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Pour faire face à la nouvelle conjoncture politique, Québec solidaire doit changer de stratégie

23 avril 2024, par Roger Rashi — , ,
Le cahier des propositions devant être débattues au prochain conseil national de Québec solidaire vient d'être publié par la direction du parti. Divisé en deux parties, une (…)

Le cahier des propositions devant être débattues au prochain conseil national de Québec solidaire vient d'être publié par la direction du parti. Divisé en deux parties, une première intitulée « la déclaration de Saguenay « qui fait le bilan de la tournée des régions et un 2è bloc qui propose un échéancier pour la réécriture du programme de QS, ce document est d'une faiblesse politique abyssale.

La faiblesse première de ce Cahier de proposition est l'absence de toute analyse de l'évolution de la conjoncture politique québécoise et donc de réflexion critique sur la stratégie du parti. En fait, le postulat de base de ce document est que rien n'a changé au Québec depuis le lendemain des élections du 3 octobre 2022 et que la stratégie adoptée en novembre 2021, faite de recentrage politique du parti, de personnalisation autour du leader parlementaire Gabriel Nadeau-Dubois et de prétention à incarner l'alternative à François Legault, est toujours valide.

Reconfiguration politique majeure depuis un an

Or, la conjoncture québécoise et en voie de subir une transformation politique majeure alors que :

- Le parti gouvernemental, la Coalition avenir Québec, s'effondre dans les sondages et perd 44% de ses appuis. Le dernier Sondage Léger place ce parti au 2é rang avec seulement 22% [1]. Les observateurs parlent même de crise au sein de la majorité alors que des piliers du caucus démissionnent ou songent à le faire [2]. La « troisième voie » incarnée par François Legault, chef et fondateur de la CAQ, est en voie de s'effriter, peut-être, durablement.

- Le Parti québécois, presque moribond après les dernières élections alors qu'il avait enregistré les pires résultats de son histoire (14.5% et 3 députés), connait une remontée fulgurante atteignant 34% dans le dernier Léger, décrochant ainsi la première place avec une bonne longueur d'avance sur la CAQ. Son chef, Paul St-Pierre Plamondon, en profite pour annoncer qu'il fera de la souveraineté du Québec le thème principal de la prochaine campagne électorale.

- Incapable de profiter de la chute de la CAQ, Québec solidaire plafonne à 18%. Cantonné dans une bande étroite allant de 14 à 18% depuis sa percée historique de 2018, QS est loin de pouvoir prétendre, de façon crédible, à constituer l'alternative à la CAQ.

- Le Parti libéral du Québec au plus bas dans les sondages avec 14%, et sans chef depuis le lendemain des dernières élections, s'en donnera un le 14 juin 2025 ce qui devrait améliorer ses performances juste à temps pour le prochain scrutin général. Ce nouveau chef se fera un plaisir de s'ériger en rempart contre l'indépendance prônée par le PQ, reprenant le thème qui a fait la fortune politique de ce parti pendant plus d'un demi-siècle.

- La contestation des politiques économiques et sociales de la CAQ atteint un sommet avec le retour des larges mobilisations syndicales comme celle du dernier Front commun dans le secteur public qui a mobilisé près de 420,000 travailleuses et travailleurs, non seulement pour de meilleurs salaires mais aussi contre les politiques de privatisation dans les services publics. Nous voyons également la reprise des mouvements écologiques contre les politiques industrielles soi-disant vertes, mais en réalité écocidaires et anti- démocratiques, du gouvernement. De plus, le réseau communautaire mène une contestation vigoureuse des politiques bancales de la CAQ au niveau du logement.

La stratégie actuelle de QS est caduque

La stratégie actuelle de QS fut formulée dans une conjoncture totalement différente alors que la CAQ était très largement dominante, François Legault au sommet de sa popularité et les mouvements sociaux en pleine retraite à la suite des confinements pandémiques. Bien que trop timide politiquement et aboutissant ultimement à une stagnation électorale, elle reposait néanmoins sur une analyse de la conjoncture du moment bien qu'elle en tirait des conclusions erronées. Cette stratégie de recentrage est aujourd'hui caduque.

Pour répondre à la nouvelle conjoncture, QS doit changer de stratégie sous peine de frapper un mur aux élections de 2026. En s'obstinant à tenter d'occuper le centre du spectre politique, Québec solidaire émousse sa singularité et réduit son attractivité auprès de ceux et celles qui désirent un réel changement social. QS doit impérativement se redéfinir comme un parti de contestation sociale et de rupture avec le système capitaliste en proie à une polycrise de plus en plus grave [3]. C'est ce que le parti a déjà fait avec succès en 2018.

Souvenons-nous que lors de cette campagne, QS s'attaquait directement aux élites économiques et politiques qu'il tenait responsable de la montée des inégalités sociale et de la crise écologique. À cette occasion le parti a présenté un programme de transition verte, ambitieux et transformateur, qui fut au cœur de son succès [4]. Cette campagne de 2018, inspiré par le « populisme de gauche », a permis à QS de doubler ses appuis, passant de 7% en 2014 à 16% en 2018, et de grossir sa députation en passant de 3 à 10 sièges dont quatre en dehors de Montréal [5].

Comme quoi, il est faux d'affirmer que la radicalité de son programme nuit à QS. Au contraire, en assumant son identité de parti de gauche et de transformation sociale QS est sorti de la marginalité politique et a gagné des appuis majeurs parmi la jeunesse et les électeurs/ices des grandes villes.

À contrario, la dernière campagne électorale qui présentait un QS modéré mettant en sourdine la critique des élites et cachant les mesures radicales de son programme de transition écologique, s'est avérée un échec au vu des attentes (remporter l'opposition officielle) et des sommes engagées (plus de deux millions de dollars, soit un record dans l'histoire du parti).

Approfondir cette stratégie de recentrage, comme cherche à le faire la direction du parti avec le présent Conseil national, ne peut mener qu'à une déroute cinglante en 2026. QS risque de se faire prendre en souricière entre un PLQ ultra-fédéraliste l'attaquant sur sa droite et un PQ modérément social- démocrate l'attaquant sur une base nationaliste identitaire. L'un est l'autre chercheront à reprendre les circonscriptions ravies par Québec solidaire au fil des ans, soit cinq au PLQ et sept au PQ. Ce n'est pas avec une stratégie encore plus réformiste que le parti pourra se défendre sur ses deux fronts. QS n'aura d'autre choix que d'affirmer sa singularité de parti de rupture sociale et écologique et de lier intimement l'indépendance du Québec à son projet social. S'abstenir de le faire serait d'enfoncer QS dans un état de vulnérabilité politique extrême aux élections de 2026.

Un programme de rupture avec le système

Il ne s'agit pas de reproduire la stratégie électorale de 2018 mais plutôt d'en tirer les leçons pour aller de l'avant vers une vision transformatrice adaptée à l'évolution des mobilisations populaires et aux grands défis de notre époque.

Quels pourraient être les axes principaux d'une telle approche ?

- La fausse transition écologique promue par la CAQ décrédibilise les propositions du capitalisme vert auprès de larges couches de la population et ouvre la voie à une proposition de transition écologique antisystémique et démocratique qui va non seulement au-delà de l'ordre néolibéral mais aussi vers le dépassement du système capitaliste à la source de la crise environnementale. C'est l'occasion rêvée de commencer à populariser des notions d'écosocialisme démocratique et autogestionnaire auprès d'un vaste auditoire populaire et ouvrier.

- L'effondrement de la CAQ et de sa « troisième voie » prépare le retour de l 'axe fédéraliste/souverainiste qui a structuré l'espace politique québécois de 1970 à 2018. En opposition aux deux vieux partis (PQ et PLQ) qui se sont échangé le pouvoir pendant un demi-siècle, QS a développé une vision politique liant la question nationale et le projet de transformation sociale qui a fait sa renommée auprès de l'électorat progressiste. Cette vision doit être au centre de la stratégie du parti afin de marquer sa différence du fédéralisme à-plat-ventriste du PLQ ou de l'identitarisme étroit et xénophobe du PQ et de la CAQ. Plus que jamais, le projet d'une assemblée constituante est la clé de notre vison inclusive, féministe, rassembleuse et progressiste.

- Fort de son énorme majorité parlementaire, la CAQ a lancé au cours de son second mandat la campagne de privatisation la plus agressive jamais vue au Québec. Quel que soit le parti qui remportera les élections de 2026, il maintiendra ces politiques ou cherchera à les étendre car elles correspondent aux intérêts du patronat et de la classe dominante. La bataille pour la défense des services publics ainsi que l'extension du système énergétique public, le tout dans une optique écologique, décentralisée et démocratique, doit avoir une place de choix dans la stratégie du parti car elle sera au centre des luttes sociales des prochaines années.

- Le ralentissement économique et l'inflation qui frappent si durement les classes populaires ne disparaitront pas au courant des prochaines années. Les énormes profits qu'engrangent les grandes compagnies ou les richesses insondables qu'accaparent les multimilliardaires resteront le signe le plus visible de l'injustice du capitalisme contemporain. Un régime fiscal anti- grandes entreprises et anti-grande fortune via la taxation des profits excessifs des pétrolières, des grandes chaines alimentaires, des GAFAM, sans oublier les grandes fortunes, doit être au centre des propositions de QS car elles permettent aussi d'indiquer comment financer nos propositions de programmes sociaux et réduire les inégalités.

Combattre le parlementarisme

Une condition cruciale pour l'accomplissement d'un tel programme et la relance de Québec solidaire en tant que parti des urnes et de la rue. Au courant des dernières années, le poids de l'aile parlementaire, combiné à l'effet nocif de l'arrêt des activités pendant les premiers mois de la pandémie, ont fait que le parti a été réduit, dans les faits, à une caisse enregistreuse des décisions prises par le caucus. De plus en plus, les campagnes sont annoncées par l'aile parlementaire sans discussions préalables dans le parti, les lieux de débats stratégiques sont asséchés avec conséquence que les militants et militantes délaissent les associations locales et régionales. Un indice particulièrement inquiétant et la démission, ou l'abandon pur et simple du militantisme, par beaucoup de femmes. Ragaillardie un moment par la course et la subséquente élection de la porte-parole féminine, l'enthousiasme initial s'estompe à mesure que la mécanique infernale de la pression médiatique sur « sur la bulle parlementaire », des jeux de coulisses et de pouvoir au sein du caucus, de la persistance des comportements patriarcaux, le tout si magistralement disséqués et exposés par Catherine Dorion dans son livre les « Têtes brulées », finit par tout emporter sur son passage [6].

Pour repartir la structure militante, il faudra raviver les lieux de débats démocratiques, tenir des instances nationales (conseils nationaux et congrès) où sont débattues les analyses de la conjoncture ainsi que la stratégie du parti et transformer les associations locales et régionales en véritables lieux de convergence des résistances populaires, les lieux où peuvent s'articuler les synthèses et les revendications communes des mouvements sociaux.

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[1] Le sondage Léger du 23 mars 2024 accorde 34% au PQ, 22% à la CAQ, 18% à QS, 14% au PLQ et 10% au PCQ. Pour plus de détails voir : https://leger360.com/wp-content/uploads/2024/03/Politique-Mars-2024-v2.pdf

[2] Voir « La tourmente autour de François Legault », dans L'actualité du 4 avril 2024.

[3] Le concept de polycrise exprime l'imbrication de plusieurs crises simultanées : économique, environnementale et géopolitique. Voir « Polycrisis Again », Michael Roberts Blog, 8 octobre 2023. https://thenextrecession.wordpress.com/2023/10/08/polycrisis-again/

[4] Voir « Maintenant ou jamais. Plan de transition économique. 300 000 emplois verts pour le Québec ». Publié par Québec solidaire, le 14 septembre 2018.

[5] Voir mon article bilan de la campagne de 2018, « Québec solidaire : comprendre la percée électorale de 2018, dans Presse-toi à gauche, le 30 octobre 2018. https://www.pressegauche.org/Quebec-solidaire-Comprendre-la- percee-electorale-de-2018

[6] Les têtes brulées, par Catherine Dorion, Lux Éditeur, Montréal 2023

Le féminisme et l’électoralisme chez Qs : le premier disparaît, le deuxième prend la place

23 avril 2024, par Élisabeth Germain, Ginette Lewis — , ,
Que nous fait oublier le cours électoraliste de Qs et comment se porte le féminisme dans QS : deux thèmes qui se complètes pour mieux comprendre le parcours actuel de QS. (…)

Que nous fait oublier le cours électoraliste de Qs et comment se porte le féminisme dans QS : deux thèmes qui se complètes pour mieux comprendre le parcours actuel de QS. L'électoralisme nous fait oublier la nécessité de créer une opposition réellement politique qui porte les revendications des mouvements sociaux au lieu de vivre avec la nécessité de créer une image crédible et de séduire la population. Quant au féminisme, le débat sur le chef montre un retour aux vieilles pratiques patriarcales du leader.

Intervention de Ginette Lewis en réponse à la question : Où s'en va Québec solidaire sur la question du féminisme ?

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En Iran, les frappes contre Israël permettent au régime des mollahs de renforcer sa logique sécuritaire

Loin d'être uni derrière un sentiment nationaliste soutenant l'opération du régime contre Israël, l'Iran est confronté à une accélération de la répression à l'égard de sa (…)

Loin d'être uni derrière un sentiment nationaliste soutenant l'opération du régime contre Israël, l'Iran est confronté à une accélération de la répression à l'égard de sa population. Une situation qui ne fait que creuser les fractures entre les défenseurs du pouvoir et ceux qui aspirent au changement.

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

C'est un panneau gigantesque, installé au centre de Téhéran, surplombant l'une des artères les plus importantes de la ville. Outil de communication du régime, le panneau sur la place Vali-Asr affiche, depuis ce 15 avril, une nouvelle fresque géante mettant en évidence une dizaine de missiles prêts à être tirés sur Israël.

Ailleurs dans la capitale iranienne, d'autres panneaux célèbrent l'opération du 13 avril menée contre Israël, avertissant que « la prochaine gifle sera plus violente », tandis que Kayhan, l'un des quotidiens parmi les plus radicaux du pays, titrait au début de la semaine en une que « L'Iran a ouvert les portes de l'enfer sur Israël ».

Depuis le week-end dernier, toute la machine de propagande du régime iranien est mise en action à la fois pour démontrer sa puissance de frappe militaire et le soutien que cette opération obtiendrait de la part de la population.

De l'ancien président modéré Khatami, déclarant que « la réponse de l'Iran au crime d'Israël a été réfléchie, courageuse, logique et légale » au journal Javan qui insiste sur le soutien populaire à l'opération, ce serait tout un pays qui serait ainsi uni contre l'ennemi historique de la république islamique.

L'intention est claire : il s'agit, pour le pouvoir en place, de souligner sa force et sa légitimité.

La peur est ressentie par une large partie de la population

La réalité semble cependant bien différente que ce que la machine de communication bien huilée du régime veut montrer.

Si des images de liesse de dizaines d'Iraniens, promues sur les réseaux sociaux le soir des frappes sur Israël, ont frappé les esprits et ont été relayées allègrement dans les médias occidentaux, d'autres, finalement plus marquantes, ont mis en évidence la peur ressentie par une large partie de la population, à l'image des files de voitures devant les stations d'essence de Téhéran, dans la nuit du 13 au 14 avril.

La population iranienne reste, en effet, soumise à des conditions de vie rendant son quotidien difficile, pénible, épuisant. L'inflation ne parvient guère, depuis de nombreux mois, à descendre sous les 40 %. Les craintes d'un conflit désormais ouvert avec Israël font encore plus rejaillir l'angoisse d'un effondrement social et économique dont une large partie de la population, qui vit désormais sous le seuil de pauvreté, en serait la première victime.

Dans les jours qui ont suivi l'opération militaire, d'autres voix ont aussi essayé de se faire entendre afin de dénoncer l'opération menée par le pouvoir en place. Les craintes d'une partie de la population se portent en effet sur l'opportunité que représente pour le régime cette nouvelle tension internationale : celle d'appuyer encore plus fort sur la logique de répression à l'intérieur du pays.

Sur les réseaux sociaux de divers groupes informels engagés dans la lutte pour les droits humains et politiques, les textes de mises en garde se succèdent, à l'image d'un court texte du sociologue Aghil Daghagheleh : « L'ombre de la guerre crée la peur et la terreur et augmente le risque et la crainte d'affronter l'appareil oppressif. »

Pour Daghagheleh, « ce qui ressort de la situation, c'est que le gouvernement veut alimenter sa machine de répression issue du conflit militaire avec Israël et que ses premières victimes ont été (et encore une fois) des femmes, des journalistes et des militants politiques ».

Sur des médias iraniens en exil, ce sont 350 militants, intellectuels et membres de la société civile iranienne qui ont signé le 16 avril une tribune collective (lire ci-contre) affichant leur refus de la guerre : « L'environnement belliciste actuel, en plus de masquer l'absence de responsabilité du système politique face aux crises majeures, favorise la répression croissante des mouvements de protestation en Iran. »

Remise en route de la machine répressive

Confirmant ces craintes, divers événements survenus depuis l'opération iranienne contre Israël ont révélé une remise en route de la machine répressive. Une nouvelle vague de répression et d'intimidation est à l'œuvre depuis plusieurs jours.

Dans diverses villes du pays, les tristement célèbres Gasht-e Ershad ou « patrouilles de moralité », considérées comme responsables de la mort de Mahsa Amini, sont de retour dans les rues. De nombreuses vidéos montrant les arrestations brutales de femmes pour le simple motif d'un voile « mal porté », parsèment les canaux Telegram des mouvements de contestations et de protestations.

La prix Nobel de la paix Narges Mohammadi, toujours emprisonnée à Evin, a réagi ce mercredi par une lettre publiée sur son compte Instagram : « La république islamique a transformé les rues en champs de bataille contre les femmes pour apaiser par la terreur et la peur, la douleur de son illégitimité et de son effondrement et pour tenter de guérir la faiblesse et le ridicule de ses prétentions sur la scène internationale par une domination brutale et odieuse à l'intérieur. »

Dans d'autres espaces, l'intensification de l'appareil sécuritaire se fait également sentir. Ce retour de la répression à l'égard des femmes n'est cependant pas le seul outil de répression réactivé.

Diverses informations de groupes de droits humains rapportent que, « ces derniers jours, suite à l'abus par le gouvernement de la situation incendiaire qui règne dans la région, un certain nombre de condamnés non politiques ont été exécutés, en silence, dans diverses prisons du pays ».

Loin d'être uni derrière un sentiment nationaliste soutenant l'opération du régime contre Israël, l'Iran est confronté à une accélération des contraintes sécuritaires et de répression à l'égard de sa population.

L'objectif est double : profiter du moment pour renforcer la logique sécuritaire et déployer les forces de police afin d'éviter tout nouveau possible débordement contre le régime.

Cette situation ne fait pourtant que creuser encore plus les fractures et durcir les confrontations entre défenseurs du régime et population épuisée par une vie sans avenir.

Comme le rapportait le 16 avril le syndicat des retraités (non reconnu par le régime), « un sentiment d'exclusion, d'exclusion et d'humiliation a été créé dans la société, et le gouvernement ne s'en inquiète apparemment pas, car il s'est toujours appuyé sur le pouvoir de la répression […]. Cependant, le gouvernement n'a jamais été capable de fermer complètement la société pluraliste et il ne sera pas en mesure de la contrôler à l'avenir, ce qui en soi a amené le peuple à lutter, sous diverses formes, contre l'intensité de l'oppression et de la domination des politiques du gouvernement »

Jonathan Piron, historien, spécialiste de l'Iran.

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1er mai Journée internationale des travailleuses et des travailleurs

23 avril 2024, par Révolution écosocialiste — ,
En ce 1 mai 2024, Journée internationale des travailleuses et des travailleurs, pensons à celles et ceux-et travailleuses d'Ukraine aux prises avec la guerre et des mesures (…)

En ce 1 mai 2024, Journée internationale des travailleuses et des travailleurs, pensons à celles et ceux-et travailleuses d'Ukraine aux prises avec la guerre et des mesures privatives de droits, à celles et ceux de Palestine qui tentent de survivre à un génocide, à celles et ceux qui vivent sécheresse et famine en Afrique, à celles et ceux qui vivent sous dictature et guerre civile au Soudan, en Argentine et à celles et ceux qui partout dans le monde luttent pour leurs droits et leur liberté.

« En ce 1er mai, Journée internationale des travailleuses et travailleurs, c'est sous le thème « Uni.e.s pour nos conditions de travail et de vie » que la population est invitée à prendre la rue pour dénoncer les impacts de l'explosion du coût de la vie et de la détérioration de nos conditions de travail, de notre filet social, de nos services publics. »

À Québec, voici donc les raisons qui vont motiver les gens à manifester. Nous n'en sommes plus à la défense des acquis, mais bien aux luttes contre la très forte régression sociale actuelle ; l'heure est aux luttes offensives contre les reculs imposés au quotidien aux travailleuses et travailleurs, reculs causés par les crises et l'inflation, mécanismes habituels du fonctionnement du capitalisme .

Tenant compte du contexte politique actuel

Malgré une lutte exemplaire des employées du secteur public et certains gains obtenus, les questions de la perte du pouvoir d'achat face à l'inflation et de l'organisation du travail n'ont pas été résolues. Au contraire, le gouvernement Legault avec sa réforme Dubé centralise et resserre le contrôle sur les services en santé tout en élargissant et en favorisant le secteur privé . Quant à la lutte à l'inflation, au lieu de payer et ainsi de s'assurer une meilleure rétention du personnel, le gouvernement caquiste préfère subventionner des entreprises comme Northvolt.

Dans ce contexte d'inflation, le gouvernement Legault refuse de voir la crise du logement et préfère défendre les positions du capitalisme immobilier. Il opte pour acheter les services des hockeyeurs des King's au lieu de donner les fonds nécessaires aux groupes communautaires et aux organismes en sécurité alimentaire. La lutte à la pauvreté passe par la charité et elle devient même une affaire individuelle au lieu d'être un enjeu social.

Ce gouvernement se distingue aussi par le peu d'intérêt "qu'il porte à" la crise climatique . Il y a les subventions aux entreprises. Il choisit de subventionner des entreprises pour le développement de batteries au lieu de privilégier le soutien au transport collectif gratuit, seule solution à une baisse réelle de la pollution. Il y a le délestage vers le secteur privé de l'énergie éolienne au lieu d'en faire un axe de développement d'Hydro Québec. C'est la volonté de construire des barrages sur des terres qui ne nous appartiennent pas. C'est aussi en détruisant des milieux humides ou des espèces en voie d'extinction qu'il néglige l'importance de la biodiversité.

Autre caractéristiques des politiques caquistes, l'invisibilisation de la moitié de l'humanité en refusant de reconnaître le travail des femmes dans le prendre soin entre autre en santé malgré les mots d'anges gardiens (expression par ailleurs pas féminisée) en ne les rémunérant pas à leur juste valeur. Prétextant le coût des « portes » dans la construction des maisons d'hébergement pour femmes victimes de violence, il refuse de prendre les mesures concrètes nécessaires pour sauver les femmes de féminicides suite à une rupture. Et enfin en ne subventionnant pas tout le secteur communautaire à la hauteur des demandes qui lui sont adressées, il ne reconnaît pas le travail de prévention et de soutien social que ces groupes font dans ce secteur majoritairement occupé par des femmes.

Finalement, suggérer que les migrant.e.s sont à la source de la très grave crise du logement et des difficultés à fournir à la population des services publics de qualité, c'est une attitude qui induit au racisme et ne va contribuer d'aucune manière à construire un Québec inclusif et indépendant.
Luttons pour nos droits

Ce gouvernement donne son soutien indéfectible. aux mesures capitalistes et patriarcales au mépris des citoyens et citoyennes qui n'ont pas voté pour toutes ces politiques d'enrichissement d'une minorité, qui n'ont pas voté pour la destruction de l'environnement ni pour une augmentation du mépris et des violences envers femmes .

Il nous reste donc de bonnes raisons de continuer la lutte en 2024 en solidarité avec les travailleuses et les travailleurs du monde entier mais aussi pour défendre nos revendications et construire un projet de société qui nous rassemble et qui remet en question toutes les mesures antisociales, cis-patriarcales et d'injustice sociale. Le partage de la richesse doit faire partie de ce projet de société.

Participons nombreuses et nombreux aux manifestations du 1er mai et aux autres activités organisées pour souligner cette journée. Exigeons que les changements que nous revendiquons depuis longtemps soient enfin mis en œuvre.

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Hydrogène « vert » de TES Canada, la Grande imposture

23 avril 2024, par Martine Ouellet — , ,
TES Canada (liée à Power Corporation) veut implanter en Mauricie un énorme projet de 4G$ de production d'hydrogène, accompagnée d'un parc de 800 MW (140 éoliennes) et de 200 MW (…)

TES Canada (liée à Power Corporation) veut implanter en Mauricie un énorme projet de 4G$ de production d'hydrogène, accompagnée d'un parc de 800 MW (140 éoliennes) et de 200 MW de panneaux solaires. S'ajoute un bloc de 150 MW d'électricité d'Hydro-Québec que Fitzgibbon leur a réservé alors qu'il nous casse les oreilles avec son lave-vaisselle et la pénurie appréhendée d'électricité. L'hydrogène produit serait ensuite majoritairement transformé en gaz réformé et ensuite vendu à Énergir.

Ce projet est présenté comme un projet de décarbonation pour la transition énergétique alors que c'est tout le contraire. C'est plutôt une vaste opération de relations publiques qui relève de la Grande imposture et qui cache des dessous aux odeurs de privatisation.

De l'hydrogène « vert », un gaspillage énergétique et économique

Selon les experts Whitmore et Martin, les pertes associées aux conversions de l'électricité en hydrogène, ensuite en gaz réformé et finalement en chaleur industrielle sont énormes, de l'ordre de 70%. Il serait beaucoup plus efficace d'utiliser l'électricité directement pour la production de chaleur industrielle. De son côté, le professeur Bruno Detuncq a évalué que le gaz réformé de TES Canada pourrait chauffer 40 000 maisons comparativement à 666 000 maisons, soit 16 fois plus, si la même quantité d'électricité était utilisée directement avec une thermopompe. Le projet de TES Canada représente un gaspillage immoral de notre précieuse énergie.

Toujours selon les estimés des experts Whitmore et Martin, le coût du gaz réformé serait jusqu'à 12 fois plus cher que le gaz standard. La rentabilité n'est clairement pas au rendez-vous. Ce serait un vrai gaspillage économique que de remplacé du gaz standard par du gaz réformé. Les vraies solutions de décarbonation se trouvent du côté de l'électrification directe et de la géothermie en éliminant le gaz.

Privatisation d'Hydro-Québec par la porte d'en arrière

Ce qui est en train de se passer, ce n'est pas la privatisation des actifs actuels d'Hydro-Québec mais bien la privatisation des nouvelles capacités de production électrique avec les parcs éoliens privés comme celui TES Canada qui serait le plus gros du Québec.

S'ajoute à cela l'autoconsommation, qui, avant TES Canada, était une exception pour Alcan et une papetière datant de la nationalisation de l'électricité. Un privilège consenti à l'époque en retour d'un pacte social qui n'a d'ailleurs pas été respecté.

Comme si ce n'était pas assez, il y a également la volonté, non avouée, de TES Canada de vendre de l'électricité à ses voisins. Actuellement ce n'est pas permis par la loi mais qu'à cela ne tienne, leur bon ami Fitzgibbon va déposer un projet de loi dans les prochains jours qui lèvera l'interdit pour le plus grand bonheur de TES Canada.

Le pouvoir citoyen est très fort sur le terrain en Mauricie. Nous nous devons de les appuyer dans leur volonté de préserver leur territoire et le modèle québécois de monopole d'électricité qui a fait le succès énergétique, économique, environnemental et social du Québec.

Martine Ouellet

Cheffe de Climat Québec

Ancienne ministre des Ressources naturelles

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Départ d’Istanbul d’une flottille de bateaux humanitaires pour Gaza... avec 4 Québécois à leurs bords !

23 avril 2024, par Martin Gallié, Pierre Mouterde — , , , , ,
L'article de Pierre Mouterde présente la mission de la Flottile de la liberté pour Gaza. Nous entreprenons, à partir du 22 avril, une série d'entretiens avec Jean-Pierre Roy (…)

L'article de Pierre Mouterde présente la mission de la Flottile de la liberté pour Gaza. Nous entreprenons, à partir du 22 avril, une série d'entretiens avec Jean-Pierre Roy Valdebenito, infirmier de Québec, membre de la délégation québécoise de la Flottille de la liberté de Gaza. Ces entretiens seront menés par Martin Gallié, membre du comité de rédaction de Presse-toi à gauche !

Pour des informations complémentaires

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Entretien du 22 avril 2024 avec Jean-Pierre Roy Valdebenito, infirmier de Québec, membre de la délégation québécoise de la Flottille de la liberté de Gaza.

La Version audio de l'entretien

C'était le 26 janvier 2024 : suite à une plainte de l'Afrique du sud, la Cour internationale de justice, la plus haute juridiction de l'ONU, demandait que soit appliquée la convention pour la prévention du crime de génocide dans la bande de Gaza.

Il existait donc un risque de génocide à Gaza, appréhendé par une des institutions internationales les plus sérieuses qui soient.

Pourtant depuis cette date, aucun geste de prévention digne de ce nom n'a été posé par l'État d'Israël. Tout au contraire ! Gaza s'est transformé en un champ de ruines et continue à être bombardé quotidiennement. Le nombre de morts —près de 33 000, la grande majorité étant des femmes et des enfants— ne cessent de croître au jour le jour, et les quelques deux millions de personnes déplacées et massées dans des camps de fortune à Rafah, se trouvent toujours visées par le projet annoncé par le premier ministre Netanyahou d'une attaque terrestre de l'armée d'Israël. Quant aux rares organisations humanitaires oeuvrant encore sur le terrain, elles ne cessent de rappeler les conditions absolument inhumaines infligées au peuple palestinien de Gaza, tout comme les risques de famines et d'épidémies grandissants, alors que systématiquement est entravée, retardée, interdite même par l'armée israélienne, l'entrée d'une aide humanitaire pourtant si ... vitale.

Pendant ce temps là, les grandes puissances occidentales —celles-là mêmes qui, dans les forums internationaux, se font un honneur de défendre le droit à l'auto-détermination des peuples (comme en Ukraine)— jouent de duplicité et tergiversent, fermant hypocritement les yeux sur le drame qui se joue pourtant sous leur yeux. Apparemment tout occupées à empêcher qu'un conflit plus grave dégénère entre Israël et l'Iran.

C'est dans ce contexte passablement délétère que l'initiative internationale et citoyenne d'organiser depuis Istanbul une flottille de bateaux humanitaires à destination de Gaza afin d'y apporter de l'aide, prend un sens particulier. Cette flottille de la liberté pour Gaza est composée de 3 bateaux chargés de près 5 500 tonnes de matériel humanitaire (médicaments, matériel médical, anesthésiants, vivres, etc.). Et c'est plus de 280 volontaires et activistes provenant de 34 pays, dont quatre Québécois (Nima Machouf (épidémiologiste), Jean-Pierre Roy Valdebenito (infirmier), Gligor Delev (urgentologue) et Rifah Audeh (documentariste)) qui ont décidé de monter à bord.

Avec les moyens dont ils disposent, ils tentent de faire face à ce sentiment d'impuissance que tant d'entre nous ont pu vivre ces derniers mois. Ils tentent aussi de répondre au besoin de justice et d'humanité que, par-delà la peur ou l'effroi, on ne peut que ressentir en prenant conscience des drames humains qui ne cessent de se multiplier au sein de la population civile de Gaza. Et surtout ils essayent de rappeler à nos gouvernements —du Québec comme du Canada— les devoirs politiques et éthiques qui leur reviennent : ceux de faire respecter les accords internationaux et règles du droit qui permettent aux individus et aux peuples d'échapper aux malheurs de la guerre et de l'arbitraire absolu ; tout comme d'assurer la sécurité de citoyens et citoyennes qui, en participant à une telle flottille, nous rappellent ce qu'il en est de notre humanité commune.

Après tout le Canada n'a-t-il pas participé tout récemment à une coalition internationale pour protéger la sécurité de bateaux marchands en mer Rouge ? On ne peut que souhaiter qu'il fasse de même pour cette flottille de la liberté, et qu'un vaste mouvement de solidarité se lève au Québec dans le sillage de cette courageuse mission humanitaire.

Pierre Mouterde
Sociologue et essayiste
le 22 avril 2024

Départ d’Istanbul d’une flottille de bateaux humanitaires pour Gaza... avec 4 Québécois à leurs bords !

L'article de Pierre Mouterde présente la mission de la Flottile de la liberté pour Gaza. Nous entreprenons, à partir du 22 avril, une série d'entretiens avec Jean-Pierre Roy (…)

L'article de Pierre Mouterde présente la mission de la Flottile de la liberté pour Gaza. Nous entreprenons, à partir du 22 avril, une série d'entretiens avec Jean-Pierre Roy Valdebenito, infirmier de Québec, membre de la délégation québécoise de la Flottille de la liberté de Gaza. Ces entretiens seront menés par Martin Gallié, membre du comité de rédaction de Presse-toi à gauche !

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Entretien du 22 avril 2024 avec Jean-Pierre Roy Valdebenito, infirmier de Québec, membre de la délégation québécoise de la Flottille de la liberté de Gaza.

La Version audio de l'entretien

C'était le 26 janvier 2024 : suite à une plainte de l'Afrique du sud, la Cour internationale de justice, la plus haute juridiction de l'ONU, demandait que soit appliquée la convention pour la prévention du crime de génocide dans la bande de Gaza.

Il existait donc un risque de génocide à Gaza, appréhendé par une des institutions internationales les plus sérieuses qui soient.

Pourtant depuis cette date, aucun geste de prévention digne de ce nom n'a été posé par l'État d'Israël. Tout au contraire ! Gaza s'est transformé en un champ de ruines et continue à être bombardé quotidiennement. Le nombre de morts —près de 33 000, la grande majorité étant des femmes et des enfants— ne cessent de croître au jour le jour, et les quelques deux millions de personnes déplacées et massées dans des camps de fortune à Rafah, se trouvent toujours visées par le projet annoncé par le premier ministre Netanyahou d'une attaque terrestre de l'armée d'Israël. Quant aux rares organisations humanitaires oeuvrant encore sur le terrain, elles ne cessent de rappeler les conditions absolument inhumaines infligées au peuple palestinien de Gaza, tout comme les risques de famines et d'épidémies grandissants, alors que systématiquement est entravée, retardée, interdite même par l'armée israélienne, l'entrée d'une aide humanitaire pourtant si ... vitale.

Pendant ce temps là, les grandes puissances occidentales —celles-là mêmes qui, dans les forums internationaux, se font un honneur de défendre le droit à l'auto-détermination des peuples (comme en Ukraine)— jouent de duplicité et tergiversent, fermant hypocritement les yeux sur le drame qui se joue pourtant sous leur yeux. Apparemment tout occupées à empêcher qu'un conflit plus grave dégénère entre Israël et l'Iran.

C'est dans ce contexte passablement délétère que l'initiative internationale et citoyenne d'organiser depuis Istanbul une flottille de bateaux humanitaires à destination de Gaza afin d'y apporter de l'aide, prend un sens particulier. Cette flottille de la liberté pour Gaza est composée de 3 bateaux chargés de près 5 500 tonnes de matériel humanitaire (médicaments, matériel médical, anesthésiants, vivres, etc.). Et c'est plus de 280 volontaires et activistes provenant de 34 pays, dont quatre Québécois (Nima Machouf (épidémiologiste), Jean-Pierre Roy Valdebenito (infirmier), Gligor Delev (urgentologue) et Rifah Audeh (documentariste)) qui ont décidé de monter à bord.

Avec les moyens dont ils disposent, ils tentent de faire face à ce sentiment d'impuissance que tant d'entre nous ont pu vivre ces derniers mois. Ils tentent aussi de répondre au besoin de justice et d'humanité que, par-delà la peur ou l'effroi, on ne peut que ressentir en prenant conscience des drames humains qui ne cessent de se multiplier au sein de la population civile de Gaza. Et surtout ils essayent de rappeler à nos gouvernements —du Québec comme du Canada— les devoirs politiques et éthiques qui leur reviennent : ceux de faire respecter les accords internationaux et règles du droit qui permettent aux individus et aux peuples d'échapper aux malheurs de la guerre et de l'arbitraire absolu ; tout comme d'assurer la sécurité de citoyens et citoyennes qui, en participant à une telle flottille, nous rappellent ce qu'il en est de notre humanité commune.

Après tout le Canada n'a-t-il pas participé tout récemment à une coalition internationale pour protéger la sécurité de bateaux marchands en mer Rouge ? On ne peut que souhaiter qu'il fasse de même pour cette flottille de la liberté, et qu'un vaste mouvement de solidarité se lève au Québec dans le sillage de cette courageuse mission humanitaire.

Pierre Mouterde
Sociologue et essayiste
le 22 avril 2024

La prochaine attaque israélienne contre l’Iran

23 avril 2024, par Gilbert Achcar — , , ,
Il ne fait aucun doute qu'Israël répondra au lancement par l'Iran de trois cent vingt drones, missiles de croisière et missiles balistiques sur son territoire par une attaque (…)

Il ne fait aucun doute qu'Israël répondra au lancement par l'Iran de trois cent vingt drones, missiles de croisière et missiles balistiques sur son territoire par une attaque majeure contre l'Iran, et ce pour plusieurs raisons. (Traduit de l'arabe.)

Tiré du blogue de l'auteur.

La première est que l'État sioniste a délibérément intensifié son attaque contre la « République islamique », en bombardant le consulat iranien adjacent à l'ambassade iranienne à Damas. Le monde entier a vu dans cette attaque, à juste titre, une dangereuse escalade de la guerre de basse intensité qu'Israël mène depuis quelques années contre l'Iran, surtout depuis que ce dernier a commencé à étendre son propre réseau militaire sur le territoire de la Syrie dans le contexte de la guerre qui y a éclaté il y a plus de dix ans. Israël se rend sans doute compte qu'il ne peut pas poursuivre ses attaques contre des cibles iraniennes, et encore moins les intensifier, sans que Téhéran ne soit contraint de réagir.

Le fait est que le leader de « l'axe de la résistance », comme l'Iran aime se décrire, a été très embarrassé ces dernières années par son incapacité à traduire ses menaces répétées en actions à la hauteur de ses paroles. Le coup le plus dangereux qu'il a subi avant l'attaque de son consulat a été l'assassinat par les forces américaines du commandant de la force Qods du Corps des Gardiens de la Révolution islamique, Qassem Soleimani, au tout début de l'année 2020 près de l'aéroport de Bagdad. La réponse iranienne fut terne : elle consista à lancer douze missiles sur les forces américaines depuis la base aérienne d'Ain al-Asad dans le gouvernorat irakien d'Anbar, après avoir averti de l'attaque de sorte qu'aucun soldat américain ne fut blessé (hormis les victimes de commotions cérébrales). Donald Trump a ainsi pu se passer de riposte, car il était évident que l'assassinat de Soleimani était plus grave que la réaction iranienne, ce qui était clairement le résultat attendu par Téhéran.

Tout indique que l'intention de l'Iran lors de sa récente attaque contre l'État sioniste était similaire : se sauver la face en ripostant, mais en limitant l'efficacité de la réponse afin qu'elle ne conduise pas à une contre-attaque. Ainsi, l'Iran a lancé 170 drones et 30 missiles de croisière depuis son territoire, soit sur une distance de 1 500 kilomètres, sachant qu'il faudrait quelques heures à ces engins pour franchir cette distance, de sorte qu'Israël pouvait se préparer à leur arrivée en en abattant un grand nombre avant même qu'ils n'entrent dans son espace aérien, d'autant qu'il bénéficie de l'aide d'alliés, États-Unis en tête. Téhéran affirme même avoir informé Washington du moment de l'attaque, ce que Washington nie, ses sources affirmant qu'ils ont eu connaissance du moment de l'attaque à l'avance grâce aux renseignements (il n'est pas clair s'il s'agit des renseignements américains ou israéliens).

Quoi qu'il en soit, le résultat est qu'aucun des engins cités n'a explosé sur le territoire de l'État sioniste. Pire encore, sur les 120 missiles balistiques lancés par Téhéran, seuls quatre ont touché Israël ! Ainsi, l'État sioniste a pu se targuer d'avoir abattu « 99 % » de ce que l'Iran avait lancé contre lui. S'il est vrai que l'intention de l'Iran était d'atténuer dans une certaine mesure l'effet de son attaque, l'ampleur de l'échec a certainement dépassé ce que Téhéran attendait, de sorte que l'effet dissuasif de l'attaque a finalement été très limité, voire contre-productif en encourageant Israël à aller de l'avant et intensifier la confrontation. En frappant le territoire de l'État sioniste, l'Iran est ainsi tombé dans un piège tendu par celui-ci en lui permettant de lancer une contre-attaque ouverte sur le sol iranien. Si Téhéran s'était contenté d'une réponse proportionnée à l'attaque de son consulat, en attaquant par exemple une ambassade israélienne à Bahreïn ou aux Émirats arabes unis, sa réponse aurait paru légitime et n'aurait pas donné à Israël un droit à l'escalade aux yeux du monde.

Ce n'est un secret pour personne qu'Israël prépare depuis des années une frappe sur le territoire iranien, visant à détruire les installations nucléaires de son ennemi juré. Cette frappe est devenue très urgente aux yeux d'Israël, car Téhéran a considérablement intensifié son enrichissement d'uranium depuis que Trump a répudié en 2018 l'accord nucléaire conclu avec l'Iran par son prédécesseur Barack Obama en 2015. On estime aujourd'hui que Téhéran possède désormais suffisamment d'uranium enrichi avec l'Iran, ainsi que les capacités technologiques, pour fabriquer pas moins de trois bombes nucléaires en quelques jours. Cela place Israël dans un état d'alerte élevé, car la perte de son monopole régional de l'armement nucléaire constituerait un grave revers stratégique. Pire encore, cela attiserait ses craintes d'anéantissement en tant que pays de petite surface, confronté à des ennemis qui souhaitent sa destruction, et dont l'idéologie repose sur une exploitation intensive de la mémoire du génocide nazi des Juifs d'Europe. Cela renforce l'hypothèse selon laquelle l'attaque contre le consulat était une provocation délibérée dans le cadre d'une escalade visant à créer une opportunité pour l'État sioniste de frapper à l'intérieur du territoire iranien, en particulier contre le potentiel nucléaire iranien.

Seule la position américaine pose problème, car Israël ne peut pas risquer une confrontation totale avec son ennemi iranien sans la garantie de protection fournie par son parrain américain. Israël a la capacité de frapper l'Iran en profondeur, en utilisant ses avions « furtifs » F-35, qui échappent à la détection radar. Il possède près de 40 de ces avions, qui peuvent parcourir à pleine charge plus de 2 200 kilomètres, et une distance plus longue après avoir largué leur charge à mi-chemin. Cependant, ils auraient probablement besoin d'un ravitaillement en vol au retour d'une frappe en Iran. Cela nécessite l'aide des États-Unis, ou l'autorisation d'utiliser l'espace aérien d'un des alliés arabes de l'État sioniste situés géographiquement entre lui et l'Iran, puisque le processus de ravitaillement ne peut échapper à la surveillance.

La couverture américaine reste nécessaire pour Israël dans tous les cas, et elle pourrait sembler indisponible vu que Washington a mis en garde à plusieurs reprises contre une escalade israélienne qui pourrait déclencher une guerre dans l'ensemble du Moyen-Orient. La crainte des États-Unis n'est certainement pas motivée par un souci de paix, mais est plutôt la crainte de voir une fermeture du détroit d'Ormuz et une forte hausse des prix du pétrole conduire à une nouvelle crise de l'économie mondiale. Pour cette même raison, Washington n'est pas disposé à intensifier les sanctions contre l'Iran au point d'imposer une interdiction totale de ses exportations de pétrole. Mais d'un autre côté, Washington partage l'inquiétude d'Israël quant à la possibilité que l'Iran acquière des armes nucléaires, et les administrations successives à la Maison Blanche ont répété que cette question constituait, à leurs yeux, une ligne rouge qui nécessiterait leur intervention.

Il est donc possible de douter de la sincérité des appels à la retenue de Joe Biden, sachant qu'il est allé plus loin que son prédécesseur Trump en soutenant l'État sioniste jusqu'à participer pleinement à la guerre génocidaire que ce dernier a menée et mène encore contre Gaza. Biden a appelé à la patience et à la désescalade tout en confirmant en revanche que les États-Unis, même s'ils ne participeront pas à une frappe israélienne sur le territoire iranien, resteront déterminés à protéger leur allié régional, ce qui est exactement ce dont ce dernier a besoin afin de lancer son attaque. Israël est conscient que l'administration américaine ne peut pas prendre le risque de participer à une attaque dont l'issue est incertaine et dont l'échec pourrait se répercuter sur elle et entraîner la défaite de Joe Biden aux élections présidentielles à l'automne prochain. La conclusion de tout ce qui précède est que la logique stratégique incite Téhéran à accélérer son acquisition de l'arme nucléaire et à le faire savoir une fois que ce sera fait, car c'est le moyen de dissuasion le plus efficace que l'Iran puisse acquérir.

Gilbert Achcar

• Traduction de ma tribune hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est paru le 16 avril en ligne et dans le numéro imprimé du 17 avril. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.

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20e anniversaire de la loi anti-foulard de 2004 : le bilan honteux d’une manipulation de la laïcité

23 avril 2024, par Laurent Lévy — ,
Laurent Lévy revient sur les conditions dans lesquelles a été adoptée la loi du 15 mars 2004, prétendant interdire les signes religieux « ostensibles » à l'école mais tournée (…)

Laurent Lévy revient sur les conditions dans lesquelles a été adoptée la loi du 15 mars 2004, prétendant interdire les signes religieux « ostensibles » à l'école mais tournée en réalité contre les musulmans, en particulier ici les jeunes femmes musulmanes. Il en fait le bilan 20 ans après, montrant qu'il s'agissait là de la première étape d'une entreprise de manipulation de la laïcité, visant à en faire un instrument de l'offensive islamophobe.

Il est intéressant de lire l'article ci-dessous, à la lumière de la déclaration de Gabri3l Attal lors de son intervention à l'Assemblée nationale du Québec.« Je sais que la laïcité est la condition pour bien vivre ensemble. Et je sais que les Québécoises et les Québécois, que leurs représentants, sont attachés à la laïcité. ». Cette déclaration a reçu une ovation des députés de tous es partis. Lorsque l'on sait l'importance de l'islamophobie en France, il y a de quoi développer notre sens critique. (NDLR - PTAG)

18 avril 2024 | tiré de contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/anniversaire-loi-15-mars-2004-manipulation-laicite/

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Les parlementaires débordaient d'enthousiasme lorsqu'ils ont adopté à une très large majorité (494 voix pour, 36 contre et 31 abstentions) la loi anti-foulard promulguée le 15 mars 2004. Ils auraient sans doute été incrédules si on leur avait dit que le vingtième anniversaire de cette loi, qu'ils voyaient comme une œuvre magistrale et un marqueur de l'affirmation républicaine comparable dans son importance à la grande loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l'État, ne donnerait lieu à aucune célébration officielle.

La raison de cette absence de célébration est pourtant sans doute assez simple : il aurait fallu faire le bilan de cette loi, au regard de ses objectifs affichés ; et ce bilan n'est guère reluisant. Ouvrant la discussion au Parlement, le premier ministre de l'époque n'hésitait pas à évoquer « ce texte qui symbolise notre confiance dans la République et notre volonté nationale de vivre ensemble ». Il était question d'apaiser les relations scolaires et de donner une solution au prétendu problème du « foulard à l'école ». La seule chose que l'on puisse dire à cet égard est qu'en effet, par l'application de la loi, les « foulards islamiques » ont pratiquement disparu de l'espace scolaire. Il s'agissait également de mettre un coup d'arrêt aux progrès de la visibilité de l'islam dans la société française, et en particulier de faire reculer le port du foulard en France : il est difficile de prétendre que ce soit sur ce point une réussite.

On ne reviendra pas ici sur l'ensemble des arguments qui ont pu être avancés en son temps à l'appui de cette loi, qu'il s'agisse de la mobilisation instrumentalisée du féminisme, de l'idée que la France devait se protéger du danger mortel que lui ferait courir un islamisme conquérant, ou de la nécessité de lutter contre le « communautarisme » et de protéger le « vivre ensemble » en obligeant certaines lycéennes à vivre séparément, de la nécessaire protection de l'École de tout prosélytisme et de l'affirmation de son statut de lieu « d'ouverture à l'universel » . Aucun ne résistait l'examen[1] à l'époque, ils sont encore plus fragiles avec le recul.

Il est toutefois nécessaire de revenir sur un point de cette argumentation, à la fois pour son intérêt propre et pour la manière dont il a illustré un mécanisme fondamental de la grande manipulation idéologique qui s'est alors jouée : la mobilisation du thème de la laïcité, par laquelle ont été recouverts l'ensemble des enjeux de cette loi ; thème qui a maquillé, occulté et rendu invisible pour beaucoup son caractère fondamentalement raciste. Si d'autres thèmes de l'offensive alors lancée ont pu se développer par la suite – ainsi la prétendue lutte contre le « communautarisme » qui a redessiné en un sens réactionnaire le thème de « la République » jusqu'à l'adoption de la loi « séparatisme » de Gérald Darmanin – c'est sur celui de la laïcité que s'est accomplie la principale défaite des idées progressistes.

On a pu parler à ce propos de révolution conservatrice dans la laïcité[2]. La conception séculaire de la laïcité en France, selon laquelle l'État et les Églises devaient être indépendantes et la République ne reconnaître aucun culte, était en effet subvertie pour y inclure l'idée que la laïcité imposait des obligations de neutralité aux bénéficiaires du service public et non seulement à ses agents, à rebours à la fois des lois instituant l'école publique laïque et obligatoire dans les années 1880, et de la loi de 1905 elle-même.

Ce principe de laïcité, initialement vivement contesté par les courants cléricaux et par la droite, était au fil du temps devenu une norme largement partagée, même si ce fut non sans résistances et soubresauts. Pour la gauche, il s'agissait d'un principe presque identitaire, au-dessus de toute contestation : un acquis définitif et pour certains central de sa culture. Devenue indiscutable, la laïcité n'était plus discutée, et donc plus pensée. Aucune élaboration notable ne lui était consacrée. Elle était en somme totémisée. Les évidences, par définition, sont des choses sur lesquelles on n'argumente pas ; mais elles peuvent servir d'outils à l'argumentation, même une fois enfouis leurs fondements jusqu'à en être oubliés dans les méandres de la mémoire collective.

C'est ainsi par une démarche idéologique somme toute efficace que la laïcité a été brandie lorsqu'il s'est agi de trouver une solution au « problème » du foulard à l'école, à travers son interdiction. On aurait pu d'abord expliquer en quoi il s'agissait d'un « problème » ? Objectivement en effet, d'un strict point de vue pédagogique, le seul problème posé par le fait que des lycéennes se présentaient en cours avec la tête recouverte d'un foulard était le refus de certains enseignants de les voir porter cette tenue. Identifier comme tel ce problème aurait à l'évidence conduit à des solutions différentes.

Mais le fait qu'il s'agisse d'un « problème » n'étant pas questionné, invoquer même à tort une atteinte au principe de laïcité était une arme redoutable. Si le port du foulard par des lycéennes était une atteinte à la laïcité, l'admettre devenait impensable et son bannissement semblait relever de l'évidence : il n'était plus besoin d'interroger son refus de la part d'une fraction du corps enseignant et de la société, ce refus allait de soi. Les voix dénonçant une réaction raciste devenaient vite inaudibles : comment une simple conséquence d'un principe largement admis pourrait-elle être raciste ? Comment prétendre que la laïcité elle-même pouvait être considérée comme telle ? Si un historien et sociologue pourtant reconnu de la laïcité comme Jean Baubérot, qu'on avait même fait entrer dans la Commission Stasi[3], contestait qu'elle ait pour conséquence logique cette interdiction du foulard à l'école, lui-même ne pouvait être entendu[4] : il fut le seul de ses membres à refuser de voter le rapport de cette commission. Ainsi se mettait en place ce qu'il a qualifié de « nouvelle laïcité ».

Notons que si la loi avait été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée comme relative « à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics », ce qui dans un pays où l'école publique était laïque depuis environ 120 ans peut sembler étrange, l'intitulé de la loi elle-même visait seulement le port de « signes religieux » dans l'enceinte des établissements ; et la discussion parlementaire n'en évoquait aucun autre que le fameux foulard. C'est en fin de discussion que le mot « laïcité » y a été ajouté sur un amendement proposé par un député socialiste. Le rapporteur (UMP) de la loi, Pascal Clément, notant alors que sans « référence à la laïcité, on fait une loi uniquement répressive, sans aucune noblesse républicaine », comme si le titre de la loi pouvait modifier le caractère de ses dispositions.

Au cours des débats un autre député avait insisté, en vain, pour que l'interdiction soit mise en rapport avec un trouble à l'ordre public, seul de nature disait-il à justifier la répression. Que le principe de laïcité ne soit qu'un prétexte à l'interdiction du foulard à l'école était tangible dans les débats parlementaires, et aucune intervention n'a même esquissé un simple rappel du contenu de ce principe. De fait, le Conseil d'État avait, à plusieurs reprises déjà, affirmé que le port par des élèves du « foulard islamique » ne s'y opposait pas. Au demeurant, la laïcité étant déjà un principe légal et constitutionnel, c'est bien parce qu'elle ne permettait pas en elle-même la prohibition du foulard qu'une loi devait être votée pour la permettre.

Les conséquences directes de cette loi sont suffisamment lourdes pour que l'on comprenne que son anniversaire n'ait pas donné lieu à célébrations : au-delà du chiffre officiel de 45 exclusions d'élèves, on peut estimer à 400 environ le total des déscolarisations qui s'en sont immédiatement suivies. Des jeunes filles préféraient en effet éviter l'ordalie des conseils de discipline et abandonner elles-mêmes. La loi prévoyait bien une « phase de discussion » avant toute exclusion, mais c'était par hypothèse une discussion à sens unique, dont l'issue était de par la loi écrite à l'avance. Aucune marge de négociation n'existait. Celles qui ont affronté cette épreuve en ont rapporté des témoignages poignants[5] ; et celles qui se sont soumises ont vécu douloureusement cette humiliation, au point souvent d'abandonner elles aussi leur scolarité.

Interrogé en 2003 sur son opposition à l'exclusion des lycéennes musulmanes voilées, le regretté Mouloud Aounit, alors secrétaire général du MRAP, avait déclaré : « Je ne veux pas être le fourrier des écoles confessionnelles. » De fait, une autre conséquence de la loi aura été le développement de tout un réseau de telles écoles privées musulmanes hors-contrat, à la scolarité coûteuse et de qualité inégale. La prétendue « lutte contre le communautarisme » aura ainsi eu ce résultat qui n'est qu'en apparence paradoxal et qui souligne la logique d'exclusion – la logique proprement séparatiste – de cette loi.

On pourrait en outre évoquer les effets de la lecture faite de cette loi au sein même de l'institution scolaire : lecture généralement hâtive ou faussée, souvent partielle, parfois improbable, mais parfois simplement littérale, ce qui la faisait aller bien au-delà de ce qu'était l'intention réelle du législateur, comme c'est souvent le cas des lois mal pensées et mal écrites. On a par exemple cherché à l'appliquer aux étudiantes ou aux mères d'élèves dans le cadre des activités périscolaires, bien que la loi ne vise expressément que les élèves du primaire et du secondaire : cela a été le cas pour les accompagnatrices de sorties scolaires.

On a aussi, au-delà du foulard, et sans même parler des quelques garçons sikhs exclus pour port de turban, progressivement visé les tenues amples, les robes longues, les bandanas en une véritable police du vêtement. Le dernier avatar de cette pratique devenue courante est la croisade lancée par Gabriel Attal, alors ministre de l'Éducation nationale, contre les « abayas », exotisant d'un mot jusqu'alors inconnu du grand public les robes longues et larges que portaient certaines jeunes filles qui, en dehors du lycée, portaient par ailleurs le foulard[6].

Mais au-delà de ces conséquences plus ou moins directes de la loi elle-même, c'est l'ensemble du débat public – on devrait dire du non-débat prenant la forme d'une doxa imposée – ayant accompagné son adoption qui a eu sur la société des effets telluriques. Par glissements successifs, l'assertion absolument fausse suivant laquelle le port par des lycéennes musulmanes d'un foulard heurtait le principe de laïcité en est venue à signifier, avec la même force d'évidence fantasmatique, une autre affirmation. Et cette affirmation, perversion suprême, a été assénée sous la forme d'une question que personne n'aurait songé à se poser, mais dont l'insistance exigeait qu'on lui apporte une réponse – et une réponse négative : « L'islam est-il compatible avec la République ? » Puisqu'il était devenu légalement évident que le foulard à l'école était contraire à la laïcité, pouvait-il y être conforme en d'autres lieux ? Bien sûr que non ! Des voix se sont levées pour demander son interdiction dans tout l'espace public. Comme cela n'allait pas de soi, le gouvernement a pu transiger en interdisant le « voile intégral », effet vestimentaire tout à fait marginal, que sa simple interdiction faisait passer pour un danger menaçant la République elle-même. Comme pour le foulard à l'école, on légiférait pour donner une « solution » à un « problème » imaginaire. De même que montrer ses cheveux était une condition de l'enseignement scolaire, montrer son visage devenait une condition de la fréquentation des rues. Et à chacune de ces campagnes, on multiplie les amalgames sur des mots angoissants. On crée un continuum islam-islamisme-fondamentalisme-salafisme-djihadisme : chaque abaya peut cacher une kalachnikov. Chaque foulard est une bombe en puissance, comme dans un dessin célèbre, le turban de Mahomet. C'est open-bar pour l'islamophobie.

À l'abri de l'évidence ainsi construite, le racisme islamophobe qui se trouvait au principe de la loi du 15 mars 2004 pouvait se déployer librement. Le mot « laïcité » se chargeait de l'ensemble des connotations du contexte dans lequel il avait été mobilisé et transformé, jusqu'à signifier bien souvent « principe selon lequel l'islam ne peut être toléré que s'il est invisible ». Cette signification, parfois prise en charge comme forme contemporaine du vieil anticléricalisme, lié à une méconnaissance profonde des spécificités de l'islam – entre autres le fait que, justement, il ne connaît pas de clergé[7] – devenait ainsi soit le paravent, soit l'excuse d'un renouvellement des formes dominantes du racisme. On assistait à la naissance d'un racisme respectable[8]. Cette laïcité dévoyée était ainsi pain béni pour le Front National, devenant malgré les quolibets des un-e-s et la stupéfaction des autres un des grands chantres de « la laïcité », qui était l'un des éléments de sa « dédiabolisation ».

C'est depuis l'adoption de la loi que la France a connu diverses manifestations djihadistes, une série d'attentats, le départ de centaines de jeunes gens pour combattre en Syrie avec l'EI, un certain nombre de meurtres ou autres agressions directement liées à ce qui s'est joué alors : ce sont à bien des égards autant de révélateurs, mais aussi d'accélérateurs des effets pervers d'une loi par laquelle on a expliqué le plus clairement du monde à toute une population qu'elle n'est pas ici chez elle, qu'elle trouble par sa simple existence la tranquillité républicaine.

Le dernier épisode en date des effets délétères de la loi anti-foulard s'est déroulé à Paris, au lycée Ravel : une étudiante en BTS, musulmane voilée qui enlève son foulard lorsqu'elle entre dans l'établissement pour aller y suivre ses cours, commet la maladresse de le sortir de son sac pour le remettre juste avant de franchir la grille du lycée. Le proviseur, connu pour sa volonté d'appliquer cette loi au pied de la lettre et avec la plus grande rigueur – comme le lui demande sa hiérarchie – se précipite sur elle pour l'en empêcher. Une bousculade s'ensuit dont témoignent des élèves qui jugent ce chef d'établissement islamophobe. La jeune fille va se plaindre au commissariat d'avoir reçu un coup à cette occasion, mais l'affaire est vite classée sans suite. Mais le fait ayant été rendu public, des menaces sont adressées au proviseur par des auteurs anonymes – et même si l'on ignore tout de leur sérieux, des précédents dramatiques obligent à prendre toutes les mesures pour le protéger, et il préfère anticiper sa retraite prochaine en démissionnant. Si l'on a raison de condamner ces menaces et de manifester sur ce point de la solidarité à ce chef d'établissement, il est clair que l'incident que leurs auteurs ont pris comme prétexte est un simple effet de la loi du 15 mars 2004 – et de son imbécillité. Ce n'est pas la laïcité que ce chef d'établissement a entendu faire respecter : c'est une loi qui n'a rien à voir avec ce principe constitutionnel, mais a eu pour effet d'en défigurer le sens.

Il est regrettable qu'aucune force politique significative ne demande l'abrogation de cette loi néfaste[9] – et que la plupart la considèrent même comme un acquis, intégré dans l'ordre républicain, et fixant une norme raisonnable. Il s'agirait pourtant là d'un combat tout à fait nécessaire de nature à rebattre les cartes, en imposant le débat qui n'a pas eu lieu il y a vingt ans. En somme, ce serait une manière utile de lutter contre l'exclusion et le séparatisme républicain ; d'affirmer, après ces années de confusion et de stigmatisation que oui, les populations concernées sont bien ici chez elles.

Notes

[1] Pour une étude d'ensemble, voir l'ouvrage remarquablement informé de l'historienne féministe étatsunienne Joan Scott, La politique du voile, Amsterdam, 2017, traduction Joëlle Marelli. Le livre est initialement paru en 2007, The Politics of the Veil, Princeton University Press. Voir également à propos des débats à gauche sur cette question, Laurent Lévy, « La gauche », les Noirs et les Arabes, La Fabrique, 2010.

[2] Voir Pierre Tévanian, « Une révolution conservatrice dans la laïcité », lmsi.

[3] Commission de réflexion « sur l'application du principe de laïcité dans la République » mise en place en juillet 2003 par Jacques Chirac et présidée par Bernard Stasi, alors Médiateur de la République ; son rapport sera rendu en décembre de la même année, et sera à l'origine de la loi du 15 mars 2004.

[4] Voir entre autres Jean Baubérot, L'intégrisme républicain contre la laïcité, éditions de l'Aube, 2006, La laïcité falsifiée, Paris, La Découverte, coll. « Cahiers libres », 2012, rééd. poche avec une postface, 2014. Voir également, du même auteur : « La nouvelle laïcité atrophie les libertés individuelles », Saphir News, 3 février 2012.

[5] Voir en particulier Ismahane Chouder, Malika Latrèche et Pierre Tévanian, Les filles voilées parlent, La Fabrique, 2008.

[6] Voir Laurent Lévy, Sur une nouvelle offensive islamophobe : l'affaire de l'« abaya », Contretemps, 4 septembre 2023., et Fanny Gallot, Interdiction des abayas à l'école : Une fois de plus les musulmanes stigmatisées, 14 septembre 2023, Ecole Emancipée, https://ecoleemancipee.org/interdiction-des-abayas-a-lecole/,

[7] En tous cas dans l'islam sunnite. L'islam chiite n'existe en France que de façon marginale.

[8] Voir Saïd Bouamama, L'affaire du foulard islamique : la production d'un racisme respectable, éditions Le Geai Bleu, 2004, préface de Pierre Tévanian.

[9] A noter que le NPA et Révolution Permanente ont inscrit cette abrogation à leur programme.

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Écologie, luttes sociales et révolution, de Daniel Tanuro

23 avril 2024, par Christine Poupin — , ,
C'est un livre d'entretiens dont le propos gagne en fluidité, propre aux échanges vivants, alors même que notre camarade Daniel Tanuro y aborde des questions parfois complexes (…)

C'est un livre d'entretiens dont le propos gagne en fluidité, propre aux échanges vivants, alors même que notre camarade Daniel Tanuro y aborde des questions parfois complexes sur deux aspects, aussi indispensables l'un que l'autre : penser les catastrophes et réfléchir à ce qu'on peut faire.

Hebdo L'Anticapitaliste - 703 (11/04/2024)

Par Christine Poupin

Éditions La Dispute, 2024, 184 pages, 15 euros.

Le temps des catastrophes

Penser les catastrophes, c'est d'abord en prendre la mesure. Aucun doute possible, notre temps est celui des catastrophes qui s'aggravent mutuellement et qui peuvent faire basculer le système-Terre dans le cataclysme. Il est dès lors impératif d'agir dans deux directions complémentaires : s'en prendre résolument aux causes et mettre en œuvre une adaptation démocratique, sociale et écologique. Scientifique lui-même, Daniel Tanuro nous invite à prendre au sérieux les travaux des chercheurEs, en particulier celleux du GIEC et à débusquer les pressions politiques du capitalisme fossile qui se traduisent par l'objectif de réduction des émissions nettes et non de l'élimination de l'usage des combustibles fossiles.

Face à ce tour de passe-passe, qui ne sert qu'à s'affranchir de la nécessité de rompre avec la croissance capitaliste, des voix critiques se lèvent. Elles rendent possibles des alliances, des métissages entre savoirs scientifiques et savoirs populaires, qu'ils soient ouvriers ou indigènes, indispensables à la construction d'une écologie populaire de masse.

L'écologie inachevée de Marx

Avec le même esprit critique, Daniel Tanuro aborde sans concession les rapports entre le marxisme et l'écologie. Tout en pointant le productivisme de la majorité des auteurs marxistes du 20e siècle, y compris Trotski, il défend la critique marxienne de l'économie politique comme la plus pertinente pour comprendre la catastrophe écologique et fournir une explication matérialiste de la nature « croissanciste » du capitalisme. Il nous invite à parcourir le chemin effectué par Marx lui-même et souligne en particulier l'actualité de son analyse du « hiatus irrémédiable » dans le « métabolisme » entre l'humanité et la nature. Cependant, il refuse les lectures apologétiques qui repeignent Marx en vert et préfère interpréter le caractère inachevé de l'écologie de Marx comme une invitation à aborder d'autres champs. C'est ainsi qu'il plaide pour une compréhension féministe matérialiste de la domination patriarcale sur les femmes dans le capitalisme et partant de leur place dans les luttes écosociales.

Que faire ? Répondre à cette interrogation impose de mesurer combien le capitalisme est incapable, ne serait-ce que de freiner la catastrophe. C'est ce que fait Daniel Tanuro en montrant comment les renouvelables dans le cadre d'un greenwashing systémique ne visent pas à réduire les énergies fossiles mais à satisfaire la boulimie croissante du productivisme capitaliste, associant néo-industrialisme, extractivisme et pillage accru des pays dominés, ainsi que l'exacerbation de la concurrence entre puissances impérialistes.

Élaborer un programme social et environnemental

Face aux difficultés immenses de l'alternative et parce que les solutions sont politiques, l'auteur invite à se concentrer sur l'élaboration d'un programme social et environnemental, sur l'invention d'une stratégie et sur la mise au point de tactiques de lutte. Parce que l'arrêt de la catastrophe n'est possible qu'à la condition de sortir du capitalisme pour produire des valeurs d'usage plutôt que des marchandises, la participation active des exploitéEs est indispensable à cette transformation révolutionnaire de la société. Cette participation ne se décrète pas, elle nécessite une stratégie d'alliance pour « bousculer » le cadre productiviste dans lequel les salariéEs posent spontanément leurs revendications socio-économiques immédiates. S'il ne dissimule pas la gravité des menaces qui pèsent sur l'humanité, Daniel Tanuro conclut sur ces mots : « on ne peut que s'accrocher à l'espérance pour y puiser l'énergie nécessaire à la lutte ».

Enfin, ne faites surtout pas l'impasse sur la préface de Timothée Parrique, véritable plaidoyer pour une réconciliation fructueuse entre écosocialisme et ­décroissance.

Christine Poupin

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