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Feux dans le monde : en 1 an, des émissions équivalentes à 22 fois celles de la France

Une étude parue mercredi 14 août dans le journal Earth System Science Data, révèle que les incendies dans les milieux naturels ont provoqué à eux seuls l'émission de plus de 8,6 milliards de tonnes de CO2 dans le monde entre mars 2023 et février 2024. Ce chiffre est en hausse de 16 % par rapport à la moyenne et représente l'équivalent de vingt-deux fois les émissions de la France en 2023.
12 août 2024 | tiré de reporterre.net
Selon l'étude State of wildfires, près de 3,9 millions de kilomètres carrés sont partis en fumée. Plus fréquents et plus dévastateurs, notamment à cause des sécheresses à répétition, ces feux ont ravagé des zones entières en Amazonie (Brésil, Bolivie, Pérou, Venezuela), à Hawaï ou encore en Grèce. Athènes a une fois de plus été léchée par les flammes cet été. « L'année dernière, des feux ont tué des gens, détruit des maisons et des infrastructures, causant des évacuations de masse, menaçant les sources de revenus et endommageant des écosystèmes vitaux », alerte aussi Matthew Jones de l'université d'East Anglia, l'auteur principal du rapport. « Ces incendies deviennent plus fréquents et intenses avec le réchauffement du climat, et à la fois la société et l'environnement en subissent les conséquences », déplore-t-il.
Les émissions provenant des incendies dans les forêts boréales du Canada ont été plus de neuf fois supérieures à la moyenne des deux dernières décennies, et ont contribué à près du quart des émissions mondiales liées aux incendies. « Plus de 232 000 personnes ont été évacuées au seul Canada, ce qui souligne la gravité de l'impact humain », insiste l'étude. D'autres régions ont particulièrement souffert, notamment en Amazonie.
Selon les auteurs, le changement climatique a augmenté la probabilité de conditions météorologiques favorisant ces feux. D'après leurs calculs, le réchauffement d'origine humaine a augmenté d'un facteur 20 au moins la probabilité de conditions météorologiques propices aux incendies dans l'Amazonie occidentale.
À l'avenir, les auteurs de l'étude tablent sur une probabilité renforcée de ces incendies si l'humanité persiste à émettre beaucoup de gaz à effet de serre. Rien n'est encore écrit. D'après une autre étude publiée dans le journal Nature Ecology & Evolution en juin, le nombre et l'intensité des feux de forêt extrêmes ont plus que doublé dans le monde depuis vingt ans, en raison du réchauffement climatique dû à l'activité humaine.
Nous avons eu tort.
Quand nous avons créé Reporterre en 2013, nous pensions que la question écologique manquait de couverture médiatique.
Nous nous disions qu'il suffirait que la population et les décideurs politiques soient informés, que les journaux et télévisions s'emparent du sujet, pour que les choses bougent.
Nous savons aujourd'hui que nous avions tort.
En France et dans le monde, l'écrasante majorité des médias est désormais aux mains des ultra-riches.
Les rapports du GIEC sont commentés entre deux publicités pour des SUV.
Des climatosceptiques sont au pouvoir dans de nombreuses démocraties.

France - Indexation des salaires : une mesure économique nécessaire

Jonathan Marie, membre du collectif d'animation des Economistes atterrés, enseignant-chercheur en macroéconomie à l'université Sorbonne Paris Nord, défend la nécessité de restaurer l'indexation des salaires, mesure portée dans son programme par le Nouveau Front Populaire.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Le Nouveau Front Populaire fait de l'indexation des salaires sur l'inflation l'une de ses mesures phares. D'un point de vue politique, cette promesse fait sens car la baisse du pouvoir d'achat est un des motifs du vote en faveur de l'extrême droite, bien que celle-ci n'ait effectué aucune proposition sérieuse pour la contrecarrer.
La promesse de l'indexation est importante : elle indique aux travailleurs que les augmentations futures des prix n'auront pas les mêmes conséquences négatives sur leur pouvoir d'achat que celles enregistrées depuis 2021.
L'indexation des salaires est-elle pour autant justifiée économiquement ?
Oui, dans la situation économique actuelle qui n'est pas celle des années 1970 : le pouvoir de négociation des travailleurs est affaibli. Cet affaiblissement s'est accompagné d'une diminution de la part des revenus du travail dans le PIB, aujourd'hui à un niveau historiquement faible. L'inflation récente a encore accru cette distorsion.
L'indexation fournit dès lors un filet de sécurité : le pouvoir d'achat lié aux revenus du travail serait stabilisé par l'indexation, un mécanisme légal et automatique, alors que les travailleurs ont progressivement perdu la capacité d'obtenir collectivement, par la négociation, des augmentations de salaires. En soutenant ainsi le pouvoir d'achat, l'indexation réduit les risques d'une récession économique, qui s'accompagnerait d'une augmentation du chômage. L'indexation généralisée limite aussi la smicardisation de l'économie française (le rattrapage au niveau du Smic de nombreux salaires du bas des grilles de rémunération, car le Smic est lui indexé) : la Dares a évalué à la fin de 2023 que 17,3% des salariés français étaient rémunérés au Smic, contre 12% en 2021 et 14,5% en 2022.
L'indexation est une mesure défensive : ce n'est pas elle qui provoque l'augmentation des prix. Il n'y a donc pas lieu de craindre une fameuse boucle prix-salaires. D'ailleurs, les économies européennes comme la Belgique, qui ont conservé contrairement à la France une indexation généralisée, n'ont pas connu de trajectoire inflationniste foncièrement différente depuis 2021 [1].
L'indexation se justifie aussi sur un horizon de plus long terme par le fait que l'inflation récente est due à des évènements externes, en particulier la difficile reprise de la production mondiale après la crise sanitaire et les évènements géopolitiques comme la guerre en Ukraine. Ces chocs de prix peuvent s'accompagner de boucles prix-profits, révélant que les plus grandes entreprises sont en mesure d'augmenter leurs profits.
L'inflation est surtout liée à la trop forte dépendance de nos économies à la globalisation. Cette dépendance excessive s'exprime aussi par les pénuries de médicaments, ou par les dégâts environnementaux liés aux transports des marchandises au long cours. Réduire la probabilité que de nouvelles vagues inflationnistes se produisent nécessite donc de relocaliser certaines activités et de limiter la dépendance aux matières premières importées (notamment énergétiques). Cette évolution doit se faire en articulation avec les impératifs écologiques. Elle requiert des investissements massifs, publics comme privés, qui doivent être financés. Pour cela, la politique monétaire de la Banque centrale doit être accommodante, menée de manière à limiter le niveau des taux d'intérêt directeurs. Or, la BCE a répondu à l'inflation récente en augmentant les taux d'intérêt, affaiblissant la possibilité de financer les investissements indispensables à la bifurcation. Elle veut freiner l'inflation par le ralentissement de l'économie : comme les salariés sont moins en mesure d'obtenir des hausses de salaires, à cause de la montée du chômage, les entreprises sont moins tentées d'augmenter les prix si la demande se trouve réduite. Mais les causes structurelles de l'inflation ne sont pas corrigées : de nouvelles augmentations des prix des biens importés provoqueront à nouveau des vagues inflationnistes !
Une telle politique monétaire serait justifiée, selon ses promoteurs, par le fait que l'inflation doit être combattue pour limiter les pertes de pouvoir d'achat. Mais si les salaires sont indexés, comme on l'a déjà écrit, les effets sur le pouvoir d'achat des travailleurs sont amortis et l'argument en faveur d'une politique monétaire qui génère de la stagnation économique et du chômage, et qui est contradictoire avec les financements des investissements écologiques, tombe.
L'indexation des salaires est alors aussi légitimée par le fait que c'est une mesure qui s'articule avec la bifurcation écologique qui requiert, pour être financée, une politique monétaire qui n'ait pas pour objectif de créer du chômage pour lutter contre l'inflation. La transformation de nos modes de production et de consommation pourrait générer ponctuellement des tensions inflationnistes qui ne doivent pas peser sur les salariés. Attaquer sérieusement les causes de l'inflation exige bien des mesures de réduction de la dépendance aux importations, pas une politique monétaire restrictive.
L'indexation des salaires est un outil légal de défense des revenus du travail. L'indexation des salaires est actuellement prohibée par le code monétaire et financier (voir les articles L.112-1 à L112-4). Modifier ce cadre règlementaire et légal pour indexer les salaires réduirait la capacité des dirigeants des entreprises à augmenter leurs profits au détriment des revenus du travail en cas de choc de coût sur les importations. Activer cette possibilité est nécessaire car l'inflation est toujours l'expression de rapports sociaux concernant la répartition du revenu. A fortiori dans les périodes de fortes turbulences économiques et sociales comme actuellement, le libre fonctionnement du marché n'est pas en mesure de stabiliser le pouvoir d'achat et de faciliter une répartition moins injuste socialement. C'est à la politique macroéconomique et sociale d'exercer cette fonction d'autant plus indispensable que, dans un monde soumis au changement climatique, l'inflation pourrait être durablement plus élevée que les niveaux auxquels on s'était habitué depuis les années 1990.
Pour maintenir le pouvoir d'achat des travailleurs et permettre le financement d'un réel engagement contre les dégradations environnementales, l'indexation des salaires est un instrument de la politique économique qui doit être activé et qui limitera les effets des contraintes de tous ordres que va imposer la nécessaire bifurcation écologique.
[1] Selon Eurostat, si en mai 2024 le taux d'inflation estimé par l'IPCH est de 4,9 % en Belgique contre 2,6 % en France comme dans la zone Euro, en moyenne depuis janvier 2022, l'inflation a été de 6,16 % en rythme annuel chaque mois dans la zone Euro pour 5,88 % en Belgique et 5,27 % en France.
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Discussion avec des militant·es pour la solidarité ouvrière entre les Etats-Unis et la Chine

L'idée de solidarité elle-même est relativement jeune, puisqu'elle est principalement issue de la révolution industrielle. Bien sûr, les communautés se sont soutenues mutuellement pendant la plus grande partie de l'histoire, mais le mot et la pratique de la solidarité telles que nous les concevons aujourd'hui sont un phénomène assez récent. Elle est née du sentiment que les gens sont tributaires les uns des autres, non seulement pour des raisons morales ou politiques, mais aussi pour des raisons économiques, grâce au développement du capitalisme.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Andrew Sebald : Merci à toustes d'être présent·es. Pouvez-vous nous parler de votre expérience en matière d'organisation des travailleurs en Chine ?
Ellen David Friedman : Je suis une syndicaliste à la retraite. J'ai travaillé pendant une cinquantaine d'années dans le mouvement syndical américain, mais j'ai aussi vécu et travaillé pendant dix ans en Chine. J'ai été poussée par un besoin impérieux d'essayer de comprendre ce qui se passait en Chine après l'« ouverture » de Deng Xiaoping dans les années 1990. J'ai également milité dix années durant au sein du mouvement ouvrier à différents niveaux. Aux États-Unis, je suis principalement engagée dans le cadre du site de Labor Notes, dont j'ai l'honneur d'être la présidente du conseil d'administration.
Je suis partie en Chine il y a environ vingt-cinq ans. J'étais motivée pour m'y rendre parce que j'étais une fervente partisane de la révolution chinoise. J'avais été impressionnée et fascinée par certaines des premières réalisations de la révolution, mais j'ai ensuite vu comment les choses ont évolué. J'ai constaté des virages terrifiants vers l'autoritarisme, la mise à l'écart de la classe ouvrière, etc. À ce moment-là, j'avais près de quarante ans d'expérience dans le mouvement syndical américain, dans divers secteurs, de l'industrie manufacturière à l'enseignement public. J'étais consternée par ce que le néolibéralisme avait provoqué dans ce pays : la perte de substance de nos syndicats qui abandonnaient toute référence au pouvoir des travailleurs, et leur virage vers le recours à l'État pour résoudre les contradictions du capitalisme. Pour moi, ce n'était pas une voie qui pouvait permettre d'avancer, et j'ai donc voulu voir quelque chose de différent.
Ce que j'ai vécu en Chine a coïncidé avec une période de libéralisation conduite par Hu Jintao et Wen Jiabao, au cours de laquelle les militants étrangers ont été tolérés dans des proportions notables. J'ai pu vivre et enseigner dans une université de Guangzhou, l'université Sun Yat-Sen, où j'ai créé un centre international de recherches sur le travail. Ce centre a été subventionné pendant quatre ou cinq ans et a permis de promouvoir les échanges de militants syndicaux. Beaucoup de gens affluaient en Chine, en particulier dans le delta de la rivière des Perles, qui était devenu « l'usine du monde ». Il y avait des milliers de grèves en permanence dans des milliers d'usines. C'était passionnant, et nous avons pu faire de ces situations des sujets de recherche. Il y a eu une brève période pendant laquelle nous pouvions à la fois mener des recherches et échanger avec les travailleurs directement sur le lieu de travail, en rencontrant les gens dans leurs dortoirs, dans leurs usines, dans des lieux publics, et organiser des formations et des stages pour les animateurs de ces mouvements. Des gens venaient du monde entier pour faire des recherches dans ce domaine. C'était très fructueux et passionnant.
Puis Xi Jinping est arrivé au pouvoir et les murailles se sont refermées sur nous. En 2013 ou 2014, notre centre a été fermé. Nous n'étions plus en mesure d'inviter des étrangers. J'ai été arrêté par la direction de la sécurité nationale et on m'a demandé de quitter le pays. Depuis 2015, j'essaie de trouver des moyens de créer une solidarité ouvrière entre les États-Unis et la Chine dans des conditions extrêmement difficiles.
Kevin Lin : J'ai commencé à m'intéresser aux questions de travail en Chine entre 2009 et 2010. Ces années ont été des moments importants dans l'histoire récente du monde du travail en Chine du point de vue de l'ampleur des luttes ouvrières. J'ai eu la chance d'être attiré par le mouvement ouvrier en Chine à une époque où il y avait des luttes ouvrières dynamiques.
J'ai terminé mon diplôme de premier cycle vers 2009 – 2010. Je lisais tous les jours des informations sur les dernières nouvelles du monde du travail en Chine, qu'il s'agisse des grèves, des réformes sociales ou des catastrophes. À cette époque, les relations au travail évoluaient rapidement et les luttes des travailleurs s'intensifiaient. Je faisais partie d'une génération de jeunes qui étaient attirés par le mouvement ouvrier chinois en raison de ces luttes. Une mutation des consciences s'opérait, les Chinois ne considérant plus les travailleurs migrants ruraux comme de simples victimes d'un système oppressif. C'est au cours de cette période, entre la fin des années 2000 et le début des années 2010, que la population a véritablement changé d'attitude, passant de la sympathie à la solidarité. Les Chinois ne se contentaient pas de plaindre les travailleurs migrants, ils voulaient les rejoindre dans leur lutte. C'est ce type de solidarité là qui a émergé au cours de cette période. C'est le type de solidarité auquel je crois aujourd'hui, au-delà de la sympathie de nature morale à l'égard des victimes de mauvaises conditions de travail.
Alex Tom : Je me décrirais comme un activiste et un organisateur de mouvements depuis plus de 25 ans. J'ai fait partie de la Chinese Progressive Association (CPA) à San Francisco pendant plus de 15 ans. La CPA, qui a vu le jour au début des années 70, a créé de nombreuses branches et sections dans tout le pays. La CPA a joué un rôle clé dans la communauté des immigrés chinois en réclamant la normalisation des relations entre les États-Unis et la Chine et en soutenant fermement la révolution chinoise. C'était une chose particulièrement difficile à faire dans Chinatown, qui à l'époque était principalement contrôlé par le Kuomintang (KMT).
Notre communauté a une tradition de coopération d'individu à individu qui fait partie de notre patrimoine. Il est également important de se rappeler que des travailleurs chinois vivaient et travaillaient aussi aux États-Unis, et que de nombreux fondateurs de la CPA étaient des travailleurs sans papiers. C'est important parce que nous voyons maintenant le potentiel d'organisation de la diaspora ici aux États-Unis.
De nombreuses scissions se sont également produites au sein de l'organisation au cours des cinquante dernières années. L'une des plus importantes a été provoquée par le massacre de la place Tiananmen. Notre organisation et d'autres sections du CPA ont décidé de soutenir les étudiants et les travailleurs. Tout le monde à gauche n'a pas défendu cette position, mais il y a eu incontestablement des militants de gauche et des organisations de masse qui l'ont fait. Ce clivage est très important car certains pensent que la diplomatie « de peuple à peuple » consiste à soutenir inconditionnellement les positions des gouvernements révolutionnaires. Mais nous devons continuer à garder les pieds sur terre et à travailler avec quiconque se fait l'expression des opinions des travailleurs, qu'elle soit au pouvoir ou non.
Lorsque j'ai commencé à travailler pour le CPA en 2004, j'ai rencontré Ellen et, plus tard, Kevin. La Chine entrait dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC), ce qui marquait une étape importante dans le processus de mondialisation. En 2005, nous avons ressenti le besoin de faire venir des travailleurs chinois, des étudiants et des jeunes des États-Unis pour protester contre la réunion annuelle de l'OMC qui se tenait cette année-là à Hong Kong. Alors que beaucoup considèrent les manifestations de Seattle en 2000 comme la grande percée du mouvement antimondialisation, pour de nombreux Asiatiques, ce sont les manifestations de 2005 à Hong Kong qui ont été déterminantes. C'était la première fois que les communautés d'immigrés chinois critiquaient ouvertement la mondialisation et se mobilisaient contre elle. Certains ont perçu cela comme un « dénigrement de la Chine » au sein de notre propre communauté et parmi nos propres membres. Bien sûr, cela a changé après que nous avons organisé une plus importante campagne de sensibilisation sur les conditions de travail en Chine et dans d'autres parties de l'Asie.
La CPA existe depuis bien des décennies et a connu diverses conjonctures politiques et diverses luttes idéologiques dans ses rangs. À la fin des comptes, c'est de cette manière que nous avons maintenu notre mission et nos valeurs, en nous efforçant de refléter la conscience du peuple. Ensemble, ils ont intégré la délégation de la WT-NO, qui comprenait plus de 40 dirigeant.e ;s de Los Angeles, Philadelphie, New York et d'autres villes des États-Unis.
Au cours de l'été 2010, le CPA a organisé une veillée commémorative devant le magasin Apple de San Francisco à la mémoire des travailleurs de Foxconn qui s'étaient suicidés. Foxconn est le plus grand fabricant d'électronique au monde et l'un des principaux fabricants de produits Apple. Les conditions de travail dans l'usine sont si dures pour les jeunes travailleurs que des dizaines d'entre eux ont tenté de se suicider, mais les nombreuses actions menées pour augmenter les salaires n'ont toujours pas permis d'améliorer les conditions de travail.
Andrew : Quelles sont les points communs entre les conditions de travail auxquelles sont confrontés les travailleurs américains et chinois ?
Ellen : Après m'être installée en Chine et m'être frottée à la complexité de ses strates sociales, j'ai réalisé que la Fédération des syndicats de Chine (ACFTU) est avant tout une instance gouvernementale plutôt qu'une organisation de masse représentant les intérêts de la classe ouvrière. Sous la pression du néolibéralisme, l'ACFTU, même si elle a une taille énorme et possède de nombreuses ressources, est devenue une organisation creuse et verticalisée, tout à fait éloignée des besoins de ses adhérent.e.s de base. Ceux et celles d'entre nous qui pensent que les syndicats devraient être des lieux où les travailleurs apprennent à se battre pour les intérêts de la classe ouvrière comprennent que les relations patronales-syndicales sont de nature conflictuelle. Mais cette conception est totalement absente au sein de l'ACFTU. Lorsque je suis retournée aux États-Unis, j'ai constaté des problèmes similaires dans bon nombre de nos syndicats. Bien entendu, tous les syndicats américains ne sont pas des coquilles vides, et la récente poussée syndicale a clairement révélé l'existence en profondeur d'un courant favorable à des réformes démocratiques. Toutefois, aux États-Unis comme en Chine, les dirigeants syndicaux ont tendance à être très dirigistes, conservateurs, bureaucratiques et à privilégier les bonnes relations avec les responsables politiques plutôt qu'avec les travailleurs. En Chine, toute initiative prise par des travailleurs de la base pour se regrouper de manière indépendante au sein des syndicats est sévèrement réprimée, et la perspective de syndicats dirigés de manière démocratique semble très lointaine.
Kevin : Au cours des vingt ou trente dernières années, le développement économique de la Chine s'est opéré par une industrialisation axée sur l'exportation. Des usines ont poussé partout en Chine, les travailleurs ruraux ont migré vers les villes et l'industrialisation à bas salaires et à faible niveau de qualification a été le moteur de l'économie chinoise. Le cœur des luttes ouvrières en Chine se trouvait au sein de la classe ouvrière industrielle. Ce n'était pas le cas des États-Unis à l'époque. À ce moment-là, le pays s'était déjà désindustrialisé au cours des vingt ou trente années précédentes. Je me souviens d'avoir participé à des réunions avec des délégations de travailleurs chinois et des activistes avec des syndicalistes américains, et les travailleurs américains, tout en exprimant leur intérêt et leur solidarité, avaient du mal à comprendre les luttes de la classe ouvrière chinoise parce que les Américains venaient principalement du secteur des services. Aujourd'hui, je pense qu'il y a de moins en moins de décalage entre les classes ouvrières américaines et chinoises. La Chine est en train de vivre le début de sa propre phase post-industrialisation, et de plus en plus de jeunes Chinois sont des cols blancs qui s'orientent vers les secteurs de la technologie et des services. Les travailleurs chinois sont de plus en plus nombreux à avoir une vision sombre de leur avenir, à l'instar de ce que les travailleurs américains ont pu ressentir il y a de nombreuses années.
Je pense que la meilleure façon pour les travailleurs de construire la solidarité est d'avoir des échanges d'expériences sur des situations concrètes. Bâtir la solidarité sur la base d'abstractions moralisantes n'est pas une démarche qui peut s'inscrire dans la durée, cela ne permet pas d'organiser efficacement les travailleurs. Maintenant que les classes ouvrières américaines et chinoises commencent à connaître des luttes de même nature, un espace est en train de se dessiner où elles pourront s'organiser ensemble.
Alex : J'aimerais ajouter à cela une anecdote personnelle. Dans notre délégation du WT-NO, nous avions des travailleurs de Chinatown, dont l'une avait travaillé dans le secteur de l'habillement pendant la révolution culturelle. Avant notre voyage, les membres de notre délégation éprouvaient un sentiment de fierté à l'égard de la Chine. Nous critiquions la mondialisation et ils nous disaient souvent que nous devrions être plus « dialectiques » à ce sujet. Même si la mondialisation peut avoir des effets néfastes, il était difficile de ne pas être patriote au regard de l'ascension fulgurante de la Chine sur la scène internationale. Lorsqu'ils ont visité la Chine, ils n'ont pu que constater le développement rapide et la modernisation de leurs villes d'origine. De nombreux membres de la délégation ont cru que nous mentions sur les conditions de travail des ouvriers, estimant que nous étions trop sensibles à la rhétorique anti-chinoise. Toutefois, peu de temps après, nous nous sommes rendus dans la zone économique spéciale (ZES) de Shenzhen et les membres de la délégation ont été choqués de constater à quel point les conditions de travail étaient mauvaises. L'ouvrière qui avait travaillé dans une usine de coton pendant la révolution culturelle a rappelé que son salaire minimum était beaucoup plus élevé que dans les usines de la ZES. Elle était scandalisée par le fait que les salaires étaient si bas.
Andrew : Y a-t-il eu d'autres initiatives importantes de solidarité ouvrière entre les États-Unis et la Chine au cours des dernières décennies ? En quoi peuvent- elles nous donner des indications sur les formes que prendra cette solidarité à l'avenir ?
Ellen : Depuis 20 ans que je mène ce travail, le point culminant de la solidarité entre les États-Unis et la Chine a été pour moi la grève des dockers de Hong Kong en 2013. C'est un petit groupe de grutiers qui a lancé la grève. Bien que peu nombreux, ils étaient hautement qualifiés, de sorte que lorsqu'ils cessaient de travailler, tout le reste s'arrêtait également. La grève s'est rapidement étendue. À Hong Kong, les deux syndicats étaient alors en conflit. L'un était la Fédération des syndicats de Hong Kong (HKFTU), étroitement associée à l'ACFTU du continent et traditionnellement plus docile. L'autre était la Confédération des syndicats de Hong Kong (HKCTU), favorable à la démocratie, qui a dû se dissoudre après la mise en œuvre de la loi sur la sécurité nationale en 2020. Tous deux étaient présents, mais le dynamisme des dockers associés à la HKCTU était si grand et si convaincant qu'il a rapidement gagné un large soutien extérieur. Des étudiant.e.s, des membres d'organisations socialistes et des militant.e.s d'autres syndicats se sont regroupés pour soutenir les dockers. La mobilisation de l'opinion publique à cette échelle était incroyable.
J'étais alors à Guangzhou, ce qui m'a permis de faire des allers-retours entre Guangzhou et Hong Kong pour suivre la grève. À mon retour aux États-Unis, nous avons organisé une tournée de conférences pour les dirigeants du syndicat des dockers. Ils ont commencé par prendre part à la conférence de « Labor Notes » en 2014, puis ils ont fait une tournée éclair destinée à obtenir le soutien des syndicats de dockers de la côte ouest. C'était assez intense, mais nous avons fait le tour de tous les ports de la côte ouest où le syndicat International Longshore and Warehouse Union (ILWU) est représenté. L'ILWU a une longue histoire de syndicalisme internationaliste, c'est l'un des rares syndicats américains à avoir cette tradition. L'ILWU a organisé des discussions avec ces militants à Los Angeles, Oakland, Tacoma, Portland et dans d'autres ports encore. Ils ont collecté beaucoup d'argent pour couvrir les frais de grève. Nous avons également rencontré plusieurs groupes affinitaires et communautaires, comme le CPA. On pouvait sentir que les situations comparables vécues par les travailleurs, même si leurs syndicats étaient différents, leur permettaient de comprendre tout ce qu'il y avait de semblable et de se rendre compte du pouvoir qu'ils avaient sur le mouvement mondial du capital. C'était très impressionnant.
Je dois dire que ce genre de chose est au-delà de ce que nous pouvons imaginer aujourd'hui. Nous devons faire preuve d'une grande modération dans nos appréciations et nos attentes en ce qui concerne les possibilités de contact entre travailleurs. À l'heure actuelle, toute personne qui arriverait de Chine et prendrait publiquement position en faveur du militantisme ouvrier serait en grand danger à son retour dans son pays. Inutile de dire que ces personnes veulent éviter de s'exposer à un tel danger, si bien que de tels scénarios ne se présentent pas à nous pour l'instant.
Alex : Dans le prolongement de ce qu'a dit Ellen, le fait d'organiser des échanges de travailleur à travailleur a modifié qualitativement notre base aux États-Unis, car beaucoup parmi eux avaient peur de s'exposer. Cependant, après avoir vu comment les dockers de Hong Kong ou de jeunes travailleuses s'étaient organisés, j'ai entendu certaines de ces mêmes personnes aux États-Unis dire : « Hé bien, s'ils peuvent le faire, nous pouvons le faire aussi ». Il se crée quelque chose de très fort lorsque les gens voient la réalité de la lutte et de la contestation en Chine.
Je tiens également à souligner que le travail organisationnel se poursuit en Chine. Cependant, comme l'a dit Ellen, il est important d'avoir une évaluation sobre de ce qui est possible en Chine. Il faudra peut-être des décennies avant que les conditions ne changent. Pour aller de l'avant, il faut bien évaluer le moment présent et penser l'importance de l'organisation de la diaspora. Il y a des centaines de milliers de Chinois expatriés parmi nous. Certains d'entre eux ont participé à des mouvements en Chine, et l'une des propositions que je fais au sein de la communauté américaine d'origine asiatique est de faire participer ces étudiant.e.s chinois.e.s à l'étranger au sein de nos mouvements et de nos communautés. Ils ont besoin d'un espace qui leur permette de bâtir et de développer des stratégies autour de questions politiques : le travail, les questions de souveraineté et de démocratie en Chine, le climat, le féminisme, et bien d'autres choses encore. Nous devons donc créer un espace de réflexion stratégique qui leur permette de lutter, de construire et d'établir des liens avec d'autres mouvements.
Kevin : Je voudrais conclure par quelque chose d'un peu plus abstrait. J'ai lu deux livres récemment publiés sur la question de la solidarité. L'un est Struggle and Mutual Aid in the Age of Working Solidarity (Other Press, 2023) de Nicholas Delalande, qui est une histoire de la Première Internationale. Ce livre relate comment des liens ont été tissés entre les classes ouvrières européennes et américaine afin de dépasser les frontières nationales et d'établir des relations profondes entre elles. L'autre livre est Solidarity : The Past, Present, and Future of a World-Changing Idea de Leah Hunt-Hendrix et Astra Taylor (Penguin Random House, 2024). Ce livre nous apprend que l'idée de solidarité elle-même est relativement jeune, puisqu'elle est principalement issue de la révolution industrielle. Bien sûr, les communautés se sont soutenues mutuellement pendant la plus grande partie de l'histoire, mais le mot et la pratique de la solidarité telles que nous les concevons aujourd'hui sont un phénomène assez récent. Elle est née du sentiment que les gens sont tributaires les uns des autres, non seulement pour des raisons morales ou politiques, mais aussi pour des raisons économiques, grâce au développement du capitalisme. L'idée est que nous devons être redevables les uns envers les autres sur le plan matériel pour nous soutenir mutuellement.
Cet aspect matériel est important car la Première Internationale a démontré que la solidarité consiste pour les travailleurs à arracher le contrôle de l'économie aux capitalistes et à l'État capitaliste. Le livre m'a fait réfléchir encore plus sur ce que signifie la pratique de la solidarité, et sur la façon dont elle a pu faillir ou sur les endroits où elle a échoué. La solidarité ne se manifeste pas seulement par des manifestations de soutien visibles ; elle se construit également à travers des traductions au quotidien, une compréhension profonde des luttes des uns et des autres, et l'établissement de relations à long terme. Ce sont les fondations solides sur lesquelles nous pouvons construire notre solidarité.
Ellen : tu as bien préparé le terrain pour un point que j'aimerais ajouter, Kevin. Lorsque nous sommes confrontés à des situations dans lesquelles de nombreuses personnes vivent en exil ou sont soumises à des contraintes incroyablement restrictives dans leur pays, nous pensons souvent que cet isolement constitue un obstacle majeur à la mise en place d'une forme matérielle de solidarité. La forme la plus cruciale de solidarité est celle où les gens continuent à développer un ensemble de valeurs et d'outils analytiques pour évaluer la réalité et pour s'engager dans une certaine perspective sur la durée, quelles que soient les conditions qui les entourent à un moment donné. J'en ai vu de beaux exemples. Lors de la dernière conférence de Labor Notes, il y avait des personnes du monde entier qui ont mis en pratique le syndicalisme démocratique, même dans des situations où elles étaient confrontées à des conditions de plus en plus restrictives. Nous constatons une formidable soif de pratiques radicalement démocratiques, qui ne se limitent pas au vote, mais qui permettent d'apprendre à se comporter les uns avec les autres de manière fondamentalement respectueuse. Ce mouvement de solidarité en matière de convictions et d'objectifs, qui se construit au-delà des distances, sera une forme de puissance durable et pérenne qui se développera à mesure que nous avancerons.
David Friedman, Alex Tom, Kevin Lin, Andrew Sebald
https://newpol.org/issue_post/activists-on-u-s-china-labor-solidarity/
Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepL.
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article71713
Cina, la solidarietà sindacale internazionale
https://andream94.wordpress.com/2024/08/21/cina-la-solidarieta-sindacale-internazionale/
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Le genre et la classe ouvrière chinoise

Pour l'exposé d'aujourd'hui, je me concentrerai principalement sur les conditions des travailleuses et Olia parlera davantage de l'auto-organisation et des ONG. Une partie de la discussion s'appuiera sur mon propre travail de terrain en Chine pendant la pandémie.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Zoe Zhao
Pour comprendre les relations hommes-femmes dans la classe ouvrière chinoise d'aujourd'hui, nous devons d'abord examiner la manière dont les chaînes de production sont organisées. Au-delà des grandes usines, les petits ateliers familiaux sont les principaux fournisseurs des grandes plateformes de commerce électronique en Chine. Dans l'industrie chinoise du commerce électronique et de la mode rapide, qui est de plus en plus intégrée à la chaîne d'approvisionnement mondiale avec l'essor des deux plateformes chinoises d'achat en ligne Shein et Temu, ce modèle de production familiale s'est considérablement intensifié au lieu de s'affaiblir. Les bénéfices de Temu et de Shein sont plutôt bons. Cela s'explique en partie par le fait qu'elles intensifient la concurrence entre les petits ateliers et sélectionnent le fournisseur le moins cher, qui a également tendance à avoir des pratiques d'exploitation de la main-d'œuvre plus importantes.
De nombreux ateliers familiaux sont regroupés dans des villages urbains où le loyer et la nourriture sont abordables, et les travailleurs et les travailleuses vivent parfois à proximité de leur atelier, voire à l'intérieur de celui-ci. Le problème des ateliers familiaux est qu'ils sont plus susceptibles de refléter la division sexuée du travail existant dans les familles patriarcales traditionnelles. Par exemple, dans ces ateliers, les femmes ont tendance à s'occuper de la cuisine, des courses et de la lessive, tandis que les hommes effectuent des tâches plus lourdes, telles que l'utilisation et la coupe des « tables » (les grandes surfaces planes utilisées dans l'industrie de la confection pour disposer, mesurer et couper le tissu). Les études menées par Nellie Chu, de Duke, sur les ateliers de confection ont montré qu'en raison d'une oppression commune, les ouvrières de différentes régions sont plus susceptibles de se lier les unes aux autres et même de développer un sentiment de solidarité avec les femmes propriétaires d'usine, ce qui est très différent des ouvriers qui sont souvent séparés par leur ville d'origine. Les recherches menées par Lin Zhang, de l'université du New Hampshire, révèlent la marginalisation des tisseuses rurales dans le commerce électronique. Elles se situent au plus bas de la chaîne d'approvisionnement et peuvent à peine réaliser des bénéfices.
En règle générale, les professions féminisées sont moins bien rémunérées que les professions masculines. De nombreuses industries de services dans les zones urbaines, en particulier les plus récentes telles que les boutiques de thé à bulles, attirent de jeunes travailleuses qui veulent se rapprocher du mode de vie urbain ou qui sont rejetées par les usines. J'ai vu une offre d'emploi dans un salon de thé à bulles de Shenzhen à la fin de l'année 2020 qui indiquait 3800 RMB (environ 526 $) comme salaire de départ pour une nouvelle travailleuse, ce qui est beaucoup plus élevé que le salaire de base de Shenzhen Foxconn (2650 RMB) – mais n'offre pas de rémunération pour les heures supplémentaires comme le travail en usine. Par conséquent, le revenu net et les avantages sociaux sont inférieurs à ceux des usines. De nombreuses travailleurses du secteur des services s'expriment sur leurs conditions de travail sur les réseaux sociaux. En plus de décrire la nature laborieuse du travail, elles disent aussi que le revenu réel peut être bien inférieur à ce qui a été promis, car de petites erreurs peuvent entraîner des pénalités supplémentaires sur le salaire.
En raison de l'essor des plateformes numériques et de la baisse des salaires dans les usines et dans le secteur des services urbains, les travailleurs et les travailleuses des plateformes, comme les livreurs/livreuses de repas (plus de 13 millions de personnes à l'heure actuelle), occupent une part de plus en plus importante de la main-d'œuvre en Chine, tout comme dans la plupart des autres pays. En Asie, la livraison de repas sur plateforme est un travail essentiellement masculin. Toutefois, depuis la pandémie, le nombre de femmes livreuses a augmenté de façon spectaculaire au niveau national. Environ 10% des livreurs de repas en Chine sont des femmes, et ce pourcentage est plus élevé dans les grandes villes. Le groupe de recherche de Ping Sun a estimé que le pourcentage de femmes livreuses est passé de 9% en 2020 à plus de 16% e 2021. Autre fait intéressant, les femmes sont généralement plus âgées que les hommes, car beaucoup d'entre elles ont été licenciées du secteur traditionnel des services. Dans l'ensemble, les livreuses souffrent également d'un écart de revenus et d'un harcèlement accru de la part des clients et des autres travailleurs. Pour ces raisons, nombre d'entre elles ne rejoignent pas les groupes d'entraide en ligne organisés par les livreurs, qui constituent le principal mode de communication entre les livreurs en Chine.
Il existe également une division notable du travail en fonction du sexe entre l'économie des plates-formes virtuelles et celle des plates-formes sur site. Les femmes sont beaucoup plus susceptibles de travailler dans des secteurs virtuels tels que la diffusion en direct et le service clientèle en ligne. De nombreuses travailleuses considèrent le travail à distance comme une option plus sûre. Dans mes propres recherches, de nombreuses femmes reconnaissent que le harcèlement sexuel endémique est l'un des principaux facteurs qui les poussent à éviter les emplois de service sur site.
Une autre tendance connexe est l'absorption de la main-d'œuvre féminine rurale excédentaire dans les nouvelles chaînes d'approvisionnement. Les travailleuses qui rentrent chez elles dans les provinces intérieures telles que le Henan et le Gansu constituent une partie essentielle de l'industrie de l'étiquetage des données qui stimule la production mondiale d'IA. Les gouvernements locaux encouragent nombre de ces initiatives dans le cadre de campagnes de lutte contre la pauvreté. Compte tenu de la forte demande des entreprises mondiales d'IA, il est fort probable que ce travail « fantôme » sexué continue à se développer.
L'augmentation du travail journalier dans de nombreuses grandes villes est l'une des tendances les plus contradictoires de la féminisation du travail au cours de la dernière décennie. La plupart des travailleurs journaliers sont des travailleurs migrants masculins. Nombre d'entre eux ont renoncé à obtenir un emploi à long terme ou un salaire. Au lieu de cela, ils se rassemblent sur de nombreux marchés du travail, essayant d'obtenir des contrats pour un jour ou deux et de se reposer le reste de la semaine. De nombreux clips vidéo sur les médias sociaux, en particulier sur Douyin et Kuaishou, montrent de jeunes travailleurs masculins qui tentent de diffuser leur expérience du travail journalier.
Cependant, il existe une autre dimension sexuée du travail journalier. Malgré la représentation plus élevée des travailleurs masculins, les travailleuses sont surreprésentées dans les agences de travail : elles servent de médiatrices entre les travailleurs masculins et les entreprises qui les embauchent. La raison en est que les propriétaires des agences estiment que les femmes sont plus aptes à communiquer avec les hommes, et aussi, ce qui est intéressant, qu'ils peuvent donner l'illusion qu'il y a beaucoup de jeunes femmes à l'intérieur des usines. L'une de ces agences de placement porte même le nom de « Good Sisters Human Resource » !
La Chine souffre également du vieillissement de sa main-d'œuvre, et nous devons donc également tenir compte des relations hommes-femmes parmi les travailleurs et les travailleuses plus âgées. L'âge moyen de la population active dans les régions urbaines et rurales augmente rapidement. Une étude réalisée par Yige Dong, sociologue à l'université de Buffalo (SUNY), sur l'industrie manufacturière, montre que le pourcentage de jeunes travailleurs et travailleuses célibataires a diminué de manière significative. Alors que Foxconn recrute toujours des personnes de moins de 40 ou 45 ans, la proportion de ses employé·es de moins de 30 ans est passée de plus de 90% à 48%. Cela est particulièrement vrai pour les usines situées dans les provinces intérieures, car elles attirent des travailleurs et des travailleuses de la même province. Il est également plus difficile pour les personnes plus âgées de se mettre en grève ou de protester, car elles ont plus à perdre et plus de membres de leur famille à s'inquiéter. Les travailleurs et les travailleuses âgées sont confrontées non seulement à une détérioration de leur état de santé et à des maladies professionnelles, mais aussi, et surtout, à un marché du travail hostile. En règle générale, les femmes de plus de 50 ans et les hommes de plus de 60 ans ont peu de chances d'être embauchés.
Je terminerai par quelques exemples d'affiches d'embauche que j'ai observées dans un quartier populaire du district de Yangpu, à Shanghai, en 2021. La majorité des annonces d'embauche ne demandent que des femmes de moins de 40-50 ans, et de moins de 60 ans pour les hommes. L'une d'entre elles recherchait explicitement des « femmes âgées de 18 à 42 ans ». Lorsque j'ai tenté de soulever la question de l'inégalité salariale et de la discrimination fondée sur l'âge auprès d'une agence pour l'emploi, on m'a répondu que « les femmes âgées devraient être reconnaissantes de pouvoir encore travailler comme nounous et gardiennes d'enfants », et j'ai ensuite été exclue sans ménagement d'un groupe en ligne. Les travailleurs et travailleuses agées peuvent contourner la limite d'âge en achetant de fausses cartes d'identité sur le marché illégal. Cependant, de nombreux et nombreuses travailleuses migrantes paraissent plus âgées que leur âge réel en raison des années de corvée, et sont donc plus susceptibles d'être interrogées par la police.
Olia Shu
En m'appuyant sur les remarques de Zoe, je parlerai principalement de l'imbrication entre l'organisation féministe et l'activisme sur le lieu de travail. Bien sûr, le simple fait de s'intéresser aux travailleuses ne nous donnera pas une image complète de la dynamique de genre dans la classe ouvrière chinoise, mais leurs expériences constituent une partie essentielle de l'histoire lorsqu'il s'agit d'interroger la dynamique d'un système capitaliste structuré par le patriarcat. Il n'est pas surprenant que les femmes aient tendance à être plus marginalisées et vulnérables dans leur vie sociale et sur le marché du travail. Les femmes chinoises passent deux fois plus de temps que les hommes à effectuer des tâches domestiques non rémunérées, sont davantage victimes de harcèlement sur leur lieu de travail et sont moins bien payées. Bien qu'il existe d'importants documentaires et d'autres images sur l'organisation des travailleuses chinoises, comme We the Workers (2017) et Outcry and Whisper (2020), ils sont rarement abordés dans les grands médias chinois et ne reçoivent que peu d'attention de la part du public. Ils montrent des exemples d'organisation militante d'action par des travailleuses, mais je souhaite également attirer l'attention sur différents modèles nuancés d'organisation qui sont devenus de plus en plus courants à mesure que l'espace pour la mobilisation est devenu plus difficile, avec des conséquences plus graves de la répression de l'État. Seules des conditions très particulières permettent des manifestations de masse et d'autres confrontations avec la police et les employeurs.
Nous devons également prendre en considération les aspects moins tape-à-l'œil de l'organisation des travailleuses, qui sont essentiels à l'activisme sur le lieu de travail aujourd'hui. Les travailleuses plus âgées qui guident les plus jeunes, ou les travailleuses parlant le même dialecte dans la même région, s'organisent souvent en petits groupes pour se soutenir mutuellement. Ces espaces constituent des points de départ essentiels qui permettent aux travailleuses de comprendre et d'évoquer les griefs collectifs et de découvrir la confiance et l'autorité nécessaires pour se battre. Les travailleuses utilisent également les médias numériques pour s'enseigner mutuellement et faire circuler le droit du travail et d'autres outils institutionnels. Alors que certain·es avocat·es, étudiant·es, activistes et journalistes qui les soutiennent reçoivent souvent le plus d'attention après les actions de celles-ci, les travailleuses ordinaires sans plateforme sont souvent confrontées aux représailles les plus directes et les plus dures. De nombreuses travailleuseuse apprennent également à s'organiser et à utiliser la loi à leur avantage, même si beaucoup d'entre elles n'ont pas de casquette professionnelle.
Le Sunflower Service Center for Female Workers est un bon exemple de ce type d'auto-organisation des travailleuses. Quelques travailleuses ont créé le centre à Guangzhou en 2011, souhaitant collaborer pour fournir des services de garde d'enfants et organiser diverses activités récréatives et culturelles. Guangzhou comptait plus de cent mille travailleuses, et le centre a accueilli de nombreux événements culturels populaires et a attiré l'attention des médias locaux, recevant même des appuis officiels pour ces événements. L'un de ces événements invitait les travailleurs, hommes et femmes, à porter publiquement des chaussures rouges pour femmes afin de sensibiliser le public aux questions de genre sur le lieu de travail. Finalement, les travailleuses de Sunflower ont commencé à cultiver davantage de connaissances juridiques et de pouvoir collectif, et les travailleuses du centre se sont rapidement conseillées les uns les autres sur la manière de négocier avec succès avec les entreprises sur les questions de vol de salaire. La nouvelle de l'existence du centre a commencé à se répandre. À un moment donné, plus d'un millier de travailleuses qui avaient travaillé dans une usine locale de jouets pendant plus de 20 ans n'ont pas reçu l'intégralité de leur rémunération et de leurs prestations de sécurité sociale lorsqu'elles ont atteint l'âge de la retraite. Elles ont contacté le Sunflower Center, qui les a aidés à gagner un important procès la même année contre l'entreprise.
Ainsi, au début des années 2010, Sunflower a commencé à passer d'activités culturelles à des actions militantes, ce qui a finalement conduit à sa répression. Depuis l'affaire des travailleuses de l'usine de jouets, l'association a commencé à subir des pressions directes et indirectes de la part des autorités et d'autres acteurs pour qu'elle ferme ses portes. À un moment donné, le propriétaire a commencé à couper l'eau et l'électricité ; un autre matin, les organisatrices ont découvert que quelqu'un avait soudé leur porte métallique au cadre, de sorte qu'ils ne pouvaient pas l'ouvrir. Les autorités locales ont fini par poser un ultimatum aux représentantes du Sunflower Center : soit elles fermaient eux-mêmes, soit elles attendaient une notification officielle de fermeture. En 2015, elles ont été contraints de fermer.
Alors que l'organisation militante est devenue de plus en plus persécutée après 2015, certains centres pour les travailleuses ont continué à survivre et à travailler par des voies plus subtiles et créatives. Ding Dang, par exemple, est cofondatrice du Green Roses Center of Social Work, qui existe toujours à Shenzhen. Elle a commencé à travailler à l'âge de 14 ans et a dû abandonner l'école pour travailler afin de subvenir aux besoins de sa famille. Elle a quitté sa ville natale rurale de Gansu pour s'installer dans le centre urbain de Shenzhen, où elle a fait l'expérience de la situation difficile des travailleuses des grandes industries, ce qui l'a amenée plus tard à s'organiser. Après avoir lu et appris davantage sur le travail et les questions sociales dans un centre de travailleuses, elle a identifié le genre comme une préoccupation majeure qui a influencé ses conditions de travail et celles d'autres collègues féminines. Elle a découvert que six des dix membres de son groupe d'amies au travail avaient été abandonnées par leurs parents en raison de leur sexe. Elle a commencé à comprendre que les usines préféraient embaucher des femmes parce qu'elles pensaient que les travailleuses seraient plus faciles à gérer. Elle a remarqué que si beaucoup de ses collègues féminines étaient habituellement discrètes en public, elles partageaient ouvertement leurs pensées en privé. Elle a continué à encourager ses collègues à trouver des moyens de s'exprimer, en créant son magazine et d'autres formes de contenu public.
Le Green Roses Center of Social Work fondé par Ding organise des activités telles qu'un « spectacle de chant pour la fête des mères » et une « exposition de poésie Bread and Roses », axés sur les travailleuses, ainsi que diverses activités de garde d'enfants et d'entraide pour permettre aux travailleuses migrantes de mieux s'adapter à la vie citadine. Green Rose utilise aussi efficacement les plateformes numériques pour atteindre les travailleuses, notamment par le biais de leurs comptes publics sur WeChat, Weibo ou Xiaohongshu.
En effet, comme l'a mentionné Zoe, les plateformes numériques deviennent un outil d'organisation de plus en plus important pour les travailleuses chinoises. Les travailleuses militantes délaissent les journaux traditionnels, les magazines et les blogs en ligne au profit de modèles de reportage et d'expression plus décentralisés, comme les médias sociaux. Certaines produisent des contenus courts, tandis que d'autres produisent des bulletins d'information plus longs, des podcasts et des documentaires, tout cela pour trouver des moyens de contourner la censure imposée par l'État sur les médias sociaux chinois. Da Gong Tan, par exemple, mène des entretiens avec des travailleuses d'horizons divers, notamment des travailleuses domestiques d'usines locales et des travailleuses internationales diplômées aux États-Unis. Les enregistrements audio, l'utilisation de pseudonymes et les abonnements à des messageries privées sont autant de moyens de contourner la censure. Des blogs de travailleures comme Spicy Pepper ou Jianjiao Bu Luo diffusent et commentent des statistiques pertinentes, avec des graphiques montrant par exemple que les taux de natalité des femmes sont en baisse ou que les femmes migrent davantage vers les villes que les hommes.
Des conductrices de camion, comme Li Xin, ont lancé des blogs sur une plateforme appelée Kuai Shou pour attirer l'attention sur leurs conditions de travail. Li documente sa propre vie de conductrice de camion et de mère de deux enfants, qui se rend au travail avec son mari et ne peut rentrer chez elle qu'une fois tous les deux mois. De telles histoires attirent l'attention d'autres conductrices de camion et d'autres personnes sur les médias sociaux. Ainsi, de plus en plus de travailleuses s'appuient sur des plateformes numériques pour discuter de leurs conditions de travail. Certains cas attirent l'attention du gouvernement et sont cooptés dans des récits d'État qui glorifient leurs « sacrifices » sans faire grand-chose pour changer le soutien social et la sécurité à long terme des travailleuses. Par la suite, Li s'est davantage intégrée aux médias officiels, participant à un célèbre concours de chant, et a dû modérer son contenu pour éviter toute agitation, alors même qu'elle invitait d'autres camionneuses sur sa plateforme à parler de leurs conditions de travail, y compris le cas d'un travailleuse décédée dans un accident de la route. Il n'y a pas grand-chose d'autre qu'elle soit autorisée à exprimer en toute sécurité, à part le genre de sentiment avec lequel elle a terminé dans un récent vlog : « La réalité est cruelle, mais la vie doit continuer ».
Nous devons également nous rappeler que l'alphabétisation numérique et plus large n'est pas encore tout à fait courante parmi les travailleuses, et c'est pourquoi le travail clé de Green Rose et d'autres groupes de travailleuses consiste à concevoir différents types d'ateliers d'écriture et d'alphabétisation médiatique. Un cours d'alphabétisation apprend aux femmes comment les caractères écrits correspondent picturalement aux différentes parties du corps, ce qui leur permet de discuter de concepts généraux de bien-être, de santé et de soins maternels.
Je voudrais conclure en soulignant que la précarité des conditions de travail en Chine signifie qu'il n'existe pas de modèle unique pour l'organisation des travailleuses. Les militantes doivent naviguer dans des conditions difficiles pour rencontrer les gens là où ils sont, avec des ressources limitées et la menace constante de la répression.
Zoe Zhao est une chercheuse et une activiste qui s'intéresse aux intersections entre la technologie, le travail et les mouvements sociaux.
Olia Shu est une activiste qui s'intéresse aux alternatives au capitalisme et aux théories et pratiques de décolonisation.
https://newpol.org/issue_post/gender-and-the-chinese-working-class/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
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Le virus fasciste et le risque de pandémie

Le capitalisme néolibéral pousse les régimes politiques vers des démocraties illibérales ou des autoritarismes réactionnaires, comme l'expliquent Miguel Urban et Jaime Pastor :
Des décennies de gouvernance néolibérale et ses crises dérivées, qui ont favorisé une culture politique profondément antidémocratique. Il reflète l'obsession incessante du néolibéralisme de limiter les sphères et les fonctions sociales des États, d'aligner l'action publique sur les intérêts des acteurs de l'économie privée, de remplacer la réglementation et la distribution par la liberté d'entreprise et de placer les droits de propriété au-dessus de tout autre droit fondamental. (…) C'est cette anti-politique (...) qui est à l'origine de l'autoritarisme qui imprègne toute la carte politique.
24 août 2024| tiré de Vientosur Le virus fasciste et le risque de pandémie | Article original en catalan
Dans ce texte, je propose une réflexion sur la question de savoir si, dans cette dynamique, certains éléments caractéristiques du fascisme classique sont modifiés et recombinés avec de nouveaux éléments, comme c'est le cas avec les souches modifiées d'un virus précédent, et affectent progressivement diverses parties des institutions et du corps social. Le danger est que la contagion s'accélère de telle manière (comme une pandémie) qu'elle provoque des changements substantiels et finisse par aboutir à une dictature brutale qui a suffisamment de similitudes avec le fascisme pour être considérée comme son héritière.
Dans une dynamique fasciste, il peut y avoir des étapes de contagion continue, mais lentes et relativement silencieuses, d'autres d'évolution accélérée et enfin un moment perturbateur important est nécessaire pour qu'un parti fasciste conquiert le pouvoir et se consolide.
Évidemment, nous ne sommes pas dans la situation des années 30 et aucun phénomène ne se répète de la même manière 100 ans plus tard. Le fascisme non plus. Ce que je propose de débattre, c'est de savoir si ces phénomènes de contagion d'un nouveau fascisme existent en Espagne, quel est leur degré de développement et comment ils peuvent être affrontés.
Naturellement, nous devons commencer par clarifier ce que je considère comme les traits caractéristiques du fascisme qui ont le plus grand potentiel de développement et d'opération dans la situation actuelle.
Le fascisme et les conditions de son développement
1 Le fascisme doit être compris comme une dictature dans laquelle l'appareil répressif – armée, police, justice, etc. – est renforcé par un mouvement de masse réactionnaire qui le complète par le bas, dans le but d'éliminer les organisations populaires existantes et de les remplacer par d'autres de montage et de contrôle au service des intérêts de l'État fasciste. Pour réduire les termes : le fascisme est qualitativement différent d'une démocratie abrégée, c'est une dictature ; Mais toutes les dictatures ne sont pas fascistes, pour l'être, elles ont besoin d'un mouvement de masse réactionnaire :
Une dictature militaire ou un État purement policier (...) n'a pas les moyens suffisants pour atomiser, décourager et démoraliser, sur une longue période de temps, une classe sociale consciente de plusieurs millions d'individus et empêcher ainsi toute relance de la lutte de classe la plus élémentaire (...) Pour cette raison, un mouvement de masse qui mobilise un grand nombre d'individus est nécessaire. Seul un tel mouvement peut décimer et démoraliser le rang le plus conscient du prolétariat par une terreur de masse systématique (...) et, après la prise du pouvoir, le laisser non seulement atomisé, à la suite de la destruction de ses organisations de masse, mais aussi découragé et résigné (Fascisme, Ernest Mandel, 1969).
Cependant, à l'intérieur de cette caractérisation du fascisme, il y a eu de nombreuses variantes en fonction du protagonisme et du moment où il est assumé par les différents acteurs nécessaires – en particulier l'armée et le mouvement de masse fasciste – de la manière dont le parti fasciste arrive au pouvoir et de la résistance qu'il rencontre pour le consolider. Le nazisme et le franquisme sont deux modèles extrêmes.
Dans le cas espagnol, le fascisme a pris la forme du franquisme, le rôle principal correspondait à l'armée, la façon d'arriver au pouvoir était un coup d'État militaire, et le parti fasciste (Phalange) était marginal avant le coup d'État et s'est développé et a été remodelé lorsque l'armée franquiste a gagné la guerre.
2. Une étape nécessaire et très importante dans les processus de contagion du fascisme est d'amener une partie de la population à développer un sentiment d'altérité, d'inimitié et même de haine envers l'autre, au point de le considérer comme digne de lui nier ses droits fondamentaux et de le réprimer. Et qu'un large secteur social est passif et consent à ces attaques. L'exemple typique est celui du nazisme à l'égard de la population juive.
Lorsque ce sentiment de haine envers un secteur social s'est réalisé, il est très facile de le propager à d'autres : dans le cas du nazisme, après la population juive sont venus les gitans, les homosexuels, les slaves, etc. Et il a fini par englober ceux qui n'étaient pas nazis : communistes, socialistes, démocrates,...
Il n'est pas vrai que les projets d'extermination nazis étaient réservés exclusivement à la population juive. La population tsigane a connu un taux d'extermination comparable à celui des Juifs. À long terme, les nazis voulaient exterminer une centaine de millions de personnes en Europe centrale et orientale, principalement des Slaves (« Prémisses matérielles, sociales et idéologiques du génocide nazi », Ernest Mandel, 1988).
Dans le cas espagnol, l'ennemi des années 1930 était, en théorie, la conspiration juive, maçonnique et bolchevique, mais il a rapidement été identifié aux organisations de la classe ouvrière, aux libéraux et aux nationalistes périphériques. Paul Preston a analysé ces origines de la haine dans le livre L'Holocauste espagnol (2011) :
L'idée de ce puissant complot international ---ou conspiration, l'un des mots favoris de Franco--- justifiait le recours à tous les moyens nécessaires à ce qui était considéré comme la survie de la nation (...)
L'idée que les gens de gauche et les libéraux n'étaient pas d'authentiques Espagnols et qu'ils devaient donc être détruits a immédiatement pris racine au sein de la droite (...)
José Antonio Primo de Rivera, bien qu'il ne soit pas antisémite, a également coïncidé en associant la gauche aux Maures (...) il interprète toute l'histoire de l'Espagne comme une lutte éternelle des Goths et des Berbères (...) l'incarnation de ce dernier était le prolétariat rural
3 Pour combattre violemment son ennemi social, le fascisme, il a besoin de construire une identité alternative qui dépasse et s'oppose aux divisions existantes dans la société et dans sa propre base. Historiquement, cette identité a été fondée sur un nationalisme ethniciste ou raciste. Dans le cas espagnol, il s'est combiné avec le fondamentalisme catholique.
Le nationalisme raciste était également un pilier fondamental pour justifier la conquête de l'Abyssinie par Mussolini ou l'invasion nazie de plusieurs pays européens et de l'URSS.
4 La préparation des conditions d'une dictature fasciste est lente et laborieuse, car il est nécessaire de créer les conditions d'un mouvement de masse déterminé à agir violemment contre une partie très importante de la population et à détruire ses cadres et ses organisations. Il a fallu créer un climat social favorable aux propositions fascistes, les faire pénétrer dans l'appareil d'État, les partis traditionnels, les normaliser et, même partiellement, les actions contre les secteurs populaires ont dû être acceptées, même passivement... Cette phase de préparation idéologique, politique et matérielle, que j'appelle contagion, Ugo Palheta et Omar Slaouti l'ont appelée fascisation :
« Le fascisme n'existe pas du jour au lendemain (...) ne peut surgir sans toute une étape historique d'imprégnation, à la fois idéologique et matérielle, mais une série de transformations qui modifient l'équilibre interne de l'État » (« Islamophobie, fascisation, racialisation », Viento Sur 193, juin 2024).
L'arrivée au pouvoir des partis fascistes, à la fois par un coup d'État et par des procédures parlementaires ou pseudo-parlementaires, représente un saut qualitatif et une forte accélération de toutes les attaques contre les libertés démocratiques et les organisations populaires, mais elle n'est consolidée que s'ils ne réagissent pas rapidement et de manière décisive. L'exemple le plus spectaculaire de la réaction populaire contre un coup d'État militaro-fasciste a été l'insurrection populaire du 19 juillet 1936, qui a réussi à la vaincre dans un premier temps dans la majeure partie de l'État espagnol.
5 La définition de l'ennemi à affronter, l'obtention d'un certain degré de consensus social dans les attaques contre celui-ci et l'affirmation de l'identité fasciste, sont les conditions préalables à une violence des secteurs de masse (nécessaire pour qualifier un régime de fasciste). Cela devrait aussi commencer progressivement, par tâtonnement. Si l'idéologie fasciste a pénétré le système judiciaire, la police et l'armée de manière significative, la violence peut d'abord être déléguée à ces appareils d'État, en les mettant sous pression par des manifestations ou des campagnes de rue. Lorsque la conjoncture a besoin d'un degré de violence plus élevé, l'émergence de gangs fascistes violents et massifs peut être très rapide.
6 Dans tous les cas, pour que le fascisme triomphe et puisse rester au pouvoir, il a besoin du soutien de la majorité du grand capital. Mais pour que ce soutien soit apporté, il est nécessaire qu'elle voie sa domination sérieusement menacée, car elle a l'expérience historique que la dictature fasciste peut acquérir une telle autonomie qu'elle finit par l'exproprier politiquement et la conduire au désastre, comme ce fut le cas de l'Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale.
La menace du grand capital ne reviendra pas au danger communiste tel qu'il était dans les années 1930 (bien que les groupes néofascistes et d'extrême droite d'aujourd'hui qualifient tous les gens de gauche de communistes). Mais c'est peut-être l'existence de mobilisations massives et continues qui, bien qu'elles n'aient pas de direction qui cherche à s'emparer du pouvoir politique, sont suffisantes pour déstabiliser gravement le système de domination et d'accumulation du capital.
La contagion fasciste est une réalité dans l'État espagnol et pourrait s'accélérer
7 La définition des ennemis à combattre radicalement est clairement définie par Vox et le PP (en particulier par le secteur radical représenté par Ayuso) : les migrants, en particulier les musulmans ; les nationalistes pro-indépendance ou pro-souveraineté ; les féministes et les personnes LGBTI ; les écologistes qui luttent contre le changement climatique ; les militants de la mémoire historique ; et un large éventail de ceux assimilés au communisme ou à l'indépendance : Podemos, les anarchistes et, à partir de la loi d'amnistie, les sanchistas :
[l'accord d'investiture avec ERC et Junts] génère une plus grande radicalisation du bloc de droite (...) Leurs qualifications des « concessions » faites par le PSOE comme un « coup d'État » à l'instar du 23F, de la « dictature », de l'« abolition de l'État de droit » ou de la « conspiration destituante » (FAES dixit d'Aznar), ajoutées au désormais classique « l'Espagne est brisée » et à celle de « gouvernement illégitime » (et maintenant « illégal » dans la bouche de Vox), ne sont pas compatibles avec le contenu réel de ces accords. mais ils favorisent un climat politique dans lequel les groupes les plus d'extrême droite et ouvertement néonazis, protégés par Vox et une partie du PP, acquièrent une notoriété qu'ils n'avaient pas atteinte jusqu'à présent (« La question catalane et la radicalisation croissante du bloc de droite », Pastor, Jaime, 11/11/2023).
8 Les composantes de base de l'identité fasciste sont également définies : l'anti-immigration, l'espagnolisme fondamentaliste, le blanchiment du franquisme, la défense du patriarcat, le négationnisme climatique, le néolibéralisme économique, le fondamentalisme catholique,...
9 Le climat de haine contre les secteurs à combattre s'est propagé, notamment grâce à d'importants médias, réseaux sociaux, sites web, etc., qui non seulement diffusent des idées, mais recourent aussi systématiquement à la diffusion de fausses nouvelles pour justifier les attaques contre les migrants, les personnes LGBTI, contre les cliniques qui pratiquent des avortements, le soutien à l'action policière contre le référendum du 1er octobre 2017 (Attrapons-les ! ), ...
Le glissement vers des positions réactionnaires d'un large secteur social a été favorisé par la dérive antidémocratique des gouvernements au pouvoir. Principalement par ceux du PP, mais aussi par ceux présidés par le PSOE. Ce dernier a normalisé des politiques xénophobes et racistes (avec le point culminant du massacre de Melilla en juin 2022), de graves coupes dans la démocratie (non-abrogation de la loi bâillon), le refus d'appliquer la justice universelle aux crimes du franquisme et, jusqu'à récemment, la répression contre le mouvement indépendantiste (collaboration à l'application de l'article 155 qui a supprimé l'autonomie de la Catalogne). De cette façon, il a contribué à la politique de la droite réactionnaire et du néofascisme qui a conquis les esprits avant qu'il ne puisse gagner aux urnes.
Le climat de haine n'aurait pas pu autant progresser sans la collaboration d'une partie de la justice qui n'a pas hésité à qualifier la désobéissance civile pacifique et massive du 1er octobre de rébellion militaire, en accusant les organisateurs des manifestations pacifiques de tsunami démocratique de terrorisme, en contestant la souveraineté du parlement espagnol en refusant d'appliquer la loi d'amnistie aux dirigeants du processus tout en bénéficiant généreusement à la police (51 des 105 personnes amnistiées à ce jour), et en recourant à la guerre juridique contre des ennemis politiques : Puigdemont, Arnaldo Otegi, Mònica Oltra, Pablo Iglesias, Irene Montero... Ces campagnes ont atteint le président du gouvernement, qui a été contraint de dénoncer la machine à argile, mais sans prendre la moindre action énergique pour y mettre fin et démocratiser la justice.
10. La survie de l'idéologie fasciste au sein de l'armée et de la police s'explique par le fait que le passage de la dictature à la démocratie s'est fait sans purger l'appareil d'État et protéger par la loi d'amnistie les responsables de crimes et de délits graves sous le régime franquiste. Dans le cas de l'armée, cette survie est périodiquement évidente à l'occasion de crises ou de conflits politiques : des manifestes de militaires de réserve (les seuls à pouvoir les signer) ont été publiés faisant l'éloge de Franco à l'occasion de son exhumation de la Vallée des morts ou appelant à la destitution de Pedro Sánchez suite à l'approbation de la grâce contre les personnes condamnées dans le processus. Dans le cas de la police et de la garde civile, on sait que des tortionnaires bien connus sous le régime franquiste ont continué à les remplacer, ont été promus, ont été décorés et n'ont pas été poursuivis pour crimes contre l'humanité, tant en Espagne que dans le procès argentin. C'est dans ce contexte que découlent les réalités actuelles : entre 2015 et 2016, la police patriotique, sur ordre du gouvernement PP, a espionné 69 députés de Podemos à travers les bases de données du ministère de l'Intérieur ; plus récemment, l'union Jusapol a sévèrement critiqué le gouvernement à la suite de la réforme (mais pas de l'abrogation) de la loi bâillon et du rapprochement des prisonniers de l'ETA avec le Pays basque ; et le syndicat de police SUP a signé un contrat avec l'ultra-entreprise Desokupa pour former 30 000 policiers.
11 Jusqu'à présent, la violence directe a été de faible intensité (elle s'est concentrée sur les migrants, les personnes LGBTI, les expulsions de la société Desokupa,...), en partie parce que le pouvoir judiciaire et la police ont fait la plupart du travail sous le couvert de lois antidémocratiques (comme la loi bâillon), à la fois à l'époque du gouvernement du PP et du PSOE (avec un rôle de premier plan du ministre Marlaska dans ce cas).
12 En Espagne, le parti néofasciste Vox a connu une croissance importante ces dernières années : 12,4 % des voix aux dernières élections législatives et 9,6 % aux élections européennes de 2024. Il n'est pas aussi fort que ses homologues italiens, néerlandais ou français, capable de gouverner ou ayant de bonnes chances de le faire, mais il a laissé derrière lui la phase où il ne servait que de chien renifleur pour la droite, testant quelles questions pouvaient acquérir un soutien populaire et commençant à les introduire dans l'agenda politique afin que le PP puisse ensuite les récupérer. Après les élections municipales et régionales de 2023, il a réussi à faire partie des gouvernements de coalition dans 5 communautés autonomes (Estrémadure, Aragon, Communauté valencienne, Castille-León et Murcie) et conditionne le gouvernement des îles par un pacte législatif. Le 11 juillet, Vox a rompu les pactes gouvernementaux avec le PP pour protester contre la décision de ce dernier d'accueillir un quota réduit de migrants mineurs non accompagnés, mais ils peuvent être réactivés.
Si la campagne juridique qui a dénoncé Pedro Sánchez était couronnée de succès et que le PSOE perdait la possibilité de former une coalition gouvernementale, l'alternative presque certaine serait un gouvernement du PP et de Vox (ou avec leur soutien). Dans ce cas, les politiques régressives augmenteraient considérablement parce qu'un bloc réactionnaire, conservateur, néolibéral et nationaliste espagnol serait consolidé, et qu'un parti néofasciste serait légitimé en tant que parti de gouvernement. À partir de là, avoir un gouvernement néofasciste majoritaire serait beaucoup plus facile, soit en raison de la propre croissance de Vox, soit parce que la composante fasciste qui continue d'incuber au sein du PP a pris le contrôle du parti ou l'a quitté pour en créer un nouveau.
La domination d'un parti fasciste sur le gouvernement central devrait avoir le soutien d'une partie décisive du grand capital. Pour l'instant ce n'est pas le cas, car la démocratie raccourcie actuelle lui suffit et lui permet d'évoluer davantage au rythme des principaux pays de l'Union européenne. Mais ils s'orientent aussi dans une direction inquiétante, comme l'expliquent Miguel Urbán et Jaime Pastor :
un autoritarisme post-démocratique se répand dans l'UE et ses États membres, avec des frontières de plus en plus perméables entre régimes libéraux et illibéraux (...)
Il n'est donc pas surprenant que l'extrême droite opte pour la voie réformiste au sein de l'UE (« Vers un despotisme oligarchique, technocratique et militariste », vent du sud 193, août 2024).
En réalité, les démocraties espagnole et européenne sont en mutation, tout comme le capitalisme néolibéral. Et si la tendance vers des régimes plus autoritaires semble claire, ni le point d'arrivée ni les rythmes ne peuvent être prédits. Mais il convient de se demander si dans cette mutation un fascisme du XXIe siècle, tel que nous l'avons présenté au début, peut trouver son opportunité. À mon avis, c'est le cas et le déclencheur le plus probable est la crise climatique. Comme l'a dit Phil Hearse :
La catastrophe climatique créera le genre de dislocation et de bouleversement social qui ne peuvent être contrôlés, du point de vue de la classe capitaliste, que par des dictatures autoritaires basées à leur tour sur des appareils militaro-policiers, et la tentative de mobiliser les masses sur la base du nationalisme, de l'identité ethnique ou du racisme. C'est ce que nous entendons lorsque nous parlons du fascisme moderne (« L'effondrement climatique menace d'apporter le fascisme et la guerre », 13/07/2023).
Naturellement, cette issue n'est pas certaine, tout comme dans les premiers stades de la propagation d'un virus modifié, il n'est pas possible de savoir s'il conduira à une pandémie, même si les effets néfastes sont vérifiables, et commencer à le combattre est le seul moyen pour les gens d'éviter de souffrir et que cela se termine par une pandémie.
13 La mobilisation sociale contre la contagion fasciste doit commencer dès maintenant. Il est nécessaire de lutter contre les agressions que subissent la classe ouvrière et les secteurs populaires, en particulier celles qui sont dirigées contre les personnes que la droite radicale et le néofascisme ont désignées comme ennemies. Nous devons unir la lutte de ceux d'en bas, qui sont l'immense majorité de la population, contre la petite minorité qui est la bénéficiaire des politiques d'exclusion sociale, d'austérité, de dégradation démocratique et de complicité avec les agressions impérialistes.
Face à la dynamique d'exclusion, nous devons exiger le respect scrupuleux de toute la législation internationale pour la protection des droits humains, en particulier aux frontières, et lutter pour imposer les droits de citoyenneté, sans exclusion, à toutes les personnes résidant sur le territoire de l'État espagnol.
Face à la montée de l'autoritarisme, il est nécessaire de lutter pour une véritable démocratie, dans son sens originel de pouvoir du peuple de décider de toutes les questions de la manière la plus directe et participative possible à tout moment, sans autre limite que les droits des individus et des minorités. Le droit de décider des droits des femmes et des personnes LGBTI face au fondamentalisme religieux et à la moralité réactionnaire ; décider des mesures nécessaires pour lutter contre l'urgence climatique contre les intérêts des multinationales ; le droit de décider des relations que les peuples et les nations de l'État espagnol veulent maintenir face au dogme de l'unité indissoluble de l'Espagne ; le droit de décider des mesures à prendre pour rechercher la vérité, la justice et la réparation pour les crimes du régime franquiste face à une loi d'arrêt complet telle que l'amnistie,...
Face à l'accumulation de richesses par les multinationales et à la pauvreté de plus en plus étendue et cachée des grands secteurs sociaux, il est nécessaire d'exiger la défense et l'extension des biens communs, sans crainte d'incursions dans la propriété privée des puissants. Il n'est pas vrai qu'il n'y a pas assez de ressources pour tout le monde, mais qu'elles sont détournées par une minorité qui, en plus, les utilise pour maintenir une forme de production qui nous conduit à une catastrophe climatique. Nous avons besoin d'un modèle de production alternatif basé sur des critères écologiques qui réduisent l'utilisation d'énergie et de matériaux et qui sont orientés vers la satisfaction des besoins humains fondamentaux, loin du consumérisme.
Face à la concurrence entre blocs impérialistes et à la multiplication des conflits et des guerres au nom des nationalismes identitaires ou de la civilisation occidentale, nous devons faire preuve de solidarité avec les peuples qui luttent contre toute forme d'impérialisme et pour une véritable coopération dans la lutte contre le changement climatique et pour la durabilité de la vie sur une planète habitable. Nous devons nous opposer à l'augmentation des dépenses militaires, au soutien de l'État espagnol ou de l'UE aux interventions militaires et aux guerres contre d'autres peuples, et, en particulier, au génocide du peuple palestinien perpétré par un État raciste et colonial, où le gouvernement et des parties importantes de la société sont infectés par le néofascisme.
23/08/2024
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La Via Campesina : Les catastrophes climatiques exigent une réponse globale et urgente ! Basta les fausses solutions !

Face à une crise environnementale et climatique sans précédent touchant des pays comme le Brésil, l'Équateur, l'Uruguay, l'Argentine, le Kenya, la Tanzanie, l'Afghanistan, la France, la Thaïlande, l'Indonésie, entre autres, sous forme de vagues de chaleur, de fortes pluies et d'inondations, La Via Campesina avertit sur les responsables et appelle à une solidarité internationale urgente et à une réponse concertée menée par des solutions populaires.
Tiré de NPA 29
LA TRAGÉDIE ANNONCÉE
De récentes étudesont révélé que la chaleur écrasante qui a frappé l'Asie et le Moyen-Orient fin avril, rappelant les intenses vagues de chaleur de l'année dernière, était 45 fois plus probable dans certaines régions du continent en raison du changement climatique provoqué par l'activité humaine. Au cours de cette période, des températures élevées se sont fait sentir dans de vastes régions d'Asie, s'étendant de Gaza à l'ouest – où plus de 2 millions de personnes sont aux prises avec des pénuries d'eau potable, des soins de santé inadéquats et d'autres besoins essentiels au milieu des frappes aériennes israéliennes en cours – jusqu'aux Philippines dans le sud-est. Également en Thaïlande, les vagues de chaleur détruisent les cultures et les terres paysannes. Les ressources en eau s'assèchent et les journées extrêmement chaudes rendent dangereux le travail des paysan·nes dans les champs en raison du risque d'insolation. En conséquence, de fortes pluies et d'énormes inondations ont atteint la province de Narathiwat dans la région profonde du sud de la Thaïlande en décembre 2023, provoquant les pluies les plus importantes des 50 dernières années. De nombreuses parties du continent ont connu des jours consécutifs avec des températures dépassant 40 degrés Celsius.
L'Organisation météorologique mondiale des Nations Unies et l'agence climatique de l'Union européenne, Copernicus, rapportent que l'Europe se réchauffe à un rythme deux fois plus rapide que les autres continents, avec une augmentation de 30 % des décès liés à la chaleur au cours des 20 dernières années. Ce réchauffement rapide frappe le plus durement les paysan·nes, qui luttent contre la sécheresse, les inondations et les pertes de récoltes.
Des températures océaniques supérieures à la moyenne provoquent une évaporation accrue, entraînant davantage de précipitations et d'inondations dévastatrices sur tout le continent. C'est évident en Allemagne, dans le nord de l'Italie, dans le centre de l'Angleterre et en Slovénie, où de fortes pluies ont entraîné d'importantes inondations. En France, le contraste est saisissant : le sud-est souffre d'une sécheresse sévère, tandis que le nord est confronté à des inondations dévastatrices. Les fausses solutions de l'agroibusiness, comme les mégabassines, aggravent ces conditions en monopolisant les ressources foncières et hydriques.
Les inondations qui ont submergé l'Afghanistan, le Brésil, le Burundi, le Kenya, la Thaïlande, l'Indonésie, certaines parties de la Tanzanie et de nombreux pays d'Europe sont également sans précédent. Bien que certains rapports les attribuent à l'oscillation australe El Niño (ENSO) et les considèrent comme un phénomène naturel qui se produit depuis des siècles, des rapports scientifiques ont révélé qu'un climat en réchauffement pourrait contribuer à une augmentation de la fréquence et de l'intensité du phénomène El Niño. Les impacts peuvent être importants au niveau régional. En Amérique centrale, El Niño entraîne des précipitations excessives le long des côtes des Caraïbes, tandis que les côtes du Pacifique restent sèches. Les précipitations augmentent sur les côtes de l'Équateur, la partie nord du Pérou et les zones sud du Chili. Les pays d'Afrique de l'Est connaissent également des précipitations excessives avec une intensité accrue en raison de l'aggravation du changement climatique.
L'Organisation mondiale de la santé prévient que3,6 milliards de personnes résident dans des zones vulnérables au changement climatique, ce qui pourrait entraîner 250 000 décès supplémentaires par an d'ici 2030-2050, principalement en raison de la malnutrition, du paludisme, de la diarrhée, du stress thermique et désormais des maladies transmises par les insectes, les moustiques et autres vecteurs. La contribution du changement climatique à l'escalade des maladies à transmission vectorielle dans les pays à revenu faible et intermédiaire d'Afrique, déjà lourdement grevés par de nombreuses disparités sanitaires et socio-économiques, est une préoccupation importante.
Les pays du Sud, déjà en proie à une dette sévère, ne disposent pas des ressources nécessaires pour répondre et s'adapter adéquatement à ces crises qui touchent principalement la classe ouvrière et les paysan·nes – qui souffrent également de mauvaises conditions de travail, de logements inadéquats et d'un accès limité aux soins de santé. Ces catastrophes représentent également un énorme risque pour la souveraineté alimentaire des territoires, poussant davantage de personnes dans l'extrême pauvreté et la faim. Les économies industrialisées riches qui ont créé ces crises ne sont toujours pas disposées à reconnaître leur responsabilité et à fournir les ressources et les capacités nécessaires aux pays du Sud.
L'AGROBUSINESS, L'EXTRACTIVISME ET LES MULTINATIONALES, AINSI QUE LEURS BANQUES, SONT LES PRINCIPAUX RESPONSABLES !
L'agrobusiness et l'extractivisme sont les principaux responsables de la crise, car les taux élevés de déforestation, l'accaparement des terres, la perte de biodiversité et la réduction de l'absorption des sols aggravent la crise environnementale et climatique. L'utilisation d'agrotoxiques qui détruit toute biodiversité et contribue au déséquilibre des précipitations, conjuguée au capitalisme financier, avec ses banques qui dominent le monde, et au système alimentaire industriel dominé par les grandes entreprises transnationales du Nord global, constitue les principaux moteurs du changement climatique, l'agrobusiness représentant désormais plus d'un tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
L'industrie militaire du Nord global promeut les conflits armés pour vendre des armes et maintenir ses taux de profit, tandis que les guerres affectent directement nos écosystèmes et notre environnement, entraînant la mort de milliers d'êtres humains. Mettons fin à toutes les bases militaires étrangères, aux agressions et aux guerres !
La crise environnementale que le monde traverse va bien au-delà de la crise climatique et prend racine dans la manière dont le système capitaliste organise la relation entre les êtres humains et la nature. La production orientée vers le profit exploite à la fois les personnes et la nature, épuise les communs et met en péril la survie de l'humanité et de la vie sur la planète.
Les capitalistes, avec certains gouvernements, cherchent à accroître leurs profits en créant le système de crédit carbone, qui ne modifie en rien la réalité en termes de biodiversité ou d'émissions de gaz, mais génère des illusions en vendant l'oxygène des forêts. C'est une honte.
ALERTE DE LA VIA CAMPESINA !
Face à cette grave crise, La Via Campesina appelle les États et gouvernements à adopter des alternatives concrètes et résilientes pour les populations touchées. Elle insiste sur le fait que la lutte contre le changement climatique doit faire preuve de volonté politique, mais aussi garantir que les communautés aient le contrôle de leurs territoires, et non les multinationales. Il est urgent de changer le système et de transformer les systèmes alimentaires, en identifiant les responsables et leurs responsabilités, et en mettant en œuvre des solutions claires telles que la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Paysans (UNDROP), l'Agroécologie Paysanne et la Souveraineté Alimentaire, qui créent des conditions dignes, une alimentation saine et régénèrent la vie et la nature.
L'influence des entreprises sur les États, les gouvernements et les institutions multilatérales, qui entraîne une inaction climatique et un déni absurde malgré les preuves scientifiques établies, est inacceptable. Nous ne pouvons pas continuer avec des politiques publiques locales et mondiales inefficaces, en mettant en œuvre des lois, des traités, des règlements et des subventions qui consolident et renforcent le capitalisme, le système alimentaire industriel et leurs intérêts corporatifs.
DES SOLUTIONS RÉELLES, PAS DES FAUSSES SOLUTIONS !
Le discours du capitalisme vert et de l'agrobusiness sur une agriculture intelligente face au climat, présentée comme régénérative, ainsi que d'autres mécanismes comme les marchés de carbone et les solutions basées sur la nature, s'inscrit dans une stratégie de greenwashing. Ces fausses solutions, historiquement dénoncées par La Via Campesina lors des sommets de la COP, ont conduit à des échecs dans les processus liés aux COP climat et biodiversité au cours des dernières années et décennies, sous l'influence du marché et des entreprises multinationales.
La COP30 Climat de 2025 au Brésil et la CBD de septembre 2024 en Colombie doivent marquer un tournant radical. Sans cela, ces processus risquent de perdre toute crédibilité et légitimité. En particulier, la CBD et la COP30 doivent mettre au centre de leur agenda la réforme agraire et l'usage des terres, de l'eau et des territoires entre les mains des populations, au service de la production d'aliments et d'autres biens indispensables à la dignité humaine, et non entre les mains des entreprises multinationales répondant aux caprices des plus riches.
Les COP devraient servir à trouver des solutions claires, à élaborer des propositions et des alternatives au changement climatique en collaboration avec les pays et la communauté scientifique. Ces espaces, désormais pris d'assaut par le lobbying pour l'expansion des multinationales et l'accumulation de richesse en pleine crise climatique, doivent se débarrasser de ces acteurs néfastes et assumer leur responsabilité historique envers les peuples du monde.
La Via Campesina plaide depuis longtemps pour des solutions réelles qui incluent les paysan·nes, les peuples autochtones et les pêcheur·euses, qui sont les gardien·nes des terres, des forêts, des zones côtières et des océans. Nous avons longtemps exigé une réforme agraire complète et des politiques d'utilisation des terres dans les pays, et la restauration de la santé des sols grâce aux pratiques agroécologiques paysannes, ainsi que des législations nationales alignées sur l'UNDROP. Plus que jamais, nous devons adapter les villes et les zones rurales pour faire face à la crise climatique.
Il est urgent d'accorder des fonds aux communautés sous forme de subventions, et non de prêts, comme réparations pour la responsabilité historique dans la crise climatique. Les réparations devront soutenir les efforts communautaires de restauration des terres dégradées par la plantation d'arbres natifs, en particulier dans les zones où ces derniers ont été détruits.
Il est impératif d'établir des programmes de production agroécologique garantissant une augmentation de la production d'aliments sains en harmonie avec la nature.
Il est essentiel de promouvoir des formes de taxation prélevant au moins 2 % sur les fortunes des milliardaires (qui ne représentent que 3 000 familles), ainsi que d'établir un impôt universel sur les bénéfices des sociétés transnationales. Avec cela, il est nécessaire de créer un fonds mondial pour lutter contre la pauvreté, l'inégalité sociale et le changement climatique.
Ces outils promeuvent une transition juste pour les paysan·nes, et plaident pour des relocalisations de la production et de la consommation alimentaires, garantissant la souveraineté alimentaire et renforçant les économies rurales. Ancrés dans les principes de justice climatique globale, nous continuons à lutter pour des réparations pour la dette et l'injustice historiques. Tous les financements climatiques doivent être entre les mains des communautés (et non des banques !), doivent prendre la forme de subventions (et non de prêts !), et doivent prioriser à la fois l'adaptation et l'atténuation.
Nous constatons comment, dans ce système capitaliste, les conséquences du changement climatique prévalent dans la plupart des pays du Sud Global, touchant principalement ceux qui produisent tout et possèdent peu : les travailleur·euses vivant dans des endroits socialement vulnérables dans les villes, expulsés par la spéculation immobilière et les actions des États légitimant l'établissement d'entreprises et de communautés fermées dans les endroits les plus privilégiés. Ainsi, en plus des problèmes sociaux comme la faim, la pauvreté, le manque d'assainissement, la violence armée ou les problèmes environnementaux, ils doivent également endurer les problèmes environnementaux que d'autres ont générés.
La lutte pour la justice environnementale et climatique, à la fois localement et globalement, est urgente et doit devenir un champ de bataille afin que nous puissions progresser dans la construction de solutions réelles et véritablement efficaces qui abordent les problèmes environnementaux et sociaux engendrés par le capitalisme.
C'est pourquoi nous exhortons notre base sociale entière – les paysan·nes du monde entier, les travailleur·euses urbain·es, les migrant·es, les jeunes, les femmes et les diversités – à s'organiser et à mener des luttes massives pour mettre un terme à cette folie capitaliste qui pourrait conduire à la mort de tous les êtres humains. Nous payons déjà un lourd tribut, avec de nombreuses vies perdues chaque jour !
3 juin 2024
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Comment Israël a délocalisé ses activités polluantes en Palestine

Les zones industrielles israéliennes se dressent un peu partout en Cisjordanie occupée. Les communautés palestiniennes étouffent sous la pollution et la colonisation de leurs terres. La ville palestinienne de Tulkarem est connue pour ses agrumes, son université et pour les affrontements qui ont lieu régulièrement entre de jeunes combattants palestiniens et l'armée israélienne. Pourtant, une autre guerre s'y déroule en silence : les habitants de Tulkarem meurent cinq fois plus du cancer que les autres Palestiniens.
Photo : Une décharge sauvage palestinienne à Farkha, près de la rivière Ein al-Matwi, créée à cause du refus des autorités israéliennes de construire une véritable déchetterie en zone C (sous contrôle israélien). Ici le 4 mars 2024. – © Philippe Pernot / Reporterre
Tiré de reporterre.net
La faute à la zone industrielle israélienne nommée ironiquement Nitzanei Shalom (« germes de la paix »), installée sur des terres confisquées à la ville depuis les années 1980 — et connue des Palestiniens comme « Geshuri », du nom de l'entreprise d'herbicides qui s'est installée la première dans le parc industriel. Onze usines chimiques l'ont rejoint au fil des années. Elles se dressent, grises, entre des murs ceints de barbelés et des tours de surveillance. Une présence oppressante pour les 90 000 habitants de Tulkarem.
« Ici, nous avons deux problèmes : l'occupation israélienne et Geshuri, dit en soupirant Ahed Zanabet, responsable local de l'ONG environnementale palestinienne Parc. Les déchets chimiques provenant des usines du parc industriel s'écoulent dans les zones agricoles palestiniennes sans traitement. » Production de peinture, pesticides, gaz naturel liquéfié (GNL), nettoyage des conduites de gaz avec de l'eau sous pression… Les industries sont toutes plus toxiques les unes que les autres.
« Nous avons une incidence élevée de cancers du poumon dus à la pollution de l'air et de maladies de la peau dues aux résidus présents dans les gaz. Nos sources sont également polluées par les eaux usées des colonies », explique Ahed Zanabet. Les agriculteurs sont forcés d'utiliser des serres pour protéger leurs fruits et légumes, mais celles-ci sont vite recouvertes d'une couche de poussière toxique. « Nous ne pouvons rien faire pour stopper Geshuri, si ce n'est aider les agriculteurs dont les terres sont contaminées », dit-il avec résignation.
Dumping social et environnemental
L'usine Geshuri a été déplacée de la ville israélienne de Netanya vers Tulkarem en 1982, à la suite de plaintes d'habitants israéliens à cause de la pollution — un exemple suivi par de nombreuses autres entreprises dangereuses, relocalisées en Cisjordanie. Aux Palestiniens d'en souffrir, alors. Comme le parc industriel de Nitzanei Shalom est situé le long de la « ligne verte », à la frontière, ses rejets toxiques peuvent vite être poussés par le vent vers Israël… « Mais lorsque le vent souffle d'est vers l'ouest, les industries cessent de fonctionner pour ne pas polluer les Israéliens », s'exclame Abeer al-Butmeh, ingénieure environnementale et coordinatrice de l'association écologiste palestinienne Pengon-Amis de la Terre.
Ce sont donc les Palestiniens qui souffrent de la pollution dans l'indifférence générale. « Nous avons essayé de nous mobiliser à plusieurs reprises, en organisant des campagnes, des manifestations, des visites sur le terrain pour les missions internationales et des activistes, explique-t-elle. Rien n'a changé. »
Les ouvriers qui travaillent dans ces usines, majoritairement palestiniens, sont en première ligne. « Ils constituent une main-d'œuvre bon marché, et souffrent de nombreux accidents du travail, en particulier à Geshuri pendant les incendies liés au gaz naturel, et de maladies respiratoires », explique Abeer al-Butmeh. Au terme d'une longue grève, ils ont réussi à obtenir le salaire minimum israélien en 2016, mais leurs conditions de travail n'ont pas changé pour autant.
Des « zones sacrifiées »
Nitzanei Shalom fait partie de la soixantaine de zones industrielles israéliennes implantées en Cisjordanie occupée, selon Abeer al-Butmeh (Human Rights Watch en recense vingt). Elles profitent parfois à des multinationales étrangères — allant à l'encontre du droit international, qui considère les colonies comme illégales.
« En Israël, les entreprises doivent respecter des normes environnementales et sociales, ce qui leur coûte de l'argent. Elles transfèrent donc leurs usines polluantes en Cisjordanie, où elles ne respectent que des normes minimales, voire aucune », explique l'activiste.
L'organisation des droits de l'homme israélienne B'Tselem nomme ces aires industrielles des « zones sacrifiées », sortes de mini-paradis règlementaires où règne l'arbitraire. « Israël exploite la Cisjordanie à son profit, en ignorant presque totalement les besoins des Palestiniens et leur nuit, ainsi qu'à leur environnement », note leur rapport. C'est donc d'une guerre économique invisible que souffrent les Palestiniens, en parallèle aux raids de l'armée et des colons, qui ont fait plus de 560 morts en Cisjordanie depuis le 7 octobre.
19 millions de m3 d'eaux uséesCe dumping social et environnemental se répète à l'échelle de toute la Cisjordanie, polluée par 145 colonies israéliennes industrielles ou résidentielles. En 2017, ces dernières rejetaient ainsi 19 millions de m3 d'eaux usées vers les terres palestiniennes. Reporterre a ainsi observé des rejets d'eaux usées et de déchets par des colons dans les communautés palestiniennes à Wadi Fukin (près de Bethléem), à Bil'in (à l'ouest de Ramallah), ainsi que dans la région de Selfit, encerclée par l'immense bloc de colonies d'Ariel.
Presque 40 000 colons se sont implantés sur plus de 120 000 km2 de terres palestiniennes confisquées, ainsi qu'une zone industrielle nommée Barkan, qui abrite pas moins de 120 usines. Selon les calculs de la municipalité de Selfit, rien qu'Ariel produit 900 000 m3 d'eaux usées par jour. Une grande partie — ou la totalité — s'écoule à quelques mètres de la source al-Matwi. Des études de la municipalité et d'universités révèlent des traces de matière fécale, mais aussi des nitrates issus des eaux usagées des colonies. Moustiques et sangliers prolifèrent, propageant des maladies et détruisant des écosystèmes anciens.
Si l'absence de déchetteries et de stations d'épuration palestiniennes contribue à la pollution, le problème principal reste l'occupation israélienne, qui refuse plus de la moitié des projets de traitement de déchets en Cisjordanie.
Tulkarem (Cisjordanie), reportage
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Blanchissement de carbone — La « nouvelle ruée vers l’Afrique » du Golfe

Au début du mois de novembre 2023, peu avant l'ouverture du sommet COP28 à Dubaï, une entreprise des Émirats arabes unis, jusqu'alors méconnue, a retenu l'attention des médias en annonçant qu'elle avait l'intention de conclure des accords fonciers en Afrique.
14 août 2024 | tiré du site du CADTM
https://www.cadtm.org/Blanchissement-de-carbone-La-nouvelle-ruee-vers-l-Afrique-du-Golfe
Des rapports laissent entendre que Blue Carbon [1], une société privée appartenant au cheikh Ahmed al-Maktoum, membre de la famille régnante de Dubaï, a signé des accords lui promettant le contrôle de vastes étendues de terres sur tout le continent africain. Ces accords porteraient sur une superficie étonnante de 10 % de la masse continentale du Liberia, de la Zambie et de la Tanzanie, et de 20 % de celle du Zimbabwe. Au total, la superficie de ces terres équivaut à celle de la Grande-Bretagne.
La société Blue Carbon avait l'intention d'utiliser ces terres pour lancer des projets de compensation des émissions de carbone, une pratique de plus en plus répandue dont les partisans affirment qu'elle aide à lutter contre le réchauffement climatique. Les compensations carbone impliquent la protection des forêts et d'autres projets environnementaux qui sont assimilés à une certaine quantité de « crédits » carbone. Ces crédits peuvent ensuite être vendus aux pollueurs du monde entier pour compenser leurs propres émissions. Avant d'entamer les négociations de cet énorme accord, Blue Carbon n'avait aucune expérience dans le domaine des compensations carbone ou de la gestion des forêts. Néanmoins, l'entreprise s'attendait à gagner des milliards de dollars grâce à ces projets.
Les ONG de défense de l'environnement, les journalistes et les militants ont rapidement condamné ces accords en les qualifiant de nouvelle « ruée vers l'Afrique » - un accaparement des terres au nom de la lutte contre le changement climatique. En réponse, Blue Carbon a insisté sur le fait que les discussions n'étaient qu'exploratoires et qu'il faudrait consulter les communautés et poursuivre les négociations avant d'obtenir une approbation formelle.
Indépendamment de leur statut actuel, les transactions foncières soulèvent des inquiétudes concernant l'expulsion des communautés autochtones et d'autres communautés locales pour faire place aux plans de protection des forêts de Blue Carbon. Dans l'est du Kenya, par exemple, le peuple autochtone Ogiek a été chassé de la forêt Mau en novembre 2023, une expulsion que les avocats ont associé aux négociations en cours entre Blue Carbon et le président du Kenya, William Ruto. Des protestations ont également suivi les négociations à huis clos du gouvernement libérien avec Blue Carbon, les activistes affirmant que le projet viole les droits fonciers des populations autochtones inscrits dans la loi libérienne. Des cas similaires d'expulsions de terres dans d'autres pays ont conduit le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, Francisco Calí Tzay, à demander un moratoire mondial sur les projets de compensation carbone.
Au-delà de leur impact potentiellement destructeur sur les communautés locales, les activités de Blue Carbon en Afrique indiquent un changement majeur dans les stratégies climatiques des États du Golfe. Comme l'ont montré les critiques, l'industrie de la compensation carbone existe essentiellement en tant que mécanisme d'écoblanchiment, ce qui permet aux pollueurs de dissimuler leurs émissions constantes derrière l'écran de fumée de méthodes trompeuses de comptabilisation du carbone, tout en offrant une nouvelle catégorie d'actifs rentables pour les acteurs financiers. En tant que premiers exportateurs mondiaux de pétrole brut et de gaz naturel liquéfié, les États du Golfe se positionnent désormais à tous les stades de cette nouvelle industrie, y compris sur les marchés financiers où les crédits de carbone sont achetés et vendus. Cette évolution reconfigure les relations du Golfe avec le continent africain et aura des conséquences importantes sur les trajectoires de notre planète qui se réchauffe.
Falsification des comptes et blanchiment de carbone
Il existe de nombreuses variétés de projets de compensation carbone. Le plus courant concerne les projets de déforestation évitée qui constituent la majeure partie des intérêts de Blue Carbon dans les terres africaines. Dans le cadre de ces projets, les terres sont clôturées et protégées contre la déforestation. Les sociétés de certification de compensation de carbone - dont la plus importante au monde est la société Verra, basée à Washington - évaluent ensuite la quantité de carbone que ces projets empêchent d'être libérée dans l'atmosphère (mesurée en tonnes de CO2). Une fois évalués, les crédits carbone peuvent être vendus aux pollueurs, qui les utilisent pour annuler leurs propres émissions et atteindre ainsi les objectifs climatiques qu'ils se sont fixés.
De prime abord attrayants - après tout, qui ne souhaite pas que de l'argent soit investi dans la protection des forêts ? ces systèmes présentent deux défauts majeurs. Le premier est connu sous le nom de « pérennité ». Les acheteurs de crédits carbone obtiennent le droit de polluer ici et maintenant. Pendant ce temps, il faut des centaines d'années pour que ces émissions de carbone soient réabsorbées de l'atmosphère, et il n'y a aucune garantie que la forêt restera debout pendant cette période. Si un incendie de forêt se produit ou si la situation politique change et que la forêt est détruite, il est trop tard pour récupérer les crédits de carbone initialement accordés. Cette préoccupation n'est pas seulement théorique. Ces dernières années, les incendies de forêt en Californie ont consumé des millions d'hectares de forêt, y compris des crédits achetés par de grandes entreprises internationales telles que Microsoft et BP. Compte tenu de l'incidence croissante des incendies de forêt due au réchauffement climatique, de tels résultats deviendront sans aucun doute plus fréquents.
Encore une fois, cette estimation dépend d'un avenir incertain, ce qui ouvre d'importantes possibilités de profit pour les entreprises qui certifient et vendent des crédits de carbone.
Le deuxième défaut majeur de ces systèmes est que toute estimation des crédits carbone pour les projets de déforestation évitée repose sur un scénario hypothétique : quelle quantité de carbone aurait été libérée si le projet de compensation n'avait pas été mis en place ? Une fois de plus, cette estimation dépend d'un avenir imprévisible, ouvrant des perspectives de profit considérables. En augmentant les réductions d'émissions escomptées dans le cadre d'un projet particulier, il est possible de vendre beaucoup plus de crédits carbone qu'il n'en faut. Cette possibilité de spéculation est l'une des raisons pour lesquelles le marché des crédits carbone est si étroitement associé à des scandales à répétition et à la corruption. En effet, selon le New Yorker, après la révélation d'une fraude massive au carbone en Europe, « le gouvernement danois a admis que quatre-vingts pour cent des sociétés d'échange de carbone du pays étaient des façades pour le trafic » [2].
Ces problèmes méthodologiques sont structurellement intrinsèques à la compensation et ne peuvent être évités. Par conséquent, la plupart des crédits carbone échangés aujourd'hui sont purement fictifs et n'entraînent aucune réduction réelle des émissions de carbone. L'analyste tunisien Fadhel Kaboub les décrit comme un simple « permis de polluer » [3]. Un rapport d'enquête datant du début de l'année 2023 a révélé que plus de 90 % des crédits carbone de la forêt tropicale certifiés par Verra étaient probablement fictifs et ne représentaient pas de réelles réductions de carbone. Une autre étude réalisée pour la Commission européenne a révélé que 85 % des projets de compensation mis en place dans le cadre du Mécanisme de développement propre des Nations unies n'ont pas permis de réduire les émissions. Une étude universitaire récente portant sur des projets de compensation dans six pays a quant à elle révélé que la plupart d'entre eux ne réduisaient pas la déforestation et que, pour ceux qui le faisaient, les réductions étaient nettement inférieures à ce qui avait été annoncé au départ. Par conséquent, les auteurs concluent que les crédits carbone vendus pour ces projets ont été utilisés pour « compenser près de trois fois plus d'émissions de carbone que leur contribution réelle à l'atténuation du changement climatique » [4].
Malgré ces problèmes fondamentaux - ou peut-être à cause d'eux - l'utilisation des compensations carbone se développe rapidement. La banque d'investissement Morgan Stanley prévoit que le marché vaudra 250 milliards de dollars d'ici 2050, contre environ 2 milliards de dollars en 2020, car les grands pollueurs utilisent la compensation pour sanctionner la poursuite de leurs émissions de carbone tout en prétendant atteindre des objectifs nets de zéro. Dans le cas de Blue Carbon, une estimation a révélé que la quantité de crédits carbone susceptibles d'être accrédités dans le cadre des projets de l'entreprise en Afrique correspondrait à la totalité des émissions de carbone annuelles des Émirats arabes unis. Cette pratique, qui s'apparente au blanchiment de carbone, permet de faire disparaître les émissions en cours du grand livre de la comptabilité carbone, en les échangeant contre des crédits qui n'ont pas grand-chose à voir avec la réalité.
La monétisation de la nature comme stratégie de développement
Pour le continent africain, la croissance de ces nouveaux marchés du carbone ne peut être isolée de l'escalade de la crise de la dette mondiale qui a suivi la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine. Selon une nouvelle base de données, Debt Service Watch, les pays du Sud connaissent la pire crise de la dette jamais enregistrée, un tiers des pays d'Afrique subsaharienne consacrent plus de la moitié de leurs recettes budgétaires au service de la dette. Face à ces pressions fiscales sans précédent, les prêteurs internationaux et de nombreuses organisations de développement encouragent fortement la marchandisation des terres par le biais de la compensation comme moyen de sortir de cette crise profondément ancrée.
L'African Carbon Markets Initiative (ACMI), une alliance lancée en 2022 lors du sommet de la COP27 du Caire, est devenue une voix importante dans ce nouveau discours sur le développement. L'ACMI rassemble des dirigeants africains, des entreprises de crédit carbone (dont Verra), des donateurs occidentaux (USAID, la Fondation Rockefeller et le Fonds pour la Terre de Jeff Bezos) et des organisations multilatérales comme la Commission économique des Nations unies pour l'Afrique. Outre ses efforts pratiques pour mobiliser des fonds et encourager les changements de politique, l'ACMI a joué un rôle de premier plan dans le plaidoyer en faveur des marchés du carbone en tant que solution gagnant-gagnant à la fois pour les pays africains lourdement endettés et pour le climat. Selon les termes du document fondateur de l'organisation, « l'émergence des crédits carbone en tant que nouveau produit permet de monétiser l'importante dotation en capital naturel de l'Afrique, tout en l'améliorant » [5].
Les activités de l'ACMI sont profondément liées au Golfe. L'un des aspects de cette relation est que les entreprises du Golfe, en particulier les producteurs de combustibles fossiles, sont aujourd'hui la principale source de demande pour les futurs crédits carbone africains. Lors du Sommet africain sur le climat qui s'est tenu en septembre 2023 à Nairobi, au Kenya, par exemple, un groupe d'importantes entreprises émiraties du secteur de l'énergie et de la finance (connu sous le nom d'UAE Carbon Alliance) s'est engagé à acheter à l'ACMI des crédits carbone d'une valeur de 450 millions de dollars au cours des six prochaines années. Cet engagement a immédiatement confirmé que les Émirats arabes unis étaient le principal bailleur de fonds de l'ACMI. De plus, en garantissant la demande de crédits carbone pour le reste de la décennie, l'engagement des Émirats arabes unis contribue à créer le marché actuel, à faire avancer de nouveaux projets de compensation et à consolider leur place dans les stratégies de développement des États africains. Il contribue également à légitimer la compensation en tant que réponse à l'urgence climatique, malgré les nombreux scandales qui ont entaché le secteur ces dernières années.
L'Arabie saoudite joue également un rôle majeur dans la promotion des marchés du carbone en Afrique. L'un des membres du comité directeur de l'ACMI est la femme d'affaires saoudienne Riham ElGizy, qui dirige la Regional Voluntary Carbon Market Company (RVCMC). Créée en 2022 en tant que coentreprise entre le Fonds d'investissement public (le fonds souverain d'Arabie saoudite) et la bourse saoudienne Tadawul, la RVCMC a organisé les deux plus grandes ventes aux enchères de carbone au monde, en vendant plus de 3,5 millions de tonnes de crédits de carbone en 2022 et 2023. 70 % des crédits vendus lors de ces ventes aux enchères provenaient de projets de compensation en Afrique, la vente aux enchères de 2023 ayant eu lieu au Kenya. Les principaux acheteurs de ces crédits étaient des entreprises saoudiennes, au premier rang desquelles la plus grande compagnie pétrolière du monde, Saudi Aramco.
"Au-delà de la simple appropriation de projets de compensation en Afrique, les États du Golfe se positionnent également à l'autre bout de la chaîne de valeur du carbone : la commercialisation et la vente de crédits de carbone à des acheteurs régionaux et internationaux"
Les relations émiraties et saoudiennes avec l'ACMI et le commerce des crédits carbone africains illustrent une évolution notable en ce qui concerne le rôle du Golfe sur ces nouveaux marchés. Au-delà de la simple possession de projets de compensation en Afrique, les États du Golfe se positionnent également à l'autre bout de la chaîne de valeur du carbone : la commercialisation et la vente de crédits carbone à des acheteurs régionaux et internationaux. À cet égard, le Golfe apparaît comme un espace économique clé où le carbone africain est transformé en un actif financier qui peut être acheté, vendu et faire l'objet de spéculations de la part d'acteurs financiers du monde entier.
En effet, les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite ont tous deux cherché à établir des bourses du carbone permanentes, où les crédits carbone peuvent être achetés et vendus comme n'importe quelle autre marchandise. Les Émirats arabes unis ont créé la première bourse de ce type à la suite d'un investissement du fonds souverain contrôlé par Abou Dhabi, Mubadala, dans l'AirCarbon Exchange (ACX), basée à Singapour, en septembre 2022. Dans le cadre de cette acquisition, Mubadala détient désormais 20 % d'ACX et a créé une bourse numérique réglementée d'échange de carbone dans la zone franche financière d'Abou Dhabi, l'Abu Dhabi Global Market. ACX affirme qu'il s'agit de la première bourse réglementée de ce type au monde, et que les échanges de crédits carbone y débuteront fin 2023. De même, en Arabie saoudite, la RVCMC s'est associée à l'entreprise américaine de technologie de marché Xpansiv pour créer une bourse permanente de crédits carbone dont le lancement est prévu fin 2024.
Reste à savoir si ces deux bourses basées dans le Golfe seront en concurrence ou si elles donneront la priorité à des instruments d'échange différents, tels que les dérivés du carbone ou les crédits carbone conformes à la charia. Ce qui est clair, en revanche, c'est que les principaux centres financiers du Golfe s'appuient sur leurs infrastructures existantes pour établir une domination régionale dans la vente de carbone. Actif à tous les stades de l'industrie de la compensation - de la production de crédits carbone à leur achat - le Golfe est désormais un acteur principal des nouvelles formes d'extraction de richesse qui relient le continent africain à l'économie mondiale au sens large.
Garantir un avenir basé sur l'énergie fossile
Au cours des deux dernières décennies, la production de pétrole et surtout de gaz du Golfe s'est considérablement accrue, parallèlement à un déplacement important vers l'est des exportations d'énergie pour répondre à la nouvelle demande d'hydrocarbures de la Chine et de l'Asie de l'Est. Dans le même temps, les États du Golfe ont accru leur participation dans les secteurs en aval à forte intensité énergétique, notamment la production de produits pétrochimiques, de plastiques et d'engrais. Emmenées par Saudi Aramco et Abu Dhabi National Oil Company, les compagnies pétrolières nationales basées dans le Golfe rivalisent désormais avec les supergrands groupes pétroliers occidentaux traditionnels en termes de réserves, de capacité de raffinage et de niveaux d'exportation.
"Au contraire, à l'instar des grandes compagnies pétrolières occidentales, la vision du Golfe d'une production accrue de combustibles fossiles s'accompagne d'une tentative de s'emparer du lead des initiatives mondiales de lutte contre la crise climatique"
Dans ce contexte, et malgré la réalité de l'urgence climatique, les pays du Golfe redoublent d'efforts dans la production d'énergies fossiles, voyant tout l'intérêt de s'accrocher le plus longtemps possible à un monde centré sur le pétrole. Comme l'a promis le ministre saoudien du pétrole en 2021, « chaque molécule d'hydrocarbure sortira »[5]. Mais cette approche ne signifie pas que les États du Golfe ont adopté une posture de négation du changement climatique, la tête dans le sable. Au contraire, à l'instar des grandes compagnies pétrolières occidentales, la vision du Golfe d'une production accrue de combustibles fossiles s'accompagne d'une tentative de s'emparer du leadership dans les efforts mondiaux de lutte contre la crise climatique.
L'un des aspects de cette approche est leur forte implication dans les technologies à faible teneur en carbone, imparfaites et non avérées, telles que l'hydrogène et le captage du carbone. D'autre part, ils tentent d'orienter les négociations mondiales sur le climat, comme en témoignent les récentes conférences des Nations unies sur le changement climatique, COP27 et COP28, au cours desquelles les États du Golfe ont détourné les discussions politiques des efforts efficaces pour éliminer progressivement les combustibles fossiles, transformant ces événements en un peu plus que des spectacles d'entreprise et des forums de réseautage pour l'industrie pétrolière.
Le marché des compensations carbone doit être considéré comme faisant partie intégrante de ces efforts visant à retarder, à obscurcir et à entraver la lutte contre le changement climatique de manière significative. Grâce à la comptabilité carbone trompeuse des projets de compensation, les grandes industries pétrolières et gazières du Golfe peuvent poursuivre leurs activités habituelles tout en prétendant atteindre leurs soi-disant objectifs climatiques. La dépossession des terres africaines par les pays du Golfe est un élément clé de cette stratégie, qui permet en fin de compte d'entretenir le spectre désastreux d'une production de combustibles fossiles en constante accélération.
Traduction de l'anglais par Emmanuelle Carton (CADTM)
Source :https://merip.org/2024/07/laundering-carbon-the-gulfs-new-scramble-for-africa/
Adam Hanieh est professeur auprès du SOAS, University of London. Il est l'auteur, entre autres, de Money, Markets, and Monarchies : The Gulf Cooperation Council and the Political Economy of the Contemporary Middle East, Cambridge University Press, 2018 et Lineages of Revolt. Issues of Contemporary Capitalism in the Middle East, Haymarket Books, 2013.
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[2] Heidi Blake, “The Great Cash-for-Carbon Hustle,” The New Yorker, October 16, 2023.
[3] Katherine Hearst, “Kenya concedes ‘millions of hectares' to UAE firm in latest carbon offset deal,” Middle East Eye, November 5, 2023.
[4] Thales A. P. West et al., “Action needed to make carbon offsets from forest conservation work for climate change,” Science 381/6660 (August 2023), p. 876.
[5] “Africa Carbon Markets Initiative (ACMI) : Roadmap Report,” ACMI, November 8, 2022, p. 12.

La guerre n’a pas de visage de femme indigène

La Marche mondiale des femmes du Mato Grosso do Sul dénonce publiquement les violences subies par les peuples Kaiowá et Guarani. La violence subie par les indigènes des zones reprises Yvyajere, Pikyxyn et Kurupa Yty, situées sur la terre indigène Panambi – Lagoa Rica à Douradina, MS, a récemment été rendue publique au niveau national et international.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Il convient de noter que ces zones reprises constituent ce TI (territoire indigène), qui a déjà été délimité par la Fondation nationale pour les peuples indigènes (FUNAI) et n'a pas été conclu en raison du processus de judiciarisation. Cette action, perpétrée par les propriétaires terriens de la région, a empêché la poursuite de ce processus pendant plus d'une décennie.
Depuis la mi-juin 2023, les luttes des peuples Guarani et Kaiowá se sont intensifiées dans de nombreuses zones, dans les Tekoha déjà identifiées, en particulier dans le sud de l'État. Les Tekoha sont des territoires sacrés dans lesquels les rezadoras, nhandesy (anciens du savoir traditionnel), cultivent leurs connaissances ancestrales, liées aux plantes médicinales, aux soins du corps-territoire, pour les générations à venir et pour la reproduction de la bonne vie sociale de la famille élargie.
Nous comprenons que les femmes indigènes des régions reprises subissent la violence d'un champ de bataille, d'une guerre, d'un génocide orchestré par les propriétaires terriens ruraux. Cette violence se répète, avec des assassinats de dirigeants, des tortures et des expulsions. La violence contre les femmes, en particulier les Ñandesy, pour ce qu'elles représentent dans la communauté indigène, avec leur foi, leur mbaracá, leurs prières, leurs chants et leurs danses. Persécutées, acculées, brûlées par l'intolérance religieuse, les préjugés et la xénophobie à l'encontre de ces guerrières Ñandesy. Dans « La guerre n'a pas de visage de femme », Svetlana Aleksiévitch dépeint les actions des femmes soviétiques pendant la Seconde Guerre mondiale. L'autrice y raconte comment cette histoire est occultée, mais elle existe : les femmes se sont battues courageusement contre le fascisme.
Cette lutte se déroule sur des territoires ancestraux et l'État brésilien est en grande partie responsable de tout ce conflit dans le Mato Grosso do Sul. C'est l'État qui a expulsé les populations indigènes de leurs territoires au siècle dernier et depuis lors, il est resté inerte. Le gouvernement fédéral omet de régulariser la propriété foncière des territoires considérés comme sacrés par les Guarani et les Kaiowá. Ces peuples attendent le processus de régularisation depuis la Constitution fédérale (CEF/88). Le non-respect de la Constitution fédérale donne lieu à des violences qui mettent en danger la vie des personnes : hommes, femmes et enfants. Dans ce contexte, les femmes et les enfants indigènes sont cruellement exposés à la barbarie de l'agriculture.
Il faut vivre, il faut reproduire la vie au lieu d'attendre la bureaucratie étatique des territoires. Face à l'inertie et à l'omission de l'Etat, les Ñandesy doivent créer un pouls de vie : elles contribuent à la santé physique et spirituelle de leur peuple dans le processus d'auto-démarcation.
Les reprises sont des outils de la lutte indigène, fondamentaux pour l'existence d'un monde plus juste, plus égalitaire et plus fraternel. Les femmes Kaiowá et Guarani sont fondamentales dans ce processus de récupération des terres. Il s'agit d'un mouvement tout à fait légitime. Nous reconnaissons l'histoire des expulsions et des réserves, qui ont conduit à l'enlèvement de la vie des peuples indigènes, des femmes et des enfants indigènes, avec des crimes de haine, leur enlevant le droit à leur vie collective quotidienne dans leurs communautés.
La violence des propriétaires terriens est à la fois sexiste, patrimonialiste, physique et psychologique. Les vidéos de guerriers abattus d'une balle dans la tête, ensanglantés, découpés, montrent les actes que les éleveurs sont prêts à accomplir. Le Mato Grosso do Sul suit le modèle national de concentration des terres entre les mains de quelques familles et l'histoire de la spoliation des terres indigènes remonte à la compagnie Matte Laranjeira à la fin du 19e siècle, mais les « propriétaires de la terre » ne se rendent pas compte qu'il s'agit d'une terre indigène, une terre de soins, une relation symbiotique entre le corps des femmes et la santé du territoire.
Comme solution, l'État brésilien présente un calendrier, une action irresponsable qui continuera à permettre la guerre et l'offensive contre la vie des peuples indigènes. Les juges qui signent les saisies, les ministres du STF qui assouplissent l'inconstitutionnalité du cadre temporel, les politiciens qui signent les nouvelles lois qui apportent l'insécurité juridique aux peuples indigènes de ce pays sont en grande majorité des hommes et des blancs.
Contre le pouvoir de la plume, du jugement et du nouveau décret-loi : les Ñandesy avec leur mbaraca, avec une attention collective, pour la survie d'eux-mêmes, du collectif et de la terre !
Nous continuerons à marcher jusqu'à ce que nous soyons toutes libres !
Août 2024
Marche mondiale des femmes – MS
https://www.marchamundialdasmulheres.org.br/a-guerra-nao-tem-rosto-de-mulher-indigena/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
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Les femmes sans terre construisent des territoires libres : 40 ans de lutte pour la réforme agraire au Brésil

Le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST) célèbre 40 ans de lutte et de mobilisation contre la violence sexiste dans les campagnes
Tiré de Entre les lignes et les mots
Pour changer la société
Selon notre volonté
et participer sans avoir peur d'être une femme !
(Chanson tirée du recueil de chansons populaires féministes)
Dans le climat politique de résistance et de transformation sociale qui a imprégné l'Amérique latine des années 1970 et 1980, plusieurs instruments politiques de la classe ouvrière se sont formés au Brésil, dont le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST). De même qu'il est impossible de concevoir cette résistance révolutionnaire sans tenir compte de l'importante participation des femmes au sein des différents fronts de lutte, il est également impossible de penser au 40e anniversaire du MST sans appréhender cette participation comme une construction qui se produit à travers différents espaces – depuis les occupations, l'organisation des « acampamentos » et des « assentamentos », au sein de la formation et jusque dans les instances.
Réfléchir au processus organisationnel du MST, c'est réfléchir au rôle significatif joué par les femmes et à la manière dont celles-ci ont réussi à peser à partir de la matérialité de la reproduction de la vie. Comme le dit Djacira Araújo dans son articleLes femmes sans terre abattent les clôtures et écrivent l'histoire : 40 ans du MST, « dès les premières occupations de terrains, la présence de femmes et d'enfants a eu un impact en termes de sensibilisation de la société au problème de l'exclusion et de la dépossession des familles sans terre, tout en faisant pression sur le gouvernement pour qu'il prenne des mesures face au niveau de violences auquel les grands propriétaires terriens et le lobby de l'agrobusiness pouvaient parvenir ».
La vie quotidienne dans les campements (acampamentos), bien que pleine de vie et d'espoir, reste aussi très précaire, avec pour conséquence d'augmenter la demande de travail de soins – historiquement attribuée aux femmes. Il faut nourrir tout le monde, s'occuper des enfants et les éduquer, soigner les malades et stimuler la résistance. Ces demandes quotidiennes de prise en charge de la vie orientent l'organisation des secteurs et permettent la formation de groupes et de collectifs, créant des espaces de dialogue, de partage de la vie quotidienne, de la vie privée, de l'absence et de la présence de la violence, et de l'importance d'être ensemble.
Cette lutte est couplée à une journée intense de travail domestique et productif, avec de la douleur et de l'espoir, au-delà de l'amour et du travail de première ligne dans lequel les femmes utilisent leur corps comme un outil pour contenir les conflits. Malgré cela, les réunions et autres espaces de décision restent des lieux auxquels peu de femmes parviennent à participer. À travers l'histoire de la participation politique des femmes, prendre la parole peut s'avérer un défi majeur. Le pantalon et le pull large n'ont pas toujours représenté leur choix, mais une sorte de code nécessaire pour être entendues et respectéesen tant qu'activistes,et non pas harcelées et désirées en tant qu'objet sexuel. De cette manière, les femmes ont construit leur place dans les espaces de formation et de prise de décision du Mouvement. Comme nous l'avons expliqué dans la brochure de formation A conspiração do gênero (La conspiration du genre), « le processus d'insertion des femmes dans les tâches de direction de l'organisation, ainsi que celui de leur reconnaissance en tant que sujets politiques dans la lutte pour la terre et la réforme agraire, n'a pas été facile et a exigé beaucoup de persévérance et de conspiration politique ».
En parallèle au travail interne, les femmes ont tissé des liens avec des femmes d'autres organisations de la classe ouvrière à la campagne et à la ville, comme l'Articulation nationale des femmes rurales, forgeant de nombreuses luttes pour l'extension des droits à la sécurité sociale, la santé publique, un nouveau projet d'agriculture populaire, la réforme agraire, une campagne de documentation et d'autres encore. Elles ont également mis en place une formation politique et idéologique féministe destinée aux différents niveaux de militantisme et à la base.
Dans les années 2000, ce processus de construction s'est soldé par la création du secteur Genre, qui a fait valoir l'importance d'impliquer l'ensemble du mouvement dans le débat sur les relations humaines, en soulignant le rôle de la violence patriarcale dans le maintien du système latifundiaire et le défi que représente la construction de nouvelles relations de genre, liées aux rapports de pouvoir. Ceci a permis de mettre à l'agenda collectif la question de l'autonomie financière des femmes, la lutte contre la violence domestique et la prise en charge des enfants. Ce débat très important a permis d'atteindre la parité dans les organisations du MST en 2006. La présence effective des femmes dans les instances nationales et régionales a élargi l'horizon politique de leur participation au mouvement.
Les années 2000 ont également marqué un retour à l'esprit combatif du 8 mars, Journée internationale de lutte des femmes, en tant que construction de la résistance des femmes travailleuses entendant le lien entre les dominations de classe et patriarcale. Comme l'explique Djacira, « la conscience acquise à travers les expériences de l'organisation permet aux femmes sans terre de se sentir partie prenante d'un projet plus large impliquant la classe ouvrière et qui doit encore être réalisé ; de se rendre compte que des événements considérés comme des « petites choses » font partie de la lutte plus large contre le capital ».
La construction et la participation aux journées de lutte, en particulier celles du mois de mars, ont permis de comprendre l'importance de l'auto-organisation des femmes. La mobilisation de 2006, au cours de laquelle les femmes se sont unies pour lutter contre le désert vert des monocultures d'eucalyptus d'Aracruz Celulose, a particulièrement mis en avant le féminisme en tant que pratique concrète pour affronter le capital, et le féminisme paysan populaire en tant que stratégie pour construire de nouvelles subjectivités et de nouvelles sociabilités dans une perspective internationale.
En tant qu'organisation issue des expériences historiques des peuples en résistance, le MST s'est très tôt engagé dans la construction de la solidarité internationale. Cela s'est fait à travers des instruments de lutte paysanne, avec la formation de la Coordination latino-américaine des organisations paysannes (CLOC) et de la Via Campesina, ainsi que par l'organisation de formations, d'échanges d'expériences et de brigades de solidarité. L'expérience des processus internationalistes a contribué à comprendre la relation organique entre le capital, le patriarcat et le racisme, qui est profonde et internationalisée. Une organisation internationale est nécessaire pour affronter et dénoncer les ravages de ce système sur les peuples ruraux.
Avec la participation des femmes paysannes, autochtones, habitantes des eaux et des forêts au débat sur le féminisme paysan populaire, nous avons également progressé dans notre compréhension des spécificités de cet impact sur les femmes dans l'interrelation entre corps et territoire. Le féminisme paysan populaire élargit notre stratégie politique, car nous nous focalisons sur les relations égalitaires et sur les processus d'émancipation humaine. Par ailleurs, nous nous engageons en faveur de l'agroécologie en tant que production en équilibre avec la nature et en tant que reconstruction de notre humanité. Au cœur de cet engagement politique se trouve le retour aux communs et la défense des biens communs, en cherchant à construire des territoires sans violence au sens le plus large.
La lutte des femmes pour le droit à la participation politique a contribué à façonner le MST, comme le dit Djacira lorsqu'elle explique que « la nature organique du MST n'est ce qu'elle est que grâce au regard féminin, qui a mis des thèmes profonds de l'existence humaine à l'agenda, tels que l'éducation, la santé, la prise en charge et soins des enfants, la lutte contre les oppressions de genre, la construction de l'agroécologie et de la souveraineté alimentaire. Dans une large mesure, ces questions ont conduit à la nécessité de repenser la structure politique de l'organisation, en mettant l'accent sur la création de nouveaux collectifs, secteurs, fronts et de nouvelles pratiques de formation ».
La participation des femmes a permis de réaliser que la lutte contre le patriarcat, le racisme et le capitalisme, dans toutes leurs expressions politiques et culturelles, fait partie de la lutte du MST et de la classe ouvrière. C'est pourquoi il faut être vigilant et combattre les dérives éthiques et morales du sexisme, du racisme, du fascisme et de l'exploitation de classe ; être vigilant pour créer des subjectivités réorientées selon des principes humanistes, féministes, antiracistes et socialistes.
Lucineia Miranda de Freitas, 28 mai 2024
Lucineia Miranda de Freitas est une dirigeante du secteur « genre » du MST.
Édition et révision par Bianca Pessoa
https://capiremov.org/fr/experiences/les-femmes-sans-terre-construisent-des-territoires-libres-40-ans-de-lutte-pour-la-reforme-agraire-au-bresil/
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