Presse-toi à gauche !
Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...

Une presse « objective » ne vous alertera pas sur les menaces qui pèsent sur la démocratie
Intercept : Trump poursuit une démocrate du Congrès pour avoir fait son travail. La réponse des médias : Pas grave.
Natasha Lennard (Intercept (20/05/25) : « Les organes de presse devraient... ont depuis longtemps cessé d'accorder à l'administration Trump une couverture aussi crédule ».
Tiré de la page web de FAIR
https://fair.org/home/an-objective-press-wont-alert-you-to-threats-to-democracy/
Jim Naureckas
Un article de FAIR (22/05/25) sur la défense sélective de la liberté de la presse par l'éditeur du New York Times A.G. Sulzberger (New York Times, 13/05/25) l'a décrit comme quelqu'un qui « s'accroche au faux dieu de la neutralité journalistique à tout prix ». L'article de Natasha Lennard dans The Intercept (20/05/25) sur la couverture médiatique de l'arrestation par l'administration Trump de la représentante LaMonica McIver (D-N.J.) illustre ce que nous entendons par là.
McIver, a écrit Lennard, a été accusée d'avoir « agressé » un agent de l'ICE lorsqu'elle « a tenté d'effectuer une visite de surveillance plus tôt ce mois-ci dans un nouveau centre de détention de l'ICE dans sa ville natale de Newark, dans le New Jersey ». Une telle surveillance fait partie du devoir constitutionnel des représentants et est spécifiquementautorisée par la loi dans le cas des installations de l'ICE. Lennard a noté que si cela s'était produit dans un autre pays – un pays qui n'a pas la faveur de Washington – cela aurait été rapporté, assez précisément, comme quelque chose comme : « Le régime cible les politiciens de l'opposition avec des accusations fabriquées de toutes pièces pour avoir exercé une surveillance ».
Mais comme cela s'est produit aux États-Unis, ce n'est pas ainsi que les principaux organes de presse américains, y compris le New York Times (19/05/25), l'ont rapporté. « Le représentant McIver accusé d'agression à la suite d'un affrontement à l'extérieur du Newark ICE Center » était le titre du Times à propos d'un article qui suivait le livre de style du Times. "Les deux parties ont montré du doigt des vidéos de la bagarre chaotique... pour s'accuser mutuellement d'être à l'origine de l'altercation.
Comme l'a fait remarquer le sous-titre de The Intercept, « Vous ne sauriez jamais en lisant le New York Times que les accusations contre la représentante LaMonica McIver ne sont rien d'autre qu'une attaque autoritaire. » L'article du Times n'a pas fourni le contexte selon lequel l'ICE a saisi des immigrants sans procédure régulière et les a expédiés dans des prisons étrangères enviolation des ordonnances du tribunal – un contexte essentiel pour juger si la poursuite d'un législateur qui a tenté d'enquêter sur l'agence est de bonne foi.
NYT : Le représentant McIver accusé d'agression lors d'un affrontement à l'extérieur du Newark ICE Center
« Clash » est un mot utile si vous voulez faire passer un législateur non armé pour un adversaire égal pour les commandos de la Sécurité intérieure (New York Times, 19/05/25).
Dans son essai, Sulzberger a averti que sans la liberté de la presse, les gens pourraient ne pas savoir quand leurs droits sont retirés ou que les structures démocratiques sont sapées :
Sans une presse libre, comment les gens sauront-ils si leur gouvernement agit légalement et dans leur intérêt ? Comment les gens sauront-ils si leurs dirigeants disent la vérité ? Comment les gens sauront-ils si leurs institutions agissent dans l'intérêt de la société ? Comment les gens sauront-ils si leurs libertés sont soutenues, défendues et défendues – ou érodées par des forces qui cherchent à remplacer la vérité et la réalité par la propagande et la désinformation ?
Mais si vous suivez l'approche du Times en matière de journalisme, dans laquelle vous ne devez jamais dire que quelque chose se passe si quelqu'un au pouvoir prétend que ce n'est pas le cas, alors votre public ne saura pas quand son gouvernement agit illégalement ou nie la vérité et la réalité. (« Vous ne pouvez pas simplement dire que le président ment », a déclaré la journaliste du Times Elisabeth Bumiller à un panel de DC – Extra !,1-2/05 – exprimant une règle réelle qui a été appliquéemême aux chroniqueurs d'opinion du journal.)
Les journalistes ont inévitablement, inéluctablement, des valeurs, et ces valeurs influencent nécessairement ce qu'ils communiquent à leurs publics. S'ils valorisent la démocratie, ils communiquent à leur auditoire que les arrestations de législateurs de l'opposition sont dangereuses. Si, d'un autre côté, ils accordent plus d'importance à l'apparence de neutralité qu'à toute autre chose, alors le message que les lecteurs recevront est : Qui peut le dire ?
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Sensibiliser à l’industrie de la mode rapide
La CQMMF a produit une série de vignettes visant à sensibiliser à l'industrie de la mode rapide. On y observe les mêmes mécanismes employés par les entreprises transnationales pour maximiser leur profits que dans d'autres domaines, tel que l'énergie, l'alimentation ou les mines.
Tiré de l'Infolettre de la Coalition Québécoise de la Marche Mondiale des femmes CQMMF
Seulement dans l'industrie de la mode ?
Si l'industrie de la mode rapide (fast fashion) est ici citée en exemple, nous souhaitons rappeler que les entreprises transnationales utilisent des mécanismes similaires pour maximiser leurs profits. Voici quelques exemples : décolalisation pour bénéficier des normes plus laxistes, rémunération à bas salaire, pollution de l'environnement voir destruction de l'écosystème, barrière à la syndicalisation, contexte de travail dangereux, etc.
Pour toutes les visionner cliquer sur ce lien : ici
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Leadership féminin
Renforcement du leadership féminin : 20 femmes formées dans le cadre du projet "Chanjman Bèl, Nap Fèl"
Port-au-Prince, 17 mai 2025-Du 12 au 16 mai 2025, l'organisation Refuge des Femmes d'Haïti (Ref-Haïti) a tenu une formation intensive à Port-au-Prince, dans les locaux de Housing Works Haiti, à destination de vingt femmes issues de milieux divers. Cette initiative s'inscrit dans le cadre du projet "Chanjman Bèl, Nap Fèl", appuyé par l'Organisation des États Américains (OEA) et l'Ambassade du Canada en Haïti.
L'objectif de cette formation était clair : renforcer les capacités de leadership féminin en mettant l'accent sur des enjeux majeurs tels que les violences basées sur le genre (VBG), les droits en santé sexuelle et reproductive (DSSR), la prévention du VIH, mais également l'éducation civique, le marketing social et l'entrepreneuriat féminin.
Les participantes ont bénéficié d'un cadre interactif favorisant la participation active, les échanges d'expériences, la réflexion critique et la mise en réseau. Pour les organisateurs, cette dynamique constitue une étape cruciale vers l'autonomisation des femmes à l'échelle communautaire.
Avec ce projet, Ref-Haïti et ses partenaires entendent non seulement renforcer les compétences individuelles des participantes, mais aussi favoriser l'émergence de nouvelles voix féminines engagées dans les dynamiques sociales, économiques et politiques du pays.
À travers "Chanjman Bèl, Nap Fèl", c'est une vision inclusive du changement qui prend forme : celle d'une Haïti où les femmes ne sont pas seulement bénéficiaires, mais véritables actrices du progrès.
Smith PRINVIL
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À Malen, des femmes qui luttent pour les terres et les moyens de subsistance
Dans lachefferie de Malen , au sud de la Sierra Leone, le palmier à huile est plus qu'une simple culture commerciale. Depuis des générations, les femmes de cette région dépendent de cette ressource pour se nourrir, générer des revenus et avoir une stabilité économique. Cependant, l'arrivée des plantations industrielles de palmiers à huile a bouleversé leurs moyens de subsistance traditionnels, car des multinationales comme SOCFIN Agricultural Company (SAC) accaparent les terres, souvent sans le consentement des communautés locales.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/04/larticulation-des-femmes-decvc-envoie-une-lettre-ouverte-a-hansen-sur-la-position-des-femmes-dans-la-vision-pour-lagriculture-et-lalimentation-autre-texte/?jetpack_skip_subscription_popup
Depuis 2011, la SAC, une filiale de la multinationale SOCFIN basée au Luxembourg, a acquis plus de 18 000 hectares de terres pour la production industrielle d'huile de palme dans la chefferie de Malen. Il s'en est suivi un conflit foncier acharné entre l'entreprise, les autorités locales et les communautés, qui s'est intensifié, donnant lieu à des violences, des déplacements forcés et une lutte incessante pour la justice. Au cœur de la tourmente, les femmes de la chefferie de Malen se sont organisées et luttent pour protéger leurs terres et leur mode de vie.
Jeneba Samuel : une histoire de résilience
Jeneba Samuel, veuve et agricultrice de la section Panina dans la chefferie de Malen, incarne la résilience de sa communauté. Pendant des années, elle a cultivé du riz et des palmiers à huile sur des terres héritées de feu son père, faisant vivre sa famille grâce à l'agriculture. Cependant, en 2011, sa vie a basculé lorsque le chef suprême et d'autres dirigeant·es communautaires ont vendu les terres familiales à la SAC sans son consentement.
« Ils ont pris nos terres sans nous demander notre avis », se souvient Jeneba. « Quand j'ai essayé de me battre pour les récupérer, j'ai été battue et agressée sexuellement par cinq hommes. Cela a été une expérience douloureuse, et ça l'est encore aujourd'hui. »
Jeneba a porté son affaire devant la police et la Commission nationale des droits humains, mais aucune mesure n'a été prise. En quête de soutien, elle a rejoint l'Association des propriétaires et usagers de terres de Malen (MALOA), une association créée en 2011 pour lutter contre les accaparements de terres dans la chefferie. Malgré leurs efforts, Jeneba et les autres femmes concernées n'ont pas pu récupérer leurs terres.
« Je n'ai plus rien », dit-elle. « Pas de terre à cultiver, aucune indemnité reçue de l'entreprise, aucun emploi pour ma famille ou moi-même. Nous luttons pour survivre. »
L'histoire de Jeneba est révélatrice d'un problème plus large dans la chefferie de Malen. Les femmes qui dépendaient autrefois du palmier à huile et de leurs autres cultures pour nourrir leurs familles et générer des revenus sont aujourd'hui confrontées au déplacement forcé et à la précarité économique. Les plantations de la SAC n'ont pas seulement pris leurs terres, elles ont également perturbé le tissu social et économique de la communauté.
« Les dirigeants partagent les bénéfices avec ceux qu'ils connaissent », explique Jeneba. « Les autres comme nous se retrouvent sans rien. »
Unrapport publié en 2017 par FIANBelgique fait écho aux affirmations de Jeneba. Il a révélé de graves allégations de corruption et un manque de transparence dans les opérations de SOCFIN. Les fonds destinés au paiement des loyers fonciers ont été détournés au profit des élites locales, sans qu'aucun compte ne soit rendu. Le rapport a également mis en évidence un fossé entre les promesses de SOCFIN en matière de responsabilité sociale des entreprises et la réalité. Entre 2011 et 2017, la société a annoncé qu'elle consacrerait 16,4 millions d'euros à des projets communautaires, notamment des écoles, des hôpitaux et des routes. Cependant, seuls 2,5 millions d'euros ont été effectivement déboursés.
Les femmes à la tête de la résistance
Malgré les adversités, les femmes de Malen ont fait preuve d'un courage et d'une détermination immenses. Le 21 septembre 2017, environ 150 à 200 femmes ont été bloquées par la police alors qu'elles se rendaient à Pujehun pour exiger que des mesures soient prises contre SOCFIN suites aux accaparements de terres et violations des droits humains. Les femmes, qui brandissaient des banderoles et des pancartes dénonçant les injustices, l'accaparement des terres et les arrestations généralisées, ont refusé de reculer.
« Nous avons tenu bon », raconte une participante. « Nous avons dit aux journalistes qui arrivaient sur les lieux que la paix était la voie à suivre, mais nous avons aussi clairement fait savoir que nous ne serions pas réduites au silence. »
Après plusieurs heures de confrontation, la plupart des femmes sont rentrées chez elles à contrecœur, mais six d'entre elles ont poursuivi la route jusqu'à Pujehun pour assister à une réunion de district des principales parties prenantes, qu'elles ont décrite comme une petite mais importante victoire.
Le conflit a atteint un point culminant tragique le 21 janvier 2019, lorsqu'un accrochage entre des membres de la communauté et la police et l'armée qui protégeaient les biens de la SOCFIN a tourné au drame. Deux personnes ont été tuées par balle. Dans les heures qui ont suivi, des descentes de police et de l'armée ont été menées dans les villages environnants. Des habitant·es ont été battu·es, des maisons vandalisées et des biens pillés. Des centaines de personnes ont fui leur domicile et 15 personnes ont été arrêtées, s'ajoutant ainsi à une longue liste de détentions arbitraires ciblant les militant·es de MALOA.
Dans ce contexte, une coalition d'organisations de la société civile sierra-léonaise et internationale a appelé à une action urgente.
Un appel à la solidarité et à l'action
L'appel de Jeneba est à la fois un appel à la résilience et à l'espoir. Elle exhorte ses camarades à rester fortes et à continuer à se battre pour leurs droits. « Nous ne devons pas abandonner », dit-elle. « L'avenir de nos enfants en dépend. »
Mais la lutte à Malen ne se limite pas à la terre : il s'agit de garantir un avenir durable à la communauté. Des femmes comme Jeneba Samuel sont en première ligne de cet effort et leur résilience témoigne de la force de celles qui refusent d'être réduites au silence.
Télécharger le livret ici
[1] Un Ejido est un terme utilisé au Mexique pour désigner une zone de terres communales utilisées pour l'agriculture dans laquelle les membres de la communauté ont des droits d'usufruit plutôt que des droits de propriété sur la terre – voir la fiche Ejido sur Wikipedia.
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La baisse des financements humanitaires menace les droits des femmes
La moitié des organisations dirigées par des femmes ou œuvrant pour les droits des femmes dans les zones de crise humanitaire pourraient cesser leurs activités d'ici six mois, faute de financement. Un scénario alarmant, qui priverait des millions de femmes et de familles de services essentiels, avertit un nouveau rapport mondial d'ONU Femmes publié mardi.
Tiré de Entre les lignes et lesm ots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/05/23/la-baisse-des-financements-humanitaires-menace-les-droits-des-femmes/
Selon l'enquête menée par ONU Femmes, 90% des 411 organisations de femmes actives dans 44 pays touchés par des crises ont déclaré souffrir de la baisse de l'aide étrangère.
« La situation est critique. Les femmes et les filles ne peuvent tout simplement pas se permettre de perdre les bouées de sauvetage que constituent les organisations de femmes », explique Sofia Calltorp, responsable de l'action humanitaire chez ONU Femmes, signalant que « malgré leur rôle essentiel » les organisations de femmes étaient déjà gravement sous-financées avant même la récente vague de réductions budgétaires.
Un impératif stratégique
À l'échelle mondiale, 308 millions de personnes ont besoin d'une aide humanitaire dans 73 pays, un chiffre qui ne cesse d'augmenter avec l'escalade des conflits, le changement climatique, l'insécurité alimentaire et les épidémies.
Les femmes et les filles sont touchées de manière disproportionnée par la crise. Outre les morts évitables liées à la grossesse, elles souffrent de malnutrition et de taux élevés de violence sexuelle.
Malgré l'augmentation de ses besoins, le système humanitaire est confronté à une grave crise de financement et les coupes budgétaires menacent des services essentiels, vitaux pour les femmes et les filles.
Suspension de programmes
La réduction drastique du financement pousse de nombreuses organisations à un point de rupture, signale le rapport intitulé At a Breaking Point : The Impact of Foreign Aid Cuts on Women's Organizations in Humanitarian Crises Worldwide (À un point de rupture : l'impact des coupes budgétaires sur les organisations de femmes dans les crises humanitaires mondiales).
Si près de la moitié d'entre elles s'attendent à fermer dans les six mois si les niveaux de financement actuels se maintiennent, plus de 60% ont déjà réduit leurs interventions, perturbant l'apport d'un soutien vital allant des soins de santé d'urgence et des services de lutte contre la violence fondée sur le genre, à l'aide économique et aux solutions d'hébergement.
Près des trois quarts déclarent avoir été contraintes de licencier du personnel, souvent de manière significative.
Pression intense
En 2024, seuls 7% des 44,79 milliards de nécessaires pour répondre à l'escalade des conflits et aux catastrophes ont été atteints. Alors que les principaux pays donateurs ont annoncé des réductions importantes de leur aide étrangère.
Si le système humanitaire dans son ensemble est contraint de réduire la voilure, les organisations locales et nationales dirigées par des femmes sont parmi les plus durement touchées, alors qu'elles jouent un rôle de premier plan dans la distribution de l'aide et l'accès aux communautés marginalisées.
DuMyanmar à laPalestine, en passant par le Soudanet l'Afghanistan, ces organisations de femmes fournissent des services vitaux et jouent un rôle essentiel dans l'action humanitaire.
Les données montrent que les programmes humanitaires tenant compte de la dimension de genre génèrent un retour sur investissement de 8 dollars pour chaque dollar investi.
Néanmoins, en 2024, seulement 1,3% des fonds humanitaires étaient consacrés à la lutte contre la violence fondée sur le genre.
Plus que des prestataires de service
ONU Femmes souligne que les organisations de femmes ne sont pas seulement des prestataires de services, ce sont des cheffes de file et des défenseures fiables qui atteignent les communautés défavorisées grâce à un soutien adapté à leur culture.
Elles fournissent des espaces sûrs, des services psychosociaux et une assistance juridique aux survivantes de la violence fondée sur le genre.
Elles veillent à ce que la voix des femmes soit prise en compte dans la planification humanitaire et les décisions politiques.
Elles renforcent la résilience à long terme en autonomisant les femmes sur le plan économique et social.
Lorsque ces organisations sont sous-financées ou contraintes de fermer, c'est l'ensemble de l'action humanitaire qui perd en efficacité, en inclusivité et en responsabilité à l'égard des personnes qui en ont le plus besoin.
Face aux défis croissants, ces organisations restent inébranlables. Elles montrent courageusement la voie, défendent leurs communautés et reconstruisent des vies avec résilience et détermination, selon ONU Femmes.
L'agence onusienne affirme se tenir aux côtés des organisations de femmes du monde entier et se fait l'écho de leur appel urgent à un financement durable.
https://news.un.org/fr/story/2025/05/1155506
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Géorgie. Les manifestantes de plus en plus ciblées par des violences et des représailles liées au genre
En Géorgie, la police a de plus en plus souvent recours à des violences liées au genre, telles que des insultes sexistes, des menaces de violence sexuelle et des fouilles au corps illégales et dégradantes, contre les femmes qui participent à des manifestations, dans un contexte de campagne plus générale visant à intimider et punir les manifestant·e·s pacifiques, indique Amnesty International dans unenouvelle synthèserendue publique vendredi 23 mai.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/05/25/georgie-les-manifestantes-de-plus-en-plus-ciblees-par-des-violences-et-des-represailles-liees-au-genre/
Les scènes de brutalité policière et de violentes agressions physiques par des personnes non identifiées contre des manifestant·e·s pacifiques se sont multipliées de façon inquiétante depuis le début d'un puissant mouvement de protestation pro-européen et anti-gouvernemental qui a éclaté dans le pays l'an dernier. Défiant la répression des autorités, les manifestantes sont devenues des symboles de courage – mais aussi les cibles des humiliations et des violences physiques et psychologiques infligées par des membres des forces de l'ordre et leurs assistants non identifiés.
« Les autorités ont peut-être espéré qu'en ciblant les femmes avec des menaces de violence sexuelle, des descentes à leur domicile, des fouilles au corps illégales et des détentions arbitraires, elles écraseraient l'esprit de résistance, dissuaderaient les manifestant·e·s de se rassembler à nouveau et les réduiraient au silence. Cependant, les femmes de Géorgie se sont révoltées encore plus vigoureusement, en dénonçant ces violences, en demandant justice et en affichant leur résistance et leur défiance face à la répression », a déclaré Denis Krivosheev, directeur adjoint pour l'Europe de l'Est et l'Asie centrale à Amnesty International.
Une violence d'État et des fouilles au corps déshumanisantes
Au cours des derniers mois, Amnesty International a recueilli de nombreux témoignages de manifestant·e·s ayant subi des insultes sexistes et des menaces de violence sexuelle, ainsi que des fouilles au corps humiliantes. Ce traitement semble cibler de plus en plus les femmes, qui en sont les principales victimes. Ces violences sont non seulement contraires au droit géorgien, qui interdit le déshabillage complet lors des fouilles, mais également au droit international relatif aux droits humains et aux normes connexes visant à préserver la dignité humaine et à protéger les personnes des violences fondées sur le genre.
Elene Khoshtaria, une dirigeante de l'opposition, a raconté avoir été maîtrisée avec brutalité par des policières, déshabillée et forcée à s'allonger nue par terre lors de son arrestation le 28 mars 2025. Malgré ses problèmes de santé, les agentes ont refusé de la laisser accéder à des médicaments et à des toilettes après qu'elle a eu une crise d'hypertension et a été prise de vomissements.
Kristina Botkoveli, cofondatrice d'un groupe Facebook de protestation, a été forcée à se déshabiller entièrement devant sa mère âgée, en plus de subir des menaces lors d'une descente de police à son domicile le 1er février 2025. Elle a fait une crise d'angoisse qui a nécessité une prise en charge médicale urgente.
La militante Nino Makharadze a été arrêtée lors d'une manifestation pacifique le 13 janvier 2025 et soumise à une fouille corporelle invasive dans un centre de détention provisoire. Elle n'a pas été autorisée à informer ses proches du lieu où elle se trouvait et n'a pu contacter son avocat qu'après cette fouille au corps. Le 5 mai, elle a signalé avoir été prise dans une embuscade avec deux amies alors qu'elles rentraient d'une manifestation. Un agresseur non identifié les a aspergées de gaz poivre et de peinture verte en les insultant. Les trois femmes ont subi des blessures, notamment des brûlures chimiques qui ont nécessité une hospitalisation.
Des violences verbales et des intimidations sexistes
Les insultes sexistes et les menaces de violence sexuelle contre des manifestant·e·s pacifiques constituent une autre tactique communément employée par les forces de l'ordre pour intimider et harceler. Lors de la manifestation du 2 février 2025 près d'un centre de commercial à Tbilissi, une personne représentant Amnesty International a vu des policiers traiter des manifestantes de « putes » et les menacer ainsi que leurs familles. Plusieurs femmes ont également déclaré avoir été menacées de viol par des fonctionnaires masqués.
Après son arrestation au cours d'une manifestation le 19 novembre 2024, Natia Dzidziguri a été forcée à s'agenouiller dans un fourgon de police, entourée d'hommes tandis que des policiers lui jetaient des insultes sexistes et faisaient des gestes à caractère sexuel.
Mzia Amaghlobeli, journaliste de renom, a été arrêtée à deux reprises le 11 janvier 2025 lors de manifestations pacifiques. À chaque fois, elle a subi des insultes sexistes de la part de policiers, et le chef de la police de Batumi lui aurait craché dessus et l'aurait menacée de violence. Les autorités ont utilisé la vidéo dans laquelle Mzia Amaghlobeli gifle ce dernier, à la suite de leur altercation, pour la poursuivre. Elles n'ont en revanche pas tenu compte de la vidéo où le chef de la police la couvre d'insultes sexistes et d'autres propos violents.Mzia Amaghlobeli a été placée en détention à l'issue d'une audience expéditive lors de laquelle elle a subi une injustice supplémentaire quand le juge a refusé d'examiner le moindre élément présenté par la défense. Jusqu'à présent, les autorités n'ont pas enquêté sur les policiers accusés de mauvais traitements et d'insultes contre elle ou d'autres manifestant·e·s. Aucun agent ayant fait l'objet de graves allégations, de la part de Mzia Amaghlobeli ou d'autres personnes, n'a été suspendu de ses fonctions pendant l'enquête.
Des violations systématiques, et non des cas isolés
Les cas signalés ne sont pas isolés et semblent relever d'une pratique plus large des violences et de l'impunité au sein des organes chargés de l'application des lois en Géorgie. Les humiliations, les propos sexistes et les violences physiques visant des manifestantes dans le pays s'inscrivent dans une politique généralisée d'intimidation des personnes qui participent aux manifestations actuelles. Selon des défenseur·e·s des droits humains vivant sur place, de nombreuses victimes de traitements humiliants de la part de policiers, qu'il s'agisse d'hommes ou de femmes, se taisent par crainte ou par honte.
Ces agissements, qui peuvent constituer des formes de torture ou d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, sont non seulement contraires à la Constitution et à la législation de la Géorgie, mais aussi à ses obligations découlant du droit international, notamment de la Convention des Nations unies contre la torture, et des normes connexes.
« Des fouilles au corps illégales, invasives et dégradantes semblent être utilisées en Géorgie pour humilier et intimider les manifestant·e·s, en particulier les femmes. Il s'agit d'une violation manifeste du droit national et international. Les autorités géorgiennes doivent immédiatement mettre fin à toute forme de représailles fondées sur le genre et à tout recours illégal à la force par les responsables de l'application des lois, enquêter sur toutes les allégations de violence pendant les manifestations et veiller au respect de l'obligation de rendre des comptes à tous les niveaux », a déclaré Denis Krivosheev.
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Iran – le mouvement « Femme, Vie, Liberté » continue !
Entrevue réalisée par Tina Mostel, correspondante en stage, avec Mina Fahkavar, doctorante d'origine iranienne.
Tiré du Journal des ALternatives
https://alter.quebec/iran-le-mouvement-femme-vie-liberte-continue/?utm_source=Cyberimpact&utm_medium=email&utm_campaign=JdA-PA-2025-05-22
Par Tina Mostel -19 mai 2025
Photo Manifestation en Iran, 6 Mars 2025 / via Wikimédia
Depuis 1979, la République islamique d'Iran impose le port obligatoire du hijab, fondé sur la charia. Les années 1980 renforcent cette politique : ségrégation hommes-femmes dans l'espace public, licenciements massifs de femmes dans la fonction publique, et durcissement du code vestimentaire. En 2022, le slogan « Femme, Vie, Liberté » devient l'emblème de la résistance. Le décès de Jina Mahsa Amini, 22 ans, arrêtée pour un voile jugé mal porté, déclenche une vague de protestations internationales. Elle incarne une lutte collective, bien qu'elle ne soit pas un cas isolé.
Le président Massoud Pezeshkian, élu en juillet 2024, promet des réformes en faveur des femmes, suscitant une attente prudente. Madame Mina Fahkavar, doctorante vivant au Canada, née à Téhéran et formée en France, consacre sa thèse à la condition féminine en Iran. Son expérience personnelle offre un éclairage essentiel sur cette lutte pour les droits et les libertés.
Tina Mostel – D'après vous, aujourd'hui, est-ce que la situation politique du pays joue un rôle dans l'accentuation des répressions envers les femmes ?
Mina Fahkavar – Absolument. En réalité, la situation politique actuelle en Iran joue un rôle majeur dans l'accentuation des répressions envers les femmes, devenues la cible principale et prioritaire d'un système politique aux abois, un régime fragilisé qui cherche désespérément à restaurer son autorité en reprenant le contrôle des corps féminins, là où il l'a le plus spectaculairement perdu.
Depuis la révolte historique de 2022, portée par le slogan subversif « Femme, Vie, Liberté », les femmes iraniennes n'ont cessé de défier l'ordre patriarcal d'État.
En réponse, le gouvernement iranien a enclenché une politique de revanche autoritaire, que l'on pourrait qualifier de contre-insurrection patriarcale, où le corps des femmes est à nouveau érigé en champ de bataille. Le projet « Noor », présenté cyniquement comme un projet de moralisation et de sécurité à partir du mois d'avril 2024, constitue en réalité un projet de surveillance numérique généralisée et de contrôle algorithmique des femmes dans l'espace public.
Mais cette répression d'État s'accompagne d'un phénomène parallèle tout aussi alarmant : l'augmentation vertigineuse des féminicides. En 2024, selon les données du Center for Human Rights in Iran, l'Iran a triplé le nombre d'exécutions de femmes par rapport à la moyenne des deux décennies précédentes. La situation est si alarmante qu'on peut désormais parler d'un féminicide judiciaire d'État. Des femmes sont condamnées à mort dans des procès iniques, souvent fondés sur des aveux extorqués sous la torture, sans défense adéquate ni respect des normes internationales de justice.
TM – Dans un second temps, le président Massoud Pezeshkian, élu en juillet 2024, avait fait des promesses à son peuple avant son élection. Quelles répercussions les actions qu'il a mises en place depuis ont-elles eues sur la situation des femmes ?
MF – Le système politique iranien est théocratique, vertical, patriarcal et profondément autoritaire.
Dès lors, les promesses de Massoud Pezeshkian, qui, durant sa campagne, avait déclaré vouloir « apaiser les tensions sociales » et « réduire les discriminations », n'étaient que des manœuvres discursives visant à recréer une illusion de réforme sans toucher à l'architecture du pouvoir.
Plus encore, le régime, avec Pezeshkian comme façade modérée, tente aujourd'hui de rétablir des canaux de négociation diplomatique avec les États-Unis, les mêmes qu'il a qualifiés de « Grand Satan » pendant des décennies. Cette inflexion stratégique est perçue comme une trahison idéologique, et elle affaiblit encore davantage la légitimité du pouvoir aux yeux de la population.
TM – Enfin, comment se dessine l'avenir du combat des femmes iraniennes ? Quelles seraient les actions à mener localement et à l'international pour envisager une amélioration de leur situation actuelle ?
MF – L'avenir du combat des femmes iraniennes n'est pas une question spéculative : il s'inscrit déjà dans le présent. Il s'écrit, chaque jour, dans l'acte de marcher tête nue dans une rue de Téhéran, de danser dans une voiture, de parler à visage découvert sur les réseaux sociaux. Ce sont des gestes simples, mais extraordinairement politiques.
Elles désobéissent. Et ce refus massif, quotidien, est devenu le front principal de la contestation contre le régime. Il faut comprendre que la République islamique n'a jamais été aussi proche de l'effondrement symbolique que depuis que les femmes iraniennes ont cessé d'avoir peur.
Mais l'histoire iranienne, et plus largement celle de la région, est traversée par l'imprévisible : rapports de force géopolitiques, ingérences, récupérations. Rien ne garantit que la chute du régime mène à une société plus juste. C'est pourquoi il est crucial de renforcer les actions à plusieurs niveaux : localement, transnationalement, juridiquement, politiquement.
Au niveau local :
• Continuer à créer des espaces de désobéissance collective et de soutien mutuel (cafés, salons, cercles de lecture, réseaux numériques féministes).
• Développer une éducation critique, mais aussi diffuser du courage, des outils de résistance et des stratégies de désobéissance sur les réseaux sociaux, notamment auprès des jeunes filles, des femmes des provinces, et des minorités ethniques et religieuses.
C'est précisément grâce à ces actes de parole courageux que des organisations comme Amnesty International ou la mission d'enquête de l'ONU ont pu établir des rapports détaillés sur l'ampleur systémique des violences sexuelles et genrées utilisées par le régime contre les militantes, les dissidentes, les manifestantes.
Témoigner, c'est résister à l'effacement. C'est refuser l'impunité.
À l'international :
• Reconnaître le régime iranien comme un régime d'apartheid de genre, selon les normes du droit international.
• Rompre avec la complaisance diplomatique : arrêter de considérer les violations des droits des femmes comme des « affaires internes », ou comme des expressions culturelles qu'il faudrait tolérer au nom du relativisme.
• Soutenir les exilées, les chercheuses, les artistes, les journalistes iraniennes qui continuent le combat depuis l'extérieur, souvent dans l'isolement et la précarité.
• Exiger que les technologies de surveillance ne soient plus exportées vers des régimes autoritaires, et que les entreprises complices soient poursuivies.
Ce combat est à la fois profondément iranien et universel. Il s'enracine dans l'histoire de l'Iran, dans ses douleurs, ses révoltes, ses espoirs trahis, mais il parle à toutes les femmes qui vivent sous des régimes de contrôle patriarcal. C'est pourquoi la solidarité féministe transnationale ne doit pas être un slogan : elle doit devenir une stratégie.
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« La crise de l’hégémonie libérale est la raison pour laquelle tant de gens se tournent vers l’extrême droite. »
Dans cette interview, Ilya Budraitskis, politologue et militant russe en exil, explique les causes de la montée de l'extrême droite, les objectifs poursuivis par les nouveaux fascistes et les leçons que la gauche radicale devrait tirer du 20e siècle dans la lutte contre le fascisme. Enfin, il formule des suggestions sur les pistes à explorer aujourd'hui pour une politique antifasciste. Entretien avec Ilya Budraitskis ; par Philipp Schmid (BFS Zurich)
À18 mai 2025 | tiré du site d'inprecor.fr
https://inprecor.fr/node/4748
L'évolution politique en Europe est extrêmement préoccupante. Le parti fasciste Alternative pour l'Allemagne (AfD) a obtenu 20,8 % des voix aux élections fédérales de 2025. Lors des manifestations en Allemagne, les gens disent qu'il n'est pas minuit moins cinq, mais 17h33. Cette panique est-elle justifiée ?
Oui, je pense que ces craintes sont justifiées. Nous pouvons observer comment l'influence des différents partis d'extrême droite en Europe, aux États-Unis, en Amérique latine, etc. ne cesse de croître. Bien sûr, cette tendance mondiale se manifeste différemment selon les contextes nationaux, mais le danger est réel. En effet, elle est liée à la volonté de certaines fractions des élites de changer radicalement les configurations politiques du pouvoir bourgeois et d'instaurer un régime politique différent. Cela s'est déjà produit en Russie et le processus est en cours aux États-Unis. En Europe occidentale, l'extrême droite a remporté des succès électoraux majeurs, mais la transformation du pouvoir politique ne s'est pas encore concrétisée. Compte tenu de sa force croissante, cela reste toutefois un scénario possible pour l'avenir.
Quel ordre politique visent-ils ?
C'est aux États-Unis que cela se voit le mieux. Avec Trump, l'extrême droite est de retour au pouvoir. Elle contrôle les rouages les plus importants de l'appareil d'État, tels que le Sénat, la Chambre des représentants et la Cour suprême. Et maintenant, elle tente de restructurer le système politique par le haut pour le faire évoluer vers un régime autoritaire. Celui-ci doit être organisé comme une entreprise capitaliste. C'est l'objectif de Trump et de Musk. Cela implique la suppression de la démocratie libérale et son remplacement par une sorte de monarchie moderne. Ils aspirent à un régime dans lequel l'autorité ne repose pas sur la légitimité démocratique, mais sur le principe du pouvoir personnalisé et d'un dirigeant autoritaire.
Quel est le programme idéologique de l'extrême droite, outre la restructuration autoritaire de la société ?
Le cœur de leur programme idéologique est que la démocratie libérale est arrivée à son terme. Elle serait factice et ne serait qu'un gouvernement fantoche derrière lequel se cacherait une élite mondiale secrète, guidée par de faux principes tels que le droit international et la tolérance. L'extrême droite critique la morale et les valeurs supposées de l'élite libérale parce qu'elles protègeraient les faibles et non les forts.
Selon l'extrême droite, le seul principe de la politique internationale devrait être la loi du plus fort. C'est la manière « naturelle » de gouverner la société. C'est la logique qui sous-tend la manière dont Trump et Poutine gouvernent. On le voit dans l'exemple de la critique de Poutine à l'égard du soutien à l'Ukraine : dans son esprit, les petites nations qui ne peuvent pas se défendre n'ont pas le droit d'exister. Et donc, leur souveraineté, c'est-à-dire leur existence en tant que pays indépendants, est artificielle aux yeux de l'extrême droite.
Comment expliquez-vous la montée des forces d'extrême droite et fascistes en Europe au cours des dix dernières années ?
Il y a de nombreuses raisons qui expliquent le succès électoral croissant des partis d'extrême droite en Europe. L'une des plus importantes est la transformation des sociétés européennes à la suite des réformes néolibérales de ces dernières décennies. L'atomisation sociale progressive des populations, le démantèlement des syndicats et d'autres formes d'auto-organisation des travailleurs vont de pair avec le déclin des traditions démocratiques, qui doivent être comprises non seulement comme un système d'institutions libérales, mais aussi comme la capacité de la société à se défendre collectivement et de manière organisée.
C'est là le fondement matériel de la crise idéologique des élites libérales, car les citoyens sont de plus en plus désabusés par la démocratie libérale bourgeoise et ses institutions. Ils se sentent non représentés et non entendus. L'extrême droite exploite habilement ces sentiments largement répandus.
L'analyse marxiste classique du fascisme a toujours considéré le fascisme comme une réaction à la crise du capitalisme et comme la réponse de la bourgeoisie au renforcement du mouvement ouvrier. Cette analyse est-elle toujours valable ?
Malgré les différences historiques, il existe certainement des similitudes entre les années 1920/1930 et la situation actuelle. La crise des institutions politiques de la République de Weimar, la Grande Dépression à partir de 1929 et les bouleversements sociaux considérables qui l'ont accompagnée ont constitué le terreau fertile de la montée et de la prise du pouvoir par le fascisme allemand. Même s'il n'y avait pas de danger immédiat de révolution prolétarienne, le mouvement ouvrier allemand était l'un des plus puissants au monde. Le SPD social-démocrate et le KPD communiste étaient des partis de masse avec lesquels les fascistes se disputaient l'influence. En raison de la crise sociale générale, la population était massivement désabusée par le système de la démocratie libérale bourgeoise. Nous pouvons également observer cela dans la situation actuelle, qui se caractérise également par une crise multiple de l'ordre capitaliste. Il existe toutefois une différence fondamentale.
Laquelle ?
Dans les années 1920 et 1930, les fascistes rivalisaient avec le mouvement ouvrier pour proposer des visions alternatives à l'avenir du système capitaliste. Ils propageaient une vision d'un avenir sans conflits de classe, où la gloire nationale unirait la population. Et ils avaient l'ambition de créer un homme nouveau, lié à la société dans un esprit de solidarité nationale et une sorte de collectivisme fasciste. C'est pourquoi cette utopie fasciste réactionnaire était si attrayante pour beaucoup de gens en Europe dans les années 1920 et 1930. Et c'est pourquoi elle était en concurrence avec l'utopie socialiste et la vision socialiste d'un autre type de relations humaines. Aujourd'hui, je ne vois aucune concurrence entre des visions alternatives de l'avenir.
Mais les fascistes ne propagent-ils pas toujours une société différente, avec des frontières nationales, un peuple homogène et des genres clairement définis ?
Oui, mais le sens et la compréhension du temps sont très différents de ce qu'ils étaient il y a cent ans en Europe. À l'époque, la question d'un avenir meilleur et du progrès social était au cœur des aspirations sociales. Sous le règne du capitalisme tardif depuis les années 1980, l'idée d'avenir a disparu. Les gens sont principalement préoccupés par le présent et les interprétations du passé qui ont conduit à la situation actuelle. Nous vivons dans le présent, où un avenir alternatif est inimaginable. C'est précisément le résultat de la réorganisation néolibérale de la société. La célèbre phrase de Margaret Thatcher « il n'y a pas d'alternative » (TINA) est plus ou moins devenue le consensus social. Le programme politique de Trump le montre clairement. Il ne fait aucune proposition concrète et ne propage pas de vision claire de l'avenir. Il se contente de nier le « présent libéral » au nom d'une « vérité » qu'il définit lui-même.
Revenons à la caractérisation de la nouvelle extrême droite. Dans son livre publié en 2017, Les nouveaux visages du fascisme, le célèbre chercheur marxiste spécialiste du fascisme Enzo Traverso propose le terme « post-fascisme » pour caractériser les nouveaux fascistes. Qu'entend-il par là ?
Enzo Traverso estime que les partis post-fascistes d'aujourd'hui, contrairement à leurs modèles historiques, ne cherchent pas à rompre avec les mécanismes de la démocratie libérale bourgeoise. Au contraire, ils utilisent avec succès les mécanismes de la démocratie pour étendre leur influence. Ils veulent seulement utiliser le système pour arriver au pouvoir. L'exemple de l'Italie en est une illustration. La post-fasciste Giorgia Meloni n'a pas renversé le système politique pour le remplacer par un régime fasciste. Un tel scénario est également peu probable en cas de participation de Marine Le Pen au gouvernement français ou de l'AfD en Allemagne. Ils tenteront plutôt de changer progressivement la mentalité des sociétés et des élites. Il n'existe toujours pas de consensus dans les cercles dirigeants pour transformer le système politique en une nouvelle forme de fascisme autoritaire. Cependant, cela pourrait changer sous la pression soutenue de l'extrême droite.
Aujourd'hui déjà, les gouvernements libéraux et conservateurs adoptent les revendications de l'extrême droite. Nous devons comprendre que l'utilisation des institutions bourgeoises libérales et des élections par l'extrême droite pourrait représenter un point de transition pour tous ces mouvements sur la voie de la réalisation de leur projet politique final. Pour ces raisons, je pense que le terme « post-fascisme » est utile pour décrire les similitudes et les différences entre l'extrême droite contemporaine et les fascistes historiques.
Cette analyse peut-elle également s'appliquer à la Russie et au régime de Poutine ?
Oui, la Russie a traversé exactement ce processus et est aujourd'hui un régime ultra-autoritaire. Au cours des 25 dernières années du gouvernement Poutine, le régime russe a fondamentalement changé. Au cours de la première décennie, dans les années 2000, la Russie était plutôt un régime autoritaire, technocratique et néolibéral. La crise économique mondiale de 2007/2008 a entraîné une crise politique générale non seulement dans le monde arabe, mais aussi en Russie. Des manifestations massives contre la réélection de Poutine ont eu lieu à Moscou et dans d'autres villes russes en 2011/2012. Ces manifestations de la société civile ont été perçues comme une menace politique et idéologique et ont conduit les élites russes à croire qu'une transformation autoritaire de leur régime était nécessaire.
Quel a été l'impact de cette transformation ?
L'idée que des mouvements sociaux issus de la base puissent renverser un gouvernement constitue une menace existentielle pour les régimes autocratiques. C'est pourquoi le retour de Poutine à la présidence en 2012 s'est accompagné d'un glissement idéologique vers des valeurs dites traditionnelles et antidémocratiques. Ces éléments antidémocratiques reposaient sur l'idée que l'État russe n'était pas le résultat d'un contrat social, mais le fruit de l'histoire. La Fédération de Russie est la continuation directe de l'Empire russe et de l'Union soviétique. Cela signifie que Poutine n'a pas besoin d'être élu par le peuple, mais qu'il est conduit par le destin à diriger le pays. Poutine se considère comme le successeur direct de Pierre le Grand et de Staline. Ces idées ont finalement été inscrites dans la Constitution russe en 2020. Au fond, ces convictions sont également responsables de la réaction violente aux événements en Ukraine lors des manifestations du Maïdan en 2013/2014.
Pourquoi ?
Les Ukrainiens du Maïdan protestaient contre l'influence de la Russie et en faveur de la souveraineté nationale de l'Ukraine. Les manifestations ont non seulement été qualifiées par le régime russe de « mises en scène depuis l'extérieur », mais elles ont également été perçues comme une menace interne pour la « Russie historique ». Au cours de cette deuxième décennie du règne de Poutine, l'intervention militaire en Ukraine a commencé, avec notamment l'annexion de la Crimée. Elle s'est accompagnée d'une croissance de l'autoritarisme du régime de Poutine et de son installation à la tête du pays à vie.
Comment la population civile russe, attachée à la démocratie, a-t-elle réagi à ces développements ?
Poutine a été une nouvelle fois confronté à un mouvement de protestation démocratique croissant et au mécontentement d'une grande partie de la société russe. Il a également vu dans cette vague de protestation une combinaison de menaces externes et internes. Toutes les révolutions, y compris la révolution russe de 1917, auraient été secrètement contrôlées par les ennemis extérieurs de la Russie. L'Occident aurait empoisonné la société russe avec des idées fausses, libérales ou socialistes. La réponse de Poutine aux nouvelles manifestations a été d'envahir l'Ukraine en février 2022. Pour Poutine, la question ukrainienne n'est pas seulement une question d'intérêts géostratégiques de l'État russe sur la scène mondiale. Il n'était pas seulement préoccupé par la concurrence avec l'OTAN, mais aussi par l'existence de son propre régime. C'est pourquoi l'invasion de l'Ukraine a marqué un tournant. Poutine a utilisé la guerre pour transformer le régime en une dictature répressive.
Alors, décrivez-vous le régime de Poutine aujourd'hui comme fasciste ?
Oui, pourquoi pas ? Bien sûr, le fascisme d'aujourd'hui diffère du fascisme historique à bien des égards. En Russie, contrairement à l'Allemagne et à l'Italie, le fascisme n'a pas de modèle historique. Il existe plutôt diverses autres traditions autoritaires dont le régime de Poutine peut s'inspirer. Par exemple, Poutine utilise la tradition extrêmement conservatrice et cléricale de l'Empire russe pour justifier son autocratie. Des pratiques répressives issues du passé stalinien ont également été reprises, comme le montre le rôle des services secrets du FSB (successeur du KGB). Aujourd'hui, le FSB est l'élément le plus influent du régime russe.
Une partie de la gauche radicale occidentale ignore – ou pire, nie – le danger que représente le régime fasciste en Russie.
Exactement, et ce qui est encore plus tragique, c'est qu'elle n'est absolument pas préparée à la montée du fascisme dans ses propres pays. La montée du nouveau fascisme est un défi majeur pour la gauche. Aux États-Unis, par exemple, avant la réélection de Trump, la gauche radicale concentrait ses critiques principalement sur Biden et le Parti démocrate, oubliant le danger réel que représente le trumpisme. Aujourd'hui, elle est complètement perdue. Cela peut également se produire dans d'autres pays. L'histoire nous enseigne que la gauche n'était pas préparée à la montée du fascisme au 20esiècle. L'Internationale communiste stalinienne a trop longtemps banalisé la menace fasciste. La différence avec aujourd'hui est que la gauche radicale est beaucoup plus faible qu'il y a cent ans.
Quelles autres leçons peut-on tirer de la résistance antifasciste au 20e siècle ?
La leçon la plus importante de l'histoire est que le fascisme conduit toujours à la militarisation et à la guerre. Les antifascistes européens ne s'en sont pas rendu compte au début de la montée au pouvoir des fascistes dans les années 1920 et 1930. Aujourd'hui, cela est beaucoup plus évident et nous devons donc combiner notre propagande antimilitariste et anti-impérialiste avec une propagande antifasciste. La gauche ne doit pas se limiter à critiquer l'augmentation des dépenses militaires. Un régime comme celui de Poutine rejette toute forme de coexistence pacifique et glorifie la guerre comme moyen de diriger le pays et d'étendre son influence. C'est la logique qui sous-tend le concept de « monde multipolaire », un monde dans lequel il n'y a plus de droits ni de règles universels, mais où la nation la plus forte prévaut.
Sur quoi devrait se fonder un antifascisme du 21e siècle pour lutter plus efficacement contre le (post-)fascisme ?
Nous devons former de larges coalitions contre la montée de l'extrême droite. Cependant, celles-ci ne doivent pas invoquer la défense des institutions bourgeoises libérales. Ce n'est pas notre tâche et cela serait vain. Après tout, la crise de l'hégémonie libérale est l'une des raisons pour lesquelles tant de personnes perdent confiance dans les structures existantes et se tournent vers l'extrême droite.
À mon avis, la gauche radicale devrait poursuivre deux lignes d'attaque : Premièrement, nous devons répondre au mécontentement social, mais proposer d'autres solutions. L'extrême droite veut faire croire aux gens que l'immigration est la cause de tous leurs problèmes. Le fait que cela ne soit pas objectivement vrai est démontré par le fait que l'AfD a remporté le plus grand nombre de voix lors des élections fédérales de 2025 dans les circonscriptions où la proportion d'immigrés était la plus faible. Cela ouvre un vide politique potentiel que la gauche doit combler en mettant en évidence les véritables causes des problèmes réels des gens.
Et deuxièmement ?
Deuxièmement, nous devons nous concentrer sur la défense de la « démocratie », et non d'une « démocratie » limitée aux institutions démocratiques bourgeoises et à leur fonctionnement. Nous devons combiner la défense de la « démocratie » avec la revendication de l'égalité et de la participation, car c'est là tout le sens de son émergence aux 18e et 19e siècles : la lutte des classes populaires pour l'influence politique et la représentation. Une telle conception de gauche ou socialiste de la démocratie comme « pouvoir d'en bas » peut servir de base commune à une large coalition antifasciste qui rassemble les partis de gauche, les syndicats et les diverses formes d'auto-organisation féministe, antiraciste, écologique et de quartier. Ce sont précisément ces projets que les post-fascistes et les néo-fascistes veulent détruire, car ils contredisent leur idée d'un ordre étatique hiérarchique structuré comme une entreprise capitaliste.
Publié le 15 mai par Socialismus
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En Égypte, les Palestiniens de Gaza sous haute surveillance
Critiquée pour son absence de mobilisation en soutien aux Palestiniens de Gaza, l'Égypte du président Abdel Fattah Al-Sissi rend également la vie dure à ceux qui ont réussi à quitter l'enclave depuis le 7 octobre 2023. Tout est fait pour les garder dans un état de précarité pour couper court à toute velléité d'installation, par un régime qui ne regarde la situation que par le prisme sécuritaire.
Tiré d'Orient XXI.
À l'est du Caire, près de l'aéroport, Roula (1) et sa famille habitent un appartement dans un compound (2) décrépit. Ils ont quitté Gaza en mars 2024, juste avant l'occupation par l'armée israélienne du corridor de Philadelphie et la fermeture du point de passage de Rafah deux mois plus tard. Ils font partie de celles et ceux qui avaient les moyens de fuir, en payant les « frais de coordination » à la compagnie égyptienne Hala (3) — c'est-à-dire plusieurs milliers de dollars. Arrivée au Caire, la famille obtient un permis de séjour d'une durée de 45 jours, non renouvelable. Ils vivent depuis sans papiers.
- En un an, on a dû changer trois fois de logement. Les propriétaires nous font des contrats courts. Arrivés à échéance, ils augmentent le loyer. Ils savent qu'on a du mal à trouver un logement dans notre situation, donc soit on paye soit on trouve autre chose.
On estime à un peu plus de 110 000 le nombre de Palestinien.ne.s ayant fui Gaza vers l'Égypte depuis le 7 octobre. La plupart des personnes rencontrées ne souhaitent toutefois pas y rester, comme l'assure Roula :
- Toutes nos économies ont servi à payer le tansiq [frais de coordination]. Si on avait pu, on serait partis vers un autre pays ensuite. Ici, on n'arrive pas à se projeter. Depuis qu'on est sortis, on n'a eu aucun moment de répit. Notre quotidien c'est toujours la guerre, mais à distance maintenant.
Des familles séparées par la guerre
Tous les membres de la famille de Roula ont pu sortir à l'exception d'un de ses neveux, âgé de 25 ans, que les autorités israéliennes ont refusé d'inscrire sur la liste de la coordination. Il ne n'est pas le seul dans ce cas. Zeinab, une autre Palestinienne de Gaza que nous avons rencontrée, s'est rendue au Caire le 4 octobre 2023 avec son mari et deux de ses enfants pour une semaine. Deux de ses filles se sont retrouvées coincées à Gaza pendant plusieurs mois avant de pouvoir sortir. Des milliers d'étudiant·e·s palestinien·ne·s inscrits dans des établissements d'enseignement supérieur égyptiens se sont également retrouvés séparés de leurs familles à Gaza, lesquelles subvenaient à leurs besoins.
Certain·e·s étudiant·e·s ont bénéficié d'aides de la part d'associations ou de partis politiques, qui ont pris le relais et payé leurs frais de scolarité, à l'instar du Parti social-démocrate ou encore du Courant de la réforme démocratique palestinien. Branche dissidente du Fatah, ce dernier est implanté au Caire depuis plusieurs années. Son leader étant proche du régime égyptien, les activités du parti sont tolérées. Déjà avant le 7 octobre 2023, celles-ci reposaient sur des actions caritatives, le financement de bourses d'études pour des étudiant·e·s palestinien·ne·s dans des universités égyptiennes, la prise en charge de frais médicaux, la distribution de colis alimentaires, etc. Depuis plusieurs mois, le Courant a intensifié ses activités, recréant un réseau de solidarité en exil.
Une présence illégale mais tolérée
Avec l'impossibilité pour les exilés gazaouis de scolariser leurs enfants à l'école ou de travailler, que ce soit dans le secteur public ou dans le privé — où la procédure pour obtenir un permis de travail est complexe et décourage souvent les employeurs —, ils deviennent tributaires des réseaux de solidarité, créés pour la plupart par des binationaux résidant en Égypte depuis des années. À titre d'exemple, certaines écoles accueillent, après les heures d'ouverture, des élèves palestinien·ne·s qui peuvent y suivre des cours gratuitement. Même la souscription à un contrat de ligne téléphonique est impossible sans statut légal. Cette organisation informelle est néanmoins tolérée par les autorités égyptiennes « tant que ce n'est pas trop institutionnel ni trop visible », selon une militante égyptienne de droits humains. Elle affirme que le ministère de l'intérieur a décidé de ne pas arrêter les Palestinien·ne·s sans papiers s'ils venaient à se faire contrôler. « Ils travaillent aussi sans problème, même si officiellement ils n'en ont pas le droit », confirme un conseiller de l'ambassadeur de Palestine en Égypte.
L'ambassade, qui a d'ailleurs été déplacée, après le 7 octobre, de Doqqi, au centre du Caire, vers une zone périphérique à l'est de la capitale, n'a pas non plus fourni l'assistance attendue par ses ressortissant·e·s. En collaboration avec le ministère de l'éducation à Ramallah, elle a simplement essayé d'assurer une continuité de l'enseignement en proposant des cours en ligne et en accueillant dans ses bureaux les épreuves du bac. Interrogé sur la question du permis de résidence, le conseiller de l'ambassadeur explique que ce dernier a essayé de négocier avec les autorités égyptiennes un permis de résidence temporaire, jusqu'à la fin de la guerre, pour les Palestinien·ne·s arrivé·e·s après le 7 octobre. En vain.
Les craintes du régime
À la fin du mois d'avril 2025, 110 Palestinien·ne·s de Gaza — personnels de l'Institut français, lauréat·e·s de bourses d'études en France, du programme pause (4) ou encore bénéficiaires du rapatriement familial — ont été évacués via le point de passage de Kerem Abou Salem. Les papiers des Palestinien·ne·s ont été contrôlés par l'armée israélienne, et la fouille assurée par des membres d'une famille de Gaza. Cette sous-traitance sécuritaire d'Israël contribue davantage à créer le chaos dans le tissu social palestinien.
Depuis Kerem Abou Salem, et en l'espace de 24 heures, les personnes évacuées ont été acheminées par bus vers Amman, la capitale de la Jordanie, et logées dans un hôtel en attendant d'embarquer pour Paris, selon un témoignage que nous avons recueilli. Malgré l'exigence de discrétion formulée par les consulats français de Jérusalem et d'Amman, en charge de l'évacuation, l'interview d'une rescapée filmée à Amman a fait le tour des réseaux sociaux (5). Les autorités françaises, accusées de prendre part au déplacement forcé des Palestinien.ne.s de Gaza ou au contraire submergées de demandes pour procéder à de nouvelles évacuations, a publié un communiqué justifiant cette opération (6).
L'évacuation récente de ces Palestinien·ne·s via Kerem Abou Salem s'explique par le maintien par les autorités égyptiennes de la fermeture du point de passage de Rafah, depuis le mois de mai 2024. Une décision renforcée par l'annonce du président étatsunien Donald Trump d'un plan consistant à vider la bande de Gaza de ses habitant·e·s. L'arrivée massive de « réfugiés » palestinien·ne·s en Égypte menacerait la stabilité du régime d'Abdel Fattah Al-Sissi, dans la mesure où des cadres influents de l'armée ainsi que la population civile y sont opposés.
La crainte du régime d'un débordement du conflit sur son territoire n'est pas nouvelle. Les évènements récents rappellent que, particulièrement depuis l'arrivée au pouvoir du président Al-Sissi, les Palestinien·ne·s de Gaza sont perçus et traités par le régime comme un enjeu pour la sécurité nationale égyptienne. La progressive sécurisation de la frontière égypto-palestinienne traduit bien ce phénomène. La privatisation croissante du point de passage de Rafah repose sur des partenariats publics-privés et a généré une industrie migratoire à travers le système de « coordination ». Les régimes de restriction dans l'espace frontalier s'étendent au Nord du Sinaï, zone militarisée, mais aussi aux Palestinien·ne·s de la diaspora en Égypte.
« Criminalisation de la solidarité »
La période post-révolutionnaire en Égypte est à ce titre révélatrice de la transformation progressive des Palestinien.ne.s en menace sécuritaire. Et les médias se font les relais de la propagande du régime. Le « lynchage médiatique » des Frères musulmans, depuis le printemps 2013, ainsi que du Hamas — que le régime associe à la confrérie — a contribué à construire les Palestinien·ne·s en général, mais surtout les Palestinien·ne·s de Gaza, en menace pour la sécurité intérieure.
Depuis le 7 octobre 2023, les blessés et malades évacués de Gaza vers l'Égypte pour y être soignés ont été transférés dans plusieurs hôpitaux, à El-Arish, Ismaïliya, Port-Saïd, ou encore au Caire, ainsi que dans des bâtiments mis à disposition par le ministère égyptien de la solidarité sociale. Ils doivent souvent payer pour leurs médicaments et traitements, alors que les autorités égyptiennes s'étaient engagées à les prendre en charge. De plus, ces hôpitaux s'apparentent à des lieux d'incarcération, très surveillés et dont ils n'ont pas le droit de sortir.
De même, quelque 130 prisonniers politiques palestiniens, la plupart du Hamas et du Djihad islamique, libérés lors des périodes de cessez-le-feu en échange d'otages israéliens, ont été expulsés vers l'Égypte. Ils ont été placés provisoirement dans un hôtel près de l'aéroport du Caire, qu'ils ne peuvent pas, là non plus, quitter librement. Les négociations de cessez-le-feu en cours doivent déterminer quels pays les accueilleraient — probablement la Turquie et le Qatar —, et dans quelles conditions.
Ce traitement sécuritaire affecte aussi toute personne qui les soutient ouvertement. Un rapport de l'ONG Refugee Platform in Egypt accuse le régime de « criminalisation de la solidarité avec le peuple palestinien » (7). Le rapport fait état d'arrestations de citoyens égyptiens ayant pris part à des manifestations, à l'instar des mobilisations autour de la mosquée d'Al-Azhar le 20 octobre 2023, ou à des initiatives de solidarité envers les Palestinien.ne.s.
« Réfugiés » en Égypte. Ni statut légal ni droits
Les Palestinien·ne·s en Égypte ne sont pas considérés comme réfugiés et ne bénéficient donc pas de l'assistance et des services de l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). Le régime refuse que l'agence onusienne opère sur son sol, pour ne pas donner, selon lui, un blanc-seing au projet américano-israélien d'expulsions forcées des Palestinien.ne.s de Gaza vers l'Égypte et la Jordanie.
Signataires notamment du Protocole de Casablanca de 1965 octroyant aux Palestinien·ne·s des droits de résidence, des permis de travail ou de voyage, les autorités égyptiennes n'appliquent pas complètement, dans les faits, les articles ratifiés (8). Refusant, comme tous les pays arabes, la naturalisation des ressortissant·e·s palestinien·ne·s, selon la résolution de la Ligue arabe de 1952 consacrant la préservation de l'identité palestinienne, Le Caire leur octroie des visas de résidence pour lesquels la législation a évolué de façon restrictive au fil du temps. Entre 1978 et 1982, soit après la signature des accords de Camp David entre Le Caire et Tel-Aviv, les Palestiniens, sauf cadres de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), deviennent des « étrangers » en Égypte. Ils se voient en outre retirer leurs droits de résidence, excepté pour les ressortissant·e·s marié·e·s à des Égyptien·ne·s, les étudiant·e·s, les personnes travaillant dans le secteur privé, propriétaires d'une entreprise ou investissant dans le pays. En 2004, la loi de nationalité 1975 autorise une Égyptienne mariée à un Palestinien à transmettre sa nationalité à ses enfants. Un effet rétroactif a été appliqué pendant la période du Conseil suprême des forces armées (2011-2012) (9)
Les Palestinien·ne·s, arrivé·e·s légalement en Égypte depuis le 7 octobre, pourraient demander l'asile. En décembre 2024, une loi sur le droit d'asile en Égypte a été présentée au Parlement puis adoptée par décret présidentiel. Elle vise à terme à remplacer l'agence du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) par un organe gouvernemental, le Comité permanent aux affaires pour les réfugiés. De nombreuses organisations humanitaires y sont opposées et estiment que cette loi laissera à la discrétion des autorités le pouvoir de révocation de l'asile et d'expulsion. La loi stipule entre autres l'interdiction pour les demandeurs d'asile ou les bénéficiaires du statut de réfugié d'exercer toute activité politique et partisane. Elle criminalise également l'aide informelle fournie aux demandeurs d'asile.
Notes
1- Toutes les personnes interviewées apparaissent sous pseudonyme.
2- NDLR. Un quartier résidentiel sécurisé.
3- Lire « The Argany Peninsula », Mada Masr, 13 février 2024.
4- NDLR. Le programme PAUSE soutient des scientifiques et des artistes en exil en favorisant leur accueil dans des établissements d'enseignement supérieur et de recherche ou des institutions culturelles.
5- La vidéo, postée à l'insu de la personne interviewée, a depuis été effacée.
6- « Israël/Territoires palestiniens — Sorties de la bande de Gaza (25 avril 2025) », France Diplomatie.
7- « “Where do they go ?” A full year of siege, the denial of rights and the criminalization of solidarity », Refugee Platform in Egypt, 5 novembre 2024.
8- Oroub El-Abed, « The forgotten Palestinians : how Palestinian refugees survive in Egypt », Forced Migration Review, mai 2004.
9- Oroub El-Abed, « Unprotected Palestinians in Egypt since 1948 », Institute for Palestine studies, 2009.
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« Le problème foncier est le cancer de l’Afrique du Sud »
Entretien · La loi foncière adoptée le 24 janvier dernier par l'Afrique du Sud s'est attiré les foudres de Donald Trump, qui accuse le pays de « discrimination raciale » à l'encontre de la minorité blanche. Or, pour comprendre les enjeux autour du texte, il faut retourner à l'Histoire, marquée par une spoliation continue de la terre par les colons blancs. La politiste Marianne Séverin dessine les grands chapitres d'un très long combat.
Tiré d'Afrique XXI.
Remise en cause d'accords commerciaux, arrêt de l'aide états-unienne, boycott de la présidence sud-africaine du G20, proposition d'accueil des fermiers afrikaners souhaitant émigrer aux États-Unis : Donald Trump s'est beaucoup démené, ces dernières semaines, pour fustiger l'Afrique du Sud après l'adoption d'une nouvelle loi foncière (1) « pour promouvoir l'inclusivité et l'accès aux ressources naturelles » qui permet, au nom de l'intérêt général, des expropriations sans compensations financières de terres à l'abandon.
Peut-être faut-il voir dans cette colère, réelle ou feinte, l'influence d'Elon Musk et de Peter Thiel, deux grands patrons illibéraux très proches du président états-unien, qui ont grandi dans les régimes d'apartheid d'Afrique du Sud et de Namibie. Ou bien le fruit d'un lobbying intense mené par une mouvance afrikaner revancharde, très active en Europe et aux États-Unis, qui invoque un prétendu « apartheid à l'envers ». Ou encore, un prétexte pour sanctionner des choix politiques internationaux.
Mais au-delà des outrances états-uniennes, traduction d'une « campagne de désinformation et de propagande » dénoncée le 8 février par un communiqué du ministère sud-africain des Affaires étrangères, la nouvelle loi foncière en vigueur se voit plutôt reprocher, en Afrique du Sud, sa timidité et son incapacité à redessiner en profondeur la géographie héritée de l'apartheid. La réparation des injustices foncières, qui a toujours été au cœur du combat contre le régime de ségrégation raciale, est, en effet, très difficile.
Chercheuse associée au laboratoire scientifique « Les Afriques dans le monde » (LAM), à Bordeaux, dans le sud-ouest de la France, Marianne Séverin est spécialiste du contexte politique sud-africain. Elle est l'autrice d'une thèse (2) sur les réseaux du Congrès national africain (African National Congress, ANC).
« Les Afrikaners ont éliminé la concurrence des fermiers noirs »
Nathalie Prévost : Pouvez-vous nous parler de l'histoire de la politique agraire de l'Afrique du Sud, notamment des lois sur les terres indigènes de 1913 et 1936 qui ont limité à 8 % puis 13 % seulement du territoire sud-africain les terres des Africains non blancs ?
Marianne Séverin : Il faut remonter au-delà de l'apartheid, à la fin de la période coloniale et à la rivalité entre les descendants des premiers colons néerlandais et les Britanniques. La deuxième guerre anglo-boer, de 1899 à 1902, s'achève à l'avantage des Britanniques, avec un traité de paix qui exprime la volonté de réconcilier la population blanche et de renforcer son contrôle politique et économique sur le pays, naturellement au détriment de la majorité africaine de la population. C'était une façon de protéger les acquis sociaux des Afrikaners et, en même temps, de disposer d'une main-d'œuvre bon marché au service de l'expansion minière et industrielle du pays après la découverte, entre le milieu et la fin du XIXe siècle, des mines d'or et de diamants.
L'Union sud-africaine est formée le 31 mai 1910. Elle scelle l'union des deux communautés blanches, auxquelles elle attribue plus de 90 % des terres, grâce aux premières lois discriminatoires qu'elle vote presque immédiatement, parmi lesquelles la loi sur les terres indigènes de 1913.
Nathalie Prévost : Chassés de leurs terres et cantonnés dans des réserves, les fermiers africains deviennent alors une main-d'œuvre forcée pour les fermiers blancs ?
Marianne Séverin : Oui. Ils deviennent la main-d'œuvre des fermes, la main-d'œuvre des mines, puis les femmes de ménage, les maids. En fait, une main-d'œuvre au service de la population blanche. Privés de terre, ils n'ont plus d'autre choix ! Par ailleurs, l'accaparement des terres par les Afrikaners permet d'éliminer la concurrence des fermiers noirs.
L'objectif, à la création de l'Afrique du Sud moderne, est de développer les intérêts agricoles et commerciaux des Blancs, particulièrement des Afrikaners. La loi de 1913 interdit aux Africains d'acheter ou de vendre des terres hors des réserves (3) où ils sont désormais confinés. Évidemment, cela pose beaucoup de problèmes aux Africains dans leur vie quotidienne. Certains, par exemple, se voient privés de l'accès aux sépultures de membres de leur famille enterrés sur des terres désormais dévolues aux Blancs.
L'ANC est né à la même époque, en 1912. On l'appelle « l'ANC des pères fondateurs ». Alors que les royaumes bantous avaient été vaincus par les colons, les Noirs éduqués avaient compris la nécessité de s'organiser pour réclamer une grande nation africaine en Afrique du Sud et dénoncer les lois raciales. La terre a été leur première bataille. On peut reprocher beaucoup de choses à l'ANC, mais la redistribution des terres a toujours été son combat.
« La loi foncière gère tout l'espace, rural et urbain »
Nathalie Prévost : Quelle évolution l'apartheid a-t-il imprimée ensuite ?
Marianne Séverin : En 1949, le régime d'apartheid arrive au pouvoir et, en 1950, il adopte une batterie de lois pour garantir la pureté de la race, la séparation physique des populations, la domination politique et le contrôle de la population. La même année, une loi détermine les zones géographiques dans lesquelles doivent vivre les Sud-Africains en fonction de leur couleur de peau. Avec cette loi, on exproprie les Africains, les métis et les Indiens au profit des Blancs. À partir de 1950, si vous êtes Africain et que vous vivez dans ce que les autorités considèrent être une zone blanche, on vous force à déménager.
Trois lois importantes sont adoptées dans ces années-là : en 1950, celle sur la délimitation des zones géographiques ; en 1951, celle sur la législation discriminante dans les campagnes, qui limite la capacité et la volonté des Africains à maintenir une existence agricole indépendante hors des réserves ; et en 1954, la loi sur les indigènes, qui restreint le nombre d'Africains dans les zones urbaines : les Africains ne peuvent plus vivre dans les centres-villes considérés comme des zones blanches.
La loi sur le foncier ne s'intéresse pas qu'aux terres agricoles. Elle gère tout l'espace, rural et urbain. Et chaque groupe se voit attribuer un ratio en fonction de sa couleur de peau et de son ethnie. À la suite de la création des Bantoustans, dans les années 1960 et 1970, des Sud-Africains noirs perdent leur nationalité parce que certains Bantoustans deviennent indépendants. Dès lors, on ne pense plus l'Afrique du Sud que blanche. Pour les non-Blancs, il n'y a plus de libre circulation : il faut un pass pour se déplacer.
Nathalie Prévost : Après la chute de l'apartheid, en 1994, une loi sur la restitution des droits fonciers aux personnes dépossédées de leur propriété après le 19 juin 1913 est adoptée. Cette loi prévoit également la réforme de la tenue foncière dans les ex-Bantoustans et une redistribution permettant l'acquisition foncière avec le soutien de subventions publiques. Qu'est-ce que cette loi a changé ?
Marianne Séverin : Cette loi de 1994 n'a pas été très bien ficelée. Il y a eu des débats à l'intérieur de l'ANC. Ce dernier n'est pas un parti politique homogène. Différents courants s'y affrontent, certains plus populistes, et d'autres plus raisonnables qui estiment que l'Afrique du Sud doit appartenir à tout le monde. L'exemple du Zimbabwe (4), qu'on leur ressasse à longueur de temps, a aussi conduit l'ANC à rester très prudent.
La redistribution des terres n'a pas été effective. Les Blancs n'ont pas forcément voulu vendre et, quand ils vendaient, les prix étaient élevés. Et lorsque les fermiers noirs pouvaient acquérir ces terres, parfois, par manque d'expérience, ils n'ont pas fait du bon travail. C'était aussi très difficile de rapporter la preuve de leur dépossession en 1913 pour ceux qui prétendaient bénéficier des dispositions de la loi de restitution des terres. Et puis il y a eu de la corruption au niveau des subventions publiques prévues pour acquérir les terres. Actuellement, 72 % des terres agricoles sont toujours entre les mains des fermiers blancs (contre 87 % après la loi de 1936). Vous comprenez le malaise quand on entend Donald Trump dire qu'on exproprie les Afrikaners ! Bref, cette loi n'a pas produit de grands effets. On a beaucoup parlé mais peu agi. Et certaines des terres mises en vente n'étaient même pas cultivables.
« La terre doit être partagée entre ceux qui la travaillent »
Nathalie Prévost : Quelle était la vision de l'ANC sur cette question ?
Marianne Séverin : La Freedom Charter (Charte de la Liberté), écrite en 1955 par l'ANC, est le cœur même de la Constitution sud-africaine. Voici ce qu'elle proclame : « La terre doit être partagée entre ceux qui la travaillent ! Les restrictions à la propriété foncière sur une base raciale doivent être supprimées et toutes les terres doivent être redistribuées entre ceux qui les travaillent afin de bannir la famine et le manque de terres. L'État doit aider les paysans en leur fournissant des outils, des semences, des tracteurs et des barrages afin de préserver le sol et d'aider les cultivateurs ; la liberté de mouvement est garantie à tous ceux qui travaillent la terre ; chacun a le droit d'occuper la terre où il le choisit ; les gens ne seront pas dépouillés de leur bétail ; le travail forcé et les prisons agricoles seront abolis. »
La Constitution sud-africaine de 1996 parle dans son préambule de la nécessité de reconnaître les injustices du passé (« recognize the injustices of our past »). Cet aspect est très important. Parfois, je suis étonnée de lire ce qu'écrivent certains Sud-Africains blancs. Il y a une Constitution en Afrique du Sud. Elle a été écrite, négociée et gravée dans le marbre. Et la première chose qu'on y lit, c'est : « Reconnaître les injustices de notre passé. » Certains dénoncent des expropriations à venir.
En réalité, il s'agit d'une tentative de réparation de l'Histoire.
Quand vous voyez des organisations de la société civile liées à l'extrême droite qui racontent je ne sais quoi, ces personnes semblent ignorer leur propre Constitution. Elles le font parce que, dans leur inconscient, l'Afrique du Sud appartient toujours à la minorité blanche. On ne peut pas demander aux Sud-Africains d'oublier cette histoire sous prétexte que l'apartheid est terminé. Oui, l'apartheid est terminé, mais le cancer même de ce pays c'est le problème foncier, qui remonte à plus de cent ans. L'enjeu, c'est de parvenir à redistribuer des terres tout en préservant celles des Afrikaners, qui sont des citoyens de ce pays depuis des générations et qui assurent la sécurité alimentaire du pays. Personne n'a demandé aux Afrikaners d'abandonner leurs terres. D'ailleurs, les Africains n'ont pas tous envie de travailler dans l'agriculture.
Nathalie Prévost : Alors, qu'est-ce qui a présidé à l'élaboration de la nouvelle loi, et quels sont ses objectifs ?
Marianne Séverin : L'objectif de la loi de 2025 est d'aligner les lois sud-africaines sur l'expropriation sur la Constitution du pays, en particulier l'article 25. L'article 25 autorise l'expropriation dans l'intérêt public. C'est l'intérêt public qui a été ajouté à la loi foncière de 1994. Cette loi élargit la définition de la propriété pour inclure les biens mobiliers et immobiliers. Cela signifie que si vous avez une terre qui est abandonnée et qui n'est plus valorisée, l'État peut la préempter pour s'en servir. On a le même système en France ! Et on dit bien que la loi est stricte, prévoit des obligations claires en matière de consultations et de notifications aux propriétaires de terres concernés, qui ont le droit de faire des observations. Il faut suivre les règles, et il y a des mécanismes pour résoudre les litiges.
Nathalie Prévost : Quelle était la nécessité de cette loi ?
Marianne Séverin : En fait, lorsque vous avez des terres qui ne sont pas vendues et qui n'ont plus d'autre intérêt que spéculatif, l'État considère que ces terres peuvent être utilisées pour des projets utiles pour le bien de tous. C'est une façon aussi de réparer les injustices. Le débat sur la terre est un débat qui pourrit l'Afrique du Sud et empêche la réconciliation. Il n'y a pas de partage des richesses, ni des terres. Et ce sont toujours les mêmes qui ont le pouvoir économique au détriment de la majorité.
« Si l'Afrique du Sud ne s'aligne pas derrière les États-Unis, elle est punie »
Nathalie Prévost : Comment interprétez-vous la charge impromptue de Donald Trump ?
Marianne Séverin : Le problème de la terre est un prétexte pour Donald Trump. Il parle d'un génocide, de violations des droits humains. Je ne vous dis pas qu'il n'y a pas de meurtres de fermiers blancs, mais il y en a aussi de fermiers noirs. L'Afrique du Sud est l'un des pays les plus violents du monde. Certains Blancs, en particulier afrikaners, considèrent que l'Afrique du Sud n'a pas lieu d'être noire, multiraciale ni inclusive. Il faut faire un parallèle entre ce qui se passe aux États-Unis actuellement et cette attaque contre l'Afrique du Sud.
Aux États-Unis, ils sont en train d'essayer d'éliminer tout cet aspect de solidarité, d'inclusion. Vous avez, en face, un pays qui fait tout le contraire, ce qui ne correspond pas à la vision de Trump. Je ne parle même pas d'Elon Musk, qui a grandi dans le contexte de l'apartheid avec un père raciste notoire. On voit aussi des liens avec l'extrême droite états-unienne et la diffusion de fausses informations. Lors de son premier mandat, Donald Trump avait déjà parlé de génocide des Blancs. Ce monsieur n'a jamais mis les pieds dans ce pays ni ailleurs en Afrique, ça ne l'intéresse pas, et il se permet d'insulter tout le monde !
Autre source de mécontentement des États-Unis, l'Afrique du Sud fait partie des pays qui n'ont pas condamné la Russie pour la guerre en Ukraine. Les liens avec la Russie datent de la lutte contre l'apartheid.
Le fait que l'Afrique du Sud fasse partie des Brics déplaît également. Et, comble de l'horreur, Pretoria a porté plainte devant la Cour internationale de justice contre Israël. Les États-Unis lui ont demandé de faire marche arrière et elle a refusé de céder. Même sous Biden, il y a eu un incident diplomatique entre les deux pays. Peu de gens le savent, mais la Palestine a contribué à la lutte anti-apartheid. En 1994, à l'investiture de Nelson Mandela, Yasser Arafat avait été invité. Ça avait fait du bruit, mais Nelson Mandela avait dit : « Les Palestiniens nous ont aidés. »
Pour résumer, si l'Afrique du Sud ne s'aligne pas derrière les États-Unis ou derrière les Occidentaux en ce qui concerne Israël et ses actions dans la bande de Gaza, elle est punie.
Nathalie Prévost : Ils ne sont pas les seuls à avoir un pied dans chaque camp !
Marianne Séverin : Non, mais c'est tellement plus facile de s'attaquer à ce pays ! Tout cela est aussi le fruit de l'agitation menée par deux organisations de la société civile afrikaner ()5 proches des milieux trumpistes. Puis rétropédalage lorsque Trump a proposé de donner le statut de réfugiés aux Afrikaners. Tout ça, c'est basé sur des fake news ! Le ministre de l'Agriculture, John Henry Steenhuisen, a dit : « Pour l'instant, je ne vois pas de fermier [blanc] qui veut quitter l'Afrique du Sud. » Certains ont pensé : « Il y a des problèmes dans notre pays, mais on y vit confortablement. Qu'est-ce qu'on va aller faire aux États-Unis alors que les fermiers états-uniens se plaignent ? »
Rappelez-vous les paroles de l'ex-président Thabo Mbeki au sujet des États-Unis : « Ils n'ont pas à nous donner de leçons parce qu'ils ne nous ont pas soutenus durant l'apartheid. » La Constitution est écrite. La loi est votée. C'est une vraie démocratie, ce pays, même s'il y a des problèmes sociaux et économiques. Les États-Unis n'ont pas à s'ingérer dans la politique intérieure de l'Afrique du Sud pour lui dicter ce qu'elle doit faire ou pas et la punir. En suspendant, par exemple, l'accord économique entre les États-Unis et l'Afrique du Sud [l'African Growth and Opportunity Act, promulgué en 2000 par Washington, NDLR]. L'ironie de l'histoire, c'est que l'Europe, face aux attaques de Trump, soutient désormais Pretoria. L'avenir s'annonce mouvementé !
Notes
1- Loi numéro 13 sur l'expropriation 2024. Le PDF est disponible ici.
2- Marianne Séverin, « Les réseaux ANC (1910-2004) – Histoire de la constitution du leadership de la nouvelle Afrique », 2006.
3- Créées à partir de 1850 à l'époque des guerres cafres (ou xhosas), les réserves deviennent des Bantoustans, ou Homelands, dans les années 1960 et 1970.
4- En mai 2002, Robert Mugabe ordonne l'expulsion de 2 900 des 4 500 propriétaires blancs du pays, dans le cadre d'une réforme agraire ayant pour but de redistribuer une partie des 40 % des terres arables de l'ex-Rhodésie appartenant aux Blancs. Une grande crise politique et agricole s'ensuit.
5- L'AfriForum, qui a pour ambition de protéger les droits et les intérêts de la communauté afrikaner, et le mouvement Solidarity, qui affirme que les Afrikaners sont traités comme des citoyens de seconde zone.
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