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La Russie sous Poutine : « Il y a une guerre culturelle contre le peuple lui-même »

Comme ses camarades, Ilya Budraitskis a été persécuté par le régime de Poutine. Membre du Mouvement socialiste russe, il est un opposant à la guerre en Ukraine et à Vladimir Poutine. Dans une interview exclusive, il a évoqué avec « esquerda.net » la harcèlement politique et le modèle idéologique adopté par le gouvernement russe pour légitimer son impérialisme et l'invasion de l'Ukraine.
24 août 2024 | tiré du entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/08/29/la-russie-sous-poutine-il-y-a-une-guerre-culturelle-contre-le-peuple-lui-meme/
L'invasion de l'Ukraine a entraîné une guerre qui, deux ans plus tard, se poursuit sans que l'on puisse en voir la fin. Entre l'occupation des territoires de l'est de l'Ukraine et la persécution des mouvements politiques dans son propre pays, Poutine a fait la démonstration de son appétit impérialiste et de son autoritarisme. Le moteur de ces actions, explique Ilya Budraitskis, est l'idéologie que le régime autocratique russe a commencé à propager dans les écoles et les universités, qui justifie l'impérialisme russe par une différenciation culturelle et génétique entre les peuples.
Ilya Budraitskis est un militant socialiste, membre du Mouvement socialiste russe. Théoricien politique, historien et auteur de plusieurs ouvrages, Ilya a vécu de nombreuses années à Moscou, où il a mené une activité militante. Il fait partie du comité de rédaction du site web socialiste russe Posle.media. Il publie des articles dans New Left Review, Jacobin, Le Monde Diplomatique, Inprecor, Open Democracy et Slavic Review, entre autres.
Le Mouvement socialiste russe (MSR) a fait l'objet de poursuites de la part du régime de Poutine, qui a intensifié la persécution des groupes politiques d'opposition après l'invasion de l'Ukraine et l'a qualifié d'« agent étranger ». Aujourd'hui, de nombreux membres du MSR vivent hors de Russie, dissidents hors de leur pays, chassés par la répression d'un gouvernement autoritaire.
Poutine s'acharne sur le Mouvement socialiste russe
Daniel Moura Borges – Comment le Mouvement socialiste russe a-t-il fait face à son étiquetage comme « agent extérieur » et à la répression dont il a fait l'objet de la part du régime de Poutine ?
Ilya Budraitskis – La situation au sein de l'organisation était assez compliquée avant même qu'elle ne soit étiquetée comme « agent de l'étranger », car beaucoup de ses principaux militants avaient quitté le pays. Aujourd'hui, ces personnes se trouvent en Allemagne, en France et dans d'autres pays encore. Avec cette étiquette d'« agent étranger », il n'est pas possible de maintenir une quelconque communication politique. C'est pourquoi, après avoir été qualifiés ainsi, nous avons publié une déclaration disant que nous avions dissous l'organisation.
Vous avez déjà dit que vous considériez cette qualification d'« agent étranger » comme un médaille d'honneur. Que faut-il entendre par là ?
Lorsque cette loi a été adoptée il y a une dizaine d'années, le principal argument sous-jacent était le suivant : « Nous sommes contre l'ingérence étrangère dans la politique russe ». Toute personne ayant reçu une aide financière de l'étranger a été qualifiée d'« agent étranger ». Entre-temps, la loi a été prorogée. Aujourd'hui, lorsqu'ils donnent un motif pour cette qualification, c'est : « Ces personnes diffusent de fausses informations sur les actions de l'armée russe ». En effet, il ne s'agit pas d'une attitude patriotique. Ainsi, derrière cet étiquetage, on trouve la volonté [du régime de Poutine] de détruire notre groupe politique parce qu'il a un programme clairement anti-guerre. Alors oui, nous en sommes fiers.
C'est une pratique à laquelle les gouvernements d'extrême droite ont de plus en plus recours. Orbán a également commencé à harceler les médias qu'il qualifie d'« agents extérieurs ».
Oui, et la Russie montre très bien jusqu'où ce type de législation peut aller. Aujourd'hui, quelqu'un peut être qualifié d'« agent extérieur » même s'il ne bénéficie d'aucune aide financière. Ils peuvent dire que cette personne diffuse des idées d'origine étrangère qui s'éloignent d'une véritable ligne patriotique.
Si nous voulons comprendre l'extrême droite du XXIe siècle, nous devons regarder la Russie
Dans ce contexte de persécution, comment le mouvement anti-guerre s'organise-t-il en Russie ?
En Russie, il y a une censure très pesante et une pression policière très forte sur tout type de déclaration anti-guerre. Par conséquent, toute expression publique d'une position anti-guerre peut conduire à une arrestation immédiate. Il est impossible de distribuer des tracts ou d'organiser des piquets. Cela ne peut se faire qu'indirectement. Par exemple, l'année dernière, nous avons vu se développer le mouvement des parents de jeunes hommes qui ont été mobilisés dans l'armée. Ils ont été mobilisés à l'automne 2022 et ne sont toujours rentrés. Ils [les parents] exigent donc que les soldats reviennent à la maison. Donc, c'est comme ça que l'on peut trouver des moyens différents d'exprimer un sentiment anti-guerre.
Il s'agit d'une guerre culturelle contre la population elle-même, et nous savons que les guerres culturelles sont généralement un moyen de polariser le processus électoral.
Vous avez récemment écrit sur la façon dont la guerre a été un facteur de changement radical, à la fois dans le régime de Poutine et dans l'organisation des mouvements socialistes. Selon vous, quel est le bilan de la guerre pour le régime actuel ?
Lorsque le régime s'est trouvé dans la situation de gérer une guerre à long terme, après l'échec de la première tentative de changement de régime [en Ukraine] avec l'aide de l'armée russe, il a commencé à parler beaucoup d'idéologie. Sur le fait que nous, en tant que société, devions avoir une idéologie, que nous devions inscrire l'idéologie dans la Constitution, qu'il nous fallait rééduquer la société pour qu'elle perçoive la Russie comme une civilisation à part entière. À partir de ce moment-là, ils ont élaboré un programme en ce sens. Aujourd'hui, ce programme est appliqué dans les écoles et il a également commencé à l'être dans les universités. L'autre aspect de ce programme de rééducation de la société est la censure. Non seulement des opinions anti-guerre, mais aussi dans la religion avec la promotion d'une ligne cléricale réactionnaire pesante en faveur des valeurs familiales traditionnelles. Tout ce qui est LGBT ou féministe est éliminé. Il s'agit d'une guerre culturelle contre la population elle-même, et nous savons que les guerres culturelles fonctionnent généralement comme un moyen de polariser le processus électoral.
Quel est le lien entre ce processus de rééducation de la société et les théories politiques de Douguine sur l'idéologie ?
Douguine est devenu une figure de plus en plus influente au cours des deux dernières années. Mais je pense que son influence est encore quelque peu surestimée. Il ne fait aucun doute que certaines de ses idées ont influencé la ligne actuelle de l'État. Son idée principale, qui est aussi celle de l'idéologie d'État en Russie, est l'idée que chaque civilisation a des modes de pensée et des formes de comportement qui lui sont propres. Il y a une négation de toute universalité humaine. C'est extrêmement dangereux. C'est une idée qui a pris gagné en influence en Russie, mais qui s'est également répandue dans l'extrême droite européenne.
Comment cela se traduit-il dans la société russe ?
Dans les cours d'idéologie des universités, on trouve une définition très précise de l'ADN russe. Elle aurait un caractère organique et héréditaire. Le fait d'être russe serait lié au sang et au corps. Ils utilisent également cette notion d'ADN comme l'idée d'un code culturel. Il existerait ainsi des idées, des perceptions ou des visions du monde précises qui n'appartiendraient qu'aux détenteurs de cet ADN. C'est ce type de politique identitaire qui est devenu une ligne officielle de l'État.
De quelle manière pensez-vous que la ligne idéologique actuelle de l'État russe soit en rapport avec les relations que la Fédération de Russie entretient avec tous les autres États qui l'entourent ?
Le type de nationalisme que la Russie affiche aujourd'hui est un nationalisme impérial. C'est un nationalisme qui est toujours de nature contradictoire car il y a ces deux notions d'empire et de nation. Le concept de nationalisme impérial en Russie est hérité de la fin de l'Empire russe. Tous ces discours selon lesquels l'Ukraine n'existe pas en tant que nation parce qu'elle fait partie d'une nation russe plus vaste sont issus de ce nationalisme impérial du 19e siècle. L'idée est que cet empire doit être russe. Les Russes doivent dominer parce qu'ils apportent une sorte d'harmonie à cette famille de peuples différents.
Voyez-vous dans cette guerre un signe de l'intensification des contradictions d'un monde multipolaire, où plusieurs empires se disputent l'hégémonie internationale ?
Oui, bien sûr. L'un des principaux objectifs de Poutine avec l'invasion de l'Ukraine était de changer le système international. Mais je pense qu'il y avait aussi une sorte de programme idéologique derrière ce changement. Et ce programme idéologique est né de cette idée de pluralité des civilisations. Dans cette optique, l'ensemble de l'espace post-soviétique appartient naturellement à la sphère d'influence russe parce qu'il fait partie de cette grande civilisation. Et il n'y a pas de place dans cette vision du monde pour ces petites nations, car elles doivent toutes être divisées entre les grandes puissances impériales. C'est une sorte de vision du monde qui est impérialiste non seulement dans ses ambitions, mais aussi dans son idéologie.
Nous devons revoir tous les fondements sociaux et économiques du régime actuel, qui repose toujours sur les privatisations extrêmement injustes qui ont eu lieu dans les années 1990 et sur les politiques néolibérales mises en œuvre par Poutine.
Quelle est votre analyse de la situation actuelle dans la guerre avec l'Ukraine, en particulier de la percée ukrainienne à Koursk ?
Je pense que c'était tactiquement très intelligent. Très risqué, mais très intelligent. Parce que cette opération met en cause le modèle selon lequel la Russie poursuit cette guerre. L'Ukraine a lancé cette opération pour provoquer Poutine, mais l'autre objectif était de provoquer une instabilité politique en Russie. Car pour la plupart des Russes, il existe une grande différence entre les territoires occupés par l'Ukraine, qu'ils [l'État russe] appellent les nouveaux territoires russes, et les anciens territoires russes. Koursk est un territoire ancien. Je pense donc que cela pourrait modifier la corrélation actuelle des forces. Et j'espère que cela conduira à des négociations de paix, non pas dans la perspective d'une capitulation de l'Ukraine, mais à partir d'une position plus équilibrée.
Vous avez écrit à plusieurs occasions sur la nécessité d'un programme révolutionnaire pour la Russie. Qu'est-ce que cela signifie à l'heure actuelle ?
Le programme de changement politique en Russie est très lié au changement démocratique. Mais je pense que nous, à gauche, ne devrions pas comprendre la démocratie uniquement d'une manière libérale. Pas seulement sous la forme d'institutions formelles. La démocratie, c'est la participation directe à la vie collective. En ce sens, nous devons démocratiser le pays, revoir tous les fondements sociaux et économiques du régime actuel, qui repose toujours sur les privatisations extrêmement injustes qui ont eu lieu dans les années 1990 et sur les politiques néolibérales mises en œuvre par Poutine. Nous devons également faire de la Russie une véritable fédération, car pour l'instant, elle n'a de fédération que le nom. En réalité, il s'agit d'un État fortement centralisé qui n'accorde aucun droit aux régions et surtout aux minorités nationales. Enfin, nous devons abandonner ce discours sur les civilisations différentes . Car l'humanité est confrontée à des problèmes immédiats, tels que le changement climatique, l'inégalité au niveau mondial, la faim. Et je crois que la Russie, en tant que grand pays, en tant que puissance nucléaire, doit enfin prendre sa part de responsabilité.
Source : Bloco de esquerda. 19 août 2024 – 17:01
https://www.esquerda.net/artigo/ha-uma-guerra-cultural-contra-propria-populacao-entrevista-ilya-budraitskis/91958
Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde.
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article71810
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A propos de la dernière livraison de Michel Goya qui porte sur l’incursion ukrainienne dans l’oblast de Koursk (1).

Michel Goya, s'appuyant sur le modèle tactique des Egyptiens en 1973 établissant une tête de pont sur le canal de Suez face à Israël, penche pour envisager cette opération comme relevant d'une "occupation territoriale limitée" créant une ligne de front à tenir. Limitée pour pouvoir être "défendable opérationnellement" en évitant d'être prise à revers, en particulier sur les flancs.
Août 2024
(1) https://lavoiedelepee.blogspot.com/2024/08/des-coups-et-des-douleurs.html
L'enjeu pour les Ukrainiens, selon lui, est surtout de ne pas trop s'aventurer vers le nord car, en lien avec le risque précité de s'exposer aux attaques russes, il leur faudrait mobiliser trop de troupes pour un gain stratégique trop faible :
"En stratégie comme dans beaucoup d'autres choses, il faut savoir où s'arrête ce qui suffit. Avancer par exemple jusqu'à Koursk, une cinquantaine de kilomètres au-delà de la ligne de contact actuelle, nécessiterait d'augmenter encore le nombre de brigades engagées afin de maintenir une densité minimale de force. Il ne faudrait pas se contenter en effet d'une flèche en direction de la capitale de la province, mais bien d'avoir une poche suffisamment large pour écarter les menaces d'attaque de flanc ou simplement les frappes sur un axe logistique unique. Il faudrait deux fois plus de brigades qu'actuellement déployées pour tenir cette zone, ce qui paraît difficile lorsqu'on combat déjà en flux tendus, pour finalement arriver devant une ville de plus de 400 000 habitants dont la saisie demanderait sans doute encore plus de forces et de temps. Tout cela nécessiterait également le déplacement en Russie de tout l'échelon d'appui d'artillerie et de défense sol-air avec les contraintes qui cela implique."
En clair "La plupart des gains stratégiques ont déjà été obtenus et contrôler 4 000 ou 6 000 km2 au lieu des 2 000 qui peuvent être espérés à court terme ne les multiplierait pas par deux ou trois."
Une opération militaire pour des gains stratégiques "d'abord" politiques
Michel Goya, pourtant spécialiste reconnu des questions proprement militaires, ne cède pas, pour autant, au mirage de mesurer l'action ukrainienne à Koursk prioritairement en termes militaires : "Les gains stratégiques, écrit-il, sont déjà considérables et d'abord politiques."
Elle prend en effet Poutine au piège de ne pas vouloir jouer à 100 % la carte d'une guerre, dont, significativement, il ne veut pas dire le nom, qui l'obligerait, vu la résistance des Ukrainiens, à une mobilisation générale de la population. Laquelle mobilisation générale serait grosse précisément de risques politiques vis-à-vis d'une population, celle des zones les plus urbaines et développées du pays (les "épargnés de la guerre" dit l'auteur), restant...l'arme au pied tant que ce ne sont que des populations parmi les plus pauvres qui payent le prix du sang d'une "opération spéciale" terriblement dévoreuse de chair à canon : "Vladimir Poutine a finalement montré qu'il avait finalement plus peur des réactions internes à une mobilisation guerrière que des Ukrainiens."
Cette phrase résume à merveille le poids du politique, en dynamique interne à la Russie, qui surdétermine, pour Michel Goya, la dynamique militaire de la guerre en Ukraine dont Poutine souhaite profondément qu'elle ne rencontre pas, pour s'articuler avec elle, ladite dynamique interne. Rencontre qui est l'un des objectifs parmi les plus prioritaires pour les Ukrainiens qui donne sa signification à l'incursion de Koursk. Incursion appelée donc à transmuter en stabilisation des gains territoriaux dont il faut rappeler qu'en ce 29 août, les 1300 km2 conquis, pour près de 100 localités prises, en 23 jours sont supérieurs aux km2 occupés dans le Donbass par les Russes...depuis le début de l'année.
Michel Goya insiste sur cet aspect politique de la relation sur le fil existant entre Poutine et sa population dans la fraction qu'il ne veut pas voir percutée par les conséquences de la guerre. Cette guerre dont, au demeurant tout montre qu'il peine à donner l'impression qu'elle est la grande épopée qu'il claironne et qui ne réjouit que ses fans à l'international au degré d'intelligence politique particulièrement bas pour cause d'imprégnation propagandiste bien trop avancée. A ce propos, on ne peut que constater que constater comment le flot d'envolées patriotiques que le Kremlin déverse pour justifier une guerre qui n'en est pas une fait flop pour créer un minimum d'exaltation dans le pays. La totale dépossession politique de la population par l'Etat dictatorial se paye, par-delà des effets de surface médiatiques, d'une scission entre celle-ci et ledit Etat contrecarrant toute velléité d'engagement populaire massif et consentant, pour y mourir, dans le front ukrainien. Pire pour défendre la patrie de l'intrusion "terroriste" du pays en cours à Koursk : "Comme le soulignait la sociologue Anna Colin-Lebedev, le contraste avec la réaction de la population ukrainienne aux attaques russes en Crimée et dans le Donbass en 2014-2015 est saisissant. On n'assiste pas par exemple à la formation spontanée de bataillons d'autodéfense à la frontière avec l'Ukraine, la faute à une longue stérilisation politique et un transfert complet et admis de l'emploi de la force aux services de l'État. "
C'est toute cette profonde dimension politique, que les pro-russes du monde ne souhaitent pas voir mis en évidence, qui est pour Michel Goya probablement "l'enseignement majeur de cette opération" de Koursk.
L'Ukraine a forcé la main de ses alliés contre les lignes rouges, le feu vert
L'autre aspect important de ce qu'a mis en oeuvre l'Ukraine à Koursk est le coup de force par lequel celle-ci a franchi ce qui est probablement et paradoxalement la seule vraie "ligne rouge" dans cette guerre. Paradoxalement parce qu'elle est celle dont les alliés font profiter les Russes aux dépens des Ukrainiens : à savoir l'interdiction de leur laisser le feu vert pour viser les sites sur sol russe où Poutine tient bien au chaud ses armes de destruction massive de l'Ukraine. Eh bien, c'est exactement cette ligne rouge qui a volé en éclat à Koursk, les Ukrainiens s'étant ouvertement affranchis pour l'occasion du veto de ces bien curieusement autolimitateurs alliés-limitateurs du potentiel de défense de l'agressé qu'ils soutiennent "pleinement", disent-ils !
"Cet emploi [d'armes et d'équipements alliés] n'a pas, comme c'était prévisible, provoqué la foudre russe sur le territoire des pays fournisseurs, et ceux-ci sont obligés de suivre. On n'imagine pas en effet de se ridiculiser en demandant le retour immédiat des véhicules Marder allemands ou Stryker américain, voire VAB français, sur le sol ukrainien ou d'interdire d'utiliser les lance-roquettes HIMARS ou les bombes AASM après leur démonstration d'efficacité contre les forces ennemies sur le sol russe. C'est une autre évolution considérable qui peut, en liaison avec la décision américaine de fournir également des missiles air-sol à longue portée, peut doper la campagne de frappes ukrainienne."
Michel Goya se permet, au passage, de faire ce rappel cinglant : "Au regard de cette impuissance russe de matamore, on ne peut au passage n'avoir que des regrets sur la faiblesse de notre attitude face à la Russie depuis des années et particulièrement juste avant la guerre en 2022. On ne parlait que de « dialogue » comme attitude possible face à la Russie dans nos documents, affublé parfois de « ferme », mais timidement parce qu'on avait supprimé tous les moyens qui permettaient de l'être. Nous avons cru la Russie forte et nous nous savions faibles, nous avons donc été lâches et longtemps encore après que la guerre a commencé. Pour paraphraser Péguy, nous avons expliqué que nous voulions conserver nos mains pures pour cacher que nous n'avions plus de mains.".
En conclusion de ces lignes de présentation de certains points forts de l'analyse de l'auteur, je renvoie, à l'analyse qui y est faite de l'atout que représentent les frappes en profondeur par drones par lesquelles les Ukrainiens profitent de l'incurie défensive des Russes. Lesquels, "nouvelle source d'étonnement", "n'ont toujours pas bétonné leurs bases aériennes et beaucoup d'autres objectifs sensibles sur leurs arrières."
On gagnera aussi à s'arrêter à la qualification de « guerre de corsaires » par laquelle les Ukrainiens "évitent autant que possible d'attaquer sur le front difficile du Donbass pour privilégier partout ailleurs les raids ou parfois les conquêtes terrestres et les frappes". A Koursk donc mais aussi ailleurs. Par où l'on peut déduire que cet évitement du frontal fixateur de moyens, au demeurant asymétriques, au profit d'opérations coups de poing ici et là participerait, autre paradoxe dans la série des paradoxes de cette guerre, de la volonté de créer les conditions militaro-diplomatiques pour que le politique, qui est au coeur de cette « guerre de corsaires » à la façon ukraino-kourskienne, pèse de tout son poids pour aider à neutraliser tout ou, au moins, partiellement de manière consistante, ce que les Russes auront conquis laborieusement et à grands frais de chair à canon, de destructions territoriales et de matériels dans le Donbass comme dans le reste des territoires occupés, Crimée comprise.
Il reste que, toujours selon notre analyste, cette « guerre de corsaires », si elle vise à créer du rapport de force militaire-diplomatique, qu'on comprend nécessaire à la stratégie actuelle de Zélensky de promouvoir à l'international un plan de paix, ne saurait se dispenser de créer les conditions d'un affaiblissement proprement militaire des Russes : "La guerre de corsaires à l'ukrainienne a de beaux jours devant elle, multipliant les coups afin d'user l'adversaire et de remonter le moral de tous à coups de communiqués de victoires. Pour autant, pour gagner vraiment une guerre il faut livrer des batailles et planter des drapeaux sur des villes et on attend les Ukrainiens surtout dans le Donbass." J'ajouterai qu'on attendra avec les Ukrainiens, dans le Donbass et plus, que l'effet Koursk parvienne à provoquer le déblocage nécessaire du côté des alliés pour qu'enfin ils se décident, au vu de la prouesse ukrainienne dans cet oblast russe, à donner les moyens de casser décisivement les meurtriers outils militaires russes dans la profondeur.
Antoine
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« Le Hezbollah et l’Iran sont face à un véritable défi »

« La véritable décision est à Téhéran » et « franchir un certain seuil dans la riposte c'est risquer un embrasement général, une véritable guerre non-seulement contre Israël mais aussi contre les États-Unis », estime Gilbert Achcar, professeur en relations internationales, sur France 24 le 4 août 2024.
18 août 2024 |tiré du site d'Inprecor
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En Cisjordanie, Israël continue de mépriser ouvertement le droit international

Ce 28 août à une heure du matin, Israël a lancé une opération militaire de très grande ampleur en Cisjordanie occupée, honteusement appelé « Camp d'été ». Une opération menée sous couverture aérienne complète, la police des frontières et les forces spéciales. Avec de plus en plus d'arrogance, Israël franchit toutes les lignes rouges les unes après les autres sans la moindre réaction de ses alliés
Tiré du blogue de l'auteur.
Alors qu'Israël poursuit implacablement le génocide à Gaza depuis bientôt 11 mois, ce 28 août à une heure du matin, Israël a lancé une opération militaire de très grande ampleur en Cisjordanie occupée, honteusement appelé « Camp d'été ». Une opération menée sous couverture aérienne complète, qui implique le Shin Beit (service de sécurité intérieure israélien), la police des frontières et les forces spéciales. Selon les médias israéliens, cette nouvelle « campagne d'éradication » devrait mobiliser des milliers de soldats et durer plusieurs jours. Elle est d'une ampleur inégalée depuis la répression de la seconde Intifada de 2000 à 2004.
Cette offensive est lancée alors que le 19 juillet, la Cour internationale de justice a statué que l'occupation par Israël du territoire palestinien est illégale et qu'elle doit cesser le plus rapidement possible. Depuis le 19 juillet, aucun des alliés et soutiens inconditionnels d'Israël (dont la France et l'Union européenne) n'a manifesté la moindre intention de mettre fin à l'impunité d'Israël et de le contraindre de mettre fin à cette occupation illégale. Le message a été reçu cinq sur cinq par Israël : un feu vert pour aller au-delà de l'occupation et concrétiser l'annexion de facto de la Cisjordanie.
Les chefs militaires israéliens ont informé les Palestiniens que « les portes de l'enfer étaient ouvertes ». Le ministre israélien des Affaires étrangères a déclaré qu'il s'agissait d'une guerre totale, et qu'Israël doit faire en Cisjordanie ce qu'il fait à Gaza : transférer temporairement la population des lieux ciblés. Les Palestiniens savent depuis 76 ans ce que veut dire un déplacement prétendument temporaire : il s'agit d'un nettoyage ethnique sans retour possible.
En quelques heures, cinq gouvernorats (dont ceux de Naplouse, Jénine, Tubas et Tulkarem) et la moitié de la Cisjordanie étaient sous le coup de l'invasion militaire : au moins douze Palestiniens avaient été assassinés (dix-sept 24 heures après), victimes de bombardements aériens sur leurs maisons ou véhicules, ou de tireurs d'élite.
Cibles prioritaires : les camps de réfugiés où la résistance à l'occupation est particulièrement active. En quelques heures ce sont les camps de Balata et New Askar à Naplouse mais surtout de Jénine, de Nour Shams à Tulkarem et de Al-Far'a à Tubas qui ont subi les attaques les plus violentes avec des assassinats ciblés, la destruction des infrastructures des camps, arrestation et interrogatoires de masse, fouilles des maisons, blocage des hôpitaux et des centres de soins, détention des personnels médicaux, rupture des communications du Croissant rouge, appel aux habitants à quitter leurs maisons.
Il est clair que dans l'esprit du gouvernement israélien, le génocide en cours depuis le 7 octobre à Gaza ne se limitera pas à la bande de Gaza. Israël ne fait pas la guerre au Hamas, il fait la guerre à tout le peuple palestinien. Il est clair qu'il s'agit ici du prélude à une opération beaucoup plus vaste dont l'objectif est l'annexion définitive de la Cisjordanie.
En s'en prenant prioritairement aux foyers de résistance que sont les camps de réfugiés, c'est une tentative de soumission de la Cisjordanie que vise Israël. C'est mal connaître la détermination du peuple palestinien qui n'aura de cesse de faire valoir son droit à l'autodétermination.
Rappelons que la Cisjordanie est un territoire occupé et qu'Israël, puissance occupante, en vertu de la quatrième convention de Genève doit assurer la sécurité de la population qu'elle occupe. Au lieu de cela, elle y impose un régime d'apartheid, y opère un nettoyage ethnique constant, des destructions massives et colonise toujours plus de terres. Rappelons également que la population palestinienne, vivant sous occupation militaire, a le droit de résister à cette occupation comme elle l'entend, dans le cadre du droit international.
Avec de plus en plus d'arrogance, Israël franchit toutes les lignes rouges les unes après les autres sans la moindre réaction de ses alliés. Les pays occidentaux portent une énorme responsabilité : par leur silence et leur inaction, par leur refus de sanctionner Israël, ils se rendent de fait complices des crimes de guerre israéliens, des crimes contre l'humanité, et de non prévention de génocide, ainsi que de l'occupation illégale de la Palestine. Il faut d'urgence contraindre cet État au respect du droit et apporter protection au peuple palestinien.
Le Bureau National de l'AFPS, le 29 août 2024
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Entre famine et épidémies, comment Israël accentue la crise humanitaire à Gaza

Au bout de dix mois d'une opération militaire et de frappes sur Gaza, l'ONU a dû suspendre pour la première fois ses activités, lundi 26 août, devant les ordres d'évacuation systématique émis par les forces israéliennes. Face aux cas de malnutrition, de famine et d'épidémies qui explosent, un cessez-le-feu immédiat est impératif.
Proposé par André Cloutier
Par Vadim Kamenka <https://www.humanite.fr/auteur/vadi...> , L'Humanité, France, le 27août 2024
www.humanite.fr/monde/aide-humanitaire/entre-famine-et-epidemies-comment-israel-accentue-la-crise-humanitaire-a-gaza <http://www.humanite.fr/monde/aide-h...>
Après dix mois de frappes israéliennes et d'opération militaire, les habitants de la bande de Gaza ont assisté à une suspension des opérations humanitaires de l'ONU, lundi soir. C'est la première fois depuis le 7 octobre que les Nations unies doivent s'y résoudre. Leur poste à Deir el-Balah, dans le centre du territoire, a été décrété « zone dangereuse de combats » par les forces israéliennes, entraînant l'évacuation de l'ensemble de leur personnel, des travailleurs humanitaires et des ONG.
« Cette décision remet en cause tout un centre humanitaire qui avait été mis en place à Deir el-Balah à la suite de l'évacuation de Rafah (sud) en mai dernier, et elle a un impact considérable sur notre capacité à fournir un soutien et des services essentiels », a déploré l'Ocha (bureau des affaires humanitaires de l'ONU).
*95 % de la population en insécurité alimentaire*
Près de 250 000 personnes sur les presque un million que compte actuellement la cité ont déjà fui vers l'ouest. Selon l'ONU, les 1,9 million de déplacés internes sur les 2,4 millions de Gazaouis tentent de se réfugier dans les 11 % du territoire échappant à toute évacuation forcée. Seize ordres israéliens ont déjà été lancés depuis le début du mois d'août.
Seules les équipes de l'Unrwa ( l'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens ), qui sont déjà présentes dans les campements, peuvent encore aider un peu les civils. Mais cette aide représente « une demi-goutte d'eau dans l'océan », a dénoncé Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général de l'ONU, face au désastre humanitaire et sanitaire. 95 % de la population est en insécurité alimentaire aiguë. 70 % des infrastructures ont été détruites. Plus de 40 000 Palestiniens ont été tués, dont la majorité sont des femmes et des mineurs.
*Le risque d'une épidémie de polio*
Le seul moyen de répondre de manière globale aux besoins humanitaires et de protection est d'instaurer un cessez-le-feu immédiat et durable. D'autres problèmes sanitaires sont également soulevés par Handicap International. L'ONG alerte sur le risque d'épidémie de polio dans l'enclave palestinienne, qui ne dispose plus que de 1 400 lits d'hôpital pour 2,1 millions de personnes. Si l'infection vise principalement les enfants de moins de 5 ans, elle touche toute personne non vaccinée.
L'organisation pointe dans la réapparition de la poliomyélite « le résultat de la paralysie du secteur de la santé, de la destruction systématique par Israël des infrastructures d'approvisionnement en eau et d'assainissement, aggravée par les restrictions imposées aux réparations et à l'accès aux approvisionnements ».
Pour les enfants, le stress de cette épidémie, qui s'ajoute à tout ce qu'ils ont déjà vécu, ne manquera pas d'exacerber les troubles mentaux existants, note également Handicap. De leur côté, l'OMS et l'Unicef réclament une pause humanitaire afin de permettre la tenue de deux séries de campagnes de vaccination pour 640 000 enfants de moins de 10 ans.
À ces atrocités s'ajoute une enquête publiée ce mardi par Amnesty International, qui révèle deux nouveaux crimes de guerre commis par les forces israéliennes en mai sur Rafah. Une première frappe a visé, le 26 mai, le « camp de la paix koweïtien » pour personnes déplacées à Tal al-Sultan, dans l'ouest de la ville, faisant au moins 36 morts et des centaines de blessés, principalement des civils. Une autre, le 28 mai, dans le quartier d'Al-Mawasi, pourtant désigné par Tel-Aviv comme faisant partie de la « zone humanitaire », a tué 23 civils, dont 12 enfants, sept femmes et quatre hommes.
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En tant qu’ancien soldat de l’armée israélienne et historien du génocide, j’ai été profondément troublé par ma récente visite en Israël

Cet été, des étudiants d'extrême droite ont protesté contre l'une de mes conférences. Leur rhétorique rappelait certains des moments les plus sombres de l'histoire du XXe siècle et recoupait de manière choquante les opinions de la majorité israélienne.
Tiré du quotidien The Guardian (en anglais). Traduction française par l'Association France Palestine Solidarité. Photo : © UNICEF/UNI580047/El Baba
Le 19 juin 2024, je devais donner une conférence à l'Université Ben-Gourion du Néguev (BGU) à Be'er Sheva, en Israël. Ma conférence faisait partie d'un événement sur les manifestations universitaires mondiales contre Israël, et j'avais prévu d'aborder la guerre à Gaza et, plus généralement, la question de savoir si les manifestations étaient des expressions sincères d'indignation ou si elles étaient motivées par l'antisémitisme, comme certains l'ont prétendu. Mais les choses ne se sont pas déroulées comme prévu.
Lorsque je suis arrivé à l'entrée de l'amphithéâtre, j'ai vu un groupe d'étudiants se rassembler. Il s'est rapidement avéré qu'ils n'étaient pas là pour assister à l'événement, mais pour protester contre celui-ci. Les étudiants avaient été convoqués, semble-t-il, par un message WhatsApp diffusé la veille, qui signalait la conférence et appelait à l'action : "Nous ne le permettrons pas ! Jusqu'à quand allons-nous nous trahir nous-mêmes ?!?!?!?!!"Le message poursuivait en alléguant que j'avais signé une pétition décrivant Israël comme un "régime d'apartheid" (en fait, la pétition faisait référence à un régime d'apartheid en Cisjordanie). J'étais aussi "accusé" d'avoir écrit un article pour le New York Times, en novembre 2023, dans lequel je déclarais que, bien que les déclarations des dirigeants israéliens suggéraient une intention génocidaire, il était encore temps d'empêcher Israël de perpétrer un génocide. Sur ce point, j'étais coupable.
L'organisateur de l'événement, l'éminent géographe Oren Yiftachel, était critiqué de la même maniéré. Parmi ses crimes, avoir été directeur de l'organisation "antisioniste" B'Tselem, une ONG de défense des droits de l'homme respectée dans le monde entier.Alors que les participants à la table ronde et une poignée de professeurs, pour la plupart âgés, pénétraient dans la salle, les agents de sécurité empêchèrent les étudiants protestataires d'entrer. Mais ils ne les ont pas empêchés de garder la porte de l'amphithéâtre ouverte, de lancer des slogans dans un porte-voix et de frapper de toutes leurs forces sur les murs.
Après plus d'une heure de perturbations, nous avons convenu que la meilleure solution serait peut-être de demander aux étudiants protestataires de se joindre à nous pour une conversation, à condition qu'ils cessent de perturber la conférence. Un bon nombre de ces militants ont fini par entrer et, pendant les deux heures qui ont suivi, nous nous sommes assis et avons discuté. Il s'est avéré que la plupart de ces jeunes hommes et femmes venaient de rentrer du service de réserve, au cours duquel ils avaient été déployés dans la bande de Gaza.Cela n'a pas été un échange de vues amical ou "positif", mais il était révélateur. Ces étudiants n'étaient pas nécessairement représentatifs du corps étudiant en Israël dans son ensemble.
C'étaient des militaient d'organisations d'extrême droite. Mais a bien des égards, ce qu'ils disaient reflétait un sentiment beaucoup plus répandu dans le pays.
Je ne m'étais pas rendu en Israël depuis juin 2023, et lors de cette récente visite, j'ai trouvé un pays différent de celui que j'avais connu. Bien que j'aie travaillé à l'étranger pendant de nombreuses années, c'est en Israël que je suis né et que j'ai grandi. C'est là que mes parents ont vécu et sont enterrés ; c'est là que mon fils a fondé sa propre famille et que vivent la plupart de mes amis les plus anciens et les meilleurs. Connaissant le pays de l'intérieur et ayant suivi les événements encore plus attentivement que d'habitude depuis le 7 octobre, je n'ai pas été entièrement surpris par ce que j'ai rencontré à mon retour, mais c'était tout de même profondément troublant.
Pour réfléchir sur ces questions, je ne peux que m'appuyer sur mon parcours personnel et professionnel. J'ai servi dans les forces de défense israéliennes (FDI) pendant quatre ans, y compris lors de la guerre du Kippour de 1973 et d'affectations en Cisjordanie, dans le nord du Sinaï et à Gaza, et j'ai terminé mon service en tant que commandant de compagnie d'infanterie. Pendant mon séjour à Gaza, j'ai vu de mes yeux la pauvreté et le désespoir des réfugiés palestiniens essayant de survivre dans des quartiers encombrés et décrépits. Je me souviens comme si c'était hier avoir patrouillé dans les rues silencieuses et sans ombre de la ville égyptienne d'Arīsh - qui était alors occupée par Israël -, transpercé par les regards de la population craintive et rancunière qui nous observait depuis leurs fenêtres fermées. Pour la première fois, j'ai compris ce que signifiait occuper un autre peuple.
Le service militaire est obligatoire pour les Israéliens juifs à partir de 18 ans - bien qu'il y ait quelques exceptions - mais, ensuite, vous pouvez encore être appelé à servir à nouveau dans les FDI, pour des tâches d'entraînement ou opérationnelles, ou en cas d'urgence comme une guerre. Lorsque j'ai été appelé en 1976, j'étais étudiant à l'université de Tel Aviv. Lors de ce premier déploiement en tant qu'officier de réserve, j'ai été gravement blessé dans un accident d'entraînement, ainsi qu'une vingtaine de mes soldats. Les FDI ont dissimulé les circonstances de cet événement, causé par la négligence du commandant de la base d'entraînement. J'ai passé la majeure partie de ce premier semestre à l'hôpital de Be'er Sheva, mais j'ai repris mes études et obtenu mon diplôme en 1979 avec une spécialisation en histoire.
Ces expériences personnelles m'ont amené à m'intéresser d'autant plus à une question qui me préoccupait depuis longtemps : qu'est-ce qui motive les soldats à se battre ? Dans les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, de nombreux sociologues américains ont soutenu que les soldats se battaient avant tout les uns pour les autres, plutôt que pour un objectif idéologique plus important. Mais cela ne correspondait pas tout à fait à ce que j'avais vécu en tant que soldat : nous étions convaincus que nous étions là pour une cause plus vaste qui dépassait notre propre groupe de copains. A l'époque où j'ai obtenu mon diplôme de premier cycle, j'ai également commencé à me demander si, au nom de cette cause, les soldats pouvaient être amenés à agir d'une manière qu'autrement ils jugeraient répréhensible.
Considérant le cas le plus extrême, j'ai écrit ma thèse de doctorat à Oxford, publiée plus tard sous forme de livre, sur l'endoctrinement nazi de l'armée allemande et les crimes qu'elle a perpétrés sur le front de l'Est au cours de la Seconde Guerre mondiale. Ce que j'ai découvert allait à l'encontre de la manière dont les Allemands des années 1980 comprenaient leur passé. Ils préféraient penser que l'armée avait mené une guerre "décente", même si la Gestapo et les SS avaient perpétré un génocide "dans son dos". Il a fallu de nombreuses années aux Allemands pour réaliser à quel point leurs propres pères et grands-pères avaient été complices de l'Holocauste et du massacre de nombreux autres groupes en Europe de l'Est et en Union soviétique.
Lorsque la première intifada palestinienne, ou soulèvement, a éclaté à la fin de 1987, j'enseignais à l'université de Tel-Aviv. J'ai été consterné par les instructions données par Yitzhak Rabin, alors ministre de la défense, aux FDI de "casser les bras et les jambes" des jeunes Palestiniens qui lançaient des pierres sur des troupes lourdement armées. Je lui ai écrit une lettre pour l'avertir que, sur la base de mes recherches sur l'endoctrinement des forces armées de l'Allemagne nazie, je craignais que, sous sa direction, les FDI ne s'engagent sur une voie également glissante.
Comme mes recherches l'avaient montré, avant même leur conscription, les jeunes Allemands avaient intériorisé des éléments fondamentaux de l'idéologie nazie, en particulier l'idée que les masses slaves sous-humaines, dirigées par d'insidieux Juifs bolcheviques, menaçaient l'Allemagne et le reste du monde civilisé de destruction, et que l'Allemagne avait donc le droit et le devoir de se créer un "espace vital" à l'est et de décimer ou de réduire en esclavage la population de cette région. Cette vision du monde a ensuite été inculquée aux troupes, de sorte qu'au moment de marcher sur l'Union soviétique, elles perçoivent leurs ennemis à travers ce prisme. La résistance acharnée de l'Armée rouge n'a fait que confirmer la nécessité de détruire totalement les soldats aussi bien que les civils soviétiques, et plus particulièrement les Juifs, considérés comme les principaux instigateurs du bolchevisme. Plus elles détruisaient, plus les troupes allemandes craignaient la vengeance à laquelle elles pouvaient s'attendre si leurs ennemis l'emportaient. Le résultat fut le massacre de près de 30 millions de soldats et de citoyens soviétiques.
À mon grand étonnement, quelques jours après lui avoir écrit, j'ai reçu une réponse d'une ligne de Rabin, me reprochant d'avoir osé comparer les FDI à l'armée allemande. Cela m'a donné l'occasion de lui écrire une lettre plus détaillée, expliquant mes recherches et mon inquiétude quant à l'utilisation des FDI comme outil d'oppression contre des civils occupés non armés. Rabin a répondu une nouvelle fois, avec la même déclaration : "Comment osez-vous comparer les FDI à la Werhrmacht ? Mais rétrospectivement, je crois que cet échange a révélé quelque chose sur son parcours intellectuel ultérieur. En effet, comme nous le savons par son engagement ultérieur dans le processus de paix d'Oslo, aussi imparfait soit-il, il a fini par reconnaître qu'à long terme Israël ne pouvait pas supporter le prix militaire, politique et moral de l'occupation.
Depuis 1989, j'enseigne aux États-Unis. J'ai beaucoup écrit sur la guerre, le génocide, le nazisme, l'antisémitisme et l'Holocauste, cherchant à comprendre les liens entre le massacre industriel des soldats pendant la Première Guerre mondiale et l'extermination des populations civiles par le régime hitlérien. Entre autres projets, j'ai passé de nombreuses années à étudier la transformation de la ville natale de ma mère - Buchach en Pologne (aujourd'hui en Ukraine) - d'une communauté de coexistence interethnique en une communauté où, sous l'occupation nazie, les Gentils se sont retournée contre leurs voisins Juifs. Si les Allemands sont entrés dans la ville dans le but exprès d'assassiner ses Juifs, la rapidité et l'efficacité du massacre ont été grandement facilitées par la collaboration locale. Ces habitants étaient motivés par des ressentiments et des haines préexistants qui peuvent être attribués à la montée de l'ethno nationalisme au cours des décennies précédentes et à l'idée très répandue selon laquelle les Juifs n'appartenaient pas aux nouveaux États nations créés après la première guerre mondiale.
Dans les mois qui ont suivi le 7 octobre, ce que j'ai appris au cours de ma vie et de ma carrière est devenu plus douloureusement pertinent que jamais. Comme beaucoup d'autres, j'ai trouvé ces derniers mois émotionnellement et intellectuellement éprouvants. Comme beaucoup d'autres, des membres de ma propre famille et de celle de mes amis ont également été directement touchés par la violence. Le chagrin ne manque pas, quel que soit l'endroit où l'on se trouve.
L'attaque du Hamas du 7 octobre a été un choc terrible pour la société israélienne, dont elle n'a pas encore commencé à se remettre. C'était la première fois qu'Israël perdait le contrôle d'une partie de son territoire pendant une période prolongée, avec les FDI incapables d'empêcher le massacre de plus de 1 200 personnes - dont beaucoup ont été tuées de la manière la plus cruelle que l'on puisse imaginer - et la prise de bien plus de 200 otages, parmi lesquels de nombreux enfants. Le sentiment d'abandon par l'État et d'insécurité permanente - avec des dizaines de milliers de citoyens israéliens toujours déplacés de leurs maisons le long de la bande de Gaza et de la frontière libanaise - est profond.
Aujourd'hui, dans une grande partie de l'opinion publique israélienne, y compris chez les opposants au gouvernement, deux sentiments dominent.
Le premier est un mélange de rage et de peur, un désir de rétablir la sécurité à tout prix et une méfiance totale à l'égard des solutions politiques, des négociations et de la réconciliation. Le théoricien militaire Carl von Clausewitz notait que la guerre était le prolongement de la politique par d'autres moyens, et avertissait que sans objectif politique défini, elle conduirait à une destruction sans limite. Le sentiment qui prévaut actuellement en Israël menace également de faire de la guerre sa propre fin. Dans cette optique, la politique est un obstacle à la réalisation des objectifs plutôt qu'un moyen de limiter la destruction. C'est une vision qui ne peut que conduire à l'auto-anéantissement.
Le deuxième sentiment dominant - ou plutôt l'absence de sentiment - est le revers du premier. Il s'agit de l'incapacité totale de la société israélienne aujourd'hui à ressentir une quelconque empathie pour la population de Gaza. La majorité, semble-t-il, ne veut même pas savoir ce qui se passe à Gaza, et ce désir se reflète dans la couverture télévisée. Ces jours-ci, les informations télévisées israéliennes commencent généralement par des reportages sur les funérailles des soldats, invariablement décrits comme des héros, tombés dans les combats à Gaza, suivis par des estimations du nombre de combattants du Hamas qui ont été "liquidés". Les références aux morts de civils palestiniens sont rares et normalement présentées comme faisant partie de la propagande ennemie ou comme une cause de pression internationale malvenue. Face à tant de morts, ce silence assourdissant apparaît aujourd'hui comme une forme de vengeance.
Bien sûr, le public israélien s'est habitué depuis longtemps à l'occupation brutale qui a caractérisé le pays pendant 57 des 76 années de son existence. Mais l'ampleur des actes perpétrés actuellement à Gaza par les FDI est sans précédent, tout comme l'indifférence totale de la plupart des Israéliens à l'égard de ce qui est fait en leur nom. En 1982, des centaines de milliers d'Israéliens ont protesté contre le massacre de la population palestinienne dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila, à l'ouest de Beyrouth, par les milices chrétiennes maronites, avec l'aide des FDI. Aujourd'hui, une telle réaction est inconcevable. La façon dont le regard des gens devient vitreux dès que l'on évoque les souffrances des civils palestiniens et la mort de milliers d'enfants, de femmes et de personnes âgées est profondément troublante.
En rencontrant mes amis en Israël cette fois-ci, j'ai souvent eu l'impression qu'ils avaient peur que je perturbe leur chagrin et que, n'habitant pas le pays, je ne pouvais pas comprendre leur douleur, leur anxiété, leur perplexité et leur impuissance. Toute suggestion selon laquelle le fait de vivre dans le pays les avait anesthésiés face à la douleur des autres - douleur qui, après tout, était infligée en leur nom - n'entraînait qu'un mur de silence, un repli sur soi ou un changement rapide de sujet. L'impression que j'ai eue était constante : nous n'avons pas de place dans nos cœurs, nous n'avons pas de place dans nos pensées, nous ne voulons pas parler de ce que nos propres soldats, nos enfants ou petits-enfants, nos frères et sœurs, font en ce moment même à Gaza, ni qu'on nous le montre. Nous devons nous concentrer sur nous-mêmes, sur nos traumatismes, nos peurs et nos colères.
Dans une interview réalisée le 7 mars 2024, l'écrivain, agriculteur et scientifique Zeev Smilansky a exprimé ce sentiment d'une manière que j'ai trouvée choquante, précisément parce qu'elle venait de lui. Je connais Smilansky depuis plus d'un demi-siècle, et il est le fils du célèbre auteur israélien S Yizhar, dont la nouvelle Khirbet Khizeh de 1949 a été le tout premier texte de la littérature israélienne à affronter l'injustice de la Nakba, l'expulsion de 750 000 Palestiniens de ce qui est devenu l'État d'Israël en 1948. Parlant de son propre fils, Offer, qui vit à Bruxelles, Smilansky a commenté :
« Offer dit que pour lui, chaque enfant est un enfant, qu'il soit à Gaza ou ici. Je ne pense pas comme lui. Nos enfants ici sont plus importants pour moi. Il y a une catastrophe humanitaire choquante là-bas, je le comprends, mais mon cœur est bloqué et rempli de nos enfants et de nos otages... Il n'y a pas de place dans mon cœur pour les enfants de Gaza, si choquant et terrifiant que ce soit et bien que je sache que la guerre n'est pas la solution.
J'écoute Maoz Inon, qui a perdu ses deux parents [assassinés par le Hamas le 7 octobre] ... et qui parle avec tant de beauté et de persuasion de la nécessité de regarder vers l'avenir, d'apporter de l'espoir et de vouloir la paix, parce que les guerres ne mèneront à rien, et je suis d'accord avec lui. Je suis d'accord avec lui, mais je ne peux pas trouver la force dans mon cœur, malgré tous mes penchants de gauche et mon amour pour l'humanité, je ne peux pas... Ce n'est pas seulement le Hamas, ce sont tous les habitants de Gaza qui sont d'accord pour tuer des enfants juifs, pour dire que c'est une bonne cause... Avec l'Allemagne, il y a eu une réconciliation, mais ils se sont excusés et ont payé des réparations, et que va-t-il se passer ici ? Nous aussi, nous avons fait des choses terribles, mais rien de comparable à ce qui s'est passé ici le 7 octobre. Il sera nécessaire de se réconcilier, mais nous avons besoin d'une certaine distance. »
C'était un sentiment omniprésent chez de nombreux amis et connaissances libéraux et de gauche avec lesquels j'ai parlé en Israël. Il était, bien sûr, très différent de ce que les politiciens de droite et les figures médiatiques ont dit depuis le 7 octobre. Beaucoup de mes amis reconnaissent l'injustice de l'occupation et, comme l'a dit Smilansky, professent un "amour pour l'humanité". Mais en ce moment, dans ces circonstances, ce n'est pas sur cela qu'ils sont concentrés. Au contraire, ils estiment que dans la lutte entre la justice et l'existence, c'est l'existence qui doit l'emporter, et dans la lutte entre une cause juste et une autre - celle des Israéliens et celle des Palestiniens - c'est notre propre cause qui doit triompher, quel qu'en soit le prix. À ceux qui doutent de ce choix extrême, l'Holocauste est présenté comme l'alternative, bien qu'il soit totalement sans rapport avec le moment présent.
Ce sentiment n'est pas apparu soudainement le 7 octobre. Ses racines sont bien plus profondes.
Le 30 avril 1956, Moshe Dayan, alors chef d'état-major des FDI, prononçait un bref discours qui devait devenir l'un des plus célèbres de l'histoire d'Israël. Il s'adressait aux amis du défunt lors des funérailles de Ro'i Rothberg, un jeune agent de sécurité du tout nouveau kibboutz Nahal Oz, créé par les FDI en 1951 et devenu une communauté civile deux ans plus tard. Le kibboutz était situé à quelques centaines de mètres de la frontière avec la bande de Gaza, face au quartier palestinien de Shuja'iyya.
Rothberg avait été tué la veille et son corps avait été traîné de l'autre côté de la frontière et mutilé, avant d'être rendu aux Israéliens avec l'aide des Nations unies. Le discours de Dayan est devenu une déclaration emblématique, utilisée à la fois par la droite et la gauche politiques jusqu'à ce jour :
« Hier matin, Ro'i a été assassiné. Ebloui par le calme du matin, il n'a pas vu ceux qui l'attendaient en embuscade au bord du sillon. Ne jetons pas aujourd'hui l'opprobre sur les assassins. Pourquoi leur reprocher la haine brûlante qu'ils nous vouent ? Depuis huit ans, ils vivent dans les camps de réfugiés de Gaza, alors que sous leurs yeux, nous avons transformé en notre propriété la terre et les villages dans lesquels eux et leurs ancêtres avaient vécu.
Nous ne devrions pas rechercher le sang de Ro'i sur les arabes de Gaza, mais sur nous-mêmes. Comment avons-nous pu fermer les yeux et n'avoir pas franchement affronté notre destin, pas affronté la mission de notre génération dans toute sa cruauté ? Avons-nous oublié que ce groupe de garçons, qui vit à Nahal Oz, porte sur ses épaules les lourdes portes de Gaza, de l'autre côté desquelles se pressent des centaines de milliers d'yeux et de mains qui prient pour un moment de faiblesse de notre part, afin de pouvoir nous mettre en pièces - l'avons-nous oublié ?
Nous sommes la génération de la colonisation ; sans un casque d'acier et la bouche du canon, nous ne pourrons pas planter un arbre ni construire une maison. Nos enfants n'auront pas de vie si nous ne creusons pas des abris, et sans fils barbelés et mitrailleuses, nous ne pourrons pas paver des routes et creuser des puits. Des millions de Juifs qui ont été exterminés parce qu'ils n'avaient pas de terre nous regardent depuis les cendres de l'histoire d'Israël et nous ordonnent de nous installer et de ressusciter une terre pour notre peuple. Mais au-delà du sillon frontalier se lèvent un océan de haine et un ardent désir de vengeance, attendant le moment où le calme émoussera notre réactivité, le jour où nous écouterons les ambassadeurs de l'hypocrisie conspiratrice, qui nous appellent à déposer les armes...
Ne refusons pas de voir la haine qui accompagne et remplit la vie de centaines de milliers d'Arabes qui vivent autour de nous et attendent le moment où ils pourront atteindre notre sang. Ne détournons pas les yeux de peur que nos mains ne s'affaiblissent. Tel est le destin de notre génération. C'est le choix de notre vie : être prêts, armés, forts, et durs. Car si l'épée tombe de notre poing, nos vies seront fauchées. »
Le lendemain, Dayan enregistra son discours pour la radio israélienne. Mais quelque chose manquait. Disparue la référence aux réfugiés qui regardent les Juifs cultiver les terres dont ils ont été expulsés et qui ne devraient pas être blâmés pour leur haine envers leurs dépossesseurs. Bien qu'il ait prononcé ces lignes lors des funérailles et qu'il les ait ensuite écrites, Dayan a choisi de les omettre dans la version enregistrée. Lui aussi avait connu cette terre avant 1948. Il se souvenait des villages et des villes palestiniens qui avaient été détruits pour faire place aux colons juifs. Il comprenait parfaitement la rage des réfugiés de l'autre côté de la barrière. Mais il croyait aussi fermement au droit et à la nécessité urgente d'une implantation juive et de la création d'un État. Dans la lutte entre s'occuper de l'injustice et s'approprier la terre, il a choisi son camp, sachant que cela condamnait son peuple à dépendre à jamais du fusil. Dayan savait également ce que l'opinion publique israélienne pouvait accepter. C'était en raison de son ambivalence quant à la culpabilité et à la responsabilité concernant l'injustice et la violence, et de sa vision déterministe et tragique de l'histoire, que les deux versions de son discours ont fini par plaire à des orientations politiques très différentes.
Des décennies plus tard, après de nombreuses autres guerres et des rivières de sang, Dayan intitula son dernier livre « Shall the Sword Devour Forever ? » (L'épée dévorera-t-elle à jamais ?) Publié en 1981, ce livre détaillait son rôle dans la conclusion d'un accord de paix avec l'Égypte deux ans plus tôt. Il avait enfin compris la vérité de la deuxième partie du verset biblique dont il a tiré le titre de son livre : " Ne sais-tu pas qu'il y aura de l'amertume à la fin des fins ?".
Mais dans son discours de 1956, avec ses références au port des lourdes portes de Gaza et aux Palestiniens qui attendent un moment de faiblesse, Dayan faisait allusion à l'histoire biblique de Samson. Comme ses auditeurs s'en souviendraient sans doute, Samson l'Israélite, dont la force surhumaine provenait de ses longs cheveux, avait l'habitude de rendre visite à des prostituées à Gaza. Les Philistins, qui le considéraient comme leur ennemi mortel, espéraient lui tendre une embuscade contre les portes verrouillées de la ville. Mais Samson souleva simplement les portes sur ses épaules et partit libre. Ce n'est que lorsque sa maîtresse Dalila le trompa et lui coupa les cheveux que les Philistins purent le capturer et l'emprisonner, le rendant encore plus impuissant en lui crevant les yeux (comme l'auraient fait les Gazaouis qui ont mutilé Ro'i). Mais dans un dernier acte de bravoure, alors que ses geôliers se moquent de lui, Samson appelle Dieu à l'aide, saisit les piliers du temple vers lequel on l'avait conduit, et le fait s'effondrer sur la foule joyeuse qui l'entoure en criant : "Que je meure avec les Philistins !".
Ces portes de Gaza sont profondément ancrées dans l'imaginaire sioniste israélien, un symbole du fossé qui nous sépare, nous et les "barbares". Dans le cas de Ro'i, Dayan affirmait "l'aspiration à la paix lui a bouché les oreilles et il n'a pas entendu la voix du meurtre qui attendait en embuscade. Les portes de Gaza ont pesé trop lourd sur ses épaules et l'ont fait tomber".
Le 8 octobre 2023, le président Isaac Herzog s'est adressé au public israélien en citant la dernière ligne du discours de Dayan : "C'est le destin de notre génération. C'est le choix de notre vie : être prêts, armés, forts et durs. Car si l'épée tombe de notre poing, nos vies seront fauchées". La veille, 67 ans après la mort de Ro'i, des militants du Hamas avaient assassiné 15 résidents du kibboutz Nahal Oz et pris huit otages. Depuis l'invasion israélienne de Gaza en représailles, le quartier palestinien de Shuja'iyya, qui fait face au kibboutz, et où vivaient 100 000 personnes, a été vidé de sa population et transformé en un vaste tas de décombres.
L'une des rares tentatives littéraires d'exposer la logique sinistre des guerres d'Israël est l'extraordinaire poème de 1971 d'Anadad Eldan, Samson déchirant ses vêtements, dans lequel cet ancien héros hébreu entre et sort de Gaza avec fracas, ne laissant que désolation sur ses traces. J'ai découvert ce poème grâce à l'excellent essai en hébreu d'Arie Dubnov, « The Gates of Gaza » (Les portes de Gaza ), publié en janvier 2024. Samson, le héros, le prophète, le vainqueur de l'ennemi éternel de la nation, est transformé en son ange de la mort, une mort que, comme on s'en souvient, il finit par s'infliger à lui-même dans une action suicidaire grandiose qui a résonné à travers les générations jusqu'à aujourd'hui.
« Lorsque je me suis rendu
à Gaza, j'ai rencontré
Samson qui sortait en déchirant ses vêtements
sur son visage égratigné coulaient des rivières
et les maisons s'inclinaient pour le laisser
passer
ses douleurs déracinaient les arbres et se prenaient dans les
enchevêtrement
des racines. Dans les racines se trouvaient des mèches de ses
cheveux.
Sa tête brillait comme un crâne de pierre
et ses pas hésitants faisaient monter mes larmes.
Samson marchait en traînant un soleil fatigué
les vitres brisées et les chaînes dans la mer de Gaza
se sont noyées. J'ai entendu comment
la terre gémissait sous ses pas,
comment il l'a étripée. Les chaussures
de Samson crissaient quand il marchait. »
Né en Pologne en 1924 sous le nom d'Avraham Bleiberg, Eldan est arrivé enfant en Palestine, a participé à la guerre de 1948 et s'est installé en 1960 dans le kibboutz Be'eri, à environ 4 km de la bande de Gaza. Le 7 octobre 2023, Eldan, âgé de 99 ans, et sa femme ont survécu au massacre d'une centaine d'habitants du kibboutz, lorsque les activistes qui sont entrés dans leur maison les ont inexplicablement épargnés.
Après le 7 octobre, dans le sillage de la survie miraculeuse de cet obscur poète, une autre de ses œuvres a été largement diffusée sur les médias israéliens. Car il semblait qu'Eldan, chroniqueur de longue date du chagrin et de la douleur engendrés par l'oppression et l'injustice, avait prédit la catastrophe qui s'est abattue sur sa maison. En 2016, il avait publié un recueil de poèmes intitulé « Six the Hour of Dawn » (Six heures, l'heure de l'aube). C'est à cette heure-là que l'attaque du Hamas a commencée. Le livre contient le poème poignant « On the Walls of Be'eri » (Sur les murs de Be'eri) , qui pleure la mort de sa fille des suites d'une maladie (en hébreu, le nom du kibboutz signifie également "mon puits").
Dans le sillage du 7 octobre, le poème semble sinistrement annoncer la destruction et transmettre une certaine vision du sionisme, qui trouve son origine dans la catastrophe et le désespoir de la diaspora, amenant la nation sur une terre maudite où les enfants sont enterrés par leurs parents, tout en gardant l'espoir d'une aube nouvelle et porteuse d'espoir :
" Sur les murs de Be'eri, j'ai écrit son histoire
des origines et des profondeurs effilochée par le froid
quand ils ont lu ce qui se passait dans la douleur et que ses lumières
sont tombées dans la brume et l'obscurité de la nuit et un hurlement a engendré une
prière, car ses enfants sont tombés et une porte est fermée
pour la grâce du ciel, ils respirent la désolation et le chagrin
qui consolera les parents inconsolables, car une malédiction
murmure qu'il n'y aura ni rosée ni pluie, vous pouvez pleurer si vous en êtes capables.
il y a un temps où l'obscurité gronde mais il y a l'aube et l'éclat "
Comme l'éloge funèbre de Dayan pour Ro'i, Sur les murs de Be'eri a une signification différente selon les personnes. Faut-il y voir une complainte pour la destruction d'un kibboutz beau et innocent dans le désert, ou un cri de douleur face à l'interminable vendetta sanglante entre les deux peuples de cette terre ? Le poète ne nous a en pas donné le sens, comme c'est le cas pour les poètes. Après tout, il a écrit ce texte il y a des années, en pleurant sa fille bien-aimée. Mais compte tenu de ses nombreuses années de travail silencieux, précis et virulent, il ne semble pas fantaisiste de penser que ce poème était un appel à la réconciliation et à la coexistence, plutôt qu'à de nouveaux cycles d'effusion de sang et de vengeance.
Il se trouve que j'ai un lien personnel avec le kibboutz de Be'eri. C'est là que ma belle-fille a grandi, et mon voyage en Israël en juin était principalement destiné à rendre visite aux jumeaux - mes petits-enfants - qu'elle a mis au monde en janvier 2024. Le kibboutz, cependant, avait été abandonné. Mon fils, ma belle-fille et leurs enfants avaient emménagé dans un appartement vacant à proximité, avec une famille de survivants - des parents proches, dont le père est toujours retenu en otage - ce qui constituait une combinaison inimaginable de vie nouvelle et de chagrin inconsolable au sein d'un même foyer.
Outre voir ma famille, j'étais aussi venu en Israël pour rencontrer des amis. J'espérais comprendre ce qui s'était passé dans le pays depuis le début de la guerre. La conférence avortée à la BGU ne figurait pas en tête de mon agenda. Mais une fois arrivé à l'amphithéâtre en ce jour de mi-juin, j'ai rapidement compris que cette situation explosive pouvait également fournir des indices pour comprendre la mentalité d'une jeune génération d'étudiants et de soldats.
Après nous être assis et avoir commencé à parler, il m'est apparu clairement que les étudiants voulaient être entendus, et que personne, peut-être même leurs propres professeurs et administrateurs d'université, n'était intéressé à les écouter. Ma présence et leur connaissance vague de mes critiques à l'égard de la guerre ont déclenché chez eux le besoin de m'expliquer, mais peut-être aussi de s'expliquer à eux-mêmes, ce dans quoi ils s'étaient engagés en tant que soldats et en tant que citoyens.
Une jeune femme, récemment revenue d'un long service militaire à Gaza, est montée sur scène et a parlé avec force des amis qu'elle avait perdus, de la nature diabolique du Hamas et du fait qu'elle et ses camarades se sacrifiaient pour assurer la sécurité future du pays. Profondément bouleversée, elle s'est mise à pleurer au milieu de son discours et s'est retirée. Un jeune homme, calme, clair et précis, a rejeté ma suggestion selon laquelle la critique des politiques israéliennes n'était pas nécessairement motivée par l'antisémitisme. Il s'est ensuite lancé dans un bref survol de l'histoire du sionisme en tant que réponse à l'antisémitisme et en tant que voie politique qu'aucun Gentil n'avait le droit de refuser. Bien qu'ils aient été contrariés par mes opinions et agités par leurs propres expériences récentes à Gaza, les opinions exprimées par les étudiants n'avaient rien d'exceptionnel. Elles reflétaient des pans bien plus larges de l'opinion publique en Israël.
Sachant que j'avais dans le passé mis en garde contre le génocide, les étudiants étaient particulièrement désireux de me montrer qu'ils étaient humains, qu'ils n'étaient pas des meurtriers. Ils n'avaient aucun doute sur le fait que les FDI étaient, en fait, l'armée la plus morale au monde. Mais ils étaient également convaincus que les dommages causés aux personnes et aux bâtiments de Gaza étaient totalement justifiés, que tout était la faute du fait que le Hamas les utilisait comme boucliers humains.
Ils m'ont montré des photos de leurs téléphones prouvant qu'ils s'étaient comportés de manière admirable avec les enfants, ont nié qu'il y avait de la faim à Gaza, ont insisté sur le fait que la destruction systématique des écoles, des universités, des hôpitaux, des bâtiments publics, des résidences et des infrastructures était nécessaire et justifiable. Ils considèraient toute critique des politiques israéliennes par d'autres pays et par les Nations unies comme tout simplement antisémite.
Contrairement à la majorité des Israéliens, ces jeunes avaient vu de leurs propres yeux la destruction de Gaza. Il m'a semblé qu'ils avaient non seulement intériorisé un point de vue particulier devenu courant en Israël - à savoir que la destruction de Gaza en tant que telle était une réponse légitime au 7 octobre - mais qu'ils avaient également développé un mode de pensée que j'avais observé il y a de nombreuses années en étudiant le comportement, la vision du monde et la perception de soi des soldats de l'armée allemande pendant la Seconde Guerre mondiale. Ayant intériorisé certaines conceptions de l'ennemi - les bolcheviks comme des Untermenschen, le Hamas comme des animaux humains - et de la population en général comme moins qu'humaine et ne méritant pas de droits, les soldats qui observent ou commettent des atrocités ont tendance à les attribuer non pas à leur propre armée, ni à eux-mêmes, mais à l'ennemi.
Des milliers d'enfants ont été tués ? C'est la faute de l'ennemi. Nos propres enfants ont été tués ? C'est certainement la faute de l'ennemi. Si le Hamas commet un massacre dans un kibboutz, ce sont des nazis. Si nous larguons des bombes de 2 000 livres sur des abris de réfugiés et que nous tuons des centaines de civils, c'est la faute du Hamas qui s'est caché près de ces abris. Après ce qu'ils nous ont fait, nous n'avons pas d'autre choix que de les déraciner. Après ce que nous leur avons fait, nous ne pouvons qu'imaginer ce qu'ils nous feraient si nous ne les détruisions pas. Nous n'avons tout simplement pas le choix.
À la mi-juillet 1941, quelques semaines après le lancement par l'Allemagne de ce que Hitler avait proclamé être une "guerre d'anéantissement" contre l'Union soviétique, un sous-officier allemand a écrit à son pays depuis le front de l'Est :
" Le peuple allemand a une grande dette envers notre Führer, car si ces bêtes, qui sont nos ennemis ici, étaient venues en Allemagne, il y aurait eu des meurtres tels que le monde n'en n'a jamais vus auparavant... Ce que nous avons vu... frise l'incroyable... Et quand on lit Der Stürmer [un journal nazi] et qu'on regarde les photos, ce n'est qu'une faible illustration de ce que nous voyons ici et des crimes commis ici par les Juifs" .
Un tract de propagande de l'armée publié en juin 1941 brosse un portrait tout aussi cauchemardesque des officiers politiques de l'Armée rouge, que de nombreux soldats ont rapidement perçu comme le reflet de la réalité :
" Quiconque a jamais regardé le visage d'un commissaire rouge sait à quoi ressemblent les bolcheviks. Ici, pas besoin d'expressions théoriques. Nous insulterions les animaux si nous décrivions ces hommes, pour la plupart juifs, comme des bêtes. Ils sont l'incarnation de la haine satanique et démente contre l'ensemble de la noble humanité... [Ils] auraient mis fin à toute vie digne de ce nom si cette éruption n'avait pas été endiguée au dernier moment. "
Deux jours après l'attaque du Hamas, le ministre de la défense Yoav Gallant a déclaré : "Nous combattons des animaux humains et nous devons agir en conséquence", ajoutant plus tard qu'Israël "détruirait un quartier après l'autre à Gaza". L'ancien premier ministre Naftali Bennett a confirmé : "Nous combattons des nazis". Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a exhorté les Israéliens à "se souvenir de ce qu'Amalek vous a fait", faisant allusion à l'appel biblique à exterminer les "hommes et les femmes, les enfants et les nourrissons" d'Amalek. Lors d'une interview à la radio, il a déclaré à propos du Hamas : "Je ne les appelle pas des animaux humains parce que ce serait insultant pour les animaux". Le vice-président de la Knesset, Nissim Vaturi, a écrit sur X que l'objectif d'Israël devrait être "d'effacer la bande de Gaza de la surface de la Terre". À la télévision israélienne, il a déclaré : "Il n'y a pas de personnes non impliquées... nous devons aller là-bas et tuer, tuer, tuer. Nous devons les tuer avant qu'ils ne nous tuent". Le ministre des finances, Bezalel Smotrich, a souligné dans un discours : "Le travail doit être achevé... Destruction totale. Effacez le souvenir d'Amalek de dessous les cieux". Avi Dichter, ministre de l'agriculture et ancien chef du service de renseignement Shin Bet, a parlé de "dérouler la Nakba de Gaza".
Un vétéran militaire israélien de 95 ans, dont le discours de motivation aux troupes des FDI qui se préparaient à l'invasion de Gaza les a exhortées à "effacer leur mémoire, leurs familles, mères et enfants", s'est vu remettre un certificat d'honneur par le président israélien Herzog pour avoir "donné un merveilleux exemple à des générations de soldats". Il n'est pas étonnant que d'innombrables messages aient été postés sur les réseaux sociaux par des soldats des FDI à Gaza, appelant à "tuer les Arabes", "brûler leurs mères" et "raser" Gaza. Aucune mesure disciplinaire n'a été prise par leurs commandants.
C'est la logique de la violence sans fin, une logique qui permet de détruire des populations entières et de se sentir totalement justifié à le faire. C'est une logique de victime - nous devons les tuer avant qu'ils ne nous tuent, comme ils l'ont fait auparavant - et rien ne donne plus de pouvoir à la violence qu'un sentiment légitime d'être une victime. Regardez ce qui nous est arrivé en 1918, disaient les soldats allemands en 1942, rappelant le mythe propagandiste du "coup de poignard dans le dos", qui attribuait la défaite catastrophique de l'Allemagne lors de la première guerre mondiale à la trahison des juifs et des communistes. « Regardez ce qui nous est arrivé pendant l'Holocauste, lorsque nous avons cru que d'autres viendraient à notre secour » s, disent les troupes des FDI en 2024, s'autorisant ainsi une destruction aveugle fondée sur une fausse analogie entre le Hamas et les nazis.
Les jeunes hommes et femmes avec qui j'ai parlé ce jour-là étaient remplis de rage, non pas tant contre moi - ils se sont un peu calmés lorsque j'ai mentionné mon propre service militaire - mais parce que, je pense, ils se sentaient trahis par tous ceux qui les entouraient. Trahis par les médias, qu'ils percevaient comme trop critiques, par les hauts gradés qu'ils jugeaient trop indulgents à l'égard des Palestiniens, par les hommes politiques qui n'avaient pas su prévenir le fiasco du 7 octobre, par l'incapacité des FDI à remporter une "victoire totale", par les intellectuels et la gauche qui les critiquaient injustement, par le gouvernement américain qui n'avait pas livré assez de munitions assez rapidement, et par tous ces hommes politiques européens hypocrites et ces étudiants antisémites qui protestaient contre leurs actions à Gaza. Ils semblaient craintifs, peu sûrs d'eux et désorientés, et certains d'entre eux souffraient probablement aussi du syndrome de stress post-traumatique (SSPT).
Je leur ai raconté comment, en 1930, les nazis avaient démocratiquement pris le contrôle de l'association des étudiants allemands. Les étudiants de l'époque se sentaient trahis par la perte de la première guerre mondiale, la perte d'opportunités due à la crise économique et la perte de terres et de prestige à la suite de l'humiliant traité de paix de Versailles. Ils voulaient que l'Allemagne redevienne grande, et Hitler semblait en mesure de tenir cette promesse. Les ennemis intérieurs de l'Allemagne ont été écartés, son économie a prospéré, les autres nations ont recommencé à la craindre, puis elle est entrée en guerre, a conquis l'Europe et assassiné des millions de personnes.
Finalement, le pays a été complètement détruit. Je me suis demandé à haute voix si les quelques étudiants allemands qui avaient survécu à ces 15 années regrettaient leur décision de 1930 de soutenir le nazisme. Mais je ne pense pas que les jeunes hommes et femmes de la BGU aient compris les implications de ce que je leur ai raconté.
Les étudiants étaient à la fois effrayants et effrayés, et leur peur les rendait d'autant plus agressifs. Ce niveau de menace, ainsi qu'un certain degré de recouvrement des opinions, semble avoir suscité la crainte et l'obséquiosité envers leurs supérieurs, professeurs et administrateurs, qui ont montré une grande réticence à les sanctionner d'aucune manière. En même temps, une multitude de médias et de politiciens ont acclamé ces anges de la destruction, les qualifiant de héros juste avant de les enterrer et de tourner le dos à leurs familles endeuillées. Les soldats tombés au combat sont morts pour une bonne cause, dit-on aux familles. Mais personne ne prend le temps d'expliquer ce qu'est réellement cette cause, au-delà de la simple survie à travers toujours plus de violence.
Et donc, je me suis aussi senti désolé pour ces étudiants, qui n'étaient pas conscients de la façon dont ils avaient été manipulés. Mais j'ai quitté cette réunion plein d'inquiétude et de mauvais pressentiments.
Alors que je rentrais aux États-Unis à la fin du mois de juin, j'ai réfléchi à ce que j'avais vécu au cours de ces deux semaines désordonnées et troublantes. J'ai pris conscience du lien profond qui m'unissait au pays que j'avais quitté. Il ne s'agit pas seulement de ma relation avec ma famille et mes amis israéliens, mais aussi de la teneur particulière de la culture et de la société israéliennes, qui se caractérise par l'absence de distance ou de déférence. Cela peut être réconfortant et révélateur ; on peut, presque instantanément, se retrouver dans des conversations intenses, voire intimes, avec d'autres personnes dans la rue, dans un café, dans un bar.
Cependant, ce même aspect de la vie israélienne peut aussi être infiniment frustrant, car il y a si peu de respect pour les convenances sociales. Il existe presque un culte de la sincérité, une obligation de dire ce que l'on pense, quel que soit l'interlocuteur ou l'offense que cela peut causer. Cette attente commune crée à la fois un sentiment de solidarité et des limites à ne pas franchir. Lorsque vous êtes avec nous, nous sommes tous de la même famille. Si vous vous retournez contre nous ou si vous êtes de l'autre côté du fossé national, vous êtes exclu et vous pouvez vous attendre à ce que nous nous en prenions à vous.
C'est peut-être aussi la raison pour laquelle, cette fois-ci, pour la première fois, j'ai appréhendé de me rendre en Israël et pour laquelle une partie de moi était heureuse de partir. Le pays avait changé de manière visible et subtile, ce qui aurait pu élever une barrière entre moi, en tant qu'observateur de l'extérieur, et ceux qui sont restés une partie organique du pays.
Mais une autre partie de mon appréhension était liée au fait que ma vision de ce qui se passait à Gaza avait changé. Le 10 novembre 2023, j'ai écrit dans le New York Times : "En tant qu'historien du génocide, je pense qu'il n'y a aucune preuve qu'un génocide se déroule actuellement à Gaza, même s'il est très probable que des crimes de guerre, voire des crimes contre l'humanité, s'y produisent. [...] L'histoire nous apprend qu'il est crucial d'alerter sur les risques de génocide avant qu'ils ne se produisent, plutôt que de les condamner tardivement une fois qu'ils ont eu lieu. Je pense que nous avons encore du temps pour le faire".
Je ne le crois plus. Au moment où je me suis rendu en Israël, je m'étais convaincu qu'au moins depuis l'attaque des FDI à Rafah le 6 mai 2024, il n'était plus possible de nier qu'Israël était engagé dans des crimes de guerre systématiques, des crimes contre l'humanité et des actions génocidaires. Ce n'était pas seulement que cette attaque contre la dernière concentration de Gazaouis - dont la plupart déjà déplacés à plusieurs reprises par les FDI, qui les repoussaient à nouveau dans une soi-disant zone de sécurité - témoignait d'un mépris total pour les normes humanitaires. Elle indiquait aussi clairement que l'objectif ultime de toute cette entreprise, depuis le tout début, était de rendre toute la bande de Gaza inhabitable et d'affaiblir sa population à un point tel qu'elle s'éteindrait ou chercherait par tous les moyens possibles à fuir le territoire. En d'autres termes, la rhétorique des dirigeants israéliens depuis le 7 octobre se traduisait désormais dans la réalité, à savoir, comme le dit la Convention des Nations unies sur le génocide de 1948, qu'Israël agit "dans l'intention de détruire, en tout ou en partie", la population palestinienne de Gaza "en tant que telle, en la tuant, en lui infligeant des blessures graves ou en lui imposant des conditions d'existence qui visent à entraîner sa destruction".
Depuis mon retour, j'essaie de replacer mes expériences dans un contexte plus large. La réalité sur le terrain est si dévastatrice et l'avenir semble si sombre que je me suis laissé aller à une histoire contre-factuelle et à des spéculations pleines d'espoir sur un avenir différent. Je me demande ce qui se serait passé si l'État d'Israël nouvellement créé avait respecté son engagement d'adopter une constitution basée sur sa déclaration d'indépendance. Cette même déclaration qui affirmait qu'Israël "sera fondé sur la liberté, la justice et la paix, comme l'ont envisagé les prophètes d'Israël ; il assurera l'égalité complète des droits sociaux et politiques à tous ses habitants, sans distinction de religion, de race ou de sexe ; il garantira la liberté de religion, de conscience, de langue, d'éducation et de culture ; il sauvegardera les Lieux saints de toutes les religions ; et il sera fidèle aux principes de la Charte des Nations unies".
Quel aurait été l'effet d'une telle constitution sur la nature de l'État ? Comment aurait-elle tempéré la transformation du sionisme d'une idéologie qui cherchait à libérer les Juifs de la déchéance de l'exil et de la discrimination et à les mettre sur un pied d'égalité avec les autres nations du monde, en une idéologie étatique d'ethnonationalisme, d'oppression des autres, d'expansionnisme et d'apartheid ? Pendant les quelques années d'espoir du processus de paix d'Oslo, les gens en Israël ont commencé à parler de faire de ce pays un "État de tous ses citoyens", juifs et palestiniens confondus. L'assassinat du premier ministre Rabin en 1995 a mis fin à ce rêve. Israël pourra-t-il un jour se débarrasser des aspects violents, exclusifs, militants et de plus en plus racistes de sa vision, telle qu'elle est aujourd'hui adoptée par un si grand nombre de ses citoyens juifs ? Pourra-t-il un jour se réimaginer tel que ses fondateurs l'avaient si éloquemment imaginé - comme une nation fondée sur la liberté, la justice et la paix ?
Il est difficile de se laisser aller à de tels fantasmes en ce moment. Mais c'est peut-être précisément en raison du nadir dans lequel les Israéliens, et plus encore les Palestiniens, se trouvent aujourd'hui, et de la trajectoire de destruction régionale sur laquelle leurs dirigeants les ont placés, que je prie pour que d'autres voix s'élèvent enfin. Car, pour reprendre les mots du poète Eldan, "il y a un temps où l'obscurité gronde, mais il y a l'aube et l'éclat".
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Comprendre l’objectif final de Netanyahou dans la guerre contre Gaza

La véritable raison pour laquelle Netanyahu refuse de mettre fin à la guerre génocidaire contre Gaza est que ses intérêts politiques à court terme se sont parfaitement alignés sur l'objectif à long terme du sionisme – le nettoyage ethnique de la Palestine.
Tiré de France Palestine Solidarité. Article publié à l"origine dans Mondoweiss. Photo : Le parlement israélien adopte une résolution contre un Etat palestinien, 18 juillet 2024 © Quds News Network.
On a beaucoup parlé des intérêts politiques « étroits » qui poussent Benjamin Netanyahu à vouloir à tout prix une « victoire totale » à Gaza, ce qui signifie en pratique qu'il faut poursuivre le génocide et le nettoyage ethnique tout en essayant d'éradiquer la résistance.
Ce sont les opposants politiques de Benjamin Netanyahu qui ont le plus mis en avant cette version des faits. Un choix aléatoire de pratiquement n'importe quel article de Haaretz aujourd'hui en donnera un certain nombre d'exemples. Ce qui est faux, c'est que l'intérêt d'Israël à poursuivre la guerre est loin d'être étroit.
En fait, s'il est clair que Netanyahu a un intérêt politique à court terme à poursuivre le génocide de Gaza, c'est la combinaison de ces intérêts immédiats avec les objectifs à long terme du mouvement sioniste – le nettoyage ethnique de la Palestine – qui a conduit à une confluence historique unique : les intérêts politiques de Netanyahu sont désormais alignés sur l'impératif colonial du sionisme.
Les opposants politiques de Netanyahou, dont beaucoup appellent à un cessez-le-feu à Gaza, soulignent que son destin politique est actuellement entre les mains de ses alliés messianiques fascistes, Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir, qui ont menacé à plusieurs reprises de se retirer du gouvernement de coalition de Netanyahu dans l'éventualité d'un cessez-le-feu.
Cela provoquerait l'effondrement de son gouvernement, ouvrirait la voie à de nouvelles élections et rendrait Netanyahu responsable d'avoir permis au Hamas de renforcer son pouvoir pendant toutes ces années dans le cadre de sa soit-disant stratégie d'enracinement des divisions politiques palestiniennes, sans parler de l'échec enduré le 7 octobre.
Les adversaires de Netanyahu voudraient nous faire croire que ses machinations sont uniquement motivées par les illusions autoritaires d'un despote intransigeant – et qu'il est prêt à pousser Israël dans ses derniers retranchements pour y parvenir. Par exemple, le général de division Yitzhak Brik a affirmé de manière hystérique que « si la guerre d'usure contre le Hamas et le Hezbollah se poursuit, Israël s'effondrera en l'espace d'un an au maximum ».
Cette critique comporte des éléments de vérité, mais elle est également malhonnête. Si les adversaires de M. Netanyahou étaient à sa place, ils auraient également voulu « résoudre » la « question de Gaza », une réalisation du délire sioniste de conquérir toute la Palestine et d'éliminer les autochtones.
La différence réside dans les contraintes auxquelles sont confrontés les opposants de Netanyahu pour réaliser cet objectif ; ils réclament maintenant avec véhémence un accord de cessez-le-feu parce qu'ils pensent que la signature d'un accord, même s'il permet au Hamas de maintenir une présence à Gaza, permettra de ramener les captifs, qui font partie de la base sociale que représentent les opposants de Netanyahu.
Plus important encore, s'ils appellent à la conclusion d'un accord à ce stade de la guerre, c'est parce qu'ils savent que cela provoquera l'éclatement de la coalition de leur adversaire. L'opportunisme politique est à l'origine de leurs prescriptions politiques tout autant que les considérations stratégiques concernant la capacité d'Israël à faire face à une guerre sur plusieurs fronts.
Netanyahu, quant à lui, se trouve dans une position historiquement unique. La structure actuelle des facteurs le pousse à poursuivre la guerre à tout prix, même si cela signifie abandonner les captifs à leur sort. La raison en est que, pour la première fois dans l'histoire récente du sionisme, les motivations politiques de l'actuel dirigeant de l'État juif font d'une stratégie de guerre continue la seule ligne de conduite logique.
Même l'établissement d'une présence administrative palestinienne de type Vichy à Gaza n'est pas acceptable pour Smotrich et Ben-Gvir, et ils continueront à brandir la menace de la dissolution du gouvernement contre toute mesure de conciliation.
En traçant cette voie maximaliste, Netanyahu joue avec le feu, car une guerre plus large avec le Hezbollah pourrait entraîner Israël dans un bourbier qui n'offrirait guère plus que la possibilité d'une victoire à la Pyrrhus. Mais, selon lui, cette guerre représente également une opportunité.
Depuis des décennies, Netanyahu pense qu'une guerre majeure pourrait fournir à Israël la couverture nécessaire pour procéder à l'expulsion massive des Palestiniens, non seulement à Gaza, mais aussi en Cisjordanie et à l'intérieur des frontières d'Israël de 1948. L'historien britannique Max Hastings lui aurait expliqué cette idée précise en 1977.
Au début de la guerre actuelle, Netanyahu a activement tenté de pousser les Palestiniens hors de Gaza avant de se heurter au refus de l'Égypte de jouer le jeu. Pendant ce temps, Ben-Gvir et Smotrich, ainsi que le mouvement de colonisation, ont accéléré l'expansion des colonies et soutenu la violence des colons en Cisjordanie, nettoyant ethniquement au moins 20 communautés bédouines sous le couvert de la guerre.
Les détracteurs de Netanyahu ne le considèrent pas comme un idéologue comme Smotrich et Ben-Gvir – et ils ont peut-être raison – mais cela est sans incidence. Même s'il a certainement exprimé son attachement à l'idéal sioniste de conquête territoriale totale, le fait est qu'aujourd'hui, même si le fait de pousser à la « victoire totale » risque d'entraîner une guerre qui nuira à son État, il n'a pas d'autre choix compte tenu de l'équilibre actuel des pouvoirs au sein de la politique israélienne.
C'est ainsi que la guerre génocidaire d'Israël est devenue la guerre de nécessité de Netanyahu.
Netanyahu espère y parvenir en entraînant les États-Unis dans une guerre avec l'Iran, assurant ainsi la position d'Israël en tant qu'unique puissance régionale au Moyen-Orient. C'est un scénario qu'il préconise depuis des décennies, y compris devant une commission du Congrès en 2002, où il avait également exhorté les États-Unis à envahir l'Irak.
Dangers et opportunités
Mais les choses ont changé depuis. L'Iran n'est pas une puissance militaire mineure, pas plus que le Liban. L'Iran et le Hezbollah ont accumulé suffisamment de forces au cours des dernières années pour renforcer la dissuasion à l'égard d'Israël, garantissant ainsi que toute guerre régionale serait destructrice non seulement pour eux, mais aussi pour Israël.
C'est pourquoi Netanyahu espère que les États-Unis seront contraints d'intervenir et de se ranger du côté d'Israël.
L'armée et l'économie israéliennes ne sont pas non plus prêtes pour une guerre majeure après dix mois de pertes.
Au début du mois de juillet, l'armée israélienne a déclaré qu'elle souffrait d'une pénurie de chars en raison du grand nombre de ceux qui ont été endommagés et mis hors service pendant la guerre, tandis que le ministère israélien de la guerre a déclaré que quelque 10 000 soldats et officiers avaient été blessés et que 1000 soldats continuaient à participer à des programmes de rééducation chaque mois.
Cette pénurie de personnel militaire a conduit Israël à adopter une loi obligeant les Haredim orthodoxes à s'enrôler pour le service, annulant ainsi une exemption qui durait depuis 76 ans.
Sur le plan économique, la note de crédit d'Israël a été abaissée par l'agence Fitch à « Perspectives négatives » au début du mois d'août en raison de la guerre. Dans l'ensemble, il semble que l'économie israélienne soit confrontée à une situation catastrophique.
Netanyahu a décidé qu'il était prêt à supporter ce coût, contre la volonté de ses opposants politiques nationaux et les désirs du gouvernement américain, simplement parce qu'il n'y a pas d'alternative pour lui. Le soutien illimité des États-Unis en dépit d'un comportement aussi jusqu'au-boutiste n'a fait qu'enhardir Netanyahou.
Netanyahu a ordonné l'assassinat de Fouad Shukur à Beyrouth et d'Ismail Haniyeh à Téhéran après son discours au Congrès, où il n'a reçu que des ovations.
À la suite de ces assassinats et des menaces de ripostes, les États-Unis ont renforcé leurs forces au Moyen-Orient afin de se préparer à défendre Israël contre d'éventuelles représailles.
Dans le même temps, les États-Unis se sont empressés d'essayer de contenir la situation en proposant un nouvel accord. Celui-ci comprenait de nouvelles conditions avancées par Netanyahu, qui ont servi à relever la barre de ce qui était considéré comme un accord acceptable [par la résistance], contre l'avis des négociateurs israéliens eux-mêmes.
Pourtant, les États-Unis n'ont fait que pointer du doigt le Hamas, affirmant que la balle était dans son camp.
Netanyahu a obtenu tout ce dont il avait besoin de la part des États-Unis à chaque étape du processus, ce qui lui a permis de poursuivre sa dangereuse stratégie sans qu'aucun reproche ne lui soit adressé.
Il espère que son pari sera payant en apportant une « solution finale » à la « question de Gaza » et en devenant ainsi un héros national sioniste.
Mais même si cela représente l'opportunité d'arracher un succès historique pour le projet sioniste, cela ouvre également la possibilité qu'Israël subisse un revers historique qui pourrait ouvrir une nouvelle ère de résistance pour les peuples autochtones de la région.
Traduction : Chronique de Palestine
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A quand un Nuremberg pour Israël ?

Crimes contre l'humanité, crimes de guerre, génocide. Les dirigeants israéliens récoltent les titres de l'horreur au point qu'ils sont désormais considérés comme des pestiférés. Exception faite des Etats-Unis, aucun pays n'accepte de les recevoir.
Tiré d'El-Watan.
Ils ont commencé dès 1948 par le massacre de Deir Yassin, du nom de cette localité palestinienne dont les habitants ont été massacrés par les terroristes de l'Irgoun, l'organisation dirigée alors par Menahem Begin, et les rares survivants ayant échappé à la mort par miracle ont été contraints de fuir, laissant tous leurs biens sur place. Depuis, les massacres collectifs de Palestiniens sont devenus une culture de l'horreur chez le nouveau occupant qui a remplacé les Anglais et qui perdure jusqu'à ce jour.
Et pourtant ! Les juifs, eux, sont les rescapés des camps de concentration nazis, six millions d'entre eux ont péri dans les fours crématoires, victimes du plus grand massacre collectif de l'histoire de l'humanité, devenu un exemple cité régulièrement dans l'espoir que l'horreur ne se répète pas.
Malheureusement, même les victimes d'hier sont devenues les bourreaux d'aujourd'hui. Et ils ne s'en émeuvent pas. Au contraire. Un mélange de messianisme, de nationalisme d'un autre temps, les a rendus aveugles au point d'être imperméables à la souffrance d'autrui et que faire couler le sang est devenu chez eux une seconde nature. Semer la mort et la destruction est considéré par leurs fanatiques comme une mission divine.
Ces dernières semaines, ils ont donné à la guerre un visage encore plus violent. Après la destruction des hôpitaux, ensuite des écoles à Ghaza, les Israéliens se sont livrés à des exterminations de masse de femmes et d'enfants.
La polio, qui a été éradiquée de l'enclave il y a de cela 25 ans, revient en force. Plus sinistres et plus cruels encore, ils empêchent l'entrée du vaccin à Ghaza. Cela « se fera dans plusieurs semaines », disent les Américains, qui croient en une promesse d'Israël. Si cela est vrai, les autorités d'occupation auront tout le temps de voir l'épidémie s'étendre et emporter plusieurs milliers d'enfants.
Le génocide prend des dimensions multiformes. La communauté internationale est tétanisée face à ce crime de grande envergure. Le ministre des Affaires étrangères de l'Union européenne, Josep Borrell, qui paraît très sensible à la douleur du peuple palestinien, promet de préparer une liste de dirigeants israéliens pour des sanctions, sans préciser leur nature. Il n'est jamais trop tard pour bien faire.
Ce n'est pas la première fois que le monde est confronté à une situation aussi dramatique. La planète a connu les horreurs de la Seconde Guerre mondiale.
A la fin du conflit, a été créé le fameux tribunal de Nuremberg pour juger les dignitaires nazis responsables des exterminations de masse dans les territoires européens. Depuis, le monde a décidé de ne plus laisser faire et de punir les coupables où qu'ils se trouvent.
La promesse n'a pas été totalement tenue. Mais il y a eu quand même des procès retentissants, comme celui du Serbe Milosevic à La Haye pour le massacre des populations musulmanes de Bosnie. Il y a même eu un mandat d'arrêt international contre le président russe, Vladimir Poutine, et contre un autre dirigeant européen. Mais le plus gros des affaires a surtout ciblé une quinzaine de dirigeants africains, ce qui a fait dire à certains qu'il y a là deux poids deux mesures.
Le cas le plus médiatisé a été celui de Omar El Béchir, le dictateur soudanais, un criminel qui a surtout détruit son pays et préparé le terrain à la guerre civile qui dure encore. Il avait lâché des milices arabes, dites djihadistes, contre les tribus africaines du Darfour. Le massacre qui s'en suivit est encore dans toutes les mémoires.
Le mandat d'arrêt international contre lui est toujours en vigueur, et lui croupit actuellement dans les geôles. On peut rappeler également le cas de Laurent Gbagbo, président de la Côte d'Ivoire, qui a préféré plonger le pays dans la guerre civile que de reconnaître une défaite par les urnes. Jugé à La Haye, il a été libéré après quelques années de détention. La liste est longue.
Malheureusement, les crimes perpétrés par les dirigeants israéliens dépassent l'imagination. Aucun dirigeant du monde, aucune organisation internationale n'a prononcé, même du bout des lèvres, l'idée de poursuites judiciaires contre eux.
On va voir ce que donnera l'initiative de M. Borrell. S'il réussit à seulement la présenter. Malheureusement, il y a de quoi être pessimiste quand on sait que les Etats-Unis veillent au grain. Ils empêcheront par tous les moyens un procès de leurs protégés, Netanyahu et Gallant par exemple.
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La bataille pour documenter la violence des colons israéliens à Masafer Yatta

A Masafer Yatta, des groupes de jeunes se sont donné pour mission d'archiver la violence des colons israéliens visant à les déplacer, mais ils en paient le prix fort.
Tiré de France Palestine Solidarité. Article publié à l'origine dans The new arab. Photo : Les colons israéliens mènent des raids à Masafer Yatta, 10 août 2024 © Mohammad Hureini.
Alaa Hathleen, un habitant de 25 ans de la Cisjordanie occupée, a vécu toute sa vie dans le village d'Umm el Khair à Masafer Yatta, à quelques mètres seulement d'une colonie israélienne.
Ayant grandi dans une communauté palestinienne à qui tout était refusé, il a vu dès son plus jeune âge que "les colons ont tout, tous les jours".
"Notre village est le théâtre d'agressions et de violations quotidiennes de la part des colons et doit faire face à l'absence de tout ce qui est essentiel, comme l'eau et l'électricité. Et littéralement, à quelques mètres de là, des colons vivent dans des maisons rénovées, équipées d'eau et d'électricité, et jouissent de la liberté de mouvement", explique à The New Arab le jeune homme, qui exerce la profession de guérisseur naturel.
Les 25 villages qui composent Masafer Yatta, une communauté bédouine située juste à l'extérieur d'Hébron, sont victimes de la violence des colons depuis au moins les années 1980. C'est à cette époque qu'un tribunal israélien a déclaré ses terres pastorales inhabitées et les a désignées comme zone de tir pour les exercices militaires.
En mai 2020, un autre tribunal israélien a confirmé cette décision et a ordonné l'évacuation de la communauté. En raison des exercices, les habitants décrivent des balles qui sifflent à travers leurs tentes, des mines terrestres plantées dans leur sol et des chars qui encerclent leurs maisons.
Pour Hathleen et sa cohorte de jeunes créateurs de contenu en ligne, il n'y a pas grand-chose à faire si ce n'est documenter du mieux qu'ils peuvent la tragédie qui se déroule, et ils disent qu'ils en ont payé le prix fort.
Depuis le 7 octobre, plusieurs groupes de jeunes en ont fait leur mission, risquant leur vie pour attirer l'attention de la communauté internationale - et éventuellement des sanctions, espèrent-ils - sur ceux qui tentent de les déplacer violemment.
Leurs efforts s'inscrivent dans un contexte où les contenus pro-palestiniens en ligne sont censurés, où les journalistes sur le terrain sont pris pour cible par Israël et où des lois sont imposées pour empêcher les médias de couvrir les violations commises à l'encontre des Palestiniens.
"Je ne me contente pas de prendre des photos ou de documenter ce qui se passe pour montrer qui a raison et qui a tort. Je documente les crimes et le manque de pitié d'une occupation qui ne comprend pas les droits humains et ne considère pas les Palestiniens comme des êtres humains", a déclaré Hathleen.
Alors que des colonies israéliennes ont poussé tout autour d'eux, la communauté semi-nomade de Hathleen n'a pas le droit de construire sur ses propres terres. Ceux dont les maisons ont été démolies vivent dans des tentes minables ou des grottes sombres et exiguës. La plupart d'entre eux vivent modestement de l'agriculture et de l'élevage, tout en luttant contre les colons en maraude qui volent périodiquement leurs récoltes et leur bétail.
Selon les habitants, la situation a pris une tournure plus sanglante après le 7 octobre. C'est à cette date que les colons, soutenus par l'armée israélienne, ont commencé à détruire des maisons au bulldozer, à incendier des pans entiers de terres agricoles et, dans certains cas, à assassiner ceux qui se mettaient en travers de leur chemin.
Les infrastructures essentielles n'ont pas été épargnées : quatre écoles ont été réduites en ruines, ainsi qu'un centre médical de fortune, selon Hathleen.
Après le 7 octobre, le ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a distribué des fusils semi-automatiques et d'autres armes aux civils, ce qui a été perçu comme un moyen de jeter de l'huile sur le feu et de donner le feu vert aux assauts des colons. Hathleen s'est sentie encore plus obligée de documenter les atrocités.
Mais ses publications en ligne lui ont valu de sérieuses menaces. Lorsqu'un officier de l'armée a vu Hathleen poster sur les réseaux sociaux, il l'a menacé de lui "couper la langue". Une autre fois, lorsqu'il a publié un message montrant un colon confisquant un âne, on lui a dit qu'il serait "tué ou finirait comme l'âne" s'il recommençait.
Hathleen affirme que sa famille est même prise pour cible en raison de son activisme. En novembre dernier, son frère a été battu jusqu'au coma par des colons qui avaient trouvé des photos d'enfants gazaouis sur son téléphone.
Youth of Sumud
Mohamed Houreini, 25 ans, fait partie d'un groupe appelé Youth of Sumud. Ils se décrivent comme un groupe de Palestiniens du sud d'Hébron "engagés dans une résistance populaire pacifique comme choix stratégique pour mettre fin à l'occupation israélienne". Sur Facebook, ils publient des photos de colons et de soldats israéliens faisant équipe pour démolir des puits et raser des maisons.
Le groupe documente soigneusement les violations commises par les colons, en recueillant des témoignages à l'aide de notes, de vidéos et de photos avant de télécharger le contenu sur les réseaux sociaux ou de l'envoyer à des groupes de défense des droits et à des organisations médiatiques.
Après que les colons ont saccagé des grottes occupées par des bédouins, ils se précipitent pour les réparer. Pour être proactifs, ils organisent des manifestations et des sit-in dans les zones vulnérables aux attaques des colons.
"Les forces d'occupation israéliennes attaquent le village de Jawaya avec des bulldozers, combien de Palestiniens seront déplacés ?" Une autre photo montre des champs d'oliviers et de figuiers incendiés.
Le travail de M. Houreini a coûté cher. "En raison de ma présence sur les réseaux sociaux et de ma documentation sur les événements qui se déroulent à Masafer Yatta, j'ai été arrêté 11 fois et soumis à des passages à tabac, à la torture et à des interrogatoires", a déclaré M. Houreini.
Dans certains cas, la documentation de M. Houreini a porté ses fruits. Récemment, le père de Houreini, également militant, a été accusé d'avoir attaqué un colon. L'accusation a été abandonnée après que Houreini a filmé l'attaque, prouvant qu'il s'agissait de légitime défense.
D'autres groupes, comme B'Tselem, ont méticuleusement répertorié les violences commises par les colons, allant même jusqu'à créer une base de données consultable des incidents violents.
Mais même la meilleure documentation ne peut pas tout faire. Les activistes en ligne affirment que leur travail doit déboucher sur des sanctions à l'encontre des colons. Jusqu'à présent, Washington a imposé des sanctions limitées aux colons israéliens qui commettent des actes de violence en Cisjordanie, mais ces punitions relativement mineures n'ont guère contribué à décourager leurs assauts.
Les journalistes locaux ont également joué un rôle essentiel en documentant les déplacements. Et ce, bien que la Palestine soit le "pays le plus dangereux du monde" pour les journalistes, selon Reporters sans frontières, qui a déposé de nombreuses plaintes auprès de la Cour pénale internationale, accusant Israël de commettre des crimes de guerre à l'encontre des journalistes.
En Cisjordanie, 76 journalistes palestiniens ont été arrêtés et une cinquantaine d'entre eux croupissent encore derrière les barreaux, selon le dernier décompte du Syndicat des journalistes palestiniens (PJS). Ces chiffres s'ajoutent à la centaine de journalistes tués à Gaza.
Omid Shihada, 37 ans, correspondant de la chaîne de télévision Al-Araby en Cisjordanie, fait partie des nombreux journalistes palestiniens qui documentent les violences commises par les colons.
M. Shihada explique qu'il a été frappé par l'obsession des colons à brûler tout ce qui se trouve sur leur passage. Il décrit des colons organisant des attaques de nuit à grande échelle, transportant des matériaux inflammables dans leurs poches pour mettre le feu à tout ce qu'ils rencontrent.
"Ils brûlent des maisons avec des gens à l'intérieur. Ils brûlent des cultures agricoles. Ils brûlent des véhicules", explique M. Shihada.
Malgré tout, Shihada affirme que les efforts pour archiver ce qui se passe doivent se poursuivre.
"Je n'abandonnerai pas", dit Shihada. "Nous sommes la génération qui changera l'état d'esprit de notre communauté locale d'abord, puis de la communauté internationale."
Traduction : AFPS
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Face aux vols de maisons par les colons, la résistance populaire se mobilise à Al-Makhrour

Depuis la fin du mois de juillet 2024, des groupes de colons ont chassé la famille Kisiya de son foyer dans le village d'Al-Makhrour à Beit Jala. Cette expulsion, qui marque une nouvelle étape de la colonisation de la région de Bethléem, a pu se dérouler grâce au soutien de l'armée israélienne, qui a chassé les dizaines d'activistes et de militantes issu.es des mouvements de solidarités israéliens et internationaux et des habitant.es avec une forte mobilisation des Palestiniens chrétiens de la région.
Tiré de France Palestine Solidarité.

La famille Kisiya, victime de cette énième éviction bénéficie d'une décision juridique israélienne en sa faveur, que les autorités israéliennes refusent de respecter. Depuis déjà quatre semaines, la famille Kisiya se bat et se mobilise aux côtés de dizaines de militantes. Un campement solidaire y a été implanté afin de continuer à revendiquer les droits de la famille Kisiya. Le campement a même été rejoint par des activistes des villages de Masafer Yatta, où les habitant.es subissent quotidiennement des attaques de colons.

Le 24 aout 2024, le campement a été attaqué par les colons installés sur le terrain de la famille Kisiya. L'attaque a pu être repoussé et l'arrivée des trouves israéliennes a provoqué la retraite des colons qui sont retournés se retrancher dans la maison qu'ils occupent.

Suite à cette attaque, Alice Kisiya a été arrêtée par les soldats israéliens puis relâchée deux jours plus tard. Depuis, le campement solidaire a reçu la visite de nombreuses organisations et personnalités locales et internationales, comme le Pasteur de Bethléem, Munther Isaac ou le Consul Général de France à Jérusalem.
Sources : WAFA / Mistaclim / Free Jerusalem / Combatants For Peace / Voices Against War / Good Shepherd Collective / Jalal-AK / Ihab Hassan / Alice Kisiya / Xavier Abu Eid / Alice Level / Pasteur Munther Isaac / Yasser Okbi /Sources Locales
Photo : Mosab Shawer
Alice Kisiya faisant face à l'un des colons ayant attaqué le campement qui fait face à la maison de la famille Kisiya.
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