Presse-toi à gauche !
Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...

La crise du féminicide en Iran : Comprendre l’urgence du changement

La semaine dernière, deux cas de féminicide ont secoué l'Iran. Tout d'abord, un avocat a assassiné sa femme journaliste, Mansoureh Ghadiri Javi, à coups de couteau et d'haltère. D'autre part, un autre avocat a tué sa femme et son fils avant de mettre fin à ses jours.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Selon le journal iranien « Etemad », au moins 165 cas de féminicides ont été signalés en Iran. Ces cas se sont produits entre juin 2021 et juin 2023. Cela signifie qu'en moyenne, une femme est tuée tous les quatre jours.
En Iran, la violence domestique touche les femmes de toutes les classes sociales et de tous les milieux. Les structures culturelles, sociales et économiques font qu'il est difficile pour les femmes de chercher de l'aide ou d'échapper à ces situations de violence. La peur des conséquences sociales, le manque de soutien et l'ignorance des droits mettent de nombreuses femmes en danger. Les meurtres sont souvent justifiés par l'« honneur », la jalousie ou des conflits familiaux. Ils deviennent mortels en raison des structures sociétales et juridiques qui limitent les sanctions pour ces actes.
Ces cas récents mettent en lumière une tendance inquiétante. Les hommes impliqués auraient dû être des défenseurs de la loi. Au lieu de cela, ils ont été les auteurs de ces actes odieux. Dans les deux cas, il s'agit d'hommes qui, après avoir commis un meurtre, ont également tenté de mettre fin à leurs jours. Il ne s'agit pas d'événements isolés, mais de failles profondes dans la société et le système judiciaire.
Contexte historique du féminicide en Iran
L'histoire du féminicide en Iran s'étend sur plusieurs décennies et est profondément ancrée dans le tissu culturel, social et juridique de la société. Le terme « féminicide » ne désigne pas seulement l'acte de tuer des femmes, mais aussi les systèmes plus larges qui le permettent et l'excusent. En Iran, le féminicide est souvent lié à l'« honneur » ou à la « chasteté », de nombreux meurtres étant justifiés comme des actes visant à restaurer l'honneur de la famille ou à protéger les valeurs de la société. Ces croyances s'appuient sur une culture patriarcale et des lois qui renforcent l'assujettissement des femmes.
Dans les premières années de l'État moderne, les attitudes sociales et les lois faisaient des femmes des personnes à charge au sein des familles, d'abord en tant que filles, puis en tant qu'épouses. Cette dépendance n'était pas seulement le reflet de normes culturelles, elle était également inscrite dans le cadre juridique iranien. Les lois placent la vie et le corps des femmes sous le contrôle des hommes de leur famille, principalement les pères, les frères et les maris. Une fille perçue comme déshonorant sa famille pouvait être « corrigée » par la violence, y compris la mort, et dans de nombreux cas, ces actions étaient soit justifiées, soit ignorées par la loi et la société.
Au fil des ans, quelques magazines et publications consacrés aux questions féminines ont mis en lumière ces cas. Ils ont documenté d'innombrables cas de féminicides. Les rapports des années 1980 et suivantes révèlent une cohérence effrayante. Les femmes ont continué à subir des violences de la part de leur famille. Souvent, elles n'ont que peu de recours juridiques. Les codes juridiques iraniens contiennent des dispositions qui autorisent ou réduisent les peines pour les hommes qui tuent des femmes de leur famille sous prétexte de défendre l'honneur de la famille. Cette indulgence juridique renforce l'intégration du féminicide dans la structure sociale iranienne, le faisant passer du statut de crime individuel à celui de pratique acceptée aux yeux de beaucoup.
L'idée culturelle de « l'honneur » joue également un rôle central dans le féminicide. La perception selon laquelle les actions d'une femme – qu'il s'agisse de sa tenue vestimentaire, de son comportement ou même de ses fréquentations reflètent l'« honneur » de ses parents masculins a historiquement conféré aux hommes une autorité sociale et morale sur la vie des femmes. Les actions « déshonorantes » d'une femme ne sont pas considérées comme les siennes propres, mais comme celles de toute sa famille. Ce concept persiste malgré l'évolution du rôle des femmes dans la société iranienne. Les femmes ont fait des progrès en matière d'éducation, de participation au marché du travail et d'engagement social, mais ces avancées n'ont pas effacé la notion profondément ancrée selon laquelle le comportement d'une femme doit être contrôlé pour préserver l'honneur de la famille.
Ces dernières années, bien que certains amendements aient été apportés à la législation, la structure fondamentale des systèmes juridiques et culturels qui autorisent le féminicide est restée largement inchangée. Les lois iraniennes accordent toujours une grande indulgence aux hommes qui commettent ces crimes, en particulier lorsqu'ils invoquent l'« honneur » ou la « réputation de la famille ». Pour de nombreuses femmes, la menace de la violence continue de peser sur elles, car les protections sociales et juridiques restent insuffisantes. Dans certains cas, ces lois semblent presque encourager le féminicide, en confortant le message que les hommes de la famille ont le droit de décider du sort des femmes sous leur « protection ».
Récits de victimes et de survivantes
L'impact du féminicide en Iran apparaît douloureusement à travers les récits de femmes victimes dont les noms deviennent des symboles d'injustice et de tristesse. Ces histoires ne sont pas seulement des tragédies personnelles ; elles illustrent le poids écrasant des attentes culturelles et familiales sur la vie des femmes. Des femmes comme Tahereh, Romina et d'innombrables autres sont devenues célèbres parce que leur mort, bien que déchirante, souligne les pratiques brutales auxquelles les familles sont prêtes à se soumettre pour préserver l'« honneur ».
Tahereh n'avait que seize ans lorsqu'elle a été victime du sens du déshonneur de sa famille. Son histoire, publiée il y a vingt ans dans un magazine féminin, a choqué les lecteurs par sa froide cruauté. Son père, croyant qu'elle n'était pas vierge lors de sa nuit de noces, a décidé que sa vie avait moins de valeur que la réputation de la famille. Même après qu'un examen médical a prouvé son innocence, son destin a été scellé par la seule accusation. Tahereh a été assassinée par son propre père et son propre oncle, qui voyaient en elle une tache sur l'honneur de la famille. Son histoire, bien qu'écrite il y a des décennies, résonne encore aujourd'hui. La mort de Tahereh n'est pas un incident isolé ; elle est emblématique d'un modèle dans lequel le seul soupçon suffit à justifier l'assassinat d'une femme.
L'histoire de Romina est tout aussi effrayante et plus récente, montrant que le paysage juridique et culturel n'a guère changé. À l'âge de quatorze ans, Romina a tenté de s'enfuir avec un homme qu'elle aimait. Son père l'a trouvée et, malgré les appels à la protection de Romina, les autorités l'ont renvoyée chez elle, persuadées que son père ne lui ferait pas de mal. Quelques jours plus tard, il lui a ôté la vie dans un horrible acte de meurtre « d'honneur », utilisant une faucille pour la décapiter dans leur propre maison. La mort de Romina a provoqué un choc et une vague d'horreur en Iran, notamment parce qu'elle avait cherché de l'aide, craignant exactement ce qui se passerait si elle retournait auprès de son père. Le système l'a laissée tomber, la renvoyant dans un environnement où sa vie était menacée.
Ces histoires mettent en lumière la dynamique brutale du pouvoir et du contrôle au sein des familles iraniennes et l'immense pression sociale exercée pour se conformer aux valeurs traditionnelles. Dans les deux cas, la loi a été impuissante à prévenir la violence ou à rendre justice après coup. De nombreux féminicides ne sont jamais rapportés en détail, cachés derrière des portes closes ou considérés comme des affaires privées et familiales. Le silence qui entoure ces affaires découle non seulement de la peur des représailles, mais aussi de la croyance profondément ancrée que l'honneur de la famille l'emporte sur le droit d'un individu à vivre librement.
Certaines femmes qui ont survécu à des agressions violentes portent des cicatrices physiques et psychologiques à long terme, mais leur voix est souvent ignorée. De nombreuses survivantes ne peuvent pas parler ouvertement de leur expérience sans risquer leur sécurité ou de renforcer la honte de leur famille. Dans les rares cas où les survivantes se manifestent, elles révèlent une société peu encline à compatir avec les femmes qui ont « déshonoré » leur famille. Malgré le traumatisme qu'elles subissent, les survivantes se retrouvent souvent ostracisées, qualifiées de « souillées » ou de « déshonorantes » pour des actions qui peuvent être aussi simples que de choisir son propre partenaire ou de rejeter des coutumes restrictives.
À travers ces récits, il apparaît clairement que le féminicide en Iran n'est pas simplement une série d'incidents isolés ; il est le reflet d'une culture omniprésente qui considère les femmes comme des réceptacles de l'honneur familial, à protéger ou à punir selon ce que les hommes jugent bon. Pour chaque Tahereh ou Romina, il y en a d'innombrables autres dont les noms et les histoires restent inconnues, leurs voix réduites au silence au nom de la tradition. Leurs récits, qu'elles soient victimes ou survivantes, soulignent l'urgence d'une réforme juridique et d'un changement culturel visant à reconnaître les droits inhérents des femmes à vivre sans crainte.
Rôle de la famille et de la communauté dans le féminicide
En Iran, la famille et la communauté jouent un rôle crucial dans la perpétuation du cycle du féminicide. Le féminicide est rarement considéré comme un acte de violence individuel ; il s'agit souvent d'une expression collective des attentes sociales, des valeurs familiales et de la pression de la communauté. Lorsque les femmes défient ou semblent défier les normes acceptées, en particulier sur les questions de sexualité et d'autonomie, elles ne sont pas seulement considérées comme des déceptions individuelles pour leur famille. Au contraire, elles sont perçues comme une menace pour le statut social de la famille et sa réputation au sein de la communauté.
En Iran, la cellule familiale est traditionnellement considérée comme une structure sacrée, dont les membres ont des rôles stricts. Les femmes et les filles sont souvent considérées comme porteuses de « l'honneur » de la famille, les hommes étant considérés comme les gardiens de cet honneur. La notion d'honneur est profondément liée au comportement, à l'apparence et aux relations d'une femme, ce qui la rend sujette à un examen minutieux de la part non seulement de sa famille proche, mais aussi de sa famille élargie et de ses voisin·es. Les hommes, en particulier les pères, les frères et les maris, se sentent tenus de surveiller la conduite des femmes de leur famille et sont censés prendre des mesures s'ils perçoivent une menace pour la réputation de la famille. Dans ce contexte, la communauté renforce souvent ces attentes, en faisant directement ou indirectement pression sur les familles pour qu'elles contrôlent les femmes « rebelles » ou « désobéissantes ».
La pression communautaire peut amplifier l'intensité de ces attentes. Les familles peuvent se sentir obligées de prendre des mesures extrêmes, comme le féminicide, pour éviter la honte publique. Dans de nombreux cas, des ami·es, des voisin·es et même des parent·es éloigné·es peuvent suggérer ou encourager des mesures punitives à l'encontre des femmes considérées comme ayant déshonoré la famille. Cet état d'esprit collectif considère que l'« honneur » doit être préservé à tout prix et que toute menace, réelle ou imaginaire, est rapidement punie. Par exemple, dans le cas de Romina, son père aurait été confronté à des critiques incessantes de la part des voisin·es et des parent·es qui le condamnaient pour avoir permis à sa fille de fréquenter l'homme de son choix. Lorsqu'il l'a finalement tuée, nombre de ces mêmes membres de la communauté ont considéré qu'il s'agissait d'un acte de discipline nécessaire plutôt que d'un crime.
Le rôle de la communauté ne s'arrête pas à l'acte de violence lui-même. Après un féminicide, les membres de la communauté peuvent se rallier à l'auteur, le considérant comme quelqu'un qui a courageusement défendu l'honneur de la famille. Les voisin·es et les proches peuvent même soutenir ou justifier publiquement ses actes, renforçant ainsi l'idée qu'une telle violence est une réponse acceptable à la transgression perçue d'une femme. Dans les cas où le tueur risque des poursuites judiciaires, certain·es membres de la communauté peuvent prôner l'indulgence, minimisant ainsi encore la gravité du crime. Ce type d'approbation collective normalise la violence à l'égard des femmes et décourage les autres familles de remettre en question ou de rejeter l'idée de l'« honneur » comme justification de la maltraitance.
La famille et la communauté créent ensemble un environnement dans lequel les femmes sont vulnérables à la violence si elles sortent des rôles socialement acceptés. La présence de ces normes culturelles fait qu'il est presque impossible pour les femmes d'échapper aux rôles qui leur sont assignés sans risquer d'être blessées. Les attentes de la famille et de la communauté créent un système de surveillance constante autour des femmes, chaque aspect de leur vie – éducation, travail, amitiés, mariage – étant dicté par la nécessité de préserver l'honneur de la famille. Cette dynamique n'est pas propre aux zones rurales ou conservatrices ; même dans les communautés urbaines et progressistes, les concepts d'honneur et de honte jouent un rôle important dans l'organisation de la vie des femmes, bien que de manière moins visible.
Dans ce réseau complexe d'attentes familiales et communautaires, la vie et les choix des femmes sont sévèrement limités. Tout acte de défiance ou de désobéissance est considéré comme une tache sur l'honneur de la famille qui doit être « nettoyée ». La pression écrasante exercée sur les femmes pour qu'elles se conforment aux règles et les conséquences du non-respect de ces règles révèlent à quel point la famille et la communauté peuvent dicter la vie et la mort des femmes en Iran, ce qui est effrayant. Pour de nombreuses femmes, la possibilité de liberté est éclipsée par la menace constante et imminente de la violence, qui leur rappelle que leur vie ne leur appartient pas entièrement.
Implications juridiques et lacunes
Le droit iranien joue un rôle essentiel dans le maintien des conditions qui permettent au féminicide de perdurer. Alors que les lois sont théoriquement destinées à protéger les citoyen·nes, certaines lacunes et certains codes juridiques permettent en fait aux hommes qui commettent un féminicide d'être impunis ou, à tout le moins, d'être moins punis. Ces lacunes juridiques créent un environnement dans lequel les auteurs de féminicides peuvent agir dans une relative impunité, sachant que la loi est plus susceptible de les protéger que de les obliger à rendre des comptes.
L'un des aspects juridiques les plus problématiques est le concept de « défense de l'honneur » inscrit dans le droit iranien. L'article 630 du code pénal iranien autorise un mari à tuer sa femme et son amant s'il les surprend en flagrant délit d'adultère, à condition qu'il soit « certain » que la femme n'a pas été contrainte. La loi part du principe que l'infidélité d'une femme entache l'honneur d'un homme à un point tel cela justifie de lui ôter la vie. Cette clause juridique renforce l'idée que les actions d'une femme impactent directement la réputation de son mari et que la violence est une méthode acceptable pour résoudre les problèmes de déshonneur perçu.
En outre, l'article 220 du code pénal islamique accorde aux pères et aux grands-pères un niveau d'autorité important sur leurs enfants, y compris leurs filles. En vertu de cette loi, un père ou un grand-père paternel qui tue son enfant est exempté de la peine capitale et ne peut être condamné qu'à des peines légères, souvent de quelques années seulement. Cette exception légale, connue sous le nom de « ghesas » (rétribution), implique que les pères ont des droits de propriété sur leurs enfants et peuvent, dans une certaine mesure, décider de leur sort. Cette indulgence dans le cas des soi-disant « crimes d'honneur » envoie un message effrayant à la société : les hommes, en particulier les pères, ont le contrôle ultime sur les membres féminins de la famille, et la loi n'interviendra pas sévèrement, même dans les cas de meurtre.
Ces lacunes illustrent la manière dont le droit iranien ne protège pas les femmes et, dans certains cas, permet activement la poursuite de la violence fondée sur le genre. La loi permet aux hommes d'agir en tant que garants de « l'honneur », leur accordant essentiellement un pouvoir sur la vie et le corps des femmes. De nombreuses et nombreux militants affirment que ces lois sont des vestiges d'un système patriarcal qui considère les femmes comme des biens plutôt que comme des individus dotés de droits. L'absence de sanctions sévères pour le féminicide, en particulier dans les cas où l'honneur est invoqué, encourage les hommes à prendre les choses en main, sachant qu'ils ne subiront que des conséquences minimes.
Cette indulgence juridique est exacerbée par le fait que les juges iraniens disposent souvent d'un pouvoir discrétionnaire important dans l'interprétation de la loi. De nombreux juges interprètent les affaires de crimes d'honneur dans un cadre culturel qui considère la chasteté des femmes comme primordiale. Dans certains cas, les juges peuvent réduire les peines pour les hommes qui prétendent avoir défendu l'honneur de leur famille, indépendamment du fait que la victime ait été reconnue innocente ou coupable de la transgression alléguée. Ce pouvoir judiciaire discrétionnaire se traduit souvent par une réduction des peines d'emprisonnement, une libération conditionnelle, voire un acquittement dans les cas de féminicide.
En outre, l'acceptation sociale de l'honneur comme motif valable de violence affaiblit encore la probabilité d'une réforme. Les efforts visant à modifier le code pénal pour supprimer ou modifier ces dispositions se sont heurtés à une forte résistance, car ces lois sont considérées par certains comme le reflet de valeurs culturelles. Même lorsque des propositions de peines plus sévères sont adoptées, les législateurs conservateurs et les chefs de communautés affirment souvent que de tels changements porteraient atteinte aux valeurs familiales et à l'ordre social. Par conséquent, ces dispositions légales restent largement incontestées, laissant les femmes vulnérables à la violence et à la merci des attentes de la famille et de la communauté.
Le système juridique iranien, au lieu de rendre justice aux victimes, tend à renforcer le contrôle patriarcal. Pour de nombreuses femmes, la loi n'est pas une source de protection, mais un outil qui renforce le pouvoir de ceux qui cherchent à les contrôler. Tant que des réformes juridiques importantes ne seront pas mises en œuvre et que le concept d'honneur ne sera pas intégré au système judiciaire, les femmes continueront à vivre sous la menace de la violence. Ces lois, avec leurs lacunes et leurs justifications culturelles, démontrent à quel point la violence sexiste est profondément ancrée dans le cadre juridique et social de l'Iran.
Justifications culturelles et attitudes sociales
Les croyances culturelles et les attitudes sociales à l'égard de l'« honneur » et de la « chasteté » jouent un rôle immense dans la perpétuation du féminicide en Iran. Dans de nombreuses communautés, la valeur d'une femme est étroitement liée à sa pureté et à son obéissance, et tout écart par rapport à ces attentes est considéré comme une menace directe pour l'honneur de la famille. Ces croyances sont profondément ancrées dans le tissu social, transmises de génération en génération et renforcées par les normes culturelles et les interprétations religieuses. Par conséquent, de nombreuses personnes acceptent la violence à l'égard des femmes comme une réponse légitime au déshonneur perçu.
Dans la société iranienne, le concept d'« honneur » n'est pas simplement une valeur personnelle ; il s'agit d'une valeur publique qui concerne toute la famille et, dans de nombreux cas, la communauté. Les femmes sont souvent considérées comme l'incarnation physique de cet honneur, et leurs actions sont examinées à la loupe car elles reflètent la position morale de leur famille. Les comportements considérés comme « déshonorants » peuvent inclure un large éventail d'actions, allant du choix de ses propres amis ou partenaires à une tenue vestimentaire jugée inappropriée, en passant par le fait de se présenter seule dans les espaces publics. Les femmes sont censées se conformer à des rôles traditionnels qui limitent leur liberté, et toute tentative d'affirmer leur indépendance peut être accueillie avec hostilité ou violence.
Les attitudes sociales à l'égard de l'honneur sont fortement influencées par un mélange de traditions culturelles et d'interprétations religieuses. Ces croyances varient en intensité selon les régions et les communautés, mais le message sous-jacent est le même : le rôle d'une femme est de maintenir la réputation de la famille, et tout manquement à cet égard entraîne de graves conséquences. Par exemple, dans certaines communautés conservatrices, la simple rumeur d'un comportement inapproprié suffit à justifier une punition, que la femme en question ait réellement fait quelque chose de mal ou non. Cette croyance crée un environnement où la vie des femmes est étroitement surveillée et où toute transgression perçue peut avoir des répercussions immédiates et parfois mortelles.
Les interprétations religieuses jouent également un rôle dans la manière dont l'honneur est défini et appliqué. Dans certains cas, certaines interprétations des textes religieux sont utilisées pour justifier le contrôle du comportement des femmes, ainsi que le recours à la violence pour « corriger » ou « punir » les manquements moraux perçus. Bien que ces interprétations fassent l'objet d'un débat entre les spécialistes de la religion, dans la pratique, de nombreuses communautés adhèrent à des points de vue conservateurs qui renforcent le contrôle patriarcal sur les femmes. Cela ajoute une couche de validation religieuse aux croyances culturelles, ce qui rend encore plus difficile le changement de ces attitudes ou la promotion des droits des femmes.
Dans de nombreux cas, les femmes elles-mêmes peuvent intérioriser ces croyances, acceptant leur rôle de porteuses de l'honneur familial et soutenant les normes mêmes qui restreignent leurs libertés. Ce phénomène, connu sous le nom de « misogynie intériorisée », signifie que certaines femmes deviennent également les garantes de ces normes, soit en faisant pression sur les femmes plus jeunes pour qu'elles se conforment, soit en restant silencieuses face à la violence. Cette intériorisation reflète la nature profondément enracinée de ces croyances culturelles, montrant que le contrôle de la vie des femmes s'étend au-delà des actions des hommes à un état d'esprit collectif adopté par la communauté.
Les efforts visant à modifier ces attitudes culturelles se sont heurtés à une forte résistance, car ils sont considérés par certains comme des tentatives d'ébranler les valeurs traditionnelles. Les activistes féministes, les réformateurs set réformatrices sociales et les organisations de défense des droits des êtres humains travaillant en Iran ont tenté de sensibiliser aux droits des femmes et de plaider contre la violence fondée sur le sexe. Toutefois, ces efforts se heurtent souvent à la réaction des conservateurs, qui estiment que ces changements menacent le tissu moral et social de la société. En conséquence, les changements ont été lents, de nombreuses personnes restant convaincues que le comportement d'une femme doit être contrôlé afin de protéger l'honneur de la famille.
L'attachement profond à l'honneur et à la chasteté au sein de la culture sert de justification puissante au féminicide. Dans de nombreux cas, les auteurs de féminicides ne considèrent pas leurs actes comme criminels, mais comme des corrections nécessaires à des manquements moraux. Pour eux, l'acte de tuer une femme qui a « déshonoré » sa famille est perçu comme un rétablissement de l'équilibre, un moyen de récupérer le statut social de la famille. Cet état d'esprit ne déshumanise pas seulement les femmes, il légitime aussi la violence comme solution à des griefs sociaux ou personnels.
Ces justifications culturelles et ces attitudes sociales révèlent à quel point le féminicide est profondément ancré dans le tissu de la société iranienne. Tant que ces attitudes ne changeront pas, les femmes continueront à subir d'énormes pressions pour se conformer à des rôles restrictifs et resteront vulnérables à la violence si elles s'écartent de ces attentes. Pour changer ces croyances, il ne suffit pas de modifier les mentalités individuelles ; il faut transformer les valeurs et les normes qui définissent les rôles des hommes et des femmes, l'honneur et la définition même de la respectabilité dans la société.
Résistance et plaidoyer
Malgré les difficultés, des activistes, des féministes et des défenseurs des droits des êtres humains en Iran travaillent sans relâche pour lutter contre le féminicide.
Ces personnes et ces organisations s'efforcent de sensibiliser l'opinion publique, de faire pression en faveur d'une réforme juridique et d'offrir un soutien aux femmes en danger. Leur travail représente un mouvement en développement en Iran ; elles et ils cherchent à remettre en question les structures culturelles, juridiques et sociales qui favorisent la violence à l'égard des femmes. Toutefois, cette résistance est semée d'embûches, car leur travail se heurte souvent à des réactions négatives, à des restrictions juridiques et à la stigmatisation sociale lorsqu'elles et ils remettent en cause des normes bien ancrées.
L'un des principaux domaines d'action des défenseurs des droits des femmes est la sensibilisation au féminicide et à la violence fondée sur le genre. Par le biais de publications, d'ateliers et de campagnes en ligne, les activistes visent à éduquer le public sur les questions relatives au féminicide, en soulignant qu'il ne s'agit pas d'une question d'honneur familial mais d'une grave violation des droits des êtres humains. Des publications comme le magazine Zanan (Femmes) et son successeur Zanan-e Emruz (Femmes d'aujourd'hui) ont joué un rôle essentiel en documentant les cas de féminicide et en mettant en lumière les réalités auxquelles sont confrontées les femmes iraniennes. En partageant les histoires de victimes comme Tahereh et Romina, ces publications ne se contentent pas d'honorer la mémoire de celles qui ont perdu la vie, mais créent également un dialogue public sur la nécessité d'un changement.
La réforme juridique est un autre point essentiel. Les militant·es affirment que le code pénal iranien doit être révisé afin de supprimer les indulgences pour les violences fondées sur l'honneur et d'appliquer des sanctions strictes pour tous les actes de féminicide. Des propositions ont été faites pour modifier des articles du code pénal, en particulier ceux qui prévoient des peines plus légères pour les pères et les maris qui commettent des actes de féminicide. Toutefois, les efforts de réforme de ces lois se heurtent souvent à la résistance des législateurs conservateurs et des autorités religieuses qui affirment que de tels changements éroderaient les valeurs traditionnelles et saperaient l'autorité de la famille. En conséquence, les progrès en matière de réforme juridique ont été lents, laissant leurs défenseur·es frustré·es mais non découragé·es dans leur quête de justice.
Les organisations de défense des droits des êtres humains, tant nationales qu'internationales, ont contribué à documenter et à signaler les cas de féminicide en Iran. Des organisations telles qu'Amnesty International et Human Rights Watch ont sensibilisé l'opinion publique mondiale au problème du féminicide en Iran, faisant pression sur les autorités iraniennes pour qu'elles s'attaquent à la violence fondée sur le genre. Toutefois, les militant·es iraniens·ne sont souvent confrontés·e à des restrictions de leur liberté d'expression et de réunion, ce qui rend difficile l'organisation de mouvements à grande échelle. Dans certains cas, celles et ceux qui s'expriment contre le féminicide sont détenu·es ou réduit·es au silence par les autorités, en particulier s'elles et ils sont considéré·es comme s'opposant aux politiques de l'État ou aux valeurs traditionnelles.
Des réseaux de soutien communautaires ont également vu le jour dans le cadre de la résistance au féminicide. Ces réseaux offrent des espaces sûrs pour les femmes en danger, en leur proposant des conseils, des avis juridiques et des abris. Dans les régions où le soutien gouvernemental est limité ou inexistant, ces organisations communautaires servent de bouées de sauvetage aux femmes qui cherchent à échapper à des situations de violence. Bien que leurs ressources soient limitées, ces groupes ont réussi à apporter des changements modestes mais significatifs dans la vie des femmes, leur donnant une chance de retrouver leur indépendance et leur sécurité.
Les médias sociaux sont devenus un outil puissant pour les activistes et les féministes iraniennes, qui peuvent ainsi exprimer leur opposition au féminicide. Des plateformes comme Twitter, Instagram et Telegram permettent aux militant·es de partager des informations, d'organiser des campagnes et de créer des communautés virtuelles de soutien. Les hashtags, les messages viraux et les pétitions en ligne ont amplifié les voix des militant·es des droits des femmes, atteignant des publics à l'intérieur et à l'extérieur de l'Iran. Alors que les autorités surveillent et restreignent souvent l'accès à Internet, les médias sociaux restent un outil essentiel pour sensibiliser et mobiliser le soutien, permettant aux militant·es de contourner les restrictions des médias traditionnels et d'entrer directement en contact avec le public.
La lutte contre le féminicide en Iran n'est pas sans risque. De nombreuses et nombreux militants et activistes sont confrontés à des menaces personnelles, à l'ostracisme social et même à des conséquences juridiques pour leur travail. Cependant, la prise de conscience croissante et l'opposition au féminicide sont un signe encourageant que le changement est possible. Ces efforts, bien que modestes, remettent en question le statu quo et offrent la vision d'un avenir où les femmes sont libérées de la menace de la violence. Chaque campagne, protestation et publication contribue à l'élan d'un mouvement qui cherche à redéfinir l'honneur, à protéger les droits des femmes et à créer une société où chaque individu peut vivre sans crainte.
Analyse comparative avec d'autres sociétés
L'examen du féminicide en Iran par rapport à des cas d'autres pays révèle des facteurs à la fois universels et uniques qui influencent la violence fondée sur le genre. Si les cadres culturels, religieux et juridiques spécifiques peuvent différer, les modèles sous-jacents de contrôle, les valeurs patriarcales et les attentes de la société à l'égard des femmes sont des fils conducteurs qui façonnent souvent les féminicides dans le monde entier. En comparant la situation de l'Iran à celle d'autres pays, nous pouvons mieux comprendre l'ampleur du problème et reconnaître les voies potentielles de changement.
Dans de nombreuses régions du monde, le féminicide est lié à l'« honneur », avec des justifications similaires dans les pays du Moyen-Orient, d'Asie du Sud et d'Amérique latine. Par exemple, dans des pays comme le Pakistan, la Jordanie et l'Afghanistan, les femmes qui sont perçues comme déshonorant leur famille peuvent être victimes de violences, souvent avec des répercussions juridiques limitées pour les auteurs. Dans ces sociétés, comme en Iran, les croyances culturelles renforcent l'idée que les actions d'une femme reflètent la position morale de sa famille et que tout écart par rapport au comportement attendu peut avoir des conséquences fatales. Ici, le contrôle patriarcal et le sens de l'honneur collectif encouragent la violence, tout comme en Iran, et les tentatives de réforme de ces pratiques se heurtent souvent à l'opposition des secteurs traditionnels ou conservateurs.
Les pays d'Amérique latine, en particulier le Mexique, ont également connu une augmentation inquiétante du nombre de féminicides, le terme lui-même ayant été créé par des activistes de la région. Dans de nombreux cas, les féminicides en Amérique latine se produisent dans des contextes de violence domestique ou de crime organisé et, comme en Iran, les femmes de ces régions souffrent souvent d'une négligence systémique. La prévalence du « machisme », une croyance culturelle selon laquelle les hommes ont autorité sur les femmes, est à l'origine d'une grande partie de la violence en Amérique latine, à l'instar de l'influence de l'autorité patriarcale en Iran. Les cadres juridiques des pays d'Amérique latine ont toutefois commencé à évoluer, le Mexique et l'Argentine ayant institué des lois spéciales et créé des unités au sein des forces de l'ordre spécifiquement chargées de lutter contre le féminicide. Bien qu'il reste des défis à relever, ces mesures juridiques représentent des avancées significatives vers la responsabilisation des auteurs et peuvent servir de modèles potentiels pour l'Iran et d'autres pays.
Dans les pays occidentaux, si les crimes d'honneur sont moins fréquents, les féminicides sont souvent liés à la violence domestique, au harcèlement et à la misogynie. Les pays d'Europe et d'Amérique du Nord ont mis en œuvre des lois portant spécifiquement sur la violence domestique et ont progressé dans la criminalisation du féminicide en tant qu'infraction distincte. Par exemple, l'Italie et la France ont toutes deux reconnu que le féminicide était un problème social urgent et ont mis en place des sanctions plus sévères et un suivi des délinquants. Dans des pays comme le Canada et l'Australie, des campagnes populaires ont fait pression sur les gouvernements pour qu'ils améliorent les mesures de protection des femmes, ce qui a permis d'augmenter les ressources allouées aux refuges et aux services juridiques. Ces pays occidentaux proposent également des programmes éducatifs visant à modifier les attitudes sociales en matière d'égalité entre les hommes et les femmes, reconnaissant que les changements législatifs doivent s'accompagner de changements dans la perception culturelle des femmes.
Le contraste entre ces pays et l'Iran met en évidence l'impact des réformes juridiques et de l'activisme social. Dans les pays où les lois ont évolué pour protéger les femmes, les campagnes de sensibilisation et l'éducation communautaire vont souvent de pair avec la législation. Bien que les attitudes sociales ne changent pas du jour au lendemain, un travail de plaidoyer soutenu a démontré qu'il est possible de transformer l'opinion publique sur les droits des femmes et de faire évoluer les normes entourant la violence à l'égard des femmes. Ce changement culturel s'est avéré crucial pour la réduction des taux de féminicide dans les endroits où la sensibilisation et les réformes ont pris racine.
Toutefois, il est essentiel de reconnaître les défis uniques auxquels les activistes iranien·nes sont confronté·es dans leur lutte contre le féminicide. Contrairement à de nombreux pays qui bénéficient d'une presse relativement libre et de moins de restrictions sur l'activisme, l'Iran impose des limitations à la fois à la liberté d'expression et à la liberté de réunion, ce qui rend difficile pour les militant·es de mobiliser un soutien ou d'appeler à des changements juridiques. Les organisations internationales de défense des droits des êtres humains ont noté que l'absence de réforme juridique en Iran est en partie due à ces restrictions, car le gouvernement considère souvent les appels à l'égalité des sexes comme des défis aux valeurs culturelles ou religieuses. Par conséquent, si les expériences d'autres sociétés sont riches d'enseignements, elles soulignent également les obstacles spécifiques auxquels l'Iran est confronté dans sa lutte contre le féminicide à l'intérieur de ses frontières.
Les comparaisons entre l'Iran et d'autres pays illustrent à la fois l'universalité du problème du féminicide et la diversité des approches pour le combattre. Si chaque société possède son propre cadre culturel et juridique, le problème sous-jacent de l'emprise patriarcale est un facteur commun auquel il faut s'attaquer. Pour l'Iran, un changement significatif nécessitera probablement non seulement une réforme juridique, mais aussi un changement des attitudes sociales – une tâche que l'expérience d'autres pays suggère comme étant difficile, mais finalement réalisable avec des efforts et un soutien persistants.
Le rôle des médias et la perception du public
En Iran, les médias jouent un rôle important dans la perception qu'a le public du féminicide et de la violence fondée sur le genre. La façon dont les cas de féminicide sont présentés – ou ignorés – par les médias affecte non seulement l'opinion publique, mais aussi la probabilité d'un changement juridique et culturel. Pendant des décennies, de nombreux cas de féminicide ont été soit minimisés, soit décrits comme des affaires privées et familiales, minimisant ainsi leur impact et occultant la nécessité d'une réforme urgente. Toutefois, certains médias progressistes et journalistes indépendant·es ont cherché à attirer l'attention sur ces cas, en soulignant les problèmes systémiques qui contribuent aux féminicides et en insistant sur la nécessité d'une réponse sociétale.
Dans les médias officiels, la couverture des cas de féminicide est souvent limitée et sélective, en particulier lorsque les cas reflètent mal les normes culturelles traditionnelles ou remettent en question le cadre juridique existant. Il est peu probable que les médias contrôlés par l'État critiquent ouvertement les valeurs patriarcales ou promeuvent des réformes qui pourraient être considérées comme une remise en cause des valeurs conservatrices. Par conséquent, de nombreux cas de féminicides ne sont pas signalés ou sont présentés de manière à renforcer les stéréotypes sur le comportement « déshonorant » des victimes, suggérant subtilement que la violence était justifiée par les actions de la femme. Cette approche façonne la perception du public, ce qui permet à la société d'ignorer l'ampleur de la crise du féminicide ou de l'accepter comme un aspect malheureux mais inévitable de la vie.
Toutefois, les médias indépendants et internationaux ont joué un rôle de plus en plus important en documentant les cas de féminicide et en exposant les réalités de la violence fondée sur le genre en Iran. Ces plateformes ont fourni des rapports détaillés sur des cas individuels, exploré les facteurs sociaux et juridiques en jeu et donné la parole aux survivantes et aux familles touchées par le féminicide. Grâce à ces efforts, les médias indépendants ont réussi à susciter des conversations publiques sur le statut des femmes en Iran, en particulier parmi les jeunes générations qui sont plus susceptibles de soutenir l'égalité des sexes.
Les médias sociaux se sont également imposés comme un outil essentiel de sensibilisation au féminicide, offrant un espace où les activistes et les citoyen·nes ordinaires peuvent partager des informations, exprimer leurs opinions et organiser des campagnes. Des plateformes telles qu'Instagram, Twitter et Telegram ont permis aux défenseurs et aux défenseures des droits des femmes iraniennes de contourner les restrictions imposées par les médias contrôlés par l'État, en utilisant des hashtags, des messages viraux et des pétitions en ligne pour attirer l'attention sur les cas de féminicide. Dans des cas très médiatisés, comme le meurtre de Romina Ashrafi, l'indignation suscitée par les médias sociaux a poussé les autorités à réagir, même si ce n'est que temporairement. Si l'activisme en ligne ne remplace pas les réformes systémiques, il joue un rôle important en façonnant la perception du public, en remettant en question les récits traditionnels et en encourageant la solidarité au sein de la communauté.
Le pouvoir des médias et de la perception du public dans la lutte contre le féminicide réside non seulement dans la sensibilisation, mais aussi dans la remise en question des normes sociétales. Lorsque les médias cessent de traiter les féminicides comme des incidents isolés pour les considérer comme un problème systémique, ils obligent le public à se confronter aux inégalités structurelles qui alimentent la violence fondée sur le genre. Ce changement de discours est essentiel pour créer un climat propice aux réformes juridiques, car un public bien informé est plus enclin à soutenir les politiques qui protègent les droits des femmes.
Néanmoins, l'impact de la couverture médiatique sur la perception du public a ses limites, notamment en raison des lois strictes de l'Iran en matière de censure. Les journalistes indépendant·es et les activistes sont souvent victimes de harcèlement, de détention ou de surveillance pour avoir parlé du féminicide ou défendu les droits des femmes. Dans ce contexte, il est difficile pour les médias de couvrir les cas de féminicide de manière exhaustive ou d'explorer leurs implications plus larges. Malgré ces difficultés, la couverture médiatique reste l'un des outils les plus efficaces pour sensibiliser le public, même si les progrès sont lents et se heurtent à des résistances.
En résumé, on ne saurait trop insister sur le rôle des médias dans l'élaboration de la perception publique du féminicide en Iran. Alors que les médias d'État minimisent souvent le problème, les médias indépendants et sociaux ont fourni des récits alternatifs qui exposent les réalités de la violence fondée sur le genre. En mettant en lumière les histoires personnelles qui se cachent derrière les statistiques et en plaidant pour le changement, les médias et les activistes en ligne contribuent à favoriser la compréhension du public, ce qui pourrait éventuellement conduire à une réforme significative. La perception du public est une force puissante, et lorsqu'elle change, elle a le potentiel de remettre en question des normes culturelles de longue date et d'exiger que la société et le système juridique rendent des comptes.
Perspectives d'avenir et recommandations
La lutte contre le féminicide et la violence sexiste en Iran est profondément liée à la violation systématique des droits des femmes, profondément enracinée dans les lois islamiques qui restreignent les libertés et l'autonomie des femmes. Ces lois renforcent l'inégalité entre les sexes et maintiennent un cadre juridique qui considère les femmes comme subordonnées aux hommes, avec des droits limités en matière de mariage, de divorce, de garde des enfants et d'héritage. Pour de nombreuses femmes en Iran, le système juridique n'est pas une source de protection, mais plutôt un mécanisme de contrôle et d'oppression.
Les restrictions juridiques iraniennes vont au-delà des droits individuels et limitent également fortement la capacité des militantes à s'organiser et à plaider en faveur du changement. La création d'une association, d'une organisation ou d'un parti spécifiquement dédié aux droits des femmes est quasiment impossible en Iran en raison du contrôle strict de l'État et de la crainte de la répression. Les organisations indépendantes de défense des droits des femmes sont souvent considérées comme des menaces pour la sécurité nationale, et les militant·es sont surveillé·es, détenu·es, voire emprisonnés·e pour avoir tenté de lutter contre la violence sexiste ou d'autres injustices sociales. Ce climat de répression empêche les femmes de défendre leurs droits et étouffe les mouvements collectifs qui pourraient apporter des changements sociaux et législatifs.
Compte tenu de ces restrictions importantes et de l'environnement hostile aux militant·es des droits des femmes en Iran, le besoin d'un soutien féministe international est urgent. Le mouvement féministe iranien et les militantes des droits des femmes pourraient bénéficier de la solidarité et du soutien de la communauté féministe mondiale. Les organisations internationales peuvent contribuer à faire connaître les réalités de l'oppression des femmes en Iran, à amplifier la voix des militantes iraniennes et à leur offrir des tribunes où elles peuvent s'exprimer librement. Ce soutien mondial peut exercer une pression internationale sur les autorités iraniennes, les incitant à respecter les droits des êtres humains et à mettre fin à la persécution des défenseur·es des droits des femmes.
Les réseaux féministes internationaux peuvent également fournir des ressources, des formations et des financements pour aider à soutenir le mouvement féministe iranien. Ces ressources pourraient inclure des canaux de communication sûrs, une formation à la sécurité numérique pour protéger la vie privée des militant·es, et un soutien juridique pour celles et ceux qui risquent d'être poursuivis. Grâce à des partenariats, les organisations internationales peuvent renforcer la résilience des militant·es iranien·nes et leur donner les moyens de poursuivre leur travail malgré la répression gouvernementale. Dans un contexte où les efforts locaux sont constamment entravés, le soutien international offre des bouées de sauvetage essentielles et montre aux militant·es qu'elles et ils ne sont pas isolé·es dans leur lutte pour la justice.
En outre, le soutien féministe international peut jouer un rôle en faisant pression sur les dirigeants mondiaux pour qu'ils abordent les violations des droits des femmes commises par l'Iran dans des contextes diplomatiques. Les appels à inclure des conditions relatives aux droits des êtres humains dans les accords commerciaux, les résolutions des organismes internationaux et les déclarations publiques des gouvernements étrangers peuvent tous signaler au régime iranien que le traitement qu'il réserve aux femmes et aux militant·es est inacceptable sur la scène mondiale. Cette forme de pression, associée à la voix des féministes iraniennes, peut amplifier les demandes de changement et obliger l'Iran à rendre compte de ses violations systématiques des droits des femmes.
Le soutien de la communauté féministe internationale n'est pas seulement une question de solidarité ; c'est une action nécessaire pour aider les femmes iraniennes à remettre en question les structures oppressives qui régissent leur vie. En reconnaissant le courage des femmes iraniennes et en amplifiant leurs revendications, le mouvement féministe mondial peut contribuer à démanteler l'isolement imposé par la censure, à soutenir les militantes qui courent de graves risques et à promouvoir un avenir où les femmes iraniennes pourront aspirer à la justice, à l'égalité et à la liberté. La résilience du mouvement féministe iranien, en dépit d'obstacles écrasants, témoigne de l'esprit inflexible de ces militantes. Avec le soutien de la communauté internationale, on peut espérer un avenir où les droits des femmes en Iran ne seront plus systématiquement violés, mais protégés, respectés et célébrés.
Siyavash Shahabi, 18 novembre 2024
https://firenexttime.net/fighting-femicide-activism-and-advocacy-in-iran/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre
Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

Faire du consentement libre et éclairé à l’acte sexuel la norme

La confrontation de la loi pénale à la pratique est toujours éclairante comme le montre la loi pénale actuelle relative au viol et aux agressions sexuelles qui restreint de façon excessive les possibilités de caractériser ces infractions et engendre une multitude d'impasses pour les personnes plaignantes leur faisant vivre un parcours judiciaire particulièrement pénible.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Au niveau européen et international, la France est régulièrement critiquée pour son haut niveau d'impunité, que révèle le très faible nombre de condamnations. Alors qu'un vaste mouvement au sein de l'Union européenne a visé à mieux lutter contre les violences à l'encontre des femmes, les négociations relatives à la directive européenne sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique [1] ont offert une fenêtre d'opportunité. La France a toutefois pesé de tout son poids pour que ce texte important soit amputé de la définition commune du viol. Cette directive rappelle pourtant que, contrairement à une idée répandue, légiférer sur le viol n'est nullement légiférer sur la sexualité mais bien sur une violence [2]. En effet, le viol est par essence un crime de pouvoir et de contrôle. C'est la raison pour laquelle les situations d'inégalités, structurelles ou interpersonnelles, en favorisent la commission. L'examen des textes relatifs au viol et aux agressions sexuelles révèle l'ampleur de leurs lacunes. Les propositions d'amélioration des textes doivent dès lors être éclairées par la pratique du traitement judiciaire de ces infractions tout en préservant le respect des droits fondamentaux.
Le constat : les lacunes du droit positif
Le viol [3], infraction de l'intime par nature, est au cœur des interrogations actuelles relatives aux contours de la notion de consentement.
Le consentement est partout sauf dans la définition pénale
L'incrimination de viol, prévue à l'article 222-23 du code pénal, fait du défaut de consentement « le pivot de l'incrimination, permettant d'appréhender tous les agissements portant atteinte à la dignité humaine » [4]. Selon ce texte, le viol est « tout acte de pénétration sexuelle ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par l'usage, par l'auteur, de la violence, de la contrainte, de la menace ou de la surprise ». Il omet de nommer et de définir le consentement.
C'est donc un curieux paradoxe que cette incrimination du viol toute entière tournée vers le défaut de consentement de la victime, l'occulte soigneusement. Cette définition a pour corollaire que, faute de rapporter la preuve de la violence, menace, contrainte ou surprise, le viol n'est pas constitué. Or, peut-on réellement penser que ces quatre éléments couvrent toute la palette des défauts de consentement à un acte sexuel par une personne ? La réponse est assurément négative.
D'ailleurs, les statistiques sont sans appel : on évalue à environ 220 000 le nombre annuel de victimes de viols, de tentatives de viol et d'attouchements sexuels parmi les personnes âgées de 18 à 75 ans, ce qui correspond à environ 80 000 viols par an [5]. Seule une victime sur douze porte plainte, soit environ 12 000 plaintes annuelles, dont les deux tiers sont classés sans suite, et il y a autour de 1 500 condamnations par an en cours d'assises [6]. Le hiatus entre le nombre de plaintes et le nombre de condamnations est vertigineux et doit nécessairement interroger sur l'impact de la définition du viol dans ce traitement judiciaire, sans prétendre que l'incrimination en soit la cause exclusive mais sans nier non plus qu'elle en est indéniablement une des causes comme le révèlent de nombreuses affaires récentes [7].
L'absence d'harmonisation par la Cour de cassation
Un des points les plus problématiques est sans doute le caractère purement prétorien de l'appréciation du consentement [8] et partant, la disparité qui en résulte. À titre d'illustration, l'examen croisé des arrêts du 6 août 2014, n°14-83.538 et du 29 mars 2017, n°17-80.237 révèle que, dans ces deux affaires dans lesquelles la chambre criminelle de la Cour de cassation examinait les arrêts de cours d'appel (chambre de l'instruction) et par là, les ordonnances de règlement, l'une est confirmée, l'autre infirmée. Pourtant ces affaires sont comparables, en ce que les parties étaient des conjoints ou concubins, que la procédure a mis au jour un contexte de violences conjugales et une vie sexuelle présentée comme « habituellement violente », que l'instruction a révélé que les rapports sexuels suivaient immédiatement des faits de violences physique et psychologique. Faute de définition légale du consentement, la Cour de cassation s'interdit d'harmoniser la jurisprudence des juridictions inférieures en faisant du défaut de consentement une simple « question de fait appréciée souverainement par les juges du fond ». Cette disparité ne saurait satisfaire les grands principes qui gouvernent le droit pénal.
Les évolutions nécessaires de la législation pénale
Pour que le consentement devienne la norme, exprimée par le législateur, il faut que l'absence de consentement soit consacrée comme un élément constitutif du viol et des agressions sexuelles. La loi ayant une fonction expressive, poser ce principe aurait une valeur symbolique forte.
Le changement de paradigme
Toutefois, ajouter les termes « non consenti » dans la section ouverte par l'article 222-22 du code pénal ne serait que de pure forme si les caractéristiques d'un consentement valable ne sont pas définies par la loi. Cela ne saurait suffire pour susciter le changement de paradigme nécessaire pour un traitement judiciaire à la hauteur de l'enjeu.
Pour être compris de toutes et tous, la loi pénale doit poser que tout acte sexuel doit être précédé et accompagné d'un consentement librement donné, et que la personne à l'initiative de l'acte ou de la demande d'acte doit vérifier que son ou sa partenaire est d'accord. Ainsi, pour donner une réelle efficacité à ce principe, il est fondamental de définir le consentement à l'acte sexuel, comme un accord volontaire, lucide et libre de toute coercition. L'article inaugural de la section devrait lui être dédié, en précisant que le consentement doit être concomitant à l'acte sexuel et peut être retiré à tout moment avant ou pendant celui-ci.
Les modalités d'expression et de vérification du consentement
Les modalités d'expression et de vérification du consentement devraient aussi être envisagées : contrairement à l'adage « qui ne dit mot consent », le consentement ne se déduit pas de la simple absence de résistance verbale ou physique de la victime. Toute personne doit prendre les mesures raisonnables pour s'assurer de l'accord volontaire et explicite de son ou sa partenaire. Ainsi, nul ne pourra plus alléguer avoir cru que son ou sa partenaire était d'accord s'il ne s'en est pas soucié et ne l'a pas vérifié.
En outre, la validité du consentement doit être appréciée au regard des circonstances et notamment des relations de domination ou d'autorité entre les partenaires. Il conviendrait de rappeler qu'il ne peut y avoir de consentement lorsque l'acte à caractère sexuel a été commis en abusant de la situation de vulnérabilité de la victime due notamment à un état de peur, à l'influence de substances chimiques modifiant l'état de conscience (alcool, stupéfiants, médicaments…), à une situation économique ou administrative créant de la précarité. La situation de handicap doit également être prise en compte. Les associations de défense des droits des femmes porteuses de handicap avancent que près de 100% d'entre elles ont subi des violences sexuelles au cours de leur vie.
Enfin, en tout état de cause, il n'y a pas de consentement si l'acte à caractère sexuel a été commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, ni lorsqu'il a été commis au préjudice d'une personne inconsciente ou endormie [9].
Une évolution respectueuse des droits fondamentaux
Une telle évolution législative permettrait de mettre le droit interne en conformité avec les instruments internationaux contraignants ratifiés par la France.
L'impératif de se conformer aux standards internationaux
La Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, dite Convention d'Istanbul [10], prévoit à l'article 36 qu'en matière de viol, « Le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes ». Le GREVIO [11], comité en charge du suivi du respect de la Convention par les États parties, a pointé dans son rapport relatif à la France les lacunes de la législation française relative au crime de viol [12] du fait de l'absence d'intégration de la notion de libre consentement. En 2023, ce sont les Nations unies qui ont estimé que la définition pénale du viol « limite les possibilités de condamnation et rend difficile le parcours des plaignantes et des plaignants » et demandé à la France de « modifier le code pénal de manière que la définition du viol soit fondée sur l'absence de consentement, couvre tout acte sexuel non consenti et tienne compte de toutes les circonstances coercitives, conformément aux normes internationales relatives aux droits humains » [13].
L'absence de renversement de la charge de la preuve
Contrairement à ce qui est parfois énoncé, aucun renversement de la charge de la preuve ne serait à l'œuvre. Il appartiendrait toujours au juge d'instruction et à l'accusation, au cours ou à l'issue d'une information judiciaire « à charge et à décharge », de présenter les charges [14], au sens du texte, qui font que selon elle, la personne mise en cause n'a pas mis en œuvre les mesures raisonnables pour vérifier le consentement de son ou sa partenaire, ou a obtenu un consentement dans un contexte où il ne peut être tenu pour valable, ou a fait usage de violence, menace, contrainte ou surprise.
Il y aurait en revanche un déplacement du centre de gravité de l'enquête. Au lieu de rechercher la crédibilité ou non de la plaignante, de chercher si elle s'est débattue ou quels vêtements elle portait, les enquêteurs, procureurs et juges d'instruction s'intéresseraient en premier lieu à la personne à l'initiative de l'acte sexuel : comment s'est-elle assurée du consentement de son ou sa partenaire, et si le contexte ou les circonstances étaient défavorables, quelles mesures raisonnables a-t-elle mis en œuvre pour s'assurer de la validité du consentement.
En outre, le comportement sexuel passé de la plaignante serait sans incidence, si son examen n'est pas strictement nécessaire à la solution de l'affaire en débat [15].
Le respect de la présomption d'innocence et des droits de la défense
Comme dans les autres démocraties qui ont introduit ce changement de paradigme, une telle réforme ne constitue en rien une atteinte à la présomption d'innocence. Elle ne créerait aucune « présomption irréfragable de culpabilité » et s'inscrirait dans le cadre défini par le Conseil constitutionnel [16]. Par ailleurs, si l'instruction puis l'accusation ne présentaient pas de charges suffisantes à même d'entraîner « l'intime conviction » des juges et de balayer le doute, la personne mise en cause ne pourrait être condamnée. Les droits de la défense pourraient même se trouver raffermis du fait de ces dispositions nouvelles. Elles obligeraient en effet les juridictions à davantage de motivation sur « les éléments à décharge », présentant l'avantage de transformer des éléments actuellement vus comme « du fait » en « droit » et donc, autorisant un nouvel examen par la juridiction suprême.
Une telle modification répondrait également aux préoccupations de certaines associations. Le « devoir conjugal », pas plus que les contrats relatifs à la pornographie ou à la prostitution ne saurait assoir le consentement du seul fait de la signature d'un contrat. Le consentement devrait être examiné conformément au texte nouveau, nonobstant le contrat. Cette modification ouvrirait donc des portes actuellement fermées, et permettrait l'examen de situations qui sont actuellement exclues d'une réflexion sur le consentement.
Conclusion
Dans les États engagés en faveur des droits des femmes, un mouvement d'ampleur est à l'œuvre : la notion de consentement s'inscrit au cœur de la définition du viol et des agressions sexuelles. Dans ces États qui font de l'État de droit la clé de voûte de leur système juridique et du fonctionnement de leurs institutions, la modification de leur législation n'a induit aucun recul de l'exigence de respecter les droits fondamentaux.
En revanche, elle a induit un fort recul de l'impunité des violeurs et agresseurs. En Suède, le changement de la définition légale du viol a conduit à une augmentation de 75% des condamnations. C'est sûrement à cette aune que peuvent s'entendre les résistances liées à la crainte d'un afflux de plaintes et à la difficulté d'allouer les moyens pour les traiter.
Il y a donc là un choix de société. D'autant plus que par ce changement de paradigme, c'est un changement culturel qui pourrait être rendu possible en France : celui d'une remise en cause des stéréotypes de genre et des violences sexuelles.
Notes
[1] – . Le projet de directive a été approuvé par le Parlement européen le 24 avr. 2024, puis adopté par le Conseil de l'Union européenne.
[2] – La directive indique « la violence à l'égard des femmes et la violence domestique constituent une violation des droits fondamentaux ». Elle souligne que « certaines infractions pénales en droit national relèvent de la définition de violence à l'égard des femmes. Il s'agit notamment d'infractions telles que les féminicides, le viol, le harcèlement sexuel, l'abus sexuel ».
[3] – La présente réflexion sur le consentement abordera uniquement les situations qui ne sont pas couvertes par le champ de la loi du 21 avr. 2021 à savoir, les viols entre deux personnes majeures, les viols entre deux personnes mineures et les viols entre un majeur et un mineur âgé de 15 à 18 ans, hors hypothèse d'inceste et de prostitution
[4] – D. Mayer, Le nouvel éclairage donné au viol par la réforme du 23 décembre 1980, D. 1981. 284.
[5] – Analyse viols, tentatives de viols et attouchements sexuels, Interstats, déc. 2017, n°18.
[6] – INSEE – Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, Enquête Cadre de vie et sécurité, 2010-2015 ; Chiffres des données 2022. Les condamnations, Ministère de la Justice, p.10, 1 542 condamnations pour viols en 2022.
[7] – Par ex., Versailles, 14 déc. 2016 ; Paris, 24 janv. 2023 ; Paris, 7 déc. 2023
[8] – Exclu des éléments constitutifs de l'infraction, le défaut de consentement est pourtant au cœur de tous les débats, de toutes les décisions de justice, depuis l'arrêt Dubas de 1857.
[9] – Depuis l'arrêt Dubas de 1857, la jurisprudence reconnaît qu'une personne endormie n'est pas en état de consentir.
[10] – La Convention d'Istanbul a été signée en 2011 par la France, puis ratifiée en 2014. Il s'agit d'un instrument contraignant qui a une valeur supralégislative le consentement libre et éclairé figure dans cette convention qui a force obligatoire en France depuis 2014.
[11] – Groupe d'experts sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique.
[12] – Rapport GREVIO relatif à la France, 2019, p.61, n°192.
[13] – Comité des Nations Unies sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, Observations finales concernant le neuvième rapport périodique de la France, oct. 2023
[14] – Il convient de rappeler ici que du fait même de leur nature essentiellement occulte, mais également du fait de la tardiveté des dépôts de plainte, la preuve des agressions sexuelles et des viols n'a jamais été traitée uniquement sous son aspect purement matériel mais bien davantage selon la technique du « faisceau d'indices concordants »
[15] – CEDH 27 mai 2021, J.L. c/ Italie, n° 5671/16, AJ pénal 2022. 200, note J. Portier ; RTD civ. 2021 853, obs. J.-P. Marguénaud.
[16] – Cons. const. 21 juill. 2023, n° 2023-1058 QPC, D. 2023. 1624, note E. Dreyer ; AJ fam. 2023. 423, obs. L. Mary ; AJ pénal 2023. 459, obs. C. de Waël ; RSC 2023. 785, obs. Y. Mayaud.
Audrey Darsonville, Magali Lafourcade, François Lavallière, Catherine Le Magueresse et Élodie Tuaillon-Hibon
Publié dans le Courrier N° 437 de la Marche Mondiale des Femmes
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre
Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

Les femmes victimes de violences multiples lors de guerres ou conflits armés

Les conflits et les guerres sont les principaux facteurs à l'origine de la montée de la violence à l'égard des femmes dans le monde.
Tiré de Entre les lignes et les mots
À chaque fois qu'une guerre éclate, les femmes paient le prix fort, en étant confrontées à diverses formes de discrimination, de persécution, de violences physiques et psychologiques, et à d'autres méthodes écrit l'agence kurde Hawar (ANHA) basée au Rojava / Syrie du Nord et d'Est, à la veille de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes célébré le 25 novembre.
Voici la suite de l'article d'ANHA traitant de la situation des femmes dans les guerres ou les conflits armés :
Le monde d'aujourd'hui apparaît comme une boule de rage faite de conflits sans fin, oscillant entre guerres, conflits et crises climatiques croissantes avec la montée de forces autoritaires hostiles à la démocratie, ce qui renforce les formes de violence et de discrimination à l'égard des femmes et fait d'elles les plus touchées par ces conflits.
À l'approche de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, les médias confirment que les femmes du monde entier paient le prix le plus élevé des guerres et des conflits en cours, de la violence aux agressions sexuelles en passant par les déplacements et les pertes ; avec pour résultat un impact aggravé sur leur santé mentale et physique, qui sont tous utilisés comme des outils entre les mains des parties en conflit.
Selon un rapport récent de l'Organisation mondiale de la santé, une femme sur trois dans le monde est victime de violences, notamment de persécutions et de sévices physiques, ce qui constitue une violation des droits humains fondamentaux.
Les femmes syriennes et les longues années de guerre
Depuis le déclenchement de la crise le 15 mars 2011 et jusqu'à aujourd'hui, les femmes syriennes sont confrontées aux effets de la guerre en cours, notamment les déplacements, les meurtres, les destructions et les crimes au nom de « l'honneur », en plus de leurs efforts pour se libérer d'autres formes de violence pratiquées à leur encontre, telles que l'exclusion, la marginalisation et l'exclusion des centres de décision.
Il n'existe pas de statistiques précises sur le taux de violence pratiquée contre les femmes en Syrie sous le contrôle de différentes forces sur le territoire syrien, mais le Réseau syrien des droits de l'homme a confirmé dans un rapport publié en mars 2024 qu'il avait documenté le meurtre d'environ 16 442 femmes de mars 2011 à mars 2024.
Selon le rapport, pas moins de 10 205 femmes sont toujours arrêtées ou victimes de disparition forcée par les parties au conflit. Le gouvernement de Damas est responsable d'environ 83% des cas d'arrestation et de disparition forcée.
Les femmes en Iran et au Kurdistan oriental et la violence du système patriarcal
Le soulèvement des femmes en Iran et au Kurdistan oriental n'était rien d'autre qu'une réponse à des décennies de restrictions imposées aux femmes par le système patriarcal, alors que les autorités iraniennes continuent de priver les femmes de la liberté de choisir leurs vêtements et continuent d'opprimer quiconque se met en travers de leur système patriarcal.
Les campagnes de violence contre les femmes se sont considérablement intensifiées après le soulèvement, les autorités iraniennes ayant eu recours à diverses méthodes pour exercer leur contrôle sur les femmes, que ce soit en intensifiant les campagnes d'arrestations à leur encontre ou en imposant la peine de mort à de nombreuses militantes, comme la défenseuse des droits humains Sharifeh Mohammadi et la militante de la société civile et journaliste kurde Bakhshan Azizi.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre
Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

Contre les violences faites aux femmes, mobilisation générale !

Le 23 et le 25 novembre, des manifestations ont lieu partout en France à l'occasion de la journée internationale contre les violences faites aux femmes et aux minoriséEs de genre. Soyons des centaines de milliers !
Photo et article tirés de NPA 29
Il y a viol, et viol, et viol, et viol…
La sororité et la colère qui se sont exprimées depuis le début du procès de Mazan, par des rassemblements ou sur les réseaux sociaux, nous rappellent à quel point les violences s'exercent massivement, qu'elles traversent toutes les classes mais sont toujours commises par des hommes.
Elles sont le fruit de la culture du viol, qui autorise les hommes à disposer des corps des femmes et qui renverse la culpabilité sur les victimes. Les violences ne sont pas des phénomènes isolés, elles font système dans la société capitaliste et patriarcale. La honte doit changer de camp !
Dans le monde, 1 femme sur 3 a été victime de violence et 50 000 femmes sont victimes de féminicides, tuées par leur (ex-)conjoint chaque année : nous ne voulons plus compter nos mortes ! En France, 217 000 sont victimes de viol ou de tentatives de viol tous les ans et 55% d'entre elles ont subi une forme de violence sexiste et sexuelle au travail. De plus, la domination patriarcale est souvent au croisement d'autres systèmes de domination et s'exerce donc particulièrement pour les femmes racisées, trans, lesbiennes, bi, en situation de handicap…
Les femmes et les minoriséEs de genre sont aussi en première ligne des mesures de casse sociale, accélérant l'exploitation et la précarisation, les exposant davantage aux violences. Cela ne va pas s'arranger avec le gouvernement Barnier, toujours plus raciste et austéritaire, ou les 180 plans de licenciements recensés en octobre par la CGT.
Nous revendiquons notamment cette année la loi intégrale élaborée par 53 organisations féministes, proposant plus de 130 mesures contre les violences chiffrées à 2,6 milliards d'euros par an.
Solidarité avec les femmes du monde entier
A l'internationale, la réélection de Trump fait craindre de nouvelles attaques contre les droits des femmes. Alors que les mouvements masculinistes se renforcent, les idées de Trump, son programme ultra libéral, raciste, lgbtiphobe, sexiste, ne fera que renforcer les violences.
À Gaza, après plus d'un an de massacre, 70% des victimes sont des femmes et des enfants. Les déplacements de masse ont des conséquences accrues sur la santé des femmes (plus de protections menstruelles, accouchements non sécurisés). Les hôpitaux, s'ils ne sont pas directement bombardés, sont débordés par les mortEs et les blésséEs. Ce 25 novembre sera encore une fois l'occasion de dire stop à cette guerre génocidaire menée contre le peuple palestinien, où la violence déferle particulièrement contre les femmes.
Dans toute guerre, les violences sexuelles sont utilisées comme des armes de guerre et les violences faites aux femmes sont systématiquement amplifiées. C'est aussi le cas en Ukraine où de nombreux témoignages relatent des viols organisés. Face à l'invasion par la Russie, les femmes s'organisent : construction de la solidarité par en bas (soutien aux soldatEs et aux réfugiéEs, organisation de structures d'accueil, lutte pour le droit à l'avortement), écriture d'un manifeste, implication dans la résistance.
Dans ce contexte de guerre, de montée de l'extrême droite et du racisme, nous devons continuer sans relâche de montrer notre solidarité avec toutes les femmes qui subissent les violences, d'où qu'elles viennent et où qu'elles soient.
Dans la rue le 23 et le 25 novembre !
Les violences ne sont pas une fatalité : sortons dans la rue pour stopper les violences, pour nos droits, pour exprimer notre solidarité envers Gisèle Pélicot et toutes les victimes ! Organisons-nous pour mettre fin à ce système patriarcal et capitaliste !
19 novembre 2024
https://npa-lanticapitaliste.org/
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre
Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

Pouvoir d’achat, santé, égalité… ce que veulent les femmes

Une femme sur deux (contre 46% des hommes) – et surtout 63% des ouvrières, 56% des salariées du privé et 57% des familles monoparentales – mettent le pouvoir d'achat dans les trois sujets qui les préoccupent le plus (c'est même la priorité n°1 pour un quart des femmes). C'est ce qui ressort d'une étude rédigée par Amandine Clavaud de la Fondation Jean Jaurès et Laurence Rossignol de l'Assemblée des femmes sur les perceptions et attentes en matière de politique et de féminisme à partir d'une enquête réalisée par l'Ipsos auprès de 11 000 personnes, publiée le 11 octobre 2024.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Ce résultat s'explique bien sûr par les effets de l'inflation, mais plus généralement par les réalités économiques et sociales des femmes « en miroir des inégalités professionnelles et salariales » qu'elles subissent. Rappelons que la dernière étude disponible de l'Insee établit à 23,5% l'écart de revenus entre les femmes et les hommes et que 59,3% des smicards sont des smicardes.
L'étude montre que des attentes vis-à-vis du gouvernement en matière d'égalité professionnelle sont plus fortes parmi les moins diplômées. Si les femmes cadres semblent plus satisfaites des mesures adoptées dans ce domaine – la sociologue Sophie Pochic parle « d'une égalité élitiste » –, ce n'est pas le cas pour celles qui perçoivent de bas salaires et qui sont dans une forte précarité. Les mères isolées sont à ce titre tout particulièrement concernées car elles sont davantage exposées à la pauvreté, comme j'ai déjà eu l'occasion de le souligner dans une autre chronique.
A la différence des hommes qui placent la question de l'insécurité en second, la santé est la priorité n°2 des femmes (35% des femmes le placent dans les sujets les plus préoccupants, contre 29% des hommes), ce qui correspond en partie aux résultats du rapport annuel duConseil économique, social et environnemental(Cése). La préoccupation pour la santé augmente avec le fait de vivre en zone rurale (39%).
Selon les autrices de l'étude, « les femmes sont les premières à être confrontées aux manquements de notre systèmes de soins ». Outre le manque de professionnels de santé dans certains territoires, l'enquête fait référence aux nombreuses fermetures de maternités, notamment de proximité, et aux difficultés d'accès à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) dans certains départements, notamment en zone rurale.
L'accès à la santé touche également davantage les femmes plus âgées (c'est une priorité pour 38% des femmes de plus de 60 ans). Le vieillissement, les questions de dépendance, de maladie et d'isolement concernent en effet tout particulièrement les femmes qui sont elles aussi plus souvent pauvres et précaires, avec des pensions de retraite bien inférieures à celles des hommes.
Parmi l'ensemble des femmes, 86% (contre 84% des hommes) sont favorables au renforcement du système de santé dans les petites villes, « même si cela peut conduire à une hausse des impôts ».
Féministe, oui mais…
Neuf personnes interrogées sur dix soutiennent l'égalité femmes-hommes. Même si seulement six sur dix se disent féministes, il y a une progression de dix points par rapport à une enquête similaire, réalisée dix ans auparavant. En lien avec l'effet du mouvement #Metoo, on assiste à une prise de conscience collective des enjeux féministes.
Bien sûr, les femmes sont toujours plus nombreuses à être favorables à l'égalité et à vouloir aller plus loin (91% d'entre elles et 85% des hommes). Mais elles sont nettement moins nombreuses à se déclarer féministes (64% pour 58% des hommes).
Ce terme ne fait toujours pas l'unanimité. Et c'est du côté des hommes que les réticences, voire l'hostilité, est la plus grande : 15% des hommes refusent d'aller plus loin sur l'égalité et ils sont tout de même 42% à rejeter le féminisme…
Les femmes se déclarant féministes sont particulièrement jeunes (75% des 18-24 ans) et diplômées (73% des bac+5). Elles votent également plus souvent à gauche (81% des femmes à gauche se déclarent féministes pour 56% de celles à droite).
On assiste à un « modern gender gap » (le fait que les jeunes femmes soient plus progressistes que les jeunes hommes) qui se repère dans la forte propension des jeunes femmes à voter à gauche et à se déclarer féministes, comparées aux jeunes hommes pour lesquels les thèses masculinistes font leur chemin : les jeunes hommes sont les moins favorables à aller plus loin vers l'égalité (moins que les hommes de 60 ans et plus). Parmi eux, on assiste à une polarisation entre ceux totalement favorables à la cause féministe (15%) mais aussi ceux qui y sont radicalement opposés (15% également).
Ces résultats confirment les données fournies par le baromètre annuel sur le sexisme du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes : 22% des jeunes hommes de 15-24 ans et 25% de 25-34 ans pensent « qu'il faut parfois être violent pour se faire respecter dans la société » ou encore pour 39% d'entre eux, « le féminisme menace la place des hommes dans la société ».
Ce « modern gender gap » parmi les jeunes générations se repère aujourd'hui même aux Etats-Unis, où le clivage – entre jeunes hommes votant pour Donald Trump et jeunes femmes pour Kamala Harris – semble se confirmer.
Priorité à la lutte contre les violences et à l'égalité professionnelle
Parmi les actions attendues du gouvernement figurent loin devant les questions de violences : la lutte contre le harcèlement scolaire (93% des femmes), le harcèlement de rue (91% des femmes) et les violences sexistes et sexuelles (89% d'entre elles, soit 5 points de plus que les hommes). Vient ensuite la lutte contre les inégalités professionnelles, les salaires notamment, mais également le sort des familles monoparentales et dans une moindre mesure la question de l'accès des femmes aux postes à responsabilité.
Certes, la lutte contre toutes les violences sexistes et sexuelles est une priorité reconnue indépendamment du genre, et quelle que soit la couleur politique du vote, mais la question des inégalités professionnelles est davantage portée par les femmes et par les courants politiques de gauche.
On le sait, les femmes votent davantage pour l'extrême droite qu'auparavant. Aux dernières élections législatives, deux blocs se sont en réalité dégagés parmi les femmes : 31,5% d'entre elles ont voté pour l'ensemble des partis de gauche et également 31,5% ont mis leur bulletin dans l'urne pour les partis d'extrême droite (c'est le cas de 36,5% des hommes).
Cette étude révèle que ce sont les électeurs et électrices votant à l'extrême droite qui sont le plus hostiles à l'égalité et au féminisme : parmi les 39% de personnes qui affichent ne pas être féministes, 57% ont voté Les Républicains, 51,4%, Reconquête ! et 48,5% pour le Rassemblement national (RN). A l'inverse, 76% des personnes votant à gauche se déclarent féministes (soit 14 points de plus que l'ensemble).
La religion joue également un rôle : si 61% de l'ensemble se déclare féministe, c'est le cas de 65% des personnes sans religion mais seulement de 55% des personnes de confession protestante, 54% catholique, 47% juive et 46% musulmane.
Mais lorsque l'on demande quels sont les partis politiques les plus engagés sur les droits les femmes, 45% des femmes et 35% des hommes pensent qu'aucun parti n'est vraiment engagé sur cette cause…Certes, 30% (28% des femmes et 32% des hommes) pensent que les partis de gauche sont les plus crédibles, mais 15% ont tout de même retenu le RN… Le travail de dédiabolisation de ce parti fonctionne, y compris sur le chapitre des droits des femmes, malgré toutes les dénonciations qui ont pu être formulées, ici même…
Rachel Silvera
Maîtresse de conférences à l'université Paris-Nanterre
https://www.alternatives-economiques.fr/rachel-silvera/pouvoir-dachat-sante-egalite-veulent-femmes/00112985
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre
Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

Les femmes et les jeunes filles africaines mourront des suites d’avortements pratiqués dans des conditions dangereuses à cause de la victoire de Trump

Trump a enhardi les groupes anti-droits dans le monde entier. Les femmes africaines en pâtiront
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/11/11/les-femmes-et-les-jeunes-filles-africaines-mourront-des-suites-davortements-pratiques-dans-des-conditions-dangereuses-a-cause-de-la-victoire-de-trump/?jetpack_skip_subscription_popup
La présidence de Trump semble déjà devoir avoir un effet catastrophique sur la santé et les droits sexuels et reproductifs sur le continent africain. Je travaille en tant que spécialiste de la santé reproductive et du genre en Ouganda et nous ressentons encore les impacts de la dernière présidence de Trump. Il ne fait aucun doute que les femmes et les filles africaines du continent s'inquiètent de l'impact de la seconde présidence de Trump sur leur santé et leur vie.
Au cours de son dernier mandat, nous avons assisté à l'enhardissement des forces anti-droits, anti-genre et anti-démocratiques, tandis que les valeurs de la droite chrétienne étaient utilisées comme arme contre les minorités. Ce phénomène s'est propagé bien au-delà des frontières du pays. Avec la dernière victoire électorale de M. Trump, les groupes qui l'ont soutenu dans sa course au pouvoir se sentiront probablement encore plus enhardis.
L'administration Trump a tenté de créer des cadres internationaux de droits des êtres humains totalement alternatifs, comme la Déclaration du consensus de Genève – qui, contrairement à son titre, n'est pas un document obtenu par consensus et n'a rien à voir avec Genève. Elle a en fait été élaborée et lancée avec la signature de 34 pays, dont beaucoup sont des États peu respectueux des droits des êtres humains, notamment l'Ouganda et le Kenya. Le GCD cherche à remettre en question l'existence d'un droit international à l'avortement et les progrès réalisés en matière de recherche et de développement au cours de la dernière décennie pour rendre les avortements sûrs accessibles dans le monde entier.
Cette politique a depuis enhardi les États qui l'ont signée à réprimer l'accès à l'avortement avec une notoriété croissante, puisque les signataires de cette politique sont désormais au nombre de 39, le Tchad et le Burundi étant les derniers venus.
M. Trump entretient également des relations avec des personnes telles que son allié de longue date Viktor Orban, le premier ministre hongrois, ainsi que Michael Pompeo et Valerie Huber, cette dernière étant l'un des architectes de la coalition anti-femmes de la déclaration du consensus de Genève.
Ces mêmes acteurs ont joué un rôle dans l'élaboration du Projet 2025 – le plan conservateur de 900 pages pour la prochaine présidence républicaine, produit par la fondation de droite Heritage Foundation et ses partenaires de coalition. Le projet 2025 vise, entre autres, à limiter l'accès à la mifépristone, le médicament utilisé pour l'avortement. Il préconise le rétablissement de la « règle du bâillon mondial » élargie de 2017, qui interdit aux ONG étrangères recevant un financement des États-Unis de fournir des services d'avortement. Les défenseur·es des droits génésiques ont indiqué que le projet 2025 est sur le point de constituer la plus grande menace de notre époque pour la santé et les droits génésiques.
En pratique, cela signifie que les Africaines peuvent s'attendre à voir augmenter le nombre de décès et de blessures dus à des avortements pratiqués dans des conditions dangereuses, ainsi que des lois et des politiques similaires mises en œuvre dans leurs pays en raison de l'agenda populiste de leurs dirigeants politiques. Nous verrons davantage de femmes et de jeunes filles mourir ou souffrir de blessures invalidantes à la suite d'avortements pratiqués dans des conditions dangereuses parce que les organisations qui fournissent ces services verront les robinets de leurs ressources fermés.
Il est important de noter que bon nombre de nos budgets de services sociaux en Ouganda et dans d'autres États subsahariens sont complétés par une aide financière étrangère. Une administration américaine indifférente aux besoins des populations africaines, associée à des réformes politiques néfastes, aura un impact catastrophique. Les Ougandais·es dépendent de ces acteurs pour des services de santé vitaux, et elles et ils risquent de souffrir, voire de mourir, si aucune mesure compensatrice n'est mise en place.
En outre, au cours de sa dernière présidence, les juges triés sur le volet par Trump, Brett Kavanaugh et Amy Coney Brett, ont renversé l'arrêt Roe v Wade. Cela a encore renforcé le mouvement anti-droit en Afrique pour lutter contre tout programme juridique, politique et de prestation de services visant à élargir l'accès à l'avortement.
Par exemple, une haute cour du Kenya a rendu un jugement progressiste en mars 2022 en s'appuyant sur la définition de Roe v Wade du droit à la vie privée en tant que partie intégrante des droits des femmes. L'abrogation de cette décision américaine historique a ouvert la voie à un appel ultérieur du jugement progressiste rendu par la Haute Cour de Malindi.
Trump, bien sûr, est également un négationniste du changement climatique, faisant des États-Unis le premier pays à se retirer de l'Accord de Paris en 2020. Mais les crises induites par le climat et la hausse des températures ont un impact disproportionné non seulement sur les Africains, mais aussi sur la santé et la vie des femmes. En tant que féministes sur le continent, nous nous attendons donc à ce que sa position politique répressive sur la santé reproductive et sur le changement climatique continue à perpétuer les décès et les blessures évitables des femmes et des filles et à les enfoncer encore plus dans la pauvreté.
Nous ne nous faisons pas d'illusions sur le fait que la victoire de Kamala aurait été une solution miracle à toutes les questions de justice en matière de genre et de procréation qui restent contestées aux États-Unis et dans le monde. Mais nous savons également que bon nombre des politiques proposées par Kamala auraient été bénéfiques pour les femmes et les filles africaines, ainsi que pour d'autres groupes structurellement marginalisés. Son parti était clair sur la nature fondamentale du droit à l'autonomie corporelle et à l'égalité devant la loi, ce qui contraste fortement avec le président entrant.
En fin de compte, la victoire de Trump rend notre travail plus difficile en tant que féministes parce que nous avons un président d'extrême droite et les ressources et structures de l'État qui, sous son contrôle incontrôlé, seront utilisées comme des armes contre les minorités aux États-Unis et au-delà. Après tout, comme nous l'avons vu, les dépenses de l'extrême droite américaine sont déjà en plein essor en Afrique.
En tant que défenseur·es des droits des êtres humains, nous devons retourner à la planche à dessin, faire le point sur les ressources, y compris nos allié·es mondiaux et nationaux existant·es, et les déployer de manière stratégique. Nous devons également maintenir les victoires durement acquises ; nous ne devons pas rester silencieuses et silencieux mais continuer à combattre la désinformation que les groupes anti-droits déploient habituellement, et surtout, nous devons puiser dans notre force collective et rester solidaires de toutes les féministes et de tous les militant·es des droits des êtres humains, que ce soit aux États-Unis, en Amérique latine ou en Afrique, et continuer à ébrécher les systèmes de destruction tels que le patriarcat, la misogynie, le fascisme, l'impérialisme avec persévérance et en prenant soin de soi et de la communauté.
Joy Asasira
https://www.opendemocracy.net/en/trump-win-us-global-africa-women-girls-abortion/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre
Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

Russie : Répression des personnes qui n’ont pas d’enfant

Certaines personnes qui lisent ces lignes ont des enfants. D'autres n'en ont pas. Il y a plein de raisons qui expliquent la composition de votre famille, et franchement, ces raisons ne me regardent pas. C'est à vous de décider, pas à moi. C'est une affaire personnelle.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Et aucun gouvernement ni homme ou femme politique ne devrait nous dire, à vous ou à moi, si on devrait avoir des enfants ou non. Les autorités ne devraient pas non plus attaquer ou stigmatiser les personnes qui ont ou non des enfants.
Il s'agit là de concepts fondamentaux de liberté individuelle, de respect de la vie privée et de non-discrimination, largement compris dans le monde entier, mais apparemment pas par les autorités russes.
Un nouveau projet de loi, qui a fait l'objet d'un premier vote à la Doumad'État la semaine dernière, vise à interdire la « propagande » sur les modes de vie dits sans enfant.
Sous cette loi, une censure généralisée serait appliquée à tout ce qui suggère qu'il est acceptable de ne pas avoir d'enfant. Qu'il s'agisse d'un discours sérieux ou d'une plaisanterie, il est interdit de laisser entendre qu'il est acceptable de ne pas avoir d'enfant. L'interdiction s'appliquerait aux médias, à la publicité, à l'édition, au cinéma et à Internet. Les personnes, les organisations et les entreprises qui violeraient la nouvelle loi se verraient infliger de lourdes amendes.
Pour comprendre comment cette censure fonctionnerait dans la pratique et quels en seraient les effets, il suffit de se pencher sur l'interdiction de la « propagande gay » en Russie, qui a été formulée de la même manière. Depuis plus de dix ans, cette loi interdit toute information, représentation ou activité publique en faveur des personnes LGBT, c'est-à-dire les lesbiennes, les gays, les bisexuels et les transsexuels.
Pour éviter les sanctions, les éditeurs russes ont rappelé les livres dont le contenu portait sur les personnes LGBT. Les librairies et les bibliothèques ont été soumises à une pression énorme. Au début de l'année, par exemple, un tribunal de Nizhny Novgorod a condamné une chaîne de librairies à une amende de 500 000 roubles(environ 5 155 dollars) pour avoir vendu un roman décrivant des relations entre personnes de même sexe.
Les tribunaux russes infligent également de plus en plus d'amendesaux chaînes de télévision et aux services de streaming qui présentent des personnes LGBT.
Bien sûr, il ne s'agit pas seulement de la censure et des amendes en elles-mêmes. Il s'agit aussi de la stigmatisation qu'elles engendrent. En effaçant les représentations des personnes LGBT de la scène publique, la société reçoit le message que les personnes LGBT sont inacceptables. Il n'est donc pas surprenant que cette loi ait contribué à déclencher une« décennie de violence » et de crimes haineux à l'encontre des personnes LGBT en Russie.
La nouvelle proposition d'interdiction de la « propagande » sur les modes de vie dits « sans enfant » s'accompagne de problèmes et de risques similaires.
Ces deux mesures font partie de ce que les autorités russes appellent la défense des « valeurs traditionnelles » et des « valeurs familiales », mais, bien sûr, ce sont elles qui décident de ce qui est « traditionnel » et de ce qui ne l'est pas. Comme nous l'avons déjà évoqué dans le Brief du Jour, le mot « tradition » est trop souvent utilisé pour tenter de justifier les violations des droits humains.
Plutôt que d'instaurer une nouvelle vague de censure de masse et de faire d'un plus grand nombre de personnes des boucs émissaires et des cibles de la haine, les autorités russes devraient simplement laisser les gens tranquilles.
Qui vous aimez et si vous avez des enfants ou non – ces choses ne sont pas l'affaire d'un gouvernement et les autorités ne devraient pas s'en mêler.
Andrew Stroehlein
Directeur des relations médias en Europe
https://www.hrw.org/fr/news/2024/10/21/repression-des-personnes-qui-nont-pas-denfant
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre
Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

L’histoire du pétrole : disséquer l’hydre à plusieurs têtes

[Compte rendu de Crude Capitalism : oil, corporate power and the making of the world market d'Adam Hanieh, Verso 2024.] Etre témoin d'un génocide peut être paralysant. L'horreur de l'offensive israélienne contre la population civile de Gaza s'infiltre dans les espaces de nos têtes, interrompant et perturbant les tentatives de réflexion.
Tiré de A l'Encontre
23 novembre 2024
Par Simon Pirani
Ma mémoire continue de faire le lien entre Gaza et la guerre du Viêt Nam, dont les nouvelles filtraient jusqu'à moi lorsque j'étais un jeune adolescent. Mon monde protégé a été ébranlé par la cruauté avec laquelle des innocents ont été massacrés et torturés, sous les ordres de gouvernements dont j'avais vaguement supposé qu'ils devaient protéger les gens. Je vois aujourd'hui des adolescents passer par des processus de réflexion analogues.
Comment se fait-il qu'un demi-siècle plus tard, la macabre « civilisation » qui frappait les villages vietnamiens ait évolué pour donner naissance au monstrueux régime de Netanyahou ? Qu'est-ce que cela nous apprend sur l'hydre à plusieurs têtes que nous combattons et sur les tentatives de l'humanité pour lui résister ?
Le livre d'Adam Hanieh, Crude Capitalism, dissèque l'une des têtes de l'hydre – le pétrole, les entreprises et les Etats qui l'utilisent pour renforcer leur richesse et leur pouvoir – et nous offre un point de vue sur le rôle qu'il joue dans l'ensemble de l'organisme, du système. Sa lecture m'a aidé à considérer l'horreur de Gaza non pas comme une aberration, mais comme l'aboutissement logique de la domination du capital au XXIe siècle.
Crude Capitalism aborde ses grands thèmes difficiles avec précision et attention aux détails. Il est magnifiquement présenté et organisé.
La première partie de l'histoire racontée par Adam Hanieh, celle de la phase initiale de croissance du pétrole, se déroule au début du XXe siècle, aux Etats-Unis et, dans une moindre mesure, en Iran, en Azerbaïdjan et en Amérique latine. Dans la seconde partie, à partir du milieu du XXe siècle, les ressources pétrolières du Moyen-Orient et les batailles pour leur contrôle occupent une place importante. C'est dans ce contexte que s'inscrit le déluge de crimes de guerre commis aujourd'hui contre des Palestiniens.
Les liens ne sont pas directs. Les régimes centrés sur le nettoyage ethnique brutal, comme celui de Netanyahou, sont produits par le capitalisme ; le capitalisme prospère grâce au pétrole. Mais les médiations sont multiples. L'approche de Hanieh est un antidote aux simplifications qui circulent trop souvent dans les cercles politiques radicaux.
Le contrôle physique de la production pétrolière était crucial au début du XXe siècle, mais ce n'est plus le cas depuis longtemps, affirme Hanieh.
Dans les années 1960 et 1970, dans le contexte de puissants mouvements anticolonialistes, le contrôle de la production pétrolière s'est considérablement déplacé des puissantes transnationales basées aux Etats-Unis et en Europe vers les compagnies pétrolières nationales contrôlées par l'Etat, surtout au Moyen-Orient.
Mais le capital et ses machines d'Etat se sont adaptés. Les Etats-Unis, qui, dans les années 1950 et 1960, avaient supplanté la Grande-Bretagne et la France en tant que puissance impériale dominante au Moyen-Orient, ont établi des relations stratégiques et militaires avec les Etats du Golfe et le régime du Shah en Iran (du moins, jusqu'à ce que ce dernier soit renversé en 1979). Dans les années 1970, les monarchies saoudienne et iranienne constituaient l'un des piliers de la puissance américaine dans la région, l'autre étant Israël.
La force militaire brute n'était qu'un aspect de la domination impériale. Selon Adam Hanieh, les changements intervenus dans les relations économiques et dans le système financier, qui ont permis de maintenir le contrôle sur les recettes pétrolières, ont également joué un rôle crucial.
Dans les années 1960, les gouvernements des pays producteurs de pétrole, menés par le Venezuela, avaient imposé des changements dans la fixation des prix du pétrole qui désavantageaient les puissantes compagnies états-uniennes qui avaient des intérêts dans leurs champs pétrolifères. La monarchie saoudienne exigeait elle aussi une plus grande part du gâteau. Les Etats-Unis ont réagi en modifiant leurs propres règles fiscales de sorte que, tandis que l'argent du pétrole affluait vers Riyad, les plus grandes compagnies pétrolières continuaient d'engranger des bénéfices records.
Dans les années 1970, des chocs de prix ont ébranlé le système de tarification monopolistique qui avait servi les plus grandes compagnies. L'action des pays producteurs, coordonnée par l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), a retiré le contrôle des prix aux transnationales. Les prix du pétrole brut ont quadruplé en 1973-1974 et doublé à nouveau en 1979.
Dans les années 1980, un autre changement important s'est produit : le pétrole est devenu de plus en plus un produit commercialisé ; la richesse et le pouvoir ont afflué vers les sociétés intermédiaires de négoce. Les profits pétroliers, qui avaient auparavant profité principalement aux sociétés des pays riches, se sont maintenant déversés dans les Etats du Golfe en particulier.
Ces « pétrodollars », qui s'écoulaient en quantités sans précédent vers des pays extérieurs au cercle des puissances impérialistes, sont devenus un facteur important de la financiarisation (l'expansion des marchés monétaires internationaux, dopés par le commerce informatisé) et de la mondialisation (la minimisation des contrôles de capitaux et autres barrières commerciales associées à l'économie néolibérale).
Quarante ans plus tard, le flux est plus important que jamais. Les Etats du Golfe ont accumulé un excédent de compte courant estimé à deux tiers de mille milliards de dollars en 2022, lorsque, après l'invasion russe de l'Ukraine, les prix du pétrole ont grimpé en flèche.
Les « pétrodollars » sont devenus des « eurodollars », c'est-à-dire des financements libellés dans la monnaie des marchés extérieurs aux Etats-Unis. Le dollar, dont le statut de monnaie de réserve avait été menacé lors de son décrochage de l'étalon-or en 1971, a été renforcé.
Les formes de monnaie et la montée des euromarchés, la position du dollar en tant que monnaie de réserve internationale, la domination des institutions financières anglo-américaines, les chaînes de la dette et la montée de l'orthodoxie néolibérale n'étaient pas les résultats automatiques de stricts processus économiques centrés sur l'Amérique du Nord et l'Europe, mais étaient inextricablement liés à la géopolitique du pétrole et à la présence des Etats-Unis au Moyen-Orient.
En se concentrant sur ces « racines mondiales souterraines » du nouveau système financier, écrit Hanieh, « il est possible de changer la façon dont nous pensons habituellement au contrôle du pétrole ».
Celui-ci n'est pas simplement réductible au pouvoir territorial et à la propriété des champs pétrolifères étrangers – il s'agit également du contrôle de la richesse pétrolière.
Pour comprendre les champs de bataille de Gaza, nous devons réfléchir, d'une part, aux fournitures militaires américaines aux Etats du Golfe et à Israël et aux idéologies détraquées [voir les vidéos diffusées par des soldats sur les réseaux sociaux] qui poussent les soldats israéliens à commettre des tueries et, d'autre part, à ces « racines souterraines » qui traversent les banques, les centres financiers, les maisons de commerce et la City de Londres.
Nous avons affaire à une hydre à plusieurs têtes qui combine de manière complexe richesse, pouvoir et terreur.
Ces relations démentent les mythes, comme l'idée que nos ennemis mènent des guerres répétées pour le pétrole. En réalité, c'est rarement le cas.
L'invasion dévastatrice de l'Irak en 2003, menée par les Etats-Unis et le Royaume-Uni, nous rappelle Hanieh dans une note de bas de page, ne visait pas tant à s'emparer du pétrole irakien qu'à protéger les monarchies du Golfe.
Il cite un autre historien du Moyen-Orient, Toby Craig Jones [1], qui a souligné que la captation du pétrole et des champs pétrolifères ne faisait pas partie de la logique stratégique de guerre des Etats-Unis, « mais que la défense du pétrole, des producteurs de pétrole et du flux de pétrole en faisait partie ».
Le pétrole ne produit pas seulement des richesses monétaires. Une fois extrait du sol, il est transporté sur de longues distances, généralement par bateau (une activité qui consomme énormément de pétrole). Il est raffiné en produits : macadam et bitume ; carburants, de l'essence au kérosène, dont l'approvisionnement a façonné les pratiques militaires, industrielles et agricoles, ainsi que les marchés de consommation, pendant un siècle ; et éthylène et autres matières premières pour les usines pétrochimiques.
Contrairement à d'autres historiens du pétrole qui ont une vision très générale, Hanieh met l'accent sur cet « aval ». Il montre que, dès le départ, la stratégie des géants pétroliers américains et européens était l'intégration verticale, c'est-à-dire le contrôle de l'ensemble du processus, jusqu'aux stations-service.
Les voitures, le bien de consommation ultime qui consomme tant de pétrole, occupent une place importante dans cette histoire. Il en va de même pour la combustion du pétrole dans les centrales électriques. Hanieh choisit de traiter plus en détail l'industrie pétrochimique, où le pétrole n'est pas utilisé comme vecteur d'énergie pouvant être converti en mouvement mécanique, en chaleur ou en électricité, mais comme matière première.
Il retrace les origines de la transformation pétrochimique en Allemagne, son développement (si c'est le bon mot) pendant la Seconde Guerre mondiale en tant que bras de la machine militaire nazie, et l'acquisition par les Etats-Unis, après la guerre, des technologies allemandes par le vol et l'expropriation. La pétrochimie, dominée par les Etats-Unis et l'Europe jusqu'à la fin du XXe siècle, se développe rapidement au Moyen-Orient et en Chine au cours du XXIe siècle.
Selon Adam Hanieh, les plastiques et autres matériaux synthétiques issus des combustibles fossiles ont remplacé les matériaux naturels tels que le bois, le coton et le caoutchouc. « En découplant la production de marchandises de la nature, on a assisté à une réduction radicale du temps nécessaire à la production de marchandises et à la fin de toute limite à la quantité et à la diversité des biens produits. »
Il s'agit d'une transformation qualitative : la pétrochimie a aidé le capital à réaliser des révolutions en matière de productivité, de technologies permettant d'économiser du travail et de consommation de masse ; « née dans la guerre et le militarisme, elle a contribué à la constitution d'un ordre mondial centré sur les Etats-Unis ». Notre être social est lié à un approvisionnement apparemment illimité en produits pétrochimiques bon marché et jetables.
J'espère que les arguments de Hanieh sur les produits pétrochimiques seront mis au centre des discussions sur la transition hors du pétrole et sur ce que cela implique pour le projet socialiste d'affronter et de vaincre le capitalisme.
Tout d'abord, le flux de pétrole en tant que matière première dans l'industrie pétrochimique doit être replacé dans le contexte plus large du flux colossal de matières extraites dans l'économie capitaliste, y compris les métaux, les minéraux, le ciment, les asphaltes et les matières vivantes telles que la biomasse et les animaux d'élevage.
Une équipe dirigée par Fridolin Krausmann a récemment estimé que l'ensemble de ces flux de matières a été multiplié par 12 entre 1900 et 2015 [2]. Eric Pineault a tenté de s'appuyer sur ces travaux et sur ceux des économistes écologiques pour développer une vision marxiste de cet aspect de la formidable expansion du capital [3].
Deuxièmement, une question d'interprétation. Je ne pense pas que l'industrie pétrochimique « découple » la production de la nature : il s'agit d'une autre façon de traiter et de retraiter des matériaux issus de la nature. Cependant, Hanieh a mis le doigt sur quelque chose d'extrêmement important et dangereux dans la manière dont les matériaux synthétiques corrompent et déforment la relation de l'humanité avec la nature. Il a mis le doigt sur ce qui devrait tous nous préoccuper.
Dans le dernier chapitre de Crude Capitalism, Adam Hanieh étudie la réponse des compagnies pétrolières à la menace du changement climatique. Après avoir passé des décennies à financer le déni de la science du climat, elles ont, au cours de la dernière décennie, inversé leur position publique, accepté le réchauffement planétaire comme un fait … et sont devenues des « convertis enthousiastes » au concept de « net zéro », tel que déformé par les politiciens, qui remplace les véritables réductions d'émissions de gaz à effet de serre par des ingénieuries technologiques chimériques, en particulier le captage du carbone.
« En donnant l'impression de faire partie de la solution, les compagnies pétrolières ne cachent pas seulement leur rôle central dans l'économie fossile, mais visent à encadrer et à déterminer la réponse de la société au changement climatique », prévient Hanieh.
Les compagnies adoptent de fausses solutions techniques – la biomasse, les véhicules électriques et l'hydrogène – qui ont été placées au centre de la politique climatique de l'establishment. Elles parient sur l'expansion de la dystopie consumériste synthétique soutenue par la pétrochimie. Et leur emprise orwellienne sur la politique, main dans la main avec les dictateurs des nations productrices, est plus que jamais visible lors des négociations internationales sur le climat – l'année dernière (Abu Dhabi) et cette année (Azerbaïdjan).
Les écosocialistes, qui s'efforcent d'associer la lutte pour surmonter la rupture désastreuse de l'humanité avec la nature à la lutte pour la justice sociale, doivent d'abord se confronter au fait que la production d'énergie et les infrastructures « restent solidement entre les mains des plus grands conglomérats pétroliers », affirme Adam Hanieh.
De plus, nous devons reconnaître que si ces entreprises constituent un « obstacle majeur » à la sortie du pétrole, « elles sont une manifestation, et non une cause, du problème sous-jacent » des relations sociales capitalistes.
Ne nous contentons pas de reculer d'horreur devant le génocide : disséquons et comprenons mieux l'hydre à plusieurs têtes. Ce livre y contribue. (Compte rendu publié sur le site de Simo Pirani le 18 novembre 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
Adam Hanieh est professeur d'études sur le développement à la SOAS, Université de Londres.
Simon Pirani a été de 2007 à 2021 chercheur auprès du Oxford Institute for Energy Studies. Il a publié en 2018 Burning Up : A Global History of Fossil Fuel Consumption, chez Pluto Press.
[1] Auteur entre autres de Running Dry : Essays on Energy, Water, and Environmental Crisis (Rutgers University Press, 2015), Desert Kingdom : How Oil and Water Forged Modern Saudi Arabia (Harvard University Press, 2010). (Réd.)
[2] « From resource extraction to outflows of wastes and emissions : The socioeconomic metabolism of the global economy, 1900–2015 », in Global Environmental Change, septembre 2018, pages 131-140.
[3] A Social Ecology of Capital, Pluto Press, 2023.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Les écologistes, nouveaux coupables de la crise climatique

France, États-Unis, Brésil... Face aux catastrophes climatiques, les attaques contre les écologistes redoublent d'intensité. Paradoxalement, ils sont devenus les ennemis à abattre.
24 novembre 2024 | Tiré de Reporterre
https://reporterre.net/Les-ecologistes-nouveaux-coupables-de-la-crise-climatique
C'est un phénomène qui se répand aux quatre coins de la planète. Un signe du puissant retour de bâton qui frappe nos sociétés occidentales, gangrenées par l'extrême droite et la désinformation. Partout, les écologistes sont rendus responsables des catastrophes climatiques qu'ils annonçaient depuis des décennies. Les messagers sont pris pour cible, attaqués et transformés en boucs émissaires. Le débat public est caricaturé et instrumentalisé, pris dans des polémiques stériles et absurdes.
À Valence, en Espagne, les écologistes sont accusés par les réactionnaires d'avoir aggravé les inondations qui ont provoqué la mort de plus de 200 personnes en octobre dernier. Le parti d'extrême droite, Vox, leur reproche d'avoir détruit des barrages et d'avoir refusé de nettoyer les rivières. En réalité, seules de petites retenues en fin de vie avaient été détruites dans les années 2000, sans effet sur l'importance des dégâts, assurent les experts.
Vers un climatocomplotisme
Aux États-Unis, quelques semaines auparavant, lors du passage des ouragans Helene et Milton, des météorologues ont aussi été menacés de mort. Trump et ses partisans ont mené une campagne de diffamation de grande ampleur pour dénoncer le rôle du gouvernement démocrate dans l'apparition de la tornade et décrédibiliser les climatologues.
Le camp républicain a répété de fausses allégations selon lesquelles l'administration Biden-Harris aurait réorienté les fonds d'aide destinés aux régions dévastées pour les consacrer à des programmes en faveur des migrants. Des élus conservateurs, comme la députée de Georgie, Marjorie Taylor Greene, ont même insinué que le gouvernement « contrôlait la météo » sur X.

Dans ce tweet, une élue républicaine affirme que le gouvernement manipule le climat. X (ex-Twitter)
Le climatoscepticisme vire au climatocomplotisme. À l'ouragan réel s'ajoute un autre déluge, de mensonges et de fake news. Dans le Guardianhttps://www.theguardian.com/us-news..., la météorologue Katie Nickolaou témoigne : « Plusieurs personnes m'ont dit que j'avais créé et dirigé l'ouragan, d'autres que nous contrôlions la météo. J'ai dû rappeler qu'un ouragan a l'énergie de 10 000 bombes nucléaires et que nous ne pouvons pas espérer le contrôler. Mais la rhétorique est devenue plus violente, notamment avec des gens qui disent que ceux qui ont créé Milton devraient être tués. Les gens m'ont traitée d'une pléthore de jurons, ils m'ont dit de me taire ».
« Je n'ai jamais vu ça »
« En vingt ans à gérer des catastrophes, je n'ai jamais vu ça », dit Samantha Montano, professeure en gestion de situation d'urgence, interrogée par le New York Times. Le phénomène s'est aggravé avec la reprise en main par Elon Muskdu réseau social Twitter-X.
Le milliardaire a rétabli de nombreux comptes interdits et provoqué une explosion de désinformation climatiquesur la plateforme. Lors des deux derniers ouragans, la viralité des fausses informations a battu tous les records. Il a suffi de moins d'une trentaine de messages climatosceptiques et injurieux pour inonder le réseau, et être vus plus de 160 millions de fois.
Lire aussi : Le numérique fait le lit de l'extrême droite
« On aurait pu croire que ces catastrophes soient un moment de révélation et de vérité qui aille dans le sens des écologistes, dit à Reporterre l'historienne Laure Teulière. Mais c'est tout le contraire qui s'est réalisé. À l'aune de la tempête, la confusion s'aggrave encore davantage ». Selon elle, « le technocapitalisme radicalise ses formes de domination. La cause écologiste permet de souder contre elle ceux qui ont intérêt au statu quo — les industriels qui profitent du système économique — et les responsables politiques qui prospèrent sur le ressentiment de la population. »
« Les feux de forêts sont allumés par des terroristes verts »
Avant les exemples espagnol et étasunien, d'autres situations éloquentes montrent qu'il s'agit d'un phénomène global. Au Brésil, en 2019, Jair Bolsonaro avait insinué que les associations écologistes incendiaient l'Amazonie pour ternir sa réputation. « Je n'arrive pas à tuer ce cancer que sont la plupart des ONG », regrettait l'ancien chef de l'État. Il qualifiait également l'Accord de Paris de « complot international » qui cherchait, selon lui, à saper ses efforts en faveur du développement du pays.
Au Canada, les conservateurs sont en embuscade. Alors que les mégafeux ravageaient 18 millions d'hectares de forêt en 2023, l'ancien ministre des Affaires étrangères Maxime Bernier affirmait « qu'une bonne partie des feux de forêt ont été allumés par des terroristes verts pour donner un coup de pouce à leur campagne sur le changement climatique ». Des thèses, encore une fois, sans fondement.
Au Brésil, en 2019, Jair Bolsonaro avait insinué que les associations écologistes incendiaient l'Amazonie pour ternir sa réputation. Flickr / CC BY 2.0 / Palácio do Planalto
« Il y a dix ans, on se disait, avec des amis, que quand ça irait mal, on nous accuserait, nous, les écologistes, se souvient le philosophe Dominique Bourg. On n'était pas prêt d'imaginer que ça aille aussi vite et que cela soit aussi violent ». Et de poursuivre : « Nous vivons une situation assez classique des régimes autoritaires. Avec une destruction du langage et une inversion des valeurs. On construit un monde contrefactuel en détruisant toute vérité possible. »
La stratégie du choc est en marche
En 2007, déjà, Naomi Klein décrivait l'avènement d'un « capitalisme du désastre » qui surferait sur les catastrophes naturelles qu'il aurait lui-même provoquées. En se militarisant, en criminalisant tous ceux qui voudraient le remettre en cause, en détournant la colère et en jouant sur la sidération.
Tout porte à croire que nous y sommes. Cette « stratégie du choc », du nom du livre phare de l'intellectuelle canadienne, touche aussi la France. Des dynamiques similaires se déploient avec les mêmes rhétoriques diffamatoires. Après l'ère du greenwashing, place à l'ère du « greenblaming » ou du « greenbashing » [1]. L'extrême droite et les écomodernistes sont entrés en croisade contre les écolos, aidés par les médias de Bolloré et consorts.
Ainsi, en 2022, dans les Landes, face à l'ampleur des mégafeux, on a reproché aux écologistes d'avoir refusé d'aménager la forêt(plutôt que de s'interroger sur les monocultures résineuses industrielles hautementinflammables). L'animateur de M6, Mac Lesggy, et les journalistes employés des journaux contrôlés par des milliardaires, Géraldine Woessner, du Point, et Emmanuelle Ducros, de L'Opinion, ont mené la cabale, jusqu'à noyauter le débat public pendant la catastrophe. Avant d'êtreséchement démenties.
La même scène s'est répétée avec les inondations dans le Nord. La revue de Michel Onfraya accusé les écologistes de ne pas avoir voulu curer les canaux pour protéger des grenouilles. Le président de la Région Xavier Bertrand a surenchéri quelques heures à peine après les premières inondations, en pleine urgence.
En janvier dernier, face à la colère agricole, les écologistes ont aussi été désignés comme les principaux coupables de la détresse paysanne. « L'écologie politique est le courant de pensée faisant courir le plus de risques à notre pays », fantasme Géraldine Woessner, dans son dernier livre Les Illusionnistes (Robert Laffont, 2024).
« Il s'agit de décrédibiliser les lanceurs d'alerte »
« Cette petite musique sert surtout à détourner l'attention. Elle s'inscrit dans une stratégie plus vaste d'obstruction des efforts climatiques, assure l'historienne Laure Teulière. Ces détracteurs veulent imposer, face à la crise environnementale, leurs propres solutions procroissance et protechnologie ».
« Ils dépeignent les écologistes à la fois comme un ennemi intérieur, dangereux et violent, un khmer vert catastrophique et moralisant, mais aussi comme un grand naïf, un doux rêveur, avec des idées hors-sols, inefficaces et utopistes », remarque la chercheuse. L'objectif visé est de décrédibiliser et de délégitimer les lanceurs d'alerte et de leur couper l'herbe sous le pied.
La peur de la perte de contrôle
À l'avenir, ces attaques pourraient d'ailleurs redoubler d'intensité. Dans un article de la revue en ligne The Conversation, les chercheurs Iwan Dinnick et Daniel Jolley montrent l'écho grandissant de ce type de rhétorique. La multiplication des catastrophes naturelles favorise, paradoxalement, le climatoscepticisme et les discours anti-écolo, expliquent-ils.
Des biais cognitifs l'expliqueraient. « Les gens ont un besoin fondamental de se sentir en sécurité dans leur environnement. Dès lors où le changement climatique est réel, il représente une menace existentielle, c'est pourquoi certains le rejettent au profit de théories du complot pour retrouver une impression de contrôle. »
En 2019, une étude en psychologie s'intéressait à la flambée de tornades observées dans le Midwest étasunien. Les chercheurs constataient que les personnes les plus touchées par les tempêtes étaient les plus susceptibles de croire que les tornades étaient contrôlées par le gouvernement. Dans les situations de crise, le cerveau, en état de choc, cherche des réponses rapides et faciles, il désigne des coupables contre lesquels il est déjà énervé.
Iwan Dinnick et Daniel Jolley pointent le risque d‘« un cycle qui s'autoperpétue ». « Si les gens ne croient pas au changement climatique, ils n'agiront pas, ce qui accélérera sa progression. Et si le changement climatique s'accélère, les catastrophes naturelles deviendront, elles aussi plus fréquentes. »
L'écologiste fait figure de nouveau Cassandre. Au lieu de remettre en cause notre manière d'habiter la Terre, on appelle à un surcroît de contrôle, à plus de gestion et d'aménagement. En Espagne, le parti d'extrême droite, Vox, plaide pour relancer le « Plan Sud », un projet imaginé par Franco pour construire un grand canal. En France, les industriels prônent davantage de monocultures en forêt et la FNSEA veut curer la rivière Aa. « Vu que la nature nous pète à la gueule et que les écologistes la protègent, les Modernes font de nous des traîtres », conclut Dominique Bourg.
Note
[1] De to blame (blâmer) et to bash (critiquer fortement).
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Fin de la COP29 : les pays riches imposent un accord « néocolonialiste »

Au bout de la nuit, un accord sur la finance climatique (300 milliards de dollars par an) a été conclu. La somme, près de cinq fois inférieure à celle dont ont besoin les pays du Sud, a provoqué leur colère.
Tiré de Reporterre
24 novembre 2024
Par Emmanuel Clévenot
Bakou (Azerbaïdjan), reportage
La main crispée autour du marteau, Mukhtar Babayev transpirait de nervosité. Au cœur de la nuit, face à un hémicycle dans l'atermoiement depuis des heures, le président azerbaïdjanais de la COP29 a annoncé à toute allure l'adoption du texte phare des négociations. Dans la même précipitation, le bruit sec de l'instrument scellant les décisions s'est abattu. Et avant même que les interprètes n'aient fini de traduire, l'homme s'est levé et a enlacé le chef de la branche Climat des Nations unies, sous les applaudissements nourris. Verdict : les États présents à cette 29e conférence des parties à Bakou se sont engagés à verser 300 milliards de dollars (287 milliards d'euros) par an aux pays en développement, bien en deçà de la somme nécessaire comprise entre 1 000 et 1 300 dollars.
Les mines médusées, des observateurs se sont chuchotés leur incompréhension. Certains experts, assis à même le sol, avaient à peine débuté l'analyse de l'ultime version du texte, reçue quelques instants plus tôt.
Les 197 États membres avaient-ils brusquement accordé leurs violons sur le fameux « Nouvel objectif collectif quantifié », fixant l'aide financière allouée par les pays riches aux nations vulnérables à la crise climatique ? La quinzaine de débats allait-elle s'achever ainsi ? Pas du tout.
« Empêcher les parties de s'exprimer n'honore pas la convention »
Empoignant le micro, la négociatrice en cheffe de l'Inde, Chandni Raina, a aussitôt déploré « un incident absolument regrettable » : « Nous avions informé la présidence que nous voulions faire une déclaration avant toute prise de décision. Cela est une mise en scène. » Fusillant d'un regard noir Mukhtar Babayev et son voisin onusien, elle a ajouté : « Nous avons vu ce que vous venez de faire. Utiliser votre marteau et empêcher les parties de s'exprimer n'honore pas la convention. L'Inde s'oppose à l'adoption de ce document. Prenez-en note. »
Une « violation de la justice climatique »
En guide de riposte, le président s'est contenté d'assurer que cette objection serait inscrite au rapport, bien que l'adoption du texte demeure valable. Il n'imaginait sûrement pas le flot de désaveux prêt à déferler sur lui. Diego Pacheco, l'émissaire bolivien, a scandé que « les pays développés devraient avoir honte » d'avoir bâti un tel « outil néocolonialiste », « une arme létale » : « Ce financement est un écran de fumée, une insulte et une violation flagrante de la justice climatique. La coopération internationale disparaît petit à petit. Nous nous étions promis d'avancer ensemble. Maintenant, c'est sauve qui peut. »
Les activistes dénoncent le manque d'engagement et de prise de responsabilité des pays riches depuis le début de la COP. © Emmanuel Clévenot / Reporterre
Le Malawi, porte-voix des 45 pays les moins avancés, a partagé cette indignation. Portée par de vifs applaudissements, la diplomate nigériane a ensuite qualifié l'adoption express d'affront : « Nous n'avons pas seulement à faire des déclarations. Nous avions le droit de décider si nous acceptions ou non ce texte, a-t-elle crié, furieuse. Et je vous le dis : nous ne l'acceptons pas. » Devant ce tollé contagieux, le négociateur du Chili a insisté auprès du président de la COP sur l'absence criante de « consensus », régissant pourtant les enceintes onusiennes.
Le fossé Nord / Sud se creuse
Alors comment l'adoption a-t-elle pu être prononcée ? Une chose est sûre : le multilatéralisme bat de l'aile, plus que jamais auparavant, et le fossé entre les pays du Nord et ceux du Sud semble se creuser de plus en plus. Jusqu'à 4 h 30 du matin, les allocutions se sont enchaînées.
Le commissaire européen au climat, Wopke Hoekstra n'a, lui, pas caché sa satisfaction, qualifiant de « véritablement extraordinaire » l'adoption de l'accord. « À mon avis, la COP29 restera dans les mémoires comme le début d'une nouvelle ère pour le financement climatique et nous avons travaillé dur pour garantir qu'il y ait beaucoup d'argent sur la table. »
Un « sabotage », une « insulte »... Des activistes comme de nombreux diplomates n'ont pas caché leur colère face à un montant promis dérisoire. © Emmanuel Clévenot / Reporterre
« Beaucoup » ? Les 300 milliards de dollars annuels à compter de 2035 sont une enveloppe quatre à cinq fois inférieure aux besoins, d'après un consensus d'experts.
Visiblement plus sensibles à l'émoi des pays vulnérables, les émissaires d'autres pays du Nord ont teinté de nuances leurs interventions. La Suisse a ainsi déploré une « machine arrière » et condamné « que certains aient dilué l'ambition du texte ». Un « sabotage » aussi pointé du doigt par l'Australie. Le négociateur canadien déclarant, lui : « Nous étions ici pour passer à l'action, nous avons raté le coche. »
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :