Presse-toi à gauche !
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Grand rassemblement syndical 23 novembre 2024 Colisée de Trois-Rivières

La CSN invite ses membres et leur famille au grand rassemblement syndical de l'année ! Sous le thème Pas de profit sur la maladie, l'événement sera animé par la comédienne engagée Eve Landry et réunira une variété d'artistes, d'humoristes et de conférenciers.
Plusieurs invité-es surprise seront annoncés dans les prochaines semaines.
L'événement est gratuit, réservez dès maintenant votre place en vous inscrivant en ligne.
Détails de l'événement
Quand ? 23 novembre 2024, de 10 h 30 à 14 h 30
Où ? Colisée Vidéotron de Trois-Rivières
Qui ? Les membres de la CSN, tous secteurs d'activité confondus, ainsi que leur famille.
Comment ? Transport gratuit en autobus fourni. Pour vous inscrire, cliquez sur ce lien.
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La victoire de Trump, un avertissement majeur !

L'élection nette de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis d'Amérique constitue un développement majeur du processus de droitisation et d'extrême-droitisation en cours au niveau du capitalisme mondial.
Tiré de Gauche anticapitaliste
6 novembre 2024
Par Daniel Tanuro
Alors que le néolibéralisme a creusé des inégalités sociales abyssales qui frappent en premier lieu les femmes et les personnes racisés.e.s ;
Alors que les classes dominantes se vautrent chaque jour davantage dans une opulence dont les sources légales et illégales se mélangent au point qu'on ne peut plus les distinguer ;
Alors que la catastrophe climatique et l'effondrement de la biodiversité causés par la course au profit du capital fossile frappent durement et menacent d'emporter des millions de pauvres ;
Alors que la course à l'hégémonie prend de plus en plus le visage hideux du suprémacisme néocolonial et de l'appropriation sauvage des richesses au prix de massacres monstrueux ;
Bref, alors que le monde se rapproche d'une bascule dans la barbarie, un système électoral hérité de l'esclavage, des médias privés ouvertement réactionnaires et des réseaux sociaux actionnés par des capitalistes voyous à la Elon Musk livrent le gouvernement de la principale superpuissance à un milliardaire fasciste sans scrupule. Un lumpen-capitaliste, fraudeur, menteur, violeur, manipulateur, raciste, putschiste avéré, ouvertement climatonégationniste et militariste à tout crin…
C'est un tremblement de terre planétaire, une avancée majeure du nihilisme autoritaire qui gangrène les classes dominantes.
Poutine et Netanyahou jubilent : ils pourront continuer à faire couler des fleuves de sang et de larmes, en Ukraine et en Palestine, sans même un semblant de réprobation de Washington.
Orban, Meloni, Le Pen, Wilders et leurs ami.e.s d'extrême-droite jubilent : ils voient se rapprocher le moment où l'Union Européenne pourrait tomber complètement dans leurs filets.
Du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest, les criminels jubilent : les insultes, la démagogie, le virilisme, les mensonges les plus éhontés permettent de s'emparer du pouvoir pour se blanchir et s'enrichir encore plus au service du dieu Capital.
Déjà incapable d'assurer la paix et la justice, ou de protéger le climat face aux diktats des puissants, l'ONU et ses agences ne peuvent qu'être de plus en plus impuissantes face aux périls de toutes sortes. On le vérifiera rapidement, lors de la COP de Bakou, en Azerbaïdjan. Ou en cas de nouvelle pandémie… Sans parler du danger de guerre entre la Chine et les USA !
Aux Etats-Unis même, le pire est à craindre. A la différence de son premier mandat, Donald Trump arrive au pouvoir avec une équipe résolue à appliquer un programme précis : le « Project 2025 » concocté par le lobby catholique ultra-réactionnaire de la « Heritage Foundation ».
Financé par l'aile la plus droitière de la classe dominante (notamment les frères Koch, magnats de l'industrie chimique et fossile), ce programme est un véritable déclaration de guerre contre les exploité.e.s et les opprimé.e.s :
. l'instauration d'un pouvoir fort avec une administration fédérale et une justice à sa botte ;
. la traque, l'enfermement et la déportation de 10 à 11 millions de migrant.e.s illégaux/ales ;
. la restauration de l'autorité patriarcale par l'interdiction de l'avortement, la suppression des droits des LGBTQ et la remise en cause des politiques d'inclusion ;
le démantèlement des régulations environnementales, notamment pour favoriser l'extraction des combustibles fossiles ;
. le démantèlement des timides protections sociales instaurées par l'Affordable Care Act (« Obamacare ») ;
. une nouvelle vague de réduction massive des impôts payés par les entreprises et les riches ;
. une option délibérée en faveur du protectionnisme économique.
Il n'est pas sûr que Trump pourra réaliser ce programme, qui est bourré de contradictions (les impôts à l'import, notamment, ne peuvent que relancer l'inflation !) . Mais la direction générale est sans ambiguïté.
Cette victoire de la réaction ne tombe pas du ciel. D'une part, elle s'enracine dans le passé esclavagiste et ségrégationniste des Etats-Unis, terreau d'une droite conservatrice blanche, revanchiste, patriarcale et catholique, paniquée par la crainte fantasmatique du « grand remplacement ». D'autre part, elle est l'expression frelatée du dégoût populaire croissant face aux élites politiques des deux partis, surtout depuis que Démocrates et Républicains (Bush et Obama en tête) se sont donné la main pour sauver les banques frappées par la crise des surprimes, en 2008. Tout en s'appuyant sur l'histoire longue de la domination blanche, le succès de Trump est d'avoir réussi le pari improbable de capitaliser ce dégoût, non pas pour construire un nouveau parti – à l'instar de Mussolini ou d'Hitler – mais pour conquérir le parti républicain au point de le transformer complètement en instrument à son service…
Après le retrait de Joe Biden, « Kamala, you're fired » est devenu le cri de guerre de Trump. Face à sa brutalité, alors que la candidature de la vice-présidente avait d'abord soulevé beaucoup d'enthousiasme et de combativité, l'état-major démocrate a opté pour une campagne fade et lisse, entièrement subordonnée à la quête d'un rassemblement « bipartisan » avec les Républicains anti-Trump. Face au « Project 2025 », Harris s'est ralliée à l'exploitation du gaz de schiste par « fracking ». Face à Elon Musk et à ses semblables, elle n'a même pas osé revendiquer un impôt sur les grosses fortunes. Sa tournée de meetings avec Liz Cheney, politicienne ultra-conservatrice, fille du faucon Dick Cheney, délivrait un message très clair : électeurs et électrices, vous n'avez le choix qu'entre la continuité néolibérale (emballée dans de belles paroles sur la « démocratie ») ou « le changement ». Les électeurs/trices ont choisi « le changement »… Le changement concret incarné par Trump – sur le dos des femmes, des migrant.e.s, du climat et des pauvres en général.
Cette séquence aurait pu avoir une autre issue. Il aurait fallu pour cela que la gauche incarnée un moment par Bernie Sanders ose aller jusqu'à la rupture avec les Démocrates. Il aurait fallu aussi qu'elle ose porter radicalement le message qu'un autre monde est possible – un monde non capitaliste où il fait bon vivre pour toutes et tous sur une planète préservée. Il aurait fallu enfin que, face à Trump, s'amplifient les puissantes mobilisations sociales, féministes, antiracistes et antifascistes des années 2016-2018. Au lieu de cela, on a misé principalement sur l'opposition démocrate au Congrès.
Toute cette courbe rentrante a culminé quand Sanders s'est rallié à Biden en 2020 et que les principales figures des Démocratic Socialists of America ont fait de même. Résultat : l'ébauche d'alternative sociale et écologique, que représentait le « Green New Deal » s'est dégonflée au profit de la politique de capitalisme vert de Biden. Une politique violemment inflationniste dont Trump a cueilli les fruits. Une politique protectionniste donnant raison à Trump. Une politique impérialiste portée à son comble par le soutien indéfectible de Biden à la guerre génocidaire de Netanyahou contre le peuple palestinien.
Au-delà de l'inquiétude légitime qu'elle suscite, la victoire de Trump sonne comme un avertissement – un de plus : face à la catastrophe sociale et écologique qui grandit, les stratégies du moindre mal pavent toujours la voie d'un mal plus grand encore. Ce n'est pas encore « le fascisme », mais on s'en rapproche. Trump est un genre de fasciste et il ne manque pas de fascistes authentiques dans son entourage. Seules des luttes de masse, l'indépendance politique des luttes et leur convergence en vue d'une alternative politique radicalement écosocialiste pourront arrêter la marche à l'abîme. Cette voie devient encore plus ardue, tant la victoire de Trump amplifie la dégradation des rapports de forces. Mais il n'y en a pas d'autre. Aux Etats-Unis, les syndicalistes de la santé, de l'enseignement et de l'automobile, qui ont mené des luttes importantes récemment, seront sans doute en première ligne. Avec les femmes en lutte pour leurs droits. Leur combat est le nôtre.
Crédit photo : Licence Creative Commons
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Etats-Unis. « Donald Trump est le symptôme morbide d’un pays en train de rejouer sa guerre civile »

Pour l'historienne Sylvie Laurent, le trumpisme s'inscrit dans une très longue tradition américaine de synergie entre capital et race. Mais, cette année, une victoire du candidat républicain ouvrirait la voie à la mise en place de son projet réactionnaire et autoritaire.
Tiré de A l'Encontre
5 novembre 2024
Entretien avec Sylvie Laurent conduit par Christophe Deroubaix
(Site de Trump)
Qu'est-ce qui a changé entre Trump 2016 et Trump 2024 ?
Le personnage n'a pas du tout changé, il a juste affûté sa violence rhétorique. Sa xénophobie, son ultranationalisme, son mépris des normes, du droit et de la civilité, son aigreur à l'endroit des opposants étaient déjà présents en 2016. Ce qui est vraiment nouveau à mon sens, c'est que l'ensemble des institutions et du personnel qui l'entourent aujourd'hui n‘est plus en mesure de le contenir.
Trump est désormais parfaitement préparé pour capturer l'État et mettre en place une politique réactionnaire qui n'a été qu'entrevue lors de son premier mandat. À bien des égards, elle a été empêchée, à l'époque. Il est désormais armé de cadres, de milliers de fonctionnaires potentiels aux ordres, d'intellectuels, de financements et d'une part importante de la classe capitaliste qui, tous, convergent vers l'idée de mettre en place une contre-révolution profonde grâce à un État autoritaire.
En 2016, le Parti républicain, la justice, les grandes institutions et les hauts fonctionnaires ont entravé son projet, par ailleurs peu structuré. Aujourd'hui, la riposte à ce genre de résistance est prête, c'est tout l'objet du « Projet 2025 » [de la Heritage Foundation, connu sous le nom de projet de transition présidentielle, un document de 900 pages de propositions politiques ultra-conservatrices]. À cet égard, Trump est beaucoup plus dangereux en 2024.
On peut parler de fascisation de son discours, mais aussi de son projet de société. Son colistier, J. D. Vance, est un idéologue au service de l'ordre moral, de la tradition, du culte du chef et de la violence politique à l'égard des dissidents et des « déviants », c'est-à-dire de tout groupe social n'étant pas blanc, hétérosexuel et chrétien.
En 2016, Donald Trump avait mené une campagne sur des positions anti-immigration et à la fois tenu un discours hétérodoxe, pour les républicains, sur les questions économiques. Désormais, il assume que le facteur principal de sa campagne, c'est l'immigration. Qu'est-ce que cela dit de la nature du trumpisme et surtout du ressort du vote trumpiste ?
Je me souviens que j'avais eu beaucoup de mal en 2016, au moment de la sortie de mon livre Pauvre Petit Blanc. Le mythe de la dépossession raciale (éditions de la Maison des sciences de l'homme, 2020), à faire valoir l'artifice du vernis ouvriériste que se donnait Trump. Chacun répétait à l'envi que « les classes laborieuses laissées-pour-compte »avaient exprimé un vote de classe [1]. C'était une version très simpliste de l'ascension du démagogue.
En réalité, il est le champion d'une petite classe moyenne, individualiste, travaillée à la fois par le déclin continu de son niveau de vie et par un sentiment de perte de statut symbolique depuis que les femmes et les minorités ont pleinement pris place – bien que dans un cadre toujours inégalitaire – dans la société. Trump propose du statut en lieu et place d'une redistribution matérielle, de la revanche plutôt que des salaires décents. D'ailleurs, bien que Joe Biden ait mené une véritable politique de réindustrialisation, la séduction exercée par Trump est inaltérée.
Une fois gratté le vernis superficiel du discours de classe, dans lequel on ne considère d'ailleurs que les classes populaires blanches puisqu'elles seules ont les faveurs de Trump, il ne reste que le racisme crasse. On l'a entendu ad nauseam dans cette campagne, la haine de l'immigré et du non-Blanc est une obsession primale.
Trump, Vance et leurs troupes ne parlent plus seulement du mur pour conjurer la menace de l'immigration clandestine mais de l'« occupation » des États-Unis, qui seraient envahis par des hordes aux « gènes défectueux », une « vermine » qui déposséderait l'homme blanc jusque dans son lit. C'est un discours dont même le Rassemblement national se défierait aujourd'hui. Nous sommes donc dans un registre qui a justifié l'usage du terme « fasciste » pour le qualifier. Sauf que ce à quoi nous avons affaire n'est en rien importé d'Europe. Ce fascisme-ci est indigène !
De quelle façon l'est-il ?
Mon nouveau livre Capital et race. Histoire d'une hydre moderne (éditions du Seuil, 2024) est justement le récit de la longue histoire de l'entrelacement entre capital et race en Amérique. La construction historique du capital racial des Blancs sur ce continent et la suprématie des possédants blancs jusqu'à une date très récente aux États-Unis expliquent que la démocratisation véritable du pays depuis la fin des années 1960 avec le vote des droits civiques, la fin de la ségrégation raciale et l'accès aux biens publics des anciens parias, ait été perçue comme une injustice. C'est ce que racontent les républicains depuis Nixon [janvier 1969-9 août 1974] et cela résonne dans un pays qui s'est construit sur quatre siècles de domination.
Trump interprète donc avec le langage de la décadence nationale la réalité vécue d'une classe moyenne américaine véritablement paupérisée par quarante années de néolibéralisme et aliénée par une classe politique largement incapable d'enrayer les inégalités et l'appauvrissement de sa qualité de vie. Revenir à la suprématie blanche, c'est comme revenir à la société d'ordres pour les antimodernes après la Révolution française : la promesse de retrouver autorité, hiérarchie et grandeur.
Pour les Américains blancs sans diplôme, dont la vulnérabilité économique et sociale est patente, Trump est un réaliste : nul doute qu'il est plus facile de débarrasser le pays de millions d'« indésirables » que de remettre en cause l'économie politique générale. On croit plus efficace la guerre en interne (déporter 10 millions d'immigrés clandestins et la neutralisation des « gauchistes ») et la guerre commerciale avec la Chine que de tenter de domestiquer le capitalisme néolibéral finissant et la démocratie de marché qui ont créé de la souffrance, en premier lieu. Qu'Elon Musk, l'homme le plus riche du monde et antisyndicaliste notoire, soit annoncé comme prochain ministre de la Réforme de l'État en dit long sur le nihilisme à l'œuvre.
Donald Trump s'inscrit donc dans une très longue tradition américaine, dont la clé est la synergie entre capital et race ?
Même si mon dernier livre ne parle pas de Donald Trump en tant que tel, il montre la longue genèse de cette espèce de fantasme de la création des États-Unis comme un lieu d'invention du monde à partir du néant, alors même qu'il s'est agi d'une entreprise de colonisation, de dépossession des terres indigènes et d'établissement pendant plusieurs siècles d'un système de démocratie partielle où seuls les Blancs, les descendants des Européens, avaient le droit à la terre et aux richesses.
Depuis la fin de la guerre civile en 1865, qui tenta de réécrire la destinée du pays vers davantage de justice, les forces de la réaction et du retour à l'âge premier n'ont jamais disparu. Réactivées par différentes figures au fil des siècles, elles sont un peu un fascisme latent, du Ku Klux Klan aux eugénistes, de George Wallace [trois fois gouverneur de l'Alabama de 1963 à 1967, de 1971 à 1979 et de 1983 à 1987] qui voulait défendre la ségrégation jusqu'à la mort, jusqu'à la nouvelle droite américaine très puissante aujourd'hui.
Ressuscitant ces traditions, Donald Trump est le symptôme morbide d'un pays toujours en train de rejouer, sous la forme de farce cruelle, sa grande guerre civile. Promettre la restauration d'un capitalisme autoritaire accordant l'immunité aux puissants et à leurs obligés s'ils sont hommes et blancs, c'est s'inscrire dans la longue histoire du pays qui, de sa naissance à l'après-Seconde Guerre mondiale, a garanti l'exclusivité de l'accès aux ressources et à la propriété aux descendants d'Européens.
Marx, que vous citez souvent dans vos livres, estimait que lorsque les idées s'emparent des masses, elles deviennent des forces matérielles. Est-ce que l'idée de la dépossession du pays, ressentie par une partie de la population blanche, est en train de devenir une force matérielle aux États-Unis, à travers le trumpisme ?
Il convient de ne pas sous-estimer la force des idéologies. Les ressentiments, les amertumes deviennent, à force d'être politisées, une réalité tangible. Le Parti républicain a sciemment organisé la radicalisation de sa base militante en hystérisant les questions de l'avortement, des armes à feu, de la sexualité, de la « criminalité noire » et de l'immigration.
Après des décennies de manipulation des opinions publiques, alors que la classe politique consentait au creusement des inégalités, aux guerres sans fin et à la captation démocratique par les finances privées des campagnes, la situation est devenue intenable. Depuis 2010 et le Tea Party [qui apparaît au début de la présidence d'Obama dans le contexte de la crise économique ouverte en 2008], le Parti républicain est dévoré en interne par sa propre créature : une vague d'extrême droite centrée sur des questions culturelles devenues existentielles, non négociables, objet d'une lutte dans laquelle la démocratie elle-même passera par pertes et profits. L'homme de cette créature, c'est Trump.
Vous évoquiez le trumpisme comme incarnation de contre-révolutions. Il nous permet donc aussi de voir les révolutions en cours : le mouvement MeToo, les femmes plus diplômées que les hommes, Black Lives Matter, les droits LGBTQI +…
Martin Luther King, dont j'ai écrit une biographie intellectuelle, disait : « L'arc de l'univers est long mais il se courbe en direction de la justice. » Sa vision était moins idéaliste qu'empreinte d'une nécessité historique : ne jamais renoncer à penser que la justice est à portée de main. Donc, oui, vous avez raison : l'émancipation du plus grand nombre est en marche aux États-Unis. Pas à pas, femmes, Noirs, musulmans, transgenres… se font une place et se font entendre. À certains égards, la société américaine est bien plus tolérante que la société française. La tolérance n'est pas la justice mais elle permet d'organiser la lutte pour y parvenir.
Il y a bien sûr une espèce d'inquiétude vis-à-vis de ces changements récents du paysage social : nombre d'Américains les vivent comme une décadence, le brouillage des normes naturelles. Trump excite le masculinisme d'hommes qui se sentent menacés par les nouveaux droits et libertés des autres, comme il excite le bellicisme contre la Chine qui, à l'échelle du monde, aurait contesté l'hégémonie des États-Unis. D'une certaine façon, la puissance de la réaction est un hommage aux avancées remarquables, encore loin d'être suffisantes, sur la route de la reconnaissance et de l'émancipation des femmes et des minorités. (Entretien publié par le quotidien L'Humanité le 4 novembre 2024)
Sylvie Laurent est américaniste, enseignante à Science Po. Chercheuse Associée durant longtemps au W.E.B. Du Bois Insitute d'Harvard. Elle est l'autrice de plusieurs ouvrages dont Martin Luther King. Une biographie (Point 2016) et Pauvre petit Blanc. Le mythe de la dépossession raciale (Ed. Maison des Sciences de l'Homme, 2020) et de Capital et race. Histoire d'une hydre Moderne, Seuil, janvier 2024)
Voir la tribune de Sylvie Laurent reproduite sur le site alencontre.org le 30 octobre 2024, deuxième article du dossier Etats-Unis : Trump et le trumpisme. De même le site alencontre.org avait publié un article de Sylvie Laurent le 18 mai 2015 intitulé « Combien vaut la vie d'un Noir en Amérique », année où le Seuil a publié sa biographie de Martin Luther King.
1. Voir à ce sujet la contribution de Lance Selfa publiée sur ce site le 22 septembre 2024, intitulée « Trump se déclare comme “le parti de la classe ouvrière”. Qu'en est-il ? » (Réd. A l'Encontre)
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Victoire de Trump : la faillite des élites du Parti démocrate

La victoire de Donald Trump et des républicains aux élections du 5 novembre a été d'abord et avant tout la défaite de la rivale démocrate, et le révélateur de la faillite de la présidence Biden. Celle-ci ne se résume pas à son soutien obscène à Israël et au génocide du peuple palestinien, elle s'étend aux principaux aspects de son bilan en matière économique et sociale, dissimulés par des chiffres qui ont permis aux démocrates de persévérer dans le déni des effets concrets de leur politique, en particulier pour les classes populaires.
Tiré de la revue Contretemps
9 novembre 2024
De son côté, Kamala Harris a non seulement refusé de se démarquer en quoi que ce soit de celui dont elle fut la vice-présidente mais a fidèlement reproduit la stratégie « centriste » qui avait déjà conduit à l'échec fracassant de Hillary Clinton en 2016 : faucon en matière de politique étrangère, quasi-inexistante en matière d'agenda social, obsédée par la volonté de séduire un « électorat républicain anti-Trump », indifférente au gouffre grandissant entre le Parti démocrate et les classes populaires.
Comme l'a résumé Bernie Sanders, « il ne faut pas s'étonner qu'un Parti démocrate qui a abandonné la classe travailleuse se rende compte que la classe travailleuse l'a abandonné. D'abord, c'était la classe ouvrière blanche, et maintenant ce sont les travailleurs latinos et noirs. Alors que les dirigeants démocrates défendent le statu quo, le peuple américain est en colère et veut du changement. Et il a raison ».
En France, la défaite de Harris a suscité un débat prévisible, principalement à gauche. Du côté de la gauche de rupture, LFI en tête, on a souligné que la défaite de Harris a montré qu'on « on ne bat pas l'extrême droite réactionnaire sans un projet alternatif clair [et qu']on ne mobilise pas le peuple sur une ligne néolibérale et sans ruptures sociales et géopolitiques ». Son refus de la condamnation du génocide commis à l'encontre du peuple palestinien a également été soulignécomme un facteur décisif de sa défaite.
Par la voix de sa porte-parole en matière de politique étrangère Dieynaba Diop, le Parti socialiste s'est, par contre, livré à un éloge de la « vision d'espoir, de justice sociale et de progrès pour tous les Américains » portée par Kamala Harris, et attribué la défaite à une « courte campagne… [qui] n'a pas suffi à surmonter la vague populiste ». Dans le même communiqué, le PS en a immédiatement profité pour revendiquer « l'autonomie stratégique de l'Europe », à savoir sa militarisation et son orientation belliciste – également vue par la classe politique hexagonale comme un terrain privilégié pour le rétablissement d'un semblant de puissance française sur la scène internationale. Cette demande, alimentée par la guerre en Ukraine dont Trump a déclaré vouloir se désengager, est du reste reprise de façon quasi-unanime par l'establishment politique français et européen.
Dans l'article qui suit, Branko Marcetic, l'un des rédacteurs réguliers du magazine de la gauche socialiste états-unienne Jacobin, analyse les raisons de la défaite de Harris, défaite qu'il avait déjà largement prédit dans son article précédant l'élection que nous avons publié dans nos colonnes. Il détaille le repli de la présidence Biden par rapport aux engagements en matière d'agenda social qui avaient permis la victoire de 2020 face à Trump – engagements dont il faut souligner qu'ils étaient pour l'essentiel le produit de la pression exercée par la campagne de Sanders lors des primaires de 2019-2020 et les succès électoraux de représentants de l'aile gauche du Parti démocrate combinée à celle des mobilisations sociales de la période antérieure.
Plus que des facteurs conjoncturels, tels que l'âge du capitaine ou la brièveté de la campagne de la vice-présidente sortante, ou la popularité – toute relative – de Trump, c'est cette tendance de fond vers une ligne « centriste », ainsi que, bien évidemment, le scandale de l'obstination pro-israélienne de « genocide Joe », qui ont conduit à la démobilisation de l'électorat démocrate et à la deuxième victoire du héros mondial de l'extrême droite.
Stathis Kouvélakis
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Un vieux dicton dit que la définition de la folie est de faire deux fois la même chose et de s'attendre à un résultat différent. Comment appeler dès lors le fait d'essuyer un échec, puis d'obtenir un meilleur résultat en faisant quelque chose de différent, pour revenir finalement en arrière et répéter la chose qui a échoué la première fois ?
Le Parti démocrate avait déjà eu l'occasion de tester à deux reprises, en situation réelle, ce qui fonctionne, ou pas,dans une élection contre Donald Trump. L'une de ces campagnes a connu un succès notoire [Biden en 2020], l'autre avait échoué de manière catastrophique [Hillary Clinton en 2016]. Pourtant, à l'approche d'une élection qu'il ne cessaitde qualifier de « la plus importante de notre vie », ce parti a mystérieusement décidé de rééditer celle qui avait échoué.
Vivre dans le déni
Les démocrates ont à présent perdu contre Donald Trump dans deux élections présidentielles sur trois, malgré le fait que celui-ci ait été profondément impopulaire et polarisant à chaque fois qu'il s'est présenté, et qu'une grande majorité d'électeurs l'aient décrit comme « embarrassant » et « mesquin » il y a à peine quatre mois. Cette fois-ci, les démocrates n'ont pas seulement perdu dans le collège des grands électeurs face à lui : pour la première fois de sa carrière, Trump a remporté le vote populaire, gagné les sept États clés et pourrait bien se retrouver avec un parti contrôlant à la fois le Congrès et la Chambre es représentés.
Les démocrates ont perdu malgré un financement nettement supérieur à celui de Trump et de son équipe, et malgré des adversaires qui semblaient parfois saboter leur propre campagne dans la dernière ligne droite : insultes aux Portoricains, promesse d'abroger l'Obamacare, promesse de plonger les Américains dans des difficultés économiques, et, parmi tant d'autres choses du même ordre, un candidat évoquant à voix haute la possibilité de tirer sur les journalistes et mimant une fellation avec un micro.
Les efforts déployés tout au long de l'année pour faire barrage Trump en évoquant ses démêlés judiciaires et en soulignant ses tentatives de renverser le résultat de l'élection de 2020 se sont soldés par un échec. Cela intervient également quelques mois après que les responsables démocrates aient semblé prêts à accepter une défaite plutôt que de pousser leur leader manifestement malade hors de la course avant qu'il ne les précipite dans le précipice.
Il semble que l'establishment démocrate ne soit pas seulement incapable d'assurer les victoires électorales qu'il promet aux électeurs, mais qu'il ne puisse même pas se sauver lui-même.
Comment en est-on arrivé au résultat du 5 novembre ? Les influenceurs démocrates se livrent en ce moment même à une multitude d'accusations désespérées, mettant, comme d'habitude, tout sur le dos de la Russie, de la race et du genre de leur candidate, de son colistier, de la prétendue bassesse du public américain, bref de tout ce qui ne relève pas de leurs propres échecs. La véritable explication est pourtant beaucoup plus simple.
Depuis des années, l'électorat dit aux sondeurs qu'il est mécontent de la situation économique, et les sondages qui se sont succédé au cours de cette campagne ont montré qu'il s'agissait de la question qui pèserait le plus dans le vote, en particulier parmi celles et ceux qui penchaient pour Trump. C'est ce qui ressort des sondages effectués hier soir à la sortie des bureaux de vote.
Dans les sept États clés et au niveau national, les résultats des sondages étaient pratiquement identiques : l'électorat considérait l'économie comme l'enjeu le plus important de l'élection ; il estimait que leur situation financière personnelle s'était détériorée, et ce dans des proportions nettement plus élevées qu'en2020. Une grande majorité de celles et ceux qui ont voté pour Trump se sont exprimés pour le candidat qui, selon eux, allait apporter le « changement ».
C'est exactement ce que de nombreux électeurs et électrices indécis qui ont voté pour Trump avaient dit aux journalistes avant le vote : ils et elles n'aimaient pas nécessairement l'ancien président, mais ils et elles étaient troublés par l'incapacité de Kamala Harris à proposer un changement par rapport à la présidence de Biden. En d'autres termes, ce qui s'est passé hier soir n'était pas seulement prévisible, mais tout à fait typique dans l'histoire des élections américaines : un président impopulaire en exercice voit son parti sanctionné sans ménagement par un électorat en quête de changement.
C'est exactement ce qui s'est passé il y a quatre ans, mais aussi quand Barack Obama a remporté un triplé démocrate en 2008, quand Ronald Reagan a battu Jimmy Carter près de trente ans auparavant, et quand Franklin Delano Roosevelt a été élu président pour la première fois près de cinquante ans plus tôt.
Comme l'a rappelé Harry Enten de CNN, jamais dans l'histoire des États-Unis un parti n'a été reconduit quand la cote de popularité de son président était aussi basse et que dominait le sentiment que le pays allait dans la mauvaise direction sous son mandat – et l'histoire n'a pas été bouleversée hier soir.
Pour de nombreux démocrates, les explications avancées ne passent pas. Les experts fidèles au parti ont répété à l'envi que sous Biden la situation économique était formidable – faible taux de chômage, forte croissance du PIB, ralentissement de l'inflation, marché boursier en plein essor – et que toute personne mécontente avait simplement subi un lavage de cerveau.
Dans ce miroir aux alouettes de l'autosatisfaction, ils n'ont pas pris en compte les statistiques qui disent le contraire : les expulsions ont dépassé les niveaux d'avant la pandémie, le nombre de sans-abri a atteint un niveau record, le nombre de locataires à la charge de l'État n'a jamais été aussi élevé, le revenu médian des ménages est inférieur à celui de la dernière année d'avant la pandémie, les inégalités reviennent aux niveaux d'avant 2020, et l'insécurité alimentaire et la pauvreté ont connu une croissance à deux chiffres depuis 2021, avec notamment un pic historique de la pauvreté infantile.
Voici une autre chose que vous n'avez peut-être pas entendu. En grande partie grâce à un concours de circonstances, notamment la pandémie de COVID-19 et un Congrès contrôlé par les démocrates, Trump a été, pour une part, l'artisan de la création, en 2020, de ce que le New York Times a appelé « quelque chose qui s'apparente à un État-providence de style européen », qui a réduit les inégalités et a même aidé certains Américains à améliorer, pendant une courte période, leur situation financière. Or, sous Biden, tout cela a disparu.
Cela s'est produit parfois du fait de facteurs indépendants de la volonté de Biden, parfois en raison de ses propres décisions. Dans tous les cas, le président ne s'y est jamais opposé, et cela a contribué à l'augmentation inquiétante des difficultés de la population sous son mandat. L'effet n'a pas seulement été d'alourdir les dépenses contraintes déjà lourdes des ménages.
Du fait d'une décision-surprise en octobre, les conditions de remboursement des prêts étudiants sont devenu beaucoup plus dures pour des dizaines de millions d'emprunteurs juste avant le vote. Vingt-cinq millions de personnes ont également été exclues de l'assurance maladie publique, dont un grand nombre dans les États où Harris a perdu la bataille hier soir. Rappelons que l'une des lignes d'attaque de Biden contre Trump il y a quatre ans était que ce dernier allait priver vingt millions de personnes de leur assurance maladie.
Cette situation aurait pu être atténuée si le président avait réellement mis en œuvre les mesures phares de son programme de 2020, en aidant les citoyen.ne.s à faire face à la hausse du coût de la vie. Il ne l'a pas fait et celles qu'il a adoptées ont parfois échouées d'elles-mêmes. Les démocrates et les commentateurs qui leur sont associés ne sont guère incités à parler du fait que, même si cela s'est produit de manière fortuite, des millions de citoyen.ne.s ont bénéficié de nouvelles protections économiques au cours de la dernière année de Trump et même d'améliorations matérielles dans certains aspects de leurs vies, avant de tout perdre sous la présidence de M. Biden. Mais s'ils l'avaient fait, ils auraient peut-être compris une partie de l'attrait durable de Trump.
Pour n'importe quel parti politique, ces handicaps auraient été difficiles à surmonter. Mais les démocrates ont aggravé leurs difficultés en contournant une fois de plus le processus démocratique et en choisissant simplement une candidate qui, comme une grande partie du parti l'avait craint dès le début, s'est avérée faible. Kamala Harris s'était illustrée lors des précédentes primaires démocrates en échouant à en gagner une seule. En tant que vice-présidente, elle s'est distinguée par ses interviews peu convaincantes et son langage embrouillé qui l'ont handicapée en tant que candidate.
Mais plutôt que de laisser un processus démocratique se dérouler pour la mettre à l'épreuve, elle et d'autres, le parti l'a installée comme porte-drapeau, et c'est à ce moment-là qu'elle a eu du mal à répondre aux questions, qu'elle a semblé réticente à l'égard de ses propres positions politiques, qu'elle a donné l'impression de ne pas avoir de convictions profondes et qu'elle a évité la plupart du temps les apparitions non scénarisées dans les médias.
Son incapacité à se démarquer de la présidence impopulaire de Biden et à expliquer en quoi la sienne serait différente – avec, idéalement, des éléments précis, ce que les électeurs n'ont cessé de réclamer de sa part avant de se décider – s'est avérée fatale. À plusieurs reprises, Harris s'est refusée à cet exercice, se contentant de dire qu'elle nommerait un républicain à son cabinet et de se lancer dans un long soliloque sur la « nature ambitieuse des Américain.e.s ».
Le soutien des démocrates au génocide israélien dans la bande de Gaza est une plaie politique qui plane au-dessus de tout cela. Alors qu'elle disposait d'une occasion unique de faire table rase d'un problème qui avait démoralisé la base du parti, menacé ses chances dans le Michigan [1] et plongé le monde dans le chaos, Harris a choisi de la gâcher en se rangeant loyalement derrière la politique de chèque en blanc méprisable et impopulaire de l'homme que le parti venait d'évincer en le jugeant inapte à exercer ses fonctions.
Alors que le massacre se poursuivait et s'amplifiait, avec le soutien explicite de Harris, les électeurs arabo-américains et musulmans furieux ont décidé de punir le parti en la faisant perdre, tandis que Trump a profité de l'occasion pour courtiser ces électeurs mécontents et se faire passer pour une colombe. Il semble que cela ait fonctionné : Trump s'est emparé du Michigan en partie grâce à une marge en sa faveur choquante dans la ville de Dearborn [2].
Pour couronner le tout, il a été décidé de rééditer, dans les grandes lignes, la stratégie d'Hillary Clinton en 2016 – une stratégie qui avait déjà échoué une fois, face au même candidat. Cette décision a, sans surprise, produit le même résultat, mais de façon amplifiée, du fait du rejet de l'électorat contre le candidat sortant.
Le choix de la défaite
Le Parti démocrate aurait pu s'inspirer de deux modèles. Il aurait pu s'inspirer des récentes victoires électorales au Mexique et en France, où des coalitions de gauche ont remporté des succès importants et stoppé ce qui semblait être la progression quasi certaine d'un candidat d'extrême droite en apportant ou en promettant (ou les deux) des augmentations du pouvoir d'achat de la population, notamment par le biais d'augmentations du salaire minimum.
Il aurait également pu mener le même type de campagne que le leader travailliste britannique Keir Starmer, en adoptant une stratégie conservatrice qui ne promettait pas grand-chose aux électeurs, si ce n'est de ne pas être le parti de droite au pouvoir, qui est impopulaire. La décision de l'équipe de campagne démocrate de travailler avec celle de Starmer était une bonne indication de l'orientation prise.
En pratique, Kamala Harris a mené une campagne qui tenait à la fois de l'approche des démocrates pour les élections de mi-mandat de 2022 et de la stratégie perdante de Hillary Clinton en 2016 qui consistait à échanger les progressistes et l'électorat de la classe ouvrière contre celui des « républicains de banlieue », et celui qui a accordé la victoire à Starmer en juillet. Au-delà des problèmes évidents, il s'agissait d'un plan plutôt absurde, puisque cela signifiait que Harris devait s'appliquer à dépeindre Trump, le défier, comme le président en exercice, alors qu'elle était la vice-présidente sortante et qu'elle avait servi dans l'administration impopulaire d'un président dont elle avait refusé de se démarquer publiquement.
En conséquence, sa candidature a représenté un recul important par rapport aux efforts déployés par les démocrates en 2020. Les ambitions de Joe Biden, qui ne se sont jamais concrétisées, d'étendre historiquement le filet de sécurité sociale, ont été fermement reléguées au rang de souvenirs lointains ; seuls le crédit d'impôt pour les enfants et une modeste extension des prestations de Medicare ont survécu.
La campagne a combiné un net virage à droite en matière de politique étrangère et d'immigration avec une poignée de propositions sociales louables visant à interdire les prix abusifs et à aider les primo-accédants à la propriété (tout en évitant le plafonnement national des loyers à 5% sur lequel Biden s'était engagé avant de l'abandonner et qui avait fait son chemin dans la plate-forme démocrate).
Au-delà de la proposition relative à l'assurance-maladie et des vagues promesses de protéger et de renforcer l'Obamacare [couverture sociale très partielle mise en place sous Obama], l'idée de réformer le système de santé défaillant – l'un des coûts les plus importants et les plus anxiogènes pour les ménages états-uniens – a été presque totalement absente de la campagne.
Lors d'une réunion publique organisée par Univision [un média hispanophone],les électeurs ont fait part à Harris de leur triste expérience en matière d'accès au système de santé et lui ont demandé comment elle comptait y remédier. Elle n'a rien pu leur répondre, car sa seule véritable politique de santé concernait les personnes âgées de plus de 65 ans et déjà assurées au titre de Medicare [système de couverture médicale minimale].
Kamala Harris a davantage fait campagne avec la républicaine belliciste Liz Cheney qu'avec n'importe quel autre allié, et davantage avec le milliardaire Mark Cuban – qui publiquement insisté sur le fait qu'elle n'était pas sérieuse concernant certaines de ses propositions économiques à orientation sociale – qu'avec le dirigeant syndical Shawn Fain [dirigeant du syndicat de l'industrie automobile UAW qui a remporté plusieurs victoires grâce à des grèves]. Tout cela en courtisant les grandes entreprises et en envisageant de licencier Lisa Khan, la forte personnalité chargée de la lutte contre les monopoles nommée par Biden, que ces grandes firmes détestent.
Le cas le plus flagrant, c'est que Harris a refusé de s'engager pour l'augmentation du salaire minimum de 15 dollars, pourtant largement plébiscitée, qui constituait une grande partie de la plateforme gagnante de Biden en 2020. Pendant des semaines, elle n'a pas voulu dire de combien elle augmenterait le salaire, et n'a jamais abordé le sujet lors du débat avec Trump ou dans d'autres apparitions télévisées. Elle n'a officiellement adopté le chiffre désormais dépassé de 15 dollars de l'heure que trois semaines avant le vote.
En trente-cinq apparitions publiques entre le jour où elle a officiellement été nommée candidate, le 22 octobre, et le 4 novembre, Harris n'a mentionné la mesure qu'à deux reprises : les deux fois dans le Nevada et sans citer de montant précis. Cette politique ne figurait pas parmi les principaux messages de sa publicité sur Facebook, ni dans sa dernière campagne publicitaire, et elle n'apparaissait certainement pas dans les messages publicitaires que j'ai pu voir lors de mon séjour en Caroline du Nord, un État clé, au cours du week-end avant l'élection.
Cette décision lui a probablement coûté cher. Les électeurs du Missouri et de l'Alaska, qui ont voté pour Trump, ont approuvé ou sont sur le point d'approuver des mesures visant à porter le salaire minimum à 15 dollars de l'heure et à instaurer des congés de maladie rémunérés (une autre mesure populaire sur laquelle Harris a refusé de s'engager).
Plutôt que de s'intéresser aux questions fondamentales qui, aux yeux de l'électorat, sont au centre de leurspréoccupations, Harris et les démocrates étaient déterminés à faire de cette élection un débat sur l'avortement, la démocratie et le caractère de Trump. Dans l'ensemble, l'avortement et la politique fiscale de Harris – qui, avec sa promesse de réduction d'impôts, apparaissait liée aux préoccupations sur le coût de la vie – ont représenté de loin la plus grande part des dépenses publicitaires des démocrates, l'investissement du parti dans des publicités sur le caractère de Trump ayant augmenté au cours du dernier mois, tandis que la part consacrée aux soins de santé, à l'inflation et à l'assurance-maladie a baissé.
La publicité de Harris sur les réseaux sociaux mentionnait davantage le nom de Trump que celui de la candidate elle-même. Une enquête tardive a montré que les messages concernant Trump qui ont le plus touché les électeurs au cours des dernières semaines de l'élection concernaient son éloge des généraux d'Adolf Hitler, ses commentaires sur le pénis du golfeur Arnold Palmer et la question de la démocratie.
Le présentateur amical à son égard Stephen Colbert lui a donné une seconde chance de répondre à la question de savoir en quoi sa présidence serait différente de celle de Biden, mais Harris a tâtonné avant de rappeler qu'elle « n'était pas Donald Trump ». Cela aurait pu être le slogan de la campagne.
Le pari de l'équipe de Harris n'a pas été payant. Les sondages sortie des urnes montrent que le soutien de l'électorat républicains à Harris est inférieur à 10%, et qu'elle a fait moins bien que Biden dans plusieurs fiefs électoraux du Parti démocrate. Elle a amélioré la marge des démocrates auprès de l'électorat aisé tout en perdant la bataille de celui à revenus moyens et faibles au profit de Trump. La fameuse proclamation de Chuck Schumer en 2016, selon laquelle le parti échangerait simplement un électeur « col-bleu » [ouvrier] contre deux républicains « de banlieue » [de classe moyenne], s'est avérée erronée pour la deuxième fois.
La guerre des récits
Le récit qui est sur le point d'être diffusé partout est que Harris a perdu parce qu'elle était trop à gauche. Il sera mis en avant parce que c'est l'explication privilégiée de l'establishment démocrate pour tous ses échecs, et parce qu'il est préférable d'admettre que l'élite du parti et les grands patrons donateurs ont une fois de plus échoué dans la seule promesse minimale qu'ils ont faite à leur base.
Mais il s'agit là d'un non-sens évident. Harris a mené une campagne nettement plus conservatrice que celle de Biden en 2020, une campagne qui s'est détournée de l'ambitieux programme progressiste de cette année-là, qui a tenu à l'écart nombre de ses mesures phares, qui s'est employée de mettre l'aile gauche à l'écart et qui s'est contentée de se lier avec l'Amérique des entreprises et d'essayer de gagner l'électorat conservateur. Cette stratégie avait déjà échoué par le passé et les voix progressistes ont averti à plusieurs reprises qu'elle risquait d'échouer à nouveau. Elles avaient raison.
Nous voyons déjà les communicants démocrates travailler pour s'assurer que le parti ne tire que les mauvaises leçons de ce résultat. « Je pense qu'il est important de dire que quiconque a vécu l'histoire de ce pays et la connaît ne peut pas croire qu'il serait facile d'élire une femme présidente, et encore moins une femme de couleur, a déclaré Joy Reid, de la chaîne MSNBC, ajoutant que Kamala Harris avait mené une « campagne historique et sans faille ».
Mais certains signes montrent que, sous ce récit, la réalité est en train de percer. « Il s'agit de l'héritage de l'échec de 2016, qui n'a jamais été réglé de manière adéquate en raison du chaos de la pandémie », a déclaré l'historienne Leah Wright Rigueur à CNN au lendemain des résultats. Alors que le Parti démocrate recolle les morceaux et réfléchit à ce qu'il va faire à l'avenir, une voix importante sera celle de Bernie Sanders et de ses appels fréquents à ce que « le parti parle des problèmes de fin de mois ».
Au vu des dégâts causés par la campagne de Kamala Harris, il est difficile de ne pas être d'accord.
Notes
[1] Un Etat clé qui compte une proportion significative d'électeurs originaires du monde arabe (NdT).
[2] Commune de la banlieue de Detroit où vit la plus importante communauté arabo-musulmane des États-Unis, et où, déjouant les pronostics, le candidat républicain a largement battu sa rivale (NdT).
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Pourquoi Trump en 2024

Le populisme économique ; l'épuisement de la démocratie libérale ; la destruction de l'éducation, en particulier de l'enseignement supérieur : voilà les trois facteurs qui permettent de comprendre la nette victoire de Donald Trump face à Kamala Harris.
8 novembre 2024 | tiré d'AOC.media
https://aoc.media/opinion/2024/11/07/pourquoi-trump-en-2024/
Les électeurs de Trump ne forment pas un bloc monolithique. Bien sûr, il y a toujours les membres du Ku Klux Klan, les incels, les nazis, les alt-right, les hyper-masculins et les hyper-racistes – tous ceux qui se repaissent des promesses délirantes de Trump, de ses insultes nauséabondes et de ses manières grossières.
Il y a aussi ceux qui sont animés par la haine des « libéraux », dont ils absorbent quotidiennement le mépris ou le simple dédain. Il y a des chrétiens, des sionistes et même des islamistes (de la dernière heure) qui attendent de Trump qu'il serve mieux leur cause que ne l'a fait le régime Biden-Harris. Il y a ceux qui veulent une frontière sud du pays fortifiée et l'expulsion des migrants récents. Il y a des propriétaires de petites entreprises qui veulent des impôts moins élevés et moins de restrictions, et d'anciens travailleurs des mines et de l'industrie qui réclament des emplois aussi bien rémunérés que les emplois autrefois protégés par les syndicats.
Mais rien de tout cela n'explique le triomphe de Trump hier, son exploit historique d'être le premier candidat républicain à la présidence à remporter la victoire populaire depuis 2004. Comment l'expliquer alors ? Par trois facteurs clés : le populisme économique de Trump dans un contexte où les démocrates sont devenus le parti de l'élite ; l'épuisement de la démocratie libérale en tant que forme viable ou digne de confiance ; la destruction de l'éducation, en particulier de l'enseignement supérieur aux États-Unis.
Le populisme économique
Depuis 2015, Trump défend une position économique anti-establishment. Celle-ci n'est peut-être pas sincère – il bénéficie d'un large soutien du capital et des ultra-riches – mais elle répond aux inégalités extrêmes et croissantes aux États-Unis. Ces inégalités, bien sûr, sont le résultat d'une politique néolibérale de délocalisations, d'externalisation de la production (outsourcing) et de démantèlement des syndicats ; de la spéculation qui a propulsé le coût du logement dans la stratosphère ; et de la privatisation des infrastructures, depuis les transports « publics » jusqu'à l'enseignement supérieur. Trump s'adresse directement à la colère et au dénuement des familles de la classe ouvrière et de la classe moyenne qui n'ont pas les moyens d'assurer leur propre subsistance ni d'envisager un avenir meilleur pour leurs enfants. Au début de sa campagne, Kamala Harris a fait quelques incursions dans ce domaine, en promettant de mettre fin à la « flambée des prix » et d'accorder de petites subventions pour l'accession à la propriété. Mais depuis les années Clinton, le parti démocrate est devenu le parti des diplômés et (par conséquent) des plus aisés, un parti fidèle au statu quo, même si l'Obamacare et la loi sur la réduction de l'inflation ont apporté quelques nouveaux projets dans ce cadre. De plus, la campagne de Harris a largement laissé de côté les questions de politique économique au cours des dernières semaines, se concentrant plutôt sur l'inaptitude de Trump à assumer la présidence d'une démocratie.
L'épuisement de la démocratie libérale
Cela fait des décennies que la démocratie libérale, dans ses institutions et ses valeurs, se délite. Elle a été sapée par les ambitions néolibérales visant à la remplacer par les marchés et les technocrates, attaquée par les partis et les mobilisations de droite, dévoyée par les tribunaux. Ses liens étroits avec le capital n'ont jamais été aussi palpables. En outre, ce modèle est inapte à contrôler les forces mondiales, telles que la haute finance, ou à résoudre les problèmes mondiaux, comme le changement climatique ou les vastes mouvements de population. En conséquence de tout cela, la démocratie libérale a perdu l'estime et la confiance de millions de personnes qui la considèrent, non sans raison, comme jouant contre eux. La rhétorique ouvertement anti-démocratique de Trump n'est ni particulièrement dérangeante ni importante pour ces personnes. Ce qu'elles veulent, c'est un dirigeant fort qui ne s'inclinera pas devant d'autres puissances politiques ou économiques, qui améliorera leur vie et qui saura vaincre une partie des dangers et de la précarité que tout être humain sensible ressent au XXIe siècle. Si cela implique un modèle politique différent – autoritaire ou néo-fasciste – alors qu'il en soit ainsi. Là encore, la campagne de Harris n'a cessé de marteler l'idée que la démocratie était en jeu. Mais combien d'électeurs s'en souciaient ?
La déséducation
Trump a depuis longtemps et ouvertement ciblé et courtisé ce qu'il appelle « les non-éduqués » pour en faire sa base électorale de prédilection. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont bâti l'un des systèmes éducatifs les plus démocratiques au monde, offrant une éducation gratuite, accessible et de bonne qualité à la plupart des hommes blancs, et ensuite aux minorités raciales et aux femmes également. À partir des années 1970, tous les aspects de ce système ont été mis à mal : le financement public a été supprimé, les frais de scolarisation ont grimpé en flèche, les effectifs des classes se sont accrus et la qualité s'est effondrée. En outre, les programmes d'enseignement ont été politisés et contestés, l'enseignement professionnel (formation à l'emploi) a été valorisé au détriment du savoir et des formes de pensée plus générales, et la droite est montée au créneau contre les universités, jusqu'à mener aujourd'hui des campagnes directes contre le « lavage de cerveau totalitaire » de celles-ci. Combinée à des médias sociaux cloisonnés et à des médias grand public fortement politisés, cette déséducation rend les citoyens exceptionnellement manipulables et identifie l'éducation elle-même à l'élitisme et au « wokisme », c'est-à-dire aux démocrates.
Mis bout à bout, ces éléments montrent à quel point la campagne de Kamala Harris était déconnectée des préoccupations des gens et de son époque, tout comme l'est le parti démocrate. En effet, beaucoup de ceux qui ont voté pour elle ne l'ont pas fait parce qu'elle incarnait leurs préoccupations ou leurs espoirs, mais simplement pour faire barrage à Trump et au fascisme. La campagne Harris n'a pas abordé les conditions économiques cautionnées et favorisées par son parti depuis des décennies, ni n'a-t-elle été en mesure d'évoquer la crise de la démocratie libérale et de la citoyenneté, crise qui appelle un nouveau modèle de démocratie. Le parti républicain de Trump nous conduit vers une version de ce modèle. Le parti démocrate finira-t-il par prendre conscience qu'il doit en promouvoir une autre ? Qu'il doit défendre un modèle au service du plus grand nombre et de la planète et non de quelques-uns et des profiteurs ? Un modèle qui dissocie capital et démocratie pour construire un projet d'État porteur de transformation ? Un modèle qui prend au sérieux une citoyenneté démocratique éduquée, plutôt qu'un électorat manipulable ? Bref, un modèle adapté aux pouvoirs, aux problèmes et aux possibilités du XXIe siècle ?
Traduit de l'américain par Hélène Borraz.
Wendy Brown
Politiste, Professeure à l'Institute for Advanced Study (Princeton)
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Etats-Unis : comment affronter la politique raciste, autoritaire et anti-ouvrière de Trump ?

Donald Trump retournera à la Maison Blanche après une victoire écrasante. Une fois en fonction, il déploiera une politique ultra-réactionnaire. Nous devons nous organiser pour l'arrêter. Un édito de Left Voice, organisation révolutionnaire aux Etats-Unis.
7 novembre 2024 | tiré de Révolution permanente
A la veille de la nuit électorale, personne ne savait ce qui allait se passer, mais beaucoup pensaient qu'il faudrait plusieurs jours pour connaître le vainqueur. Ça n'a pas été le cas. Donald Trump a remporté tous les principaux États charnières, remportant à la fois une majorité au collège électoral et sur le vote populaire. Cela s'accompagne d'une prise de contrôle républicaine du Sénat et probablement de la Chambre des représentants. Après des mois de campagne, ce qui nous attend devient plus clair : nous allons devoir faire face à un triple contrôle républicain de la Présidence, du Congrès et de la Cour suprême.
La plupart des districts à travers le pays ont glissé vers la droite. Des États bleus aux États rouges, des villes aux villages, le pourcentage de votes pour Trump a augmenté. En même temps, Trump a gagné avec moins de voix que Biden lors de sa victoire en 2020, dans le cadre d'un taux de participation légèrement plus faible. Fait important,le niveau de participation des électeurs indépendants a été plus élevé que celui des électeurs démocrates, révélant un manque d'enthousiasme pour la candidate. Ce glissement vers la droite doit être compris comme une expression de la crise économique, de la crise du néolibéralisme et de la crise du Parti démocrate, qui ont propulsé Harris comme candidate tout en démontrant que son projet n'avait rien à la classe ouvrière et à l'ensemble des opprimés.
L'importante victoire de Trump représente une énorme menace pour la classe ouvrière et les opprimés, car il utilisera ce pouvoir pour lancer des attaques contre les immigrés, les droits des travailleurs, les droits reproductifs, les droits des personnes trans et d'autres droits démocratiques, comme nous l'avons vu dans les États sous contrôle républicain. Beaucoup se sont réveillés le lendemain des élections avec un sentiment de désespoir. Mais nous devons transformer ce sentiment en action et nous organiser contre Trump et ses alliés d'extrême droite. Il faut aller au-delà de la résistance contre la première présidence Trump - qui avait été détournée en soutien au Parti démocrate - et bâtir un véritable mouvement, un front uni, contre la droite.
Une évolution des tendances électorales
L'évolution des profils de l'électorat en faveur de Trump sont remarquables, notamment en ce qui concerne les jeunes hommes, les hommes noirs, et les personnes latino-américaines (dont plus de 40 % ont soutenu Trump). Les hommes de moins de 30 ans sont passés de soutenir Biden avec un avantage de 15 points en 2020 à soutenir Trump avec un avantage de 13 points. Trump a cherché, et en grande partie réussi, à faire du Parti républicain le parti de la classe ouvrière sans diplôme universitaire.
Le « fossé de genre » a été largement discuté avant l'élection et s'est révélé moins marqué qu'il aurait pu l'être, une majorité de femmes blanches ayant voté pour Trump pour la troisième fois consécutive. Harris a tout de même gagné chez les femmes dans leur ensemble avec une avance de 10 points sur Trump, en baisse par rapport à la marge de 14 % de Biden sur Trump en 2020, tandis que Trump a remporté les voix des hommes avec la même marge d'avance.
Les Démocrates n'ont pas réussi à capitaliser sur le soutien au droit à l'avortement pour les mener à la victoire. En effet, dans plusieurs États comme le Missouri et le Montana, les électeurs ont voté pour protéger le droit à l'avortement mais également pour Trump. En Floride, le soutien à l'avortement a été plus élevé que le soutien à Trump. Incapables de construire un mouvement national fort pour défendre les droits reproductifs, les Démocrates n'ont pas été perçus comme essentiels pour garantir ces droits, notamment dans les États disposant d'initiatives électorales pour inscrire ces droits dans la constitution de l'État.
Les Démocrates avaient pu repousser la potentielle vague rouge lors des élections de mi-mandat de 2022 en se basant sur le droit à l'avortement, mais la situation a changé, en partie parce que Trump a modifié la position officielle du Parti républicain sur l'avortement, et est devenue moins favorable aux Démocrates. Le repositionnement de Trump sur l'avortement a été très astucieux. En avançant l'idée que la question devrait « être laissée aux États », il a pu convaincre certains électeurs qu'un vote pour Trump n'était pas un vote contre l'avortement. Malgré ses liens avec des secteurs anti-avortement, les électeurs semblent considérer que Trump se distingue du reste de son parti en ce qui concerne l'avortement, bien que cela ne change rien au fait qu'il est à la tête d'un parti qui a durement attaqué les droits reproductifs. Cette situation n'est pas facilitée par le fait que les Démocrates ont fait très peu au niveau national pour protéger l'avortement et - comme Trump l'a souligné lors de son débat avec Harris - il semble extrêmement improbable que la restauration de Roe v. Wade que Harris a promis de signer soit jamais adoptée par le Congrès sans une lutte des classes significative, que les Démocrates n'ont évidemment pas voulu organiser.
Lire aussi : Etats-Unis. Comment les Démocrates ont pavé la voie à Trump
Le résultat pour Trump montre également qu'une majorité d'Américains, 55 % de la population, souhaite réduire l'immigration. Cela est lié à l'anxiété économique à la fois des travailleurs nés aux États-Unis et de certains travailleurs immigrés, qui ont transformé ces craintes en positions réactionnaires envers les immigrés. Trump s'est présenté comme le candidat qui serait le plus dur envers les immigrés, avec des slogans comme « déportations massives maintenant » affichés lors de ses rassemblements, ou la promesse de stopper la « crise à la frontière ». Bien que Harris ait adopté une position nettement plus à droite sur l'immigration, elle n'a pas réussi à surpasser Trump, qui a construit toute sa carrière politique sur une opposition aux immigrés. Il y a aussi la contradiction du fait que la campagne de Biden en 2020 s'était positionnée comme pro-immigrés, collaborant avec des ONG pour canaliser le mouvement des droits des immigrés vers cette campagne, avant de gouverner de manière très dure envers les immigrés sans qu'un mouvement pour les droits des immigrés (qui avait été désorienté et démobilisé par les dirigeants des ONG) ne s'y oppose. En l'absence de ce mouvement, les sentiments anti-immigrés ont commencé à se répandre et sont devenus un bouc émissaire fonctionnel à Trump pour tous les problèmes qui touchent la classe ouvrière.
Au total, le problème n'est pas seulement que les Démocrates n'ont pas réussi à séduire les électeurs sur les questions dont Trump a fait les piliers de sa campagne. Le résultat de l'élection montre qu'ils ont fait un mauvais pari en se présentant comme le parti qui « protégerait la démocratie » face à Trump. Comme Jacobin l'a constaté dans une étude interrogeant des travailleurs en Pennsylvanie, les questions de démocratie ont été les moins populaires des questions politiques sondées. Le message « défendre la démocratie » sonne creux pour une grande partie de l'électorat lorsque les Démocrates ne font rien pour protéger les droits démocratiques ou les attaquent directement. En outre, une grande partie de la population perd confiance dans les institutions gouvernementales et ne se soucie guère de la protection des normes auxquelles les démocrates s'accrochent.
La crise du Parti démocrate
La majorité des électeurs considèrent l'économie comme le principal enjeu de l'élection, et la majorité des électeurs voient en Trump la personne capable de redresser l'économie. Bien que Biden ait réussi à stabiliser l'économie après les confinements liés au COVID et ait adopté certaines initiatives majeures comme la loi CHIPS, les conditions économiques de l'Américain moyen sont restées précaires, avec une inflation croissante, des coûts élevés pour les biens de consommation courants comme les produits alimentaire, et une hausse des prix de l'immobilier. Face à cette situation, les Démocrates ont insisté sur le fait que l'économie allait bien, tandis que Trump et les Républicains dénonçaient vigoureusement ces conditions.
En 2020, Biden a mené une campagne de compromis Sanders afin de conserver la base sociale de ce dernier au sein du Parti démocrate. Il a mené des politiques plus « progressistes », avec l'annulation des prêts étudiants, le PRO Act et le retour d'emplois syndiqués dans l'industrie. En comparaison, les promesses de Harris en 2024 étaient ternes et visaient davantage la classe moyenne que la classe ouvrière. Harris a renforcé ses liens avec les milliardaires de Wall Street. Cela a conduit des secteurs de la classe ouvrière à s'aligner sur Trump, sapant encore davantage leur relation historique avec le Parti démocrate.
L'élection témoigne d'un phénomène politique qui s'amplifie depuis 2008 : le « désalignement » entre certains secteurs de la classe ouvrière et le Parti démocrate. En 2016, Trump avait remporté certains États de la Rust belt. Cette fois, le « mur bleu » a été anéanti. Les personnes qui n'ont pas fait d'études supérieures sont désormais solidement républicaines, ce qui marque un nouveau « fossé des diplômes » en politique. Les Démocrates n'ont pas été en mesure de rétablir leurs relations avec la classe ouvrière et les mouvements sociaux, même si Biden a beaucoup essayé avec ses appels aux travailleurs. Les travailleurs, épuisés par des décennies de politique néolibérale et de politique de « représentation » creuses en direction des secteurs opprimés, ne considèrent plus le Parti démocrate comme leur foyer naturel.
Le mouvement pour la Palestine a reflété des éléments de cette dynamique. En raison de son adhésion totale au sionisme, le Parti démocrate n'a pas fait la moindre concession au mouvement pour la Palestine. Il a refusé d'accorder à un représentant du mouvement un temps de parole au DNC et a exclu les Arabo-Américains des rassemblements. En conséquence, le mouvement « Uncommited » n'a pas soutenu pleinement Mme Harris et beaucoup ont refusé de voter pour elle. D'autres Américains d'origine arabe ont voté pour Trump. Les Démocrates n'ont pas été en mesure d'amener ce mouvement aux urnes comme ils l'ont fait en 2020 avec le mouvement Black Lives Matter.
Comme dans les années 1960, lorsque la jeunesse se radicalisait autour du Vietnam et du mouvement des droits civiques, on assiste aujourd'hui à une rupture entre les jeunes militants et le Parti démocrate. Le fait que Rashida Tlaib - qui est la seule membre de l'aile « gauche » du Parti démocrate a ne pas avoir soutenu Harris - ait été réélu avec 70%% des voix, obtenant plus de votes que Harris dans son district, montre la popularité d'une position plus pro-palestinienne. Harris a perdu en partie parce qu'elle a évité sa base militante mobilisée pour la Palestine.
Sur fond de craintes économiques des électeurs, Donald Trump et le Parti républicain ont réussi à se présenter comme le parti qui promettait de sortir les États-Unis de guerres coûteuses, y compris en Ukraine. Les Démocrates, en revanche, ont redoublé leur rhétorique faucon sur le rôle des États-Unis dans l'ordre mondial. En essayant de séduire les secteurs centristes de la base républicaine, Mme Harris s'est alliée à Liz Cheney - la fille de l'un des cerveaux de la guerre d'Irak, responsable d'innombrables crimes de guerre - et a laissé à M. Trump le soin de se présenter comme le candidat qui retirerait les États-Unis des « guerres éternelles » coûteuses.
Les raisons de la défaite de Mme Harris face à M. Trump sont multiples et feront probablement l'objet de débats pendant des mois, voire des années. Les Démocrates ont clairement mal joué leur rôle dans cette élection et même la peur de Trump n'a pas pu les sauver. Harris a mené une campagne pleine de messages positifs : « joie », « liberté » et « cocotiers ». Pendant ce temps, elle a viré à droite sur pratiquement tous les sujets - les droits des immigrés, le changement climatique, l'armée, les droits des transgenres, et bien plus encore. Sa campagne large, mobilisant des Républicains non trumpistes comme les Cheney, l'a fait apparaître comme une défenseuse de l'establishment bipartisan que Trump est censé rejeter.
La nouvelle droite au pouvoir
Dans son discours de victoire, Trump a déclaré qu'il avait reçu un agenda pour son prochain mandat présidentiel. Mais cet agenda est complexe et contradictoire. La coalition sociale de Trump est composée de divers secteurs. D'un côté, elle regroupe des travailleurs séduits par son populisme économique ; de l'autre, elle inclut des idéologues d'extrême droite. Elle rassemble des conservateurs religieux mécontents de la position de Trump sur l'avortement, tout en incluant beaucoup de personnes qui souhaitent le protéger. Elle comprend également les différentes ailes du mouvement MAGA, engagées dans des luttes d'influence.
Trump est soutenu par de nouveaux secteurs du grand capital, différents de ceux qu'il avait réussi à attirer en 2016 et 2020. Bien que Trump soit un candidat présidentiel atypique et que des secteurs importants de la bourgeoisie aient soutenu la campagne de Harris, certains grands capitalistes comme Elon Musk se sont rangés derrière Trump. Les allégeances changeantes des capitalistes témoignent des divisions au sein de la bourgeoisie impérialiste au sujet de l'avenir des États-Unis.
Comme l'écrit Anton Jäger dans la New Left Review :
« L'anatomie sociale des deux partis reflète la tectonique changeante de l'économie politique américaine des années 2010, coincée entre les prétendus impératifs de la réindustrialisation verte et ceux de la production de combustibles fossiles onshore et off-shore ; la lutte contre l'inflation et la demande continue pour le dollar en tant qu'actif le plus sûr du monde. Deux blocs se sont coagulés autour de cette structure contradictoire. D'une part, une coalition interclassiste, qui défend une économie à forte intensité carbone, s'est regroupée autour de Trump et de ses acolytes, purgée des piliers néoconservateurs du GOP et des conservateurs de banlieue pour conséquence les cols bleus périphériques ainsi que les petits bourgeois ruraux, les cadres moyens exurbains, les capitalistes immobiliers, les crypto-marchands, l'aile droite de la Silicon Valley et les producteurs d'acier qui ont survécu à l'assaut du laissez-faire des années 1980. Contrairement à la coalition rassemblée par Reagan, la coalition de Trump est dépourvue de blancs diplômés dans l'enseignement supérieur et soutenue par des Blancs sans diplôme.
Elle bénéficie largement des dispositifs anti-majoritaires de la Constitution américaine et s'appuie sur les mesures à la fois formelles et informelles qui permettent de restreindre le poids du vote populaire. Sa capacité de mobilisation est aujourd'hui élargie par l'intervention d'un magnat de la technologie, semblable à Ford, qui espère utiliser Trump pour obtenir un accès à des fonds publics, tandis que certains dirigeants syndicaux se sont ralliés à la nouvelle droite révisionniste au sein du parti, qui défend ouvertement le système de codétermination et les négociations salariales collectives. »
Au regard de cette caractérisation de la coalition groupée autour de Trump, il faut s'attendre à un gouvernement dont les traits autoritaires seront plus marqués, exerçant probablement un contrôle accru du ministère de la Justice et multipliant les tentatives pour consolider le pouvoir de l'exécutif, au service d'un programme de plus en plus attrayant pour les secteurs les plus importants du capital. Ce programme est basé sur la déréglementation financière, la réduction du fossé entre l'État et l'Église, le protectionnisme et l'attaque contre les droits démocratiques. Ce gouvernement appliquera des politiques violemment xénophobes qui renforceront les milices anti-immigrés.
Il continuera à soutenir le projet génocidaire du « Grand Israël » et ce n'est pas une coïncidence si l'un des premiers dirigeants mondiaux à féliciter Trump a été Netanyahou. Le gouvernement tentera de renégocier ses relations avec ses alliés internationaux, ce qui pourrait marquer une rupture dans la position étatsunienne sur la guerre l'Ukraine. Il ne faut pas se leurrer : Trump ne sera pas un président anti-guerre ; il veut au contraire réorganiser la société américaine en vue d'une plus grande confrontation avec la Chine, notamment par la militarisation et le déploiement de troupes à la frontière. Trump se prépare à gouverner comme un ultra-impérialiste. Pour lutter contre cela, il faut un internationalisme ouvrier fort qui se bat en solidarité avec nos frères et sœurs de classe dans le monde entier. Menaçant de réprimer tous azimuts les mobilisations aux Etats-Unis, Trump se prépare dans le même temps à une lutte de classe intérieure.
Prochaines étapes
Les analystes et les politiciens du courant dominant ne tiennent pas compte de la lutte des classes. Dans un épisode récent du Ezra Klein Show, Gary Gerstle explique que l'ancien ordre néolibéral est révolu, mais qu'il n'y a pas encore d'ordre nouveau pour le remplacer. C'est une autre façon de formuler le concept gramscien de crise organique, une situation dans laquelle « l'ancien meurt et le nouveau est encore à naître ». Mais ce que Klein et Gerstle oublient, c'est que la lutte des classes façonne la situation et peut la faire évoluer rapidement. Les élections ont créé une situation nouvelle, mais elle sera également façonnée dans la rue, sur les lieux d'étude et de travail.
L'absence de lutte des classes conduit logiquement à l'idée selon laquelle Trump sera en mesure d'imposer ses mesures autoritaires et anti-droits sans opposition. Mais la lutte des classes peut perturber et mettre fin à ses projets. Ce qui se passera durant cette nouvelle présidence Trump dépend ainsi des actions de la classe ouvrière.
Avec le retour de Trump, les démocrates tenteront de se recomposer en construisant un large front populaire, avec la complicité des bureaucraties des syndicats et des mouvements sociaux. Jacobin et une aile de DSA ont beaucoup travaillé pour tenter de réaligner le Parti démocrate vers la classe ouvrière et la gauche. Ils n'ont pas réussi - comme l'a montré le blocage de Sanders en 2016 et en 2020 - et ont contribué à désorienter la gauche à mesure que la nouvelle droite émergeait. Les démocrates ne mèneront pas le type de lutte dont nous avons besoin contre Trump et l'extrême droite parce qu'ils sont liés au capital et à son régime.
Si cette élection est l'expression d'un tournant droitier, elle intervient dans un contexte marqué par des signes encourageant : il y a des secteurs qui rompent avec le Parti démocrate par la gauche. Le mouvement palestinien n'a pas encore été conduit au cimetière des mouvements sociaux, ce qui oblige le régime et ses alliés dans les universités à employer des tactiques plus dures pour le réprimer. Alors que le génocide se poursuit, il n'est pas exclu que ce mouvement réapparaisse, suscitant peut-être un soutien encore plus large de la population face aux mesures répressives de Trump.
Le mouvement ouvrier poursuit son processus de réveil après des années d'hibernation suite aux attaques du néolibéralisme. De nouveaux syndicats se forment, des grèves combatives sont organisées et les travailleurs commencent à considérer leurs syndicats comme des lieux de lutte pour des revendications qui ne se limitent pas au pain et à la farine. Cela aussi est de bon augure et doit être pris en compte dans l'analyse de la situation. Alors que les bureaucraties tenteront d'étouffer cette lutte, la base a le pouvoir de riposter et d'exiger davantage de ses syndicats.
Le pouvoir de résister à Trump réside dans la classe ouvrière et les mouvements sociaux. Si nous pouvons nous organiser ensemble, indépendamment des Démocrates, la lutte des classes arrêtera Trump dans son élan. Nous sommes dans un moment convulsif où la lutte des classes peut émerger organiquement et nous devons être prêts à affronter ces moments. L'ancien est mort, mais le nouveau n'est pas encore né. La lutte des classes peut faire accoucher quelque chose de nouveau, à condition de s'organiser. Pour cela, nous avons besoin non seulement d'un front uni contre la droite, mais aussi d'un parti politique de la classe ouvrière et des opprimés avec un programme socialiste qui unifie nos luttes et nous donne des bases pour lutter pour un monde meilleur.
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Le second mandat de Trump - le moment est venu de mener une riposte mondiale

Donald Trump à remporté une deuxième élection à la présidence des États-Unis le 6 novembre 2024. Le Parti républicain contrôle désormais presque totalement toutes les institutions politiques américaines, puisqu'il a également progressé au Sénat, ce qui lui permet de contrôler l'ensemble du pouvoir législatif, la présidence et la Cour Suprême. C'est une victoire pour les oligarques américains, Elon Musk, Jeff Bezos, les crypto-fanatiques et les Tech Bros de la côte ouest. Le trumpisme fait partie de la vague contre-révolutionnaire mondiale que nous observons avec les populistes d'extrême droite, les autoritaires, les semi-fascistes et les libertariens qui prennent le pouvoir dans les pays du monde entier.
Tiré de Inprecor
6 novembre 2024
Par Anticapitalist Resistance
Gage Skidmore from Surprise, AZ, United States of America — Donald Trump, CC BY-SA 2.0
Nous assistons à un processus de glissement général vers l'extrême droite provoqué par le néolibéralisme et l'effondrement du consensus libéral de l'après-guerre qu'il a entraîné. Le trumpisme est la même tendance qui a produit Modi en Inde, Duterte aux Philippines, Meloni en Italie, etc.
Mais cette victoire, en particulier, est un désastre pour des milliards de personnes à travers la planète. Le pouvoir de l'impérialisme américain d'agir ou de ne pas agir reste un facteur décisif dans la politique mondiale.
Une deuxième présidence Trump sera aussi chaotique et vile que la première. Mais maintenant, ses principaux soutiens intellectuels seront beaucoup plus clairs sur ce qu'ils veulent en retirer. Le projet 2025 est un plan détaillé pour des États-Unis autoritaires ; il comprend des propositions visant à licencier des milliers d'employés du gouvernement et à placer le reste de la bureaucratie du gouvernement américain sous le contrôle central du président. L'élimination du ministère de l'Éducation pour permettre aux États de contrôler les programmes scolaires. Il s'agit de faire reculer les soins de santé et les droits sociaux des transgenres, rendant l'existence des transgenres presque intenable dans certains États. Cela signifie l'élimination des protections fédérales pour l'égalité des sexes, l'orientation sexuelle et les droits reproductifs. Il est presque certain que les pilules abortives ne pourront plus être envoyées par la poste, alors qu'il s'agit du premier moyen d'avorter aux États-Unis. Nous assisterons à la généralisation des « réflexions » sur la privation des droits des femmes. Il s'agit également de réduire le financement de la recherche et du développement des énergies renouvelables, d'augmenter la production d'énergie et d'abandonner les objectifs de réduction des émissions de carbone.
On ne sait pas si la promesse de Trump d'être un dictateur dès le premier jour et d'utiliser l'armée contre les opposants politiques était ou non de la poudre aux yeux à des fins électorales. Mais le fait qu'il ait mené une campagne aussi réactionnaire et obtenu un vote aussi décisif révèle quelque chose sur la croissance des idées populistes d'extrême droite. Nous savons que lui et son vice-président JD Vance ont récemment apporté leur soutien à un livre intitulé Unhumans, un manifeste pour l'assassinat en masse de militants de gauche dans la lignée de Pinochet au Chili. Cela révèle le noyau fasciste de la politique néolibérale, qui a bouclé la boucle.
Cette défaite repose en grande partie sur la politique misérable et la stratégie ratée des démocrates. Il est clair que les démocrates ne sont même pas un bouclier ébréché contre la croissance de l'extrême droite ; ils alimentent activement le problème. Ils ont fait comme si de rien n'était dans une période d'anxiété et de division.
Ils ont mené une campagne contre un populiste qui faisait appel aux « gens ordinaires » en se concentrant plutôt sur la vertu de la classe dirigeante - en répétant constamment que Trump était un criminel, comme s'il n'y avait pas des millions de criminels aux États-Unis dans un système judiciaire corrompu et injuste qui pourraient voir en lui un martyr persécuté. La fixation des démocrates sur les cours de justice pour le décrédibiliser avant l'élection a totalement échoué et a renforcé ses arguments populistes. Ils ont préféré une campagne centriste, axée sur l'appui de célébrités, la conquête de républicains de base et le défilé de Liz Cheney. Ils ont fait appel à la croyance selon laquelle les États-Unis sont un pays d'égalité des chances et de post-racisme, alors que ce n'est manifestement pas le cas.
Trump et ses partisans ne s'y trompent pas. Ils savent que c'est un mensonge. Ils préfèrent les postures machistes, la loi du plus fort, l'absence de conséquences. Ces dernières semaines, les démocrates se sont attachés à qualifier Trump de fasciste - la réponse de ses partisans a été soit de hausser les épaules, soit d'accepter le fait qu'il ait autant énervé les libéraux. Trump est le symbole de tous les points de vue les plus égoïstes et réactionnaires de la société américaine, mais les démocrates ne représentaient pas une alternative. Son mouvement a cristallisé une vision des États-Unis qui rejette l'égalité et embrasse la domination. Son mouvement n'est pas étranger à la politique générale des États-Unis, il y est enraciné.
La vague contre-révolutionnaire mondiale est en grande partie une réaction aux acquis de l'après-guerre - les avancées réalisées par les femmes, les Noirs, la communauté LGBTQIA+ et d'autres. Trump a surtout séduit les Blancs et les jeunes hommes, les nationalistes chrétiens d'extrême droite et les partisans d'Elon Musk. Il a également recueilli les voix de la communauté arabo-américaine qui s'est détournée des démocrates en raison de leur financement du génocide israélien à Gaza (même si Trump poursuivra la même politique). Mais il a aussi obtenu le soutien d'un nombre important de Noirs(c'est-à-dire de personnes de couleur) et de femmes, qui rejettent l'establishment libéral et veulent résoudre les contradictions de la société américaine en embrassant ses valeurs suprématistes. Une partie de la population noire américaine soutient également les déportations massives d'immigrés récemment arrivés, si cela permet de faire baisser les prix et d'améliorer les salaires (comme le prétend Trump). C'est là tout l'intérêt du populisme : il combine les contradictions et s'adresse à différentes personnes de différentes manières, tout en prétendant apporter des réponses simples à des questions complexes et en refusant d'apporter des changements significatifs.
Son programme populiste comportera des contradictions considérables. Trump a promis une prime au carbone et aux combustibles fossiles pour faire baisser les coûts des factures d'énergie et lutter contre l'inflation, mais il veut aussi imposer des droits de douane sur les importations pour renforcer l'industrie américaine, ce qui fera grimper les prix. Il semble peu probable qu'il parvienne à améliorer le niveau de vie et à créer davantage d'emplois pour les citoyens américains, notamment en procédant à des coupes sombres dans le secteur public. Le paysage politique moderne est bien plus complexe et partagé par des divisions idéologiques que par de simples calculs financiers.
Le fait qu'il ait indiqué qu'il retirerait son soutien à l'Ukraine et « mettrait fin à la guerre dans ce pays » signifie presque certainement que l'annexion impériale de la Russie pourra se poursuivre. Il reste à voir ce que cela signifie pour l'ensemble de la région, alors que Poutine poursuit son projet expansionniste. Il est certain que l'émergence d'un monde plus multipolaire nous rapprochera d'une troisième guerre mondiale à un moment ou à un autre. Pour les Palestiniens, cela signifie aussi plus de massacres et de défaites. Trump a été clair avec Netanyahu : les dirigeants d'extrême droite d'Israël peuvent « faire tout ce qu'ils doivent faire » pour gagner.
La nécessité de poursuivre la résistance ne fait aucun doute. De nombreuses personnes se sentent sans espoir ou désespérées en ce moment, et c'est exactement ce que veulent l'extrême droite et les fascistes. Ils prennent un plaisir sadique dans les défaites qu'ils infligent aux « éveillés » et à la gauche. Mais la politique est déterminée par les luttes pour le pouvoir et le contre-pouvoir, la construction de coalitions de masse de résistance, l'identification des points faibles de l'ennemi et la mobilisation des forces pour briser sa puissance.
Anticapitalist Resistance est totalement solidaire de celles et ceux qui, aux États-Unis, rejettent ce tournant autoritaire et veulent lutter pour un monde meilleur. Nous savons que les prochaines années seront difficiles, mais notre mouvement a déjà connu des périodes difficiles par le passé. Nous savons que les choses vont empirer avant de s'améliorer. Mais nous savons aussi que nous pouvons plaider pour un monde au-delà du capitalisme, de l'impérialisme et du militarisme, basé sur une société qui subvient aux besoins de tous et qui est durable avec l'environnement. L'emballement du réchauffement climatique est déjà présent, tout comme le renforcement de l'extrême droite à l'échelle mondiale ; les deux sont liés. Et la politique ne s'arrête pas aux urnes - c'est un autre mensonge sur lequel les démocrates se sont appuyés. Le pouvoir vient de notre organisation et de notre résistance. Nous nous battons pour un changement révolutionnaire. Notre rôle est de faire partie de la riposte internationale pour changer le monde, se réapproprier l'avenir et construire une société meilleure pour tous !
Déclaration du Conseil d'Anticapitalist Resistance le 6 novembre 2024
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« Le Québec, terre des fausses promesses… »

« Pour moi le Québec représentait une page blanche où je pouvais commencer une nouvelle vie, un nouveau départ »…C'est du moins ce que pensait Maria1 avant d'arriver au Québec. En ce 7 octobre, la Vigile en santé et sécurité au travail de l'Estrie profite de cette Journée internationale pour un travail décent pour dénoncer les abus de trop nombreux employeurs québécois envers les travailleuses et les travailleurs migrants
Tiré du Journal Entrée Libre
Date : 1 novembre 2024
| Chroniqueur.es : Vigile en santé et sécurité au travail
Crédit image : PxHere
Comme Maria*, nombreux sont les immigrants permanents ou temporaires à qui les employeurs québécois font miroiter une meilleure vie. Malheureusement à leur arrivée, ils sont plongés dans un affreux cauchemar… Conditions de travail en deçà des normes du travail, salaire moindre que promis, instabilité d'emploi, fausses promesses de statut de résidence permanente, conditions d'hébergement insalubres, harcèlement, menaces, abus… La situation est telle que l'ONU a qualifié la situation des travailleurs ayant des permis de travail fermés au Québec et au Canada d'esclavagisme moderne !
Plusieurs migrants se sont présentés aux différents organismes pouvant leur venir en aide dont Illusion Emploi qui soutient les personnes victimes du non respect des normes du travail :
Juan* témoigne de son expérience personnelle : « On riait de mon accent hispanophone et on m'imitait pour se moquer de moi. Je me sentais humilié et mis à l'écart. Nous [les travailleurs migrants] étions insultés chaque jour. On nous traitait d'incompétent et on nous sacrait après. L'employeur nous a même déjà lancé des objets lorsqu'il n'était pas satisfait de la rapidité à laquelle nous effectuions les tâches. C'était un environnement extrêmement stressant et toxique. Ça m'a beaucoup affecté psychologiquement. »
« L'offre d'emploi indiquait 19 $/heure avec des conditions de travail intéressantes : 40h/semaine, 2 semaines de congé par année, etc. Une fois arrivé ici, je réalise que tout ce qu'on m'a promis était des mensonges. Je travaille 50h/semaine par semaine pour 400 $ clair ce qui équivaut à 8 $ de l'heure. » nous dit Mohamed*.
Pour sa part, Adira* nous rapporte « J'ai eu un accident sur mon milieu de travail et on a refusé de m'amener à l'hôpital. Je n'avais pas de moyen de me déplacer et j'étais à 45 minutes de voiture de l'hôpital. J'ai pris quelques jours de repos non rémunérés. J'avais tellement mal au dos que je n'arrivais pas à dormir. Rapidement, on m'a mis de la pression pour revenir au travail. Je suis revenu après deux jours. Mon dos me faisait extrêmement mal, mais je n'avais pas le choix de travailler si je voulais être payé. »
« Le gouvernement du Canada annoncent des mesures de protection pour prévenir les abus et en cas d'urgence offrir, entre autres, aux travailleurs/travailleuses migrants temporaires ayant un permis de travail fermé, qui les oblige à un seul employeur, à obtenir un permis ouvert… Une démarche de 5 jours sur papier mais qui en réalité peut prendre de 3 à 4 mois avant d'être traité par les services appropriés. » déplore l'équipe des Services de soutien aux travailleurs étrangers temporaires de l'organisme Actions interculturelles.
De son côté, le Comité des travailleurs et travailleuses accidentés de l'Estrie (CTTAE) critique sévèrement la CNESST, qui fait très peu d'efforts, en cas d'accident de travail, pour mettre en place des moyens d'informer et de soutenir les travailleurs migrants qui n'ont aucune connaissance de nos lois, de leurs recours, qui sont isolés par la barrière de la langue ou la méconnaissance de nos codes culturelles. « Les cas de harcèlement et d'abus sont de plus en plus nombreux mais la plupart du temps refusés faute de preuve alors que les victimes peinent à s'exprimer et se faire comprendre et que les autres travailleurs migrants témoins de la situation n'osent s'avancer par craintes de représailles ou sous les menaces des employeurs », mentionne Patrick Morin du CTTAE.
Au cours des derniers mois, François Legault a souvent accusé les travailleurs migrants d'être la cause de la crise du logement, de la surcharge des services gouvernementaux ou encore des ratés de notre système de santé alors que se sont, en grande partie, les décisions, les coupures et la mauvaise gestion de son gouvernement et de ceux du passé qui en sont responsables. Les travailleurs migrants représentent une force de travail importante au Québec acceptant souvent des emplois jugés trop ardus, trop dangereux ou n'offrant tout simplement pas des conditions de travail appropriés à nos yeux de québécois. Plusieurs entreprises agricoles, hôtelières, manufacturières et autres seraient grandement affectées sinon en péril si tous ces travailleurs migrants venaient à disparaître.
Pour être à la hauteur de notre réputation de Terre accueillante, citoyens, employeur, syndicats, nous avons tous un rôle à jouer et nous devons nous impliquer et dénoncer les abus tant pour les travailleurs migrants que pour l'ensemble de nos collègues. Soyons vigilants, à l'écoute et n'ayons pas peur d'aller au–devant et de soutenir les travailleurs migrants pour les aider à comprendre le Québec, à s'y installer et participer pleinement à la société québécoise car nous avons toutes et tous droit à un travail décent…
* Par craintes de représailles les noms ont été modifiés
La Vigile est un regroupement de centrales syndicales et d'organismes communautaires qui ont à coeur la santé et la sécurité des travailleuses et des travailleurs. Le rôle de la Vigile est de donner une voix aux travailleurs et travailleuses afin de faire entendre aux gouvernements et aux employeurs que la santé et la sécurité en milieu de travail doivent passer avant les profits et les bénéfices…
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Recours au secteur privé dans le réseau de la santé

Visionnez l'intervention de Gabriel Nadeau-Dubois à l'Assemblée nationale à propos du financement du secteur privé en santé. Et l'aveuglement volontaire de la CAQ sur le sujet...
M. Gabriel Nadeau-Dubois : Merci, M. le Président. Tu paies des impôts puis tu reçois des soins de santé. C'était censé être ça, le contrat social au Québec. Tu paies des impôts, puis, que tu sois riche ou que tu sois pauvre, bien, le système public va s'occuper de toi dans un délai raisonnable, puis ça va être gratuit. Sous la gouverne du premier ministre, ce contrat social là, il s'est brisé. Sous la gouverne du premier ministre, les Québécois, les Québécoises, ils paient en double et ils attendent plus qu'avant. Ils paient une fois sur leur rapport d'impôt puis une fois sur leur carte de crédit, parce qu'ils sont obligés d'aller au privé. Les Québécois paient en double pour l'échec du premier ministre à faire fonctionner notre système de santé.
Gabrielle a besoin d'une prescription, 250 $ au privé. Marianne a besoin... d'une otite, 300 $ au privé. Pascal fait une crise d'allergie, 400 $ au privé. J'ai 15 pages d'exemples comme ça. Ça n'a plus de bon sens...
M. Nadeau-Dubois : ...d'allergie, 400 $ au privé. J'ai 15 pages d'exemples comme ça. Ça n'a plus de bon >sens. Pas besoin d'être Québec solidaire pour savoir qu'on est allés trop loin avec le privé en santé. Même le ministre de la Santé le reconnaissait lundi. Savez-vous ce qu'il a dit ? « Arrêter de développer le privé, je suis d'accord avec ça. »
Le premier ministre, lui, il est-tu d'accord avec ça, arrêter de développer le privé en santé au Québec, oui ou non ?
Le Vice-Président (M. Benjamin) : M. le premier ministre.
M. Legault : Bien, M. le Président, encore une belle démonstration du dogmatisme de Québec solidaire. On met tout dans le même panier, le privé où on paie avec la carte d'assurance maladie, le privé privé où on n'a pas augmenté la présence. Et, M. le Président, je suis pas mal certain que, chez les députés de Québec solidaire, il y en a qui font affaire avec une clinique privée pour leurs médecins de famille. Mais, bon, pour eux autres, là, le mot « privé », c'est un mot qui ne doit pas être prononcé.
M. le Président, il peut être intéressant, il peut être efficace, dans certains cas, par exemple, de regrouper des chirurgies pour le genou, la hanche tout au même endroit, dans un hôpital privé où on paie avec la carte d'assurance maladie. Ça nous a beaucoup aidés pendant la pandémie. Mais l'approche de Québec solidaire, c'est de dire : On est contre le privé mur à mur.
Parlons un peu de ce que le ministre de la Santé discutait cette semaine, les agences privées pour les infirmières. Malheureusement, là, avec le laxisme des gouvernements précédents s'est développée une mauvaise habitude où ça peut être intéressant pour une infirmière de passer par une agence privée qui va charger plus cher à l'hôpital que si l'hôpital embauchait directement l'infirmière. Le ministre de la Santé a réussi à réduire ça de 50 %, de 50 %.
Le Vice-Président (M. Benjamin) : M. le chef du deuxième groupe d'opposition.
M. Nadeau-Dubois : On connaît bien la cassette du premier ministre sur Québec solidaire, mais qu'est-ce qu'il répond au Collège des médecins ? Ce n'est pas un lobby, ça, le Collège des médecins. Et savez-vous ce que le Collège des médecins lui demande ? Suspendre l'expansion du privé immédiatement. Et, mardi, le ministre de la Santé a dit, je cite : « Moi, je suis 100 % d'accord avec le Collège des médecins. »
Donc, le premier ministre, lui, est-ce qu'il est 100 % d'accord avec son ministre et le Collège des médecins ?
Le Vice-Président (M. Benjamin) : M. le premier ministre.
M. Legault : Oui. Bon, encore une fois, Québec solidaire, dogmatique, mélange tout. Non, mais c'est vrai. Oui, je vois le député de Rosemont, qui est peut-être un des plus dogmatiques ici, dans l'Assemblée, qui s'amuse.
De quoi parlait le Collège des médecins ? Le Collège des médecins parlait des médecins formés au Québec, dans des universités québécoises, aux frais des contribuables québécois. Est-ce que ces gens-là pourraient arrêter, par centaines, de s'en aller soit au privé soit en Ontario ? Est-ce qu'on pourrait leur imposer de travailler dans le réseau public un certain nombre d'années ? C'est de ça que parlait le Collège des médecins puis c'est là-dessus où on est d'accord.
Le Vice-Président (M. Benjamin) : Deuxième complémentaire.
M. Nadeau-Dubois : Le premier ministre retient juste le bout qui fait son affaire. Ce que le Collège des médecins a dit mardi, je cite, c'est qu'il faut « suspendre l'expansion du privé immédiatement ». Le ministre de la Santé était d'accord jusqu'à tant que quelque chose se passe, on découvrira peut-être quoi un jour, et que la position change sur l'heure du midi.
Le premier ministre, lui, est-ce qu'il aura le courage de donner une réponse claire ? Il veut plus ou moins de privé en santé ?
Le Vice-Président (M. Benjamin) : M. le premier ministre.
M. Legault : Bien, la vie, là, ce n'est pas noir ou blanc, comme pense Québec solidaire. Il y a des endroits où c'est bon d'avoir du privé plus efficace. Parlons, par exemple, des cliniques, des GMF qui sont dans des cliniques privées, parlons de certaines chirurgies qui sont faites dans des hôpitaux privés. Par contre, il y a des endroits où ce n'est pas bon, exemple, passer par une agence d'infirmières puis donner un profit à une agence privée plutôt que d'embaucher directement l'infirmière.
Maintenant, je suis content de voir que Québec solidaire est d'accord pour dire : Un étudiant formé au Québec qui veut s'en aller en Ontario, bien, on pourrait lui demander de rembourser les frais de scolarité, même si c'est contre la Charte des droits et libertés. Content de voir ça.
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Dossier : dictionnaire Marxisme et marxistes en Amérique

Le dictionnaire Marxisme et marxistes en Amérique rend compte de la vie, de la pensée et de la praxis politique des premiers marxistes des nations américaines. Il est le fruit d'un travail collectif mené depuis de longues années, et a été rendu public au début de l'année 2024.
Tiré du site de la revue Contretemps.
La revue Contretemps web publiera progressivement les notices biographiques et travaux du dictionnaire, grâce à la collaboration d'une équipe de traducteurs.trices francophones que nous remercions également, pour son travail important visant à faire connaitre au lectorat francophone cet immense projet de recherches.
***
Le Dictionnaire marxisme en Amérique est une œuvre de récupération historique de la mémoire des premiers penseurs et militants qui ont entrepris de réfléchir et d'affronter les problèmes sociaux, politiques et économiques propres aux nouvelles nations américaines, initiant ainsi le développement de la pensée-lutte marxiste sur le continent.
Travail éducatif et critique inédit, en particulier dans sa version originale en portugais, le projet est coordonné par le groupe Núcleo Práxis de Recherche, d'Éducation Populaire et Politique de l'Université de São Paulo (Brésil) : https://nucleopraxisusp.org/. Ce groupe de recherche se consacre à des activités politiques et d'éducation populaire et compte actuellement une centaine de chercheurs et chercheuses volontaires de différents pays, engagé.e.s dans une enquête archéologique sur les origines du marxisme dans les Amériques.
Les premiers volumes du dictionnaire, devant dépasser le millier de pages, proposent des notices composées de biographies et d'essais sur les idées et la praxis politique d'environ 150 marxistes qui ont vécu, écrit et agi dans les pays américains. L'ouvrage couvre une période qui va du XIXe siècle, celui de la formation du marxisme sur le continent, jusqu'aux années 1970, lorsque la crise structurelle du capitalisme s'aggrave et que les marxismes se multiplient.
Au moment de la rédaction de cette présentation, la publication progressive du dictionnaire marxiste est engagée. Suite à près de 5 ans d'efforts collectifs, ses entrées peuvent être lues librement en ligne, sous forme d'« articles » rendus disponibles chaque semaine sur le portail du Núcleo Práxis-USP et ensuite republiés par des portails partenaires de premier plan. Cet avant-goût distillé tout au long de l'année concerne le premier volume, relatif à la période de formation du marxisme en Amérique. Ceci vise non seulement à diffuser l'ouvrage (dont l'objectif est à la fois théorique et pédagogique), mais offre aussi un espace propice à des lectures critiques et à d'éventuelles améliorations des textes, avant que ces derniers ne soient présentés au public sous forme de livre.
La publication complète, attendue prochainement, est assurée par les Edições Práxis en co-édition avec la maison d'édition Expressão Popular. Elle comptera deux éditions : l'une imprimée (à un prix accessible) et l'autre numérique (gratuite).
Les débuts des travaux
En 2015, les fondateurs du Núcleo Práxis-USP, engagé.e.s dans les réunions politiques et les débats du Groupe d'Étude sur le Marxisme (l'un de leurs premiers projets), commencèrent à envisager d'élargir les activités du collectif vers l'éducation populaire. C'était une période difficile, durant laquelle se profilait le coup d'État, réalisé l'année suivante. Dans ce contexte, deux nouveaux projets furent imaginés : un forum de discussion sur les droits sociaux (mis en place peu de temps après, en partenariat avec des associations et des communautés populaires de la ville de São Paulo) et une anthologie, à la fois critique et didactique, rassemblant des essais sur des figures marxistes latino-américaines, afin d'offrir aux étudiants et étudiantes et aux travailleurs et travailleuses un aperçu des théories et des pratiques marxistes développées dans notre Amérique.
Au cours de ce processus, le coordinateur général du Núcleo Práxis, Yuri Martins-Fontes présenta l'idée au professeur Wilson do Nascimento Barbosa lors d'une réunion du Laboratoire d'Economie Politique et d'Histoire Economique de l'USP en lien avec son doctorat. Ce dernier dirigeait les recherches de l'entité. Au cours d'un après-midi de dialogue, le projet fut précisé et élargi. Plutôt qu'une anthologie supplémentaire, avec des articles complexes et cantonnés au domaine universitaire, pourquoi ne pas s'efforcer de produire une œuvre plus ambitieuse ? Il s'agirait d'une publication pédagogique, de référence, avec des textes plus courts mais à même de rendre compte de la grande diversité des problèmes et des courants du marxisme développés pendant plus d'un siècle à travers le continent – un livre qui pourrait servir non seulement aux études secondaires et universitaires, mais également à la formation politique des jeunes socialistes ?
La graine était plantée. Le projet fut rédigé et présenté à un éditeur prestigieux, qui demanda une notice en guise d'exemple. Le coordinateur répondit à la demande en élaborant un premier texte sur le Péruvien José Carlos Mariátegui (1894-1930), à partir du modèle qu'il avait récemment développé dans sa thèse sur le marxisme latino-américain (publiée plus tard sous le titre Marx na América). La maison d'édition approuva la publication, tout en soulignant que dans la conjoncture du moment, elle ne pouvait s'engager davantage dans le projet. La réalité nationale – économique, sociale, culturelle – largement défavorable, se détériora rapidement. Le Núcleo Práxis-USP ne comptait alors qu'un peu plus d'une dizaine de membres, parmi lesquels seul un petit nombre était prêt à se lancer dans l'aventure. Sans soutien matériel et institutionnel, le projet fut suspendu.
La Renaissance
En 2018, le Núcleo Práxis connut une période de croissance grâce à la dynamique de ses projets – en particulier le groupe d'étude (qui à l'époque lisait Le Capital, de Marx), la traduction collective de l'ouvrage Historia y Filosofía (anthologie de textes de l'historien marxiste brésilien Caio Prado Júnior, publiée en 2020), et le Forum de formation politique pour dirigeants et dirigeantes populaires (dont les conversations régulières réunissaient des éducateurs et des dirigeants communautaires). De nombreux militants et militantes – spécialistes de différents domaines, universités et pays – rejoignirent alors le collectif.
Grâce à ce mouvement d'expansion, l'organisation gagna en courage et en membres, ce qui lui permit d'envisager de nouvelles actions. Les réunions sur les orientations possibles se succédèrent, jusqu'à ce que le projet d'une publication périodique fût approuvé : une revue politique et populaire, qui offrirait aux étudiants et aux travailleurs une voix dissonante dans l'ambiance fasciste qui se diffusait dans le pays. Une publication socialiste dans une époque de montée de l'irrationalité permise – si ce n'est soutenue – par les médias dominants et autres forces néolibérales, irrités par les réformes sociales (de base) des gouvernements populaires.
Notre expérience avec les publications périodiques était faible – limitée à certains membres, qui, dans les années 2000, avaient édité pendant quelques années le magazine A Palavra Latina. Par ailleurs, la dynamique positive du collectif transparaissait dans l'intention manifestée par plusieurs membres de s'impliquer dans un projet régulier et de longue haleine.
S'ensuivit un va-et-vient de propositions et de débats, jusqu'à ce que l'idée du Dictionnaire refasse surface. Le projet fut alors partiellement reformulé et présenté à une audience de chercheurs et chercheuses intéressé.e.s lors d'une réunion, organisée dans un théâtre du centre de São Paulo, réunissant des membres de Núcleo Práxis gravitant autour du projet de publication. C'est là que le projet renaquit effectivement.
Penser le marxisme en Amérique
L'année suivante, lors de son Assemblée générale, le Núcleo Práxis-USP élut une nouvelle direction, qui put alors compter sur la participation de nouveaux camarades impliqué.e.s dans les cours de formation et dans les publications du collectif (matériel didactique, traductions de textes marxistes, collaborations avec la presse indépendante). Paulo Alves Junior (Secrétaire général) et Solange Struwka (Vice-coordinatrice) rejoignirent ainsi la Coordination générale de l'entité. En parallèle, Pedro Rocha Curado prit en charge la Coordination de la communication politique nouvellement créée, dont le rôle était de diffuser les travaux éditoriaux et d'éducation populaire du Núcleo, y compris dans un environnement numérique en ébullition.
Les débats autour du Dictionnaire s'intensifièrent et devinrent plus réguliers, mais il fallait désormais canaliser toute cette énergie. C'est à cette fin que fut créé le Séminaire de la pensée marxiste en Amérique, dont les participants eurent pour objectif d'enquêter et de sélectionner les marxistes les plus remarquables du continent, afin que leurs histoires, pensées et actions politiques fussent analysées, documentées et diffusées auprès du public. Afin de gagner en efficacité, les membres du séminaire se divisèrent en cinq sous-groupes chargés d'étudier l'histoire du marxisme dans cinq aires géographiques délimitées : le Brésil, le Cône Sud, les Andes, le Mexique et l'Amérique centrale, l'Amérique du Nord et les Caraïbes. C'est ainsi que commença – désormais en pratique – notre odyssée éditoriale.
Au départ, le Séminaire comptait une douzaine de chercheurs, nombre qui doubla rapidement. L'avancée des travaux révéla cependant la complexité du projet et l'insuffisance du nombre de chercheuses et chercheurs. Il s'avéra difficile, par exemple, d'accéder à des informations sur certains personnages historiques fondamentaux. Un travail de cette envergure nécessitait ainsi davantage de co-auteurs et co-autrices, de collaborateurs et collaboratrices, de coordinateurs et coordinatrices.
À cette fin, la Coordination de la communication politique fut renforcée avec l'arrivée de Joana Aparecida Coutinho et de Felipe Santos Deveza, dans le but d'étendre nos réseaux politiques auprès de mouvements sociaux et d'universitaires en établissant des liens qui pourraient soutenir à la fois la structure de base du projet et le recrutement de la main-d'œuvre intellectuelle nécessaire à sa production.
Rappelons qu'à cette période, au début de l'année 2020, la situation sanitaire mondiale s'aggravait et que la pandémie avait conduit à la mise en œuvre de mesures de confinement. Compte tenu des restrictions, les réunions et les débats politiques en présentiel promus par le Núcleo Práxis durent s'adapter au modèle en distanciel (comme dans le cas des activités de formation politique, réalisées en 2021 par visioconférence). Malgré la froideur et la précarité des dialogues propres aux relations numériques, cette soudaine impulsion technique permit au collectif de multiplier les contacts – tissant des liens parfois assez éloignés géographiquement, mais qui s'avérèrent solides.
Avec le lancement des recherches du Séminaire et l'adhésion de nouvelles personnes à la fonction de coordinateurs et coordinatrices, la Coordination éditoriale du Dictionnaire était agrandie, formant désormais une équipe chargée de l'organisation générale, de la répartition des tâches, des plannings, des délais, des accords et des conditions de publication, ainsi que de la révision critique et de l'édition finale des entrées et documents liés au projet. Auparavant formée des trois représentants de la Coordination générale, elle inclut par la suite les trois membres de la Communication politique.
Une rencontre avec des marxistes historiques
C'est ainsi que les membres du Séminaire, se réunissant mensuellement pendant environ deux ans, menèrent une recherche historico-archéologique destinée à mettre en lumière la mémoire des figures marxistes des nations relevant des différents groupes de travail, en s'efforçant d'identifier non seulement ces protagonistes, mais également les conditions, les méandres de l'histoire dans laquelle ils et elles furent plongés : le contexte de leurs idées et de leurs actions. Chaque mois, de nouveaux noms de penseurs communistes apparaissent, révélés par des lectures centrées tant sur les écrits des auteurs étudiés eux-mêmes que sur la littérature secondaire. Informations biographiques, polémiques politiques, textes théoriques furent ainsi minutieusement exhumés des bibliothèques et des fonds d'archives, parfois privés.
Mais c'est surtout notre dialogue – et l'écoute des sujets historiques de chaque pays – qui nous conduisit aux indices les plus précieux, issus de la recherche des membres du séminaire pour obtenir des informations de première main. Des entretiens oraux ou écrits furent donc menés auprès de dirigeants sociaux et de militants de partis communistes, socialistes et travaillistes de plusieurs pays, ainsi qu'avec des intellectuels et des universitaires en sciences humaines de plusieurs universités nationales. Grâce à cette connaissance locale, résultant du réseau de contacts internationaux qui s'était établi, nous pûmes recueillir des opinions plus précises sur le marxisme et les principales figures marxistes de chaque pays. Ceci, ajouté à nos études bibliographiques généralistes antérieures, permit au processus de recherche et de sélection de se démocratiser et de se diversifier.
Pour compléter ce socle de contenus, avant le processus d'écriture, nous étudiions également le contexte historique de chaque nation dans la période en question, tout comme les dimensions historiographiques et philosophiques, particulières et universelles du marxisme telles que ses représentants et représentantes les avaient développées.
À la fin de la première année du séminaire, les membres de chaque sous-groupe commencèrent à exposer leurs découvertes aux autres participants avant de discuter collectivement du résultat de chaque recherche. C'est sur la base de cette pratique dialogique que furent répertoriés, évalués, rassemblés et choisis les noms de près d'une centaine de marxistes historiques, dont la pensée était retranscrite d'une manière ou d'une autre (livres, articles, manifestes, discours transcrits, entretiens, correspondance), et qui venaient composer le volume relatif à la période de formation du marxisme en Amérique.
L'approche épistémologique de l'ouvrage privilégie les auteurs et autrices développant d'authentiques réflexions marxistes. Ces dernières peuvent prendre la forme d'analyses historiques qui permettent d'interroger les questions propres à chaque réalité nationale. Elles peuvent également s'inscrire dans un cadre plus philosophique au travers du travail sur des concepts universels et totalisants. Les membres du séminaire ont par ailleurs mis en lumière des trajectoires de militants et militantes moins originaux, mais ayant néanmoins consacré leur vie à des tâches politiques caractéristiques des communistes : organisation, conscientisation des masses, diffusion de la pensée-lutte marxiste par le travail de terrain (éducation, syndicats, journalisme indépendant).
De plus, parmi les autres critères sur lesquels nous nous sommes appuyés pour choisir les marxistes à biographier, nous avons privilégié la diversité, avec une attention portée à la fois au genre et aux ethnies qui composent les peuples américains (peuples indigènes, noirs, femmes). Cette ligne est déclinée, sinon pour chaque pays, du moins pour chaque région du continent (en fonction des contraintes de l'époque). Nous nous sommes également efforcés d'inclure dans le volume des marxistes issus du plus grand nombre possible de pays d'Amérique (et des différentes régions du Brésil), de telle sorte que nous sommes parvenus à faire figurer des représentants de toutes les régions du continent et de presque tous les pays – l'absence de certains pays s'explique par le caractère encore colonial ou en voie de formation nationale de certains territoires.
Se mettre au travail
Le temps était enfin venu de se concentrer sur l'écriture, sur l'organisation des apprentissages accumulés. L'activité d'élaboration en masse des textes commença alors. C'était une tâche délicate, dans laquelle notre modèle de notice spécifique – didactique et critique – guida la rédaction. Ce dernier se caractérise par un double objectif de diffusion sociale large, mais aussi d'analyse et de développement de sujets essentiels, ne se limitant donc pas à une approche purement descriptive. La volonté de maintenir cette uniformité et cette qualité fait ainsi intervenir de nombreuses étapes supplémentaires. Le processus commence avec les auteurs de la première version, et se poursuit avec les relecteurs (de la forme et du contenu), ainsi que, parfois, des rédacteurs et des traducteurs additionnels, avant d'arriver aux éditeurs – qui évaluent la notice dans son ensemble, et peuvent la renvoyer à une étape antérieure.
Rapidement, il est clairement apparu qu'un projet d'une telle ampleur – qui ne compte sur aucune ressource institutionnelle – était trop ambitieux s'il ne pouvait compter sur l'appui de volontaires capables de s'engager aux côtés d'une équipe trop limitée pour la taille de l'entreprise. Pour résoudre ce problème, en 2021, le Núcleo Práxis-USP lança un appel à volontaires en vue de sélectionner de nouveaux co-auteurs et co-autrices. Les personnes sélectionnées devaient avoir étudié les sciences humaines ou la philosophie, avec une attention portée sur le marxisme ou les questions politiques et sociales spécifiques aux nations américaines. Elles devaient également, de préférence, avoir réalisé des recherches montrant des affinités thématiques avec le projet.
Largement médiatisé, publié dans les médias indépendants et diffusé sur les réseaux sociaux, l'appel connut un succès surprenant : en un mois, près d'une cinquantaine de candidatures furent enregistrées. La Coordination éditoriale se chargea d'analyser les différentes candidatures. Celles-ci se composaient, en premier lieu, d'une lettre d'intention dans laquelle les candidats et candidates soumettaient des noms de figures marxistes (parmi la liste proposée) sur lesquels ils ou elles souhaitaient écrire, en motivant leurs choix dans un court essai. Elle comportaient, ensuite, le curriculum « politico-académique » des candidats, décrivant leurs expériences dans les domaines en question, notamment les travaux liés au marxisme, à l'éducation, à l'histoire des Amériques et à l'écriture en elle-même, au-delà de la formation académique et des activités politiques et professionnelles. Le processus de sélection fut couronné de succès, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. Les trois quarts des candidats furent rapidement intégrés dans le groupe, doublant ainsi le nombre de chercheurs et chercheuses impliqués dans le projet du Dictionnaire.
En parallèle, nous menâmes des recherches sur des experts internationaux de l'œuvre de certains des marxistes répertoriés dans le volume ayant la même nationalité que les biographiés. Sur la base d'entretiens à distance – qui permirent aux éditeurs de mieux comprendre la trajectoire et les travaux de chaque intellectuel contacté, ainsi que d'évaluer leur intérêt pour le projet –, nous lançâmes des invitations spécifiques, obtenant l'engagement de plus d'une dizaine de co-auteurs supplémentaires.
Avec davantage de personnes impliquées et plus de tâches à accomplir, des comités spécifiques furent créés pour répondre aux nouvelles exigences du projet. Ils prirent notamment en charge des recherches supplémentaires qui pouvaient s'avérer nécessaires, ainsi que les travaux permanents d'amélioration des textes tels que l'adaptation des écrits au modèle de notice, la première relecture, la traduction et – si nécessaire – les ajouts, la révision générale, la préparation des textes et l'édition finale.
Outre le Comité de recherche sur le marxisme en Amérique (issu du Séminaire), des commissions spéciales furent également créées, dédiées aux tâches exécutives liées au texte lui-même : comités chargés des traductions et des différentes étapes de révision, et du soutien au travail de finalisation éditoriale.
D'autre part, un Conseil critique consultatif fut créé, de manière à mettre notre production à l'épreuve. Ce dernier est composé d'intellectuels militants ayant des travaux, une trajectoire politique et une contribution au communisme et/ou au marxisme reconnus. Invités provenant de diverses parties du monde, ces conseillers et conseillères ont un rôle – facultatif – de critique, de suggestion et de proposition de modifications des entrées sous presse, touche finale pour le perfectionnement de l'ouvrage.
Les entrées : un modèle didactique-critique
À ce stade du projet, en plus du contenu, nous entamâmes une réflexion sur la forme des entrées. L'intention du Dictionnaire est de communiquer, de dialoguer, d'attirer les personnes intéressées – mais sans négliger, dans certains passages clés, de nous pencher plus spécifiquement sur certaines polémiques, certaines contradictions, certains concepts. Après tout, l'aspect pédagogique d'un texte est indissociable d'approfondissements analytiques nécessaires et stimulants. Un ouvrage destiné à une formation initiale au marxisme doit aborder, sans dogmatisme ni le réductionnisme propre aux manuels, les principes et concepts centraux du matérialisme historique. Il était impensable d'occulter des thèmes comme la dialectique, la praxis, la structure, la lutte des classes, le travail, les modes de production, l'accumulation primitive, la théorie de la valeur, l'aliénation. De même, éluder les différentes conceptions et voies ayant déjà fait l'objet de réflexion et d'expérimentation en direction de l'utopie concrète de la révolution, ou tomber dans le sectarisme ne pouvaient constituer des options viables.
Nous avons donc considéré qu'il était indispensable d'exposer certains principes et termes plus savants, mais en cherchant toujours à circonscrire l'usage de l'érudition, en expliquant quelque chose du concept complexe qui a été présenté dans un langage accessible. Il est, à ce titre, important de ne pas tomber dans le verbiage, qui constitue une solution facile mais peu rigoureuse qui affecte certains théoriciens peu coutumiers de la vie au-delà des murs de l'université. Quelques-unes des tâches les plus difficiles des éditeurs de l'ouvrage ont ainsi consisté à éviter les hermétismes techniques, à parler un langage qui recherche le dialogue, à s'abstenir de complexifications au-delà de ce qui était nécessaire.
Le modèle d'entrée ainsi présenté, expérimenté depuis le début du projet en 2015, fut donc remis en question. Dans cette première version, le texte comprenait trois parties : la première, biographique-descriptive, dans laquelle étaient présentés le contexte historique et les aspects de la vie de la figure marxiste, ses études, sa formation politique, ses activités professionnelles et son militantisme. Ensuite, un article analytique, un essai qui traitait de la pensée de l'auteur à partir de ses travaux et de ses réalisations. Enfin, une liste bibliographique présentant les ouvrages parcourus pour la réalisation de la notice (de la personnalité marxiste elle-même et des commentateurs de son œuvre). Si ce modèle présentait des aspects intéressants et s'était avéré efficace pour les travaux académiques, en revanche, sa partie centrale était trop ouverte, ce qui pouvait donner lieu à des digressions théoriques pas toujours accessibles pour les non-initiés.
Ainsi, dans le but de faciliter la compréhension de la teneur essentielle de la pensée de chaque personnalité biographiée, la section initiale fut maintenue, et la seconde section divisée en deux parties. La première consiste en un bref essai sur le marxisme de l'auteur ou de l'autrice, englobant ses contributions théoriques et pratiques fondamentales, mettant en évidence les principales idées et concepts politiques qu'il ou elle a apporté au marxisme. La seconde, plus accessible (et qui pourrait presque être lue indépendamment des autres), au contenu bibliographique et descriptif, est consacrée à la présentation de l'œuvre de l'auteur, stimulant sa lecture par une revue des principales thématiques abordées : idées, concepts développés, controverses, positions politiques défendues dans chaque écrit. Enfin, en annexe, une quatrième section propose une liste d'ouvrages et de textes produits sur la figure traitée dans la notice : elle se compose à la fois des références utilisées pour l'écriture de l'article, mais aussi de recommandations d'œuvres d'introduction.
Résultat de ce travail, les entrées produites témoignent de la grande diversité des auteurs et autrices présentés, avec leurs histoires et perspectives propres. Au regard des préoccupations exprimées dans les textes de l'époque, l'attention porte également sur l'importance qui est alors accordée à des aspects pratiques, tels que l'organisation de la classe ouvrière, la constitution de réseaux internationaux reliant les mouvements sociaux et les partis des différents pays d'Amérique, la défense de l'amélioration du niveau de vie de la population et la lutte contre les inégalités.
En particulier, dans l'entre-deux-guerres, nous avons pu constater la croissance du nombre de partis et de syndicats d'inspiration marxiste, poussée par des événements tels que la Révolution russe de 1917 et les activités de l'Internationale communiste sur le continent américain. Les traductions d'ouvrages se multiplièrent sur la période, et la tradition philosophique marxiste pénétra dans les universités. Des travaux originaux consacrés à la compréhension des caractéristiques politiques et économiques nationales furent publiés. Des journaux (indépendants pour la plupart), des universités, des mouvements sociaux et des partis débattirent de thématiques nouvelles, comme le caractère particulier de ces formations sociales issues des ruines du colonialisme européen, le rôle des composantes indigènes et africaines dans le mode de production, l'impérialisme et la lutte pour une réelle émancipation des nations américaines.
Pour autant, il serait faux d'imaginer que la diffusion de la pensée marxiste se fit sans obstacles et sans frictions internes. La croisade des gouvernements locaux contre la création de partis et de syndicats d'inspiration socialiste contraignit certaines organisations à mener leurs activités dans la clandestinité, exposées à des interdictions arbitraires, à la persécution de leurs militants et militantes, à des arrestations et des assassinats. Par ailleurs, la formation de tendances marxistes rivales dans le monde eut des répercussions sur le continent américain. Enfin, des événements importants de l'entre-deux-guerres, comme la crise financière de 1929 et la montée du fascisme en Europe, exacerbèrent les tensions dans le processus de définition des stratégies des partis, opposant les partisans de la voie parlementaire aux tenants de la révolution.
Voici le bref historique de cette œuvre originale qui est désormais livrée, peu à peu, au public, même si sa production se poursuit et est loin d'être terminée (si tant est qu'il y ait une fin à des œuvres comme celle-ci).
*
Les auteurs de ce texte de présentation sont les coordinateurs du Núcleo Práxis-USP et composent la Coordination Éditoriale du Dictionnaire Marxisme en Amérique :
Yuri Martins-Fontes Leichsenring est écrivain, professeur et journaliste ; docteur en Histoire économique (USP/CNRS), licencié en Philosophie et Ingénierie (USP), avec des post-doctorats en Éthique et Politique (USP) et en Histoire, Culture et Travail (PUC-SP). Il est l'auteur de Marx na América : a práxis de Caio Prado e Mariátegui (Alameda/Fapesp, 2018), et de Cantos dos Infernos (Patuá, 2021).
Joana Aparecida Coutinho est professeure de Sciences Politiques à l'UFMA ; docteure et licenciée en Sciences Sociales (PUC-SP), avec un post-doctorat à la UNAM (Mexique), et coordinatrice du Groupe d'Etudes sur l'Hégémonie et les Luttes en Amérique latine. Elle est l'autrice des ouvrages ONGs e politicas neoliberais no Brasil (Editora UFSC, 2011), et A guerra ideológica (Crítica e Sociedade, 2022).
Pedro Rocha Fleury Curado est professeur à l'Institut de Relations Internationales et de Défense de l'UFRJ ; docteur en Économie Politique Internationale (UFRJ), licencié en Sciences Sociales (UFRJ), et chercheur au sein du Laboratoire d'Études sur la Sécurité et la Défense. Il est l'auteur de l'ouvrage A guerra fria e a ‘cooperação ao desenvolvimento' com os países não-alinhados (UFRJ/EHESS, 2014).
Felipe Santos Deveza est professeur d'Histoire, dans le secondaire, et d'Histoire américaine, dans le supérieur ; docteur en Histoire comparée (UFRJ/UNAM), licencié en Histoire (UFRJ), avec un post-doctorat en Histoire de l'Amérique latine (UFF). Il est l'auteur de l'ouvrage O movimento comunista e as particularidades da América Latina (UFRJ/UNAM, 2014).
Paulo Alves Junior est professeur d'Historiographie à l'Université d'Intégration Internationale de la Lusophonie Afro-Brésilienne (Bahia) ; docteur en Sociologie (Unesp), licencié en Histoire (PUC-SP). Il est l'auteur de l'ouvrage Um intelectual na trincheira : José Honório Rodrigues, intérprete do Brasil (Editora Dialética, 2021).
Solange Struwka est professeure de Psychologie de l'Université Fédérale du Rondônia ; docteure en Psychologie Sociale (USP), licenciée en Psychologie (USP) et chercheuse au sein du Groupe Amazonie des Études et Recherches en Psychologie et Éducation. Elle est l'autrice de l'ouvrage Saúde mental em tempos de pandemia : os imperativos da situação-limite e as tarefas da psicologia (LavraPalavra, 2022).
La traduction du portugais est assurée par Aloys Nollet, Emma Tyrou, Félix Gay, Jean-Ganesh Faria Leblanc, Laure Guillot-Farnetti, Maíra Abreu.
Cet article a été originellement publié sur le portail du Núcleo Práxis-USP, comme présentation du Dictionnaire Marxisme en Amérique, œuvre collective coordonnée par cette organisation. Sa reproduction sans fins commerciales et sans altération est autorisée. La source doit impérativement être citée (nucleopraxisusp.org). Les suggestions et les critiques sont les bienvenues, elles peuvent nous être communiquées à cette adresse : nucleopraxis.usp.br@gmail.com.
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