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« La crise de l’hégémonie libérale est la raison pour laquelle tant de gens se tournent vers l’extrême droite. »
Dans cette interview, Ilya Budraitskis, politologue et militant russe en exil, explique les causes de la montée de l'extrême droite, les objectifs poursuivis par les nouveaux fascistes et les leçons que la gauche radicale devrait tirer du 20e siècle dans la lutte contre le fascisme. Enfin, il formule des suggestions sur les pistes à explorer aujourd'hui pour une politique antifasciste. Entretien avec Ilya Budraitskis ; par Philipp Schmid (BFS Zurich)
Tiré de Inprecor
18 mai 2025
Par Ilya Budraitskis
L'évolution politique en Europe est extrêmement préoccupante. Le parti fasciste Alternative pour l'Allemagne (AfD) a obtenu 20,8 % des voix aux élections fédérales de 2025. Lors des manifestations en Allemagne, les gens disent qu'il n'est pas minuit moins cinq, mais 17h33. Cette panique est-elle justifiée ?
Oui, je pense que ces craintes sont justifiées. Nous pouvons observer comment l'influence des différents partis d'extrême droite en Europe, aux États-Unis, en Amérique latine, etc. ne cesse de croître. Bien sûr, cette tendance mondiale se manifeste différemment selon les contextes nationaux, mais le danger est réel. En effet, elle est liée à la volonté de certaines fractions des élites de changer radicalement les configurations politiques du pouvoir bourgeois et d'instaurer un régime politique différent. Cela s'est déjà produit en Russie et le processus est en cours aux États-Unis. En Europe occidentale, l'extrême droite a remporté des succès électoraux majeurs, mais la transformation du pouvoir politique ne s'est pas encore concrétisée. Compte tenu de sa force croissante, cela reste toutefois un scénario possible pour l'avenir.
Quel ordre politique visent-ils ?
C'est aux États-Unis que cela se voit le mieux. Avec Trump, l'extrême droite est de retour au pouvoir. Elle contrôle les rouages les plus importants de l'appareil d'État, tels que le Sénat, la Chambre des représentants et la Cour suprême. Et maintenant, elle tente de restructurer le système politique par le haut pour le faire évoluer vers un régime autoritaire. Celui-ci doit être organisé comme une entreprise capitaliste. C'est l'objectif de Trump et de Musk. Cela implique la suppression de la démocratie libérale et son remplacement par une sorte de monarchie moderne. Ils aspirent à un régime dans lequel l'autorité ne repose pas sur la légitimité démocratique, mais sur le principe du pouvoir personnalisé et d'un dirigeant autoritaire.
Quel est le programme idéologique de l'extrême droite, outre la restructuration autoritaire de la société ?
Le cœur de leur programme idéologique est que la démocratie libérale est arrivée à son terme. Elle serait factice et ne serait qu'un gouvernement fantoche derrière lequel se cacherait une élite mondiale secrète, guidée par de faux principes tels que le droit international et la tolérance. L'extrême droite critique la morale et les valeurs supposées de l'élite libérale parce qu'elles protègeraient les faibles et non les forts.
Selon l'extrême droite, le seul principe de la politique internationale devrait être la loi du plus fort. C'est la manière « naturelle » de gouverner la société. C'est la logique qui sous-tend la manière dont Trump et Poutine gouvernent. On le voit dans l'exemple de la critique de Poutine à l'égard du soutien à l'Ukraine : dans son esprit, les petites nations qui ne peuvent pas se défendre n'ont pas le droit d'exister. Et donc, leur souveraineté, c'est-à-dire leur existence en tant que pays indépendants, est artificielle aux yeux de l'extrême droite.
Comment expliquez-vous la montée des forces d'extrême droite et fascistes en Europe au cours des dix dernières années ?
Il y a de nombreuses raisons qui expliquent le succès électoral croissant des partis d'extrême droite en Europe. L'une des plus importantes est la transformation des sociétés européennes à la suite des réformes néolibérales de ces dernières décennies. L'atomisation sociale progressive des populations, le démantèlement des syndicats et d'autres formes d'auto-organisation des travailleurs vont de pair avec le déclin des traditions démocratiques, qui doivent être comprises non seulement comme un système d'institutions libérales, mais aussi comme la capacité de la société à se défendre collectivement et de manière organisée.
C'est là le fondement matériel de la crise idéologique des élites libérales, car les citoyens sont de plus en plus désabusés par la démocratie libérale bourgeoise et ses institutions. Ils se sentent non représentés et non entendus. L'extrême droite exploite habilement ces sentiments largement répandus.
L'analyse marxiste classique du fascisme a toujours considéré le fascisme comme une réaction à la crise du capitalisme et comme la réponse de la bourgeoisie au renforcement du mouvement ouvrier. Cette analyse est-elle toujours valable ?
Malgré les différences historiques, il existe certainement des similitudes entre les années 1920/1930 et la situation actuelle. La crise des institutions politiques de la République de Weimar, la Grande Dépression à partir de 1929 et les bouleversements sociaux considérables qui l'ont accompagnée ont constitué le terreau fertile de la montée et de la prise du pouvoir par le fascisme allemand. Même s'il n'y avait pas de danger immédiat de révolution prolétarienne, le mouvement ouvrier allemand était l'un des plus puissants au monde. Le SPD social-démocrate et le KPD communiste étaient des partis de masse avec lesquels les fascistes se disputaient l'influence. En raison de la crise sociale générale, la population était massivement désabusée par le système de la démocratie libérale bourgeoise. Nous pouvons également observer cela dans la situation actuelle, qui se caractérise également par une crise multiple de l'ordre capitaliste. Il existe toutefois une différence fondamentale.
Laquelle ?
Dans les années 1920 et 1930, les fascistes rivalisaient avec le mouvement ouvrier pour proposer des visions alternatives à l'avenir du système capitaliste. Ils propageaient une vision d'un avenir sans conflits de classe, où la gloire nationale unirait la population. Et ils avaient l'ambition de créer un homme nouveau, lié à la société dans un esprit de solidarité nationale et une sorte de collectivisme fasciste. C'est pourquoi cette utopie fasciste réactionnaire était si attrayante pour beaucoup de gens en Europe dans les années 1920 et 1930. Et c'est pourquoi elle était en concurrence avec l'utopie socialiste et la vision socialiste d'un autre type de relations humaines. Aujourd'hui, je ne vois aucune concurrence entre des visions alternatives de l'avenir.
Mais les fascistes ne propagent-ils pas toujours une société différente, avec des frontières nationales, un peuple homogène et des genres clairement définis ?
Oui, mais le sens et la compréhension du temps sont très différents de ce qu'ils étaient il y a cent ans en Europe. À l'époque, la question d'un avenir meilleur et du progrès social était au cœur des aspirations sociales. Sous le règne du capitalisme tardif depuis les années 1980, l'idée d'avenir a disparu. Les gens sont principalement préoccupés par le présent et les interprétations du passé qui ont conduit à la situation actuelle. Nous vivons dans le présent, où un avenir alternatif est inimaginable. C'est précisément le résultat de la réorganisation néolibérale de la société. La célèbre phrase de Margaret Thatcher « il n'y a pas d'alternative » (TINA) est plus ou moins devenue le consensus social. Le programme politique de Trump le montre clairement. Il ne fait aucune proposition concrète et ne propage pas de vision claire de l'avenir. Il se contente de nier le « présent libéral » au nom d'une « vérité » qu'il définit lui-même.
Revenons à la caractérisation de la nouvelle extrême droite. Dans son livre publié en 2017, Les nouveaux visages du fascisme, le célèbre chercheur marxiste spécialiste du fascisme Enzo Traverso propose le terme « post-fascisme » pour caractériser les nouveaux fascistes. Qu'entend-il par là ?
Enzo Traverso estime que les partis post-fascistes d'aujourd'hui, contrairement à leurs modèles historiques, ne cherchent pas à rompre avec les mécanismes de la démocratie libérale bourgeoise. Au contraire, ils utilisent avec succès les mécanismes de la démocratie pour étendre leur influence. Ils veulent seulement utiliser le système pour arriver au pouvoir. L'exemple de l'Italie en est une illustration. La post-fasciste Giorgia Meloni n'a pas renversé le système politique pour le remplacer par un régime fasciste. Un tel scénario est également peu probable en cas de participation de Marine Le Pen au gouvernement français ou de l'AfD en Allemagne. Ils tenteront plutôt de changer progressivement la mentalité des sociétés et des élites. Il n'existe toujours pas de consensus dans les cercles dirigeants pour transformer le système politique en une nouvelle forme de fascisme autoritaire. Cependant, cela pourrait changer sous la pression soutenue de l'extrême droite.
Aujourd'hui déjà, les gouvernements libéraux et conservateurs adoptent les revendications de l'extrême droite. Nous devons comprendre que l'utilisation des institutions bourgeoises libérales et des élections par l'extrême droite pourrait représenter un point de transition pour tous ces mouvements sur la voie de la réalisation de leur projet politique final. Pour ces raisons, je pense que le terme « post-fascisme » est utile pour décrire les similitudes et les différences entre l'extrême droite contemporaine et les fascistes historiques.
Cette analyse peut-elle également s'appliquer à la Russie et au régime de Poutine ?
Oui, la Russie a traversé exactement ce processus et est aujourd'hui un régime ultra-autoritaire. Au cours des 25 dernières années du gouvernement Poutine, le régime russe a fondamentalement changé. Au cours de la première décennie, dans les années 2000, la Russie était plutôt un régime autoritaire, technocratique et néolibéral. La crise économique mondiale de 2007/2008 a entraîné une crise politique générale non seulement dans le monde arabe, mais aussi en Russie. Des manifestations massives contre la réélection de Poutine ont eu lieu à Moscou et dans d'autres villes russes en 2011/2012. Ces manifestations de la société civile ont été perçues comme une menace politique et idéologique et ont conduit les élites russes à croire qu'une transformation autoritaire de leur régime était nécessaire.
Quel a été l'impact de cette transformation ?
L'idée que des mouvements sociaux issus de la base puissent renverser un gouvernement constitue une menace existentielle pour les régimes autocratiques. C'est pourquoi le retour de Poutine à la présidence en 2012 s'est accompagné d'un glissement idéologique vers des valeurs dites traditionnelles et antidémocratiques. Ces éléments antidémocratiques reposaient sur l'idée que l'État russe n'était pas le résultat d'un contrat social, mais le fruit de l'histoire. La Fédération de Russie est la continuation directe de l'Empire russe et de l'Union soviétique. Cela signifie que Poutine n'a pas besoin d'être élu par le peuple, mais qu'il est conduit par le destin à diriger le pays. Poutine se considère comme le successeur direct de Pierre le Grand et de Staline. Ces idées ont finalement été inscrites dans la Constitution russe en 2020. Au fond, ces convictions sont également responsables de la réaction violente aux événements en Ukraine lors des manifestations du Maïdan en 2013/2014.
Pourquoi ?
Les Ukrainiens du Maïdan protestaient contre l'influence de la Russie et en faveur de la souveraineté nationale de l'Ukraine. Les manifestations ont non seulement été qualifiées par le régime russe de « mises en scène depuis l'extérieur », mais elles ont également été perçues comme une menace interne pour la « Russie historique ». Au cours de cette deuxième décennie du règne de Poutine, l'intervention militaire en Ukraine a commencé, avec notamment l'annexion de la Crimée. Elle s'est accompagnée d'une croissance de l'autoritarisme du régime de Poutine et de son installation à la tête du pays à vie.
Comment la population civile russe, attachée à la démocratie, a-t-elle réagi à ces développements ?
Poutine a été une nouvelle fois confronté à un mouvement de protestation démocratique croissant et au mécontentement d'une grande partie de la société russe. Il a également vu dans cette vague de protestation une combinaison de menaces externes et internes. Toutes les révolutions, y compris la révolution russe de 1917, auraient été secrètement contrôlées par les ennemis extérieurs de la Russie. L'Occident aurait empoisonné la société russe avec des idées fausses, libérales ou socialistes. La réponse de Poutine aux nouvelles manifestations a été d'envahir l'Ukraine en février 2022. Pour Poutine, la question ukrainienne n'est pas seulement une question d'intérêts géostratégiques de l'État russe sur la scène mondiale. Il n'était pas seulement préoccupé par la concurrence avec l'OTAN, mais aussi par l'existence de son propre régime. C'est pourquoi l'invasion de l'Ukraine a marqué un tournant. Poutine a utilisé la guerre pour transformer le régime en une dictature répressive.
Alors, décrivez-vous le régime de Poutine aujourd'hui comme fasciste ?
Oui, pourquoi pas ? Bien sûr, le fascisme d'aujourd'hui diffère du fascisme historique à bien des égards. En Russie, contrairement à l'Allemagne et à l'Italie, le fascisme n'a pas de modèle historique. Il existe plutôt diverses autres traditions autoritaires dont le régime de Poutine peut s'inspirer. Par exemple, Poutine utilise la tradition extrêmement conservatrice et cléricale de l'Empire russe pour justifier son autocratie. Des pratiques répressives issues du passé stalinien ont également été reprises, comme le montre le rôle des services secrets du FSB (successeur du KGB). Aujourd'hui, le FSB est l'élément le plus influent du régime russe.
Une partie de la gauche radicale occidentale ignore – ou pire, nie – le danger que représente le régime fasciste en Russie.
Exactement, et ce qui est encore plus tragique, c'est qu'elle n'est absolument pas préparée à la montée du fascisme dans ses propres pays. La montée du nouveau fascisme est un défi majeur pour la gauche. Aux États-Unis, par exemple, avant la réélection de Trump, la gauche radicale concentrait ses critiques principalement sur Biden et le Parti démocrate, oubliant le danger réel que représente le trumpisme. Aujourd'hui, elle est complètement perdue. Cela peut également se produire dans d'autres pays. L'histoire nous enseigne que la gauche n'était pas préparée à la montée du fascisme au 20esiècle. L'Internationale communiste stalinienne a trop longtemps banalisé la menace fasciste. La différence avec aujourd'hui est que la gauche radicale est beaucoup plus faible qu'il y a cent ans.
Quelles autres leçons peut-on tirer de la résistance antifasciste au 20e siècle ?
La leçon la plus importante de l'histoire est que le fascisme conduit toujours à la militarisation et à la guerre. Les antifascistes européens ne s'en sont pas rendu compte au début de la montée au pouvoir des fascistes dans les années 1920 et 1930. Aujourd'hui, cela est beaucoup plus évident et nous devons donc combiner notre propagande antimilitariste et anti-impérialiste avec une propagande antifasciste. La gauche ne doit pas se limiter à critiquer l'augmentation des dépenses militaires. Un régime comme celui de Poutine rejette toute forme de coexistence pacifique et glorifie la guerre comme moyen de diriger le pays et d'étendre son influence. C'est la logique qui sous-tend le concept de « monde multipolaire », un monde dans lequel il n'y a plus de droits ni de règles universels, mais où la nation la plus forte prévaut.
Sur quoi devrait se fonder un antifascisme du 21e siècle pour lutter plus efficacement contre le (post-)fascisme ?
Nous devons former de larges coalitions contre la montée de l'extrême droite. Cependant, celles-ci ne doivent pas invoquer la défense des institutions bourgeoises libérales. Ce n'est pas notre tâche et cela serait vain. Après tout, la crise de l'hégémonie libérale est l'une des raisons pour lesquelles tant de personnes perdent confiance dans les structures existantes et se tournent vers l'extrême droite.
À mon avis, la gauche radicale devrait poursuivre deux lignes d'attaque : Premièrement, nous devons répondre au mécontentement social, mais proposer d'autres solutions. L'extrême droite veut faire croire aux gens que l'immigration est la cause de tous leurs problèmes. Le fait que cela ne soit pas objectivement vrai est démontré par le fait que l'AfD a remporté le plus grand nombre de voix lors des élections fédérales de 2025 dans les circonscriptions où la proportion d'immigrés était la plus faible. Cela ouvre un vide politique potentiel que la gauche doit combler en mettant en évidence les véritables causes des problèmes réels des gens.
Et deuxièmement ?
Deuxièmement, nous devons nous concentrer sur la défense de la « démocratie », et non d'une « démocratie » limitée aux institutions démocratiques bourgeoises et à leur fonctionnement. Nous devons combiner la défense de la « démocratie » avec la revendication de l'égalité et de la participation, car c'est là tout le sens de son émergence aux 18e et 19e siècles : la lutte des classes populaires pour l'influence politique et la représentation. Une telle conception de gauche ou socialiste de la démocratie comme « pouvoir d'en bas » peut servir de base commune à une large coalition antifasciste qui rassemble les partis de gauche, les syndicats et les diverses formes d'auto-organisation féministe, antiraciste, écologique et de quartier. Ce sont précisément ces projets que les post-fascistes et les néo-fascistes veulent détruire, car ils contredisent leur idée d'un ordre étatique hiérarchique structuré comme une entreprise capitaliste.
Publié le 15 mai par Socialismus
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Sur les cinq prochaines années, le réchauffement moyen risque de dépasser 1,5 °C, alerte l’OMM
Si les deux dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées, les cinq suivantes le seront encore plus, démontre un rapport de l'Organisation météorologique mondiale.
28 mai 2025 | itré de reporterre.net
https://reporterre.net/Sur-les-cinq-prochaines-annees-le-rechauffement-moyen-devrait-depasser-1-5-oC-alerte-l
Le seuil de 1,5 °C, inscrit comme objectif dans l'Accord de Paris en 2015, restera un vœu pieux. La température moyenne sur la période 2025-2029 dépassera de 1,5 °C par rapport aux températures préindustrielles, avec une probabilité de 70 %, selon le nouveau rapport de l'Organisation météorologique mondiale (OMM) publié le 28 mai.
Certes, le rapport rappelle que pour confirmer ce dépassement, il faut attendre deux décennies, le réchauffement étant mesuré à long terme par rapport à la période 1850-1900. Mais, alors que les émissions de gaz à effet de serre ont continué de progresser à l'échelle du globe en 2024, la tendance est là.
« Nous venons de vivre les dix années les plus chaudes jamais enregistrées. Malheureusement, ce rapport ne fournit aucun signe de répit dans les années à venir », a déclaré Ko Barrett, secrétaire générale adjointe de l'OMM, dans un communiqué. L'enchaînement des records donne le tournis. L'année 2024 était déjà l'année la plus chaude jamais enregistrée depuis 175 ans, battant le record de 2023…
Faire le deuil du seuil de 1,5 °C ? La question agace Gerhard Krinner, directeur de recherche à l'Institut des géosciences de l'environnement (IGE) et coauteur de plusieurs rapports du Giec : « 1,4 °C est mieux que 1,5 °C, qui est mieux que 1,7 °C… Cette idée de seuil est trompeuse puisque chaque dixième de degré en plus aggrave les impacts du changement climatique. » Les scientifiques ne cessent de rappeler que plus la planète se réchauffe, plus les vagues de chaleur, les inondations, sécheresses et tempêtes vont se multiplier.
Prêcher dans le désert
L'année 2024 nous en a déjà donné un funeste aperçu. Dans son rapport sur l'état du climat global cette année-là, l'OMM rappelait l'intensité inédite des catastrophes, qui ont conduit au déplacement de plus de 800 000 personnes, le plus haut chiffre depuis 2008.
Les prévisions de l'OMM sont fiables, explique Juliette Mignot, directrice de recherche au laboratoire Locean qui a contribué aux travaux de l'Organisation : « Nos simulations à cinq ans sont robustes, puisque nos modèles utilisent les données du climat de 2024. On s'appuie en particulier sur l'état actuel de l'océan qui a une influence forte sur le climat dans les prochaines années. »
Mais publication après publication, qui n'a pas l'impression de prêcher dans le désert ? D'autant que les États-Unis sont sortis de l'Accord de Paris et que leur président coupe les recherches sur le climatet entend « forer, forer » tout le pétrole disponible. Et si le gouvernement français s'était félicité de son rôle dans les négociations climatiques il y a dix ans, il a publié en mars dernier le plan national d'adaptation au changement climatique pour préparer une France à +4 °C en 2100, ce qui correspond à +2,7 °C au niveau global.
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La croisade automobile contre l’écologie
Une vaste offensive des droites est en cours, prétendant s'opposer à « guerre contre la voiture ». Le Zetkin Collective décrypte ce combat politico-culturel contre l'écologie, dans lequel l'extrême droite carbofasciste est hégémonique, mobilisant aussi bien des partis institutionnels que les mouvances conspirationniste et masculiniste, en alliance avec le capital fossile et des représentants plus classiques de la droite.
26 mai 2025 | tiré de la revue contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/croisade-automobile-capitalisme-fossile-ecologie-zetkin-collective/
L'apocalypse est dans l'air. Durant l'été, un groupe surnommé les « Blade Runners [1] » a commencé à saboter les infrastructures des zones à très faibles émissions (ULEZ) autour de Londres. Vêtus de noir de la tête aux pieds, ils s'en prennent aux caméras qui scannent les plaques d'immatriculation des voitures pour déterminer si elles respectent les normes environnementales minimales ou doivent s'acquitter d'une taxe journalière de 12,50 livres sterling.
Certains Blade Runners démontent entièrement les installations, décrochent les caméras de leur support et les enferment dans des caisses. D'autres tranchent les poteaux, laissant la gravité précipiter l'appareil sur le trottoir. Les plus habiles arrivent sur place armés de longs sécateurs et coupent les câbles avant de repartir dans une mise en garde macabre. L'un d'eux s'est filmé en pleine action, s'adressant aux autorités contre lesquelles il lutte :
Vos gars mettent peut-être une demi-journée à en installer une. Il me faut moins d'une minute pour la démonter. Alors allez-vous faire foutre avec vos putains de zones à très faibles émissions, bande d'enculés. C'est notre pays et on est en train de le reprendre.
Qu'est-ce qui motive exactement le sabotage des Blade Runners ? Les discussions en ligne entre les partisans les plus actifs révèlent que leur mobilisation ne repose ni sur la qualité de l'air, ni véritablement sur le coût financier. Ce sont des espaces où toutes sortes d'angoisses culturelles et politiques contemporaines se mêlent. Hostiles aux vaccins, aux « confinements climatiques », aux sociétés sans argent liquide, à « l'idéologie du genre », aux réseaux 5G et aux identités numériques, les Blade Runners se considèrent comme des combattants de la liberté, résistants face à un État totalitaire animé par ce qu'ils perçoivent comme un programme mondial.[2]
Pourtant, il serait erroné de les considérer comme des marginaux farfelus. S'ils s'en prennent en partie à des dispositifs souvent dénoncés par la gauche — comme l'expansion des technologies de surveillance étatique et privée —, leur diagnostic et leurs remèdes plongent la politique dans les terrains conspirationnistes de l'extrême droite. Leur opposition aux politiques de décarbonation devient rapidement l'un des nouveaux fronts majeurs du déni organisé de la science climatique — un front structuré par l'extrême droite, qui diffuse ses discours, et qui synthétise le nationalisme fossile avec une forme radicale de libertarianisme.
Si les mobilisations de rue de droite étaient déjà en hausse avant 2020, la pandémie a accéléré et transformé des dynamiques préexistantes. Le tourbillon d'anxiété, de désinformation et de polarisation qu'elle a déclenché a attiré des pans inattendus de la population — notamment issus de la petite bourgeoisie — dont beaucoup ont participé pour la première fois à un mouvement social, en ligne ou dans la rue.
Elles y ont croisé des militants plus aguerris, des médias alternatifs et des théoriciens du complot, disposant de l'expérience organisationnelle et des cadres idéologiques pour interpréter la situation comme une crise d'ampleur apocalyptique — et y apporter des « solutions Parallèlement, la pandémie a mis un coup d'arrêt à la dynamique du mouvement mondial pour la justice climatique : les manifestations se sont muées en webinaires, les blocages en débats stratégiques, et l'élan brisé ne s'est pas encore reconstitué.
Si la xénophobie anti-migrants et l'islamophobie étaient les fondements incontournables de l'extrême droite avant la pandémie, l'hostilité grandissante envers les politiques de santé publique a reconfiguré et diversifié ses modes d'expression. La frontière est évidemment restée un point de crispation. Mais la suspension des flux migratoires et de l'accueil des réfugiés, imposée par les restrictions sanitaires, a temporairement déplacé le foyer de l'attention : il ne s'agissait plus tant de limiter la liberté de mouvement des Autres perçus comme menaçants, que de « libérer le peuple » de ses propres entraves internes.
Dans ce climat oppressant, les groupes dits de « défense de la liberté » ont proliféré. Des figures issues du monde de l'entreprise ont glissé vers une forme d'entrepreneuriat politique. Restaurateurs, prédicateurs, professionnels de santé en rupture, assistants juridiques, travailleurs indépendants, petits patrons et gestionnaires de tous horizons ont trouvé un terrain d'union.
Certains se sont reconvertis en influenceurs sur les réseaux sociaux, en animateurs de podcasts, en marchands de médecines alternatives et de produits de bien-être, en orateurs dans les rassemblements anti-confinement, voire en dirigeants de partis politiques émergents. Pour plusieurs d'entre eux, cela signifiait délaisser – ou combiner – leur activité professionnelle avec l'« activité » militante, estompant un peu plus encore la frontière, déjà floue, entre engagement politique et entreprise opportuniste à l'extrême droite.
À mesure que les effectifs de l'extrême droite ont augmenté, son influence dans le courant dominant s'est elle aussi intensifiée. Des concepts et théories du complot autrefois confinés à la marge fasciste – du prétendu contrôle malthusien de la population au fantasme du « Grand Remplacement » – se sont banalisés jusqu'à structurer le discours ordinaire. C'est par ces récits que la pandémie et la crise climatique s'articulent désormais.
Ainsi, les critiques des confinements sanitaires ont progressivement laissé place à des mises en garde contre une future dystopie de « confinements climatiques ». Les dispositifs de dénégation portés par les instituts privés de lobbying et les groupes de pression soutenus par les intérêts fossiles ont, quant à eux, joué un rôle clé dans la réorientation du mouvement dit de la « liberté » vers la bataille contre les politiques climatiques.
Pour les capitalistes fossiles — et leurs alliés souvent involontaires —, le monde se découpe selon une série d'oppositions binaires : vérité contre mensonge, nationalistes contre mondialistes, défenseurs de la liberté contre tyrans, banlieue contre ville, automobilistes ordinaires contre militants pour le climat. En nourrissant l'imaginaire conspirationniste de l'extrême droite, ces dichotomies alimentent ce que l'on peut qualifier de « crise inversée ».
Cette dernière reflète tout en dissimulant la réalité matérielle du dérèglement climatique, en diffusant des récits étroitement alignés sur les intérêts du capital fossile. Dans ce cadre, la véritable crise n'est pas celle du climat, mais ce que « ils » — les élites « mondialistes » et les foules « woke » — prétendent imposer pour y répondre. Les solutions écologiques deviennent ainsi perçues comme la crise elle-même. Au cœur de cette rhétorique se trouve la prétendue « guerre contre la voiture ».
La ville verrouillée
Le concept de « ville du quart d'heure » a été formulé en 2015 par Carlos Moreno (1959), professeur franco-colombien en sciences de gestion à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il s'agit de concevoir des villes où les habitant·es peuvent accéder, à pied ou à vélo et en moins de quinze minutes depuis leur domicile, à tous les services essentiels — y compris leur lieu de travail.
Anne Hidalgo (1959), maire socialiste de Paris, a fait de ce concept un slogan de campagne lors de sa réélection en 2020, promettant notamment la création d'« une piste cyclable dans chaque rue » d'ici 2024, au prix de la suppression de 60 000 places de stationnement en surface. Ces propositions prolongeaient la politique urbaine engagée dès 2014. Résultat : entre 2019 et 2020, le nombre de cyclistes a doublé dans la capitale, et les émissions ont baissé de 20 % entre 2004 et 2018. Hidalgo entend désormais interdire les voitures diesel d'ici 2024, et tous les véhicules non électriques à l'horizon 2030.
Ces projets n'ont toutefois pas été mis en œuvre sans opposition. Un hashtag équivalant à #SaccageParis a rencontré un certain écho sur Twitter, où des internautes ont publié photos et vidéos illustrant la prétendue « décadence » urbaine — seringues, poubelles débordantes, campements de sans-abri —, accusant directement Hidalgo. Comme l'a rapporté Politico, une manifestation tenue en octobre 2021 a rassemblé plusieurs centaines de personnes dénonçant l'état de saleté de la ville et la « promotion désordonnée des trottinettes électriques et des vélos au détriment des piétons ».
Face aux critiques croissantes sur les trottinettes, Hidalgo a organisé un référendum en avril 2023 concernant leur usage. Les Parisien·nes ont alors voté en faveur de leur interdiction. Malgré l'audace de ses politiques, les protestations visant ses mesures de restriction de la voiture et de promotion de la marche et du vélo sont restées relativement marginales.
La situation se présente différemment au Royaume-Uni. À Oxford, les tentatives de mise en place de « quartiers à faible trafic » (Low Traffic Neighbourhoods, ou LTN), dispositifs consistant essentiellement à installer des bornes ou jardinières pour restreindre l'accès aux voitures et favoriser la piétonnisation — ont suscité une vague de vandalisme. En 2022, une seule borne, située dans l'est de la ville et qualifiée de « la plus détestée de Grande-Bretagne », a été vandalisée à vingt reprises : des voitures sont passées dessus, certains l'ont arrachée, d'autres l'ont incendiée. La municipalité a alors tenté de renforcer le dispositif en la remplaçant par une structure en bois plus robuste, avant d'installer des versions en acier dans d'autres secteurs. Ce type de sabotage s'est répété dans diverses régions du pays.
Sur le plan discursif, les villes du quart d'heure, les zones à très faibles émissions (comme celles de Londres) et les « quartiers à circulation réduite » (comme ceux expérimentés à Oxford) tendent à se confondre dans un ensemble confus d'obsessions conspirationnistes que Naomi Klein (1970) a qualifié de « cocktail complotiste du Great Reset ». Jordan Peterson (1962), l'un des principaux relais de cette rhétorique toxique, a largement contribué à viraliser la notion en partageant, le 31 décembre 2022, un message se moquant des « bureaucrates tyranniques idiots » à l'origine de ce projet, tout en avertissant : « ne vous y trompez pas, cela fait partie d'un plan bien documenté ».
Pour dissiper tout doute sur l'identité des responsables de ce plan dystopique, il relayait également un tweet de Don Keiller affirmant : « c'est déjà en marche… #GreatReset #JailSchwab », accompagné de photos des dispositifs de circulation à Canterbury et Oxford, ainsi que d'une infographie accusant l'ONU et le Forum économique mondial d'être les instigateurs de la ville du quart d'heure « parce qu'ils se soucient de vous et veulent que vous conduisiez moins ». Ce tweet a été vu plus de sept millions de fois.
Deux mois plus tard, une nouvelle manifestation contre les villes du quart d'heure a rassemblé 2 000 personnes à Oxford. Une fillette de douze ans, transformée pour l'occasion en anti-Greta, a pris le micro pour lancer à la foule :
« Comment osez-vous voler mon enfance et mon avenir, ainsi que celui de nos enfants, en nous réduisant en esclavage dans votre folle prison numérique de surveillance ! » Des tracts distribués sur place présentaient le projet comme un vaste complot visant à enfermer les habitants dans des prisons à ciel ouvert. Barbelés, surveillance permanente par caméras, régimes alimentaires à base d'insectes : telle serait, selon ces documents, la nouvelle norme imposée sous couvert d'écologie. Une pancarte, plus sobre mais tout aussi évocatrice, résumait l'ambiance paranoïaque : les villes du quart d'heure seraient « le coin d'une lame mondiale qui restreindra notre liberté de mouvement ».
Ces craintes ont trouvé un écho jusqu'à la Chambre des communes, où le député conservateur Lee Anderson (1967) a dénoncé les projets d'Oxford comme une « conspiration socialiste internationale ». Quant à Nigel Farage (1964), il a appuyé cette interprétation alarmiste en affirmant : « Les confinements climatiques arrivent. »
Portées par le marché mondial de la désinformation, les théories conspirationnistes sur les villes du quart d'heure ont rapidement gagné le Canada. En février 2023, à Edmonton (Alberta) — capitale de cette province pétrolière —, un rassemblement s'est ouvert par une prière chrétienne. Au cours de la réunion, une coorganisatrice a sorti une imposante Bible de son sac à dos pour la tendre à un urbaniste présent, l'interpellant ainsi : « Jurez-vous sur la Bible que nous ne serons pas verbalisés, que nous n'aurons pas à présenter nos papiers à des points de contrôle ou à faire scanner nos plaques d'immatriculation ? »
L'urbaniste a souri, visiblement amusé, et éludé la question. Mais lorsqu'elle lui fut posée de nouveau, cette fois sur la tribune et devant la foule, il a fini par accepter. Il posa d'abord sa main gauche sur la Bible, avant d'être interrompu par Chris « Sky » Saccoccia, militant anti-confinement, qui lui enjoignit d'utiliser la droite. « Mec, je ne jure pas tous les jours sur la Bible », plaisanta l'urbaniste, avant de déclarer : « Moi, Sean Bohle, urbaniste principal à la ville d'Edmonton, je jure solennellement » — puis, se tournant vers Saccoccia : « c'est bon ? » — et poursuivit : « que si la ville d'Edmonton tente un jour d'imposer un contrôle sur les déplacements des gens, je m'y opposerai fermement dans le cadre de mes fonctions. » La foule éclata en applaudissements.
Avant 2020, Saccoccia, fils de trente-neuf ans d'un riche promoteur immobilier installé dans la banlieue de Toronto, ne semblait avoir aucune expérience politique si ce n'est un goût prononcé pour les provocations d'extrême droite en ligne. D'après le Canadian Anti-Hate Network, il a notamment affirmé que « les Noirs n'ont pas la sophistication nécessaire pour créer une civilisation avancée », que « les musulmans et le viol d'enfants vont ensemble comme les hamburgers et les frites » et que Mein Kampf était « parfaitement exact » à propos des efforts des Juifs pour contrôler le monde, « comme si Hitler avait une boule de cristal ».
Lorsque la pandémie a éclaté, Saccoccia a canalisé cette vision du monde dans un activisme virulent contre les vaccins et les confinements, fédérant un large public en ligne, accumulant inculpations pénales et milliers de dollars d'amendes, tout en devenant l'un des visages les plus visibles du mouvement pour la « liberté ». Il a aussi acquis une notoriété internationale comme invité régulier d'InfoWars[3] et, au moment où nous écrivons ces lignes, prévoit de se rendre à Oxford pour tourner un documentaire sur les villes du quart d'heure.
Lors de son discours à Edmonton, Saccoccia a recyclé le message qu'il diffusait pendant la pandémie pour l'adapter à son nouveau combat climatique :
« Ils ont utilisé le Covid pour vous habituer à l'idée de ne pas vous éloigner de plus de cinq kilomètres de chez vous… Maintenant, ils savent qu'une pandémie ne peut pas durer éternellement, mais qu'est-ce qui le peut ? Une crise climatique, oui ! Une crise climatique dure des générations. Le Covid a donc servi de cheval de Troie pour vous reconditionner, vous préparer à accepter un nouvel agenda de contrôle total imposé au nom du climat — un agenda qui passera par la suppression de la propriété privée de la voiture. »
Le discours, l'influence et la notoriété de Saccoccia sont ainsi remobilisés pour alimenter une guerre culturelle contre les automobilistes. L'idée que « la pandémie ne pouvait durer éternellement, mais qu'une crise climatique le peut » semble être, pour lui, moins un avertissement qu'une opportunité : la précédente crise lui a apporté une reconnaissance — pourquoi ne souhaiterait-il pas que la suivante dure encore plus longtemps ?
Le rassemblement d'Edmonton peut être vu comme une attaque préventive contre les politiques urbaines d'atténuation du changement climatique, visant à attiser une controverse paranoïaque alors même qu'aucune mesure concrète — comme celles en vigueur en Europe — n'était prévue. S'inspirant de l'exemple d'Oxford, Saccoccia a électrisé la foule : « Vous savez ce qu'ils font en ce moment ? Ils défoncent les bornes avec leurs voitures. Ils coulent du béton. Ils arrachent les caméras… Et c'est ce qu'on va faire ici ». Cela, alors même qu'aucune zone à très faibles émissions (ULEZ) n'était envisagée à Edmonton. Pourtant, la foule restait en état d'alerte, prête à s'opposer au moindre soupçon de restriction de la mobilité automobile individuelle.
Ces théories farfelues ne se limitent pas à des activistes de rue comme Sky Saccoccia. On assiste plutôt à une chorégraphie entre le mouvement « ascendant » venu de la rue et la guerre culturelle « descendante » menée par les élites médiatiques, dans laquelle des influenceurs d'extrême droite s'allient à des groupes climatosceptiques bien implantés pour propager la paranoïa. Selon une enquête de DeSmog, le groupe Not Our Future – l'un des principaux opposants aux villes du quart d'heure à Oxford – entretient de nombreux liens avec des réseaux organisés de négation du climat, dont des membres affiliés à la Global Warming Policy Foundation, principale organisation climatosceptique du Royaume-Uni.
Ces groupes bénéficient par ailleurs d'une audience croissante grâce à des figures comme Jordan Peterson, que le climatologue Michael Mann qualifie de « rouage central de la machine à nier », notamment par sa diffusion systématique de ces discours sur X/Twitter et YouTube. Au Canada, l'organisation climatosceptique de longue date, Friends of Science, relaie les mêmes récits conspirationnistes. Sa porte-parole, Michelle Stirling, est intervenue sur Rebel News et d'autres plateformes d'extrême droite pour affirmer que la pandémie aurait « conditionné le public à vivre en quinze minutes », en avertissant que les passeports vaccinaux seraient bientôt transformés en outils de rationnement du carbone à l'échelle individuelle.
Dans le discours de ces coalitions, la tyrannie prétendument imminente agit à toutes les échelles : des sommets « mondialistes » de Davos jusqu'à l'intimité de la chambre à coucher.
Le sexe dans la ville du quart d'heure
#JustSayNo to WEF. #JustSayNo to the fake climate crisis. #JustSayNo to Climate Change Lockdowns. #JustSayNo to fifteen-minute cities / Smart cities. #JustSayNo to the Alphabet Gang. (« Dites simplement non au Forum économique mondial. Dites non à la fausse crise climatique. Dites non aux confinements liés au climat. Dites non aux villes du quart d'heure et aux villes intelligentes. Dites non au gang de l'alphabet » – cette dernière formule étant un code insultant visant la communauté LGBTQ.)
Si cette étrange litanie publiée par Saccoccia sur Telegram – dont la dernière invective cible les personnes LGBTQ – peut sembler relever du pur délire démagogique, elle n'en pose pas moins une question essentielle : pourquoi les queerphobes s'acharnent-ils autant contre les villes du quart d'heure ? Est-ce un simple inventaire à la Prévert des obsessions réactionnaires du moment, ou bien une logique plus profonde les relie-t-elle ?
À l'occasion du mois des fiertés[4], – une figure en vue du mouvement pour la « liberté » et farouche opposante aux villes du quart d'heure – a lancé une campagne pour empêcher la peinture d'un passage piéton arc-en-ciel dans sa petite ville du nord de l'Alberta, près d'Edmonton. Plus au sud, à Leduc – site de la première grande découverte pétrolière de la province – quelqu'un a fait crisser ses pneus sur un passage arc-en-ciel fraîchement peint, le recouvrant de marques noires : une image saisissante de queerphobie fossilisée.
La politologue Cara Daggett a interprété de tels événements comme une « convergence catastrophique » entre la crise climatique, un système fondé sur les combustibles fossiles en déclin, et une hypermasculinité occidentale de plus en plus fragile. « Les remises en question des systèmes fondés sur les énergies fossiles – et, plus largement, des modes de vie saturés de pétrole et de gaz – sont perçues comme des attaques directes contre le pouvoir patriarcal blanc », explique Daggett.
Dans cette convergence, des alliances aussi surprenantes qu'opportunistes se forment. Ainsi, des musulmans conservateurs se sont retrouvés aux côtés d'évangéliques et de figures illuminées de l'extrême droite, dont beaucoup affirmaient encore, quelques années plus tôt, que la crise migratoire n'était qu'un prétexte à une « invasion musulmane » de l'Occident. Ces coalitions cyniques et instables – car l'extrême droite rechigne à renoncer longtemps à l'islamophobie – détournent temporairement leur attention des frontières pour cibler un nouveau front : les conseils scolaires, où il s'agit de « reprendre le contrôle ».
« Si votre liberté vous autorise à interférer avec ma vie privée, avec la manière dont j'élève mon enfant, alors ce n'est pas de la liberté », déclare Mahmoud Mourra, figure de proue d'un rassemblement anti-LGBTQ à Calgary. Dans un entretien accordé au Toronto Star, il déclare sans détour : « Si mon fils décidait d'être gay demain, j'en serais blessé pour le reste de ma vie. »
Il ressort de ces propos que la « liberté » est envisagée ici comme le droit absolu d'exercer un contrôle sur sa « propriété » — qu'il s'agisse de ses voitures ou de ses enfants. Il existe un parallèle révélateur entre le slogan « Laissez nos enfants tranquilles », devenu central dans la croisade anti-LGBTQ, et un tweet de Jordan Peterson enjoignant les élites à « laisser nos voitures tranquilles ».
Cette logique libertarienne – version dévoyée du célèbre Don't tread on me (« Ne me marche pas dessus »), – conçoit l'État comme une force oppressive, et érige le droit à polluer ou à imposer des normes hétéronormatives en principes sacrés. « Change de vitesse, pas de sexe » : tel est le slogan d'un mème devenu autocollant de pare-chocs. Dans ce cadre, le contrecoup anti-trans se déploie à l'échelle de la société : des transitions de genre aux transitions énergétiques, l'enjeu, pour détourner la formule de Marx[5], devient d'empêcher tout changement.
La famille fossilisée
Si, comme l'affirme Michelle Esther O'Brien, la famille constitue « l'un des lieux de la reproduction élargie du capitalisme », que dire alors de la voiture familiale ? Lorsqu'il a annoncé une révision des « mesures anti-automobiles à l'échelle nationale », le Premier ministre britannique, Rishi Sunak (1980) a choisi de se faire photographier assis sur le siège avant de l'ancienne Rover de Margaret Thatcher. « Parlons de liberté », pouvait-on lire en légende.
Dans une tribune publiée dans le Telegraph, Sunak exprimait son inquiétude quant aux jardinières et aux bornes, comme celles installées à Oxford, qui empêcheraient selon lui « tout véhicule plus large qu'un vélo de passer », entravant ainsi le quotidien des voitures familiales. Il déclarait savoir « à quel point les voitures sont importantes pour les familles ».
Dans le numéro précédent de Salvage, Alva Gotby s'appuyait sur les campagnes Wages for Housework ( Des salaires pour le travail ménager) et Wages Due Lesbians (WDL, Salaires dus aux lesbiennes) des années 1970 pour formuler une critique matérialiste de l'hétérosexualité, conçue comme un « mode de vie institutionnalisé fondé sur le désir social d'un certain type d'existence et sur les infrastructures matérielles qui le rendent possible ». Cela transparaît dans l'analyse de la division sexuelle du travail formulée par WDL : « la femme aide l'homme à travailler davantage, à acheter une maison plus grande, une voiture, etc., et à subordonner ses propres besoins aux siens, qui sont ceux du capital ».
De la même manière que le capitalisme a besoin de produire des voitures, il a besoin de produire des « femmes » et des « épouses » disciplinées, chargées de soutenir le salaire masculin, de constituer des « familles » capables d'absorber, par leur surconsommation, la production excédentaire de biens à forte intensité matérielle et destructeurs sur le plan écologique. L'effet combiné du discours pro-voiture, pro-famille et anti-LGBTQ — amalgame que l'on pourrait nommer « panique sexuelle du quart d'heure » — est de diaboliser et d'ostraciser celles et ceux qui échappent à l'hétéropatriarcat, et qui osent construire d'autres formes de désirs sociaux et de supports matériels. Refuser la voiture individuelle, c'est donc aussi, d'une certaine manière, refuser le modèle familial dominant.
Les liens entre natalisme d'extrême droite et déni climatique foisonnent dans les tweets de Jordan Peterson, qui semble s'être reconverti en poète, avec le sérieux affecté d'un adolescent en pleine crise mystique. Dans l'un de ses poèmes, il prête sa voix aux « élites mondialistes alarmistes », bien décidées à nous faire la leçon depuis leurs hauteurs :
Crève de faim dans le noir,
paysan,
toi et ta horde grouillante
d'enfants émetteurs de carbone
qui encombrent la planète.
Le Forum économique mondial (WEF – World Economic Forum) et l'Organisation des Nations unies (ONU), explicitement nommés dans ses publications, sont dépeints comme des fanatiques génocidaires, obsédés par la réduction des émissions de gaz à effet de serre au point d'envisager le meurtre de masse. L'expression forgée par Peterson — « enfants émetteurs de carbone » — sert à instiller un sentiment d'attaque existentielle contre la famille fossilisée : « ils » ne veulent pas que nous ayons d'enfants ; « ils » veulent nous exterminer en nous privant de combustibles fossiles.
Cette construction discursive est également mobilisée par David Parker, fondateur de Take Back Alberta (« Reprendre Alberta »), l'un des groupes d'extrême droite les plus influents au Canada. À un public presque exclusivement blanc et majoritairement rural, Parker ne cesse de marteler qu'ils sont confrontés à un programme « anti-humain ».
La plupart des femmes de mon âge pensent que la pire chose qui pourrait leur arriver, c'est de tomber enceintes. Très bien, leur carrière passe avant. Plus importante que la survie de l'espèce humaine… Que vous soyez pour ou contre l'avortement, nous sommes en train de massacrer nos enfants dans l'utérus. Nous vivons dans une société anti-humaine qui enseigne littéralement à nos enfants qu'ils sont une maladie pour cette planète. Que la meilleure chose à faire, c'est de dépeupler. Vous êtes le carbone qu'ils essaient de réduire.
La survie de l'espèce humaine serait menacée – non par le changement climatique, mais par les féministes et les écologistes, dont les idéologies jugées dévoyées contribueraient à la chute des taux de natalité. Cette perception du monde est également centrale dans l'idéologie long-termiste, prisée par certaines figures ultra-riches de la Silicon Valley, comme Elon Musk — régulièrement encensé par Parker et d'autres figures de l'extrême droite. « Une espèce qui refuse même de se reproduire ne survivra pas », déclare-t-il à la foule, ajoutant que « le taux de natalité en Amérique du Nord n'assure même pas le renouvellement des générations ».
Entre Peterson et Parker — qui ont partagé une scène en mai 2023 — émerge une forme de natalisme fasciste fossile, où les obsessions traditionnelles du fascisme pour la reproduction nationale et la place des femmes se doublent désormais d'un déni climatique actif.
C'est à travers cette chaîne d'équivalence — une identification complète du « peuple » au carbone — que l'anti-écologisme se fond dans l'ultra-nationalisme, et réciproquement. Dans cette logique, brûler des énergies fossiles, rejeter les politiques et technologies de transition énergétique, ou encore défendre la famille nucléaire deviennent autant d'actes de loyauté nationale. Le slogan « Vous ne nous remplacerez pas » cède ainsi la place à une version fossile : « Vous ne remplacerez pas les combustibles fossiles ».
Cette construction discursive n'a rien d'anecdotique : elle s'ancre dans des mutations historiques et matérielles profondément liées au capital fossile, cristallisées autour de l'un de ses emblèmes marchands les plus puissants : l'automobile.
Le moteur de l'histoire
On dit parfois que l'histoire du capitalisme au XXe siècle peut se lire à travers celle de la voiture. À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, les excédents de production militaire ont été reconvertis à des fins civiles. Les programmes de reconstruction nationale, conçus pour relancer des économies dévastées, ont mis l'accent sur les industries automobiles publiques ou sur des « champions nationaux ». Les constructeurs étaient associés à une identité nationale : Volkswagen en Allemagne, Leyland au Royaume-Uni, Renault en France, Fiat en Italie.
Mais cette apparence de souveraineté industrielle masquait une forte dépendance. Les États-Unis fournissaient les équipements pour les usines et les capitaux nécessaires pour « amorcer les pistons ». Les ressources coloniales assuraient l'approvisionnement en caoutchouc, métaux et pétrole jusqu'aux chaînes de montage, et les voitures produites — parfois par une main-d'œuvre immigrée — étaient principalement destinées à l'export. C'est cette dynamique, moteur du « miracle économique » de l'après-guerre, que la voiture fétichisée a contribué à dissimuler.
Mais dans les années 1970 et 1980, les marchés automobiles se sont progressivement saturés. Cette surcapacité a comprimé les marges et contraint les constructeurs à abandonner les modèles standardisés, en multipliant les variantes pour répondre aux goûts supposément plus raffinés des consommateurs. Grâce à une palette quasi infinie de laques, cuirs, tissus, toits ouvrants, jantes ou systèmes audio, aucune voiture identique ne sortait de la chaîne de production de Volkswagen un même jour. Et à mesure que les options de personnalisation se multipliaient, la taille des véhicules augmentait elle aussi.
Face aux nouvelles réglementations sur l'efficacité énergétique adoptées par le Congrès à la suite des chocs pétroliers des années 1970, les lobbyistes de l'industrie automobile ont obtenu des exemptions pour les « camionnettes légères » et les « véhicules utilitaires ». Ce qui deviendra plus tard la « faille des SUV » a poussé les constructeurs à produire des véhicules plus lourds, plus hauts et moins économes en énergie, tout en les reclassant comme camions. Ces véhicules massifs ont ensuite été commercialisés de manière agressive auprès du grand public, à travers des images de machines escaladant des montagnes — alors même qu'ils étaient principalement utilisés pour les trajets domicile-école en banlieue.
Au-delà des incitations initiales créées par cette faille juridique, le prix plus élevé des SUV promettait des profits bien supérieurs à ceux des voitures particulières classiques, ce qui explique en partie pourquoi un phénomène d'abord limité aux États-Unis est devenu mondial. Aux États-Unis, SUV et camions légers représentent désormais près des trois quarts des ventes de voitures neuves. Et à l'échelle mondiale, leur part est passée de 20 % à plus de 50 % des ventes en seulement dix ans.
Dans le même temps, les SUV sont devenus le deuxième facteur d'augmentation des émissions mondiales de CO₂, derrière le secteur de l'électricité, mais devant le transport maritime, l'aviation et l'industrie lourde. Si les SUV formaient un pays, ils seraient aujourd'hui le sixième plus gros émetteur de gaz à effet de serre au monde.
Par ailleurs, leur gigantisme a des conséquences dramatiques non seulement sur le climat, mais aussi sur les autres usagers de la route. Les chaînes de production actuelles fabriquent des voitures de la taille de chars d'assaut de la Seconde Guerre mondiale. Sans surprise, le nombre de piétons tués a atteint un sommet de quarante ans aux États-Unis. De manière perverse, ce risque accru est parfois invoqué pour justifier l'achat de véhicules encore plus massifs, censés protéger leurs occupants — une logique de « course aux armements » semblable à celle des amateurs d'armes à feu. Si l'on produit des chars, il faut s'attendre à des morts.
Il n'est pas anodin que le XXe siècle soit couramment divisé en deux grandes périodes : le fordisme et le post-fordisme. La voiture en est le symbole par excellence — la marchandise suprême. Chargée de qualités fétichisées et présente aux quatre coins du globe, elle incarne la valeur en expansion perpétuelle, activant des circuits d'accumulation avant, pendant et bien après sa sortie d'usine : pièces détachées, construction de routes, commerces en bordure de chaussée, compagnies d'assurance, stations de lavage, etc.
Les pays en périphérie du système mondial ne sont pas seulement des réservoirs de ressources nécessaires à la production des voitures destinées aux pays du centre : ils deviennent aussi les dépotoirs de ces cages métalliques une fois qu'elles ne répondent plus aux normes réglementaires ou aux goûts esthétiques du Nord global. Qu'elles continuent à rouler ou qu'elles finissent à la casse, ces voitures prolongent leur pouvoir de nuisance bien au-delà de leur première vie, en dépossédant les territoires exploités de leurs ressources naturelles et en perpétuant la pollution. La voiture — et sa défense — cristallise ainsi l'expression la plus achevée du mode de vie impérial.
Alors que les ouvriers des usines automobiles ont été soumis aux cadences imposées par la machine, la nature et l'espace ont eux aussi été subordonnés à la logique de l'automobile, bouleversant au passage les relations sociales. Les rues résidentielles ont cédé la place aux rocades et aux parkings ; les paysages ont été éventrés sur des kilomètres pour construire des autoroutes ; les réseaux de trains et de tramways ont été systématiquement démantelés ; et les zones pavillonnaires ont été repoussées toujours plus loin, aux marges des villes, où la dépendance à la voiture ne fait que s'accentuer. S'il existait un large consensus social sur la direction générale à suivre — de nouvelles subjectivités se formant en phase avec ces transformations — la dépendance totale à l'automobile s'est néanmoins imposée sans véritable participation démocratique.
Cela ne veut pas dire que la suprématie de la voiture n'a jamais été contestée. Tout au long de son histoire — plus longue encore que celle du capitalisme contemporain — des vagues de résistance ont dénoncé l'engorgement des rues, la mise en danger des vies humaines, et la destruction des campagnes, tous effets du système d'automobilité. Mais avec l'effondrement écologique désormais en ligne de mire — et le transport représentant souvent la première source d'émissions dans un pays donné — la voiture, ainsi que le carburant qui l'alimente, font aujourd'hui l'objet de leur contestation la plus déterminée.
Le capital répond à ce défi par une solution technologique relativement simple : remplacer le moteur à combustion interne par une batterie au lithium. Les États soutiennent cette électrification en interdisant progressivement les moteurs thermiques et les véhicules diesel. Mais cette transition vers une mobilité individuelle électrifiée traverse aussi un champ de mines géopolitiques, économiques et subjectifs.
Il faut d'abord composer avec des intérêts économiques profondément enracinés. Les industries pétrolière et automobile restent imbriquées dans une relation symbiotique : la moitié de la consommation mondiale de pétrole sert à alimenter les véhicules routiers. Une électrification totale de la mobilité personnelle représenterait donc une menace existentielle pour le capital fossile.
Le paysage de la production automobile, quant à lui, a été profondément transformé. Alors qu'il était historiquement centré sur l'Europe et les États-Unis, il s'est déplacé vers l'Asie de l'Est, la Chine dominant désormais le marché mondial des voitures neuves. Même la production de ce qui était autrefois le fleuron de l'industrie allemande — l'automobile — a été délocalisée dans des pays à main-d'œuvre bon marché et à réglementation plus souple : la majorité des véhicules de marques allemandes ne sont plus fabriqués en Allemagne.
Le plan actuel d'électrification offre toutefois au capital fossile de nombreuses occasions de piloter la transition à son avantage. Aux États-Unis comme dans l'Union européenne, en raison d'un mode de calcul propre aux normes d'efficacité énergétique, la montée en puissance des véhicules électriques profite en réalité aux segments les plus polluants de l'industrie automobile.
Adoptées par le Congrès des États-Unis dans les années 1970 après le premier choc pétrolier, les normes CAFE (Corporate Average Fuel Economy) exigent que la conformité ne soit pas mesurée à l'échelle d'un modèle de véhicule, mais en fonction de la moyenne des émissions sur l'ensemble de la flotte produite par un constructeur. Ainsi, plutôt que d'évaluer la consommation d'un véhicule spécifique – comme un Chevrolet Suburban de trois tonnes –, les autorités calculent une moyenne pondérée de tous les modèles commercialisés par la marque.
Cela signifie qu'en vendant davantage de véhicules économes en carburant, une entreprise peut compenser la production de véhicules beaucoup plus polluants. Le même système de calcul par flotte est appliqué dans l'Union européenne, bien que les normes y soient plus strictes. Dans ce cadre réglementaire, les constructeurs mettent en avant leurs modèles « verts » pour gagner en flexibilité, tout en maintenant leur accès aux segments les plus polluants – et les plus rentables – du marché.
Et ce n'est pas tout : dans un autre détour de la réglementation, les moyennes d'émissions ne correspondent pas forcément à celles d'un constructeur pris isolément. Une entreprise qui dépasse son plafond peut compenser ses excès en achetant des crédits à des fabricants plus sobres. En exploitant ces failles réglementaires croisées, Tesla génère souvent plus de revenus en vendant ces crédits aux fabricants de voitures façon blindés qu'en commercialisant ses propres modèles électriques. En somme, plus il y a de voitures électriques sur les routes, plus il est possible de vendre des 4×4.
Mais d'autres fractions du capital ont également des intérêts dans cette transition. La majeure partie de la valeur ajoutée des véhicules électriques réside désormais dans leurs batteries, dont l'écrasante majorité est produite en Asie de l'Est. À mesure que les logiciels deviennent un élément central des voitures de nouvelle génération, les alliances entre les constructeurs automobiles et les géants de la tech se multiplient. De cette convergence émergent de nouvelles sources de revenus : les conducteurs deviennent des gisements de données, tandis que des constructeurs comme Volkswagen, Toyota ou Tesla proposent des abonnements payants pour accéder à certaines fonctionnalités, des sièges chauffants à l'accélération améliorée.
On retrouve des traces discursives de ces dynamiques changeantes et de ces tensions dans la rhétorique autour de la « guerre contre l'automobiliste ». En résistant à l'interdiction des moteurs à combustion interne, au Royaume-Uni comme ailleurs en Europe, les responsables politiques reprennent l'idée selon laquelle leur industrie automobile, perçue comme exceptionnelle, serait injustement sacrifiée sur l'autel d'une politique écologique dévoyée. Nourris par la nostalgie, des imaginaires nationalistes sont mobilisés pour défendre la voiture.
Mais une autre bataille symbolique s'engage, cette fois contre « l'Orient ». Selon la presse britannique conservatrice, les constructeurs chinois auraient déclaré une « guerre à leurs rivaux occidentaux » ; leurs véhicules seraient sur le point « d'envahir » l'Europe, permettant au Parti communiste de surveiller les populations. Cette menace serait inévitable si les dirigeants s'obstinaient dans leur trahison écologique.
Une telle rhétorique est constamment recyclée par l'extrême droite, qui décrit les voitures électriques comme des machines castratrices, placées sous le contrôle de régimes autoritaires. Une crainte souvent exprimée est que ces véhicules puissent être désactivés à distance dès qu'un conducteur ou une conductrice oserait franchir les limites de sa « prison de quinze minutes ». Ainsi, si la guerre contre l'automobiliste est perçue comme une guerre contre la nation fossile, elle serait menée à la fois par des ennemis extérieurs et des traîtres de l'intérieur.
Les rues de qui ?
La couverture de Der Spiegel, principal magazine d'information allemand classé au centre-droit, publiée à la mi-août 2023, montre une militante de La Dernière Génération [Letzte Generation] coiffée d'un bob délavé, portant un foulard turquoise et un gilet orange haute visibilité. Assise sur la chaussée face à une Porsche, encadrée par un policier, elle incarnait la figure centrale d'un dossier titré : « Les nouveaux ennemis de l'État – Au cœur d'une organisation radicale ».
Qualifier La Dernière Génération d'« organisation radicale » est, pour être franc, une description pour le moins inadaptée. Formé en Allemagne à l'été 2021, ce collectif est aujourd'hui l'un des plus visibles du mouvement climat dans le pays — après Fridays for Future, qui occupait cette position avant la pandémie. Fort d'environ 900 membres, La Dernière Génération recourt principalement à des blocages de la circulation, souvent en se collant au sol, pour faire pression sur les pouvoirs publics afin qu'ils prennent enfin des mesures face à la crise climatique.
Dans une volonté affichée de pragmatisme, le mouvement s'est limité à trois revendications officielles : instaurer une limitation de vitesse sur les autoroutes allemandes, rétablir le ticket national à 9 euros pour les trajets en train, et mettre en place un « conseil de la société » (Gesellschaftsrat) composé de quelques centaines de citoyen·nes issu·es d'horizons divers, qui, s'appuyant sur l'expertise scientifique, débattraient des propositions d'atténuation à soumettre ensuite au parlement. Au vu de l'accélération visible de l'effondrement climatique rien qu'au cours de cet été, qualifier ces revendications de timides et insuffisantes serait encore en dessous de la réalité. Ce qui ne fait que rendre plus révoltants encore l'hostilité et les mesures répressives auxquelles La Dernière Génération est confrontée.
À l'exception de quelques blocages d'aérodromes et de jets de peinture occasionnels sur des jets privés, le groupe s'est refusé à toute escalade de ses actions, restant fidèle à son engagement de non-violence et à sa stratégie initiale. Cela ne l'a pas empêché de devenir une cible privilégiée des récits réactionnaires dans les médias, ainsi que de certaines critiques provenant de la gauche. Ces dernières lui reprochent l'absence de cadrage anticapitaliste, une sous-estimation du pouvoir des lobbies et un choix tactique qui pénalise de façon disproportionnée les travailleur·ses ordinaires.
Quant aux médias dominants — à l'image de la couverture de Der Spiegel —, ils le présentent désormais comme un groupe « extrémiste de gauche » ou un « mouvement écoterroriste », en légitimant au passage une conception libertarienne de la liberté et un usage autoritaire du pouvoir d'État. Ainsi, le gouvernement, les grands médias et l'extrême droite convergent de plus en plus autour d'un même cadrage : celui des militant·es climatiques comme « ennemis de l'État ».
Le fait de faire des mouvements militants des boucs émissaires joue un rôle central dans la formation politique du nationalisme fossile contemporain. En 2019, alors qu'Extinction Rebellion (XR) occupait le devant de la scène avec ses blocages de rues et de ponts, le déni climatique pur commençait à perdre en crédibilité — sans pour autant que les intérêts qu'il défendait faiblissent.
La machine du déni a donc adopté un nouveau cadrage : l'opposition binaire entre « acceptation » et « déni » a été remplacée par celle entre « alarmistes » et « réalistes ». Être « réaliste » sur le climat, c'est reconnaître la validité de la science… pour mieux conclure qu'aucune mesure radicale n'est nécessaire. Être « alarmiste », en revanche, c'est exiger l'action — preuve d'une hystérie supposée, d'un excès d'émotion et d'un manque de rationalité. Ce glissement s'accorde parfaitement avec les fondements exclusifs du nationalisme.
Aujourd'hui, lorsque des groupes d'activistes organisent des sit-in ou des « marches lentes » dans les centres-villes, ils déclenchent la fureur de conducteurs immobilisés, qui klaxonnent sans relâche, font rugir leur moteur ou percutent les corps assis. Souvent, la colère déborde de l'habitacle : des automobilistes furieux traînent, bousculent ou frappent parfois les manifestant·es. Des passants filment la scène, et ce spectacle de violence se diffuse en ligne, accumulant des millions de vues. Les commentaires débordent d'indignation, parfois dirigée contre les activistes eux-mêmes, mais plus souvent contre les policiers accusés de les protéger.
Cette défense acharnée de « l'automobiliste ordinaire » se trouve encore renforcée lorsque l'on voit un conducteur violent maîtrisé par la police. « Comment peuvent-ils arrêter ce type qui veut juste aller bosser, et laisser ces abrutis gâcher la vie du reste d'entre nous ? » Dès lors, cette « éco-tyrannie » qui entraverait la vie quotidienne des gens semble soutenue par l'État — une association que l'extrême droite exploite avec empressement.
Toute illusion d'une alliance entre l'État et les militants pour le climat est bien sûr trahie par le durcissement de l'appareil répressif dans les États capitalistes avancés. Au Royaume-Uni, une série de lois a restreint le droit de réunion et élargi les pouvoirs policiers, notamment à l'encontre des militants écologistes. Pour favoriser les automobilistes, l'« obstruction délibérée de la voie publique » est désormais un délit pénal ; il en va de même pour le fait de « s'attacher » à une personne ou à un objet. Lors d'un événement estival, Rishi Sunak a remercié un groupe de réflexion lié au secteur des énergies fossiles pour son rôle dans la rédaction de cette législation.
Aux États-Unis, la répression étatique et la législation locale sanctionnent et encouragent le vigilantisme motorisé contre les manifestants pour la justice raciale. En 2017, le meurtre de la militante antifasciste Heather Heyer, percutée par une voiture lors du rassemblement « Unite the Right » à Charlottesville, a été puni d'une peine de prison à perpétuité. Toutefois, les homicides par automobile sont en hausse, et de tels verdicts deviennent de plus en plus improbables.
En Floride, le gouverneur Ron DeSantis a promulgué une loi « anti-émeute » qui permet d'inculper pour crime au troisième degré tout rassemblement public de trois personnes ou plus. En réaction directe aux manifestations « Defund the Police » (Couper les fonds à la police) et Black Lives Matter, cette loi accorde également l'immunité aux automobilistes ayant blessé ou tué des manifestants — pourvu qu'ils prétendent avoir craint pour leur vie. Ce raisonnement tordu fait écho à la loi « Stand Your Ground » de Floride, qui protège les porteurs d'armes à feu contre les poursuites pour homicide s'ils affirment avoir été en danger imminent, comme ce fut tristement le cas pour Trayvon Martin.
Une approche similaire a été adoptée dans l'Oklahoma, où les législateurs républicains ont adopté une loi criminalisant l'obstruction de la voie publique et protégeant les automobilistes responsables de blessures ou de décès — à condition qu'ils prétendent avoir voulu fuir ou avoir eu peur. Ce projet de loi a été présenté après qu'un pick-up a foncé dans un groupe de manifestants à Tulsa en mai 2020, lors d'un rassemblement contre le meurtre de George Floyd, paralysant l'un d'eux à partir de la taille. Le bureau du procureur du comté de Tulsa a refusé de poursuivre le conducteur, estimant que les manifestants étaient les véritables fauteurs de troubles et que le conducteur était la victime.
Le Verfassungsschutz allemand – — l'agence chargée de la « protection de la Constitution » et adepte notoire de la théorie du fer à cheval — a envisagé de classer La Dernière Génération comme organisation « criminelle » et « anticonstitutionnelle ». La répression policière, déjà intense, s'est étendue des arrestations sur la voie publique à des perquisitions domiciliaires préventives, accompagnées d'une surveillance des courriels, discussions et appels téléphoniques du groupe. En France, le collectif écologiste Les Soulèvements de la Terre, déjà cible de violences policières, a fait l'objet d'un décret de dissolution, finalement annulé par les tribunaux pour inconstitutionnalité. Cela n'a pas empêché l'État d'interpeller à la frontière des militant·es climatiques venu·es d'Italie, au nom des lois dites « antiterroristes ».
En Espagne, sous un gouvernement de coalition de centre-gauche, le procureur général a qualifié les groupes Extinction Rebellion et Futuro Vegetal comme étant des organisations « terroristes ». Aux États-Unis, soixante et un membres du mouvement Stop Cop City (aussi connu sous le nom de Defend the Atlanta Forest) ont été inculpés en vertu de la loi RICO – habituellement utilisée contre les mafias – afin de permettre la destruction de la forêt et la construction du centre d'entraînement militarisé de la police, d'une valeur de 90 millions de dollars, comme prévu.
En réalité, en présentant les militants écologistes comme des alarmistes et des terroristes menaçant la cohésion sociale de la nation, c'est une alliance sous-jacente entre l'extrême droite et la droite classique qui se forme. Tandis que la « crise inversée » laisse croire qu'un État totalitaire se prépare à restreindre la mobilité automobile alimentée aux énergies fossiles — et donc les libertés individuelles —, c'est en fait l'État lui-même qui comprime les libertés civiles pour protéger le capital fossile. La violence exercée par l'automobiliste furieux à l'encontre du militant écologiste reflète celle de l'État ; d'une certaine manière, le premier devient supplétif du second. Les militant·es pour le climat se retrouvent ainsi pris·es en étau, exposé·es à la fois à une répression venue d'en haut et à une hostilité surgie d'en bas.
Si les militant·es pour le climat doivent affronter cette alliance, il en va de même pour les politiques climatiques et les technologies d'atténuation, même les plus timides. À la veille de l'extension de la zone à faibles émissions (ULEZ) au Grand Londres, quelques centaines de manifestant·es se sont rassemblé·es devant Downing Street avec de fausses plaques d'immatriculation où l'on pouvait lire « NO 2 ULEZ ». De leur côté, les Blade Runners ont marqué l'événement en désactivant plusieurs dizaines de caméras, dans ce que certains ont qualifié de « Nuit des longs couteaux » — une référence à leurs sécateurs emblématiques, sans égard pour la charge historique du terme.
Ils ont été acclamés par des influenceurs d'extrême droite, des députés conservateurs et des médias de la droite dure. Une carte Google recensant les caméras ULEZ de Londres a circulé sur les chaînes Telegram d'extrême droite : les icônes rouges indiquaient les caméras fonctionnelles, les noires celles qui avaient été sectionnées ou mises hors service. « Le sud de Londres » – entièrement couvert de noir – « se porte bien », a écrit Tommy Robinson. « Je suis content qu'ils le fassent », a approuvé l'ancien chef du Parti conservateur Iain Duncan-Smith, en référence aux exploits des Blade Runners. De nombreux autres députés conservateurs ont également été associés à des groupes Facebook encourageant les actions de justiciers autoproclamés des Blade Runners – des espaces en ligne où Sadiq Khan, le maire de Londres, était régulièrement la cible d'insultes racistes et islamophobes.
Pendant ce temps, la manifestation devant Downing Street — malgré une faible participation — a été relayée en une du Telegraph et du Daily Mail. Peu importe que les sondages indiquent que la majorité des Londoniens, y compris dans le Grand Londres, soutiennent l'ULEZ : cette boucle de rétroaction médiatique contribue à légitimer, amplifier et nourrir un mouvement populaire dont les ancrages dans l'extrême droite sont de plus en plus visibles. Ce mouvement prépare le terrain à des politiques anti-écologiques.
À la fin d'un été marqué par les protestations et les actes de sabotage, les dirigeants conservateurs ont adressé un clin d'œil complice au mouvement de rue lors de leur conférence annuelle. Le ministre des Transports, Mark Harper, a profité de la tribune pour dénoncer le concept des villes du quart d'heure, affirmant que ces dernières permettraient aux municipalités de « décider de la fréquence de vos courses, de rationner l'usage des routes et de tout surveiller par vidéosurveillance ».
Après avoir déjà reporté l'interdiction des voitures essence et diesel prévue pour 2030, Rishi Sunak a annoncé vouloir « freiner les mesures anti-voitures dans toute l'Angleterre ». Le gouvernement a publié son « plan pour les automobilistes », qui vise à limiter les pouvoirs des collectivités locales en matière de réduction des limitations de vitesse, de sanction des infractions routières (conduite et stationnement), de mise en place de quartiers à trafic limité(LTNs, ou Low Traffic Neighbourhoods) ou encore de réserves de voies de bus aux seuls bus.
Une autre mesure vise à empêcher les autorités locales d'utiliser les villes du quart d'heure comme outil de contrôle sur la vie quotidienne des gens. Le dernier jour de la conférence, Sunak a également annoncé l'annulation de la portion nord de la ligne à grande vitesse censée relier Birmingham à Manchester. Que faire des 36 milliards de livres ainsi « économisés » ? Près d'un quart de cette somme sera réaffectée à l'entretien et à l'élargissement du réseau routier. C'est « la bonne décision pour faciliter la vie des familles qui travaillent dur », a déclaré le Premier ministre. « Nous sommes du côté des automobilistes », a renchéri Mark Harper. En signe de mépris envers les ambitions de réduction des inégalités territoriales, il a également été annoncé que 250 millions de livres seraient alloués… au rebouchage des nids-de-poule sur les routes de Londres.
Il est difficile de prendre au sérieux l'idée que les conservateurs britanniques croient réellement que les zones à faibles émissions ou les plans de réduction du trafic — pourtant largement mis en place sous leurs propres mandats — annoncent l'avènement d'une future dystopie de « confinement climatique ». Le véritable enjeu, derrière l'activation de l'imaginaire autoritaire, est d'ordre électoral : il s'agit d'instrumentaliser la voiture comme levier de polarisation entre centres urbains et périphéries suburbaines.
Pour les Blade Runners (saboteurs de caméras anti-pollution) et les manifestants de rue, l'ombre d'un État mondial de surveillance piloté par le Forum économique mondial (WEF) et l'ONU ne fait guère de doute : un régime dans lequel chaque activité ou consommation serait scrutée et restreinte selon ses émissions. Le programme politique — ou plutôt la vision du monde — qui découle d'un tel fantasme est bien plus radical que celui de la majorité des conservateurs, et tend vers une forme de renaissance ultra-nationaliste. Pourtant, malgré leurs divergences idéologiques et stratégiques, l'alliance fonctionne — et elle fonctionne efficacement pour chacun.
Alors que le capital fossile exerçait jusqu'ici son pouvoir politique par des moyens plus classiques — lobbying, capture réglementaire, financement de médias climatosceptiques ou de groupes d'experts dociles — il s'appuie désormais sur de nouvelles formes de levier. Non plus seulement dans les conseils d'administration, mais aussi dans la rue, se développe une stratégie délibérée visant à cultiver une avant-garde prête à agir comme « la pointe de la lance » — ou du sécateur, en l'occurrence — pour défendre la nation fossilisée.
L'apocalypse automobile
La plupart des analyses du fascisme s'accordent à dire qu'une forme de « crise » est nécessaire à son émergence. Les crises écologiques et climatiques interconnectées, en s'intensifiant, offrent un terreau particulièrement fertile au développement de politiques fascistes. Dans un monde marqué par la pénurie, les déplacements forcés de population et la démagogie, on conçoit aisément comment l'ultra-nationalisme peut servir d'outil pour préserver et accaparer les ressources, en opérant une sélection entre les vies à protéger et celles à sacrifier.
Mais la crise climatique constitue aussi, bien sûr, une crise pour le capital fossile — d'une nature différente. La transition des énergies fossiles vers les renouvelables met en péril certains des secteurs les plus puissants de l'économie. Dès lors, quelles stratégies ces acteurs peuvent-ils mobiliser pour prolonger l'accumulation capitaliste ? Quels récits, quelles figures ou quels imaginaires peuvent-ils déployer pour faire partager à d'autres cette angoisse existentielle ?
L'une des réponses explorées dans cet essai est celle de la « crise inversée ».
La stratégie de l'inversion est aujourd'hui omniprése

« Les guerres de métaux risquent de devenir la tragédie du siècle » - Fabien Lebrun
Le Congo se situe au centre de l'économie numérique mondialisée et en révèle les nombreuses horreurs. Dans Barbarie numérique, une autre histoire du monde connecté (L'Échappée), Fabien Lebrun, docteur en sociologie, avance une contre-histoire du numérique à partir du Congo qui remonte jusqu'aux origines du capitalisme.
25 mai 2025 | tré d'Élucid
https://www.lechappee.org/actualites/les-guerres-de-metaux-risquent-de-devenir-la-tragedie-du-siecle
Laurent Ottavi (Élucid) : Votre livre bat en brèche l'idée que nous vivrions au temps de la « dématérialisation ». Avant d'en venir au cas du Congo, pouvez-vous expliquer en quoi il s'agit d'un « concept mensonger » ?
Fabien Lebrun : Le mot dématérialisation fait partie d'un ensemble de termes comme « cloud », « virtuel », et « cyberespace », qui véhiculent l'idée d'une moindre emprise physique sur le monde. Il promet moins, peu ou pas de matérialité. C'est pourtant l'exact opposé qui se produit dans le secteur électronique.
Dématérialiser signifie numériser et informatiser, car tous les services dits dématérialisés font appel à des équipements informatiques, donc à du matériel, autant pour les terminaux que pour les usines digitales nécessaires à leur fonctionnement. La dématérialisation invisibilise un nouveau stade de production capitaliste, sa transformation technologique qui repose notamment sur l'ensemble de cette infrastructure matérielle.
Élucid : Pouvez-vous donner quelques exemples de l'accroissement de matérialité qu'induit le numérique ?
Fabien Lebrun : Dans les années 1950-1960, la fabrication des premiers téléphones fixes requérait une dizaine de métaux. Dans les années 1990, l'avènement de la téléphonie mobile s'accompagne des téléphones à clapet ou à touche, dont la fabrication nécessitait une trentaine de métaux. Dans les années 2020, le smartphone exige une soixantaine de matières premières. Par exemple, le dernier iPhone 16 en engloutit 64 dont une cinquantaine de métaux.
Plus on avance dans le temps, plus la « dématérialisation » a tendance à recouvrir la table de Mendeleïev, qui recense tous les éléments naturels présents dans la croûte terrestre, et dont les éléments métalliques sont au nombre de 88. Nous sommes arrivés à exploiter les 2/3 de ce qui est disponible dans le sol et le sous-sol pour satisfaire la révolution numérique, sans compter la composition métallique des appareils connectés qui requièrent toujours plus de métaux en quantité, en qualité et en diversité.
Le smartphone et la voiture électrique, respectivement composés de 60 et 70 métaux, sont des symboles de la mondialisation. Rien que pour construire un smartphone, il faut environ 1 000 usines dans le monde.
« Les institutions financières internationales et le secteur extractif avaient identifié l'Afrique comme le continent pourvoyeur en ressources de l'informatisation du monde. »
En quoi le Congo parle-t-il de la matérialité du numérique ?
Le Congo-Kinshasa (ou République démocratique du Congo) est un territoire quatre fois plus grand que la France, l'un des seuls pays au monde – si ce n'est le seul – à avoir un sous-sol aussi varié et fourni en minerais et autres ressources naturelles (agricoles, forestières), qui font l'objet de convoitise.
Dans les années 1990, les institutions financières internationales et le secteur extractif mondial avaient identifié l'Afrique comme le continent pourvoyeur en ressources de cette nouvelle révolution industrielle que constitue l'informatisation du monde.
Sur l'aspect local, Mobutu, au pouvoir depuis 30 ans, a affaibli l'appareil de production congolais (baisse de la production de cuivre et de cobalt) de par sa kleptocratie. Cela était inacceptable pour les puissances mondiales, pour le capitalisme en général et pour sa transition technologique au cours des années 1990, un contexte favorable au déclenchement de la Première guerre du Congo.
Quels sont les principaux minerais de sang au Congo ?
Il y a quatre minerais de sang qu'on appelle aussi minerais de conflits, faisant l'objet de législations états-uniennes et européennes.
Le premier est le coltan qui, une fois transformé, devient le tantale. 80 % de sa production mondiale est dédiée au secteur électronique. Il permet notamment de fabriquer des condensateurs, ces petits composants au cœur de la miniaturisation de nos appareils connectés. C'est un métal stratégique de par sa résistance à la corrosion et à la chaleur. Sans lui, votre smartphone vous exploserait dans la main ou prendrait feu en quelques minutes ! Plus de la moitié des réserves mondiales se trouvent dans le Kivu, région orientale du Congo. La mine de Rubaya, contrôlée depuis avril 2024 par le M23, groupe armé anti-gouvernemental appuyé par le Rwanda, est la plus grande mine de coltan du monde.
Le second minerai de sang est la cassitérite qui, une fois transformée, donne l'étain, métal indispensable pour souder les circuits électroniques. Associé à l'indium, il rend les écrans tactiles. Courant mars, le M23 a également mis la main sur la troisième mine d'étain au monde qui se trouve à Bisie, au Nord-Kivu.
Le troisième minerai est le wolfram qui, une fois transformé, devient le tungstène logé au sein des vibreurs et des haut-parleurs.
Le quatrième et dernier minerai de sang est l'or. 10 % de la production aurifère mondiale est utilisée par l'industrie électronique, notamment pour fabriquer des cartes-mères et des circuits imprimés. On trouve beaucoup d'or dans la partie nord-est du pays, largement pillée par l'Ouganda.
Ces quatre minerais ont fait naître une économie de guerre. Leur exploitation et leur commercialisation financent des groupes armés congolais et étrangers, et alimentent les conflits depuis 30 ans dans la région des Grands Lacs. Ces minerais attirent au Congo de multiples acteurs africains et internationaux, des entités privées congolaises et des firmes européennes, états-uniennes, chinoises, etc.
On pourrait évoquer d'autres minerais. Au Katanga, province du Sud-est congolais, on trouve 80 % des réserves de cobalt qui sert à fabriquer les batteries des téléphones et ordinateurs portables, et des voitures électriques. 75 % de la production mondiale de cobalt est assurée par le Congo et contrôlée par la Chine. Il y a aussi le lithium, dont on a récemment découvert un immense gisement.
Le Congo est par ailleurs l'un des plus grands exportateurs mondiaux de germanium qui compose la technologie Wi-Fi et la fibre optique. Le cuivre, enfin, dont le Congo est le 1er producteur africain, sert à construire les câbles sous-marins et souterrains, et sert plus généralement à l'électrification du monde.
« 27 millions de Congolais sur une population d'environ 100 millions d'habitants sont en situation de malnutrition aiguë, pour ne pas dire de quasi-famine. »
Maintenant que vous avez présenté ces minerais de sang et quelques autres, pouvez-vous expliquer à quels drames ils ont donné lieu après 25 années de « révolution numérique » ? Pouvez-vous commencer par les conséquences sur l'écologie qui participent aux désastres humains ?
Le « coût » humain et écologique s'est amplifié depuis trois ans, davantage avec l'intensification de la guerre en janvier dernier.
Au Congo comme ailleurs, l'exploitation minière est intrinsèquement polluante, dévastatrice pour les écosystèmes : des cours d'eau sont pollués sur des dizaines de km², les nappes phréatiques sont contaminées aux métaux lourds (mercure et plomb) et par des produits chimiques comme l'arsenic.
Le désastre environnemental est aussi un désastre sanitaire. Selon des épidémiologistes de Lubumbashi (Katanga), la faune et la flore sont exterminées par cette pollution minière qui se retrouve dans la chaîne alimentaire. La population peut boire cette eau, se laver ou cuisiner avec, provoquant des cancers, de l'infertilité, voire des malformations congénitales.
D'autre part, les parcs et les réserves naturelles qui abritent une biodiversité exceptionnelle sont régulièrement envahis par des bandes armées et des creuseurs. Des espèces en voie d'extinction, comme le gorille des plaines et des montagnes, sont davantage fragilisées. La forêt congolaise, devenue le premier poumon mondial devant l'Amazonie, est ravagée : 500 000 hectares disparaissent chaque année. L'activité minière n'est pas la seule responsable, les hydrocarbures et les activités agricoles y participent aussi.
Il y a également la question foncière. Chaque parcelle, territoire ou site extrait, rend les terres non cultivables. Dans le Kivu, on observe des trous les uns à côté des autres sur des km2 alors que ce sont des terres nourricières, fertiles qui pourraient servir une production agricole conséquente. Rappelons que 27 millions de Congolais sur une population d'environ 100 millions d'habitants sont en situation de malnutrition aiguë, pour ne pas dire de quasi-famine.
Qu'en est-il des violations humaines ? Quelle est la situation des déplacés et des réfugiés ?
On compte 7 millions de déplacés internes suite aux différentes attaques de groupes armés (on peut en ajouter 500 000 rien que pour le mois de janvier dernier). Ils vivent au sein de camps dans des conditions d'hygiène déplorables, avec très peu de nourriture et d'eau potable. Depuis quelques mois, on observe la résurgence de maladies comme le choléra. Les réfugiés, ceux qui fuient la guerre, sont au nombre de 4 millions sur les 20 dernières années.
La comptabilisation des morts au Congo exige de prendre en compte toutes les morts indirectes. La situation de conflit au Congo empêche en effet tout développement d'infrastructure, y compris sanitaire, donc la moindre pathologie ou maladie devient mortelle. On ne parvient cependant pas à établir le nombre de morts de façon précise, car il n'y a pas eu de recensements depuis des années. Les études évoquent 4 à 6 millions de morts, ce qui fait de ce conflit le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre mondiale.
S'ajoute le travail forcé, pour ne pas dire l'esclavage moderne, d'enfants, mais pas uniquement. Le rapport d'Amnesty International de 2016, « Voilà pourquoi on meurt », citait le chiffre de 40 000 enfants pour la seule province minière du Katanga et convoquait la responsabilité de 16 multinationales des secteurs informatique et automobile.
La prostitution et l'esclavage sexuel se sont également imposés autour des sites miniers. Denis Mukwege, qui m'a fait l'honneur d'une préface, parle de centaines de milliers de femmes et de jeunes filles violées, jusqu'à des atrocités commises sur des bébés. Le viol est une arme de guerre afin de terroriser les populations, les humilier et les chasser de leurs territoires. Il s'agit d'une stratégie politique à des fins économiques visant à s'accaparer et à contrôler des terres riches en minerais.
« Le continuum historique entre le trafic d'êtres humains et le pillage du territoire congolais est intrinsèquement lié à l'histoire de la mondialisation, autrement dit du capitalisme. »
Toutes ces horreurs, et il y aurait malheureusement encore beaucoup d'autres choses à dire, ont des racines profondes. En quoi le Congo a-t-il occupé une place majeure dans le dispositif du capitalisme depuis ses débuts et en quoi les structures coloniales perdurent-elles aujourd'hui ?
Le continuum historique entre le trafic d'êtres humains et le pillage du territoire congolais est intrinsèquement lié à l'histoire de la mondialisation, autrement dit du capitalisme. Les guerres qui ont commencé dans les années 1990 sont liées à l'informatisation du monde et à l'évolution du mode de production capitaliste.
Les origines du capitalisme remontent, à mon sens, au XVIe siècle. Le commerce triangulaire relie alors l'Europe, l'Afrique et l'Amérique. On assiste en même temps à la naissance de l'extractivisme avec les conquistadors espagnols et portugais qui pillent l'or et l'argent de ce qu'on appelle l'Amérique latine aujourd'hui. Tout cela se fait à partir d'une accumulation du travail, qui définit aussi le capital, effectué par des esclaves.
C'est là qu'interviennent les populations africaines, massivement déportées. Une grande partie des esclaves partent de l'embouchure du fleuve Congo, en Afrique centrale. Les Kongolais (du royaume Kongo) sont envoyés sur des bateaux négriers de l'autre côté de l'Atlantique, forment la main-d'œuvre de l'économie de plantations au cœur de l'enrichissement des États européens et participent ainsi au décollage du capitalisme. Ce territoire devient un lieu de prélèvement (d'êtres humains, puis de ressources naturelles) à partir de pratiques criminelles, avec l'aide des élites locales qui fournissent des esclaves aux négriers. Ces routes commerciales ont posé les bases d'interrelations, de complicités entre puissances mondiales et élites africaines, de structures de pouvoir et de formes d'organisations sociales, qui se sont reproduites et altérées jusqu'à aujourd'hui.
Fin XIXe siècle, en pleine révolution industrielle et expansion coloniale, pour ne pas dire impériale, les puissances occidentales lorgnent de plus en plus vers l'Afrique. Afin d'éviter une guerre, elles décident de se partager le continent (le « gâteau africain » comme disait Léopold II, roi des Belges). Lors de la Conférence de Berlin de 1885 qui scelle le sort de tout un continent, des lignes sont tracées sans aucun Africain autour de la table. L'enjeu principal est déjà le Congo. Il offre une position centrale à partir du fleuve Congo pensé comme moyen de transport des matières premières hors du continent, afin d'évacuer les marchandises qui vont alimenter l'Europe et plus largement l'Occident.
Pour le dire avec Alain Deneault, le Congo est en quelque sorte le fruit d'un traité commercial ou traité libéral avec pour objectif de faire produire le Congo et les Congolais et ainsi fournir différents marchés. Le Congo a notamment du caoutchouc dont dépend l'industrie du pneu, qui va faire émerger l'industrie du vélo et surtout celle de l'automobile – et par extension l'économie carbonée qui relève du pétrole. La plus grande partie de caoutchouc extraite pour l'automobile provient ainsi du Congo entre 1885 et 1908, période où Léopold II est le propriétaire personnel du Congo, sans jamais y avoir mis les pieds !
Toute une administration et une bureaucratie se mettent alors en place pour piller les forêts du Congo. Les populations autochtones jugées improductives se font couper les mains ou sont assassinées. Des terres sont accaparées, des villages incendiés, et les pratiques criminelles originelles du capitalisme refont surface.
Le Congo accompagne et génère les transformations de la mondialisation. Le colonialisme s'exerce ainsi à travers de nombreuses sociétés étrangères, non sans rappeler ou annoncer les actuelles multinationales. La force publique de Léopold II est, de son côté, composée de soldats de différentes nationalités, en écho à ce qu'on appelle aujourd'hui des mercenaires ou des sociétés de sécurité privée.
Le Congo est également un acteur incontournable des guerres mondiales du XXe siècle. Son sol fournit les métaux qui servent à produire la guerre. L'uranium du Congo participe à fabriquer les bombes atomiques déversées sur Hiroshima et Nagasaki. Autrement dit, le Congo, malgré lui, fait entrer l'humanité dans l'âge atomique !
Pendant la Guerre froide et la course à l'armement, l'uranium et le cobalt sont l'objet d'une rivalité entre les États-Unis et l'URSS. C'est la raison pour laquelle Patrice Lumumba, qui voulait socialiser les ressources naturelles afin qu'elles bénéficient aux Congolais, est assassiné.
« En décembre dernier, l'État congolais a également porté plainte contre Apple pour pratiques commerciales trompeuses, recel de biens volés, crimes de guerre et trafic de minerais de sang. »
Maintenant que vous avez resitué à grands traits à la fois la place du Congo dans l'histoire du capitalisme et la persistance des structures coloniales, pouvez-vous évoquer la convergence d'intérêts qui existe actuellement entre les groupes armés et les entreprises occidentales ?
Il existe plusieurs cas de figure. Il y a de nombreux acteurs, locaux, régionaux et internationaux, qui rendent opaque le tracé du minerai. La multitude de sous-traitants et d'intermédiaires dilue les responsabilités.
On trouve des groupes armés en augmentation (environ 250 actuellement) qui sont parfois des milices d'une cinquantaine de personnes. Dans la partie orientale du Congo, ces groupes armés se financent avec les minerais et plus généralement des ressources naturelles (agricoles, forestières). Ils laissent les populations locales extraire les minerais tout en administrant l'exploitation (contrôle des mines et taxation des produits miniers). Ils gèrent différentes étapes de la commercialisation (négociants, transports, etc.) et participent de la contrebande avec des complices congolais et étrangers en faisant passer les minerais de l'autre côté de la frontière, principalement au Rwanda.
La chaîne d'approvisionnement des matières premières expose le capitalisme mondialisé. Tout un tas de trafiquants qui viennent du monde entier. Il y a des entités issues des FARDC (forces armées de la République démocratique du Congo) – armée et police congolaises très impliquées au sein de cette criminalité minière. Elles s'octroient des territoires par elles-mêmes ou les obtiennent par la corruption, le détournement de fonds, ou par la violence, parfois avec l'appui des autorités locales et, souvent, de sociétés étrangères.
Le lien entre les groupes armés et les multinationales, européennes, sud-africaines, états-uniennes, ou encore australiennes, est facilité par l'État congolais et les voisins pillards que sont le Rwanda et l'Ouganda. Il l'est aussi par les pouvoirs provinciaux de façon illégale, c'est-à-dire sans rendre de compte à personne, par exemple dans le cas des firmes chinoises. L'argent que se font ces milices permet de financer leur armement, d'avoir un pouvoir économique qu'elles essaient ensuite de traduire en pouvoir politique.
Si l'on se base sur les sources publiques, tels que les rapports d'ONG et des Nations Unies, on tombe sur les mêmes noms d'entreprises. Ce sont, en bout de chaîne, les acteurs du secteur électronique et du secteur automobile qui dépendent des mêmes métaux : Apple, Microsoft, Samsung et Huawei ; Tesla, BMW, Renault et Volkswagen. En 2019, une organisation de juristes a porté plainte devant un tribunal de Washington contre certaines d'entre elles pour complicité de morts d'enfants dans des mines de cobalt congolaises. En décembre dernier, l'État congolais a également porté plainte contre Apple pour pratiques commerciales trompeuses, recel de biens volés, crimes de guerre et trafic de minerais de sang.
Leurs responsabilités doivent être établies. Des militants des droits de l'Homme au Congo et ailleurs plaident pour un tribunal pénal international afin de faire reconnaître des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité, voire de crimes de génocide.
« Si nous continuons dans cette configuration technologique, il nous reste trois ou quatre décennies de numérique devant nous. »
Le Congo, écrivez-vous, permet d'étudier le début et la fin du capitalisme, il contribue à déceler l'un et l'autre. Vous avez parlé du début. Qu'en est-il de la fin du capitalisme ? Craignez-vous une explosion de l'autoritarisme, voire pire ?
L'objectif de ce livre est de remonter aux débuts du capitalisme pour montrer qu'il a émergé, comme l'écrit Marx, dans le sang et la boue, à partir de pratiques criminelles et meurtrières. Celles-ci perdurent et s'intensifient aujourd'hui également par des cols blancs. Ce système repose sur l'accumulation de production et de marchandises, et réciproquement sur une accumulation d'exactions et de destructions.
Les projets de numérisation et de transition actuels impliquent une production métallique démentielle. Si nous continuons dans cette direction, qui exige également une production d'énergie, donc une extraction conséquente d'hydrocarbures (charbon, gaz et pétrole) et toujours plus d'eau ponctionnée et souillée, il nous reste trois ou quatre décennies de numérique devant nous. L'avenir est donc, comme on le voit en Ukraine ou au Congo, aux guerres de ressources. Or, les guerres sont produites à partir… de ressources. Si l'on ne change pas de paradigme, les guerres de métaux pour des métaux de guerre et vice-versa seront la réalité du XXIe siècle.
La sécurisation de ces ressources risque d'être administrée par des gouvernements autoritaires, des systèmes fascistes ou totalitaires (qu'il reste à conceptualiser). La jonction entre un Donald Trump et un Elon Musk dit quelque chose de ce qui nous attend en termes de régime politique.
Les Big Tech ont besoin de territoires comme le Congo pour leurs projets d'extraction qui ne sont plus seulement terrestres mais aussi sous-marins, sous les pôles, et pourquoi pas sur les astéroïdes ou sur les autres planètes. Elles renouent ainsi avec l'imaginaire des découvertes et explorations des conquistadors et des colons. La numérisation tous azimuts et plus généralement le développement technologique intensifient le rythme de l'accumulation, de la croissance et de la production de marchandises, synonyme d'autodestruction de la planète, avec pour horizon l'auto-extermination de l'espèce humaine. Le Congo en constitue l'un de leurs champs d'expérimentation les plus cruels.
Propos recueillis par Laurent Ottavi.
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K6, le « chantier modèle » de la décarbonation qui carbure aux travailleurs chinois
Pour réduire les émissions de CO2 de sa cimenterie de Lumbres (Pas-de-Calais), Eqiom a sous-traité la construction d'un four bas carbone à l'entreprise d'État chinoise CBMI, qui emploie 250 travailleurs chinois travaillant 12 heures par jour, six jours sur sept, hébergés dans des conditions précaires. Des violations manifestes du droit du travail qui viennent entacher ce « chantier modèle » de la décarbonation, subventionné par plus de 200 millions d'euros d'argent public.
Tiré de l'Humanité
Publié le 22 mai 2025
Simon Guichard
Depuis près d'un an, qu'il pleuve, qu'il neige ou qu'il vente, vêtus de leurs tenues jaune fluo, casques de chantier vissés sur la tête, des ouvriers chinois montent et descendent les escaliers qui ceinturent l'échafaudage du four K6, en construction à la cimenterie Eqiom de Lumbres (Pas de Calais).
D'en haut, ils sont aux premières loges pour observer le ballet quotidien des camions qui viennent chaque jour se fournir dans la seule usine à produire du clinker dans le nord de la France, ce matériau fortement émetteur de CO2 nécessaire à la fabrication du ciment.
À Lumbres, la filiale du géant irlandais du ciment CRH s'est engagée dans une ambitieuse transformation de son modèle de production, afin de réduire l'impact environnemental du 19e site industriel le plus polluant de France. Il pourrait ainsi se targuer d'être la première cimenterie neutre en carbone d'Europe dès 2050.
Un chantier massivement subventionné
Le projet K6 vise à remplacer les deux fours datant des années 1970, alimentés en énergie fossile par une nouvelle ligne de production de clinker fonctionnant à l'aide de combustibles « alternatifs » : des déchets, du biogaz et du gaz naturel permettant de réduire sensiblement les émissions de CO2 de la cimenterie. Un investissement chiffré à plus de 200 millions d'euros.
Entre préservation du tissu industriel et innovation de pointe, K6 a tout de suite tapé dans l'œil des responsables politiques. Pour eux, cet équipement représente l'opportunité de mettre en scène leur action en faveur du climat et de l'emploi. La ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher s'est par exemple rendue sur le site en 2022, quand Eqiom dévoilait les contours du projet.
Si CRH, la maison mère d'Eqiom a réalisé des profits records ces dernières années (30 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2024, avec un résultat net de 2,6 milliards, en hausse de 15 % sur un an), ce « chantier modèle » de la décarbonation a été massivement soutenu par l'État et l'Europe.
Eqiom a d'abord bénéficié de 40 millions d'euros du plan France Relance, avant de signer en novembre 2023 avec l'État un contrat de transition écologique. K6 a aussi bénéficié d'une subvention de 153 millions d'euros du fonds européen pour l'innovation, en vue d'un hasardeux projet de stockage carbone en mer du Nord, censé entrer en service à l'horizon 2030.
Pour construire son nouveau four, Eqiom a fait appel à l'allemand IKN, qui sous-traite le chantier à l'entreprise d'État chinoise CBMI. Selon nos informations, c'est bien le prix proposé qui a été déterminant pour choisir le duo IKN-CBMI au détriment de leurs concurrents européens.
Ces entreprises étaient pourtant présentées par le cimentier comme les seules au monde capables de construire un tel ouvrage. Mais l'offre germano-chinoise bénéficiait surtout d'un avantage certain : une main-d'œuvre qualifiée à un prix défiant toute concurrence. Le contrat de transition écologique signé par Eqiom avec l'État « n'a pas vocation à encadrer les conditions de travail des éventuels sous-traitants du projet », nous précise le ministère de l'Industrie.
À Lumbres, pas de trace d'IKN. Ce sont 250 ouvriers, manœuvres et contremaîtres originaires du sud de la Chine qui ont débarqué dans le Pas-de-Calais fin 2024. Leur mission : construire le four bas carbone en deux ans. Un délai serré, car Eqiom vise une mise en service dès 2026.
Pour réaliser ce tour de force, CBMI s'occupe de tout : de l'importation de matériel de chantier et de machines-outils directement depuis la Chine jusqu'au recrutement des ouvriers, sans oublier le logement et les repas, l'entreprise d'État n'a rien laissé au hasard. C'est un morceau de l'empire du Milieu qui s'est installé au cœur des marais d'Opale, apportant avec lui sa propre conception du droit du travail.
« Système 966 » et logement précaire
Sur le chantier d'Eqiom, les travailleurs chinois turbinent six jours sur sept, à raison de 12 heures par jour, une déclinaison du « système 996 » (de 9 heures à 21 heures, six jours par semaine), pourtant interdit théoriquement dans le droit du travail local. À Lumbres, du lundi au samedi, les ouvriers embauchent à 6 h 30 et terminent leur tâche aux alentours de 18 h 30. Une vie de forçat, encadrée par CBMI dans tous les instants de la vie. Interrogés sur ces amplitudes horaires, ainsi que sur le montant des rémunérations de ces ouvriers, ni Eqiom, ni CBMI n'ont répondu à l'Humanité.
L'entreprise chinoise s'est elle-même chargée de loger ses ouvriers aux environs de l'usine. Ses cadres et ses contremaîtres ont pris leurs quartiers au moulin de Mombreux, un hôtel-restaurant bucolique à la sortie de la ville. Les ouvriers, eux, sont relégués dans deux campings à une quinzaine de kilomètres du chantier, sur les communes d'Arques et d'Audinchtun. Sur ces conditions d'hébergement, ni Eqiom ni CBMI n'ont donné suite à nos questions.
Leurs repas sont préparés par des cuisiniers chinois au camping d'Audinchtun, avant d'être livrés sur le chantier le midi. Derrière les cuisines, une trentaine de mobile-homes hébergent les travailleurs. Le dimanche aux aurores, les plus téméraires d'entre eux rallient à pied le Carrefour Contact de Fauquembergues, à cinq kilomètres du camping.
À Arques, un autre camping accueille officiellement 56 ouvriers, à raison de deux personnes par chambre. Mais lorsque nous y sommes allés, ils étaient 67 à descendre du bus qui les ramenait du chantier K6.
Un secret de polichinelle
Si CBMI a érigé la discrétion en valeur cardinale, la venue des 250 ouvriers à Lumbres n'est pas passée inaperçue. Dès fin 2024, la Voix du Nord a publié plusieurs articles sur leur arrivée et les lieux dans lesquels ils sont logés. Selon nos informations, l'inspection du travail a réalisé un contrôle sur la cimenterie de Lumbres fin avril, sans se rendre sur les lieux d'hébergement de ces travailleurs.
Contacté, Eqiom affirme que « le chantier est réalisé en totale conformité avec le droit français et les valeurs de notre entreprise. » Un argumentaire balayé par Lionel Salomon, de la FNSCBA-CGT : « Si des travailleurs étrangers, chinois en l'occurrence, viennent travailler en France, cela doit se faire dans le respect du droit du travail. Encore plus quand les projets sont arrosés d'argent public. »
En tant que donneur d'ordre, le cimentier est tenu de s'assurer que son sous-traitant CBMI respecte ses obligations sociales, en vertu de l'obligation de vigilance prévue par la loi. Contacté, le ministère du Travail n'a pas répondu à nos questions.
Au camping d'Audinchtun comme au moulin de Mombreux, les cadavres de bouteille de Bordeaux premier prix s'entassent dans les cagettes de légumes vides. Un expédient pour ne jamais lâcher la cadence. Car les jours des chinois sont comptés à Lumbres. Affiché à l'entrée, l'arrêté municipal accordant aux ouvriers le droit de séjourner au moulin stipule qu'ils devront avoir rendu les clefs en septembre prochain.
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Afrique du Sud : des femmes mineurs forcées de se dévêtir à la mine d’or de Kopanang
Le Syndicat national des mineurs (NUM), affilié à IndustriALL Global Union, condamne les fouilles au corps déshumanisantes que les femmes mineurs doivent subir quotidiennement à la mine d'or de Kopanang, à 170 km au sud-est de Johannesburg.
Tiré de Entre les lignes et les mots
La mine de Kopanang a été vendue en 2018 par Anglogold Ashanti à la société Heaven-Sent SA Sunshine Investment basée à Hong Kong.
12 femmes au moins ont dénoncé des violations sous forme de fouilles corporelles avilissantes, les obligeant à se présenter complètement nues devant les agents de sécurité sous le prétexte de la recherche d'or volé. Ce chiffre pourrait être plus élevé, certaines travailleuses ayant subi des intimidations et craignant de parler. Celles qui ont contesté ces fouilles humiliantes à la fin de leur service ont été suspendues. L'une d'elles, par exemple, l'a été après avoir refusé d'enlever ses sous-vêtements et d'écarter les jambes pendant la fouille.
En outre, ces femmes déclarent travailler de longues heures sans être autorisées à emporter de la nourriture en sous-sol. Le NUM envisage de porter plainte contre la mine de Kopanang et de demander une enquête du ministère des Ressources minérales. Le syndicat rencontre aussi la direction de la mine pour réclamer l'arrêt de ces violations. Il ajoute que des technologies existent pour rendre ces fouilles respectueuses des droits des travailleuses à l'intimité et à la dignité plutôt que de les obliger à se mettre à nu devant des agents de sécurité. Le ministère de la Femme, de la Jeunesse et des Personnes handicapées, les communautés avoisinantes de la mine et des organisations de la société civile ont également condamné ces violations dégradantes.
À la conférence des femmes du NUM, qui s'est tenue en mars, Magrett Gabanele, la présidente de la structure des femmes, a rappelé la détermination du syndicat « à combattre la violence et le harcèlement fondés sur le sexe à l'encontre des femmes mineurs. »
« Il ne s'agit pas seulement de violations au travail et de la vie privée, mais aussi de violence fondée sur le sexe la plus invasive et brutale. Il s'agit de traiter les corps des femmes comme des objets au nom de la sécurité. Il s'agit du silence et du consentement de ceux qui profitent de systèmes qui permettent une telle déshumanisation. Lorsque les corps des femmes sont soumis à la surveillance, la suspicion et la violence, ce n'est pas seulement un problème de mauvaise gestion, c'est la manifestation d'un patriarcat bien ancré sur le lieu de travail » écrivent Tania Bowers et Lebo Mncayi-Poloko, anciennes membres de la structure des femmes du NUM au Sowetan.
La secrétaire régionale d'IndustriALL pour l'Afrique subsaharienne, Paule France Ndessomin, déclare :
« Les actes répréhensibles des agents de sécurité de la mine de Kopanang, qui violent gravement la dignité féminine, doivent être condamnés sans équivoque. La direction doit appliquer d'urgence de solides politiques pour stopper cette humiliation et cette violence fondée sur le sexe. »
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Au Cap-Haïtien, la matraque contre la craie : chronique d’une violence d’État contre l’éducation
Cap-Haïtien, 18 mai 2025 – Tandis que les rues de la deuxième ville du pays vibraient au rythme des fanfares, des discours officiels et des parades à l'occasion de la fête du Drapeau, une scène autrement plus brutale se déroulait en marge des festivités. Un professeur, figure locale de la mobilisation pour de meilleures conditions de travail dans le secteur éducatif, a été violemment battu par des agents de la POLIFRONT et de l'USGPN. Son seul crime : réclamer le respect de sa dignité professionnelle.
Par Smith PRINVIL
Cette agression, survenue en plein centre-ville, n'est pas un simple débordement. Elle est le symptôme d'un système qui choisit de réprimer plutôt que de dialoguer, de parader plutôt que de réformer. Ce que ce professeur demandait, comme des milliers d'autres à travers le pays, ce n'était pas une faveur : c'était un salaire à temps, une salle de classe décente, une reconnaissance à la hauteur de la mission d'enseigner dans un pays en crise.
Ce même jour, l'État haïtien a mobilisé près de 400 millions de gourdes pour organiser les festivités dans le Nord. Déploiement logistique impressionnant, effets de communication à grande échelle, distributions de T-shirts, de drapeaux et de slogans vides de contenu. Pendant ce temps, dans les écoles publiques, la craie se fait rare, les enseignants désabusés et les élèves de plus en plus absents.
Plusieurs professeurs de la région témoignent anonymement. L'un d'eux confie : « Ma carte de débit est bloquée depuis des semaines. Je ne peux même pas acheter à manger. Et ils osent parler de valorisation de l'enseignement ? » Un autre, épuisé, soupire : « Ils veulent des cérémonies, pas des cerveaux. »
Depuis des années, les gouvernements successifs promettent la revalorisation du métier d'enseignant. Sur le terrain, la situation empire. Les grèves s'enchaînent, les écoles ferment, les élèves décrochent. Et désormais, revendiquer des droits peut valoir des coups. Le message est clair : enseigner en Haïti est non seulement une vocation sans reconnaissance, mais aussi une activité à risque.
Au-delà de l'indignation, cette affaire révèle une fracture fondamentale dans le contrat social haïtien. Un État qui matraque ses professeurs, c'est un État qui renonce à son avenir. Un gouvernement qui préfère financer des shows symboliques plutôt que de garantir l'éducation, choisit l'obscurantisme contre la lumière.
Le drapeau haïtien est né d'un acte de libération. Il est censé symboliser la dignité, la justice, la souveraineté populaire. Le voir brandi par ceux-là mêmes qui piétinent les droits les plus élémentaires de ceux qui forment les générations futures, c'est le voir trahi. Le sang versé par les ancêtres pour la liberté ne saurait justifier la violence d'un régime contre ses éducateurs.
Au Cap-Haïtien, ce 18 mai 2025, pendant que les puissants s'enivraient de patriotisme de façade, un professeur gisait au sol, frappé pour avoir osé parler. Ce n'est pas seulement un homme qu'on a humilié. C'est l'école. C'est le savoir. C'est l'espoir.
Et tant que ces injustices seront maquillées en célébrations, tant que l'État préférera les projecteurs à la réforme, le pays continuera de danser au bord du gouffre, sous les tambours de la démagogie.
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Souffrances invisibles et esclavage moderne : Regard sur la situation des travailleuses en Iran
Un regard sur la situation des travailleuses en Iran à l'occasion de la Journée internationale des travailleurs
Les femmes travailleuses en Iran, aux mains calleuses et aux corps épuisés, portent le poids des inégalités sociales et de genre imposées par le régime clérical.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/05/01/souffrances-invisibles-et-esclavage-moderne-regard-sur-la-situation-des-travailleuses-en-iran/?jetpack_skip_subscription_popup
Dans le système juridique iranien, les femmes ne sont pas reconnues comme cheffes de famille. Pourtant, elles sont contraintes de travailler de longues heures, bien au-delà de la durée légale, dans des ateliers de production.
Le soir venu, elles rentrent chez elles pour s'occuper de leurs enfants et des membres malades de la famille, assumant également les tâches ménagères malgré une profonde fatigue.
Télécharger le rapport
Aperçu de la condition des travailleuses en Iran
Il n'existe aucune statistique fiable sur le nombre exact de femmes travailleuses en Iran. Les rares données disponibles proviennent des agences gouvernementales et sont incomplètes. Une grande partie de ces femmes exercent dans desemplois informels ou travaillent à domicile, ce qui les rend encore plus vulnérables. Employées sous des contrats flous, parfois signés à blanc avant même de commencer, elles perçoivent souvent un salaire inférieur au minimum légal [1]. (Source : Site “Empowerment of the Government and Society” – 8 février 2022)
Problèmes et défis rencontrés par les travailleuses
Salaires injustes et écart salarial entre les sexes
Survivre face aux difficultés économiques — logement, soins de santé, éducation — est un défi pour la majorité de la population iranienne sous le régime clérical. En 2025, le salaire minimum mensuel a été fixé à 10,39 millions de tomans (environ 111 USD). D'après les médias d'État, ce montant ne suffit même pas à couvrir les dépenses hebdomadaires d'une famille de trois personnes.
Le prix du panier alimentaire minimum a grimpé de plus de 340 % en quatre ans. Des produits de base comme le sucre, l'huile et les pommes de terre ont augmenté de plus de 400 %, tandis que la viande rouge a vu son prix exploser de plus de 800 %. (Source : Site d'État Eṭla'e Ma – 15 mars 2025)
Le coût des médicaments et des soins de santé a bondi de 400% ces cinq dernières années, si bien que de nombreuses personnes renoncent à remplir leurs ordonnances. (Source Journal Arman-e Melli – 3 mars 2025)
Malgré cela, de nombreuses travailleuses, souvent cheffes de famille, perçoivent un salaire encore inférieur au minimum légal. L'agence ILNA a reconnu, dans un rapport du 19 décembre 2019, que l'Iran se situe au bas du classement mondial en matière d'inégalités salariales entre hommes et femmes.
Dans les ateliers iraniens, les femmes sont privées de nombreux droits fondamentaux : elles ne bénéficient ni de congés maternité, ni de pauses allaitement, ni d'indemnités. (Source : Journal E'temad – 22 novembre 2022)
Emploi informel et double oppression des femmes travailleuses
En 2022, une militante estimait à plus de 2 millions le nombre de femmes travailleuses dans le secteur informel en Iran. Ces femmes, exclues de toute protection sociale, ne perçoivent même pas le salaire minimum et sont privées de la moindre prestation ou avantage professionnel. (Source : Site Fararu – 11 janvier 2023)
Cette exploitation invisible des travailleuses iraniennes génère d'énormes profits pour leurs employeurs. En échange de leur labeur épuisant, nombre d'entre elles doivent se contenter d'un salaire mensuel dérisoire, compris entre 2 et 3 millions de tomans (environ 213 à 320 USD). (Source : Fararu – 11 janvier 2023)
Déjà en 2018, Ahmad Amirabadi Farahani, membre du conseil parlementaire, qualifiait les conditions de travail des femmes devéritable esclavage moderne, déclarant : L'injustice exercée dans certains centres de production, notamment en matière de non-paiement des salaires et de longues heures de travail, représente une forme d'esclavage moderne envers les femmes. »
Pression de travail intense et insécurité professionnelle
En l'absence de protection juridique adéquate, et exposées à l'exploitation même par les employeurs publics, de nombreuses femmes travailleuses en Iran sont contraintes de travailler 12 heures par jour ou d'accepter des horaires de nuit. (Source : IRNA – 30 avril 2024)
Hassan Habibi, militant syndical, a souligné que : « Les femmes subissent davantage de préjudices que les hommes en raison de l'insécurité de l'emploi. Certaines sont cheffes de famille, et malgré leur rôle essentiel, elles sont confrontées à de nombreuses difficultés : salaires très faibles, absence de congé maternité, et discrimination. La majorité des entreprises privées mettent fin à leur contrat dès qu'elles apprennent qu'une femme est enceinte. » (Source : ISNA – 29 juillet 2024)
Absence de sécurité au travail pour les femmes travailleuses
Selon un rapport de l'agence ILNA daté du 26 mars 2025, environ 50 travailleurs meurent chaque semaine en Iran à cause d'accidents professionnels, de la négligence des employeurs et du manque de contrôle des inspecteurs du travail. Rien que pour le premier semestre de 2025, 1 077 travailleurs ont trouvé la mort sur leur lieu de travail, soit près de 200 décès par mois.
Une étude récente du Centre de recherche du Parlement iranien rapporte qu'en 2021 et 2022, 84 638 travailleurs ont été victimes d'accidents du travail en Iran, dont 3 826 décès. Ces chiffres concernent uniquement les travailleurs assurés, enregistrés par l'Organisation de la sécurité sociale.
En parallèle, l'Organisation de médecine légale iranienne a déclaré que 1 900 personnes sont mortes dans des accidents de travail en 2022. Cette divergence statistique met en lumière l'ampleur du travail informel en Iran et le nombre élevé de travailleuses non assurées. (Source : Hammihan Daily – 14 avril 2025)
Les femmes travailleuses en Iran n'ont généralement ni assurance, ni accès au transport professionnel, ni services de restauration. Certaines, malgré 15 années de service, n'ont ni contrat de travail, ni couverture sociale, ce qui les rend extrêmement vulnérables face aux accidents professionnels.
La plupart de ces femmes exercent dans des lieux de travail non contrôlables par les inspections officielles, ou bien leurs horaires de travail ne coïncident pas avec la présence des inspecteurs. Le nombre de blessures et d'accidents professionnels chez les femmes est en constante augmentation.
Le 20 décembre 2022, un fourgon transportant des travailleuses d'un entrepôt frigorifique à Bahar a pris feu. Les femmes, confrontées au manque de chauffage, avaient allumé un réchaud à gaz dans le véhicule. Celui-ci a déclenché un incendie, bloquant les portes, et a causé la mort de 5 femmes.
Le 31 décembre 2022, une ouvrière d'une usine située dans un parc industriel à Yazd est morte noyée dans un bassin d'eau. Les accidents de travail chez les femmes iraniennes sont bien plus fréquents qu'on ne le pense, mais à cause de leur invisibilité sociale et de l'absence de syndicats féminins, ces chiffres ne sont ni recensés ni médiatisés. (Source : Fararu – 11 janvier 2023)
En juin 2022, une ouvrière de 26 ans à Nishapur a perdu la vie lorsqueson foulard s'est pris dans une machine à injection plastique. Elle était mère de deux jeunes enfants. Ce drame évitable est survenu en raison du port de vêtements non conformes aux normes de sécurité.
Le 8 mai 2022, une femme de 4 ans est morte asphyxiée dans une boulangerie à Babol, happée par une machine après qu'un morceau de vêtement s'y soit accroché.
Le 7 novembre 2021, Marzieh Taherian, une jeune femme de 21 ans, est décédée à l'usine textile Kavir à Semnan. Son voile s'est coincé dans une machine, tirant violemment sa tête à l'intérieur. (Source : ILNA – 7 novembre 2021)
Dans certains ateliers, les travailleuses sont privées d'équipements de protection : pas de casques, ni de bouchons d'oreilles, les exposant à des lésions auditives et neurologiques.
Sous prétexte d'une meilleure rémunération, certains employeurs forcent ces femmes à travailler sans assurance sociale. Normalement, le système prévoit une cotisation répartie entre l'employeur (20%), l'employée (7%) et l'État (30%), mais dans la réalité, aucun versement n'est effectué, et les travailleuses ne reçoivent rien en retour.
Les travailleuses dans les usines pharmaceutiques sont confrontées à des polluants chimiques et hormonaux. Ces substances provoquent des lésions pulmonaires, des déséquilibres hormonaux et d'autres troubles physiologiques. Certaines femmes développent une pilosité excessive au visage, ou souffrent d'un excès de testostérone, ce qui entraîne également des troubles psychologiques graves.
Et pourtant, malgré tous ces dangers, ces femmes acceptent des salaires dérisoires, parfois inférieurs à 3 millions de tomans par mois, ou des paiements journaliers instables, avec une menace permanente de licenciement immédiat.
Leurs contrats sont souvent des feuilles vierges pré-signées, sans aucune garantie. Les employeurs ne les informent pas des risques liés à leur poste, et elles ignorent les dangers qu'elles encourent au quotidien. (Source : Fararu – 11 janvier 2023)
Manque de protection juridique pour les travailleuses
Dans une déclaration de mai 2022, l'Union nationale des travailleuses dénonçait :
« Certains employeurs, pour des motifs illogiques et illégaux, embauchent des femmes à des salaires inférieurs à ceux des hommes. Faute de choix et confrontées à la pauvreté, les femmes acceptent ces rémunérations en dessous du minimum légal, malgré l'interdiction formelle de telles discriminations par le code du travail iranien. »
Mais dans les faits, à cause de la corruption endémique au sein du régime, la loi écrite a peu de valeur pour les femmes dans le monde du travail.
Témoignages poignants de travailleuses iraniennes
Dans l'ombre des chiffres et des lois ignorées, ce sont les voix des femmes travailleuses iraniennes qui révèlent la brutalité du quotidien. Ces témoignages, rares et précieux, illustrent avec force les conditions de travail oppressantes et l'injustice structurelle qu'elles subissent.
Zahra, 43 ans, fait partie des millions de femmes iraniennes qui effectuent un travail épuisant sans reconnaissance. Elle vit en banlieue de Téhéran et doit parcourir de longues distances chaque jour pour atteindre son lieu de travail. Le visage marqué par la fatigue, elle confie : « Mon mari est également ouvrier. Pourtant, même à deux, nous ne parvenons pas à couvrir nos frais de vie. Son salaire ne suffit que pour le loyer. Je pars de chez moi à 5h du matin pour arriver à 8h au travail, et je travaille jusqu'à 19h30.
Nous travaillons aussi dur que les hommes, mais nos salaires et nos droits ne sont jamais égaux. Pas de primes d'heures supplémentaires, pas d'avantages sociaux équitables. Et quand on proteste, on nous montre la sortie de l'usine…
Après un accouchement, on est automatiquement écartées il n'y a ni congé allaitement, ni aménagement des horaires. » (Source : Jamaran – 24 novembre 2022)
Soudabeh, mère de deux jeunes enfants, est ouvrière sur chaîne d'assemblage dans une usine proche de Téhéran. Son témoignage est tout aussi bouleversant : « Avec mon salaire minimum, je ne peux même pas inscrire mes enfants à la crèche. Les frais mensuels de garde équivalent à mon salaire complet. » Elle travaille plus de 50 heures par semaine, bien que la loi iranienne limite le travail à 44 heures. Pour conserver son poste, elle doit accepter ces conditions illégales. Perdre cet emploi signifierait entamer un parcours du combattant pour en retrouver un. L'un des principaux critères de recrutement dans le secteur privé repose sur le statut marital des femmes. Les employeurs privilégient les femmes célibataires sans projet de mariage ou celles dont les enfants sont grands et n'envisagent plus d'en avoir. (Site Web Jamaran– Novembre 24, 2022)
Simin, employée dans une entreprise de fabrication de pièces automobiles, témoigne avec une lucidité bouleversante : « Une ouvrière, c'est une femme qui pleure chaque jour sur la tombe de ses rêves.
Je travaille depuis l'âge de 18 ans. Mes parents sont devenus handicapés après un accident, et mon frère et moi avons dû assumer toutes les dépenses du foyer.
Lors de mon embauche, la condition était d'être célibataire. J'ai accepté.
D'année en année, je suis devenue de plus en plus dépendante de mon salaire et de cet emploi. Et sans m'en rendre compte, j'avais 48 ans, j'étais toujours célibataire, et ma vie était entre les mains de mon employeur. » L'environnement masculin et dominateur des ateliers industriels a toujours joué contre Simin et ses collègues. Malgré leurs compétences, elles ne bénéficient ni d'évolution professionnelle ni d'augmentation de salaire.
Vahideh de son côté, se présente simplement comme « une femme » et « une ouvrière ». Elle travaille de 7 h à 19 h dans la zone industrielle de Kaveh, où elle est la seule femme parmi 17 hommes dans son département. Elle affirme :« Être derrière un bureau et défendre l'égalité entre hommes et femmes, ce n'est pas très compliqué.
Mais quand on est ouvrière et qu'on revendique cette égalité, c'est un combat de tous les instants. » Depuis 9 ans et demi, Vahideh travaille dans ce complexe industriel.
Son seul souhait ? « Avoir des nuits moins épuisantes… et un portefeuille un peu plus rempli. » (Source : IRNA – 30 avril 2024)
S'attaquer à la racine du problème
En Iran, les problèmes des travailleuses ne peuvent être résolus ni par des réformes, ni par la création de syndicats, contrairement à la majorité des pays du monde. Le régime en place depuis 46 ans, une dictature misogyne fondée sur le cléricalisme, a démontré dans tous les domaines que son seul objectif est de maintenir son pouvoir illégitime et d'intensifier le pillage du pays. Avec cet objectif cynique, le régime n'hésite pas à profiter de la souffrance et de la misère du peuple iranien, comme cela s'est vu pendant la pandémie de COVID-19, lorsque l'importation de vaccins a été interdite, condamnant des milliers de personnes à mourir pour préserver ses intérêts. Cette stratégie vise à épuiser la population, à l'affamer et à l'accabler, afin qu'elle n'ait plus la force de se révolter. Dans ces conditions, la seule voie possible pour soutenir les femmes iraniennes, c'est de reconnaître leur résistance organisée pour renverser cette dictature. Il est aussi crucial d'isoler le régime sur le plan international, pour que le peuple – et en particulier les femmes – puisse poser les bases d'un avenir prospère et libre, à travers une révolution démocratique.
[1] Un « contrat vierge pré-signé (connu en persan sous le nom de « contrat signé en blanc ») est un contrat de travail signé par le travailleur avant que les termes essentiels tels que le salaire, la durée ou la description du poste ne soient remplis, ce qui permet à l'employeur de compléter ou de modifier le contrat à sa guise. Cette pratique est illégale ou relève de l'exploitation dans de nombreuses juridictions et prive les travailleurs de protections fondamentales.
https://wncri.org/fr/2025/04/28/regard-sur-la-situation-des-travailleuses-en-iran/
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VIH : La dette morale d’un État absent
Port-au-Prince, 19 mai 2025 — Il est 10 heures du matin à Musseau. Le soleil tape fort sur le bitume. Mais ni la chaleur ni l'indifférence des passants n'ont dissuadé celles et ceux qui, ce lundi, ont décidé de faire entendre leur voix. Devant la barrière grise de la Primature, des dizaines de personnes vivant avec le VIH (PVVIH), réunies sous les bannières de Housing Works Haïti, de la Fédération Haïtienne des PVVIH (FEDHAP+) et du Comité National de Plaidoyer des Populations Clés, occupent symboliquement l'espace public. Pancartes en main, visages déterminés, elles exigent une chose simple : que l'État haïtien prenne ses responsabilités.
Par Smith PRINVIL
Depuis des décennies, la réponse haïtienne face au VIH repose majoritairement sur des fonds internationaux. Environ 80 % du financement est assuré par des partenaires comme le PEPFAR (President's Emergency Plan for AIDS Relief) et l'USAID. Mais cette aide, bien que précieuse, n'est pas éternelle. Sa réduction progressive place le pays au bord d'une crise sanitaire majeure. Et pour les PVVIH, chaque jour d'attente est un risque de plus.
« Nou pa mandé charite. Nou mandé jistis ! » scande une militante, le regard tourné vers les bâtiments muets du gouvernement. Elle est séropositive depuis 12 ans. Grâce à l'accès régulier à son traitement antirétroviral, elle a pu travailler, élever ses enfants, vivre. Mais aujourd'hui, elle craint que tout cela ne s'effondre.
Les manifestants ne réclament pas la lune. Ils demandent une politique de santé publique digne de ce nom : un plan de transition clair, un budget alloué à la prise en charge des PVVIH, un engagement visible pour préserver les acquis de la lutte contre le VIH. Ils réclament aussi le respect de leur dignité, souvent piétinée dans une société encore marquée par la stigmatisation.
« C'est une lutte pour exister », confie Junior, 28 ans, militant de longue date. « Tant que l'État ne planifie rien, c'est comme s'il attendait qu'on disparaisse. Mais nou la. Nou egziste. Nou pap fè silans. »
Ce sit-in est bien plus qu'un simple rassemblement. C'est une déclaration de résistance. Une manière de dire que les PVVIH ne seront pas les victimes silencieuses de l'austérité budgétaire ou du désengagement étatique. À travers leurs chants, leurs slogans, leurs témoignages, ils rappellent que la santé n'est pas un luxe, mais un droit fondamental.
Mais ce lundi 19 mai, la Primature est restée sourde. Aucun représentant officiel n'a daigné rencontrer les manifestants. Une absence lourde de sens, dans un pays où le mépris politique se confond trop souvent avec l'oubli.
Les organisations présentes promettent de ne pas lâcher prise. D'autres actions sont prévues. Des campagnes de sensibilisation, des mobilisations décentralisées, des recours juridiques si nécessaire. « On ne laissera pas mourir le combat que nous avons mené pendant 20 ans. Pas maintenant. Pas comme ça. »
Et pendant ce temps, derrière les grilles du pouvoir, le silence continue.
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Haïti : le gouvernement intérimaire aurait signé un contrat avec Blackwater pour lutter contre les gangs armés
Port-au-Prince, 27 mai 2025 — Selon une enquête du New York Times publiée ce week-end, le gouvernement intérimaire haïtien aurait conclu un contrat confidentiel avec Erik Prince, fondateur de la société militaire privée Blackwater, pour mener des opérations contre les gangs armés qui terrorisent plusieurs quartiers de la capitale et d'autres zones urbaines du pays.
Par Smith PRINVIL
Le document, que le journal américain affirme avoir consulté, établirait une collaboration directe entre les autorités haïtiennes et la firme de sécurité, tristement célèbre pour son rôle controversé dans des opérations militaires en Irak et en Afghanistan. Blackwater, aujourd'hui connue sous le nom de Constellis, a vu plusieurs de ses employés condamnés pour leur implication dans le massacre de 14 civils irakiens à Bagdad en 2007.
Le contrat aurait été négocié au plus haut niveau avec l'appui de conseillers étrangers proches de l'administration américaine, selon la même source. Il prévoit l'envoi d'unités paramilitaires spécialisées dans la guerre urbaine, avec mission de "neutraliser" des groupes criminels armés jugés incontrôlables par la Police Nationale d'Haïti (PNH), dont les effectifs sont largement dépassés par l'ampleur de la crise sécuritaire.
Erik Prince, entrepreneur militaire privé et ancien conseiller officieux de l'ex-président américain Donald Trump, est considéré comme un acteur influent du secteur de la sécurité privée internationale. Sa présence dans un contexte aussi explosif qu'Haïti inquiète plusieurs observateurs.
« Confier la sécurité nationale à une société privée, c'est franchir une ligne rouge », estime un analyste haïtien du secteur des droits humains joint par Le Concret Info. « Blackwater, ce n'est pas une ONG. C'est une machine à faire la guerre, sans obligation de rendre compte à la population. »
La société civile, pour l'heure, n'a pas été consultée sur la question. Les autorités n'ont pas encore officiellement réagi aux révélations du New York Times, et aucun détail n'a été publié par le Bureau du Premier ministre ni par le Ministère de la Justice.
Haïti est confrontée depuis plus de trois ans à une montée en puissance des gangs armés qui contrôlent de larges pans du territoire, en particulier dans l'aire métropolitaine de Port-au-Prince. Kidnappings, assassinats, violences sexuelles et déplacements forcés se multiplient, dans un contexte de vide institutionnel et d'affaiblissement chronique des forces de sécurité.
Face à l'incapacité de l'État à reprendre le contrôle, plusieurs puissances étrangères, dont les États-Unis, le Canada et l'ONU, appellent à une « réponse robuste » contre les gangs. Mais le recours à une entreprise militaire privée, déjà controversée, pourrait aggraver la défiance de la population et attiser la colère populaire, prévient une source diplomatique en poste à Port-au-Prince.
L'ampleur du contrat, ses modalités d'exécution, et son financement restent à ce stade inconnus.
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