Presse-toi à gauche !

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...

Les hurlements du vent : enquête sur l’extractivisme éolien au Mexique

23 avril 2024, par N. Derossi, N. Tiburcio — , ,
À l'image des ruées vers l'or qui ont provoqué des désastres politiques, sanitaires et environnementaux, la ruée contemporaine vers le vent conduit aux mêmes impasses. Au (…)

À l'image des ruées vers l'or qui ont provoqué des désastres politiques, sanitaires et environnementaux, la ruée contemporaine vers le vent conduit aux mêmes impasses. Au sud-est du Mexique, l'Isthme de Tehuantepec fait l'objet d'un investissement industriel et capitaliste hors-norme. L'extractivisme vert s'y traduit par un néocolonialisme économique qui nourrit la violence et les cartels.

17 avril 2024 | tiré du site de la revue Terrestres

Certains paysages racontent des histoires hostiles : les sédiments hétéroclites d'un passé et un présent de pillages, de crimes, et de conflits divers. L'Isthme de Tehuantepec héberge certains de ces paysages. Cette bande de terre étroite située entre l'Atlantique et le Pacifique forme un passage entre l'Amérique Centrale et l'Amérique du Nord. Depuis des siècles, ce frêle couloir suscite des convoitises afin d'en faire une une zone stratégique où impulser le commerce transocéanique. Situé dans le sud du Mexique, l'Isthme est devenu célèbre grâce à son potentiel d'expérimentation et d'expansion des mégaprojets d'énergie renouvelable à l'échelle mondiale, notamment pour le développement des fermes éoliennes.

Cette image a été reálisée sur la base de la carte “Megaproyectos en el Istmo de Tehuantepec” de GeoComunes, disponible ici.

Au moins depuis le milieu des années 1990, des projets pilotes y avaient été installés pour tester la faisabilité des parcs énergétiques, permettant peu après la prolifération des centrales éoliennes. Aujourd'hui, plus de 30 parcs ont transformé le paysage local. Dans les textes scientifiques d'ingénierie environnementale, l'Isthme n'est plus que 44.000 mégawatts de capacité énergétique potentielle : sa densité culturelle et sa diversité naturelle sont traduites et réduites à un chiffre de puissance productive. Les analyses de risques des investisseurs parlent à leur tour d'une “zone économique spéciale” et de “retours de capitaux”. Ce qu'ils oublient trop souvent est que dans ce paysage de conditions météorologiques optimales, de promesses pour l'avenir du climat et la stabilité économique, il y a des êtres, humains ou pas, qui y habitent depuis longtemps. Dans ces paysages, il y a aussi des vies en résistance.

L'Isthme n'est plus que 44.000 mégawatts d'énergie potentielle : sa densité culturelle et sa diversité naturelle sont réduites à un chiffre de puissance productive.

Plusieurs reportages journalistiques et études approfondies existent sur les énergies renouvelables, le colonialisme vert, les communautés autochtones de Oaxaca ou même les impacts environnementaux récents dans la région de l'Isthme1. Rappelons que derrière chaque éolienne, il y a une mine à ciel ouvert qui bouleverse un lieu et ses conditions de vie2. Dans l'Isthme, une poignée d'entreprises minières et cimentières3 ainsi que quelques chaînes de commercialisation et de production agro-industrielle4, toutes appartenant à l'oligarchie économique du Mexique et du reste du Globe, branchent leurs profits au vent de l'Isthme, accaparant un tiers de l'énergie produite.

Plus de la moitié de la capacité énergétique des parcs est contrôlée par cinq compagnies, dont quatre européennes5 – la plupart mettant en avant leur image verte, alors même qu'elles ouvrent des puits de fracking et construisent des oléoducs ailleurs. L'extractivisme éolien doit enfin être abordé dans le contexte plus large du Couloir Trans-océanique, un complexe de développement industriel censé “moderniser” la région à travers la construction de ports d'importation et d'exportation, de chemins de fer, de puits d'exploitation d'hydrocarbures, de raffineries, de mines et d'usines6. Les investissements colossaux visent à transformer l'Isthme de Tehuantepec en une étroite bande du Progrès, une de ces lignes de connexion globale qui font transiter le capital d'un côté à l'autre, un espace ne reliant plus deux mers mais les divers pôles de développement par des flux économiques dictés par la même logique prédatrice du Globe.

Les investissements colossaux visent à transformer l'Isthme en une étroite bande du Progrès, une de ces lignes de connexion globale qui font transiter le capital d'un côté à l'autre.

Les camarades de StopEDF Mexique ont co-organisé récemment une tournée en Europe pour ouvrir des espaces de parole dédiés à des participant.es direct.es des luttes les plus emblématiques de l'Isthme contre l'expansion des éoliennes et du Couloir Trans-océanique. Nous avons voulu faire un geste inverse mais complémentaire : aller là-bas, rencontrer les lieux, les personnes et entendre leurs histoires. En janvier 2023, nous avons réalisé une brève enquête pour rassembler des témoignages fragmentés de la situation actuelle et pour repérer les singularités et les récurrences à San Mateo del Mar, San Francisco Pueblo Viejo et Juchitán de Zaragoza. Cet article est donc une collecte de rumeurs, un écho parmi d'autres qui rassemble les sons que nous avons trouvés au cours de notre marche. Nous avons vu une mosaïque complexe de violences juxtaposées qui pourtant sont affrontées jour après jour avec le digne espoir d'arriver à tisser, ensemble, quelque chose de commun. Ce sont certaines de ces histoires que nous souhaitons partager ici.

FAIRE SUBSISTER DES MONDES FRAGILES

La route qui mène à San Mateo del Mar est étrangement peuplée et animée, transitée de tous les côtés par des mototaxis, des calèches tirées par des chevaux, des motos avec trois personnes à bord, des vaches rachitiques, des femmes seaux à la main et paniers sur la tête. La rectitude infinie du chemin interpelle et invite à consulter une carte : comment est-ce qu'on peut avancer si longtemps dans la même direction, au milieu de l'océan ? San Mateo del Mar se trouve sur une mince langue de terre d'une trentaine de kilomètres de long qui sépare l'océan Pacifique de l'Amérique du Nord de la lagune supérieure du Golfe de Tehuantepec. De l'autre côté de la lagune, vers l'Est, une autre péninsule s'étend dans la direction inverse, formant une courbe inusitée, interrompue à peine par un estuaire d'un peu plus de 2 km de large.

C'est dans le périmètre de ce Golfe que des projets de fermes éoliennes ont commencé à voir le jour de manière dispersée il y a désormais plus de vingt ans. Dans certains cas comme celui de La Ventosa, les pales et les poteaux blancs immaculés de 80 mètres de haut s'étalant sur des terrains vides, clôturés et surveillés par caméras, sont une réalité bien installée. En revanche, dans des lieux comme San Mateo del Mar ou San Francisco, des villages situés dans la péninsule opposée, les fermes éoliennes sont visibles seulement dans la ligne lointaine de l'horizon. Cette trêve apparente était précairement maintenue, traversée par les bémols et les antagonismes entre la survie de la cohésion communautaire, les forces de désagrégation sociale et diverses expressions de résistance – des vecteurs multidirectionnels qui demeurent ancrés dans les traits du paysage.

Regardant vers le soleil levant, les habitant.e.s de San Mateo appellent la mer à gauche « la mer morte », et celle de droite « la mer vivante ». Sur la première, les gens sèment des bâtons blancs en bois, parfois éloignés de la côte de plusieurs dizaines de mètres, pour ancrer leurs cayucos, des canoës colorés d'une capacité de deux ou trois personnes, taillés dans un tronc, propulsés par la force de la rame et celle du vent. Avec des pièces de nylon cousues à la main à partir de bâches ou de sacs en plastique, les pêcheurs improvisent les voiles, hissées chaque aube pour la recherche de poissons. De l'autre côté, celui de la mer vivante, les rafales soufflent avec plus de vigueur et quand les conditions sont favorables, on peut voir les filets de pêche être tirés et placés depuis la rive avec l'aide d'un papalote, un cerf-volant. À San Mateo del Mar, on utilise le vent pour pêcher, les mangroves pour chercher des crevettes, le sable et les pierres pour chasser des crabes. On mange du poisson et des fruits de mer matin, midi et soir. Plusieurs fois par an, des pétales de fleurs sont laissés à la merci de la marée, pour rendre hommage à cet océan qui permet encore leur subsistance. La communauté vit du vent et de la mer, de ces deux mers. Ces eaux sacrées, nous dit-on, sont l'assise de leur travail et leurs rituels.

Cinq villages occupent la péninsule. San Mateo est le quatrième, l'avant-dernier au bout de la péninsule. Comme beaucoup d'autres communautés du Mexique qui maintiennent leur héritage autochtone, il est petit : environ 75 kilomètres carrés de ville pour moins de quinze mille habitant.e.s, dont la plupart d'origine ikoots. Au centre, une placette accueille les assemblées du village, le siège des discussions publiques et de la prise de décisions. C'est là qu'advient le changement des autoridades – les personnes mandatées pour l'organisation du village -, un événement toujours accompagné de la cérémonie du passage du bâton de commandement, un exercice rituel où les gens prient à portes closes pendant une nuit entière pour reconnaître la rotation des responsabilités communautaires. Le lendemain, elles se rassemblent devant la mairie ou aux alentours, écoutant de près et de loin les mots en ombeayiüts, la langue locale. Là-bas, les habitant.e.s choisissent leur gouvernement à main levée avec un système tournant de cargos, de services à la communauté, qui depuis l'arrivée de l'État-nation et de la démocratie libérale, se juxtapose aux partis politiques de l'administration municipale. Cependant, selon la logique représentative de l'État, la participation politique est réduite à une visite occasionnelle aux urnes. Au sein de cette communauté, en revanche, la légitimité du président en charge ne dépend pas de son registre électoral, mais plutôt de l'accord collectif et du rituel de passage.

L'assemblée et les mécanismes de prise de décisions associés sont des pratiques collectives fondamentales pour faire exister la communauté. Néanmoins, le commun ne se tisse pas seulement avec l'exercice de la parole et la gestion du pouvoir : il déborde les étroites limites du dialogue, du consensus et de la (dés)identification politique7. Le commun est acté au jour le jour, dans le travail quotidien, les cérémonies et les fêtes de villages. Témoins d'un de ces moments, nous nous retrouvons à six heures du matin à la « Maison du peuple ». Les rayons timides du soleil commencent à peine à dissiper l'abîme de la nuit. Pourtant, les hommes et les femmes du village sont déjà rassemblés depuis quelques heures pour contribuer à l'organisation de la « Fête de la Candelaria », l'une des festivités les plus importantes du pays, un mélange inouï d'héritage préhispanique, de liturgie chrétienne et de traditions autochtones. Une soixantaine de femmes vêtues de robes tissées avec la technique artisanale du telar de cintura sont assises sur des chaises en plastique dans la cour du bâtiment. Leurs regards sont fiers, leurs cheveux soignés, laissant à découvert les rides que le soleil et le temps ont creusé sur leur bronzage. Le concert polychromatique de l'aube façonne les feuilles et la silhouette des troncs et des visages, ajoutant de la solennité au pliage de leurs habits. Plusieurs hommes, tous vêtus de pantalons malgré la chaleur, sont également assis, tandis que cinq autres sont debout et servent aux personnes qui sortent d'une petite salle un breuvage marron, transporté à deux mains dans des jícaras8. Une écume dense dépasse la circonférence des tasses : c'est l'atole de espuma, une boisson préhispanique à base de maïs qui a été préparée pendant la nuit par celles et ceux qui avaient assumé ce rôle pour collaborer à l'événement. À l'intérieur de la pièce, la pénombre règne. Des hommes et des femmes discutent devant une table, reçoivent les offres monétaires et notent minutieusement les montants sur un livre ouvert. À côté, contre un mur, se dresse un autel avec quelques bougies allumées, des fleurs, une croix chrétienne et le grand masque d'un serpent. C'est la rencontre de plusieurs mondes – l'expérience du fil tiré par les mains qui, ensemble, nouent leurs vies avec leurs paysages, leurs passés, leurs mondes et leurs destins.

Le commun ne se tisse pas seulement avec l'exercice de la parole et la gestion du pouvoir : il est acté au jour le jour, dans le travail quotidien, les cérémonies et les fêtes.

Tout le monde participe d'une manière ou d'une autre à garder en vie ces moments qui perpétuent la vie communautaire. Il s'agit de pratiques collectives que certain.e.s appellent depuis un moment la comunalidad – des pratiques qui rendent possible à la fois la subsistance des personnes, des lieux et des liens entre les un.e.s et les autres9. La comunalidad émerge en ce sens de la rencontre d'histoires parfois récentes, parfois ancestrales. Elle a des racines qui creusent les profondeurs de la terre, bien ancrées dans des anciennes coutumes et des souvenirs lointains, mais elle pousse aussi à partir de ses réactualisations constantes. Des rencontres passées qui donnent lieu à des rencontres futures et façonnent d'autres pratiques, d'autres présents. Ivan Illich avait bien remarqué que contrairement à l'homogénéisation de certain projets d'urbanisation et d'aménagement, l'habiter n'est pas un parking de corps transposables n'importe où dans un espace standardisé, mais plutôt une série de pratiques plurales, vernaculaires, attachées à leurs milieux d'existence10. Les langues, les usages, les mémoires, les reliefs topographiques et les êtres multiples qui peuplent ces paysages composent ensemble des trames communes, toujours singulières, jamais interchangeables. Le commun nomme ainsi moins un principe politique qu'un mode d'habiter qui ouvre et entretient des mondes pluriels.

On a appris à San Mateo que ces mondes sont aussi riches que fragiles. Ces derniers temps se lèvent des menaces persistantes de mort, des menaces directes et explicites pour certaines des habitant.e.s ; et silencieuses et sous-jacentes pour les agencements communs. Chaque année, il y a moins de personnes consacrées à la prière ou capables d'assumer la charge de diriger l'organisation de la fête. Les jeunes, avec des possibilités toujours plus restreintes de continuer à vivre comme auparavant, partent au nord, vers les villes ou aux Etats-Unis. Celles et ceux qui restent ou retournent se retrouvent souvent mêlé.e.s à la dépendance des drogues fortes, comme le cristal, qui envahit la région. Les terres sont à leur tour toujours plus inaccessibles, avec des contrats privés qui érodent la gestion agraire communautaire. Pareil avec la pêche : les conflits prolifèrent du fait de la démarcation des zones de droits de pêche exclusifs et excluants. Même les assemblées sont fragmentées par l'intrusion des partis politiques. Ernesto de Martino parlait de la dissolution de ces attachements comme de ‘la perte ou la fin du monde' : la destruction des liens qui nous tiennent ensemble 11. Dans l'Isthme de Tehuantepec, nous avons pu observer comment la perte de ces mondes est étroitement liée à l'expansion de cet autre monde, dont les fermes éoliennes font partie.

LES VECTEURS DÉGÉNÉRATIFS DE L'HABITER COLONIAL : PARTIS POLITIQUES, CARTELS ET ENTREPRISES D'AMÉNAGEMENT

« Vous allez prendre vos hamacs et les attacher aux poteaux des moulins. Leurs pales vont tourner, et vous deviendrez riches sans lever le petit doigt ! » – disaient les ingénieurs et les représentants des projets pour convaincre les paysan.ne.s de vendre leurs terres au projet. Les habitant.e.s se souviennent des ambassadeurs des compagnies transnationales et des délégués des bureaux gouvernementaux venus parler du développement des fermes éoliennes. Ils se sont présentés à l'école, à la mairie et dans les quartiers, avec des promesses d'un futur d'abondance, proposant de grosses sommes d'argent pour louer 50 ans avec une clause de renouvellement automatique les terres communales de San Mateo, de San Francisco ou celles autour de Juchitan. Le projet : installer des centaines d'éoliennes dans les alentours des localités ainsi que sur la Barra de Santa Teresa, une maigre frange de terre qui traverse la lagune, considérée comme un territoire sacré par les communautés adjacentes. Les promoteurs se promenaient de village en village, accompagnés de leurs gardes armés, pour inviter les paysan.ne.s à des réunions où l'alcool coulait à flots – sous l'influence de l'alcool, la fumée des illusions ou simplement de la nécessité économique, certain.e.s ont signé des contrats de vente ou de location avec les développeurs. À San Mateo on a offert environ 25 000 pesos par mois pour l'école. Une grosse somme, ou du moins ce qu'il paraît avant quelques calculs : “il y a environ 300 enfants, ça ferait quoi… 80 pesos par enfant ? Alors imaginez que chaque enfant vient d'une famille assez large, disons 6 minimum : les 25.000 pesos se réduisent à un peu plus de 10 pesos par personne… 10 pesos par mois… 10 pesos par mois pour perdre nos terres à jamais !” – disaient les habitant.e.s, fiers d'avoir réussi à repousser le projet.

« Vous allez prendre vos hamacs et les attacher aux poteaux des moulins. Leurs pales vont tourner, et vous deviendrez riches sans lever le petit doigt ! »

Au niveau des autorités et des institutions publiques, le capital engagé, les bénéfices escomptés ont fait de toute position de pouvoir un poste potentiellement corruptible : des votes ont été achetés pour prendre le contrôle sur l'administration, changer les réglementations d'usage du sol, ou pour contourner la supervision agraire ou environnementale. Des consultations délibérément mal informées, sans traduction dans les langues autochtones, reposant sur des outils numériques presque inexistants dans les communautés et sans quorum représentatif furent utilisées pour justifier les installations, en dépit même des inquiétudes soulevées dans la rue et les tribunaux.

Cette intrusion est advenue à travers la collusion de l'industrie énergétique avec un écosystème d'acteurs que nous pourrions regrouper en trois grands groupes : les partis politiques et leurs postes dans l'administration, les cartels du crime organisé et leurs branches locales, et les compagnies de construction appartenant aux oligarchies régionales et nationales. Ces acteurs ont opéré chacun à leur manière comme des vecteurs dégénératifs, dirigeant l'injection de capital vers la désagrégation des communautés, fragmentant les pratiques qui faisaient tenir leurs mondes. Grâce à l'organisation collective, dans certains cas comme ceux de San Mateo del Mar ou de San Francisco, les parcs éoliens n'ont pas encore vu le jour, mais la présence de ces vecteurs était devenue perceptible dans le quotidien des habitant.e.s.

D'abord, dans les pratiques d'organisation politique. Les assemblées ressentent désormais des divisions importantes : les conflits entre les groupes cherchant le pouvoir sont toujours plus fréquents et violents, et parfois des candidats externes aux communautés prennent des postes dans l'administration à travers des processus frauduleux, soutenus par tel ou tel parti politique, toujours favorables aux projets d'aménagement. En 2020, par exemple, San Mateo a vécu un de ces épisodes. Les habitant.e.s se souviennent en chuchotant du “Massacre” : au cours d'une assemblée communautaire, 15 personnes furent assassinées à coups de machette, bâtons, pierres et armes à feu par un groupe d'hommes cagoulés. L'événement remontait à 2017, quand une personne n'ayant pas accompli ses cargos força sa candidature au gouvernement de la municipalité en achetant des votes et sans être reconnue par l'assemblée. Une fois au pouvoir, des contrats permettant la privatisation et l'aménagement des terres ont été signés, déclenchant l'intensification des confrontations entre des groupes antagonistes au sein de la communauté. Dans d'autres lieux, comme San Francisco, les partis au pouvoir ont retiré des programmes d'assistance sociale aux familles d'un village, pour les diriger vers leurs partisans dans un autre village, creusant ainsi le conflit entre les deux communautés. On nous le dit à plusieurs reprises : dans une logique de représentation où le politique n'est qu'un marché de votes et un vacarme d'opinions, “les partis sont là pour ça : pour partir 12, pour diviser”.

UNE GUERRE CONTRE DES MANIÈRES DE VIVRE ET DE S'ORGANISER

La création et la prolifération de groupes d'intimidation se propageant dans la région pour favoriser tel ou tel parti politique s'accompagne d'un renforcement des mafias locales qui parfois sont directement liées aux parcs éoliens – par exemple, dans la composition des corps de sécurité qui surveillent en continu les infrastructures ou en ce qui concerne les “groupes de choc 13” qui sont mobilisés pour réprimer et intimider celles et ceux qui se manifestent contre le projet. Certaines entreprises deviennent donc des alliées des sicarios 14de la zone : il y a quelques années, par exemple, des compagnies ont engagé un groupe de tueurs à gage. Aujourd'hui, ce même groupe a consolidé sa présence et opère désormais comme la branche locale de l'un des cartels du crime organisé les plus redoutés du pays : le Cartel Jalisco Nueva Generación. La collusion avec le pouvoir politique et le capital issu des projets de développement a donc permis d'augmenter le pouvoir et la marge de manœuvre des mafias locales, amenant plus de drogues, plus d'armes, achetant plus de politiciens et de policiers.

Enfin, avec l'argent qui arrive par millions, la main sur les autorités corruptibles et sur les armes, les cartels et les développeurs ont impulsé ensemble la spéculation immobilière et industrielle dans la région. Ceci, à travers une modification du régime agraire, l'obtention de permis de construction et des titres des terrains concernés. Les nouveaux plans d'aménagement prévoient la construction d'un couloir industriel dont les éoliennes ne sont que l'avant-poste. C'est ainsi que les groupuscules du crime organisé, agissant avec les investisseurs venus d'ailleurs sont devenus eux-mêmes des sociétés entrepreneuriales, finançant la création de nouvelles sociétés de pêcheurs et d'éleveurs, créant des comités de « travailleurs organisés » en faveur des parcs ou contrôlant l'expansion de franchises très rentables partout dans la ville. À San Francisco, une nouvelle société de pêche essaie d'accaparer l'usage des eaux, alors qu'une entreprise entend imposer la construction des autoroutes non réglementaires, contre la volonté de l'assemblée locale. À San Mateo, les groupes derrière la violence et les abus d'autorité étaient liés à des entreprises d'aménagement mangeuses des terres. À Juchitan, on retrouve les noms des familles des cartels aux postes de pouvoir dans l'administration, ainsi qu'à la tête de franchises très lucratives. Les politiciens, les narcotrafiquants et les entrepreneurs se mêlent jusqu'à devenir indiscernables.

“C'est une guerre contre nos manières de vivre et de nous organiser” – résuma l'enseignant zapotèque15 d'un lycée en expliquant la situation actuelle. Il y a deux décennies, le mouvement zapatiste avait déjà décrit l'expansion du Monde-Un de la marchandise comme une guerre contre la diversité irréductible des modes de vie qui peuplent la planète : leur anéantissement par uniformisation à la citoyenneté globale du consommateur universel ; leur déchirement par la fragmentation en des identités fixées et scindée 16. Cette guerre porte aujourd'hui les drapeaux de la transition énergétique. Depuis leurs bureaux en Europe ou aux États-Unis, les banquiers distribuent tranquillement des crédits pour l'innovation techno-scientifique et la gestion d'une planète propre et bien organisée. Les plus avant-gardistes commencent à déplacer leurs investissements vers des compagnies zéro charbon, projetant fièrement dans les salles de leurs gratte-ciels les vidéos de ces projets de technologie de pointe qui permettent de rêver d'un autre monde, un monde exactement comme celui d'aujourd'hui, c'est à dire, un monde sans attachements, où l'on est libre de vendre nos milieux d'existence et où il n'y a pas d'autre appartenance que celle achetée avec de l'argent ou gagnée par la violence, mais cette fois-ci aussi branché à la machine zéro charbon des parcs éoliens et des fermes solaires.

Le mouvement zapatiste a déjà décrit l'expansion du Monde-Un de la marchandise comme une guerre contre la diversité irréductible des modes de vie qui peuplent la planète. Cette guerre porte aujourd'hui les drapeaux de la transition énergétique.

En étudiant les plantations des Caraïbes, Malcom Ferdinand parlait de l'habiter colonial comme un mode d'habiter basé sur l'anéantissement des mondes-autres, leurs milieux de vie et d'organisation. L'Isthme de Tehuantepec montre la réactualisation et l'extension de ce mode d'habiter : une voie à sens unique, une transition, effectivement, mais une transition vers un seul mode d'habiter basée sur la prolétarisation et la spoliation. Et pourtant, comme face à toutes les guerres, il y a des expériences d'organisation et de résistance capables de semer des alternatives parmi les décombres. Comme ce fut rappelé à plusieurs reprises, après 500 ans de colonisation, les communautés sont encore là, en train d'exister, de subsister et de résister.

RÉSISTER : LES NOUVEAUX ASSEMBLAGES DU COMMUN

Certains processus de lutte dans l'Isthme de Tehuantepec sont désormais connus à l'international. Les assemblées populaires et des peuples autochtones font partie des multiples plateformes d'organisation intercommunautaire permettant la coordination de contre-pouvoirs populaires, de brigades d'information, de ressources juridiques contre les entreprises et le gouvernement pour défendre la vie et le territoire. Dans certains cas, ce furent des processus fructueux, ralentissant ou même forçant l'abandon de certains méga-projets. Dans d'autres, ce fut un déchaînement de violence. Et pourtant, malgré les conditions extrêmes, les expériences de résistance et de réactualisation du commun se répandent : projets d'écoles, collectifs culturels et éducatifs de femmes, de radios, réhabilitations des écosystèmes…. Dans un des villages, un groupe de femmes conçoit des campagnes informatives sur les risques des méga projets extractivistes, soutient des actions de reforestation des mangroves, et réalise des peintures murales sur les questions de genre, de droits reproductifs et de changement climatique. Elles orchestrent aussi la construction d'un foyer d'organisation communautaire avec des ateliers de sciage et de menuiserie qui ont pour but de former les jeunes, récupérer les métiers artisanaux et ouvrir une alternative de vie qui permette de garantir leur subsistance sans émigrer, sans nourrir les rangs du travail exploité, et sans gonfler les cadres armés des cartels.

Malgré les conditions extrêmes, les expériences de résistance et de réactualisation du commun se répandent : projets d'écoles, collectifs culturels et éducatifs de femmes, de radios, réhabilitations des écosystèmes….

De l'autre côté de cette même région, une radio communautaire participe à sa façon à l'articulation du commun avec un format de diffusion où les habitant.e.s sont en même temps ses auditeur.rice.s et ses participant.e.s. Depuis le toit de l'école, une antenne rudimentaire attachée à des fils tendus en métal émet à quelques dizaines de kilomètres à la ronde de la musique, des discussions en direct sur les impacts de tel ou tel projet, des radio-romances et des campagnes d'information sur les sujets d'actualité concernant la vie locale. Il ne s'agit pas de la consommation d'un contenu venu d'ailleurs ou de l'usage d'un service impersonnel, mais de la participation collective à un outil convivial visant à promouvoir leurs langues et leurs traditions.

Plus loin, l'assemblée communautaire a fondé une société de transport local, achetant des voitures pour faire l'aller-retour vers les villes les plus proches. Les habitant.e.s ont également créé une coopérative de tortillas pour à la fois partager le travail de production et réduire la dépendance des biens de consommation externes. Plus récemment a débuté l'installation d'une station de purification d'eau. Et, malgré le fait que depuis quelques années l'électricité a été coupée par un village voisin à cause des conflits pour la terre liés directement à l'expansion industrielle, on essaye de trouver des alternatives avec l'installation de petits panneaux solaires – des initiatives dont la taille contraste avec l'ampleur industrielle des fermes éoliennes.

Enfin, dans une des villes de l'Isthme, au sein d'un quartier populaire marqué par la précarité et la violence, une maison communautaire est en train d'être construite. Des murs gris, en ciment brut, des câbles exposés, des chambres sans portes et des sols non carrelés coexistent avec des jeunes plantes, des colonnes stables, des cadres de portes en bois arqués et des volets de fenêtres solennels. Sous le plafond, des planches de bois précieux reposent alignées de manière impeccable sur des poutres monumentales. Et dans les murs, les corniches et les modillons laissent voir une espèce de soin et d'extravagance inespérée. C'est une maison érigée avec les décombres du tremblement de terre de 2017. Après la catastrophe, le collectif a parcouru les rues pour collecter les fragments d'histoires de la ville effondrée, afin d'aménager un espace dédié précisément à la reprise des liens collectifs.

Ce sont ainsi des couches de souvenirs, les vestiges de bâtiments autrefois somptueux qui ont été repris par morceaux, déplacés et re-signifiés pour construire une autre maison pour héberger un autre avenir. À l'intérieur de ce chantier en cours, se dressait un autel rudimentaire avec une croix et deux larges portraits, l'un avec le visage d'Emiliano Zapata, l'autre avec celui du Che Guevara. C'était un autel dédié à la Santa Cruz de la Barricada. On nous a dit que cette festivité, invoquant les ancêtres et les esprits des montagnes et des rivières, déclenche la récupération, la transmission et la réinvention des traditions – une manière de retrouver le sol qui fait grandir le commun. Là-bas, la tradition n'existe pas sans résistance, et la communauté n'existe pas sans travail communautaire. L'essence ne précède jamais ses modes de subsistance.

Une maison communautaire est en train d'être érigée avec les décombres du tremblement de terre. Ce sont des couches de souvenirs, les vestiges de bâtiments autrefois somptueux qui ont été repris par morceaux, déplacés et re-signifiés pour construire une autre maison pour héberger un autre avenir.

Comme Zapata et le Che avec la Santa Cruz de la Barricada, le commun et les traditions se réactualisent toujours. Elles ne restent jamais simplement en arrière, elles ne visent pas uniquement l'avant, elles se transforment face à des menaces constantes et grâce à des rencontres avec les autres. C'est ainsi qu'on trouve le véritable pari d'autres mondes possibles. Face à l'aménagement, le réagencement : le commun qui se réinvente par un habiter singulier, non interchangeable. Dans l'Isthme de Tehuantepec, des assemblées, des blocages de rue, des campagnes de diffusion, des ateliers pour enfants, des radios communautaires, des rites et des fêtes populaires sont organisés pour affirmer que malgré l'avancée de l'ignominie – là-bas, ni le vent, ni la vie n'ont un prix.

Crédits photos : N. Tiburcio et N. Derossi.
Si vous voulez en connaître plus ou soutenir ces initiatives, n'hésitez pas à écrire sur : el-hormiguero@riseup.net
mundial/[↩]

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Etats-Unis : Où va vraiment l’argent de votre impôt sur le revenu pour l’exercice 2025

23 avril 2024, par War resisters league — , ,
Chaque année, la Ligue des résistants à la guerre analyse les dépenses des fonds fédéraux telles qu'elles sont présentées dans des tableaux détaillés dans les « Perspectives (…)

Chaque année, la Ligue des résistants à la guerre analyse les dépenses des fonds fédéraux telles qu'elles sont présentées dans des tableaux détaillés dans les « Perspectives analytiques » du budget du gouvernement des États-Unis.

Tiré de War resisters league
https://www.warresisters.org/store/where-your-income-tax-money-really-goes-fy2025?utm_source=scw-announce&utm_medium=email&utm_campaign=WARTAX

Notre analyse est basée sur les fonds fédéraux, qui n'incluent pas les fonds fiduciaires - tels que la sécurité sociale - qui sont collectés séparément de l'impôt sur le revenu à des fins spécifiques. L'impôt fédéral sur le revenu que vous payez (ou ne payez pas) d'ici le 15 avril 2024 est affecté à la partie du budget consacrée aux fonds fédéraux.

Sans compter les nouveaux financements, les États-Unis fournissent à Israël plus de 3 milliards de dollars chaque année, la quasi-totalité de la somme étant utilisée pour soutenir l'armée israélienne. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont consacré plus d'aide étrangère à Israël que tout autre pays.

C'est tout à fait faux : la politique étrangère des États-Unis

Peu de gens pourraient passer à côté du cynisme du président Biden annonçant fièrement des largages symboliques de nourriture à Gaza en mars 2024, tout en fournissant à Israël des milliers de bombes fabriquées aux États-Unis à larguer sur une bande de terre de la taille de Las Vegas. Déjà 31 000 Palestiniens ont été tués et des maisons, des hôpitaux, des commerces, des écoles, des hôpitaux, des entreprises, des écoles, des routes et des terres agricoles à Gaza ont été laissés en ruines ou rasés au bulldozer.

La politique étrangère des États-Unis est conçue pour tuer

Environ les deux tiers des conflits actuels dans le monde impliquent un ou plusieurs adversaires armés par un ou plusieurs adversaires armés par les États-Unis.

78 ans et 220 milliards de dollars d'aide militaire à Israël ont soutenu l'occupation des Palestiniens dans l'occupation des Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza par l'armée la plus puissante de la région.
L'aide militaire à Israël de 3,8 milliards de dollars par an se poursuivra jusqu'en 2029 dans le cadre d'un accord négocié par Obama. En outre, Biden a utilisé des failles dans les directives de vente d'armes pour envoyer à Israël plus de 100 cargaisons de bombes et d'équipements militaires.

L'aide militaire américaine de 46 milliards de dollars à l'Ukraine a ralenti l'invasion russe, mais a conduit à un bourbier, coûtant la vie à plus de 10 500 civils et détruisant des villages et des villes.

Trump a utilisé des failles au cours de sa présidence pour envoyer des milliards de dollars d'armes à l'Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis afin de poursuivre la guerre au Yémen avec plus de 19 000 morts civils

Les dons politiques de l'industrie de l'armement ont totalisé 19 millions de dollars au cours des deux premières années de Biden. Lockheed Martin, Boeing, Raytheon et Genera Dynamics ont pris 58 % de l'entreprise.

CESSEZ-LE-FEU MAINTENANT ! NÉGOCIER ! DÉSARMEZ LE PENTAGONE !

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Alerte à l’action : La guerre des mots du NYT : évitez la « Palestine », le « génocide », le « nettoyage ethnique »

23 avril 2024, par Jim Naureckas — , ,
Les rédacteurs en chef du New York Times ont publié une note de service à l'intention de leurs employés qui mettait en garde contre l'utilisation d'un « langage incendiaire et (…)

Les rédacteurs en chef du New York Times ont publié une note de service à l'intention de leurs employés qui mettait en garde contre l'utilisation d'un « langage incendiaire et d'accusations incendiaires de toutes parts » – mais les instructions offertes par la note, qui a été divulguée à The Intercept (15/04/24), semblaient destinées à atténuer les critiques des actions d'Israël à Gaza et à renforcer le récit israélien du conflit.

18 AVRIL 2024
Tiré de Fair

JIM NAURECKAS

Photo :Bâtiment du New York Times à New York (Photo Creative Commons : Wally Gobetz)

Parmi les termes que le mémo demande aux journalistes du Times d'éviter : « Palestine » (« sauf dans de très rares cas »), « territoires occupés » (par exemple, « Gaza, Cisjordanie, etc. ») et « camps de réfugiés » (« désignez-les comme des quartiers ou des zones »).

Ce sont tous des termes classiques : « Palestine » est le nom d'un État reconnu parles Nations Unies et de 140 de ses 193 membres. Les « territoires occupés » sont la façon dont Gaza et la Cisjordanie sont désignées par l'ONU ainsi que par les États-Unis. « Camps de réfugiés » sont le nom qu'ils donnent à l'agence de l'ONU qui administre les huit camps de Gaza.

La note de service décourage l'utilisation des termes « génocide » (« Nous devrions... placer la barre très haut pour permettre à d'autres de l'utiliser comme une accusation ») et « nettoyage ethnique » (« un autre terme chargé d'histoire »).

Le génocide est défini par la Convention sur le génocide comme certains « actes commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, en tant que tel ». Ces actes comprennent le fait de « tuer des membres du groupe » et « d'infliger délibérément au groupe des conditions de vie calculées pour entraîner sa destruction physique en tout ou en partie ». La Cour internationale de justice a statué en janvier qu'il était « plausible » qu'Israël viole la Convention sur le génocide (NPR, 26/01/24). Un juge fédéral américain a également statué que « le traitement actuel des Palestiniens dans la bande de Gaza par l'armée israélienne peut constituer de manière plausible un génocide en violation du droit international » (Guardian, 2/1/24).

Mondoweiss : Israël annonce sa fin de partie à Gaza : le nettoyage ethnique est considéré comme de l'« humanitarisme »
« Notre problème n'est pas de permettre la sortie, mais le manque de pays prêts à accueillir des Palestiniens », a déclaré Netanyahu à un allié du Likoud (Mondoweiss, 28/12/23) « Et nous y travaillons. » Au New York Times, vous n'êtes pas censé appeler cela un « nettoyage ethnique ».

Le « nettoyage ethnique » n'a pas de définition légale, mais il est certain que la campagne militaire israélienne qui a déplacé 85 % de la population de Gaza, alors que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu promet qu'il « travaille » sur « l'émigration volontaire » de cette population (Mondoweiss, 28/12/23), est admissible selon n'importe quelle norme raisonnable.

Contrairement à son point de vue sur le « génocide » et le « nettoyage ethnique », le mémo soutient qu'« il est exact d'utiliser les termes « terrorisme » et « terroriste » pour décrire les attentats du 7 octobre » ; Cependant, les mots « combattants » ou « militants » sont déconseillés aux participants à ces attaques. C'est l'opposé de l'approche adoptée par des médias comme AP (X, anciennement Twitter, 1/7/21) etla BBC (10/11/23) ; John Simpson, rédacteur en chef des affaires mondiales de ce dernier, qualifie le « terrorisme » de « mot lourd de sens, que les gens utilisent à propos d'une organisation qu'ils désapprouvent moralement ».

Également sur la liste des termes approuvés par le Times : « l'attaque la plus meurtrière contre Israël depuis des décennies ». Apparemment, les journalistes n'ont pas de superlatifs à utiliser pour décrire l'agression israélienne contre Gaza, comme « l'une des plus meurtrières et des plus destructrices de l'histoire » (AP, 21/12/23), ou la « détérioration la plus rapide vers une famine généralisée » (Oxfam, 18/03/24), ou « la plus grande cohorte d'amputés pédiatriques de l'histoire » (New Yorker, 21/03/24).

« Notre objectif est de fournir des informations claires et précises, et le langage enflammé peut souvent obscurcir plutôt que clarifier le fait », indique le mémo, rédigé par la rédactrice en chef des normes du Times, Susan Wessling, et le rédacteur en chef international, Philip Pan, ainsi que leurs adjoints. « Des mots comme 'massacre', 'massacre' et 'carnage' véhiculent souvent plus d'émotion que d'information. Réfléchissez bien avant de les utiliser dans notre propre voix. La note de service pose la question suivante : « Pouvons-nous expliquer pourquoi nous appliquons ces mots à une situation particulière et pas à une autre ? »

Comme FAIR l'a noté dans une nouvelle étude(17/04/24), le Times applique un « langage enflammé » d'une manière résolument déséquilibrée. Lorsque les articles du Times utilisaient le mot « brutal » pour décrire une partie au conflit de Gaza, 73 % du temps, il était utilisé pour caractériser les Palestiniens. Une analyse par The Intercept (1/9/24) de la couverture de la crise de Gaza dans le Times (ainsi que dans le Washington Post et le Wall Street Journal) a révélé que

Des termes hautement émotionnels pour désigner le meurtre de civils, tels que « massacre », « massacre » et « horrible », ont été réservés presque exclusivement aux Israéliens qui ont été tués par des Palestiniens, plutôt que l'inverse.

Le terme « horrible » a été utilisé neuf fois plus souvent par les journalistes et les rédacteurs en chef pour décrire le meurtre d'Israéliens que de Palestiniens ; Le terme « massacre » décrit le nombre de morts israéliens 60 fois plus élevé que le nombre de morts palestiniens, et le terme « massacre » plus de 60 fois.

ACTION :
S'il vous plaît, demandez au New York Times de réviser ses directives sur la couverture de la crise de Gaza afin qu'il n'interdise plus les descriptions standard et ne mette plus hors de portée les caractérisations les plus précises des actions israéliennes.

CONTACT :
Lettres : Centre des lecteurs letters@nytimes.com

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Le candidat Biden, entre progressisme sur l’avortement et impérialisme réactionnaire

23 avril 2024, par Dan La Botz — , ,
L'élection présidentielle américaine pourrait dépendre de deux questions et des mouvements sociaux. Les attaques incessantes des Républicains contre le droit des femmes à (…)

L'élection présidentielle américaine pourrait dépendre de deux questions et des mouvements sociaux. Les attaques incessantes des Républicains contre le droit des femmes à l'avortement, dont la dernière en date a eu lieu en Arizona, devraient inciter davantage d'électeurEs à soutenir le candidat sortant lors de la prochaine élection présidentielle, mais cela suffira-t-il compte tenu de sa position sur Israël ?

Hebdo L'Anticapitaliste - 704 (18/04/2024)

Par Dan La Botz

Crédit Photo
Wikimedia commons / Fibonacci Blue from Minnesota, USA

La Cour suprême de l'Arizona, composée de sept membres nommés par les républicains, a statué le 9 avril que la loi de 1864 interdisant tous les avortements, à l'exception de ceux pratiqués pour sauver la vie de la mère, était à nouveau une loi de l'État. Cette loi a été adoptée avant que l'Arizona ne devienne un État et que les femmes n'y obtiennent le droit de vote, ce qui s'est produit en 1912. La loi de 1864, qui ne contient aucune disposition relative à l'avortement en cas de viol ou d'inceste, était restée en suspens jusqu'à ce que la décision Roe vs. Wade de la Cour suprême des États-Unis, qui prévoyait une protection fédérale de l'avortement, soit annulée en juin 2022.

L'Arizona est un État charnière crucial. Biden n'y a gagné qu'avec environ 10 000 voix d'avance sur Trump, soit une marge de 0,3 %. C'était la première fois qu'un candidat démocrate à l'élection présidentielle remportait l'Arizona depuis Bill Clinton en 1996, et la deuxième fois seulement depuis la victoire de Harry Truman en 1948. C'est pourquoi la décision de la Cour suprême de l'Arizona a horrifié les politiciens républicains et, malgré ses implications réactionnaires, enthousiasmé les démocrates, car les deux partis reconnaissent qu'elle aidera Biden et les démocrates lors de la prochaine élection présidentielle. Comme le disent Biden et sa colistière Kamala Harris dans leurs ­publicités télévisées, « c'est Trump qui a fait ça ».

Régressions et attaques répétées sur l'avortement

La décision de l'Arizona fait suite à un arrêt rendu au début du mois par la Cour suprême de Floride, qui a confirmé l'interdiction des avortements après six semaines de grossesse, une loi qui avait été adoptée par l'assemblée législative à majorité républicaine et signée par le gouverneur républicain Ron DeSantis. Étant donné que la plupart des femmes ne savent même pas qu'elles sont enceintes à six semaines, il s'agit en fait d'une interdiction totale des avortements. En Géorgie, la Cour suprême de cet État a pratiquement interdit la fécondation in vitro, ce qui a rendu plus difficile la tâche des femmes qui souhaitent recourir à la FIV. Tout cela montre clairement que les républicains représentent un danger pour les droits des femmes.

L'attaque des politiciens républicains contre les droits reproductifs des femmes, menée par la base chrétienne évangélique blanche du parti, a entraîné une forte réaction politique de la part des démocrates, des électeurEs indépendants et même de certains républicains. Au cours des trois dernières années, dans sept États politiquement différents — le Kansas, le Vermont, le Montana, le Michigan, le Kentucky, la Californie et l'Ohio —, les électeurEs ont, soit voté en faveur de l'inscription du droit à l'avortement dans la législation de l'État, soit rejeté les tentatives visant à le pénaliser. Lors des élections de 2023, les démocrates ont remporté des élections législatives ou des élections au poste de gouverneur où ils apparaissaient comme des défenseurs du droit des femmes à l'avortement. La plupart des analystes estiment que l'attaque contre l'avortement incitera davantage de femmes, de jeunes et d'électeurs des banlieues à se rendre aux urnes pour voter en faveur de Biden et des démocrates en novembre.

Les électeurEs de Biden lui retirent leur soutien à propos de la Palestine

Dans le même temps, cependant, le soutien continu de Biden à Israël dans sa guerre génocidaire contre les PalestinienEs — au moins 33 000 morts, dont 13 800 enfants — pourrait lui coûter l'État du Michigan, un autre État crucial pour l'élection présidentielle. Trump a été victorieux dans le Michigan en 2016. En 2020, Biden a remporté le Michigan avec 154 000 voix d'avance. Mais l'État compte quelque 300 000 électeurEs musulmans ou arabes. Il semble désormais probable que Biden a perdu le soutien de dizaines de milliers d'électeurEs arabes et musulmans du Michigan, ainsi que d'autres électeurEs arabes, jeunes et noirs qui pourraient soit ne pas participer à l'élection, soit voter pour un parti tiers. La contradiction entre la posture progressiste des démocrates en matière d'avortement et leur politique étrangère réactionnaire et ­impérialiste pourrait conduire à la défaite de Biden.

Traduction d'Henri Wilno

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Etats-Unis. Face au duopole Biden-Trump, pourquoi n’y a-t-il pas d’alternative en 2024 ?

23 avril 2024, par Lance Selfa — , ,
Ce n'est pas un secret que la plupart des électeurs et électrices des Etats-Unis sont insatisfaits du choix du grand bloc bipartite Biden-Trump pour l'élection présidentielle (…)

Ce n'est pas un secret que la plupart des électeurs et électrices des Etats-Unis sont insatisfaits du choix du grand bloc bipartite Biden-Trump pour l'élection présidentielle de novembre 2024. Et ce n'est pas un secret que les Américains souhaitent que le système politique leur offre plus de choix que le seul duopole démocrate-républicain. A l'automne dernier, un sondage Gallup a révélé que 63% des adultes états-uniens estimaient qu'un troisième parti était nécessaire parce que les grands partis ne parvenaient pas à représenter le peuple des Etats-Unis. Bien qu'il s'agisse du plus haut niveau de soutien à un troisième parti que Gallup ait perçu en 20 ans, le soutien à un troisième parti est resté à peu près à ce niveau depuis 2013.

Tiré de A l'Encontre
15 avril 2024

Par Lance Selfa

Jill Stein et Cornel West lors d'un entretien avec « New Politics ».

Avant 2013, les données de Gallup montraient une baisse du soutien à un troisième parti et une augmentation de l'opinion selon laquelle les principaux partis « font un travail adéquat » pour représenter le peuple des Etats-Unis lors des années d'élection présidentielle. Mais les choses ont changé depuis 2012, même si le comportement de l'électorat états-unien –qui se range derrière les deux grands partis lors de chaque année électorale – continue de refléter l'ancienne tendance.

Ce n'est qu'en 2016, lorsque l'électorat a dû choisir entre Hillary Clinton et Donald Trump, que les votes pour des partis autres que les Démocrates et les Républicains ont augmenté. Environ 5% des électeurs qui ont participé à l'élection présidentielle cette année-là ont choisi un troisième parti, comme les libertariens [Gary Johnson, Libertarian Party] ou les Verts [Jill Stein du Green Party], plutôt que Clinton ou Trump.

Les libéraux [gauche des démocrates] continuent de reprocher à Jill Stein, du Parti vert, d'avoir enlevé à Hillary Clinton des victoires dans des Etats clés en 2016, même si Clinton était une candidate déplorable qui a mené une campagne minable. Il est un peu fort de la part des responsables démocrates d'accuser Jill Stein [qui a obtenu 1,256 million de voix, soit 0,98% des suffrages] d'avoir permis à Trump de gagner dans l'Etat « charnière » du Wisconsin, alors que Hillary Clinton n'a pas fait campagne dans cet Etat pendant l'élection. On pourrait également affirmer que le libertarien Gary Johnson a retiré suffisamment de voix à Trump [4,489 millions de voix, soit 3,27% des suffrages] pour permettre à Hillary Clinton de remporter de justesse des Etats comme le Colorado, le New Hampshire, le Maine et le Nouveau-Mexique.

Tous ces calculs découlent de l'absurdité du choix d'un président basé sur les votes Etat par Etat d'un « collège électoral » [constitué au total par 538 grands électeurs ; l'élection présidentielle se fait donc au suffrage indirect] qui surreprésente les Etats conservateurs peu peuplés. Hillary Clinton a remporté près de 3 millions de voix de plus que Trump au niveau national en 2016. Pourtant, elle a perdu l'élection parce qu'environ 78 000 votes dans trois Etats ont donné la victoire à Donald Trump.

Les démocrates sont déterminés à ne pas répéter l'expérience de 2016 en 2024. Mais au lieu de s'efforcer de donner à l'électorat une raison de voter, ils font régner la peur au sujet de Trump et organisent une campagne de plusieurs millions de dollars pour disqualifier les candidatures de partis alernatifs (third party). Les démocrates ont rassemblé une « armée d'avocats » qui chercheront à dresser des obstacles juridiques sur la route des candidats alternatifs qui défient Biden.

« L'offensive juridique, menée par Dana Remus, qui a été jusqu'en 2022 la conseillère juridique du président Biden à la Maison Blanche, et Robert Lenhard, avocat indépendant du parti, sera assistée par une équipe de communication chargée de contrer les candidats dont les démocrates craignent qu'ils ne jouent les trouble-fêtes face à Joe Biden. Il s'agit d'une sorte de « Whac-a-Mole » [Jeu de la taupe : taper à l'aide d'un marteau sur les taupes en plastique qui sortent de manière aléatoire des trous de la console de jeu] juridique, d'un plan de contre-insurrection Etat par Etat avant une élection qui pourrait dépendre de quelques milliers de voix dans des Etats clés », a rapporté le New York Times le 20 mars.

Cette campagne a remporté sa première grande victoire au début du mois d'avril, lorsque le comité d'action politique No Labels [créé en décembre 2010 avec comme slogan « Not Left. Not Right. Forward »] a annoncé qu'il ne mènerait pas de campagne présidentielle en 2024. Ce n'est pas faute d'avoir essayé. Mais No Labels – l'émanation de lobbyistes de Washington qui s'imaginent que les électeurs américains aspirent à une alternative « modérée » aux partis du business « extrêmes » – n'a pas pu trouver un politicien traditionnel entrant dans le moule du défunt [en mars 2024] – et non regretté – sénateur Joseph Lieberman qui aurait accepté de figurer sur un ticket présidentiel.

Les démocrates s'intéressent désormais à la candidature indépendante de l'avocat écologiste et anti-vax Robert Kennedy Jr (RFK Jr.). Malgré l'appartenance de Robert Kennedy au célèbre clan Kennedy du Parti démocrate et ses antécédents en matière de protection de l'environnement, il est surtout connu aujourd'hui comme l'un des principaux pourvoyeurs de fausses informations sur les vaccins, dont le profil a été renforcé au plus fort de la pandémie de Covid-19. Les démocrates craignent qu'il puisse jouer sur son nom et collecter suffisamment d'argent [avec l'appui de son épouse milliardaire] pour poser un défi à Biden au niveau de l'Etat fédéral.

Certains sondages effectués l'année dernière suggèrent que Robert Kennedy pourrait obtenir un résultat à deux chiffres, voire même atteindre les niveaux que le milliardaire cinglé Ross Perot a atteints en 1992. [Perot a obtenu environ 19% des voix au niveau national lors de l'élection contre le président sortant George H.W. Bush et le challenger Bill Clinton]. Néanmoins, il est peu probable que RFK Jr. obtienne un soutien supérieur à 2 ou 3% au total. En outre, sa campagne ne figure que sur les bulletins de vote de six Etats à l'heure où nous écrivons ces lignes. Il s'est déjà présenté aux primaires démocrates, mais a abandonné après avoir échoué.

Néanmoins, les démocrates ne prennent aucun risque. Ils ont fait appel à presque tous les membres de la famille de Kennedy pour qu'ils le désavouent et mènent actuellement une campagne médiatique de dénigrement le visant. Le lobby libéral MoveOn.org, aligné sur les démocrates, a même embauché un membre de son personnel dont la description du poste comprend « l'aide à l'inoculation [vous voyez le jeu de mots ? – LS] des groupes progressistes et autres groupes non-MAGA » contre l'appel de RFK Jr. Candidat néophyte, RFK Jr. a fourni aux analystes des opposants au Parti démocrate un trésor de déclarations et d'apparitions dans les médias qui vont des étranges théories de la conspiration aux diatribes antisémites et racistes. Et quiconque pense que RFK Jr. est une alternative à Biden sur Israël et la Palestine se trompe.

Pour les socialistes engagés dans une alternative de gauche aux deux partis du monde des affaires, No Labels, RFK Jr. et les Libertariens n'offrent rien.

Mais deux autres campagnes vraisembables – la campagne du Parti vert de la Dresse Jill Stein et la campagne indépendante du professeur activiste Dr Cornel West [connu du monde des African-American studies] – offrent des moyens de protester contre le statu quo bipartisan. La question est de savoir dans quelle mesure ces campagnes nationales seront viables. Pour saisir le contenu des campagnes des Verts et de Cornel West, ainsi que leur relation, la contribution de l'écosocialiste et candidat au Parti vert en 2020 Howie Hawkins vaut la peine d'être lue (New Politics, hiver 2024, n° 76).

Comme le souligne Howie Hawkins, les Verts ont obtenu un peu moins d'un demi-million de voix lors des élections présidentielles de 2012 et de 2020. Mais leur total a grimpé à environ 1,4 million lors de la compétition Clinton-Trump de 2016 et, comme indiqué ci-dessus, ils ont obtenu des totaux significatifs dans des Etats clés comme le Wisconsin et le Michigan. Les Verts sont actuellement inscrits sur les listes électorales dans 20 Etats, tandis que Cornel West n'a pas encore réussi à se qualifier [chaque Etat détermine un certain nombre d'exigences et de délais pour le dépôt d'une liste qui permette que ce candidat figure sur le bulletin de vote de l'Etat, ce qui doit être acquis avant les primaires ou les caucus – réd.].

Un ticket commun Stein-West est une possibilité, note Howie Hawkins. Un ticket Stein-West soutenant la fin de la guerre à Gaza et la solidarité avec les Palestiniens, les soins de santé pour tous, les droits reproductifs et une « transition socialement juste » pour sortir d'une économie militarisée et basée sur les combustibles fossiles offrirait une alternative de gauche à des millions de personnes qui en ont assez du statu quo Biden/Trump.

Mais si un tel ticket représente une menace pour Biden, la puissance de feu des Démocrates actuellement dirigée contre RFK Jr. sera redirigée contre les verts et West. Une campagne soutenue par les verts devra également faire face à d'énormes pressions de la part de la « gauche large » pour qu'elle se retire face à la menace Trump – ou pour qu'elle se concentre uniquement sur des Etats comme la Californie ou l'Utah, où la victoire ou la défaite des Démocrates ne se jouera pas sur un nombre limité de votes.

Au fur et à mesure que le mois de novembre se rapproche, le soutien aux « third party » diminuera. Mais pour que les démocrates parviennent à étouffer toute alternative à un statu quo dirigé par Biden, il faut une indépendance politique vis-à-vis des partis capitalistes et la construction de mouvements sur les lieux de travail et dans les collectivités pour remettre en cause ce statu quo dans la pratique. (Article publié le 13 avril 2024 par International Socialism ; traduction rédaction A l'Encontre)

Lance Selfa est l'auteur de The Democrats : A Critical History (Haymarket, 2012) et éditeur de U.S. Politics in an Age of Uncertainty : Essays on a New Reality (Haymarket, 2017).

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Joe Biden condamne les manifestations pro-palestiniennes dans les universités

23 avril 2024, par Courrier international — , , ,
De l'université Columbia (New York) à Yale (New Haven), en passant par l'université de Californie du Sud (Los Angeles), les campus américains connaissent un regain de tensions (…)

De l'université Columbia (New York) à Yale (New Haven), en passant par l'université de Californie du Sud (Los Angeles), les campus américains connaissent un regain de tensions autour de la guerre entre Israël et le Hamas. De quoi pousser la Maison-Blanche à sortir de sa réserve, à la veille de la pâque juive.

Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Manifestation pro-palestinienne à proximité du campus de l'université de Columbia, à New York le 21 avril. Photo Bing Guan/NYT.

"Ces derniers jours, nous avons été témoins de harcèlement et d'appels à la violence contre des Juifs. Cet antisémitisme flagrant est répréhensible et dangereux, et il n'a absolument pas sa place sur les campus universitaires, ni nulle part dans notre pays."
Joe Biden

Alors que les manifestations propalestiniennes se multiplient sur les campus américains et que les tensions se cristallisent autour de la guerre à Gaza, le président américain, Joe Biden, a publié un communiqué, le 21 avril, à la veille de la pâque juive pour rappeler que l'antisémitisme n'avait “pas sa place” sur les campus, rapporte The Washington Post. Depuis le début du conflit, de nombreuses voix – en particulier chez les républicains – dénoncent une montée de l'antisémitisme dans les universités.

“Le président et la Maison-Blanche partagent souvent leurs vœux lors des fêtes religieuses, mais le dernier communiqué en date est notable en raison de sa portée politique, affirme le quotidien. Il remarquait que la fête de Pessah [la pâque juive] survenait à un moment difficile pour les Juifs, qui se remettent à peine de l'attaque du 7 octobre, quand les militants du Hamas ont tué environ 1 200 personnes dans le sud d'Israël et fait plus de 250 otages.”

Si le communiqué du président Biden ne cite pas nommément l'université Columbia, à New York, il intervient néanmoins “trois jours après qu'une centaine d'étudiants propalestiniens de l'université ont été arrêtés sur le campus par la police new-yorkaise”, rappelle le journal. Les étudiants protestataires dénonçaient la guerre menée par Israël à Gaza et réclamaient que l'université Columbia, qui a notamment un programme d'échanges avec Tel Aviv, boycotte toute activité en lien avec Israël.

La semaine dernière, “la présidente de Columbia, Minouche Shafik, avait également été appelée pour témoigner devant le Congrès sur l'antisémitisme au sein de son campus”, souligne le quotidien. Ce week-end, les étudiants de la prestigieuse université new-yorkaise “ont continué de se mobiliser et repris l'occupation du campus via un campement de fortune”, tandis qu'une opération similaire a eu lieu à l'université Yale.

Courrier international

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Pas de technologie pour l’apartheid : des employés de Google arrêtés pour avoir protesté contre le contrat de 1,2 milliard de dollars de l’entreprise avec Israël

23 avril 2024, par Democracy now ! — , ,
Democracy now ! s'entretient avec deux des employé-e-s de Google qui ont été arrêtés alors qu'ils organisaient des sit-in mardi dans les bureaux de l'entreprise à New York et à (…)

Democracy now ! s'entretient avec deux des employé-e-s de Google qui ont été arrêtés alors qu'ils organisaient des sit-in mardi dans les bureaux de l'entreprise à New York et à Sunnyvale, en Californie, pour protester contre le travail du géant de la technologie avec le gouvernement israélien. Organisés par le groupe No Tech for Apartheid, les manifestant-e-s exigent que Google se retire du projet Nimbus, un contrat de 1,2 milliard de dollars pour fournir des services de cloud computing à l'armée israélienne. « Les dirigeants de Google ont essentiellement choisi d'arrêter les travailleurs pour s'être prononcés contre l'utilisation de notre technologie pour alimenter le premier génocide alimenté par l'IA », a déclaré Mohammad Khatami, ingénieur logiciel chez Google, qui a été arrêté à New York. Le travailleur-organisateur de Google, Ray Westrick, qui a été arrêté alors qu'il occupait le bureau du PDG Thomas Kurian, a déclaré que « de plus en plus de gens sont prêts à s'organiser et à risquer leur emploi afin de prendre position contre la complicité de génocide ». Nous nous sommes également entretenus avec Gabriel Schubiner, organisateur de No Tech for Apartheid et ancien employé de Google, qui appelle l'industrie de la technologie à se désinvestir des services de Google et d'Amazon. « Les travailleurs de la technologie ont en fait beaucoup de pouvoir pour changer ce paradigme et pour retirer la technologie de cette profonde complicité avec l'occupation israélienne », a déclaré Schubiner.

17 avril 2024 | tiré de democracy now !
https://www.democracynow.org/2024/4/17/no_tech_for_apartheid_google_israel

AMY GOODMAN : C'est Democracy Now !, democracynow.org, The War and Peace Report. Je m'appelle Amy Goodman à New York et je suis Juan González à Chicago.
Nous vous souhaitons à tous la bienvenue à Democracy Now ! Mohammad, commençons par toi. Vous étiez, il y a quelques heures à peine, en prison...

MOHAMMAD KHATAMI : C'est juste.

AMY GOODMAN : ... dans le commissariat de police local. Expliquez pourquoi vous étiez prêt à vous faire arrêter.

MOHAMMAD KHATAMI : oui. Eh bien, plutôt que, vous savez, de considérer les demandes que nous soulevons depuis des années maintenant et d'écouter les travailleurs et de considérer les choses que nous avons soulevées, Thomas Kurian et les dirigeants de Google ont essentiellement choisi d'arrêter les travailleurs pour s'être prononcés contre l'utilisation de notre technologie pour alimenter le premier génocide alimenté par l'IA. Donc, nous étions prêts à nous faire arrêter pour cela, parce qu'à ce stade, nous ne voulons plus nous laisser mentir par nos supérieurs. Nous ne voulons plus être méprisés par nos supérieurs. Et nous voulions apporter cela aux bureaux et nous assurer qu'ils le comprenaient, oui.

JUAN GONZÁLEZ : Comment ressentez-vous le soutien que vous avez parmi les autres employés de Google, le degré d'insatisfaction à l'égard des politiques de Google ?

MOHAMMAD KHATAMI : oui. Je veux dire, Google a fait un très bon travail pour créer une culture de la peur et des représailles contre les travailleurs en général. Mais ce que nous avons remarqué était beau. Tant de gens sont venus à notre sit-in et ont manifesté leur soutien et ont senti qu'ils étaient inspirés par le travail que nous faisions, et qu'ils se sentaient inspirés à s'exprimer, ce qui est exactement ce que nous recherchions. Nous voulons que les travailleurs sentent qu'ils ont le pouvoir de choisir l'orientation de notre technologie et les personnes auxquelles nous contribuons. Donc je me suis senti vraiment heureux de voir ça, oui.

AMY GOODMAN : Ray Westrick, vous êtes sur la côte ouest. Vous avez été arrêté en Californie. Parlez-nous de ce projet Nimbus et des raisons pour lesquelles vous étiez prêt à vous faire arrêter, et quelle a été la réponse – étiez-vous dans les bureaux du PDG de Google Cloud ?

RAY WESTRICK : Oui, nous nous sommes assis dans le bureau de Thomas Kurian, le PDG de Google Cloud, pour protester contre le projet Nimbus, qui est un contrat de 1,2 milliard de dollars avec le gouvernement israélien et l'armée entre Google et Amazon. Nous avons également exigé la protection de nos collègues, en particulier de nos collègues palestiniens, arabes et musulmans, qui ont constamment fait l'objet de représailles, de harcèlement et de doxxing pour avoir parlé du projet Nimbus et, vous savez, de l'humanité des Palestiniens. Nous étions donc là en solidarité avec eux. Nous étions là pour protester contre le contrat, qui est en train d'être vendu directement – fournissant de la technologie directement à l'armée israélienne alors qu'elle inflige un génocide aux Palestiniens de Gaza. Et oui, c'est pour cela que nous avons choisi de nous asseoir dans le bureau de Thomas Kurian.

JUAN GONZÁLEZ : Et, Ray, pourriez-vous — y a-t-il eu une réponse de la part du PDG ou de son bureau ? Et craignez-vous de perdre votre emploi ? Pourquoi et quand avez-vous décidé de prendre cette mesure ?

RAY WESTRICK : oui. Nous n'avons reçu aucune réponse de la part du PDG. Et je pense qu'il est vraiment révélateur qu'ils préfèrent nous laisser rester assis là pendant plus de 10 heures et nous arrêter pour nous être assis pacifiquement dans son bureau plutôt que de voir les dirigeants s'engager dans nos revendications de quelque manière que ce soit. Nous n'avons donc reçu aucune réponse de la part du PDG et nous avons été expulsés de force par la police.

Et moi, travailler chez Google a été, vous savez, un honneur. J'aime vraiment mon équipe. J'adore le travail que je fais. Mais je ne peux pas, en toute conscience, ne rien faire tant que Google fait partie de ce contrat, alors que Google vend de la technologie à l'armée israélienne, ou à n'importe quelle armée. Et donc, c'était un risque que j'étais prêt à prendre, et je pense que c'est un risque que beaucoup de mes collègues sont prêts à prendre, parce que beaucoup de gens sont vraiment agités à ce sujet et ont toujours exprimé clairement leurs demandes et ont fait face à des représailles pour cela. J'ai donc choisi de m'asseoir, en connaissant les risques, par souci de l'utilisation de notre technologie, par souci de l'impact de notre technologie et par souci de mes collègues.

AMY GOODMAN : Pour notre auditoire radio, je voulais faire savoir aux gens que Ray porte un T-shirt sur lequel on peut lire « Googler contre le génocide », avec le mot « génocide » dans le célèbre multicolore de « Google », pour lequel il est si connu. Je voulais inviter Gabriel Schubiner dans cette conversation, un ancien ingénieur logiciel chez Google Research, un organisateur de la campagne No Tech for Apartheid, et vous demander – vous savez, nous vous avons eu il y a plus d'un an – c'était avant la dernière attaque d'Israël contre Gaza – de parler exactement de cela. Et vous étiez avec une organisation juive de travailleurs de Google à ce moment-là en train de vous exprimer. Parlez de toute l'histoire du projet Nimbus.

GABRIEL SCHUBINER : oui.

AMY GOODMAN : Et la résistance contre cela.

GABRIEL SCHUBINER : oui. Merci beaucoup.

Ainsi, le projet Nimbus a été signé en mai 2021 alors que des bombes étaient larguées sur Gaza, tandis que des Palestiniens étaient expulsés de Sheikh Jarrah et battus à la mosquée Al-Aqsa. C'était vraiment un moment – quand nous avons découvert le projet Nimbus, personnellement, pour moi, ce fut un tournant, où je ne me sentais plus capable de continuer à faire mon travail sans m'engager et m'organiser. Il y avait un groupe de personnes qui ressentaient la même chose, alors nous avons lancé une pétition. Nous avons été connectés, nous nous sommes mis en contact avec des travailleurs d'Amazon, avec des organisations communautaires, Jewish Voice for Peace et MPower Change, et nous avons lancé une campagne à partir de cela.

Je veux être clair : par exemple, la campagne est vraiment motivée par les préoccupations et les besoins des travailleurs concernant l'utilisation éthique de notre main-d'œuvre, ainsi que par les préoccupations directes sur le lieu de travail, comme les préoccupations en matière de santé et de sécurité liées au travail dans une entreprise qui facilite le génocide. Nous savions depuis longtemps que ce projet visait directement les militaires. Il a été rapporté dans la presse que Google donnait des formations directement à l'IOF. Nous savons que Google a donné des formations directement au Mossad. Nous savons que l'OIF —

AMY GOODMAN : Lorsque vous dites « OID », expliquez-le.

GABRIEL SCHUBINER : Je suis désolé, le... oui.

AMY GOODMAN : Parce que les gens ont l'habitude d'entendre « Tsahal », les Forces de défense israéliennes.

GABRIEL SCHUBINER : Oui, c'est vrai. Oui, ce sont les forces d'occupation israéliennes, juste pour indiquer, donc nous ne répétons pas leur message selon lequel leur répression vraiment agressive des Palestiniens est un acte de défense. Nous savons qu'il s'agit d'un acte d'occupation, alors nous disons « OID ».

Et donc, nous savions depuis longtemps que ce projet visait directement l'armée israélienne. Mais ce n'est que récemment, à travers ce dernier contrat que Google a signé directement avec l'IOF, que nous avons reconnu que Google doublait vraiment la mise, que ce contrat est directement destiné à faciliter l'utilisation militaire. Et nous savons que Google a été choisi par rapport à d'autres entreprises en raison de la technologie d'IA avancée qu'ils sont en mesure d'offrir. Donc, étant donné que nous avons appris comment les FOI utilisent l'IA dans cette guerre, nous voyons vraiment cela comme une campagne vraiment critique pour la libération de la Palestine.

Pour revenir à ce que vous avez dit au sujet de la résistance contre le projet, nous travaillons contre ce projet en tant que travailleurs depuis qu'il a été signé il y a trois ans. Nous nous sommes occupés de l'organisation. Nous avons fait, vous savez, de la construction de bases et de l'organisation du travail. Nous avons eu des protestations à l'extérieur et à l'intérieur. Nous avons signé des pétitions. Nous avons sensibilisé nos dirigeants par le biais de forums internes, de forums de discussion, par tous les moyens disponibles, parce que, je pense – vous savez, comprendre, comme, ce contrat est vraiment – comme, c'est vraiment un problème incroyable pour notre travail, comme, tout le travail des travailleurs chez Google. Tant de travailleurs contribuent directement à ce projet, parce que toute la technologie de Google est profondément liée les unes aux autres. Donc, oui, nous considérons que c'est vraiment important, oui.

JUAN GONZÁLEZ : Eh bien, Gabe, je voulais vous demander – à la personne moyenne, qui n'est pas un employé de Google, qui pourrait soutenir votre position et qui utilise Google plusieurs fois par jour dans le monde entier, que leur demandez-vous de faire ?

GABRIEL SCHUBINER : Droite. Donc, je veux dire, nous appelons tout le monde dans le monde à nous aider vraiment, comme, avec la sensibilisation, comme, nous aider à faire savoir que Google est un profiteur de guerre. Je pense que Google est profondément ancré dans la vie des gens, n'est-ce pas ? — qu'il est difficile de demander un boycott. Mais je pense que nous appelons spécifiquement les gens de l'industrie de la technologie à se désinvestir de Google et d'Amazon. Les services Google Cloud et Amazon Web Services sont à la base d'une grande majorité d'Internet, mais il existe d'autres options. Ainsi, les travailleurs de la technologie ont en fait beaucoup de pouvoir pour changer ce paradigme et, par exemple, pour retirer la technologie de cette profonde complicité avec l'occupation israélienne.

AMY GOODMAN : Mohammad Khatami, pouvez-vous nous parler de vos propres antécédents familiaux et des raisons pour lesquelles vous vous souciez particulièrement de ce qui se passe à Gaza en ce moment ?

MOHAMMAD KHATAMI : Oui, oui. Donc, je viens d'une famille musulmane. J'ai été élevé dans la religion musulmane. Et c'est vraiment difficile de se réveiller en voyant les images d'enfants massacrés et de savoir que votre — vous savez, le travail que vous faites contribue à cela. J'ai perdu le sommeil. Il a été extrêmement difficile de se concentrer sur le travail et de penser que vous travaillez pour quelque chose qui contribue au massacre de masse qui a lieu. Et pour m'être prononcé contre cela, on m'a littéralement traité de partisan du terrorisme, ce qui est quelque chose qui...

AMY GOODMAN : Appelé par ?

MOHAMMAD KHATAMI : Vous savez, par des collègues, des RH et des gens de l'entreprise, un partisan du terrorisme, ce qui est, vous savez, quelque chose – c'est comme une insulte de cour d'école. C'est quelque chose que je n'ai pas entendu depuis le collège. Et ce n'est qu'un exemple des représailles, du harcèlement et de la haine auxquels nous sommes confrontés simplement parce que nous dénonçons l'utilisation de notre travail de cette manière.

AMY GOODMAN : Craignez-vous de perdre votre emploi ?

MOHAMMAD KHATAMI : Absolument. Mais ce n'est pas le cas – ce n'est même pas important pour moi du tout par rapport à travailler pour quelque chose qui a du sens et qui a un bon impact sur la planète. Je ne veux pas être associé à ce génocide. Et j'espère que Google changera d'avis à ce sujet également.

AMY GOODMAN : Et enfin, Ray Westrick, où voyez-vous ce mouvement aller à partir d'ici ? Et pouvez-vous nous en dire plus sur l'alliance judéo-musulmane autour de cela parmi les travailleurs de Google et les anciens travailleurs de Google ?

RAY WESTRICK : oui. Je ne vois que ce mouvement grandir et continuer à faire pression. Nous avons reçu tellement de soutien pendant le sit-in. J'ai reçu tellement de messages personnels de gens, vous savez, me remerciant de m'être exprimé, et me demandant comment ils peuvent être plus vocaux et s'impliquer davantage. Je pense donc que c'est en pleine croissance. Je pense que Google sait que cela va continuer, que, vous savez, les travailleurs sont très agités à ce sujet et continueront à s'exprimer et à faire pression. Et je pense que c'est pour ça qu'il était important pour eux de nous faire taire. Mais ce mouvement prend de l'ampleur, et de plus en plus de gens le découvrent, et de plus en plus de gens sont prêts à s'organiser et à risquer leur emploi pour prendre position contre la complicité de génocide.

AMY GOODMAN : Eh bien, je tiens à remercier...

RAY WESTRICK : Et oui, je pense que cela a été une campagne vraiment unificatrice pour les gens de tous les horizons. Et je sais, en particulier, que beaucoup d'entre nous se sont rassemblés parce que nous étions particulièrement préoccupés par la façon dont Google a traité et exercé des représailles contre nos collègues palestiniens, arabes et musulmans, en particulier, comme Mohammad l'a mentionné, beaucoup d'entre eux ont été victimes de harcèlement et de doxxing pour s'être exprimés sur les canaux appropriés chez Google et ont été constamment ignorés, harcelés et victimes de représailles. Et donc, nous avons dû nous rassembler pour dire que nous ne pouvions plus laisser cela se produire. Nous devons nous unir pour protéger nos collègues et les uns les autres et pour protéger l'utilisation éthique de notre technologie, afin de nous assurer que nous ne construisons pas une technologie qui est utilisée pour nuire. Donc, je pense que c'est une campagne vraiment unificatrice qui est vraiment fondée sur le fait de prendre soin les uns des autres et sur le fait d'avoir un impact positif et de ne pas faciliter plus de dommages avec la technologie.

AMY GOODMAN : Je tiens à vous remercier tous d'être avec nous. Ray Westrick et Mohammad Khatami sont tous deux des employés de Google qui ont été arrêtés hier, Ray dans les bureaux du PDG de Google Cloud à Sunnyvale, en Californie, et Mohammad ici à New York. Il y a aussi Gabriel Schubiner, un ancien ingénieur logiciel chez Google Research et un organisateur de la campagne No Tech for Apartheid, avant cela, avec Jewish Diaspora in Tech.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Quand les crues engendrent la soif : la lutte pour l’eau au Pakistan

23 avril 2024, par Solidarités international — , , ,
Le Pakistan est le cinquième pays le plus touché par le réchauffement climatique. À l'été 2022, le pays a subi de fortes inondations aux effets encore vifs aujourd'hui. En (…)

Le Pakistan est le cinquième pays le plus touché par le réchauffement climatique. À l'été 2022, le pays a subi de fortes inondations aux effets encore vifs aujourd'hui. En conséquence, SOLIDARITÉS INTERNATIONAL a repris son activité dans le nord du Sind en 2023 afin d'accompagner les communautés pakistanaises dans le renforcement de leur résilience face aux catastrophes climatiques.

Tiré du blogue de l'auteur.

1- Le Pakistan est la victime régulière d'une multitude de catastrophes naturelles telles que les inondations, sécheresses et tremblements de terre. En juillet 2022, le gouvernement pakistanais a déclaré subir « l'évènement climatique du siècle » : les provinces du Sind, du Balouchistan et de Khyber Pakhtunkhwa ont subi des précipitations record, causant d'importantes inondations responsables de la mort de plus de 1 700 personnes et affectant directement 33 millions de personnes, selon les Nations Unies.

Aujourd'hui, les effets de ces inondations se font encore sentir. Les crues ont en effet causé des dégâts importants et durables à travers le pays, particulièrement éprouvants pour les populations vivant en zones rurales. Les inondations s'ajoutent à une série de crises qui perdurent : augmentation de la pauvreté, insécurité alimentaire à long terme, propagation de maladies comme le paludisme et la typhoïde, et perturbation de la scolarité de millions d'enfants.

Ghous Baksh, 6/12/2023

2- La période de la mousson est vitale pour le Pakistan. Elle fournit chaque année une grande partie de l'eau nécessaire aux cultures pendant la saison de croissance. Mais le réchauffement climatique rend cette période de plus en plus intense et imprévisible.

À l'été 2022, des pluies de moussons sept fois supérieures à la moyenne, conjuguées à la fonte rapide des glaciers himalayens desquels découlent les rivières, ont été dévastatrices. En s'abattant sur des sols asséchés par une canicule inhabituellement forte et prolongée au printemps, les intempéries ont transformé les ruisseaux et rivières dévalant les montagnes en fleuves de boue, de bois et de débris des infrastructures détruites par les eaux.

Plusieurs mois après ces pluies, les provinces du Sind et du Baloutchistan, les plus touchées du pays, n'étaient toujours pas entièrement libérées de l'eau qui les avait submergées. Six mois après les crues, près d'1,8 million de Pakistanais vivaient encore à proximité d'eaux de crue stagnantes, les exposant, à long terme, à un risque accru de maladies liées à l'eau. Les ménages les plus pauvres, les femmes, les enfants, les personnes âgées et les personnes handicapées sont les plus exposés. Dans les zones les plus touchées, on recense des cas de malnutrition, maladies diarrhéiques, paludisme, maladies de la peau ou encore infections des voies respiratoires. 

Ramzanpur, 4/12/2023

3- Dans le 5e pays plus gros producteur de coton au monde, les inondations ont aussi affecté matériellement la population, qui a vu ses opportunités économiques s'envoler et ses revenus disparaitre. Les pluies ont dévasté plus de 600 000 hectares de culture de coton selon les autorités pakistanaises, notamment sur la rive gauche du fleuve de l'Indus. Il en va de même pour les cultures de riz et de blé sur la rive droite où près de la moitié des champs ont été engorgés. Les éleveurs non plus n'ont pas été épargnés. Plus de 700 000 têtes de bétails ont péri à travers le pays d'après les autorités nationales qui estiment à 10 milliards d'euros les pertes subies par le pays.

En conséquence directe des inondations, la Banque mondiale estime que près de 9 millions de personnes risquent de tomber sous le seuil de pauvreté, s'ajoutant ainsi aux 44 millions de Pakistanais vivant déjà sous ce seuil. Il en va ainsi d'Allah Rakhio qui, faute d'argent, a dû quitter sa maison à la suite des inondations dans l'espoir de rejoindre des terres épargnées par les eaux. En vain. À son retour chez lui, 40 jours plus tard, et sans avoir pu s'installer ailleurs, tout avait disparu. « Nos cultures, prêtes à être récoltées, ont été détruites et nos maisons ont toutes été volées. » déclare-t-il, amer, devant une situation qui se répète sans cesse. « Nous sommes rentrés chez nous sans rien. Nous avons travaillé dur, puis il a plu à nouveau. Les toits et les murs [de nos maisons] ont été détruits. ». À l'image d'Allah Rakhio, près de 20,6 millions de Pakistanais ont aujourd'hui un besoin urgent d'aide humanitaire, d'après l'UNICEF.

Ramzanpur, 4/12/2023

4- La montée des eaux a rendu très critiques les conditions d'hygiène dans certains villages, du fait du manque de système d'assainissement. En emportant des débris, de la boue, et d'autres substances, les inondations contaminent les sources d'eau potable, les rendant impropres à la consommation humaine. « Les inondations ont détruit notre environnement ; notre eau a été contaminée. Des maladies comme la malaria et la diarrhée se sont répandues. » relate Aijaaz aux équipes de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL présentes dans le village de Ghous Baksh pour conduire une évaluation des besoins sur place. Dans les zones où l'ONG mène cette évaluation, la moitié des villages déclarent ne plus avoir accès à l'eau potable.

En se propageant, les inondations submergent les systèmes d'égouts et de drainage, ce qui entraîne des débordements et la contamination des points d'eau à proximité. D'ailleurs, la plupart des points d'eau (puits, réservoirs, stations) ont été inondés et sont soit détruits soit grandement endommagés (fissures, ruptures) ce qui compromet leur capacité à fournir de l'eau potable aux populations. « Nous avons besoin de nouvelles pompes manuelles, d'eau douce et d'un environnement propre. » explique Aijaaz.

Ghous Baksh, 6/12/2023

5- Devant des besoins en eau, hygiène et assainissement clairement identifiés, les équipes de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL ont lancé des activités dans les zones les plus affectées du Nord de la province du Sind. 

L'ONG travaille ainsi à la construction et la réhabilitation de points d'eau, en veillant à leur élévation afin de prévenir des contaminations des eaux souillées au sol et protéger les infrastructures. « SOLIDARITÉS INTERNATIONAL nous a fourni des pompes manuelles. Nous avons maintenant de l'eau propre et la pompe à eau est placée à l'intérieur de notre maison » explique Waziran, habitante du village de Ghaus Bux, dont les enfants étaient tombés malades du fait de l'eau impure. Au total 40 pompes manuelles ont été installées.

Ghous Baksh, 6/12/2023

6- Une première action d'urgence à mettre en place pour assurer la salubrité d'une zone habitée est la réhabilitation de latrines. « Un moyen pour nous de prendre soin de notre santé et de notre hygiène » assure Imam Zaadi après la reconstruction de ces latrines détruites par les inondations.

Au premier trimestre 2023, 12 villages ont pu bénéficier de l'aide de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL. On dénombre 468 latrines construites. Un résultat qui permet de garantir la sécurité et la salubrité de l'environnement mais aussi et surtout la dignité des hommes, femmes et enfants qui y vivent.

Les prochaines interventions permettront de viser environ 15 000 personnes afin d'améliorer leur accès à l'eau, à l'assainissement et à l'hygiène. À l'image du point d'eau et des latrines construits dans le village de Ghous Baksh où vit Imam Zaadi : « nous sommes mieux protégés de toutes ces maladies et nous menons aujourd'hui une vie beaucoup plus saine. »

Ghous Baksh, 6/12/2023 

7- Dans les premiers mois suivants les inondations, plusieurs centaines de milliers de personnes ont été déplacées selon les Nations Unies. Si certaines sont retournées dans les villages dévastés par les inondations, toutes ont dû faire face à un état de dénuement presque total. C'est pour pallier le manque de ressources de première nécessité que SOLIDARITÉS INTERNATIONAL a fourni des kits de santé, d'abris et de nourriture. Plusieurs centaines de kits d'hygiène ont été distribués. Ici, Mohammad Shoaib en liste le contenu aux cotés de Noor Jahan, bénéficiaire de cette distribution. Dentifrices, brosses à dents, savons ou encore serviettes hygiéniques constituent une première aide d'urgence pour les ménages les plus en difficulté. « L'ONG nous a guidés sur la santé et l'hygiène, nous a parlé de la prévention des maladies et nous a fourni des kits d'hygiène. » explique Abdul Ghaffar.

Point de distribution, 7/12/2023

8- Les inondations destructrices de l'été 2022 ont eu lieu dans un contexte de grave crise économique, compliquant la capacité des Pakistanais à répondre à leurs besoins vitaux. En outre, l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture estime que presque la moitié de la population rurale se trouverait en phase d'insécurité alimentaire. Si plus d'un millier de kits alimentaires ont été distribués aux populations les plus vulnérables dans les premiers temps de l'urgence, SOLIDARITÉS INTERNATIONAL cherche aussi à accompagner les populations dans la durée.

SOLIDARITÉS INTERNATIONAL concentre son action sur le renforcement de la production agricole locale, en fournissant un soutien à l'élevage. Elle cherche également à soutenir les mécanismes d'adaptation au changement climatique dans les zones rurales, ce qui renforce la résilience des populations et réduit la pauvreté à long terme. Cela implique d'améliorer l'accès à des moyens de subsistance durables, de développer les compétences et les opportunités d'emploi, tout en élargissant le soutien aux secteurs tels que l'élevage, la volaille, la pêche, les entreprises artisanales et l'artisanat.

Point de distribution, 7/12/2023 

9- Renforcer la résilience des communautés vulnérables aux effets du changement climatique est un objectif clef de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL. Pour cela, l'ONG collabore avec des partenaires locaux qu'elle forme, afin de développer des compétences locales déjà présentes. Sur la vingtaine de salariés de l'ONG sur place, seuls deux sont des staffs internationaux, le reste étant constitué de Pakistanais et Pakistanaises.

L'ONG conduit des ateliers de sensibilisation aux connaissances et bonnes pratiques en matière de nutrition, de santé et d'hygiène. Ces ateliers contribuent à réduire le taux de maladies évitables et à améliorer la qualité de vie globale des populations locales.

Sensibilisation aux bonnes pratiques en matière d'hygiène, village Basham Jakhrani, 7/12/2023

10- « [SOLIDARITÉS INTERNATIONAL a] créé un comité, dont je suis membre, et nous résolvons nos problèmes quotidiens grâce à une contribution collective » raconte Abdul Ghaffar. Un tel comité permet d'intégrer pleinement les habitants à la prise de décision et de travailler à la résilience des populations sur le long terme. Au Pakistan, les inondations seront nécessairement amenées à se reproduire. Violentes, désastreuses, meurtrières, elles ne doivent toutefois pas occulter que le pays s'apprête à souffrir de nombreuses sècheresses et d'un manque cruel d'eau potable dans les années futures. Réunir les communautés vulnérables au changement climatique et travailler à leurs côtés permet de renforcer leur résilience en garantissant la continuité de l'approvisionnement en eau. Surtout, cette méthode permet de souligner l'ultra nécessité de la préservation de l'eau et d'accompagner ces communautés dans les initiatives intelligentes face au climat qu'elles sont les premières à porter.

Village Sher Ali, 8/12/2023

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Inde : ce sont les mouvements populaires, et non les élections, qui apporteront un changement transformateur

23 avril 2024, par Sushovan Dhar — ,
À l'exception d'une brève période, l'Inde a eu la chance, plus que bien d'autres nations, de garder un régime parlementaire au cours des 77 dernières années. Avec 900 millions (…)

À l'exception d'une brève période, l'Inde a eu la chance, plus que bien d'autres nations, de garder un régime parlementaire au cours des 77 dernières années. Avec 900 millions d'électeurs, soit plus que les populations de l'Europe et de l'Australie réunies, les élections indiennes sont considérées comme la plus grande vitrine et célébration de la démocratie. La croissance économique du pays au cours des 30 dernières années - l'une des plus rapides au monde - rend également les élections dignes d'intérêt à l'échelle mondiale.

Tiré d'Inprecor 719 - avril 2024
19 avril 2024

Par Sushovan Dhar

L'Inde est incontestablement à la pointe de l'expansion capitaliste mondiale, même si ce processus a entraîné une augmentation massive des inégalités. Les proportions de cette inégalité rappellent les jours les plus sombres de l'ère coloniale.

La « magie Modi »

À l'instar de ses prédécesseurs d'extrême droite et fascistes, le Premier ministre indien Narendra Modi peut rassembler des foules considérables, en adoration, tant dans son pays qu'à l'étranger. Auparavant, élément clé des coalitions au pouvoir, son parti, le BJP, a remporté des victoires électorales remarquables depuis 2014, sous sa direction très personnalisée. En mettant l'accent à la fois sur le nationalisme hindou et sur le néo-développement, il a également réussi à établir une domination idéologique. L'analyse détaillée des positions nationalistes du BJP dépasse le cadre de cet article. Mais nous pouvons affirmer que le parti a créé un nouveau récit nationaliste largement accepté par une grande partie de l'électorat. En outre, le BJP a également été en mesure de définir et d'affiner le discours sur l'économie et la croissance économique.

La stratégie du BJP s'articule autour de quelques éléments clés. Tout d'abord, l'administration Modi est résolument favorable aux entreprises, surtout lorsqu'il s'agit d'entreprises appartenant à des Indiens. Il a également habilement lié le prestige de l'Inde à l'étranger à cette libération des entreprises indiennes. Par exemple, après son élection en 2014, Modi s'est audacieusement engagé à propulser la position de l'Inde dans le classement de la Banque mondiale sur la facilité de faire des affaires dans les 50 premiers rangs mondiaux. L'Inde est classée 63e sur 190 économies dans le dernier classement annuel de la Banque.

Deuxièmement, Modi a réussi à s'afficher comme meilleur réformateur anti-corruption. Il a su transformer des initiatives, pourtant essentiellement inefficaces, en succès médiatiques grâce à sa maîtrise de la harangue publique et de la gestion des messages. Troisièmement, l'auto-projection du Premier ministre en tant que créateur de l'État-providence contemporain en Inde trouve un écho auprès des électeurs. Toutefois, ces développements ont suscité des inquiétudes quant à l'avenir de la démocratie dans le pays.

Défauts systémiques

Le système électoral indien présente de nombreuses failles systémiques. Le système électoral uninominal à un tour (ou winner-take-all), établi par la Constitution indienne sur le modèle de Westminster [le Parlement à Londres], a été l'une des principales lacunes. Auparavant, il avait continué à donner au Parti du Congrès d'énormes majorités parlementaires, alors même que sa part du vote populaire commençait à diminuer. Le BJP en a profité et, depuis 2014, Modi et son entourage ont une présence disproportionnée au Parlement par rapport à leur pourcentage de voix.

Deuxièmement, il est devenu de plus en plus évident que l'argent domine les élections indiennes. Les énormes dépenses sont désormais reconnues et déplorées comme un aspect fondamental de l'économie politique du pays. En outre, les contributions politiques sont très peu transparentes. Il est pratiquement impossible de savoir qui a donné de l'argent à un homme politique ou à un parti, ou d'où l'homme politique tire le financement de sa campagne. Les donateurs ne sont guère disposés à rendre publiques leurs contributions politiques, car ils craignent de subir un retour de bâton si le parti qu'ils ont choisi perd le pouvoir. C'est dans ce contexte que l'administration de Narendra Modi a fait une grande annonce sur le financement des campagnes électorales en 2017, présentant cette proposition de réforme comme une tentative d'accroître la transparence des financements politiques.

Selon une analyse récente, entre 2016 et 2022, le BJP a reçu trois fois plus d'argent en dons directs d'entreprises et en obligations électorales (5 300 crore 639,36 millions de dollars) que tous les autres partis nationaux réunis (1 800 crore 217,17 millions de dollars). Les électeurs indiens ont certainement le droit de connaître la source de financement d'un parti qui visent à capter l'électorat. Ces sociétés donatrices d'obligations sont-elles légitimes ou ont-elles été créées uniquement pour transférer de l'argent noir vers des dons politiques ? Les « Public Sector Undertakings » (l'équivalent indien des entreprises publiques) sont-elles forcées de faire des dons ?

Récemment, la Cour suprême a déclaré illégal le système d'obligations électorales du gouvernement indien. Elle a souligné que ce système, en autorisant les dons politiques anonymes, contrevenait au droit à l'information prévu par la Constitution. On ne peut qu'espérer que ce verdict permettra à l'électorat de prendre des décisions plus éclairées et facilitera la mise en place de règles du jeu plus équitables pour les partis politiques à l'approche des élections générales de cette année.

Le verdict a également montré clairement que ce type de droit va au-delà de l'exercice de la liberté de parole et d'expression. Il est essentiel pour faire progresser la démocratie participative en obligeant le gouvernement à rendre des comptes. Il a souligné la forte corrélation entre l'argent et la politique, et la façon dont l'inégalité économique se traduit par des degrés variables de participation politique. Par conséquent, il est raisonnable de supposer que le fait de donner de l'argent à un parti politique entraînerait des accords de contrepartie. La Cour a jugé que l'amendement apporté aux sociétés, qui permettait aux entreprises d'effectuer des paiements politiques illimités, était manifestement arbitraire.

Enfin, la Commission électorale indienne dispose de facto d'une indépendance limitée et peut être contrôlée et manipulée par le pouvoir en place.

Des institutions démocratiques fragilisées

L'Inde est l'un des principaux exemples de récession démocratique mondiale. La polarisation croissante, la persécution des médias, la censure, l'intégrité électorale compromise et la diminution de l'espace de dissidence sont autant de menaces pour la démocratie indienne. L'administration dirigée par le BJP, qui a pris le pouvoir en 2014 et l'a conservé en 2019, a été critiquée pour ses résultats médiocres en matière d'indices démocratiques.

Freedom House maintient le statut « partiellement libre » de l'Inde, mais les commentateurs affirment que le pays est devenu de plus en plus illibéral sur le plan idéologique. Le BJP au pouvoir a encouragé les nationalistes hindous radicaux, ce qui a entraîné une augmentation des attaques contre les minorités religieuses et des discriminations à l'encontre des musulmans et des chrétiens.

L'Inde a été classée comme une « autocratie électorale » par le projetVarieties of Democracy (V-Dem) et comme une « démocratie imparfaite » par l'Economist Intelligence Unit, ce qui souligne le déclin démocratique du pays. Les tendances antidémocratiques du gouvernement indien se sont de plus en plus intensifiées, laissant très peu d'espace à la dissidence et à la protestation. Même le chef de l'opposition, Rahul Gandhi, a été expulsé du parlement à la suite d'une condamnation pour diffamation pour une blague sur le Premier ministre. Le gouvernement a également pris le contrôle de l'une des rares chaînes de télévision encore indépendantes, ce qui a entraîné un recul significatif de l'Inde dans le classement mondial de la liberté de la presse 2023. L'Inde occupe la 161e place sur 180 pays.

Les prochaines élections générales indiennes se dérouleront dans un contexte où le choix libre et informé de l'électorat est de plus en plus compromis par des facteurs à la fois structurels et techniques. À l'heure actuelle, l'opinion commune est que le BJP a toutes les chances de s'en sortir, même si l'opposition tente de créer un semblant de front uni contre lui. Cependant, l'opposition est tout autant ancrée dans les mêmes doctrines économiques néolibérales, et il n'y a pas grand-chose à choisir entre les deux camps belligérants en ce qui concerne les politiques qu'elles promeuvent en ce domaine.

Mouvements populaires

La seule force capable d'apporter un changement progressif et transformateur dans le corps politique indien est la mobilisation populaire d'en bas. Il y a quelques années, le mouvement des agriculteurs indiens a démontré que des mouvements populaires forts pouvaient avoir le potentiel d'affronter le rouleau compresseur de l'Hinduvta (l'extrémisme hindou), bien plus que des alliances électorales improvisées.

Les mouvements sociaux n'ont toutefois que très peu d'effet sur la politique électorale. Malgré les protestations des agriculteurs en 2020-2021, le BJP a largement remporté les élections législatives de 2022 en Uttar Pradesh, en particulier dans la région agricole de l'ouest de l'Uttar Pradesh, qui abrite une importante population de Jat qui a largement soutenu le mouvement. Il ne fait aucun doute que le mouvement a motivé des millions de personnes dans le monde entier à lutter pour l'équité, la démocratie et la solidarité, mais il lui reste encore beaucoup à faire pour créer une hégémonie politique au-delà des protestations militantes. De nombreux autres groupes sociaux se sont mobilisés de manière significative ; le défi consiste à déterminer comment les rassembler pour élaborer un programme de transformation.

Comment expliquer l'incapacité des mouvements sociaux à créer une hégémonie politique malgré les nombreuses luttes menées à travers le pays ? L'absence de la gauche et des forces progressistes a créé un vide idéologique qui conduit de nombreux mouvements dans une impasse, même après avoir obtenu des gains au terme de luttes laborieuses. Au lieu de forger des solidarités et de favoriser des alternatives, le ressentiment et la rage populaires alimentent l'ascension de la droite en Inde en l'absence d'un programme anticapitaliste idéologiquement motivé. C'est dans ce contexte que la renaissance d'une nouvelle gauche radicale est plus que jamais nécessaire.

Post-scriptum

Une éventuelle défaite du BJP peut certainement offrir un répit vital pour la construction d'un programme alternatif. Cependant, ce n'est qu'un moyen et non une fin en soi.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

La confrontation sino-américaine en Asie de l’Est s’envenime

23 avril 2024, par Pierre-Antoine Donnet — ,
Loin de s'apaiser, la confrontation entre la Chine et les États-Unis s'envenime toujours un peu plus. Principale zone de fracture entre les deux superpuissances de la planète : (…)

Loin de s'apaiser, la confrontation entre la Chine et les États-Unis s'envenime toujours un peu plus. Principale zone de fracture entre les deux superpuissances de la planète : l'Asie de l'Est où les grandes manœuvres ont franchi un pas inédit avec un partenariat renforcé entre Washington, Tokyo, Canberra et Manille qui a déclenché la fureur de Pékin.

Tiré de Asialyst
13 avril 2024

Par Pierre-Antoine Donnet

Le président américain Joe Biden entouré du président philippin Ferdinand Marcos Jr (à gauche) et du Premier ministre japonais Fumio Kishida, le 11 avril 2024 à la Maison Blanche. (Source : SCMP)

Les petits plats dans les grands à la Maison Blanche. Mercredi 10 avril, Joe Biden a invité Fumio Kishida à un dîner d'État, un privilège jusque-là jamais accordé à un Premier ministre japonais japonais. Parmi les convives, l'ancien président Bill Clinton, l'ancienne secrétaire d'État Hillary Clinton, l'acteur Robert De Niro, le patron d'Amazon Jeff Bezos, le PDG d'Apple Tim Cook et celui de JP Morgan Chase, Jamie Dimon.

Et pour cause, ce n'était pas une visite de courtoisie. Le président américain et le chef du gouvernement japonais ont annoncé un vaste programme de défense conjointe visant à renforcer la coopération militaire entre leur deux pays. Lors d'une conférence de presse, Joe Biden a précisé : les États-Unis et le Japon ont décidé « la mise en œuvre d'étapes significatives pour moderniser les structures de commandement et de contrôle. Nous augmentons l'interopérabilité et la planification de nos armées afin qu'elles puissent travailler ensemble d'une façon efficace et sans accroc. » Autrement dit, avec un nouveau commandement militaire conjoint.

Plus tard, accueillant le chef du gouvernement japonais dans le Bureau Ovale, le président américain a souligné la nécessité « de garantir que l'Indo-Pacifique demeure libre, prospère et ouvert sur le monde en restant ensemble ». Fumio Kishida, de son côté, a mis l'accent sur « l'amitié et la confiance mutuelle » avec Joe Biden. Les deux pays, selon lui, se trouvent « à l'avant-garde pour maintenir et renforcer un ordre international libre et ouvert fondé sur l'exercice du droit ».

Selon des responsables américains, Américains et Japonais vont en outre étudier les possibilités de produire ensemble des armes. La coopération permettra de renforcer la puissance industrielle du Japon et de créer des synergies entre les deux armées en cas de conflit régional. Le scénario le plus probable, ont-ils expliqué, est une invasion de Taïwan par l'Armée populaire de libération (APL) chinoise. Mais ce pourrait être aussi une initiative militaire agressive de la Corée du Nord. Cette année, Pyongyang a déclaré la Corée du Sud comme son principal ennemi tout en resserrant ses liens militaires avec la Russie. « Toute tentative de changer le statu quo [dans le détroit de Taïwan] par la force ou tout coercition serait absolument inacceptable, a lancé Fumio Kishida. Washington et Tokyo continueront de répondre d'une façon appropriée à de tels actes. L'Ukraine d'aujourd'hui pour être l'Asie de l'Est demain. »

La Constitution japonaise adoptée après la reddition du Japon en 1945 lui interdit de livrer toute guerre en dehors de son territoire, tandis que l'opinion publique japonaise demeure attachée à la paix et hostile à toute participation de l'archipel nippon à une guerre à l'extérieur de ses frontières. Quelque 54 000 soldats américains sont stationnés sur le sol japonais. Les États-Unis y possèdent bases navales et aéroports militaires, dont celui de Kadena à Okinawa, dans le sud du Japon, d'où décollent des avions-espions ainsi que des bombardiers stratégiques à long rayon d'action. À l'initiative de Fumio Kishida, le Japon a entrepris en 2022 un programme de dépenses militaires inédites depuis 1945 dans le but de moderniser son armée et se doter de nouvelles armes, principalement américaines, afin d'être en mesure de se défendre en cas d'agression militaire ou de conflit en Asie de l'Est.

Le secrétaire américain à la Défense Lloyd Austin et le ministre japonais de la Défense Minoru Kihara vont finaliser les détails de cette coopération pour la production conjointe d'armes dans les prochains mois. Le budget militaire prévisionnel du Japon pour 2024 devrait atteindre 52 milliards de dollars, une hausse de 47 % comparée à celui de 2022. Ces dépenses ne prennent pas en compte des rallonges budgétaires généralement votées en cours d'année. L'objectif est de porter la part des dépenses militaires à 2 % du PIB japonais d'ici quatre ans, contre 1 % actuellement.

« Pour le président Biden, [la visite de Fumio Kishida] représente à l'évidence l'occasion de souligner et cimenter les progrès dans cette relation qui est la plus importante alliance bilatérale en Indo-Pacifique, estime Christopher Johnstone, expert du Japon au Center for Strategic and International Studies, cité par Foreign Affairs. Pour Kishida, il y a là une chance de montrer l'excellence des liens avec les États-Unis dans le but de renforcer son soutien au Japon. »

Fumio Kishida : « Les États-Unis ne doivent pas être seuls à tout faire »

Ce sommet américano-japonais a pris place dans un contexte de tensions croissantes en Indo-Pacifique. En cause, les ambitions chinoises toujours plus grandes en mer de Chine Méridionale et les inquiétudes, elles aussi croissantes, suscitées par la posture belliciste de la Corée du Nord. Le partenariat entre les États-Unis et le Japon est « incassable », a célébré Joe Biden. « Le monde fait aujourd'hui face à davantage de défis et de problèmes que jamais auparavant, a de son coté déclaré le Premier ministre japonais. Le Japon va resserrer les liens avec nos amis américains et, ensemble, nous ouvrirons la voie pour surmonter les défis dans la région Indo-Pacifique et le monde. » Pour le sénateur républicain Bill Hagerty, un ancien ambassadeur américain au Japon, la décision de Fumio Kishida de renforcer le rôle sécuritaire du Japon illustre « à quel point les pressions de la Chine se sont multipliées et, de la sorte, ont réorienté l'opinion publique [japonaise] d'une façon significative et profonde ».

Réaction quasi-immédiate de la Chine en réaction à ce sommet : Mao Ning, l'un des porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, a déclaré que « le Japon doit réfléchir avec sérieux sur son passé d'agression, mettre fin à toute participation à des groupes militaires et choisir la voie du développement pacifique. » Xi Jinping, lui, avait choisi le moment de ce sommet à la Maison Blanche pour rencontrer à Pékin Ma Ying-jeou. Avec l'ancien président taïwanais, qu'il avait rencontré à Singapour en 2015, le numéro un chinois a évoqué la nécessité d'une réunification de l'ancienne Formose avec le continent chinois. Ce geste n'est pas le fait du hasard : il rappelle à Joe Biden et Fumio Kishida que la priorité des priorités pour la Chine demeure la prise de contrôle de Taïwan, quels que soient les engagements des États-Unis à défendre l'île et celui du Japon à lui apporter une aide en cas d'invasion par la Chine, estiment les analystes.

Jeudi 11 avril, Fumio Kishida a en outre prononcé un discours en anglais devant les deux chambres du Congrès américain, le deuxième dirigeant japonais à le faire. Les États-Unis, a-t-il déclaré, ne doivent pas être les seuls à endosser la responsabilité de défendre l'ordre international, le Japon étant prêt à s'engager lui aussi dans ce combat. « Je sens bien un courant sous-jacent chez des Américains qui doutent du rôle qui devrait être le vôtre dans le monde. Ce doute croît au moment où l'Histoire se trouve à un tournant. L'ère de la Guerre froide est déjà derrière nous et nous nous trouvons maintenant à un point de bascule qui va définir la prochaine étape de l'histoire de l'humanité, a-t-il ajouté dans une allusion transparente à la Russie, la Chine et la Corée du Nord. Je veux m'adresser à ces Américains qui ressentent la solitude et la fatigue d'un pays qui a défendu l'ordre international presque tout seul. Je comprends qu'il s'agit là d'une lourde charge que celle de soutenir de tels espoirs sur vos épaules. Les États-Unis ne doivent pas être seuls à tout faire. Vous êtes notre plus proche ami, le peuple japonais est avec vous, côte à côte, pour garantir la survie de la liberté. […] Nous sommes sur le pont, nous ferons notre part. Nous sommes prêts pour faire ce qui est nécessaire. Vous n'êtes pas seuls. Nous sommes avec vous », a encore lancé le chef du gouvernement japonais, déclenchant un tonnerre d'applaudissements.

Le même jour, Fumio Kishida a pris part à un sommet tripartite avec Joe Biden et le président des Philippines Ferdinand Marcos Junior pour discuter de la posture agressive de l'armée chinoise ainsi que le harcèlement dont sont victimes des navires de pêche ou militaires philippins. Il a rencontré en tête-à-tête son homologue philippin qui, selon un responsable américain cité par Reuters, entend « retourner la situation et isoler la Chine ».

Le Japon proche d'Aukus

Loin de s'apaiser, les manœuvres d'intimidation commandées depuis Pékin se sont multipliées contre les Philippines depuis plus d'un mois. L'objectif non-dit mais évident de Pékin : contraindre Manille à accepter la suzeraineté que la Chine proclame jusque dans ses eaux territoriales, phénomène qui a conduit l'archipel philippin à se rapprocher des États-Unis. Or c'est précisément ce rapprochement qui a déclenché la fureur de la Chine, qui entend non seulement affirmer sa puissance en Asie de l'Est mais chasser les États-Unis de la région.

Le 7 avril, pour la première fois, le Japon, les États-Unis, les Philippines et l'Australie ont procédé à des exercices aéronavals conjoints en mer de Chine méridionale. Ces manœuvres se sont déroulées dans la Zone économique exclusive (ZEE) des Philippines, selon un communiqué de l'armée à Manille : « Ces activités avaient pour but de renforcer les capacités de ces différentes forces à travailler ensemble dans le cadre de scénarios maritimes. » Dans un autre communiqué, les chefs des forces armées de ces quatre pays ont souligné que ces exercices conjoints visaient à démontrer leur « engagement collectif pour renforcer la coopération régionale et internationale afin de soutenir un Indo-Pacifique libre et ouvert ». Ce communiqué ne fait pas mention de la Chine mais l'allusion était transparente. Pékin revendique une « souveraineté indiscutable » sur quelque 90% des 4 millions de km² de la mer de Chine méridionale réputée riche en réserves halieutiques et en hydrocarbures et où transitent chaque année des milliers de milliards de dollars de marchandises. Outre les Philippines, Taïwan, l'Indonésie, Brunei, la Malaisie et le Vietnam revendiquent une partie de ces vastes étendues maritimes et contestent les revendications chinoises.

En réaction à ces manœuvres, la Chine a annoncé le 7 avril la tenue de ses propres manœuvres aéronavales dans la région dans une zone non précisée. « Toutes les activités militaires qui gênent la stabilité en mer de Chine méridionale sont sous contrôle », a indiqué un communiqué du ministère chinois de la Défense. Les incursions incessantes de l'Armée populaire de libération dans les eaux des Philippines sont « une démonstration de violence qui doit cesser. Ce sommet doit montrer que l'alliance entre le Japon, les Philippines et les Etats-Unis représentent une dissuasion crédible face à l'agression de la Chine », a estimé le sénateur philippin Risa Hontiveros, membre du parti d'opposition Citizens' Action Party, dans une interview accordée à China Watcher.

Le sommet trilatéral à la Maison Blanche le 11 avril « est une réponse directe à la coercition menée par la Chine en mer de Chine méridionale et vise à envoyer un message parfaitement clair d'unité », a indiqué un responsable américain cité par le Nikkei Asia. Notre alliance [qui date de 1951] avec les Philippines est la plus ancienne en Indo-Pacifique et n'a jamais été aussi forte. » Entouré de Fumio Kishida et de Ferdinand Marcos Jr, Joe Biden a lancé un avertissement fort à Pékin : « Toute attaque contre un avion, un navire ou les forces armées philippines en mer de Chine méridionale déclenchera la mise en œuvre du traité de défense mutuelle » qui lie Washington et Manille.

Plus inquiétant encore pour la Chine, l'Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis avait indiqué le 9 avril qu'ils « envisagent de coopérer » avec le Japon dans le cadre de l'alliance tripartie de défense Aukus (Australie, Royaume-Uni, États-Unis). L'entrée du Japon dans le traité Aukus fait actuellement l'objet de négociations, selon des sources diplomatiques citées dans les médias américains et japonais. Depuis la création d'Aukus en 2021, « nos pays ont clairement exprimé leur intention de faire participer d'autres pays aux projets de deuxième pilier au fur et à mesure de l'avancement de nos travaux, ajoute un communiqué américain. Nous avons construit une base trilatérale solide destinée à fournir des capacités militaires avancées rapidement et à grande échelle. »

L'alliance Aukus vise à renforcer les liens de défense entre Washington, Londres et Canberra, sur fond de montée en puissance militaire de la Chine en Asie-Pacifique. Le premier pilier de ce pacte consiste à équiper l'Australie d'une flotte de puissants sous-marins à propulsion nucléaire. Le second grand volet porte sur la cyberguerre, l'intelligence artificielle (IA) ainsi que le développement de drones sous-marins et de missiles hypersoniques de longue portée. Le Premier ministre australien, Anthony Albanese, a précisé devant la presse que la participation du Japon ne concernerait que le deuxième pilier de l'accord. « Le Japon est un candidat naturel pour cela », a-t-il insisté.

Soutien de Pékin au complexe militaro-industriel russe

Les États-Unis ont d'autre part adressé une sérieuse mise en garde à la Chine contre toute aide à la Russie qui mène une guerre brutale en Ukraine depuis le 24 février 2022. Toute aide par les entreprises chinoises à Moscou aurait « de graves conséquences », a expliqué vendredi Janet Yellen, secrétaire au Trésor, au terme d'une courte visite officielle en Chine. Le 12 avril, un haut responsable américain a accusé la Chine d'aide la Russie à mener « sa plus importante expansion militaire depuis l'ère soviétique, et à un rythme plus élevé que ce que nous pensions possible » au début de la guerre en Ukraine. Les États-Unis encouragent Pékin à jouer au contraire « un rôle constructif » dans le conflit, a-t-il dit, en ajoutant : « Nous espérons que nos alliés se joindront à nous ».

Cet appel intervient alors que le chancelier allemand Olaf Scholz, dont le pays entretient des liens économiques particulièrement étroits avec la Chine, est en Chine du 13 au 15 avril. En guise d'exemples du soutien de Pékin au complexe militaro-industriel russe, une autre haute responsable américaine a cité des achats massifs par Moscou de composants électroniques, de machines-outils et d'explosifs chinois : des « entités chinoises et russes travaillent à produire ensemble des drones » sur le sol russe. Les deux responsables américains cités ont requis l'anonymat.

Dans le détail, les renseignements à la disposition de l'administration Biden montrent que sur les trois derniers mois de 2023, « plus de 70% des importations de machines-outils de la Russie provenaient de Chine », ce qui a selon eux permis aux Russes d'augmenter leur production de missiles balistiques. Les Américains ont cité l'entreprise chinoise Dalian Machine Tool Group parmi les fournisseurs de la Russie. Les hauts responsables cités ont précisé que les groupes Wuhan Global Sensor Technology, Wuhan Tongsheng Technology et Hikvision fournissaient des systèmes optiques utilisés dans les chars russes. La Chine livre également à la Russie, selon la même source, des moteurs de drones et des systèmes de propulsion pour missiles de croisière, ainsi que de la nitrocellulose, matériau utilisé par la Russie pour fabriquer des munitions d'artillerie.

« Nous savons aussi que la Chine fournit des images de reconnaissance à la Russie pour sa guerre contre l'Ukraine, a déclaré la haute responsable déjà citée. « L'une des manières les plus décisives d'aider l'Ukraine aujourd'hui est de convaincre la Chine d'arrêter d'aider la Russie à reconstituer sa base militaro-industrielle », a commenté l'autre haut responsable américain.

De son côté, le 3 avril, le secrétaire d'État américain Anthony Blinken expliquait devant les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne et du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) que Pékin apportait un soutien à Moscou « à une échelle inquiétante ». La Chine fournit, selon le ministre cité par le Financial Times, à la Russie « des outils, des produits et une expertise substantielle ». Cette aide concerne essentiellement la production par la Russie d'équipements optiques et des carburants pour des missiles et fusées qui « non seulement contribue à l'agression de la Russie en Ukraine mais menace d'autres pays ».

Joe Biden avait soulevé cette question avec son homologue chinois Xi Jinping le 4 avril lors d'un entretien téléphonique. Selon la Maison Blanche, Le président américain lui a fait part de son inquiétude à propos du « soutien [de la Chine] à l'industrie de défense de la Russie et son impact sur la sécurité de l'Europe et [des pays] outre-Atlantique ». Le narratif chinois est constant sur ce sujet : la Chine ne fournit pas d'armes létales à la Russie et accuse l'Occident de « mettre de l'huile sur le feu » dans cette guerre qualifiée « d'opération spéciale » par la Russie, terme repris par les organes de propagande chinois.

Autre développement qui souligne le rapprochement rapide entre la Chine et la Russie, le 9 avril, le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi a déclaré que Pékin entend « renforcer la coopération stratégique » avec Moscou, lors d'un entretien avec son homologue russe Sergueï Lavrov, en visite officielle les 8 et 9 avril dans la capitale chinoise. « Pékin et Moscou continueront à renforcer la coopération stratégique sur la scène mondiale et à s'apporter mutuellement un soutien de poids », a précisé Wang Yi, cité par l'agence russe RIA Novosti.

Sergueï Lavrov a, lui, remercié Pékin pour le « soutien » apporté à Vladimir Poutine après sa récente réélection.Le président russe a été « réélu » pour un cinquième mandat le 17 mars, obtenant 87,28 % des suffrages, score abondamment condamné et comparé en Occident à un plébiscite grâce à un scrutin truqué. Depuis le déclenchement de l'assaut russe en Ukraine il y a un peu plus de deux ans, les relations entre Moscou et Pékin se sont profondément renforcées. En mars 2023, Xi Jinping s'était rendu à Moscou, réaffirmant avec Vladimir Poutine « une amitié sans limites » entre leurs pays qui, tous deux, dénoncent l'hégémonie occidentale sur la scène internationale.

Ces déclarations, manœuvres et gesticulations militaires témoignent d'une montée constante des périls en Asie-Pacifique. S'ils ne sont pas maîtrisés, ils risquent de conduire à un embrasement général aux conséquences potentiellement catastrophiques pour cette zone et, au-delà, pour la planète entière.

Par Pierre-Antoine Donnet

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Membres