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– Contre les féminicides, les violences sexuelles et toutes les violences de NousToutes

À l'occasion de la journée internationale pour l'élimination des violences faites aux femmes et minorités de genre, nous appelons à manifester dans toutes les villes de (…)

À l'occasion de la journée internationale pour l'élimination des violences faites aux femmes et minorités de genre, nous appelons à manifester dans toutes les villes de France hexagonale et des Outre-mer le samedi 23 novembre contre les féminicides, les violences sexuelles et toutes les violences de genre.

Tiré de Entre les lignes et les mots

En France, depuis l'arrivée au pouvoir d'Emmanuel Macron, nous décomptons déjà plus d'un millier de féminicides. UN MILLIER de femmes et filles assassinées par des hommes ! Les féminicides ont lieu partout, dans les foyers mais aussi en dehors. Dans l'espace public, ces crimes visent particulièrement les femmes trans, migrantes, travailleuses du sexes ou SDF qui sont trop souvent invisibilisées. Derrière ce chiffre, ce sont aussi des milliers d'enfants, de familles et de proches endeuilléEs.

Qui s'en indigne ? Qui se préoccupe réellement du meurtre de ces femmes, tuées parce qu'elles sont des femmes ? Quelles réactions collectives ? Quelles réponses politiques ? Depuis 7 ans, les gouvernements successifs ont multiplié les promesses mais les moyens sont dérisoires et en baisse, l'action politique est quasi-inexistante. Non seulement le gouvernement ne soutient pas le travail militant et associatif, mais il s'engage dans une répression sans précédent des mouvements sociaux et féministes.

Les violences sexistes et sexuelles sont quotidiennes et concernent tout le monde. La banalisation du sexisme favorise les violences que nous vivons au quotidien : discriminations, harcèlement, violences psychologiques, violences au sein du couple à travers le contrôle coercitif, violences économiques, cyberviolences dont les raids masculinistes, violences gynécologiques, mutilations sexuelles, mariages forcés, agressions, viols, féminicides. En France, une femme est victime de viol ou tentative de viol toutes les 2 minutes 30 et un enfant toutes les 3 minutes. Plus de cinq millions d'adultes en France déclarent avoir été victimes de pédocriminalité. Des centaines de milliers d'enfants sont victimes des violences conjugales, parentales et intrafamiliales. Un tiers des femmes subissent du harcèlement sexuel sur leur lieu de travail. Face à Gisèle et ses enfants, le profil des 51 hommes accusés de viol sous soumission chimique confirme ce que les associations féministes et enfantistes répètent depuis des décennies : les auteurs de violences ne sont pas des monstres, ce sont des hommes de notre entourage mais aussi des personnalités publiques. Ces violences concernent tout le monde ! Et la honte doit changer de camp !

Les violences de genre interviennent aussi au croisement de plusieurs systèmes de domination et d'exclusion. Elles touchent particulièrement les personnes aux identités multiples et vulnérabilisées parce qu'elles sont racisées, précaires, lesbiennes, gays, bi, trans, queer, intersexes, exilées, sans papiers ou en situation irrégulière, incarcérées, handicapées, affectées par des maladies ou troubles psychiques, vivant avec le VIH, travailleuses du sexe, victimes d'exploitation, à la rue, usagères de produits psycho-actifs, mères isolées, mineures, âgées ou grosses. Les rapports de domination s'entretiennent et se renforcent. Ce sont les paroles des premièrEs concernéEs qui fondent nos luttes féministes et nous combattons conjointement toutes les oppressions.

Alors que les victimes parlent et appellent à l'aide, nous dénonçons l'inaction volontaire de l'État, coupable du maintien des violences et de l'abandon des victimes. Le gouvernement enterre la Commission Indépendante sur l'Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants (Ciilise), abandonne les associations et les services de protection de l'enfance qui subissent des coupes budgétaires. Les institutions maintiennent leur fonctionnement patriarcal et délétère pour les victimes et celleux qui les soutiennent. Ancrées et normalisées dans nos sociétés, les violences sont tantôt invisibles, tantôt considérées comme une fatalité ou un fléau. Au contraire, elles peuvent et doivent être éradiquées. Les solutions sont connues depuis des décennies, d'autres pays les mettent en oeuvre avec des résultats probants : des politiques publiques notamment de prévention des violences, d'éducation à l'égalité et à la culture du consentement à l'école, de mise à l'abri et d'accompagnement des victimes dans leur reconstruction.

Le 23 novembre, nous serons dans la rue pour réclamer ces politiques publiques, avec un budget pérenne annuel d'au moins 2,6 milliards d'euros soit 0,5% du budget de l'État. Le 23 novembre, nous serons dans la rue pour crier notre colère face aux violences sociales qui se sont multipliées ces dernières années et impactent particulièrement la vie des femmes, des personnes LGBTQI+ et des enfants. Si la réforme des retraites représente une violence envers toutes les personnes les plus précaires, les femmes en sont les premières victimes car 60% des économies ont été réalisées sur leurs retraites. Parmi les deux millions de mères isolées avec leurs enfants, près de la moitié vivent sous le seuil de pauvreté. 70% des travailleurs pauvres sont des femmes. En plus des temps partiels imposés, des bas salaires des métiers dévalorisés occupés en grande partie par des femmes racisées, l'inflation ou encore la réforme du RSA les ont encore plus vulnérabilisées.

Le 23 novembre, dans un contexte d'explosion de l'antisémitisme, de l'islamophobie et de toutes les formes de racisme, ainsi que de la transphobie, nous serons aussi dans la rue pour dénoncer la haine entretenue par la fascisation des discours politiques et médiatiques, qui impactent directement nos vies. Nous rappellerons que l'extrême-droite en particulier représente une menace immédiate pour les femmes, les personnes minorisées et les enfants. Niant le résultat des urnes, Emmanuel Macron continue de dérouler le tapis rouge à l'extrême-droite en nommant un premier ministre et un gouvernement réactionnaires ayant voté contre les droits des femmes, des minorités de genre et des enfants. Nous manifesterons notamment contre les politiques LGBTQI+phobes dont les thérapies de conversion et la mutilation des enfants intersexes. Nous continuerons de faire front face aux partis politiques, organisations, médias, masculinistes et fémonationalistes qui attaquent nos droits et instrumentalisent nos luttes.

Le 23 novembre, nous serons aussi dans la rue en solidarité avec nos sœurs et nos adelphes du monde entier, et en soutien de tous les peuples victimes de la colonisation, des génocides, des guerres. Partout où il y a des guerres et des régimes totalitaires, les femmes, les personnes LGBTQI+ et les enfants subissent le viol, les pires violences et voient leurs droits bafoués. Nous exigerons le respect par le gouvernement français du droit international et de l'autodétermination des peuples, la fin de toute politique coloniale et l'arrêt immédiat de l'armement des régimes génocidaires.

Le 23 novembre, nous appelons à la mobilisation générale et à une déferlante féministe dans les rues de toutes les villes de France hexagonale et des Outre-mer contre les féminicides, les violences sexuelles et toutes les violences de genre

Publiés dans le Courrier N° 437 de la Marche Mondiale des Femmes

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L’affaire Errejón, les agressions sexuelles et les féministes (Etat espagnol) : « {Il est urgent d’ouvrir le débat, d’en redéfinir le cadre et de le politiser »}

19 novembre 2024, par Justa Montero, Viento Sur — , ,
L'affaire Errejón a suscité un vaste débat public dans la société et, bien entendu, au sein d'un mouvement féministe très diversifié. Dans cette interview, Justa Montero, (…)

L'affaire Errejón a suscité un vaste débat public dans la société et, bien entendu, au sein d'un mouvement féministe très diversifié. Dans cette interview, Justa Montero, féministe et engagée depuis longtemps dans le mouvement social, membre du Conseil consultatif de Viento sur, nous donne son point de vue sur ce débat très nécessaire et en même temps, comme elle le dit elle-même, complexe et aux aspects multiples.

Tiré de Entre les lignes et les mots

https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/11/15/laffaire-errejon-les-agressions-sexuelles-et-les-feministes-etat-espagnol-il-est-urgent-douvrir-le-debat-den-redefinir-le-cadre-et-de-le-politiser/?jetpack_skip_subscription_popup

Viento Sur : L'accusation d'agression sexuelle portée contre Iñigo Errejón [1] et les témoignages qui ont suivi ont donné lieu à un débat public intense. Selon toi, où se situe le cœur du débat ?

Justa Montero : Au-delà de la procédure judiciaire que l'accusation (ou les accusations) d'agression sexuelle contre Iñigo Errejón va entraîner, l'impact en a été dévastateur. À la plainte s'est ajoutée une désolante lettre, bourrée d'euphémismes, dans laquelle il reconnaît de manière vague sa conduite tout en se disculpant sans demander pardon. Les conséquences ont été dévastatrices, car il s'agit d'un responsable politique extrêmement connu du public, représentant un parti de gauche qui se réclame de la « nouvelle politique » et se déclare féministe.

L'ampleur prise par cette affaire a entraîné un important débat public qui pourrait marquer un tournant dans la compréhension du phénomène des violences sexuelles. Un débat qui n'est pas facile parce qu'il a de multiples facettes et qu'il révèle à quel point il est complexe de prendre en considération cette violence machiste dans ses dimensions personnelles et sociales.

Ainsi, au premier abord, ce qu'il révèle est quelque chose que le mouvement féministe souligne depuis de nombreuses années, depuis que la violence sexuelle est inscrite parmi ses priorités : que la violence sexuelle, dans ses différentes manifestations, est plus banalisée que ne le laisse penser la perception qu'en a la société ; qu'il n'y a pas un seul profil d'homme harceleur et agresseur, c'est-à-dire que la violence sexuelle peut être le fait de citoyens respectables, de pères de famille (Dominique Pelicot, le retraité français qui a organisé le viol de sa femme par 92 hommes, ne semblait-il pas en être un ? ), elle peut venir de prêtres, de collègues, de parents, d'enseignants…

Dans le cas d'Iñigo Errejón, le débat a également été alimenté par un traitement médiatique agressif, moralisateur et sensationnaliste, qui a réussi à faire de la douleur un spectacle (une émission de télévision a même été jusqu'à reconstituer avec des acteurs les scènes mentionnées dans la plainte) ; une stigmatisation sur le mode du lynchage s'est ensuivie, créant un monstre qui mérite la prison à vie. Ceci est typique d'un populisme punitif et étranger à une éthique féministe, quels que soient les faits et les personnes.

Mais, comme le souligne Paola Aragón dans son article « Reconstruire le monstre »·[2], cela répond à un objectif, à une intentionnalité politique claire. Il s'agit de réinstaller dans l'imaginaire collectif l'idée que l'agresseur est un monstre, un traitement qui lui confère le caractère d'exception, de chose hors du commun, ce qui permet d'empêcher que l'on puisse se reconnaître dans le problème qui l'a engendré, créant ainsi un phénomène de mise à distance. Ceci, comme nous le voyons, a un effet rassurant immédiat sur la société, sur les hommes, et un effet trompeur sur les femmes.

Parmi les articles écrits par des hommes que j'ai lus ces jours-ci (de toutes sortes sur l'échelle idéologique), et je suis sûre qu'il y en a plus et que dans les réseaux il y aura des commentaires que je n'ai pas lus non plus, il y en a très, très peu qui se sont sentis interpellés ; allez, ils se comptent sur les doigts d'une main, et il y en a trop (sur ce site, nous avons repris un article de Martí Caussa, « Errejón y nosotros » [3]). Il est surprenant de voir à quel point les hommes ont beaucoup à dire et à repenser (et dans ce cas très particulièrement les hommes hétérosexuels), à partir de la place sociale qu'ils occupent, sur leur masculinité, les relations qu'ils entretiennent, leur contribution à la construction de relations agréables pour les uns et les autres… Mais bien au contraire, dans un certain nombre de cas, ils sont tombés dans la mise en cause du féminisme et de ses dérives.

Une de ces réactions problématiques apparues dans le débat est celle qui s'accompagne d'une connotation moralisatrice. Au lieu de classer les pratiques sexuelles, quel que soit leur type, en fonction de l'existence ou non d'un consentement, et donc de leur qualification d'agression ou non, à partir de l'interprétation de témoignages sortis de leur contexte, il semble que toute pratique sexuelle insatisfaisante à un moment donné, désagréable ou directement désagréable, soit une agression. Et cela revient à dévaloriser l'expression par chaque femme de son vécu sexuel.

L'approche moralisante et moralisatrice contribue à dépolitiser le débat ouvert, il est donc urgent d'ouvrir le champ, de redéfinir le cadre du débat et de le politiser, d'élargir le cadre de l'attention aux violences sexuelles et, en plus du niveau strictement individuel, qui est important et qui exige la vérité, la justice et la réparation pour les femmes qui en ont souffert, d'affronter également la nature structurelle des violences sexuelles, au niveau des structures sociales et des relations de pouvoir patriarcales et discriminatoires qui les entretiennent.

Je voudrais ouvrir une parenthèse pour commenter le fait que, de manière surprenante, le débat s'est accompagné d'un règlement de comptes, à d'honorables exceptions près, entre personnes ayant fait partie de Podemos et de Sumar. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de rapport, il est clair que le mode de direction hyperpersonnalisé, les structures hiérarchiques, les structures peu démocratiques et l'autoritarisme sont favorables au règne du pouvoir, mais il serait bon de réserver d'autres espaces à ces discours afin d'éviter de détourner l'attention, parce que, de fait, dans ces discours, le problème de la violence sexuelle et des femmes qui la subissent disparaît.

V. S. : Pourquoi penses-tu que les dénonciations de ce cas et d'autres sont passées par les réseaux sociaux et non par les sphères collectives des partis ou des espaces dans lesquels ils se produisent ?

J. M. : Hé bien, d'une façon générale, il y a très peu de femmes qui dénoncent les violences sexuelles. Selon les données disponibles, issues de la macro-enquête de 2019 sur les violences faites aux femmes, seules 11,1% des femmes ayant subi des violences sexuelles en dehors du couple les ont dénoncées (elle ou quelqu'un d'autre en son nom) ; ce pourcentage tombe à 8% si la plainte est déposée uniquement par la femme agressée. Dans le cas d'un viol, le pourcentage de femmes qui portent plainte est un peu plus élevé, mais il n'est que de 18%.

Il n'y a pas de raison unique à cela. La majorité des agressions sexuelles ont lieu dans des environnements proches de la vie quotidienne des femmes : dans la famille, au boulot, à l'université, entre amis, à l'église, dans des lieux divers. Même dans le cas des viols, ce n'est pas dans la rue que la plupart d'entre eux ont lieu, comme ce fut le cas pour « la manada », la meute [4]. Dans de nombreux cas, des relations hiérarchiques et de pouvoir sont en jeu, et il est difficile de les dénoncer par crainte de répercussions immédiates dans l'environnement, en raison de situations précaires, par exemple sur le lieu de travail. Il y a des femmes qui, même si elles le voulaient, ne pourraient pas dénoncer ; c'est le cas des femmes migrantes en situation administrative irrégulière parce que la loi les a laissées de côté sans modification de la loi sur les étrangers et donc, si elles dénoncent, elles peuvent se retrouver exposées à des procédures d'expulsion.

Ainsi, lorsque cela a été possible, parce que les femmes se sont senties soutenues par la mobilisation féministe et qu'on leur a offert un espace de parole, on a assisté à une explosion de témoignages anonymes. Sur les réseaux, elles ont trouvé cet espace où elles peuvent raconter leur histoire et se sentir accompagnées, se reconnaissant dans les récits des autres. Cela revêt une importance politique considérable, car la première étape pour aller de l'avant est de donner la parole aux femmes. Et dans les témoignages, elles racontent des expériences qui parfois peuvent constituer un délit, dans d'autres cas elles relatent des pratiques machistes de connards et de bourrins machistes ; dans tous les cas, elles nous permettent de connaître la diversité des expériences et l'impact différencié qu'ont les différentes formes de violence sexuelle sur les femmes.

Le fait que ce soient les réseaux qui aient canalisé ce déversement, avec certaines garanties, soulève de nombreuses questions, car les réseaux, comme nous le savons tous, ne sont pas sans poser des problèmes. Mais l'alternative qui a été proposée par les institutions et certains groupes féministes, à savoir le dépôt de plainte comme procédure offrant davantage de garanties aux femmes, il faut d'abord dire qu'elle se réfère à des moments différents, parce qu'une femme peut vouloir laisser un témoignage de son expérience, mais ne pas vouloir dénoncer parce que son témoignage ne se rapporte peut-être pas à quelque chose qui est considéré comme un délit, ou parce que si c'est le cas, elle ne veut pas le faire non plus.

Comment ne pas avoir peur de la culpabilisation et de la revictimisation, de se voir jugée, d'être interrogée et de la mise à nu personnelle que cela implique ? Il suffit de se rappeler certaines questions posées dans les procès les plus célèbres, ou de l'embauche d'un détective par la défense de violeurs en bande pour passer au peigne fin la vie de la victime. Il y a un film et un documentaire qui illustrent tout cela de manière rigoureuse. Je fais référence au film récent Nevenka (la conseillère municipale de Ponferrada qui a dénoncé le maire, tous deux du PP) d'Icíar Bollaín ; et au documentaire No estás sola (Tu n'es pas seule) sur le viol collectif de Pampelune, d'Almudena Carracedo et Robert Bahart. Dans ces deux cas, les femmes ont gagné en justice, les jugements ont eu d'importantes implications sociales et juridiques en raison de leur impact, et ont permis aux femmes de reprendre le cours de leur vie, même si elles ont dû quitter leur ville. En les regardant, il est facile de comprendre pourquoi une femme ne voudrait pas subir des procédures pénales aussi longues et aussi pénibles.

Tu as demandé pourquoi les plaintes n'ont pas été déposées dans les lieux où les faits se sont produits. Tous les partis ont déclaré avoir adopté des procédures contre les abus ou la violence machiste. Mais les résolutions ne sont pas une garantie en soi ; elles doivent s'accompagner d'une culture politique et organisationnelle anti-violence, de mécanismes d'écoute préventive et protectrice permettant d'identifier les comportements machistes, de mesures d'accompagnement et de suivi. En bref, garantir qu'il s'agit bien d'espaces politiques permettant des relations sûres et amicales dans lesquels la culture machiste est combattue, qu'il existe des moyens permettant, en cas de témoignage ou de plainte, de garantir la non-répétition des faits. Je ne crois pas qu'il y ait de formule magique ; ce sont les processus mêmes de construction collective qui comptent et dans lesquels les groupes de femmes doivent avoir une légitimité et une autorité.

V. S. : Peux-tu expliquer les raisons de la polarisation entre les positions punitivistes et anti-punitivistes ?

J. M. : De mon point de vue, la question centrale pour avancer vers un horizon de transformation est de savoir comment mettre fin à l'impunité qui entoure les violences sexuelles et protège les agresseurs, et comment garantir la réparation aux victimes. L'impunité et la réparation sont les deux éléments qui donnent un sens à la demande de justice et de garanties de non-répétition, car avec l'impunité, il n'y aura jamais de réparation.

La question que se pose le féminisme est la suivante : quelles sont les stratégies qui permettent de lutter contre les violences sexuelles de façon à ce qu'il y ait la vérité, la justice, la réparation et les garanties de non-répétition ? Et c'est là que le débat punitivisme/anti-punitivisme réapparaît.

Une précision préliminaire, car depuis l'affaire Errejón, des positions punitivistes ont été imputées au féminisme comme s'il s'agissait d'un groupe homogène. Bien qu'il existe un secteur du mouvement féministe qui connaît une dérive punitiviste, laquelle la rapproche des positions libérales, sociales-démocrates ou du féminisme classique, il ne s'agit en aucun cas de ce que j'appellerais la position des « grèves féministes ». Je précise cela parce qu'affirmer que le dépôt d'une plainte en justice est punitif revient à banaliser la portée du dépôt d'une plainte. Comme le souligne Laia Serra (avocate pénaliste et féministe) :

« En fait, s'il est un mouvement politique qui n'a cessé de se remettre en question, c'est bien celui des féministes de base. Nous n'avons pas besoin de leçons d'anti-punitivisme, nous connaissons, pour l'avoir vécu, la brutalité du système et les retombées de la répression, et nous savons très bien que le droit pénal non seulement ne résout pas les problèmes sociaux, mais qu'il en démultiplie la violence. Nous avons toujours eu à cœur, de par notre éthique et notre engagement pour l'émancipation, de nous opposer à tout ce qui vide les problèmes de leur charge de contestation sociale » (pikaramagazine [5]).

Le débat avec les positions punitivistes est très important, et du fait de la loi du « seulement si », du populisme punitif qui se manifeste face aux réductions de peine et aux libérations de prisonniers, le débat sur ses conséquences s'est approfondi et amplifié. Parler de punitivisme, c'est se tourner vers l'Etat qui a le monopole de la violence, vers le système carcéral et sécuritaire qu'il organise, vers l'ensemble de son maillage juridique de contrôle social. Et l'État exerce la violence contre les femmes de multiples façons, comme le montre le livre Cuando el estado es violento d'Ana Martínez et Marta Cabezas.

Mais de mon point de vue, il est également intéressant de s'attaquer à l'anti-punitivisme, car c'est ce qui peut ouvrir de nouveaux horizons à ce que nous appelons la justice féministe. Je me réclame d'un féminisme qui a été et qui est anti-punitiviste, qui s'est confronté au populisme punitif, qui critique, par conséquent, le système pénal, les prisons et leur supposé effet préventif. Jamais ce courant féministe n'a mis l'accent sur un alourdissement des peines, ce n'est pas ce qui a été demandé dans le cas de la « meute de Pampelune », où ce qui était demandé, c'était une nouvelle façon de prendre en compte la violence, allant du harcèlement au viol collectif.

Mais, et je reviens à Laia Serra, ce débat sur l'anti-punitivisme ne peut occulter le vrai problème, non résolu, de savoir que faire face à l'impunité généralisée dont bénéficie la violence et de déterminer qui doit être tenu pour responsable de ses conséquences. En d'autres termes, la façon dont on donne un fondement à ces accords théoriques sur l'anti-punitivisme revêt un caractère plus complexe dans la pratique politique féministe, lorsqu'il faut se colleter à la réalité concrète que vivent les femmes.

Et c'est là que la complexité revient. J'ai dit plus haut que les femmes peuvent appréhender la réparation de différentes manières : par le biais d'une décision judiciaire, dans laquelle la sanction est peut-être ce qui importe le moins, mais où la reconnaissance formelle de l'agression est plus importante ; il peut s'agir d'un processus de réparation s'il bénéficie d'un accompagnement professionnel et social qui soutient les femmes ; il peut s'agir d'une réparation économique, ou de se sentir réparée par la reconnaissance et la responsabilisation de l'agresseur dans l'environnement dans lequel l'agression a eu lieu. Toutes ces réponses sont pareillement légitimes et nécessaires parce qu'elles se concentrent sur les besoins des femmes et sur les moyens de mettre fin à l'impunité et de parvenir à une réparation.

D'une part, nous connaissons les problèmes auxquels les femmes sont confrontées dans les procédures judiciaires et il ne saurait être question d'embellir ou de mythifier les choses. Mais réaliser des changements, ouvrir des failles dans le système qui permettent des améliorations dans la vie réelle des femmes, comme par exemple le fait que les femmes ne soient pas obligées de porter plainte pour bénéficier de moyens de subsistance et d'un traitement psychologique, l'existence de centres de soins d'urgence spécifiques, que la prévention sociale et en milieu scolaire occupe une place centrale (même si c'est autre affaire qu'elle soit réellement développée), que l'on continue à affronter la justice patriarcale, tout cela permet de continuer à faire porter à l'État la responsabilité de ses dérives patriarcales, autoritaires et punitives, et d'avancer vers l'horizon d'un système de justice féministe.

D'autre part, dans les positions anti-punitivistes, l'alternative à la dénonciation judiciaire est formulée comme une justice réparatrice/transformatrice centrée sur des processus communautaires de réparation et de responsabilisation individuelle et collective. Il est très important et porteur d'espoir que certaines expériences positives de promotion de la non-impunité et de la réparation au niveau communautaire existent. Il est également important que des femmes et des hommes participent à leur développement afin d'enrichir et de faire progresser la réflexion sur la justice féministe que nous souhaitons. Mais il est également important de ne pas enjoliver cela, car cela a aussi ses limites et ses difficultés. Ces espaces, auxquels nous participons, sont aussi en construction et traversés par des inégalités. Lorsqu'un cas de violence sexuelle a été soulevé, il est parfois arrivé que des dynamiques de revictimisation de la femme qui avait porté plainte au sein du collectif se soient produites. Ces expériences n'ont pas toujours été positives et l'autogestion de la violence n'a pas toujours donné des résultats satisfaisants. Vouloir l'aborder non pas de manière complémentaire, mais comme une alternative, crée des problèmes dans la pratique, car la grande majorité des femmes qui subissent des violences sexuelles ne participent pas à ce type de communautés et de réseaux sociaux, n'ont pas la possibilité de le faire, et ont besoin d'autres outils.

En conclusion, l'anti-punitivisme est quelque chose qui se construit à partir de diverses pratiques en espérant réduire la distance entre la justice féministe à laquelle nous aspirons et les conquêtes ponctuelles que nous obtenons : mesures préventives, prise en charge totale des femmes ayant subi des violences sexuelles, transformation du système judiciaire, construction de collectifs et de relations plaisantes et satisfaisantes, afin d'améliorer la situation de celles qui subissent des violences sexuelles.

V. S. : Quel devrait être, selon toi le rôle du féminisme dans ce débat ?

J. M. : Tout d'abord, une précision, car vu la tournure que prend le débat public, je pense qu'il est nécessaire de revenir à parler des féminismes au pluriel. On parle trop souvent du féminisme comme s'il s'agissait d'un bloc compact ou d'un parti, alors qu'il s'agit d'un mouvement pluriel. C'est ainsi que l'on étouffe, y compris, même si c'est surprenant, de la part de voix amies, le féminisme de base qui s'est nourri des grèves féministes et qui, comme je l'ai dit, ont fui le punitivisme, qui ont toujours mis en avant la capacité d'action des femmes en tant que sujets dotés de la compétence éthique de prendre des décisions concernant leur vie, leur identité, leur sexualité, leur plaisir et leur amour, non pas en tant que victimes mais, même dans des situations dures et difficiles, en tant que sujets actifs à même de formuler leurs revendications. Ces exigences, il les formule pour toutes, pour les travailleuses du sexe, pour les personnes transgenres, en ce qui concerne la maternité, les relations sexuelles, afin de faire face à la violence. C'est un féminisme qui pratique une approche intersectionnelle pour ancrer les histoires et les propositions dans les réalités concrètes de la vie des femmes, sur la base de leurs conditions de vie matérielles et de la subjectivité de chacune d'entre elles, afin qu'elles puissent vivre dans la dignité et libérées de la violence. Je crois que c'est ce qui ouvre une voie vers une plus grande transformation.

Tout ce qui vient d'être dit n'est rien de plus que de brèves réflexions ; comme je l'ai déjà dit, il s'agit d'un débat complexe, et plus il y a d'acteurs impliqués, plus il y a de facettes qui se dessinent. Je crois que nous devons continuer à y réfléchir et à nous poser de nombreuses questions, comme nous l'avons fait tout au long de notre vie. Lutter contre la violence à deux niveaux interconnectés – individuel et structurel – implique de se confronter à la subjectivité et à la réalité matérielle des femmes et des hommes, ainsi qu'aux structures de pouvoir du système qui génèrent et entretiennent la violence.

Nous nous trouvons à un moment important où nous devons consolider et faire progresser ce qui a été réalisé, afin de gagner la bataille du narratif qui a commencé à se déployer.

Face au risque d'une fermeture moralisatrice du débat, dans lequel la droite et l'extrême droite se lanceront avec force, c'est l'occasion d'exposer nos arguments en défense de notre identité sexuelle et de notre lutte contre la violence machiste. Et face au risque de voir les femmes réduites au silence, il n'y a pas d'autre choix, comme toujours, que l'organisation et la mobilisation féministes. Car la mobilisation féministe est aussi réparatrice pour de nombreuses femmes. J'aime à rappeler les paroles de remerciement contenues dans la lettre envoyée par la femme qui a subi la violence de la manada : « Je tiens à remercier toutes les personnes qui m'ont aidée dans ce parcours. Toutes les personnes dont l'élan, sans qu'elles me connaissent, a submergé l'Espagne, et qui m'ont donné une voix quand beaucoup ont essayé de me l'enlever ».

[1] Iñigo Errejón a été l'un des principaux dirigeant de Podemos, avant de rompre avec Pablo Iglesias, et de fonder ses propres organisations, puis de rejoindre Sumar, puis de se retirer de la vie politique en 2024.
[2] https://www.pikaramagazine.com/2024/10/reconstruir-al-monstruo/
[3] https://vientosur.info/errejon-y-nosotros/
[4] L'affaire de La Manada, viol collectif commis à Pampelune en 2016. La victime a porté plainte, le procès a eu un grand retentissement. Après bien des péripéties, la mobilisation féministe a permis de faire entrer la notion de consentement dans le code pénal, les cinq violeurs ont finalement été condamnés à 15 ans de prison (ndt)
[5] https://www.pikaramagazine.com/2024/10/antipunitivismo-remasterizado/

Source : Viento Sur, 09/Nov/2024, “Urge abrir el foco, cambiar el marco del debate y politizarlo” :
https://vientosur.info/urge-abrir-el-foco-cambiar-el-marco-del-debate-y-politizarlo/
Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepL.
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article72497

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« {Pas tous les hommes, mais beaucoup d’entre eux} » : le procès de Gisèle Pelicot changera-t-il enfin l’attitude des Français à propos des agressions sexuelles ?

19 novembre 2024, par Kim Willsher — , ,
Les détails horribles de l'affaire Pelicot qui a secoué le pays, et la réaction du maire local, démontrent un refus généralisé de tenir tête à ce genre d'agressions. Tiré (…)

Les détails horribles de l'affaire Pelicot qui a secoué le pays, et la réaction du maire local, démontrent un refus généralisé de tenir tête à ce genre d'agressions.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/11/14/pas-tous-les-hommes-mais-beaucoup-dentre-eux-le-proces-de-gisele-pelicot-changera-t-il-enfin-lattitude-des-francais-a-propos-des-agressions-sexuelles/?jetpack_skip_subscription_popup

Alors que l'horreur de la façon dont Dominique Pelicot a longuement drogué son épouse, Gisèle, et permis à au moins 83 hommes de la violer continuait à être dévoilée dans une salle d'audience française la semaine dernière, il était difficile de voir comment l'affaire « aurait pu être pire », comme l'a suggéré un élu local.

Louis Bonnet, maire de #Mazan, la ville de 6 000 habitants du sud de la France où vivaient les Pelicots et un certain nombre de violeurs présumés, a en effet soutenu que « personne n'a été tué », même s'il s'est excusé plus tard et a admis que ses mots n'étaient « pas tout à fait appropriés ».

Pour les féministes et militantes françaises cependant, les commentaires malencontreux de M. Bonnet résument la façon dont la France n'a pas réagi au mouvement #MeToo et accuse un retard « abyssal » dans la lutte contre lesagressions sexuelles sur le plan social et juridique.

Anne-Cécile Mailfert, fondatrice de l'organisation féministe Fondation des Femmes, a déclaré que le fait qu'un tel commentaire puisse être lancé à propos d'un procès « qui symbolise ce que la violence masculine peut faire de pire » montrait les défis auxquels les femmes doivent faire face. « Cela montre exactement ce à quoi nous sommes confrontées, à savoir non seulement une culture du viol, mais aussi une culture de l'impunité », a-t-elle conclu.

Anna Toumazoff, écrivaine et militante féministe, a ajouté : « C'est un exemple de la façon dont les hommes ont encore du mal à comprendre ce à quoi nous sommes confrontées en tant que femmes, et c'est là le véritable problème ».

« C'est le produit d'une société qui ne parvient pas à protéger les femmes ou à les considérer comme des êtres humains à part entière. »

Depuis que le mouvement mondial #MeToo a émergé, encourageant les victimes à aborder et à signaler les agressions sexuelles et sexistes, la France peine à changer d'attitude à l'égard de celles qui le font.

Les accusations portées contre un certain nombre de personnalités, dont l'acteurGérard Depardieu et les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon, n'ont pas réussi à ébranler le relent de ce que l'on qualifie souvent de puritanisme anglo-saxon attaché au mouvement MeToo dans les esprits français, malgré des protestations d'innocence.

En mai, dans le contexte d'une frustration croissante face à l'absence de changement après que le nombre d'affaires de viols classées sans suite a atteint le pourcentage de 94% des plaintes déposées, une pétition signée par plus de 140 personnalités, publiée dans Le Monde, a appelé à une nouvelle loi de grande ampleur contre les violences sexuelles et sexistes.

« #MeToo a révélé une réalité empreinte de déni, y a-t-on lu : les violences sexistes et sexuelles sont systémiques et non exceptionnelles. Les faits semblent se succéder les uns aux autres. Qui nous écoute ? » Mme Mailfert, l'une des instigatrices de la pétition, a soutenu que l'affaire Pelicot, entendue à un tribunal d'Avignon, montre à quel point une nouvelle « loi intégrale » est nécessaire.

« Nous l'avons régulièrement réclamée à chaque fois qu'un cas particulier se présentait », a-t-elle déclaré. « Nous ne pouvons qu'espérer que cette fois-ci, cela débouchera sur une loi de grande envergure qui couvrirait la manière dont la police traite les plaintes au départ, la manière dont elles sont instruites, puis la manière dont elles sont jugées. Cela permettrait à la société de progresser vers la résolution de ces problèmes ».

« EnFrance, il y a un débat pour savoir si #MeToo est allé trop loin. ‘Est-ce vraiment si grave si quelqu'un met la main aux fesses de quelqu'une, après tout ce n'est qu'un geste ? Est-ce si grave de prendre une photo sous la jupe de quelqu'une ? Ce n'est qu'une photo.' Mais tous ces délits apparemment mineurs doivent être pris au sérieux, car une personne capable de mettre la main aux fesses de quelqu'un sans son consentement ou de prendre une photo sous une jupe est peut-être capable de faire quelque chose de beaucoup, beaucoup plus grave. Comme nous le constatons dans cette affaire ».

Les agressions de Dominique Pelicot à l'encontre de sa femme n'ont étédécouvertesque lorsqu'il a été repéré par un agent de sécurité en train de prendre des photos sous les jupes de femmes dans un supermarché et qu'il a été arrêté.

Mme Mailfert a ajouté : « Nous ne devons pas oublier que c'est grâce à la chance que Dominique Pelicot a été arrêté. C'est une chance que l'agent de sécurité qui l'a attrapé […] l'ait retenu, ait appelé la police et ne l'ait pas laissé partir avec un simple avertissement ».

« C'est une chance que la femme dont il a filmé sous la jupe ait porté plainte. C'est une chance que la police n'ait pas choisi de s'occuper d'une centaine de choses perçues comme plus graves et qu'elle ait poursuivi l'affaire, regardé son ordinateur et découvert ce qu'il faisait ».

« Si rien de tout cela n'était arrivé, il aurait sûrement continué. Ce qui semblait être un petit incident était un indicateur de quelque chose de beaucoup plus grave. Il s'inscrivait dans un continuum de violence. »

Mme Mailfert a déclaré que toute nouvelle loi devrait également traiter de la manière dont les victimes sont traitées au tribunal. La semaine dernière, Gisèle Pelicot, 72 ans, a été contrainte de rappeler au juge que ce n'était pas elle qui était en procès, après avoir été confrontée à ce qu'elle a qualifié de « questions humiliantes » de la part des juges et des avocats de la défense concernant ses vêtements, sa consommation d'alcool et la question de savoir si elle avait consenti à des relations sexuelles avec les 50 hommes qui se trouvaient sur le banc des accusés avec son mari accusé de viol.

Kim Willsher à Paris, pour The Guardian, le 21 septembre 2024
Traduction : TRADFEM
https://tradfem.wordpress.com/2024/11/10/pas-tous-les-hommes-mais-beaucoup-dentre-eux-le-proces-de-gisele-pelicot-changera-t-il-enfin-lattitude-des-francais-a-propos-des-agressions-sexuelles/

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Vendredi 22 novembre : Rassemblons-nous pour protester contre l’OTAN ! Nos raisons de protester sont nombreuses, même vitales !

19 novembre 2024, par Échec à la guerre — , ,
Du 22 au 25 novembre 2024, l'Assemblée des parlementaires de l'OTAN (AP-OTAN) se tiendra à Montréal. Cette assemblée réunira près de 400 délégué·e·s de 57 pays, incluant les (…)

Du 22 au 25 novembre 2024, l'Assemblée des parlementaires de l'OTAN (AP-OTAN) se tiendra à
Montréal. Cette assemblée réunira près de 400 délégué·e·s de 57 pays, incluant les 32 pays membres de l'OTAN, dont le Canada, et plusieurs autres pays partenaires ou associés.

À l'occasion de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, à Montréal :

Vendredi 22 novembre 2024
Rassemblement de protestation à Montréal
Place Jean-Paul Riopelle, à 15 h

https://echecalaguerre.org/rassemblement-lotan-une-menace-pour-lhumanite-22-novembre-a-montreal/?utm_source=Cyberimpact&utm_medium=email&utm_campaign=JdA-PA-2024-11-14

Cette Assemblée des parlementaires est un des mécanismes par lesquels les États-Unis, maître d'œuvre de l'OTAN, fabriquent, en continu, un « consensus » autour de leur propre stratégie belliciste :

« L'AP-OTAN a été fondée en 1955 pour amener les parlementaires à prendre part au débat sur les questions transatlantiques et pour contribuer à l'émergence d'un consensus autour des politiques de l'Alliance au sein des parlements et de l'opinion publique ».

L'OTAN se décrit comme « une communauté de valeurs unique en son genre, attachée aux principes de la liberté individuelle, de la démocratie, des droits de l'homme et de l'état de droit ». Mais, de ses origines

(1949) à aujourd'hui, l'OTAN a régulièrement violé les principes qu'elle proclame. Actuellement, après plus de 13 mois de génocide à Gaza, la complicité ou l'inaction des pays membres de l'OTAN nous donne la mesure réelle de leur attachement aux droits humains et au droit international.

L'OTAN est, en réalité, un bras armé des États-Unis, s'ajoutant à son armée ultrapuissante et à ses 800 bases militaires à travers le monde. Loin d'être une alliance défensive, l'OTAN s'est lancée dans de nombreuses guerres a

u cours des 30 dernières années. L'OTAN a rejeté en bloc la démarche des Nations Unies pour parvenir à l'élimination de toutes les armes nucléaires, qui menacent la survie même de l'humanité. Aucun de ses membres n'a signé le Traité sur l'interdiction des armes nucléaires. Tous les membres de l'OTAN, dont le Canada, sont maintenant mobilisés par les États-Unis pour préserver leur hégémonie, dans une logique de confrontation avec la Chine et la Russie. Loin de nous protéger, l'OTAN représente une menace pour l'humanité.

Pressé par l'OTAN et les lobbies militaristes d'accroître considérablement ses dépenses militaires, le Canada obéit. À la veille de l'AP-OTAN et au lendemain de l'élection de Donald Trump, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, lance même que le budget de la Défense sera triplé ! Ces sommes colossales ne devraient-elles pas être consacrées plutôt aux fonctions sociales de l'État (logement, santé, éducation) et à affronter la crise climatique ?

L'OTAN n'est pas défensive, l'OTAN c'est la guerre
Sitôt finie la Guerre froide (1989), les États-Unis et l'OTAN sont partis en guerre : Irak, Kosovo, Afghanistan, Irak à nouveau, Libye et Syrie. Certaines de ces guerres se sont étendues sur des années, voire deux décennies. Leur guerre « contre le terrorisme » a causé plus de 4,5 millions de morts directes et indirectes et a créé au moins 38 millions de réfugié·e·s.

L'OTAN en expansion : perturbatrice de l'ordre mondial
De la fin de la Guerre froide à aujourd'hui, au lieu d'être dissoute, l'OTAN a été transformée pour répondre au nouvel objectif d'hégémonie étasunienne globale. D'une part, elle est passée de 16 à 32 États membres, englobant les pays d'Europe de l'Est, jusqu'aux frontières de la Russie. D'autre part, elle a établi des partenariats dans diverses régions du monde et son champ d'action est devenu planétaire :

« L'OTAN s'est transformée en une organisation transatlantique effectuant des missions globales, de portée globale avec des partenaires globaux (…). Tout appartient potentiellement à la zone de l'OTAN ».

– Daniel Fried, Secrétaire d'État adjoint (étasunien) aux Affaires européennes et eurasiennes, 2007

Cette posture entre clairement en contradiction avec le rôle même des Nations Unies dont le but premier est de maintenir la paix et la sécurité internationales. En effet, cette volonté des États-Unis et de l'OTAN d'agir de façon autonome partout dans le monde entre en contradiction avec l'article 53 de la Charte des Nations Unies qui stipule qu'« aucune action coercitive ne sera entreprise en vertu d'accords régionaux ou par des organismes régionaux sans l'autorisation du Conseil de sécurité ». Ni la guerre du Kosovo (contre la Serbie), ni la guerre en Afghanistan, ni la guerre en Irak (2003), ni la guerre en Libye n'avaient reçu de telles autorisations. Elles se sont donc menées en violation du droit international.

Dans son soutien à l'Ukraine face à l'invasion de la Russie – une véritable guerre par procuration – l'OTAN et ses pays membres prétendent se porter à la défense d'un « ordre mondial fondé sur des règles ». Mais de quelles règles s'agit-il ? Celles du droit international et des Nations Unies, ou celles des États-Unis et de l'OTAN ?

Face à l'assaut génocidaire d'Israël à Gaza, toutes les institutions des Nations Unies et la Cour internationale de justice sonnent l'alarme et appellent les pays à agir en vue d'un cessez-le-feu immédiat. Les pays de l'OTAN, eux – presque à l'unisson et y compris le Canada – font la sourde oreille, n'imposent aucune sanction et continuent même, pour plusieurs, d'armer Israël. Il faut savoir qu'Israël est un pays « partenaire » de l'OTAN et aura, en plein génocide, sa délégation à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN à Montréal.

L'OTAN : promotrice de la démocratie et des droits humains ?

L'attachement professé par l'OTAN envers la démocratie et les droits humains se révèle trompeur quand on considère notamment les faits suivants :

● Des dictatures ont été membres de l'OTAN : Portugal, Grèce ;

● De nombreuses dictatures militaires en Amérique latine ont été soutenues et même installées au pouvoir – via des coups d'État fomentés par la CIA – dans les années 1960, 1970 et 1980 ;

● Plus récemment, l'OTAN a collaboré avec des seigneurs de guerre en Afghanistan ou des organisations affiliés à Al-Qaïda en Syrie ;

● Les États-Unis, maitre d'œuvre de l'OTAN, ont systématiquement pratiqué la torture dans leur guerre « contre le terrorisme » ;

● Les pays de l'OTAN vendent massivement des armes à des pays répressifs comme l'Arabie saoudite, l'Égypte et les Émirats arabes unis.

En tant qu'instance supranationale, l'OTAN échappe au contrôle démocratique. Le respect de leurs « engagements envers l'OTAN » amène souvent les pays membres à poursuivre des politiques contraires à la volonté de leurs populations, comme ce fut le cas dans la guerre en Afghanistan.

Actuellement, après plus de 13 mois de génocide à Gaza, plusieurs pays de l'OTAN continuent d'armer Israël. Sauf rares exceptions, la complicité ou l'inaction des pays membres de l'OTAN, qui se contentent d'appeler à un cessez-le-feu sans la moindre sanction contre Israël, nous donne la mesure réelle de leur attachement aux droits humains et au droit international !

L'OTAN : une menace pour l'humanité

Depuis plusieurs années, l'économie et l'influence de la Chine se sont accrues considérablement dans le monde, rivalisant avec celles des États-Unis. Une évolution similaire a marqué la Russie, mais de façon nettement moindre. Ces deux pays ont aussi beaucoup augmenté leurs dépenses militaires au cours de la dernière décennie. Mais il faut replacer ces dépenses en perspective. En 2023, les dépenses militaires mondiales se sont élevées à 2 443 milliards de dollars US, en hausse constante depuis 2015. Les dépenses militaires des membres de l'OTAN (32 pays) représentent plus de la moitié (55 %) du total mondial. À elles seules, les dépenses militaires des États-Unis ont constitué 37,5 % des dépenses mondiales, soit plus que le total combiné des neuf autres pays en tête de liste, incluant la Chine (12 %) et la Russie (4,5 %).

Depuis 2018, les États-Unis ont adopté la « compétition stratégique » avec la Chine et la Russie comme axe central de leur stratégie de défense nationale, qui a ensuite été adoptée par l'OTAN et ses pays membres. Cette orientation a lancé une nouvelle course mondiale aux armements particulièrement inquiétante quand on se rappelle…

● … que les États-Unis entretiennent une « ambiguïté stratégique » face à la Chine, affirmant à la fois qu'ils acceptent le principe d'« une seule Chine », et qu'ils défendraient Taïwan en cas d'attaque chinoise ;

● … que l'OTAN se trouve déjà objectivement dans une guerre par procuration contre la Russie en Ukraine.

Au moment de la Guerre froide, les États-Unis et l'URSS considéraient qu'un affrontement direct entre eux, risquant inévitablement une guerre nucléaire, était un tabou absolu. Mais cet élément de sagesse élémentaire n'existe plus aujourd'hui. Des stratèges étasuniens vont même jusqu'à dire que la question n'est pas de savoir s'il y aura une guerre avec la Chine, mais quand !

Face au risque de notre annihilation totale par une guerre nucléaire, les Nations Unies ont adopté un Traité sur l'interdiction des armes nucléaires, qui est entré en vigueur le 10 janvier 2021. Jusqu'à maintenant, il a été signé par 94 pays. Alors que l'OTAN affirme vouloir « créer les conditions pour un monde sans armes nucléaires », aucun de ses 32 pays membres, dont trois possèdent l'arme nucléaire, ne l'a signé. Aucun des six autres pays dotés de cette arme non plus.

La politique nucléaire de l'OTAN est indéfendable et suicidaire. Indéfendable, parce qu'elle affirme que les armes nucléaires sont la « garantie suprême de la sécurité des Alliés » tout en rejetant toute possibilité que les autres pays se dotent eux aussi de cette garantie suprême. Suicidaire, parce qu'un potentiel anéantissement de l'humanité ne peut raisonnablement être le garant de notre sécurité. Il faut savoir aussi que l'OTAN a toujours refusé de s'engager à ne pas être la première à utiliser des armes nucléaires…

Le militarisme accentue la crise climatique

L'armée des États-Unis (É.-U.) est l'institution qui produit le plus de gaz à effet de serre dans le monde. Ses émissions – pour ses guerres et les opérations de ses 800 bases militaires dans le monde – sont bien supérieures aux émissions totales de pays comme la Suède, la Finlande ou le Danemark. À cela, il faut ajouter les émissions des industries militaires estimées à environ 15 % du total des émissions industrielles du pays.

Pour connaître l'empreinte carbone réelle des guerres et du militarisme, il faudrait ajouter toutes les émissions liées aux autres armées et aux autres industries militaires dans le monde (celles des autres membres de l'OTAN, de la Chine, de la Russie, etc.). Il faudrait aussi estimer les émissions résultant des autres guerres en cours. Et il faudrait aussi ajouter les émissions liées à la reconstruction des infrastructures détruites ou endommagées dans toutes ces guerres. À cet égard, les impacts climatiques de la guerre en Ukraine et de l'assaut génocidaire d'Israël à Gaza sont considérables.

Il faut savoir aussi que le Protocole de Kyoto (1997) exemptait les pays signataires de faire rapport de leurs émissions de CO2 pour la défense et la sécurité, qui n'étaient donc pas comptabilisées. L'Accord de Paris (2016) a voulu combler un peu cette brèche. Mais les pays peuvent continuer d'exempter ces secteurs quand vient le temps d'établir des cibles de réduction des émissions, ce qui est le cas du Canada.

Le militarisme détourne des ressources énormes des besoins réels de l'humanité
Il est scandaleux que 2 443 milliards de dollars US soient consacrés à intimider, à tuer, à estropier, à terroriser et à détruire, pour servir des ambitions de domination et de pouvoir contraires aux intérêts de l'humanité et qui la conduisent à sa perte ! Cet argent devrait servir à combler les besoins fondamentaux de l'humanité (nourriture, logement, santé, éducation) et à faire face à l'urgence climatique.

Ici même, au Canada, alors que l'inflation réduit notre pouvoir d'achat, que nous sommes frappés par une grave crise du logement et que nos services publics d'éducation et de santé sont de moins en moins à la hauteur des besoins, le budget 2024 du gouvernement canadien prévoit augmenter le financement du ministère de la Défense nationale, de 30 milliards de dollars en 2023-2024 à 49,5 milliards de dollars en 2029-2030. Et le 8 novembre – à la suite de l'élection de Donald Trump et alors que le Canada sera l'hôte de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN du 22 au 25 novembre –, le ministre de la Défense du Canada, Bill Blair, a indiqué qu'un plan avait été soumis à l'OTAN pour que le Canada accroisse ses dépenses militaires de 1,35 % du PIB présentement à 2 % du PIB en 2032, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, allant même jusqu'à dire que le Canada allait tripler ses dépenses militaires !

Conflits géopolitiques, anti-impérialisme et internationalisme à l’heure de « l’accélération réactionnaire »

19 novembre 2024, par Jaime Pastor — ,
Face à crise du (dés)ordre géopolitique international, « je me concentrerai dans cet article sur une description sommaire de la situation actuelle, pour ensuite caractériser (…)

Face à crise du (dés)ordre géopolitique international, « je me concentrerai dans cet article sur une description sommaire de la situation actuelle, pour ensuite caractériser les différentes positions qui émergent au sein de la gauche dans cette nouvelle phase et insister sur la nécessité de construire une gauche internationaliste, opposée à tous les impérialismes (principaux ou secondaires) et solidaire des luttes des peuples agressés. »

Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
15 novembre 2024

Par Jaime Pastor

Dans le cadre général de la crise multidimensionnelle dans laquelle nous nous trouvons – aujourd'hui aggravée par l'impulsion donnée par la récente victoire électorale de Trump à la montée d'une extrême droite à l'échelle mondiale –, il semble encore plus évident que nous assistons à une crise profonde du (dés)ordre géopolitique international, ainsi que des règles fondamentales du droit international qui ont été établies depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La manifestation la plus tragique de cette crise (qui remet en question l'avenir même de l'ONU) se trouve dans la guerre génocidaire contre Gaza (Awad, 2024), à laquelle s'ajoutent actuellement quelque 56 guerres dans le monde.

Dans ce contexte, le système hiérarchique impérialiste basé sur l'hégémonie américaine est ouvertement remis en question et contesté par des grandes puissances rivales, telles que la Chine et la Russie, ainsi que par d'autres au niveau régional, comme l'Iran. Cette compétition géopolitique mondiale se manifeste clairement dans certains conflits militaires, de l'évolution desquels dépendra une nouvelle configuration des rapports de forces au sein de ce système, ainsi que dans les blocs présents ou en formation, tels que les BRICS.

Face à ce nouveau scénario, je me concentrerai dans cet article sur une description sommaire de la situation actuelle pour ensuite caractériser les différentes positions qui émergent au sein de la gauche dans cette nouvelle phase et insister sur la nécessité de construire une gauche internationaliste, opposée à tous les impérialismes (principaux ou secondaires) et solidaire des luttes des peuples agressés.

Polycrise et néolibéralisme autoritaire

Il existe un large consensus au sein de la gauche sur le diagnostic que l'on peut faire de la crise globale que le monde traverse aujourd'hui, avec en toile de fond la crise éco-sociale et climatique. Une polycrise que l'on peut définir avec Pierre Rousset comme « multiforme, résultat de la combinaison de multiples crises spécifiques. Nous ne sommes donc pas face à une simple somme de crises, mais à leur interaction, qui démultiplie leur dynamique, alimentant une spirale mortifère pour l'espèce humaine (et pour une grande partie des espèces vivantes) » (Pastor, 2024).

Une situation étroitement liée à l'épuisement du régime d'accumulation capitaliste néolibéral initié au milieu des années 1970, qui, après la chute du bloc hégémonisé par l'URSS, a fait un bond en avant vers son expansion à l'échelle mondiale. Un processus qui a conduit à la Grande Récession qui a débuté en 2008 (aggravée par les politiques d'austérité, les conséquences de la crise pandémique et la guerre en Ukraine), qui a fini par frustrer les attentes d'ascension sociale et de stabilité politique que la mondialisation heureuse promise avait générées, principalement parmi des secteurs significatifs des nouvelles classes moyennes.

Une mondialisation, rappelons-le, qui s'est développée dans le cadre du nouveau cycle néolibéral qui, tout au long de ses différentes phases – combative, normative et punitive (Davies, 2016) –, a construit un nouveau constitutionnalisme économique transnational au service de la tyrannie corporative globale et de la destruction du pouvoir structurel, associatif et social de la classe ouvrière. Plus sérieusement, il a fait de la civilisation du marché « la seule civilisation possible », un sens commun, bien que tout ce processus ait pris différentes variantes et formes de régimes politiques, généralement basés sur des États forts et immunisés contre les pressions démocratiques (Gill, 2022 ; Slobodian, 2021). Un néolibéralisme qui, cependant, montre aujourd'hui son incapacité à offrir un horizon d'amélioration à la majorité de l'humanité sur une planète de plus en plus inhospitalière.

Nous nous trouvons donc dans une période, tant au niveau étatique qu'interétatique, pleine d'incertitudes, sous un capitalisme financiarisé, numérique, extractiviste et rentier qui précarise nos vies et cherche à tout prix à jeter les bases d'une nouvelle étape de croissance avec un rôle de plus en plus actif des États à son service. Pour ce faire, il recourt à de nouvelles formes de domination politique, fonctionnelles, adaptées à ce projet, qui tendent de plus en plus à entrer en conflit non seulement avec les libertés et les droits conquis au terme de longues luttes populaires, mais aussi avec la démocratie libérale. Ainsi, un néolibéralisme de plus en plus autoritaire se répand, non seulement au Sud mais aussi de plus en plus au Nord, avec la menace d'une « accélération réactionnaire » (Castellani, 2024). Un processus désormais stimulé par un trumpisme qui devient le cadre discursif maître d'une extrême droite montante, prête à se constituer en alternative à la crise de la gouvernance mondiale et à la décomposition des anciennes élites politiques (Urbán, 2024 ; Camargo, 2024).

Le système hiérarchique impérialiste en question

Dans ce contexte, succinctement esquissé ici, nous assistons à une crise du système hiérarchique impérialiste qui prévaut depuis la chute du bloc soviétique, facilitée précisément par les effets générés par un processus de mondialisation qui a conduit à un déplacement du centre de gravité de l'économie mondiale de l'Atlantique Nord (Europe/États-Unis) vers le Pacifique (États-Unis, Asie de l'Est et du Sud-Est).

En effet, suite à la Grande Récession qui a débuté en 2007-2008 et à la crise de la mondialisation néolibérale qui s'en est suivie, une nouvelle phase s'est ouverte dans laquelle une reconfiguration de l'ordre géopolitique mondial est en train de se produire, un ordre qui est tendanciellement multipolaire, mais en même temps asymétrique, dans lequel les États-Unis restent la grande puissance hégémonique (monétaire, militaire et géopolitique), mais se trouvent plus affaiblis et défiés par la Chine, la grande puissance montante, et la Russie, ainsi que par d'autres puissances sub-impériales ou secondaires dans différentes régions de la planète. Pendant ce temps, dans de nombreux pays du Sud, confrontés au pillage de leurs ressources, à l'augmentation des dettes souveraines, aux révoltes populaires et aux guerres de toutes sortes, la fin du développement comme horizon à atteindre cède la place à des populismes réactionnaires au nom de l'ordre et de la sécurité.

Ainsi, la concurrence géopolitique mondiale et régionale est accentuée par des intérêts divergents, non seulement dans le domaine économique et technologique, mais aussi dans le domaine militaire et des valeurs, avec pour conséquence la montée des ethno-nationalismes étatiques face à des ennemis présumés internes et externes.

Cependant, nous ne devons pas oublier le haut degré d'interdépendance économique, énergétique et technologique qui s'est matérialisé à travers le monde dans le contexte de la mondialisation néolibérale, comme l'ont ouvertement souligné à la fois la crise pandémique mondiale et l'absence d'un blocus efficace contre la Russie dans le domaine de l'énergie malgré les sanctions convenues. À cela s'ajoutent deux nouveaux facteurs fondamentaux : d'une part, la possession actuelle d'armes nucléaires par les grandes puissances (il existe actuellement quatre points chauds nucléaires : un au Moyen-Orient (Israël) et trois en Eurasie (Ukraine, Inde-Pakistan et péninsule coréenne) ; et, d'autre part, les crises du climat, de l'énergie et des matières premières (c'est l'heure de vérité !), qui rendent cette situation sensiblement différente de ce qu'elle était avant 1914. Ces facteurs conditionnent la transition géopolitique et économique en cours, fixant les limites d'une démondialisation qui risque d'être partielle et certainement pas heureuse pour la grande majorité de l'humanité. Dans le même temps, ces facteurs alertent sur les risques accrus d'escalade dans les conflits armés dans lesquels des puissances dotées de l'arme nucléaire sont directement ou indirectement impliquées, comme dans les cas de l'Ukraine et de la Palestine.

Cette spécificité de l'étape historique actuelle nous amène, selon Promise Li, à considérer que la relation entre les grandes puissances (notamment entre les Etats-Unis et la Chine) est un équilibre instable entre une « coopération antagoniste » et une « rivalité inter-impérialiste » croissante. Un équilibre qui pourrait être rompu en faveur de cette dernière, mais qui pourrait également être normalisé dans le cadre de la recherche commune d'une issue à la stagnation séculaire d'un capitalisme mondial dans lequel la Chine (Rousset, 2021) et la Russie (Serfati, 2022) se sont désormais insérées, bien qu'avec des évolutions très différentes. Un processus, donc, plein de contradictions, qui est extensible à d'autres puissances, comme l'Inde, qui font partie des BRICS, dans lesquels les gouvernements de ses pays membres n'ont pas réussi jusqu'à présent à remettre en question le rôle central d'organisations comme la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international, qui sont toujours sous l'hégémonie des États-Unis (Fuentes, 2023 ; Toussaint, 2024).

Cependant, il est clair que l'affaiblissement géopolitique des États-Unis - surtout après leur fiasco total en Irak et en Afghanistan et, maintenant, la crise de légitimité qu'entraîne leur soutien inconditionnel à l'État génocidaire d'Israël - permet une plus grande marge de manœuvre potentielle de la part des différentes puissances mondiales ou régionales, en particulier celles dotées de l'arme nucléaire. Je suis donc d'accord avec la description de Pierre Rousset :

« Le déclin relatif des Etats-Unis et la montée incomplète de la Chine ont ouvert un espace dans lequel des puissances secondaires peuvent jouer un rôle significatif, au moins dans leur propre région (Russie, Turquie, Brésil, Arabie Saoudite, etc.), même si les limites des BRICS sont évidentes. Dans cette situation, la Russie n'a pas manqué de mettre la Chine devant une série de faits accomplis aux frontières orientales de l'Europe. En agissant de concert, Moscou et Pékin ont été largement maîtres du jeu sur le continent eurasiatique. En revanche, il n'y a pas eu de coordination entre l'invasion de l'Ukraine et l'attaque effective de Taïwan » (Pastor, 2024).

Ceci, sans doute facilité par le poids plus ou moins important d'autres facteurs liés à la polycrise, explique l'éclatement de conflits et de guerres dans des endroits très différents de la planète, mais en particulier dans trois épicentres très pertinents de l'actualité : l'Ukraine, la Palestine et, bien que pour l'instant en termes de guerre froide, Taïwan.

Dans ce contexte, nous avons vu comment les États-Unis ont utilisé l'invasion injuste de l'Ukraine par la Russie comme alibi pour relancer l'expansion d'une OTAN en crise vers d'autres pays d'Europe de l'Est et du Nord. Cet objectif est étroitement associé à la reformulation du « nouveau concept stratégique » de l'OTAN, comme nous l'avons vu lors du sommet que cette organisation a tenu à Madrid en juillet 2022 (Pastor, 2022) et plus récemment lors du sommet qui s'est tenu en juillet de cette année à Washington. Ce dernier a réaffirmé cette stratégie, ainsi que la prise en compte de la Chine comme principal concurrent stratégique, tout en évitant de critiquer l'État d'Israël. Ce dernier montre le double standard (Achcar, 2024) du bloc occidental concernant son implication dans la guerre en Ukraine, d'une part, et sa complicité avec le génocide commis par l'État colonial d'Israël contre le peuple palestinien, d'autre part.

Nous avons également constaté l'intérêt croissant de l'OTAN pour le flanc sud afin de poursuivre sa nécropolitique raciste contre l'immigration illégale tout en aspirant à rivaliser pour le contrôle des ressources de base dans les pays du Sud, en particulier en Afrique, où l'impérialisme français et américain perd du terrain au profit de la Chine et de la Russie.

Ainsi, une redéfinition de la stratégie du bloc occidental a eu lieu, au sein duquel l'hégémonie américaine a été renforcée militairement (grâce, surtout, à l'invasion de l'Ukraine par la Russie) et à laquelle une Union européenne plus divisée est clairement subordonnée, avec son vieux moteur allemand affaibli. Cependant, après la victoire de Trump, l'UE semble déterminée à renforcer sa puissance militaire au nom de la recherche d'une fausse autonomie stratégique, car elle restera liée au cadre de l'OTAN. Pendant ce temps, de nombreux pays du Sud prennent de plus en plus leurs distances avec le bloc, bien qu'ils aient des intérêts différents, ce qui différencie les alliances possibles qui pourraient être formées de celles qui caractérisaient le mouvement des non-alignés dans le passé.

Quoi qu'il en soit, il est probable qu'après sa victoire électorale, Donald Trump opère un changement majeur dans la politique étrangère des États-Unis afin de mettre en œuvre son projet MAGA (Make America Great Again) au-delà de la sphère géo-économique (en intensifiant sa concurrence avec la Chine et, bien qu'à un niveau différent, avec l'UE), en particulier en ce qui concerne les trois épicentres de conflit mentionnés plus haut : en ce qui concerne l'Ukraine, en réduisant substantiellement l'aide économique et militaire et en cherchant une forme d'accord avec Poutine, au moins, sur un cessez-le-feu ; en ce qui concerne Israël, en renforçant son soutien à la guerre totale de Netanyahou ; et enfin en réduisant son engagement militaire avec Taïwan.

Quel internationalisme anti-impérialiste de la gauche ?

Dans ce contexte de montée du néolibéralisme autoritaire (dans ses différentes versions : l'extrême droite réactionnaire et l'extrême centre, principalement) et de divers conflits géopolitiques, le grand défi pour la gauche consiste à reconstruire des forces sociales et politiques antagonistes ancrées dans la classe ouvrière et capables de forger un anti-impérialisme et un internationalisme solidaire qui ne soient pas subordonnés à l'une ou l'autre grande puissance ou à un bloc capitaliste régional.

Une tâche qui ne sera pas facile, car dans la phase actuelle, nous assistons à de profondes divisions au sein de la gauche quant à la position à maintenir face à certains des conflits mentionnés ci-dessus. En essayant de synthétiser, avec Ashley Smith (2024), nous pourrions distinguer quatre positions :

• La première serait celle qui s'aligne sur le bloc impérial occidental dans la défense commune de prétendues valeurs démocratiques contre la Russie, ou sur l'État d'Israël dans son droit injustifiable à l'autodéfense, comme l'a affirmé un secteur majoritaire de la gauche sociale-libérale. Une position qui cache les véritables intérêts impérialistes de ce bloc, ne dénonce pas son double langage et ignore la dérive de plus en plus antidémocratique et raciste que connaissent les régimes occidentaux, ainsi que le caractère colonial et d'occupation de l'État israélien.

• La seconde serait celle que l'on qualifie habituellement de campiste, qui s'alignerait sur des États comme la Russie et la Chine, qu'elle considère comme des alliés contre l'impérialisme américain parce qu'elle considère ce dernier comme l'ennemi principal, en ignorant les intérêts géopolitiques expansionnistes de ces deux puissances. Une position qui rappelle celle adoptée dans le passé par de nombreux partis communistes pendant la période de la guerre froide à l'égard de l'URSS, mais qui devient aujourd'hui caricaturale au vu de la nature réactionnaire du régime de Poutine et de la persistance du despotisme bureaucratique d'État en Chine.

• La troisième est celle du réductionnisme géopolitique, qui se traduit aujourd'hui dans la guerre en Ukraine, se limitant à considérer qu'il ne s'agit que d'un conflit inter-impérialiste. Cette attitude, adoptée par un secteur du pacifisme et de la gauche, implique de nier la légitimité de la dimension nationale de la lutte de la résistance ukrainienne contre la puissance occupante, tout en critiquant le caractère néolibéral et pro-whitewashing du gouvernement qui la dirige.

• Enfin, il y a celle qui s'oppose à tous les impérialismes (qu'ils soient majeurs ou mineurs) et à tous les doubles standards, se montrant prête à faire preuve de solidarité avec tous les peuples attaqués, même s'ils peuvent compter sur le soutien de l'une ou l'autre puissance impériale (comme les États-Unis et l'UE en ce qui concerne l'Ukraine) ou régionale (comme l'Iran en ce qui concerne le Hamas en Palestine). C'est une position qui n'accepte pas le respect des sphères d'influence que les différentes grandes puissances aspirent à protéger ou à étendre, et qui est solidaire des peuples qui luttent contre l'occupation étrangère et pour le droit de décider de leur avenir (en particulier, avec les forces de gauche dans ces pays qui s'engagent pour une alternative au néolibéralisme), et qui n'est alignée sur aucun bloc politico-militaire.

Cette dernière position est celle que je considère comme la plus cohérente de la part d'une gauche anticapitaliste. En réalité, en gardant la distance historique et en reconnaissant la nécessité d'analyser la spécificité de chaque cas, elle coïncide avec les critères que Lénine a essayé d'appliquer lorsqu'il a analysé la centralité que la lutte contre l'oppression nationale et coloniale était en train d'acquérir dans la phase impérialiste du début du 20e siècle. Cela s'est reflété, en ce qui concerne les conflits qui ont éclaté à cette époque, dans plusieurs de ses articles comme, par exemple, dans « La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d'elles-mêmes », écrit en janvier-février 1916, dans lequel il a soutenu que :

« Le fait que la lutte contre une puissance impérialiste pour la liberté nationale peut, dans certaines conditions, être exploitée par une autre « grande » puissance dans ses propres buts également impérialistes, ne peut pas plus obliger la social-démocratie à renoncer au droit des nations à disposer d'elles-mêmes, que les nombreux exemples d'utilisation par la bourgeoisie des mots d'ordre républicains dans un but de duperie politique et de pillage financier, par exemple dans les pays latins, ne peuvent obliger les social-démocrates à renier leur républicanisme » (Lénine, 1916).

Une position internationaliste qui doit s'accompagner d'une mobilisation contre le processus de remilitarisation en cours de l'OTAN et de l'UE, mais aussi contre celui d'autres puissances comme la Russie et la Chine. Elle doit s'engager à remettre au centre de l'agenda la lutte pour le désarmement nucléaire unilatéral et la dissolution des blocs militaires, en reprenant le flambeau du puissant mouvement pacifiste qui s'est développé en Europe dans les années 1980, avec en tête les militantes féministes de Greenham Common et des intellectuels tels qu'Edward P. Thompson. Une orientation qui devra évidemment s'insérer dans un projet global écosocialiste, féministe, antiraciste et anticolonialiste.

Jaime Pastor

Références

Achcar, Gilbert (2024) « El antifascismo y la caída del liberalismo atlántico », Viento Sur, 19/08/24.

• Awad, Nada (2024) « Derecho Internacionalismo y excepcionalismo israelí », Viento Sur, 193, pp. 19-27.

Camargo, Laura (2024) Trumpismo discursivo. Barcelone : Verso (sous presse).

Castellani, Lorenzo (2024) « Avec Trump, l'ère de l'accélération réactionnaire », Le Grand Continent, 8/11/24.

Davies, William (2016) « Neoliberalism 3.0 », New Left Review, 101, pp. 129-143.

Fuentes, Federico (2023) « Interview with Promise Li : US-China rivalry, “antagonistic cooperation” and anti-imperialism », South Wind, 191, 5-18.

Gill, Stephen (2002) « Globalization, Market Civilization and Disciplinary Neoliberalism ». Dans Hovden, E. et Keene, E. (Eds.) The Globalization of Liberalism. Londres : Millennium. Palgrave Macmillan.

Lénine, Vladimir (1976) « La révolution socialiste et le droit des nations à l'autodétermination », Œuvres choisies, Volume V, pp. 349-363. Moscou : Progress.

Pastor, Jaime (2022) « El nuevo concepto estratégico de la OTAN : Hacia una nueva guerra global permanente ? », viento sur, 2/07/22.
(2024) « Entretien avec Pierre Rousset : Crise mondiale et guerres : quel internationalisme pour le XXIe siècle ? », Viento Sur, 16/04/24.

Rousset, Pierre (2021) « China, el nuevo imperialismo emergente », Viento Sur, 16/10/21.

Serfati, Claude (2022) « La era de los imperialismos continúa : así lo demuestra Putin », Viento Sur, 21/04/22.

Slobodian, Quinn (2021) Globalistas. Madrid : Capitán Swing.

Smith, Ashley (2024) « Imperialismo y antiimperialismo hoy », Viento Sur, 4/06/24.

Toussaint, Eric (2024) « La cumbre de los BRICS en Rusia no ofreció ninguna alternativa », Viento Sur, 30/10/24.

Urbán, Miguel (2024) Trumpisms. Néolibéraux et autoritaires. Barcelone : Verso.


P.-S.

• Traduit pour ESSF par Pierre Rousset avec l'aide de DeepL.

Source - Viento Sur, 15/NOV/2024 :
https://vientosur.info/conflictos-geopoliticos-antiimperialismo-e-internacionalismo-en-tiempos-de-aceleracion-reaccionaria/

• Cet article est une version actualisée de celui publié dans la revue Nuestra Bandera, 264, pp. 55-62, 2024.

• Jaime Pastor est politologue et membre de la rédaction de Viento Sur.

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Analyse critique des fausses solutions de la Banque Africaine de Développement : Critique de la stratégie globale des échanges dette-nature en Afrique (Partie 2)

19 novembre 2024, par Anne Theisen — , ,
Dans cette partie 2, vous trouverez la suite de la partie 1, une analyse contextuelle introductive qui remet en cause la stratégie globale de la Banque Africaine de (…)

Dans cette partie 2, vous trouverez la suite de la partie 1, une analyse contextuelle introductive qui remet en cause la stratégie globale de la Banque Africaine de Développement ( BAD) telle qu'elle est développée dans un rapport d'octobre 2022 intitulé « Échanges dette-nature, faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique ». La partie 2 aborde avec un regard critique et des exemples concrets les diverses solutions promues par la BAD dans ce même rapport. Vous apprendrez sur différentes choses : l'Initiative de Suspension temporaire du Service de la dette du G20 (ISSD), le Cadre commun du G20, le mécanisme africain de stabilité financière (MASF), l'allocation de droits de tirages spéciaux (DTS) par le FMI, et enfin les échanges dette-nature qui sont longuement analysés. Qu'est ce qu'un échange dette nature ? D'où cela vient-il ? Quelles sont les différentes formes d'échange dette-nature ? Par qui sont-ils menés ? Quels exemples parlants ?

Tiré du site du CADTM.

Dans cette partie 2, vous trouverez la suite de la partie 1, une analyse contextuelle introductive qui remet en cause la stratégie globale de la Banque Africaine de Développement ( BAD) telle qu'elle est développée dans un rapport d'octobre 2022 intitulé « Échanges dette-nature, faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique ». La partie 2 aborde avec un regard critique et des exemples concrets les diverses solutions promues par la BAD dans ce même rapport.

Les deux possibilités envisagées par le rapport de la BAD sont l'annulation d'une partie des obligations liées aux dettes en cours ou bien le refinancement par des opérations axées sur la durabilité (la lutte contre le réchauffement climatique d'une part et l'atteinte des Objectifs de Développement Durable d'autre part). À noter que le rapport n'entrevoit pas la possibilité d'une annulation pure et simple des dettes illégitimes. Il rappelle qu'avant la pandémie, une Initiative en faveur des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) avait déjà été mise en œuvre pour certains pays.

Par la suite, une Initiative d'Allègement de la Dette Multilatérale (IADM) en 2005 est venue compléter cette mesure en permettant l'annulation de 100% des dettes des pays au bout du processus PPTE. Mais les auteurs du rapport de la BAD précisent que malgré ces efforts, la dette a continué de s'exacerber. En mars 2020, La Banque Mondiale et le FMI ont envisagé des suspensions de paiements de la dette des pays de l'IDA. Au G20 les pays africains ont demandé le déblocage urgent de 100 milliards de ISD pour des infrastructures sanitaires répondant aux besoins des plus vulnérables dont 44 milliards d'allègement de dette pour tous les pays africains et 55 milliards pour la reconstruction en 2021. Néanmoins, la BAD ne s'étend pas sur ces mesures plus radicales lorsqu'elle met en évidence sa nouvelle stratégie.

1. L'ISSD

L'initiative de Suspension temporaire du Service de la Dette accordée par le G20 en avril 2020, a dégagé des liquidités supplémentaires pour les membres de l'Association Internationale de Développement (IDA, pays éligibles aux prêts concessionnels) et pour les Pays les Moins Avancés (définis par l'ONU). 73 pays à revenus faibles ou intermédiaires y étaient éligibles dont 32 pays en Afrique. Il s'agissait de 30 opérations de prêts octroyés par la BAD, environ 318 milliards pour offrir des liquidités au PMR. Entre mai 2020 et décembre 2021, l'ISSD a permis le report de 12,9 milliards de USD de service de la dette de 50 pays. Des fonds destinés au paiement des intérêts de la dette à court terme ont été réaffectés au financement de projet verts...ou sociaux, sanitaires et de soutiens économiques pendant la pandémie.

Critique :

Cependant, pour y avoir droit, il faut avoir un accord de financement avec le FMI ou en avoir fait la demande, diminuer les emprunts non concessionnels et rendre publique les dépenses et recettes du secteur public. Remarquons aussi que les créanciers privés n'y participent pas et les créanciers multilatéraux, désireux de garder leur note AAA non plus. Pourtant, le CADTM souligne que les organisations multilatérales possèdent aussi une proportion non négligeable de la dette. La Banque mondiale par exemple détient 18,9% de la dette subsaharienne concernée par l'ISSD...

Selon la BAD elle-même, les économies projetées par l'ISSD (5,5 milliards de USD) étaient bien supérieures à celles effectivement réalisées (1,8 milliards de USD). Attention, ce ne sont pas des remises de dette : on ne fait que différer le remboursement sur une période de 4 ans. Cette mesure alourdit donc les échéanciers des paiements du service de la dette en période de récession ce qui compromet la viabilité de la dette des pays qui y ont recours à moyen ou long terme. En effet, ces économies n'étaient que temporaires et les paiements ont dû reprendre en 2023 quand le service de la dette est redevenu plus élevé car il faut payer la dette rééchelonnée en plus de la dette ordinaire pour la même période !

Le réseau du CADTM Afrique de son côté critique le fait que les suspensions ne sont que temporaires et qu'elles ne concernent qu'un nombre de pays limités. Certains pays en sont exclus comme l'Erythrée, le Soudan, la Syrie ou les Zimbabwe en raison de leurs arriérés.

Enfin l'ISSD n'est que très partielle. La somme totale représente moins de 1,66% du total des remboursements exigés aux pays des Suds. En Afrique, à part le Cameroun, l'Angola, le Kenya, le Mozambique, le Congo- Brazzaville, la Côte d'Ivoire, le Sénégal et la Tanzanie, l'aide n'a pas dépassé les 2 millions de USD par pays. Le CADTM regrette aussi qu'il n'y ait pas de moratoire pour les dettes privées qui s'élèvent à 10,22 milliards d'USD pour 68 pays éligibles. Il souligne aussi que c'est la Chine qui a le plus contribué en suspendant 30% du service de la dette du G20 soit 5,7 milliards d'USD. Surtout, il remarque que les suspensions et nouveaux prêts accordés servent en priorité les créanciers privés car ceux-ci étant réticents aux concessions laissent les États, les créanciers bilatéraux, le FMI et la BM, négocier des suspensions ou allègements de dettes. Les pays endettés utilisent essentiellement leur argent consacré aux dettes pour continuer à rembourser les créanciers privés récalcitrants. Tout cela bien sûr se produit au détriment des besoins urgents des populations sur place, car les montants rendus au secteur privé servent rarement par la suite les secteurs non marchands ou sociaux indispensables aux populations. Bien au contraire, nous avons vu que les acteurs privés sont peu enclins à limiter leurs profits et l'évasion fiscale ou l'optimisation fiscale des grandes entreprises est un facteur important de diminution de recettes des États et d'aggravation des dettes publiques.

Le CADTM insiste sur le fait que les 750 milliards d'USD de dettes des pays surendettés ne correspondent qu'à 1% du PIB du G20 qui s'élève à 78 286 milliards ! À titre de comparaison, il montre que pour les plans d'aide post Covid, les parlements allemand et américain ont voté respectivement les montants substantiels de 1 100 milliards d'Euros et de 2000 milliards d'USD !

De plus, il existe un fonds fiduciaire, pour compenser les pertes des institutions multilatérales, alimenté par les contributions des bailleurs de fonds et la vente des réserves en or du FMI. Il suffirait de vendre 6,7% de l'or détenu par le FMI pour financer les dettes totales des pays surendettés ! C'est donc possible mais il n'y a pas de véritable volonté politique de chercher des solutions. L'ISSD fait pâle figure à côté de ce qu'on pourrait réaliser.

De manière générale, la situation d'endettement des pays africains ne s'est pas améliorée. Pour l'Afrique subsaharienne, elle est passée de 665 milliards à 702 milliards de 2019 à 2020. Les bénéficiaires de l'ISSD ont reçu des prêts du FMI 13 fois supérieurs à la moyenne annuelle en mars 2022. Or ces prêts sont toujours conditionnés à des réformes antisociales, antipopulaires et au final favorables au capital privé international. Ainsi le Kenya a vu, en janvier 2021, ces dettes croître de 34,9 milliards à 38,1 milliards en un an, malgré une suspension de 209 millions, en raison de l'augmentation des créances privées. Le Niger est passé de 3,6 milliards en 2019 à 4,5 milliards en 2020, malgré une suspension de 16 millions.

Le cas du Ghana :

Dans son article « la dette menace l'Afrique »publié en février 2023, dans Afrique magazine, son auteur Cédric Gouverneur décrit la crise de la dette extérieure qui affecte le Ghana. Celle-ci représente plus de 80% de son PIB. Pourtant, ce pays était un élève modèle du libéralisme. Grand producteur de cacao, d'hydrocarbures, de pétrole et de diamants, son taux de croissance élevé attirait les investisseurs. Son dirigeant déclarait même libérer le pays de tout besoin d'aide. Mais aujourd'hui l'inflation de plus de 50%, la hausse du prix des combustibles, les répercussions de la pandémie et de la guerre en Ukraine ont complètement renversé la tendance. Après un renflouement de 3 milliards par le FMI, le Ghana a surpris la communauté internationale en annonçant unilatéralement une suspension de paiement d'une partie de sa dette dont les eurobonds, les prêts commerciaux à terme et la plupart des dettes bilatérales. Le 13 décembre 2022, il accepte un plan de restructuration de la dette assorti de mesures d'austérité craint par la population ghanéenne déjà fortement frappée par la récession.

Dans leur livre « Le Ghana, les dessous du miracle économique » publié en janvier 1999 par le GRESEA , Bruno Carton et Isabelle Guillet montrent que la croissance « exemplaire » du Ghana - qui affichait un taux moyen de 5% de 1983 à 1993, et au début une inflation limitée à 10% - cachait déjà les effets pervers de sa politique de libéralisation à tout vent et des ajustements structurels imposés par le FMI et la Banque Mondiale de 1980 à 1988. Ces auteur·ices ont démontré que des chocs extérieurs n'ont pas été les causes principales du déclin économique de ce pays, après une courte envolée économique saluée par la communauté internationale. Selon eux, l'orientation néolibérale des institutions internationales, imposée via le mécanisme d'octroi de prêts a largement contribué à ronger le potentiel de développement à long terme du Ghana. En effet, contrairement aux pays du Nord-Est asiatique qui ont pu maintenir une forte croissance économique après la phase de libéralisation économique, le Ghana, lui, ne disposait pas encore d'une assise productive industrialisée suffisamment forte, diversifiée et modernisée pour résister à la concurrence des transnationales étrangères lorsqu'il s'est libéralisé. Or avec les ajustements structurels, la production industrielle ne s'est pas déployée, au contraire, on a assisté à une reprimarisation de l'économie ! La production alimentaire s'est peu modernisée. Il y a eu un très faible transfert technologique. Par contre, la dépendance aux exportations de l'or, du cacao, du pétrole, aux produits de base et la hausse des importations se sont intensifiées et ont créé un déséquilibre de la balance des paiements, une détérioration des termes de l'échange qui sont toujours d'actualité. La dette s'est aggravée. L'augmentation du taux d'intérêt a intensifié le déficit et les mesures d'austérité ont pesé lourdement sur les revenus du plus grand nombre aussi bien dans les villes que dans les campagnes. La pauvreté, le chômage ont explosé. Depuis les réformes libérales, les recettes dépendent fortement des revenus fiscaux sur les transactions internationales et celles-ci chutent chaque fois que les prix mondiaux diminuent comme actuellement sous l'effet de la pandémie ou de guerre en Ukraine. Les petites entreprises locales, l'agriculture, le secteur social ont complètement été oubliés. La santé, l'éducation, les infrastructures, tout ce qui ne rapporte pas directement des devises est considéré comme un coût à réduire par tous les moyens indépendamment des besoins. Car il faut toujours plus de devises... pour rembourser prioritairement la dette. L'économie informelle augmente face à l'incertitude, malmenant sa main d'œuvre. Dans le secteur privé, ce sont les secteurs de l'immobilier, du transport, du commerce, dits de cycles courts, et quelques niches de services ou encore les rentes des mines qui sont favorisés, au détriment des activités générant des ressources à plus long terme.

Seules les grosses sociétés étrangères ont assez de liquidités en devises « vendues aux enchères » pour faire des offres sur des marchés complètement dérégulés... Donc ces libéralisations, privatisations et dérégulations ont profité et profitent toujours principalement aux plus grands investisseurs étrangers. Pour les attirer, le Ghana va même appartenir au Free Zones Board en votant une loi dans ce sens en août 1995. La condition pour en faire partie : que 70% du chiffre d'affaires soit lié à l'exportation ! Le Free Zones Board accorde aux investisseurs des exemptions fiscales ; les importations sont plus chères à cause des taxes mais par contre les exportations ghanéennes vers les USA et l'UE en sont exemptées. Les monopoles, les concentrations de capital, l'abattement fiscal sur les profits des entreprises privées rapatriés sont autorisés, encouragés. En outre, ce livre explique comment les conditionnalités associées aux prêts ont contribué à délégitimiser l'État, en le poussant à se désengager de ses prérogatives essentielles qui sont d'une part la gestion de la masse monétaire, des prix, des marchés, du service de la dette, l'administration des dépenses publiques et la gestion des mécanismes de formation des salaires et des prix, de la propriété des moyens de production. Les intérêts financiers et économiques internationaux priment sur les besoins sociaux nationaux et locaux. « Nous avons d'un côté des institutions internationales puissantes, sans responsabilité, et de l'autre des institutions nationales, responsables devant le corps social, mais au pouvoir fortement affaibli » face aux bailleurs de fonds internationaux ou privés. La démocratie est menacée. À cela s'ajoute encore le constat que la part d'assistance technique du FMI et de la Banque Mondiale dans le PIB de l'Afrique a doublé de 1980 à 1987 et qu'elle devient parfois supérieure à la masse salariale de la fonction publique de certains pays (c'était le cas de la Tanzanie à cette époque-là). On assiste à un transfert de souveraineté dangereux accentuant la dépendance et donc la vulnérabilité des pays africains par rapport aux perturbations extérieures...

Nous replonger dans ces explications sur l'impact des politiques d'ajustements structurels nous aide à analyser la crise de la dette actuelle du Ghana et de nombreux pays africains, d'un point de vue plus structurel et pas uniquement sous l'angle de vue de la BAD, des institutions internationales qui sous le couvert d'une adaptation à l'urgence climatique et environnementale tenterait de nous faire oublier les origines, les facteurs aggravants et les conséquences désastreuses du système dette qui est leur raison d'être, qu'elles entretiennent, qui est, rappelons-le, le moteur de leur pouvoir et de leur enrichissement. L'exemple du Ghana nous permet aussi de mettre en lumière un autre problème lié aux mécanismes des dettes. Le risque de voir se multiplier les activités spéculatives criminelles de certains acteurs privés peu scrupuleux et en particulier des Fonds vautours.

Selon Arnaud Zacharie,secrétaire général de la coupole d'ONG belges CNCD « Quand un pays comme le Ghana demande un allègement de paiement, il doit avoir l'accord de tous ses créanciers, occidentaux, FMI, Banque mondiale et créanciers privés. Comme il n'y a pas de cadre multilatéral pour imposer un allégement de la dette à tous les créanciers, il se trouve toujours des créanciers privés qui jouent des rôles de passagers clandestins. Ils cherchent à tirer profit de l'allègement accordé par une partie des créanciers qui donne un peu d'oxygène financier aux pays surendettés. Et certains créanciers privés attaquent en justice ce pays pour qu'il les rembourse en intégralité ».

Les emprunts ne cessent d'augmenter entre autres pour rembourser les créanciers privés. Jubilée Debt Campaign explique comment ces derniers ont le plus indirectement bénéficié de l'ISSD bien qu'ils l'aient rejeté, qu'ils ne participent pas à ces opérations, tout comme ils sont réticents aux restructurations de dettes proposées dans le cadre du Cadre Commun.

2. Le cadre commun du G20

Le Cadre commun a été accordé par le Club de Paris et le G20 en novembre 2020 pour le traitement de la dette au-delà de l'ISSD. C'est un cadre multilatéral pour le traitement des dettes des pays éligibles à l'ISSD. Il promeut l'échange d'une grande partie de la dette dans le cadre d'une restructuration. Ce cadre permet la renégociation de l'ensemble des dettes extérieures des pays surendettés (15 pays sur 38 sont considérés comme à risque élevé de surendettement). Pour l'instant, seuls le Tchad, l'Éthiopie et la Zambie ont demandé une restructuration de ce type en octobre 2021. L'enveloppe de restructuration à allouer est fonction de l'analyse de viabilité de la dette par le FMI. Il impose des conditionnalités. Il permet un traitement global de la dette publique et privée. La Chine et l'Inde y participent largement mais c'est ouvert également au secteur privé. Les négociations sont réalisées avec une comparabilité des traitements et au cas par cas, ce qui n'attire pas beaucoup les pays débiteurs.

Ce dispositif a moins d'impact négatif sur la note de crédit des agences ce qui facilite l'accès aux marchés financiers internationaux (même si dans les faits seulement 60% des pays africains sont notés). De plus, il s'adresse aussi au secteur privé ce qui n'est pas le cas de l'ISSD. Par contre, il n'y a pas de garantie contre les pertes mais il peut y avoir renégociation des conditions de la dette en cours de route.

Critique :

Selon le FMI, on constate un problème de coordination entre les institutions et les gouvernements de la Chine et de l'Inde. Au Tchad on constate un retard des créanciers privés ce qui implique une complexification de la restructuration de la dette garantie. Il n'existe pas de clauses d'action collective il faut donc chaque fois recueillir le consentement de chaque créancier et de chaque débiteur pour toute modification contractuelle. Une réforme de ce Cadre Commun est déjà en cours.

Pour le CADTM, ce dispositif est inefficace en raison du manque d'intérêt des débiteurs et principalement du peu d'implication du secteur privé dans les restructurations alors que se sont les banques commerciales, les détenteurs d'obligations et autres créanciers privés extérieurs les détenteurs de dettes majoritaires.

D'après les propos d' Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD, en janvier 2023, « l'instauration d'un mécanisme multilatéral de restructuration de la dette, sur base des principes définis dans la résolution adoptée en septembre 2015 par l'Assemblée générale des Nations Unies, permettrait aux Etats en défaut de paiement de négocier dans un cadre équitable et transparent des accords de restructuration de leur dette qui s'imposent à tous les créanciers et qui empêchent les pratiques de passagers clandestins des « fonds vautours » qui cherchent à tirer profit de la situation. Mais un tel mécanisme multilatéral, proposé depuis le début des années 2000, n'a toujours pas vu le jour ».

Signalons qu'une carte blanche signées par de nombreuses ONG, associations et syndicats en Belgique est sortie dans le Soir le 12 juin 2023 sur « La nécessité d'une loi pour impliquer les banques dans les allègements de dettes ». Elle affirme que les Etats ont les moyens d'agir immédiatement pour limiter le fait qu'indirectement, des allègements de dettes publiques servent à rembourser des créanciers privés (dont les « fonds vautours ») qui ne veulent faire aucune concession en faveur des pays surendettés et qui mêmes parfois spéculent sur leurs retards de paiement pour maximiser les profits. En effet, les parlements peuvent adopter des lois pour empêcher les pays confrontés au surendettement d'être poursuivis par des créanciers privés pour une somme supérieure à celle que ces créanciers auraient reçue s'ils avaient participé à la restructuration de la dette. L'existence de telles lois inciterait ainsi les banques à coopérer aux opérations d'allègement de dettes...

L'article montre que la Belgique a quatre raisons de vouloir légiférer en ce sens : premièrement, les Objectifs de Développement Durable auxquels elles s'est engagée, sont compromis par cette attitude du secteur privé ; deuxièmement, les tribunaux belges ont déjà été saisis par des créanciers privés contre des États ; troisièmement, plusieurs grands créanciers privés ont leur siège social en Belgique et pratiquent des taux d'intérêt usuriers avec un taux de 24 % ; quatrièmement, les contribuables de Belgique sont également impactés car l' absence de coopération des créanciers privés a pour conséquence qu'ils sont, dans les faits, subsidiés par les États créanciers avec de l'argent public puisque les banques ne peuvent être payées par les pays en détresse financière que parce que certains États allègent une partie des dettes. Plusieurs propositions législatives contre les fonds vautours sont déposées dans des parlements ou sont en cours d'élaboration. La loi belge sur les fonds vautours adoptée le 12 juillet 2015, est un beau précédent, une loi pionnière au niveau mondial. La Cour constitutionnelle lui a donné raison en 2017 contre un Fonds vautour qui l'a attaquée en 2015. La France a adopté à son tour en 2016 un dispositif juridique « anti-fonds vautours »...Une nouvelle loi est actuellement en préparation à la Chambre pour faire participer de manière équitable les créanciers privés aux allègements de dettes.

Le cas du Tchad :

Selon Moutiou Adjibi Nourou dans son article publié en le 11 juillet 2022 sur le site d'Ecofin, au Tchad, « le FMI maintient la pression sur Glencore pour un accord de restructuration de la dette ». Le groupe anglo-suisse Glencore possède des actifs pétroliers dans le pays et détient 1 milliard sur les trois milliards de dettes dues par le Tchad. C'est lui qui fait obstacle à la négociation avec les autres créanciers d'après le FMI. Apparemment, l'acteur privé chercherait à obtenir des « échanges » avec le gouvernement tchadien mais pour des raisons inconnues ceux-ci n'ont pas encore abouti et le processus est bloqué depuis début 2021 alors que le Tchad est l'un des pays les plus pauvres du monde, que sa situation économique et financière continue de se dégrader à la suite des chocs combinés de la pandémie de Covid-19, de la baisse des prix du pétrole, du changement climatique et des attaques terroristes. « La classe dirigeante tchadienne n'a-t-elle pas une quelconque responsabilité dans la situation du Tchad ? » s'interroge Jean Nanga . « Ne serait-elle pas concernée par les “biens mal acquis ? » L'ONG suisse SWISSAID avait produit, en 2017, un rapport intitulé Tchad SA. Un clan familial corrompu, les milliards de Glencore et la responsabilité de la Suisse (qui n'est plus disponible en ligne), dans lequel il est écrit, concernant les recettes pétrolières : « il y a des investissements inefficaces dans des projets de prestige, la corruption et le népotisme fleurissent, une élite politique s'enrichit et se cramponne au pouvoir pendant qu'une grande partie de la population reste pauvre ».

3. L'allocation de droits de tirages spéciaux (DTS) par le FMI

650 milliards d'USD non remboursables viennent gonfler les réserves des pays et consolider les amortisseurs externes. Mais finalement, seulement 21 milliards bénéficieront aux pays à faible revenu. En effet, ce que le rapport de la BAD ne révèle pas, c'est que le système d'allocations ne fonctionne pas suivant la logique 1 pays, 1voix mais plutôt 1 dollar, 1 voix c'est-à-dire que les sommes attribuées sont évaluées proportionnellement au poids financier économique mondial de chaque État, peu importe les besoins ou la grandeur de la population ! Ainsi, sur les 118 milliards de USD alloués en août 2021, les USA, le Japon, la Chine et l'Allemagne ont reçu chacun 43 milliards d'USD alors que toute l'Afrique n'a reçu que 33 milliards pour ses 54 pays !

De surcroît, dans les cas du Congo, de la Guinée, du Tchad, de Malawi, de la Mauritanie, la totalité de leur allocation n'a servi qu'à rembourser la dette du FMI !

Face à cette situation paradoxale, quelques pays se sont engagés à verser, en prélevant des intérêts, de 45 jusqu'à 100 milliards USD des DTS qu'ils ont reçu gratuitement aux pays à faibles revenus de l'Afrique. C'est le cas de la France pour le Soudan.

En octobre 2022, comme les pays africains demandaient la rétrocession de DTS de 20 à 25% pour accéder à la vaccination, lutter contre l'extrême pauvreté et accompagner les banques régionales et multilatérales de développement par rapport à la pandémie un fonds fiduciaire pour la résilience et la viabilité a été opérationnalisé en octobre 2022 par le FMI. Il finance surtout à long terme les pays à faibles revenus, les îles, les régions vulnérables en raison du déficit de leur balance de paiement. La BAD et les banques multilatérales utilisent ces DTS octroyés par le FMI pour octroyer des financements aux banques ainsi que de nouveaux prêts concessionnels.

Dr Ange Ponou, spécialiste en économie financière, nous explique dans un article du 13 octobre 2022, sur le site de Sikafinance que ce fonds dispose actuellement d'une dotation initiale de 15,3 milliards de DTS (20 milliards de dollars) émanant de dons de certains pays membres comme l'Allemagne, l'Australie, l'Espagne, la Chine, le Canada et le Japon. À terme, il devrait être porté à 29 milliards de DTS, soit 37 milliards de dollars. Il a pour vocation d'aider les pays à renforcer leur résilience face aux changements climatiques, aux pandémies afin qu'ils préservent leur stabilité économique et financière à plus long terme tout en mobilisant d'autres financements publics ou privés. Ces prêts auront une échéance de 20 ans, assortis d'une période de grâce de 10 ans et demi et bénéficieront aux pays à faible revenu et aux pays à revenu intermédiaire admissibles.

4. Le fonds d'assistance technique (FDG et FAD)

On a bien compris que le rôle de la BAD est d'éviter les défauts de paiement en série pour surendettement. Néanmoins, malgré tous ces efforts, son efficacité est faible et les résultats décevants, comme le rapport le reconnaît lui-même. Pour eux, le problème vient bien évidemment de « la gouvernance défectueuse des États ». Des réformes structurelles sont nécessaires. La difficulté de mobiliser le secteur privé dans le cadre commun est tout de même pointée puisque ce sont le plus généralement des prêts officiels de gouvernements à gouvernements qui sont observés.

La BAD critique la solidité des institutions publiques nationales et réclame plus de transparence sur la dette et la couverture de la dette des entreprises publiques. C'est aussi l'occasion pour elle de rappeler à quel point son assistance technique est indispensable et de proposer une nouvelle stratégie de gouvernance économique pour 2021-2025 avec la création de fonds d'assistance technique pour les pays à revenus intermédiaires, afin de renforcer les capacités nationales, mieux contrôler les administrations fiscales pour lutter contre l'endettement. Un fonds d'affectation multidonateurs et un fonds de la facilité de gestion de la dette (FGD), chargé d'encadrer les allègements et restructurations de dettes des PMR ainsi que de former et conseiller les différents acteurs sont constitués.

Le Fonds Africain de Développement (FAD), est le guichet de prêt à taux concessionnels du groupe de la BAD depuis 1974. Il est administré par la BAD et est constitué d'États participants (les pays donateurs) et de ses 40 pays bénéficiaires dans le but de réduire la pauvreté dans les pays membres régionaux (PMR) en fournissant des prêts et des dons à des projets et par son assistance technique. Dans sa 14e version, il consistait en un investissement de 45 milliards de USD pour des financements concessionnels accordés à 37 pays. Le dernier FAD couvrant la période de 2020 à 2022 ne s'élève plus qu'à 7,8 milliards d'USD.

Critique :

Cette assistance technique, cet encadrement et les montants qui y sont alloués se justifient par la BAD car ils semblent apporter des solutions aux problèmes de gouvernance des États africains qui serait un élément explicatif majeur du surendettement des pays africains selon leur point de vue. Le CADTM n'ignore pas les difficultés de gestion, de manque de transparence et l'important problème de la corruption des autorités publiques et de fonctionnaires en Afrique.

Néanmoins, une des raisons de ces problèmes de gouvernance publique est justement l'affaiblissement des États, de plus en plus sous alimentés financièrement, délégitimisés et à qui les institutions internationales ôtent de plus de plus de prérogatives, à travers leurs plans d'ajustements structurels. En effet, ceux-ci s'attaquent aux États lorsqu'ils soutiennent les privatisations, les dérégulations, des coupes drastiques des dépenses publiques, lorsqu'ils imposent à leur place, en se substituant à leur souveraineté, des choix monétaires, des orientations économiques, financières, commerciales et politiques néolibérales impopulaires, indépendamment des votes des électeurs, en contradictions avec les besoins urgents exprimés par une grande partie de la population. Ils vident de leur sens les élections démocratiques ce qui ouvre la voie à des tendances plus extrêmes et radicales qui récoltent un certain succès.

En plus, le secteur privé international s'enrichit et corrompt les haut-fonctionnaires, de plus en plus sous-payés, pour qu'ils ne disent rien. Il les mêle à leurs « affaires » pour qu'ils ne les dénoncent pas, dans une politique de laisser-faire souvent complice d'agissements criminels, auxquels des membres des gouvernements participent plus ou moins activement ou qu'ils encouragent selon les cas. La corruption se généralise, à tous les échelons et dans tous les secteurs.

Remarquons tout de même que dans le rapport de la BAD, rien n'est proposé par les institutions internationales pour contraindre, mieux encadrer, améliorer la gouvernance et la transparence, mieux canaliser les pratiques peu éthiques et écologiques du secteur privé, des investisseurs, des banques et transnationales. Pourtant, certains de ces acteurs sont dangereux, bien plus responsables de détournements massifs d'argent, via les pratiques courantes d'optimisation ou d'évasions fiscales, de dumpings social, fiscal et écologique. Nous avons vu qu'ils sont capables de destruction de l'environnement et de violations de droits humains et qu'ils jouissent encore aujourd'hui d'une inacceptable impunité. Au contraire, la BAD invite largement le secteur privé, sans distinction et sans réglementation commune aboutie, à investir pleinement dans ses nouveaux instruments financiers. Elle ouvre tout grand la porte à une spéculation débridée sur les capitaux naturels mondiaux, capitaux cruciaux dont la valeur boursière risque de grimper au fur et à mesure qu'apparaîtront des carences, des conflits géostratégiques pour les maîtriser et que les crises écologiques et climatiques s'imposeront comme des urgences dans nos imaginaires collectifs.

Parfois dans un pays africain l'assistance technique extérieure est mieux rémunérée et écoutée que l'ensemble de la fonction publique ; cela crée un déséquilibre et représente une forme d'ingérence et de menace pour la souveraineté des États africains.

L'assistance technique fait plus que conseiller les plus hauts-décideurs d'Afrique. Ses orientations ne sont pas « neutres » politiquement. Or elle n'a pas été élue démocratiquement pour imposer ses choix comme des évidences techniques et scientifiques dans des pays qui ne partagent pas forcément ses crédos économiques et financiers et qui en pâtissent le plus souvent. En imposant des formes et des procédures incontournables, une logique à elle, une complexité terminologique et technique de plus en plus lourde à utiliser et qu'il faut pourtant maîtriser pour bénéficier d'évaluations positives et avoir accès aux prochains financements, elle se rend de cette manière indispensable et lance régulièrement des nouvelles modes, des méthodologies, des styles de managements, des concepts et des terminologies spécifiques à bien si l'on veut accéder aux hautes sphères du pouvoir international et espérer bénéficier de ses prétendues largesses.

5. Le mécanisme africain de stabilité financière (MASF)

Il y avait un Mécanisme Européen de Stabilité, un Fonds Monétaire Arabe et un Fonds de Réserve pour l'Amérique du Sud. L'équivalent africain, le MASF offre aux pays africains un nouveau cadre de résolution des crises de la dette « plus rapide, moins coûteux pour les débiteurs et les créanciers ». Il permettrait de mutualiser les fonds et d'éviter les débordements en cas de crise externe.

Voici quelques réactions dans la presse africaine qui acclament la création du MASF : « Le système financier international ne répond pas aux besoins du continent africain, surtout en cette période de crises. Dès lors, les gouvernements africains ont évoqué mardi à Accra, au Ghana, la mise en place d'une plateforme leur facilitant un accès d'urgence à des liquidités ». Akinwumi Adesina, président de la Banque africaine de développement (BAD) a expliqué les besoins financiers énormes dont l'Afrique a besoin pour faire face aux crises sanitaires, alimentaires et environnementales. — © NIPAH DENNIS / AFP

« Les graines d'un mécanisme africain de stabilité ont été semées mardi lors de l'assemblée annuelle de la Banque africaine de développement (BAD) qui a lieu du 23 au 27 mai à Accra, capitale du Ghana. A l'image du Mécanisme européen de stabilité mis en place lors de la crise de la dette grecque, cet instrument africain viendra en aide aux pays ayant un besoin urgent de liquidités. L'objectif n'est pas de boycotter le Fonds monétaire international (FMI) qui est le dernier recours pour les pays en difficulté. Il s'agit plutôt de se donner les moyens d'éteindre les incendies de façon rapide, sans attendre les pompiers de Washington. » Publié par Ram Etwareea, à Accra, au Ghana, le 24 mai 2022

« La plupart des pays africains pâtissent de taux d'intérêt élevés qui bloquent leur développement » expliquent Christian de Boissieu, professeur émérite à l'université de Paris-I et vice-président du Cercle des économistes, et Jean-Hervé Lorenzi, chroniqueur et président du Cercle des économistes. « La mise en place d'un Mécanisme africain de stabilité financière permettrait, parmi d'autres mesures, de les aider à augmenter leur résilience face aux crises. »

Le 18 mai 2022« Les pays africains souffrent de taux d'intérêt excessivement élevés qui entravent leur développement. Avec, à la clé, une vulnérabilité excessive face aux incertitudes et un coût du capital souvent rédhibitoire. Renforcer la stabilité financière implique d'améliorer la résilience des économies du continent, leur capacité à résister aux chocs. » « D'autre part, il est nécessaire de réduire les coûts de financement des investissements, en envoyant aux investisseurs des signaux qui correspondent mieux au contexte de l'Afrique ».

Pourtant, dans le cadre de la crise de la dette grecque, Éric Toussaint, porte-parole du CADTM a pu démontrer en quoi le Mécanisme de Stabilité Européenne a joué un rôle pervers c'est-à-dire qu'il n'a pas servi aux populations européennes menacées par les crises mais bien aux banques privées, principales responsables de l'endettement des États, qui ont pu grâce à lui être remboursées en priorité et en grande partie par l'argent tiré des plans d'austérité draconiens imposés aux populations lésées. Il écrit dans « le FESF et le MES contre les peuples » :

« En collaboration avec le FMI, la Commission européenne a plié et a octroyé via le fonds européen de stabilité financière (FESF) et le mécanisme européen de stabilité (MES) des prêts à certains Etats membres de l'Eurozone (la Grèce, l'Irlande, le Portugal et Chypre) afin qu'ils puissent en priorité rembourser les banques privées des pays les plus forts de l'UE. Elle n'a donc pas respecté à la lettre l'article 125 du Traité de Lisbonne cité plus haut. Mais elle a respecté l'esprit néolibéral du Traité : en effet le FESF et le MES empruntent sur les marchés financiers les moyens financiers qu'ils prêtent aux Etats."

Jean Nanga soutient la position d'Éric Toussaint et renchérit en rappelant que si les États africains (54 sur les 81 actionnaires) détiennent la majorité absolue des parts (52,7 %) de la BAD, parmi les dix premiers actionnaires figurent les États-Unis d'Amérique (2e, après le Nigeria), le Japon (3e), l'Allemagne (7e), le Canada (8e) et la France (9e). Parmi les 20 premiers, s'ajoutent l'Italie (13e), le Royaume-Uni (16e), la Suède (18e), la Suisse (19e)" comme le précise l' État des souscriptions et des pouvoirs de vote au 30 septembre 2021, publié par la BAD le 09 novembre 2021. Les ressources de la BAD proviennent aussi, entre autres, des marchés financiers internationaux. Et, il s'agit, comme le dit déjà le titre de l'article de De Boissieu (prêtre de la financiarisation, supposé co-inspirateur, avec le ministre sénégalais des Finances, Kane, dudit mécanisme) et Lorenzi, de financiariser davantage les économies d'Afrique. Il ne fait presque aucun doute que le MASF s'est bien inspiré du FESF et ne sera pas moins contre les peuples...

6. La facilité africaine de soutien juridique (ALSF)

Elle devrait permettre de conseiller et de mettre en œuvre des allègements et restructurations de dettes adaptés à chaque pays africain. En Guinée-Bissau, elle a négocié une importante remise de dettes privées qui est passée de 50 millions d'USD d'obligations à 5 millions d'USD. En Gambie, elle a permis une restructuration de la dette commerciale suite à une analyse de viabilité de la dette (AVD) et a mis en place une Stratégie Générale de Dette à Moyen Terme (SGDTM). En Somalie, elle a négocié avec le Club de Paris un allègement de 1,4 milliards d'USD selon une initiative proche de l'initiative PPTE.

Selon le rapport de la BAD, dans son Plan d'Action sur la Dette (PAD) de 2021 et 2023, l'ALSF veut coordonner les agences multilatérales et revenir à une trajectoire de développement vert, résilient et inclusif. Pour cela, elle veut établir un dialogue à différents échelons : national, régional, continental et international ; accroître les financements à faible coût et risque, améliorer la soutenabilité des dettes ; mieux gérer les dettes publiques, avec plus de transparence ; réduire la dépendance des pays PMR surendettés par rapport à leur dette extérieure en tenant compte de leurs fragilités spécifiques. Ainsi, elle propose des obligations de dette indexées à la sécurité pour les pays perturbés par les conflits et violences, des prêts adossés aux ressources naturelles pour les pays qui en disposent d'importantes à conserver et enfin des échanges dette-climat pour ceux qui sont déjà confrontés aux conséquences du réchauffement climatique ou qui sont menacés d'une perte importante de biodiversité. Ce genre d' échanges ne sont pas nouveaux. Dans les années 1980 et 1990, de nombreuses remises de dettes ont été conditionnées à des investissements en reforestation « pour protéger la biodiversité et les peuples autochtones ».

Enfin plusieurs pays africains ont accepté des échanges dette-nature conclus avec des créanciers commerciaux et bilatéraux. « Le Cameroun et le Mozambique en ont négocié avec le gouvernement français, Madagascar avec des banques commerciales françaises et l'Allemagne ; la Tanzanie avec des banques commerciales russes et la Zambie avec diverses institutions privées ».

7. Les échanges dette-nature

a) Succès limité dans le temps et importance peu significative des échanges dette-nature/climat (ou SWAPS) Cette invention de Thomas Lovejoy du WWF, a été appliquée pour la première fois par l'État Bolivien en 1987 qui dans une période d'importante difficulté budgétaire, a négocié avec le Conservation International (CI) une remise de dette afin d'orienter les dépenses nationales vers des actions de conservation de l'environnement.

Les Swaps bilatéraux ont connu leur plus grand succès de 1990 à 1994.

On compte 25 à 30 opérations de ce type brassant au total 600 à 700 millions d'USD par an. Rien qu'en 1994, plus de 25 échanges dette-nature ont été signés pour plus de 600 Millions d'USD. De 1990 à 1991, 15 à 20 allocations du fonds environnement sont aussi concédées ce qui représente 400 millions d'USD. Les swaps multipartites apparaissent plus tardivement et ont toujours été moins nombreux et concernant des montants plus limités (entre 5 et 10 et entre 100 et 150 millions par an).

Après 1994 toutes ces initiatives diminuent drastiquement.

En effet, après cette année, d'autres sources d'allègements comme l'initiative PPTE attirent davantage les pays surendettés. Car il faut bien comprendre qu'un pays préfère toujours une annulation définitive d'une grande partie de sa dette extérieure. En outre, lorsque la procédure de décaissement est libellée en devises étrangères dans un contexte inflationniste, cela n'arrange pas les pays débiteurs qui peuvent pâtir d'une dépréciation rapide du fonds pour l'environnement. Enfin, les premiers échanges dettes-natures n'ont pas permis d'allègements significatifs de la dette à long terme même s'ils suscitent une légère stimulation positive pour des projets bénéfiques à l'environnement.

Depuis la Cop20 en 2012 et surtout depuis la COP26 et le plan de « Relance Verte », on constate un regain d'intérêt pour ces pratiques. Néanmoins, entre 2013 et 2015 leur nombre ne dépasse pas les 5 par an pour des sommes de moins de 100 millions. C'est surtout en Amérique latine que des opérations de ce genre ont été effectuées avec la participation des États-Unis. Les intermédiaires choisis étaient souvent des ONG internationales qui rachetaient la dette avec le financement de leurs donateurs à un prix inférieur en échange de la mise en place d'un fonds de conservation de l'environnement local. C'est une forme d'annulation volontaire d'une partie de la dette par des créanciers.

En 2021, THE NATURE CONSERVANCY (TNC) réalise un swap de grande envergure avec Belize en échange d'obligations bleues en faveur de la conservation des océans. Ce qui encourage à appliquer ce système à une plus grande échelle. Selon le rapport de la BAD, cela aurait permis une diminution de dettes et une plus large marge de manœuvre pour le gouvernement de Belize dans ses futurs choix budgétaires.

Voir le tableau récapitulatif des Échange dette-nature et son commentaire p26-27 du rapport de la BAD

b) Définition générale des échanges dette-nature

Il faut tout un glossaire (voir le glossaire de la dette du SYGADE publié par la CNUCED) pour en expliquer les différentes formes et en uniformiser les définitions car différentes réalités se cachent derrière ce terme générique ce qui contribue à « brouiller les pistes », d'autant plus que les négociations sont souvent très discrètes et les dispositifs complexes et peu transparents.

Définition générale :

Un SWAP est une technique d'allègement de la dette qui altère la valeur initiale ou la nature des instruments de prêt. Elle consiste en général en une réduction de la dette souveraine par un créancier en échange d'une action en faveur de l'environnement de la part du pays débiteur. La réduction peut être réalisée directement par le créancier, comme dans les échanges bilatéraux officiels mais parfois la partie de dette est rachetée avec une décote par une organisation qui se présente comme donatrice (souvent une ONG spécialisée dans l'environnement) comme dans les échanges multilatéraux. Ils visent à lier les dettes à des résultats environnementaux. Ils consistent en une réduction, avec la création d'un fonds de conservation financé et géré localement et des engagements politiques de haut niveau. Il en existe de deux sortes : des accords bilatéraux entre débiteurs et créanciers et des accords multilatéraux dans laquelle la dette est rachetée avec une décote par un ou plusieurs entités qui se présentent comme philanthropiques mais il s'agit souvent d'opérateurs privés à but lucratif ( des banques commerciales , une série d' intermédiaires privés obscures et non régulés. ) Une partie de l'économie réalisée est réaffectée aux efforts de conservation sous le contrôle d'organisations qui n'impliquent pas forcément les gouvernements ou les collectivités territoriales concernées ( ce qui pose question quant à la perte de leur souveraineté et du caractère démocratique).

Cette structure est plus souple et peut coexister à d'autres opérations de dettes favorables au climat et à la nature. En principe, « toutes les parties doivent tirer avantages de l'opération, les débiteurs comme les créanciers et intermédiaires ». Mais il faut bien comprendre que les États au bord du défaut de paiement ne sont pas vraiment en position de force pour défendre leurs intérêts et leur biodiversité devient une valeur cotée en bourse qui attire de plus en plus d'acteurs privés qui peuvent tirer profit de la spéculation sur les ressources naturelles à l'heure de l'urgence climatique.

c) Échanges bipartites ou bilatéraux

Actuellement, ils concernent surtout les échanges officiels justifiés (de gouvernement à gouvernement ou de gouvernement à groupe organisé de gouvernements comme le Club de Paris). Ce sont principalement les USA qui en sont les instigateurs encouragés par différents instruments comme les Initiatives Entreprises par les Amériques, suivies par La loi sur la conservation de la forêt tropicale (TFCA) en 1998 puis la Conservation des forêts tropicales et des récifs coraliens en 2019.

d) Un cas d'échange bipartite de dette-nature au Botswana

« En 2006, un échange dette-nature TFCA bipartite s'est conclu au Botswana. Il aurait permis, selon la BAD, l'annulation de 8,3 millions d'USD de dette bilatérale par le gouvernement américain en échange de la facilitation de l'octroi de subventions pour la conservation des forêts tropicales, financées par les économies réalisées sur la dette. Le Botswana devait constituer un Fonds de 10 millions d'USD dont 7 millions apportés par les USA en faveur des forêts. Le reste des économies réalisées sur le flux de la dette a pu être réinvesti aux autres dépenses publiques générales ». Nous ne disposons que de très peu d'informations à ce sujet et n'en connaissons pas l'impact réel. S'agit-il d'un effet d'annonce publicitaire ou bien cette opération est-elle vraiment un succès prometteur ?

e) Échange de dette-nature multipartite

Il arrive que des tiers interviennent dans le rachat d'une partie de la dette souveraine auprès des créanciers initiaux ou actuels surtout pour des dettes commerciales cotées en bourse. C'est le cas d'ONG environnementalistes comme CI, TNC, WWF, de banques de développement, ou de groupes de plusieurs institutions présentées comme donatrices, qui se coordonnent pour une même opération. Toute institution, ONG ou banque de développement, peut octroyer des financements à un ou plusieurs créanciers pour ce type d'opération. On peut concevoir ce genre d'échange multipartite avec uniquement des créanciers officiels. Un Etat pourrait accorder une aide financière à un autre créancier pour une telle opération.

Les Seychelles, illustrent bien ces échanges dettes-nature multipartites : « les obligations bleues ont été facilitées par l'ONG TNC ce qui a permis au gouvernement des Seychelles de renégocier sa dette avec le Club de Paris en favorisant en contrepartie la conservation du milieu marin ».

Les avantages pour les créanciers sont une publicité verte (dans certains cas, c'est l'effet principal poursuivi, et il s'agit en réalité d'un greenwashing mensonger) en plus de la perspective de récupérer des fonds dans l'immédiat de la part d'un instrument devenu trop risqué. Pour les débiteurs, on leur laisse miroiter une plus grande flexibilité de la structure adaptable aux situations spécifiques, l'amélioration de la viabilité de la dette ( ce qui dépend du montant de la somme réduite – souvent très petite- ou du délais accordé, des conditionnalités et surtout du taux d'intérêt appliqué ) dont la note ( bien qu'en général le FMI et les agences de notation ne tiennent pas compte de ces accords pour améliorer la cote de solvabilité des pays surendettés bien au contraire) et permet le maintien à plus long terme d'une politique de développement durable du gouvernement ( ce qui n'est pas prouvé car il n'y a pas de planification précise avec mesure d'impact contraignante ni de contrôle possible via les élections ou via un organe publique indépendant assortis au dispositif et les négociations ne sont pas rendues publiques) . Néanmoins, la BAD admet qu' il faut qu'ils concernent des montants suffisamment importants pour permettre que les économies réalisées autorisent une plus grande marge de manœuvre pour d'autres dépenses des pays débiteurs.

Ces échanges ont eu un impact très restreint jusqu'à présent.

D'après le rapport de la BAD, depuis 1987, la valeur nominale totale de la dette traitée par des échanges dette-nature bipartites et multipartites dans le monde se limite seulement à 3,7 milliards d'USD dont à peine 318 millions pour l'Afrique. Malgré tout, cela pourrait avoir un effet de publicité et de sensibilisation médiatique stimulant pour l'écotourisme, selon la BAD.

De plus il est très difficile d'en mesurer les résultats au niveau macroéconomique à long terme mais il semble d'ores et déjà que les échanges aient peu d'effets sur les bilans réels des pays bénéficiaires. Pour Belize, cependant, toujours selon la BAD, « si l'échange n'a pas complètement rétabli la viabilité de la dette, l'unique obligation souveraine de Belize qui représentait 1/3 de son PIB a été substituée, à un instrument moins lourd et contraignant offrant une marge de manœuvre plus importante au gouvernement et une capacité à convaincre des créanciers privés à faire plus de concessions ». Cela mériterait une enquête. Ces échanges pourraient-ils être transposables en Afrique à plus large échelle, avec des sommes plus importantes ?

En Afrique, vu le risque de défaut de paiement généralisé, il est possible de convaincre des créanciers « qu'il vaut mieux recevoir moins mais à très court terme et en monnaie locale ou en espèce plutôt que de ne plus rien recevoir du tout ou d'obtenir peu à trop long terme. » En évaluer l'effet sera compromis pour plusieurs raisons : le montant alloué à la conservation n'est pas toujours égal à la valeur nominale de la dette ; la réduction varie d'une transaction à l'autre : par exemple, à Belize la réduction est de 55 cents pour 1USD alors qu'elle est de 93,5 cents pour les Seychelles ; les taux d'intérêts appliqués diffèrent également ainsi que la durée des échéances.

Même s'ils apportent plus de flexibilité budgétaire aux États, il ne s'agit pas d'annulation de dettes et les encours de la dette reste largement inchangés. Finalement l'enveloppe allouée à l'environnement reste insuffisante. La BAD espère néanmoins qu'avec les engagements politiques et la publicité, ils contribuent à faire croître les fonds de conservation, les financements pour des résultats plus importants. Cependant, cet effet moteur n'est qu'hypothétique et pour l'instant, non démontré.

La difficulté réside à trouver des créanciers disposés à payer pour ces résultats par
rapport à l'environnement ou le climat ainsi que des débiteurs intéresser à s'y engager.

Ne sont pas inclues dans ce montant les dettes envers les créanciers multilatéraux privilégiés peu susceptibles d'envisager ce genre d'opérations d'annulation. C'est plus facile évidemment pour les dettes bilatérales avec des créanciers souverains officiels, comme les prêteurs du Club de Paris et les gouvernements qui se sont engagés dans la COP 26 à mobiliser des fonds pour le climat et la nature. Les créanciers commerciaux y voient moins d'intérêt sauf si leurs créances sont en trop grande souffrance et qu'ils risquent de tout perdre.

Du côté des débiteurs, cela peut sembler utile pour ceux qui sont déjà à risque élevé d'être en défaut de paiement mais pas pour les autres qui peuvent craindre que le recours à ces opérations nuise à l'appréciation de leur solvabilité, à la dégradation de leur note avec pour conséquences désastreuses une augmentation du coût des emprunts futurs et une difficulté d'accès aux marché internationaux. Dès lors, la plupart cherchent d'autres moyens de financement.

Dans le cas de l'Échange dettes nature des Iles Galapagos, le CADTM grâce au réseau sud-américain LATINDADD, a mis en évidence les risques importants de ce système, tel qu'il a été négocié en Équateur.

Malheureusement, il n'y a pas de raisons d'exclure que les dérives et travers dénoncés dans le cas de l'échange dette-nature aux Galapagos ne puissent pas se retrouver dans les échanges dette-nature en Afrique. Il faut bien sûr vérifier minutieusement, au cas par cas, mais les dangers existent.

Quels sont les points inquiétants qui méritent une mise en garde ?

Tout d'abord, tout se passe toujours en contexte de risque de faillite où les gouvernements surendettés et leurs créanciers sont prêts à tout pour éviter que le bateau coule et où les protections des pays concernés sont particulièrement fragilisées. Les dirigeant·es ont besoin de redorer leur blason et la cause climatique est très populaire internationalement pour l'instant.

Ensuite, on parle d'annulation de dettes alors qu'il ne s'agit que de très faibles réductions de dettes voire seulement de suspensions avec des taux d'intérêt variables. Donc en prétendant alléger, on ne fait que stigmatiser, et entretenir la dépendance et le système d'endettement sur le plus long terme. Les sommes libérées sont non seulement insignifiantes par rapport au problème de l'endettement du pays mais en plus les investissements concédés pour le fonds de conservation restent insuffisants pour la protection naturelle des territoires concernés.

D'ailleurs le FMI ne tient pas compte de ces conversions dans la manière dont il comptabilise la dette publique des pays et lorsque ceux-ci ont recours à des swaps, cela nuit à leur cote de solvabilité sur les marchés internationaux, en ayant un impact négatif sur les taux d'intérêts qui leur seront appliqués pour les prochains prêts. De surcroît, le dispositif mis en place est souvent un montage complexe, opaque, dans lequel des SPV (véhicule à objectifs spécifiques, opérateurs privés à but lucratif, non régulés) se mêlent à des banques comme le Crédit Suisse (dont la conduite scandaleuse et la mauvaise gestion ont été maintes fois critiquées). Ces acteurs ne sont pas « philanthropiques » mais ils cherchent à faire du profit. Ils sont d'ailleurs accusés régulièrement d'évasion fiscale, d'écoblanchiment d'argent, d'avoir recours à des malversations criminelles et à des paradis fiscaux. On ne précise pas les coûts administratifs de ces nombreux intermédiaires, souvent surfacturés.

Les négociations ne sont pas publiques et transparentes, pas plus que la fiscalité des opérateurs, leurs acquisitions, leurs contrats, les bénéfices réels qu'ils en retirent. Leur siège est à l'étranger. Ils ont des filiales dans plusieurs pays. Le holding qui s'étend parfois sur plusieurs entités délocalisées est de forme pyramidale mais personne ne sait qui est à la tête, qui est responsable et qui contrôle le tout. Il y a peu de traçabilité des investissements, qui peuvent être mêlés à des produits toxiques et devenir des produits dérivés très risqués. La spéculation sur la nature, non contrôlée, peut-être très rentable à court terme pour certains et profondément dommageable pour l'environnement, les gouvernements et les populations dans l'ensemble à moyen et long terme.

Enfin, les fonds de conservation créés dans les accords d'échange dette-nature sont majoritairement gérés ou détenus par des acteurs privés étrangers. Aucune planification à long terme n'est publiée et donc il n'y a pas de possibilité d'évaluation des impacts recherchés par rapport au climat ou l'environnement de manière précise. Il n'y a pas de démarche de procédure d'appel d'offres publiques. Les gouvernements se voient ainsi privés d'une partie importante de leur souveraineté en ce qui concerne la gestion de leurs ressources naturelles protégées et ainsi que l'administration de leurs populations impactées. En effet, les personnes qui vivent sur ces espaces et y travaillent (pêcheurs, agriculteurs, éleveurs, artisans, agents de tourisme...) ne sont pas consultées ou intégrées à des délibérations ou aux négociations quant à la gestion des espaces naturels dont elles dépendent. Leurs intérêts ne sont parfois même pas pris en compte voire carrément bafoués et leurs votes, leurs avis ne peuvent influencer les décisions des fonds.

Le cas de l'échange de dette-nature au Gabon

L'Agence écofin, a annoncé dans un article publié sur son site le 12 mai 2023, que la Bank of America allait arranger un échange dette-nature de 500 millions de USD au profit du Gabon. C'était une information rapportée par l'agence Bloomberg, la veille, citant des sources proches du dossier. L'accord qui a eu lieu en juillet, autorise une réduction de la dette extérieure gabonaise d'environ 500 millions de dollars, en s'engageant en contrepartie à protéger 26% des eaux territoriales du Gabon avec l'appui de l'organisation à but non lucratif américaine The Nature Conservancy. Le Gabon a créé ces dernières années le plus grand réseau de réserves marines protégées d'Afrique abritant d'innombrables espèces marines menacées, parmi lesquelles les populations reproductrices les plus importantes de tortues luths et de tortues olivâtres, ainsi que 20 espèces de dauphins et de baleines. Composé de 20 parcs marins et réserves aquatiques, ce réseau s'étend sur 53 000 km2.« Devant être conduite par Bank of America, l'opération visant à échanger une partie de la dette publique contre la protection de 26% des eaux territoriales soulève des questions aux plans politique, juridico-institutionnelle et technique », critiquait l'auteur AJ.S de « Un échange de dette-nature au Gabon, une aberration ».

Pourquoi l'opération est-elle conduite dans l'opacité, à l'abri des regards indiscrets ? Sur le plan politique d'abord, ni les administrations sectorielles ni les instituts de recherche ni la société civile et, encore moins, les parlementaires ne semblaient au courant. Aucun débat public... « Le Parlement ne devrait-il pas être tenu informé de l'existence d'une stratégie de désendettement ? »

Deuxièmement, d'un point de vue juridico-institutionnel, Lee White, le ministre en charge des Forêts, de la Mer et de l'Environnement était impliqué mais ses collègues en charge de l'Economie ou des Finance semblaient écarté·es, tout comme le directeur général de la Dette. Le Conseil des ministres avait donné son blanc-seing sans plus d'explications. « Pour parler des identités des créanciers, des échéances de remboursement, de la réduction des dépenses, de l'augmentation des recettes, du ratio dette-croissance, des taux d'intérêt ou de l'inflation, Lee White n'est ni le plus légitime ni le mieux outillé. Pourquoi doit-il supplanter Nicole Roboty Mvou, la ministre de la relance économique, et Edith Ekiri Mounombi, la ministre du budget ? »

L'article dénonçait aussi une opération aberrante d'un point de vue technocratique. « De quel type d'échange dette-nature s'agit-il ? D'une conversion de dette bilatérale comme celle résultant de l'accord passé en 2008 avec la France sous la houlette d'Omar Bongo Ondimba et Nicolas Sarkozy ? D'une initiative d'allègement de la dette multilatérale ? Ou d'une conversion de la dette commerciale ? Mystère et boule de gomme »... Qu'en était-il de l'étude de faisabilité ? « Profil de la dette, politique de désendettement, contexte macro-économique, sources de financement, aspects juridiques et fiscaux, taux de décote, bailleurs intéressés ou concernés, mécanismes de gestion des fonds... Sur tous ces points, ni le ministre en charge des Forêts, de la Mer et de l'Environnement ni l'Agence nationale des parcs nationaux (ANPN) ne disposent de données complètes ». Mais selon le journaliste « les autorités se laissent aveugler par l'enthousiasme international pour de la défense de la biodiversité. Ayant longtemps présenté l'écotourisme comme le segment d'avenir, ayant ensuite fondé ses espoirs sur les crédits-carbone, » le gouvernement avait déjà fait face à tant de désillusions, ne devait-il pas plus se méfier ?

L'État gabonais a annoncé officiellement le mardi 25 juillet 2023, sur le site de la Bourse de Londres ( London Stock Exchange), cet échange dette-nature. Les médias gabonais se sont mis à parler de ce swap de manière laudative.

Ainsi par exemple le 8 août 2023, Gabon Review publie sur son site un article de Loic Ntoutoume « Échange dette-nature : le Gabon offre un rendement plus juteux que prévu ». Nous voyons que différents intermédiaires privés interviennent dans cette négociation dont l'intérêt financier reste la préoccupation principale . L'opération d'échange dette-nature devant permettre au Gabon de racheter 450 millions de dollars de ses obligations et de tirer un prêt bleu de 500 millions de dollars auprès du véhicule à usage spécial, Gabon Blue Bond Master Trust, a été boosté à un prix de 200 points de base, au-dessus des bons du Trésor fixés le 7 août 2023, à 180 points de base. L'État gabonais et son arrangeur d'obligations, Bank of America, a relévé le prix de la transaction dette nature devant permettre au Gabon de racheter 450 millions USD de son euro-obligation 2025 et des deux euro-obligations 2031.Initialement fixée à 180 points de base, l'obligation bleue du Gabon a grimpé de 20 points pour se situer à un prix de 200 points de base, au-dessus des bons de Trésor américain du 7 août 2023. Selon de

Pour Trump, les USA d’abord… et l’Afrique (bien) après

19 novembre 2024, par Paul Martial — , ,
L'accession du milliardaire à la Maison blanche entraînera une politique africaine centrée sur les intérêts des États-Unis et la promotion des valeurs conservatrices en (…)

L'accession du milliardaire à la Maison blanche entraînera une politique africaine centrée sur les intérêts des États-Unis et la promotion des valeurs conservatrices en Afrique.

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

Quelle va être la politique de Trump vis-à-vis du continent africain ? La réponse est incertaine car lui — tout comme Kamala Harris, n'a jamais évoqué cette question pendant la campagne électorale — bien trop occupé à disserter sur les choix gastronomiques supposés des immigrés haïtiens de la ville de Springfield ou sur l'importation des mauvais gènes aux États-Unis par les migrantEs.

Désintérêt

On peut se baser cependant sur quelques indices, notamment son bilan lorsqu'il était au pouvoir de 2017 à 2021. On se souvient de la délicate formule qui sied à ce personnage si raffiné, traitant les pays africains de « pays de merde » et de sa relation toute particulière à la vérité en parlant de crimes de masse contre les fermiers blancs en Afrique du Sud. Deux ans après son installation au pouvoir, son éphémère conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, déroulait la stratégie des USA vis-à-vis du continent. Elle pouvait se résumer en une idée simple : cette politique devait avant tout rapporter aux USA. Trois thèmes étaient déclinés : les échanges commerciaux favorisant les entreprises américaines ; la promotion de l'aide seulement aux pays alliés et la lutte contre le terrorisme. Dans les faits, la politique de Trump a été surtout un désengagement des États-Unis du continent et la suppression des visas pour les ressortissants des pays comme la Somalie, le Soudan, la Libye, le Ghana, le Nigeria ou le Tchad, ce qui a contribué à renforcer la marginalisation des USA en Afrique.

America first

Autre indice, la communication de la fondation conservatrice Heritage Foundation. Sur les 900 pages de son rapport « Project 2025 » décrivant dans le détail les mesures à prendre pour une politique conservatrice radicale, une page et demie est consacrée à l'Afrique. Elle est écrite par Kiron K. Skinner, fan de Reagan et ancienne de l'administration George W Bush et Trump. Elle souligne l'importance de l'Afrique pour ses richesses naturelles, notamment les minerais nécessaires aux industries de haute technologie et sa proximité des voies maritimes. Pour elle, il est urgent de disputer « l'influence maligne » de la Chine et secondairement de la Russie. En termes économiques cela se traduit par le ciblage de certains pays considérés comme prioritaires plutôt que l'essaimage des aides à travers le continent. Des aides qui devront favoriser le « marché libre » et « la croissance privée » et être supprimées aux pays hostiles ou qui votent contre les USA dans les instances internationales. La crise sécuritaire au Sahel n'est pas considérée comme une menace vitale pour les États-Unis mais comme un danger potentiel sur le flanc sud de l'Otan. Enfin, les États-Unis devront porter leur effort sur les « activités diplomatiques essentielles » plutôt qu'essayer de promouvoir les droits des personnes LGBT.

Le sabre et le goupillon

Bien que ce programme présente une certaine continuité, il ne doit pas occulter que le Trump d'aujourd'hui est bien plus radical, et que lors de son mandat précédent il devait composer avec une Chambre des représentants à majorité démocrate à partir de 2018. Au vu des résultats, cela ne serait plus le cas. Ainsi il est très probable que des aides seront détournées vers les organisations évangéliques pour promouvoir des politiques homophobes et anti-avortement en Afrique. Ceci irait de pair avec la suppression du President's Emergency Plan for AIDS Relief consacré à la lutte contre le sida et décrié par les républicains. La recommandation de Heritage Foundation de reconnaître la région de Somaliland comme un État indépendant de la Somalie est révélatrice. Elle permettrait aux USA de dédoubler sur la côte somalilandaise leur base militaire de Djibouti qui se trouve à une dizaine de kilomètres de l'emprise chinoise pouvant accueillir plusieurs milliers de soldats. Même si le prix à payer serait une accentuation de la déstabilisation de la corne de l'Afrique.

Il est certain que l'élection de Trump est un encouragement à tous les autocrates africains.

Paul Martial

Angola-RDC. Le « corridor de Lobito » au cœur des rivalités entre la Chine et les Occidentaux

19 novembre 2024, par Colette Braeckman — , , ,
Les États-Unis et l'Union européenne voudraient redonner vie à une ancienne route coloniale permettant d'évacuer les minerais de la République démocratique du Congo vers (…)

Les États-Unis et l'Union européenne voudraient redonner vie à une ancienne route coloniale permettant d'évacuer les minerais de la République démocratique du Congo vers l'océan Atlantique. Objectif : contrecarrer le quasi-monopole de la Chine sur ces ressources stratégiques qu'elle transporte jusqu'aux ports de l'océan Indien. Mais la brouille diplomatique entre Kinshasa et Kigali contrarie ce projet...

Tiré d'Afrique XXI.

La guerre dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC) a hanté le dernier sommet de la Francophonie qui s'est tenu en France, à Villers-Cotterêt, début octobre 2024, jusqu'à inciter Félix Tshisekedi à précipiter son départ. Le chef de l'État congolais était agacé par le fait que, dans son discours d'ouverture, le président français Emmanuel Macron ait omis de mentionner la situation dans le Nord-Kivu, et qu'il ait accueilli son homologue rwandais, Paul Kagame, avec une chaleur très remarquée alors que celui-ci est soupçonné de soutenir un groupe armé dans la région. Mais derrière ces échauffourées diplomatiques, et alors que la situation sur le terrain est toujours aussi dramatique, un travail de fond se poursuit dans la région. Les voisins de la RDC se montrent de plus en plus préoccupés par cette guerre qui menace l'équilibre de l'Afrique centrale et paralyse des développements économiques potentiels.

C'est pourquoi le président de l'Angola, João Lourenço, médiateur désigné dans ce que l'on appelle le « processus de Luanda », remet inlassablement son ouvrage sur le métier. Alors que, malgré ses déboires sur le terrain, Kinshasa opte pour la voie militaire, son voisin angolais préconise toujours une solution politique. Le 4 août 2024, il a obtenu de Kinshasa et de Kigali que soit conclu un cessez-le-feu, mais, sur le terrain, les affrontements se poursuivent. Le mouvement rebelle M23, soutenu par Kigali, vient de conquérir la localité stratégique de Kalembe face à des adversaires gouvernementaux en manque de munitions.

L'équation demeure inchangée : Kinshasa dénonce le soutien que l'armée rwandaise apporte au M23, groupe composé de Tutsis congolais qui s'estiment discriminés. Les rapports des experts de l' ONU publiés deux fois l'an confirment régulièrement – et avec force précisions – l'appui du Rwanda. Kigali, tout aussi régulièrement, dément ces informations et répète que l'armée congolaise collabore avec ses adversaires depuis trente ans, les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), composées au départ de militaires et de miliciens ayant participé au génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, et dont les descendants partageraient toujours la même idéologie. Plus largement, Kinshasa accuse le Rwanda de « siphonner » les gisements miniers de l'est du Congo, dont la mine de Rubaya, dans le Nord-Kivu, l'un des plus importants gisements de cobalt au monde.

De la RDC aux États-Unis

L'obstination du président angolais à poursuivre sa médiation n'est pas inspirée uniquement par la solidarité africaine ou par une quelconque politique de bon voisinage : Luanda bénéficie du soutien des États-Unis et de l'Union européenne (UE), qui souhaiteraient développer au plus tôt un grand projet de coopération économique régionale, le « corridor de Lobito ».

Ce corridor relierait, sur une distance de 1300 km, les régions du sud de la RDC et du nord-ouest de la Zambie au port angolais de Lobito, sur l'océan Atlantique. Cette liaison permettrait d'exporter par chemin de fer les gisements miniers du Katanga, souvent qualifiés de « scandale géologique », via la côte ouest de l'Afrique au lieu de se diriger exclusivement vers les ports de l'océan Indien.

Ce projet économique stratégique a été relancé en mai 2023 dans le cadre du partenariat du G7 pour les infrastructures et les investissements mondiaux, puis en octobre de la même année lors du forum « Global Gateway ». L'Union européenne et les États-Unis ont signé, avec l'Angola, la RDC, la Zambie, la Banque africaine de développement (BAD) et l'Africa Finance Corporation, un protocole d'accord pour définir les objectifs de ce corridor destiné moins à désenclaver le cœur minier du continent qu'à orienter ses flux vers l'Atlantique et les ports états-uniens.

Un vieux projet colonial

À Bruxelles, les anciens du Congo colonial soulignent que cette idée n'a rien de neuf : avant l'indépendance de 1960, les Belges vivant au Katanga avaient l'habitude de rejoindre les plages angolaises bordant l'océan Atlantique en empruntant soit la route, soit ce qui s'appelait alors le chemin de fer de Benguela. Une grande partie de la production de cuivre de l'Union minière du Haut-Katanga empruntait la même destination, ainsi que l'uranium, qui rejoignait ainsi les États-Unis.

Les guerres qui marquèrent l'accession de l'Angola à l'indépendance en 1975 et se prolongèrent jusqu'à la fin de la guerre froide paralysèrent le chemin de fer, qui cessa de fonctionner. Du côté congolais, le manque d'entretien de la ligne puis le recours au transport routier achevèrent de rendre obsolète ce mode de transport pourtant moins onéreux et moins polluant.

Depuis plusieurs années, des accords bilatéraux conclus entre Kinshasa et Luanda ont eu pour objectif de réhabiliter la ligne. Du côté angolais, le travail a été réalisé, de la côte Atlantique jusqu'à la frontière : trente gares ont été construites sur le trajet, il est question de créer des doubles voies afin que les trains puissent circuler dans les deux sens, un aéroport international a été construit à Lobito, un terminal minéralier et pétrolier ainsi qu'un port sec attendent les marchandises. La Chine n'est pas absente du développement angolais et elle envisage de construire à Lobito une raffinerie. Du côté congolais, par contre, les 427 kilomètres restants représentent un véritable goulet d'étranglement, et le chemin de fer qui fut construit entre 1902 et 1929 attend toujours d'être remis en état...

Le monopole de la Chine

Au pouvoir durant dix-huit ans et déçu par le manque d'empressement des Européens au début des années 2000, Joseph Kabila, dès 2006, avait misé sur des accords de partenariat avec la Chine. À l'époque, ils les avaient qualifiés de « win-win » (gagnant-gagnant), l'accès aux minerais étant échangé contre la réalisation de grands travaux d'infrastructure - une politique appelée des « cinq chantiers ».

Aujourd'hui encore, les entreprises chinoises dominent la ville minière de Kolwezi. D'immenses terrils jouxtent le cœur de cette vieille ville coloniale où des creuseurs se faufilent dans des tranchées jusque dans les fondations des maisons et des commerces. Des norias de camions-remorques acheminent les minerais – souvent non traités et à peine triés – vers Durban (Afrique du Sud) et les autres ports de l'océan Indien. La pollution qu'ils dégagent empoisonne les villages situés sur le parcours.

Cuivre, uranium, cobalt et autres minerais stratégiques : les ressources de la « Copper Belt » congolaise et zambienne sont désormais au cœur du quasi-monopole de la Chine dans les technologies numériques. Il ne s'agit pas ici d'une prospère « route de la soie » mais de pistes poussiéreuses qui traversent les savanes africaines et alimentent les usines chinoises produisant du matériel informatique. Dès son premier mandat (2018-2023), Félix Tshisekedi a été très courtisé par les Occidentaux, qui espéraient un basculement politique en leur faveur.

Le rendez-vous manqué de Joe Biden en Angola

Soucieux de contrer la concurrence commerciale et technologique de Pékin, les États-Unis et l'Union européenne ont alors misé sur le corridor de Lobito. D'après ses promoteurs, cette route ferroviaire et routière raccourcirait fortement les délais de transport (huit jours pourraient suffire pour rejoindre l'Atlantique, au lieu d'un mois pour gagner les rives de l'océan Indien). Cette « voie rapide » devrait libérer l'énorme potentiel économique de la région et améliorer les exportations de l'Angola, de la RDC et de la Zambie.

Les matières premières embarquées à Lobito se dirigeraient alors vers l'autre rive de l'Atlantique, où les entreprises états-uniennes entendent bien défier la concurrence chinoise. C'est pour soutenir cet ambitieux projet que le président Joe Biden, jusqu'à ce qu'il renonce à se porter candidat pour un second mandat, avait envisagé un voyage en Angola, qui aurait été son seul déplacement sur le continent africain. C'est pour cette raison aussi que Washington et Bruxelles soutiennent les efforts de médiation de João Lourenço dans la région.

Reste à savoir quelle sera la réponse chinoise à cette concurrence occidentale. Participant au Forum sur la coopération Chine-Afrique, du 4 au 6 septembre 2024, Félix Tshisekedi a été accueilli avec tous les honneurs (bien mieux qu'à Paris quelques jours plus tard…) et ses hôtes ont réaffirmé leur attachement à l'intégrité territoriale de la RD Congo. Le président congolais, qui avait mené fin 2023 une campagne électorale imprégnée de nationalisme et axée sur la promesse d'une victoire militaire dans l'est du pays, se trouve désormais tenu par ses engagements et surveillé de près par son opinion publique. En conséquence, il se montre peu réceptif à une éventuelle négociation avec des rebelles soutenus par son voisin rwandais.

En outre, la RDC voudrait – sans trop de succès jusqu'à présent – se doter d'un port en eau profonde à Banana, dans le Bas-Congo, afin de ne pas dépendre, pour ses exportations, de ports situés dans des pays voisins, fussent-ils amis. C'est dans le même esprit qu'un aéroport international vient d'être inauguré en grande pompe à Mbuji Mayi, la capitale du Kasaï, qu'il s'agit de désenclaver avec d'autant plus d'urgence que de récentes prospections menées à la demande de la Miba (Minière de Bakwanga, une société d'État) ont révélé l'existence d'un important gisement de nickel-chrome, qui pourrait relancer l'économie de l'ancienne province du diamant. Après Bruxelles et Londres, le PDG de la Miba, Jean-Charles Okoto, compte se rendre en Chine. Dans ce contexte de concurrence internationale, le « processus de Luanda » censé ramener la paix dans l'Est du pays n'avance guère, et le corridor de Lobito n'est pas près d'ouvrir.

Le Mozambique au bord du gouffre

19 novembre 2024, par Boaventura Monjane — , ,
Le Mozambique se trouve à un tournant critique, le mécontentement post-électoral révélant des failles profondément enracinées dans son système politique. Ce qui a commencé (…)

Le Mozambique se trouve à un tournant critique, le mécontentement post-électoral révélant des failles profondément enracinées dans son système politique. Ce qui a commencé comme un défi au parti au pouvoir, le Frelimo, après les récentes élections de 2024, a maintenant dégénéré en une crise nationale. Le parti au pouvoir, autrefois vénéré pour son rôle dans la libération du Mozambique, est de plus en plus considéré par beaucoup comme une organisation d'extrême droite agissant pour des intérêts privés et le capital international. Des décennies de prétendues manipulations électorales, de corruption systémique et de contrôle de tous les pouvoirs du gouvernement ont érodé la confiance et la légitimité du public .

Tiré d'Afrique en lutte.

Frelimo : des héros de la libération aux collaborateurs d'entreprises

Le parti Frelimo, au pouvoir depuis l'indépendance du Mozambique, est au cœur de la crise démocratique du pays. D'abord salué pour son rôle libérateur, le Frelimo est passé du statut de force révolutionnaire à celui de parti accusé de diriger un système quasi autoritaire. De plus en plus d'éléments suggèrent que le Frelimo a utilisé le Comité national des élections (CNE) pour bloquer la participation de l'opposition aux élections, tirant parti de son contrôle pour s'assurer des victoires électorales régulières. La composition actuelle du CNE, composée de sympathisants du Frelimo, manque de l'indépendance essentielle à la légitimité démocratique. Pour beaucoup, la gestion des résultats des élections récentes par le CNE n'a fait que confirmer qu'il fonctionne comme une extension du parti au pouvoir.

Cette monopolisation va au-delà de l'appareil politique. L'enracinement du Frelimo dans les industries extractives, notamment le gaz, le charbon, les rubis et les terres rares, a transformé le Mozambique en un centre d'extraction international. Les entreprises ont eu accès aux richesses du pays avec le soutien du Frelimo, tandis que les communautés locales souffrent de l'accaparement des terres et de la dégradation de l'environnement. Alors que les richesses quittent le Mozambique, une cabale d'élites et d'investisseurs étrangers continue d'en tirer profit aux dépens de l'autonomie économique du pays. Pendant ce temps, les inégalités de revenus se creusent et la pauvreté persiste, créant un paysage sociopolitique précaire où les griefs de la population s'intensifient.

Fraude électorale et érosion des institutions démocratiques

Les élections de 2024 ont été un véritable point de départ pour le mécontentement populaire. Malgré les arguments convaincants de l'opposition, le CNE a déclaré le candidat du Frelimo, Daniel Chapo, vainqueur avec une majorité écrasante (70 %). Cette annonce a suscité l'indignation nationale, car la population y a vu une nouvelle démonstration de la mainmise du Frelimo sur le processus électoral. Les dirigeants de l'opposition, en particulier Venâncio Mondlane de PODEMOS, ont présenté les preuves de sa victoire au Conseil constitutionnel, une démarche emblématique de la frustration croissante face à la monopolisation de l'espace politique par le Frelimo.

La controverse s'est encore aggravée lorsque la CNE a été incapable de produire les relevés de vote originaux pour examen, invoquant le vol comme motif. Le Conseil constitutionnel a ensuite mis la CNE au défi d'expliquer l'écart entre la participation électorale et le décompte des voix, ce dernier dépassant de manière suspecte le premier. De tels incidents ont alimenté l'impression publique que le système électoral mozambicain est au mieux inefficace et au pire complice de la capture de l'État par une élite dirigeante.

Le mécontentement des jeunes et le rôle de l'influence étrangère

Le rejet généralisé des résultats des élections a placé la jeunesse mozambicaine au premier plan de la résistance. De nombreux jeunes, qui constituent une part importante de la base électorale, n'ont aucune allégeance historique au Frelimo en tant que parti de libération. Pour eux, le Frelimo représente des décennies de promesses non tenues, un chômage croissant et des obstacles au progrès socio-économique. Menés par Venâncio Mondlane, les jeunes protestent activement, descendant dans la rue pour défier ce qu'ils considèrent comme un avenir volé.

Le gouvernement a réagi avec des mesures musclées. La répression policière des manifestations a fait des victimes et des personnalités proches de Mondlane, dont son avocat et un haut conseiller politique, ont été assassinées. Les responsables du Frelimo, invoquant une influence étrangère dans les manifestations, ont tenté de présenter les troubles comme faisant partie d'un complot international visant à déstabiliser le pays et à s'emparer de ses ressources. Cependant, de telles accusations sonnent creux, d'autant plus que le Frelimo lui-même a toujours collaboré avec des sociétés étrangères pour exploiter les ressources du Mozambique.

Le silence du président mozambicain, Filipe Nyusi, n'a fait qu'accroître la tension. Selon certaines informations, Nyusi se serait récemment rendu au Rwanda, pays dont le dirigeant, Paul Kagame, a apporté une aide à la sécurité du Mozambique dans la zone de conflit de Cabo Delgado. Étant donné l'étroite alliance entre Kagame et Nyusi, certains analystes soupçonnent que ce voyage n'était qu'une retraite tactique dans un contexte de craintes d'un éventuel coup d'État. Ces spéculations soulignent la fragilité des institutions mozambicaines et le rôle accru des acteurs étrangers dans le maintien du statu quo.

La nécessité d'un changement systémique

Les défis auxquels le Mozambique est confronté ne peuvent être résolus par des réformes superficielles. L'infrastructure politique du pays a besoin d'une refonte fondamentale. Le manque de transparence des processus électoraux, l'indépendance compromise de la CNE et la nature partisane du système judiciaire mozambicain sont des problèmes critiques qui exigent une action immédiate. De plus, le contrôle exercé par le parti au pouvoir sur la police et l'armée perpétue un système dans lequel le pouvoir est maintenu par la force plutôt que par le consentement.

Au carrefour de la démocratie et de l'autoritarisme

Le Mozambique se trouve à la croisée des chemins. Le Conseil constitutionnel doit maintenant prendre la difficile décision d'annuler l'élection, de déclarer Mondlane vainqueur ou de confirmer la présidence d'El Chapo. Chaque option comporte des risques, mais l'incapacité à répondre aux doléances de la population risque d'aggraver l'instabilité du pays. La résistance menée par les jeunes est le signe d'un rejet d'un système politique qui n'a pas su évoluer en fonction des aspirations de son peuple. Le choix du Mozambique de faire face à ses lacunes démocratiques ou de renforcer davantage ses structures autoritaires déterminera non seulement son avenir, mais aussi sa place au sein d'une communauté internationale qui attache de plus en plus d'importance à la transparence et à la responsabilité.

Au Mozambique, l'appel à la réforme n'est plus seulement une exigence, c'est un impératif. Un véritable renouveau démocratique pourrait permettre au Mozambique de mettre ses riches ressources au service du bien collectif, en allant au-delà de l'héritage de la libération vers un avenir de gouvernance équitable et responsable.

Boaventura Monjane est journaliste et universitaire mozambicain. Chargé de recherche à l'Institut d'études sur la pauvreté, la terre et l'agriculture de l'Université du Cap occidental. Chargé de programme de solidarité pour l'Afrique de l'Ouest et Haïti à Grassroots International .


Source

Traduction automatique de l'anglais

Kanaky-Nouvelle-Calédonie : six mois après les révoltes, le dialogue dégèle peu à peu

19 novembre 2024, par Benjamin König — , ,
Le 13 mai, l'archipel s'embrasait après un énième passage en force du gouvernement. Six mois après, les souffrances demeurent vives, les antagonismes profonds, et les doutes (…)

Le 13 mai, l'archipel s'embrasait après un énième passage en force du gouvernement. Six mois après, les souffrances demeurent vives, les antagonismes profonds, et les doutes sur l'avenir ont remplacé l'espoir né des accords de 1988 et 1998. Sur place, le dialogue reprend timidement.

Tiré de l'Humanité
https://www.humanite.fr/monde/colonialisme/kanaky-nouvelle-caledonie-six-mois-apres-les-revoltes-le-dialogue-degele-peu-a-peu
Publié le 12 novembre 2024
Benjamin König

Les pyromanes sont restés en France et les pompiers ont débarqué. Six mois après le début des violences qui ont enflammé la Kanaky-Nouvelle-Calédonie dans des proportions inédites depuis les « événements » des années 1980, les présidents des deux chambres parlementaires, Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher, ont atterri à la Tontouta, l'aéroport du Caillou, pour une mission du 10 au 14 novembre.

Le chantier est immense, les plaies à vif. Treize morts, près de 2 500 gendarmes et policiers déployés et presque autant d'arrestations, des centaines d'entreprises et de bâtiments publics détruits, un chômage et des inégalités béants, près de 2 milliards d'euros de dégâts. Moins visible mais tout aussi important : une société fracturée et un dialogue au point mort.

“Notre mobilisation visait précisément à négocier”

Ce mardi, les deux présidents ont poursuivi leur mission de « concertation » avec « une nouvelle méthode », selon Gérard Larcher, aux antipodes de celle employée par l'État depuis 2021. Allusion claire au passage en force du gouvernement sur le dégel du corps électoral, qui, comme en 1984, a mis le feu aux poudres.

« Notre mobilisation visait précisément à négocier, rappelle le député indépendantiste Emmanuel Tjibaou. C'est le passage en force du texte qui a tout stoppé. » Quant à la mission des parlementaires, le député s'interroge : « Quel est leur mandat ? De notre côté, nous avons une proposition écrite sur la table. » Celle de la pleine souveraineté, comme le prévoit l'accord de Nouméa de 1998.

Pour les indépendantistes, les leçons à tirer sont nombreuses par rapport au peuple calédonien et à la jeunesse kanak, et vis-à-vis de l'État. Face à celui-ci, le sénateur de Lifou, Robert Xowie, résume ce « sentiment que l'histoire, les vieilles pratiques ou les réflexes colonialistes se répètent inlassablement ».

Quant à l'ampleur des violences survenues dans le Grand Nouméa, elles ont surpris par la détermination des jeunes et leur caractère à la fois identitaire et social. « Ce qui s'est passé est le résultat de l'échec des politiques publiques, de la citoyenneté qui était le cœur du projet de société », estime Emmanuel Tjibaou. Le fameux « destin commun » consacré par l'accord de Nouméa paraît avoir volé en éclats dans certains pans du territoire. Un constat amer établi par le député : « Personne ne prend en compte nos réalités océaniennes. Nous avons une identité et un héritage à partager, mais beaucoup ne le veulent pas. »

À cela s'ajoute une réelle division entre les deux composantes principales du FLNKS, le Parti de libération kanak (Palika) et l'Union calédonienne (UC). « Je suis UC mais je représente toutes les composantes du Front. Si j'ai été élu, c'est parce que tout le monde s'est mobilisé », tempère Emmanuel Tjibaou. En retrait depuis plusieurs mois, le Palika tenait son congrès le week-end dernier, avec des questions majeures : sa stratégie au sein du FLNKS, qui fête cette année ses 40 ans.

Sous la surveillance de l'ONU

La droite ressort elle aussi divisée. Sonia Backès et Nicolas Metzdorf, également député, s'enferment dans une radicalité qui rebute jusque dans leur camp. Dans un communiqué, ceux-ci accusent la CCAT (Cellule de coordination des actions de terrain, organisation indépendantiste créée par l'UC pour contester le dégel du corps électoral) d'avoir fomenté « un coup d'État ».

C'est ce que reproche en creux la justice française aux prisonniers kanak, comme l'indiquent les lourds chefs d'accusation que le procureur de Nouméa, Yves Dupas, a convoqués : complicité de tentative de meurtre, participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime. Ce malgré les appels répétés au calme. En premier lieu, de la part de Christian Tein, dirigeant de l'UC et de la CCAT, désormais président du FLNKS depuis sa cellule d'isolement de Mulhouse. « Nous demandons leur libération », martèle Emmanuel Tjibaou, qui déplore : « Nous sommes obligés de répéter les mêmes choses car l'histoire se répète. » Allusion à la longue tradition d'exil forcé des chefs kanak, comme dans l'ensemble des colonies françaises.

Ce nouveau pan d'histoire de l'archipel ne s'écrit pas à huis clos. Le comportement de la France est scruté, notamment par l'ONU, dont quatre experts ont publié un rapport le 20 août. Leur constat est accablant. Le projet de loi constitutionnel est décrit comme une « menace de démanteler les acquis majeurs de l'accord de Nouméa ».

Après un décompte des morts, blessés et arrestations arbitraires, le document prend la forme d'un réquisitoire contre l'État français : « Le manque de retenue dans l'usage de la force contre les manifestants kanak et le traitement exclusivement répressif et judiciaire d'un conflit dont l'objet est la revendication par un peuple autochtone de son droit à l'autodétermination sont non seulement antidémocratiques, mais profondément inquiétants pour l'État de droit. »

Ce mardi, Gérard Larcher a parlé devant le Congrès d'une « souveraineté partagée ». Une première. C'est d'ailleurs le projet porté par l'ensemble du FLNKS, malgré quelques divergences. Quant au corps électoral, la réforme est remisée mais pas enterrée. Ce corps électoral peut être dégelé, mais dans le cadre d'un accord global sur la souveraineté et la citoyenneté, comme l'ont toujours demandé les indépendantistes. Une citoyenneté qui reposerait alors sur un principe universel : le droit du sol.

Problème : les anti-indépendantistes y sont toujours opposés, comme aux principes mêmes de l'accord de Nouméa. En juillet, l'ex-ministre Sonia Backès, toujours présidente de la province Sud, a proposé une partition de la Calédonie : « Au même titre que l'huile et l'eau ne se mélangent pas, je constate que le monde kanak et le monde occidental ont, malgré plus de 170 années de vie commune, des antagonismes encore indépassables. » Des Blancs repliés sur Nouméa, en autarcie et surtout « protégés » des Kanak : le modèle que proposent Backès et la droite anti-indépendantiste, c'est un apartheid.

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