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BRICS+, en passe de perspectives

Beaucoup de regards étaient tournés vers l'Est au cours du weekend du 22, 23 et 24 octobre 2024, alors que s'est tenue la 16e réunion des BRICS+ à Kazan en Russie. Malgré et à cause de l'élargissement, les BRICS+ n'arrivent pas à clarifier leurs perspectives. Le manque de cohésion de l'alliance semble entraver leur ambition d'alternative mondiale.
Les chefs d'État brésilien, chinois, russe, indien, iranien, émirien, sud-africain, éthiopien et égyptien étaient réunis à l'occasion du sommet annuel de l'alliance 1. Chaque pays est arrivé avec son propre agenda et a voulu tirer son épingle du jeu à la fin de ces trois jours. La complexité des BRICS+ réside dans son hétérogénéité. Elle serait un avantage pour la surmonter, considérant la volonté partagée de remodeler l'ordre mondial. Or, l'alliance ne réussit pas à s'imposer comme une alternative logique à l'Occident.
Une naissance circonstancielle
Ironiquement, ce sont les États-Unis qui ont amorcé la formation des BRIC. Jim O'Neill, un des économistes en chef de Goldman Sachs, réunit dans les années 2000 le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine sous l'acronyme BRIC pour distinguer ce groupe émergeant du reste du marché mondial. Cependant, le mérite ne revient pas uniquement aux États-Unis, puisque la collaboration entre ces quatre puissances est apparue indépendamment de la tutelle américaine.
Le premier sommet officiel des BRICS prit place en 2009 en Russie. Ce que les spécialistes ne comprennent pas tout à fait, c'est que les cinq puissances, l'Afrique du Sud ayant rejoint entre temps la bande des quatre, ne cherchaient pas un statut public. Il a fallu plus d'une décennie de rapprochement pour que la rencontre de 2009 confirme la naissance de ce front commun.
Aujourd'hui, les BRICS+ ont troqué l'ombre au travers de laquelle ils se sont construits. Ils réclament une place dans le système international. Malgré la médiatisation accrue autour des BRICS+, la critique qui revient souvent de la part des pays du Sud global sur l'alliance concerne le manque d'institutions et de structures claires, suscitant des questionnements quant à sa capacité à répondre aux attentes en matière de gouvernance alternative.
Lorsque ces pays prétendent être les successeurs des puissances occidentales traditionnelles, plusieurs pointent un minimum de matérialisation institutionnelle plus formelle. Certes, le projet de la Nouvelle banque de développement (NBD) s'inscrit en faux à une telle affirmation, Son incapacité à formaliser ses projets limite son potentiel transformationnel. La NBD n'est donc qu'un potentiel ad hoc gâché.
Neutralité comme mot d'ordre
Contrairement au MNA et à celui pour un Nouvel ordre économique international qui étaient guidés par un engagement politique, l'alliance BRICS+ est caractérisée par sa force économique. La dépolitisation de l'alliance n'est pas encore assumée, puisque les enjeux politiques sont toujours abordés lors des sommets. Toutefois, les États semblent s'engager timidement et défendent leurs positions à reculons.
Lors de ce 16ème sommet, la condamnation d'Israël sans utiliser le mot « génocide » a suscité l'indignation, surtout lorsqu'on sait que l'Afrique du Sud était de la partie. De même, la mise sous silence de l'invasion ukrainienne depuis 2022 conforte ce mutisme sélectif de l'alliance. Ce silence est d'autant plus frappant quand les BRICS+ choisissent de seulement dénoncer les actions des Houthis en mer Rouge et dans le détroit de Bab Al-Mandab. Rompre le silence uniquement lorsque des intérêts commerciaux sont en jeu relève d'un opportunisme, non pas d'un dévouement politique.
Dans cette même démarche de neutralité, les BRICS critiquent l'Occident pour son recours aux sanctions économiques à des fins politiques. L'alliance demande la levée des sanctions unilatérales, soulignant que ces mesures nuisent aux droits humains et entravent le développement des populations les plus vulnérables des pays ciblés. Alors que le droit international sert de fondement à ces réclamations, l'éthique des BRICS amène à s'interroger sur la cohérence de leurs positions face à leurs propres pratiques internes.
Front commun désuni ?
Les BRICS représentent avant tout un choix stratégique de leurs membres. Imaginer que ces États se réunissent chaque année par simple complaisance ne correspond pas à la réalité, tout comme supposer qu'ils partagent un consensus sur l'ensemble des enjeux abordés.
Au sein même de l'alliance, des rivalités refont surface, comme pour la Chine et l'Inde. Les deux puissances, en pleine période de froid diplomatique, ont cherché à rétablir un certain dialogue en marge du sommet. Cependant, un apaisement des tensions semble peu probable, après plus de quatre ans de dispute à propos de la frontière himalayenne.
Les divergences persistent également sur l'idéologie des BRICS. Alors que l'alliance s'est fondée sur un espoir postcolonial, les membres peinent à concorder leur vision d'un nouvel ordre mondial. Le Brésil et l'Inde demeurent prudents face à l'anti-occidentalisme prôné par la Russie et la Chine, privilégiant plutôt une stratégie de réforme des institutions existantes, sans confrontation directe avec l'ordre dominé par les États-Unis. Cela transparaît d'ailleurs dans la déclaration finale du sommet, qui ne remet en aucun cas en cause le Fond monétaire international et la Banque mondiale .
Le grand projet de monnaie commune des BRICS, qui avait suscité de vives discussions, a également généré des discordes. Quand le président brésilien Lula avait annoncé le projet au sommet de 2023, le scepticisme était déjà palpable. Un an plus tard, l'omission complète de celui-ci est notée. Certains membres craignant que cette monnaie, soit dominée par les intérêts des économies les plus influentes, comme la Chine, freinent la réflexion, renforçant ainsi les tensions de pouvoir au sein du groupe. Autant de désillusions qui éloignent les perspectives d'une coopération Sud-Sud réussie et d'un rebattement de cartes de l'échiquier mondial.
Note
L'Argentine a formellement refusé l'adhésion aux BRICS+ tandis que le statut de l'Arabie Saoudite au sein du groupe reste vague. Ont obtenu le statut de partenaires les pays suivants : Algérie, Biélorussie, Bolivie, Cuba, Indonésie, Kazakhstan, Malaisie, Nigeria, Ouganda, Ouzbékistan, Thaïlande, Turquie et Vietnam. [↩]

Quand La Presse+ trouve du « positif » dans la victoire de Trump

Donald Trump n'a pas encore été assermenté que nos milieux d'affaires et leurs porte-paroles dans les médias se montrent des plus serviles. Pour éviter les tarifs, ils se disent prêts à sacrifier la gestion de l'offre en agriculture lors des prochaines négociations du traité de libre-échange (ACEUM).
13 novembre 2024 | tiré de l'Aut'journal
Mais ils savent bien que ce ne sera pas assez pour assouvir l'immense appétit de Donald Trump. Alors, ils mènent une cabale dans les médias pour une augmentation des dépenses militaires et un accès subventionné aux ressources minérales stratégiques du Québec.
Stéphanie va-t'en guerre Grammond
La palme de la servitude revient à Stéphanie Grammond de La Presse+ pour son éditorial « Ce que Trump aura de positif pour le Canada » (2024-11-09). Et qu'est-ce qu'il y aurait de si « positif » pour le Canada dans cette élection ? Selon Mme Grammond, l'élection de Trump est « l'électrochoc nécessaire » à nos politiciens pour « mettre en place une véritable stratégie militaire », laquelle passe, bien entendu, par une augmentation des dépenses militaires pour atteindre le fameux 2% du PIB.
Sinon, aux abris !, nous prévient-elle, car Trump nous a prévenus : « En cas d'attaque, non, je ne vous protégerais pas. » Et qui menace de nous attaquer ? Mme Grammond ne le dit pas. Mais on imagine que, si on insiste, elle va agiter le spectre d'une invasion russe. La Russie, qui est incapable de vaincre l'Ukraine, va déferler dans le Grand Nord pour nous conquérir ! Allons, un peu de sérieux, Mme Grammond, le seul véritable ennemi du Canada, ce sont les feux de forêt. Le Canada n'a pas besoin de F-35, mais d'avions-citernes comme les Canadairs CL-215 et CL-415. Le Canada aura plus d'avions de chasse (88 F-35) que d'avions-citernes (60 Canadairs) !
Bien naïvement, l'éditorialiste essaie de nous faire croire qu'il sera possible d'encadrer cette augmentation des dépenses d'armements dans une « politique industrielle militaire », mais elle-même torpille son plan en rappelant qu'Ottawa a accordé à Boeing un contrat de neuf milliards $ sans appel d'offres pour le remplacement des appareils de patrouille maritime, plutôt que de confier le contrat à Bombardier qui était prête à relever le défi en adaptant son jet privé Global 6500.
Mme Grammond n'a pas encore compris que l'objectif de Trump n'est pas d'assurer la « défense de l'Occident », mais de procurer des contrats d'armements aux industries militaires américaines… situées aux États-Unis. Il a mis la barre à 2% du PIB, mais il a aussi évoqué de la hausser à 3% du PIB. La va-t'en guerre Grammond va-t-elle emboiter le pas ?
Mme Grammond se désole que le « prestigieux » (le qualificatif est le sien) Wall Street Journal s'en soit pris au Canada l'été dernier pour son non-respect de l'objectif fixé par l'OTAN sous la première administration Trump. Doit-on s'en étonner ? Le nom même du journal indique pourtant très clairement les intérêts qu'il défend.
Des gros cadeaux énergétiques
Dans l'espoir d'éviter l'imposition de tarifs et d'être copains-copains avec les États-Unis de Trump, les milieux d'affaires et leurs médias font miroiter auprès de l'Oncle Sam l'accès aux minéraux stratégiques du Québec et du Canada, sachant que les États-Unis, peu importe que l'administration soit démocrate ou républicaine, veulent mettre fin à leur dépendance de la Chine.
Déjà, sous l'administration Biden, le département de la Défense a investi dans deux mines au Québec. Attardons-nous à autre projet, qui est passé sous le radar, soit l'octroi par le ministre Fitzgibbon de 307 mégawatts à Hy2Gen sur la Côte-Nord.
L'hydrogène doit servir à la production d'ammoniac vert, qui sera transformé en nitrate d'ammonium, une substance utilisée comme explosif dans les mines.
Les 307 mégawatts constituent un bloc colossal d'électricité. Seul Northvolt, avec ses 354 mégawatts a obtenu plus. Trois cents sept mégawatts, c'est plus que la production du barrage de la Romaine-1 (270 MW) ou de celle du barrage de la Romaine-2 (245 MW) ou 2,3 fois la puissance nécessaire pour alimenter tous les véhicules électriques du Québec pendant la point hivernale (132 MW). Hy2Gen est une entreprise allemande, qui a des projets dans une douzaine de pays, mais pour le moment, comme Northvolt, peu de réalisations.
Des minéraux pour l'armement
Le boom minier à venir nécessitera énormément d'énergie. Il sera présenté comme une « contribution » à la transition énergétique, mais les minéraux rares et stratégiques iront en grande partie à l'industrie militaire. Alors, oubliez l'objectif la décarbonation des industries installées au Québec ! Sophie Brochu, l'ex-présidente d'Hydro-Québec, avait dénoncé un « Dollarama » de l'électricité, mais il s'agira plutôt d'un « Armorama ».
Revenons un instant à Stéphanie Grammond. Selon le Directeur parlementaire du budget à Ottawa, faire passer les dépenses militaires de 1,59 % du PIB d'ici 2026-2027 au 2 % fixé par Trump « nécessiterait un investissement annuel supplémentaire de 13 milliards $ » Une somme énorme, colossale, démesurée !
Que Mme Grammond nous indique dans quels programmes, elle suggère de couper, oui, de couper, car son « prestigieux » journal trouve le déficit fédéral déjà monstrueux. Dans les transferts en santé aux provinces ? Dans les subventions à l'habitation ? Où, madame Grammond ?

Syndicats, déréglementation et dialogue social en Ukraine

Les droits des travailleurs jusqu'en 2022 :une menace et une lutte constantes. Vitaly Dudin est l'un de ces avocats pour qui l'idée de se battre pour la justice définit sa routine professionnelle. Cela ne devrait pas nous surprendre, car c'est le fondement de toute profession juridique. Cependant, ce qui fait de Vitaliy un avocat particulier, c'est sa compréhension du fait qu'il est impossible d'obtenir une justice individuelle sans une lutte commune pour les droits. Comme il le dit lui-même, les droits du travail sont des droits collectifs.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Vitaliy ne se contente pas de défendre les droits des employés, il leur enseigne également comment défendre leurs droits dans le cadre du cours Trudoborona. En outre, il participe activement au renforcement et à l'élargissement du mouvement des syndicats indépendants en Ukraine dans le cadre de son travail au sein du Mouvement social.
La conversation avec Vitaliy s'est avérée intense et peut être divisée en deux parties, de sorte que vous pouvez commencer par l'une ou l'autre.
Dans la première partie de l'entretien, nous avons discuté de ce que l'on peut appeler le passé : comment l'idée de la déréglementation des relations de travail s'est développée et, avec elle, l'idée de la suprématie de l'employeur sur les employés s'est enracinée.
La deuxième partie de notre conversation concerne le présent : les tendances dans les relations de travail après le début de l'invasion à grande échelle, à la lumière et sans la lumière de l'intégration européenne ; les tentatives de laisser les travailleurs seuls face aux employeurs par le biais de l'individualisation des relations de travail ; et le dialogue social comme une alternative difficile mais nécessaire.
Maria Sokolova
Les droits des travailleurs jusqu'en 2022 :une menace et une lutte constantes
Jusqu'en 2022, pendant une décennie et demie, les responsables gouvernementaux se sont efforcés de déréglementer le marché du travail, de le rendre aussi « libre » que possible et de réformer radicalement la législation. On ne cesse de répéter que notre législation du travail date de l'Union soviétique, qu'elle est donc inefficace, rigide et qu'elle devrait être abandonnée, et que la société a besoin d'une nouvelle législation du travail. Je voudrais te poser quelques questions sur cette période : tout d'abord, qui a fait pression en faveur d'une déréglementation radicale ? Qui s'est opposé à cette idée ? Quelle était la logique de ces discussions ? Qu'est-ce qui a empêché la déréglementation complète du marché du travail ?
Le secteur de l'emploi en Ukraine est en déclin depuis un certain temps. Il s'accompagne d'un processus de désindustrialisation qui a débuté dans les années 1990 et se poursuit depuis lors avec une intensité variable. Moins il y a de personnes employées dans le secteur réel de l'économie, plus les voix se font entendre : « Dérégulons tout et simplifions la législation pour répondre aux besoins des employeurs qui existent ». Les employeurs les plus actifs étaient, d'une part, les grandes entreprises détenues par des oligarques et, d'autre part, de nombreux petits propriétaires, en particulier dans le secteur des services, qui n'avaient pas envie de constituer des effectifs importants. Les uns et les autres souhaitaient minimiser leurs obligations sociales. Pour les oligarques, le fait que les syndicats aient encore une influence assez forte constituait un défi de taille : les grandes entreprises comptaient de nombreux syndicats, des conventions collectives étaient conclues et, lorsque les entreprises ont été privatisées, les propriétaires prenaient souvent des engagements en matière d'investissement social. Un exemple est ArcelorMittal Kryvyi Rih, une entreprise qui a été privatisée avec la promesse du propriétaire d'investir dans l'amélioration de la santé, les sanatoriums et l'amélioration des conditions de travail.
Le nouveau propriétaire a donc dû investir non seulement dans les installations de production, mais aussi dans le soutien aux employés ?
Par exemple, il s'est engagé à améliorer les conditions sociales et de vie, et les syndicats ont été chargés d'en assurer le suivi. Mais pour les propriétaires de petites et moyennes entreprises, le problème réside dans le droit du travail lui-même. Ils ne veulent pas se plier aux règles d'embauche et veulent avoir toute latitude pour licencier. Ce sont ces deux groupes – l'oligarchie industrielle et les petites et moyennes entreprises – qui ont réclamé avec force la déréglementation de la législation du travail, en particulier l'adoption d'un nouveau Code du travail ukrainien.
Depuis le début des années 2000, les premiers projets de Code du travail ukrainien ont été élaborés pour remplacer celui de 1971. À mon avis, ces projets ont été influencés par les expériences russe et bélarus. Il s'agissait de grands « livres » assez détaillés qui contenaient certaines des garanties habituelles pour les employés. Ces projets devaient être adoptés avec le soutien de la plus grande confédération syndicale, la Fédération des syndicats d'Ukraine (FPU). À l'époque, il existait une certaine configuration des rapports de classe : de grands oligarques qui tentaient d'influencer la politique en utilisant l'expérience des réformes russes, et des syndicats qui ne s'opposaient pas à eux, mais coopéraient.
Ainsi, ces premiers projets de Code du travail s'inspiraient principalement des modèles russes et bélarus et convenaient généralement aux plus grands syndicats qui, de fait, ne remplissaient plus leur fonction de protection des salariés ?
En effet, les syndicats qui existaient étaient pour la plupart complémentaires à l'administration, servant les intérêts du capital et essayant de rendre les frictions entre les employés et l'administration moins perceptibles. Mais si l'on regarde vers l'avenir, la situation des syndicats est en train de changer lentement.
Je ne savais pas que le Code du travail avait été discuté dans les années 2000. J'ai toujours eu l'impression que l'élaboration du Code du travail était associée aux jeunes « progressistes » qui sont arrivés au pouvoir après 2014.
Tout a commencé plus tôt. Personnellement, j'ai commencé à suivre activement ce processus en 2008. En 2010 déjà, une nouvelle configuration des forces émergeait : Viktor Ianoukovytch est arrivé au pouvoir, l'a consolidée et a déclaré l'introduction de réformes du marché, y compris l'adoption d'un nouveau Code du travail. Toutefois, l'attitude généralement critique de la population à l'égard de l'équipe au pouvoir a empêché la mise en œuvre de ces plans. Cette dernière était considérée comme oligarchique, corrompue, anti-ukrainienne, etc., et la loi a donc été adoptée avec beaucoup de difficultés, ce qui a également affecté les perspectives portées dans le Code du travail.
Les mêmes idées de déréglementation des relations de travail ont été présentées à la sauce du « renouveau de l'Ukraine » uniquement parce que leurs promoteurs sont arrivés dans la foulée des événements révolutionnaires. En fait, ces réformes n'étaient pas très différentes de ce que Ianoukovytch avait proposé. On peut dire que cette « continuité » [des événements] a été l'un des facteurs qui ont empêché le nouveau gouvernement d'adopter des changements. Mais en 2014, le Maïdan a eu lieu, et de nombreuses personnes fanatiquement attachées aux idées du marché libre, du néolibéralisme et de la déréglementation sont arrivées au pouvoir. Un nouveau facteur est également apparu : les liens entre la Fédération des syndicats d'Ukraine et le gouvernement se sont considérablement affaiblis. Pour la première fois depuis longtemps, la Fédération a commencé à lancer des slogans de protestation contre le gouvernement, exigeant une augmentation du salaire minimum, qui était alors extrêmement bas. Le gouvernement a fait des concessions partielles et a porté le salaire minimum à 3 200 UAH en 2017. Par conséquent, les projets d'adoption du Code du travail n'étaient plus à l'ordre du jour, car les tensions socio-économiques étaient déjà fortes. Par conséquent, aucun changement majeur n'a eu lieu jusqu'à l'arrivée au pouvoir de Volodymyr Zelensky, qui était accompagné d'un groupe de nouveaux réformateurs néolibéraux. Ces derniers ont pris autant de distance que possible avec le gouvernement « précédent » et ont été perçus comme la « voix de la raison » – ce qui, bien entendu, était discutable.
Je fais tout d'abord référence à Tymofiy Milovanov, qui a pris la tête du ministère de l'Économie et a immédiatement, à la fin de l'année 2019, « adopté » un projet de loi de l'Ukraine « sur le travail » proposant une conception nouvelle. Cette initiative a marqué un nouveau cycle de confrontation entre le gouvernement et les syndicats : depuis 2019, presque tous les syndicats ukrainiens s'opposent aux initiatives du gouvernement dans le domaine des relations de travail. Le nouveau projet de loi reposait sur l'idée d'une individualisation des relations de travail. Il permettait de convenir des motifs des heures supplémentaires et des heures de travail prolongées sur une base individuelle, et autorisait l'employeur à rappeler un employé lors de son congé ou même à le licencier sans raisons spécifiques. En effet, une personne pouvait être licenciée à tout moment lorsque cela convenait à l'employeur, pour autant que ce dernier ne remplisse que quelques conditions, telles que l'indemnité de licenciement. Cette situation a fortement exacerbé la confrontation entre le gouvernement et les syndicats et s'annonçait extrêmement dangereuse, car en 2019, l'équipe de Zelensky avait la majorité au parlement et pouvait facilement faire passer n'importe quelle loi. Mais c'est grâce aux manifestations de masse que ces innovations ont été bloquées.
Je considère que le fait que ce projet de loi sur le travail n'ait pas été adopté est une grande victoire pour les syndicats et tous les travailleurs ukrainiens. Cela a notamment été facilité par la démission de Milovanov au début de l'année 2020. Le 24 février 2022, l'Ukraine s'est donc retrouvée avec une législation du travail qui offrait aux travailleurs un niveau de protection beaucoup plus élevé. À mon avis, ce facteur a permis à l'économie ukrainienne de ne pas s'effondrer complètement et de préserver les collectifs de travail qui soutiennent directement la vie de la société.
Peut-on dire que l'association avec l'UE est une autre raison pour laquelle le nouveau Code du travail n'a pas été adopté et que cette déréglementation n'a pas eu lieu après 2014 ou en 2019, lorsque Milovanov est entré en fonction ?
Plus l'Ukraine a déclaré activement sa volonté de rapprochement avec l'UE, plus il a été facile pour les syndicats de faire appel à des normes de travail spécifiques soutenues par l'UE et l'Organisation internationale du travail. Il est également devenu plus facile de demander l'aide des syndicats internationaux, y compris la Confédération syndicale internationale et la Confédération européenne des syndicats. L'attention de ces puissantes organisations, qui comptent des millions de membres dans le monde, a refroidi notre gouvernement à plusieurs reprises. Des déclarations internationales ont été faites, des visites ont été effectuées en Ukraine – tout cela a rappelé nos politiciens à leurs obligations, en particulier la députée Galina Tretyakova, qui est sans aucun doute l'une des idéologues et adeptes de la déréglementation de la législation du travail en Ukraine.
Pourtant, en 2022, de nombreux changements avaient été apportés à la législation du travail : des changements ponctuels, souvent non systématiques. Dans quelle direction ont-elles fait évoluer le système – vers la déréglementation ou la protection ?
Il s'agit bien d'une déréglementation, c'est-à-dire de la volonté d'éliminer les règles qui semblent défavorables aux employeurs et qui restreignent leur liberté. Bien entendu, les relations de travail ne sont pas une question d'égalité – l'employeur sera toujours plus fort. Par conséquent, l'élimination des règles et du contrôle de l'État, ainsi que le nivellement de l'influence des syndicats, conduisent à ce que les employés souffrent et à ce que leur vulnérabilité soit ressentie de manière beaucoup plus aiguë. En 2021, j'ai préparé pour Commons un document intitulé « Chroniques de la déréglementation » consacré au 50e anniversaire du Code du travail. Il montre de manière interactive comment les droits des Ukrainiens ont été restreints – et il y a eu beaucoup de changements. Ce document illustre comment la protection des travailleurs a été sacrifiée au profit d'une plus grande flexibilité dans la prise de décision par les dirigeants1.
À propos d'aujourd'hui
Intégration européenne et droits du travail
J'entends souvent dire que les petites et moyennes entreprises non seulement ne veulent pas employer officiellement des travailleurs, mais qu'elles ne peuvent pas le faire parce que cela détruirait leur activité. Comment pourriez-vous répondre à cette thèse ? Est-elle vraiment vraie ?
Les mécanismes de protection des travailleurs offerts par la législation actuelle sont-ils vraiment totalement inadaptés aux petites entreprises ?
La thèse selon laquelle la législation du travail est inapplicable ou même nuisible aux petites entreprises est trop abstraite. Nous devons étudier la pratique, les faits réels. Nous devons comprendre de quel type de petite entreprise nous parlons. Bien sûr, il y a des entreprises indépendantes où le propriétaire de l'entreprise est directement impliqué dans le travail. Il y a aussi des cas où de grands capitalistes utilisent un réseau d'entrepreneurs individuels pour économiser des impôts et éviter les exigences réglementaires. C'est le cas des chaînes de magasins, des restaurants, d'autres établissements de restauration, etc. Les inquiétudes concernant l'impact négatif de la réglementation sur l'économie et l'emploi sont très discutables. En 2017, lorsque le salaire minimum a été doublé et que le Service national du travail a été doté de nouveaux pouvoirs pour lutter contre le travail non déclaré, il n'y a pas eu d'effets négatifs significatifs sur l'emploi en Ukraine. Au contraire, l'emploi a progressé ! Ces mesures ont peut-être choqué de nombreuses entreprises, mais en même temps, la plupart des entrepreneurs ukrainiens se sont adaptés, ont commencé à formaliser leurs relations avec leurs employés et à leur verser au moins le salaire minimum par crainte des sanctions. Je pense que des exigences plus strictes ne peuvent que contribuer à la transparence et motiver les employés à assumer des obligations spécifiques et à travailler en toute bonne foi. L'accord d'association [avec l'UE] fournit des lignes directrices claires : la nécessité de protéger les travailleurs, le dialogue social, la garantie de l'égalité, la lutte contre l'exclusion sociale et la lutte contre les diverses formes d'abus des entreprises.
Expliquez-nous nos engagements en matière d'intégration européenne. L'idée de déréglementer les relations de travail est-elle conforme aux principes de l'intégration européenne ?
Je pense que la déréglementation est en contradiction avec l'intégration européenne. En effet, l'intégration européenne repose sur les actes fondamentaux du droit primaire et secondaire de l'UE, qui parlent d'une lutte constante contre l'exclusion sociale et de la garantie de la cohésion sociale. Si nous intégrons l'Union européenne, et non pas, par exemple, les États-Unis d'Amérique, nous devons garder cela à l'esprit.
En 2014, l'Ukraine a signé un accord d'association avec l'UE, qui contient déjà certaines dispositions, notamment aux articles 419 et 420, concernant les priorités communes dans le domaine de l'emploi. Il ne s'agit pas d'une flexibilité incontrôlée en faveur de l'employeur, mais de soutenir le bien-être des employés. Dans le même temps, l'Ukraine s'est engagée à mettre en œuvre une douzaine de directives européennes dans le domaine des relations de travail. Ces directives concernent la lutte contre la discrimination, la création de conditions favorables pour les mères qui travaillent et les travailleurs mineurs, la santé et la sécurité au travail, les inspections du travail et la clarté des contrats de travail. L'une de ces directives traite également de la conciliation des responsabilités professionnelles et familiales. En d'autres termes, il s'agit d'un paquet social-démocrate censé rendre la situation d'un employé plus prévisible.
La nuance est qu'au cours des dix années qui ont suivi la signature de l'accord, presque aucune de ces règles n'a été transposée dans la législation ukrainienne. Au cours de ces dix années, un certain nombre de directives européennes supplémentaires ont été adoptées, qui offrent une protection encore plus grande aux employés, mais nous ne sommes pas encore obligés de mettre en œuvre les directives adoptées après 2014. Cependant, la logique veut que si nous rejoignons l'UE, nous devrions adopter de nouvelles lois basées sur les meilleures normes européennes.
Et, bien entendu, aucune réforme ne peut être adoptée sans le consentement des syndicats. Et ce que nous avons fait en 2019 est un exemple de ce qu'il ne faut pas faire. Dans l'UE, l'adoption de lois dans le domaine des relations de travail sans le consentement des partenaires sociaux est considérée comme une honte. Si les pays entreprennent certaines réformes risquées et s'écartent des dispositions établies, il doit y avoir des circonstances extraordinaires. Si ces réformes sont motivées par des facteurs tels qu'une crise financière, elles doivent avoir une forte justification socio-économique. C'est pourquoi l'UE, malgré son hétérogénéité et la présence d'idées néolibérales, maintient un équilibre grâce à certaines règles de procédure. Il n'est pas possible que des réformes néfastes pour les salariés soient adoptées sans discussion, sans protestation et sans l'attention des instances supranationales. Nous ne nous faisons pas d'illusions sur la nature de l'UE, mais nous savons qu'il existe des outils permettant d'équilibrer la situation.
Les relations de travail en temps de guerre : l'entreprise privée comme base de la sécurité nationale ?
Vous avez dit que si certains pays de l'UE s'écartent des normes acceptées, c'est qu'il doit y avoir des raisons extraordinaires à cela. Je crois savoir que pour le gouvernement ukrainien, la guerre est devenue une telle raison. Comment le gouvernement a-t-il modifié la réglementation des relations de travail dans le contexte de la loi martiale ?
Dans des conditions démocratiques normales, les propositions élaborées par Galina Tretyakova n'auraient pas été adoptées. C'est elle qui a contribué à l'élaboration de diverses initiatives de déréglementation avant 2022 et après la déclaration de la loi martiale en Ukraine. Tout d'abord, il convient de prêter attention à la loi ukrainienne n°2136 du 15 mars 2022 sur l'organisation des relations de travail sous la loi martiale, qui a introduit un certain nombre de restrictions strictes, bien que temporaires, aux droits et garanties des employés et des syndicats. Bien sûr, elle est très proche de l'idéal des relations de travail professé par les hommes d'affaires libéraux. Pour eux, l'employeur ne doit rien à personne, l'État ne doit pas intervenir dans les relations de travail et les syndicats doivent jouer un rôle symbolique. Cette décentralisation de la réglementation engendre le chaos et l'arbitraire.
En ce qui concerne la dérogation à certains droits dans le cadre de la loi martiale, les instruments internationaux, tels que la Charte sociale européenne (révisée) de 1996, prévoient la possibilité de déroger à certains droits en cas de menace pour la sécurité nationale. La guerre, bien sûr, est une circonstance qui exige la consolidation de toutes les ressources de l'État pour repousser l'agresseur et préserver l'indépendance. Dans le même temps, la Charte stipule que les restrictions aux droits doivent être imposées dans la mesure nécessaire pour prévenir l'agression. En d'autres termes, nous devons examiner de manière critique chacune des restrictions imposées pour voir si elle répond au critère de la nécessité sociale. En règle générale, les restrictions aux droits sont autorisées lorsqu'elles poursuivent un but légitime, utilisent des moyens légitimes et présentent un degré raisonnable de proportionnalité entre les moyens et le but. La proportionnalité est le principe essentiel sur lequel le législateur doit s'appuyer pour restreindre certains droits et libertés. Dans notre cas, il me semble que ce critère a été négligé. En mars 2022, une loi aggravant la situation des employés a été présentée à la Verkhovna Rada et a été adoptée à huis clos quelques jours plus tard. En mars 2022, la situation de l'Ukraine était extrêmement difficile. Chaque jour était devenu une lutte pour la survie. Des millions de personnes ont fui la zone de guerre pour se réfugier dans des régions plus sûres ou à l'étranger. Il n'était plus question d'exercer un contrôle public sur le parlement. Le parlement se réunissait sans annonces publiques et les citoyens ne pouvaient prendre connaissance des décisions prises qu'avec beaucoup de retard. Il me semble que Tretyakova a su profiter de l'occasion pour réaliser ses fantasmes libéraux. On ne sait toujours pas qui a voté en sa faveur. La loi a été adoptée immédiatement en deuxième lecture. Cela signifie que toutes les factions représentées au parlement ont accepté son adoption en tant que base et dans son ensemble.
Bien entendu, la justification fournie dans la note explicative était très vague. De nombreuses questions se sont posées : pourquoi aider les employeurs privés à augmenter le temps de travail, à simplifier la procédure de licenciement sans l'accord des syndicats ou pendant un congé de maladie, et à annuler les conventions collectives ? Il n'y a toujours pas de réponse claire à ces questions. Cela soulève de sérieux doutes quant à la légitimité et à la validité de la loi. À mon avis, dans un pays démocratique, le gouvernement et le parlement auraient dû préparer un rapport ou un avis expliquant pourquoi ces restrictions restent nécessaires.
Vous avez dit que la Charte sociale européenne permet de déroger à ses dispositions en cas de menace pour la sécurité nationale. Peut-on dire que dans l'esprit de nos responsables, la sécurité nationale est désormais la sécurité des entreprises ? Après tout, il semble qu'avec cette déréglementation, ils aient voulu sauver avant tout le secteur privé, et non, par exemple, l'emploi.
Je suis d'accord pour dire que, dans cette affaire, les intérêts des employeurs, en particulier des employeurs privés, ont été identifiés à tort avec les intérêts du peuple ukrainien dans son ensemble. Je suis convaincu que la mise en place d'une économie de guerre dans un conflit de grande ampleur nécessite le plein-emploi. Nous devons nous assurer que toutes les ressources humaines sont utilisées pour rapprocher la victoire. Nous n'avons pas cette priorité. Au lieu de cela, des mesures ont été introduites qui poursuivent des intérêts économiques à court terme, telles que la réduction des droits salariaux, de l'emploi et des congés, toutes ces mesures étant prises pour économiser de l'argent aux entreprises. Cette loi a créé une tentation pour les employeurs d'abuser de ces décisions impopulaires en les prenant sans le consentement des partenaires sociaux, alors même que l'unité de la société est plus importante que jamais. En outre, la limitation stricte des allocations de chômage à un maximum de trois mois et au salaire minimum a effectivement découragé de nombreuses personnes de s'inscrire auprès des centres pour l'emploi. L'État n'a donc pas été en mesure d'offrir à ces personnes un travail d'intérêt public. Il existe différentes catégories de travaux publics qui prennent une importance particulière en temps de guerre : de l'aide aux entreprises de défense au déblaiement des décombres, en passant par les soins aux blessés et l'aide aux victimes. Ainsi, cet instrument des « travaux publics » ne fonctionne pas en Ukraine, comme cela a été le cas aux États-Unis sous Franklin Roosevelt.
Il s'agit d'une contradiction évidente entre, d'une part, les choix de la déréglementation, de la réduction des coûts pour les employeurs et de la mise en œuvre de l'austérité et, d'autre part, les intérêts à long terme du peuple ukrainien. Je donnerai un exemple récent de la manière dont l'État essaie d'économiser de l'argent sur les gens en sapant la confiance dans les institutions gouvernementales en tant que telles. La loi ukrainienne n° 2980 du 20 mars 2023 sur l'aide financière unique pour les dommages causés à la vie et à la santé des employés des infrastructures critiques, des fonctionnaires et des représentants des autorités locales à la suite de l'agression militaire de la Fédération de Russie contre l'Ukraine a été adoptée, mais le Fonds de pension de l'Ukraine, représenté par ses organes, tente d'éviter les paiements aux victimes de l'État agresseur dans les secteurs de l'énergie, de la défense et des transports en exploitant les lacunes de la législation. Par exemple, en prétendant que certaines entreprises ne font pas partie des infrastructures critiques parce qu'elles ne figurent pas dans le registre classifié2. Oui, ils économiseront de l'argent aujourd'hui, mais la question se pose : les gens voudront-ils travailler dans ces industries socialement importantes à l'avenir ?
Vous consacrez beaucoup de temps à la protection des travailleurs des infrastructures critiques et au-delà. Pourriez-vous nous parler des tendances que vous observez actuellement dans les relations de travail ?
Le principal résultat de mes observations de ce qui se passe dans la sphère sociale et du travail a été la création de ce que l'on appelle la « Liste noire des employeurs » publiée sur le site web du Sotsialnyi Rukh. Vous pouvez y lire des informations sur les employeurs qui ont osé abuser des innovations honteuses prévues par la loi n°2136 pour la période de la loi martiale. D'après l'analyse de la pratique des tribunaux, d'autres sources ouvertes et la communication avec des collectifs de travailleurs, l'abus le plus courant est la suspension des contrats de travail, lorsque les employés sont privés de la possibilité de travailler et ne reçoivent pas leur salaire. Je sais que dans environ 50% des cas, ces suspensions sont contestées. Heureusement, les tribunaux analysent chaque cas assez scrupuleusement. En outre, les cas de modification des conditions de travail essentielles sans préavis de deux mois sont fréquents. Cela signifie qu'un employé est informé du jour au lendemain d'une réduction de moitié de son temps de travail et, s'il n'est pas d'accord, il est licencié avec une indemnité de licenciement. Ces cas ont été particulièrement nombreux dans le secteur public, notamment dans le domaine des soins de santé. Des personnes ont été confrontées à la détérioration de leurs conditions de travail, ce qui les a poussées à démissionner.
Il est également courant que les employeurs suspendent certaines dispositions des conventions collectives. Cette pratique a été utilisée par des entreprises telles que Ukrzaliznytsia [exploitant du réseau ferroviaire ukrainien], la centrale nucléaire de Tchernobyl, de nombreux hôpitaux ukrainiens et Nova Poshta. Il y a eu très peu de cas de contestation de ces actions devant les tribunaux, à l'exception des poursuites contre Ukrzaliznytsia², dans lesquelles le syndicat libre des cheminots d'Ukraine a réussi à faire déclarer illégales les actions unilatérales de leurs patrons. Il n'est pas rare non plus que les employeurs refusent d'accorder des congés à leurs employés, au motif que leur entreprise ou institution est une infrastructure critique. Dans ce cas, les employeurs sont souvent de mauvaise foi et ne fournissent pas la preuve que leur entreprise est inscrite au registre correspondant. Les employés des tablissements d'enseignement, par exemple, ont été privés de ces congés. Très souvent, il s'agissait de congés sans solde, lorsque les gens partaient à l'étranger pour se sauver et sauver leur famille.
Le dialogue social contre l'individualisation des relations de travail
Vous avez évoqué l'individualisation des relations de travail et du dialogue social. Pouvez-vous nous dire en quoi l'individualisation menace le marché du travail et les salariés ? Parce qu'il y a une perception selon laquelle « c'est une bonne chose, chacun pourra négocier comme il l'entend », d'une part, mais d'autre part, comment le dialogue social s'articule-t-il avec tout cela ?
L'individualisation des relations de travail crée l'illusion que l'employé, tout comme l'employeur, peut influencer les conditions de travail. Cela peut fonctionner pour les stars d'Hollywood ou les footballeurs de haut niveau, mais pas pour les infirmières, les enseignants ou les cheminots dont le travail est extrêmement important pour la société. Si l'employeur est autorisé à introduire des motifs supplémentaires de licenciement, d'heures supplémentaires ou de rappel en congé avec le « consentement » du salarié, cela signifie qu'il devra obtenir ce « consentement » dans chaque cas individuel lors de l'embauche, pour ainsi dire, volontaire et obligatoire. Il est très difficile pour un employé de « mesurer ses forces » lorsqu'il souhaite obtenir un emploi. Cela peut donc entraîner une distorsion des droits en faveur de l'employeur.
En Ukraine, cette individualisation est partiellement mise en œuvre. Par exemple, en juillet 2022, une loi a été adoptée sur les contrats de travail à horaires variables, qui obligent les employés de travailler non pas en permanence, mais uniquement lorsque l'employeur en a besoin. Dans le cadre de ces contrats, le salaire de l'employé peut même être inférieur au salaire minimum. En outre, des motifs de licenciement supplémentaires non prévus par le droit du travail peuvent être appliqués, ce qui est contraire aux règles de l'OIT. En outre, pour la période de la loi martiale, un « régime simplifié de réglementation des relations de travail » a été introduit pour les entreprises comptant jusqu'à 250 employés. Je ne sais pas dans quelle mesure ce régime est utilisé, mais il semble attrayant pour les employeurs, car de nombreuses choses, telles que les heures supplémentaires ou la responsabilité en cas de divulgation de secrets commerciaux, peuvent être convenues au niveau d'un contrat de travail individuel. Je ne vois pas en quoi de telles mesures permettront une avancée tangible dans la sphère économique ou la création d'un grand nombre d'emplois. Tout reste à peu près au même niveau qu'à la fin de l'année 2022 : beaucoup d'offres d'emploi non pourvues et un nombre très modeste de personnes officiellement employées – environ 8 millions. Dans le même temps, la proportion de personnes gagnant le salaire minimum ou ayant des revenus inférieurs au salaire minimum augmente. En d'autres termes, la déréglementation, cet encouragement à des conditions d'emploi plus flexibles, n'a pas conduit à une croissance fulgurante de l'emploi. Il y a donc lieu de se demander si cette stratégie fonctionne vraiment lorsque l'on laisse tout « au hasard ».
Parlons du dialogue social. La guerre est un défi pour l'ensemble de la société, ce qui signifie que l'ensemble de la société devrait supporter le fardeau de la guerre et déterminer la direction du mouvement. Il serait utopique d'espérer que le gouvernement, en collaboration avec des cercles d'affaires proches, puisse trouver des solutions systémiques. Le dialogue social est donc une nécessité pratique dans un conflit de grande ampleur si l'on veut que les décisions prises par les autorités soient perçues comme légitimes, légitimes et justes. Malheureusement, il existe des innovations telles que l'introduction d'une réserve [exemption de mobilisation] économique. Elles provoquent un clivage dans la société parce qu'elles ont été élaborées sans tenir compte de l'avis des syndicats.
Le besoin de dialogue social est déjà objectivement déterminé par les circonstances actuelles et les impératifs de l'intégration européenne. Pour l'UE, les consultations entre les partenaires sociaux dans la prise de décision sont la priorité numéro un. Or, ce qui se passe en Ukraine est exactement le contraire. Un exemple récent est l'élaboration du projet de budget pour 2025, qui prévoit le gel du salaire minimum et du minimum vital pendant 3 ans, jusqu'en 2027. Une telle décision, bien sûr, sape encore plus le désir des gens de travailler en Ukraine et montre que le gouvernement méprise ouvertement l'opinion des syndicats. Le fossé entre la société et le gouvernement se creuse.
Et comment un travailleur ordinaire peut-il participer au dialogue social ?
Il existe trois niveaux de dialogue social : local, sectoriel et national. Bien sûr, il est plus facile pour un employé ordinaire de participer à ces procédures au niveau local en devenant membre d'un syndicat. Et je peux vous assurer qu'il existe des exemples où le dialogue social au niveau local fonctionne réellement et apporte certains avantages aux employés. Je citerai des entreprises comme Ukrzaliznytsia, où un grand nombre de syndicats tentent de freiner la volonté du propriétaire d'annuler certains avantages prévus dans la convention collective de cette entreprise de plusieurs milliers d'employés. Il y a aussi Energoatom [Compagnie nationale de production d'énergie nucléaire], qui est aussi directement liée à la pérennité de l'économie ukrainienne, et où il y a aussi un puissant syndicat qui contrôle toutes les décisions prises par l'administration. Ce dialogue entre les parties rend difficile toute prise de décisions qui pourraient aggraver la situation des employés.
Si nous parlons d'entreprises plus petites, je voudrais attirer l'attention sur un hôpital dans le district de Derazhnyansky, dans la région de Khmelnytsky. Un syndicat très militant y est affilié au mouvement des infirmières Sois comme Nina. Étant donné que leur convention collective contient de solides garanties procédurales, le syndicat exige que toute décision modifiant les conditions de travail essentielles soit prise en accord avec lui. C'est le cas, par exemple, pour le transfert de personnel à temps partiel. Bien sûr, la direction essaie de faire passer certaines décisions pour économiser sur les salaires, mais la convention collective reste en vigueur, et le syndicat et le conseil du travail en tirent parti. J'ai également entendu parler d'un cas à l'usine Leoni, qui est impliquée dans l'industrie automobile – elle opère également à Stryi, dans la région de Lviv. Au début de la guerre, l'employeur a pris des mesures qui ont aggravé la situation des employés, notamment en essayant de suspendre certains avantages prévus par la convention collective. Cependant, le syndicat a amené l'employeur à la table des négociations et a réussi à préserver certaines garanties pour ses membres.
Voyez-vous des perspectives de développement du dialogue social en Ukraine à l'heure actuelle ?
En conclusion, je voudrais dire qu'au cours de ces presque trois années, une strate de dirigeants syndicaux assez puissants a émergé en Ukraine, qui s'est habituée à travailler dans des circonstances d'incertitude totale et où l'État soutient les employeurs. Je pense que si ces personnes survivent à ces temps difficiles, elles seront en mesure de créer des structures fortes pendant la période de reconstruction d'après-guerre, qui exigeront de meilleures conditions de travail et l'égalisation des salaires avec la moyenne européenne. Aujourd'hui, le salaire moyen dans l'UE est d'environ 2 000 euros, et il me semble qu'au moins les travailleurs des infrastructures critiques et des industries d'exportation devraient recevoir au moins la moitié de ce montant, soit au moins 1 000 euros par mois.
Si nous voulons avancer sur la question des conditions de travail, nous devons imposer certaines obligations aux entreprises qui bénéficient de l'achat de biens et de services sur les fonds budgétaires par le biais du mécanisme d'appel d'offres. En particulier, nous devrions exiger que les accords d'adjudication prévoient la minimisation des accidents dans l'entreprise, que les employés soient impliqués dans la prise de décision et que les salaires soient également alignés sur les indicateurs européens. C'est ce que j'entends par des changements qui profiteront à l'ensemble de la société.
11 novembre 2024
Publié par Commons
Illustration Katya Gritseva
Traduction Patrick Le Tréhondat
1 Le récit sur la déréglementation des relations de travail et la destruction de l'État-providence aujourd'hui peut également être trouvé dans la conférence de Vitaliy :
https://www.youtube.com/watch?v=dO4e_M3iMLs
2 Pour bénéficier d'un tel paiement unique, l'entreprise ou l'institution où travaillait le travailleur blessé doit être inscrite au registre des infrastructures critiques. Le fonds de pension, interprétant la loi de manière restrictive, a massivement refusé des paiements si l'installation n'était pas inscrite au registre au moment de la tragédie. Pour plus de détails sur cette situation, voir l'article de Vitaliy :
https://rev.org.ua/garanti%d1%97-dlya-pracivnikiv-kritichno%d1%97-infrastrukturi/
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Syndicats, déréglementation et dialogue social en Ukraine.

Les droits des travailleurs jusqu'en 2022 :une menace et une lutte constantes. À propos d'aujourd'hui Intégration européenne et droits du travail. Dans la première partie de l'entretien, nous avons discuté de ce que l'on peut appeler le passé : comment l'idée de la déréglementation des relations de travail s'est développée et, avec elle, l'idée de la suprématie de l'employeur sur les employés s'est enracinée.
Tiré de Entre les lignes et les mots
La deuxième partie de notre conversation concerne le présent : les tendances dans les relations de travail après le début de l'invasion à grande échelle, à la lumière et sans la lumière de l'intégration européenne ; les tentatives de laisser les travailleurs seuls face aux employeurs par le biais de l'individualisation des relations de travail ; et le dialogue social comme une alternative difficile mais nécessaire.
Maria Sokolova
À propos d'aujourd'hui Intégration européenne et droits du travail
J'entends souvent dire que les petites et moyennes entreprises non seulement ne veulent pas employer officiellement des travailleurs, mais qu'elles ne peuvent pas le faire parce que cela détruirait leur activité. Comment pourriez-vous répondre à cette thèse ? Est-elle vraiment vraie ?
Les mécanismes de protection des travailleurs offerts par la législation actuelle sont-ils vraiment totalement inadaptés aux petites entreprises ?
La thèse selon laquelle la législation du travail est inapplicable ou même nuisible aux petites entreprises est trop abstraite. Nous devons étudier la pratique, les faits réels. Nous devons comprendre de quel type de petite entreprise nous parlons. Bien sûr, il y a des entreprises indépendantes où le propriétaire de l'entreprise est directement impliqué dans le travail. Il y a aussi des cas où de grands capitalistes utilisent un réseau d'entrepreneurs individuels pour économiser des impôts et éviter les exigences réglementaires. C'est le cas des chaînes de magasins, des restaurants, d'autres établissements de restauration, etc. Les inquiétudes concernant l'impact négatif de la réglementation sur l'économie et l'emploi sont très discutables. En 2017, lorsque le salaire minimum a été doublé et que le Service national du travail a été doté de nouveaux pouvoirs pour lutter contre le travail non déclaré, il n'y a pas eu d'effets négatifs significatifs sur l'emploi en Ukraine. Au contraire, l'emploi a progressé ! Ces mesures ont peut-être choqué de nombreuses entreprises, mais en même temps, la plupart des entrepreneurs ukrainiens se sont adaptés, ont commencé à formaliser leurs relations avec leurs employés et à leur verser au moins le salaire minimum par crainte des sanctions. Je pense que des exigences plus strictes ne peuvent que contribuer à la transparence et motiver les employés à assumer des obligations spécifiques et à travailler en toute bonne foi. L'accord d'association [avec l'UE] fournit des lignes directrices claires : la nécessité de protéger les travailleurs, le dialogue social, la garantie de l'égalité, la lutte contre l'exclusion sociale et la lutte contre les diverses formes d'abus des entreprises.
Expliquez-nous nos engagements en matière d'intégration européenne. L'idée de déréglementer les relations de travail est-elle conforme aux principes de l'intégration européenne ?
Je pense que la déréglementation est en contradiction avec l'intégration européenne. En effet, l'intégration européenne repose sur les actes fondamentaux du droit primaire et secondaire de l'UE, qui parlent d'une lutte constante contre l'exclusion sociale et de la garantie de la cohésion sociale. Si nous intégrons l'Union européenne, et non pas, par exemple, les États-Unis d'Amérique, nous devons garder cela à l'esprit.
En 2014, l'Ukraine a signé un accord d'association avec l'UE, qui contient déjà certaines dispositions, notamment aux articles 419 et 420, concernant les priorités communes dans le domaine de l'emploi. Il ne s'agit pas d'une flexibilité incontrôlée en faveur de l'employeur, mais de soutenir le bien-être des employés. Dans le même temps, l'Ukraine s'est engagée à mettre en œuvre une douzaine de directives européennes dans le domaine des relations de travail. Ces directives concernent la lutte contre la discrimination, la création de conditions favorables pour les mères qui travaillent et les travailleurs mineurs, la santé et la sécurité au travail, les inspections du travail et la clarté des contrats de travail. L'une de ces directives traite également de la conciliation des responsabilités professionnelles et familiales. En d'autres termes, il s'agit d'un paquet social-démocrate censé rendre la situation d'un employé plus prévisible.
La nuance est qu'au cours des dix années qui ont suivi la signature de l'accord, presque aucune de ces règles n'a été transposée dans la législation ukrainienne. Au cours de ces dix années, un certain nombre de directives européennes supplémentaires ont été adoptées, qui offrent une protection encore plus grande aux employés, mais nous ne sommes pas encore obligés de mettre en œuvre les directives adoptées après 2014. Cependant, la logique veut que si nous rejoignons l'UE, nous devrions adopter de nouvelles lois basées sur les meilleures normes européennes.
Et, bien entendu, aucune réforme ne peut être adoptée sans le consentement des syndicats. Et ce que nous avons fait en 2019 est un exemple de ce qu'il ne faut pas faire. Dans l'UE, l'adoption de lois dans le domaine des relations de travail sans le consentement des partenaires sociaux est considérée comme une honte. Si les pays entreprennent certaines réformes risquées et s'écartent des dispositions établies, il doit y avoir des circonstances extraordinaires. Si ces réformes sont motivées par des facteurs tels qu'une crise financière, elles doivent avoir une forte justification socio-économique. C'est pourquoi l'UE, malgré son hétérogénéité et la présence d'idées néolibérales, maintient un équilibre grâce à certaines règles de procédure. Il n'est pas possible que des réformes néfastes pour les salariés soient adoptées sans discussion, sans protestation et sans l'attention des instances supranationales. Nous ne nous faisons pas d'illusions sur la nature de l'UE, mais nous savons qu'il existe des outils permettant d'équilibrer la situation.
Les relations de travail en temps de guerre : l'entreprise privée comme base de la sécurité nationale ?
Vous avez dit que si certains pays de l'UE s'écartent des normes acceptées, c'est qu'il doit y avoir des raisons extraordinaires à cela. Je crois savoir que pour le gouvernement ukrainien, la guerre est devenue une telle raison. Comment le gouvernement a-t-il modifié la réglementation des relations de travail dans le contexte de la loi martiale ?
Dans des conditions démocratiques normales, les propositions élaborées par Galina Tretyakova n'auraient pas été adoptées. C'est elle qui a contribué à l'élaboration de diverses initiatives de déréglementation avant 2022 et après la déclaration de la loi martiale en Ukraine. Tout d'abord, il convient de prêter attention à la loi ukrainienne n°2136 du 15 mars 2022 sur l'organisation des relations de travail sous la loi martiale, qui a introduit un certain nombre de restrictions strictes, bien que temporaires, aux droits et garanties des employés et des syndicats. Bien sûr, elle est très proche de l'idéal des relations de travail professé par les hommes d'affaires libéraux. Pour eux, l'employeur ne doit rien à personne, l'État ne doit pas intervenir dans les relations de travail et les syndicats doivent jouer un rôle symbolique. Cette décentralisation de la réglementation engendre le chaos et l'arbitraire.
En ce qui concerne la dérogation à certains droits dans le cadre de la loi martiale, les instruments internationaux, tels que la Charte sociale européenne (révisée) de 1996, prévoient la possibilité de déroger à certains droits en cas de menace pour la sécurité nationale. La guerre, bien sûr, est une circonstance qui exige la consolidation de toutes les ressources de l'État pour repousser l'agresseur et préserver l'indépendance. Dans le même temps, la Charte stipule que les restrictions aux droits doivent être imposées dans la mesure nécessaire pour prévenir l'agression. En d'autres termes, nous devons examiner de manière critique chacune des restrictions imposées pour voir si elle répond au critère de la nécessité sociale. En règle générale, les restrictions aux droits sont autorisées lorsqu'elles poursuivent un but légitime, utilisent des moyens légitimes et présentent un degré raisonnable de proportionnalité entre les moyens et le but. La proportionnalité est le principe essentiel sur lequel le législateur doit s'appuyer pour restreindre certains droits et libertés. Dans notre cas, il me semble que ce critère a été négligé. En mars 2022, une loi aggravant la situation des employés a été présentée à la Verkhovna Rada et a été adoptée à huis clos quelques jours plus tard. En mars 2022, la situation de l'Ukraine était extrêmement difficile. Chaque jour était devenu une lutte pour la survie. Des millions de personnes ont fui la zone de guerre pour se réfugier dans des régions plus sûres ou à l'étranger. Il n'était plus question d'exercer un contrôle public sur le parlement. Le parlement se réunissait sans annonces publiques et les citoyens ne pouvaient prendre connaissance des décisions prises qu'avec beaucoup de retard. Il me semble que Tretyakova a su profiter de l'occasion pour réaliser ses fantasmes libéraux. On ne sait toujours pas qui a voté en sa faveur. La loi a été adoptée immédiatement en deuxième lecture. Cela signifie que toutes les factions représentées au parlement ont accepté son adoption en tant que base et dans son ensemble.
Bien entendu, la justification fournie dans la note explicative était très vague. De nombreuses questions se sont posées : pourquoi aider les employeurs privés à augmenter le temps de travail, à simplifier la procédure de licenciement sans l'accord des syndicats ou pendant un congé de maladie, et à annuler les conventions collectives ? Il n'y a toujours pas de réponse claire à ces questions. Cela soulève de sérieux doutes quant à la légitimité et à la validité de la loi. À mon avis, dans un pays démocratique, le gouvernement et le parlement auraient dû préparer un rapport ou un avis expliquant pourquoi ces restrictions restent nécessaires.
Vous avez dit que la Charte sociale européenne permet de déroger à ses dispositions en cas de menace pour la sécurité nationale. Peut-on dire que dans l'esprit de nos responsables, la sécurité nationale est désormais la sécurité des entreprises ? Après tout, il semble qu'avec cette déréglementation, ils aient voulu sauver avant tout le secteur privé, et non, par exemple, l'emploi.
Je suis d'accord pour dire que, dans cette affaire, les intérêts des employeurs, en particulier des employeurs privés, ont été identifiés à tort avec les intérêts du peuple ukrainien dans son ensemble. Je suis convaincu que la mise en place d'une économie de guerre dans un conflit de grande ampleur nécessite le plein-emploi. Nous devons nous assurer que toutes les ressources humaines sont utilisées pour rapprocher la victoire. Nous n'avons pas cette priorité. Au lieu de cela, des mesures ont été introduites qui poursuivent des intérêts économiques à court terme, telles que la réduction des droits salariaux, de l'emploi et des congés, toutes ces mesures étant prises pour économiser de l'argent aux entreprises. Cette loi a créé une tentation pour les employeurs d'abuser de ces décisions impopulaires en les prenant sans le consentement des partenaires sociaux, alors même que l'unité de la société est plus importante que jamais. En outre, la limitation stricte des allocations de chômage à un maximum de trois mois et au salaire minimum a effectivement découragé de nombreuses personnes de s'inscrire auprès des centres pour l'emploi. L'État n'a donc pas été en mesure d'offrir à ces personnes un travail d'intérêt public. Il existe différentes catégories de travaux publics qui prennent une importance particulière en temps de guerre : de l'aide aux entreprises de défense au déblaiement des décombres, en passant par les soins aux blessés et l'aide aux victimes. Ainsi, cet instrument des « travaux publics » ne fonctionne pas en Ukraine, comme cela a été le cas aux États-Unis sous Franklin Roosevelt.
Il s'agit d'une contradiction évidente entre, d'une part, les choix de la déréglementation, de la réduction des coûts pour les employeurs et de la mise en œuvre de l'austérité et, d'autre part, les intérêts à long terme du peuple ukrainien. Je donnerai un exemple récent de la manière dont l'État essaie d'économiser de l'argent sur les gens en sapant la confiance dans les institutions gouvernementales en tant que telles. La loi ukrainienne n° 2980 du 20 mars 2023 sur l'aide financière unique pour les dommages causés à la vie et à la santé des employés des infrastructures critiques, des fonctionnaires et des représentants des autorités locales à la suite de l'agression militaire de la Fédération de Russie contre l'Ukraine a été adoptée, mais le Fonds de pension de l'Ukraine, représenté par ses organes, tente d'éviter les paiements aux victimes de l'État agresseur dans les secteurs de l'énergie, de la défense et des transports en exploitant les lacunes de la législation. Par exemple, en prétendant que certaines entreprises ne font pas partie des infrastructures critiques parce qu'elles ne figurent pas dans le registre classifié2. Oui, ils économiseront de l'argent aujourd'hui, mais la question se pose : les gens voudront-ils travailler dans ces industries socialement importantes à l'avenir ?
Vous consacrez beaucoup de temps à la protection des travailleurs des infrastructures critiques et au-delà. Pourriez-vous nous parler des tendances que vous observez actuellement dans les relations de travail ?
Le principal résultat de mes observations de ce qui se passe dans la sphère sociale et du travail a été la création de ce que l'on appelle la « Liste noire des employeurs » publiée sur le site web du Sotsialnyi Rukh. Vous pouvez y lire des informations sur les employeurs qui ont osé abuser des innovations honteuses prévues par la loi n°2136 pour la période de la loi martiale. D'après l'analyse de la pratique des tribunaux, d'autres sources ouvertes et la communication avec des collectifs de travailleurs, l'abus le plus courant est la suspension des contrats de travail, lorsque les employés sont privés de la possibilité de travailler et ne reçoivent pas leur salaire. Je sais que dans environ 50% des cas, ces suspensions sont contestées. Heureusement, les tribunaux analysent chaque cas assez scrupuleusement. En outre, les cas de modification des conditions de travail essentielles sans préavis de deux mois sont fréquents. Cela signifie qu'un employé est informé du jour au lendemain d'une réduction de moitié de son temps de travail et, s'il n'est pas d'accord, il est licencié avec une indemnité de licenciement. Ces cas ont été particulièrement nombreux dans le secteur public, notamment dans le domaine des soins de santé. Des personnes ont été confrontées à la détérioration de leurs conditions de travail, ce qui les a poussées à démissionner.
Il est également courant que les employeurs suspendent certaines dispositions des conventions collectives. Cette pratique a été utilisée par des entreprises telles que Ukrzaliznytsia [exploitant du réseau ferroviaire ukrainien], la centrale nucléaire de Tchernobyl, de nombreux hôpitaux ukrainiens et Nova Poshta. Il y a eu très peu de cas de contestation de ces actions devant les tribunaux, à l'exception des poursuites contre Ukrzaliznytsia², dans lesquelles le syndicat libre des cheminots d'Ukraine a réussi à faire déclarer illégales les actions unilatérales de leurs patrons. Il n'est pas rare non plus que les employeurs refusent d'accorder des congés à leurs employés, au motif que leur entreprise ou institution est une infrastructure critique. Dans ce cas, les employeurs sont souvent de mauvaise foi et ne fournissent pas la preuve que leur entreprise est inscrite au registre correspondant. Les employés des tablissements d'enseignement, par exemple, ont été privés de ces congés. Très souvent, il s'agissait de congés sans solde, lorsque les gens partaient à l'étranger pour se sauver et sauver leur famille.
Le dialogue social contre l'individualisation des relations de travail
Vous avez évoqué l'individualisation des relations de travail et du dialogue social. Pouvez-vous nous dire en quoi l'individualisation menace le marché du travail et les salariés ? Parce qu'il y a une perception selon laquelle « c'est une bonne chose, chacun pourra négocier comme il l'entend », d'une part, mais d'autre part, comment le dialogue social s'articule-t-il avec tout cela ?
L'individualisation des relations de travail crée l'illusion que l'employé, tout comme l'employeur, peut influencer les conditions de travail. Cela peut fonctionner pour les stars d'Hollywood ou les footballeurs de haut niveau, mais pas pour les infirmières, les enseignants ou les cheminots dont le travail est extrêmement important pour la société. Si l'employeur est autorisé à introduire des motifs supplémentaires de licenciement, d'heures supplémentaires ou de rappel en congé avec le « consentement » du salarié, cela signifie qu'il devra obtenir ce « consentement » dans chaque cas individuel lors de l'embauche, pour ainsi dire, volontaire et obligatoire. Il est très difficile pour un employé de « mesurer ses forces » lorsqu'il souhaite obtenir un emploi. Cela peut donc entraîner une distorsion des droits en faveur de l'employeur.
En Ukraine, cette individualisation est partiellement mise en œuvre. Par exemple, en juillet 2022, une loi a été adoptée sur les contrats de travail à horaires variables, qui obligent les employés de travailler non pas en permanence, mais uniquement lorsque l'employeur en a besoin. Dans le cadre de ces contrats, le salaire de l'employé peut même être inférieur au salaire minimum. En outre, des motifs de licenciement supplémentaires non prévus par le droit du travail peuvent être appliqués, ce qui est contraire aux règles de l'OIT. En outre, pour la période de la loi martiale, un « régime simplifié de réglementation des relations de travail » a été introduit pour les entreprises comptant jusqu'à 250 employés. Je ne sais pas dans quelle mesure ce régime est utilisé, mais il semble attrayant pour les employeurs, car de nombreuses choses, telles que les heures supplémentaires ou la responsabilité en cas de divulgation de secrets commerciaux, peuvent être convenues au niveau d'un contrat de travail individuel. Je ne vois pas en quoi de telles mesures permettront une avancée tangible dans la sphère économique ou la création d'un grand nombre d'emplois. Tout reste à peu près au même niveau qu'à la fin de l'année 2022 : beaucoup d'offres d'emploi non pourvues et un nombre très modeste de personnes officiellement employées – environ 8 millions. Dans le même temps, la proportion de personnes gagnant le salaire minimum ou ayant des revenus inférieurs au salaire minimum augmente. En d'autres termes, la déréglementation, cet encouragement à des conditions d'emploi plus flexibles, n'a pas conduit à une croissance fulgurante de l'emploi. Il y a donc lieu de se demander si cette stratégie fonctionne vraiment lorsque l'on laisse tout « au hasard ».
Parlons du dialogue social. La guerre est un défi pour l'ensemble de la société, ce qui signifie que l'ensemble de la société devrait supporter le fardeau de la guerre et déterminer la direction du mouvement. Il serait utopique d'espérer que le gouvernement, en collaboration avec des cercles d'affaires proches, puisse trouver des solutions systémiques. Le dialogue social est donc une nécessité pratique dans un conflit de grande ampleur si l'on veut que les décisions prises par les autorités soient perçues comme légitimes, légitimes et justes. Malheureusement, il existe des innovations telles que l'introduction d'une réserve [exemption de mobilisation] économique. Elles provoquent un clivage dans la société parce qu'elles ont été élaborées sans tenir compte de l'avis des syndicats.
Le besoin de dialogue social est déjà objectivement déterminé par les circonstances actuelles et les impératifs de l'intégration européenne. Pour l'UE, les consultations entre les partenaires sociaux dans la prise de décision sont la priorité numéro un. Or, ce qui se passe en Ukraine est exactement le contraire. Un exemple récent est l'élaboration du projet de budget pour 2025, qui prévoit le gel du salaire minimum et du minimum vital pendant 3 ans, jusqu'en 2027. Une telle décision, bien sûr, sape encore plus le désir des gens de travailler en Ukraine et montre que le gouvernement méprise ouvertement l'opinion des syndicats. Le fossé entre la société et le gouvernement se creuse.
Et comment un travailleur ordinaire peut-il participer au dialogue social ?
Il existe trois niveaux de dialogue social : local, sectoriel et national. Bien sûr, il est plus facile pour un employé ordinaire de participer à ces procédures au niveau local en devenant membre d'un syndicat. Et je peux vous assurer qu'il existe des exemples où le dialogue social au niveau local fonctionne réellement et apporte certains avantages aux employés. Je citerai des entreprises comme Ukrzaliznytsia, où un grand nombre de syndicats tentent de freiner la volonté du propriétaire d'annuler certains avantages prévus dans la convention collective de cette entreprise de plusieurs milliers d'employés. Il y a aussi Energoatom [Compagnie nationale de production d'énergie nucléaire], qui est aussi directement liée à la pérennité de l'économie ukrainienne, et où il y a aussi un puissant syndicat qui contrôle toutes les décisions prises par l'administration. Ce dialogue entre les parties rend difficile toute prise de décisions qui pourraient aggraver la situation des employés.
Si nous parlons d'entreprises plus petites, je voudrais attirer l'attention sur un hôpital dans le district de Derazhnyansky, dans la région de Khmelnytsky. Un syndicat très militant y est affilié au mouvement des infirmières Sois comme Nina. Étant donné que leur convention collective contient de solides garanties procédurales, le syndicat exige que toute décision modifiant les conditions de travail essentielles soit prise en accord avec lui. C'est le cas, par exemple, pour le transfert de personnel à temps partiel. Bien sûr, la direction essaie de faire passer certaines décisions pour économiser sur les salaires, mais la convention collective reste en vigueur, et le syndicat et le conseil du travail en tirent parti. J'ai également entendu parler d'un cas à l'usine Leoni, qui est impliquée dans l'industrie automobile – elle opère également à Stryi, dans la région de Lviv. Au début de la guerre, l'employeur a pris des mesures qui ont aggravé la situation des employés, notamment en essayant de suspendre certains avantages prévus par la convention collective. Cependant, le syndicat a amené l'employeur à la table des négociations et a réussi à préserver certaines garanties pour ses membres.
Voyez-vous des perspectives de développement du dialogue social en Ukraine à l'heure actuelle ?
En conclusion, je voudrais dire qu'au cours de ces presque trois années, une strate de dirigeants syndicaux assez puissants a émergé en Ukraine, qui s'est habituée à travailler dans des circonstances d'incertitude totale et où l'État soutient les employeurs. Je pense que si ces personnes survivent à ces temps difficiles, elles seront en mesure de créer des structures fortes pendant la période de reconstruction d'après-guerre, qui exigeront de meilleures conditions de travail et l'égalisation des salaires avec la moyenne européenne. Aujourd'hui, le salaire moyen dans l'UE est d'environ 2 000 euros, et il me semble qu'au moins les travailleurs des infrastructures critiques et des industries d'exportation devraient recevoir au moins la moitié de ce montant, soit au moins 1 000 euros par mois.
Si nous voulons avancer sur la question des conditions de travail, nous devons imposer certaines obligations aux entreprises qui bénéficient de l'achat de biens et de services sur les fonds budgétaires par le biais du mécanisme d'appel d'offres. En particulier, nous devrions exiger que les accords d'adjudication prévoient la minimisation des accidents dans l'entreprise, que les employés soient impliqués dans la prise de décision et que les salaires soient également alignés sur les indicateurs européens. C'est ce que j'entends par des changements qui profiteront à l'ensemble de la société.
11 novembre 2024
Publié par Commons
Illustration Katya Gritseva
Traduction Patrick Le Tréhondat
1 Le récit sur la déréglementation des relations de travail et la destruction de l'État-providence aujourd'hui peut également être trouvé dans la conférence de Vitaliy :
https://www.youtube.com/watch?v=dO4e_M3iMLs
2 Pour bénéficier d'un tel paiement unique, l'entreprise ou l'institution où travaillait le travailleur blessé doit être inscrite au registre des infrastructures critiques. Le fonds de pension, interprétant la loi de manière restrictive, a massivement refusé des paiements si l'installation n'était pas inscrite au registre au moment de la tragédie. Pour plus de détails sur cette situation, voir l'article de Vitaliy :
https://rev.org.ua/garanti%d1%97-dlya-pracivnikiv-kritichno%d1%97-infrastrukturi/

Les infirmières iraniennes reprennent leurs manifestations pour dénoncer les conditions de travail difficiles et les bas salaires

Les infirmières iraniennes ont repris leurs manifestations à Fasa (sud de l'Iran) et à Yazd (centre de l'Iran), le samedi 2 novembre 2024, alors que le gouvernement refuse de répondre à leurs demandes d'amélioration des salaires et des conditions de travail.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Les femmes représentent 70 % de la main-d'œuvre infirmière en Iran, un groupe qui a été confronté à des sous-paiements systématiques, à la censure et même à l'intimidation.
Un tragique catalyseur de changement
En août, de vastes manifestationsont éclaté à la suite de la mort tragique de Parvaneh Mandani, une infirmière de 32 ans de la province de Fars. Son effondrement et son décès, attribués à un surmenage extrême, ont été rapportés dans les médias comme un cas de « syndrome de Karoshi » – un terme traditionnellement associé au Japon, qui trouve désormais une résonance dans la crise des soins de santé en Iran.
Le décès de Parvaneh est devenu un cri de ralliement, déclenchant des manifestations qui se sont étendues à plus de 50 hôpitaux dans 21 villes. Les infirmières iraniennes se sont mobilisées, exigeant une rémunération équitable et dénonçant les heures supplémentaires obligatoires, qui les obligent souvent à prendre en charge jusqu'à 50 patients simultanément.
Négligence systémique de la loi sur la tarification des soins infirmiers
Les revendications des infirmières iraniennes ne se limitent pas à des heures de travail équitables. Elles demandent l'application de la loi sur la tarification des services infirmiers, promulguée en 2006, qui vise à normaliser la rémunération en fonction de la charge de travail et des performances – une loi qui a été largement ignorée. En outre, les infirmières souhaitent avoir accès aux avantages professionnels généralement accordés aux fonctions à haut risque, tels que la retraite anticipée après 25 ans, mais ces droits ne sont toujours pas respectés.
Augmentation des taux de démission et d'émigration
Le manque de soutien gouvernemental a poussé de nombreuses infirmières à bout. L'année dernière, environ 1 590 infirmières iraniennes ont démissionné, un chiffre qui dépasse nettement le taux d'émigration des professionnels de la santé. En fait, on estime que les démissions sont deux à trois fois supérieures au taux d'émigration. En un mois seulement, plus de 200 infirmières iraniennes ont quitté le pays, ce qui souligne l'urgence de cette crise.
La légalité des heures supplémentaires forcées remise en question
Fin septembre, la commission parlementaire iranienne de la santé et des traitements a pris acte de l'augmentation des démissions et de l'émigration. Elle a reconnu que l'imposition d'heures supplémentaires obligatoires aux infirmières était illégale, citant une décision de la Cour de justice administrative. Malgré cette reconnaissance, aucune réforme substantielle ou mesure de compensation n'a été adoptée.
Néanmoins, les infirmières iraniennes restent déterminées dans leurs revendications. Elles continuent de réclamer un revenu minimum supérieur au seuil de pauvreté et un plafonnement des heures supplémentaires à 80 par mois. Il est alarmant de constater que les heures supplémentaires sont actuellement rémunérées à moins de 50 cents de l'heure.
https://wncri.org/fr/2024/11/03/les-infirmieres-iraniennes-4/
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Aliyev, Orbàn, Meloni... La COP29 accueille le gratin d’extrême droite mondial

Emmanuel Macron, Joe Biden ou Lula ne viendront pas à la COP29, à Bakou. Ils laissent ainsi toute latitude aux chefs d'État d'extrême droite et à leur hôte l'autocrate Ilham Aliyev pour faire les louanges des énergies fossiles.
Tiré de Reporterre
Bakou (Azerbaïdjan), reportage
« Je veux le répéter ici devant cette audience : c'est un don de Dieu. » Le président de l'Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, répète son mantra au sujet du pétrole et du gaz. Le 12 novembre, au deuxième jour de la COP29 à Bakou, l'allocution de l'indétrônable autocrate s'est traduite par une défense acharnée — et transparente — de l'extraction de combustibles fossiles. Sans la moindre retenue à l'égard de ses détracteurs, le moustachu a taillé « la politique du deux poids, deux mesures, la manie de donner des leçons et l'hypocrisie » des dirigeants, activistes et médias de certains pays occidentaux.
Quittant la tribune sous les applaudissements nourris de la plénière « Nizami », le dictateur aux commandes du pays hôte depuis 2003 a échangé une chaleureuse poignée de mains avec le secrétaire général des Nations unies, António Guterres. Celui-ci n'a pas corrigé la teneur de son laïus, mais était sans doute médusé par ces propos d'une férocité quasi-inédite en diplomatie internationale. Toujours est-il que le patron de l'ONU a commencé par remercier « l'accueil et l'hospitalité » de l'homme venant de jeter un froid à l'hémicycle.
« Nous sommes dans le compte à rebours final »
« Le son que vous entendez est celui du tic-tac de l'horloge. Nous sommes dans le compte à rebours final pour limiter l'augmentation de la température mondiale à 1,5 °C, a toutefois clamé le Portugais. Et le temps ne joue pas en notre faveur. » Dénonçant l'absurdité de poursuivre l'investissement dans les hydrocarbures, il a appelé à réduire de 30 % leur production d'ici 2030.
Un vœu aux antipodes des projections de l'État accueillant la COP, tablant plutôt sur une hausse de +14 % à l'horizon 2035.
Champ libre aux nationalistes européens
Jusqu'au crépuscule du 13 novembre, un bataillon de 82 chefs d'État et de gouvernement, vice-présidents et princes héritiers doit défiler au pupitre de l'Assemblée. Une grand-messe protocolaire, baptisée « Sommet des leaders » et boudée par tous les dirigeants des pays les plus émetteurs de dioxyde de carbone. Le président des États-Unis, Joe Biden, à la légitimité terriblement fragilisée par l'élection de Donald Trump, sèche l'exercice pour la deuxième année consécutive. Les leaders du Japon, de l'Australie, de la Chine, de l'Inde, du Canada, de l'Afrique du Sud ou encore du Mexique brillent aussi par leur absentéisme. Au même titre que le dictateur Vladimir Poutine, le roi Charles et le président du Brésil, Luiz Inácio Lula da Silva, pourtant hôte de la prochaine COP.
Et le tableau n'est guère plus garni du côté de l'Union européenne. Emmanuel Macron, lui aussi, a refusé de se déplacer. Une première depuis 2019, justifiée par les fortes tensions diplomatiques entretenues avec l'Azerbaïdjan depuis la condamnation par la France de l'invasion du Haut-Karabagh par l'armée d'Ilham Aliyev, en 2023. Une fenêtre de tir idéale, dont Alexandre Loukachenko, autocrate biélorusse et proche allié de Vladimir Poutine, s'est aussitôt saisi : « Quelle est l'efficacité de nos négociations sur le climat si le président français n'est même pas présent ? »
Le nationaliste hongrois, Viktor Orban, a pu dérouler à la COP des ambitions climatiques bien différentes de celles défendues par l'Union européenne. © Emmanuel Clévenot / Reporterre
Le chancelier allemand Olaf Scholz et la présidente de la Commission Ursula von der Leyen ne participent pas non plus au grand raout. Une aubaine pour le nationaliste hongrois, Viktor Orban, ayant pu dérouler des ambitions climatiques bien différentes de celles défendues par l'Union européenne : « Nous devons poursuivre la transition verte tout en maintenant notre usage du gaz, du pétrole et du nucléaire », a-t-il notamment déclaré à la barre. Attendue ce jour devant la plénière, son homologue italienne d'extrême droite, Giorgia Meloni, risque d'adopter pareille posture.
Les pays pauvres vont-ils « quitter Bakou les mains vides » ?
Visiblement plus enclins à partager le sentiment d'urgence devant « le tic-tac de l'horloge », plus d'une vingtaine d'intervenants africains ont décrit les tragiques répercussions du changement climatique que leur pays affronte au quotidien. Au même titre que le président du Népal, endeuillé par une mousson et des glissements de terrain meurtriers, ainsi que les figures d'une flopée de nations insulaires : « Tout est menacé, a déploré Ahmed Abdullah Afif Didi, vice-président des Seychelles. Nous devons déménager nos maisons. »
Hilda Heine, l'une des neuf femmes parmi les 82 leaders présents à la COP29, a fustigé la démobilisation des pays riches à l'heure de mettre la main à la poche. La présidente des Îles Marshall, un État insulaire que le Pacifique pourrait un jour engloutir, a toutefois harangué l'hémicycle : « Nous savons reconnaître le moment où la tendance s'inverse. Et en ce qui concerne le climat, la tendance s'inverse maintenant. »
Jusqu'au 22 novembre prochain, une enveloppe annuelle allant de 100 à 1 300 milliards de dollars (1 225 milliards d'euros) doit être débattue pour financer la transition des pays vulnérables au changement climatique. « [Ils] ne doivent pas quitter Bakou les mains vides », a insisté António Guterres.
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COP 29 : le méthane, un don de la Trinité

Cette COP29, réunie à Bakou, est, comme les précédentes, l'occasion pour certains « acteurs » des industries fossiles, comme de leurs financiers, de répéter une fois de plus « qu'il faut prendre conscience de la situation » et pour les affabulateurs les plus hypocrites de diffuser l'idéologie « de la transition écologique ».
13 novembre 2024 Alencontre
http://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/cop-29-le-methane-un-don-de-la-trinite.html
Par rédaction A l'Encontre
Une « transition » que Jean-Baptiste Fressoz, dans son ouvrage Sans transition, une nouvelle histoire de l'énergie (Le Seuil, janvier 2024), qualifie « d'idéologie du capital au XXIe siècle. Grâce à elle, le mal devient le remède, les industries polluantes des industries vertes en devenir, et l'innovation, notre bouée de sauvetage. Grâce à la transition, le capital se retrouve du bon côté de la lutte climatique. Grâce à la transition, on parle de trajectoire à 2100, de voitures électriques [1] et d'avions à hydrogène plutôt que de niveau de consommation matérielle et de répartition [de la richesse produite]. » Autrement dit est évité tout pas de travers qui permettrait de déceler la logique vampiriste du capital [2].
***
Au deuxième jour de la COP29, Ilham Aliyev, président de l'Azerbaïdjan marchant dans les pas de son père autocrate Heydar Aliyev, déclamait au sujet du pétrole et du gaz : « Je veux le répéter ici devant cette audience : c'est un don de Dieu. » La figure divine est aujourd'hui d'actualité : Trump a été sauvé par Dieu à l'occasion d'une tentative d'assassinat le 13 juillet et incarne la présence de Dieu dans le champ politique selon les courants catholiques intégristes et évangélistes qui furent les anges gardiens de son élection à la présidence des Etats-Unis. Ici, la « providence divine » guide les forages et l'augmentation de l'extraction de fossile.
Au moment où António Guterres, à Bakou, indique qu'il faut réduire de 30% la production d'hydrocarbures d'ici 2030, l'hôte de la COP29, l'Azerbaïdjan, selon le rapport de l'ONG OilChange International, a pour objectif d'augmenter sa production d'hydrocarbures de 14% d'ici 2035. Et le futur hôte de la COP30, le Brésil, table sur une croissance de 36%.
Quant à Giorgia Meloni, selon Il Fatto Quotidiano du 13 novembre, elle joue dans son intervention la carte de la « transition écologique » (décarbonation, biocarburants, fusion nucléaire) tout en insistant sur un fait d'évidence : « Il n'y a pas d'alternative aux combustibles fossiles. » Il est vrai que l'Italie importe 57% de son pétrole et 20% de son gaz d'Azerbaïdjan.
***
Les COP ont au moins un effet stimulant : des ONG, des instituts et y compris la presse économique publient des données qui pointent les périls à venir. Ainsi, les études concernant, par exemple, les émissions de méthane sont diffusées dans les mois précédant la COP.
Ian Angus, sur son site Climate & Capitalism, le 10 septembre, rapportait les résultats établis par le Earth System Science Data sur le budget mondial du méthane pour 2024.
Ce dernier « montre une augmentation de 20% des émissions de méthane dues aux activités humaines au cours des deux dernières décennies.
»Le méthane est l'un des trois principaux gaz à effet de serre qui contribuent au changement climatique. Il ne reste dans l'atmosphère que quelques décennies, moins longtemps que le dioxyde de carbone et l'oxyde nitreux, mais son potentiel de réchauffement global à court terme est le plus élevé, car il retient davantage de chaleur dans l'atmosphère.
»Le bilan, établi par leGlobal Carbon Project, couvre 17 sources naturelles et anthropiques (induites par l'homme). Il montre que le méthane a augmenté de 61 millions de tonnes métriques par an.
“Nous avons observé des taux de croissance plus élevés pour le méthane au cours des trois dernières années, de 2020 à 2022, avec un record en 2021”, explique Pep Canadell, directeur du Global Carbon Project. “Cette augmentation signifie que les concentrations de méthane dans l'atmosphère sont 2,6 fois plus élevées que les niveaux préindustriels (1750).” “Les activités humaines sont responsables d'au moins deux tiers des émissions mondiales de méthane, ajoutant environ 0,5°C au réchauffement climatique qui s'est produit jusqu'à présent.”
»Le rapport conclut que l'agriculture est à l'origine de 40% des émissions mondiales de méthane d'origine anthropique. Le secteur des combustibles fossiles en produit 34%, les déchets solides et les eaux usées 19%, et la combustion de la biomasse et des biocarburants 7%.
»Les cinq principaux pays émetteurs en 2020 étaient la Chine (16%), l'Inde (9%), les Etats-Unis (7%), le Brésil (6%) et la Russie (5%).
»L'Union européenne et l'Australasie ont réduit leurs émissions anthropiques de méthane au cours des deux dernières décennies. Toutefois, les tendances mondiales mettent clairement en péril les engagements internationaux visant à réduire les émissions de méthane de 30% d'ici à 2030.
»Pour des trajectoires d'émissions nettes nulles compatibles avec l'objectif de l'Accord de Paris d'une augmentation maximale de la température de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels, les émissions anthropiques de méthane doivent diminuer de 45% d'ici à 2050, par rapport aux niveaux de 2019. »
***
Dans le Financial Times du 12 novembre, Attracta Mooney (Bakou) et Jana Tauschinski (Londres) rassemblent un cumul de données démontrant « comment les compagnies pétrolières et gazières dissimulent leurs émissions de méthane […], comment elles dissimulent régulièrement des fuites de ce gaz à effet de serre mortel, bien qu'il s'agisse de l'une des solutions les plus faciles à mettre en œuvre pour lutter contre le changement climatique. »
»Sur les rives de la mer Caspienne, à moins de 30 miles de l'endroit où les dirigeants, ministres et négociateurs du monde entier se réunissent cette semaine à Bakou dans le cadre du sommet sur le climat COP29, un puissant gaz à effet de serre s'est échappé dans l'atmosphère.
»Un capteur installé sur la Station spatiale internationale a détecté six panaches distincts de méthane entre avril et juin. Selon l'organisation californienne à but non lucratif Carbon Mapper, qui a analysé les données et les a communiquées au Financial Times, tous ces panaches proviennent de sites pétroliers et gaziers situés à la périphérie de la capitale de l'Azerbaïdjan.
»Cinq autres panaches ont été détectés sur d'autres sites du pays, notamment près du terminal pétrolier et gazier géant de Sangachal [vaste complexe industriel qui comprend un point de collecte, de traitement, de stockage et d'exportation du gaz du champ de Shah Deniz, ainsi que du pétrole d'Azeri-Chirag-Guneshli]. Bien que d'intensité variable, ces panaches étaient à la fois polluants et profondément toxiques, contenant des substances cancérigènes et d'autres gaz dangereux, ainsi que du méthane.
»Selon les militants et les analystes qui suivent la pollution par le méthane, une situation similaire se produit dans les installations pétrolières et gazières du monde entier. Dans certains cas, des fuites accidentelles sont à blâmer. Mais ailleurs, les producteurs rejettent le gaz de manière flagrante et délibérée.
»Le méthane est le principal responsable de la formation de l'ozone troposphérique [c'est-à-dire présent près du sol], un polluant atmosphérique dangereux qui cause chaque année la mort d'un million de personnes dans le monde à la suite de maladies respiratoires. Mais une menace encore plus grande pèse sur le climat.
»Même s'il ne persiste pas aussi longtemps dans l'atmosphère que le dioxyde de carbone, sur une période de 20 ans, le méthane est 80 fois plus puissant pour piéger la chaleur. On estime qu'il est responsable de 30% du réchauffement de la planète depuis la révolution industrielle.
»Une partie du méthane provient de sources naturelles telles que les zones humides et les gaz volcaniques. Mais la majeure partie des émissions est due à l'activité humaine : agriculture, déchets de décharge et industrie des combustibles fossiles.
»Le problème a longtemps été occulté en raison du manque d'outils permettant de le détecter et de le mesurer. Inodore et incolore, ce gaz est notoirement difficile à repérer. Jusqu'à récemment, les études sur le méthane s'effectuaient principalement au sol à l'aide d'appareils portatifs ou par des survols aériens qui le détectent grâce à ses interactions avec les ondes lumineuses.
»Selon une analyse du Financial Times, les entreprises du secteur de l'énergie ont trouvé de nombreux moyens de dissimuler l'ampleur de leurs émissions. « Le pétrole et le gaz émettent beaucoup plus de méthane que nous ne le pensons », affirme Eric Kort, professeur de climat, de sciences spatiales et d'ingénierie à l'université du Michigan. […] les émissions provenant de l'industrie pétrolière et gazière ne figurent pas à l'ordre du jour de cette année.
»Pourtant, les émissions du secteur de l'énergie ont atteint un niveau record en 2023 – une irritation pour certains analystes, qui soulignent qu'il s'agit de l'une des possibilités les moins coûteuses et les plus rapides de lutter contre le réchauffement climatique actuellement disponibles.
»“La réduction du méthane à court terme est le moyen le plus rapide dont nous disposons pour éviter les pires effets du changement climatique”, déclare Manfredi Caltagirone, responsable de l'Observatoire international des émissions de méthane du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE). “[Et] le secteur qui présente le plus grand potentiel de réduction est l'industrie pétrolière et gazière.”
»Un précédent sommet de la COP tenu en 2021 a lancé le Global Methane Pledge, une initiative soutenue par plus de 150 pays, qui vise à réduire les émissions mondiales de 30% d'ici 2030 par rapport aux niveaux de 2020. Toutefois, selon des données récentes, les émissions globales de méthane continuent d'augmenter. » […]
***
Le dogme des politiques néolibérales, l'autorégulation, est invoquée de manière trompeuse car les groupes pétroliers et gaziers disent pouvoir détecter les émissions de méthane – y compris celles liées au torchage et aux accidents – grâce au développement de technologies satellitaires d'imagerie et de mesures.
Or, comme le souligne l'article du Financial Times :
« Josh Eisenfeld, qui suit les émissions de méthane à Earthworks, une organisation américaine à but non lucratif dont l'objectif est de mettre fin à la pollution énergétique, estime que l'un des principaux problèmes réside dans le fait que l'industrie “essaie de s'autosurveiller”. La plupart des équipements utilisés par les compagnies pétrolières et gazières ne parviennent même pas à repérer les petites fuites de méthane, affirme-t-il.
»Une enquête menée par Earthworks et Oil Change International a révélé que les “moniteurs d'émissions en continu”, utilisés par les producteurs pour enregistrer les rejets de polluants en temps réel, n'ont détecté qu'une seule émission au Colorado, alors que leurs propres chercheurs en ont enregistré 23. […]
»L'AIE (Agence internationale de l'énergie) estime également que les émissions mondiales de méthane provenant du secteur de l'énergie sont supérieures d'environ 70% aux quantités déclarées par les pays.
»Selon une étude publiée dans Nature au début de l'année et basée sur un million de mesures aériennes de puits, de pipelines, d'installations de stockage et de transmission dans six régions des Etats-Unis, les émissions étaient presque trois fois plus élevées que les estimations fournies par le gouvernement fédéral. »
***
Or, Donald Trump a placé l'un de ses proches à la direction de l'Agence américaine de protection de l'environnement (EPA), Lee Zeldin. Selon Trump, « Lee Zeldin va s'assurer de prises de décisions rapides et justes de déréglementation qui vont permettre de doper la force des entreprises américaines, tout en conservant les plus hautes normes environnementales. » La transition est assurée.
[1] Voir à ce propos sur ce site l'article d'Alain Bihr intitulé « La voiture électrique, une alternative illusoire ». http://alencontre.org/ecologie/la-voiture-electrique-une-alternative-illusoire.html
[2] Voir l'article publié sur ce site en date du 4 mai 2021 http://alencontre.org/laune/le-vampirisme-du-capital-i.html
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La réélection de Donald Trump : quelles implications pour les politiques climatiques ?

Y aura-t-il bientôt des COP sans les États-Unis ? Ces derniers vont-ils de nouveau quitter l'accord de Paris ? Quel avenir pour les énergies renouvelables outre-Atlantique ? Alors que Trump revient à la Maison Blanche, l'économiste Christian de Perthuis nous en dit plus sur ce que l'on peut attendre de ce climatosceptique convaincu à la tête de la première puissance mondiale.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
6 novembre 2024
Par Christian (de) Perthuis
Climatosceptique affiché, Donald Trump avait fait campagne en 2016 sur la relance du charbon aux États-Unis, l'allègement des contraintes environnementales imposées par l'administration démocrate et la sortie de l'Accord de Paris.
De relance de charbon, il n'y eut point durant son premier mandat (2017-2020), l'électricité produite à partir du gaz ou des renouvelables étant bien trop compétitive. L'allègement des contraintes réglementaires a consisté à abroger le Clean Power Acthttps://www.connaissancedesenergies..., une régulation préparée sous l'administration Obama qui n'était pas entrée en vigueur faute de soutien au Congrès. Enfin, le retrait de l'Accord de Paris, décidé en juin 2017, a été sans conséquence car il exigeait, au moment où il a été décidé, un délai de quatre ans pour devenir effectif.
Au total, le premier mandat de Donald Trump n'a eu que des effets limités sur la politique climatique, tant au plan interne qu'externe. Il pourrait en aller bien différemment durant le second mandat.
L'accord de Paris soumis à rude épreuve
Le candidat Trump n'a pas fait mystère de son intention de quitter à nouveau l'accord de Paris, qualifié d'un meeting à l'autre de « ridicule », « injuste » ou encore « désastreux ». Autre argument de campagne : l'Accord coûterait des centaines de milliards aux États-Unis et rien à la Chine et aux autres pays émergents.
Un second retrait des États-Unis est donc pratiquement certain. Mais il sera cette fois-ci effectif un an seulement après avoir été signifié aux Nations unies. Cela aura donc un impact potentiellement bien plus dévastateur sur les négociations climatiques internationales. Comme l'avait été la décision de George W. Bush en 2001 de quitter le protocole de Kyoto, le prédécesseur de l'accord de Paris, entré en déshérence graduelle durant les années 2000.
Une certaine incertitude plane cependant sur un possible retrait des États-Unis de la convention-cadre sur le climat de 1992, le traité fondateur de la diplomatie climatique dont le protocole de Kyoto ou l'accord de Paris ne sont que des textes d'application.
Au plan juridique, la sortie de cette convention implique en effet d'obtenir une majorité des deux-tiers au Sénat alors que quitter l'accord de Paris s'effectue par simple décret présidentiel. Si les États-Unis sortaient de cette convention, ils ne participeraient donc plus aux COP climat qui sont l'organe décisionnel de la convention.
Ce retrait attendu des États-Unis intervient à un moment charnière de la négociation climatique. À la COP29 de Bakou, il sera bien difficile d'obtenir des engagements d'accroissement des financements climatiques, l'enjeu central des discussions, avec la perspective de sortie du premier bailleur de fonds.
La réévaluation des objectifs de réduction des émissions aux horizons de 2030 et 2035 sera le principal enjeu de la COP30, à Belém (Brésil) l'an prochain. Ici encore, on voit difficilement comment parvenir à un résultat significatif sans l'implication des États-Unis, deuxième émetteur mondial de gaz à effet de serre (GES) après la Chine.
Promesses de baisses des prix de l'énergie, disparition des objectifs climatiques
D'après les évaluations indépendantes, les États-Unis ne sont pas en ligne pour atteindre l'objectif de réduction des émissions de GES, au titre de leur contribution à l'accord de Paris (-50/52 % entre 2005 et 2030). Des mesures complémentaires auraient du compléter l'Inflation Reduction Act (IRA), principal outil de financement de la transition énergétique adopté sous l'administration Biden pour y parvenir.
Avec le retour de Trump, c'est un changement majeur de perspective qui s'annonce. L'objectif de réduction d'émission disparaît du paysage au profit d'une promesse, annoncée à la Convention Républicaine de juillet 2024, de diviser par deux le prix de l'énergie à la charge des ménages américains. La méthode ? « Drill, baby, drill » (en français, littéralement « fore [du pétrole], chérie, fore ! »), suivant le slogan de campagne répété à chaque meeting électoral, et la récupération des milliards gaspillés au nom de la « nouvelle arnaque verte » (« Green new scam »), expression désignant l'IRA et plus généralement le développement des énergies renouvelables soutenu par l'administration démocrate.
Vidéo : « Je m'engage devant le grand peuple américain à mettre fin immédiatement à la crise inflationniste dévastatrice, à faire baisser les taux d'intérêt et le coût de l'énergie, nous allons “Drill baby drill !” » assurait Donald Trump le 19 juillet 2024 dernier.
L'objectif de relance de l'exploration pétrolière et gazière est affiché alors que les États-Unis sont devenus exportateurs nets de pétrole et de gaz sous le mandat de Joe Biden. Avec la nouvelle majorité républicaine au Congrès, les derniers verrous qui freinaient l'extraction de pétrole et de gaz sur les terres fédérales ou protégés risquent de sauter et l'industrie de bénéficier de conditions fiscales et financières plus favorables. Cette relance du pétrole et du gaz pourrait générer en 2030 un supplément d'émission voisin de 2 Gt d'équivalents CO2 (5 fois les émissions de la France !), relativement à un scénario de simple poursuite de la politique climatique démocrate (graphique).
Fourni par l'auteur
La réalité économique comme seul garde-fou ?
Le démantèlement des soutiens aux énergies renouvelables via l'IRA sera en revanche plus problématique. Au plan politique, il risque de contrarier nombre d'élus Républicains au Congrès. Les états du centre et du sud des États-Unis, les plus acquis à la cause Républicaine, sont en effet les premiers bénéficiaires des subsides de l'IRA.
Ce démantèlement ira de surcroît à contresens de l'objectif de baisse des prix de l'énergie. Dans les meetings de campagne, les énergies solaires ou éoliennes ont été systématiquement présentés comme plus coûteuses que leurs concurrentes d'origine fossile. Mais cette représentation, héritée du passé, est de plus en plus déconnectée des réalités industrielles.
Si on veut faire baisser le prix de l'électricité, et multiplier ses usages au détriment des sources fossiles devenues plus coûteuses, il faut au contraire accélérer le déploiement des nouvelles énergies de flux (solaire et éolien) et non pas les contrarier. Avec une majorité au Sénat et peut-être à la Chambre des Représentants plus une Cour suprême qui lui est acquise, les garde-fous politiques pour s'opposer au rétropédalage climatique programmé par Donald Trump seront bien faibles. Reste le garde-fou économique, car le monde que voudrait construire le bientôt octogénaire Président est celui d'hier et non celui de demain.
Christian de Perthuis, Professeur d'économie, fondateur de la chaire « Économie du climat », Université Paris Dauphine – PSL
< !—> The Conversationhttp://theconversation.com/republishing-guidelines —>
P.-S.
• The Conversation. Publié : 6 novembre 2024, 15:37 CET.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l'article original.
• Christian de Perthuis, Université Paris Dauphine – PSL
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On n’a jamais autant brûlé d’énergies fossiles qu’en 2024

Les émissions de CO2 issues des énergies fossiles ont augmenté de 0,8 % par rapport à 2023, rapportent les scientifiques du Global Carbon Project. Ce qui augure d'un réchauffement de 2 °C atteint en 2051.
Tiré du site de Reporterre
Nous ne sommes toujours pas sur la bonne trajectoire. Selon les dernières projections du Global Carbon Project — collectif réunissant 120 scientifiques à travers le monde — les émissions mondiales de CO2 liées à la production et à la consommation d'énergies fossiles continuent de croître. Dans un rapport publié mercredi 13 novembre, les chercheurs estiment qu'en 2024 ces émissions seront en hausse de 0,8 % par rapport à l'an dernier. Soit 37,4 milliards de tonnes de dioxyde de carbone (GtCO2) envoyées dans l'atmosphère.
En plus des énergies fossiles, le changement d'usage des sols (principalement la déforestation) ont émis 4,2 GtCO2. Un chiffre en légère hausse par rapport à 2023 (4,1 GtCO2). La raison ? « La sécheresse pendant le phénomène El Niño et la déforestation ont permis les très nombreux incendies au Brésil et en Indonésie cette année », disent les chercheurs. Tout compris, les estimations des émissions de CO2 atteignent 41,6 milliards de tonnes en 2024 contre 40,6 milliards de tonnes l'an dernier.
« Il est clair que le budget carbone restant est presque épuisé »
Est-il trop tard pour respecter l'Accord de Paris et limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C par rapport à l'ère préindustrielle (1850-1900) ? Au rythme actuel, il y a 50 % de risques que le réchauffement dépasse 1,5 °C de manière constante sur plusieurs années d'ici environ six ans, selon les scientifiques du Global Carbon Project. Si cette estimation est soumise à de grandes incertitudes liées au réchauffement supplémentaire causé par d'autres agents eux aussi réchauffants (CH₄, N₂O, aérosols) « il est clair que le budget carbone restant — et donc le temps qu'il reste pour atteindre l'objectif de 1,5 °C — est presque épuisé ». Si l'on continue au même rythme, « les +2 °C seront, eux, atteints dans vingt-sept ans ».
Toutes les émissions fossiles sont à la hausse
Pour une seule année, la barre a déjà été franchie, a annoncé l'institut Copernicus début novembre. L'observatoire européen a indiqué qu'il est désormais « pratiquement certain » que l'année 2024 sera la plus chaude jamais enregistrée, avec une température moyenne de 1,6 °C supérieure à la température moyenne de l'ère préindustrielle.
Malgré l'urgence, les chercheurs du Global Carbon Project affirment qu'il n'y a toujours « aucun signe » que le monde a atteint un pic d'émission de CO2. Au surlendemain de l'ouverture de la COP29 à Bakou en Azerbaïdjan, ils appellent les dirigeants à « prendre des engagements pour réduire rapidement et fortement les émissions de combustibles fossiles afin de nous donner une chance de rester en dessous des 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels ».
Dans le détail, les émissions liées au gaz naturel bondiraient en 2024 de 2,4 %, celles relatives au pétrole seraient en hausse de 0,9 % et celles liées au charbon devraient croître de 0,2 %. Seules les émissions liées au ciment sont à la baisse (-2,8 %), en raison de la crise de la construction en Chine et aux États-Unis. Toutefois, « compte tenu de l'incertitude des projections, il est possible que les émissions de charbon — combustible le plus néfaste pour l'atmosphère — diminuent en 2024 », précisent les scientifiques dans le rapport.
En Inde et en Chine, des hausses moins fortes qu'en 2023
Tous les pays ne sont pas sur les mêmes trajectoires. Du côté des mauvais élèves, l'Inde, responsable de 8 % des émissions mondiales de CO2, reste sur une pente ascendante. Après une hausse de 8,2 % en 2023, ses rejets de CO2 augmentent cette année « seulement » de 4,6 %.
La Chine, qui dégage quasiment un tiers des émissions mondiales (31 %), n'infléchit pas la tendance mais ses émissions augmentent beaucoup moins qu'avant : 4,9 % en 2023 contre 0,2 % cette année. « La demande d'électricité continue de croître fortement, tant dans l'industrie que dans les ménages, la consommation de charbon a légèrement augmenté », notent les scientifiques du Global Carbon Project.
« La demande d'électricité continue de croître fortement »
Par ailleurs, « les émissions provenant du pétrole ont probablement atteint leur maximum, les véhicules électriques gagnent régulièrement des parts de marché ». Pour information, la Chine s'est engagée à atteindre la neutralité carbone en 2060 et un pic d'émissions en 2030.
Des baisses plus timides aux États-Unis et dans l'Union européenne
Les États-Unis poursuivent quant à eux leur baisse des émissions de CO2. Après une diminution de 3 % en 2023, cette année, les rejets de dioxyde de carbone devraient s'infléchir de 0,6 %. Cette baisse concerne à la fois le charbon — délaissé au profit du gaz naturel — le pétrole et le ciment. Alors que le pays s'est engagé à atteindre la neutralité carbone d'ici 2050, l'élection de Donald Trump à la présidence pourrait changer la donne.
Si l'Union européenne affiche encore une fois la plus forte baisse d'émissions, -3,8 % de CO2 en un an, selon l'estimation des chercheurs, c'est beaucoup moins qu'en 2023 (-7 %). Pourquoi ? Une partie peut s'expliquer par la crise énergétique en 2023 : « La chute avait été très forte en 2023 car les Européens se sont moins chauffés que d'habitude à cause de la hausse des prix de l'électricité consécutive à l'arrêt des importations de gaz russe. » En outre, l'hiver 2023 avait été particulièrement doux.
Pour le « reste du monde » (soit tous les autres pays à l'exclusion de la Chine, des États-Unis, de l'Inde et de ceux de l'Union européenne), les émissions sont en hausse de 1,1 %.
Concernant les différents secteurs d'émissions, l'aviation et le transport maritime internationaux, responsables chacun de 3 % des émissions mondiales, devraient augmenter respectivement de 13,5 % et 2,7 % en 2024.
La technologie ne sauvera pas le climat
Si l'on regarde les tendances décennales, les chercheurs observent toutefois un ralentissement de la hausse des émissions de CO2. Entre 2013 et 2024, elles étaient de +0,6 % par an en moyenne, contre +2,4 % lors de la décennie précédente.
Et il ne faut pas compter sur la technologie pour sauver le climat. « Les niveaux actuels d'élimination du dioxyde de carbone par la technologie (captage et stockage de CO2) ne permettent que de compenser un millionième du CO2 émis par les combustibles fossiles », rappellent les scientifiques.
En plus de réduire les activités du charbon, pétrole et gaz, il faut davantage prendre soin des puits de carbone océaniques et terrestres. Ceux-ci nous évitent le pire en absorbant la moitié des émissions totales de CO2 sur la dernière décennie malgré les effets négatifs du changement climatique sur ces écosystèmes.
Enfin, si les effets de l'épisode El Niño ont entraîné une forte réduction des puits de carbone en 2023, en favorisant par exemple les sécheresses, ces puits de carbone devraient se rétablir avec la fin de ce phénomène météo, prédisent les scientifiques.
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La Contre-COP des peuples africains dénonce le système des COP et exige que la justice climatique pour le Sud global soit au centre de l’action climatique

Du 7 au 10 octobre, le Collectif Africain pour la Justice Climatique a organisé la première Contre-COP du Peuple Africain à Saly, au Sénégal. Plus d'une centaine de participant.e.s, venu.e.s de 21 pays, représentant des mouvements sociaux, des communautés de base, des femmes, des jeunes, des organisations de la société civile, des universitaires, des travailleur.e.s et d'autres, ont pris part à l'événement.
Tiré de la page web de Via Campesina
De nombreuses voix africaines – exclues de la Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques – ont été captées et légitimées lors de ce rassemblement. C'était « un moment pour dénoncer le système des COP, souligner les impacts du changement climatique sur les communautés africaines et présenter des solutions alternatives viables », comme le souligne leur déclaration (à lire ci-dessous).
L'événement a offert aux délégué.e.s un espace fructueux pour discuter, élaborer des stratégies et proposer des actions concrètes pouvant conduire à des solutions climatiques justes à travers l'Afrique. Divers thèmes ont été abordés au cours de la conférence, de la souveraineté alimentaire à la lutte contre les fausses solutions climatiques, en passant par les impacts sur l'environnement et les communautés locales de pêcheur.e.s.
Evelyne Awuor, de la Kenyan Peasants League (KPL), membre de La Via Campesina (LVC) SEAf du Kenya, a assisté à la conférence et était heureuse de partager des histoires de communautés où les agricultrices ne sont pas invitées aux réunions. « J'ai veillé à être présente et à partager leur message, occupant ainsi avec force des espaces dans lesquels elles étaient exclues », conclut-elle.
L'APCC est devenue une plateforme pour faire la chronique de la résilience et de la survie des communautés en Afrique et une excellente occasion d'échanger des idées et des rêves d'un meilleur avenir pour tou.te.s !
Lisez ci-dessous leur déclaration complète, rédigée à l'issue de la réunion :
L'Afrique unie contre l'oppression systématique et l'injustice climatique : Déclaration des peuples africains pour la justice climatique
Du 7 au 10 octobre 2024, le Collectif africain pour la justice climatique a organisé la première Conférence des peuples africains pour la justice climatique (APCC) en présentiel à Saly, au Sénégal. Plus d'une centaine de participant·e·s issus de mouvements sociaux, de communautés de base, de femmes, de jeunes, d'organisations de la société civile, d'universitaires, de travailleurs et d'autres personnes de 21 pays y ont pris part.
L'APCC reconnaît que les voix africaines ont été largement exclues de la Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, captée par les États et les entreprises du Nord, qui continuent d'alimenter les crises climatiques tout en prétendant faussement résoudre les causes du changement climatique. L'APCC constitue donc un moment pour dénoncer le système des COP, souligner les impacts du changement climatique sur les communautés africaines et présenter des solutions alternatives viables. Cela se fait par le partage des connaissances et l'activisme des communautés africaines les plus vulnérables en première ligne de la crise climatique, en particulier les femmes, les jeunes, les militant·e·s et les OSC.
L'APCC a créé un espace où les voix des communautés de base et des militant·e·s ont été entendues et saluées, contrairement à la COP, où ces voix sont marginalisées. Les délégué·e·s ont partagé leurs récits sur les impacts du changement climatique : sécheresses, inondations, érosion, mauvaises récoltes, cyclones, élévation du niveau de la mer, tempêtes de poussière et menaces pour les écosystèmes marins et terrestres, aggravées par l'accaparement des ressources et des terres, ainsi que par les conflits induits par le climat. Ces événements ont entraîné des déplacements, des pertes de moyens de subsistance, des pertes et dommages connexes, des victimisations, des arrestations, du harcèlement et même la mort de membres de la communauté et de militant·e·s qui défendent leurs territoires.
En raison du rétrécissement des espaces civiques dans de nombreux pays, la plateforme APCC est devenue un lieu pour faire la chronique de la résilience et de la survie des communautés, ainsi que de la manière dont la géopolitique a affecté la capacité de l'Afrique à répondre aux impacts du changement climatique. Plusieurs thèmes ont été abordés.
-Souveraineté alimentaire : La nécessité de renforcer les pratiques agroécologiques, la gestion communautaire des forêts et des terres, le pastoralisme et les pratiques de pêche locale, en particulier pour les femmes, qui constituent la majorité des personnes dans les zones rurales.
-Transitions justes : Une interrogation sur les considérations relatives au travail dans la souveraineté énergétique, l'élimination rapide, juste et équitable des combustibles fossiles, et le changement de système à mesure que nous évoluons vers l'adoption des énergies renouvelables et l'industrialisation verte pour le continent africain.
-Systèmes zéro déchet : Une opportunité pour les gouvernements africains d'intégrer des pratiques de gestion décentralisée des déchets afin de réduire les émissions de méthane.
-Financement climatique : L'accent est mis sur l'architecture financière nécessaire à la transition juste, à l'adaptation, à l'atténuation et au fonds pour les pertes et dommages, avec un appel à garantir que les communautés les plus vulnérables touchées par le changement climatique aient accès à ces fonds.
À l'approche de la COP29 qui se tiendra à Bakou, en Azerbaïdjan, du 11 au 22 novembre 2024, les peuples africains se mobilisent pour défendre leur droit à un environnement sûr, propice à la croissance et au progrès, même face à la dévastation climatique, environnementale, sociale et économique aggravée par l'architecture néolibérale soutenue par les pays du Nord.
La région de Saint-Louis et la Langue de Barbarie au Sénégal illustrent bien ces défis environnementaux dramatiques : élévation du niveau de la mer, érosion côtière, inondations et salinisation des terres agricoles. Le projet Grand Tortue Ahmeyim (GTA), mené par des sociétés transnationales (STN), BP et Kosmos Energy, doit exploiter l'un des plus grands gisements de gaz naturel d'Afrique de l'Ouest, situé à la frontière maritime entre le Sénégal et la Mauritanie. Bien que ce projet soit présenté comme un vecteur de développement économique, il constitue en réalité une menace sérieuse pour les communautés locales, en particulier pour les pêcheurs artisanaux de Saint-Louis.
La pêche artisanale, pilier de l'économie locale, fait vivre des milliers de familles et contribue à la souveraineté alimentaire des femmes, des populations autochtones et de leurs communautés. Cependant, l'exploitation du gaz dans les eaux menace directement ces communautés de pêcheurs et la région dans son ensemble. Les zones de pêche traditionnelles sont désormais interdites, et la pollution croissante due aux forages et aux opérations sismiques compromet gravement la santé des écosystèmes marins. Les eaux, la biodiversité et le patrimoine naturel sont détruits au profit de quelques-uns.
En réponse aux présentations faites, les participants à l'APCC 2024 ont conclu que la crise climatique en Afrique est transversale et ont réaffirmé que les Africains ont contribué de manière minime aux émissions responsables du réchauffement climatique. Cependant, en raison de capacités limitées d'adaptation et d'atténuation du changement climatique, nous, Africains, sommes confrontés à la majorité des défis causés par la crise climatique qui ravage le continent aujourd'hui.
Pour démanteler le pouvoir d'exploitation et l'impunité, les peuples africains affirment leur pouvoir de reléguer les faux récits en promouvant des solutions africaines à travers les déclarations suivantes, en opposition aux impositions du marché et du Nord global lors de la prochaine COP29 à Bakou.
En tant que peuples d'Afrique, nous déclarons :
-Justice climatique maintenant : Nous exigeons la justice climatique pour les communautés du Sud global au centre de l'action climatique. Les pays du Nord global, qui ont le plus contribué à la crise climatique, doivent mener le processus de réduction des émissions à la source et financer les transitions nécessaires en guise de paiement de la dette climatique due au Sud global. Nous dénonçons toutes les formes de fausses solutions au changement climatique, telles que REDD+, Net zéro et la géo-ingénierie, qui aggravent encore davantage les crises climatiques.
- Mettre fin aux extractions de combustibles fossiles en Afrique MAINTENANT : Toutes les formes d'exploration, d'extraction et de production de combustibles fossiles en Afrique doivent être immédiatement arrêtées. Il est temps de donner la priorité aux pratiques durables grâce à une énergie renouvelable centrée sur les personnes, qui protège nos écosystèmes et soutient les économies locales. Les entreprises de combustibles fossiles doivent financer la réhabilitation des terres, des océans et des rivières dégradés par l'extraction d'hydrocarbures.
-Migration et déplacements induits par le climat : Avec l'augmentation des crises climatiques, de nombreux Africains sont contraints de migrer, risquant leur vie dans des voyages dangereux vers le Nord global ou devenant des réfugiés climatiques en Afrique, ce qui entraîne des insécurités alimentaires, foncières et des conflits. Pour y remédier, il faut s'adapter et renforcer la résilience face aux impacts climatiques, tels que les sécheresses, les inondations, l'érosion côtière et la désertification, et veiller à ce que les communautés disposent des ressources nécessaires pour rester dans leurs terres d'origine ou se réinstaller dans des zones propices sans détruire leurs moyens de subsistance, leur culture et leur langue.
-Dette climatique, réparations et réformes économiques : Les réparations climatiques, la remédiation et l'indemnisation des populations touchées en Afrique, ainsi que les réparations coloniales, doivent être versées aux nations africaines et au Sud global, reflétant l'ampleur des dommages causés par le changement climatique et l'exploitation historique. Ces réparations doivent prendre la forme de subventions, et non de prêts qui aggravent encore la dette. L'APCC exige un mécanisme de financement mondial dédié aux pertes et dommages, doté d'au moins 100 milliards de dollars de financements nouveaux et supplémentaires par an d'ici 2030. Ce financement doit être fourni par les pays du Nord, qui portent la responsabilité historique des émissions mondiales. Les pays africains devraient se concentrer sur la valorisation de la valeur ajoutée et sur des partenariats stratégiques qui élèvent la position de l'Afrique dans la chaîne de valeur. Il est urgent de procéder à une réforme fiscale structurelle de l'architecture financière actuelle, qui mettra fin aux flux financiers illicites et à l'évasion fiscale des sociétés transnationales (STN). L'APCC s'oppose fermement à la marchandisation des forêts, des terres et des ressources naturelles africaines par le biais du commerce du carbone.
-Réformer les lois foncières et promouvoir la souveraineté alimentaire : Les gouvernements africains doivent adhérer à la souveraineté alimentaire en donnant la priorité aux cultures vivrières locales par rapport aux cultures commerciales et en promouvant des méthodes de conservation des semences résistantes aux OGM. Cette protection doit inclure des politiques contraignantes ratifiées telles que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales. Il est urgent de réévaluer les lois coutumières qui donnent du pouvoir aux communautés locales. Les pays africains ont besoin d'un minimum de 15 milliards de dollars par an d'ici 2030 pour financer les mesures d'adaptation agricole, et au moins 5 milliards de dollars par an doivent être consacrés aux pratiques agroécologiques.
-Souveraineté énergétique et démocratie pour tous : La transition vers les énergies renouvelables en Afrique doit être soutenue en priorité avant que l'Afrique n'exporte ses ressources pour la transition vers le Nord global. Les projets d'énergie renouvelable doivent être détenus par la société et bénéficier aux femmes, aux jeunes, aux populations autochtones et aux communautés locales avant l'industrie. La transition doit être menée par la base, en veillant à ce que les politiques donnent la priorité au bien-être des personnes et de l'environnement, et non aux profits des entreprises.
-Halte au colonialisme des déchets : L'Afrique n'est pas un dépotoir et nous ne sommes pas jetables. Il est donc primordial pour nous, Africains, de nous adapter au Traité mondial sur les plastiques, qui nous permet de lutter contre la pollution plastique tout au long de son cycle de vie, de l'extraction à la production et à l'élimination.
-Consentement préalable, libre et éclairé (CLIP) et autodétermination : Le droit des femmes, des peuples autochtones et de leurs communautés au CLIP doit être ratifié et mis en œuvre dans tous les projets d'extraction. Les communautés doivent avoir le droit de dire non ou oui au développement. Si les communautés disent oui, elles doivent dicter les conditions du projet d'une manière qui leur soit bénéfique ainsi qu'à leur environnement. L'indemnisation doit être proportionnelle au niveau de déplacement et de pertes.
-Impliquer les personnes touchées et marginalisées dans la prise de décision : Les gouvernements doivent développer des mécanismes de participation durables qui amènent les femmes, les jeunes autochtones, les personnes handicapées, ainsi que les éleveurs, les pêcheurs et les petits producteurs alimentaires à la table des discussions politiques pour créer des politiques centrées sur les personnes et de véritables solutions qui répondent aux effets du changement climatique. Les demandes des personnes touchées, dans leur diversité, doivent être entendues et respectées.
-Renforcement de la résilience en Afrique : Les Africains doivent se lever contre l'oppression systématique et l'injustice climatique en partageant leurs compétences en matière de résilience et leurs connaissances traditionnelles à travers la narration, le partage d'expériences et l'apprentissage, et mettre ces connaissances en pratique dans nos communautés africaines dirigées par des peuples autochtones et des femmes. Ces connaissances doivent être respectées et intégrées dans d'autres systèmes et processus, car elles constituent des savoirs spécialisés.
En conclusion, la Contre-COP des peuples africains est organisée en réponse à la cooptation de la COP par le capitalisme et le Nord global, qui perpétuent les injustices à l'origine de la crise climatique. Par conséquent, nous, du Sud global, et les Africains en particulier, devons entreprendre des actions qui remédient aux crises climatiques de manière juste et holistique.
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