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Argentine : un nouveau temps politique

26 novembre 2024, par Eduardo Lucita — , ,
La nouvelle situation politique en Argentine sous le gouvernement d'extrême droite de Javier Milei. La scène internationale montre un fort « risque géopolitique » dû aux (…)

La nouvelle situation politique en Argentine sous le gouvernement d'extrême droite de Javier Milei.

La scène internationale montre un fort « risque géopolitique » dû aux guerres qui menacent de s'étendre, à la montée de l'extrême droite et à des sociétés divisées presque complètement en deux avec de sérieux risques de confrontation interne et à la situation dans Notre Amérique. Avec des gouvernements comme celui de Milei dans notre pays, de Bukele au Salvador et de Noboa en Équateur. Il y a en outre la situation au Venezuela, objet de débats dans toute la région, qui est plus complexe.

13 novembre 2024 | tiré du site d'Inprecor
https://inprecor.fr/node/4432

C'est dans ce contexte que le président Milei s'est exprimé à l'Assemblée générale de l'ONU, après l'« acting » de la cloche à Wall Street et sa rencontre avec des hommes d'affaires de premier plan. Il a accusé l'ONU d'être une institution qui ne sert qu'à stimuler des idées socialisantes tout en réitérant son négationnisme environnemental et sa vision rétrograde des progressismes. Il a rejeté le « Pacte pour l'avenir » et décidé de ne pas adhérer à l'Agenda 2045. Il a entériné sa non-neutralité et son alignement inconditionnel sur les États-Unis et Israël. C'est un sacré changement de cap pour le pays.

Si quelque chose était clair dans son discours à l'Assemblée générale, c'est qu'il ne s'adressait pas aux présidents réunis, mais aux puissants de ce monde. Aux 1% qui concentrent la richesse mondiale, aux grandes entreprises, cherchant à démontrer qu'idéologiquement, il est l'un d'entre eux. Que l'Argentine, sous sa présidence, veut être le plus ardent défenseur et de porte-parole du programme du grand capital international et de la constitution d'un organisme supranational, au-dessus de la souveraineté des États-nations.

C'est ce positionnement international, ainsi que ses convictions sur les propositions de l'école autrichienne, qui définissent l'orientation des politiques officielles dans notre pays et par lesquelles le président Milei se voit et se présente comme le fondateur d'une nouvelle étape historique de la politique locale.

Ce nouveau moment mondial s'est accélérée de manière vertigineuse dans notre pays. Depuis l'adoption de la Loi Bases1 et d'un ensemble de mesures fiscales. La temporalité de la crise a ouvert le temps des urgences. Celles du gouvernement (pour faire avancer son programme au plus vite) et celles des travailleurs (pour stopper la barbarie sociale en cours). Le temps joue en faveur des deux côtés.

Tout se déroule dans le cadre d'une macroéconomie qui, en termes néolibéraux, « s'arrange », même avec ses incohérences et ses contradictions, et d'une microéconomie qui, confiée par le président aux hommes d'affaires, ne décolle pas et où le coût de l'arrangement de la macroéconomie se manifeste dans les indices dramatiques de pauvreté et d'indigence et la peur de perdre son emploi.

Il y a quelques mois encore, on disait que le gouvernement était davantage remis en question par « le haut » que par « le bas ». Aujourd'hui, « le haut » semble plus calme. Les pressions du patronat, de divers économistes libéraux et de la CGT ont été tempérées, le FMI observe attentivement, fait pression mais n'étrangle pas. Il n'y a pas, pour l'instant, de conflits inter-capitalistes ouverts. Seuls subsistent les différends et les tensions au sein du gouvernement et dans la LLA2, et entre la LLA et le PRO, qui monte en intensité. Des différends qui ne changent pas le cours général des choses.

En bas, les conflits se multiplient, sans que l'on puisse parler d'une vague de luttes. Il y a des conflits, des mobilisations et des débats pour des raisons et des objectifs multiples et variés dans tout le pays sans qu'on parvienne à les unifier, ni commencer à dépasser la fragmentation (est-elle déjà structurelle ?) et à leur donner une perspective commune. Il n'y a pas non plus de grands projets politiques en vue qui rompraient avec le néolibéralisme et ouvriraient des voies vers des transformations plus profondes.

Cependant, le conflit sur le financement des universités et peut-être aussi celui de l'aéronautique, auquel s'ajoute maintenant celui de la santé, pourraient être les cas emblématiques qui ouvriraient une nouvelle ère politique.

Nous sommes en attente des décisions des syndicats des transports sur une éventuelle grève générale le 30 de ce mois, ce qui constituerait une manifestation de solidarité qui élargirait le champ du conflit. Quant à la récente marche fédérale pour la défense de l'université publique, elle a été massive dans tout le pays, avec des changements quantitatifs et surtout qualitatifs en termes de composition et d'objectifs plus politiques. Cette massivité exerçait une pression sur le parlement pour qu'il renverse enfin le veto du président et maintienne la loi en vigueur. Au contraire, le gouvernement a réussi à imposer son veto, mais il s'agit d'un triomphe à la Pyrrhus : il a gagné au parlement, mais il perd dans la rue.

Après l'imposition du veto, le mouvement étudiant, très calme depuis longtemps, a spontanément explosé. Les étudiants, les enseignants et les travailleurs non enseignants se sont réunis et se sont déclarés en état d'assemblée permanente où les décisions sur la conduite du mouvement sont prises collectivement. Les facultés sont occupées (une soixantaine dans 29 universités du pays à l'heure où nous écrivons ces lignes), des cours publics sont organisés, des rues et des avenues sont bloquées. Il s'agit d'un mouvement fédéral de grande ampleur nationale, qui reprend les vieilles traditions du mouvement étudiant, lequel a joué un rôle important à plusieurs moments de notre histoire (réforme universitaire de 1918, Cordobazo de 1969).

Tous sont conscients qu'il ne s'agit pas seulement d'un problème de financement – la somme demandée est minime en termes de PIB – mais qu'il s'agit d'une lutte politique et idéologique pour le destin de la culture générale du pays et son horizon futur. Ils sont également conscients qu'il s'agit d'un combat de longue haleine, le gouvernement n'ayant pas la possibilité de reculer. La manière dont ce conflit sera résolu, s'il pourra stimuler les luttes dans d'autres secteurs, en particulier dans le mouvement ouvrier, peuvent décider comment la lutte des classes se poursuivra dans le pays et du sort du gouvernement Milei lui-même.

En attendant, nous entrons dans le dernier trimestre de l'année sans indices significatifs de sortie de la phase dépressive du cycle. Le taux d'intérêt va-t-il enfin franchir le plancher des 3% comme l'espère le gouvernement pour octobre ? Le flux de dollars, résultat d'une batterie de mesures dont le blanqueo3, va-t-il enfin améliorer le niveau des réserves ? La levée du contrôle des changes va-t-elle enfin apporter les investissements espérés ? Tout reste à voir.

Les vieilles questions demeurent : comment intervenir dans la crise, sans se limiter à soutenir et stimuler les luttes ? Comment exprimer l'objectif commun qui fasse converger toutes les luttes ? Comment faire prendre conscience aux protagonistes que les événements dans lesquels ils sont impliqués dépassent l'objectif immédiat ? Comment élever le niveau politique des protagonistes et de leurs luttes ?

Et l'ambiance sociale ? Combien de temps allons-nous supporter cette barbarie qui semble ne pas avoir de fin ? Le mouvement étudiant en cours pourrait être décisif. Là aussi, tout reste à voir.

Publié le 16 août 2024 par la revue Movimento, traduit par Luc Mineto

1. La loi « Loi Bases et points de départ pour la liberté des Argentins », qui organise le démantèlement de l'État argentin a finalement été adoptée par le Sénat dans la nuit du mercredi 12 au jeudi 13 juin [NdT].
2. LLA, La Liberté Avance est la coalition d'extrême droite représentée par Milei au premier tour des élections présidentielles. Le PRO, Proposition Républicaine est une coalition de droite, regroupant en particulier les partisans de Macri ; représenté par Patricia Bulich au premier tour, il apporte on soutien à Milei au second tour [NdT]

3. Blanqueo (blanchiment). Une des mesures fiscales mise en œuvre par Milei prévoit de amnistier les fraudeurs et de « blanchir » les capitaux non déclarés pourvus qu'ils soient investis dans l'économie argentine jusqu'en décembre 2025 [NdT].

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Témoignage d’un camarade ukrainien libéré après une intense campagne

26 novembre 2024, par Arguments pour la lutte sociale — , ,
Cette importante interview de Maksym Butkevych est parue en ukrainien dans Zmina, (« Changement ») site de l'organisation de défense des droits humains du même nom, dont il fut (…)

Cette importante interview de Maksym Butkevych est parue en ukrainien dans Zmina, (« Changement ») site de l'organisation de défense des droits humains du même nom, dont il fut l'un des fondateurs. C'est avec émotion, et avec la fierté d'avoir participé, à notre échelle, au combat pour sauver Maksym Butkevych, et qui, comme il le dit lui-même, doit continuer pour toutes et tous les autres, que nous reproduisons cette traduction, effectuée dans le cadre du RESU par Anne Le Huérou – qu'ils en soient remerciés.

19 novembre 2024 | tiré du site Arguments pour la lutte sociale
https://aplutsoc.org/2024/11/19/maksym-butkevych-raconte/

C'est un document de valeur, de valeur humaine, et par là de haute valeur politique. Pour avoir suivi les tout premiers témoignages et commentaires à propos de Maksym depuis sa mise en liberté, nous pouvons dire qu'il est pudique sur lui-même et préoccupé des autres, et laisse entendre ou ne dit pas tout ce qu'il a subi, mais que son récit en a plus de force. Démocrate radical, nationaliste libertaire, chrétien libre-penseur … n'essayons pas de cataloguer ce camarade : il est Maksym Butkevych et il est en liberté, c'est une belle victoire pour l'émancipation humaine que nous n'osions espérer !

L'interview est suivie d'un court résumé des actions de Maksym Butkevych, également traduit et reproduit ici. Nous avons parfois remplacé le mot « réhabilitation, », qui peut prêter à contresens en français, par « réadaptation ».

La rédaction d'Aplutsoc.

« Pour moi, c'est quelque chose d'essentiellement humain. C'est vraiment ce qui fait qu'une personne est humaine : la liberté, la conscience de sa liberté et le sens que cette liberté apporte.

J'ai parfaitement compris que si les Russes l'emportaient, il n'y aurait plus de protection des droits de l'homme sur ce territoire.

» Le plus grand danger en captivité, c'est de perdre une partie de soi-même » : le défenseur des droits humains Maksym Butkevytch à propos de son engagement sur le front, de sa détention et de son retour.

Toute l'équipe du centre de défense des droits humains ZMINA attendait cette conversation après avoir reçu la bonne nouvelle de la libération du militant des droits de l'homme, cofondateur de l'organisation, journaliste et prisonnier de guerre Maksym Butkevych. Cette libération a eu lieu le 18 octobre de cette année, lors du 58e échange de prisonniers de guerre. Le militant des droits de l'homme a passé plus de deux ans en détention.

ZMINA a rencontré Maksym dans une gare, lors d'une étape entre deux lieux de son parcours de « réhabilitation », pour évoquer sa participation à la guerre sur le terrain, ses plus de deux ans de captivité, le sens qu'il a pu y trouver, mais aussi le déroulement de la réhabilitation des militaires après leur retour de captivité et les difficultés du retour à la vie civile.

Maksym, cela fait plus de 20 ans que tu t'occupes de défense des droits et au début de l'invasion à grande échelle, tu as décidé de rejoindre les forces armées ukrainiennes. Qu'est-ce qui a guidé ton choix de changer d'activité pour aller à l'armée ?

C'est une question très importante. Je viens de découvrir que beaucoup de choses ont été dites et écrites sur moi dans les médias pendant mon absence. Et certains de ces textes disaient que j'étais pacifiste. Mais je ne suis pas pacifiste. En revanche, je ne suis en effet pas un partisan de la violence en tant que méthode, et l'engagement militaire, d'une manière ou d'une autre, implique de tuer des gens. C'est pour moi un problème et un dilemme moral et éthique.

La situation dans laquelle nous nous sommes trouvés le 24 février 2022 nous a placés devant un choix : soit laisser notre liberté être détruite, soit nous battre. Sinon, nous aurions été contraints de renoncer à notre activité, contraints d'obéir, de simplement manger, boire, dormir, avoir peur et faire ce qu'on nous disait. Telle aurait été notre perspective. Nous avons donc dû résister pour sauver notre liberté. Pour moi, c'est quelque chose d'essentiellement humain. C'est vraiment ce qui fait qu'une personne est humaine : la liberté, la conscience de sa liberté et le sens que cette liberté apporte.

J'ai parfaitement compris que si les Russes l'emportaient, il n'y aurait plus de protection des droits de l'homme sur ce territoire. Ce serait impossible. Nous nous sommes battus pendant très longtemps pour les droits que nous avons aujourd'hui. Nous avons réussi certaines choses, nous avons échoué dans d'autres, mais s'ils occupaient ces territoires, tout serait détruit. En fin de compte, si je raisonne égoïstement, il s'agit de nombreuses années de ma vie, en fait, la principale chose que j'ai faites ces dernières années, toutes les réalisations, toutes les réussites, auraient été détruites.

Comment t'es-tu retrouvé à l'armée en particulier dans le bataillon spécial numéro 210 Berlingo ?

J'avais effectué la préparation militaire à l'université alors de mes études et j'étais officier. Dans l'armée on appelle ce genre de personne des « veston » c'est-à-dire des gens qui ont un grade d'officier mais qui n'ont aucune expérience de l'armée et encore moins des opérations de combat.

Je me suis présenté au bureau d'enregistrement et d'enrôlement militaire dans la soirée du 24 février pour trouver une unité de défense territoriale et la rejoindre. Ils m'ont demandé mon grade militaire, et j'ai dit que j'avais le grade de lieutenant du fait de la préparation militaire universitaire mais que je ne me souvenais plus de rien. Mais j'étais prêt à prendre une pelle et à creuser ce qu'il fallait.

A cette époque, les combats commençaient près de Kiev et les Russes étaient déjà visibles à la périphérie. J'avais préparé un sac à dos à l'avance, acheté quelques affaires et une Bible de voyage et j'étais prêt à m'engager. D'ailleurs, pendant mon séjour dans la colonie, ma foi a été l'un des piliers qui m'a permis de tenir le coup. Je n'en parlais pas auparavant, c'était avant tout une affaire intime. Je n'accepte pas que l'on impose quoi que ce soit, y compris dans le domaine religieux. En même temps, il ne faut pas confondre imposer et prêcher. Beaucoup de gens, y compris mes ami.e.s, ne connaissaient pas mes convictions religieuses. Aujourd'hui, j'y pense plus souvent, car quelque chose a changé – en moi et dans le monde.

« Nous ne nous attendions pas à être fait prisonnier nous nous pensions à être des « 200 » (tués) ou des « 300 » (blessés) [nom de code donné dans l'armée soviétique aux soldats morts ou blessés à rapatrier NdT] ».

Tu as le sentiment que des forces supérieures ont aidé à dépasser l'épisode de ta captivité ou bien s'agissait-il de ta force intérieure ?

Oui, j'ai ce sentiment. Mais à mon sens la foi et les forces intérieures sont liées. J'ai le sentiment qu'il y a un sens, indissociable du sens de la vie. Pour le dire autrement c'est le sentiment que les choses ne sont pas « juste comme ça ».

Lors de l'un des interrogatoires on a essayé de prendre les mots de passe de mon compte Facebook et de ma boîte mail. À ce moment-là je ne savais pas encore que mon compte Facebook avait heureusement été désactivé par des amis mais de toute façon j'avais une double authentification… Je leur ai dit que de toute façon ils ne pourraient pas rentrer sur mon compte puisque ils avaient eux-mêmes perdu mon téléphone. J'ai ajouté que le mot de passe avait probablement été changé et que si je leur donnais maintenant un vieux mot de passe ils allaient dire que je les trompais. Ils ont demandé qui les avaient changé et j'ai répondu : « des amis à qui j'ai laissé mes mots de passe ».

En effet, je les avais laissés au cas où je finirai « 200 » pour que ces amis aillent sur ma page et l'annoncent et qu'il puisse entrer sur mon compte mail et écrivent une réponse automatique du genre « malheureusement la personne ne peut lire votre message car elle est morte ». C'est toujours triste lorsque l'on commente les postes d'une personne qui a disparu… L'enquêteur m'a regardé avec des yeux ronds et m'a demandé si j'avais vraiment pensé à l'avance que je pouvais devenir un « 200 ». Je lui ai répondu que c'était la guerre, que nous étions partis la faire et qu'il y avait en effet des situations où je pouvais devenir un « 200 » et que donc bien sûr j'y avais pensé comme toute personne qui se retrouve sur la ligne de front.

Vous avez donc admis la possibilité de mourir à la guerre ?

Je pense que tous ceux qui vont en première ligne réfléchissent intérieurement – consciemment ou inconsciemment – à ce qui se passera quand il sera « 300 » ou « 200 ». Cependant, je n'ai vu pratiquement personne réfléchir à ce qui se passerait s'il était capturé. Nous n'étions pas préparés à cela. Par conséquent, lorsque nous avons été capturés, nous avons été surpris.

Nous nous créons nous-mêmes en faisant différents choix dans la vie. Les choix que nous faisons maintenant déterminent qui nous serons plus tard. Plus tard, à de nombreuses reprises en prison, à la fois dans le centre de détention provisoire et ensuite dans la colonie pénitentiaire, les gars et moi avons discuté de ce qui s'était passé et de la raison pour laquelle cela s'était passé. J'avais 20 hommes. Sous mes ordres, j'étais commandant de peloton dans le 210e bataillon spécial « Berlingo » des forces terrestres de l'armée ukrainienne. Mais en captivité, mes codétenus me disaient régulièrement : nous ne savons pas quel genre de commandant tu étais – je ne le sais pas moi-même, pour être honnête, seuls mes hommes pourraient me le dire – mais vous auriez mieux fait de travailler dans le domaine des médias, ou aider les gens, puisque c'est en effet des choses que je sais faire, et cela aurait été plus utile pour nous tous que mon séjour au dans le centre de détention provisoire (SIZO) de Luhansk. De fait, tout est plus utile que d'être enfermé dans le SIZO de Luhansk.

Mais je dois dire que je ne considère pas ce temps comme perdu. Parfois, les gars étaient tellement déprimés qu'ils pensaient que leur temps de captivité avait été perdu, tout simplement rayé de leur vie. Mais je n'ai pas eu ce sentiment. Et lorsque j'ai examiné ce que j'avais fait de mal depuis le début de l'invasion, les mauvais choix que j'avais faits, je suis arrivé à la conclusion qu'il n'y avait pas de mauvais choix. Il y a des choses que je regrette dans ma vie, mais pas dans cette chaîne d'actions. J'ai fait tout ce qu'il fallait.

Comment as-tu pris conscience que le temps passé en captivité n'avait pas été perdu ?

C'est bien sur une période de perte. C'est une période de manque, de privation de quelque chose de très humain et de très personnel. Le plus grand danger de la captivité est de perdre une partie de soi-même. En ce qui me concerne, j'ai essayé de comprendre ce que je pouvais apprendre de cette expérience, ce qui pourrait m'aider plus tard, si quelque chose pouvait m'aider à mieux aider les autres.

En captivité, j'ai appris à mieux connaître les gens, le monde et, bien sûr, les violations des droits de l'homme. En somme je peux dire que j'ai fait deux ans et demi de recherche de terrain. Je ne m'étais jamais spécialisée dans le système pénitentiaire et les violations des droits de l'homme qui y sont commises, mais en captivité, j'ai appris à le connaître très bien et à comprendre les choses fondamentales de manière plus approfondie et plus large.

J'ai également eu l'occasion d'organiser mes pensées et mes croyances, de comprendre comment elles sont liées entre elles, dans quelle mesure mes positions sont fondées, mon attitude à l'égard de certaines choses, si j'ai suffisamment de raisons de penser ce que je pense et de dire ce que je dis. Et surtout, quelles devraient être les priorités dans mes activités, dans ma vie.

« En captivité, je pensais constamment à ce à quoi je n'avais pas le temps de penser dans la vie civile »

En tant que défenseur des droits de l'homme, tu as été façonné par des valeurs fondamentales liées aux droits humains. Ont-elles changé d'une manière ou d'une autre en prison ?

Je pense que mes valeurs n'ont fait que se renforcer. Dans notre vie quotidienne, nous sommes constamment immergés dans un flux d'événements, d'informations, d'activités, et parfois nous n'avons tout simplement pas le temps d'examiner certaines choses d'un point de vue différent – plus large ou plus élevé.

En captivité, j'ai très vite, littéralement dès les premiers jours, pensé que j'avais maintenant une chance de le faire. J'ai essayé de faire intérieurement des choses que je n'avais pas eu le temps de faire pendant des années. En captivité, je pensais constamment à ceux à qui je n'avais pas eu le temps de penser correctement dans la vie civile. Et ce n'est pas tout. J'ai aussi prié. D'ailleurs, c'était probablement la seule chose que je pouvais faire pour de nombreuses personnes formidables.

Après un an et demi de captivité, lorsque j'ai eu la possibilité de lire, j'ai commencé à lire beaucoup de livres, comme je le faisais auparavant. En plus des livres en russe et en ukrainien, j'ai mis la main sur quelques livres en anglais que quelqu'un d'autre possédait, et grâce à eux et à la compilation de textes dans ma tête, j'ai essayé de conserver la langue autant que possible. Tous les livres que je lisais étaient notés dans mon carnet.

Qu'avez-vous lu exactement ? Quels sont les livres dont vous vous souvenez le plus ?

Dans la colonie pénitentiaire, il y avait une bibliothèque, et on pouvait y trouver les choses les plus inattendues. J'ai été enchanté par le livre « Theoretical and Applied Linguistics » du professeur Zvegintsev, publié en 1968, que j'ai lu une fois et demi. J'ai découvert de nombreux livres différents – sur la zoopsychologie, la philosophie, la théologie et la fiction. Par exemple, j'ai lu Tchekhov, que je n'avais pas eu le temps de lire depuis longtemps. J'ai relu beaucoup de choses que j'avais lues auparavant, mais je les ai lues d'une nouvelle manière. On pouvait également trouver dans cette bibliothèque des livres en ukrainien, qu'il s'agisse d'œuvres ukrainiennes ou de traductions de grands auteurs étrangers, jusqu'à ce qu'ils soient finalement retirés au printemps et au début de l'été de cette année.

De retour au centre de détention provisoire, le premier livre qui mérite ce nom est le Nouveau Testament et les Psaumes, qui, par une étrange coïncidence, sont arrivés dans notre cellule et que j'ai dû lire 15 fois. D'ailleurs, nous lisions parfois à haute voix, car tous les membres de la cellule ne savaient pas lire. Un camarade, prisonnier de guerre, était blessé et avait presque perdu la vue, et un autre prisonnier ne pouvait pas le faire à cause de son âge. En général, pendant ma détention, j'ai lu plus des dizaines de livres, 50, je crois, au moins. Dans la colonie, lorsque je travaillais, le moment privilégié pour moi était 40 minutes avant le couvre-feu. Je m'allongeais sur mon « palmier » – un lit situé au deuxième niveau des couchettes – et je lisais pendant les 40 minutes précédant l'extinction des feux.

Nous pratiquions également l'anglais au SIZO et dans la colonie. Je l'ai enseigné pour la première fois de ma vie. L'un de mes « élèves » faisait d'assez bons progrès. Il a insisté pour que je brevette cette méthodologie, car nous apprenions la langue sans texte, sans stylo, sans papier, en mémorisant les mots selon un certain système et en utilisant les outils à notre disposition.

Par exemple, nous avions un filtre de cigarette, une allumette brûlée, un morceau de paquet de cigarettes, et c'est ainsi que j'expliquais la structure d'une phrase – où se trouve le verbe auxiliaire, etc. Nous avons appris l'anglais à travers les paroles de chansons. J'ai soudain découvert que je me souvenais de paroles tout à fait inattendues, bien que très peu nombreuses. Il s'est avéré que les paroles d'une célèbre chanson anglaise dont je me souvenais étaient parfaites pour apprendre le présent continu.

Revenons à ton engagement dans l'armée. Quelle est la tâche ou la bataille dont tu te souviens le plus ?

Il y a eu deux étapes dans mon engagement : la première fois c'est vers Irpin-Vorzel, dans la région de Zhytomyr, près de l'autoroute de Zhytomyr, et la seconde dans l'est de l'Ukraine. Mon unité était chargée de renforcer la Garde nationale dans une certaine zone de la région de Kiev. Nous nous sommes rendus au poste de contrôle avec nos véhicules et avons constaté qu'il ne s'agissait pas d'un poste de contrôle, mais de la ligne de front : les Russes se tenaient à quelques centaines de mètres. C'est ainsi que nous nous sommes retrouvés en première ligne dans la région de Kiev.

Au bout de la rue où nous étions stationnés il y avait une pharmacie, une agence postale et et plusieurs maisons détruites par les tirs des chars russes. Il y avait le corps d'un civil qui avait fui les bombardements et n'avait pas réussi à s'en sortir ; sa jambe tenait debout toute seule. Quelques minutes après notre arrivée, avant même que nous ayons eu le temps de prendre nos lance-grenades, un véhicule blindé de transport de troupes a déboulé à grande vitesse du côté russe et, se plaçant devant nous, a commencé à nous tirer dessus avec une mitrailleuse de gros calibre, à travers la rue. Je me souviens très bien de cet épisode, le premier contact direct. Je me souviens également de notre entrée à Mykhailivka-Rubezhivka lors de la libération de ces villages. Les habitants nous ont accueillis les larmes aux yeux, nous ont apporté des fleurs, des boîtes de jus de tomate – tout ce qu'ils avaient après un mois d'occupation. Bref, c'était absolument incroyable. On sentait que les gens nous attendaient.

La deuxième expérience est liée à un voyage dans l'Est. Nous avons reçu l'ordre de nous déplacer pour renforcer nos unités qui tenaient la défense dans le Donbass. C'était une expérience complètement différente, car nous étions dans la steppe, où certaines de nos armes étaient tout simplement inefficaces. Par exemple, ce qui constituait notre avantage dans les combats urbains a été complètement réduit à néant là-bas. Nous avons rempli la fonction de troupes terrestres conventionnelles, accomplissant les tâches qui nous étaient assignées.

D'abord, nous avons perdu le contact radio, puis au matin nous avons compris que nous étions pratiquement encerclés

Peux-tu nous dire quand et dans quelles circonstances tu as été capturé ?

Nous avions reçu l'ordre de nous rendre dans le village de Myrna Dolyna, dans la région de Louhansk. Près du village, il y a des forêts et un terrain assez difficile, c'est-à-dire pas de la steppe, mais des ravins. À notre arrivée dans la soirée, nous avons immédiatement essuyé des tirs de mortier nourris. Le feu a duré toute la nuit.

Le matin, le village était complètement différent de la veille au soir. Il n'en restait plus grand-chose. Lors d'une pause nous avons reçu l'ordre de nous déplacer et de prendre des postes d'observation, le long de la route qui allait de Lysychansk au nord à Zolote au sud. C'était une route stratégiquement importante pour nous. Notre tâche consistait à observer et, s'il y avait des forces ennemies, de les signaler. Cependant, nous ne devions pas engager le combat sans en avoir reçu l'ordre. Pendant que l'ordre nous était transmis, une autre attaque au mortier a commencé, et c'est ainsi accompagnés que nous nous sommes rendus à notre poste d'observation.

À un moment donné, nous avons eu des problèmes de communication. Les radios que nous avions n'étaient pas assez bonnes, il n'y en avait pas assez, et de toute évidence, le matériel électronique de l'ennemi fonctionnait. De plus, nous avons rapidement manqué d'eau sur le chemin du poste, c'était un mois de juin très chaud. En quelques heures, nous avons perdu toute communication. Même les talkies-walkies qu'on nous avait donnés ne captaient personne. Au matin, nous avions remarqué qu'un grand nombre de personnes et de véhicules ennemis avaient pénétré dans le terrain voisin.

Alors que nous nous dirigions déjà vers Myrna Dolyna, il était clair que nous étions presque encerclés par l'ennemi. Tu vois c'est comme une sorte de bouteille dans laquelle on entre par le goulot, et il y avait déjà un territoire contrôlé par l'ennemi autour de cette bouteille. Nous comprenions que cela n'augurait rien de bon, mais nous avions des ordres et nous devions les exécuter. Plus tard, arrivés au poste, lorsque nous avons vu les marques sur les véhicules « O », nous avons compris qu'il s'agissait de l'ennemi. Mais à ce moment-là, nous ne pouvions plus exécuter l'ordre de rendre compte de la présence de forces ennemis, il n'y avait plus de communication, il n'y avait pas non plus d'ordre d'engager le combat et cela n'avait pas de sens, étant donné la différence de nombre nous et nos ennemis, et il était clair que nous devions nous retirer.

C'est alors que l'un des soldats de l'unité voisine a pris contact avec nous et nous a amenés au poste d'observation. Il nous a dit que toute la zone était encerclée, mais que l'anneau n'était pas encore fermé. Par conséquent, nous devions essayer de partir en utilisant ses points de repère. C'est ce que nous avons fait. Pour être honnête, nous avions le sentiment que quelque chose n'allait pas, mais nous n'avions pas le temps d'y réfléchir et nous n'avions pas d'autres options. Nous n'avions pratiquement pas dormi depuis plusieurs jours, nous étions sans eau depuis presque 24 heures, nous étions fatigués, et certain de mes hommes n'allaient pas bien. Alors ce soldat a tiré une fusée éclairante, ce qui était très étrange dans ces conditions de quasi-encerclement. Nous avons dû courir à travers le champ jusqu'à la ceinture forestière d'où provenait la fusée. Lorsque nous avons été à quelques dizaines de mètres, il nous a dit qu'il était désolé, mais qu'il était prisonnier depuis la nuit dernière, que nous étions maintenant dans le collimateur et que si nous ne déposions pas les armes, ils nous tueraient.

Qu'as-tu ressenti à ce moment-là ?

Il y avait un champ ouvert autour de nous. Il n'y avait aucune possibilité de se jeter à terre, de se cacher ou de s'enfuir. Nous n'accomplissions plus aucune mission de combat – nous ne couvrions plus personne, nous ne défendions plus rien. J'avais huit hommes et j'étais responsable d'eux. J'ai donc donné l'ordre de déposer les armes.

Le type qui nous a fait sortir était dans la même cellule que nous. Il a été contraint de le faire sous la pression physique et la violence. Mais surtout, il croyait qu'en nous forçant à nous rendre, il nous avait sauvé la vie – c'est ce que les Russes lui ont dit. C'était peut-être vrai, il m'est difficile d'en juger.

Comment les Russes t'ont-ils traité ?

Ils ont immédiatement pris nos documents, nos téléphones et certains objets de valeur. Par exemple, ils ont pris mes écouteurs sans fil, la montre l'un, un objet à un autre … L'un des soldats russes a demandé à qui appartenaient ces écouteurs. J'ai répondu que c'était les miens. Il m'a demandé si je les lui donnais.

C'est vrai que quand on est à genoux, qu'on a les mains attachées et qu'une mitrailleuse est pointée sur vous, on est prêt à donner n'importe quoi, en principe. Mais j'ai dit non. Il a été très surpris, même un peu troublé. Je lui ai dit que c'était un cadeau d'un proche, et que « on ne redonne pas des cadeaux ». Il était d'accord, mais il ne comprenait pas ce qu'il devait faire.

Manifestement, ils essayaient d'éviter de comprendre qu'ils volaient des choses aux prisonniers. Je lui ai dit qu'il devrait probablement appeler cela un « trophée » ou quelque chose de plus beau que ce que c'était réellement. Plus tard, à un autre moment, un autre soldat a pris ce qui restait, par exemple une montre tactique chinoise neuve, bien que bon marché. Il n'a pas pris la peine de nommer quoi que ce soit, il a simplement tout pris. Un autre soldat qui avait encore son gilet pare-balles a été emmené, en lui demandant de ne pas en parler à ses commandants. Comme nous l'avons compris, ils en avaient de pires à l'époque. Ils nous ont également retiré nos chaussures – nous avons passé les mois suivants en chaussettes.

Les Russes savaient-ils qui tu étais et ce que tu faisais dans la vie civile ? Tes activités dans le domaine des droits de l'homme et du journalisme ont-elles eu un impact sur ton séjour en captivité ?

Après quelques jours dans le centre de détention, j'ai commencé à faire l'objet d'une attention particulière. Mais ensuite, pendant le reste de la captivité, l'attitude était tout à fait normale. Sur le chemin du point de transfert, les Russes m'ont demandé lequel d'entre nous était un officier, et j'ai répondu. Ils voulaient faire une vidéo de moi en train de gronder le commandement. J'ai refusé de le faire. Je leur ai dit qu'ils pouvaient bien sûr me forcer à le faire, mais qu'il serait visible et clair que cela avait été fait sous la contrainte physique.

Où avez-vous été emmenés pour la première fois lorsque vous avez été capturés ?

À la fin de la journée, nous avons été emmenés dans un bâtiment délabré où nous avons passé la nuit sur le sol en béton. À un moment donné, un officier cagoulé est apparu, un officier supérieur, et tout le monde lui a obéi. Il nous a mis à genoux, les mains attachées, et nous a parlé, provoquant chez les gars des réactions émotionnelles fortes, nous agressant verbalement pour démontrer sa prétendue « supériorité ».

Il demandait par exemple qui avait des épouses à l'étranger, en Pologne, en Allemagne ou en Turquie. Il commençait ensuite à raconter aux gars ses fantasmes sexuels pathologiques sur ce que les hommes devaient leur faire là-bas, en ce moment même, avec des détails. Il leur dessinait des images de rapports sexuels collectifs, oraux et anaux forcés. Il était clair que cet homme avait des problèmes de pathologie sexuelle. Il nous a menacés de nous condamner à une peine de 10 à 15 ans et de nous envoyer dans une colonie pénitentiaire pour « plaisirs sexuels », et de nous faire arriver à Kiev sans nos dents de devant. En expliquant pourquoi nous n'aurions plus de dents de devant.

Ensuite, ils nous ont apporté des rations militaires et ne nous ont délié les mains que lorsque nous sommes allés un par un, sous la menace d'une arme, déféquer dans un tonneau en plastique transparent, coupé par le haut, qui se trouvait dans un coin.

Il faut dire que par la suite, nous avons été traités plus calmement, sans humiliation. Pour être honnête, j'ai essayé de ne pas trop insister. J'ai tout de suite choisi la ligne de conduite suivante : je n'ai rien à cacher, mais je ne dois pas non plus me faire passer pour quelqu'un d'autre. J'ai essayé de prendre sur moi les conversations risquées et provocatrices afin que les gars ne s'y laissent pas entraîner.

Est-ce que vous ou vos hommes avez subi des violences de la part de l'armée russe ?

Plus tard, lorsque de nouveaux soldats en uniforme sont arrivés, ils nous ont emmenés un par un dans des pièces voisines, nous ont posé des questions sur notre service et ont enregistré des vidéos de nous. C'était un peu comme un interrogatoire. Ainsi, lorsqu'un des soldats a été amené pour être interrogé, il a dit qu'il ne se souvenait pas des indicatifs de ses commandants. Il a donc été frappé à plusieurs reprises avec un crochet en bois. J'ai immédiatement dit aux gars que puisque nous n'avions pas d'informations confidentielles, nous devions tout dire pendant l'interrogatoire pour sauver notre peau.

Ils m'ont intimidé ensuite en me montrant une fosse dans l'arrière-cour, menaçant de m'y jeter et de me montrer ceux qui « ne comprenaient pas comment se comporter ».

Il y a eu un moment intéressant lorsqu'ils ont enregistré une vidéo avec moi. L'un d'eux a dit à l'autre : « Regarde, c'est vraiment un journaliste, parce qu'il a dit ce qu'il voulait, pas ce dont nous avions besoin ». Plus tard, l'officier cagoulé mentionné plus haut nous a lu des extraits du message de Poutine du 22 février 2022, je crois, où il parle de l'Ukraine, et ceux qui étaient pointés du doigt par l'officier devaient réciter ces extraits mot pour mot, et si quelqu'un faisait une erreur ou bégayait, je serai battu avec un bâton. Parce que j'étais le seul officier, le commandant, et que je ce « connaisseur de l'histoire de Poutine » avait une dent contre moi. J'ai pensé qu'il valait mieux qu'ils me battent moi plutôt que mes hommes.

Ensuite, on nous a emmenés ailleurs et on nous a jetés sur un sol en béton. Là, ils nous ont enlevé les bandeaux des yeux, nous ont délié les mains et nous avons vu que nous étions dans une cellule. Ils ont ensuite apporté de vieux matelas déchirés et des serviettes. Certains d'entre eux portaient le cachet du SIZO de Luhansk. C'est ainsi que nous avons su où nous étions. Au total, j'ai passé un an et trois mois dans le centre de détention, jusqu'en septembre 2023.

Le 6 mars 2023, le tribunal d'occupation de la région de Louhansk vous a condamné à 13 ans de prison et vous a accusé de « traitement cruel de civils et d'utilisation de méthodes interdites dans un conflit armé ». Comment cet article a-t-il vu le jour ?

Dans le SIZO de Luhansk, nous avons été activement interrogés par diverses structures : des personnes en uniforme militaire et en civil. On nous posait des questions sur les mouvements de notre unité, sur l'endroit où nous nous trouvions et sur notre nombre. Le 16 juillet, j'ai été interrogé par deux personnes, l'une en civil et l'autre dans une sorte de camouflage non réglementaire. L'un des enquêteurs s'intéressait aux activités de la Fondation Soros en Ukraine et voulait que je donne une interview à un « média international réputé » non nommé pour en parler. Je lui ai dit que je ne voulais pas donner d'interview, mais que s'ils me forçaient à le faire, je pourrais lui dire ce que je savais : que la branche ukrainienne de la fondation soutenait des projets sur la décentralisation, le gouvernement local, l'aide juridique et les publications universitaires.

Il n'a pas beaucoup apprécié la conversation et c'est à ce moment-là que j'ai entendu pour la première fois : « Nous allons te mettre en prison ». Cette promesse s'est concrétisée un mois plus tard, le 13 août. J'ai été emmené pour un interrogatoire, où des personnes en uniforme, le visage couvert, m'ont assis de telle sorte que je ne pouvais voir que le sol, c'était inconfortable, ils m'ont déséquilibré de diverses manières, ils m'ont intimidé. Puis ils m'ont dit qu'il y avait trois options : la première était de signer tout ce qu'ils me donnaient sans le lire, ce serait un aveu de crime de guerre, je serais condamné et ensuite échangé ; la deuxième était de refuser de signer les documents, et je serais alors emmené pour une « enquête expérimentale » à savoir que je serai tué en ayant soi-disant essayer de m'échapper ; la troisième option était de rester en prison sans aucun échange pour on ne sait combien de temps, ou plutôt, aussi longtemps qu'ils le voulaient. Ainsi, si je ne coopérais pas et ne signais rien, je ne sortirais pas indemne, ni physiquement ni psychologiquement. Ils m'ont dit qu'à 45 ans, on pouvait mettre fin à sa vie. Si j'acceptais, ils m'emmèneraient dans l'arrière-cour, me donneraient une cigarette, me laisseraient appeler chez moi, puis ils me tireraient dessus.

L'un des interrogateurs m'a demandé si je voulais vivre et j'ai répondu que oui, si Dieu me le permettait. Il s'est accroché à cette réponse et, lorsqu'il a appris que j'étais chrétien, il a dit : « Eh bien, nous ne sommes pas chrétiens, cela ne nous concerne pas. » Ils ont ensuite imprimé le rapport d'interrogatoire, en se trompant sur l'endroit où j'avais « commis le crime ». Plus tard, j'ai appris qu'il s'agissait du fait que j'avais prétendument tiré avec un lance-grenades sur un immeuble résidentiel où il y avait des gens, et que deux femmes avaient été blessées. De toute façon, selon eux, peu importe ce qui était écrit sur les papiers, ils pouvaient me condamner sans mon témoignage. Ils m'ont dit que si je signais rapidement les documents, ils seraient envoyés au procureur puis au tribunal, et que je pourrais rentrer chez moi en octobre – je serais échangé.

Plus tard, alors qu'ils finalisaient mon dossier, ils m'ont emmené à Sievierodonetsk, dans la maison sur laquelle j'aurais tiré. Ils m'ont demandé de lever la main, de montrer une fenêtre spécifique, m'ont pris en photo, m'ont dit de montrer la fosse et de me souvenir de l'adresse. Lorsque j'ai demandé de quoi il s'agissait, ils m'ont répondu que je le saurais plus tard. La seule chose sur laquelle j'ai insisté à ce moment-là, dans la mesure où il était possible d'insister dans cette situation, c'est que je ne témoignerais contre personne, mais seulement contre moi-même, et que l'affaire devait se dérouler en l'absence de cadavres.

Comment avez-vous réagi à la condamnation à 13 ans de prison ?

Je m'y attendais. Les gars de la cellule et moi-même réfléchissions à la durée de ma peine. Ils étaient plus optimistes. Je m'attendais à 12-15 ans, c'est donc ce qu'ils m'ont donné. Mais j'espérais qu'il y aurait bientôt un échange et que je serais échangé. Quoi qu'il en soit, je savais que je ne resterai pas en prison aussi longtemps. Je n'avais aucun doute sur le fait que je ne purgerai pas la totalité de la peine.

Au cours de l'une des actions dites d'enquête, un officier du comité d'enquête de la Fédération de Russie a déclaré que la partie ukrainienne emprisonnait les Russes pour de longues périodes sous l'accusation de « franchissement illégal de la frontière de l'État par un groupe organisé de personnes armées afin de prendre une partie du territoire en faveur d'un autre État ». En d'autres termes, de longues peines sont prononcées pour ces faits et pour les crimes de guerre, et par conséquent, pour que leurs militaires soient échangés, disent-ils, ils ont dû nous condamner à des peines tout aussi longues.

Sais-tu ce qu'il est advenu de tes compagnons d'armes avec lesquels tu as été capturé ?

Deux d'entre eux ont été échangés à la fin de l'année 2022, et l'un d'eux est malheureusement décédé plus tard, en défendant notre pays et notre liberté. Deux autres ont été échangés cette année. Les autres sont toujours en captivité. Aucun d'entre eux n'a été condamné. Ils ont le statut de prisonniers de guerre.

D'après ton expérience, qu'est-ce qui t'a aidé à survivre à la captivité et à rentrer ?

Je n'avais aucun doute sur le fait que l'on se souvenait de moi, que l'on essayait de tout faire pour me libérer, que l'on pensait à moi, que l'on priait pour moi. J'essayais constamment de m'occuper l'esprit. J'ai essayé de résumer mes expériences antérieures, d'établir des liens internes entre ce en quoi je crois, ce dont je suis convaincu et ce que je fais.

J'analysais ma vie, j'essayais de la comprendre. J'ai réfléchi à la manière de mieux faire les choses, j'ai travaillé sur mes erreurs, j'ai donné la priorité aux choses vraiment importantes dans ma vie, j'ai essayé de ne pas oublier l'anglais et l'ukrainien, j'ai écrit des chroniques ou des discours dans ma tête, je me les suis lus, j'ai formulé des pensées et je me suis souvenu des personnes que j'avais rencontrées dans ma vie.

Tu suis actuellement une rééducation après votre captivité. Comment se déroule-t-elle, en quoi consiste-t-elle et quelle est son efficacité ?

C'est un processus intéressant. Pour être honnête, je pensais qu'il serait plus rapide et plus formel. Le processus de réhabilitation peut être divisé en quatre types d'activités : la première est la réhabilitation médicale, l'examen, le diagnostic pour comprendre ce que la personne a rapporté avec elle de captivité en termes de pathologies éventuelles ; la deuxième est psychologique, des psychologues travaillent avec vous et tentent de vous ramener à la vie dans un contexte plus libre ; la troisième est administrative, elle est liée à la récupération de documents volés, à toutes sortes de choses administratives ; et la quatrième est, bien sûr, la collaboration avec les forces de l'ordre et l'établissement des circonstances de la captivité. Ils essaient de faire tenir ces quatre sujets dans un laps de temps assez court, de sorte que le calendrier est en fait assez serré.

J'essaie maintenant de déterminer où je peux être le plus utile.

Que comptes-tu faire après la réadaptation ?

J'ai encore le temps d'y réfléchir. Après la captivité et la période de soins, une personne a droit à un congé de 30 jours pour se rétablir. Pendant cette période, je réfléchirai à ce que je veux accomplir à court terme, ou plutôt à la manière d'y parvenir mieux et plus efficacement. J'essaie de déterminer où je serai le plus utile et dans quel statut.

Je ne vais pas quitter la protection des droits de l'homme. Elle m'accompagnera longtemps, probablement jusqu'à la fin de ma vie. C'est vraiment une partie intégrante de ma vie, et c'est pourquoi je vais continuer à le faire. Bien sûr, je n'abandonnerai pas les sujets liés à la migration forcée, aux réfugiés, aux personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays, à la discrimination, à la xénophobie et à la haine. Je me rends compte aujourd'hui qu'il faudrait accorder plus d'attention à l'analyse de la propagande et au travail sur l'information, à la pensée critique et à la perception de la réalité. Mais ma priorité dans un avenir proche sera la libération de nos militaires et de nos civils de la captivité.


Maksym Butkevych milite pour les droits humains depuis près de 20 ans. Il a été coordinateur du projet No Borders et cofondateur du centre des droits de l'homme ZMINA et deHromadske Radio. Depuis de nombreuses années, il est l'un des organisateurs et des hôtes des projections et des événements du festival international de films documentaires sur les droits de l'homme Docudays UA.

Ce militant des droits de l'homme a donné des conférences sur les droits de l'homme, les discours haineux et les réfugiés à des journalistes, des militants et des représentants du gouvernement en Ukraine et dans d'autres pays. Il a travaillé au Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés en Ukraine.

Après le déclenchement de la guerre à grande échelle en mars 2022, M. Butkevych a rejoint les forces armées ukrainiennes et a été fait prisonnier par la Russie en juin de la même année.

Une affaire criminelle a été montée de toutes pièces contre Maksym Butkevych. Le 6 mars 2023, un « tribunal » illégal de la partie temporairement occupée de la région de Luhansk a condamné le militant des droits de l'homme et officier militaire à 13 ans de prison pour avoir prétendument blessé deux femmes en tirant un lance-grenades dans l'entrée d'un immeuble résidentiel alors qu'il se trouvait à Sievierodonetsk.

La cour d'appel de Moscou a confirmé la peine, mais a décidé qu'une partie de la période de détention – à partir du 19 août 2022 – devait être prise en compte dans le calcul de la peine.

En mars 2024, la Cour suprême de la Fédération de Russie a confirmé la condamnation à 13 ans de prison d'un militant des droits de l'homme et soldat capturé. Lors de l'audience, il a déclaré qu'il avait été contraint de s'incriminer sous la menace de la torture. Les juges russes ont refusé d'inclure dans le dossier la preuve que Butkevich n'était pas du tout sur le lieu du crime présumé, ni à Sievierodonetsk, ni le jour indiqué dans le « dossier », ni aucun autre jour de la guerre. La déclaration des activistes des droits de l'homme selon laquelle il s'est incriminé lui-même en raison de promesses d'échange rapide et de menaces de torture n'a pas été prise en compte.

Le procès de Maksim Butkevich a été condamné par les organisations ukrainiennes de défense des droits de l'homme, Amnesty International, Human Rights Watch,Memorial, les membres de l'APCE et d'autres organisations.

L'association russe Mémorial a reconnu Maksym Butkevych comme prisonnier politique.

En novembre 2022, Maksym Butkevych reçoit le prix tchèque de l'histoire de l'injustice : son père, Alexander, reçoit le prix à Prague à la place de son fils. En 2023, Maksym Butkevych a reçu le prix Anne Frank pour la dignité humaine et la tolérance, décerné par l'ambassade des Pays-Bas aux États-Unis, ainsi que le prix national des droits de l'homme, décerné par la plateforme ukrainienne Human Rights Agenda.

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L’immigration est-elle « utile » ? En finir avec un débat réactionnaire

26 novembre 2024, par Maëva Amir — , ,
Depuis la nomination de Bruno Retailleau et ses annonces chocs sur une loi immigration 2.0 ultra répressive, le débat sur l'équation coûts/bénéfices de l'immigration refait (…)

Depuis la nomination de Bruno Retailleau et ses annonces chocs sur une loi immigration 2.0 ultra répressive, le débat sur l'équation coûts/bénéfices de l'immigration refait surface, y compris à « gauche ». Une « défense » des immigrés alignée sur les besoins du patronat qui participe d'un consensus xénophobe avec laquelle il est grand temps d'en finir.

20 novembre 2024 | tiré de Révolution permanente
https://www.revolutionpermanente.fr/L-immigration-est-elle-utile-En-finir-avec-un-debat-reactionnaire

Depuis quelques mois quelques voix s'élèvent contre la surenchère réactionnaire à l'œuvre du côté de la place Beauvau contre les immigrés. De Sophie Binet à Olivier Faure, en passant par une large partie de la gauche institutionnelle et syndicale, la « riposte » aux politiques anti-immigrés du gouvernement participe cependant du même argumentaire. L'offensive raciste de Retailleau serait critiquable moralement, politiquement, …, mais surtout parce qu'elle manquerait l'essentiel : les « immigrés » servent à quelque chose ; ils sont utiles.

« Notre position est de dire qu'il faut en finir avec une forme d'hypocrisie, avec ces femmes et ces hommes qui font tenir le pays debout, qui travaillent, qui sont dans des conditions souvent d'exploitation, et ceux-là doivent être régularisés » explique ainsi Olivier Faure. Sophie Binet avance aussi que : « les personnes immigrées travaillent et rapportent beaucoup plus au pays qu'elles ne lui coûtent ».

L'ensemble des enquêtes et études au sujet de l'immigration corroborent ces propos : les immigrés rapportent plus qu'ils ne coûtent. Il y a cependant un problème à enfermer d'emblée tout débat sur l'immigration dans une logique comptable. Puisque l'immigration « rapporte », encore faut-il se demander quels sont les immigrés qui sont rentables ? Et bien souvent cela amène à réaliser un tri entre les travailleurs sans-papiers et les autres sans-papiers. C'est le cas notamment d'Olivier Faure, secrétaire général du Parti Socialiste qui défend une régularisation réservée uniquement aux travailleurs sans-papiers.

La logique, par-delà la différence de posture et de programme, n'est en réalité pas différente de celle qui anime les différentes organisations patronales au sujet de l'offensive xénophobe en cours. Assumant une position qui nuance les propositions du ministre de l'Intérieur, le président du Medef défendait à ce titre en septembre dernier au micro de France Info la nécessité de « ne pas s'interdire de recourir à tous les niveaux de qualification à de la main d'œuvre immigrée ». Il ajoutait que son organisation est « contre les sans-papiers car sur le plan des distorsions de concurrence, c'est inadmissible ». Une position adoubée par la ministre du travail Astrid Panosyan-Bouvet qui a expliqué vouloir « travailler » le sujet avec son collègue de l'Intérieur, Bruno Retailleau.

Et une ligne en adéquation par ailleurs avec la proposition du titre de métiers en tension dans la dernière loi immigration portée par Gérald Darmamin et votée en janvier dernier. Ce titre, défendu par une partie du patronat et de la gauche syndicale et politique cherchait à favoriser la régularisation de travailleurs sans papiers dans les secteurs dans lesquels la main d'oeuvre se fait rare. Cette mesure présentée au moment des débats comme le volet progressiste de la loi ne constituait pourtant en réalité qu'un moyen d'entériner la surexploitation des travailleurs sans-papiers dans les secteurs les plus difficiles et les plus mal payés. Par exemple, dans le seul secteur de l'aide à la personne considéré comme un secteur en tension, on compte 25% de travailleurs étrangers.

Cette logique en voie d'expansion s'est accompagnée de l'intensification depuis les années 2000 de la chasse aux étrangers en situation irrégulière sur les lieux de travail, contribuant ainsi largement à alimenter la surexploitation des travailleurs étrangers. La loi du 24 juillet 2006 qui réintroduit la carte de séjour lié au travail et autorise des régularisations exceptionnelles pour les sans-papiers parrainés par leur employeur avec un contrat de travail a eu pour corollaire d'inciter davantage encore les travailleurs immigrés à accepter n'importe quel emploi tout en les rendant plus dépendants de leurs patrons. Dans le même temps, ceux qui auraient refusé de pourvoir les emplois vacants et aux conditions de travail dégradées ont vu leur expulsion facilitée. Un chantage qui n'a profité qu'aux patrons.

De plus, cette régularisation quasi exclusivement par le travail participe d'une logique de multiplication et de hiérarchisation des titres de séjour qui aboutissent in fine à une précarisation du séjour. Les récentes politiques migratoires restrictives organisent cette fabrique du sans-papier très largement fonctionnelle au système capitaliste. Cette « organisation pyramidale » [1] de l'immigration selon la stabilité du titre de séjour instaure une pression permanente, comme une épée de Damoclès sur la tête des travailleurs sans-papiers pour qu'ils acceptent leur assignation à la surexploitation.
De la surexploitation au consensus raciste

Toutes ces positions qui ont en commun de conditionner la régularisation des sans-papiers de façon plus ou moins assumée à leur rentabilité pour le patronat jouent également un jeu dangereux et plus insidieux encore. Ce faux débat sur les coûts/bénéfices des travailleurs sans-papiers pour le patronat participe en effet à conforter les politiques pro-immigration choisie contre ladite immigration subie et, en dernière instance, alimente le consensus xénophobe et raciste à l'œuvre. L'immigré est alors perçu comme acceptable à la condition qu'il soit une ressource, un corps corvéable à merci qui permettra au patronat de baisser les coûts de la main d'œuvre, y compris « blanche », dans des secteurs qui ne sont pas délocalisables comme le bâtiment, l'aide à la personne ou encore la restauration

Accepter de défendre la logique de l'immigration choisie, c'est défendre la précarisation subie de tous les sans-papiers et une dégradation des conditions de l'ensemble de la classe ouvrière. Une telle position revient à s'adapter largement aux propositions du Rassemblement National et plus largement aux politiques migratoires réactionnaires. Elle cherche à « rassurer » les travailleurs nationaux auxquels on rabâche depuis des années que les immigrés « vont voler leur travail » ou qu'ils « profitent des services publics ». Comme une manière de dire : « ne vous inquiétez pas trop travailleurs nationaux - et blancs - certains immigrés nous rapportent de l'argent ». Des propositions qui se révèlent donc inutiles voire dangereuses au moment de lutter contre le racisme qui infuse dans notre classe.

Pourtant sur cette voie, la « gauche » a joué une partition active. L'adaptation au langage libéral et à ses politiques en effet n'est pas une nouveauté. On pensera par exemple à la ligne protectionniste et nationaliste des années Marchais au PCF ou encore à François Mitterrand qui, dans les années 90 affirmait que le « seuil de tolérance » des Français à l'égard des étrangers avait été atteint dans les années 70. En rejoignant progressivement la position de la droite, le PS a fini par imposer l'idée qu'il n'y aurait pas d'alternative et que l'immigration constituerait en soi un problème dont il s'agirait de minimiser les conséquences négatives.

On remarquera enfin à quel point les discussions autour des « bénéfices » du travailleur immigré, du RN à la gauche, participent d'une discussion plus large sur la productivité des travailleurs immigrés ou non. Comment ne pas voir que la surenchère anti-immigré de l'extrême-droite et du macronisme et l'offensive anti-sociale contre les « assistés » partagent le même vocabulaire et la même logique intrinsèque ? Comment ne pas voir que dans la séquence austéritaire en cours ce sont l'ensemble des travailleurs qui sont menacés ici et là de licenciements ou de baisses de salaires précisément parce que la crise ferait qu'ils ne « rapporteraient » plus assez ?

Il y aurait bien évidemment une discussion plus large à porter au débat sur qui fait « tourner la société » et surtout au profit de qui. Mais en réduisant cet enjeu à la seule question de l'immigration, les hérauts de « l'utilité de l'immigration » participent d'une double division : entre les immigrés eux-mêmes (ceux qui seraient utiles et ceux qui ne le seraient pas), entre les travailleurs immigrés et les travailleurs nationaux ensuite.

A rebours de ces logiques de division et d'adaptation au consensus xénophobe et sécuritaire, les syndicats et les organisations qui se réclament de la gauche devraient au contraire chercher à unifier les travailleurs nationaux et immigrés et refuser la logique de précarisation du séjour à l'oeuvre. Cela passe par revendiquer la régularisation de tous les sans-papiers sans condition, l'ouverture des frontières et la liberté de circulation pour toutes et tous. Alors que le gouvernement mène des politiques austéritaires d'ampleur et que le patronat prévoit des plans de licenciements massifs, ces revendications doivent s'accompagner de la défense du partage du temps de travail entre tous et toutes, de la fin des contrats précaires. Ce sont les seules mesures capables de résorber le chômage, d'en finir avec la surexploitation d'une partie de notre classe et avec la division travailleurs étrangers et nationaux qui ne profite qu'aux grands capitalistes.

[1] Said Bouamama, Des classes dangereuses à l'ennemi intérieur, Editions Syllepse, p.139

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Espagne. La tempête parfaite

26 novembre 2024, par Manuel Gari — , ,
La tragédie de Valence du 29 octobre [1] a mis en évidence la coïncidence temporelle et géographique de plusieurs crises concomitantes : la crise climatique, le modèle (…)

La tragédie de Valence du 29 octobre [1] a mis en évidence la coïncidence temporelle et géographique de plusieurs crises concomitantes : la crise climatique, le modèle urbanistique piloté par le capital financier et immobilier, et l'aggravation de la dégradation institutionnelle du « régime de 78 » [2].

18 novembre 2024 | tiré du site alencontre.org

L'accélération du réchauffement climatique produit par les gaz à effet de serre – notamment le CO2 et le méthane – est évidente, avec ses conséquences terribles pour l'humanité. Pourtant, les très puissants courants négationnistes ont été renforcés dans le discours public, dopés par la victoire de Trump et financés par les entreprises les plus liées au « capital fossile », qui contrôlent cyniquement et sans vergogne la réunion de la COP29 à Bakou. La hausse des températures est à l'origine de la modification des régimes de précipitations et d'évaporation sur de vastes zones de la planète. Les phénomènes de désertification et de pluies torrentielles sont les deux faces d'une même médaille.

Le point zéro de la DANA

La Méditerranée (mer fermée) connaît des températures de 30°C dans certaines zones et la moyenne générale ne cesse d'augmenter tant en surface qu'à des profondeurs intermédiaires [liéee à la double caractéristique de température et de salinité]. Le phénomène des « canicules marines » s'installe, provoquant l'anoxie [diminution de la quantité de dioxygène] et la mort des coraux et des poissons. Comme le dit le poète et auteur-compositeur Joan Manuel Serrat dans son poème « Plany al mar », la Méditerranée que nous connaissions est mortellement blessée [3]. Dans le même temps, l'atmosphère retient 7% d'eau en plus pour chaque degré Celsius d'augmentation de la température. A des températures de surface de l'eau supérieures à 27ºC, la tempête peut se transformer en ouragan (avec son propre nom : medicane : mot-valise pour l'anglais Mediterranean hurricane, ouragan méditerranéen), une sorte de cyclone tropical méditerranéen. Ces deux facteurs (température de l'eau et rétention de vapeur) expliquent la bombe atmosphérique DANA [acronyme espagnol de la « dépression isolée à des niveaux élevés », « goutte froide » en français, voir graphique en fin d'article].

Le phénomène de la DANA (Depresión Aislada en Niveles Altos) a provoqué ces deux dernières semaines dans plusieurs régions de l'est de l'Espagne des précipitations d'une intensité, d'un volume et d'une violence jamais enregistrés auparavant. Les scientifiques nous mettent en garde sur le fait que ce qu'ils appellent la période de retour s'est raccourcie [4]. Dans le cas précis de Valence, Félix Francés, professeur d'ingénierie hydraulique à l'université polytechnique de Valence, affirme que l'événement est tellement extraordinaire que pour trouver un événement de cette intensité il faudrait remonter à une période que l'on peut situer entre 1000 et 3000 ans. Il n'est donc pas exagéré de reprendre l'expression de Jeremy Rifkin lorsqu'il décrit la mer Méditerranée comme le point zéro du changement climatique, bien qu'il faille noter qu'il existe malheureusement déjà de nombreux « points zéro » où le réchauffement climatique se manifeste, sous différentes formes.

La DANA est un phénomène météorologique bien connu dans le Pays valencien, mon pays d'origine, mais qui n'a jamais atteint les dimensions apocalyptiques que nous avons connues [5]. Un autre poète et auteur-compositeur-interprète de la même génération de 1968 que Joan Manuel Serrat, Raimon, a également écrit un beau poème en 1984 intitulé « Al meu país la pluja no sap ploure » (Dans mon pays, la pluie ne sait pas comment pleuvoir) [6]. Tout au long de l'histoire, la Méditerranée a vu naître d'importantes civilisations basées sur les ressources en eau et s'effondrer à cause des sécheresses. Pour une fois, nous pouvons nous rallier à l'opinion du conservateur François-René de Chateaubriand lorsqu'il dit que « les forêts précèdent les civilisations, les déserts les suivent ». Et nous sommes à nouveau à la croisée des chemins en Espagne. Pendant des années, la DANA a été connue sous le nom de « goutte froide » [7] et pendant des années, on a dit que des mesures pouvaient être adoptées pour en atténuer les effets. Rien n'a été fait, ni au niveau macro, ni au niveau micro.

La DANA du 29 octobre met en évidence le fait que ce type de phénomène météorologique sera plus fréquent et plus intense dans un pays comme l'Espagne, qui est particulièrement vulnérable au changement climatique en raison de sa position géographique. Il s'agit d'un phénomène dans lequel une masse d'air polaire très froid est isolée et commence à circuler à très haute altitude, entre 5000 et 9000 mètres. Elle entre en contact avec d'énormes masses de vapeur d'eau causées par l'évaporation, dans ce cas de la mer Méditerranée. Si ces masses d'air sont situées au-dessus de la péninsule Ibérique, lorsqu'elles atteignent le golfe de Valence, elles se rechargent en raison de la température élevée de la Méditerranée. Cela forme un flux linéaire de tempêtes qui déversent de grandes quantités d'eau dans les montagnes proches de la côte en un court laps de temps. A son tour, plus la Méditerranée se réchauffe, plus elle s'évapore ; et plus le front polaire ondule en raison de l'augmentation de la température, plus il est probable qu'une masse d'air froid s'y installe. Un système de rétroaction parfait. Paradoxalement, il pleut moins tout au long de l'année, mais les précipitations peuvent être plus intenses et durer plus longtemps à un moment donné.

Dans le cas de Valence et d'une grande partie de la côte méditerranéenne espagnole, l'orographie [le relief] favorise la chute soudaine des précipitations dans les montagnes côtières voisines. Les rivières et les torrents qui, pendant une grande partie de l'année, ont un faible débit d'eau ou sont soudainement à sec, servent de canal d'écoulement à de grandes quantités d'eau de pluie. Mais ces phénomènes atmosphériques, aujourd'hui aggravés par le changement climatique, produisent des effets dévastateurs lorsqu'ils se produisent dans un contexte sociopolitique capitaliste où le profit a pris le pas, à divers égards, sur les intérêts de la majorité sociale. Disons que les malheurs ne tombent pas du ciel et qu'ils ne sont pas non plus une punition divine.

Chaos, spéculation et business urbain

Tout d'abord sont remontés à la surface les effets de l'accumulation de décisions urbanistiques suicidaires sur des territoires inondables prises au cours des cinquante dernières années, pour des raisons spéculatives, par le capital immobilier. La décision de libéraliser tous les terrains disponibles afin de faciliter la construction résidentielle, industrielle et touristique (par ailleurs mal contrôlée par les municipalités concernées) promue par le Premier ministre espagnol [1999-2004] José María Aznar du Parti populaire (PP) de droite dans les années 1990 a facilité la construction de logements sur des plaines inondables situées, dans le cas de Valence, entre les montagnes et la mer. Trente pour cent des logements sociaux construits en Espagne depuis lors se trouvent en zones inondables. Cela représente une zone à risque de 2500 km2 et 3 millions de personnes potentiellement exposées aux conséquences des inondations.

Il convient également de noter que les conseils locaux (gouvernés par les grands partis) qui disposent de certaines compétences légales en matière d'urbanisme et de réglementations de la construction des bâtiments destinés à l'habitation, au secteur tertiaire et à l'industri dans leur municipalité n'ont pas adopté une approche rationnelle, à quelques exceptions près. Au contraire, leur système de financement étant très précaire, ils ont financé leurs activités grâce aux recettes municipales et aux impôts liés à la construction et à l'utilisation des bâtiments. En outre, tout au long de la côte méditerranéenne, des autoroutes et des routes ont été construites parallèlement au littoral, ainsi que de grands complexes hôteliers, touristiques et résidentiels qui forment une véritable barrière de plusieurs kilomètres linéaires, rendant difficile l'accès à la mer de l'eau provenant des montagnes ou des précipitations dans la zone concernée, comme on peut le voir à vol d'oiseau ou par drone si vous préférez.

La libéralisation des terres sans critères urbanistiques rationnels dans l'organisation du territoire a conduit avant tout à la grande bulle de la construction avec l'implication des banques et des grandes entreprises de construction durant la première décennie du XXIe siècle. Mais pas seulement : ses conséquences sociales dramatiques sont évidentes.

Dans le cas de la dernière DANA de Valence, la planification urbaine sans loi ni critères a eu des effets dévastateurs avec la mort de plus de 200 personnes, avec des dégâts frappant maisons et écoles, avec la destruction d'installations industrielles et de cultures agricoles. A quoi s'ajoutent les dommages ayant frappé des infrastructures telles que des routes et des ponts et bien d'autres éléments dans une zone de 56 000 hectares où vivent 230 000 personnes dans 75 municipalités et où sont implantées 10% des entreprises industrielles et logistiques du pays de Valence. Les pertes économiques dans l'industrie et l'agriculture sont en cours de quantification, mais les premières estimations se chiffrent déjà en milliards d'euros. Pourtant, le PP valencien s'apprêtait ces dernières semaines à voter une loi qui permettrait de construire des hôtels à 200 mètres du littoral au lieu des 500 mètres actuels.

La politique, les politiciens et la négation des preuves

Il est clair que Carlos Mazón, membre du PP et président de la Generalitat de la Comunidad Valenciana (gouvernement régional autonome de Valence), est coupable d'une négligence extrême ayant entraîné des décès pour n'avoir pas fixé le niveau d'urgence correspondant à la situation et n'avoir envoyé les alertes à la population – comme il en avait l'obligation légale – qu'en fin d'après-midi, alors que la situation était déjà catastrophique. Il a des responsabilités politiques, mais il devrait être tenu responsable de ses responsabilités pénales pour ses actions criminelles.

De leur côté, de nombreux employeurs, les véritables « propriétaires » et dirigeants occultes du PP dans toute l'Espagne, mais en particulier à Valence, ont forcé leurs salarié·e·s à poursuivre leur travail de manière inhumaine et en violation de la loi sur la prévention des risques professionnels qui stipule explicitement qu'en cas de situation d'urgence le travail doit cesser. Si le travail avait cessé, de nombreuses vies auraient été sauvées. Ce faisant, ces employeurs ont également engagé leur responsabilité pénale.

Le gouvernement régional est le produit d'une alliance entre le PP conservateur, qui se manifeste progressivement comme un parti d'extrême droite au vernis centriste, et Vox, une formation ouvertement trumpiste, sans complexe, selon une déclinaison hautement réactionnaire et autoritaire similaire à celle du Hongrois Viktor Orban. Son principal dirigeant, Santiago Abascal, vient d'être nommé président du parti européen le plus réactionnaire, Patriotes pour l'Europe. Bien que très récemment les deux partis, PP et Vox, aient rompu leurs accords à Valence, accords qui avaient conduit le gouvernement valencien à s'aligner en pratique sur le négationnisme de Vox, on assiste néanmoins à un phénomène contradictoire : progressivement, le parti conservateur incorpore (PP) ou remet à son ordre du jour les thèmes de l'extrême droite : migration-délinquance, anti-catalanisme, etc.

Vox est ouvertement négationniste en matière de changement climatique, mais le PP abrite en son sein de nombreux négationnistes éhontés ou ouvertement stupides comme Nuria Montes, ministre de l'Industrie, du Commerce et du Tourisme (équivalent du poste de ministre) du gouvernement régional conservateur, capable d'affirmer sans rougir que le changement climatique est bon pour Valence car il allonge la saison touristique estivale. Les deux partis découragent l'abandon des combustibles fossiles, ont des projets industriels et touristiques développementalistes sans aucun contrôle sur le type de croissance, relativisent le réchauffement, ont éliminé des budgets régionaux les postes destinés aux situations d'urgence – au profit de la barbare « fiesta de toros » – et forment une coalition pour la défense des intérêts des entreprises de construction.

Dans la gestion de la DANA, les deux partis PP et Vox – comme dans presque tous les dossiers – forment une « Sainte Alliance » qui inclut également dans la pratique des formations ouvertement nazies dont le seul objectif est de disculper le président régional Carlos Mazón – qui légalement aurait dû prendre les mesures pour prévenir de la situation d'urgence. Ce dernier a ignoré les avertissements de l'Agence météorologique espagnole (AEMET) et de la Confédération hydrographique qui donnaient des informations en temps opportun sur la gravité de la situation parce qu'entre-temps il était en train de prendre un long déjeuner avec un journaliste. Le but de cette disculpation explicite ou implicite de Carlos Mazón par la droite dure et l'extrême droite est de faire porter le chapeau au gouvernement central espagnol dans sa lutte pour délégitimer Pedro Sánchez [8].

Carlos Mazón n'a pas démissionné comme l'exigeait la clameur populaire. En outre, le PP dans son ensemble est en train – comme par le passé [9] ­– d'« externaliser » les responsabilités, même au prix non seulement de la vérité, du discrédit de la politique auprès des citoyens, ou de la création d'une crise au sein de l'Union européenne à deux mois de l'entrée en fonction de Trump, qui menace les accords préexistants. En d'autres termes, le PP espagnol a transféré ses querelles sectaires dans l'arène européenne et a probablement provoqué non seulement une crise institutionnelle aux résultats imprévisibles [le PP, avec le Parti populaire européen, a lancé une offensive contre la commissaire européenne désignée, Teresa Ribera, ministre de la Transition écologique du gouvernement Sanchez, invoquant « sa gestion des inondations catastrophiques »], mais aussi une nouvelle étape dans le glissement vers la droite du Parti populaire européen et son rapprochement avec les forces autoritaires.

Le PP a de nouveau employé les vieilles tactiques nazies, reprises par le trumpisme, consistant à affirmer un mensonge comme une vérité, en créant une réalité « alternative ». Une tactique dans laquelle ils se sont montrés extrêmement efficaces. Ce n'est pas un hasard si la plupart des conseillers qui encadrent le PP dans tous les domaines sont des experts en communication politique, sans aucune formation sur les sujets qu'un gouvernement doit traiter. Il s'agit de gagner la bataille de la communication et de l'image.

Cela s'inscrit dans un contexte plus large de stagnation et de crise permanente sur le plan institutionnel où toutes les forces issues du franquisme (qu'elles n'ont jamais critiqué) avec la connivence d'une grande partie de l'appareil d'Etat – police parallèle, juges, etc. – s'emploient à judiciariser la vie politique pour attaquer le gouvernement central mais aussi et surtout les organisations sociales, les luttes syndicales, les indépendantistes et la gauche révolutionnaire, en utilisant toute une batterie de mesures répressives. L'objectif stratégique est de mettre fin à toute résistance populaire sans avoir recours à un coup d'Etat, en utilisant simplement les mécanismes de la démocratie dite libérale. Le but de ce néolibéralisme autoritaire est de parvenir à de meilleurs rapports de forces au plan social et politique afin d'imposer de nouvelles attaques contre les droits politiques et du travail et de pouvoir passer à une nouvelle phase de déréglementation du travail dans le but d'obtenir de plus grandes marges de plus-value.

Face à cette situation, la donnée fondamentale de la conjoncture réside dans la faiblesse, la prostration, la démobilisation et la désorganisation de la classe laborieuse et des mouvements sociaux. Le cycle ouvert le 15-M (15 mai 2011) avec le mouvement des Indignados, qui a donné lieu à la formation d'organisations comme Podemos, s'est achevé par un échec total des responsables politiques populistes qui ont intégré électoralement cette force et un retour à un bipartisme imparfait des forces du régime de 78. Aujourd'hui, la mobilisation sociale est très faible et les grands syndicats ont renoncé à jouer un rôle organisateur dans cette mobilisation. L'objectif des directions syndicales majoritaires est de parvenir à une concertation sociale avec des organisations patronales de plus en plus agressives et droitières. Dans le même temps, il faut noter que le découragement gagne la base électorale de gauche qui voit se consolider dans l'opinion publique l'influence de la droite dure et d'une partie de l'extrême droite. Et progressivement, plus dangereusement, un rejet de ce qui relève du collectif, du politique, se répand dans la société, ce qui constitue un bon terreau pour les organisations d'extrême droite. L'idée qu'il faut un « sauveur » même au prix des libertés est le germe d'un Etat autoritaire.

Le gouvernement social-libéral de Pedro Sánchez porte une responsabilité majeure dans cette situation. Il s'est consacré à l'adoption de mesures compassionnelles et palliatives à l'égard de la classe laborieuse sans s'attaquer aux problèmes sous-jacents et n'a pas tenu ses promesses électorales : par exemple, l'abrogation de la « loi bâillon » répressive (loi organique de protection de la sécurité publique entrée en vigueur en juillet 2015) ou la lutte contre le déficit structurel en matière de logement, etc. Tout cela en continuant à creuser l'écart entre les salaires et les prestations sociales dans le contexte d'une croissance significative de l'économie espagnole.

En ce qui concerne la DANA du 29 octobre, sa responsabilité n'est pas la même que celle du gouvernement PP de Valence en ce qui concerne les événements de ce jour-là. Mais elle l'est pour ce qui a trait à la question fondamentale évoquée ci-dessus. Il n'a pas mis à profit ses années de gouvernement pour éradiquer le modèle irrationnel de planification urbaine et n'a pas non plus pris de mesures urgentes contre le changement climatique. En particulier, alors qu'il se présente comme le champion de la transition écologique, il est révélateur qu'il n'ait pas sérieusement amorcé l'abandon des énergies fossiles. Au contraire, il a alloué des aides publiques de plus de 10,5 milliards d'euros aux entreprises qui tirent profit des énergies fossiles. En même temps, pour ce qui relève de cette DANA, il se cache derrière un discours sur la question des compétences des gouvernements centraux et régionaux pour expliquer ses interventions. C'est un argument logique pour des juristes, mais au moment du drame, personne ne le comprend, en particulier les personnes touchées, qui ne s'arrêtent pas pour évaluer qui est responsable de rechercher leurs disparus, d'enterrer leurs morts, de trouver de l'eau et de la nourriture, de rétablir l'électricité ou de dégager les chaussées encombrées de dizaines de milliers de voitures rendues inutilisables par l'eau.

Une fois de plus, il apparaît clairement que le soi-disant « Etat des autonomies », à mi-chemin entre le centralisme et le fédéralisme, présente des failles majeures dans son fonctionnement réel.

Questions soulevées par l'expérience

Les syndicats et les organisations populaires disposant d'une audience large auraient-ils pu jouer un rôle différent ? Oui, certainement. Dès le premier moment, ils auraient dû appeler à se mettre à l'abri en quittant les lieux de travail, comme l'ont fait, par exemple, les enseignants et les étudiants de l'université de Valence. Les syndicats n'ont même pas utilisé, comme on l'a dit, la loi sur la prévention des risques professionnels. Ils auraient pu organiser immédiatement des brigades pour soutenir les populations touchées. Ils auraient pu aller plus loin et promouvoir l'auto-organisation populaire pour faire face à la catastrophe.

Les forces de gauche auraient pu promouvoir dès le début l'expropriation des moyens pour faire face aux conséquences de l'ouragan : machines, installations, hôtels, nourriture, etc. Elles ne l'ont pas fait parce que les concepts élémentaires ont disparu de l'agenda et de l'horizon de la plupart des forces de gauche.

Les services d'urgence de l'Etat auraient-ils pu agir plus rapidement ? Au-delà des débats juridiques sur les compétences des différentes administrations, je pense que oui. Même au risque d'encourir de nouvelles accusations tordues de la part de l'extrême droite et de la droite dure. La question est la suivante : les forces armées (armée de terre, armée de l'air et marine) doivent-elles avoir le monopole des ressources dont dispose l'Unité militaire d'urgence créée par l'ancien président socialiste [2004-2011] José Luis Rodríguez Zapatero ? La réponse est sans équivoque : les services d'urgence de l'Etat doivent et peuvent être civils, comme le sont, par exemple, les brigades de pompiers de chaque ville ou région pour éteindre les incendies et autres sinistres.

Cependant, la réponse populaire spontanée de solidarité et de soutien mutuel a été spectaculaire. Bien que seules quelques organisations sociales et politiques aient pris l'initiative d'organiser la collecte de moyens d'aide et la présence de volontaires sur le terrain, des milliers de jeunes et de moins jeunes se sont mobilisés. Des milliers de jeunes et de moins jeunes, les femmes jouant un rôle particulièrement important, se sont jetés dans la boue avec leurs maigres moyens pour aider leurs voisins.

Au sein de cette multitude de volontaires, des escouades fascistes et des fabricants de canulars réactionnaires ont fait leur apparition dans le but de gagner en influence et de semer leurs idées grâce à une habile campagne de publicité dans les réseaux sociaux, soutenue également par certains médias de droite (presse, télévision et radio). Et, en toute impunité – comme les nazis dans le passé – ils ont tenté d'imposer leur conception du peuple et, comme leurs prédécesseurs, ils ont eu l'audace de reprendre et détourner des slogans et des mots d'ordre qui étaient jusqu'alors l'héritage de la gauche, tels que « Seul le peuple peut sauver le peuple », un slogan qui servait de bannière après la crise de 2008 aux mobilisations sociales. Il en alla de même le slogan international « Le peuple uni ne sera jamais vaincu ». En bref, ils ont attisé un affrontement prenant appui sur le malaise et de la colère du peuple et, de la sorte, affirmé une hégémonie de leur discours. Dans la situation européenne et mondiale actuelle, nous ne pouvons pas sous-estimer ces manifestations.

Il est vrai que, dans ce contexte, surgit un débat de fond : dans de telles circonstances, et par conséquent dans une transition éco-sociale, peut-on se passer de l'Etat, et ne faut-il pas exiger des gouvernements qu'ils agissent ? Ma réponse est non. Certes à court terme, en pleine crise du type de la DANA, l'intervention des services publics (quels que soient les gouvernants) est nécessaire en raison de la mobilisation des ressources matérielles requises. A l'horizon d'une transition éco-sociale, il faudra combiner la prise de pouvoir de l'Etat et l'auto-organisation et l'autogestion sociale. Et ce n'est qu'ainsi que l'on pourra construire en même temps et par la suite une démocratie socialiste autogestionnaire capable d'impliquer l'ensemble de la société dans les décisions nécessaires à la planification démocratique.

Et maintenant, au milieu de la tragédie, que faire ?

Face à la situation dramatique actuelle de Valence et à son ampleur, que peut faire une petite organisation révolutionnaire ?

En premier lieu, être solidaire et se tenir aux côtés des sinistrés, de notre peuple. En commençant par participer aux tâches de sauvetage et de survie sur le terrain. Et collecter des fonds pour répondre aux besoins urgents afin d'aider les groupes les plus défavorisés, car nous sommes conscients que les effets de la DANA ont également eu des retombées très différentes sur les différentes classes sociales. Personne ne peut avoir d'audience politique s'il ne part pas d'un tel principe de base. Ce principe a également été repris par diverses organisations sociales et quelques (rares) organisations politiques de gauche. Il y a eu une véritable mobilisation de la jeunesse pour participer aux tâches sur le terrain, et ce n'est qu'en étant avec eux que leur solidarité a pu être canalisée politiquement. Des fascistes de diverses organisations sont apparus dans les villages touchés pour y mener leur travail de propagande et d'agitation.

Deuxièmement, contrairement à la position de la majorité des forces syndicales et politiques de gauche, qui prétendent que l'heure n'est pas à la dénonciation politique ni à la mobilisation populaire, et qu'il faut seulement accompagner la douleur, nous, Anticapitalistas, affirmons que l'aide matérielle (et l'accompagnement de la douleur) n'est pas incompatible avec l'exigence de la responsabilité politique et la mobilisation des travailleurs dès la première minute. C'est pourquoi nous avons soutenu la réunion des organisations sociales qui préparaient une grande mobilisation dans les rues. Nous ne devons pas laisser la parole aux seuls représentants institutionnels des grands médias ou aux créateurs de mensonges des réseaux sociaux animés par les fascistes.

Troisièmement, et dès le premier moment, nous avons soutenu par la propagande et l'agitation une série de revendications immédiates et transitoires en défense des travailleurs et travailleuses sinistrés et dans la perspective d'un horizon écosocialiste. Nous nous sommes particulièrement adressés à la jeunesse afin de contester l'hégémonie des fascistes dans le discours et de canaliser la rage populaire en la transformant en pouvoir populaire.

La manifestation du 9 novembre dans la ville de Valence représente le carton rouge brandi par une grande partie des citoyens et citoyennes face aux actions du gouvernement valencien dans la tragédie des inondations causées par la DANA. A l'appel d'une vingtaine de petites organisations sociales et sans le soutien des grands syndicats de travailleurs ou des grands partis de gauche, cette mobilisation a réussi à rassembler 200 000 Valenciens et Valenciennes. Elle a été suivie par des militant·e·s de la solidarité du reste de l'Espagne. Voilà un premier pas dans la bonne direction. (Article reçu le 18 novembre 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)

Manuel Garí est économiste, membre d'Anticapitalistas et de la rédaction de la revue Viento Sur.

––––––––

[1] Dans une moindre mesure et avec des résultats moins tragiques, de fortes pluies et des débordements de rivières ont également eu lieu dans différentes parties de l'Espagne, en bordure de la Méditerranée.

[2] La Constitution de 1978 est l'expression du régime conclu entre les franquistes et les socialistes, plus les eurocommunistes – aujourd'hui disparus –, après la mort du dictateur Franco [en novembre 1975], dont le résultat a été la paralysie du mouvement de masse et, en particulier, du syndicalisme classiste. Cela a donné naissance à la monarchie parlementaire actuelle, à la survie de l'ancien appareil franquiste (juges, police, armée) et à ce que l'on nomme « Etat des autonomies » dont l'objectif était de mettre fin aux revendications d'autodétermination nationale de l'Euskal Herria et de la Catalogne en créant un Etat fédéral déficient avec d'importantes impulsions d'un Etat centralisateur.

[3] Dans son magnifique poème écrit en catalan en 1984, « Llanto al mar » (Les pleurs de la mer), Joan Manuel Serrat dit : « Mire hecho una alcantarilla/Herido de muerte/Cuánta abundancia/Cuánta belleza/Cuánta energía/ ¡Ay, quién lo diría !/ ¡Hecha añices !/ Por ignorancia, por imprudencia/Por inconsciencia y por mala leche ». [Regardez quel caniveau suis-je devenue / Blessée à mort / Tant de profusion / Tant de beauté / Tant d'énergie/ Oh, à qui le ferai-je savoir / Je suis brisée en mille pièces / Par ignorance, par insouciance / Par inconscience et par mauvais esprit].

[4] Les experts en inondation utilisent un concept statistique pour parler des risques extrêmes : la période de retour. Par exemple, s'ils disent que des précipitations de 200 mm à un endroit donné ont une période de retour de 20 ans, ils signifient que ce niveau d'intensité ne se produira qu'à cette fréquence. Imaginons une gorge menacée d'inondation : les débits supérieurs à la période de retour de 100 ans ne devraient se produire qu'une fois par siècle, en moyenne, au cours de l'histoire. Or, l'inondation de l'oued Poyo (canyon naturel) – ce sont les zones les plus proches cet oued qui ont été le plus touchées – a été d'une ampleur extrême.

[5] Lorsque j'avais 9 ans, en octobre 1957, il y a eu une grande inondation du Turia [fleuve long de 280 km, qui prend sa source sur la Muela de San Juan dans la sierra de Albarracín et se jette dans la Méditerranée à Valence] et je garde encore en mémoire l'image de mon père et de mon oncle sortant des corps du bourbier et de l'eau du mieux qu'ils pouvaient, sans aucun moyen. Des années plus tard, en 1982, ce fut mon tour de le faire dans ma région, Ribera Alta, également en octobre.

[6] « Dans mon pays, la pluie ne sait pas comment pleuvoir / Il pleut trop ou trop peu / S'il pleut trop peu, c'est la sécheresse / S'il pleut trop, c'est la catastrophe / Qui emmènera la pluie à l'école / Qui lui dira comment pleuvoir / Dans mon pays, la pluie ne sait pas pleuvoir. »

[7] Traduction anglaise de l'allemand Kaltlufttropfen par « goutte d'air froid ». La définition initialement donnée était celle d'une dépression marquée en altitude, sans reflet à la surface, dans la partie centrale de laquelle se trouve l'air le plus froid.

[8] Cette situation est une nouvelle manifestation du bourbier qu'est devenue la vie politique publique en Espagne et de la crise institutionnelle permanente. Elle témoigne du degré de détérioration du régime conclu entre franquistes et socialistes (plus les eurocommunistes disparus) après la mort du dictateur Franco, qui a fait place à l'actuelle monarchie parlementaire et au soi-disant « Etat des autonomies ». Mais c'est aussi un exemple clair de l'absence d'alternatives politiques de gauche fortes capables d'inspirer et de mobiliser la majorité sociale.

[9] C'est le cas de la pollution de la mer par le pétrole du Prestige [novembre 2002] ; des mensonges et du soutien aux Etats-Unis dans la guerre d'Irak ; de l'accident d'avion du Yak-42 en mai 2003 en Turquie qui a coûté la vie à des dizaines de soldats ; de l'attentat mortel du 11 mars 2004 dans la gare d'Atocha à Madrid causé par des terroristes islamistes que le PP a tenté d'attribuer à l'ETA ; de l'accident du métro de Valence en juillet 2006 entraînant la mort de 43 personnes ; des nombreux cas de corruption et en particulier de l'affaire Gürtel ; du sauvetage des banques ; des décès dans les maisons de retraite de Madrid lors de la pandémie de Covid et bien d'autres encore.

***

Une goutte froide est une poche d'air très froid située à plus de 5000 m d'altitude. Lorsque le courant-jet polaire se déforme, il arrive qu'une poche, que l'on nomme une goutte froide, se détache de la circulation associée au courant jet polaire pour descendre jusqu'à nos latitudes. (Réd.)

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L’alarmante ascension de l’extrême droite au Royaume-Uni

26 novembre 2024, par Olly Haynes — , ,
En juillet dernier, le Royaume-Uni a été le théâtre de violentes émeutes racistes lancées par l'extrême-droite, quelques semaines après l'entrée en fonction du nouveau (…)

En juillet dernier, le Royaume-Uni a été le théâtre de violentes émeutes racistes lancées par l'extrême-droite, quelques semaines après l'entrée en fonction du nouveau gouvernement travailliste (la “gauche” britannique). Parallèlement, le parti de Nigel Farage, Reform UK, a pris son envol, faisant entrer l'extrême-droite dans le champ politique institutionnel. Comment cette nouvelle donne est-elle advenue dans un pays plutôt épargné par les mouvements fascistes, contrairement au reste de l'Europe ? Olly Haynes (https://x.com/reality_manager) nous raconte cette inquiétante dynamique.

14 novembre 2024 | tiré du site Frustrations
https://www.frustrationmagazine.fr/extreme-droite-royaume-uni/

Jusqu'en juillet dernier, le Royaume-Uni était une exception en Europe, car l'extrême droite n'y disposait encore d'aucune représentation parlementaire à l'échelle nationale.

Il est vrai qu'il arrivait ponctuellement qu'un député conservateur s'emporte. En temps normal, cela se soldait par une expulsion du parti et la perte de son siège lors des élections suivantes. Il est vrai aussi que le DUP, parti évangéliste de droite radicale, faisait partie du paysage politique en Irlande du nord, mais ce dernier a vu son pouvoir politique s'affaiblir au fil des années et se concentrer localement.

Jusqu'en juillet dernier, le Royaume-Uni était une exception en Europe car l'extrême droite n'y disposait encore d'aucune représentation parlementaire à l'échelle nationale.

Mais c'est bien l'élection générale de 2024 qui marque un important tournant avec l'arrivée de Reform UK, le parti d'extrême droite dirigé par Nigel Farage. Il obtient 4 circonscriptions (avec un pourcentage de vote qui équivaut à 94 sièges dans un système proportionnel). Il est rejoint à Belfast par Jim Alister, dirigeant de TUV, un parti à la droite du DUP.

En dehors du parlement, l'extrême-droite s'était déjà réunie après l'assassinat de citoyen.nes blanc.hes, de la même manière que les groupuscules fascistes avaient instrumentalisé le meurtre de Lola en France. Toutefois, des émeutes à travers le pays se sont révélées d'une importance et d'une gravité sans précédent après le meurtre brutal d'un groupe d'enfants dans la ville de Southport, l'été dernier.

Le drame de Southport et sa violente récupération raciste

Le 29 Juillet 2024, un jeune homme âgé de 17 ans s'est rendu dans une école de danse et a poignardé élèves et personnel. Au total, Il aura tué trois jeunes filles, et mutilé 8 autres, ainsi que deux membres du personnel qui tentaient de l'arrêter. Il est arrêté par la police sur les lieux du drame, et ses motivations restent à ce jour méconnues.

Après tout, le suspect est un homme noir de parents immigrés, ce qui, dans l'imaginaire ethno-nationaliste de l'extrême droite britannique, revient à la même chose qu'être musulman.

La loi sur la restriction de la presse au Royaume Uni prévoit que les médias ne peuvent pas identifier publiquement un suspect de moins de 18 ans. Mais cela n'a pas empêché l'extrême droite de spéculer sur la confession musulmane du suspect. Des influenceurs fascistes comme Tommy Robinson, David Atherton ou encore Andrew Tate ont participé à propager des rumeurs sur l'appartenance religieuse du meurtrier. Certains lui ont même attribué une fausse identité, le présentant sans fondement comme un homme palestinien arrivé en Grande Bretagne par bateau. Ces rumeurs ont participé au déclenchement d'émeutes, tout d'abord à l'encontre de la mosquée de Southport.

Le parquet a donc décidé de révéler l'identité du suspect de 17 ans afin de mettre fin à ces troubles. Bien qu'il se soit avéré que le coupable soit un chrétien né au pays de Galles de parents Rwandais, les émeutes ont continué à se propager à travers le pays. Après tout, le suspect est un homme noir de parents immigrés, ce qui, dans l'imaginaire ethno-nationaliste de l'extrême droite britannique, revient à la même chose qu'être musulman.

Un pogrom raciste et une riposte antifasciste de grande ampleur

Les évènements qui ont suivi sont particulièrement choquants et intolérables et ne peuvent être qualifiés autrement qu'un pogrom. Des militant.es fascistes et racistes, souvent issus des classes populaires précaires, se sont mis à tenter d'attaquer et expulser toute personne musulmane et racisée de leur communauté, allant jusqu'à des tentatives de meurtre.

À Southport, on a pu donc observer la foule jeter des briques sur la mosquée. A Middlesbrough, des groupuscules fascistes ont tenté de créer des « No go Zone » dans le centre-ville en y refusant l'accès aux personnes non blanches. À Belfast, on a pu observer une femme voilée se faire frapper au visage alors qu'elle portait son bébé dans les bras.

Mais le pic de cette violence s'est sûrement déroulé à Tamworth où une foule hilare a enfermé des demandeurs d'asiles dans l'hôtel où ils résidaient avant d'y mettre le feu. Bien que l'incendie ait été heureusement maîtrisé, l'intention de la foule était claire : tenter de tuer les résidents enfermés à l'intérieur du bâtiment. Une liste des centres d'immigration à cibler a par ailleurs été partagée sur Telegram, à destination des émeutiers.

À Southport, on a pu donc observer la foule jeter des briques sur la mosquée. A Middlesbrough, des groupuscules fascistes ont tenté de créer des « No go Zone » dans le centre-ville en y refusant l'accès aux personnes non blanches. À Belfast, on a pu observer une femme voilée se faire frapper au visage alors qu'elle portait son bébé dans les bras.

D'autres actes violents ont été commis à travers le pays contre des hommes et femmes racisés ou de confession musulmane, les poussant parfois à s'armer pour se défendre face à une violence croissante. Des images d'hommes noirs et arabes masqués et armés pour se protéger contre leurs agresseurs, qui ont, selon les médias, conforté les émeutiers et leurs alliés dans leur croyance du Grand remplacement et du « Two tier policing », une théorie complotiste selon laquelle les blancs seraient traités plus durement par la police que les personnes racisées.

Pendants les jours qui ont suivi les émeutes, une liste des centres d'aide à l'immigration circula sur Telegram. Ces centres furent la cible de mobilisations fascistes prévues pour le 7 Août, soit 9 jours après la première émeute.

Ce même jour, des milliers de militant.es antifascistes se sont mobilisés à travers le pays pour s'opposer à cette violence, décourageant ainsi les émeutiers en infériorité numérique. La manifestation la plus grande a eu lieu à Walthamstow, dans le Nord-Est de Londres, où j'ai rencontré le député LFI Raphaël Arnault. Aucun fasciste ne s'est manifesté, probablement découragé par la taille de la foule. La député locale du parti travailliste, Stella Creasy a seulement découragé les manifestations contre l'extrême droite,mais après avoir vu la taille de la foule, a tenté de donner l'impression qu'elle participait à la manifestation. Dans la plupart des contre-manifestations , les antifascistes ont largement dépassé en nombre les fascistes. Une victoire idéologique saluée par les médias, pompiers-pyromanes de cette escalade de violence. Dans quelques endroits périurbains et plus pauvres, des affrontements furent observés entre les deux factions. Quelques interpellations sans blessé grave ont eu lieu en Hampshire, à Northampton et à Blackpool.

Tommy Robinson, un influenceur fasciste

Ces émeutes ont démontré plusieurs tendances de l'extrême droite britannique. Tout d'abord, les mouvements fascistes et néonazi n'opèrent plus à travers des structures à proprement parler mais s'organisent plutôt en ligne. En effet, après l'effondrement du BNP (Parti National Britannique), et la dissolution de EDL (League de La Défense des anglais) dans les années 2010, la pensée ethnonationaliste a peiné à construire un nouveau parti, et ce malgré les tentatives de Homeland ou Patriotic Alternative. Les influenceurs d'extrême droite, partageant leurs théories du complot via leurs plateformes, ont quant à eux un pouvoir non négligeable pour rassembler les gens dans la rue.

Sociologiquement parlant, les émeutiers se divisent en deux grandes catégories. Un noyau dur petit bourgeois d'abord, et un groupement prolétaire ensuite, majoritairement issu d'une classe ouvrière précarisée.

Tommy Robinson en fait partie : il est le fondateur de la English Defense League, un groupe d'extrême droite, tout droit sorti du milieu hooligan dans le football. Au début de sa carrière, Robinson était constamment encouragé par les pouvoirs dominants, ayant même participé à un débat à l'université d'Oxford. Cependant, sa rhétorique fasciste est jugée trop radicale après son adhésion au média d'extrême droite Rebel News. Ce média comptait parmi ses membres Jack Posobiec qui partageait habituellement des memes néonazis et la théorie du “génocide blanc”, Laura Loomer qui se décrit elle-même comme “nationaliste blanche”, et Jack Buckby qui a tenu les victimes du massacre homophobe d'Orlando en 2016 de responsables de leur sort car « les LGBTs ont alliés avec l'islamisme ».

Peu avant les émeutes, Robinson avait organisé avec succès un rassemblement à Londres réunissant des milliers de participants. Cette action avait été lancée sur Twitter, après que son compte, qui avait été banni de la plateforme, soit remis en ligne par la nouvelle politique d'Elon Musk sur le réseau social. Tommy Robinson est un influenceur dans le sens premier du terme. Il a quitté le Royaume-Uni pour éviter des ennuis judiciaire et organise depuis des attaques racistes tout en partageant des théories du complot, dans le confort de sa chaise longue à Ayia Napa (à Chypre).

Sociologiquement parlant, les émeutiers se divisent en deux grandes catégories. Un noyau dur petit bourgeois d'abord, et un groupement prolétaire ensuite, majoritairement issu d'une classe ouvrière précarisée. Toutefois, si le théoricien Richard Seymour affirme que ces émeutes ne sont catégoriquement pas une forme de lutte des classes dégradée (contrairement à l'idée souvent répété par les médias selon laquelle les émeutiers exprimeraient les préoccupations de la classe ouvrière), l'historien Anton Jaeger quant à lui, souligne que “Derrière le pogromisme britannique se cache encore une grande misère qu'il est de la tâche historique de la gauche de combattre”.

En effet, les régions où les émeutes se sont déroulées sont aussi les régions les plus durement touchées par l'austérité des années 2010.

Comment Nigel Farage a radicalisé la droite britannique

Autre personnalité principale et véritable pôle d'attraction de l'extrême droite britannique ces deux dernières décennies : Nigel Farage. Farage est un ancien banquier issu de la haute bourgeoisie, qui, dans sa jeunesse, s'est dit admiratif d'Oswald Mosley, le dirigeant de l'Union des Fascistes Britannique (BUF, British Union of Fascists, fondé dans les années 30 et allié de Mussolini, interdit en 1940). Depuis, il est devenu dirigeant du parti pro-Brexit UKIP en 2006, se donnant pour mission de faire évoluer la politique britannique à droite. Réduire l'immigration et déréguler l'économie, cela devait être obtenu par la sortie de L'Union Européenne. Sa ligne actuelle, celle de Reform UK, son nouveau parti, est essentiellement poujadiste (mouvement politique français qui, dans les années 50, a réuni le petit patronat et les commerçants contre l'élite politique, économique et culturelle). Il promet l'austérité dans certains secteurs en dénonçant le « gaspillage gouvernemental » mais aussi de défendre les petits patrons et producteurs contre le grand capital et l'Etat.

Bien qu'un parti de masse fasciste n'ait jamais pu s'imposer en Grande Bretagne, la pensée ethnonationaliste y est devenue de plus en plus acceptable dans le paysage politique. Historiquement, Farage s'est positionné à droite du parti conservateur afin de récupérer les votes contestataires. Cela l'a en grande partie conduit à défendre un nationalisme civique ayant pour but de défendre la nation. Une nation qui peut, selon lui, être multiethnique, mais pas multiculturelle.

Malgré tout, la cohésion au sein du parti conservateur s'effondre depuis 2016. En effet, le parti s'est vu gouverné par 5 premiers ministres en 10 ans et différentes factions se sont rapprochées de l'extrême droite, adoptant sa rhétorique, tout en augmentant pourtant les impôts et l'immigration. C'est en profitant de cette incohérence entre les discours et les actes que Farage a décidé de lancer son propre parti. Pour y parvenir, il a dû se placer à droite des conservateurs, tolérant l'ethnonationalisme dans ses rangs et portant parfois des positions ouvertement ethnonationalistes.

On peut donc constater un avant et après Farage. Par exemple, avant sa prise de pouvoir au sein du parti, deux candidats que j'avais révélé dans des articles pour le journal Byline Times comme étant ouvertement racistes et proches de l'extrême droite, avaient été licenciés. Depuis l'arrivée de Farage à la tête du parti, mes nouvelles révélations contre d'autres candidats ont été ignorées.
Comme en France, les grands médias facilitent la montée de l'extrême-droite

Les médias ont également joué un grand rôle dans la montée de l'islamophobie, qu'ils banalisent ouvertement. Cela fait des années maintenant que les musulmans sont la cible d'attaques et de calomnies dans les médias, si bien que même les manifestations pro-palestiniennes des derniers mois ont été qualifiées injustement d'orgies antisémites, de « manifestations pour la haine » et de djihadisme. En même temps, des oligarques comme Paul Marshall (un équivalent britannique à Bolloré ou Pierre-Edouard Stérin) achètent des chaînes comme GB News et Talk TV pour déplacer encore plus le discours politique à l'extrême droite. Nigel Farage est par ailleurs présentateur sur GB News et la chaîne est un incubateur de carrière pour des idéologues d'extrême droite. Les médias britanniques, à peu d'exception près, propagent ainsi l'idée qu'il est possible de mentir et d'attaquer la communauté musulmane en toute impunité. Aussi, ce que font des personnalités comme Tommy Robinson ne sont finalement que des échos moins « légitimes » de ce qui se fait sur GB News ou The Spectator.

En même temps, des oligarques comme Paul Marshall (un équivalent britannique à Bolloré ou Pierre-Edouard Stérin) achètent des chaînes comme GB News et Talk TV pour déplacer encore plus le discours politique à l'extrême droite.

Pendant que les émeutes avaient lieu, Keir Starmer, nouveau premier ministre, dormait quant à lui sur ses deux oreilles. Il lui a fallu plusieurs jours pour annuler ses vacances prévues, et quant il a enfin pris la parole, celle-ci est restée très formaliste. Il a présenté les émeutiers comme des « casseurs » d'extrême droite et a promis de rétablir l'ordre. Une proposition de loi de censure en ligne a pourtant été sa seule réponse. Rien n'a été proposé comme réponse au racisme ambiant, et rien n'a été promis pour les communautés touchées par la violence et la haine des dernières semaines.

Les émeutes auront par ailleurs permis aux néonazis comme aux antifascistes de renforcer leurs rangs. Les organisations de gauche ont certes été lentes à réagir, mais ont démontré une grande force d'action une fois en marche. La situation actuelle reste tendue, chaotique et teintée de mensonges. Ce qui est parfaitement clair en revanche, c'est que les slogans antiracistes et les chants de protestation ne suffiront pas. Les émeutes incarnent la peur du déclin qui grandit à travers tout le Royaume Uni. C'est seulement en relevant économiquement le pays et en affrontant l'extrême droite sur toutes les lignes que la gauche peut espérer mettre fin à cette escalade de violence. Une tâche bien trop importante pour être laissée entre les mains du parti travailliste.

Les organisations de gauche ont certes été lentes à réagir, mais ont démontré une grande force d'action une fois en marche.

Deux choses se sont produites depuis les émeutes. La première, c'est que Tommy Robinson a organisé un nouveau rassemblement à la fin d'Octobre, mais il a été interpellé pour ses délits précédents et a été condamné à 18 mois de prison. On peut espérer sans doute une baisse du dynamisme de l'extrême droite pour l'instant. La deuxième est l'élection de Donald Trump aux États-Unis. L'extrême droite Britannique, surtout Tommy Robinson, est proche du monde Trumpiste. Robinson est proche de Steve Bannon (ancien conseiller senior de Trump, admirateur de Charles Maurras et intermédiaire pour l'extrême droite autour du monde), et de plusieurs figures du monde Trumpiste qui inclut le membre du congrès Paul Gosar, l'influencer Alex Jones, et quelques éditorialistes de Fox News. Il est aussi soutenu financièrement par des oligarchies Trumpistes. L'étoile de Robinson montait pendant le premier quinquennat de Trump. On peut craindre que cela s'aggrave lors de celui qui commence maintenant.

Olly Haynes

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La dimension néofasciste de l’axe Poutine-Trump au prisme de la guerre d’Ukraine, ce qui échappe à certaines gauches

À l'heure où ces lignes sont écrites, le 6 novembre 2024, deux sujets dominent l'actualité du monde et plus spécialement celle qui concerne la guerre d'Ukraine : d'une (…)

À l'heure où ces lignes sont écrites, le 6 novembre 2024, deux sujets dominent l'actualité du monde et plus spécialement celle qui concerne la guerre d'Ukraine : d'une part, l'élection américaine avec, à l'heure qu'il est, l'élection confirmée de Donald Trump et le basculement du Sénat en faveur des Républicains, et, d'autre part, l'envoi de troupes nord-coréennes sur le front russe de Koursk. Bien que le débordant largement, ces deux données de la situation internationale se croisent pour éclairer le cours nouveau que tend à prendre la guerre en Ukraine et, en retour, vilaine dialectique, la possible concrétisation d'un véritable axe mondial totalitaire.

19 novembre 2024 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/11/19/la-dimension-neofasciste-de-laxe-poutine-trump-au-prisme-de-la-guerre-dukraine-ce-qui-echappe-a-certaines-gauches/#more-87509

Derrière l'épouvantail nord-coréen, le test poutinien pour avancer vers un axe du néofascisme international

Tout d'abord, il est plus que probable que la décision de la Russie d'enrôler des troupes de Corée du Nord dans son projet impérialiste visant l'Ukraine participe de sa volonté de peser hic et nuncsur le moment électoral nord-américain, tendu à l'extrême, pour évidemment affaiblir toujours plus ce centre de l'« Occident collectif », que sont les États-Unis et qu'elle est décidée à défier. D'une pierre nord-coréenne deux coups, l'un aux États-Unis, l'autre en Ukraine, qui vont dans le même sens (l'affirmation d'un projet mondial de reconstitution de la puissance impériale de la Russie). En effet, celle-ci envoie le signal violent que, par le saut qualitatif (plutôt que quantitatif pour le moment) de cette participation militaire nord-coréenne sur son sol occupé par l'Ukraine, elle assume une logique d'escalade ouverte au constat qu'en face, les alliés de celle-ci fléchissent dans leur aide (Allemagne), la contiennent (administration Biden-Harris) pour ne pas alimenter l'escalade et se déchirent sous la pression interne qu'exercent les amis pro-russes qui vont de l'extrême droite à l'extrême gauche brunissante (Trump, Orban, Le Pen, Wagenknecht [1], etc.). Le défi est d'autant plus grand que, de toute évidence, la dynamique expansionniste propre au régime russe le poussera inéluctablement à faire intervenir ces militaires étrangers en Ukraine même.

En somme, Poutine, tout à ses mises en garde adressées à l'Occident de ne pas se lancer dans une escalade militaire en Ukraine, s'y engage, lui, pleinement en se payant, sans grand risque, selon lui, la tête des dirigeants de l'OTAN et des puissances occidentales qui, ayant fait jusqu'ici la preuve de leurs atermoiements, voire de leur veulerie, dans l'aide militaire apportée à Kyiv, se donnent désormais à voir, à travers leurs déclarations convenues dénonçant la dernière manœuvre russe, tout bonnement tétanisés.

Mais, par cet épouvantail nord-coréen agité par Moscou dans l'espoir d'accréditer qu'il signe un pas en avant décisif pour donner l'impression qu'il plie la guerre d'Ukraine en sa faveur sans que l'Occident soit en état de réagir, Poutine compte accréditer autre chose : que Trump a toutes les raisons du monde de vouloir extraire les États-Unis d'une guerre perdue d'avance qui, au demeurant, ne les concerne pas, qui ne peut pas, ne doit pas les concerner. Avec, en corollaire trumpiste que le slogan du MAGA (« Make America Great Again », littéralement « Rendre l'Amérique à nouveau grande », « Rendre sa grandeur à l'Amérique ») repose fermement sur un socle isolationniste, ô combien apprécié du chef russe, pouvant, mais seulement à la marge, nécessiter de gendarmer telle ou telle zone du monde qui contreviendrait à la grandeur économique des États-Unis ! Le tout misant fondamentalement sur une bonne entente américaine avec une Russie vue comme une nation amie, sans risque qu'elle bascule ennemie (tant pis pour l'UE/tant mieux pour la trame brune européenne), puisqu'il est (devrait être ?) de notoriété publique que c'est envers elle que Trump est endetté politiquement (à partir d'un endettement financier passé !) pour lui avoir permis d'émerger hier, avec succès, comme candidat au pouvoir aux États-Unis et de remettre cela aujourd'hui [2].

Le cours actuel de la géopolitique poutinienne est désormais plus clair que jamais, tout délirant qu'il soit, tout dangereux qu'il soit : il repose sur la constitution à marche forcée d'un axe néofasciste Russie/États-Unis trumpisés-(Corée du Nord), travaillé au cordeau, dévitalisant, en fracturant méchamment le vieil impérialisme occidental, de l'intérieur, (trumpisme et autres extrêmes droites) comme de l'extérieur (Russie/ Corée du Nord avec, en arrière-plan, une Chine, pour le coup, hésitante car elle n'aime pas être bousculée, par ce qu'elle considère probablement de l'amateurisme aventuriste, dans ses préparatifs de confrontation, à moyens-longs termes, avec les États-Unis). Tout cela au profit d'un néo-impérialisme fasciste émergent auquel ladite Chine pourrait finir tout de même par se joindre, alléchée finalement, si cet axe venait à prendre forme, par l'idée d'en devenir la puissance hégémonique.

Ce scénario, dont Poutine, chef de guerre en Ukraine, est à l'initiative est une véritable mise à l'épreuve de la capacité de l'Occident à dépasser ce qui, sans être proclamé par lui, revient à autolimiter son aide à l'Ukraine pour éviter, assez paradoxalement au vu de ce bras de fer que Poutine est en train de lui opposer sans trembler jusqu'en son cœur impérial, que ne s'enclenche un engrenage menant, par une défaite militaire totale, à la chute du dictateur russe aux conséquences géopolitiques et économiques jugées incalculables et indésirables. Le problème étant, nous sommes en train de le voir avec l'opération mobilisation coréenne en Russie et donc contre une Ukraine, toujours en quête de moyens militaires permettant de neutraliser la puissance de feu ennemie, que cette stratégie de l'évitement de la confrontation en Ukraine avec l'expansionnisme russe ne fait que pousser celui-ci à la chercher toujours plus en se pensant assuré de la capacité de ses relais au cœur de l'Occident à tétaniser et bloquer toute velléité de riposte cinglante de celui-ci.

Le scénario poutinien d'ébranlement néofasciste de l'ordre international : quelques atouts mais aussi quelques faiblesses

C'est au demeurant là que le bât blesse, sans que cela en diminue la dangerosité, dans cette « manœuvre nord-coréenne » de Poutine pour finir de percuter son ennemi américain, accroître sa division, le rendre incapable de parer le coup et faire advenir à sa tête l'ami de la Russie.

Le coup de poker, car cela en est un, du dictateur russe s'expose en effet à échouer, comme ont échoué ses initiatives depuis le 24 février 2022 sans pour autant, malheureusement, l'empêcher de poursuivre la destruction de l'Ukraine. Envisageons, sans prétention à l'exhaustivité, ce qui pourrait déboucher sur l'échec. […]

* L'imprévisibilité, une fois devenu président, du bonhomme dont il est notoire qu'il n'est pas spécialement porté, entre autres, à faire ami-ami avec une Chine, ce partenaire incontournable à ménager absolument pour Poutine, avec laquelle l'Américain prévoit d'entrer en guerre commerciale, ce qui pourrait faire s'effondrer le château de carte russe.

* La capacité redoutable à faire capoter la machination russe de la part des rouages systémiques états-uniens impérialistement peu enclins à voir le pays entrer, en contradiction, au demeurant, avec le mirage trumpiste du MAGA, en symbiose avec ledit axe international placé sous l'égide de Poutine.

* La crainte, enfin, par la Chine que l'opération poutinienne autour de Trump et Kim Jong-un ne mette en péril, par l'aventurisme expansionniste russe qui la sous-tend, son propre calendrier impérialiste ciblant les États-Unis mais à moyen-long terme, son Ukraine à venir, Taïwan, et plus (domination de la mer de Chine).

Ce que révèle l'affrontement interimpérialiste, autour de la fascisation du monde en cours, de la mise hors jeu politique des gauches

Tout ce qui précède concerne un jeu interimpérialiste, à deux pôles, qui met dramatiquement en évidence un tiers exclu : les gauches internationales profondément divisées sur la guerre d'Ukraine, une partie d'entre elles se refusant à toute solidarité internationaliste avec le peuple ukrainien, autour d'un positionnement pacifiste ou ouvertement en soutien avec la Russie prônant, dans les deux cas, le refus d'armer la résistance ukrainienne. Favorisant ainsi la victoire de la Russie (à court terme par conservation des territoires occupés mais, à plus ou moins court terme, ouvrant sur une nouvelle tentative de sa part de s'attaquer au reste de l'Ukraine tout en menaçant le reste de son « étranger proche »). Par où serait mise en cause l‘intangibilité du droit de tout peuple à lutter pour sa libération nationale, en recourant à tous les moyens possibles pour s'armer, qui est le noyau de tout internationalisme conséquent.

Il y aurait beaucoup à dire sur ce reniement qui n'affaiblit pas que la solidarité, même si heureusement une autre gauche persiste à la mettre en œuvre, à l'égard du peuple ukrainien mais aussi, en laissant libre cours au jeu impérialiste exposé plus haut, la solidarité envers l'ensemble des peuples en lutte. Lesquels, en tout cas pour certaines de leurs fractions, emportés par le confusionnisme semé par ces gauches « campistes », prenant parti pour un camp impérialiste contre un autre, tombent parfois dans le piège de croire, comme on le voit dans le cas exemplaire de l'Afrique, que la Russie martyrisant sauvagement le peuple ukrainien puisse aider à leur libération alors qu'elle s'appuie sur les castes militaires locales pas spécialement favorables à l'émancipation de leurs peuples, qui plus est, en accaparant, dans la logique prédatrice de tout impérialisme, les richesses de leur sous-sol.

Pour aborder la dernière partie de cet article, je voudrais avancer l'hypothèse que cette dérive qui met hors jeu les gauches internationales a à voir profondément, dans le contexte de la crise de désorientation née de la chute de l'URSS, avec leur incapacité à prendre la pleine mesure du fascisme qui avance. Entendons-nous, on lit bien, du moins chez certaines d'entre elles, la dénonciation de ces progrès du fascisme et l'appel à se mobiliser pour le contrer. Mais elles le font, et pour cause, sans situer ce qui est un activateur, sinon l'activateur principal, desdits fascismes que pourtant le positionnement de ceux-ci sur la guerre en Ukraine met clairement en évidence, à savoir la Russie de Poutine que lesdits fascismes soutiennent à quelques exceptions près (en particulier l'italien).

Pourtant, une entrevue d'août 2023 d'un opposant russe, Ilya Budraitskis, aurait pu ouvrir les yeux de celleux qui, à gauche, se refusent à voir la responsabilité criminelle, dans cette guerre, de la Russie de Poutine, guerre qu'il connecte, en quelque sorte, organiquement à l'avènement de la fascisation de celle-ci. Lisons quelques ex- traits de ce document :

Le régime russe existe depuis plus de vingt ans et il a subi une sérieuse transformation au cours de cette période. Il a commencé comme un régime bonapartiste néolibéral et s'est transformé en une sorte de dictature fasciste ouverte. Et je pense que cette transformation en régime fasciste a commencé après le début de l'invasion de l'Ukraine [3].

Cette dernière phrase est d'une importance capitale qui met au jour le lien de continuité, sinon de causalité stricte, entre le déclenchement de la guerre contre l'Ukraine et la mutation fasciste du régime russe.

La guerre d'Ukraine et la clé russe de la volonté de fasciser l'ordre international

Mais l'auteur précise encore les choses en revenant sur les mobilisations en Russie de 2011 apparues alors que Poutine lançait sa campagne pour être réélu, pour la troisième fois, en 2012, puis les mobilisations de 2017 dont la figure la plus visible était Alexei Navalny. Entre-temps, en 2014, la Russie avait commencé à intervenir militairement en Ukraine, au Donbass puis en Crimée, qu'elle finit par annexer la même année. Cette intrication temporelle des mobilisations en Russie et l'implication militaire de celle-ci en Ukraine est, nous dit Ilya Budraitskis, la matrice, critique violente de la révolution ukrainienne du Maïdan, du discours antirévolutionnaire de Poutine qui va le mener à engager la fascisation du régime :

Quel était donc le principal problème en Ukraine ? Selon Poutine, c'était Maïdan, le renversement illégal du gouvernement par le peuple, ce qui était absolument inacceptable. Il fallait donc empêcher que cela se produise en Ukraine et en Russie. Poutine a ensuite pris position contre cette possible révolution car, pour lui, toutes les révolutions qui ont eu lieu en Russie, y compris celle de 1917, sont le fruit de l'activité d'ennemis extérieurs. Selon lui, toutes les révolutions sont une conspiration, ce sont des processus qui viennent de l'extérieur pour déstabiliser l'État russe.

Cette vision paranoïaque, chez Poutine, des peuples ukrainiens et russes compris comme manipulables par l'étranger et devenant ainsi une menace pour la Russie, c'est-à-dire pour le pouvoir qu'il entend y perpétuer, appelait la nécessité de mettre en place un système, à deux faces structurellement liées, de prévention radicale de cette menace : la guerre en Ukraine et la répression de toute dissidence avec le régime en Russie :

Il est possible de voir comment le début de l'invasion n'était pas seulement une question de politique étrangère, mais aussi une manière de discipliner la société russe.

À la suite de la mise en place de ces repères chronologiques et politiques, Ilya Budraitskis s'arrête sur ce que le poutinisme, en tant qu'il est à l'origine, suivant ses mots, de « la transformation fasciste de l'État russe », dit de l'actualité du fascisme… bien au-delà de la Russie :

En ce sens, le cas russe n'est pas unique. Il ne s'agit pas d'une exception à la tendance globale, mais d'une image de celle-ci. Si nous voulons comprendre comment ces mouvements d'extrême droite peuvent transformer la société, nous devrions prendre la Russie comme exemple.

Je ne résiste pas à la tentation de reproduire l'intégralité de ce passage essentiel de l'entrevue :

Je pense que si nous parlons du mouvement fasciste aujourd'hui, de ce à quoi ressemble le fascisme au 21e siècle, nous devrions regarder ce qui se passe déjà en Russie. Parce que nous sommes dans un contexte où un mouvement de masse venant d'en bas n'est plus nécessaire, il pourrait s'agir d'un tournant fasciste venant d'en haut. Si vous regardez, le fascisme classique, qui a émergé au 20e siècle, a toujours été la combinaison de mouvements de masse avec la classe dirigeante, qui a utilisé le mouvement de masse pour transformer le régime politique. Aujourd'hui, dans les sociétés qui ont déjà été fortement détruites par le néolibéralisme, avec la destruction de toute tradition d'organisation, de solidarité, etc., un mouvement de masse fasciste n'est plus nécessaire. C'est pourquoi je pense qu'il est important de parler de la transformation fasciste de l'État russe, et je pense qu'en ce sens, le cas russe n'est pas unique. Il ne s'agit pas d'une exception à la tendance globale, mais d'une image de celle-ci. Si nous voulons comprendre comment ces mouvements d'extrême droite peuvent transformer la société, nous devrions prendre la Russie comme exemple.

Ce fascisme, que j'appelle, tout en restant dans la logique de cette analyse d'Ilya Budraitskis, néofascisme, qui 1) a pris forme en Russie, contre la société russe, et en prise directe avec la visée belliciste du régime poutinien sur l'Ukraine, et qui 2) selon l'auteur, nous tend un miroir éclairant sur le danger fasciste international, permet de prendre la mesure des impasses des gauches dont je parle plus haut : leur anti- fascisme repose, en effet sur la paradoxale élision par eux de la nature néofasciste du régime russe alors que, pour Ilya Budraitskis, celle-ci a le pouvoir heuristique d'éclairer ce qu'est le fascisme international du 21e siècle dans sa spécificité par rapport aux modèles nazi et mussolinien, lesquels « combinaient des mouvements de masse avec la classe dirigeante, qui a utilisé le mouvement de masse pour transformer le régime politique » alors qu'« aujourd'hui, dans les sociétés qui ont déjà été fortement détruites par le néolibéralisme, avec la destruction de toute tradition d'organisation, de solidarité, etc., un mouvement de masse fasciste n'est plus nécessaire [4] ».

Mais ce que nous voyons aujourd'hui de l'axe Poutine-Trump-(Kim Jong-un), combiné à la montée internationale des partis néofascistes, en particulier européens, doit nous faire aller plus loin : la Russie n'est pas que l'image la plus claire, comme le dit Ilya Budraitskis, de ce que sont et peuvent devenir ces fascismes. Elle est l'agent d'une dynamique tout à la fois centripète poutinophile desdits fascismes et centrifuge par occupation de positions de pouvoir dans divers pays dont, depuis aujourd'hui, probablement, les États-Unis !

L'« internationalisme » du campisme pro-russe d'une partie des gauches internationales mis à l'épreuve, au miroir des guerres en Ukraine et en Palestine

De ce qui précède se vérifie la magistrale faute politique commise par le campisme de gauche qui, par son positionnement pro-russe et anti-ukrainien face à la guerre que l'on sait, se fait, malgré lui ou sciemment, le propagateur du néofascisme international que, par ailleurs, il dit combattre sans vouloir voir qu'il est largement sous influence russe : dénonçant ainsi, par exemple, le fascisme du régime israélien massacreur des Palestinien·nes et des Libanais·es tout en absolvant le néofascisme poutinien, oppresseur de ses peuples mais aussi massacreur des Ukrainien·nes et transformant en chair à canon des milliers de Russes enrôlés contre l'Ukraine. Et en oubliant, par où se boucle le cercle de fer du reniement internationaliste, que l'ami américain du destructeur de l'Ukraine est l'ami indéfectible du destructeur de la Palestine et du Liban !

Alors, pour conclure, j'avoue, une fois mise en évidence la faute rédhibitoire des gauches campistes à l'antifascisme et à l'internationalisme à géométrie variable, que je crois urgent que les gauches amies du peuple ukrainien fassent valoir bien plus qu'elles ne le font, certaines ne le font pas du tout, 1) la nature néofasciste du poutinisme, 2) la dimension profondément antifasciste, structurellement induite par la guerre menée par celle-ci en Ukraine, de la résistance ukrainienne du fait même, par-delà la conscience qu'en ont ou n'en ont pas les résistant·es, d'être la ligne avancée de la lutte anti-fasciste internationale et 3), enfin, la nécessité logique que cette résistance antifasciste soit totalement soutenue et, notamment, approvi-ionnée en armes à la hauteur de l'enjeu que la montée de ce néofascisme représente mondialement ! Peu de ces trois points cardinaux de l'internationaliste soutien à apporter au peuple ukrainien figure centralement et régulièrement, à l'égal de ce qui est fait, au demeurant, très justement pour les Palestinien·nes et les Libanais·es, dans les analyses et appels à mobilisation en faveur des Ukrainien·nes de certaines de ces gauches qui conservent heureusement une authentique fibre internationaliste.

De ce point de vue, il est remarquable que l'organisation la plus représentative du soutien à la résistance de l'Ukraine en France, le RESU (Comité français du Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine [5]), ait pleinement saisi l'importance d'énoncer que la guerre contre l'Ukraine est une guerre intrinsèquement néofasciste et impérialiste et qu'elle est par là une menace pour tous les peuples du monde !

Antoine Rabadan
Membre du Comité français du RESU à Montpellier.

[1] Elsa Conessa, « En Allemagne, Sahra Wagenknecht veut imposer une ligne prorusse dans les Länder de l'Est », Le Monde, 2 novembre 2024.
[2] « Les ingérences russes dévoilées », Le Monde en marche
[3] si nous voulons comprendre l'extrême droite au 21e siècle. Mon amie Mariana me communique le texte de 2022 d'Oleg Orlov, dirigeant du Centre de défense des droits humains Mémorial (interdit par le régime russe en décembre 2021), par ailleurs Prix Nobel de la paix 2022 et qui a été libéré de prison, en août 2024 lors d'un échange de prisonniers, texte dans laquelle son auteur défend, lui aussi, l'importance de caractériser le régime russe comme fasciste en corrélant ce fascisme avec la guerre qu'il a engagée en Ukraine. « Le pays, dit-il, qui s'est éloigné il y a trente ans, du totalitarisme communiste, est retombé dans le totalitarisme, mais désormais fasciste » (« Russie : “Ils voulaient le fascisme, ils l'ont eu” », Mediapart, 12 novembre 2022).
[4] Le trumpisme pourrait apparaître comme dérogeant à cette caractéristique propre au néofascisme de se dispenser d'une mobilisation de masse. Je crois qu'en fait le néofascisme actuel conserve cette capacité à mobiliser en masse… électoralement comme moyen d'accès au pouvoir. À ceci près qu'avec l'assaut du Capitole, le trumpisme a montré et, envoyé le signal à ces alter ego néofascistes du monde, que la mobilisation de masse non électorale, anti-électorale dans ce cas, restait un recours à ne pas négliger. L'échec de cette opération du Capitole ne devrait pas rassurer pour autant, puisqu'il aura montré à son instigateur et à ses éventuels épigones internationaux, que le sujet doit être mieux préparé et qu'il peut être un élément essentiel pour au moins faire peser la menace extra-institutionnelle et ainsi peser pré-électoralement ou post-électoralement. Trump, en l'état de ce qui se dessine électoralement, aura montré le gain que ses menaces de contester violemment un éventuel échec électoral lui ont donné pour gagner en construisant l'image démagogique de l'anti-système radical à l'extrême, image propre à séduire celleux qui sont décidé·es à en découdre avec le « système ». La suite dira s'il tentera de transformer cette mobilisation de l'instant électoral en force de percussion de masse durant son mandat pour tenter de… fasciser, ce qui se dit fasciser, l'État américain. Et à quel prix ! En somme, la caractéristique du fascisme historique de la mobilisation de masse, qui, d'une part, est absente du néofascisme qu'analyse Ilya Budraitskis et qui, comme cela est le cas dans le poutinisme d'État, parie sur le maintien de la population dans la passivité la plus totale, mais, d'autre part, n'est pas absente dans le cas du trumpisme, pourrait se retrouver opérante, en aval ou/et en amont d'une conquête électorale néofasciste renouant ainsi avec sa préhistoire fasciste, par des dynamiques de radicalisation dudit néofascisme devant des résistances qui lui seraient opposées et de par l'appui qu'il recevrait, pour ce faire, de couches conséquentes du capital. De ce point de vue il nous faudrait avoir une vision du néofascisme comme virtuellement capable de retrouver, avec toutes ses spécificités, le recours proprement fasciste au mouvement de masse.
[5] https://www.facebook.com/people/comité-français-du-réseau-européen-de-solidarité-avec-l-Ukraine/100087563586225/

Publié dans Soutien à l'Ukraine résistante (Volume 35)
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/11/12/patrick-le-trehondat-lukraine-st-seule-ou-presque/
https://www.syllepse.net/syllepse_images/soutien-a—lukraine-re–sistante–n-deg-35_compressed.pdf

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Qu’est ce que cette guerre étrange en Ukraine où on demande au pays envahi de se soumettre à la volonté de l’envahisseur ?*

26 novembre 2024, par Yorgos Mitralias — , ,
Évidemment, rien de plus normal que l'actuelle escalade de la guerre en Ukraine fasse peur. *par Yorgos Mitralias* *Et aussi, rien de plus normal que la possession de (…)

Évidemment, rien de plus normal que l'actuelle escalade de la guerre en Ukraine fasse peur.

*par Yorgos Mitralias*

*Et aussi, rien de plus normal que la possession de l'arme nucléaire par l'une des forces impliquées (la Russie) donne lieu à des inquiétudes tout à fait justifiées. Cependant, rien ne pourrait justifier l'actuel -énième depuis presque quatre ans- déchaînement de déclarations alarmistes qui se concluent toujours par des appels adressés non pas à l'envahisseur possédant l'arme nucléaire (la Russie) mais au pays envahi (l'Ukraine) de se montrer raisonnable, en faisant des concessions pour ne pas provoquer l'ire nucléaire de son ennemi envahisseur ! *

Conclusion logique : face à une puissance possédant l'arme nucléaire, les pays qui n'en possèdent pas ont le devoir de ne pas résister et d'accepter de se soumettre sans discussion. En somme, tous ceux qui se sont battus becs et ongles dans le passé contre des puissances nucléaires, n'étaient que des décervelés irresponsables qui s'en foutaient éperdument du mal qu'ils faisaient au reste de l'humanité ! Comme par exemple, *les Vietnamiens * qui se sont battus avec le succès que l'on sait, contre la superpuissance nucléaire nord-américaine ou *les Algériens* qui ont fait de même contre la puissance nucléaire française. Ce qui nous conduit également logiquement à considérer (rétroactivement) ceux qui ont soutenu ces Vietnamiens et ces Algériens luttant pour leur liberté et leur autodétermination, comme des aventuriers politiques, des inconscients et des apprentis sorciers qui jouaient avec le sort de l'humanité…

En réalité, ces appels des bien pensants de tous bords -de gauche et de droite- à la raison des... victimes, n'a de nouveau que leur trop claire référence à l'arsenal nucléaire de l'envahisseur russe. Car ça fait déjà presque quatre ans, qu'on entend la même litanie des mises en demeure adressés aux Ukrainiens, les invitant à céder une partie de leur pays afin de ne pas trop énerver M. Poutine. Ce qui nous oblige à (ré)proposer, sans changer un seul mot, ce qu'on écrivait déjà en juin 2022, quelques mois après le début de cet interminable guerre que nous qualifions déjà d' "étrange" en acceptant comme allant de soi que « *les deux pays en guerre n'ont pas les mêmes droits et ne se battent donc pas à armes égales * » :

“*Cette guerre est « étrange » parce que la plupart de ceux qui se déclarent solidaires de la lutte du peuple ukrainien sont en même temps opposés à l'envoi d'armes qui permettraient à ce peuple de se défendre de manière un tant soit peu efficace. En d'autres termes, ils sont solidaires d'eux à condition qu'ils ne puissent pas se défendre, et qu'ils se contentent du rôle… de cadavre héroïque !*

*Mais les « bizarreries » de cette guerre – qui n'en est pas une – n'ont pas de fin. Par exemple, comment expliquer le fait – sans précédent dans l'histoire mondiale – que les deux pays en guerre n'ont pas les mêmes droits et ne se battent donc pas à armes égales ? C'est-à-dire que tandis que l'un (la Russie qui agresse) a le droit d'avoir une force aérienne, l'autre (l'Ukraine qui se défend) ne l'a pas. Que l'un (la Russie) a le droit de monopoliser le ciel de l'autre (l'Ukraine), tandis que cet autre – qui est en fait celui qui se défend – n'a que le droit de se faire arroser de bombes et de missiles tombés du ciel. Et aussi, alors que la Russie peut avoir et utiliser des armes lourdes de toutes sortes et sans aucune restriction, l'Ukraine qui se défend ne peut utiliser que des armes « défensives » et aucune arme « offensive ». Et en plus, alors que la Russie peut bombarder l'Ukraine en canonnant et en tirant des missiles depuis les territoires russe et biélorusse, il est expressément interdit à l'Ukraine de riposter en frappant des cibles à l'intérieur de la Russie et du Belarus, etc. etc*

*Mais, le plus « étrange » dans cette guerre, n'est pas que l'Ukraine ait été soumise à toutes ces restrictions scandaleuses de son droit (inaliénable) à se défendre comme elle l'entend. Le plus « étrange », c'est surtout que tous les gouvernements occidentaux et tous les médias occidentaux non seulement soutiennent ces « restrictions », qui n'ont aucun précédent dans l'histoire des guerres, mais les présentent en permanence comme évidentes, allant de soi, indiscutables et incontestables ! Et le résultat de cette situation scandaleuse est que lorsque Zelensky ose défier l'une de ces « restrictions », par exemple en demandant des avions pour protéger ses villes et leurs habitants, non seulement sa demande est instantanément rejetée, mais elle est également qualifiée d'inappropriée et… « dangereuse »…*

*La raison de ce traitement « étrange » de l'Ukraine par les ennemis, et surtout par les amis, s'est fait connaître progressivement, au fil du temps, et seulement à partir du moment où la possibilité d'un échec ou même d'une défaite de l'« opération militaire spéciale » russe a commencé à être envisagée : l'Ukraine n'a droit qu'à une défense de basse intensité contre l'invasion russe parce que… « Le président Poutine ne doit être ni vaincu ni humilié » ! Et pas seulement ça. Les partisans de cette position qui ne sont pas seulement des réactionnaires avérés comme Orban ou le vieux zombie qu'est Kissinger, mais aussi des démocrates néolibéraux plus présentables, comme tous les dirigeants occidentaux, Macron en tête, ne cessent d'affirmer avec une insistance croissante qu'« il doit y avoir une porte de sortie pour Poutine », une proposition qui lui permette de gagner quelque chose dans cette guerre afin d'éviter d'affronter ses compatriotes les mains vides au moment du décompte final. Et tout cela pour qu'il ne soit pas évincé et pour qu'il reste au pouvoir, ce qui est d'ailleurs ce qu'ils souhaitent tous publiquement ! Et pour atteindre cet objectif, non seulement ils commencent à « conseiller » de plus en plus instamment à Zelensky d'abandonner sa « rigidité » actuelle, de devenir plus
« réaliste » et d'accepter de donner à Poutine une partie de son pays. Mais ils ont aussi le culot de commencer à discuter entre eux quelle partie de l'Ukraine ils pourraient céder, ces impérialistes occidentaux (!), à Poutine, dans le dos des Ukrainiens et de leur gouvernement !*

*Bien que nous ayons ici un cas carabiné de l'interventionnisme et du paternalisme impérialiste le plus scandaleux, il y a peu de gens de gauche qui osent faire ce qui va de soi, à savoir le dénoncer publiquement, comme il le mérite. Et malheureusement, sont encore moins nombreux ceux qui osent soutenir le droit encore plus évident et élémentaire des Ukrainiens – qu'ils défendent bec et ongles – de se battre jusqu'au bout et par tous les moyens contre les envahisseurs russes, en décidant eux-mêmes librement et démocratiquement, et sans aucune ingérence étrangère hostile ou « amicale », de l'avenir de leur pays et des personnes qui y vivent !*

*En fait, un regard sur le passé très récent montre que l'attitude actuelle de l'Occident à l'égard de la Russie n'est pas surprenante, mais, contrairement à ce que pensent certains poutinistes plutôt naïfs, elle s'inscrit dans la continuité de sa position ferme en faveur du développement sans entrave de ses relations économiques avec ce pays, véritable eldorado pour ses capitalistes. En effet, rappelons-nous quelles ont été les premières réactions de tous ses dirigeants (Biden, Macron, Johnson…) dans les heures et les jours qui ont suivi l'invasion russe en Ukraine : Ils ont suggéré à Zelensky de l'exfiltrer d'Ukraine, car eux-mêmes et les médias de leur pays croyaient fermement que l'occupation de Kiev, et du pays entier, par l'armée russe était une question de quelques jours.*

*Tout a changé lorsque Zelensky a exhorté ses compatriotes à résister, en répondant à la proposition de Biden par la phrase désormais historique « La bataille sera menée ici, en Ukraine. J'ai besoin d'armes, pas d'un taxi » ! Et en effet, c'est parce que le peuple ukrainien a résisté et résiste encore bec et ongles, provoquant une vague de sympathie et de solidarité sans précédent dans l'opinion publique internationale, qu'il a de fait forcé les gouvernements occidentaux à faire quelque chose qui n'était pas dans leur agenda et qui était radicalement différent de la passivité dont ils ont fait preuve lorsque Poutine a occupé et annexé la Crimée en 2014 : Soutenir l'effort de guerre de l'Ukraine et imposer des sanctions économiques de plus en plus sévères à la Russie de Poutine et à ses oligarques »*.(1)

Notes

*1.*
*https://www.pressegauche.org/Qu-est-ce-que-cette-guerre-etrange-ou-on-interdit-a-l-Ukraine-que-Poutine-soit*
<https://www.pressegauche.org/Qu-est...>

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Trump, un cabinet de dangereux fanatiques

26 novembre 2024, par Dan La Botz — , ,
Donald Trump a rapidement choisi des loyalistes pour occuper des postes ministériels et autres hautes fonctions. Le Sénat devrait normalement voter pour confirmer les membres (…)

Donald Trump a rapidement choisi des loyalistes pour occuper des postes ministériels et autres hautes fonctions. Le Sénat devrait normalement voter pour confirmer les membres du cabinet, et les choix présidentiels sont controversés même parmi les républicains.

Hebdo L'Anticapitaliste - 730 (21/11/2024)

Par Dan La Botz

Dans certains cas, les choix capricieux de Trump, qui n'ont fait l'objet d'aucun contrôle, risquent de conduire au chaos gouvernemental s'ils sont confirmés. Des humoristes et des journalistes ont qualifié le nouveau cabinet de « voiture de clowns de Trump ». Mais les clowns ne sont pas drôles, ils sont effrayants.

Anti-vax à la Santé, climato-sceptique à l'Énergie…

Le plus scandaleux est peut-être que Trump a désigné le représentant Matt Gaetz pour le poste de procureur général. En 2020, Gaetz a été accusé de trafic sexuel d'enfants et de détournement de mineur pour avoir emmené une lycéenne de 17 ans au-delà des frontières d'un État afin d'avoir des relations sexuelles avec elle. Le ministère de la Justice et le comité d'éthique de la Chambre des représentantEs ont enquêté sur l'affaire, mais il n'a pas été mis en examen.

Le choix de Trump pour le poste de secrétaire à l'énergie se porte sur Chris Wright, PDG de Liberty Energy, une entreprise de fracturation basée à Denver. Il soutiendra l'industrie des combustibles fossiles et s'opposera aux efforts de réduction des gaz à effet de serre. L'année dernière, Wright a déclaré : « Il n'y a pas de crise climatique, et nous ne sommes pas non plus en pleine transition énergétique ».

Trump a désigné Robert F. Kennedy Jr, un anti-vax, comme secrétaire à la santé et aux services sociaux, un ministère doté d'un budget de 1 700 milliards de dollars et exerçant une influence considérable sur les politiques de santé. Son choix a été largement critiqué par les médecins et les scientifiques spécialisés dans le domaine de la santé.

Brutalité envers les migrantEs et dans l'armée

Trump a fait campagne sur la question de l'immigration en disant qu'il fermerait la frontière et commencerait les déportations dès le premier jour, et pour y faire face, il a choisi le nationaliste blanc Steven Miller comme chef de la politique de sécurité intérieure et un policier au langage dur nommé Thomas Homan comme « tsar de la frontière ». Homan a été responsable de la politique de séparation des familles pendant le premier mandat de Trump. Ils traiteront les immigrantEs de manière brutale.

Pour ce qui est de la politique étrangère, Trump a choisi Pete Hegseth, vétéran d'Irak et d'Afghanistan, major de la Garde nationale et animateur de télévision sur la chaîne d'extrême droite Fox News en 2014, pour le poste de secrétaire à la Défense. Hegseth, qui n'a jamais dirigé une grande organisation, sera en charge des 3,4 millions d'employéEs du ministère de la Défense. Son choix a indigné des membres du Congrès et d'anciens officiers, en partie à cause de son soutien aux soldats accusés de crimes de guerre. Il estime que l'armée est trop « woke » et s'oppose aux politiques de diversité, d'équité et d'inclusion qui, selon lui, ont affaibli les valeurs militaires. Il s'oppose également à ce que les femmes soient placées à des postes de combat. Hegseth a été accusé d'agression sexuelle lors d'une manifestation de femmes républicaines et, bien qu'il n'ait pas été mis en examen, il a payé la femme concernée. Hegseth a un tatouage, Deus Vult (la volonté de Dieu) et porte une croix de Jérusalem, deux symboles du mouvement nationaliste blanc.

Tulsi Gabbard, choix de Trump pour le poste de directeur du renseignement national, a été qualifiée d'« agent russe » et de « traître » par un membre de la Chambre des représentants en raison de son soutien à l'invasion de l'Ukraine par la Russie.

Musk et ses milliards, les PalestinienNEs niéEs

Pour le poste d'ambassadeur des États-Unis en Israël, Trump a choisi le pasteur baptiste Mike Huckabee, ancien gouverneur de l'Arkansas. Huckabee soutient que l'État d'Israël a le droit de contrôler la Cisjordanie, un nom qu'il rejette, préférant les termes bibliques de Judée et Samarie. Il affirme que la Cisjordanie n'existe pas, qu'il n'y a pas d'occupation et que les PalestinienNEs n'existent pas.

Enfin, Elon Musk, le magnat de la technologie et l'homme le plus riche du monde, qui a donné au moins 132 millions de dollars à la campagne de Trump, a été choisi avec l'entrepreneur pharmaceutique Vivek Ramaswamy pour diriger un nouveau ministère de l'efficacité gouvernementale. Musk a conclu des contrats avec le gouvernement pour un montant d'environ 1 000 milliards de dollars.

Les nominations ministérielles doivent en principe être confirmées par le Sénat américain, bien que Trump puisse tenter d'éviter cela en procédant à des « nominations d'urgence » lorsque le Sénat n'est pas en session. Les républicains désormais majoritaires au Sénat ne semblent pas avoir l'intégrité et le courage de lui tenir tête. Les clowns de Trump pourraient mettre en péril la bonne marche du ­gouvernement.

Dan La Botz (traduction Henri Wilno)

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De l’utilité du journalisme à l’ère du chaos trumpiste

26 novembre 2024, par Carine Fouteau — , ,
Donald Trump les considère comme les « ennemis du peuple ». Alors que les journalistes états-uniens s'inquiètent pour leur avenir, une question se pose : à quoi servent les (…)

Donald Trump les considère comme les « ennemis du peuple ». Alors que les journalistes états-uniens s'inquiètent pour leur avenir, une question se pose : à quoi servent les médias ?

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

« Uh, Houston, we've had a problem » : c'est par ces mots laconiques que Jack Swigert, un des trois membres d'équipage de la mission Apollo 13, en pleine ascension vers la Lune, s'est adressé aux ingénieurs du centre de contrôle de la Nasa, le 13 avril 1970, pour alerter de la baisse subite des réserves d'oxygène dans la navette spatiale. La survie des astronautes était en jeu, il fallait trouver des solutions sans plus attendre.

Plus d'un demi-siècle plus tard, la catastrophe annoncée s'applique au secteur des médias. Le « problème » s'appelle Trump, et les malheureux contraints de colmater la brèche pour espérer en réchapper sont les journalistes. Le crash des « ennemis du peuple », tels que les désigne le nouveau président, est assuré si rien n'est fait pour redresser la barre.

En pleine introspection dès le lendemain de l'élection, la presse états-unienne en convient : elle a « perdu » face au candidat des républicains, comme l'écrit le journaliste Kyle Paoletta dans la Columbia Journalism Review, victime de sa stratégie d'étouffement, de dénigrement et de contournement.

Trump a en effet gagné, non pas malgré sa haine des journalistes, mais parce qu'il l'a si bien mise en scène qu'ils sont devenus, aux yeux de ses électeurs et électrices, ces « salauds de corrompus » qu'il dénonçait.

Nous pataugeons dans les égouts de l'information.
Carole Cadwalladr, journaliste à « The Observer »

Il les a essorés en saturant la campagne de mensonges, fake news et autres saillies clownesques, les obligeant à un fact-checking incessant. Il les a insultés et les a menacés de s'en prendre à leurs sources, de surveiller leurs mails et leurs téléphones, voire de les emprisonner, de les empêcher de couvrir les manifestations, de leur interdire l'accès à la Maison-Blanche, de privatiser les chaînes de radio et de télé publiques, et de retirer les autorisations d'émettre aux médias qui lui déplaisent.

Il les a dédaignés en s'adressant aux influenceurs acquis à sa cause, capables de diffuser ses messages à de gigantesques audiences. Il leur a préféré les réseaux sociaux, dont il savait pouvoir manipuler les algorithmes. « You are the media now », a d'ailleurs tweeté Elon Musk, patron du réseau social X, le jour de sa victoire, pour marquer le début d'une nouvelle ère.

« Notre défi est de nous rendre compte que nous pataugeons dans les égouts de l'information. Trump est un bacille mais le problème ce sont les tuyaux. Nous pouvons et devons résoudre ce problème », a réagi Carole Cadwalladr, journaliste à The Observer.

Si, aujourd'hui, seule compte la capacité de la presse américaine à se préparer aux attaques à venir, une réflexion critique sur ses erreurs n'est pas inutile pour aider à penser la suite.

Pourquoi n'a-t-elle pas vu que les chiffres flatteurs de la croissance, tels que les égrenait la candidate démocrate Kamala Harris en défense du bilan de Joe Biden, cachaient une difficulté grandissante des États-Unien·nes à tenir les deux bouts face à l'inflation ? Comment, après la gestion calamiteuse du covid, a-t-elle pu négliger le décrochage de pans entiers de la population à l'égard des élites ?

A-t-elle sous-estimé l'impact de l'implication dans la campagne de géants de la tech capables, à coups de millions de dollars, de reconfigurer, au service de leur candidat, l'espace public médiatique et la formation des opinions politiques ? Pourtant traditionnellement moins révérencieuse qu'en France à l'égard des institutions, la presse états-unienne a-t-elle pu, au nom de la « neutralité » et de « l'objectivité », être aveuglée par des positions centristes favorables aux élites ?

Ce qui est certain, c'est qu'elle n'a pas su, non pas faire gagner Kamala Harris, mais empêcher qu'un autocrate patenté, raciste, misogyne, homophobe et climato-sceptique remporte à la fois le vote des grands électeurs et le vote populaire. Elle n'a pas su convaincre l'opinion des dangers que ce réactionnaire fascisant fait peser sur la démocratie états-unienne et l'ensemble du monde.

Alors que l'extrême droite prospère en Europe, cette défaite des valeurs progressistes – de l'égalité à la justice sociale, en passant par la solidarité, la probité et la sobriété écologique – doit être considérée comme un test grandeur nature de ce côté-ci de l'Atlantique.

Des faits et de l'impact

Elle nous oblige tous et toutes, en tant que journalistes, à interroger notre rôle social en revenant à l'essence même de notre métier. Dans un discours prononcé en 1907, le magnat de la presse Joseph Pulitzer, pas vraiment un extrémiste, déclarait à propos de son journal qu'il « combattra[it] toujours pour le progrès et les réformes, ne tolérera[it] jamais l'injustice ou la corruption ; il n'appartiendra[it] à aucun parti, s'opposera[it] aux classes privilégiées et aux exploiteurs du peuple, ne manquera[it] jamais de sympathie pour les pauvres, demeurera[it] toujours dévoué au bien public, maintiendra[it] radicalement son indépendance ».

Contre le poison des fausses nouvelles et des préjugés, aussi payant soit-il électoralement et sans doute médiatiquement, nous ne devons jamais renoncer à notre éthique journalistique en publiant toujours des informations basées sur des faits recoupés, vérifiés et documentés.

Nos informations, à la différence des commentaires engorgeant les réseaux sociaux, peuvent changer le cours de l'Histoire.

« La liberté d'opinion est une farce si l'information sur les faits n'est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l'objet du débat », écrivait Hannah Arendt en 1967, dans Vérité et politique. Notre travail journalistique, fondé sur la rigueur et l'honnêteté, est la garantie du lien de confiance avec nos lecteurs et nos lectrices.

À nous, en publiant des informations exclusives ayant de l'impact sur la vie des gens, d'apporter la preuve de notre utilité, article après article, révélation après révélation. Nos informations, à la différence des commentaires engorgeant les réseaux sociaux, peuvent changer le cours de l'Histoire ; elles peuvent aussi aider à lutter contre la confusion, telle qu'elle est propagée par les influenceurs, en donnant du sens au monde tel qu'il est.

Contre le risque de déconnexion qui guette les rédactions, il est nécessaire de rappeler haut et fort que la mission d'intérêt public des journalistes est de rendre aux citoyens et aux citoyennes ce qui leur revient en droit dans un régime démocratique : des informations sur les gouvernant·es qui prennent des décisions en leur nom.

Du côté de la société

À Mediapart, depuis nos débuts, nous nous engageons à placer les puissances économiques et politiques face à leurs responsabilités et assumons d'être là pour leur demander des comptes. La totale indépendance de notre modèle économique nous le permet, puisque, comme l'affirme notre slogan, « seuls nos lecteurs et nos lectrices peuvent nous acheter ».

Pour le dire autrement : nous ne représentons pas les intérêts de quelques-uns mais de l'ensemble des citoyens et citoyennes, dans toute leur diversité. À la différence des journaux mainstream qui revendiquent une « objectivité » journalistique sans voir qu'ils relayent la vision d'une certaine bourgeoisie, nous réfutons l'idée d'une quelconque neutralité, qui n'est jamais qu'un équilibre trompeur entre des positions situées, et préférons rappeler d'où nous parlons : nous sommes fondamentalement du côté de la société.

C'est pour cela que nous donnons la priorité, dans notre couverture éditoriale, aux difficultés rencontrées quotidiennement par nos concitoyen·nes : par nos reportages, nous racontons, au jour le jour, la hausse des prix des produits de première nécessité, la crise du logement et le délitement des services publics, et, par nos analyses, nous nous efforçons d'expliquer les mécanismes structurels creusant les inégalités.

Contre l'entre-soi, notre responsabilité est de nous rendre accessibles à toutes et tous, quelles que soient les origines sociales et géographiques de nos lecteurs et nos lectrices. Les résultats des élections états-uniennes montrent non seulement que les diplômes et le lieu de résidence (ville/campagne) restent déterminants dans le vote, mais aussi que chaque électorat est enfermé dans sa bulle.

À nous d'en tirer les conclusions et de faire en sorte de nous rendre lisibles et compréhensibles par tout le monde. À Mediapart, notre ambition est de nous adresser au plus grand nombre sans jamais laisser un pan du lectorat au bord du chemin. Soyons pédagogique et adressons-nous franchement à notre public, sans complaisance, mais sans mépris.

C'est dans l'adversité que l'utilité politique et sociale des journalistes prend tout son sens.

Cela ne doit pas nous empêcher de défendre les valeurs émancipatrices qui sont les nôtres, bien au contraire. Dans un moment où les régimes autoritaires remportent des batailles, il est de notre devoir de ne pas banaliser leurs pratiques et de dénoncer les risques qu'ils font peser sur la vie de la cité. C'est le constat que dresse aujourd'hui le New York Times, qui s'est vu reprocher par une partie de son lectorat de minimiser la menace, comme le rapporte Max Tani dans le journal en ligne Semafor.

Il est aussi de notre responsabilité de comprendre cet électorat attiré par l'extrême droite. À nous, via nos reportages, de l'interroger pour mieux appréhender ses motivations, tout en donnant à voir, par nos investigations, le vrai visage des partis vers lesquels il se tourne.

Après l'élection de Trump, la rédactrice en cheffe du quotidien britannique The Guardian, Katharine Viner, pose ainsi les enjeux : « Nous maintiendrons la distinction importante entre faits et opinions. Nous chercherons à analyser et à expliquer. Nous rassemblerons les fils conducteurs qui rendent cette élection si importante pour la planète. Nous demanderons des comptes avec énergie et force à Trump et à ses collaborateurs. Et, aussi difficile que cela puisse paraître cette semaine, nous essaierons de comprendre la vie et les réalités économiques de celles et ceux qui, nombreux, ont voté pour [Trump], sans jamais trouver d'excuses pour le racisme et la misogynie déclenchés par les élections. »

À l'image du Guardian, Mediapart a décidé de faire de la diversité de son équipe une priorité : nous avons encore du chemin à parcourir, mais nous sommes convaincu·es qu'améliorer notre accessibilité suppose que nous reflétions la société dans toutes ses composantes. Recruter des profils variés est une nécessité, chacun·e apportant des expériences, des préoccupations et des sources complémentaires les unes des autres.

La bataille du droit de savoir, enfin, ne pourra pas être gagnée sans une prise de conscience collective du secteur des médias. Lutter contre la concentration des journaux dans les mains de quelques milliardaires soucieux de défendre leurs intérêts, réguler les réseaux sociaux utilisés comme des armes de déstabilisation et empêcher les Gafam d'appauvrir la presse en pillant ses informations : tels sont quelques-uns des enjeux à relever.

Ils sont immenses, mais nous ne pouvons pas nous permettre de baisser les bras : c'est dans l'adversité que l'utilité politique et sociale des journalistes prend tout son sens. C'est dans des périodes comme celle que nous traversons, de guerres, de crise du capitalisme et de déclin des démocraties, que nous mesurons l'importance de notre fonction de contre-pouvoir. Nous sommes plus que jamais requis pour informer honnêtement nos lectrices et nos lecteurs. Nous savons comment le faire, au service des citoyennes et des citoyens : ils peuvent compter sur nous, comme nous comptons sur eux.

Carine Fouteau

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Liban. Villages rasés et patrimoine menacé par Israël

La destruction d'une partie du patrimoine libanais suite aux bombardements israéliens intensifs mettent en alerte différents acteurs politiques et associatifs du pays. Tiré (…)

La destruction d'une partie du patrimoine libanais suite aux bombardements israéliens intensifs mettent en alerte différents acteurs politiques et associatifs du pays.

Tiré d'Orient XXI.

Lundi 18 novembre 2024, le comité spécial de l'Unesco (l'agence des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture) chargé de la protection des biens culturels en cas de conflit armé s'est réuni en urgence à la demande de Beyrouth pour décider de placer 34 sites du patrimoine libanais sous « protection renforcée ». Une initiative bienvenue, mais qui laisse encore sceptique beaucoup d'acteurs de la société civile et d'archéologues.

« Tout dépend de l'ampleur que va prendre cette décision et de ses mécanismes d'application », relativise Charles Al-Hayek, chercheur en histoire basé à Beyrouth. Ce dernier a créé en 2020 la page Heritage and roots (Héritage et racines) sur les réseaux sociaux ainsi qu'une chaine Youtube pour parler d'histoire libanaise et de patrimoine (architectural, gastronomique, etc.). Depuis le début des bombardements israéliens, il tente de relayer les appels à l'aide pour protéger plusieurs sites archéologiques.

La décision de l'Unesco de mettre sous protection renforcée 34 sites se base sur la convention de la Haye de 1954 pour la protection du patrimoine en cas de conflit, notamment avec la création « au sein des forces armées des unités spéciales chargées de la protection des biens culturels ». La prise pour cible de sites protégés par l'Unesco peut constituer un crime de guerre selon la Cour pénale internationale. Le critère pour choisir les lieux à protéger est fait en fonction de « leur plus haute valeur pour l'humanité », explique sur France culture le chercheur au CNRS Vincent Negri, et auteur du livre Le patrimoine culturel, cible des conflits armés. Il estime que la décision de l'Unesco doit surtout envoyer un « signal fort » aux forces armées israéliennes dans un premier temps.

Des palis, et des oliviers centenaires

Plus de 300 universitaires et professionnels du monde de la culture avaient aussi signé une pétition le 17 novembre 2024 pour demander à garantir la protection du patrimoine libanais. Une centaine de députés libanais avaient aussi alerté début novembre sur les destructions, et réclamé à l'Unesco de protéger les sites. « Ce qui est sûr, c'est qu'au moins une trentaine de villages ont été détruits » dans le Sud Liban, rappelle Charles Al-Hayek.

En plus des trois sites libanais — Tyr, Baalbek et Anjar — classés au patrimoine mondial et directement menacés, le sud du pays, bombardé depuis le 8 octobre 2023, compte pléthore de villages avec des églises, des mosquées et des souks datant de la période des croisades et ottomane.

Depuis le début des bombardements israéliens, plus de 3 480 personnes ont été tuées et plus de 880 000 ont été déplacées à l'intérieur du pays, selon les chiffres de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). Face au drame humain, le patrimoine tangible et intangible est souvent mis de côté, « mais il ne doit pas être oublié, car pour les Libanais, c'est une partie de leur identité », explique Sarkis Khoury, directeur général des Antiquités au sein du ministère de la culture libanais. Il a été chargé avec son département d'élaborer la liste des sites menacés, soumise ensuite à l'Unesco. On y trouve notamment les forteresses de Tebnine et Beaufort (XIIe et XIIIe siècles), le palais Beiteddine (XIXe siècle) et le musée national de Beyrouth, en plus de sites déjà classés au patrimoine mondial de l'UNESCO.

« Pour l'instant, nous documentons et recensons les destructions et les dommages. Ce sera ensuite au gouvernement libanais de décider s'il dépose plainte auprès de la Cour pénale internationale », explique Mostafa Adib, ambassadeur du Liban à l'Unesco et à Berlin.

Sarkis Khoury ajoute :

Nous recevons beaucoup d'informations alarmantes du terrain de la part des gardiens des sites et de nos agents sur place. Lorsque vous détruisez un village, ce sont aussi les oliviers centenaires, les vignes ancestrales, les anciens pressoirs qui disparaissent, cela aussi fait partie du patrimoine libanais.

Tout en alertant sur ce risque de « déracinement identitaire », il rappelle que le patrimoine libanais s'est souvent construit sur la « stratification de chaque civilisation sur l'autre », « et là on se retrouve face à une destruction totale, comme si notre histoire n'existait plus ».

Résister aux séismes, mais pas à l'artillerie israélienne

Autre difficulté, l'impossibilité de réaliser une réelle évaluation de l'ampleur des dégâts, plusieurs sites se trouvant dans des zones sinistrées et inaccessibles. « Normalement on doit pouvoir faire voler des drones et envoyer des experts pour ce genre d'évaluation, tout est compliqué actuellement », confirme Sarkis Khoury. Outre les sites classés et le marché couvert de Nabatiyé (début XXe) détruit mi-octobre par l'aviation israélienne, les historiens et archéologues craignent aussi pour les sites archéologiques romains de Tyr et de Baalbek. Celui-ci a été ébranlé par les tirs de roquettes lancées depuis le 6 novembre 2024 à 500 mètres de son emplacement. Selon l'ambassadeur du Liban à l'Unesco, Mostafa Adib, un mur à proximité de la citadelle de Baalbek a été touché et un bâtiment de l'époque ottomane (années 1920) a été entièrement détruit.

« Ces sites ont été construits par des Romains pour faire face à des tremblements de terre et autres, ils ont survécu aux aléas du temps, mais ils ne sont pas conçus pour faire face à l'équipement militaire israélien », s'inquiète Charles Al-Hayek. Le château de Chamaa (XIIe siècle) à une centaine de kilomètres de Beyrouth, qui fait l'objet d'une restauration avec un soutien italien depuis 2021, a été provisoirement occupé par l'armée israélienne mi-novembre : « Pour l'instant, nous ne savons pas si le site a été endommagé ou pas », précise Charles Al-Hayek. La forteresse de Beaufort, qui a déjà servi de base militaire à l'armée israélienne pendant dix-huit ans lors de l'occupation du Liban-Sud (1982-2000), est de nouveau menacée. La mosquée ottomane de Kfar Tebnit (fin XIXe) à proximité de Nabatiyé a été également détruite. L'unique site datant de l'époque omeyyade (VIe – VIIe siècles), situé à Anjar dans la vallée de la Bekaa, est aussi en danger selon l'ambassadeur du Liban à l'Unesco Mostafa Adib.

Maroun Khreich, maître de conférences en histoire, langues anciennes et patrimoine à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth rappelle :

Il y a aussi des sites méconnus comme ceux de Qatmoun à Rmeich (déjà bombardé en 2006 par Israël), le centre du village Alma dont l'architecture vernaculaire est centenaire, le marché couvert de Bint Jbeil, les sites de la région de Wadi-Zebqin et Rob El Tatlin qui ont été détruits.

Il estime que la décision de l'Unesco est importante mais tardive. Icomos, une ONG qui se consacre à la protection et la conservation des sites patrimoniaux, avait lancé l'alerte depuis le 17 octobre sur le sort des sites archéologiques au Liban. « Malheureusement il y a eu un silence assourdissant sur les événements, aussi bien au niveau des pertes humaines que sur le patrimoine », déplore l'universitaire.

Alors que l'attente d'un cessez-le-feu est toujours au cœur des discussions politiques et diplomatiques, Charles Al-Hayek pense déjà à l'après :

Nous avons besoin de ne pas oublier notre patrimoine, car c'est ce qui motivera ensuite la reconstruction et le lien social face à ce nouveau traumatisme. Préserver l'histoire de ces sites et la publier a une double fonction : rappeler que nous faisons partie de l'histoire mondiale, car beaucoup semblent l'oublier, et aider aussi les communautés sinistrées qui auront besoin de ce travail mémoriel pour tisser un lien social lors de la reconstruction.

Malgré cette détermination, d'autres problèmes ont été soulevés par les chercheurs. Le risque de pillage de certains sites dans les zones sinistrées comme c'est souvent le cas lorsque le patrimoine se retrouve au centre des conflits armés.

La question de la mise à l'abri des collections dans le cas du musée de Beyrouth ou celui de Sursock (musée d'art moderne qui porte le nom de son fondateur Nicolas Ibrahim Sursock) a été aussi soulevée. Ces problématiques ont des airs de déjà-vu pour le Liban, bien que le contexte soit radicalement différent. Pendant la guerre civile de 1975 à 1990, les œuvres du Musée national de Beyrouth avaient été, dans les années 1980, déplacées au sous-sol et emmurées, pour être protégées. Des coffres en béton armé avaient été disposés autour des œuvres les plus imposantes afin de les protéger. Des archéologues avaient également enfoui des vestiges retrouvés à Tyr et près de 600 pièces issues des fouilles avaient été transportées du dépôt de Tyr à celui Byblos. Aujourd'hui, les bombardements massifs israéliens et l'artillerie lourde utilisée génère des dégâts beaucoup difficiles à évaluer ou anticiper. Mostafa Adib précise toutefois que la décision de protéger les 34 sites libanais a été accompagnée du déblocage d'un fond d'urgence de 80 000 dollars (76 360 euros) « dont une partie pourrait être utilisée pour déplacer et protéger certaines œuvres, mais seulement dans les sites auxquels nous pouvons accéder actuellement », précise-t-il.

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