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« Jeunes mères » de Luc et Jean-Pierre Dardenne : les frères belges s’essaient au film choral
Deux fois lauréats de la Palme d'or ( "Rosetta" en 1999 et « l'Enfant, en 2005 ), Luc et Jean-Pierre Dardenne signent leur premier film choral avec le portrait intimiste de cinq jeunes femmes confrontées à des problématiques d'adultes.
*Bande-annonce : *https://diaphana.fr/film/jeunes-meres/
Par Michaël Mélinard, L'Humanité, France, le vendredi 16 mai 2025
Article dans son intégralité sur L'Humanité
N'en déplaise aux esprits chagrins,Luc et Jean-Pierre Dardenne <> font recette. Avant cette 10e sélection en compétition cannoise, sept de leurs neuf films ont été récompensés sur la Croisette. Et s'il est prématuré de leur promettre à nouveau un prix – leur long métrage est présenté le 23 mai, veille des délibérations du festival –, la fratrie belge est revenue au meilleur de sa forme avec « Jeunes mères », le portrait choral d'adolescentes dans une maison maternelle. Si cette manière de tisser des histoires est une première pour les cinéastes, ils en dénouent les fils avec talent, justesse et une mise en scène tout en maîtrise.
Julie, ancienne/junkie/, veut éviter la récidive. Perla tente de convaincre son compagnon immature de vivre en couple. Jessica, enceinte, part en quête de sa mère biologique, alors qu'Ariane s'affranchit peu à peu d'une génitrice toxique. Comme une étoile filante, Naïma ne fait que passer pour évoquer sa fierté d'être une mère célibataire. Avec leur manière de ne pas y toucher, les Dardenne continuent d'évoquer les sans-grade, les madame Tout-le-Monde, les enfants confrontés à des problématiques d'adultes dans cette œuvre forte et puissante où le déterminisme social semble voué à être dépassé.
*« Jeunes mères » dresse le portait d'adolescentes dans une maison maternelle. Comment voyez-vous votre film à l'aune du féminisme ?*
*Jean-Pierre Dardenne* - Quand on fait un film, il s'inscrit dans une époque. Le titre, c'est « Jeunes mères ». Il n'y a pas si longtemps, ces jeunes mères étaient appelées des « filles mères ». Cette stigmatisation a disparu de nos sociétés. Raconter la maternité à l'âge de ces jeunes filles, qui n'est pas la règle dans nos sociétés, impliquait de réussir à changer de point de vue : affirmer qu'on ne peut garder un enfant et qu'on préfère le confier à une famille aimante n'est pas un acte honteux. C'est aussi ça le féminisme.
Il a une place dans la vraie vie de la maison maternelle. Dans notre film, il devait aussi être là, même si le cinéma ne se résume pas à un acte militant. Être une jeune mère, c'est apprendre à avoir une relation avec son bébé, et c'est également dire : je ne peux pas. À part un qui est là, les hommes sont absents. Mais les filles ne sont pas traitées dans notre film comme des personnes auxquelles il manque quelque chose.
*Luc Dardenne -* Le féminisme critique la maternité lorsque le patriarcat donne à la femme le rôle de pondeuse. C'est lié à l'histoire des hommes qui, ici, brillent par leur absence. Dire aujourd'hui, comme l'un de nos personnages, je n'ai pas honte d'être une mère célibataire, c'est être féministe.
*Dans quelle mesure votre cinéma constitue-t-il une forme d'éloge du service public ?*
*Luc Dardenne -* C'est effectivement en creux. Et là, on ne peut pas dire que, dans ces structures, il y a une carence, même si les subventions pouvaient être supérieures. Ce système de maison maternelle existe chez nous. C'est très différent de l'Angleterre, et de ce que décrit « Ladybird », le film de Ken Loach (une jeune femme se voit retirer la garde de ses enfants nés de pères différents par l'aide sociale parce qu'elle est pauvre – NDLR). Chez nous, il y a un vrai travail de responsabilisation de ces jeunes filles pour les rendre autonomes. Elles sont aussi aidées financièrement et pour le logement. Ces endroits sont maternants dans le bon sens du terme. Sans ces institutions, il y aurait beaucoup de dégâts.
*En quoi est-ce un film sur le soin ?*
*Jean-Pierre Dardenne* - Tout au long du film, il y a cette bienveillance de la part de toutes ces femmes qui entourent les jeunes mères, qui prennent soin d'elles, qui leur apprennent à être autonomes. Chacune de ces filles a aussi une histoire individuelle, existe aussi en dehors de cette maison. Elles ont leur solitude, leur drame, leur histoire avec laquelle elles doivent se débrouiller. Elles s'aident aussi, se soutiennent.
C'est une des raisons qui nous a amenés à faire ce film, après avoir passé du temps dans cette maison maternelle où nous nous documentions sur un autre projet que nous n'avons finalement pas réalisé. Cette entraide et la présence des bébés ont joué un grand rôle. Les bébés amènent une vitalité, un rythme à nos personnages, à la mise en scène. Tous ces petits êtres vivants amènent leur poids. Chacune des jeunes mères doit en tenir compte. Nous aussi. Donc, on l'a répercuté dans notre mise en scène.
*Pourquoi avez-vous réalisé un film choral ?*
*Luc Dardenne* - Il y a eu une alchimie. Nous avions envie de nous aventurer ailleurs tout en nous disant qu'il fallait faire ce que nous savions faire. Mais s'enferrer dans une manière de filmer, c'est devenir de plus en plus radical, dans le mauvais sens du terme. Dans cette maison où nous étions présents, comme l'a dit Jean-Pierre, pour un autre scénario et le personnage principal d'un autre film, nous nous sommes dit : pourquoi ne pas filmer un groupe ? Nous n'avions jamais réussi à raconter plusieurs histoires et c'est devenu un challenge implicite, qui a trouvé sa forme dans les rencontres de cette maison maternelle.
Comment l'évolution de votre vision du monde se traduit-elle dans votre mise en scène ?*
*Luc Dardenne -* Quand nous filmions Olivier Gourmet en plan serré dans « le Fils », nous essayions d'être dans sa tête sans y parvenir. C'est l'impossibilité du cinéma. Nous filmions souvent dans son dos pour éviter son regard et conserver un suspense sur ses actes. Dans Jeunes mères, nous sommes plus paisibles. Nous essayons d'être dans la douceur que demande le soin du bébé. Il faut être délicat avec un bébé et la caméra l'accompagne.
Nous sommes moins à l'arraché. Ce qui est filmé doit être en osmose avec la manière dont on filme. Avec Rosetta, on ne savait pas ce que serait demain, si elle avait un travail ou pas. Elle allait à gauche, à droite. Elle était toujours sur le qui-vive. Elle nous surprenait tout le temps comme elle était surprise par sa vie.
*C'est votre 10e sélection en compétition à Cannes. Vous avez eu la palme d'or pour « Rosetta », avec déjà une adolescente, Émilie Dequenne. Quel regard portez-vous vingt-six ans après sur ce film et sur Émilie Dequenne qui vient, hélas, de nous quitter ?*
*Luc Dardenne* - Mourir à l'âge d'Émilie, c'est évidemment inadmissible. C'est vraiment un sale coup, nous pensons à ses proches. On se souvient d'elle, on ne l'oublie pas et le fait que le Festival de Cannes ait décidé de passer notre film le dernier jour (le 23 mai – NDLR), comme Rosetta il y a vingt-six ans, est une décision que nous apprécions. Émilie sera là avec nous. Elle aimait la vie et aurait été la première à dire : « Place à ces cinq jeunes filles, ces cinq jeunes actrices qui comme moi sont là aujourd'hui dans le film des frères avec lesquels j'ai travaillé il y a vingt-six ans. »
Jeunes mères, de Luc et Jean-Pierre Dardenne, 1 h 45, Belgique. En salles le 23 mai en France.
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RD Congo. Quand pleurent les arbres de sang
L'artiste congolais Sammy Baloji vient de présenter son film L'Arbre de l'authenticité, qui revient – notamment – sur l'exploitation forestière du Congo et sur la trajectoire du biologiste Paul Panda Farnana. Un essai cinématographique puissant qui multiplie les allers-retours entre les années d'accaparement colonial et le présent d'un pays surexploité.
Tiré d'Afrique XXI.
Il suffit parfois d'une image pour faire brutalement rejaillir le passé. Dans L'Arbre de l'authenticité, film réalisé par l'artiste congolais Sammy Baloji, c'est un plan fixe de quelques secondes qui rappelle toute l'horreur d'une histoire que l'on aimerait cantonnée à jamais au XXe siècle. Le cadre est serré sur le tronc rugueux et blessé d'un arbre ; une main armée d'un couteau biseauté ôte habilement un long lambeau d'écorce ; aussitôt, la sève se met à couler, formant une rigole d'un blanc laiteux ; c'est du latex, que les hommes utilisent pour fabriquer le caoutchouc. Et cet « arbre qui pleure », c'est l'hévéa, dont on ne peut évoquer la culture sans penser aux atrocités de la colonisation belge au Congo et au sang, bien rouge celui-là, qu'elle fit couler. L'artiste, né en 1978 à Lubumbashi, confirme :
- L'image du caoutchouc offre différentes résonances. Dans l'histoire du Congo, cela fait bien entendu penser à la culture de l'hévéa et aux punitions corporelles qui y étaient associées au temps de Léopold II. Des punitions qui pouvaient aller jusqu'à l'amputation des bras et des mains pour ceux qui ne produisaient pas assez. Mais le caoutchouc renvoie aussi à son utilisation dans l'industrie militaire au cours des deux guerres mondiales. L'extraction ne concerne pas que les minerais, elle concerne toutes les ressources naturelles et humaines, elle concerne l'ensemble de l'environnement.
Comme le montre très bien la romancière Jennifer Richard dans ses livres Il est à toi ce beau pays et Notre royaume n'est pas de ce monde (Albin Michel, 2018 et 2022), l'exploitation sanguinaire du Congo a commencé avec l'ivoire à la fin du XIXe siècle, pour se poursuivre avec le caoutchouc, puis l'huile de palme et enfin les minerais tels le cuivre, l'or, le coltan, l'uranium, etc. Selon certaines estimations, quelque 10 millions de personnes auraient succombé à l'insatiable appétit occidental durant la période où l'« État indépendant du Congo » était la propriété privée du roi Léopold II, entre 1885 et 1908.
La guerre d'un côté, l'exploitation de l'autre
Depuis longtemps, Sammy Baloji travaille sur les industries extractives. Rien de tout à fait surprenant quand on est né dans le chef-lieu du Haut-Katanga, parfois surnommé la « capitale du cuivre ». S'il a d'abord photographié le patrimoine industriel et architectural de son pays, en lien avec la longue histoire coloniale, l'artiste privilégie désormais une approche multidisciplinaire mêlant images, sculptures, performances, films, éclairant les angles morts du passé à la lueur d'un regard contemporain.
Avec « Essay on Urban Planning », présenté dans le pavillon belge (construit sous Léopold II) lors de la Biennale de Venise de 2015, il opposait des images aériennes de Lubumbashi et des collections de mouches et de moustiques sous cadre. Une manière de montrer le cordon sanitaire mis en place par le colonisateur pour séparer les quartiers blancs des quartiers noirs, un couloir large de 700 mètres censé correspondre à la distance maximale qu'un moustique porteur du paludisme pouvait parcourir. Une manière de raconter aussi l'obligation faite aux ouvriers de rapporter à leur employeur cinquante mouches afin de pouvoir toucher leur ration de nourriture… Avec l'installation « 802. That is where, as you heard, the elephant danced the Malinga. The place where they now grow flowers », présentée à la galerie Imane Farès en 2016, Sammy Baloji exposait des douilles d'obus (en cuivre) servant de pot à des Ficus elastica, dits « figuiers à caoutchouc ». Encore une fois : la guerre d'un côté, l'exploitation de l'autre…
Avec L'Arbre de l'authenticité, présenté en France au mois d'avril, l'artiste continue de creuser son sillon dans le sous-sol et le passé congolais, concentrant cette fois son analyse sur les liens entre l'exploitation de la forêt, la manipulation des espèces et le changement climatique. L'idée du film est née de la lecture d'un article du Britannique Daniel Grossman paru dans The Guardian en septembre 2017. Dans son texte, Grossman raconte la découverte, par le biologiste belge de l'université de Gand Koen Hufkens, d'innombrables archives abandonnées dans un vieux bâtiment de la station biologique de Yangambi, qui fut autrefois l'une des plus prestigieuses institutions de recherche sur l'agriculture et la forêt en Afrique.
À la rencontre de Paul Panda Farnana
Parmi les trouvailles de Hufkens, de nombreux relevés compilés par des scientifiques pendant plus de vingt ans. « La collection contenait les observations hebdomadaires de 2 000 arbres entre 1937 et 1958, écrit Grossman. Les techniciens avaient méticuleusement noté quand les arbres fleurissaient, fructifiaient, lâchaient leurs fruits et perdaient leurs feuilles. » Combinées avec d'autres statistiques, comme celles concernant la pluviométrie ou les variations de température, ces données représentent un véritable trésor pour des chercheurs comme Hufkens qui s'intéressent aux réactions de la forêt face au changement climatique – et à la diminution des pluies tropicales. Grossman poursuit :
- Les jungles comme la forêt congolaise jouent un rôle critique dans le contrôle du niveau de réchauffement global ; la végétation absorbe environ 25 % du dioxyde de carbone que crachent nos pots d'échappement et nos cheminées. Les scientifiques estiment qu'une grande partie de ce CO2 fini stocké dans les troncs des arbres tropicaux, ceux du Congo, en retenant à eux seuls quelque 250 milliards de tonnes.
C'est d'ailleurs cet élément précis qui était à l'origine du voyage de Hufkens, puisqu'il avait alors dans l'idée d'installer à Yangambi une tour de mesure du flux de carbone.
Frappé par ce récit, Sammy Baloji a, comme à son habitude, remonté le fil de l'histoire dans la région de Yangambi, localité située sur la rive droite du Congo, dans la province de la Tshopo. Outre accueillir depuis la fin des années 1970 une réserve de biosphère de plus de 230 000 hectares, Yangambi est connu pour avoir abrité l'Inéac (Institut national pour l'étude agronomique du Congo belge), créé dans les années 1930. Mais l'artiste congolais est remonté plus loin encore dans le passé, ce qui lui a permis de rencontrer un personnage hors du commun et peu connu du grand public : l'agronome congolais Paul Panda Farnana, à qui toute la première partie du film est consacrée.
La probité des gens de ma race est mise en doute
L'Arbre de l'authenticité commence ainsi avec le monologue d'un homme né en 1888 à Nzemba, qui se raconte par la voix de l'acteur Edson Anibal (13 en colère, La nuit se traîne...) tandis que défilent des images contemporaines de la région tournées par Franck Moka (1). L'itinéraire de Paul Panda Farnana est exceptionnel : premier Congolais à avoir accompli des études supérieures en Belgique et en France, spécialiste des cultures tropicales diplômé en 1907, il a été nommé au Jardin botanique d'Eala, près de Coquilhatville (actuelle Mbandaka, dans le Nord-Ouest), en 1909, avant d'être nommé directeur de la station de Kalamu (commune de Kinshasa), en 1911. Un parcours de biologiste qui s'est heurté de plein fouet à la dure réalité coloniale :
- Même là, isolé dans la brousse, je rencontre l'hostilité. Monsieur Michiels, chef de culture de deuxième classe, vient me contrôler régulièrement. Il donne des ordres tous azimuts et il a même porté plainte contre moi auprès de la direction sans que cela ait une concordance avec les faits qui ont réellement eu lieu. Il me semble que les paroles de mes collègues blancs pèsent plus que les miennes. Je reçois réprimandes et blâmes pour tout et pour rien. Il m'est impossible d'émettre des idées. Je remarque que même pour ce qui concerne les plantes, la probité des gens de ma race semble toujours mise en doute. Je ressens une rage… Plutôt une fureur… Je pense sincèrement à quitter l'administration coloniale.
Les nombreux textes écrits par Paul Panda Farnana ont été repris, pour les besoins du film, par la scénariste Ellen Meiresonne, avec Sammy Baloji. Ils permettent de découvrir toute l'histoire de cet homme, racontée à la première personne : son emploi de biologiste, bien sûr, mais aussi son engagement dans la Première Guerre mondiale dans le Corps des volontaires congolais, son emprisonnement en Allemagne dans le camp de Soltau, puis son implication dans le mouvement panafricain qui le conduit à participer aux assises en 1919 au premier Congrès panafricain en compagnie de Blaise Diagne, alors député du Sénégal, et de W.E.B. Du Bois, le sociologue africain-américain à la tête de la National Association for the Advancement of Coloured People (NAACP). L'Arbre de l'authenticité permet de suivre l'ensemble de cet itinéraire engagé jusqu'au retour de Panda au Congo, dans son village natal, et sa mort inexpliquée en 1930, à l'âge de 41 ans. Une vie qui a déjà inspiré une bande dessinée (Paul Panda Farnana, une vie oubliée, par quatre auteurs congolais, chez Africalia), et un film (Panda Farnana, un Congolais qui dérange, de Françoise Levie, 2011).
Produire en quantité ce dont l'Occident a besoin
Si cette première partie du film couvre la période allant de 1909 à 1930, la deuxième commence durant la Seconde Guerre mondiale, en 1941. Les images tournées au Congo demeurent contemporaines mais, cette fois, c'est un administrateur belge qui s'exprime, un certain Abiron Beirnaert, interprété par Diederik Peeters (artiste et performeur), sur un texte écrit par David Van Reybrouck – l'auteur acclamé de Congo. Une histoire et de Revolusi. L'Indonésie et la naissance du monde moderne (tous deux traduits en français par Isabelle Rosselin, Actes Sud, 2012 et 2022).
Cette fois, le ton se fait plus lyrique, et le texte, aux accents proprement conradiens – on ne peut s'empêcher de penser à Au cœur des ténèbres du romancier d'origine polonaise –, plonge le spectateur dans l'ambiance délétère d'un poste de recherche coupé de tout tandis que le monde est à feu et à sang. Mais Sammy Baloji ne perd pas la ligne de son récit, puisqu'ici il est encore question d'environnement et de manipulation de la nature à des fins productivistes. Abiron Beirnaert prend la parole :
- J'ai presque 40 ans. Je suis le directeur de la section agriculture de la Station centrale d'essais de l'Institut national pour l'étude agronomique du Congo belge de Yangambi. Mes recherches expérimentales sur la culture du palmier à huile sont considérées comme pionnières dans toutes les colonies. En 1936, j'ai fait un voyage d'étude en Afrique de l'Ouest pour visiter les principaux instituts et les principales plantations. L'année dernière, j'ai été envoyé en Extrême-Orient pendant des mois ; en Malaisie britannique, en Indochine française, aux Indes néerlandaises pour étudier leurs méthodes de culture afin de voir comment augmenter notre production au Congo.
Quelques phrases qui suffisent pour comprendre toute la machinerie mise en place pour produire en quantité ce dont l'Occident a besoin – en l'occurrence de l'huile de palme – en imposant à un territoire qui n'en a pas l'usage une monoculture destructrice. Les recherches d'Abiron Beirnaert ont en effet conduit à la création d'une variété hybride de palmier, le Tenera, aux rendements plus élevés. L'homme, lui, a trouvé la mort dans un mystérieux accident de voiture, en mai 1941, quand sa voiture a quitté la route, entre Aketi et Bumba, pour s'écraser plus bas dans la rivière…
Je vois l'humanité combattre pour la suprématie
La nature, transformée, manipulée, exploitée jusqu'à l'épuisement n'a d'autre langage, pour faire valoir ses droits, que celui de son dérèglement. Inondations, sécheresses, réchauffement disent chaque jour, en silence, l'ampleur des déséquilibres créés de main d'homme. Dans la troisième et dernière partie de L'Arbre de l'authenticité, Sammy Baloji lui donne directement la parole. Et c'est à travers la voix d'un arbre qu'elle s'exprime :
- J'ai plus de 300 ans. Les scientifiques m'appellent Pachyelasma tessmannii. Mais ici, dans la forêt, les gens me nomment « lileko ». Je suis un témoin. Je vois l'humanité combattre pour la suprématie. J'écoute les hommes se battre avec des fusils et des lances. Je les regarde construire des hiérarchies de couleurs. J'expérimente en première ligne leur soif d'argent. J'observe les scientifiques aller et venir. Des hommes comme Paul Panda Farnana et Abiron Beirnaert.
S'adressant aux humains qui « n'ont pas le temps d'écouter les arbres », Pachyelasma tessmannii rappelle son histoire : il fut surnommé « l'arbre du roi » après que Léopold II s'était reposé sous son ombre, puis il fut qualifié d'« arbre de l'authenticité », « pilier de la nouvelle nation » par le maréchal Mobutu… « En réalité, tout le film est raconté par l'arbre, explique Baloji. Panda et Beirnaert sont des voix qu'il a captées au moment de leur passage, et ce dispositif me permet d'entrer directement dans le présent de Yangambi. » Ce présent, c'est un paysage modelé par l'action de l'homme, un environnement blessé et un pays toujours en guerre.
Mais l'artiste ne propose pas que le désespoir d'un présent où l'exploitation se poursuit sans vergogne : il sait que de la nature peut venir le salut. Si cet arbre bien particulier avoue que « [son] écorce tue les poissons » et que « [ses] feuilles mettent fin aux grossesses », il sait aussi que « [son] tronc stocke le carbone de l'air » et que certains agronomes essaient aujourd'hui de cultiver ses graines afin que ses jeunes pousses « sauvent le monde ». En un saisissant raccourci, Sammy Baloji filme successivement la haute stature d'un immense lileko et la structure métallique de la tour à flux de carbone de Yangambi, haute de 55 mètres et opérationnelle depuis 2020, qui a pour objectif de comprendre la contribution des forêts tropicales à l'atténuation du changement climatique. Lucide sur notre faible capacité à écouter les arbres pleurer, Sammy Baloji nous indique pourtant la voie à suivre : tendre l'oreille à ce que la nature nous hurle.
Notes
1- Franck Moka (1989, Kisangani) est un rappeur, compositeur, artiste sonore et cinéaste. Il vit et travaille à Kisangani.
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Soudan. Se souvenir de la révolution
Le film de Hind Meddeb retrace la révolution soudanaise qui a renversé la dictature d'Omar Al-Bachir en 2019. Projeté à Calais, il met également en lumière la tragédie actuelle : alors que des millions de Soudanais fuient la violence, ceux qui ont défié la tyrannie se heurtent à un nouveau combat en exil, marqué par le racisme et la stigmatisation en Europe. Le récit de leur révolution devient ainsi un appel à la mémoire et à la solidarité face à l'indifférence.
Tiré d'Orient XXI.
Voir la bande-annonce.
C'est un Khartoum méconnu : vivant, peuplé de jeunes gens qui peignent sur les murs, dansent, chantent et déclament des poèmes dans la rue, sourire aux lèvres. Face à ces scènes de joie, un frisson parcourt la salle de cinéma parisienne, ce lundi 5 mai. Sur l'écran, ils et elles parlent de démocratie, d'égalité, et surtout de liberté. Ils et elles viennent de faire tomber l'un des pires dictateurs au monde, Omar Al-Bachir, en avril 2019, qui a dirigé le Soudan d'une main de fer pendant trente ans. Ce Khartoum enchanté apparaît dans les premières minutes du documentaire de Hind Meddeb Soudan, souviens toi, sorti dans les salles françaises le 7 mai.
Pendant plusieurs mois, un mouvement de désobéissance a maintenu la pression sur les militaires pour exiger un gouvernement civil. Mais les Forces de soutien rapide dirigées par le général Mohamed Hamdan Dogolo, dit Hemetti, l'ancien tombeur d'Al-Bachir après en avoir été le bras armé, accusé de génocide au Darfour par les États-Unis (au moins 300 000 morts), répriment et tuent cette jeunesse pleine d'espoir. Le 3 juin 2019, les milices se filment en train de saccager les sit-in et de tuer (au moins 100 morts) plusieurs mois d'ivresse démocratique. « On a bien fait le travail », lance l'un d'eux, goguenard.
Le peuple se soulève de nouveau et ne se résigne pas. Après avoir fait tomber un dictateur, pourquoi ne parviendrait-il pas à tordre le bras de ceux qui veulent lui confisquer la révolution ? Mais les poèmes récités dans la rue pour galvaniser les foules ne peuvent rien face aux chars et aux armes automatiques. Las, Hemetti et le général Abdel Fatah Al-Burhan, après avoir un temps codirigé le pays, finissent par s'affronter, soutenus de part et d'autre par des puissances étrangères — dont les Émirats arabes unis — qui veulent accaparer les terres fertiles du Nil. Quelque 13 millions de Soudanais·es ont aujourd'hui fui leur domicile, ce qui fait d'eux la première nationalité de personnes déplacées au monde.
Ils avaient presque oublié qu'ils avaient renversé un dictateur
Le film a été projeté à Calais, en France. Cette ville est bien connue pour « accueillir » des milliers d'exilés qui, à partir de là, tentent de traverser la Manche pour rejoindre l'Angleterre. Au moins 76 d'entre eux ont péri en mer en 2024. Une centaine de Soudanais sont venus voir le documentaire. « Ils m'ont expliqué qu'ils étaient très émus de revoir les images de la révolution, relate Hind Meddeb, certains d'entre eux m'ont dit qu'ils avaient presque oublié ce qu'ils avaient fait : renverser un dictateur. »
Ces jeunes hommes et ces jeunes femmes – ces dernières, privées de tout sous Al-Bachir, sont particulièrement mises en avant dans le film car elles ont joué un rôle déterminant dans les évènements – ont bravé la mort pour atteindre un idéal : la démocratie. Ils et elles savent qu'une révolution n'est pas un aboutissement, mais bien souvent une étape dans un long processus ponctué de répressions et de coups d'État. « Le Soudan est un exemple dans le monde arabe », affirme Hind Meddeb, qui rappelle que le pays a connu trois révolutions depuis l'indépendance – et quelques parenthèses démocratiques.
Coupables d'être musulmans
Mais plutôt que d'applaudir les héros soudanais parce qu'ils ont lutté contre l'abjection et montré la voie de la liberté, parfois au prix de leur vie — « Vous pouvez me tuer, mais pas mes idées », était l'un des slogans de la révolution —, plutôt que de louer leur courage et de les accueillir dignement en Europe et en France, les services policiers les soumettent à un harcèlement quotidien. Le pouvoir français les désigne avant tout comme des « migrants » qui n'auraient pas vocation à rester, comme des « envahisseurs », et agite la rhétorique raciste du « grand remplacement » et de la « submersion migratoire ». Ils s'en prennent à une communauté dont la culture ne serait pas « compatible » avec les valeurs françaises.
Ils sont aussi et surtout coupables d'être musulmans dans un pays où l'islam est constamment dénigré. Il faut pourtant entendre ces jeunes, en 2019, demander en criant un Soudan multireligieux et débarrassé du tribalisme. « Ils ne rejettent pas la religion mais refusent qu'elle soit instrumentalisée », rappelle encore la réalisatrice. « Toutes et tous n'aspirent qu'à une seule chose : vivre chez eux, dans un pays démocratique. » En France, l'ignorance et la propagande rejettent, trient, accusent, soupçonnent, matraquent. La répression coule les embarcations de fortune pour entraver la liberté de circuler de celles et ceux qui rêvent d'un avenir loin des tueries de Khartoum… Une sale besogne rétribuée plus d'un demi-milliard d'euros par l'Angleterre.
Pas un responsable politique, des deux côtés de la Manche, n'a une once du courage de ces exilé·es. Après avoir affronté la dictature, l'avoir renversée, avoir bravé la répression, finalement pris le chemin de l'exil alors que la situation était inextricable, échappé à la mort dans les camps libyens, survécu miraculeusement à la traversée de la Méditerranée, les tombeurs d'Al-Bachir se retrouvent à nouveau sous les coups, dans un pays qui, pourtant, a nourri leur vision révolutionnaire : 1789 et la Révolution française sont, selon Hind Meddeb, au cœur de leurs références. Lorsque ces jeunes gens reviendront libérer le Soudan — ce qu'ils veulent tous —, pas sûr que « le modèle français » les inspire encore.
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Comptes rendus de lecture du mardi 20 mai 2025
La simplicité volontaire, plus que jamais...
Serge Mongeau
Serge Mongeau, le père de la simplicité volontaire, nous a quittés à l'âge de 88 ans, il y a une dizaine de jours. Militant écologiste, éditeur et auteur, médecin, il aura grandement influencé de nombreux lecteurs de ma génération et permis la création de mouvements comme le Réseau québécois de la simplicité volontaire, le Mouvement québécois pour une décroissance conviviale et le réseau Transition Québec. Je garde un bon souvenir de notre rencontre, il y a plusieurs années, lors d'un salon du livre. Publié à plusieurs reprises depuis 1985, son ouvrage le plus connu, « La simplicité volontaire », nous fait réfléchir sur notre rapport à la consommation et notre pouvoir d'organiser notre vie d'une façon différente. L'auteur y questionne la société de consommation, mais aussi notre état d'aliénation devant ces nombreuses sollicitations pour toujours posséder davantage. Un très bon bouquin de référence à lire et à relire.
Extrait :
Jamais l'humanité n'a disposé d'autant de richesses, jamais elle n'a possédé de techniques aussi efficaces et puissantes, jamais elle n'a maîtrisé un tel savoir, et pourtant jamais au cours de l'Histoire autant d'êtres humains n'ont été privés de l'essentiel, jamais non plus n'a-t-on prévu dans un avenir si proche autant de changements catastrophiques de l'équilibre naturel, changements dus à l'activité humaine. Les appels à l'action fusent de toutes parts, pour la justice sociale, pour la solidarité, pour le respect de la nature, mais rien n'y fait : ce sont les entreprises multinationales qui contrôlent le monde et, avec la complicité des gouvernements qui se soumettent à leurs desiderata, établissent les priorités nationales et internationales, lesquelles se résument à « profits », « compétitivité » et « libre-échange ».
Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes
Jean-Jacques Rousseau
J'ai été heureux de réaliser récemment que l'on enseignait encore au cégep le « Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes » de Jean-Jacques Rousseau. C'est, avec le « Contrat social », l'un des principaux ouvrages du grand écrivain et philosophe du XVIIIe siècle. Rousseau y développe sa conception de l'état de nature, qui précède l'État, et de la perfectibilité humaine. Précurseur de la pensée progressiste, il y décrit la propriété privée, dans son sens exact, comme la source de toutes les inégalités. Une œuvre fondamentale !
Extrait :
Voilà donc toutes nos facultés développées, la mémoire et l'imagination en jeu, l'amour-propre intéressé, la raison rendue active et l'esprit arrivé presque au terme de la perfection, dont il est susceptible. Voilà toutes les qualités naturelles mises en action, le rang et le sort de chaque homme établi, non seulement sur la quantité des biens et le pouvoir de servir ou de nuire, mais sur l'esprit, la beauté, la force ou l'adresse, sur le mérite ou les talents, et ces qualités étant les seules qui pouvaient attirer de la considération, il fallut bientôt les avoir ou les affecter, il fallut pour son avantage se montrer autre que ce qu'on était en effet. Être et paraître devinrent deux choses tout à fait différentes, et de cette distinction sortirent le faste imposant, la ruse trompeuse, et tous les vices qui en sont le cortège. D'un autre côté, de libre et indépendant qu'était auparavant l'homme, le voilà par une multitude de nouveaux besoins assujetti, pour ainsi dire, à toute la nature, et surtout à ses semblables dont il devient l'esclave en un sens, même en devenant leur maître ; riche, il a besoin de leurs services ; pauvre, il a besoin de leur secours, et la médiocrité ne le met point en état de se passer d'eux. Il faut donc qu'il cherche sans cesse à les intéresser à son sort, et à leur faire trouver, en effet ou en apparence, leur profit à travailler pour le sien : ce qui le rend fourbe et artificieux avec les uns, impérieux et dur avec les autres, et le met dans la nécessité d'abuser tous ceux dont il a besoin, quand il ne peut s'en faire craindre, et qu'il ne trouve pas son intérêt à les servir utilement. Enfin l'ambition dévorante, l'ardeur d'élever sa fortune relative, moins par un véritable besoin que pour se mettre au-dessus des autres, inspire à tous les hommes un noir penchant à se nuire mutuellement, une jalousie secrète d'autant plus dangereuse que, pour faire son coup plus en sûreté, elle prend souvent le masque de la bienveillance ; en un mot, concurrence et rivalité d'une part, de l'autre opposition d'intérêt, et toujours le désir caché de faire son profit aux dépens d'autrui, tous ces maux sont le premier effet de la propriété et le cortège inséparable de l'inégalité naissante.
La Petite Fadette
George Sand
George Sand, de son vrai nom Amantine Aurore Lucile Dupin, compte parmi les écrivains les plus prolifiques. On lui doit plus de 70 romans, des nouvelles, des contes, des pièces de théâtre et des écrits politiques. Elle fut une femme libre, prenant la part des femmes, prônant la passion, fustigeant le mariage et luttant contre les préjugés de la société conservatrice de son temps. « La Petite Fadette » est l'un de ses romans champêtres qui s'intéresse aux monde paysan. La Petite Fadette, Fanchon Fadet, fille laide que l'on surnomme aussi le Grelet, est la petite-fille d'une sorcière de village. On lui donne mauvaise réputation en raison des pouvoirs de sourcière qu'on lui attribue elle aussi. Mais lentement, sûrement, dans une longue et belle ascension, elle deviendra la jeune femme dont les jumeaux Landry et Sylvinet s'éprendront. Vraiment, un très beau roman, comme probablement tous les romans de George Sand.
Extrait :
Eh bien, Fanchon Fadet, puisque tu parles si raisonnablement, et que, pour la première fois de ta vie, je te vois douce et traitable, je vas te dire pourquoi on ne te respecte pas comme une fille de seize ans devrait pouvoir l'exiger. C'est que tu n'as rien d'une fille et tout d'un garçon, dans ton air et dans tes manières ; c'est que tu ne prend pas soin de ta personne. Pour commencer, tu n'as point l'air propre et soigneux, et tu te fais paraître laide par ton habillement et ton langage. Tu sais bien que les enfants t'appellent d'un nom encore plus déplaisant que celui de grelet. Ils t'appellent souvent le màlot. Eh bien, crois-tu que ce soit à propos, à seize ans, de ne point ressembler encore à une fille ? Tu montes sur les arbres comme un vrai chat-écurieux, et quand tu sautes sur une jument, sans bride ni selle, tu la fais galoper comme si le diable était dessus. C'est bon d'être forte et leste ; c'est aussi bon de n'avoir peur de rien, et c'est un avantage de nature pour un homme. Mais pour une femme trop est trop, et tu as l'air de vouloir te faire remarquer. Aussi on te remarque, on te taquine, on crie après toi comme après un loup. Tu as de l'esprit et tu réponds des malices qui font rire ceux à qui elles ne s'adressent point. C'est encore bon d'avoir plus d'esprit que les autres ; mais à force de le montrer, on se fait des ennemis. Tu es curieuse, et quand tu as surpris les secrets des autres, tu les leurs jettes à la figure bien durement, aussitôt que tu as à te plaindre d'eux. Cela te fais craindre, et on déteste ceux qu'on craint. On leur rend plus de mal qu'ils n'en font. Enfin, que tu sois sorcière ou non, je veux croire que tu as des connaissances, mais j'espère que tu ne t'es pas donnée aux mauvais esprits ; tu cherches à le paraître pour effrayer ceux qui te fâchent, et c'est toujours un assez vilain renom que tu te donnes là. Voilà tous tes torts, Fanchon Fadet, et c'est à cause de ces torts-là que les gens en ont avec toi. Rumine un peu la chose, et tu verras que si tu voulais être un peu plus comme les autres, on te saurait plus de gré de ce que tu as de plus qu'eux dans ton entendement.
Robespierre - La fabrication d'un monstre
Jean-Clément Martin
C'est bien évidemment la première biographie que je lisais de Maximilien de Robespierre, qui devait plus tard lui-même se renommer Maximilien Robespierre, l'un des principaux et des plus controversés acteurs de la Révolution française. Le livre est décidément très instructif et réussit bien, comme le veut l'auteur, à remettre les choses en perspective quant au rôle de Robespierre au cours des années 1789-1994, mais le texte est tellement dense, détaillé et chronologique plutôt qu'explicatif, qu'on à parfois de la peine à suivre l'auteur. Mais « Robespierre – La fabrication d'un monstre » est tous compte fait une biographie honnête et éclairante qui contribue à nous prémunir contre les jugements faciles.
Extrait :
Comment un jeune notable est-il devenu l'élu des savetiers ? Reconnaissons que rien ne prédisposait Robespierre à cette évolution. Alors qu'il jouissait d'une position sociale reconnue dans sa ville, il rompt avec son milieu, ou tout au moins ses grandes figures. C'est ce passage complexe qu'il faut expliquer, sans rester en tête à tête avec Maximilien, puisqu'il partage un itinéraire avec beaucoup d'autres de ses semblables, jeunes avocats talentueux, ambitieux et mécontents de leur sort.
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Gaza, génocide annoncé – Un tournant dans l’histoire mondiale
Gilbert Achcar
La nouvelle catastrophe subie par le peuple palestinien à Gaza est pire que la Nakba de 1948. C'est le premier génocide perpétré par un État industriel avancé depuis 1945, avec la participation des États-Unis et le soutien de l'Occident, France incluse.
Gilbert Achcar montre que ce génocide n'est ni un accident de l'histoire ni essentiellement une réaction aux tueries perpétrées par le Hamas le 7 octobre 2023, mais qu'il était inscrit dans la trajectoire de l'État sioniste depuis sa fondation. L'auteur analyse le processus historique qui a conduit à la catastrophe actuelle et mène une investigation rigoureuse et documentée de ses conséquences pour la population palestinienne, les peuples de la région et pour les relations internationales dans leur ensemble.
Gilbert Achcar est chercheur franco-libanais, professeur émérite à l'École des études orientales et africaines (SOAS) de l'université de Londres et collaborateur régulier du Monde
diplomatique.
Commentaires de l'édition anglaise
« Adoptant à la fois grand angle et vision rapprochée, le recueil d'essais bouleversants et perspicaces de Gilbert Achcar met en lumière les facteurs historiques et politiques qui ont permis le génocide israélien des Palestiniens de Gaza. Montrant le lien entre le soutien occidental à l'atroce guerre menée par Israël et la banalisation de l'extrême droite mondiale, Achcar ne se contente pas d'analyser la tragédie et de l'interpréter. Il propose également des pistes possibles pour un changement positif qui atténuent quelque peu l'avenir sombre qu'il entrevoit. »
Amira Hass, correspondante de Haaretz pour les territoires occupés de 1967 et autrice de Boire la mer à Gaza.
« Rendant compte et analysant de façon originale et opportune le génocide de Gaza sous de multiples angles, cet ouvrage offre une exploration minutieuse du sens, de la connotation, du contexte et des liens coloniaux qui ont convergé dans cette étroite bande de terre. Gaza, génocide annoncé est l'examen la plus approfondi et le plus complet de ce génocide en rapport avec la Shoah. Considérant le génocide de Gaza comme une conséquence prévisible de l'histoire récente, Achcar tient compte du contexte historique tout au long de son analyse, jusqu'à la toute dernière page. »
Khaled Hroub, chroniqueur et auteur de Hamas : A Beginner's Guide
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La campagne du salaire au travail ménager...
LA CAMPAGNE DU SALAIRE AU TRAVAIL MÉNAGER
Parution le 13 mai 2025 au Québec
Parution le 30 mai 2025 en Europe
https://www.editions-rm.ca/livres/wages-for-housework-la-campagne-du-salaire-au-travail-menager/#tab-description
Présentée par Louise Toupin ·
Avec des textes de Selma James, Mariarosa Dalla Costa, Silvia Federici, Leopoldina Fortunati, Wilmette Brown, Gisela Bock et Barbara Duden, Maria Pia Turri, Wages Due Collective, Black Women for Wages for Housework, Collectif L'Insoumise, Sylvie Dupont et Valérie Simard.
« Nous voulons un salaire pour chaque toilette sale, pour chaque naissance difficile, pour chaque agression sexuelle, pour chaque tasse de café, et pour chaque sourire. »
Si certains écrits de Selma James, de Mariarosa Dalla Costa et de Silvia Federici – instigatrices de la campagne Wages for Housework – ont été traduits en français, aucune anthologie réunissant les textes clés de cette « Internationale des femmes » n'avait jusqu'ici été publiée. C'est ce que propose l'autrice et chercheuse Louise Toupin, après avoir contribué à sauver de l'oubli cette pensée féministe révolutionnaire. Les textes de ces penseuses de premier plan, dont certains sont inédits en français, témoignent de l'originalité et de la force politique du courant de la reproduction sociale. Avant l'heure, ce mouvement proposait une grille d'analyse à l'intersection des questions de genre, de sexe, de race et de classe.
© Chloé Charbonnier
Militante du Front de libération des femmes du Québec (1969-1971) et cofondatrice des Éditions du remue-ménage, LOUISE TOUPIN est chercheuse indépendante et auteure de Le salaire au travail ménager : chronique d'une lutte féministe internationale, 1972-1977 (Remue-ménage, 2014). Elle est en outre coauteure de trois anthologies de textes de militantes féministes publiées aux Éditions du remue-ménage : Québécoises Deboutte ! (1982-1983, avec Véronique O'Leary), La pensée féministe au Québec (2003, avec Micheline Dumont), et de Luttes XXX (2011, avec Maria Nengeh Mensah et Claire Thiboutot). Son livre, Le salaire au travail ménager.Chronique d'une lutte féministe internationale, 1972-1977 est traduit en anglais, en espagnol, en allemand et en italien.
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Introduction au livre de Joseph Daher : Gaza : un génocide en cours
Alors que l'écriture de ce livre prenait fin, en janvier 2025, l'État d'apartheid, colonial et raciste d'Israël signait un cessez-le-feu avec l'organisation palestinienne Hamas, suspendant temporairement la guerre génocidaire menée contre la population de la bande de Gaza à la suite de l'attaque du Hamas du 7 octobre 2023 [1].
17 mai 2025 | tiré d'entre les lignes entre les mots
Quelques jours après l'entrée en vigueur de l'accord de cessez-le-feu, le 19 janvier 2025, et la fin du blocage par les autorités d'occupation israéliennes du corridor de Netzarm – qui coupe le territoire en deux, de la frontière israélienne jusqu'à la mer –, des centaines de milliers de personnes palestiniennes déplacées regagnaient le nord de la zone, quand bien même leurs maisons étaient probablement détruites. La trêve est cependant fragile, alors que les menaces et pressions israéliennes, avec le soutien des États-Unis, se poursuivent contre les Palestiniens de la bande de Gaza[2].
Les 2,4 millions d'habitantes et habitants de la bande de Gaza ont vécu depuis octobre 2023 sous des bombardements israéliens constants et d'une violence sans précédent jusqu'à la conclusion de l'accord de cessez-le-feu. Plus de 2 millions de Palestiniennes et Palestiniens ont été déplacés dans le territoire, soit près de 90% de sa population totale. La très grande majorité d'entre elles et eux a été logée dans des tentes de fortune, particulièrement inadaptées aux conditions hivernales.
À la suite de la conclusion du cessez-le-feu, le bilan officiel s'élevait à 61 709 morts – dont 17 881 enfants – et au moins 111 588 blessés. Mais malheureusement, le chiffre est probablement bien plus élevé. Un article publié en juillet 2024 par la revue scientifique médicale britannique The Lancet suggérait que l'attaque alors en cours pourrait d'ores et déjà conduire à 186 000 décès palestiniens. Dans un article paru dans le quotidien The Guardian en septembre, Devi Sridhar, présidente du département de santé publique mondiale à l'université d'Édimbourg, estimait que si la mortalité à Gaza devait se poursuivre au rythme actuel – environ 23 000 décès par mois –, elle pourrait au total atteindre environ 335 500 décès.
Selon un rapport de la Banque mondiale publié à la mi-décembre 2024, 90% de la population dans la bande de Gaza est confrontée à une insécurité alimentaire marquée, dont 875 000 personnes en situation d'urgence et 345 000 personnes en situation d'urgence absolue. En outre, près de 90 % des logements ont été détruits ou sévèrement endommagés. Plus largement, c'est l'ensemble des structures de base du territoire qui sont désormais anéanties : les réseaux de communication sont presque complètement détruits, malgré les efforts des opérateurs locaux pour maintenir de la connectivité ; le secteur privé est également largement réduit à néant, avec plus de 88 % des entreprises détruites ou endommagées, tout comme 70% du réseau routier ; certains secteurs d'activité, tels que l'agriculture ou la pêche, la construction, l'industrie, le transport ou la finance, n'existent tout simplement plus sur le territoire. Le chef du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), Achim Steiner, a en effet déclaré à la suite du cessez-le-feu que son organisation estimait qu'environ deux tiers de toutes les constructions ont été détruites ou endommagées par les intenses bombardements de l'armée d'occupation israélienne. Il a ajouté qu'« environ soixante ans de développement ont été perdus dans ce conflit en quinze mois[3] ». La reconstruction de la bande de Gaza pourrait prendre trois cent cinquante ans si le blocus reste en place et était estimée à plus de 53 milliards de dollars[4].
La guerre contre la bande de Gaza constitue sans aucun doute une nouvelle Nakba (catastrophe), encore plus destructrice et meurtrière que celle de 1948, au cours de laquelle plus de 700 000 Palestiniennes et Palestiniens ont été chassés de force de leurs foyers et sont devenus des réfugiés. Ce processus de nettoyage ethnique et d'entreprise génocidaire, qui ne s'est jamais interrompu, s'est poursuivi de manière extrêmement violente durant quinze mois.
En outre, ce livre cherche à inscrire l'histoire de l'oppression des Palestiniennes et Palestiniens par l'État d'Israël dans une approche régionale et internationale. Ainsi, dans sa première partie, qui propose une analyse historique de la trajectoire de la question palestinienne, l'ouvrage examine également le rôle historique joué par l'État d'Israël au Proche-Orient au service de l'impérialisme occidental, et plus particulièrement de la défense des intérêts des États-Unis.
Dans sa deuxième partie, l'ouvrage examine ensuite l'extension de la guerre israélienne au Liban après le 7 octobre 2023, mais plus particulièrement à la suite de l'accélération de la violence israélienne à la mi-septembre 2024. Dans cette partie, nous revenons également brièvement sur l'histoire des agressions et des occupations israéliennes au Liban, dans lesquelles trouve son origine le Hezbollah libanais.
Dans la troisième partie, la chute du régime Assad, au pouvoir en Syrie depuis 1970, est analysée, ainsi que les défis qui se présentent pour les aspirations démocratiques et sociales des classes populaires syriennes.
Dans la section suivante, nous examinons l'impact de la guerre sur les dynamiques politiques régionales du Proche-Orient et différents protagonistes régionaux, comme les monarchies du Golfe, l'Égypte et la Jordanie, ainsi que sur l'Iran et son réseau d'influence régionale.
Finalement, nous abordons la question de la solidarité internationale, ainsi que son importance cruciale dans le cadre de la libération de la Palestine et les liens de cette dernière avec la libération des classes populaires régionales.
Joseph Daher : Gaza : un génocide en cours
Editions Syllepse, Paris 2025, 168 pages, 12 euros
https://www.syllepse.net/gaza-un-genocide-en-cours-_r_25_i_1112.html
Notes
1 Il est à noter également que de nombreux civils israéliens enlevés le 7 octobre 2023 ont été tués par les forces d'occupation israéliennes, notamment du fait de tirs d'obus de char sur des maisons où des Israéliens étaient détenus.
2 L'accord de trêve comprend trois phases devant mener à un arrêt complet des violences israéliennes contre la bande de Gaza et sa reconstruction sur un plan long terme, mais le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a affirmé à plusieurs reprises que son pays gardait « le droit de reprendre la guerre » contre le Hamas à tout moment avec l'appui des États-Unis. Début mars 2025, il a d'ailleurs annoncé le blocage de toute aide humanitaire à la fin de la première phase de l'accord de cessez-le-feu.
3 L'ONU estime que si la tendance de croissance de 0,4% observée entre 2007 et 2022 devait se poursuivre, il faudrait pas moins de 350 ans pour que le territoire retrouve les niveaux de PIB de 2022. AFP, « La guerre a effacé 60 ans de développement à Gaza, dit un haut responsable de l'ONU », 25 janvier 2025,
www.lorientlejour.com/article/1445030/la-guerre-a-efface-60-ans-de-developpement-a-gaza-dit-un-haut-responsable-de-lonu-entretien.html
4 « Plus de 50 milliards de dollars nécessaires pour la reconstruction de Gaza », 20 février 2025,
www.lorientlejour.com/article/1448574/update-1-more-than-50-billion-needed-to-rebuild-gaza-world-bank-joint-assessment-says.html
P.-S.
Avec l'aimable autorisation des Editions Syllepse
Via
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/05/17/introduction-au-livre-de-joseph-daher-gaza-un-genocide-en-cours/

« Israël veut couper tout lien des Palestiniens avec leur terre »
La bande de Gaza est confrontée à « un génocide, un écocide et un futuricide », dénonce l'historienne et politiste Stéphanie Latte Abdallah. Elle a dirigé l'ouvrage collectif « Gaza, une guerre coloniale », paru le 14 mai.
Tiré de Reporterre. Photo : Des ruines autour du camp d'Al Bureij, dans le centre de la Bande de Gaza, le 2 février 2025. Moiz Salhi/Middle East Images/AFP.
Stéphanie Latte Abdallah est historienne et politiste. Elle étudie le Moyen-Orient et les sociétés arabes, s'intéressant notamment aux alternatives sociales et écologiques. Directrice de recherche au CNRS, elle a dirigé avec Véronique Bontemps l'ouvrage collectif Gaza, Une guerre coloniale, paru le 14 mai aux éditions Actes Sud.
Reporterre — Y a-t-il un génocide à Gaza ?
Stéphanie Latte Abdallah — La Cour internationale de justice a pris entre janvier et mai 2024 quatre ordonnances dans l'affaire portée par l'Afrique du Sud mettant en cause l'État israélien pour génocide. À chaque fois, elles ont demandé des mesures conservatoires pour l'empêcher. Ces mesures conservatoires n'ont pas été appliquées. Il apparaît donc clair, de surcroît avec les développements ultérieurs, notamment l'utilisation de la famine comme arme de guerre, et avec le siège total imposé depuis le 2 mars, qu'il s'agit bien d'un cas de génocide.
Aujourd'hui, on compte presque 53 000 tués dans la bande de Gaza et 120 000 blessés, selon les chiffres fournis par le ministère de la Santé gazaoui, corroborés par l'ONU. Mais différentes projections font état de chiffres bien supérieurs, notamment en raison de milliers de personnes dont les corps sont bloqués sous les décombres, mais aussi des morts indirectes causées par la famine, par la destruction des infrastructures de santé, qui rend impossible de se faire soigner, par un ensemble de maladies chroniques qui ne peuvent être traitées, dont celles causées par la pollution des eaux, etc.
« La pollution des eaux, des sols et de la mer est dramatique »
Une étude publiée dans le journal scientifique The Lancet estimait déjà en juillet 2024 le nombre total de morts à 186 000. On serait donc a minima autour de 200 000 morts, soit 8 à 10 % de la population de la bande de Gaza. C'est absolument terrifiant.
Peut-on aussi parler d'un écocide ?
Oui. Le militaire et les guerres génèrent une très forte toxicité. Cette guerre a ainsi produit une quantité énorme de gaz à effet de serre. Durant les seuls trois premiers mois, du fait des avions de bombardement et de reconnaissance, des drones, on a comptabilisé une émission de CO2 équivalente à celle d'entre 20 et 33 pays à plus faibles émissions pendant un an. 85 000 tonnes de bombes ont été larguées sur ce petit territoire de 360 km2 [à peine plus de trois fois la superficie de Paris] entre octobre 2023 et décembre 2024. Des bombes de deux tonnes ont été employées, ainsi que des bombes au phosphore. Quantité d'entre elles n'ont pas explosé.
Les destructions ont créé plus de cinquante millions de tonnes de gravats, sans compter plus de 350 000 tonnes de déchets qui s'amoncellent. La pollution des eaux, des sols et de la mer est dramatique. Des experts avaient analysé le sol de la bande de Gaza en 2014, après des bombardements qui avaient duré cinquante-et-un jours, et il était déjà toxique. On est aujourd'hui dans une situation sans commune mesure.
« La production agricole, qui permettait une relative autonomie, a été quasiment réduite à néant »
Près de 70 % des zones agricoles ont été rasées et, pour une large partie, sont devenues des zones militaires. Toutes les usines de traitement de l'eau ont été touchées. 83 % des végétaux ont été détruits, l'ensemble de l'élevage (volailles, ovins, caprins) a été décimé, soit par la guerre, soit en raison de la famine pour une consommation immédiate. La production agricole, qui permettait une relative autonomie alimentaire de la bande de Gaza, a été quasiment réduite à néant : entre 70 et 80 % des terres cultivables ont été détruites, de même que les fermes, les puits, les serres, les systèmes d'irrigation... Mais au-delà de l'écocide, je parle aussi d'un « futuricide ».
Que voulez-vous dire par là ?
On détruit le présent, on veut agir sur le passé, l'appartenance, mais aussi sur le futur. Par l'écocide et la destruction de toutes les infrastructures vitales, mais aussi par la destruction des écoles, des universités, des lieux culturels, en s'attaquant également aux souvenirs, aux traces, aux morts même dans les cimetières, le gouvernement israélien entend couper tout lien des Palestiniens et des Palestiniennes de Gaza avec leur terre et les effacer, les arracher au lieu.
Les projets qui sont discutés et qui ont commencé à être mis en œuvre sont ceux d'une occupation durable [70 % de la bande de Gaza est occupée militairement ou soumise à des ordres d'évacuation], d'une nouvelle colonisation assortie de la déportation des Palestiniens dans d'autres pays. Cela place les personnes dans une incertitude que je qualifie de radicale et entend occuper aussi l'espace de projection dans un futur vivable dans ce lieu : cette futurité coloniale est un futuricide pour les Gazaouis, puisqu'ils en seraient exclus. Les colonialismes de peuplement se sont élaborés sur des futuricides des populations autochtones.
Pourquoi l'État israélien se comporte-t-il de façon si abominable ?
Au fil des guerres conduites par Israël contre Gaza, on a observé un abaissement progressif du souci d'éviter ce qui est nommé par ce terme atroce de « dommages collatéraux », pour finalement viser la population civile, véritable objectif de cette guerre. En 2006, a été formulée, à partir de la guerre faite au Liban, la doctrine militaire Dahiya. Elle indique que, pour affaiblir vraiment l'adversaire, il faut viser les infrastructures et les civils, pour pousser la population à se retourner contre le Hezbollah et, ici, le Hamas.
De plus, l'armée israélienne cherche maintenant à éviter au maximum les pertes pour maximiser l'acceptabilité de la guerre auprès de la population israélienne — d'autant qu'elle s'appuie beaucoup sur les réservistes — donc à éviter le corps-à-corps. La guerre est conduite surtout par le ciel, par les drones et les avions de bombardement, mais avec des bombes de diverses précisions, parce que les bombes précises sont plus chères.
« Ce gouvernement ne cache pas son racisme, ni ses intentions »
Quand on vise des personnes qu'on considère de moindre importance, on utilise des bombes peu précises, qui touchent très largement les civils. L'artillerie, elle aussi peu précise, a été privilégiée. Et puis, l'intelligence artificielle s'en est mêlée, pour automatiser la recherche et la destruction des cibles. Pour le dire vite, c'est une forme de néolibéralisation de la guerre : il faut aller vite, pouvoir afficher un certain nombre de cibles atteintes, tout en se déresponsabilisant par la technologie et la mise à distance.
Peut-on dire qu'il y a une désinhibition israélienne à l'égard des effets de la guerre ?
Ah oui, très clairement. Et puis la guerre est menée par un gouvernement d'extrême droite, dont un grand nombre de ministres sont suprémacistes, qui ne fait pas mystère de ses intentions. Les Palestiniens sont à leurs yeux complètement déshumanisés.
Ils considèrent que les Palestiniens sont une race inférieure ?
C'est exprimé très clairement. L'ancien ministre de la Défense Yoav Gallant a lui-même parlé des Palestiniens comme d'« animaux humains » et les déclarations en ce sens des dirigeants israéliens sont très nombreuses. Ce gouvernement ne cache pas son racisme, ni ses intentions.
Une autre raison de la détermination israélienne serait la présence de ressources pétrolières au large de Gaza. Qu'en est-il ?
Il y a deux grands champs gaziers et pétroliers au large du Liban, d'Israël, mais aussi de Gaza : Leviathan et Karish. Au large de Gaza, les réserves pétrolières seraient de 1,7 milliard de barils, selon les chiffres publiés en 2019 par la Cnuced [Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement]. Il est déjà exploité par Israël depuis 2022 sur sa partie nord, en accord avec le Liban. Mais il y a toute une partie qui ne l'est pas, notamment le long des côtes gazaouies.
On peut donc se demander si l'une des intentions de cette guerre n'est pas aussi de s'approprier l'ensemble du champ. Avec la guerre en Ukraine, il s'est produit une redirection de l'approvisionnement en gaz, Israël en a bénéficié et se voit comme un fournisseur potentiel important de l'Europe. L'extractivisme participe de l'écocide.
Ce qui se passe à Gaza ne présage-t-il pas ce que pourrait devenir un capitalisme totalement autoritaire et violent ?
Je crois que oui. Un capitalisme néolibéral, militarisé, violent, couplé à un humanitaire militarisé, puisque c'est ce qu'ils veulent mettre en place, en empêchant toute forme d'autonomie au territoire. La dépendance de la bande de Gaza a été mise en place au fil du temps et prend une tournure dramatique aujourd'hui avec un siège hermétique.
« En Israël, la militarisation de l'économie va s'accroître plus encore avec ce conflit »
On constate d'ailleurs des coopérations fortes entre l'armée israélienne — notamment son unité 8200, spécialisée dans la tech — et Microsoft et OpenAI. Microsoft est un partenaire de l'armée israélienne de longue date et, sans cette entreprise — et d'autres de la Silicon Valley — l'armée ne pourrait pas avoir développé ces nouvelles technologies et plateformes léthales, ni conduire cette guerre high-tech avec l'utilisation de l'intelligence artificielle, qui produit des assassinats de masse. En retour, en Israël, la militarisation de l'économie va s'accroître plus encore avec ce conflit. À une échelle plus globale, une économie plus militarisée encore est en train de s'installer.
Dans le livre que vous codirigez, on lit une histoire très forte qui montre comment, malgré toutes les destructions de la guerre, des paysans ont réussi à relancer une production agricole, marginale, mais réelle. Cela signifie-t-il qu'il sera possible de restaurer Gaza ? Cela ne dément-il pas le concept de futuricide ?
Bien sûr qu'il sera possible de restaurer. Le futuricide est une intention israélienne, cela ne veut pas dire qu'elle sera réalisée. Et il est de la responsabilité morale et politique de la communauté internationale, de l'Europe, de la France, d'agir enfin pour l'empêcher. Les Palestiniens inventent chaque jour des possibilités et des initiatives matérielles et concrètes, artistiques, créatrices, d'envisager l'avenir sur cette terre.
Se projeter dans un avenir, c'est aller contre la futurité coloniale, ne pas l'accepter. Il y a, malgré tout, une énergie impressionnante. Des histoires comme celle-ci sont nombreuses. Un poème de l'universitaire et poète Refaat Alareer, qui a été assassiné par l'armée israélienne le 6 décembre 2024, dit : « Si il est écrit que je dois mourir, alors que ma vie apporte l'espoir, que ma mort devienne un conte ». Il signifie que tant que seront transmises les histoires des gens et de la vie en ce lieu, tout sera possible. Il y aura un futur à Gaza et en Palestine, en dépit de celui qu'on veut leur imposer.
Gaza, une guerre coloniale, sous la direction de Stéphanie Latte Abdallah et Véronique Bontemps, aux éditions Actes Sud, mai 2025, 320 p.
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Homophobie et transphobie dans nos écoles
En cette Journée de lutte contre l'homophobie et la transphobie, les médias soulignent la montée inquiétante des deux phénomènes dans nos écoles.
dénoncées par les Artistes pour la Paix le 17 mai
Faits statistiques
Avec raison, ils relatent des résultats d'enquêtes sur le terrain qui révèlent l'inconfort des jeunes, en particulier des gars, face à l'éventualité d'avoir un meilleur ami gai, qui de 66,2% en 2017/18 est monté à un alarmant 84,8% cette année. Chez les femmes, le recul par rapport à l'acceptation des lesbiennes est moins spectaculaire, de 59.6% à 75,3% : les spécialistes rémunérés qui luttent contre de tels phénomènes s'entendent pour y voir des reculs majeurs, et ce dans un laps de temps étonnamment court. Les solidaires Roxane Milot et Manon Massé demandent la solidarité de la part de tous-tes pour contrer cette vague anti-queer.
Solutions médiatisées
On appuie évidemment certaines solutions mises de l'avant pour célébrer l'avancée des femmes par l'ouverture de la Place des Montréalaises par Valérie Plante, célébrant un « Montréal féministe et fier de l'être ». Nathalie Provost, nouvelle ministre fédérale issue de Polysesouvient collectif que les APLP appuient depuis 1990, fêtait cet événement avec Kim Thuy et on soulignait, comme signe d'avancement d'anti-racisme, l'ouverture de la Place Marie-Josèphe Angélique, nommée en l'honneur d'une esclave noire née en 1705 et victime d'un procès expéditif l'ayant accusée et exécutée comme responsable d'un grave incendie en 1734. Les médias s'entendent, entre autres par intérêt financier, pour accuser les réseaux sociaux d'accélérer la montée de l'homophobie, de la transphobie et du racisme, notamment par leur reproduction de discours brefs, injurieux et polarisants.
Montée de l'extrême-droite guerrière
Alors qu'ils censurent notre condamnation du génocide en cours à Gaza, les « radios-poubelles » de Québec vantent Poilievre et Duhaime, ainsi que les discours guerriers de Nétanyahou, Zelensky, Kim Jung-un et Trump, qui malgré sa tendance récente à vouloir favoriser des solutions de paix, n'en a pas moins haussé les dépenses militaires américaines à des niveaux astronomiques, incitant M. Carney à en faire autant dans leur rencontre vantée comme un succès par nos médias. Les Artistes pour la Paix sont censurés en tout : ce n'est qu'hier, que Radio-Canada faisait un reportage détaillé remettant en question l'appui invraisemblable des démocrates américains à un Biden vieillissant, alors que nous félicitions au début juillet 2024 le comédien George Clooney de lancer ce signal d'alarme.
Tandis que nos écoles, mais surtout nos collèges et universités sont définancés par le gouvernement Legault et la ministre Déry, les citoyens de moins en moins éduqués et privés de productions culturelles en pannes de financement ouvrant leurs horizons, se détournent des analyses favorisant la diplomatie plutôt que la guerre, la construction de transports collectifs plutôt que la voiture individuelle et l'opposition aux pipelines et à l'énergie nucléaire coûteux, donc défendus par de riches groupes d'intérêts privés sans éthique inondant les médias.
Issues des cris d'alarme payants pour l'OTAN et les propriétaires de médias également propriétaires d'usines d'armement, des analyses primaires médiatiques de la guerre en Ukraine censurent Antonio Guterres, secrétaire général de l'ONU, et le professeur Jeffrey Sachs de l'Université Columbia. Et on ignore des publications détaillées sur la révolution du Maïdan à la crédibilité indéniable (i).
Conséquemment, la montée des partis de droite en Europe frappe tout azimut : une pétition « d'initiative citoyenne » d'un million d'Européens appelle impérativement à interdire les « thérapies de conversion » des personnes LGBTQI.
Le Québec est privilégié de voir émerger des initiatives telles que NOUS, nouveau magazine pour tous.tes financé par la Table de la Concertation intersectorielle violence conjugale-Est et les opinions diffusées et les films de Léa Clermont-Dion et de Guylaine Maroist ; mais ils sont à une dose infime par rapport aux films Minecrafts, Thunderbolts, L'amateur, Combattre ou fuir, Star Wars et autres déchets américains toxiques qu'on voit présentement à l'affiche.
Qui va voir Le temps de François Delisle, une dystopie qui annonce vers où le monde court ? Qui a écouté l'émission de Claude Saint-Jarre du 15 mai 2025 de 50 minutes avec comme invité Pierre Jasmin, secrétaire général des Artistes pour la paix parlant de l'actualité guerrière qui développe l'agressivité ambiante qui enfle pour attaquer les plus fragilisés de notre société ? À écouter sur https://www.cfak.ca/balados/a-nous-le-futur
Nostalgie
Les Artistes pour la Paix remerciaient Jean-Daniel Lafond, cinéaste et écrivain, présent le 15 février 2016 à la remise du prix de l'APLP de l'Année à l'autochtone Samian à la Mairie de Montréal, honorant aussi Michel Rivard, encadré par Guylaine Maroist et Judi Richards et dont une chanson été interprétée par le groupe multi-ethnique Surkalen.
Nous déplorions alors à propos de l'exposition de jeunes musulmanes au Musée des Beaux-Arts de Montréal favorisée par la Fondation Michaëlle Jean, l'absence totale de couverture de nos médias francophones, alors que la majorité des artistes couronnées s'exprimait en un français impeccable et que the Gazette et la CBC avaient saisi l'importance de l'événement ! C'était grâce à Nathalie Bondil, maintenant à la tête à Paris de l'Institut du monde arabe qui lance une initiative remarquable (ii). Nous avions alors souligné l'interprétation par Joël Janis d'une superbe version très applaudie d'une chanson non moins superbe de Michel, aux paroles inspirées reproduites dans notre article intitulé l'art de l'inclusion. Nous publiions alors des statistiques alarmantes qui parlaient d'elles-mêmes de la nécessité de développer la politique du vivre-ensemble, par exemples :
• 70% de la population montréalaise n'est pas née à Montréal ;
• 33% sont nés à l'extérieur du Canada ;
• suite à une forte immigration entre 2001 et 2011, 10% sont musulmans ;
• mais malgré leur taux plus élevé de scolarisation, ils souffrent d'un taux de
chômage de 18%, taux qu'on ne peut attribuer seulement à leur plus jeune âge.
C'est aujourd'hui la mode de critiquer le fardeau de l'immigration haïtienne et autre, et vu la censure de nos articles, le nombre de nos membres diminue : nous publierons bientôt, toujours sans subvention, notre infolettre pour inviter les LGBTQIA à se joindre à nous !
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Forum social mondial des intersections 2025 (FSMI)
Face à une époque marquée par des extrémismes croissants, des inégalités sociales exacerbées et une crise écologique sans précédent, le FSMI offre un espace d'articulation. Il vise à rassembler celles et ceux qui agissent pour construire des alternatives durables et solidaires.
L'histoire du FSMI
Le Forum social mondial des intersections 2025 (FSMI) est une démarche qui chemine vers un grand rassemblement ayant lieu du 29 mai au 1er juin 2025. Son principal objectif : encourager des changements systémiques, grâce aux intersections de perspectives, de savoirs et d'espoirs. Il a ainsi pour ambition de décloisonner les milieux d'action, les cultures et les pratiques, tout en créant des connexions intergénérationnelles et transnationales, du local au global. Le FSMI 2025 s'inscrit dans la dynamique du Forum social mondial (FSM), le plus grand rassemblement de la société civile mondiale créé en 2001 au Brésil. Ce dernier réunit, à chaque édition, des milliers de participant·es autour de centaines d'activités (ateliers, conférences, performances artistiques…) axées sur des thématiques variées telles que le développement social, l'économie solidaire, les droits humains ou encore l'environnement.
Le FSMI 2025 se situe comme un important moment de mobilisation pour le prochain Forum social mondial qui aura lieu à Cotonou au Bénin en janvier 2026.
Face à une époque marquée par des extrémismes croissants, des inégalités sociales exacerbées et une crise écologique sans précédent, le FSMI offre un espace d'articulation. Il vise à rassembler celles et ceux qui agissent pour construire des alternatives durables et solidaires.
Nous avons besoin de lieux pour croiser nos perspectives, mutualiser nos savoirs et renforcer nos actions. Le FSMI est un appel à l'espoir et à la solidarité, pour unir la force des initiatives locales et l'ambition d'un changement global indispensable.
Nous sommes fiers de collaborer avec le collectif la Grande transition et le Festival des saveurs pour cette première édition.
L'achat de votre billet pour le FSMI vous donne également accès à ces deux événements ! Consultez leur site web pour découvrir leur programmation, qui se déroulera aussi entre le 29 mai et le 1er juin 2025.
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