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8M au Chili : La coordinatrice féministe classiste appelle à une journée de protestation dans tous les territoires

Notre appel est de lutter l'indépendance de classe, de nous organiser dans tous les territoires, d'avancer dans la combativité, de construire des organisations féministes et populaires qui répondent aux besoins réels et immédiats de notre classe.
29 février 2024 | tiré de Rébellion
Ce 8 mars, nous appelons à la tenue de journées de protestation dans tous les territoires contre ce système politique et économique qui continue de rendre nos vies précaires, contre cette démocratie qui continue de sentir la dictature et la guerre ; et contre le régime patriarcal qui continue de perpétuer la violence contre nos corps, nos vies et nos communautés.
Camarades, nous sommes dans un moment politique de grande incertitude. Alors que les hommes d'affaires et les partis tentent de parvenir à un accord pour gérer la crise actuelle que nous traversons, en ne protégeant que leurs intérêts ; tandis que les féministes libérales tentent de continuer à institutionnaliser nos luttes ou de les réduire à quelques droits ; Nous avons au fond l'énorme tâche de nous retrouver et de nous retisser pour affronter ensemble ce régime de mort. C'est pourquoi, ce 8 mars, nous appelons à la désobéissance et à la rébellion, à descendre dans la rue et à déployer de manière créative différentes méthodes de lutte qui améliorent la vie des peuples et de leurs communautés, des femmes, des dissidents, des enfants et de toute la classe ouvrière.
La Journée internationale de la femme travailleuse nous oblige à regarder les conditions actuelles que nous vivons, où nous sommes toujours maintenues en esclavage dans un travail salarié avec des conditions de travail de plus en plus précaires, des salaires misérables et sans parler des garanties sociales minimales qui nous permettent de protéger notre sécurité, notre santé et notre éducation. Alors que dans le secteur privé, dans des millions de foyers, nous continuons d'être victimes d'exploitation dans le cadre du travail domestique et des soins, souvent dans des conditions de violence physique, sexuelle et économique. En tant que femmes et dissidentes, nous continuons à prendre soin du peuple, nous continuons à développer des tâches fondamentales pour que tout l'appareil productif soit possible, et il est temps d'élaborer des stratégies qui peuvent mettre fin à ces abus, confronter les patrons et proposer des alternatives pour politiser les soins et socialiser le travail domestique.
Nous dénonçons l'inefficacité de l'État en matière de protection des femmes et des dissidents, pour nous ils continuent d'être un élément perpétuel et complice de la violence qui nous harcèle, nous viole, nous tue et nous emprisonne chaque jour, ainsi que les médias, l'éducation sexiste et coloniale et les appareils répressifs. En tant que féministes autonomes et classistes, nous ne croyons qu'au pouvoir de notre organisation pour faire face à cette vague de violence, de féminicides et de crimes haineux contre la population LGTBQ+. L'État ne s'occupe pas de nous, nos camarades prennent soin de nous, et c'est pourquoi il est urgent d'élever la légitime défense. Que l'amour profond pour notre classe, pour nos filles/fils, nos mères et nos grands-mères nous pousse à descendre dans la rue et à lutter pour une vie digne, qui nous permette de nous épanouir pleinement.
L'histoire nous a montré que la seule façon d'avancer vers la conquête de notre émancipation est la lutte organisée et autonome. Nous ne sommes pas dupes des fausses histoires des puissants qui, alliés aux féministes libérales, cherchent à apaiser notre lutte, à nous rendre léthargiques avec des promesses de lois qui n'arrivent pas et si elles arrivent, ce ne sont que des patchs très éloignés des changements structurels dont nous avons besoin. Nous ne faisons pas confiance à l'État ni aux gouvernements en place, et encore moins à leur démocratie, qui, lors des honneurs qu'ils ont rendus à l'assassin de Piñera, nous a montré très clairement que la torture, les mutilations, la violence politique et sexuelle sont une partie fondamentale de ce régime. Boric et ses marionnettes serviles au pouvoir, avec leurs discours froids, maintiennent et aiguisent les lois répressives, criminalisant les protestations légitimes, emprisonnant et assassinant ceux d'entre nous qui décident de se soulever et de se rebeller contre ce système. À bas la loi anti-OPA, à bas la loi sur la gâchette !
Nous sommes solidaires des peuples d'Amérique latine et du monde qui se rebellent aujourd'hui contre la domination capitaliste, le colonialisme et l'impérialisme. Nous soulignons la lutte des peuples frères de Palestine, d'Argentine, d'Équateur, du Pérou, du Salvador, de Bolivie, qui vivent aujourd'hui les conséquences désastreuses de la cupidité et de la cruauté de ce système capitaliste, patriarcal et colonial.
Notre appel est de lutter pour notre indépendance de classe, de nous organiser dans tous les territoires, d'avancer dans la combativité, de construire des organisations féministes et populaires qui répondent aux besoins réels et immédiats de notre classe. Avançons dans l'articulation et l'union de nos luttes, dans la construction de l'autonomie populaire, pour continuer à construire des assemblées, des cordons d'économie solidaire, des réseaux d'approvisionnement, de communication et d'éducation populaire et féministe, pour continuer à lutter pour l'habitat et un logement décent, pour continuer à dénoncer le vol des AFP et à lutter pour la sécurité sociale ; continuer à défendre la terre contre l'exploitation forestière et l'extractivisme ; de continuer à construire et à lutter pour la production et la reproduction d'une vie digne pour nos peuples.
- Que ce 8 mars soit celui de la lutte, pour soulever la protestation populaire dans tous les territoires !
- Face à sa démocratie corrompue, meurtrière et libérale ; Ce 8 mars, organisation, unité et lutte populaire !
- Face à la crise capitaliste, patriarcale et coloniale ; résistance féministe, ouvrière et populaire !
- Si vous n'avez pas les moyens d'acheter du pain, vous qui travaillez, vous vous battrez !
- S'ils s'obstinent à nous tuer, le moyen est de se rebeller !
- Contre la double exploitation, comme la rébellion !
- Liberté aux prisonniers politiques mapuches, à la révolte et aux subversifs ! Démilitarisation des Wallmapu maintenant !
- Liberté immédiate pour les enfants de Katty Hurtado et Nabila Rifo !
- Nous nous défendrions aussi !
Coordonnatrice féministe classiste
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La démonstration de force de l’extrême droite brésilienne

La mobilisation de dimanche montre que le rapport de force social ne s'est pas inversé. Le pays reste fragmenté et l'extrême droite pèse toujours plus lourd dans la partie politiquement active de la société.
Tiré de Inprecor 718 - mars 2024
28 février 2024
Par Valerio Arcary
"Se mettre en route tout de suite, c'est la moitié de l'action. Pense lentement. Agis vite". (sagesse populaire grecque).
La mobilisation du dimanche 25 février a été énorme. Soyons rigoureux, elle a été Immense. Elle a été étonnante, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. Le Bolsonarisme a fait descendre plus de 100 000 personnes très exaltées dans les rues pendant plus de trois heures, sous une chaleur étouffante. La composition sociale n'était pas surprenante : il s'agissait de la classe moyenne blanche, d'âge moyen, furieusement anticommuniste, entraînant des secteurs évangéliques populaires. Mais l'ampleur et l'ardeur l'étaient.
L'uniforme des maillots jaunes de la CBF(Confédération Brésilienne de Foot), les innombrables drapeaux israéliens, la haine de Lula, le ressentiment de la défaite électorale, l'adhésion explicite au projet de coup d'État, l'excitation suscitée par le discours émouvant de Michelle (la femme de Bolsonaro), l'adulation du chef, l'excitation suscitée par l'extrémisme de Silas Malafaia (un écrivain évangéliste brésilien, dirigeant des Assemblées de Dieu Victoire en Christ) , l'ensemble mi accablant et apocalyptique. Le moral des néo-fascistes était au beau fixe. Ils sont descendus dans la rue pour se battre. L' Avenue Paulista (av. centrale de Sao Paulo) n'était peut-être que le début d'une campagne. L'élan de ce dimanche devrait alimenter de nouvelles manifestations.
En force
Ils n'ont pas réagi lorsque Jair Bolsonaro est devenu inéligible, alors qu'il était très acculé, mais aujourd'hui ils reviennent en force. Ils ont occupé l'avenue Paulista dans la plus grande manifestation depuis le 7 septembre 2021, lorsqu'il était président. Mais dans un contexte incomparablement plus difficile : une avalanche de preuves a été recueillie par la police fédérale depuis la confession récompensée de Mauro Cid (lieutenant colonel qui était l' aide de camp de Jair Bolsonaro), confirmant son engagement dans la préparation d'un coup d'État.
La présence de quatre gouverneurs – Minas Gerais, Santa Catarina, Goiás et pas moins que Tarcísio de Freitas (gouverneur de Sao Paulo, ex ministre du gouvernement Bolsonaro) –, de plus d'une centaine de députés fédéraux, de centaines de maires, dont celui de São Paulo, ainsi que d'innombrables conseillers municipaux, montre qu'ils disposent d'un énorme soutien institutionnel. Ils se sont sentis victorieux.
Solidaires entre eux
Cette volonté de solidarité publique inconditionnelle semble étonnante, un dangereux calcul des risques, alors qu'il est probant que l'enquête sur les crimes de Jair Bolsonaro, et de son cercle de généraux quatre étoiles, a déjà recueilli des preuves irréfutables de culpabilité. Mais ils étaient tous là. Pourquoi étaient-ils là ? Parce que leur destin est indissociable de celui de Jair Bolsonaro. Tous ceux qui se sont rendus à l'Avenue Paulista, sur le terrain et sur la scène, étaient complices du coup d'État. Le cri qui les a unis est le suivant : n'arrêtez pas Jair Bolsonaro. Ne nous y trompons pas, nous l'avons bien entendu. Ils en sont sortis renforcés.
L'étau policier-légal autour de Jair Bolsonaro s'est resserré depuis l'opération de la maison d'Angra dos Reis (résidence de Bolsonaro) à la mi-janvier et, un mois plus tard, lorsqu'elle a touché les généraux, et l'extrême droite a décidé de passer à la contre-attaque. Pourquoi maintenant ? Parce qu'ils étaient convaincus qu'ils allaient réussir. Ce n'était pas seulement un appel à leur base sociale pour "prendre une photo". C'était une démonstration de force dans une situation défensive. Quels sont leurs objectifs ? Il ne veut pas être arrêté, alors il a déguisé son chantage avec la formule d'Amnistie.
Une menace de grande ampleur
Jair Bolsonaro a montré ses dents pour prouver que, si nécessaire, il sait mordre. Il a menacé la Cour suprême et le gouvernement, soutenu par la force des réseaux sociaux, de la rue et du Congrès. Il veut avoir la garantie que la légalité de son mouvement sera préservée. La pièce maîtresse de la tactique, pour ceux qui hésiteraient ou douteraient encore, c'est : la prison pour Jair Bolsonaro et les généraux putschistes (souligné par nous).
Diminuer l'impact du rassemblement de l'ultra-droite, dans la veine « négationniste » d'une partie de la gauche – qui dit que la manifestation ne « change rien » et qu'Alexandre de Moraes « ne va pas reculer » (A. de Moraes est le Président du Tribunal Supérieur Electoral du Brésil) – n'est pas qu'une superficialité. Ce n'est pas seulement une analyse biaisée des objectifs de Jair Bolsonaro. C'est un résumé de la myopie stratégique. Ce n'est jamais « tout ou rien » et « maintenant c'est tout de suite » dans la lutte sociale et politique. La lutte contre le bolsonarisme sera un processus complexe et peut-être un long processus de lutte politico-idéologique qui a une dimension internationale et dont l'issue reste incertaine.
Accumulation de forces
Sous-estimer la force sociale de choc des néo-fascistes est une erreur d'analyse et une faute tactique, car cela nous désarme pour la nécessité de construire des mobilisations de masse les 8 (Journée internationale des femmes) et 24 mars (Journée de mobilisation nationale en défense de la démocratie). Elle ne fait qu'entretenir l'hibernation actuelle du peuple de gauche et des directions majoritaires. Ne servent pas non plus les conclusions « psychologisantes » qui prétendent expliquer l'initiative de mobilisation parce que Jair Bolsonaro a « peur » d'être arrêté. Se moquer de l'ennemi est légitime, et même amusant, mais ce n'est pas sérieux. Jair Bolsonaro est un monstre avec l'« instinct » de pouvoir, mais il a encore de la force. Il est blessé, acculé, sur la défensive, mais pas moins dangereux.
Son arrestation serait une défaite, mais pas irréversible, s'il parvient à préserver l'influence de masse qu'il a conquis. La ligne du discours était une manœuvre pariant sur la possibilité d'élargir les alliances avec la droite libérale. Nous savons déjà qu'il existe une position consolidée dans des fractions de la bourgeoisie libérale, qui a défendu la troisième voie aux élections, qui dénonce Alexandre de Moraes pour les « excès » des longues peines de prison contre les « fauteurs de troubles » du 8 janvier (08/01/23, le soulèvement des manifestants à Brasilia, Place des trois pouvoirs, contre l' élection de Lula).
Amnistie, pacification politique et défense de la légitimité de l'extrême droite comme courant électoral ont été les étendards de Jair Bolsonaro dans l'Avenue Paulista. Il explore une brèche délicate. Il ne peut être condamné sans que les généraux aux quatre étoiles qui l'ont soutenu jusqu'au bout ne soient eux aussi emprisonnés. Au Brésil, les généraux putschistes n'ont jamais été jugés et condamnés.
Faire face, dans l'unité
L'ultra-droite opère un virage tactique ou un repositionnement politique depuis sa défaite électorale et, surtout, depuis l'échec du soulèvement du 8 janvier dernier. Son projet est de garantir une présence légale au "mouvement" pour assurer son droit à participer aux élections de cette année, et d'accumuler des forces pour se présenter avec Jair Bolsonaro à la présidence en 2026, comme Donald Trump est en train de le faire cette année aux États-Unis. Même s'il est arrêté, et donc qualitativement affaibli, Jair Bolsonaro veut être candidat. La manifestation obéit au calcul qu'il a la force sociale et politique d'essayer d'échapper à la prison. Jair Bolsonaro veut négocier, mais en position de force.
La situation a placé entre les mains de la gauche le défi de la lutte pour l'arrestation de Bolsonaro et des généraux putschistes. Le plus grand danger serait maintenant la division de la gauche. La gauche ne peut pas reculer sur la position « No Amnesty » sans qu'une démoralisation irréparable ne nous atteigne… Ceux qui affirment que la lutte pour l'arrestation de Jair Bolsonaro est un piège, parce son entrée en prison le rendrait « martyr », se trompent.
Un combat déterminant
La base sociale de Bolsonaro comporte plusieurs couches. Il y a un « noyau dur », environ 10 % de néofascistes dans le pays, soit quelque 15 millions de personnes, qui est inexpugnable. Mais une sympathie moins idéologique pour l'extrême droite atteint davantage : 15 %, voire 20 %. L'impact des procès érodera les sympathies de dizaines de millions de personnes, en particulier parmi les classes populaires. L'arrestation de Jair Bolsonaro ne sera pas seulement une bataille juridique. Elle ne peut reposer uniquement sur l'autorité de la Cour suprême. Il s'agira d'une campagne pour la conscience populaire. Nous ne devons jamais abandonner la partie de la classe ouvrière qui a été attirée par le bolsonarisme. La condamnation de Jair Bolsonaro et des généraux serait la plus grande victoire démocratique depuis la victoire électorale de Lula, voire depuis la fin de la dictature.
Les responsabilités de la gauche
À gauche, il faut avoir la lucidité de comprendre que le rapport de force social n'a pas changé. Le pays est toujours fragmenté, l'extrême droite a toujours plus de poids dans la partie politiquement active de la société, plus activiste sur les réseaux sociaux et aussi dans la rue. Mais le rapport de force politique a évolué favorablement du fait de la victoire de Lula aux élections. Il a évolué positivement avec la fermeté d'Alexandre de Moraes contre les putschistes. Mais rien n'est figé, et qui n'avance pas recule.
À quand remonte la dernière fois où la gauche a rassemblé autant de monde sur l'Avenue Paulista ? Le jour de la victoire de Lula en 2022 ? Le tsunami de l'éducation en 2019 ? Cela sera-t-il difficile ? La seule réponse honnête est oui. Mais le bolsonarisme ne pourra pas maintenir indéfiniment son hégémonie dans la rue et sur les réseaux. La pire des défaites, nous le savons, est la défaite sans combat. Tous les partis de gauche, les mouvements sociaux populaires des campagnes et des villes, les mouvements de femmes et de Noirs, les mouvements étudiants et culturels, les mouvements LGBT et environnementaux sont appelés à se manifester et à organiser la riposte les 8 et 24 mars.
*Valério Arcary est un professeur d'histoire de l'IFSP à la retraite. Auteur, entre autres, de Nobody said it would be easy (Boitempo). [https://amzn.to/3OWSRAc]
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Argentine. Grèves enseignantes, aéroports bloqués : une rentrée sous le signe de la mobilisation

Enseignants, cheminots, travailleurs des aéroports, des premiers secteurs sont entrés en bataille contre les conséquences sociales et les privatisations liées au plan d'ajustement structurel de Milei. L'extrême-gauche appelle à construire un véritable plan de bataille.
29 février 2024 | tiré de Révolution permanente | Crédit photo : Izquierda Diario
https://www.revolutionpermanente.fr/Argentine-Greves-enseignantes-aeroports-bloques-la-rentree-marquee-par-des-greves-sectorielles
Ce début de semaine de rentrée scolaire en Argentine a été marqué par plusieurs grèves importantes contre les conséquences sociales du plan d'ajustement structurel de Javier Milei. Chez les enseignants du service public, la Confédération des Travailleurs de l'Education (CTERA) a appelé ce lundi à une journée de grève dans de nombreuses provinces du pays. Les enseignants font partie d'un des secteurs les plus durement touchés par la politique austéritaire du gouvernement. Ce lundi 4 mars, une grève est aussi appelée par les différentes organisations d'enseignant qui sont réunies dans la CGT qui avait préféré ne pas suivre la journée de lundi.
Alors que plusieurs secteurs se préparent à entrer dans la bataille contre les conséquences économiques et sociales de l'austérité, les travailleurs de l'aéronautique qui s'étaient démarqués comme l'un des secteurs les plus combatifs de la grève nationale du 24 janvier dernier sont parvenus, ce mercredi, à faire annuler près de 340 vols dans tout le pays, démontrant la force des travailleurs contre les plans austéritaires et de l'union entre les plus précaires et les travailleurs titularisés. Leur bataille s'est non seulement constituée autour de la défense des salariés du secteur, mais aussi dans la lutte contre la privatisation de Aerolineas Argentinas, l'entreprise nationale de transport aérien nationalisée en 2009.
Des luttes divisées, l'extrême-gauche rappelle l'urgence d'un plan de bataille contre Milei
Les premières grèves qui touchent l'Argentine cette semaine marquent les potentialités de l'émergence d'une première avant-garde combative qui se forge dans la lutte contre le gouvernement de Javier Milei et ses plans austéritaires et de privatisation. Chez Aerolineas Argentinas, l'extrême-gauche et ses collectifs syndicaux ont particulièrement bataillé pour que la grève nationale de l'aéronautique ne soit pas seulement centrée sur la hausse des salaires face à l'inflation, mais aussi sur le rejet total de la privatisation que Milei souhaite imposer comme l'un de ses projets phares et qui bénéficierait à des entreprises comme Blackrock, intéressée par le rachat de l'entreprise.
Dans l'éducation nationale et supérieure, la discussion sur l'absence d'un plan de bataille est au cœur des enjeux alors que les différents syndicats enseignants ont appelé à des journées de mobilisation à des dates différentes. L'absence d'un plan de bataille s'explique notamment par le fait qu'une partie des directions syndicales réponde directement à sa direction kirchnériste, alors que l'ex-présidente argentine de centre-gauche s'est prononcée récemment pour une réforme du travail et de la fonction publique. Dans la Province de Buenos Aires par exemple, les salaires des enseignants viennent encore d'être négociés à la baisse avec le gouverneur de la province, Axel Kicillof, vu comme le potentiel futur candidat du péronisme pour 2027.
Du côté de l'extrême-gauche du Parti des Travailleurs Socialistes, le collectif syndical enseignant « 9 de Abril » a rappelé l'importance d'organiser au sein de chaque école, avec les familles et les élèves, des assemblées générales pour la préparation d'un plan de bataille face aux politiques austéritaires de Milei et des différents gouverneurs de province qui appliquent aujourd'hui un saut austéritaire historique.
Dans les jours et semaines à venir, Javier Milei compte relancer son plan austéritaire et préparer la négociation pour le vote, article par article, de chacune des dispositions qu'il avait prévu d'imposer lors de la présentation de la Loi Omnibus en janvier dernier. Ce vendredi 1 mars, le président argentin devrait ouvrir la rentrée parlementaire par un discours d'inauguration qui reviendra sur ses plans de guerre contre la classe ouvrière et les plus pauvres du pays. Plusieurs organisations et assemblées de quartier qui ont soutenu les grèves des enseignants et des travailleurs de l'aéronautique seront présentes ce vendredi face au Parlement pour lutter contre les plans de Milei. L'urgence est à la construction et à la consolidation des assemblées de quartier dans tout le pays afin d'unifier les secteurs qui commencent à constituer une avant-garde des luttes contre les plans austéritaires de Milei afin d'imposer un véritable plan de bataille aux directions syndicales contre le gouvernement. La bataille menée au sein des syndicats, notamment depuis les secteurs les plus précaires de la classe ouvrière comme dans la sous-traitance aéroportuaire qui ont mis au centre la lutte contre la privatisation de leur entreprise est déjà un exemple de la marche à suivre contre Milei.
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Élections aux États-Unis : un duel réactionnaire sur fond de crise du régime

Le duel Trump-Biden est façonné par une crise du régime politique états-unien, nécessitant à la fois l'intervention du judiciaire et de la bureaucratie syndicale. La course pour la présidence apparaît comme une lutte pour convaincre la classe ouvrière et sur quelle approche impérialiste est la meilleure pour rivaliser avec la Chine et rétablir l'hégémonie américaine. Comme à leur habitude, les Démocrates brandissent le bâton des droits démocratiques afin de rallier les électeurs mécontents.
Tiré de Révolution Permanente
26 février 2024
Par Sybil Davis
L'élection de 2024 s'annonce comme une répétition de celle de 2020, avec deux candidats incroyablement impopulaires se disputant la présidence. D'un côté, Donald Trump élimine facilement ses adversaires Républicains, avec seulement Nikki Haley encore en lice ; la base de Trump, le mouvement dit « MAGA », a pris le contrôle du Parti républicain et semble indéboulonnable, malgré les défis légaux qui planent au-dessus du candidat. D'un autre côté, le président Joe Biden est ébranlé et affaibli, faisant face non seulement à des inquiétudes généralisées concernant ses facultés mentales, mais aussi à un mouvement social pour la Palestine qui l'a surnommé « Genocide Joe ». Contrairement à 2020, la voie pour Biden de mener le mouvement aux urnes est bien plus étroite, et son statut de président en exercice plutôt que de challenger le place dans une position bien plus précaire.
Derrière cette élection se cache une crise dans le régime politique américain – un exemple de ce que le marxiste italien Antonio Gramsci a appelé la « crise organique », une crise dans laquelle les populations ne se sentent plus représentées par leurs gouvernants. Les crises organiques affaiblissent les régimes et amènent les partis politiques traditionnels à faire face à de nouveaux phénomènes politiques, tandis que les masses perdent confiance dans les partis politiques traditionnels et dans les institutions du régime. La crise organique actuelle aux États-Unis a atteint son apogée le 6 janvier 2021, après une année de crise accrue exacerbée par le COVID et le soulèvement du mouvement Black Lives Matter, puis elle s'est atténuée lorsque Biden a contenu la crise durant les premières années de son mandat. Biden, cependant, a été incapable de résoudre la crise, et, comme nous l'avions prédit au début de 2023, la crise est réapparue et joue un rôle de plus en plus important dans la politique nationale. La réémergence de Trump en est un signe.
Dans cette crise entre « représentés et représentants », où des institutions importantes du régime sont de plus en plus suspectées et perdent en légitimité, le pouvoir judiciaire et la bureaucratie syndicale jouent un rôle démesuré. Il est clair depuis un certain temps que le pouvoir judiciaire se mobilise pour arrêter – ou du moins entraver – la candidature de Trump, ce qui déstabiliserait grandement le régime si Trump revenait au pouvoir, surtout après le 6 janvier. Les diverses affaires judiciaires et inculpations contre Trump reflètent non seulement sa criminalité – quelque chose que personne qui a suivi la carrière de Trump ne peut nier – mais représentent également une tentative de retourner les masses contre Trump. Des tentatives plus osées d'interdire à Trump de se présenter aux élections – comme celles menées dans le Colorado et dans le Maine – semblent avoir outrepassé ce que permet la situation politique, et il semble de plus en plus probable que la Cour suprême ne validera pas ces exclusions du scrutin.
Dans ce sens, la crise organique et la perte de légitimité institutionnelle – y compris celle de la Cour suprême, qui a subi un sérieux revers après la décision invalidant le droit à l'avortement – à la fois alimentent et modèrent l'assaut du pouvoir judiciaire. Pour le dire autrement, la crise organique explique pourquoi nous assistons à un pouvoir judiciaire de plus en plus « bonapartiste » – agissant de manière plus explicitement politique, de sa propre initiative, sans le soutien du Congrès ou des masses – mais la crise limite également dans quelle mesure le pouvoir judiciaire peut avancer sur le terrain politique. Imaginons, par exemple, que la Cour suprême valide l'interdiction de Trump dans le Colorado. Cela déclencherait certainement une réaction intense de la part de la base de Trump et nuirait encore plus à la réputation de la justice, puisque la cour aurait simplement exclu le principal candidat du scrutin sans aucune contribution démocratique des masses.
Le pouvoir judiciaire a ses limites, mais il joue néanmoins un rôle démesuré dans la situation nationale. Cela ne se limite pas à l'offensive contre Trump. On peut également le constater dans les décisions de plus en plus politiques de la Cour suprême. L'invalidation du droit à l'avortement a été une attaque significative contre les droits démocratiques, inversant le rôle que la Cour a joué pendant une grande partie de la période néolibérale, au cours de laquelle elle avait concédé des droits démocratiques aux mouvements sociaux afin de montrer que, parce que l'État peut soutenir les opprimés, les soulèvements contre l'État sont inutiles. Mais la décision Dobbs a changé cela, révélant le rôle plus politisé du pouvoir judiciaire et sa nécessité d'agir de manière « bonapartiste », c'est-à-dire de sa propre initiative, sans le soutien des électeurs. À mesure que la crise organique s'approfondit, ce rôle politisé et bonapartiste ne fera probablement que se poursuivre.
Les bureaucraties syndicales, alliés-clé de Biden
Un autre acteur majeur de ces élections sera la bureaucratie syndicale. Comme nous l'avons écrit par ailleurs, les dernières années ont été marquées par une résurgence d'un mouvement ouvrier de plus en plus politisé. Le secteur syndical entre désormais, quoique de manière inégale, dans davantage de débats politiques, allant au-delà de la lutte pour des revendications basiques telles que des salaires plus élevés. S'appuyant sur les grèves des enseignants du début de l'ère Trump et sur l'expérience vécue par les masses avec le mouvement Black Lives Matter, les travailleurs à la base se voient de plus en plus comme étant organiquement liés à une variété de questions politiques, telles que la défense des droits démocratiques et la lutte contre les oppressions, dont les directions syndicales traditionnelles ont tenté de les dissocier. Cette nouvelle énergie dans le mouvement syndical a replacé la classe ouvrière au centre de la politique – comme on l'a notamment observé lors de la grève de l'UAW, pendant laquelle Biden et Trump ont tous deux explicitement fait du pied aux grévistes. Cela a également affecté les directions syndicales traditionnelles, les poussant à céder aux courants plus radicaux dans le cas des Teamsters et de l'UAW, et les contraignant à prendre en considération l'organisation des membres de base autour de questions politiques.
Le mouvement pour la Palestine en est un bon exemple. L'opposition massive à l'assaut d'Israël sur Gaza a contraint même les directions syndicales les plus profondément sionistes, comme celles de l'AFT et de l'AFL-CIO, à se prononcer en faveur d'un cessez-le-feu. Cela démontre que les bureaucraties syndicales ne peuvent plus agir en tant que « police de la classe ouvrière », en ignorant les demandes de leurs membres et en faisant tout leur possible pour les maintenir en ligne sans faire de concessions. Désormais, pour maintenir leur légitimité, les directions syndicales doivent politiser leurs syndicats autour de la question de la Palestine. La politisation et l'esprit de lutte croissant du mouvement ouvrier – une victoire majeure pour le phénomène de la « Génération U », observé de manière particulièrement aiguë dans des syndicats jeunes comme Starbucks Workers United – ont placé la classe ouvrière dans une position plus prépondérante. Même les médias bourgeois, qui ont l'habitude de parler simplement des classes moyennes, doivent à présent parler de la classe ouvrière. C'est le résultat direct de l'injection de militantisme par une nouvelle génération façonnée par le mouvement Black Lives Matter, une génération qui a revitalisé le mouvement ouvrier, a contribué à diriger un mouvement social pour la Palestine, et a contraint les bureaucrates syndicaux à soutenir le mouvement, même à contrecœur. Cette recrudescence de la lutte des classes a remodelé la situation politique et créé une crise pour le Parti démocrate, qu'il doit désormais contenir grâce à ses tactiques habituelles de cooptation.
Ce phénomène complète ce que les analystes politiques ont appelé le « désalignement » : la classe ouvrière ne s'identifie plus fortement au Parti démocrate. Comme nous l'avons écrit précédemment, cela crée une lutte pour le cœur et l'âme de la classe ouvrière, et les élections en sont le champ de bataille. Trump et Biden se battent explicitement pour se présenter comme les champions de la classe ouvrière et cherchent, à des degrés différents, à obtenir le soutien des syndicats.
Dans ce contexte, il est probable que les bureaucraties syndicales joueront un rôle démesuré dans la captation des travailleurs par le Parti démocrate. Puisqu'elles parviennent de moins en moins à diriger la classe ouvrière par la coercition, elles cherchent d'avantage à la diriger via des concessions idéologiques à la marge. L'UAW est un bon exemple de cela. Les dirigeants de l'UAW – notamment leur chef de file, Shawn Fain – agrémentent leurs discours de rhétorique inspirante et progressiste, publient sur les réseaux sociaux sur la continuité entre la lutte pour les droits des Noirs et l'UAW aujourd'hui, et lancent des initiatives d'organisation agressives visant à organiser les non-syndiqués. Tout cela se combine pour légitimer le leadership de l'UAW auprès des travailleurs de base, qui sont ensuite ramenés vers Biden, comme en témoigne le récent soutien de l'UAW à sa candidature.
La déclaration sur un cessez-le-feu de l'AFL-CIO est un autre exemple de ce phénomène. Malgré l'appel à un cessez-le-feu, la déclaration ressemblait en tous points aux éléments de langage de l'administration Biden. Elle a souligné la nécessité d'une solution à deux États, a dénoncé la violence « des deux côtés » et a appelé à un arrêt négocié des combats. La déclaration est donc une tentative claire d'arrêter l'hémorragie de soutiens causée par la complicité de Génocide Joe Biden à la guerre d'Israël contre Gaza. Elle prépare le terrain pour la poussée préélectorale habituelle des bureaucraties syndicales visant à mobiliser leurs membres pour soutenir le Parti démocrate. La situation, cependant, est loin d'être habituelle, et donc les directions syndicales doivent adopter une nouvelle approche, en essayant de convaincre leurs membres plutôt que de simplement les diriger.
Politique étrangère et immigration : les deux questions centrales de l'élection
Cette élection sera non seulement une bataille pour conquérir la classe ouvrière, mais aussi pour façonner la politique étrangère. Biden est devenu le porte-étendard à la fois de la guerre d'Israël contre Gaza et de la guerre en Ukraine – deux conflits assez impopulaires. À cela s'ajoute le débat, parmi les capitalistes étasuniens, sur la meilleure façon de rivaliser avec la Chine et ainsi de renverser le déclin de l'hégémonie américaine. Trump a toujours présenté une approche différente à la politique étrangère de l'establishment – favorisant une politique unilatérale avec des mesures protectionnistes et s'opposant même à l'OTAN – et il essaie d'utiliser cela pour exploiter la frustration des masses face aux constantes interventions des États-Unis dans les conflits à travers la planète. Trump et une partie des Républicains de droite avancent l'idée que la « vraie » guerre se déroule chez eux à la frontière sud et que les États-Unis ne devraient pas intervenir dans les conflits à l'étranger. Mais ce masque « anti-interventionniste » ne peut pas cacher le bilan politique de Trump en tant que président, qui rappelle qu'il était tout à fait disposé à intervenir militairement à l'étranger.
La véritable distinction entre Trump et Biden en matière de politique étrangère réside dans leur degré d'unilatéralisme. Biden préconise de s'appuyer sur des alliances internationales pour renforcer l'hégémonie des États-Unis à l'étranger et mieux rivaliser avec la Chine, tandis que Trump favorise des actions plus unilatérales qui pourraient inclure l'abandon des alliances traditionnelles – comme l'indiquent ses récentes déclarations sur l'OTAN. Les partisans de Trump sont attirés par sa politique étrangère car elle donne l'illusion d'être anti-interventionniste, et le discours America First gagne du terrain parmi ceux qui ont vu leurs conditions de vie se détériorer pendant la période néolibérale et se demandent pourquoi il y a toujours de l'argent pour les conflits à l'étranger.
L'immigration et la « sécurité des frontières » deviennent des enjeux majeurs à l'approche des élections. Trump et les Républicains s'efforcent de présenter la situation à la frontière comme une « invasion » que Biden et les démocrates n'ont pas réussi à contenir. En réalité, l'administration Biden a, de manière générale, poursuivi dans une totale continuité les politiques anti-immigration de Trump, ce qui a jeté les bases pour que les Républicains aillent encore plus loin à droite sur l'immigration. En réponse à ces attaques politiques, les Démocrates tentent de se droitiser encore d'avantage – à partir d'une position déjà très à droite – sur la question migratoire, comme l'indique le récent accord proposé au Congrès. Biden a lui-même déclaré qu'il était prêt à « fermer la frontière dès maintenant », signe supplémentaire du virage à droite du Parti démocrate sur cette question.
Un exemple frappant de la crise organique est la confrontation au Texas, où chaque gouverneur républicain, à l'exception d'un seul, s'est rangé du côté du gouverneur Greg Abbott pour résister aux tentatives du gouvernement fédéral de retirer les barbelés placés à la frontière. Trump et l'extrême droite utilisent ce conflit pour faire avancer leur position politique. À mesure que les élections se rapprochent, il semble probable que l'immigration – avec la politique étrangère et la classe ouvrière – sera l'un des axes de l'élection, alors que la campagne de Biden vire à droite dans une tentative de rivaliser avec le nationalisme explicitement anti-immigrés de Trump. La récente victoire du démocrate Tom Suozzi dans la course pour remplacer George Santos à la Chambre représente un possible modèle de la manière dont les démocrates pourraient mener une campagne de droite sur l'immigration et battre les républicains à leur propre jeu. Ce que cela signifie pour la situation politique globale, c'est que la politique en matière d'immigration évolue de plus en plus rapidement vers la droite alors que les deux partis cherchent à être « durs » sur l'immigration.
Jouer la défense des droits démocratiques et s'appuyer sur les progressistes : l'espoir des Démocrates pour novembre 2024
Si l'immigration et la politique étrangère sont les sujets vers lesquels Trump espère orienter le débat, Biden et les Démocrates espèrent recentrer la discussion sur un terrain plus solide pour eux : la protection des droits démocratiques, plus spécifiquement le droit à l'avortement. La défense des droits à l'avortement a aidé les démocrates à contenir la « vague rouge » de 2022 et à remporter certaines élections difficiles en 2023. Ils espèrent utiliser le même stratagème, comme l'indique la « tournée pour le droit à l'avortement » qui a récémment été dévoilée. Dans leurs discours, les Démocrates défendront avec véhémence les droits démocratiques – tant dans le cas spécifique de l'avortement que plus largement dans la « défense de la démocratie », dont le camp Biden parle si souvent. Ils espèrent que cela aidera à mobiliser les électeurs qui pourraient sinon rester chez eux lors des élections parce qu'ils n'aiment aucun des candidats ou s'opposent à la politique de Biden sur Israël, entre autres choses.
De 2016 à 2021, Left Voice a analysé la « guerre civile » au sein du Parti démocrate entre l'establishment et une aile progressiste de plus en plus proéminente. Dans notre analyse, nous avons cherché à souligner que l'opposition posée par les « Socialistes démocrates » du Squad était inexorablement condamnée à l'échec, étant donné leur position au sein du Parti démocrate, qui disposait de beaucoup plus de ressources et de réserves stratégiques pour les coopter dans son courant dominant. Cela est confirmé même par un simple coup d'œil à la situation politique actuelle. Après la défaite de Bernie Sanders lors des primaires démocrates de 2020, les progressistes se sont ralliés derrière Biden, et ils ont maintenu cette ligne tout au long de son mandat à la Maison Blanche. Même maintenant, alors qu'un nouveau mouvement l'accuse de génocide, des politiciens comme Alexandria Ocasio-Cortez vont sur les médias pour défendre la candidature de Biden – AOC l'a récemment qualifié de « l'un des présidents les plus efficaces de l'histoire moderne ». Dans un récent article pour le New York Times, Ezra Klein écrit que « la réalité, ces dernières années, a été que les Démocrates s'unissent et que les Républicains se désagrègent. L'establishment du Parti démocrate a tenu bon, pendant que l'establishment du Parti républicain s'est effondré ». L'establishment du Parti démocrate – qui semblait si faible après la défaite de Clinton et l'ascension du Squad – a incorporé ses contestataires dans le courant dominant, utilisant ces soi-disant socialistes comme des pions pour se connecter à l'avant-garde du mouvement et la ramener dans le giron du Parti démocrate.
Nous pouvons voir l'utilité des progressistes pour l'establishment du Parti démocrate au Michigan, un État clé pour Biden. Les électeurs de l'État, dont beaucoup sont d'origine arabe, s'opposent au soutien de Biden au génocide à Gaza. En réponse, une campagne, Vote Uncommitted, a été lancée par Our Revolution et DSA (Democratic Socialists of America), avec le soutien vocal de Rashida Tlaib, une figure clé du Squad et l'une des seules Démocrates de premier plan à avoir fortement soutenu un cessez-le-feu. La campagne exploite la colère des électeurs, et la dirige vers le Parti démocrate, encourageant les électeurs à voter lors des primaires démocratiques de l'État, mais à ne pas soutenir Biden. Cela vise à faire pression sur Biden pour qu'il change de position sur Gaza. Mais sa véritable conséquence, c'est d'encadrer le mouvement pour la Palestine afin d'en faire un simple moyen de pression sur Biden au sein du parti démocrate. Cela ramène les électeurs désillusionnés dans les primaires démocrates et ouvre la voie à Biden pour apporter de légères modifications à sa position sur Gaza tout en prétendant qu'il écoute les électeurs. Cela s'inscrit dans la ligne politique de la gauche du Parti démocrate, qui tente d'utiliser les mouvements de masse comme des campagnes de pression pour contraindre les politiciens à adopter des positions différentes sans remettre en question leur relation privilégiée avec le Parti démocrate. Bien que la campagne Vote Uncommitted soit un signe de l'opposition populaire à Biden, elle est utilisée pour coopter le mouvement pour la Palestine.
La défense des droits démocratiques par le Parti démocrate est une manœuvre politique, une mise en scène destinée à susciter un soutien. En réalité, les démocrates ont supervisé de nombreuses attaques contre les droits démocratiques fondamentaux. Ils ont dénoncé les manifestations pro-Palestine et ont contribué à ouvrir la voie à davantage d'attaques contre le mouvement. Le mandat de Biden à la Maison Blanche a vu non seulement la réduction des droits à l'avortement, mais aussi une virulente campagne anti-trans, et l'administration Biden et les Démocrates n'ont rien fait pour arrêter cela. Au contraire, ils espèrent que leurs paroles creuses inspireront les masses. Mais c'est le même cercle vicieux dans lequel le Parti démocrate nous maintient depuis des décennies. Les droits démocratiques menacés sont une aubaine pour les Démocrates, car cela rend leurs campagnes du moindre mal plus efficaces. Leur préoccupation pour la démocratie et pour nos droits sont des stratagèmes pour nous faire accepter de continuer de nous contenter d'un « moindre mal » dans l'espoir de vaincre la droite.
Nous ne pourrons pas vaincre la droite en votant lors d'une élection – il suffit de voir comment la victoire de Biden n'a pas vaincu le trumpisme. Au lieu de cela, nous devons vaincre la droite en nous organisant dans nos syndicats, sur nos lieux de travail et dans la rue pour construire un mouvement combatif. Seule cette approche peut arrêter la montée de la droite et défendre nos droits démocratiques. Plus largement, nous devons rompre le cycle du moindre mal. Nous devons construire un parti, un parti qui représente véritablement le mouvement syndical combatif, qui représente le mouvement pour la Palestine et qui représente les millions de personnes qui prennent conscience que le système capitaliste ne nous offre rien. Nous ne construirons pas ce parti en restant liés aux Démocrates, et nous ne pouvons pas le faire sans affronter les bureaucraties des syndicats et des mouvements sociaux, qui sont des alliés vitaux du Parti démocrate. Au contraire, nous construirons ce parti en nous appuyant sur nous-mêmes et en nous organisant pour affronter la droite, défendre nos droits démocratiques et construire une institution qui puisse unir toutes nos luttes.
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États-Unis - En Alabama, une nouvelle attaque réactionnaire contre les femmes

La Cour suprême de l'État d'Alabama a statué la semaine dernière : les embryons congelés sont des personnes et il est illégal de les détruire ! Cela a créé un début de panique et de confusion parmi les professionnels de la santé qui pratiquent la fécondation in vitro (FIV) et les femmes qui y ont recours.
Tiré de l'Anticapitaliste
26 février 2024
Par Dan La Botz
Crédit Photo
Wikimedia commons
La décision n'interdit pas la FIV mais exige que chaque embryon créé soit implanté, quelle que soit sa viabilité, et rend le processus plus coûteux, plus compliqué et plus dangereux pour les femmes. Il s'agit de la dernière attaque en date de la droite chrétienne évangélique contre les droits reproductifs des femmes, les communautés LBGT et la santé publique.
La FIV, processus par lequel les ovules d'une femme et le sperme d'un homme sont réunis dans une boîte de Petri puis implantés dans l'utérus d'une femme, est utilisée par les couples qui rencontrent des difficultés à concevoir, par les femmes qui doivent subir un traitement contre le cancer et par les couples homosexuels qui souhaitent avoir des enfants en s'adressant à une mère porteuse. Aux États-Unis, il y a environ 750 000 naissances par FIV chaque année et, depuis le début de la FIV aux États-Unis en 1978, il y a eu environ 12 millions de naissances de ce type. La décision de la Cour a conduit le système de santé de l'Université de l'Alabama à Birmingham, le plus grand hôpital de l'État, et les cliniques de fertilité à interrompre leurs travaux, tandis que des politiciens tant démocrates que républicains s'empressaient d'adopter une législation visant à protéger la FIV.
Les Républicains, Trump inclus, favorables à la FIV
Tom Parker, le juge de la Cour suprême de l'Alabama qui a approuvé la décision, est un chrétien évangélique qui cite la Bible de façon répétée. « La vie humaine ne peut être détruite à tort sans encourir la colère d'un Dieu saint », a-t-il écrit. Lui et son tribunal ont été à l'origine de nombreuses autres décisions réactionnaires et hostiles aux femmes.
Alors que Trump s'est rapidement prononcé en faveur de la FIV et a demandé à la législature de l'État d'Alabama de la protéger, son opposante Nikki Haley a déclaré : « Pour moi, les embryons sont des bébés ». La plupart des politiciens républicains, conscients que la décision de l'Alabama pourrait leur nuire lors des élections de novembre, se sont prononcés en faveur de la FIV.
L'Alabama, dont la devise est « Nous protégeons nos droits », a fait plus pour restreindre les droits reproductifs des femmes que n'importe quel autre État. Depuis que la Cour suprême, dans l'arrêt Dobbs du 22 juin 2022, a annulé l'arrêt Roe v. Wade, qui protégeait le droit des femmes à l'avortement, l'Alabama a pris des mesures pour restreindre les droits des femmes en matière de procréation. Le 24 juin 2022, l'Alabama a commencé à appliquer une interdiction totale de l'avortement, à tous les stades de la grossesse. La Constitution de l'État « reconnaît, déclare et affirme que c'est la politique publique de cet État de reconnaître et de soutenir le caractère sacré de la vie à naître et les droits des enfants à naître, y compris le droit à la vie ».
Des menaces sur la contraception
Nombreux sont ceux qui craignent que les chrétiens évangéliques ou les catholiques n'utilisent les tribunaux ou la législation pour tenter d'interdire la contraception.
L'American Society for Reproductive Medicine (Société américaine pour la médecine reproductive) a déclaré que « la Cour suprême de l'Alabama a pris une décision qui va à l'encontre de la réalité médicale et des besoins des citoyens de l'Alabama ». Planned Parenthood (le Planning familial), la plus grande et la plus importante organisation fournissant des soins de santé reproductive aux femmes, a écrit : « Nous devrions tous être en mesure de construire les familles et l'avenir que nous voulons, sans interférence de la part des tribunaux ou des politiciens. Cette décision de la Cour suprême de l'Alabama est le résultat d'années d'attaques contre la liberté de reproduction, et d'efforts pour restreindre l'accès aux soins de santé, y compris la FIV. »
L'élue à la Chambre des représentants démocrate progressiste Alexandria Ocasio-Cortez a posté sur les réseaux sociaux : « Jetez tout ce parti qui hait les femmes et leur réseau de propagande à la poubelle. Ils ont gagné une place dans la poubelle de l'histoire politique américaine. » Le sénateur Bernie Sanders a quant à lui posté : « Laissez-moi être aussi clair que possible : Les tribunaux, le gouvernement et l'Église n'ont pas à s'immiscer dans la décision très personnelle d'avoir ou non des enfants. »
Dan La Botz, traduction Henri Wilno
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Droit à l’information : Contre la raison d’État, solidarité avec Julian Assange

Les 20 et 21 février la Haute Cour britannique a examiné l'ultime appel du journaliste australien, persécuté depuis 2010, et embastillé à Londres à la suite de la réponse favorable donnée à la demande d'extradition vers les États-Unis où une peine de 175 ans de prison lui est promise.
La décision n'interviendra au plus tôt qu'au mois de mars. En cas de confirmation de l'extradition, ne resterait alors qu'un dernier recours auprès de la Cour européenne des droits de l'homme.
22 février 2024 | tiré de Hebdo L'Anticapitaliste - 696 |Crédit Photo
Wikimedia commons / Alisdare Hickson
https://lanticapitaliste.org/actualite/politique/droit-linformation-contre-la-raison-detat-solidarite-avec-julian-assange
La solidarité monte
Sans doute bien tardive, bien sûr trop timide encore, mais bien réelle : des rassemblements se sont tenus dans 19 villes en France mardi 20 février, 500 personnes à Paris, 300 à Bordeaux. Des rassemblements mensuels se tiennent comme à Metz. Cette solidarité doit encore s'affirmer. Elle sera un élément déterminant. L'enjeu est d'importance : le droit à l'information comme une des pièces centrales de la démocratie. La solidarité a aussi un enjeu immédiat, c'est la vie de celui qui a créé la plateforme Wikileaks en 2006 et qui nous a ainsi permis d'accéder à des infos très reprises, pleinement confirmées et de première importance. Il faut empêcher son extradition. Il faut arracher Julian Assange de la prison et des griffes de la CIA.
Julian Assange n'est pas un espion
Né en 1971, il est un journaliste pleinement de son temps. Il a grandi avec l'informatique et avec ses compagnons altermondialistes, il a expérimenté les possibilités nouvelles offertes par la révolution numérique. La présentation de Julian Assange en espion russe est au moins aussi crédible que celle que certains médias nous ont servie à propos des Gilets jaunes qui seraient des agents de Poutine ! Le partage et la fuite massive de métadonnées rendue possible par Wikileaks est au centre des débats. Edwy Plenel, dans un « parti pris » de 2020 posait très justement la question centrale de toute l'affaire : « le secret des pouvoirs doit-il l'emporter sur le droit de savoir ? »
Le droit de savoir
L'activité de J. Assange a été déterminante pour la révélation mondiale de la réalité de la guerre en Irak, en Afghanistan, la mise sous les projecteurs de la torture à Guantanamo, la révélation documentée de disparitions et de crimes d'État. Grâce à Wikileaks, les médias du monde entier ont pu écrire de manière irréfutable sur des corruptions et des fraudes fiscales massives, sur des mensonges d'État, sur des atteintes aux libertés fondamentales. Toute son activité, non seulement n'a aucun caractère criminel mais elle est totalement légitime et indispensable dans une perspective d'émancipation.
Pour le journalisme, pour le pluralisme
La défense déterminée de J. Assange ne vaut pas approbation de la ligne éditoriale de Wikileaks : notre combat contre le néolibéralisme autoritaire, contre le néofascisme implique le pluralisme. À l'heure du néolibéralisme autoritaire, de la menace néofasciste, nous avons besoin de débats informés pour construire l'alternative écosocialiste. Parce que son extradition serait une terrible régression, nous disons : « Pleine solidarité à Julien Assange ! »
Fernand Beckrich
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Il fait sombre avant l’aube, mais le colonialisme israélien touche à sa fin

Dans ce texte, Ilan Pappé analyse la difficulté croissante de légitimation de la logique d'extermination et de déshumanisation inhérente au colonialisme de peuplement mis en œuvre par le projet sioniste. Il la situe dans le cadre de la crise interne de la société israélienne et conclut à la fin de ce projet en tant qu'il s'incarne dans un État juif qui se veut à la fois démocratique et colonisateur. Mais la fin de ce projet est aussi un moment de danger maximal, qui voit se combiner une guerre génocidaire à Gaza et une escalade de violence en Cisjordanie. Face à cette catastrophe, l'auteur en appelle à l'élaboration de visions alternatives pour l'avenir de la Palestine, différentes du modèle occidental d'État-nation.
Tiré du site de la revue Contretemps.
Le sionisme comme colonialisme de peuplement
L'idée que le sionisme est un colonialisme de peuplement n'est pas nouvelle. Dans les années 1960, les universitaires palestiniens qui travaillaient à Beyrouth au centre de recherche de l'OLP avaient déjà compris que ce à quoi ils étaient confrontés en Palestine n'était pas un projet colonial classique. Ils ne considéraient pas Israël comme une simple colonie britannique ou américaine, mais comme un phénomène existant dans d'autres parties du monde, défini comme un colonialisme de peuplement.
Il est intéressant de noter que pendant 20 à 30 ans, la notion de sionisme en tant que colonialisme de peuplement a disparu du discours politique et universitaire. Elle est réapparue lorsque des universitaires d'autres régions du monde, notamment d'Afrique du Sud, d'Australie et d'Amérique du Nord, ont reconnu que le sionisme était un phénomène similaire au mouvement des Européens qui ont créé les États-Unis, le Canada, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et l'Afrique du Sud. Cette idée nous aide à mieux comprendre la nature du projet sioniste en Palestine depuis la fin du 19e siècle jusqu'à aujourd'hui, et nous donne une idée de ce à quoi il faut s'attendre à l'avenir.
Je pense que cette idée particulière des années 1990, qui reliait si clairement les actions des colons européens, en particulier dans des endroits tels que l'Amérique du Nord et l'Australie, aux actions des colons venus en Palestine à la fin du 19e siècle, a permis d'élucider clairement les intentions des colons juifs qui ont colonisé la Palestine et la nature de la résistance palestinienne locale à cette colonisation. Les colons ont suivi la logique la plus importante adoptée par les mouvements coloniaux, à savoir que pour créer une communauté coloniale réussie en dehors de l'Europe, il faut éliminer les indigènes du pays où l'on s'est installé. Cela signifie que la résistance indigène à cette logique était une lutte contre l'élimination, et pas seulement une libération. Ce point est important si l'on pense à l'opération du Hamas et aux autres opérations de résistance palestinienne depuis 1948.
Les colons eux-mêmes, comme c'est le cas de nombreux Européens venus en Amérique du Nord, en Amérique centrale ou en Australie, étaient des réfugiés et des victimes de persécutions. Certains d'entre eux étaient moins malchanceux et cherchaient simplement une vie meilleure et de meilleures opportunités. Mais la plupart d'entre eux étaient des parias en Europe et cherchaient à créer une Europe dans un autre endroit, une nouvelle Europe, au lieu de l'Europe qui ne voulait pas d'eux. Dans la plupart des cas, ils ont choisi un endroit où quelqu'un d'autre vivait déjà, les peuples indigènes. Ainsi, le noyau le plus important parmi eux était constitué par leurs dirigeants et idéologues, qui ont fourni des justifications religieuses et culturelles à la colonisation de la terre d'autrui.
On peut ajouter à cela la nécessité de s'appuyer sur un empire pour commencer la colonisation et la maintenir, même si, à l'époque, les colons se sont rebellés contre l'empire qui les avait aidés et ont exigé et obtenu l'indépendance, qu'ils ont souvent obtenue et ont ensuite renouvelé leur alliance avec l'empire. La relation anglo-sioniste qui s'est transformée en alliance anglo-israélienne en est un exemple.
L'idée que l'on peut expulser par la force les habitants du pays que l'on veut est probablement plus compréhensible – et non justifiée – dans le contexte des 16e, 17e, et 18e siècles, parce qu'elle allait de pair avec une approbation totale de l'impérialisme et du colonialisme. Elle a été alimentée par la déshumanisation commune des autres peuples non occidentaux et non européens. Si vous déshumanisez les gens, vous pouvez plus facilement les éliminer.
La particularité du sionisme en tant que mouvement colonial de peuplement est qu'il est apparu sur la scène internationale à une époque où, partout dans le monde, on commençait à s'interroger sur le droit de supprimer les peuples indigènes, d'éliminer les indigènes et les peuples autochtones, et de ne pas se préoccuper de leurs droits. Nous pouvons donc comprendre les efforts et l'énergie déployés par les sionistes et, plus tard, par l'État d'Israël pour tenter de dissimuler le véritable objectif d'un mouvement de colonisation tel que le sionisme, à savoir l'élimination de la population autochtone.
Une extermination désormais sans fard. Pourquoi ?
Mais aujourd'hui, à Gaza, ils éliminent la population autochtone sous nos yeux, alors comment se fait-il qu'ils aient presque abandonné 75 ans de tentatives de dissimuler leurs politiques d'élimination ? Pour comprendre cela, nous devons apprécier la transformation de la nature du sionisme en Palestine au fil des ans.
Aux premiers stades du projet colonial sioniste, ses dirigeants menaient leurs politiques d'élimination avec une véritable tentative de résoudre la quadrature du cercle en prétendant qu'il était possible de construire une démocratie tout en éliminant la population autochtone. Le désir d'appartenir à la communauté des nations civilisées était très fort et les dirigeants ont supposé, en particulier après l'Holocauste, que les politiques d'élimination n'excluraient pas Israël de cette association.
Pour résoudre cette quadrature du cercle, les dirigeants ont insisté sur le fait que leurs actions d'élimination contre les Palestiniens constituaient des « représailles » ou une « réponse » aux actions palestiniennes. Mais très vite, lorsque ces dirigeants ont voulu passer à des actions d'élimination plus substantielles, ils ont abandonné le faux prétexte des « représailles » et ont simplement cessé de justifier ce qu'ils faisaient.
À cet égard, il existe une corrélation entre la manière dont le nettoyage ethnique s'est déroulé en 1948 et les opérations menées par Israël à Gaza aujourd'hui. En 1948, les dirigeants ont justifié chaque massacre commis, y compris le tristement célèbre massacre de Deir Yassine le 9 avril [de cette année 1948], comme une réaction à une action palestinienne : il pouvait s'agir de jeter des pierres sur un bus ou d'attaquer une colonie juive, mais cela devait être présenté à l'intérieur et à l'extérieur comme quelque chose qui ne sort pas de nulle part, comme de l'autodéfense. C'est d'ailleurs pour cette raison que l'armée israélienne s'appelle « Forces de défense israéliennes ». Mais parce qu'il s'agit d'un projet colonial de colonisation, elle ne peut pas toujours compter sur des « représailles ».
Les forces sionistes ont commencé le nettoyage ethnique pendant la Nakba en février 1948. Pendant un mois, toutes ces opérations ont été présentées comme des représailles à l'opposition palestinienne au plan de partage de l'ONU de novembre 1947. Le 10 mars 1948, les dirigeants sionistes cessent de parler de représailles et adoptent un plan directeur pour le nettoyage ethnique de la Palestine.
De mars 1948 à la fin de 1948, le nettoyage ethnique de la Palestine qui a conduit à l'expulsion de la moitié de la population palestinienne, à la destruction de la moitié de ses villages et à la désarabisation de la plupart de ses villes, a été réalisé dans le cadre d'un plan directeur systématique et intentionnel de nettoyage ethnique. De même, après l'occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza en juin 1967, chaque fois qu'Israël a voulu changer fondamentalement la réalité ou s'engager dans une opération de nettoyage ethnique à grande échelle, il s'est passé de justification.
Nous assistons aujourd'hui à un schéma similaire. Au début, les actions ont été présentées comme des représailles à l'opération Déluge al-Aqsa, mais maintenant c'est l'offensive appelée « épée de guerre » qui vise à ramener Gaza sous le contrôle direct d'Israël, mais en nettoyant ethniquement sa population par une campagne de génocide.
La grande question est de savoir pourquoi les hommes politiques, les journalistes et les universitaires occidentaux sont tombés dans le même piège qu'en 1948. Comment peuvent-ils encore aujourd'hui adhérer à l'idée qu'Israël se défend dans la bande de Gaza ? Qu'il réagit aux actions du 7 octobre ? Ou peut-être ne tombent-ils pas dans le piège. Ils savent peut-être que ce qu'Israël fait à Gaza utilise le 7 octobre comme prétexte.
Quoi qu'il en soit, jusqu'à présent, la revendication d'un prétexte par Israël chaque fois qu'il agresse les Palestinien.ne.s a aidé cet État à maintenir le bouclier d'immunité qui lui a permis de poursuivre ses politiques criminelles sans craindre de réaction significative de la part de la communauté internationale. Le prétexte a contribué à accentuer l'image d'Israël comme faisant partie du monde démocratique et occidental, et donc à l'abri de toute condamnation et de toute sanction. Tout ce discours sur la « défense » et les « représailles » est important pour le bouclier immunitaire dont Israël bénéficie de la part des gouvernements du Nord.
Mais comme en 1948, aujourd'hui encore, Israël poursuit son opération, se passe de prétexte, et c'est à ce moment-là que même ses plus grands soutiens éprouvent des difficultés à approuver ses politiques. L'ampleur des destructions, des massacres à Gaza, du génocide, est telle que les Israéliens ont de plus en plus de mal à se persuader eux-mêmes que ce qu'ils font est en fait de l'autodéfense ou de la réaction. Il est donc possible qu'à l'avenir, de plus en plus de gens aient du mal à accepter cette explication israélienne du génocide à Gaza.
Pour la plupart des gens, il est clair que ce qu'il faut, c'est un contexte et non un prétexte. Historiquement et idéologiquement, il est très clair que le 7 octobre est utilisé comme prétexte pour achever ce que le mouvement sioniste n'a pas pu achever en 1948.
En 1948, le mouvement de colonisation sioniste a utilisé un ensemble particulier de circonstances historiques que j'ai décrites en détail dans mon livre Le nettoyage ethnique de la Palestine, afin d'expulser la moitié de la population de la Palestine. Comme je l'ai dit, au cours de ce processus, ils ont détruit la moitié des villages palestiniens, démoli la plupart des villes palestiniennes, et pourtant la moitié des Palestinien.nes sont restés à l'intérieur de la Palestine. Les Palestinien.nes qui sont devenus des réfugiés en dehors des frontières de la Palestine ont poursuivi la résistance. De ce fait, l'idéal colonial des colons d'éliminer les autochtones n'a pas été atteint et, progressivement, Israël a utilisé tout son pouvoir – de 1948 à aujourd'hui – pour poursuivre l'élimination des autochtones.
De son début à son achèvement, l'élimination de l'autochtone ne se limite pas à une opération militaire consistant à occuper un lieu, à massacrer des gens ou à les expulser. L'élimination doit être justifiée ou devenir une inertie et le moyen d'y parvenir est la déshumanisation constante de ceux que vous avez l'intention d'éliminer. On ne peut pas tuer massivement des gens ou commettre un génocide contre un autre groupe humain sans le déshumaniser. Ainsi, la déshumanisation des Palestinien.nes est un message explicite et implicite transmis aux Juifs israéliens par le biais de leur système éducatif, de leur système de socialisation dans l'armée, des médias et du discours politique. Ce message doit être transmis et maintenu si l'on veut que l'élimination soit complète.
L'échec du projet sioniste
Nous assistons donc à une nouvelle tentative particulièrement cruelle d'achever l'élimination. Et pourtant, tout n'est pas désespéré. En fait, ironiquement, cette destruction inhumaine de Gaza met en évidence l'échec du projet colonial du sionisme. Cela peut sembler absurde, car je décris un conflit entre un petit mouvement de résistance, le mouvement de libération palestinien, et un État puissant doté d'une machine militaire et d'une infrastructure idéologique qui se concentre uniquement sur la destruction du peuple autochtone de Palestine.
Ce mouvement de libération n'a pas d'alliance forte derrière lui, alors que l'État auquel il est confronté bénéficie d'une alliance puissante – des États-Unis aux multinationales, en passant par les sociétés de sécurité de l'industrie militaire, les médias et les universités mainstream. Nous parlons de quelque chose qui semble presque désespéré et déprimant parce qu'en face il y a cette immunité internationale pour les politiques d'élimination qui commencent dès les premiers stades du sionisme et se poursuivent jusqu'à aujourd'hui. Ce sera probablement le pire chapitre de la tentative israélienne de pousser les politiques d'élimination à un niveau inédit, dans un effort beaucoup plus concentré de tuer des milliers de personnes en peu de temps, comme ils n'ont jamais osé le faire auparavant.
Alors comment cela peut-il être aussi un moment d'espoir ? Tout d'abord, ce type d'entité politique, d'État, qui doit maintenir la déshumanisation des Palestiniens afin de justifier leur élimination est une base très fragile si l'on se projette dans un avenir plus lointain. Cette faiblesse structurelle était déjà apparente avant le 7 octobre et une partie de cette faiblesse réside dans le fait que si l'on exclut le projet d'élimination, il y a très peu de choses qui unissent le groupe de personnes qui se définissent comme la « nation juive » en Israël.
Si l'on exclut la nécessité de combattre et d'éliminer les Palestinien.nes, on se retrouve avec deux camps juifs en guerre, que nous avons vus s'affronter dans les rues de Tel-Aviv et de Jérusalem jusqu'au 6 octobre 2023. D'immenses manifestations ont opposé des juifs laïques, celles et ceux qui se décrivent comme tels – pour la plupart d'origine européenne – qui croient qu'il est possible de créer un État démocratique pluraliste tout en maintenant l'occupation et l'apartheid à l'égard des Palestinien.nes à l'intérieur d'Israël -, à un nouveau type de sionisme messianique qui s'est développé dans les colonies juives de Cisjordanie, ce que j'ai appelé ailleurs l'État de Judée, qui est soudainement apparu parmi nous, croyant qu'ils ont maintenant un moyen de créer une sorte de théocratie sioniste sans aucune considération pour la démocratie, et croyant que c'est la seule vision d'un futur État juif.
Il n'y a rien de commun entre ces deux visions à part une chose : les deux camps se moquent des Palestinien.nes, les deux camps croient que la survie d'Israël dépend de la poursuite des politiques d'élimination à l'égard des Palestinien.nes. Cela ne tiendra pas la route. Il va se désintégrer et imploser de l'intérieur parce qu'il est impossible, au 21e siècle, de maintenir un État et une société sur la base d'un sentiment d'appartenance commun qui fait partie d'un projet génocidaire d'élimination. Cela peut certainement fonctionner pour certain.es, mais pas pour tou.tes.
Nous en avons déjà vu les signes avant le 7 octobre, lorsque des Israélien.nes qui ont des opportunités dans d'autres parties du monde en raison de leur double nationalité, de leurs professions et de leurs capacités financières, envisagent sérieusement de délocaliser leur argent et leur personne en dehors de l'État d'Israël. Ce qui restera, c'est une société économiquement faible, dirigée par ce type de fusion entre le sionisme messianique, le racisme et les politiques d'élimination des Palestinien.nes.
Oui, au début, l'équilibre des forces est du côté de l'élimination et non des victimes de l'élimination, mais l'équilibre des forces n'est pas seulement local, il est régional et international, et plus les politiques d'élimination sont oppressives (c'est terrible à dire mais c'est vrai), moins elles peuvent être couvertes comme une « réponse » ou des « représailles » et plus elles sont perçues comme une politique de génocide brutal. Il est donc moins probable que l'immunité dont jouit Israël aujourd'hui se poursuive à l'avenir.
Je pense donc qu'en ce moment très sombre, ce que nous vivons – et c'est un moment sombre parce que l'élimination des Palestinien.nes est passée à un niveau supérieur – est sans précédent. En termes de discours employé par Israël, d'intensité et d'objectif des politiques d'élimination, il n'y a pas eu une telle période auparavant dans l'histoire, c'est une nouvelle phase de la brutalité contre les Palestinien.nes. Même la Nakba, qui a été une catastrophe inimaginable, n'est pas comparable à ce que nous voyons aujourd'hui et à ce que nous allons voir dans les prochains mois. Je pense que nous sommes dans les trois premiers mois d'une période de deux ans qui verra les pires horreurs qu'Israël puisse infliger aux Palestiniens.
Mais même dans ce moment sombre, nous devrions comprendre que les projets coloniaux qui se désintègrent utilisent toujours les pires moyens pour tenter de sauver leur projet. C'est ce qui s'est passé en Afrique du Sud et au Sud-Vietnam. Je ne dis pas cela comme un vœu pieux, ni comme un activiste politique : je le dis en tant que spécialiste d'Israël et de la Palestine, avec toute la confiance que m'inspirent mes qualifications scientifiques. Sur la base d'un examen professionnel sérieux, j'affirme que nous assistons à la fin du projet sioniste, cela ne fait aucun doute.
Ce projet historique est arrivé à son terme et c'est un terme violent – de tels projets s'effondrent généralement de manière violente. C'est donc un moment très dangereux pour les victimes de ce projet, et les victimes sont toujours les Palestinien.nes ainsi que les Juif.ve.s, parce que les Juif.ve.s sont également victimes du sionisme. Ainsi, le processus d'effondrement n'est pas seulement un moment d'espoir, c'est aussi l'aube qui se lève après l'obscurité, c'est la lumière au bout du tunnel.
Un tel effondrement produit cependant un vide. Le vide apparaît soudainement ; c'est comme un mur qui s'érode lentement en se fissurant, mais qui s'effondre en un court instant. Et il faut être prêt pour de tels effondrements, pour la disparition d'un État ou la désintégration d'un projet de colonisation. Nous avons vu ce qui s'est passé dans le monde arabe, lorsque le chaos du vide n'a pas été comblé par un projet constructif et alternatif ; dans ce cas, le chaos continue.
Une chose est claire : quiconque réfléchit à l'alternative à l'État sioniste ne doit pas chercher en Europe ou en Occident des modèles susceptibles de remplacer l'État qui s'effondre. Il existe de bien meilleurs modèles locaux, hérités du passé récent et plus lointain du Machrek (la Méditerranée orientale) et du monde arabe dans son ensemble. La longue période ottomane possède de tels modèles et héritages qui peuvent nous aider à tirer des idées du passé pour envisager l'avenir.
Ces modèles peuvent nous aider à construire un type de société très différent qui respecte les identités collectives ainsi que les droits individuels, et qui est construit à partir de zéro comme un nouveau type de modèle qui bénéficie de l'apprentissage des erreurs de la décolonisation dans de nombreuses parties du monde, y compris dans le monde arabe et en Afrique. Il faut espérer que cela créera un nouveau type d'entité politique qui aura un impact énorme et positif sur le monde arabe dans son ensemble.
*
Ilan Pappé est un historien israélien antisioniste, professeur à l'Université d'Exeter, directeur du Centre européen pour les études palestiniennes, et un soutien de la lutte de libération du peuple palestinien. Il est l'auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels Les dix légendes structurantes d'Israël (Paris, Nuits Rouges, 2022) et Le nettoyage ethnique de la Palestine (nouvelle édition à paraître en mai aux éditions La fabrique).
Ce texte a initialement été publié ici le 1er février 2024 et repris en français sur le site Znet. Traduction révisée et intertitres de Contretemps.
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Au Sri Lanka, les femmes premières victimes du FMI et de la microfinance

Réunion annuelle du CADTM Asie du Sud
Pendant la réunion annuelle du CADTM Asie du Sud, qui s'est tenue à Katmandou (Népal), les mardi 13 et mercredi 14 février 2024, Amali Wedagedara, Nalini Ratnarajah et Balasingham Skanthakumar ont analysé la situation politique, économique, sociale du Sri Lanka. Bientôt deux ans après le soulèvement populaire (Aragalaya) qui avait abouti à la fuite de l'ancien président Gotabaya Rajapaksa, le FMI et les instituts de microfinance font peser le poids de leurs choix sur les Sri-Lankaises et les minorités.
Tiré du CADTM infolettre , le 2024-03-01
https://www.cadtm.org/Au-Sri-Lanka-les-femmes-premieres-victimes-du-FMI-et-de-la-microfinance
26 février par Balasingham Skanthakumar , Amali Wedagedara , Nalini Ratnarajah , Maxime Perriot
Amali Wedagedara
Printemps 2022 : notamment à cause de chocs extérieurs comme la pandémie de Covid-19 ou l'agression de l'Ukraine par la Russie, le Sri Lanka se retrouve en manque criant de devises extérieures pour importer les produits de base. Il doit faire face à des pénuries, de pétrole notamment et fait défaut sur sa dette extérieure. Les prix des produits de premières nécessités explosent. S'ensuit une insurrection populaire exceptionnelle qui aboutit, comme précisé au-dessus, à la fuite du Président Rajapaksa, représentant d'une famille omniprésente dans les sphères de pouvoir. Il est remplacé par son ancien premier ministre, Ranil Wickremesinghe, qui, dès septembre 2022, commence à négocier avec le Fonds monétaire international le 17e accord de l'Histoire du pays. Il met également en place une répression extrême sur tout type de manifestation – il est aujourd'hui interdit de manifester de manière non statique au Sri Lanka – et sur toutes les formes d'expressions critiques sur les réseaux sociaux.
Pour obtenir les prêts d'urgence du FMI – débloqués petit à petit par tranche de 330 millions de dollars pour atteindre 3 milliards au total – il a appliqué sans broncher les conditionnalités de l'institution de Bretton Woods. Au programme, baisse des budgets de l'éducation, de la santé, attaque sur le droit du travail, baisse des subventions sur les produits de première nécessité, hausse de la TVA… La crise économique et l'inflation, qui frappaient déjà de plein fouet les classes les plus populaires du pays, ont été considérablement accentuées par le FMI. Les dépenses quotidiennes n'ont fait qu'augmenter depuis deux ans et la population est exsangue. Exemple : la population sri-lankaise est confrontée au prix de l'électricité le plus élevé de toute l'Asie du Sud. Et celui-ci continue à augmenter.
La crise de la dette publique et les conditionnalités du FMI font tache d'huile sur la dette privée, sur la dette des ménages : 54% des ménages sri-lankais sont endettés. C'est aussi eux qui supportent la restructuration de la dette intérieure. En effet, les fonds de pension sri lankais qui ont daigné restructurer une partie de la dette du Sri Lanka qu'ils possédaient se remboursent en réduisant les pensions de la population, particulièrement des plus pauvres. Comme d'habitude, le capital s'en tire à bon compte et c'est la majorité de la population, et particulièrement les classes les plus populaires, les minorités et les femmes, qui paient au prix fort et sur leurs besoins essentiels les crises de la dette publique.
Les femmes et les minorités sont les premières victimes des politiques du FMI
Nalini Ratnarajah
Les mesures du FMI ont un impact considérable sur la nutrition des femmes et sur les conditions des accouchements
Nalini Ratnarajah a montré en quoi les femmes et les minorités sont les premières à subir les politiques d'austérité dictées par le FMI.
Les baisses des budgets imposés notamment dans la santé par l'institution financière internationale affectent le système de sécurité sociale, et donc l'accès des femmes et des personnes marginalisées – qui ne peuvent pas se rendre dans les hôpitaux privés – à l'hôpital public et aux médicaments. Ces mesures touchent notamment les conditions d'accouchements des femmes, ainsi que la qualité de leur nutrition, qui est considérablement affectée.
De plus, les violences sexistes et sexuelles augmentent quand la situation économique se dégrade et que l'État se retire. La situation du foyer devient beaucoup plus compliquée et les violences patriarcales ont tendance à se faire plus nombreuses.
Précisons également que les femmes sont les premières à rembourser la dette via leur travail dans les plantations de thé, les taxes qu'elles paient, ou encore leurs envois d'argent depuis les pays du Golfe. Ces trois éléments fournissent des devises ou des revenus au gouvernement pour rembourser la dette extérieure.
Nalini Ratnarajah a également rappelé la croissance de la haine anti-musulman·es, projetée contre les Tamouls. Celle-ci est accentuée par l'influence du pouvoir indien raciste de Modi sur le Sri Lanka.
Microfinance au Sri Lanka : le capital gagne du terrain
Une nouvelle loi a tout simplement interdit les pratiques de prêts traditionnelles, permettant aux institutions de microfinance de gagner toujours plus de terrain
À l'instar des politiques promues par le Fonds monétaire international, les institutions de microfinance poussent des millions de femmes dans le surendettement. En 2018, les taux d'intérêt pratiqués par le secteur de la microfinance ont atteint jusqu'à 220%, provoquant des manifestations importantes des femmes victimes de la microfinance abusive. Celles-ci réclamaient l'annulation de leurs dettes, clamant qu'elles avaient déjà remboursé plusieurs fois compte tenu des taux d'intérêt complètement fous qu'elles ont dû payer.
Sur les 2,4 millions de personnes (dont 2,3 millions de femmes) pris dans le piège de la microfinance, plusieurs milliers ont fait défaut sur leur dette. Dans un contexte préélectoral, le gouvernement a presque encouragé ces femmes à arrêter les paiements et a compensé les pertes des institutions de microfinance avec de l'argent public. Le gouvernement a donc socialisé les pertes de ces institutions financières, comme les États européens l'ont fait avec les banques pendant la crise financière de 2008-2010.
Au moment de l'arrivée de la pandémie de Covid-19, les mobilisations des femmes victimes de microfinance abusive ont logiquement décliné. Celles-ci ont essayé de se rabattre sur des pratiques traditionnelles de prêts entre femmes – les « tontines » en français. Cette pratique réunit un groupe de femmes qui se prêtent à tour de rôle pour des projets conséquents. C'était sans compter sur l'État sri-lankais, qui, via une nouvelle loi, a tout simplement interdit ces formes de prêts !
Cette loi a rendu illégales les pratiques traditionnelles car elle a interdit à quiconque de prêter sans être enregistré·e sur un registre officiel. C'est un cadeau énorme fait au capital et aux institutions de microfinances qui gagnent encore du terrain au détriment de femmes qu'elles poussent dans le surendettement, parfois jusqu'au suicide.
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Iran : des législatives “vides de sens” snobées par les réformateurs et boudées par les électeurs

Les élections prévues le vendredi 1er mars se joueront uniquement entre conservateurs, le camp réformateur ayant décidé de ne pas présenter de candidats. Un boycott à peine voilé, doublé du risque d'une très faible participation, alors que le pouvoir fait déjà face à une crise de légitimité, expliquent les médias iraniens.
Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Une urne symbolique pour les élections parlementaires iraniennes dans une rue de Téhéran, le 26 février 2024. Photo Wana News Agency/Reuters
Depuis des semaines, les dirigeants du régime iranien exhortent les 61 millions d'électeurs à se rendre, le vendredi 1er mars, dans les bureaux de vote afin d'élire leurs 290 représentants au Parlement pour un nouveau mandat de quatre ans. Plongée dans une crise économique aiguë et ayant déjà connu un soulèvement populaire inédit l'an dernier à la suite de la mort de la jeune Kurde Mahsa Amini, la République islamique fait face à un enjeu crucial, d'autant que le précédent scrutin, en 2020, a été marqué par un fort recul du taux de participation. Seuls 42,6 % des électeurs avaient voté, soit le plus faible pourcentage depuis la révolution islamique, en 1979.
Selon le dernier sondage mené par le gouvernement et relayé par le quotidien Etemad, la participation définitive dans l'ensemble du pays risque de ne pas dépasser les 36 %, tandis qu'à Téhéran, la capitale, elle devrait atteindre seulement 18 %. Lancée le jeudi 22 février, la campagne électorale reste, pour le moment, très discrète.

“Il semble que même certains groupes conservateurs n'aient aucun espoir de voir un taux de participation élevé aux prochaines élections”, confie le journal.
Un désintérêt croissant
Le “manque de confiance dans les autorités”, la “corruption dans les sphères supérieures du système” politique du pays, l'“indifférence des parlementaires aux protestations”, ainsi que la “passivité des députés sur la question de l'amélioration des conditions de vie” de la population sont les principales raisons du désintérêt des Iraniens pour cette nouvelle échéance électorale, rapporte de son côté le journal Hammihan.
De nombreuses figures de l'opposition, au sein de la diaspora mais aussi en Iran, ont d'ailleurs appelé ouvertement au boycott des élections. Fait inédit, le Front des réformes, principale coalition des partis réformateurs (qui font partie de la vie politique de la République islamique ; à distinguer des partis ou formations d'opposition en exil) a déclaré qu'elle ne présentera aucun candidat à ces élections “vides de sens” et “non compétitives”.
Cité par le journal Hamdeli, le vice-président de cette coalition, Mohsen Armin, a justifié cette décision par l'absence de liberté, un espace politique de plus en plus “verrouillé” et une société “très en colère”. La “participation aux élections n'aboutira à aucun changement”, a-t-il regretté.
La défiance envers le pouvoir s'est fortement exprimée lors des manifestations sans précédent qui ont éclaté après la mort, en septembre 2022, de Mahsa Amini, une jeune femme morte après avoir été arrêtée par la police des mœurs pour port du voile inapproprié. La contestation, qui s'est répandue dans tout le pays, a été violemment réprimée par le régime iranien avant de s'éteindre. Mais le feu couve toujours sous les cendres.
“Peur de l'échec” ?
Arrivé au pouvoir en 2021, le président conservateur Ebrahim Raïssi et le camp auquel il appartient tentent de verrouiller davantage un pouvoir politique de plus en plus contesté, y compris de l'intérieur. Pour les législatives de 2024, il n'y aura “plus de compétition entre conservateurs et réformistes”, s'est réjoui, pour sa part, le journal Iran Newspaper, proche du pouvoir. Les réformateurs “ont refusé de se présenter sous prétexte que leurs candidats seraient disqualifiés”, mais “en réalité ils avaient peur de l'échec”, d'après le quotidien.
“Désormais, la principale concurrence se jouera entre les conservateurs eux-mêmes, qui participent [aux élections] avec trois listes”, indique Iran Newspaper.
L'absence de concurrence a d'ailleurs exacerbé les divisions dans le camp des conservateurs. Selon le média d'opposition Radio Farda, le noyau dur du pouvoir, composé notamment du président, Ebrahim Raïssi, et du président de l'Assemblée iranienne, Mohammad Bagher Ghalibaf, constitue le groupe le plus important, majoritaire au sein du Parlement. Les groupes proches des “mollahs traditionnels” forment deux autres listes avec la “jeunesse radicale conservatrice”, précise Radio Farda.
Vers un front d'opposition élargi ?
Le quotidien Kayhan, l'un des principaux journaux ultraconservateurs, a critiqué récemment ces jeunes, les accusant d'être au service de “projets ennemis”. Ils ont “une apparence religieuse et révolutionnaire”, mais ils “ne manquent aucune occasion de critiquer les dirigeants au pouvoir”, a écrit le journal.
Dans le camp adverse, composé essentiellement de mouvements d'opposition en exil, le boycott des élections a conduit à la “formation du plus grand alignement” entre diverses forces politiques, “des réformateurs aux opposants du régime à l'étranger”, constate Radio Farda. Un rapprochement inédit entre des groupes intégrés à la République islamique et ses contempteurs mais qui ne se traduit pas, pour l'instant, par la formation de listes communes ou mixtes.
“Ce niveau de consensus parmi un grand nombre de forces politiques” est “sans précédent” dans l'histoire de la République islamique. Désormais le régime iranien est “confronté à sa plus grande crise de légitimité”, conclut le média d'opposition.
Courrier international
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Inde : la future troisième économie mondiale bientôt aux urnes

À l'approche des élections générales, le Premier ministre Narendra s'avance en favori pour obtenir un troisième mandat consécutif. Il peut se prévaloir des chiffres insolents de l'économie indienne, souligne Olivier Guillard dans cette tribune.
Tiré de The asialyst. Légende de la photo : Le Premier ministre indien Narendra Modi à la tribune du Bharat Mobility Global Expo 2024, à New Delhi, le 2 février 2024. (PTI Photo) (Source : Asian Age)
Voilà deux mois que le troisième millénaire est entré dans sa 25ème année. Un millésime 2024 particulier à maints égards à cause de ses graves crises, conflits et zones de tension, mais aussi en ce qu'il marquera du sceau de la démocratie et des scrutins délicats rien de moins que sept des 10 pays les plus peuplés du globe. 2024 – « l'année électorale ultime » selon Time Magazine, « la mère de toutes les années électorales » selon l'expression du Council on Foreign Relations. Au total, quatre milliards d'individus ventilés sur une soixantaine d'États convieront leurs électeurs à déposer leur bulletin dans l'urne. L'Asie-Pacifique a entamé tambour battant cette longue procession électorale en organisant depuis janvier quatre scrutins au Bangladesh, à Taïwan, au Pakistan et en Indonésie. D'ici deux mois, un autre acteur asiatique et non des moindres mobilisera à son tour logistique, esprit civique et appétences démocratique pour renouveler son parlement national : l'Inde.
En avril–mai, la « plus grande démocratie du monde » attirera la lumière sur un scrutin aux ordres de grandeur comptables par définition sans pareil avec 980 millions d'individus inscrits sur les listes électorales. Peu importent leur sensibilité politique ou partisane, la plupart des observateurs de ce grand rendez-vous électoral quinquennal – les 18e élections à l'Assemblée nationale ou Lok Sabha – anticipent un très probable nouveau succès de la coalition chevillée autour du Bharatiya Janata Party (BJP), le parti de l'actuel Premier ministre Narendra Modi au pouvoir depuis 2014. Cette victoire historique plus que plausible confierait à l'énergique ancien ministre-en-chef du Gujarat un troisième mandat consécutif. Une performance politique dont seul avant lui Jawaharlal Nehru (Après des victoires électorales obtenues en 1951, 1957 et 1962) pourrait se prévaloir.
En avril–mai, la « plus grande démocratie du monde » attirera la lumière sur un scrutin aux ordres de grandeur comptables par définition sans pareil avec 980 millions d'individus inscrits sur les listes électorales. Peu importent leur sensibilité politique ou partisane, la plupart des observateurs de ce grand rendez-vous électoral quinquennal – les 18e élections à l'Assemblée nationale ou Lok Sabha – anticipent un très probable nouveau succès de la coalition chevillée autour du Bharatiya Janata Party (BJP), le parti de l'actuel Premier ministre Narendra Modi au pouvoir depuis 2014. Cette victoire historique plus que plausible confierait à l'énergique ancien ministre-en-chef du Gujarat un troisième mandat consécutif. Une performance politique dont seul avant lui Jawaharlal Nehru* pourrait se prévaloir.
Fort d'une légitimité politique et d'une autorité que bien peu de monde lui dispute dans son pays, le dernier invité d'honneur des cérémonies du 14 juillet à Paris se présente devant l'électorat indien en s'appuyant sur un argument de poids : en 2024, la cinquième économie mondiale – et troisième économie d'Asie – se porte bien. Elle traverse au mieux une conjoncture internationale agitée par des ondes de choc géopolitiques allant des marges orientales de l'Europe au détroit de Taïwan, en passant par un Moyen-Orient en ébullition.
Les médias asiatiques se sont penché sur ce contexte économique opportun, jalousé par nombre d'acteurs étatiques (En 2022, seulement 3 % de croissance du PIB chinois, +2,6 % En Corée du Sud et en Thaïlande et +2,4 % à Taïwan, selon la Banque asiatique de Développement) infiniment moins bien lotis en matière de croissance économique. Les chiffres et les prévisions de croissance pour 2023 et 2024 sont parfois insolents, au regard par exemple de l'atonie générale inquiétante de la zone euro (+0,2 % de croissance du PIB en Allemagne). « Les perspectives de l'économie indienne semblent prometteuses, avec une croissance du PIB de 7 % pour l'exercice 2025, annonce fièrement The Indian Express, en s'appuyant sur les données détaillées du dernier rapport du ministère indien des Finances. Pour l'exercice en cours, l'économie indienne devrait connaître une croissance de + 7,3 %. Ce serait la troisième année consécutive que la croissance du PIB dépasserait les +7 %. » Et pour expliquer ce dynamisme économique indien, l'auteur de l'article met en avant les bénéfices d'une « bonne récolte agricole, la rentabilité soutenue de l'industrie manufacturière, la bonne résistance des services ainsi que l'amélioration attendue de la consommation des ménages et du cycle d'investissement privé ».
Cette incontestable montée en régime du géant d'Asie méridionale n'a pas uniquement profité aux comptes publics ou aux grands trusts industriels du pays. Les 1,4 milliard d'Indiens en ont également perçu des dividendes concrets dans leur vie quotidienne : l'extrême pauvreté a significativement reculé en l'espace de quelques années (Laquelle concernait environ un Indien sur six en 2015 contre désormais moins d'un sur huit), consécutivement aux transferts sociaux vers la population la plus exposée. La santé publique et l'hygiène sont davantage pris en compte par les autorités (projet « Clean India » ou mission « Swachh Bharat Abhiyan » : campagne nationale pour la construction de toilettes publics lancée en 2014), faisant notamment reculer la mortalité infantile.
La construction annuelle depuis 2018 de plus de 10 000 km de routes supplémentaires offre certes à l'économie des gains de productivité importants mais également à la population des possibilités de déplacement nouvelles (trajets plus nombreux, moins heurtés et plus courts). La part du budget dévolue au financement des grands projets d'infrastructures est passée de 0,4 % du PIB en 2014 à 1,7 % aujourd'hui.
La croissance la plus rapide parmi les grandes économie du monde
Cet enthousiasme « comptable » ne se limite pas uniquement aux frontières du pays. Quelque 6 000 km vers l'Est et quatre fuseaux horaires plus loin, dans la capitale de la désormais quatrième économie mondiale, le Japon, l'analyse panoramique des récentes performances économiques et financières indiennes est pareillement allègre. « Cette fois, la croissance économique rapide de l'Inde « a des jambes ». Les facteurs qui avaient précédemment freiné l'élan ont enfin été pris en compte », décrit le Nikkei Asia. Un constat flatteur sans appel : « La qualité des performances récentes de l'économie indienne est incontestable. Le pays a été l'économie majeure à la croissance la plus rapide en 2022 et 2023 et devrait l'être à nouveau en 2024. »
Notons que les titans industriels et autres tout puissants conglomérats indiens se portent pour certains d'entre eux à merveille. C'est notamment le cas de l'incontournable Tata Group (Compagnies aériennes, aérospatiale, conseil, production d'électricité, énergie électrique, finance, hôtellerie, technologies de l'information, commerce de détail, commerce électronique, immobilier, télécommunications, etc. Plus d'un million de salariés) dont le magazine India Today nous apprend que la capitalisation boursière atteint désormais les 365 milliards de dollars – soit 24 milliards de dollars de plus que la totalité du PIB pakistanais (341 milliards de dollars selon le FMI) (En comparaison, pour l'exercice fiscal 2022-2023, l'économie pakistanaise affiche une croissance négative (PIB -0,17 %), handicapée notamment par les inondations majeures et une dette publique plus que préoccupante).
Du reste, le regard européen sur l'insolente bonne santé de l'économie (Pourtant, on reproche à ce dynamisme économique indiscutable de ne pas créer suffisamment d'emplois pour accueillir chaque année les millions de jeunes gens arrivant sur le marché du travail) du pays de Nehru et Gandhi lors de la décennie écoulée, sous le management énergique et pro-business de Narendra Modi, est à l'aune des lectures indienne et nipponne esquissées plus haut. Depuis Davos et son incontournable World Economic Forum (WEF) (L'édition 2024 (54ème du nom) de cette grand-messe mondiale s'est tenue du 15 au 19 janvier 2024), les éloges et satisfécits pleuvent également sur les artisans de la réussite indienne. Pour son président Borge Brende, le PIB indien atteindra d'ici 5 ans le seuil symbolique des 10 000 milliards de dollars, garantissant ainsi à l'Inde le troisième rang mondial derrière les États-Unis et la Chine. « L'économie indienne est celle qui connaît la croissance la plus rapide parmi toutes les grandes économies du monde. Nous avons vu à Davos cette année que l'Inde suscitait un grand intérêt et je pense que cela va continuer […]. Quand on vient en Inde, on ressent un certain optimisme, ce qui n'est pas le cas partout dans le monde », s'enthousiasme l'ancien ministre norvégien des Affaires étrangères (Borge Brende préside le WEF depuis 2017), confiant au passage : « Le Premier ministre indien Narendra Modi est toujours le bienvenu à Davos ». Un témoignage nécessairement apprécié du côté du Panchavati, la résidence officielle du chef de gouvernement indien.
Que de chemin parcouru depuis 2014. Qui se souvient aujourd'hui qu'une douzaine d'années plus tôt – en 2013 précisément, un an avant l'arrivée aux affaires de Narendra Modi -, la très respectée banque américaine Morgan Stanley intégrait l'Inde dans le cercle peu flatteur des économies de marché émergentes vulnérables, surnommées les « cinq fragiles » du fait notamment de leur dépendance aux capitaux étrangers pour alimenter leur économie ou de l'importance du déficit de leur balance courante. Un club comprenant à cette époque le Brésil, la Turquie, l'Afrique du Sud, l'Indonésie, et donc l'Inde.
En août dernier, depuis l'emblématique Fort Rouge de New Delhi où l'on célébrait le Jour de l'Indépendance, le Premier ministre Narendra Modi promettait à ses concitoyens que leur économie intégrerait le club huppé des économies développées d'ici 2047, année qui honorerait le centenaire de l'indépendance nationale, obtenue à l'été 1947. 23 ans avant cette échéance historique autant que symbolique, les augures semblent favorables à pareille prophétie.
Propos recueillis par Olivier Guillard
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