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Soudan les 30 ans de rêgne d’Omar el Béchir

Omar El Béchir renverse en 1989 Sadek el Mahdi, l'héritier d'une dynastie et met fin au bipartisme de fait qui régnait sur le Soudan. Ce coup d'État est appuyé par le Front islamique national (NIF) du très rigoriste Hassan al-Tourabi, décédé en 2016, trois ans avant que l'armée ne chasse le tyran.
Tiré de MondAfrique.

Omar El Béchir, élu deux fois à la présidence dans des scrutins boycottés par l'opposition avec 68,2 % des voix en 2010 et 94 % en 2015 comptait briguer un troisième mandat en 2020. En 1989, cet homme qi était venu de nulle part amorce une carrière politique exceptionnelle, en jouant aussi un rôle sur la scène mondiale. Le militaire qui s'installe au pouvoir avec l'appui du « »National Islamic Front » de l'islamiste radical Hassan Tourabi impose aux élites civiles une personnalité puissante et une vision neuve pour le Soudan.
Ce dictateur redoutable reste bien sûr le produit du système d'exploitation et de ségrégation mis en place à la période coloniale et parachevé après l'Indépendance. Omar El Béchir poursuit la politique de confiscation des richesses et des pouvoirs au profit des élites arabes de la capitale. Les massacres se poursuivent contre les populations non-arabes du Soudan du Sud, du Nil bleu et des monts Nouba.

Oussama Ben Laden hébergé
C'est Omar el Bachir qui héberge Oussama Ben Laden entre 1991 à 1996. Cela vaut au Soudan d'être placé par les Etats-Unis sur la liste des « États soutenant le terrorisme ». Dans un premier temps, le président soudanais n'en tient pas compte car Ben Laden injecte des fonds dans l'économie soudanaise. Omar El Béchir veut du pouvoir et de l'argent et s'affranchit peu à peu de l'armée nationale dans laquelle il n'a pas confiance et facilite la formation de groupes politico-militaires à son service. Telles les milices arabes janjawid dans l'Ouest impliquées dans la guerre sanglante qui éclate au Darfour en 2003. Présenté à la fois comme une lutte entre « Arabes et Africains » et « gouvernement contre rebelles », ce conflit entraîne la mort de plus de 300 000 personnes et le déplacement de plus de 2 millions d'habitants.
En 2009, la Cour pénale internationale (CPI) lance contre Omar El Béchir un mandat d'arrêt pour « crimes de guerre et contre l'humanité » au Darfour, avant d'ajouter le crime de génocide en 2010. Cependant Omar el Béchir a de puissants amis dont la Chine et il s'impose comme un leader islamique remplaçant les confréries originales du Soudan par des Frères musulmans d'humeur nationaliste. Erdogan n'a pas encore l'aura qu'il possède aujourd'hui chez les Frères musulmans, les fonds islamiques affluent à Khartoum.

En 1973, le Soudan s'engage contre Israel aux cotés des Égyptiens. Un libéralisme économique affiché en faveur des élites autorise le pays à contourner les leçons du FMI. Son maitre en Islam et en économie sera le tyran malaysien et Premier ministre Mahathir Mohamad à la tête d'un quasi-émirat riche en hydrocarbures. Mahatir s'opposera aux différentes agressions occidentales contre l'Irak et inaugure ce qui deviendra le bloc émergent des États qui veulent une position neutre du Global South. La condamnation de la CPI lui vaut le soutien de l'Afrique et lui permet de présenter comme celui qui défie l'Occident et sa justice des vainqueurs
La surprise venue du Sud
Absorbé par la protection des frontières avec le Tchad en particulier et confiant dans la collaboration secrète avec la CIA, Béchir n'a pas vu venir la surprise du Sud. Après deux interminables guerres (1955-1972 et 1983-2005) qui auront provoqué des dizaines de milliers de victimes, le régime d'Omar El Béchir prend acte, le 9 juillet 2011, de la création du Soudan du Sud. Soit la perte d'un quart du territoire et des trois quarts des ressources pétrolières.
Le scénario n'était pas écrit d'avance. John Garang, le leader historique sud soudanais, imaginait un pays dans lequel la dictature des tribus arabes du Nil serait remplacée par une fédération démocratique. Mais sa mort dans un accident d'hélicoptère en 2005 précipitera la marche vers l'indépendance du Sud, sans qu'Omar El Béchir ne cherche à l'enrayer. La perte de cet immense réservoir de pétrole qu'était le Sud pèse sur le budget de Khartoum, mais a permis au dictateur d'éviter toute contestation politique au nom du front commun contre les sécessionistes du Sud.
Quant au poids du Soudan dans le monde, il n'a pas diminué, bien au contraire. Le Soudan Sud, lui, a été négligé par la France comme par l'Europe qui n'y ont envoyé que des représentants médiocres.

La carte ci-dessus, dessinée en 2023, montre un Darfour à l'Ouest qui est un enjeu pour la Libye et le Tchad, les premiers acteurs de l'internationalisation du conflit. « Plusieurs États ont joué un rôle essentiel dans le maillage des conflits au Tchad et au Darfour, écrivait Roland Marchal. Certains l'ont fait consciemment ; pour d'autres, il s'agit plutôt d'effets non intentionnels de leurs politiques ; pour la France en particulier, il s'agit sans doute d'un aveuglement de plus ».

Les services français pro Bachir
Les barbouzes françaises apprécient le régime d'Omar El Béchir. Le francophone et très islamiste Hassan El Tourabi, diplômé de la Sorbonne, sert de courroie de transmission. C'est avec ce dernier que le ministre de l'Intérieur d'Edouard Balladur, Charles Pasqua, négocie l'extradition du terroriste Carlos. Sous l'autorité du général Pierre Rondot, les Services français parviennent à ramener l'ennemi public numéro un, après l'avoir passablement drogué. Lorsqye le gradé dans l'avion du retour et en pleine nuit prend son téléphone crypté pour joindre Pasqua et lui annoncer la bonne nouvelle, le dialogue est surréaliste. Le minitre d'État met un temps avant de comprendre.
– Monsieur le ministre, je vous rapporte le colis
– Le colis ?, demande Pasqua abasourdi, c'est quoi ?
– Ce colis commence par un c et finit par un s,reprend le général Rondot
Mis enfin, je sais comment s'écrit colis, répond Pasqua mal réveillé
En 2018, le dictateur soudanais est encore fréquentable. C'est à l'École militaire française qu'est présentée la réforme des Forces Armées Soudanaises (SAF) qui prévoyait la création des fameuses « Rapid Support Forces » du général félon Mohamed Hamdan Daglo, dit “Hemetti qui sont, depuis, entrées en rébellion contre le pouvoir militaire en place..
Paris va commencer à se poser des questions quand les civils et les officiers chassent Omar El Béchir du pouvoir en 2019. Ce dernier a agi comme un maitre artificier jouant de la division du pays, d'une diplomatie des services secrets qui lui permettait de téléphoner au Mossad comme à la DGSE, de l'émergence d'armées non étatiques mais transnationales comme les Rapid Support Forces et de relations financières solides avec l'Islam militant.
Le tout a fini par exploser à la figure du tyran. Et le Soudan avec.
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Tunisie. Une élection sans opposition pour Kaïs Saïed

La liste officielle des candidats à l'élection présidentielle du 6 octobre ne compte que trois candidats, dont le chef d'État sortant Kaïs Saïed. La plupart de ses adversaires potentiels ont été évincés ou ont eux-mêmes jeté l'éponge face aux nombreux obstacles administratifs rencontrés pour se présenter. Beaucoup de Tunisiens observent de loin le glissement imperceptible du pays vers un régime de pouvoir personnel.
Tiré d'Orient XXI.
Dans l'ancien palais beylical de Ksar Saïd, à quelques mètres du parlement, Farouk Bouasker, président de l'Instance supérieure indépendante des élections (ISIE) donne, durant une conférence de presse organisée le samedi 10 août, les noms des candidats à la présidentielle du 6 octobre 2024. Lorsqu'il s'arrête au bout de trois noms – sur les 17 candidatures déposées —, dont celui de l'actuel président de la République Kaïs Saïed, l'étonnement est palpable parmi les journalistes.
La Tunisie n'a pas connu une telle situation depuis l'élection présidentielle de 1999, sous le régime de Zine El-Abidine Ben Ali, lorsqu'une loi constitutionnelle a autorisé d'autres candidats à se présenter. Le président avait alors gagné avec 99,45 % des voix face à deux rivaux consentis pour la forme, mais qui n'avaient aucune chance dans un système dictatorial où les résultats étaient truqués et l'opposition muselée. Deux décennies plus tard, le scrutin du 6 octobre doit servir à conforter la dérive autoritaire vers laquelle s'oriente le pays.
Course d'obstacles
L'éventualité d'un second tour n'a même pas été mentionnée dans le calendrier électoral. « Tout a été fait pour dégoûter l'électeur d'aller voter, et décourager les candidats de se présenter. C'est un piège, car la faible participation, soit par boycott soit par désintérêt, facilitera la réélection de Kaïs Saïed », explique Kamel Jendoubi, militant des droits humains et premier président de l'Instance électorale de 2011 à 2014. Déjà en juillet 2023, les élections législatives avaient connu un taux de participation exceptionnellement faible de 11 %. Jendoubi fustige également le rôle ambigu et politique joué par l'ISIE dans l'enclenchement d'un processus électoral, dénoncé par la société civile et des partis politiques de gauche comme « anti-démocratique », dans un communiqué commun publié le 1er août.
Depuis le début de la date du dépôt des candidatures qui a commencé le 29 juillet, de nombreux candidats ont en effet dénoncé les obstacles administratifs insurmontables pour se présenter. Des prisonniers politiques, dont Issam Chebbi et Ghazi Chaouachi, membres des partis de centre gauche Al-Joumhoury et le Courant démocrate et qui n'ont toujours pas été jugés depuis plus d'un an, n'ont pas réussi à se procurer les formulaires nécessaires pour récolter les parrainages, malgré les procurations signées à leurs proches depuis le début de leur détention. Et pour cause : l'ISIE a exigé une autre procuration, spécifique aux élections, pour pouvoir présenter son dossier de canditature.
Pour le parrainage, 10 000 signatures d'électeurs répartis sur 10 circonscriptions sont requises, dont 500 au minimum par circonscription, « un démarchage déjà très compliqué selon le nouveau découpage électoral qui a créé 167 circonscriptions dont certaines, très petites », explique Kamel Jendoubi. L'autre alternative était de récolter 40 signatures d'élus des collectivités locales ou encore les parrainages de 10 députés, alors que les deux chambres parlementaires sont toutes les deux acquises au président sortant. Déjà avant le dépôt des candidatures, plusieurs personnes ont été arrêtées pour tentative de falsification et d'achat de parrainages. Certaines de ces tentatives sont avérées. « Nous avons voulu éviter les risques de fraudes par rapport à 2019 donc nous avons verrouillé le système », se défend un membre de l'ISIE en marge de la conférence, sans donner plus de détails sur le processus de vérification.
Dans le cas d'Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL), ses avocats ont demandé à ce qu'un huissier de justice soit envoyé à la prison de la Manouba où elle est détenue depuis octobre 2023, poursuivie dans plusieurs affaires dont celle pour « attentat dans le but de changer la forme du gouvernement ». L'huissier devait attester et valider sa procuration pour déléguer son dépôt de candidature à ses avocats. Bien que sans réponse, ses avocats ont tenu à déposer un dossier incomplet, sans parrainages : « À l'impossible, nul n'est tenu. Nous allons faire un recours auprès du tribunal administratif pour "fait du prince", et dénoncer la façon dont l'administration bloque de façon arbitraire les démarches d'un citoyen », explique Nafaa Lâaribi, l'un des représentants d'Abir Moussi.
Exclusion méthodique
Les obstacles administratifs n'ont pas touché que les membres de l'opposition en prison. En plus de la question des parrainages, il y a celle de l'obtention du bulletin n°3 (B3), l'équivalent de l'extrait de casier judiciaire. Cette exigence pour constituer un dossier de candidature, contestée par l'opposition, avait pourtant été rejetée par le tribunal administratif pour la présidentielle de 2014. L'obtention du B3 a ainsi été un obstacle pour plusieurs candidats annoncés, dont Mondher Zenaïdi, plusieurs fois ministre sous Ben Ali et vivant en France depuis la révolution de 2011.
Safi Saïd, essayiste, ancien conseiller de l'ancien dirigeant libyen Mouammar Kadhafi et ancien député de tendance nationaliste arabe, a décidé de jeter l'éponge quand l'ISIE l'a informé une première fois que son dossier était « incomplet », sans B3 et sans suffisamment de parrainages validés par l'Instance : « J'ai clairement vu que les chances n'étaient pas égales et que les règles et les critères du jeu n'étaient pas clairs », a-t-il déclaré dans un communiqué en date du 9 août, ajoutant qu'il risquait de participer à un « one man show de très mauvais goût » selon ses mots, en référence à la probable réélection du président Kaïs Saïed. De son côté, l'amiral Kamel Akrout, ancien conseiller du président défunt Béji Caïd Essebssi (2014 – 2019) a qualifié de « mascarade » la liste des candidats retenus le 10 août, ajoutant qu'il allait boycotter l'élection.
Autre moyen mobilisé contre les candidats : la justice. Ainsi, la veille de la date butoir du dépôt des candidatures, la présidente du PDL est condamnée à deux ans de prison dans le cadre d'une affaire l'opposant à l'ISIE qui avait porté plainte contre elle pour avoir critiqué le processus électoral législatif en 2023. La plainte de l'ISIE s'est basée sur le décret 54, ciblant la diffusion de rumeurs ou d'intox et utilisé majoritairement pour museler toute voix dissidente. Le même jour, l'ancien ministre de la santé et ex-membre du parti islamiste Ennahda Abdelatif Mekki a également été condamné pour achat de parrainages à huit mois de prison avec sursis, et une interdiction de se présenter aux élections. Il est depuis assigné à résidence.
La même sentence a frappé le candidat déclaré Lotfi Mraïhi, également condamné le 18 juillet à huit mois de prison et à l'inéligibilité « à vie », une première. D'autres candidats disent avoir découvert pendant leur démarche de dépôt de dossier des poursuites judiciaires à leur encontre, à l'image de Néji Jalloul, ancien ministre de l'éducation (2015 – 2017), découvrant avoir été condamné par contumace en mai 2024 à 6 mois de prison pour falsification de parrainages dans la présidentielle de 2019.
Un « coup de strike » pour éliminer les adversaires politiques, selon les mots du journal en ligne Business News, (1) et qui a touché une dizaine de candidats dont l'ex-candidate à la présidentielle de 2019, Leila Hammami, ou encore l'homme de médias, Nizar Chaari.
Dans ce contexte électoral, les médias sont également sous pression. La journaliste indépendante Khaoula Boukrim s'est vu retirer son accréditation par l'ISIE pour couvrir la présidentielle car elle n'aurait « pas assuré une couverture neutre et objective du processus électoral ». Le Syndicat des journalistes a dénoncé à plusieurs reprises les ingérences de l'ISIE dans le travail et le contenu journalistique. Malgré les résistances de certains journalistes, la couverture de la campagne présidentielle risque d'être timorée et muselée, la plupart des émissions de radio de grande écoute s'étant vidées de leurs présentateurs et chroniqueurs les plus aguerris dans le débat politique, sans compter les journalistes en prison tels que Borhen Bsaies, Mourad Zeghidi et la chroniqueuse et avocate Sonia Dahmani qui avaient l'habitude d'analyser la situation politique.
Human Rights Watch a publié un article le 20 août (2) pour dénoncer ce climat d'exclusion, appelant le gouvernement à « cesser ses ingérences politiques dans le processus électoral » et exhortant la communauté internationale « à ne plus garder le silence » face « à un processus électoral d'ores et déjà terni ». Pour Bassam Kawaja, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de l'ONG :
- Après avoir emprisonné des dizaines d'opposants et d'activistes de renom, les autorités tunisiennes ont écarté presque tous les concurrents sérieux de la course à la présidence, réduisant cette élection à une simple formalité.
Président ou candidat ?
Selon la liste préliminaire, ce sont Zouhair Maghzaoui, secrétaire général du parti nationaliste arabe Le Mouvement du peuple qui a approuvé le coup de force du 25 juillet 2021, ainsi qu'Ayachi Zammel, ex-député Nidaa Tounes en 2019 et président du parti libéral Azimoun, qui disputeront la mandature suprême face à Kaïs Saïed. Le recours de sept candidats – parmi lesquels Mondher Zenaïdi, Abir Moussi et Imad Daïmi, ancien conseiller du président Moncef Marzouki — dont les dossiers ont été refusés, a été rejeté par le tribunal administratif le week-end du 18 août. Entre les possibilités d'appel et de pourvoi en cassation, la bataille va durer jusqu'au 4 septembre, date à laquelle l'ISIE donnera la liste finale des candidats.
Dans ce contexte, Kaïs Saïed, qui a déclaré avoir récolté 242 000 parrainages lors du dépôt de sa candidature, est bien parti pour faire cavalier seul le 6 octobre. La campagne électorale semble avoir déjà été enclenchée avant son démarrage officiel, le 14 septembre, malgré un désintérêt que l'on suppose dans la population pour le scrutin et ses enjeux politiques, étant donné le faible taux de participation aux législatives de 2023 et pour le référendum constitutionnel de 2022. Depuis l'annonce du rendez-vous du 6 octobre, le président de la République, qui a fait connaître sa candidature sur la page officielle de la présidence de la République, enchaîne les déclarations sur l'état du pays et sur de nombreux problèmes qu'on peut assimiler à ceux d'une campagne électorale.
Ainsi, Kaïs Saïed multiplie les visites officielles dans le pays pour dénoncer les coupures d'eau à répétition, fruit de « sabotages » selon ses mots — et non du stress hydrique ni de l'état du réseau de distribution — ; l'état des transports publics qui l'a amené à ordonner l'acquisition immédiate de 1 000 bus ou encore les tentatives « d'ingérence et d'infiltration visant à perturber la situation sociale » qui le poussent à faire le point régulièrement avec le ministre de l'intérieur. Il a limogé inopinément son premier ministre Ahmed Hachani mercredi 7 août pour le remplacer par le ministre des affaires sociales Kamel Madouri, une décision inexpliquée rendue publique sur la page Facebook officielle de la présidence de la République.
Face aux critiques et à ce qu'il appelle une « campagne enragée contre l'État tunisien et le peuple tunisien souverain » menée par « d'aucuns » qui feraient partie de « lobbies », le président affirme que ces « élections ne sont pas une guerre », ajoutant, lors d'une réunion avec le ministre de l'intérieur le 23 août au Palais de Carthage, que « toutes les tentatives visant à envenimer la situation sont des tentatives désespérées ».
À l'approche de la rentrée, Kaïs Saïed se saisit aussi du dossier des enseignants suppléants précaires ou encore des conditions de travail des femmes agricoles à l'occasion de la Journée nationale de la femme le 13 août. Une chercheuse tunisienne qui a souhaité garder l'anonymat observe :
- Sa capacité à apporter des solutions est de plus en plus questionnée, que ce soit au niveau des commentaires, parfois critiques, sur la page Facebook de la Présidence, ou via certaines invectives d'habitants qui le prennent à parti.
Un mandat de dépôt a été émis contre un enseignant à la retraite pour une publication sur Facebook critique de la visite de Kaïs Saïed à Sidi Bouzid, berceau de la révolution, le 13 août.
La diminution des mouvements sociaux
Aux problèmes du manque d'eau qui faisaient encore l'objet des récriminations de certains habitants à Sidi Bouzid lors de la visite présidentielle s'ajoute un bilan en demi-teinte pour le chef de l'État selon l'ONG anti-corruption I-Watch. Dans un rapport publié le 27 juillet, celle-ci souligne que sur les 72 promesses émises par Kaïs Saïed depuis son arrivée au pouvoir en 2019, seulement 12 % ont été tenues, alors que l'homme dispose des pleins pouvoir depuis le 22 septembre 2022. Le document dénonce notamment le flou entourant toujours certains projets comme la Fondation Fidaa pour les blessés et martyrs de la révolution et les victimes de terrorisme – un des chevaux de bataille de Kaïs Saïed —, ou encore les entreprises communautaires, censées pouvoir résoudre le problème du chômage. Pour son travail, l'ONG a été visée par une plainte de l'ISIE mi-août, accusée d'avoir publié « des sondages en période électorale » dans son rapport des cinq ans de gouvernance du Président. I-Watch a dénoncé dans un communiqué cette plainte « visant à restreindre son action ».
La relative stabilité du pays peine à faire oublier l'inflation galopante, le taux de chômage et la croissance qui stagne à 1 %. « On observe qu'il y a eu beaucoup moins de mouvements sociaux en Tunisie [depuis 3 ans], mais cela ne reflète pas une baisse du mécontentement ou du désarroi social pour autant », selon la journaliste Rim Saoudi qui intervenait lors de la conférence de presse d'I-Watch. Elle explique :
- La baisse des protestations est liée à deux facteurs, le fait d'être taxé de « non patriote » car en bloquant la production, beaucoup de manifestants sont perçus comme des perturbateurs. Mais ils craignent aussi la criminalisation de toute forme de dissidence ou de voix critique du régime.
La journaliste oppose à la baisse de protestation sociale les chiffres alarmants de la hausse de l'émigration irrégulière : depuis le début de l'année 2024, plus de 30 000 tentatives d'émigration ont été empêchées par les autorités, et plus de 52 000 personnes ont tenté de franchir les frontières maritimes vers l'Europe, dont une majorité de Subsahariens. Dernièrement, les gardiens de but d'un club de football de Tataouine dans le sud tunisien ont fait partie de ces arrivées clandestines à Lampedusa.
Malgré ce bilan, Kaïs Saïed bénéficie encore d'un capital confiance auprès d'une partie de la population, difficile à quantifier faute de sondages. Cette frange perçoit ses campagnes de limogeages de commis de l'État ou encore ses sermons publics devant des directeurs de sociétés publiques « comme une façon d'appliquer la loi et de remettre les choses dans l'ordre », selon Boubaker, pêcheur à Radès, dans la banlieue sud de Tunis.
Pour Kamel Jendoubi, malgré le crédit dont bénéficie encore Kaïs Saïed dans certains milieux, « il faut attendre septembre pour voir si, avec les dépenses de la rentrée scolaire, les Tunisiens vont prêter attention à l'enjeu électoral et à ce qui se passe politiquement, car ce scrutin reste un enjeu très important pour l'avenir du pays », conclut-il. Pour beaucoup, la tentation du boycott reste très présente, « à cause du manque de crédibilité du processus mais surtout de l'absence d'alternative viable », ajoute la chercheuse tunisienne citée plus haut, qui attribue ce problème à plusieurs facteurs : « Le manque de charisme ou de propositions de programmes cohérents des autres candidats et aussi le vide politique qui n'a toujours pas été résorbé depuis le 25 juillet 2021. »
Notes
1- Raouf Ben Hédi, « Un strike du pouvoir élimine d'un coup dix candidats à la présidentielle », Business News, 6 août 2024.
2- « Tunisie : Des candidats potentiels à la présidence empêchés de se présenter », 20 août 2024, site de Human Rights Watch.
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« Ça ne se réglera pas sans une nouvelle guerre »

Durant dix-huit mois, le chercheur Mehdi Labzaé a parcouru les camps de déplacés du Tigray de l'Ouest, dans le nord de l'Éthiopie. Il a recueilli des centaines de témoignages de survivants de la guerre que se livrent les nationalistes amharas et les Forces de défense du Tigray. Ce troisième et dernier volet explique comment un système d'apartheid a été mis en place et comment le retour des réfugié·es, malgré l'accord de paix, est encore incertain.
Tiré d'Afrique XXI.
Pour les réfugié·es, l'horreur n'a pas pris fin en traversant le Tekezé vers le Soudan ou le centre du Tigray. Les déplacé·es ont été exposé·es à l'intensité des combats qui se sont déroulés autour de la ville de Sheraro, occupée de novembre 2020 à juin 2021 par l'armée érythréenne (1). Les déplacé·es ont aussi été poursuivi·es par des Fanno (le nom donné aux miliciens nationalistes amharas) – parmi ces derniers, certains nourrissent bien le désir d'exterminer les Tigréen·nes et pas seulement de les expulser du Tigray de l'Ouest.
Un homme originaire de Dansha raconte avoir vu des Fanno du Wolqayt désigner des déplacé·es du Tigray de l'Ouest à exécuter, en janvier et février 2021, dans la ville de Dedebit. Cette petite ville, connue dans toute l'Éthiopie comme le lieu où le TPLF a lancé sa lutte armée en 1975, lors de la précédente guerre civile, a accueilli des milliers de réfugié·es du Tigray de l'Ouest.
Le 7 janvier 2022, un drone de l'armée fédérale éthiopienne a frappé l'école où vivaient des centaines de déplacé·es. Un vieil homme rescapé témoigne : « C'était le soir, beaucoup [de gens] dormaient. Dans l'enceinte de l'école, 52 personnes sont mortes. Les autres sont mortes sur la route alors qu'on les emmenait à l'hôpital de Shiré. À ce moment-là, il n'y avait aucun service de santé à Dedebit. » Un homme qui a participé en urgence à l'enterrement des victimes dans une ancienne carrière raconte : « Les corps étaient déchiquetés, mélangés, on ne pouvait pas les reconnaître. On a dû enterrer ensemble les chrétiens, les musulmans, les prêtres, les hommes, les femmes. Tous originaires de l'Ouest, Dansha, Humera, Adebay... partout. »
« Ils se sont approprié les maisons des gens »
Depuis l'annexion du Tigray de l'Ouest, les autorités amharas ont organisé l'afflux de nouveaux habitants. Si certain·es se sont spontanément présenté·es dans ces basses terres afin de sécuriser un accès pérenne à la terre, des milliers de colons ont été installés par les autorités. Des réfugié·es ayant traversé le Tekezé dans les derniers jours du mois de mai 2024 affirment qu'il « se sont approprié les maisons que les gens ont quittées. »

Ces témoins assurent que l'administration a distribué des armes aux nouveaux habitants peu de temps après leur arrivée : « Une fois arrivés, ils se sont armés, c'est [une fois au Tigray de l'Ouest occupé] qu'ils les ont eues ! » Une femme récemment arrivée explique avoir décidé de fuir le Tigray de l'Ouest à cause de l'arrivée des colons, en mars 2024 : « On a eu peur de ceux qui sont venus dans le cadre du programme d'installation, car ils sont armés. Sinon, on ne se serait pas laissé faire [mais] deux jours après leur arrivée, [l'administration] leur a donné des armes. » Des déplacé·es arrivé·es au Tigray début juin décrivent comment les terres ont été redistribuées aux nouveaux venus par des hommes en armes et comment les Tigréen·nes et les Tsellim Bét restants ont été forcé·es de travailler la terre pour au mieux un quart de la récolte, quand ils n'étaient pas tout simplement empêchés de travailler.
Pour empêcher les personnes identifiées comme Tigréennes de circuler et donc de travailler, l'administration leur refuse la délivrance de cartes d'identité, et celles qui en font la demande sont arrêtées, ce qui en dissuade beaucoup d'essayer. La carte d'identité est pourtant indispensable pour traverser les nombreux check-points que comptent les routes de la zone : toute personne qui n'en possède pas est sûre d'être arrêtée et emprisonnée.
Un système d'apartheid
Dans certaines localités, l'administration locale a mis en place un système connu sous le nom de « papiers blancs ». Ces documents, qui ne sont pas des cartes d'identité à proprement parler, sont délivrés à la discrétion des administrateurs locaux et permettent de circuler au sein d'un district (wereda) pendant trois mois maximum. Fourni à toutes les forces de sécurité, ce permis de déplacement temporaire s'accompagne d'un avertissement : « Toute personne trouvée en possession de ce document en dehors de notre wereda ou de la ville de Humera sera poursuivie. »

De tels documents entretiennent et marquent l'institutionnalisation d'un système d'apartheid où les personnes identifiées comme Tigréennes n'ont pas les mêmes droits que celles identifiées comme Amharas. Empêché·es de circuler librement, les Tigréen·nes sont volontairement tenu·es à l'écart du marché du travail et sont constamment maintenu·es dans une forme d'illégalité.
Pour les Tigréen·nes demeuré·es à Wolqayt-Tegedé, l'emprisonnement est par ailleurs devenu commun. Toutes les personnes rencontrées qui ont traversé le Tekezé en 2024 ont été emprisonnées, la plupart plusieurs fois. La prison est un élément central de l'administration de la zone. Il en existe plusieurs types : des prisons officielles, des postes de police et des hangars agricoles transformés en lieux de détention.
Les prisonniers et les prisonnières sont exposé·es à de mauvais traitements. La nourriture est à la charge de la famille. À défaut, ils doivent compter sur ce qu'apportent les proches des autres détenu·es ou sur le pain et l'eau que leur donnent, au mieux une fois par jour, leurs geôliers. Les conditions de détention, sous des tôles ondulées surchauffées par le soleil des basses terres, sont extrêmement difficiles. Plusieurs témoins ont rapporté des morts en prison, ainsi que des assassinats et des disparitions.
Les « intellectuels » particulièrement visés
En octobre et novembre 2022, les Fanno et l'administration nationaliste ont fait disparaître des dizaines de détenu·es de la prison de Humera. Rencontrés à Sheraro, d'anciens prisonniers listent les noms de ces détenus disparus. Enseignants, fonctionnaires, employés de banques, représentants de commerce : tous avaient en commun d'avoir fait des études supérieures et d'être perçus localement comme des « intellectuels ».
Berhe (2), un jeune homme que l'armée fédérale a fait sortir d'une prison de Humera dans les premiers jours de juin 2024 pour l'amener à Sheraro, où je l'ai rencontré, a passé un mois en détention. C'était sa troisième incarcération. Il a été arrêté lors d'une des nombreuses rafles de Tigréen·nes à Humera et dans les alentours, puis a été retenu dans un hangar agricole, celui « de Kassahun », du nom de l'homme en arme qui le dirige. Il garde de ce dernier mois d'enfermement de mauvaises plaies au-dessus des coudes, recouvertes par des bandages suintants.
Il a été soumis une journée entière à la technique du « numéro 8 », qui consiste à attacher ensemble les bras et les jambes dans le dos. Ses tortionnaires l'accusaient d'avoir été membre des forces spéciales du Tigray – quand bien même il avait 16 ans au début de la guerre. Sa mère et sa sœur, restées dehors, ont payé les 20 000 birrs (325 euros) demandés par l'armée pour le faire sortir. Certains détenus ont été torturés via la technique du « numéro 8 » plusieurs jours durant, en plein soleil (au printemps, les températures de Humera tutoient les 45 °C à l'ombre).
Malgré l'accord de paix, l'incertitude des déplacés
Depuis mars 2024, des réunions se sont multipliées à différents échelons administratifs pour préparer le retour des déplacé·es. L'accord de Pretoria mettant fin aux hostilités, signé en novembre 2022, ne prévoyait pas explicitement le respect des frontières régionales ante bellum, mais un retour à l'ordre constitutionnel au Tigray, interprété comme incluant le retour de l'intégrité territoriale de la région. En théorie, il incombe au gouvernement fédéral d'assurer le retrait des forces amharas pour que les déplacé·es du Tigray puissent revenir.
Peu d'éléments ont filtré sur les négociations entre le gouvernement fédéral, les autorités de la région Amhara et le TPLF, mais la date du « 30 ginbot » (7 juin) a été retenue pour le retour des déplacé·es d'une partie du Tigray de l'Ouest, et celle du « 30 sené » (7 juillet) pour le retour de l'essentiel des réfugié·es. Dans les camps, des réunions préparatoires ont même été organisées. Mais la situation reste confuse : si les Forces de défense du Tigray et quelques centaines de déplacé·es ont amorcé un retour, on ignore quelle administration va gouverner ces espaces en cas de réelle réinstallation, plongeant dans l'incertitude des milliers de personnes.
Le gouvernement intérimaire du Tigray et le gouvernement fédéral auraient intérêt à voir ce retour se concrétiser : cela incarnerait une paix réelle, notamment aux yeux des bailleurs de fonds étrangers et des institutions financières internationales. Le gouvernement fédéral pourrait espérer une rallonge de l'aide internationale dont il a cruellement besoin alors que des négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) sont en cours. Empêtré dans une nouvelle guerre en région Amhara, le Premier ministre, Abiy Ahmed, joue la montre et ne semble pas avoir arrêté une politique quant au futur statut de Wolqayt-Tegedé. En novembre 2022, il affirmait que les questions territoriales devaient être réglées « par des mécanismes légaux ». Un an plus tard, il prônait un référendum.
« On a la liste, s'ils reviennent on les tue tous ! »
Cette idée a fait réagir les États-Unis. Lors de débats sur la politique étrangère états-unienne dans la Corne de l'Afrique, un élu démocrate à la Chambre des représentants s'interrogeait : « Quoi de plus malvenu qu'un référendum après un nettoyage ethnique ? » Pour l'administration du Tigray, dirigée par le TPLF, un retour des réfugiés acterait tout de même au moins une réussite, alors que les divisions internes au TPLF et à l'administration s'étalent dans les médias régionaux et que la région a été marquée par une nouvelle famine en 2024.
Les réfugié·es s'apprêtant à passer une quatrième saison des pluies dans des conditions très précaires souhaitent rentrer. Mais après ce qu'ils ont vécu au Tigray de l'Ouest, occupé jusqu'à leur départ, ils savent que tout retour sans garantie de sécurité sera synonyme de nouveaux massacres. Un homme, arrivé d'Adebay en mars 2024 après de multiples séjours dans les prisons de l'administration nationaliste amhara, témoigne : « Il y a deux Fanno qui disent aux gens qu'ils ont des listes, qu'ils savent où sont les Tigréen·nes et ceux qui restent : “On a la liste, on sait qui est là, et s'ils reviennent, on les tue tous ! Les Tigréen·es resté·es ici sont entre nos mains.” »
Les autorités qui occupent la zone peuvent facilement mettre à jour leurs listes. En effet, elles arrêtent régulièrement des Tigréen·nes sans motif légal autre que l'absence de document d'identité et les gardent en prison jusqu'au paiement d'une rançon. Depuis mai 2024, certains Fanno ont même commencé à faire payer des rançons aux familles pour l'accès à la simple information du lieu d'emprisonnement de leurs proches. L'armée fédérale éthiopienne, présente dans la zone aux côtés des nationalistes amharas, est elle aussi impliquée dans ces affaires. Si Berhe a payé 20 000 birrs, d'autres anciens détenus parlent de sommes deux à trois fois supérieures.
Ainsi, le retour des réfugié·es laisse craindre de nouvelles violences. On ignore le nombre de Tigréen·nes toujours présent·es au Tigray de l'Ouest. Le fait que les catégories identitaires soient si malléables laisse penser que de nouvelles personnes peuvent toujours être identifiées comme telles et être réprimées. Désespéré·es, nombre de réfugié·es confient leurs craintes : « Ça ne se réglera pas sans une nouvelle guerre. »
Notes
1- Alliée au gouvernement fédéral éthiopien, l'Érythrée a occupé de larges portions du Tigray entre novembre 2020 et juin 2021. Des localités frontalières demeurent sous emprise à l'heure actuelle.
2- Tous les prénoms ont été changés.
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Élections présidentielles au Venezuela : Tentative de coup d’État ou fraude ?

Écrivain, militant, sociologue et directeur du Centre d'études pour la démocratie socialiste, Reinaldo Antonio Iturriza López revient dans cet entretien réalisé par Federico Fuentes pour LINKS International Journal of Socialist Renewal sur les récits concurrents – et insatisfaisants – qui entourent l'élection présidentielle du 28 juillet au Venezuela.
Tiré d'Inprecor
1 septembre 2024
Par Reinaldo Antonio Iturriza López
L'élection présidentielle du 28 juillet semble être une répétition des élections précédentes, l'opposition dénonçant à nouveau des fraudes et le gouvernement dénonçant une fois de plus une tentative de coup d'État. Quelle est votre analyse ?
Permettez-moi tout d'abord de rappeler les analyses typiques qui sont faites à chaque fois qu'une élection a lieu au Venezuela. En règle générale, le point de départ - étayé par des preuves factuelles - est que chaque campagne voit s'affronter deux camps antagonistes : l'ensemble des forces alignées sur le programme de la révolution bolivarienne contre l'ensemble des forces qui s'y opposent.
À partir de là, les interprétations varient quant aux raisons pour lesquelles le premier camp est au pouvoir depuis 25 ans. Une partie de la gauche a tendance à considérer les victoires successives du chavisme comme la preuve de l'énorme capacité de résistance de sa base et de l'incontestable capacité politique de sa direction à neutraliser les attaques de l'impérialisme et à empêcher les forces les plus réactionnaires de revenir au pouvoir. De son côté, la droite construit un récit selon lequel le maintien au pouvoir du chavisme ne peut s'expliquer que par son caractère autoritaire : toutes ses victoires électorales seraient forcément sujettes à caution ou dépourvues de légitimité et résulteraient de la manipulation des masses par le gouvernement, de l'utilisation abusive des ressources publiques lors des campagnes électorales et de la discrimination généralisée des leaders de l'opposition, ou encore de la fraude. Une autre partie de la gauche reprend à son compte certains de ces points de vue pour se dissocier du chavisme, qu'elle considère comme autoritaire, irrespectueux du principe de l'alternance démocratique, usant de manœuvres contre l'opposition, réprimant les manifestations publiques, restreignant les libertés, contrôlant les institutions et portant la responsabilité des dérives économiques.
En réponse, la partie de la gauche qui a une évaluation plus positive de la révolution bolivarienne a tendance à dénoncer le système de deux poids, deux mesures qui prévaut lorsqu'il s'agit du Venezuela. Elle souligne que ce qui est identifié comme des erreurs, des faiblesses ou des excès du chavisme au pouvoir est considéré comme normal dans n'importe quel autre pays démocratique - sans même parler du silence lorsqu'il s'agit de sociétés soumises à des régimes véritablement dictatoriaux ou face au génocide à Gaza, par exemple.
Tels sont les faits et les différentes interprétations de ces faits, exposés de manière très résumée. Périodiquement, des élections ont lieu au Venezuela où des courants différents s'affrontent. Ensuite, une fois les résultats connus, nous passons à la phase de débat sur ce qui s'est passé, sur la base d'évaluations fondées sur des convictions politiques préexistantes. C'est normal, c'est comme cela que ça s'est passé et, en principe, tout indique que ça va continuer comme ça. Il ne semble donc pas utile d'essayer d'expliquer ces différentes interprétations, car nous savons déjà qu'elles ne font que refléter des positions politiques préexistantes, etc.
Si l'on veut vraiment comprendre ce qui se passe au Venezuela, il faut plutôt partir de ce qui s'est réellement passé, c'est-à-dire des faits incontestables. Comme il s'agissait d'une élection présidentielle, nous devons non seulement nous intéresser aux forces politiques en présence - ce qui inclut, bien sûr, l'influence pernicieuse exercée par l'impérialisme américain - mais aussi et surtout au détenteur de la souveraineté populaire, c'est-à-dire aux citoyens.
Le premier fait à garder à l'esprit est que les Vénézuéliens qui ont voté le 28 juillet l'ont fait dans un contexte de profonde crise de la représentation politique. D'une manière générale, la classe politique est dans le pire état qu'elle ait connu au cours des 25 dernières années. D'une part, nous avons une classe politique anti-chaviste plombée par le poids accumulé des défaites successives, vilipendée par sa base sociale, en proie à ses propres contradictions, sans direction incontestée et fédératrice, avec peu de clairvoyance stratégique, sous la férule du gouvernement américain, et qui paie le prix de ses dérives anti-démocratiques qui ont dilapidé tout son capital politique. D'autre part, nous avons une classe dirigeante qui est également en proie à ses propres contradictions. Cela a généré un conflit interne dans lequel les tendances les plus conservatrices et pragmatiques l'ont emporté et ont imposé ce que le marxiste italien Antonio Gramsci a appelé l'anti-programme de la révolution passive. La classe ouvrière a alors cessé de constituer l'épine dorsale du bloc de forces au pouvoir.
Depuis la défaite de la classe dirigeante aux élections législatives de 2015 (un signe clair de la fracturation de ce bloc hégémonique national et populaire), mais surtout à partir de septembre 2018 (lorsqu'elle a commencé à mettre en œuvre un programme économique d'un monétarisme orthodoxe), cette classe a tenté de recomposer son bloc dirigeant par le haut avec des fractions de la classe capitaliste. Ce processus a créé les conditions d'une désintégration progressive de sa force politique qui lui venait d'en bas. Au cours de la dernière décennie, d'énormes contingents de ce qui était autrefois la base ouvrière du gouvernement se sont désaffiliés du chavisme. Une partie importante de la société vénézuélienne se trouve à nouveau dans une "situación de vaciamiento ideológico" (situation de vide idéologique), pour reprendre une expression du marxiste bolivien René Zavaleta Mercado. Ce phénomène avait disparu du pays depuis les années 1990 et, il faut le souligner, il s'agissait d'un problème politique de premier ordre que le chavisme a réussi à résoudre.
Quelles sont les implications de tout cela pour les élections présidentielles du 28 juillet ? Tout d'abord, il est évident que les deux forces se sont lancées dans la campagne avec des bases sociales profondément affaiblies. Deuxièmement, le changement stratégique opéré par la classe dirigeante implique la remise en question d'un fait autrefois considéré comme acquis, à savoir que les élections sont un affrontement entre deux projets historiques opposés. Le débat programmatique a été pratiquement absent tout au long de la campagne. Troisièmement, et en lien direct avec le point précédent, un important contingent de citoyens - ceux qui se trouvent dans une "situation de vide idéologique" - a exercé son droit de vote alors qu'il ne se sentait représenté par aucun candidat. Enfin, une part considérable du vote en faveur du candidat de l'opposition ne traduisait pas une identification avec l'anti-chavisme mais était fondamentalement un vote contre le gouvernement. L'inverse est également vrai : une partie du vote pour le candidat officiel n'était pas l'expression d'un soutien au gouvernement, mais plutôt d'un refus d'une victoire possible de l'ultra-droite.
Il est important de souligner que, dans une telle situation, il était crucial que l'arbitre électoral ne laisse aucune place au doute quant au résultat, en garantissant la réalisation des opérations de vérification requises et en publiant les résultats répartis par bureau de vote. Non seulement cela n'a pas eu lieu, mais les explications du Conseil national électoral (CNE) sur les raisons pour lesquelles il n'a pas été en mesure de remplir ses fonctions - à savoir un piratage du système de vote - ont été franchement insuffisantes, c'est le moins que l'on puisse dire.
Tout cela signifie que les interprétations habituelles sont totalement inadéquates pour évaluer ce qui s'est passé au Venezuela depuis le 28 juillet. Elles reposent, au mieux, sur des lectures superficielles et, au pire, sur une méconnaissance totale de ce qui s'est passé ces dernières années en termes d'équilibre des forces politiques. Il est également manifeste qu'au-delà des versions opposées des événements (fraude ou tentative de coup d'État), nous nous trouvons dans une situation où le doute raisonnable, et avec lui un véritable sentiment de malaise, s'est installé au cœur de la société vénézuélienne. Les manifestations populaires du 29 juillet en sont le résultat direct. Il ne fait aucun doute que les deux camps ont cherché à peser sur le cours des événements de ce jour-là : l'un en cherchant à capitaliser sur le mécontentement et à attiser la violence, l'autre en imposant l'ordre. Nous pouvons clairement affirmer qu'aujourd'hui, l'ordre règne au Venezuela, même si des doutes subsistent et qu'un sentiment de malaise demeure.
Selon vous, pourquoi le CNE et le gouvernement n'ont-ils pas encore publié les résultats du vote et les feuilles de décompte ? Que pensez-vous de l'arrêt de la Cour suprême (TSJ) ?
Il convient de rappeler les mots exacts du dirigeant du conseil électoral, Elvis Amoroso, lorsqu'il a communiqué le premier bulletin officiel aux premières heures du 29 juillet. Il a déclaré : "Les résultats bureau de vote par bureau de vote seront disponibles sur le site web du Conseil National Electoral dans les prochaines heures, comme cela a toujours été le cas, grâce au système de vote automatisé. De même, les résultats seront remis aux organisations politiques sur CD, conformément à la loi". Comme je l'ai déjà dit, non seulement cela n'a pas eu lieu, mais les explications ont été franchement insuffisantes.
J'ajouterai que la publication des résultats de manière détaillée et vérifiable n'est pas seulement une question technique, c'est une question de fond : nous parlons de quelque chose qui est à la fois une obligation de l'arbitre électoral et une chose à laquelle a droit le peuple vénézuélien, qui a le sentiment que ce droit lui a été volé. La situation n'a pas changé à la suite de la décision du TSJ, qui a validé les résultats du CNE tout en l'invitant à les publier conformément à la loi, c'est-à-dire dans les 30 jours suivant la nomination officielle du nouveau président de la République.
Comment voyez-vous le rôle qu'ont joué les gouvernements latino-américains ?
Je voudrais mettre l'accent sur le rôle joué par les gouvernements colombien, brésilien et mexicain. À mon avis, ils sont véritablement motivés par la volonté de jouer un rôle de médiateur entre les parties en présence, tout en accordant la priorité à la reconnaissance de la volonté du peuple. Leurs déclarations publiques ont été marquées, du moins jusqu'à présent, par le bon sens, ce qui me semble essentiel à l'heure actuelle. Je crois qu'il est juste de souligner la nécessité d'une "publication en toute transparence de résultats ventilés et vérifiables". Une telle position est conforme aux intérêts de la majorité de la classe ouvrière de notre pays.
Avec un peu de recul, comment en sommes-nous arrivés à cette situation ? Plus précisément, comment qualifieriez-vous la voie suivie par le gouvernement de Nicolas Maduro au cours des dernières années ?
J'ai fourni quelques éléments de contexte importants pour nous aider à comprendre comment nous en sommes arrivés à la situation actuelle. Mais j'aimerais ajouter ce qui suit : Je comprends parfaitement pourquoi les impacts du blocus économique impérialiste sur le Venezuela sont si souvent invoqués pour expliquer l'agitation populaire. Qui plus est, je dirais que la raison en est évidente : en effet, ce blocus a multiplié de façon exponentielle les maux infligés à la population par la crise économique qui sévissait antérieurement, par exemple, à la mise en application des premières sanctions imposées à Petróleos de Venezuela en août 2017. Nous parlons de mesures punitives et illégales qui visaient à accélérer l'effondrement de l'économie nationale et, pour dire les choses crûment, à engendrer des souffrances humaines et des morts. Confrontée à ces conditions, à une situation aussi extrême, une société comme celle du Venezuela - qui a vécu des années de politisation intense - mettra naturellement en balance les dommages causés par ces attaques et les décisions prises par les dirigeants politiques pour les contrer. Si l'on peut dire que quelque chose est profondément ancré dans la culture politique du citoyen vénézuélien moyen, c'est la conviction que ses dirigeants politiques doivent assumer leurs responsabilités face à de tels défis - Hugo Chávez a joué un rôle fondamental à cet égard.
La façon dont la classe dirigeante a fait face à ces difficultés a été de construire un récit selon lequel il n'y avait pas d'alternative aux mesures qu'elle a finalement adoptées, par exemple dans le domaine de la politique économique. C'était le premier mauvais signal. En d'autres termes, aucun espace n'a été laissé aux délibérations publiques, aux débats contradictoires sur les différentes options, pour la simple raison qu'il n'y avait qu'une seule option. Et si la seule et unique option remettait en question les objectifs stratégiques de la révolution bolivarienne elle-même ? Manque de chance. Une fois cette logique installée au sein de la classe dirigeante, la seule solution pour contrôler l'hyperinflation, pour ne citer qu'un exemple, a été l'ensemble des mesures appliquées à partir de septembre 2018 : réduction drastique des dépenses publiques, dévaluation des salaires à un niveau historiquement bas, versement des rémunérations de la classe ouvrière sous forme de primes, etc.
Cette séquence d'événements qui ont entraîné un appauvrissement matériel (qui est toujours, en même temps, un appauvrissement spirituel et qui affecte radicalement les liens sociaux), combinée à un blocus impérialiste qui a amplifié de manière exponentielle l'appauvrissement matériel, et à l'appauvrissement politique résultant de l'exclusion de toute alternative pour faire face à la situation, le tout suivi d'un nouvel appauvrissement matériel, contribue à expliquer, au moins partiellement, le fait très grave qu'une partie importante des citoyens est allée jusqu'à considérer l'ultra-droite vénézuélienne comme une option politique valable.
Quelle(s) position(s) les forces politiques de la gauche radicale ont-elles adoptée(s) à l'égard des élections ? Quelles sont les possibilités de renforcer la gauche dans le contexte actuel ?
Je peux vous répondre en fonction de l'orientation de mes propres activités : il y a beaucoup de possibilités, et nous travaillons à les multiplier. Nous essayons de créer des espaces pour analyser la situation sur la base d'un minimum de rigueur intellectuelle et d'honnêteté. Dans ces espaces, nous essayons de sauver de l'oubli les aspects les plus précieux des traditions de la gauche révolutionnaire vénézuélienne, en cherchant à garantir leur transmission à la génération suivante, afin que ceux qui arrivent au militantisme ne considèrent pas qu'ils doient repartir de zéro. Il y a une énorme quantité de luttes et de connaissances qui peuvent nous éclairer sur ce que nous avons à faire aujourd'hui et à l'avenir. Nous traversons incontestablement une période particulièrement difficile, mais ce ne sera ni la première ni la dernière fois que nous serons confrontés à une telle situation. Nous n'établissons pas seulement des liens avec des activistes dans de nombreuses régions du pays (et en dehors du Venezuela), mais nous nous efforçons également de mettre en place une structuration politique plus efficace. En outre, nous sommes convaincus que, quelles que soient les circonstances, la gauche révolutionnaire ne peut en aucun cas se permettre de se concevoir comme un ghetto, comme une poignée d'activistes qui proposent des témoignages de luttes sacrificielles, et tout ce qui s'ensuit. Comme nous l'a enseigné [le révolutionnaire vénézuélien] Alfredo Maneiro, la solution aux problèmes fondamentaux du pays passe par la gauche, mais aussi au-delà d'elle. La gauche révolutionnaire doit pouvoir parler à la majorité de la classe ouvrière et se faire remarquer par sa vocation à exercer le pouvoir, comme l'a expliqué Chávez.
Face à une situation confuse qui ressemble à un labyrinthe politique sans issue apparente, je crois que l'heure est à la retenue et à la force de caractère. Les actions motivées uniquement par l'indignation morale conduiront invariablement à des faux pas. Je suis convaincu que de nouvelles situations se présenteront. Comme je l'ai dit, l'ordre règne au Venezuela et avec lui le calme, mais c'est un calme plein d'inquiétude. Le peuple vénézuélien aura le dernier mot
Publié par LINKS Revue internationale du renouveau socialiste le 28 août 2024.
Traduit pour ESSF pr Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepL
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Argentine. « Le gouvernement de Milei contre le consensus de Nunca Más »

Pour le président argentin Javier Milei, les forces armées de son pays ont fait l'objet d'une campagne de discrédit au cours des dernières décennies. C'est ce qu'il a déclaré le vendredi 16 août, alors qu'il présidait ce que l'on appelle dans les milieux militaires le « dîner de la camaraderie ». La phrase du président contenait un verdict : une grande partie de ce qui a été dit depuis le rétablissement de la démocratie en 1983 jusqu'à aujourd'hui est fausse. Or, depuis cette année-là, il a été prouvé que les forces armées avaient mis en œuvre un plan systématique de disparition, de torture et de meurtre en recourant à plus de 700 centres de détention clandestins.
26 août 2024 | tiré du site alecontre.org
http://alencontre.org/ameriques/amelat/argentine/argentine-le-gouvernement-de-milei-contre-le-consensus-de-nunca-mas.html
L'Argentine a célébré ses 40 ans de démocratie dans le cadre de l'arrivée à la Casa Rosada d'un gouvernement [Milei est entré en fonction le 10 décembre 2023] qui a remis en cause le consensus construit au cours des quatre dernières décennies : il nie les crimes contre l'humanité, désavoue les organisations de défense des droits de l'homme et montre des signes d'empathie à l'égard des auteurs de ces crimes.
L'examen de ce qui s'est passé pendant les années de terrorisme d'Etat n'est en effet pas l'une des questions qui empêchent Milei de dormir, car il est absorbé par les discussions économiques et par la construction de sa figure en tant que leader de l'extrême droite internationale. Ce réexamen renvoie plutôt à la thématique autour de laquelle sa vice-présidente, Victoria Villarruel, a construit sa carrière. Fille et petite-fille d'officiers militaires, Victorial Villarruel – aujourd'hui assez éloignée politiquement de Milei – est active depuis plus de 20 ans dans des organisations qui défendent l'action des militaires au cours des années 1970. Elle développe un argument structuré autour de la défense d'une « mémoire complète » de cette période. Elle a participé aux manifestations réclamant la libération des criminels de la dernière dictature (1976-1983) et a fait partie d'une stratégie visant à faire échouer les procès qui ont été rouverts en 2006, après que la Cour suprême de justice a déclaré inconstitutionnelles les lois qui les empêchaient d'être jugés. Depuis lors, elle exige que les survivants des organisations politico-militaires de gauche soient jugés comme s'ils portaient la même responsabilité que ceux qui ont mis en œuvre le système concentrationnaire dans le pays.
Malgré les profonds changements politiques, les procès pour les crimes commis pendant la dernière dictature n'ont pas cessé. Selon le Bureau du procureur pour les crimes contre l'humanité, 13 procès sont en cours. Il y a 1187 condamnations pour ces crimes. 642 personnes sont en détention : 134 d'entre elles dans des prisons ordinaires et les autres en résidence surveillée.
***
Ces dernières semaines, une photo a choqué le pays. Elle a été prise le 11 juillet par six députés de La Libertad Avanza, le parti de Milei, les montrant aux côtés d'un groupe d'agents de la répression, cela dans la prison d'Ezeiza, située dans la province de Buenos Aires. Tous ces militaires sont en prison après que leur participation active à des crimes contre l'humanité a été prouvée. La photo montre Alfredo Astiz, une figure emblématique du terrorisme d'Etat. Pendant la dernière dictature militaire, Astiz était un jeune marin en poste à l'Escuela de Mecánica de la Armada (ESMA), école transformée pendant la dictature en un camp de concentration où sont passés 5000 hommes et femmes.
Alfredo Astiz a infiltré le mouvement des droits de l'homme naissant. Il s'y est présenté comme le frère d'une personne disparue. Il va gagner la confiance des premières Mères de la Place de Mai. Il propose à leur fondatrice, Azucena Villaflor de De Vincenti, de l'accompagner à son domicile. Entre le 8 et le 10 décembre 1977, il réalise son coup de maître : il identifie 12 personnes qui seront enlevées, torturées et jetées vivantes dans l'océan Atlantique. Parmi elles se trouvent trois membres des Mères de la Place de Mai – Villaflor de De Vincenti, Esther Ballestrino de Careaga et María Eugenia Ponce de Bianco – ainsi que les religieuses françaises Alice Domon et Léonie Duquet. Alfredo Astiz ne s'est jamais repenti de ses crimes. La justice argentine l'a condamné à deux reprises à la prison à vie. Cette peine s'ajoute à celle prononcée par contumace en France. Après 1983, il a osé déclarer qu'il était le mieux à même de tuer un journaliste.
Après la rencontre avec les auteurs de ces crimes, cinq des six député·e·s du parti au pouvoir ont participé à la rédaction d'un communiqué pour demander que les détenus soient renvoyés chez eux et que leur cas soit réexaminé. Ce communiqué n'a pas été rendu public en raison du désaveu suscité par la visite et suite à la décision du gouvernement d'atténuer la controverse. Les organisations de défense des droits de l'homme exigent que cet épisode fasse l'objet d'une enquête et que les élus qui défendent les auteurs d'enlèvements, de tortures et de disparitions soient radiés [de leur poste parlementaire en se référant à l'art. 66 de la Constitution]. Deux députées qui ont participé à la visite – les plus jeunes de la délégation – ont exprimé leurs regrets et déclaré qu'elles ne savaient pas qui étaient ceux qu'elles allaient voir. L'une d'entre elles [Lourdes Arrieta, élue de Libertad Avanza, dans la circonscription de Mendosa] a porté l'affaire [en publiant des chats sur WhatsApp] devant les tribunaux, où elle a indiqué qu'elle aurait également eu des contacts avec un prêtre – expulsé par la suite de son diocèse –, un ancien juge et des avocats de la défense de personnes condamnées pour crimes contre l'humanité. Ces derniers élaboraient différentes stratégies pour libérer les détenus et mettre fin au processus de jugement.
La visite des député·e·s n'est pas un événement isolé. D'autres visites officielles ont eu lieu dans des prisons. Le ministère de la Défense a envoyé deux hauts fonctionnaires dans l'unité pénitentiaire de Campo de Mayo, la principale garnison militaire du pays. Ils y ont pris connaissance des demandes des détenus, dont le principal objectif est d'obtenir leur liberté. Le ministère de la Sécurité, chargé des prisons, est dirigé par Patricia Bullrich, la candidate à la présidence qui est arrivée troisième aux élections primaires et qui a ensuite rejoint le gouvernement de Milei au même poste que celui qu'elle occupait sous Mauricio Macri (2015-2019). Pendant la campagne électorale, l'un de ses principaux conseillers et actuel chef de cabinet avait publié dans le journal La Nación que les équipes de Bullrich travaillaient sur une « solution » pour qu'aucune personne de plus de 70 ans ne soit détenue pour des crimes commis pendant la dictature.
Pour l'instant, on ne sait pas en quoi consiste cette initiative, mais la ministre a publiquement plaidé en faveur de l'assignation à résidence [et non de la prison]. Le ministre de la Justice, Mariano Cúneo Libarona [indépendant, affilié à La Libertad Avanza], qui a déclaré que la justice s'était transformée en vengeance, a fait la même déclaration. Jusqu'à quelques jours avant son entrée en fonction, Cúneo Libarona avait été l'avocat d'Enrique Barre, accusé d'être le commandant en second du « Pozo de Banfield », un camp de concentration situé au sud du Grand Buenos Aires, qui servait de base au Plan Condor – la coordination répressive entre les dictatures de la région [de 1975 à 1983] –, de maternité clandestine [pour les enfants enlevés de prisonnières] et de lieu d'hébergement pour les jeunes lycéens [séparés des parents réprimés].
A l'occasion du 48e anniversaire du dernier coup d'Etat, la ministre de la Sécurité a pris la décision de supprimer les primes offertes par le gouvernement à ceux qui pourraient fournir des informations permettant de capturer une vingtaine de fugitifs accusés de crimes contre l'humanité. L'explication officielle était que le ministère préférait allouer ces ressources à la lutte contre le trafic de drogue.
La vérité en état de siège
En près de neuf mois, le gouvernement de Milei a pris deux mesures qui peuvent être qualifiées d'attaques contre le processus de Memoria, Verdad y Justicia : c'est-à-dire le démantèlement de la Commission nationale pour le droit à l'identité (CoNaDI) et l'élimination de la politique de recherche d'archives pour contribuer aux enquêtes sur les crimes commis pendant la dernière dictature. La CoNaDI a été créée en 1992, sous le gouvernement de Carlos Menem, à la demande de Abuelas de Plaza de Mayo, l'organisation de défense des droits de l'homme qui recherche depuis 1977 les enfants volés pendant les années de terrorisme d'Etat. La création de la CoNaDI visait à répondre à l'engagement pris par l'Etat argentin lors de la signature de la Convention relative aux droits de l'enfant, qui reconnaissait le droit à l'identité.
La fonction principale de la CoNaDI est de prendre les cas qui seront examinés devant la Banque Nationale de Données Génétiques (BNDG) afin de déterminer s'il s'agit d'enfants de personnes disparues. En 2001, les fonctions de la CoNaDI ont été ratifiées par une loi. Trois ans plus tard, le président Néstor Kirchner [mai 2003-décembre 2007] a signé un décret créant une unité spéciale d'enquête (UEI) au sein de la CoNaDI et l'autorisant à accéder à toutes les archives détenues par l'Etat afin de retrouver les bébés disparus.
Les Abuelas de Plaza de Mayo ont permis de rétablir 133 identités depuis sa création. Selon les estimations de l'organisation, 500 enfants ont été volés pendant les années de terrorisme d'Etat. Tout au long des deux dernières décennies, la CoNaDI a reçu des plaintes de la part des Abuelas de Plaza de Mayo, de particuliers et de personnes ayant des doutes sur leurs origines. Elle a mené des enquêtes pour déterminer s'il existait un cas possible d'appropriation ; elle a transmis 90% des cas de test qui sont arrivés à la BNDG et a fait des soumissions formelles au ministère public ou à l'appareil judiciaire.
Comme l'a souligné le procureur Pablo Parenti, chargé d'enquêter sur les cas d'enlèvement d'enfants dans le contexte du terrorisme d'Etat, la CoNaDI n'a jamais été remise en cause par les juges, les procureurs ou les défenseurs officiels. Mais en mai de cette année, le ministère de la Sécurité a annoncé qu'il ne répondrait plus aux demandes de la CoNaDI parce qu'il ne voulait pas contribuer à la « persécution » du personnel des forces de sécurité.
En retirant l'unité spéciale d'enquête (UEI) de la CoNaDI, le gouvernement Milei a fait valoir que le pouvoir exécutif n'était pas habilité à mener des enquêtes et que cette responsabilité incombait au ministère public. L'histoire semble contredire cette affirmation : cinq jours après le retour à la démocratie, le président de l'époque, Raúl Alfonsín, a signé le décret 187/1983, créant la Commission nationale sur la disparition des personnes (Conadep), qui a enquêté sur les cas des personnes enlevées dans les camps de concentration de la dictature. Le rapport de la Conadep, intitulé Nunca Más (Jamais plus) [dont une première version a été publiée en 1984], a jeté les bases de la démocratie argentine.
Fabián Salvioli, ancien rapporteur spécial des Nations unies pour la Promoción de la Verdad, la Justicia, la Reparación y las Garantías de No Repetición, explique qu'il est erroné d'affirmer [comme Milei] que le pouvoir exécutif ne peut pas mener d'enquêtes. Le juge Alejandro Slokar, coordinateur de la Commission des crimes contre l'humanité qui opère au sein de la Chambre fédérale de cassation – la plus haute juridiction pénale du pays – soutient qu'en fait, le pouvoir exécutif est l'acteur obligé, devant les instances internationales, de rendre compte de la manière dont l'Etat argentin remplit ses engagements en matière d'établissement de la vérité.
Les Grands-mères de la Place de Mai ont exigé que ce qui a pris des décennies à construire ne soit pas effacé d'un trait de plume. Certains de ses membres – pour la plupart des petits-enfants dont l'identité a été rétablie au cours des dernières décennies – ont dénoncé une manœuvre visant à favoriser l'impunité des coupables. « C'est à la demande des coupables », affirme Victoria Montenegro [membre du Frente de Todos], fille de disparus, « adoptée » par un colonel de l'armée et actuellement présidente de la Commission des droits de l'homme de l'Assemblée législative de la ville de Buenos Aires.
Le démantèlement de la CoNaDI a un précédent direct : en mars dernier, le ministre de la Défense, Luis Petri [membre de la coalition Juntos por el Cambio], a démantelé les équipes chargées de collecter et d'analyser les archives détenues par les forces armées. Il s'agit de documents bureaucratiques – dossiers, rapports quotidiens, registres de différentes unités militaires – grâce auxquels il était possible d'identifier les personnes ayant agi dans certains lieux de détention. Les équipes ont été créées en 2010, après que la présidente de l'époque, Cristina Fernández de Kirchner [décembre 2007-décembre 2015], a déclassifié des informations des forces armées concernant la période 1976-1983. Les procès contre l'humanité étaient alors à leur apogée. Les experts du ministère de la Défense ont contribué à plus de 180 affaires.
Les seules mises en question faites à ces équipes l'ont été par des personnes se trouvant sur le banc des accusés, qui n'étaient pas intéressées par les preuves les visant. Leurs contributions ont été soulignées par 36 procureurs, qui ont demandé au ministre de revenir sur sa décision. Dans différentes décisions, le pouvoir judiciaire a apprécié ces contributions. Cependant, pendant le mandat de Milei, le ministère de la Défense a soutenu que les civils avaient effectué des recherches dans les dossiers dans le cadre d'une stratégie de « maccarthysme » contre les forces armées et que ses membres fonctionnaient comme un « groupe para-judiciaire ». Dans cette affaire, il a également été soutenu que le pouvoir exécutif ne devrait pas mener d'enquêtes, ce pouvoir appartenant au ministère public.
Le 2 mai, trois rapporteurs spéciaux des Nations unies ont fait part de leur inquiétude au gouvernement argentin, l'exhortant à préserver les archives des forces armées et à empêcher tout acte de négationnisme ou de révisionnisme. « Nous rappelons que le droit international des droits de l'homme établit l'obligation pour l'Etat argentin d'enquêter sur les violations graves des droits de l'homme et de les punir, d'établir la vérité sur les circonstances dans lesquelles ces violations ont eu lieu et, dans le cas des disparitions forcées, sur le sort des personnes disparues et le lieu où elles se trouvent, de préserver la mémoire historique, les archives et les preuves de ces violations, et d'empêcher l'émergence de thèses révisionnistes, relativistes et négationnistes à leur sujet. Nous rappelons à notre tour que le non-respect de ces obligations par les entités et autorités étatiques compétentes est en mesure d'engager la responsabilité de l'Etat argentin », ont déclaré Bernard Duhaime (rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition), Aua Baldé (président-rapporteur du groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires) et Morris Tidball Binz (rapporteur sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires).
Des réactions en Argentine ont également eu lieu. La Chambre de cassation a recommandé à tous les tribunaux chargés de juger les crimes de la dictature de préserver les archives et les lieux où les crimes ont été commis. Beaucoup de ces espaces sont devenus des lieux de mémoire – qui sont soumis aux politiques d'austérité du gouvernement Milei, avec le licenciement d'un grand nombre de leurs employés.
La présence à la Casa Rosada d'un gouvernement qui ne compatit pas avec les victimes de la dictature soulève la question de savoir combien d'attaques le Processus de vérité et de justice peut tolérer, si une fois de plus les citoyens descendront dans la rue pour exiger le jugement et la punition des coupables, et si cela ne portera pas atteinte au consensus démocratique qui a prévalu pendant quatre décennies. L'administration Milei est prête à redorer publiquement les forces en uniforme et à leur donner de nouvelles fonctions : elle l'a déjà fait savoir en présentant un projet de loi visant à impliquer les forces armées dans des tâches de sécurité intérieure, ce qui leur est interdit après l'expérience criminelle de la dernière dictature. Dans le même temps, elle cherche à affaiblir les organismes publics idéologiquement transversaux qui ont soutenu le « plus jamais ça » prononcé par le procureur Julio César Strassera lors du procès intitulé Jucio a las Juntas [1], qui s'est déroulé du 22 avril au 9 décembre 1985. (Article publié par Nueva Sociedad, août 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
[1] Parmi les jugés se trouvaient, entre autres, Jorge Rafael Videla, Orlando Ramon Agosti, Emilio Eduardo Massera, Eduardo Viola et Leopoldo Fortunato Galtieri. (Réd.)
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Claudia Sheinbaum investie présidente du Mexique

Le 1er octobre prochain Claudia Sheinbaum sera investie présidente du Mexique. Pour la première fois une femme, militante de gauche, dirigera le pays avec le soutien massif de la population et une majorité de 2/3 de la Chambre des députés qui lui permettront de faire les changements constitutionnels nécessaires pour aller vers des changements décisifs pour la transformation du Mexique.
Tiré de :La chronique de Recherches internationales
Obey Ament, Spécialiste de l'Amérique latine
Au Sénat, il manque un siège à la gauche pour avoir ces deux tiers mais on peut penser qu'une négociation sera toujours possible pour y arriver. Elle présidera ce pays de 120 millions de habitants inaugurant ainsi la deuxième étape de la transformation initiée en 2018 avec l'élection de Andrés Manuel Lopez Obrador à la présidence.
Pour mieux comprendre la portée de l'arrivée au pouvoir de ce projet progressiste et le sens de la transformation en cours au Mexique il faut prendre en compte le degré de corruption auquel était arrivé le régime crée par le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), qui dans un passé lointain avait été créé pour unifier les groupes politiques issus de la révolution dans la période 1910-1920. Les débuts de ce processus ont permis l'instauration d'une Constitution progressiste, des avancées sociales importantes et la nationalisation des ressources naturelles. Mais des les années 50 la corruption a commencé à devenir un élément structurant du régime. Être élu à une responsabilité gouvernementale, président, gouverneur, député ou maire ou être nommé à des postes de direction de la fonction publique était devenu la forme la plus sur de s'enrichir. Le pouvoir politique a fini par se confondre avec le pouvoir économique dans une association d'intérêts qui dictait les choix politiques. Ce pourrissement n'a épargné ni juges ni magistrats et l'impunité des plus forts et des plus riches est devenue la règle. C'est sous ce système que les dirigeants du PRI ont mis en place des politiques néolibérales et que le Traité de libre échange avec le Canada et les États-Unis a été signé avec la volonté d'ancrer durablement ces politiques avec des privatisations qui ont bénéficié aux grandes fortunes du pays associées à des capitaux étrangers. L'arrivée au pouvoir du Parti d'action nationale (PAN) entre 2000 et 2012 n'a fait que renforcer ces politiques et la spoliation du pays n'a cessé. Le PRI a fait son retour jusqu'au triomphe historique de la gauche de 2018.
Transformer le Mexique signifie le démantèlement de ce système, la séparation du pouvoir politique du pouvoir économique et la création de nouvelles institutions, changer les priorités en mettant au centre la lutte contre la pauvreté qui touchait presque la moitié de la population. En six ans des progrès importants ont été faits ; les politiques assistancialistes et ciblées ont laissé la place à une trentaine de programmes sociaux à caractère universel en direction des plus pauvres, des personnes âgés et des handicapés qui reçoivent des aides et en faveur de l'enfance et de la jeunesse des jeunes avec des bourses et des programmes d'accès à l'emploi. Des efforts sont déployés en faveur d'un nouveau système de santé et l'évasion fiscale est combattue ainsi que l'annulation des dettes au fisc pour des privilégiés. Afin de réduire les inégalités entre les régions des grands projets d'infrastructures ont été lancés notamment avec le « Tren Maya », chemin de fer qui fait le tour de la péninsule du Yucatán et le Corridor Trans-isthme qui devra relier la côte Pacifique au Golfe du Mexique.
Ces politiques et la hausse du salaire minimum de 110 % ont permis de faire reculer la pauvreté qui est passé de 46,8 % de la population à 36,3 % et les inégalités. Face à la violence des cartels de la drogue le gouvernement a choisi s'attaquer aux racines avec ces politique sociales et avec la création de la Garde nationale qui remplace les corps de police corrompus. Mais bien que les statistiques montrent un ralentissement du nombre d'assassinats, la violence liée aux activités des groupes criminels reste très élevée ainsi que la violence contre les femmes malgré un recul de 35,6 % des féminicides grâce aux dispositifs mis en place depuis 2018.
La droite unie bien que affaiblie n'a cessé de mener des campagnes visant la délégitimation du nouveau pouvoir en l'accusant d'autoritarisme ou de mener le pays vers le communisme. Elle s'est opposée systématiquement à tous les projets votés par les deux chambres. Impuissante, la droite a mobilisé ses derniers atout : l'Institut national électoral et le Pouvoir judiciaire dominés par des conseillers, magistrats et juges nommés par les gouvernements précédents. C'est ainsi que 75 % des propositions législatives ont été bloquées par des décisions de justice les déclarant inconstitutionnelles ou bien avec des prétextes futiles tels que « le manque de discussion » des lois par les députés ou bien en acceptant des plaintes d'entreprises ou de particuliers qui se considéraient lésés par les nouvelles lois. Le Pouvoir juridique est devenu un acteur politique qui, en outrepassant ses fonctions, a imposé ses décisions sur celles prises par l'organe législatif élu par la population.
En février dernier, le président Lopez Obrador a décidé de mettre la droite au pied du mur en proposant vingt changements constitutionnels qui devraient redonner à la Charte le caractère progressiste que des décennies de néolibéralisme lui ont ôté. Parmi ces changements il a proposé l'amélioration du système de retraites en faveur des travailleurs les plus démunis, donner un rang constitutionnel aux programmes sociaux phares, les hausse du salaire minimum ne pourront pas être en dessous de l'inflation, l'interdiction du « fracking » et du maïs transgénique et surtout redonner à la Compagnie fédérale d'électricité son caractère public, la disparition des organismes autonomes crées pour se substituer à l'État dans la « régulation » de la concurrence et des investissements dans les et la réforme du Pouvoir juridique. Après le refus de la droite de voter ces initiatives, le président a fait appel à la population pour qu'elle soutienne ces réformes en votant lors des élections de juin en faveur de Claudia Sheinbaum en lui donnant la majorité nécessaire ces changements à la Constitution, c'est ce qu'il a appelé le « Plan C ».
Les résultats des élections présidentielles ont montré une adhésion massive au projet de Nation porté par Claudia Sheinbaum et le Mouvement de régénération nationale (Morena). L'ampleur de la défaite n'a pas découragé la droite qui continue à se battre avec les membres de la Cour suprême de Justice à sa tête. La droite argumente que cette réforme qui prévoit que les magistrats et juges ne seront plus nommés à partir d'une proposition de l'Exécutif mais seront élus par le suffrage universel à partir des propositions faites par les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire est non seulement une attaque contre la démocratie et mettrait en danger l'avenir du Traité Mexique-États-Unis-Canada.
La disparition des organismes autonomes c'est à dire la Commission fédérale de compétence économique, l'Institut des télécommunications et la Commission régulatrice de l'énergie et deux autres) ne ferait qu'aggraver la situation. Ces organismes, dont les fonctions seront réintégrées aux ministères concernés, ont été créés par le néolibéralisme pour « dépolitiser » l'attribution des concessions et contrats en favorisant les grands capitaux surtout étrangers et leur disparition et celle d'un Pouvoir judiciaire facile de convaincre en faveur de ces mêmes intérêts peuvent changer les termes sur lesquels a fonctionné le l'accord de libre-échange tripartite jusqu'ici. L'ambassadeur des États-Unis, Ken Salazar, s'est joint à la droite déclarant que « l'élection directe des juges représente un risque majeur pour le fonctionnement de la démocratie au Mexique » et à la suite l'ambassadeur du Canada a fait part de la préoccupation des investisseurs de son pays. La réponse du président Lopez Obrador a été immédiate. Il a annoncé une pause dans les relations avec l'ambassade des États-Unis et a dénoncé une action inacceptable d'ingérence qui piétine la souveraineté du Mexique.
Les réformes constitutionnelles contestent la puissance de Washington, éloignent le Mexique des politiques néolibérales et touchent les intérêts des grandes entreprises avec l'interdiction de l'exploitation des mines à ciel ouvert, du fracking et de l'utilisation des transgéniques ainsi que les réformes du Pouvoir judiciaire et des organismes autonomes.
Cette chronique est réalisée en partenariat rédactionnel avec la revue Recherches internationales à laquelle collaborent de nombreux universitaires ou chercheurs et qui a pour champ d'analyse les grandes questions qui bouleversent le monde aujourd'hui, les enjeux de la mondialisation, les luttes de solidarité qui se nouent et apparaissent de plus en plus indissociables de ce qui se passe dans chaque pays.
Site : http://www.recherches-internationales.fr/
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Elections en Saxe et en Thuringe : « La sécurité intérieure devient un substitut à la sécurité sociale »

A l'occasion des élections régionales en Thuringe et en Saxe (1er septembre 2024) l'AfD (Alternative für Deutschland), le BSW (Bündnis Sahra Wagenknecht-Für Vernunft und Gerechtigkeit-Alliance Sahra Wagenknecht – Pour la raison et la justice), et souvent la CDU et Die Linke – à l'occasion des élections régionales en Thuringe et en Saxe de nombreux partis se sont focalisés sur des thèmes qui n'avaient pratiquement rien à voir avec la politique régionale. Les questions de politique fédérale et même mondiale ont eu le vent en poupe. En outre, les réponses simples à des questions compliquées ont eu la cote. Pour Silke van Dyk, professeure de sociologie à Iéna (Thuringe), ces élections montrent que « presque tous les partis démocratiques se laissent désormais entraîner par l'AfD » [Voir l'article publié sur ce site le samedi 31 août et traçant les contours du contexte propre à l'avancée de l'AFD.]
2 septembre 2024 | tiré du site alencontre.org | Photo : Alice Weidel, présidente de l'AfD, au côté du dirigeant de la fraction parlementaire au Bundestag, Tino Chrupalla, présente le 30 août un t-shirt anticipant une victoire.
https://alencontre.org/europe/allemagne/allemagne-la-montee-en-puissance-de-lafd-ce-nest-pas-seulement-un-phenomene-de-lest.html
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Le fort score de l'AfD dans les deux Länder [voir le tableau des résultats en fin d'article] n'a pas surpris la professeure, qui fait des recherches sur les inégalités sociales et la politique sociale. En revanche l'ont surprise la rapidité et la radicalité avec lesquelles la BSW a pu couper l'herbe sous le pied de Die Linke, explique Silke van Dyk dans un entretien avec IPPEN.MEDIA. « D'autant plus que depuis la création du parti, les membres du BSW s'expriment de manière nettement plus radicale qu'à l'époque où Sahra Wagenknecht se situait dans Die Linke ». Contre toute attente, cela n'a pas aidé Die Linke : « Beaucoup sont partis du calcul suivant : « Plus la BSW se déplace vers la droite [sur l'immigration], moins il nuit à Die Linke. Ce calcul n'a pas fonctionné. »
Mais la BSW n'a pas été le seul parti à marquer des points en Thuringe et en Saxe sur les grands thèmes de la politique sociale et étrangère : « Sur le thème de la Russie et de la question de la paix [Guerre Ukraine-Russie], il est apparu clairement que les partis ont mis l'accent, lors de ces élections, sur des questions qui n'ont vraiment rien à voir avec la politique régionale », explique la professeure Silke van Dyk. Elle poursuit : « Il faut se demander si, lors d'une telle élection régionale, les gens se préoccupent encore de ce que les hommes politiques d'un Land peuvent changer ? Ou bien les élections régionales sont-elles tout simplement devenues une scène pour de tout autres thèmes » ?
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Silke van Dyk observe, à travers cette forme de communication politique qui a dépassé les frontières « régionales » des partis, un déplacement des débats : « Les réactions à l'attentat de Solingen [attaque meurtrière au couteau commise par un réfugié syrien, lors d'un concert, le 25 août, dans cette ville de Rhénanie-du-Nord-Westphalie] ne sont pas les seules à montrer que presque tous les partis démocratiques se laissent désormais entraîner par l'AfD. Il est hautement populiste de voir comment la question de la sécurité intérieure supplante tout le reste, notamment la question des droits de l'homme et celle de la sécurité sociale. Cela ne veut pas dire que la sécurité intérieure n'est pas également importante. Mais dans le débat actuel, la sécurité intérieure devient un substitut à la sécurité sociale ».
Dans ce contexte, Silke van Dyk critique également les débats qui ont été menés par les politiques et les médias après les élections : « A propos de la sécurité intérieure : quelqu'un a-t-il vraiment soulevé la question, lors de la longue soirée électorale, de savoir ce qu'il en est de la sécurité de ceux contre lesquels la haine de l'AfD est dirigée ? »
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Ce sont surtout les partis classiquement orientés vers le dit Etat social comme le SPD, les Verts et Die Linke qui ont été sanctionnés lors des deux élections. Mais selon l'analyse de Silke van Dyk, aucun parti ne peut se passer de l'utilisation de récits « populistes », en particulier sur le thème de l'immigration. Dans les deux Länder, le paysage politique s'éloigne des partis traditionnels. L'AfD [d'extrême-droite] se renforce. En ce qui concerne la BSW, l'habituelle grille de lecture gauche-droite est en partie insuffisante.
La chercheuse, qui enseigne elle-même en Thuringe, observe dans les nouveaux Länder un attachement aux partis nettement plus faible que dans les Länder de l'ouest. « Au niveau communal, la disparition de nombreux partis établis a des conséquences particulièrement dramatiques : les candidats indépendants sont de plus en plus nombreux et promettent une politique locale pragmatique », explique Silke van Dyk. Elle y voit un danger potentiel. « Ils peuvent certes s'engager sur place pour un autre système d'évacuation des eaux usées ou un nouveau centre de jeunes, mais ils ne sont plus intégrés dans le dispositif de parti plus grand. Alors, souvent échappe à la transmission/présentation d'autres thèmes, par exemple l'antiracisme à côté des eaux usées » […]. (Article publié par le quotidien Frankfurter Rundschau le 2 septembre 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
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« Emmanuel Macron veut tout faire pour éviter un gouvernement de gauche »

Pour éviter un gouvernement qui appliquerait un programme de gauche, Emmanuel Macron est prêt à aller très loin, explique le politiste Vincent Dain. Y compris à faire fi de la logique et des acquis démocratiques.
Tiré de Reporterre
28 août 2024
Par Marie Astier
Emmanuel Macron a annoncé qu'il refusait, lundi 26 août au soir, de nommer Lucie Castets, proposée par le Nouveau Front populaire, au poste de Première ministre. Il a justifié cette décision par le besoin de « stabilité institutionnelle » et a demandé au PS, au PCF et aux Écologistes de collaborer avec les partis du camp présidentiel (Ensemble, le Modem et Horizons), provoquant la colère des partis de gauche.
L'attitude du président se joue des règles de la démocratie parlementaire, et vise avant tout à éviter un gouvernement de gauche, analyse pour Reporterre Vincent Dain, doctorant en sciences politiques à l'université de Rennes et spécialiste des gauches européennes.
Reporterre — Pourquoi le président de la République refuse-t-il de nommer un Premier ministre issu du Nouveau Front populaire ?
Vincent Dain — C'est assez difficile de comprendre la rationalité derrière les prises de décision d'Emmanuel Macron, notamment depuis la dissolution. Il est assez conscient qu'un gouvernement de gauche du Nouveau Front populaire aura comme priorité de détricoter son agenda de réformes économiques et sociales, que ce soit la réforme de l'assurance chômage, la réforme des retraites et même peut-être plus généralement les orientations économiques de modération salariale et des dépenses. Même s'il serait vraisemblablement assez instable et fragile, un gouvernement de Lucie Castets pourrait constituer des majorités, notamment sur l'abrogation de la réforme des retraites. Il veut tout faire pour éviter cela.
Il essaye de jouer la montre, dans l'espoir de constituer une coalition centriste. Il avait sans doute l'idée qu'avec la trêve olympique, on assisterait à une espèce d'état de grâce qui permettrait de temporiser. Mais les partis politiques l'ont vite ramené à la réalité.
Est-ce démocratique de refuser de nommer Lucie Castets et d'autant laisser traîner en longueur la nomination d'un Premier ministre ?
Incontestablement, un problème démocratique se pose. Dans une démocratie parlementaire digne de ce nom, le chef de l'État aurait très rapidement, à partir des résultats de l'élection, appelé une personnalité issue du parti ou de la coalition arrivée en tête pour former un gouvernement ou, à minima, pour lancer des consultations. C'est ce qu'on observe dans toutes les démocraties parlementaires européennes, que ce soit en Espagne, en Suède, même en Belgique.
En France, la même logique aurait voulu qu'Emmanuel Macron appelle le chef de file du Nouveau Front populaire à essayer de former un gouvernement. Car le NFP s'est présenté d'emblée aux élections comme une coalition et qu'il a par la suite présenté une candidate au poste du Premier ministre. Tous les ingrédients étaient réunis pour que, dans les rouages institutionnels, le président de la République charge Lucie Castets de former un gouvernement.
Y a-t-il une alternative à un Premier ministre NFP ?
La seule alternative aurait été qu'une coalition de centre droit se dégage immédiatement après les élections. Auquel cas Emmanuel Macron aurait pu nommer une personne issue de ce bloc. Le problème, c'est qu'aucune coalition ne s'est dessinée, ni au lendemain des élections, ni aujourd'hui, à l'intérieur du bloc dit central.
Le problème démocratique est aussi là : on assiste à une limite de la Vᵉ République. Il y a un vide constitutionnel, juridique, car rien dans la mécanique institutionnelle n'oblige à l'heure actuelle le chef de l'État à nommer tout de suite une personnalité pour former un gouvernement. Et un autre questionnement démocratique est cette idée du gouvernement d'affaires courantes. Il y a un vrai flou autour de cette notion. On a le sentiment que plus le temps avance et plus le périmètre de ce qui relève des affaires courantes est élargi. Aujourd'hui, le gouvernement démissionnaire n'a pas vraiment de comptes à rendre au Parlement, sur ses décisions, sur ses nominations, etc.
On constate que le président de la République exclut La France insoumise du champ républicain. Pourquoi cette stratégie ?
Il y a une longue tradition de diabolisation de la gauche radicale en France, dont le Parti communiste a longtemps fait les frais. Depuis 2022, les macronistes ont fait le choix de la diabolisation systématique, en réponse à la stratégie de conflictualité des Insoumis dans l'hémicycle.
J'y vois plusieurs objectifs. D'abord, un objectif de long terme, qui consiste à pilonner l'adversaire inlassablement, en espérant que ça finisse par imprimer dans l'opinion. C'est une stratégie de disqualification assez classique et qui porte en partie ses fruits. Aujourd'hui, la France insoumise suscite du rejet dans certaines franges de l'opinion.
Ensuite, à court terme, c'est un prétexte pour éviter un gouvernement du nouveau Front populaire. Le coup de poker de Jean-Luc Mélenchon, ce weekend, l'a bien démontré. Ce qui embête les macronistes, ce n'est pas la France insoumise, c'est le fait qu'un programme de gauche puisse être appliqué.
Enfin, faire passer la France insoumise pour un parti infréquentable peut rendre coûteuse pour le PS l'alliance avec LFI. Cela participe à fracturer de l'intérieur le Parti socialiste pour déstabiliser la ligne d'Olivier Faure et donner plus de poids à l'aile droite du PS, pour favoriser une coalition centriste avec le ralliement d'une partie du PS.
Une comparaison avec la situation espagnole, où une coalition de gauche gouverne, est-elle possible ?
L'Espagne est un bon point de comparaison si on regarde sur les dix dernières années. Le pays avait un système bipartisan qui s'est fragmenté, et s'est progressivement découvert une culture de coalition. À partir de 2014-2015, de nouveaux acteurs ont émergé dans le jeu politique. Les partis politiques n'arrivaient plus à obtenir de majorité absolue pour gouverner seuls. Cela a généré beaucoup d'instabilité gouvernementale et parlementaire.
En Espagne, on a connu quatre élections législatives en l'espace de quatre ans : 2015, 2016 et deux fois en 2019. Les acteurs politiques ont été mis au pied du mur et devant l'obligation de former des coalitions de gouvernement. Au départ, il était hors de question pour le Parti socialiste de gouverner avec la gauche radicale. De même que pour Podemos, il était hors de question de gouverner avec le Parti socialiste.
Mais chemin faisant, avec l'arithmétique parlementaire, ce qui s'est imposé, c'est une nouvelle bipolarisation du système partisan, avec une logique de blocs. D'un côté un bloc des gauches avec la gauche socialiste et la gauche radicale et de l'autre un bloc des droites avec la droite conservatrice traditionnelle et l'extrême droite prête elle aussi à gouverner en coalition. C'est ce que l'on observe dans pas mal de pays européens.
Un autre élément intéressant en Espagne est qu'aux dernières élections, en juillet 2023, le Parti populaire, de droite, est arrivé en tête des élections. Le roi a appelé son chef de file, Alberto Nuñez Feijoo, à former un gouvernement. Il n'y est pas parvenu. Donc le roi a appelé la personne arrivée en deuxième aux élections, c'est-à-dire le leader du Parti socialiste : lui a obtenu une majorité avec les voix de la gauche radicale et des partis régionalistes et indépendantistes catalans.
La spécificité du cas français, c'est que pour l'instant le champ politique résiste à toute nouvelle bipolarisation. On a trois blocs relativement hermétiques — gauche, centre-droit et extrême droite — ce qui rend beaucoup plus difficile la formation de coalitions.
Cette période de crise politique met les sujets écologiques à l'arrière-plan. Fallait-il s'y attendre ?
Dans les enjeux mis à l'agenda politique, il y a une dimension cyclique. On avait été habitués à la séquence de 2018-2020, avec une forte exposition de l'enjeu écologique et climatique. Il y avait toute cette vague de grèves pour le climat, la figure de Greta Thunberg, Fridays for Future, des mouvements sociaux qui ont participé à la politisation de l'enjeu écologique.
Depuis 2022, on a le sentiment d'une mise en retrait des enjeux écologiques. L'Eurobaromètre, en 2019, indiquait que 35 % des électeurs de l'Union européenne plaçaient les enjeux environnementaux et le changement climatique comme étant une des deux grandes problématiques auxquelles l'Union européenne est confrontée. Ils n'étaient plus que 16 % à mettre ces sujets parmi les priorités en 2024 [1]. Le débat politique a été davantage saturé par les enjeux d'immigration, de sécurité internationale, avec la guerre en Ukraine, puis la guerre au Proche-Orient.
Ce qui ne veut pas dire qu'on est condamné à ne plus parler d'écologie. Les partis politiques, de plus en plus, adaptent leur offre programmatique aux enjeux écologiques, avec un clivage entre écologie et productivisme qui s'accentue. Le sujet peut revenir dans le débat public.
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Une tragédie française

Macron et ses alliés sortent l'artillerie lourde, cette campagne législative sera un festival de désinformation. C'est évidemment la gauche qui est ciblée tandis que le Rassemblement national est étonnamment mis de coté, sauf par les instituts de sondage qui l'annoncent grand gagnant incontestable. Notre ministre de l'économie nous explique que le programme du NFP est marxiste…
Prélude
Cet été, à l'ombre de nouveaux épisodes caniculaires, la démocratie française est morte, les murmures de son agonie étouffés par les chuintements de millions de climatiseurs tournant à plein régime. Laissez moi vous raconter ce drame shakespearien qui a vu le pays des droits de l'homme aveuglé, assassiner ce à quoi il tenait le plus.
Tout a commencé le 9 juin, pour les élections européennes. Enfin, comme vous vous en doutez, cela avait en vérité commencé il y a longtemps, très longtemps … au moment où les politiciens ont compris que l'extrême droite pouvait être un atout pour celui qui voulait s'attribuer le pouvoir sans avoir à s'embarrasser de l'adhésion populaire. À force de jouer sur cette corde, ils ont fini par amener l'extrême droite aux portes du pouvoir, nous obligeant à chaque élection à barricader les portes au détriment de tout autre espoir d'élargir nos remparts.
Acte I
Notre premier acte s'ouvre donc le 9 juin sur une victoire écrasante du fascisme. Le Rassemblement National ne remporte pas seulement les élections européennes, ils obtiennent deux fois plus de députés que les libéraux en deuxième position, et plus que la gauche et les macronistes réunis, c'est un ras de marée. Depuis le temps que les oiseaux de mauvaises augures annonçaient la catastrophe … comme Cassandre personne n'a voulu les croire bien que tous savaient le fond de vérité qu'il y avait dans ces prédictions. Et comme Troie en son temps l'Europe court volontairement à sa perte.
Fort de ce qu'il estime être un soutien populaire massif, Jordan Bardella exige du président une dissolution de l'assemblée nationale qui, selon lui, ne correspondrait plus aux aspiration des français. Je dis « selon lui » car le petit Jordan oublie que seuls 50% des électeurs se sont exprimés lors de ce scrutin. Et là je dois faire une aparté dans mon histoire pour vous présenter le personnage de Jordan Bardella.
Je dirais que c'est un mélange entre Cassius le traître opportuniste dans Julius Caesar et Edmond, l'ambitieux bâtard de Gloucester dans le Roi Lear. Un jeune homme avide de pouvoir mais propulsé par des forces qui le dépassent. Tombé dans le giron de l'extrême droite avant même sa majorité, il est leur petit enfant prodige, formaté jusqu'au bout des ongles pour devenir la parfaite vitrine masquant l'arrière cuisine du fascisme à la française. Costume impeccable, rasé de près, pas un cheveux qui ne dépasse, chaque expression de son visage est contrôlée … dans son propre camp on le surnomme « le cyborg ». Mais c'est avant tout un Iago (l'ingéniosité en moins...), un spécialiste du mensonge et de la duplicité … Depuis qu'il a remarqué que le monde journalistique le laissait dire tout ce qui lui passait par la tête sans jamais vérifier la véracité de ses propos, il s'en donne à cœur joie en alignant les fake news à longueur d'interview, inventant des chiffres et faussant les statistiques dans l'indifférence générale. Tout comme le traître Shakespearien, Bardella se construit un personnage afin de donner le change. C'est sur Tiktok qu'il nous raconte des histoires, se mettant en scène jouant à Call of Duty ou mangeant des bonbons, avec le sous titre « Regardez je suis comme vous les gueux » à peine masqué. Sauf que Jordan Bardella et très loin de ressembler à ses électeurs. A 28 ans, le seul emploi qu'il ait jamais exercé c'est un job d'été dans l'entreprise de papa !
Vous l'avez compris, ce personnage n'est pas très étoffé, en dehors du récit officiel il ne faut surtout pas trop lui en demander en ce qui concerne la politique … il n'y comprend rien ! Interrogez le en profondeur sur l'économie et vous aurez droit à de longs silences embarrassés, et n'essayez surtout pas l'écologie, il ne sait pas ce que c'est. Il aurait pu en entendre parler au parlement européen mais il n'y va que pour faire acte de présence … Avec plus de 70% d'abstention en commission, il a été surnommé par ses collègues Bardé-pas-là !
Peu convainquant n'est-ce pas ? Et pourtant, abrutis par des heures de télévision qui leur rongent leur temps de cerveau disponible, une partie des français s'en contente, le trouvant « beau gosse » comme s'il s'agissait d'élire la dernière star de télé réalité. Quelle tristesse !
Bon, maintenant que notre outsider est introduit, poursuivons ce premier acte … Nous en étions à ce moment étrange où Bardella exige du président de la république une dissolution. Le spectateur, qui a vu Macron n'écouter que sa propre volonté depuis sa prise de pouvoir, rit sous cape, croyant à un effet comique.
Mais patatra, coup de théâtre ! Contre toutes attentes l'Empereur Macron décide pour la première fois de sa carrière de respecter la demande d'une opposition … Il annonce la dissolution de l'Assemblée Nationale. Stupeur. Rideau.
Intermède
Avant de passer au deuxième acte, prenons le temps d'analyser la scène :
Pourquoi macron fait-il le choix de dissoudre l'Assemblée ? Il dira dans un de ses monologues insupportables « J'ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote. » Retenez bien ce vœux pieu. C'est donc le respect de la démocratie qui pousse le président à remettre en question la situation politique française.
Mais pourquoi à cet instant précis, alors que le Rassemblement National, qu'il a toujours décrit comme son ennemi ultime et en opposition duquel il s'est toujours fait élire, est au plus fort ? Et pourquoi impose-t-il un calendrier aussi serré, le plus serré de notre histoire … il impose de nouvelles élections dans trois semaines, c'est le délai minimum prévu par notre constitution. Le camp libéral argumentera ce choix ainsi : « C'est bientôt les jeux Olympiques, il nous faut un gouvernement stable et représentatif du choix des français avant le début des jeux pour éviter toute instabilité ».
En parallèle de ce discours se voulant raisonnable, le président déclare : « Je leur ai balancé ma grenade dégoupillée dans les jambes. Maintenant on va voir comment ils s'en sortent. » (retenez cette réplique culte, on en reparlera …).
En vérité le but de Macron semble évident : il veut forcer de nouvelles élections en empêchant ses concurrents de faire campagne. Et pour cause, la gauche est totalement divisée … la campagne des européennes qui vient de s'achever a été une boucherie interne. La France Insoumise qui tient le leadership à gauche depuis des années a été victime d'un véritable acharnement médiatique qui a poussé ses alliés de la Nupes à s'éloigner d'eux, voire à participer au lynchage.
Acte II
C'est là dessus que s'ouvre notre deuxième acte : La gauche hors jeu, Macron espère se retrouver de nouveau en duel face au RN et utiliser le barrage républicain pour obtenir la majorité absolue qui lui fait défaut depuis les dernières élections. Il se frotte les mains, aveuglé par ses petites manigances au point d'oublier que son camp vient de prendre une déculottée historique et que le RN est au plus haut. Le spectateur frémit … voyant approcher dans l'ombre de l'arrière scène la bête immonde.
Sur les plateaux télé les libéraux défilent pour répéter leur respect du vote des français … quelques soient les résultats, ils seront obligés de les respecter car ils sont démocrates, insistent ils. C'est à se demander s'ils n'ont pas tout simplement envie de passer la main à l'extrême droite … en tout cas si c'était leur désir ils ne s'y prendraient pas mieux. Qui sait … quand Edouard Philippe, ancien premier ministre de Macron et son allié dans cette nouvelle élection, rencontre en secret Marine Lepen pour un dîner, ne sont ils pas en train de planifier une passation de pouvoir ? Et si le capitalisme était arrivé dans une telle impasse qu'il avait besoin du fascisme pour passer à la vitesse supérieure ?
Moi toutes ces questions m'angoissent un peu et je vous avoue que j'ai vécu ces trois semaines de suspens assez fébrilement.
Mais notre deuxième acte est plein de rebondissements ! Le premier c'est l'alliance inespérée des gauches. Alors qu'on les disait irréconciliables, les quatre principales forces de gauche trouvent un accord en quelques jours et s'allient autour d'un nom qui résonne symboliquement dans l'histoire de la gauche française : le Nouveau Front Populaire (NFP).
C'est principalement la France Insoumise qui paiera la note. Ceux que tous, ennemis et partenaires, traitent à longueur d'interviews de non républicains, dictatoriaux, hégémoniques etc … prennent sur eux de donner une centaine de circonscriptions à leurs amis/ennemis du parti socialiste. En revanche c'est globalement sur le programme de LFI que se battit l'alliance. Il faut dire qu'ils sont les seuls à avoir sous la main un programme détaillé aux financements fléchés et qu'il serait impossible d'en construire un nouveau en trois semaines.
C'est un programme de rupture, avec de grandes réformes économiques telles que l'augmentation du smic, la taxation du capital, le retour d'un impôt sur la fortune … Les sociaux démocrates n'ont d'autre choix que d'accrocher leur wagon à la locomotive anti capitaliste, ça leur a bien réussi aux dernières législatives et ça ne les a pas empêché de trahir leurs engagements aussitôt élus.
Malgré toutes les tentatives des médias enragés par ce rebondissement, l'union des gauches est actée et les dirigeants de parti tiennent bon. On leur tend des micros en les incitant à critiquer leurs alliés, on leur tend des pièges qu'ils déjouent patiemment, trop heureux de démentir ceux qui voulaient enterrer la gauche.
Tel est pris qui croyait prendre … Macron et ses alliés sortent l'artillerie lourde, cette campagne législative sera un festival de désinformation. C'est évidemment la gauche qui est ciblée tandis que le Rassemblement national est étonnamment mis de coté, sauf par les instituts de sondage qui l'annoncent grand gagnant incontestable. Notre ministre de l'économie nous explique que le programme du NFP est marxiste… carrément. Le pauvre ne fait que nous prouver une fois de plus son inculture politique car il n'y a pas la moindre trace de nationalisation dans ce programme. Durant ces trois semaines on a entendu des choses qui seraient hilarantes hors d'un contexte aussi sérieux. On nous promets « le chaos » si la gauche est élue, « la ruine totale du pays », j'ai même entendu chez un influenceur d'extrême droite « des rues pavées de cadavres de blancs ».
Si le petit microcosme politico-médiatique est focalisé sur la gauche et ses dangers, durant les trois semaines de campagne l'extrême droite ne dort pas. Enhardis par leur victoire aux européennes, les militants ont multiplié les agressions violentes, plus d'une par jour recensées par Médiapart. On a aussi eu droit à l'habituel florilèges de candidats improbables. Comme à chaque législative, ils nous ont régalés de profils plus délirants les uns que les autres, de la braqueuse au déficient mental sous curatel. Pour ceux qui préfèrent la comédie à la tragédie, je vous conseille de taper sur Youtube « pires candidats RN » ça vaut vraiment le détour ! Et sinon je vous renvoie à ma dernière chronique qui énumère non seulement les profils problématiques mais également les agressions qui ont eu lieu durant cette campagne des législatives.
Je crois que le climax de notre histoire explose au moment du premier tour, quand le RN arrive en tête avec le meilleur score de son histoire : 10 647 914 voix, contre 9 millions pour le NFP.
Il faut dire que les médias ont bien accompagné cette marche sinistre en prophétisant une victoire écrasante de l'extrême droite et en s'acharnant sur la gauche.
Pour beaucoup d'entre nous se fut un coup de massue. Nous avions bien vu que Macron faisait tout pour asseoir Jordan Bardella à Matignon, mais nous ne voulions pas y croire et l'avènement du Nouveau Front Populaire nous avait donné des ailes. Stupeur et tremblements … Que devions nous faire ?
Moi qui n'hésite pas à critiquer la gauche quand elle cède à ses vieux démons, je dois dire que l'attitude des dirigeants du NFP a été exemplaire. Quelques minutes à peine après les résultats ils annonçaient que tous leurs candidats arrivés en troisième position se retireraient de la course au profit de celui qui devrait affronter le RN. Tous … 130 candidats de gauche renoncent à participer au second tour des élections. Des millions d'électeurs de gauche vont devoir ravaler leurs idéaux pour aller voter en faveur de ceux qui les martyrisent depuis 7 ans ; les macronistes. Certains devront voter pour des gens odieux et dangereux comme Gérald Darmanin ou Aurore Bergé, afin d'éviter l'hégémonie des fascistes. La pilule est dure à avaler, d'autant que c'est avec l'aide des macronistes que le RN en est là. Mais la gauche sait identifier les grands moments de l'histoire et leurs électeurs n'en sont pas à leur premier sacrifice.
Dans le camp d'en face, ceux qui se prétendent démocrates et s'octroient le droit d'exclure tel ou tel parti de l'arc républicain vont être beaucoup moins clairs dans leurs consignes. Aucun discours officiel de chef de parti n'appelle à la formation d'un front républicain grâce à un désistement systématique de leurs candidats. Sur les plateaux télés ça bafouille, Gabriel Attal, actuel Premier Ministre, appelle au : « désistement des candidats d'Ensemble dont le maintien en troisième position ferait élire un député RN face à un autre candidat qui défend les valeurs de la République »
Seulement voilà … ça fait trois semaines qu'ils nous répètent en boucle que l'alliance des gauches n'est pas républicaine et plusieurs années qu'ils ont exclu de l'arc républicain la France Insoumise. Un flou qui sera entretenu durant tout l'entre deux tours, certains membres du camp présidentiel appelant carrément à faire barrage à la gauche !
Ça n'est finalement que 81 candidats de la majorité sortante qui se désisteront , et souvent en donnant à leurs électeurs des consignes plus que nébuleuses. Une dizaine se maintiendront et offriront 9 députés supplémentaires au rassemblement National.
À gauche nous enrageons ! Ils ne jouent pas le jeu … ils détiennent le pouvoir grâce aux voix de la gauche lors d'un énième barrage républicain et à présent que c'est à leur tour de se comporter dignement et de prendre leurs responsabilités ils tergiversent ! Ils n'ont décidément honte de rien … Et après tous les sacrifices que nous avons fait ils viennent encore nous dire que nous ne sommes pas républicains … cet inversement de la réalité peut rendre fou.
Leurs atermoiements se répercuteront sur les résultats du second tour … lors des duels entre le RN et un candidat de la France insoumise pour le NFP, les électeurs macronistes n'ont fait barrage qu'à 43%, 20% choisissant l'extrême droite et 37% préférant s'abstenir et regarder le chaos de loin. Du coté de la droite soit disant républicaine (dont le vice président a appelé à faire barrage à la gauche et dont peu de candidats ont accepté de se désister) c'est pire : 38% de leurs électeurs (une majorité) se sont tournés vers le RN, actant le fait que l'opposition entre gaullistes et pétainistes n'existe plus. Seulement 26% de leurs électeurs ont participé au barrage républicain. J'ai honte pour tous ceux que je connais qui se prétendent encore Républicains en votant pour ces gens.
Chez nous c'est à plus de 70% que nous avons tenu le barrage, donnant souvent notre voix à des gens qui nous pourrissent concrètement la vie depuis des années. Encore une fois ce sont les électeurs de gauche qui tiennent à bout de bras le fameux barrage républicain, ce sont les électeurs de gauche qui empêchent le fascisme de prendre le pouvoir … envers et contre une droite et des libéraux complices.
Le soir du second tour, nous étions tous fébriles … les médias nous avaient largement préparés à une victoire de l'extrême droite, elle était annoncée dans tous les sondages, déjà actée sur les plateaux télé. C'est donc dans une explosion de joie et d'incrédulité que nous avons vu apparaître les premières estimations, l'avance de la gauche était telle que l'estimation la plus haute du RN restait inférieure à l'estimation la plus basse du NFP ; nous étions sûrs et certains de notre victoire ! Cela faisait très longtemps qu'on avait pas vu une telle liesse dans les rues, des gens en larmes se tombant dans les bras, une grand mère et des étudiants chantant en cœur la marseillaise, … C'était beau. Mais la beauté est éphémère …
ACTE III
Macron c'est Coriolanus. Ça n'est pas la pièce la plus connue de Shakespeare mais je vous invite à la lire ou la relire car elle est intemporelle. C'est l'histoire d'un despote qui se prend pour un héros. Un homme qui méprise le peuple et qui, perdant des élections, se vexe et choisit de s'allier aux ennemis de Rome pour y semer le chaos et punir les citoyens de n'avoir pas voulu de lui. La ressemblance avec notre despote à nous est frappante. Au troisième acte Coriolanus fait même une longue tirade dénonçant la faiblesse de la démocratie qui gagnerait à accepter une autorité plus ferme … du Macron dans le texte !
Notre Empereur ne pouvait pas tolérer que son plan machiavélique échoue, son caractère rend impossible une quelconque cohabitation. Il a commencé par se murer dans le silence et nous avons dû attendre plusieurs jours avant qu'il ne daigne commenter le résultats des élections qu'il avait lui même provoquées. Comme le despote de Shakespeare, Macron est un boudeur susceptible …
Quatre jours plus tard il adresse une lettre aux français dans laquelle il nie purement et simplement le résultat des urnes en disant que « personne ne l'a emporté ». Pourtant, moi qui ait appris les mathématiques à l'école publique, il me semble que le nombre 178 (députés) est supérieur au nombre 150 et au nombre 125. Non ?
Mais notre hypocrite président s'appuie sur le fait que personne n'a de majorité absolue (289 députés). Ce qu'il oublie bien vite c'est que son propre camp gouverne depuis deux ans sans majorité absolue … Mais ce qui est valable pour lui ne tient pas pour les autres.
Dans sa lettre il insiste en premier lieu sur le fait que c'est le Rassemblement National qui a obtenu le plus de voix, oubliant là encore de préciser qu'ils ont présenté deux fois plus de candidats que le NFP, ce qui explique cet écart en nombre de voix. À présent que les désistements de la gauche lui ont servi à gratter quelques voix, il fait comme s'ils n'avaient jamais eu lieu.
Mais surtout, ce qui m'interpelle dans le courrier présidentiel, c'est qu'il annonce son intention de se placer acteur et metteur en scène dans la tragi-comédie qu'il nous prépare. Il demande « à l'ensemble des forces politiques se reconnaissant dans les institutions républicaines, l'Etat de droit, le parlementarisme, une orientation européenne et la défense de l'indépendance française, d'engager un dialogue sincère et loyal pour bâtir une majorité solide » … étant donné qu'il a passé ces deux dernières années à exclure ceux qui ne partageaient pas son opinion du champ républicain … cela signifie qu'il ne s'adresse qu'à ceux qui s'inscrivent dans son cadre.
Sortant immédiatement de son rôle de simple garant des institutions, il pose d'ores et déjà des conditions : « ce rassemblement devra se construire autour de quelques grands principes pour le pays, de valeurs républicaines claires et partagées, d'un projet pragmatique et lisible ». Donc il lui suffit de décréter que le projet proposé par la gauche n'est pas « pragmatique » pour l'écarter. Sauf que ça n'est absolument pas le rôle du président de la République de sélectionner le projet de gouvernement de son choix, à fortiori s'il vient de perdre deux élections consécutives ! C'est à la représentation nationale et aux parlementaires de faire ce choix.
Il termine en déclarant qu'il « Décidera de la nomination du premier ministre » quand les acteurs politiques auront bâti l'alliance qui lui convient. Si notre constitution précise que c'est au président de NOMMER le premier ministre, en aucun cas son rôle est de DECIDER quoi que ce soit concernant l'Assemblée Nationale et le gouvernement. C'est ce qu'on appelle la séparation des pouvoirs.
Le coup d'état institutionnel semble évident mais les médias choisissent encore une fois de regarder ailleurs et se focalisent, pour changer, sur la critique du NFP. Car la gauche peine à trouver un candidat au poste de premier ministre. Aucun des commentateurs ne fera remarquer qu'il est déjà extraordinaire d'avoir été capables de forger une alliance allant des sociaux démocrates aux communistes, de présenter un programme clair aux financements fléchés et de s'accorder sur une stratégie électorale de désistements, le tout en 3 semaines. Non, aujourd'hui ce qui les scandalisent tous c'est que le NFP est incapable de s'accorder sur un nom. Ils oublient évidemment que leurs concurrents n'ont pas non plus de noms à proposer … ils n'ont même pas de programme.
Nous aurons droit à 10 jours de feuilletons, entre Vaudeville et Marivaudage, les médias chroniquent la moindre chamaillerie au sein du NFP, mettant leur loupe déformante sur les négociations et faisant des éditions spéciales pour décortiquer le moindre mal entendu. Après quelques tentatives avortées et deux mésententes, le NFP fini par s'accorder sur le nom de Lucie Castets.
Il est très périlleux d'introduire un nouveau personnage au cœur du troisième acte d'une tragédie. L'acteur devra se mettre au diapason de ses compagnons dès les premières répliques, occuper suffisamment la scène pour que le spectateur retienne son nom, mais être relativement discret pour ne pas apparaître en simple trouble fête. C'est un rôle empoisonné qui échoue à Lucie Castets, d'autant qu'elle est une actrice débutante dans ce théâtre qu'est la politique.
Qui est-ce ? Qui a été capable d'accorder une gauche aussi plurielle ? Moi, je trouve que son profil est idéal. Elle n'appartient à aucun parti, c'est une fonctionnaire qui a travaillé à la direction générale du Trésor puis a présidé la branche dédiée à la lutte contre la fraude fiscale du service de renseignement Tracfin. Elle a fondé un collectif dédié à la défense de nos services publics et elle est membre de l'Observatoire National de l'extrême droite contre qui elle lutte assidûment. Dans sa jeunesse elle était au parti socialiste, mais elle l'a quitté en 2015 car elle était en désaccord avec la politique de François Hollande. De quoi rassurer ceux qui craignent l'avènement d'un nouveau social-traitre. Depuis 10 mois elle est directrice des finances de la mairie de Paris. C'est le seul argument que ses détracteurs trouveront contre elle : la mairie de Paris est endettée ! Quoi ? Une capitale de 10 millions d'habitants accueillant les Jeux Olympiques est endettée ?! Mon dieu mais c'est inacceptable ! Voilà à quoi en sont rendus les macro-lepénistes … Il suffit de leur rappeler que l'agence de notation Moody's a attribué sa meilleure note de stabilité financière à notre capitale pour leur rabattre le caquet.
Depuis qu'elle a accepté le rôle sacrificiel de la cible à abattre, je trouve que Lucie Castets s'en sort à merveille. Elle évite tous les pièges des journalistes qui, se fichant totalement de politique, ne cherchent qu'à lui faire dire du mal de la France Insoumise. Elle reste calme et mesurée en toutes circonstances, tordant le coup aux procès en hystérie qui visent généralement les femmes politiques et surtout elle reste droite dans ses bottes. Elle défend sans faillir la ligne tracée par le programme de gauche : taxation du capital et des grandes fortunes, revalorisation des services publics, et politiques sociales. Une vraie femme de gauche !
Moi qui craignait qu'on nous sorte un nouveau ventre mou consensuel prônant un changement immobile … me voilà soulagée et galvanisée. Jamais je n'aurais cru que, dans l'état où elle était, la gauche serait capable d'une telle union.
En attendant, nous avons droit à toutes sortes de petites magouilles de la part du camp présidentiel car il faut élire le bureau de l'Assemblée Nationale. Voyant qu'il n'a pas assez de voix pour maintenir ses petits soldats aux postes clés, Macron tord de nouveau le bras de notre constitution : la veille du vote il accepte la démission (jusque là refusée) de l'actuel gouvernement Attal. Ainsi, les anciens ministres peuvent voter en temps que députés. C'est grâce à ces 13 voix que Yael Braun Pivet, macroniste (et sioniste) acharnée conserve la présidence de l'assemblée. Hors les ministres démissionnaires restent en poste, ils continuent à prendre des décisions (comme celle de supprimer 1500 postes de médecins internes.). Ils sont à cheval entre l'exécutif et le législatif dans un cumul de pouvoir que seul le flou de notre constitution leur permet. Mais la presse ne semble pas s'en inquiéter … non eux ce qui les préoccupe c'est que Mélenchon a éternué.
Malgré leurs magouilles, le NFP est factuellement majoritaire à l'Assemblée et cela ressort dans les votes … Yael Braun Pivet se retrouve isolée à la présidence d'un bureau majoritairement à gauche, ce qui me redonne le sourire.
Une fois Lucie Castets désignée, le petit monde politico-médiatique ne peut plus détourner les yeux et ils sont bien obligés de tourner leur regard vers le président. Qu'attend-il ? Lui qui a dissout l'Assemblée dans l'urgence car il était très important de consulter les français pour adapter la politique du pays à leur volonté … Le voilà qui traîne des pieds.
Fuyant les journalistes, il fait l'anguille jusqu'à décréter en petit autocrate une « Trève Olympique ». Rejetant avec dédain la candidature de Lucie Castets, il déclare que, les Jeux Olympes étant sur le point de commencer, l'heure n'est plus à la politique. Ainsi soit-il.
Si vous cherchez la logique d'une trêve alors qu'il avait fait savoir à quel point il était important de régler la situation politique AVANT les JO … mettez vous de son point de vue égoïste. Les JO sont une occasion en or pour un chef d'état de s'attribuer un peu de la gloire des athlètes. Il suffit de sourire, de lever les bras et d'applaudir. Depuis l'antiquité les tyrans ont toujours bien compris l'utilité des jeux pour canaliser la plèbe …
Pendant cet interlude festif, Macron espère avoir le temps de chercher un autre candidat au poste de premier ministre, un qui lui convienne. Car décréter que la gauche n'a pas une majorité suffisante pour gouverner c'est oublier le fait que sa majorité à lui est encore plus restreinte. Il doit impérativement se trouver des alliés. Son premier réflexe est de chercher à sa droite, c'est vers là que tend sa politique. Mais les Républicains sont dans une situation assez particulière … Ces élections les ont divisés, le chef du clan Eric Ciotti est parti en emportant quelques troupes grossir les rangs du Rassemblement National, sous les huées des anciens gaullistes. Ce parti qui a dirigé la France pendant 40 ans en est réduit à faire moins de 5% aux élections présidentielles avec seulement 47 députés. Car macron les a dépouillés, à force de piocher chez eux des ministres et les électeurs les ont définitivement associés à la politique désastreuse en cours. Leurs voix ne seraient pas suffisante au président pour obtenir une majorité, mais elles lui permettraient au moins de prendre la tête sur le NFP. Ce qui octroie aux républicains un poids certains dans les négociations. S'allier officiellement à Macron, ce serait perdre ce précieux levier et se faire absorber par le camp présidentiel. Hors, en l'état actuel des choses personne n'a envie d'être associé au pouvoir en place. Macron est une sorte de lépreux que personne ne veut approcher de trop près. Sa dissolution surprise a été une catastrophe qui a jeté le pays dans le chaos, son bilan politique est désastreux, la dette a explosée et le budget personnel du président a bondi de 8 millions … Il est isolé, même dans son propre camp ses ministres et ses députés lui en veulent d'avoir décidé de dissoudre sans les consulter. Le chroniqueur d'extrême droite Pascal Praud a même déclaré en direct qu'il avait été informé de la dissolution avant le premier ministre, qui ne l'a appris que sur le fait accompli. Dur à avaler
…
Macron a donc besoin de temps s'il veut pouvoir proposer une autre option que celle de Lucie Castet.
Interlude sportif et festif
Les JO ont eu l'effet escompté. Les français s'extasient devant les feux d'artifices et les performances et les médias ne diffusent plus que des sourires béats, nous affligeant de longs reportages sur les français heureux et satisfaits, comblés par l'organisation et la sécurité. Personne ne parle des droits des travailleurs bafoués sur les chantiers olympiques ou des lois liberticides passées en douce au prétexte de la sécurité des jeux. Et si vous avez l'audace d'évoquer ne serait-ce qu'à mi voix quelques nuances … attention ! Vous êtes un vilain trouble fête !
Parmi les couteaux les moins affûtés du tiroir français, j'ai entendu des concitoyens dire : « Finalement on n'a pas besoin de premier ministre, ça fait 15 jours qu'on est heureux ! »
C'est une petite musique que les médias ont distillé assez discrètement ; avons nous vraiment besoin d'un premier ministre ? Nous avons un leader suprême, n'est-ce pas suffisant ? « Et ça ferait des économies de salaire ... » glisse un chroniquer sur la première chaîne TV du pays.
ACTE IV
Seulement voilà, toutes les bonnes choses ont une fin …
Après les JO, Macron se mure de nouveau dans le silence. Les médias à son service tentent quelques suggestions, histoire de voir la réaction des spectateurs. Comment réagirait le public si on lui annonçait que le héros était finalement un figurant. Bernard Cazeneuve ? Ancien premier ministre de Hollande tristement connu pour sa répression des manifestants contre les lois travail … un gauchiste de droite, qui vomit sur le NFP et vendrait sa mère pour un peu de pouvoir, même illusoire. Rire goguenard du parterre de français.
Ou bien le héros de l'histoire pourrait surgir du camp des perdants ? Xavier Bertrand ? Un républicain peu regardant sur ses principes issu du parti arrivé en quatrième position … Jets de légumes avariés sur la scène.
Alors les macronistes dégainent leur arme ultime, usée mais toujours efficace : la peur de la France Insoumise. Cela fait deux ans qu'on nous répéte à longueur de plateaux que LFI est d'extrême gauche (bien que le conseil d'état ait statué le contraire), que ce sont des révolutionnaires couteaux entre les dents, pire ! des islamo-woko-eco-terroristo-femino-gauchistes qui mangent les enfants et sodomisent les chats ! Voilà de quoi terroriser l'honnête ménagère … (et dites vous que j'exagère à peine le trait … nous avons entendu des choses vraiment délirantes à leur propos).
Tout bon républicain, garant de la démocratie et dévoué au bonheur des citoyens se doit de s'opposer à cette horde de sauvages. Alors c'est simple, un gouvernement au sein duquel siégerait des ministres LFI ne saurait être toléré en démocratie, ce serait beaucoup trop dangereux …
La voilà leur dernière excuse et l'opinion publique a été si bien préparée, que ça passe !
Mais c'est sans compter sans notre Propsero … le sorcier Melenchon. Celui qu'on nous décrit comme despotique, un dictateur stalinien obsédé par le pouvoir et qui va pourtant prendre ses détracteurs à leur propre jeu.
Très bien, dit-il. Alors est-ce que le président laisserait Lucie Castets former un gouvernement dans lequel il n'y aurait aucun ministre insoumis ?
Roulement de tambours … Le geste est sublime ! Le parti le plus puissant au cœur de la coalition arrivée en tête accepte comme ultime sacrifice de ne pas participer au gouvernement et renonce au pouvoir. Comment après cela reprocher à la gauche de ne pas faire de concession ? Et au passage cela permet à la France Insoumise de ne pas se mouiller dans un gouvernement bancal. Si Lucie Castets réussit, ce sera grâce à l'abnégation des insoumis … si elle échoue, les insoumis n'auront rien à voir avec la débâcle. C'est brillant ! Et cela explique pourquoi Mélenchon effraie tant nos politiques, c'est un bien meilleur stratège qu'eux tous réunis !
ACTE V
Vous l'avez compris, cette pièce se fera en plusieurs parties, comme l'histoire d'Henri IV de Lancastre le cumul de trahisons et de batailles nécessitera une suite pour que l'on sache enfin qui l'emporte.
À ce jour je n'ai pas de réponse … Ce dernier acte sera donc un état des lieux.
S'imposant arbitre, sélectionneur et joueur Macron a décidé qu'il recevrait en concertation les principales forces politiques et ne nommerait un chef de gouvernement que quand il aurait trouvé une option satisfaisante. Satisfaisante pour qui ? « Pour la stabilité institutionnelle du pays » dit l'homme qui, il y a 3 mois se vantait d'avoir jeté une grenade dégoupillée sur nos institutions. Seulement dès sa première rencontre avec le NFP il a rendu un verdict implacable : il ne nommera pas Lucie Castets, point. Quels sont ses arguments pour justifier qu'il ignore le résultat des urnes ? Il nous dit qu'un gouvernement NFP serait aussitôt censuré par le reste de l'Assemblée. Comment le sait-il ? L'a-t-il lu dans les feuilles de thé ou le marc de café ? Il prétend que les chefs des autres partis lui ont assuré de déposer illico une motion de censure si Castets était nommée.
Je suis sure que vous aussi vous vous dites : « Mais alors pourquoi il ne l'a pas nommée immédiatement ? Elle aurait été censurée dans les 48 heures, de manière totalement démocratique, et la gauche serait hors jeu. Il aurait alors été logique de plaider pour un gouvernement d'alliance plus large. Et tout ceci serait réglé depuis longtemps à l'avantage des libéraux. »
Et oui … c'est évident, si Macron empêche les parlementaires de voter c'est parce que la censure n'est pas aussi assurée qu'il le prétend. Les chefs de partis disent une chose, mais les députés sont chacun libres de leur vote … Eux ne sont pas isolés dans une tour d'ivoire, ils sont régulièrement confrontés à leurs administrés et ont des comptes à rendre aux électeurs … surtout s'ils veulent être réélus. En réalité peu de députés ont un intérêt à bloquer le pays … certains à droite se satisferont de laisser la gauche tenter de gouverner avec un Macron immature dans les pattes tandis qu'eux même préparent les élections présidentielles de 2027. Et si Lucie Castets parvient à se maintenir première ministre, Macron devra attendre un an avant de pouvoir de nouveau dissoudre l'Assemblée Nationale. Une année durant laquelle le NFP pourra abolir sa réforme des retraites et augmenter le SMIC par ordonnance … ils pourront mettre au vote une taxation du capital et un retour de l'impot sur la fortune qui ont toutes leurs chances de passer … Et ça, le petit roi ne le supporterait pas ! Il se fiche bien du fait que les électeurs rejettent massivement sa politique, il est prêt à faire main basse sur la démocratie pour imposer une continuité de ses politiques. Car c'est bien de cela dont il parle quand il évoque « la stabilité » du pays, pour lui il s'agit seulement de la stabilité de son pouvoir ! Le reste … si le chaos est nécessaire pour arriver à ses fins … ainsi soit-il.
Alors il continue son blocage, cherchant désespérément la personne qui lui permettra de gouverner pleinement. Quel dommage qu'il ne puisse se nommer lui même ! Personne ne semble pressé de lui servir de marionnette, même les plus opportunistes jouent les frileux.
Avec des élans de désespoir flagrants, les médias accompagnent leur maître. Ils reçoivent des membres du NFP excédés et leur crache des noms au visage : « Bernard Cazeneuve ! Il est socialiste ! Vous accepteriez ? Dites le ! Vous accepteriez ? …. Karim Bouamrane ? Lui aussi il est vaguement de gauche … et puis il est … enfin vous voyez ce que je veux dire … l'accepteriez vous ??? Répondez !!! »
Face à ces crises d'hystérie médiatiques qui laissent perplexe l'auditoire, les membres du NFP répètent inlassablement : « Notre candidate est Lucie Castets, nous censureront tout autre gouvernement. »
De son coté, l'extrême droite se met particulièrement en retrait, ils ne veulent surtout pas être associés au chaos actuel mais feront tout pour le faire durer, utilisant leur 140 députés pour censurer tout nouveau gouvernement, qu'il soit de gauche ou de droite libérale. Pour eux il faut que l'instabilité perdure jusqu'en 2027 … c'est d'elle qu'ils se nourrissent.
Ça n'empêche pas quelques dérapages … un de leur chroniqueur a qualifié hier sur Cnews Lucie Castets de « sexuellement incorrecte ». Elle est lesbienne … Voilà qui vient nous rappeler la véritable nature de l'extrême droite.
En attendant, cela fait 50 jours que le pays est dirigé par un gouvernement démissionnaire (le précédent record en cinquième république était de 9 jours …). En théorie un gouvernement démissionnaire gère seulement « les affaires courantes », s'assure que la rentrée des classes se passe bien (ce qui n'est absolument pas le cas …), fait en sorte que notre système de santé tourne rond etc … En aucun cas il ne peut appliquer des réformes ou passer des lois. Hors, dans une saisine du Conseil Constitutionnel qui demande à clarifier ce statut, la France Insoumise recense 1300 décrets et arrêtés passés depuis la démission du gouvernement … tous ne concernent pas les affaires courantes. Notre constitution est très claire sur le cumul des mandats, il est interdit d'être à la fois ministre et député, à la fois lié au pouvoir exécutif et législatif. Pourtant ce sont 17 ministres qui continuent aujourd'hui d'exercer leurs prérogatives tout en siégeant sur les bans de l'assemblée. Certains siègent dans des commissions sensées contrôler l'action du gouvernement auquel ils appartiennent ! Et surtout, ce gouvernement ne peut pas être renversé. Le parlement n'a aucune prise sur lui. Et techniquement, rien n'oblige Emmanuel Macron à mettre fin à cette situation impossible. Il peut faire traîner indéfiniment la nomination d'un nouveau premier ministre et garder son gouvernement démissionnaire inattaquable. D'ailleurs un média complice nous a récemment pondu un sondage disant que plus de la moitié des français (sélectionnés pour ce sondage …) étaient favorables à l'idée que Gabriel Attal reste premier ministre. Comme si les élections n'avaient jamais eu lieu.
C'est pour cela que LFI menace le président de lancer contre lui une procédure de destitution. C'est la dernière arme constitutionnelle qui puisse entraver la dérive autoritaire en cours. Évidemment, dans un régime présidentiel comme le notre, le fil de cette arme est émoussé … il est quasiment impossible de destituer un président, cela demande un très large consensus et il faut démontrer une incapacité du chef de l'état à exercer ses fonctions dignement ou une atteinte grave au statut présidentiel. Mais cela aura au moins un avantage : faire tomber le masque du Rassemblement National. L'extrême droite a fait son beurre sur la détestation de Macron, nombre de leurs électeurs sont aveuglés par une haine sans nom envers lui. Si un moyen de se débarrasser définitivement de lui se présente et que le RN refuse de le saisir … ils en décevront plus d'un.
Voici donc l'état de notre scène à la fin de ce cinquième acte. Ça n'est certainement pas le dernier et beaucoup de rebondissements restent à venir.
Macron parviendra-t-il à bricoler une majorité en piochant à droite et à gauche parmi les opportunistes ?
Le NFP saura-t-il résister aux attaques médiatiques ?
Le chef de l'état va-t-il maintenir son blocage durant un an pour pouvoir dissoudre à nouveau l'assemblée ?
Le RN sortira-t-il vainqueur de cette débâcle ?
Et que reste-t-il de notre démocratie ? Un cadavre abandonné sur la scène au moment où tombe le rideau … Car aveuglés par leurs intérêts personnels, les membres de la caste politico-médiatique qui gouverne ce pays viennent d'acter le fait que voter ne sert à rien.
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Nous reproduisons un texte de l'autrice produit durant l'été qui fait aussi état de la situation en France
A TOUS CEUX QUI M'ECOUTERONT
Partie 1
Bonjour à tous ceux qui m'écouteront.
Je voudrais vous faire une confidence en ces temps troublés où les masques tombent : en 2022, au second tour des élections présidentielles, j'ai failli voter pour le Rassemblent National. J'étais tellement en colère de jouer malgré moi à ce jeu insupportable du « Il n'y a pas d'alternative »... Durant toute ma vie d'électrice, je n'ai fait que ça … voter contre. Le seul argument que l'on m'ait donné c'est « Votez pour moi pour éviter l'extrême droite ». Et malgré le nombre incalculable de fois où j'ai renié mes convictions pour faire barrage, le fameux RN n'a cessé de se rapprocher du pouvoir.
J'en ai eu marre.
Je me souviens avoir dit à mes parents : « Ils la veulent Marine Lepen ? Et bien donnons leur une bonne fois pour toute ! Laissons la se décrédibiliser et nous en serons débarrassés ! Mais moi je ne remettrai pas une pièce de plus dans cette machine infernale qui nous fait tourner en rond ! »
Je n'oublierai jamais le silence au bout du fil. C'était le bruit inaudible de la honte et, comme quand j'étais enfant, j'ai compris que j'avais dit une grosse bêtise …
J'ai compris que, malgré ma plutôt bonne éducation, malgré que je me sois toujours intéressée de très près à la politique, la dédiabolisation avait quand même fonctionné sur moi. Moi qui ne regarde pas la télé et prend toujours le temps de lire la presse de tous les bords pour éviter les biais idéologiques … je m'étais faite avoir. J'avais fini par voir Marine Lepen comme un épouvantail aussi inoffensif qu'inutile, fini par croire que ces élus du RN, toujours absents sur les bancs de l'assemblée, ne proposant jamais de loi, n'étaient là que pour toucher leurs indemnités.
Comme je me trompais …
C'est là que j'ai commencé à me renseigner sur ce qu'était REELLEMENT le RN. Ça m'a demandé beaucoup de temps ces deux dernières années car les placards pleins de cadavres sont bien cachés.
Laissez moi vous dire ce que j'ai trouvé :
Le RN c'est d'abord un passif lourd, celui du FN. Aujourd'hui on dit qu'ils ont changé … de nom seulement.
Quand on est pas en accord avec la ligne d'un parti, on le quitte et on fonde son propre parti. Nombreux l'ont fait. Pas Marine Lepen. Elle a choisi de garder l'héritage d'un FN fondé par Pierre Bousquet, un français ayant trahi son pays pour ses ennemis en s'engageant dans la Waffen SS … et par Roger Holeindre, membre de l'OAS … entre autres criminels. Pour les plus jeunes, l'OAS est une organisation terroriste responsable de la mort d'environ deux mille personnes, qui a fomenté un attentat contre le président de la République de l'époque, le général De Gaulle.
En découvrant ça je me suis demandée quel type de personnes pouvaient intégrer un mouvement fondé par des meurtriers ? Devinez …
Parmi les anciens candidats FN on trouve des profils étonnants tels que Jean Holtzer, condamné à 8 ans de prison pour braquage de banque ; ou Jean Marc Maurice qui a reçu pas moins de 6 condamnations pour outrage à agent, vol, escroquerie, banqueroute, travail dissimulé et abus de bien sociaux. Jean Marie Lechevalier, condamné pour subordination de témoin dans l'affaire du meurtre de son directeur de cabinet ; ou Marc Georges, agression par balles ; ou Emilien Bonnal coupable de meurtre … tant qu'à faire ! Jacky Codevelle, incendie criminel ; Joel Klein, coups et blessures ; Marc Georges, blessures par balles ; Pascal-Bernard de Leersnyder condamné pour actes de torture sur un enfant de 5 ans ; Pierre Van Dorpe, blessures par balles ; Roger Fabregues, trafic de drogue ; Sylvain Ferrua, proxénétisme ; Yannick Lecointre, trafic de drogue. Le pire étant sans doute Raynald Liekens, condamné pour le meurtre d'une juive. Il a déclaré au tribunal : « Elle était plus gentille avec moi que personne ne l'avait été jusque-là. Mais, quand j'ai appris qu'elle était juive, j'ai décidé de la tuer car les juifs sont les ennemis de la race blanche ».
Le parti de l'ordre et de la sécurité disent ils.
Je vous passe toutes les condamnations vénales : abus de biens sociaux, fraude électorale, détournement de fonction etc … et les condamnations morales, incitation à la haine, menaces, négationnisme, apologie de crimes contre l'humanité etc, etc … La liste est si longue qu'il nous faudrait des heures pour la lire.
Je rappelle juste ce que les médias oublient trop souvent : Le Rassemblement National est le seul parti de France à avoir été associé par 2 fois au terrorisme islamiste.
Claude Hermant, célèbre figure identitaire lilloise proche du RN et ayant fait partie de leur service de sécurité, est aussi l'homme qui a fourni les armes à Amedi Coulybali pour l'attentat de l'hyper cacher en 2015.
Jean Claude Veillard, un ancien candidat RN, est aujourd'hui poursuivi par le parquet national anti terroriste. On lui reproche d'avoir participé au financement de Daesh à hauteur de 5 millions d'euros, un petit backshish accordé à l'organisation terroriste en échange d'une aide administrative pour le bon fonctionnement de l'usine Lafarge en Syrie.
Mais où en étions nous ? Ah oui ! Le parti de l'ordre et de la sécurité …
Voilà. Ils ont changé disiez vous ? Feriez vous confiance à quelqu'un qui a commis pléthore de meurtres, vols, violences sous prétexte qu'il a changé son nom et promet de s'être assagi ? Moi non.
Mais ont-ils vraiment changé ? De stratégie, peut-être … aujourd'hui les moutons noirs sont mis au placard, relayés aux arrières cuisines et reniés publiquement quand malgré les précautions, ils se font prendre. Ne restent en vitrine que les multiples condamnations pour abus de biens sociaux, emplois fictifs, la dernière il y a quelques semaines à peine pour escroquerie. Rien de plus que la droite traditionnelle, nous disent leurs militants. En tout cas, pas officiellement …
Car toutes les taches ne partent pas au lavage.
Faisons ensemble un petit tour des candidats qui se présentent aux législatives pour le Rassemblement National :
– Tolassy Rody, candidat en Guadeloupe a frappé une opposante en 2022. La politique du dialogue … connaît pas !
– Julien Odoul, figure emblématique du parti, ironisait en riant sur le suicide d'un agriculteur « Est-ce que la corde est française ? » demande-t-il sans honte. L'empathie, connaît pas non plus...
– Julien Rancoule, candidat dans l'Aude, adresse quand à lui à deux députées avec qui il est en désaccord un message explicite disant « Va faire la soupe, salope. »
– Stephanie Alarcon, qui se présente dans la 3eme circonscription de Haute Garonne, base son argumentaire pro russe sur des fake news, affirmant que c'est l'Ukraine qui a déclenché la guerre et la finance grâce à un marché de vente d'organe … le complotisme décomplexé ! Elle propose aussi de « lyncher à la barre à mine » des délinquants. Quel programme !
– Pour René Lioret, qui se présente en Côte d'Or, la solution serait plutôt « Une balle dans la tête ». Au regard des déclarations particulièrement racistes de cet antivax climatosceptique, on devine qui seront ses victimes privilégiées...
– Dans la famille des complotistes, nous avons aussi Sophie Dumont, candidate en Cote d'or, connue pour ses dérapages anti sémites qui relaie l'étrange théorie disant que Brigitte Macron serait … un homme ! Ou que l'Ukraine serait « le plus grand fournisseur d'enfants pour réseaux pédophiles ».
– Agnes Pageard, candidate à Paris semble partager ses obédiences car, en pleine invasion de l'Ukraine elle déclarait sans ironie : « Un président comme Poutine ça fait rêver » ! Et cette charmante dame d'ajouter : « Je suis forcément antijuif et antisémite » au cas où ce n'était pas clair.
– Ou encore Christophe Bentz qui veut « réhabiliter la notion de race » car selon lui « hiérarchiser les races est un travail scientifique » … oui oui … quand on vous dit qu'ils se sont éloignés de leurs racines nazies.
– Julie Apricena elle, militait sous pseudonyme au Bloc Identitaire, une organisation néo-nazie bien connue des services de sécurité intérieure. Des photos d'elle arborant un T-shirt au message plutôt explicite « White pride worldwide – Fierté blanche mondiale » défraient la chronique. Elle plaide l'ignorance de la jeunesse. Vous aussi vous avez été jeune ? Portiez vous par hasard des t-shirt suprémacistes ? … Aujourd'hui Julie est secrétaire générale du groupe RN au conseil régional du Centre Val de Loire.
– Ludivine Daoudi elle, a carrément dû retirer sa candidature après avoir posé fièrement avec une casquette de sous-officier SS, arborant une croix gammée. Tant qu'à faire …
– Dans le même style distingué, Thomas Lutz, candidat dans le Doubs lâche un « Untermenschen » en plein conseil régional. Cette célèbre expression nazie signifie « sous homme ».
– Joseph Martin déclare carrément que « le gaz a rendu justice aux victimes de la Shoah ».
– Jean Pierre Templier, candidat dans le Loiret rajoute, au cas où nous n'aurions pas compris l'orientation du parti : « Partout dans le monde les juifs nous dirigent ».
– Gilles Bourdouleix, candidat en Maine et Loire, estime quand à lui que « Hittler n'en a peut-être pas tué assez », en parlant des gens du voyage.
– Louis-Joseph Pecher, candidat en Meurthe et Moselle, écrivait récemment sur son compte twitter : « Juif qui parle, bouche qui ment » … mais n'oublions pas que c'est la gauche qui est antisémite, hein ! La gauche ... ils l'ont dit à la télé.
– Cela dit le RN, comme nous l'assure ses dirigeants, est ouvert à différentes cultures, la preuve avec Monique Becker, candidate dans les Pyrénées Atlantiques qui rend hommage au dictateur espagnol Franco.
– Marine Christine Sorin elle, nous affirme que « Toutes les civilisations ne se valent pas ». Voilà qui a le mérite d'être clair …
– Antoine Oliviero, candidat dans le Morbihan appartient au groupuscule néonazi ultra violent l'Oriflamme, qui prône une vision très racialiste de la société.
– Philippe Chapron, qui se présente dans le Calvados, a fait partie du GUD et d'Ordre Nouveau, célèbres groupuscules néo fascistes connus pour leur violence et dissous par la sécurité intérieure. En 93 la police l'avait épinglé pour port d'armes illégal, dont 26 pioches destinés à des ratonnades.
– Frederic Bocatelli, candidat dans le Var a écopé de 6 mois de prison ferme pour violences en réunion avec armes. « Sales nègres » a-t-il lancé à ses victimes avant de faire usage contre elles d'une arme à feu. Il a également tenu jusqu'à récemment une libraire antisémite et négationniste.
– Florent de Kersauson, qui qualifiait de « faux breton » un enfant métis arborant le drapeau de la Bretagne, est quand à lui un sévère récidiviste. Condamné en 2020 à 100000 euros d'amende pour manquement à ses obligations professionnelles dans une société, il a été condamné il y a quelques mois à 5 ans d'interdiction de gestion d'entreprise pour une longue série de délits financiers. Il ferait un bon ministre de l'économie, non ?
– Ma préférée est sans doute Annie Bell, candidate en Mayenne, qui a carrément organisé avec son époux une prise d'otage à la carabine dans la mairie de Ernée. Une sombre histoire de faillite mal vécue... pour la gestion des émotions, on n'est pas prêts au RN.
Je vous passe les cas désespérés comme la candidate fantôme du Loiret que personne n'a jamais vue et n'apparaît même pas sur les affiches, ceux incapables d'aligner deux mots, ou carrément sous curatelle pour déficience mentale comme Thierry Mosca dans le Jura. Embarrassant ...
Pour saisir l'ampleur du désastre, notons que Roger Chudeau, pressenti par Jordan Bardella pour devenir ministre de l'éducation nationale s'il venait à obtenir une majorité, a déclaré en direct qu'il était dangereux que des binationaux puissent accéder à des postes de hauts fonctionnaires. Il a pris pour exemple le cas de Najad Vallaud Belkasem, qui aurait favorisé ses origines marocaines en instituant des cours d'arabe dès le CP du temps où elle était ministre de l'éducation nationale. Ce qui est une pure fake news … un mensonge, déclamé en direct pour justifier un racisme totalement décomplexé ! Voilà nos futurs ministres si le RN obtient le pouvoir.
Mais personnellement, ça n'est pas tant les délinquants en col blanc qui m'effraient … c'est plutôt les militants. Durant ma petite enquête, j'ai découvert tout un monde de violence soigneusement dissimulé sous une couverture médiatique qui préfère poser sa loupe sur les délinquants originaires des cités. Des groupuscules se revendiquant du nazisme ou fascinés par le djihadisme au point de prôner un « Djihad blanc » soutiennent ouvertement le parti de Marine Lepen. Ces groupes, surveillés de près par les services de la sécurité nationale, recrutent parmi la jeunesse, voire l'extrême jeunesse comme le groupe Waffenkraft, fondé par un ancien gendarme néonazi qui avait enrôlé plusieurs mineurs de 14 à 17 ans afin de commettre des attentats visant des lieux publics ou encore Jean Luc Mélenchon. « Aller dans la rue butter des cafards » … « Faire un maximum de victimes » disent à leur procès ces enfants endoctrinés. L'accusé principal se dit proche des idées de Viktor Orban. Tout comme Marine Lepen …
Les mieux informés d'entre vous ont peut-être senti le vent monter ces dernières années, une note de la DGSI avertissant le gouvernement d'une recrudescence historique des projets d'attentats d'extrême droite et une présence inquiétante du nombre de membres de nos corps armés parmi ces terroristes ; ou encore des boucles Telegram révélées dans la presse où des militants d'extrême droite projettent de s'armer pour une guerre civile imminente et s'entraînent mutuellement dans une morbide escalade dans leur empressement de « tuer du bougnoule et du gauchiste » quand leur idéologie aura enfin pris le pouvoir en France.
Je sais que parmi vous il y a des républicains de longue date qui sont parfois perturbés par les débats houleux avec leur fils, leur petite fille ou leur neveu gauchiste invétéré. Mais aucun d'entre vous ne souhaite qu'ils soient pris pour cible par des chasseurs d'opposants ultra violents. N'est-ce pas ? C'est pourtant ce qu'il risque d'arriver. Car ne vous y trompez pas, l'extrême droite, c'est ça. Ça n'est pas moi qui le dit, ce sont nos institutions républicaines. Suite à une récente demande, le classement des partis politiques a été étudié par notre Conseil d'Etat qui a rendu une décision sans appel : le parti de Marine Lepen est bien classé à l'extrême droite du spectre politique du fait de ses liens étroits avec ces groupuscules violents et révolutionnaires ou parfois royalistes … toujours anti républicains. En revanche la France Insoumise est classée à gauche et non à l'extrême gauche, comme nos dirigeants et nos médias le répètent à l'envie. L'extrême gauche suppose une opposition au système républicain, alors que le programme de LFI est réformiste dans le cadre des institutions. Alors pourquoi même notre président prétend le contraire ? Je vous laisse y réfléchir par vous même … moi, en digne républicaine, je me conforme aux décisions de notre plus haute institution juridique.
Si vous pensez que les militants violents à l'extrême droite sont minoritaires et seront écartés, dites vous qu'ils sont plus de 1300 fichés S et que gravitent autour d'eux un nombre incalculable de sympathisants qui n'attendent qu'une chose pour se radicaliser : la validation institutionnelle de leurs obsessions xénophobes. Il suffit de regarder ce qu'il se passe dans nos rues depuis la victoire Jordan Bardella au parlement européen.
– Le soir même, 4 hommes fêtant cette victoire commettent une agression homophobe, rouant de coups un innocent dont le seul crime était une orientation sexuelle différente de la leur. Lors de leur interpellation, ils déclarent « vous verrez quand Bardella sera au pouvoir, quand Hittler reviendra (…) Dans trois semaines on pourra casser du PD autant qu'on veut ». Sans commentaire …
– Deux nuits plus tard, à Avignon, un incendie criminel ravage une boulangerie. Avait été écrit précédemment sur la devanture « Nègre, PD, dégage. ».
– Une semaine plus tard à Thiais, un chauffeur de bus scolaire qui reprochait à un conducteur d'être garé à sa place, empêchant les enfants de descendre en toute sécurité, est violemment agressé par le conducteur qui déclare : « J'en ai marre des gens comme vous, bougnoules et renois, moi je vote RN, je vais te tuer, je vais te massacrer, je vais vous éradiquer ! » avant de le percuter avec son véhicule.
– Deux jours plus tard, lors d'une manifestation contre la montée du front national à Nancy, des membres de l'action française blessent un jeune homme à la tête à coup de ceinturons.
– Le lendemain, à Toulon, un militant RN bouscule et menace violemment une personne handicapée.
– Deux jours plus tard, à Lyon, une cinquantaine de militants d'extrême droite déferlent dans le vieux quartier en faisant des saluts nazis et en se gargarisant d'être bientôt « au pouvoir ». Ils s'attaquent aux clients d'un bar, l'un d'eux est passé à tabac à coup de chaînes de vélo, ils jettent des chaises sur des passants en hurlant des slogans racistes et suprémacistes.
– En Gironde, le 22 juin, plusieurs militants tractant pour le NFP porte plainte pour diverses agressions de la part de personnes se disant « supporter de Bardella », l'un d'eux reçoit un coup de tête dans le visage, accompagné d'une sinistre menace « On va vous écraser ».
– Le 23 juin à Montpellier, des centaines d'habitants du quartier Boutonnet se réunissent et défilent pour dénoncer les multiples agressions de groupuscule d'extrême droite semant la terreur parmi la population.
– Dans les Haut de Seine, une députée écologiste rapporte que des militants du RN insultent et menacent une dame âgée.
– A Maison Alfort, c'est vêtus de noir qu'un groupe d'hommes débarque sur le marché local pour mettre un coup de pression à leurs opposants en train de tracter pour les législatives. Une femme reçoit plusieurs coups.
– À Perpignan une médecin reçoit une lettre de menace lui reprochant sa couleur de peau et lui suggérant de vendre sa maison à une famille « de bons français de souche » car « dès le mois de septembre nous allons effectuer un nettoyage impitoyable et virulent du quartier afin d'en restaurer l'atmosphère catalane d'antan. » Dès le mois de septembre ...
Je vous épargne les innombrables signalements pour des propos racistes ou homophobes lancés en toute décomplexion et parfois accompagnés de sinistres « Bientôt vous dégagerez », « Vous verrez quand Bardella sera au pouvoir » … Ces petites agressions du quotidien qui nous semblent anodines car elles ne laissent aucune trace sanglante, mais néanmoins, la violence est là et les blessures restent.
Cette énumération est bien évidemment non exhaustive et ne concerne que le mois de juin … Mediapart recense au moins un acte de violence raciste par jour où les mis en cause font directement référence au RN, depuis leur victoire aux européennes.
Mais cela nous permet de constater l'absurdité du discours du Rassemblement National qui nous promet un regain de l'ordre et de la sécurité. Quel Ordre attendre d'un parti qui se complet avec des groupuscules ultra violents ? Quelle sécurité quand, alors même que leur accession au pouvoir n'est qu'une éventualité, leurs militants oublient déjà les lois qui régissent notre société pour imposer par la force leur domination sur l'espace public.
Car surtout, ne nous y trompons pas, c'est bien ça le véritable but de l'idéologie d'extrême droite : s'imposer à notre espace public et mettre la main sur tout ce qui fait société. Il suffit de regarder ce qui se passe en Europe dans les pays où elle est au pouvoir. Dans la Hongrie de Viktor Orban, le modèle de Marine Lepen q

Construire la gauche de rupture

Les élections législatives et leur résultat inattendu ont créé une nouvelle situation politique et accéléré la crise du macronisme, mettant la gauche face à ses responsabilités. Dans cette tribune, Cédric Durand, Razmig Keucheyan et Stefano Palombarini avancent quelques propositions pour construire la gauche de rupture, insistant en particulier sur le rôle central que peut et doit jouer la France insoumise.
22 juillet 2024 | tiré de contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/construire-gauche-rupture-nouveau-front-populaire/
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La situation politique évolue à toute vitesse. Quatre éléments la caractérisent :
1/ Le RN est en embuscade. Son échec – relatif, puisqu'il a doublé le nombre de ses députés – aux élections législatives résulte notamment de deux facteurs. D'abord, des législatives sans présidentielles, où donc la dynamique de ces dernières ne se transmet pas aux premières, favorisant de ce fait les partis les plus territorialisés. Ensuite, un efficace « barrage républicain », construit avant tout par la gauche. Ces facteurs ont contenu pour cette fois la progression du RN dans certaines limites, mais rien ne garantit leur pérennité et leur efficacité à l'avenir. Surtout, la fascisation progresse dans la société, avec notamment la multiplication des actes et propos racistes au quotidien. Et des secteurs entiers de la bourgeoisie basculent, à l'image du morceau des LR emmené par Ciotti ou de l'accueil positif du CAC 40 à la perspective d'un gouvernement RN au soir du premier tour.
2/ Le macronisme s'effondre aussi rapidement qu'il est apparu. Le « bloc bourgeois » a toujours été une illusion, mais démonstration est faite désormais qu'il n'a de majorité ni dans le pays ni au sein des institutions. Tant mieux, une repolarisation droite-gauche devrait clarifier le champ politique pour les échéances électorales à venir.
3/ Donné pour mort en 2017, le Parti socialiste est de retour. En nombre de députés, il fait désormais quasi-jeu égal avec LFI. Il contrôle cinq régions, un grand nombre de villes, et est la deuxième force politique au Sénat. L'hypothèse fondatrice du NPA puis de LFI, selon laquelle la crise de la social-démocratie laisserait mécaniquement le champ libre aux forces radicales à gauche, est clairement démentie. Notre approche stratégique doit être repensée de fond en comble. La gauche radicale n'est pas seule à gauche, il faut intégrer cette donnée une fois pour toutes dans notre logiciel.
4/ Malgré une progression importante en nombre de voix aux européennes 2024 par rapport à 2019, le rapport de force pour LFI au sein de la gauche s'est détérioré depuis la dernière présidentielle. On le constate, entre autres indicateurs, dans sa difficulté à imposer ses choix aux autres composantes du Nouveau front populaire en matière de désignation du premier ministre et de la présidence de l'Assemblée Nationale. Quelle différence par rapport aux législatives de 2022 ! Le spectacle lamentable de purges menées au plus mauvais moment n'a pas aidé. Il a donné l'impression que LFI s'en prenait aux plus proches politiquement, plutôt que d'employer ses efforts à combattre les fascistes et à renforcer, dans l'espace de la gauche, les positions de ceux qui souhaitent une rupture nette avec la trajectoire néolibérale.
Ainsi, quatre blocs peuvent désormais être identifiés dans le champ électoral : le Rassemblement national ; une droite autrefois connue sous le nom de « républicaine », à l'intersection entre un macronisme en crise terminale et LR, dont Édouard Philippe est l'incarnation ; une gauche néolibérale assumée, dont la campagne européenne de Raphaël Glucksmann est le paradigme ; et la gauche de rupture. Les bords de ces quatre blocs sont évolutifs. S'ajoutent à eux les abstentionnistes, premier parti au sein des classes populaires.
LFI est le cœur du bloc de la gauche de rupture. Mais ce bloc est le seul, sur le plan idéologique, à se situer en dehors d'un paradigme néolibéral qui, s'il donne des signes d'une crise probablement irréversible, demeure celui qui structure la vision du monde du plus grand nombre. Il ne faut donc pas se cacher que le bloc de la gauche de rupture demeure en situation de faiblesse sur le plan de l'hégémonie. Il est de ce fait essentiel d'élargir son périmètre, et de ce point de vue une responsabilité fondamentale revient à LFI.
Cela passe par un travail politique en particulier en direction des abstentionnistes, jeunesse et classes populaires, remarquablement mis en œuvre par LFI ces dernières années. Mais pour monter en échelle et espérer gouverner, il faut également agréger des forces politiques et sociales constituées, avec chacune leur influence dans divers secteurs sociaux et dans le champ politique : syndicats, associations et autres composantes de la gauche, soit le PCF, une partie des écologistes au moins, certains socialistes, le NPA et les insoumis « dissidents ».
L'ensemble de ces forces pourraient prendre dès septembre l'initiative de constituer des Assemblées du Nouveau front populaire, une alliance qu'il s'agit d'ancrer durablement dans la perspective de la rupture avec le néolibéralisme ; et LFI pourrait être avec d'autres la cheville ouvrière de la construction d'une véritable base populaire de ce qui n'est, pour l'instant, qu'un accord entre appareils. L'un des obstacles sur cette route est la nature de LFI qui, si elle fonctionne comme une machine électorale redoutable et extrêmement efficace, n'est quasiment pas structurée à la base.
Or le « gazeux » ne résistera pas au fascisme qui vient : si on veut le combattre efficacement, et plus généralement créer les conditions de la transformation au sein de l'appareil étatique et de la société toute entière, on ne pourra faire l'économie de la construction d'une organisation digne de ce nom. Les Assemblées du Nouveau front populaire pourraient enclencher une dynamique de cet ordre. Cela n'empêche pas les organisations existantes de continuer à exister et interagir. Mais cela créera un ancrage à la base, obligeant les appareils à tenir compte de l'intérêt du Nouveau front populaire dans son ensemble. Pour peser efficacement et durablement sur le devenir de la gauche, dans ces Assemblées du NFP et au-delà, LFI devra donc se transformer.
L'idée, très présente dans le groupe dirigeant de LFI, que la construction du mouvement s'opère par « clarifications » successives, où les personnes et collectifs qui ne suivent pas la ligne décidée par Jean-Luc Mélenchon et son entourage sont progressivement exclus, s'est révélée efficace lorsqu'il s'agissait de construire une perspective pour une gauche de rupture, en la sauvant du naufrage du hollandisme. Mais elle est en totale contradiction avec les exigences de la phase politique que nous vivons. Il s'agit pour LFI, aujourd'hui, d'assumer le rôle d'organisateur et de pivot d'un bloc social qui, pour s'élargir, doit admettre une certaine diversité en son sein.
Le critère de la stricte fidélité à la ligne décidée par un petit nombre de personnes ne fait que favoriser la renaissance de ses concurrents, au premier rang desquels le Parti socialiste et les écologistes. Il nous faut construire l'hégémonie à gauche et dans le pays dans un même mouvement. Or l'hégémonie est le contraire de l'exclusion : elle suppose d'agréger des forces politiques et sociales diverses, tout en exerçant sur elles ce que Gramsci appelait une capacité de direction, et en leur imposant nos thèmes.
Seule la gauche de rupture peut sauver le pays des crises multiples qu'il subit. Pour cela, nous avons besoin d'une LFI confiante dans la force de ses idées et de sa capacité d'organisation. Sur le plan idéologique, sa capacité à faire bouger les lignes se cristallise dans les programmes communs de 2022 et 2024 qui rompent sans ambiguïtés avec le néolibéralisme.
Sur le plan organisationnel en revanche, le mouvement patine, comme en atteste l'incapacité à enclencher une dynamique d'élargissement cumulative. L'ancrage dans différents milieux s'incarne dans des figures qui fonctionnent comme des symboles, mais pas dans la structuration concrète. Pour croître, c'est-à-dire agréger et mettre en mouvement dans l'organisation des secteurs sociaux diversifiés, LFI doit instaurer un pluralisme interne, basé sur des règles collectivement décidées. Gage d'efficacité, ce pluralisme lui permettra de rayonner au-delà des frontières du mouvement.
Le fonctionnement de LFI repose sur un petit appareil, composé tout au plus d'une dizaine de personnes aux capacités de travail hors du commun, qui organisent l'engagement de milliers de militants dévoués à la cause. Ce type d'organisation n'est pas adapté à l'ambition de construire une hégémonie réelle et durable sur la gauche et dans la société. Il faut élargir et déléguer, et pour cela construire des formes de légitimité qui ne passent plus seulement par le contact direct avec Jean-Luc Mélenchon et son entourage immédiat.
Concrètement cela signifie que LFI doit sans attendre formaliser les principes de son fonctionnement, avec des règles effectives de contrôle démocratique de la direction et des moyens du mouvements. Cette formalisation est la condition sine qua non pour que la dynamique politique interne ne se résume pas à un jeu de faux-semblants, dans lequel la contrepartie de l'activisme militant est une forme de dépolitisation. En l'absence de possibilité d'influer sur le destin du mouvement, le corps militant est infantilisé et les forces vives se retirent.
Cette perspective n'implique nullement que LFI deviendra une organisation de « bavards » et de coupeurs de cheveux en quatre, ou encore qu'elle sera en proie aux ambitions personnelles des uns ou des autres, ni qu'elle sera obligée de chercher des synthèses improbables entre courants rivaux. C'est le contraire. La délibération et les ambitions peuvent et doivent être contenues dans des limites strictes, et l'histoire de la gauche ne manque pas d'exemples d'organisations qui, tout en admettant un certain degré de débat et de confrontation à l'intérieur, ont su marquer de leur empreinte la société française. L'action collective suppose l'intelligence collective, c'est le mélange des deux qui augmentera la capacité hégémonique de LFI.
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