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Guerre au Soudan : la bataille des discours

27 mai, par Sudfa — , ,
Comment les acteurs de la guerre au Soudan justifient-ils toute cette violence ? Dans ce texte, la militante Muzan Alneel analyse les discours mobilisés par les deux camps pour (…)

Comment les acteurs de la guerre au Soudan justifient-ils toute cette violence ? Dans ce texte, la militante Muzan Alneel analyse les discours mobilisés par les deux camps pour s'attirer le soutien de la population. Elle défend la nécessité de mettre en avant un contre-discours révolutionnaire, fondé sur des analyses de gauche, pour proposer une alternative politique crédible.

Tiré du blogue de l'auteur.

On trouve dans le débat public soudanais des définitions divergentes de la guerre, à travers des expressions telles que « guerre existentielle », « guerre pour la dignité », « guerre pour la démocratie », « guerre absurde », « guerre contre l'État de 1956 » ou « guerre contre le néocolonialisme ». Ce phénomène n'est ni rare, ni inattendu au Soudan. Il reflète une dynamique globale en temps de guerre dans laquelle des récits concurrents prolifèrent. Ces récits découlent de la nécessité pour les forces combattantes de justifier leurs stratégies politiques et de mobiliser le soutien populaire en faveur de leurs opérations militaires.

A travers des discours qui cherchent à légitimer leurs positions, les parties impliquées dans le conflit au Soudan s'affrontent non seulement sur le champ de bataille, mais aussi dans l'arène de l'opinion publique. Tous les groupes affectés par le conflit, qu'ils soient affiliés à l'un des camps ou extérieurs à ceux-ci, s'emploient à créer leurs propres récits, qui reflètent les enjeux idéologiques, les intérêts matériels et les stratégies de survie propres à chacun. (…)

Le discours des Forces de Soutien Rapide (RSF) : une guerre pour la démocratie et la défense des « marginalisés »
Les Forces de Soutien Rapides (RSF, milice autrefois alliée à l'armée) tentent de faire croire qu'elles mènent guerre pour la démocratie contre le gouvernement putschiste [issu du coup d'Etat du général Al-Burhan en 2021], mené par les forces politiques islamistes [de l'ancien régime d'Omar El-Béshir].

Ce discours a été accueilli avec sarcasme par l'opinion publique soudanaise dès les premiers jours de la guerre. (…) La population soudanaise, témoin des meurtres, des pillages et des tortures qu'elle subit de la part des Forces de Soutien Rapide, a alerté sur la contradiction entre ces actes et la rhétorique « démocratique » mise en avant par les RSF. Pourtant, malgré leur échec évident à obtenir le moindre soutien populaire, les RSF n'ont pas cessé d'utiliser ce discours. (…) Ce discours ne s'adresse pas au peuple soudanais, mais vise plutôt d'autres acteurs, probablement la communauté internationale, [ce qui a permis aux RSF d'obtenir le soutien diplomatique direct ou indirect de plusieurs pays étrangers]. Cette interprétation est renforcée par le fait que les Forces de Soutien Rapide mobilisent le vocabulaire typique des organisations internationales, par exemple en décrivant l'armée et leurs alliés comme des « organisations terroristes ».

Le deuxième discours sur la guerre défendu par les Forces de Soutien Rapide consiste à dépeindre celle-ci comme un conflit entre la « périphérie » et le « centre », une lutte des marginalisés et les laissés-pour-compte contre les oppresseurs. Ce discours [qui connaît un succès important depuis plusieurs années dans le champ politique et intellectuel soudanais] est de plus en plus repris dans les déclarations officielles des RSF, reflétant leur tentative de rallier le soutien de groupes sociaux et ethniques historiquement marginalisés.

Mais la crédibilité de ce récit a été elle aussi mise à mal face aux atrocités commises par les RSF, ciblant les villageois pauvres, les femmes, les personnes âgées, et par la richesse et le pouvoir dont jouissent les dirigeants de la milice. En se basant sur ces arguments, les RSF ont une vision des « défavorisés » qui ne prend pas en compte le statut socio-économique des personnes, mais qui s'intéresse uniquement à l'appartenance ethnique.

C'est là que, dans cette bataille des définitions, une voix socialiste critique et organisée aurait pu offrir un cadre d'analyse révolutionnaire pour répondre à cette question [de la domination entre le « centre » et les « marges » du pays], très importante pour le peuple soudanais. Cette position critique pourrait souligner les intérêts [qui poussent les RSF à se réapproprier la rhétorique de la lutte contre les dominations] et appeler à la création d'une alliance entre tous les démunis contre ceux qui monopolisent le pouvoir et la richesse, quelle que soit leur appartenance ethnique.

L'absence d'une telle voix a permis à l'argument fallacieux des RSF de se transformer en un outil pour attiser la division raciale (…). Malgré tout ça, leur récit est resté faible et incapable de mobiliser suffisamment le soutien de la population pour légitimer leur revendication du pouvoir.

Le discours de l'armée (SAF) : une guerre pour défendre l'État soudanais et assurer la sécurité de la population

En revanche, le narratif des forces armées soudanaises (SAF) a rencontré plus de succès (…). Très tôt, l'armée a défini la guerre comme une guerre contre une milice rebelle. Le caractère institutionnel de l'armée nationale (…) est utilisé comme une preuve que sa position est forcément juste. Ce récit efface les crimes qui ont été commis durant les années précédant la guerre par Forces de Soutien Rapide sous la supervision de l'armée soudanaise [quand elles étaient alliées], ainsi que les crimes commis par l'armée soudanaise elle-même.

Ainsi, dans ce discours qui cherche à légitimer institutionnellement la violence, la légitimité des acteurs politiques est évaluée en fonction de leur position dans l'appareil d'État et de leur structure bureaucratique, plutôt qu'en fonction de leur impact réel sur la vie des gens. Ce discours est aussi vieux que le concept d'État lui-même, et c'est un outil que les élites ont historiquement utilisé pour justifier la violence qu'elles infligent aux sociétés qu'elles exploitent, en utilisant les armes violentes de l'État autorisées par la loi, qu'il s'agisse de la police, de l'armée ou autres. Cet argument a été popularisé par des décennies de propagande, qui ont façonné la conscience des citoyens et normalisé la violence d'État.

La promesse de sécurité et de retour à la stabilité est également mise en avant dans les déclarations des commandants des forces armées, qui répètent depuis le début que la guerre se terminera bientôt, « dans une semaine ou deux », comme ils l'avaient déjà dit il y a deux ans. Dès les premiers jours de la guerre, cet argument a trouvé du soutien dans l'opinion publique. Mais il a aussi été utilisé pour justifier la destruction d'habitations civiles et alimenter les appels à des attaques meurtrières contre les RSF [et des civils soupçonnés de les avoir aidés]. (…)

Les forces armées soudanaises ont redéfini la guerre comme une guerre pour la dignité et la souveraineté. Dans ce contexte, l'armée est devenue synonyme de l'État, et l'État, synonyme de dignité personnelle. Ce cadrage [très problématique] a permis d'exploiter la colère populaire contre les atrocités commises par les RSF comme une arme pour légitimer les actions de l'armée, alors même que celle-ci ne garantit pas la sécurité des citoyens. La légitimité de l'armée s'est ainsi ancrée dans des notions abstraites comme la "fierté nationale", allant même jusqu'à stigmatiser de façon subtile les tribus qui composent les rangs des RSF et à remettre implicitement en question leur "soudanité".

Ces récits libèrent l'armée de ses obligations de protection ou d'aide aux civils et justifient la banalisation de ses crimes. Par ailleurs, en pointant du doigt l'illégitimité et la criminalité des relations entre les RSF et des acteurs internationaux, en particulier les Émirats Arabes Unis, l'armée fait mine d'ignorer que toute relation internationale avec le gouvernement putschiste qui la dirige est elle aussi illégitime. De plus, de nombreux rapports font état de liens économiques étroits, et de l'exportation continue d'or, entre l'armée et le même État exploiteur, les Émirats arabes unis. Il s'agit donc d'un récit fondé principalement sur des demi-vérités.

Une réponse révolutionnaire à ce narratif aurait été de refuser de définir la légitimité sur la base de revendications abstraites, et de la fonder plutôt sur la manière dont chaque partie affecte la vie des gens. Cela commence par affirmer que la sécurité est un droit fondamental, et non une monnaie d'échange utilisée pour justifier un régime militaire. Nous devons aussi rappeler que la prétendue « stabilité » antérieure mise en avant par les militaires était un régime fondé sur la violence et l'exploitation systémique, que nous devons vaincre, et non raviver.

Comment les civils se positionnent-ils par rapport à ces discours ?

Parmi les civils non armés soutenant l'une ou l'autre des parties au conflit, les définitions de la guerre et les indicateurs de victoire varient en fonction des classes sociales. Pour les groupes aisés, disposant de richesses matérielles ou de privilèges hérités, la priorité est de prendre le contrôle des lieux emblématiques du pouvoir souverain et des monuments historiques, ce qui montre leur désir de restaurer les structures sociales qui sous-tendent leur statut. A l'inverse, les communautés marginalisées mettent l'accent sur le besoin de sécurité et de services de base. (…) Ces priorités divergentes révèlent un net clivage social.

Les discours de la société civile évoluent également dans le temps. Certains groupes, qui avaient initialement rejeté les exigences de loyauté inconditionnelle de l'armée soudanaise, les ont ensuite acceptées face à la fatigue de la guerre et au désespoir de trouver une solution. D'autres, qui s'étaient moqués des revendications absurdes des RSF prétendant mener une « guerre pour la démocratie », ont fini par les approuver tacitement face à la montée d'un discours nationaliste pro-armée qui renoue avec la tendance centralisatrice de l'État soudanais et risquerait de perpétuer leur marginalisation. (…)

Cette approche survivaliste de la guerre existe aussi bien chez les civils non organisés que chez les groupes de résistance organisés. Les comités de résistance, par exemple, qui constituaient la force la plus influente du mouvement révolutionnaire, ont d'abord condamné les deux parties du conflit. (…) Au début de la guerre, de nombreux comités ont donné la priorité à « l'arrêt de la guerre et à la sauvegarde de la vie des civils », s'engageant à défendre les revendications révolutionnaires malgré la violence du conflit. Cependant, au fil du temps, il leur est devenu difficile de concilier les principes révolutionnaires avec un soutien tactique (bien que temporaire) aux forces armées. Pour les comités, il s'agit d'une étape intermédiaire permettant de rétablir le statu quo à un niveau « gérable » de répression aux mains de l'État, plutôt que de faire face à la violence brutale des RSF.

Cette contradiction a aliéné les militants et délégitimé leur rôle dans le discours public. De nombreuses organisations révolutionnaires sont devenues les bras armés de la guerre. De nombreux intellectuels de la résistance ont fourni des armes théoriques pour soutenir la légitimité des forces armées soudanaises (SAF), leur soi-disant partenaire temporaire. Ils ont donné la priorité à la protection de l'appareil d'État, sans tenir compte de l'équilibre des pouvoirs au sein de cet appareil, de son impact sur la vie des exploités, et même de ses échecs structurels évidents et de ses injustices systémiques.

La nécessité d'un contre-discours révolutionnaire de gauche

(…) Depuis le début de la guerre, des réseaux d'entraide populaires, en particulier les « salles d'intervention d'urgence », se sont organisées en autogestion pour fournir des services de base aux personnes affectées par la guerre et défendre les droits des citoyens, tels que l'accès aux soins et à une éducation gratuite. Ces initiatives ont soutenu les communautés assiégées et déplacées, abandonnées par les forces combattantes, mais elles ont fonctionné sans une vision politique révolutionnaire qui aurait fait de l'entraide la base d'un modèle de gouvernance durable et anti-guerre, dirigé par et pour les populations elles-mêmes. Au lieu de cela, les efforts sont restés confinés à l'aide d'urgence, limités par un discours d'espoir de « retour à la normale » qui ignore l'oppression structurelle dans l'histoire du Soudan. Ce vide a laissé la place aux récits des forces armées, plus lucratifs sur le plan politique, pour consolider leur pouvoir et gagner le soutien de la population.

Cette spirale ne peut être brisée que par la construction d'un parti de gauche organisé, capable de construire des institutions idéologiques et culturelles révolutionnaires pour contrer l'hégémonie de la classe dirigeante, les compromis bourgeois et les trahisons du système existant.

L'expérience récente a constamment souligné la nécessité d'un parti révolutionnaire. Une telle organisation - basée sur les principes socialistes et la délibération démocratique - analyserait systématiquement les stratégies et contrerait la propagande de la classe dirigeante, fournirait aux exploités une analyse et un projet politique alternatif qui placerait leurs priorités et leurs besoins en tête de son programme, et mobiliserait collectivement les leçons tirées des luttes passées. Elle lutterait également en interne contre les tendances bourgeoises des intellectuels, qui sont souvent déformées par des préjugés résultant de leurs privilèges matériels, façonnés par l'accès aux ressources, à l'éducation et à la formation institutionnelle, ce qui les conduit à s'écarter des intérêts de la majorité de la population.

Même si les récits révolutionnaires se sont estompés, il existe encore des aperçus occasionnels d'un projet alternatif, incarné par des demandes populaires pour une paix juste ; des aperçus qui sont fugaces, mais réels.

Cette mission, loin des projecteurs, est urgente et inévitable.


Par : Muzan Alneel

Publication originale en arabe : Atar

Traduction en français et édition : Sudfa Media

Article original en arabe : « A travers leur regard. Qui définit la guerre au Soudan ? », publié le 26/04/2025 par Atar.

Note de traduction : l'article a été légèrement raccourci, les inter-titres et les parties entre crochet ont été rajoutées par l'équipe de Sudfa pour donner des éléments de contexte.

Cet article reflète l'opinion de l'autrice et n'engage pas la rédaction de Sudfa Media.


Muzan Alneel est une militante socialiste, journaliste et chercheuse soudanaise. Elle a dirigé un think-tank “Innovation, Science and Technology Think-tank for people-centered Development (ISTinaD)” au Soudan. Elle a publié de nombreux articles dans des revues internationales sur les comités de résistance et la stratégie révolutionnaire au Soudan.


Atar est un magazine créé à l'initiative de l'ONG Sudan Facts Center for Journalism Services, qui a commencé à paraître six mois après le début de la guerre contre les civils au Soudan. Ses publications sont principalement en arabe mais aussi en anglais. Il est distribué sur différents réseaux sociaux. Atar offre un lieu d'accueil pour les informations basées sur les faits dans un paysage médiatique fortement réprimé, accueillant les contributions de journalistes, écrivains et chercheurs.

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Sud Soudan : La paix mise à mal

27 mai, par Paul Martial — , ,
Il existe un risque important que le Sud Soudan plonge de nouveau dans un conflit généralisé qui s'ajouterait à une crise financière majeure. En se séparant du Soudan pour (…)

Il existe un risque important que le Sud Soudan plonge de nouveau dans un conflit généralisé qui s'ajouterait à une crise financière majeure.

En se séparant du Soudan pour devenir un Etat indépendant en 2011, le Sud soudan n'aura connu qu'une succession de conflits. Le plus meurtrier est la guerre civile de 2013 qui aura causé la mort de 400 000 personnes le déplacement de quatre millions de réfugiés. Un accord de paix fut signé en 2018 entre le président de la république Salva Kiir appartenant à la communauté dinka, et son vice-président Riek Machar à celle des Nuer.

La fin de l'accord de paix

Cet accord de paix prévoyait notamment l'unification des différentes milices dans une armée nationale, la mise en place d'une élection présidentielle et la collégialité dans la gouvernance du pays. Aucun de ces engagements n'ont été honorés. Les conflits entre la présidence et la vice-présidence n'ont eu de cesse d'augmenter jusqu'à l'épisode sanglant dans l'Etat du Haut Nil.

Le mois dernier l'Armée Blanche, une milice nuer, a envahi la base militaire de Nasir de peur que la garnison militaire présente soit remplacée par des membres de communautés leur étant hostiles. La présidence a réagi en envoyant l'aviation bombarder la ville provoquant de nombreuses victimes civiles. La violence s'est étendue dans le pays entre les forces du Sudan People's Liberation Movement (SPLM) favorable au Président Kiir et le SPLM-IO (In Opposition) dirigé par Machar. Ce dernier ainsi que plusieurs de ses compagnons ont été arrêtés, accusés d'avoir fomenté l'attaque de Nasir.

Une crise aux multiples facettes

Les deux dirigeants cultivent le conflit entre les Dinka et Nuer, ces deux populations sont essentiellement pastorales et sont souvent en compétition pour l'accès à l'eau et aux pâturages. Les Dinka se sentent dépositaires de l'indépendance du pays de par leur lutte, contrairement aux Nuer qui dans certaines périodes ont tissé des alliances avec les forces soudanaises. Pour Kiir et Machar l'enjeu principal reste la lutte pour le pouvoir et la captation des richesses de l'Etat.

Salva Kiir a développé une politique clientéliste largement financée par la production du pétrole. Avec la guerre au Soudan, l'oléoduc convoyant l'or noir a été détruit tarissant du même coup la principale source du budget du pays, entrainant une crise politique à l'intérieur du camp présidentiel. Une crise favorisée par la santé défaillante du Président encourageant les velléités pour sa succession bien que Salva Kiir ait choisi son conseiller financier en la personne de l'homme d'affaires Benjamin Bol Mel.

Si le SPLM IO s'est affaiblit, cela n'exclut nullement une reprise d'un conflit généralisé dans le pays où de nombreuses milices se sont créées, avec un risque de connexion avec un autre conflit, celui qui déchire le Soudan.
Cette situation accroît la pauvreté multidimensionnelle. En 2024, 92,6 % de la population était privée d'éducation, d'accès aux services de base, de logement décent contre 84 % en 2023. Avec les risques de guerre cette détérioration ne pourra que s'amplifier.

Paul Martial

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Plus destructeur et plus profitable : l’injonction de Trump au système militaro-industriel des Etats-Unis

27 mai, par Claude Serfati — , ,
Portées par des vents d'Ouest, de folles rumeurs ont parcouru les grands médias français au cours des derniers mois : Trump n'est pas intéressé par les guerres. Le désir répété (…)

Portées par des vents d'Ouest, de folles rumeurs ont parcouru les grands médias français au cours des derniers mois : Trump n'est pas intéressé par les guerres. Le désir répété de partager les ressources minérales de l'Ukraine avec la Russie, qui s'en est déjà approprié environ un tiers ? Le soutien militaire accru à Israël dans sa guerre à Gaza et la discussion d'un plan B (ou A) avec Netanyahou pour l'aider à réaliser son rêve de détruire le régime iranien ? La menace de ne pas défendre l'Europe, sauf si elle dépense plus pour sa défense contre la Russie ? Tout cela ne relèverait pas du militarisme, mais d'une conception pragmatique et « transactionnelle » [1] du Président Trump.

« 20 » mai 2025 | tiré du site alencontre.org
https://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/plus-destructeur-et-plus-profitable-linjonction-de-trump-au-systeme-militaro-industriel-des-etats-unis.html

Faut-il dès lors s'étonner qu'à la question qui leur est ainsi posée par Le Parisien : « après l'accord Israël-Hamas, et si Trump briguait… le prix Nobel de la paix ? », des chercheur(e)s qui appartiennent à deux groupes de réflexion (think tanks) français influents se pensent obligés de répondre positivement ? L'une déclare que « Donald Trump regarde son héritage. Il aimerait obtenir le prix Nobel de la paix » et l'autre affirme qu'« il le vise, c'est certain, et cela passait par un accord » [2] (sur l'Ukraine, C.S.).

Par respect pour les lecteurs et les lectrices, cet article ne répondra pas à cette question obscène posée par ce journaliste. Il analyse la politique de D. Trump vis-à-vis du « Complexe militaro-industriel » états-unien qu'on peut résumer sous cette injonction : plus destructeur (grâce à l'intelligence artificielle) et plus profitable (grâce à la symbiose du système militaro-industriel et des marchés financiers). Cet impératif est accompagné d'un chèque de 1000 milliards de dollars pour financer le budget militaire. L'annonce en a été faite par Trump lui-même, lors de sa rencontre avec Netanyahou. Il a déclaré « 1000 milliards. Personne n'a jamais vu quelque chose comme cela. Nous allons avoir une très, très puissante armée » [3]. Pour une fois, ce n'est pas de la vantardise : cela correspond à une augmentation en 2025- 2026 de 12% par rapport au budget militaire de 2024.

Afin de comprendre le comportement du Président autrement qu'en constatant qu'il « parle comme Hitler, Staline et Mussolini » [4], il est nécessaire dans une première partie de poser le personnage, y compris ses traits de caractère, dans le contexte historique contemporain, celui du « moment 2008 » [voir sur alencontre.org l'article de Claude Serfati publié le 22 juillet 2024]. L'article aborde ensuite les transformations induites par l'intelligence artificielle (IA). L'IA constitue une triple menace contre les êtres humains dans tous les domaines de leur vie en société en tant qu'ils sont salariés, citoyens et civils menacés par les guerres. L'essor de l'IA dans le domaine militaire offre au système militaro- industriel un tremplin pour sa régénération. Celle-ci est stimulée par la concurrence entre, d'une part, les entreprises du numérique (GAFAM et start-up) et, d'autre part, les grands groupes contractants traditionnels du Département de la défense (Department of Defense, DoD) qui, comme c'est toujours le cas dans la défense, intègre également un degré élevé de collusion. Enfin, l'article souligne que l'évolution autoritaire de l'État menée par Trump, qui évoque par plusieurs aspect une aventure bonapartiste, est liée au double objectif de « sécurité nationale » fixé au système militaro-industriel : répression liberticide à l'intérieur et préparation d'un conflit d'envergure avec la Chine.

Le chaos pour perspective

Le président Donald Trump lance les États-Unis dans une fuite en avant vers un précipice dans lequel l'économie mondiale et l'humanité risquent d'être englouties. Trump sème le chaos mais il n'a aucune certitude qu'il en récoltera les bénéfices. Le PDG de JP Morgan, la forteresse historique du capital financier états-unien (4000 milliards de dollars d'actifs financiers dans le monde et 6 milliards de bénéfices en 2024) considère que « le risque est extraordinaire. La troisième guerre mondiale a déjà commencé » [5].

C'est ici que les personnages rencontrent les lois de l'histoire : le court-termisme de Trump – qui se traduit déjà par des errements dans ses décisions – est à l'image du court-termisme de l'horizon du capital états-unien. En effet, le déclin de l'hégémonie des États-Unis a accéléré depuis la fin des années 2000. Ce que j'appelle le « moment 2008 » est caractérisé par une concordance unique de temporalités entre une crise financière qui se transforme en une longue dépression, une exacerbation des rivalités militaro-économiques entre les grandes puissances et une dégradation écologique accélérée qui désagrège désormais les conditions physico-environnementales de reproduction de la vie.

Les penseurs dominants, soucieux d'en finir avec une impossible défense de la « mondialisation inclusive », parlent désormais de « polycrises ». Cette expression traduit un certain désarroi mais évite de jeter une lumière trop vive sur le fait que ces crises multiples confrontent le capitalisme mondialisé, hiérarchisé, militarisé mais également diversifié (des États-Unis à la Chine en passant par la France et l'Allemagne) à ses limites historiques.

Dans un article consacré à Steve Bannon, un conseiller apprécié par Trump pour la désinformation sur les réseaux sociaux et les « vérités alternatives » qu'il a systématisées, il est noté que « l'ensemble de la classe politique états-unienne réalise de plus en plus que le contrôle du système géopolitique fonctionne désormais jusqu'à un certain point en pilotage automatique » [6].

Cette vision est pourtant bien partielle car elle réduit le « moment 2008 » à une crise géopolitique sans pilote. Le constat révèle néanmoins l'échec des administrations Obama, Trump 1 et Biden à enrayer le recul économique des États-Unis. L'administration Obama avait lancé le « pivot vers la Chine » au début des années 2010 avec l'objectif de contenir l'économie et le militarisme de la Chine. L'administration Biden (2020-2024) a notablement amplifié les mesures protectionnistes qui avaient été prises par Trump I (2016-2020). La secrétaire d'État au Trésor avait alors préconisé le découplage des économies des États-Unis et de la Chine, et souhaité que, désormais, les grands groupes occidentaux « relocalisent dans les pays amis » [7]. Pour la première fois en 2021, à la demande de l'administration Biden, l'OTAN, une « Alliance atlantique », a mentionné la Chine dans un communiqué et caractérisé ce pays de « rival systémique », un terme proche de celui utilisé par les États-Unis depuis 2017 [8]. C'est également à la demande pressante de l'administration Biden que pour la première fois en 2019, l'Allemagne a accepté qu'un document de l'UE caractérise la Chine comme a « un rival systémique qui développe des modèles de gouvernance alternatifs » [9] (sic).

Oui mais… Le durcissement progressif et continu de la politique états-unienne, d'Obama à Trump 1, puis à Biden, n'a pas suffi à enrayer l'ascension chinoise. Et les déficits commerciaux et budgétaires des États-Unis ont continué à grimper dans un mouvement notable et inverse à leur influence géopolitique, en dépit du fait qu'ils réalisent 40% des dépenses militaires mondiales.

Dans ces conditions, les citoyens des États-Unis pouvaient-ils réélire en novembre 2024 un président qui s'était momentanément assoupi lors d'un débat télévisé avec son concurrent D. Trump ?

C'est pourquoi le comportement « erratique » de Trump, qu'il reflète ou non un trait de caractère, traduit plus profondément le fait que les États-Unis n'ont plus d'autre vision stratégique que d'empêcher la Chine de poursuivre son ascension économique et géopolitique. Rien ne garantit que la diplomatie appelée dans le monde anglophone du « bord du gouffre » (brinkmanship diplomacy) qui est menée par Trump atteindra ses objectifs affichés de reconquête du marché intérieur des États-Unis et de l'arrêt de l'ascension chinoise. Au bout de quelques mois, un premier bilan de la situation des États-Unis indique plutôt des résultats contraires. En réalité, le degré d'interdépendance aujourd'hui atteint par le marché mondial transforme le découplage espéré par l'Administration Trump en une fragmentation géopolitique accélérée au point même d'ébranler le bloc transatlantique.

Devant le chaos qu'il amplifie, Trump sait pouvoir compter sur le système militaro-industriel pour mettre de l'ordre à l'intérieur du pays et préparer l'affrontement militaire avec la Chine.

L'intelligence artificielle dans l'ordre militaro-sécuritaire

En 2023, les cabinets de consultants estiment le marché mondial de l'IA à des fins militaires entre 8 et 10 milliards de dollars et le marché mondial tourné vers le civil à environ 800 milliards de dollars. Ces ordres de grandeur indiquent où se situent les dynamiques économiques, mais ces chiffres de l'IA ne doivent pas conduire à conclure au rôle mineur de l'IA dans les transformations des nouvelles formes de conflit, d'autant plus que le marché de l'IA de défense devrait doubler d'ici 2030 et dépasser les 18 milliards de dollars. En 2024, ce sont plus de 80 projets militaires qui font appel à l'IA qui ont été financés à hauteur de 1,8 milliard de dollars par le Pentagone.

Dès la fin des années 2010 et le durcissement de la concurrence économique et une amplification des rivalités géopolitiques, les militaires des grandes puissances mondiales (en Chine en 2017, aux Etats-Unis en 2018 et en France en 2019) ont sérieusement pris en compte l'IA.

Son rôle comme vecteur du nouvel ordre militaro-sécuritaire s'explique par la nature singulière de l'IA. Pour les économistes de l'innovation, l'IA constitue une technologie de portée générale (TGP) qui, comme le moteur à vapeur au début de la révolution industrielle, l'électricité à la fin du dix-neuvième siècle et l'informatique après la seconde guerre mondiale, se diffuse dans tous les secteurs de l'économie et de la société. D'où l'espoir que l'IA déclenche un nouveau cycle d'expansion longue du capitalisme qui mettrait fin à la longue dépression consécutive à la crise financière de 2008, comme si les contradictions qui forment le « moment 2008 » se réduisaient à une question d'innovations technologiques. Cela n'empêche pas les plus techno-optimistes de prétendre qu'un taux de croissance de 30% par an est envisageable (quoique pour certains pas avant 2100), ce qui signifierait un doublement du PIB tous les deux ans et demi [10]…

On peut ignorer ces rêveries d'hypercroissance – ou plutôt ce cauchemar effrayant par la destruction des ressources naturelles et des conditions de reproduction de la vie qu'elle provoquerait – et plutôt observer que l'évolution des sociétés ne procède pas par répétition cyclique du passé. Cela est également vrai des technologies. L'IA se distingue radicalement de toutes les autres TPG sur deux points majeurs. D'abord, ses développements se situent d'emblée à l'échelle internationale et sont donc un enjeu de rivalités économiques et géopolitiques entre quelques grandes puissances. Ainsi que le montre le tableau 1 [voir ci-dessous], fondé sur le nombre de publications et citations en intelligence artificielle en 2024, la domination du duopole Chine-États-Unis est écrasante – ils totalisent à eux deux plus de 40% des publications et citations mondiales. Le fait que la Chine domine à ce point ce domaine de recherche est évidemment une des sources d'angoisse des dirigeants états-uniens. C'est une situation totalement différente de la précédente vague technologique. Après la seconde guerre mondiale, l'essor de l'électronique et de l'informatique a été porté par une domination des États- Unis qui n'avait aucun précédent dans l'histoire. On mesure à quel point l'environnement géopolitique et économique profile les trajectoires technologiques et interdit toute répétition à l'identique de celles-ci.

L'enjeu de rivalités économiques et géopolitiques lié à l'essor de l'IA dépasse ce duopole. En effet, une autre indication fournie dans le tableau 1 est la formation d'un monde multipolaire de la recherche, au sein duquel de nombreux pays émergents concurrencent les pays développés. Cette accumulation croissante des connaissances et leur diffusion internationale décrivent un processus qualifié d'économie de la connaissance par l'OCDE ou de « capitalisme cognitif » par ses critiques. Indice de cette situation, la France occupe une médiocre position (11e place) et publie à peine plus que l'Iran, l'Arabie saoudite et la Turquie. En dépit de l'excellence mondiale de son école de mathématiciens, c'est la conséquence du sous-financement structurel de la recherche publique et les conséquences d'un modèle d'innovation publique principalement fondé sur le nucléaire, la défense et l'aéronautique. Ainsi, le plan France 2030 prévoit d'accorder 2,2 milliards d'euros à l'investissement dans l'IA afin de soutenir la formation, favoriser la diffusion des technologies de l'IA et cibler quelques domaines prioritaires. Or, ce montant injecté par un plan qui couvre toute l'économie française est à peine supérieur à celui affecté par la loi de programmation militaire 2024-2030 à la seule IA de défense (2 milliards d'euros).

La seconde caractéristique singulière de l'IA est le caractère généralisé de ses effets sur l'humanité. En fait, à rebours de ce que permettrait leur usage socialement maitrisé afin de satisfaire les besoins de l'humanité, les technologies qui reposent sur l'IA nous menacent sous trois aspects. D'abord, elles transforment les données en une source d'accumulation de profits pour les grands groupes du numérique mais également pour les institutions financières, très investies dans l'IA, et plus généralement elles exercent des effets négatifs sur l'emploi, y compris le travail qualifié. Ensuite, elles renforcent le pouvoir sécuritaire des États sur leurs citoyens, une fonction fondatrice des États modernes. Historiquement, la France a joué un rôle pionnier parmi les pays occidentaux en matière de contrôle étatique. Plus récemment, elle a même exigé des autres pays européens que « tous les aspects du maintien de l'ordre soient exclus du règlement européen sur l'intelligence artificielle [11].

Enfin, l'IA ouvre la voie à de nouvelles formes de guerre grâce à leur utilisation par les militaires.

En somme, l'IA offre des potentialités d'utilisation contre des êtres humains dans tous les domaines de leur vie en société en tant qu'ils sont salariés, citoyens et menacés par les guerres. Cette simultanéité des effets de l'IA s'explique par la nature même de cette technologie qui porte directement sur les connaissances mais également parce que l'IA constitue un ensemble hétérogène de différents systèmes, méthodes et applications, chacun doté de sa propre trajectoire de développement [12].

Toutefois, cette ubiquité des technologies fondées sur l'IA résulte avant tout de l'étroite connexion qui s'est établie entre les objectifs économiques portés par les grands groupes du numérique et la détermination des États à utiliser l'IA à des fins de contrôle des populations. En somme, l'IA conforterait ce que certains auteurs appellent « le technonationalisme, cette manière de lier les capacités technologiques d'un pays à sa sécurité nationale et ses intérêts géopolitiques ».

L'indispensable régénération du système militaro-industriel des États-Unis

L'intégration de l'IA dans les doctrines et les équipements militaires marque une étape supplémentaire dans la longue histoire de l'utilisation des technologies à des fins de destruction. L'émergence de systèmes d'armes autonomes est ainsi souvent décrite comme une troisième révolution militaire, après l'invention de la poudre et les armes nucléaires [13].

Il est donc inévitable que les formidables potentialités militaires de l'IA conduisent à des transformations radicales du complexe militaro-industriel des Etats-Unis [14]. Du point de vue industriel, celui-ci est structuré depuis la seconde guerre mondiale autour de quelques grands groupes qui, au terme de trois décennies de fusions-acquisitions, sont principalement bénéficiaires des contrats du Pentagone. En 2024, Lockheed Martin a reçu 47 milliards de dollars de commandes du Pentagone et avec 15% du total figure très largement en tête. Les 10 premiers groupes ont reçu plus de 40% des commandes militaires.

Les grands groupes de la défense produisent des systèmes d'armes complexes. Les liens solides établis avec le Pentagone et les relations collusives avec les parlementaires, soucieux d'accueillir des implantations industrielles créatrices d'emplois, leur garantissent une accumulation de rentes confortables mais freinent sérieusement leur dynamisme innovant. Contrairement à une histoire en partie mythique des transferts de technologies du militaire vers le civil (appelées « retombées » ou spinoffs), la plupart des innovations technologiques réalisées après la seconde guerre mondiale aux Etats-Unis (le transistor en 1948, le circuit intégré en 1954 et le microprocesseur en 1971) ont été mises au point par des entreprises, certes financées par l'argent public (celui du Pentagone), mais qui étaient extérieures au « Complexe ». C'est donc au vaste écosystème d'entreprises innovatrices présentes sur les marchés commerciaux que le Pentagone s'est généralement adressé lorsqu'il a voulu financer des innovations ‘radicales' (ou de ruptures). C'est une des singularités du système national d'innovation états-unien, non reproductible ailleurs. Elle permet de comprendre pourquoi, en France, un pays qui est dominé par une classe de « capitalo-fonctionnaires », la focalisation de la politique technologique sur les militaires bénéficie aux grands groupes sans que la diffusion des crédits de R&D militaire s'étende aux autres entreprises, à l'exception de celles présentes dans le secteur aéronautique et spatial.

Les grands groupes de la défense états-uniens ont été très lents à comprendre les enjeux de l'IA pour la défense à la fois pour des raisons d'inertie bureaucratique et en raison de la crainte de perdre une partie de leurs marchés au profit des entreprises civiles du numérique. Une partie de l'état-major a été également longtemps réticente à intégrer l'IA dans les systèmes d'armes, craignant d'en perdre le contrôle, au point que certains aviateurs ont été taxés de luddistes [15]. Le caractère incontrôlé des effets de l'IA, en particulier dans son couplage avec les armes nucléaires, explique également la prudence des militaires. Il est vrai qu'il y a une bonne dose de futurisme dans les promesses faites par les entreprises du numérique.

Au cours des dernières années, les géants du numérique ont fait valoir leurs intérêts afin de figurer parmi les grands fournisseurs du Pentagone. Un réseau politique solide et des innovations qui intéressaient le Pentagone ont dynamisé de nombreuses start-up de la Silicon Valley. En 2022, Anduril, une start-up créée par le libertarien Peter Thiel, un des soutiens les plus anciens de D. Trump, a publié un document qui dénonçait la faible capacité d'innovation technologique du « Complexe », notant par exemple que jusqu'en 2019, les données concernant l'arsenal nucléaire du pays étaient stockées sur des disques externes. Le document notait également que l'industrie d'armement consacrait entre 1% et 4% de son chiffre d'affaires au financement sur fonds propres de sa recherche-développement, contre 10 à 20% pour les grands groupes du numérique et 40% pour les start-up technologiques [16]. Le message essentiel qui concluait le rapport était qu'« il n'y a pas de recette magique pour diminuer les coûts, mais une bonne dose de capitalisme de marché (a healthy dose of free capitalism) nous aiderait sacrément à atteindre cet objectif » [17]. En 2024, le PDG de Palentir, une autre start-up proche d'Anduril, a publié un rapport plus sévère encore sur le comportement et les pratiques du Département de la défense et des grands groupes contractants. Sa tonalité est résumée dans cette phrase : « Tout le monde, y compris les Russes et les Chinois, ont abandonné le communisme, excepté Cuba et le Département de la défense. Le seul problème, c'est que nous sommes de piètres cocos (sic) » [18].

Les autres entreprises du numérique ont progressivement abandonné leurs réticences pour entrer dans le cercle fermé des fournisseurs du Pentagone. Sam Altman, le co-fondateur d'OpenAI avait tweeté le lendemain de l'élection de Trump en 2016 : « C'est la pire chose qui puisse se passer dans ma vie ». Huit années plus tard, il figure parmi les donateurs importants du candidat républicain. Son entreprise, de même que Google ont officiellement révoqué les clauses éthiques qui limitaient leur implication dans les programmes de recherche militaire. Ils sont tous fascinés par la façon dont Elon Musk a remporté des contrats pour le déploiement de systèmes satellitaires du Pentagone, montrant que même Lockheed Martin (15% des commandes totales du Département de la défense en 2024) peut être battu.

Les trois objectifs du DOGE

À la date de rédaction de cet article, Musk était encore en charge du DOGE, le département de l'efficacité gouvernementale (Department of government efficiency, DOGE) créé à sa demande par Donald Trump. Dans un pays traditionnellement méfiant vis-à-vis du « Big government » et où règne une coûteuse gabegie des programmes d'armement périodiquement recensée par la Cour des Comptes (United States Government Accountability Office) [19], l'initiative du DOGE ne peut que susciter un intérêt, voire une attente. Il a toutefois fallu peu de temps pour comprendre les enjeux. Musk lui a en effet fixé trois objectifs. D'abord, il a décidé de privatiser le plus possible les opérations de mise en orbite des satellites afin d'améliorer la position de ses sociétés sur le marché de l'espace évalué à 2000 milliards de dollars pour les dix prochaines années. Le montant des contrats passés par ses deux filiales Space X (production et mise en orbite de satellites) et de Starlink (réseau de plus de 7000 satellites en orbite basse et moyenne) [20] n'est pas officiellement connu, mais il est estimé à 15 milliards de dollars. Ensuite, il compte procéder à des privatisations massives et des suppressions d'emplois dans les agences fédérales. Son projet de privatisation – assortie de licenciements – de l'agence scientifique dédiée aux questions atmosphérique et océanique (la National Oceanic and Atmospheric Administration, Noaa) permettrait, selon des employés de la NOAA, de prendre le contrôle d'infrastructures de communications dédiées aux téléphones mobiles, aux informations météo sur internet, etc. [21].

Enfin, le DOGE s'attaque au DoD, ce dernier « bastion du communisme » selon le PDG de Palentir. Derrière ce slogan, comme l'a expliqué le secrétaire d'État à la défense, l'objectif « est de tailler dans le gras dans les bureaux mais de muscler l'armée, ceux qui font la guerre » [22]. Le sous-secrétaire d'État du DoD et responsable de l'emploi fixe l'objectif d'une réduction des personnels civils de 5% à 8% des 700 000 employés civils qui travaillent au Pentagone [23]. D'autres ministères (éducation, santé) ainsi que le service des impôts sont également concernés. Le secrétaire d'État au Trésor a fourni une explication inspirée par les manuels d'économie orthodoxe consacrés au marché du travail et à sa loi de l'offre et de la demande : les salariés fédéraux licenciés « nous fourniront la main-d'œuvre dont nous avons besoin pour mener à bien la réindustrialisation » [24].

Plus généralement, l'objectif de Musk est de restructurer les agences du secrétariat à la Défense de façon à laisser plus de place aux entreprises du numérique, dont la sienne. Les grands groupes du numérique ont d'ailleurs décidé d'unir leurs forces au sein d'un Consortium dont l'objectif explicite est de « constituer une nouvelle génération de maître d'œuvre dans la défense » et ainsi ébranler la position des grands groupes qui occupent la place depuis des décennies. On comprend l'inquiétude des groupes déjà en place qui devront désormais partager la rente financière issue des contrats avec le ministère de la Défense. Toutefois, sur un marché à 1000 milliards de dollars et en expansion de 12% en 2025, cela devrait leur permettre de continuer à satisfaire leurs actionnaires, comme ils le font depuis des décennies (encadré).


Les marchés financiers sont séduits

Comment les penseurs dominants de la « mondialisation heureuse » ont-ils pu infuser depuis trois décennies dans les esprits que les « marchés n'aiment pas la guerre » ? [26] En vérité, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les valeurs boursières des groupes de la défense des États-Unis ont surperformé par rapport aux indices boursiers de Wall Street, par exemple le S&P500. Ces surper-performances se sont même renforcées depuis les années 1990, lorsque le changement de gouvernance des entreprises a donné la priorité à la « création de valeur pour l'actionnaire », un slogan qui témoignait de la domination du capital financier. Les grands groupes de la défense ont également adopté cette règle, et les investisseurs financiers (les « marchés ») ont donc transformé les dépenses militaires et les conflits mondiaux en opportunités pour valoriser leur capital. Après l'éclatement de la bulle spéculative sur Internet (en 2000), les marchés boursiers ont alors adopté une convention « guerre sans limites » [26], une convention étant comme Keynes l'a montré, une opinion commune établie à un moment donné par les investisseurs et qui détermine donc l'humeur du marché boursier.

Les marchés financiers ont vu juste. La convention « guerres sans limites » s'est traduite par une évolution des valeurs boursières de l'armement qui est passée de l'indice 100 en 2004 à 1050 en 2024, soit une valeur multipliée par 10. De quoi faire pâlir l'indice S&P (qui recense les 500 plus grandes entreprises cotées à Wall Street) qui est passé au cours de la même période de 100 en 2003 à seulement 600 en 2024…

Au fait ! Keynes et les keynésiens ont également expliqué que les conventions établies par les investisseurs financiers sont autoréalisatrices. Ce qui signifie, dans le cas présent, que ceux-ci n'ont pas seulement anticipé les guerres sans limites, mais qu'ils ont également fourni les munitions financières pour permettre aux groupes de l'armement de les préparer.


Le devenir du régime bonapartiste de Trump

Le 2025 Project dont le sous-titre est Mandate for Leadership : the Conservative Promise [27] est un document de plus de 900 pages. Il a été élaboré en 2023 par des dizaines de think tanks conservateurs afin de servir de boussole politique pour la campagne présidentielle de D. Trump. Le chapitre rédigé par Christopher Miller, ancien secrétaire d'État à la Défense de la première administration Trump, fixe deux objectifs principaux au Département de la Défense. D'une part, il doit faire face à la Chine qui constitue de loin le principal danger pour « la sécurité, les libertés et la prospérité des Etats-Unis » (p.92) et qui, précise un autre chapitre, « ne peut être arrêtée que par une pression extérieure ». Car derrière les enjeux liés à l'IA, la captation des ressources minérales et énergétiques gigantesques nécessaires pour faire marcher les banques de données des GAFAM est au centre des ambitions des États-Unis. La frénésie de conquête de territoires richement dotés en ressources confirme, pour ceux qui en avaient douté pendant les décennies 1990 et 2000, l'actualité des rivalités inter-impérialistes. Pour Trump, le Groënland, le Canada, l'Ukraine et d'autres pays encore sont à conquérir.

D'autre part, Christopher Miller affirme qu'il faut « éliminer l'endoctrinement marxiste et les programmes incluant les théories critiques sur la race qui ne sont pas consensuelles et de plus supprimer les centres récemment créés consacrés à la diversité, l'équité et l'inclusion » (p. 103 et 104).

Ces deux objectifs fixent les missions qui sont assignées au complexe militaro-industriel (CMI). En effet, les transformations du CMI analysées dans cet article s'inscrivent dans cette double perspective : préparer la guerre contre la Chine et celle contre les ennemis de l'intérieur qu'ils soient immigrants, militants pour la diversité ou bien encore salariés de l'État fédéral dépouillés de leur droit de faire grève par un décret présidentiel du 27 mars 2025 parce que, déclare la Maison-Blanche, « ces syndicats de l'État fédéral ont déclaré la guerre au programme du Président Trump » [28]. Un autre décret présidentiel en date du 11 avril 2025 porte le titre suivant : « Missions militaires pour fermer la frontière Sud des États-Unis et repousser les invasions ».

Le programme politique de Trump 2 nécessite le soutien d'une base sociale qui soit à la fois électorale mais aussi agissante. Son ferment idéologique est fourni par les dirigeants de la Big Tech, par exemple le racisme de Musk et les visions millénaristes de P. Thiel, actionnaire d'Anduril et de Palentir. On ne confondra toutefois pas les milliardaires de la Silicon Valley avec les dizaines de milliers de leurs salariés qui ont manifesté au côté de dizaines de millions de citoyens le 5 avril 2025 pour protester contre les mesures prises par Trump depuis son élection [29].

L'alliance des dirigeants des groupes du numérique et de l'idéologie à pulsions dictatoriales est soutenue par les groupes de chrétiens évangélistes [30]. Ensemble, ils forment le cœur des élites qui occupent l'appareil de l'État fédéral depuis l'élection de Trump. Ces courants sont qualifiés par certains de « techno-fascistes », une expression forgée par l'historienne Janis Mimura pour désigner ces technocrates japonais qui rejetaient à la fois « le communisme et le capitalisme libéral » et formèrent la base de l'appareil d'Etat au cours de la guerre [31]. D'autres parlent d'un « fascisme de la fin du monde » [32].

Comment qualifier le régime politique qui prend forme aux États-Unis ? Pour répondre à cette question, il faut d'abord observer les dynamiques d'évolution plutôt que d'adopter des formules figées. En effet, les transformations de l'État fédéral entre la première administration de Trump (2016-2020) et Trump 2 (2024-2028) sont considérables. L'idéologie était déjà réactionnaire, et Bannon en était déjà un des architectes. Il était foncièrement opposé aux dirigeants des grands groupes du numérique, qu'il qualifiait de seigneurs de « l'État apartheid de la Silicon Valley et de technoféodalistes » [33]. Depuis son élection en novembre 2024, ces seigneurs du prétendu « État apartheid » ont pris possession de l'appareil d'État, et plus précisément, du Pentagone, qui en constitue le cœur. L'idéologie n'a pas changé, elle demeure nativiste, raciste et suprémaciste. Ce qui a changé, en relation évidente avec le recul économique et géopolitique des États-Unis, c'est la nécessité pour y faire face, d'investir totalement l'appareil d'État fédéral et de vaincre les résistances à l'État fort qui s'y trouvent encore. En effet, ni Trump, ni Musk n'ont oublié l'opposition exprimée par une partie de l'Etat-major à l'utilisation de l'armée dans les rues de Washington lors des manifestations organisées après l'assassinat de George Floyd par la police en juin 2020.

L'ascension politique de Trump évoque une aventure bonapartiste, au sens forgé par la sociologie politique d'un homme fort qui centralise les pouvoirs politiques à son profit dans une démarche autoritaire, développe une approche plébiscitaire (aujourd'hui grâce aux réseaux sociaux) et mobilise l'armée dans des guerres à l'étranger et dans le pays contre les oppositions populaires. Marx, qui fut le premier à rendre compte dans sa profondeur du processus bonapartiste (celui de Napoléon III) [34], ne le définissait pas seulement comme un régime autoritaire, mais en relation avec les rapports de force entre les classes et en leur sein.

L'évolution d'un régime bonapartiste n'est donc pas fixée au départ. Celle du régime Trumpiste dépend de plusieurs facteurs dont la force de la résistance populaire et l'existence d'alternatives politiques, ainsi que de l'ampleur des tensions au sein de l'ordre économique et géopolitique mondial, deux paramètres qui testeront à leur tour la cohésion des classes dominantes des États-Unis. (Article publié par Les Possibles, printemps 2025)

Claude Serfati est économiste, chercheur associé à l'IRES ; il a récemment publié Un monde en guerres, Textuel, avril 2024.

Notes

1. Selon les experts en gestion d'entreprises, cette méthode de direction consiste à expliquer aux salariés “ce qu'on exige d'eux et les contreparties qu'ils recevront s'ils respectent ces exigences ». C'est clair, Bernard M. Bass, “From Transactional to Transformational Leadership : Learning to Share the Vision”, Organizational Dynamics 18, no. 3, 1990, p.19-20.
2. Robin Khorda, Le Parisien, 16 janvier 2025
3. Leo Shane III, “Trump promises $1 trillion in defense spending for next year”, Defense News, 8 avril 2025. https://www.defensenews.com/author/leo-shane-iii/
4. Ann Applebaum, “Trump Is Speaking Like Hitler, Stalin, and Mussolini”, The Atlantic, 18 octobre 2024.
5. Morningstar Investor, « Jamie Dimon worries “World War III has already begun », 24 octobre 2024. https://www.morningstar.com/news/marketwatch/20241024374/jamie-dimon-worries-world-war-iii-has-already-begun
6. Ann Applebaum, op.cité.
7. Claude Serfati, « L'ère des impérialismes continue : la preuve par Poutine », 22 avril 2022. https://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/lere-des-imperialismes-continue-la-preuve-par-poutine.html
8. The White House, “National Security Strategy of the United States of America” December 2017. https://trumpwhitehouse.archives.gov/wp-content/uploads/2017/12/NSS-Final-12-18-2017-0905.pdf
9. European Commission, EU-China – A Strategic Outlook, Joint Communication to the European Parliament, the European Council and the Council, 12 March 2019.
10. Dylan Matthews, “How AI could explode the economy And how it could fizzle”, 26 mars 2024. https://www.vox.com/future-perfect/24108787/ai-economic-growth-explosive-automation
11. Maria Maggiore, Leïla Miñano et Harald Schumann, « Intelligence artificielle : la France ouvre la voie à la surveillance de masse en Europe », 22 janvier 2025. https://www.investigate-europe.eu/fr/posts/france-spearheads-member-state-campaign-dilute-european-artificial-intelligence-regulation
12. Rand Europe, “Strategic competition in the age of AI”, 6 septembre 2024.
13. Voir un monde en guerre, le chapitre 4 consacré aux dimensions militaro-sécuritaires de l'IA et pour une presentation plus courte, Claude Serfati, « L'alliance périlleuse de l'IA et du militaire », Vie de la recherche scientifique, n.437, juin 2024. https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article71584
14. Pour une mise en perspective historique, voir Claude Serfati, « Mes chers compatriotes, méfiez-vous du complexe militaro-industriel ! » dans Petitjean Olivier et Du Roy Ivan, Multinationales. Une histoire du monde contemporain, La Découverte, 2025.
15. Voir Claude Serfati, Un monde en guerres, chapitre 4.
16. Anduril, “Rebooting The Arsenal of Democracy”, 2022. https://www.rebootingthearsenal.com/
17. Id., p. 43.
18. Shyam Sankar / Palantir CTO, “The defense Reformation”, 31 October 2024, p. 8.
19. Dans sa plus récente édition, la Cour des Comptes trouve très peu d'améliorations dans la gestion des programmes (dépassement des coûts et des délais) malgré les réformes engagées, GAO, « Weapon Systems Annual Assessment », juin 2024. https://www.gao.gov/assets/gao-24-106831.pdf
20. Sur les effets de cette constellation de satellites sur l'environnement terrestre et dans l'espace , voir Justin Carrette « Avec Starlink, Elon Musk innove dans la pollution », Reporterre, 2 mars 2021. https://reporterre.net/spip.php?page=memeauteur&auteur=Justin+Carrette+
21. Tom Perekins, “Doge cuts allow Musk to cash in with SpaceX and Starlink contracts, ex-workers warn” (de ex-salairés s'inquiètent que les reductions de budget décidées par DOGE permettront à Musk d'engranger des contrats pour Spacex et Starlink), The Guardian 25 mars 2025.
22. NPR, 20 février 2025. https://www.npr.org/2025/02/20/nx-s1-5303947/hegseth-trump-defense-spending-cuts
23. Meg Kinnard, “A comprehensive look at DOGE's firings and layoffs so far”, 22 février 2025. https://apnews.com/author/meg-kinnard
24. Hugh Cameron “Fired Federal Workers Could Work Factory Jobs Created by Tariffs : Bessent”, Newsweek, 8 avril 2025.
25. Voir Claude Serfati, « Finance et Défense : de nouvelles interrelations », Innovations, 2008,28.
26. Luc Mampaey et Claude Serfati, « Les groupes de l'armement et les marchés financiers : vers une convention « guerre sans limites ? » dans (Chesnais François, s/d), La finance mondialisée. Racines sociales et politiques, configurations et conséquences, La Découverte, Paris, 2004.
27. Communiqué de la Maison blanche, 27 mars 2025. https://www.whitehouse.gov/fact-sheets/2025/03/fact-sheet-president-donald-j-trump-exempts-agencies-with-national-security-missions-from-federal-collective-bargaining-requirements/
28. https://www.aclu.org/news/national-security/trumps-expanded-domestic-military-use-should-worry-us-all
29. Le mouvement s'intitulait 50501 pour “50 protestations, 50 États, 1 mouvement”.
30. Parmi ceux qui sont influents dans l'Administration Trump, on trouve le secrétaire d'État à la défense et l'ambassadeur en Israël
31. Janis Mimura, Planning for Empire : Reform Bureaucrats and the Japanese Wartime State Ithaca, NY : Cornell University Press, 2011
32. Naomi Klein et Astra Taylor, “”The rise of end times fascism, The Guardian, 13 avril 2025.
33. « Steve Bannon says MAGA populism will win — as Trump is surrounded by billionaires » https://www.wunc.org/2025-01-19/steve-bannon-says-maga-populism-will-win-as-trump-is-surrounded-by-billionaires
34. Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, 1851, https://www.marxists.org/francais/marx/works/1851/12/brum.pdf

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Les manoeuvres financières du Président Trump et sa famille : du jamais vu dans l’histoire américaine

27 mai, par Amy Goodman, Éric Lipton — , ,
Amy Goodman : (…) Le New York Times a titré récemment un article : « Trump part pour le Moyen Orient avec un seul but : deals, deals, deals ». Notre prochain invité, Eric (…)

Amy Goodman : (…) Le New York Times a titré récemment un article : « Trump part pour le Moyen Orient avec un seul but : deals, deals, deals ». Notre prochain invité, Eric Lipton, y à contribué parce qu'il suit de près les ententes et contrats que réalise l'administration Trump. Il est récipiendaire d'un prix Pulitzer, journaliste d'investigation au New York Times ces derniers articles s'intitulent : « Auction to Dine With Trump Creates Foreing Influence Opportunity » et « TRump Sons' Deals on Three Continents Directly Benefit the President ».

Tiré de Democracy Now, 13 mai 2025
Unprecedented” in U.S. History : Trump & Family Rake In Money from Gulf States, Crypto & Real Estate
Democracy now !
https://www.democracynow.org/2025/5/13/qatar_air_force_one
Traduction, Alexandra Cyr

Soyez le bienvenu sur Democracy Now, Eric Lipton. Pourquoi ne pas commencer ici. Nous nous arrêtons sur ce premier voyage international important du Président Trump avec un premier arrêt a Riad. Nous voyons le défilé de PDGs américains et autres qui serrent la main de Mohammed ben Salman et bien sûr l'allié bien en vue du Président, l'homme le plus riche au monde, Elon Musk. Pourriez-vous nous dire qui est derrière ce voyage comme son beau-fils Jared Kushner qui donne ses avis et ceux que nous ne voyons pas encore, ses fils Eric et Donald jr. Qu'ont-ils à gagner ?

Eric Lipton : Actuellement c'est au Moyen Orient que l'Organisation Trump a ses liens les plus importants pour ses opérations d'affaire. C'est clairement là qu'elle réalise ses plus importants profits et de beaucoup. Il y a les revenus du gaz et du pétrole qui depuis des décennies ont été placés dans des fonds souverains. Il se trouve que, actuellement, les administrateurs.trices de ces fonds cherchent à investir globalement, à devenir des acteurs économiques importants dans le monde. C'est pour cela que tant de ces représentants.es d'entreprises capitalistes et aussi d'intelligence artificielle et de technologie se dirigent vers le Moyen Orient. Et c'est aussi cela qui fait que les Trump et Jared Kushner sont si liés à cette région, ils ont des centaines de milliards de dollars à placer. Et de même pour les représentants.es d'entreprises américaines qui accompagnent le Président Trump dans ce voyage.

Au cours des dernières semaines, le gouvernement d'Abu Dhabi a annoncé qu'il investirait une valeur de 2 milliards de dollars dans World Liberty Financial, la compagnie de crypto monnaie des Trump qui va s'en servir pour financer la plus importante entreprise d'échange de cette monnaie dans le monde. Mais, pendant que cette somme est déposée dans World Liberty Financial, la famille Trump et ses partenaires vont toucher deux milliards de dollars en intérêts. Nous parlons donc de millions de dollars par année.

Pas très loin de là, au Qatar, le gouvernement est propriétaire d'un terrain où la famille Trump va créer un terrain de golf et construire des villas. C'est la compagnie DarGlobal, qui coordonne la plupart de ces projets au Moyen Orient. C'est une filiale de Dr Al Arkan, une compagnie immobilière basée en Arabie Saoudite étroitement alignée avec le gouvernement du royaume. DarGlobal a six projet différents qui comporteront le nom de Trump comme Rober Weissman l'a indiqué. La famille Trump fait des millions de dollars en vendant son nom et elle encaisse aussi souvent des frais de licences et de gestion. Les Trump ont donc des projets en Arabie Saoudite, à Oman et aux Émirats arabes unis avec DarGlobal. C'est là que se trouve le plus productif des opérations immobilières de la famille Trump à travers DarGlobal et ces projets marquage.

J'ai examiné de près la liste des personnes présentes aux rencontres saoudiennes et je n'ai vu personne de DarGlobal. Même s'ils devaient être là … et je n'ai pas vu non plus de noms de leurs partenaires sur cette liste assurant qu'ils étaient présents. Mais de simplement être dans cet espace est positif. Pour Jared Kushner, que le Président soit là c'est productif. Il a reçu plus de deux milliards de dollars de Public Invesment d'Arabie saoudite pour son propre fonds d'investissement. Et ce Public Investment Fund est le plus grand investisseur dans le LIV Golf où se sont tenus quatre tournois de suite sur le golfe Doral de la famille Trump en Floride.

Donc, l'argent du Moyen Orient avec la crypto monnaie, les golfs et les hôtels et l'action de Jared Kushner, inonde les opérations de la famille Trump. Il n'est donc pas surprenant que ce voyage soit si important. Le Président visite les Émirats arabes unis, le Qatar et l'Arabie saoudite les trois partenaires d'affaire de sa famille.

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États-Unis : Trump au pied des monarchies du Golfe

27 mai, par Dan La Botz — , ,
Le président Donald Trump s'est rendu dans la semaine du 12 mai dans trois monarchies du golfe Persique, où il a été adulé, a fait l'éloge des régimes féodaux, a conclu des (…)

Le président Donald Trump s'est rendu dans la semaine du 12 mai dans trois monarchies du golfe Persique, où il a été adulé, a fait l'éloge des régimes féodaux, a conclu des accords et a accepté des pots-de-vin, tout en opérant un changement important dans la politique américaine au Moyen-Orient. Au milieu de magnifiques palais et mosquées, entourés de chevaux arabes et sous l'effet des danses à l'épée, M. Trump et les monarques se sont mutuellement fait des éloges.

Tiré de Inprecor
21 mai 2025

Par Dan La Botz

La responsabilité du prince héritier d'Arabie saoudite Mohammed ben Salmane (MBS) dans le meurtre horrible du journaliste Jamal Khashoggi, lors d'une visite au consulat saoudien à Istanbul, comme l'avait précédemment signalé la CIA, n'a jamais été mentionnée. Les gouvernements autoritaires et les violations des droits humains de l'Arabie saoudite, du Qatar ou des Émirats arabes unis n'ont pas non plus été mentionnés. Au contraire, Trump a fait l'éloge de MBS pour avoir fait entrer l'Arabie saoudite dans l'ère moderne. Il a rejeté les critiques précédentes du gouvernement américain à l'encontre des monarchies en déclarant : « C'est à Dieu de juger, mon travail consiste à défendre l'Amérique et à promouvoir les intérêts fondamentaux de la civilité, de la prospérité et de la paix ».

Le voyage de Trump était axé sur les accords conclus avec les entreprises américaines. Il a affirmé avoir conclu des contrats d'une valeur de 2 000 milliards de dollars, notamment pour la vente d'avions Boeing et de moteurs General Electrics. Il a signé un accord visant à faire des Émirats arabes unis la plus grande installation d'IA en dehors des États-Unis. Il a également affirmé que les monarchies du Golfe allaient investir des milliers de milliards de dollars en Amérique. Une alliance entre puissances pétrolières semble scellée. L'émir du Qatar a adopté le slogan de Trump, « Drill baby, drill ». Les monarchies accueillent depuis des décennies des bases militaires américaines, et des milliers de soldats américains font des États-Unis la puissance militaire dominante de la région.

Affaires de la famille Trump

La corruption de Trump et sa propension à accepter des pots-de-vin ont été mises en évidence. Le Qatar a offert à Trump un avion de luxe Boeing 747-8 d'une valeur de 400 millions de dollars, destiné à remplacer l'actuel Air Force One. Ou peut-être s'agissait-il d'un cadeau au département de la défense des États-Unis ? Quoi qu'il en soit, Trump a déclaré qu'il accepterait l'avion et qu'il le placerait dans sa bibliothèque présidentielle à la fin de son mandat. Ses détracteurs estiment qu'il s'agit d'un pot-de-vin qui viole la clause d'émoluments de la Constitution, laquelle interdit au président d'accepter des cadeaux de la part de gouvernements étrangers. Les Émirats arabes unis ont conclu un accord sur les cryptomonnaies d'une valeur de 2 milliards de dollars avec World Liberty Financial, qui appartient… aux fils de Trump, Donald Jr. et Eric.

Bien que le sujet ait été évité, la visite de Trump a également renforcé les nombreux autres investissements de sa famille dans la région : une tour résidentielle à Riyad, une Trump Tower de 47 étages à Jeddah. Trump International Hotel and Tower à Dubaï, Trump International Golf Course à Doha et Trump International Hotel & Golf Club à Oman.

Politique étrangère

Le voyage ne s'est toutefois pas résumé à des pots-de-vin et à des transactions commerciales. Le président des États-Unis a profité de l'occasion pour opérer un sérieux changement dans la politique étrangère du pays. Tout d'abord, il convient de noter qu'il ne s'est pas rendu en Israël et n'a pas rencontré le Premier ministre Benjamin Netanyahou, pas plus qu'il n'a adapté ses décisions pour lui plaire. Trump a annoncé qu'il levait les sanctions contre la Syrie et a rencontré le président intérimaire de la Syrie, Ahmed al-Charaa, qui était autrefois affilié à Al-Qaïda et dont la tête était mise à prix pour 10 millions de dollars jusqu'en décembre dernier. Netanyahou, cependant, craint que la Syrie ne devienne un agresseur et l'a attaquée plus de 600 fois depuis qu'Assad a été évincé en décembre 2024.

Trump a également annoncé que les États-Unis et l'Iran s'étaient « en quelque sorte » mis d'accord sur un accord nucléaire, ce qui pourrait conduire à une normalisation des relations. Ici aussi, Netanyahou ne sera pas satisfait de cette évolution, car il souhaite que les États-Unis se joignent à Israël pour bombarder l'Iran.

Et tandis qu'Israël poursuivait ses bombardements sur Gaza et avançait dans ses projets de nouvelle invasion et d'occupation, Trump a mentionné en passant à ses hôtes et aux médias la famine qui sévit à Gaza et qu'Israël nie.

Trump est versatile, il est donc difficile de savoir ce qui se passera en fin de compte. Pour l'instant, il semble que le président américain place sa confiance dans les monarchies du Golfe, et non en Israël.

Dan La Botz, traduit par la rédaction de l'Anticapitaliste et publié le 22 mai 2025

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Haïti, notre dette : Une étincelle du feu qui nous embrase

Dans sa belle introduction, Haïti, notre dette, Frédéric Thomas parle du passé « On vous a arrachés à vos terres et à vos familles. Enlevés de la Côte d'Or, du Dahomey, du pays (…)

Dans sa belle introduction, Haïti, notre dette, Frédéric Thomas parle du passé « On vous a arrachés à vos terres et à vos familles. Enlevés de la Côte d'Or, du Dahomey, du pays des Aradas. Parqués à fond de cale, vous n'aviez rien, vous n'étiez rien. On vous a jetés, couverts de chaînes, à des milliers de kilomètres de là sur un territoire qui vous était étranger » et jette un pont vers le présent et le futur : « Le temps est passé, mais votre promesse demeure. Je vous dois une part de mon confort, de mes droits et de mes armes. Et moi, contrairement à la France, je paie mes dettes ».

Avril 2025 | tiré du site d'Inprecor

Un petit livre, mais contrairement à d'autres Frédéric Thomas ne caricature pas, n'oublie pas, n'efface ni les un·es et ni les autres, ne gomme pas des contradictions. Un coup pour coup magnifiquement écrit…

Des personnes esclavisées et d'ancien·nes esclaves, des afro-caraïbien·nes se sont libéré·es, seul·es. Un événement inouï, « L'onde de choc se poursuit jusqu'à nous et continue de faire vaciller les pouvoirs », impardonnable pour les maitres du monde. « L'exemple toxique de ce premier État noir, issu d'une révolte d'esclaves, a de quoi hanter le présent, entretenir les rêves, les révoltes et les peurs ».

L'auteur parle des politiques de la France, des réécritures de l'histoire, de l'inégalité entre États, du regard colonial d'un temps bloqué, de l'Ordonnance de Charles X (17 avril 1825), « une victoire acquise par la lutte se mue en une indépendance concédée par le pouvoir vaincu ». Il revient sur la révolution, les plantations de cannes à sucre, les administrateurs et les propriétaires, les petits blancs, les noirs libres, les esclaves des plantations, « et toutes les relations sociales sont saturées, structurées et surdéterminées par la violence esclavagiste », Les Jacobins noirs de C.R.L. James, le racisme et la peur panique des colons, François-Dominique Toussaint Louverture.

« La révolution s'inscrit dans la voie ouverte par les révolutions américaine et française ». Le décret de la liberté générale, l'abolition de l'esclavage, le rôle de Léger-Félicité Sonthonax, « l'écho de l'insurrection est désormais mondial ». Il ne faut pas se tromper, « l'initiative réelle revient aux esclaves qui se sont soulevés et exercent une pression prodigieuse sur toutes les forces en présence ». Ce geste libérateur ne peut être accepté, il sera nié, transformé en concession du pouvoir (une habitude des dominants, hier comme aujourd'hui !). Et pourtant, l'auteur a raison de le souligner, « la révolution haïtienne dessine d'autres “nous”, qui se rient de ces autorités »…

Dans le chapitre suivant, Frédéric Thomas analyse le pacte néocolonial, « L'enjeu est pourtant de penser ensemble la domination internationale et celle de la classe dominante haïtienne », la situation néocoloniale de dépendance, l'architecture de la société coloniale et le nouveau pouvoir qui émerge de la révolution haïtienne, le modèle d'agriculture intensive, « La plantation est une plateforme d'import-export dont le centre de décision est délocalisé », le travail libre qui rappelle le temps de l'esclavage, « la résistance têtue des anciens esclaves, refusant de retourner dans les plantations », le maintien du marqueur de l'esclavage et du colonialisme, et aussi « un projet d'agriculture et de société alternative », les clivages internes à la société haïtienne, l'oligarchie, le mythe fondateur et l'échec économique. L'auteur conclut ce chapitre sur les comptes à rendre de l'État français et sur la mise en place d'une politique de réparation...

Des soulèvements, le moment 1825, « Haïti est la nation la plus inégalitaire du continent le plus inégalitaire du monde », la répétition des chocs « sur fond de catastrophes naturelles, d'instabilité politique et de pauvreté », l'humanitaire et « les manières de passer à côté d'Haïti », celles et ceux qui parlent d'urgence mais pas d'histoire et qui oublient les droits et les résistances, les mobilisations de 2008, les colères contre la corruption et la vie chère, la confusion internationale entre « la pire des politiques [et] la politique du pire », les regards partagés par les ONG et les diplomates internationaux, les gravats du silence, « les peurs enfouies depuis cette fameuse nuit d'août 1791 », le pouvoir d'occulter le pouvoir, les responsabilités invisibilisées, l'humanitaire comme justification de « ce que l'on fait, ce qu'on ne fait pas et ce qu'on laisse faire », le refus d'une « transition de rupture », l'accord de Montana, le gouvernement d'Ariel Henry, les bandes armées et le refus « de mettre en place un réel embargo sur les armes en provenance des États-Unis », l'oligarchie et les élites, les fonctionnements mafieux. Contre la construction de réalités falsifiées et mensongères, contre l'occultation des pouvoirs et des responsabilités, il nous faut réhabiliter l'histoire et les paroles des populations haïtiennes pour rompre avec les stratégies du pacte néocolonial…

Frédéric Thomas termine par un chapitre « réparation ». Contre l'idée qu'il ne s'est rien passé, il faut regarder les Haïtiens et les Haïtiennes en face, reconnaître les faits, les responsabilités, fixer une politique de réparations, « La France a une dette envers Haïti qu'elle doit rembourser ».

Donnons à voir l'extraordinaire du soulèvement de 1791, démystifions les lectures monochromes de la modernité, analysons le « double mécanisme d'extraversion et de dépossession » et la superposition des scènes internationale et nationale, refusons le nationalisme étroit sans dimension anticoloniale et internationaliste, défaisons ce qui se fait en notre nom...

Nous avons besoin de tels livres pour que nos luttes quotidiennes se confondent avec l'embrasement du monde… « La révolution haïtienne est une promesse qui doit être tenue ».

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222 ans après : un drapeau à 400 millions pour couvrir l’échec d’un État

« Yon sèl Drapo, Yon sèl Pèp, Yon sèl Nasyon ». Le slogan est beau. Il évoque l'unité, la souveraineté, le patriotisme. Mais à l'heure où le Pouvoir exécutif prévoit de (…)

« Yon sèl Drapo, Yon sèl Pèp, Yon sèl Nasyon ». Le slogan est beau. Il évoque l'unité, la souveraineté, le patriotisme. Mais à l'heure où le Pouvoir exécutif prévoit de débourser environ 400 millions de gourdes pour les festivités du 18 mai 2025, ce message résonne comme une gifle donnée au visage d'un peuple affamé, traqué, trahi.

Par Smith PRINVIL

À Cap-Haïtien, ville-héroïne de notre histoire révolutionnaire, se prépare un événement de prestige : décorations, vols charters pour les officiels, sécurité renforcée, spectacles culturels — tout, sauf la sincérité. Le paradoxe saute aux yeux : pendant que les autorités fuient la Plaine du Cul-de-Sac devenue zone rouge, elles s'envolent pour célébrer le drapeau dans une ville à l'abri, comme pour maquiller l'effondrement de la République par un folklore national.

Mais quelle nation célèbre-t-on à 400 millions de gourdes quand des enfants meurent de faim à La Saline, quand les hôpitaux publics ferment faute de moyens, quand des enseignants attendent des mois de salaires impayés, quand des milliers de familles vivent dans des camps sous des tentes depuis des années ? Quel peuple honore-t-on quand on ignore les cris des déplacés internes, fuyant les gangs armés qui ont annexé des communes entières avec la complicité tacite de l'État ?
Les critiques fusent et elles sont légitimes. Car il ne s'agit pas ici d'un acte patriotique, mais d'une manœuvre de diversion, voire de détournement de fonds publics. Un gouvernement sans légitimité, incapable de garantir la sécurité ou de redresser l'économie, choisit de noyer le désespoir national dans des paillettes commémoratives. C'est une stratégie vieille comme le monde : quand on ne peut gouverner, on parade.

Ce 18 mai, les uniformes seront repassés, les discours seront écrits à la hâte, les caméras seront braquées sur les estrades. Mais ce qu'on ne verra pas, c'est la blessure profonde du peuple haïtien, trahi une fois de plus par ceux qui parlent en son nom. Car derrière chaque gourde dépensée, il y a un choix. Et ce gouvernement a choisi le spectacle plutôt que la justice, l'image plutôt que l'action, l'oubli plutôt que la mémoire.

Haïti ne se libérera pas à coups de fanfares, ni de slogans vides. Le drapeau n'est pas un décor, c'est un symbole de lutte, né dans le sang des esclaves insurgés, levé par Dessalines et Catherine Flon comme promesse de liberté et de dignité. Ce drapeau ne saurait être réduit à un alibi budgétaire pour un pouvoir discrédité.

Le véritable hommage au bicolore, c'est le respect de la vie humaine, la reddition de comptes, la justice sociale. C'est de permettre aux enfants d'apprendre sans peur, aux agriculteurs de cultiver sans être rançonnés, aux citoyens de marcher dans les rues sans tomber sous les balles.

Le peuple haïtien ne demande pas une fête, il demande un futur.

Et ce futur ne viendra pas des podiums officiels, mais du réveil de la conscience collective.

Smith PRINVIL

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L’Appel de Paris pour la protection du peuple palestinien

La protection du peuple palestinien est devenue une urgence absolue. À Gaza, après quelques semaines de suspension, les massacres de masse ont repris, accompagnés d'un siège (…)

La protection du peuple palestinien est devenue une urgence absolue. À Gaza, après quelques semaines de suspension, les massacres de masse ont repris, accompagnés d'un siège total et d'une famine généralisée ainsi que des déplacements forcés de populations ; au moins 53 000 Palestinien·es ont été tué·es suite aux opérations militaires israéliennes ; la bande de Gaza est dévastée et devenue inhabitable.

Tiré d'Orient XXI.

En Cisjordanie — y compris Jérusalem-Est — en dix-neuf mois, plus de 1 500 attaques de l'armée et des colons ont fait près de 962 morts et plus de 7030 blessé·es palestinien·es ; plus de 40 000 Palestinien·es y ont été déplacé·es de force.

Cependant, alors que le peuple palestinien vit la pire période de son histoire, la légitimité de son combat pour la justice et l'autodétermination face à la volonté d'effacement dont il fait l'objet, est réaffirmée par le droit international. Dans le prolongement de l'avis de la Cour internationale de justice (CIJ), l'Assemblée générale des Nations unies a exigé par son vote du 18 septembre 2024 la fin de l'occupation israélienne du territoire palestinien et le démantèlement des colonies avant le 18 septembre 2025.

Dès lors, la France et l'Europe doivent s'acquitter de leurs obligations. Elles doivent, comme le précise la résolution de l'ONU, « favoriser, conjointement avec d'autres États ou séparément, la réalisation des droits du peuple palestinien à l'autodétermination et s'abstenir d'entretenir des relations conventionnelles avec Israël dans toutes les situations où celui-ci prétend agir au nom des Palestiniens ou pour des questions les concernant ».

Il y a 80 ans se construisaient les bases d'une justice internationale avec la création de l'ONU, dont la Charte fondait les conditions de la paix. Les États membres adoptaient trois ans plus tard la Déclaration universelle des droits de l'Homme. Marquons cet anniversaire par notre refus solennel que la loi du plus fort l'emporte sur le droit international en Palestine.

L'Assemblée générale de l'ONU a décidé le 3 décembre 2024 de la tenue d'une conférence internationale. Elle se tiendra du 17 au 20 juin 2025 à New York. Elle aura pour mission « d'examiner l'application des résolutions de l'Organisation des Nations Unies relatives à la question de Palestine ».

En préalable de cette conférence internationale sous l'égide de l'ONU, nous lançons solennellement un appel pour la protection du peuple palestinien et la mise en œuvre du droit international.

Nous, signataires de cet appel, sommes convaincu·es que c'est l'application du droit international qui garantira la protection du peuple palestinien en lui permettant de vivre enfin en paix et en sécurité. Pour cette raison, nous demandons à la France de reconnaître l'État de Palestine dans le cadre du droit à l'autodétermination du peuple palestinien.

De la même façon, nous sommes convaincu·es que seuls la fin de l'occupation et l'arrêt de l'oppression du peuple palestinien permettront à Israël de connaître également la paix et la sécurité. En conséquence nous demandons à la France et aux États membres de l'Union européenne d'appliquer sans tarder les mesures énoncées par la résolution votée par l'Assemblée générale des Nations unies le 18 septembre 2024.

Liste des 55 premiers signataires

Xavier Dolan, cinéaste réalisateur

Ken Loach, cinéaste réalisateur

Adèle Haenel, actrice

Reda Kateb, acteur

Roger Waters, auteur-compositeur-interprète

Blanche Gardin, actrice

Swann Arlaud, acteur

Yvan Le Bolloc'h, acteur

Annie Ernaux, romancière

Corinne Masiero, actrice

Robert Guédiguian, cinéaste

Ernest Pignon-Ernest, plasticien

Elias Sanbar, ancien ambassadeur de la Palestine auprès de l'UNESCO

Edwy Plenel, journaliste

Fabien Gay, journaliste rédacteur en chef de l'Humanité, Sénateur de Seine Saint-Denis

Denis Sieffert, journaliste, directeur de Politis

Denis Robert, réalisateur

Alain Gresh, journaliste, fondateur et directeur d'Orient XXI

Catherine Tricot, directrice de la revue Regards

Thomas Vescovi, cofondateur de Yaani

Daniel Mermet, journaliste

Rony Brauman, ex-directeur de Médecins sans frontières

Raphaël Pitti, médecin urgentiste

Yanis Varoufakis, économiste grec

Marine Tondelier, secrétaire nationale des Ecologistes

Olivier Faure, député de Seine et Marne, 1er secrétaire du Parti socialiste

Olivier Besancenot, porte-parole du Nouveau parti anticapitaliste

Manuel Bompard, député des Bouches-du-Rhône, coordinateur de La France insoumise

Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste français

Aymeric Caron, député de Paris, président de Révolution écologique pour le vivant

Gisèle Jourda, sénatrice, présidente du groupe d'amitié France Palestine au Sénat

Richard Ramos, député du Loiret, président du groupe d'amitié France-Palestine à l'Assemblée nationale

Clémentine Autain, députée de Seine-Saint-Denis

Thomas Portes, député de Seine-Saint-Denis

Raymonde Poncet-Monge, sénatrice du Rhône

Elsa Faucillon, députée des Hauts-de-Seine

Johann Soufi, avocat et procureur, spécialisé en droit international

Monique Chemillier-Gendreau, professeure émérite de droit public

Ziad Majed, politologue, professeur universitaire et chercheur

François Dubuisson, professeur de droit international à l'Université libre de Bruxelles

Agnès Levallois, vice-présidente de l'iReMMO

Anne-Marie Eddé, professeure émérite à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Bertrand Badie, professeur émérite à l'IEP de Paris, chercheur au CERI

Didier Fassin, professeur au Collège de France

Sylvain Cypel, journaliste

Pascal Boniface, géopolitologue

Sophie Bessis, historienne et journaliste, secrétaire générale adjointe de la FIDH

Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT

Caroline Chevé, secrétaire générale de la FSU

Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT

Nathalie Tehio, présidente de la Ligue des Droits de l'Homme-LDH

Pierre Stambul, porte-parole de l'Union juive française pour la paix

Youlie Yamamoto, porte-parole d'ATTAC

Anne Tuaillon, présidente de l'Association France Palestine Solidarité-AFPS

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Pour les dirigeants de l’Inde et du Pakistan, la fièvre de la guerre est une aubaine

27 mai, par Farooq Sulehria, Sushovan Dhar — , , ,
Les gouvernements de l'Inde et du Pakistan se sont éloignés du bord du gouffre à propos du Cachemire parce qu'aucun des deux ne peut se permettre une guerre à grande échelle. (…)

Les gouvernements de l'Inde et du Pakistan se sont éloignés du bord du gouffre à propos du Cachemire parce qu'aucun des deux ne peut se permettre une guerre à grande échelle. Une rhétorique belliqueuse et un climat de nationalisme strident ont aidé les deux gouvernements à faire face à des problèmes sur le front intérieur.

Tiré du site du CADTM.

Le conflit armé entre l'Inde et le Pakistan représentait une menace considérable pour le sous-continent. Cela aurait été une guerre qu'aucun pays ne peut se permettre. Le 10 mai, le président américain Donald Trump aurait négocié un premier cessez-le-feu entre les deux parties.

Cette annonce a été suivie d'une réunion des directeurs généraux des opérations militaires (DGMO) le 12 mai, lors de laquelle les deux parties ont accepté de respecter leur engagement de ne pas s'engager dans des actions agressives ou hostiles. En outre, l'Inde et le Pakistan « envisageront des mesures immédiates pour assurer la réduction des troupes ».

L'accord de paix actuel semble fragile, notamment en raison des nouvelles prises de position du premier ministre indien Narendra Modi et de son homologue pakistanais Shehbaz Sharif. Néanmoins, toute désescalade des tensions doit être saluée dans l'intérêt de la stabilité et de la paix régionales. Il semble improbable que l'une ou l'autre des parties puisse remporter une victoire décisive, qui entraînerait probablement la région dans une période de crise et d'incertitude prolongée.

Battre le tambour

Tout a commencé le 7 mai, lorsque l'armée de l'air indienne a mené une série de frappes aériennes visant des sites au Pakistan et au Cachemire administré par le Pakistan. Cette offensive avait pour nom de code « Opération Sindoor ». L'agression militaire a été déclenchée par une attaque meurtrière contre des touristes à Pahalgam, au Cachemire, le 22 avril, qui a entraîné la mort de vingt-six civils.

Les autorités indiennes ont affirmé que les opérations visaient neuf sites identifiés comme des « infrastructures terroristes ». En réponse, l'armée pakistanaise a affirmé que les frappes n'avaient visé que six sites, entraînant la mort de trente et un civils. Du côté indien, des rapports indiquent qu'au moins quarante civils ont été tués et de nombreux blessés, principalement dans le secteur de Poonch à Jammu, lorsque les troupes pakistanaises ont procédé à des tirs d'artillerie lourde le long de la ligne de contrôle (LoC) en représailles à l'attaque indienne.

L'incident de Pahalgam s'est avéré avantageux pour Modi, dont l'administration était déjà aux prises avec divers problèmes. Le gouvernement indien a dû faire face à une forte contestation publique, notamment pour la loi controversée sur le Waqf (amendement), ainsi qu'à des arrêts de la Cour suprême qui ont mis en évidence des violations constitutionnelles de la part de l'administration. En outre, les défis économiques et la hausse du chômage ont contribué au mécontentement croissant. En outre, la décision de l'administration Trump d'imposer des droits de douane à l'Inde a introduit des incertitudes supplémentaires.

Modi et ses alliés n'ont pas assumé la responsabilité des graves lacunes en matière de sécurité qui ont contribué à l'incident tragique de Pahalgam. Au lieu de cela, ils ont exploité la situation pour susciter la panique, la frénésie, l'hystérie guerrière, le chauvinisme et une nouvelle vague d'islamophobie. Ils ont réussi à galvaniser une nation entière autour d'une menace sécuritaire perçue comme étant posée par des terroristes soutenus par le Pakistan. La quasi-totalité de la nation s'est ralliée à eux dans leur quête de vengeance à la suite de l'attaque.

Les principales chaînes de médias ont facilité cette situation en propageant quotidiennement des fake news sur le Pakistan. Ces médias se sont transformés en champs de bataille, enflammant des millions de citoyens à travers le pays à coup d'informations erronées. Le gouvernement a même dû intervenir le 9 mai pour empêcher les médias de continuer à diffuser de fausses informations et d'attiser l'animosité.

Le gouvernement Modi a intentionnellement orchestré ce climat pour renforcer sa popularité, en particulier à l'approche des élections législatives dans l'État du Bihar. Il sert également à détourner l'attention des masses laborieuses de l'Inde des problèmes matériels auxquels le pays est confronté, tels que la hausse du chômage, les inégalités, la pauvreté et diverses formes de privation. Des rapports indiquent que le taux de chômage des jeunes a atteint 16,1 % lors du premier trimestre 2025.

Le compte de médias sociaux de l'unité d'information publique de l'armée indienne a salué les frappes transfrontalières comme un cas de « justice rendue ». Pourtant, il n'y a aucun signe d'arrestation des militants qui étaient réellement responsables des attaques terroristes à Pahalgam, tandis que la « justice » dont parle l'armée a impliqué des actions meurtrières dirigées contre des civils non armés, y compris des enfants.

La réponse du Pakistan

Les actions de l'Inde sont arrivées à point nommé pour les dirigeants pakistanais. Le pays est aux prises avec de graves crises économiques et d'endettement, des troubles politiques au Baloutchistan et une détérioration des relations avec l'Afghanistan. Autant de facteurs qui ont rendu le gouvernement actuel, dirigé par Sharif et les militaires, impopulaire auprès de la population du pays.

La réponse pakistanaise à l'attentat terroriste de Pahalgam, en même temps officieuse et semi-officielle, a été de prétendre qu'il s'agissait d'une « opération sous fausse bannière ». L'incident a été suivi d'une éruption de manie guerrière chauvine.

Les présentateurs télévisés, comme leurs homologues indiens, ont joué un rôle important dans le développement de l'hystérie guerrière. Les ministres, les hommes politiques de l'opposition et les chefs militaires ont fait des déclarations belliqueuses à l'unisson. Dans les jours qui ont précédé les premières frappes indiennes, le sentiment dominant au Pakistan était que l'Inde reculait par peur.

Deux points méritent d'être soulignés pour replacer l'attitude du Pakistan dans son contexte. Tout d'abord, l'establishment a encouragé et protégé les groupes djihadistes, du moins dans le Cachemire administré par le Pakistan. Ensuite, une réponse impétueuse de l'Inde a objectivement aidé le régime hybride pakistanais assiégé de l'intérieur, qui est au pouvoir depuis l'éviction d'Imran Khan.

Dans ce régime hybride, ce sont les militaires qui mènent la danse. Les représentants du gouvernement civil, le Premier ministre Sharif et le président Asif Ali Zardari, tiennent le rôle de serviteurs obéissants pour assurer leur maintien au pouvoir. Ayesha Siddiqa, spécialiste reconnue de l'armée pakistanaise, a rapporté en février dernier qu'« une source bien informée à Islamabad » estimait que les dirigeants militaires « se préparaient à relancer le militantisme – à une échelle comparativement plus faible mais perceptible » après l'hiver, afin de faire pression sur l'Inde pour qu'elle négocie sur la question du Baloutchistan.

Le Pakistan est confronté à un mouvement séparatiste armé au Baloutchistan, qui est géographiquement la plus grande de ses quatre provinces, limitrophe de l'Iran et de l'Afghanistan. La Chine a construit un énorme port à Gwadar sur la côte du Baloutchistan, et le Baloutchistan est un maillon crucial de l'initiative « la Ceinture et la Route ». Le Pakistan a accusé à plusieurs reprises l'Inde d'armer et d'entraîner l'Armée de libération du Baloutchistan, une organisation militante responsable d'attaques de guérilla contre des installations de sécurité et des travailleurs chinois au Baloutchistan.

Guerre de basse intensité

Malgré la fanfare qui entoure cette prétendue guerre et l'hystérie généralisée qui règne de part et d'autre de la frontière, bien sûr, aucune des deux armées n'a réellement pénétré en territoire ennemi. Des missiles et des drones ont été lancés en sus des tirs d'artillerie et des attaques transfrontalières. Les gouvernements et les médias des deux pays ont célébré avec beaucoup d'enthousiasme chaque fois que leurs forces ont intercepté un drone ou un missile « ennemi » à l'intérieur de leurs frontières respectives.

Selon Pravin Sawhney, éminent spécialiste militaire indien, le pays n'était même pas dans une situation de pré-guerre, qui implique généralement une mobilisation considérable des forces terrestres à travers les frontières. Nous avons assisté à une crise militaire – une version intensifiée des incidents habituels le long de la ligne de contrôle, en particulier au Jammu-et-Cachemire.

L'Inde et le Pakistan se sont livrés à trois guerres de vaste ampleur au sujet du Cachemire dans le passé, et les deux pays sont dotés de l'arme nucléaire. Aucun des deux pays ne peut supporter le coût d'un nouveau conflit à part entière. L'économie pakistanaise est actuellement confrontée à de graves difficultés ; elle est très endettée et doit rembourser de nombreux prêts. Avec un taux de croissance économique faible d'un peu plus de 2 %, il ne peut se permettre de s'engager dans une nouvelle guerre majeure.

Bien que l'économie indienne soit considérablement plus forte et plus grande, Modi a fait miroiter à l'Inde la perspective de devenir une économie de 5 000 milliards de dollars et d'émerger comme puissance économique et géopolitique majeure. Toute chance d'atteindre ces objectifs repose sur la stabilité de l'Inde, et une guerre avec un voisin doté de l'arme nucléaire a peu de chances d'attirer les investisseurs, sans parler des dommages qui en résulteraient pour le tourisme. Nous avons déjà assisté à des annulations de vols dans les deux pays, et il n'est dans l'intérêt stratégique ou économique d'aucune des deux nations que les récentes tensions dégénèrent en quelque chose de plus grave.

En outre, l'Inde comprend qu'il est peu probable que les Chinois restent passifs en cas d'attaque contre le Pakistan. Cela n'est et dû aux hostilités traditionnelles entre l'Inde et la Chine, mais également au fait que la Chine a investi environ 62 milliards de dollars dans le corridor économique Chine-Pakistan. Cet investissement englobe un large éventail de projets d'infrastructure et d'énergie destinés à relier la région occidentale de la Chine au port de Gwadar, au Pakistan.

Le golfe du Bengale et la mer d'Oman sont indispensables pour l'initiative « la Ceinture et la Route ». La Chine serait profondément préoccupée si les actions belliqueuses de ce qu'elle perçoit comme des gouvernements irresponsables dans ces deux nations finissaient par mettre en péril ses investissements. Impliquer les Chinois dans un conflit pourrait s'avérer désastreux pour l'Inde, car la guerre moderne repose largement sur des technologies de pointe, pour lesquelles la Chine possède un avantage considérable.

Il est donc dans l'intérêt de l'Inde et du Pakistan de maintenir des actions militaires de faible intensité, car cette stratégie leur procure des avantages politiques significatifs à un coût minime. Toutefois, cette approche impose un lourd fardeau à leurs populations civiles. Après l'euphorie initiale qui a suivi les attentats, l'atmosphère en Inde – en particulier dans les régions du nord et de l'ouest – est passée de la célébration à la panique et à l'appréhension quant aux victimes potentielles. Cela est survenu lorsque le Pakistan a indiqué qu'il riposterait.

Si les capitalistes indiens ont d'abord soutenu la ferveur guerrière, la fermeture des aéroports et le détournement des vols qui s'en est suivi les ont considérablement inquiétés. Le secteur industriel indien a depuis lors publié des déclarations appelant à la retenue. Le 9 mai, les marchés boursiers indiens et la roupie ont subi une baisse notable avant de regagner le terrain perdu le 12 mai avec l'accord de cessez-le-feu.

Nouvelle normalité

Les deux parties cherchaient à désamorcer l'escalade après les premières manifestations d'agression, en attendant le moment propice pour apaiser leur public national. Une méthode viable pour y parvenir consistait à pouvoir invoquer la pression internationale.

Si la Chine entretient des relations étroites avec le Pakistan, son influence sur l'Inde est limitée. Les États du Golfe ont une certaine influence sur les deux pays, mais pas autant que les États-Unis. Des pays comme la Russie et l'Iran pourraient éventuellement jouer un rôle de médiateur et contribuer à empêcher la situation de dégénérer en une crise plus grave ; toutefois, leur influence ne serait pas suffisante pour éviter de nouvelles tensions.

Dans l'état actuel des choses, la seule puissance à laquelle l'Inde et le Pakistan se sentent obligés de prêter attention est celle des États-Unis. Historiquement, les États-Unis ont joué un rôle dans la facilitation de la paix entre les deux États. Après le début des actions militaires indiennes, des signes ont montré que Washington façonnait indirectement les actions et les communications de l'Inde, en soulignant la nature « ciblée, mesurée et non escalatoire » des frappes, conçues pour répondre aux attentes de Donald Trump.

M. Trump a affirmé que les États-Unis avaient facilité une série de discussions qui ont abouti à un accord ; le gouvernement indien n'a ni confirmé ni infirmé cette affirmation. Pour soutenir ses partisans et entretenir un sentiment de ferveur guerrière, Modi a adopté un ton défiant et triomphant lors d'un discours à la nation le 12 mai.

Il a proclamé que l'Inde avait établi une « nouvelle normalité » en matière de réponse aux attaques terroristes et a présenté le cessez-le-feu comme une suspension temporaire des opérations du côté indien, les actions du Pakistan devant être surveillées de près dans les jours à venir. La réaction de l'establishment pakistanais a été tout aussi belliqueuse.

Si le cessez-le-feu a mis fin aux opérations armées, les agressions verbales et diplomatiques se sont poursuivies. À ce jour, la suspension du traité sur les eaux de l'Indus n'a pas été annulée. Ces mesures concernent aussi bien l'arrêt des visas que l'expulsion des diplomates, la fermeture des frontières, la restriction de l'espace aérien et la suspension des échanges commerciaux. En fin de compte, ce sont les citoyens des deux pays, ainsi que les Cachemiris de part et d'autre de la frontière, qui ont été les plus touchés et qui restent les otages de cette crise persistante.

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Chhattisgarh (Inde) : Arrêt immédiat de la guerre contre les citoyens

27 mai, par Alternative Viewpoint — , ,
Lors d'une opération « anti-Naxal » mercredi (21 mai 2025), les forces de sécurité ont tué vingt-sept maoïstes, dont Nambala Keshav Rao, également connu sous le nom de (…)

Lors d'une opération « anti-Naxal » mercredi (21 mai 2025), les forces de sécurité ont tué vingt-sept maoïstes, dont Nambala Keshav Rao, également connu sous le nom de Basavaraju, le secrétaire général du Parti communiste indien (maoïste) interdit, dans le district de Narayanpur au Chhattisgarh. Le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur ont exprimé leur jubilation et leur fierté concernant le succès de l'opération Kagaar.

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

Alternative Viewpoint dénonce fortement cet assassinat ciblé. Le motif sous-jacent semble être une campagne de longue date visant à s'emparer des terres, des eaux et des forêts des communautés [indigène] adivasi du Chhattisgarh, présentée sous le couvert d'opérations anti-maoïstes qui profitent réellement aux intérêts des puissances économique. Le mouvement maoïste indien a initialement émergé en réponse à l'aliénation des terres. Cependant, il a depuis évolué en un mouvement plus large s'opposant à l'aliénation des ressources naturelles, en particulier des forêts. L'État a été responsable de l'orchestration de massacres pour réprimer la résistance, la région de Bastar au Chhattisgarh étant un exemple notable.

Le gouvernement porte la responsabilité des décès de ses citoyens, le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur semblant prendre plaisir aux exécutions ciblées se produisant sous leur surveillance. Depuis le début de l'« opération Kagaar », la simple suspicion d'affiliations maoïstes a conduit à la mort de 31 personnes, dont 15 femmes, en seulement 21 jours. De plus, il y a eu de nombreux rapports de violations des droits de l'homme à travers le Chhattisgarh.

Il est essentiel de comprendre que le maoïsme est associé à des régions souffrant de pauvreté endémique, d'exploitation, de corporations envahissantes et de perte de terres et de moyens de subsistance. Il l'est également à des questions liées à la dignité et à l'autonomie tribales. Cette question va au-delà d'un problème élémentaire de maintien de l'ordre ; elle englobe des thèmes plus larges de privation et d'aliénation. Le ministre de l'Intérieur a fixé une date limite pour l'éradication des Naxalites au 31 mars 2026. Cette perspective réductionniste et intéressée, qui suppose que l'aliénation peut être résolue uniquement en éliminant ceux qui sont aliénés, soulève des préoccupations cruciales.

Malgré la proposition d'accord de paix du CPI (maoïste), le gouvernement a intensifié sa répression. Le meurtre indiscriminé des peuples autochtones pour s'approprier les ressources naturelles est un phénomène troublant aux racines historiques profondes. Le gouvernement Modi-Shah a poursuivi cette approche répressive avec un nouvel élan depuis l'« opération Green Hunt » du Parti du Congrès. « L'opération Kagaar » se présente comme la manifestation la plus flagrante de cette violence persistante.

Bien que nous ne soutenions pas nécessairement les politiques maoïstes, Alternative Viewpoint condamne les meurtres ciblés et inhumains des membres du CPI (Maoïste) et des peuples tribaux, ainsi que l'autoritarisme antidémocratique qui a permis ces actions. Nous nous opposons à la guerre menée par l'État contre les citoyens afin de priver les communautés indigènes de leurs droits. Nous appelons tous les démocrates à résister à chaque instance de répression et de meurtre de l'État.

Alternative Viewpoint

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