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Analyse du virage à gauche au Sri Lanka avec Ahilan Kadirgamar et Balasingham Skanthakumar

Les élections parlementaires sri-lankaises ont donné un mandat massif au National People's Power (NPP). Ils ont remporté 159 sièges sur 225, soit plus d'une majorité des deux tiers. Des citoyens de toute l'île ont voté pour le NPP. Ceci est particulièrement significatif dans un pays marqué par les divisions ethniques, où les habitants du nord et de l'est n'avaient jusqu'alors jamais fait confiance aux partis nationaux.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière.
Pour analyser ces développements, The Wire a invité Ahilan Kadirgamar, maître de conférences en sociologie à l'Université de Jaffna, observateur de longue date de la politique sri-lankaise qui vit à Jaffna depuis la fin de l'insurrection des Tigres tamouls, et Balasingham Skanthakumar, co-rédacteur en chef du magazine Polity du Sri Lanka, qui vit à Colombo et suit de près l'évolution du pays.
Amit Baruah
Bonjour et bienvenue à ce direct YouTube de The Wire. Nous allons discuter des résultats parlementaires des élections sri-lankaises, qui ont donné un mandat massif au NPP. Deux mois seulement après l'élection d'Anura Kumara Dissanayake à la présidence, le soutien au NPP a été considérable. En incluant les sièges de la liste nationale, ils ont remporté 159 sièges sur 225, soit plus d'une majorité des deux tiers. Des citoyens de toute l'île, y compris du nord et de l'est, ont voté pour le NPP. Ceci est particulièrement significatif dans un pays marqué par les divisions ethniques, où les habitants du nord et de l'est n'avaient auparavant jamais fait confiance aux partis nationaux. Cela représente un changement majeur dans la politique sri-lankaise. Lors d'un rassemblement le 10 novembre à Jaffna, M. Dissanayake a reconnu qu'ils n'en avaient pas fait assez pour gagner les électeurs tamouls. Tout cela a changé, et les gens attendent maintenant de voir ce que le nouveau gouvernement peut faire pour les citoyens de toute l'île - au nord, à l'est, au sud et à l'ouest.
Pour analyser les résultats, nous accueillons Ahilan Kadirgamar, maître de conférences en sociologie à l'Université de Jaffna, observateur de longue date de la politique sri-lankaise qui vit à Jaffna depuis la fin de l'insurrection des Tigres tamouls, et Balasingham Skanthakumar, co-rédacteur en chef du magazine Polity, qui vit à Colombo et suit de près l'évolution du pays.
Amit Baruah
Je me tourne d'abord vers vous, Ahilan, puisque vous êtes à Jaffna, et les résultats de là-bas sont assez surprenants, même pour ceux qui pensaient que le NPP réussirait bien. Expliquez à nos téléspectateurs ce que signifie ce mandat.
Ahilan Kadirgamar
C'est une victoire historique - la première fois qu'un parti national remporte une victoire aussi écrasante dans le nord du Sri Lanka. Ils ont gagné les deux circonscriptions de la province du nord, montrant clairement un mandat pour la réconciliation et la résolution des griefs de longue date de la communauté tamoule. Le peuple a placé une confiance significative dans le NPP. Lors de sa visite à Jaffna, le Président a spécifiquement promis de régler la question des terres saisies par l'armée et divers services gouvernementaux comme l'archéologie et les forêts. La première priorité serait de tenir cette promesse et de libérer des quantités substantielles de terres. Mais il y a beaucoup d'autres questions en suspens depuis la fin de la guerre que le Président et son parti doivent aborder, y compris une solution politique. Il y a eu un vaste débat au Sri Lanka, avant et après l'accord indo-lankais, sur de nouvelles formes de décentralisation et de partage du pouvoir. La question est maintenant de savoir si le NPP, avec leur majorité des deux tiers nécessaire pour des changements constitutionnels majeurs, aura la volonté politique d'aller dans cette direction.
Amit Baruah
Ahilan, avant de me tourner vers Kumar, je voulais vous demander - avez-vous vu cela comme une vague, étant donné le peu de votes qu'Anura Kumara Dissanayake a reçus dans les zones tamoules lors des élections présidentielles ? S'agit-il d'un vote tactique des habitants du nord et de l'est, ou de quelque chose de plus ?
Ahilan Kadirgamar
Pendant 15 ans après la fin de la guerre, la politique nationaliste tamoule a dominé le Nord. Les LTTE ont créé l'Alliance nationale tamoule comme coalition, et après leur défaite, ils ont continué mais n'étaient pas organiquement liés au peuple. C'étaient des individus qui perpétuaient l'héritage et les slogans des LTTE, avec un soutien considérable de la diaspora. Ils se positionnaient comme intermédiaires avec la communauté internationale, y compris Delhi. Avant ou après chaque élection, ils allaient à New Delhi chercher des bénédictions, affirmant que cela aboutirait à un règlement politique. Cela a continué pendant un certain temps, mais il y a eu un changement significatif après l'élection présidentielle. Pour cette élection, beaucoup de ces mêmes acteurs ont présenté un candidat commun, sachant qu'il ne gagnerait pas, mais comme moyen de démontrer l'unité tamoule et d'en appeler à la communauté internationale. Cependant, deux choses se sont produites par la suite : comme dans le reste du pays, il y a eu une vague pour le changement politique, et les partis politiques tamouls se sont fragmentés. Les gens ont estimé que ces partis ne servaient que leurs intérêts personnels en cherchant des sièges parlementaires. La prolifération des partis politiques, leur incapacité à s'unir, tout cela a contribué à leur défaite massive. C'était à la fois un vote anti-sortants et une vague vers le NPP.
Amit Baruah
Kumar, je veux vous interroger sur ce mandat massif. Bien que la participation ait été légèrement inférieure aux élections présidentielles, le vote NPP a considérablement augmenté. De votre perspective à Colombo, que représente cela ? Est-ce une rupture avec les élections passées, un rejet de la classe politique traditionnelle du Sri Lanka ?
Balasingham Skanthakumar
Tout cela et plus encore. L'électorat a envoyé un message très clair. Ce sentiment se construisait depuis 2021-2022, mais nous n'avons pas eu l'occasion d'exercer notre droit de vote jusqu'à cette année. Même à l'époque, il y avait une énorme répulsion dans tout le Sri Lanka, à travers les classes sociales, les ethnies, les régions et les religions, dirigée contre les politiciens. Pendant longtemps dans ce pays, comme dans de nombreuses parties du monde, les gens pensaient que les politiciens professionnels existaient pour se servir eux-mêmes. Mais il a fallu cette crise - cette crise économique et sociale - et l'émergence du NPP, considéré comme non entaché par la politique, pour que le public rejette finalement les politiciens traditionnels. Les gens ont toujours su que les politiciens avaient les deux mains dans la caisse et s'aidaient eux-mêmes avec les ressources publiques. Ils voyaient la corruption morale, mais ils avaient besoin de quelque chose pour quoi voter, même s'ils n'étaient pas tout à fait sûrs de ce que c'était. C'est absolument sans précédent. Vous avez utilisé le terme « tsunami » ce matin, et je l'avais utilisé indépendamment pour décrire ce résultat. Il y a quelques semaines, après l'élection présidentielle, nous l'avons appelé un tremblement de terre. Du tremblement de terre au tsunami - cela traduit à quel point ces développements ont été dramatiques pour le système politique du Sri Lanka, envoyant un message à travers la région et au-delà.
Amit Baruah
Kumar, vous avez beaucoup écrit sur la crise économique et noté la hausse des niveaux de pauvreté au Sri Lanka. Diriez-vous que le NPP a construit son soutien sur les pressions économiques - les mesures d'austérité, les temps difficiles, les files d'attente pour le carburant et les bouteilles de gaz, la hausse des prix, les pénuries de nourriture et de médicaments ?
Balasingham Skanthakumar
Je n'en suis pas encore tout à fait sûr. Ces questions de classe n'ont pas nécessairement conduit à des réactions similaires à travers l'île. Oui, il y a une convergence dans la façon dont les réformes d'austérité ont impacté les gens, mais même pendant le COVID-19 et la crise économique, beaucoup dans le nord et l'est ont dit qu'ils ne le ressentaient pas de la même manière, ayant vécu pendant des décennies sans nécessités. Autant j'aimerais dire que c'est un sentiment purement basé sur la classe, c'est encore trop amorphe pour l'attribuer à un seul facteur. Ce qui est commun, comme nous l'avons entendu d'Ahilan, c'est vraiment un rejet de la politique comme d'habitude. C'est un cri du peuple pour un changement dans le système politique. Mais cela ne signifie pas que le nord et le sud, l'est et l'ouest, ont tous les mêmes attentes.
Amit Baruah
Ahilan, quel est votre sentiment depuis Jaffna ? Est-ce la fin de la classe politique qui a longtemps gouverné votre pays ? L'élite de Colombo est-elle menacée, n'étant plus capable de diriger la politique comme elle l'a fait ces 70-75 dernières années ? Et le NPP est-il vraiment un outsider de la politique sri-lankaise ?
Ahilan Kadirgamar
Je dirais que c'est une perturbation majeure dans la façon dont le pays a été gouverné. Ce n'est pas quelque chose que l'élite attendait, et même les gens ordinaires ne pouvaient pas imaginer ce genre de changement. Une fois qu'une telle perturbation se produit, il devient très difficile de reconstruire rapidement une autre coalition d'élite, même cinq ans plus tard. C'est un moment crucial pour la direction du pays. Le NPP a reçu un mandat énorme pour traiter de multiples questions. Dans le nord, il y a la militarisation, le chômage, et les jeunes qui sentent qu'ils n'ont pas d'avenir, les conduisant à quitter le pays. Les gens ont différentes explications - certains blâment la corruption pour l'état du pays, d'autres disent que c'est une mauvaise gouvernance ou de mauvaises politiques. Néanmoins, le NPP a ce mandat pour faire avancer le pays. Si le NPP ne réussit pas, je ne pense pas que nous reviendrons aux affaires comme d'habitude. Cela pourrait être bien pire. Un autre acteur devrait combler le vide, ce qui pourrait être très dangereux - peut-être l'émergence d'une tendance droitiste, populiste autoritaire, ou même fasciste. Donc c'est un moment très différent des nombreuses décennies passées. Je le comparerais à quand [J. R.] Jayewardene est arrivé au pouvoir à la fin des années 70. C'était similaire - le monde connaissait un ralentissement économique, le Sri Lanka faisait face à une grave crise économique dans les années 1970 sous le gouvernement de gauche du Front uni, qui ne pouvait pas gérer la crise. Jayewardene a remporté une victoire écrasante avec les cinq sixièmes du parlement sous le système uninominal à un tour. Maintenant sous la représentation proportionnelle, cette majorité des deux tiers est similaire à ce moment. Il a apporté des changements massifs vers la libéralisation - le Sri Lanka est devenu le premier pays à libéraliser son économie, il a introduit la Loi sur la prévention du terrorisme, et tout cela a contribué à la tragédie de la guerre civile. Le NPP est à un moment similaire maintenant - seront-ils capables de s'écarter de cette trajectoire néolibérale ? Parce que cela semble avoir atteint son impasse, sinon nous ne continuerions pas à faire face à des crises.
Amit Baruah
Désolé d'interrompre, mais quel est votre sentiment - personne ne s'attendait à cette énorme majorité. Même le Président a dit qu'il serait content avec juste une majorité il n'y a pas longtemps. Pensez-vous que ce nombre massif, qui permet au NPP de modifier la Constitution et de faire des changements législatifs majeurs, signifiera une pression supplémentaire sur le président et le gouvernement ?
Ahilan Kadirgamar
Oui, d'une certaine manière, mais même avant cette élection, je sentais que ce gouvernement pourrait avoir plus d'espace pour traiter les questions juridiques et constitutionnelles, même la question des minorités. Leur plus grand défi sera les questions économiques. Ce n'est pas purement domestique - nous avons fait défaut sur notre dette, nous devons rembourser les créanciers, et nous sommes dans un programme du FMI. Toutes les grandes puissances de la région - l'Inde, la Chine, les États-Unis - nous tiennent à la gorge en utilisant le FMI. S'ils continuent à presser le Sri Lanka, comme ils l'ont fait pour les régimes progressistes en Amérique latine, alors la question économique et comment la gérer devient un défi encore plus grand, étant donné que nous vivons dans cette économie très globalisée et néolibérale.
Amit Baruah
Kumar, je voulais vous interroger sur le mouvement à grande échelle hors du Sri Lanka - les gens cherchant des emplois et l'immigration permanente. Bien que travailler à l'étranger ne soit pas nouveau pour les Sri-Lankais ou les Sud-Asiatiques en général, beaucoup de professionnels qui partent ont tendance à revenir. Les files d'attente pour les passeports à Colombo montrent que l'émigration est une préoccupation majeure. Si ce gouvernement crée des opportunités, en particulier des emplois, au Sri Lanka, cela pourrait-il endiguer le flux de personnes qui partent ?
Balasingham Skanthakumar
Bien que beaucoup de gens, y compris les partisans du gouvernement, aimeraient voir ce scénario, je serais plus prudent. Premièrement, les gens ont besoin d'un soulagement économique maintenant - ils ne peuvent pas attendre des mois ou des années pour que les programmes et politiques de développement génèrent des emplois et des revenus. Il y a toujours un sentiment de pessimisme sur la situation globale. Je ne spéculerais pas que le changement politique seul réduira le nombre de personnes cherchant du travail à l'étranger. Cependant, nous pourrions voir des changements en raison de la situation mondiale morose. De nombreux pays occidentaux, destinations traditionnelles pour l'immigration permanente, ferment leurs portes plus étroitement en raison de leurs propres problèmes économiques et de la montée des sentiments d'extrême droite anti-immigrants. Quant aux pays du Moyen-Orient et aux destinations non traditionnelles comme la Corée du Sud et la Malaisie, où vont de nombreux travailleurs sri-lankais moins qualifiés, ces économies sont impactées par les développements dans le Nord global. Nous pourrions voir une demande réduite de main-d'œuvre bon marché en provenance de pays comme le Sri Lanka. Mais alors quelles sont les alternatives ? Le fait que tant de personnes aient pu partir signifie que nos envois de fonds, notre plus grande source de devises étrangères, sont restés élevés en 2023 et cette année. Ces envois de fonds, générés en grande partie par les femmes, maintiennent notre économie et nos ménages à flot. Je ne pense pas qu'il y ait un substitut immédiat facile au Sri Lanka, même si le NPP réalise rapidement ses plans économiques. Tout gouvernement éclairé devrait travailler à supprimer les raisons de la migration de détresse tout en respectant la liberté de mouvement et les choix des gens. La migration de détresse que nous avons vue est absolument inacceptable, et il était tragique que le gouvernement précédent soit indifférent, semblant vouloir augmenter le nombre de personnes partant à l'étranger pour augmenter les envois de fonds. Ce cynisme et cette insensibilité sont aussi ce que les électeurs sri-lankais ont rejeté dans leur verdict pour la coalition Dissanayake.
Amit Baruah
Ahilan, vous avez mentionné la crise de la dette sri-lankaise et les obligations de remboursement à venir. Pour un observateur extérieur, le NPP semble lié au JVP, qui est associé à deux insurrections en '71 et '87-89. Pourriez-vous expliquer quelle approche économique le NPP est susceptible d'adopter, et quelles implications cela a pour les relations du Sri Lanka avec l'Inde, la Chine, les États-Unis et l'Occident ?
Ahilan Kadirgamar
Le NPP n'a pas été très explicite sur leur programme économique. Ils se sont concentrés sur l'accession au pouvoir, ont eu une bonne stratégie électorale, ont attendu le bon moment, et ont mobilisé les classes moyennes. Ils ont été assez silencieux sur les questions comme la redistribution. Concernant l'économie plus large, alors qu'avant l'élection présidentielle ils parlaient de renégocier le programme du FMI et de créer une nouvelle analyse de viabilité de la dette pour les négociations avec les créanciers, il y a eu une pression énorme de l'Occident et du FMI après les élections présidentielles. Ils semblent avoir accepté, pour l'instant, de rester avec le programme du FMI, ce qui limite leur capacité à fournir le soulagement immédiat dont les gens ont besoin. Ils ont dit qu'ils soutiennent une économie de production et ne procéderont pas à la privatisation, mais n'ont pas pris de positions politiques explicites sur le modèle axé sur l'exportation ou les questions plus larges de libéralisation. Cela reste à voir. Beaucoup d'entre nous attendent - je pense qu'ils attendaient aussi de voir s'ils obtiendraient une majorité parlementaire. Maintenant, ils doivent commencer à gouverner, faisant face aux compromis entre le remboursement des créanciers et l'aide publique. La question est jusqu'où ils défieront les puissants acteurs externes comme l'Inde, la Chine et les États-Unis, étant donné la faible position de négociation du Sri Lanka après avoir fait défaut sur sa dette. Le prochain choc externe pourrait aggraver la crise.
Amit Baruah
Qu'en est-il de leur approche de l'investissement étranger ? Il y a des inquiétudes dans la communauté des affaires concernant le mot « marxiste ». De nombreux pays et partis se prétendent marxistes mais ont des politiques favorables aux entreprises et sont ouverts aux changements économiques. Le JVP ou le NPP seraient-ils similaires ?
Ahilan Kadirgamar
Oui, je caractériserais le NPP maintenant comme un parti de centre-gauche. Et ils ont été très ouverts à ce sujet, qu'ils accueillent l'investissement étranger, que leurs politiques seront orientées vers l'obtention d'investissements étrangers. Maintenant, la vraie question est le type d'investissement étranger qui arrive au Sri Lanka, n'est-ce pas ? Ce que nous avons vu ces dernières années, je veux dire, l'IDE a été inférieur à un milliard de dollars américains, et même dans ce milliard de dollars américains, environ 70% sont des investissements spéculatifs dans l'immobilier. Ce n'est pas le type d'IDE que nous connaissions autrefois qui mène à la production et à l'emploi et ainsi de suite. C'est de l'investissement spéculatif. Et maintenant avec la crise économique, que voyons-nous ? Nous voyons une saisie stratégique d'actifs. Vous savez, des actifs stratégiques au Sri Lanka. Donc, que ce soit des ports, des centrales électriques, des acteurs comme Adani qui s'implantent au Sri Lanka, Sinopec, la Corporation pétrolière chinoise qui essaie de construire de grandes raffineries. Donc, ce sont les types d'investissements qui arrivent au Sri Lanka en ce moment, il y a de grandes questions quant à savoir s'ils sont réellement souhaitables, étant donné les intérêts à long terme du Sri Lanka, s'ils éloigneraient réellement le Sri Lanka d'une histoire où, vous savez, malgré être un pays à faible revenu pendant longtemps, nous avons pu avoir des indicateurs de développement humain beaucoup plus élevés. Vous savez, nous avions 99% de notre population qui avait l'électricité — pour un pays d'Asie du Sud, vous pouvez voir à quel point c'est différent. Mais ces deux dernières années, avec la crise économique et le programme du FMI, 1,3 million de ménages ont été déconnectés du réseau électrique. C'est environ 20% de nos ménages. Donc, ce sont les réalités et si ces entreprises à but lucratif viennent et commencent à générer de l'électricité, si ce sont elles qui vont fournir le carburant, serait-ce disponible pour notre peuple travailleur dans cinq ans ? C'est la grande question devant nous.
Amit Baruah
Kumar, vous savez, avant que nous ne terminions notre discussion pour aujourd'hui, je voulais vous demander maintenant que cette majorité massive est en place. Il y a bien sûr des discussions sur l'abolition de la présidence exécutive, que cela arrive maintenant ou plus tard. C'est quelque chose que le NPP s'était engagé à faire. Il y a aussi des discussions sur l'écriture d'une nouvelle législation ou d'une nouvelle constitution. Donc la question qui me vient à l'esprit est celle des minorités, en particulier le peuple tamoul, qui a voté pour le NPP, dans un sens, vous savez, après une insurrection de 26 ans et un désir vieux de plusieurs décennies de, vous savez, plus de droits pour le peuple tamoul au Sri Lanka, le 13e amendement, dans un sens, est ce qui a été inscrit dans la Constitution, qui fait partie de la Constitution suite à l'accord indo-sri-lankais. Pensez-vous que tout changement au statut, vous savez, comment cela pourrait affecter le 13e amendement ? Pensez-vous que c'est quelque chose dont il faut s'inquiéter, ou est-ce quelque chose que la direction du NPP comprend, et l'importance de cela, et les préoccupations du peuple tamoul concernant de tels changements ?
Kumar
Je pense que le NPP comprend bien l'importance du 13e amendement pour l'État indien. Cela leur a été très clairement signifié, je pense, par les gouvernements indiens successifs et les secrétaires aux affaires étrangères. Je ne suis pas si sûr qu'il y ait le même attachement au 13e amendement au sein des polités tamoule et cinghalaise. Certes, certaines sections voient la valeur de la dévolution, la dévolution limitée, que le 13e amendement offrait. Et certainement, de nombreux politiciens accueillent favorablement la capacité d'avoir un grand nombre de sièges à disputer afin d'obtenir également certaines positions politiques. Et bien sûr, il y a une certaine dévolution en ce qui concerne les ressources financières. Ce qui fait une différence quand il s'agit de certaines choses comme les écoles ou les hôpitaux qui font partie du système des Conseils provinciaux. Mais Amit, ici, je dois vous rappeler que, comme vous le savez bien, quand il s'est agi de sa deuxième insurrection, le JVP, à la fin des années 80, a pris les armes contre le 13e amendement, contre l'accord indo-lankais, qui était à l'origine de ce qui est devenu le 13e amendement à la Constitution. Et depuis lors, le JVP, bien qu'il participe maintenant aux élections et ait été représenté dans les conseils provinciaux, a été assez prudent pour ne pas s'associer trop étroitement au 13e amendement. De même, dans la polité tamoule, Amit comme vous le savez bien que quand il s'est agi des divisions au sein du nationalisme militant tamoul, vous aviez une section qui a déposé les armes et a participé à ce processus ; et vous aviez une autre section, les LTTE [Tigres de libération de l'Eelam tamoul] qui ne l'a pas fait ; et c'était la perspective des LTTE sur les conseils provinciaux qui, je dirais, dans une large mesure, continue d'influencer les vues des partis politiques tamouls, ainsi que la polité tamoule en général, y compris les citoyens du nord, au moins ; quand il s'agit de leur attitude envers cela [les conseils provinciaux], ils le voient comme étant inadéquat, comme n'étant pas suffisant. Et jusqu'à présent, le NPP ne nous a donné aucune indication qu'il prend d'une manière ou d'une autre le 13e amendement comme point de départ. Je pense que c'est assez significatif que dans son manifeste, il n'y ait fait aucune référence. Au lieu de cela, il examine ces questions, ou réfléchit à ces questions à nouveau. Bien sûr, cela signifie qu'il devra y avoir certains apprentissages tirés de la façon dont le 13e amendement a fonctionné dans la pratique, il devra y avoir certains apprentissages sur ce que nous faisons en ce qui concerne la division des sujets et des fonctions et des pouvoirs entre le centre et les provinces. Il devra certainement y avoir des apprentissages en ce qui concerne la levée des impôts, des revenus, et ainsi de suite. Mais jusqu'à présent, et je pense que ce n'est probablement pas une mauvaise idée. Ce serait bien si nous ne commencions pas un exercice de rédaction de constitution, je pense, sur, vous savez, sur la base du 13e amendement. Au lieu de cela, nous avons déjà un projet assez élaboré qui a été développé pendant les premières années du régime dit de 'bonne gouvernance', en 2015, 2016, 2017, pendant cette période. Et donc ce n'est pas que nous devions repartir de zéro au Sri Lanka. Ce projet a été développé à travers un processus de consultation publique extensif, donc nous avons un projet de travail. Et je pense que ce dont nous avons besoin et ce qui nous manquait à cette période, et même dans les périodes précédentes, c'est un gouvernement qui va et se bat pour le partage du pouvoir, qui ne prend pas une approche mains libres ou une approche neutre, mais qui va réellement faire campagne et solliciter pour cela et explique aux gens dans chaque partie du pays, pas seulement dans le nord et l'est, mais aussi dans le sud, dans les hautes terres, à l'est et à l'ouest, comment, en rapprochant le pouvoir des gens, ils ont plus de contrôle sur leur vie. Ils ont plus de contrôle, leurs représentants leur sont plus redevables, et que donc c'est bon pour la démocratie.
Amit Baruah
Je crains que nous devions conclure rapidement, mais je voulais juste faire intervenir Ahilan pour une réponse rapide. Vous savez, Kumar fait ce point important de cet attachement au 13e amendement. Et je voudrais reformuler ma question d'une certaine manière. Et vous savez, vous demander une brève réponse est que l'approche basée sur les droits est peut-être plus importante qu'un amendement à la Constitution. Et si vous pensez qu'il y a de la confiance entre les communautés ethniques et ces parties prenantes qui sont impliquées dans la gouvernance du Sri Lanka, vous pensez qu'il pourrait y avoir plus d'opportunités pour le peuple tamoul ou les musulmans de, dans un sens, jouir de plus de droits dans le pays.
Ahilan Kadirgamar
Oui. Je veux dire, il y a aussi un débat au Sri Lanka sur, vous savez, assurer qu'il y a des droits économiques, sociaux et culturels inscrits dans notre Constitution et de manière justiciable. Mais je pense toujours que la question est le partage du pouvoir, n'est-ce pas ? Ce n'est pas seulement aussi une question de dévolution territoriale, qui est importante. Donc vous rapprochez le pouvoir des gens, mais les minorités sont aussi dispersées dans tout le pays. Donc pour leur donner la confiance qu'à l'avenir, notre État et le pouvoir d'État seraient partagés d'une manière qui ne fonctionne pas contre une communauté. Donc pour créer ce type de structure et donner cette confiance, et comme Kumar l'a mentionné, vous savez, le besoin d'une volonté politique, et c'est quand quelqu'un est au pouvoir qu'il peut le faire, plutôt que de dire, d'accord, voici une proposition, choisissez si vous voulez. Donc, c'est je pense, la chose importante. Je veux juste faire un dernier point Amit. Le Sri Lanka est à ce moment crucial, le peuple a parlé. Et ce que nous avons vu quand les choses au Sri Lanka se mettent en place, c'est que parfois des acteurs externes très puissants ont tendance à perturber ce qui se passe ici. Et je pense que cette fois, le Sri Lanka devrait avoir l'espace pour résoudre cela. Et je pense que c'est ce dont nous avons besoin en termes de solidarité internationale. Parce qu'avec un peu de chance, vous savez, avec ces quatre décennies et demie de néolibéralisme et ce que nous voyons à travers le monde, avec un peu de chance, le Sri Lanka peut devenir un exemple pour aller de l'avant, mais cet espace doit être donné pour que nous puissions avancer.
Amit Baruah
En tant qu'observateur extérieur, la seule chose que je voudrais ajouter est que je pense que c'est un grand moment d'espoir pour le Sri Lanka et les Sri-lankais. C'est une grande opportunité. Les gens veulent du changement. Ils veulent une vie meilleure. Je pense que le mandat est très clair. Le peuple a parlé, et tous les yeux seront tournés vers votre gouvernement pour voir comment ils tiennent leurs nombreuses promesses, s'ils sont capables de maintenir cet élan d'espoir qui a été généré parce qu'au final dans une démocratie, c'est la seule voie disponible, et on ne peut qu'espérer qu'un processus de consultation avec le peuple continuera, et toutes les crises auxquelles vous faites face, tant économiques, politiques que sociales, sont résolues, vous savez, conformément aux souhaits de tous les Sri-lankais, transcendant les barrières ethniques et religieuses. Merci beaucoup Ahilan de m'avoir rejoint, et merci beaucoup Kumar d'avoir consacré votre temps à cette analyse de ce qui se passe, ce qui s'est passé pendant les élections et ce qui est susceptible de se passer dans les semaines et mois à venir. Merci. Et c'est Amit Baruah qui vous quitte depuis Colombo, merci.
Ahilan Kadirgamar
Balasingham Skanthakumar
Amit Baruah
Traduction par Adam Novak
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En Israël, le gouvernement Nétanyahou “tente de faire taire” le journal “Ha’Aretz”

Le cabinet israélien a approuvé un boycott éditorial et financier du principal journal d'opposition de l'État hébreu. Une “nouvelle étape vers le démantèlement de la démocratie israélienne”, réagit le journal, très hostile au Premier ministre.
Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Une femme lisant l'édition anglophone du quotidien israélien "Ha'Aretz, à Jérusalem en 2013. Photo : Ahmed Gharabli/AFP.
Le gouvernement israélien a approuvé, le 24 novembre, une décision interdisant aux officiels et organismes liés au gouvernement d'avoir des contacts avec le quotidien Ha'Aretz et d'y placer des publicités.
Une tentative de “faire taire un journal critique et indépendant”, alerte Ha'Aretz, très hostile au Premier ministre Benyamin Nétanyahou et à son cabinet, considéré comme le plus à droite de l'histoire de l'État hébreu.
Le gouvernement justifie sa décision, actée en Conseil des ministres sur la base d'une proposition du ministre des Communications, Shlomo Karhi, par les “nombreux éditoriaux qui ont mis à mal la légitimité de l'État d'Israël et de son droit à la légitime défense”, explique l'exécutif.
“Combattants de la liberté”
Une réaction, surtout, à des propos tenus par l'éditeur de Ha'Aretz, Amos Schoken, qui, selon lui, “soutiennent le terrorisme et appellent à imposer des sanctions au gouvernement”. Lors d'une conférence à Londres, le 27 octobre, Schoken avait notamment déclaré que le gouvernement Nétanyahou se battait contre “les combattants de la liberté palestiniens, qu'Israël qualifie de terroristes”.
Ces propos avaient suscité un tollé, certains y voyant une légitimation du Hamas et des attaques du 7 octobre. De quoi pousser l'éditeur de Ha'Aretz à les clarifier en expliquant qu'il parlait des Palestiniens de Cisjordanie, et en affirmant que “le recours à la terreur n'est pas légitime. Quant au Hamas, il n'est pas un combattant de la liberté.”
Même après cette clarification, le journal a publié un éditorial, le 4 novembre, pour se distancier un peu de ces propos.
“‘Ha'Aretz' ne reculera pas”
Le journal a réagi à la décision du gouvernement Nétanyahou, non inscrite à l'ordre du jour et prise “sans aucun contrôle juridique”.
“La résolution opportuniste de boycotter Ha'Aretz […] marque une nouvelle étape dans le parcours de Nétanyahou vers le démantèlement de la démocratie israélienne. Comme ses amis Poutine, Erdogan et Orban, Nétanyahou essaie de faire taire un journal critique et indépendant.”

Et d'assurer : “Ha'Aretz ne reculera pas et ne se transformera pas en un tract gouvernemental publiant des messages approuvés par le gouvernement et son chef.”
Fondé en 1919, ce journal qui est le plus ancien quotidien israélien existant, est depuis longtemps dans le collimateur du gouvernement.
Ha'Aretz a publié de nombreuses enquêtes sur les abus de la guerre à Gaza, et s'est positionné en faveur d'un cessez-le-feu pour la libération des derniers otages encore retenus dans l'enclave palestinienne.
Et depuis quelques semaines, il suit particulièrement les affaires de documents déclassifiés impliquant le très proche entourage de Benyamin Nétanyahou.
Courrier international
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Liban : Des armes américaines utilisées lors d’une frappe israélienne contre des journalistes

Une frappe aérienne israélienne menée au Liban le 25 octobre 2024, qui a tué trois journalistes et a blessé quatre autres journalistes, était très vraisemblablement une attaque délibérée contre des civils et donc un crime de guerre apparent, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.
Human Rights Watch a déterminé que les forces israéliennes ont mené cette attaque en utilisant une bombe larguée par avion et équipée d'un kit de guidage « Joint Directed Attack Munition » (JDAM - Munition d'attaque dirigée conjointe) fabriqué aux États-Unis. Le gouvernement américain devrait suspendre les transferts d'armes vers Israël en raison des attaques répétées et illégales commises par l'armée israélienne contre des civils, et pour lesquelles des responsables américains risquent de se rendre complices de crimes de guerre.
« L'utilisation par Israël d'armes américaines pour attaquer et tuer illégalement des journalistes qui se trouvaient loin de toute cible militaire entache terriblement l'image des États-Unis et d'Israël », a déclaré Richard Weir, chercheur senior auprès de la division Crises, conflits et armes à Human Rights Watch. « Les précédentes attaques meurtrières menées par l'armée israélienne contre des journalistes, restées sans conséquences, ne laissent que peu d'espoir d'aboutir à la reddition de comptes pour cette violation, ou pour de futures violations subies par les médias. »
Cette attaque a été menée tôt dans la matinée du 25 octobre contre le Hasbaya Village Club Resort, un complexe hôtelier situé à Hasbaya dans le sud du Liban, où plus d'une dizaine de journalistes séjournaient depuis plus de trois semaines. Human Rights Watch n'a trouvé aucune preuve de combats, ni de présence de forces militaires ou d'activité militaire dans cette zone au moment de l'attaque. Selon les informations recueillies par Human Rights Watch, l'armée israélienne savait ou aurait dû savoir que des journalistes séjournaient dans la zone, et plus particulièrement dans le bâtiment ciblé. Après avoir initialement affirmé que ses forces avaient frappé un bâtiment où « des terroristes opéraient », l'armée israélienne a déclaré quelques heures plus tard que « l'incident est en cours d'examen ».
Human Rights Watch a mené des entretiens avec huit personnes qui séjournaient au Hasbaya Village Club Resort ou à proximité lors de l'attaque, dont trois journalistes blessés et le propriétaire de ce complexe hôtelier. Des chercheurs de Human Rights Watch ont visité ce site le 1er novembre, et ont examiné 6 vidéos et 22 photos de l'attaque et de ses conséquences, ainsi que des images satellite. Le 5 novembre et le 14 novembre, Human Rights Watch a transmis respectivement un courrier à l'armée libanaise contenant des questions, et un courrier à l'armée israélienne contenant les conclusions de ses recherches ainsi que des questions, mais n'a reçu aucune réponse à ces deux lettres.
L'attaque contre le bâtiment dans lequel les journalistes séjournaient a eu lieu peu après 3 heures du matin le 25 octobre, selon les témoignages recueillis et des images de vidéosurveillance affichant l'heure d'enregistrement. La plupart des journalistes dormaient à ce moment-là, mais pas tous. Zakaria Fadel, âgé de 25 ans, est un assistant caméraman pour ISOL for Broadcast, un fournisseur libanais de services de diffusion par satellite ; il a déclaré qu'il était en train de se brosser les dents lorsque l'explosion l'a projeté en l'air.
La munition a frappé le bâtiment d'un étage, puis a explosé en touchant le sol. L'explosion a tué Ghassan Najjar, journaliste et caméraman pour la chaîne de télévision Al Mayadeen, et Mohammad Reda, ingénieur de diffusion par satellite pour cette chaîne ; l'explosion a aussi tué Wissam Kassem, un caméraman travaillant pour la chaîne de télévision Al Manar TV, propriété du Hezbollah. Al Mayadeen est une chaîne de télévision panarabe basée au Liban, politiquement alliée au Hezbollah et au gouvernement syrien.
Human Rights Watch a vérifié des vidéos prises quelques minutes après l'attaque, qui montrent le bâtiment ciblé complètement détruit, et les bâtiments voisins endommagés. La frappe a fait s'effondrer un mur du bâtiment adjacent, blessant gravement Hassan Hoteit, 48 ans, un caméraman pour ISOL for Broadcast. La frappe a aussi considérablement endommagé le mur d'un petit bâtiment situé à environ 10 mètres de là, blessant d'autres journalistes, dont Ali Mortada, un caméraman pour Al Jazeera âgé de 46 ans.
Ali Mortada a déclaré avoir été réveillé par l'explosion et par des morceaux de béton qui lui tombaient dessus, le blessant au visage et au bras droit. Lorsque les débris ont cessé de tomber, il est sorti de sa chambre pour prendre des nouvelles de ses collègues. Avec d'autres personnes, il a alors retrouvé Hassan Hoteit, qui était blessé. Le bâtiment qui avait été directement frappé était détruit. Ali Mortada a déclaré avoir vu les corps de Wissam Kassem et de Ghassan Najjar gisant à proximité. Une partie du corps de Mohammad Reda gisait un plus loin.
Peu après, le concierge du Hasbaya Village Club Resort est venu vers eux, disant qu'il avait trouvé deux jambes humaines dans une chambre. Ehab el-Okdy, un journaliste d'Al Jazeera qui séjournait dans le complexe, a déclaré avoir également vu les corps et les parties des corps des journalistes morts. « Nous avons vu les corps », a-t-il déclaré. « Nous avons vu que Mohammad Reda était brisé partout. »
Anoir Ghaida, le propriétaire du Hasbaya Village Club Resort, a déclaré que les journalistes y étaient arrivés le 1er octobre, suite à un ordre d'évacuation émis par l'armée israélienne et portant sur une zone située au sud de Hasbaya. Les journalistes avaient précédemment effectué leurs reportages à Ibl al-Saqi, une ville libanaise située dans la zone mentionnée dans l'ordre d'évacuation.
Les journalistes avec qui Human Rights Watch s'est entretenu ont déclaré qu'entre le 1er octobre et le 25 octobre, date de l'attaque, ils avaient effectué des déplacements réguliers et répétés aux alentours de Hasbaya, réalisant plusieurs reportages télévisés en direct depuis une colline qui surplombait de vastes parties du sud du Liban. Les journalistes ont déclaré qu'ils quittaient le complexe hôtelier le matin et y revenaient le soir, à peu près à la même heure chaque jour, ce qu'a corroboré Anoir Ghaida. Sur la plupart des véhicules figuraient en grandes lettres les mots « Press » (presse) ou « TV ».
Les journalistes et Anoir Ghaida ont aussi déclaré avoir constamment entendu le bourdonnement de drones aériens dans cette zone, ce qui indique que la zone était très probablement sous surveillance israélienne. Avant le 25 octobre, aucune attaque n'avait été menée contre contre la ville de Hasbaya.
Depuis le début des hostilités entre Israël et le Hezbollah le 8 octobre 2023, au lendemain du 7 octobre, l'armée israélienne a attaqué et tué des journalistes, et a pris pour cible la chaîne de télévision Al Mayadeen. Le 23 octobre, les forces israéliennes ont attaqué et détruit un bureau utilisé par Al Mayadeen à Beyrouth. Al Mayadeen avait pu évacuer son personnel du bâtiment, avant cette frappe.
Durant la période du 8 octobre 2023 au 29 octobre 2024, des frappes israéliennes ont tué au moins six journalistes libanais, selon le Comité pour la protection des journalistes (Committee to Protect Journalists, CPJ). Human Rights Watch a conclu que l'attaque israélienne du 13 octobre 2023, qui a tué Issam Abdallah, un journaliste de Reuters, et blessé six autres journalistes, était un crime de guerre apparent. Le 21 novembre 2023, une frappe israélienne menée à Tayr Harfa, dans le sud du Liban, a tué Rabih al-Maamari et Farah Omar, deux journalistes libanais qui travaillaient pour la chaîne de télévision Al Mayadeen, ainsi que leur chauffeur, Hussein Akil.

Human Rights Watch a vérifié une photo et une vidéo montrant les funérailles de Ghassan Najjar, dont le cercueil était enveloppé dans un drapeau du Hezbollah, dans un cimetière du sud de Beyrouth où sont enterrés des combattants du Hezbollah ; l'emplacement était proche de la tombe de Rabih al-Maamari. Le 14 novembre, un porte-parole du Hezbollah a déclaré à Human Rights Watch que Ghassan Najjar avait demandé à être enterré près de son ami et collègue Rabih al-Maamari, et a ajouté que Najjar « n'était qu'un civil » qui n'avait « participé d'aucune manière à des activités militaires ».
Human Rights Watch a trouvé des fragments de la munition sur le site de l'attaque, et a examiné des photographies d'autres fragments récupérés par le propriétaire du complexe hôtelier. Human Rights Watch a déterminé que ces fragments correspondaient à un kit de guidage JDAM assemblé et vendu par la société américaine Boeing. Human Rights Watch a également identifié un fragment de bombe comme faisant partie du système d'actionnement du kit de guidage qui pilote les ailerons. Un code numérique sur le fragment correspondait à l'entreprise américaine Woodward, qui fabrique des composants pour les systèmes de guidage des munitions, y compris le JDAM. Le kit JDAM, fixé à des bombes larguées par voie aérienne, permet de les guider vers une cible en utilisant des coordonnées satellite, ce qui permet un ciblage plus précis, compris dans un rayon de plusieurs mètres.
Le 14 novembre, Human Rights Watch a transmis des courriers aux sociétés Boeing et Woodward, mais n'a reçu aucune réponse. Les entreprises ont des responsabilités en vertu des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme, des Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales sur la conduite responsable des entreprises, ainsi que d'autres directives visant à empêcher, stopper ou atténuer les violations réelles et potentielles du droit international humanitaire qu'elles causent ou auxquelles elles contribuent, et à y remédier.

Compte tenu des violations généralisées des lois de la guerre par Israël et de l'absence de reddition de comptes pour ces violations, les entreprises devraient cesser de vendre des armes à ce pays ; dans la mesure du possible, elles devraient aussi instaurer un rappel de produits pour les armes déjà vendues, et cesser tout service d'assistance technique pour ces armes.
Human Rights Watch a précédemment documenté l'utilisation illégale par l'armée israélienne d'une arme américaine lors d'une frappe menée le 27 mars 2024, qui a tué sept travailleurs humanitaires dans le sud du Liban.
Le droit international humanitaire, qui rassemble les lois de la guerre, interdit les attaques contre les civils et les biens civils. Les journalistes sont considérés comme des civils, et doivent être protégés contre toute attaque, tant qu'ils ne participent pas directement aux hostilités. Les journalistes ne peuvent pas être attaqués en raison de leur travail, même si la partie adverse considère que les médias pour lesquels ils travaillent ont des points de vue biaisés, ou sont utilisés à des fins de propagande. Lorsqu'elles mènent une attaque, les parties belligérantes doivent prendre toutes les précautions possibles pour minimiser les dommages causés aux civils et aux biens civils. Cela comprend la prise de toutes les mesures nécessaires pour vérifier que les cibles sont des objectifs militaires, ou non.
Les personnes qui commettent de graves violations des lois de la guerre avec une intention criminelle – c'est-à-dire intentionnellement ou par imprudence – peuvent être poursuivies pour crimes de guerre. Des personnes peuvent également être tenues pénalement responsables d'avoir aidé, facilité, aidé ou encouragé un crime de guerre.
Le Liban devrait d'urgence reconnaître la compétence de la Cour pénale internationale (CPI) pour enquêter sur les crimes internationaux graves commis dans ce pays, afin que le Procureur de la CPI puisse disposer d'un mandat l'autorisant à mener une telle enquête.
Les principaux alliés d'Israël – les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada et l'Allemagne – devraient suspendre leurs ventes d'armes et leur assistance militaire à Israël, compte tenu du risque réel que ces armes soient utilisées pour commettre de graves abus. La politique américaine sur les transferts d'armes vers d'autres États interdit de tels transferts s'il est « plutôt probable » (« more likely than not ») que ces armes soient utilisées en violation du droit international.
« Face à l'accumulation de preuves de l'utilisation illégale d'armes américaines par Israël, y compris lors de crimes de guerre apparents, les hauts responsables des États-Unis doivent décider s'ils respecteront le droit américain et international en mettant fin aux ventes d'armes à Israël, ou s'ils s'exposeront au risque d'être reconnus légalement complices de violations graves », a conclu Richard Weir.
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Gaza, jour 402 : les civils tentant de fuir sont assassinés

Israël poursuit sa guerre génocidaire à Gaza, en Cisjordanie et au Liban. Point sur la situation cette semaine à Gaza, alors que l'armée israélienne a déclaré qu'elle ne permettrait pas aux Palestinien·nes déplacé·es du nord de Gaza de retourner chez elles et eux.
Tiré d'Agence médias Palestine.
Chiffres clés
à Gaza depuis le 7 octobre 2023 :
43 665 mort·es
103 076 blessé·es
1,9 million de déplacé·es
au Liban depuis le 7 octobre 2023 :
3243 mort·es
14 134 blessé·es
1,2 million de déplacé·es
en Cisjordanie depuis le 7 octobre 2023 :
783 mort·es
dont 146 enfants
19 031 déplacé·es
L'armée israélienne poursuit ses massacres dans l'ensemble de la bande de Gaza, et principalement au nord de l'enclave. Le ministère de la santé de Gaza a annoncé que 49 Palestinien·nes avaient été assassiné·es dimanche 10 novembre, et 50 autres lundi.
Le camp de Nuseirat, situé sur le « corridor de sécurité » désigné par Israël comme passage pour les gazaoui·es qui fuient le nord, a été bombardé à plusieurs reprises au cours des derniers jours, et des tanks israéliens y ont mené une attaque dimanche, assassinant plus de 11 Palestinien·nes.
Les résident·es du camp témoignent que les chars israéliens ont ouvert le feu en entrant dans le secteur ouest secteur du camp, provoquant la panique au sein de la population et des familles déplacées. Zaik Mohammad, habitant du camp, explique que l'avancée des chars est survenue sans aucun avertissement : « Certaines personnes n'ont pas pu partir et sont restées bloquées à l'intérieur de leurs maisons, suppliant qu'on les laisse sortir, tandis que d'autres se sont précipitées pour fuir avec tout ce qu'elles pouvaient porter ».
Le siège du nord de Gaza
Le 4 novembre, les Nations unies et leurs partenaires estimaient qu'environ 100 000 personnes avaient été déplacées en quatre semaines depuis le nord vers la ville de Gaza, et qu'il restait entre 75 000 et 95 000 personnes dans la zone assiégée. La défense civile palestinienne (PCD) estime qu'au moins 1 300 Palestinien·nes ont été assassiné·es au cours de cette offensive.
Décrivant la situation au nord de Gaza comme « apocalyptique », les directeurs de 15 organisations et consortiums humanitaires et des Nations Unies ont renouvelé leur appel à toutes les parties qui se battent à Gaza pour protéger les civils, ont demandé à l'État d'Israël de « cesser son assaut sur Gaza et sur les humanitaires qui tentent de l'aider ». Constatant que l'aide de base et les fournitures vitales ont été refusées alors que les bombardements et autres attaques se poursuivent, les chefs d'État et de gouvernement ont souligné que « le mépris flagrant de l'humanité fondamentale et des lois de la guerre doit cesser », que les attaques contre les civils et les infrastructures civiles restantes doivent cesser, que l'aide humanitaire doit être facilitée et que les biens commerciaux doivent être autorisés à entrer dans la bande de Gaza.
Les réfugié·es du nord affluent dans la ville de Gaza
Les civil·es qui se résignent à quitter le nord de Gaza arrivent dans la ville de Gaza et s'installent dans des camps de réfugiés nouvellement créés. Ces camps débordent cependant déjà, et il n'y a plus de tentes pour les nouveaux·lles arrivant·es.
« Plus de 350 familles sont arrivées du nord et il n'y a pas assez de tentes pour les accueillir. » explique Muhammad Saada, directeur adjoint du centre de déplacement. Le camp a été établi par plusieurs initiatives caritatives mais n'est pas suffisamment approvisionné, et devient rapidement invivable alors que des familles cherchant un abri continuent d'affluer.
Les réfugié·es du nord de Gaza décrivent les scènes d'horreur qu'ils et elles ont vécu, et de nombreux témoignages dénoncent des traitements inhumains de la part de l'armée israélienne sur les routes pourtant désignées par celle-ci comme « sûres » pour évacuer.
« Une femme atteinte d'un cancer se tenait sur le bord de la route, accompagnée de quatre enfants », raconte Jinan Suleiman, 18 an, qui vient d'arriver dans la ville de Gaza. « Elle en portait deux dans ses bras, et les deux autres étaient à terre, pleurant et criant de faim. Elle demandait de l'aide à tous ceux qui passaient près d'elle. Elle criait et disait : ‘J'ai un cancer, je ne peux pas porter mes enfants et mes sacs'. Elle voulait que quelqu'un·e prenne ses enfants, qui étaient couché·es sur le sol, mais moi, comme tous les autres, je suis passée à côté d'elle et je n'ai pas pu l'aider. (…) Les soldats nous guettaient, elles et ils tiraient sous nos pieds et nous empêchaient d'aider les autres ou de nous arrêter pour quelque raison que ce soit. »
« Sur le chemin, les blessé·es marchaient ensemble et saignaient ; ils tombaient au milieu de la route et personne ne les aidait », raconte une autre réfugiée. « Il y avait des enfants qui avaient perdu leur famille et d'autres qui s'étaient débarrassés de leur sac pour pouvoir continuer à marcher et survivre. L'armée nous a délibérément fait marcher sur une route accidentée afin de nous épuiser et de nous tuer en chemin ».
Les craintes de saisies de terres se concrétisent
Mardi 5 novembre, un porte-parole de l'armée israélienne, Yitzhak Cohen, a déclaré lors d'un point de presse que l'armée était sur le point de procéder à l'« évacuation » complète de la population du nord de Gaza, et a affirmé que les résidents palestiniens du nord ne seront pas autorisés à retourner chez eux. Cette déclaration marque la première admission officielle par Israël de son intention d'expulser définitivement les Palestiniens du nord de la bande de Gaza.
La semaine dernière, l'armée israélienne avait pourtant déclaré qu'elle avait mis fin à la plupart de ses « opérations » dans le nord de Gaza et qu'elle mettrait bientôt fin à son offensive dans cette région. La dernière annonce de Yitzhak Cohen vient donc renforcer les craintes qu'Israël ambitionne de se saisir des terres du nord de Gaza en appliquant le « Plan des Généraux », une proposition d'un groupe de généraux israéliens de haut rang qui vise à vider Gaza de sa population par une campagne systématique de famine, de massacres et de déplacements forcés.
« Ils veulent détruire le nord », explique Umm Omar Salman, une enseignante qui a fui sa maison pour se réfugier à Gaza. « Surtout la zone frontalière, Beit Lahia. C'est de là que nous venons. Nous avons tenu bon jusqu'au dernier moment, lorsque nous avons découvert des dizaines de chars entourant les abris de l'école. Les soldats nous ont fait sortir de force. »
Gaza invivable
Dans un rapport, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) alerte des dangers que constitue l'environnement même de Gaza suite aux bombardements continus d'Israël depuis plus d'un an. La dernière analyse du Centre satellitaire de l'ONU (UNOSAT), réalisée au début du mois de septembre, a montré que plus de 65 % de toutes les structures de Gaza avaient été soit endommagées, soit détruites.
Des milliers de civil·es continuent d'être contraint·es de se déplacer à plusieurs reprises, de survivre au milieu des décombres et de s'abriter dans des endroits peu sûrs, y compris dans des bâtiments endommagés ou détruits. Outre les risques liés aux bombardements israéliens incessants, à la famine et aux épidémies, les Palestinien·nes évoluent dans des zones dangereuses et instables, où de nombreux restes explosifs sont enfouis dans les sols et les décombres.
Le service d'action contre les mines de l'ONU (UNMAS) rappelle que la contamination par les restes explosifs de guerre est susceptible de se produire à la fois en surface et sous la surface, impliquant non seulement des munitions de service terrestres (projectiles, mortiers, roquettes, missiles, grenades et mines terrestres), mais aussi des bombes profondément enfouies. L'UNMAS alerte aussi que les difficulté d'accès ne permettent pas à leurs équipes d'évaluer pleinement l'étendue des risques et de les prévenir.
Le PNUD alerte aussi que l'amiante hautement cancérigène libérée dans l'air en raison de la destruction généralisée des infrastructures, ainsi que d'autres contaminants, continueront d'affecter les communautés de Gaza pendant longtemps.

Benjamin Netanyahu cherche à provoquer une fragmentation du Moyen-Orient

Depuis son retour au pouvoir, Benjamin Netanyahu s'inscrit dans une continuité stratégique : celle de la fragmentation de ses voisins pour renforcer la sécurité d'Israël.
Tiré de MondAfrique.
Une vision qui s'inspire des recommandations du rapport A Clean Break : A New Strategy for Securing the Realm, publié en 1996 par des stratèges néoconservateurs américains. Ce document suggérait de remodeler le Moyen-Orient en exacerbant les divisions internes de ses États, une approche que Netanyahu semble avoir adoptée avec constance.
Une doctrine au service de la puissance israélienne
Le rapport A Clean Break préconisait de rompre avec les processus de paix traditionnels et d'utiliser la puissance militaire et politique pour affaiblir les adversaires d'Israël. Cette doctrine repose sur deux piliers principaux :
– Rejeter les compromis territoriaux, notamment le principe de « la terre contre la paix » inscrit dans les accords d'Oslo.
– Exploiter les divisions internes des adversaires pour maintenir un avantage stratégique.
Cette logique se reflète dans plusieurs initiatives israéliennes, notamment le soutien à l'indépendance kurde, qui vise à fragmenter des États comme l'Irak, la Syrie ou l'Iran. Autre exemple : la division entre le Hamas et le Fatah, qui affaiblit les Palestiniens en rendant plus difficile toute forme d'unité nationale.
Une stratégie qui fragmente le Moyen-Orient
Depuis deux décennies, cette approche a eu des répercussions majeures sur les équilibres régionaux :
– En Irak, l'éviction de Saddam Hussein en 2003, bien que menée par les États-Unis, a laissé un pays fracturé entre tensions sectaires et ingérences étrangères.
– En Syrie, les frappes israéliennes ciblées contre les infrastructures militaires et les soutiens indirects à certains groupes d'opposition affaiblissent le régime de Bachar Al-Assad.
– Au Liban, les actions israéliennes contre le Hezbollah, combinées à la crise économique, contribuent à fragiliser un État déjà en grande difficulté.
Ces interventions, bien qu'efficaces à court terme pour limiter les menaces immédiates, alimentent un cycle d'instabilité dans la région.
Un risque d'effet domino
Cette politique de fragmentation pourrait cependant produire des effets inverses :
1- L'instabilité pourrait s'étendre à des puissances régionales telles que l'Iran ou l'Arabie saoudite. La diversité ethnique en Iran ou les fractures religieuses en Arabie saoudite pourraient devenir des points de tension exploités par des acteurs externes.
2- Des risques pour les intérêts américains : La fragmentation des États du Moyen-Orient risque d'affaiblir les alliances des États-Unis et de créer des vides de pouvoir où prospèrent les groupes extrémistes.
Un paradoxe face aux Accords d'Abraham
La stratégie de Netanyahu entre en contradiction avec les dynamiques de normalisation portées par les Accords d'Abraham, signés en 2020, qui visent une intégration régionale autour de la coopération économique et politique. Cette tension se manifeste particulièrement dans les relations avec l'Arabie saoudite :
– La priorité saoudienne à la stabilité régionale s'oppose aux actions israéliennes au Liban ou en Syrie, qui amplifient les crises.
– La question palestinienne demeure un point central : Riyad exige des avancées concrètes pour envisager une normalisation avec Israël, une exigence incompatible avec la doctrine de fragmentation.
Une vision stratégique aux limites évidentes
Si la doctrine de Netanyahu a permis de contenir des menaces à court terme, elle repose sur une vision à court terme de la sécurité régionale. L'instabilité qu'elle alimente pourrait renforcer des groupes extrémistes et éloigner Israël de partenaires potentiels.
Alors que le Moyen-Orient évolue vers une interconnexion accrue, portée par des initiatives comme les Accords d'Abraham ou la Vision 2030 de l'Arabie saoudite, la persistance d'une stratégie de rupture pourrait isoler Israël. La quête de sécurité pourrait alors se transformer en un pari risqué, où l'instabilité finit par affecter tous les acteurs, y compris ceux qui la provoquent.
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Tourmente à la CPI : les craintes d’ingérence d’Israël et des États-Unis augmentent

Le retard dans la délivrance des mandats d'arrêt de la CPI à l'encontre de Benjamin Netanyahou et de Yoav Gallant, suivi du remplacement du juge président, a fait naître de sérieuses inquiétudes quant au fonctionnement de la Cour et à d'éventuelles machinations en coulisses.
Tiré d'Agence médias Palestine.
Le 20 mai 2024, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan, a demandé à la CPI de délivrer des mandats d'arrêt contre les dirigeants israéliens Benjamin Netanyahu et Yoav Gallant pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité, y compris l'extermination.
Dans la même déclaration, il a lancé un avertissement extraordinaire : « J'insiste pour que cessent immédiatement toutes les tentatives d'entrave, d'intimidation ou d'influence indue sur les fonctionnaires de cette Cour. Mon Bureau n'hésitera pas à agir en vertu de l'article 70 du Statut de Rome si de tels agissements se poursuivent ».
Le Procureur n'a pas précisé la source des menaces contre les fonctionnaires de la CPI.
Conformément à ses procédures établies, la Cour a ensuite confié l'affaire à une chambre préliminaire composée de trois juges et présidée par la juge Iulia Motoc.
Huit jours seulement après l'annonce par le procureur des demandes de mandats et de son avertissement concernant l'intimidation des fonctionnaires de la Cour, le Guardian et +972 Magazine ont publié un exposé révélant une décennie d'interférences, de pressions et de menaces de la part de célèbres agences de renseignement israéliennes à l'encontre du personnel de la Cour pénale internationale afin de faire dérailler les enquêtes sur les crimes israéliens.
Mais à ce moment-là, la Cour est restée silencieuse sur le dossier de la Palestine – un silence qui durera cinq mois. Les observateurs de la Cour ne pouvaient que s'interroger et s'inquiéter de ce retard sans précédent dans l'émission des mandats.
Et puis, comme s'il fallait s'y attendre, au début du mois d'octobre, des publications pro-israéliennes ont commencé à faire circuler des allégations anonymes accusant le Procureur de la CPI d'avoir harcelé une employée de la Cour.
Quelques jours plus tard, le 20 octobre 2024, la CPI a annoncé que M. Motoc, le juge président de la chambre préliminaire de trois juges chargée de décider s'il y a lieu d'émettre des mandats d'arrêt à l'encontre du Premier ministre et du ministre de la Défense d'Israël, avait soudainement démissionné.
Invoquant des « raisons de santé » non précisées, la Cour n'a pas fourni d'autres informations. M. Motoc a été remplacé par la juge slovène Beti Hohler, tandis que le juge français Nicolas Guillou préside désormais la chambre.
En temps normal, ces développements pourraient être à peine remarqués. Mais ce ne sont pas des temps ordinaires, et ce n'est pas une affaire ordinaire.
Israël, un État qui a bénéficié pendant 75 ans d'une impunité soutenue par l'Occident, est enfin, semble-t-il, appelé à rendre compte de ses crimes. Déjà poursuivis pour génocide devant la Cour internationale de justice (CIJ) et faisant l'objet d'une série d'ordonnances provisoires, les dirigeants israéliens ont reçu en mai un avis de l'autre côté de la ville, à La Haye, leur indiquant que le filet continuait à se resserrer.
La demande de mandat d'arrêt présentée en mai par le procureur de la CPI à l'encontre de Benjamin Netanyahu et Yoav Gallant a suscité une réaction prévisible de la part d'Israël, qui a lancé des récriminations furieuses, des invectives et les tactiques habituelles de diffamation à l'encontre de la Cour.
Ses alliés occidentaux se sont immédiatement joints à lui pour attaquer la requête du procureur, les responsables américain-es allant même jusqu'à menacer la Cour elle-même.
Aujourd'hui, le retard dans l'émission des mandats, suivi de l'annonce du remplacement du juge président, a soulevé de sérieuses inquiétudes quant au fonctionnement de la Cour et à d'éventuelles machinations en coulisses.
Interférences et retards
Le fait que ce retard de cinq mois survienne alors que la première enquête préliminaire sur les crimes d'Israël en Palestine a été ouverte il y a près de dix ans n'a fait qu'exacerber ces craintes.
À titre de comparaison, la CPI a répondu en trois semaines à une demande de mandat d'arrêt à l'encontre du président russe Vladimir Poutine. Dans ses autres affaires, la Cour a mis en moyenne huit semaines pour délivrer des mandats.
L'arrivée de ces derniers développements, qui fait suite à la révélation d'années de menaces et de harcèlement de juges et de fonctionnaires de la Cour par des agent-es des services de renseignement israéliens et des fonctionnaires de gouvernements occidentaux, a mis les partisan-es de la Cour et les opposant-es à l'impunité d'Israël en état d'alerte maximale.
Dans un cas, le chef du Mossad lui-même a menacé l'ancien procureur de la CPI, Fatou Bensouda, et sa famille. (À son crédit, Fatou Bensouda a résisté aux attaques et, avec un courage et des principes exemplaires, a ouvert une enquête sur les crimes israéliens).
Le changement de juge dans cette affaire devrait encore prolonger la décision sur les mandats d'arrêt dans un processus déjà excessivement retardé. Les retards sans précédent (et maintenant encore plus importants) ont soulevé des questions quant à l'existence de facteurs « en coulisses ».
Mais Israël n'est pas le seul État à interférer avec les travaux de la CPI. Agissant au nom d'Israël, les législateur-ices américain-es, le département d'État et les responsables du Conseil national de sécurité des États-Unis ont uni leurs forces pour faire pression, menacer et tenter de faire dérailler les poursuites engagées contre les responsables israéliens, menaçant même de prendre des sanctions contre la Cour.
Risques fondamentaux
Bien qu'il soit impossible de savoir comment ces juges vont finalement statuer, et qu'il n'y ait rien dans le dossier public qui puisse remettre en question leur intégrité judiciaire, les changements dans la composition de la chambre pourraient également avoir d'importantes implications sur le fond.
Par exemple, la nouvelle juge Hohler a publié un article en 2015 (bien avant de rejoindre la CPI) dans lequel elle suggère que la complémentarité peut empêcher l'examen d'Israël parce que « Israël en général a un système juridique qui fonctionne bien et qui est dirigé par une Cour suprême respectée ».
Si l'on fait abstraction de la vaste critique internationale de la Cour suprême israélienne (déjà évidente en 2015) pour son long passé d'approbation des politiques d'apartheid et des crimes d'État contre les Palestiniens, et pour son long passé de tolérance des crimes de guerre israéliens, il est depuis devenu clair qu'Israël n'a aucune intention d'enquêter ou de poursuivre Netanyahou ou Gallant pour les crimes allégués dans la demande de mandats d'arrêt du Procureur de la CPI.
Nous devons espérer que la juge Hohler réalisera maintenant que toute objection de complémentarité (c'est-à-dire qu'Israël enquêtera sur lui-même) est sans fondement, comme l'a déjà constaté la CIJ. Mais l'évaluation profondément déformée qu'elle a faite précédemment du système judiciaire israélien est néanmoins préoccupante.
Dans le même article, la juge Hohler laissait entendre que des considérations politiques externes pouvaient influencer les décisions de la Cour, car « la CPI dépend fortement du soutien de ses États parties, y compris pour tout type d'exécution et pour garantir la présence des auteurs présumés à La Haye ».
Bien que cela puisse être vrai, et que de nombreuses parties au statut (de Rome) de la CPI soient des alliées occidentales d'Israël, les préoccupations relatives à la mise en œuvre ne devraient pas jouer de rôle dans les décisions des juges sur le fond.
Pour sa part, le nouveau juge président français, M. Guillou, est arrivé à la Cour avec un profil « antiterroriste » très marqué. Il a été chef de cabinet du président du Tribunal spécial pour le Liban, qui a condamné un membre du Hezbollah pour l'assassinat de Rafik Harri en 2005, et ancien agent de liaison auprès du ministère américain de la justice, où il a travaillé avec les États-Unis (entre autres) sur des poursuites antiterroristes au plus fort de la « guerre contre le terrorisme » américaine, qui a donné lieu à de nombreux abus.
Le juge Guillou a également (avant de rejoindre la Cour) plaidé publiquement en faveur de la poursuite du « terrorisme » non étatique devant les tribunaux internationaux (ce qui ne s'est jamais produit que dans le cadre du Tribunal pour le Liban, où il a siégé), malgré l'absence de définition du terrorisme dans le droit international et malgré les objections des défenseurs des droits de l'homme et d'autres personnes préoccupées par l'effet juridique corrosif de la « guerre contre la terreur » en matière pénale et dans les situations de conflit armé.
Rien de tout cela ne prouve l'existence d'irrégularités dans le changement de composition de la chambre, ni ne suggère l'existence d'un quelconque manquement à l'éthique de la part des juges. Mais le droit n'est pas non plus une machine dans laquelle les décisions sont prises sur la base d'une application neutre de la loi aux faits. Les opinions, les expériences, les prédispositions et les biais des juges comptent. Quiconque cherche à influencer la Cour le sait.
Et ce fait ne tient même pas compte de l'influence corruptrice des menaces israéliennes et des campagnes de pression américaines contre le personnel de la CPI.
Les défenseurs des droits de l'homme se souviennent bien de la campagne de pression similaire lancée par Israël contre le juge Richard Goldstone, qui dirigeait la Mission d'établissement des faits de l'ONU sur Gaza en 2009, et qui a contraint Goldstone à se rétracter sur les conclusions de la Mission, détruisant ainsi sa réputation dans les cercles juridiques internationaux et les cercles des droits de l'homme, après une carrière juridique de plusieurs décennies et riche en rebondissements.
Accusations infondées contre le procureur
Pour ajouter aux inquiétudes concernant les attaques contre l'indépendance de la Cour, en octobre, un compte X anonyme et peu suivi a tweeté des allégations non fondées de tiers, selon lesquelles le procureur de la CPI, Karim Khan, avait harcelé une employée de la Cour.
D'une manière ou d'une autre, le Daily Mail, un tabloïd anglais de droite pro-israélien (qui est devenu célèbre pour avoir publié de la désinformation israélienne et qui a été banni par la Wikipedia anglaise en raison de son manque de fiabilité et de ses fabrications) a trouvé ce petit compte X et a reproduit les allégations. À partir de là, l'histoire a été reprise par des sites d'information pro-israéliens dans tout l'Occident.
Bien qu'il soit impossible de savoir si ces allégations sont fondées, M. Khan les a démenties et a déclaré qu'elles faisaient partie de la campagne de menaces et de harcèlement dont lui et la Cour font l'objet en raison de leur travail.
Pour sa part, la victime présumée n'a pas déposé de plainte, et ni elle ni le mécanisme de contrôle indépendant (MCI) de la Cour n'ont jugé opportun d'ouvrir une enquête ou de porter des accusations.
Ce qui est clair, cependant, c'est que cette accusation anonyme a rapidement alimenté une campagne de délégitimation contre le Procureur et, par extension, contre la CPI.
Les médias pro-israéliens et les groupes mandataires, voyant la valeur de propagande de lier les allégations à l'affaire contre Netanyahu et Gallant, les ont rapportées avec des titres tels que « Le procureur pour les crimes de guerre qui a inculpé Netanyahu est accusé de harcèlement sexuel », dans une tentative évidente de discréditer les accusations portées contre les accusés israéliens.
Piraterie à La Haye
Ce que nous savons, c'est que (1) la Cour, par crainte ou par faveur, a longtemps été réticente à faire avancer les affaires contre les Israéliens, (2) les agences de renseignement israéliennes et occidentales et les acteurs gouvernementaux ont travaillé pour faire pression sur les juges et les fonctionnaires de la CPI, et (3) les retards dans le dossier de la Palestine sont déjà sans précédent.
Sachant cela, nous devons au moins poser trois questions :
Premièrement, si les « raisons de santé » du juge Motoc étaient dues à quelque chose de plus sinistre ou si elles en étaient la couverture.
Deuxièmement, si les nominations de remplacement qui ont suivi ont été influencées par les positions de fond des juges, présumées ou réelles.
Et troisièmement, si les changements ont été conçus pour justifier de nouveaux retards dans les procédures, profitant ainsi aux accusés israéliens et offrant plus de temps pour des manipulations en coulisses.
Sauf nouvelles fuites ou révélations de la part de la CPI, nous ne connaîtrons peut-être pas la réponse à ces questions avant le coup de marteau, si tant est qu'il y en ait un.
Mais sachant que les retards judiciaires continuent d'augmenter alors même que l'extermination en Palestine se poursuit sans relâche, et sachant que des acteurs néfastes ont pris la Cour pour cible afin d'entraver la justice, la vigilance du public est impérative.
La CPI et celles ou ceux qui cherchent à la corrompre doivent savoir que le monde les observe.
Risque pour la réputation
En effet, la réputation de la CPI, de ses juges et de son procureur actuel est déjà sérieusement entamée, non seulement en raison d'une décennie de retards dans le dossier palestinien, mais aussi en raison d'un déséquilibre dramatique dans son action à l'échelle mondiale.
La Cour s'est presque entièrement concentrée sur le Sud et sur les adversaires présumés de l'Occident. À ce jour, les auteur-es de crimes commis par Israël et tous les autres pays occidentaux jouissent d'une impunité totale sous le statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI).
Pour les États du Sud et les défenseurs de la justice dans le monde, la CPI est de plus en plus suspecte. L'échec de la justice dans l'affaire en cours, toute perception de partialité en faveur d'Israël, toute concession aux pressions américaines ou aux sponsors occidentaux de la Cour, représenteront presque certainement le début de la fin de la CPI.
Poursuivre les délits contre l'administration de la justice
Mais Israël et les États-Unis devraient en prendre bonne note. Le risque auquel ils sont confrontés va au-delà du simple risque de réputation. Le type d'ingérence dans lequel ils ont été impliqués constitue non seulement un outrage moral, mais aussi une violation du droit international.
Et certains des actes révélés pourraient faire l'objet de poursuites pénales de la part de la Cour elle-même.
L'article 70 du statut de Rome de la CPI codifie les crimes contre l'administration de la justice et, surtout, confère à la Cour la compétence de poursuivre ces crimes.
Il s'agit notamment d'« entraver, intimider ou influencer par la corruption un fonctionnaire de la Cour dans le but de le contraindre ou de le persuader de ne pas s'acquitter, ou de s'acquitter indûment, de ses fonctions », et de « prendre des mesures de rétorsion à l'encontre d'un fonctionnaire de la Cour en raison des fonctions exercées par ce fonctionnaire ou par un autre fonctionnaire » (entre autres infractions).
Les personnes reconnues coupables de ces infractions peuvent être emprisonnées par la CPI pour une durée maximale de cinq ans.
En outre, chaque État partie au statut de Rome serait légalement tenu de traduire en justice ces infractions si elles sont commises par ses ressortissant-es ou sur son territoire. Si les États-Unis et Israël ne sont pas parties à la CPI, la plupart de leurs alliés occidentaux les plus proches le sont et seraient contraints de coopérer.
De plus, les Pays-Bas, où se trouve la CPI, sont tenus, en vertu d'un accord de pays hôte avec la Cour, d'assurer la sûreté et la sécurité du personnel de la Cour et de protéger la CPI contre toute ingérence.
D'ailleurs, les procureur-es néerlandais-es envisagent actuellement d'intenter une action en justice contre de haut-es responsables des services de renseignement israéliens pour les pressions et les menaces exercées sur les fonctionnaires de la CPI dans le cadre des affaires concernant la Palestine.
Dernière chance pour la justice
Les risques qui pèsent sur la CPI sont réels.
Israël et les États-Unis ont démontré qu'ils ne respectaient pas l'État de droit et qu'ils n'hésitaient pas à menacer ou à corrompre la Cour.
Et la CPI elle-même a un long chemin à parcourir pour prouver au monde qu'elle est engagée dans le rôle de justice universelle qui lui a été confié, plutôt que de servir de simple bras sélectif de la puissance occidentale.
Mais la solidité du dossier contre Netanyahu, Gallant et d'autres dirigeants israéliens, dans le cadre du premier génocide au monde retransmis en direct, et sous les feux d'une attention publique sans précédent, donne des raisons d'espérer.
Aujourd'hui, Israël est en procès, ses dirigeants sont en procès, et le système de justice internationale lui-même est en procès.
Des acteur-ices malveillant-es s'emploient, publiquement et dans l'ombre, à entraver le cours de la justice.
Si nous voulons que la justice soit rendue, nous devons faire preuve de vigilance.
Craig Mokhiber est un avocat international spécialisé dans les droits de l'homme et un ancien haut fonctionnaire des Nations unies. Il a quitté l'ONU en octobre 2023, après avoir rédigé une lettre ouverte qui mettait en garde contre un génocide à Gaza, critiquait la réaction internationale et appelait à une nouvelle approche de la Palestine et d'Israël fondée sur l'égalité, les droits de l'homme et le droit international.
Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine
Source : Mondoweiss
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Un commandant israélien confirme le nettoyage ethnique dans le nord de Gaza : « Pas de retour possible »

Le commandant Itzik Cohen, qui dirige la division 162 opérant dans le nord de la bande de Gaza, a déclaré aux journalistes que ses ordres étaient clairs : « Personne ne retournera dans la partie nord… Ma tâche est de créer un nettoyage ethnique dans la région. Ma tâche consiste à nettoyer la zone ».
Tiré de Agence médias Palestine.
Le commandant de la division Itzik Cohen, qui dirige la division 162 opérant dans le nord de la bande de Gaza, a déclaré aux journalistes, selon Haaretz, que ses ordres étaient clairs : « Personne ne retournera dans la partie nord… Nous avons reçu des ordres très clairs. Ma tâche consiste à nettoyer la zone ».
Cette déclaration intervient alors que des informations de plus en plus nombreuses font état d'un nettoyage ethnique dans le nord de la bande de Gaza. Les rapports indiquent qu'Israël a forcé le déplacement de presque tous et toutes les habitant-es de zones comme Jabalia, Beit Hanoun et Beit Lahiya.
Les évacuations forcées, réalisées par une série de bombardements aériens, la famine et la destruction des infrastructures civiles, ont laissé des dizaines de milliers de personnes sans maison ou sans accès aux produits de première nécessité.
Déplacement systématique
Selon le rapport, Israël a délibérément pris pour cible des bâtiments résidentiels, des écoles et des abris où les Palestiniens déplacés cherchaient refuge.
Ces destructions ont provoqué un exode massif de civil-es du nord de la bande de Gaza, l'armée israélienne ayant clairement fait savoir qu'aucun-e habitant-e ne pourrait y retourner. Ces actions s'inscrivent dans une stratégie préméditée de nettoyage ethnique dans le cadre du « plan des généraux ».
Le général de brigade Elad Goren, responsable du soi-disant « effort humanitaire “ à Gaza, a encore exacerbé ces préoccupations en déclarant que les personnes restées à Jabalia avaient « suffisamment d'aide » grâce aux livraisons passées, tout en prétendant que Beit Hanoun et Beit Lahiya étaient désormais dépourvues d'habitant-es.
Ses remarques suggèrent une approche calculée pour affamer et déplacer les civil-es, contredisant directement les affirmations d'efforts humanitaires.
L'armée israélienne a nié à plusieurs reprises avoir adopté le « plan des généraux », qui prévoit l'évacuation de centaines de milliers de Palestiniens de la ville de Gaza et de ses environs sous la famine et les bombardements.
La semaine dernière, l'administration Biden a décidé de maintenir son aide militaire à Israël, malgré les preuves de plus en plus nombreuses de la campagne d'affamement systématique menée par Israël contre Gaza, affirmant qu'Israël n'avait pas enfreint les lois américaines sur le blocage des fournitures d'aide.
Plus tôt dans la journée, le ministère israélien de la défense a confirmé qu'il n'avait pas l'intention, dans l'immédiat, d'envoyer de l'aide à la bande de Gaza assiégée.
Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine
Source : Quds News Network
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Les violences masculines en question Violences, une affaire d’hommes ?

Tiré de NPA 29
50 000 féminicides par an sur la planète, 736 millions de femmes victimes de violences physiques ou sexuelles par leur conjoint ou un autre homme, le plus souvent un proche : coups, blessures, maltraitances, tentatives de viol, viols, meurtres… 58% des meurtres de femmes ont été commis par leur partenaire ou un membre de leur famille. En 2020, année où la pandémie du Covid 19 a favorisé une explosion des violences domestiques, 137 000 femmes ont été tuées (1). L'équivalent de villes comme Limoges, Amiens ou Clermont-Ferrand, qu'on aurait rayées de la carte en décimant la totalité de la population.
La prévalence des violences masculines contre les femmes est avérée partout dans le monde, sous toutes les latitudes, dans toutes les régions, toutes les classes sociales, toutes les cultures, quel que soit le contexte géopolitique dans lequel elle s'opère. Il s'agit d'un problème global et systémique qui ne peut être résolu sans une remise en question radicale du modèle patriarcal de nos sociétés, et sans une action collective qui implique les Etats, les institutions, les organisations de la société civile et les individus.
Vaste programme. Pourtant, la prolifération des guerres et des conflits aux quatre coins du globe, la généralisation des violences sexospécifiques subies par les femmes et les filles, en zone de conflits comme en temps de paix, appellent à prendre conscience de l'urgence. Car ce phénomène de discriminations d'un sexe par l'autre, de domination par la force et de subordination systémique d'une moitié de l'humanité, met en danger la société humaine tout entière.
Des violences physiques
« Le féminicide est, selon moi, l'exécution d'une femme parce qu'elle est une femme » explique l'historienne Christelle Taraud qui a dirigé Féminicides. Une histoire mondiale, l'ouvrage magistral pour lequel elle a réuni une équipe multidisciplinaire de plus de 130 expert.es et chercheur.es. Elle poursuit : « Le féminicide n'est jamais un acte spontané, il y a une très longue histoire de violence avant l'acmé de cette violence, qui est la destruction physique de la personne ».
A ce jour, le féminicide, crime systémique et sexiste n'est pas encore reconnu comme tel dans le Code pénal français.
L'éventail est large des violences physiques et sexuelles qui mènent au meurtre dans le continuum féminicidaire, cette « machine de guerre dirigée contre les femmes ». De la gifle au sur-meurtre (déchaînement de violences ante ou post mortem du meurtrier à l'égard de sa victime), on trouve de multiples déclinaisons. Observons en quelques unes.
Les mutilations génitales féminines sont présentées comme « culturelles » ou « cultuelles », alors qu'aucune religion n'a jamais prescrit aucune mutilation sexuelle de cette sorte. Le mariage forcé et les grossesses précoces favorisent les violences masculines dans un rapport de domination mentale et physique, a fortiori le mariage de petites filles à des hommes adultes.
La traite humaine en vue d'esclavage ou de prostitution concerne en grande majorité des femmes, lesquelles représentent 72% des victimes : elles sont les premières proies des trafiquants qui surveillent les routes de l'exil et de la migration où les femmes se jettent pour fuir la guerre, la pauvreté ou la désertification et le réchauffement climatique. Le viol de guerre est soit le fait d'individus s'appropriant le corps des femmes comme leur butin, soit le fait de chefs militaires ou de bandes armées qui décident de l'utiliser comme arme de guerre, pour humilier le peuple ennemi, engrosser les femmes, afin de le coloniser démographiquement, ou au contraire détruire leur appareil génital pour empêcher qu'il se reproduise et se perpétue. Le corps des femmes devient là encore le champ de bataille de guerriers, le champ des violences masculines.
L‘impact de ces violences physiques est énorme. Les victimes sont davantage susceptibles de souffrir de problèmes de santé chroniques, de douleurs : troubles gastro-intestinaux, troubles du sommeil, troubles de stress post-traumatique, problèmes de santé sexuelle et reproductive, grossesses non désirées, avortements clandestins, complications pendant la grossesse, etc.
Il existe tout un arsenal d'autres violences : psychologiques, économiques, institutionnelles.
Il n'y a pas que les violences physiques. Au-delà des coups, des viols ou des meurtres, il existe tout un arsenal de violences moins visibles mais qui font des dégâts considérables à long terme sur la vie des femmes et des filles.
Ce sont les violences psychologiques. Intimidations, manipulations, surveillance, menaces, humiliations, emprise, ou contrôle coercitif, minent durablement la santé émotionnelle et mentale et conduisent à la perte de confiance en soi, à la dépression, à l'isolement social, voire parfois au suicide.
Ce sont les violences économiques. Selon la Banque mondiale 2,4 milliards de femmes en âge de travailler ne bénéficient pas des mêmes droits économiques que les hommes. Outre les inégalités salariales constantes à des degrés divers dans l'ensemble des pays, les femmes victimes de violences sont souvent contrôlées par leur conjoint dans leur gestion de l'argent, quand elles ne sont pas carrément privées de leurs ressources. Par ailleurs, on sait que les femmes les plus pauvres ont deux à trois fois plus de risques de subir des violences physiques de leur conjoint.
Ce sont enfin les violences institutionnelles, les institutions n'étant pas décorrélées du système patriarcal qui les érige, et qu'elles nourrissent à leur tour. Deux milliards de femmes et de filles dans le monde n'ont ainsi accès à aucune forme de protection sociale, indique ONU Femmes. Elles font globalement face à une absence de protection et de justice dans les systèmes juridiques, médicaux et éducatifs. Elles représentent les deux tiers des personnes analphabètes et les filles ont un accès beaucoup moindre à la scolarité que les garçons.
Elles forment la moitié de la main d'œuvre agricole tout en produisent 60 à 80% de l'alimentation dans les pays en développement, mais sont moins de 15% des propriétaires des terres agricoles, car elles ne bénéficient pas du même accès que les hommes aux ressources productives et aux prêts bancaires. Quant à l'accès aux autorités de police et de justice, les violences conjugales restent très souvent minimisées si elles ne sont pas totalement ignorées, car considérées du domaine privé, dans de nombreux Etats.
Mieux vivre ensemble
Y a -t-il une place pour le droit face à cet océan d'injustices et de malheurs, qui repose sur la force du dominant socio-économique, sur les inégalités entre les sexes, sur des normes patriarcales, une culture du viol, une banalisation de la violence intériorisées par l'humanité dans son ensemble ?
Oui, envers et contre tout, si on regarde l'histoire.
Les législations ont globalement progressé dans la plupart des pays et les instruments de justice au plan national et international s'y sont adaptés.
Pour tous les Etats, le droit de vote des femmes est acquis, depuis les Néo Zélandaises en 1893 jusqu'aux Saoudiennes en 2015, sauf au Vatican qui commence toutefois à s'interroger. Une majorité des Etats a mis en place des mesures de protection et de pénalisation des violences contre les femmes, à l'instar de l'Espagne, pionnière en la matière avec sa loi-cadre de protection intégrale contre les violences conjugales votée en 2004 et complétée en 2017, ou le Mexique, pays gangréné par la violence maffieuse et les féminicides, qui a adhéré à de nombreux traités internationaux, a adopté des lois et a mis en œuvre des politiques publiques contre les violences faites aux femmes.
Toujours au niveau international, ONU femmes, entité dédiée spécifiquement, créée en 2010, pour mettre l'égalité femmes/hommes parmi les priorités des Etats, a poussé à l'adoption de nombreuses décisions et réalisé régulièrement des campagnes de sensibilisation contre ces violences.
Plus près de nous, l'Union Européenne (UE) a elle-même ratifié en juin 2023 la Convention d'Istanbul, précisément « Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique », le traité international le plus abouti en la matière, et a ainsi rejoint les 37 Etats l'ayant déjà adoptée, c'est-à-dire qui ont accepté de rendre des comptes pour sa mise en œuvre sur leur territoire. C'est une étape considérable, même si comme toujours les lois existent mais leur application concrète est plus difficile.
Aux efforts des autorités nationales et multilatérales s'ajoute la mobilisation des mouvements féministes et activistes voire leur pression sur les politiques.
Leur force est cruciale et se propage toujours largement au-delà des frontières nationales qui l'ont vu naître : du mouvement des Suffragettes dans les premières années du 20ème siècle pour le droit à la citoyenneté et au vote des Européennes, au mouvement #metoo parti des Etats-Unis puis autour du globe via le cinéma contre les violences sexistes et sexuelles, en passant par le collectif argentin « Ni una menos » ( pas une de moins) en 2015 et 2016 contre les féminicides qui s'est propagé dans toute l'Amérique latine en Uruguay, au Pérou, au Chili, et au-delà en Espagne. Les mouvements féministes et citoyens ont su réveiller les consciences et contribuer à la mise en place de politiques publiques ambitieuses pour contrer ces violences masculines.
La force de cette société civile citoyenne, féministe, peut devenir une dynamique puissante, irrépressible. Si elle est capable de rallier autant d'hommes que de femmes aux valeurs humanistes d'égalité et de justice qu'elle porte, alors elle sera capable d'éradiquer le fléau des violences liées à une certaine idée de la masculinité. Et de changer le monde. Chiche ?
Jocelyne Adriant-Metboul 50-50 Magazine
1 Sources : Organisation des Nations Unies (ONU, ONU Femmes), Organisation Mondiale de la Santé (OMS), Banque mondiale, OCDE, ONG humanitaires, « Le féminicide, une histoire mondiale » de Christelle Taraud.
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Quelles modalités de fonctionnement ont été favorisées dans les débats sur les statuts ?

Le dernier congrès de Québec visait une réforme majeure des statuts. Le cahier synthèse qui présentait les propositions et les amendements des associations aux instances de Québec solidaire couvrait plus de 80 pages.
Deux journées très chargées d'un congrès tenu par vidéoconférence et qui a été un véritable marathon de votes. Les pouvoirs, la composition, et les modes d'élection des différentes instances de direction (congrès, Conseil national, Comité de coordination nationale), le mode d'élection des porte-paroles et leurs mandats, la parité des investitures, l'utilisation de référendums internes, les pouvoirs des associations locales, les structures à mettre en place dans les régions, les instances de mobilisation sectorielles à mettre en place, l'organisation de la formation, la place des collectifs politiques existant dans le parti, voilà l'ensemble des sujets qui ont débouché sur une redéfinition du mode de fonctionnement de Québec solidaire. Sans compter que ce congrès devait élire sa nouvelle porte-parole femme en la personne de Ruba Ghazal, le tout dans un contexte où l'un de ses députés, Haroun Bouazzi, faisait face à une tempête médiatique suite à ses interventions sur la responsabilité de l'Assemblée nationale quant à la place définie pour les communautés racisées dans la société québécoise.
Dans cette multiplication des débats et des orientations, nous n'aborderons que les points qui nous semblent les plus essentiels afin de déterminer la logique sous-jacente aux choix faits par la majorité et quelles ont été les critiques développées par une minorité concernant ces choix.
Élection au suffrage universel des porte-paroles et de membres de la Coordination nationale
L'élection des porte-paroles du parti au suffrage universel des membres a été largement adoptée et inscrite dans les statuts du parti. Les arguments avancés visaient à démontrer que cela élargissait la démocratie au sein du parti, en appelant tous les membres de QS à voter pour leurs porte-paroles, et que cela favorisait également la mobilisation et l'implication dans des activités du parti.
La minorité analysait pour sa part que l'élection au suffrage universel diminuera l'importance de la démocratie délibérative en affaiblissant l'importance et la pertinence de la confrontation des idées. Les membres qui ne participeraient pas aux débats autour de ces élections n'auraient comme vision, pour guider leur choix, que la seule notoriété des candidats et des candidates.
La désignation d'un chef ou d'une cheffe au sens de la loi électorale
Depuis sa naissance, Québec solidaire a choisi pour des raisons démocratiques et féministes, d'écarter l'élection d'un chef ou d'une cheffe et d'élire à la place un porte-parole homme et une porte-parole femme. Il et elle avaient comme fonction non pas de s'instituer comme dirigeant-es du parti, mais de relayer les positions adoptées par les membres du parti. Mais le président des élections du Québec n'a jamais voulu reconnaître cette réalité et la course aux porte-paroles ne pouvait en conséquence être financée comme c'est le cas pour les courses à la chefferie dans les autres partis politiques. Le retour de l'élection d'un chef ou d'une cheffe répondait, pour la proposition majoritaire, à un pragmatisme de bon aloi affirmant que l'on pourrait ainsi bénéficier de fonds publics et que cela ne remettait pas véritablement en cause le fonctionnement avec des porte-paroles.
Pour la minorité, cette proposition, motivée par des raisons essentiellement économiques, aura des effets politiques évidents car elle constitue une rupture avec le mode de fonctionnement établi et défendu dans les médias comme étant un mode de fonctionnement démocratique et féministe. La perception des grands médias et des autres partis politiques conduira inévitablement à une série de pressions pour que ce chef ou cette cheffe élue ait les mêmes prérogatives que ceux et celles des autres partis politiques. Ces préoccupations manifestées n'ont pas eu le poids nécessaire pour écarter l'option d'élire dorénavant un ou une cheffe afin de respecter les obligations de la loi électorale permettant un financement.
La définition d'un Conseil national plus petit et plus agile réduisant la représentation des membres
La principale discussion sur le Conseil national concernait l'importance numérique de l'instance et la nature des délégations au conseil. Le comité de révision des statuts et le Comité de coordination nationale proposaient d'élire deux délégué-es par association locale ; deux par association de campus, un-e par Comité d'action politique, etc. L'ensemble des propositions visait à assurer un Conseil national plus stable, plus petit et plus agile. La proposition sur le Conseil national a été adoptée par une forte majorité.
Mais la prise de position de ne pas donner une représentation proportionnelle au nombre de membres d'une association locale par volonté d'agilité représente, pour la minorité, un danger : celui de nuire à la diversité des positions et des sensibilités pouvant se retrouver au Conseil national. Un Conseil national (CN) plus petit et ne tenant aucun compte de l'importance de l'implantation des associations locales risque de devenir un Conseil national homogène, ne permettant pas de refléter les différentes orientations présentes dans le parti et il pourrait de ce fait affaiblir la richesse des débats et des décisions qui en découlent.
Les référendums, utilisés comme moyen de trancher les débats
L'utilisation de référendums pour trancher les débats a été adoptée par une large majorité. Deux-tiers des délégué-es ont en effet voté pour intégrer cette proposition aux statuts. La proposition visant à ce que la décision d'un référendum soit entérinée par le congrès a aussi rejetée. Seule la proposition contestant la possibilité pour le CCN de mettre lui-même en œuvre un référendum a été contestée par une partie significative de la délégation, mais cette contestation n'a pas su rallier la majorité des délégué-es.
L'argument de la majorité de la délégation au congrès, c'est que la tenue de référendums dans les débats politiques constitue un élargissement de la démocratie dans les débats et permettrait de favoriser la mobilisation des membres autour de ces débats.
Pour l'opposition à cette proposition, un référendum diminue le poids des assemblées générales délibératives. Il ne permet pas de débattre avec l'ensemble des membres de manière approfondie des enjeux d'une décision politique, de soupeser réellement les options à partir d'échanges concrets et d'enrichir par des textes alternatifs ou des amendements la décision des membres. Une réponse binaire, comme celle qui émerge forcément d'un référendum, peut conduire à un appauvrissement dangereux de la clarté de la décision et conduire à la confusion si on lui agrège une série de positions contradictoires. Il constitue une dangereuse remise en question de la démocratie délibérative. Les délégué-es favorables au rejet de l'utilisation des référendums ont souligné que c'était donner la priorité à une démocratie formelle au lieu d'une démocratie véritablement participative. Faire voter les membres les moins impliqué-es dans la vie militante du parti c'est non seulement marginaliser les débats véritables, mais c'est aussi donner du pouvoir aux secteurs les moins impliqués dans la vie militante du parti. L'introduction de cette proposition permettra sans doute à la direction de faciliter la gestion des divergences, mais ne permettra pas de construire un parti capable de résister aux pressions sociales.
La disparition des associations régionales
Une association régionale était jusqu'à maintenant « composée de toutes les personnes membres résidant dans la région représentée par l'association » (selon les anciens statuts nationaux). Elle est remplacée par un Comité de concertation régionale regroupant « des représentantes et représentants des associations locales et de campus d'une région et la représentation régionales des femmes de la Commission nationale des femmes ». Cette proposition a été largement soutenue, soit par 80% des personnes déléguées. Les difficultés de fonctionnement de plusieurs associations régionales et les énergies militantes mobilisées par le maintien de cette structure ont été les principaux arguments de la majorité de la délégation sur cette question.
Pour la minorité, qui soit souhaitait se donner du temps pour faire un bilan sérieux sur les associations régionales, soit qui en voyait la pertinence, un simple comité provenant des associations locales, la disparition d'une assemblée générale des membres et la fin de la possibilité d'avoir une délégation régionale aux différentes instances du parti constituait un recul important de la vie démocratique du parti. La dévitalisation des associations régionales a été parfois vécue comme effet de la centralisation au niveau national de l'ensemble des initiatives et campagnes du parti. De plus, selon la minorité, il était nécessaire de maintenir un lieu de discussion de ces problèmes dans des assemblées générales de militant-es regroupant différentes associations afin d'en faire un lieu d'élaboration du travail politique et des campagnes qui doivent y être menées. Cette minorité convenait également qu'il était nécessaire de redéfinir le rôle et les responsabilités des associations régionales afin de leur permettre de « planifier et de mettre à exécution des plans de mobilisations et des campagnes régionales ». Cette décision, pour la minorité, va clairement à l'encontre d'un véritable processus de décentralisation des capacités d'initiatives du parti. Le débat méritait selon elle d'être poursuivi.
La fusion des Réseaux militants avec les commissions thématiques dans les comités d'action politiques
La fusion des réseaux militants (rme, rme, rsi, rj) et des commissions thématiques a été largement soutenue, soit par 79% de la délégation. Une partie significative de la délégation (31% contre 58%) aurait souhaité un dépôt à date fixe de cette proposition, pour poursuivre la discussion à cet égard. Mais pour la majorité des délégué-es du congrès, les militant-es des réseaux pourraient poursuivre le travail dans un nouveau cadre et collaborer ainsi avec les militant-es des commissions thématiques. Cela s'avérait d'autant plus nécessaire que nombre de ces commissions thématiques battaient de l'aile et que cette fusion permettrait de regrouper les forces militantes.
Pour la minorité, cette fusion faisait fi de la réalité des réseaux militants qui avaient une personnalité propre et étaient l'œuvre d'un travail assidu et conséquent. Maintenant, la proposition adoptée affirme que « le nombre et le nom des comités politiques d'action politique et leurs responsabilités sont définis par une Politique concernant les comités d'action politique et la Commission politique. Cette politque est adoptée et mise à jour par un Conseil national (article 16.1) et chaque comité d'action politique est animé par un comité de coordination paritaire composé d'au moins deux personnes. » (article 16.2). L'ancien article 15 affirmait que pour être reconnu, un réseau militant devait « regrouper au moins vingt membres du parti dans au moins deux régions... » Même si le rôle des nouveaux Comités d'action politique parle de combiner la mobilisation et l'élaboration, nous faisons face à une proposition qui favorisera la centralisation, marginalisant les assemblées générales des réseaux. D'autre part, la fusion des commissions thématiques avec les réseaux militants n'aidera pas à dépasser les difficultés de ces derniers. Les mandats des commissions thématiques auraient dû être redéfinis, car leur fonction était de soutenir le travail l'élaboration du programme du parti. Il faut maintenant que ces commissions thématiques se voient confier le mandat d'analyser différents enjeux sociaux et d'accumuler de l'expertise à cet égard. Les bilans réels tant des réseaux que des commissions thématiques n'ont pas été réalisés. La Politique concernant les comités d'action politique n'est pas encore définie. Elle le sera par un prochain Conseil national. Ici encore, la précipitation a prévalu.
Des gains importants, mais qui n'effacent pas l'importance des reculs au niveau de la démocratie délibérative et participative
La création d'un comité national des personnes racisées et la présence de deux personnes racisées aux comités de coordination nationale, le renforcement de la démarche féministe dans le choix des investitures, la création d'un poste au CCN d'un responsable à la solidarité internationale et hors Québec ayant comme tâche « d'entretenir des liens avec les mouvements sociaux progressistes hors Québec et au niveau international, le maintien des collectifs définis sur des orientations politiques, ce sont là des gains importants mais qui ne remettent nullement en cause l'orientation générale qui s'est imposée dans le congrès.
Une résolution d'urgence en appui à Haroun Bouazzi
Enfin, le congrès s'est conclu autour d'un important débat d'une résolution d'urgence sur les attaques menées contre le député Haroun Bouazzi. Dans cette résolution d'urgence (voir l'article Soyons solidaires du député solidaire Haroun Bouazzi), le congrès de Québec solidaire a réaffirmé son engagement à lutter contre le racisme. Cette résolution rappelle que des partis politiques multiplient les discours pour imputer aux personnes immigrantes la responsabilité de tous les maux qui affectent la société québécoise : le manque d'accessibilité au soin de santé, la crise du logement, la détérioration des services publics, etc. L'utilisation de cette rhétorique stigmatise les personnes immigrantes et nourrit la xénophobie et le racisme. Les propos d'Haroun Bouazzi ne faisaient que rappeler ces pénibles réalités. C'est pourquoi, dans sa résolution, QS se solidarise avec ce qu'a voulu dire notre député. Les délégué-es ont bien compris que ce qui est en jeu, ce n'est pas la caractérisation des idées et des comportements des député-es de l'Assemblée nationale mais bien le refus de faire de groupes de personnes qui participent à la construction de notre société les boucs émissaires des difficultés auxquelles la société québécoise doit faire face.
Conclusion
Le foisonnement des propositions et des amendements discutés mériterait un examen plus approfondi. Mais les résultats des décisions prises au congrès et les pertes encourues sont clairs :
• affaiblissement des instances délibératives (congrès, conseil national) avec l'introduction des votes au suffrage universel pour l'élection des porte-paroles et l'utilisation de référendums pour trancher les débats. Ces deux mesures vont affaiblir le poids du congrès et la diversité des positions pouvant s'y exprimer ;
• centralisation du parti avec la disparition des associations régionales ;
• encadrement étroit des structures de mobilisation comme les réseaux militants fusionnés avec les commissions thématiques dans des Comités d'action politique, placés sous le contrôle de la commission politique.
Tout cela s'est fait en privilégiant l'efficacité, l'agilité et la démocratie formelle. Voilà des choix qui, nous le craignons, risquent d'entamer la vitalité de Québec solidaire, malgré la volonté d'une majorité qu'il en soit autrement.
À l'heure où Québec solidaire entreprend un large débat sur la définition de son programme, cela appelle les militant-es à exercer leur vigilance sur les choix qui seront faits et qui permettront, soit de répondre aux défis de la période d'offensive de la classe dominante et de la polycrise économique et climatique, soit de s'adapter aux aléas d'un électoralisme sans issue.
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Une défaite principielle cachée par une manœuvre petite-politicienne
Les racistes du Québec — devrait-on employer l'expression euphémique ‘identitaires s'exprimant en langage codé (dog-whistle)' — seront rassurés que le congrès Solidaire ait voté à une forte majorité « que QS ne soutient pas et n'a jamais soutenu que l'Assemblée nationale et ses membres sont racistes » tout en noyant le poisson dans une résolution pleine de bonnes intentions. Si ni le Premier ministre ni le chef du PQ ne peuvent être traités de racistes quand ils blâment l'immigration pour tous les péchés d'Israël, alors personne au Québec, sauf l'extrême-droite franche et avouée, ne peut l'être. Voilà rassuré le peuple québécois qu'on engonce dans le mensonge systémique. Québec solidaire pourra-t-il ensuite pourfendre la CAQ de ne pas reconnaître le racisme systémique ?
C'est ce que ressent une membre racisée de longue date du parti :
Pourquoi je ne me reconnais plus dans Québec Solidaire ?
J'ai commencé mon militantisme politique en 2003 avec l'Union des Forces Progressistes (UFP), l'ancêtre de Québec Solidaire. […] Ensemble, nous avons résisté à des initiatives discriminatoires, comme la Charte des valeurs du Parti Québécois, et défendu un Québec multiple, accueillant et solidaire. […]
Le désamour s'installe. […]
…une série d'événements a ébranlé ma foi dans ce parti. […] Ma première désillusion est survenue avec la dissolution du Collectif antiraciste décolonial, dont je faisais partie. [De dire une dirigeante du Collectif ] : « Le message clair que ça envoie, c'est que les personnes racisées, les personnes issues de l'immigration, les militantes et militants antiracistes ne sont pas, en fait, les bienvenu·es au sein de ce parti, à moins qu'elles se conforment à la place qu'on leur impose. »
Pour beaucoup d'entre nous, racisé·es, Québec Solidaire avait représenté une alternative au Parti Québécois de la Charte des valeurs et de « l'argent et le vote ethnique ». Nous avions trouvé un espace où nous étions respecté·es et, parfois, protégé·es du racisme ambiant. Cette rupture a été un coup dur.
Des déceptions en série
Malgré cette première désillusion, je suis resté fidèle à QS, car il restait le parti qui représentait le mieux mes idées. Mais le départ d'Émilise Lessard-Therrien et les tentatives de recentrage du parti sous Gabriel Nadeau-Dubois ont accentué mon malaise. On semblait vouloir me retirer tout ce qui me rattachait encore à QS.
Les récentes attaques d'Israël contre la Palestine et le Liban ont été un autre point de rupture. J'espérais voir Québec Solidaire, à l'image de La France Insoumise, dénoncer avec force le génocide en cours. Quelques apparitions timides, notamment de Haroun Bouazzi lors de manifestations pro-palestiniennes, ont laissé un espoir fragile. L'élection de Ruba Ghazal, enfant de la Nakba, comme co-porteparole aurait dû marquer un tournant. Mais juste avant son élection, Haroun Bouazzi a dénoncé le racisme systémique à l'Assemblée nationale, et j'ai vu mon parti, d'une seule voix, le désavouer. […]
Comme un train en cache un autre, ce désaveu réellement existant de l'antiracisme entraîne la promotion d'un nationalisme de gauche… identitaire comme l'exprime un autre militant de longue date du parti :
Commentaire sur l'entrevue de Ruba Ghazal à Tout le monde en parle sur le nationalisme de gauche
Je suis resté sur mon appétit au sujet de la conception du nationalisme identitaire de droite mis en opposition au nationalisme inclusif identitaire de gauche de Ruba Ghazal à Tout le monde en parle.
Pour moi, ça toujours été clair.
Le nationalisme de gauche, c'est d'abord prendre soin de la nation.
Pour ce faire, il faut revoir la fiscalité en imposant les plus riches pour redistribuer la richesse ; créer de nouvelles sociétés d'État comme une banque nationale d'État et nationaliser certains secteurs de l'économie comme certaines richesses naturelles afin d'augmenter les revenus de l'État pour améliorer nos services publics. Ce qui à mon sens dépasse de beaucoup le nationalisme identitaire d'inclusion de gauche.
La véritable inclusion commence par lutter contre les inégalités sociales en augmentant des revenus de l'État pour tous les Québécois quelques soient leurs origines. Ce commentaire ne constitue pas tant une critique qu'une contribution à une conception plus large du nationalisme de gauche qui se limiterait à opposer le nationalisme inclusif de gauche au nationalisme identitaire de droite.
On a peine à croire que la gauche critique du parti se soit laissée manœuvrer par le Comité de coordination nationale qui lui a fait pendre au bout du nez l'éternel argument de l'unité du parti. Est-ce que le racisme tordu de la CAQ et du PQ combiné à l'antiracisme de façade de Québec solidaire (et des Libéraux) sont en mesure d'unifier le peuple de plus en plus pluriel du Québec ? Est-ce que les manœuvres petite-politiciennes qui mènent à des résolutions qui parlent des deux côtés de la bouche en même temps vont raffermir le peuple québécois pour contrer la croisade à laquelle la CAQ l'invite contre la prétendue invasion immigrante, un deuxième Chemin Roxham de clamer le Premier ministre, provoquée par Trump ?
Ces manœuvres ne sont utiles qu'à l'aile parlementaire afin de faire à sa tête, même à humilier son député, quitte à se foutre du congrès comme de l'an quarante. Le divorce entre la militance du parti et son aile parlementaire n'aura jamais été si profond et si visible. Ce gouffre, l'aile parlementaire l'a compris depuis le début de la pandémie où les instances nationales à distance l'avaient malmenée. Elle a par la suite découvert que les zoom (et les réseaux sociaux) lui permettaient, pardessus les instances locales, un contact direct avec les membres dont l'adhésion au parti repose essentiellement sur le filtre médiatique sans pratique de débat interne. Pour boucler la boucle, cette aile vient de réussir une modification cruciale aux statuts stipulant que les porte-parole et, enfin diront les électoralistes et les grands médias, un chef qui seront élus au suffrage universel de tous les membres, contournant ainsi l'agaçante militance en congrès, avec à l'avenant des référendums sur n'importe quelle question jugée pertinente par la direction.
Une politique de gauche migratoire concrètement internationaliste prépare l'accueil des vagues migratoires qui s'annoncent pour cause de politique climatique à la dérive et des guerres qui s'ensuivent sur fond d'un néolibéralisme qui s'extrêmedroitise. Elle le fait en créant des centaines de milliers d'emplois dans nos services essentiels tant publics que privés qui en manquent terriblement. Elle le fait en dotant le Québec d'une politique de logements sociaux écoénergétiques marginalisant ceux privés. Elle le fait en mettant fin à la pseudo-civilisation consumériste du bungalow et du char. Elle le fait en transformant l'agro-industrie en agriculture biologique.
Voilà autant de défis que l'ardeur des nouveaux arrivants saura relever en autant qu'iels soient généreusement accueillis par une planification en conséquence. Celle-ci commande un gouvernement ‘à gauche toute' mobilisant le peuple travailleur du local au national autant pour la gouvernance de la nation que pour la réalisation du plan.
Marc Bonhomme, 20 novembre 2024
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca