8 milliards d'euros par an, vendent des armes à l'Arabie saoudite, à l'Égypte et à d'autres régimes arabes, et disposent de bases militaires dans la région, notamment au Qatar, à Bahreïn, au Koweït, en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, ainsi que de plus petits avant-postes dans d'autres parties du monde. Les troupes américaines ont occupé l'Afghanistan de 2001 à 2021. Les troupes américaines ont également occupé l'Irak de 2003 à 2011. La Russie est également un important fournisseur d'armes pour divers États de la région, dont l'Iran, l'Arabie saoudite et la Turquie. Elle dispose d'une base navale et de forces terrestres en Syrie. Elle soutient également la production de missiles et de drones par l'Iran, des armes que la Russie a utilisées lors de son invasion de l'Ukraine.
Depuis plus de quatre décennies, la République islamique d'Iran utilise l'antisémitisme et son opposition à l'impérialisme américain et à l'occupation israélienne comme moyen de promouvoir ses propres ambitions impérialistes régionales, qui impliquent des objectifs économiques, idéologiques et stratégiques, et qui ont entraîné l'exploitation de la classe ouvrière et des peuples opprimés de la région. En 2018, dans un discours public, le président Rouhani a déclaré clairement que les frontières stratégiques de l'Iran sont le sous-continent indien à l'est, le Caucase au nord, la mer Rouge au sud et la Méditerranée à l'ouest.
Toutefois, avant la création de la République islamique en 1979, l'agression d'Israël contre le peuple palestinien et son refus de reconnaître le droit des Palestinien·nes à l'autodétermination avaient créé l'une des plaies les plus profondes de la région. L'occupation des terres palestiniennes, qui dure depuis 56 ans, a fourni un ennemi extérieur que les dirigeants autoritaires de la région ont utilisé pour dissimuler les contradictions internes de l'exploitation de classe, du patriarcat, du racisme et d'autres formes de préjugés et de domination qui existent dans chaque pays.
Le monde a commencé à voir les masses populaires du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord remettre en question certaines de ces contradictions internes lors du printemps arabe de 2011, du soulèvement syrien de 2011 et de la vague de protestations de 2019 au Soudan, en Algérie, en Irak, au Liban et en Iran. Toutefois, ces efforts ont été écrasés par des régimes autoritaires. Le régime d'Assad – qui a brutalement écrasé le soulèvement syrien de 2011 et détient plus de 100 000 personnes dans ses prisons, où la torture à l'échelle industrielle a été documentée – continue de prétendre qu'il soutient les Palestinien·nes alors qu'en réalité il a réprimé la population palestinienne en Syrie qui a défendu le soulèvement de 2011. Divers dirigeants arabes, iraniens et turcs, qui prétendent également défendre l'autodétermination des Palestinien·nes, ont brutalement écrasé les populations kurdes dans leur pays en raison de la demande d'autodétermination des Kurdes.
Le mouvement « Femme, vie, liberté » qui a émergé en Iran à l'automne 2022 a été une lueur d'espoir pour l'ensemble de la région. Les femmes et les hommes qui ont manifesté pendant des mois et ont été arrêté·es, tué·es, aveuglé·es et violées ne demandaient pas seulement la fin du hijab obligatoire. Elles et ils réclamaient le droit des femmes à disposer de leur corps, le droit à une éducation fondée sur l'esprit critique, la fin de la peine de mort, les droits des minorités nationales opprimées et les droits du travail. Elles et ils s'opposaient au fondamentalisme religieux, à la violence entre les sexes et l'État, au militarisme et à l'impérialisme, et appelaient à une coexistence pacifique avec les autres États de la région. Plusieurs déclarations de participant·es à ce mouvement ont appelé à dépasser les divisions ethniques, religieuses et de genre utilisées par les régimes autoritaires de la région.
Le contenu affirmatif du mouvement « Femme, vie, liberté » est également visible dans les efforts inlassables de Narges Mohammadi, la militante féministe iranienne des droits de l'homme qui a reçu le prix Nobel de la paix en octobre 2023. À l'exception d'une pétition de PEN America demandant sa libération, elle a été relativement peu couverte par les médias occidentaux, et peu de rapports en langue anglaise ont mentionné sa déclaration de prison concernant la Palestine et Israël, qui condamnait « les agressions contre les sans-abri, le massacre d'enfants, de femmes et de civil·es, les prises d'otages, [et] le bombardement d'hôpitaux, d'écoles et de zones résidentielles ». Mohammadi demande « un cessez-le-feu immédiat, la fin de la guerre… le respect des droits des êtres humains et la création des conditions d'une coexistence pacifique des peuples ».
Face à la résistance continue des féministes comme Mohammadi, à la résistance des jeunes dans les prisons, les écoles et les rues, et à la résistance des travailleurs et des travilleuses, des enseignant·es, des infirmières, des minorités nationales, des retraité·es et des personnes handicapées, le gouvernement iranien a intensifié sa répression. Il a imposé une loi sur le hijab et la chasteté qui a sévèrement alourdi les peines infligées aux femmes qui ne portent pas le « hijab approprié ». Il a exécuté davantage de jeunes Kurdes, Baloutches et Arabes, y compris des jeunes arrêtés lors des manifestations « Femme, vie, liberté ». L'Iran a le deuxième taux d'exécution le plus élevé après la Chine.
Les dissident·es iranien·nes, qu'iles soient en prison ou non, entament à leur tour une grève de la faim pour s'opposer à la peine de mort. Les grévistes de la faim, les féministes et d'autres dissident·es ont écrit des lettres ouvertes à Nada al-Nashif, haut-commissaire adjoint des Nations unies aux droits de l'homme, lui demandant d'annuler son voyage en Iran parce qu'elle ne serait pas autorisée à rencontrer les prisonnier·es politiques et les familles des personnes exécutées. Elle serait également contrainte de porter le hijab. Les signataires des lettres ouvertes adressées à Mme al-Nashif souhaitaient qu'elle attende les résultats d'une mission d'enquête de l'ONU sur les meurtres et les viols commis par le gouvernement iranien à l'encontre des manifestants du mouvement « Femme, vie, liberté ». Au lieu de cela, elle a poursuivi son voyage et a annoncé qu'il ne s'agissait pas d'une mission d'enquête visant à rendre visite aux prisonnier·es et à leurs familles, mais d'un voyage officiel destiné à rencontrer les responsables de la République islamique.
Les forces progressistes en Iran n'appellent pas à des visites officielles occidentales pour rencontrer les dirigeants du gouvernement ou à une intervention militaire américaine. Elles tendent horizontalement la main aux forces progressistes de base du monde entier pour obtenir un soutien moral et matériel dans leur lutte contre le militarisme, l'autoritarisme et le fondamentalisme religieux.
Compte tenu des mouvements de guerre actuels et de l'intensification de la confrontation entre les États-Unis et l'Iran, il est extrêmement important que ceux qui s'opposent à l'impérialisme américain et à la guerre d'Israël contre Gaza s'opposent simultanément aux frappes américaines dans la région, exigent un cessez-le-feu à Gaza et défendent la lutte en cours pour les droits des femmes et les droits des êtres humains en Iran.
Les militant·es progressistes en Iran travaillent dur pour s'opposer à la peine de mort et à l'incarcération de masse, pour défendre le droit des femmes à disposer de leur corps et pour défendre les droits des Kurdes, des Baloutches et des minorités nationales arabes, ainsi que des minorités religieuses telles que les Baha'is et les migrant·es afghan·es en Iran. Elles tendent la main aux femmes afghanes qui résistent aux talibans et aux autres forces religieuses fondamentalistes en Afghanistan. Leur travail est essentiel pour détourner le Moyen-Orient de l'autoritarisme et de la guerre.
Les progressistes américain·es qui partagent ces objectifs peuvent commencer par se joindre à l'appel à la libération de Narges Mohammadi et de tous les prisonnier·es politiques. Mais plus largement, elles et ils peuvent s'efforcer de relier horizontalement ces luttes au mouvement américain contre la violence sexiste et la violence d'État, au mouvement abolitionniste contre l'incarcération de masse, au mouvement pour les droits à la reproduction et à l'avortement, ainsi qu'à la lutte actuelle contre le militarisme.
Frieda Afary
Publié à l'origine dans TRUTHOUT
https://socialistfeminism.org/us-left-must-link-with-progressive-forces-in-middle-east-to-stop-regional-war/
Publié le 8 février 2024
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Aux États-Unis, des climatosceptiques condamnés à payer 1 million de dollars

Un tribunal des États-Unis a condamné deux personnes le 8 février pour avoir diffamé le climatologue Michael E. Mann. Une pratique récurrente pour décrédibiliser les scientifiques.
13 février 2024 | tiré de reporterre.net
La décision était attendue par la communauté scientifique. Le tribunal de la Cour supérieure de Washington D.C. a condamné le 8 février deux personnes pour diffamation, avec plus de 1 million de dollars (environ 928 000 euros) de dommages et intérêts compensatoires. Rand Simberg et Mark Steyn avaient affirmé que le climatologue Michael E. Mann avait trafiqué ses données et l'avaient comparé à un pédocriminel.
Michael E. Mann est une des figures majeures de la recherche sur le changement climatique depuis sa publication en 1999 d'un graphique surnommé « la crosse de hockey », qui montrait l'augmentation des températures au XXe siècle. Le climatologue avait porté plainte après deux publications sur des blogs.
En 2012, Rand Simberg, un ancien chercheur du groupe de réflexion Competitive Enterprise Institute avait comparé Michael E. Mann à Jerry Sandusky, un entraîneur de football étasunien (qui a travaillé dans la même université que le climatologue) condamné pour avoir sexuellement agressé des mineurs. « Mann pourrait être le Jerry Sandusky du changement climatique, sauf qu'au lieu d'agresser des enfants, il a agressé et torturé des données », avait publié Rand Simberg.
« Une volonté délibérée de nuire »
Ensuite, Mark Steyn, un essayiste d'extrême droite, a repris ces accusations et qualifié les recherches de Michael E. Mann de « frauduleuses », dans un blog publié par le National Review (Michael E. Mann avait porté plainte contre le groupe de réflexion et la revue, mais avait été débouté par la justice).
Au cours du procès, qui a duré quatre semaines, les deux hommes accusés ont maintenu leurs propos. Michael E. Mann a pour sa part affirmé que ces publications lui ont coûté des fonds pour ses recherches et l'exclusion d'au moins un projet. Dans sa décision du 8 février, le jury a estimé que les deux hommes poursuivis ont fait preuve de « méchanceté, dépit, mauvaise volonté, vengeance ou volonté délibérée de nuire ». Cette caractérisation était essentielle pour démontrer que leurs propos dépassaient le cadre de la liberté d'expression.
Après la décision de la justice, l'avocat de Michael E. Mann a affirmé dans un communiqué qu'en plus de rétablir l'intégrité du nom de son client, cette décision est « une grande victoire pour la vérité et les scientifiques [du monde entier] qui consacrent leur vie à répondre à des questions scientifiques vitales avec des conséquences sur la santé humaine et la planète ». Ce n'est pas la première fois que les travaux de Michael E. Mann sont contestés. En 2009, des accusations de manipulations des données ont entraîné des enquêtes judiciaires et universitaires. Toutes ont conclu que ses travaux étaient valides.
Une pratique fréquente des climatosceptiques
La remise en cause de la science est une pratique fréquente des climatosceptiques. « On a vu une augmentation des attaques contre les scientifiques, explique Lauren Kurtz, avocate et directrice du Climate Science Legal Defense Fund, une organisation de défense juridique des chercheurs qui a par le passé aidé le climatologue. Mais il y a désormais une baisse du nombre de débats sur la véracité de leurs recherches au profit d'attaques pour les décrédibiliser de façon plus nébuleuse et plus nocive, en disant que les scientifiques sont biaisés, qu'ils sont des militants ou que leur rôle n'est pas d'éduquer. Michael E. Mann n'est pas le seul à vivre cela, c'est juste qu'il est plus public. »
Dans son livre The New Climate War (2021), Michael E. Mann expose justement la manière dont des chercheurs financés par des entreprises d'énergies fossiles tentent de remettre en cause la science sur le dérèglement climatique pour profiter aux industries polluantes. Dès les premières pages de son livre, l'auteur évoque la responsabilité du Competitive Enterprise Institute, le groupe de réflexion où travaillait Rand Simberg, condamné dans cette affaire.

Iran : Détérioration de l’état de santé de trois membres emprisonnés du Syndicat des salarié.es de la Régie de bus de Téhéran et sa banlieue

Reza Shahabi, Davood Razavi et Hassan Saeidi, trois membres emprisonnés du Syndicat des travailleurs/travailleuses de la compagnie de bus de Téhéran et sa banlieue purgent une peine de cinq ans à la prison d'Evin en raison de leurs activités syndicales et de défense des droits des salarié.es. Ils sont confrontés à de graves problèmes de santé en raison de la négligence des autorités judiciaires et de la prison d'Evin à l'égard de l'aggravation de leurs problèmes de santé.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière.
Reza Shahabi a subi des opérations au cou et au dos lors de sa précédente incarcération. Les médecins de la prison et le spécialiste de l'hôpital Taleghani ont confirmé la nécessité d'une opération immédiate et urgente du cou en soulignant les risques graves et irréparables en l'absence d'opération.
Malgré une douleur intense dans la région du cou et son hypertension artérielle, Reza Shahabi attend toujours d'être hospitalisé pour subir une intervention chirurgicale. Il n'a pas bénéficié d'un seul jour de congé médical depuis son arrestation le 12 mai 2022.
Davood Razavi, 63 ans, souffre de maladies gastro-intestinales, de problèmes de vue et de douleurs au genou. Il continue de souffrir de l'absence de traitement médical et de soins.
Davood Razavi a été arrêté le 27 septembre 2022. Il n'a bénéficié depuis d'aucun congé médical, malgré l'aggravation de ses problèmes digestifs et de ses hémorragies, ainsi que de la dégénérescence de sa vue, de ses douleurs au genou et de son arthrite.
Hassan Saeedi a perdu la plupart de ses dents en prison en raison d'une maladie des gencives et de la bouche et de la négligence des autorités pénitentiaires à soigner ses dents. La perte de ses dents a provoqué des troubles digestifs. Il a besoin de toute urgence de faire soigner ses dents à l'extérieur de la prison. Hassan Saeedi est en prison depuis le 18 mai 2022, sans un seul jour de permission de sortie, même après le grave accident de son fils.
Ces trois travailleurs emprisonnés et membres de longue date de notre syndicat ont été condamnés à des peines d'emprisonnement de longue durée injustes en raison de leur opiniâtreté, pendant deux décennies, à défendre les droits des salarié.es, ainsi que celui de s'organiser et de constituer des syndicats.
Après leur arrestation, ils ont été placés à l'isolement et soumis à des interrogatoires pendant des mois, puis condamnés à cinq ans d'emprisonnement, deux ans d'interdiction de séjour dans la région de Téhéran et à l'interdiction d'exercer des activités syndicales et sociales. Ces peines ont été confirmées en appel sans qu'ils aient pu se défendre devant le tribunal.
Nous sommes très préoccupés par l'état physique grave de nos membres emprisonnés, Reza Shahabi, Davood Razavi et Hassan Saeidi, et demandons qu'ils bénéficient immédiatement d'un congé médical. Nous demandons en outre leur libération inconditionnelle, ainsi que celle des autres travailleurs/euses, enseignant.es et étudiant.es emprisonné.es, ainsi que de toutes et tous les prisonnier.es politiques.
Syndicat des travailleurs de la compagnie de bus de Téhéran et de sa banlieue,
9 février 2024
htps ://www.instagram.com/vahedsyndica/
https://twitter.com/VahedSyndicate
vsyndica@gmail.com
Merci d'envoyer des lettres de protestation aux autorités suivantes, avec copie à : vsyndica@gmail.com
Guide de la République islamique d'Iran, Ayatollah Sayed 'Ali Khamenei
contact@leader.ir ; et info_leader@leader.ir ;
Pouvoir judiciaire de la République islamique d'Iran - Haut Conseil des droits de humains
info@humanrights-iran.ir ;
Mission permanente de la République islamique d'Iran auprès des Nations unies
missionofiran@gmail.com ; iranunog@mfa.gov.ir ; iran@un.int @Iran_UN
Ministère des affaires étrangères de la République islamique d'Iran : info@mfa.gov.ir
Ambassades d'Iran :
https://www.embassypages.com/iran
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L’Indonésie, le nickel et la Chine

Avec 21 millions de tonnes, l'Indonésie détient les plus importantes réserves mondiales de nickel. Le pays a fait de ce secteur de transformation du nickel pour la fabrication de batteries électriques la clé de son programme de développement national. Dans l'industrie du nickel dans l'archipel, les entreprises sont principalement chinoises. Pendant les deux mandats de Jokowi, la dépendance de l'Indonésie envers la Chine s'est accrue, alors que les pratiques chinoises en matière de conditions de travail et de droit des travailleurs, de relations avec les populations locales, de protection de l'environnement, vont à l'encontre des efforts des Indonésiens pour construire une société démocratique.
Tiré de Asialyst. Légende de la photo : Selon cette image aérienne prise le 21 septembre 2022, la fonderie de Virtue Dragon Nickel Industry, à Konawe, dans le Southeast Sulawesi. (Courrier international)
Le 24 décembre dernier dans l'île indonésienne de Sulawesi, une explosion dans une fonderie de nickel a fait dix-neuf morts et plusieurs dizaines de blessés. Selon une enquête préliminaire, durant un travail de réparation, un liquide inflammable aurait pris feu et fait exploser des réservoirs d'oxygène à proximité.
Onze des ouvriers étaient indonésiens et huit chinois. L'usine, située dans l'Indonesia Morowali Industrial Park (IMIP) dans la province de Sulawesi central, appartient en effet à l'entreprise PT* Indonesia Tsingshan Stainless Steel (ITSS), filiale du groupe chinois Tsingshan, un producteur d'acier inoxydable. ITSS est le plus important producteur d'acier inoxydable d'Indonésie. Elle a démarré en 2017. Le parc a été inauguré en 2013.
Cet accident mortel n'est pas le premier dans l'industrie du nickel en Indonésie, dont les entreprises sont principalement chinoises. De 2015 à 2022, l'ONG indonésienne Trend Asia, qui travaille sur la transition énergétique et le développement durable, a dénombré 47 morts et 76 blessés sur les sites miniers du nickel dans l'archipel. On soupçonne en outre dix ouvriers chinois de s'être suicidés.
En décembre 2022 notamment, deux employés d'une fonderie à Morosi, dans la province de Sulawesi du Sud-Est, sont morts dans une explosion provoquée par de la poussière de charbon qui avait pris feu. L'une des deux victimes, Nirwana Selle, âgée de 20 ans, est morte brûlée vive. La fonderie, inaugurée en 2021, appartient à la société PT Gunbuster Nickel Industry, une filiale de l'entreprise chinoise Jiangsu Delong Nickel Industry. Elle emploie 11 000 Indonésiens et 1 300 étrangers.
Le nickel dans la stratégie industrielle de l'Indonésie
En avril 2023, de nouveau dans le parc de Morowali, deux ouvriers sont morts ensevelis dans une décharge de déchets provenant de la combustion de ferronickel*. En mai, toujours à Morowali, un incendie s'est déclaré, suivi d'une explosion dans une fonderie qui appartient également à Gunbuster, faisant deux morts. En juin, un autre incendie dans cette même usinea fait un mort et six blessés.
Avec 21 millions de tonnes, l'Indonésie détient les plus importantes réserves mondiales de nickel, près de 24 % du total, dont une partie importante se trouve dans l'île de Sulawesi. Quatre des plus grandes mines de nickel d'Indonésie sont situées à Sulawesi : Sorowako, Asera, Pomalaa et Bahoomahi. La cinquième, Weda Bay, est dans l'île de Halmahera dans les Moluques et est exploitée par Tsingshan, en partenariat avec l'entreprise minière d'Etat indonésienne PT Aneka Tambang et la société minière française Eramet.
En 2020, l'Indonésie a interdit les exportations de minerai non traité. Le pays a fait de ce secteur de transformation du nickel pour la fabrication de batteries électriques la clé de son programme de développement national. D'après l'Agence internationale de l'énergie fondée par l'OCDE, « l'objectif de cette politique est de renforcer les installations de transformation nationales, de ramener la valeur ajoutée de la chaîne d'approvisionnement du nickel dans l'économie indonésienne et de stimuler la création d'emplois et le développement économique en Indonésie. »
*Une telle politique va à l'encontre des règles de l'Organisation mondiale du commerce, dont l'Indonésie est membre. L'Union européenne a annoncé en 2019 qu'elle engageait une procédure auprès de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Elle considère en effet que l'interdiction d'exporter le minerai de nickel est une entrave à la liberté du commerce et « va gravement nuire au secteur européen de l'acier inoxydable, gros consommateur de nickel ».
En 2022, la ministre indonésienne des Finances Sri Mulyani Indrawati déclarait au World Economic Forum de Davos qu'en tant que plus grande économie de l'ASEAN, l'Indonésie n'entendait pas rester une exportatrice de matières premières sans valeur ajoutée.
La fabrication d'acier inoxydable représente 70 % de la demande mondiale de nickel. L'Indonésie est le troisième producteur mondial d'acier inoxydable derrière la Chine et l'Inde et le premier exportateur.
Outre l'acier inoxydable, le nickel est utilisé dans la fabrication de batteries de véhicules électriques. En décembre 2023, Hong Kong CBL, une filiale du fabriquant de batteries chinois CATL, a pris une participation dans PT Indonesia Battery Corporation, une filiale de la compagnie minière d'Etat indonésienne PT Aneka Tambang, pour la production de telles batteries.
L'Indonésie devient « indispensable pour l'industrie des véhicules électriques ». Elle souhaite bâtir une filière du nickel complète, de l'extraction du minerai, à la transformation et la fabrication de batteries et véhicules électriques.
Depuis 2020, le pays a ainsi signé pour plus de 15 milliards de dollars de contrats avec des entreprises comme les Sud-Coréennes Hyundai et LG et la Taïwanaise Foxconn. Le président Joko Widodo, familièrement appelé Jokowi, essaie de convaincre Elon Musk d'investir dans la production de véhicules électriques ou de batteries.
En décembre 2023, l'Indonésie a annoncé des incitations fiscales pour les constructeurs qui envisagent de produire des véhicules électriques. En janvier 2024, le ministre indonésien des Affaires économiques a annoncé que le plus grand constructeur de véhicules électriques du monde, le Chinois BYD, envisageait d'investir 1,3 billion de dollars pour construire en Indonésie une usine d'une capacité de 150 000 unités par an. En février, un autre constructeur chinois, Chery, s'est engagé à faire de l'Indonésie sa base de production pour l'ensemble de l'Asie du Sud-Est et dans ce but, à augmenter ses investissement dans le pays.
Une dépendance grandissante envers la Chine
La Chine est de loin le premier client de l'Indonésie, représentant plus de 22% des exportations de cette dernière, loin devant les Etats-Unis (11%), le Japon (8%), l'Inde (6%) et Singapour (5%) en 2021 (CIA World Factbook). En 2023, elle est également devenue son deuxième investisseur derrière Singapour et devant Hong Kong, le Japon et la Malaisie.
L'Indonésie est en terme de montant le premier récipiendaire sud-est-asiatique du projet chinois des « Nouvelles routes de la soie » (Belt and Road Initiative ou BRI). Les fonderies de nickel dans l'archipel font partie de la BRI. Dans un discours au parlement indonésien en 2013, le président Xi Jinping a montré l'importance de l'Indonésie dans ce projet.
De son côté, l'Indonésie voit dans les investissements chinois le moyen de développer des infrastructures déficientes qui ne permettent pas d'exploiter au mieux son potentiel de croissance. En particulier, le pays souhaite que la Chine l'aide pour ses projets dans les énergies renouvelables et les infrastructures. Des responsables indonésiens se plaignent de la réticence des pays occidentaux à financer son plan de fermeture des centrales électriques au charbon et des taux d'intérêt qu'elle juge élevés. La BRI a permis de financer notamment le train à grande vitesse, le premier d'Asie du Sud-Est, qui relie Jakarta à Bandung, troisième ville la plus peuplée d'Indonésie, et le développement d'une industrie du nickel.
En 2021, Luhut Binsar Pandjaitan, ministre coordinateur des Affaires maritimes et de l'Investissement, assurait que les investissements chinois répondaient aux besoins du gouvernement et que la Chine « ne dictait rien ».
Néanmoins d'après Bhima Yudhistira Adhinegara, directeur au Center of Economic and Law Studies à Jakarta, dans le cas du nickel, c'est la Chine qui profite le plus des accords qu'elle a passés avec l'Indonésie. Selon lui, « la Chine contrôle 61 % de la production totale nationale de nickel, alors que nos entreprises d'État n'en contrôlent que 5 %. »
Hongyi Lai de l'université de Nottingham, spécialiste des politiques économiques chinoises, explique qu'il existe dans l'opinion indonésienne une suspicion sur la Chine et son influence en Indonésie.
Face à cette suspicion, en mai 2023, malgré les accidents, Luhut affirmait d'une part : « Les investisseurs chinois ont un rôle important, notamment dans le domaine des hautes technologies et du transfert de technologies. » Et d'autre part : « Si [les Chinois] n'existaient pas, nous ne pourrions pas exporter 34 milliards de dollars de dérivés du nickel. »
L'environnement
Dans un rapport publié en janvier 2024, l'ONG Climate Rights International, qui défend les droits des populations en lien avec le changement climatique, constate que l'industrie du nickel menace l'existence et le mode de vie traditionnel des populations locales. En particulier, les activités minières dans l'Indonesia Weda Bay Industrial Park situé dans l'île de Halmahera dans les Moluques du Nord, dont les actionnaires sont trois entreprises chinoises, parmi lesquelles Tsingshan, contribuent à une déforestation massive.
On a donc un paradoxe entre la transition vers des énergies renouvelables dans laquelle s'inscrit l'usage de véhicules électriques et les dégâts causés à l'environnement et les populations locales par l'activité minière nécessaire au fonctionnement de tels véhicules.
Pour Yeta Purnama, chercheur au Center for Economic and Law Studies, un think tank indonésien, si les investissements chinois en Indonésie ne donnent pas la priorité à la santé et à la sécurité, le sentiment anti-chinois risque d'augmenter. En outre, d'autres accidents qui causeraient des victimes pourraient ternir l'image des deux pays dans le monde.
Les risques que présentent les entreprises minières chinoises en Indonésie ne concernent pas seulement le nickel. Le Business & Human Rights Ressources Centre mentionne ainsi un rapport de la Banque Mondiale qui conclut que le développement d'une mine de zinc et de plomb dans le nord de Sumatra par une filiale d'une entreprise d'État chinoise « présente des risques « extrêmes ».
Pour Hendri Yulius Wijaya, spécialiste des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance1 (ESG) du cabinet de conseil PricewaterhouseCoopers (PwC) à Jakarta, l'Indonésie risque de manquer des occasions d'investissement dans l'industrie de transformation des minerais si elle ne fait pas suffisamment d'effort pour appliquer ces critères.
Un mouvement de protestation
Les conditions de travail dans les entreprises chinoises de l'industrie du nickel implantées en Indonésie sont de plus en plus dénoncées. En 2020 à Morosi (Sulawesi du Sud-Est), huit cents ouvriers de PT Virtue Dragon Nickel Industry, une autre filiale de Jiangsu qui réclamaient une hausse de salaire et des CDI avaient mis le feu à des équipements lourds et des bâtiments. Il n'y avait pas eu de victime mais cinq manifestants avaient été arrêtés.
En janvier 2023, dans l'usine de Gunbuster à Morowali, des heurts ont eu lieu. Là également, les travailleurs indonésiens protestaient contre leurs conditions de travail et leur salaire, et faisaient grève. Il y a eu deux morts, un ouvrier chinois et un ouvrier indonésien. En mars, ce sont des ouvriers de Virtue Dragon qui se sont mis en grève.
Quelques semaines après ces heurts, des ouvriers chinois travaillant dans la zone industrielle ont porté plainte auprès de la commission indonésienne des droits de l'homme pour leurs mauvaises conditions de travail, déclarant subir « de nombreux dommages physiques, psychologiques et financiers ».
En décembre 2023, de nouveau à Morowali, trois jours après l'accident qui avait fait dix-neuf morts dans l'usine de Tsingshan, quelque trois cents ouvriers ont manifesté pour demander de meilleures conditions de sécurité et de santé au travail.
Rizal Kasli, président de la Perhapi (l'association des professionnels de l'industrie minière d'Indonésie), estime que les heurts entre ouvriers à Gunbuster Nickel Industry sont dus entre autres à une « jalousie sociale des travailleurs locaux envers le traitement par GNI de la main d'œuvre étrangère ».
En fait, les ouvriers chinois en Indonésie travaillent dans des conditions pires que les Indonésiens, qui peuvent se syndiquer et défendre leurs droits. China Labor Watch, une ONG basée à New York qui enquête sur les conditions de travail en Chine, a constaté pour la période 2021-2023 les pratiques suivantes dans les entreprises chinoises : confiscation du passeport, violations de contrat, retenues de salaire, blessures et absence de sécurité au travail, absence de permis de travail indonésien, restriction des déplacements, violence physique pour enfreintes au règlement.
Les conditions de travail sont donc dénoncées non seulement par les travailleurs indonésiens mais aussi chinois. Pour Permata Adinda, une journaliste collectif Project Multatuli interviewée par le China-Global South Project, les ouvriers indonésiens doivent comprendre que c'est un problème de classe et non de nationalité.
Les investissements chinois en Indonésie posent encore d'autres problèmes. En septembre 2023, un millier de personnes ont manifesté devant l'agence gouvernementale chargée du développement de Batam, une île indonésienne qui fait face à Singapour, et de la région. Les manifestants protestaient contre l'expulsion prévue de 7 500 personnes de l'île voisine de Rempang, dans laquelle le verrier chinois Xinyi va construire un parc industriel et investir 11,5 millions de dollars.
Sortie « peu glorieuse »
Ce mercredi 14 février se tient l'élection présidentielle. En 2018 déjà, dans la dernière année du premier mandat de Jokowi, l'essor des investissements chinois en Indonésie et une présence grandissante de travailleurs chinois avait fini par produire un ressentiment à différents niveaux de la population indonésienne.
Prabowo, deux fois perdant face à Jokowi lors des précédentes élections mais nommé ministre de la Défense par ce dernier, va tenter une troisième chance d'être élu. Il a à ses côtés le fils de Jokowi, Gibran, comme candidat à la vice-présidence. Cette situation illustre à quel point la démocratie à reculé sous l'actuel président.
Durant la campagne électorale, Prabowo a déclaré qu'il poursuivrait les programmes de Jokowi.
Pendant les deux mandats de Jokowi, la dépendance de l'Indonésie envers la Chine s'est accrue, alors que les pratiques chinoises en matière de conditions de travail et de droit des travailleurs, de relations avec les populations locales, de protection de l'environnement, vont à l'encontre des efforts des Indonésiens pour construire une société démocratique. On comprend que l'hebdomadaire britannique The Economist qualifie de « peu glorieuse » la sortie de Jokowi.
Par Anda Djoehana Wiradikarta
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La suppression du « droit du sol » à Mayotte : une mesure d’exception dangereuse pour toutes et tous

C'est devenu une habitude : chaque visite ministérielle est l'occasion de déclarations fracassantes au premier rang desquelles figure systématiquement le renforcement de la lutte contre l'immigration. Ainsi pour tenter d'apaiser la colère des habitantes et habitants de Mayotte face à l'insécurité et à la crise migratoire, Gérald Darmanin a tout bonnement réitéré son souhait de supprimer le « droit du sol » en révisant la Constitution.
Tiré du site de la Ligue des droits de l'homme.
Le reniement de ce droit fondamental, qui existe depuis 1804, est le moyen proposé par le ministre de l'Intérieur censé pallier l'abandon de l'Etat et la déshérence de l'ensemble des services publics dans ce département le plus pauvre de France.
Or le droit applicable sur l'île est déjà une somme de dérogations, d'exceptions à la norme, qui entraînent des privations graves des droits fondamentaux. Alors que la LDH dénonçait déjà les aménagements restrictifs à Mayotte (l'acquisition de la nationalité française de tout enfant naissant à Mayotte étant actuellement subordonnée à l'exigence que l'un de ses parents soit en situation régulière depuis au moins trois mois), il s'agit aujourd'hui de porter, de façon ultime, atteinte au droit du sol dans ce département.
Il ne peut y avoir sur le même territoire national deux régimes de nationalité : la suppression pure et simple du « droit du sol » à Mayotte serait donc une fuite en avant répressive contraire au principe constitutionnel d'une République indivisible. Les Mahoraises et Mahorais ont avant tout besoin de la même égalité des droits que celle qui est reconnue dans tous les territoires de la République. Il s'agit également d'une mesure discriminatoire qui risquerait de se retourner contre eux, en ce qu'elle renverrait l'image d'un département différent qui ne répond pas aux mêmes principes que les autres territoires français.
Mais il s'agit également d'une mesure inefficace. Il n'a jamais été démontré que les règles d'accès à la nationalité ont un effet sur les flux migratoires, la limitation du « droit du sol » à Mayotte en est l'exemple même.
Enfin, il ne faut pas sous-estimer le danger qu'elle cache : cette mesure risque d'ouvrir une brèche dans le droit, une crainte accentuée par le fait que les territoires d'outre-mer sont souvent utilisés comme les laboratoires d'expérimentation des politiques générales.
Alors que nous sortons de mois de débats délétères sur la loi immigration, Gérald Darmanin joue une fois de plus le jeu dangereux de l'extrême droite en reprenant leurs revendications.
La LDH dénonce cette annonce et rappelle que c'est l'instauration, en 1995, d'un visa obligatoire pour les Comoriens qui souhaitent venir dans l'île française, dit visa Balladur, qui a mis fin à la libre circulation entre les différentes îles de l'archipel. Elle demande que soient privilégiées des mesures sociales plutôt que répressives, notamment la défense de l'accès à l'éducation, à un logement digne, à l'eau pour toutes et tous et refuse que les personnes migrantes soient une fois de plus les boucs émissaires de politiques publiques insuffisantes.
Paris, le 12 février 2024
Ligue des droits de l'Homme (LDH)
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Jour d’élections en Indonésie : la danse des élites porte Prabowo Subianto au pouvoir

Le 14 février, l'Indonésie, troisième plus grande démocratie et quatrième nation la plus peuplée, a organisé le plus grand scrutin au monde en une seule journée. Après une série de manigances anti-constitutionnelles, le ticket de Prabowo Subianto soutenu par le Président sortant Jokowi, a revendiqué la victoire aux élections présidentielles.
Tiré du blogue de l'autrice. Légende de la photo (de droite à gauche) : L'ancien gouverneur de Jakarta Anies Baswedan (candidat #1), le ministre de la Défense sortant Prabowo Subianto (candidat #2), et l'ancien gouverneur de Central Java Ganjar Pranowo (candidat #3)
204,8 millions d'Indonésiens, dont plus de la moitié ont moins de 40 ans, étaient en droit de voter pour choisir leur président et vice-président, ainsi que les députés de la Chambre des représentants nationale, des Conseils représentatifs régionaux et enfin la composition des parlements locaux. Une victoire à la présidentielle en un seul tour requiert l'obtention de la moitié des voix (50 % + 1), dans au moins 20 des 33 provinces.
Les problématiques liées aux dynasties politiques en Indonésie est un sujet qui a occupé les pages des médias (principalement locaux mais aussi internationaux, dont un billet par notre équipe) pendant des mois et qui continue d'être un sujet de discussion en cours. La religion avec la participation active de Muhammadiyah et de Nahdlatul Ulama - la plus grande organisation islamique d'Indonésie qui revendique quelque 40 millions de membres - est aussi un thème déjà largement exploré. Ces organisations jouent un rôle important dans l'orientation des décisions des électeurs en faveur d'un candidat qu'elles soutiennent. Dans la pratique, ces organisations deviennent souvent une partie active du processus de décision politique.
Alors que beaucoup a été dit sur les dynasties politiques et la montée depuis 2016-2017 d'un islam conservateur, un autre phénomène, celui de l'insécurité sociale, de l'incertitude sanitaire, de la précarité et de la pauvreté, reste peu analysé. Les tensions sont évidentes alors que ces véritables problèmes qui affligent la nation, couplé au recul de la démocratie, s'aggravent.

L'ancien général Prabowo Subianto a façonné une image politique oscillant entre un nationalisme fervent et un populisme religieux, mêlant une position ferme à une assurance charismatique militaire. Il a perdu face à Joko Widodo (2014-2024), dit Jokowi, lors des deux scrutins précédents, puis il a été intégré au gouvernement en tant que ministre de la Défense. Son co-listier Gibran Rakabuming Raka, est le vice-président le plus jeune de l'histoire de la République. Il est surtout le fils de Jokowi, homme d'affaires qui est passé maître dans l'art de maîtriser le jeu politique. Incarnant l'essence même de la dynastie, le jeune Gibran a commencé sa carrière après avoir terminé ses études au Management Development Institute of Singapore. Il a occupé le poste de maire dans la ville de Surakarta, comme son père l'a été de 2005 à 2012, puis a été propulsé à la vice-présidence, toujours avec le soutien de son père.
L'autre candidat à la présidence était Ganjar Pranowo, une figure qui rappelle Jokowi pendant son premier mandat. Il se déplace sur les marchés, converse avec la population, utilise un langage simple - celui d'un politicien du peuple - direct et sans peur, toujours avec un sourire même quand il est en colère. Le candidat à sa vice-présidence était Mafud, qui joue le rôle d'une figure équilibrante - plus sérieux, pragmatique, au langage tranchant et bien informé sur les questions du pays. Il est aussi très direct, comme démontré lors du dernier débat vice-présidentiel où il a réussi à déstabiliser Gibran.
Enfin, l'outsider Anies Baswedan est une personne qui peut être décrite de nombreuses manières, mais certainement pas comme quelqu'un incapable d'attirer l'attention. En formant des alliances avec des partis et des représentants d'un islam plus strict, l'ancien gouverneur de Jakarta (2017-2022) s'est taillé une place de choix dans le paysage politique national et se présente comme un agent potentiel de changement. Son candidat à la vice-présidence était Muhaimin Iskandar, dit Cak Imin, vice-président du Conseil représentatif du peuple, la chambre basse du Parlement, depuis 2019.
Trois candidats face au problème d'inégalité sociale
L'économie indonésienne a connu un développement significatif au cours des dernières années, avec un taux de croissance qui, bien qu'il ne corresponde pas entièrement aux attentes du gouvernement sous Jokowi, pourrait être considéré comme raisonnablement louable, compte tenu des deux années de la pandémie de COVID-19 qui ont inévitablement entraîné un ralentissement. Cependant, le développement économique et le développement social (qualité de l'emploi, soins de santé et égalité sociale) sont des domaines distincts. Jokowi est affectueusement surnommé "Monsieur Infrastructure" précisément parce que le point focal de son programme politique a été le développement économique infrastructurel. Il a cherché à aborder la Chine avec prudence en politique étrangère, s'alignant sur l'Initiative Ceinture et Route en coordonnant dix projets pour l'Indonésie, un aspect distinctif de son mandat.

Source de la carte
[ Lire notre analyse Mediapart sur la genèse de l'Initiative Ceinture et Route / Belt and Road Initiative (BRI)]
Jokowi est également la figure centrale derrière la loi Omnibus, une réforme du travail représentant la véritable facette de la politique indonésienne basée sur une approche capitaliste axée sur l'accumulation et l'exploitation. C'est l'essence même de la loi Omnibus : une atteinte aux droits des travailleurs et à l'environnement au nom du "développement économique", qui rappelle la "stratégie du choc" administrée à l'Amérique du Sud à partir des années 70, puis à l'Europe de l'Est et finalement l'Asie.
Les données les plus récentes de la Banque mondiale indiquent une réduction de la pauvreté absolue, mais la pauvreté relative a augmenté. Selon les chiffres officiels, l'accessibilité à l'emploi aurait augmenté, et pourtant, le défi imminent de l'Indonésie réside dans la difficile situation des jeunes éduqués qui peinent à trouver du travail. Ainsi, le nombre de nouveaux pauvres, jeunes et précaires, augmente. L'insécurité résultant des bas salaires est un dilemme que les candidats auront du mal à résoudre sans un profond remaniement des priorités économiques.
Face aux manœuvres politiciennes, les programmes sont difficilement audibles. Tout juste les différents débats ont-ils donné l'occasion aux trois candidats de réitérer leurs affinités thématiques : concorde nationale pour Pranowo, piété et solidarités islamiques chez Baswedan, et enjeux de souveraineté et de défense pour Subianto. Les discussions tournent autour des investissements et de l'économie, tandis que la sphère sociale est souvent négligée ou traitée avec parcimonie.

Que fera le prochain dirigeant de l'Indonésie pour le bien-être social du pays ?
Dans son programme, le candidat Subianto avait promis d'augmenter le nombre de médecins dans les villages dépourvus d'une couverture médicale adéquate. Il a également mis l'accent sur la lutte contre le fléau de la corruption et sur la réforme de la bureaucratie pour améliorer le système de santé dans ces régions.
Baswedan avait proposé des règles plus strictes pour les auteurs de crimes contre les femmes, tout en ciblant les jeunes votants en promettant une réforme de l'éducation, telle qu'une diminution des frais de scolarité. Il avait planifié la construction dans différentes régions d'Indonésie de quarante villes offrant des services similaires à la capitale Jakarta, immense mégalopole menacée par la montée des eaux. Cette initiative vise à assurer “une répartition équitable de la population” et à “créer un environnement sain offrant un confort à tous les résidents”.
Ce projet de décentralisation se voulait une réponse à la construction de la nouvelle capitale à Kalimantan, en pleine jungle de Bornéo, méga-projet pour laquelle l'équipe de Subianto, soutenue par l'ancien président Jokowi, veut rester dans l'Histoire. Subianto a également annoncé des mesures de lutte subventionnée contre la pauvreté telles que des repas gratuits dans les écoles et pour les femmes enceintes.
L'Indonésie est un pays qui souffre d'une des plus grandes disparités sociales au monde mais aucun candidat ne semble avoir de plan concret et complet pour s'attaquer aux sources de l'inégalité.
Ces élections sont marquées par l'absence d'un candidat capable de soutenir des politiques visant à réduire ce phénomène, car tous sont issus de la même classe qui perpétue cette disparité sociale. Il est donc surprenant que les votants aient choisi de porter au pouvoir deux représentants de la classe hégémonique, respectivement symboles de la violence d'Etat et du népotisme. L'entrée de Gibran, fils de Jokowi, sur la scène politique semble s'être traduite par un adoucissement de l'image de Subianto, 72 ans, mais hormis pour le fait d'être issu d'une famille illustre, les capacités politiques de Gibran semblent bien faibles. Il semble improbable d'imaginer que Subianto, ancien lieutenant général de l'armée et beau-fils de l'ancien dictateur Suharto, qui a souvent menacé les médias et les journalistes, donnera la priorité aux politiques sociales du pays. Durant les troubles en 1998, il a été renvoyé de l'armée avec déshonneur après avoir été lié à l'enlèvement de plus de 20 étudiants pro-démocratie - dont 13 n'ont jamais été retrouvés.
Selon CBS News, “l'ancien militaire est aussi parvenu à se réinventer en grande partie grâce à TikTok, qu'il a utilisé pour se redonner une image de grand-père câlin, aimant les chats, et qui n'a pas honte de faire quelques pas de danse maladroits sur scène lors de rassemblements. Cette nouvelle image semble avoir conquis un nombre décisif de jeunes électeurs indonésiens, dont beaucoup ne se souviennent peut-être pas de ses précédentes incarnations. Il a toujours nié avoir commis des actes répréhensibles lorsqu'il commandait les forces de sécurité, mais il a également déclaré que l'Indonésie avait besoin d'un dirigeant autoritaire et a suggéré qu'il serait bon d'abolir la limitation du nombre de mandats présidentiels.”
Peut-être est-ce précisément cela qui amène les Indonésiens à percevoir Prabowo Subianto comme un "Mussolini indonésien". Doté de charisme, d'une démarche sévère et d'une attitude intrépide, il a réussi à s'imposer auprès des gens comme l'homme de la situation pour régler à la dure les problèmes d'insécurité et d'inégalité sociales. Dans un pays considéré jusqu'à présent comme le pivot démocratique de la région, les inquiétudes concernant le rôle des dynasties politiques, l'abus des aides sociales et d'autres ressources gouvernementales par le président lui-même et l'appareil d'État, ainsi que le piètre bilan de Subianto en matière de droits de l'homme, remettent en question la force de la démocratie indonésienne.

Dirty Vote est un documentaire réalisé par Dandhy Laksono qui expose la fraude électorale systématique présumée de l'administration du président Joko Widodo et qui est expliquée par trois experts en droit constitutionnel, à savoir Zainal Arifin Mochtar, Feri Amsari et Bivitri Susanti. Il a été téléchargé par plus de cinq millions de personnes en deux jours... puis le réalisateur et trois experts en droit constitutionnel figurant dans le film ont immédiatement été traduits en justice pour diffamation.
Lors d'un panel organisé à Bangkok par SEA-Junction, Lia Sciortino, experte de la politique indonésienne, a rappelé : "Au cours du deuxième mandat de Jokowi, l'opposition a été englobée dans le gouvernement, de sorte qu'il n'y avait plus d'opposition. Tous les partis faisaient partie de la coalition et c'est devenu une pseudo-démocratie. Il y a eu un recul progressif de la démocratie pendant le deuxième mandat de Jokowi, malgré qu'il soit le premier à ne pas être lié aux élites militaires. Le népotisme et la corruption ont été complètement normalisés pour la majorité des Indonésiens. Cette élection est juste une sélection du moindre mal car chaque candidat porte dans son programme une attaque contre la démocratie. Certains généraux qui ont exclu Subianto de l'armée le soutiennent désormais à nouveau.""
Sous couvert de scrutin électoral, ces compromis entre élites politiques, économiques, religieuses et militaires sont communs en Asie du sud-est, particulièrement au Cambodge, aux Philippines, Thaïlande et Malaisie , pour maintenir leur pouvoir respectif et le statu quo. Ces alliances en apparence contre-nature permettent de neutraliser “légalement” toute possibilité de pleine démocratisation des institutions et de véritable représentativité de genre, de classe et d'ethnie.
Galuh Wandita, fondatrice de Asia Justice and Rights (AJAR), a résumé : “Nous avons eu Reformasi [un soulèvement populaire qui a renversé la dictature de Suharto en 1998 ], mais nos rêves étaient bien plus grands que cela. Le sentiment de dégoût, résumé par le mot 'muak', va au-delà des universitaires et des artistes. La société civile est désormais sensibilisée, les freins et les contrepoids sont la clé de la réussite, quel que soit l'élu. Suharto est tombé grâce à la société civile et aux leaders étudiants - il a été poussé par le pouvoir populaire.”
* Cet article a été co-écrit par Aniello Iannone, maître de conférences et chercheur à l'université de Diponegoro, étudiant en sciences politiques spécialiste de l'Indonésie et de la Malaisie, et Laure Siegel, correspondante pour Mediapart en Asie du Sud-est, dans le cadre de l'atelier "Training on Popularizing Research : A cross-sectoral approach on social movements in Southeast Asia" organisé par Alter-Sea et Shape-Sea.
** Pour comprendre le contexte, notre premier article sur l'ouverture de la campagne électorale en Indonésie et l'analyse de Romaric Godin dans Mediapart ]
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À Gaza, l’UNRWA est un témoin gênant », estime Tamara Alrifai, la porte-parole de l’agence onusienne*

La porte-parole de l'agence onusienne, Tamara Alrifai, alerte sur les conséquences des attaques israéliennes contre l'office pour les réfugiés palestiniens, dans un contexte de cataclysme humanitaire.
Par Rosa Moussaoui et Elisabeth Fleury.
Tiré de L'Humanité, France. Mise à jour le 13 février 2024 à 19h58
*Combien d'employés de l'UNRWA ont été tués depuis le 7 octobre ? Combien de vos infrastructures ont été détruites ?*
Au 8 février, nous déplorions la mort de 154 collègues. Plus de 300 incidents ont touché nos infrastructures de façon directe ou indirecte, menant à la destruction de certaines parties de nos abris et à la mort de personnes qui y avaient trouvé refuge.
Depuis le début de la guerre,toutes nos écoles, tous nos bureaux et entrepôts ont dû être transformés en abris <https://www.humanite.fr/monde/bande...> . À Rafah, cela concerne une cinquantaine d'immeubles. Cette ville, située dans la partie la moins développée de la bande de Gaza, est en principe dimensionnée pour 270 000 habitants. Elle accueille aujourd'hui 1,5 million de Gazaouis.
*Israël vous accuse de complicité avec le Hamas, qui contrôlait la bande de Gaza depuis 2006. Que répondez-vous ?*
Nous avons avec le Hamas <https://www.humanite.fr/monde/attaq...> des relations pragmatiques, de type logistique, nécessaires pour mener à bien nos opérations humanitaires, pour acheminer un convoi d'un point A à un point B. Nous accuser de complicité avec le Hamas est un non-sens. J'ai travaillé au Soudan, au Darfour, en Irak… avec le CICR ( Comité international de la Croix-Rouge – N.D.L.R. ), avec d'autres organisations. Pour chaque opération, sur un territoire donné, on traite avec ceux qui y décident.
*Savez-vous précisément ce qui vous est reproché ? Avez-vous vu le rapport des services israéliens accusant 12 de vos employés d'avoir participé aux attaques du 7 octobre ?*
Non. Nous avons juste reçu une liste avec 12 noms, ceux des personnes présumées impliquées dans l'attaque du 7 octobre.La fameuse évaluation des services israéliens <https://www.humanite.fr/monde/bande...> a été partagée avec les médias, pas avec nous. Les pays donateurs l'ont-ils vue ? Je l'ignore. Je rappelle que, tous les ans – la dernière fois, c'était en mai 2023 –, l'UNRWA remet au gouvernement israélien la liste de tous ses employés dans les territoires palestiniens. Dans un esprit de transparence.
S'il y a un problème, on nous en informe. En mai, rien ne nous a été signalé. Le commissaire général a la possibilité de licencier quelqu'un en urgence, s'il estime que c'est dans l'intérêt de l'agence. C'est ce qu'il a fait, à la suite de ces allégations, pour signifier que nous les prenions très au sérieux et rassurer les pays donateurs.
Dans ce même esprit, une enquête indépendante est en cours. Et, troisième chose, nous sommes en train de réviser nos systèmes de prévention, pour éviter les violations de neutralité. En dépit de ces mesures, 17 de nos pays donateurs, dont les 6 plus importants <https://www.humanite.fr/en-debat/ga...> , ont décidé de suspendre leur aide.
*Aviez-vous déjà eu des tensions avec ces pays ?*
Les États-Unis, le Canada, l'Australie, l'Allemagne, les Pays-Bas sont, traditionnellement, très vigilants sur la façon dont est dépensée leur aide et sur les standards de neutralité que nous appliquons. Ils sont particulièrement sensibles aux accusations dont nous sommes l'objet. Mais la rapidité de leur décision nous a surpris, étant donné l'ampleur de la crise humanitaire à Gaza et les possibles répercussions sur toute la région <https://www.humanite.fr/monde/armee...> .
*Pourquoi une telle précipitation ?*
C'est une prise de position politique très dommageable. Nous sommes en pourparlers très proches avec eux pour tenter de les convaincre de revenir sur leur décision. Notamment en leur démontrant tout ce que nous mettons en œuvre. Dans quatre semaines, un rapport préliminaire sera remis surl'enquête indépendante en cours <https://www.humanite.fr/monde/bande...> .
Nous avons invité des centres européens à nous aider à réviser nos systèmes internes. Nous avons licencié les douze personnes mises en cause. Que faire de plus ? Dans n'importe quel système, y compris au sein des gouvernements, il y a des fautes individuelles. Le plus important, c'est de vérifier que nos mécanismes internes permettent de les prévenir.
*Avez-vous eu peur que la France ne vous lâche, elle aussi ?*
Avec la France, sur ce conflit, la coopération est excellente. Financièrement et politiquement.L'appel de Paris à un cessez-le-feu humanitaire <https://www.humanite.fr/monde/bande...> est crucial.
*La concomitance de ces accusations avec la récente décision de la Cour internationale de justice, saisie d'une plainte pour « génocide » par l'Afrique du Sud, vous paraît-elle fortuite ?*
Il est très difficile d'attribuer ces allégations à la seule coïncidence. Et ce, d'autant plus que l'UNRWA est l'une des principales sources citées par la Cour dans cette affaire. La guerre se déroule sur le terrain, mais elle touche aussi au narratif. Nous avons face à nous une armée digitale, qui lance des accusations que les médias reprennent sans les recouper pour en faire des faits.
*Vous avez licencié ces 12 personnes. Les aviez-vous déjà identifiées comme peu fiables ?*
Non. Nous ne les avions pas identifiées comme telles. Ces accusations nous portent un grave préjudice. Si l'enquête indépendante conclut qu'une dizaine ou une vingtaine d'employés de l'UNRWA, sur les 30 000 que compte notre agence, sont impliqués dans l'attaque du 7 octobre, pourquoi accuser l'UNRWA dans son ensemble ? À chaque fois que nous subissons une accusation, nous utilisons nos mécanismes internes pour faire des enquêtes, vérifier leur teneur, prendre des sanctions appropriées.
*Peut-on vraiment enquêter sur un terrain de guerre dont l'accès, de fait, est interdit ?*
Les enquêteurs du secrétariat général de l'ONU sont mobilisés. Plusieurs collègues ont été entendus. Nous comptons, bien sûr, sur la coopération des autorités israéliennes… Et nous n'espérons qu'une chose : que cette enquête se déroule dans les meilleures conditions possible, qu'elle soit transparente, indépendante, que les Nations unies s'en approprient le résultat.
*Comment cette enquête interne va-t-elle s'articuler avec la mission confiée à Catherine Colonna ?*
Il s'agit de deux initiatives différentes qui se complètent. D'un côté, 12 cas précis, qu'il faut analyser. De l'autre, une révision de notre système interne afin de mieux coller aux standards de l'ONU et prévenir les mauvais comportements.
Nous avons des règles très strictes, notamment sur l'usage des réseaux sociaux, mais il n'est pas réaliste de se dire que 100 % du personnel peuvent être à 100 % respectueux des règles. Même au sein du gouvernement américain, c'est impossible.
*Bien avant ces accusations, deux think tanks, Un Watch et Impact-se, vous avaient mis en cause, le second sur les contenus des manuels scolaires utilisés dans vos écoles…*
Nous passons au peigne fin toutes les pages de tous les manuels, jusqu'aux classes de troisième. Nous repérons les passages qui ne sont pas en ligne avec les standards onusiens. Nous mettons en place une pédagogie, une méthodologie permettant d'aborder ces passages de façon critique.
Cela peut toucher à la représentation des femmes, quand elle n'est pas conforme avec le principe d'égalité des sexes. Ou aux cartes de la Palestine, sous lesquelles nous faisons systématiquement préciser à quelle période historique elles correspondent. Il y a des parties avec lesquelles ces think tanks ne sont pas d'accord, mais sur lesquelles les Nations unies ont tranché.Le terme « occupation » <https://www.humanite.fr/monde/armee...> , qui ne leur convient pas, est ainsi admis par les Nations unies. La construction du mur, en Cisjordanie <https://www.humanite.fr/monde/israe...> , a été qualifiée d'illégale par l'ONU.
**
*Quelle sorte de soutien apportez-vous aujourd'hui aux populations de Gaza ?*
Depuis le début de cette guerre, l'UNRWA s'est transformée à 100 % en agence humanitaire. Nous gérons des abris, nous distribuons de la nourriture, nous essayons de fournir de l'eau propre, quand nous avons les moyens de faire fonctionner nos équipements d'assainissement.
Nous avons complètement arrêté nos services continus. Les enfants ne sont plus scolarisés. Sur nos 25 dispensaires chargés du suivi des maladies chroniques ou des femmes enceintes, seuls 8 fonctionnent encore. À temps réduit. Les 3 000 personnes qui continuent à travailler pour nous à Gaza, qui sont des ingénieurs, des instituteurs, sont tous devenus des urgentistes.
*Que se passerait-il si votre action s'arrêtait demain ? Israël y a-t-il même intérêt ?*
Je ne peux pas répondre à la place des autorités israéliennes. Mais ce qui est certain, c'est que si notre action s'arrête, toutes les opérations humanitaires s'arrêtent. Nous sommes non seulement des fournisseurs directs de services à la population, mais aussi des logisticiens au service d'autres organisations humanitaires. Elles ont 20 à 30 employés chacune. Nous en avons 3 000 sur place.
Si nos employés décident de rester dans les abris, demain, c'est toute l'assistance alimentaire, toutes les cliniques mobiles, tout l'acheminement de l'aide qui s'arrêtent. Partout ailleurs, hors de Gaza, ce sont 700 écoles, un demi-million d'enfants, 140 centres de santé primaire, 2 millions de personnes suivies. Tous ces services publics s'arrêteront. Qui prendra en charge ces communautés, qui sont parmi les plus vulnérables, en Cisjordanie, au Liban, en Jordanie, en Syrie ?
*Israël vous accuse de maintenir artificiellement les Palestiniens dans un statut de réfugié. Qu'en pensez-vous ?*
Tous les réfugiés, de toutes les origines, transmettent leur statut à leurs enfants. Les Palestiniens ne sont pas différents des autres, de ce point de vue. Afghans, Syriens, Somaliens… pour ceux qui relèvent du Haut-Commissariat aux réfugiés, des alternatives existent. Soit l'intégration dans le pays d'accueil. Soit un retour volontaire à leur pays d'origine. Soit un pays tiers qui les accepte comme réfugiés.
Ces options n'existent pas pour les Palestiniens. Tant qu'ils sont dans cet état de transition, ils relèvent du statut de réfugié, ainsi que leurs descendants <https://www.humanite.fr/monde/pales...> , jusqu'à ce qu'une solution politique <https://www.humanite.fr/en-debat/co...> soit trouvée. Dans les accords d'Oslo, le droit au retour faisait partie des points de négociation en suspens. Cela n'a pas été réglé. Ce n'est pas l'UNRWA qui maintient les Palestiniens dans ce statut, c'est l'absence de solution politique. C'est pour cela que notre mandat est renouvelé tous les trois ans.
*À Gaza, l'UNRWA est-elle, pour Israël, un témoin gênant ?*
Oui, un témoin très gênant, une source d'information dansla procédure en cours à la Cour internationale de justice <https://www.humanite.fr/monde/afriq...> (CIJ).
*Certains pays ont décidé de continuer à vous soutenir, voire d'augmenter leur aide…*
L'Espagne et le Portugal, notamment. Par ailleurs, beaucoup de groupes intergouvernementaux, de centres de recherche, de personnalités ou de think tanks ont pris position pour défendre l'UNRWA.
Tout un monde de soutien s'est levé. Nous constatons une montée en flèche des donations privées, pour des petits montants, parfois 20 ou 50 euros, jusqu'à 20 000 euros. Cette marque de confiance reflète un soutien fort à notre action humanitaire.
*La semaine prochaine, des dizaines de pays diront, devant la CIJ, quelles sont les conséquences juridiques de l'occupation israélienne dans les territoires palestiniens. Un moment important ?*
Nous suivons de très près cette procédure. À chaque fois que la justice internationale est saisie, cela permet de mettre en lumière les actions de l‘UNRWA, celles des humanitaires. Ce sont des opportunités de positionnement, d'un côté comme d'un autre. Soit pour décrédibiliser le droit international, soit pour le mettre en valeur. Car il ne faut pas s'y tromper : derrière les attaques contre l'UNRWA, ce sont les instances de l'ONU dans leur ensemble qui sont visées.
*L'UNRWA en chiffres*
Budget annuel : 1,1 milliard d'euros en 2022.
Principaux donateurs en 2022 : États-Unis (318 millions d'euros) ; Allemagne (187) ; Union européenne (130) ; Suède (56,5) ; Norvège (31,5) ; Japon (27,8) ; France (26,8) ; Arabie saoudite (25) ; Suisse (24) ; Turquie (23).
En 2023, la contribution de la France a atteint 59 millions de d'euros.
Employés : ingénieurs, médecins, logisticiens, infirmiers, travailleurs sociaux… l'UNRWA compte 30 000 employés au total, dont 13 000 travaillent à Gaza (parmi ces derniers, 154 ont été tués depuis le 7 octobre). Plus de 70 % du personnel de l'agence travaillent dans le secteur éducatif.
Population aidée : on comptait 726 000 réfugiés palestiniens en 1950, au lendemain de la création de l'UNRWA. Ils sont aujourd'hui près de 6 millions, répartis dans une soixantaine de camps (à Gaza, en Cisjordanie, en Jordanie, au Liban et en Syrie). À Gaza même, l'UNRWA apporte son aide à plus de 1,6 million de réfugiés, dont 540 000 enfants.
« À Gaza, personne ne peut prétendre “Je ne savais pas“ », dénonce le commissaire général de l'UNRWA < www.humanite.fr/monde/bande-de-gaza/a-gaza-personne-ne-peut-pretendre-je-ne-savais-pas-denonce-le-commissaire-general-de-lunrwa <http://www.humanite.fr/monde/bande-...> >
Le 11 février, le siège de l'UNRWA a été visé par des tirs israéliens à Gaza ville.
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"Un génocide sans aucun doute" à Gaza, déclare le rapporteur spécial des Nations unies

La nourriture, l'eau, l'assainissement et d'autres besoins fondamentaux font l'objet d'une pénurie sans précédent pour plus d'un million de Palestiniens qui ont fui la bande de Gaza vers la ville de Rafah, dans le sud du territoire, a déclaré un rapporteur spécial de l'ONU à Anadolu.
Tiré de France-Palestine Solidarité. Article paru à l'origine dans Middle East Monitor. Photo : Novembre 2023, opération de recherche et de sauvetage dans les décombres d'un bâtiment effondré © UNRWA photo.
"Plus d'un million de personnes sont concentrées à Rafah, après avoir fui d'autres parties de Gaza. Elles manquent cruellement des nécessités de base de la vie, qu'il s'agisse de nourriture, d'eau ou d'assainissement, et la menace de maladies dépasse tout ce que nous avons vu dans les conflits des dernières décennies dans le monde, aussi graves qu'aient été ces conflits", a expliqué Balakrishnan Rajagopal, rapporteur spécial de l'ONU sur le droit au logement. "Il n'y a jamais eu de situation où une population n'a même pas été autorisée à fuir."
M. Rajagopal a souligné que même Israël ne sait pas où ces personnes sont censées aller, rappelant de nombreuses déclarations de sources israéliennes indiquant "un désir de les expulser entièrement de Gaza".
Faisant état d'allégations sérieuses selon lesquelles de hauts fonctionnaires israéliens et d'autres dirigeants prévoient d'éliminer la population palestinienne de Gaza, M. Rajagopal a souligné que ces allégations, considérées par certains comme des "divagations de personnes aléatoires en Israël", ne peuvent être ignorées.
"Malheureusement, tout ce que nous pensions impossible devient de plus en plus possible. Nous devons juger les actions d'Israël non pas en fonction de ce qu'ils disent, mais en fonction de ce qui se passe réellement. Ce qui se passe, c'est que les gens ont été déplacés à plusieurs reprises et qu'ils ont été concentrés à Rafah. Ils sont bombardés maintenant".
Soulignant que les rapporteurs de l'ONU ont rédigé de nombreux rapports sur la dimension "génocidaire" des attaques israéliennes à Gaza, M. Rajagopal a fait remarquer qu'ils avaient mentionné un "risque sérieux de génocide" dans leur rapport initial. Il a ajouté qu'ils avaient publié un autre rapport qui incluait la possibilité d'actes génocidaires en cours, déclarant : "Depuis lors, nous avons confirmé ce fait. Ce qui se passe à Gaza constitue un génocide".
Commentant l'affaire de génocide portée contre Israël devant la Cour internationale de justice (CIJ), M. Rajagopal a déclaré que la décision provisoire de la plus haute juridiction des Nations unies était que l'Afrique du Sud, qui avait porté plainte, avait "largement raison" dans sa requête. "Les actions entreprises par Israël pour créer les conditions dans lesquelles Gaza devient inhabitable pour la population qui y vit constituent, à mon avis, des actes de génocide, sans aucun doute.
Comparant la situation à Gaza à la guerre de Bosnie des années 1990, M. Rajagopal a souligné que la CIJ avait également jugé que le massacre de Bosniaques musulmans par les forces serbes à Srebrenica avait également constitué un génocide. "Pendant la guerre de Bosnie, dans l'ex-Yougoslavie, et dans ce conflit, environ 8 000 à 9 000 personnes ont été tuées. S'il s'agit d'un génocide, j'ai du mal à croire que ce qui se passe à Gaza n'est pas un génocide".
Les attaques israéliennes ont tué plus de 28 000 Palestiniens dans la bande de Gaza, principalement des femmes et des enfants.
Le fait de mettre l'accent sur la question de Gaza, a déclaré le rapporteur spécial, représente un "échec complet" de la communauté internationale. Le mécanisme d'action collective est complètement gelé et la communauté internationale n'a rien fait.
"Le Conseil de sécurité ou l'Assemblée générale des Nations unies ont adopté des résolutions très faibles qui n'ont pas été mises en œuvre. Même de manière formelle, l'arrêt de la Cour internationale de justice, bien que moralement et symboliquement important, n'a rien ordonné de concret qui ait conduit à des actions ou à des inactions spécifiques de la part d'Israël.
"Fondamentalement, sur le plan institutionnel, je pense que le monde a échoué. Il a échoué à Gaza. Et une fois de plus, Israël a montré qu'il était protégé par ce que j'appelle une impunité institutionnalisée. Israël semble être protégé quelle que soit la transgression.
Soulignant que de nombreux bâtiments ont été détruits à Gaza à la suite des attaques, M. Rajagopal a déclaré que les évaluations basées sur des données satellitaires et des rapports de terrain montrent que plus de 70 % des maisons à Gaza ont été détruites ou gravement endommagées, et rendues inutilisables. Il a ajouté que les données concernant des zones telles que Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, indiquent que 82 à 84 % de ces zones pourraient avoir été complètement anéanties.
"Nous parlons d'un très vaste niveau de destruction, du genre de ceux que nous n'avons pas vus dans d'autres conflits, comme par exemple à Mariupol, qui a été la ville la plus gravement détruite par les bombardements russes en Ukraine, ou par les conflits en Syrie."
M. Rajagopal a souligné que les maisons à Gaza n'ont pas seulement été détruites par des bombardements ou des attaques à l'artillerie lourde, mais aussi par les forces israéliennes qui se sont déplacées dans les zones bombardées et ont détruit des maisons et des bâtiments publics.
Il a souligné que la reconstruction de Gaza sera extrêmement difficile et nécessitera des années d'efforts soutenus, établissant un parallèle avec la reconstruction d'autres pays détruits lors de conflits.
"Je me demande combien de temps il faudra pour déblayer les décombres à Gaza. La reconstruction de Rotterdam a pris près de vingt ans. Soit dit en passant, c'était dans des conditions idéales, c'est-à-dire que nous étions prêts à investir beaucoup, beaucoup de ressources et de temps pour reconstruire la ville.
"La deuxième chose est plus importante : il faut s'assurer que les conditions d'une paix durable dans la région sont réunies avant que la reconstruction puisse réellement avoir lieu. Sinon, il n'est pas possible de s'attendre à ce que la reconstruction progresse de manière significative", a-t-il conclu.
Traduction : AFPS
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Les audiences s’ouvriront demain à La Haye : Débat à la CIJ sur les conséquences de la colonisation israélienne

Après avoir rappelé à l'ordre Israël, l'exhortant à mettre en exécution les injonctions qu'elle a prononcées le 26 janvier, la Cour internationale de justice (CIJ), entamera dès demain et jusqu'au 26 du mois en cours, le débat sur les conséquences de l'occupation israélienne des territoires palestiniens.
Tiré d'El Watan.
Des interventions orales de 52 Etats et de 3 organisations sont au menu de ces audiences publiques, qui plongent au cœur même du conflit palestinien, après la plainte pour génocide, déposée par l'Afrique du Sud, auprès de cette juridiction onusienne.
Dès demain et pendant dix jours, la Cour internationale de justice (CIJ) tiendra des audiences publiques sur la demande d'avis consultatif relatif aux « conséquences juridiques des politiques et pratiques d'Israël dans le territoire occupé de la Palestine, qui comprend également celui de Jérusalem-Est. Un débat qui fait plonger cette haute juridiction onusienne dans le cœur même d'un conflit qui dure depuis 75 ans et d'un génocide que l'entité sioniste mène en toute impunité depuis plus de quatre mois.
Au programme de ces dix jours d'audience, au Palais de la Paix à La Haye, les équipes juridiques de 52 Etats et de 3 organisations internationales se succéderont pour exprimer leurs avis devant les 15 juges de la CIJ, dont 6 récemment élus, un nouveau président libanais, Nawaf Salam, connu pour sa défense de la cause palestinienne, mais aussi une nouvelle vice-présidente ougandaise, Julia Sebutinde, devenue célèbre pour avoir voté contre les mesures imposées à Israël, par la CIJ, le 26 janvier dernier.
Tous vont plaider pour l'avis des magistrats sur les conséquences de la colonisation de la Palestine par Israël. Prévue demain, la séance d'ouverture des audiences sera consacrée exclusivement au représentant de la Palestine, qui aura à s'exprimer durant trois heures, suivi le lendemain par les délégués de 11 pays, dont l'Afrique du Sud et de l'Algérie, qui auront chacun 30 minutes pour sa plaidoirie.
La tenue de ces audiences ont été décidées à la suite d'une résolution de l'Assemblée générale de l'Onu (votée par 87 voix sur 193), datant du 30 décembre 2022, (dans le cadre d'une commission d'enquête de l'Onu) demandant à la CIJ, d'émettre un avis consultatif, sur les conséquences de l'occupation israélienne de la Palestine.
Cet avis concerne les conséquences juridiques de l'occupation et de l'annexion, ou encore les mesures visant à modifier la composition démographique, le statut de la ville d'El Qods et l'adoption par l'entité sioniste d'une législation.
Ces audiences interviennent après celles engagées par l'Afrique du Sud, auprès de la même juridiction, au début de cette année, contre Israël, pour prévenir et empêcher des actes de génocide à Ghaza. Dans son volet lié aux « demandes de mesures conservatoires urgentes » (en attendant l'examen au fond), la CIJ a évoqué un « risque potentiel de génocide » à Ghaza et exigé d'Israël « la prise de mesures » pour « l' empêcher et protéger la population ».
Sur le terrain, l'entité sioniste n'a fait qu'intensifier ses opérations militaires dont le bilan a dépassé les 28 000 morts et la destruction massive de la ville de Ghaza, poussant les populations à fuir de plus en plus vers Rafah, où les forces d'occupation ont annoncé leur intention d'étendre leur offensive.
Ce qui a poussé l'Afrique du Sud à revenir à la charge, le 12 février dernier, en demandant à la CIJ de prendre des mesures conservatoires additionnelles urgentes. La CIJ a rejeté la demande, mais rappelé à l'ordre Israël, le sommant « d'exécuter les décisions rendues le 26 janvier 2024, qui consistent, entre autres, à “protéger la population de Ghaza y compris Rafah” ».
Dans son ordonnance, la CIJ décrit la situation à Ghaza et à Rafah, en reprenant les propos du secrétaire général de l'Onu, Antonio Guterres. « Les événements intervenus tout récemment à Ghaza, en particulier à Rafah, entraînent une aggravation exponentielle de ce qui est d'ores et déjà un cauchemar humanitaire aux conséquences régionales insondables », ainsi que l'a indiqué le secrétaire général de l'ONU, avertit la CIJ avant de rappeler à l'ordre l'entité sioniste : « Cette situation alarmante exige la mise en œuvre immédiate et effective des mesures conservatoires indiquées par la cour dans son ordonnance du 26 janvier 2024. »
Pour la plus haute juridiction de l'onu, « ces mesures sont applicables à l'ensemble de la Bande de Ghaza, y compris Rafah et ne nécessitent pas une indication de mesures additionnelles ». Ce qui laisse entendre que les injonctions prononcées le 26 janvier dernier restent pour la CIJ suffisantes pour pousser Israël à protéger la population de Ghaza de tout éventuel acte de génocide.
Or, à dix jours de l'expiration du délai d'un mois (26 janvier au 26 février) pour présenter à la CIJ, un rapport sur les mesures prises pour empêcher tout éventuel acte de génocide et pour protéger la population de tels actes, Israël n'a rien fait sur le terrain. Bien plus grave. Il a intensifié ses raids sur Ghaza et entamé des opérations à Rafah.
Depuis le 26 janvier, le nombre de Palestiniens tués par les bombardements et les tirs de snipers a dépassé les 28 800 et celui des blessés a atteint la barre de 70 000, sans compter près de 8000 personnes encore sous les décombres.
Dans sa réponse à la demande de l'Afrique du Sud, envoyée jeudi dernier à la CIJ, Israël s'est contenté de s'en prendre avec virulence à l'action sud-africaine en « réaffirmant », toute honte bue, son « respect du droit international et de la convention de lutte et de prévention contre le génocide », alors que le monde entier suit en direct les bombardements des hôpitaux, des bâtiments résidentiels, des écoles, des châteaux d'eau, mais aussi les exécutions de civils à l'aide de drones tueurs.
Israël dit « regretter » la demande de l'Afrique du Sud, qui fait référence à l'article 75 du règlement de la Cour, la qualifiant de « particulièrement inappropriée » avant d'accuser Pretoria, de « chercher une fois de plus à abuser de la décision provisoire de la Cour ».
Sans argumenter ses remarques, Israël déclare que l'accusation de génocide contenue dans la saisine sud-africaine du 29 décembre 2023, est « totalement dénuée de fondement, moralement répugnante et constitue un abus à la fois de la Convention sur le génocide et à la Cour elle-même ».
Bien plus, Israël dit « réitérer » son « engagement en faveur du respect du droit international, y compris la Convention sur le génocide et le droit international humanitaire » qui d'après lui, « est inébranlable et s'applique, comme Israël l'a démontré en paroles et en actes, en ce qui concerne la conduite des hostilités actuelles à Ghaza et indépendamment de toute procédure devant la Cour ».
Israël dit « respecter le droit international en acte et en parole »
Pour Israël, il n'y a aucune guerre contre les civils, les infrastructures de base, les hôpitaux, les centres de réfugiés mais aussi la privation des survivants de nourriture, d'eau et de soins. Il précise d'ailleurs, qu'il « convient de noter que, comme la Cour l'a réaffirmé dans son ordonnance du 26 janvier 2024, la décision au stade des mesures conservatoires ne préjuge en rien la question de la compétence de la Cour pour traiter du fond de l'affaire ou de toute question relative à la recevabilité de la requête ou au fond lui-même ».
Selon lui, « les observations ci-dessous sont faites sur cette base et sont sans préjudice de la position d'Israël en ce qui concerne la compétence, l'admissibilité et le fond de l'affaire ». La demande sud-africaine du 12 février dernier, rappelle l'entité sioniste, « est adressée à la Cour en moins de trois semaines après que celle-ci a rendu son ordonnance indiquant des mesures conservatoires, et très peu de temps avant la date limite pour la présentation par Israël d'un rapport conformément à cette ordonnance.
Comme l'indique le titre de sa dernière demande, de l'Afrique du Sud, prétend faire une demande au titre de l'article 75 (1) du Règlement de la Cour. Une telle demande est en contradiction avec les termes de cet article qui concerne l'indication de mesures conservatoires par la Cour proprio motu, plutôt qu'à la demande d'un parti ».
Israël estime que l'invocation sud-africaine de l'article 75 (1) est « inapplicable » et « sa décision de ne pas invoquer l'article 76 (1) du même Règlement (…) suggère que l'Afrique du Sud (…) n'a pas satisfait à la condition prescrite dans cette dernière disposition » c'est-à-dire l'existence d'« un certain changement de la situation (qui) justifie une telle révocation ou modification ».
Israël rappelle dans le dernier point de sa réponse « que dans sa demande initiale de mesures provisoires du 29 décembre 2023, comme également lors de l'audience tenue en janvier de cette année, l'Afrique du Sud a plaidé en faveur d'une série de mesures provisoires que la Cour n'a pas jugé bon d'indiquer.
La principale d'entre elles était l'application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la Bande de Ghaza, tel que cela a été cité dans l'ordonnance du 26 janvier 2024 ». Aucune réponse n'a été donnée par Israël sur son intention d'étendre sa guerre à la région de Rafah, frontalière de l'Egypte.
Les déclarations de l'entité sioniste ont d'ailleurs fait réagir de nombreux chefs d'Etat, mais aussi le secrétaire général de l'Onu, Antonio Guterres, le haut commissaire des droits de l'homme et le commissaire de l'Unrwa, ainsi que le directeur général de l'Oms.
Tous ont mis en garde contre une « catastrophe humanitaire », en raison de la densité populaire à Rafah, et « la situation désastreuse » de la population qui souffre des maladies et de la famine.
Durant les audiences de cette semaine, bon nombre d'Etats vont mettre la lumière sur les conséquences d'une occupation de 75 ans, qui au fil du temps, a phagocyté une grande partie des territoires palestiniens, envahis par des colons, à laquelle s'ajoute une guerre génocidaire qui dure depuis plus de 4 mois.
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Les Palestiniens de Gaza n’ont nulle part où aller

Le 9 février 2024, le Premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou a déclaré que son armée allait poursuivre son avancée et pénétrer dans Rafah, la seule ville de Gaza à ne pas encore avoir été occupée par les Israéliens. La plupart des 2,3 millions de Palestiniens qui vivent à Gaza ont fui vers la frontière sud bordant l'Égypte après avoir été avertis par les Israéliens, le 13 octobre 2023, que le nord devait être abandonné et que le sud serait une « zone de sécurité ».
Tiré de Canadian Dimension
traduction Johan Wallengren
14 février 2024 / DE : VIJAY PRASHAD
Lorsque les Palestiniens du nord, en particulier ceux de la ville de Gaza, ont commencé leur marche vers le sud, souvent à pied, ils ont été attaqués par les forces israéliennes, qui ne leur ont pas laissé de passage sûr. Les Israéliens ont affirmé que tout ce qui se trouvait au sud du Wadi Gaza, qui divise l'étroite bande de Gaza, serait sûr, mais lorsque les Palestiniens se sont rendus à Deir-al-Balah, Khan Younis et Rafah, ils ont constaté que les jets israéliens les suivaient et que les troupes israéliennes étaient à leurs trousses. Nétanyahou a dernièrement annoncé que ses forces allaient entrer dans Rafah pour combattre le Hamas. Le 11 février, il a affirmé à NBC News qu'Israël assurerait « un passage sûr pour la population civile » et qu'il n'y aurait pas de « catastrophe ».
Catastrophe
L'emploi du terme catastrophe est significatif. Il s'agit de la traduction reconnue du mot Nakba utilisé depuis 1948 pour décrire l'expulsion forcée, cette année-là, de la moitié de la population palestinienne de ses foyers. L'utilisation de ce terme par Nétanyahou intervient alors que de hauts responsables du gouvernement israélien ont déjà parlé d'une « Nakba de Gaza » ou d'une « seconde Nakba », formules figurant dans la requête déposée par l'Afrique du Sud auprès de la Cour internationale de justice (CIJ) le 29 décembre 2023, à titre d'« expressions employées par les représentants de l'État israélien pour signifier l'intention génocidaire contre le peuple palestinien ». Un mois plus tard, la CIJ a déclaré qu'il existait des preuves « plausibles » de l'existence d'un génocide à Gaza en s'appuyant sur de tels propos de la part de représentants de l'État israélien. L'un de ces représentants de l'État, le ministre israélien de la Défense Yoav Gallant, a déclaré avoir levé toutes les restrictions aux opérations (« I have released all restraints »), ce qui a été relevé à la fois dans la plainte sud-africaine et dans l'ordonnance de la CIJ.
Le fait que Nétanyahou affirme qu'il n'y aura pas de « catastrophe » alors que plus de 28 000 Palestiniens ont été tués et que deux millions des 2,3 millions de Palestiniens de Gaza ont été déplacés laisse perplexe. Depuis que la CIJ a émis son ordonnance, l'armée israélienne a tué près de 2 000 Palestiniens et son offensive sur Rafah – une ville dont la densité de population se situe présentement à 22 000 habitants par kilomètre carré – a déjà été lancée. À partir du moment où Israël a révélé son intention pénétrer dans Rafah, le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC) – l'un des rares groupes opérant dans la partie sud de Gaza – a réagi en signalant le potentiel destructeur d'une telle invasion pour le travail humanitaire (« such an invasion could collapse the humanitarian response »). Le NRC a procédé à l'examen de neuf des lieux de refuge de Rafah, qui abritent 27 400 civils, et a constaté que les résidents n'avaient pas d'eau potable. Les lieux de refuge sont occupés à 150 % de leur capacité et des centaines de Palestiniens vivent dans la rue. Dans chaque zone sondée par le NRC, les réfugiés palestiniens étaient en proie à l'hépatite A, à la gastro-entérite, à la diarrhée, à la variole, aux poux et à la grippe. En raison de l'effondrement des activités humanitaires du NRC et des Nations unies, la situation ne pourra aller qu'en se détériorant. De fait, l'UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) a perdu son financement et subit actuellement les foudres des Israéliens.
Passage sûr
Nétanyahou prétend que son gouvernement offrira un « passage sûr » aux Palestiniens. Pareille litanie est servie aux Palestiniens depuis la mi‑octobre, lorsqu'on leur a dit de continuer à se déplacer vers le sud pour éviter d'être tués par les bombardements israéliens. Personne ne croit ce que dit Nétanyahou. Un travailleur de la santé palestinien, Saleem, m'a dit qu'il ne pouvait imaginer d'endroit sûr à l'intérieur de la bande de Gaza. Il s'est déplacé de Khan Younis au quartier Al Zohour de Rafah, à pied avec sa famille, cherchant désespérément à fuir pour ne plus être à la portée des armes israéliennes. « Où pouvons-nous aller maintenant ? », me demande-t-il. « Nous ne pouvons pas nous rendre en Égypte. La frontière est fermée. Nous ne pouvons donc pas aller vers le sud. Nous ne pouvons pas entrer en Israël parce que c'est impossible. Devrions-nous aller au nord, retourner à Khan Younis et à la ville de Gaza ? »
Saleem se souvient que lorsqu'il est arrivé à Al Zohour, les Israéliens ont pris pour cible la maison du docteur Omar Mohammed Harb, tuant 22 Palestiniens (dont cinq enfants). La maison a été rasée. Le nom du Dr Omar Mohammed Harb est inscrit dans ma mémoire, car je me suis souvenu que deux ans plus tôt, sa fille Abeer devait se marier avec Ismail Abdel-Hameed Dweik. Une frappe aérienne israélienne sur le camp de réfugiés de Shouhada a tué Ismail. Abeer a été assassinée lors de l'attaque de la maison de son père, qui avait servi de refuge à des gens fuyant le nord. Saleem s'est installé dans le quartier de Rafah où tout cela s'est déroulé. Aujourd'hui, il est désorienté. « Où aller ? », demande-t-il.
Domicide
Le 29 janvier 2024, le rapporteur spécial sur le droit à un logement convenable des Nations unies, Docteur Balakrishnan Rajagopal, a publié dans le New York Times un essai percutant intitulé « Domicide : the Mass Destruction of Homes Should be a Crime Against Humanity » (Domicide : la destruction massive de logements devrait être un crime contre l'humanité). Cet article était accompagné d'un reportage photo de Yaqeen Baker, dont la maison a été détruite par des bombardements israéliens à Jabalia (au nord de Gaza). « La destruction d'habitations à Gaza, écrit Madame Baker, est devenue une réalité de tous les instants, aussi omniprésente que le sentiment que « l'important est d'être en sécurité et [que] tout le reste peut être remplacé ». Ce sentiment est partagé par tous ceux qui sont encore en vie dans la bande de Gaza. Mais, comme le dit Dr Rajagopal, la proportion énorme de destruction des habitations à Gaza ne doit pas être considérée comme une fatalité. C'est une forme de « domicide », un crime contre l'humanité.
L'attaque israélienne contre Gaza, écrit Dr Rajagopal, est « bien pire que ce que nous avons vu à Dresde et à Rotterdam pendant la Seconde Guerre mondiale, alors qu'environ 25 000 habitations avaient été détruites dans chacune de ces deux villes. Il énonce des chiffres choquants : à Gaza, plus de 70 000 habitations ont été totalement détruites et 290 000 partiellement endommagés, ajoutant qu'au cours des trois mois de tirs israéliens, « 60 à 70 % des structures à Gaza, et jusqu'à 84 % des structures dans le nord de la bande de Gaza, ont été endommagées ou détruites ». En raison de ce domicide, les Palestiniens de Rafah n'ont aucun endroit où aller s'ils se dirigent vers le nord. Leurs maisons ont été détruites. « Cet écrasement de Gaza en tant que lieu, regrette Dr Rajagopal, efface le passé, le présent et l'avenir de nombreux Palestiniens » – réflexion qui ne fait que confirmer qu'un génocide est en cours à Gaza. Alors que je m'entretiens avec Saleem, le bruit de l'avancée israélienne se fait entendre au loin. « Je ne sais pas quand nous pourrons parler à nouveau, dit-il. Je ne sais pas où je serai. »
Vijay Prashad est un historien, éditeur et journaliste indien. Il est chargé de rédaction et correspondant en chef de Globetrotter, un projet de l'institut Independent Media Institute. Il est également le directeur de la maison d'édition LeftWord Books et de l'institut Tricontinental : Institute for Social Research. Le plus récent ouvrage de Vijay Prashad (cosigné avec Noam Chomsky) est The Withdrawal : Iraq, Libya, Afghanistan and the Fragility of US Power (Le Retrait : la fragilité de la puissance des États-Unis : Irak, Libye, Afghanistan, dans sa version française).
Cet article a été produit par Globetrotter.
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